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8e édition
Ouvrages parus
Introduction au droit
Droit des personnes – La protection des mineurs et des majeurs
Droit des biens
Droit des obligations
Droit des contrats spéciaux
Droit des sûretés
Droit de la famille
Droit des successions et des libéralités
Droit des régimes matrimoniaux
Autres ouvrages de Philippe Malaurie
Dictionnaire d’un droit humaniste, Université Panthéon-Assas, Paris II,
LGDJ, 2015
Anthologie de la pensée juridique, Cujas, 2e éd., 1996
Droit et littérature, Une anthologie, Cujas, 1997
Avec la collaboration de Philippe Delestre
Droit civil illustré, Defrénois, 2011
SOMMAIRE
PREMIÈRE PARTIE
RESPONSABILITÉS EXTRACONTRACTUELLES
LIVRE I
LIVRE II
« RESPONSABILITÉS » SPÉCIALES
Chapitre I. – Accidents de la circulation
Chapitre II. – Produits défectueux
Chapitre III. – Responsabilités professionnelles
LIVRE III
DEUXIÈME PARTIE
CONTRATS ET QUASI-CONTRATS
LIVRE I
LIVRE II
QUASI-CONTRATS
TITRE I. – GESTION D’AFFAIRES
TITRE II. – RÉPÉTITION DE L’INDU
TITRE III. – ENRICHISSEMENT INJUSTIFIÉ
TROISIÈME PARTIE
RÉGIME GÉNÉRAL
LIVRE I
LIVRE II
OBLIGATIONS COMPLEXES
TITRE I. – OBLIGATIONS PLUS OU MOINS OBLIGATOIRES
Chapitre I. – Modalités de l’obligation
Chapitre II. – Obligation naturelle
TITRE II. – OBLIGATIONS À SUJETS MULTIPLES
Chapitre I. – Indivisibilité
Chapitre II. – Solidarité
Chapitre III. – Obligation in solidum
LIVRE III
CIRCULATION DE L’OBLIGATION
TITRE I. – TRANSFERT DE L’OBLIGATION
Chapitre I. – Subrogation personnelle
Chapitre II. – Cession de créance
Chapitre III. – Cessions simplifiées
Chapitre IV. – Cession de dette
TITRE II. – CRÉATION D’UNE OBLIGATION NOUVELLE
Chapitre I. – Novation par changement de l’une des parties
Chapitre II. – Délégation
Table de correspondance
Juridictions
CA = arrêt de la Court of Appeal (Grande-Bretagne)
CA = arrêt d’une cour d’appel
CAA = arrêt d’une Cour administrative d’appel
Cass. Ass. plén. = arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation
Cass. ch. mixte = arrêt d’une chambre mixte de la Cour de cassation
Cass. ch. réunies = arrêt des chambres réunies de la Cour de cassation
Cass. civ. = arrêt d’une chambre civile de la Cour de cassation
Cass. com. = arrêt de la chambre commerciale et financière de la Cour de cassation
Cass. crim. = arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation
Cass. soc. = arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation
CE = arrêt du Conseil d’État
CEDH = arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme
CJCE = arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes
Cons. const. = décision du Conseil constitutionnel
Cons. prud’h. = Conseil des prud’hommes
JAF = décision d’un juge aux affaires familiales
J.d.t. = décision d’un juge des tutelles
J. prox. = décision d’une juridiction de proximité
KB = arrêt du King’s bench (Banc du roi) (Grande-Bretagne)
QB = arrêt du Queen’s Bench (Banc de la reine) (Grande-Bretagne)
Réf. = ordonnance d’un juge des référés
Req. = arrêt de la chambre des requêtes de la Cour de cassation
sent. arb. = sentence arbitrale
sol. impl. = solution implicite
TA = jugement d’un tribunal administratif
T. civ. = jugement d’un tribunal civil
T. com. = jugement d’un Tribunal de commerce
T. confl. = décision du Tribunal des conflits
T. corr. = jugement d’un Tribunal de grande instance, chambre correctionnelle
T.f. = arrêt du Tribunal fédéral (Suisse)
TGI = jugement d’un Tribunal de grande instance
TI = jugement d’un Tribunal d’instance
TPICE = Tribunal de première instance des Communautés européennes
Acronymes
AFNOR = Association française de normalisation
CCI = Chambre de commerce internationale
Ccne = Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé
CEE = Communauté économique européenne
DCFR = Draft Common Frame of Reference (projet von Bar)
DDASS = Direction départementale de l’action sanitaire et sociale
DPU = Droit de préemption urbain
IRPI = Institut de recherche en propriété intellectuelle
OPE = offre publique d’échange de valeurs mobilières
POS = plan d’occupation des sols
PUAM = Presses universitaires de l’Université d’Aix-Marseille
PUF = Presses universitaires de France
SA = société anonyme
SARL = société à responsabilité limitée
SAS = société anonyme simplifiée
SCI = société civile immobilière
SNC = société en nom collectif
Abréviations usuelles
A. = arrêté
Adde = ajouter
Aff. = affaire
al. = alinéa
Ann. = annales
Appr. = approbative (note)
Arg. = argument
Art. = article
Art. cit. = article cité
Av. gal. = avocat général
cbné = combiné
cf. = se reporter à
chron. = chronique
col. = colonne
comp. = comparer
concl. = conclusions
cons. = consorts
Contra = solution contraire
crit. = critique (note)
DIP = Droit international public/Droit international privé
doctr. = doctrine
éd. = édition
eod. v. = eodem verbo = au même mot
Et. = Mélanges
ib. = ibid. = ibidem = au même endroit
infra = ci-dessous
IR = informations rapides
loc. cit. = loco citato = à l’endroit cité
m. n. /déc. /concl. = même note/ décision/ conclusion
n. = note
n.p.B. = non publié au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (inédit)
op. cit. = opere citato = dans l’ouvrage cité
passim = çà et là
préc. = précité
pub. = publié
rapp. = rapport
Sect. = section
sté = société
somm. = sommaires
supra = ci-dessus
TCF DIP = Travaux du Comité français de DIP
th. = thèse
V. = voyez
v = versus = contre
v. = verbo = mot (vis = verbis = mots)
*et** = décisions particulièrement importantes
Sauf indication contraire, les articles cités se réfèrent au Code civil.
PREMIÈRES VUES SUR LES OBLIGATIONS
§ 1. DÉFINITION
I. — Classifications
Outre une classification selon les sources 5, on peut répartir les
obligations selon leur objet.
II. — Modalités
§ 2. INTÉRÊTS
6. Droit prépondérant. – Le droit des obligations domine l’ensemble du droit, car l’obligation est
le type le plus courant des rapports juridiques pouvant s’établir à l’intérieur d’une société.
1º) Qu’il domine le droit privé est évident : le droit privé a pour objet les relations privées entre
les hommes, dont le mécanisme majeur est l’obligation.
2º) À l’égard du droit public, l’affirmation mérite plus d’explications. Pendant longtemps, le droit
administratif des obligations s’était largement inspiré du droit civil, particulièrement dans les
régimes des contrats administratifs et de la responsabilité de la puissance publique. Puis, à la fin du
XIXe siècle, sous l’influence de Maurice Hauriou, professeur à Toulouse, le droit administratif a
revendiqué son autonomie, soulignant les prérogatives particulières de l’Administration (« un régime
exorbitant du droit commun »). Le droit administratif contemporain, tout en conservant les résultats
acquis par cette méthode, tend à reconnaître aux principes du droit civil un champ d’application plus
large. Par exemple, il existe en droit administratif une renaissance du contrat. Traditionnellement,
l’intervention de l’État dans la vie économique se faisait au moyen d'un acte de puissance publique,
le règlement administratif ; depuis plus de soixante ans, l’économie dirigée devient concertée ; elle
est organisée par des contrats de caractère collectif : le contrat prend souvent la place du règlement,
le droit négocié succède au droit imposé. L’évolution correspond à une transformation de l’autorité,
qui préfère la négociation au commandement : le mal de la contrainte est moins difficilement subi par
celui qui s’est obligé volontairement.
L’influence du droit civil des obligations sur l’ensemble du droit est
plus perceptible dans son régime général que dans ses sources. Les
sources seront examinées avant le régime des obligations, bien que la
distinction entre sources et régime ne soit pas toujours accusée.
§ 3. ÉVOLUTION
8. Stabilité. – Pour les rédacteurs du Code civil, le droit des obligations avait paru immuable, au
moins lorsqu’il s’agissait des obligations conventionnelles. Néanmoins, il est soumis au changement
qui affecte toutes les institutions humaines. Son évolution concerne ses sources comme sa teneur.
1º) À l’égard de ses sources 16, s’opposent les obligations qui résultent d’un délit et celles qui
découlent d’un contrat. Parce qu’elle est la suite d’un libre accord de volontés tendu vers la
réalisation d’une opération économique, l’obligation contractuelle se présente sous des formes
variées, répond aux prévisions des parties et à une finalité pratique. L’obligation résultant d’un délit
est plus rudimentaire ; elle a pour unique objet l’indemnisation de la victime (créancière, dans
l’immense majorité des cas, de dommages-intérêts) et se trouve déterminée par le juge. Le rôle du
juge était, d’ailleurs, traditionnellement plus important en cette matière.
Une réforme du titre III que le Code consacre aux obligations était depuis longtemps souhaitée par
beaucoup d’esprits. La jurisprudence a tellement modifié le sens de certains textes qu’il était devenu
inopportun de les laisser en l’état. De même, des institutions ont été enrichies, des conceptions
nouvelles se sont développées. À l’initiative de Pierre Catala puis de François Terré, deux
commissions d’universitaires ont établi des projets de réforme qui ont conduit à un projet
d’ordonnance (L. 28 janv. 2015), puis à l’ordonnance du 10 février 2016 qui a complètement réécrit
le droit des contrats, le régime de l’obligation et le droit de la preuve. La réforme de la
responsabilité civile suivra sans doute prochainement.
2º) Dans sa teneur, le droit des obligations devient plus complexe, plus divers et plus collectif.
La transformation des obligations délictuelles est profonde et a commencé il y a plus d’une centaine
d’années ; celle du droit des contrats est plus récente et moins visible ; celle du régime des
obligations est plus souterraine parce qu’il paraît plus technique que les autres et que les techniques
juridiques ne se réinventent guère. Cette évolution dépend de nombreux facteurs : historiques,
politiques, sociaux et surtout des incidences économiques ; on est loin, pourtant, d’avoir adopté
l’analyse économique présentée par l’« école de Chicago » 17.
§ 4. THÉORIE GÉNÉRALE
§ 5. SOURCES
10. Acte, fait et statut. – Le Code civil avait distingué cinq sources
d’obligations ; au quadrige romain : contrats, quasi-contrats, délits et
quasi-délits, s’ajoute la loi qui impose des obligations à certaines
personnes : par exemple, les obligations alimentaires s’imposent aux
parents. L’ordonnance du 10 février 2016 regroupe ces sources en trois
catégories : l’acte juridique (essentiellement le contrat), le fait juridique
(quasi-contrat, délit, quasi-délit) et la loi (source mineure) (art. 1100) ;
puis il définit chacune d’elles (art. 1100-1 et 1100-2).
1º) Quand l’obligation est contractuelle, les parties créent elles-mêmes, par leur accord, le lien
obligatoire qui va les unir et le façonnent, dans son objet, son contenu, sa durée et ses modalités, sous
les limites et les compléments que la loi impose. Tandis que lorsque l’obligation naît d’une source
extracontractuelle, ses caractères sont entièrement déterminés par la loi.
2º) L’obligation quasi contractuelle est singulière. Elle n’est pas purement légale, car elle est
attachée à un fait personnel, licite et imputable à l’obligé. Bien que parfois volontaire, elle n’est pas
contractuelle, car les obligations imposées aux parties par leur rapport quasi-contractuel ne découlent
pas d’un accord de leurs volontés : le quasi-contrat n’est pas un acte juridique. Quoique découlant
d’un simple fait juridique, cette obligation n’est pas pour autant délictuelle, car le fait générateur de
l’obligation est licite et profite à autrui. Enfin, la singularité du quasi-contrat apparaît quand on
aperçoit que, découlant d’un fait juridique, son contenu est fixé par la loi sur le modèle du mandat et
du prêt, qui sont des contrats.
3º) Les obligations délictuelles et quasi délictuelles (art. 1240 à 1245-17) se rapportent à la
responsabilité extracontractuelle. Elles naissent d’un fait illicite et dommageable et diffèrent ainsi de
l’obligation purement légale et de l’obligation quasi contractuelle. Elles diffèrent aussi des
obligations contractuelles, car elles ne proviennent pas d’un accord de volontés. Selon que le fait est
ou non intentionnel, il y a délit ou quasi-délit.
4º) Le droit contemporain fait apparaître quelques responsabilités spéciales statutaires, dont la
nature ne change pas, quel que soit le rapport (délit ou contrat) qui est à leur origine : par exemple, la
responsabilité consécutive aux accidents de la circulation, celle des fabricants du fait de leurs
produits défectueux et, plus récemment, celle des médecins du fait des accidents médicaux.
Le Code civil avait construit le régime général des obligations à partir de l’obligation
contractuelle : le titre III du livre III qui lui était consacré (anc. art. 1101 à 1369-11) était intitulé
« Des contrats ou des obligations conventionnelles en général ». Ces règles s’étendaient, avec des
modifications, aux obligations extracontractuelles sur lesquelles le Code a été moins disert (anc.
art. 1370 à 1387).
L’ordonnance du 10 février 2016 a voulu distinguer nettement les sources des obligations (le
contrat, la responsabilité extracontractuelle et les quasi-contrats), auxquelles le titre III est consacré,
du régime général des obligations qui forme l’objet du titre IV, le titre IV bis réglant la preuve des
obligations.
22. Objet. – La responsabilité 19 consiste à répondre de ses actes. Elle est une condition
essentielle de la liberté : un pouvoir irresponsable est tyrannique et décadent, un individu
irresponsable est un facteur de troubles et un être humainement diminué. L’homme libre est celui qui a
conscience des conséquences de ses actes et en répond ; il y va de sa dignité : qui fuit ses
responsabilités et n’assume pas ses décisions est indigne de sa liberté. Nietzsche a pu parler du
« privilège extraordinaire de la responsabilité ».
Elle a des objets divers. Elle peut être morale, avec pour seule sanction la voix intérieure d’une
conscience individuelle. Ou politique : la responsabilité du gouvernement. Ou pénale : la
responsabilité de l’auteur d’une infraction. Enfin, d’une manière plus vague, dans le jargon
contemporain, être responsable est exercer un pouvoir. La responsabilité peut être aussi civile, seule
ici étudiée.
Pour la jurisprudence, « le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement
que possible l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du
responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable n’avait pas eu
lieu » 20. La responsabilité civile fonde ainsi un droit à une indemnité dont le créancier est la victime
et dont la détermination suppose une action en justice ou un acquiescement du prétendu responsable
ou de son assureur. Son objet consiste à réparer le dommage dont le défendeur sera jugé
juridiquement responsable. Le fait qu’une personne éprouve un dommage ne lui donne donc pas
toujours droit d’en obtenir réparation : il faut caractériser un « fait générateur de responsabilité »
pour fonder l’obligation de réparation et celle-ci couvrira seulement les dommages jugés imputables
à ce fait. La responsabilité civile n’est pas la sécurité sociale.
La responsabilité extracontractuelle occupe dans la vie contemporaine une place considérable.
Son extension et sa transformation sont la conséquence de la société industrielle, où la vie devient
dangereuse, et la rançon de la société d’abondance, où toute personne qui subit un dommage a, à peu
près systématiquement, l’inclination de le faire supporter par un autre ou une collectivité. Chacun
entend faire peser sur autrui les malheurs qui l’accablent.
§ 1. HISTOIRE SOMMAIRE
24. Cycles. – Selon une vue historique, si sommaire soit-elle, on perçoit trois relations
cycliques : entre la responsabilité civile et la responsabilité pénale, entre la responsabilité objective
et la responsabilité subjective, entre la responsabilité collective et la responsabilité individuelle.
Le droit romain et l’Ancien droit répètent, chacun à leur tour, la même évolution. À l’origine était
la vengeance privée, « la vindicte » : la victime 24 d’un vol ou d’un meurtre se vengeait, par elle-
même ou par les siens, afin d’apaiser le mal qui l’avait frappée, puis, plus tard, pour punir le
coupable. Alors la responsabilité était, tout à la fois, une réparation qui apportait un remède au mal et
une punition. Aucune différence n’était donc faite entre la responsabilité civile et la responsabilité
pénale.
La confusion diminua quand la vengeance se transforma en argent : dans le wehrgeld (le prix du
sang), les lois germaniques énumérèrent les différents délits, chiffrant pour chacun le prix de la
vengeance – c’était le système de la composition pécuniaire – : un homme libre valait plus qu’un
esclave, un évêque plus qu’un homme libre, un Franc plus qu’un Romain. Désormais, la victime ne
frappa plus le coupable, elle obtint de lui une somme : la réparation commença à se distinguer de la
peine.
Vengeance ou wehrgeld, la responsabilité demeurait objective : ce qu’il fallait, c’était apaiser :
les dieux d’abord, puis la victime, non apprécier une conduite morale : il ne s’agissait pas tant
d’atteindre le coupable que de satisfaire la victime et sa famille ; en outre, celui qui répondait du
dommage était l’acteur, celui qui avait matériellement commis le dommage, plutôt que l’auteur, celui
dont la faute était à l’origine du dommage. Enfin, vengeance privée ou wehrgeld, cette responsabilité
était dominée par la solidarité familiale ; elle constituait une responsabilité collective : l’ensemble
du groupe familial répondait du dommage causé par l’un des siens.
Responsabilité civile confondue avec la responsabilité pénale, série de délits spéciaux,
responsabilité objective, responsabilité collective, l’évolution a transformé ces quatre données de
l’origine.
Une étape radicale fut franchie le jour où l’autorité publique assura elle-même le châtiment des
coupables. L’aspect pénal se dissocia de l’aspect civil, la répression de la réparation, la faute pénale
de la faute civile. Une distinction fondamentale fut ainsi posée entre la responsabilité civile, qui
n’apparaissait que s’il existait un préjudice qu’elle avait pour objet de réparer, et la responsabilité
pénale, qui intervenait même s’il n’y avait pas atteinte aux personnes ou aux biens, et avait pour objet
la punition du coupable.
Pendant longtemps, il n’y eut de réparation que dans les seuls cas énumérés par la loi. Ce ne fut
que vers la fin de l’Ancien droit, au XVIIIe siècle, que se dégagea un principe général, obligeant à
réparer tous les dommages qu’une personne avait causés à autrui par sa faute. À côté de ce principe
général, d’autres règles, assez différentes, existaient dans l’Ancien droit : elles énonçaient des cas
spéciaux de responsabilité, plus ou moins indépendants de la faute. Par exemple, même si sa faute
n’avait pas été démontrée, le propriétaire était responsable du dommage causé par ses animaux, ou
par la ruine de son bâtiment due à un vice de construction ou à un défaut d’entretien.
Ce dualisme inégal fut consacré par le Code civil : un principe général de responsabilité fondé
sur la faute (art. 1240, anc. art. 1382, et 1241, anc. art. 1383) coexista avec des règles spéciales,
parfois indépendantes de la faute (art. 1242 à 1244, anc. art. 1384 à 1386).
Pendant la plus grande partie du XIXe siècle l’application de ce corps de règles ne souleva aucune
difficulté. À la fin de ce siècle, un puissant mouvement remit en cause les principes du Code. La
justice commandait de réparer les dommages éprouvés par les victimes de la société industrielle, du
fait des accidents du travail, puis de la circulation, enfin des produits défectueux. Or, la victime avait
du mal à exercer son action en raison de la nécessité de prouver la faute ; afin qu’elle pût obtenir
réparation de son préjudice, il fallait l’en dispenser.
25. Théories du risque et de la garantie. – 1º) Ce qui a conduit à chercher ailleurs que dans la
faute le fondement de la responsabilité : dans le fait objectif du dommage causé. Est alors apparue
une idée nouvelle : chacun doit supporter les risques de son activité. Ce qu’on appela la théorie du
risque. Le droit public a connu la même évolution ; il a, à ce même moment, admis largement une
responsabilité sans faute de l’Administration pour les dommages qu’elle a causés. La théorie apparut
aussi en droit pénal où le rôle croissant de la défense sociale et la crainte de ne juger un homme qu’à
travers ses actes ont entraîné le développement d’infractions non intentionnelles.
2º) Une nouvelle étape fut atteinte lorsqu’a été partiellement substituée à la notion de
responsabilité celle de garantie. S’ajouterait à la responsabilité un principe général et subsidiaire de
« droit à la sécurité » permettant d’indemniser les préjudices anormaux et spéciaux que ne réparent
pas les responsabilités fondées sur la faute et sur le risque 25.
Ainsi, la responsabilité revient à sa position objective initiale. La préoccupation exclusive
devient la réparation, voire une répartition collective du dommage, plus que la réprobation morale et
la culpabilité de l’auteur. Tout et à toute occasion a été remis en question : chaque problème de
responsabilité civile fait apparaître un conflit entre deux tendances, la responsabilité subjective et la
responsabilité objective. En réalité, l’opposition n’est pas aussi tranchée, et on passe souvent par
degrés de la notion de faute à celle de risque. Il y a cependant une évidence, l’extension constante de
la responsabilité.
§ 2. EXTENSION
28. Multiplication des fonds d’indemnisation. – La victime a souvent une créance sur une
collectivité. Par exemple, en cas d’accident de la circulation ou de chasse, si le responsable est
inconnu ou insolvable, la réparation du dommage est à la charge, en tout ou en partie, d’un Fonds de
garantie financé par les cotisations des assureurs et des assurés (C. assur., art. L. 421-1 et s.). De
même, ont été partiellement socialisés les risques de la délinquance : la loi oblige l’État à indemniser
les victimes de dommages corporels résultant de certaines infractions pénales, si le responsable ne
l’a pas déjà fait (C. pr. pén., art. 706-3 à 706-15). Un dispositif similaire existe pour les victimes
d’actes terroristes (C. assur., art. L. 126-1, « Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et
d’autres infractions ») et pour les victimes de transfusion de sang contaminé par le Sida. La
procédure instituée à ce dernier titre (L. 31 déc. 1991, art. 47) était si obscure que la France a été
condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme 27. Ce dispositif a été remplacé (C. santé
publ., art. L. 3122-1). D’autres fonds de garantie, financés par l’ensemble des contribuables,
s’ajoutent régulièrement à la liste, tel le « Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante »
(« FIVA », L. no 2000-1257 du 23 déc. 2000, art. 53.II) ou « l’Office national d’indemnisation des
accidents médicaux » (« ONIAM », C. santé publ., art. L. 1142-22) dont les missions ne cessent de
s’étendre. Existe aussi un fonds sur la pollution pétrolière, le FIPOL, peu efficace 28.
Ainsi, dans une société anxieuse de sécurité physique, toutes les tragédies individuelles doivent
être réparées, au besoin par la solidarité nationale (le terme figure à l’art. L. 1142-1, al. 3, C. santé
publ.). Ceux que la vie a frappés dans leur chair deviennent créanciers de la Nation. Se dessine ainsi
un droit de l’indemnisation des dommages causés par les catastrophes, qui, par leur ampleur et leur
imprévisibilité, ne peuvent être réparés ni par les individus, ni par les entreprises, ni par leur
assureur ; ils sont peu à peu pris en charge par la collectivité nationale, et peut-être demain, avec des
difficultés, internationale 29. Mais la crise financière qui frappe le monde depuis plus de cinq ans
remettra peut-être en cause cette évolution.
Cette transformation maintient ses deux fondements traditionnels à la responsabilité civile.
o
1 ) Une fonction prophylactique et préventive : la perspective d’avoir à payer de l’argent dissuade
d’accomplir des actes antisociaux 30. 2o) Un rôle réparateur, indemnisant les victimes qui le méritent.
La gravité des risques propres au monde moderne, notamment l’éventualité de « dommages de
masse » 31, conduit à renforcer sa vertu préventive par des institutions nouvelles, comme la cessation
de l’illicite ou le « principe de précaution » 32.
29. Action en cessation de l’illicite ? – Le concept de responsabilité a pris une telle ampleur
qu’il peut accueillir des hypothèses où le demandeur réclame, à titre préventif ou curatif, la cessation
du fait illicite qui gêne ses intérêts. Le juge « peut toujours, même en présence d’une contestation
sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit
pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite »
(C. pr. civ., art. 809). Très sollicitée en pratique, une action aussi générale n’est pas sous ce nom
ouverte devant le juge du fond. La responsabilité civile y pourvoit, la cessation du trouble pouvant
s’assimiler à une réparation en nature 33. Un auteur en a pourtant montré le particularisme 34. D’une
part, l’action s’ouvre alors même qu’aucun dommage n’est certain ; il suffit que le demandeur souffre
un trouble 35. D’autre part, elle peut viser toute personne dotée du pouvoir de faire cesser l’illicéité,
pas seulement son auteur 36. En revanche, seul un fait véritablement illicite, violant une prescription
juridique précise ou un droit subjectif effectivement protégé, pourrait en être l’objet. Enfin, le juge
est tenu d’en ordonner la cessation, sauf si la mesure est impossible ou disproportionnée 37, alors que
dans une réparation, il est libre d’allouer des dommages-intérêts plutôt qu’une mesure en nature.
À l’instar du droit allemand (Abwehransprüche) et, dans une certaine mesure, du droit suisse 38,
le droit communautaire promeut ces actions en cessation et les multiplie en droit français. Par
exemple, l’article 11-2 de la directive relative aux pratiques commerciales déloyales enjoint aux
États membres de permettre leur cessation « même en l’absence de preuve d’une perte ou d’un
préjudice réels, ou d’une intention ou d’une négligence de la part du professionnel » (Dir. CE
05/29 du 11 mai 2005, v. C. consom., art. L. 121-1 et s.). Dans les relations entre professionnels,
l’article L. 442-6, III du Code de commerce institue une action en cessation de nombreuses
« pratiques restrictives de concurrence ». La jurisprudence avait déjà accueilli de telles actions, par
exemple dans la concurrence déloyale, l’atteinte à un droit de la personnalité ou les troubles du
voisinage. La généralisation de l’action en cessation permettra de lutter efficacement contre les
dommages diffus et de rehausser la fonction préventive de la responsabilité. Toutefois, sa sévérité
comme sa puissance d’expansion invitent à la prudence, notamment par une compréhension étroite de
la condition d’illicéité et des personnes ayant qualité à agir.
30. Principe de précaution. – Dans les années 1970, afin de protéger les ressources naturelles,
surtout celles de la mer du Nord, les Allemands ont posé le Versogeprinzip (principe de
prévoyance), mal traduit en anglais par precautionnary principle. Comme les droits d’autres pays
riverains de la mer du Nord, danois, suédois, norvégien et anglais, le droit français l’a intégré, mais
sa portée demeure indécise et limitée. L’article liminaire du Code de l’environnement dispose que
l’action des pouvoirs publics en la matière s’inspire du « principe de précaution, selon lequel
l’absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne
doit pas retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de
dommages graves et irréversibles à l’environnement à un coût économiquement acceptable »
(C. env., art. L. 110-1, L. 2 févr. 1995, dite « loi Barnier »). Ce principe est devenu en 2005 une
règle constitutionnelle (art. 5 de la Charte de l’environnement). En généralisant, lorsque le
développement – industriel, agricole, scientifique, technique ou médical – fait redouter un risque,
simplement hypothétique mais scientifiquement débattu et éventuellement dramatique, la
« responsabilité » morale deviendrait juridique ; il devrait y avoir un déplacement de la charge de la
preuve : le doute quant à la réalité même de la menace invoquée profiterait à la victime, ferait
présumer une faute ainsi que le lien de causalité avec les dommages allégués, et justifierait des
mesures de neutralisation du risque éventuel. La jurisprudence, bien que souvent sollicitée,
n’applique le principe que si le risque de dommage est vraisemblable 39.
Dans l’état actuel du droit, ce principe de précaution ne constitue pas une règle et se borne à être
une incitation à la politique législative qui devrait en limiter la portée pour tenir compte de ses
risques économiques et de son coût financier. Hors le domaine de l’environnement, la loi s’en inspire
en droit sanitaire en imposant une « veille » pour la fabrication des produits destinés à l’homme
(L. no 98-535 du 1er juill. 1998 ; v. aussi la L. 13 juill. 1992 sur l’utilisation des OGM). Mais elle l’a
refusé dans la responsabilité des fabricants du fait des produits défectueux 40. La jurisprudence hésite
à l’appliquer en matière médicale, en raison du risque de sclérose : la précaution peut empêcher toute
innovation car, se nourrissant d’un risque imaginaire, elle suscite des peurs proches de
l’obscurantisme. L’angoisse qu’inspirent les ondes émises par les antennes relais de téléphone
mobile l’a illustré 41. L’incertitude scientifique ayant déjà été prise en compte dans la réglementation
concernant ces antennes, la jurisprudence sur la responsabilité qu’elle fait naître a maintenu
l’exigence d’une preuve d’un dommage et d’un lien de causalité 42 ; de même, quant aux lignes à haute
tension 43. L’effectivité du principe est incertaine 44.
31. Maintien de la faute. – La vigueur du rôle de la faute ne se dément pas. Ainsi, le Conseil
constitutionnel a-t-il décidé que l’article 1240 (anc. art. 1382) liant la responsabilité à la faute
traduisait une « exigence constitutionnelle » 45.
En outre, si la responsabilité individuelle recule, la responsabilité pénale se développe afin
d’exercer le rôle prophylactique que remplissait hier la responsabilité civile. La circulation
automobile en est la démonstration quotidienne : puisqu’il est assuré, l’automobiliste ne craint plus
d’avoir à payer des dommages-intérêts ; pour qu’il se tienne tranquille, il faut qu’il ait peur du
gendarme. La société de sécurité se transforme, selon une pente fatale, en une société répressive 46.
§ 3. SOURCES
Seule une personne peut être responsable. Il n’en a pas toujours été
ainsi et l’Ancien droit avait admis la responsabilité des animaux et des
choses 58. Aujourd’hui, la responsabilité ne pèse que sur les personnes,
qu’elles soient morales ou physiques.
I. — Personnes morales
La responsabilité peut être fondée sur la faute, auquel cas elle mérite
toujours d’être qualifiée de « délictuelle » (Section I), ou sur le risque
(Section II).
SECTION I
FAUTE
I. — Cas spéciaux
48. Droit romain. – Au lieu de prévoir de manière générale qu’on est responsable de ses fautes,
comme le fait l’article 1240 (anc. art. 1382), le droit romain énumérait une série de délits spéciaux :
rapina (vol accompagné de violence), furtum (vol simple), damnum injuria datum (dommage
illicite causé aux biens). Ce dernier eut un destin particulier : énoncé par la lex Aquilia 86, il servit de
base à une théorie générale de la faute (in lege Aquilia culpa levissima venit 87 : dans la loi Aquilia,
une faute très légère suffit).
49. Droits anglais et allemand. – Le système actuel de la Common Law d’Angleterre reste fidèle
au droit romain. Les juges ont défini une série de Torts, plus de soixante-dix, qui répondent chacun à
des conditions propres, relatives au type de dommage dont il est demandé réparation et à l’intérêt
violé. Ils sont plus ou moins spéciaux, par exemple le Tort of trespass envisage un cas plus
particulier que le Tort of negligence qui impose la preuve que le défendeur était tenu d’un devoir
particulier de diligence à l’égard de la victime (duty of care). Pour que l’action en indemnisation soit
admise, il faut qu’elle se glisse dans un des Torts ainsi définis ; la victime ne pouvant être indemnisée
que du dommage dont le Tort qui fonde son action envisage la réparation. Le droit allemand fixe les
intérêts dont la loi assure la protection ; le § 823 du BGB vise, par exemple, l’atteinte à la vie, à
l’intégrité corporelle, à la santé, à la liberté, à la propriété ou à un autre droit individuel légalement
protégé erga omnes. La victime doit démontrer que son dommage consiste en la violation d’un intérêt
sélectionné par le législateur, et que l’atteinte est illicite.
Parce qu’ils restreignent la responsabilité à des hypothèses spéciales définies par le juge ou le
législateur en pondérant les intérêts en présence, ces systèmes favorisent la sécurité juridique et la
liberté individuelle, mais avec le risque de la rigidité.
§ 3. PREUVE DE LA FAUTE
SECTION II
RISQUE
Par faveur pour les victimes et pour les dispenser d’avoir à prouver la
faute de l’auteur du dommage, on a aussi fondé la responsabilité sur le
risque (§ 1) ; il en existe diverses espèces 131 (§ 2).
§ 1. NOTION
anodin (art. 1384, al. 1er, auj. numéroté art. 1242, al. 1er), créé « la
responsabilité du fait des choses ». Le législateur, de son côté, a institué
un régime spécial d’indemnisation des accidents de la circulation (loi
5 juill. 1985) et, afin de transposer une directive communautaire,
introduit en 1998 dans le Code civil un régime particulier pour la
responsabilité du fait des produits défectueux (art. 1245 et s., anc.
art. 1386-1 et s.). Dans cette même période, la jurisprudence a étendu la
responsabilité des parents du fait de leurs enfants, en la détachant
complètement de l’idée de faute. Puis, elle a créé une responsabilité
générale du fait d’autrui.
Dans tous ces cas, l’indépendance du risque par rapport à la faute est plus ou moins grande ; elle
comporte des nuances. Par exemple, sous la responsabilité du fait d’une chose inerte gît encore l’idée
de faute, puisque la chose doit avoir été dans une position ou un état anormal pour que son gardien
soit déclaré responsable. Dans d’autres hypothèses, en revanche, aucune idée de faute ne peut
expliquer la responsabilité encourue (accidents de la circulation, par exemple).
Il demeure que le risque n’est pas, en soi, un fondement général de
responsabilité. Il est à l’origine de régimes spéciaux d’indemnisation,
lentement élaborés, mais n’est pas, une source de responsabilité en
dehors d’eux. Autrement dit, pour fonder une responsabilité, le risque a
besoin d’un relais ; ce relais peut être la faute, car exposer autrui à un
risque évident de dommage peut être considéré comme une faute sur le
fondement de l’article 1240 (anc. art. 1382). Le droit pénal en a admis
l’idée en incriminant la mise en danger d’autrui (C. pén., art. 223-1).
§ 2. TYPOLOGIE
SECTION I
CASUISTIQUE
89. Sept exemples. – Ex. no 1 : Celui qui a perdu son chéquier ne répond pas des chèques émis
par le voleur 145. La négligence à l’origine de la perte du chéquier n’est pas considérée comme la
cause de leur émission par le voleur. On entend alors la causalité étroitement.
Ex. no 2. – Un accident provoque la mort d’une mère de cinq enfants. Trois semaines après, le
mari se suicide parce qu’il n’a pas supporté d’être séparé de sa femme. À la demande des orphelins,
une cour d’appel décide que le responsable de l’accident doit réparer non seulement les
conséquences de la mort de la mère, mais aussi celles du suicide du mari 146. La causalité est alors
largement entendue.
Ex. no 3. – Un commerçant surprend un client en flagrant délit de vol et l’humilie de telle manière
que, rentré chez lui, le voleur se suicide. Quoique le procédé humiliant soit jugé fautif, cette faute
n’est pas considérée comme cause de la mort du voleur 147. On entend alors la causalité étroitement.
Ex. no 4. – Un accident provoque le décès d’un emprunteur. Le prêteur a des difficultés pour se
faire rembourser par les héritiers, ce qui lui cause un préjudice ; peut-il s’en faire indemniser par le
responsable de la mort de son débiteur ? Jugé que non 148. On entend alors la causalité étroitement.
Ex. no 5. – Un groupe de jeunes gens s’arme et part chercher querelle à une bande d’un autre
quartier. Dans la rixe, un coup de feu part d’un côté et tue un membre de l’autre. Jugé que chacun des
assaillants était responsable de l’entier dommage, quoique la séquence exacte des faits n’ait pu être
démêlée 149. La causalité est alors largement comprise.
Ex. no 6. – Un médecin ne diagnostique pas la rubéole dont une femme enceinte est atteinte ;
l’enfant qui naît est handicapé. Le médecin est-il responsable ? Oui, avait dit l’arrêt Perruche, bien
que la cause du handicap (la rubéole) fût étrangère à la faute du médecin 150 ; la loi a brisé cette
jurisprudence 151 ; dont la Cour européenne 152, le Conseil constitutionnel 153, et la Cour de
cassation 154 ont condamné la rétroactivité : les enfants nés avant cette loi et leurs parents peuvent
donc se prévaloir de la jurisprudence Perruche. On ne sait pas trop alors en quoi consiste la
causalité.
Ex. no 7. – Peu de temps après avoir été vacciné contre l’hépatite B, un patient a été atteint de la
sclérose en plaques alors qu’il ne présentait aucun antécédent. Sur la responsabilité des divers
intervenants (laboratoire, hôpital, médecins), le contentieux a été abondant, la jurisprudence
évolutive. À défaut de certitude scientifique quant à la nocivité du vaccin, le juge doit examiner si
« les circonstances particulières » à chaque cas peuvent établir « des présomptions graves, précises
et concordantes de nature à établir le caractère défectueux des [...] doses administrées » 155. La
causalité est alors incertaine.
SECTION II
CAUSES DE LA RÉALISATION DU DOMMAGE
SECTION III
SUITES DE LA RÉALISATION DU DOMMAGE
SECTION I
CIRCONSTANCES JUSTIFICATIVES
§ 2. ÉTAT DE NÉCESSITÉ
La règle est maintenant que l’exercice abusif d’un droit constitue une
faute (I) ; ce principe est à l’origine d’une autre règle aujourd’hui
distincte, la responsabilité pour troubles anormaux de voisinage, qui
s’est complètement détachée de la faute (II).
I. — Règle générale
121. Seuil de l’abus. – Dans une première vue, la faute qu’est l’abus
apparaît dans deux hypothèses. Ou bien, l’intention de nuire, ce que
traduit le langage populaire quand il dit : « il y a de l’abus » ; ou bien,
l’excès, ce que traduit aussi le langage populaire quand il dit : « trop
c’est trop » 222. En précisant davantage, on voit que le seuil de cette faute
change selon la matière dans laquelle elle s’applique.
Dans l’abus du droit d’agir en justice ou de résister à une demande ou d’exercer une voie de
recours, il faut une faute intentionnelle ou caractérisée 223, car la liberté d’accès à la justice doit être
ouverte très largement. Dans d’autres cas, la légèreté blâmable suffit (par exemple, la révocation
abusive du mandat). Dans le même esprit, la liberté de la presse et ses abus font l’objet d’une
législation spéciale, prévoyant les conditions très étroites dans lesquelles la diffamation et l’injure
peuvent être sanctionnées (L. 29 juill. 1881, art. 29 et 34). La Cour de cassation décide, renversant
une jurisprudence antérieure, que ces dispositions excluent l’application de l’article 1240 (anc.
art. 1382) 224. Celui-ci conserve cependant un domaine résiduel quand l’abus de la liberté
d’expression ne constitue ni une injure ni une diffamation, notions de nature pénale qui doivent être
étroitement entendues 225. Enfin, il existe des droits qui ne sont pas susceptibles d’abus, les droits
discrétionnaires 226, de moins en moins nombreux ; par exemple, celui qu’ont les parents d’autoriser
ou de refuser le mariage d’un enfant mineur ; ou de défendre sa propriété contre l’intrusion
d’autrui 227, de révoquer un testament 228, voire de refuser de contracter 229. La jurisprudence
contemporaine fait reculer les droits discrétionnaires, en se référant à des notions comme la mauvaise
foi d’un contractant, ses procédés vexatoires ou ses promesses fallacieuses : autant « d’abus par
déloyauté » 230.
122. Sanction. – Quand l’abus ne constitue qu’un comportement fautif, en marge de l’exercice
d’un droit, sa sanction laisse intact le droit exercé : le mal à redresser n’est pas l’exercice du droit
mais la manière dont on l’a exercé. Ainsi, un dirigeant révoqué dans des circonstances vexatoires ne
peut être réintégré, mais peut obtenir réparation du préjudice moral et de réputation subi. C’est aussi
pourquoi, dans la rupture abusive des pourparlers, la perte des gains attendus du contrat n’est pas
réparable 231.
SECTION II
ATTITUDE DE LA VICTIME
§ 1. LÉGITIME DÉFENSE
I. — Acceptation du dommage
131. Volenti non fit injuria. – En droit pénal, sauf exceptions (vol,
viol, séquestration), le consentement de la victime est sans effets sur
l’infraction. Au contraire, en droit civil, le principe est que l’obligation
de réparer disparaît quand la victime a consenti au dommage : volenti
non fit injuria (à celui qui consent, on ne fait pas de tort) 270. Mais la
règle suppose que l’intérêt en jeu soit disponible pour la victime, ce qui
amène à distinguer dommage pécuniaire et dommage corporel.
1º) Lorsqu’il s’agit d’un dommage pécuniaire, la victime perd ses
droits en consentant au dommage, parce que, pouvant renoncer
directement à ses droits, elle peut aussi le faire indirectement, à la
condition bien sûr qu’il y ait eu véritablement consentement, c’est-à-dire
que sa volonté ait été réelle et consciente 271.
2º) Au contraire, s’il s’agit d’un dommage corporel, l’efficacité du
consentement est restreinte et dépend des intérêts en cause. L’atteinte à
l’intégrité corporelle d’une personne n’est justifiée par son
consentement que lorsque s’y ajoute un intérêt particulier (ex. : l’acte
chirurgical) ou général (ex. : la transfusion sanguine). Dans le cas
contraire, le consentement de la victime ne supprime pas la
responsabilité ; par exemple, dans le duel, la participation commune et
volontaire des deux parties ne retire pas à l’acte son caractère fautif ; de
même, le consentement d’une personne à sa propre mort.
L’acceptation du dommage ne doit pas être confondue avec
l’acceptation des risques.
SECTION I
RÈGLE GÉNÉRALE
SECTION II
RESPONSABILITÉ DES PARENTS, ARTISANS ET INSTITUTEURS
Les parents répondent du fait de leurs enfants (§ 1), les artisans des
fautes de leurs apprentis (§ 2) et, dans une certaine mesure, les
instituteurs de leurs élèves (§ 3). Autrefois homogènes, car ils étaient les
reflets d’une charge analogue d’éducation et de surveillance, ces trois
cas de responsabilité se sont tellement transformés qu’ils ne répondent
plus à une logique commune.
150. Fondements. – Jusqu’aux années 1950, le fondement de la responsabilité des parents du fait
de leurs enfants prévue par l’article 1384, alinéa 4 (auj. art. 1242, al. 4), ne suscitait à aucune
incertitude : il était une présomption de faute. Le raisonnement était le suivant. La loi présume que les
parents n’ont pas suffisamment surveillé (culpa in vigilando) ou ont mal éduqué leurs enfants mineurs
qui causent des dommages à autrui. L’idée est devenue peu compatible avec les mœurs de la société
permissive contemporaine qui ont porté un coup sévère à l’autorité des parents sur leurs enfants
adolescents.
Aussi, plusieurs autres justifications ont-elles été suggérées par la doctrine 299. Les unes ont
proposé une distinction. Quand il s’agit de jeunes enfants, êtres dangereux, qui ont une remarquable
aptitude à causer un dommage, les parents devraient être tenus de garantir les victimes, sans pouvoir
démontrer leur absence de faute. Quand il s’agit de grands adolescents, qui, en fait, seraient, dit-on,
indépendants de leurs parents, ceux-ci ne seraient responsables que si leur faute d’éducation ou de
surveillance avait été prouvée. D’autres ont envisagé une solution plus radicale : la responsabilité
des parents devrait être une garantie, fondée sur l’idée de solidarité familiale 300. D’autres, enfin,
souhaitent que la responsabilité parentale soit à l’avenir fondée sur le lien de filiation et non sur
l’autorité 301.
Le Code Napoléon prévoyait que « le père et la mère après le décès du père, sont responsables,
etc. ». La loi du 4 juin 1970 a simplement ajouté que le père et la mère sont solidairement
responsables si, du moins, ils exercent en commun l’autorité parentale (L. 4 mars 2002). Par un arrêt
Bertrand, du 19 février 1997, la jurisprudence a transformé l’économie de cette responsabilité en en
faisant une responsabilité de plein droit, indépendante de toute présomption de faute 302. Par un arrêt
Levert, du 10 mai 2001, elle en a accru la sévérité en précisant que les parents répondaient de tout
fait dommageable de l’enfant, même non fautif 303.
Les conditions (I) de cette responsabilité, comme ses effets (II),
montrent qu’elle est désormais la conséquence d’un rapport d’autorité :
celui qui est juridiquement détenteur de l’autorité sur l’enfant en
répond 304.
I. — Conditions
II. — Effets
152. Responsabilité de plein droit. – Lorsque ces conditions sont
réunies, les parents sont responsables du dommage causé par leur
enfant. La loi prévoit même qu’ils sont solidairement responsables,
c’est-à-dire que chacun est responsable pour le tout 316. Cette
responsabilité disparaît s’ils démontrent « qu’ils n’ont pu empêcher le
fait qui donne lieu à cette responsabilité » (art. 1242, al. 7, anc.
art. 1384, al. 7). La jurisprudence interprète restrictivement ce texte ; les
parents sont responsables de plein droit sauf s’ils démontrent la force
majeure ou la faute de victime 317. Ce qui est conforme aux idées de
garantie, fondées sur la solidarité familiale ou, plus largement, sur la
qualité juridique « d’ayant autorité » : curieusement, la responsabilité
des parents du fait de leurs enfants ressemble à celle du gardien du fait
des choses 318, d’autant qu’il n’est même pas nécessaire que le fait de
l’enfant soit fautif ni même générateur d’une responsabilité en sa
personne (garde) 319 : il suffit qu’il soit causal, comme le fait de la chose.
En cas de séparation ou de divorce, le parent qui accueille l’enfant en vertu d’un droit
d’hébergement n’en répond pas de plein droit. Sa responsabilité suppose une faute de sa part, par
exemple un défaut de surveillance 320.
154. Évolution. – L’évolution de la responsabilité du fait des accidents scolaires a connu quatre
étapes législatives ; peut-être une nouvelle va-t-elle apparaître, en raison de l’actuel conflit entre
l’école et les parents.
Selon le Code Napoléon, la responsabilité des instituteurs du fait de leurs élèves était la même
que celles des parents et des artisans : lorsqu’un élève avait causé un dommage, la loi posait une
présomption de faute, qui pouvait être combattue, à l’encontre de l’instituteur qui le surveillait. Cette
responsabilité était lourde. À la suite du suicide de l’instituteur Leblanc, ruiné par la responsabilité
qui pesa sur lui, une loi de 1899 substitua la responsabilité de l’État à celle des membres de
l’instruction publique : la présomption de faute subsistait, mais la victime ne pouvait l’invoquer que
contre l’État. La loi du 5 avril 1937 (C. éduc., art. L. 911-4) a de nouveau modifié le système. Est
visé désormais tout dommage causé par l’élève ou à l’élève ; en outre, la présomption de faute est
supprimée (art. 1242, al. 8, anc. art. 1384, al. 8) ; mais la loi maintient la distinction entre membres
de l’enseignement privé et ceux de l’enseignement public.
1º) Dans les établissements d’enseignement privé n’ayant pas conclu de contrat d’association
avec l’État, leurs membres sont soumis au droit commun, c’est-à-dire la responsabilité du fait
personnel. Ils ne sont alors responsables que de leur faute, que la victime doit prouver. Dans les
établissements privés ayant conclu un contrat d’association avec l’État, la responsabilité du fait des
accidents scolaires a le même régime que dans les établissements publics (Décr. 22 avr. 1960,
art. 10).
2º) Si le dommage est survenu alors que l’élève est dans un établissement public, la victime
devra démontrer la faute de l’instituteur mais ne pourra poursuivre que l’État, l’action étant pourtant
déférée aux tribunaux judiciaires. La responsabilité pécuniaire de l’État est substituée à celle de son
agent, même en cas de faute pénalement qualifiée. L’État peut exercer un recours contre l’instituteur
qui a commis une faute caractérisée (la faute « détachable ») ; en pratique, il ne le fait jamais.
Ce régime est boiteux ; la nécessité de prouver la faute de l’instituteur limite les possibilités
d’indemnisation et contraste avec les autres responsabilités du fait d’un mineur : l’État s’octroie une
protection qu’il refuse aux autres, alors que ces actions en responsabilité sont fréquemment exercées.
La jurisprudence interprète largement ces textes 322 ; spécialement, les notions d’instituteur et de
faute.
SECTION III
RESPONSABILITÉ DES COMMETTANTS
§ 1. FONDEMENT
158. Faute, risque ou garantie ? – 1º) Classiquement, on expliquait jadis cette responsabilité par
une faute du commettant, soit qu’il avait mal choisi son préposé (culpa in eligendo), soit qu’il
l’avait mal surveillé (culpa in vigilando). Cette explication était convenable dans une société moins
nombreuse et moins agitée que la nôtre ; elle est aujourd’hui rejetée, notamment parce que la
présomption de faute est irréfragable, n’exprimant donc pas une règle de preuve mais une règle de
fond.
2º) Aussi, les partisans de la théorie du risque y ont-ils vu une consécration de leurs idées, plus
admissible ici qu’ailleurs puisqu’une faute du préposé est nécessaire pour engager la responsabilité
du commettant : le risque n’intervient pas afin de créer une responsabilité, mais pour désigner un
responsable : le commettant est responsable parce qu’il profite de l’activité du préposé (théorie du
risque-profit), ou qu’il exerce une autorité (théorie du risque-autorité) ; c’est le moyen de mettre à la
charge des entreprises les risques qu’elles créent par les préposés agissant pour leur compte. Pendant
longtemps, ce fondement n’a pas été jugé satisfaisant ; notamment, il n’expliquait pas, entre autres
choses, pourquoi le commettant pouvait exercer un recours contre le préposé ; maintenant que ce
recours est abandonné sauf en cas de faute personnelle 335, l’explication devient raisonnable.
3º) Rattacher la responsabilité du commettant à une obligation de garantie relève d’une
conception plus moderne 336. La loi a voulu offrir à la victime un responsable accessoire au
responsable principal, plus sûrement solvable. C’est l’opinion à laquelle se réfère la Cour de
cassation quand le préposé a commis une infraction 337.
§ 2. CONDITIONS
I. — Définition du commettant
A. DÉFINITION
§ 3. EFFETS
SECTION I
BÂTIMENTS ET ANIMAUX
180. Particularisme. – Les dommages causés par la ruine des bâtiments ont toujours suscité une
règle particulière de responsabilité. Ainsi, le préteur romain avait le pouvoir de faire réparer, aux
frais du propriétaire, les bâtiments menaçant ruine. Cette règle a été abrogée mais l’intervention de
l’autorité publique aboutit à des résultats équivalents (CCH, art. L. 511-3).
Le Code civil a énoncé, dans l’article 1386 (auj. art. 1244), une responsabilité spéciale du fait
des bâtiments dont l’importance a été cyclique. Pendant la plus grande partie du XIXe siècle, ce texte a
été restrictivement interprété, parce qu’on le disait dérogatoire au principe général : 1382 (auj.
art. 1240) cantonnait 1386 (auj. art. 1244). À la fin de ce siècle, on a au contraire remarqué que les
présomptions qu’il énonçait en faisaient une règle secourable aux victimes du machinisme ; aussi a-t-
il été interprété extensivement et appliqué aux immeubles par destination (machines, arbres et
bateaux) : 1386 (auj. art. 1244) refoula 1382 (auj. art. 1240). Au XXe siècle, après avoir découvert un
principe général de responsabilité dans l’article 1384, alinéa 1 (auj. art. 1242, al. 1), l’article 1386
(auj. art. 1244) était devenu moins favorable aux victimes ; aussi fut-il à nouveau interprété
restrictivement, parce qu’il était dérogatoire aux principes généraux : 1384, alinéa 1 (auj. art. 1242,
al. 1), refoula 1386 (auj. art. 1244). Aujourd’hui, la Cour de cassation dénonce l’anachronisme de ce
texte 382 et en réduit l’intérêt. Sur l’articulation des articles 1384, alinéa 1, et 1386 (auj. art. 1242,
al. 1, et 1244) 383.
Avant d’exposer les conditions (II) et les effets de la responsabilité du fait des bâtiments (III), on
en décrira le fondement (I).
I. — Fondements
181. Faute, risque. – Le fondement de l’article 1244 (anc. art. 1386) a été d’abord cherché dans
une présomption de faute, puis dans la théorie du risque.
1º) L’article 1244 (anc. art. 1386), selon l’analyse classique, reposerait sur une présomption de
faute, puisqu’il implique un défaut d’entretien ou un vice de construction, qui paraissent l’un et
l’autre démontrer la faute du propriétaire. Toutefois, la preuve de l’absence de faute est inopérante, la
responsabilité du propriétaire n’est donc pas fondée sur la faute.
2º) Par suite, la théorie du risque, tout naturellement, a présenté la responsabilité prévue par
l’article 1244 (anc. art. 1386) comme un risque de la propriété. Cependant, le risque n’est pas
attaché à toute espèce de propriété, mais seulement à celle des bâtiments, et même, il n’est pas
attaché à la propriété de tous les bâtiments, mais seulement à des bâtiments en ruine, lorsque la ruine
est causée par un défaut d’entretien ou un vice de celle construction. Limitations qui contredisent les
postulats sur lesquels repose la théorie du risque.
II. — Conditions
182. Trois conditions. – Trois conditions doivent être réunies pour que s’applique l’article 1244
(anc. art. 1386). Il faut que l’accident ait été causé par un bâtiment, qu’il résulte de sa ruine et
provienne du défaut d’entretien ou d’un vice de construction.
1º) La notion de bâtiment doit être entendue d’une façon restrictive. Elle n’intéresse pas le
terrain qui glisse 384, le rocher qui dégringole d’une carrière 385, la branche pourrie qui tombe de
l’arbre. La jurisprudence identifie la notion à l’édifice, c’est-à-dire un ouvrage formé d’un
assemblage de matériaux incorporés au sol 386. Ainsi en est-il d’un barrage ; une porte fait partie d’un
bâtiment 387, non une palissade 388.
2º) Ensuite, l’accident ne relève de l’article 1244 (anc. art. 1386) que s’il a pour cause la ruine
du bâtiment ; le dommage doit donc avoir été provoqué par la chute d’éléments du bâtiment. Ce n’est
pas le cas si l’accident résulte d’une autre cause, telle que l’incendie ou l’explosion d’une machine
ou de travaux de construction. Ne relèvent pas non plus de l’article 1244 (anc. art. 1386) les
dommages qui, quoique liés au mauvais état du bâtiment, ne résultent pas de la chute de matériaux 389 ;
la responsabilité du fait de la chose est alors régie par l’article 1242, alinéa 1er (anc. art. 1384,
al. 1er) 390. Même la chute spontanée d’éléments n’est plus considérée comme une « ruine » du
bâtiment 391.
3º) Il appartient à la victime de faire la preuve que l’accident a été causé par le défaut
d’entretien ou par le vice de construction du bâtiment, ce qui la met dans une situation moins
favorable que si le dommage avait été causé par une autre chose 392.
III. — Effets
183. Responsabilité du propriétaire. – Si toutes les conditions précédentes sont réunies,
l’article 1244 (anc. art. 1386) rend responsable le propriétaire du bâtiment, même s’il a loué
l’immeuble 393, même s’il établit son absence de faute ; par exemple, il ne lui servirait à rien de
démontrer que l’obligation d’entretenir le bâtiment pesait sur le locataire. La seule manière pour le
propriétaire d’échapper à la responsabilité est de prouver que le dommage a une cause étrangère 394 :
force majeure ou faute de la victime 395, dans les mêmes conditions que pour la responsabilité
générale du fait des choses.
S’il y a dissociation entre la garde du bâtiment et sa propriété, la victime peut aussi agir contre le
gardien en se fondant sur l’article 1242, alinéa 1 (anc. art. 1384, al. 1) 396. L’article 1244 (anc.
art. 1386) ne s’impose à elle que dans son action contre le propriétaire et dans le domaine spécial du
texte, désormais très limité.
184. Fondements. – La responsabilité du fait des animaux remonte à la nuit des temps, car
l’animal a toujours été un instrument essentiel à l’activité de l’homme : source de profits ou
d’agréments pour les uns, il peut être une cause de dommages pour les autres. Le Code Napoléon l’a
prévue dans l’article 1385 (auj. art. 1243) qui préfigurait le principe général de la responsabilité du
fait des choses inanimées que la jurisprudence allait ultérieurement dégager de l’article 1384,
alinéa 1 (auj. art. 1242, al. 1). Les solutions énoncées par ce texte et celles qu’en a déduites la
jurisprudence ont orienté le corps des règles qui se sont ensuite élaborées autour de l’article 1384,
alinéa 1 (auj. art. 1242, al. 1). Mais l’importance des dommages causés par les animaux est bien
moindre que celle que soulèvent les choses inanimées, et la jurisprudence contemporaine infiniment
moins abondante.
On retrouve le même problème de fondement qui vient d’être agité pour les bâtiments. Une
présomption de faute ? Le fait dommageable ferait présumer que l’animal était mal gardé ; mais le
gardien ne peut s’exonérer en démontrant qu’il n’avait commis aucune faute 397. Le risque ? L’animal
accroît l’activité de l’homme, augmente le profit de l’homme, suscite un danger chez les hommes ;
l’homme a une autorité sur l’animal. Toutes ces explications sont bonnes, car chacune explique les
conditions et les effets de la responsabilité que l’article 1243 (anc. art. 1385) attache à la garde de
l’animal.
I. — Conditions
II. — Effets
SECTION II
RESPONSABILITÉ DU FAIT DES CHOSES INANIMÉES
I. — Historique
187. Trois événements. – Dans l’intention de ses auteurs et l’application qu’il a longtemps reçue,
l’alinéa 1 de l’article 1384 (auj. art. 1242) n’avait aucune valeur normative ; il se bornait à annoncer,
en introduction, les dispositions suivantes, c’est-à-dire les responsabilités du fait d’autrui (les
alinéas suivants de l’art. 1384, auj. art. 1242), du fait des animaux (art. 1385, auj. art. 1243) et du fait
de la ruine des bâtiments (art. 1386, auj. art. 1244). Maintenant, au contraire, le texte constitue une
règle autonome et générale : la responsabilité du fait des choses inanimées.
Comment est-on parvenu à une telle révolution ? En simplifiant beaucoup, elle a été due à la
succession de trois événements : un accident du travail, la propagation d’un incendie et un accident
d’automobile.
1º) Les accidents du travail ont été la première occasion du développement de l’article 1384,
al. 1 (auj. art. 1242, al. 1). Rançon du machinisme, l’accident du travail mettait l’ouvrier qui en était
victime dans les plus grandes difficultés pour démontrer la faute de son employeur. Pourtant, il eût été
profondément injuste de ne pas l’indemniser. On a, pendant quelque temps, songé à la responsabilité
contractuelle qui était en effet applicable, puisqu’il y avait un contrat entre le salarié et l’employeur ;
mais l’obligation de sécurité n’avait pas encore été une notion dégagée, et le procédé s’avéra
insuffisant. En 1896, dans un arrêt de principe (l’arrêt Teffaine), la Cour de cassation admit que
l’article 1384, alinéa 1 (auj. art. 1242, al. 1), était applicable 407. Cette découverte jurisprudentielle
fut sans lendemain, car le législateur intervint aussitôt : la loi du 9 avril 1898, aujourd’hui remplacée
par la législation sur la Sécurité sociale, organisa pour la réparation des accidents du travail un
système de responsabilité automatique et forfaitaire qui sembla retirer son intérêt à la jurisprudence.
2º) Cependant, la Cour de cassation continua à appliquer le principe nouveau à d’autres accidents
causés par des choses variées. Elle le fit avec des réserves, jusqu’à ce qu’elle rendît en 1921 un
nouvel arrêt de principe, provoqué par un incendie 408. Ému par l’aggravation du risque qui en
résultait, le lobby des assurances obtint du législateur que fût soustraite la communication d’incendie
à l’article 1384, alinéa 1er (art. 1384, al. 2 et 3, auj. art. 1242, al. 2 et 3, L. 7 nov. 1922). De nouveau,
une réaction législative avait suivi la hardiesse jurisprudentielle et parut lui retirer son intérêt.
Pourtant, à y regarder de près, elle était, a contrario, devenue la consécration législative d’une règle
jusqu’alors purement prétorienne : si l’alinéa 2 nouveau commence par toutefois, c’est que
l’alinéa 1er énonce une règle générale différente.
3º) Le développement de la circulation automobile donna à la règle un nouvel essor qui, cette
fois, fut considérable et durable. Le troisième grand arrêt de la matière fut l’arrêt Jand’heur rendu
par les Chambres réunies de la Cour de cassation le 13 février 1930 409. Dans cette décision très
étudiée, dont les attendus ont valeur de droit positif, la Cour de cassation décida : « La présomption
de responsabilité 410 établie par l’article 1384, alinéa 1er [auj. art. 1242, al. 1], à l’encontre de
celui qui a sous sa garde la chose inanimée qui a causé un dommage à autrui, ne peut être détruite
que par la preuve d’un cas fortuit ou de force majeure ou d’une cause étrangère qui ne lui soit pas
imputable ; il ne suffit pas de prouver qu’il n’a commis aucune faute ou que la cause du fait
dommageable est demeurée inconnue ; la loi, pour l’application de la présomption qu’elle édicte,
ne distingue pas suivant que la chose qui a causé le dommage était ou non actionnée par la main
de l’homme ; il n’est pas nécessaire qu’elle ait un vice inhérent à sa nature et susceptible de
causer le dommage, l’article 1384, alinéa 1er, rattachant la responsabilité à la garde de la chose,
non à la chose elle-même ».
Cette nouvelle hardiesse jurisprudentielle n’entraîna pas, cette fois, de réaction législative
immédiate. Au contraire, à l’étranger, des lois spéciales se mirent à régir la responsabilité des
accidents de la circulation routière. Les réactions législatives françaises furent tardives. La première
fut relative à l’assurance, ce qui n’était pas surprenant, puisque cette extension de la responsabilité
n’a été rendue possible qu’avec le développement de l’assurance ; une loi du 27 février 1958
(aujourd’hui C. assur., art. L. 211-1 et s.) a rendu obligatoire l’assurance de la responsabilité du fait
des automobiles. Beaucoup plus importante, la loi Badinter du 5 juillet 1985 a organisé un régime
particulier d’indemnisation pour les accidents de la circulation 411.
Les principes de l’arrêt Jand’heur n’ont pas été limités aux accidents de la circulation ; ils se
sont étendus à toutes espèces de choses dans les circonstances les plus variées.
S’est alors posée l’harmonisation du principe général de responsabilité énoncé par l’article 1384,
al. 1 (auj. art. 1242, al. 1), avec l’autre principe général de responsabilité, énoncé par l’article 1382
(auj. art. 1240). La question est passée par plusieurs cycles successifs. La première étape, dans la
ligne de l’arrêt Jand’heur, a consisté à refouler la faute. Puis dans les années 1940, la marée s’est
retournée : la jurisprudence s’est éloignée de la théorie du risque, ainsi qu’elle l’a montré dans
l’arrêt Franck 412 ; la Cour de cassation a décidé que le propriétaire d’une automobile volée n’en
était pas le gardien responsable.
La Common Law d’Angleterre a connu une évolution comparable, peut-être un peu plus
tourmentée, s’il est possible. En 1868, la Chambre des lords (Rylands v. Fletcher) parut consacrer
une responsabilité du fait des choses indépendante de la faute 413. Ultérieurement, la preuve d’une
negligence a été souvent exigée.
Aujourd’hui, la responsabilité générale du fait des choses trouve moins à s’appliquer car les
régimes spéciaux (accidents du travail, accidents de la circulation automobile, produits défectueux)
l’ont primée. La plupart des besoins qui avaient suscité son élaboration ayant été satisfaits, y a-t-il
lieu de la conserver ? La plupart des droits étrangers n’ont pas une règle de responsabilité objective
aussi générale. Son utilité demeure sensible tant que la responsabilité du fait des immeubles n’aura
pas été réformée et qu’une responsabilité du fait des activités industrielles spécialement dangereuses
n’aura pas été dégagée. Au-delà, sa vocation à couvrir des risques nouveaux justifierait sa
conservation 414.
II. — Méthode
188. Jurisprudence, doctrine et pratique. – 1º) La méthode ayant présidé à l’élaboration du
régime actuel est jurisprudentielle. Comme il a déjà été remarqué 415, ce corps de règles prétoriennes
est infecté de vices congénitaux : droit de techniciens, au cas par cas, solutions complexes et
incertaines, règles techniques qui survivent à la disparition des besoins qui les ont fait naître, carence
des principes qui pourraient les appuyer. Surtout, il soumet à une règle unique des choses aussi
hétérogènes qu’une bouteille d’eau gazeuse, une épingle à cheveux, un ascenseur, un navire, un arbre,
une tringle d’escalier, un ski, un appareil de télévision, etc.
2º) La doctrine a accompli un intense travail, s’essoufflant souvent à courir après les arrêts ; sans
parler de son abstraction, la multiplicité d’opinions, ingénieuses, subtiles et techniques, a dérouté
plus qu’elle n’a dirigé.
3º) Les praticiens suivent attentivement ce mouvement d’idées où ils ne trouvent pas toujours la
construction ferme et sûre dont ils ont besoin. Souvent, ils règlent les questions de responsabilité en
s’éloignant sensiblement des règles jurisprudentielles. Par exemple, avant la loi de 1985, les
assureurs avaient conclu entre eux une convention d’indemnisation des assurés (IDA) prévoyant des
« barèmes » de responsabilité pour les dommages matériels et les petits dommages corporels
résultant des collisions d’automobiles. De même, entre les assureurs et la Sécurité sociale, avait été
conclue une convention simplifiant les paiements qui devaient intervenir entre eux 416 : l’évaluation
du dommage médical était faite au moyen de « barèmes », ce qui était contraire à la jurisprudence 417.
Si complexe que soit le droit jurisprudentiel, on peut, dans une première vue, en fixer les grands
traits.
III. — Portée
Le principe est simple : l’article 1242, alinéa 1er (anc. art. 1384,
al. 1er), est applicable chaque fois qu’une chose a causé un dommage. Ce
qui a soulevé deux grands débats : l’un sur la notion de chose, comprise
de façon extensive (I) ; l’autre sur celle de causalité, comprise de façon
plus étroite (II) ; en outre, la règle est écartée en cas d’incendie (III).
I. — Choses
Bien que le mot soit très vague – le plus vague de la langue française
disait Jean Carbonnier – des tentatives ont été entreprises pour le
préciser afin de cantonner l’article 1242, alinéa 1er (anc. art. 1384,
al. 1er). Le résultat a été mince : échappent au texte les choses régies par
un statut spécial (A), y sont soumises toutes les autres (B).
A. CHOSES SOUMISES À UN STATUT SPÉCIAL
A. PREUVE DE LA CAUSALITÉ
B. ABSENCE DE CAUSALITÉ
III. — Incendie
I. — Pouvoir effectif
205. 2º) Participation commune à la réalisation du risque. – Au cas de collision entre choses, la
victime a créé un risque semblable à celui qu’elle reproche au défendeur. Peut-elle encore invoquer
l’article 1242, alinéa 1er (anc. art. 1384, al. 1er) ?
La question présentait autrefois une grande importance ; depuis que les accidents d’automobiles et
leurs carambolages sont régis par un droit spécial impliquant l'unité d’accident 524, elle est devenue
marginale et limitée aux collisions de bicyclettes et de ski.
Il y a une soixantaine d’années, beaucoup d’auteurs avaient refusé l’application de l’article 1384,
alinéa 1er (auj. art. 1242, al. 1er) aux dommages résultant de collisions en disant qu’il y avait
neutralisation de ce texte : celui qui crée un risque ne peut se plaindre du dommage causé par un
risque semblable. Par conséquent, la victime d’une collision devait prouver la faute du gardien de
l’autre chose afin d’obtenir réparation ; tel est le système que la loi impose aux abordages maritimes
et fluviaux et que la jurisprudence applique aux collisions entre skieurs 525.
La solution est la même pour régler les rapports entre cogardiens d’une même chose. À l’égard de
l’action en indemnisation intentée par la victime étrangère à la garde commune, les cogardiens sont
responsables in solidum, ce qui signifie que la victime pourra demander la réparation intégrale à l’un
quelconque des détenteurs de la garde commune. En revanche, quand la victime est un des
cogardiens, elle ne peut invoquer l’article 1242, alinéa 1er (anc. art. 1384, al. 1er) à l’égard de ses
pairs car elle a comme eux contribué à créer le risque qui l’a frappée : elle peut seulement s’en
prendre à celui (ou ceux) qui, outre qu’il a créé le risque, a, au surplus, commis une faute
personnelle 526.
I. — Personne physique
a) Action successorale
220. Après la mort. – Les héritiers recueillent les droits qui étaient
nés en la personne du défunt, c’est-à-dire qu’ils peuvent demander
réparation du préjudice éprouvé par le défunt entre l’accident et le
décès.
1º) On n’en a jamais douté lorsqu’il s’agissait de préjudice matériel, tenant par exemple au
dommage causé à l’un de ses biens. Certaines difficultés sont apparues pour le dommage tenant à
l’incapacité professionnelle ; ainsi, le de cujus (« celui dont il s’agit », ici le défunt) ne subit de perte
de salaires consécutive à son incapacité professionnelle que dans la mesure et pour la durée où il a
survécu à l’accident.
2º) Le problème a été davantage débattu lorsqu’il s’est agi du
dommage moral éprouvé par le défunt, par exemple les désagréments
et souffrances qu’il a ressentis du fait de l’accident, la privation des
jouissances qu’a entraînée son invalidité, voire la douleur que lui cause
la perspective de l’abrégement de sa vie. Pour mettre fin à la divergence
entre la chambre criminelle et les autres chambres de la Cour de
cassation, une chambre mixte a décidé que les héritiers pouvaient
obtenir réparation du préjudice moral subi par leur auteur 544, et le
Conseil d’État a ultérieurement adopté la même position 545.
Bien que la question paraisse tranchée après un aussi long débat et qu’il soit vain d’escompter un
revirement de jurisprudence, la solution n’est pas bonne. Elle implique que le pretium doloris (le
prix de la douleur) a la même nature que les autres préjudices : il y a, en quelque sorte, une
« pécuniarisation » des affections et une ignorance de la complexité de la souffrance humaine, ce qui
traduit le matérialisme de notre société contemporaine 546.
b) Action personnelle
La mort de la victime constitue aussi un dommage personnel d’état
civil pour ses proches : elle cause un préjudice matériel à ceux qu’elle
faisait vivre et un préjudice moral à ceux qui l’aimaient et souffrent de
sa perte. C’est un préjudice par ricochet qui est, dans son principe,
réparable 547. Il faut examiner maintenant qui peut obtenir réparation (1)
et quelle est la nature de ses droits (2).
1o Personnes pouvant agir
§ 2. EXERCICE DE L’ACTION
A. COMPÉTENCE JUDICIAIRE
B. PROCÉDURE
Ne seront ici retenues que les deux règles de procédure ayant une
incidence sur le fond du droit : la prescription et l’autorité de la chose
jugée.
231. Action civile. – Une faute, au sens du droit civil, peut constituer
une infraction pénale. La victime a alors une option : elle peut porter
son action en réparation du dommage, soit devant les juridictions
civiles, soit devant les juridictions répressives (C. pr. pén., art. 3 et 4,
al. 1). Cette seconde action est ce que l’on appelle l’action civile, qui
déclenche l’action publique si le ministère public ne l’avait pas déjà
mise en mouvement 587.
Cette description, pour brève qu’elle soit, permet de mesurer le
double aspect de l’action civile, à la fois civil et pénal, de réparation et
de répression. Elle a pour objet une réparation ; et elle a pour fin de
déclencher l’action publique, c’est-à-dire qu’elle est inspirée par la
volonté de susciter un châtiment.
1º Parfois, le caractère civil l’emporte : ainsi, la loi du 8 juillet 1983 prévoit que le juge
répressif, saisi de poursuites pour homicide ou blessures involontaires, a la faculté, même en cas de
relaxe, d’accorder, « en application des règles de droit civil, réparation de tous les dommages
résultant des faits qui ont fondé la poursuite » (C. pr. pén., art. 480-1) ; il pourra, par exemple, faire
application de l’article 1242, alinéa 1er (anc. art. 1384, al. 1er).
2º Parfois au contraire, le caractère répressif l’emporte. Ainsi, lorsque la réparation sollicitée est
symbolique (un euro de dommages-intérêts). Ou bien et surtout, dans les cas exceptionnels où la loi
ne permet pas au juge répressif d’accorder de réparation ; on peut alors se constituer partie civile
sans demander de dommages-intérêts à seule fin de provoquer la répression et participer à la
recherche de la vérité.
§ 1. PRÉJUDICE RÉPARABLE
I. — Préjudices économiques
A. RÈGLES GÉNÉRALES
Le préjudice pose surtout des problèmes de fond (a) ; les questions de
preuve ne sont pas indifférentes (b).
a) Règles de fond
b) Règles de preuve
244. Convaincre. – En pratique, les difficultés que pose la certitude du préjudice allégué sont peu
sensibles dans la mesure où elles sont absorbées par le débat probatoire. Est certaine la perte que le
juge estime que la victime aurait évitée s’il n’y avait pas eu de fait dommageable. La charge de la
preuve du préjudice pèse sur la victime, qui peut la faire par tous moyens. La preuve des revenus du
demandeur peut résulter de ses déclarations fiscales (L. proc. fisc., art. L. 143, L. 4 août 1962).
Par ailleurs, la Cour de cassation attache une présomption irréfragable de préjudice à quelques
situations, comme l’atteinte à l’intérêt collectif des consommateurs 647 ou la concurrence déloyale 648.
Cette politique juridique vise à dissuader de la commission de certains dommages aux suites
difficilement mesurables. Elle sert aussi à exprimer l’effectivité de certains droits subjectifs en
postulant qu’y porter atteinte crée un préjudice : droit de propriété en cas de voie de fait 649, droit à la
vie privée 650, droit à l’information médicale 651.
B. DOMMAGE MATÉRIEL
C. DOMMAGE CORPOREL
247. Refus de soins. – Lorsque la victime refuse les soins qui auraient pu atténuer ou faire
disparaître le dommage, la Cour de cassation a décidé, en se fondant sur l’article 16-3, que « nul ne
peut être contraint, hors les cas prévus par la loi, de subir une intervention chirurgicale » 685, mais
la jurisprudence administrative résiste 686.
§ 2. MODES DE RÉPARATION
I. — En nature ou en argent ?
250. Cessation de l’illicite. – À côté de la réparation en nature, qui ne peut être demandée qu’au
responsable du dommage, existe la cessation de l’illicite. Déjà connue en matière de référés, où le
juge peut « même en présence d’une contestation sérieuse », prendre toute mesure « pour faire
cesser un trouble manifestement illicite » (C. pr. civ., art. 809), la notion se rencontre également au
fond 713.
II. — En argent
A. MODALITÉS
a) Date d’évaluation
La règle est que l’évaluation du préjudice est faite au jour du
jugement ; elle est parfois écartée.
253. Exceptions. – Cette règle est écartée dans deux sortes d’hypothèses : lorsque, dès sa
naissance, le préjudice avait été libellé en argent et, dans certains cas, lorsque la valeur du bien
endommagé a baissé au jour de la décision.
1 D’une part, les obligations libellées en argent ne soulèvent, par définition, aucun problème
d’évaluation puisqu’elles sont liquides dès leur naissance ; par application du nominalisme
monétaire, elles ne doivent pas être réévaluées 717. De même, si avant le jugement condamnant le
responsable, la victime a fait réparer le dommage, c’est, non à la date de la décision judiciaire que le
préjudice doit être apprécié, mais à celle de la réparation 718, parce que le préjudice a désormais une
expression monétaire, fixe et figée.
2 D’autre part, si le bien perdu ou endommagé par le responsable a baissé de valeur entre le jour
du dommage et celui du jugement, le principe est a priori le même : l’évaluation au jour du jugement
suffit à réparer le préjudice. Sauf dans certaines circonstances, par exemple, quand la perte de valeur
aurait pu être évitée par la victime si le dommage n’avait pas eu lieu 719.
L’érosion monétaire a également affecté la modalité selon laquelle est
accordée l’indemnité.
b) Modalités de l’indemnité
Le juge peut, de sa propre autorité, sans être lié par la demande de la
victime, choisir entre un capital ou une rente 720.
B. GARANTIES D’EXÉCUTION
a) Pluralité de responsables
§ 3. CONCOURS DE CRÉANCES
259. Cumul et recours. – Aujourd’hui, une victime dispose souvent de plusieurs droits en cas de
dommage. Voici, par exemple, les orphelins que laisse la victime d’un accident mortel. Ils ont deux
espèces de droits. D’une part, les droits à réparation du préjudice subi, qu’il s’agisse du dommage
souffert par la victime, qu’ils recueillent dans sa succession ou de leur dommage propre, subi par
ricochet 742. D’autre part, ils bénéficient aussi des capitaux et rentes que la victime avait elle-même
constitués en prévision de sa mort : assurance-vie (ou plutôt « assurance-décès »), si elle en avait
souscrit une sécurité sociale (capital-décès) si elle y était affiliée, mutuelle complémentaire
éventuellement, pension versée par son employeur, public ou privé, caisse de retraite. Les premiers
droits sont indemnitaires ; pas les seconds, qui sont l’expression d’un mécanisme de prévoyance
sociale (sécurité sociale) ou contractuelle (assurance, mutuelle).
Le problème est de savoir comment combiner ces deux types de droits, ce qui pose un problème
de cumul et un problème de recours : 1o) L’orphelin peut-il cumuler les droits à indemnité fondés sur
la responsabilité civile avec ceux qui ont été constitués par son auteur sur un autre fondement pour le
cas d’un accident ? 2o) Le tiers qui a versé des sommes à raison de l’accident, notamment pour
permettre la réparation du préjudice (prise en charge des frais médicaux, par exemple) a-t-il un
recours contre le responsable ?
Le principe est que les créances indemnitaires ne peuvent se cumuler
si elles offrent à la victime une réparation qui dépasserait le montant de
son préjudice (I). En outre, si celui qui a versé une somme de nature
indemnitaire n’est pas l’auteur du dommage, il dispose d’un recours
contre le responsable (II).
Le principe a d’abord été posé à propos des indemnités versées par les
assurances ; il s’est étendu à la Sécurité sociale, puis aux pensions.
270. Du projet Tunc à la loi Badinter. – Peu à peu, le grand corps de règles prétoriennes qu’a
longtemps constitué le droit français de la responsabilité extracontractuelle s’est mal adapté aux
dommages de masse. Tôt, le développement des accidents de la circulation l’a révélé. En 1960,
André Tunc avait envisagé une réforme radicale, une sorte de « sécurité routière » comparable à la
Sécurité sociale 754. Après de nombreux atermoiements, a été adoptée une loi « tendant à
l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des
procédures d’indemnisation » (L. 85-677 du 5 juill. 1985, dite « loi Badinter 755 »), qui ne s’inspire
que partiellement du « projet Tunc » et est une loi de compromis.
À l’expérience, le système nouveau a réalisé son objectif principal, l’indemnisation rapide des
victimes. Mais il continue, entre assureurs, à susciter un gros contentieux et, sur plusieurs points, il
demeure incertain.
A. INTÉRÊTS
B. ÉVOLUTION
391. Complexité ; droit européen. – L’évolution du droit des contrats suit l’histoire de
l’ensemble du droit français 881. Son idéologie subit une obscure transformation.
Si l’on s’attache au seul droit des contrats, il existe un risque d’arbitraire à vouloir dégager les
grandes lignes de son histoire. Il est en effet compliqué et son évolution n’a pas la netteté qu’elle
possède dans d’autres branches du droit, notamment dans la responsabilité délictuelle. Chaque auteur
choisit un élément plutôt qu’un autre. L’un souligne que le dirigisme l’emporte sur la liberté
contractuelle, ou que l’esprit collectif, voire le collectivisme, prévaut sur l’individualisme, ou que la
profession des parties détermine le régime du contrat, ou que le droit a plus pour objet d’assurer
l’utile et le juste dans le contrat que de faire respecter la volonté de ses auteurs 882, ou qu’il est
dominé par des objectifs économiques de rendements et de coûts plus que par des données
morales 883, ou qu’il devient de plus en plus soumis au droit européen, ou qu’il est en crise 884, etc.
Pour exactes qu’elles soient, au moins en partie, ces systématisations masquent la diversité des
mouvements contradictoires qui agitent aujourd’hui les contrats.
Ce qui surtout en caractérise l’évolution contemporaine est sa complication croissante, comme
dans toutes les sociétés industrielles. Cinq aspects en marquent l’évolution, dont on retiendra surtout
les trois derniers.
1o) Il y a, à la fois, vitalité et stagnation du contrat. Le développement de l’initiative individuelle
fait apparaître de nouveaux contrats, dus à l’esprit inventif de la pratique. En même temps, et à
l'inverse, les contrats quotidiens sont souvent devenus standardisés et répétitifs.
2o) Un sociologisme croissant. Est de plus en plus prise en compte la qualité du contractant. Déjà,
en 1804, s’opposait le droit des contrats commerciaux à celui des contrats civils, qui faisait
apparaître le particularisme de l’activité des commerçants ; aujourd’hui, se développe une autre
notion, celle de professionnel : l’exercice de son activité soumet le professionnel (par ex. :
transporteur, médecin, notaire, avocat, constructeur) à un certain nombre d’obligations
(connaissances professionnelles, obligations de sécurité et de résultat, devoirs d’information et de
conseil) ; à l’inverse, le consommateur a droit à l’information, à la réflexion et à la sécurité.
3o) Une judiciarisation progressive. En 1804, le juge n’avait aucun rôle actif dans la confection
du contrat. Il se bornait à en ordonner l’application, en sanctionner l’inexécution et annuler celui dont
le consentement était vicié ou contraire à la loi. Aujourd’hui, le juge (ou l’arbitre) est souvent
sollicité, pour atténuer, modérer, inciter à négocier, voire même rééquilibrer l’obligation
contractuelle. Cet interventionnisme judiciaire est facilité par l’essor de standards juridico-moraux :
bonne foi, loyauté, équilibre, abus... 885. Cette évolution est dangereuse, car le juge ne peut se mettre à
la place des parties ; elle a tendance à « infantiliser » les contractants, qui pourront toujours trouver
refuge auprès du juge, ce qui les dispense d’améliorer eux-mêmes le contrat, ou de prendre une
décision.
4o) L’influence du droit communautaire. Beaucoup de directives et de règlements européens ont
des effets directs sur la pratique contractuelle (banques, assurances, instruments financiers, protection
des consommateurs et, naturellement, concurrence...). Surtout, le marché unique conduit à une
harmonisation des règles contractuelles, spécialement à l’égard de la protection du consommateur :
grâce à l’élaboration d’un corps de règles communes. De plus, à la suite d’initiatives privées 886,
certains veulent aller plus loin, estimant qu’il ne pourrait y avoir de marché unique sans un droit
européen des contrats unifié 887 – le contrat est le support des échanges – ; ont été ainsi débattus
divers projets de Code européen des contrats 888, généralement mal accueillis par les universitaires
français et ayant un double objet : la protection du consommateur et le droit de la vente 889. En
réaction, ont été élaborés par des universitaires différents projets de révision 890. La réforme du droit
des contrats par l’ordonnance du 10 février 2016 est directement inspirée de ces avant-projets.
5o) L’influence du commerce international qui, peu à peu, établit des règles uniformes pour les
contrats internationaux 891 ; la mondialisation contemporaine des relations d’affaires explique que la
tendance à l’uniformité des contrats internationaux exerce une influence sur les contrats internes 892.
L’ordonnance du 10 février 2016 tire les conséquences de ces évolutions et réécrit complètement
le titre III du Code civil, consacrant au contrat le sous-titre I (art. 1101 à 1231-7) 893. Les nouvelles
dispositions entrent en vigueur le 1er octobre 2016 et s’appliqueront aux contrats conclus après cette
date 894.
392. Domaine, effets. – Depuis près de soixante-dix ans, le contrat, dans son domaine et ses
effets, est transformé sans que pourtant il y ait une crise du contrat.
1º) Domaine : En 1804, la quasi-totalité des rapports juridiques et sociaux, voire politiques et
économiques, semblait relever du contrat, parce que la volonté des individus paraissait autonome :
tout devait relever d’elle. Par exemple, on qualifiait le régime matrimonial légal de « contrat de
mariage tacite », la succession ab intestat traduisait la volonté probable du défunt. De même, la
Constitution de la nation ou la nationalité étaient l’une et l’autre considérées comme un contrat social.
C’était aussi en faisant reposer l’économie sur le laisser-faire-laisser-passer, que l’on pensait
parvenir à la plus grande justice. Comme l’avait dit au XIXe siècle Fouillée, disciple français
de Kant : « Qui dit contractuel dit juste ». Aussi, le principe était-il la liberté contractuelle ; toute
loi était un mal.
Les choses ont changé. Sauf chez les libertariens américains, l’autonomie de la volonté n’est plus
une notion philosophiquement admise sans nuances ; la référence aux volontés tacites est
progressivement bannie. Sont également rejetées les idées de contrat social, et, à un moindre degré,
de libéralisme. Le contrat est parfois injuste (cf. le mot de Lacordaire, devenu cliché : « c’est la loi
qui libère, la volonté qui opprime ») ; l’intervention de l’État paraît s’imposer, même si elle est de
plus en plus maladroite. Depuis plus de dix ans, cependant, l’État hésite à intervenir de manière
autoritaire et s’abrite souvent derrière l’autorité communautaire (transposition de directives...) ; or,
l’Europe est dominée par l’économie de marché et le souci de la croissance harmonieuse de la
consommation.
2º) Ce qui est vrai du domaine du contrat l’est encore plus de ses effets. En 1804, le contrat était
pleinement obligatoire et ni la loi ni le juge ne pouvaient intervenir pour le réviser. Il ne liait que les
parties contractantes et seulement dans la mesure de leur volonté. Ces traits se sont brouillés. Le
contrat est aujourd’hui souvent dirigé. Dans de nombreux cas, la loi ou le juge suspendent, révisent ou
refont le contrat. Dans de nombreux cas, des obligations sont imposées par la loi ou par le juge aux
parties, qui sont même parfois soumises contre leur gré à des rapports contractuels. De même, dans
de nombreux cas, le contrat profite à des personnes qui ne l’ont pas conclu.
3º) Pour exactes qu’elles soient, ces observations doivent être nuancées. La preuve qu’il n’y a pas
de vraie crise est que le contrat ne recule pas, mais avance. Jamais les rapports contractuels n’ont
été aussi intenses qu’aujourd’hui. Les auteurs contemporains sont moins radicaux qu’il y a soixante-
dix ans et ne parlent plus de crise 895.
Comme il est habituel en droit civil, le droit des contrats évolue lentement. Son particularisme
tient à ce que les changements sont plus lents encore que dans le droit des biens et dans celui de la
responsabilité extracontractuelle, et surtout que dans celui des personnes et de la famille. Plutôt
qu’une crise, le droit des contrats connaît un éclatement par fractionnement, dans ses sources et son
objet.
393. 1º) Sources traditionnelles, pratique, commerce international. – Les sources du droit des
contrats sont devenues hétérogènes. 1º Il y a d’abord les trois sources traditionnelles : les codes –
Code civil surtout, mais aussi Code de commerce et Code de la consommation (compilation de lois
éparses) –, les lois spéciales contemporaines qui n’ont pas été intégrées dans les codes et sont
souvent la transposition de directives européennes 896, et la jurisprudence qui, outre ses méthodes
habituelles, fait maintenant produire un effet croissant, mais incertain, aux formules générales, telles
que l’exigence de la bonne foi dans les contrats (art. 1104, anc. art. 1134, al. 3). 2º Une autre source
contemporaine est constituée par la pratique : la pratique administrative – habitudes, avis,
comportements, circulaires de l’administration 897 – ; la pratique contractuelle – contrats types,
formulaires, usages, habitudes individuelles – qui font parfois apparaître des règles et même des
institutions nouvelles 898 ; la pratique notariale, surtout pour la vente d’immeuble ; la pratique
bancaire, car la banque exerce un rôle central dans les rapports économiques, même entre
particuliers, notamment dans la formation du contrat, avec les effets attachés à la réception des
relevés bancaires... le régime des preuves 899... celui de l’engagement autonome, avec les garanties
bancaires à première demande... celui du paiement, avec le chèque 900... celui de la novation, avec le
compte courant 901... celui de la cession de créance 902 ; ce qui n’est pas sans inconvénients : la
pratique bancaire, plus que les autres, est mal fixée.
3º La pratique du commerce international devient un lent élément d’unification. L’influence que
le droit du commerce international exerce sur les sources internes du droit des contrats est complexe.
Celui-ci subit les effets de la mondialisation du commerce. Ce phénomène, dit aussi « globalisation
économique », est le résultat du développement des communications (ex. : Internet) et des transports
qui rétrécit le monde, et d’un parti pris général en faveur du libre-échange 903. Or, le contrat est le
moyen le plus naturel et le plus universel de réaliser librement des échanges. Les États ne veulent pas
rester à l’écart de ce mouvement, qui a pour effet de réduire l’autorité de la loi nationale. Le contrat
pourrait se passer d’un droit national, pourvu que le droit « anational » soit complet – ce à quoi
s’emploient des firmes internationales de lawyers –, et comporte lui-même un mécanisme de
règlement des éventuels litiges (en pratique, l’arbitrage, ou les autres modes alternatifs de résolution
des litiges) 904. Cette évolution affecte d’abord les contrats internationaux, ceux qui influencent le
commerce international 905 : ceux-ci se détachent souvent de tout ordre étatique, pour se référer à une
espèce de jus gentium, des règles communes aux opérateurs du monde entier, constituant une lex
mercatoria, aujourd’hui en partie codifiée par des codifications privées 906. Le droit interne des
contrats en subit le contrecoup, la mondialisation des marchés mettant en cause la distinction même
entre contrats internes et internationaux. L’évolution est surtout sensible à l’égard du commerce des
objets qui se rient des frontières : monnaie, instruments financiers, informations, images, biens
incorporels, marchandises 907. Au contraire, les immeubles restent à l’écart de ce mouvement. Ainsi,
des règles internationales pénètrent lentement l’ordre interne 908 ou influencent les solutions
internes 909, de même que des institutions étrangères pénètrent progressivement le droit français 910.
Cependant, la liberté des échanges appelle en retour une protection des usagers, en particulier les
consommateurs, et pousse au développement d’un ordre public transnational, ayant pour objectif la
défense des intérêts de l’humanité (droits de l’homme, environnement, santé, lutte contre la
corruption...) 911.
Ce mouvement est en marche. Il n’est pas général, mais peut expliquer le lent déclin de la loi
nationale et le développement du rôle du juge, de l’arbitre ou de l’expert (autorités de marché).
La multiplication des sources du droit des contrats soulève le problème de la connaissance du
droit objectif, que devrait favoriser le développement de l’informatique 912 ; on est loin du compte.
394. 2º) Opération économique. – Dans son objet aussi, le droit des
contrats devient hétérogène. Il est difficile de régir de la même manière
les activités les plus humbles et les plus quotidiennes, telles que l’achat
d’une salade, et des actes gigantesques, telles que la vente d’une usine
clefs et services en mains. Il existe des contrats où l’un des contractants
paraît être une chose ; par exemple, l’achat dans un magasin libre-
service ou auprès d’un distributeur automatique 913. À l’opposé, il existe
aussi, surtout entre professionnels, des contrats longuement négociés,
complexes, et par conséquent très individualisés.
Le législateur tend aujourd’hui à parler parfois, plutôt que de contrat, d’« opération
contractuelle », comme le font la doctrine (ex. : opérations à trois personnes) et la jurisprudence (ex :
à propos du crédit-bail), afin de saisir l’unité d’un ensemble contractuel et sa portée économique
(ex. : art. 1186). L’obligation contractuelle est souvent saisie par son effet d’ensemble, plutôt que par
sa source, ce qui traduit un mouvement d’objectivation du contrat, conforme aux impératifs
contemporains du droit économique et social : l’encadrement du contrat dépend du résultat qu’il
produit, plutôt que des dispositions psychologiques de ses auteurs 914. Certains contrats constituent
même des instruments financiers 915.
Sous une notion unique (Chapitre II), existe une grande variété de
contrats, ce qui nécessite des classifications (Chapitre I).
Rationnellement, il conviendrait d’étudier la notion avant les
classifications ; néanmoins, une institution aussi abstraite ne peut être
maîtrisée que si, dans une première vue, on en connaît les applications.
Depuis la réforme de février 2016, les règles du droit des contrats sont
soumises à des principes directeurs (Chapitre III).
CHAPITRE I
CLASSIFICATIONS DES CONTRATS
SECTION I
DISTINCTIONS SELON LE TYPE DE CONTRAT
I. — Idée romaine
406. Action en justice. – À Rome, la dénomination du contrat en commandait la validité, parce
que le droit romain était procédural. Il n’y avait de droit que là où existait une action en justice, et les
actions étaient limitativement énumérées.
À l’époque classique, un contrat n’était obligatoire que s’il faisait partie d’une des catégories de
contrats pour lesquelles une action en justice avait été prévue 921. Non seulement, la validité du
contrat, mais aussi, à plus forte raison, son régime dépendaient de son type, de sa « dénomination ».
Ainsi, une vente était obligatoire parce qu’elle faisait naître une actio empti (pour l’acheteur) et une
actio venditi (pour le vendeur) ; le régime était celui que fixaient les actions prévues par la loi et le
préteur.
Ultérieurement, Justinien (VIe siècle) a achevé l’analyse ; l’action praescriptis verbis a été
accordée pour les contrats innommés : si, dans ces contrats, l’une des parties avait exécuté son
obligation, elle pouvait, au moyen de l'action praescriptis verbis, obliger son cocontractant à
exécuter la sienne. Le nombre de ces contrats étant illimité, on les a classés en quatre catégories : do
ut des : je fournis afin que tu fournisses ; do ut facias : je fournis afin que tu fasses ; facio ut des : je
fais afin que tu fournisses ; facio ut facias : je fais afin que tu fasses.
Ces idées n’ont plus d’intérêt aujourd’hui. D’abord, parce que la conception du droit a changé : il
n’est plus vrai de dire que le droit dépend de l’action : tout droit fait naître une action 922. En
conséquence, 1 tous les contrats sont obligatoires, même s’ils ne correspondent pas à un type prévu et
réglementé par la loi ; 2 les parties peuvent faire toutes sortes de combinaisons entre les types de
contrats spécialement prévus par la loi (ex. : combiner la location et la vente) ; elles peuvent aussi
faire des contrats qui n’entrent dans aucun des types organisés par la loi.
Aussi comprend-on que certains auteurs classiques aient nié l’intérêt de cette classification 923.
408. Sûretés. – Le contrat principal est celui qui, par lui-même, permet d’atteindre le résultat
escompté par les parties ; ainsi en est-il de la vente. Le contrat accessoire suppose un autre rapport
qu’il complète ; ainsi en est-il de la convention conférant une sûreté (par ex. : l’hypothèque) au
créancier ; elle est l’accessoire de l’obligation garantie. La disparition (par ex. en cas de résolution)
de l’obligation principale entraîne la caducité du contrat accessoire qui se trouve privé de l’un de ses
éléments essentiels (art. 1186). Dans le droit contemporain, apparaissent aussi des ensembles
contractuels dits encore « groupes de contrats », dans lesquels plusieurs contrats sont
interdépendants : par exemple, la vente et le prêt destiné à la financer 929. À la différence des contrats
accessoires, les contrats interdépendants ont chacun leur économie propre, mais ils n’ont pas été
conçus pour être exécutés isolément.
SECTION II
CLASSIFICATIONS SELON L’OBJET DES CONTRATS
I. — Principe
II. — Intérêts
A. FOND DU DROIT
B. PREUVE
III. — Nuances
412. Relativité et transformations. – 1º) La distinction entre ces deux types de contrats n’est pas
toujours facile 935, notamment pour distinguer les promesses unilatérales et les promesses
synallagmatiques : la distinction peut être relative.
2º) En outre, l’opposition n’est pas définitive : tout contrat est susceptible de se transformer en un
contrat synallagmatique ou unilatéral.
Un contrat unilatéral peut, en cours d’exécution, se transformer en un contrat synallagmatique, que
l’on appelle synallagmatique imparfait. Par exemple, lorsqu’il est conclu à titre gratuit, le contrat de
dépôt est un contrat unilatéral qui n’impose d’obligations qu’au seul dépositaire : conserver pour
restituer la chose déposée ; le déposant n’a aucune obligation. Sauf, éventuellement, indemniser le
dépositaire qui en cours de contrat a fait des dépenses pour sauver la chose (art. 1947) : ce contrat
unilatéral devient un contrat synallagmatique imparfait, soumis aux règles de fond des contrats
synallagmatiques, non à celles de forme.
Inversement, mais cette opinion est contestée, un contrat synallagmatique lors de sa formation,
peut devenir unilatéral si, par la suite, les obligations d’une partie venaient à s’éteindre 936. Par
exemple, une souscription d’obligations émises par une société commerciale (avant-contrat
synallagmatique d’emprunt obligataire) devient un prêt, contrat unilatéral, lorsque le souscripteur a
remis sa souscription à l’emprunteur.
Souvent, les contrats synallagmatiques sont à titre onéreux, ce qui
mène à une nouvelle distinction.
I. — Critère
413. Onérosité et gratuité. – La distinction entre les contrats à titre onéreux et les contrats à titre
gratuit s’attache à un autre aspect de l’objet du contrat et est différente de la précédente. Le contrat à
titre onéreux peut être ou synallagmatique (ex. : la vente) ou unilatéral (ex. : le prêt à intérêts) ; de
même, un contrat à titre gratuit peut être ou unilatéral (ex. : la donation) ou synallagmatique (ex. : la
donation avec charges).
Lorsque les parties ont voulu une réciprocité d’avantages, le contrat est à titre onéreux (art. 1107).
Ainsi en est-il de la vente : le vendeur n’a pas l’intention d’enrichir l’acheteur, et symétriquement,
l’acheteur n’a pas l’intention d’enrichir le vendeur. Lorsqu’au contraire, un contractant procure
volontairement un avantage à l’autre partie, il y a contrat à titre gratuit. L’exemple le plus
caractéristique en est la donation, contrat où le donateur s’appauvrit volontairement afin que le
donataire s’enrichisse.
Le droit civil voit avec défaveur les actes à titre gratuit, qu’il estime dangereux ; il n’est pas
évangélique. Les actes usuels de la vie économique sont les contrats onéreux, entre lesquels on
distingue les contrats commutatifs et les contrats aléatoires.
A. PRINCIPE
B. INTÉRÊTS
SECTION III
DISTINCTIONS SELON LA QUALITÉ DES CONTRACTANTS
§ 2. QUALITÉ DE CONSOMMATEUR
SECTION IV
DISTINCTIONS SELON LE MODE DE FORMATION DES
CONTRATS
Le contrat 1025 est facile à définir : un accord de volontés destiné à faire naître des obligations, les
modifier, les transmettre ou les éteindre (art. 1101). Cette définition issue de l’ordonnance du
10 février 2016 élargit la finalité du contrat : il ne s’agit plus seulement de donner naissance à des
obligations, comme en 1804 et dans la tradition romaine, mais aussi d’opérer sur une obligation déjà
née. Ainsi défini, le contrat paraît simple. La réalité est plus complexe et la notion marquée de
relativité, qu’explique l’histoire et que manifeste une comparaison avec les droits anglo-américains.
428. 1º) Histoire. – La notion moderne de contrat est le fruit d’une longue histoire inachevée 1026.
La notion romaine est apparue tardivement. Ce fut seulement au début de notre ère que le mot
contractus a été employé pour désigner l’accord de volontés créateur d’obligations, uniquement dans
les cas fixés par le droit et, la plupart du temps, enchâssés dans des formes (paroles, écrits ou remise
de la chose). Seuls, quatre contrats étaient dits « consensuels » ; pour eux, un simple consentement
dénué de formes créait les obligations : vente, louage, mandat et société. De plus, il n’y avait pas de
théorie générale : pour qu'un contrat ait une force obligatoire, la loi devait dire qu’elle conférait une
action en justice, ce qu’elle faisait à l’égard de tel ou tel type de contrat. Le principe selon lequel
l’accord de volontés suffit à créer l’obligation vient du droit canonique (XIIe siècle).
Il existait d’autres sources d’obligations en droit romain, dans lesquelles n’existait aucun
« accord », aucune « convention » au sens moderne ; par exemple, la tutelle et la gestion d’affaires
étaient sanctionnées par des actions en dehors de toute convention créatrice.
Existaient aussi des sources délictuelles, dont il n’y aurait rien à dire ici si le préteur ne leur avait
assimilé des faits qui, dans notre droit, relèvent de la théorie du contrat : les vices du consentement
étaient des délits prétoriens et entraînaient le droit à réparation. Cette origine délictuelle de certains
aspects de notre responsabilité contractuelle préfigurait la part d’incertitude que nous observons
actuellement.
L’apport des canonistes a durablement influencé la conception française du contrat. La volonté de
s’engager en est le cœur, car l’homme répond de l’exercice de sa volonté. Est donc obligatoire ce
que chacune des parties a réellement voulu.
Cette conception subjective ne fait pas l’unanimité des systèmes juridiques ; de plus elle recule
même en droit français.
429. 2º) Droits anglo-américains. – 1o Le droit anglais 1027 envisage le contrat comme un
bargain 1028, un business (une affaire) ; il est dominé par des considérations économiques ; plus qu’un
accord de volontés, qu’il s’agirait de rechercher et de respecter, c’est l’affaire qu’il permet de
réaliser qui compte. Plutôt que la force de la volonté réelle des parties, c’est la confiance (reliance)
qu’elles ont pu susciter chez l’autre qui fonde la force obligatoire. Aussi le droit anglais a-t-il du mal
à admettre qu’il puisse y avoir un contrat là où il n’y a pas échange : donation, acte ou contrat
unilatéral... même s’il y a volonté de s’engager. Mais la théorie des estoppel parvient souvent à des
résultats équivalents.
2o Les auteurs américains contemporains voient aussi dans le contrat avant tout un échange
économique. Ils mettent l’accent sur les caractères plus ou moins « relationnels », temporels
et stables du contrat. Ils en distinguent ainsi deux variétés, le contrat classique et le « contrat
relationnel ». 1º Le contrat classique (parfois dénommé « contrat discret ») relève de la « micro-
économie » ; il n’établit de relations qu’entre les parties, ne comporte pas de négociations préalables
et ses effets sont instantanés 1029 ; à la limite, il constitue une opération qui ne fait pas (ou ne devrait
pas) faire naître d’obligations ; par exemple, l’achat au comptant d’un produit de consommation ;
pour employer le langage de Jean Carbonnier, il relève du non-droit. 2º À l’inverse, le « contrat
relationnel » a une grande portée économique et sociale ; sa conclusion est précédée de longs
pourparlers ; il a des incidences sur un nombre considérable de personnes, est conclu pour une
longue durée et perpétuellement renégociable 1030.
430. 3º) Contrat de fait : droits germaniques ? – Un temps, les droits allemand (de 1941 à
1971) et suisse (vers les années 1980, pour les conséquences de la nullité d’un contrat à exécution
successive 1031) et même italien (le contractant a déclaré vouloir contracter alors qu’il ne le voulait
pas 1032) avaient admis la notion de contrat de fait (en allemand Faktischer Vertrag), opposée au
volontarisme juridique, l’idée étant que certains contrats se forment non par un accord de volontés,
mais par une relation de fait ; notamment les contrats de masse où un utilisateur profite effectivement
de la situation offerte sans exprimer préalablement son acceptation (ex. : le fait de monter dans un
tramway, ce qui, au contraire, en droit français constitue une relation contractuelle). Cette théorie
paraît maintenant abandonnée, au moins en Allemagne 1033.
Cette notion de contrat de fait est généralement ignorée du droit français, alors qu’elle aurait pu
expliquer les relations découlant de la nullité d’un contrat successif (« un contrat putatif », tel qu’un
contrat de travail nul) 1034, le contrat d’adhésion 1035 ou la convention d’assistance 1036, voire les
quasi-conventions résultant d’une loterie 1037.
SECTION I
DIFFÉRENCES AVEC L’ACTE UNILATÉRAL
§ 1. QUESTION
434. Promesse de récompense. – L’exemple sur lequel on raisonne surtout en droit civil, où la
question est ouverte, est la promesse de récompense : une personne publie dans un journal une
annonce par laquelle elle promet une récompense à celui qui lui rapporte un objet perdu. Est-elle
obligée si l’inventeur 1048 le lui rapporte ? Peut-elle révoquer sa promesse ?
Le Code civil allemand (BGB) consacre plusieurs dispositions à la question (§ 657 à 661). Les
deux premières sont les plus importantes : § 657 : « Celui qui promet par annonce publique une
récompense pour procéder à un acte, et notamment pour l’obtention d’un résultat, est tenu de
payer la récompense à celui qui a effectué cet acte, même si ce dernier a agi sans tenir compte de
cette promesse » ; § 658 : « La promesse de récompense peut être révoquée jusqu’à
l’accomplissement de l’acte. La révocation n’a d’effet que si elle est publiée de la même manière
que la promesse de récompense elle-même ou si elle est faite par un avis spécial ».
En apparence, le problème n’a guère de portée pratique ; la promesse de récompense n’est pas un
mécanisme important dans les relations sociales ou économiques ; en outre, la jurisprudence est
pauvre, ce qui laisse penser que l’enjeu est mince, dans la mesure où la jurisprudence serait un reflet
de la vie. Ces apparences sont illusoires ; beaucoup des résultats auxquels tendrait l’effet obligatoire
que l’on attacherait à l’engagement unilatéral sont plus ou moins atteints par d’autres institutions –
contrats, délits, quasi-contrats – dont les mécanismes sont alors faussés pour les besoins de la cause.
Le débat a été vif en doctrine, sans doute parce que sont en jeu les mécanismes essentiels de
l’obligation. L’histoire des idées peut en la matière se diviser en trois étapes : pendant le XIXe siècle,
la notion a été ignorée ; puis l’influence allemande entraîna au début du XXe siècle l’engouement des
auteurs ; aujourd’hui, la quasi-unanimité de la doctrine a une attitude prudente.
§ 2. SOLUTION
435. Contre et pour. – Contre et pour le caractère obligatoire de l’engagement unilatéral, peuvent
être présentés plusieurs arguments.
Il paraît difficile que l’acte unilatéral soit, de manière générale, une source d’obligations.
Politiquement, il est dangereux pour une personne d’être seule au moment où elle s’oblige : ne
risque-t-elle pas de s’engager à la légère ? Le consentement du cocontractant joue le rôle d’un
instrument de contrôle et de justification de l’engagement.
Il y a pourtant de bonnes raisons pour défendre le caractère obligatoire de la promesse de
récompense. Certains auteurs l’admettent, particulièrement en matière commerciale 1049. D’autres
ramènent la promesse de récompense à une autre institution : une offre de contrat ou un quasi-
contrat 1050 ; selon eux, le seul fait d’avoir entrepris les recherches nécessaires constituerait pour le
destinataire de la promesse l’acceptation tacite d’une offre, ce qui entraînerait la conclusion d’un
contrat. L’analyse relève de l’artifice. D’une part, celui qui promet une récompense n’offre nullement
de conclure un contrat de recherche de l’objet perdu : il ne veut qu’une chose, la restitution de son
objet, en contrepartie de laquelle il promet une récompense. D’autre part, comment admettre la
conclusion du prétendu contrat lorsque la promesse n’est connue qu’après la restitution de l’objet
perdu ? Un contrat ne se forme pas après son exécution, mais avant. Il est donc difficile de faire appel
ici à la notion de contrat qui, en outre, ne répond guère aux deux questions concrètes qui se posent.
1º La promesse est-elle révocable ? Non, semble-t-il, si un délai avait été précisé par son auteur ;
oui, dans le cas contraire ; c’est en effet une règle générale que les engagements à durée indéterminée
sont révocables. 2º La promesse oblige-t-elle son auteur ? Oui, certainement, si l’inventeur en avait
eu connaissance et si c’était à cette fin qu’il avait cherché l’objet perdu. Il en serait de même,
semble-t-il, si l’inventeur avait ignoré la promesse : le promettant est tenu de verser la récompense
promise du seul fait qu’un tiers lui a rapporté l’objet perdu ; l’engagement unilatéral est une source
générale d’obligations qui n’implique aucune acceptation de son destinataire, lequel se contente de
l’invoquer. Sa force obligatoire repose sur la volonté du promettant et la confiance légitime qu’il a
suscitée chez son destinataire 1051.
Certains droits étrangers, par exemple le droit américain, parviennent à un résultat comparable
par le biais de l’estoppel, qui protège la confiance légitime. Le droit français faisant reposer
l’obligation sur l’engagement volontaire du débiteur, il n’y a pas de raison de ne pas admettre
l’efficacité d’une telle volonté même lorsqu’elle n’est pas échangée avec celle d’un créancier.
L’article 1100-1 précise d’ailleurs que les actes unilatéraux « obéissent, en tant que de raison, pour
leur validité et leurs effets, aux règles qui gouvernent les contrats ». La principale difficulté est de
distinguer l’acte unilatéral créateur d’obligations de la simple déclaration d’intention. Seule une
manifestation claire de la volonté de s’engager, laquelle exige que la prestation promise soit au moins
déterminable et que son auteur ait voulu l’extérioriser, est de nature à créer une obligation.
SECTION II
CONVENTIONS NON OBLIGATOIRES
I. — Actes de courtoisie
437. Non-droit. – Il est des accords qui ne sont pas des contrats, parce que les parties n’ont eu
aucunement l’intention de se lier, d’entrer d’une manière quelconque dans une relation juridique : leur
accord ne relève que de la courtoisie. On est dans ce que Jean Carbonnier appelait le « non-
droit » 1055. De la même manière, les actes de simple tolérance ne peuvent fonder une usucapion
(art. 2262) ; ce sont des actes qu’une personne exerce sur le fonds d’autrui, en vertu d’une permission
gracieuse, toujours révocable, du propriétaire 1056.
Ainsi en est-il aussi de l’invitation à dîner qui a été acceptée. On voit mal l’inviteur se plaindre
en justice de ce que l’invité n’est pas venu en dépit de son acceptation, ni l’invité de la mauvaise
exécution du repas ; on trouve une situation semblable, bien que la teneur de la volonté soit un peu
plus consistante, dans la promesse familiale de cadeaux, par exemple, celle que fait un père à son fils
s’il réussit un examen : la promesse n’est pas juridiquement obligatoire.
SECTION III
AVANT-CONTRATS
443. Contrats préparatoires. – Les avant-contrats 1085 sont des
engagements qui préparent un contrat définitif. Ils sont divers car ils
n’ont pas tous la même finalité. Comme tout contrat, ils font naître des
obligations ; mais celles-ci sont différentes de celles qui naîtront du
contrat qu’ils préparent, si celui-ci vient à être conclu. Ils sont
obligatoires mais provisoires 1086.
En s’attachant au rapport avec le contrat qu’ils préparent, on peut en
distinguer trois catégories : ou bien les éléments du contrat définitif ne
sont pas totalement convenus ; ou bien ils le sont complètement ; ou
bien on est dans une situation intermédiaire. Cette classification
recoupe, à peu près, celle qui s’attache aux effets de l’avant-contrat.
1o) Parfois, l’accord des volontés se fait sans que soient encore
convenus tous les éléments essentiels du contrat définitif.
Ainsi, on se contente d’à peu près pour le contrat préliminaire à la
vente d’immeuble à construire, aussi appelé « contrat de réservation »,
où il suffit qu’il comporte les « indications essentielles » sur l’immeuble
et un « prix prévisionnel » : c’est une convention par laquelle le
constructeur-vendeur (le réservant) d’un immeuble à construire réserve
un appartement au réservataire, qui pourra ultérieurement décider de
l’acheter (CCH, art. L. 261-15). Ou bien encore le « pacte de
préférence » : une personne s’engage à proposer à une autre en priorité
de traiter avec elle pour le cas où elle déciderait de contracter
(art. 1123) ; l’ordonnance du 10 février 2016 a consacré la force
obligatoire d’une telle promesse acquise depuis longtemps en
jurisprudence, en donnant à son bénéficiaire une action en réparation si
le pacte n’est pas respecté et une action en nullité du contrat conclu avec
un tiers ou en substitution lorsque le tiers connaissait l’existence du
pacte et l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir ; ce que ce tiers
peut vérifier avant de traiter avec le promettant en interpellant le
bénéficiaire (art. 1123, al. 3 et 4) 1087. De même, la clause d’exclusivité
est l’engagement que prend un détaillant de se fournir exclusivement
chez tel grossiste ou tel fabricant ; elle doit être rapprochée de la clause
de monopole, qui est l’inverse, où un fournisseur prend l’engagement de
ne vendre ses produits qu’à un détaillant déterminé, qui bénéficie ainsi
d’un monopole.
Dans tous ces cas, le futur contrat n’est pas certain et ses éléments
essentiels, en particulier le prix, peuvent être indéterminés, ce qui
n’empêche pas l’avant-contrat de créer une obligation, au moins celle de
ne pas contracter avec autrui.
2o) Dans d’autres hypothèses beaucoup plus nombreuses, les
éléments essentiels du contrat que précède l’avant-contrat sont
convenus, mais ce contrat n’est pas encore conclu, pour diverses
raisons : soit la loi empêche sa formation immédiate ; soit les parties
entendent différer sa formation.
1º Dans la vente à domicile, certaines opérations de crédit mobilier et
certains contrats entre professionnels et consommateurs, doit s’écouler
après l’engagement un délai de sept jours pendant lequel le
consommateur peut résilier le contrat (C. consom., art. L. 312-24) ; de
même, l’emprunteur d’une somme destinée à un investissement
immobilier ne peut accepter une offre de crédit que dix jours après
l’avoir reçue (C. consom., art. L. 313-4). Ou bien encore, un essai peut
précéder la conclusion d’un contrat de travail (C. trav., art. L. 1231-1 et
L. 1225-1), ou d’une vente (que le C. civ. qualifie inexactement de vente
conditionnelle, art. 1558) 1088.
2º Plus souvent, la formation du contrat est différée par la volonté des
parties : soit qu’elles fassent dépendre la formation de la survenance
future d’un événement qu’elles jugent essentiel à la réalisation de
l’opération ; soit qu’elles entendent conférer à l’une d’elles, ou même à
chacune, le droit discrétionnaire de conclure ou non à l’expiration d’un
délai, ce que l’on appelle un droit d’option : telles sont la promesse
synallagmatique et la promesse unilatérale (infra).
3o) Enfin, il existe une troisième catégorie d’avant-contrats encore
plus diverse, destinée à régir les conditions dans lesquelles un éventuel
contrat pourra être conclu ; ainsi en est-il des « études préalables », des
« contrats-cadres » et des « accords préliminaires ».
Une étude précède souvent la conclusion d’un contrat ; par exemple un « examen du dossier »
pour une ouverture de crédit ; une « expertise » pour l’achat d’un immeuble ; un échange
d’informations pour un achat d’ordinateurs 1089 ; un « devis » pour un contrat d’entreprise 1090, etc.
Le contrat cadre est généralement conclu entre un fabricant et un détaillant afin de définir les
principales règles auxquelles leurs relations ultérieures, dites « contrats d’exécution » 1091, seront
soumises (art. 1111). Souvent à ce contrat s’ajoutent d’autres conventions – une clause d’exclusivité,
un prêt ou un contrat d’assistance. Selon les cas, il entraîne ou n’entraîne pas d’obligation de
contracter 1092. Le contrat cadre est source d’obligations distinctes de celles qui naîtront des contrats
d’application.
Les accords préliminaires ont pour objet l’engagement... d’assurer... le secret des informations
communiquées... l’exclusivité des études préalables... de déterminer le coût et la durée des
négociations... de ne pas mener de négociations parallèles... de fixer la procédure d’échange des
propositions et contre-propositions. Ces accords destinés à régir les négociations à venir sont
sources d’obligations de comportement (de faire et de ne pas faire), distinctes de celles que créent
les négociations 1093.
Les avant-contrats les plus élaborés sont la promesse unilatérale (§ 1)
et la promesse synallagmatique (§ 2).
I. — Analyse
§ 2. PROMESSE SYNALLAGMATIQUE
§ 3. PROMESSES CROISÉES
447. Deux promesses unilatérales croisées. – La pratique connaît des promesses unilatérales
croisées qui embarrassent la jurisprudence : « je promets de te vendre tel bien pour tel prix si tu
lèves l’option avant telle date » ; « je promets de t’acheter le même bien pour le même prix si tu
lèves l’option avant telle date ». La Cour de cassation y a vu parfois une promesse synallagmatique
valant vente 1110. Ce qui est contestable : il s’agit plutôt de deux promesses unilatérales, caduques si
l’option n’est pas levée à la date convenue 1111.
CHAPITRE III
PRINCIPES DIRECTEURS
SECTION I
LIBERTÉ CONTRACTUELLE
SECTION II
FORCE OBLIGATOIRE DU CONTRAT
§ 1. PRINCIPE
§ 2. ATTÉNUATIONS
453. Loi et juge. – 1º) De la force obligatoire du contrat il résulte que
les contractants sont liés par les obligations qu’ils ont voulues. Mais la
volonté n’a jamais eu en la matière un rôle exclusif. D’une part, ce que
la volonté a décidé n’est pas toujours obligatoire : elle peut se heurter à
l’ordre public ; l’article 1103 l’impose quand il se réfère aux contrats
« légalement » formés. D’autre part, la loi peut ajouter d’autres
obligations à celles qu’avaient voulues les parties, ainsi que le prévoit
l’article 1194 ; en outre, ce que l’on appelle souvent le forçage du
contrat conduit le juge à remplir les contrats d’obligations qui n’ont pas
été voulues par les parties, tantôt directement (tel contrat comporte telle
obligation, par exemple, de sécurité ou de mise en garde), tantôt sous
couvert d’interprétation 1142.
Une autre limite à l’article 1103 tient aux dispositions transitoires d’une loi nouvelle. En principe,
celle-ci ne régit pas les effets futurs d’un contrat conclu sous l’empire de la loi ancienne, par respect
de l’autonomie de la volonté. On constate cependant aujourd’hui qu’un grand nombre de lois
nouvelles se déclarent applicables aux contrats en cours : le respect de la volonté contractuelle vole
en éclats 1143.
2º) Une dernière atteinte à la force obligatoire du contrat et à sa
prévisibilité résulte du pouvoir modérateur du juge qui lui permet de
modifier les stipulations contractuelles excessives ou abusives. Notre
droit ne l’admet jusqu’ici qu’à l’égard des honoraires convenus dans un
contrat de service 1144, des clauses pénales, des délais de grâce et de la
règle contra non valentem 1145. En dehors de ces hypothèses, le juge doit
prêter la main à l’exécution du contrat, quelque déséquilibré qu’il lui
paraisse 1146.
Au contraire, le Code civil néerlandais abandonne le principe de la
force obligatoire du contrat : « Une obligation qui existe entre les
parties contractantes sera inapplicable tant que, dans les circonstances
données, ceci serait inacceptable du point de vue de la raison et de
l’équité » ; ce que la règle gagne en justice, elle le perd en sécurité : le
contrat devient imprévisible (cf. aussi la nouvelle conception américaine
du contrat 1147).
Enfin, l’extension des procédures collectives (redressement et
liquidation judiciaires, redressement judiciaire civil), qui permettent aux
tribunaux de modifier un contrat en cours, ruine directement la force
obligatoire des contrats.
455. Volonté interne ou déclarée ? – Un débat qui fut particulièrement vif à la fin du XIXe siècle,
sous l’influence allemande liée à l’adoption du BGB, opposa la tradition française attachée à la
volonté interne – la seule qui constituerait la substance de l’engagement – à l’apport nouveau de la
doctrine allemande : seule compterait en droit la déclaration de volonté, c’est-à-dire la volonté
extériorisée 1154. Le droit commercial, sensible à la sécurité des actes juridiques, s’attache souvent à
la déclaration de volonté, notamment pour les effets de commerce et le droit des marchés financiers.
Le droit civil y est moins sensible, mais il voit cependant dans le contrat un « acte de langage », ce
qui influence son interprétation. Plus généralement, la volonté déclarée est celle à laquelle peut se
fier le cocontractant : le respect de la confiance suscitée chez autrui, la reliance diraient les juristes
anglais ou américains 1155, explique le développement contemporain de plusieurs institutions.
SECTION III
BONNE FOI
SECTION I
ABSENCE DE NÉGOCIATIONS
SECTION II
NÉGOCIATIONS PRÉALABLES
465. Analyses. – La sociologie américaine contemporaine explique les négociations préalables
par la théorie des jeux ; il existerait dans la suite des propositions et contre-propositions des futurs
contractants une sorte de jeu, ensemble subtil de manœuvres, conscientes et inconscientes, afin de
gagner des assurances ou se prémunir contre des risques. La discussion du souk ou du bazar, telle
qu’elle est pratiquée en Afrique du Nord ou dans le Moyen-Orient, fait aussi apparaître l’aspect
ludique des échanges économiques. La psychologie française classique est plus simple ; elle analyse
en trois étapes la genèse d’un acte volontaire, allant de la conception à la décision en passant par la
délibération. La théorie juridique classique est encore plus dépouillée : elle se borne à distinguer la
discussion de l’engagement ; elle analyse la formation du consentement en une offre, parfois
dénommée pollicitation, suivie d’une acceptation ; la rencontre de l’offre et de l’acceptation constitue
le consentement 1212.
466. Punctation. – Ces deux étapes ne sont pas les seules. Il peut
arriver que le contrat se forme par degrés – point par point – ce qu’on
appelle la théorie de la punctation, d’origine allemande 1213. Pendant la
négociation, avant l’éventuelle conclusion du contrat, des écrits
successifs fixent les points sur lesquels les parties sont dès à présent
d’accord. Les écrits ont, selon la volonté de leurs auteurs, une portée
variable ; certains n’en ont aucune ; il s’agit de ce que l’on appelle
parfois « des documents de secrétariat » 1214. D’autres peuvent avoir des
conséquences juridiques.
D’abord et toujours, obliger les parties à ne pas remettre en cause ces accords « ponctuels ».
Parfois, obliger les parties à continuer à négocier. Parfois, si les accords avaient eu pour objet des
éléments essentiels du contrat, ils permettent de conclure le contrat définitif : le juge complète les
points secondaires. Telle est la conception des droits suisse et autrichien, pas celle du Code civil
allemand 1215. Sur le droit anglo-américain 1216. Selon le droit français, tout est affaire d’intention :
un défaut d’accord sur un élément secondaire, parfois n’empêche pas que le contrat soit
définitivement conclu 1217, parfois l’interdit 1218.
467. Diversité. – Ainsi, le droit contemporain a-t-il nuancé le schéma simple de l’analyse
classique : la conclusion d’un contrat, surtout s’il est complexe, peut prendre du temps. Une invitation
à entrer en pourparlers peut avoir été antérieure à l’offre ; la négociation peut avoir été longue et se
faire par étapes ; le contrat peut avoir été conclu par correspondance (ce que l’on appelle les contrats
entre absents), ou précédé par un avant-contrat. Même ainsi assouplies, les catégories juridiques sont
rigides et rendent mal compte de la diversité des situations de fait, notamment en raison des nuances
dont la volonté est susceptible.
Dans le droit classique, les règles relatives à la formation du contrat sont en général abstraites,
doublement abstraites : elles s’appliquent quelle que soit la nature du contrat en cause ; les qualités
d’offrant ou d’acceptant peuvent être indifféremment tenues par l’un ou l’autre des futurs contractants.
Sauf à l’égard de deux contrats, la donation et le mandat où, selon le Code civil, le donataire et le
mandataire sont les acceptants (art. 894 et 932 et s. ; 1984, al. 2 et 1985, al. 2). De même, la
législation contemporaine protectrice du consommateur confère au professionnel le rôle du pollicitant
et au consommateur celui d’acceptant ; par exemple, c’est le prêteur-professionnel qui « offre » le
crédit, l’emprunteur-consommateur qui « accepte », ce qui détermine, non tellement la partie qui a
l’initiative de l’affaire, mais celle qui en fixe l’économie 1219.
A déjà été exposé ce qu’est l’avant-contrat 1220. Restent les pourparlers
(§ 1), l’offre (§ 2), l’acceptation (§ 3), les contrats entre absents (§ 4) et
enfin les contrats conclus en la forme électronique (§ 5).
§ 1. POURPARLERS
§ 2. OFFRE
470. Droit allemand. – À la différence des droits latins et anglo-américains, l’offre (Angebot) lie,
en droit allemand, son auteur et est irrévocable pendant un certain temps, sauf si elle avait précisé
qu’elle n’était pas obligatoire (ex. : ohne obligo : sans obligation à notre charge : BGB, § 145) 1240.
Il existe de nombreuses espèces d’offres, qu’il est utile de distinguer
(I) afin d’en fixer le régime (II).
I. — Distinctions
Il est sans intérêt d’opposer l’offre tacite à l’offre expresse, alors qu’il
est utile de distinguer celle qui est faite au public ou à personne
déterminée, et surtout celle qui est faite avec ou sans délai.
II. — Régime
§ 3. ACCEPTATION
480. Acceptation partielle. – Dans les opérations de construction qui doivent se réaliser en
plusieurs tranches échelonnées dans le temps, une partie peut autoriser l’autre à commencer une
première tranche sans que pour autant le contrat n’ait été conclu ; l’autorisation partielle constitue un
premier contrat partiel.
§ 4. CONTRATS ENTRE ABSENTS
482. Commerce en ligne et formation du contrat. – Afin d’adapter le droit des contrats au
commerce électronique, la loi du 4 juin 2004 (« loi pour la confiance dans l’économie numérique »
dite loi LCEN I), modifiée par une ordonnance du 16 juin 2005, transposant non sans mal une
directive européenne du 8 juin 2000, a ajouté au Code civil les articles 1369-1 à 1369-3, devenus
depuis l’ordonnance du 10 février 2016 les articles 1125 à 1127-6, qui entendent assurer la sécurité
du commerce électronique et déterminer le particularisme que peut alors avoir la conclusion du
contrat 1292. Le principe est que l’écrit électronique est équivalent à l’écrit papier.
La loi définit le commerce électronique : « l’activité économique par laquelle une personne
propose ou assure à distance et par voie électronique la fourniture de biens et de services » (L.,
art. 14), c’est-à-dire des contrats proposés « en ligne » par un professionnel à ses clients – un autre
professionnel ou un consommateur.
L’offre électronique (art. 1125) doit exposer « les stipulations contractuelles » (bien sûr), puis
un certain nombre de conditions techniques propres à cette forme de communication (art. 1127-1) :
les différentes étapes à suivre pour conclure le contrat ; les moyens techniques pour connaître et
corriger avant la conclusion du contrat les erreurs de transmission ; la ou les langues utilisées ; les
règles d’archivage ; les règles professionnelles ou commerciales auxquelles l’auteur de l’offre entend
soumettre le contrat.
L’acceptation est soumise au droit commun, plus une disposition particulière à la matière, le
« double clic », confirmation de l’acceptation (art. 1127-2) : le destinataire de l’offre accepte
d’abord la commande, puis après un accusé de réception par le professionnel, confirme sa
commande. Le législateur espère que seront ainsi évitées ou corrigées les erreurs de manipulation.
Enfin, une dernière règle modifie le régime de la formation des contrats à distance, en prévoyant
que « la commande, la confirmation de l’acceptation de l’offre et l’accusé de réception sont
considérés comme reçus lorsque les parties auxquelles ils sont adressés peuvent y avoir accès »
(art. 1127-2). Sur le formalisme dans le commerce électronique 1293.
494. Absence de consentement. – Le vice du consentement doit aussi être distingué de l’absence
complète de consentement lorsqu’aucune protection de l’incapable n’a été organisée 1296. Par
exemple, le contrat conclu par... un illettré 1297, ... un mourant qui se trouve dans l’impossibilité
d’avoir ou d’exprimer une volonté..., une personne ayant perdu l’usage de la raison à cause de
l’alcool, de la drogue ou de l’érotomanie, etc. Autrefois, le Code civil n’avait prévu cette situation
qu’à l’égard des libéralités (art. 901) ; néanmoins, les tribunaux avaient toujours décidé que, même à
l’égard des actes à titre onéreux, l’absence de consentement privait le contrat de tout effet.
Aujourd’hui, la question est réglée par l’article 1129 qui applique au contrat l’article 414-1
(L. 3 janv. 1968). « Pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit. C’est à ceux qui agissent
en nullité pour cette cause de prouver l’existence d’un trouble mental au moment de l’acte ».
La majorité des auteurs estime qu’il s’agit d’une règle de capacité 1298 parce que l’altération de
ces facultés présente une certaine permanence et l’incapacité a pour nature d’être durable et liée à la
personne. Mais la protection demeure occasionnelle, contrat par contrat ; en outre, la preuve de
l’altération du consentement est faite un peu de la même manière que celle du vice : on est à mi-
chemin entre la théorie des vices du consentement et celle de la capacité. Dès lors que la loi a
déterminé le régime de la nullité (art. 414-1 et 414-2), cette controverse n’a plus qu’un intérêt
académique, sauf en droit international privé où les lois applicables aux vices du consentement et à
la capacité ne sont pas les mêmes 1299.
La théorie des vices du consentement est délicate, parce qu’elle doit
résoudre une antinomie fondamentale. Elle tend à un double but de
justice et de sécurité et il peut y avoir une contradiction entre ces deux
exigences. Un but de justice, car elle se propose de protéger celui des
contractants dont le consentement n’a pas été parfaitement libre dans sa
volonté ni éclairé dans son intelligence. Un but de sécurité des
transactions, afin que n’importe quelle déception d’un contractant ne
ruine pas la stabilité des rapports contractuels ; or la déception est
fréquente, parce que le contrat est une anticipation et que la réalité des
prestations se révèle souvent différente de ce qu’avait imaginé une partie
lorsqu’elle a consenti au contrat.
SECTION I
VICES DU CONSENTEMENT PRÉVUS PAR LE CODE CIVIL
§ 1. ERREUR
497. Difficultés. – L’erreur (art. 1132 à 1136) est, des trois vices du
consentement du Code civil, le vice le plus souvent invoqué. Elle donne
lieu à une jurisprudence abondante, que la doctrine s’efforce
d’interpréter 1301 ; dans sa partie la plus contentieuse, la vente d’objets
d’art, un ouvrage a tenté de clarifier la question, souvent très subtile 1302.
L’état actuel du droit est contradictoire ; à certains égards, l’erreur est largement comprise, ce qui
porte atteinte à la sécurité des transactions ; à d’autres, elle est étroitement entendue, ce qui est
parfois injuste. Dans la vente, l’erreur de l’acheteur est souvent la conséquence d’un vice caché ; une
jurisprudence hésitante décide que la garantie des vices cachés est « l’unique fondement de l’action
exercée pour défaut de la chose vendue » 1303 ; lorsque l’erreur ne porte pas sur une défectuosité
intrinsèque compromettant l’usage de la chose, elle ne donne pas lieu à garantie 1304.
D’une manière générale, l’erreur consiste à se tromper, à croire qu’est
vrai ce qui est faux ou inversement. Utilisant un langage plus juridique,
on peut dire aussi qu’elle est le fait de se représenter inexactement
l’objet d’une obligation, ou bien, plus techniquement encore, qu’elle est
une discordance entre la volonté interne et la volonté déclarée.
498. Droit anglais : mistake et misrepresentation. – Des droits étrangers, le plus différent du
nôtre est le droit anglais, bien qu’il soit aussi imprécis 1305 ; il admet difficilement que l’erreur
permette la critique du contrat.
L’existence de deux corps de règles en la matière le rend particulièrement complexe. 1º) Il existe
une règle de Common Law, surtout sensible aux exigences du commerce, et une autre d’Equity,
surtout sensible à des préoccupations morales. Selon la Common Law, la mistake rend nul (void) le
contrat ; elle est constituée par une erreur-obstacle et ne résulte pas d’une erreur sur les qualités
substantielles, telles que l’authenticité d’un objet d’art. La situation est à peu près la même avec
l’exception non est factum, qui intervient afin de protéger une partie peu faite pour les affaires, qui
donne sa signature en se trompant gravement sur le contenu de l’engagement souscrit ; mistake et non
est factum ont, en pratique, une portée réduite. 2º) La misrepresentation est une notion d’Equity plus
large que la mistake ; elle suppose que le défendeur est responsable de l’erreur commise par son
cocontractant ou a profité d’une supériorité (undue influence) sur lui ; elle rend le contrat annulable
(voidable).
La question est de savoir pour quelles erreurs un contrat peut être
annulé.
Les erreurs indifférentes sont celles qui ne portent pas sur les qualités
essentielles, notamment celles qui sont relatives au motif ou à la valeur.
En outre, l’erreur essentielle est également indifférente pour des raisons
de loyauté du commerce lorsqu’elle est inexcusable ; l’erreur matérielle
entraîne quant à elle non la nullité du contrat, mais sa correction.
§ 2. DOL
508. Délit civil ou vice de consentement ? – Le dol est une manœuvre ayant pour but et résultat
de surprendre le consentement d’une partie (art. 1137 à 1139).
Il constitue de la part de son auteur une faute ; telle était l’idée que s’en faisait le droit romain, où
les actions nées du dol avaient pour objet de réprimer les actes malhonnêtes. Dans la conception que
le Code civil se fait des vices du consentement, il ne s’agit plus tant de sanctionner un délit civil que
d’apprécier le consentement de la victime du dol afin de savoir s’il a été altéré 1333. Il existe ainsi une
discordance dans le droit positif du dol, ce qui explique certaines des difficultés qu’il continue de
soulever. À quoi s’ajoute l’antinomie habituelle des vices du consentement : afin d’assurer la loyauté
des transactions, le dol devrait être largement compris ; au contraire, pour ne pas compromettre leur
sécurité, un contractant ne devrait être protégé que contre les ruses les plus caractérisées, à la
condition de surcroît que ce soit par son cocontractant qu’elles aient été ourdies.
En raison de cette double antinomie, la loi n’a fait du dol un vice du
consentement que si trois conditions ont été remplies : qu’il ait été
malhonnête (I), déterminant (II) et provienne du cocontractant (III).
Le droit pénal punit les tromperies sur les qualités substantielles de la
marchandise (C. consom., art. L. 441-1 et 454-1) ; à la différence du
droit civil, il est interprété restrictivement.
I. — Malhonnêteté
II. — Déterminant
514. Victime du dol et tiers. – La Cour de cassation a décidé que la victime d’un dol pouvait
invoquer la nullité du contrat vicié contre le tiers qui se prévalait du contrat 1361 s’il y avait eu une
collusion frauduleuse entre le tiers et le cocontractant 1362.
§ 3. VIOLENCE
518. Exploitation de la dépendance. – L’article 1143 introduit dans le Code civil un cas
particulier de violence, qui avait donné lieu à controverse 1370 : l’exploitation abusive de l’état de
dépendance de son cocontractant, ce qui ressemble à l’abus de faiblesse du droit pénal.
La jurisprudence avait admis que l’exploitation abusive d’une dépendance économique constituait
une violence, vice du consentement, si deux conditions étaient réunies : qu’il y ait eu exploitation de
la dépendance économique, afin d’obtenir un avantage indu 1371. De même, les règles sur la liberté de
la concurrence prohibent et annulent toute convention qui entraîne une « exploitation abusive d’une
position dominante » ou « de l’état de dépendance économique » (C. com., art. L. 420-2 et 420-3
codifiant Ord., 1er déc. 1986, art. 8 et 9, souvent modifiée), lorsqu’elle fausse le jeu de la
concurrence. La Cour de cassation avait aussi admis que l’exploitation de la faiblesse mentale
d’autrui constituait un vice du consentement quand elle avait causé une erreur importante 1372.
Le nouveau texte consacre cette jurisprudence en soumettant la nullité
à trois conditions : l’existence d’un état de dépendance, qui peut être
économique, mental, physiologique... ; un abus commis par l’une des
parties – le seul état de dépendance ne constituant pas un vice – se
traduisant par un acte de violence (menace, pression, contrainte...) ; un
avantage manifestement excessif, ce qui donne à cette violence une
tournure objective.
Comme les autres vices du consentement, la violence doit être
déterminante ; l’appréciation en est faite cas par cas, in concreto : tout
dépend des individus 1373 et des circonstances (art. 1130).
Elle doit avoir été l’œuvre d’une personne humaine, ce qui signifie
que la contrainte résultant des événements n’est pas une violence, vice
du consentement 1374. Dans certains cas, la loi a cependant admis la
réduction des engagements excessifs conclus dans un état de nécessité
(ex. : contrat de sauvetage maritime : L. 29 avr. 1916, puis L. 7 juill.
1967, art. 15).
§ 4. LÉSION ET EXCÈS
SECTION II
LÉGISLATION PROTECTRICE DU CONSOMMATEUR
521. Individualisme et société de consommation. – La théorie des
vices du consentement, telle que le Code civil l’a organisée, s’est révélée
d’un médiocre rendement social. Par rapport aux centaines de millions
de contrats annuellement conclus, les quelques vices du consentement
accueillis par les tribunaux sont dérisoires. Sans doute, la portée réelle
de la règle ne doit-elle pas être mesurée à ce chiffre : la simple existence
de la loi exerce un rôle préventif, dissuadant de commettre les dols ou
les violences les plus criants (le rôle prophylactique du droit).
Pourtant, il y a beaucoup de contrats dans lesquels le consentement n’est ni vraiment libre ni
vraiment éclairé et qui ne sont jamais annulés. La raison tient à la conception individualiste que le
Code civil se fait des vices du consentement, qui leur imprime des caractères généraux. D’une part,
ils doivent être invoqués en justice (art. 1178, ancien art. 1117) : sauf accord amiable entre les
parties, la nullité impose la voie contentieuse. D’autre part, ils doivent être prouvés par ceux qui les
allèguent.
Le développement de la société de consommation a incité le
législateur à protéger davantage les consommateurs. La séduction
qu’exerce la consommation, notamment au moyen de la publicité, a pour
conséquence que le consommateur se transforme en acquéreur ou en
emprunteur presque sans s’en rendre compte. Afin d’échapper à un
engagement qui n’aurait pas été pris de façon éclairée et réfléchie,
l’acquéreur ou l’emprunteur ne peut invoquer le dol, puisque la
tromperie commerciale est, sauf manœuvres caractérisées, un dolus
bonus ; pour qu’il y ait violence, il aurait fallu, au moins, qu’il y ait eu
des menaces, ce qui n’est pas le cas dans ce genre d’hypothèses.
Surtout, les conditions d’exercice de l’action en justice sont de nature à
dissuader beaucoup de consommateurs à saisir les tribunaux.
Inspiré par l’idéologie américaine, le législateur pose en postulat que le consommateur est
intelligent et libre lorsqu’il est informé, ce qui permettrait de se dispenser de droit, notamment de
droit pénal. Pourtant, pendant toute l’histoire des hommes, l’information et même l’éducation ne sont
jamais parvenues à supprimer les vices du caractère, de l’intelligence et de la liberté 1386. Sans doute,
avec la nature humaine aucun moyen n’est-il infaillible. Il demeure que l’information est plus efficace
sur les professionnels que sur les profanes : l’instruction ne réussit pas également pour tous. La
controverse n’est pas purement académique ; elle permet de décider si, dans son domaine, la
législation protectrice du consommateur laisse une place à la théorie classique des vices du
consentement.
En France, comme dans tous les pays industriels, le législateur est
intervenu afin de protéger le consommateur ; il l’a fait au coup par coup,
contrat par contrat, utilisant des méthodes apparemment nouvelles qui
retrouvent souvent les techniques juridiques du passé : celles de
l’information ou celles du repentir.
A. MENTIONS OBLIGATOIRES
B. APPARENCE ET TRANSPARENCE
543. Transparence. – Afin de faire respecter la liberté de la concurrence, la loi (Ord., 1er déc.
1986, modifiée, codifiée dans C. com., art. L. 441-2 et s.) impose ce qu’elle appelle la
« transparence », qui se traduit par un nouveau formalisme : le vendeur doit informer... les
consommateurs en publiant ses prix (art. 28) et en leur remettant une facture (art. L. 441-3)... les
revendeurs en leur communiquant ses tarifs et ses ristournes (art. L. 441-6) 1446.
Longtemps encouragée, car elle permit de moraliser le commerce, protéger le consommateur et
développer la concurrence, la transparence depuis un peu plus de dix ans devient un mal quand par
son excès, elle entrave la concurrence : l’échange d’informations entre concurrents peut constituer un
mode sournois d’entente dans un marché oligopolistique, justifiant une condamnation par le Conseil
de la concurrence.
IV. — Enregistrement
§ 2. FONDEMENT ET PORTÉE
545. Intérêt des parties, des tiers ou général ? – Les solennités ont
généralement pour fin la protection d’une partie au contrat, afin de lui
permettre d’exprimer sa volonté de manière libre et éclairée ; à cet égard,
elles se justifient par un intérêt privé. Le plus souvent, c’est pour
protéger les parties contre elles-mêmes. De même, les différentes
mentions obligatoires sont destinées à informer une partie sur ses droits
et obligations. La nécessité d’une solennité peut aussi avoir pour but la
protection des tiers ; ainsi en est-il de la subrogation consentie par le
débiteur, ou de la constitution d’hypothèque : l’intérêt de ces tiers
(autres créanciers) peut être lésé par l’acte, qui donne au subrogé ou au
créancier hypothécaire une préférence ; l’acte (son existence, sa date...)
doit donc être incontestable. Enfin, la solennité peut avoir pour but la
protection de l’intérêt général, par exemple de l’épargne publique.
La solennité peut donc avoir des buts variés, ce qui produit deux
conséquences : l’une sur sa sanction, l’autre sur la désolennisation.
546. Sanction. – Le fondement du formalisme devrait retentir sur la
sanction attachée à son inobservation. Les auteurs sont partagés, et le
droit n’est pas toujours net.
Flour, Aubert et Savaux lient la sanction du formalisme à sa
fonction 1447 : la nullité devrait donc être relative lorsqu’il s’agit d’une
forme protectrice d’une partie, absolue dans les autres cas. En ce sens,
des lois particulières prévoient que l’inobservation de la forme édictée
afin de protéger une partie ne pourra être invoquée que par une personne
déterminée et pendant un délai très court, ce qui est le régime de la
nullité relative (ex. : L. 29 juin 1935, art. 12, al. 2, pour la cession de
fonds de commerce, codifiée dans C. com., art. L. 141-1 ; CCH, art.
L. 261-11, al. 6, pour la vente d’immeuble à construire).
Dans d’autres cas, la loi ne précise pas la nature de la nullité ; par exemple, la loi de 1964 sur le
contrat d’intégration agricole se borne à énoncer que les mentions informatives du contrat sont
requises à peine de nullité sans dire s’il s’agit d’une nullité absolue ou relative. La Cour de cassation
a décidé qu’il s’agissait d’une nullité relative puisqu’il s’agissait de protéger le producteur
agricole 1448.
La solution est indiscutée lorsqu’il s’agit d’une solennité classique
(acte authentique ou écrit) 1449 : informe, le contrat ne peut produire
aucun effet. À l’inverse, dans la législation protectrice du
consommateur, le défaut d’une mention obligatoire destinée à protéger
l’une des parties 1450, ou le fait de verser une somme d’argent pendant le
délai de réflexion 1451, ou la méconnaissance du délai de réflexion imposé
à l’acceptation d’une offre de crédit immobilier 1452, ou la stipulation
d’intérêts usuraires 1453 sont sanctionnés par la nullité relative. La
sanction appropriée ne devrait d’ailleurs pas être la nullité, même
relative, mais la conversion par réduction 1454 ou la possibilité de prouver
facilement un vice du consentement 1455.
547. Désolennisation et promesse de contrat. – 1º) Cette incertitude explique aussi la
« désolennisation » des actes juridiques. La jurisprudence, ancienne et nouvelle, manifeste une
certaine hostilité à l’encontre des solennités, plus grande lorsqu’elles sont fondées sur un intérêt
privé que lorsqu’elles se rattachent à la protection des tiers.
Par exemple, l’article 931, afin de protéger le donateur, prescrit, à peine de nullité, que la
donation soit faite par acte notarié. Néanmoins, la jurisprudence admet depuis longtemps la validité
des donations passées en une autre forme. D’une part, la donation déguisée est généralement valable ;
il s’agit d’une donation où la libéralité prend mensongèrement la forme d’un acte à titre onéreux (ex. :
vente au donataire, où est secrètement stipulé que le prix ne sera pas payé). D’autre part, est
également valable le don manuel ; il s’agit d’une donation où le donateur remet au donataire un
meuble de la main à la main ; (mais les tribunaux annulent la promesse sous signature privée de don
manuel, dont la forme n’assure aucune protection au donateur). Il ne reste pas grand-chose de
l’article 931.
2º) La « désolennisation » atteint aussi les solennités fondées sur la protection des tiers, mais à un
moindre degré. Ainsi, la jurisprudence admet-elle la validité de la promesse d’hypothèque sous
signature privée, mais le refus de s’y conformer ne peut être sanctionné que par des dommages-
intérêts ; il est impossible au tribunal de juger que sa décision vaudra acte constitutif d’hypothèque,
parce que la constitution d’une hypothèque ne peut être faite que par acte notarié (art. 2416) : c’est la
conséquence de son caractère solennel 1456. Au contraire, si le promettant d’une promesse unilatérale
de vente d’un immeuble refuse de tenir son engagement, le juge peut décider que son jugement tiendra
lieu d’acte de vente : la validité de la vente d’immeuble n’est pas subordonnée à son caractère
notarié 1457.
SECTION I
FORMALITÉS
SECTION II
PREUVES
II. — Exceptions
La règle comporte des exceptions. Parfois, l’exception est plus sévère (A). Généralement, elle est
plus indulgente et écarte l’exigence de l’écrit, ce que la jurisprudence a largement compris afin
d’assouplir la légalité des preuves et la primauté de l’écrit (B).
A. SÉVÉRITÉ
562. Toujours un écrit. – De nombreux textes spéciaux limitent plus étroitement les modes de
preuve. Ainsi, l’écrit est nécessaire pour prouver certains contrats, même si leur valeur est inférieure
au chiffre auquel se réfère la loi : par exemple, le bail qui n’a pas reçu exécution (art. 1715) ; pour la
location de locaux à usage d’habitation (lato sensu), la loi du 6 juillet 1989 impose dans tous les cas
un écrit (art. 3). L’exigence est parfois plus minutieuse : ainsi, quand on demande à la Sécurité
sociale le remboursement de médicaments, l’acquisition ne peut en être démontrée aux fins de
remboursement qu’au moyen de vignettes spéciales.
Au contraire de ces exigences paperassières que le droit contemporain
développe fébrilement existe une tendance à la libéralisation des
preuves.
B. INDULGENCE
Les formes de l’acte sous signature privée sont simples (A) ; aussi, sa
force probante est-elle limitée (B).
A. FORMES
572. 2º) Contrats unilatéraux : mention spéciale. – Naguère, pour les contrats unilatéraux
portant sur une somme d’argent ou une « chose appréciable », l’article 1326 ancien exigeait que le
débiteur eût de sa main écrit, ou tout l’acte sous signature privée, ou la mention « Bon pour » suivie
de la somme ou de la quantité en toutes lettres. La règle avait pour but d’empêcher la fraude
d’aigrefins : s’il n’existait qu’un seul original remis au créancier, on pouvait craindre que celui-ci
modifiât le chiffre porté sur l’instrumentum ; l’écriture du débiteur est plus difficile à contrefaire.
Ce régime a été simplifié par les lois du 12 juillet 1980 et du 13 mars
2000 sur la signature électronique : il ne s’applique plus seulement aux
contrats unilatéraux, mais aussi aux engagements unilatéraux. De plus,
il suffit qu’outre la signature, la somme d’argent ou la quantité de biens
fongibles promise soit écrite par le débiteur lui-même en lettres et en
chiffres. En cas de différence entre la lettre et le chiffre, la lettre
l’emporte, comme en matière de chèque 1514 (pourtant, certains se
trompent plus facilement sur une somme en lettres que sur celle en
chiffres) (art. 1376).
Le Code Napoléon prévoyait que l’acte, ou du moins la mention, devait être écrit de la « main »
du débiteur : c’était donc un acte « manuscrit ». Pour permettre de conférer une force probante aux
écrits électroniques, les lois de 1980 et de 2000 n’imposent plus que l’acte soit écrit de la « main du
débiteur » : le formalisme est désormais limité à la mention qu'il doit avoir écrit « par lui-même », et
non plus nécessairement « de sa main ». La règle ne s’applique pas seulement aux écrits
électroniques, mais à tous les actes sous signature privée constatant un contrat unilatéral, par exemple
dactylographiés 1515.
La formalité de la mention ne s’impose que pour les engagements et
contrats unilatéraux ayant pour objet une somme d’argent ou un bien
fongible ; ainsi en est-il du cautionnement et du mandat conféré pour se
porter caution 1516. Elle n’est exigée ni pour les contrats synallagmatiques
ni pour les actes extinctifs tels qu’une renonciation 1517. Comme
l’exigence du double original, celle de la mention écrite constitue une
règle de preuve dont la méconnaissance n’entraîne pas la nullité du
contrat 1518 : l’acte qui en est dépourvu vaut commencement de preuve par
écrit et peut être complété par des éléments extérieurs à l’acte,
matériellement et intellectuellement 1519. Elle est écartée en matière
commerciale (C. com., art. L. 110-4) 1520.
Si l’acte sous signature privée est contresigné par un avocat, l’exigence d’une mention manuscrite
est écartée (L. 31 déc. 1971, art. 66-3-3, issu de la loi du 28 mars 2011) : cela vaut-il pour la
mention spéciale de l’article 1376 ? Certains le pensent. En sens contraire, on peut faire valoir que la
mention prescrite par l’article 1376 n’est plus, depuis la loi du 13 mars 2000, une mention
« manuscrite ». En outre, le contreseing de l’avocat sur l’instrumentum remis au créancier ne peut
empêcher une altération ultérieure de l’acte.
B. FORCE PROBANTE
573. 1º) Origine. – L’origine d’un acte sous signature privée écrit sur
papier ne présente aucune certitude : il est possible que la signature soit
un faux. Aussi ne suffit-il pas de produire ce genre d’acte pour que le
juge soit obligé de le tenir pour signé par celui auquel on l’oppose. Si le
débiteur reconnaît sa signature, il ne peut la mettre en doute (art. 1372).
Au contraire, s’il la dénie ou si ses héritiers déclarent ne pas la
connaître, le créancier doit en démontrer la sincérité par une procédure
particulière, la vérification d’écritures, où le juge apprécie (art. 1373 ;
C. pr. civ., art. 287 et 298) 1521 ; il n’y procède pas s’il trouve dans la
cause des éléments de conviction suffisants 1522.
C’est une faiblesse de l’acte sous signature privée papier qui a, néanmoins, « l’avantage de
substituer à la preuve malaisée d’un droit la preuve plus facile d’une écriture » 1523.
Lorsque l’acte sous signature privée a été établi en la forme électronique, la signature peut avoir
été certifiée selon des formalités précises qui la présument « fiable » (art. 1367) 1524 : l’acte sous
signature électronique certifiée se voit ainsi curieusement reconnaître une plus grande force probante
que l’acte sous signature privée papier 1525.
De même, si l’acte sous signature privée est contresigné par un avocat, les parties ne peuvent se
contenter de dénier leur signature ; si l’une d’elles prétend ne pas être l’auteur de la signature, elle
doit déclencher une procédure de faux « prévue par le Code de procédure civile » (?) (art. 66-3-2,
L. 31 déc. 1971, issu de la L. du 28 mars 2011).
574. 2º) Contenu. – La force probante d’un acte sous signature privée
souffre d’une seconde faiblesse. Il ne fait preuve que jusqu’à
démonstration du contraire : il est permis à une partie de prouver contre
et outre un écrit ; mais il faut un autre écrit (art. 1359) 1526, même s’il
s’agit d’un écrit électronique. Sur la preuve de la simulation 1527.
577. Date certaine, suite et fin : inutilité. – Aujourd’hui, la loi et la jurisprudence écartent
souvent l’exigence d’une date certaine ; ainsi en est-il, et traditionnellement, en matière commerciale
(C. com., art. L. 110-4) 1542. En outre, la loi commerciale, en raison de la bancarisation de nombreux
actes, présume qu’est exacte la date des documents adressés par ou à la banque 1543. La jurisprudence
écarte aussi, de temps à autre, cette exigence à l’égard des quittances 1544.
II. — Acte authentique
580. Acte contresigné par avocat. – En 2010, les avocats avaient, avec vivacité, demandé la
création d’un nouveau type d’acte à la force probante renforcée, l’« acte d’avocat » qui aurait une
force probante spécifique, comparable à celle de l’acte authentique. Le notariat s’y était opposé avec
la même vivacité, faisant valoir plusieurs arguments : seul l’État (et ses officiers publics) peut
conférer une force probante renforcée à un acte juridique ; le notariat est soumis à un contrôle
étatique et à une responsabilité, incompatibles avec l’indépendance revendiquée par les avocats ;
aucun pays ne connaît cet acte d’avocat ; les justiciables risquent de ne pas comprendre la spécificité
de ces actes et leurs différences avec l’acte authentique 1551...
Le législateur est intervenu : la loi du 28 mars 2011, tout en refusant de créer l’acte d’avocat, a
assorti l’acte sous signature privée contresigné par avocat(s) de certains avantages : dispense de la
mention manuscrite, force probante de la signature des parties dont l’origine ne peut être déniée, sauf
incident de faux ; mais cet acte demeure sous signature privée : il n’a pas de date certaine et n’est pas
doté de la force exécutoire (art. 1374) 1552.
SECTION I
LA PRESTATION
§ 1. CERTITUDE
§ 2. DÉTERMINATION
§ 3. LICÉITÉ
601. Tabous. – L’article 1128 ancien disposait qu’« il n’y a que les
choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet de
conventions ». Bien que l’on dise aujourd’hui souvent le contraire,
aucune société ne peut survivre sans tabous ; certains viennent du fond
des âges et sont constants ; d’autres varient d’une époque à l’autre 1568.
Bien que l’ordonnance n’ait pas repris ce texte, la règle demeure en
vertu de l’article 1128, 3º, et 1162.
Ainsi, le domaine public, les fonctions publiques et les investitures politiques 1569 sont
incessibles, ainsi que le corps humain, en raison de son caractère presque sacré 1570. La règle est en
recul ; ainsi, la loi permet le don du sang ; de même, le prélèvement d’organes humains en vue de
greffes thérapeutiques sur l’être humain, plus facilement admis lorsqu’ils sont pris sur un cadavre
(L. 22 déc. 1976, Décr., 31 mars 1978) ; la loi autorise aussi le don du sperme et d’ovocytes
(C. santé publ., art. L. 1244-1) ; les lois du 29 juillet 1994 sur la bioéthique et leurs révisions
élargissent ces règles et entraînent une « progressive réification » de la personne, notamment de
l’embryon 1571 ; du respect d’antan subsiste l’interdiction de contrepartie pécuniaire ; il ne s’agit donc
plus d’objet illicite, mais de contrat onéreux : la cession d’un organe humain n’est nulle que si elle
est lucrative. Les sépultures sont hors du commerce, mais peuvent faire l’objet de conventions, ce qui
paraît contradictoire 1572. De même, les choses dont l’administration interdit le commerce (L. 18 juill.
1983, art. 2) 1573 ou les marchandises contrefaites 1574. Pendant longtemps, les cessions de clientèle
civile, notamment médicale, avaient aussi été jugées incessibles ; désormais, elles sont licites si la
liberté de choix du patient est sauvegardée 1575.
De même encore, ont un objet illicite les contrats conclus dans
l’exercice illégal d’une profession réglementée (notaires, huissiers,
avocats, architectes...) 1576.
SECTION II
LA CONTREPARTIE
604. Feu la théorie de la cause. – L’un des aspects les plus controversés de la réforme du droit
des contrats est la suppression de la théorie de la cause 1589, particularité française que de nombreux
pays influencés par le droit français avaient adoptée et à laquelle nombre d’auteurs étaient attachés,
bien que chacun la comprît de manière différente. La polysémie du terme « cause », qu’explique son
histoire, avait conduit à en faire un instrument souvent imprévisible de police du contrat entre les
mains du juge. L’ordonnance a supprimé le terme même de « cause », qui avait pris deux sens très
différents, l’un et l’autre eux-mêmes différents de ce que l’on entend par « cause » dans la langue
commune. Par « cause », celle-ci désigne l’origine d’un phénomène ; en ce sens, la cause de
l’obligation contractuelle est l’engagement volontaire du débiteur ; c’est un truisme sans
conséquence. Dans la langue juridique, le terme « cause » avait pris au fil du temps deux autres sens,
qui commandaient deux séries de règles différentes : en premier lieu, le sens de « motif » ou
« mobile » de l’engagement (parfois appelé « cause du contrat »), qui désignait la finalité du contrat
dans l’intention des parties et était retenu par l’ancien article 1133 afin d’éliminer les contrats
destinés à tourner les exigences de l’ordre public et des bonnes mœurs ; en second lieu, celui de
« but » de l’obligation (parfois appelé « cause objective » ou « cause finale » ou « cause de
l’obligation »), qui n’avait pas à être indiqué dans l’engagement (art. 1132 anc.), mais dont
l’existence était une condition de validité de l’obligation, s’ajoutant au consentement (art. 1131
anc.) ; Domat avait beaucoup contribué à l’appauvrissement de la théorie de la cause en ramenant
celle-ci à la contrepartie convenue dans les contrats synallagmatiques. L’ordonnance a d’abord banni
du Code civil un terme aussi ambigu ; dans son premier sens, celui de motif ou mobile de
l’engagement, le terme cause est remplacé par celui de « but » du contrat (art. 1162) 1590 ; dans son
second sens, celui de finalité de l’obligation, le terme cause est remplacé par celui de
« contrepartie » (art. 1169). Puis l’ordonnance a décidé de ne plus faire de l’existence de la cause,
dans ce second sens, une condition de validité de l’engagement, qui serait appréciée distinctement du
consentement. Cette réforme simplifie le droit français, le rapproche de plusieurs droits étrangers, en
particulier allemand, et restaure une certaine sécurité contractuelle.
À moins d’être l’œuvre d’un fou, une obligation implique toujours, en
la personne du débiteur, la considération d’un but : l’engagement du
débiteur est un moyen de l’atteindre. Toute obligation est donc, en
principe, causée par un but. La question est de savoir quelles
conséquences le droit attache à l’existence et à la nature de la cause.
Deux systèmes sont concevables.
1º) Soit l’obligation implique, outre le consentement du débiteur,
l’existence et la licéité d’une cause. Pour s’obliger, il ne suffit pas de
l’avoir voulu, il faut aussi une cause licite, appréciée distinctement du
consentement. Par conséquent, même s’il l’a voulue, le débiteur pourra
se soustraire à l’obligation en opposant au créancier l’absence de cause
ou la cause illicite. Tel était le système du droit français, celui de
l’obligation causée (anciens art. 1108, al. 4 et 1131) jusqu’à la réforme
du 10 février 2016.
2º) Soit l’obligation vaut par le seul consentement du débiteur ; c’est
« la promesse qui fonde par elle-même l’obligation » (BGB, § 780). Le
débiteur est obligé parce qu’il l’a voulu ; il ne peut se dégager en
invoquant l’absence de cause. Tel est le système de l’obligation
abstraite 1591.
Aucun système de droit étranger ne repose entièrement sur l’obligation abstraite. La cause illicite,
d’abord, joue partout un rôle comparable à celui qu’elle avait en droit français. L’obligation
purement abstraite, insusceptible de répétition, n’existe, ensuite, que de façon exceptionnelle, même
en droit anglais et dans les droits germaniques. Mais la question est de savoir si l’on fait de la cause
une condition de naissance de l’engagement aux côtés de la volonté du débiteur, ou si l’on sanctionne
seulement a posteriori l’engagement qui n’a pas de contrepartie. L’ordonnance du 10 février 2016
adopte ce second parti.
Désormais, la cause n’est plus une condition de formation du contrat
(art. 1128). Mais un contrat à titre onéreux est nul si la contrepartie
convenue est « illusoire ou dérisoire » (art. 1169) ; ce qui correspond à
ce que l’on appelait jusqu’à la réforme l’absence de cause.
SECTION III
LE BUT DU CONTRAT
C. PREUVE DE L’ILLICÉITÉ
612. Preuve. – Il appartient à celui qui prétend que le but est illicite
de le démontrer. Par conséquent, c’est sur le débiteur que pèse la charge
de la preuve, car c’est lui qui a intérêt à faire annuler le contrat 1623. La
règle est évidente ; ce qui a été discuté, ce furent les moyens de preuve
qui pouvaient être utilisés afin de le démontrer.
En général, le demandeur peut le faire par tous moyens ; le droit français a abandonné ici le
système de la preuve intrinsèque que la jurisprudence avait un moment admis pour établir l’illicéité
des actes à titre gratuit : il n’est pas nécessaire que les motifs illicites ressortent des termes mêmes
de l’acte. La preuve peut être extrinsèque : la démonstration que la cause est illicite peut être faite
par tous les moyens.
I. — Bonnes mœurs
C. EFFETS
653. 3º) Extension conventionnelle. – Inversement, les contractants peuvent soumettre leur
convention à une loi d’ordre public – de direction ou de protection – qui, autrement, ne leur eût pas
été applicable : il y a extension conventionnelle de l’ordre public 1655. Ainsi, la Cour de cassation a
admis que les parties pouvaient soumettre leur convention à une loi publiée, non entrée en
vigueur 1656. L’irrespect de la loi dont le domaine a été conventionnellement élargi n’est pas
sanctionné par la nullité du contrat, mais par sa résolution ; il s’agit en effet de l’inexécution d’une
obligation contractuelle, non de la violation d’une règle relative à la formation du contrat ; or, en
matière de résolution, le juge a plus de pouvoirs que lorsqu’il prononce une nullité 1657.
667. Comme si. – La résolution d’un contrat synallagmatique pour cause d’inexécution 1666 ou
l’accomplissement de la condition résolutoire 1667 produisent le même effet que la nullité (art. 1178,
al. 2) : le contrat est anéanti, rétroactivement s’il s’agit de la survenance d’une condition résolutoire
(art. 1304-7) ou de la résolution d’un contrat instantané (art. 1229) ; tout doit se passer comme si les
prestations n’avaient pas été exécutées.
La nullité et la résolution ont un fondement différent, voire opposé. La nullité suppose un vice
originaire tenant à la formation du contrat. Au contraire, la résolution intéresse un acte valable ; elle
est la conséquence d’un fait postérieur à la conclusion du contrat : l’inexécution de ses obligations
par une partie. L’accomplissement de la condition résolutoire résulte aussi d’un événement postérieur
à la rencontre des volontés. Les conditions d’exercice de ces critiques d’un contrat sont parfois
différentes ; ainsi, le juge a plus de pouvoirs lorsqu’il s’agit de résolution que pour la nullité. Mais,
dans leurs effets, nullité, résolution et accomplissement de la condition résolutoire anéantissent de la
même manière rétroactive le contrat.
II. — Inopposabilité
III. — Rescision
670. Lésion. – La différence entre la nullité et la rescision tient à une contingence historique
aujourd’hui disparue, ce qui explique qu’elle soit maintenant niée. Dans l’Ancien droit, certaines
nullités étaient prononcées, non par les tribunaux ordinaires (les parlements), mais par la
Chancellerie (sorte de ministère de la Justice) qui délivrait des « lettres de rescision ».
On prononce aujourd’hui le mot de rescision uniquement lorsqu’il s’agit d’une nullité prononcée
pour cause de lésion. Peut-être parce qu’il s’agit d’une nullité exceptionnelle que la loi a admise
« comme à regret » 1681 : non seulement son exercice est soumis à des conditions difficiles
(notamment, le délai de prescription est très bref), mais aussi le bénéficiaire de la lésion peut couvrir
le vice en réparant la lésion (on parle du « rachat de la lésion ») 1682.
IV. — Inexistence
673. Diversité. – Apparemment, la nullité est rationnelle : le contrat, n’ayant pas été
régulièrement conclu, ne devrait produire aucun effet. Il conviendrait de faire comme s’il n’avait
jamais existé, en revenant au statu quo ante.
Cette analyse est insuffisante : la nullité dépend d’une politique législative, à cinq points de vue.
1o Elle est grave ; la loi essaye de la raréfier, notamment en favorisant la consolidation des actes
irréguliers. 2o Elle a pour effet, par sa simple perspective, de décourager de l’accomplissement
d’irrégularités ; si les justiciables savent que le contrat qu’ils envisagent de conclure est destiné à
être annulé, ils en seront dissuadés. 3o La loi doit avoir pour but d’inciter à dénoncer l’illicéité : il
faut que celui qui demande la nullité y trouve un intérêt. 4o L’énergie de la nullité devrait être
variable selon l’importance de la règle violée. 5o Il existe d’autres manières d’assurer l’efficacité
d’une règle impérative que le prononcé de la nullité (conversion par réduction, responsabilité,
sanctions pénales...) 1685.
Le droit français n’a pas tiré toutes les conséquences de cette dernière idée : il n’a pas une
casuistique de la nullité, dont le régime varierait avec chaque loi. Il s’est borné à poser des
catégories simples. La plus classique distingue les nullités relatives et les nullités absolues
(art. 1179). Les plus récentes (art. 1184) distinguent d’une part la nullité totale et la nullité partielle ;
d’autre part, la nullité et la clause réputée non écrite ; elles intéressent les effets de la nullité. Les
efforts entrepris pour assouplir ce cadre ont longtemps échoué, car ils présentaient l’inconvénient de
la complication ; le droit n’est une règle d’action efficace que s’il est simple. Mais ces discussions
théoriques commencent à influencer la jurisprudence.
§ 1. PRINCIPES GÉNÉRAUX
697. 2º) Nullité conventionnelle ? – Il est possible aux parties de se mettre d’accord afin de
constater elles-mêmes la nullité de leur contrat ; il s’agit d’une nullité amiable, dite encore nullité
conventionnelle (art. 1178). Cependant, cette nullité est équivoque (cf. aussi la résolution
amiable) 1689.
La « nullité amiable » ne serait une nullité véritable que si celle-ci existait déjà, en fait, comme
dans le cas de l’inexistence : la convention de nullité amiable tirerait les conséquences d’un état
préexistant, elle la constaterait comme le prévoit l’article 1178. Mais il arrive qu’elle soit en réalité
une nouvelle convention, ayant pour objet de détruire les effets d’un premier contrat parfaitement
valable. Aussi, le droit fiscal traite-t-il d’acte nouveau la nullité amiable (CGI, art. 1961, al. 2) 1690.
De plus, il est douteux, en droit civil, que l’effet rétroactif de la nullité convenue soit opposable aux
tiers intéressés (actes d’administration ou de disposition), en raison de la relativité des conventions
(art. 1199), ce qui priverait la nullité amiable d’une grande partie de son intérêt.
Le plus souvent, la nullité impose un recours au juge dont l’office soulève deux questions : 1 Quel
est son pouvoir d’appréciation ; en d’autres termes, la nullité est-elle une nullité de droit ou une
nullité facultative ? 2 Quel est son pouvoir d’initiative ; en d’autres termes, peut-il soulever d’office
la nullité ou celle-ci doit-elle avoir été demandée ?
699. 4º) Office du juge. – Sauf accord entre les parties, il n’y a
nullité que si le juge l’a prononcée ; le juge ne peut se saisir lui-
même. Lorsqu’il est saisi, on hésitait autrefois à lui permettre de
soulever d’office une nullité, fût-elle d’ordre public, à cause de
l’attachement que l’on portait alors au principe de neutralité du juge.
Désormais le juge peut soulever d’office une nullité, même relative 1693, à
la condition de respecter le principe du contradictoire (C. pr. civ., art. 2
et 16).
Lorsqu’il s’agit du droit de la consommation, la question a longtemps opposé la Cour de
cassation, pour laquelle le juge ne pouvait le soulever d’office 1694 et la CJCE 1695. Depuis la loi du
3 janvier 2008, le droit français s’est conformé au droit communautaire.
I. — Conséquences
B. EXTINCTION
703. Acte ancien, acte nouveau. – 1º) Dans la rigueur des principes,
la confirmation doit être distinguée de la réfection ; la confirmation
consolide un acte ancien, nul par hypothèse, tandis que la réfection
constitue un acte nouveau qui, sans rétroactivité, se substitue à un acte
ancien. La distinction est parfois difficile à appliquer.
2º) Le titulaire de l’action en nullité relative peut confirmer le contrat
nul quand il a connaissance du vice infectant l’acte et que ce vice a
disparu (art. 1182 ; anc. 1338, al. 1). La confirmation peut être tacite et
résulter de l’exécution volontaire de l’acte en connaissance de la cause
de nullité (art. 1182, al. 3) 1707. Elle expurge l’acte de sa nullité
originaire ; ainsi en est-il de l’acheteur qui a commis une erreur et veut
maintenir son contrat lorsqu’il a compris la méprise qu’il avait faite (cet
acte est unilatéral) 1708. La confirmation rend valable l’acte irrégulier ;
l’effet est rétroactif au jour de l’acte entre les parties, non à l’égard des
tiers ou des ayants cause à titre particulier d’une des parties 1709.
On estimait jadis que la confirmation était un moyen de valider le contrat nul en réparant le vice
dont il était infecté. Naguère, une autre analyse a été proposée 1710 : la confirmation serait une
renonciation au droit de critiquer l’acte nul. La confirmation désigne peut-être deux institutions
différentes. La première, qui implique un acte confirmatif, est une réitération de l’acte nul qui
l’expurge de son vice ; par exemple, l’acheteur victime d’un vice du consentement, redonne son
consentement en toute connaissance de cause. La seconde, plus conforme à la conception moderne de
la nullité et que semble avoir adopté l’article 1182, est une renonciation à l’action en nullité, sans que
l’acte vicié soit réparé ; il s’agit alors d’un acte abdicatif, qui dresse un obstacle – une fin de non-
recevoir, comme la prescription – à l’exercice de l’action ; cet obstacle peut résulter du
comportement du titulaire de l’action en nullité, par exemple de l’exécution volontaire du contrat
vicié en connaissance de cause, que vise l’alinéa 3 de l’article 1182 1711 ; à cet égard, la confirmation
évoque l’estoppel des droits anglais et américain : l’acte nul n’est pas réparé, mais le titulaire de
l’action en nullité ne peut plus, en exerçant celle-ci, contredire le comportement qu’il a adopté en
exécutant volontairement l’acte. Ceci suppose qu’il puisse disposer de l’action en nullité, ce qui est
le cas seulement lorsque la règle violée protégeait son intérêt ; c’est-à-dire en cas de nullité relative.
Cette analyse explique aussi qu’une règle d’ordre public de protection puisse faire l’objet d’une
confirmation. Le caractère d’ordre public de la règle ne permettait pas aux parties de l’écarter
volontairement ; l’acte est donc entaché de nullité. Mais postérieurement à l’acte et à la naissance de
l’action en nullité, la personne protégée par la règle impérative violée peut renoncer à critiquer cet
acte, à condition qu’il s’agisse d’un ordre public de protection.
3o) La nullité disparaît aussi en cas de régularisation : après sa
conclusion est apporté à l’acte l’élément qui manquait à sa validité 1712 ;
ainsi en est-il de l’octroi tardif d’une autorisation administrative
nécessaire à la validité d’un acte. La régularisation a un particularisme
lorsqu’elle est l’œuvre d’un tiers ; faite par les parties, il est difficile de
la distinguer de la réfection ou de la confirmation.
4o) On distingue parfois la confirmation de la ratification, par laquelle une personne s’approprie
l’acte fait par une autre au nom de la première sans en avoir reçu le pouvoir ; le Code civil les
assimilait (anc. art. 1338 et 1340) 1713.
704. Nullité absolue ; ordre public de protection ; nullité
temporaire. – Le principe, qui longtemps n’avait pas comporté de
limites, était que la confirmation n’intéressait que les nullités relatives.
Mais la distinction entre les nullités relatives et les nullités absolues ne
s’applique plus maintenant avec rigueur, d’une part parce qu’elle
s’adapte mal à l’ordre public de protection, d’autre part en raison des
développements de la réfaction, de la régularisation et de la nullité
temporaire.
L’essentiel de la règle demeure. 1º Un contrat infecté de nullité
absolue ne peut être confirmé 1714, parce qu’il n’est pas possible de
renoncer à une action en nullité absolue 1715. 2º Seule la nullité relative
est susceptible de disparaître par confirmation.
Cependant, l’interdiction d’accepter une offre de crédit immobilier avant l’expiration du délai
légal de réflexion est sanctionnée par une nullité relative (qualité des personnes pouvant agir), mais
n’est pas susceptible de confirmation 1716. Un acte peut être refait, qu’il soit infecté d’une nullité
relative ou absolue. De même, la régularisation s’applique surtout à certains actes atteints de nullité
absolue 1717. La confirmation est possible si la cause de la nullité est temporaire. Ainsi en est-il de
certaines causes de nullité du mariage 1718 et du licenciement des femmes enceintes (C. trav., art.
L. 1225-4, L. 12 juill. 1978) : le licenciement, pour irrégulier qu’il ait été, produit ses effets s’il est
renouvelé après la période protégée (quelques semaines après l’accouchement).
L’ordonnance du 10 février 2016 a introduit dans le Code civil la
possibilité pour une partie de demander par écrit à celle qui pourrait se
prévaloir de la nullité soit de confirmer la nullité, soit d’exercer l’action
dans le délai de six mois à peine de forclusion (art. 1183). Cette
interpellation, que le rapport au président de la République qualifie
d’« action interrogatoire » alors qu’elle ne s’exerce pas en justice 1719, est
destinée à permettre de purger un contrat de la menace d’une action en
nullité. Elle ne s’applique qu’aux nullités relatives, puisqu’elle peut
déboucher sur une confirmation. Le texte précise que la cause de nullité
doit avoir cessé 1720. Il est probable qu’une telle action, louable dans son
principe, sera peu souvent exercée, car elle comporte des dangers.
b) Prescription
La prescription n’a pas la même durée selon que la nullité est
invoquée par une action : il s’agit d’une demande (1o), ou par une
exception : il s’agit d’une défense (2o).
1o Action
§ 1. ÉTENDUE
719. Discussion. – Les deux premières méthodes ont chacune leurs inconvénients.
Par exemple, l’indexation d’un bail : supposons qu’un bail conclu en 2014 pour 9 ans soit indexé
sur un indice illicite. Il ne paraît pas bon de prononcer la nullité intégrale du contrat ; cette
perspective dissuaderait le locataire de contester l’indexation, ce qui n’est pas de bonne politique. Il
ne paraît pas bon non plus de réputer non écrite la clause d’indexation ; pendant 9 ans, le loyer ne
pourrait être modifié malgré une instabilité monétaire, ce qui n’est pas juste. La théorie cl