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LA PSYCHOLOGISATION ........................................................................................................................... 6
L'HYPOTHESE DE DIFFERENCIATION ....................................................................................................... 7
L'INDIVIDU RATIONNEL ET AUTONOME ................................................................................................... 9
L'OPPOSITION INDIVIDU-SOCIETE .......................................................................................................... 12
LA NORME DE DIFFERENCIATION .......................................................................................................... 13
CONCLUSIONS ....................................................................................................................................... 14
REFERENCES ......................................................................................................................................... 15
CHAPITRE II: COMMENT EN EST-ON ARRIVE LA? UNE PETITE HISTOIRE DE
L'INDIVIDUALISME ORDINAIRE ................................................................................................ 16
MONTAIGNE .......................................................................................................................................... 30
DESCARTES ........................................................................................................................................... 31
MOLIERE ET L’INDIVIDUALISME ............................................................................................................. 31
HOBBES ET LOCKE ................................................................................................................................ 32
LES LUMIERES ...................................................................................................................................... 33
LE RAPPORT INDIVIDU-ROLE SOCIAL ..................................................................................................... 34
LA DIVISION DU TRAVAIL ENTRE LES SEXES AU XIXEME SIECLE ............................................................ 35
DARWINISME ET INDIVIDUALISME ......................................................................................................... 35
L’EUGENISME ........................................................................................................................................ 36
LES DIFFERENCES ENTRE GROUPES : RACISME ET SEXISME .................................................................. 37
CONCLUSION ......................................................................................................................................... 39
REFERENCES ......................................................................................................................................... 39
CHAPITRE IV : LA PSYCHOMETRIE AU SERVICE DE L’INDIVIDUALISME ......................... 40
1. UN EXEMPLE ..................................................................................................................................... 60
La controverse autour de la mesure en psychologie différentielle .................................................... 61
2. LES TROIS METHODES DE RECHERCHE EN PSYCHOLOGIE DIFFERENTIELLE ......................................... 62
3. QUELQUES DEFINITIONS .................................................................................................................... 64
4. LES ECHELLES DE MESURE ................................................................................................................. 70
4.1. Les échelles nominales ............................................................................................................... 70
4.2. Les échelles ordinales ................................................................................................................ 71
4.3. Les échelles d'intervalle............................................................................................................. 71
4.4. Les échelles de rapport .............................................................................................................. 73
INDIVIDU ............................................................................................................................................... 74
REVENU ANNUEL................................................................................................................................... 74
5. LA DISTRIBUTION NORMALE .............................................................................................................. 75
5.1. Déviations de la normalité ........................................................................................................ 79
6. PASSAGE D’UNE MESURE ORDINALE A UNE MESURE D’INTERVALLE. .................................................. 81
6.1. Un exemple concret de pseudo-étalonnage ................................................................................ 85
6.2. La relativité de la mesure en psychologie (et en sciences de l’éducation) ................................. 90
SOURCES ET REFERENCES: .................................................................................................................... 91
CHAPITRE VI: CORRELATION ................................................................................................... 92
Ces notes de cours comprennent la matière enseignée par Olivier Klein. Cette partie cours
est elle-même divisés en deux sous-parties: l'une consacrée à l'individualisme, l'autre à la
méthodologie sous-jacente à la psychologie de la personnalité et des différences
individuelles. J'ai cherché à ce que ces notes de cours soient aussi complètes que possible.
Elles devraient donc suffire pour réussir l'examen. Les supports additionnels tels que
slides powerpoint, notes de cours et podcast vous permettent de mieux comprendre
certains aspects .
Evaluation
Cette partie du cours sera évaluée sur base d'un questionnaire à choix multiples. Vous
trouverez à la fin de syllabus des exemples du type de questions d'examen que je pose.
Les différents chapitres du cours auront une place plus ou moins équivalente dans
l'évaluation.
Qui suis-je?
Je suis professeur de psychologie sociale depuis 2003 à l'ULB. Si vous souhaitez apprendre
davantage à propos de mes intérêts de recherche, je vous invite à consulter ma page web:
http://cescup.ulb.be/?u_member=olivier-klein.
La meilleure façon de communiquer avec moi à propos de ce cours est le groupe Teams.
Bonne étude!
Olivier Klein
Première Partie: L'individualisme, une
idéologie à l'origine de la psychologie de
la personnalité et des différences
individuelles
5
Chapitre 1: Mythes de l'individualisme contemporain
La psychologisation
Il s'agit de la croyance que nous avons une vie intérieure, que derrière notre
comportement se dissimulent des entités psychologiques non directement observables.
On peut qualifier ces entités de "psychisme", de "pensées", de "motivations", de
"sentiments". Ces entités ne sont pas directement visibles. Cette croyance, qui semble
évidente à la plupart des gens (du moins dans les cultures occidentales), a largement été
influencée par la psychanalyse qui a revendiqué d'investiguer les "profondeurs" du
psychisme humain.
• Question: "Que faire? Suivre mon cœur qui me guide vers un rêve qui a tellement
peu des chances à se réaliser ou ma tête qui me dit que j'aurais de la chance de
me trouver un homme correcte (sic) pour mes enfants et d'oublier les rêves d'un
grand et véritable amour?"
• Réponse: "Oui, inconsciemment, nous sommes attirés par des personnes dont
l'image a été construite avec un mélange du modèle parentale (sic), des films, des
livres etc ... Bien sur, un homme inaccessible (statut social, en couple) est
challenge. Maintenant, l'attirance est une chose, l'amour est une autre."
On voit dans cet exemple, la complexité de la psyché telle qu’elle est présupposée dans
le discours commun. Explication supposant une vie intérieure. Le psychologue social
Serge Moscovici (1961) a ainsi montré dans son ouvrage La Psychanalyse, Son Image,
Son Public comment le vocabulaire et les termes psychanalytiques (tels que "libido",
"surmoi", "inconscient"…) avaient peu à peu pénétré le sens commun.
Par exemple, Moscovici comment, lorsque la psychanalyse pénètre dans le sens commun,
des dynamiques psychiques deviennent des "complexes" que l'on apparente à des
"tumeurs" qu'un spécialiste peut enlever. L'étranger devient familier à travers ces termes.
Le complexe est perçu comme une opposition entre le "conscient" et l'"inconscient", ce
qui donne une importance particulière au concept de "refoulement".
6
Si on lit des textes plus anciens, la question du dilemme amoureux, de l’amour impossible,
ne repose pas sur une représentation psychique si complexe. On constate un opposition
entre amour et contrainte sociale mais pas de supposition de motivations cachées et d’une
réalité intérieure aussi complexes (pensez à Roméo & Juliette).
L'hypothèse de différenciation
Aujourd'hui, l'idée que les individus diffèrent les uns des autres par leurs traits semble
constituer une évidence pour la plupart des êtres humains. Cette croyance concerne bien
sûr les différences physiques (on sait, ou croit savoir, que certains sont grands, d'autres
petits, que certains sont "beaux", d'autres "laids", etc.) mais également les différences
psychologiques, par exemple en termes de personnalité ou d'aptitude intellectuelle.
J’appellerais ceci l’hypothèse de la différenciation: chacun possède un ensemble de traits
qui constituent son individualité et le différencient d’autrui. Ces traits peuvent concerner
les aptitudes (notamment intellectuelles) ou la personnalité.
7
domaine des paris. En revanche, ils n'étaient pas plus téméraires que les autres groupes
lorsqu'on considérait des risques liés aux loisirs ou aux investissements.
L'une des recherches les plus célèbres sur cette question a été faite par Theodore
Newcomb en 1929. Cet auteur a observé le comportement d'adolescents dans des camps
sur base d'une grille d'observation précise. Chaque comportement pouvait être mis en
rapport avec des traits de personnalité spécifiques. Par exemple, le fait d'être bavard
pouvait être indiqué par les comportements suivants: "vouloir parler de son propre passé",
de "ses exploits", "parler pendant la sieste", "parler durant les repas" etc. Newcomb a
examiné le nombre de fois que les comportements associés à un trait apparaissaient chez
un enfant les jours pairs. Il a fait la même chose pour les jours impairs. Ensuite, il a
calculé la corrélation entre les comportements associés à un même trait les jours pairs et
impairs.
Par exemple:
Si le trait "bavard" existe, et est bien indiqué par ces comportements, on devrait observer
une corrélation entre la variable 1 et la variable 4 (les enfants qui parlent pendant la
sieste un jour devraient parler pendant les repas un autre jour). Cette corrélation
correspond donc à une corrélation inter-comportements mais intra-trait (vu qu'elle
concerne le même trait, "bavard"). Eh bien, figurez-vous que ce type de corrélation (intra-
traits, inter-comportements), sur l'ensemble des traits et comportements observés par
Newcomb, s'avère en moyenne extrêmement faible (de l'ordre de .14). Cela va à
l'encontre de l'hypothèse de différenciation. Un enfant n'est pas par nature bavard ou
taiseux: il est bavard ou taiseux dans certaines situations. Et en effet, on constate une
corrélation beaucoup plus élevée au sein des situations (donc entre la variable 1 et 3 et
entre la variable 2 et 4). Cette conclusion est cohérente avec ce que nous avons observé
par rapport au goût du risque.
A l'issue du camp, les moniteurs, qui étaient les observateurs de la phase précédente,
étaient invités à se souvenir des comportements que tendaient à faire chacun des enfants.
Lorsqu'on examinait ces données, on constatait, de façon remarquable, une cohérence
importante des comportements caractéristiques d'un même trait. Cela tend donc à
suggérer que les moniteurs se basent sur leurs propres croyances quant à l'existence d'une
personnalité stable pour se remémorer le comportement des garçons.
8
L'individu rationnel et autonome
Une étude de Ballew et Todorov (2007) constitue une illustration parmi d'autres des
limites de la rationalité politique. Aux Etats-Unis, dans chaque état, un candidat
républicain est opposé à un candidat démocrate. Les auteurs montrent les photos des
deux candidats dans différents états à des étudiants new-yorkais (qui ne connaissent pas
ces candidats vu qu’ils proviennent d’un autre état). Ils voient chaque fois deux photos
et doivent évaluer le plus rapidement possible lequel est le plus compétent. Il y a trois
conditions expérimentales. Soit ils voient les visages pendant 100ms avant de faire leur
jugement, soit pendant 250ms, soit autant qu'ils le souhaitent.
9
Figure 1 : Etude Ballew et Todorov (2007)
Ici, les décisions sont individuelles. Mais qu'en est-il de l'influence sociale? Celle-ci se
remarque lorsqu'on constate que les choix électoraux sont souvent déterminés par des
facteurs géographiques ou sociologiques. Par exemple, aux Etats-Unis, lors des dernières
élections présidentielles, les comtés ruraux ont voté massivement pour le candidat
républicain alors que les comtés urbains ont généralement préféré le.la candidat.e
démocrate.
Plus près de chez nous, une étude de Davis, Bowers et Memon (2011) reposait sur le
visionnage d'un débat télévisé entre deux candidats britanniques au poste de premier
ministre: Gordon Brown (travailliste) et Nick Clegg (libéral) lors des élections de 2010.
Pendant le débat se superposait le résultat d'un sondage évolutif (soi-disant basé sur les
préférences des spectateurs qui s'exprimaient en ligne, cf Figure 2). Ce sondage était en
10
fait manipulé de façon à favoriser soit l'un soit l'autre candidat. On constate qu'il exerce
une influence déterminante sur les préférences des téléspectateurs pour l'un ou l'autre
candidat. Par exemple, dans la condition "pro-Clegg", on passe de près de 30% à près de
60% de préférences pour celui-ci alors que dans la condition "pro-Brown", le visionnage
du débat fait également augmenter les préférences pour Clegg mais seulement de moins
de 10%. En ce qui concerne Brown, moins de sujets le favorisent après qu'avant le
visionnage du débat dans la condition "pro-Clegg" alors que l'inverse se produit dans la
condition pro-Brown. Remarquons qu'il est possible que les deux candidats augmentent
vu qu'il y avait deux autres candidats possibles, qui pouvaient donc pâtir de cette
augmentation.
Donc, non seulement, notre homo politicus ne prend pas des décisions rationnelles mais
celles-ci sont loin d'être autonomes: elles sont fortement sujettes à l'influence sociale.
Figure 2 : Etude de David et al. (2011)
Ceci est peu étonnant si l'on accepte une évidence: contrairement à d'autres espèces
animales, l'être humain ne peut survivre sans la culture, c'est-à-dire la transmission des
savoirs et des connaissances d'une génération à l'autre. On a besoin des autres pour
devenir ce qu'on est. A cet égard, le cas des enfants sauvages, ces enfants abandonnés
très jeunes dans la forêt et qui se sont ensuite développés en dehors de tout contact
humain (parfois au contact d'animaux) est éloquent. Ces cas ont fait l'objet d'études
11
approfondies au XIXème siècle. Non seulement ces enfants ne développaient pas l'usage de
la parole mais ils ne parvenaient souvent même pas à se tenir debout, n'avaient aucune
libido, ne riaient pas, ne pleuraient pas et étaient totalement indifférents à l'humanité.
Dans un ouvrage qu'il a consacré à cette question des enfants sauvages, l'auteur français
Lucien Malson (cité par Rimé, 2014) concluait sur cette phrase particulièrement
élégante : «avant la rencontre d’autrui et du groupe, l’homme n’est rien que des
virtualités aussi légères qu’une transparente vapeur »…
Ces traits sont utilisés pour expliquer le comportement, comme l’illustre « l’effet Julien
Lepers » (à savoir l’erreur fondamentale d’attribution: Ross, Amabile, & Steinmetz, 1977,
voir aussi cours d’introduction à la psychologie sociale, BA-1): Dans cette expérience, des
sujets se voient arbitrairement attribuer le rôle de «questionneur» ou de «répondant» à
un jeu de culture générale (type «Questions pour un champion»). Le «questionneur» lit
des questions déjà préparées. Le répondant ne connaît pas toujours la réponse
naturellement. Dans cette situation, les rôles ayant été attribués aléatoirement, il n’y a
aucune raison de supposer que le «questionneur» est plus cultivé ou «intelligent» que le
répondant. Et pourtant, les observateurs extérieurs, bien qu’informés du fait que les rôles
ont été attribués aléatoirement, commettent l’erreur. Ils expliquent donc une différence
de comportement entre le questionneur et le questionné à leur «intelligences» respectives
alors que cette différence peut s’expliquer totalement par des facteurs situationnels.
L'idée que nous ayons des états intérieurs est assez récente.
L'opposition individu-société
Cette dichotomie est toutefois trompeuse: l'opposition entre individu / société est en fait
un produit de l'individualisme contemporain et qui émane de notre conception de
12
l'individu comme être singulier et (potentiellement) autonome. Cette vision de l'individu
est donc elle-même un produit d'évolutions historiques et sociales. L'individu tel que nous
l'avons envisagé jusqu'ici est une construction sociale. On peut également démontrer la
dimension historique de ce phénomène en comparant les conceptions du rapport entre
l’individu et la société dans différentes cultures. Ainsi, dans les sociétés collectivistes (par
exemple en Extrême-Orient), l’individu n’est pas nécessairement conçu comme une entité
séparée de la collectivité mais comme entretenant d’emblée des relations
d’interdépendance avec les autres. L’individu ne s’oppose donc pas à la société, ne choisit
pas d’en faire partie (ou non) mais il est dans sa nature propre d’être social (c’est-à-dire
de faire partie de la société). Dans cette perspective, c’est la relation entre « soi » et les
« autres » qui est fondamentale. On ne voit pas la société comme une entité extérieure
qui menace notre individualité mais comme un ensemble dont on fait pleinement partie.
A l'appui de cette analyse, selon Markus et Kitayama (1991), lorsqu’on demande à des
étudiants japonais de se définir, ils choisissent avant tout des rôles sociaux (« père », «
étudiant » , « fils de… ») alors que des étudiants occidentaux choisissent des traits de
personnalité (« je suis ambitieux », « solitaire », etc.). Pour les Orientaux, les traits de
personnalité sont trop fugaces et dépendants de la situation pour caractériser l’individu.
De même, l’effet « Julien Lepers » est généralement beaucoup plus faible voire absent
dans ce type de culture, les observateurs étant plus sensibles aux influences sociales
pesant sur le comportement.
Dans l'extrait de La Vie de Brian de Monty Python montré on cours, on voit le Messie
(Brian) s'adresser à la foule en leur disant "vous êtes tous des individus". Ils répètent en
chœur "nous sommes tous des individus". Cette image illustre combien l'individualisme
est une norme et une construction sociale. On se croit tous différents mais il n'y a peut-
être rien de plus conformiste que de se penser profondément distinct de la collectivité.
La norme de différenciation
Non seulement l'existence de différences psychologiques entre les individus nous semble
une évidence, mais la volonté de se différencier semble jouer un rôle important dans
l'existence de nombre de nos contemporains. J’appellerai ceci la norme de différenciation
individuelle qu’il faut bien distinguer de l’hypothèse de différenciation : on peut se sentir
différent d’autrui, ou penser que tout le monde est « différent » sans pour autant
valoriser cette différence et chercher à la cultiver. Une recherche menée par Kim et
Markus (1999) illustre cette norme de façon particulièrement frappante. Pour les
remercier d'avoir bien voulu répondre à un questionnaire, ces auteurs ont offert un stylo
à des passagers américains dans un aéroport en leur demandant de choisir celui qui leur
plaisait le plus. Parmi les stylos, l'un différait des quatre autres par la couleur (dans une
condition les couleurs étaient divisées en 2 vs. 3). Les passagers choisissaient de façon
prédominante ce stylo "différent" (alors que des passagers d’un aéroport extrême-oriental
13
choisissaient davantage le stylo "majoritaire", voir partie gauche de la Figure 3). Dans
une autre condition, dans laquelle il y avait deux stylos d’une couleur et trois de l’autre,
des résultats similaires sont constatés (voir partie droite de la Figure 3).
Pourquoi les Asiatiques préfèrent-ils le stylo similaire ? Plusieurs auteurs soulignent que
dans de nombreux pays d’Extrême-Orient, le fait de se conformer à la norme du groupe
est valorisé. Etre déviant est mal perçu. Cette tendance s’expliquerait par une histoire
culturelle différente de l’Occident, au sein de laquelle l’harmonie au sein de la collectivité
et la responsabilité individuelle à l’égard du groupe sont davantage valorisées qu’en
Occident. La norme de différenciation est donc fortement liée à l'opposition individu /
société.
Figure 3
Conclusions
L'individualisme repose sur un ensemble de croyances dont nous avons passées les plus
importantes en revue. Parmi ces croyances, plusieurs relèvent en grande partie de mythes,
ou sont largement exagérées, à savoir l'idée d'un individu libre et autonome, l'hypothèse
de différenciation et l'opposition individu-société. Elles conduisent à surestimer le rôle
des dispositions individuelles dans l'explication d'une comportement, un risque qui
menace grandement tout psychologue de la personnalité! L'ensemble de ces croyances
reflètent un processus historiques et culturel spécifique à l'Occident. Dans les chapitre
qui suivent, nous allons chercher à esquisser les grandes étapes de ce processus.
14
Références
Ballew, C. C., & Todorov, A. (2007). Predicting political elections from rapid and
unreflective face judgments. Proceedings of the National Academy of Sciences, 104(46),
17948-17953.
Davis C. J., Bowers J. S., Memon A (2011) Social Influence in Televised Election
Debates: A Potential Distortion of Democracy. PLoS ONE 6(3): e18154.
doi:10.1371/journal.pone.0018154
Markus, H. R., & Kitayama, S. (1991). Culture and the self: Implications for cognition,
emotion, and motivation. Psychological review, 98(2), 224-253.
Rimé, B. (2011). Les rapports entre l'individu et la société. In O. Klein. Notes du cours
de psychologie différentielle. Université Libre de Bruxelles.
Ross, L. D., Amabile, T. M., & Steinmetz, J. L. (1977). Social roles, social control, and
biases in social-perception processes. Journal of personality and social psychology, 35(7),
485-494.
15
Chapitre II: Comment en est-on arrivé là? Une petite histoire de
l'individualisme ordinaire
Dans le chapitre précédent, nous avons pu constater que, sous différentes manifestations,
l'individualisme impliquait des croyances largement partagées dans notre société. Ces
croyances sont la conséquence d'une série de développements historiques et sociaux que
je vais esquisser dans ce chapitre. Dans ce chapitre, on s’intéressera à l’individualisme
comme une forme de sens commun, diffusé au sein de la société. Dans le suivant, nous
nous pencherons par contre sur les racines philosophiques de l’individualisme en
envisageant donc comment d’érudits philosophes en ont parlé au cours des siècles.
1. L’individu est avant tout considéré comme une partie de ce « nous » collectif plus
général. Il a peu d’existence en dehors de sa relation avec le « tout », la société en général.
L'art du Moyen-Age est à cet égard particulièrement éloquent. La plupart des portraits
d'individus ne cherchent pas à représenter les traits singuliers de ces personnes mais à
les envisager comme des représentations d'une entité plus générale, de leur rôle social.
On le voit par exemple dans les portraits des neuf muses réalisée par Herrade de
Landsberg au XIIème siècle (Figure 4). Les muses regardent Polymnie (muse de la
rhétorique). Il est remarquable de constater que les muses ont quasiment toutes le même
visage et qu'Herrade ne cherche pas à les distinguer physiquement.
16
Figure 4: les neuf muses d'Herrade1
"L'individu particularisé par son image, c’est l’autre, l’indésirable, celui qui a failli
au modèle" dit l'historienne Brigitte Bedos-Rezak (2005). Pour la même raison,
les œuvres d'art ne sont du reste généralement pas signées. De même, jusqu'à la
fin du Moyen-Age, les gens ne sont qualifiés que par leur nom de baptême, qui
correspond généralement au saint du jour. Le nom de famille n'est pas encore
habituel.
2. Il y a peu de frontières affectives entre les individus. L'idée d'un espace "privé" est
absente. Par exemple, tout le monde mange dans le même plat, il n'y a aucune recherche
d'intimité.
3. L'idée que les individus aient une "vie intérieure" n'est pas présente. Le comportement
n'est pas vu comme reflétant la mise en œuvre d'une complexe machinerie psychologique.
Il est à cet égard particulièrement intéressant de se pencher sur la vision du rêve au
Moyen-Age. On sait que, sous l'influence de la psychanalyse (et en particulier de
l'ouvrage L'Interprétation des rêves de Freud), le rêve est souvent conçu aujourd'hui
comme le reflet des pulsions de l'individu enfouies dans la psyché (même si cette vision
est contestée). Au Moyen-Age, au contraire, le rêve est conçu comme un message envoyé
par un "Autre", qui me communique un message plein d'images et de parole (Schmitt,
2003). Souvent cet autre est bien sûr le Seigneur. Par ailleurs, ce rêve n'a pas uniquement
une signification individuelle, il a également une signification collective:
1 http://autour-du-mont-sainte-odile.overblog.com/2014/07/les-muses-dans-l-hortus-
deliciarum.html
17
"La source du rêve lui [l'individu] est extérieure : elle réside essentiellement dans
les puissances invisibles – positives et négatives – qui gouvernent le monde et les
hommes. Face à elles, le dormeur est passif, en proie à l’intrusion d’images venues
d’ailleurs. En outre, le rêveur n’est pas seul concerné par son rêve. Son rêve
importe au groupe, à la société tout entière. Il renseigne sur le destin collectif et
pas seulement individuel, sur l’heure de la mort et le sort dans l’au-delà des uns
et des autres, sur le devenir du roi et du pays, sur la légitimité d’une action à
entreprendre, qu’il s’agisse d’une guerre ou d’un pèlerinage." (Schmitt, 2003, p.
555).
Remarquons du reste que le rêveur est toujours représenté. On ne voit pas apparaître de
représentation du rêve sans le rêveur avant Albrecht Dürer en 1504, qui représente un
de ses cauchemars (voir Figure 5). Selon Schmitt,
« L’absence du rêveur révèle que le rêve peut ne plus être compris comme une
image s’imposant de l’extérieur à l’esprit, mais comme la production singulière de
l’esprit du sujet, laquelle peut, à ce titre, être représentée pour elle-même »
(Schmitt, 2003, p. 560).
Cette représentation est fortement contrastée avec une autre œuvre de Dürer, Le Songe
du Docteur (Figure 6) qui correspond à une représentation plus classique. On voit cette
fois l'Homme rêvant: L'Homme serait un moine qui se serait endormi au travail. La
femme serait le Diable – la tentation de la Chair qui le tente dans son rêve.
Dürer sera également un des premiers artistes à signer ses œuvres, autre marque de
l'individualisme. La signature est ce qui différencie un individu d'un autre (hypothèse de
différenciation) et permet en même temps de lui attribuer l'origine de l'œuvre, qui devient
individuelle et personnelle et n'est plus, par exemple, le simple propduit d'une inspiration
divine.
18
Figure 5: Cauchemar de Dürer (1525)
Dans ce chapitre, nous allons envisager différentes approches théoriques qui ont cherché
à rendre compte de la transformation de cette vision de la société. Nous commencerons
par la perspective de Norbert Elias.
• Chacun mange avec ses propres couverts et dans sa propre assiette plutôt que de
« piocher » dans un plat commun.
• Les artistes commencent à signer leurs œuvres.
• Les premières biographies de personnages célèbres apparaissent.
• Contrairement à l’époque précédente, les portraits individuels deviennent de plus
en plus fréquents.
19
Figure 6: Le Songe du Docteur (Dürer)
Selon lui, cette individualisation s’explique par la division du travail accrue, ainsi que
par la complexification des réseaux de relations entre individus qui s’intensifie à la
Renaissance. Il la contraste avec les mœurs de l’aristocratie chevaleresque (la plus
importante au Moyen-Age), dont l’environnement social est relativement stable et fixe
et dont les rôles sociaux sont très bien circonscrits. Par ailleurs, le chevalier doit
relativement peu inhiber ses pulsions et peut volontiers exprimer son agressivité. Il ne
se définit pas par son individualité mais par son rôle social. Il ne revendique pas une «
vie intérieure » .
20
Elias compare la situation du chevalier à celle des courtisans. Les « cours », au sein
desquelles se regroupe une grande partie de la noblesse se développent à la Renaissance
en Europe. Or, tous les courtisans se retrouvent dans un même environnement social et
cherchent chacun à gagner les faveurs du monarque.
Cette complexification implique que chacun ne peut plus être défini uniquement par un
rôle social stable mais s’inscrit dans divers modes relationnels avec les autres. On est le
rival de l’un, l’allié de l’autre, le subordonné du troisième et ces rôles sont susceptibles
de changer selon les circonstances (par exemple, selon notre propre ascension sociale).
Ces différents modes de relations exigent également d’être en mesure de contrôler ses «
pulsions », ses désirs de façon de plus en plus marquée. Ceci explique l’émergence d’une
instance psychique destinée à réguler le comportement en fonction des interdits sociaux
(que Freud appellera le "surmoi"). Selon Elias, ces désirs et pulsions intériorisées
deviendront ultérieurement le fondement d’une véritable «psychologie ». Chacun ayant
une série de pensées, croyances, pulsions intériorisées en fonction de son histoire sociale
et des types de croyances qu’il a dû intérioriser. Cela implique également que les individus
tendent à se différencier les uns des autres (en fonction de la nature de ces pulsions
intériorisées) et que pour naviguer dans les relations sociales, il importe d'être attentifs
à ces différences et à la "psychologie" qui les produit. Cette citation extraite d'un traité
du XVIIIème siècle illustre cette idée à merveille:
"Il me semble que pour acquérir la science du Monde, il faut premièrement s’appliquer à
bien connaître les hommes tels qu’ils sont en général et entrer ensuite dans la
connaissance particulière de ceux avec qui nous avons à vivre, c’est-à-dire de leur
inclinations, et de leurs opinions, bonnes ou mauvaises, de leurs vertus et de leurs
défauts » (F. de Callières, cité par Elias)."
Elias insiste également sur un facteur important : le monopole de la violence par l’Etat.
Au fur et à mesure que l’Etat Moderne va se construire, se centraliser et se structurer
après la Renaissance, il va prendre le monopole sur la violence légitime (c’est-à-dire
l’ensemble des formes de violence qui sont considérées comme acceptables au sein de la
société). Au Moyen-Age, la violence pouvait être exercée par un chevalier isolé et certains
comportements agressifs pouvaient être tolérés, mais plus l’Etat se centralise, plus il
s'accapare le monopole de la violence légitime, en créant des institutions telles que l’armée,
la police… Si l’Etat a le monopole de la violence, cela signifie que les sujets doivent se
maîtriser, contrôler leurs pulsions, leurs affects, spécialement chez ceux qui sont proches
du roi. Ceci favoriserait l’individualisation dès lors que chacun va se caractériser par un
ensemble de pulsions différentes, qui définiront sa « personnalité ».
Remarquons que la théorie d’Elias se fonde sur le postulat selon lequel les changements
sociaux émergent tout d’abord dans les classes les plus « élevées » de la société pour
ensuite se transmettre vers les classes les plus modestes. A l’appui de cette hypothèse, il
montre que les changements dans les mœurs (par exemple l’usage de la fourchette, du
21
mouchoir,…) s’introduisent dans les cours plusieurs siècles parfois avant de pénétrer chez
les groupes les plus défavorisés.
Du point de vue d’Elias, l’individu apparaît donc comme une construction sociale. Si des
différences existent entre les individus, celles-ci sont produites par la complexification
des rôles sociaux. Il n’y a pas lieu d’opposer une société « aliénatrice » à une «
individualité » authentique.
David Riesman (1950-2002) est un sociologue américain qui développera, dans un ouvrage
fort influent, La Foule Solitaire (1950/1964), sa vision de l'Histoire de l'individualisme
en Occident, et plus particulièrement aux Etats-Unis. C'est une conception à mon sens
fort intéressante, que je vais introduire ici. Le point de départ de la réflexion de Riesman
est très similaire à celui d'Elias. Les conditions économiques et sociales propres à une
société tendent à façonner les traits psychologiques de ceux qui la composent.
L’individualité est donc façonnée socialement. Il reprend à son compte une citation du
psychanalyste marxisant Erich Fromm (1900-1980):
"Pour qu’une société fonctionne bien, ses membres doivent acquérir le type de
caractère qui les conduit à vouloir agir en tant que membre de cette société ou
d’une classe en son sein. Ils se doivent de désirer ce qu’il est nécessaire
objectivement qu’ils fassent. La contrainte extérieure est remplacée par la pulsion
intérieure, et par la type d’énergie humaine qui est canalisée dans les traits de
personnalité" (Fromm, cité par Riesman).
Selon Riesman, la fonction de ce qu'il appelle le "caractère" (et que nous pourrions
qualifier de personnalité) est d'assurer une conformité de l'individu au système social.
Toutefois, selon Riesman, il existe différents types de conformités et ceux-ci varient en
fonction du système social. Cela ne signifie pas que tout le monde a le même caractère
mais, plutôt que les personnes caractérisées d’une façon qui ne correspond pas au
fonctionnement de la société rencontreront des difficultés plus importantes pour s’ajuster
à celle-ci.
Selon Riesman, l’évolution démographique, qui est intrinsèquement liée à l'économie, est
le facteur déterminant dans l’émergence de ces différents caractères. Il distingue des
sociétés dans lesquelles il y a beaucoup de naissances et beaucoup de décès (rotation
importante), les sociétés dans lesquelles il y a beaucoup de naissances et peu de décès
(beaucoup de jeunes et donc croissance démographique importante) et enfin les sociétés
où il y a peu de naissances et peu de décès. On peut donc distinguer trois phases
(représentées dans la Figure 7):
22
• Phase I: Rotation importante
• Phase II: Croissance Démographique
• Phase III: Amorce d’un déclin de population
Figure 7
Phase 1
Selon Riesman, le type de société caractéristique de la phase I favorise un caractère dont
le mode de conformité est orienté vers la tradition. Du point de vue économique, il s'agit
d'une société principalement agraire (économie primaire) fonctionnant sur une économie
de subsistance. Vu la rotation importante de population, et un ordre social relativement
stable, il faut remplacer les individus, qui meurent jeunes, par des équivalents ayant le
même rôle social. Dans ce type de société, les choix de vie sont déterminés par le groupe
et l'individu fait ce qui est attendu de lui. Par ailleurs, et là on rejoint Elias, le nombre
de rôles sociaux disponibles et relativement limité, ce qui laisse peu de place à la
différenciation individuelle. L'éducation se limite à apprendre les règles.
23
Phase II
La société caractéristique de la phase II est de plus en plus basée sur le secteur secondaire
(industrie, production). Elle favorise un type de caractère que Riesman qualifie d’ intro-
déterminé. Ces individus acquièrent tôt dans leur existence des objectifs, inculqués par
les figures d’autorité (souvent les parents), dont ils ne se départissent pas. Comment
expliquer ce passage? Comme nous l'avons vu, on constate de nombreux changements
économiques et sociaux à la Renaissance. Face à la multiplicité des situations qui peuvent
se présenter, la nécessité du choix individuel se pose. L’individu doit donc intégrer une
série de prescrits sociaux et devenir intro-déterminé. Il acquiert des buts relevant de sa
vie intérieure. Ces buts lui confèrent une individualité. Cela implique une longue
éducation durant laquelle il·elle va acquérir ces préceptes et développer une personnalité
qui lui permettra de naviguer dans cette société changeante. Riesman utilise une
métaphore, le "gyroscope" pour décrire cette intro-détermination. Le gyroscope est un
appareil contenant un disque tournant selon un axe de rotation. Il est entouré d'une
cadre circulaire. Lorsqu'on fait tourner le disque, celui-ci maintient son axe de rotation
(comme une toupie). La personnalité intro-dirigée serait donc guidée par une sorte d'axe
de rotation interne qui reste stable en permanence.
Figure 8: Gyroscope
Ce "gyroscope" est implanté tôt par les parents, l'éducation et guide l'individu à une
époque à laquelle la tradition ne suffit plus pour faire des choix éclairés.
L’individu intro-déterminé est conformiste. En effet, les objectifs qu’il se fixe sont en fait
ceux que la société lui a inculqués et qu’il a faits siens à travers une longue éducation. Il
est extrêmement rigide (conformément à la métaphore du gyroscope): il n’accepte pas de
se départir de ses buts intériorisés, qui correspondent à la voix de ses ancêtres ou d'autres
figures d'autorités. Ses principes intériorisés sont sa psychologie. Cette intériorisation
est nécessaire face à la multiplicité des choix qui s’offrent à l’enfant dans une société
24
beaucoup plus ouverte. On ne peut plus se fier à la tradition. On doit définir des buts,
des objectifs. Ses émotions dominantes sont la honte et la culpabilité, ressenties
lorsqu'il·elle a failli par rapport à ses objectifs intériorisés.
Illustrations:
Phase III
La société de la phase III favorise un type de caractère orienté vers autrui ou extro-
déterminé. Il s’agit d’individus sensibles aux attentes et aux préférences des autres. Dans
la phase III, on constate une accumulation de capital, l'économie se base davantage sur
les services (secteur tertiaire) et on travaille moins. Les individus ont davantage de loisirs
et les populations sont mélangées. Dans ce contexte, dit Riesman, ce sont "les autres",
qui sont le problème, pas l’environnement matériel. En effet, dans cet environnement
beaucoup plus mouvant, l’intro-détermination n’est pas assez flexible. Par ailleurs, on vit
dans une société de consommation dans laquelle l’ "avarice"/ le "contrôle" de l’intro-
déterminé ne sont plus adaptées. L’individu cherche à se conformer aux normes sociales
du moment (et non pas à des principes rigides qui lui aurait été inculquées), il recherche
l’approbation d’autrui et est sans cesse sensible aux "signaux" donnés par son
environnement social. Son comportement est guidé par autrui. Une émotion dominante
est l'anxiété, qui se manifeste face à la dissolution des structures d'autorité: on n'est
jamais sûr qu'on fait "ce qu'il faut".
Il est remarquable de constater que Riesman écrit cela en 1950. On peut se demander si
cette "extro-détermination" ne s'est pas encore amplifiée aujourd'hui, notamment avec la
révolution technologique que représente internet et qui nous amène à être sans cesse en
contact avec les autres, et à naviguer dans différents espaces sociaux réels ou virtuels.
Par exemple, pour être à l’aise dans le réseau social Facebook, surtout si on a beaucoup
"d’amis", il faut sans cesse naviguer entre des appartenances différentes. L’individu qui
parvient à passer aisément d’une appartenance à l’autre (famille, groupe d’intérêt,
amis…qui ont chacun des valeurs et des normes différentes) est sans doute plus à l’aise
dans ce type d’environnement. Alors que l'individu intro-déterminé correspond à la
25
métaphore du gyroscope, l'individu extro-déterminé fait figure de caméléon qui change
de couleur en fonction de l'environnement social. Au lieu d'avoir un gyroscope, il a un
radar lui permettant de détecter les signaux de son environnement social.
Riesman, dans un mouvement plus politique que sociologique, espère l'émergence d'un
quatrième type de personnalité: l'individu autonome, qui ne serait pas mu uniquement
par des valeurs inculquées dans l'enfance, et dont il n'envisagerait pas de se départir, ou
par les avis et opinions des autres. Cet individu se gérerait lui-même.
Des recherches récentes de Patricia Greenfield (2013) étayent l’analyse de Riesman. Elle
a répertorié le vocabulaire d'ouvrages publiés aux Etats-Unis entre 1800 et 2000 tels
qu'ils sont répertoriés dans la base de donnée Google NGram Viewer.
Greenfield ne se fonde pas directement sur les travaux de Riesman mais à ce qu’elle
appelle des théories « écologiques » de la culture. Mais, comme Riesman, elle affirme
que l’évolution sociale transforme la culture, et en l’occurrence l’adhésion à une idéologie
individualiste. Le facteur le plus déterminant dans la transformation de la culture durant
cette période est l’urbanisation: le passage d'une société rurale à une société urbaine.
Greenfield emprunte deux concepts au sociologue allemand Tonnies qui décrit deux
grands types d’organisation sociale:
2 “Urbain” correspond ici à vivre dans des entités de plus de 2500 habitants.
26
qu’elle va se pencher sur l’utilisation du vocabulaire durant la période considérée pour
examiner l’évolution culturelle.
Elle constate des tendances similaires pour les termes « decision » par rapport à
« duty » (devoir). Ces tendances sont également confirmées lorsque la même analyse est
reproduite sur les livres britanniques plutôt qu’américains.
3 Remarquons que vous pouvez vérifier par vous-mêmes en entrant les termes
correspondant sur le site de google Ngram : https://books.google.com/ngrams.
27
Figure 10
Et, conformément au modèle, la Figure 11 observe une tendance inverse pour des mots
caractéristiques d’un rapport plus traditionnel à la communauté (« obéissance »,
« autorité », « appartenir », « prier »).
Figure 11
Conclusion
Riesman et Elias examinent chacun à leur façon comment la société façonne non
seulement le contenu de la personnalité mais l'existence même d'une personnalité. Dans
une société traditionnelle, il n'est pas nécessaire de différencier les gens selon leur
caractère. Leur rôle social suffit. Ce sont les changements sociétaux et économiques qui
sont déterminants. Elias montre que la psychologisation, que nous avons identifiée au
chapitre I comme un des fondements d'individualisme contemporain, n'est pas
nécessairement un mythe mais qu'elle est le résultat d'une dynamique historique dans un
contexte culturel bien déterminé. Alors qu'Elias se concentre sur les frontières affectives
28
entre les individus (en se basant sur les traités de civilité), Riesman s'intéresse davantage
à la trajectoire de vie de chacun: quels objectifs le guident? Quelles structures d’autorité
déterminent ces objectifs ?
Quant aux travaux de Greenfield, ils démontrent clairement une plus grande urbanisation
durant les 200 dernières années ainsi qu’une évolution culturelle mais, remarquons que
son approche est purement corrélationnelle. Elle montre une évolution de la population
urbaine et une évolution du vocabulaire mais elle n’établit pas que la première cause
nécessairement la seconde. Parmi les différents facteurs sociaux que nous avons envisagés,
lequel cause cette individualisme croissant : l’évolution de l’économie ? La démographie
(comme le suggère Riesman) ? L’urbanisation ? Ces différents facteurs sont
intrinsèquement liés : pour développer une économie industrielle, il est nécessaire que
l’agriculture ait atteint un certain niveau de productivité, ce qui influence également la
démographie (si tout le monde a à manger, les enfants peuvent survivre !). L’économie
industrielle implique une urbanisation (pour avoir accès à un grand nombre de
travailleurs), qui elle-même contribue à un accroissement de la population, etc. Il est
donc sans doute difficile, voire trompeur, d’essayer d’isoler un seul élément. C’est une
configuration de transformations sociétales et économiques qui mène à une
transformation de la culture vers un individualisme plus croissant.
Références:
Schmitt, J.C. (2003). Récits et images de rêves au Moyen-Age. Ethnologie française, 553-
564.
29
Chapitre III : Racines philosophiques de l'individualisme contemporain
Dans le chapitre précédent, nous avons examiné l’évolution de l’individualisme dans la
culture "populaire" : les croyances auxquelles adhère tout un chacun dans une société
donnée. Nous allons à présent nous intéresser à l’évolution de l’individualisme dans des
écrits philosophiques, qui auront une influence déterminante sur la psychologie
différentielle (autre nom de la psychologie de la personnalité et des différences
individuelles).
Pour ce faire, nous allons revenir à la Renaissance (XVème, XVIème siècle). Cette période
se caractérise par un affranchissement progressif par rapport à l’idée que tout le savoir
provient de Dieu, et donc des écritures bibliques. Dans la tradition religieuse qui était
totalement dominante au Moyen-Age, on ne pouvait envisager qu’une seule vérité.
Chacun cherche à y accéder et seul Dieu la possède en totalité. Si on reprend l’exemple
des rêves cités précédemment, le rêve est vu comme une façon de communiquer cette
vérité. Nous allons à présent évoquer quelques auteurs dont la pensée à contribué au
développement de l'individualisme contemporain.
Montaigne
"Je ne suis excessivement désireux ni de salades, ni de fruits, sauf les melons: mon
père haïssait toutes sortes de sauces, je les aime toutes. (...) Il y a des mouvements
en nous, inconstants et incongrus; car des raiforts par exemple, je les ai trouvés
premièrement commodes, puis fâcheux, à présent de nouveau commodes. En
plusieurs choses, je sens mon estomac et mon appétit aller diversifiant: j’ai
rechargé du blanc au clairet, et puis du clairet au blanc" (Essais, Livre III,
Chapitre VIII)
Tout cela paraît bien futile et dénué d'intérêt. Mais dans la société dans laquelle vit
Montaigne, les préférences de l’individu sont de peu d’importance : c’est la communauté
qui compte avant tout. "Qu’a-t-on à faire de savoir ce qu’il aime? " dit un de ses critiques
parlant de "La grande fadaise de Michel De Montaigne ". Des théologiens du XVIIème
siècle mettront du reste ses livres à l’index au Vatican en lui reprochant sa "vanité" et
son manque de pudeur. Que diraient-ils s’ils voyaient Facebook aujourd’hui, où chacun
étale ses préférences et ses "likes" au grand jour? Cela signifie que cette affirmation du
moi, qui semble évidente aujourd’hui, n’était pas du tout conforme aux usages de l’époque.
30
Descartes
Une autre figure importante est celle du philosophe français René Descartes (1596-1650).
Comme nous l’avons vu, dans le monde médiéval, c’était la figure divine qui était garante
de toutes les connaissances. Elle constituait le point de repère absolu. Tout gravitait
autour de cette conception de la source de vérité. Le siège de toutes les connaissances
résidait en Dieu. En 1637, Descartes publie Le Discours de la Méthode.
Remarquons que nous avons vu dans le chapitre précédent que cette aspiration à un
individu qui seul détiendrait la connaissance est un mythe. La transmission sociale du
savoir est indispensable.
Molière et l’individualisme
4 Notes de ce cours en 2013-2014
31
Hobbes et Locke
Une autre figure importante est le philosophe Thomas Hobbes (1588-1679) qui fait le
constat que les individus sont animés par des objectifs antagonistes (en accord avec
l’émergence de l’individualisme). Cet auteur voit dès lors dans l’Etat une nécessité pour
contrôler les pulsions violentes. Sans l’Etat (qu’il appelle "Léviathan"), les hommes
vivraient en guerre perpétuelle. Cet Etat a un pouvoir absolu sur les individus. L’intérêt
personnel enjoindrait les individus à délaisser une partie de leur liberté à cet Etat
absolutiste, en mesure de préserver une forme d’harmonie.
Ce point de vue sera critiqué par d’autres penseurs, comme le philosophe empiriste
anglais John Locke (1632-1704). Celui-ci considère que l’individu a la capacité d’auto-
réguler ses propres désirs et qu’il n’est donc pas nécessaire de céder l’ensemble de sa
liberté à l’Etat. L’individu est capable de céder contractuellement une partie de celle-ci.
La fonction de l’Etat sera alors de garantir les droits et libertés individuelles en
coordination avec les individus qui la composent.
" La société civile" que composent les individus est donc uniquement le pro- duit
d'un choix volontaire de chaque individu" dont la seule finalité est la protection
de la vie, de la liberté et de la propriété naturelles et individuelles des
contractants” (Laurent, 1993, p. 36)
Dans cette forme de pensée, l’individualisme, on trouve trois idées centrales, qui
rejoignent les mythes décrit en introduction :
Outre son apport à la philosophie politique, John Locke a également développé une vision
de l’esprit humain. A ses yeux, celui-ci est une page blanche" à la naissance (on parlera
32
aussi de tabula rasa, de table rase bien que cela ne soit pas là la métaphore qu’il ait
utilisée). Cette "table" se remplirait au fur et à mesure des expériences de l’individu et
fonctionnerait par "associations" : en s’associant, les sensations simples deviendraient des
idées et des connaissances. L’esprit humain n’est donc pas stable, il évolue en fonction
des expériences mais se distingue également de l’esprit des autres en fonction de ces
expériences. Locke postule également que chaque individu est capable de définir son
propre caractère. Dans cette perspective, la pensée n’est plus conçue comme un don du
ciel dont on cherche à appréhender l’essence, mais comme un phénomène naturel dont
on peut observer les manifestations.
Les Lumières
On retrouve ici l’idée de Table Rase : il n’y a pas de différenciation a priori entre les
hommes.
Art. 2 : Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et
imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la
résistance à l'oppression.
Art. 4 : La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi,
l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux
autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent
être déterminées que par la Loi.
33
On trouve ici l’idée selon laquelle la société sert à préserver les intérêts individuels.
Art 17 : La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce
n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la
condition d'une juste et préalable indemnité.
Cet article montre combien la Révolution est animée par une bourgeoisie soucieuse de
préserver sa propriété privée, condition de son ascension sociale.
Rousseau popularisera aussi une perspective voisine de Locke, l’idée du "Bon Sauvage",
selon laquelle l’Homme naît bon mais est corrompu par la civilisation. Dans cette
perspective, c’est l’environnement social qui façonne la nature humaine qui, au lieu d’être
"rase" est essentiellement bonne. "Rien n’est si doux, dit Rousseau, que l’homme dans
son état primitif, lorsque placé par la nature à des distances égales de la stupidité des
brutes et des lumières funestes de l’homme civil. ".
34
"L’influence du rationalisme se fait ressentir (…) lorsqu’est proclamée l’universalité
de cet individu dégagé de toute appartenance sociale ou culturelle et de tout
substrat historique; mais il admet que des différences individuelles proviennent de
la distribution innée des "talents" et de la capacité singulière pour les faire
fructifier ("vertus"). Le chacun pour "soi" de la propriété privée s’y conjugue au
"chacun" pour soi de la responsabilité individuelle" (Laurent, 1993, p. 43).
Parmi les penseurs des lumières et la bourgeoisie, on se met à rêver d’un système social
dans lequel le pouvoir et le statut ne dépendraient pas de l’hérédité mais de la compétence
et des qualités morales (travail / courage).
Une fois que la bourgeoisie sera au pouvoir
(après la Révolution française), cette idéologie méritocratique permet de légitimer son
pouvoir.
Darwinisme et Individualisme
Avec l’engouement pour la science (qui remplace petit à petit la religion comme
explication du monde dominante), les idées de Charles Darwin (1809-1882) sur la
sélection naturelle, exposées dans L’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle
(1859), sont appliquées au fonctionnement des sociétés humaines. Darwin constate que
chaque organisme vivant se distingue de tous ceux qui l’entourent, ces différences
apparaissant aléatoirement. Selon lui, l’évolution opère par un processus de sélection :
seules les différences qui favorisent la survie et la reproduction sont maintenues.
"Quelle que soit la cause d’une légère différence dans la descendance de ses parents,
c’est l’accumulation constante, via la sélection naturelle de ces différences,
lorsqu’elles sont avantageuses pour l’individu, qui produit toutes les modifications
35
importantes de structure, à travers lesquelles les innombrables êtres qui peuplent
la terre sont en mesure de lutter les uns avec les autres, et les mieux adaptés
survivent"
Cette nouvelle approche n’a pas manqué d’influencer la façon dont étaient appréhendées
les différences psychologiques entre individus.
Alors que l’empirisme de Locke essayait d’identifier des processus généraux qui
caractérisent la pensée humaine, ce qui le conduisait à relativement négliger les
différences individuelles, la théorie de Darwin met précisément l’accent sur les différences
entre organismes (dès lors que celles-ci déterminent la survie de leur patrimoine
héréditaire). Contrairement à l’idée la "table rase", l’approche darwinienne tend
également à souligner l’origine biologique des différences entre individus.
Inspiré par ces idées (mais les dévoyant), le "Darwinisme social" de Herbert Spencer
(1820-1903) décrit la société anglaise contemporaine comme fondée sur un conflit entre
individus pour l’accès à des ressources rares (argent, pouvoir, etc.). En fonction de ses
caractéristiques propres, chaque individu lutterait avec ses pairs pour survivre et aspirer
au bonheur. Seuls ceux qui y parviennent sont adaptés à leur environnement. C’est de
cette façon que progresse la société, devenant "meilleure" à mesure que les formes les
individus moins adaptés disparaissent.
Ces idées seront fort populaires auprès de la haute bourgeoisie qui disposait du pouvoir
politique et économique. Cela n’est pas étonnant car elles suggèrent que la réussite sociale
est le produit de ses propres capacités et caractéristiques individuelles plutôt que de
facteurs extérieurs (une bonne naissance, une prédestination divine, etc.). Inversement,
les moins nantis et les inadaptés doivent être sélectionnés "naturellement" plutôt que
d’être aidés par des politiques d’assistance sociale. Cette idéologie suggère que
"chacun est à sa place" et que la sélection s’opérera naturellement pour éventuellement
donner lieu à d’autres formes d’organisation sociale. On voit ici que la sélection naturelle
rejoint la Main Invisible du Marché pour produire une société qui serait à l’avantage de
tous. C’est évidemment une explication puissante du rapport individu – rôle social, qui
légitime la position dominante de la bourgeoisie.
L’eugénisme
Sous l’influence de Francis Galton (1822-1911), qui sera un des "pères" de la psychologie,
apparaît également l’ "eugénisme" (étymologiquement "bon de naissance") dont le but
est d’améliorer l’espèce humaine en encourageant des programmes sélectifs de mariage et
de reproduction visant à éliminer les "mauvaises" caractéristiques de la population (ce
qui s’apparente à l’élevage sélectif de chevaux de courses, par exemple) : "Afin d’éviter
la dissémination du patrimoine de ceux qui sont gravement accablés de folie, de
36
criminalité ordinaire et de pauvreté, il faut faire exercer des contraintes fortes" (sous la
forme de restrictions au mariage ou de stérilisations). Ainsi Darwin écrit-il :
"Nous autres hommes civilisés, au contraire [des sauvages], faisons tout notre
possible pour mettre un frein au processus de l’élimination ; nous construisons des
asiles pour les idiots, les estropiés et les malades ; nous instituons des lois sur les
pauvres ; et nos médecins déploient toute leur habileté pour conserver la vie de
chacun jusqu’au dernier moment. […] Ainsi, les membres faibles des sociétés
civilisées propagent leur nature. Il n’est personne qui, s’étant occupé de la
reproduction des animaux domestiques, doutera que cela doive être hautement
nuisible pour la race de l’homme […]. (Darwin, 1872, p. 140).
Aux Etats-Unis, où ses idées sont exportées, cela se traduira, au début du XXème siècle,
par des politiques visant à éviter que des personnes souffrant de "tares" diverses
(alcoolisme, maladies, perversions, etc.) n’aient de descendance.
Qui est l’individu libre, qui peut réussir en fonction de ses vertus et dispositions?
L’analyse des hommes des Lumières s’applique principalement à l’homme blanc européen.
Qu’en est-il des femmes? Des membres d’autres groupes ethniques?
La question du rapport entre individu et rôle social se pose sous une forme différente
lorsqu’on envisage ces appartenances. On ne se demande plus seulement pourquoi
certains individus réussissent moins bien que d’autres mais aussi pourquoi certains
groupes sociaux occupent certains rôles plus avantageux que d’autres. Le darwinisme
social offre une explication en traitant les groupes ethniques ou les sexes comme des
"espèces" dont les caractéristiques biologiques, transmises héréditairement, expliqueraient
leur position sociale. Les individus en viennent à être hiérarchisés selon la race qui leur
est attribuée. On voit apparaître un "racisme scientifique" qui vise à mettre en évidence
les fondements biologiques de différences psychologiques et sociétales entre les groupes
humains. Remarquons que Galton et Darwin n’adhèrent pas à cette vision "groupale" du
racisme biologique.
Cette conception cherche un appui dans la "science", qui acquiert une légitimité
importante comme fondement des croyances aux dépens de la religion. Aujourd'hui, et
déjà chez certains critiques de l'époque, cette utilisation de la science pour justifier une
hiérarchisation sociale, est naturellement fortement contestée.
37
Il en va de même en ce qui concerne le sexe, les femmes en venant à être conçues comme
fondamentalement différentes des hommes en raison de facteurs biologiques. Ces
différences expliquant à leur tour le fait qu’elles soient cantonnées au foyer et n’aient pas
accès à la sphère publique. Cette citation de Stanley Hall, un des fondateurs de la
psychologie américaine, illustre à cet égard le rôle de la psychologie naissante dans la
légitimation du sexisme :
"Le taux de suicide plus élevé chez les femmes révèle une différence psychique
fondamentale entre les sexes. Le corps et l’âme de la femme sont plus primitifs
alors que l’homme est moderne, variable et moins conservateur. Les femmes ont
tendance à préserver les moeurs et les idées anciennes. Les femmes préfèrent les
méthodes passives; se soumettre à la puissance des forces élémentaires, telles que
la gravité, ou de prendre du poison, méthodes dans lesquelles elles surpassent les
hommes" (Hall cité par S.J. Gould, 1997, p. 147)
Dans cette vision de la société, seule une minorité d’hommes blancs sont capables de faire
des choix libres et éclairés. Cette conception suggère que l’hérédité, associée par
l’appartenance à certains groupes, limite la capacité dont on dispose de faire de tels choix.
Mais, comme en témoigne la citation ci-dessus, elle explique le comportement en
l’attribuant à des dispositions internes. On voit donc une fois encore poindre l’erreur
d’attribution fondamentale qui, cette fois est renforcée par des stéréotypes. Prenons
l’exemple suivant :
L’élément interne de l’explication (le point 2) paraît d’autant plus plausible que l’on
adhère à l’idée que les femmes sont conservatrices (l’idée qu’elle puisse se suicider parce
qu’il ne fait pas bon être une femme dans cette société n’étant guère à l’horizon !).
Remarquons que, dans cette conception, l'hérédité limite la capacité qu'on certain·es de
faire des choix libres et éclairés. Leur intelligence limitée ou leur impulsivité sont conçues
comme des limites à ce type de choix. Seuls certains privilégiés (généralement, les
hommes blancs des classes supérieures) semblent être en mesure de faire des choix libres
et éclairés. Par ailleurs, l'héréditarisme en vient à expliquer le comportement par des
dispositions psychologiques, plutôt que par des facteurs sociaux. Par exemple, si les
femmes semblent moins "logiques" ou "rationnelles" que les hommes, on l'attribuera à des
facteurs physiologiques plutôt que d'envisager la possibilité que les rôles sociaux auxquels
elles sont cantonnées, et leur niveau d'instruction souvent moins avancé, puissent
expliquer de tels comportement. Cela relève donc de l'erreur d'attribution fondamentale.
38
Conclusion
Références
39
Chapitre IV : la psychométrie au service de l’individualisme
En outre, on voit depuis le XIXème siècle poindre un intérêt pour la quantification des
traits individuels, qu'ils soient physiologiques, anatomiques ou, bientôt, psychologiques.
Francis Galton, que nous avons croisé dans le chapitre précédent, s'avèrera à cet égard
être un fervent défenseur de la mesure des différences individuelles (principalement
anatomiques et physiologiques). Ils développera des outils statistiques permettant de les
évaluer. Deux disciplines s’inscrivent dans ce même mouvement : la phrénologie, qui
consiste à Inférer les caractéristiques mentales à partir de la taille du cerveau (Franz-
Joseph Gall, Allemagne, +/- 1850) et à la Cranomiétrie. La mesure du crâne (Paul
Broca, années 1860) révèle que les individus les plus éminents auraient de plus grands
cerveaux, les femmes et les « sauvages » des cerveaux plus petits et légers5.
5 Pour une critique de ces travaux, voir Gould (1997)
40
Si ces deux disciplines sont aujourd’hui désuètes, au début du XXème siècle naissent la
psychométrie et les premiers tests psychologiques. Ceux-ci vont petit à petit évaluer
toutes les caractéristiques individuelles possibles et imaginables. Ils légitiment de ce fait
l’hypothèse de différenciation.
L'un des plus célèbres d’entre eux est très certainement la mesure du Quotient
Intellectuel à travers le test de Binet-Simon (1904). Le pédagogue français Alfred Binet
(1857-1911) était déçu par la craniométrie, en qui il n’avait plus confiance, après en avoir
été un adepte.
Il développe dès lors une série d’épreuves qu’il administre à des enfants scolarisés. Ces
épreuves prennent la forme de questions appelant une ou plusieurs réponses correctes
(voir des exemples d'items en Figure 12).
41
Figure 12
Binet et Simon identifient les « scores » en fonction de l’« âge mental » auquel ils
correspondent. En divisant l’âge mental inféré sur base de ces scores par l’âge réel
(quotient ensuite multiplié par 100), on peut ainsi identifier si l’enfant est en retard ou
en avance par rapport à sa classe d’âge indépendamment de son âge réel. Ainsi, un enfant
ayant un QI de 100 aura exactement l’âge mental correspondant à son âge réel alors
qu’un enfant ayant un QI de 80 sera « en retard ».
42
• Identifier les enfants qui souffrent de difficultés nécessitant une éducation
spécialisée.
• Différencier l’intelligence de l’instruction. Il s’agit de développer un test
qui, contrairement aux notes scolaires, n’est pas influencé par le milieu
social dans lequel l’enfant a été élevé et qui pourrait l’avoir amené à
développer certaines connaissances sans rapport avec son « intelligence »
réelle.
« Cette échelle est composée d'une série d'épreuves, de difficulté croissante, partant
d'une part du niveau intellectuel le plus bas qu'on puisse observer, et aboutissant d'autre
part au niveau d'intelligence moyenne et normale, à chaque épreuve correspond un niveau
mental différent. Cette échelle permet, non pas à proprement parler la mesure de
l'intelligence, - car les qualités intellectuelles ne se mesurent pas comme des longueurs –
elles ne sont pas superposables, - mais un classement, une hiérarchie entre des
intelligences diverses ; et pour les besoins de la pratique, ce classement équivaut à une
mesure. Nous pourrons donc savoir, après avoir étudié deux individus, si l'un s'élève au-
dessus de l'autre, et de combien de degrés ; si l'un s'élève au-dessus de la moyenne des
autres individus, considérés comme normaux, ou s'il reste en dessous ; connaissant la
marche normale du développement intellectuel chez les normaux, nous pourrons savoir
de combien d'années tel individu est en retard ou en avance; enfin, nous pourrons
déterminer à quels degrés de l'échelle correspondent l'idiotie, l'imbécilité et la débilité. »
(Binet, 1908)
3. Le but est d’aider les enfants à s’améliorer et non pas de stigmatiser des enfants
déficitaires:
43
« La détermination des aptitudes des enfants est la plus grosse affaire de
l’enseignement et de l’éducation. C’est d’après leurs aptitudes qu’on doit les
instruire et ainsi les diriger vers une profession. La pédagogie doit avoir comme
préliminaire une étude de la psychologie individuelle » (Binet, 1909, p. 11)
Dans cette citation de Binet, on voit le rôle de l’individualisation: chaque enfant est
différent. La psychologie va aider à l’orienter vers la place qui lui correspond dans la
société mais en essayant d’actualiser tout son potentiel. Binet constate ainsi que certains
« cancres » s’avèrent très bons lorsqu’on les invite à réaliser des tâches manuelles.
Binet envisage donc d’emblée trois dangers de l’utilisation de son test que j’appellerai
la réification, la hiérarchisation et la stigmatisation.
Le test de Binet est ensuite exporté aux Etats-Unis où il sera envisagé d’une toute une
manière. Le QI devient l’indicateur d’une propriété psychologique héréditaire et
immuable (l’erreur héréditaire). Trois figures jouent un rôle central à cet égard : Henry
Goddard, Lewis Terman et Robert Yerkes6.
Henry Goddard traduit le test de Binet-Simon en 1908 et l’utilise dans un esprit eugéniste.
Goddard veut préserver le patrimoine héréditaire des Américains en évitant que les
« faibles d’esprit » (c.à.d. les personnes à Q.I. faible) ne se reproduisent. Le test sera
utilisé pour diriger ceux-ci vers des institutions spécialisées et les stériliser. Naturellement,
les personnes à QI faible sont souvent issues de milieux défavorisés ou de minorités
ethniques. On retrouve donc le darwinisme social à l’œuvre. Pour Goddard, l’intelligence
doit déterminer le statut social. La citation suivante est éloquente :
« Le fait est que les ouvriers peuvent avoir une intelligence de 10 ans alors que
vous en avez une de 20. Exiger qu’ils aient une maison comme la vôtre est aussi
absurde que d’insister que chaque ouvrier reçoive une bourse de doctorat.
Comment peut-il y a voir une égalité sociale avec une telle diversité d’aptitudes? »
(Goddard s’adressant à des étudiants de Princeton, cité par Gould, 1994)
Remarquons que le fait qu’un trait psychologique soit en partie déterminé par des
facteurs héréditaires n’implique nullement qu’il soit immuable. Les gènes ne fabriquent
pas des « bouts » de corps. Ils codent une variété de formes dépendantes du contexte.
6 Ma source principale pour cette partie est Gould (1997).
44
Et même quand un trait s’est actualisé, il n’est pas nécessairement immuable. Par
exemple, on peut mettre des lunettes pour corriger une myopie.
Figure 13 : Echelle d’imbécillité distribuée aux USA pensant les années 20 et 30
En 1916, Lewis Terman développera une adaptation du test de Binet destinée à une
administration massive aux Etats-Unis. Son objectif est d’identifier les personnes
« héréditairement » plus faibles d’esprit (stigmatisation). Il s’agit de détecter et
d’exclure plutôt que d’éduquer et d’orienter comme le suggérait Binet.
Quant à Robert Yerkes, celui-ci administre des tests de QI (les tests « alpha » et
« beta ») à l’ensemble des recrues américaines pendant la première guerre mondiale. Il
classe différents groupes sociaux en fonction de leurs scores moyens au test. Il attribue
les faibles QI moyens observés chez certains groupes immigrés et minoritaires à des
facteurs héréditaires (cf.
Figure 14).
45
Figure 14
Même si les Américains blancs sont au sommet de la hiérarchie, leur âge mental reste
faible. Ces tests influenceront la loi sur l’immigration de 1924, qui fixe des quotas
d’immigrés favorisant les Européens du Nord.
Remarquons que les conditions dans lesquelles ces tests ont été administrés, la façon dont
ils ont été analysés et le fait que certains items soient culturellement fort connotés, remet
fortement en cause la validité de ces tests. La Figure 15 présente un exemple de test
utilisé auprès des illettrés. La tâche du sujet est de remplir la partie qui manque dans
chaque dessin.
Par exemple, à l’item 4, il s’agit d’une cuiller, pour le 5 d’une cheminée, pour le 6, d’une
oreille du lapin, pour le 8 d’un bulbe, pour le 8 d’un, timbre, etc.
On peut bien sûr imaginer que des personnes peu exposées à certains de ces objets ou de
ces espèces (cochons par exemple) ne répondent pas correctement.
Par exemple, si une population est séparée en deux par un tremblement de terre et que
l’une bien nourrie alors que l’autre est affamée, une différence de taille va apparaître
entre les deux groupes pour des raisons purement environnementales et ce alors que la
taille soit fortement héritable
Même si les tests psychologiques ne sont pas toujours utilisés dans une perspective si
ouvertement raciste, le fait qu’ils soient utilisés pour orienter les enfants vers certains
types d’enseignements et les adultes vers certains types d’emploi leur confère un poids
important dans la destinée de ces individus. Ils peuvent de ce fait indirectement
47
contribuer à reproduire les inégalités entre individus et entre groupes surtout s’ils ne
mesurent pas ce qu’ils prétendent mesurer.
Après la seconde guerre mondiale, et encore davantage à partir des années 60, l’idée de
différences d’intelligence innée entre groupes devient minoritaire. On nourrit une
préférence pour des explications sociales/environnementales, marquant un retour à la
tabula rasa. Cette tendance se double d’une revendication d’une société égalitaire. Par
exemple: droits des femmes, des homosexuels, droit de vote accordé aux citoyens
étrangers, etc. En effet, si les inégalités sont produites par la société, alors c’est à travers
un changement politique et non l’exclusion ou la stérilisation que l’on pourra améliorer
la société.
Ceci mènera à de sévères critiques à l’égard des tests psychologiques. Le fait que les tests
ne puissent être neutres et fonctionnent comme un outil d’exclusion sociale a été dénoncé
depuis les années 60. En 1969, l’Association des psychologues afro-américains a ainsi
soutenu les parents qui refusaient que leurs enfants soient soumis à des tests
psychologiques. En effet, leur usage servait souvent à légitimer l’exclusion d’enfants afro-
américains des filières scolaires et professionnelles les plus prestigieuses.
Pourtant on constate toujours que les scores de QI les plus élevés sont davantage présents
dans les classes sociales les plus avantagées (ici, des professions impliquant davantage de
responsabilités). On le voit du reste clairement sur la Figure 16, qui rend compte du QI
moyen d’enfants en fonction de la profession de leur parents. C’est ce que le sociologue
Peter Sacks (1999) appelle l’ « effet Volvo ». Sur base des revenus et du niveau
d’éducation, on peut prédire le résultat au test. La boutade est la suivante: en comptant
le nombre de Volvos dans une maison, on peut prédire le QI. La Volvo est en effet
48
stéréotypée comme la voiture des professions intellectuelles supérieures, celles dont les
enfants sont les plus performants aux tests de QI.
Figure 16 : Etude de l’IFOP (1965) sur le niveau intellectuel des élèves en fonction de la profession de leur
parents (100.000 élèves).
Pour expliquer cette tendance, certains auteurs invoquent une évolution de la société
dans laquelle la disparition des barrières sociales, et la technicité de plus en plus
importantes de certaines professions prestigieuses, a pour conséquence que les individus
les plus « intelligents » soient en mesure de s’élever socialement. C’est la thèse défendue
par Herrnstein et Murray dans leur livre « The Bell Curve » (la Courbe en Cloche) en
1994.
Selon cette perspective, les plus intelligents se retrouvent donc dans les classes sociales
dominantes grâce à leur intelligence, un argument qui n’est pas sans rappeler le
Darwinisme social. Dans la lignées de Terman, Yerkes et Goddard, Herrnstein et Murray
commettent les erreurs de réification, de hiérarchisation et de stigmatisation que
dénonçait Binet.
49
aller en prison…) que le statut socio-économique. En d’autres termes, au sein de leur
classe sociale, les personnes à plus haut QI s’en sortent mieux que celles qui ont un faible
QI. S’il en est ainsi, disent-ils, ces indicateurs socio-économique ne peuvent pas être
uniquement le reflet d’un déterminisme social mais dépendent également de l’intelligence
des individus.
D’un point de vue politique, la position d’Herrnstein et Murray permet d’aspirer à l’idée
d’une « aristocratie de l’intelligence » dans laquelle les plus intelligents seraient au
sommet de l’échelle sociale indépendamment de leur classe sociale. Dans cette perspective,
le test de QI apparaît comme un outil permettant de révéler l’intelligence des enfants
quel que soit leur milieu social et de les orienter vers les études qui leur permettra
d’exprimer leur potentiel.
La thèse environnementale
Pour Herrnstein et Murray, l’appartenance à une classe sociale est une conséquence du
niveau d’intelligence, en partie déterminée par le QI.
Mais, on peut tout aussi bien faire l’argument inverse. Admettons que les épreuves de
QI présentent des difficultés plus importantes pour les membres de classes sociales
défavorisées pour des raisons liées non pas à leur intelligence mais à leur niveau
d’instruction, ou à d’autres aspects de leur socialisation. Dans ce cas, le QI est en partie
une conséquence de la classe sociale et non pas sa cause.
Si la classe sociale influence les scores au test de QI et que ces scores sont utilisés pour
orienter l’avenir des individus par des acteurs (enseignants, conseillers d’orientation,
psychologues, recruteurs…) qui voient ces tests comme des instruments objectifs
permettant d’évaluer une propriété individuelle stable, alors ceux-ci peuvent contribuer
à reproduire l’ordre social, chacun tendant à rester à une place qui correspond à son
ancrage social.
50
En attribuant à une intelligence faible ce qui relève en fait de détermination sociales,
collectives, on stigmatise certains groupes sociaux, qui ont moins accès aux « codes »
nécessaires pour exceller à ce type de tests.
Selon le sociologue Pierre Bourdieu, on peut dès lors parler de racisme de l’intelligence.
En effet, le concept d’intelligence permet de légitimer les inégalités sociales en les
attribuant à une propriété interne des dominants. Le racisme est une idéologie de
domination qui se perpétue par le biais d’institutions. Aux yeux du psychologue social
Jean-Claude Croizet (2011), l’école est précisément une institution qui va contribuer au
maintien de cette domination en propageant deux idées :
Selon Croizet, ces deux suppositions sont largement remises en cause par la recherche.
Selon Croizet, s’inspirant de Bourdieu, le capital culturel dont chacun dispose c.à.d. son
degré de familiarité avec les normes et les attentes du contexte scolaire (en termes d’usage
de la langue, d’attentes, de coutumes…) joue un rôle fondamental dans la performance
scolaire. Ce capital culturel dépend en large part du milieu social. Par exemple, dans un
milieu favorisé, on est, en moyenne davantage, encouragé à lire, à parler un français
« châtié», à découvrir la « haute » culture, voire à développer certaines valeurs qui
s’avèreront compatibles avec l’institution scolaire. Contrairement à ces « mythes », une
situation d’évaluation est porteuse d’une “violence symbolique”, terme qui, pour
Bourdieu, désigne un processus par lequel les dominés en viennent à accepter la vision
51
du monde des dominants comme légitime. En l’occurrence cette violence symbolique
serait générée par plusieurs arbitraires:
(a) L’arbitraire culturel des contenus, c’est à dire le fait de poser les savoirs
scolaires, qui sont en fait des savoirs de classe dominante, comme des savoirs
universels
(b) L’arbitraire de la légitimité de la comparabilité entre élèves. L’idée qu’il est
possible de comparer les élèves entre eux sur base d’un indicateur (telle que
leur note).
(c) L’arbitraire de la croyance en l’existence d’une intelligence individuelle.
Ignorer le rôle de l’appartenance sociale dans la production des scores de QIs, ou des
performances scolaires, constitue une forme d’erreur fondamentale d’attribution. La
commettant, l’intervenant joue donc un rôle dans la reproduction de ce système social.
Ce raisonnement est illustré dans la Figure 19.
Figure 17
Or, comme nous allons le voir, les scores à ces tests de QI sont influencés par la classe
sociale pour des raisons qui n’ont rien à avoir avec le niveau d’intelligence objectif. A
présent en pratique comment les situations d’évaluation peuvent contribuer à la
reproduction des inégalités à travers deux recherches menées par Croizet.
52
La Menace du stéréotype
Dans une de leurs recherches, Croizet et Claire (1998) ont administré 21 items issus d’un
test d’intelligence (GRE) à 292 étudiants universitaires français. Ils sélectionnent des
étudiants de niveau socio-économique faible vs. élevés. Ils ont introduit une manipulation
expérimentale. Dans la condition diagnostique, administrée à la moitié des élèves, ils
signalent aux élèves que « le test mesure votre intelligence » Dans la condition non
diagnostique, administrée à l’autre moitié, les auteurs communiquent l’information
suivante : « Le test mesure différentes hypothèses relatives au rôle de l’attention dans
la mémoire verbale ».
Figure 18
Cette interprétation est étayée par le fait que leurs performances ne sont guère affectées
lorsque ce stéréotype n’est pas pertinent (condition « non diagnostique »). Quelle que
soit l’interprétation considérée, ces résultats suggèrent que les tests de QI ne mesurent
pas uniquement une compétence innée car ils sont sujets l’influence de facteurs
contextuels qui peuvent avoir un effet particulièrement puissant sur les personnes issues
de classes sociales moins favorisées. Remarquons que des résultats similaires ont été
observés en ce qui concerne l’appartenance ethnique ou le sexe: on observe des
53
phénomènes similaires en ce qui concentre les Afro-américains mais également les femmes
(en rapport avec le stéréotype selon lequel elles sont faibles en mathématiques
notamment).
Lever la main
Quoi de plus commun dans une classe que de lever le doigt lorsqu’on a une réponse à une
question formulée par l’enseignant.e ? Bien qu’étant une pratique pédagogique commune,
cette habitude offre une information importante aux autres élèves, une information
relevant de la comparaison sociale : celui ou celle qui lève le doigt « sait », ce qui est
une comparaison sociale négative dans l’éventualité où l’élève n’a pas la réponse. Si un
élève « sait » et que l’autre ne « sait pas », ce n’est pas nécessairement uniquement en
raison de leur intelligence, ou de leur mérite, relatif mais en raison de leur capital culturel.
Ici également, la comparaison sociale induirait un doute quant à ses capacités qui exerce
lui-même une influence négative sur les capacités cognitives. Goudeau, Autin et Croizet
(2017) ont mise cela en évidence dans une étude portant sur 953 enfants de 6ème année
(1ère année du collège). Ils leur ont fait passer un test de lecture difficile en demandant
aux élèves de la moitié des classes de lever le doigt lorsqu’ils avaient réussi un items.
Dans l’autre moitié, il fallait rester silencieux. On mesure ensuite la performance au test.
Comme attendu, on constate que chez les enfants de niveau socio-économique faible, la
performance se détériore lorsque l’information relative à la comparaison sociale est
manifeste. Il n’en n’est rien pour les enfants de niveau socio-économique élevé, qui ne
sont nullement influencés par cette manipulation (voir Figure 19).
54
Figure 19
14
$Score de compréhension à la
12
10
8
lecture
0
Ouvriers Classe Moyenne Sup
Statut Socio-Economique des Parents
Traduction :
Ces résultats démontrent donc, parmi d’autres éléments, que la performance d’élèves à
des tests supposés mesurer la compétence, et donc le mérite, des élèves, est contaminé
par des facteurs exogènes, telle que la comparaison sociale. Il en résulte que le résultat
au test n’est pas un reflet du mérite. Plus globalement, eu égard à l’omniprésence de la
comparaison sociale dans les contextes scolaires, on peut supposer que les résultats de
Goudeau et ses collaborateurs ne donnent qu’un aperçu très partielle de la réalité.
Kyle Behm était étudiant dans une université américaine prestigieuse. Souffrant de
troubles maniaco-dépressifs, il interrompt ses études. Un an plus tard, se sentant
beaucoup mieux, il cherche un travail dans un supermarché. Il se voit refuser un emploi.
Etonnant vu la nature de l’emploi bien en-deça de son niveau de qualification. Enquêtant
55
par l’entremise de son père avocat, il apprend qu’il a échoué à un test de personnalité de
type « Big 5 » (modèle à 5 facteurs). Quand il essaye de postuler dans d’autres emplois,
la même chose se produit. Des tests de personnalité informatisés utilisés comme filtre au
recrutement dans de nombreuses entreprises…bien qu’ils soient très peu prédictifs de la
performance professionnelle. Le père de Kyle dit :
« La principale fonction des tests n’est pas trouver le meilleur employé. C’est
d’exclure le plus de gens possibles au prix le plus bas possible »
Ils sont cependant beaucoup moins coûteux que des entretiens individuels et donnent
une illusion d’objectivité. Selon O’Neill (2017), ils sont utilisés pour 60 à 70% des
travailleurs aux USA. On y recourt tout particulièrement pour les emplois peu qualifiés.
Pour les emplois à haute valeur ajoutée, on sera plus susceptibles de recourir à des
entretiens individualisés.
Selon O’Neil, l’utilisation massive de tests psychologiques dans les entreprises constituent
une "weapon of math destruction" (jeu de mot sur "weapon of mass destruction", arme
de destruction massive en anglais) au sens où :
• Ils sont appliqués de façon massive et indiscriminée sur une vaste ensemble
d’individus et ce dans toute une série de secteurs d’activités (ici, les candidats à
un emploi)
• Leur usage est opaque: ils filtrent certains individus sur base d’algorithmes sans
que ceux-ci sachent pourquoi ils ont été exclus. Il est donc difficile pour eux de
mettre en oeuvre des stratégies pour y faire face.
• Ils ne sont pas mis à jour en fonction des résultats: selon O’Neill, les tests ne sont
pas réajustés en fonction de la qualité des performances de l’employé une fois que
celui-ci est engagé.
• Ces tests se veulent objectifs. Ils évacueraient les biais (racisme, sexisme…) qui
peuvent affecter les décisions lorsqu’on recourt à un entretien face à face.
Ceci appelle plusieurs commentaires. On voit que les tests psychologiques utilisés pour
justifier des décisions opaques et relativement arbitraires (vu qu’ils ne sont pas prédictifs
de la performance) pour « trier » des gens provenant souvent de classes sociales
défavorisées. Ils contribuent indirectement à justifier une sélection/exclusion sociale.
En outre, le fait que les candidats n’interagissent qu’avec une machine, rend fort difficile
de faire valoir leurs qualités, comme le permettrait une interaction face à face. Interagir
avec un être humain devient le privilège des plus qualifiés (et donc souvent des plus
avantagés socialement). Il importe de remarquer que la problématique de l’utilisation des
algorithmes dépasse l’administration de tests. En voulant se montrer les plus efficaces
possibles, les algorithmes peuvent utiliser des données qui sont fortement liées à l’origine
sociale. Par exemple, admettons qu’un algorithme « découvre » que l’origine
56
géographique est un critère prédictif de la performance. Si ce critère entre dans la
procédure de sélection, il devient un instrument de discrimination cachée. Même s’ils
sont moins manifestes, nous avons constaté que les tests psychologiques fonctionnent
indirectement comme des indicateurs d’origine sociale et donc la prétention de telles
méthodes à la neutralité est sujette à caution.
Conclusion
- Un ancien régime (donc avant la Révolution Française) dans lequel les positions
sociales sont définies par la naissance. Dans ce type de société, il n’y a pas lieu de
mettre en rapport la « psychologie » avec la position sociale.
- En parallèle, une évolution à partir de la Renaissance caractérisée par une plus
grande mobilité sociale liée à l’enrichissement de la bourgeoisie. La bourgeoisie
conteste l’idée d’une supériorité naturelle de certains. On peut voir la doctrine de
la Table Rase comme une expression de cette critique : si chacun est une table
rase à la naissance, chacun est implicitement égal.
- Dans une société bourgeoise dans laquelle la mobilité sociale est possible, la
légitimation de l’ordre social passe par le mérite individuel. Les individus les plus
méritants sont au sommet. L’intelligence (mais également d’autres traits
psychologiques) peut constituer un critère central de mérite. On peut voir cette
intelligence, mesurée par les tests, comme innée, comme une caractéristique
biologique ancrée au sein des individus, ce qui rend le système social plus légitime
encore aux yeux des bourgeois qui le dominent. On peut également dénoncer cette
position innéiste et y voir le reflet des efforts et du travail. Qu’on adopte l’une ou
l’autre perspective, l’école joue un rôle central à cet égard en hiérarchisant les
élèves selon leur performances scolaires. Or leurs position dans la hiérarchie
scolaire tend à épouser leur position dans la hiérarchie sociale. Pour s’en
convaincre, il suffit de consulter les derniers résultats de l’étude européenne PISA.
Cette étude montre qu’en Belgique francophone, les enfants issus de milieux
favorisés ont en moyenne trois années d’avance dans la maîtrise des sciences par
rapport aux élèves les plus pauvres (PISA, 2016).
- Dans un cas comme dans l’autres, tests psychologiques et évaluations scolaires
contribuent à légitimer l’ordre social. De par leur apparente neutralité, et leur
« scientificité », ils nous permettent d’attribuer à des traits ou caractéristiques
individuelles une réussite qui est fortement influencée par des facteurs sociaux.
On est donc en plein dans l’erreur fondamentale d’attribution dont on constate
ici le rôle important dans la reproduction sociale.
57
Références
• Binet, A. (1909). Les Idées Modernes sur les Enfants. Paris : Flammarion.
• Binet, A. et Simon, B. (1908). Le developpement de l'intelligence chez les
enfants. Année Psychologique, 14, 1-94.
• Croizet, J-C. (2011). Le racisme de l’intelligence. In F. Butera, C. Buchs, & C.
Darnon (dir.). L’évaluation : une menace ? (135-144). Paris : Presses
Universitaires de France.
• Goudeau, S., & Croizet, J. C. (2017). Hidden advantages and disadvantages of
social class: How classroom settings reproduce social inequality by staging unfair
comparison. Psychological science, 28(2), 162-170.
• Gould, S. J. (1997). La mal-mesure de l'homme. Paris : Odile Jacob.
• Herrnstein, R. J., & Murray, C. (2010). Bell curve: Intelligence and class structure
in American life. Simon and Schuster.
• Kishiyama, M. M., Boyce, W. T., Jimenez, A. M., Perry, L. M., & Knight, R. T.
(2009). Socioeconomic disparities affect prefrontal function in children. Journal of
cognitive neuroscience, 21(6), 1106-1115.
• O’Neill, C. (2017). Weapons of Math Destruction. New York : Broadway.
• Pisa (2016). Résultats de PISA 2015 : l’excellence et l’équité dans l’éducation.
https://www.rtbf.be/info/societe/detail_resultats-pisa-2015-les-eleves-
francophones-toujours-a-la-traine-leurs-homologues-flamands-
cartonnent?id=9473361
• Sacks, P. (1999). Standardized minds: The high price of America's testing culture
and what we can do to change it. New York : Perseus Books.
• Stuart Mill, J. (1843). A System of Logic, Ratiocinative and Inductive, Being a
Connected View of the Principles of Evidence and the Methods of Scientific
Investigation. Londres : Parker.
58
Deuxième Partie: Concepts et Méthodes
de la Psychologie des la personnalité et
des différences individuelles
59
Chapitre V: Mesure, Normalité et Etalonnage
Remarques préliminaires:
1. Un exemple
1° Que l’extraversion est une dimension qui différencie les gens et qui peut avoir différents
« niveaux » ou « modalités » (on peut l’être «très peu», «moyennement», «très fort»
et toutes les autres nuances envisageables). On retrouve donc l'hypothèse de
différenciation.
2° Qu’une des propriétés des individus est leur degré d’extraversion.
3° Que grâce à des observations minutieuses, il est possible d’établir où ce situent ces
individus en termes d’extraversion.
Pour ce faire, on pourrait, par exemple, chercher à établir une série de critères témoignant
de l’extraversion, selon notre définition de ce concept : par exemple « aimer faire la
fête », « aimer parler », « Aimer les situations sociales », etc. Imaginons que vous ayez
composé 4 questions de ce type (les gens devant exprimer si oui ou non, cette affirmation
s’applique à eux personnellement). Vous pourriez ensuite poser ces questions à 100
individus et compter chez chacun le nombre d’affirmations pour lesquelles il a répondu
« oui ».
Peut-on affirmer que, grâce à cette technique pour le moins rudimentaire, vous avez
mesuré les différences individuelles en termes d’extraversion ?
60
A l’issue de ce chapitre, vous devriez être en mesure de répondre à cette question et de
proposer des solutions plus appropriées pour mesurer l’extraversion. Il n’est en effet pas
toujours justifié de transformer des différences psychologiques en nombres. Cela exige un
grand nombre de précautions méthodologiques. La psychologie différentielle a développé
un « arsenal méthodologique », un ensemble de concepts et d’outils, permettant
précisément d’accomplir cette transition; la mesure des propriétés psychologiques des
individus fait du reste l’objet d’une discipline propre, étroitement liée à la psychologie
différentielle : la psychométrie (cours donnée en BA-3). Pour aborder ces notions, nous
allons tout d’abord passer en revue les principales méthodes de la psychologie
différentielles. Par la suite, nous définirons certains termes fondamentaux. Ensuite, nous
nous intéresserons à la distribution normale, qu’utilisent abondamment les psychologues
différentiels (voir aussi le cours d’analyse de données). Nous examinerons ultérieurement
les propriétés de différentes échelles de mesure. Et enfin, nous allons considérer les
différentes propriétés d’un test et la façon dont elles sont établies.
Même si les psychologues différentiels ont élaboré une vaste gamme de méthodes et de
précautions permettant de mesurer les traits psychologiques, cette démarche fait l’objet
de critiques. Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, l’idée même de
transformer des réalités psychologiques comme, par exemple, l’anxiété, l’extraversion,
l’intelligence, l’optimisme, en chiffres est ainsi considérée comme réductrice. La
complexité de la personnalité, ou des compétences, d’un individu peut-elle être réduite à
des chiffres? Cette question n’est pas seulement théorique. Ces chiffres peuvent être
utilisés pour justifier ou mettre en oeuvre des pratiques qui vont directement influencer
le bien-être de la personne concernée: par exemple, le score à un test de QI peut être
envisagé, parmi d’autres éléments pour décider du sort d’un enfant. De même, les
différences supposées entre certains groupes sociaux peuvent être utilisées pour justifier
des politiques discriminatoires. Cette question est largement débattue dans le livre la
Mal-Mesure de l’Homme de Stephen Jay Gould. Toutefois, les psychométriciens
rétorquent que l’objectivité de la mesure peut s’avérer préférable par rapport à des
jugements purement subjectifs, ou ne disposant d’aucune validité empirique (comme la
graphologie par exemple), qui sont plus encore susceptibles d’être influencés par les
préjugés de l’observateur.
61
2. Les trois méthodes de recherche en psychologie différentielle
Par exemple, Seligman (1972) a étudié la « résignation acquise » de cette façon : ses
sujets, des chiens, étaient placés dans une situation où aucune réaction de leur part ne
pouvait modifier le début, la durée et la fin de chocs électriques. Ensuite, ils étaient
placés dans une situation dans laquelle ils pouvaient échapper à ces chocs (en sautant
par-dessus une barrière). Seligman constate que, contrairement à des chiens
« contrôles » qui, durant le prétest, avaient été soumis à des chocs « évitables », les
chiens soumis à des chocs « inévitables », semblaient ne plus avoir la capacité, ou la
volonté d’échapper aux chocs. Ils semblaient les accepter passivement, un phénomène
qualifié par Seligman de « résignation acquise ». Pourquoi cette méthode permet-elle
d’examiner des relations de cause à effet ? Parce que les chiens des deux conditions ne
différaient pas avant l’introduction de la manipulation expérimentale (le fait que les chocs
soient évitables ou non dans la première partie de l’étude). Dès lors, toute différence
observée ensuite est plus que probablement due à la manipulation expérimentale, qui a
7 voir cours d’Introduction à la Psychologie Clinique
62
donc causé une partie des variations dans le comportement des chiens des deux
conditions.
63
Ainsi, Hiroto (1974) a soumis ses sujets (dont il a préalablement mesuré le lieu de
contrôle) à des situations inévitables avant de les soumettre à des situations évitables
(comme dans l’expérience de Seligman). Il constate que les individus à lieu de contrôle
interne réagissent plus rapidement dans la seconde situation (pour éviter la stimulation
négative) que les sujets à lieu de contrôle externe. Cela suggère que le sentiment de
contrôle sur la situation est déterminant dans la « résignation acquise ». En effet, les
sujets à lieu de contrôle externe sont probablement ceux qui suite à la première situation,
ont le plus aisément « baissé les bras » et conclu qu’il n’y avait rien à faire. Ceux-ci
n’ont dès lors pas réagi aussi promptement dans la seconde. Ici la combinaison d’une
méthode corrélationnelle et expérimentale permet de mieux comprendre le processus
sous-jacent à la résignation acquise et, plus particulièrement, l’importance du sentiment
de contrôle.
Plutôt que d’envisager ces différentes méthodes comme concurrentes (ce qui est
trop souvent le cas en psychologie, les « cliniciens » s’opposant parfois aux
« expérimentalistes », les « qualitatifs » aux « quantitatifs »), il est donc souvent
préférable de les considérer comme complémentaires. Nous avons vu qu’il pouvait être
intéressant de combiner l’approche expérimentale et l’approche corrélationnelle pour
aborder un phénomène. De même, il peut être utile d’étudier un phénomène de façon
clinique avant d’en tirer des conclusions sur un plus large échantillon d’individus grâce
à des recherches de type corrélationnel.
3. Quelques définitions
64
2. Les aptitudes. Celle-ci sont le plus souvent intellectuelles (pensez par exemple
aux tests de QI) mais peuvent également être de nature plus physique ou
motrice (pensez aux testes psychomoteurs administrés dans les centres PMS).
3. Les attitudes, qu’on peut définir simplement comme l’évaluation d’objets sur
une dimension particulière8. Il s’agit souvent du degré auquel l’individu se
montre favorable ou défavorable par rapport à un objet particulier (la peine
de mort, l’immigration, les Noirs, le tabac,…). Toutefois, les attitudes vis-à-vis
d’un objet peuvent recouvrir différents sous-dimensions plus précises.
65
Variable Exemple de variable
Type de propriété
théorique opérationnelle
QI suite à l’administration
Intelligence Aptitude
d’un test
66
Exemple d’étude VI VD
Il y en a 2 :
- Appartenance
culturelle des sujets
(Asiatiques ou
Etude de Kim & Markus sur « les Occidentaux). Probabilité de choisir le
stylos dans les aéroports » - Répartition des stylos stylo minoritaire
(4 majoritaires/1
minoritaires, 3
majoritaires/ 2
minoritaire)
La probabilité de
reprendre des activités
- sportives,
Etude de Scheier sur l’optimisme et les - sexuelles
- L’optimisme
pontages coronariens -professionnelles 3
semaines après un
pontage coronarien
(parmi d’autres)
67
Exemple d’étude Echantillon Population
Etude de Kim & Markus sur « les Des individus dans deux aéroports Les « Occidentaux » / les
stylos dans les aéroports » (l’un américain, l’autre japonais) « Orientaux »
8. Echelle : Il s’agit des différentes catégories de valeurs que peut prendre une variable.
Nous verrons plus loin que ces catégories de valeurs peuvent avoir plusieurs significations
selon le niveau de mesure. Comment s’y prend-on pour construire une échelle (voir
«étapes dans la construction d’un test ci-dessous» ? Considérons un exemple : la mesure
des attitudes politiques (le fait qu’on soit « de gauche » ou « de droite »). On pourrait
mesurer l’attitude politique en posant à des individus une question du type « Vous
considérez-vous comme très à gauche, plutôt à gauche, ni l’un ni l’autre, à droite, ou très
à droite ? ». On pourrait également poser différentes questions. Par exemple, « Dans
quelle mesure êtes-vous favorable à la sécurité sociale ? », « Pensez-vous qu’il faudrait
réduire les impôts ? », « Pensez-vous que davantage de liberté devrait être donnée aux
entrepreneurs ? », etc., en incluant chaque fois cinq possibilités de réponse (de pas du
tout à tout à fait). Dans cette éventualité, nous pourrions construire une échelle en
regroupant les réponses à ces différente questions, ou items, de telle façon que ceux qui
ont donné des réponses « de gauche » ait un score plus élevé que ceux qui ont donné
des réponse « de droite ». Lorsqu’on évoque une échelle de personnalité, d’intelligence,
d’attitude, etc., on fait généralement référence à ce type d’outil : à savoir un ensemble
d’items mesurant une même dimension psychologique. Remarquons que certains tests
sont construits de façon à mesurer plusieurs dimensions, auxquelles sont associées des
échelles spécifiques. Par exemple, l’inventaire de personnalité NEO-P-IR mesure cinq
dimensions de la personnalité (mises en évidence grâce à une analyse factorielle, cf. plus
bas) : le névrosisme, l’extraversion, l’ouverture, l’amabilité et l’esprit consciencieux
(chaque dimension incluant de nombreux items). Le sujet qui répond à cet inventaire de
personnalité, se voit donc attribuer un score par dimension (l’ensemble des items
mesurant chaque dimension constituant une échelle). Ci-dessous, un exemple d'échelle
68
de mesure d'attitude vis-à-vis de la liberté d'expression.
69
4. Les échelles de mesure9
Niveau
Nominale Ordinale Intervalle Rapport
Propriété
Ecarts
Non Non Oui Oui
(intervalles) égaux
À un premier niveau, celui des échelles nominales, on ne retient des nombres que
leur propriété d'être des symboles différents, ou distinctivité. Si l'on est capable de
regrouper les individus dans des catégories distinctes, on peut désigner ces catégories par
des nombres. Le genre, avec ses deux modalités, masculin et féminin (que la sécurité
sociale désigne par 1 et 2), est une variable nominale. Par exemple, si l'on peut
définir des classes de sujets relativement homogènes, quant à leur personnalité (par
exemple, les individus à structure de personnalité psychotique, névrotique ou limite), ces
classes constituent une échelle nominale.
Les propriétés des nombres retenues ne permettent pas d'ordonner les sujets, et
encore moins de mesurer des différences arithmétiques entre eux. Imaginez qu’on traite
une échelle nominale comme si elle avait un sens arithmétique. On serait alors dans la
situation de quelqu'un qui soustrairait les uns des autres les nombres désignant les
9
La section consacrée aux échelles de mesure est empruntée en grande partie à Huteau, M. (2002). Psychologie
Différentielle. Paris : Dunod. Ces notions sont également couvertes dans le cours d’Analyse de Données (C. Leys).
70
différents cours (103 pour "personnalité et différences individuelles", 102 pour « analyse
de données », 104 pour "psychologie sociale de la communication") ou qui affirmerait
que le 2 associé par la sécurité sociale au sexe féminin signifie que quelque chose est plus
« grand » que chez les hommes car le nombre « 1 » leur est associé, ou encore de
quelqu’un qui calculerait la moyenne des numéros de carte d’étudiants des étudiants en
psychologie. C’est évidemment absurde. À ce niveau, une description statistique de la
variabilité interindividuelle est cependant possible. On peut définir des indices de
tendance centrale (le mode, classe dont l'effectif est le plus élevé) et de dispersion. Par
exemple, on pourrait calculer la proportion de fumeurs en fonction du sexe (le fait de
fumer ou non est une variable nominale, de même que le sexe). On peut également
mesurer, au moyen de coefficients de corrélation appropriés (coefficient phi, coefficient
de contingence), le degré de liaison entre deux variables nominales.
À un second niveau, celui des échelles ordinales, on prend en compte une nouvelle
propriété des nombres, leur ordination. Si l'on peut regrouper les individus en classes
ordonnées, il est possible, et même naturel, de désigner ces classes par des nombres. On
peut par exemple, dans un domaine donné, définir cinq niveaux d'efficience intellectuelle
et affecter les individus à chacun de ces niveaux. La variable « efficience intellectuelle »
est alors une variable ordinale.
L'ordre des classes d'une échelle ordinale est invariant, ce qui n'était pas le cas avec les
échelles nominales (il peut seulement être inversé). Les distances entre les classes ne sont
pas spécifiées. Si nous reprenons l'exemple de cinq niveaux d'efficience intellectuelle, rien
ne permet de dire que la différence entre les deux premiers niveaux (1 et 2) est identique
à la différence entre les deux niveaux suivants (2 et 3).
Il n'y a donc pas de sens à calculer des différences arithmétiques entre les individus ou à
parler de la forme de la distribution de l'efficience intellectuelle. Au niveau ordinal, les
indices permettant la description de la variabilité des individus deviennent plus puissants
(médiane10 pour la tendance centrale, écart inter-quartile pour la dispersion).
10
La médiane est la valeur de part et d’autre de laquelle se situe 50% de l’échantillon. Par exemple, si la médiane
d’un examen est de 9, 50% des étudiants ont moins de 9 et 50% plus que 9.
71
physiques, il est possible de spécifier les opérations qui fondent la mesure à ce niveau.
Les instruments de mesure du temps, par exemple permettent de définir ces unités que
sont les minutes ou les secondes. L’existence de ces unités implique qu’il est possible
d’additionner ou de soustraire des scores et de les comparer. Il est une évidence que la
différence de poids entre une personne qui pèse 75 kilos et une personne qui pèse 73 kilos
est la même que la différence de poids entre une personne qui pèse 120 kilos et une
personne qui en pèse 118.
Pour des mesures ordinales, on ne peut pas en faire autant : par exemple, si on attribue
à chaque étudiant un score correspondant à son rang dans sa promotion en fonction de
ses résultats (le premier à « 1 », le deuxième a «2 », etc.), les rangs successifs ne seront
pas nécessairement séparés par des différences de performance identiques. Ainsi il est
possible que le premier soit très proche du second en terme de qualité des travaux fournis,
mais que le troisième soit extrêmement éloigné du second, etc11.
Un problème posé par les rangs (une mesure « ordinale ») provient des possibilités
limitées de comparaison qu’ils nous offrent. Imaginons que nous mesurions le poids d’une
femme (par exemple étudiante à l’ULB) et celui d’une autre (par exemple étudiante à
l’UCL). Nous pouvons aisément comparer ces deux poids et affirmer que l’une est plus
« lourde » que l’autre. A présent, imaginons que nous utilisions le « rang » d’un
étudiant de psychologie de l’ULB et celui d’un étudiant de psycho de l’UCL. Peut-on
dire qu’un étudiant qui a le 3ème rang à l’ULB est « meilleur » qu’un étudiant qui à le
« 7ème rang » à l’UCL (en supposant qu'il y ait le même nombre d'étudiants dans les
deux universités). Cette comparaison a beaucoup moins de sens car il est possible qu’une
université soit beaucoup plus exigeante que l’autre. Si nous disposions d’une mesure
standardisée (c’est-à-dire dont la signification est indépendante de l’échantillon, ici le
contexte universitaire), et pour laquelle la valeur entre deux valeurs successives a
toujours la même signification, il serait beaucoup plus facile d’effectuer cette
comparaison.
Pour ces raisons, les psychologues différentiels, apprécient souvent de pouvoir mesurer
des dimensions « continues » comme l’extraversion, comme ils mesureraient le poids,
c’est-à-dire comme des échelles d’intervalle 12 . Cela leur permet d’utiliser des indices
statistiques plus fins (comme la moyenne ou la variance, cf. cours d’analyse de données)
11
Tout comme il est possible qu’une personne qui a obtenu 17 sur 20 ait en fait un examen reflétant des
connaissances beaucoup moins approfondies qu’une personne qui a obtenu 18 sur 20 mais que la différence entre
une personne qui a obtenu 19 et une personne qui a obtenu 18 soit beaucoup plus faible. Effectivement, en tant
que mesure de la connaissance d’un domaine spécifique, les points « d’examen » ne constituent pas nécessairement
une échelle d’intervalle dès lors qu’ils ne garantissent pas l’équivalence entre les valeurs successives des notes.
12
Lorsqu’on mentionne qu’une échelle est « continue », cela implique qu’elle est a au moins les propriétés d’une
échelle d’intervalle.
72
et de comparer plus facilement les personnes provenant d’échantillons différents grâce à
des tests statistiques paramétriques (voir plus bas).
Les échelles de rapport ont toutes les caractéristiques précédentes mais en outre elles
sont caractérisées par l’existence d’un zéro absolu, qui correspond à l’absence de la
propriété mesurée. Par exemple, une mesure de 0 cm indique que l’objet mesuré n’a
aucune «longueur » (et en pratique n’existe pas). L’existence de ce zéro suggère qu’il est
possible d’effectuer des rapports entre les mesures. Ainsi un objet de 2 cm est deux fois
plus grand qu’un objet d’1cm. On peut rarement effectuer ce type de mesure sur des
propriétés psychologiques. Par exemple, une personne dont le QI est de 130 n’est pas
« deux fois plus intelligente » qu'une personne dont le QI serait de 65 parce qu’il n’y a
pas de zéro absolu dans la mesure de l’intelligence (on ne peut pas dire qu’un individu,
aussi peu « intelligent » soit-il ait une intelligence réellement nulle – c’est-à-dire une
absence totale d’intelligence).
Il est important lorsqu’on évalue des échelles de bien distinguer l’unité du construit (ou
variable théorique) que l’on prétend mesurer grâce à cette unité. En effet, un même
variable opérationnelle peut être utilisée pour mesurer des construits théoriques
différents.
Albertine 7500 €
Micheline 15000 €
Coralie 30000 €
Vinciane 162500 €
Jeanne 170000 €
Exemple Niveau
On classe les agents stressants dans les villes selon les catégories suivantes:
1 = Bruit de la circulation
2 = Pollution de l’air
Nominal
3 = Foules
4 = Harcèlement bureaucratique
5 = Autre
L’individu note si
1 = « Il a déjà subi un accident vasculaire cérébral »
Nominal
2 = « Il n’en n’a jamais subi »
3 = Il ne sait pas
74
Echelle de Holmes et Raye (1967) portant sur le stress de la vie. A l’aide de
cette échelle, on compte (parfois avec pondérations différentes) le nombre de
changements (mariage, déménagement, nouvel emploi, etc.) intervenus au
cours des six dernières années de la vie de quelqu’un. Les personnes sont Ordinal
donc classées, en termes de stress en fonction du nombre de changements
intervenus récemment dans leur vie. Aucune implication n’est faite
concernant les différences entre les points de l’échelle.
Idem à la description de l’échelle de Holmes et Rayes mais les pondérations (traité comme)
sont calculées de façon à ce que la distribution des scores soit normale. Intervalle
(traité comme)
Mesure de QI provenant d’un test étalonné
Intervalle
Age Rapport
Poids Rapport
5. La distribution normale13
Imaginez que je demande à tous les étudiants inscrits à ce cours de tirer à pile ou face
20 fois de suite et de compter le nombre de « piles » obtenus. Je compte le nombre de
fois que chaque fréquence (entre 0 et 20) a été observée et génère le tableau suivant.
J’observe sur ce tableau qu’aucun étudiant n’a obtenu 0 pile, 2 étudiant a obtenu 1 fois
piles, 32 étudiants ont obtenu 12 fois « pile », etc.
13
Ici aussi, le cours d’analyse de données offre une approche plus complète de la distribution normale.
75
Fréquences observées
0 0
1 2
2 3
3 5
4 5
5 9
6 10
7 20
8 29
9 37
10 49
11 46
12 32
13 29
14 20
15 12
16 8
17 5
18 3
19 2
20 1
327
76
« nombre de pile » obtenus, qu’on appellera « nombre observé » (la colonne gauche du
tableau ci-dessus) et un axe perpendiculaire correspondant au nombre d’étudiants ayant
obtenu ce score, c’est-à-dire la fréquence (deuxième colonne du tableau ci-dessus). Pour
chaque nombre observé, je trace ensuite une colonne de la hauteur correspondant à la
fréquence observée pour ce nombre de piles. J’obtiens de cette façon une distribution (cf.
Figure 1).
Sans surprise, on constate que le nombre le plus observé (le « mode ») est « 10 ». Si
les pièces sont bien équilibrées, c’est bien sûr peu étonnant vu qu’a chaque jet, le lanceur
a une chance sur deux d’obtenir pile. On constate que la distribution « s’affaisse » à
mesure que l’on s’éloigne de ce mode. Aux extrêmes, il y a très peu d’observations. La
distribution ci-dessus ressemble à une distribution normale14 mais ne l’est pas tout à fait
car elle n’est pas « continue ». Effectivement, dans le cas d’une distribution normale
«parfaite» (qui correspondrait à une infinité d’observations), toutes les valeurs sont
représentées. La Figure 2 correspond au même graphique que ci-dessus mais superposé
par la distribution normale correspondante (trait continu noir). Vous constaterez que
cette distribution ressemble fort à celle que nous avons constatée (Figure 1), mais comme
il s’agit d’une distribution théorique portant sur une infinité d’observations, elle est
continue (il n’y a pas d’ « escaliers » comme dans le graphique correspondant à nos
observations).
Ici, il n’est évidemment pas possible d’obtenir « 20.5 » piles ou toute valeur
intermédiaire. Toutefois, on peut supposer que si je demandais aux étudiants de jeter
14
Il s’agit en fait d’une binomiale (cf. cours d’analyse de données).
77
leur pièce un plus grand nombre de fois la distribution ressemblerait encore davantage à
la distribution normale. Celle-ci se caractérise donc :
• Par sa symétrie.
• Par le fait que la plupart des observations se regroupent autour de la
moyenne. Plus on s’en éloigne, moins nombreuses sont les observations. Ainsi
approximativement 68% des observations se situent endéans un écart-type 15 de
la moyenne alors que 99,7% se situent endéans 3 écart-types de celle-ci.
Une variable dont la valeur est déterminée par un grand nombre de facteurs
indépendants se distribue normalement. Or le nombre de « piles » obtenus est
précisément dépendant de nombreux facteurs (la hauteur jet, l’orientation de la main, la
texture et l’inclinaison du sol, la résistance de l’air, etc.). Ceci correspond au "théorème
central limite".
Les caractéristiques humaines, telles que la taille, le poids ou même des traits ou
aptitudes psychologiques comme l’optimisme ou l’intelligence dépendent eux aussi d’un
grand nombre de facteurs (par exemple, les caractéristiques génétiques des parents,
l’alimentation, l’éducation, etc.) de telle sorte que les valeurs obtenues se distribueront
souvent selon les lois du hasard. En d’autres termes, si pour chaque poids possible (en
abscisse), je comptais le nombre de personnes qui possèdent ce poids (en ordonnée), ma
distribution s’approcherait de la normale : effectivement, j’observerai un grand nombre
d’individus s’approchant de poids moyens (par exemple, 70 kilos pour les hommes) et de
moins en moins à mesure que je m’éloigne de cette valeur centrale jusqu’à trouver très
peu d’individus à poids « extrêmes ».
15
Voir cours d’analyse de données pour un rappel de la notion d’écart-type.
78
Figure 2: Superposition de la courbe normale Figure 3: Distribution bimodale
En voici deux:
79
déterminée par une multitude de facteurs mais qu’un facteur prenne la pas sur les
autres. Par exemple, chez des sujets victimes d’une anomalie génétique, le QI peut
être très bas en raison de cette anomalie. Dans une telle population, les
proportions observées pour des bas QI seront plus élevée que ne le prédirait la
distribution normale, car celle-ci n’explique par les cas dans lesquels le QI est
massivement déterminé par un seul facteur.
Note : On constate ci-dessus que les « bas » niveaux de l’échelle sont beaucoup mieux
représentés que les niveaux élevés, qui sont peu différenciés. Ceci peut être dû au fait que
80
les problèmes plus difficiles sont trop peu différenciés et ne discriminent pas assez les
sujets (il y a donc des unités de mesure inégale et l’échelle ne peut pas être considérée
comme d’intervalle, cf. ci-dessous).
Comme nous l’avons signalé, la plupart des mesures de traits physiques continus (tels
que la taille, la tension artérielle, le poids,…) se distribuent normalement, c’est-à-dire
selon la courbe de Laplace-Gauss décrite précédemment. Ceci est vrai de tout phénomène
déterminé par un grand nombre de facteurs indépendants.
C’est une des raisons pour lesquelles les psychologues différentiels cherchent à construire
leurs mesures de façon à ce qu’elles se distribuent normalement. Le fait que la
distribution du QI, par exemple, épouse la courbe de Laplace-Gauss et ait une
moyenne de 100 et un écart-type de 15, n’a donc rien de fortuit, et ne reflète pas
nécessairement la distribution « réelle » de l’intelligence. Cela reflète simplement le
fait que les auteurs du test de QI utilisé ont construit leur test, et choisi les items, de
façon à ce que cette distribution soit normale et centrée sur 100.
Le fait que la propriété que l’on mesure se distribue normalement présente différents
avantages:
81
rapport à une «norme».
2. En second lieu, le fait qu’un score soit distribué normalement permet d’effectuer ce
qu’on appelle des test d’inférence paramétrique. Il s’agit de méthodes statistiques
cherchant à inférer à partir d’observations leur compatibilité avec une population
plus globale: par exemple, puis-je affirmer qu’un groupe d’étudiants en psychologie
ont une empathie plus développée que la moyenne de la population? Pour le savoir,
je dois disposer d’une mesure d’empathie. Si je peux supposer que cette mesure
d’empathie est distribuée normalement dans la population de référence, je pourrai
utiliser des méthodes statistiques (voir cours d'analyse de données), dites
paramétriques, qui me permettront d’établir s’il en est bien présent. Ces méthodes
présupposent que la propriété mesurée est distribuée normalement dans la
population.
Revenons à notre mesure d’extraversion. Pour la traiter comme une échelle d’intervalle,
il vous faudrait idéalement administrer une batterie (c’est-à-dire un ensemble) de
questions ou items portant sur l’extraversion à un échantillon représentatif de la
population qui vous intéresse, ce qui vous permettra de «l’étalonner». L’étalonnage d’un
test est la graduation de l’échelle des résultats de celui-ci en fixant des échelons qui
vont permettre la comparaison des résultats de divers individus.
Par exemple, vous comptabiliseriez le nombre de « oui » obtenus par chaque individu
et construiriez un tableau de fréquence (en dénombrant le nombre de personnes ont
répondu « oui » à une questions, deux questions, …). Par ailleurs, vous calculeriez les
fréquences attendues correspondant à la distribution normale, c’est-à-dire le nombre de
personnes qui devraient avoir obtenu chaque score d’extraversion à votre échelle, si ces
scores se distribuaient normalement. Vous constaterez peut-être que votre distribution
n’est pas « normale », par exemple que trop de scores se situent vers le « bas » de
l’échelle, ce qui signifie qu’il y a davantage de réponse « non » que ne laisserait supposer
une distribution normale ou, en d’autres termes, trop de vos questions supposent un
degré « élevé » d’extraversion. Pour corriger cela, vous pourriez supprimer des questions
supposant un degré élevé d’extraversion, ou en ajouter supposant un degré faible
d’extraversion. Vous opéreriez de la sorte jusqu’à obtenir une distribution qui épouse,
quasi-parfaitement, la distribution normale. De cette façon, les scores que vous obtiendrez
auront une signification par rapport à cette population. Par exemple, si la moyenne dans
cette population est de 50 et l’écart-type de 15, vous pourrez interpréter aisément le score
de 45 ou de 60 obtenu par un sujet (appartement à la même population) auquel vous
administrerez ce test. Pour la même raison toutefois, votre score n’a pas une signification
absolue.
82
En psychologie, dès lors qu’on ne dispose pas de moyens directs pour établir l’égalité des
intervalles entre les valeurs successives d’une mesure psychologique (comme le permet
un chronomètre pour la mesure du temps, ou un mètre pour la mesure de la longueur),
seul un tel étalonnage permet de postuler cette égalité. Le raisonnement est donc
double16 :
Remarquons que la signification de la mesure n’est garantie que si l’échantillon chez qui
on utilise ensuite le test provient de la même population que l’échantillon chez qui on a
étalonné le test. Si ce n’est pas le cas, il est possible que, dans la population « n° 2 »
(c’est-à-dire celle dont provient le second échantillon), le test ne soit pas distribué
normalement et qu’on ne puisse donc pas considérer les scores comme se mesurant sur
une échelle d’intervalle.
Tous les tests utilisés en psychologie différentielle ne sont pas étalonnés. Par exemple,
des chercheurs ou mémorants pourraient construire des items spécifiquement pour une
recherche qu’ils mènent sans les avoir soumis à un échantillon représentatif
préalablement. Ne sont-ils dès lors pas autorisés à considérer les scores comme une échelle
d’intervalle? Un psychométricien serait peut-être tenté de répondre par l’affirmative. En
pratique, on considère généralement que, si la distribution obtenue est compatible avec
l’existence d’une distribution normale dans la population de référence (c’est-à-dire qu’elle
n’en dévie pas trop), on est néanmoins autorisé à utiliser des méthodes statistiques
paramétriques.
De mon point de vue, il est important d’être bien familier avec la signification des échelles
de mesures. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue ce que l’on mesure. Si vous posez une
série de questions tirées de 50 tests mesurant des traits et compétences fort différentes,
il est tout à fait possible que vous obteniez une distribution normale, ce qui vous
autorisera à utiliser des statistiques paramétriques. Mais les scores ainsi obtenus n’auront
aucun sens psychologique. Il importe donc de bien distinguer les nombres de ce qu’ils
mesurent. Nos tests statistiques ne peuvent s’appliquer qu’aux nombres que nous
obtenons, et la validité des affirmations que l’on fait sur les réalités psychologiques
que nous évaluons dépend principalement de notre connaissance de ces objets, pas de
16
J’insiste particulièrement sur la nécessité de bien comprendre ce raisonnement !
83
la façon dont on les mesure. La question de la validité de la mesure, dont nous traiterons
plus loin, est donc la plus importante.
Pour pouvoir comparer aisément les scores, il importe également que le test soit
standardisé, en d’autres termes que les individus y soient confrontés dans des conditions
aussi similaires que possible (cf. ci-dessous).
Comme nous l’avons signalé, les scores bruts à un test ou à un examen sont
généralement constitués par le nombre d’items réussis ou le nombre de
points obtenus pour chaque réponse. Ces scores bruts sont éventuellement
transformés ou combinés de manières diverses pour aboutir à des scores
totaux qui s’expriment, par exemple, en score de 1000 points représentant
les points obtenus aux différents examens. Bien sûr, si on s’intéresse au
nombre de points, on a l’air de manipuler une échelle d’intervalle. Du point
de vue de l’étudiant, qui s’intéresse au résultat d’un examen comme
évaluation de sa réussite, c’est même une échelle de rapport (on peut dire
que quelqu’un qui a obtenu 20 a réussi deux fois mieux le cours que
quelqu’un qui a obtenu 10 dès lors que la réussite globale d’une année est
uniquement mesurée en points). Mais comme témoins des aptitudes sous-
jacentes, donc comme représentation degré d’aptitude à réussir en
psychologie, ces points ne permettent que d’atteindre un niveau ordinal de
mesure (du moins avant étalonnage). Ici, le manque de poètes qui nous
construiraient des abscisses irrégulières se fait sentir. Il est évident qu’il
paraîtrait saugrenu à la plupart d’entre nous que les distributions de
fréquence soient construites sur des abscisses où l’intervalle pour les QI de
70 à 80 soit de 2 cm, celui pour les QI de 80 à 90 de 5 cm, celui pour les QI
de 90 à 100 de 3 cm En fait, cette solution n’introduirait aucune distorsion
dans l’interprétation des données. Elle n’est pas a priori moins légitime que
le fait d’attribuer des intervalles égaux. Elle empêcherait même qu’on
interprète abusivement les formes des distributions des points de QI ou des
scores de réussite comme si elles correspondaient à la forme des distributions
des aptitudes sous-jacentes.
17
Cet encadré très important également est emprunté au syllabus du cours de psychologie différentielle de D.
Holender (éd. 2003-2004).
84
6.1. Un exemple concret de pseudo-étalonnage18
Pour vous aider à mieux comprendre le lien entre distribution normale et niveau
de mesure (intervalle), j’ai élaboré un scénario imaginaire:
• Grâce au logiciel Excel (qui peut faire des miracles), j’ai «inventé» 322 étudiants.
Pour chaque étudiant, j’ai également généré au hasard une réponse pour chaque
question de telle sorte qu’il ait une chance sur deux de la réussir.
• J’ai ensuite calculé le score total de chaque étudiant à l’examen. Celui-ci peut
varier entre 0 et 3. Vu que les questions ont chacune le même niveau de difficulté, cet
indice mesure la compétence en psychologie différentielle sur une échelle d’intervalle.
• En troisième lieu, j’ai compté le nombre d’étudiants qui avaient obtenu chacun
des quatre scores possibles, entre 0 et 3.
18
Je dis «pseudo» parce que l’étalonnage ne se fait pas sur une distribution normale mais
binomiale.
85
Que constate-t-on? La distribution ressemble à une binomiale (voir cours d’analyse de
données): beaucoup de 1 et de 2, relativement peu de 0 et de 3. Considérons que la
binomiale est l’équivalent d’une normale appliquée à une variable non continue comme
celle-ci (il est impossible d’avoir un score de 1,2 ou de 1,5). Selon le même principe, je
génère une nouvelle série de données et j’obtiens ceci:
Le constat est à peu près identique, si ce n’est qu’on observe un peu plus de «2» que
dans la première version. Normal: il existe des petites variations d’un échantillon à
l’autre.
86
Figure 8: Fréquence des scores à l’examen de PDI
A présent, revenons à nos quatre questions et imaginons que l’une soit beaucoup
plus difficile que les autres. Dans ce cas, on ne peut plus affirmer que le score global de
l’examen mesure la compétence en PDI sur une échelle d’intervalle. Pour s’en convaincre,
voici trois étudiants et leurs réponses.
Total 2 3 4
Peut-on dire que la différence de 1 point entre l’étudiant 1 et l’étudiant 2 reflète le même
différentiel de compétence en PDI entre l’étudiant 4 et l’étudiant 3? Non! Vu que la
question 4 est plus difficile que les autres. Les intervalles ne sont donc pas égaux.
87
A présent, imaginons que je génère à nouveau une série de résultats fictifs d’étudiants en
tenant compte de cette difficulté. Cette fois, je fixe, grâce à Excel, une probabilité de
réussir de 50% pour les deux premières questions mais seulement de 25% pour la
troisième. Que va-t-il se passer? On le voit ci-dessous. La distribution devient
asymétrique: on constate davantage de «0» que de 3, davantage de 1 que de 2. Elle
s’éloigne de la normale.
Imaginons à présent que l’item difficile soit plus difficile encore: 1 chance sur 8 de le
réussir (4 fois moins que les autres). Voici ce que donne la distribution de la réussite de
mes 8 étudiants fictifs:
88
Figure 8: Fréquence des scores à l’examen de psychologie différentielle
Voici enfin les résultats de simulation de difficulté de l’exercice selon qu’on ait
une chance sur 2, 4, 6 ou 10 de réussir l’item le plus difficile (les autres étant fixés à 1
chance sur 2). On voit que par rapport au cas «1 chance sur 2», les autres courbes se
distinguent petit à petit de la normale.
Cet exemple illustre donc qu’une variable d’intervalle (ici la difficulté du test)
tend à se distribuer normalement. Lorsque j’ai introduit une modification de l’échelle de
89
telle façon que l’égalité des intervalles n’était plus respectée, la distribution résultante
s’éloignait de la normale (ou, plus précisément ici, de la binomiale).
Dans l’exemple précédent, j’ai construit le test de façon à ce que les intervalles
entre les scores correspondent à des niveaux de difficulté identiques. Comme on le
constate, en pratique, cela revient à étalonner le test sur une distribution s’approchant
de la normale (même si sa distribution ne peut pas être parfaitement normale vu qu’il
n’y a que 4 valeurs possibles). Remarquons que, pour étalonner un test, il n’est pas
absolument nécessaire que tous les items aient le même niveau de difficulté. On aurait
pu combiner des items de difficultés différentes et examiner la distribution du score global
dans la population qui nous intéresse. On modifiera, retirera, ajoutera, certains items
jusqu’à obtenir une distribution normale. Donc, si l’égalité des niveaux de difficulté des
items donnera lieu à une distribution normale, l’inverse n’est pas nécessairement vrai: on
peut ainsi compenser l’ajout d’un item difficile, par un item plus facile, ce qui rétablira
la normalité.
Lorsqu’on mesure une quantité physique comme la taille, il est possible d’établir
un critère objectif grâce à un outil de mesure qui ne dépendra pas des autres quantités
mesurées: la taille d’un enfant de 6 ans ne change pas selon qu’il soit placé à côté d’un
adulte ou d’un enfant de 2 ans. 1 cm reste 1 cm quel que soit l’échantillon évalué.
Dans l’exemple ci-dessus, les différences entre deux scores successifs sont
considérées comme identiques en raison de la difficulté des items, qui est équivalente
pour chacun d’eux. Cette difficulté n’est toutefois pas une entité objectivable et isolable
de la population dans laquelle elle est mesurée. La difficulté de l’item ne peut être évaluée
qu’en administrant cet item a une population donnée. Par exemple, je peux avoir estimé
cette difficulté sur base d’examens de psychologie différentielle administrés à des cohortes
précédentes d’étudiants. Il est possible que, pour une autre population, les items ne soient
pas de difficulté identique. On ne pourrait dès lors pas considérer, pour ces personnes,
que la difficulté globale du test soit mesurée comme une échelle d’intervalle. Le niveau
de mesure d’une variable est donc intrinsèquement lié à la population dans laquelle
elle a été étalonnée. Pour reprendre l’exemple UCL / ULB, le problème de la
comparaison n’est donc résolu que si l’on peut raisonnablement considérer que les deux
échantillons (correspondant à chaque université) proviennent d’une même population et
que le test a bien été étalonné dans cette population. Il n’en reste pas moins que tout
score n’aura de sens que par rapport à cette population parente.
Un score n’a donc pas de valeur absolue. Pour être interprété, une valeur donnée
doit être située par rapport à la moyenne et à l’écart-type de la population considérée.
C’est pourquoi, il est courant de standardiser les scores d’une variable psychologique (cf.
90
cours d’analyse de données). Standardiser correspond à retrancher la moyenne et à diviser
cette différence par l’écart-type. De cette façon, les scores sont facilement interprétables.
Par exemple, une personne qui obtient 1 est un écart-type au-dessus de la moyenne. Une
personne qui obtient -2, deux écart-types sous la moyenne, etc. Le zéro dans ce cas
correspond donc à la moyenne de la population considérée et non pas à l'absence de la
propriété en question (comme dans une échelle de rapport).
Sources et références:
91
Chapitre VI: Corrélation
La notion de corrélation sera abondamment utilisée dans ce cours. Il importe donc de
bien la maîtriser. Le coefficient de corrélation (noté r) est mesure du degré d’association
entre deux variables généralement mesurées à un niveau d’intervalle19. Il s’agit de la
mesure statistique appropriée lorsqu’on souhaite apprécier la relation entre deux mesures.
Par exemple, nous pourrions être intéressés par la relation entre la tendance à être
solitaire et la dépression : le fait d’être solitaire rend-il dépressif ? Nous pourrions
demander à un grand nombre d’individus de remplir (via un questionnaire) une échelle
de « solitude » et une échelle de « dépression ». Si les deux mesures sont liées, nous
nous attendrions à ce que les individus qui obtiennent un score élevé sur une mesure
obtiennent également un score élevé sur l’autre. De même, ceux qui obtiennent un score
faible en solitude devraient obtenir un score faible en dépression.
19
Il existe plusieurs coefficients selon le niveau de mesure des données. Toutefois, pour simplifier la
présentation, je me contente ici d’évoquer le cas de mesure d’intervalle.
92
La figure ci-dessus représente quatre résultats possibles d’une telle recherche. Chaque
point représente les résultats d’un sujet sur les deux échelles. Le premier résultat (à
gauche) indique que le score d’un individu sur une échelle est un prédicteur relativement
bon de son score sur l’autre échelle20. Dans ce premier cas, nous savons que quelqu’un
qui a un score élevé en « solitude » en a probablement également un en « dépression »
également. Le graphique en bas à gauche indique une absence de relation entre les deux
mesures. Connaître le score d’un individu sur une échelle ne nous procure aucune
information sur son score sur l’autre échelle. Le graphique en haut à droite nous
indiquerait que connaître le niveau de solitude d’un individu nous aidera à prédire son
niveau de dépression mais dans le sens inverse à celui qu’on avait prédit (plus on est seul,
moins on est déprimé). Enfin, le graphique en bas à droite représente la même relation
que celui en haut à gauche mais elle est moins forte: si quelqu'un à un haut niveau de
dépression, il est plus probable qu'il ait un haut qu'un faible niveau de solitude, mais il
y a beaucoup d'exception.
Après avoir effectué les calculs appropriés, nous pouvons décrire les données
correspondant à ces graphiques sous forme d’un nombre unique, le coefficient de
corrélation (noté « r »), qui peut varier entre -1 et 1. Plus le coefficient se rapproche
d’un de ces deux extrêmes (et donc plus il s’éloigne de 0), plus la relation entre les deux
mesures est forte. Plus la corrélation est forte, plus le "nuage" de points se rapprochera
d'une ligne droite (un r de 1 ou -1 = une droite parfaite). On voit ainsi que le nuage en
haut à gauche est plus "fin" (r = .67) que le nuage en bas à droite (r = .25).
20
Remarque : « loneliness » = solitude en français
93
Pourquoi A & B sont-ils corrélés? 3 possibilités
A B A B A B
C C C
Où est l’erreur ?
Selon Huteau, «une observation psychologique est dite valide lorsqu’elle permet
d’atteindre de manière satisfaisante les objectifs visés par celui qui l’a élaborée. Il y a
donc autant de types de validité que de catégories d’objectifs». Par exemple, un test de
94
sélection est valide si les scores à ce test sont fort liés aux performances ultérieures des
candidats. Un test d’intelligence est valide s’il différencie bien les individus en fonction
de leurs aptitudes intellectuelles. Un test de personnalité valide différencie bien les gens
selon des différences sensibles de personnalité. Toutefois, trois grands types de validité
peuvent être considérés :
Par exemple, dans les théories de la lecture on distingue aujourd’hui deux procédures
intervenant dans la lecture de mots (exemple emprunté à Lavault & Grégoire, 2001).
L’une intervient lorsque le lecteur décode des mots réguliers rencontrés pour la première
fois, l’autre fonctionne lorsque le lecteur doit lire des mots irréguliers (par ex. «femme).
Si le sujet parvient à lire correctement les mots de la première catégorie mais échoue à
lire ceux de la seconde catégorie, ce phénomène pourra être interprété à la lumière du
modèle théorique: une des procédures de lecture des mots n’est pas opérationnelle. Pour
valider un test de lecture de mots qui s’appuie sur un tel modèle théorique, il est
nécessaire de vérifier si les scores au test se conforment aux exigences du modèle.
La validité de construit peut être menacée par de nombreux biais. Citons-en deux:
95
d’extraversion (ce qui incite les chercheurs à contrebalancer les questions de façon à ce
qu’une réponse positive indique tantôt un pôle de l’échelle et tantôt l’autre).
2. La validité de contenu désigne quant à elle le fait que votre test couvre bien l’ensemble
du domaine défini par votre concept. Par exemple, un test de connaissances en
mathématiques devra couvrir tous les aspects des mathématiques et ce de façon
appropriée pour les sujets étudiés.
- La validité concomitante (ou concourante) évalue la corrélation des scores avec ceux
obtenus sur une autre échelle de référence. Par exemple, on peut s’attendre à ce que
les résultats d’un test censé évaluer la dépression soit corrélés avec l’évaluation de
l’humeur du sujet par un clinicien (le critère externe en l’occurrence).
- La validité discriminante: il s'agit ici d'établir que le construit que vous mesurez
est bien distinct d'un autre construit proche. Par exemple, dans la littérature sur la
mémoire collective, on distingue la "honte" et la "culpabilité" collective (le fait d'avoir
honte vs. de se sentir coupable au nom de son groupe d'appartenance). Si, toutefois,
vos mesures de hontes et de culpabilité ont une corrélation fort élevée, on peut douter
qu'en pratique elles mesurent deux construits psychologiques différents. La validité
discriminante est donc l'inverse de la validité concourante. On cherchera à ce que la
corrélation avec d'autres variables conceptuellement proches soit élevée mais pas au
point de se recouvrir totalement avec ces variables.
96
La standardisation21
La standardisation a pour fonction essentielle d'éliminer les biais dans l'observation dus
à la subjectivité de l'observateur. De tels biais sont systématiquement observés, et ils
sont massifs, dans les évaluations des écoliers par les enseignants ou dans les évaluations
des compétences des travailleurs par leurs supérieurs hiérarchiques. Lorsque deux
individus sont évalués différemment, on ne sait pas très bien alors si les différences
relevées sont de vraies différences, ou si ce ne sont que des pseudo-différences, c'est-à-
dire des erreurs d'observation reflétant les fluctuations de la procédure d'évaluation (par
exemple, le fait qu’un professeur soit plus sévère qu’un autre ou apprécie moins un élève).
Lorsque les biais dus à la subjectivité de l'observateur sont éliminés, on dit que
l'observation est objective. Si l'objectivité ainsi définie est nécessaire pour comparer les
individus, elle n'est cependant pas suffisante. Il faut s'assurer que les observateurs ne
sont pas victimes d'erreurs systématiques. En effet, les observateurs peuvent très bien
être d'accord entre eux mais tous se tromper. L'objectivité n'est qu'une caractéristique
21
Section également empruntée à Huteau, op. cit.
97
formelle de l'observation et le caractère objectif d'une observation ne nous dit absolument
rien de sa pertinence.
La fidélité
Il n’est jamais possible de mesurer parfaitement une dimension, qu’elle soit psychologique
ou physique. La mesure est toujours imprécise. Par exemple, votre balance électronique
est en partie influencée par le taux d’humidité, la température, la pression atmosphérique,
l’usure des circuits, la position exacte de vos pieds, etc. Il en va de même lorsqu’on
cherche à mesurer des traits psychologiques. L’erreur peut être due par exemple au mode
d’administration du test: ainsi, un sujet qui n’a pas l’habitude de l’informatique pourrait
avoir de la peine à répondre à un test informatisé et obtenir un score correspondant
moins fidèlement à ses aptitudes que s’il faisait un test papier-crayon. Cela peut être dû
à l’humeur du sujet qui, par exemple, influence sa performance à un test d’intelligence
(il est moins patient lorsqu’il est de mauvaise humeur et tend à répondre de façon
impulsive à des questions pour lesquelles il n’identifie pas directement la réponse). Cela
peut aussi être dû au fait que chaque item ne mesure pas exactement la même chose:
chaque item évalue en partie ce que l’on souhaite mesurer mais également d’autres
dimensions psychologiques. Par exemple, la question «aimes-tu sortir le soir?» mesure
l’extraversion (peut-être) mais, indirectement, le fait d’être disponible en soirée (ce qui
pourrait par exemple être plus difficile pour des parents isolés, etc.). La façon dont le
sujet se situe sur ces dimensions influencera son score global au test d’extraversion.
X = R + E
Score observé Score réel Erreur
Le score réel correspond à la partie du score observé qui évalue la dimension que l’on a
véritablement souhaité mesurer (par exemple l’extraversion) et l’erreur correspond à ces
différents facteurs externes qui affectent la mesure. L’erreur peut elle-même se diviser en
deux composantes: l’erreur systématique et l’erreur aléatoire. L’erreur systématique
correspond au fait que notre mesure est systématiquement influencée par un facteur qui
est étranger au construit mesuré. Par exemple:
98
psychologie différentielle. Ce problème touchera à peu près tous les étudiants et rèvera
de l'erreur systématique.
- Si les questions d’un test sont formulées dans une langue que ne
comprennent pas bien les sujets, ce facteur relèvera également de l’erreur systématique.
- Si le test est trop facile ou difficile, je mesurerai mal la compétence sous-
jacente (une proportion importante de sujets réussissent/échouent et je n’arrive donc
pas à distinguer certaines variations dans la compétence).
L’erreur systématique influence la validité de la mesure dès lors qu’on mesure moins bien
ce qu’on veut mesurer.
D’autres sources d’erreur sont aléatoires. C’est le cas par exemple du fait d’être un
parent isolé ou non dans le cas de l’exemple donné préalablement («Aimes-tu sortir le
soir?»). En ce qui concerne l’évaluation de votre compétence en psychologie différentielle,
certains étudiants auront plus étudié que d’autres, certains auront mieux dormi que
d’autres la veille du test, certains seront en meilleure forme le matin, d’autres le soir. Ce
sont là tous des facteurs aléatoires.
Un test est dit fidèle s’il minimise cette erreur aléatoire. Elle nous renseigne sur la
précision de la mesure.
99
Fidélité et stabilité temporelle
Lorsque vous vous pesez sur différentes balances, vous supposez généralement que
chacune mesure la même dimension, votre poids. Peut-on en dire de même des différentes
questions que vous avez posées pour mesurer l’extraversion ? Comme nous l'avons vu,
il est concevable que les réponses à vos questions ne dépendent pas uniquement du niveau
d’extraversion mais d’une multitude d’autres facteurs. Par exemple, la réponse à la
question concernant le fait d’ « aimer faire la fête » ne dépend peut être pas uniquement
de l’extraversion mais également de l’humeur ; « aimer les situations sociales » ne
dépend peut être pas seulement de l’extraversion mais bien du degré d’égocentrisme, etc.
Ici donc, la fidélité ne concerne pas les sujets mais le fait que les opérationnalisations du
concept que nous étudions sont susceptibles d’être imparfaites : on ne mesure pas
uniquement la dimension que l’on souhaite mesurer mais également des dimensions qui
ne nous intéressent pas et qui dans ce cas-là sont considérées comme « erreur ».
100
aspects de la fidélité) d’une mesure est précisément que les réponses aux différentes
questions, ou « items », soient corrélées entre elles.
Nous avons vu que le Score observé dépend du score réel et de l'erreur. De nombreuses
sources d'erreur aléatoire varient d'un item à l'autre. Par exemple, à la question
"Combien de fois par an parles-tu en public" (comme mesure d'extraversion), une source
d'erreur aléatoire pourrait être la profession de la personne interrogée alors qu'à la
question "A quelle fréquence sors-tu le soir?", une source d'erreur aléatoire pourrait être
le fait qu'elle habite en ville ou à la campagne. Ces sources d'erreurs aléatoires opèrent
parfois dans un sens, parfois dans l'autre. Une personne qui habite à la campagne et qui
a un travail lui demandant de parler beaucoup en public verra son score d'extraversion
"gonflé" pou un item et "sous-estimé" pour l'autre. Si toutefois, on effectue la somme des
scores aux deux items, ces sources d'erreur aléatoire vont partiellement s'annuler et le
score résultant sera donc une meilleure estimation du score réel. Ce raisonnement peut
s'appliquer bien sûr à un plus grand nombre d'items. Voilà pourquoi, pour maximiser
aussi bien fidélité que la validité d'une échelle, il est utile de combiner de nombreux items
en une seule échelle. Ceci n'est toutefois possible que si chaque item mesure au moins en
partie le construit considéré, qu'il est donc valide.
La Sensibilité
Un test est sensible s’il permet de bien différencier les valeurs que peuvent prendre
la propriété qui est mesurée. Par exemple, si vous posez la question « Vous considérez-
vous comme une personne ouverte ? », et offrez comme réponses « oui » et « non », il
est probable que tout le monde répondra « oui ». Votre instrument de mesure de
« l’ouverture d’esprit » sera donc peu sensible. Une question plus subtile sera plus
appropriée. Une autre façon de procéder consistera à proposer des niveaux de réponse
intermédiaires (« pas du tout », « un peu », « moyennement », etc.).
101
Exemples de questions d’examen
(1 réponse correcte.1point par bonne réponse, -1/3 de point par mauvaise réponse).
102
Aucune des réponses ci-dessus
6 Selon Riesman, Le gyroscope est une métaphore
permettant de décrire…
l’intro-détermination X
Le conformisme
L’extro-détermination
L’auto-régulation
7 Quelle affirmation concernant le terme de "Gesellschaft"
est correcte?
Ce terme est emprunté au sociologue allemand Tonnies X
Il s’agit d’un environnement auquel l’individualisme est peu
adapté
Ce terme caractérise des collectivités rurales
Ce terme caractérise la société allemande du XIXème siècle.
8 Remplissez les blancs. ………. considère que la connaissance
est relative, ………. montre comment on peut parvenir à
une connaissance objective, …….. considère que l’individu
est capable de réguler des propres désirs.
Hobbes, Descartes, Montaigne
Hobbes, Locke, Montaigne
Montaigne, Descartes, Locke X
Locke, Descartes, Hobbes
9 La Fable des abeilles illustre
La nécessité de l’intro-détermination
La civilisation des moeurs
L’utilité du vice pour le fonctionnement social X
La pensée de Descartes
10 Quelle affirmation concernant le darwinisme est
incorrecte?
Le darwinisme permet de légitimer la position sociale de la X
noblesse
Le darwinisme s’intéresse aux différences individuelles,
contrairement à l’empirisme de Locke.
Le darwinisme social offre une explication au rapport
individu - rôle social
Le darwinisme social suggère que la société s’améliore à
travers le conflits entre individus pour accéder à des
ressources rares.
11 Parmi les objectifs suivants, lequel poursuit Binet à
travers son test d’intelligence?
Différencier l’intelligence de l’instruction X
Mieux comprendre la nature de l’intelligence
Identifier les enfants particulièrement brillants
103
Mieux orienter les nouvelles recrues dans l’armée française
12 Quelle affirmation est correcte?
Si le QI est influencé par des facteurs génétiques, les
différences de QI moyen entre groupes sociaux sont dues en
partie à des facteurs héréditaires
Les items utilisés dans le test Terman minimisent les biais
culturels
A travers leur fonction dans l’orientation, les tests X
psychologiques peuvent contribuer à reproduire les inégalités
sociales, surtout s’ils sont invalides.
L’âge mental des Américains blancs testés par Terman est
assez élevé.
13 Aux yeux de …….., l’école est une institution qui ……………….
en propageant l’idée selon laquelle la performance scolaire
est le reflet du mérite de l’élève (remplissez les blancs)
1. Croizet/ contribue à la domination des élites sociales X
2.Herrnstein et Murray / permet de sélectionner les
individus les plus brillants
3. Croizet/ permet de sélectionner les individus les plus
brillants
4. Herrnstein et Murray/ contribue à la domination des
élites sociales
14 "Dans quelle mesure étiez-vous triste lorsque les Diables
Rouges ont perdu en demi-finales contre la France?".
Réponses de 1 (pas du tout) à 7 (tout à fait). Sans autre
information, cette mesure de la déception ressentie suite à
la défaite des Diables Rouges est…
1. Nominale
2. Ordinale X
3. Intervalle
4. de Rapport
15 X souhaite développer une mesure de stress professionnel.
Il lui importe toutefois de s’assurer qu’elle soit bien
corréleé avec des mesures d’anxiété car le stress et
l’anxiété sont des construits théoriquement liés. D’un
point de vue psychométrique, X se préoccupe de….
1. La validité concourante de sa mesure X
2. la fidélité discriminante de sa mesure
3. La validité de construit de sa mesure
4. La consistance interne de sa mesure
104
105