Pourquoi certains mots nous paraissent-ils « laids » ?
Nous avons tendance à trouver beaux ceux que nous connaissons et disgracieux ceux qui nous surprennent, mais aussi à préférer ceux qu’il est facile de prononcer, ce qui peut expliquer aussi que les onomatopées fassent florès, souvent méprisés alors qu’ils constituent un remarquable enrichissement de la langue. PAR MICHEL FELTIN-PALAS
LES MOTS LAIDS,
C’EST PAS LE PIED J e dois vous faire une Supposons que, depuis l’énergie qu’elle requiert. Pour le confidence : la première dire d’une formule : nous sommes fois que j’ai lu autrice, j’ai ma plus tendre enfance, fainéants ! Cela est si vrai que, trouvé ce mot affreux. j’aie entendu parler des parfois, nous avons recours à des Et j’ai été sacrément sur- autrices comme des astuces pour faciliter la prononcia- pris quand un linguiste de mes amis tion de certains groupes de mots. En m’a appris que ce féminin de auteur institutrices, aurais-je voici quelques exemples : avait été longtemps utilisé et attesté été heurté par ce terme ? Suppression d’une voyelle. Si nous en français. En réalité, il a fallu at- disons « j’aime », c’est parce que « je tendre le xviie siècle pour que les semblait nous choquer à la première aime » est difficile à articuler en premiers académiciens – tous des écoute », écrit le linguiste Jean raison de la présence consécutive hommes, ce n’est peut-être pas un Pruvost, avant d’ajouter : « Se sou- de deux voyelles. D’où le recours t-elle ? », « Change-t-il souvent de hasard – chassent ce terme du vo- vient-on que l’on trouvait fort laids à l’élision (suppression du e). Ce voiture ? », le mécanisme est sem- cabulaire officiel et de leur diction- les mots actualité ou estivant ? » n’est là bien sûr qu’un exemple entre blable au précédent. L’adjonction naire. L’usage d’autrice s’est alors Il est toutefois un autre critère à mille : le procédé est identique pour du [t] permet d’éviter le choc entre perdu avant que le mouvement fé- prendre en compte dans ce raison- l’alouette, l’historien, l’orient, l’urba- deux voyelles que provoquerait ministe contemporain ne s’en em- nement : ce qu’en termes savants on nisation et… l’euphonie. la simple inversion sujet-verbe. pare et ne lui redonne vie. appelle l’euphonie, c’est-à-dire le fait Ajout d’une consonne. Ici, la so- Il suffit de prononcer « mange-il ? », Supposons maintenant que, depuis qu’un son paraisse ou non agréable à lution adoptée est inverse. Au lieu « l’aime-elle ? », « change-il souvent ma plus tendre enfance, j’aie en- entendre. On nage là en pleine sub- d’éliminer un son, on en ajoute un. de voiture ? » pour mesurer l’intérêt tendu parler des autrices comme jectivité, certes, mais faites le test. Mais les objectifs poursuivis sont les du subterfuge. des institutrices, des directrices ou Dites à haute voix : « Mettez-y » ou mêmes : faciliter la prononciation et Emploi de « est-ce que ». « Est-ce des monitrices. Aurais-je été heurté « Prenez-en ». Et soyez franc : trou- rendre le résultat plus agréable à en- que tu viens ? », « Est-ce qu’on va au par ce terme ? Il est probable que vez-vous ça « beau » ? Pour la plupart tendre. Dans « si l’on veut », l’insertion cinéma ? » Phénomène intéressant à non. Car c’est là l’une des règles d’entre nous, la réponse est « non ». du [l] permet d’éviter la proximité du observer que le succès croissant de de la linguistique : nous avons ten- Or, selon qu’un mot ou un groupe [i] et du [o]. À l’impératif, c’est plutôt cette formule car elle est rarement dance à trouver « beau » ce que nous de mots flatte ou non nos oreilles, il le « s » qui est en usage, dans les cas jugée euphonique en soi. Si elle a connaissons et « disgracieux » ce qui connaît des fortunes diverses. où l’on recourt aux adverbes en ou y. tendance à se répandre, c’est donc nous surprend. « Un mot peut nous Il faut enfin considérer la facilité On ne dit pas « va-y » ni « chante-en qu’elle présente d’autres avantages. déplaire parce que nous ne sommes d’élocution. On l’oublie parfois, quelques-unes », mais « vas-y » et D’abord, elle permet d’éviter des pas habitués à l’entendre. Sitôt mais la parole est aussi une acti- « chantes-en quelques-unes ». emplois encore plus pénibles : à tout qu’il atteint une certaine fréquence vité physique et, consciemment ou Enfin, dans les formules interro- prendre, « est-ce que je me trompe ? » d’usage, on oublie totalement ce qui non, nous cherchons à économiser gatives « Mange-t-il ? », « L’aime- est tout de même plus commode que
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Le collectif féministe « Georgette Sand », qui milite notamment pour la féminisation des noms Platon lui-même de métier, comme autrice. s’est interrogé sur les onomatopées : les mots imitent-ils les choses par nature ou sont-ils le fruit d’une convention culturelle ? entendre – tagada et coa. Et puis, dans ce domaine comme ailleurs, les anglicismes gagnent du terrain, avec le succès de blam, ouah, snif, plash et waouh. Que l’on ne s’y trompe pas : au- delà de leur apparence ludique, les onomatopées rendent d’in- nombrables services, comme l’ont compris certains de nos grands auteurs. Crouach cropch traduit mieux qu’une longue périphrase une marche dans la neige (Coc- teau) ; slurp l’aspiration d’un ali- ment ; han l’effort ; ploutch un fruit pourri qui tombe (Hergé) ; brr le est « de suggérer par imitation pho- blondes d’Aquitaine devienne müh frisson ; taratata la mitrailleuse ; nétique la chose dénommée », selon en Suisse alémanique. Mais com- schlouhhouggh un bruit de succion la définition du Petit Robert. Au de- ment expliquer que coin-coin puisse (Frédéric Dard) ; bang le franchisse- meurant, d’après un sondage très donner vak vak en turc et bat’bat en ment du mur du son par un avion ; sérieux réalisé auprès d’un échantil- arabe d’Algérie ? Ou que notre coco- ding dong la cloche qui sonne ; plic Shebam, pow, blop, wizz… Brigitte Bardot dans « Comic Strip » de Gainsbourg. De lon représentatif des 10 personnes rico devienne chicchirichi en italien, ploc le robinet qui goutte ; aaaaah- quoi trouver les onomatopées moins laides… que j’ai croisées, je ne suis pas le kikeriki en allemand et cock-a-doo- hhhhhh la satisfaction infinie d’un seul. Aïe, areu areu, cric-crac, gla- dle-doo en anglais ? Je sais bien que aventurier perdu dans le désert dé- gla, pschitt, prout, pouf… Autour ces satanés Rosbifs adorent ne rien couvrant enfin une oasis. J’éprouve de moi, ce lexique particulier dé- faire comme tout le monde, mais pour ma part une tendresse particu- « me trompé-je » ? Dans d’autres cas, clenche des sourires, renvoie à l’en- enfin, quand même ! À l’évidence, lière pour celle-ci, qui rend le bruit par exemple avec « est-ce que tu fance et donne une furieuse envie on a affaire ici à une interprétation d’un robot : bruiiuizuizuizouiii (à viens avec nous ? », il s’agit surtout de jouer avec la langue. des sons et non à une simple imi- condition de ne pas avoir à l’écrire de rester dans un registre familier, Les onomatopées n’en sont pas tation. D’ailleurs, il existe même lors d’une dictée, évidemment). sachant que « viens-tu avec nous ? », moins chose sérieuse, comme le des onomatopées spécifiques aux Ce que j’apprécie, enfin, c’est que quoique tout à fait correct, peut sem- prouve la lecture du passionnant et français parlés en Belgique (où bêêk les onomatopées sont parfois exclu- bler un peu trop ampoulé. bien nommé Dictionnaire des ono- remplace beurk), en Suisse romande sivement composées de consonnes. Que les puristes ne s’offusquent matopées de Pierre Enckell et Pierre (où aïe donne ayo) et au Québec (où Voyez grr, mff ou le formidable tssst- pas de ces facilités. Après tout, sans Rézeau (PUF, 2003). Saviez-vous, l’on dit apitchou et non atchoum, tssst-tssst, qui marque une incrédu- ces différents stratagèmes, le latin par exemple, que Platon lui-même mioum-mioum et non miam-miam, lité ou une mise en garde. Jacques n’aurait jamais évolué et la langue s’était interrogé à leur sujet en se po- béding bédang et non badaboum). Brel, dans « Ces gens-là », décrit une française n’existerait tout simple- sant cette grave question : les mots Comme le reste de notre lexique, famille en train de « bouffer la soupe ment pas… imitent-ils les choses par nature ou les onomatopées suivent l’air du froide » par « Et ça fait des grands fl- sont-ils le fruit d’une convention temps. De nos jours, les tirs d’artil- chss ! Et ça fait des grands flchss ! ». Ode aux onomatopées culturelle ? Eh bien, révérence gar- lerie font boum, et non plus bou- Bref, dans une langue parfois cor- Beurk, zip, glouglou, coin-coin… dée envers le grand philosophe, dou ; les tambours ran plan plan et setée par un excès de purisme, les Souvent méprisés, ces mots qui la réponse me paraît évidente : le non plus don don bededou ; les son- onomatopées laissent place à une imitent les bruits constituent en ré- choix est culturel, pardi ! La preuve : nettes dring et non plus drelin. Il en heureuse inventivité. Et ne méritent alité un merveilleux enrichissement des sons équivalents débouchent sur va de même pour les animaux : ou- finalement qu’un mot : clap-clap. n de la langue française. Personnelle- des onomatopées différentes selon blié, le patata patata patata des che- ment, j’adore les onomatopées, ces les pays. Passe encore que le meuh vaux et le moüac des grenouilles. Ces deux chroniques sont à retrouver sur la lettre d’infor- drôles de termes dont l’ambition de nos vaches normandes et de nos Désormais, on entend – on croit mation de l’auteur, « Sur le bout des langues ».
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