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FRANCE

0123
DIMANCHE 19 ­ LUNDI 20 SEPTEMBRE 2021 |9

Projection
des pièces
à conviction
de l’attaque
du Bataclan,
lors du procès
du 13­Novembre,
à Paris,
le 17 septembre.
VAN BRUN
POUR « LE MONDE »

Plongée glaçante dans l’attaque du Bataclan
Un enquêteur a raconté en détail au procès, vendredi, à l’aide de plans, mais sans photos, la « scène de guerre »

L
a salle d’audience de la site de crash aérien : il faut subdivi­ apparaît, cerclée des couleurs spectateurs se sont réfugiés. « Il y qu’il se glisse dans la voix d’un ter­
cour d’assises spéciale­
Patrick Bourbotte ser une surface énorme en sous­zo­ rouge et jaune figurant une a énormément de traces ensan­ roriste, dans celle d’une victime ou
ment composée s’est connaît nes sur lesquelles on détache des explosion : « Les traits du visage glantées dans les sanitaires, le bleu qu’il lit la retranscription d’un son,
remplie plus tôt que d’ha­ groupes, pour avoir une vision sont intacts. A trois mètres de l’épi­ vert du carrelage avait disparu souvent le même : « Un coup de feu
bitude, en ce huitième jour du
la difficulté globale de la scène de l’attentat. » centre, découvrons une jambe sous le rouge marron du sang est tiré. » A la dixième minute, un
procès des attentats du 13 no­ de témoigner Les plans de chaque zone vont droite quasi complète, porteuse séché. » On pense au jeune assaillant : « Vous pourrez vous en
vembre 2015, à Paris. bientôt défiler à l’écran. Zone K : d’une chaussure taille 42, les lacets homme, à son premier CDI. prendre qu’à votre président Fran­
Sur un banc, un jeune homme
devant une cour l’entrée. Zone B : le bar. Zones E, F sont encore noués. » çois Hollande. Il fait le cow­boy du
et une jeune femme font connais­ d’assises, mais là, et G : la fosse… Sur chaque plan de Nouveau plan, vu du ciel. L’en­ « Une éternité » western à envoyer ses troupes
sance en attendant l’ouverture cet abécédaire, des silhouettes quêteur emmène son auditoire Sur l’écran apparaît : « Exploita­ partout dans le monde combattre
des débats. Ils étaient au Bataclan
prévient-il, c’est dessinées dans des petits carrés sur le toit du Bataclan. « Toute la tion du dictaphone. » Cet appareil, les musulmans… Aujourd’hui,
cette nuit­là. Ils ont l’air très jeu­ « hors norme » verts représenteront les corps des hantise qui m’a guidé était de pas­ retrouvé sur le balcon, apparte­ l’heure de la vengeance a sonné.
nes. On n’ose imaginer l’âge qu’ils victimes. « Débutons nos consta­ ser à côté d’une victime blessée qui nait à un spectateur qui a enregis­ C’est terminé tout ça. »
avaient alors. Lui raconte à sa tations par la zone J. » Situé sur le se serait mise dans un trou de sou­ tré le concert. « C’est pour moi le « Pour finir, reprend le policier,
voisine comment il s’est enfermé lentement derrière la cour dans balcon, cet espace donne sur le ris et serait décédée dans un endroit moment le plus délicat, par j’aimerais que nous entrions en­
dans une loge jusqu’à sa libéra­ un silence de cathédrale. Chacun couloir où deux terroristes ont re­ auquel nous n’aurions pas pensé », rapport à vous, les parties civiles. semble dans le Bataclan, tel qu’il a
tion par des policiers, peu après redoute les images qui vont bien­ tenu onze spectateurs en otages. lâche­t­il dans un souffle. On re­ Cette partie audio est très courte, été refait. Nous ne verrons aucun
minuit. Il s’était offert ce concert tôt s’afficher. Aucune photo de On suit l’enquêteur entre les ran­ pense à la jeune fille des combles. précise­t­il. Elle ne permettra pas corps. » Patrick Bourbotte fait pro­
pour fêter son premier CDI. Elle cadavre ne sera montrée. La jus­ gées de sièges, on rencontre une On passe à la zone C. « Nous d’identifier la tessiture des cris. » jeter une photo panoramique de
explique qu’elle s’était réfugiée tice a fait le choix de la pudeur « main dont un doigt est fraîche­ allons entrer dans le vif du sujet. » Décision a été prise de ne diffu­ la salle rénovée, dans laquelle il
dans les combles. Les deux jeunes pour ce procès. La mort sera ment amputé », celle du troisième Première silhouette sur carré ser que les premières secondes navigue, de zone en zone, à l’aide
gens évoquent aussi l’après, leur représentée à travers des lieux, terroriste qui s’est fait exploser vert : le « corps d’une victime fémi­ des deux heures trente­huit mi­ d’une souris. Pour chaque zone,
vie, leur métier, racontent com­ des noms, des icônes et les mots sur la scène au rez­de­chaussée. nine à côté de sa valise ». On nutes et quarante­sept secondes une bulle bleue dévoile d’un clic
ment ils se sont reconstruits. du témoin. Apparaît à l’écran un compte quinze carrés verts sur ce de cet enregistrement qui a tout les noms des spectateurs qui y
Ils sont venus écouter, ce ven­ plan en trois dimensions du Quinze carrés verts plan. Huit d’entre eux sont « en­ capté, des premiers tirs – il y en sont morts. Zone B : « Chevreau
dredi 17 septembre, les constata­ Bataclan avec sa façade aux allu­ Des dizaines d’étuis percutés de ca­ chevêtrés, entremêlés, superposés, aura plus de 250 – jusqu’à l’assaut Baptiste, De Peretti Aurélie… » De­
tions réalisées par les policiers sur res de pagode chinoise. On lit : libre 7.62 sont retrouvés sur cette je ne sais même plus quel est le final de la BRI. Il s’agit de « la vant le bar, « Monsieur Pierre
la scène de crime après le massa­ « fosse », « balcon », « scène », « en­ zone, signe, selon l’enquêteur, que terme. Huit corps saisis par la bande­son des faits tels qu’ils se Innocenti… ». Dans la fosse : « De­
cre. Comme nombre de parties trée principale », « sortie latérale » les deux preneurs d’otages ont mort en même temps. Les victimes sont produits », dit l’enquêteur. Ici, nuit Alban, Foultier Christophe… »
civiles, ils s’apprêtent à entrer à et déjà on imagine ou se souvient. probablement tiré vers la fosse de­ sont tombées les unes sur les « ça ne dure que vingt­deux secon­ L’enquêteur lit chaque nom à
nouveau dans le Bataclan pour « Et là, nous rentrons dans la puis le balcon. « Plus avant, décou­ autres ». Les mots, à cet instant, des, qui durent une éternité ». voix haute. On progresse avec lui
revivre les deux heures et trente­ salle. » Nous sommes le 14 no­ vrons le corps d’un homme identi­ sont des images. Quelques parties civiles, peu dans ce lieu de fête transformé en
huit minutes de cette épouvante à vembre 2015, il est 5 heures du fié comme Germain Ferey. » A « La fosse. » Il marque un arrêt. nombreuses, quittent la salle. Le sépulture virtuelle. Pour nombre
huis clos à travers le rapport matin. Les blessés ont été éva­ l’écran, Germain Ferey est une « La fosse, c’est trois zones, E, F, G, président, Jean­Louis Périès, rap­ de parties civiles, a tenu à préciser
méthodique du témoin du jour. cués, les constatations peuvent silhouette dans un carré vert. c’est le cœur de la salle, la zone la pelle à ceux qui suivent les débats une avocate à l’issue de ce témoi­
débuter. « C’est assez indescripti­ « Passons, si vous le voulez bien, plus macabre : quarante­quatre depuis chez eux via la webradio le gnage, il était important de savoir
« Il faut le décrire » ble, mais il faut le décrire. L’am­ à la zone A. » C’est près de ce local corps. » Dans la zone E, dix­neuf numéro de téléphone de la cellule à quel endroit de la salle leurs
Patrick Bourbotte est enquêteur à biance est lugubre, froide. La technique, situé sur le balcon, que victimes. « Leur disposition incite psychologique qui a été mise à proches avaient été tués.
la brigade criminelle. Il coordon­ lumière blanche rend l’endroit la brigade de recherche et d’inter­ à imaginer qu’elles ont été fau­ leur disposition. L’enquêteur Voilà deux heures et demie que
nait les constatations réalisées blafard. Les corps sont enchevêtrés vention (BRI) a lancé l’assaut à chées dans leur mouvement de lance l’audio. La salle est plongée parties civiles, avocats, magis­
dans la salle de spectacle le 14 no­ les uns sur les autres. On n’avait 0 h 18. L’un des deux preneurs fuite vers la sortie de secours. » dans le silence. On entend quel­ trats et journalistes sont enfer­
vembre au petit matin, et durant jamais vu ça… » La gorge du poli­ d’otages a été tué, le second s’est L’enquêteur poursuit sa visite ques riffs de guitare, puis ce qu’on més avec l’enquêteur dans le tom­
les semaines qui ont suivi. Cet cier se noue. « On n’avait jamais fait exploser. Le témoin décrit le macabre dans une loge où des prend pour un solo de batterie, on beau du Bataclan. Il termine sa
enquêteur de 51 ans connaît la dif­ vu ça… » Il reprend : « Nous mar­ « corps coupé en deux » d’un comprend vite qu’il ne s’agit pas déposition en évoquant les deux
ficulté de témoigner devant une chons dans du sang coagulé, au homme de type nord­africain de ça, les tirs se succèdent en rafa­ découvertes réalisées à l’extérieur
cour d’assises, mais là, prévient­il, milieu de morceaux de dent, d’os, d’une trentaine d’années. « L’ex­ les, un affreux larsen de guitare de la salle : celle de la voiture des
c’est « hors norme ». Le massacre de téléphones qui vibrent – ce sont plosion a eu lieu sur la deuxième Le dictaphone monte comme un cri… La diffu­ trois terroristes, louée en Belgi­
du Bataclan, perpétré par trois les familles qui appellent – de sacs ou troisième marche de l’escalier, sion de l’enregistrement s’arrête. que par Salah Abdeslam, le princi­
djihadistes français armés de à dos, de sacs à main. Et des corps, tout près des otages. »
retrouvé Pour donner une idée de la suite, pal accusé de ce procès, et celle
fusils d’assaut Kalachnikov et de et des corps et des corps… » On descend l’escalier pour arri­ sur le balcon le policier a procédé à une sélec­ d’un téléphone retrouvé dans
ceintures explosives, a fait L’enquêteur doit en priorité pro­ ver sur la zone H : il s’agit de la tion de « moments choisis », qu’il une poubelle. Quelques minutes
90 morts et 202 blessés physiques. céder au « zonage » du charnier. scène sur laquelle le djihadiste
appartenait va lire à la barre. « L’agent qui a avant le début de la tuerie,
« Je vais avoir besoin d’une « On ne sait pas traiter une scène francilien Samy Amimour s’est à un spectateur procédé à cette retranscription a à 21 h 42, un des trois assaillants
projection pour illustrer mon de guerre. Il faut s’adapter. Cette fait exploser après avoir été tou­ encore en mémoire le son des voix, avait envoyé ce SMS : « On est
propos », commence le témoin. méthodologie emprunte aux cons­ ché par un tir de police. Sur
qui a enregistré les cris, les coups de feu », précise­ parti, on commence. » 
Un grand écran blanc descend tatations qu’on peut faire sur un l’écran, une photo de son visage le concert t­il. Le témoin change de ton, selon soren seelow

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