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23/09/2021 20:03 Une analyse de discours du manifeste « 

Pour des universités à la hauteur de leurs missions ». Pour une alternative à la gest…

Semen
Revue de sémio-linguistique des textes et discours

39 | 2015 :
Discours et contre-discours dans l’espace public
I. Dossier thématique

Une analyse de discours du


manifeste « Pour des universités
à la hauteur de leurs missions ».
Pour une alternative à la gestion
libérale des universités et de la
recherche en Europe
Alain Rabatel
https://doi.org/10.4000/semen.10477

Texte intégral
1 Le texte que je vais analyser ici, «  Pour des universités à la hauteur de leurs
missions » (abrégé ci-après en MUHM), relève du genre du manifeste, c’est-à-dire d’un
texte d’intervention politique ou culturelle à visée constituante (Maingueneau &
Cossutta 1995)1, que les lecteurs sont appelés à signer (ce qu’a fait l’auteur de ces
lignes). Le but de ce travail est d’abord d’analyser des caractéristiques formelles de ce
genre de contre-discours (désormais CD) (1), ensuite de le situer dans son contexte
d’émergence, puisque tout manifeste se présente comme un discours d’opposition à un
discours dominant (2), enfin de s’interroger sur la notion de CD (3).

1. Une analyse de discours du genre


manifeste
2 Mon positionnement est celui d’une analyse de discours engagée (Fairclough &
Wodak 2008, Rabatel 2008, 2011, 2013b, c, d), position qui n’est bien sûr pas
indifférente à la décision de répondre à la problématique sur les CD et au choix du

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corpus, mais qui n’est pas pour autant opposée au cahier des charges d’une démarche
scientifique descriptive, ambitionnant de rendre compte des discours, des acteurs et des
situations.
3 Le manifeste («  proclamation destinée à alerter l’opinion publique et à faire
apparaître des idées nouvelles dans un domaine quelconque », selon le Grand Larousse
de la langue française) se distingue de genres connexes  (brûlot, pamphlet, satire,
libelle, déclaration, appel) par plusieurs traits. Il analyse de façon le plus souvent
rationnelle, sans être nécessairement violente dans le ton, une situation donnée, à la
différence du brûlot, de la satire, plus passionnels. C’est aussi un texte collectif, à la
différence du libelle, du pamphlet ou de la satire, qui ont plutôt des auteurs individuels
(Burger 2002 : 22, 74). Au plan des finalités, le manifeste dénonce la crise et s’impose
comme solution par sa dimension programmatique (Ibid. : 82) tandis que le pamphlet
se borne à dénoncer. C’est pourquoi, en dépit de la force de la critique du monde actuel,
l’auteur (collectif) du manifeste ne partage pas l’ethos désespéré et solitaire du
pamphlétaire (Angenot 1982 : 20, 40, 44). La différence se marque aussi au niveau des
actes de langage, directifs et déclaratifs dans le manifeste, représentatifs dans le
pamphlet (Burger 2002 : 103-104). J’ajouterais un autre critère aux précédents : c’est
que le manifeste (comme l’appel) s’auto-désigne comme tel, à la différence du pamphlet
et plus encore du brûlot, dont l’appellation est rarement revendiquée par leur auteur –
 à cet égard, il est intéressant de distinguer les satires qui sont présentées comme telles
par leur auteur de celles qui sont dénommées ainsi de l’extérieur.
4 Avant d’analyser le texte du manifeste, je voudrais dire quelques mots sur la façon
dont ce document est né, selon son paratexte, sur le site <  http://www.univendebat/​
eu  >, sur lequel on trouvera l’intégralité du texte. Le manifeste est rendu public fin
janvier 2012, à l’initiative d’une collègue de l’université de Liège, et trouve très vite une
forte résonnance, à Liège, puis en Belgique et dans bien des pays européens. Le
paratexte se clôt sur un appel à signer le manifeste, « non comme on signe une pétition
à destination d’un tiers, mais aussi comme un engagement à résister au processus de
délitement et à agir personnellement en vue de retrouver une université à la hauteur de
ses missions. » L’interpellation renvoie à un positionnement éthique et civique, qui est
une pierre de touche de l’édifice manifestaire (Burger 2002  : 12), indissociable d’un
monde en crise.
5 Mais je laisse le contexte et le paratexte pour analyser le texte de MUHM lui-même.
Comme je ne peux traiter de l’ensemble, je sélectionnerai quelques extraits
emblématiques d’un manifeste contraint par la situation d’énonciation, le cadre
universitaire créant des attentes relatives à la critique et à la proposition d’un projet
alternatif crédible, à l’ethos de légitimité des auteurs.
6 Marcel Burger souligne que le texte des manifestes (T2) est réactif, renvoyant à une
logique antérieure (T1) et appelant à sa subversion (T3). Mais il importe de distinguer
un ordre chronologique et cognitif et sa mise en discours. L’ordre adopté par le
manifeste, très significativement, commence par indiquer quelles sont les missions
essentielles de l’université, avant même de dégager les caractéristiques du cours actuel.
En effet, dès le début, outre le titre, très explicite, il est rappelé les «  trois missions  »
que sont «  l’enseignement, la recherche et le service à la société  », missions qui, aux
yeux des signataires, ont

(1) pour finalités

- de conserver les savoirs acquis au cours de l’histoire, de produire de nouveaux


savoirs et de transmettre les uns et les autres au plus grand nombre avec les
controverses dont ils ont été l’objet ;

- de former les étudiants aux méthodologies de recherche et à l’analyse critique


des enjeux et effets sociétaux des questions, pratiques et résultats du champ
scientifique, à l’exercice d’une pensée dégagée de tout dogme dans la quête du
bien commun et à celui d’une activité professionnelle experte et responsable ;

- d’alimenter la réflexion des sociétés sur elles-mêmes, en particulier sur leur


modèle de développement.

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7 Contrairement à ce à quoi on aurait pu s’attendre, c’est-à-dire à la présentation


relativement cloisonnée des trois finalités (enseignement, recherche et rôle social des
universités), celles-ci sont étroitement intriquées dans chaque domaine de référence.
Pour ne prendre qu’un exemple, l’enseignement ne se borne pas à la transmission
académique des savoirs du passé, mais accorde une importance égale à l’innovation  :
cela présuppose un enseignement basé sur la recherche, et l’évocation des controverses
renvoie à des débats historiques, philosophiques, sociologiques ou épistémologiques,
car les savoirs ne font sens que par la saisie des logiques et choix sous-jacents des
acteurs individuels ou institutionnels, la compréhension de leurs enjeux. Cette première
finalité consacrée à l’enseignement souligne combien les savoirs sont lettre morte s’ils
sont déconnectés de la recherche et des problématiques sociales. Toutes choses égales,
il en est de même pour la recherche et les finalités sociales  : l’important est leur
articulation perpétuelle. Cela invite, en creux, à rejeter toutes les conceptions
dominantes qui, sous des discours variés, déclinent une conception utilitariste de
l’enseignement (réduit à la formation à l’employabilité), de la recherche (réduite à la
création de brevets industriels2, etc.). Cet ordre du discours pointe sur l’idée que le
discours n’est pas seulement réactif, mais profondément alternatif. Ce discours se
revendique dès le premier mot du manifeste, dans son titre avec la préposition
« Pour », en un texte positif et propositif, fondé sur des « missions », terme qui dénote
des charges importantes confiées à des personnes ou des institutions, non sans
renvoyer à une dimension sacrée qui pose d’emblée une obligation quasi morale qui
engage3 (ou devrait engager) les agents de l’institution chargés d’accomplir cette
mission comme les responsables (politiques) qui la leur confient. En procédant ainsi,
les auteurs de ce CD cherchent à « avoir prise » sur le champ discursif4 en contestant
d’emblée l’antériorité de la position hégémonique et en substituant au cadre du débat
actuel (l’adaptation de l’université et de la recherche à la logique libérale), un autre
cadre de discussion, celui des « missions », posées d’emblée comme des « axiomes5 ».
Ainsi la stratégie discursive vise à délégitimer ce qui va de soi (la logique libérale) sans
le faire de manière conflictuelle (les axiomes ne se discutent pas).
8 Ce n’est qu’ensuite que le manifeste aborde la description de l’état des choses actuel :
« efficacité, rentabilité et compétitivité ». Les nominalisations soulignent que le cours
actuel est le résultat d’un processus. Ce dernier renvoie aux choix des politiques
européennes en matière d’enseignement universitaire et de recherche, depuis les
décisions de Lisbonne à la fin du XXe siècle (voir infra 2), mais le manifeste n’explicite
pas ces liens. Après le paragraphe sur « les modes de gouvernance actuels » (deuxième
temps du manifeste), le texte consacre une longue troisième partie aux « conséquences
emboîtées » qui en résultent aux différents niveaux évoqués en préambule. Là encore,
l’analyse articule avec soin un certain nombre de dérives, sans refuser d’envisager des
évolutions. Cela apparaît nettement avec les mouvements concessifs :

(2) Sans nier l’intérêt de l’évaluation des pratiques des universités et de leurs


effets

(3) Si doter les étudiants des compétences nécessaires à leur futures activités
professionnelles est indispensable

9 Ces derniers n’entrainent pas de quitus envers les changements effectués. À preuve,
tout d’abord, l’existence d’un verbe de modalité («  on doit constater  ») qui suit la
première des concessives citées supra, et qui est en facteur commun pour quatre
propositions complétives consacrées à l’évocation de conséquences négatives, en
matière d’évaluation, standardisée suivant des pratiques discutables  ; en matière de
compétition interuniversités et entre chercheurs avec la course aux publications  ; en
matière de bureaucratisation  ; le tout alimentant une conception commerciale d’un
«  marché  » universitaire et de la recherche qui dit être soumis à une «  normalisation
mondiale ».
10 Parallèlement à cette modalité sous l’emprise de la nécessité, de nombreux verbes
évoquent les conséquences négatives quasi inévitables découlant de choix qui ont leur
logique :

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(4) il entraine la course au projet

(5) ceci conduit à une ‘chasse aux étudiants’ qui fait courir le risque d’une
diminution de la qualité

(6) les services de gestion interne […] se multiplient et prennent le pas sur les
services dus à la société ».

11 Cette dimension est également renforcée par les passivations :

(7) les universités sont soumises à des évaluations

(8) la sélection des recherches éligibles pour un financement est largement


déterminée par des appels d’offre et la taille ou la réputation des équipes.

12 Autre forme syntaxique de l’effacement énonciatif, avec nominalisation objectivante


en (9) :

(9) Le risque de voir disparaître.

13 Cet effacement ne s’accompagne pas de défaitisme puisqu’après l’évocation des


conséquences négatives, le quatrième temps du manifeste est consacré à l’exposé de
l’alternative. C’est le moment de l’action et de l’appel à l’action au nom d’un certain
nombre de valeurs :

(10) Les signataires de ce manifeste appellent, pour promouvoir leur vision de


l’institution universitaire à garantir, rééquilibrer […], promouvoir […], juguler
[…], évaluer […].

14 Chacun de ces verbes fait écho à ceux utilisés lors de l’évocation des missions, et on
retrouve d’autres verbes d’action, tels « résister », « ouvrir des espaces d’expression »,
«  se mobiliser pour des actions concrètes  », «  soutenir  ». L’action vise aussi
l’institutionnalisation des mesures alternatives qui s’opposent au cours actuel. Cette
cinquième phase du texte comprend aussi des nominalisations (comme celles de la
deuxième phase du texte) mais celles-ci évoquent une politique alternative avec
notamment « le refinancement global de l’enseignement supérieur » et « l’utilisation de
critères d’attribution des fonds publics qui encouragent la diversité de la recherche et
qui protègent la qualité et la diversité des formations  ». Enfin, une sixième phase
consiste en un «  appel  » avec des destinataires variés, en premier lieu «  les pouvoirs
publics et les autorités académiques  », en deuxième lieu, «  les personnels des
universités » appelés à la résistance.
15 J’en viens aux actes de langage, à leurs effets, en termes d’ethos, mais aussi au plan
perlocutoire, dans la mesure où ils peuvent favoriser ou non certaines dispositions à
agir. La dimension descriptive de la crise, notamment dans le troisième mouvement du
texte, comprend des actes de langage représentatifs, correspondant au monde existant,
avec une direction d’ajustement du monde vers les mots (e.g., assertion, affirmation),
comme on vient de le voir avec les verbes au centre des énoncés assertifs. La dimension
programmatique est marquée par des actes de langage directifs (e.g., ordre, requête) et
promissifs (e.g., promesse, engagement), indiquant tous deux un ajustement des mots
vers le monde6. Mais le plus intéressant, ce sont les actes déclaratifs du manifeste,
notamment dans les trois dernières phases, car ils ont une double valeur d’ajustement,
des mots vers le monde et du monde vers les mots. En effet, ils créent le monde par le
fait même de dire, ce qui leur donne une valeur performative. En ce sens les appels en
fin de manifeste valent déclarations et proclamations  : ce sont non seulement des
promissifs, mais aussi des verbes qui instaurent la possibilité d’un changement
alternatif par le fait même d’être en mesure d’opposer un discours autre à la logique
dominante. Cette valeur performative étonnera qui pense que la performativité est liée
à la profération de paroles rituelles par des personnes ayant autorité. Mais on ne saurait
sous-estimer le poids de la parole manifestaire et l’autorité (intellectuelle ou morale)
que se donne son auteur, en interpellant ainsi l’opinion publique. Il y a dans la parole
manifestaire quelque chose qui relève de la performativité suspensive de la parole

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prophétique  : ce qu’elle dit n’existe pas encore, mais elle invite à croire que la parole
sera effective, qu’elle est déjà lestée des actes qu’elle annonce7.
16 Bien évidemment, il y faut autre chose que des discours, mais, comme le rappelait
Badiou (2007  : 96-98), toute lutte passe par une action d’encouragement des acteurs
eux-mêmes qui doivent avoir la force d’envisager un autre monde et se donner le
courage de se battre pour lui :

Je définis le courage comme la vertu qui se manifeste par l’endurance dans


l’impossible. Il ne s’agit pas seulement de rencontrer l’impossible, de
l’expérimenter. Car nous n’avons encore là que l’héroïsme, un moment
d’héroïsme. Or, l’héroïsme est plus facile que le courage, au bout du compte.
L’héroïsme, c’est quand on fait face à l’impossible. Il a toujours été représenté
comme une posture, éventuellement sublime, parce que c’est le moment où l’on se
tourne vers l’impossible, c’est-à-dire vers le réel requis, et qu’on lui fait face. […] Si
l’héroïsme est la figure subjective du faire-face à l’impossible, le courage est la
vertu d’endurance dans l’impossible. Le courage n’est pas le point, mais la tenue
du point. Ce qui demande du courage est de se tenir dans une durée différente de
la durée imposée par la loi du monde. La matière première du courage, c’est le
temps.

On peut dire cela d’une façon qui paraît particulièrement bête : le courage, c’est de
ne pas être trop vite découragé. Il faudrait écrire dé-couragé, et entendre le
courage comme une vertu exclusivement active dans le temps : le courage, c’est le
couragement, qui défait le dé-couragement. Nos amis les ouvriers venus d’Afrique
le disent très clairement dans leur langue inventée, aussi rigoureuse que
savoureuse, un des buts du travail politique, selon eux, est de « courager » les
gens. (Badiou 2007 : 96-98)

17 À la lumière de cette réflexion, les CD ou discours d’alternative, qui s’opposent à


l’évidence du monde comme il va – y compris à l’acceptation navrée que le monde va
mal mais qu’on n’y peut rien –, s’analysent sous leurs dimensions idéelle (présenter une
alternative, des modes de fonctionnement ou d’organisation crédibles), motivationnelle
et actionnelle. La motivation joue ici un rôle charnière. Le contre-discours d’alternative
doit « courager », et cette dimension doit s’inscrire dans la durée. Cela s’apprécie dans
la capacité du discours de n’être pas un feu de paille, de se développer dans le temps, de
marquer des convergences avec d’autres initiatives, d’élargir ses soutiens, de s’inscrire
durablement dans le débat, en ne se limitant pas à l’indispensable mais non suffisant
débat académique. C’est ce que tente de faire le MUHM  : en effet, après une journée
consacrée à réfléchir sur le thème « Universités : quels moyens pour quelles fins ? », le
20 octobre 2012, des commissions ont été créées, et le Mouvement vient de se
transformer en réseau8. Ainsi, le manifeste passe de l’encouragement à
l’«  emcampement  »  –  si l’on considère que c’est une traduction possible de
l’empowerment (Hardt & Négri 2013 : 54).
18 On pourrait s’interroger sur la portée de la prise de position des auteurs du
manifeste, en faisant remarquer qu’elle est atténuée par les « prudences » du texte, qui
choisit de ne pas mettre en avant une terminologie politique pour caractériser
explicitement les partis pris idéologiques auxquels il s’oppose (la logique ultra-libérale,
capitaliste) ni de nommer les forces qui l’implantent. Est-ce que parce que cela est bien
connu ? Parce que nommer par un vocabulaire politique pourrait diviser là où l’objectif
est de rassembler et que le pari est fait que, derrière les mots rassembleurs, les lecteurs
sauront faire les liens nécessaires  ? Est-ce au contraire parce que la critique est
prisonnière de la logique qu’elle entend combattre9  ? Impossible de dire. Certes, le
manifeste reprend des notions qui viennent de la logique libérale, en invoquant les
idées d’innovation, de performance. Mais plutôt que d’y voir une influence de la logique
libérale, j’y vois un retournement de la logique, par l’opposition d’un autre contenu,
progressiste. Reprendre des termes n’implique pas un alignement de fait sur la logique
de l’adversaire, sauf à accorder aux mots un fétichisme excessif. Si l’on veut convaincre
l’adversaire ou le tiers, on est forcé de trouver au moins un vocabulaire commun – ce
qui va plus loin que la seule construction des prémisses. Cela ne préjuge d’ailleurs pas
du caractère évolutif des échanges, dans lesquels les positions des uns et des autres
peuvent bouger.

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19 Au total, le mouvement de ce texte, avec ses affirmations, sa description analytique


des conséquences négatives de la logique ultra-libérale, construit un ethos complexe.
Les auteurs se positionnent en auteur légitime, sérieux, raisonnable (comme l’indiquent
les concessions), motivé, rationnel, pondéré (comme le soulignent les explications très
articulées des conséquences du système, l’absence de recherche de la formule, de la
petite phrase), d’un ethos convaincu, appelant à l’adhésion en faveur d’un changement
dont la finalité est le changement du cours des choses. En cela, il s’affirme comme un
CD rationnel, fédérateur, légitime, qui conteste la légitimité de la logique dominante
dans l’organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche publics.

2. Le manifeste et son contexte


d’émergence
20 Après tant d’autres textes, le MUHM s’oppose au processus qui frappe
l’enseignement supérieur et la recherche, partout en Europe, à partir de l’impulsion des
décisions prises à Lisbonne en 2000 puis à Bologne 2005 par les autorités européennes
(voir notamment Bruno 2008, 2011). Ces dérives libérales existent ailleurs qu’en
Europe, et d’ailleurs, certains principes structurants du management libéral,
notamment le benchmarking (ou évaluation comparative), proviennent du monde de
l’entreprise, comme Isabelle Bruno l’a montré. Cette logique dominante a été analysée,
depuis longtemps, comme l’indique la liste chronologique des publications ci-après, qui
est loin d’être exhaustive, et que je limite volontairement au domaine francophone,
voire français10, pour ne pas multiplier les références  : Winkin 2003, Renaut 2008,
Bèzes 2009, Brisset 2009, Caillé & Chagnial 2009, Garcia 2009, Laval 2009, Pollin
2009, This Saint-Jean 2009, Barot 2010, Beau 2010, Leroy 2011, Balme et al. 2012,
Mercier 2013, Monte & Rémi-Giraud 2013. Significativement, nombre de ces références
renvoient à des ouvrages collectifs ou à des numéros de revue.
21 Une novlangue managériale et évaluatrice règne partout  : «  économie de la
connaissance  », idéologie du «  chercheur-entrepreneur  », «  benchmarking  »,
«  professionnalisation  », «  autonomie  », «  évaluation  », «  indicateurs de
performance », « ressources humaines », « qualité », « concurrence », « compétition »,
«  classements  », «  excellence  » (Labex, Equipex, Idex), «  pilotages par appels à
projets » (Laval 2009, This Saint-Jean 2009, collectif PECRES, Mercier 2013 : 211-218,
Monte & Rémi-Giraud 2013a, b). Les discours sur l’excellence soumettent la dimension
qualitative aux fourches caudines du quantitatif (Tauveron 2013). Que cette novlangue,
qui n’est que le cache-sexe d’un taylorisme intellectuel, soit parlée par les responsables
politiques et du MESR, les instances d’évaluation (ANR, AERES)11, par les équipes
dirigeantes des universités, nombre de responsables d’unités de recherche, etc., tout
cela devrait interroger, et les linguistes au premier chef12.
22 Les « dérives des universités » sont lourdes de « périls » d’abord pour les institutions
universitaires. Arnaud Mercier emprunte au sociologue Zygmunt Bauman (2000) la
métaphore de la liquéfaction  : à la différence des universités/institutions solides, sur
lesquelles les agents peuvent s’appuyer, faire des projections, les universités liquides
sont dans un perpétuel changement, avec un affaiblissement structurel censément
compensé par des configurations locales, temporaires, en perpétuel mouvement
(Mercier 2013  : 201). Dans ce cadre, la course effrénée aux partenariats, aux réseaux,
induit une diminution de la capacité à agir en propre, sans dépendre des autres. C’est
dans ce cadre que, sous la pression notamment du classement de Shanghaï (Barats &
Leblanc 2013), l’État pousse aux regroupements (des établissements, des laboratoires
de recherche), dans une course éperdue qui ne pourra jamais aboutir compte tenu des
différences structurelles du tissu universitaire français, avec une séparation entre
Grandes écoles (meilleurs élèves, recherche moins valorisée) et universités (recherche
valorisée, mais étudiants de milieux moins aisés). Ce classement, qui mesure l’écart
entre les normes françaises et les normes américaines (Ibid. : 209), est un instrument
de pression sur les personnels et leurs représentants, y compris dans les instances où ils
siègent. Les dérives managériales reposent sur le mythe de l’autonomie des universités,
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la « réforme » dite LRU étant selon A. Mercier le symbole de ce mensonge d’État, car
les compétences élargies (qui ne sont en rien une véritable autonomie) obligent les
universités à conformer leur mode de gestion aux attentes ministérielles
(fonctionnement des CA, recherche de financements nouveaux), à rogner sur les postes,
les dépenses pour financer les promotions. Le calcul des dotations sur les présents aux
examens (SYMPA) empiète sur les crédits et sur l’indépendance des UFR. Il s’ensuit
une externalisation de certains tâches, une concentration des pouvoirs, une
hypertrophie de la bureaucratie centrale (Ibid.  : 205-209, Caillé & Chagnial 2009,
Garcia 2009).
23 Du côté des personnels, l’aliénation grandit (Dejours 2006), avec la dépossession de
l’outil de travail, la pression managériale, une valorisation souvent contradictoire de
l’entrepreneuriat (Chambard 2013), de l’excellence (Tauveron 2013), une pression
multitâche, via les nouvelles technologies (SYMPA, traitement informatique des
promotions, des projets), entrainant une réduction du temps autonome pour la
recherche (Mercier 2013  : 220-224). Les chercheurs, obnubilés par l’injonction de
multiplier les projets, les expertises, les évaluations (Stavrou 2013), les publications, le
font au détriment de l’enseignement et de la recherche vive (Rastier 2013). Tous les
personnels subissent le règne du «  présentisme  », cette injonction de vivre le temps
présent (Hartog 2012 : 16)13, avec une accélération du temps, des tâches, une mobilité
valorisée/valorisante14.
24 Ce présentisme fragilise les personnels à statut et crée du précariat, comme l’a établi
Robert Castel. Les précaires ne peuvent pas se projeter dans l’avenir, compte tenu de
leur situation, vivant la «  promesse du futur  » comme une menace. Leur nombre ne
cesse de grandir dans l’enseignement supérieur et la recherche, comme le montre
l’opuscule signé par le collectif P.E.C.R.E.S.15 dont les résultats ont été publiés en avril
2011, dans le livre Recherche précarisée, recherche atomisée, chez Raisons d’Agir. La
précarisation16 touche d’abord les jeunes – et parmi eux, davantage les femmes que des
hommes  –,  avec des salaires indignes, un quart du million de précaires, dans nos
secteurs, gagnant moins de 1200 euros par mois. Les CDD de vacataires, d’intérimaires
ne sont plus seulement une variable d’ajustement ou un sas vers les CDI, ils sont une
arme contre la notion d’emploi permanent. Car, parallèlement à l’augmentation du
précariat, les emplois fixes baissent (en valeur relative, qui seule est significative des
évolutions sur la durée). Ce développement des emplois précaires est fortement
encouragé par l’ANR, créée en 2005, ainsi que par la LRU élaborée en 2007. La
précarisation ne concerne pas seulement les individus qui tombent dans l’invisibilité et
sont soumis au bon vouloir des employeurs (P.E.C.R.E.S. 2011 : 82-90), elle frappe tout
le travail scientifique, autour de la généralisation de la notion de projet, réorientant les
finalités de la recherche17.
25 Cela dit, ce contexte d’émergence, analysé par les références précédentes, n’est pas
toute la réalité. Celle-ci ne se réduit pas à ces dysfonctionnements et à ces signes
tangibles de souffrances sociales, comme le montrent de plus rares travaux, notamment
ceux de Bodin & Orange (2013). Je mentionne cette référence, parce qu’il est
dommageable de réduire la réalité à ces signes bien réels de difficultés, la multiplicité
des représentations crisologiques de l’université s’avérant contreproductive, alimentant
l’idée d’une décadence désespérante (Ibid.  : 10-11) qui ne permet pas de prendre la
mesure de certaines réussites (Ibid. : 192-194). Faute de place – et aussi parce que ce
n’est pas mon objet ici –, je ne développe pas. Il n’en reste pas moins qu’il me semble
intéressant d’avoir cette préoccupation en tête, car une vision plus complète de la
période n’est pas sans effet sur le contenu et la stratégie des contre-discours. Il s’ensuit
que la notion de CD mérite examen, comme ma remarque sur les discours crisologiques
le donne à penser.

3. Un contre-discours (CD) ou un
discours alternatif ?

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26 J’en viens à la notion centrale de CD. En Sciences du Langage, la notion est mise à
contribution notamment dans les argumentations dialogales qui opposent le discours
du proposant au CD de l’opposant, parfois devant des tiers (Plantin 1996). La notion est
aussi sollicitée en analyse du discours, notamment pour les polémiques (Kerbrat-
Orecchioni 1980, Amossy 2014 : 53-54). Cela étant, si la polémique caractérise bien des
CD, la notion de CD déborde la polémique. À preuve l’existence du MUHM, qui ne se
limite pas au mode de gestion polémique des conflits décrit par Ruth Amossy. De plus,
la dénomination de CD renvoie à l’opposition qui existait au préalable, à un niveau
inférieur, entre argument et contre-argument, exemple et contre-exemple. Mais il y a
une différence qualitative entre une technique limitée à un certain empan textuel
(contre-argument, contre-exemple) et la caractérisation d’un discours global. Au
demeurant, si la dénomination de CD se comprend au plan descriptif, où il est
factuellement possible de distinguer qui est, au plan interactionnel, le proposant et
l’opposant, elle va moins de soi si l’on intègre des préoccupation interprétatives, en
appui sur la dimension dialogique et intertextuelle du langage. Dès lors, il devient
difficile d’établir une relation unique entre opposant et contre-discours, dans la mesure
où tout ce que dit l’opposant ne relève pas forcément d’un CD, au sens général
(l’opposant peut acquiescer, concéder) et où le discours même du proposant peut être
considéré, en partie ou en totalité, comme un CD par rapport à un autre discours
antérieur. Car tout discours est toujours une réponse à une objection, à un discours, à
une vision du monde antérieure, en sorte que le «  proposant  » de la description de
Christian Plantin peut être interprété comme opposant à un discours antérieur
(implicite ou non), qui n’est pas forcément co-présent. Et de même l’« opposant » peut
être en phase avec un autre discours antérieur. Bref, les notions de discours et de CD
sont relatives. Cela n’invalide pas nécessairement la pertinence descriptive de la notion,
mais souligne que son maniement est complexe. En revanche, c’est à un autre niveau
que la notion de contre-discours soulève des interrogations.
27 Interrogation n°1  : la place et le rôle du tiers, dans la relation
discours/contre-discours
28 Il y n’a pas de correspondance entre la structure ternaire concernant des rôles
[proposant, opposant et tiers] et le schéma binaire concernant la fonction des discours
[discours, CD], parce que le tiers est absent ou encore parce qu’il n’y a pas de nom pour
renvoyer au discours du tiers et au rôle qu’il joue. C’est qu’en vérité, il est difficile de lui
assigner un discours, comme on le fait en associant de manière un peu forcée
discours/proposant, CD/opposant. Le problème, c’est donc l’absence du tiers et surtout
celui de son rôle discursif. Plantin (2002) remarque que, dans les conflits frontaux,
lorsque discours et CD s’affrontent violemment, ils peuvent se neutraliser, entraînant
un figement des positions et un blocage du conflit, qui ne peut guère être dénoué par sa
dynamique interne. Dans ces cas-là, le recours à un tiers, externe au conflit, s’avère
stratégique : le tiers (e.g., un tribunal) peut donner raison en totalité ou en partie à l’un
ou l’autre, les renvoyer dos-à-dos, proposer une autre façon de voir qui satisfait plus ou
moins les deux parties.
29 Or cette notion de tiers est ambivalente d’une part et n’a pas de place bien nette dans
la relation discours/CD d’autre part. On pourrait objecter qu’Amossy (2014) évoque
longuement le tiers, dans le discours polémique où les tenants du discours et du CD ne
cherchent pas à se convaincre mutuellement, mais à persuader le tiers, c’est-à-dire le
public qui, en ce cas, peut s’apparenter à une sorte d’auditoire universel. Ainsi, derrière
ce qui apparaît comme un dialogue de sourds, il y a une activité rationnelle qui ne vise
pas à convaincre le contradicteur en face-à-face, qui joue pleinement son rôle
d’opposant, mais le tiers censé départager les positions adverses, et c’est par rapport à
l’image idéalisée de ce tiers que le proposant comme l’opposant essaient de trouver les
meilleurs arguments possibles (Angenot 2008). Soit. Cependant, le tiers peut-il se
réduire à cet auditoire universel ? La notion de discours/CD ne fait-elle sens que dans le
cadre des seules polémiques  ? De plus, Amossy (2014  : 221) envisage que le tiers ne
peut que se rallier à un camp, notamment au moment des élections. C’est certes une
possibilité, mais il en est d’autres, comme je l’ai dit plus haut, avec l’exemple d’un tiers
incarné par une institution (telle la justice) ou par des experts dont l’autorité est
reconnue pour trancher entre des positions antagonistes, les uns et les autres pouvant
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23/09/2021 20:03 Une analyse de discours du manifeste « Pour des universités à la hauteur de leurs missions ». Pour une alternative à la gest…

renvoyer dos-à-dos les plaignants, ou juger de façon équilibrée  –  ainsi que je l’ai
analysé dans les conflits qui opposaient syndicats et direction de France Télécom à
propos des suicides au travail (Rabatel 2011)  –, tout comme il existe des conflits qui
s’éternisent et dans lesquels les contradicteurs s’épuisent sans qu’un quelconque tiers
ne les départage. Ces différences de manifestations du tiers, insuffisamment prises en
compte, viennent étayer mon affirmation que ce dernier n’a pas suffisamment été pensé
dans la dialectique interactionnelle, car son rôle ne se limite pas à choisir un camp
contre l’autre, pas plus d’ailleurs qu’il ne se réduit à une sorte d’auditoire universel
rationnel, comme le reconnaît aussi R. Amossy, car son éloge du rôle social de la
polémique est un éloge tempéré :

Non qu’il faille s’illusionner sur ses pouvoirs ou sa moralité ou en faire un éloge
inconditionnel. L’essentiel est ici qu’elle fournit une modalité d’échange certes
limitée et imparfaite, mais qui remplit des fonctions constructives. […] Ce qui ne
signifie pas, bien sûr, que l’idéal délibératif ne doive pas rester à l’horizon des
démocraties contemporaines. (Amossy 2014 : 227-228)

30 Au demeurant, on pourrait dégager, au plan de la modélisation


linguistique/rhétorique, comme au plan plus général de la notion de conflictualité, au
moins une autre signification du tiers, moins abstraite, et d’ordre plus socio-politique.
Ici, le parallèle avec des analyses historiques ou politiques est éclairant, qu’il s’agisse
des représentations basées sur la trifonctionnalité (Dumézil) ou de la tripartition des
ordres (ceux qui combattent, prient et travaillent). Dans bien des cas, le tiers est
dominé, omis. Comme le disait Sieyès, le Tiers État, tenu pour «  rien  », aspirait à
devenir « quelque chose ». Cette réalité n’a guère changé, si l’on pense aux travaux des
sociologues relatifs aux « invisibles ». Ce tiers souvent relégué est parfois celui qui fait
irruption et résout des conflits… Cette ambivalence du tiers renvoie à la diversité des
rôles, des statuts du tiers  : personne physique ou morale, groupe, institution (comme
un tribunal), occupant une position sociale haute ou basse (un tiers témoin, un expert),
auditoire universel, etc. Tous ces tiers renvoient à des rôles, à des actions et à des
discours qui ne se laissent pas facilement résumer par un terme qui serait équivalent de
celui de discours et de CD.
31 Interrogation n°2  : les risques d’enfermement du contre-discours dans
une relation binaire
32 On ne peut pas ne pas s’interroger sur les valeurs qui sont associées, en langue, à
toute une série de termes construits sur le même modèle  : une des valeurs
fondamentales de contre indique l’opposition (Grand Larousse de la Langue
Française)  : contre-appel, contre-approche, contre-attaque, contrebalancer,
contrebande, contrecarrer, contre-espionnage, contrefaire, contre-feu, contre-mesure,
contrepartie, contre-révolutionnaire, tous ces termes indiquent une opposition qui vise
à supprimer (contre-attaque, contre-feu), à s’opposer (contre-espionnage). De même
dans le domaine politique, avec les termes de contre-pouvoir et de contre-société. Il
faudrait procéder à une analyse lexicologique fouillée, que je ne peux mener ici. Ces
termes ne sont pas tous orientés négativement, certains ont une fonction positive
(contre-feu, contre-mesure, contre-balancer, contrepartie). De plus, ils envisagent les
confits ou les difficultés selon une logique de proximité  : c’est une des autres
significations de contre comme dans le célèbre «  Je suis contre les femmes, tout
contre  », Sacha Guitry18 mettant habilement en confrontation les deux significations
fondamentales de contre.
33 L’exemple précédent, au-delà du jeu de mots, souligne combien les conflits sont
pensés dans le cadre d’un binarisme qui oppose deux parties proches ou qui appelle une
réponse à un problème, sans nécessairement faire place au tiers  –  le feu appelle le
contre-feu  –  mais on pourrait envisager bien d’autres réponses  : une politique de
débroussaillement, de valorisation des espaces boisés avec diversification des essences,
une autre politique foncière, la multiplication des contrôles et de la surveillance, des
mesures spécifiques adaptées aux périodes de sécheresse et de grand vent, etc. La
langue ne regrouperait pas toutes ces actions sous le terme de « *contre-mesures » : on
parlerait plutôt de mesures, d’un ensemble de mesures ou d’un plan concerté.
L’expression de contre-mesure n’aurait de sens que si elle opposait quasiment terme à

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terme une mesure à une autre, un peu comme une contre-expertise s’oppose à une
autre. Ce binarisme peut alimenter une logique d’opposition terme à terme, qui elle-
même peut faire courir le risque de l’enfermement dans cette façon de voir, alors que
les problèmes se règlent parfois par des approches plus sophistiquées qu’une simple
réaction ou correction terme à terme. Encore une fois, il est très possible que les
problèmes soient réglés de façon globale, articulée ou que les conflits soient gérés de
façon à faire évoluer les positions des uns et des autres, avec des pratiques et des
conceptions des contre-pouvoirs plus ou moins ouvertes (Hardt & Négri  : 75-78). Il
n’empêche que les mots pèsent sur nos modes de pensée19, même s’il n’est bien sûr pas
question de laisser dire que nous sommes totalement prisonniers d’un lexique et de
collocations les plus courantes  : ainsi, parler de la presse en termes de «  contre-
pouvoir » ou comme « quatrième pouvoir »20, ce n’est pas la même chose : le contre-
pouvoir est souvent opposé aux pouvoirs institutionnels (exécutif, délibératif,
judiciaire), mais bien peu au pouvoir économique21  ; le contre-pouvoir se limite à
vérifier, sous-estimant son rôle dans la circulation des informations et la réflexion,
permettant des décisions éclairées (Rabatel 2013c). Et de même, une contre-société,
c’est une organisation qui érige ses règles quasiment en miroir22, en opposition totale à
la logique antagoniste, sans chercher à dépasser les contradictions par un dialogue qui
déplace les termes de l’affrontement initial, puisqu’elle n’échappe pas à la logique
structurante à laquelle elle entend s’opposer (et dont, on l’a vu, elle est
proche/contiguë)…
34 Le risque est donc, au plan notionnel comme au plan interactionnel, que la notion de
CD verse dans une représentation dichotomique des conflits qui fige les positions,
réduise la capacité de remédiation, selon une approche binaire bien différente du
schéma dialectique de la thèse, de l’antithèse et de la synthèse. Certes, ces risques ne
sont pas consubstantiels aux CD effectifs, qui, comme tous les discours, dépendent de
tant de paramètres qu’on ne peut les essentialiser sans dommage. Certes encore, il est
capital d’analyser discours et CD dans le temps, dans le déroulé des interactions. C’est à
ce moment là qu’on peut observer si les positions se figent ou évoluent. Néanmoins,
même si on n’essentialise pas la notion de CD, on doit s’interroger sur les logiques sous-
jacentes aux dénominations et aux raisonnements ou visions du monde qu’elles
peuvent plus ou moins favoriser (Meschonnic 2012  : 81-83, Chiss 2011), ne serait-ce
que pour se prémunir de risques d’autant moins résistibles qu’on les ignore.
35 Interrogation n°3 : contre-discours, radicalité et gestion de l’altérité
36 Si le CD est un discours d’opposition, un discours alternatif qui cherche à se
substituer à un discours dominant antérieur, hégémonique, on peut donc s’interroger
sur la nature des relations entre systèmes alternatif et dominant. Ce qui se joue ici, c’est
la question de savoir si et jusqu’où le CD peut échapper au discours qu’il conteste, ce
qui renvoie aux phénomènes d’intimité conflictuelle (Terdinam 1985), de contagion, si
on veut les penser sous ces termes. Mais on peut éviter l’approche dichotomique,
intégrer l’idée, post-kantienne, d’écoute et de respect des positions adverses, dans la
mesure où la complexité est telle, au plan notionnel comme aux plans social et sociétal,
qu’il est difficile de prétendre qu’un paradigme scientifique ou un groupe social
détienne la vérité. Si on fait sienne cette conception du débat scientifique et de l’agir
démocratique, on rejettera une conception des CD qui s’opposeraient radicalement et
totalement au discours dominant, avec deux blocs impénétrables, entraînant une
tabula rasa de tout ce qui vient de l’autre, érigé en concurrent ou en adversaire. Or telle
n’est pas ma conception du dialogue voire des affrontements politiques (Rabatel 2013b,
c, d).
37 Cette interrogation invite à redéfinir les contours de ce que c’est qu’être radical, à
partir de l’idée d’un dépassement qui cherche à dégager des positions acceptables pour
le plus grand nombre. Certes, les CD, comme les luttes de reconnaissance (Honneth
2000), de visibilité (Voirol 2005, Beaud 2006) sont utiles, permettant de prendre
conscience de solidarités, d’accéder à une conscience de soi et à une conscience du
groupe très importante au plan politique. Cette dimension structurante du CD est
absolument positive. De même encore est positif le fait de donner place à des débats
dissensuels, à des conflits, pour permettre que des PDV radicalement opposés
s’affrontent dans un espace public conflictuel, car mieux vaut combattre des adversaires
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que refuser de faire société avec ceux qui ne pensent pas comme vous en les considérant
comme des ennemis. En ce sens, la dialectique discours/CD permet, selon la belle
formule d’Amossy, « la coexistence dans le dissensus ». D’un autre côté, la question est
de savoir comment les groupes se pensent par rapport à la logique dominante, s’ils se
structurent en contre-société fermée ou s’ils adoptent des modes de structuration
dynamiques, en tant que communautés ouvertes (Gumperz 1991), avec des réseaux
différenciés, selon des parcours diversifiés (Latour 2006, Lahire 2007)… Le risque est
que la notion de CD alimente la tentation de privilégier des solutions uniques pour
répondre à des problèmes complexes, ou donne lieu à des dérives sectaires dans la
façon de gérer les conflits personnels, politiques, scientifiques. Ces dérives concernent
tout individu ou communauté qui vit sur le mode du repli, compliquant la gestion des
différences ou des divergences, front contre front, comme si les identités, les savoirs, les
sentiments d’appartenance étaient radicalement mis en danger voire mis en cause par
l’altérité, par d’autres cadres de pensée, d’autres méthodologies.
38 Si la notion de CD est à manier avec précaution, au plan politique, il n’en reste pas
moins que cela n’obère pas la légitimité des discours critiques, alternatifs, d’autant plus
quand ils aspirent, comme c’est le cas du MUHM ou de Rastier (2013), à installer une
logique progressiste, en prise sur les enjeux multiformes du monde moderne, dans le
monde européen de l’enseignement supérieur et de la recherche.
__________________________
Résumé : Cet article procède d’abord à une analyse de discours engagée du manifeste
«  Pour des universités à la hauteur de leurs missions  », qui met en scène un contre-
discours en opposition à la logique libérale frappant le monde de l’université et de la
recherche. L’analyse du genre du manifeste s’appuie sur l’analyse du paratexte, puis du
texte proprement dit, avec l’étude de l’ethos des auteurs à travers la description de la
réalité, leurs actes de langage et leurs arguments et contre-arguments. L’article inscrit
ensuite ce manifeste dans son contexte d’émergence, dégageant la logique managériale
frappant l’enseignement supérieur et la recherche dans la plupart des pays ainsi que les
luttes qui ont marqué le champ ces dernières décennies. Enfin, l’article revient sur les
relations entre discours, contre-discours et tiers, sur l’intérêt d’approfondir la notion de
tiers et sur les limites d’un contre-discours prisonnier de la logique binaire à laquelle il
s’oppose.
Mots-clés  : Critical discourse analysis  ; manifeste  ; polémique  ; discours  ; contre-
discours ; tiers ; benchmarking ; présentisme
Abstract  : This article first provides an engaged discourse analysis of the manifesto
“For universities that live up to their missions” which promotes a counter-discourse
opposed to the liberal logic striking the university and research world. The analysis of
the manifesto genre is based on the analysis of the paratext, then of the text itself,
including the authors’ ethos through the description of the reality, their speech acts,
their arguments and counter-arguments. The article then replaces the manifesto in its
context of emergence by bringing out the managerial logic that affected the higher
education and the research in most countries as well as the fights that marked the field
in recent decades. Finally, the article re-examines the relations between discourse,
counter-discourse and third (party), and emphasizes the benefit of further analyzing the
notion of third and the limits of a counter-discourse imprisoned in an opposite binary
logic.
Keywords  : Critical discourse analysis  ; manifesto  ; polemic  ; discourse  ; counter-
discourse ; third (party) ; benchmarking ; presentism

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Notes
1   D’aucuns discutent de la pertinence ou de la modernité de la forme «  Manifeste  »  : Hardt &
Negri (2013) font l’éloge des nouvelles formes de luttes du type Occupy Wall Street, les
Indignados, le « Printemps arabe », etc. Il serait utile d’élargir l’analyse aux manifestes relatifs à
l’enseignement supérieur et à la recherche, aux textes qui ont des visées similaires, sans être des
manifestes (par exemple L’appel des appels  –  voir Gori 2010). Il serait aussi intéressant de
s’interroger sur la légitimité qu’il y a (ou qu’on se donne) à lancer un appel ou un manifeste. Mais
cela excèderait les limites de ce travail.
2  Non pas que ces questions soient secondaires mais elles ne peuvent prétendre épuiser le débat.
Pour ne prendre qu’un exemple, le discours de G. Fioraso, 2020. Un agenda stratégique pour la
recherche. Le transfert et l’innovation (21 mai 2013, <  http://www.enseignementsup-
recherche.gouv.fr >), vise à « faire face aux défis sociétaux et [à] contribuer à la compétitivité du
pays  », et énonce 9 objectifs louables, mais qui dénotent une conception discutable de la
recherche, par la focalisation sur la transférabilité des savoirs à partir de problématiques
sectorielles et par un alignement des recherches universitaires sur celles menées par les
entreprises, lesquelles se réduisent à une peau de chagrin, alors même que les crédits d’impôt
recherche étaient censés les développer.
3   Le Grand Larousse de la langue française donne comme synonyme de mission, au sens
religieux, le terme de vocation. De fait, lorsque les missions sont importantes, les missionnés
doivent se sentir comme appelés à remplir cette mission, bref, intérioriser comme un devoir
moral l’injonction venue d’en haut.
4  Merci à Pierluigi Basso Fossali de ses remarques sur le manifeste comme prise sur un champ
discursif, prise sur les publics pour transformer l’espace social et prise de position. On verra plus
loin que le manifeste cherche de façon complexe à avoir prise sur les publics, en appelant
l’ensemble de la communauté mais aussi les responsables des universités à se conformer à ces
missions. Quant à la prise de position, elle est patente, même si elle n’est pas sans susciter des
questions.
5   Je remercie J.-C. Pochard d’avoir souligné la dimension quasi axiomatique de ce cadre du
discours.
6  « Lors de l’accomplissement d’un acte de discours, le locuteur exprime en général le contenu
propositionnel avec l’intention qu’une correspondance soit établie entre le langage et le monde
suivant une certaine direction d’ajustement. Si le locuteur fait une assertion ou un témoignage, le
but de son énonciation est de représenter comme actuel un état de choses et le contenu
propositionnel de l’acte de discours est censé correspondre à un état de choses existant (en
général indépendamment) dans le monde. De telles énonciations ont la direction d’ajustement
des mots aux choses (ou du langage au monde). Par contre, si le locuteur fait une requête ou
donne un conseil, le but de son énonciation n’est pas de dire comment les choses sont dans le
monde mais bien plutôt de faire transformer le monde par l’action future de l’allocutaire de telle
sorte qu’il s’ajuste au contenu propositionnel. De telles énonciations ont la direction d’ajustement
des choses aux mots (ou du monde au langage) » (Vanderveken 1988 : 108).
7  Merci à Emmanuelle Prak-Derrington de m’avoir permis de préciser ce point.
8  Courriel du 6 août 2013.
9   D’aucuns pourraient trouver que le manifeste se limite à une critique partielle, qui serait
compatible avec une sorte d’adhésion critique au système, comme dit Accardo (2013 : 133-138),
parlant de cadres, notamment, qui sont des rouages du système, «  l’adhésion au système
autorisant la critique et la critique renforçant l’adhésion.  » Il est possible que des signataires
correspondent à cette lecture, mais je ne pense pas qu’elle soit fondamentalement pertinente.
10   Comme je ne suis pas sociologue, je ne développerai pas ces travaux, au demeurant très
nombreux hors de France (Fairclough & Wodak 2008, Maeβe 2008). On note au demeurant une
floraison de travaux consacrés aux discours européens sur les réformes universitaires, à l’instar
de Maeβe (2010), Scholz & Angermuller (2013).
11  Avec une tendance à l’alignement sur les attentes des experts (la « fameuse » grille SWOT).
12  On peut objecter que l’on parle la langue de l’adversaire par tactique. Cela peut se comprendre
stratégiquement, si cette concession s’accompagne ailleurs d’actions qui contestent la logique
actuelle.
13   Cette injonction est paradoxale, car le présent est souvent sous le poids du passé (la
patrimonialisation, le devoir de mémoire pour aujourd’hui) et le futur semble plutôt bouché.
14  Ce présentisme s’oppose au futurisme – au fait d’envisager les sociétés en fonction d’un appel
vers le futur, le futur commande, dit Hartog (2012 : 16) – au passéisme (au fait d’ériger le passé

https://journals.openedition.org/semen/10477 15/16
23/09/2021 20:03 Une analyse de discours du manifeste « Pour des universités à la hauteur de leurs missions ». Pour une alternative à la gest…
en norme-valeur vers lequel le présent doit tendre).
15 Acronyme de «  Pour l’Etude des Conditions de travail et de Recherche dans l’Enseignement
Supérieur », groupe formé de quatre chercheurs chargés d’exploiter une enquête nationale sur la
précarité à la demande d’une intersyndicale rassemblant notamment nombre de syndicats de la
FSU, de l’UNSA, du SGEN, de SUD, de la CGT, de la CFTC, de l’UNEF et de SLR et SLU.
16 Ces précaires, ce sont nos vacataires d’enseignement, moniteurs, doctorants allocataires,
ATER, postdocs.
17  Ce paragraphe sur la précarité reprend un fragment de Rabatel (2013a).
18  Merci à E. Prak-Derrington de m’avoir donné cet exemple.
19   Et la réciproque est tout aussi vraie, bien sûr, comme Christine Jacquet-Pfau me le fait
remarquer  : à preuve l’efflorescence de la novlangue managériale qui frappe l’université, ainsi
qu’on l’a vu dans la deuxième partie !
20   Notion qui ne fait d’ailleurs pas sens de la même façon selon la réalité de l’équilibre des
pouvoirs, bien différent, par exemple, aux USA ou en France.
21  Sylvianne Rémi-Giraud remarque que dans la plupart des dictionnaires contemporains (TLF
excepté), les collocations du mot pouvoir n’évoquent jamais le pouvoir économique. L’économie
y est associée aux acteurs économiques, on évoque le monde économique, la vie économique,
mais pas le pouvoir économique…
22   Voir Amossy (2014  : 128-129, 137), pour les reprises, détournements, réorientations des
arguments de l’adversaire.

Pour citer cet article


Référence électronique
Alain Rabatel, « Une analyse de discours du manifeste « Pour des universités à la hauteur de
leurs missions ». Pour une alternative à la gestion libérale des universités et de la recherche en
Europe », Semen [En ligne], 39 | 2015, mis en ligne le 19 novembre 2015, consulté le 23
septembre 2021. URL : http://journals.openedition.org/semen/10477 ; DOI :
https://doi.org/10.4000/semen.10477

Auteur
Alain Rabatel
Université de Lyon 1 / ICAR

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textualisation, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté. [Texte intégral]
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Marion Sandré, Analyser les discours oraux, Paris, Armand Colin, 2013 [Texte intégral]
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https://journals.openedition.org/semen/10477 16/16

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