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29 | 2022
Discours politique et usages du passé en Argentine
Ruth Amossy
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/aad/6869
DOI : 10.4000/aad.6869
ISSN : 1565-8961
Éditeur
Université de Tel-Aviv
Édition imprimée
Date de publication : 18 octobre 2022
Référence électronique
Ruth Amossy, « La notion d’ethos : faire dialoguer l’analyse du discours selon D. Maingueneau et la
théorie de l’argumentation dans le discours », Argumentation et Analyse du Discours [En ligne], 29 |
2022, mis en ligne le 18 octobre 2022, consulté le 20 octobre 2022. URL : http://
journals.openedition.org/aad/6869 ; DOI : https://doi.org/10.4000/aad.6869
Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International
- CC BY-NC-ND 4.0
https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/
La notion d’ethos : faire dialoguer l’analyse du discours selon D. Mainguenea... 1
Ruth Amossy
RÉFÉRENCE
Dominique Maingueneau. 2022. L’ethos en analyse du discours (Louvain-la-
Neuve : éditions Academia), ISBN : 978-2-8061-0647-6, 184 pages.
2 Qui plus est, mon propre livre de synthèse (Amossy 2010) se situe délibérément à la
croisée des disciplines, comme le signalait déjà le titre de l’article de 1999 paru dans
Images de soi dans le discours : « L’ethos au carrefour des disciplines : rhétorique,
pragmatique, sociologie des champs ». Il se propose, non seulement de construire un
cadre théorique adapté à ce que j’appelle « l’argumentation dans le discours », mais
aussi d’esquisser un panorama des nombreux travaux réalisés jusque-là,
principalement dans le domaine francophone. Le chef de file de l’AD « à la française »
entend, quant à lui, explorer les tenants et les aboutissants de l’ethos discursif dans le
champ bien délimité de sa propre discipline ; il expose les résultats de ses recherches
personnelles sur l’ethos dans cette branche particulière des études du discours. C’est
cette focalisation que souligne un intitulé en apparence anodin : L’ethos en analyse du
discours. Il attire l’attention sur le fait que l’ouvrage travaille à appréhender la notion
dans l’espace singulier de l’AD, plutôt que dans le domaine de la sociologie, de la
rhétorique et de l’argumentation, de la socio-pragmatique et de l’analyse des
interactions – ou à leur intersection.
3 Ce cadrage rigoureux signifie selon l’auteur qu’« étudier l’ethos, c’est en réalité étudier
l’énonciation » (7) – et c’est bien parce que l’ethos est un phénomène d’énonciation qui
relève des sciences du langage qu’il y occupe une place légitime. C’est aussi pourquoi il
importe de le saisir dans ses modalités langagières et sa régulation. L’auteur note
cependant que pris en gros, l’ethos se signale par un ensemble de traits communs
« relativement pauvre ». Aussi délaisse-t-il toute tentative de fournir une grille à valeur
générale. C’est selon lui au niveau des types et des genres de discours qu’on peut saisir
la régulation et les modes de fonctionnement de l’ethos à la croisée du discursif et du
social (comme le veut l’AD) dans leur richesse et leur complexité. Cette exploration
permet d’élaborer ou d’affiner les outils nécessaires pour analyser les configurations
singulières de l’ethos dans des cas de figure particuliers.
4 Pour ce faire, D. Maingueneau choisit de ne pas se situer uniquement au niveau
théorique. Il mène son enquête sur des corpus concrets (locuteurs politiques, porte-
parole des sans-voix, spécialistes du management, représentants de l’Action française,
textes littéraires, …) dont il fournit des analyses détaillées. Certaines sont reprises à des
publications antérieures mais développées ou infléchies (comme le signalent les notes),
et certaines sont inédites. Ensemble, elles offrent un panorama qui permet de préciser
mais aussi de revisiter la notion, et de repenser des aspects qui n’avaient pas été
suffisamment questionnés.
5 Ayant largement puisé dans les travaux de D. Maingueneau (toujours cité dans mes
écrits comme une référence primordiale) pour aborder, et traiter, de la question de la
construction d’une image de soi dans le discours, j’ai été extrêmement intéressée par le
projet de circonscrire strictement la notion d’ethos en termes d’AD, de voir son
rendement quand elle est utilisée dans ce cadre pour explorer des types et des genres
de discours divers, en bref, de comprendre comment l’ethos est ici pensé. Quelle est la
spécificité de l’approche synthétisée, en quoi diffère-t-elle des autres angles d’attaque
proposés sur la même question, quels sont ses bénéfices et/ou ses éventuelles limites ?
Comment la lecture de l’ouvrage permet-elle par ailleurs de reprendre des aspects de
l’ethos qui ont été insuffisamment approfondis, ou de cerner des questions de portée
générale qui restent ouvertes ? On l’aura compris, ce texte se veut moins un compte
rendu de l’ouvrage qu’une réflexion critique qui entre en dialogue avec lui pour
relancer un questionnement commun.
6 Pour ce faire, je ne m’en tiendrai pas nécessairement à l’ordre des chapitres, mais
organiserai ma présentation autour de points parfois traitées à divers endroits de
l’ouvrage, et qui me semblent faire l’originalité d’une approche d’AD et, parfois,
soulever des questions stimulantes. Précisons donc dans ce texte liminaire qu’une
première partie du livre explore la problématique de l’ethos en AD tout en exposant les
distinctions au fondement de l’approche de l’auteur, alors que les cinq autres
parties (« Montrer qui on est », « Faire adhérer », « Ethos polyphoniques », « Ethos
enchâssés » et « La part des choses ») étudient l’ethos dans des cadres discursifs variés,
pour concrétiser les notions mises en jeu.
18 Cette insistance sur les aspects matériels qui participent à la modélisation d’un ethos
s’accompagne d’une insistance très sensible sur la corporalité, qui fait elle aussi l’une
des originalités de l’approche de D. Maingueneau (plus que de l’AD de façon générale).
Pour lui, l’objet d’étude se rapporte à « une manière de dire, un corps parlant,
articulateur privilégié entre une activité verbale et le monde dont elle participe » (174).
C’est ainsi, par exemple, qu’est analysé l’ethos dit « multilocutoire » où plusieurs
locuteurs prononcent ensemble un même énoncé (un sujet que Maingueneau développe
plus avant dans ce numéro 29 d’Argumentation et Analyse du Discours) en référence aux
tableaux de David ; ou encore que l’ethos entrepreneurial étudié dans la partie III
s’exprime entre autres dans un style vestimentaire et une façon de se mouvoir (71-79).
La première partie de la partie IV est intitulée « Le corps du porte-parole », et on y
trouve l’analyse d’une affiche électorale de José Bové où des indices comme la
moustache à la gauloise, la chemise à carreaux, etc. allient les attributs du paysan et de
l’ouvrier et « donnent corps » à un « positionnement “alternatif” qui intègre ruralité et
gauche ouvrière » (95).
26 Cette strate d’analyse est fidèle à la vocation originelle de l’AD qui dévoile la façon dont
le discours transmet à l’allocutaire, à son insu, une vision du monde et des valeurs
modelant ses positions et ses façons d’être (il « a imprégné de larges couches de la
population française », 62). Corollairement, il est significatif que le discours mis en
question soit celui des manuels scolaires, et que ce soit « une République institutrice
éclairée » qui « suscite l’incorporation des enfants en mobilisant les pouvoirs d’une
langue claire, à la fois aboutissement et source du Progrès » (66). Les sujets parlants
sont absorbés par cette idéologie dominante dont ils reproduisent les schèmes et qui
modèlent la présentation de soi des auteurs de manuels et des instituteurs (qu’à la
limite l’analyse absorbe dans le locuteur abstrait qu’est la République). On est loin de la
rhétorique classique, où l’art oratoire permet à un locuteur individuel de façonner un
ethos approprié à ses desseins relevant d’une volonté personnelle, d’un libre choix et
d’une stratégie consciente dirigée vers un objectif déterminé.
27 Peut-être est-ce l’importance de cet univers de sens auquel l’allocutaire est invité à
adhérer qui fait que l’analyse s’attarde longuement sur ses caractéristiques dans le
discours, bien au-delà du processus verbal au gré duquel se construit l’image de soi du
locuteur. L’univers de la douceur de l’humanisme dévot, ou celui de l’idéologie
républicaine dont se nourrissent les manuels, par exemple, font en soi l’objet d’une
analyse développée. Sans doute la perspective ici offerte de l’adhésion à un monde
singulier rend-elle cette démarche nécessaire. On pourrait cependant souhaiter une
analyse plus focalisée sur la construction de l’ethos lui-même et l’exploration de ses
modalités discursives – tâche pour laquelle dans certains exemples le lecteur est parfois
quelque peu laissé à lui-même.
façon dont ce dernier gère une présentation de soi destinée à atteindre un objectif ou à
réaliser une interaction.
29 Sans doute, l’analyse du discours ne traite pas comme la sociologie de dispositions en
quelque sorte prédiscursives : elle examine la façon dont l’ethos du savant ou de
l’administrateur émerge dans le discours par des procédures langagières et se configure
discursivement en situation ; elle permet de voir comment le discours d’un locuteur
individuel ou collectif le positionne dans l’espace social. Elle se penche aussi sur les
stratégies discursives propres à des types de discours comme la publicité, par exemple,
qui mettent en œuvre des procédures d’influence verbales et iconiques. Mais l’approche
de D. Maingueneau a tendance à minoriser (sans bien sûr l’effacer) la part de choix et la
dimension d’action orientée que l’argumentation dans le discours, plus proche de la
tradition rhétorique, confère à la construction éthotique du locuteur ou de l’instance
de locution. Peut-être est-ce aussi la raison pour laquelle elle n’accorde pas une place
prépondérante à la notion de retravail de l’ethos, qui est centrale dans le cadre de
l’argumentation dans le discours, ou encore au potentiel d’action de l’ethos collectif
comme construction identitaire dans une situation de revendication ou de
lutte (Amossy 2021).
30 En fin de compte, c’est ici la question de l’agentivité, qui a de nos jours suscité de
multiples débats (en particulier auprès des spécialistes contemporains de rhétorique),
qui est en jeu – et cela d’autant plus que l’analyste du discours, on l’a vu, insiste sur les
contraintes que les cadres institutionnels et génériques font peser sur la construction
de l’ethos. L’étude de l’ethos doit-elle s’attacher à une stratégie de présentation de soi
liée à l’action que le locuteur espère exercer sur son auditoire (qui suppose, pour le
meilleur et pour le pire, une maîtrise et un pouvoir) ? Ou doit-elle au contraire dévoiler
comment la présentation de soi verbale ou iconique est soumise à un système
idéologique dans les rets duquel elle prend le locuteur aussi bien que l’allocutaire ? Ou
faut-il plutôt allier les deux – une stratégie consciente et une présentation de soi
fortement contrainte matériellement, institutionnellement, idéologiquement ? Cette
question mérite d’autant plus d’être approfondie à travers le prisme de l’ethos qu’elle
met en jeu la question à la fois du pouvoir de la parole, et de la responsabilité
énonciative et de son corollaire, la déresponsabilisation.
31 Venons-en à un point capital. Il apparaît clairement que l’ethos est ici défini dès le
départ, moins en termes d’image de soi que le locuteur construit dans son discours, que
comme le résultat d’une interaction entre le locuteur et l’allocutaire, donc « en termes
de tension » entre ce que projette l’un et ce que perçoit l’autre. Il y a là bien plus qu’une
remarque triviale sur le fait qu’une présentation de soi est nécessairement dirigée vers
autrui, et que dans l’interaction en face à face le locuteur réagit de façon dynamique à
la représentation de sa personne que lui propose l’autre. En rapportant ce qu’il appelle
« une réalité simple, intuitive, extensive à tout emploi du langage », non pas au fait que
le locuteur en prenant la parole construit ipso facto une image verbale de soi, mais au
fait que « le destinataire construit une représentation évaluée du locuteur en
s’appuyant sur les catégories et les normes de la communauté concernée » (11), D.
38 En conclusion, on peut dire que la lecture de cet ouvrage de synthèse stimulant permet
non seulement d’obtenir un arsenal de notions et de techniques analytiques, mais aussi
de soulever des questions de fond sur la notion d’ethos qui est aujourd’hui largement
mobilisée dans l’étude du discours politique, médiatique, publicitaire, littéraire et dans
les multiples domaines où la présentation de soi remplit ses fonctions. Ma lecture
critique s’est focalisée à la fois sur ce qui faisait la spécificité d’une conception de l’ethos
envisagée dans les limites de l’AD, sur quelques aspects caractéristiques de l’approche
de D. Maingueneau, et sur les éléments qui différencient l’ethos en analyse du discours
de l’étude de l’ethos dans une perspective d’argumentation rhétorique. Elle a aussi tenté
de relever des points qui faisaient problème, de façon transversale, et qui restent
encore ouverts : de l’adhésion et/ou de la persuasion, des contraintes sociales et
institutionnelles et de l’agentivité, du rôle de l’allocutaire ou du locuteur dans la
définition de l’ethos, des voies qui permettent de mesurer l’efficacité de la présentation
de soi en fonction de ceux auxquels elle est destinée.
39 En ce qui concerne la spécificité de l’ethos en AD, elle porte avant tout sur l’intégration
de l’ethos dans l’étude de l’énonciation, avec tout ce que cela comporte au niveau des
distinctions opérées : ethos dit/montré, prédiscursif/discursif, enchâssant/enchâssé,
individuel/collectif, énonciateur présent/effacement énonciatif du locuteur, locuteur
singulier/multilocuteur. S’y ajoute tout ce qui modèle l’énonciation, au niveau des
cadres sociaux et institutionnels et des espaces concrets dans lesquels se déploie la
parole du locuteur : scène englobante, scène générique, scénographie ; agencement. On
a noté l’intérêt particulier de D. Maingueneau pour la matérialité des corps, des lieux et
des objets qui accompagnent l’échange verbal, et dont il fait des attributs de
l’énonciation. On a également souligné la centralité donnée à un élément constitutif de
l’appareil formel de l’énonciation (et les problèmes qui en découlent) : l’allocutaire. Il
apparaît ici comme celui qui détermine le profil de la présentation de soi et l’évalue –
au point qu’il joue un rôle déterminant dans la définition de l’ethos qui ne se donne pas
comme l’image de soi que le locuteur construit dans son discours mais comme l’image
du locuteur que l’auditoire (re)construit à partir de sa parole. Enfin, l’analyse du
discours ne conçoit de construction d’ethos qu’au sein de cadres qui contribuent
largement à le modeler, avec leur scène d’énonciation propre : les types et les genres de
discours.
40 Il faut de plus souligner que l’analyse ancrée dans la notion d’énonciation et située à la
croisée du discursif et du social confère une importance considérable aux
déterminations sociales, institutionnelles, culturelles, idéologiques qui pèsent sur la
présentation de soi. Elles se situent dans les cadres génériques (un texte administratif,
une pétition, une petite annonce sur un site de rencontres, etc.) qui sont façonnés par
une culture, une institution, une idéologie ; et dans les cadres matériels (une chaire à
l’église, une salle de classe, la couverture d’une maison d’édition…) qui varient
également en fonction des mêmes paramètres. L’AD ne se penche pas seulement sur les
déterminations sociales de l’ethos, elle se préoccupe aussi des effets sur l’autre que vise
la construction d’une image de soi. Elle les étudie en termes d’incorporation (où
l’accent est mis sur l’allocutaire) et d’adhésion (où il est question de faire participer
l’allocutaire à un univers de sens, à une façon d’être dans le monde).
41 En quoi cette approche de l’ethos, qui paraît si proche de celle qu’en a élaboré à la suite
de D. Maingueneau l’argumentation dans le discours (Amossy 2021 [2000]), en diffère-t-
elle ? Sans doute le cadre théorique de cette dernière, qui entend intégrer analyse
discursive et argumentative, ne peut que donner toute son importance à l’étude de
l’énonciation, qu’il double de celle des interactions verbales. Soucieuse des enjeux
sociaux de l’analyse, l’argumentation dans le discours est, comme l’AD dont elle relève,
attentive aux déterminations sociales de la présentation de soi. Elle explore entre
autres sa dimension de construction identitaire et son ancrage dans une doxa partagée.
42 En même temps, elle se réclame de la tradition de la rhétorique et de la nouvelle
rhétorique de Perelman qui accorde une importance primordiale à la tentative de
persuasion, à l’effort d’agir sur l’autre en l’invitant à effectuer un certain choix parmi
toutes les possibilités présentes. L’AD de D. Maingueneau n’élimine certes pas la
persuasion, mais elle la court-circuite. Elle le fait en mettant en vedette la notion
d’incorporation et, plus encore, en détournant celle d’adhésion, arrachée à son sens
rhétorique – amener quelqu’un à adopter une thèse ou un point de vue dont une
justification discursive doit être offerte. La perspective rhétorique signifie qu’il importe
d’étudier une construction d’ethos non pas seulement en examinant les diverses
contraintes dont elle est tributaire, mais aussi en termes d’action. En même temps que
les pesanteurs sociales qui déterminent la façon de construire une image de soi dans un
contexte déterminé, elle met l’accent sur une dynamique, et une capacité d’agir dans et
sur le monde. Elle voit ainsi dans toute présentation de soi un retravail de l’ethos, à
savoir une reprise, modulation ou tentative de transformation de l’image préalable du
locuteur (qui peut aller jusqu’à une réparation d’image quand celle-ci est
abîmée [Amossy 2018, Sadoun-Kerber 2018]). Elle déchiffre la façon dont ce retravail
peut être volonté d’action – dont il s’efforce d’agir sur les autres et d’agir sur le réel,
dont il dote le locuteur de son agentivité.
43 Il ne s’agit bien sûr pas d’un écart infranchissable – loin de là. D. Maingueneau (2013, §
6) note certes qu’« une analyse du discours comme je la pratique ne peut pas
appréhender l’ethos de la même manière qu’une théorie de l’argumentation » – et j’ai
tenté de le montrer dans ce qui précède. Néanmoins, il se réfère plutôt à la rhétorique
classique qu’à ses développements contemporains, et l’argumentation dans le discours
qui se veut à la croisée de l’argumentation rhétorique et de l’analyse du discours se
rapproche sur bien des points des perspectives développées par D. Maingueneau. Les
questions d’énonciation sous toutes leurs formes y sont toujours centrales en même
temps que le souci des genres de discours ; l’examen des cadres sociaux et
institutionnels qui président à la construction de l’ethos y est crucial, comme l’est la
prise en compte de la doxa et de l’interdiscours d’époque. L’analyse du discours, quant à
elle, est loin d’ignorer les stratégies de présentation de soi mises en œuvre par des
constructions discursives programmées en fonction d’un objectif. En fin de compte, les
deux approches se croisent et se recoupent fréquemment. Elles font face aux mêmes
problèmes, même si elles ne leur apportent pas des réponses identiques – le rôle de
l’allocutaire, le statut de l’analyste, la nature du lien que l’ethos crée entre le locuteur et
son auditoire, pour ne rappeler que ceux-là. Elles pratiquent toutes deux une analyse
discursive aussi fine que possible, laquelle peut, selon moi, harmonieusement se
combiner avec une analyse argumentative.
44 Je salue donc la parution de la belle synthèse de D. Maingueneau qui est à la source du
présent questionnement. L’ethos en analyse du discours est sans nul doute un travail
précieux, non seulement pour les analystes du discours, mais aussi pour les spécialistes
de rhétorique et d’argumentation, des sciences du langage au sens large et de toutes les
disciplines sociales qui se penchent sur la présentation de soi.
BIBLIOGRAPHIE
Amossy, Ruth (éd.). 1999. Images de soi dans le discours. La construction de
l’ethos (Lausanne : Delachaux & Niestlé)
Amossy, Ruth, 2021 [2000]. L'Argumentation dans le discours, 4 e éd. revue et modifiée (Paris : Colin)
Amossy, Ruth. 2021. « Qu’est-ce que l’ethos collectif. Sciences du langage et sciences sociales »,
Ethos collectif et identités sociales, Amossy, Ruth & Eithan Orkibi (éds). (Paris : Classiques Garnier),
21-52
Aristote, Rhétorique. trad. Médéric Dufour. 1967 (Paris : Les Belles Lettres)
Couleau, Christèle, Deseilligny, Oriane, Hellegouarch, Pascale (eds). 2015 : 3/2016. « Ethos
numériques », Itinéraires [En ligne] https://journals.openedition.org/itineraires/2953
Maingueneau, Dominique. 2014. « Retour critique sur l’ethos », Langage et société 149 : 3, 31-48
Orkibi, Eithan & Ruth Amossy (éds). 2021. Ethos collectif et identités sociales (Paris : Garnier)
Siess, Jürgen. 2009. « Y a-t-il un auteur dans la pièce ? Ethos du personnage et “figure
auctoriale” », Argumentation et Analyse du Discours 3 [En ligne] http://journals.openedition.org/
aad/674
NOTES
1. On trouvera dans la bibliographie de l’ouvrage les références aux nombreux travaux antérieurs
de l’auteur traitant de la question qui ont précédé la présente synthèse. Je n’indiquerai ici que les
textes auxquels j’ai explicitement fait référence.
2. D. Maingueneau a choisi d’utiliser la forme « ethos » au pluriel, à la place de la forme grecque
généralement usitée, ethè.
AUTEURS
RUTH AMOSSY
Université de Tel Aviv, ADARR