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¶ 21-020-B-10

Physiologie de l’excrétion des larmes :


les voies lacrymales
J.-A. Bernard, P. Ritleng, A. Ducasse, V. Ameline, F. Mann

L’excrétion des larmes s’effectue tout au long des voies lacrymales, à travers un système de lacs et rivières
où la pompe lacrymale joue un rôle majeur. La pompe lacrymale est l’ensemble du mécanisme actif de
drainage lacrymal qui s’effectue essentiellement entre le méat lacrymal et le sac lacrymal. L’orbiculaire
supérieur et inférieur avec le muscle de Duverney-Horner intervient en amont de cette pompe, dès la fente
palpébrale, pour amener les rivières palpébrales à se jeter dans le premier lac dénommé lac lacrymal à
l’angle interne de l’œil, où une partie des larmes s’évapore ou est réabsorbée. Puis les méats lacrymaux
drainent les larmes vers les canalicules supérieur et inférieur qui constituent la seconde rivière lacrymale.
Les méats supérieur et inférieur doivent s’oblitérer réciproquement au cours du clignement pour éviter
tout larmoiement. La dynamique de l’excrétion des larmes dans les canalicules repose alors sur deux
systèmes antagonistes concentriques, l’un externe musculaire, le muscle de Horner et l’autre interne, la
paroi canaliculaire élastique, permettant aux larmes de rejoindre le sac lacrymal qui constitue le deuxième
lac. Le canalicule commun, réunion des canalicules supérieur et inférieur, s’abouche dans le sac au niveau
de la valvule de Rosenmüller qui évite le reflux du sac vers les canalicules. Le rôle du sac est encore mal
élucidé. Néanmoins, il draine les larmes vers le bas, vers une troisième rivière que constitue le canal
lacrymonasal qui se jette dans les fosses nasales au niveau de la valvule de Hasner. Cette valvule peut
présenter des anomalies responsables de larmoiement, notamment chez le petit enfant. Le temps de
transit moyen dans les voies lacrymales a été estimé à 8 minutes. D’autres mécanismes d’élimination des
larmes existent mais sont moins importants que cette pompe lacrymale : l’évaporation, la réabsorption,
la capillarité et la gravité. Dans les conditions de base, seule une petite quantité de larmes parvient dans
le nez. En cas d’hypersécrétion réflexe ou émotionnelle, la pompe lacrymale s’engorge et un larmoiement
franc apparaît.
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Mots clés : Larmes ; Larmoiement ; Voies lacrymales ; Pompe lacrymale ; Paupières

Plan le rôle prépondérant de cette pompe dans l’excrétion des


larmes. Cette excrétion est en outre régulée par d’autres
¶ Généralités 1 mécanismes, notamment au niveau de sa dernière portion, le
conduit lacrymonasal. Les larmes sont également éliminées,
¶ Comment fonctionne le système lacrymal d’excrétion ? 2 dans des proportions variables selon le contexte, par évapora-
Rivières palpébrales 2 tion et réabsorption.
Lac lacrymal 3
L’existence d’une « pompe lacrymale » est mentionnée depuis
Méats lacrymaux 4
longtemps, mais c’est le mérite de Jones d’avoir, en 1957,
Canalicules palpébraux 5
réintroduit et précisé le concept de la pompe lacrymale [1, 2],
Sac lacrymal 7
dont plus personne ne nie actuellement la réalité, à tel point
Conduit lacrymonasal 9
que, fréquemment, il est fait référence à la « pompe lacrymale
Autres mécanismes 10
de Jones ». Malgré son indiscutable mérite, il n’avait cependant
¶ Comment envisager la physiologie de l’excrétion lacrymale ? pas été le premier et d’autre part, d’assez substantielles correc-
Comment s’articulent les différents mécanismes mis en jeu ? 11 tions sont très probablement à apporter à la description qu’il a
¶ Conclusion 11 faite du mécanisme de cette pompe.
Du reste, bien que de nombreux travaux se soient attachés à
décrire un mécanisme fondé sur l’anatomie physiologique, cela
■ Généralités n’a pas abouti à un consensus de la description du mécanisme
de l’évacuation des larmes. Ainsi, pour certains, le siège essentiel
L’excrétion des larmes s’effectue par les voies lacrymales. Ces de la pompe se trouve au niveau des canalicules [3] ; pour
voies lacrymales sont faites d’une succession de segments d’autres, la pompe inclut à des degrés divers tel ou tel segment
différents les uns des autres. Loin d’être un tube d’évacuation de la voie lacrymale excrétrice. Un accord semble cependant
passif, à la façon de la vidange d’un lavabo, les voies lacrymales désormais établi, définissant la pompe lacrymale comme
sont le siège d’un mécanisme actif de passage : c’est la pompe l’ensemble du mécanisme actif de drainage lacrymal, dont
lacrymale, chapitre qui sera quelque peu privilégié, étant donné l’essentiel s’effectue entre le méat lacrymal et le sac lacrymal [4].

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21-020-B-10 ¶ Physiologie de l’excrétion des larmes : les voies lacrymales

Mais il est vrai que ce n’est pas la seule zone où les larmes sont
évacuées et la pompe, au sens mécanique du terme, n’est pas la
seule à agir, de telle sorte que la description ne peut effective-
ment pas être limitée aux canalicules.
Comprendre la pompe lacrymale n’est pas qu’un jeu intellec-
tuel fait pour enchanter quelques « lacrymologues » assoiffés
d’élucubrations physiopathologiques. Certes, dans la pratique
clinique, la facilité est de ne retenir que le schéma diagnostique
le plus simple, à savoir que tel ou tel larmoiement est lié à un
obstacle sur la voie lacrymale d’excrétion, et c’est, il faut le
reconnaître, fréquemment le cas. Mais cette rétention anormale Figure 2. Le système lacrymal doit se comprendre comme un système
de larmes peut également être le témoin d’un dysfonctionne- hydraulique. Les montagnes avec leurs glaciers sont la glande sécrétrice.
ment de la pompe lacrymale (et éventuellement des paupières), Les torrents sont les canalicules, lieu de passage rapide. Le lac est le sac
alors que la voie lacrymale se révèle perméable à l’exploration lacrymal ; une partie de son contenu est réabsorbé par infiltration. Le reste
instrumentale et radiologique [5]. Méconnaître le mécanisme ira se jeter dans l’océan. Toute anomalie perturbe l’équilibre naturel. (Avec
dynamique du dysfonctionnement, qui ne peut trouver son l’aimable autorisation de la SFO, rapport SFO 2006, pp 55-77).
explication que par une bonne compréhension de la pompe
lacrymale, risque de priver un patient gêné par un larmoiement
de la solution thérapeutique logiquement déduite d’une analyse
complète des véritables désordres fonctionnels locaux.

■ Comment fonctionne le système


lacrymal d’excrétion ?
Il faut se représenter le système d’évacuation des larmes
comme un authentique système hydraulique (Fig. 1, 2). Ce
système est constitué d’une succession de lacs et de rivières.
Préciser le rôle de chaque segment de ce système permet de
comprendre la pompe lacrymale et de l’intégrer dans un
ensemble dynamique, synchrone et harmonieux [6].
Figure 3. Rivières lacrymales, ici artificiellement gonflées par l’instilla-
tion d’un collyre. (Avec l’aimable autorisation de la SFO, rapport SFO
Rivières palpébrales 2006, pp 55-77).
À partir de sa source ou plutôt de ses multiples sources (les
glandes lacrymales) se construit le film lacrymal. Le trop-plein
de cette fine structure humide, de 4 à 9 µm d’épaisseur [7], contiennent 70 % des 7 à 8 µl environ qu’elles forment avec le
s’évacue dans les premières rivières lacrymales, représentées par film lacrymal et elles en constituent le réservoir [8, 9]. Pour que
les « rivières palpébrales » (Fig. 3), avec qui le film lacrymal la rivière palpébrale conserve une dimension confortable pour
constitue un ensemble en équilibre. Ces rivières courent le long l’œil, compatible avec une bonne qualité optique du dioptre
des bords palpébraux et forment, tout au long de ce bord, un cornéen, il est évidemment nécessaire que s’établisse un
petit volume prismatique, l’inférieur plus important que le équilibre entre sécrétion et évacuation, mais il faut aussi, chose
supérieur, réalisant comme deux gouttières parallèles. Souvent essentielle, que le lit de cette rivière ait les bonnes dimensions
dénommées « ménisque lacrymal », les rivières palpébrales (un bon contenu dans un bon contenant). Ainsi tout écart
anormal, tout diastasis entre le bord de la paupière et le globe
oculaire a pour conséquence une augmentation géométrique du
volume de la rivière palpébrale, laquelle engorge à son tour le
3 film lacrymal [10] , et cette inflation hydrique entraîne une
sensation de vision « mouillée », de larmoiement. Il en est ainsi
1 en cas de laxité canthale, d’ectropion de la paupière inférieure.
Les rivières lacrymales palpébrales sont immédiatement
analysables à la lampe à fente : hauteur et volume du prisme,
qualité, normalement « eau de roche », ou charriant des cellules,
des filaments muqueux ou mucopurulents, ce qui peut traduire
2 une inflammation, une infection qui, entre autres inconvé-
4 6 nients, modifient la viscosité des larmes, ce qui peut participer
à l’explication d’un larmoiement. À l’inverse, l’absence des
rivières lacrymales constitue un des meilleurs signes de séche-
resse oculaire.
De la même façon, s’il est noté que les rivières lacrymales se
5 vident rapidement après instillation d’un substitut de larmes,
l’hypothèse d’un bon fonctionnement de la pompe lacrymale
sera confortée.
De plus, le film lacrymal et les rivières palpébrales sont le
siège, comme nous le verrons, d’un premier véritable phéno-
mène de pompe lacrymale.
Mais pour comprendre ce mécanisme, il est au préalable
indispensable de comprendre l’anatomie physiologique du
système musculaire et de la charpente des paupières et donc
aussi d’en comprendre la cinétique, laquelle n’est pas exacte-
Figure 1. Schéma simplifié du système lacrymal. 1. Glande lacrymale ment la même pour la paupière supérieure et la paupière
principale ; 2. bord des paupières ; 3. canalicule lacrymal ; 4. sac la- inférieure.
crymal ; 5. conduit lacrymonasal ; 6. voies lacrymales. (Avec l’aimable Le système musculaire palpébral est constitué, outre le
autorisation de la SFO, rapport SFO 2006, pp 55-77). releveur de la paupière supérieure et le rétracteur de la paupière

2 Ophtalmologie
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Physiologie de l’excrétion des larmes : les voies lacrymales ¶ 21-020-B-10

Figure 5. Les rivières lacrymales se jettent à l’angle interne dans le lac


lacrymal. Les méats lacrymaux y aspirent le surplus de larmes.

Figure 4. Insertion de l’orbiculaire sur le tendon canthal médial. Les


fibres de l’orbiculaire supérieur sont presque verticales et s’attachent sur la
face antérieure du tendon ; les fibres de l’orbiculaire inférieur sont hori-
zontales et s’attachent sur la face postérieure du tendon et sur la paroi
orbitaire. Le muscle de Horner, compact, est bien individualisé. (Cliché P.
Ritleng) (Avec l’aimable autorisation de la SFO, rapport SFO 2006, pp
55-77).

inférieure, par le muscle orbiculaire qui est un muscle circulaire,


plat, formé de plusieurs faisceaux annulaires concentriques, en
continuité par leurs bords. La portion orbitaire la plus périphé-
rique qui s’étale sur tout le pourtour du rebord osseux de
l’orbite n’intervient pas dans la pompe lacrymale [11]. L’orbicu- Figure 6. La caroncule occupe le volume du lac lacrymal (dont les
laire préseptal et l’orbiculaire prétarsal y exercent une certaine limites sont ici matérialisées par la présence d’une sonde bi-canaliculo-
action. Mais c’est surtout le muscle de Duverney-Horner qui y nasale) et empêche une inflation de son contenu. (Avec l’aimable autori-
joue un rôle fondamental. Avec l’orbiculaire ciliaire (dont il sation de la SFO, rapport SFO 2006, pp 55-77).
forme en réalité la portion interne spécialisée), il intervient dans
la dynamique du bord palpébral et donc dans celle des rivières seul rôle est d’abaisser la paupière inférieure dans le regard en
lacrymales palpébrales. Nous allons voir comment. bas. Du reste, le bord libre de la paupière inférieure ne remonte
Le mode d’insertion des faisceaux musculaires de l’orbiculaire pratiquement pas lors du clignement. Au cours de celui-ci,
aux angles externe et interne de la fente palpébrale explique le l’essentiel du mouvement palpébral inférieur est de se ramasser
rôle fonctionnel de chaque partie de ce muscle, et notamment, en dedans, favorisé en cela par la relative laxité physiologique
de l’orbiculaire supérieur et de l’orbiculaire inférieur (Fig. 4). du tendon canthal externe [13], qui donne à l’angle externe un
L’orbiculaire supérieur a des attaches obliques, relativement certain degré de mobilité en dedans (le tendon canthal médial,
verticales, aussi bien au niveau du canthus externe qu’à celui du au contraire, est épais, solide : il constitue le véritable point fixe
canthus interne. Sur ce dernier, les fibres de l’orbiculaire de l’orbiculaire). Nous reverrons l’importance de ce mouvement
supérieur s’inclinent vers le bas et s’attachent sur le bord horizontal de la paupière inférieure pour le fonctionnement de
supérieur et la face antérieure du très massif tendon canthal la pompe lacrymale canaliculaire.
médial. Par ailleurs, le tarse de la paupière supérieure est épais, Ainsi, au niveau de la fente palpébrale, existe déjà un système
très développé (10 mm de hauteur en son centre). Le releveur de pompe refoulante à deux segments, perpendiculaires l’un par
de la paupière supérieure s’insère solidement, à son bord rapport à l’autre :
supérieur et sa face antérieure, par ses deux faisceaux, antérieur • une pompe refoulante verticale sous l’effet de l’action de la
aponévrotique, postérieur musculaire lisse : le muscle de Müller. paupière supérieure, dont le mouvement de haut en bas
Tout ce solide système, fait d’une charpente fibreuse structurée évacue à la façon d’un chasse-neige le surplus du film
et de deux systèmes musculaires puissants antagonistes aux lacrymal vers le bord palpébral inférieur : c’est la paupière du
forces d’action opposées principalement verticales (sachant que film lacrymal ;
le releveur est également antéropostérieur dans son segment • une pompe refoulante horizontale qui agit de dehors en dedans,
orbitaire), explique que la paupière supérieure ait essentielle- poussant le contenu des rivières lacrymales, réunies par la
ment un mouvement de clignement de haut en bas. En dehors fermeture des paupières en une rivière unique, vers le lac
de son rôle fondamental de protection, elle nettoie et rééquili- lacrymal interne, donc surtout sous l’action de la paupière
bre le film lacrymal à chaque clignement (normalement 12 à inférieure, laquelle pourrait porter le nom de paupière de la
20 clignements par minute), à la façon d’un essuie-glace, grâce voie lacrymale.
à l’arête postérieure très marquée de son bord libre [12]. De la
sorte aussi, les impuretés sont préférentiellement chassées vers
la rivière lacrymale inférieure, dont le débit, vers l’angle interne,
Lac lacrymal
est prépondérant. Les rivières palpébrales se jettent dans le premier lac, du reste
Au contraire, l’orbiculaire inférieur s’insère, lui, presque dénommé : « lac lacrymal ». Ce lac lacrymal (Fig. 5) est un
horizontalement sur les tendons canthaux et la paroi osseuse espace triangulaire à base externe et sommet interne, situé au
orbitaire. À l’angle interne, ses fibres s’insinuent sous le bord niveau de l’angle interne de l’œil, formé par la réunion des
inférieur bien marqué du tendon canthal médial pour s’attacher deux paupières. Il est vaguement limité en dehors par le repli
sur sa face postérieure et la paroi osseuse. De ce fait, l’action du semi-lunaire, légère saillie de la conjonctive bulbaire interne. Le
muscle orbiculaire inférieur est essentiellement horizontale. fond de cet espace est occupé par la caroncule [2]. Il est souvent
D’autre part, le tarse inférieur a une hauteur réduite (5 mm en écrit que cette formation (Fig. 6) est dépourvue de tout rôle, ou
son centre), le muscle qui s’attache à son bord postérieur a un encore qu’il s’agit simplement d’un « reliquat de la troisième
rôle limité, c’est le « rétracteur » de la paupière inférieure : son paupière », du fait de sa constitution, mêlant un épithélium

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Figure 7. Le méat lacrymal (ici de la paupière inférieure) est facilement Figure 8. Chez ce sujet mélanoderme, dont le méat lacrymal est
visible à l’œil nu. (Avec l’aimable autorisation de la SFO, rapport SFO maintenu dilaté par une sonde siliconée bi-canaliculo-nasale, l’anneau
2006, pp 55-77).. méatique avasculaire, élastique, est bien mis en évidence. (Avec l’aimable
autorisation de la SFO, rapport SFO 2006, pp 55-77).
stratifié de type conjonctival à des éléments cutanés : follicules
pileux, glandes sébacées. Or sa présence n’est, en réalité, pas
dénuée d’importance. Par ses poils et sa sécrétion plus collante,
elle retient les corps étrangers, lesquels risqueraient sinon de
retourner dans le film lacrymal, ou encore de pénétrer dans un
des canalicules et constituer l’amorce d’une obstruction. Le lac
lacrymal est la station d’épuration ou plus exactement le bassin
de décantation de la voie lacrymale [14]. La caroncule participe
également au galbe de la portion interne des paupières, permet-
tant une bonne orientation des méats lacrymaux. Surtout, elle
annule la « 3e dimension » du lac lacrymal (les deux premières
étant la largeur et la hauteur), c’est-à-dire la dimension « pro-
fondeur », rendue ainsi virtuelle, et dont l’existence conduirait
à une inflation du contenant, et donc du contenu du lac, avec,
par conséquent en amont, un engorgement secondaire des
rivières lacrymales. Le lac lacrymal n’est de ce fait occupé, lui
aussi, par guère plus qu’un film liquidien. On comprend ainsi
pourquoi les anomalies morphologiques du lac lacrymal,
ectropion, laxité, mais aussi hypertrophie de la caroncule
obturant les méats lacrymaux et refoulant la portion interne des Figure 9. Sur cette coupe histologique au faible grossissement, l’an-
paupières, peuvent conduire à une symptomatologie étiquetée, neau avasculaire du méat lacrymal apparaît bien, non pas comme une
à défaut d’une analyse plus précise : « larmoiement à voies formation autonome, mais comme le début de la paroi élastique du
lacrymales perméables » ou plus exactement, « larmoiements à canalicule. (Cliché P. Ritleng) (Avec l’aimable autorisation de la SFO,
exploration instrumentale normale ». Il s’agit en fait des rapport SFO 2006, pp 55-77).
engorgements fonctionnels lacrymaux par dystopie canthale
interne, ou « dystopie du lac lacrymal ».
Au niveau du lac lacrymal se produisent, comme au niveau
de la conjonctive bulbaire, évaporation et résorption (expli-
quant que les sécrétions qui s’y accumulent peuvent, par
dessiccation, prendre l’aspect d’une concrétion). Ces phénomè-
nes, accessoires en première apparence, éliminent en réalité
dans les conditions basales une bonne quantité de la production
des larmes, quantité estimée entre 1 à 2 µl/min [15, 16].

Méats lacrymaux
Dans le lac lacrymal baignent les méats lacrymaux supérieur
et inférieur. Ces orifices, de la taille d’une tête d’épingle, sont
aisément visibles à l’œil nu (Fig. 7). Ils représentent le début de
Figure 10. Paupières ouvertes, le méat lacrymal inférieur se situe net-
la deuxième rivière lacrymale, qui est, comme les rivières
tement plus en dehors que le méat supérieur. Une marque à l’encre
palpébrales, dédoublée en canalicule palpébral supérieur et
matérialise la situation horizontale de la paupière inférieure. (Avec l’aima-
canalicule palpébral inférieur, chacun faisant partie de la
ble autorisation de la SFO, rapport SFO 2006, pp 55-77).
paupière homologue.
La structure des méats lacrymaux est mieux analysable à la
lampe à fente. On peut ainsi constater que les méats sont en niveau des méats. Lorsque l’œil est ouvert, ils sont au contact
permanence maintenus ouverts par un anneau fibroélastique du globe oculaire, mais sont décalés l’un par rapport à l’autre.
avasculaire (Fig. 8), qui représente le début de la paroi élastique Le méat inférieur, qui s’ouvre sur un canalicule sensiblement
très épaisse (Fig. 9) des canalicules palpébraux (cet anneau n’est plus long, est situé un bon millimètre, voire plus, en dehors de
pas une formation autonome, ou « émanation du tarse » comme la verticale du méat supérieur (Fig. 10). On a vu que, lors du
cela est encore parfois décrit de façon grossièrement erronée). clignement, l’essentiel du mouvement de la paupière inférieure
Lorsque la pompe canaliculaire est en bon état de fonctionne- est de se ramasser vers la ligne médiane et ce, nettement plus
ment, les méats sont vides (ou « pleins d’air ») de façon quasi que la paupière supérieure, de telle sorte que le méat inférieur
permanente, prêts ainsi à aspirer tout excès de larmes. parcourt un trajet en dedans plus important que le supérieur, au
La dynamique de chacun des méats lacrymaux, supérieur et niveau duquel il vient finalement se placer. À la fermeture des
inférieur, n’est pas identique. Cela s’explique par la dynamique paupières, les deux méats s’accolent ainsi étroitement (Fig. 11)
propre à chaque paupière que nous avons déjà évoquée et qui et de façon étanche, réalisant un véritable système antireflux,
sera détaillée au prochain chapitre, relatif aux canalicules. Il est fondamental pour le bon fonctionnement de la pompe
cependant dès à présent intéressant d’analyser ce qui se passe au lacrymale. Tout dysfonctionnement de cette mécanique précise

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Figure 13. Sur cette vue de dissection, la couche musculaire a été


Figure 11. Paupières fermées, les deux méats viennent au contact l’un
excisée, permettant de voir le trajet des canalicules remplis d’une résine
de l’autre, de telle sorte qu’aucun reflux ne soit possible. La marque sur la
colorée. Le passage sous le tendon canthal médial est mis en évidence, et
paupière démontre l’attraction vers la ligne médiane de cette paupière
il est clair que les canalicules ne perforent en aucune façon le tendon.
inférieure, assurant ainsi, entre autres, l’accolement des deux méats. (Avec
(Cliché P. Ritleng) (Avec l’aimable autorisation de la SFO, rapport SFO
l’aimable autorisation de la SFO, rapport SFO 2006, pp 55-77).
2006, pp 55-77).

Figure 14. Schéma de l’angle interne en vue temporale (c’est-à-dire de


dehors en dedans) : les deux faisceaux supérieur et inférieur du muscle de
Horner quittent les canalicules palpébraux et se réunissent en un seul
corps musculaire qui se dirige en arrière du sac lacrymal pour s’attacher
sur la crête lacrymale postérieure, assurant le maintien et l’arrondi de la
Figure 12. Disposition des fibres du muscle de Horner autour des portion interne de la paupière. Il croise ainsi en X allongé la direction vers
canalicules palpébraux. (Avec l’aimable autorisation de la SFO, rapport l’avant du tendon canthal médial. (Avec l’aimable autorisation de la SFO,
SFO 2006, pp 55-77). rapport SFO 2006, pp 55-77).

(ectropion, laxité involutionnelle, etc.) peut compromettre


l’épaisseur du bord libre des paupières, avant de rejoindre la
l’efficacité de la pompe. Si les deux méats ne s’oblitèrent pas
réciproquement au cours du clignement, il y aura fuite avec loge lacrymale. Dans cette partie palpébrale, la plus importante
régurgitation des larmes qui avaient précédemment pénétré à tout point de vue, le rapport essentiel des canalicules se fait
dans les canalicules. avec les fibres du muscle de Horner.
La « dynamique » des canalicules lacrymaux dans leur portion
palpébrale procède en effet de deux systèmes antagonistes
Canalicules palpébraux concentriques : l’un externe musculaire, le muscle de Hor-
Les canalicules palpébraux constituent, après les méats, la ner [17] ; l’autre interne, la paroi canaliculaire élastique.
deuxième rivière lacrymale. Le muscle de Horner constitue donc la paroi externe. Il
Ils débutent l’un et l’autre par une courte portion verticale de s’insère sur la crête lacrymale postérieure, derrière le sac
1 à 2 mm, laquelle se jette à 90° dans la portion horizontale, lacrymal qu’il contourne, puis il se dédouble en faisceaux
qui dépasse cependant légèrement en dehors cet abouchement, supérieur et inférieur (Fig. 14 à 16), qui vont accompagner
formant un petit cul-de-sac canaliculaire : sur cet ergot s’arrime chaque paupière et chaque canalicule palpébral [18, 19]. Son bord
le muscle de Horner, dont les fibres forment comme un lacet à est en continuité avec celui du faisceau prétarsal de l’orbiculaire,
ce niveau (Fig. 12). mais il s’en distingue par son caractère particulièrement charnu
Les canalicules mesurent environ 6 mm pour le supérieur et et compact, ce que montrent à la fois les constatations chirur-
8 mm pour l’inférieur. Ce dernier est donc sensiblement plus gicales (Fig. 17), la dissection anatomique (Fig. 4) et les coupes
long, ce qui explique l’importance respective inégale de chaque histologiques (Fig. 18).
canalicule dans le fonctionnement de la pompe lacrymale, où C’est lui, beaucoup plus que le tendon canthal médial, qui
l’inférieur prend la meilleure part. Les deux canalicules suivent tend la paupière et fait que les paupières, et surtout l’inférieure,
le bord des paupières dans leur portion médiale, selon une restent en place, même après section du tendon, comme par
direction interne, passant sous le tendon médial (qu’ils ne exemple au cours de la dacryo-cysto-rhinostomie par voie
perforent pas, autre erreur qui demeure encore dans certains externe. L’action en dedans et en arrière du muscle de Horner
traités et qui serait incompatible avec le fonctionnement de la (alors que le tendon canthal médial se dirige obliquement vers
pompe), vers le canalicule d’union et le sac lacrymal (Fig. 13). l’avant) assure en outre la conformation palpébrale essentielle
Les canalicules lacrymaux sont ainsi initialement contenus dans pour le bon fonctionnement lacrymal : l’arrondi de

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Figure 15. Sur cette vue clinique, la direction vers l’avant du tendon Figure 17. Chirurgie du canalicule. Sur cette photographie de tranche
canthal médial est évidente, s’opposant à l’arrondi vers l’arrière, suivant la de section palpébrale prise au microscope opératoire, l’importante paroi
courbure du globe, imprimé par l’action du muscle de Horner. (Avec élastique du canalicule est bien visible, entourée par le muscle de Horner
l’aimable autorisation de la SFO, rapport SFO 2006, pp 55-77). dense et charnu. (Avec l’aimable autorisation de la SFO, rapport SFO
2006, pp 55-77).

Figure 18. Sur cette coupe histologique, le muscle de Horner (1),


entourant le canalicule palpébral, se distingue, par sa densité, du muscle
orbiculaire (2) dont les fibres apparaissent plus lâches. (Avec l’aimable
autorisation de la SFO, rapport SFO 2006, pp 55-77).

avec les modes différents d’insertion de l’orbiculaire à l’angle


interne. Le faisceau qui accompagne le canalicule inférieur est,
Figure 16. comme ce dernier, plus long, mais aussi plus épais que le
A, B. Sur cette dissection, le globe oculaire a été énucléé et le sac faisceau de la paupière supérieure. Plus que la gravité, ceci
également enlevé. La portion interne des paupières est réclinée vers la explique le rôle prépondérant du canalicule inférieur dans la
ligne médiane, contre le nez. Le muscle de Horner est ainsi mis en dynamique de la pompe lacrymale.
évidence, avec ses deux faisceaux palpébraux qui se réunissent en un seul
Ce muscle a donc à la fois un rôle palpébral et un rôle
chef qui s’attache sur la crête lacrymale postérieure. On remarque le
lacrymal [18], mais on sait que les deux rôles sont intriqués : pas
développement du faisceau inférieur par rapport à celui qui accompagne
de bon équilibre lacrymal sans bon état palpébral. Le relâche-
le canalicule supérieur. (Cliché E. Longueville) (Avec l’aimable autorisation
ment du Horner, dans les distensions palpébrales involutionnel-
de la SFO, rapport SFO 2006, pp 55-77).
les liées à l’âge ou dans les séquelles des paralysies faciales, est
responsable d’un ectropion avec prédominance interne de la
la portion interne des paupières. Dans ce même mouvement, le lagophtalmie et du larmoiement. En traumatologie, si la
muscle de Horner maintient les points lacrymaux au contact du réparation n’est pas soigneusement réalisée, l’altération de ce
globe, dans une orientation verticale et légèrement vers muscle délicat sera définitive et quasiment irrécupérable,
l’arrière [19]. obligeant à utiliser des subterfuges de chirurgie réparatrice et des
Chacun des faisceaux palpébraux supérieur et inférieur du prothèses, loin de parvenir au confort de l’anatomie fonction-
muscle de Horner présente des particularités qui vont de pair nelle normale.

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Physiologie de l’excrétion des larmes : les voies lacrymales ¶ 21-020-B-10

Figure 20. Patient ayant subi (à tort) une stricturotomie, mettant la


lumière du canalicule « à ciel ouvert ». (Avec l’aimable autorisation de la
SFO, rapport SFO 2006, pp 55-77).

Figure 19. Moulage du sac lacrymal par une résine colorée. Dès la Figure 21. Chez le même pa-
pénétration dans la loge lacrymale, les canalicules, que le muscle de tient, à la fermeture contrariée des
Horner a abandonnés, se réunissent en un canalicule commun qui appa- paupières, le raccourcissement du
raît comme une expansion du sac lacrymal. (Cliché P. Ritleng) (Avec canalicule est démonstratif et les
l’aimable autorisation de la SFO, rapport SFO 2006, pp 55-77). plis de la muqueuse canaliculaire
sont visibles. (Avec l’aimable auto-
risation de la SFO, rapport SFO
Jones a participé grandement, on l’a vu, à la remise à l’hon- 2006, pp 55-77).
neur d’un mécanisme actif au sein des voies lacrymales, et il a
ainsi contribué à retrouver un raisonnement fonctionnel dans
la chirurgie des voies lacrymales et dans l’analyse de ses
résultats [1, 20-25]. Cette notion de mécanisme musculaire actif au
niveau des canalicules lacrymaux est pourtant très ancienne.
Duverney a, le premier, mentionné l’existence de ce muscle en
1749, Horner l’a décrit avec précision en 1824 et son nom a
prévalu. Desmarres écrivait en 1854 : « Le sac lacrymal a un
muscle particulier, le muscle de Horner, que l’on dirait une réflexion
du muscle orbitaire. Il s’insère sur la crête du canal, s’étend en avant
sur le sac et se partage en deux faisceaux qui longent les conduits
lacrymaux, et auxquels on attribue une certaine action sur le petit
appareil hydraulique lacrymal. »
Tous les auteurs ultérieurs ont à peu près repris cette descrip-
tion : Bernard et Ritleng 1982, Aubaret [26] 1909, Beard 1969, s’écrase dans toutes ses dimensions : elle s’aplatit certes, mais
Bec et Arné 1968, Burns 1968, Cassady 1952, Couly 1979, surtout elle se rétrécit selon sa longueur : sa muqueuse fait des
Dailey [27] 1923, Deboise 1979, Duke-Elder 1961, Jules François plis à la façon d’un accordéon (Fig. 20, 21). Cette paroi est donc
1973, Gegenbauer 1890, Gerlach 1880, Halben 1903, Hyrtl déformable et se plie, dans tous les sens du terme, à l’action
1878, Jayle 1939, Krehbiel 1878, Kronfeld 1969, Lang 1980, « compressive » du muscle. Mais, répétons-le, la nature de cette
Mausolf 1975, Murube del Castillo 1978, Patton 1923, Poirier- paroi très épaisse (proportionnellement à la lumière du conduit,
Charpy 1904, Ritleng 1981, Rosengreen 1929, Rouvière 1974, la paroi élastique du canalicule est plus conséquente que celle
Royer 1968, Sappey 1877, Saraux 1970, Schaeffer 1921, Schirmer de l’aorte) est d’être élastique. Après s’être laissé compresser, elle
1904, Scuderi 1975, Stallard 1973, Testut 1905, Testut et Latarjet reprend sa forme initiale. Les physiciens disent qu’elle possède
1949, Trevor-Ropper 1974, Veirs 1976, Vergez et Schmutz 1976, une « résilience mécanique ». Cette propriété désigne la capacité
Warvick 1976, Werb 1968 et 1969, Whitaker 1976, Whitnall de certains matériaux à recouvrer leur état initial quand cesse la
1921, Wolff 1976 et Worst 1970. contrainte qui leur était imposée : il en est ainsi de la capacité
À ce système agoniste musculaire externe, puissant à l’échelle de déformation puis de retour à la forme initiale du tuyau
de la voie lacrymale, s’oppose un système antagoniste élastique d’arrosage qu’on peut écraser avec le pied, mais dont la struc-
interne, non moins puissant : la paroi élastique des canalicules ture élastique en caoutchouc reprend sa forme dès que la
palpébraux. pression se relâche. Chez le canalicule palpébral, cette résilience
Cette importante structure élastique (Fig. 17) accompagne aboutit à un autre véritable phénomène actif opposé à celui du
effectivement les canalicules dans toute leur longueur palpé- muscle, constituant ainsi un authentique système antagoniste.
brale, c’est-à-dire jusqu’au moment où ils atteignent l’angle Constatation logique, en microscopie électronique à
interne, et se rejoignent en un canalicule commun (qui peut balayage [28], on met en évidence une surface des canalicules
manquer : dans près de 20 % des cas, les deux canalicules se palpébraux faite de cellules plates, avec de fortes jonctions
jettent isolément dans le sac). Dès cette réunion, ou en intercellulaires. Cet aspect en « route pavée » (Fig. 22) confirme
l’absence de canalicule commun, dès que le système canalicu- que cette portion des canalicules palpébraux est bien un lieu de
laire pénètre dans la loge lacrymale (qui contient le sac passage rapide. À plus faible grossissement, on retrouve des plis
lacrymal), la paroi élastique disparaît. Le canalicule commun a parallèles (Fig. 23), correspondant au phénomène d’accordéon
en effet une texture qui tend à ressembler à celle du sac qui accompagne la compression du canalicule lors du
lacrymal, dont il semble une expansion : il a été également clignement.
décrit comme faisant partie du sac (Fig. 19) sous le nom de
« sinus de Maïer ». Dans le même temps, le muscle de Horner Sac lacrymal
abandonne lui aussi les canalicules et s’infléchit vers l’arrière,
contournant le sac sur sa face postérieure, pour s’attacher sur la Il constitue le deuxième lac. Son entrée se fait par le canali-
crête lacrymale postérieure. cule commun.
Quand l’orbiculaire et, avec lui, le muscle de Horner, se Le canalicule commun, abandonné par le muscle de Horner
contractent, la paroi élastique des canalicules palpébraux et dont la paroi est devenue fine, avec une structure élastique

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21-020-B-10 ¶ Physiologie de l’excrétion des larmes : les voies lacrymales

Figure 22. En microscopie électronique à balayage, aspect des cellules


en « route pavée ». (Cliché J.-P. Adenis) (Avec l’aimable autorisation de la
SFO, rapport SFO 2006, pp 55-77). Figure 24. Microscopie électronique à balayage de l’épithélium du sac
lacrymal, révélant une surface recouverte de microvillosités. (Cliché F.-P.
Paulsen) (Avec l’aimable autorisation de la SFO, rapport SFO 2006, pp
55-77).

formant parfois des glandes à mucus intraépithéliales caractéris-


tiques. Il y a là les signes d’une structure de réabsorption en
même temps que d’une lubrification des parois facilitant
l’écoulement des larmes vers le nez.
Cependant, le rôle du sac dans la dynamique de l’évacuation
des larmes reste encore actuellement l’objet de controverses.
Jones a décrit un important effet de la contraction du faisceau
profond de l’orbiculaire prétarsal qui aboutit à comprimer les
canalicules et propulse les larmes vers le sac lacrymal, méca-
nisme dont nous avons précisé les rouages, et qui semble
Figure 23. Sur une autre préparation en microscopie électronique indiscutable [30]. Mais Jones [15] et d’autres [31, 32] affirment
à balayage, les plis caractéristiques de la paroi interne du canalicule également que le sac se distend de façon synchrone sous
sont apparents. (Avec l’aimable autorisation de la SFO, rapport SFO 2006, l’action des fibres profondes de l’orbiculaire préseptal, créant
pp 55-77). une dépression péristaltique qui faciliterait l’aspiration des
larmes.
Les épreuves dynamiques en radiologie vont déjà à l’encontre
réduite, conserve cependant un rôle important dans le fonc- de ce mécanisme, mais il faut reconnaître que le bien-fondé
tionnement de la pompe lacrymale. En effet, la disposition physiologique de la radiologie actuellement disponible reste
anatomique respective dans l’espace établit un angle entre le discutable. En manométrie, malgré aussi les réserves méthodo-
canalicule commun (ou l’extrémité des canalicules quand il est logiques liées à la possibilité de nombreux artefacts de mesure,
absent) et le sac lacrymal. Cet angle que fait le canalicule les modifications des pressions enregistrées au cours du cligne-
d’union avec le sac [29] construit l’équivalent d’une valvule ment ne mettent pas en évidence un gradient instantané
antireflux : c’est la « valvule de Rosenmüller ». Elle s’apparente significatif entre les canalicules et le sac. On ne trouve, dans la
au système antireflux de la jonction urétérovésicale. Cette littérature récente, que peu d’articles en faveur de ce jeu
pseudovalve empêche ainsi le reflux des larmes du sac vers les péristaltique, de dilatation et de rétrécissement réciproques en
canalicules. Cet effet « à sens unique » des canalicules vers le sac opposition de phase, des canalicules et du sac. Une étude par
peut s’exacerber en cas de dilatation du sac lacrymal qui ferme Theodossiadis [33] , en 1979, qui utilise la scintigraphie au
encore l’angle d’entrée, et risque d’oblitérer définitivement toute technétium, dont on connaît la très médiocre résolution
possibilité de reflux dans le canalicule comprimé. Ainsi s’expli- spatiale [34], conforterait la théorie de Jones. Plus récemment, en
que la création d’un cercle vicieux : plus il y a dilatation du sac, 1992, Becker [20], en utilisant des enregistrements endoscopiques
plus il y a sens unique vers le sac, plus il y a dilatation du sac réalisés lors du clignement palpébral, a montré qu’il
supplémentaire du sac et plus il y a blocage, etc. existe à la fermeture des paupières, lors de la contraction de
Au niveau de la paroi du sac apparaît un riche plexus veineux l’orbiculaire, un mouvement vers le dedans de la portion
se poursuivant en bas où il se connecte avec le corps caverneux inférieure de la paroi latérale du sac, créant une pression
du cornet nasal inférieur [14] . Les faisceaux collagènes et positive refoulant les larmes vers le conduit lacrymonasal. Dans
élastiques ainsi que les fibres réticulaires entre les vaisseaux le même temps, la paroi externe de la moitié supérieure du sac
sanguins de ce riche plexus veineux sont arrangés de façon se mobiliserait vers le dehors, créant une pression négative et
hélicoïdale et tournent de façon spiralée depuis le sommet du aspirant les larmes qui proviennent des canalicules. Il en a
sac lacrymal jusqu’à l’extrémité du conduit lacrymonasal. Nous déduit un modèle tricompartimental de la pompe lacrymale.
en verrons les conséquences biomécaniques, mais il n’en reste Mais, là aussi, ces constatations sont sujettes à des biais
pas moins qu’à ce niveau, cette paroi jouit d’une solidité artéfactuels et ce mécanisme paraît un peu complexe. En outre,
mécanique plus faible alors qu’elle est située immédiatement dans une étude toute récente utilisant la dacryo-imagerie par
sous la peau. C’est la raison pour laquelle, en pathologie, peut résonance magnétique (IRM) avec opacification par instillation
apparaître une distension parfois considérable du sac. de gadolinium-acide diéthylène triamine penta-acétique (DTPA)
À cet étage aussi, l’épithélium du sac lacrymal et du conduit dilué à 0,5 %, Amrith et al. [35] ont montré qu’il n’y avait pas
lacrymonasal est différent de celui des canalicules palpébraux. de modification significative du volume du sac paupières
Au niveau de ces derniers, nous avons vu qu’il était constitué ouvertes et paupières fermées. Cette mesure n’a pu être réalisée
de cellules plates, en « route pavée », témoignant d’un passage qu’en positions « extrêmes », œil complètement ouvert ou à
rapide des larmes. Au contraire, au niveau du sac, la plupart des l’opposé fortement fermé, ce qui en limite un peu la valeur
cellules épithéliales ont leur surface recouverte par des micro- puisqu’on peut imaginer dans l’intervalle des mouvements de la
villosités (Fig. 24). Certaines portent des cils. En plus, des paroi du sac. Mais, en attendant que toutes ces séquences
cellules à mucus sont intégrées dans la paroi (goblet cells), puissent être éventuellement démontrées lorsque l’on disposera

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Physiologie de l’excrétion des larmes : les voies lacrymales ¶ 21-020-B-10

Figure 25.
A à D. Disposition hélicoïdale des fibres de la
paroi du sac lacrymal, expliquant l’effet d’esso-
rage lors de la contraction des fibres du muscle
orbiculaire qui s’insèrent sur cette paroi. (Clichés
A. Thale) (Avec l’aimable autorisation de la SFO,
rapport SFO 2006, pp 55-77).

en IRM de coupes fines à grande vitesse, cela fait un argument Ainsi, au cours du drainage des larmes dans le sac lacrymal,
solide de plus contre un tel mécanisme à ce niveau. celui-ci peut, dans les conditions physiologiques, se remplir plus
Finalement, des arguments démonstratifs et indiscutables ou moins. Dans les conditions basales, la muqueuse du sac est
manquent donc en faveur d’un phénomène qui pourrait capable d’en réabsorber une grande partie (rôles de l’essorage et
s’apparenter à un péristaltisme. Pourtant la chirurgie, la de l’important plexus vasculaire qui représente l’essentiel de
dissection et les coupes histologiques démontrent bel et bien l’épaisseur de sa paroi ?). Le reste, et surtout l’afflux qui se
qu’il y a, constamment et en quantité significative, des fibres de produit en cas d’hypersécrétion de la glande lacrymale ou
l’orbiculaire qui se fixent sur la partie supérieure du sac, entre lorsqu’un collyre est instillé, s’écoulera vers le nez, dans la
en avant le tendon canthal médial et en arrière la terminaison troisième rivière, qui prolonge vers le bas la direction verticale
du muscle de Horner. Quel est donc le rôle de ce faisceau du sac.
musculaire directement inséré sur le sac si la théorie péristalti-
que ne doit pas être retenue, alors qu’il est impossible de nier Conduit lacrymonasal
que là où il est, ce faisceau exerce effectivement une traction sur
le sommet du sac ? Il convient peut-être alors de prendre en Il est cette troisième (et dernière) rivière, avant l’arrivée dans
considération la structure de la paroi du sac, dont les fibres de ce qui est, à l’échelle des voies lacrymales, un gouffre sans
collagène et élastiques ont une disposition particulière (Fig. 25A fond : les cavités nasales. À la limite inférieure du sac, l’origine
à D), hélicoïdale [36] qui se poursuit jusqu’à l’extrémité infé- du conduit lacrymonasal est marquée par un discret rétrécisse-
rieure du conduit lacrymonasal au débouché dans le nez. La ment, inconstant, correspondant à l’orifice du canal osseux. Ce
traction que les fibres musculaires exercent au sommet du sac rétrécissement n’a aucun rôle valvulaire, mais il marque la
entraîne du fait de cette structure un effet de torsion, comme séparation entre le sac et le conduit lacrymonasal.
lorsqu’on essore une serpillière, poussant les larmes résiduelles L’écoulement des larmes vers le nez tout au long de cette
qui n’auraient pas eu le temps d’être résorbées, vers le canal dernière rivière (longue de 15 mm environ) se fait passivement
lacrymonasal et vers les cavités nasales. C’est une hypothèse de par la gravité (on a vu le rôle du mucus), par l’essorage du sac
plus, mais elle paraît séduisante et la mieux adaptée aux au cours du clignement et enfin par effet Bernouilli du fait de
connaissances anatomophysiologiques actuelles. la circulation de l’air dans les cavités nasales. Au débouché dans

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21-020-B-10 ¶ Physiologie de l’excrétion des larmes : les voies lacrymales

Figure 26. Coupe horizontale d’un sac lacrymal humain : la lumière


lacrymale est une fente entourée par un riche corps caverneux de vais-
seaux spécialisés (veines de capacitance, CV) avec une large lumière. Figure 27. Schéma de la pompe lacrymale. (Avec l’aimable autorisation
(Cliché U. Schaudig, A. Thale et al.) (Avec l’aimable autorisation de la SFO, de la SFO, rapport SFO 2006, pp 55-77).
rapport SFO 2006, pp 55-77).

Autres mécanismes
le nez, un repli variable de la muqueuse forme la deuxième et Il existe aussi d’autres mécanismes d’élimination des larmes.
dernière vraie valvule antireflux des voies lacrymales : la valvule Le terme de pompe lacrymale est habituellement réservé au
de Hasner, dont les anomalies, assez fréquentes, contribuent drainage actif [2, 4, 12, 23, 24], par opposition à ces autres méca-
elles aussi à la pathologie des voies lacrymales [37], surtout chez nismes d’importance variable (Fig. 27), qui sont les suivants :
le petit enfant. évaporation, réabsorption, capillarité, gravité.
Mais une autre particularité de la paroi du sac et du conduit • L’évaporation des larmes est le premier mécanisme « acces-
lacrymonasal est de contenir un très important plexus vascu- soire » mis en jeu. Cette évaporation, bien que combattue par
laire, véritable corps caverneux [38] décrit pour la première fois la couche lipidique superficielle du film lacrymal, se produit
par Henle en 1866. En effet, à l’intérieur du tissu vasculaire, néanmoins de façon appréciable à la surface de la cornée, au
caractéristiques en cela de la structure des corps caverneux niveau de la conjonctive bulbaire, des rivières lacrymales et
(Fig. 26), existent des artères spécialisées (artères barrières ayant du lac lacrymal. Il est clair que des phénomènes extérieurs,
une couche musculaire supplémentaire), des lacunes veineuses notamment climatiques, peuvent modifier sensiblement cette
évaporation [39, 40], et ainsi révéler un larmoiement latent,
(veines de capacitance) et des anastomoses artérioveineuses.
asymptomatique en atmosphère sèche.
Elles commandent la fermeture et l’ouverture de la lumière du
• La réabsorption des larmes semble également jouer un rôle
conduit lacrymal par contraction ou au contraire dilatation du
important, puisque, associée à l’évaporation, elle parvient à
corps caverneux. éliminer une grande partie de la sécrétion lacrymale de base.
Le gonflement survient quand les artères barrières sont Elle siège au niveau de la conjonctive, du lac interne et
ouvertes et les veines de drainage (veines dont la tunique surtout du sac lacrymal [14]. Pour ce dernier, on considère
médiane contient une couche musculaire et des cellules muscu- ainsi que dans les conditions normales, 90 % des larmes
laires lisses arrangées de façon hélicoïdale) sont fermées. Les pénétrant dans les méats lacrymaux sont réabsorbées, seuls
anastomoses artérioveineuses facilitent le passage sanguin direct les 10 % restants s’écouleront effectivement dans le nez.
des artères vers les veines lacunaires, d’où remplissage rapide de • La capillarité intervient aussi, mais l’estimation de son
ces veines, dites « veines de capacitance ». Leur remplissage importance varie grandement suivant les auteurs [41]. Elle joue
entraîne le gonflement de la paroi du conduit lacrymal et donc probablement un rôle dans la pénétration des larmes à
la fermeture de sa lumière. En revanche, la fermeture des artères l’intérieur des canalicules, en l’absence même de tout cligne-
barrières et l’ouverture des veines de drainage réduisent le flux ment : c’est le phénomène de Krehbiel [16]. Maurice [42] avait
sanguin des veines de capacitance, permettant de façon simul- ainsi observé, grâce à l’instillation d’une suspension de
tanée la sortie du contenu sanguin avec, pour résultat, une particules de noir de fumée dans du sérum physiologique,
contraction du corps caverneux et donc une dilatation de la que « des volumes de 10 mm3 et plus, introduits immédiate-
lumière lacrymale. La régulation du flux sanguin par les ment après un clignement, peuvent s’écouler dans le point
vaisseaux sanguins spécialisés permet ainsi l’ouverture et la lacrymal avant qu’un nouveau clignement n’intervienne ».
fermeture de la lumière lacrymale par le remplissage et la Mais pour qu’il y ait capillarité, encore faut-il qu’il y ait une
vidange du corps caverneux, ce qui régule le transit des larmes interface air-liquide. Il est donc nécessaire que le méat
vers le nez. lacrymal et le canalicule qui lui fait suite soient vides, pour
que les larmes trouvent dans le canalicule cette interface :
Il n’est dès lors pas surprenant que le corps caverneux des
c’est précisément une des actions de la pompe lacrymale
voies lacrymales excrétrices soit très innervé [2] pour assurer la
canaliculaire. Peut-être aussi, comme ont pu le suggérer
commande de ce jeu subtil d’ouverture ou de fermeture de ce
certaines études manométriques, y a-t-il dans le cycle des
conduit. Les épiphoras en rapport avec les émotions telles que épisodes de pression négative ? Nous avons vu que de telles
tristesse ou joie ou par irritation, entraînant un larmoiement études des pressions lors du clignement n’emportent pas la
intense, peuvent s’expliquer, non seulement par l’augmentation conviction, mais l’hypothèse n’est pas totalement exclue...
de la sécrétion lacrymale à partir de la glande lacrymale et des • La gravité joue un rôle également discuté. Il n’existe pas de
glandes lacrymales accessoires, mais aussi par fermeture du larmoiement lors du sommeil dans les conditions de base [43,
passage dans le conduit lacrymonasal. Cette action « mécani- 44], mais il semble aussi y avoir une hyposécrétion pendant
que » permet une protection contre les corps étrangers : non celui-ci... Quelques auteurs, comme Yamaguchi et Murube,
seulement la production de larmes augmente, mais l’évacuation ont étudié selon la position de la tête l’évacuation de diverses
des larmes vers le nez est également interrompue par le gonfle- substances, comme des produits radio-opaques ou colorés. En
ment du corps caverneux afin de refouler le corps étranger et de position verticale, ils retrouvent des temps d’évacuation de la
l’empêcher de pénétrer dans les voies lacrymales. fluorescéine allant de 15 à 20 minutes, contre 35 minutes à

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Physiologie de l’excrétion des larmes : les voies lacrymales ¶ 21-020-B-10

3 heures en position couchée [41, 43]. La méthodologie peuvent induire des effets indésirables (asthme, bloc auricu-
employée et les conditions de l’étude n’emportent pas non loventriculaire...). Utilisant l’instillation de fluorescéine, le
plus la conviction, ne serait-ce qu’en ce qui concerne l’échelle temps de transit moyen dans les voies lacrymales a été estimé
de telles différences. à 8 minutes [38]. Il s’agit toutefois de valeurs approximatives
Quoi qu’il en soit, au niveau des rivières lacrymales palpébra- avec de nombreuses variations interindividuelles d’origine
les, la gravité joue un rôle probable, même s’il est accessoire : multifactorielle (génétique, émotionnelle, fréquence du
en effet, la fente palpébrale présente normalement une obliquité clignement, état hormonal...) et aussi selon la quantité
en bas et en dedans [32]. Le cours spontané de la rivière instillée : plus celle-ci est importante, plus le passage est
lacrymale est donc de se drainer vers l’angle interne, en dehors rapide [47]. Mais, dans les conditions basales, la petite quantité
même du mécanisme actif qui accompagne le clignement. Chez de larmes qui s’écoule dans le sac est majoritairement
réabsorbée. Ce qui parvient dans le nez est dès lors si peu de
le sujet âgé, l’affaissement de l’angle externe par exagération de
chose (le débit lacrymal parvenant dans les cavités nasales est
la laxité physiologique du tendon canthal latéral peut inverser
dix fois moins important que ce qui pénètre dans les méats
la pente vers l’angle externe et expliquer partiellement certains
lacrymaux) que l’on n’en a aucune sensation ;
larmoiements à exploration instrumentale normale. • en cas d’hypersécrétion réflexe ou émotionnelle (qui peut
La gravité joue probablement aussi un rôle dans le conduit représenter de façon quasi instantanée jusqu’à 100 fois la
lacrymonasal, avec aussi la pression exercée en amont par le sécrétion de base), la pompe lacrymale canaliculaire, très
sac, et la dépression par effet Venturi exercée en aval par le flux efficace [48], engorge rapidement le sac dont les capacités de
d’air dans les cavités nasales. Ce drainage par le conduit stockage sont limitées. Par le conduit lacrymonasal dont le
lacrymonasal est régulé par le remplissage ou pas du plexus rôle est essentiellement passif, mais dont la taille de la
vasculaire caverneux qui occupe sa paroi. lumière (et par là, l’importance du transit lacrymal) est
contrôlée par la turgescence ou pas du corps caverneux qui
occupe sa paroi, les larmes se vident dans le nez par essorage
■ Comment envisager du sac, gravité et effet Bernouilli, d’où écoulement par les
narines et mouchage. Tout système, même performant, a ses
la physiologie de l’excrétion limites. Si les pleurs ne cessent pas ou sont trop abondants,
les larmes débordent et roulent sur les joues.
lacrymale ? Comment [2, 45, 46]

s’articulent les différents ■ Conclusion


mécanismes mis en jeu ? Il est clair que ce merveilleux système hydraulique est très
La réponse peut être donnée par une séquence d’événements délicat. La chirurgie n’est réellement performante que dans la
ainsi imaginée : zone large et relativement passive de ce complexe, c’est-à-dire le
sac dont la marsupialisation au nez, par la dacryo-cysto-
• la pompe refoulante verticale du bord de la paupière supé-
rhinostomie, donne de très bons résultats. Pour les parties
rieure évacue le trop-plein du film lacrymal vers les rivières
palpébrales et canaliculaires, il convient de rester prudent dans
palpébrales (surtout l’inférieure) ;
les indications opératoires car le taux de réussite fonctionnelle,
• la pompe refoulante horizontale de la paupière inférieure vide susceptible d’apporter un réel confort au patient, n’est pas
les rivières lacrymales réunies en une seule rivière par la extraordinaire, en tout cas au stade des séquelles [49]. Si une
fermeture de la fente palpébrale, dans le lac lacrymal, à intervention est décidée, et spécialement en cas de traumatisme,
l’angle interne, où la caroncule retient les impuretés par ses il est impératif de mettre en œuvre une microchirurgie extrê-
poils (bassin de décantation) ; mement méticuleuse, pour chercher à obtenir la meilleure
• au niveau de la conjonctive et du lac lacrymal, une bonne reconstruction anatomophysiologique possible.
partie des larmes s’évapore ou est réabsorbée ;
• les méats lacrymaux, maintenus vides en permanence par la
pompe canaliculaire, aspirent les larmes qui persistent dans le
.

lac lacrymal. La capillarité joue peut-être un certain rôle ;


• à la fermeture des paupières, les deux méats supérieur et
■ Références
inférieur s’accolent étroitement, empêchant tout reflux, et [1] Jones LT. Epiphora II. Its relation to the anatomic structures and surgery
permettant, sans perte d’efficacité, le fonctionnement de la of the medial canthal region. Am J Ophthalmol 1957;43:203-12.
pompe lacrymale située dans la partie palpébrale des canali- [2] Royer J, Adenis JP, Bernard JA, Metaireau JP, Reny A. In: L’appareil
cules. Ils sont comprimés par le muscle de Horner et vidan- lacrymal. Paris: Masson; 1982. p. 173-220.
gent leur contenu dans le sac lacrymal, lui-même [3] Rosengren B. On lacrimal drainage. Ophthalmologica 1972;164:
synchroniquement essoré vers le bas, vers le canal lacrymo- 409-21.
nasal. Dans les canalicules, il n’y a pas de phénomène de [4] Bernard JA. Physiologie et pathologie des voies lacrymales. Concours
Med 1976;98:5335-44.
résorption. Ce segment n’est qu’un lieu de passage entre deux
[5] Bernard JA. Traitement chirurgical des obstructions des voies
lacs, le lac supérieur : lac lacrymal, le lac inférieur : sac lacrymales. Arch Fr Ophtalmol 1972;32:177-88.
lacrymal ; [6] Ducasse A, Adenis JP, Fayet B, George JL, Ruban JM. Les voies
• à l’ouverture des paupières, les méats se séparent l’un de lacrymales. Rapport de la Société française d’ophtalmologie. Paris:
l’autre, les canalicules reprennent leur forme grâce à leur Elsevier-Masson; 2007.
puissante paroi élastique, créant peut-être aussi une pression [7] Creech JL, Do LT, Fatt I, Radke CJ. In vivo tear-film thickness
négative momentanée. D’autres larmes sont alors aspirées et determination and implications for tear-film stability. Curr Eye Res
de l’air extérieur pénètre dans les canalicules, les méats sont 1998;17:1058-66.
à nouveau vides. Entre le sac et les canalicules, la valvule de [8] Zappia RJ, Milder B. Lacrimal drainage function I. The Jones
Rosenmüller (canalicule commun) joue son rôle antireflux ; fluorescein test. Am J Ophthalmol 1972;74:154-9.
• il en résulte que les larmes circulent sous forme de bolus au [9] Zappia RJ, Milder B. Lacrimal drainage function II. The fluorescein
dye disappearance test. Am J Ophthalmol 1972;74:160-2.
niveau du sac lacrymal [35], puis sont drainées dans le canal
[10] Yokoi N, Bron AJ, Tiffany JM, Maruyama K, Kumoro A, Kinoshita S.
lacrymonasal jusqu’au nasopharynx, où elles seront absorbées Relationship between tear volume and tear meniscus curvature. Arch
par une plus grande surface muqueuse. Le reste des larmes est Ophthalmol 2004;122:1265-9.
dégluti puis absorbé par le tractus gastro-intestinal. Ce mode [11] Bernard JA. Anatomie osseuse de l’orbite. Clin Ophtalmol 1970;
d’élimination des larmes explique pourquoi l’administration 4:5-26.
de certains médicaments en collyre (comme les bêtablo- [12] Doane MG. Blinking and the mechanics of the lacrimal drainage
quants), non soumis à l’effet de premier passage hépatique, system. Ophthalmology 1981;88:844-51.

Ophtalmologie 11
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21-020-B-10 ¶ Physiologie de l’excrétion des larmes : les voies lacrymales

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J.-A. Bernard (jabernard@wanadoo.fr).


11–17, rue Parent de Rosan, 75016 Paris, France.
P. Ritleng.
A. Ducasse.
Service d’ophtalmologie, Hôpital Robert Debré, avenue du Général Koenig, 51092 Reims cedex, France.
V. Ameline.
Service du docteur Morax, Département d’ophtalmologie, Fondation Rothschild, 29, rue Manin, 75019 Paris, France.
F. Mann.
Service de chirurgie oculoplastique, Fondation Rothschild, 29, rue Manin, 75019 Paris, France.

Toute référence à cet article doit porter la mention : Bernard J.-A., Ritleng P., Ducasse A., Ameline V., Mann F. Physiologie de l’excrétion des larmes : les voies
lacrymales. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Ophtalmologie, 21-020-B-10, 2008.

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