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COLLECTION DE “ L’ESPRIT NOUVEAU ”

LE CORBUSIER

URBANISME

LES ÉDITIONS ARTHAUD


6 RUE DE M É Z I È R E S
7 5 0 0 6 PARIS
AVERTISSEMENT

S 'il c o n v o ite les v é rité s p r e ­


m iè re s, l ’e s p rit se d é m o lit ; s'il
se m a rie avec la te r r e , il s’e n ­
graisse.
f Max J a c o b (P hilosophies, n ° 1,
1924) .

La ville est un outil de travail.


Les villes ne rem plissent plus normalement cette jonction. Elles sont inef­
ficaces : elles usent le corps, elles contrecarrent l’esprit.
Le désordre qui s’y m ultiplie est offensant : leur déchéance blesse notre
amour-propre et froisse notre dignité.
Elles ne sont pas dignes de l’époque : elles ne sont plus dignes de nous.

Une ville !
C’est la m ainm ise de l’homme sur la nature. C’est une action humaine
contre la nature, un organisme humain de protection et de travail. C’est une
création.
L a poésie est acte humain, — rapports concertés entre des images percep­
tibles. L a poésie de la nature n ’est exactement qu’une construction de l’esprit.
La ville est une image puissante qui actionne notre esprit. Pourquoi la ville
ne serait-elle pas, aujourd’hui encore, une source de poésie ?

*
* *

i
L a géométrie est le moyen que nous nous sommes donné pour percevoir
autour de nous et pour nous exprimer.
La géométrie est la base.
E lle est aussi le support matériel des symboles signifiant la perfection, le
divin.
Elle nous apporte les satisfactions élevées de la mathématique.

1
II A V E R T IS S E M E N T

L a machine procède de la géométrie. Toute l’époque contemporaine donc est


de géométrie, éminemment; son rêve, elle l’oriente vers les joies de la géométrie.
Les arts et la pensée modernes après un siècle d ’analyse cherchent au delà du
fait accident et la géométrie les conduit à un ordre 1mathématique, attitude de
plus en plu s généralisée

La m aison pose à nouveau le problème de Varchitecture en posant celui


des moyens de réalisation totalement neufs, en posant celui d ’un plan complè­
tement nouveau adapté à un mode de vie nouveau, en posant celui de l’esthéti­
que résultant d ’un état d ’esprit nouveau.

I l vient une heure où une passion collective soulève une époque (le panger­
m anism e de 1900-1920 comme la charité des prem iers chrétiens, etc.).
Cette passion anime les actes et les teinte fortement, les dirige.
A u jou rd’hui, cette passion est celle de iexactitude. L ’exactitude poussée
très loin et élevée au rang d ’un idéal : recherche de perfection.
Il ne fau t pas être défaitiste pour pratiquer Vexactitude : il faut un cou­
rage obstiné et de la force de caractère. L ’époque n ’est plus de détente et de relâ­
chement. Elle est puissam m ent arc-boutée dans l’action. Il ne faut pas être
défaitiste pour faire n ’importe quoi (n i être idiot, n i désabusé) ; il faut croire :
il fau t toucher au fond bon des gens.
I l ne fau t pas être défaitiste pour rêver d’urbanisme moderne, parce que
c’est convenir que beaucoup d ’idées reçues seront bouleversées. M ais on peut
songer aujourd’hui à faire de l’urbanisme moderne, parce que le moment est là
et qu’une passion collective est déclanchée p ar les nécessités les plus brutales
et guidée par un haut sentim ent de vérité. Un réveil de l’esprit reforme déjà
le cadre social.
Il semble que des expériences successives désignent la solution et que
l’hypothèse soit fortement racinée dans les vérités de la statistique. Il vient une
heure où une passion collective est capable de soulever une époque.

L ’an dernier, je travaillais à ce livre dans le vide de l’été parisien. Cette


carence momentanée de la vie de la grande ville, ce calme, finirent par me
suggérer que je me laissais emporter p ar la grandeur du sujet, emporter au delà
des réalités.
A rrive le 1er octobre. A u crépuscule de six heures aux Champs-Élysées,
ce fut fou, tout d ’un coup. A près le vide, la reprise en furie de la circulation.
P uis chaque jour accentua davantage cette agitation. On sort de chez soi, et,
la voûte passée, sans transition, nous voici tributaires de la mort : les autos
passent. V ingt ans en arrière me reportent à ma jeunesse d ’étudiant ; la
chaussée nous appartenait : on y chantait, on y discourait... l’om nibus à
chevaux roulait doucement.
Ce 1er octobre 1924, aux Champs-Élysées, on assiste à Vévénement, à la
renaissance titanesque de cette chose neuve, dont trois mois de vacances avaient
A V E R T IS S E M E N T III

brisé l’élan : la circulation. Des autos, des autos, vite, vile ! L ’on est poigné,
l’enthousiasme nous saisirait, la joie. N on pas l’enthousiasme de voir luire,
sous les jets des phares, les carrosseries brillantes. M ais la joie de la force. L a
candide et ingénue jouissance d ’être au m ilieu de la force, de la puissance. On
y participe à cette puissance. On fa it partie de cette société dont point l’aube.
On fa it confiance à cette société neuve ; elle trouvera la m agnifique expression
de sa force. On g croit.
Sa force est comme un torrent gonflé p a r les orages : une furie destructrice.
L a ville s ’émiette, la ville ne peut plus durer, la ville ne va plus. L a ville est
trop vieille. Le torrent n ’a pas de lit. Alors c’est une façon de cataclysme. C’est
une chose absolument anormale : le déséquilibre s ’accroît chaque jour.
Le danger est m aintenant ressenti p a r chacun. Notons en passant qu’en
quelques années, déjà l’on a oublié la joie de vivre (la bonne joie séculaire
de se laisser aller tranquillement sur ses jam bes ; on s ’absorbe en une attitude
de bête traquée, sauve-qui-peut quotidien (1) ; le signe a changé; le normal de
l’existence est démoli, est affecté du signe négatif.
On propose des remèdes tim ides... Vous connaissez cette puérile ardeur
que mettent les habitants du village à dresser des barrages im provisés dans la
hâte et l’affolement, pour endiguer le torrent qui s’est gonflé sous la tempête et
qui déjà roule la destruction dans ses remous furieu x...

Il y a quinze ans, au cours de longs voyages, j ’avais mesuré la force toute


puissante de Varchitecture, m ais j ’avais dû parcourir de difficiles étapes pour
trouver Vambiance nécessaire. L ’architecture noyée sous Venvahissement des
héritages incohérents n’attachait l’esprit que p a r un difficile détour et n’émou­
vait que faiblement. P ar contre, une architecture bien assise dans son m ilieu
faisait sonner allègrement l’harmonie et touchait profondément. Je sentis
sur le fait, et loin des manuels, la présence d ’un facteur essentiel: /’u rb an ism e,
dont le mot ne me fut connu que plus tard.
J ’étais tout à l’art.
Un jour, la lecture de Camillo Sitte (2), le Viennois, m ’inclina insidieu­
sement au pittoresque urbain. Les démonstrations de Sitte étaient habiles, ses
théories sem blaient justes; elles étaient fondées sur le passé. A vrai dire, elles
étaient le passé — et le passé au petit pied, le passé sentimental, la fleu­
rette un peu insignifiante au bord de la route. Ce passé n ’était pas celui des
apogées ; c’était celui des accommodements. L ’éloquence de Sitte allait bien
avec cette attendrissante renaissance du « toit » qui devait, en un paradoxe
digne du cabanon, détourner grotesquement l’architecture de son chemin (le
a régionalisme »).
Lorsqu’en 1922, sur la demande du Salon d ’Automne, je fis ledioram a
d’une ville de trois m illions d ’habitants, je me confiai aux voies sûres de la
raison et, ayant digéré les lyrism es d ’autrefois, j ’eus la sensation de m ’accorder
à celui de notre époque que j ’aime.
Mes intimes me dirent, étonnés de me voir si délibérément enjamber les
contingences immédiates : « Vous vous occupez de l’an 2000 ? » Partout, les
journalistes écrivirent : « la cité future ». Pourtant j ’avais nommé ce travail

(1) C’e s t e x a c te m e n t vrai ; on r is q u e sa vie à c h a q u e pas. S upposez q u e v o tre p ie d


g lisse, q u ’u n e faiblesse vous fasse c h o ir...
(2) D er « S tæ d te b a u ».
IV A V E R T IS S E M E N T

«une Ville Contemporaine«, contemporaine, car dem a in n ’appartient à personne.


Je sentais bien que Vévénement pressait. 1922-1925, comme tout s’est
précipité !
1925 : iE x p o sitio n Internationale des A rts Décoratifs de P a ris va m ar­
quer l'inutilité définitive des regards jetés en arrière. Ce sera un écœurement
total ; une page sera tournée.
On peut admettre normalement qu’après les « sublimes » futilités viendront
enfin les travaux sérieux.
L ’art décoratif est mort. L ’U rbanism e moderne n aît avec une nouvelle
architecture. Une évolution immense, foudroyante, brutale, a coupé les ponts
avec le passé.
*
* *

Récemment, un jeune architecte viennois — effroyablement désabusé—-


adm ettait la mort imm inente de la vieille Europe ; VAmérique jeune seule peut
alimenter nos espoirs.
« I l ne se propose ptus de problème de l’architecture en Europe, disait-il.
N ous nous sommes traînés ju squ ’à ce jour sur nos genoux, accablés, écrasés
par la charge touffue des cultures successives. La Renaissance, les Louis ensuite,
nous ont épuisés. Nous sommes trop riches, nous sommes blasés, nous n ’avons
plus la virginité qui peut susciter une architecture. »
Le problème d’architecture de la vieille Europe, lui répondis-je, c’est
la grande ville moderne. Ce sera le Oui ou le N on, la vie ou l’extinction lente.
L ’une ou l’autre, m ais l’une demeurera si l’on v eu t. E t nos lourdes cultures
passées nous apporteront précisément la solution pure, décantée, passée à
tous les cribles de la raison et d ’une sensibilité d ’élite.

Devant le dioram a de 1922, le directeur de « Broom » de N ew -Y ork me


disa it :
« Dans deux cents ans, les Am éricains viendront adm irer les œuvres ra i­
sonnables de la France moderne et les Français iront s ’étonner des gratte-
ciel romantiques de N ew -Y ork. »
* *

Résumé :
Entre, croire et ne pas croire, il vaut mieux croire.
Entre agir et se dissoudre, il vaut m ieux agir.
Être juvénile et plein de santé, c’est pouvoir produire beaucoup, m ais il
faudra des années d ’expérience pour produire bien.
Être nourri des civilisations antérieures perm et de dissiper l’obscurité
et de porter sur les choses un jugement clair. C’est être défaitiste que de penser
que révolu l’âge d ’étudiant, l’on n’est plus qu’un résidu. Pourquoi décider que
nous sommes vieux ? Vieux ? Le x x e siècle européen peut être la belle maturité
d ’une civilisation. La vieille Europe n ’est pas vieille du tout. Ce sont là des
mots. L a vieille Europe est pleine de puissance. N otre esprit nourri des siècles
est alerte et inventif ; sa force est dans la tête, tandis que l’Am érique a des bras
solides et la noble sentim entalité de l’adolescence. S i en Amérique on produit
e^on sent, en Europe, on pense.
I l n ’y a pas de raison pour enterrer la vieille Europe.
D éce m b re 1924.
A V E R T IS S E M E N T

CZHI

sEU> IL
il

Ceci est im p rim é au d o s des cah iers d e classe d e s écoles p rim a ire s de F ra n c e ;
c ’est la g é o m é trie .
PREMIÈRE PARTIE

D ÉBA T GÉNÉRAL
L ’homme marche droit parce qu’il a un but; il sait où il va,
il a décidé d'aller quelque part et il y marche droit.
R o u en au x* siècle, s u r p la n ro m a in (plan re c tilig n e ) ; la c a th é d ra le fu t c o n s tru ite su r
l ’e n d r o it des a n c ie n s b â tim e n ts p u b lic s. E n 1750, l’e n c e in te n o u v e lle e n g lo b e le re ste
des c h e m in s v ic in a u x ; le s o rt de la v ille e s t fixé. Le c œ u r de la v ille d e m e u re re c ­
tilig n e , à tra v e rs les siècles.

LE CHEMIN DES ANES


LE CHEMIN DES HOMMES
L ’hom m e m arche dro it parce q u ’il a un b u t; il sa it où il va.
Il a décidé d ’aller quelque p a rt e t il y m arche droit.
L ’âne zigzague, m use un peu, cervelle brûlée e t d istrait, zig­
zague pour éviter les gros cailloux, pour esquiver la pente, pour
rechercher l ’om bre; il s’en donne le m oins possible.
6 U R B A N ISM E

L ’hom m e régit son sentim ent p ar la raison; il réfrène ses


sentim ents et ses instincts en faveur du b u t q u ’il a. Il com m ande
à sa bête p ar son intelligence. Son intelligence b â tit des règles qui
sont l’effet de l’expérience. L ’expérience n a ît du labeur; l’hom m e
travaille pour ne pas périr. P o u r produire, il fa u t une ligne de con­
d uite; il fa u t obéir au x règles de l’expérience. Il fa u t penser en
a v a n t, au résultat.
L ’âne ne pense à rien du to u t, q u ’à ne pas s’en faire.

*
* *

L ’âne a tra c é to u tes les villes du continent, P aris aussi, m al­


heureusem ent.
D ans les terres que les populations envahissaient peu à peu,
le charroi passait cahin-caha au gré des bosses e t des creux, des
cailloux ou de la to u rb e; un ruisseau é ta it un grand obstacle. Ainsi
sont nés les chem ins e t les routes. A la croisée des routes, au bord
de l ’eau, on a c o n stru it les prem ières h u tte s, les prem ières m ai­
sons, les prem iers bourgs; les m aisons se so n t rangées au long des
routes, au long du chem in des ânes. On a mis a u to u r un m ur for-

A nvers au xvn* siècle. La v ille a g ra n d ie au jo u r le jo u r s u r ses ro u te s d ’accès ; laisser


a lle r in g é n ie u s e m e n t acco m m o d é au co u rs des siècles ; c ’est, au d e m e u ra n t, u n b eau
p la n c u rv ilig n e .
LE CH E M IN DES ANES 7

tifié, e t un hôtel de ville à l’intérieur. On a légiféré, travaillé,


vécu e t on a respecté le chem in des ânes. Cinq siècles plus tard ,
on a co n stru it une seconde enceinte plus grande e t cinq siècles
après une troisièm e plus grande encore. P a r où e n tra it le chemin
des ânes, on a fait les portes de la ville e t m is les em ployés d’octroi.
Le bourg est une grande capitale. Paris, Rom e, Stam boul, sont
bâtis sur le chem in des ânes.
Les capitales n ’o n t pas d ’artères, elles n ’ont que des capil­
laires; la croissance m arque leur m aladie ou leur m ort. P our se
survivre, leur existence est depuis longtem ps entre les m ains
des chirurgiens qui tailla d e n t sans cesse.
Les R om ains éta ien t de grands législateurs, de grands colons,
de grands chefs d'affaires. Quand ils arriv aien t quelque p a rt, à la
croisée des routes, au bord de la rivière, ils prenaient l’équerre et
tra ç aie n t la ville rectiligne, pour q u ’elle soit claire e t ordonnée,
poliçable e t nettoyable, pour q u ’on s’y oriente facilem ent, pour
q u ’on la parcoure avec aisance, — la ville de tra v a il (celle de l’E m ­
pire) comme la ville de plaisir (Pom péi). La droite convenait à
leur dignité de R om ains.
Chez eux, dans Rom e, les yeux tournés vers l’Em pire, ils se
laissèrent étouffer p ar le chem in des ânes. Ironie ! Les riches, alors,
s’en allaient, loin du chaos de la ville, b â tir les grandes villas
ordonnées (villa A driana).
/

U R B A N ISM E

P a ris. La C ité, la place D au p h in e, l ’île S a in t-L o u is, les In v alid es, l’É cole m ilita ire . Bien
sig n ificatif. Ces d essin s à m ê m e éc h e lle m o n tre n t l’a c h e m in e m e n t v ers l’o r d re . La
v ille se p o lic e , la c u ltu re se m a n ife ste , l ’h o m m e c ré e .
LE CH E M IN DES ANES 9

L utèce d ’a b o rd , P a ris, e n s u ite . Les édifices r e s tè r e n t a u m ê m e e n d r o it. — N otre-


D am e, le P alais — les voies des p ro v in c e s d u N o rd , de l’E st, d u M idi, d ’Issy, de
C lichy, d es p ro v in c e s m a ritim e s , d u te m p le de M e rcu re (M o n tm a rtre ), d e m e u re n t
to u jo u rs . Les ab b ay es fix e ro n t les ja lo n s d éfin itifs. E n ta n t q u ’u rb a n ism e , c ’est du
h a s a rd , de l ’a c c o m m o d e m e n t. H au ssm an n essa y e ra ta n t b ie n q u e m al de c h a rc u te r la
v ille. E lle r e s te tracée s u r le c h e m in d es ânes.

Ils furent, avec Louis X IV , les seuls grands urbanistes de


l’Occident.
Le m oyen âge, apeuré p a r l’an 1000, accepta la co n train te de
l’âne, e t de longues générations la su b iren t ensuite. Louis X IV ,
après avoir te n té le nettoyage du L ouvre (la Colonnade), dégoûté,
p rit de grandes m esures : Versailles, ville e t château fabriqués de
to u tes pièces, rectilignes et ordonnés, e t l’O bservatoire, les In v a ­
lides e t l’E splanade, les Tuileries e t les Cham ps-Elysées, loin du
chaos, hors de la ville, en ordre e t rectilignes.
L ’étouffem ent é ta it surm onté. T o u t suivit m agistralem ent :
le Cham p de Mars, l’Etoile, l’avenue de Neuilly, de Vincennes, de
Fontainebleau, etc. Des générations allaient en vivre.
Mais, to u t doucem ent, p a r lassitude, faiblesse, anarchie, par
le systèm e des responsabilités « dém ocratiques », l’étouffem ent
recommence.
Plus que cela, on le souhaite; on le réalise en v e rtu des lois
de beauté. On vient de créer la religion du chem in des ânes.

*
* *

Le m ouvem ent est p a rti d ’Allem agne, conséquence d ’un ou­


vrage de Camillo S itte sur l’urbanism e, ouvrage plein d ’arb itra ire :
glorification de la ligne courbe e t dém onstration spécieuse de ses
beautés inconcurrençables. P reuve en é ta it donnée p ar to u tes les
M in n eap o lis (fra g m e n t). C’e s t le sig n e d ’u n e n o u v e lle m o ra le d an s la v ie d es p e u p le s .
C’est p o u rq u o i les A m éricain s s’é to n n e n t ta n t de n o u s e tn o u s t a n t d ’e u x . L’é p o q u e est
assez affirm ativ e a u jo u r d ’h u i p o u r q u e le vieux c o n tin e n t réag isse e t se p o se la q u e s­
tio n de l ’u rb a n is m e .

villes d ’a rt du m oyen âge; l’a u te u r confondait le pittoresque p ictu ­


ral avec les règles de v ita lité d ’une ville. L ’A llem agne a construit
récem m ent de grands qu artiers de ville sur cette esthétique (car
il n ’é ta it question que d ’esthétique).
M éprise effrayante e t paradoxale, a u x tem p s de l’autom obile.
« T a n t m ieux, m e disait un grand édile, — l’un de ceux qui dirigent
l ’élaboration du plan d ’extension de Paris, —- les autos ne p o u rro n t
plus circuler! »
Or une ville m oderne v it de droite, p ratiq u em e n t : construc­
tio n des im m eubles, des égouts, des canalisations, des chaussées,
des tro tto irs, etc. La circulation exige la droite. La droite est saine
aussi à l’âm e des villes. L a courbe est ruineuse, difficile e t dange­
reuse; elle paralyse.
L a droite est dans to u te l’histoire hum aine, dans to u te in te n ­
tio n hum aine, dans to u t acte hum ain.
Il fa u t avoir le courage de regarder avec adm iration les villes
rectilignes de l’A m érique. Si l’esthète s’est encore abstenu, le
m oraliste, p a r contre, p e u t s’y a tta rd e r plus longtem ps q u ’il ne
p a ra ît d ’abord.
*
H» v

La rue courbe est le chem in des ânes, la rue droite le chemin


des hommes.
W a sh in g to n (fra g m e n t). T rav ail de l’e s p rit. La v ic to ire ch an g e d e cam p ; il n ’y avait
plus d ’ânes à ce m o m e n t, m ais des c h e m in s de fe r. R este le p ro b lè m e e s th é tiq u e .

La rue courbe est l’effet du bon plaisir, de la nonchalance, du


relâchem ent, de la décontraction, de l’anim alité.
La droite est une réaction, une action, un agissem ent, l’effet
d ’une dom ination sur soi. Elle est saine e t noble.
Une ville est un centre de vie e t de tra v a il intenses.
Un peuple, une société, une ville nonchalants, qui se relâchent
e t se d écontractent, sont vite dissipés, vaincus, absorbés par un
peuple, une société qui agissent e t se dom inent.
C’est ainsi que m eurent des villes e t que les hégémonies se
déplacent.

A n d ro u e t d u C erceau (R enaissance). L’e s th è te e t l’o r d o n n a te u r o n t agi.


L ’angle droit est l ’outil nécessaire et suffisant pour agir puis­
qu’il sert à fixer l’espace avec une rigueur parfaite.
P aris d ’a u j o u r d ’h u i.

L'ORDRE
La m aison, la rue, la ville, sont des points d ’application du
travail hu m ain ; elles doivent être en ordre, sinon elles contrecar­
ren t les principes fondam entaux sur lesquels nous sommes axés;
en désordre, elles s’opposent à nous, nous e n tra v en t, comme nous
e n tra v a it la n a tu re am biante que nous avons com battue, que nous
com battons chaque jour.

*
* *

Si j ’ai l’air d ’enfoncer des portes ouvertes (on m e l’a fait dire
à propos de mon livre Vers une Architecture, 1923) c’est q u ’il
La c ité
la c u s tre
( T u ric u m ).

a p p a ra ît q u ’ici aussi (urbanism e), des gens puissants, occupant


des points stratégiques sur le cham p de bataille des idées e t du
progrès, o n t referm é ces portes, poussés p a r un esprit de réaction,
p a r un sentim entalism e m al placé, périlleux e t crim inel. D ’un voile
tissé d ’arguties, ils veulent se cacher (à eux-m êm es e t à autrui)
l’a p p o rt des m illénaires, se soustraire à la fata lité ou au déterm i­
nism e des choses et des événem ents hum ains. La marche vers l'ordre,
on v e u t en faire la titu b a tio n de l ’en fan t vagissant ou la m aro tte
d ’esprits étriqués. Ainsi, M. L éandre V aillat m e dénonçait-il dans
le Temps com m e un ag en t d ’intoxication, un Allem and pour to u t
prouver!
... E t je ne manquerais pas de leur répliquer ( aux architectes
qui répondraient qu’il est grand temps d ’obéir à la logique) que le
cœur a des raisons que la raison ne connaît pas. Peut-être les satis­
factions d’ordre abstrait ne suffisent-elles point à notre bonheur; nous
avons en nous un besoin im périeux d’illogisme, de fantaisie, de grâce.
Une ville parfaite, un village modèle nous feraient bayer...
I l n ’est pas indifférent d ’insister là-dessus, depuis le dernier
Salon d’A u to m n e; les raisonnements de M .L e Corbusier sur la Cité
future ont fa it du chemin ; des revues, des journaux, certains de mes
La h u t t e d u sauvage.

confrères semblent intoxiqués par cette séduction des idées qui n ’aboutit
pas toujours, hélas! à une séduction de réalité; ils ne semblent pas
distinguer, les malheureux, ce qui différencie la vie de Vabstraction,
le plan d’un vieil hôtel français si spirituel, si juste dans sa circula­
tion, et le plan allem and si monotone. ( Ici monsieur L. V, le tour de
passe-passe est ahurissant et un peu traître après la Grande Guerre !)
(Le Temps, 12 m ai 1923 (1). )
(1) En principe j ’évite de citer un auteur do crainte de trahir sa pensée.
Pourtant ici, ressort bien ce qui me paraît être la doctrine de M. Léandre Vaillat
et de tant d ’autres terrorisés par le fait pur; cette doctrine c’est « la vie »; la vie
multiple, innombrable, à deux masques, à quatre masques, le pourri, le sain, le
clair, le trouble; l’exact et l’arbitraire, le logique et l’illogique, le bon Dieu et le
bon diable; tout pêle-mêle; on verse dans un pot, on remue et on sert bien chaud :
étiquette sur le pot : « La Vie ». Avec ça, on est sûr d’être un homme vivant,
multiple, innombrable.
18 U R B A N ISM E

La m a iso n é g y p tie n n e .

Louis X IV et le Louvre, e t Le N ôtre e t les Tuileries, les In v a­


lides et Versailles, et les Cham ps-Ëlysées, e t tous les jard in s «à la
française », to u t cela allem and e t œ uvres d ’Allem ands! D ’abord
on ne d ev rait pas p arler d ’A llem ands ni de Tonkinois lorsqu’on
tra ite des tra v a u x de l’esprit. E t si M. L éandre V aillat qui tie n t
au Temps (journal solennel) une rubrique d ’urbanism e (solennelle
à cette heure de crise) é ta it renseigné sur les a tte n d u s de ses juge­
m ents, il sa u ra it que l’histoire latine e t p articulièrem ent française
est to u te de droites e t que les courbes sont p lu tô t en Allem agne et
dans les pays du Nord, depuis toujours (le baroque, le rococo, le
gothique désarticulé, ju sq u ’au tra c é des cités m odernes). M. Léandre
V aillat e t ceux q u ’il entoure de sa sym pathie ad o ren t e t p ra ti­
qu en t en urbanism e la ligne courbe qui n ’est pas dans le passé
français, m ais qui est depuis v in g t ans la ty p iq u e m anifestation
allem ande. Le journal le Temps (organe solennel) fait, par
M. Léandre V aillat, hom m e c h arm an t e t chatouillé de menues
sensations architecturales, de la fausse inform ation.
l ’o r d r e 19

*
* *

Nous affirmons que l’hom m e, fonctionnellem ent, pratiq u e


l’ordre, que ses actes e t ses pensées sont régis p a r la droite e t
l’angle d ro it; que la droite lui est un m oyen in stin ctif e t q u ’elle
est à sa pensée un b u t élevé.
L ’hom m e, p ro d u it de l’univers, intègre, à son p o in t de vue,
l’univers; il procède de ses lois, e t il a cru les lire; il les a form ulées
e t érigées en un systèm e cohérent, é ta t de connaissance ra tio n ­
nelle sur lequel il p e u t agir, in v en ter e t produire. C ette connais­
sance ne le m et pas en contradic­
JVsox nr cOuur
tio n avec l ’univers, elle le m et en
accord; il a donc raison d ’agir ainsi,
il ne le p o u rra it a u trem en t. Q u’a d -
v iendrait-il, si, im aginant un systèm e
p a rfa ite m e n t raisonnable, m ais en iospuNonp

contradiction avec les lois de la terre,


il essayait de passer de la rigueur
théorique à l’application dans le
m onde a m b ia n t? Ce serait l’a rrê t n et
au prem ier pas.
La n a tu re se présente à nos yeux
sous une form e chaotique : la voûte
céleste, le profil des lacs e t des m ers,
la découpure des m onts. Le site qui
est d e v a n t nos yeux, haché, découpé,
au x lointains troubles, n ’est que
confusion. R ien n ’a l ’aspect des cho­
ses d o n t nous nous entourons, les CD
a y a n t créées. Vue p a r nous à b o u t
p o rta n t, la n a tu re n ’est q u ’aspect
accidentel.
L ’esp rit qui anim e la n a tu re est
J
I1

un esprit d ’ordre; nous apprenons à *

le savoir. Nous différencions ce que 5 lv'ï


' \ i

nous voyons de ce que nous ap p re­ W


nons ou savons. Le tra v a il hum ain
est réglé p ar ce que nous savons. ] fl . - * y
Nous rejetons donc l’aspect des cho­ ? il
ses pour nous a tta c h e r à ce que les ' f

choses sont. E g y p te.


L o n g u e u r de P aris.

Tel individu que je regarde me propose une m asse fragm en­


taire, a rb itra ire ; m a notion de l’hom m e n ’est pas ce que je vois en
cet in sta n t, m ais ce que je sais de lui. S’il me m ontre sa face, je ne
vois pas son dos; s’il étend la m ain vers moi, je ne discerne plus
les doigts, ni le b ras; m ais je sais com m ent est son dos e t q u ’il a
cinq doigts e t deux bras d ’une form e définie e t conform es à des
fonctions précises.
L a loi de la p esan teu r semble résoudre pour nous le conflit des
forces e t m ain ten ir l ’univers en équilibre; p a r elle nous avons la
verticale. A l’horizon se dessine l’horizontale, trace du plan tra n s ­
cendant de l’im m obilité. La verticale fait avec l’horizontale deux
angles droits. Il n ’y a q u ’une verticale e t il n ’y a q u ’une horizon­
ta le ; ce sont deux constantes. L ’angle dro it est comme l ’intégrale
des forces qui tie n n e n t le m onde en équilibre. Il n ’y a q u ’un angle
droit, m ais il y a l’infinité de tous les au tres angles; l ’angle dro it
P lan de P ék in .

a donc des droits sur les au tres angles : il est unique, il est constant.
P o u r travailler, l’hom m e a besoin de constantes. Sans constantes,
il ne p o u rra it m êm e faire un pas d ev an t l ’au tre. L ’angle dro it est,
on p eu t le dire, l ’outil nécessaire e t suffisant pour agir p u isq u ’il
sert à fixer l ’espace avec une rigueur parfaite. L ’angle dro it est
licite, plus, il fait p a rtie de n otre déterm inism e, il est obligatoire.
Voilà, m onsieur L éandre V aillat, de quoi vous suffoquer. J e
dirai davantage, je poserai cette question : regardez a u to u r de vous
e t ju sq u ’au delà des m ers, e t dans le tem ps à tra v e rs les m illénaires;
dites-m oi si l ’hom m e a agi a u tre m e n t que sur l’angle droit e t y
a-t-il a u to u r de vous a u tre chose que des angles dro its? Cet exa­
m en est nécessaire, faites-le e t q u ’ainsi une base au m oins de la
discussion soit fixée.
D ans la n a tu re chaotique, l’hom m e pour sa sécurité se crée
une am biance, une zone de protection qui soit en accord avec ce
q u ’il est e t avec ce q u ’il pense; il lui fa u t des repères, des places
fortifiées à l ’in térieu r desquelles il se sente en sécurité; il lui fa u t
des choses de son déterm inism e. Ce q u ’il fait, c ’est une création e t
celle-ci contraste d ’a u ta n t plus avec le m ilieu n atu rel que son b u t
est plus près de la pensée e t plus éloigné, plus détaché du corps.
On p e u t dire que plus les œ uvres hum aines s’éloignent de la p ré­
hension directe, plus elles te n d e n t à la pure géom étrie : un violon,
une chaise qui tou ch en t notre corps sont d ’une géom étrie am oin­
drie, m ais la ville est de pure géom étrie. Libre, l ’hom me ten d à la
pure géom étrie. Il fait alors ce q u ’on appelle de l’ordre.
L ’ordre lui est indispensable, sinon ses actes seraient sans
cohésion, sans suite possible. Il y ajoute, y apporte, l ’idée d ’excel­
lence. Plus l’ordre est parfait, plus il est à l’aise, en sécurité. Il
échafaudé dans son esprit des constructions basées sur cet ordre
qui lui est imposé p ar son corps, e t il crée. L ’œ uvre hum aine est
une mise en ordre. Vue du ciel, elle a p p a ra ît sur le sol en figures
géom étriques. E t si nous construisons, sur les m onts les plus abrupts,
une route m o n ta n t à un col, celle-ci est encore une fonction géo­
m étrique claire e t son lacet une exactitu d e dans le tu m u lte envi­
ronnant.
D ans les degrés les plus élevés de la création, nous tendons à
l’ordre le plus pur, e t c’est l’œ uvre d ’a rt. Quelle est l’étape franchie,
de classem ent e t d ’appréciation, entre la h u tte du sauvage e t le
P a rth é n o n ? Si l’œ uvre est en ordre, elle dure à tra v e rs le tem ps,
elle dem eure dans les esprits un objet d ’adm iration. C’est l ’œ uvre
d ’a rt, création hum aine n ’a y a n t plus rien des aspects de la n ature,
m ais a y a n t avec celle-ci des lois comm unes.
Encore, m onsieur L éandre V aillat, de quoi vous p o rte r a u x con­
fins de l’horreur. V otre am our chrétien des choses tordues e t
disgraciées souffre en face de ce cristal que je voudrais faire étin­
celer. Vous n ’êtes pas seul à souhaiter que nous dem eurions a tta ­
chés à des bergeries de trian o n s verm oulus. Avec tous ceux qui
pensent comme vous, nous rentrons dans l’urbanism e, car vos e t
leurs négations conduiraient à la ruine les villes e t les pays, et
la p a trie ; car vous nous soustrairiez à n otre m ilieu e t nous feriez
périr. L ’hom m e sape e t hache dans la n atu re. Il s’oppose à elle, la
com bat, s’y installe. T ravail puéril e t m agnifique!
Il l’a toujours fait, e t a b â ti ses m aisons e t ses villes. L ’ordre
hum ain, géom étrique, y règne, y a toujours régné, a m arqué les
grandes civilisations, a laissé les jalons éblouissants qui font notre
fierté e t dem eurent nos adm oniteurs.
Vos rues tordues, vos to its to rd u s sont une paresse e t un
échec. N ’exaltez pas dans vos grands jo u rn au x , à l’adresse de ceux
qui ne sont pas arm és pour contrôler, les tares e t les défaites.
24 U R B A N ISM E

*
* *

La cité lacustre préhistorique, la h u tte du sauvage, la m ai­


son e t le tem ple de l ’Ë gyptien, Babylone^ d o n t le souvenir est
synonym e de m agnificence, la ville de Chine de h a u te culture,
Pékin, m o n tre n t d ’une p a rt l’angle droit e t la droite attach és
irrém édiablem ent à to u t acte hum ain (l’hom m e, créan t son outil­
lage e t le p erfectionnant adm irablem ent, p a rt p ratiq u em en t de
l’angle dro it e t a b o u tit idéalem ent à l’angle droit), d ’a u tre p a rt,
a tte s te n t l’esprit a tte ig n a n t a u x confins de sa puissance, de sa
grandeur, s’e x p rim an t p ar l’angle droit, perfection évidente et
preuve en m êm e tem ps, systèm e adm irable e t parfait, unique,
constant, pur, susceptible de s’a tta c h e r à l’idée de gloire, victoire
des tyrans, à l’idée de to u te pureté, cellule des religions.
Paris, m agm a dangereux de foules accum ulées, précipitées,
annexées, cam pem ent séculaire des rom anichels de to u tes les
grandes routes du m onde, Paris siège d ’une puissance, foyer d ’un
esprit qui v e u t éclairer le m onde, P aris sape e t hache dans son
m aquis e t de ses plaies tend vers une mise en ordre, droites et
angles droits, organisation nécessaire à sa v italité, à sa santé, à sa
durée, mise en ordre indispensable à l’expression de son esprit q u ’elle
v eu t clair e t de beauté.

Si des airs on regarde la terre tu m ultueuse e t embroussaillée,


011 v oit que l’eiïort hum ain est identique à trav ers tous les siècles
et sur tous les points. Les tem ples, les villes, les m aisons, sont des
cellules d ’aspect identique e t de dim ensions à échelle hum aine.
On p e u t dire que l’anim al hum ain est comme l’abeille, un construc­
te u r de cellules géom étriques.
Disons dès m ain te n a n t que depuis cent ans, subm ergés dans
la grande ville par une invasion subite, incohérente, précipitée,
im prévue e t accablante, pris de co urt e t désarçonnés, nous nous
sommes abandonnés, nous n ’avons plus agi. E t le chaos est venu
avec ses conséquences fatales. La grande ville, phénom ène de force
en m ouvem ent, est a u jo u rd ’hui une catastro p h e m enaçante, pour
n ’avoir plus été anim ée d ’un esprit de géom étrie.
Le c a m p e m e n t du n o m a d e .

Le n o m ad e a p ris ra c in e (e t c ’e s t c e tle
b o u rg a d e q ui c o m b le d ’aise les u r b a ­
n istes !).

Nous ne so m m e s plus
des n o m ad es e t il /
fa u t c o n s tru ire des à ï . L é an d ie VAILLAT,
villes. p o ur m ém oire.
Débordant, passant par-dessus les volontés, façonné par les
capacités propres des peuples, le sentim ent est un aboutissement
et il devient im pératif; il commande, il conduit : il fixe l’attitude
et la profondeur des choses.
C o u p o le d u P a n th é o n à R om e (an 100).

LE SENTIMENT DÉBORDE
Les B arbares av aien t passé, s’étaien t installés sur les ruines
e t leurs m asses innom brables com m ençaient sur tous les pays
d ’Europe, la vie rude e t l’ascension lente des peuples. De l’a n tiq u ité
il ne re sta it que les puissants vestiges des constructions rom aines.
Du chariot am bulant, il va falloir passer au tem ple et à la
ville. Le cim ent rom ain a conservé les grands dômes, les berceaux,
les voûtes m onolithes d o n t un pan s’est écroulé dans l’incendie,
m ais d ont l’a u tre m oitié dem eure suspendue sur le vide. Voilà le
modèle : le charron hirsute du N ord est face à la culture antique!
P our ses édifices il prendra le m odèle to u t fait. On n ’aborde
pas de plain-pied, quand on est un sauvage, le fru it étranger de la
30 U RB A N ISM E

civilisation des autres. E t nous Talions voir. L ’hom m e ne copie


jam ais, il ne le p e u t pas, ce serait contraire au x ordonnances n a tu ­
relles. Le fru it d ’une civilisation m û rit au term e d ’aboutissem ent
de to u s les m oyens techniques; les moyens techniques sont la
lente ad dition d ’un effort constructeur de la raison; de zéro on
a m onté ju sq u ’à X, en passant avec échec e t succès par 1, 2, 3
et 4, etc.; c ’est le capital même d ’une société, accum ulé e t qui cons­
titu e dès lors la n ourriture d ’un esprit ainsi déterm iné e t qui pré­
ten d à rayonner, à se classer au palm arès des époques de la terre.
C’est alors ce sentim ent des choses raciné dans de profondes bases
acquises e t q u ’on a désigné sous le nom de culture. A certaines
heures, l’acuité de ce sentim ent est telle, sa d écan tatio n est si
aboutie, son cristal si pur, q u ’un m ot suffît pour p rojeter des lu­
m ières : culture grecque, culture latine, culture occidentale, etc.
On ne pille pas dans le patrim oine d ’aucun. On n ’a jam ais vu
un cyprès s’installer b ru talem en t avec ses 50 m ètres de h a u t au
m ilieu des chêneraies; on n ’a jam ais vu q u ’une graine m inuscule,
e t qui a m is deux cents ans pour faire un bel arbre. C’est une des
règles de la nature. La culture ne se lape pas avidem ent dans les
m anuels ou dans le pillage des villes; elle nous occupe à des siècles
d ’efforts.
Donc, pour comm encer, les charrons hirsutes du Nord qui vou­
lu ren t copier l ’an tiq u e p a rtire n t, comm e de pauvres naïfs, de ce
q u ’ils voyaient, m ais non de ce q u ’ils savaient. Ils p a rtire n t du
P an th éo n qui leur paraissait bien, et leurs copies m isérables
LE SEN T IM E N T DÉBORDE 31

s’écroulèrent; ils ne connaissaient pas le cim ent rom ain; ils n ’av aient
pas de m oyens, d ’outillage. Ils se découragèrent e t déposèrent
leurs outils vers l’an 1000, décidés à ne plus rien faire. Si les prêtres
n ’eu ren t plus leur trav ail, ils euren t leurs richesses : on a tte n d a it
la fin du m onde... laquelle ne v in t pas. Alors raisonnablem ent on
p lan ta la graine de « savoir » e t les siècles a jo u tè re n t a u x autres.
On créa les m oyens techniques, on conquit l’outillage e t p a r cette
saine discipline, la pensée ajo u ta ses conclusions a u x tra v a u x de la
raison. U n sentim ent n a q u it vierge e t pur, licite e t authentique.
E n 1300 on fit la cathédrale!

Ces co u p es à m êm e éc h e lle , m o n tre n t le p o in t d e d é p a r t e t l’a b o u tiss e m e n t. Le P a n th é o n


ré su m 3 la p u issa n c e d e l ’o u tilla g e ro m a in e t a tte s te u n état d ’e s p rit c a té g o riq u e .
P u is c 'e st u n e lo n g u e b a ta ille te c h n iq u e à l ’in su d ’u n se n tim e n t ta n tô t m é rid io n a l
ta n tô t n o rd iq u e , lin m ê m e te m p s q u ’on a p p ro c h e d e la so lu tio n te c h n iq u e , on
a b a n d o n n e le s é lé m e n ts p la s tiq u e s e m p r u n té s , co p ies o u d e tr a d itio n , e t l ’on in tro ­
d u it to u t u n sy stèm e d ’é lé m s n ts p la s tiq u e s n eu fs, ex acte e x p re ss io n des a sp ira tio n s
e t d es cap a c ité s e s th é tiq u e s d 'u n p e u p le q u i n 'a p lu s rie n de c o m m u n avec les
R o m a in s.
32 U R B A N ISM E

Belle aventure! D u P an th éo n (1) on a b o u tit à la cathédrale,


de la culture a n tiq u e on fa it le m oyen âge.
Voici com m ent s’élèvent les cultures : sur effort personnel;
ingestion, digestion. Q uand on a digéré, on a acquis un sentim ent
des choses. E t ce sentim ent est nourri de ce que l’on a ingéré. On
ne pille pas quand il s’agit des œ uvres de l’esprit.

Et lii c a th é d ra le est là, en fo rm e s aig u ës, en silh o u e tte d é c h iq u e té e , avec u n d é s ir d ’o rd re


é v id e n t, m ais to ta le m e n t d é p o u rv u e d u calm e e t de l’é q u ilib re q u i té m o ig n e n t des
c iv ilisatio n s a b o u tie s (c a th é d ra le de R ouen).

D ébordant, p assan t par-dessus les volontés, façonné par les


capacités propres des peuples, le sentim ent est un aboutissem ent

(1) J e p ren d s le P a n th é o n com m e sym bole de la c o n stru c tio n ro m ain e.


LE SEN T IM E N T DÉBORDE 33
et il devient im pératif, il com m ande, il co n d u it; il fixe l’a ttitu d e
e t la profondeur des choses.
On p a rt du P a n th éo n ; m ais non, artifice! On arrive à la cath é­
drale. C ulture antique, m oyen âge.
Moyen âge. Le b arb are est dedans, qui ten d vers une culture.
1300 n ’est pas une fin, le B arbare est tro p proche. La route con­
tinue. Nous autres, nous sommes sur la route e t nous aim erions
franchir une étape.
*
* *

Le sentim ent déborde.


Le sentim ent, c’est un im pératif catégorique contre lequel
rien ne tie n t. Le sentim ent — sort am bigu de certains m ots —
est précisém ent ce qui ne se sent pas, ne se m esure pas. C’est inné,
violent; ça pousse, ça agit. On p o u rrait l’appeler plus petitem en t
l’intuition.
Mais l ’intuition, au delà des strictes m anifestations de l’ins­
tin c t, p e u t se définir, pour nous rassurer, sur la base d ’élém ents
raisonnables; on p o u rra it bien dire que l’intuition est la somme des
connaissances acquises. (On p o u rra it dire aussi de l’in stin ct q u ’il
est la somme séculaire des connaissances acquises.)
Nous voici les pieds p ar terre e t dans un m ilieu où nous
pouvons nous conduire e t diriger nos actes.
Si l’in tu itio n est la somme des connaissances acquises (elles
p euvent rem onter h a u t, atavism e, legs séculaire, etc.), le sentim ent
est donc une ém anation des acquis enregistrés. Le sen tim en t a
des raisons à la base; il est un fait raisonnable, il est, en somme, ce
que l’on mérite : à chaque labeur son salaire.
On ne vole pas un sentim ent.
A y a n t à préciser pour les rassem bler en un faisceau fort, les
m oyens que l’époque m et entre nos m ains, — l’outillage avec
lequel nous allons te n te r d ’échafauder une œ uvre, —- nous con­
naîtrons donc le sentim ent qui, déb o rd an t nos tra v a u x m inutieux,
précis e t quotidiens, les conduit vers une form e idéale, vers un
style (un style c’est un é ta t de penser), vers une culture, — innom ­
brables efforts d’une société qui se sent prête à fixer une a ttitu d e
nouvelle, après l’une des plus fécondes périodes de p réparation
que l’hu m an ité aie connues.
*
* *

La culture se m anifeste p ar une prise de connaissance des


m oyens d o n t on dispose, p ar un choix, un classem ent, p ar une
34 U R B A N ISM E

évolution. Ce classem ent é ta b lit la hiérarchie des sentim ents, fixe


donc le choix des m oyens provocateurs de ces sentim ents.
Il est natu rel que, cherchant le bonheur, nous nous efforcions
vers un sentim ent d ’équilibre. É quilibre = calme, m aîtrise des
m oyens, lecture claire, ordonnance, satisfaction de l’esprit, m esure,
proportion, — en vérité : création. Le déséquilibre tém oigne d ’un
é ta t de lu tte, d ’inquiétude, de difficultés non résolues, d ’asservis­
sem ent, de recherches, stade inférieur e t antérieur, préparatoire.
Déséquilibre : é ta t de fatigue. É quilibre : é ta t de bien-être.
On p e u t classer ainsi : a) l’anim al hum ain, le prim aire avec
sa sagacité d ’anim al, son flair, son in stin ct (qui est du reste un
esprit ancestral), crée un é ta t d ’équilibre prim aire inférieur, m ais
p a rfa it en soi. Aussi voit-on le sauvage em ployer les form es pures
de la géom étrie parce q u ’il se range instin ctiv em en t sous la loi
universelle à laquelle il ne cherche rien à com prendre, m ais à laquelle
il ne cherche pas à se soustraire.
b) Les peuples qui sont en m arche vers une culture (poussés
p ar quelle force?) so rte n t de la vie anim ale e t se m e tte n t en désé­
quilibre p a r des sauts successifs où p e tit à p e tit ils acquièrent les
certitudes qui font le jeu de la pensée. L eur route est hérissée, il y a
des points de connaissance, m ais to u t à côté des gouffres d ’inconnu,
des ten ta tiv e s hasardeuses e t des échecs. E t leur tra v a il se m anifes­
ta n t p ar des exubérances e t des lacunes, des excès e t des m anques,
par le déséquilibre, l ’absence de m esure e t de proportion, pro­
voque la fatigue.
c) Les m om ents d ’apogée sont à l’in sta n t où tous les m oyens
o n t été éprouvés, où l’outillage perfectionné assure l’exécution
parfaite d ’in itiativ es raisonnables. U n calm e n a ît de la puissance
acquise e t que l’on m esure. L ’esprit co n stru it dans la sérénité. Le
tem ps de la lu tte est passé. Celui de la construction est là. E t
lorsque nous construisons dans notre esprit, apprécions e t m esu­
rons, nous reconnaissons le m ieux; nous proportionnons. D ans la
m asse des form es d o n t nous venons de faire l’échantillonnage dif­
ficile, nous opérons le choix des plus pures form es. L ’esprit nous
porte à la géom étrie. Nos créations ne sont pas cahotées, hési­
tan te s, elles sont form elles et pures. L ’é ta t de fatigue, nous savons
l’éloigner. Nous créons des form es conditionnées. Elles ont un
centre, une géom étrie; nous tendons a u x satisfactions supérieures,
désintéressées, par l’esprit m ath ém atiq u e qui nous anim e. Nous
créons froidem ent e t purem ent. Ce sont les époques que l ’on
nom me classiques.
LE SEN T IM E N T DÉBORDE 35

La le c tu r e d e ces sc h ém as su ffit p re s q u e à elle se u le à fix er l ’é ta t de b a rb a ris m e et


c e lu i de classicism e. Bien e n te n d u , d an s ces d eu x é ta ts , l'h o m m e p e u t a tte in d re à
la g r a n d e u r e t p a r ses œ u v res n o u s é m o u v o ir. P o u rta n t, l’u n est p lu s élevé q u e
l ’a u tr e , l ’u n c o n c lu t o ù l’a u tre ne faisait q u ’essay er. L*un n o u s e s t sym bole de p e r ­
fe c tio n , l ’a u tre de te n ta tiv e s se u le m e n t. L ’u n n o u s ra v it, l ’a u tre n o u s h e u rte . On
p e u t a d m e ttr e q u e l ’a r t est le seul sp e ctacle d u d ra m e h u m a in , m ais on p e u t au ssi
a d m e ttre q u e l ’a rt a p o u r m issio n d e n o u s é le v e r au -d essu s d u d é s o rd re e t p a r la
m aîtrise d e n o u s d o n n e r le sp e ctacle d e l ’é q u ilib re .

Physiologie des sensations : É ta t de quiétude.


— — é ta t de fatigue.
T o u t ce qui procède de l ’hom m e, créations de sa m ain, créa­
tions de son esprit, s ’exprim e p ar un systèm e de form es qui est
le décalque de l’esprit qui en a dicté la construction. Ainsi se clas­
sent par les formes, les é tats de civilisation : la droite e t l’angle
dro it tracés à trav ers le m aquis des difficultés e t de l’ignorance
sont la m anifestation claire de la force et du vouloir. Quand l’or­
thogonal règne, on lit les époques d ’apogée. E t l’on voit les villes
se débarrasser du fouillis désordonné de leurs rues, ten d re vers la
droite, étendre celle-ci au plus loin. L ’hom m e tra ç a n t des droites
tém oigne q u ’il s’est ressaisi, q u ’il entre dans l’ordre. La culture
est un é ta t d ’esprit orthogonal. On ne crée pas des droites délibé­
rém ent. On a b o u tit à la droite lorsqu’on est assez fort, assez ferme,
assez arm é et assez lucide pour vouloir e t pouvoir tra c er des droites.
D ans l’histoire des form es, le m om ent de la droite est un aboutis­
sem ent; il y a derrière e t en deçà tous les tra v a u x ardus qui ont
perm is cette m anifestation de liberté.

*
* *
36 U R B A N ISM E

La c a th é d ra le n ’est p as p rise à p a r ti m é c h a m m e n t. E lle e s t s im p le m e n t situ é e à sa ju s te


d ate. L ’é v o lu tio n d e la so c ié té o c c id e n ta le ne s’e s t p as a rrê té e à ce m o m e n t, co m m e
la ro m a in e a p rè s le P a n th é o n . La so c ié té s’est v ouée à u n la b e u r assid u . La p rise
d e C o n s ta n tin o p le e n 1453 a r é p a n d u s u r n o u s les c la rté s de l’h e llé n ism e . La ro u te
c o n tin u e . Les a s p ira tio n s , l'ig n o ra n c e d o u lo u re u s e , fo n t place à la co n n aissan ce.
E ta t d ’e s p rit m odifié q u i se tr a d u it a u to m a tiq u e m e n t p a r u n sy stè m e de fo rm e s
o rd o n n é e s. A près L o u is XIV, d e u x siècles e n c o re o n t p assé. P ar so n o u tilla g e
l ’h o m m e c o n n a ît e n u n j o u r to u s les év én e m e n ts d u m o n d e c o m m e il a a p p ris à
c o n n a ître d u re ste la to ta lité d u tra v a il h u m a in d an s le p ré s e n t e t d an s l’h is to ire .
On e s t en d r o it de c ro ire à u n e q u a lité de se n tim e n t p lu s é p u r é e , p a rc e q u ’a u jo u r ­
d ’h u i le c h o ix est im m e n se e t q u 'o n e s t en p o u v o ir de c h o is ir.

D éfinition du sentim ent m oderne :

N otre culture m oderne conquise p ar l’O ccident plonge ses


racines dans l’invasion qui éteignit la culture antique. Elle connut
l’échec de l’an 1000, puis elle s’échafauda lentem ent au cours de
dix siècles. Sur un prem ier outillage d ’une ingéniosité adm irable
inventé p a r le m oyen âge, elle inscrivit des points de grande clarté
au x v m e siècle. P uis le x i x e fu t le plus éto n n a n t m om ent de pré­
p aratio n q u ’a it connu l’histoire. Le x v m e a y a n t posé les principes
fo ndam entaux de la raison, le x i x e, dans un labeur m agnifique,
s’enfonça dans l’analyse e t l’expérim entation e t créa un outillage
com plètem ent neuf, form idable, révolutionnaire e t révolutionnant
la société. H éritiers de ce labeur, nous percevons le sentim ent
m oderne e t nous sentons q u ’une époque de création commence.
H eureux, disposant de m oyens plus efficaces que jam ais, nous
sommes poussés im p érativ em en t p ar un sentim ent m oderne.
Ce sentim ent m oderne est un esprit de géom étrie, un esprit de
construction e t de synthèse. L ’e x actitu d e e t l’ordre en sont la
condition. Nos m oyens sont tels que l ’exactitude e t l’ordre nous
sont possibles e t le labeur acharné qui nous a donné les m oyens de
réalisation a créé en nous ce sentim ent qui est une aspiration,
un idéal, une tendance im pitoyable, un besoin ty ran n iq u e. Ce sera
la passion du siècle. Avec quel étonnem ent considérons-nous les
LE SE N T IM E N T DÉBORDE 37
élans spasm odiques e t désordonnés du rom antism e? Période de
repliem ent en un effort d ’analyse qui p rovoquait des éruptions de
volcans. Plus d ’éruptions, de cas personnel suraigu. L ’am pleur de
nos m oyens nous pousse au général, à l’appréciation du fait lim ­
pide. A l ’individualism e, p ro d u it de fièvre, nous préférons le banal,
le com m un, la règle à l’exception. Le com m un, la règle, la règle
com m une, nous app araissen t comme les bases stratégiques du
chem inem ent vers le progrès e t vers le beau. Le beau général nous
a ttire e t le beau héroïque nous semble un incident th é â tra l. Nous
préférons B ach à W agner et l’esp rit du P an th éo n à celui de la
cathédrale. Nous aim ons la solution, e t regardons avec inquiétude
les avortem ents, fussent-ils grandiosem ent dram atiques.
Nous regardons avec enthousiasm e l’ordonnance claire de
B abylone e t nous saluons l’esprit lucide de Louis X IV ; nous m ar­
quons cette date d ’un jalon e t estim ons que le G rand Roy fu t, depuis
les R om ains, le prem ier u rbaniste d ’Occident.
Nous voyons p ar le m onde fourm iller des puissances énormes,
industrielles, sociales; nous percevons, sorties du tu m u lte , des aspi­
rations ordonnées e t logiques e t nous les sentons coïncider avec les
m oyens de réalisation que nous possédons. De nouvelles formes
n aissen t; le m onde crée une nouvelle a ttitu d e . Les vestiges anciens
s’écroulent, se fissurent, chancellent. On m esure leur chute im m i­
nente au x crochets d o n t ils s’agrippent à l’essor nouveau, désirant
survivre e t étouffer une poussée préjudiciable à leur conservation.
La force de la réaction décèle la force de l’action. Un frisson indi­
cible secoue to u tes choses, d étraq u e la vieille m achine, pousse e t
oriente l’effort de l ’époque. Une époque neuve comm ence e t des
faits nouveaux surviennent.
E t pour com m encer l’hom m e a besoin d ’un gîte e t d ’une ville.
Le gîte e t la ville viennent, d ’esprit nouveau, de sentim ent m oderne,
force irréversible, débordante, hors de to u t contrôle, m ais résul­
ta n t du len t tra v a il de nos pères.
C’est un sentim ent né du plus ardu des labeurs, des plus ratio n ­
nelles investigations; c’est « un esp rit de construction e t de syn­
thèse guidé p ar une conception claire ».
Ceci déçoit de prim e abord, mais à la réflexion encourage et
donne confiance: les grands travaux industrieux ne réclament pas
de grands hommes.
t. r/ *v

g ü f T U T cnsiïififinrpn S I

i f ï g g i p m i a 1 6 1 î 111111111 :

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P h o to G ira u d o n . Le C olisée d e R om e.

PÉRENNITÉ
Ceci déçoit de prim e abord, m ais à la réflexion encourage e t
donne confiance : les grands tra v a u x in d u strieu x ne réclam ent pas
de grands hommes. Ils s’exécutent comme se rem plit le tonneau
sous la pluie, goutte à goutte, e t ceux qui les réalisent sont gros
comme des gouttes e t non pas comme des to rre n ts. P o u rta n t
42 U R B A N ISM E

l’œ uvre est m agistrale,bouleversante comme le to rre n t; le to rre n t


est hors des individus qui s’y efforcent. Le to rre n t est dans l’homme,
il n ’est pas les personnages. Les œ uvres industrieuses de l ’époque
qui nous com m otionnent si fo rtem ent a u jo u rd ’hui, sont faites p ar
des gens placides, m odestes, au x pensées lim itées, positives, des
ingénieurs qui font des additions sur du papier réglé, qui repré­
se n te n t les puissances de la n a tu re p a r des a e t de c, les to rtilla n t
en équations, qui tire n t placidem ent le curseur de leur règle à
calcul e t y lisent les chiffres banals e t de la plus fatale déterm ination,
qui vont, eux, nous porter, nous qui avons un poète en nous, aux
confins de l ’enthousiasm e, e t nous ém otionner. Ceci est véridique,
contrôlé chaque jour, incontestable. C’est très décevant.
C’est q u ’il fa u t bien différencier le p ro d u it de la raison du
p ro d u it de la passion. E n fait, il y a toujours une passion quel­
conque dans un hom m e raisonnable, e t cette passion, l’hom m e
archi-raisonnable l’y m e ttra sans le savoir, en poussant le curseur
de sa règle à calcul; m ais c’est une to u te p e tite passion de rien du

lec&MOTívt a vaïAGii^s i.s-m Bmmtm

1847. L es lo co m o tiv es q u ’o n a lla it v o ir le d im a n c h e , g a re d u N ord.

1923. A m ê m e éc h e lle , la lo c o m o tiv e de l’e x p re ss P a ris-B ru x é lle s e n 3 h e u re s.


1847. L’é ta lo n é c u m a n t...
1923. L’é ta lo n m a g n ifiq u e ...
1950. L’é ta lo n su p e rb e ...
C o n stan ce d u se n tim e n t, g r a n d e u r e t d é c a d e n c e de l’o b je t m é c a n iq u e .
PÉR EN N IT É 43

1923. N ew -Y ork. D éco u v erte d u N ouveau M onde. On p u b lie d es a lb u m s de vers : « New-


Y ork ! » E n th o u s ia sm e , a d m ir a tio n . B e a u té ? Ja m a is. C o n fu sio n . Le chaos, le c a ta ­
cly sm e , le b o u le v e rs e m e n t su b it d es c o n c e p tio n s c o m m o tio n n e n t. Mais le B eau s’o c ­
c u p e d e to u t a u tre c h o s e ; p o u r c o m m e n c e r il p o ssèd e l ’o r d r e à la b ase.

to u t. L a passion, c’est ce qui nous pousse à des m ouvem ents qui


ne sont pas ceux de la raison, passion de glace ou passion bouil­
lante, passion m éticuleuse ou passion débordée; c’est le potentiel
sentim ental qui en fin de com pte décide de l ’existence des hom m es
e t de l’ém otion définitive des choses. Car nous sommes ainsi con­
ditionnés que p ar la connaissance, nous surenchérissons toujours
sur les derniers acquis de la raison : la raison est une com ptabilité
ouverte vers l’infini où les postes successifs s’a d d itio n n e n t; il
n ’est pas un grain de mil qui ne s’add itio n n e; les individus m eurent
e t l’addition continue. La passion hum aine, elle, est co n tan te depuis
que l’hom m e est hom m e; elle s’étend en tre la naissance e t la m o rt;
son am plitude est lim itée par un h a u t e t un bas qui nous apparais­
sent comm e constants à trav ers les âges. C’est là l ’outil de m esure
qui juge de la pérennité des œ uvres hum aines.
Le tra v a il de la raison s’additionne sans fin, sa courbe est
ascensionnelle; il crée Voutillage ; c’est ce que l’on appelle le pro­
grès. Les sentim ents de la passion sont constants : ils sont bas ou
élevés entre deux cotes que les m illénaires n ’o n t pas changées.
44 U R B A N ISM E

On peut risquer l ’hypothèse que les grandes œ uvres ém otives,


œ uvres de l’a rt, naissent de l’in tég ratio n heureuse de la passion
e t de la connaissance.
Les hom m es, en général, comme les dents d ’une m écanique,
paraissent suivre un chem in ponctuellem ent tracé. L eur tra v a il est
régulier, fixé dans des lim ites peu étendues; leur horaire est im pi­
toyable, ex a ct; l’année se divise en mois, — la paie; en semaines,
— le dim anche; en jours, — le som m eil; les heures sont identiques.
P o u rta n t nous avons eu L andru e t Soleilland, m ais aussi com bien
de splendeurs m orales aussi adm irables que cachées. Son tra v a il
régulier, l’hom m e le fait, ses additions; m ais une flam me to u te
p e tite ou un brasier l’anim e : la vie sentim entale. C’est elle qui
conduit sa destinée, hors du p ro d u it de son trav ail, de la qualité
de ce trav ail. T o u t tra v a il s’additionne im passiblem ent pacifique,
grain de mil e t grand rocher m agnifique; la courbe augm ente le
long de sa crém aillère de funiculaire. Mais les passions fo n t la
guerre, tu e n t ou glorifient, course échevelée au bonheur : lu tte,
soustraction, désastre ou dom ination.
Nous somm es en général dans nos passions comme le vin dans
une futaille qui voyage; nous ne savons à quelle tab le nous serons
servis. Les grands tra v a u x de l’h u m an ité s’élaborent, de plus en
plus audacieux, e t m êm e avec une tém érité passible de la colère
des dieux. A ddition, règle à calcul, papier réglé, calm e béotien.
Nous le verrons plus ta rd en é tu d ia n t « nos m oyens » p ar un exem ple
clair. Imbroglio des destinées médiocres, d ’une p a rt ; d ’a u tre p a rt,
rigueur du travail qui s’achemine parfaitement réglé vers les réali­
sations imposantes. C’est très décevant.
Le poète est là qui juge e t qui discerne la pérennité des œ uvres,
car il est au x antipodes des additions e t il su it la courbe ondulée
des passions. Au delà des fins utilitaires, il scrute l’im périssable :
l’homme.
L ’ingénieur est une perle, c’est en ten d u ; m ais dans le collier,
il ne v oit e t ne connaît que les deux perles ses voisines, étroite inves­
tig atio n a lla n t de la cause im m édiatem ent antérieure, à l’effet
im m édiatem ent résu ltan t. Là est le bon ingénieur, un être fixe.
Le poète v o it to u t le collier : il v o it les individus avec leur raison
e t leur passion; derrière eux, il trouve Y entité homme.
C ette e n tité est susceptible de perfection; il n ’y a pas de rai­
son th éoriquem ent pour q u ’elle ne devienne sublime.
Ce divin, cet im périssable, s’est m aintes fois m anifesté e t a
laissé des jalons en lesquels nous reconnaissons encore le Dieu désiré:
P A R IS A U D É B U T DU X X e S IÈ C L E . - U ne P rom enade en D irigeable a u -d e ssu s de P a ris
* •' qî Le Rutti a rC L É M E N T - B À Y A R D du / ; Sowmfar u ja ï.
Partì de SartronvÙìr à i : h, f / , se rend à Pierri fonds, y opere un virage., revknî air Parte, se dirige sur Auit'uil
et rentre à SartrcuviÜe ayant parcouru 2jO kilomètres en 4 h. battant k record du circuit ferme. — N D Pho!.

D o cu m en t h i s to r iq u e : u n e c a rte p o sta le . É m o tio n p o p u la ir e Un é v é n e m e n t te c h n iq u e


su scite u n fait p o é tiq u e . C e tte é m o tio n d e q u e lle q u a n tité , de q u e lle d u r é e ?

images des dieux nègres, images des dieux égyptiens, les P a rth é -
nons, les grandes m usiques...
Voilà ce qui com pte vraim ent, ce qui dure.
J u s q u ’ici (x ix e siècle), l’outillage é ta it si précaire, si loin d ’une
perfection, q u ’il ne po u v ait accaparer l’a tte n tio n au détrim en t
de la passion ; celle-ci s’ofîrait comme un phénom ène a u tre m e n t pre­
n an t. Une grande révolution est survenue, prem ière dans les annales
de l’hu m an ité e t qui a bouleversé notre équilibre; qui a foulé nos
joies, qui a laissé en nous l ’am ertum e des choses perdues, l’inquié­
tu d e d ’un avenir encore inaperçu. Nous voici su b item en t m unis
d ’un outillage fabuleux, si puissant, si b rillant, q u ’il pertu rb e
l ’ordre de nos adm irations e t risque de com prom ettre les hiérar­
chies séculaires. T rop d ’événem ents m agnifiques nous assaillent
en tro p peu de tem p s : les bases de nos jugem ents chancellent;
nous inclinerions à un renversem ent des valeurs qui p o u rrait bien
to u rn e r à notre dérision. Nous voici en l’expectative : raison?
passion? deux courants, deux individus qui s’opposent; l’un re­
garde derrière, l’a u tre d e v a n t; un poète s’étiole sur des ruines,
m ais l’a u tre p o u rra it bien être assassiné.
Laissons les esclaves à leur passé, m ais pour ceux qui sont
tendus vers le fait contem porain, l’éblouissem ent est tro p grand.
46 U RB A N ISM E

Ils arra c h en t l’hom m e à son œ uvre, déifiant le chiffre. C’est l’âge


de l’acier e t l’acier lu isan t fascine. L ’on décrète la b eau té de la
m achine comme é ta n t la nouvelle codification de pérennité. Voilà
où nous m archons vers l ’erreur. J ’aim erais essayer d ’un court
raisonnem ent pour le dém ontrer e t donner ensuite la preuve de
la m arche encourageante e t sûre du tra v a il hum ain, e t dire après
le <<c’est très décevant » un « c’est très encourageant ».
Essayons de juger le beau m écanique. Si l’on po u v ait a d m ettre
que le beau m écanique fû t de pure raison, la question p o u rrait
certainem ent être tran ch ée n e tte m e n t : l’œ uvre m écanique serait
périssable. T oute œ uvre m écanique serait plus belle que celle qui
l’a précédée, serait éclipsée p ar celle à venir. Ainsi b eau té éphé­
m ère tô t tom bée dans le ridicule. Or, p ratiquem ent, il n ’en va pas
ainsi; la passion in te rv ie n t en pleine rigueur de calcul. Un ingé­
nieur calcule la section d ’une p o u tre; l’exam en des efforts q u ’elle
subit lui fournit le m om ent de flexion, le m om ent de résistance et
enfin le m om ent d ’inertie. Mais le m om ent d ’inertie est un produit
dans lequel à sa volonté,jouent la h a u te u r e t la largeur de la poutre.

V oici l’âge d e l’a c ie r ; l ’âge du d é s a rro i, le m o m e n t où in te r v ie n t u n e n o u v e lle éch elle


p e r tu r b a n t l ’o r d r e des g r a n d e u r s ad m ise s. On s’é p a te ; il y a d e q u o i. L y rism e.
P o ésie d u c a lc u l... Mais d é jà , o n a d é m o li la G ra n d e R oue, e n 1920; le ju g e m e n t
a é té p o r té , u n e id o le a été d e s c e n d u e .
PÉ R E N N IT É 47
Il choisit alors une hauteur qui souvent n ’a que la raison de lui
plaire; e t la largeur en découle. In terv en tio n de l’individu, d ’un
goût, d ’un sentim ent, d ’une passion : la p o utre est lourde ou svelte.
É tendez le m êm e fait à des ouvrages plus vastes, vous constaterez
l’intervention de la passion. Ainsi de deux m achines de m êm e ren­
dem ent, vous dites que l’une est plus belle. Vous reconnaissez à leur
esthétique, la m achine française, l’allem ande, l’am éricaine. La
m achine se prend à vivre, elle a visage e t âme, son facteur de dé­
chéance dim inue en m êm e tem ps que le problèm e s’étend au delà
du calcul to u t court. Alors peu t s’inscrire en elle l ’âge que le tem ps
lui accordera. La locom otive écum ante, étalon cabré qui suscitait
le lyrism e précipité de H uysm ans, n ’est plus que rouille dans la
ferraille de re b u t; l ’au to du prochain Salon fa it que Citroën réalise
de longtem ps l’am ortissem ent de son châssis qui fait fureur. Mais

S p ectacle n o u v e a u . M esures n o u v e lle s . O rg an es n o u v e a u x . P ro d ro m e s d ’u n n o u v eau


cy cle. D’u n c o u p le p o ète a n tic ip e . Il v o it la v ille à la n o u v e lle éc h e lle . Il sait
m a in te n a n t, avec de te lle s p re u v e s, q u ’u n e g ra n d e é p o q u e co m m en ce.
H o m m ag e à E iffel. A près 50 ans 011 cro ise e n c o re a u jo u r d 'h u i l ’ép ée p o u r ou c o n tre
Eiffel ; il y a to u jo u rs des cad av res v iv an ts q u i se d re s s e n t p o u r c o m b a ttre le v rai.
L o rsq u e la v ille se ra à l ’éc h e lle de la T o u r, se p o se ra la q u e s tio n d e la p é r e n n ité de
la T o u r.
48 U R B A N ISM E

Le p o n t d u G ard. R om ain. Classé a u p a n th é o n de la g lo ire . Le calcul a été d é b o rd é .

l’aqueduc rom ain a duré, le Colisée (cirque) est encore pieusem ent
préservé, le p o n t du Gard a dem euré. E t l’ém otion que nous donne
le p o n t de G arabit (Eiffel) durera-t-elle? Ici un raisonnem ent ne
suffit pas, ici se suspend le jugem ent que les siècles fo rm uleront; ici
nous ne savons où comm ence le m ystère qui entoure l’avenir des
œ uvres industrieuses contem poraines. Nos enthousiasm es sont
g rands; ils ont bien souvent des racines saines. Q uand la passion
d ’un hom m e a passé, l’œ uvre se m aintiendra dans le tem ps.
Mais ceci est un verd ict périlleux, car verriez-vous que les
ingénieurs se m issent à devenir des hom m es à passion? Ce serait
le péril aigu. Non, l’outillage ne se développerait plus. Un ingénieur
doit rester un p o in t fixe, un hom m e à calculs, e t sa m orale à lui,
c’est de rester dans la raison.
L a passion individuelle ici n ’a que le dro it d ’incarner le phéno­
m ène collectif. Le phénom ène collectif, c’est l ’é ta t d ’âm e d ’une
époque conditionné au général comm e il l’est dans le particulier,
p a r les grands m ouvem ents successifs qui éduquent, couchent ou
PÉR EN N IT É 49

Le p o n t de G a ra b it (Eiffel).

élèvent, p ro d u it infrelatable, m oyenne m ath ém atiq u e ém ouvante


puisq u ’elle donne à la m u ltitu d e un fro n t unique e t une passion
unanim e. P a r une com ptabilité im perturbable, se sont inscrites
les valeurs + e t — d ’une époque. Un é ta t de penser s ’est établi,
général. E t les œ uvres du calcul, sans y rien ajouter, se tro u v e n t
portées p ar cette passion qui est générale e t qui ren tre dans la
jauge hum aine où l’e n tité hom m e m esure ses h au ts e t ses bas.
Alors devant les œuvres du calcul on est face à un phénomène de
haute poésie; l’individu en est irresponsable ; l’addition des cellules
a fait le total nécessaire. C’est l’homme qui réalise ses puissances en
potentiel. Plate-forme élevée par tous au-dessus des labeurs étriqués,
style d’une époque.
E t ceci est très encourageant. L ’homme fait de la grandeur.
V iennent les individus de génie qui sur ce tré te a u élevé dres­
seront les œ uvres im périssables, images des Dieux, ou P arthénons.
La ville est profondém ent ancrée dans les régions du calcul.
50 U R B A N ISM E

Les ingénieurs, presque tous, tra v a ille n t pour elle. Ainsi sera cons­
titu é l’outillage de la ville. Ce sera l’essentiel pour ce qui est d ’u ti­
lité e t p ar conséquent de périssable.
E t il restera à la ville de dem eurer, ce qui résultera d ’autres
choses que du calcul.
Ce sera l’architecture qui est to u t ce qui est au delà du calcul.

V illa R o to n d a d e P a lla d io à V icence. P h o to A lin ari.


I l faut prendre garde de déclancher lentement, sournoisement,
l’opposé de la joie, le désespoir. Les villes à désespoir. Le deses­
poir des villes!
Pise : c y l i n d r e s , sp h è re s , cônes, cubes.

CLASSEMENT ET CHOIX
(E X A M E N )

Il re s te r a à la v ille d e d e ­
m e u r e r, ce q u i r é s u lte r a alors
d ’a u tre s ch o ses q u e d u calcu l.
Ce s e ra l’A rc h ite c tu re q u i est
to u t ce q u i est au d e là d u calcu l.
E sp rit Nouveau, n° 20.

E n tro n s dans le fait objectif de la ville e t traçons pour l’ins­


ta n t le cercle des im pressions visuelles, des sensations optiques,
et voyons ce qui en résulte pour la fatigue e t le bien-être, pour
54 U R B A N ISM E

l’allégresse ou la pro stratio n , pour l’ennoblissem ent e t la fierté


ou pour l’indifférence, le dégoût e t la révolte.
La ville est un to u rb illo n ;il fa u t classer ses im pressions, re­
connaître ses sensations e t faire choix des m éthodes curatives et
bienfaisantes.
O ccupons-nous de l’œ il; à plus ta rd l’oreille, les poum ons e t
les jam bes.
L ’œil voit, le cerveau enregistre, le cœ ur palpite, phénom ènes
synchroniques qui affectent chacun, la b ru te e t l’hom m e d ’élite.
Après cet exam en de la chose qui nous m asse les muscles et
agite notre cœur, nous prendrons une décision capitale : nous
m ettro n s au-dessus de ce qui est le mécanisme de la ville, ce q u ’on
p e u t appeler l’âme de la ville. L ’âm e de la ville, c’est ce qui est le
spectacle in utile a u x gestes pratiq u es de l’existence, ce qui est
to u t sim plem ent la poésie, et c’est un sentim ent absolu a tta ch é à
n o tre être, é ta t stricte m e n t spécifique. La m écanique de la Ville
n ’est q u ’une chose d ’a d a p ta tio n ; on s’accorde à la perfection lors­
q u ’elle s’offre; on s’a d a p te ta n t m al que bien à l’incom m ode, qui
passe, comme passe, du reste, la perfection m écanique dem ain

B yzance : les S e p t T o u rs ; h o r iz o n ta le e t axe a u c e n tr e . M arbre b lan c.


CLASSEM ENT ET C H O IX (E X A M E N ) 55

détrônée. A ttrib u a n t dans la suite de cette étude une place pré­


pon d éran te à la m écanique de la ville, nous voulons, toutefois,
spécifier que cette harm onisation m écanique reste en deçà des
sensations profondes e t définitives attachées à n otre être sensible,
à l’organisation sentim entale qui d étien t le secret de notre bon­
heur ou de notre m alheur.
L ’U rbanism e s’in q u ié ta n t du bonheur ou du m alheur, s’a tta ­
ch an t à créer le b onheur e t à chasser le m alheur, voici une science
digne en ce tte période de désarroi ; une telle préoccupation, qui sus­
cite une telle science, décèle une évolution im p o rta n te du systèm e
social. Elle dénonce d ’une p a rt, l’âpre e t im bécile ruée indivi­
dualiste vers des convoitises égoïstes; ces ruées o n t fa it les gran­
des villes. Elle prouve p a r contraste, cet a u to m atiq u e redresse­
m en t à l ’heure critiq u e; solidarité, pitié, am our du bien qui
p ro je tte n t une volonté puissante vers un b u t clair, constructif,
créatif. L ’hom m e à certaines heures se reprend à créer, e t ce sont
ses heures de bonheur.

*
* *

S ta m b o u l : la m é lo d ie suave d es fo rm e s les p lu s d o u ces.


56 U R B A N ISM E

SO U FFR A N C E OU P L A IS IR

Le cataclysm e : N ew -Y ork; les paradis terrestres : Stam boul.


N ew -Y ork est ém otionnant, com m otionnant. Les Alpes aussi,
la tem p ête aussi, une bataille aussi. N ew -Y ork n ’est pas beau e t
s’il stim ule nos activités pratiques, il blesse notre sentim ent du
bonheur.
C onstatation : deux sensations nous affectent, le m alaise, le
bien-être. L ’av an t-d ern ier chapitre (le Sentim ent déborde) nous a
fourni deux schém as : un é ta t de barbarism e, un é ta t de classi­
cisme. R ésultantes spirituelles d ’un é ta t de choses à réactions
physiologiques, 011 p e u t les exprim er ainsi : é ta t de m alaise, é ta t
de bien-être. T outes les fois que la ligne sera brisée, heurtée, sacca­
dée, sans ry th m e régulier, que la form e sera aiguë, hérissée, nos
sens seront affectés péniblem ent, douloureusem ent. N otre esprit se
chagrinera de ce désarroi, de cette dureté, de ce m anque de poli­
tesse; il songera « b arb are ». Lorsque la ligne sera continue, régu­
lière, que les form es seront à pleine enveloppe sans brisure, condi­
tionnées p ar une règle claire, nos sens seront caressés; notre esprit
sera ravi, libéré, hors du chaos, inondé de lum ière; il pensera « m aî­
trise », il s’élèvera et nous sourirons.
Voilà la base, elle est physiologique, irréfutable.
La ville nous accable de lignes brisées ; le ciel y est haché
en dents de scie. Où irons-nous chercher du repos?
D ans les villes d ’a rt, nous allons là où les form es sont concer­
tées, ordonnées a u to u r d ’un centre, au long d ’un axe.
H orizontales, prism es m agnifiques, pyram ides, sphères, cy­
lindres. N otre œil les v oit purs e t notre esprit ravi calcule la pré­
cision de leur tracé. Sérénité e t joie.
Vers le nord, les aiguilles barbelées des cathédrales ne sont
que souffrances du corps, dram e d ’âm e poignant, enfer e t purga­
toire. E t forêts de sapins sous lum ière pâle et brouillard froid.
N otre corps réclam e du soleil.
Il y a des formes qui je tte n t de l’ombre.

*
* *

SY M PH O N IE
Ainsi que le palais goûte la diversité d ’un m enu bien fait, nos
yeux sont p rêts à des jouissances ordonnées. Il est des rap p o rts
entre la qualité et la quan tité, qui font que des fonctions s’intégrent.

I
S ien n e : le tu m u lte an g o issé R om e : la g é o m é trie , l'o r- S ta m b o u l : la fe rv e u r d e s m in a r e ts , P éra : la d e n t d e scie d e la ville
d u m o y en âge. d re im p la c a b le , g u e r r e ,o r g a - le calm e d es d ô m es ap latis. A llah vigi- d es m a rc h a n d s, d es p ira te s, des
E n fe r e t P a ra d is. n isa tio n , c iv ilisa tio n . la n t m ais o rie n ta le m e n t im m u a b le . c h e rc h e u rs d ’o r.
58 UR B A N ISM E

S ta m b o u l: m u e z z in s, n a rg h ilé s , c im e tiè re s d o u x . Le p a s sé , le p r é s e n t, l’au -d elà:


im m u a b ilité . É légie e n fo rm e d e p rism e s .

Ne massez pas l ’œil toujours dans le m êm e sens, il se fatigue ;


m ais apportez ces « assolem ents » du spectacle qui font que la pro­
m enade est sans lassitude comme sans somnolence.
D errière l’œil est cette chose agile e t généreuse, féconde, im a­
ginative, logique e t noble, l ’esprit.
Ce que vous m ettrez dev an t l ’œil fera la joie.
M ultiple cette joie : c’est to u t l ’acquis d ’un hom m e semé sur
tous ses dons. Quelle moisson!
Prestigieuse m achine que vous déclanchez; la connaissance

B yzance : l ’a q u e d u c d e V alens, u n e h o r iz o n ta le im m e n se v ie n t de la cam p ag n e


fa ire u n e é p in e r ig id e a u d o s d es se p t co llin e s.

\
C LA SSEM EN T ET C H O IX (E X A M E N ) 59

S ta m b o u l : aussi d e l à v e rtic a le , m ais s u r p rism e s p u r s . H e llé n ism e


q u e le g o th iq u e n ’a p as c o n n u .

e t la création. Des sym phonies. Ê tre caressé p ar des formes, puis


savoir com m ent elles sont engendrées, dans quel rap p o rt assem ­
blées, com m ent elles répondent à une in ten tio n qui devient évi­
dente, com m ent elles se classent dans la collection q u ’on s’est
constituée, d ’images électives. M esurer, com parer en son esprit,
voire : p articiper soi-même a u x délices de l ’a u te u r e t à ses to u r­
m ents... Q u’allons-nous faire dans les pèlerinages a u x villes d ’a rt,
sinon m ettre nos sens e t notre esp rit en liesse, sinon reconnaître
à des tém oins de pierre que l ’hom m e est passible de grandeur. E t
sentir en soi l’allégresse que cette certitu d e donne. Car nos « petites
histoires », notre confort, notre argent, le pli de n otre pantalon,
60 U R B A N ISM E

to u t cela p âlit d ev an t l’allégresse de cette certitude : sen tir grand!


Il fa u t prendre garde que ne se déclanche l’opposé de la joie :
le désespoir. Les villes à désespoir. Le désespoir des villes! 0 vous,
conseillers m unicipaux qui avez semé le désespoir sur votre ville!
Ça existe, beaucoup, hélas!

*
* *

La ville, p a r son offrande au x yeux, dispense joie ou désespoir,


ennoblissem ent, fierté ou révolte, dégoût, indifférence, bien-être
ou fatigue.
C’est une question de choix de formes. Mais il ne s’agit point
ici de formes apprêtées, de style Louis X IV , baroque ou gothique,
d ’une triperie rétrospective des charognes vénérables.
La ville qui vient a, dans elle, une m écanique form idable, un
tau reau puissant, une usine au x m achines exactes e t innom brables,
un ty p h o n dressé.
Les form es dont il s’agit sont les form es éternelles de la pure
géom étrie qui envelopperont en un rythm e qui sera nôtre, au delà
du calcul e t chargé de poésie, la m écanique im placable qui palpi­
te ra sous elle.
L ’œil p e u t être brutalisé ou caressé.
L ’âme p e u t être chavirée ou exaltée.
Problème de forme à inscrire au x ordres du jour des conseils
m unicipaux : « Des décisions à prendre relatives à l’interdiction
de certaines formes m alfaisantes e t à la recherche des formes
bienfaisantes. »

L’Ile T ib è re , d ’ap rès u n e vieille g ra v u re .


! ,'* ( - « • » - • * * '«• •«, >» V » * > . ,

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Procuralies. V en ise. L’u n ifo rm ité d es in n o m b ra b le s fe n ê tre s fa it q u e ce g ra n d m u r de la


Piazza S an M arco jo u e c o m m e la p a ro i lisse d ’u n e sa lle . La m u ltip lic a tio n d u m êm e
é lé m e n t d o n n e au m u r u n e g r a n d e u r illim ité e , m a is co n cev a b le , r é s u m é e en u n ty p e
d u n e n a tu re c la ire . Les p ig e o n s d e S aint-M arc eu x -m êm es a jo u te n t le u r m o d u le u n i­
fo rm e , e t ceci n ’est p as q u ’u n fait d iv e rs, c’est u n fa it efficient.

CLASSEMENT ET CHOIX
(D É C IS IO N S OPPORTUNES)

« Il re s te ra à la ville de d e ­
m e u re r, ce q u i ré s u lte ra alors
d ’a u tre s ch o ses q u e d u ca lc u l.
Ce se ra l ’A rc h ite c tu re q u i est
to u tc e q u i e s ta u d e là du calcul. »
E sp rit N ouveau, n° 20.

A y an t reconnu nos sensations, faisons choix, pour notre aise,


de m éthodes curatives e t bienfaisantes.
64 U R B A N ISM E

La ville est un tourbillon, m ais c’est toutefois un corps qui


possède des organes classés e t un contour. De ce corps on p eu t
com prendre le caractère, la n atu re, la stru ctu re. L ’exam en d ’une
ville ren tre dans le cadre des tra v a u x scientifiques, la m asse é ta n t
suffisam m ent cohérente pour p erm ettre d ’en déterm iner le prin­
cipe.
P a r sa situ atio n géographique, topographique, son rôle poli­
tique, économique, social, on p e u t saisir sa ligne d ’évolution : à
son passé, à son présent, e t à ce qui ferm ente en elle, on p eu t
estim er la courbe de son développem ent. S tatistiques, courbes,
so n t les a, b, c, etc., d ’une équation d o n t les x e t les y peuvent être
calculés d ’avance avec une certaine approxim ation. D u moins
le sens de la solution sera-t-il ju ste si, en application, le chiffre a
to u te s les chances d ’être m odifié p ar des m ouvem ents in atten d u s.
Ce sens im p o rte; il perm et de prévoir.
Prévoir, c’est to u t ce q u ’il faut, m ais c’est aussi ce qui est
indispensable e t urgent.
On p e u t alors, en p ren a n t les décisions utiles, réserver les
m arges du lendem ain.

D ans son ensem ble, le développem ent de la ville, d épendant


d ’un com m andem ent unique (le conseil édilitaire), donnera une
sensation d ’unité, de cohérence, — chose rassurante.
D ans son détail, ce développem ent co m p o rtan t l’éclosion de
cellules individuelles (les m aisons), qui sont chacune un individu,
tend à l’incohérence. G rave m enace. F a ta lité probablem ent iné­
luctable e t d o n t les m éfaits ne p o u rro n t être co m b attu s que par
les artifices qui sont proprem ent le rôle de l’arch itectu re dans
l’urbanism e. Ainsi, p ar exem ple, le groupem ent de cellules en
grandes fam illes du m êm e genre : l’on fit la rue de Rivoli, la place
Vendôm e, la place des Vosges à Paris, les P rocuraties à Venise,
la Carrière e t Stanislas à N ancy, agencem ents de qualité rare qui
collaborent expressém ent à la satisfaction intim e des h a b ita n ts,
à l’éclosion licite d ’un h a u t sentim ent civique, et, de plus, à la
bonne fortune de Thos Cook and Co.
L a situ a tio n se présente donc ainsi : de la prévision dans l ’en­
semble, l’inconnu forcém ent m en açan t dans le détail.
Le détail, m ais c’est to u te la ville; le détail, c’est cen t mille
fois une m aison, c’est donc to u te la ville.
Toute la ville est dans l’état de ses cellules, I M P R É V I S I B L E !
Si, au long du parcours dans la ville, l’esprit m esure la qualité
CLASSEM ENT ET C H O IX (D É C IS IO N S OPPORTUNES) 65
ou l ’inefficacité des prévisions d ’ensem ble, s’il reconnaît des tracés
coordonnés e t sublim es, n o tre œil, p a r contre, a ssu je tti au x capa­
cités lim itées de son cham p visuel, ne voit que cellule après cellule :
un spectacle haché, décousu, divers, m ultiple, h a ra ssa n t; le ciel
est déchiqueté e t chaque m aison propose, jusque dans sa découpure,
un ordre de choses différent. L ’œil accablé ne ressent que fatigue
e t douleur, e t les beaux tracés ne sollicitent plus, après ce tte défaite
prélim inaire, q u ’un esprit harcelé, éreinté, indispos.
Tel est le point critique sur lequel l’analyse de la ville nous
a rrête : spectacle d ’individualism e à outrance, fatal, inévitable.
H arassem ent : c’est la cohue! Il m anque e t il m anquera la com m une
m esure, à m oins que ne viennent des tem ps nouveaux de disci­
pline, de sagesse, d ’unanim ité dans l’art.
Bridons un optim ism e tém éraire e t ad m ettons p lu tô t le pire
qui est précisém ent au jo u rd ’hui notre n ourriture quotidienne.
E t décidons :
Si une com m une m esure ordonnait to u te s ces cellules cosmo­
polites, le désordre serait conjuré, le spectacle s’organiserait, le
calme viendrait.
S’il pouvait y avoir de l’u n ité dans le détail, l ’esprit libéré
considérerait, avec un vif in té rêt, le grandiose arrangem ent de
l’ensemble.
Voici, form ulée, une conclusion idéale, précise. D éjà sous
Louis X IV , l’abbé L augier l’a v a it énoncée :
1° Du chaos, du tumulte dans l’ensemble.
(C’est-à-dire une com position riche d ’élém ents co n trapuntés,
fugue, sym phonie.)
2° De l’uniform ité dans le détail.
(C’est-à-dire de la retenue, de la décence, de « l’alignem ent »
dans le détail.)
*
* *

La réalité présente ne nous fourn it pas le p o stu la t 1 ; les édiles


ne tra c e n t que des rues qui so n t éternellem ent des corridors.
Elle fait le contraire de ce que réclam e le p o stu la t 2; nous
sommes étrillés de détails incongrus.
E t les urbanistes-décorateurs, am ateurs de grille de fer forgé,
de boutiques disparates, etc., nous enfoncent dans l ’erreur encore
davantage. (A vrai dire ils anticip en t sur leur heure qui p eu t sonner
—■avec un program m e m odifié — plus ta rd .)
Les réalités passées s’accordent a u x deux p o stu lats dans les
villes dites « d ’a rt » : Bruges, Venise, Pom péi, Rom e, P aris ancien,
66 U R B A N ISM E

Sienne, Stam boul, etc. : certaines grandes in ten tio n s d ’ensem ble,
une uniform ité rem arquable dans le détail. Oui, dans le détail (1)!
On av ait, à ces heureuses époques, des h abitudes de construire
identiques. J u s q u ’au x i x e siècle, une fenêtre, une porte, étaien t
des « tro u s d ’hom m e », des élém ents à l’échelle hum aine : les toi­
tu re s étaien t construites sur des usages uniform ém ent adm is e t

Dans u n é c rin d e m aiso n s, élé m e n ts de m êm e n a tu r e , R om e é rig e ses palais e t ses te m p le s.


C eux-ci so n t « exposés ». L’a rc h ite c tu re se d ég ag e d u m ag m a u rb a in .

(1) Mais u n e telle affirm ation allum e u n e sa in te colère d an s le cam p de


M. L éan d re V aillat. (M. L éa n d re V a illa t é ta n t d an s c e tte arm ée im p o ­
sa n te — je n ’ironise pas, je dis q u ’elle e s t im p o san te p arc e qu e des hom m es
de la plus h a u te v aleu r en c o n s titu e n t l’é ta t-m a jo r — M. L éa n d re V aillat
é ta n t le secréta ire-d ac ty lo d u v ag u e m e stre.) « Q uoi? T ous les L ouis X V I,
X V , X IV , X I I I , les F rançois, les H enri, etc., de l’u n ifo rm ité d an s le d étail?
im posture! » D e l’u n ifo rm ité de conception, un e telle u n ité , que ces périodes
o n t été appelées des styles. U n e n fa n t s’y retro u v e. E t c’e st trè s beau et
to u t à fa it bien faisan t.
CLASSEM ENT ET C H O IX (D É C IS IO N S OPPORTUNES) 67
excellents. Le style des m aisons é ta it ce si louable é ta t de perfec­
tion, de mise au p o in t technique, d ’ap u rem en t des m oyens de
b â tir qui faisait que to u te s les m aisons éta ien t de m êm e trib u , de
m êm e fam ille, de m êm e sang. Il y a v a it une u n ité étonnante. A
Stam boul, to u te s les m aisons d ’hom m es sont en bois, to u tes les
to itu res sont de m êm e inclinaison e t recouvertes de la m êm e tuile.
T outes les m aisons de D ieu (les mosquées, les hans, les caravan­
sérails) sont de pierre. S ta n d a rt à la base. De m êm e à Rom e, à
Venise : to u tes les m aisons d ’hom m es sont de m açonneries plâ­
trées; à Sienne, de briques; les fenêtres de m êm e m odule, les toi­
tu res de m êm e inclinaison, couvertes de m êm e tuile; to u t est de
m êm e couleur ; les palais e t les églises sont en m arbre e t en or,
so n t sculptés e t ennobüs (pas toujours) de « la divine proportion ».
C’est clair. E n T urquie, en Italie, en France, en B avière, en H on­
grie, en Serbie, en Suisse, en Russie, dans to u s les pays, a v a n t la
p e rtu rb atio n du x i x e siècle, les m aisons des hom m es sont des étuis
de m êm e n a tu re e t les siècles mêm es ne les o n t changées que dou­
cem ent, à m esure que la culture e t les m oyens réclam aient e t
p e rm e tta ie n t des m odifications de qualité. Standart partout, u ni­
formité du détail.
T ranquillisation de l’esprit.
Les grandes ordonnances, alors, p euvent élever leur chant.

U N IF O R M IT É DU D É T A IL
T o u t nous y incite a u jo u rd ’hui, to u t nous le com m ande.
L ’évolution sociale elle-même a supprim é la distance entre le châ­
teau e t la m asure.
Le riche d ’a u jo u rd ’hui ten d à simplifier, le faste extérieur 11e
com p tan t plus; le pauvre acquiert des droits incontestables. L ’équi­
libre se fait a u to u r d ’une cellule à capacité hum aine e t l’entreprise
im m inente de dem ain (1) 11e p e u t agir que sur des élém ents uni­
formes. Les élém ents ten d ro n t à l’uniform isation (2).

(1) In d u stria lisa tio n d u c h a n tie r.


(2) U n g ran d év é n em en t s’est p ro d u it : l’ap p lica tio n u n iv erselle du
cim en t arm é. Ce m oyen n euf propose à l’in v e n te u r e t au p la sticien des solu­
tio n s neuves d ’une im p o rta n c e décisive ; ainsi le com ble p e u t d isp a ra ître,
rem placé p a r la te rrasse. L a to itu re d o ré n a v a n t d ev ien t h a b ita b le , plus
que cela, elle p e u t c o n s titu e r u n d éd o u b lem en t de la rue, d ev en ir la rue de
p ro m en ad e. L a silh o u ette de la rue, déterm in ée p a r la d éco u p u re des
68 U K B A N ISM E

Sur cette tram e uniform e, s’organisera l’éloquence des grands


tracés de la ville.
Succinctem ent : pour que le ch an tier s’industrialise, il est
nécessaire de passer de la construction anachronique d ’un im m euble
isolé, « sur m esures », avec tous ses cas particuliers, à la construc­
tion de rues entières, de quartiers entiers. Il s’agit alors d ’étudier
bien la cellule, c’est-à-dire le logem ent d ’un hom m e, d ’en fixer le
m odule, e t de suivre à l ’exécution en séries uniform es. Le treillage
m onotone e t tranquille ainsi form é d ’innom brables cellules s’éten­
dra sur de grands m ouvem ents d ’architecture, m ouvem ents autres
que l’indigente rue en corridor : l’urbanism e abandonnera la « rue-
corridor» actu elleet par le tracé de lotissem ents nouveaux, il créera,

P a ris. P lace des Vosges.

m aisons su r le ciel, se passe d o ré n a v a n t des lu carn es, des a v a n t-to its , des
m ansardes, to u s élém ents de v é rita b le désord re p la stiq u e ; un e ligne p u re
p e u t d o ré n a v a n t la c o n stitu e r. Or, la déco u p u re des m aisons su r le ciel
est l’u n des élém ents p rim o rd ia u x de l’e s th é tiq u e u rb a in e ; c’est ce qui saute
aux yeux au prem ier coup d ’œil, c’est ce qui provoque la sensation déterm i­
nante. L a ru e s’o fïra n t couronnée su r le ciel d ’u n e corniche uniform e, c’est
un p as c a p ita l fa it a u -d e v a n t d ’une a rc h ite c tu re noble. In sérer a u x ordres
du jo u r des conseils m u n ic ip a u x une telle in n o v a tio n , c’est offrir u n g ran d
b o n h eu r a u x h a b ita n ts de la ville. Il fa u t bien se dire qu e l’u rb an ism e a tte n d
son av e n ir des d é lib é ra tio n s des conseils m u n ic ip a u x ; u n conseil m u n icip al
décide des destinées de l’u rb an ism e.
CLASSEM ENT ET C H O IX (D É C IS IO N S OPPORTUNES) 69
sur une échelle a u tre m e n t vaste, la sym phonie architecturale q u ’il
s’agit de réaliser.
L a rue-corridor à deux tro tto irs, étouffée entre de hautes
m aisons, doit disparaître. Les villes ont le droit d ’être a u tre chose
que des palais to u t en corridors.
L ’urbanisme réclame de l'uniform ité dans le détail et du mouve­
ment dans l'ensemble.
E n voici assez pour q u ’on nous vomisse comm e l ’antéchrist.

*
* *

On ne nous croira pas de sitôt. Le s ta n d a rt, la com m une m esure


ne tro u b lero n t pas, de longtem ps encore, ceux des architectes qui,
au cours de leur carrière, aim ent à repasser dans leurs œ uvres les
leçons d ’archéologie de leur adolescence.
Mais il y a a u tre chose :

A Venise, la c o m m u n e m e s u re des q u a r tie rs u n ifo rm e s fait j a illir jo y e u s e m e n t


les p laces de s p le n d e u r.

Un regard je té h ard im en t dans l’avenir fait présum er que les


villes « tentaculaires » se ram asseront sur leurs os caducs, en ordon­
nances imm enses ; des élém ents d ’une échelle inconnue ju sq u ’ici
a p p o rte ro n t la sublim ité de leurs dim ensions : New -Y ork barb are
* W P-
A g au c h e d e la C orne d ’O r, P é r a ; à d r o ite , S tam b o u l. P éra g én o is, h é riss é de h a u te s
m aiso n s p ressées et v e rtic a le s; les fe n ê tre s e n d a m ie r d o n n e n t à la m asse u n e cohé­
sio n m assiv e. A S tam boul la m e r u n ie des to its ro u ssis e t étalés laisse s’éle v e r dans
la s é ré n ité , la b la n c h e u r s c u lp tu ra le des m o sq u ées.

a forgé l’outil fatal, le gratte-ciel. Le fer, le cim ent arm é ... e t puis
to u t le reste, to u te la physique du b âtim en t, lum ière, air, chaleur,
hygiène, puis l’industrie im m inente, élaborent lentem ent, des dis­
positions e t des dispositifs neufs, des ordres de grandeur nouveaux.
Le x x e siècle est encore dans l ’h a b it d ’une h u m an ité prém achi­
niste. C’est comme si l’économie publique, comm erce, politique,
finance, é ta it gérée toujours par le courrier de poste, avec son cheval
et ses relais. Le réveil du x x e siècle sera fabuleux; du m oins nous
a p p a ra îtrait-il tel si, subitem ent dem ain, nous trouvions la nou­
velle ville debout. L ’idée fera son chem in progressif, e t nous nous
trouverons transform és dans n o tre ville rebâtie, sans avoir m esuré
l’événem ent.
Les cellules (les logem ents) s’équilibreront sur vingt, qu aran te,
soixante h au teu rs (1). L ’hom m e seul, avec ses 1 m. 75 de h au t, m é­
canique inchangeable, s’inquiétera dans les rues de sa ville aux
constructions gigantesques. M eublons donc le vide pénible de ce
tro p grand écart en in tro d u isa n t entre les hom m es e t leur ville
une m oyenne proportionnelle qui satisfasse a u x deux m esures,
qui soit à échelle com m une. Si l’on re tro u v a it dans les tiroirs de
l ’u rbaniste une moyenne proportionnelle qui com blât des h a b itu ­
des chères, a p p o rta n t joie, divertissem ent, b eau té e t sa n té ?
I l faut planter des arbres!
Q u’advienne la bienheureuse adoption de la com m une m esure
architecturale, m odule p u r d ’une invention arch itectu rale con­
forme à des tem ps neufs, ou que persiste pour notre m alaise phy­
sique, la triste individualité égoïste, l’arbre, en to u t é ta t de causes,
s’ofîre pour n otre bien-être physique e t spirituel.

(1) J e reçois l’im age d ’u n p ro je t d ’h ô tel m o n stre au x É ta ts-U n is, de


180 étages!
CLASSEM ENT ET C H O IX (D É C ISIO N S OPPORTUNES) 71
Il p e u t a p p a rten ir au nouvel esp rit d ’architecture, à l’u rb a­
nism e im m inent, de satisfaire a u x plus reculées fonctions hum aines,
en reverdissant le paysage urbain e t en m êlan t à n o tre labeur la
n a tu re (1) : voilà n otre esp rit rassuré d ev an t la m enace angoissante
de la grande ville qui enserre, écrase, étouffe, asphyxie ceux qui
s’y sont précipités, qui d evront y travailler, le tra v a il é ta n t cette
nécessité généreuse qui nous apporte la quiétude de l’esprit, e t
conduit a u x enthousiasm es de la création.
Le phénom ène gigantesque de la grande ville se développera
dans les verdures joyeuses. L ’un ité dans le détail, le « tu m u lte »
m agnifique dans l ’ensem ble, la com m une m esure hum aine e t la
m oyenne proportionnelle entre le fait hom m e e t le fa it n atu re.

(1) A ph o rism e tu r c : où l’on b â tit, on p la n te des arb res. Chez nous,


on les enlève. S tam b o u l e st u n v erg e r, nos villes so n t des p ierrailles.

S ta m b o u l. P a rto u t d es a rb re s d ’o ù su rg is s e n t les b e a u té s d e l ’a rc h ite c tu re .


72 U R B A N ISM E

S ta m b o u l. De to u te s p a rts, a u to u r d es m aisons, ja illis s e n t les a rb re s


a g ré a b le c o h a b ita tio n d u fa it h u m a in e t d u fa it n a tu re .

Les beautés de l’arch itectu re qui n a îtro n t d ’une passion seront


placées p a r l’urbanism e à Ces endroits où, dans un calm e volon­
taire, la surprise, l’étonnem ent, la joie de la découverte, leur confé­
rero n t la valeur q u ’on aura voulu leur assigner.

B o u lev ard d e la M adeleine, P a ris. B o u lev a rd d 'a u jo u r d ’h u i : ici il y a d ’u n cô té d o u b le


ran g é e d ’a r b re s e t V iel le r e s ta u r a te u r sait b ie n q u ’il s e rt d a n s u n e oasis. Oasis du
P aris c o n te m p o ra in . P re n o n s cela p o u r u n m in u sc u le in d ic e d ’im p o rta n c e cap itale.
Ceci n ’est n i à C h a n tilly , ni à R a m b o u ille t, m ais à P a ris, p a rc M onceau. E t v o ilà le b u t
n e tte m e n t fixé : la v ille de d e m ain p e u t vivre totalem ent au m ilie u d e s v e rd u re s . 11
m a n q u e à N ew -Y ork d e n ’av o ir pas é rig é ses g ra tte -c ie l a u m ilie u d u p a rc M onceau.
U to p ie ? A cce p to n s la g a g e u re !
ACCROISSEMENT
Dt. LA. POPVLATION...

lO N D R tS MEV/-/ORK BERLIN
/

—wftfïi - rrrîTili crnTTlltli!i-toa»


1800

la G R A N D E V I I L E est un R écent
de f o n w < ]u e f lf« i fo u d r o y a n t e s
Id m e n a c e de d e m d in
. I9ÌO ••OO l» 9o IQIC
P A tm ' 9o OOO OOO ï. 100.000 5 . 000. 000
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I BERLIN 1®î. OOO 1. S40. OOO 5 . 400 . OOO
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LA GRANDE VILLE
L A G R A N D E V I L L E E S T UN ÉVÉN EM EN T RÉCEN T D A T A N T D E C IN Q U A N T E A N S

l ’a c c r o is s e m e n t des grandes

V IL L E S A D ÉPA SSÉ T O U T E S P R É V I­
S IO N S .
C RO ISSA N CE V E R T IG IN E U S E ET
P E R T U R B A T IO N .
LA V IE IN D U S T R IE L L E E T LA V IE
C O M M E R C IA L E QUI S’Y A D A PTEN T
SO N T D E S PHÉNOM ÈN ES N O U V EA U X
D ’U N E A M P L IT U D E BOULEVER­
SANTE.
LES M OYEN S DE TRANSPO RT
SO N T A LA BASE DE L* A C T IV IT É
M ODERNE.
78 U R B A N ISM E

LA S É C U R IT É D U LO G EM EN T EST
LA C O N D IT IO N DE L ’É Q U IL IB R E
S O C IA L .
LE PHÉNOM ÈN E NOU V EA U DE
LA GRANDE V IL L E A SU RG I DANS
L E C A D R E A N C IE N D E S V IL L E S .
LA D IS P R O P O R T IO N EST TELLE
Q U ’E L L E PRO V O Q U E UNE C R IS E IN ­
TENSE.
LA CRISE E S T A SES DÉ-
BUTS. E L L E F O M E N T E L E D ES O R ­
DRE.
LES V IL L E S QUI NE S’A D A P T E ­
RONT PAS R A P ID E M E N T A U X CON­
D IT IO N S NOUVELLES I)E LA V IE
M ODERNE SERO NT ETO U FFEES ;
E L L E S P É R IR O N T ; D ’A U T R E S V IL L E S
M IE U X A D A PTÉE S LES REM PLA CE­
RONT.

L a p ersistan c e an a ch ro n iq u e des vieu x cadres des villes p ara ly se leur


extension.
L a vie in d u strie lle e t com m erciale sera étouffée d an s les villes r e ta rd a ­
ta ires.
Le sy stèm e c o n se rv a te u r d ans les gran d es villes s’oppose a u dév elo p ­
p e m e n t des tra n s p o rts , congestionne, aném ie l’a c tiv ité , tu e le progrès,
décourage les in itia tiv e s.
L a p o u rritu re des vieilles villes e t l’in te n sité d u tra v a il m o d ern e co n ­
d u ise n t les êtres à l’én e rv e m e n t e t à la m alad ie. L a vie m o d ern e réclam e la
ré c u p é ra tio n des forces usées. L ’hygiène e t la sa n té m o rale d é p e n d e n t du
tra c é des villes. Sans h ygiène ni sa n té m orale, la cellule sociale s’atro p h ie.
U n p ay s ne v a u t que p a r la v ig u e u r de sa race.
Les villes actuelles ne p e u v e n t rép o n d re a u x appels de la vie m oderne,
si on ne les a d a p te a u x nouvelles conditions.
Les grandes villes rég issen t la vie des p ay s. Si la g ran d e ville étouffe, le
p ay s s’enlise.
P o u r tra n sfo rm e r les villes, il f a u t rec h erch er les prin cip es fo n d am en
ta u x de l’u rb an ism e m oderne.
(M anifeste accompagnant le D ioram a d ’une ville contemporaine-
Salun d ’Automne, 1922.)

La grande ville com m ande to u t, la paix, la guerre, le travail.


Les grandes villes sont les ateliers spirituels où se p ro d u it l’œ uvre
du m onde.
Les solutions obtenues dans la grande ville so n t celles qui
LA GRANDE V ILL E 79
prim en t dans les provinces : modes, style, m ouvem ents de l’idée,
technique. Voilà pourquoi, lorsque sera résolue l’urbanisation de
la grande ville, le pays d ’un coup aura été irrigué.
Précisons : les pays sont des millions d ’individus assujettis
à un lab eu r p articulier; les événem ents de l’existence suffisent
à occuper le cham p lim ité de la pensée de chaque jour. Il nous
semble donc tra v a ille r de telle m anière parce que cela a toujours
été ainsi. Or, l’histoire nous a m ontré des alternances d ’abondance
e t de m isère, des ondes d ’allégresse ou de dépression; elle nous
m ontre des ascensions de peuples, des hégémonies, et, à côté, des
décadences; elle affecte les peuples de coefficients différents, indices
de leur valeur. L ’histoire est un m ouvem ent. Née à l’origine, sous
les ten tes éparses des peuples pasteurs, elle s’est tran sp o rtée à
m esure que se fo rm ait l’é ta t social, dans les bourgs, les villes et
puis les capitales. Les capitales so n t devenues son siège. Les capi­
tales siègent au cœ ur des grandes villes. Au fond des provinces,
dans les usines ou sur les navires qui sont en m er, dans les ateliers,
dans les boutiques, dans les cham ps e t dans les bois, le tra v a il est
dicté p ar la grande ville : les conditions de ce trav ail, sa qualité,
son prix, sa q u a n tité , sa d estin atio n ; le com m andem ent e t les
m oyens sont venus de la grande ville.
Le siècle de la m achine a y a n t déclanché ses conséquences,
le mouvement s'eut saisi d’un outillage neuf pour intensifier son
rythm e; il l ’a intensifié avec un tel accroissem ent de vitesse, que
les événem ents o n t dépassé n o tre capacité réceptive e t que l’esprit
généralem ent plus p rom pt que le fait est au contraire, cette fois-ci,
débordé p ar le fa it d o n t la vitesse roule e t s’accentue encore; des
m étaphores exprim ent alors cette situ atio n : subm ersion, c a ta ­
clysme, invasion. Le ry th m e s’est accéléré au point de m ettre les
hom m es (qui l ’o nt provoqué avec leurs p etites inventions précises,
comme l’on provoque un im m ense incendie avec une précise petite
allum ette e t quelques litres de pétrole), dans un é ta t d ’instabilité,
d ’insécurité, de fatigue, d ’hallucination grandissantes. N otre orga­
nisation physique e t sentim entale violentée, broyée dans ce to r­
ren t, gém it e t elle craq u erait si, p ar une action énergique, clair­
vo y an te e t rapide, l’ordre n ’é ta it app o rté au sein de ce déferle­
m ent.
Le paysan, en lab o u ra n t sa terre e t en sem ant son blé, a tte n d
du soleil e t de la pluie que se révèle la v e rtu m iraculeuse de la
graine. Mais les au tres hom m es poussés p ar cette force (qui est le
divin) à créer de leur esprit e t de leurs m ains, posent la prem ière
pierre de la solidarité et, ro m p an t avec le fait personnel, créent le
80 U R B A N ISM E

phénom ène collectif. Ils échafaudent l ’im m ense édifice du trav ail.
Le phénom ène collectif s ’agrège dans l’ordre, indice prem ier de
l’action. Un sentiment plane, assentim ent général donné à un fais­
ceau de doctrines opportunes. L en tem en t la pyram ide des valeurs
s’étage, gradin après gradin, suite d ’é ta ts successifs où quelque

passion a prophétisé. Une clarté illum ine ces lieux où l’on s’est
rassem blé. La b eauté y a p p a ra ît parfois, résu lta n t d ’un accord
exact. Les formes se m ultiplient, faites de ce qui p laît à nos sens
et à notre esprit. De loin accourent vers ces centres d ’action ceux
qui sen ten t en eux le vide des vies étriquées e t l’assoifïem ent des
am bitions. D epuis peu, des m oyens m atériels accessibles drain en t
LA G R A N D E V ILLE 81
e t canalisent innom brablem ent ces espoirs vers les centres. Les
centres se gonflent, s’é ta len t; on y accourt, on s’y presse, on y tr a ­
vaille, on y lu tte, on v ien t souvent s’y brûler à la flam me indif-

P é k in . — C o m p arez ce p la n avec c e lu i d e P a ris, q u a tr e pag es p lu s lo in . E t c’est n o u s,


O ccid en tau x , q u i av o n s é p ro u v é le b e so in d ’e n v a h ir la C h in e pour la coloniser 1

férente. La sélection se p ro d u it dans le m ouvem ent b ru ta l d ’une


poussée toujours renouvelée. La grande ville vibre e t s’agite, écra-
A friq u e d u N ord : K a iro u an .
P h o to G ira u d o n . P a lm a n o v a : v ille m ilita ire de la R enaissance.

F ran ce : le ch âteau de V in cen n es, xiv® siècle.


84 U R B A N ISM E

sa n t les faibles, hissant les forts. C’est ici que, des hinterlands
paisibles, se trouve la cellule transcendante, intensém ent vivante.
... Au loin, d ’au tres hinterlands ont suscité une a u tre grande
ville. Là-bas, une a u tre encore.
E t ces grandes villes s’affrontent, car le démon de surm onter,
de surpasser est la loi m êm e du m ouvem ent auquel notre sort est
lié. On s’affronte, on se b a t, on se fait les guerres. On s’entend, on
s’associe. Des grandes villes, cellules ardentes du m onde, viennent
la paix ou la guerre, l ’abondance ou la misère, la gloire, l’esprit
trio m p h a n t ou la beauté.
La grande ville exprim e les puissances de l’hom m e; ses m ai­
sons qui a b rite n t une ardeur si agissante s’élèvent dans une ordon­
nance insigne. Du m oins telle est, dans n otre esprit, la conclusion
logique d ’un simple raisonnem ent.
L ’an tiq u ité nous lègue, sous la form e du souvenir, la dém onstra­
tion de ce fait. Ce fut, m om ents précieux, lorsque l ’esprit puissant
dom ina la cohue. Nous l ’avons explicitem ent vu déjà à Babylone,
à Pékin, e t ce n ’étaien t là que des exem ples confirm ant le souvenir
des au tres : grandes villes e t villes plus petites, même to u tes petites,
à certaines époques d ’apogée, illum inées p ar le tale n t, la science et
l’expérience. P a rto u t encore des vestiges ou des unités intactes
nous proposent leur règle : les tem ples égyptiens, les villes rectilignes
du nord de l’A frique (K airouan), les cités sacrées de l’Inde, les
villes rom aines de l’E m pire ou celles construites sur la trad itio n
p ersistan te : Pom péi ou Aigues-M ortes, M onpazier.

M onpazier en P é r ig o rd , x n e siècle.

L a stru c tu re des villes nous révèle deux sortes d ’événem ents :


l’assem blage progressif, hasardeux, avec son phénom ène de stra-
LA G R A N D E V ILLE 85
tification lente, de form ation échelonnée, puis sa force d ’a ttra c tio n
acquise, grandissante, force centrifuge, attira n c e violente, ruée,
cohue. Ce fu t Rom e, comm e c ’est Paris, Londres ou Berlin.
Ou alors : la construction de la ville, née d ’un program m e,
d ’une volonté, d ’une science acquise; c ’est Pékin ou ce sont les
villes fortes de la R enaissance (Palm anova), ou ce sont les cités
colonisatrices des R om ains érigées au cœ ur des pays barbares.
N otre occident, a y a n t terrassé l’E m pire appauvri p ar un effort
trop distendu, se tro u v a seul avec ses m oyens em bryonnaires; les
siècles s’a jo u te ro n t a v a n t que du cam p retranché, ancienne im age
du sauvage e n to u ra n t de chars son bivouac, so rtît p e tit à p e tit
une intention, se m an ifestât une conception claire, s’offrissent des
m oyens techniques suffisants, s’organisât la puissance financière
utile. L ’esprit, sous le fro n t des roys, conçoit e t aspire à réaliser;
te n ta tiv e s m agnifiques, éclats de lum ière dans le grouillem ent
barb are : place des Vosges, Louis X I I I ; Versailles, île Saint-Louis,

Les six c e in tu re s successives de P a ris d ic té e s p a r le « c h e m in d es ânes ».


A u p o u r to u r, l ’e n s e rr e m e n t d es b a n lie u e s im m é d ia te s, sau f à g au ch e e t à d ro ite deux
p o r tio n s lib re s : le B ois de V incennes et le Bois de B oulogne.
86 U R B A N ISM E

Louis X IV ; Cham p-de-M ars, Louis X V ; l’Étoile e t les grandes


routes d ’accès à Paris, Napoléon. Enfin, d o tatio n m agnifique que
laisse un m onarque à son peuple : tra v a u x d ’H aussm ann, N apo­
léon III.
On lu tte contre le hasard, contre le désordre, contre le laisser-
aller, contre la paresse a p p o rta n t la m o rt; on aspire à l’ordre, et
l ’ordre est a tte in t p a r l ’appel a u x bases déterm inantes de notre
esprit : la géom étrie. Au milieu du gâchis, ap paraissent des cristal­
lisations pures, form es réconfortantes, rassurantes e t qui donnent
à la b eau té le su p p o rt indispensable. A ces m om ents on a réfléchi,
em ployé les m oyens hum ains e t fa it œ uvre hum aine. Nous en
sommes si fiers que nous ne parlons plus que de cela. Nous entourons
ces m anifestations historiques d ’une telle piété que ce culte rétros­
pectif nous absorbe to u t. L égitim em ent fiers, nous oublions simple­
m en t que nous-m êmes, nous n ’avons rien fa it encore. La force
vive qui suscita ces œ uvres touchantes, nous la haïssons s’il nous
arrive de la rencontrer a u to u r de nous, chez des hom m es qui en
sont anim és. N otre piété nous conduit à l ’inquiète sollicitude de
gardiens d ’âmes défuntes, de gardiens de tom beaux. Nous avons,
repliés sur le passé, pris une âm e de croque-m ort. E t pour répondre
à l’assau t joyeux e t form idable de l’époque, nous prenons l’air
ébahi d ’un vieux m onsieur p o tassan t des im ages au C abinet des
E stam pes e t qui s’écrie : « Chut ! je suis très, très occupé! >>
La confusion est donc à l’origine de nos villes m odernes. É ri­
gées au long du chemin des â n e s(l), les tra its puérils de leur enfance
ont subsisté ex actem ent au cœ ur des im m enses cités m odernes,
l’étreig n an t du réseau fata l de leur désordre. E t le m al s’est aggravé
du x e au x i x e siècle : les chemins des ânes sont classés e t deviennent
les grosses artères de la ville. La m o rt é ta it encore à longue échéance.
Le machinisme surgi, la mort cogne à la porte.
E n cent ans, les grandes villes o n t vu croître follem ent le chiffre
de leur population.
1800 1880 1910
P aris........................................ 647.000 2 .2 0 0 .0 0 0 3 .0 0 0 .0 0 0
Londres ............................... 800.000 3 .8 0 0 .0 0 0 7 .2 0 0 .0 0 0
B e r l i n ................................... 182.000 1.840.000 3 .4 0 0 .0 0 0
N e w - Y o r k .......................... 60.000 2 .8 0 0 .0 0 0 4 .5 0 0 .0 0 0
Lorsque, après c ette dernière guerre, la puissance de l’outillage
m oderne se fu t confirmée e t développée, on se se n tit pris à la gorge.
L ’étouffem ent est là. L ’alarm e est donnée.
(1) V oir ch a p itre i er.
LA G R A N D E V ILL E 87
D ans chaque pays le problèm e de la grande ville se pose tr a ­
giquem ent. Les affaires av aien t enfin reconnu le cadre nécessaire
de leur action : les affaires se sont définitivem ent pressées au centre
des villes. Le ry th m e des affaires a p p a ru t clairem ent : la vitesse,
la lu tte de vitesse. Il fallait se tasser, se toucher, m ais aussi agir
avec facilité, avec prestesse. Hélas, 011 é ta it devenu le m oteur to u t
rouillé d ’une vieille voiture : le châssis, la carrosserie, les sièges
(la périphérie des villes), to u t cela va encore; m ais le m oteur (le
centre des villes) est grippé. C’est l ’arrêt. Le centre des villes est un
moteur grippé. Tel s’énonce le prem ier problèm e d ’urbanism e.
Une ville qui s’arrête, c ’est un pays qui s’arrête. L ’on hésite
à s’avouer la vérité; l ’on n ’a pas le courage de diagnostiquer et,
a y a n t reconnu la m enace, de prendre les in itiatives courageuses.
Il fa u t p o u rta n t prendre une décision virile.
Face à la décision virile se dressent :
La loi du m oindre effort.
L ’absence des responsabilités.
Le respect du passé.
La courbe du progrès s’énonce clairem ent : c’est un jeu de
cause à effet, de sim ples déductions régulières e t consécutives.
Mais la m asse opaque e t lourde des in té rêts étroits, des faits acquis,
des paresses, e t les brouillards m orbides d ’une sentim entalité crim i­
nelle, dressent un obstacle géant. Cet é ta t de fa it e t cet é ta t d ’es­
p rit affrontés, c’est précisém ent to u t le problèm e de l’urbanism e :
anim er d ’un seul souffle u nitaire la com plexité écrasante du phéno­
m ène social; m aintenir le m ouvem ent, là où la paralysie s’est
accrochée.

J u s q u ’au x x e siècle, les villes sont tracées sur un program m e


de défense m ilitaire. Le bord de la ville est un fait précis, un orga­
nism e lim pide de m urailles, de portes, de rues y ab o u tissan t e t de
rues desservant du dehors le centre.
De plus, ju sq u ’au x i x e siècle, on entre dans les villes p a r le
pourtour. A u jo u rd ’hui, les portes des villes sont au centre. Ce sont
les gares.
La ville m oderne ne p e u t plus se défendre m ilitairem ent; son
bord est devenu une zone trouble e t étouffante com parable à d ’im ­
menses cam ps de rom anichels entassés dans leurs roulottes au
m ilieu du désordre de l’im provisation. Si bien que l’extension de
la ville 11e se fa it plus q u ’au tra v e rs d ’un obstacle puissant.
Le fait nouveau des banlieues im m édiates n ’ex ista it pas au
88 U R B A N ISM E

tem ps des villes m ilitaires d o n t le contour n et conditionnait une


organisation intérieure précise.
Le centre des villes est malade mortellement, leur pourtour est
rongé comme par une vermine.
Créer une zone libre d ’extension, tel est le second problèm e
d ’urbanism e.
J e pense donc bien froidem ent q u ’il fau t arriver à cette idée
de dém olir le centre des grandes villes e t de le reb âtir, et q u ’il
fa u t abolir la ceinture pouilleuse des banlieues, reporter celles-ci
plus loin, et, à leur em placem ent, constituer, p e tit à p e tit, une zone
de protection libre qui, au jour utile, donnera la liberté parfaite
des m ouvem ents e t d ’ici là p e rm e ttra de constituer à p rix bas un
cap ital d o n t la valeur décuplera e t m êm e centuplera. Si le centre
des villes est le capital intensivem ent actif sur lequel se joue la
bourse effrénée de la spéculation privée (le cas du New -Y ork est
topique), la zone de protection constitue dans les dossiers de la
m unicipalité une réserve financière form idable.
D éjà, dans divers pays, les m unicipalités rach èten t par voie
d ’expropriation la zone de leur banlieue. C’est to u t sim plem ent
s’assurer le cube d ’air nécessaire pour respirer.

On n ’arrive pas à to u t dire e t à bien dire succinctem ent. Le


thèm e est si neuf e t les conclusions sont si graves q u ’au risque de
se répéter, il est p eut-être m ieux de développer d ’au tres aspects
encore de la question. Voici donc un e x tra it d ’une com m unication
faite au Congrès de l’U rbanism e de Strasbourg, en 1923 :

Les m unicipalités et les édiles des grandes villes s ’occupent du


problème des grandes banlieues et cherchent à attirer au dehors les
populations qui se sont précipitées dans les capitales avec la force
d’une invasion; ces efforts sont louables; ils sont incom plets; ils
laissent de côté le fond du problème qui est celui du centre des grandes
villes. On soigne les muscles de l’athlète, m ais on ne veut pas s ’aper­
cevoir que son cœur est malade et que sa vie est en danger. S ’il est
bien d’attirer au dehors les populations enterrées dans les faubourgs,
il faut se souvenir que chaque jour, à la même heure, les foules qui
seront m ieux logées dans des cités-jardins devront rentrer dans le
centre de la ville. Améliorer le logement par la création de cités-jar­
dins laisse entière la question du centre des villes.
I l est bon de se représenter exactement le phénomène de la grande
LA G R A N D E V ILL E 89

ville. L a grande ville n ’est pas que 4 ou 5.000.000 d’individus réunis


par un hasard en un endroit déterminé; la grande ville a une raison
d’être. Elle est, dans la biologie du pays, l’organe capital ; d’elle dé­
pend l’organisation nationale, et les organisations nationales font
l’organisation internationale. L a grande ville, c’est le cœur, centre
agissant du système cardiaque; c’est le cerveau, centre dirigeant du
système nerveux, et l’activité des pays, les événements internationaux
naissent et proviennent de la grande ville. L ’économique, la sociolo­
gique, la politique ont leur centre dans la grande ville, et toute modi­
fication venue de ce point précis réagit sur les individus perdus au
loin des provinces. L a grande ville est le lieu de contact des éléments
agissants du monde. Ce contact doit être immédiat, m ain contre
m ain; les décisions qui en émanent sont l’effet d’un débat au rythme
précipité et elles entraînent les agissements du pays et des pays entre
eux. Le télégraphe, le chemin de fer, l’avion ont, en m oins de cin­
quante ans, accéléré à un tel point la rapidité des contacts internatio­
naux que le travail en a été révolutionné. L a marche des idées s ’opère
dans l’étroit espace du centre des grandes villes ; ces centres sont, à
proprement parler, les cellules vitales du monde.
Or, les centres des grandes villes sont actuellement des outils de
travail presque inutilisables ; le contact nécessaire ne s’établit qu’avec
une exactitude précaire au travers du réseau des rues encombrées.
P lus que cela, une fatigue véritable naît de la congestion, un handicap
périlleux frappe ces bureaux d’affaires aux couloirs étouffés et aux
pièces obscures.
t I 4T . ACTVtL . DV. RfbtAV. CIRC/tATION
DEi . RV£V DANS.tt y GRAN DtVN/llUV

sMTrnt
roNf,r>uoNNt
90 U R B A N ISM E

On peut conclure, tout d’abord, qu’une usure préjudiciable affecte


rapidement, en dehors même des conditions de leur travail, ceux qui
doivent conserver un esprit alerte et une grande clarté de pensée ; ensuite
que le pays, qui possède des centres de villes bien organisés, a toutes les
chances d’acquérir la supériorité sur les autres, la supériorité d’un
industriel possédant un bon outillage. L ’économie nationale en subira
le contre-coup heureux ou fâcheux.
I l importe donc de vouer une attention particulière à la maladie
des grandes villes; c’est de la plus grande nécessité. Le plan des
grandes villes actuelles montre que, par suite de leurs origines modestes
( ancienne bourgade) et du développement fabuleux qui s ’est accompli
en un siècle, le centre demeure formé de rues étroites et courtes ; seule
la périphérie possède des artères plus grandes. C’est au centre que se
précipite une circulation formidable ; la périphérie est relativement
à l’aise, n ’abritant que la vie de famille.
S i l’on applique, sur le graphique des rues de la grande ville, le
graphique de la circulation, on s’aperçoit qu’il y a opposition for­
melle. Graphique des rues : état de choses ancien ; graphique de circu­
lation : état de choses actuel. Il y a crise (inutile d’insister, on en subit
les effets désastreux dans toutes les grandes villes). M ais il faut con­
sidérer la courbe de fièvre de la crise et admettre q u ’elle m onte v e rti­
gineusem ent; on va à l’impasse.
Les chiffres prouvent que la grande ville est un événement récent,
datant de cinquante ans, et que Vaccroissement des agglomérations a
dépassé toutes prévisions. De 1800 à 1910, en cent ans, P aris a passé
de 600.000 à 3.000.000 d'habitants ; Londres de 800.000 à 7.000.000;
Berlin de 180.000 à 3.500.000; N ew -Y ork de 60.000 à 4.500.000.
Or ces villes vivent sur leurs constructions anciennes, sur leurs tracés

a c c r o is s e m e n t DV TRAFIC

PERSONNES M A R C H A N DfSCS
/

p a r. par.

i f i
LA GRANDE V ILL E 91
anciens datant d’avant l’ascension foudroyante des courbes de popula­
tion et des courbes de trafic (voir, sur le graphique, les courbes d ’accrois­
sement de trafic de 1885 à 1905, trafic de personnes, trafic de marchan­
dises). Le trouble est tel qu’une inquiétude se manifeste grandissante.
Le mot d’urbanisme est apparu depuis quelques années seulement,
preuve d’une germination. Par une pente bien humaine, les premiers
efforts glissent naturellement vers la difficulté moindre ; l’on s’occupe
des banlieues. Une cause plus profonde agit également; on a besoin
de réétudier les bases de l’habitation qui doit répondre à une vie de
famille totalement transformée par le m achinism e; la maison des
cités-jardins permet d ’isoler le problème et de l’expérimenter. D ’autre
part, en vertu de la loi du moindre effort, et à cause de la cruauté
des seuls remèdes possibles, devant le spectacle effarant du centre des
grandes villes, on tourne le dos à la difficulté et les gens très forts pro­
clament : « Il faut transporter ailleurs le centre, il faut aller bâtir une
nouvelle ville, un nouveau centre, loin, au delà des banlieues ; là on
sera à l’aise, aucune contrainte, aucun état de choses préexistant. »
Argum entation fallacieuse. Un centre est conditionné, il n'existe que
parce qui l’entoure, et il est fixé de très loin, par des convergences
innombrables, de tous genres, et qu’on ne saurait changer ; déplacer
l’essieu d’une roue, c’est s ’obliger à déplacer toute la roue. E n matière
de grande ville, c’est prétendre déplacer 20 ou 30 kilomètres à la ronde,
ce qui est proprement impossible. L ’essieu de la roue est contraint
d ’être fixe. A Paris, l’essieu depuis mille ans oscille de gauche à droite
et de droite à gauche, entre Notre-Dame et la place des Vosges, la
place des Vosges et les Invalides, les Invalides et la gare de l’E st, la
gare de l’E st et Saint-A ugustin. P ar rapport à la roue (chemins de
fer, faubourgs, banlieue et grande banlieue, routes nationales, métros,
tramways, centres adm inistratifs et commerciaux, zones industrielles
et d’habitations), le centre ne bouge pas. Il est dem euré. I l doit de­
meurer. D u reste, il constitue une fortune immense, une part impor­
tante de la fortune nationale qu’en voulant le déplacer, on abolirait
d ’un décret. Dire : « C’est bien simple, créons le centre nouveau de
Paris à Saint- Germain-en-Laye », c’est dire une sottise, ou c’est pro­
mettre la lune. C’est une « balançoire », avec laquelle les éternels sta­
gnants gagneront toujours un bout de temps. Le centre doit être mo­
difié sur lui-même. Il s’effrite et se reconstruit au cours des siècles,
comme l’homme change de peau tous les sept ans et l’arbre de feuilles
toutes les années. I l faut s ’attacher au centre de la ville, et le changer,
ce qui est la solution la plus simple, et, plus sim plem ent, la seule
solution.
92 U R B A N ISM E

N ous voici conduits à formuler les bases de l’urbanisme moderne


par quatre postulats brutaux, concis, répondant avec exactitude aux
dangers menaçants :
1° D écongestionner le centre des villes pour faire face aux
exigences de la circulation.
2° A ccroître la densité du centre des villes pour réaliser le
contact exigé par les affaires.
CIRCIÆ/UIOH
DANS I I S GRANDIS V IU lî

3° A ccroître les m oyens de circulation, c’est-à-dire modifier


complètement la conception actuelle de la rue qui se trouve être sans
effet devant le phénomène neuf des moyens de transport modernes :
métros ou autos, tramways, avions.
4° A ccroître les surfaces plantées, seul moyen d’assurer l’hy­
giène suffisante et le calme utile au travail attentif exigé par le rythme
nouveau des affaires.
Ces quatre points semblent inconciliables. I l est bon d’en recon­
naître la justesse, d’en mesurer l’urgence. P uis, le problème étant
ainsi posé, l'urbanism e répondra. E t il peut y répondre, contraire­
ment aux apparences. Les moyens techniques et d’organisation de
l ’époque en offrent la solution harmonieuse, et c’est alors que la ques­
tion devient passionnante et que l’on mesure la naissance proche d ’un
LA G RA N D E V ILLE 93
nouveau cycle de grandeur et de majesté. L ’architecture, dans le cours
d ’une évolution, marque le point culm inant ; c'est une résultante que
fournit un système de l’esprit. L ’urbanisme est le support de l’archi­
tecture. Une architecture nouvelle, exprim ée e t non plus velléitaire,
est imminente. On attend un urbanisme déclancheur.

Il est utile de se rendre compte des différentes qualités d’habi­


tants d'une grande ville. Siège du pouvoir ( dans le sens le plus étendu
du mot : capitaines d ’affaires, d’industrie, de finance, de politique,
maîtres de la science, de la pédagogie, de la pensée, porte-parole de
l'âme humaine, artistes, poètes, musiciens, etc., etc.), la ville aspire
toutes les ambitions, se pare dans un mirage éblouissant de toutes les
féeries ; des foules s'.y précipitent. Ceux du pouvoir, les conducteurs,
siègent au centre de la ville. P u is leurs auxiliaires jusqu’aux plus
modestes, dont la présence est nécessaire à heure fixe au centre de la
ville, m ais dont la destinée limitée tend sim plem ent à l’organisation
familiale. L a famille se loge mal en grande ville. Les cités-jardins
répondent m ieux à sa fonction. E n fin l’industrie avec ses usines, qui,
pour de multiples raisons, se grouperont en grand nombre autour des
grands centres ; avec les usines, la multitude des ouvriers dont l’équi­
libre social se réalisera facilement au cœur des cités-jardins.
Classons. Trois sortes de population : les citadins à demeure ;
les travailleurs dont la vie se déroule moitié dans le centre et moitié
dans les cités-jardins ; les masses ouvrières partageant leur journée
aux usines de banlieue et dans les cités-jardins.
Cette classification est, à vrai dire, un programme d’urbanisme.
L ’objectiver dans la pratique, c’est commencer l’apurement des grandes
villes. Car celles-ci sont, aujourd’hui, par suite de leur croissance
précipitée, dans le plus effroyable chaos : tout s ’y confond. Ce pro­
gramme d ’urbanisme pourrait, par exemple, se préciser ainsi, pour
une ville de 3.000.000 d ’habitants : au centre et pour le travail du
jour seulement, 500.000 à 800.000 personnes ; à la n uit le centre se
vide. La zone de résidence citadine en absorbe une part, les cités-jar­
dins le reste. Admettons donc un demi-million d’habitants citadins (en
ceinture du centre) et deux m illions et demi dans les cités-jardins.
Cette mise au clair, juste dans le principe, incertaine dans les
chiffres, invite à des mesures d’ordre, fixe les lignes capitales de l’ur­
banisme moderne, détermine la proportion de la cité (centre), des
quartiers résidentiels, pose le problème des communications et des
transports, fixe les bases de l’hygiène urbaine, détermine le mode de
94 U R B A N ISM E

lotissement, le tracé des rues, la configuration de celles-ci, fixe les


densités et par conséquent le système de construction du centre, des
quartiers de résidence et des cités-jardins.

*
* *

L a question des gratte-ciel préoccupe l’Europe. E n Hollande, en


Angleterre, en Allemagne, en France, en Italie, de premières ten­
tatives théoriques sont faites. M ais on ne peut isoler le gratte-ciel de
l'étude de la rue et des transports horizontaux et verticaux.
Le centre de la ville se trouverait donc définitivement expurgé de
la vie de famille. Il semble bien, en l’étal actuel de la question, que
les gratte-ciel ne peuvent abriter la vie de famille ; leur organisation
intérieure représente un système formidable de circulation et d’orga­
nisation dont les frais ne peuvent être supportés que par des affaires ;

XIV i, X V IIIi, X IX ^ SYSTÈME PRÉCONISÉ

A m ô m e éc h e lle : la g r a n d e u r des îlo ts b â tis e t d es ru e s aux x i v , x v n r et xix" siècles


(G o th iq u e, L ouis XV, N apoléon III). P u is u n e p ro p o s itio n de lo tis s e m e n t m o d e rn e ,
à fo rte d e n s ité , g ra tte -c ie l d e so ix a n te étag es (5 0 /0 d e su rface b â tie e t 95 0 /0 de
su rface p la n té e ); lo tiss e m e n t à r e d e n ts de d o u z e étag es (1 5 0 /0 de su rface b âtie, 85 0 /0
d e su rface p la n té e ; pas de c o u rs , g ra n d s p arcs).

l’exploitation des moyens de circulation, véritables gares en hauteur,


ne saurait convenir à la vie de famille.
Les quartiers urbains d ’habitation pourraient procéder des mêmes
transformations rationnelles. Les rues principales à 400 mètres d’axe
en axe les parcourraient. Contrairement aux usages les plus sécu­
laires, les immeubles ne se grouperaient pas en m assifs rectangulaires
surplom bant les rues, avec subdivisions intérieures en nombreuses
LA G R A N D E V ILL E 95
cours. Un système de lotissement à redents (annoncé dans l’Esprit
N ouveau, n° 4, 1921) supprim ant totalement les cours, espacerait
les maisons de 200 à 400 ou 600 mètres sur des parcs plus grands que
les Tuileries. L a ville deviendrait un parc immense : 15 0 /0 de
surface bâtie, 85 0 /0 de surface plantée, densité équivalente à celle
du P aris congestionné d’aujourd'hui, grandes rues axiales de 50 mètres
ne se recoupant que tous les 400 mètres (la circulation automobile
exige la suppression des deux tiers des rues actuelles) ; parcs de sports
et d’agréments attenant aux habitations, suppression des cours, trans­
formation radicale de l’aspect de la ville, apport architectural de pre­
mière importance. Etc., etc.
Étudiée au crible de la raison et animée d’un lyrisme convenant,
l’urbanisation d’une grande ville fournit des solutions aussi pratiques
que hautement architecturales. Elles naissent de l’analyse purement
théorique du problème; elles bouleversent nos habitudes. M a is depuis
quelques années notre vie elle-même n ’a-t-elle pas été bouleversée ?
L ’homme pense théoriquement, il acquiert des certitudes théoriques.
Par la théorie il se donne une ligne de conduite; fort de ses principes
fondamentaux, il envisage les cas d’espèces de la vie pratique.

**
*

T a n t de problèm es sont soulevés p a r l’urbanism e, choses de


l’in té rêt, choses de la technique e t choses du cœur, q u ’il me p a ra ît
opportun d ’énoncer m ain te n a n t le program m e de ce tte étude.
Commencée p a r L E C H EM IN D ES A N ES E T L E CH EM IN
D ES HOMMES, elle posait la question sur sa situ atio n de fait la
plus désespérante. Mais dès que l’on v e u t suivre les ex h ortations de
la raison pour sortir d ’un m auvais pas, le cœ ur en systèm e fugué
com m ence sa mélopée. P our s’assurer contre tous risques, un fait
hum ain prim ordial : L ’O R D R E . Puis pour ce cœ ur sensible et
ch arm an t : L E S E N T IM E N T D É B O R D E et P É R E N N IT É .
L ’esthète alors s’inquiète, il est souvent brouillon ; afin de l’asseoir
sur des bases sûres, hum aines e t opportunes : CLASSEM ENT E T
C H O IX (exam en) e t CLASSEM ENT E T C H O IX ( décisions
opportunes). A ujourd’hui : LA G R A N D E V IL L E . Puis des faits :
ST A T IST IQ U E . Des pronostics : C O U PU R ES D E JO U R N A U X .
Des faits acquis : NOS M OYENS. Puis une proposition objective
d ’urbanism e m oderne avec des plans précis : U N E V IL L E CON­
T E M P O R A IN E e t un cas p a th é tiq u e : P A R IS , C E N T R E D E
V IL L E . P o u r in tro d u ire ce cas p ath étiq u e, une enquête dans
96 U R B A N ISM E

l’histoire : M É D E C IN E OU C H IR U R G IE . P our étay er tous rai­


sonnem ents et pour galvaniser les enthousiasm es en vue de la
réalisation proche d ’un urbanism e digne du x x e siècle : C H IF F R E S .
P o u r finir sur le fait contem porain, où la hardiesse, le courage, la
clairvoyance se h e u rte n t à la paresse, à la peur, à la confusion :
CA CO PH O N IE (1).
Ainsi p eu t-être des esprits froids e t des cœ urs chauds tro u v e­
ront-ils ici des points où p o u rro n t s’appliquer les forces généreuses
de leur im agination.

(1) J ’ai renoncé fin alem en t à ce c h a p itre tro p am er. L a place m an q u e.


E t c’est u n p eu éc œ u ra n t. Le dossier est à la d isp o sitio n des h u m o ristes.,
hélas I
GRAPHIQUE INDIQUANT L'ACCROISSEMENT DE LA CIRCULAPON DES VÉH ICU LER
AUTOMOBILES EN FRANCE AU COURS DES VINGT-TROIS OEflNIÈRES A N N É E S
Après unlégerrecul durant, les années de guerre,
cette progression a fait un bond formidable en 1920.1921 et!922

STATISTIQUE
A : B = A 1 : B1

La S tatistique est le Pégase de l’urbaniste. Affreusem ent


m au ssad e, m inutieuse e t sans passion, im passible, elle est le tre m ­
100 U R B A N ISM E

plin du lyrism e, le socle d ’où le poète peut s’élancer vers l’avenir


et ses inconnues, ses pieds é ta n t solidem ent appuyés sur des chiffres,
des courbes, sur des vérités hum aines; en réalité ce lyrique-là va
pouvoir nous intéresser puisq u ’il parlera notre langage, s’occupera
des choses qui nous préoccupent, nous anim era dans le sens de
notre m ouvem ent en ne nous désignant que des solutions de notre
systèm e.
La sta tistiq u e donne la situation exacte de l’heure présente,
m ais aussi les é tats an térieu rs; e t elle les raccorde entre eux par
une ligne si expressive, que du passé, on acquiert un sentim ent
défini, e t que, su ivant l ’organisation de la courbe, nous pouvons
pénétrer dans l’avenir e t acquérir des certitudes anticipées. Le
poète ainsi oriente sa route dans un faisceau de vérités indispen­
sables à la sécurité des actes q u ’il nous fa u t accom plir.
P a r la v ertu de la statistique, on p e u t en un in sta n t, to u t en
é ta n t étranger aux com plexités d ’une question, en prendre con­
naissance, e t avec un esprit créateur, discerner des directions sûres.
D ans la com plexité, les individus se noient; il est des individus
noyahles, e t d ’au tres plus rares qui se tie n n e n t toujours hors de
danger. L ’urbanism e est, en vérité, une m er agitée où l’on se noie.
On se noie à la prem ière brassée, au prem ier plongeon, ta n t on est
assailli p ar la m u ltitu d e des vagues e t p ar leur b ru it assourdissant;
to u t au plus accroche-t-on au passage une ceinture de sauvetage
qui est la conscience dans le tra v a il e t la précision, une conscience
e t une précision de cheval de fiacre à brancards et à œillères.
C’est dans ces conditions périlleuses pour l’avenir que s’effectue
lentem ent le long labeur dont l’objet est d ’ordonner le fa it urbain,
de le policer, de le discipliner, de le m aintenir en capacité de pro­
duction, de le hisser hors de Pétouffem ent du chaos. L abeur énorme
q u ’exécutent les services m unicipaux, ces services q u ’on critique
toujours et q u ’on ne loue jam ais, puisqu’ils sont sem blables aux
agents de la police qui, au x jours des réjouissances publiques,
rectifient inlassablem ent nos élans, canalisent notre flot, avec
cette éternelle e t agaçante a ttitu d e du gendarm e. Les gens de
conscience e t de précision qui établissent les statistiq u es sont
façonnés p ar un tra v a il m éticuleux; e t leur esprit prend le m oule
indéform able des ouvriers m osaïstes ou des hauts-lissiers penchés
sur le choix des mille petites pierres ou des mille brins de laine, un
esprit d ’analyse et non de conception, un esprit an éanti dans l’exac­
titu d e du fait m om entané e t désorm ais fonctionnellem ent in ap te
au x constructions aérées, hardies, divinatrices.
Il fa u t rendre justice à ces hom m es de bonne volonté e t de
S TA T IST IQ U E 101
conscience honnête. L eur bonne volonté est im m ense e t la conti­
n u ité grise de leur labeur est une puissance féconde. Ils sont,
comm e le soldat dans la bataille, une présence m odeste, mais
leur ensem ble fait l’arm ée; leur so rt se développe dans le casse-
tête, dans l’incohérence; force précieuse d ’analyse, leur m alheur
v ien t de ceci : c’est q u ’on leur dem ande de créer. Penchés sur
l’inextricable phénom ène urbain, ils ne sont pas ceux desquels
on doit requérir ces enjam bem ents violents susceptibles de m odi­
fier le cours des événem ents. Ils so n t la statistiq u e. La sta tistiq u e
est une m atière prem ière. On ne dem ande pas à la m atière prem ière
de s’usiner elle-même. On prend des praticiens pour trav ailler la
m atière prem ière.
On ne sait pas dans le public ce que c’est que la gestion d ’une
grande ville : les offices du cadastre, les offices d ’extension, l’ins­
pection de la circulation, la direction des tra n sp o rts en com m un;
on ne se doute pas de ce q u ’est la m achine form idable de la grande
ville, qui m ain tien t dans un é ta t de discipline qu atre millions d ’êtres
d o n t to u t acte est régi par une passion particulière, individuelle,
anarchique, — q u a tre millions d ’individus régis p ar leur libre-
arbitre, p ré te n d a n t chacun vivre sa vie, alors que cette prétention
ainsi m ultipliée crée une tension terrible e t dram atique.
P o u rta n t cette tension su it l’im pulsion des courants de fond,
lesquels conduisent lentem ent les m asses; lentem ent m ais parfois
contradictoirem ent, q u itte à provoquer la violence e t le désordre.
R econnaître la présence de ces courants, m esurer leur force et
discerner leur direction, voilà ce que fait la statistiq u e.
J ’ai vu à l’œ uvre ces ouvriers m odestes de la précision. Sorti
de mon enquête, j ’aurais eu presque le vertige de ce tte m écanique
d o n t les engrenages se sont m ultipliés e t d o n t les dents elles-mêmes
se sont redivisées, s’en g renant plus étro item en t e t plus délicate­
m ent. J ’ai senti que lorsqu’on est en co n tact direct avec la m achine,
on est apeuré à l’idée m êm e d ’envisager un changem ent m inuscule :
on l’entend qui craque déjà e t l’on prévoit le détraquem ent. Alors,
on prend une âm e respectueuse e t peureuse. On refoule ses idées
personnelles. Il ne fa u t pas être tro p près de la m achine pour oser
quelque chose. J ’ai com pris l’espèce d ’insulte à la vérité précise du
moment, que devient to u te proposition de m odification du systèm e
urbain, e t je m esure pourquoi, a y a n t parfois exprim é publiquem ent
des conceptions neuves, m on geste a soulevé là une véritable indi­
gnation. J ’ai conclu : rien de possible ne p e u t n a ître du dedans
de ce m ilieu en traîn é fatalem en t p ar les rouages subtils e t si inex­
tricab lem en t engrenés. Il ne p e u t advenir quelque chose d ’utile
102 UR B A N ISM E

que du dehors, que de là où l’on ne se doute m êm e pas de la pré­


sence des inextricables rouages. La sta tistiq u e est la résu lta n te de
la m achine inextricable; partons de la statistiq u e, car l’heure est
venue de détruire l’inextricable de la m achine; c’est une heure de
salut. Il fa u t être sans rem ords. Plus que cela, il fa u t s’arracher
au souvenir de la m achine inextricable, pour concevoir ingénu­
m en t e t tro u v e r des solutions d ’enfant pur. J e l’ai d it à l ’un des
plus actifs personnages qui se b a t h ard im en t contre la m achine
inextricable, M. Ëm ile M assard, président de la deuxièm e Commis­
sion du Conseil m unicipal de Paris (A dm inistration générale,
Police, Sapeurs-Pom piers, Dom aines) : « J e veux me ten ir en dehors
de vos innom brables vérités précises; je ne veux pas connaître
l’âpreté des in térêts qui sont en lu tte, le dossier effarant des Do­
maines, e tc .; je veux to u t sim plem ent, sur vos statistiques,
élaborer avec un esprit dégagé une conception saine e t claire,
d ’u tilité e t de beauté, rechercher des principes purs, directeurs,
isoler le problèm e sur lui-m êm e hors des cas d ’espèces e t arriver à
form uler des principes fo n dam entaux d ’urbanism e m oderne. Avec
ces principes qui seront des certitudes, chacun alors pourra envi­
sager les cas d ’espèces, le cas de Paris, p a r exem ple. »
J e viens de lire le ra p p o rt du Conseil m unicipal de P aris au
nom de la deuxièm e Commission, présenté p ar M. E. M assard,
en 1923. Il a tr a it à la circulation dans les grandes villes. Des
hom m es de tous pays, d ev an t l’angoissante situ atio n qui va m ul­
tip lia n t sa m enace, proposent en m asse serrée des solutions qui
sont encore comme la subdivision en nouvelles dents de chaque
d e n t de l’infernale m écanique. Ce n ’est plus tenable e t l’on v a à
l ’im passe. Ce n ’est plus de la conception, c’est du sauve-qui-peut !

M O UVEM ENT DE P O P U L A T IO N

L a population d ’une grande ville a y a n t passé de 500.000 habi­


ta n ts à 4 millions, su it une courbe de croissance de plus en plus
violente, accélérée. C ette courbe co n tin u erait vers l’infini, si l’on
ne d ev ait a d m e ttre q u ’à un m om ent de sa course, elle s’affaisse
graduellem ent, au m om ent m êm e où le pays qui alim ente la grande
ville a tte in t sa lim ite de natalité. La grande ville m o n tera de 1 à 2,
3, 4, 5, 6, 7 millions d ’h a b ita n ts, su iv a n t l’accélération fournie p ar
la courbe antérieure à ce jour. P ratiq u em en t, pour nous, la crois­
sance peu t être considérée com m e illim itée.
F ig . 2. — C o u rb e g é n é ra le d ’a c c ro iss e m e n t d e la p o p u la tio n .
O n v o it p a r g ro u p e de 50 ans l’a c c é lé ra tio n v io le n te d ’a c c ro iss e m e n t.

Si l’on étudie la courbe d ’accroissem ent d ’une circonscription


(arrondissem ent de ville ou ville de banlieue), on s’aperçoit que la
na tu re de cette courbe est identique à celle de la grande ville :
phénom ène synchronique. Toutefois, ici, in te rv ie n t le plafond, c’est-
à-dire le m om ent où la capacité de la circonscription est définiti­
vem ent conditionnée p ar sa superficie limitée (alors que la superficie
de la grande ville est illim itée). A ce m om ent, su rsatu ratio n , dépas­
sem ent de la capacité norm ale, débordem ent, crise des logis; puis
reto u r p a r oscillations à un é ta t conform e de pleine satu ratio n .
(Ju sq u ’à ce q u ’intervienne un événem ent nouveau extérieur, par
exem ple une m odification des m oyens de l’architecture e n tra în a n t
celle des réglem entations des constructions; on p e u t un jo u r décider
de b â tir sur 20 étages au lieu de 6 ou 7 étages actuellem ent fixés
p ar les règlem ents.) (Fig. 2.)
Les Services d’Extension de P aris (1) ont ainsi établi la courbe

26000

Fig H. — Le B o u rg e t, b a n lie u e p a risie n n e . A g g lo m é ra tio n r é c e n te .

(1) Service de M. B onnefond.


•HABITAItr] HABi'ANT
' I® 000 ------------- SOI•ooo
f t T J R A TION DU TERRITOIRE

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ÎT fT T T T Ï
Fi g. 4. — S ain t-D en is, b a n lie u e p a risie n n e . F ig . 5. — P a ris XVe a rro n d is s e m e n t. Ag­
A g g lo m é ra tio n e n d é v e lo p p e m e n t. g lo m é ra tio n p ro c h e de sa lim ite (d é te r­
m in ée p a r le s ré g le m e n ta tio n s a c tu e lle s
de h a u te u r d e c o n s tru c tio n ).

1MMO

9
U JX»
su m t r i a du terrItôùEî *
1*000
110.000

1lOÛOO

F ig. 6. — P a ris Xe a rro n d is s e m e n t. A gglo­ F ig . 7. — P a ris, 1er a rro n d is s e m e n t. A gglo­


m é ra tio n a y a n t d ép a ssé sa cap ac ité (ac­ m é ra tio n re tro u v a n t, p a r exode des h a b i­
tu e lle ). ta n ts , sa cap ac ité n o rm ale.

(Ces cinq courbes, 3, 4, 5, 6 e t 7, m ises b o u t à b o u t re c o n stitu e ro n t le


phénom ène général d ’accroissem ent rep rése n té au ta b le a u de la page p ré ­
cédente, fig. 2.)
S TA T IST IQ U E 105
de croissance de chacune des circonscriptions du dép artem en t de
la Seine. Ces courbes p e rm e tte n t dès m ain te n a n t de savoir ce que
sera telle com m une ou tel arrondissem ent dans cinquante ans et
p ar conséquent de prévoir dès au jo u rd ’hui un tra c é de rues suf­
fisant, des surfaces de parcs, de cim etières, de services publics, etc.
L a statistique sert à poser le problème.

F ig 8. — D é p a rte m e n t de la S ein e. P a ris B an lieu e (rec e n se m e n ts de 1911 e t 1921).


E n A: l’e x o d e d es p o p u la tio n s à d e m e u re , re m p la c é e s p a r les affaires
(d é m o n stra tio n fra p p a n te d e la c o n s titu tio n d 'u n c e n tre d ’affaires e n d ix an s!).
E n B, l ’afflux d an s le s b a n lie u e s (Le p h é n o m è n e s’é te n d à to u t le d é p a rte m e n t).
106 U R B A N ISM E

LES A F F A IR E S SE P R É C IP IT E N T AU CENTRE DES GRANDES V IL L E S

Qui le pro u v era? La S tatistiq u e répond. Elle précise même en


quels endroits e t avec quelle inten sité le phénom ène se réalise.
Le tab leau (fig. 8) accuse les accroissem ents e t les dim inu­
tions de population recensée, c’est-à-dire, d ’h a b ita n ts a y a n t dom i­
cile. On v o it se vider les Ier, I I e, I I I e, IV e, Ve, V Ie, V I I e, V I I I e,
IX e, X e, X I e arrondissem ents; les ap p artem en ts sont transform és
en bureaux.
Il existe a u x Services d'Extension le tab leau d o n n an t l’Échelle
de densité de population à l’hectare. Les taches sombres m o n tre n t
les quartiers surpeuplés. La sta tistiq u e de la tuberculose charge de
taches noires les mêmes quartiers surpeuplés. On en tire facilem ent
la m orale : appeler le dém olisseur; on sait où démolir. D ’autres
statistiq u es m o n trero n t com m ent rebâtir.

LA G R A N D E V IL L E A C T U E L L E SE T U E E L L E -M Ê M E

La grande ville est née des chem ins de fer. A utrefois, l’entrée

M o u v em en t d u trafic a v a n t la c ré a tio n d u c h e m in
de fe r.

É tat des a rtè re s de c irc u la tio n à ce m o m e n t.

A u jo u rd ’h u i le m ôm e é ta t subsiste.

Mais les g a re s so n t su rv e n u e s , je ta n t les foules dans


l ’esp ace le p lu s r e s tr e in t e t d an s les ru e s les p lu s
é tro ite s.

F ig. 9.
STA T IST IQ U E 107
de la ville se faisait p a r les portes des rem p a rts; les charrois e t les
foules se dispersaient au long de leur tra je t vers le centre. Il n ’y
a v a it aucune raison particulière d ’engorgem ent du centre. Le che­
m in de fer en traîn a la création de gares au centre des grandes
villes. Le centre des grandes villes est form é du réseau des rues les
plus étroites. D ans ces rues étroites, on je tte des foules. On dira :
portons les gares en périphérie. La sta tistiq u e répond : non, les
affaires exigeant q u ’à 9 heures du m atin des centaines de milliers
de voyageurs d é b a rq u e n t en un in sta n t au centre m êm e de la
ville où sont les affaires. La sta tistiq u e m ontre que les affaires sont
au centre. Elle exige q u ’on crée au centre des avenues très larges.
Donc, il faut démolir le centre. P o u r se sauver, la grande ville doit
refaire son centre.

L E S A F F A I R E S E X I G E N T L A P L U S G R A N D E R A P I D I T É D E C IR C U L A T IO N

L ’autom obile a fait les affaires e t les affaires développent


l ’autom obile, sans lim ite prévisible. A to u t in sta n t le rap p o rt de
M. M assard d it : L a vitesse ? Elle résume le progrès même de notre

ELA RG ISSEM EN T PROGRESSIF DES R IO

XïV tfV XVI XVII XVUI XIX XY J lE O iE S

F ig. 10. — La zo n e p o in tillé e M m o n tre ce q u ’a u r a it d û ê tre le d é v e lo p p e m e n t


d u sy stèm e d es ru e s . M a lh e u re u s e m e n t n o u s so m m es lo in de c o m p te . De là la crise.

Kig. 11. — Le xx* siècle m a rq u e u n e r u p tu re v io len te d ’u n é ta t sé c u la ire e t la d ire c tio n


d e l à c o u rb e laisse s u p p o s e r l ’a v è n e m e n t d ’u n é ta t d e choses a b s o lu m e n t im p ré v u .
108 U R B A N ISM E

société moderne e t cette opinion est celle qui a dirigé les d ébats du
Congrès in tern atio n al de la route à Séville en 1923.
A Paris, la surface circulante (des voitures) est plus grande
que la surface circulable (des chaussées) (M assard). Voici un gra­
phique (fig. 10) m o n tra n t l’é ta t actuel des surfaces des rues et
celui des surfaces circulantes (voitures). Où v o n t les autom obiles?
Au centre. Il n ’y a pas de surface circulable au centre.
Il fa u t en créer. Il fa u t dém olir le centre.
E n tê te de chapitre (fig. 1) se trouve le tab leau d ’accroisse­
m ent de la circulation des véhicules autom obiles au cours de ces
vingt-trois dernières années. Il m anque les années 1923 e t 1924 de
beaucoup plus fortes que 1921 et 1922. L ’autom obilism e est un
événem ent nouveau de conséquences im m enses pour la grande ville.
La ville n ’y é ta it pas préparée, l’em bouteillem ent est si com plet,
q u ’à New-York, les hom m es d ’affaires laissent leur v oiture en
périphérie e t e m p ru n ten t le m étro pour arriv er à leur bureau.
P aradoxe saisissant!
E t voici, pour 1912-1921 (fig. 12), la courbe d ’accroissem ent
de la production autom obile a u x E tats-U nis. Diagonale im pé­
rieuse allan t se redressant toujours davantage.

y'
iaooo.ooo
12000.000
11.000.0CO
10505. 560
10.000.000
9.000000
8.OOO.OGO
7.000000
aooo.ooo
5000.000 y
V000.000 /
3000.000 y
2000.000 ■¿*7a/

1000.000
tfoo.oc 0

19/2 (3 /3 /9 /¥ /9 /5 / s / e J 9 /7 /9 /8 1 9/3 /9 2 0 / 9 2 ! /922\ /923

----------- A u g m e n tatio n a n n u e lle d e la c irc u la tio n Ce g ra p h iq u e m o n tre l'e n re g istre m e n t d e v o itu re s


in d iq u é e , p o u r les in d u strie s a u to m o b ile s, p a r des a u to m o b ile s, d a n s les E ta ts-U n is, de 4912 à 1921.
chiffres p u b lié s e n fé v rie r 1922. Ces chiffres ne so n t p a s v a la b le s a n té rie u re m e n t
----------T en dan ce p ro b a b le in d iq u é e p o u r 4923. & 1942.

F ig . 12. — (R ap p o rt M assart).

Voici d ’ailleurs des chiffres qui dém o n tren t la m arée m on­


ta n te . (M anquent 1923 et 1924, qui ont marqué le réveil de l’activité
économique.) (Fig. 13.)
STA T IST IQ U E 109

C arrefour C ham ps - C arrefo u r


C arrefour
R ivoli- D rouot
E ly sées- R ovale- T O T A U X
Sébastopol Ch.deMarly S t-H o n o ré

1908 33.993 57 .4 0 9 4 5 .7 1 0 69 .2 2 8 20 6 .3 4 0
d u 3-9 F é v r .

1910 37 .5 2 8 60.711 7 1 .2 3 7 7 3 .1 7 8 2 42.654


d u 18-24 A v ril

1912 42.081 51 .2 8 9 81.437 85.557 2 60.964


13 M ai-19 M ai

1914 62.703 56.174 88.707 8.3.410 29 0 .1 0 2


27 A v r. - 3 M ai

1919
19-25 F é v . 34 .4 3 6 44.772 66 .4 4 0 65.081 21 0 .7 2 9
26 M ai-4 J u in 40 .3 5 5 54.764 114.368 8 4 .4 0 8 2 93.895

1920 48.805 60 .9 7 8 90.143 82.944 28 2 .8 7 0


3-4 N ov.

1921 50.702 65 .9 7 0 100.656 8 1 .1 7 4 29 8 .3 0 2


30 M ai-5 J u in

1922 48.641 65.107 104.862 88.351 306.961


15 au 21 M ars

F ig . 13. — C o m p tag es effectués p a r les se rv ices de c o n tr ô le de la c irc u la tio n


à la D ire c tio n de la P o lic e d e P a ris.
P assage d e s v o itu re s à d iv e rs c a rre fo u rs.

Le centre de la grande ville est le fond d ’un entonnoir où se


précipite la circulation de to u tes les rues. La carte des T ransports
en Com m un de P aris accuse des tra its serrés e t m ultiples au
centre, lignes de tram w ays et d ’autobus (fig. 14). Sur ce graphique
doivent venir s’ajouter, a u x mêm es endroits critiques, les masses
noires rep résen tan t la circulation autom obile. Au-dessous, dans
le sous-sol, les m étros déchargent des millions de voyageurs
chaque jour.
110 UR B A N ISM E

T o u t ce m écanism e est agencé en faveur de la vitesse. Or, dans


l’é ta t actuel des rues, un graphique dénonciateur donne la preuve
que la vitesse adm issible pour les voitures des villes contem po­
raines est de 16 kilom ètres à l ’heure!!! Les usines (industries natio ­
nales) livrent des lu ttes acharnées pour passer à des vitesses de
100 à 200 kilom ètres; l’é ta t de la ville im pérativem ent crie :
« 16 kilom ètres, Messieurs. » (Fig. 15.)
Car la form e de la rue n ’est pas adaptée. Nos rues d a te n t en
grand nom bre encore du x v ie ou du x v n e siècle. Q u’on se souvienne
q u ’au milieu du x v ie siècle circulaient dans P aris deux voitures :
le carrosse de la R eine e t celui de la princesse Diane. L a rue du
x i x e- x x e siècle est une rue à circulation hippom obile.
Où que l’on regarde, c’est la congestion, l’étouffem ent.
Où sto p p en t les milliers de voitures de la ville m oderne?
Au long des tro tto irs, em bouteillant la circulation; la circulation
tu e la circulation; l’hom m e d ’affaires new -yorkais abandonne sa
voiture en banlieue ! ! Il fau d ra it créer des parcs de garage publics
vastes, abrités, pour p arq u er les voitures au x heures de travail.
Voici en 1906 u n e p r o p o s itio n d e H é n a rd p o u r c a r r e fo u r à g ir a tio n . Son d essin n e fait
é ta t q u e d e v o itu re s à c h e v a u x ; pas u n e a u to ! V oici d eu x ca rte s p o sta le s m o n tra n t
q u ’en 1909, il n ’y a p re s q u e pas d ’au to s. In d ic e s sa isissa n ts d ’u n e é v o lu tio n accélérée.
112 U R B A N ISM E

F ig . 15. — La c o u rb e N m o n tre le p o in t m a x im u m d e d é b it e t do v ite ss e (1.775 v o itu re s


à 16 k m . à l ’h e u re ). Si la v o itu re fait 100 km à l'h e u r e , la r u e n e d é b ite r a q u e
500 v o itu re s à l ’h e u re . C ette c o u rb e est é ta b lie s u r le p rin c ip e q u e c h a q u e v o itu re
d o it a v o ir le c h a m p n é c e s sa ire p o u r p o u v o ir s to p p e r s u r ses fre in s à n 'im p o r te
q u e lle a le rte . Si l ’o n c o n s titu a it a u -d e ssu s d es r u e s e s s e n tie lle s d e la v ille , d es a u to -
d ro m e s sans in te rs e c tio n s fré q u e n te s , N s e ra it re m p la c é , p a r S, c’est-à -d ire u n d é b it
d ’a u ta n t p lu s f o rt q u e la v itesse e s t p lu s g ra n d e .

Les rues actuelles s’y refusent. La rue-corridor ne p e u t plus sub­


sister et pour mille raisons. Il fa u t créer un a u tre ty p e de rue.
Com m ent déterm iner ce ty p e de rue? Si l’on éta b lit la sta tis­
tiq u e des lieux de passage des poids lourds (cam ionnages) on con­
n a îtra le lit de ces fleuves massifs et lents.
Faire aussi la sta tistiq u e des frais d ’établissem ent des égouts,
des canalisations d ’eau, de gaz, d ’électricité, de téléphone, d ’air
com prim é, de pneum atiques, etc. Celle des frais d ’entretien an­
nuels de ces organes dans les secteurs les plus m enaçants de la
ville !
Puis enfin celle des frais de creusage et déblais qui furent, sont
ou doivent être exécutés pour la construction des im m eubles dans
l’étendue de ces secteurs.
Ceci fait, réfléchir une m inute e t se m ettre bien dans la tête
que l’im m ense surface de Paris a été creusée de 4 m ètres pour
STA T IST IQ U E 113
enfouir des locaux dans la terre hum ide e t insalubre, ab sorbant
des somm es folles, e n te rra n t un cube form idable de bâtisse quasi
inutilisable? Conclure en affirm ant q u ’il est to ta le m e n t inutile
a u jo u rd ’hui de fouiller sous une m aison, des p o teau x de cim ent
suffisant à en assurer la fondation. Conclure que la rue n ’est plus
le plancher des vaches, m ais une machine à circuler, un appareil
circulatoire, un organe nouveau, une construction en soi e t d ’une
im portance décisive, une espèce d ’usine en longueur; q u ’il lui fa u t
un ou deux étages e t q u ’on po u rrait, sur un simple appel du bon
sens, se m e ttre à réaliser les villes-pilotis, solution ingénue, exé­
cutable quand on voudra (1). L a statistiq u e, à coups répétés,
répondra oui.
Ceci n ’est q u ’un exemple.
*
* *

Voici enfin d ’au tres statistiq u es à faire (qui sont faites peut-
être) et qui nous ap p o rte ra ien t ce p o in t d ’appui q u ’il fa u t pour
soulever le m onde... officiel :
« D ’un coup de pied, Pégase fil sortir de la montagne de l’Héli-
con la fontaine de l’Hippocrène où les poètes, dit-on, allaient puiser
l’inspiration. »
P our concevoir la véritable rue m oderne :
1. Quel est, a u x heures d ’encom brem ent, le chiffre des voya­
geurs de banlieue dégorgés p ar chaque gare?
2. S uivant quelle accélération se p ro d u it l ’agonie des arbres
au long des rues actuelles, dans l’atm osphère du gaz d ’essence ou
de pétrole e t d ’huile brûlée et dans la rad iatio n calorifique consti­
tu ée p ar les vallonnem ents resserrés des m aisons e t des rues
dans leur rap p o rt actuel déplorable?
3. Quelle est la courbe d ’excitation du systèm e nerveux d ’un
citadin soumis au cours des dix dernières années au phénom ène
de la grande ville? Idem , son systèm e respiratoire?
P o u r décongestionner la ville e t lui conquérir une im m ense
surface accessible dans les m eilleures conditions d ’hygiène :
1. Quel est l’accroissem ent des superficies de terrasses cons­
tru ite s dans le pays, sur tous im m eubles, terrasses étanches et
accessibles? Car les éternels « em pêcheurs » v erraien t alors exister
et (résister) cette m éthode qui n ’est que l’expression du bon sens

(1) V oir l’E sp rit nouveau, n° 4, 1920 : les V illes-P ilotis e t Vers une
Architecture, chez Crès, 1923.
114 U R B A N ISM E

u tilisa n t le progrès; e t l’urbanism e p o u rra it étendre ses tracés


AU T O IT de la ville, en récupérant une p a rt de cette surface
accessible e t y tra ç a n t un ordre nouveau de rues de repos, loin du
b ru it e t au milieu des verdures.
P o u r fournir a u x réalisateurs de dem ain les m oyens financiers
utiles :
1. Quelle est la valorisation du sol d ’une ville :
a) Lorsque les affaires s’im p lan te n t dans un q u a rtier en
ch assan t l’h a b ita tio n bourgeoise?
b) Lorsque des pâtés d ’im m eubles v étustes sont démolis et
que de nouvelles avenues larges y sont percées?
E tc., etc...
*
* *

La sta tistiq u e m ontre le passé e t esquisse l’avenir; elle fournit


des chiffres e t donne le sens des courbes.
P a r ailleurs des événem ents nouveaux (le x ix e siècle avec les
chemins de fer, la tra c tio n autom obile, les com m unications télé­
graphiques e t téléphoniques, etc.) p e rtu rb e n t to ta le m e n t le cours
régulier des choses.
Si A = voies anciennes,
Si B = chiffre de la population ancienne avec circulation
(personnes e t m archandises), hygiène, é ta t m oral, etc.,
Si A l = voies nouvelles,
Si B1 = population nouvelle, circulation (personnes e t m ar­
chandises), hygiène, é ta t m oral, etc.,
L ’équation est :
A : B = A l : B l.
A e t B étaien t proportionnés l’un à l’autre.
A l n ’a p ratiq u em en t pas modifié A, donc
A = A l.
B l est devenu énorme.
L ’équation devient absurde : A : B = A : B l.
Elle p e u t se sym boliser ainsi :

Le p ro d u it des m oyens et des extrêm es donne :


S T A T IS T IQ U E 115

C’est absurde.
La grande ville m oderne dans son é ta t actuel est une absur­
dité.

*
* *

Mais, au fait, elle use e t conduit lentem ent à l’usure des mil­
lions d ’êtres hum ains; e t le pays qui est derrière tom bera en lé­
thargie.
La sta tistiq u e est im placable.
« J ’ai 29 ans, suis très sérieux, m ais sans relations. Désire ren­
contrer en vue mariage jeune amie, sim ple employée m ais vraim ent
bien. Grandes qualités de cœur. Écrire J . Raym ond..... »
A d ieu x d é c h ira n ts d ’u n p è re d e fa m ille q u i s 'a p p rê te à tr a v e rs e r le c a rre fo u r
d e la g a re d e l’Est.
Le Journal.
(Dessin de Capy.)

COUPURES UE JOURNAUX
J e ne lis q u ’un journal p ar jour, et encore!
Les dépêches dessinent la courbe enregistrée par l’appareil
sismologique du m onde, les « faits-divers » m artèle n t quotidienne­
m ent le dram e qui se passe p a rto u t e t à notre p o rte ; des flam ­
bées de science, d ’histoire; l’économique, la politique.
Depuis un an on v oit s’inscrire à l’ordre du jour la question
de Y Urbanisme. H angar, dépôt, abri des « laissés pour com pte »
de graves questions : natalité, équilibre social, organisation indus­
120 U R B A N ISM E

trielle e t comm erciale, alcoolisme, crim inalité, m oralité spéciale


de la grande ville, civisme, etc. Urbi et Orbi, dedans et dehors de la
ville, voilà la parole (et elle est vieille!) qui m arque la présence
om nipotente de la ville : rien sans la ville. E n fa it l’urbanism e est
l’expressif p ro d u it du pacte d ’association qui a to u jo u rs condi­
tio n n é l’existence possible des hom mes.
D epuis un an (1) on v o it l’urbanism e s’insérer de plus en
plus dans les colonnes serrées des journaux.
J ’ai recueilli, au hasard des découvertes, ces coupures de jour­
n a u x que je donne ici dans un ordre som m aire; la plus m odeste
ligne tém oigne aussi expressém ent e t expressivem ent que les grands
articles titré s. Le jo u rn al donne la tem p ératu re. L a tem p ératu re
de la ville est à la fièvre.

*
* *

E t l’urbanism e ne sera b ien tô t plus un vague « laissé pour


com pte ». L ’urbanism e sera l’une des plus b rû lan tes questions
mises en instance. On n ’échappera pas, sous peu, a u x questions
brûlantes que pose journellem ent l’urbanism e.

LA C IR C U LA TIO N

APPREN ON S A CIRCULER
LES VO ITU R ES AU PLAFON D
L'U RB AN ISM E
POUR ÉVITER LA CONGESTION
LA M U LTIP LIC ATIO N DES AGENTS
UN C H E V AL ARRÊTE M ILLE C H EVAU X VAPEUR

C inquante ans de m achinism e nous o n t donné la tractio n a u to ­


m obile. La vitesse a augm enté dans la proportion de un à tre n te.
Les usines livrent des voitu res; chacun v e u t avoir sa voiture pour
faire vite, car il fa u t faire vite.
La rue de q u a ra n te ou q u a tre cents siècles antérieurs sub­
siste, m ais elle n ’a plus de signification pour nous.
La ville est em bouteillée; la presse p orte la rum eur grandis­
sante de nos pro testatio n s — de nos difficultés aussi.

( l) 1923.
■Eaufcpo.i com-
m issio m ro o n e décidé, M ïnnaininité. de ne

Apprenons pas im poser de vitesse m axim um aux véhi­


cules.
f>. cu3 d;encom nrcm ent, ne serait-?! prçs

àjîirculer souhaitable d'étab lir u n ordre de p rio rité


p o u r'fa ire avancer les voilures : fl’a&ord fe’s
tran sp o rts en commun, puis -les voilures
publiques, ensuite les véhicules p riv te ,e n .-
«lin les voitures à bras ? Le com ité p a ra it
ON VA CREER UN CODE BE U RUE ( adopter cette classification ; m ais ¿era-
J t-elle réalisable dans la p ratiq u e ?
Le com ité p erm anent consultatif de la. I V stationnem ent. — Il est .établi que
circulation dans. P aris s’est réuni hier, sous ! dans les rues de moins de neuf m êtrss, deux
la présidence de M. Naudin, p ré fe t de po­ i voitures ne doivent pas stationner J'un« en
lice. 11 s’agissait d 'étudier la mise en appli­ j face de l'au tre : m ais il arrive que. lors-
cation, dans la capitale, des prescriptions ! qu'un agent veut verbdiiier if ne p e u l j a -
générales imposées p a r le code de la ”oute.
Le com ité a été appelé à se prononcer sur I Comme conclusion, le coir.it« a ôèr.vit clC*-
divers points : créer une sous-com m ission chargée d'éla­
1° Lim ita i ion de la- vitesse. b orer un règlem ent clair et précis qui cons­
titu era le nouveau code de !a rtn». — L. B.

•1*3

LE PR O B L È M E D E LA CIRCU LA TIO N

Il n’o a que la multiplication


des agents, aux places et
carrefours encombres, qui
puisse faciliter le passage
continuel des masses d’assaut
taites d’autos de tous genres
et de toutes forces.
(Interview de M. Gulctiard, de ce jour)
! * %' 'C o m b i e n
d 'ag e n ts affec­ n ’est-ce pas, des véhicules qui viennent du
tez-vous au service de la circulation ? dehors à P aris ou qui y circulent régulière­
— Tous ! M ais, à tour de rôle. A ujour­ m ent ?
d’hui, tous nos ag ents possèdent le bâton — Je p o u rrais vous donner des colonnes
qui n ’est plu s blanc. Chaque jour, de une de chiffres. M ais n ’en prenez qu’un. Il est
heure à sept heures, nou s'o ccu p o n s 4.000 explicite. P lace de la Concorde, à h a u te u r
hom m es environ à faire circuler «’ans des Chevaux de M arly, il passait, en tre
P aris. Et, vous fe voyez, ça ne perm et tro is heures et sept heures du soir, au
guère d ’a ller plus vite ! Le poste, aux ca r­ m ois de m ai :
refours et aux croisem ents est très fati­ E n 1908, 3.000 autos et 3.000 attelages
guant, et dangereux. Nous avons eu des divers, soit 6.500 véhicules.
ag en ts tu és et beaucoup de blessés. Eh En 1912, il en p assait 11.090, dont 8.000
bien, nous avons, à certain s endroits très autom obiles.
encom brés, des spécialistes qui font cinq En 1922. il passe 14.000 autos, 860 auto­
h eu res de service sans relève. C’est une bus et 1.500 au tre s véhicules. Mais, notez-
le bien, en 1922 les cam ions et les voitures
m ission trè s délicate que celle-là et je crois de livraison sont in terd its aux Champs-
cependant q u ’il n ’y a que p a r la m u ltip li­ Elysées e t ne sont donc pas com pris dans
cation des ag en ts aux places ou d an s les le total. Les chiffres parlent-ils ?
ru es encom brées que nous p o u rro n s faci­ — E t a u carrefo u r de l ’O péra ?
lite r le p assage continuel des m asses pro­ — On n ’a ja m a is pu éta b lir un compte
fondes d’assa u t, faites d’au to s de tous gen­ sérieux.
res et de to utes forces e t aussi de civils Allez-y voir, un jour, vous com prendrez
alla n t d a n s tous les seiis. pourquoi. — A. d e Gobart.
— Le nom bre augm ente chaque tour,
122 U R B A N ISM E

prétdxte quelconque, vingt mètres carres


des « grands » boulevards ou des petites rues

* Poor éviter * voisines.


Les gens de bien, que leurs affaires ou

la congestion
;cwrs plaisirs amèneraient en automobile de
la périphérie au centre, descendraient gen­
timent de voiture à l’entrée du quadrila­
tère et en seraient quittes pour achever leur
trajet en autobus, en métro ou de préférence
Pour se promener à P aris, une femme à p ied . En cultivant leurs muscles, ils apai­
a-t-elle besoin de se réserver vingt mètres seraient leurs nerfs; et au bénéfice de la
carrés de la chaussée ? Faites attention à marche s ’ajouterait la joie trop rare de pou­
ce que vous allez répondre, car, si vous voir atteindre leur but sans encombrement
répondez bien, le problème de la circula­ et sans encombre. Bien entendu, tout autour
tion est résolu. du quadrilatère, des stationnements seraient
M aintenant, prenez ua ciayon efr le plan organisés de manière à leur perm ettre de
de Paris : tracez une ligne de la Concorde retrouver aisém ent leur voiture. E t je n’ai
au C h âtelet, une autre du C hâtelet à la gare pas encore dit tout ce que l'hygiène y gagne­
d e l ’E st, une troisième de la gare de l ’Est rait, car je n’ai parlé que des jam bes. Ô ar-
à Saint-A ugustin, une quatrièm e de Saint- dons-nous d ’oublier les poumons Les P ari­
A ugustin à la C oncorde. V ous obtenez ainsi siens ne sont-ils pas empoisonnés par les va­
un quadrilatère où se trouve à peu près loca­ peurs m éphitiques des voitures à pétrole ?
lisé tout le m al, (du moins tant que l'E x p o si­ R egardez les arbreç dey C ham ps-Elysées : ils
tion des arts dits décoratifvpe l’aura pas ag­ n y résistent plus. Peu ou prou, comme eux,
gravé). E h bien ! rien ne sera la it tant q u ’on nous sommes tous gazés. Q uel bénéfice pour
n'aura pas interdit aux voitures des par­ la santé publique si dans les quartiers du
ticuliers Vaccès de ce quadrilatère. T o u t centre on pouvait réduire au minimum ces
le reste, sens unique, manuel de piétons, exhalaisons m alfaisantes!
signaux électriques, agents à bicyclette, à M ais c 'e st trop beau, trop simple, trop
cheval ou à cham eau, tout cela n ’aura guère hardi Combien faudra-t-il d ’années et d ’ac­
plus d 'e ff e t sur la circulation qu'un em ­ cidents pour convaincre les intéressés ju ’il
p lâ tre sur un bâton de sergent de ville. n y a pas d'autre solution ?
Ç a n’em pêchera pas, sans doute, d e re­
courir à quelques mesures complémentaires,
comme celle-ci, par exem ple : n’admettre
que le matin les camions et les voitures de
livraison dans la zone congestionnée. M ais
ce n’est là q u ’un gros d étail. L ’essentiel G u s ta v e T éry.
est de ne pas souffrir qu'un particulier, quel
que soit son sexe, puisse accaparer, sous un

Cette photographie montre qu’un cheval tirant


un coche suffit à
arrêter mille che-
vaux-vapeur et à
embouteiller la cir­
( h ù o î o M l r a n .) culation parisienne
ABONNEM ENTS
15 C entim e* T R
I es* I arto I ta

L’INT
«S S. «t*0. n j è M j tó.j
Franc* et Get u . » »4 Uj
Ctrmrveo.» .. U. » <ÎJ C>
ftLlTCipm
G u ten b erg 7 4 *7 »
G u ten b erg 7 4 *7 3
O x a te n b e rg 7* -7 a
G u ten b erg 7 4 -7 4
O u teaberg 7 4 -7 5
9*Il CMtr*9<•«iihwücstiei14T7
U Jo u rn a l d* P a ria

un temps énorme ; prenons vingt minu­


CIRCULER tes par jour, car elles y passent plusieurs
fois, c’est près de 200.000 heures quoti­
diennement perdues ou da 60 millions

Les voitures par an. Et souvont ceux dont la voiturt


se trouve arrêtée comptent parm
les chefs d’entreprise, parmi les hom
mes dont !ü travail procure aux autres
au plafond nommes du travail. La perte qui peut
résulter, pour l’ensemble du pavs, de
cet encombrement absurde est de l’ordre
Le problème de !e. circulation dans de grandeur ce plusieurs centaines de
Paris est un des exemples les plus nets millions annuellement' l Aviez-vous pen­
de la timidité d'esprit et de l’impuis­ sé à céla ?
sance d’action dont nous souffrons pour Et en présence d’un problème de cette
tout ce qui touche à l’organisation des rnportance, alors que tout fait prévoir
services publics, et dont les républicains une augmentation de la crise, on se
rénovateurs veulent radicalement gué­ borne à des lamentations ou à des sou­
rir notre pays. rires, parfois à cette suggestion hardie :
Passants,et véhicules marchent et rou­ < Mettons quelques agents de plus ». ou
tent de plus en plus serrés dans le centre bien, au contraire : « Rétablissons les
de la capitale ; l'afflux augmente tous leux sens de circulation dans la rue
les jours ; c’est devenu la thèse quoti­ Auber. »
dienne ce lamentations pour les journa­ '•'<3
V-/ O 0
ÎS
listes et les hommes d'affaires, pour les
Parisiens et les banlieusiens, et de tout Elevez donc vos esprits, mes chers
ce concert de gémissements ne parait concitoyens, è la hauteur des besoins de
sortir aucune idée pratique, aucune for­ la vie moderne. Vous êtes en présence
mule de réalisation. d’une ¡¡frosse difficulté. Voyez la en face,’
Pensez-vous qu’environ cinq cent et dites-vous bien que vous n’en sorti­
mille personnes passent aux heures rez pas sans uneffort considérable.
d’affluence dans le Paris encom­
bre ? Pensez-vous que les embarras de PROBUS
la circulation leur font perdre à chacune


odJ.OÔÎ).et on annonce que ce chiffre sera aou-
t]U y a trop de voitures blé dans cinq ans. Mais les rues auront-ellçs ^iseuf
augm enté de superficie ? Non, sans doute. f atre
Toute la question est l’a- oups
et pas assez de rues Pour l’instant, on ne peut que so contenter
d’am éliorer la circulation en obtenant le maxi­
ooucb
s’être
mum de rendem ent des systèm es adoptas et & mené,
appliquer le plus strictem ent possible les rè­ k son
On a distribué hier à l’H 'tel de Ville le rap ­ a br*
port de M. Emile M àssard. su r les travaux au glements. Cet
congrès de la roule, à Sévil le, et sur les dif­ Mais cela sera insuffisant. En présence de I agiq
férents movens d'am éliorer la circulation. l’énorme et continuel développement du « voi- Vuntr
turism e », il faut songer à créer des voles nou­ «île i
*?jes concïusions* du rapport sont à ret'.nlr : velles pour les machines nouvelles.
déjà en 1910. M. M&ss&rd avait pu écrire : C’est la question des routes qui sa pose «t i la
• A Paris, la surface circulante (des voitures) ■a fe»
celle aussi ces passages sous les rues pour voi­ ICUX
est plus grande que ta surface circulaire (de* tures. Les rouies nouvelles pourront être sou­
cnaussûes). » Donc, déjà à cette époque, si tou« retti
terraines ou aériennes dans les villes. De toute Des .t
les véhicules étaient sortis sim ultaném ent. Us façon, il faudra qu'on les construise.
n'auraient pu se mouvoir. Or, en 1910, il y avait fu t f
— ------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------ coihi>
M.000 autos en France ; aujourd'hui. il y ea a
124 UR B A N ISM E

toi
LES HEURES NOUVELLES ch»
Orv
cel

L’urbanisme A
4
Le préfet de police v ien t do p re n d re n n e M
in itia tiv e q ui m a rq u e u n e s p rit n o u v eau que)
et q u ’on n e s a u r a it assez en co u rag er. Il les
d em an d e a u Conseil g é n é ra l de la Seine te s ’
E
t de d écid er q u e les tra m w a y s de P a r is d its sou.
« de p é n é tra tio n » cesseraien t désorm ais voix
.à d ’ê tro des tra m w a y s d ’encom brem eat ; et, voii
tels
s, p a r exem ple, les deux lignes q ui p a rc o u ­ a»ei2
>n re n t les ru e s R é a u m u r et d u Q uatre-Sep­ E
tem bre, ren o n ceraien t déso rm ais à pousser troi:.
te le u r tête de ligne ju sq u ’à l ’O péra. l'on
îe C’est u n fa it que le problèm e de la circu ­ que
V U fl,
te latio n d a n s P a ria appelle des so lu tio n s ra ­ que
16 d icales e t m êm e, si l'o n veut, radicales- e le
tx socialistes. Il fa u t ce sse r de co n sid érer l ’in ­
)U té rê t de tel groupa d ’h a b ita n ts de l a T ille
li­ ou de la b an lieu e p o u r c o u r ir a u s e c o u rs
ti, do l’in té rê t pu b lic si g ra v e m e n t m enacé.
i© L’accroissem ent d u nom bre d es v é h ic u la
Q- est m ath é m a tiq u e ; e t p erso n n e n e pense
s’en p la in d re , puisque celui-ci e s t slgD3 de
its p ro sp érité et d’in d ép en d an ce p o u r îs s pe­ P
tite s classes appelées de p lu s en p lu s à en
PÛC
¿n- profiter. rió,
0€. A insi le to rre n t des v o itu re s se gonS e qa1
de s a n s cesse ; m a is le lit de ce to rre n t n ’est c’¿í
p a s a g ra n d i : on c o u rt des I o t s à la c a ta s ­ L
<*he
.0 i trophe ch a
n 1 C om m ent ia c o n ju re r ? E n ré g la n t le s’a r
nés c o u rs des v o itu res c irc u la n te s, d 'ab o rd . E n­ Ceii
au*
îni- su ite «n r e tir a n t de l a c ircu latio n les voi­ C ia
tu re s non in dispensables. H ot

t
L E O N B A ÎJ.B Y
<u%L.

*
* *

LES ACCID EN TS

Une coupure suffît. Le m êm e thèm e chaque jo u r égrène


m onotonie. La presse chaque jour nous avise laconiquem ent
m orts et des blessures.
LES ACCIDENTS DE LA RUE« (
Un assez g rav e ac cid en t a o u v ert, h ie r, la sé­
rie h ab itu elle des m é faits im p u tab les à la cir­
culation. B oulevard V oltaire, un ta x i co n d u it
p a r le ch a u ffe u r Je a n G uilhem , d em eu ran t à As-
nfères, a happti au p assag e e t p ro je té s u r le sol
M me Joséphine C ardine, -g é c do soixante-Kjuin-
ae ans, d e m e u ra n t 18, cltc F o p in co u rt, et d eu x
e n fan ts, Jean , douze an s, et G eorgette Zussv,
h u it ans, qui se tro u v a ien t s u r le bord d u tr o t­
toir. M m e C ardine, le crân e fra c tu ré , a été
tra n sp o rté e à l’h ô p ita l Saint-A ntoine, Q u an t aux
en fan ts, sim p lem en t contusionnés, ils lu r e n t re­
co n d u its chez le u rs p a re n ts , 26, ru e de la Folie*
M ericourt.
— Collision d 'a u to s r u e M onlorgucil : in sta l­
lée d an s lô taxi tam ponné, M me A ndrée P etit,
âgée d e tre n te -h u it ans, d em e u ra n t 12, ru e de
Savoie, e s t fo rte m en t contusionnée.
— E t voici la longue liste des piéton s m is à
m al p a r les c h a u ffe u rs : M. B oucher, tre n te et
u n a n s, 38, r u e d u Rocher, ren v ersé ru e d u Scn-
: tie r ; Mme M arie L efebvre, cin q u an te ans, G, ru e
A rsêne-H oussaye, -tam ponnée avenue W a g ra m :
clav icu le fra c tu ré e ; Mlle A nna C arquet, v in g t-
trois an s, caissière, ru e d u O herthe-M idi, vio­
lem m en t h e u rtée ru e de Rennes ; Mlle P ro se r­
pine R afale so ix an te-d ix -h u it ans. ru e de Ren­
nes, lé g èrem e n t blessée p a r un taxi ru e d 4
V a u g irard ; M. P ie rre C hcbervillc. v in g t an s,
11C, ru e Dam rém ont, ren v ersé ru e M arcad et p a r
u n m otocycliste q u i a p ris l a fu ite ; M. Alexis
C henu, soixante-quatorze ans, 4, c o u r Debille,
p ro je té à te rre p a r u n e auto fa u b o u rg Saint-
A ntoine.
Enfin, place Saint-M ichel, o'est u n g arço n li­
v re u r, R obert S orthivir, quinze ans, d em e u ra n t
ii R ueil, q u i s 'e n g ag e a veo un ï r l - p o r t e u r . su r
la voie d u tra m w ay et qui se fa it s e rre r en tre
d e u x v o itu res qui se croisent. L a ja m b e d roite
fra c tu ré e , il a été tra n sp o rté ù l’H ôtel-Dieu.
to r y - A A — ....................... -
N O U V T?T T ^ ~ ---

—Comment voulez-vous queje


li E PIÉTON FAUTIF lui flanque une contravention? Il
œ aaçu elaparU eoùsen tsesp ap iers!
Le Jo u rn a l, 16 d é c e m b re 1924.
126 U R B A N ISM E

LA R U E
UN C O U P DE PIOCH E

Poèm e d ’Edgar Poe ? Non. Un coup de pioche c a ta stro p h iq u e


d an s cette chaussée m illénaire qui ne rim e plus à rien. La rue est
une m achine à circuler; c ’est une usine d o n t l’outillage doit réa­
liser la circulation. La rue m oderne est un organe neuf. Il fa u t créer
des ty p es de rues qui soient équipées comme est équipée une usine.
A tten tio n ! si l’on envisage le problèm e m oderne de la rue et
q u ’on énonce la solution, les villes trem b lero n t sur leurs fondations,
e t l ’ère de l’urbanism e s’ouvrira, ère des grands tra v a u x , ère de
grandeur.
câbles de telle façon q u 'u n co u rt-circu it,

LA PANNE D'£LECTRICll£ cales


ne puisse av o ir q u e des conséquences lo­

M F ranccschiui. d ire c te u r des trav au x ,


serait a répondu eh co n lirm a u t que la cause de
l'accident était bien un coup de pioche
donné p a r inadvertance s u r un câble de
d ’après l’adm inistration conduite. Les conséquences ont été telle»
que p lu sieu rs m illiers de plom bs ont é té
sur le point de cesser Tondus endom m ageant a u ta n t d 'ap p a reils
compteur.-’. . . . . . . „ . . . . . . .
pour iLv coût1 7>Ey>iocHt:
M. A drien Oudin, conseiller m unicipal da
la C hausséc-d'A ntin, a dem andé h ie r à
l'ad m in istratio n d e. nouvelles ex plications Depuis trois jours
su r la p anne d électricité qui, depuis p lu ­
sie u rs jo u rs, p riv e de lu m ière el de force
m otrice, une p a rtie des 8', !>', 17' e t i 8 ' a r ­
deux arrondissements
rondissem ents
M. Oudin a précisé que cet accident a
manquent de lumière
des conséquences d ésastreu ses ca r 00.000 ...et ils resteront enoore sept Jour»
abonnés o n t été atte in ts. Des com m erçants dans l'obscurité
o n t dû s'é c la ire r p ar des m oyens de for-' Le te rra s sie r m a la d ro it qui, lu n d i ru e
tune, des in d u striels ont chômé, des salles ue Roiue, a tra n c h é d 'u n coup de pioche
de speclacle ont ferm é leurs po rtes ;ce q u i m alen co n treu x un câble de d istrib u tio n
est plus grave encore, des m édecins qui d électricité — nous l’avons d it — a cau sé
p ra tiq u e n t l'é le c tro - un accident d o n t les conséquences so n t
th é ra p ie e t les c h j- beaucoup p lu s g rav es qu'on ne le su p p o ­
ru rg ie n s d entistes ne sa it a u début.
p eu v en t donner des L a Société de d istrib u tio n d'électricité
soins à leu rs clien ts; nous 1 a a p p ris ce m atin.
I hôpital Bretonrt'eau Non seu lem en t la p an n e prive d'électri-
est p riv é de son s e r­ cite le h u itièm e et le dix-septièm e arron*
vice de radiogra­ discernent depuis trois jo u rs, m ais encore,
phie. etc. On cortl- on le s a it, le co u rt-circu it a occasionné des
prerul que la p o p u - oeg ats m atériels considérables, voire des
1 a l i o n s'in q u iète, accidents de personne.
p o u r l'avenir, d 'u n
pareil é ta t de cho­ ' X " li '(É rectio n des hôp itau x , où n o u s
ses. II est inadm issi­ avons dem andé s’il y a v a it de n o u v e a u s
ble q u 'u n seul coup accidents à déplorer." on n o u s a dit q u ’en
de pioche s u r un câ ­ deh o rs de ceux d é jà co n n u s on n ’en av ait
ble puisse p riv e r de pas signalé. T a n t m ieux. S o u h aito n s que
lu m iè re GO.UOO p é r­ le (i coup de pioche » a it borné là ses mé»
faits e t so u h aito n s au ssi que cet é tra n g e
il. A uhien O u d in sonnes. retard- ap p o rté à des r é p a ra tio n s si ur*
(Püoto il. Minime.) ' ^ ^ r i e n Oudin gente9 ne se prolonge p a s d av an tag e...-
d e m a n d e s il ne s e r a i t F. E. M.
p a s pos sib le de r é o r g a n i s e r le s e r v i c e des
//t
COUPURES DE JO U R N A U X 127
M. M assard, président de la deuxièm e Commission du Conseil
m unicipal de Paris, fonde to u te s recherches sur le facteur vitesse
qui doit être sauvegardé. Une telle profession de foi est un program m e.
U n tel program m e est une profession de foi.

I R é g le m e n te r la C ircu latio n des p iéto n s


L E S D E R N IE R E S CA R T O U C H E S s u r las chaussées.
I P re n d re com m e b ase, p o u r l ’e s tim a tio n
de la v itesse d ’u n "véhicule, la d ista n c e p a r­
Les transformations co u ru e e n tre le m o m e n t où le signal d ’a r­
r ê t e s t d o n n é e t l ’a r r ê t effectué.

nécessaires \ O n / a c o n s tn ù t des ch em in s d e f e r; il
fa u d ra c o n stru ire d e nouv eau x ch em in s d e
dans la circulation ttiT e , ch em in s affectés sp é c ia le m e n t au x

parisienne.
nouvegyx sy stè m e s d e locom otion.

L e s ru e s n e p e u v e n t ê tre élargies. A lo « i*
'Alors, on d o it ch erch er la p la c e e n h a u t
M. EMILE MASSARD ou e n bas. E n p résen c e d ’u n accro issem en t
Président de La deuxième comm\t*wn form idable, e n p résen c e d e s d ifficu ltés d e
du Comeil Municipal circu latio n ch aq u e jo u r croissantes, d e s
m esu res ra d ic a le s s ’im p o sen t. 11 f a u t e m ­
LES RÉSUMÉ ICI ployer u n re m è d e d ’acier : ouvrir, r é p é ­
POUR LES LECTEURS DE “ L’AUTO ’ tons-le, d e s p assag es so u te rra in s p o u r les
v o itu re s, aux carrefours encom brés.
Il f a u t envisager au ssi l'id é e d ’une voie
J e ra le n tiss e m e n t ? Il f a u d ra it ê tr e logique, en tu n n e l sous les boulevards e t réserv ée
l i a vitessé a a u g m e n té d e 1 à 400 e n aux véhicules. C e tte voie s e ra it p e u t-ê tre
so ix a n te a n s : c 'e s t l ’é lé m e n t prim o rd ial p in s utile, é t a n t d o n n é q u e le s a u to b u s y
d u P rogrès. G a g n e r d u te m p s, c ’e s t g a g n e r p asse ra ie n t, q u e le m é tro projeté.
d e l ’arg en t. H o rs d e c e tte solution, p o in t de salut..
E t m a in te n a n t, com m e ra p p o rte u r des
q u estio n s de la C ircu latio n au p rès de la
P ré fe c tu re d e P o lice e t d u Conseil M u n i­
cip al, je crois avoir tiré m e s dem ièreS'C ar-
¿ ’/ h z z r
to u ch es,
Em ile MASSARD,
C o n ttilltr m unicipal (p r iiid e n t <U
to f cpmwtitioT})

On a vu d isparaître presque to ta le m e n t les chevaux à Paris.


Mais l’au to est encore considérée comme une preuve m anifeste
de luxe. Voici une coupure de journal qui d it ce que devient le
cam ion dans la vie urbaine. Alors ? Alors il fa u t concevoir des rues
qui tie n n e n t com pte du camion.
L ’AÜTO N ’EST PAS UN Lü X E
C’EST un INSTRUMENT de TRAVAIL
N o u s a v o n s d é jà d i t q u ’il y a a u x E ta ts -
U n is u n e a u lo p o u r 8 h a b i ta n t s c o n tr e u n e
p o u r 100 ch e z n o u s.
P o u r ta n t , là -b a s, to u t le m o n d e n ’e s t p a s
r ic h e , m a is to u t le m o n d e c o n s id è re l'a u to
co m m e u n in s tr u m e n t d e tr a v a il.
A u x E ta ts -U n is :
500.000
appartiennent
à des
agriculteur*

900.000
appartiennent
à des maisons
de commerce

150.000
appartiennent
à des docteurs

110.000
sont
des taxis

90.000
sont
des autobus

Ces 7.350.000 a u to s , q u i s o n t u n iq u e m e n t
d es in s tr u m e n ts do tr a v a il , r e p r é s e n te n t la
m o itié d es v o itu re s .
L ’a u t r e m o itié s e r t t a n t ô t aux; a ffa ire s ,
t a n tô t à la p ro m e n a d e : d a n s la p r o p o r tio n
de fiO 0 /0 a u x a ffa ire s , p o u r a l le r <iu b u r e a u
ou à l ’u s in e , e t de 40 0 /0 à la p ro m e n a d e .

CO NSÉQU ENCES
LES A RB RES M EURENT
LE D R A M E D E S LO Y E R S
P A R IS - F L i R T
L E J O U R N A L « P E U P L E » S ’IN Q U IÈ T E

Conséquence objective : les arbres m eurent! E t les h a b ita n ts


de la ville?
COUPURES DE JO U R N A U X 129
De Paris-Flirt, journal pour rigoler, sourd l’angoisse étrei­
g n a n t dans la solitude les m illions d ’êtres qui s’ignorent e t dont
beaucoup, sortis du grouillem ent de l’usine, du bureau, du m étro,
de la rue, sont seuls, seuls, désespérém ent seuls e t désem parés.
Le journal Peuple, lui, s’inquiète d ’un urbanism e qui p o u rrait
donner des bonheurs restrein ts m ais suffisants pour apaiser la
colère des m iséreux.
Menace physique, trouble m oral de la ville géante.
3L *.JM»,*41 R

c h o :
ON O IT QUE.«
jfc. « Si la circulatioD actuelle co n tin u ait
Si vous n'êtes capable que tfe bruits de séance,
encore p en d an t cing an s d an s le Bois,
faites vous sténographier : c'est toujours ça.-
cette prcm enada d eviendrait un désert », a
déclaré M. F orestier, en d e m a n d a n t.q u ’on
ferme, pendant la nuit, les portes du Bois.
Il a raison. Il faut que les arb res aient
un peu de repos. On a fait des expériences
avec de jeu n es arbree et elles ont dém ontré
Le drame des loyers
Des milliers et des milliers de ci­
que, si la poussière s’am assait au pied des toyens, accoutumés au foyer, devien­
jeunes pousses, celles-ci desséchaient et pé­ nent, malgré leur travail, des parias
rissaien t... sans feu ni lieu. Ils gagnent- pourtant,
Voyez ce qui se passe su r les Boulevards 51s possèdent. Leur instinct cherche
où, jadis, l'om bre était si dense, et, où l ’équilibre, la stabilité, tous les avan­
m ain ten an t, orm es et platanes sont rachi- tages ordinaires -du domicile. C’est la loi
tiques. qui les précipite dans le désordre des
Ç’est une question extrêm em ent im por­ masses flottantes. La moralité publique
tan tes. ne l’oublions pas. et dont dépend les perd sans retour. La tentation de la
noji seulem ent la beauté, m ais la santé de tue, les appels du cabaret conspirent à
P aris. M. F o restier donne l’alarm e en pro­ les détourner. Interrogez les Parquets,
tég ean t le Boia de son mieux. Puisse-t-il ils vous diront les inconvénients d’une
être entendu I crise qui prélève ce pourcentage ef­
frayant sur les réguliers ».
¿-< ■
M O R O -G 1A F F E K R I,
avocat à la C o u r, d é p u té
130 U R B A N ISM E

A propos d’une visite


à la Cité des Lilas
J a m a is la réactio n n ’a tro u v é u n <• te r­
ra in » p lu s fa v o ra b le à la co n so lid atio n (V
la s e rv itu d e so ciale el économ ique. L ’ilh:-
sion de !a p ro p rié té in d iv id u e lle m u ltip lie
los e sc la v e s et les acc u le à la p lu s lam en-
itaM e e x iste n c e de 'f a ria s . Des •m illions
éco n o m isés s u r le n é c e s sa ire , s 'e n g o u ffre n t
dan«« les poches des flib u slie rs du k>lis
•sr-ment à te m p é ra m e n t. La te rre d e v ie n t
u n e a ffa ire de sp éc u la tio n , de b e a u x ao-
m a in e s so n t p u lv é risé s, m a is n u lle p a r t
no s ’in d iq u e u n e v ra ie politiqui€i d ’u rb a ­
n ism e .
La so ciété b o u rg e o ise se d é b a r ra s s e du
lourd p oids crue fa isail p e s e r s u r elle le
p ro b lè m e 'lu loi^rm pnt, en c ré a n t l’i'llusion
de la tra n q u illité chez d es g e n s q ui, le u r
vie d u ra n t, n ’a u ro n t n i confort, ni p aix ,
c a r ils n ’a u r o n t ja m a is u n fo y er d ig n e du
tra v a ille u r.

IN IT IA T IV E S

Quand on veut, on peut. Ma m ère s’efforçait de m e faire ad­


m ettre ce fo rt précepte.

BALAYURES
H E U R E S D ’ÉT É
R É G IO N S L I B É R É E S

P reuves; optim ism e : quand on v eu t, on peut.


Vouloir quoi? R épondre en essayant de form uler le problèm e
de l’urbanism e.
K ? ~ rfZ 4 -
Æ m v G. Q . G. DU N E T T O IE M E N T

P o u r q u e le centce des chaussées so it


lialayé a u m oins u n e fois p a r jo u r, 263 e n ­
gins" autom obiles, p arq u é s d a n s le u rs 13
M ais la « collecta »» n ’e s t rien, si on la g a rag es, s ’élan cen t, chaque m a tin , et a c ­
co m p are a u n etto iem en t des 10 m illions de com plissent fu rieu sem en t le u r corvée d*
m ètre* c a rré s de ch au ssées e t des 9 m il- b alay ag e s u r le pavé de p ie rre , de lavage,
si;ivi (¿u n cao u tch o u tag e d u p avé de b'.is
I lions de m ètres c a rré s de tro tto irs. e t d 'a rro sa g e à g ra n d e eftu.
Ces 263 v o itu re s font, q u otidiennem ent,
un vovage de 10.000 kilom ètres, ce qui, a u
b o u t île q u a tre jo u rs, le u r fa it accom plir
le to u r du m onde.

G r â c e à l’h e u re d ’été
Marseille, 11 juillet (de notre corr. pari.). —
Dans 354 jard in ets de 200 mètûes carrés cha­
118 MILLIARDS
cun, donnés dan 3 la banlieue m arseillaise à
des fam illes ouvrières, seront récoltés environ
consacrés par la France au relèvement
îi50.000 kiiogs de légumes cette *ûnée — c$ qui
représente u n rap p o rt de 700 Iranes p a r Jar­ des régions dévastées
din qui en coûte a peine 50.
Et leur culture p a r lesJU45 personnes (¿ont -- -VWX'-- -
1.454 enfants) auxquelles ils sont attribués re ­
présente près de 80.000 Journées de travail Maisons reconstruites ; terres cultivées
passées en plein air les dim anches et le soir Sur 22,900 u sin e s d é tru ite s ou endom ­
après la sortie de l’atelier — grftce à l’heure m agées. plus 8e 20,000 so n t actuellem ent
d'été. — P. C. exploitées. S ur 3,306.000 h eclares de te rre s
bouleversée*, p rè s de 3 m illions d’hectares
so n t re m is en é ta t- s u r 333 m illions de
m ètres cubes de tranchées, plus de 280
m illions de m è tre s eubes so n t com blés;
eur 375 m illions de m ètres ca rré s do (ils
de fer barbelés,plus de 291 m illions de m è­
tres ca rré s sont, enlevée; s u r 4,809 k ilo ­
m è tre s de voies fe rré e s à re c o n stru ire ,
4,495 k ilom ètres sont re sta u ré s ; s u r
T ' i L993 m aisons d é tru ite s, p ulvérisées ou
g rav em en t endom m agées^ 598.000 m ai; ins
sont rép arées Du reco n stru ites. Enfin la
v ie économ ion» re n a ît dans nos dix d é p a r­
tem en ts dévastés, p u isq u 'en 1923 il a pu
ê tre m is en reco u v rem en t dans ces régions
3 m illia rd s de francs d’impfils.
V oilà ce qui a été effectué ju s q u 'à ce
Jo u r I Voilà, p o u r rép o n d re à certain es ca ­
lom nies, l'em ploi qui a été fa it des m il­
liard s que nous avons avancés à l'A llem a­
gne d éfaillan te; p o u r re le v e r nos ruines.
Ce qui reste à faire
U, T'puAutaJ.—
132 U R B A N ISM E

UN PROGRAM M E

T o u t est là : un program m e.
Il y a des program m es : fragm entaires ou d ’ensem ble. Que ceux
qui discernent des solutions te n te n t de form uler un program m e!
Les événem ents se précipitent. U ne époque neuve est en tra in de
rem placer une époque finie, m orte. Des program m es élaborés par
des gens neufs! L ’époque avance en ces décades, vertigineusem ent;
les program m es sont toujours tro p courts, jam ais assez divinateurs.
Que des program m es soient soumis, ils ne seront jam ais trop.
D ans un nom bre d ’années restreint, l’urbanism e au ra mis en jeu
de tels in té rêts q u ’une p a rt im p o rtan te de l’activ ité technique et
industrielle s’y consacrera.

LES CONSEILLERS IMPRÉVOYANTS

i
Le Grand Paris - — —
| £ U n plan d ’extension dort S
dans les carton» administratif*,
4 il faudra bien le réveiller 4

Ce se rn le d ra n d Pari». On y tie n d r a ,
sans plan rationnel peut-être, putequ'ili)
s'obstine g n'en point avoir. M ais on y
viendra parce au 'o n ne peut pats faire a u ­
trem ent. Et ce lour-lù il fau d ru bien so rtir
le Brojet a d m in istratif du ftrand P a ris, le­
quel som nole d an s les CaHofts de la p ré ­
fecture. M ais on conçoit très bien qu e\le
Conseil m unicipal d è P a r is atten d e ette
heur« saïlB Im patience. C ar son règne a b ­
solu, au to crate et in certain sera bien près
d ê finir. — H m h i S I M o n i

l /*** '&*- ^ 3

*
* *

La presse, chaque jour davantage, insère dans ses colonnes


serrées l'urbanisme, cette chose d ’ordre sur quoi s’organise notre
existence.
— - «
— Je veux qu’en France chaque habitant ait son auto.
— Ce sera le moyen d'empêcher quechatfue auto n ’en
arrive à avoir ea tête d'habitant. cD esstD ue l . k e i i k .»

Le J o u r n a l, 2 o c to b re 1823.
Voilà ce qui donne à nos rêves de la hardiesse: ils peuvent être
réalisés.
Le Barrage. P la n et élé v a tio n d es d is tr ib u te u rs de b é to n . L’a p p a re illa g e s’é te n d s u r 375 m .
d e lo n g e t s u r 125 m . de h a u te u r . On v o it les p y lô n e s é lé v a te u rs d u b é to n e t les
c o u lo tte s-to b o g g a n s d e d is tr ib u tio n su sp e n d u e s a u sy stèm e de câbles.

10

NOS MOYENS
« Les an n ales d e l’h u m a n ité ne
m e n tio n n e n t a u cu n d u e l d e n atio n s
au ssi g ig a n te sq u e q u e la g u e r re
fra n c o -p ru ss ie n n e ; a u c u n e p é rio d e
de l ’h is to ir e n ’est aussi féc o n d e en
é v é n e m e n ts sa isissan ts e t g ra n d io se s,
e n tassés e n q u e lq u e s m o is .» (In tro ­
d u c tio n à u n e H isto ire p o p u la ire de
la g u e r re d e 1870-71.)
... V oilà ce q u ’on p e n s a it en 1871!

P our stim uler des ardeurs craintives, pour enhardir des forces
en expectative, pour les lancer à l’assaut des com prom is e t des
stagnations dém ocratiques, il est nécessaire de m o n trer clairs les
m oyens dont les labeurs antérieurs nous o n t dotés.
138 U R B A N ISM E

Il fa u t m ontrer que d ev an t le phénom ène collectif déb o rd an t


de la grande ville, nos initiatives, nos forces, nos m oyens, ne sont
plus individuels comme jadis, e t p ar là lim ités e t inefficaces, m ais
q u ’ils procèdent de cette fusion intense de to u tes les énergies, née
du progrès to u t neuf qui a forgé notre siècle; que ces initiatives,
ces forces, ces m oyens sont une espèce de colossale pyram ide d ont
les assises successives sont faites des individus groupés, ram assés,
enrégim entés p a r le m ouvem ent a u jo u rd ’hui universel de l’idée.
Il fa u t m o n tre r cet événem ent récent de solidarité inter-hum aine,
inter-nationale, inter-continentale. Au x x e siècle, la pensée est
solidaire en tous points du m onde; un acte n ’est plus issu de la
seule puissance d ’un hom m e; un acte, une action, une entreprise,
so n t une mise en œ uvre de m oyens universels; ceux-ci résu lten t
du tra v a il innom brable de tous. C ollaboration auth en tiq u e. Un
hom m e est to u t p e tit e t sa pensée p e u t être m édiocre; m ais il
dispose de l ’outillage du m onde.
Ce progrès — récent — s’enfle chaque jo u r; l’heure de la
science a sonné (elle n ’a v a it pas sonné ju sq u ’ici, a v a n t le m achi­
nisme). Que savons-nous de dem ain, sinon que nous verrons des
transform ations au jo u rd ’hui im prévisibles, nous qui sommes déjà
essoufflés p ar ce dém arrage rapide de vingt ans. Nos pères, nos grands-
père, o n t eu une a u tre existence e t un a u tre m ilieu. N otre existence
actuelle est anorm ale, est déséquilibrée e t n otre m ilieu antagoniste
est insupportable. Nous disposons désorm ais de la collaboration uni­
verselle pour réaliser ce que l’esp rit conçoit p our une d a te proche,
échéance irrécusable. Un exem ple entre mille va l’expliquer.

C’est un im m ense barrage en construction dans les Alpes.


Problèm e technique sim ple : de la patience e t de l’exactitu d e pour
relever les niveaux de la vallée e t de ses versants. U ne m ultipli­
cation pour cuber l’eau du lac artificiel qui sera créé. U n peu de
règle à calcul pour résoudre quelques form ules relativ em en t simples.
On conclut : il fa u t élever un barrage de t a n t de m ètres de long,
t a n t de m ètres de h a u t; il au ra telle épaisseur à la base, telle au
som m et, la poussée sur le barrage é ta n t de ta n t. Un esp rit m oyen
p e u t faire le to u r de ces calculs : étape insignifiante.
Mais les chiffres so n t écrasants, le cube de béton q u ’il fa u t
couler là est colossal. Le barrage se tro u v e à 2.500 m ètres d ’a lti­
tu d e, à la lim ite des neiges éternelles. C ette vallée est au b o u t
du m onde, loin de to u tes gares e t de to u t chem in ; au to u r, des
Le B a rrag e.
140 U R B A N ISM E

précipices e t des m urailles de rochers b a rre n t la route. L a neige


fa it chaque hiver un m atelas de 20 m ètres d ’épaisseur à l’en­
d ro it rétréci où se dressera le barrage et elle chassera les ouvriers
au b o u t du cinquièm e m ois; les tem pêtes sont celles de ces hautes
altitudes.
P as un être hum ain dans ces parages, pas une cabane, sauf
celle du Club alpin qui héberge en été les alpinistes. P as d ’appro­
visionnem ent, pas de ravitaillem ent, pas de bois pour chauffer
R ien.
Voilà les conditions dans lesquelles le m iracle va s’opérer.

... Un pharaon e m p lo y a 3.0 0 0 hom m es pour tirer, d e là carrière


au tem ple, un m onolithe; 2.000 bateliers av a ie n t été occupés pen­
d a n t trois ans pour tra n sp o rte r une chapelle de g ran it taillée dans
un bloc. Im agine-t-on les cris, les fouets, le supplice de ces tro u ­
p eaux hum ains, la cohue innom m able, b arbare, scandaleuse?

On débouche dans la h a u te vallée p ar un col a b ru p t. M usique :


un ronron doux. Le ronron de galets bien graissés qui roulent sur
u n câble d ’acier. T oute l’affaire est là : un téléferrage, un double
câble d ’acier qui, sur des kilom ètres, suspendu à 10 m ètres au-
dessus des rochers e t des herbages, à des pylônes, accom plit sa
besogne de 5 heures du m atin à 5 heures du soir. T oute la vallée
ronronne doucem ent. A l’extrém ité, au pied d ’un glacier, une
drague râcle dans l’alluvion et arrache les cailloux ronds qui feront
le béton, après q u ’ils a u ro n t passé là-bas dans cette h a u te sapine
où so n t les broyeurs, les tap is roulants, les laveurs, les trieu rs et
les chargeurs m écaniques à débit continu qui expédient entre ciel
e t terre, au long du câble, cet énorm e tonnage de gravillon réd u it
à une grosseur unique e t à une qualité utile. L ’une après l’autre,
tous les 50 m ètres, les bennes a rriv e n t to u t là-haut, à 100 m ètres
au-dessus des tra v a u x du barrage, dans le b â tim e n t des bétonnières
e t s ’y déversent au to m atiq u em en t. V enant de l’opposé, de la
vallée aval, où un funiculaire chute de 800 m ètres dans une a u tre
vallée, vers ce tte gare de h a u te m ontagne q u ’un p e tit chem in de
fer agile e t tê tu relie à tra v e rs cent passages scabreux e t v e rti­
gineux à la grande vallée d ’en bas qui est à 2.000 m ètres plus bas
que le barrage, les bennes porteuses défilent a p p o rta n t un sac de
cim ent chaque fois que deux ou trois bennes de gravier sont pas­
sées. Un réglage des com m andes, e t ces deux télép o rteu rs tr a ­
NOS M O Y EN S 141
vaillent, l’un v e n a n t du glacier, l ’a u tre de la lointaine vallée, bien
plus exactem ent que les deux m ains d ’un hom m e. E t chaque jour,
1.200.000 kilos de m atières exactem ent dosées ont coulé doucem ent
dans les bétonnières disposées en b a tte rie de m élange. L à-haut,
donc, silotage, dosage, m élange, m ouillage rigoureusem ent exacts,
m alaxage; le béton coule à gros jets dans des cuves qui, d ’une
ascension brusque, sont portées au h a u t des pylônes surplom bant
le barrage. Le béton basculé au to m atiq u em en t s’écoule dans les
coulottes. Ces coulottes! Qu’on s’im agine suspendu, dans l’azur du
ciel, un réseau de câbles fo rm an t en tra v e rs de la vallée comme des
ponts suspendus; ces coulottes, qui sont en réalité des toboggans,
descendent en pente réglée du h a u t des airs, vers le bas du barrage
et là, enfin, là, voilà des hom m es qui tra v a ille n t. Ils a ttra p e n t, par
le mors, la gueule de ces serpents gigantesques e t guident le flot
ro u lan t de béton là où il fa u t; le béton ainsi p e n d a n t des heures, —
e t trois étés, — coule e t coulera sans arrêt.
Le ronron doux est p a rto u t dans la m ontagne; on se réveille
le m atin à 5 heures dans la cabane du Club alpin; on ten d
l ’oreille à cette m usique m élodieuse, e t l’on en a un sentim ent de
bien-être, de sécurité, de règle. D ’hom m es, nulle p a rt, sauf la ving­
ta in e du barrage. Ici e t là, vers les m achines, des m anœ uvres
graissent, astiq u en t, des m écaniciens surveillent. Il y a aussi to u t
un contingent de nettoyeurs. Mais oui! to u t là-h au t, en plein ciel,
spectacle vertigineux, un ouvrier descend dans l ’une des coulottes,
n e tto y a n t. A utre vertige : à bâbord du barrage, dix hom m es se
fo n t trav erser sur trib o rd ; du ciel une plate-form e est descendue ;
au ciel elle rem onte avec cette grappe d ’hom m es deb o u t; puis to u t
en h a u t, elle a roulé le long du câble e t la voilà qui redescend à
l’a u tre ex trém ité du barrage. On est au pied de l’ouvrage; on v o it
les pylônes rouges de m inium , les câbles qui luisent blancs; les
Alpes dom inent. C’est bête, m ais on songe à la Tétralogie, aux
G éants construisant le W alhall (je vous dem ande p ard o n !); les
dieux sont sur terre e t m an œ u v ren t une m an e tte dans la salle des
m achines; l’orgue ronfle doucem ent sur to u t le paysage sauvage;
des tro u p eau x de vaches e t de chèvres ra b o te n t les ultim es gazons
rares; splendeur m u ette des hautes cimes.
On se d it : l’hom m e est g ran d ; il a tta q u e les cieux! on parle
français à la T our de Babel e t les tra v a u x m archent. V éritable­
m en t on est ému, subjugué. C’est beau!
142 U R B A N ISM E

Voici la leçon du barrage :


Au pied du barrage est cette espèce de cam pem ent du F a r
W est, •— les b araquem ents im peccables, standardisés, confortables,
propres comme des hôpitaux, où m angent e t dorm ent les ouvriers
du barrage.
L à est aussi le long b araq u em en t où se tie n t le com m andem ent
du barrage. On m onte au baraq u em en t où sont les grands capi­
taines : trois m essieurs bien norm aux, aussi terre à terre que vous
e t m oi; bien pis, ils se to rd e n t à l’idée de 1’ « esprit nouveau ». Nous
les glorifions, eux, dans leur œ uvre : « Mais non, protestent-ils, il
nous suffit de faire nos 600 m ètres cubes p a r jo u r »; nous leur
avouons n o tre ém oi; ça ne rend pas. Nous leur disons : « Que c’est
beau! » Ils nous p ren n e n t pour des imbéciles. Des poètes! On est
horriblem ent déçu.
« U n te l chantier, disons-nous, est la prém isse grandiose de
tem p s proches. Q uand les villes seront construites avec de tels
m oyens... Lorsque les grands tra v a u x de P aris com m enceront,
à quelle œ uvre de g ran d eu r ne peut-on rê v e r? ... etc. » — « Paris,
centre de P aris, grands tra v a u x , m ais vous voulez donc to u t sac­
cager? E t la beauté, M essieurs? le passé, M essieurs? » (Au dehors,
p a r les fenêtres, on v o it dans le ciel le W alhall d ’acier.) Une telle
organisation, disons-nous, révèle la force d ’une époque neuve e t
ouvre à nos y eu x des horizons éblouissants... « Ah, vous trouvez,
La journée de h u it heures, les dancings, les ciném as p a rto u t, les
jeunes filles qui n ’o n t plus de v e rtu !... »
E t l’on retom be du ciel, les ailes brisées. On est véritab lem en t
assommé.
** *

Mais non, voici enfin la leçon du barrage :


a) Une règle à calcul. La règle à calcul résout les équations
de l ’univers; la physique de l ’univers est la base des œ uvres hu­
m aines.
b) Un surveillant m éticuleux : se lever à 5 heures, presser
sur la m an e tte de la halle a u x m achines; le ronron com m ence;
contrôler le graissage de to u t ce qui roule e t to u rn e; passer les
com m andes au fur e t à m esure de la consom m ation.
c) U n com pilateur, a u tre m e n t d it un m arm iton ; pour faire
un barrage, il fa u t des locom otives de m ontagne e t des wagons,
des téléferrages, des pylônes, un systèm e de distrib u tio n du béton,
des bétonnières, une drague. C om m ander ces appareils.
Le grand capitaine du barrage, coïncidence to u te fortuite, est
NOS MOYENS 143
un en trep ren eu r que nous avons connu, il y a v in g t ans, dans
un p e tit village où il fa is a it des p etites m aisons. Mais nous avions
alors rem arqué que ses é ta ts de situations étaien t étonnam m ent
précis, que ses chantiers to u t p e tits éta ien t exactem ent appro­
visionnés. Cet hom m e est un de ces hom m es— très rares •— qui con­
trô le n t toujours, avec rigueur, précision, le dim anche, la semaine,
e t qui jam ais n ’o n t une défaillance. U n contrôleur-né. C’est parce
que jam ais il n ’a eu de défaillance, q u ’il est devenu, v in g t ans après,
le g rand capitaine du barrage.
Donc : la n a tu re est m ultiform e, féconde, illim itée, m ais
l’hom m e en tire des lois sim ples e t il en fa it des équations simples.
Le tra v a il hum ain doit s’accom plir dans l’ordre, e t l’ordre seul
p erm et les grands tra v a u x . Il n ’est pas besoin de grands hom m es
p our faire de grands tra v a u x . Il a fallu des grands hom m es ici et
là, pour tro u v e r les équations de la n ature.
Mais voici encore la leçon du barrage :
P o u r faire un barrage, il fa u t... (voir ci-dessus c).
Exam inons de près cette im m ense puissance m écanique qui
trav aille ici.
C’est le rendez-vous in tern atio n al de tous les inventeurs. Sur
les bobines des câbles il est écrit « F rance »; sur les locom otives
« Leipzig »; sur les pylônes e t les coulottes « U. S. A. »; su r les m a­
chines électriques « Suisse »; e t ainsi de suite. Il y a des pièces
m inuscules, grosses comm e deux noix, e t qui servent à faire la
su tu re de deux câbles; dans la fonte on lit « U. S. A. ».
Réfléchissons, le m iracle s’explique : l’univers collabore aujour­
d ’hui. L orsqu’une chose, fût-elle p e tite com m e une vis, comme un
crochet, est une trouvaille ingénieuse, elle supplante to u t, elle
envahit, elle triom phe. P a rto u t! P as d ’océans, pas de frontières,
pas de langues, pas d ’usages locaux : elle existe. M ultipliez le phé­
nom ène, vous conclurez : to u t ce qui est du progrès, c ’est-à-dire
de l ’outillage hum ain, s’additionne comm e une valeur positive,
s’inscrit au to ta l. Le progrès m onte. La science nous a donné la
m achine. La m achine nous donne une puissance illim itée. Nous
pouvons, à n otre to u r, faire des m iracles naturels.
N ous avons dans les m ains l’outillage qui est la somme des
acquis hum ains.
E t avec cet outillage, lequel est quelque chose de subitem ent
surgi, de subitem ent gigantesque, nous pouvons faire des choses
grandes.
Voilà la leçon du barrage.
N ew -Y ork : u n e ch au ssée q u i a cin q étag es d e voies fe rré e s e t de g a re s (6* A venue).
D ans le tu n n e l in f é rie u r la g ra n d e lig n e « P e n sy lv a n ia -R a ilro a d ».

L o n d re s : 2 g ares à c ro ise m e n t so u te rra in e s .


(E x tra it d e « d e r S ta d teb au », D octeur W . Ile g e m a n n ).
P a ris. T rav au x d u M étropolitain, 1907.

Il reste à faire des grandes choses. E t là les dieux du


W alhall neuf ne sont plus que m atière b ru te in ap te à nous ém ou­
voir durablem ent.
Il s’agit alors d ’âm e; de quelque chose qui tie n t à n otre cœ ur
qui n ’est plus in tern atio n al e t innom brable, m ais qui est individuel

C aissons m é ta lliq u e s d e v a n t ê tre e n fo u is d a n s les te r ra in s vaseux e n b o r d u re de la S e in e


146 U R B A N ISM E

e t ne s’additionne p as; c ’est quelque chose qui est dans un homme


e t cette puissance m eu rt avec lui. Puissance de synthèse généreuse.
Il s’agit d ’art alors.

Ces hom m es du barrage so n t des unités banales, comme


vous e t moi, spécialisées dans des lim ites trè s étroites.
Le barrage est grandiose.
C’est que, si les hom m es sont p etits e t étriqués, l’hom m e a
en lui la puissance du grand.
L a difficulté n ’est plus vertigineuse, elle se subdivise indéfi­
nim ent, elle se série; les séries s’a d a p te n t a u x individus; la dif­
ficulté reste à la m esure de nos épaules.
Les hom m es p euvent être m esquins.
L ’e n tité hom m e est grande.
Le barrage est grand.
Voilà ce qui donne à nos rêves de la hardiesse : ils peuvent être
réalisés.

**

Voici un roi, grand u rb an iste dans l’histoire, Louis X IV . P aris


n ’est alors q u ’une fourm ilière, fille d ’un désordre fatal.

P a ris, place V endôm e.


Le l o t i s s e m e n t d e la place V e n d ô m e .

T o u t y est ruelles, étriquem ent, façon « Trois M ousquetaires ».


R êver de b eau té dans ce fouillis, de b eau té architecturale ! Il fallait,
pour rêver ainsi, plus de tém érité que n ’en req u iert le m om ent
actuel où précisém ent nous avons hérité de ce qui va être décrit
Ne disons pas avec sarcasm e, que to u t é ta it possible à l’hom m e
p o te n ta t. Nos M inistères e t D épartem ents com pétents ne sont-ils
pas p o te n ta ts en dro it (si, p ar suite d ’une certaine lassitude, ils
n ’a rriv en t pas à l’être en fait)? N on, il fallait avoir une idée, y
songer, la faire claire.
Il édicta : la place Vendôm e est p e tite e t sans faste. Ses b â ti­
m ents v o n t être démolis et les m atériau x serviront à la recons­
tru ctio n de la nouvelle place Vendôme. Voici le plan, telle q u ’elle
va être construite sur le dessin de M ansart. La façade de la place
sera faite aux frais du R oy. Les terrain s derrière les façades sont à
vendre au gré des acheteurs.
Les acheteurs a cq u iren t qui deux fenêtres de façade, qui dix
fenêtres. Les b âtim en ts des hôtels privés s’éten d iren t en profon­
deur.
La place Vendôm e est devenue l’un des plus purs trésors du
patrim oine universel (1).

(1) L a confusion des idées e st g rande. L ’u n des chefs de nos destinées


u rb ain es s’éc ria it : « V ous tro u v e z cela m alin, l’affaire de la p lace V endôm e?
C hacun ta ille à sa guise derrière la façade. C’e s t fau x , im m oral, c’est la
n ég a tio n de l’a rc h ite c tu re . C hacun d o it av o ir sa façade. C’e st u n e q uestion
de bienséance, etc. »
O n reto m b e d ans la ville d u m oyen âge. L a g ran d e brèche o u v erte p a r
L ouis X IV , élargie p a r N apoléon (rue de R ivoli), se referm e...
148 U R B A N ISM E

Vf», Ç r a n iu /nttt4

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r*f. J ’K t/J rt* i ! /• **•

« On faict à scavoir que les places contenues dans l’enclos de l’Hotel de


Vendôme et héritage au dehors en dépendances, et dans l’ancien couvent des
Capucines de la m e N euve Saint-H onoré marqué de jaune sur ce plan, sont
à vendre. Ceux qui voudront acquérir celles qui aboutiront à la Grande Place
deviendront propriétaires incontestables des Arcades que Sa M ajesté fa it
bastir et pourront en acheter autant de front qu’ils le désireront pourvu qu’ils
n ’en demandent pas moins de deux arcades. Les acquéreurs tant du terrain
autour de la dicte Grande Place que de celui qui aboutira dans les rues
voisines ne seront tenus de payer aucuns droits pour raison de la dite acquisi­
tion, que les droits seigneuriaux dus aux seigneurs dont ils relèvent, le tout
suivant l’arrest du Conseil d ’É tat du 2 M ay 1686 dont ils trouveront les copies
à l’hotel où ils pourront s’adresser. »

** *

Avoir une idée, une conception, un programme ! Voilà ce q u ’il


faut.
Les m oyens?
N ’avons-nous pas de m oyens?
NOS M OYENS 149

Louis X IV se servit de pelles, de pioches; la b ro u ette venait


seulem ent d ’être inventée p a r Pascal.
L ’organisation financière, qui tru s te les peuples e t sa it m êm e
les conduire au x guerres abom inables, n ’est-elle pas a u jo u rd ’hui à
son apogée? La p e tite organisation de la place Vendôm e p ar
Louis X IV est une chose m inuscule, e t p o u rta n t la place est encore
debout pour notre fierté e t notre joie!
Voici un roi, dernier grand u rbaniste dans l ’histoire, Louis X IV .
P aris n ’est alors q u ’une fourm ilière, fille d ’un désordre fatal. T o u t
y est ruelles, étriquem ent. R êver de b eau té dans ce fouillis, de
b eau té arch itectu rale ? Il fallait avoir une idée, y songer, la faire
claire.
Nos M inistères e t D épartem ents com pétents ne sont-ils pas
p o te n ta ts de dro it ?
La disgrâce q u ’on encourait autrefois p o u v ait conduire à la
Bastille. A u jo u rd ’hui, la re tra ite est pleine de m énagem ents, de
sollicitude, et de déférence. Il n ’est plus m êm e périlleux d ’avoir
des idées.

A voir une idée, une conception, un programme. Voilà ce q u ’il


fa u t.
Les m oyens ?
N ’avons-nous pas de m oyens?
Le baron H aussm ann fit dans Paris les plus larges trouées,
les saignées les plus effrontées. Il sem blait que P aris ne sa u ra it
sup p o rter la chirurgie d ’H aussm ann.
Or, Paris, ne vit-elle pas a u jo u rd ’hui de ce que fit cet hom m e
tém éraire e t courageux?
Ses m oyens? La pelle, la pioche, le charroi, la truelle, la
bro u ette, ces arm es puériles de tous les peuples... ju sq u ’au m achi­
nism e neuf.
C’est v raim en t adm irable ce que su t faire H aussm ann. E t,
en d é tru isa n t le chaos, il rem onta les finances de l’E m pereur!
... Les Cham bres alors, en des assem blées houleuses, apostro­
ph aien t cet hom m e in q u iétan t. E t un jour, a u x bornes de l’effroi,
elles l’accusèrent d ’avoir créé, en plein centre de Paris, un désert!
le boulevard Sébastopol (celui si congestionné que depuis un an
on y a to u t essayé : le b â to n blanc de l ’agent, le sifflet, les agents
à cheval, la signalisation électrique, optique e t sonore!) Voilà la
vie!
Les m o y en s d ’H aussm ann.
L'Illu stré. L a M u r a ille d e C h in e , 3.000 k m . d e lo n g .

Le “Père il» Métra" resoit


la Médaille fl^or ûe M ille ûe Paris
La m unicipalité parisienne a fêlé h ie r M.
B ienvenue, inspecteur général des tra v au x ,
q u ’on a appelé le « P è re du M étro C ’est lui
qui, en effet, a conçu les plans et d ii^ g é ^ e s
tra v a u x du chem in de fer so u terr^ w rtïe P a flV
dont la lo n g u e u r atteindra b ie n tft 140 k ilo m è j

Le Conseil -municipal a décidé de lui, décer­


n er Une m édaille d’hon n eu r feu cours d’une pe-

M. B ienv *
•'•nnle qui a
É tats-U n is. P ro je t p o u r douze
h ô te ls e t six m ille c h a m b re s .
C en t q u a tre -v in g t-d ix é ta g e s .

P la te -fo rm e de relai d ’av io n e n p le in O céan.

P o n t d e P é ro lle s
à F r ib o u r g , 1921.
5 v o û te s d e 56 m .
de p o r té e e t de
70 m . d e h a u t.
DEUXIÈME PARTIE

TRAVAIL DE LABORATOIRE
UNE ÉTUDE THÉORIQUE
I l faut une ligne de conduite. I l faut des principes fondamentaux
d’urbanism e moderne.
I l faut arriver, en construisant un édifice théorique rigoureux,
à formuler des principes fondamentaux d ’urbanisme moderne.
UNE VILLE CONTEMPORAINE

J ’ai dressé, p ar le m oyen de l’analyse technique e t de la syn­


thèse architecturale, le plan d ’une ville contem poraine de trois
millions d ’h ab itan ts. Ce tra v a il fu t exposé en novem bre 1922 au
Salon d ’A utom ne à P aris. Une certaine stu p eu r l’accueillit; la
surprise conduisit les uns à la colère, les au tres à l’enthousiasm e.
La solution préconisée é ta it rude; les com prom is en éta ien t absents.
Les plans exposés m an q u aien t de com m entaires; e t les plans,
hélas! ne se lisent pas p a r chacun. Il eû t fallu être présent pour
répondre a u x questions essentielles qui p ren aien t leur raison dans
le fond m êm e de la sensibilité. De telles questions offrent un
in té rê t capital, elles ne sau raien t dem eurer sans réponse. A yant
été appelé dans la suite à écrire cette étude destinée à présenter
des principes neufs d ’urbanism e, je me suis mis résolum ent à
répondre tout d’abord à ces questions essentielles. J ’ai usé de deux
158 U R B A N ISM E

ordres d ’argum ents : d ’abord de ceux essentiellem ent hum ains,


sta n d a rts de l’esprit, sta n d a rts du cœur, physiologie des sensations,
puis de ceux de l’histoire e t de la statistiq u e. Ainsi, je touchais a u x
bases hum aines e t je possédais le m ilieu où se déroulent nos actes.
J e pense avoir ainsi fait franchir à m on lecteur des étapes où
il s’est approvisionné de quelques certitudes. J e puis alors, en
déroulant les plans que je vais présenter, avoir la quiétude d ’ad­
m e ttre que son étonnem ent ne sera plus de la stupéfaction, que
ses craintes ne seront plus du désarroi.
** *

UNE V IL L E C O N TE M PO R A IN E D E T R O IS M ILLIO N S
D ’H A B ITA N TS
P ro céd an t à la m anière du praticien dans son laboratoire,
j ’ai fui les cas d ’espèces : j ’ai éloigné tous les accidents; je me suis
donné un terrain idéal. Le b u t n ’é ta it pas de vaincre des é ta ts de
choses préexistants, m ais d’arriver en construisant un édifice théo­
rique rigoureux, à formuler des principes fondam entaux d’urbanisme
moderne. Ces principes fondam entaux, s’ils ne sont pas controuvés,
p euvent constituer l’ossature de to u t systèm e d ’urbanisation
contem poraine; ils seront la règle su iv a n t laquelle le jeu p e u t se
jouer. E nvisager dans la suite le cas d ’espèce, c’est-à-dire n ’im ­
p orte quel cas : Paris, Londres, Berlin, N ew -Y ork ou une m inus­
cule bourgade, c’est être m aître, si l’on p a rt des certitudes
acquises, de donner une direction à la bataille qui v a s ’engager.
Car c’est livrer une form idable bataille que de vouloir urbaniser
une grande ville contem poraine. Or, voyez-vous se livrer une
bataille sans connaissance précise des objectifs à a tte in d re ?
Nous en sommes ex actem ent là. Des au torités mises a u x abois se
lancent dans des aventures de gendarm es à bâtons, de gendarm es
à cheval, de signaux sonores e t lum ineux, de passerelles sur rues,
de tro tto irs roulants sous rues, de cités-jardins, de suppression
de tram w ays, etc. T out, coup sur coup, en halètem ent, pour
ten ir tê te à la bête. L a B Ê T E , la G rande Ville, est bien plus forte
que cela; elle ne fait que s’éveiller. Q u’in v en tera-t-o n dem ain?
Il fa u t une ligne de conduite (1).
Il fa u t des principes fondam entaux d ’urbanism e m oderne.
T E R R A IN

Le terrain p lat est le terrain idéal. P a rto u t où la circulation


(1) Des suggestions arriv e n t, en obus! C om m ent c o n trô le r? L eu r a u te u r
UNE V ILL E C O N T E M PO R A IN E 159
s ’intensifie, le te rra in p la t fou rn it les solutions norm ales. Là où la
circulation dim inue, les accidents du terrain gênent moins.
Le fleuve passe loin de la ville. Le fleuve est un chem in de
fer sur eau, c’est une gare de m archandises, une gare de triage.
D ans une m aison bien tenue, l’escalier de service ne trav erse pas
le salon, — m êm e si la bonne de B retagne est coquette (même si
les péniches ravissent le b adaud penché sur le pont).
LA P O P U L A T IO N

Les urbains, les suburbains, les m ixtes.


a) Les urbains, ceux de la cité, qui y o n t leurs affaires et qui
résident dans la ville.
b) Les suburbains, ceux qui tra v a ille n t en périphérie dans la
zone des usines et qui ne viennent pas en ville; ils résident dans la
cité-jardin.
c) Les m ixtes, ceux qui fournissent leur tra v a il dans la cité
des affaires, m ais qui élèvent leur fam ille dans les cités-jardins.
Classer a, b, c (et par classem ent il s’agit de réaliser pratique­
m ent la transmutation des espèces reconnues), c ’est a ttra p e r par le
grand b o u t le problèm e de l ’urbanism e, car c ’est déterm iner les
cantonnem ents de ces trois unités, en fixer les étendues, par con­
séquent, poser et résoudre le problèm e de :
1° La cité, centre d ’affaires et résidences urbaines.
2° L a ville industrielle et les cités-jardins (transports).
3° Les cités-jardins e t les transports quotidiens.
R econnaître un organe dense, rapide, agile, concentré : la
cité (centre duem ent organisé). Un a u tre organe souple, étendu,
élastique : la cité-jardin (ceinture).
E n tre ces deux organes, reconnaître avec force de loi la pré­
sence indispensable de la zone de protection e t d ’extension, zone
asservie, futaies et prairies, réserve d ’air.
LES D E N S IT É S

Plus la densité de population d ’une ville est grande, plus

com m e leu r p u b lic o n t eu « le u r p e tite sen satio n ». Ils y cro ien t v o lo n tie rs.
Si c ’é ta ie n t de graves erre u rs? C om m ent faire la p a r t du raiso n n ab le e t
d u rêve tro p p o étiq u e. L a g rande presse ravie accep te d ’en th o u siasm e les
idées, les « b o b ard s » aussi. A insi Y Intransigeant, qui depuis d eu x ans m arq u e
la cadence, an n o n c era : « Les villes de dem ain, il fa u t les co n stru ire d an s
des p ays neufs. » Mais non, il fa u t vo ir les villes vieilles ; l ’exam en le confirm e.
L ’Illustration nous confie la p ro p o sitio n de l ’u n des plus gran d s arch itectes
e t des plus raisonnables, qui p o u r u n e fois donne u n conseil périlleux :
élever a u to u r de P aris une cein tu re de gratte-ciel! Idée p o étiq u e ind éfen ­
d ab le : les g ratte-ciel d o iv e n t s ’élever au centre e t non en p ériphérie.
160 U R B A N ISM E

faibles sont les distances à parcourir. Conséquence : augmenter la


densité du centre des villes, siège des affaires.
POUM ON

Le tra v a il m oderne s’intensifie de plus en plus, sollicitant


toujours plus dangereusem ent n o tre systèm e nerveux. Le tra v a il
m oderne exige le calme, l’air salubre e t non l’air vicié.
Les villes actuelles au g m en ten t leur densité au x dépens des
plan tatio n s qui sont le poum on de la ville.
La ville nouvelle doit augm enter sa densité to u t en augm en­
t a n t considérablem ent les surfaces plantées.
Augm enter les surfaces plantées et dim inuer le chemin à par­
courir. Il fa u t construire le centre de la cité en hauteur.
Les a p p a rtem e n ts de résidence dans la cité ne p euvent être
construits sur des « rues en corridors », bourrées de tu m u lte , en­
vahies de poussières, e t su r des cours obscures.
L ’a p p a rtem e n t de ville p e u t être c o n stru it sans cour e t loin
des rues, ses fenêtres d o n n an t sur des parcs étendus : lotissem ents
à redents e t lotissem ents fermés.
LA RUE

L a rue actuelle est l’ancien « plancher des vaches » sur lequel


on a posé du pavé, sous lequel on a creusé quelques m étros.
L a rue m oderne est un organism e neuf, espèce d ’usine en
longueur, e n tre p ô t aéré de m ultiples organes com plexes e t déli­
cats (les canalisations). Il est contre to u te économie, to u te sécu­
rité, to u t bon sens d ’enfouir les canalisations de la ville. Les cana­
lisations doivent être accessibles p a rto u t. Les planchers de cette
usine en longueur o n t des affectations diverses. La réalisation de
c ette usine est aussi bien de la construction que les m aisons d o n t
on est accoutum é de la flanquer, que les ponts qui la prolongent
à tra v e rs les vallons ou par-dessus les fleuves.
La rue m oderne doit être un chef-d’œ uvre de génie civil et
non plus un tra v a il de terrassiers.
La rue en corridor ne doit plus être tolérée puisq u ’elle empoi­
sonne les m aisons qui la b o rd en t e t q u ’elle provoque la construc­
tio n de cours fermées.
LA C IR C U L A T IO N

La circulation se classe — m ieux que to u te a u tre chose.


A u jo u rd ’hui, la circulation est inclassée, — dynam ite jetée à
la fournée dans les corridors des rues. Le piéton est frappé de m ort.
UNE V ILL E C O N T E M P O R A IN E 161

E t avec cela, la circulation ne circule plus. Le sacrifice des piétons


est stérile.
Classer la circulation :
a) Poids lourds.
b) Véhicules balladeurs (qui accom plissent de p etites courses
en to u s sens).
c) Véhicules rapides (qui tra v e rse n t la vllei sur une grande
p art).
Trois sortes de rues, les unes au-dessous des au tres :
a) E n sous-sol (1), les poids lourds. L ’étage des m aisons occu­
p a n t ce niveau form é de pilotis laissant en tre eux des espaces libres
très grands, les poids lourds déchargent ou chargent leurs m archan­
dises à cet étage-là qui constitue en v é rité les docks de la m aison.
Au niveau du rez-de-chaussée des im m eubles, le systèm e
m ultiple e t sensible des rues norm ales qui conduit la circulation
ju sq u ’à ses fins les plus déliées.
c) N ord-Sud, E st-O uest, c o n stitu a n t les deux axes de la ville,
les autodromes de traversée pour circulation rapide à sens unique,
sont établis sur de vastes passerelles de béton de 40 ou 60 m ètres
de large raccordées to u s les 800 ou 1.200 m ètres p a r des ram p an ts
au niveau des rues norm ales. On a tte in t les autodrom es de traversée
en un p o in t quelconque de leur course e t l’on p e u t effectuer la
traversée de la ville e t atte in d re sa banlieue, a u x allures les plus
fortes, sans avoir à supporter aucun croisem ent.
Le nom bre des rues actuelles doit être dim inué des deux tiers.
Le nom bre des croisem ents de rues est fonction directe du nom bre
de rues; c’est une aggravation considérable du nom bre des rues.
Le croisement de rues est l’ennemi de la circulation. Le nom bre des
rues actuelles est déterm iné p ar la plus lointaine histoire. La pro­
tection de la propriété a presque sans exception sauvegardé le
m oindre sentier de la bourgade prim itive e t l’a érigé en rue, même
en avenue (voir chap itre I er : le Chemin des ânes, le chemin des
hommes). Des rues ainsi se coupent tous les 50 m ètres, tous les
20 m ètres, tous les 10 m ètres! C’est alors l’em bouteillem ent ridi­
cule.
L ’écartem ent de deux statio n s de m étro ou d ’au to b u s fou rn it
le m odule utile d ’éc art entre les croisem ents de rues, m odule con-

(1) J e dis en sous-sol, il se ra it plus e x a c t de d ire à n iv e au de ce que


l’on appelle le sous-sol, c a r si d ans certain s q u a rtie rs on réa lisa it la ville-
p ilo tis ( Vers une Architecture, Crès e t Cie, chap. iv ), ce sous-sol ne s e ra it
p lu s enfoui sous te rre. V oir aussi c h a p itre x n ci-après, les « L o tissem en ts
ferm és à alvéoles ».
162 U R B A N ISM E

ditionné p a r la vitesse des véhicules e t la résistance adm issible du


piéton. C ette m esure m oyenne de 400 m ètres donne donc l’écarte-
m en t norm al des rues, étalon des distances urbaines. Ma ville est
tracée sur un quadrillage régulier de rues espacées de 400 m ètres
e t recoupées parfois à 200 m ètres.
Ce trip le systèm e de rues superposées répond à la circulation
autom obile (cam ions, voitures de louage ou de m aître, autobus),
tous organes rapides e t souples.
Le véhicule sur rail n ’a de raison de subsister que s’il est a tte lé
en convoi e t fourn it ainsi un gros débit : c’est alors la ram e de
m étro ou le tra in de banlieue. Le tramway, lui, n ’a plus droit de
cité au cœur de la ville moderne.
Le lotissem ent de 400 m ètres de côté déterm ine donc des
q uartiers de 16 hectares d ’une population v a ria n t su iv a n t q u ’elle
est d ’affaires ou de résidence de 50.000 à 6.000 h a b ita n ts. Il est
n a tu re l de poursuivre l ’application de l ’étape m oyenne des m étros
parisiens (400 m ètres) e t d ’établir au centre de chaque lot une
statio n de m étro.
Sur les deux axes de la ville, deux étages au-dessous de l’auto-
drom e de traversée, se tro u v e le m étro de pén étratio n qui a b o u tit
a u x q u a tre points extrêm es des banlieues de cités-jardins e t cons­
titu e le collecteur du réseau m étropolitain (voir chapitre suivant).
Les deux grandes rues de traversée de la cité contiennent encore,
au deuxièm e sous-sol, les train s de banlieue à circulation en sens
unique (en boucle), circulation in interrom pue; au troisièm e sous-
sol les q u a tre grandes lignes des q u a tre secteurs card in au x des
provinces, grandes lignes en cul-de-sac, ou m ieux, à traversée
directe p ar raccord à un organe de ceinture.

LA GARE

Il n ’y a q u ’une gare. La gare ne peu t être q u ’au centre de la


ville. C’est sa seule place; il n ’y a aucune raison de lui assigner une
a u tre place. La gare est le m oyeu de la roue.
La gare est un édifice a v a n t to u t souterrain. Sa to itu re à deux
h au teu rs d ’étage au-dessus du sol natu rel de la ville constitue Y aé­
roport p our aéro-taxis. L ’aéroport-taxis (dépendant de l’aéroport
principal situé dans la zone asservie) (1) doit être en contiguïté
directe avec les m étros, les chemins de fer de banlieue, les che­
m ins de fer de province, la « grande traversée » e t avec les ser-

(1) E n 1923, h u it m ois après le S alon d ’A u to m n e, Y Intransigeant


an n o n ç a it : Une idée anglaise : l’aéroport sur le toit de la gare.
UNE V ILL E C O N T E M P O R A IN E 163
vices adm inistratifs de tra n sp o rt (voir ch ap itre suivant, le plan
de la gare).
PLA N DE LA V IL L E
Principes fo n d am en tau x :
1° D é c o n g e s t i o n n e m e n t d u c e n tre d es v ille s ;
2° A c c ro is s e m e n t d e l a d e n s ité ;
3° A c c ro is s e m e n t d es m oyens d e c irc u la tio n ;
4° A c c r o is s e m e n t d es su r fa c es pl a n t é e s .
Au centre, la g a r e avec plate-form e d ’atterrissage des avions-
taxis.
N ord-sud, est-ouest, la g r a n d e t r a v e r s é e pour véhicules
rapides (passerelle surélevée de 40 m ètres de large).
Au pied des gratte-ciel e t to u t au to u r, place de 2.400 x 1.500m.
(3.640.000 m ètres carrés) couverte de jardins, parcs e t quinconces.
D ans les parcs, au pied e t a u to u r des gratte-ciel, les restau ran ts,
cafés, comm erces de luxe, b âtim en ts à deux ou trois terrasses en
gradins; les th éâtres, salles, etc.; les garages à ciel o u vert ou cou­
verts.
Les gratte-ciel a b rite n t les affaires.
A gauche : les grands édifices publics, m usées, m aison de ville,
services publics. Plus loin à gauche, le jard in anglais. (Le jard in
anglais est destiné à l’extension logique du cœ ur de la cité.)
A droite : parcourus p ar l’une des branches de la « grande
traversée », les docks e t les quartiers industriels avec les gares de
m archandises.
T o u t a u to u r de la ville, la zone asservie, futaies et prairies.
Au delà, les cités-jardins fo rm an t une large ceinture.
Donc, au centre : gare centrale.
a) Plate-form e : aéroport 200.000 m ètres carrés.
b) E ntresol : grande traversée (piste surélevée p our autos
rapides, le seul croisem ent p ar giration).
c) Rez-de-chaussée : halls e t guichets des m étros, banlieue,
grandes lignes e t aviation.
d) 1er sous-sol : m étros de pén étratio n e t de grande traversée).
e) 2e sous-sol : train s de banlieue (en boucle, sens unique).
f) 3e sous-sol : grandes lignes (q u atre points cardinaux).

l a c i t é

V ingt-quatre gratte-ciel p o u v a n t contenir de 10.000 à 50.000


employés chacun : les affaires, les hôtels, etc., 400.000 à 600.000
h ab itan ts.
UNE V ILL E C O N T E M P O R A IN E 165
H ab itatio n s de ville, lotissem ents « à redents » ou « ferm és »,
600.000 d ’h ab itan ts.
Les cités-jardins, 2.000.000 d ’h a b ita n ts ou davantage.
D ans la place centrale : les cafés, resta u ra n ts, comm erces de
luxe, salles diverses, forum m agnifique à gradins successifs can­
tonnés de parcs im m enses et jouissant d ’un spectacle d ’ordre et
d ’intensité.
D E N S IT É

a) G ratte-ciel : 3.000 h a b ita n ts à l’hectare.


b) L otissem ents à redents : 300 h a b ita n ts à l ’hectare. Résidence
luxueuse.
c) Lotissem ents ferm és : 305 h a b ita n ts à l’hectare.
C ette forte densité fournit la réduction des distances e t assure
al rapidité des com m unications.
N ota. — La densité m oyenne de Paris intra-m uros est de 364;
Londres : 158; celle des qu artiers surpeuplés à Paris : 533; à
Londres, 422.
SU RFA CE PLANTÉES
Sur sol de a) 95 0 /0 de surface p lantée (squares, restau ­
rants, th éâtres).
Sur sol de b) 85 0 /0 de surface plantée (jardins, sports).
Sur sol de c) 48 0 /0 de surface plantée (jardins, sports).
CENTRE É D U C A T IF ET C IV IQ U E , U N IV E R S IT É S , M U SÉES D ’A R T ET
D ’I N D U S T R I E , S E R V IC E S P U B L IC S , M A IS O N DE V IL L E .

J a rd in anglais. (L ’extension de la cité se fera sur les te r­


rains du jard in anglais.)
Sports. — A utodrom e, hippodrom e, vélodrom e e t stade, pis­
cine, cirque.
zone a s s e rv ie (propriété de la ville) avec l ’a é r o d r o m e .

Zone in te rd ite à to u te construction, disponible pour l’e x te n ­


sion de la cité, su iv an t le plan m unicipal ; futaies, prairies, te r ­
rains de sports. La constitution d ’une « zone asservie » p a r l ’a c h at
progressif de la p e tite propriété de prem ière banlieue représente
l ’une des tâches les plus urgentes des m unicipalités. C’est s’assurer
p ar là un capital à valeur décuplable.
Q U A R T IE R S IN D U S T R IE L S ( 1 )

(1) Ici se p ro p o se n t de nouvelles solutions de q u a rtie rs in d u strie ls.


C eux-ci so n t ac co u tu m és d ’être en désordre, d an s la saleté, e t à v iv re
d ’im p ré v u . P a ra d o x e pénible. L ’in d u strie basée su r l’o rd re d o it se déve-
166 U R B A N ISM E

LO TI SSEM ENTS

Affaires : gratte-ciel de 60 étages, sans cour intérieure (voir


ch ap itre suivant).
R ésidence : « lotissem ents à redents » à 6 étages doubles, sans
cours intérieures; ap p artem en ts d o n n an t de p a rt e t d ’a u tre sur
de grands parcs.
R ésidence : « lotissem ents ferm és », 5 étages doubles, avec
ja rd in s suspendus, sur grands parcs, sans cours intérieures, sys­
tèm e d ’im m euble à services com m uns (nouvelle form ule de la
m aison locative).
C IT É S -JA R D IN S

ESTHÉTIQU E, ÉCONOMIQUE, PERFECTION, ESPRIT MODERNE


Un m ot résum e la nécessité de dem ain : I L F A U T B A T I R A
L 'A I R L I B R E . La géom étrie tran scen d an te doit régner, dicter
to u s les tracés e t conduire à ses conséquences les plus petites et
innom brables.
La ville actuelle se m eurt d ’être non géom étrique. R â tir à
l ’air libre c ’est rem placer le te rra in biscornu, insensé, qui est le
seul existant aujourd’hui, par un te rra in régulier. H ors de cela pas
de salut.
Conséquence des tracés réguliers, la série.
Conséquence de la série : le standart, la perfection (création
des types). Le tra c é régulier, c ’est la géom étrie e n tra n t dans l’ou­
vrage. Il n ’y a pas de bon trav ail hum ain sans géom étrie. La géo­
m étrie est l ’essence m êm e de l’A rchitecture. P our introduire la
série dans la construction de la ville, il fa u t industrialiser le bâti­
ment. Le b â tim e n t est la seule a c tiv ité économ ique qui se soit
dérobée ju sq u ’ici à l’industrialisation. Le b â tim e n t a donc échappé
au progrès. Il est donc dem euré hors des p rix norm aux.
L ’architecte est déform é professionnellem ent. Il s’est pris à
aim er le terrain biscornu, p ré te n d a n t y tro u v e r le secret de solu­
tions originales. L ’architecte est dans l’erreur. On ne peu t plus
b â tir dorénavant, que pour les riches, ou alors à perte (budgets
m unicipaux) ou alors, on b â tit désespérém ent mal, p riv a n t l’habi-
lo p p e r d an s l ’ordre. U ne p a r t des q u a rtie rs in d u strie ls p o u rra it être
c o n s tru ite d ’av an ce en élém ents s ta n d a rts des divers ty p e s de halls
u tilisa b le s. Le 50 p. 100 de te rra in se ra it réserv é a u x in sta lla tio n s spéciales.
A u cas d ’accroissem ents considérables, les usines d ém én a g eraie n t dans de
n o u v e a u x groupes de lo cau x plus v astes.. A m en e r l 'esprit de série d an s le
b â tim e n t d ’usine, la m o b ilité au lieu de l’in c ru sta tio n en des en d ro its qui
d e v ie n n e n t fâc h eu se m en t exigus, etc.
UNE V ILLE C O N T E M P O R A IN E 167
ta n t du confort indispensable. Une au to faite en série est un
chef-d’œ uvre de confort, d ’ex actitu d e, d ’équilibre e t de goût. Une
m aison b â tie sur m esure (sur terrain biscornu) est un chef-d’œ u ­
vre d ’incongruités — un m onstre.
Si l’on industrialise le chantier, on p e u t form er des équipes
ouvrières aussi fines e t intelligentes que celles des m écanos.
Le m écano d a te de v in g t ans e t il constitue la caste supé­
rieure du m onde ouvrier.
Le m açon d a te de ... toujours! il cogne à coups de pieds e t à
coups de masse. Il m assacre to u t a u to u r de lui; le m atériel q u ’on
lui confie est an éan ti en quelques mois. Il fa u t réform er l’esprit du
m açon en le faisant e n tre r dans le rouage sévère e t e x act du chan­
tie r industrialisé.
Le p rix de rev ien t s’abaissera de 10 à 2.
La m ain -d ’œ uvre du b âtim en t, p a r la taylorisation, se clas­
sera : à chacun su iv an t ses m érites, récom pense des services rendus.
Le te rra in biscornu absorbe to u tes les facultés créatrices de
l ’architecte e t épuise son hom me. L ’œ uvre qui en résulte est bis­
cornue — p a r définition — avorton bancal, solution herm étique
ne réjouissant que celui qui en connaît les dessous.
Il fa u t b â tir à l’a ir libre : intra-m uros, extra-m uros.
Tous les échelons hiérarchiques (technique) é ta n t gravis p ar
l’œ uvre conduite avec ÉCO N O M IE, in te rv ie n d ro n t alors les joies
intenses de l’a rt, portées p ar la géom étrie.

A) S ch ém a s y n th é tis a n t le B) S ch ém a p ro p o s a n t le
sy stèm e des ru e s d ’u n e tra c é d e s ru e s esp acées
v ille a c tu e lle . à 400 m . d ’axe e n ax e.
Le sch ém a A) accuse 46 c ro ise m e n ts .
— B) — 6 —

E S T H É T IQ U E DE LA V IL L E
(La ville dessinée ici est un p u r jeu de conséquences géomé­
triques.)
Un nouveau m odule vaste (400 m ètres) l’anim e to u te . Le qua-
168 U R B A N ISM E

Hrillage régulier de ses rues recoupées à 400 m ètres et .200 m ètres


est uniform e (orientation facile du voyageur), m ais il n ’est pas un
de ses aspects qui soit sem blable à un autre. Ici jou en t, en sym ­
phonie fuguée, les forces de la géom étrie.
E n tro n s p ar le jard in anglais. L ’auto rapide su it l’autodrom e
surélevé : allée m ajestueuse des gratte-ciel. On approche : m ulti­
plication dans l’espace des 24 gratte-ciel; à gauche, à droite, au
fond de leurs places, les services publics; resserrant l ’espace, les
m usées e t les universités.
T out à coup on est au pied des prem iers gratte-ciel. E n tre
eux ce n ’est pas la m aigre fissure de lum ière d ’un New -Y ork an­
goissant, m ais l’espace vaste. Les parcs se déroulent. Les terrasses
s ’étagent sur les pelouses, dans les bocages. Des édifices au x pro­
portions étalées et basses conduisent l’œil loin dans le m outonne­
m en t des arbres. Où sont les m inuscules Procuraties? C’est ici
que se dresse la C IT É pleine de m onde, dans le calm e e t l ’air pur,
et le b ru it dem eure ta p i sous les frondaisons des arbres. New-
Y ork chaotique est vaincue. C’est, dans la lum ière, une cité m oderne.
L ’auto a q u itté la passerelle et son 100 à l ’heure; elle»-roule
doucem ent dans les quartiers de résidence. Les redents étendent
loin les perspectives architecturales. Des jardins, des jeux, des
terrain s de sport. P a rto u t le ciel domine, étalé loin. L ’horizontale
des to itu res en terrasse découpe des plans nets frangés des verdures
que font les jardins suspendus. La régularité des élém ents de détail
ponctue le tracé ferm e des grands massifs étalés. D éjà adoucis
p ar l ’azur au loin, les gratte-ciel dressent leurs grands pans géom é­
triques to u t en verre. D ans le verre qui habille leurs façades du
h a u t en bas, l’azur lu it et le ciel étincelle. Eblouissem ent. Prism es
imm enses, m ais radieux.
P a rto u t le spectacle est divers; le quadrillage de 400, m ais il
est étrangem ent modifié par des artifices d ’architecture ! (Les
redents sont en contre-point, m odule de 600 X 400.)
Le voyageur qui, en avion, arrive de Constantinople, de Pékin
peut-être, voit to u t à coup ap p araître, dans le linéam ent tu rb u le n t
des rivières et des futaies, cette em preinte claire qui lui signale
la ville lucide des hom m es : ce tra c é qui est le propre d ’un cerveau
hum ain.
Au crépuscule, les gratte-ciel de verre flam boient.
Ce n ’est pas d ’un futurism e périlleux, dynam ite littéraire
jetée en clam eurs à la face de celui qui regarde. C’est un spectacle
organisé p ar l’A rchitecture avec les ressources de la plastique qui
est le jeu des form es sous la lum ière.
RÉSEA U F E R R É SU BU R BA IN et G R A N D E S LÎGNE5.

Le ré se a u fe rr é in te r u rb a in , m é tro d e g r a n d e tr a v e rs é e , lig n e s de b a n lie u e à sens


u n iq u e , g r a n d e s lig n e s d es p ro v in c e s .

12

L'HEURE DU TRAVAIL
La dém onstration qui va suivre n ’est pas un jeu, m ais simple­
m ent, une fois encore, l’efïet d ’un raisonnem ent poursuivi dans ses
conséquences naturelles, hors des entraves suscitées p ar les cas
d ’espèces. Au b o u t du raisonnem ent pur, on trouve la règle des­
tinée à résoudre le cas d ’espèces.

*
* *

Neuf heures du m atin.


De ses q u atre vom itoires de 250 m ètres chaque, la gare dégorge
les voyageurs am enés p a r les train s de banlieue. Ceux-ci se sont
172 U R B A N ISM E

succédé d ’un mouvement continu (sens unique) to u tes les m inutes,


(A Berlin, à la statio n « Zoo », où les nom breuses lignes ont un point
de tangence, ce chef-d’œ uvre de précision se réalise depuis des
années.) La place
GARE C EN TR A LE. de la gare est si
Plat» forme jopm eur*
v aste que chacun
GARE DAVIOM3 se dirige sans en­
com bre vers le lieu
de son trav ail.
Sous terre, le
m étro a drainé les
v o y a g e u rs au x
points de co ntact
avec les lignes de
banlieue e t il les a
distribués réguliè­
rem ent au sous-sol
!*■Etao* de chaque g ratte-
GRAMDt CRoilÉE
AUTO* R A P ID O ciel. Ceux-ci se
rem plissent. Cha­
que gratte-ciel est
une sta tio n de m é­
tro.
Un gratte-ciel
est un q u a rtier de
ville en h a u te u r :
10.000 à 50.000
em ployés s’y re­
tro u v e n t chaque
R « d c .C lM U lU a
ACCÈS AU/' U G M E i j o u r , d i s p osant
chacun d ’un m ini­
m um de 10 m è­
tres de surface de
bureau. L ’em bryon
d ’o r g a n i s a t i o n
d ’u n g r a t t e - c i e l
nous v ien t d ’Am é­
rique ; p o u rta n t,
GARE CENTRALE :
a) P la te fo rm e s u p é r ie u r e . G are d e s a v io n s-ta x is, 250.000 m è tre s c a rré s ;
b) E n tre so l. G ra n d e c ro is é e d e s au to s ra p id e s ;
c) R e z-d e-ch au ssée . A ccès au x lig n e s , h a lls , g u ic h e ts ;
l ’h e u r e d u t r a v a il 173
m esurons en plan (p. 164) la différence qui sépare la réalisa­
tio n hardie, m ais paradoxale, de New -Y ork (le gratte-ciel new-
yorkais em bouteille M anhattan), d ’une conception ex actem ent
rationnelle où une
vue d ’ensem ble a dé­
term iné les rap p o rts I " Sou.-..Sol
M É TR O S
réciproques des élé­ feRANOf TRAVERSEE

m ents indispensables :
à New -Y ork, 20.000
personnes envahis­
sent su bitem ent une
rue étroite e t y pro­
v o q uent la plus grave
confusion ; elles y
paraly sen t to u te cir­ 2*"“ ioui.Sol
T R A IN S de B A N Ü E U E
culation rapide; la
conception est d é ­
pouillée de son sens
même. L ’organe de
décongestion devient
p ar suite d ’un désé­
quilibre désastreux,
le plus absolu per­
S*1"®Sou^-üol
tu rb a te u r de circula­ G R A N D E S LIGNE*
tio n : le gratte-ciel
congestionne. On en
ten d alors s’élever
des voix contraires
m audissant le g ratte-
ciel et réclam ant
contre la ville en
h auteur, e t en v ertu
de la nécessité de

d) 1er so u s-so l. M étro s ( g r a n d e trav ersée) ;


e) 2“# so u s-so l. T ra in s de b a n lie u e ;
f ) 3,nC so u s-so l. G ran d es lig n e s . (V oir p lu s lo in , s u r le P lan « V oisin » d e P aris, le
sy stèm e continu e t n o n p lu s e n c u l-d e -s a c .)
Les h a lls d ’e n tr é e so n t p o u r ch a q u e ré s e a u , à l ’o p p o sé d es halls d e s o rtie . Ja m ais
d e h e u rts n i d e c o n fu sio n : u n se n s u n iq u e .
D ans les im m e n se s espaces d is p o n ib le s , les se rv ices te c h n iq u e s d es résea u x s o n t à
p ro x im ité im m é d ia te d e l ’e x p lo ita tio n . Les 4 g ra tte -c ie l q u i c a n to n n e n t la g a re a b rite n t
les a d m in is tra tio n s d es ré se a u x .
174 U R B A N ISM E

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N ew -Y ork : c o n g estio n .

circuler, la ville étalée : nouveau paradoxe. P arce que New-


Y ork (M anhattan) est en quelque sorte un non-sens, l’idée
(là to ta le m e n t grim açante) est a tta q u ée avec véhém ence. Con­
cluons : New -Y ork gratte-ciel ne v a pas, parce que N ew -Y ork
condense follem ent sans avoir réservé le réseau des rues néces­
saires. N ew -Y ork a to rt, e t le gratte-ciel conserve ses droits. Con­
denser la population et décongestionner la rue doivent être le
« pile » et le « face » de la m êm e et unique m édaille; l ’un ne va pas
sans l ’au tre.
E n quelques in sta n ts la cité s’est rem plie. Le tra v a il s’y ins­
talle, accéléré e t rendu plus efficace p ar l'effet d ’un outillage per­
fectionné; il se déroule dans l ’am biance lum ineuse, radieuse même,
des b u rea u x d o n t les fenêtres im m enses o uvrent en plein ciel,
l ’horizon é ta n t h a u t, le b ru it lointain, l’air pur. Loos m ’affirm ait
un jo u r : « Un hom m e cultivé ne regarde pas p ar la fenêtre; sa fe­
nêtre est en verre dépoli; elle n ’est là que pour donner de la lum ière,
non pour laisser passer le regard. » Un tel sentim ent s’explique
dans la ville congestionnée où le désordre a p p a ra ît en images
Les 6.000 e m p lo y é s e t o u v rie rs d ’u n e f a b riq u e a m é ric a in e ; au se co n d p la n , les
b â tim e n ts d e l’u sin e .
176 U R B A N ISM E

Vue d e la T o u r E iffel.

affligeantes; on a d m e ttra it m êm e le paradoxe en face d ’un


spectacle natu rel sublim e, tro p sublim e. P o u rta n t, si j ’escalade les
plates-form es de la to u r Eiffel, j ’acquiers en m o n ta n t un senti­
m en t d ’allégresse; l ’in sta n t devient joyeux — grave aussi; au
fu r e t à m esure que l ’horizon s’élève, il semble que la pensée soit
projetée en trajectoires plus étendues : si, physiquem ent, to u t
s’élargit, si le poum on se gonfle plus violem m ent, si l’œil envisage
des lointains vastes, l’esprit s’anim e d ’une vigueur agile; l’opti­
misme souffle. Le regard horizontal conduit loin : c’est en somm e
un grand ré su lta t sans un tra v a il pénible. Songez que ju sq u ’ici les
horizons ne nous o n t été révélés que p a r des yeux à peine élevés
au-dessous du sol; on ne connaissait pas autrefois ces à-pic saisis­
sa n ts; les alpinistes seuls av aien t eu la sensation grisante.
De la to u r Eiffel a u x plates-form es successives, de 100, 200 et
300 m ètres, le regard horizontal possède des im m ensités e t nous
en sommes com m otionnés, nous en sommes influencés.
l ’h e u r e d u t r a v a il 177

Vue d u h a u t d o la T o u r E iffel.

De ces bu reau x de tra v a il nous v ien d rait donc le sentim ent


de vigies dom inant un m onde en ordre. E n fait, ces gratte-ciel
recèlent le cerveau de la Ville, le cerveau de to u t le pays. Ils repré­
sen ten t le trav ail d ’élaboration et de com m andem ent sur lequel
se règle l’activ ité générale. T out s’y concentre : des appareils y
abolissent le tem ps e t l ’espace, téléphones, câbles, radios; les
banques, les opérations commerciales, les organes de décision des
usines : finance, technique, comm erce. La gare est au m ilieu d ’eux,
les m étros sont dessous, les deux autodrom es passent à leur pied.
A l’entour, l’espace est vaste. Les autos peu v en t être innom bra­
bles; des parcs de garage couverts, reliés p ar des passages souter­
rains, concentrent u tilem ent cette arm ée roulante qui bivouaque
ici chaque jo u r et qui p ar des voies libres rem plit d o rén av an t le
rôle de ved ettes rapides. Les avions a rriv en t au centre, sur la
gare; qui d it q u ’ils n ’arriv ero n t pas aussi exactem ent sur la te r­
rasse élevée des gratte-ciel pour de là foncer sans perdre une
180 U R B A N ISM E

lle z -d c -c h a u ssé e de l'u n des g ra tte -c ie l. L’esp ace e s t e n tiè re m e n t lib re , o ccu p é
to u te fo is p a r les n o m b r e u x p ilie rs d ’a c ie r q u i d u h a u t en bas, s u r 220 m è tre s p o r te n t les
60 p la n c h e rs . S euls les h a lls des a s c e n se u rs e t e s c a lie rs so n t c lô tu ré s. D ans ch a q u e sec­
te u r, e n tre les ailes d u g r a tte -c ie l, les g a ra g e s -a b ris p o u r le sta tio n n e m e n t d es a u to s.
La c irc u la tio n e s t à g ir a tio n .

m inute vers les provinces e t au delà des frontières (1). Des q u atre
points cardinaux, les grandes lignes de chem in de fer aboutissent
au centre.

(1) P o u r l’in s ta n t, l’a é ro p o rt p ré v u sur le p a rc est un e s ta tio n d ’avions-


ta x is reliée à l’aérodrom e (situ é d an s la zone asservie). Les m o d alités d ’a tte r-
l ’h e u r e d u t r a v a il 181

Pian d ’u n é ta g e de g ra tte -c ie l F o rm e e n cro ix , s u p p r im a n t les c o u rs e t d o n n a n t la


sta b ilité m a x im a ; façades à re d e n ts , v é rita b le s r a d ia te u rs à lu m iè re . C inq g ro u p e s
d 'a s c e n s e u rs e t d ’e scaliers. L 'aile d r o ite m o n tre u n ty p e de d iv isio n d es b u re a u x . La
cap ac ité d 'u n g ra tte -c ie l de 150 m* de cô té est de 30.000 e m p lo y é s à ra iso n de 10 m ! de
b u r e a u p a r e m p lo y é ; celle d ’u n g r a tte d e 175 m . e s t d e 40.000 em p lo y és.

rissage ne so n t pas encore assez p erfectionnées p o u r p e rm e ttre au x gros


av io ns in te rn a tio n a u x d ’a tte in d re sans relai la gare cen trale.
Le p roblèm e d ’a tte rrissa g e su r les te rrasses des im m eubles locatifs d e­
m eure ég a le m en t en suspens : on ne s a it pas encore si, q u a n d e t com m ent,
nous au ro n s u n e a v ia tio n dom estique.
Ville idéale! Cité d ’afïaires modèle! hochet futile d ’un m aladif
rêveur de vitesse! L a vitesse n ’est-elle pas en deçà d ’un rêve, la
b ru tale nécessité (1). J e tran ch e p ar ceci : la ville qui dispose de
la vitesse dispose du succès, — vérité des tem ps. A quoi bon reg retter
l’âge des pasteurs! Le tra v a il se concentre, accélère son rythm e.

(1) « E n effet, la co n q u ête de la vitesse a to u jo u rs été le rêve des hom m es


e t ce rêve n ’a guère pris corps que depuis ce n t ans à peine. A u p a ra v a n t, les
étap es de c e tte co nquête o n t été d ’une le n te u r ex tra o rd in a ire au cours des
âges. P e n d a n t u n te m p s im m ém orial, l’hom m e n ’a su se tra n s p o rte r que
p a r ses p ro p res forces e t to u s ses progrès, en dehors de la voile, o n t s u rto u t
consisté à u tilise r la ra p id ité de d ép lac em e n t des an im au x .
L ’hom m e est, en effet, u n des a n im a u x les p lu s len ts de la créatio n . C’est
u n e la rv e q u i se tra în e avec peine à la surface de la cro û te te rre s tre . L a p lu ­
p a r t des êtres sont p lu s « v ite s » que ce bipède m al c o n s tru it p o u r la course,
e t d ans u n m a tc h qui ré u n ira it en co m p étitio n u n ex em p laire de ch acu n
des a n im a u x du globe, l’hom m e se ra it p ro b a b le m e n t dans les bons derniers
e t to u t au p lus au ra n g du m o u to n (le Règne de la Vitesse, P h ilip p e G irard et,
d ire c te u r des É ta b lisse m e n ts P eugeot, Mercure de France, 1923),
E n fait, il est exactem ent question d ’effectuer chaque jour les
échanges de vues qui fixeront l’é ta t des m archés e t déterm ineront
les conditions du trav ail. Plus rapides seront les m oyens m éca­
niques d ’échange de vues, plus v ite ab o u tira la transaction quo­
tidienne. On peu t a d m e ttre que les heures de tra v a il dim inueront
dans les gratte-ciel grâce au x gratte-ciel.
Si bien que peu après le m ilieu du jour, la tâche sera accom ­
plie. La cité se videra comme p ar une profonde aspiration de son
sous-sol. La vie des cités-jardins développera ses effets. P a r ail­
leurs dans la ville même, les quartiers de résidence offrent des
conditions neuves d ’h a b ita tio n à ces hom m es nouveaux d ’une
époque m achiniste.
(N ’oublions pas que nos grands-pères se prom enaient en
landau. C onstantin Guys.)

:k* H«

- e n to u ré e d e la zone asservie d e p r o te c tio n (p ra irie s , futaies).


184 U R B A N ISM E

N o te : J e m ’ennuie in fin im e n t à décrire, com m e u n p ro p h è te au p e tit


pied, ce f u tu r asile de Cocagne. J e m e crois d ev en u fu tu riste , ce qui ne m e
ra v it p a s ; il m e sem ble q u itte r les choses c rû m e n t vraies de l’ex isten ce et
m e liv re r à des élu cu b ratio n s au to m a tiq u e s.
P a r contre, com bien il est p assio n n an t, a v a n t que d ’écrire, d ’organiser
ce m onde im m in en t su r la plan ch e à dessin, là où les mots ne sonnent
pas creux et où des faits seuls comptent !
Il s ’a g it alors d ’in v e n tio n s précises, de sy stèm es v rais, d ’organism es
viables. T outes les questions se p resse n t à la fois : p o ser le p roblèm e, agencer,
com poser, faire te n ir e t songer au lyrism e in d isp en sab le q u i seul, en fin
de com pte, soulèvera les cœ urs e t nous p o rte ra à l’action.
Ce n ’est p o in t d an s c e tte p o u rsu ite difficile de la so lu tio n su r la p lan ch e
à dessin, l’élu cu b ratio n a u to m a tiq u e . C’est u n ac te de foi en fav e u r de
l’époque. A u fond de m oi, j ’y crois. J ’y crois p o u r l’av e n ir au d elà du sché­
m atism e q u i a fourni la règle; j ’y crois d an s le d éro u le m en t a rd u des cas
d ’espèces. Ja m a is, p o u r vain cre le cas d ’espèces, je n ’a u ra i en m ains u n
con cep t tro p clair, des au to m atism e s tro p exacts.

Ceci n o u s m o n tre p a r q u e l p ro c e ss u s ra iso n n a b le s’é la b o re n t les tra v a u x u tiles.


Un b u ild in g ... On m e t d u v e rre a u to u r .
Ce 9 m ai 1925, aux Champs-Elysées, la moitié des marronniers
bordant l’avenue ont leurs feuilles noires ; les fleurs en boutons n ’ont
pu éclore; les feuilles minuscules comme des avortons sont ramas­
sées sur elles-mêmes, semblables à une m ain crispée.

On admet que la troisième génération ayant vécu dans la grande


ville est désormais stérile.
P h o to « W e n d in g e n ».
T elle p o u r r a it ê tr e l’u n e d es im ag es de la p a rfa ite h a rm o n ie .

13

L’HEURE DU REPOS
Les « h u it heures ».
P e u t-être m êm e les « six heures », un jour.
Des esprits pessim istes e t angoissés se disent : le gouffre
est d e v a n t nous. Que faire de ces heures libres, de ces heures
vides?
Les rem plir.
Il tom be sous le sens que c’est ici un problèm e d ’arch itectu re :
le logis; d ’urbanism e : l’organisation des quartiers de résidence,
la m achine à souffler. L ’heure du repos, c’est l’heure de souffler.
D éjà, sans a tte n d re que l’arch itectu re e t l’urbanism e s’orga­
nisent, le sport est entré dans notre vie. A l’action nocive, la riposte
salubre.
190 UR B A N ISM E

J ’ai eu l’heureuse fo rtune de rencontrer au jo u rd ’hui même,


M. Forestier, ingénieur des E a u x e t Forêts, architecte-paysagiste du
Bois de Boulogne e t des p lan tatio n s parisiennes. Cet hom m e d ’ex­
périence s ’occupe des arbres e t des fleurs e t il apprécie pourquoi
ils v iv en t; il sait des choses qui tie n n e n t au conditionnem ent même
de l ’être physique. Il ne connaissait pas m es recherches d ’u rb a ­
nism e; ses paroles étaien t a u ta n t de confirm ations venues du
phénom ène naturel, à mes conclusions issues d ’un systèm e théo­
rique.
Il d isait : « A VExtension de Paris (1), on s’occupe à créer
dans la grande banlieue des résidences en form e de cités-jardins;
on y respirera. C’est bien. Mais les h a b ita n ts de ces cités-jardins
v iennent tra v a ille r chaque jour au cœ ur de la ville : à ce cœur,
on n ’y touche pas. Ce cœ ur de ville enserre de ses m urailles les
rues étroites em poisonnées p ar les gaz de com bustion des autos.
On s ’intoxique dans la rue e t dans les m aisons. Ces m asses
m ouvantes d ’air m alsain rouleront elles-mêmes sur les cités-
jard in s du pourtour. L ’effort que l’on te n te en banlieue est annihilé
p ar la survivance du cœ ur v é tu ste de la ville.
« Les gaz d ’essence e t les poussières de goudron ont des effets
effrayants sur l’organism e. On observe que les individus exposés
directem ent, p a r leur m étier, à ces ém anations, perd en t leurs
fonctions p rocréatives; ils deviennent im puissants; on a d m et que
la troisièm e génération a y a n t vécu dans la grande ville est désor­
m ais stérile (2).
« Les arbres souffrent effrayam m ent. Voyez-les perdre to u tes
leurs feuilles en juillet déjà, feuilles rouges entièrem ent desséchées,
e t voyez, ces dernières années, leurs bourgeons rachitiques (3).
J e dis que les villes actuelles sont un danger m ortel. Com m ent
s’y soustraire? Les m unicipalités ne p euvent rien : il fau d ra it

(1) Les b u re a u x p e rm a n e n ts des p lan s d ’ex ten sio n de P aris.


(2) L ’hom m e h ard i, le c o n stru c te u r, le té m éraire , se réso rb e lui-m êm e,
d isp a ra ît u n e fois son h eu re accom plie! Sacrifice sublim e, év é n em en t de
h a u te poésie. H élas, la ré a lité est a u tre : deu x ou tro is g én ératio n s d ’épuisés,
de névrosés e t p o u r finir des stériles ! L a m o rt fo u d ro y a n te , en pleine gloire,
tra în e en longue agonie, com m e une bave, su r cin q g én ératio n s.
(3) Ce 9 m ai, a u x C ham ps-É lysées, la m o itié des m a rro n n ie rs b o rd a n t
l’av enue o n t leurs feuilles noires; les fleurs en b o u to n s n ’o n t p u éclore;
les feuilles, m inuscules com m e des av o rto n s, so n t ram assées su r elles-
m êm es, sem blables à u n e m ain crispée. 9 m ai! m ais où donc so n t les sai­
so n s? Le 9 m ai m a rq u e l’a u to m n e des arb res. N os p o u m o n s ab so rb e n t, h iv e r
e t é té ,le s gaz nocifs; nous ne nous en apercev o n s p as. M ais les arb res m a r­
ty r s nous c rie n t : gare!
I . ’H E U R E DU REPOS 191

créer des espaces verts de 20, 30, 40, 50 p. 100 de la surface des
villes. In utile d ’y rêver. La situation est angoissante. »
J e trouvais, dans ce verdict, une p a rt essentielle des élém ents
sur lesquels j ’avais posé le problèm e, sur lesquels j ’avais, depuis
1922, établi les dessins de la « ville contem poraine ».

*❖*

Les h u it heures.
H u it heures de repos ensuite. L ’u rbaniste doit répondre.
La pratiq u e du sport doit être accessible à tout habitant de
la ville. Le sport doit se faire au pied même de la maison. Tel est le
program m e de la cité-jardin (1). Le sport des stades n ’a rien à faire
avec le sport : c’est du th é â tre — le cirque, les jeu x ; c ’e st le spec­
tacle : on y voit les biceps et les jarrets des autres, des spécialistes,
des phénom ènes. Le sport au pied de la maison : on ren tre chez soi,
on se débarrasse de sa casquette, de son chapeau, de son veston, 011
descend et l ’on joue; on joue à respirer, à se faire des muscles et à
les assouplir, hom m es e t femmes, enfants, tous. P rendre un tra m ­
way, un autobus, un m étro, franchir des kilom ètres avec une m al­
lette à la m ain? Non, pas de sport possible dans ces conditions.
Le terrain de sport est au pied de la m aison. P o u r réaliser cette
chose d ’utopie, il suffit de b â tir en h auteur. Or les services en chef
d ’architecture de la Ville de Paris ne veulent pas q u ’on bâtisse
en h au teu r. Ils m iliten t en faveur d ’un nouveau règlem ent qui
lim itera les constructions des grandes zones conquises sur les fortifs
à 5 étages au lieu de 6 ou 7!
C’est en face de contradictions si tro u b lan tes que l’urbaniste
doit poser le problèm e.

** *

(1) É ta n t, ce mois de février, au ju r y du concours in te rn a tio n a l des plans


d ’extension de la ville de S trasb o u rg , j ’ai p u ob serv er c e tte in cro y ab le in ­
conscience : u n concours lim ité p ro p o sa it l ’am én a g em e n t des espaces libres
des zones fortifiées. Les zones fortifiées so n t à cinq ou d ix m in u tes d u cen tre
de S tra sb o u rg . A ucun c o n c u rre n t ne p roposa u n p ro g ram m e sp o rtif. J e
disais : « Ces zones libres, m ais ce d e v ra it ê tre p u re m e n t e t sim p lem en t un
im m ense gym nase. Mais non! P a r to u t, sur les p lan s bariolés de v e rt e t de
ja u n e, les frisons des ja rd in s à l’anglaise, les dam iers des ja rd in s à la fra n ­
çaise ; que de L u x em bourgs p o u r ce S tra sb o u rg , que de place faite au x n o u r­
rices alsaciennes! Le ju r y ne décern a p o in t de prix .
Le
Palais-
Royal.

T el p e u t
ê tre
d o ré n a v a n t
le sol de
la g ra n d e
Ville.
(v. p ag e 73)

Les
T u ile rie s.
L u x e m b o u rg :
P alais-R oyal.

Une ville
c o n te m p o ­
ra in e :

Les g ra tte -c ie l.

Les re d e n ts.

Les
lo tisse m e n ts
fe rm é s
à alvéoles.

Les
C ham ps-
E lysées,
les T u ile rie s .

Ces tro is p la n s : le q u a r tie r d u P alais-R oyal à P a ris, c e lu i des T u ile rie s e t des
C ham p s-E ly sées, e t au m ilie u , à m ê m e éc h e lle , c e lu i d ’u n fra g m e n t d e la C ité C o n te m ­
p o ra in e , m o n tre n t la tra n s fo rm a tio n ra d ic a le a p p o rté e d an s les îlo ts c o n s tru its ( re d e n ts e t
lo tiss e m e n ts ferm és) e t p a r c o n sé q u e n t d an s les su rfaces p lan tées (la v ille est c o u v e rte
de v e rd u re s ). On p e u t c o m p a re r aussi les in te rs e c tio n s d es ru e s e t la la r g e u r de
celle-ci.
194 UR B A N ISM E

SU R LA C IT É -J A R D IN
Nous avons, au chapitre de la Grande Ville, reconnu deux
classes de population : les citadins, ceux qui ont mille raisons de
résider dans la ville; les « banlieusards », ceux qui ne p eu v en t vivre
utilem ent que loin de la ville.
Ces banlieusards, su iv an t leur condition sociale, h a b ite n t des
villas, ou des pavillons de cités ouvrières, ou des m aisons à loyer
ouvrières.
T entons ici de poser le problèm e.
a) Solution actuelle, adm ise dans tous les pays du m onde et
considérée comme idéale : un lot de 400 m ètres carrés (300 ou
500 m ètres carrés) est affecté à un pavillon. Le pavillon im planté, il
dem eure un jard in d ’agrém ent (fleurs e t gravier), un p e tit verger, un
p e tit potager. E n tretien com plexe e t pénible, m arty re (rom antique,
égloguien, etc.), de la m aîtresse de m aison, du m aître de m aison :

4 0 0 m 1

nettoyer, ém onder, arroser, tu e r les escargots, e tc.; le crépuscule


est de longtem ps étein t q u ’on b ra n d it encore l’arrosoir. C ulture
physique, dira-t-on? Bien m auvaise, bien incom plète, bien dange­
reuse parfois. Les enfants ne p euvent pas jouer (courir), les parents
non plus (pas de sports). R endem ent : un panier de pom m es et
de poires; des carottes, du persil pour les om elettes, etc. : déri­
soire.
b) Solution préconisée : pavillon : 50 m ètres carrés sur deux
étages, to ta l 100 m ètres carrés habitables. J a rd in d ’agrém ent,
50 m ètres carrés. S port : je m ets à disposition 150 m ètres carrés;
culture m araîchère: je m ets à disposition 150 m ètres carrés; les
400 m ètres carrés sont employés.
l ’h e u r e d u repo s 195

40(V
APPARTEMENT S PORTS CULTURE
2 FOIS 5x10=100m* 150 m1 150

JA R D IN
D'AGRÉMENT
50ni

Les m aisons e t les jard in s d ’agrém ent suspendus se ju x ta p o se n t


en grands massifs« à redents » sur trois h au teu rs superposées. Le soleil
pénètre p a rto u t, l’air aussi. Le jard in est dallé de briques rouges, ses
m urs tapissés de lierre e t de clém atites; des okubas, des fusains, des
lauriers, des th u y as, font des m assifs dans des cuves im portantes
de cim ent ou dans des pots ; des fleurs de saison égayent : véri­
tab le jard in d ’a p p a rtem e n t d ’en tretien facile. La tab le y est dressée
à l’abri des pluies. On m ange, on cause, on se repose à l’air.
Au pied des m aisons, les 150 m ètres carrés concédés au sp o rt
se sont ajoutés à ceux de tous les voisins. Foot-ball, tennis, basket,
« pas de géants », pistes, pelouses de jeux, etc., to u t est à dispo­
sition. On ren tre chez soi, on q u itte sa casq u ette ou son chapeau,
on va jouer au pied de la maison.
T o u t à côté, les 150 m ètres carrés concédés à la culture
s’a jo u te n t a u x lots des voisins. Voici des cham ps de culture de
400 x 100 m ètres (4 hectares). Fini l ’arrosoir! Des installations
hydrauliques fixes y suppléent, alignées en b atteries e t arro san t
a u to m a tiq u e m e n t les terres labourées à la m achine e t engraissées
systém atiquem ent. Un ferm ier pour 100 lots e t une culture m araî­
chère intensive. Le ferm ier fait les gros tra v a u x . L ’h a b ita n t ren tré
de l’usine ou du bureau, a y a n t récupéré au sport ses forces (1),
cultive alors, en m araîcher, son jardin. E t son jard in travaillé
scientifiquem ent et industriellem ent le n o u rrit une bonne p a rtie de
l’année. Des celliers élevés à chaque ex trém ité des cham ps res­
serrent les produits pour l ’hiver.
Des vergers sép aren t les m aisons des cultures.

(1) Des o b se rv a teu rs o n t noté, p a r exem p le, q u ’u ne sté n o -d a cty lo n ’a r ­


riv e pas à réc u p érer p a r le som m eil les su b stan ce s n erv eu ses absorbées p a r
son tra v a il de b u re a u ; elle s’épuise le n te m e n t.
Un fra g m e n t de lo tiss e m e n t « A lvéoles » p o u r c ité s -ja rd in s (Ce g ro u p e consti-
tu e ra l'e n tr é e des « N ouveaux Q u a rtie rs F ru g è s » à B ordeaux).

sro UAI5M.V S 1*11 >I- 2


• 4 < :.w r v r .

C ité -ja rd in « A lvéoles ». Les p av illo n s (100 m 2 su rface h a b ita b le et 50 m 2 d e ja r d in


su sp e n d u ) so n t s u p e rp o s é s s u r tro is h a u te u rs . G ran d es ru e s d ’accès to u s les 400 m è tre s .
197
Puisque, dans les cam ­
pagnes, la m ain -d ’œ uvre agri­
cole disparaît, avec les « trois
h u it » e t c ette conception
neuve du lotissem ent, l’ou­
vrier de la cité-jard in recon-
~ stitu e la m ain-d’œ uvre agri-
ï cole e t il produit.
■s Ceci est un exem ple
1 d ’u rbanisation m oderne, où
ë les souvenirs historiques, le
| chalet suisse ou le pigeonnier
| alsacien o n t é té laissés au
® m usée du passé. Un esprit
s dép o u rv u d ’en trav es rom an-
® tiq u es cherche à résoudre un
2 problèm e bien posé.
i L ’architecte c o n s ta te
® avec bonheur que la caco-
■ phonie des tro p fam eux « lo­
fe tissem ents » est rem placée
.§ par de vastes ordonnances à
■s grande allure. Une viabilité
g saine dessert au m oins coû-
« ta n t ces cités logiques. (Lo-
ô giques ! hélas; voilà leur to rt,
g L orsque l’on fa it une cité-
— jard in , c ’est pour faire un
s poèm e bucolique : le balcon-
.§ net, la v o û telette, le grand
5 to it, « m on to it », des cigo-
« gnes sur la chem inée; le
g chaum e, par grand m alheur,
I est in terd it, m ais la tuile
■| patinée y supplée).

*
* *
198 U R B A N ISM E

RUES C O U R B E S, RUES D R O IT E S

Camillo S itte a dém ontré, voici v in g t ou tre n te ans, que la rue


droite é ta it idiote, la rue courbe idéale. La rue droite é ta it le chem in
le plus long d ’un point à un au tre, la courbe le plus direct; la dé­
m o nstration basée sur les villes tordues du m oyen âge (les villes
tordues m algré soi, chemin des ânes, chap. i er) (1) é ta it ingénieuse
et spécieuse. On oubliait q u ’il s’agissait de villes s ’é te n d a n t sur
m oins d ’un kilom ètre e t d o n t la séduction pro v en ait de raisons
au tres que celles de l’urbanism e. Le paradoxe lancé e t savam m ent
étayé, la m ode fu t lancée. M unich et Berlin e t ta n t d ’au tres firent
des quartiers to rd u s en pleine ville. Ce non-sens ne résista pas à
l’expérience. Les Anglais et les A llem ands m ultiplièrent encore
les cités-jardins sur rues courbes, e t là, l’expérience fu t flatteuse,
s’accom plissant dans des conditions plus am biguës. En F rance
nous voici à la rue courbe avec v in g t années de re ta rd e t to u t cela
prom et beaucoup sur les plans gaiem ent aquarellés des archi-
tectes-paysagistes. Sur les plans des urbanistes, les rues courbes
o nt m êm e acquis la valeur schém atique d ’un sym bole rep résen tan t
les cités-jardins.
La crue réalité est m oins pim pante si le désordre n ’est point
dissimulé, comme à H am pstead, derrière des arbres centenaires.
La question de la rue courbe pour cités-jardins m érite un exam en
sérieux.
On p e u t a d m e ttre sans tro p de controverse ceci :
La rue droite est une rue de travail.
La rue courbe est une rue de repos.
A dm ettons aussi : la rue droite oriente bien (par ses recoupe­
m ents ordonnés).
La rue courbe désoriente to u t à fait.
A dm ettons enfin : la rue droite est ém inem m ent architec­
turale.
La rue courbe est parfois architecturale.

(1) Les villes créées d ’une pièce au m oyen âge (les b astid es) ac cu sen t
les tra c é s les plus clairem en t g éom étriques. F a it ém in em m en t ra s su ra n t.
Il e û t été bien d é c e v a n t q u e les tra c e u rs des p la n s e t des coupes des c a th é ­
drales eu ssen t renié, p o u r dessin er leurs villes, l’e sp rit clair q u i d em eu re p o u r
nous encore u n su je t de p rofonde a d m ira tio n (v o ir p ag e 84, p lan de
M ontpazier).
L ’H E U K E DU REPO S 199

Mais si, fréquem m ent, la rue droite est affreusem ent tris te
lorsque les m aisons qui la b ordent sont affreuses, les rues courbes
créent in év itab lem en t un désordre pénible quand les m aisons s’y
alignent p ar in term itten ce. T out alors s ’en va à hue e t à dia. L ’œil
ne voit pas la courbe dessinée sur le plan, m ais chaque façade sem ble
s ’agiter avec une incidence différente : de tels lotissem ents sem blent
être un cham p de bataille ou un lieu couvert des débris d ’une
explosion.
On est en droit de dire aussi q u ’une rue droite est très ennuyeuse
à parcourir à pied : elle n ’en finit pas, on n ’avance pas. La rue
courbe, par contre, am use par ses im prévus a u x contours successifs,
— arg u m en t q u ’il fa u t retenir pour essayer d ’y voir clair. La rue
droite est assom m ante à parcourir à pied. Admis. Mais s’il s’agit
d ’une rue de trav ail, m étros, tram s, autobus, autos, p e rm e tte n t
de la parcourir vite, et v ite précisém ent parce q u ’elle est droite (1).
A doptons la courbe s’il s’agit de rues à parcourir à pied, de rues
de prom enades agrestes, sans spectacles arch itectu rau x : c’est alors
une façon de p e tit ja rd in anglais des nounous et des prom eneurs.
L a rue courbe a tous les droits s'il n ’y a pas de spectacle architectural
et si les campagnes ou du moins les pelouses et les futaies constituent
un horizon pittoresque immédiat où nulle forme volontaire n ’attire
l'attention. On voit bien q u ’il s’agit alors de rues de prom enade
ou d ’allées tra v e rs a n t une cité-jardin.
Voyons enfin si la rue courbe est susceptible d ’acquérir une
v e rtu architecturale. Cela sera si elle est plantée régulière­
m en t d ’allées d ’arbres. La répétition des troncs fa it une façon de
colonnade, les ram ures une façon de berceau. Une form e géomé­
triq u e m e n t conditionnée s’offre à l’œ il; on voit quelque chose de
clairem ent form ulé : une espèce de colim açon de turb in e. Mais m al­
heur à l ’architecte qui disposera au bord de ce tte courbe les façades

(1) L o rs q u ’on p a rc o u rt la F ra n ce en au to m o b ile , la leçon e s t é d ifia n te .


On a le se n tim e n t de rep ren d re pied, loin des villes, su r u n sol sain , loin des
folies a h u rissa n te s. Les g ra n d ’ro u tes filent d ro it à p e rte de v u e ; elles v o n t
p o sém en t, d ro ite m e n t, d ’u n p o in t à u n a u tre . C’e s t C o lb ert q ui les a t r a ­
cées en g ran d e p a rtie . N apoléon au ssi. P arfo is u n g ran d obélisque affirm e :
« J ’ai v oulu ainsi. » On croise ou on longe des c a n a u x d ro its av e c le u rs
écluses d ro ite s. A gauche, à d ro ite , p a r te n t en s e rp e n ta n t les « ch em in s
des cas d ’espèces ». C hem ins des bœ ufs, des ânes, des ch e v au x , chem ins de
to u s les ac com m odem ents im aginables. L a v o lo n té p rem ière, in ta n g ib le ,
e t à côté, la cote m al ta illée, la poire coupée en d e u x . L a sève qui m o n te
d ro it d an s le tro n c e t le caprice (qui n ’est q u ’a p p a re n t) des ra m u re s q u i
v o n t cherch er le u r lu m ière. A cet im m ense p ay s q u i é ta it u n m a q u is, o n
lu i a im posé u n sy stèm e h u m a in , u tile à nos in itia tiv e s .
de ses cottages : le désordre est inévitable, l’œil ne voit pas dans
l’espace, la belle spirale du plan de l ’architecte paysagiste. Il ne
v oit pas la rue, il v oit des façades de m aisons sous des alignem ents

incongrus; si ces m aisons étaien t debout sur sa tab le de trav ail,


il s’em presserait de les aligner droitem ent, de les grouper en massifs
orthogonaux.
Lorsque la rue serpente, l’œil n ’en apprécie que faiblem ent le
spectacle raccourci. Ordonnons alors a u to u r de ces voies courbes
(agréables à fouler) des alignem ents orthogonaux. Dressés dans
l ’h e u r e d u repo s 201
l’espace, ils c o n stitu en t le spectacle (ce que l’œil voit) et c’est
alors un spectacle d ’ordre.
(Cette théorie s’applique au terrain plat. Sur te rra in accidenté,
la courbe a des droits à priori pu isq u ’il s’agit, en serp en tan t, de
gagner des ram pes régulières; le pittoresque devient fatal, e t le
problèm e arch itectu ral consiste désorm ais à discipliner le désordre
im m anent en faveur d ’une u n ité toujours indispensable à to u t
sentim ent de bien-être e t à to u te in ten tio n esthétique.)

V illage b re to n (P lo u m a n a c h ), ru e
c o u rb e d a n s a lig n e m e n t o rth o g o n a l
des m aiso n s. La d ir e c tio n d u v e n t d o ­
m in a n t fixe l ’o rie n ta tio n p o u r to u te s les
m aiso n s, u n ifo rm é m e n t. Et cette c o n ­
sta n te est ag ré a b le .
San F ra n cisco . U ne ru e c o u rb e d o n t ia ra iso n n ’est pas a m b ig u ë : u n e s c a lie r p o u r au to s.

L ’architecte p e u t encore tire r de la rue courbe des effets agréa­


bles s’il élève au long de ses bords des façades contiguës; il réalise
une form e ém inem m ent plastique, m ais qui lasserait v ite si elle
se rép é tait beaucoup. D ans la ville, cette rue-là s’opposant à to u te
vision en a v a n t, paralysera la circulation autom obile. D ans les
cités-jardins, on cherche, a u ta n t que faire se peut, à éviter des
constructions contiguës en grand nom bre à cause de leurs m ul­
tiples inconvénients (terrains très étroits e t prom iscuité).
E n résum é, la rue courbe est essentiellem ent pittoresque. Le
p ittoresque est un agrém ent d o n t l’abus lasse vite.

*
* *

SU R LA L IB E R T É PAR L ’O R D RE
Nous vivons dans des ap p artem en ts. L ’a p p a rtem e n t est un
ensem ble d ’élém ents m écaniques et a rc h ite c tu ra u x a ssu ra n t
n otre sécurité e t n otre confort. P a rla n t d ’urbanism e, on p e u t con­
sidérer l’a p p a rtem e n t comm e une cellule. Les cellules, p ar la vie
en société, sont astreintes à des m odes de groupem ent, à des coopé­
rations ou à des antagonism es qui c o n stitu e n t l’un des élém ents
essentiels du phénom ène urbain. E n gros, nous nous sentons libres
dans n otre cellule (et nous rêvons d ’h a b ite r quelque p a rt une
m aison isolée pour assurer notre liberté); la réalité nous m ontre
que le groupem ent des cellules p orte a tte in te à n otre liberté (et
l ’h eu r e d u repo s 203
nous rêvons d ’h a b ite r... etc.); la vie en com m unauté serrée est
une astrictio n imposée p ar le fa it m êm e de la ville (événem ent
irrésistible); e t souffrant dans notre liberté comprom ise, nous
rêvons (bien chim ériquem ent) de briser le phénom ène collectif
qui nous enchaîne.
Il est possible, p ar l ’ordonnance logique des cellules, d ’a ttein d re
à la liberté p a r l ’ordre.
A y an t cherché depuis longtem ps à fixer certaines vérités
fondam entales de la cellule (réform e de l’a p p a rtem e n t e t de la
construction de l’ap p artem en t), j ’ai échafaudé p e tit à p e tit dans
l’ordre, p ar jeu de conséquences, un systèm e de groupem ent des
cellules, dans l’in ten tio n d ’opposer un fait bienfaisant au chaos
asservissant.
Définissons l’esclavage m oderne :
Le « num éro » d ’au tobus (le num éro q u ’on arrache à la souche
au pied du bec de gaz) est un exem ple p a rfa it de liberté m oderne
p ar l’ordre : vous êtes faible ou im potent, fo rt des halles ou boxeur,
vous aurez, dans l’au to b u s que vous attendez au pied d ’un bec de
gaz, la place à laquelle vous avez exactem ent droit. Souvenez-
vous combien la liberté é ta it foulée a v a n t l’in terv en tio n du « nu­
méro » d ’autobus, le faible écrasé, le dernier venu le prem ier, etc.
Voyons l’incohérence de l ’h a b ita t m oderne e t com bien la
liberté (verbale, verbeuse), que p oursuit passionném ent le « P a ri­
sien », est un leurre, une idée fixe qui couvre un fait défaillant (1).

(1) J e dis le « P arisie n » p arce que le v ra i P arisie n q ui se réclam e p a r


exem ple de la R é p u b liq u e de M o n tm a rtre fa it co n tre m a u v aise fo rtu n e
bon cœ u r (e t il est bien sy m p a th iq u e !); il h a b ite dans des vieilles pierres
h u m id e s; il n ’a p as de salle de bains, ni l’eau co u ra n te su r son lav ab o , p arce
que c’est à p eu près im possible à in sta lle r; l’escalier est obscur, la cuisine
« p o u r m ém oire », l’élec tricité a b s e n te ; il se chauffe au x b o u lets q u i lui
g rillent la face, lui g lacen t le dos et d isp e rsen t p a r to u t des flocons de suie
noire. Mais il a in v e n té su r sa fen ê tre le ja rd in de M im i P in so n ; la m aison
d ’en face aussi v é tu ste que la sienne a de b e a u x ap p u is de fen ê tre s en fer
forgé anciens, etc. Il est ad m ira b le m e n t philosophe. P a ris-c h a rm e u r lui
offre m ille d iv e rtisse m e n ts; il re n tre ta r d chez lui, e t ainsi souffre m oins
de ce tte absence de confort. N ’a y a n t p as le confort, le P arisie n n ’é ta n t pas g ro ­
gnon, il p re n d to u t du b on côté e t il tro u v e cela épatant : il se se n t u n hom m e
libre; c’est éc rit à to u t in s ta n t dans les jo u rn a u x , c’e st ch a n té d an s to u te s les
« revues ». C’e s t u n é t a t civil. C’e st une philosophie : tout va bien ! on est
lib re! L a Seine elle-m êm e e st libre : elle so rt de son lit to u s les an s; elle
ino n d e des m illiers de brav es gens. T o u t v a bien, on e st libre, la Seine aussi!
E t ainsi de suite, etc. E t il y a encore l’a u tre P arisien , celui q u i h a b ite un
a p p a rte m e n t cossu d ans u n e m aison neuve, su r un e g ran d e avenue, avec
ascenseur, salle de b ains e t ta p is d ans l’escalier. Celui-là a la d év o tio n du
vieux P aris, des m urs cro u la n ts e t des v ie u x fers forgés. Les jo u rn a u x e t les
rev u istes lui o n t fa it aussi sa belle religion « ta n t m ieu x » de la lib erté
p arisienne.
204 U R B A N ISM E

P rem ier pauvre diable : le concierge, loge m inuscule, atm os­


phère m ortelle; vigie pleine d ’a rb itra ire ; vous êtes libre d ’en agir
chez vous contre l’usage, ou bien vous êtes harcelé p ar une harpie,
su iv an t v o tre é ta t de grâce auprès de ce dieu lare; p e n d a n t que
« la concierge est sortie », que « la concierge est dans la cour », que
« la concierge est dans l ’escalier », vos visiteurs chercheront en vain
à vous a tte in d re : la concierge est introuvable.
Mais chez vous, « enfin seuls! ». B ast! phonographe, piano,
cris ou roucoulem ent dessus, dessous, à gauche ou à droite. Vous
êtes « sandw iché » entre trois ou q u a tre voisins; vous êtes un caillou
dans un poudingue. L ’escalier est en général un organe de chemi­
nem ent m al comm ode e t m al éclairé. Chacun non plus n ’a pas
d ’ascenseur. Vous avez une, deux dom estiques; on les loge sous
le to it, m al, et en une prom iscuité bien souvent scandaleuse. Avec
la question des dom estiques commence véritab lem en t le règne de
la fam euse liberté! Repos hebdom adaire des dom estiques : c’est
nous qui nous servons. Si vous aimez recevoir le soir, vos domes­
tiques ne m archeront pas; vous avez des révoltes du palais. Vous
aim eriez parfois donner une fête; où? dans v otre salon? P e tit le
salon, et à 10 heures du soir vos voisins e n ten d en t dorm ir. Si
bien q u ’il y a fête deux fois l’an dans le P aris libre : une fois à la
Saint-Sylvestre chez soi, une fois au 14 Ju ille t dans la rue. Culture
physique : la salle est à une dem i-heure, à une heure de chez vous;
on vous y réclam e 100 et 200 francs p ar mois : vous n ’y allez pas,
c’est tro p m alcom m ode. Vous résigner à faire du « systèm e Muller »
dans v otre cham bre à coucher? il fa u t une volonté de fer qui vous
abandonne à la troisièm e te n ta tiv e après les réveils toujours tro p
tardifs du m atin : on ne fait pas de culture physique.
R avitaillem ent : la p e tite B retonne s’en va chez le P o tin du
quartier, beaucoup de tem ps perdu, et to u t cela très cher. Ah!
votre a u to ? Le garage à dix m in u tes; s’il pleut vous rentrez trem pé,
m algré v otre auto. Les enfants sont conduits pour jouer au L uxem ­
bourg, a u x Tuileries, au parc Monceau, etc., à vrai dire, les
enfants qui o nt une nounou ou une « m adem oiselle ».
Si l’on effaçait d ’un tra it t a n t d ’ennuis? Si, déplus, l’on appor­
ta it des innovations e t des perfectionnem ents pleins d ’agrém ent?
Si l’on réd u isait vos frais? Si l’on vous d éb arrassait de presque
to u tes vos préoccupations dom estiques? Si, p ar une mise en ordre,
on vous assu rait la presque to ta lité de v otre liberté dom estique :
que, par l’ordre, vous ayez la liberté ? que l’esclavage m oderne soit
tu é dans l ’œ uf?
E xam inons ce q u ’il fa u t à un m énage (une cellule); ce q u ’il
l ’h e u r e d u repo s 205
fa u t à un certain nom bre de cellules dans leurs rap p o rts obligés
et estim ons le nom bre de cellules qui peuvent utilem en t form er
une agglom ération régissable, régissable comme un hôtel, comme
une com m une, — une com m unauté qui, dans le fait urbain, de­
vienne elle-même un élém ent organique clair, défini, a y a n t une
fonction délim itée p e rm e tta n t de reconnaître des besoins stricts
et de poser le problèm e. Alors posons le problèm e et après étude
nous arriverons à une proposition qui doit pouvoir répondre à
bien des postulats : 1° liberté; 2° agrém ent; 3° b e a u té ; 4° économie
de construction; 5° économie d ’exploitation; 6° santé physique;
7° fonctionnem ent harm onieux des organes nécessaires; 8° p a rti­
cipation féconde au phénom ène urbain (circulation, respiration,
police, etc.).
Voici la conception des Lotissements Fermés à Alvéoles ou
« Im m eubles-V illas » (1).
Dim ension des lots : 400 x 200 m ètres (intersection favorable
des rues, voir page 151). Les façades to u rn e n t le dos à la rue; elles
ouvrent sur des parcs de 300 x 120 m ètres (4 hectares environ).
P oint de cours ni de courettes. Chaque a p p a rtem e n t est en vérité
une m aison à deux étages, une villa a y a n t son jard in d ’agrém ent,
à n ’im porte quelle hau teu r. Ce jard in forme une alvéole de 6 m ètres
de h a u t p ar 9 m ètres de large e t 7 m ètres de profond ventilée par une
grande trém ie de 15 m ètres carrés de section; l’alvéole est une prise
d ’air; l’im m euble est comme une im m ense éponge qui pren d rait
de l’air : l’im m euble respire. Le grand parc est au pied des ap p a r­
tem ents, relié directem ent p ar six passages souterrains : un terrain
de foot-ball, deux tennis, trois grandes places de jeu x ; un pavillon
pour club des sports, des futaies libres, des pelouses. La rue n ’est
pas que celle des voitures, elle se continue en h a u te u r p ar les vastes
escaliers (avec ascenseurs et m onte-charges) qui desservent chacun
100 à 150 villas; elle se poursuit encore à diverses hau teu rs p ar les
passerelles qui franchissent la chaussée et se prolongent en corri­
dors sur lesquels o uvrent les portes des villas. D errière chacune de
ces portes : une villa; chaque villa occupe un cube p arfaitem ent
exact e t chacune d ’elle est to talem en t indépendante de sa voisine;
les jardins suspendus l ’en séparent. La rue est encore dans le garage
qui se tro u v e à niveau de la chaussée et sous une partie du dessous
de celle-ci; chaque villa a son garage. C ette chaussée est entière­
m ent construite de béton et elle ne reçoit que la circulation légère

(1) L a p rem ière étu d e détaillée fu t exposée au Salon d ’A u to m n e de 1922


e t dans la prem ière éd itio n de Vers une Architecture.
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• CIRCULER...
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4 so n s u n iq u e , vite ss e u n iq u e

Une ordonnance préfectorale


sur la circulation des poids lourds
M. Alorain, p réfet de police, a s i­
gné h ie r une ordonnance concernant
la circulation des véhicules à m a r­
che lente et des voitures de charge
dans certaines-rues de P aris.
Voici les noms de ces ru es et les
conditions dans lesquelles elles d e ­
vront être em pruntées.
La. circiilation des véhicules a marche
lente ou ne suivant pas-l’allurè générale
du -îlot et notamment la circulation des
tombereaux, dos fardiers, des voitures
de gros camionnage, de déménagements,
de celles servant au tiansport de lourdes
charges, des matériaux de construction
et de tous véhicules conduits à l ’allure
h du. pas, ainsi que la circulation des voi­
te tures à bras, véhicules automobiles à
bandages rigides dont le poids tota en
charge est supérieur à 4,500 kilos et des
tracteurs automobiles avec remorque
servant au transport des marchandises
est interdite, de 15 heures à 19 heures,
dans les. voies désignées .ci-après : rue

PARIS FAIT PEAU NEUVE


460.000 m ètres c arrés sont ou vont être repavés
E t cela coûtera environ 27 m illions

V » S O m jœ V A .3 R 3 D ÏM fcS rT A L IK K S
l ’h e u r e d u repo s 207
des autom obiles; elle est en l’air, sur pilotis. Les cam ions lourds,
les au tobus so n t au-dessous, sur la terre e t les cam ions p euvent
accoster directem ent au x docks des im m eubles qui sont les rez-
de-chaussée; il n ’y a plus jam ais de ces stationnem ents désastreux
au bord des tro tto irs, qui em bouteillent les rues a u jo u rd ’hui et
coupent la circulation des piétons. Les canalisations de la ville sont à
l’air libre et désorm ais les terrassiers ne creuseront plus des tranchées.
Il y a sur le to it de l ’im m euble une piste de 1.000 m ètres où l’on
court à l ’air pur. L à -h au t encore, se tro u v e n t les gym nases où
des m aîtres de gym nastique feront trav ailler u tilem en t chaque
jo u r les p aren ts comm e les en fants; il y a les solarium s (les É ta ts -
Unis livrent actuellem ent une bataille victorieuse à la tuberculose
p a r les solarium s). Il y a encore des salles de fêtes qui p e rm e tte n t
à chacun de recevoir gaiem ent e t grandem ent quelquefois dans
l’année. Il n ’y a plus de concierge. Au lieu de soixante-douze ou
cent q u a ra n te-q u a tre concierges, il y a six valets qui font les trois
hu it, et, jo u r e t nuit, surveillent la m aison, reçoivent e t annoncent
p ar téléphone les visiteurs e t les canalisent dans les étages p ar les
ascenseurs; ils se tie n n e n t dans six halls m agnifiques de 30 m ètres
con struits à cheval sur la double chaussée. Sur ces chaussées la
circulation est à sens unique p a rto u t et le piéton n ’a pas à trav erser
la rue pour pénétrer dans les maisons.
Le plan e t la coupe m o n tre n t un classem ent logique de tous
les élém ents : p a r l’ordre, voici la liberté.
Les sta n d a rts les plus rigoureux règlent l’ensem ble e t les
m oindres détails; l'in d u strialisatio n du ch an tier tro u v e là une
application sans com prom is.
Mais si 660 ap p artem ents, c’est-à-dire 3.000 à 4.000 personnes
o n t été ainsi groupées dans un lotissem ent ferm é à alvéoles, c’est
en vue de constituer une com m unauté, d o n t la gestion appo rtera
ici aussi la liberté p ar l’ordre (6 trém ies d ’escalier e t 6 anticham bres
correspondent à 660 ap p artem en ts disposés sur cinq hauteurs,
règlem ents actuels de la Ville de Paris. Mais si l’on b â tissait sur
six hauteurs, on a u ra it 792 a p p a rtem e n ts; sur sept hauteurs, on
a u ra it 924 appartem ents).
Le rez-de-chaussée des im m eubles-villas est une v aste usine
d ’exploitation dom estique : ravitaillem ent, restau ratio n , service
de dom esticité, blanchissage.
Si nous avons vu le réseau des rues se poursuivre des chaussées
inférieures e t supérieures ju sq u ’à la porte de chaque villa, le plan
m ontre un a u tre réseau — vertical celui-là — qui pénètre l’im ­
m euble de bas en h a u t, reliant le rez-de-chaussée-usine à tous les
I
s-

3
« L o tisse m e n ts fe rm é s à alvéoles. »
F ig . 1. — C o u p e v e rtic a le e n tr a v e r s d e là ru e , s u r le sy stè m e de l ’e s c a lie r, des pas­
s e re lle s et des ja r d in s su s p e n d u s .
F i g . 3. — P la n étab li à la h a u te u r d u h a ll d ’e n tr é e en p asserelle s u r la r u e . A
g au ch e e t à d ro ite , les im m e u b le s, sé p a ré s p a r la ru e d e 50 m è tre s de la r g e ; p u is les
tr o tto ir s avec les escaliers d ’accès au h all ; p u is les 2 ch au ssées à sens u n iq u e ; au m ilieu
la to itu re d es g arag es.
A, H all.
E, T ré m ie d u g ra n d e s c a lie r, a scen se u rs, m o n te -c h a rg e .
C, C o rrid o rs s u r le s q u e ls o u v re n t le s villas.
VJ, J a rd in su s p e n d u d ’u n e villa.
VS, S alon d ’u n e villa.
N, T ro tto ir e t e sc a lie r d ’accès au h a ll.
M, C h au ssée s u r p ilo tis p o u r c irc u la tio n lé g ère.
P , C haussée s u r le sol p o u r c irc u la tio n lo u r d e .
Z, P assage so u te rra in c o n d u is a n t aux p a rc s in té r ie u rs .
R, P arcs in té r ie u rs .
g, S o la riu m s (sous S, on v o it l’un des escaliers de service).
‘J

« L o tissem en ts fe rm é s à alvéoles. »
F ig . 2. — C o u p e en lo n g s u r l’axe de la r u e e t l’e s c a lie r p rin c ip a l.
F i g . 4 — P lan (à g au ch e s u r les g a ra g e s o u v ra n t s u r les c h au ssée s s u p é rie u re s s u r
p ilo tis ; (à d ro ite ) s u r les g arag es situ é s a u -d e sso u s à n iv e a u des c h au ssée s in fé rie u re s .
G* est r e lié à G p a r u n m o n te -c h a rg e é lé v a te u r de v o itu re s. De G e t de G1, on c o m m u ­
n iq u e d ire c te m e n t au g ra n d e s c a lie r E e t au Hall A, e t p a r c o n s é q u e n t aux villas VJ
o u VS.
A, P la n a u n i­
veau d es to itu re s -
so la riu m s.

B, P lan à u n ni­
veau q u e lc o n q u e
d es villas.

Í^ L ¿ jL ¿ A ¿ l¿ J L n ia jü U ¿ / ^ \ A L U J jU U L U L U t
/77777777777777777T7 g , ¡E//77/777/7T77///
i "xyxv^ wîwxywvyw r --te"r-rowm m uv

G, P lan à niv eau


d u so l s u r les
parcs in té rie u rs ,
s u r l ’u sin o a lim e n ­
ta ire e t l ’o rg a n isa ­
tio n h ô te liè re , s u r
les ch au ssées in fé­
rie u re s à c irc u la ­
tio n lo u rd e .

« L o tissem en ts ferm és alvéoles. » P lan d ’onsem lile d ’un loi (400 m . x 200 m .).
A, On v o it l ’a rriv é e des esc a lie rs de serv ice d e sse rv a n t ch acu n u n se c te u r v e rtic a l de
2 v illas e t d o n n a n t d an s les so la riu m s e t la p iste de c o u rse .
B, On v o it la p é n é tra tio n d ’a ir d an s c h a q u e ja r d in su sp e n d u e t la m a n iè re d o n t les
v illas so n t re lié e s a u ré se a u d es c o rrid o rs e t des g ra n d s e scaliers, aux g a rag es, aux h alls
e t au x d e u x ru e s su p e rp o sé e s.
C, On v o it le rez-d e-ch a u ssée d o u b le , ré se rv é à l ’o rg a n isa tio n u o ie liè re : frig o rifiq u e s ,
m a g a sin s, d é p ô ts , c u isin e s, re s ta u r a n ts , b la n c h is se rie , se rv ice d e d o m e s tic ité , a d m in is­
tr a tio n , e tc .
S u rface p la n té e de ces lo tiss e m e n ts : 48 p . 100.
S u rface p la n té e avec les ja rd in s s u s p e n d u s a d d itio n n é s : 90 p 100.
D en sité : 300 à l’h e c ta re (P aris actu el, m o y e n n e : 364).
212 U R B A N ISM E

corridors de service de chaque villa. C’est p a r là que s’organise


l’exploitation dom estique des lotissem ents à alvéoles.
Des organisations coopératives ou hôtelières assum ent les
services de ravitaillem ent e t de dom esticité.
R avitaillem ent : les denrées sont achetées en provenance
directe de province : viandes, venaisons, légumes, fru its; elles sont
abritées dans les frigorifiques construits au rez-de-chaussée. R éduc­
tion de 30 à 40 p. 100 sur les p rix des grands m archands de comes­
tibles. (Je pose aux spécialistes la question de savoir ce que devien­
d raien t les Halles C entrales avec l’application d ’un tel systèm e?)
Des cuisines sont prêtes à fournir les repas à to u te heure, comme
dans les palaces de la Côte d ’A zur ou comme dans les m odestes pen­
sions de fam ille. Vous ram enez à souper des am is à m inuit, après
le th é â tre : un coup de téléphone; à v otre arrivée chez vous, la
tab le est dressée, un dom estique vous sert sans rechigner; il v ien t
précisém ent de prendre son service à m inuit, pour trav ailler ju s­
q u ’à 8 heures du m atin. Un géran t de grand hôtel, un spécia­
liste, avec un é tat-m ajo r de spécialistes, organise e t réalise l’ex­
ploitation dom estique de l’im m euble. Vos nettoyages se font par
des nettoyeurs de profession e t vous n ’aurez plus les bouderies de
la petite B retonne d ev an t le p a rq u e t à fro tter. Si to u t le service
p e u t être entièrem ent assum é p a r l’organisation hôtelière — à
votre gré — il vous est toutefois loisible d ’avoir chez vous, dans une
coquette cham bre de v o tre villa, une dom estique « de fam ille »
qui fricotera des plats « de m aison » ou bercera les enfants. Mais si
vous habitez l’im m euble-villa, vous aurez résolu la crise des domes­
tiques, ce qui n ’est pas peu pour votre tran q u illité quotidienne;
vous aurez acquis la liberté p a r l’ordre.
D ans le fait urbain présent to u t est confusion, to u t se contre­
carre, rien n ’est classé. Si l’on classe, si l ’on m et de l’ordre, on
goûtera les joies sereines de la liberté. E t la vie de fam ille pourra
s’organiser dans la paix; e t le célibataire, le vieux garçon m alin,
ne sera plus le plus m alin.
« L o tissem en ts fe rm é s à alv éo les. »
P e rsp e c tiv e a x o n o m é triq u e d ’u n lo t.
La h a u te u r d es im m e u b le s est ici de 36 m . e n v iro n a u -d e ssu s d u sol n a tu r e l.
« L o tis se m e n ts ferm és à a lv é o le s .» Un fra g m e n t de façade. Le m o d u le é tr iq u é des
façades a c tu e lle s (3 m . 50) e s t p o r té à 6 m ., c o n fé ra n t à la ru e u n c a ra c tè re d ’a m p le u r
t o u t n o u v eau .

U n fra g m e n t de so la riu m (réa lisé s u r les to itu re s d ’h ô tels p a rtic u lie rs à Au-
teuil, 1924).
SU R LA S É R IE
Précédem m ent, au su jet d ’esthétique, d ’économique, de per­
fection, d ’esprit m oderne, nous avions dém ontré cette nécessité :
B â t i r a l ’a i r l i b r e . L a ville actuelle se meurt d’être non
géométrique. B âtir à l’air libre, c’est remplacer le terrain biscornu,
insensé, qui est le seul existant aujourd’hui, par un terrain régulier.
Hors de cela, pas de salut. Conséquence des tracés réguliers : la
Série.

« L o tissem en ts ferm és à a lv é o le s » , p e rsp e c tiv e e t c o u p e a x o n o m é triq u e d ’u n e villa,


« d ’u n im m e u b le -v illa s ». S ta n d a rtis a tio n g é n é ra le de to u s les é lé m e n ts c o n s tru c tifs . C et
é lé m e n t est r ig o u re u s e m e n t réalisé à l’E x p o sitio n In te rn a tio n a le des A rts d é c o ra tifs au
P av illo n de l ’E sp rit N ouveau.
l ’h e u r e d u repo s 217

1915. M aison « D om ino ». O ssatu re s ta n d a rt p o u r e x é c u tio n e n g ra n d e série.

1922. S a lo n d ’A u to m n e : m aiso n « C itro h a n ». S ta n d a rtis a tio n g é n é ra le (o ssatu re,


p o rte s, f e n ê tre s .

1922. S alo n d 'A u to m n e . « Im m e u b le -v illa s ». In d u stria lis a tio n du c h a n tie r p a r sta n ­


d a rtisa tio n g é n é ra lisé e .
218 U R B A N ISM E

». , KIN

1924-25. P a v illo n de l ’E sp rit N ouveau à l’E x p o sitio n d es A rts d é c o ra tifs. A g au ch e, le


p a v illo n d e s d io ra m a s (u rb a n is a tio n d ’u n e v ille d e 3.000.000 d ’h a b ita n ts , p la n « V o isin »
d e P a ris); à d ro ite , u n e c e llu le e n tiè re d e « l’Im m e u b le -v illa s » avec to u s é lé m e n ts stan-
d a rtisé s .

1924. E sq u isse d u P a v illo n d e l ’E s p rit N ouveau. M. de M onzie, m in is tre , in a u g u ra n t,


le 10 ju ille t 1925,1e P a v illo n de l ’E s p r it N ou v eau , a d it : « E n ta n t q u e r e p ré s e n ta n t du
G o u v e rn e m e n t, je tie n s à a ffirm e r ic i la sy m p a th ie d e c e lu i-ci p o u r d e te ls effo rts ; u n
G o u v e rn e m e n t ne d o it p as r e s te r é tr a n g e r aux re c h e rc h e s q u i so n t faites ic i. »
l ’h e u r e d u repo s 219
Conséquence de la série : le standari, la perfection (création
des types).
La série dom ine to u t, nous ne pouvons plus produire industriel­
lem ent, à des prix norm aux, hors série; im possible de résoudre la
question de l’hab itatio n hors de la série. Les chantiers doivent être
des usines avec leurs états-m ajors e t leurs m achines, leurs équipes
taylorisées. Les intem péries e t les saisons sont alors vaincues. Le
« b â tim e n t » ne p e u t plus a d m e ttre la m orte-saison.
Sans préjuger en rien de leur valeur intrinsèque, on p eu t vrai­
m en t a d m e ttre que les plans soumis à l’appui de la conception des
lotissem ents ferm és à alvéoles viennent au -d ev an t du problèm e de
la série. Ce classem ent, cette déterm ination la plus aiguë possible des
fonctions, ne p euvent conduire q u ’à la réalisation, après expériences
successives, de ty p es v raim en t purs. P a r a b a ttem e n ts successifs,
to u tes les difficultés p euvent être vaincues p e tit à p e tit e t une
fonction architecturale e t urbaine saine p e u t alors développer ses
effets.
Que de grands industriels exam inent de tels plans : voilà, pen­
seront-ils, le lieu d ’application d ’un im m ense trav ail. Alors l ’in­
dustrie se consacrera au b â tim e n t e t le cadre u rbain de notre
tra v a il e t de notre repos se transform era.
Il fa u t étudier la cellule parfaitem en t hum aine, celle qui ré­
pond à des constantes physiologiques e t sentim entales. A rriver
à la m aison-outil (p ratique et suffisam m ent ém ouvante), qui se
revend ou se reloue. La conception « mon to it » d isp araît (régiona­
lisme, etc.), car le tra v a il se déplace (l’em bauche), e t il serait logique
de pouvoir suivre avec armes et bagages. Arm es e t bagages, c’est
énoncer le problèm e du m obilier, le problèm e du « ty p e ». Maison-
type, m eubles-types (1). T o u t se fom ente déjà, les idées se ren­
c o n tren t et se croisent sur ce point qui est un sentim ent incisif
a v a n t que d ’être une conception claire. C ertains esprits déjà, envi­
sageant le bâtim en t, a g iten t la question d ’une organisation in te r­
nationale des sta n d a rts du b â tim e n t (2).

(1) V oir Vers une Architecture e t l’A rt décoratif d ’aujourd’hui, chez Crès.
(2) Le p av illo n de l’E sp rit nouveau, à l’E x p o sitio n des A rts d éco ratifs
de 1925, à l’occasion d u q u el ce liv re e st p u b lié , c o n s titu e ra u n d o cu m en t
de s ta n d a r tis a tio n . T o u t ce qui le m e u b lera se ra p ro d u it de l’in d u strie et
non des d éc o rate u rs. Le b â tim e n t lui-m êm e e s t la cellule d ’u n « im m euble-
villa », élém e n t d ’u n lo tissem en t à alvéoles. A p rès l’ex p o sitio n , il sera tr a n s ­
p o rté en b an lieu e , élém e n t de c ité -ja rd in . Les é tu d e s q u i fo n t l’o b je t de ce
livre y se ro n t exposées, m o n tr a n t co m m en t se c o m p o rte la cellule d an s
l’en sem ble P ro b lèm e d ’a r t d é c o ra tif (l’affectiv ité) e t g ra n d u r b a n is m e ,—
les d eu x e x trê m e s de la q u estio n .
(Ce p ro g ra m m e soum is en ja n v ie r 1924 à MM. Ch. P lu m e t e t L. B on-
220 U R B A N ISM E

SU R LE PAYSAG E U R B A IN
R arem en t nous aim ons à po rter nos yeux sur la découpure
que font les m aisons sur le ciel; ce spectable nous affecte tro p
péniblem ent. C ette découpure est d ’un b o u t à l’a u tre de la ville,
et presque en to u tes les rues, une déchirure — ligne cassée, brutale,
heurtée, hérissée d ’obstacles. De plus notre joie, nos enthousiasm es,
ne sont pas sollicités p a r l’incohérence q u ’elle dénonce. Nous serions
a u tre m e n t émus si cette ligne qui profile la ville sur le ciel é ta it
pure et si nous ressentions p ar elle la présence d ’une puissance
ordonnatrice. La lucarne, la tuile et la gouttière couronnent la
ville, occupant dans le site urbain cette place privilégiée où se
coupent en une intersection catégorique les deux élém ents déter­
m inants de la sensation optique.
Le béton arm é nous app o rte la libération, un renversem ent
im p o rta n t du plan p a r lequel la to itu re (tuiles, lucarnes e t gout­
tières), considérée ju sq u ’ici comme un « no m ans land » h a n té par
les chats de M. W illette, devient une im m ense surface récupérée,
une surface de ville disponible pour des jardins ou des prom enades.
P oétiquem ent, les jard in s de Sém iramis nous sont venus; ils sont
réalisables e t réalisés; ils éto n n en t e t ravissent, ils sont utiles et
ils sont beaux. La ligne qui profile la ville sur le ciel est pure et
par elle il nous est loisible d ’ordonner avec am pleur le paysage
urbain. E t ceci est capital. J e répète que cette ligne sur le ciel est
d éterm inante de la sensation; ce n ’est pas au tre chose q u ’en sta ­
tuaire, le profil, le contour.
Im m édiatem ent j ’affirm erai que cette p u reté reconquise de
l’horizon urbain n ’est pas suffisante si la rue-corridor demeure.
B risan t la rue-corridor, il faut, à proprem ent parler, créer l’étendue
du paysage urbain. E tendue e t non pas toujours cette unique
profondeur étriquée du corridor. E n dessinant les « lotissem ents à
redents », j ’étale cet horizon loin à droite e t loin à gauche et, par
des retours sur l’axe longitudinal, je compose arch itectu ralem en t :
la ligne autrefois sèche du corridor enferm e m ain te n a n t des prism es,
accuse des enfoncem ents ou des saillies ; la paroi aride e t énervante
du corridor est rem placée p ar des volum es qui se ju x tap o sen t,
nier, a rc h ite c te s en chef de l’E x p o sitio n , fu t rep o u ssé c a té g o riq u e m e n t. Ces
m essieurs v o u lu re n t m ’im p o ser ce th è m e : la m aiso n d ’u n a rc h ite c te . J e
rép o n d a is : N on, la m aison de to u t le m onde, ou to u t b o n n e m e n t l’a p p a r ­
te m e n t d ’u n m o n sieu r q u elco n q u e a y a n t des soucis de b ie n -ê tre e t de
b ea u té .
L a divergence f u t com plète, irré d u c tib le . Le p av illo n de l’E s p r it N o u ­
v ea u fu t érigé en co n tre b a n d e , sans les ju ry s, e t san s a rg e n t aussi. N ous
connûm es bien des v ic issitu d es 1)
C hicago.

L o tissem en ts
à « re d e n ts ».

Mais o n d it : « T o u t ce la re fe ra l’h o r r e u r des villes a m é ric a in e s tra c é e s a u c o r­


d e a u l » V oici u n e c o m p a ra iso n .

s’éloignent, se rapprochent, créent un v iv an t e t m onum ental


paysage urbain.
Nous profiterons du principe de ces tracés nouveaux, pour
introduire les arbres dans la ville. P our l’in sta n t, laissant de
(i L o tisse m e n ts à r e d e n ts » p o u r q u a r tie rs de ré s id e n c e . Ce p la n m o n tre les ru e s de
g ra n d e c ir c u la tio n (50 m . d e la r g e ) f o rm a n t d es q u a d rila tè re s de 400 X 600 m è tr e s .T o u s
les 200 m ., ru e s d e m o y e n n e c ir c u la tio n .
Les g ra n d s îlo ts ain si fo rm é s p e u v e n t ê tr e c lô tu r é s de g rille s . P é n é t r a n t j u s q u ’aux
h alls d es im m e u b le s , d es ru e s p riv é e s d ’accès avec p a rc s d e s ta tio n n e m e n t (ST). P o u r
ch a q u e a p p a r te m e n t, u n g a ra g e (G). P arcs p a r to u t, au ssi vastes q u e d es P alais-R o y a l,
d e s L u x e m b o u rg , d e s T u ile rie s , e tc . S u rface bStie : 15 p . 100. S u rface p la n té e
85 p. 100.
D en sité : 300 p a r h e c ta re (P a ris, m o y e n n e : 364).
224 U R B A N ISM E

côté les facteurs d ’hygiène, on p e u t a d m e ttre q u ’esthétiquem ent


p arlan t, la rencontre des élém ents géom étriques des bâtim en ts et
des élém ents pittoresques des végétations constitue une conju­
gaison nécessaire e t suffisante au paysage urbain. E n effet, —
ceci obtenu, — cette richesse des élém ents plastiques, prism es
nets des im m eubles, volum es ronds des feuillages, lignes ara-
besquéés des ram ures, que reste-t-il à faire, sinon à développer
de tels av an tag es? P our fixer les idées voici la com paraison la
plus im m édiate : les Tuileries pourro n t s’étendre do rén av an t sur
des qu artiers entiers, jardins français, jard in s anglais, géom étrie
des architectures. J e conclus p ar cette affirm ation rassu ran te :
les façades des im m eubles « à redents » peu v en t être d ’une
grande uniform ité; elles feront, au loin comme au près, un grillage,
un treillage, sur lequel les ram ures des arbres se profileront avec
avantage; elles feront un dam ier avec lequel la géom étrie des
p arterres s’associera bien. J e rappelle les conclusions d ’un chapitre
précédent : l’uniform ité des détails est à la base des ordonnances
architecturales; de l’uniform ité dans le détail, du tu m u lte dans
l’ensem ble. Le problèm e s’est étendu : la m aison n ’est plus un b o u t
de façade de 15 ou de 25 m ètres; elle s’étend sur 200, sur 400 m ètres
e t se développe au long du tracé m ouvem enté des redents. É voquons
les P rocuraties, la place des Vosges ou de Vendôme, e t n ’ad m ettons
pas une m inute que les « décors » riches sont la seule b eau té de ces
choses célèbres. L ’économ iste conclura : voici un tra c é qui s’offre
à l’industrialisation du ch an tier (m achines, organisation indus­
trielle, sta n d a rts, etc.). D u sol s’élancent les frondaisons, au loin
s’étalen t les pelouses, courent les plates-bandes fleuries. Un cirque
de géom étrie contient ce pittoresque rav issan t e t le ciel se pose
lim pidem ent sur un horizon qui, à lui seul, fait architecture. De
l’ancienne rue ou avenue-corridor, le paysage urbain s’est, enrichi
beaucoup; le site est am ple, noble e t gai.
l ’h e u r e d u repo s 225

A L ’ÉCHELLE H U M A I N E

T o u t cela ne p e u t être que fonction d ’un hom m e d o n t la taille


varie entre 1 m. 50 e t 1 m. 90. Cet hom m e seul en face de vastes
étendues se lasserait. Il fa u t savoir resserrer le paysage urbain et
in v en ter des élém ents de m esure à notre échelle. Le problèm e n ’est
a u tre q u ’un problèm e d ’a rch itectu re; en architecture on travaille
p a r le m oyen des contrastes; on fait sym phonie d ’élém ents simples
e t compliqués, p e tits e t grands, graciles et puissants. Les imm enses
constructions du prochain urbanism e nous écraseraient; il fau t
une com m une m esure entre nous e t ces œ uvres géantes. J ’ai déjà
constaté que l’arbre é ta it cette chose que nous agréons tous, parce
que nous sommes lointainem ent des êtres de la n a tu re ; e t le phé­
nom ène urbain, oubliant to ta le m e n t la n atu re, se dresserait vite
à re n c o n tre de profondes hérédités. L ’arbre clôt le site tro p vaste
parfois ; sa silhouette prim esautière contraste avec la ferm eté de ce
que nos cerveaux o n t conçu e t que nos m achines o n t fait. L ’arbre
semble bien être cet élém ent essentiel à n otre confort qui apporte
à la ville quelque chose comme une caresse, une obligeante p ré­
venance, au m ilieu de nos œ uvres autoritaires.
On ne sa u ra it m éconnaître aussi la nécessité de resserrer
parfois le paysage urbain e t de satisfaire à ce besoin que nous avons
de nous coudoyer, de nous rencontrer nom breux, de nous voir de
to u t près. T oujours on pensera à l’échelle hum aine en com posant
les énorm es constructions issues des nécessités p ratiques et finan­
cières. Il ne fa u t pas q u ’un jour l’on s’ennuie dans la ville.
Si les gratte-ciel poussent leurs étages au delà de 200 m ètres
de h au teu r, entre ces constructions gigantesques e t au m ilieu des
étendues dem eurées libres, des boulevards seront tracés, serrés
de constructions de un, deux ou trois étages, à gradins successifs
où se tie n d ro n t les comm erces d o n t l’objet est de plaire, les m aga­
sins du luxe, avec leurs étalages p im p an ts; où seront égalem ent
les resta u ra n ts et les cafés, en terrasses successives, o u v ran t sur
les quinconces des arbres ou dom inant l’étendue des parcs anglais.
La rue sera reconstituée p ar des élém ents essentiellem ent à l ’échelle
hum aine. La ville des gratte-ciel réinstaurera précisém ent ces
échelles si conform es à nos propres dim ensions : les m aisons à un
étage. E t c’est à cause de cela, que l’analyse, après nous avoir
m enacé de l’effroi e t de l’ennui, nous v au d ra une chose que nous
« L o tisse m e n ts à re d e n ts . » P e rsp e c tiv e a x o n o m é triq u e . G râce à la p é n é tra tio n d 'a ir
e t d e lu m iè re d u sy stèm e à « alvéoles » la p r o f o n d e u r des im m e u b le s p e u t ê tre p o r té e
à 21 m è tre s, san s c o u rs in té r ie u re s .
Un d isp o s itif spécinl à h n u t r e n d e m e n t, d es v illas d is p o s é e s en q u in c o n c e , p e r m e t
d e r é d u ire à 3 le n o m b r e des c o r r id o r s d ’accès p o u r 6 h a u te u rs de v illas, so it p o u r
]2 étag es. On voit ce d is p o s itif s u r le fra g m e n t c o u p é v e rtic a le m e n t au bas de ce tte
fig u re .
228 U R B A N ISM E

avions dû dès longtem ps abandonner à regret dans les villes du


x i x e siècle : les architectures à notre échelle.
La foule e t la cohue nous intéressent parce que nous sommes
des êtres v iv a n t volontiers en groupem ent. C ette ville, plus dense
que les grandes villes actuelles, reconstituera à notre volonté les
forum s où nous nous coudoierons ; des arbres, des fleurs e t des pe­
louses s’é te n d a n t loin, des m aisons à rez-de-chaussée seulem ent, avec
des terrasses en re tra its successifs, co n stitu ero n t le spectacle récon­
fo rta n t offert à nos yeux. Que nous im porte q u ’au-dessus de ces
élém ents « confortables » et derrière les feuillages, se dresse
la form idable silhouette des gratte-ciel? Ainsi reportées au
deuxièm e plan de notre vision, noyées dans de vastes espaces
de lumière, luisantes dans leur revêtem ent de verre, leurs masses
n’o n t plus rien de com m un avec le poids écrasant qui étouffe et
obsède à New-York. Que nous im porte dans les lotissem ents à re­
dents, que les lignes catégoriques des terrasses soient portées à
40 m ètres de h auteur, si elles dessinent un bel et am ple contour
arch itectu ral e t si elles ten d e n t un tra it p u r sur le foisonnem ent
gracieux des frondaisons pleines de chants d ’oiseaux.
A l’échelle hum aine? Il suffit de poser bien le problèm e; dis­
poser des verdures e t créer des tracés urbains infinim ent plus riches
que la rue-corridor avec laquelle, ju sq u ’ici, nous avons, sans m éna­
gem ent, a ttris té nos cœurs.
l ’h e u r e d u repo s 229

SUR LA FIERTÉ
L a fierté redresse les échines, elle fait lever la tê te ; elle oppose
à la dépression le redressem ent, à l ’étiolem ent la poussée, à la
mollesse la ferm eté, à l’indifférence l’in térêt, à l’insouciance l ’ac­
tion ; la fierté est un levier. L a fierté n ’est pas l’orgueil ni la vanité.
L a fierté civique parfois s’em pare des m asses, a p p o rta n t une
foi et l ’action. Avouons-le : ce sont ces m om ents de foi p o rta n t à
l’action qui sont les heures heureuses; surgis de l ’action (d ’une
action souvent) ils provoquent l’action, les entreprises, l ’activité,
l ’invention, l’initiative, la conception; on voit alors de grands
tra v a u x s’exécuter; une construction générale de l ’esprit s’établit,
to u c h a n t à tous les dom aines; un édifice s’érige t a n t social que
m atériel. La b eauté qui rôde a u to u r des puissances productives
s’incarne un jour dans l’œ uvre. La b eau té née de l ’action suscite
l’enthousiasm e et provoque l ’action. Il y a des m om ents heureux
pour les masses, lorsque la fierté civique s’est em parée d ’elles et
les hisse ferm em ent à un niveau au-dessus des m oyennes.
Ce ne p eu t être q u ’à une heure de convergence des diverses
voies qui labourent en plusieurs sens la vie collective : à un m om ent
où les solutions sont a tte in te s p a rto u t e t où le phénom ène de cris­
tallisation les précipite toutes, p roduisant un prism e pu r dans une
masse claire. Phénom ène rapide, violent, presque subit, lorsque
les préparations antérieures sont achevées.
La chim ie des masses est exacte comme celle des m éta u x ;
il fa u t à la form ule ses exactes valences pour que le p ro d u it sur­
gisse. On dit volontiers « le creuset d’une époque » parce que l’on
sent ce tra v a il invisible dans la m ath ém atiq u e précise des valences
qui va produire su bitem ent le m étal pur.
L orsque dans la confusion, dans le grouillem ent, dans to u t
ce m ouvem ent qui p a ra ît désordonné, l ’on p eu t percevoir des
indices de direction, des signes évidents de construction, il est
perm is alors de penser que l ’heure de cristallisation est proche.
Si ces indices m e tte n t en m ouvem ent de grandes masses, si ces
constructions (morales, sociales ou techniques) sont puissantes,
il est perm is de croire à la naissance proche d ’une époque forte,
à la venue im m inente de grandes œ uvres. Si l’on p e u t form uler
clairem ent, si des form ules claires sont proclam ées en chaque endroit
de la form ule générale qui s’organise, on p e u t g u e tte r l ’heure où
s’énoncera cette solution im m anente. L orsqu’un jour, de plusieurs
directions opposées, de plusieurs m ilieux divers, la m êm e pensée
construira le m êm e systèm e, l ’harm onie en jaillira clairem ent —
230 U R B A N ISM E

U ne v ille c o n te m p o ra in e . U ne ru e q u i tra v e rse u n lo tis s e m e n t à r e d e n ls (6 d o u b le s étages). Les re


C h a q u e fe n ê tre d ’a p p a rte m e n t (et si

radieusem ent. D ans cette heure radieuse d ’harm onie, de construc­


tion et d ’enthousiasm e, n a îtra la fierté : la satisfaction de l’œ uvre
bien née e t passible de développem ent e t de grandeur.
L a fierté civique s’incarne dans les œ uvres m atérielles de l’a r­
chitecture. Les époques ont plan té successivem ent les jalons de
l’architecture. Les Sainte-M arie-des-Fleurs de Florence, les pavoi­
sem ents de m arbre de Venise, les P arthénons, les Cathédrales.
l ’h e u r e d u repus 231

its fo u rn is se n t u n e se n sa tio n a rc h ite c tu ra le p r e m iè re q u i n o u s p o r te lo in des ru e s « e n c o rrid o rs ».


les deux faces) d o n n e s u r des p arcs.

Œ uvres de républiques anim ées de fierté civique. Les A m éricains


ne sont-ils pas fiers —■à un titre partiellem ent discutable — de
voir surgir sur la m er les gigantesques cristallisations catacly-
tiques de M a n h attan ?
U ne passion collective anim e les gestes, les conceptions, les
décisions, les actes. Les œ uvres m atérielles en sont le p roduit et
c’est cette passion s’e x p rim an t p a r le langage plastique — systèm e
l ’h e u r e d u repos 233
exact, m achine à ém ouvoir — qui m arque le style de l’époque.
Le style est, en un systèm e plastique — création de l’esprit — la
passion. La passion, le feu, l’ardeur, une foi, une joie, une anim a­
tion qui p o rte n t au bonheur.
Si l’on ne p ro d u it pas, on m eurt. Si l ’on n ’agit pas, le m onde
ne se contente pas d ’a tten d re, il s’affaisse, se dilue, se d é tru it et
conduit a u x horreurs de la fam ine et a u x sauvageries de la bête.
Le m ouvem ent est notre loi : jam ais rien ne s’arrête, car ce qui
s’arrête dégringole et p o u rrit (c’est la définition de la vie). Il fau t
donc avancer, agir, produire. Après un siècle et demi de p rép ara­
tion m erveilleuse, la raison a conquis sa ju ste place, elle ap p o rte la
science e t la science nous jeta violem m ent à la face le m achinism e.
T o u t fu t bouleversé. Il sem blait que to u t s’écroulait. Il ne s’écrou­
lait q u ’un m onde vieux. Au trav ers des débris poussait h ard im en t
un m onde neuf. La raison qui sem blait définitivem ent dom inatrice
a u ra it incliné nos cœ urs au plus noir pessimisme, m ais les forces
violentes de la vie sem blent nous p rojeter à nouveau dans une nou­
velle aventure. R aison e t passion s’allient pour une œ uvre cons­
tru ctiv e. Une façon de penser est là, un style en résulte. Certains
déjà, le percevant clairem ent, prévoient ce tte prise de conscience
d ’où n a îtra la fierté — la fierté, levier des masses.
N otre m onde, comme un ossuaire, est couvert des d étritu s
d ’époques m ortes. Une tâche nous incom be : construire le cadre de
notre existence. E nlever de dessus nos villes les ossem ents qui y
pourrissent e t construire les villes de n otre tem ps.
Ceux qui sont fatigués et blessés résistent, in v o q u an t la sagesse
fallacieuse de leur expérience. E n vérité, ils sont de l’époque d ’hier
e t ne conçoivent pas l’événem ent actuel. Des générations neuves
so n t pleines d ’ardeur, aptes à s’a tte le r à la besogne. Nous sommes
à cheval sur deux époques : l ’époque prém achiniste e t l’époque
m achiniste. L ’époque m achiniste ne s’est pas encore reconnue,
n ’a pas rallié ses légions, n ’a pas comm encé à construire, n ’a pas
encore co n stru it le systèm e arch itectu ral p a r lequel elle satisfera
d ’abord à ses besoins m atériels, p ar lequel elle répondra ensuite
au sentim ent pur qui l’anim e : celui qui porte l ’hom m e à faire bien
et beau ce q u ’il fait, sensation de créer e t d ’ordonner qui condi­
tionne son bonheur même.
Le bonheur n ’est pas une pièce de cent sous dans la poche,
ou une brioche dans la m ain. C’est un sentim ent, u n im pondérable,
un acte du cœur.
U ne v ille c o n te m p o ra in e : la C ité, m jc de l’a u to d ro m e de <■ g ra n d e tra v e rs é e )'. A g
On v o it l ’e n se m b le des gratte-ci»

U ne ville c o n te m p o r a in e : Le c e n tre de la C ité vu de la te rra s s e de l’u n d es cafés à g ra d in s q u i e


sol. S o rta n t d e la g a re , on v o it l ’a u to d ro m e fila n t à d r o ite vers le J a r d in A n g lais. N ous so m m es au
re c e v o ir. Les terra sse s d esc a fé s à g ra d in s c o n s titu e n tle s b o u le v a r d s f ré q u e n té s . Les th é â tre s , sa lle sp u
h e e t à d ro ite , les p laces des Services P u b lic s. P lu s au fo n d , les m u sées e t u n iv e rs ité s ,
a ig n é s de lu m iè re e t d ’air.
TROISIÈME PARTIE

CAS P R É C IS : LE C E N T R E D E P A R IS
On démolit actuellement, en quantité de points éminemment
stratégiques de Paris, des massifs énormes d’immeubles pourris et
l’on reconstruit sur ces emplacements récupérés des « B uildings ».
On laisse faire, on laisse s'élever sur la vieille ville qui tuait la
vie, une nouvelle ville qui tuera la vie d’autant plus infailliblement
qu’elle institue de véritables nœuds de congestion sans modifier la rue.
Ces opérations fructueuses sur le sol du centre de Paris sont
comme un cancer qu’on laisse s’installer autour du cœur de la ville.
Le cancer étouffera la ville. Laisser faire cela est un acte d’insouciance
inimaginable à l’heure périlleuse que traversent les grandes villes.
P e i ' c b d o n n e le p r e m i e r c o u p d e p io c h e }j,
. jda.
¡on des nouvelles conditions é c o n o m i - __
< ; m ais le Conseil m unicipal réussit i |
vo» une form ule qui perm it a u j o u r - i £ £
te reprendre les travaux tout en m é- j
k niy-pèts des contribuables. •
-im e le vœu que la société j
.nette au* m it,
car >

14

MEDECINE OU CHIRURGIE
Le chapitre ix de ce livre p résen tait des coupures de jo u r­
n a u x recueillies au cours de 1923; celles-ci n ’étaien t pas sans élo­
quence. E n 1922, les quotidiens éta ien t encore m uets sur les ques­
tions d ’urbanism e; en 1923, l ’a p p aritio n in te rm itte n te d ’articles
consacrés à cette question é ta it significative; on com m ençait à
m esurer q u ’il s’agissait d ’une question vitale. En 1924, on p eu t dire
que toute la presse donna, et à peu près q u o tidiennem ent; v raim ent
l’urbanism e faisait p arler de lui, Paris é ta n t m alade, m alade.
•■RAPHIQUE INDIQ UANT l ACCROISSEMENT DE L A CIRCULATION D ES V I H t C U l i i
AUTOM O B ILES E N FR A N C E AU COURS D E S V IN G T 'T R O IS D ER N IÈR ES A N N É E S
Après uiHéger recul durant les années de guerre
cette progression a fait un bond formidable en 1920.1921 et 1922

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C o u r p e g é n é r a le d ’ac c r o is s e m e n t d e la p o p u la tio n ,
v o it p a r g r o u p e d e 5 0 a n s, l ’a c c é lé r a tio n v io le n te d ’a c c r o is s e m e n t.
ANNÉES

s iîS S S S i

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\ 1-o o d r ^ ’ té Û T > h o 1 l? ; - i u iio u v «11 o rg a - S j,

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* \ eide013 . „ V \ •»a e ’
V
à- \\ les «nersot"1
euI „ n fâ
6* O ' W #*. i-/ •* \ \ * \w é s '»?
« Circulez », « circulez »! On réclam e des rem èdes, on propose
des rem èdes. C’est que Paris est m alade. La F acu lté (en l ’occurrence
les édiles) se partag e en deux cam ps : les m édecins, les chirurgiens.
A vrai dire, p e tits m édecins, chirurgie anodine. On est si bien
persuadé que to u t cela sera inefficient, q u ’après avoir proposé,
on ne passe pas à la réalisation. Il serait u rgent p o u rta n t de savoir
si le m édecin suffit ou si la chirurgie s’impose.

eaux moi ice ivujv


jiiiiiin n n iiiiiiiin iiiiiiitfiiiitm iiiiiiim iiiiT iiiiiiiiiim iiriiiiiiiio u in n rrru iü icO

I C I R C U L E R ,. -, VOYAGE D'ETUDES
:>n- On
( iiiiiin iiiiiiim iiin iin iiiH iin iiiriiitin iin iiiiiitiiiiitm iin iiiia iiiiiiim a iü iim iii t
is* s*
d
ir* J L , ® «s <m h «s ï
M . Morain q
lé-
a- à Londres ti

je

unique
es bl
Aujourd’hui même le préfet de police 1’«
it,
•se
i© . t . arriv e à Londres, accompagné de M. Gui- eu
chard, directeur de la police m unicipale, et
de M. Massard, qui préside aux destinées pe
de ia commission m unicipale de la circu­
Dès S heures, ce matin,, lation
801
le
Les représentants de P aris resteront à
les agents veillaient Londres jusqu’à mercredi îls verront dans
Ch
go»
lS* j Le préfet de police est décidé à ag ir dé­ la capitale anglaise des rues superposées et vo>
sorm ais sans délais et sans vaines tergiver- des ponts de fer sur lesquels roulent les ra*
¡r | salions pour désembouteiller P aris, sans ce- m étros, les tram w ays et les voitures. Car à la V
V | pendant réglem enter comme on le lui de- Londres on a com pris qu’il fallait prévoir tie.
„ m andait le nombre des véhicules circulant très grand en songeant à demain — «
- i dans Paris. A. d e G.

jà ce
qui L E P R É F E T D E P O L IC E V E U T D É S E M B O U T E IL L E R ...
t aux
mais,
r du
«La Un conseil de guerre
nte à
jours place de l’E toile
gallo-
irmée M . M o ra in d e m a n d e u n r a p p o r t s u r la s u p p re s s io n
fepira- d e s tr a m w a y s d a n s le c e n tr e
k pra­
tique, H ier m ercredi, à \ h 30, le préfet de M. Guichard proposa, soutenu par M.
police, accompagné de M. Guichard, direc­ Jousselin, un projet qui retin t l’attention
Autres teur de la police et de M. Piingel, chef du de tous élargir le cer
nous, m n n v p n p . p t et de la Circulation, arriva ni
Madeleine-Opéra en 22 arrêts
C IR C U L E Z !
O u les m é f a i t s d © r a u t o b u a

Une tapissière et dix tramways P aris est embouteillé.


Voici un résultat, entre m ille, de cet em­
bouteillage.
embouteillent un boulevard Un de nos am is nous écrit :
< J ’ai pris exactem ent à < 2 h. 25 > uii
autobus Passv-Bourse, plaça do la Madelei­
C hacun p o u r s a p a rt, le tram w ay e t le ne ; à 2 h. 5S l'autobus a rriv a it place de
véhicule à ch ev au x c o n trib u e n t suffisam - s l'Opéra après s'être a rrê té 21 fois. De la.
m en t d éjà à l'em bouteillage définitif . place de l'Opéra à la rue Louis-le^Grand il
de nos rues. Que dire du r é s u lta t obtenu r m it 10 m inutes et fit 5 arrêts. 3’a i atten d u
lo rsq u 'ils s'av isen t de c o n ju g u e r le u rs ef- *. 10 m inutes devant la rue Louis-le-Grand et,
fo rts "i* finalem ent, j ’ai suivi l’eiem ple des au tre s
H ier après-m idi à deux heu.ree. carre- j voyageurs et suis venu à pied: m t
244 U R B A N ISM E

*
* *
On découvrirait la solution opportune (c’est-à-dire une solu­
tion possible, réalisable de suite, m atériellem ent et financièrem ent,
fructueuse pour celui qui en p ren d ra it l’initiative), dans le plus
dangereux e t m enaçant cancer qui dès m ain te n a n t se prend à
étreindre la ville et l’étoufïera. Ce cancer, ce sont les opérations
im m obilières de dém olition e t de reconstruction qui s’effectuent
depuis une ou deux années en divers points de P aris; ces points
sont significatifs; ils fournissent la dém onstration à priori de la
théorie du centre des villes exposée déjà dans le chapitre v i i
e t qui va être form ulée explicitem ent dans le chap itre su ivant : le
Centre de Paris. Théorie q u ’en ferm an t les yeu x et en se b o u ch an t
les oreilles, l ’on s’em presse d ’accuser de folie.
O n d é m o l it a c tu ellem en t , en q u a n t it é d e p o in t s é m i­

n em m en t S T R A T É G IQ U E S DE P A R IS , DES M A S S IF S ÉNORM ES D ’i M -
M E U B L E S P O U R R IS E T L ’O N R E C O N S T R U I T , S U R C E S E M P L A C E M E N T S
R É C U P É R É S , D E S « B U I L D I N G S », D E S M A IS O N S D E B U R E A U X . O n L A IS S E
L A R U E IN T A C T E ; P A R F O IS O N S E R E C U L E D E 2 O U D E 4 M È T R E S S U R
L ’A L IG N E M E N T A N C IE N , C ’E S T TOUT. CES O P É R A T I O N S H A R D IE S E T
R É M U N É R A T R IC E S DÉM ONTRENT B R IL L A M M E N T PA R LA P R A T IQ U E
Q U E D É M O L IR E T R E B A T I R E S T U N E C H O S E P O S S IB L E A U J O U R D ’H U I .
P a r c o n tre :, ces o p é ra tio n s fru c tu e u s e s é ta b lis s e n t su r le
so l AU C E N T R E D E P A R IS, d e s p o i n t s f i x e s ,
p a ris ie n ,
LES BA SES D E LA V IL L E D U XX® S IÈ C L E QU I V IE N T .
O p. c e s p o i n t s f i x e s n e s o n t n u l l e m e n t d i c t é s p a r l e p r o b l è m e
ACTUEL DE L ’U R B A N IS M E . CH O SE ÉTRANGE, O N L A IS S E F A IR E , ON
L A IS S E S ’É L E V E R SUR LA V IE IL L E V IL L E QUI T U A IT LA V IE , U N E
NOUVELLE V IL L E QUI TUERA D ’A U T A N T PLU S R A P ID E M E N T , PLUS
IN F A IL L IB L E M E N T C E T T E V IE , Q U ’E L L E NE T IE N T PA S C O M PTE DU
P R O B L È M E D E L A C IR C U L A T IO N E T Q U E , P A R L A C R É A T I O N D ’iL O T S
C O M M E R C IA U X , ELLE AGGRAVERA CETTE C I R C U L A T IO N D É JÀ M OR­
TELLEM ENT M ALADE. CES O P É R A T IO N S F R U C T U E U S E S S U R L E S O L
D U C E N T R E D E P A R I S S O N T C O M M E L E S N Œ U D S D ’U N C A N C E R Q U ’O N
L A IS S E S ’I N S T A L L E R A U T O U R DU CŒ UR DE LA V IL L E . L e CANCER
É T O U F F E R A LA V IL L E . L A IS S E R F A IR E C E L A A U B O U L E V A R D D E LA
M a d e l e in e , au L o u v r e , d a n s le sec teu r d e la pla ce d es

V ic t o ir e s , d a n s c elu i d e la r u e Le P e l l e t ie r , T a it b o u t , etc .,
E S T U N A C T E D ’I N S O U C IA N C E IN IM A G I N A B L E A L ’H E U R E P É R I L L E U S E
q u et r a v e r s e n t l e s g r a n d e s v i l l e s . J e fais im prim er en capi­
tales ces quelques lignes; elles proclam ent une v érité saisissante
sur laquelle il fa u t a rrê te r son jugem ent pour se rendre com pte,
apprécier, e t décider ensuite.
M É D E C IN E OU C H IR U R G IE 245

A, V ig n o n .
B, M essageries M aritim es.
C, D ém o litio n s.
D, D ém o litio n s.
A, B, C e t D so n t o u s e ro n t re b â tis à
la m êm e place.

Ce c lich é est c a ra c té ristiq u e : à tra v e rs l’é v e n tre m e n t ac tu e l, o n v o it le « V ignon » au


fo n d , les « M essageries M aritim es » à d ro ite , d e u x g ra n d s « b u ild in g s » o u v e rts en
te n a ille e t q u i v o n t re c e v o ir le c o m p lé m e n t d u tro isiè m e m assif. D ans u n an ce se ra
fait. En ce lie u s tra té g iq u e e n tre la C o n c o rd e e t l ’O péra, o n a u ra r e fa it u n fra g m e n t de
ville n eu v e, et la ru e d es siècles passés n ’a u ra p as b o u g é !

* *

Les 25 ans du V ieux Paris.


La commission du « Vieux P aris » siège.
Il est agréable de songer q u ’on lim ite les actes du vandalism e.
Bien sûr, bien sûr! Il est réconfortant de lire que la b eau té est
placée au rang des besoins légitim es des citoyens.
j/rtB m o in s là
-mesure d is c u lé e de- ....
pendu
Jul
<^ui a clé san ctio n n ée n on
.c g o u v e rn e m e n t, m a is au ss i p a r d e cui
tro t. <•«
■ p a r lc m e iît . p a r la presse et p a r l’o p in io n
a r riv a
«•ruit q
lin à s-
LES VINGT-CINQ ANS — L
soix an t'
O iffa rd ,
de la Commission du Vieux Paris te m p e ■

an s . q i
I v a e x actem ent v in gt- cin q a n s q ue des sa­ triè re , o
v a n ts. des litté r a te u rs et der artis tes se reunis- oiiiQ ca<
c->n iit p o u r la p re m iè re fo is en un e c o m m is s io n m ettre s
do nt le lu it « tait de co nserver e t de fa ire cun- ru e Des»
rinitro tou s les vestiges de l'h is io ire d u v ie u x E lle est .
Paris. A vec l'a p p u i des p o u v o ir s p u b lic s , cette — Un
eom m icriion a ré alis é d ’ex cellentes choses P a- u n s ept'
iK,rd p n o a dressé u n in v e n ta ir e com plet des s e ti dar
I v,eu x im m e u b le s q u i s o n t des m e rv e ille s d ’a r t,
. m a is elle n 'a pas b o rn é i:> son œ uv re . Avec u n
I m in e u r'fe rv e n t. elle a a n im e to u te s ces vieilles
: 1 n a r r e s . elle les a fa it p arie r d e a c o n n u leur

C 'e st a in s i q ue. g râ c e a u x efforts de l a c o m ­


m iss io n . on a p u s a u v e r de la p io ch e de v ie u x
.p u rtails s u rm o n té s d e ca rto u ch e s fin e m e n t ci- fra nc
~tl' S. de sup erbes b alco n s fr.rgés o ù s’a c c o u d a L'a-
i H ¡Je co q uette d 'm i a u tr e â g e , o u q u e lq u e s «sca-
j !i« r-s d e b o ls .s c u lo it q u e la p o m p a d o .u f $ fu e u r a
â è ' ses p a s de 's a lin . vêrsé |
■ H e u re u x sav an ts , h e u r e u x artistes d u 'V ie u x - chaulT-
S a lin -1
! j P a ris q u i v iv e n t p a r m i ces so u v e n irs p a s sio n ­ a è l i {’
n a n ts ! L a m u n ic ip a lité p a risie n n e s’est asso­ grave,
ciée h ie r à le u r p re m ie r ju b ilé . a L c é rém o n ie
'c o m p o r t a it u n e séan ce & l'h ô te l L ep eletier nali&i

I M . .lu illa r d , p réfe t d e la Seine, a, lu i au ssi,


s i w ^rq n«! le rù le b ie n fa is a n i cl u tile de la com-
K m .ssio n d u V ieu x- P a ris . « E lle a do nn é à la mu- le rét.
M nifîp alii«': p a risie n n e le g r a n d lio n n e u r de se-
f c-'nider. p o u r u n e la rp c p a rt, le m o u v e m e n t q u i
a fa it e n tr e r d a n s n o s lois ta n o tio n de servl- Le C.
v ie n t, ti­
îu d e a ic h é o lo iriq u c et c s iliétiq u e . et q u i a p la cé
en fave.
l.i b e a u lé a u ra n g des besoins lé g itim e s des ci­
ta d in s . » a ém is
s oien t i
A p rè s ces d is co u rs , les in v ité s de la m um cl-
pays qu
p a li'e . q u i les av a ie n t ch a le u r e u s e m e n t a p p la u ­
fa v e u r
dis. se sont très v iv e m e n t in téressé « à de u x co m ­
à le u r i
m u n ic a tio n s de M M C a m ilie .lu llia n , s u r les a n ­
l ’h eure
ciens n o m s de rue s, et de M. H e n ry M a r lin . s u r
effectué
les p ré v o is des m a rc h a n d s . P u is M . L o u is Bon-
p cr a p ro je té s u r l ’é c ra n q uelq ues- un s des p lu s
in té re s sa n ts des 8,000 clich é s q u i c o n stitu e n t le
cu sier arc h é o lo g iq u e e t a r tis liq u e de P a ris . L E S
^ M m e Y v ette (Ju ilb e rt et les c h a n te u rs de Sainl-
j S e rv a is se s on t fa i! en te nd re e n su ite d a n s de
: vieilles c h a n s o n s , et l'o rc h e stre Ca>adesus a jo u é
v ie u x a irs s u r des in s tru m e n ts an cie ns —
¿yi u r s B é r a v d .

launo.
L’exposition interalliée feur. ■
Sleil 4
i n v a h d d e guerre

E t p o u rta n t, je retiens de mes leçons d ’histoire à l’école, ces


m om ents tragiques où des rois, des em pereurs, des prêtres, regar­
daient au milieu des fleurs, défiler les danseuses exquises; les
portes de la ville éta ien t forcées, le B arb are se ru a it comm e un
to rre n t fou. Le carnage, la m o rt; le sang coulait e t v e n a it se
coaguler sur les corolles des roses éparses sous les pieds des dan­
seuses.
Plus sim plem ent ici, il nous semble que l’événem ent exige
q u ’on regarde devant, et non derrière, q u ’il y a heure pour to u t ;
et que celle du divertissem ent est déplacée, si celle du travail n ’a
pas précédé.

L orsqu’on a le poum on e t le cœ ur m alades à en m ourir, on


ne fait pas sur son clavecin des exercices de poignets.
M É D E C IN E OU C H IR U R G IE 247
P o u rta n t la patrie, la poésie, le culte des ancêtres, l’idéal sont
des m ots éloquents b randis p ar nom bre de gens occupés à écrire
dans les jo u rn a u x e t d o n t la m ission est de forger l’opinion p u ­
blique; lorsque se pose parfois la question de dém olir les quartiers
pourris pleins de tuberculose e t de dém oralisation, on s’écrie :
« E t les fers forgés, que ferez-vous des beau x fers forgés? »
Il est arrivé à ces m essieurs que leurs femmes, attachées à
quelque mission charitable, aient gardé pour la Vie le souvenir
im périssable de fers forgés ém inem m ent poétiques; elles av aient
illum iné de leur fraîcheur juvénile, p o rta n t « la go u tte de lait »
a u x nouveau-nés g uettés par les harpies, quelques vieux esca­
liers verm oulus, dans ce « M arais » si bien h a n té p ar les souvenirs
d ’autrefois; des souvenirs de « vieille F rance » ch a n ta ie n t dans les
vieilles pierres : le V ert-G alant, d ’A rtagnan, les Précieuses...
Alors, patrie!
Alors, avec la patrie, on exige que les vieux escaliers dem eurent,
e t m algré « la g o u tte de lait », les nouveau-nés p ériront au cœ ur
m êm e des évocations. « Troublez-m oi! »
Bien entendu, ces dégustateurs du passé, occupés à écrire dans
les jo u rn a u x e t à forger l’opinion publique, vous diro n t si vous le leur
dem andez, q u ’eux-m êm es h a b ite n t en telle avenue de l’Étoile ou
de l’École m ilitaire, dans des im m eubles neufs, avec ascenseur,
ou dans quelque m erveilleux pavillon enfoui dans un jardin.

M É D E C IN E OU C H IR U R G IE
Le 17 février 1923, M. Denis Peuch, président du Conseil
m unicipal de la Ville de Paris, a donné le prem ier coup de pioche
à l’im m ense pâté de m aisons qui devait être démoli pour le perce­
m en t du boulevard H aussm ann.
A u jo u rd ’hui (1925) la dém olition est opérée en partie. Une
étendue im pressionnante perm et, a v a n t q u ’elle ne soit recouverte
de b âtim en ts, de rêv er... à bien des choses. C ette étendue est là;
on l’a créée; c’est un événem ent urbain de 1925, au centre de
Paris. Chirurgie hardie. H aussm ann en a v a it décidé. L ’œ uvre
form idable de cet hom m e volontaire fut to u te de chirurgie; il
tailla dans Paris sans merci. Il sem blait que la ville d û t en
m ourir. Paris-auiomobile d’aujourd’hui ne vit que par H aussm ann !
De telles opérations sont donc possibles? On p eu t exproprier,
indem niser, faire ce q u ’il fa u t? Oui, sous H aussm ann e t l’E m pe­
reur. Oui, m êm e sous la dém ocratie actuelle.
-»■5= 2 t= 33

LE PREMIER COUP DE PIOCHE


pour l’achèvement du boulevard Haussmann
C’est fait : le percement du boulevard plà
Haussmann est commencé depuis hier, et toi
il l’a été en dehors de toutes les règles ar­ co
chitecturales, car c’est à la base d’un im-
meuble que le premier coup de pioche a
été porté. 11 ne s’agissait, il est vrai, que
d’un geste symbolique que des personna­
ges officiels ont accompli, pour marquer la'
grande importance de ce projet enfin mis
en œuvre pour la beauté de Paris.

Le tro u im m ense ouvert dans la ville tassée, écrasée, sursa­


turée, entre la rue T a itb o u t e t les boulevards, fa it une im pression
saisissante.
C’est une preuve.
M É D E C IN E OU C H IR U R G IE 249

C H IR U R G IE OU M É D E C IN E

Le passé répond : chirurgie et m édecine.


Chirurgie au centre.
Médecine au dehors.
Chirurgie pour faire face à l’évolution qui en diverses étapes
a conduit L utèce au P aris de 1925. Moyen âge e t tem ps m odernes,
époque contem poraine, se sont succédé sur le m êm e centre qui
ne peut pas bouger parce q u ’il est le m oyeu d ’une roue imm ense
d o n t les rayons venus de loin o n t fixé leur point de convergence.
Médecine, lorsque des esprits puissants o nt su prévoir, préparer
l’avenir.
Nous nous absorbons a u jo u rd ’hui dans la prép aratio n d ’un
avenir m eilleur; c’est aussi pour éviter la chirurgie. On prépare
une im m ense et rian te banlieue; peut-être sera-t-elle une œ uvre
m agistrale de prévoyance si, comme au tem ps de Colbert, on a vu
large? A -t-on vu large? Est-ce l’esthétique et la poésie qui ont
pris le pas sur les facteurs m odernes de l’urbanism e : la circulation
e t l ’assiette éternelle de l ’esprit, T O R D R E ?
La chirurgie est la nécessité du cas contem porain.
Voici ce que nous d it l’histoire.
T o u t d ’abord cette co n statatio n : aucune ville actuelle ne
possède un programme de circulation. Le problèm e est entièrem ent
neuf; il é ta it im prévisible il y a cinquante ans. Nous voici assaillis
p a r le déclanchem ent au to m atiq u e des conséquences. La ville for­
tifiée é ta it ju sq u ’ici la co n train te qui paralysa toujours l’urbanism e
e t qui nous re tin t en arrière de l’événem ent.
L orsqu’on construisit la place Royale (place des Vosges), le
carrosse é ta it encore inconnu (Louis X III).
La rue G alande en 1672 é ta it si étroite en deux endroits que
d eu x voitures ne po u v aien t s’y croiser. C ette rue faisait partie du
réseau de la Grande Croisée de Paris et desservait les ponts sur la
Seine.
Au milieu du x v ie siècle, il y a v a it deux carrosses dans Paris.
En 1658, il y en a v a it trois cent dix.
En 1662, la prem ière p a te n te fu t octroyée pour les om nibus
à cinq sous.
En 1783, un édit fixe pour la prem ière fois la h a u te u r des
m aisons; la largeur m inim um des rues nouvelles sera de 9 m. 75
(m édecine).
A la R évolution un édit arrête cinq largeurs de rues : 14 m ètres,
250 U R B A N ISM E

12 m ètres, 10 m ètres, 8 m ètres, 6 m ètres; pas de tro tto irs ( chi­


rurgie et médecine).
Colbert est l’in itia te u r et le réalisateur de tous les grands tr a ­
v a u x de Paris : édifices, boulevards, cours plantés, portes d ’hon­
neur de la ville. L ’édit de 1676 est le prem ier au m onde qui énonce
le program m e des tra v a u x d ’époque et de ceux de l’avenir ( méde­
cine et chirurgie),
Opinion d ’époque (sous Louis X IV ) : « Paris est plus q u ’une
ville, c'est un monde. » On se ren d a it com pte de la subm ersion des
habitudes par l’événem ent neuf e t l ’on cherchait à légiférer en
conséquence. C’est déjà la prem ière « G rande Ville » des tem ps
m odernes (dix fois m oins im p o rtan te que celle d ’a u jo u rd ’hui, et
deux cents ans seulem ent nous en séparent).
E n 1631, un édit tie n t à lim iter l’extension de P aris au delà
des faubourgs — extension incohérente e t sans plan. On décide
de plan ter tre n te et une bornes qui fixeront la direction du tra c é
des rues des faubourgs e t la lim ite extrêm e des constructions;
au delà, défense de b âtir, am endes, confiscations (médecine).
1724. R evenant sur cet édit, on jo in t entre elles les bornes par
des « cours » plantés d ’arbres. La bonne société se précipite sur ces
faubourgs et l ’on crain t le délaissem ent du centre de la ville
( médecine ).
Napoléon I er fait la rue de R ivoli : 23 m ètres de large, dim en­
sions extraordinaires pour l’époque (le règlem ent an térieu r :
14 m ètres, 12 m ètres, 10 m ètres, 8 m ètres, 6 m ètres) (chirurgie).
1840. Les boulevards prennent vie, résu lta t de la prévoyance
de Colbert. É vénem ent dans l’histoire de la vie urbaine (m édecine).
1842. Les gares, la gare Saint-L azare (chirurgie).
1847. Les fortifs, dernière ceinture de Paris, et la zone de
250 m ètres (médecine).
Les gares sont plantées un peu au hasard. On ne m esure pas
q u ’elles sont les nouvelles portes de la ville. A ucune grande avenue
n ’y conduit.
Il faudra tailler plus ta rd (chirurgie).
1853. N om ination d ’H aussm ann préfet de la Seine.
Les tracés d ’H aussm ann étaien t to u t à fait a rb itraires; ils
n ’étaien t pas des conclusions rigoureuses de l’urbanism e. C’était
des m esures d ’ordre financier et m ilitaire (chirurgie).
Napoléon I II fait l’avenue du Bois (120 m ètres de large, lon­
gueur en ligne droite : 1.300 m ètres (m édecine).
Les rues de 7 m ètres sont rem placées p ar celles de 24 m ètres
et davantage (chirurgie).
M É D EC IN E OU C H IR U R G IE 251
Cent q u a ra n te e t un kilom ètres de tro tto irs ex istan ts devien­
n e n t 1.290 kilom ètres; 64 kilom ètres de boulevards plantés de­
vien n en t 112 kilom ètres. Le nom bre des arbres les b o rd an t passe
de 50.000 à 95.000.
E tc., etc. *
* *

Richelieu, d o ta n t Paris d ’une rue droite de 9 m ètres q u ’il


baptise de son nom, est accusé de m égalom anie (chirurgie).
H aussm ann a y a n t percé le boulevard Sébastopol est accusé
d ’avoir o u vert un désert au cœ ur de Paris e t d ’en avoir fait deux
villes désorm ais séparées ( chirurgie).
Le N ôtre, ta illa n t dans les futaies dom inant à l’ouest les Tuile­

ries, une avenue large e t plantée d ’arbres ju sq u ’au som m et du


coteau, a mis au m onde les fu tu rs Cham ps-Elysées, gloire actuelle
de Paris, seule avenue de circulation ren d a n t de véritables services
(la gravure du x v i n e qui m ontre cette percée en plein bois est
ém ouvante; on se d it : tels sont donc les fruits de l’invention e t de
la prévoyance).
Les plans du x v m e révèlent de grands ordonnateurs.
En 1728 (plan de l ’Abbé) on a plan té plusieurs nouveaux
cours (boulevard M ontparnasse, chem in de M ontrouge), le to u t au
trav ers des cultures m araîchères. Le réseau des rues est préexis­
ta n t dans la grande périphérie, réseau a rb itraire presque toujours
au gré des ânes qui les ont p e tit à p e tit établis (chap. ier). Mais
quelques percées rectilignes, rues «d’avancée », m arq u en t une volonté :
252 U R B A N SIM E

l’avenue de Vincennes e t la place du Trône, l’avenue de Saint-


M aur, la route de F ontainebleau p ar Villejuif, l’avenue de Saint-
Denis, l’avenue de Neuilly (qui fait une droite depuis le Ja rd in
des Tuileries ju sq u ’à la Seine, de 6 kilom ètres); l’am orce des avenues
de l’Étoile dont 100 ou 500 m ètres tracés et plantés fixent la direc­
tion. Le Bois de Boulogne est tracé 1731 (plan de Roussel); le
parc de M ontrouge. L ’esplanade des Invalides est com plète. On
a v raim en t l’im pression en 1760 (plan de R o b ert de Vaugondy),
que de grands tra v a u x ont été faits, de pure édilité prévoyante.
G rande dépense bien entendu. M a is ceci qui fu i fait si largement
(géométrie) il y a deux siècles, au milieu des cultures, constitue les
organes vitaux du P aris actuel.
A cette date-là, la place Louis XV (Concorde) est faite e t les
palais sont en construction. Le coin du Louvre s’em pêtre de plus
en plus. Le grand égout est construit. P a rto u t surgissent des lignes
droites, les plus longues possibles (du reste sans grande coordination).
E n 1763, l’École m ilitaire est construite avec le Cham p-de-M ars
ju sq u ’à la Seine; l’ensemble de l ’École est à lui seul grand comme
q u a tre ou cinq fois la Cité. En 1775 (plan de J.-B . Jaillo t) nouveaux
cours, ce qui sera le boulevard Arago, le rond-point du Lion de
Belfort, M ontparnasse, etc. La Salpêtrière est construite. Le Paris
de résidence s’est désaxé : les hôtels Biron, etc., sont m ain te n a n t
i ue Saint-D om inique, rues de V arennes, de l’U niversité, de B our­
bon. En 1791 (plan de V erniquet), le Palais-R oyal est reconstruit,
le L ouvre enserré dans d ’im m ondes bâtisses, la place Vendôm e
bouchée à ses deux extrém ités. Les boulevards extérieurs sont
construits et plantés; le parc Monceau est établi à l’anglaise.
Le Palais-B ourbon avec ses dépendances est construit, ainsi que
le pont de Louis X V I (Concorde).
P e n d a n t to u t le x v m e siècle, opérations v raim ent im pres­
sionnantes; si le « tracé des ânes » vient des provinces converger
sur le centre, on le com bat, on fait des tracés m édités, co upant au
trav ers des cultures, des futaies e t des agglom érations suburbaines.
Chirurgie énergique dont le résu lta t constitue l’arm a tu re m êm e
de la ville gigantesque que fera naître le siècle suivant. Paris n ’a v a it
pas 600.000 h a b ita n ts; on y conçoit e t on y réalise toutefois les
tracés qui po rtero n t la ville du siècle su iv an t : q u a tre millions
d ’h a b ita n ts. Les seules grandes voies de circulation o n t été p rép a­
rées par les rois du carrosse (1)! Singulière leçon de prévoyance et

(1) E n plein règne de L ouis X IV il y a v a it à P aris 310 carro sses; a u jo u r­


d ’h u i 250.000 véhicules d o n t la p lu p a rt à vitesse décuple ! !
D’ap rès P a tte . T ra n s fo rm a tio n ra d ic a le d e la C ité. S eu le N otre-D am e d e v a it s u b s is te r
On faisait u n e se u le île de la C ité e t de l’île S a in t-L o u is. F ace au P ont-N euf, o n tailla it
p o u r faire u n e su ite d ig n e à la C olonnade d u L ouvre.

d ’énergie, e t de fierté civique, qui conduisent sur les chem ins de


l ’action et sauvent la ville. Avec nos tim idités e t n otre ingénuité
d ’urbanistes paysagistes, com m ent v iv ra it la ville dans cen t ans
si elle d ev ait continuer son ascension régulière?
Mais sous ce m êm e grand siècle, on se préoccupe aussi de briser
le centre déjà pourri de Paris. De grands concours auxquels p rire n t
p a rt les Boffran, les Servandoni, les Soufïïot, etc., av aien t pour
o b jet d ’ouvrir la ville, de l’év en trer; on recherchait l’espace dans
cet étouffem ent de rues étroites. On p rit la Seine comme axe de
ces te n ta tiv e s, puisq u ’elle é ta it un espace libre. On v o u lu t en faire
un m onum ent de l’arch itectu re : quais, palais, places, m onum ents,
fontaines, etc.
On taillait. Chirurgie aussi.
Sur to u te la surface de Paris on vo u lait tailler, e t ceci au
nom de la beauté : carrefour de T ournon (160 m ètres de diam ètre);
carrefour de B ucy (150 m ètres); dém olition de Saint-G erm ain-
l’A uxerrois (place de 180 X 130 m ètres). E tc.
xviu* siè cle : a m é n a g e m e n t d e la S e in e ; c ré a tio n d u c a r r e fo u r de B ucy, d es H alles,
Des d ro ite s au m ilieu d e l’in s u p p o r ta b le m a q u is.

U n v é ritab le besoin de libération pousse à couper, à ouvrir :


percées, perspectives, — en m êm e tem ps q u ’en esthétique archi­
tec tu ra le croulent les encorbellem ents e t les pignons pointus e t
q u ’on v e u t s’a tta q u e r m êm e a u x cathédrales (ta n t on est blessé
p ar ce qui est hirsu te et d ’apparence confuse). T out v ie n t d ’un
coup, découle d ’un systèm e de l ’esp rit qui dans tous les dom aines
a tte in t a u x expressions les plus h autes (Pascal, Voltaire, Rousseau.
Blondel, M ansart, Gabriel, Soufflot). E n vérité, sous ces rois absolus,
s’ex p rim aien t les puissances libres de la pensée et la R évolution
é ta it im m inente : chirurgie.
Le passé, inépuisablem ent, nous donne des leçons de force.
Prévoir e t gouverner : m édecine e t chirurgie. E n to u t é ta t de cause,
de la clarté d ’esprit e t de la ferm eté.
P aris, a u jo u rd ’hui, n ’a — en gros — plus de chevaux, m ais
250.000 véhicules à vitesse décuple se p récip iten t dans ses rues.
Merci à C olbert et m erci au x R oys d ’avoir, en leur tem ps calme,
p rép a ré ces avenues qui sont notre unique systèm e artériel.
M É D E C IN E OU C H IR U R G IE 255
L ’autom obile é ta n t intervenue, l’avion, le chem in de fer,
n ’est-ce pas comm e une déchéance de n o tre esprit que nous puis­
sions nous satisfaire seulem ent de l’héritage fastueux m ais désuet
des siècles antérieurs?
Le franc contem porain ne v a u t que cinq sous. Les splendeurs
urbaines d o n t nous avons hérité sont en franc déprécié; l’auto a
réd u it leur valeur de dix à un, e t la population a décuplé; notre
héritage ne v a u t pas g ra n d ’chose en face de nos besoins.
Mais nous n ’avons rien d ’autre, car nous sommes des esthètes
tournés vers les bergeries des cam pagnes bucoliques. Nous évitons
de prendre conscience de l’événem ent qui s’avance sur nous. Ni
m édecine (prévoyance), ni chirurgie (ferm eté). La ville va à une
im passe parce q u ’on ne s’est occupé que de ses p e tits agrém ents,
alors que son poum on e t que son cœ ur sont m alades à en m ourir.

H aussm ann est venu après Louis X IV , Louis XV, Louis X V I,


N apoléon I er e t il a taillé im pitoyablem ent dans le centre de Paris,
d ’un P aris insupportable, du reste, à to u t hom m e susceptible de
boucler un raisonnem ent. On p eu t dire, en principe, que plus H auss­
m ann tailla it, plus il gagnait d ’arg en t : il a rem pli les caisses de
son em pereur, en ta illa n t dans Paris. Cet hom m e, qui dem eurait
sourd a u x clam eurs de diverses natures, ne faisait rien d ’autre
que de rem placer des im m eubles sordides à six étages par des
im m eubles som ptueux à six étages, de faire de quartiers infects
des quartiers m agnifiques. S’il é ta it p a rti faire ses boulevards en
banlieue, il se fû t ruiné. C’est parce q u ’il ta illa it au centre de
Paris q u ’il faisait des affaires.
... C inquante ans après cette chirurgie de financier, voici que
la bonne ville de Paris ne p eu t subsister, ne p e u t continuer à m ain­
ten ir un systèm e cardiaque de fortune, que parce que H aussm ann
e t a v a n t lui quelques têtes fortes, av aien t taillé e t to u t en même
tem ps adm inistré à ce tte ville une m édecine énergique de h au te
prévoyance.
Im aginons une de ces b a ttu e s gigantesques, où des centaines
de mille de lapins sont ram enés sur un systèm e de trap p es formées
de couloirs étroits dans lesquelles ils seront coincés e t pris : dans
la m achine infernale il y a p o u rta n t de grands canaux, où des
lapins p eu v en t s’élancer sans être coincés — coincés de suite.
Tous les lapins se précip iten t dans les grands canaux, c’est la ruée.
La grande ville est la tra p p e e t les autos sont les lapins. Les
Les n e tto y a g e s de Paris.

La r u e de R ivoli a été p e rc é e , le L o u v re d ég ag é.

00-1

Le L o u v re a é té lib é ré .

Les p o n ts o n t é té d é b a rra ssé s de le u rs m aiso n s


Les nettoy ag es d e P a r is.

En 1750.

En 1550.
* N otre-D am e a été d ég ag ée , to u te l’ile d é m o lie e t re c o n s tru ite .
258 U R B A N ISM E

grands canaux sont ceux de Colbert, de Napoléon I er ou de H auss-


m ann. E n fin de com pte, les lapins seront tous coincés.
Bâclons le raisonnem ent. Tous, ju sq u ’en 1900, nous n ’avions
aucune notion, aucune appréhension du phénom ène qui allait sur­
venir brusquem ent : l ’autom obile, puis l’avion. Les chem ins de
fer av aient déjà semé la p e rtu rb atio n ; on s’é ta it occupé to u t sim ­
plem ent à faire face à des besoins proportionnés à l’époque.
Mais nous voici en pleine époque m achiniste, en pleine époque
de vitesse, absorbés dans l’établissem ent de banlieues a u x avenues
courbes où il fera bon se prom ener. En ville, nos services com pé­
te n ts dem andent q u ’on réduise la h a u te u r autorisée des b â tim e n ts...
E t le phénom ène m achiniste continue à déployer ses consé­
quences.
*
* *
C H IR U R G IE
J ’ai fait partie, en février 1925, du ju ry du Concours in te r­
national des plans d ’E xtension de la ville de Strasbourg. A n otre
exam en étaien t proposés des plans opportuns qui exploitaient les
situations acquises (routes d ’accès, villages avoisinants, etc.), et
proposaient de donner une extension plus grande à ces élém ents
q u ’on a d m e tta it comm e sérieusem ent conditionnés p a r les con­
tingences. C’est, en vérité, to u te une théorie de l’urbanism e m oderne,
e t c’est aussi une pratiq u e fo rt répandue : accom m odem ent.
De telles conceptions rallient volontiers le bon sens; elles
o n t un aspect sérieux, une odeur de vrai, de raisonnable, qui en
im posent. Les esprits réalistes et sains, p ratiques e t actifs, les
approuvent.
Il nous é ta it aussi présenté des projets d ’allure hardie, m ais
q u ’on qualifie de tém éraires, d ’utopiques, d ’irréalisables — pro ­
jets faits pour la lune. On s’en d iv ertit un in sta n t, y reconnaissant
comme dans un m irage, un rêve, une Terre Prom ise q u ’on sait
bien ne pouvoir jam ais aborder. Les esprits réalistes e t sains,
pratiques e t actifs, s’a rrach en t vite à cette p e tite sensation pre­
mière e t s’en d éto u rn en t résolum ent.
Après une prem ière m atinée consacrée à l’exam en général des
projets, le ju ry fu t tra n sp o rté en autom obile dans les cam pagnes
avoisinantes, p ar les routes en pleins cham ps, en forêt e t p ar les
villages qui sont comme les avant-postes de la ville.
Mon conducteur rep résen tait au ju ry la Cham bre de Com­
m erce de Strasbourg. Il é ta it to u t naturellem ent acquis a u x pro­
jets opportuns. Nous traversions la g ran d ’rue des villages : « R e­
M É D E C IN E OU C H IR U R G IE 259
m arquez-vous, lui disais-je, com bien vous ralentissez parce que
ce tte rue est courbe. » Sur des tronçons de ro u te tra v e rs a n t droi-
tem e n t un bois, il « m e tta it to u s les gaz » e t il sem blait ravi. Là où
la ro u te (dans la plaine) serpentait, il m odérait son m oteur et m ar­
ch ait prudem m ent : « C’est bien ennuyeux ces routes tortueuses ! »
J e le priai d ’a rrê te r sa v oiture sur le milieu d ’un p o n t dom inant le
canal co n stru it par N apoléon I er. « Ce canal est absolum ent droit
à trav ers to u t le pays. C ette droite est im pressionnante au m ilieu
d u site confus; c ’est un travail d'homme. C’est ém ouvant. C’est
d ’un lyrism e certain dans ce paysage flou. » Plus loin : « R em ar­
quez le chem in de fer, il va droit, to u t droit, conscient de sa con­
signe : on y sent la volonté hum aine; c’est un acte. » Plus loin :
« Ce p ort est ordonné. C’est beau ! n ’en parlons pas pour l ’in s ta n t;
le p o rt est ordonné parce q u ’il résout un problèm e posé. »
Nous traversons N eudorf (une agglom ération im p o rta n te au
sud de Strasbourg) : « Voyez, me dit-il, il suffit ici d ’élargir la
g ra n d ’rue en redressant un peu le tra c é curviligne. C’est écono­
m ique et suffisant. — Vous avez beaucoup ralenti, lui répondis-je,
notons. Vous élargissez d ’un seul côté, pour éviter les frais; to u s

Ici to u s les p ro p rié ta ire s a b u se n t de Ici p re s q u e p e rso n n e n’est to u c h é p a r


l 'e x p r o p r ia tio n ; la ru e reste c o u rb e . l ’e x p r o p ria tio n ; la rue est d ro ite .
260 U R B A N ISM E

vos riverains seront expropriés; ils se savent être sur une fu tu re


grande voie de circulation : ils dem anderont cher. Que vous coupiez
droitem ent à tra v e rs la rue courbe le p rix sera le m êm e; m ais de
plus, voyez derrière ces m aisons les plaines; tracez une avenue
droite, vous n ’aurez à payer que des cham ps d ’herbage ou de pa­
tate s. » (Je com plète alors verbalem ent la p e tite dém onstration
fournie ici par les im ages.) Mais un architecte présent s’in te r­
pose : « V otre avenue droite sera interm inable; on s’y tu e ra d ’en­
nui! » J e m ’étonne : « Vous avez une voiture autom obile e t vous
hésitez? Songez bien, Monsieur, q u ’il s’agit ex actem ent de relier
la cité d ’affaires fu tu re au G rand P o rt fu tu r; il fa u t que les autos
puissent m archer droit. » A la reprise de nos tra v a u x d ’exam en,
m on conducteur to ta le m e n t ébranlé dans des convictions to u tes
stéréotypées (réalistes, pratiques, de bon sens, comm e on est
accoutum é à dire) é ta it un hom m e nouveau. P e tit à p e tit, au fur
e t à m esure des tra v a u x du ju ry , on se se n ta it jouer un rôle véri­
tab lem en t plus grand, certainem ent bien plus grave, que ce q u ’en
av aien t pu a d m e ttre ceux qui nous av aien t conviés là : « Songez,
répétais-je souvent à mes collègues, au cours de ces journées, que
dans cinquante années, on évoquera nos tra v a u x ; on dira : Des
hom m es sont venus de Paris décider, en quelques jours, du sort
de la ville de Strasbourg, de la vie future de toute la ville de Stras­
bourg. Nous pouvons faire très bien ou très m al. Que sera l’a u ­
tom obile dans cinquante ans? Nous ne pouvons nous rallier
au x solutions opportunes, nous ne pouvons . v raim en t tra h ir
la ligne droite. Im aginons ces rues courbes élargies pour l’a u to ­
mobile qui sera dans cinquante ans! ces rues courbes qui sont le
chemin des ânes. S’il fa u t couper, coupons, e t en vérité, nous ne
coupons jam ais q u ’au trav ers de b âtim en ts de ferm es ou q u ’au
trav ers d ’une m édiocre banlieue. Napoléon a tracé le canal droit,
parce q u ’il é ta it un o rd o n n ateu r; les ingénieurs o nt fait les bassins
du p ort géom étriques, parce que l ’hom m e se m anifeste p ar la géo­
m étrie. H aussm ann a tra c é des boulevards droits parce que c’était
un hom m e p ratiq u e dénué de poésie. Louis X V I et Louis XV ont
tracé des boulevards droits parce q u ’ils étaien t des esthètes et
voulaient m anifester leur règne par la noblesse de leurs entreprises.
V auban a tra c é ces bastions géom étriques parce q u ’il é ta it un
m ilitaire... »
Organiser, c’est faire de la géom étrie; faire de la géom étrie
dans la n a tu re ou dans le m agm a « naturellement » issu du groupe­
m en t des hom m es en agglom érations urbaines, c’est faire de la
chirurgie.
« On tire des lignes droites, on comble les trous, on nivelle, et
l’on aboutit au nihilism e... » (Sic).
(A p o stro p h e c o u rro u c é e d u g ra n d
é d ile p ré s id a n t u n e c o m m issio n de
p la n s d ’ex ten sio n .)
J ’ai ré p o n d u

« Pardon, c’est, à proprement parler, le travail de l’homme. »

(In c id e n t a u th e n tiq u e ),
e x tr a it d u d o ss ie r « C aco p h o n ie ».
baron Haussmann. Enftn, il verse quelque«
p leu rs de çonvenance s u r ce coin <Ju b o u -
ta»
M. D «r
ev ard q u i v a d isp a ra ître , M a *on»
M. Adriien Oudin, re p ré se n ta n t d u q u a r- ‘ TB. A n d ré
M aurr&g.
lie r de la C haussée-d'A ntin, a d it en son rich M. «
nom et en celui de M. Pointel. qu i re p ré ­
sente lo q u a rtier. Yûlain, ..rorabifin il é ta it,
h e u re u x de vo ir enfin se réaliser le grand
p ro je t q u i doit em bellir ce ¿oin de P a ris et
lu id Q jiu ap -d frrarr. Il fait re mârqïïer\lfë7T^s
Î u rs T que ces dém olitions, d epuis long-
lem ps prévues, ne lésero n t aucun loca­
ta ire : les im m eubles so n t vieux e t déla­
brés, c e rta in s m êm e on t dû ê tre évacués
p a r m esu ;c de sécu rité.
Enfin, M. B auer, au nom de la société d u
b o ulevard H aussm ann, a rem ercié tes re ­
p rése n tan ts de la V ille d 'av o ir bien vouhi
se p ç ^te r à cette cérém onie qu i m arq u e
o rne d ate d ans l'h isto ire de la c a p itale»-^'
m üouis n e u c h .'ie p rîT ét et le u r su ite

P a ro le s p o u r ta n t officielles

15

LE CENTRE DE PARIS
Le « P lan Voisin » de P aris (1) com prend la créatio n de deux
élém ents neufs essentiels : une cité d’affaires e t une cité de rési­
dence.
La cité d’affaires fait une em prise de 240 hectares sur une zone

(1) L ’au to m o b ile a y a n t bouleversé les bases séculaires de l’u rb an ism e,


j ’av ais conçu le p ro je t d ’in té resse r les fab rica n ts d ’au to m o b ile à la cons­
tru c tio n d u P av illo n de l’E s p rit N o u v ea u à l’E x p o sitio n In te rn a tio n a le des
A rts D écoratifs, p u isq u e ce p av illo n d e v a it être consacré à l ’h a b ita tio n et
à l’u rban ism e.
J ’av a is v u les chefs des m aisons P eu g eo t, C itroën, V oisin e t leu r av ais
d it :
« L ’au to m o b ile a tu é la g ran d e ville.
« L ’au to m o b ile d o it sa u v e r la g ran d e ville.
« V oulez-vous d o te r P a ris d ’u n « P lan P eu g eo t, C itroën, V oisin de
Le S tan d d ’u rb a n is m e d u P a v illo n de l’E sp rit N ouveau à l’E x p o sitio n d es A rts D écora­
tifs à P aris. A u fo n d le P la n « V oisin » d e P aris e t les é tu d e s de c irc u la tio n , de lo tis ­
se m e n ts, d ’im m e u b le s nouveaux, e tc . A d ro ite le D ioram a d ’u n e V ille C o n te m p o ra in e
d e 3 m illio n s d ’h a b ita n ts ; à g a u c h e , le D io ram a du P lan « V oisin » d e P aris (p e in tu re s
d e 80 m 2 e t d e 60 m*).

particulièrem ent v étu ste e t m alsaine de Paris, —• de la place de


la R épublique à la rue du Louvre, e t de la gare de l’E s t à la rue
de Rivoli.
La cité de résidence s’étend de la rue des P yram ides au rond-
point des Cham ps-Elysées et de la gare Saint-L azare à la rue de
Rivoli, e n tra în a n t la dém olition de quartiers en grande partie
sursaturés et couverts d ’hab itatio n s bourgeoises a b rita n t aujour­
d ’hui des bureaux.

P aris »? d ’u n p lan n ’a y a n t pas d 'a u tr e o b je t que celui de fixer l’a tte n tio n
d u p u b lic su r le v é rita b le problèm e a rc h ite c tu ra l de l’époque, pro b lèm e q ui
n ’est pas d ’a r t décoratif, m ais d ’a rc h ite c tu re e t d ’u rb an ism e : la co n sti­
tu tio n saine du gîte et la cré atio n d ’organes u rb ain s ré p o n d a n t à des co n ­
ditio n s de vie si p ro fo n d é m en t m odifiées p a r le m ach in ism e? »
La m aison P eu g eo t a p p ré h e n d a de risq u er son nom su r n o tre galère
d ’allure si tém éraire.
M. C itroën, très g en tim e n t, m e ré p o n d it q u ’il ne c o m p re n a it rien à
m a q u estio n e t q u ’il ne v o y a it pas quel ra p p o rt l’au to m o b ile p o u v a it av o ir
avec le problèm e du cen tre de P aris.
M. M ongerm on, a d m in is tra te u r délégué des « A éroplanes G. Voisin
(A utom obile) » ac c e p ta sans h ésite r le p a tro n a g e des étu d es d u cen tre de
P aris e t le p la n q u i en ré su lta s’appelle donc le Plan « Voisin » de P aris.
1922. P re m iè re esq u isse d u p lan d ’a m é n a g e m e n t d u c e n tre de P aris.
(Salon d ’A u to m n e.)

La gare centrale se trouve entre la cité d ’affaires et celle


des résidences. Elle est souterraine.
L ’axe principal de ce nouveau tra c é du centre de Paris va
d ’est à ouest, de Vincennes à Levallois-Perret. Il rétab lit l’une
des grandes traversées indispensable qui n ’existe plus a u jo u rd ’hui.
C’est une artère principale de grande circulation, large de 120 m è­
tres, m unie d ’un autodrom e surélevé pour circulation à sens unique,
sans recoupem ent. C ette artère capitale a u ra it pour effet de vider
les Cham ps-Elysées ; ceux-ci ne peuvent, en effet, dem eurer une
voie de grande circulation, puisqu’ils aboutissent à un cul-de-sac :
le Ja rd in des Tuileries (1).

(1) Le récent p ro je t de p o u rsu iv re les C ham ps-Ë lysées à tra v e rs les


T uileries ju s q u ’à la tra v e rs e de la rue des T uileries est u n non-sens, c e tte
ru e d ég ag ean t d ’une p a r t d ans la ru e de R ivoli e t la ru e des P y ra m id e s
en com brées a u jo u rd ’hui déjà, e t, d ’a u tre p a rt, a b o u tissa n t au p o n t R oyal
to ta le m e n t em bouteillé. Le p o n t R o y a l alim e n te la ru e du R ac q ui a
11 ou 13 m è tres de large e t d ans laquelle la circu latio n a dû être ré d u ite
a u sens u n iq u e . Qui p e u t donc concevoir de telles folies?
19*25. C ro q u is d u « c e n tre de P a ris ».

Le « P lan Voisin de Paris » reprend possession de l’éternel


centre de la ville. J ’ai m ontré dans un chap itre a n té rie u r q u ’on
ne p e u t en réalité déplacer le centre conditionné des grandes villes
e t créer de to u tes pièces des villes neuves à côté des anciennes (1).
Ce plan s’a tta q u e a u x quartiers les plus infects, au x rues les
plus étriquées; il ne cherche pas à « opportuniser », à céder ici e t là
un pouce de te rra in sous la poussée violente des artères conges­
tionnées. Non. Il ouvre au point stratégique de Paris un étincelant
réseau de com m unication. Là où des rues de 7, 9 ou 11 m ètres se
recoupent tous les 20, 30 ou 50 m ètres, il é ta b lit un quadrillage
de grandes artères de 50, 80 e t 120 m ètres de large se recoupant
tous les 350 ou 400 m ètres e t élevant des gratte-ciel de plan cru­
ciforme au centre des vastes îlots ainsi créés, il crée une ville en
hauteur, une ville qui a ram assé ses cellules écrasées sur le sol et
les a disposées loin du sol, en l’air e t dans la lumière.
Désorm ais, en lieu et place d ’une ville ap latie e t tassée et telle
que si l ’avion la révèle pour la première fois à nos yeux, nous en dem eu­
rons effarés (voyez les photographies de la Com pagnie Aérienne
Française), se dresse une ville en h a u te u r offerte à l’air e t à la
lum ière, étincelante de clarté, radieuse. Le sol recouvert ju sq u ’ici
de m aisons serrées sur 70 à 80 p. 100 de sa surface n ’est plus bâti
que sur 5 p. 100. Le reste, 95 p. 100, est consacré a u x grandes
artères, au x garages de statio n n em en t e t a u x parcs. Les allées
d ’om brages sont doubles ou quadruples; des parcs au pied des
gratte-ciel font en réalité, du sol de cette nouvelle ville, un im ­
m ense jardin.

(1) Au te m p s de la R enaissance, des villes n eu v es o n t été c o n stru ite s


à côté des anciennes. L a raiso n é ta it to u te m ilita ire : la ville an cien n e é ta it
p e tite , on n ’e û t p as a u g m e n té la ca p ac ité de la ville p a r re m p la c e m e n t du
ce n tre vieux.
LE CENTRE DE PA RIS 267
La densité tro p forte des anciens quartiers sacrifiés p ar le
« Plan Voisin » n ’est pas diminuée. Elle est quadruplée.
Au lieu des quartiers affreux que nous connaissons m al (1),
d ’une densité de 800 h a b ita n ts à l’hectare, voici des quartiers dont
la densité peu t a tte in d re 3.500 à l’hectare.
J e voudrais que le lecteur puisse, p ar un effort de son im agina­
tion, concevoir ce q u ’est ce ty p e neuf de ville en h a u te u r ; q u ’il
conçoive que to u t ce grouillem ent accroché ju sq u ’ici sur le sol
comm e une croûte aride, est râclé, enlevé e t rem placé p ar des
cristau x purs de verre, m o n ta n t à 200 m ètres de h a u te u r e t à
grande distance les uns des autres, leur pied é ta n t entouré des
frondaisons des arbres. Cette ville qui, ram p an te ju sq u ’ici, se
dresse d ’un coup dans l’ordre le plus naturel, dépasse m om entané­
m en t n otre im agination lim itée p a r des accoutum ances séculaires.
J ’ai brossé pour le Pavillon de l’E sp rit N ouveau, à l’Exposition
In tern atio n ale des A rts D écoratifs de Paris, où est exposé le « Plan
Voisin », un dioram a dont le b u t est d ’objectiver aux yeux cette
nouveauté à laquelle notre esprit n ’est pas préparé. Sur ce dioram a
dessiné rigoureusem ent, on voit le vieux Paris qui subsiste, de
N otre-D am e à l’E toile, avec tous les m onum ents qui sont un héri­
tage inaliénable. D errière, on voit s’élever la nouvelle ville. Ce ne
sont plus les aiguilles ou les cam paniles en désordre d ’un M an h attan
hallucinant, serrés les uns contre les au tres et se d éro b an t m utuel­
lem ent l’air et la lum ière ; m ais c’est le rythm e m ajestueux des
surfaces verticales se prolongeant au loin par l’effet de la perspec­
tive et déterm in an t des volum es purs. De l’un à l’a u tre de ces
gratte-ciel de verre, s’établissent des rap p o rts de plein et de vide.
A leur pied, des places se dessinent. La ville reprend des axes
comme dans to u tes les œ uvres de l’architecture. L ’urbanism e entre
dans l’architecture, l’architecture entre dans l’urbanism e. Si l’on
regarde le « Plan Voisin » de Paris, on y voit à l’ouest e t au
sud-ouest les grands tracés de Louis X IV , Louis XV, Napoléon :
les Invalides, les Tuileries, la Concorde, le Cham p-de-M ars, l’Etoile.
On y m esure la création, l’esprit qui a dom iné, qui a m até la
cohue. La nouvelle cité d’affaires n ’y a p p a ra ît pas comm e une
anom alie; elle donne l’im pression d ’être dans la tra d itio n et de
suivre une progression normale.

(1) L ecteu rs, faites une pro m en ad e de jo u r e t un e de n u it d an s le sec­


te u r envisagé p a r le « P la n V oisin », s. v. p. ; vous serez édifiés.
Ces m a i s o n s s o n t e n g é n é r a l s u r sep t h a u t e u r s d ’étag es .

E st-ce u n e vue d u se p tiè m e c e rcle d e l’E n fe r de D ante ? N on. H élas, c ’est le g îte effroyable
d e c e n ta in e s d e m ille d ’h a b ita n ts . La V ille de P a ris ne p o ssèd e p a s ces d o c u m e n ts
p h o to g ra p h iq u e s d é n o n c ia te u rs. C elte M ie d ’en se m b le est c o m m e u n c o u p d e m assue.
Q u an d d an s n o s p ro m e n a d e s, n o u s su iv o n s le d é d a le des ru e s , n o s y eu x so n t ravis
p a r le p itto re s q u e de ces p ay sag es escarp és, les é v o catio n s du passé s u rg is s e n t......
La tu b e rc u lo s e , la d é m o ra lisa tio n , la m isè re , la h o n te trio m p h e n t- sa ta n iq u e m e n t.
La « C o m m issio n du V ieux P a ris » c o lla tio n n e les fers fo rg és.
Le clich é d e g a u c h e d o n n e la vu e d ’avion d u q u a r tie r des A rch iv es. C elui-ci celle du
q u a r tie r des C h am p s-É ly sées. Le se co n d est m ieu x q u e le p r e m ie r, in c o m p a ra b le ­
m e n t. Mais to u s d e u x so n t les effets d u la iss e r-a lle r, de l’o p p o rtu n is a tio n . S p ectacle
d écev a n t. R éalités an c ie n n e s q u i c h o q u e n t u n e s p rit n eu f.
(C lichés d e la C o m p ag n ie F ra n çaise A érienne.)
270 U R B A N ISM E

D ioram a d u P lan « V oisin » d e P a ris. (P a v illo n c

Les « affaires », qui depuis la guerre sont à la chasse des locaux


où s’abriter, ne tro u v e n t rien dans le Paris actuel. On b â tit, p etit
à petit, pour elles, les buildings que j ’ai dénoncés. U n bureau est
un organe précis qui n ’a rien de com m un avec l’hab itatio n . L ’heure
du trav ail réclam e des locaux qui soient des outils de trav ail. La
cité d ’affaires du « P lan Voisin » constitue une proposition for­
melle, conforme, exacte et réalisable, offrant au pays un siège de
com m andem ent. P a r un chem inem ent logique des conséquences,
Paris, capitale de France, doit, en ce siècle x x e, construire son poste
de com m andem ent. Il semble bien que l’analyse nous a it conduit
à form uler ici une proposition raisonnable. Chaque gratte-ciel
p e u t contenir de 20.000 à 40.000 employés. Les 18 gratte-ciel
prévus peuvent donc ab riter 500.000 à 700.000 personnes, l ’arm ée
du com m andem ent du pays.
LE CENTRE DE PA RIS 271

ïs p r it N o u v eau à l ’E x p o sitio n d es A rts d é co ratifs.)

Les m étros en réseaux quadrillés sont sous les gratte-ciel; les


rues e t les autodrom es feront le nécessaire pour p erm ettre à cette
m asse de se m ouvoir facilem ent.
Les voies ferrées de la gare de l ’E st sont dom inées p ar une
chaussée de béton avec autodrom e surélevé. C ette nouvelle artère
capitale, dirigée sur le nord, est récupérée sur des terrain s incom ­
p lètem ent utilisés.
Une traversée vers le sud p o u rra it prendre son d é p a rt à la
nouvelle gare centrale, entre la cité d ’affaires e t celle de résidence.
L a grande traversée est-ouest qui m anque to ta le m e n t aujour­
d ’hui serait un chenal où viendraient se trier, se canaliser la circu­
lation écrasée dans le réseau polygonal actuel. Cette grande tr a ­
versée nous arrache à un systèm e se referm ant sur lui-m êm e e t
ouvre les deux portes extrêm es vers le dehors.
272 U R B A N ISM E

La cité des résidences située à l ’ouest de la nouvelle gare


a p p o rte ra it au centre de Paris des qu artiers m agnifiquem ent
aérés, où se dresseraient sur 30 ou 40 m ètres de h au t, les sièges du
com m andem ent politique : les m inistères regroupés. Les salles de
réunion, de groupem ent, puis les salles de divertissem ent. Enfin
les grands hôtels de voyageurs.
La gare centrale propose un perfectionnem ent considérable
du systèm e préconisé en 1922 où les grandes lignes aboutissaient
en cul-de-sac. Les voici m ain te n a n t assujetties à un systèm e gira­
toire. E st, Ouest, N ord e t Sud, sont les q u a tre grands quais où
les compagnies existantes ■ —• ou modifiées •— feront descendre
et m onter leurs voyageurs; les tra in s ne font que passer; ils n ’y
stationnent pas, ils ne s’y forment pas; to u t équipés, ils arrivent,
prennent en charge et co n tinuent tous à direction unique.

** *

L E « P L A N V O IS I N » D E P A R I S E T L E P A S S É

Le passé historique, patrim oine universel, est respecté. Plus


que cela, il est sauvé. La persistance de l’é ta t actuel de crise con­
d u ira it à la destruction rapide de ce passé.
Prem ière distinction, d ’ordre sentim ental, très grave : au­
jo u rd ’hui, ce passé est défloré dans notre esprit; car la partici­
pation à la vie m oderne qui lui est imposée, le plonge dans un
milieu faux. J e rêve de voir la place de la Concorde vide, soli­
taire, silencieuse e t les Cham ps-Elysées une prom enade. Le « Plan
Voisin » dégage to u te l ’ancienne ville, de Saint-G ervais à l ’Étoile,
e t lui restitu e le calme.
Les quartiers du « M arais » ,des « Archives », du « Tem ple », etc.,
seraient d étruits. Mais les églises anciennes sont sauvegardées (1).
Elles se présenteraient au milieu des verdures; rien de plus sédui­
san t! Mais s’il fa u t convenir q u ’ainsi leur cadre original se tro u v e­
ra it transform é, il fa u t ad m e ttre aussi que leur cadre actuel est faux
et p ar surplus triste e t laid.
On voit égalem ent sur le « Plan Voisin » se dresser sous les fron­
daisons des nouveaux parcs, telle pierre insigne, telle arcade, tel

(1) Ceci n ’est p as u n b u t q u ’on s’est proposé, m ais sim p lem en t le ré su lta t
d ’une com position a rc h ite c tu ra le
PLAN “ VOISIN" 1>H PARIS

:*no«é uu Pavillon de l ’ ESPHIT N O U V liA U


l'Kxp oiiItlo n I n t e r n a t i o n a l e de» Aru D écoratif«).
LE CENTRE DE PA RIS 273
portique soigneusem ent collationnés, parce q u ’ils sont une page
d ’histoire ou une œ uvre d ’art.
E t dans une pelouse se dresse un hôtel Renaissance, coquet et
a v en an t. C’est un hôtel du M arais q u ’on a conservé ou q u ’on a
tra n sp o rté ; c ’est a u jo u rd ’hui une bibliothèque, une salle de lec­
tu re, de conférence, etc., etc.
Le « P lan Voisin », couvrant d ’im m eubles le 5 p. 100 de la sur­
face du sol, sauvegarde les vestiges du passé, et les m et dans un
cadre harm onieux : les arbres, les futaies. E h oui, les choses aussi
m eu ren t un jour et ces parcs « à la M onceau » sont des cim etières
co q u ettem en t entretenus. On s’y éduque, on y rêve, on y respire :
le passé n ’est plus un geste néfaste qui assassine la vie; le passé a
pris le rang.
Le « P lan Voisin » n’a pas la p réten tio n d ’ap p o rter la solution
exacte au cas du centre de Paris. Mais il p eu t servir à élever la
discussion à un niveau conform e à l’époque e t à poser le problèm e
à une saine échelle. Il oppose ses principes à l’im broglio des petites
réform es dont nous illusionnons nos esprits au jour le jour.


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A m é riq u e : ce q u i est le c o n tra ire de ce q u e p ro p o se le P lan « V o isin » de P a ris.


T elle est l ’e m p rise p ro p o sé e p a r le P lan « V oisin » d e P a ris. T els s o n t le s q u a rtie rs
q u ’o n p r o je tte de d é tr u ir e , tels so n t ceu x q u ’on p r o je tte d ’é d ifier à le u r place.
(Ces d eu x p lan s s o n t à m êm e éc h e lle .)
TABLE DES MATIÈRES

A v e r t is s e m e n t ............................................................................................................................................... i

P r e m iè r e P a r t ie (d é b a t g énéral).
1. —- L e chem in des ânes, le chem in des h o m m e s .......................... 5
2. — L ’ord re .................................................................................................. 15
3. — Le se n tim e n t d é b o r d e ...................................................................... 29
4. — P é re n n ité ............................................................................................ 41
5. — C lassem ent et choix ( e x a m e n ) ......................................................... 53
6. — C lassem ent e t choix (décisions o p p o r t u n e s ) .............................. 63
7. — L a g rande v i l l e .................................................................................... 77
8. — S t a t i s t i q u e ............................................................................................ 99
9. — C oupures de j o u r n a u x ...................................................................... 119
10. — Nos m oyens ........................................................................................ 137

D e u x iè m e P a r t ie (un tra v a il de lab o rato ire, une é tu d e th é o riq u e ).


11. — U ne ville co n tem po rain e ............................................................ 157
12. — L ’heu re du t r a v a i l ............................................................................... 171
13. — L ’heure du r e p o s ............................................................................... 189

T r o is iè m e P a r t ie (un cas précis, le cen tre de P aris).


14. — M édecine ou c h i r u r g i e ...................................................................... 241
15. — Le cen tre de P a r i s .......................................................................... 263

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