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Carmen POPESCU
Introduction
La prise de conscience sans cesse grandissante des intellectuels de la médiocrité de la
production architecturale algérienne incite à une réflexion à même d’amener politiques,
gestionnaires et praticiens, architectes et urbanistes, à opérer une véritable révolution dans les
mentalités et les pratiques si nous aspirons construire la ville de demain, celle dans laquelle
s’épanouiraient les générations futuresi.
La crise est bien réelle et la ville algérienne est malade de son architecture. La
production architecturale, victime du mercantilisme, du clientélisme et de la gabegie, a du mal
à affirmer sa singularité, sa contextualisation et son identité. Les quelques projets de qualité
réalisés ces dernières années sont l’arbre qui cache la forêt et demeurent peu nombreux pour
infléchir la tendance généralisée qui oscille entre un ancrage identitaire de façade et un
universalisme sans âme. Il faut souligner que malgré la redynamisation du secteur du B.T.P
par les pouvoirs publics, l’existence d’une forte commande publique et privée, la construction
de centaines de milliers de logements, de dizaines d’équipements publics, d’infrastructures
scolaires et universitaires, la qualité des ouvrages reste un sujet abordé de manière
superficielle par des officiels ou des journalistes non spécialisés.
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Le Larousse en ligne.
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or conditions.” La deuxième définition met l’accent sur le caractère “d’être une chose et non une
autre” “condition of being one thing and not another.”
La notion de noyau culturel (cultural core) développée par Rapoport signifie que
chaque culture comporte en son sein un noyau dur comprenant les dimensions les plus
immuables, les plus inamovibles de son identité culturelle. Il fait la différence entre ces
valeurs et des valeurs considérées comme périphériques (peripheral values) qui peuvent
changer au gré des circonstances de la vie. A contrario, le noyau culturel continue comme un
facteur déterminant dans la création de l’identité individuelle et un mécanisme par lequel les
membres d’une communauté communiquent leur identité collective.
En Algérie et malgré les discours politiques récurrents faisant état d’une définition
d’une culture ‘algérienne’, fondée sur ses trois piliers fondamentaux (l’islamité, l’arabité et
l’amazighité), le paysage culturel dans notre pays rend compte d’une réalité différente. A
l’instar des pays appartenant à la sphère culturelle et géographique arabe, l’identité algérienne
continue d’hésiter sur un arrimage particulier ; doit elle s’appuyer sur sa dimension locale ?
Sur la dimension « arabe » et l’appartenance doit-elle être linguistique ou ethnique ? Ou,
plutôt islamique de par la religion et l’histoire commune ou doit elle investir les récents
concepts régionaux « méditerranée, « Afrique du nord », « Maghreb » « moyen orient »,
reflets d’un nouvel ordre géopolitique. (Erribat, 2008) Dans la sphère géographique
« arabe », l’identité est tantôt arabe (arabiste) tantôt islamique, souvent arabo-
islamique, avec la perception que les deux concepts sont liés et que l’un va rarement sans
l’autre.
Avec l’avènement de la globalisation et l’émergence d’un nouvel ordre international
symbolisé par le « village planétaire », les identités régionales enregistrent un regain
d’actualité ; l’objectif étant de ne pas se mouvoir et se laisser dévorer par le nouvel ordre.
Le patrimoine matériel et immatériel constitue l’un des refuges en vue de la
préservation de l’identité culturelle. La notion de patrimoine, qui constitue la référence
identitaire, n’est pas dénuée de charge idéologique et reste fortement arrimée aux
politiques locales de chaque pays.
La production artistique en général et architecturale et urbaine en particulier,
demeure l’un des boucliers de préservation de l’identité culturelle. La posture la plus
répandue étant de puiser dans le patrimoine pour produire des espaces et des formes
dont la symbolique renvoie à des repères culturels connus et partagés.
La question qui se pose est alors :
Quel est le rapport de la production architecturale contemporaine en Algérie avec le
tryptique (patrimoine, identité et globalisation) ?
En sus des problématiques d’appartenance à des sphères géopolitiques et
civilisationnelles, se pose dans le « monde arabe » la question des identités régionales qui
ressurgissent à la faveur des échecs répétés des discours unionistes et panarabistes. L’identité
se conjugue désormais dans l’appartenance à l’état et se confine à ses limites géographiques et
physiques. Ce postulat soulève nombre de questionnements dont : la nature de identité locale ;
2
est-ce une identité qui découle d’une culture bien déterminée ; est-ce une identité d’un
peuple ; ou un parcours historique particulier qui a forgé ladite identité, avec des conditions
politiques et particulières conjuguées à un destin commun. Et doit-t-on se contenter de cette
acception ou rechercher des frontières plus larges ?
2. Notion de patrimoine
Le patrimoine comme concept occupe une place de choix dans le discours culturel et
architectural, particulièrement s’agissant de la dualité identité – modernité. Avec l’avènement
de ma mondialisation, la question du « retour » au patrimoine qui prend, d’après Djabiri
(1990) cité par Erribat (2008) deux postures :
1. Une posture d’appui (irtikaz) qui prône une prise de conscience de l’importance du
patrimoine et de la nécessité de sa redécouverte et de sa relecture pour qu’il puisse prendre
sa place légitime dans le présent ; c’est une « lecture patrimoniale du patrimoine », selon
les termes utilisés par l’auteur.
2. Une posture de « patrimoine protecteur » (ihtimaa), conçu comme bouclier contre les
invasions culturelles extérieures à l’époque de la mondialisation. Cette dernière représente
une lecture patrimoniale du présent (moderne).
3. Ces deux postures sont jugées par l’auteur comme dangereuses car elles consacrent la
dominance du passé sur le présent. Quant à la lecture porteuse de novations et ouverte sur
le présent et l’avenir est celle qui consacre la lecture « moderne » du patrimoine. Et c’est
cette dernière qui semble privilégiée par les partisans d’une synthèse entre la tradition et la
modernité.
2.1 Le patrimoine : un shift paradigmatique
Le concept de patrimoine a subi un shift paradigmatique allant du matériel à objets
(monuments et bâtiments objets), à l’immatérialité et aux valeurs intellectuelles. Nous
retiendrons particulièrement l’évolution du patrimoine rigide, intolérant, hérité à un
patrimoine source de renouvellement et de médiation entre les cultures, réduisant les
frontières entre ‘dominant’ et ‘émergent’, et entre majeur et mineur et tendant vers plus
d’humanisme, comme l’illustre la figure 1. Ce postulat nous ramène à la question de la lecture
et de l’interprétation du patrimoine qui doivent être nourries par de nouveaux éclairages basés
sur des outils et des méthodes nouvelles.
2.2. Le patrimoine et identité : de quoi parle-t-on ?
Dag MYKLEBUST définit l’identité comme étant ‘…manifestement le résultat d'un
processus qui nous guide dans les choix que nous avons à faire dans la vie quotidienne. Il
semble aussi qu'il y ait désormais un consensus général autour de l'idée que nous possédons
tous une série d'identités différentes que nous appliquons selon les situations. Le même auteur
relie le concept d’identité à deux autres qui sont : l’altérité et l’universalité. (Myklebust,
2005). Dans le même ordre d’idées, les recommandations du séminaire intitulé : « Le
patrimoine culturel et sa pédagogie: un facteur de tolérance, de civisme et d'intégration
sociale », tenu par le Conseil de l’Europe en aout 1995 à Bruxelles, met l’accent dans ses
recommandations finales sur la nécessité d’une analyse critique des tendances actuelles et le
développement d’un nouveau cadre théorique et ses applications dans le domaine du
patrimoine bâti. Il s’agit notamment d’élargir le concept de patrimoine à l’architecture dite «
mineure », aux structures anthropiques à grande échelle et aux paysages culturels, de
développer des connaissances sur la morphogenèse des milieux bâtis et de remettre en
question les fondements idéologiques des théories de la restauration, notamment de la notion
d’authenticité et l’adoption de nouveaux outils cognitifs pour le contrôle des transformations
3
et l’encadrement des projets d’intervention dans les centres historiques. Enfin, l’approche
historico-typologique dans l’élaboration de projets d’architecture et de design urbain :
exemples de projets fondés sur une connaissance approfondie de l’histoire du lieu et
caractérisés par une volonté de concilier les transformations nécessaires du cadre bâti hérité
avec le maintien de l’identité culturelle des lieux. Les recommandations ont également mis
l’accent sur la nécessité de comprendre la contribution de la recherche scientifique dans le
domaine de la morphogenèse des établissements humains à l’évolution des idées et des
pratiques en matière de patrimoine bâti. (Patrimoine, 36, 1995).
Ces conclusions soulignent la nécessité de questionner la validité des contenus et des
méthodes de transmission du savoir patrimonial, sur le plan des discours et sur celui des
pratiques, notamment celles relavant du design et de la création architecturale et urbaine. Il
s’agit, notamment de s’interroger avec Benyoucef (2008) si le patrimoine a la capacité, à la
fois, d’incarner l’identité (les identités) locales(s) et de promouvoir l’humanisme universel;
s’il a la capacité d’être un vecteur du dialogue des cultures et de quelle façon il peut être
engagé dans une dynamique de progrès humain. Le renouvellement continuel de l’approche et
la lecture du patrimoine est brandi comme une des conditions pour faire du patrimoine un
cadre référentiel dynamique au dialogue entre passé et futur. (Benyoucef, 2008) Mais pour
que cette vision soit ancrée dans la réalité, il conviendra de lever quelques obstacles
inhibiteurs. Le risque est réel de voir le patrimoine dévalorisé par des approches unijambistes
ou carrément survalorisé puis banalisé par des approches volontaristes mais manquant de
soubassement scientifique valide comme l’illustre la figure 2. Le patrimoine comme vecteur
de l’identité d’une communauté humaine et de son histoire culturelle suppose la mise au jour
d’éléments susceptibles de jouer un rôle dans la perpétuation et la pérennité de cette identité à
la fois dans l’œuvre patrimoniale préservée, conservée et interprétée et communiquée dans
tout processus générateur de formes et de situations nouvelles. Ce postulat place la question
de la lecture et de la compréhension du patrimoine architectural et urbain au centre des
préoccupations des chercheurs et des préposés au façonnage de notre environnement bâti.
Bien patrimonial
Valorisation
Survalorisation
Risque
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Bien que le concept de monument historique ait évolué considérablement à un terme
plus générique qui est le patrimoine, englobant des passés plus moins remarquables, la
question du patrimoine, en raison de la multiplicité des expériences et des acteurs, demeure au
centre d’une pluralité de sens, la crispation identitaire d’un coté et l’ouverture globalisante de
l’autre imposent la recherche d’une position médiane. (Gaborit et al. 1980, cité par Gravari-
Barbas et al. 2009). La notion semble donc se composer et se recomposer avec récurrence
suivant le contexte idéologique.
3. La globalisation
Les avancées technologiques ont fait du monde un « small village » et ont induit des
changements drastiques sur les paysages urbains et ruraux, éliminant petit à petit la notion de
lieu et d’identité. La standardisation des environnements bâtis a abouti à une homogénéisation
des méthodes de construction, des matériaux et des styles. Le malaise est perceptible et le
nombre de plus en plus important de conférences réunissant architectes, urbanistes,
sociologues et autres spécialistes de l’environnement bâti, tentent de parvenir à des méthodes
et outils permettant de conjuguer développement et identité régionale.
2
« L’architecture sans les architectes », exposition au musée d’Art moderne de New York.
3
La série d’ouvrages de « Shelter in…, par référence géographique.
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1. Un régionalisme concret ou post-moderne tend à copier des fragments ou des bâtiments
afin d’exprimer une identité locale. La production qui vient sous ce vocable semble très
inégale et peut être qualifiée tour à tour d’éclectique, de pluraliste, ou tout simplement de
pastiche. Elle prêche souvent par la vacuité du discours.
2. Un régionalisme dit « abstrait » qui ‘intègre les qualités existantes » au lieu de copier des
archétypes. Ce type de régionalisme, nous dit Ozkan, « réinterprète (…), les éléments tels
que la masse, le vide, le sens de l’espace, l’exploitation de la lumière, les principes
structurels… » ; « Il utilise un métalangage dérivant de l’expérience et d’éléments
assimilés au lieu d’imiter des réalités physiques, c'est-à-dire des bâtiments. Pour pouvoir
abstraire et définir, il doit d’abord faire l’expérience des éléments, les étudier d’un point
de vue historique et les transformer au long d’une réflexion intellectuelle pour le mettre en
rapport avec le monde actuel » (Ozkan, 1992)
Dans un article remarquable publié dans Mimar, Kenza Boussora identifie les objectifs
assignés au régionalisme. Ce sont, d’après une revue bibliographique conduite par l’auteure,
la satisfaction des besoins d’ordre social, l’utilisation des ressources et technologies locales, la
construction en harmonie avec les paramètres géographiques et climatiques de la région et
enfin construire en harmonie avec l’existant. (Boussora, 1992) Ce dernier objectif semble,
d’après l’auteure, le plus à même de refléter l’esprit du régionalisme.
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5.1. Postindépendance et jusqu’aux années 70.
Les années post-indépendance ont été caractérisées par la production architecturale
d’architectes ayant choisi de travailler et de vivre en Algérie comme Simounet, Cottin Euziol,
Ravereau, Deluz ; la liste n’étant pas exhaustive. D’autres ont été invités par les pouvoirs
publics dans le but de construire des équipements de prestige et dont peut citer Pouillon,
KenzoTange, Ricardo Bofill, Mustapha Moussa et Oscar Niemeyer, pour n’en citer que ceux
là. L’œuvre construite, puriste et moderniste, participe d’une volonté de doter le pays
d’infrastructures modernes ayant un cachet universel et humaniste. Il faut signaler, avec Suha
Ozkan, que l’aspect le plus critiqué dans le mouvement moderne reste son universalisme et sa
négation du contexte local. Cela n’a pas empêché certains parmi les maitres de ce mouvement
d’en donner une œuvre contextualisée à l’instar d’Alvar Aalto. Mais, nous dit Ozkan, c’est
plutôt l’avatar du mouvement moderne, en l’occurrence le style international qui a été le plus
critiqué.
Quant à Pouillon, son œuvre en Algérie est immense. Et même si nous mettons de coté
son œuvre inscrite durant la période coloniale (Diar Essaada etc..) initiée par les autorités
coloniales de l’époque, l’œuvre post-indépendante reste d’actualité au regard de la production
architecturale actuelle, surtout celle empreinte du souci identitaire. En effet, si nous
considérons uniquement les complexes hôteliers construits par Pouillon, l’œuvre est riche,
diversifiée, s’adaptant à des contextes variés et puisant d’un répertoire vaste et faisant de
manière magistrale la synthèse entre tradition et modernité. C’est une architecture dépouillée,
sobre, intégrant des archétypes traditionnels mais sans fioritures, faisant la part belle à
l’invention de formes nouvelles et à l’interprétation d’anciennes. L’œuvre éclectique et
fortement contextualisée de feu Fernand Pouillon demeure encore une référence et les
bâtiments de Ravereau représentent une interprétation intelligente du génie de l’architecture
mozabite.
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Figure 3 : Le complexe olympique
Les années 80 ont vu la réalisation d’un certain nombre de projets comme le complexe
de Ryadh el Feth et la Bibliothèque nationale. Ces projets ont conçus dans le plus pur style
postmoderne universel, sans référence particulière au patrimoine algérien. Les années 90,
avec la conjugaison de plusieurs paramètres dont l’instabilité sécuritaire et la crise
économique, n’ont pas vu la réalisation de grands équipements marquants. A partir des années
90, le recours au répertoire décoratif et constructif du patrimoine local commence à imprégner
les productions architecturales. C’est une sorte de quête identitaire qui commence à prendre
forme et ne cessera de prendre de l’ampleur avec l’avènement de la mondialisation galopante.
Cependant, ce phénomène n’a pas touché, du moins dans un premier temps, l’ensemble des
bâtiments mais surtout ceux ayant une forte connotation identitaire comme les mosquées, les
espaces culturels, les sièges administratifs de souveraineté et les bâtiments de justice pour ne
citer que ceux-là continuent de faire l’objet de ‘traitements’ spécifiques intégrant des éléments
du patrimoine en les réinterprétant, éludant souvent les problématiques de fond.
On peut qualifier ces attitudes comme appartenant à un certain régionalisme qui est
apparu bien plus tôt au moyen orient et même dans les pays maghrébins comme le Maroc ou
la Tunisie.
Figure 4 : les premiers bâtiments algériens à caractère post-moderne : le ministre des affaires etrangeres
et le musee du Djihad
8
5.3. L’éclectisme actuel et la recherche d’une synthèse entre architecture et
identité culturelle
Ce n’est qu’à partir des années 2000 que l’on peut parler réellement de souci
identitaire dans la production architecturale des praticiens algériens. Ce souci touche
principalement les édifices publics à caractère administratif, culturel ou religieux comme les
sièges de cours et tribunaux. En examinant la production des vingt dernières années, celle
conçue dans un souci identitaire semble avoir un référent identitaire unique : le patrimoine
arabo-islamique. La référence presque exclusive à ce patrimoine se décline soit par l’insertion
d’un vocabulaire architectural puisé dans un répertoire dit ‘arabo-islamique’, sans référence
particulière à l’Algérie ou au Maghreb ; soit une recherche plus poussée permettant de se
référer à l’héritage ‘andalou’ et ‘maghrébin’. La manière d’insérer les éléments du répertoire
prend elle aussi diverses déclinaisons mais oscille généralement entre le pastiche de type
« mille et une nuits » et le placage superficiel d’éléments.
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Figure 6 A: Vue sur le ‘nouveau’ ksar de Beni Figure 6 B: Rue et ruelle du nouveau ksar
Izguen, Tafilelt’
Mais avec le changement qui s’est opéré à partir des années 1990 et qui a pris toute
son ampleur dans les années 2000, générant au passage une libéralisation à outrance de la
pratique du métier d’architecture, une sorte de contre-courant contestataire, mettant la forme
au premier plan, réussit à s’imposer comme le nouveau paradigme. Cette posture, féconde et
légitime à la base, a vite connu plusieurs avatars :
1. Une quête d’expression formelle débridée, qui reste parfois dans des limites acceptables
mais qui peut verser dans un formalisme inutile et un éclectisme démesuré, juxtaposant et
superposant des formes et d’archétypes parfois anachroniques.
2. Une quête d’expression identitaire dont la justification oscille entre lisibilité et
intelligibilité de l’interface avec son environnement et la volonté d’amarrer le projet à une
matrice identitaire régionale, nationale ou même supranationale.
3. Une quête d’inscription formelle, stylistique ou esthétique claire comme on peut le
constater dans certains projets lauréats du Prix national d’architecture allant du néo-
vernaculaire au Moderne tardif, mais qui échouent manifestement dans la formulation
d’une expression formelle en rapport avec une véritable architecture urbaine pouvant
constituer un jalon dans la fabrique de la ville algérienne.ii
Mais le paysage global demeure caractérisé par le formalisme. Jean Jacques Deluz,
dans une série de chroniques, disait son inquiétude de la tendance ‘formaliste’ qui semble
prédominer dans le paysage architectural algérien. Ce passage est d’ailleurs éloquent à plus
d’un titre : ‘Le formalisme n’est pas un style ; c’est plutôt, au contraire, une absence de
méthode, un dogmatisme. Cela se retrouve dans toutes les formes d’expression artistique et
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particulièrement dans la poésie, la peinture et l’architecture. C’est sur cette dernière que je
focaliserai mes réflexions, (…). Il y a formalisme chaque fois que le concepteur (l’artiste,
l’architecte…), au lieu de puiser dans la réalité du problème qu’il a à résoudre, invente une
forme. Une telle définition peut surprendre car on imagine volontiers que l’artiste est un
inventeur de formes ; la nuance est subtile. En réalité, personne n’invente quoi que ce soit ;
chaque objet nouveau procède des objets ou des connaissances qui l’ont précédé.’ L’auteur
qui soutient que le processus créatif en architecture s’appuie sur la culture (mémoire) et la
réalité qui nourrissent l’imagination. Cette dernière produit l’objet logique qui est, d’une
certaine façon, le résultat d’une équation si complexe qu’aucun ordinateur ne pourrait y
répondre. Le même auteur poursuit : ‘On peut comprendre, dès lors, ce qu’est le formalisme :
c’est la démarche inverse de tout ce qui précède. Privée de tout appui sur la réalité du
problème posé – privée de son aliment naturel qui n’est pas l’objet à créer, en soi, mais la
substance nourricière qui peut donner naissance à cet objet, l’imagination devient une simple
machine à fabriquer des formes ; et comme il faut des prétextes pour justifier ces formes, elle
ne peut s’appuyer que sur des dogmes ou des modèles. Les mots qui pourront qualifier le
formalisme seront la gratuité, l’arbitraire, la simplification, qui ne veut pas dire la simplicité,
car elle se traduit souvent, au contraire, par de la complication inutile’.iii
Il dit encore à propos de la production des architectes algériens : « …En face de cette
importation des services, il est difficile de caractériser la production des architectes
algériens. Les tendances qui se dessinent me paraissent encore très indéterminées. Leur
formation est discutable (…), leur cohésion inexistante, le marché des études mal réglementé
et ils suivent des modes peu fiables : chacun voudrait bien être un de ces grands architectes
dont j’ai parlé, mais n’en a ni les moyens, ni la commande, ni l’expérience. (…) Dans cette
optique générale, le beau est toujours anecdotique : que ce soit la référence à une
architecture arabe uniformisée (l’arcade n’est ni celle du Sud, ni celle de La Casbah, ni celle
de Fez ou du Caire, mais l’arcade tout simplement), la référence à la modernité (la grande
baie là où une petite fenêtre suffirait, les porte-à-faux agressifs), la référence à une culture
passée imaginaire (la colonne grecque, les entablements classiques dessinés par des
ignorants) ou alors des artifices comme la polychromie sur les façades (dans les bâtiments
publics ou les ensembles d’habitat), le mélange gratuit des matériaux, (brique ou pierre
apparente, marbres ou placages divers), les toitures complexes, contrariées, que les
architectes affectionnent particulièrement quand ils dessinent une maison individuelle, les
obliques et les biais inutiles pour faire original, etc. Et celui qui en aura fait le plus aura fait
le plus beau. »
Aujourd’hui, la tentation formaliste est plus que jamais présente malgré
l’augmentation des responsabilités des maitres d’œuvre et des maitres d’ouvrages. Des
préoccupations nouvelles telles que la qualité du cadre de vie, la transformation des paysages
et des formes urbaines, la gestion des mobilités, la maitrise de l’étalement urbain et
l’intégration des territoires urbains, l’écologie et l’environnement sont autant de défis face
aux préposés aux affaires de la ville.
4
Il semble opportun de considérer cette approche sous un autre angle. L’architecture vernaculaire en pays
Islamiques comme en pays non Islamiques ne serait-elle pas le point de départ des théories structuralistes en architecture et
en urbanisme ?
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Figure 8 :La bibliothèque d’Alexandrie en Egypte.
Architecte : Snohetta, Norvège.
Les édifices construits récemment et que nous venons de citer reprennent peut être les
techniques les plus avancées de leur temps en matière de béton armé, ou de structures
métalliques, mais il n’existe aucune dialectique entre ces structures avancées et les typologies
architecturales qui appartiennent à d’autres temps et à d’autres structures. Les architectes de
ces œuvres font appel à ces techniques structurales, non pas dans le but de créer une
architecture qui épouse son temps, mais uniquement dans celui de produire une architecture
gigantesque qu’en aucun cas les matériaux anciens ne pouvaient produire. Il s’agit ensuite
pour ces architectes de cacher cette structure moderne, de l’emmitoufler, de la camoufler sous
un costume folklorique fait d’archétypes historicistes. La structure importée pour les besoins
de des performances de franchissement, de portée et de gigantisme, quant à elle, perd toute
vérité du matériau qui émane de son comportement mécanique sous l’effet des charges.
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Ces conceptions montrent l'incapacité chronique des maîtres d'ouvrage et des maîtres
d'œuvre à s'affranchir des modèles historicistes et s'inscrire dans la contemporanéité. La
consultation de la documentation disponible de ces vingt dernières années5 et traitant de
l'architecture de la mosquée dans le monde islamique et en occident, permet de faire le tour
des différentes approches.
6.1.1. Différentes approches
Pour Fethi Ihsan (Fethi, 1992), cinq courants paraissent avoir émergé:
Le vernaculaire/ traditionnel:
Le conservateur/ conventionnel:
Le néoclassique /islamique
Le contemporain /moderne
L'éclectique/mille et une nuits.
5
La fondation AGHA Khan nous fournit l'essentiel de cette documentation.
15
7. Discours apologétiques : les maitres d’ouvrage, maitres d’œuvres, medias et
universitaires
“Étant donnée la nature souveraine du projet, il sera impératif que l’ensemble du site de la
Mosquée d’Alger revête une signature architecturale d’inspiration maghrébine avec une
authenticité algérienne qui tienne compte de l’évolution technique et technologique pour
exprimer la modernité et la réinterprétation des concepts traditionnels qui sied au présent et
résistera au temps.” Ce passage tiré du Cahier des charges de la Grande Mosquée d’Alger
donne une idée du discours officiel relatif à la prise en compte du patrimoine dans la
conception de projets de prestige. Le projet est censé réaliser le “brassage entre tradition et
modernité”. On retrouve les mêmes formules lapidaires dans les discours des medias lourds
qui emploient un jargon unique constitué des occurrences comme : ‘tiraz aarabi islami » ou
« touhfa mimaria raiaa ». Des analyses de contenu sont en cours et démontrent déjà un nombre
important d’occurrences du genre. Cependant ce qui ne manque pas d’étonner est le fait de
retrouver ce même jargon dans le discours universitaire. (Lesbet, 2008)
6
. Arkoun, Mohamed; ‘Islamic Culture, Modernity, Architecture, Proceedings of the seminar Ten in the Series:
Architectural Transformations in the Islamic World, Granada, Spain, April, 21-25, 1986, p.15.
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Il s'agit de se libérer de la "colonisation" de l'esprit par des images éculées censées
représenter un standard ou un archétype. Dans le processus de design, l'architecte dispose
souvent, en entamant son raisonnement cognitif, d'un assortiment d'images dont il 'tire'
l'image correspondant à l'idée qu'il se fait du projet. La répétition des mêmes images conduit à
une véritable stérilité des esprits. Dans cet ordre d'idées, Charles Correa propose une
méthodologie qui semble féconde: En disséquant le processus de conception architecturale,
Correa identifie trois niveaux de raisonnement cognitif possibles. Un premier niveau
superficiel: c'est l'image quotidienne de l'architecte débordé de travail qui essaye d'atteindre
rapidement un compromis possible entre les exigences du client, le budget alloué, les
conventions et 'l'esthétiquement' correct. Ce type de concepteur tire ses images d'un premier
niveau de profondeur; superficiel et conventionnel. Un second niveau de raisonnement à
caractère obsédant, nécessite plus d'efforts et de recherches. C'est celui basé sur une quête du
l'imaginaire semi-mythique dans lesquels les images jouent le rôle d'élixirs puissants qui
transforment une construction banale en un lieu unique et excitant. Une troisième strate paraît
représenter le statut suprême de ce raisonnement. C'est qu'il appelle deep structure7 qui est
une véritable transcendance des deux niveaux déjà cités pour atteindre le troisième niveau
dans lequel le concepteur pénètre l'essence des choses et en ressort avec quelque chose de
fondamentalement nouveau8. C'est le propre des grands créateurs.
Dans le schéma idéal, ce n’est pas le stéréotype formel qui est repris mais plutôt le
concept abstrait qui peut, dans un contexte nouveau, prendre une forme nouvelle mais dont le
contenu ou le signifié est évidemment le même (ou sensiblement le même que celui véhiculé
par l’ancien archétype).
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Structure profonde.
8
Par exemple dans sa lecture de l’espace mosquée, Garaudy, tout en portant un regard admiratif sur la richesse et la
finesse du traitement des éléments architectoniques et des décorations, va plus loin en avançant les concepts d’immatérialité,
de polycentralité du plan à géométrie articulée non finie (donc associative et urbaine) etc...Tous ces concepts, au delà de la
forme et des stéréotypes, peuvent être repris dans leur caractère abstrait par l’architecte concepteur qui, écartant toute
référence formelle préalablement établie, peut, à la lumière des concepts sus-cités, générer des formes nouvelles en traduisant
en forme des concepts abstraits. Le schéma de conception ne serait plus un schéma dont l’aboutissement est un pastiche
n’ayant aucun rapport avec le contexte nouveau dans lequel il est implanté.
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Im agerie com pulsive
Struc ture profonde
9. Conclusion
Le processus de consécration de la dimension identitaire en architecture est une œuvre
de longue haleine qui nécessite un investissement en ressources humaines et matérielles.
L'œuvre de réinterprétation étant une œuvre de création par excellence, elle peut prendre des
formes diverses. Mais pour reprendre les termes de Correa, il s'agit bel et bien d'une
transformation d'images et non d'un simple transfert.
10. Bibliographie
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18
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مدير, جامعة لندن, دكتوراه في فلسفة العمارة, مقاربات نظرية أساسية, وليد أحمد السيد التراث والهوية والعولمة
.مجموعة لونارد ودار معمار ألبحاث واستشارات العمارة والتراث بلندن
i
Voir à ce propos l’article d’Omar Azraj dans El Khabar du 20/01/2010
ii
Voir notamment les projets lauréats du Prix national d’architecture, illustrés par la revue Vies-de-villes.
iii
J.J. Deluz, chroniques urbaines, Document WEB.
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