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COLLECTIF « SOL-SCV »

SOLS TROPICAUX,
PRATIQUES SCV,
SERVICES ECOSYSTEMIQUES

AVEC LE SOUTIEN DE :

MAI 2008
AVANT-PROPOS

Le secrétariat du Fonds Français pour l’Environnement Mondial (FFEM) a organisé, le


11 mars 2008, avec le Comité Scientifique et Technique du FFEM, une journée de pré-
sentation des principaux acquis scientifiques de l’agroécologie. Ce fut l’occasion de
faire une restitution d’un séminaire international qui s’est tenu à Madagascar du 03 au
08 décembre 2007 :
« Les sols tropicaux en semis direct sous couvertures végétales »

Dans nombre de pays, et tout particulièrement dans les régions tropicales, on observe
que les systèmes de production traditionnels mis en œuvre pour l’obtention des pro-
duits agricoles induisent un épuisement des sols que les faibles apports d’engrais ne
peuvent compenser. Cette situation, parfois dramatique, conduit à une baisse sensible
des rendements agricoles et, par conséquence, à un effondrement des revenus des
paysans. De plus, la croissance démographique exponentielle à laquelle nous assistons
aujourd’hui, nous impose de trouver rapidement des solutions durables capables de
subvenir aux besoins alimentaires de plus de 9 milliards de personnes.
Conscients de cette situation, l’AFD et le FFEM soutiennent depuis plus d’une dizaine
d’année, des programmes de développement de l’agroécologie à travers le monde. Ces
programmes visent à démontrer qu’il est possible de produire autrement et de mettre en
œuvre des systèmes de production performants et respectueux de la préservation des res-
sources naturelles. Ces nouvelles techniques de production agricole s’appuient sur l’idée
qu’il est possible de s’affranchir du travail du sol (labours, sarclages) en laissant le soin
à des plantes de couverture d’assurer un travail équivalent : techniques dites « Systèmes
de cultures sous couverture végétale » (SCV). Ces techniques sont aujourd’hui large-
ment développées en Amérique du Nord et du Sud. Elles se développent en Europe.
Dans les régions tropicales, il est nécessaire de les adapter aux conditions particulières
de ces zones : sols pauvres, petits producteurs, pluviométries irrégulières, etc.
Autour d’un public de chercheurs (CIRAD, IRD, INRA, CNRS, CEMAGREF, Ecole
des Mines, etc.), de décideurs (MAEE, Min Agri, MEDAD) et d’agriculteurs impliqués
dans ces actions, il a été possible, au cours de cette journée, de tirer un premier bilan
des impacts de ces pratiques agricoles sur l’environnement :
• Les expérimentations mises en place dans les différents pays d’intervention
démontrent clairement que les SCV jouent un rôle central dans l’amélioration de
la structure des sols et leur composition chimique. De ce fait, les SCV sont un
moyen efficace de lutte contre la dégradation de la fertilité des sols.
• Les pratiques agricoles SCV peuvent avoir un effet sur la composition de la
faune et de la flore des sols. Partant, ces pratiques peuvent conduire, d’une part,
à lutter efficacement contre les agents pathogènes des cultures, d’autre part à res-
taurer une importante biodiversité faunique exerçant des effets très positifs sur de
nombreuses propriétés des sols importantes pour la fertilité et la lutte contre le
ruissellement et l’érosion.
• En assurant une couverture des sols sur la totalité de l’année, les pratiques SCV
ont un impact positif sur l’érosion des sols. Elles permettent ainsi de maintenir les
sols en place et de réduire les risques de dégradation de l’environnement en aval.
• Enfin, ces pratiques induisent une accumulation de carbone dans les sols, carbone
provenant, via les restitutions végétales, du gaz carbonique (CO2) de l’atmosphère.
Ces pratiques exercent donc ce que l’on appelle la « séquestration du carbone » dans
le cadre de la réduction globale des gaz à effet de serre de l’atmosphère.
Au cours de cette journée d’étude, il a ainsi pu être constaté que le sol, et les sols agri-
coles en particulier, représentent un capital précieux et fragile qu’il convient de proté-
ger, voire d’améliorer. Si les techniques traditionnelles d’exploitation agricole ont fait
la preuve de leurs limites, les techniques SCV sont une voie prometteuse de préserva-
tion de ce capital.
Les pages qui suivent sont quelques illustrations de la richesse des résultats présentés
au cours du Séminaire de Madagascar.
A ce propos, permettez-moi au nom de l’ensemble de l’équipe FFEM et AFD en
charge du financement et de la gestion de ces projets d’agroécologie, de remercier vive-
ment l’ensemble du « Collectif SOL-SCV » qui a pu mener cette synthèse à partir de
résultats obtenus pendant 5 ans sur un réseau de situations mises en place par le CIRAD
et ses partenaires nationaux ou privés au Brésil, à Madagascar et au Laos et avec une
très forte implication scientifique de l’IRD. J’adresse, en particulier, mes félicitations
aux deux porte-paroles du « Collectif SOL-SCV » que sont les deux co-présidents du
comité d’organisation du Séminaire de Madagascar : Christian Feller (IRD, UR 179
SeqBio) et Lilia Rabeharisoa (LRI, Université Antananarivo).

Signé : Christophe Du Castel


Chargé du projet AgroEcologie au Fond Français pour l’Environnement Mondial
TABLE DES MATIERES

1. Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .9

2. Services en terme de fertilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .14


2.1. Propriétés chimiques des sols . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .14
2.2. Propriétés physiques des sols . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .17
2.3. Indicateurs biologiques globaux des sols . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .18

3. Services en terme de biodiversité faunique et de lutte contre la faune pathogène . . . . . . . . . . .20


3.1. Densités et diversités de la macrofaune non pathogène du sol . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .20
3.2. Densités et diversités de la macro- et mésofaune pathogène du sol . . . . . . . . . . . . . . . .21

4. Services en terme de lutte contre le ruissellement et l’érosion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .22


4.1. Erosion aratoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .22
4.2. Erosion hydrique et ruissellement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .23

5. Services en terme de lutte contre l’effet de serre : SCV et « séquestration du carbone » . . . . .27
5.1. SCV et stockage du C dans le sol . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .28
5.1.1. Madagascar . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .28
5.1.2. Brésil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .29
5.1.3. Laos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .30
5.2. Flux de N2O (et CH4) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .30
5.2.1. Brésil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .30
5.2.2. Madagascar . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .32
5.3. Formes du C stocké dans le sol (Brésil, Madagascar) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .32
5.4. Le C érodé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .34

Conclusions et perspectives : le sol comme un « capital » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .35

Références . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .38
INTRODUCTION

Le sol est une ressource non renouvelable aux échelles humaines. Reconstituer la surface d’un
sol après érosion demande des centaines à des milliers d’années. Or les sols sont fragiles,
entre autres les sols tropicaux, et demandent à être gérés avec précaution, d’une part pour ne
pas être soumis à l’érosion hydrique et éolienne, d’autre part pour conserver leurs propriétés
physiques, chimiques et biologiques essentielles à une productivité végétale optimum dans un
contexte socio-économique donné.
Dans les pays tropicaux en voie de développement, la démographie croissante, l’insécurité
alimentaire grandissante, se traduisent par une pression foncière de plus en plus forte. Il en
résulte que les systèmes traditionnels de Défriche-Culture-Jachère, en particulier sur les
pentes, qui étaient adaptés à une population faible ne sont plus appropriés maintenant à des
systèmes à raccourcissement de la durée de jachère, ni à la nécessité d’une production végé-
tale et animale plus élevées. La perpétuation de ces systèmes dans leur mode de gestion tra-
ditionnelle, impliquant aussi un faible niveau d’apport de fertilisants, conduit donc à une
dégradation générale des sols : baisse de fertilité (agriculture dite « minière »), augmenta-
tion de l’érosion, perte de biodiversité faunique et microbienne.
Quand bien même le paysan aurait la possibilité de se fournir en engrais, comme dans
certains pays émergents, le seul apport de fertilisant minéral est insuffisant pour restaurer un
niveau correct de fertilité, car (i) quel que soit le niveau de l’apport, la plante prend une
partie de ses éléments nutritifs aussi dans le sol (par exemple, 50 % pour l’azote), (ii) de très
nombreuses propriétés des sols sont fortement corrélées aux stocks de matière organique du
sol (MOS).
Par ailleurs, le travail du sol, s’il est mal géré, représente un risque important de dégradation
physique du sol, en particulier vis-à-vis de l’érosion hydrique si le sol est nu en période de
pluies, mais également par une accélération de la minéralisation de la matière organique du
sol.
Il y a donc nécessité de proposer des alternatives de gestion des terres qui impliquent à la
fois : (i) un niveau adéquat de restitution d’éléments fertilisants au sol, (ii) un maintien – voire
une amélioration – du stock organique du sol, et (iii) une protection contre le ruissellement et
l’érosion.
Enfin, l’agriculture d’aujourd’hui dans le monde entier doit prendre en compte aussi, à côté
de sa fonction de production, les problèmes d’environnement, que ce soit aux niveaux locaux

9
INTRODUCTION

(érosion, colmatage des drains et des barrages, etc.) ou globaux (effet de serre, séquestration
du carbone, protection de la biodiversité, etc.)
On voit donc que le problème de la gestion des terres pour l’agriculture est complexe et pose
des problèmes spécifiques dans les pays du Sud. Le sol y a une place majeure et représente
un capital pour la production agricole, mais aussi pour la défense de l’environnement, capital
qu’il faut conserver, voie améliorer. Le sol à travers ses PROPRIÉTÉS physiques, chimiques
et biologiques va donc devoir remplir des FONCTIONS diverses comme :
- une réserve de nutriments pour la plante et les organismes vivants du sol,
- un support organisé et aéré pour les racines des plantes, la faune et la microflore et la
circulation de l’eau et de l’air,
- un lieu de stockage d’éléments qui peuvent être nocifs pour la plante et l’homme
comme les métaux lourds et les pesticides,
- une source ou un puits de gaz à effet de serre, une préoccupation récente mais majeure.
A ces FONCTIONS correspondent des SERVICES (que l’on qualifie d’ « écosystémiques »)
rendus par le sol pour les populations humaines, en particulier :
- le maintien ou l’amélioration de la fertilité,
- la régulation des flux d’eau qui conditionnent l’infiltration dans le sol ou au contraire
le ruissellement à sa surface et qui donne naissance à l’érosion hydrique,
- la détoxification des polluants,
- la régulation de la composition de l’atmosphère et donc des effets sur les changements
climatiques,
- le maintien ou l’amélioration de la densité et de la biodiversité des organismes dans le
sol qui interviennent directement dans tous les points évoqués ci-dessus.
A l’interface de tous ces aspects se situent les rôles majeurs (et liés) joués par :
- les restitutions organiques au sol,
- le niveau du stock de matière organique existant dans le sol.
Sur ces bases, diverses alternatives de gestion des terres sont testées dans les régions inter-
tropicales. Elles participent de ce qui est généralement dénommé l’« Agroécologie ». Elles
sont toutes basées sur la nécessité : (i) de restituer au sol des quantités élevées de matières
organiques (d’origine variées), (ii) de couvrir le sol le plus possible pour lutter contre
l’érosion, (iii) de favoriser le stockage de matière organique dans le sol car celle-ci exerce
un rôle capital aussi bien du côté de la fertilité que du coté environnemental (c’est elle qui
est le compartiment de séquestration du carbone), (iv) de ne pas travailler le sol.

10
INTRODUCTION

b
Figure 1

Systèmes Conventionnels et SCV :


- sur les Hautes Terres de Madagascar : préparation d’une parcelle en système conventionnel labouré
manuellement (a) et système SCV en couverture vivante (b)
- au Brésil (Parana) : préparation d’une parcelle en système conventionnel labouré mécaniquement (c)
et système SCV en couverture morte (d). Clichés O. Husson.

c d

Parmi ces alternatives on peut citer : les plantations sylvicoles, l’agroforesterie, le non brûlis
des terres que ce soit des jachères, des résidus de récolte ou de certaines cultures comme la
canne à sucre et, plus récemment (au Brésil d’abord puis à Madagascar, au Laos et divers pays
africains), les « systèmes de cultures en semis direct, sans travail du sol sous couverture végé-
tale » communément désignés SCV (Fig. 1b,d), dont il sera question ici, et qui a donné lieu
en décembre 2007 à un séminaire international à Madagascar1, dont nous rapportons un cer-
tain nombre de résultats dans cette synthèse.

1. Le projet de recherche et le séminaire correspondants ont été fortement soutenus financièrement par le Fonds Français
pour l’Environnement Mondial (FFEM) de 2002 à 2007 (Contrats de service IRD/AFD/FFEM CZZ 1224.02.X et
GSDM/AFD/FFEM N° CZZ 1224.08)

11
INTRODUCTION

L’objectif de ce document est de montrer les potentialités que peuvent offrir les pratiques de
type SCV (en comparaison de pratiques dites « Conventionnelles » impliquant le travail du
sol, Fig. 1a,c) pour fournir des services écosystémiques optimum (fertilité, environnement)
liés aux propriétés des sols.
Dans un certain nombre de pays tropicaux et subtropicaux tels le Brésil et l’Argentine, les
systèmes SCV ont déjà fait leurs preuves sur le plan de la productivité végétale en comparai-
son des systèmes conventionnels avec travail du sol auxquels ils succèdent (Fig. 1c). Les
expériences de moyenne à longue durée menées à Madagascar confirment cette tendance
(Fig. 2) mais l’absence d’effets positifs, voire parfois des effets négatifs, peuvent être aussi
être notés lorsque les pratiques n’ont pas encore été parfaitement mises au point ou pas
encore totalement maîtrisés par le acteurs, ou lorsque que les systèmes sont jeunes et n’ont
pas atteint leur équilibre (résultats non montrés).

Figure 2
Rendements comparés en maïs de 3 traitements SCV et d’un traitement
Conventionnel à Antsirabe (Madagascar).

Les pratiques SCV peuvent et doivent être très diverses selon le contexte bioclimatique et
socioéconomique, en particulier dans le mode de gestion des matières organiques restituées
au sol, qu’elles proviennent des résidus de récolte laissés sur le sol sous forme de mulch
(Fig. 1d) ou de la matière végétale aérienne et racinaire d’une plante de couverture (Fig. 1b).
Les effets alors en terme de productivité (effet précédent) peuvent varier fortement selon la
qualité et/ou la quantité des matières végétales restituées et leur forme de restitution.
La figure 3 (Seguy et al., 2001) illustre cet aspect pour diverses pratiques SCV au Brésil.

12
INTRODUCTION

Figure 3
Régressions entre la quantité et la nature de la biomasse
sèche et la productivité du soja de cycle moyen (FT114) sur
3 ans de semis direct - (Seguy et al., 2001, (1997/2000)-
AGRONORTE - SINOP/MT, 2000).

On constate que : (i) pour chaque type de SCV la productivité du soja dépend du niveau de
biomasse apportée au sol par le système, (ii) que pour une même biomasse végétale apportée
(par ex. 5 tMS/ha) la productivité du soja varie fortement selon les systèmes : faible avec le
système Sorgho, élevée avec le système Éleusine.
Quel sont les effets des pratiques SCV sur le propriétés des sols et les services écosystémiques
associés ?

13
2. SERVICES EN TERME DE FERTILITE

Le niveau de productivité végétale va dépendre, pour un climat et une pratique donnée, de


l’ensemble des propriétés chimiques, physiques et biologiques du sol.

2.1. Propriétés chimiques des sols

Pour les propriétés chimiques, l’exemple choisi est celui des Hautes Terres de Madagascar
(Antsirabe). Les données générales proviennent des analyses fournies par Michellon et al.
(données non publiées), celles sur le carbone (C) de Razafimbelo et al. (2006). Le dispositif
agronomique permet une comparaison statistique des propriétés d’un sol sous un système
conventionnel avec labour au même sol sous trois systèmes différents SCV d’âge de 8 à
12 ans. On été analysés : Carbone et Azote, pH, capacité d’échange cationique CEC (à pH7
et au pH du sol), les cations échangeables (H+Al, Al éch., Ca éch., Mg éch., K éch., Na éch.),
la saturation en bases (rapport Ca+Mg+K+Na éch./CEC) et les taux de saturation individuels
de chaque cation (rapport Cation éch./CEC), le rapport Ca+Mg/K, le phosphore assimilable,
et ce pour les 5 couches suivantes : 0-5, 5-10, 10-20, 20-40, 40-60 cm.
Les teneurs en C de la couche de surface (0-5 et parfois 5-10 cm) sont systématiquement plus
élevées pour les systèmes SCV que pour le système Conventionnel (Razafimbelo et al., 2006,
et Fig. 4)

Figure 4
Variations des teneurs en C du sol avec la profondeur
pour un système Conventionnel (LB-MS) et 3 systèmes
SCV (SD MS, SD MM-d, SD HS-k).

14
SERVICES EN TERME DE FERTILITE

Ces augmentations significatives des teneurs en C pour la couche de surface du sol sous SCV
sont souvent retrouvées dans d’autres situations bioclimatiques étudiées que ce soit à
Madagascar (Lac Alaotra, Tulear, Manakara) et au Brésil sous réserve de durées de SCV
supérieures à 4 ans.
Par contre, pour l’ensemble des autres propriétés chimiques, pratiquement aucune différence
entre traitement n’apparaît pour la situation des Hautes Terres de Madagascar. Les seules dif-
férences concernent des valeurs plus élevées en système conventionnel qu’en SCV pour : la
CEC à pH du sol dans les horizons 10-20 et 20-40 et P assimilable pour l’horizon 10-20 cm
(résultats non montrés).
Cette absence de variation de ces propriétés selon le traitement peut paraître surprenante car
il est bien connu que de nombreuses propriétés édaphiques varient avec les teneurs en C (ou
MO) comme le montre la figure ci-dessous pour des situations étudiées chez des petits pro-
ducteurs par Corbeels et al. (données non publiées) au Brésil (Fig. 5)

Figure 5
Variations des teneurs en azote total (N) et en calcium échan-
geable (Ca) selon le taux de matière organique du sol (MOS)
pour des situations cultivées au Brésil (Cerrados) chez des
petits producteurs. (Données non publiées Corbeels et al.)

15
SERVICES EN TERME DE FERTILITE

Dans le cadre d’une étude visant à étudier l’effet de l’âge de parcelles en SCV (chrono-
séquence) au Brésil, Maltas et al. (2007) montrent que le stock d’azote total du sol peut
augmenter de l’ordre de 80 à 90 kg N/ha/an (Fig. 6) dans des systèmes intensifs à forte
restitution de biomasses. Toutefois, la disponibilité additionnelle en azote minéralisé due à
cette augmentation de stock en N organique n’atteint, après 10 ans en SCV, que 21 kg/ha
durant les 120 jours du cycle du maïs.

Figure 6
Augmentation de stocks d’azote sous systèmes SCV dans la
région de Rio Verde (État de Goias) pour un sol ferrallitique
argileux.

Par ailleurs, de par l’utilisation de plantes de couverture recyclantes, les SCV sont plus effi-
caces que les systèmes conventionnels sur l’ensemble de la saison des pluies réduisant de
moitié les pertes de nitrates par lixiviation (tableau 1). Malgré cela, les SCV peuvent quand
même perdre de l’ordre de 100 à 120 Kg de N durant le cycle du maïs. Ces résultats mettent
en défaut la thèse selon laquelle les SCV pourraient permettre de se passer complètement de
fertilisation que l’on voit parfois évoquée dans certaines enceintes. Ce n’est pas le cas sous
les climats tropicaux humides où, même en SCV, les pertes en N du système doivent être
compensées, soit par des engrais azotés chimiques ou organiques, soit par l’incorporation
systématiques de légumineuses dans les rotations.

16
SERVICES EN TERME DE FERTILITE

Tableau 1
Bilan annuel en azote minéral pour des situations Conventionnel et SCV au Brésil (Etat de Goias, sol
ferrallitique argileux) (Données Scopel et al. 2005)

Conventionnel SCV
N minéral initial 189 34
final 47 86
Apport N chimique 93 139
N minéralisé de la MO sol 121 187
N minéralisé des pailles - 60
Pertes
Exportation Plante 91 156
Volatilisation + Ruissellement 37 56
Lixiviation 228 122

Les mêmes tendances sont observées pour les situations des Hautes Terres de Madagascar
(données Rakotoarisoa et al.) avec des stocks de N total plus élevés sous SCV que sous
Conventionnel, et des migrations de N minéral dans le profil avec possibilités de pertes par
lessivage.
Le phosphore (P) est un des facteurs limitants de la productivité végétale dans les sols tropi-
caux peu fertilisés, soit que les stocks de P soient naturellement faibles, soit que compte tenu
de la richesse souvent élevée en oxydes de fer et d’aluminium, le P apporté par les engrais
soit immédiatement immobilisé et non disponible pour la plante. La mobilisation du P dépend
beaucoup des activités biologiques du sol, en particulier de la présence de champignons
mycorhiziens à arbuscules (MA). Le potentiel infectieux de ces champignons va déterminer
une partie de la mobilité de P et donc conditionner la fertilité phosphatée. Les études menées
sur les Hautes Terres malgaches à Andronamelatra (Données non publiées de
Rasoamampionona et al.) ont permis de montrer que le potentiel infectieux des mychorhizes
est naturellement faible dans les sols étudiés mais est amélioré par les pratiques SCV, ce qui
se manifeste sur la concentration en P dans la plante.
2.2. Propriétés physiques des sols

Les densités apparentes varient relativement peu selon les traitements (résultats non montrés).
Par contre, la stabilité de l’agrégation, exprimée par le taux de macroagrégats stables (MA)
– qui va conditionner de très nombreuses propriétés physiques du sol (porosité, aération,
enracinement) – est généralement plus élevée sous pratiques SCV que sous Conventionnel.
Cette propriété est dépendante des teneurs en MO (ou en C) du sol (Figure 7) (Données
Razafimbelo et al., 2006).

17
SERVICES EN TERME DE FERTILITE

Figure 7
Relation entre teneur en Macroagrégats stables et
en C du sol (couche 0-5 cm). Diverses situations de
Madagascar (Antsirabe, Manakara, Alaotra,
Tuléar). (Données Razafimbelo et al., 2006).

2.3. Indicateurs biologiques globaux des sols

Quelques indicateurs de propriétés biologiques globales (Biomasse microbienne, minérali-


sation du C et activités enzymatiques ont été mesurés par Rabary et al. (données non
publiées) pour la situation des Hautes Terres de Madagascar et sont rapportés dans le
tableau 2.
La biomasse microbienne, compartiment actif à renouvellement rapide du sol, peut donner une
indication précoce de l'évolution des stocks organiques et permettre d'apprécier l'évolution du
système. Les actions microbiennes sur les processus de minéralisation et de transformation de
la matière organique sont des fonctions d'intérêt agronomique. La question posée ici est de
savoir si les SCV améliorent la qualité du sol en termes de biomasse microbienne et leurs acti-
vités par rapport à la jachère et les systèmes sous labour, et ensuite de comparer, entre eux, les
SCV sur résidus et sur plante de couverture vivante. Le tableau 2 indique que le système sous
labour conventionnel donne une biomasse microbienne, une respiration et des activités enzy-
matiques plus faibles que la jachère. Les activités microbiennes sous SCV varient en fonction
des systèmes et montrent en général des activités plus élevées que la jachère naturelle sauf pour
l'activité uréasique. Le système SCV sur résidus de récolte est performant, tandis que pour les
SCV sur couverture vive la performance dépend de la nature de la couverture et du système.

18
SERVICES EN TERME DE FERTILITE

Tableau 2
Biomasse microbienne, respiration basale et activités enzymatiques du sol des systèmes de culture en
SCV comparées au sol des systèmes sous labour conventionnel et en jachère à Madagascar. (Hautes
Terres). (Données de Rabary et al., 2008)

CT : Labour conventionnel ; SCV : Semis direct sur couverture végétale.


Les moyennes suivies des mêmes lettres n'ont pas de différence significative pour chaque variable étudiée

De cet ensemble de résultats, on constate que les pratiques SCV permettent très souvent une
augmentation des teneurs en C (ou MO) et en azote N, surtout grâce à une productivité pri-
maire plus importante de par l’incorporation des résidus de plantes de couvertures, mais que
les résultats sont variables sur les autres propriétés chimiques des sols (exemple de
Madagascar). Les systèmes SCV améliorent aussi généralement l’ensemble des déterminants
physiques, enzymatiques et microbiens de la fertilité.

19
3. SERVICES EN TERME DE BIODIVERSITE FAUNIQUE
ET DE LUTTE CONTRE LA FAUNE PATHOGENE

3.1. Densités et diversités de la macrofaune non pathogène du sol

La faune du sol remplit diverses fonctions qui peuvent être considérées comme négatives (par
exemple présence de faunes pathogènes vis-à-vis de la plante) ou positives si l’activité et bio-
diversité fauniques conduisent à améliorer les propriétés du sol.
L’effet des pratiques SCV sur la densité et la biodiversité de la macrofaune du sol a été étu-
dié à la fois sur des situations du Brésil et de Madagascar. Les tendances générales étant les
mêmes, nous montrons ici un exemple brésilien (d’après Blanchart et al., 2007).

Figure 8

Densité (en individus/m2) et biomasse (en g/m2) des principaux taxons de la macrofaune du sol pour
la chronoséquence Rio Verde sous Cerrados (Forêt), système conventionnel (CC) ou systèmes SCV
de différentes durées (SCV). Le nombre suivant SCV indique la durée du système en années.

En densité, les principaux taxons observés sont les termites (36 % des individus collectés), les
fourmis (32 %), les coléoptères (14 %, sous forme de larves de scarabées : « vers blancs ») et
les vers de terre (11 %) (Fig. 8). Les résultats montrent clairement que les organismes de la
faune du sol sont bien plus nombreux dans les systèmes SCV que dans le système tradition-
nel. On note aussi que les SCV entraînent une disparition des termites au bout de quelques
années. En terme de biomasse, on note une augmentation spectaculaire des larves de
Coléoptères (vers blancs) avec le semis direct, surtout à partir de 8 ans, alors que les vers de

20
SERVICES EN TERME DE BIODIVERSITE FAUNIQUE ET DE LUTTE CONTRE LA FAUNE PATHOGENE

terre, qui avaient disparu en système conventionnel, reviennent simplement à un niveau équi-
valent à celui de la végétation naturelle. Blanchart et al. (2007) on mis en évidence, pour les
parcelles en SCV, une corrélation significative et positive entre la biomasse des vers blancs et
les stocks de C du sol. Les vers blancs peuvent être, soit des animaux rhizophages nuisibles
pour les cultures (comme l’ espèce Phyllophaga), soit être saprophages et avoir une action posi-
tive sur les propriétés physiques des sols, au même titre que les vers de terre. C’est cette der-
nière fonction qui est essentiellement exercée ici par ces « vers blancs » : les systèmes SCV
permettent donc, dans cette situation du Brésil, le développement d’une biodiversité fonction-
nelle très positive.

3.2. Densités et diversités de la macro- et mésofaune pathogène du sol

Certaines espèces de vers blancs ont été identifiés à Madagascar comme particulièrement
pathogènes (Heteronychus sp. et des Melolonthidae) sur le riz et conduisent, sans traitement
insecticide, à de fortes chutes de rendements (Antsirabe et Lac Alaotra). Les pratiques SCV
ont des effets très variables, selon le type de système et les types de sol, sur la lutte contre
ces pathogènes : aucun effet ou augmentation des pathogènes sur certains sites et selon ou
non présence d’avoine dans le système SCV (Andranomanelatra), diminution sur d’autres
(Ibity). Toutefois la lutte intégrée par un champignon (Metarhizium anisopliae) s’avère très effi-
cace en système SCV au Lac Alaotra (Données non publiées de Razafindrakoto et al.).
Le nématodes représentent aussi un groupe faunique qui interviennent à différents niveaux du
fonctionnement du sol à travers des nématodes libres non pathogènes ou rhizopathogènes. Il
a été montré pour les Hautes Terres de Madagascar (Andranomanelatra), que certaines pra-
tiques SCV peuvent accroître le risque phytopathogène lié aux nématodes. C’est en particu-
lier le cas des SCV avec couverture vivante de Kikuyu, le risque étant généralement plus
élevé pour les couvertures vivantes que pour les couvertures mortes (Données non publiées
de Villenave et al.).
De cet ensemble de résultats, on constate que les pratiques SCV améliorent fortement les den-
sités, diversités et activités de la macrofaune et microflore du sol avec des effets considérés
généralement positifs comme sur le cycle des éléments nutritifs et des propriétés physiques
des sols, avec, à la fois, la création d’une macroporosité supplémentaire et l’amélioration de
la stabilité de l’agrégation. Toutefois, en terme de lutte contre les insectes terricoles et les
nématodes pathogènes, les premiers résultats indiqueraient que le service rendu serait globa-
lement nul, voire négatif, pour les situations étudiées. Mais ce type d’étude nécessite d’être
étendu et approfondi en raison de la très grande variabilité des situations et de leur évolution
dans le temps.

21
4. SERVICES EN TERME DE LUTTE
CONTRE LE RUISSELLEMENT ET L’EROSION

Parmi les formes d’érosion, il faut distinguer : l’érosion aratoire, l’érosion hydrique et l’éro-
sion éolienne. Seules les deux premières formes seront commentées ici.
L’érosion aratoire est une forme généralement peu étudiée. C’est le transfert vers l’aval d’agré-
gats de sols sous l’effet du seul travail du sol et de la pesanteur. Elle existe particulièrement sur
pentes fortes et peut représenter une quantité non négligeable de transfert de terre du haut vers
le bas de la parcelle (Fig. 9). Dans le cadre du Projet FFEM, ceci a été quantifié au Laos
(Données non publiées de De Rouw et al.).

4.1. Erosion aratoire

Figure 9
L’érosion aratoire due
au travail du sol sur
pentes fortes au Laos
(cliché De Rouw). Noter
(dans le cercle) le
« nuage » d’agrégats
emportés en aval.

Cette érosion peut atteindre pour des systèmes fortement sarclés des valeurs de 4, 6 et
11 t/ha/an pour des pentes respectivement de 30, 60 et 90 %. Il est clair que des pratiques
SCV, avec un travail du sol réduit, vont permettre d’éviter une grande partie de cette forme
d’érosion.
Les pratiques SCV, aux USA puis en Amérique du Sud ont été promues et appropriées dans
l’optique de lutter contre l’érosion hydrique et éolienne en évitant que le sol soit nu au
moment des fortes pluies ou des vents forts.

22
SERVICES EN TERME DE LUTTE CONTRE LE RUISSELLEMENT ET L’EROSION

4.2. Erosion hydrique et ruissellement

Figure 10
Exemple d’érosion
hydrique au Brésil. A
gauche sur parcelles
en système Conven -
tionnel, à droite sous
système SCV (cliché
Séguy)

Au-delà de la perte en sol, et particulièrement des couches de surface les plus riches en MO
et en éléments nutritifs (Figure 10), l’érosion conduit aussi à des risques environnementaux
en aval problématiques comme la pollution des eaux (Fig. 11) ou l’envasement des barrages.

Figure 11
Pollution d’une rivière au
Brésil suite à une éro-
sion en amont (cliché
Cogo).

Le service rendu par les pratiques SCV en terme de lutte contre l’érosion est très souvent
spectaculaire comme le montre le Tableau 3 avec de très fortes diminutions des pertes en
terre.

23
SERVICES EN TERME DE LUTTE CONTRE LE RUISSELLEMENT ET L’EROSION

Tableau 3
Pertes en terre par érosion hydrique selon la rotation et le type de sol
(données présentées par Cogo)

Sol Culture Age Conventionnel Conventionnel Labour Non


Résidus Résidus minimum Labour
brulés incoporés
(an) ————————-Mg.ha-1.an-1————————-

Latossol B/S 6 10,9 3,6 - 1,5


Latossol B/S 4 - 3,2 - 1,1
Latossol JS 6 9,0 6,0 - 5,0
Argissol B/S 9 - 13,1 3,2 0,5
Argissol B/S 4 - 5,3 - 1,0
Argissol B/S 4 51,5 39,5 - 2,2
Nitossol B/S 11 - 34,0 11,3 8,8
Nitossol B/S 4 - 6,0 - 0,2
B/S: Blé/Soja; J/S: Jachère/Soja

Ce sont des résultats tout aussi spectaculaires qui se retrouvent aussi au Bénin pour un sys-
tème SCV Maïs-Mucuna (Barthès et al., 2004) ou au Mexique (Données Scopel et al.).
Il n’empêche (Données présentées par Cogo) que les seules pratiques SCV, dans des
contextes de forte pente et/ou de climat semi-aride sont insuffisantes à elles seules pour
régler complètement les problèmes d’érosion et doivent rester associées à d’autres tech-
niques plus traditionnelles de lutte anti-érosive (terrasses en courbes de niveau, etc.). Ceci
est parfois oublié.
A Madagascar, sur les Hautes Terres (Andranomanelatra), des dispositifs d’étude du ruissel-
lement et de l’érosion ont été installés dans les parcelles d’essai SCV / Conventionnel
(Données non publiées de Douzet et al.), et ce à différentes échelles : microparcelles de 1 m2,
parcelles dites Wischmeyer de 21 m2 sur pente (Fig. 12).

24
SERVICES EN TERME DE LUTTE CONTRE LE RUISSELLEMENT ET L’EROSION

Figure 12
Parcelles d’érosion,
Antsirabe, Madagascar
(Cliché Douzet).

Les résultats à l’échelle du m2 (Fig. 13, données non publiées de Douzet et al.) indiquent
clairement le rôle extrêmement positif des pratiques SCV sur la diminution du ruissellement
et de l’« érosion » (en fait c’est l’érodibilité qui est appréhendée à cette échelle).
L’érodibilité passe de 8-14 t/ha/an pour les systèmes conventionnels à 1-3 t/ha/an pour les
systèmes SCV.

Figure 13

Ruissellement (mm/an) et pertes en terre (g.m-2.an-1) mesurés sur des parcelles


d’érosion d’1 m2, Antsirabe, Madagascar : lab : labour, SD : système SCV,
R4 : rotation maïs+soja/riz, R3 : rotation maïs+brachiaria/riz, Rp : rotation
maïs+haricot/riz ; FM : fumure organo-minérale, Fu : fumure organique

25
SERVICES EN TERME DE LUTTE CONTRE LE RUISSELLEMENT ET L’EROSION

Sur les parcelles de pente, les mêmes


tendances sont observées avec un
effet positif des SCV sur la réduction
du ruissellement et donc de l’éro-
sion, les pertes en terre passant de 1
à 3 t/ha/an pour conventionnel à 0,5
à 1 t/ha/an pour SCV.
La liaison inverse entre recouvre-
ment du sol et pertes en terre est sou-
vent établie, on la retrouve ici
(Fig. 14, données non publiées de Figure 14

Douzet). Cette figure montre, toutes Relation entre taux de recouvrement du sol et pertes en
terres par érosion (Antsirabe, Madagascar).
situations confondues, que l’érosion
décroît exponentiellement avec le taux de recouvrement du sol.

Les pratiques SCV peuvent aussi être


associées à d’autres alternatives agro-
écologiques comme l’agroforesterie
dans le cadre de successions culture-
jachère améliorée. C’est ce qui a été
testé au Kenya (Données de Albrecht
et Kanji, 2003) (Fig. 15). Dans ce
contexte, l’érosion est fortement dimi-
nuée dès que la parcelle est dans sa
phase jachère par suite de l’existence
Figure 15 du couvert arboré, mais on n’observe
Exemple d’agroforesterie (Kenya) : jachère agroforestière pas un effet notable du non travail du
intercalaire de Tephrosia Candida planté (18 mois) avant sol dans les parcelles avec pratiques
coupe et exportation du bois suivie d’une culture vivrière
en semis direct bénéficiant des restitutions organiques de
SCV.
la jachère (cliché Albrecht).

Ces quelques résultats montrent l’efficacité généralement reconnue des pratiques SCV
pour lutter contre l’érosion aratoire, puisque absence de pratiques de travail du sol, et pour
lutter contre l’érosion hydrique, raison d’ailleurs première du développement de ces pra-
tiques. Il faut toutefois être attentif, comme au Brésil, à ne pas négliger d’associer aux sys-
tèmes SCV les techniques de lutte traditionnelle (cultures en courbes de niveau, terrasses,
etc.) dans le cas de certaines contraintes climatiques (semi-aride) et/ou topographiques
(fortes pentes).

26
5. SERVICES EN TERME DE LUTTE CONTRE L’EFFET DE SERRE :
SCV ET « SEQUESTRATION DU CARBONE »

La notion de « séquestration de carbone dans le sol » réfère à la fois à celle de stockage de C


dans le sol provenant du CO2 atmosphérique via la photosynthèse et les restitutions végétales
au sol, mais aussi aux modifications des flux à l’interface sol-atmosphère des autres gaz à effet
de serre (GES) comme le méthane (CH4) et l’oxyde nitreux (N2O), ces flux étant exprimés en
« équivalent C- CO2 » selon un calcul prenant en compte le pouvoir de réchauffement de cha-
cun de ces deux gaz par rapport à celui du CO2 : environ 20 et 300 fois plus élevé pour CH4
et N2O respectivement. Le bilan de la « séquestration du C » est donc la somme arithmétique
des bilans des 3 gaz CO2, CH4 et N2O exprimés en équivalents (eq.) C- CO2 (Bernoux et al.,
2006). Il arrive que des systèmes SCV conduisent à un stockage significatif de C dans le sol,
mais que parallèlement on observe des émissions accrues et notables de N2O, qui, exprimées
en eq. C- CO2, peuvent parfois annuler l’effet positif du seul stockage de C dans le sol
(Six et al., 2002).
Le bilan pluriannuel en C pour CO2, lié à un changement de gestion des terres, est estimé
par les différences en stocks de C du sol entre un temps zéro (date du changement) et un
temps x (x, nombre d’années de l’alternative testée) (approche diachronique) ou entre une
parcelle témoin et la situation alternative testée (approche synchronique). Il s’obtient à par-
tir de prélèvements d’échantillons de sols et dosages des densités apparentes et teneurs en C
des échantillons.
Le bilan pluriannuel en eq.C- CO2 pour CH4 et N2O est estimé à partir de mesures ponctuelles
et intra-annuelles au champ des flux de gaz à la surface du sol, et par différences entre la par-
celle témoin et la situation alternative testée.
Les contraintes méthodologiques et conceptuelles liées à ces déterminations sont explicitées
en détail par Bernoux et al. (2006) et ne sont pas rapportées ici.
Une fois le C séquestré dans le sol se pose le problème de la durabilité de cette séquestration.
Celle-ci est dépendante, pour un système donné, en particulier de la forme et de la localisa-
tion du C stocké.
Enfin, un terme important du bilan, est celui lié à l’érosion du C. En effet les augmentations
de C du sol apparemment observées pour l’alternative testée peuvent être dues : (i) à un
stockage de C d’origine atmosphérique via les restitutions végétales, (ii) un apport de C par
érosion de parcelles en amont, (iii) à une perte de C par érosion sur la parcelle témoin. Si
le processus (i) correspond bien à la définition de la « séquestration de C », les processus
(ii) et (iii) n’y correspondent pas puisque le C stocké ou perdu au niveau de la parcelle ne

27
SERVICES EN TERME DE LUTTE CONTRE L’EFFET DE SERRE : SCV ET « SEQUESTRATION DU CARBONE »

provient pas de l’atmosphère mais est seulement redistribué au niveau du paysage2. Il est
donc important de pouvoir évaluer, a priori, la part du C sédimenté ou érodé dans le bilan
C-sol établi.
De ces réflexions, ressort la nécessité pour l’étude de la « séquestration du C » de prendre en
compte les points suivants :
- variations des stocks de C du sol ou stockage du C (qui simule les flux de CO2),
- variations des flux de CH4 et N2O exprimés en eq. C- CO2,
- formes du C stocké et niveau de protection du C dans le sol,
- bilans de C érodé à différentes échelles : du m2 au petit bassin-versant.
Ces différents aspects sont illustrés à partir de résultats obtenus dans le cadre du projet FFEM
déjà mentionné pour des situations au Brésil, à Madagascar et au Laos.

5.1. SCV et stockage du C dans le sol


5.1.1. Madagascar

Plusieurs situations ont


été étudiées qui sont pré-
sentées à la figure 16
Les principaux résultats
pour les différences de
stocks de C entre situa-
tions conventionnelles
(LB) et systèmes SCV
(SD) sont rapportés au
tableau 4 (données non
publiées de Razafimbelo
et al.)

Figure 16.
Localisation des dispositifs étudiés à Madagascar et caractéris-
tiques climatiques

2. Toutefois ce C associé aux particules de sol, et mobilisé au niveau du paysage, peut-être considéré comme plus ou
moins facilement minéralisable au cours du transport et du dépôt que lorsqu’il était en place, et dans cette perspective,
peut participer malgré tout du bilan de « C séquestré ». Cette question est toutefois très difficile et débattue actuelle-
ment, et n’a pas été considérée ici.

28
SERVICES EN TERME DE LUTTE CONTRE L’EFFET DE SERRE : SCV ET « SEQUESTRATION DU CARBONE »

Tableau 4
Taux de stockage annuel du C sous différents systèmes SCV en conditions pédoclimatiques variées
par rapport aux systèmes avec labour (LB) correspondants. (Données Razafimbelo et al., non publiées)

Localité Sol Age Systèmes tC/ha/an


Manakara H 8 SCV-LB, Riz-Stylosanthes F0 0,80
H 8 SCV-LB, Riz-Stylosanthes Fm 1,82*
Ft1 4 SCV-LB, Riz Stylosanthes F0 0,53
Ft2 4 SCV-LB, Riz Stylosanthes Fm 0
Lac Alaotra Fr 8 SCV-LB, Maïs+niebe/riz+leg Fu 0,14
Fr 8 SCV-LB, Maïs+niebe/riz+leg Fm 0,22
Fhy 8 SCV-LB, Riz+leg/maïs+leg Fu 0,29
Fhy 8 SCV-LB, Riz+leg/maïs+leg Fu+Fm 0,44
PE 8 SCV-LB, Riz+leg/maïs+leg Fu 0,73*
PE 8 SCV-LB, Riz+leg/maïs+leg Fu+Fm 0,60
Antsirabe Fhu 11 SCV-LB, maïs/soja 0,32
Fhu 11 SCV-LB, maïs/maïs-desmodium 1,09*
Fhu 11 SCV-LB, haricot/soja-kikuyu 0,49
H : sol hydromorphe à pseudo-gley ; Ft1 : sol ferrallitique argileux ; Ft2 : Sol ferrallitique très argileux ; Fr : Sol ferrallitique rajeuni ; Fhy : sol fer-
rallitique hydromorphe ; PE : sol peu évolué d’apport ; Fhu : Sol ferrallitique humifère.
SCV-LB : Différence de stocks entre un traitement conduit en semis direct (SCV) et le même traitement conduit en labour conventionnel (LB).
* Différence significative à 5%.

On note que les stockages de C sous SCV (couche 0-15 cm) sont positifs et varient de 0 à
1,8 tC/ha/an, mais les seules différences significatives sont celles concernant Manakara H8,
Alaotra PE et Antsirabe Fhu 11 (maïs/maïs-desmodium). La valeur 0 correspond à un
système de seulement 4 ans. La moyenne de ces valeurs est de 0,52 tC/ha/an.
Différents niveaux de fertilisation (fumure minérale et/ou organique) ont aussi été testés dans
certaines situations (résultats non montrés). Il y a généralement peu d’effet de la fertilisation
sur le stockage du C au sein d’un même système.
5.1.2. Brésil

Diverses situations ont été aussi étudiées au Brésil. Nous ne présenterons ici que l’étude
concernant une chronoséquence dans l’Etat de Goias à Rio Verde.
La figure 17 (Données Bernoux non publiées, d’après Siqueira, 2006) montre l’accroisse-
ment significatif des stocks de C du sol (couche 0-40 cm) avec l’âge des systèmes SCV.

29
SERVICES EN TERME DE LUTTE CONTRE L’EFFET DE SERRE : SCV ET « SEQUESTRATION DU CARBONE »

Le stockage moyen, après diverses corrections, est calculé comme étant égal à 1,26 tC/ha/an.
Ce niveau de valeur est confirmé par simulation à partir d’un modèle de dynamique de C et
N (Modèle G’DAY) testé par Corbeels et al. (2006) pour ces mêmes situations.

Figure 17
Augmentation annuelle moyenne du stock de C sous SCV dans
l’Etat de Goias (Cerrados) au Brésil.

5.1.3. Laos

Un essai agronomique de 4 ans avec SCV a été suivi au Laos pour des sols sableux. Les résul-
tats ne montrent (i) aucune différence significative entre Conventionnel (labour) et SCV, (ii)
toutefois entre l’année 0 et 4 ans on note une légère diminution des stocks de C initiaux sous
Conventionnel et un maintien sous SCV alors que les rendements ont été équivalents (mais
faibles) dans les deux cas. Cette absence d’augmentation sous SCV s’explique à la fois par la
faible durée du système (4 ans seulement) et par le faible niveau de restitution organique,
voire peut-être un système pas encore bien adapté aux conditions du milieu.

5.2. Flux de N2O (et CH4)


5.2.1. Brésil

Les flux de N2O (et CH4) à la surface d’un sol ferrallitique argileux ont été suivis pendant
1 an sur différentes parcelles sous Conventionnel et SCV dans la zone des Cerrados (Goïania)
au Brésil (Metay et al., 2007b).
Rappelons que N2O dans les sols apparaît au cours de 2 processus fondamentaux : la dénitri-
fication et la nitrification.
Les résultats pour N2O sont présentés à la Figure 18 (d’après Metay et al., 2007b).

30
SERVICES EN TERME DE LUTTE CONTRE L’EFFET DE SERRE : SCV ET « SEQUESTRATION DU CARBONE »

Le graphique montre que les


flux de N2O sont très variables
au cours de l’année et non
significativement différents
entre Conventionnel et SCV,
mais surtout qu’ils sont
inférieurs à la valeur-seuil de
1g N- N2O /ha/jour, considérée
comme valeur négligeable dans
les travaux de la littérature.
Cette très faible émission de
N2O tient au fait que le sol étu-
dié est très drainant (excellente
Figure 18
microstructure), pratiquement
jamais engorgé et donc dans des Emissions mesurées de N2O (mg N-N2O/ ha/ j) à la surface
d’un sol ferrallitique argileux au Brésil (Goïania, État de
conditions non favorables aux Goias), n= 12 (d’après Metay et al., 2007 b)
émissions de N2O.
Or, il a bien été montré en laboratoire, en imposant les conditions favorables aux émissions
de N2O (humidité du sol à 80 % de la capacité de rétention, fortes teneurs en nitrates), qu’il
existe un potentiel non négli- geable d’émissions de N2O pour ces sols d’environ 1000 fois
supérieur à celui mesuré in situ (Tableau 5, d’après Metay et al., 2007b). Ces valeurs de
l’ordre du kgN/ha/jour concernent le potentiel de dénitrification, alors que l’ordre de gran-
deur reste du même ordre (du gramme) que celui in situ pour le processus de nitrification,
qui est donc probablement le processus opérant in situ dans le sol étudié.
Tableau 5.
Potentiel d’émissions de N2O par dénitrification (kg N/ha/jour) ou par nitrification (g N/ha/jour) d’un sol
ferrallitique argileux au Brésil (Goïania, Etat de Goias). (Données Metay et al., 2007b).

Traitement Dénitrification potentielle Nitrification potentielle


kg N-N2O ha-1 jour-1 g N ha-1jour-1
SCV 1,072 (0,0004) 1,515 (0,970)
Conventionnel 0,987 (0,0349 0,648 (0,405

Les flux obtenus pour CH4, tant pour Conventionnel que pour SCV, sont aussi très faibles, de
l’ordre de l’erreur de mesure et donc considérés comme négligeables pour la situation étu-
diée. Ils ne sont pas présentés ici.

31
SERVICES EN TERME DE LUTTE CONTRE L’EFFET DE SERRE : SCV ET « SEQUESTRATION DU CARBONE »

5.2.2. Madagascar

Les flux de N2O à la surface d’un sol ferrallitique humifère argileux des Hautes Terres de
Madagascar (Antsirabé) ont été suivis pendant la saison des pluies (4 mois) sur différentes
parcelles sous Conventionnel et SCV. L’étude est encore en cours.
Les résultats, tant pour les mesures au champ in situ que au laboratoire pour l’étude des poten-
tiels, sont du même ordre de grandeur et vont dans le même sens que ceux du Brésil, le sol
étudié étant aussi un sol très structuré et filtrant, ce qui peut expliquer ces résultats similaires.

5.3. Formes du C stocké dans le sol (Brésil, Madagascar)

Le C stocké dans le sol l’est sous la forme de matières organiques (MO) dont la nature,
l’origine et le turn-over peuvent être très différents.
Il est clair que le stockage de la MO dans des compartiments à turn-over lent est un avantage
en terme de séquestration de C.
On distingue souvent (Figure 19, d’après Feller et Beare, 1997) :
- les MO de la taille des sables (20-2000 ou 50-2000 µm) : dominance de résidus végétaux
à divers degrés de décomposition,
- les MO de la taille des limons (2-20 ou 2-50 µm) : mélange formé de débris végétaux et
fongiques très humifiés et d’un complexe organo-limono-argileux (MO amorphes),
- les MO de la taille des argiles (0-2 µm) : dominance de MO amorphes fortement asso-
ciées aux constituants minéraux argileux. mélange formé de débris végétaux et fongiques
très humifiés et d’un complexe organo-limono-argileux (MO amorphes).

Figure 19
Caractéristiques des différentes formes de MO du sol (cas d’un
sol sableux du Sénégal). (Clichés Feller, d’après Feller, 1995)

32
SERVICES EN TERME DE LUTTE CONTRE L’EFFET DE SERRE : SCV ET « SEQUESTRATION DU CARBONE »

La Figure 19 indique que les MO les plus stables sont celles associées aux fractions argileuses
et limoneuses avec une durée de demi-vie d’environ 20 ans par rapport à la fraction « débris
végétaux » de demi-vie de 8 ans seulement.
Cette approche a été appliquée aux 2 situations du Brésil (Etat de Goias, Metay et al., 2007a)
et de Madagascar (Hautes Terres, Grandière et al., 2007) et sont présentées aux figures 20a et
20b respectivement.

Figure 20

Contenus en C (g C kg-1 sol) des fractions 200-2000, 50-200,20-50, 2-20, 0-2 µm et WS (water solu-
ble) obtenues pour les 2 traitements SCV et OFF (sol 0-10 cm) : (a) Brésil, (b) Madagascar. (Données
Metay et al. 2007a et Grandière et al. 2007)

On constate, dans les deux cas, que l’essentiel du C est localisé dans les fractions inférieures
à 20 µm, et que l’augmentation des stocks de C par le traitement SCV se retrouve aussi dans
ces fractions pour la couche 0-10 cm. Le C supplémentaire ainsi stocké par le système SCV
devrait donc avoir une certaine durabilité.

5.4. Le C érodé

Comme expliqué en introduction de cette section, il est important, pour mieux cerner le bilan
de « C séquestré », de connaître la part du C érodé dans ce bilan, ceci tant au niveau de la
parcelle qu’à des échelles plus petites comme le petit bassin-versant.
A l’échelle de la parcelle, on note généralement des stocks de C plus importants sous SCV
que sous Conventionnel (avec labour). Toutefois la différence ne correspond pas nécessaire-
ment uniquement à une accumulation de C sous SCV provenant du CO2 atmosphérique, mais
peut-être simplement du à une perte par érosion du C sur le traitement Conventionnel, ce qui

33
SERVICES EN TERME DE LUTTE CONTRE L’EFFET DE SERRE : SCV ET « SEQUESTRATION DU CARBONE »

est tout à fait envisageable et probablement courant. Un colloque international a eu lieu sur
le sujet récemment (Roose et al., 2006a) qui a conclu (Roose et al., 2006b) que les pertes en C
érodé sur traitements de type Conventionnel pouvaient varier de 50 à facilement
500 kgC/ha/an, cette dernière valeur étant du même ordre que les potentialités de séquestra-
tion de C avec les pratiques SCV et, dans certains cas de l’ordre de grandeur des valeurs four-
nies au cours de ce programme. Il se pourrait donc, sans évaluation de ce processus, que les
valeurs de C « séquestré » dans le sol (provenant de CO2 atm.) soient souvent surestimées.
Sur la situation étudiée du Laos, l’érosion du C a été estimée entre 500 et 1000 kgC/ha/an
selon le mode de gestion des terres.
Si ce C érodé est seulement redistribué au niveau du bassin-versant, il n’a donc pas à être
comptabilisé dans le bilan de séquestration à cette échelle, à moins qu’il ne soit démontré que
sa minéralisation est accrue au cours du transport ou dans la nouvelle situation de dépôt. Il
n’y a pratiquement pas de données à ce sujet dans la littérature, les valeurs des variations de
la minéralisation du C, rarement estimées dans de telles conditions, s’échelonnent entre 0 et
100 % ! Pour la situation du Laos étudiée ici, il a été démontré que le C érodé au niveau par-
celle était, pour les petits bassins versants de 0,6 ha, seulement redistribué au niveau du petit
bassin versant. Toutefois pour les bassins-versants de plus grande surface (jusqu’à 60 ha), la
fraction la plus fine de la terre érodée des horizons de surface (argile et limon) peut être
retrouvée à l’exutoire et donc participer à la sédimentation au niveau des paysages. Il a bien
été montré à l’aide du Césium 137 que cette fraction était dominée par du « C récent » (pos-
térieur à 1963).
Les systèmes SCV ont été d’abord développés pour lutter contre l’érosion des sols, mais ils
s’avèrent être des systèmes favorables au stockage du C dans le sol avec des valeurs annuelles
pouvant varier de 0 à 1,6 tC/ha/an pour les situations présentées, les valeurs élevées correspon-
dant aux systèmes à forts niveaux de restitution végétale. Toutefois ces seuls résultats sont
insuffisants pour conclure automatiquement à un effet positif dans la lutte contre l’effet de
serre car il faut s’assurer que ces systèmes ne favorisent pas par ailleurs des émissions signifi-
catives de gaz à effet de serre comme CH4 et N2O. Pour les 2 situations de sols argileux et bien
structurés analysées ici au Brésil et à Madagascar, les émissions sous SCV de ces deux gaz sont
pratiquement négligeables, mais ce ne sont que 2 types de sols tropicaux parmi tant d’autres.
Il y a donc nécessité d’élargir les études à bien d’autres types de sols.

34
CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES : LE SOL COMME UN « CAPITAL »

Les systèmes SCV sont, et doivent être, très divers pour être adaptés aux conditions biocli-
matiques très variables des pays du Sud. Quand il est techniquement adapté (productif,
maitrisable et appropriable par l’exploitant), il remplit généralement toute une série de
services écosystémiques dont la plupart sont dépendants des changements de propriétés
des sols. C’est ce que nous avons illustré ci-dessus avec des effets souvent positifs de ces
systèmes :
- En tout premier lieu, il est bien confirmé que c’est un moyen de lutte extrêmement efficace
contre l’érosion. Toutes les situations le montrent, que ce soit au Brésil, au Bénin, à
Madagascar ou au Laos.
- En relation avec la productivité végétale, dans d’assez nombreux cas, en particulier
lorsqu’il s’agit de restaurer des terres dégradées, les effets des systèmes de type SCV
peuvent être spectaculaires. C’est le cas, au Bénin, de l’association du maïs avec Mucuna
en culture relais pour laquelle les rendements sous SCV ont régulièrement augmenté pen-
dant douze ans, passant d’environ 500 kg/ha en début d’expérience à 3 t/ha après 12 ans, le
Mucuna permettant une restitution de 10 tC/ha/an et une variation de stock de carbone du
sol de 1,3 t C/ha/an.
- Pour les déterminants de la fertilité chimique du sol, il faut insister sur le fait que si les SCV
peuvent conduire à une augmentation importante du stock d’azote organique total du sol (80
à 95 kg N/ha/an), cet azote nouvellement stocké n’est toutefois que partiellement minéralisa-
ble (+ 2 kg/ha/an en SCV) et ne peut fournir tout l’azote nécessaire à la plante au cours de sa
période de croissance. De plus, sous climat tropical humide, même en SCV, une partie signi-
ficative de cet azote minéral est perdu par lixiviation. Il faut donc la plupart du temps conti-
nuer à envisager une fertilisation minérale ou organique (fumier, légumineuses) pour com-
penser ces pertes.
- La mise en place de systèmes SCV derrière des systèmes conventionnels s’accompagne
d’une quasi-explosion des activités biologiques dans les sols, et ce souvent dès la
première ou la deuxième année suivant l’installation. Ce résultat est généralement observé
pour tous les systèmes à mulch en milieu tropical. Concernant la faune du sol, les
conséquences peuvent en être positives avec les animaux qui ont un rôle d’« ingénieur du
sol » (comme les vers de terre, fourmis, termites), en particulier, sur ce qui concerne les

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CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES : LE SOL COMME UN « CAPITAL »

propriétés physiques (agrégation, porosité). Mais elles peuvent être aussi négatives avec le
développement de pathogènes des cultures comme les vers blancs en systèmes rizicoles à
Madagascar.
- Enfin, l’ensemble des résultats obtenus tant au Brésil qu’à Madagascar et au Laos
montrent une forte tendance générale à une augmentation des stocks de carbone sous SCV,
donc à une séquestration du CO2 atmosphérique, avec des valeurs variant de 0 à
1,5 tC/ha/an stocké dans le sol selon les systèmes étudiés. Ces valeurs sont d’autant plus
fortes que les quantités de matière végétale restituées au sol sont importantes, ce qui
explique les fortes valeurs observées dans certains cas par rapport aux résultats souvent
plus faibles citées dans la littérature internationale. Toutefois ces niveaux de stockage de C
provenant (via la plante) du CO2 atmosphérique doit être mis en regard avec les bilans des
deux autres gaz à effet de serre (GES) les plus importants : le méthane CH4 et le l’oxyde
nitreux N2O. Il faut en effet s’assurer que les systèmes SCV ne conduisent pas à des émis-
sions accrues des ces deux gaz. Les deux situations testées à ce sujet à Madagascar et au
Brésil (pour des sols argileux bien agrégés) montrent que ce risque n’existe pas. Toutefois,
de nombreux autres types de sols tropicaux restent à étudier pour généraliser ou non de
telles observations, car l’on sait que ce risque est réel dans une certain nombre de situations
sous climat tempéré (Six et al., 2002).
La plupart des situations étudiées dans ces dispositifs étaient soit des situations contrôlées en
station, soient des situations chez des producteurs extrêmement intensifs avec forte pro-
duction et donc restitution de biomasses. Elles illustrent donc un potentiel des services éco-
systémiques que les SCV peuvent remplir. On est en droit de se demander toutefois dans quel-
les mesures ces résultats sont extrapolables à d’autre situations tropicales non étudiées, ou
dans un contexte de plus faible production de biomasse qui est celui généralement des petits
producteurs des pays en voie de développement. Pour cela, des travaux de modélisation pour-
ront contribuer à mieux cerner les impacts quantitatifs de ces SCV en fonctions de leurs
conditions d’application.
De même, la plus grande partie des résultats présentés ici ont été obtenus aux échelles de
la parcelle (Brésil, Madagascar). Une petite partie (bilans pertes en terre et en carbone
érodé) a été étudiée au niveau du bassin-versant. Il y aurait lieu aussi de s’interroger sur le
mode de gestion et de localisation dans le paysage des SCV ou d’autres systémes agro-
écologiques afin qu’ils fournissent le plus efficacement leurs services écosystémiques de
lutte contre le ruissellement et l’érosion et de restauration des terres dégradées. Cette
réflexion est en cours pour les systèmes rizicoles à Madagascar (Mietton, 2006 ; Seguy
comm. orales, 2007, 2008).

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CONCLUSIONS ET PERSPECTIVES : LE SOL COMME UN « CAPITAL »

Le sol est donc un compartiment très important de l’écosystème et il est essentiel, au niveau
des économies nationales de lui attribuer une valeur économique comptable, de le considé-
rer comme un « capital naturel ». Ceci implique d’établir la perte de capital lors de la dégra-
dation des sols ou au contraire le gain de capital lors de leur restauration en prenant en
compte, à côté des seules pertes ou gains liées aux variations de productivité végétale ou
animale, les coûts ou gains gagnés ou perdus par les autres services écosystémiques alors
rendus ou non par le sol. L’exercice est important à faire dans l’avenir concernant les sys-
tèmes SCV.

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