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Direction générale des services 24 novembre 2021

NOTE
Application du droit fondamental d’accès à l’eau – cas des populations de migrants occupant sans
droits ni titres une propriété communale

Synthèse

Si l’accès à l’eau est un droit fondamental reconnu par l’Assemblée générale des Nations-Unies en 2010, en
revanche, il n’est pas expressément reconnu par la Convention européenne des droits de l’homme qui ne le
mentionne pas.

En France, le droit à l’eau n’est pas consacré au niveau constitutionnel mais est néanmoins rattaché aux deux
objectifs à valeur constitutionnelle que sont la protection de la santé publique et le droit à un logement
décent.

Sur le fondement des pouvoirs de police générale du maire, la jurisprudence administrative enjoint de plus
en plus systématiquement aux maires de mettre en place à destination des populations exilées et migrantes
a minima des toilettes, même mobiles, et d’installer des points d’eau potable. Ces mesures peuvent prendre
toutes les formes possibles d’accès à l’eau (citerne, sanitaires mobiles) et ne relèvent pas obligatoirement de
mesures de raccordement aux réseaux.

Les migrants occupent irrégulièrement une propriété de la Ville qui n’a pas vocation à être occupée car
inhabitable. À l’approche des conditions hivernales, ils s’exposent à un risque d’insalubrité dangereux pour
leur propre santé. Ils bénéficient cependant d’un accès à l’eau sous la forme de branchements, néanmoins
illicites, sur le réseau d’incendie (qualifiable de vol au sens de l’art. 311-1 du code pénal et de dégradation et
détérioration d’un bien destiné à l’utilité publique et qui appartient à une personne publique selon l’art. 322-
3 du code pénal).

Le maire qui a pour mission de garantir la salubrité et la sécurité publiques (pouvoir de police général du
maire), a également pour mission de garantir la sauvegarde de la dignité humaine. En conséquence, pour ne
pas ajouter de l’indignité à l’insalubrité et pour la sécurité de tous, il convient d’organiser un accès à l’eau
potable et aux sanitaires pour les populations occupantes.

Cependant, le respect des lois et des droits de chacun n’est pas à géométrie variable. Si la garantie de la
salubrité et de la sécurité publiques, et le respect de la dignité humaine sont des droits que le maire a le
devoir de faire appliquer, l’occupation irrégulière d’un bâtiment public est un délit que le maire a le devoir
de faire cesser. L’accès à l’eau ne légitime pas le squat d’un bien public.

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1. Le cadre juridique du droit à l’accès à l’eau

Le cadre international

L’accès à l’eau est un droit fondamental depuis 2010, date à laquelle les Nations unies ont adopté une
résolution reconnaissant que « le droit à l'eau potable et à l'assainissement est un droit de l'homme, essentiel
à la pleine jouissance de la vie et à l'exercice de tous les droits de l'homme » (résolution 64/292 du 28 juillet
2010 de l’Assemblée générale des Nations-Unies). Cette résolution demande aux États de créer les conditions
d’un accès universel à l’eau et à l’assainissement, sans discrimination et en donnant la priorité aux plus
démunis.

La résolution 68/157 adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 18 décembre 2013 rappelle que « le droit
à l’eau potable et à l’assainissement en tant que droit de l’Homme découle du droit à un niveau de vie suffisant
et est inextricablement lié au droit au meilleur état de santé physique et mentale possible, ainsi qu’au droit à
la vie et à la dignité ».

Une nouvelle résolution intitulée « Les droits de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement » explicite le
contenu de ces droits (résolution 70/169 du 17 décembre 2015 de l’Assemblée générale des Nations-Unies).

Il résulte de ces définitions que le droit à l’eau et à l’assainissement contient principalement les éléments
suivants :

− La disponibilité : l’eau doit être suffisante pour les usages personnels et domestiques de chaque
personne (boisson, lavage du linge, préparation des aliments, hygiène) ;
− La qualité : l’eau doit être salubre et exempte de tout élément dangereux pour la santé ;
− L’accessibilité : l’eau et les installations d’assainissement doivent être accessibles physiquement et
financièrement pour tous, sans discrimination, notamment à l’égard des groupes à risque ou
marginalisés, des femmes et des enfants.

Le cadre européen

La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales (dite Convention européenne
des droits de l’homme) ne mentionne pas expressément le droit à l’eau et à l’assainissement. Néanmoins, le
droit à l’eau est notamment invoqué sur le fondement des articles 3 (traitements inhumains) et 8 (respect
de la vie privée) de cette Convention.

Dans l’Union européenne, selon le principe 20 du Socle européen des droits sociaux, « toute personne a le
droit d’accéder à des services essentiels de qualité, y compris l’eau l’assainissement (…). Les personnes dans
le besoin doivent bénéficier d’un soutien leur permettant d’accéder à ces services » (Socle européen des droits
sociaux proclamé par le Parlement européen, le Conseil et la Commission en 2017 lors du sommet de
Göteborg).

L’article 16 de la directive de 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine de
2020, non transposée, dispose que les États membres « prennent les mesures nécessaires pour améliorer ou
préserver l’accès de tous aux eaux destinées à la consommation humaine, en particulier des groupes
vulnérables et marginalisés » (directive (UE) 2020/2184 du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux
destinées à la consommation humaine, abrogeant la directive 98/83/CE modifiée).

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Le cadre national

En droit interne, le droit à l’eau n’est pas expressément consacré au niveau constitutionnel mais est un
« besoin essentiel de la personne » rattaché aux deux objectifs à valeur constitutionnelle que sont :

− la protection de la santé publique (Conseil constitutionnel, 13 août 1993, DC n° 93-325)


− le droit à un logement décent (CC, 19 janvier 1995, DC n° 94-359 - CC, 18 mars 2009, DC n°2009-578).

Le Conseil Constitutionnel a ainsi déclaré conforme à la Constitution les dispositions de la loi n°2013-312 du
15 avril 2013 concernant l’interdiction des coupures d’eau en relevant que « le législateur, en garantissant
(…) l’accès à l’eau qui répond à un besoin essentiel de la personne, a ainsi poursuivi l’objectif de valeur
constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent » (CC, DC
n°2015-470 QPC du 29 mai 2015 - Loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un
système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes).

Dans un rapport d’octobre 2015 sur la situation des migrants exilés sur le territoire de Calais, le Défenseur
des droits pointait que « Le manque de points d’accès à l’eau dans le bidonville de Calais constitue une
violation caractérisée du droit à l’eau et à l’assainissement pourtant reconnu comme un droit fondamental
par plusieurs instances internationales ».

L’article L210-1 du code de l’environnement dispose, depuis la loi n°2006-1772 du 30 décembre 2006 sur
l’eau et les milieux aquatiques (LEMA), que « l'usage de l'eau appartient à tous et chaque personne physique,
pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable, dans des conditions
économiquement acceptables par tous ».

Les conséquences pratiques du droit à l’accès à l’eau se résument comme suit :

− L’interdiction des coupures d’eau et de la réduction de débit ;


− Le droit à réparation en cas d’interruption du service ou de mauvaise qualité de l’eau ;
− Le droit à un logement décent dont le droit à l’eau est indissociable ;
− L’accès à l’eau et à l’assainissement à un coût abordable.

Aux termes de l’article L115-3 du code de l’action sociale et des familles, « dans les conditions fixées par la
loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, toute personne ou famille
éprouvant des difficultés particulières, au regard notamment de son patrimoine, de l'insuffisance de ses
ressources ou de ses conditions d'existence, a droit à une aide de la collectivité pour disposer de la fourniture
d'eau, d'énergie, d'un service de téléphonie fixe et d'un service d'accès à internet ».

La Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL), chargée d'assurer la


coordination et le suivi de la mise en œuvre des priorités de l’État en matière d’hébergement et d’accès au
logement des personnes sans-abri ou mal logées, souligne que « sur un bidonville, la mise en place de l’accès
à l’eau peut faire partie des mesures de sécurisation des conditions de vie prévues par l’instruction du 25
janvier 2018, « en accord et avec le concours de la collectivité territoriale compétente et en veillant
strictement à ce que le campement ne s’agrandisse ni ne se pérennise ».

La DIHAL rappelle que l’accès à l’eau potable relève tout d’abord de la responsabilité du maire au titre de ses
missions d’organisation des services publics (art. L2224-7 CGCT).

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Elle rappelle également que l’accès à l’eau peut également relever de la responsabilité du maire et du préfet
au titre de leurs pouvoirs de police générale (art. L2212-2 CGCT), « qui comprennent notamment la mission
d’assurer la salubrité publique et celle de prévenir toute urgence sanitaire due au manque d’accès à l’eau ».
Les mesures d’assistance et de secours que doivent ainsi prendre les maires et les préfets « comprennent
toutes les formes possibles d’aide à l’accès à l’eau et aux sanitaires, qui ne relèvent pas des règles propres
aux raccordements à l’eau » (DIHAL, Filinfo n°36, août/septembre 2018).

2. La jurisprudence du droit à l’accès à l’eau


Une jurisprudence s’est développée sur ces fondements textuels, relative à l’accès à l’eau des populations
exilées, migrantes, sans-abri ou mal logées.

Sur le fondement de la Convention européenne des droits de l’Homme

Dans un arrêt du 15 décembre 2010, le Conseil d’Etat a jugé que le refus par le maire de branchement au
réseau d’eau potable, indépendamment de la régularité ou de l’irrégularité du domicile, « a le caractère d'une
ingérence d'une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée et familiale » et contrevient donc à
l’article 8 de la CEDH relatif au droit au respect de la vie privée et familiale mais qu’il appartient à
l’administration de s’assurer, au cas par cas, que cette ingérence est « proportionnée au but légitime
poursuivi » (CE, 15 décembre 2010, n°323250, Bayer c/ commune de Gouvernes).

Ainsi, dans l’arrêt rendu sur renvoi après cassation, la Cour administrative d’appel de Paris a jugé que
« l'ingérence commise par la commune de Gouvernes dans le droit au respect de la vie privée et familiale de
Mme B. n'est pas disproportionnée eu égard au but légitime que constituent la protection de l'environnement
et le respect des règles d'urbanisme » et écarte l’application de l’article 8 de la Convention européenne des
droits de l’Homme (CAA Paris, 7 mars 2013, n°12PA02446).

En 2020, la Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur la requête de personnes vivant dans
des campements non autorisés de Roms en Slovénie. Les requérants reprochaient à l’État de ne pas leur avoir
fourni d’accès à l’eau et à l’assainissement en violation des dispositions des articles 3 (traitements
inhumains), 8 (respect de la vie privée) et 14 (discrimination) de la Convention. Dans un arrêt du 10 mars
2020, la Cour a rejeté la requête relevant que l’accès à une eau potable sûre n’est pas en tant que tel un
droit protégé par l’article 8 de la Convention (CEDH, Hudorovič and others v. Slovenia, 24816/14 et
25140/14, 10 mars 2020).

Sur le fondement du code de l’action sociale et des familles

Le Tribunal d’Instance de Fontainebleau a condamné la société Véolia au rétablissement de l’eau au bénéfice


d’occupants pourtant sans droit ni titre mais « qui justifient de ce qu’ils se trouvent en difficulté au sens de
l’article L1115-3 du code [de l’action sociale et des familles] puisqu’il s’agit de familles avec enfants, pour
certains avec le statut reconnu de réfugiés présentant une situation éligible à un logement dans le parc
social », après coupure ordonnée par l’organisme HLM. Le tribunal a ainsi considéré que dans ces
circonstances, « couper l’alimentation en eau constitue un trouble manifestement illicite » et que « cette
absence de distribution d’eau potable est susceptible d’entraîner un dommage imminent étant rappelé que
l’accès à l’eau potable est de manière constante un élément indispensable à la préservation de la santé des
individus » (TI Fontainebleau, 12 novembre 2015, n°12-15-000053).

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Sur le fondement des pouvoirs de police générale du maire (art. L2212-1 et s. CGCT) et du préfet
(L2215-1 et s. CCGCT)

Dans une ordonnance de référé-liberté relative à la « jungle de Calais », le tribunal administratif de Lille a
considéré « qu’en raison d’un accès manifestement insuffisant à l’eau et à des toilettes et de l’absence de
ramassage des déchets, la population du camp est confrontée à une prise en compte insuffisante de ses
besoins élémentaires en matière d’hygiène et d’alimentation en eau potable et se trouve exposée à un
risque d’insalubrité ; qu’il est ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à ne pas
subir de traitement inhumains et dégradants ». En conséquence, le TA a ordonné au préfet et au maire de
Calais la de créer des points d’eau et des sanitaires supplémentaires et de mettre en place un dispositif de
collecte des ordures (TA Lille, 2 novembre 2015, Association Médecins du monde et autres, n°1508747). Cette
décision a été confirmée par le Conseil d’Etat (CE, 23 novembre 2015, n°394540).

Depuis, la jurisprudence est constante sur cette situation d’accès à l’eau, « considérant qu'en l'absence de
texte particulier, il appartient en tout état de cause aux autorités titulaires du pouvoir de police générale,
garantes du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine, de veiller, notamment,
à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit
garanti ».

Le juge des référés ordonne ainsi de manière quasi-systématique au préfet et/ou au maire de créer, sans
délai, dans des lieux facilement accessibles, des points d’eau et des sanitaires permettant aux populations de
migrants, de squats ou de bidonvilles, de boire, de se laver et de laver leurs vêtements et rappelle que l’État
doit intervenir « dès lors que les mesures à prendre pour faire face à l’afflux massif de migrants (…) excèdent
les pouvoirs de police générale du maire de la commune » (CE, 31 juillet 2017, Commune de Calais, Ministre
d’État, ministre de l’Intérieur, n°412125).

L’accès à l’eau revêt différentes formes (citerne, sanitaires mobiles) et ne relèvent pas obligatoirement de
mesures de raccordement aux réseaux. Ce que traduit l’ordonnance du 1er mai 2020 du tribunal administratif
de Toulouse qui a rejeté la requête de plusieurs associations demandant que soit enjoint à la commune de
Toulouse, Toulouse métropole et le Préfet de Haute-Garonne de prendre diverses mesures nécessaires pour
assurer l’accès à l’eau potable et aux sanitaires et la gestion des déchets des sans-abris et des personnes
vivant sur des campements ou dans des squats. Les autorités défendaient l’idée qu’installer un accès à l’eau
revient à pérenniser un bidonville ou un squat. Le juge a considéré que « si les associations requérantes
contestent la réalité de l’organisation d’un accès à l’eau potable […], il ne résulte pas des pièces qu’elles
produisent que l’un ou l’autre des campements concernés ne bénéficierait pas […] de la fourniture d’eau
potable, fût-ce sous la forme d’un accès à une borne d’incendie potentiellement éloignée du campement ou
de la livraison périodique de bonbonnes d’eau ».

Ainsi pour le tribunal, compte tenu des mesures sanitaires déjà prises par les autorités publiques, la situation
sanitaire n’était pas de nature à révéler une carence caractérisant une atteinte grave et manifestement
illégale à une liberté fondamentale telle que le droit au respect de la dignité humaine des personnes sans
domicile fixe ou leur droit à ne pas être soumis au risque de subir des traitements inhumains ou dégradants
(TA Toulouse, ord. 1er mai 2020, n°2001984).

La position du juge judiciaire

Le tribunal judiciaire de Bordeaux a jugé, à propos de l’expulsion d’environ deux cents personnes campant
sans droit ni titre sur un terrain appartenant à autrui, que bien qu’il ait été « constaté des vols d’eau par
branchements illicites sur le réseau incendie, des vols de courant électrique par des branchements sauvages
et dangereux sur le réseau d’éclairage public (…) / L’eau et l’électricité sont des fluides indispensables à la vie

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humaine (…) et les branchements constatés, pour dangereux et illicites qu’ils soient, répondent à des besoins
vitaux ».

Et si le tribunal confirme l’expulsion des occupants irréguliers, il allonge le délai qui leur est accordé pour
quitter les lieux (un an au lieu de cinq jours) aux motifs que l’expulsion aurait pour conséquence de maintenir
les occupants « dans une précarité sociale, économique et sanitaire dégradante et dangereuse pour leur
propre santé et celle de leurs enfants », et que « l’expulsion immédiate et sans mesure d’accompagnement
des demandeurs et des membres de leur communauté serait donc disproportionnée et constituerait une
atteinte à la dignité humaine plus grave que l’atteinte à la propriété immobilière » (TJ Bordeaux, référé, 22
juin 2020, n° RG 20/00254).

Responsable des Affaires juridiques

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