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Sujet 

« En prenant appui sur l’ensemble des documents proposés (captation, image, textes), vous
analyserez les enjeux du dossier et les questions dramaturgiques posées en vous appuyant sur votre
culture théâtrale et critique, de manière à en proposer une exploitation en cours de français sous la
forme d'un projet de séquence assorti du développement d’une séance de cours, à destination du
niveau de classe de seconde. » 

Doc. 1
Euripide, Médée, extrait de la scène 4 et scène 5 (vers 337-409) mise en scène de Laurent Fréchuret,
Théâtre de Sartrouville, 2009. © DVD COPAT, 2009 (28.15-33.30 - durée : 5.15)

Doc. 2
Euripide, Médée, Premier épisode (v.337-409), mise en scène de Jacques Lassalle, Avignon, été 2000.
© DVD Arte vidéo, 2000 (33.20-40.20 - durée : 7.00).

Doc.3
Euripide, Médée, traduction de Françoise Dupont pour la mise en scène de Laurent Fréchuret, scènes
4 (fin) et scène 5, v.337-409 ©éditions Kimé, Paris, 2009, p.40-45.

Doc. 4
Laurent Fréchuret, « Médée, une machine à jouer » ©Dossier de presse – Théâtre de Sartrouville,
mai 2009.

Doc. 5
Entretien avec Jacques Lassalle, metteur en scène de Médée, réalisé le 14 décembre 2000 ©Théâtre
de l’Odéon.

Doc. 6
Carle Van Loo, Médée et Jason, avec Melle Clairon en Médée, 1759
Huile sur toile, Musée du Louvre

Doc. 7
Florence Dupont, « Le discours d’Aristote sur l’art théâtral » ©Philosophie magazine n°27, mars
2009.

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Doc. 3

Scène 4 (fin)
Médée, Créon

Créon. - Quelle bonne femme


Il faudra toujours que tu compliques tout

Médée. - Nous allons partir


Je ne te demande pas de rester

Créon. - Alors pourquoi résister et ne pas vider les lieux ?

Médée. - Un seul jour


Aujourd’hui
Laisse-moi seulement aujourd’hui
Que je finisse de préparer mon départ
Que je trouve de quoi nourrir mes fils puisque leur père n’a rien prévu pour ses
enfants
Aie pitié d’eux
Toi aussi tu es père toi aussi tu as des enfants
Tu ne peux pas leur refuser ta clémence

Je ne me fais pas de souci pour moi


Je n’ai pas peur de l’exil
C’est eux qui vont souffrir c’est eux qui me font pleurer

Créon. - Je ne suis pas un monstre tyrannique


J’ai le sens de l’honneur
Malheureusement
Car il m’a souvent fait perdre le combat
Et je vois bien femme que je commets une erreur.
Cependant ce jour je te l’accorde
Tu feras comme tu veux.
Mais je te le dis solennellement
« Si le flambeau divin du prochain soleil te surprend toi et tes enfants à l’intérieur des
limites de ce pays tu mourras
J’ai dit la vérité »

D’ailleurs en restant un seul jour que peux-tu faire de bien terrible ?

Le Chœur. - Femme, pauvre femme


Pheu  !Pheu  !
Dans ton malheur, ton désespoir
Où peux-tu aller  ?
Qui trouveras-tu pour t’accueillir  ?
Quelle terre  ? Quelle maison  ? Quelle famille  ?
Qui te sauvera  ?
Où va ta route  ? Médée
Un dieu t’a jetée dans la tempête sans t’indiquer le port

Scène 5
Médée

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Médée. - Tout va mal
Qui dirait le contraire ?
Mais cela ne va pas se passer ainsi croyez-moi
Je prévois de la bagarre du côté des jeunes mariés et les beaux-parents ne vont pas
chômer non plus
Tu imagines bien que cet homme
Si je l’ai caressé dans le sens du poil
C’est pour l’embobiner à mon bénéfice
Sinon je ne lui aurais pas parlé
Je n’aurais pas posé mes mains sur lui

Il est si stupide
Il pouvait m’empêcher d’agir en m’expulsant du pays
Et l’imbécile m’accorde une journée
Assez pour faire de mes trois ennemis le père la fille et mon mari
Trois cadavres

Il y a bien des routes pour la mort


Laquelle emprunter mes amies ?
Vais-je incendier la maison des jeunes mariés ?
Entrer en catimini dans la chambre où ils couchent et leur enfoncer une épée dans le
corps ?
Mais une chose m’arrête.
Si je me fais prendre en entrant dans la maison
Je mourrai
Et ma mort fera bien rire mes ennemis

Le mieux est d’agir simplement comme je sais le faire


En les empoisonnant

Bon
Ils sont morts
Mais moi quelle cité va accepter de m’accueillir ?
Quel hôte me donnera asile en son pays ? Quel homme me protégera et me recevra
dans sa maison ? Qui veillera sur ma vie ?
Je ne peux compter sur personne

J’attendrai donc encore un peu.


Si un refuge s’offre à moi je prendrai la piste du meurtre
Sans faire de bruit tout en finesse
Mais si je reste seule dans ma détresse
Je prendrai une épée et même si je dois mourir
Je les massacrerai avant
La violence ne me fait pas peur

Avec l’aide d’Hécate que je révère entre toutes


Par cette déesse infernale que j’ai choisie pour patronne
Installée dans les profondeurs sous le foyer sacré
Ils vont tous cesser de rire en me déchirant le cœur
Je leur ferai des noces amères et de lugubres épousailles
Ils pleureront mon exil

Mais bon ! Ne sois pas avare de ta science Médée

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Invente machine organise
Lance-toi dans une entreprise inouïe
C’est ton jour
Le jour du beau combat
Le jour des grandes âmes
Tu vois ce qu’on te fait
Ne laisse pas rire de toi en permettant que Jason s’allie à la tribu de Sisyphe
Toi la fille d’un noble père
Toi la petite fille du Soleil
Tu as ta science

Et en plus, nous les femmes, si nous ne sommes pas très imaginatives quand il s’agit
de faire le bien en revanche pour inventer le mal il n’y a pas plus doué que nous

Euripide, Médée, traduction de Françoise Dupont pour la mise en scène de Laurent Fréchuret, scènes
4 (fin) et scène 5, v.337-409 ©éditions Kimé, Paris, 2009, p.40-45.

Doc. 4

« Médée, une machine à jouer »

Médée n'est pas une histoire représentée au théâtre, c'est le théâtre même.

Anéantie, au bord du vide, Médée, au lieu de sombrer, de disparaître, décide par une volonté
surhumaine de se révolter. Elle effectue l’acte inouï, de s’accoucher d’elle-même en tuant ses
enfants, de s'arracher au deuil et à l'anéantissement en se vengeant de Jason.
Médée se reconstruit par le jeu, par la parole, par la voix : elle donne le spectacle d’une magicienne
au travail, d’une comédienne en train de se métamorphoser en monstre sur la place publique,
d'accomplir sous nos yeux l’alchimie du jeu. Performance théâtrale et expérience hors norme, Médée
se change devant nous en «déesse de la race des femmes ».
Dans Médée, ce n’est pas l’infanticide ramené à un fait-divers qui m’intéresse, ni la question de sa
vraisemblance, mais les possibilités de jeu avec la transgression, les tentatives scéniques
d’exploration des zones d’ombres, des territoires dangereux, des endroits limites de l’humain.
D’horribles histoires trouvent sur scène leur espace d’exploration. Médée n’est un récit criminel
comme on en rencontre dans la vie et que raconte la chronique judiciaire des journaux. Je préfère
aborder Médée comme le portrait d’un peintre fauve, comme un poème symphonique bourré de
rupture, un ciel en mouvement, démesurément variable.
Médée va s’inventer dans le jeu, avec la musique et les apparitions. Une expérience collective. La
tragédie athénienne ne m’apparaît pas seulement comme un discours politique, logique, mais aussi
comme une fête, un lien. Pas un «classique» mais une variation ludique d’aujourd’hui sur une figure
immémoriale, une machine à jouer. La présence d’une troupe offerte à la « communauté des mortels
», c'est-à-dire des vivants. Je rêve depuis deux ans à Médée comme à un objet émouvant parce qu’il
n’existe pas encore. Dans quelques jours, les comédiens et les musiciens vont arriver. Tout va
commencer.

Laurent Fréchuret, Metteur en scène de Médée,


Dossier de presse - Théâtre de Sartrouville, mai 2009

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Doc. 5

ENTRETIEN AVEC JACQUES LASSALLE

Médée est une des premières pièces d'Euripide. Son auteur n'est pas encore l'Euripide sans illusions
des dernières années de la guerre du Péloponnèse, l'observateur désespéré de la fin d'Athènes. Mais,
déjà, il pratique et postule le mélange des genres, longtemps avant que ce mélange soit
conceptualisé. Chez Euripide, il y a déjà Aristophane, et il y a déjà Shakespeare. On trouve chez lui
des figures qui sont pour une bonne part extérieures à l'univers et à la respiration tragiques. Pour
être plus précis, les héros masculins, les héros présumés, sont souvent maltraités, pris à rebours :
Jason, notamment, est un personnage qui dans un premier temps frôle la charge comique. Quand il
rationalise ses actes, sa bonne conscience n'est même pas feinte, même pas jouée. Il peut justifier en
toute bonne foi ce qui détruit Médée en donnant à son acte une explication terriblement
acceptable : s'il quitte sa femme et ses enfants, il est convaincu que c'est pour leur bien. Il y a là
quelque chose qui malgré les apparences est tout à fait distinct du cynisme manœuvrier, de la
goujaterie ou de la sottise. Un jour où je cherchais à définir avec les acteurs le statut singulier du rôle
de Jason, Isabelle Huppert a eu cette formule : "Ne cherchez pas - c'est tout simplement, tout
bêtement, un homme". Je pense qu’Euripide n’aurait pas parlé autrement.

Et Médée elle-même, est-elle une femme ?

Ah oui ! Absolument et superlativement. Par rapport à la sorcière, à la déesse noire qu'on en fait
souvent, elle est d'abord une femme, rien qu'une femme. C'est pour cela que j'aime tant Euripide :
pour ses figures de femme. C'était déjà pour elles que j'avais mis en scène son Andromaque. Mais
Médée, comme Andromaque et plus encore, est aussi une étrangère, la métèque par excellence. Elle
vient d'au-delà des Roches Symplégades, d’au-delà des Dardanelles, des plus lointains confins du
monde barbare. Elle est celle qui fait peur, précédée d'une réputation sulfureuse, maléfique, à bien
des égards justifiée. Pour Jason, elle a tout assumé, tout affronté. Elle est de ces femmes qui peuvent
tout donner à un homme, tout en accepter, sans pouvoir envisager un seul instant d'être quittées par
lui. […] Or Médée ne peut comprendre, accepter cela : c'est dans ce refus que tout commence. Dès
l'instant qu'elle dit non, tout le reste suit. Tout, y compris l'acte ultime du meurtre des enfants.
Médée, la femme, la mère, l'étrangère, la métèque, la proscrite, la réprouvée, Médée, à l'issue de
son parcours dans ce monde masculin et grec, ne peut que se sentir humiliée, finalement niée ;
Euripide le sait, et nous donne à comprendre comment elle peut en arriver à sa terrible
détermination. […] En cela Euripide ose à mon avis quelque chose d'inouï, car la seule Médée qui soit
antérieure à la sienne, celle de Pindare, n'est pas du tout une infanticide. Non seulement il ose le
crime, mais il le déleste de ses circonstances supra-humaines. Ce qui ne veut pas dire qu'il supprime
le monstrueux, mais en Médée, c’est le monstre qui habite chacun de nous qu’il révèle. Sénèque ou
Corneille auront besoin d'une Médée à jamais séparée, isolée par sa condition même de sorcière ou
de déesse ; Euripide nous conduit à une Médée familière, que son crime rapproche davantage encore
de nous. C’est en quoi il est notre contemporain.

Mais cet acte, s'y est-elle résolue d'emblée ?

Elle l'a annoncé d’emblée. Toute la pièce consiste ensuite à voir comment une parole
d'emportement, une parole de souffrance exaspérée, va être rejointe par son acte. La pièce s'ouvre
par une innovation du jeune Euripide : la protagoniste apparaît d'abord par sa parole, avant
d'apparaître en scène. Mais alors, elle n'est déjà plus la même. La Médée des paroles initiales, il faut
l'imaginer enfermée, coupée du monde, incarcérée et délirante, alors que celle qui apparait est une
femme qui va... Là, j'ai beaucoup hésité. Avec Isabelle, nous n'avons pas cessé d'osciller : Médée va-t-
elle mettre en œuvre son projet obstinément, implacablement - en faisant la part de l'attente, la part
de l'impuissance et du hasard ? Ou est-ce qu’au contraire son projet, dans sa folie, dans son excès,
l'effraie autant que ceux qui l'ont entendue le proférer - et en elle, contre elle, sans elle, est-ce alors
peu à peu une autre qu'elle-même qui va surgir ? […]En tout cas, c'est la grande question que nous

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nous posions : est-ce que Médée, dès ses premiers mots, va mettre en place un dispositif
extraordinairement précis et programmé, ou va-t-elle plutôt - et pour toutes sortes de raisons ce
serait là ma réponse personnelle - être agie peu à peu, jusqu'à découvrir son véritable désir, malgré
l'horreur qu'elle en éprouve ? Agir pour qui ? Les hommes ou les dieux, c’est à dire ce qu’on
appellera aujourd’hui son inconscient ? Les uns et les autres, sans doute. Elle fait tout pour ne pas
être au rendez-vous qu'elle s'est à elle-même fixé. Elle fait tout pour le différer, pour l'éluder, pour le
rater même, à de certains moments. Mais en même temps, elle s’est placée dans l’impossibilité d’y
renoncer en réussissant au préalable le meurtre de Créon et de Créüse. […]

Qu'est-ce donc qui la décide en cet instant ? La haine envers Jason, les exigences de son propre
honneur, le désir d'épargner à ses fils une vie d'humiliations ?

Un peu de tout cela. Et ceci encore, qui est très simple : après le meurtre de Créüse et de Créon, non
seulement les enfants n'ont pas d'avenir, mais ils sont promis par le peuple de Corinthe aux formes
les plus terribles de torture. Et à cela s'ajoute que Médée n'a pas droit à sa mort. Elle est de sang
divin. Elle ne peut s'atteindre, et se détruire, qu'en détruisant l'autre. Ce qui suffit à la distinguer
radicalement, car je pense que beaucoup de femmes, dans son cas, auraient fui un impossible
consentement à la séparation en mettant fin à leurs jours. Médée, elle, n'en a pas le droit. Elle peut
tuer tout le monde sauf elle. Et elle sait que ses enfants mourront des mains des vengeurs de Créon
et de sa fille. Les tuer de sa main, c'est leur épargner une fin beaucoup plus terrible. Mais là, nous
sommes dans le rationnel. Il est beaucoup plus intéressant et plus beau de voir comment
l'irrationnel, le béant, le fissuré, l'inconnu à soi-même, est préparé, organisé, encadré par la
rationalité, comment aussi l'indicible, l’exigence tragique de l’infanticide sont contrebalancés
jusqu’au dernier moment, chez Médée, entre l’horreur de son acte, et la délivrance, l’étrange paix
qu’elle lui apporte.

Jacques Lassalle, metteur en scène de Médée, festival d’Avignon, juillet 2000 / Théâtre de l’Odéon,
décembre 2000

Doc. 6

Carle Van Loo, Médée et Jason, avec Melle Clairon en Médée, 1759 - Huile sur toile, Musée du Louvre

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Doc. 7

« Le discours d’Aristote sur l’art théâtral, tiré de la Poétique, sert aujourd’hui d’alibi à un
discours général sur le «Théâtre avec un grand T». Les gens prennent des airs extasiés pour dire :
« C’est la catharsis!».
Les concepts du philosophe sont brandis comme des fétiches. Or, à cause de cet aristotélisme
ambiant, on s’ennuie au théâtre. Car pour Aristote seule compte l’histoire, la «fable». Il a ainsi
transformé les spectateurs en lecteurs, et le théâtre a versé dans la littérature...
Aristote nous a fait oublier le cadre rituel du théâtre, or tous les théâtres ne se ressemblent
pas et tous ne peuvent pas être analysés à travers ce texte ! Dans le nô (théâtre japonais), le
kathakali (théâtre indien) et la tragédie grecque, le spectacle est tout entier structuré par la musique.
Même Le Bourgeois gentilhomme de Molière, ne se comprend pas sans musique. Suivre Aristote
revient à oublier le compositeur d’un opéra tout en gardant le livret... Dans notre culture
logocentrique, qui valorise l’écrit, on pense que la parole est pure si elle ne joue pas sur la voix ou
l’émotion. C’est important de savoir que l’on peut faire les choses autrement. On a séparé le théâtre
de la vie, de la musique, du chant, de la danse, il faut s’en étonner ! Ce n’est arrivé nulle part ailleurs.
Aujourd’hui, des metteurs en scène comme Olivier Py mettent le visuel et la musique «au
service du texte», mais c’est quelque chose qui ne va pas de soi. Je suis au contraire pour le retour
des bouffons, moins pour dire le texte que pour rechercher ses potentialités de jeu. Je m’intéresse de
près aux textes anciens, pour lesquels l’aspect rituel et musical est essentiel. Ce sont des «
performances » au sens contemporain. Le spectacle a une autre raison d’être que l’histoire qu’il
raconte. C’est un événement auquel participe le public, où se rencontrent plusieurs systèmes
expressifs, sans qu’aucun ne soit leader. Brigitte Jaques Wajeman a mis en scène Plaute en suivant
cette vision des choses, et cela a très bien fonctionné. Aujourd’hui, je suis la préparation de Médée
d’Euripide, qui se jouera au Théâtre de Sartrouville à la rentrée. Laurent Fréchuret la met en scène
avec la même volonté de redonner sa place au chant, à la danse, etc. La structure est musicale, un
tiers de la pièce est chanté. Le théâtre a toujours fait appel aux grands sentiments et à l’émotion.»

Florence Dupont, traductrice de Médée, jouée au Théâtre de Sartrouville


Philosophie magazine n°27, mars 2009

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