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Grammaire de l’ornement

Owen Jones

Day & Son, Limited-Cagnon, Londres-Paris, 1865

Exporté de Wikisource le 22 août 2021

1
(Table des matières ne faisant pas partie de l’ouvrage)
Préface de l’édition in-folio.
Principes généraux de l’arrangement des
formes et des couleurs dans l’architecture et
dans les arts décoratifs, recommandés dans
cet ouvrage.
Liste des planches

CHAP. I. Ornements de Tribus sauvages.


CHAP. II. Ornements Egyptiens.
CHAP. III. Ornements Assyriens et Perses.
CHAP. IV. Ornements Grecs.
CHAP. V. Ornements Pompéiens.
CHAP. VI. Ornements Romains.
CHAP. VII. Ornements Byzantins.
CHAP. VIII. Ornements Arabes.
CHAP. IX. Ornements Turcs.
CHAP. X. Ornements Mauresques de
l’Alhambra.
CHAP. XI. Ornements Perses.
CHAP. XII. Ornements Indiens.

2
CHAP. XIII. Ornements Hindous.
CHAP. XIV. Ornements Chinois.
CHAP. XV. Ornements Celtiques.
CHAP. XVI. Ornements Moyen-Âge.
CHAP. XVII. Ornements de la Renaissance.
CHAP. XVIII. Ornements du temps
d’Élisabeth.
CHAP. XIX. Ornements italiens.
CHAP. XX. Feuilles et fleurs d’après nature.

3
PRÉFACE DE L’ÉDITION IN-
FOLIO.

CE serait au-delà du pouvoir d’un seul individu, que de


tenter de réunir en un ouvrage, les illustrations des phases
innombrables et toujours changeantes de l’art de
l’Ornementation. C’est à peine qu’un gouvernement
pourrait venir à bout d’une pareille tâche, et même en
réussissant, il produirait un ouvrage trop volumineux pour
être d’une utilité générale. Le seul but que je me suis donc
proposé, en formant la collection que je me permets
d’intituler Grammaire de l’Ornement, a été de choisir
quelques-uns des types les plus proéminents de certains
styles intimement liés les uns aux autres, et dans lesquels
paraissent prévaloir certaines lois générales, indépendantes
pourtant du caractère particulier et individuel de chaque
style. J’ai osé former l’espoir, qu’en plaçant ainsi en
juxtaposition immédiate, les nombreuses formes de beauté
que chaque style d’ornement présente, je pourrais
contribuer à arrêter la fâcheuse tendance de notre époque de

4
se contenter, de copier simplement, aussi longtemps que la
mode dure, les formes particulières aux époques passées,
sans chercher à s’assurer des circonstances spéciales, qu’en
général on ignore même complètement, qui faisaient que tel
ornement était beau parce qu’il était alors convenable, mais
lequel transplanté de son sol naturel pour devenir
l’expression d’autres besoins, doit nécessairement manquer
de produire le même effet.
Je ne me cache pas, qu’il est plus que probable, que la
publication de cette collection aura pour premier résultat,
d’augmenter de beaucoup cette tendance dangereuse, et
qu’un grand nombre d’artistes se contenteront d’emprunter
au passé, telles formes de beauté qui n’auront pas été déjà
exploitées ad nauseam. Mon désir, cependant, est d’arrêter
cette tendance et d’éveiller dans leurs âmes une plus haute
ambition.
Si l’artiste voulait se donner la peine de chercher à
découvrir les pensées, qui ont été exprimées dans tant de
langues différentes, il ne manquerait certainement pas de
trouver une source d’eau vive toujours jaillissante, au lieu
d’un réservoir stagnant à moitié rempli.
Dans les chapitres de cet ouvrage j’ai tâche d’établir les
principaux faits suivants : —
Premièrement. Que toutes les fois qu’un style d’ornement
est l’objet de l’admiration universelle, on découvrira qu’il
est d’accord avec les lois qui règlent la distribution de la
forme dans la nature.

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Secondement. Que, quelque variées que soient les
manifestations d’accord avec ces lois, les idées principales
sur lesquelles elles sont basées, sont en très petit nombre.
Troisièmement. Que les modifications et les
développements qui ont eu lieu d’un style à l’autre, ont été
causés en écartant subitement certaines entraves fixées, ce
qui a eu pour suite d’ouvrir une nouvelle carrière à la
pensée devenue libre, jusqu’à ce que la nouvelle idée finit
par devenir fixée, enraillée, comme l’ancienne, et donnât
naissance à son tour à de nouvelles inventions.
Finalement. Je me suis efforcé de prouver, dans le
vingtième chapitre, que pour assurer le mieux les progrès
futurs de l’art ornemental, il fallait greffer sur l’expérience
du passé, les connaissances que nous pouvons obtenir, en
demandant à la Nature de nouvelles inspirations. Ce serait
un acte de suprême folie que de tenter d’établir de nouvelles
théories de l’art, ou de former un nouveau style, sans l’aide
du passé. Ce serait méconnaître tout d’un coup l’expérience
de milliers d’années, et renoncer à l’amasser les trésors de
connaissances qu’ils nous ont laissés. Nous devons au
contraire considérer comme notre héritage, tous les travaux
du passé qui ont été couronnés de succès, et sans les suivre
aveuglement, il faut les employer comme guides pour
découvrir la vraie voie.
En prenant congé de ce sujet et en livrant cet ouvrage au
jugement du public, je reconnais parfaitement que cette
collection est loin d’être complète : il y existe bien des
lacunes, que chaque artiste, cependant, pourra facilement

6
remplir lui-même ; j’espère néanmoins avoir atteint le
principal but que je m’étais proposé, en plaçant côte à côte
les types des styles, qui pourront le mieux servir de jalons à
l’étudiant et à l’artiste dans la voie du progrès.

Il ne me reste plus qu’à offrir mes remercîments à tous


ceux de mes amis, qui ont eu la bonté de m’assister dans
mon entreprise.
M. J. Bonomi et M. James Wild ont droit a ma
reconnaissance, pour l’aide qu’ils m’ont donnée dans la
formation de la collection égyptienne ; c’est aussi à M. J.
Wild que je suis redevable des matériaux qu’il m’a fallu
pour la collection arabe. Le long séjour qu’il a fait au Caire,
lui a fourni l’occasion de former une grande collection
d’ornements arabes ; les spécimens que j’ai reproduits dans
cet ouvrage, ne donnent qu’une idée imparfaite de cette
belle collection, que M. Wild sera porté, je l’espère, à
publier un jour dans son entier.
C’est à M. T. T. Bury que je suis redevable de la planche
représentant les vitraux peints. M. C. J. Richardson m’a
fourni les matériaux principaux de la collection des
ornements du temps d’Elisabeth ; et ceux de la collection
byzantine, m’ont été fournis par M. J. B. Waring, au quel je
suis en outre redevable des deux excellents essais sur
l’ornement byzantin et sur l’ornement du temps d’Elisabeth.
M. J. O. Westwood, qui s’est livré d’une manière toute
spéciale à l’étude des ornements celtiques, m’a aidé dans la

7
collection celtique, et a écrit l’histoire et l’exposition
remarquables de ce style.
M. C. Dresser, de “Marlborough House, ” a fourni la
planche No. 8 du vingtième chapitre, qui fait voir
l’arrangement géométrique des fleurs naturelles.
Mon collègue au palais de Cristal, M. Digby Wyatt, a
enrichi cet ouvrage de ses admirables essais sur les
ornements de la période de la renaissance et de la période
italienne.
Toutes les fois que j’ai emprunté des matières a des
ouvrages qui ont été publiés, je n’ai pas manqué d’en faire
mention.
Les autres dessins ont été principalement exécutés par
mes élèves, M. Albert Warren et M. Charles Aubert, qui,
avec M. Stubbs, ont reproduit sur une échelle réduite tous
les dessins originaux et les ont préparés pour la publication.
Les dessins sur pierre de toute la collection ont été
confiés aux soins de M. Francis Bedford, qui, avec le
concours de ses assistants, Messieurs H. Fielding, W. R.
Tymms, A. Warren, et S. Sedgfield, et avec la co-opération
casuelle de quelques autres artistes, a exécuté les cent
planches en moins d’une année.
Je dois à M. Bedford des remercîments tout spéciaux
pour les soins et l’empressement qu’il a déployés, sans se
laisser influencer par aucune considération personnelle,
pour rendre cet ouvrage aussi parfait que l’exigeait l’état
avancé de la chromo-lithographie ; et je suis persuadé que

8
ceux qui connaissent les difficultés et l’incertitude de ce
procédé, apprécieront pleinement les services inestimables
de cet artiste.
Messieurs Day et fils, les éditeurs entreprenants et aussi
les imprimeurs de cet ouvrage, ont mis en réquisition toutes
les vastes ressources de leur établissement, ce qui leur a
permis, malgré les soins qu’exigeait cet ouvrage et le temps
immense qu’en demandait l’impression, non seulement de
le livrer aux souscripteurs avec la plus grande régularité,
mais de le compléter même avant le temps convenu.
OWEN JONES.

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PRINCIPES GÉNÉRAUX DE L’ARRANGEMENT DES FORMES ET
DES
COULEURS DANS L’ARCHITECTURE ET DANS LES ARTS
DÉCORATIFS, RECOMMANDÉS DANS CET OUVRAGE.

PROPOSITION 1.
Les arts décoratifs naissent de l’architecture et ils en dépendent.

PROPOSITION 2.
L’architecture est l’expression matérielle des besoins, des facultés et des
sentiments du temps où elle est créée.
Le style, en architecture, est la forme particulière que cette expression prend sous l’influence du
climat, des mœurs, et des matériaux dont elle dispose.

PROPOSITION 3.
De même que l’architecture, ainsi toutes les œuvres des arts décoratifs
doivent combiner la convenance, la proportion et l’harmonie, lesquelles, dans
leur ensemble, ont pour résultat le repos.
PROPOSITION 4.
La vraie beauté résulte du repos que ressent l’âme, lorsque la vue,
l’intelligence et les affections se trouvent satisfaites.
PROPOSITION 5.
La construction doit se décorer. La décoration ne doit jamais être construite
exprès.
Ce qui est beau est vrai ; ce qui est vrai est forcement beau.

PROPOSITION 6.
La beauté de la forme est produite par des lignes qui naissent les unes des
autres en ondulations graduées : il n’y a point d’excroissances ; on ne saurait
rien ôter sans nuire à la beauté de la composition.
PROPOSITION 7.

10
Après avoir arrêté les formes générales, il faut les subdiviser et les orner à
l’aide de lignes générales ; puis, on peut remplir les interstices d’ornements,
qu’à leur tour on peut subdiviser et enrichir pour satisfaire à une inspection
plus minutieuse.
PROPOSITION 8.
Tout ornement doit être basé sur une construction géométrique.
PROPOSITION 9.
De même que dans toute œuvre par faite d’architecture, une vraie
proportion règne entre tous les membres dont l’œuvre se compose, ainsi dans
tous les arts décoratifs, l’ensemble des formes doit être arrangé suivant
certaines proportions définies ; le tout, aussi bien que chaque membre en
particulier, doit former le multiple de quelque simple unité.
Les proportions les plus belles seront celles que l’œil aura le plus de difficulté à découvrir. Ainsi
la proportion d’un carré double ou de 4 à 8 sera moins belle que le rapport plus subtil
de 5 à 8 ; 3 à 6 que 3 à 7 ; 3 à 9 que 3 à 8 ; 3 à 4 que 3 à 5..
PROPOSITION 10.
L’harmonie de la forme consiste dans la juste balance et dans le contraste
des lignes verticales, horizontales, obliques, et courbes.
PROPOSITION 11.
Dans la décoration de surface toutes les lignes doivent partir d’une tige
mère. Tout ornement, quelqu’éloignê qu’il soit du centre ou de l’axe de la
composition, doit être tracé jusqu’à sa branche et à sa racine. Pratique
orientale.
PROPOSITION 12.
Toutes les jonctions de lignes courbes avec d’autres lignes courbes, ou de
lignes courbes avec des lignes droites, doivent s’effectuer en devenant
réciproquement les tangentes les unes des autres à leur point de rencontre. Loi
de la nature. La pratique orientale est d’accord avec cette loi.
PROPOSITION 13.
Il ne faut pas employer comme ornements, des fleurs ou autres objets tels
qu’on les trouve dans la nature, mais simplement des représentations
conventionnelles fondées de ces objets assez ressemblantes à leur modèle
pour en rappeler le souvenir, mais assez artificielles pour ne pas détruire
l’unité de l’œuvre qu’elles servent à décorer. Règle invariablement suivie

11
pendant les grandes périodes de l’art, également violée pendant les périodes
de décadence.
PROPOSITION 14.
La couleur sert comme auxiliaire dans le développement de la forme, elle
vient en aide à l’œil, tantôt pour distinguer les objets les uns des autres, tantôt
pour distinguer les unes des autres les parties d’un même objet.
PROPOSITION 15.
La couleur s’emploie pour aider à marquer les lumières et les ombres, en
favorisant l’ondulation des formes par la juste distribution des différentes
couleurs.
PROPOSITION 16.
Le meilleur moyen d’arriver à ces fins, c’est d’employer les couleurs
primitives sur des surfaces petites et en petites quantités, balancées et
soutenues par les couleurs secondaires et tertiaires appliquées sur des masses
plus grandes.
PROPOSITION 17.
Les couleurs primaires doivent s’employer sur les parties supérieures des
objets, les secondaires et les tertiaires sur les parties inférieures.
PROPOSITION 18.
(Les équivalents chromatiques de Field.)
Les couleurs primaires d’intensités égales s’harmoniseront ou se
neutraliseront l’une l’autre dans les proportions de 3 de jaune, 5 de rouge, et 8
de bleu, — intégralement 16.
Les secondaires dans les proportions de 8 d’orange, 13 de pourpre, et 11 de
vert, — intégralement 32.
Les tertiaires, de citrin (composé d’orange et de vert), 19 ; de brun
roussâtre (orangé et pourpre), 21 ; d’olivâtre (vert et pourpre), 24 ; —
intégralement 64.
Il s’ensuit que, —
Chaque secondaire étant un composé de deux primaires, se trouve
neutralisée par la primaire qui forme son complément d’après ces mêmes
proportions : ainsi, 8 d’orange (rouge et jaune) seront neutralisés par 8 de bleu
(complément de l’orange), 11 de vert par 5 de rouge, 13 de pourpre par 3 de
jaune.

12
Chaque tertiaire étant un composé binaire de deux secondaires, est
neutralisée par la secondaire qui reste : comme 24 d’olivâtre par 8 d’orangé,
21 de brun roussâtre par 11 de vert, 19 de citrin par 13 de pourpre.

PROPOSITION 19.

Dans la proposition ci-dessus, il est supposé que la couleurs s’emploient dans leurs intensités
prismatiques ; mais chaque couleur a une variété de tons quand elle est mêlée avec du
blanc, ou de nuances lorsqu’elle est mêlée avec du gris ou du noir.

Quand une couleur pure est contrastée avec une autre couleur plus faible, le
volume de celle-ci doit être augmenté en proportion.

PROPOSITION 20.

Chaque couleur a une variété de teintes qu’on obtient par le mélange avec d’autres couleurs, outre
la série des tons et des nuances obtenues par son mélange à divers degrés avec le blanc
et le noir : ainsi en jaune nous avons — le jaune orangé d’un côté et le jaune citron de
l’autre ; de même qu’en rouge — le rouge écarlate et le rouge cramoisi ; et dans
chacune de ces couleurs il y a toutes les variétés de tons et de nuances.

Lorsqu’une primaire, teintée d’une autre primaire, est contrastée avec une
secondaire, la secondaire doit avoir une teinte de la troisième primaire.

PROPOSITION 21.

En employant les couleurs primaires sur des surfaces modelés, on doit


placer le bleu, qui se retire, sur les surfaces concaves ; le jaune, qui s’avance,
sur les surfaces convexes ; et le rouge, la couleur intermédiaire, sur les
dessous ; ayant soin de détacher les couleurs avec du blanc appliqué aux plans
verticaux.
Si l’on ne peut pas se procurer les proportions requises par la proposition 18, on peut obtenir la
balance en opérant un changement dans les couleurs mêmes : ainsi si les surfaces il
colorier fournissent trop de jaune il faut rendre le rouge plus cramoisi et le bleu plus
pourpré — c’est à dire, qu’il faut en retirer le jaune ; de même si les surfaces
fournissent trop de bleu, il faut rendre le jaune plus orangé et le rouge plus écarlate.

PROPOSITION 22.

13
Les différentes couleurs doivent être mélangées et fondues de manière que
les objets coloriés, vus à distance, représentent un éclat neutralisé.

PROPOSITION 23.

Une composition ne peut être parfaite s’il y manque l’une ou l’autre des
trois couleurs primitives, soit dans son état naturel soit à l’état de
combinaison.

PROPOSITION 24.

Lorsque deux nuances de la même couleur sont juxtaposées, la nuance


claire en paraîtra plus claire, et la nuance foncée plus foncée.

PROPOSITION 25.

Quand deux couleurs différentes se trouvent en juxtaposition l’une de


l’autre, elles subissent une modification double : d’abord à l’égard du ton (la
couleur claire paraissant plus claire, et la couleur foncée paraissant plus
foncée) ; puis, à l’égard de la teinte, car chacune des deux couleurs se teindra
de la couleur complémentaire de l’autre.

PROPOSITION 26.

Les couleurs paraissent plus foncées sur des fonds blancs ; et plus claires
sur des fonds noirs.

PROPOSITION 27.

Les fonds noirs souffrent, quand ils se trouvent opposés aux couleurs qui
fournissent un complémentaire lumineux.

PROPOSITION 28.

Il ne faut permettre dans aucun cas que les couleurs se touchent au point de
se mêler à leur ligne de contact.

14
PROPOSITION 29.

Quand des ornements de couleur se trouvent sur un fond d’une couleur qui
contraste avec celle des ornements, il faut détacher ceux-ci du fond par un
bord d’une couleur plus claire ; ainsi une fleur rouge sur un fond vert doit
avoir les contours d’un rouge plus clair.

PROPOSITION 30.

Quand des ornements de couleur se trouvent sur un fond d’or, il faut les
détacher du fond par des contours d’une couleur plus foncée.

PROPOSITION 31.

Les ornements d’or sur un fond de couleur quelconque doivent avoir leurs
contours tracés en noir.

PROPOSITION 32.

Les ornements d’une couleur quelconque peuvent se détacher des fonds


d’une autre couleur quelconque, au moyen de bordures en blanc, en or ou en
noir.

PROPOSITION 33.

Sur les fonds blancs ou noirs, on peut employer des ornements de


n’importe quelle couleur, de même que des ornements d’or, sans qu’il soit
nécessaire d’y faire des bordures ou des contours.

PROPOSITION 34.

Dans les tons ou les nuances de la même couleur, une teinte claire peut
s’employer sur un fond sombre sans contours ; mais un ornement sombre sur
un fond clair exige des contours marqués avec un ton encore plus foncé.

15
PROPOSITION 35.

Les imitations des bois et des différents marbres colorés, ne sont permises
qu’autant que l’emploi de l’objet même qu’on imite ne serait pas déplacé là
où figure l’imitation.

PROPOSITION 36.

Les principes qu’on peut découvrir dans les œuvres du passé nous
appartiennent — mais il n’en est pas de même des résultats. C’est méprendre
le but pour les moyens.

PROPOSITION 37.

Il ne pourra y avoir aucun progrès dans les arts de la génération actuelle,


qu’autant que toutes les classes, les artistes, les manufacturiers et le public,
seront mieux élevés en fait d’art et que l’existence des principes généraux sera
reconnue plus complètement.

16
LISTE DES PLANCHES.

CHAP. I. Ornements de Tribus sauvages.


Planches. Nos.

1 1 Ornements pris d'objets appartenant à diverses


Tribus sauvages, exposés au musée Britannique et
celui du Service Uni.
2 2 Idem idem
idem.
3 3 Idem idem
idem.

CHAP. II. Ornements Egyptiens.

4 1 Le lotus et le papyrus, types des ornements


égyptiens.
5 2 Idem idem, avec des plumes et
des branches de palmier.
6 3 Chapiteaux de colonnes, montrant les applications
variées du lotus et du papyrus.
6* 3* Idem idem
idem.

17
7 4 Différentes corniches, formées du lotus pendant.
8 5 Ornements pris de cercueils de momies, qui se
trouvent au musée Britannique et à celui du Louvre.
9 6 Ornements géométriques de plafonds de tombeaux.
10 7 Ornements à lignes courbes de plafonds de
tombeaux.
11 8 Divers ornements de plafonds et de murs de
tombeaux.

CHAP. III. Ornements Assyriens et Perses.

12 1 Ornements peints de Ninive.


13 2 Idem idem
14 3 Ornements sculptés de Persépolis, et ornements
sassanides

CHAP. IV. Ornements Grecs.

15 1 Formes diverses du méandre grec.


16 2
17 3
18 4 Ornements de vases grecs et étrusques, qui se
19 5 trouvent au musée Britannique et au Louvre.
20 6
21 7

18
22 8 Ornements grecs peints, des temples et des
tombeaux, en Grèce et en Sicile.

CHAP. V. Ornements Pompéiens.

23 1 Collection de bordures de différents édifices à


Pompeï.
24 2 Idem de pilastres et de frises idem.
25 3 Mosaïques prises de Pompeï et du musée de
Naples.

CHAP. VI. Ornements Romains.

26 1 Ornements romains pris de plâtres qui se trouvent


au Palais de Cristal, Sydenham.
27 2 Idem idem, du musée Brescian.

CHAP. VII. Ornements Byzantins.

28 1 Ornements byzantins sculptés.


29 2 Idem idem, peints.
29* 2* Idem idem, idem.
30 3 Mosaïques.

CHAP. VIII. Ornements Arabes.

19
31 1 Ornements arabes du Caire, du neuvième siècle.
32 2 Idem idem, du treizième siècle.
33 3 Idem idem idem.
34 4 Partie d’un exemplaire enluminé du Coran.
35 5 Mosaïques prises de murs et de pavés de maisons
du Caire.

CHAP. IX. Ornements Turcs.

36 1 Ornements en relief de mosquées, de tombeaux et


de fontaines à Constantinople.
37 2 Ornements peints de la mosquée de Soliman à
Constantinople.
38 3 Décoration du dôme du tombeau de Soliman 1er à
Constantinople.

CHAP. X. Ornements Mauresques de l’Alhambra.

39 1 Variétés d’ornements entrelacés.


40 2 Douelles d’arches.
41 3 Diaprés en losanges.
41* 3* Idem idem.
42 4 Diaprés en carrés.
42* 4* Idem idem.
42† 4† Idem idem.
43 5 Mosaïques.
20
CHAP. XI. Ornements Perses.

44 1 Ornements de manuscripts perses, au musée


Britannique.
45 2 Idem idem
idem.
46 3 Idem idem
idem.
47 4 Idem d’un livre d’échantillons d’un manufacturier
perse, musée de South Kensington.
47* 4* Idem idem
idem.
48 5 Idem d’un manuscript perse, musée de South
Kensington.

000CHAP. XII. Ornements Indiens.

49 1 Ornements d’ouvrages en métaux de l’Exposition


de 1851.
50 2
Idem d’étoffes brodées et tissées et de vases
51 3 peints, exposés en 1851, dans le département
52 4 indien.

53 5 Spécimens de laques peints de la collection


53* 5* de la Cie des Indes.

21
54 6
54* 6*

55 7 Ornements d’étoffes tissées et brodées et de boites


peintes, exposées à Paris en 1855.

0 000CHAP. XIII. Ornements Hindous.

56 l Ornements d’une statue qui se trouve à l’« Asiatic


Society’s House ».
57 2 Idem de la collection du Palais de Cristal,
Sydenham.
58 3 Idem de la collection de la Cie des Indes.
0
0 000CHAP. XIV. Ornements Chinois.
0
59 1
60 2 Ornements chinois peints sur porcelaine et
sur bois, et ornements d’étoffes tissées.
61 3
62 4 Reproduction conventionnelle de fruits et de fleurs.
0
0 000CHAP. XV. Ornements Celtiques.
0

22
63 1 Ornementation lapidaire.
64 2 Styles entrelacés.
65 3 Ornement spiral, diagonal, zoomorphique, et anglo-
saxon d’une époque plus rapprochée.

0 000CHAP. XVI. Ornements Moyen-âge.


0
66 1 Feuilles et fleurs conventionnelles prises de
manuscripts enluminés.
67 2 Bordures de manuscripts enluminés et de peintures.
67* 2* Idem idem idem.

68 3 Ornements diaprés pris de manuscripts enluminés


et de fonds de tableaux.
69 4 Vitraux peints de différentes périodes.
69* 4* Idem idem.
70 5 Carreaux encaustiques idem.

MANUSCRIPTS ENLUMINÉS.

71 1 Parties de manuscripts enluminés du douzième et


du treizième siècle.
72 2 Idem idem du treizième et
du quatorzième siècle.
73 3 Idem idem du quatorzième
et du quinzième siècle.

23
0
0 000CHAP. XVII. Ornements du style Renaissance.
0
74 2
Ornements en relief, style de la renaissance,
75 1 d'après des photographies de plâtres qui se
76 1 trouvent au Palais de Cristal, Sydenham.
77 4 Émaux pris du Louvre et de l'Hôtel Cluny.
78 5 Ornements de poterie, musée de South Kensington.
79 6 Idem idem, Hôtel Cluny et le Louvre.
80 7 Idem idem, idem.
81 8 Ornements sur pierre et sur hois, des
82 9 collections du Louvre et de l'Hôtel Cluny.
0
0 000CHAP. XVIII. Ornements du temps d’Élisabeth.
0
83 l Divers ornements en relief à partir du temps
de Henri VIII. jusqu'à celui de Charles II.
84 2

85 3 Ornements peints et ornements d'étoffes tissées,


idem.
0
0 000CHAP. XIX. Ornements Italiens.
0
86 1 Pilastres et ornements du « loggie » du Vatican, pris
24
sur une échelle réduite, des peintures de grandeur
naturelle, musée de South Kensington.
86* 1* Idem idem idem idem.
87 2 Ornements du palais ducal, Mantoue.
88 3 Idem, du palais ducal et de l'église de St.
André, Mantoue.
89 4 Idem, du palais del Te, Mantoue.
90 5 Ornements pris de livres imprimés.
0
0 000CHAP. XX. Feuilles et Fleurs d’après Nature.
0
91 1 Feuilles de marronnier d'Inde, grandeur naturelle.
92 2 Feuilles de vigne, idem.
93 3 Feuilles de lierre, idem.
94 4 Feuilles de chêne, de figuier, d'érable, de bryonne,
de laurier, et de laurier à baie, grandeur naturelle.
95 5 Feuilles de vigne, de houx, de chêne de Turquie et
de laburne, grandeur naturelle.
96 6 Rose sauvage, lierre et murier de ronce, grandeur
naturelle.
97 7 Aubépine, if, lierre et fraisier.
98 8 Diverses fleurs représentées à plat et en élévation.
99 9 Chèvre-feuille et convolvulus, grandeur naturelle.
100 10 Grenadilles.

25
CHAPITRE I. — PLANCHES 1,2, 3.

ORNEMENTS DE TRIBUS
SAUVAGES.

PLANCHE I.
1. Toile. Otahiti. — MUSÉE DU SERVICE-UNI.
2. Nattes de Tonga-Tabou. Îles des Amis.
3. Toile. Otahiti. — M.S.U.
4. Toile. Îles Sandwich. — M.S.U.
5-8. Toiles. Îles Sandwich. — MUSÉE
BRITANNIQUE.
9. Nattes de toile de Tonga-Tabou. Îles des
Amis.
10. Toile. Otahiti. — M.S.U.
11. Toile. Îles Sandwich. — M.B.
12. Toile.
13. Toile faite du murier à papier. Îles Fidji. —
M.B.

26
PLANCHE II.
1. Amérique du Sud. — MUSÉE DU SERVICE-
UNI.
2. Îles Sandwich. — M.S.U.
3. Owaïhi. — M.S.U.
4. Nouvellen Hébrides. Bouclier incrusté. —
M.S.U.
5. Îles Sandwich. — M.S.U.
6. Îles de la mer du Sud. — M.S.U.
7. Îles Sandwich. — M.S.U.
9, 10. Tahiti. Hachette. — M.S.U.
11, 12. Îles des Amis. Tambour. — M.S.U.
13, 14. Tahiti. Hacette. — M.S.U.
15. Îles Sandwich. — M.S.U.
16, 17. Nouvelle Zélande. — M.S.U.
18-20. Îles Sandwich. — M.S.U.

PLANCHE III.
1. Owaïhi. Massue. — MUSÉE DU SERVICE-
UNI.
2. Îles Sandwich. Massue — M.S.U.
3. Nouvelle Zélande. Patoo-Patoo. — M.S.U.
4. Tahiti. Hachette. — M.S.U.
27
5. Nouvelle Zélande. Pagaie. — M.S.U.
6. Nouvelle Zélande. Pagée, ou massue de
guerre — M.S.U.
7. Îlee de la mer du Sud. Massue de guerre —
M.S.U.
8. Mouche, grandeur naturelle de la figure 5.
— M.S.U.
9. Îles Fidji. Massue. — M.S.U.

L E témoignage universel des voyageurs tend à établir le


fait qu’il n’y a guêre de peuple, quelque primitif que soit
l’état de sa civilisation, chez lequel le désir de
l’ornementation n’existe comme un instinct très-prononcé !
Ce désir qui ne fait défaut à aucune notion, croit et
augmente en raison des progrès qu’elle fait dans la
civilisation. Partout l’homme se sent ému et pénétré des
beautés de la nature dont il est entouré, et il cherche à
imiter, dans les limites de son pouvoir, les œuvres du
Créateur.
La première ambition de l’homme est de créer. C’est à ce
sentiment qu’il faut attribuer la pratique de se tatouer la
figure et le corps, à laquelle le sauvage à recours, soit pour
rehausser l’expression par laquelle il cherche à frapper

28
d’épouvante ses ennemis ou ses rivaux, soit pour créer ce
qui lui apparaît comme une beauté nouvelle [1]. Comme
nous avançons en montant l’échelle, depuis les décorations
d’une tente ou d’un wigwam, jusqu’aux œuvres sublimes de
Phidias et de Praxitèle, nous trouvons le même sentiment
qui se manifeste partout : la plus haute ambition de
l’homme est toujours de créer, de graver sur cette terre
l’empreinte de l’esprit individuel.
De temps en temps un esprit plus puissant que ceux qui
l’entourent, parvient à marquer de son empreinte toute une
génération, entraînant avec lui une multitude d’esprits
moins forts, qui le suivent dans la même voie, mais pas
d’assez près pour détruire l’ambition individuelle de créer ;
c’est là, la cause des styles et des modifications de ces
styles. Les efforts d’un peuple dans la première phase de la
civilisation ressemblent aux efforts de l’enfance, lesquels
malgré le défaut de vigueur qu’ils trahissent, possèdent une
grave, une naïveté qu’on trouve rarement à l’âge moyen et
jamais au déclin de l’âge viril. Il en est de même de
l’enfance des arts. Cimabue et Giotto ne possèdent ni le
charme matériel de Raphaël ni la puissance mâle de Michel-
Ange, mais ils surpassent l’un et l’autre en grace et en
vérité. L’abondance même des moyens dont nous disposons
nous porte à en abuser : tant que l’art lutte, il réussit ; dès
qu’il s’abandonne aux délices de ses succès, le succès le
fuit. Le plaisir que nous ressentons en contemplant les
tentatives grossières d’ornementation de la plupart des
tribus sauvages, a sa source dans notre appréciation de la

29
difficulté vaincue ;
nous sommes charmés
de l’évidence de
l’intention, et surpris en
même temps des
procédés simples et
ingénieux à l’aide
desquels le résultat a
été obtenu. Ce que nous
cherchons dans une
œuvre d’art, qu’elle soit
humble ou prétentieuse,
c’est l’évidence de
l’esprit — l’évidence
de ce désir de créer
dont nous avons parlé,
Tête de femme de la Nouvelle Zélande, musée et tous ceux qui sont
de Chester. animés de l’instinct
naturel, se réjouiront de
trouver ce désir développé dans les autres. C’est étrange,
mais c’est un fait, que cette évidence de l’esprit se trouve
plus facilement dans les tentatives grossières
d’ornementation d’une tribu sauvage, que dans les
productions innombrables de la civilisation la plus avancée.
L’individualité décroît en proportion des moyens de la
production. Lorsque l’art est fabriqué, pour ainsi dire, par
des efforts combinés au lieu d’avoir son origine dans
l’effort individuel, nous cherchons en vain à y reconnaître

30
ces instincts vrais qui constituent le principal charme des
arts.
Planche I. Les ornements sur cette planche sont pris de
quelques parties de vêtements faits principalement
d’écorces d’arbres. Les dessins N°. 2 et N°. 9 sont
empruntés à une robe que M. Oswald Brierly a apportée de
Tonga-Tabou, l’île principale du groupe des îles des Amis.
Elle est faite de feuilles minces de l’écorce intérieure d’une
espèce d’althéa, aplaties et jointes ensemble de manière à
former un parallélogramme de toile, qu’on panse plusieurs
fois autour du corps en guise de jupon, laissant à nu la
poitrine, les bras et les épaules, et qui forme le seul
vêtement des indigence. Il ne pourrait rien y avoir de plus
primitif, et pourtant l’arrangement du dessin trahit un goût
des plus raffinés et une habileté consommée. N°. 9
représente la bordure à l’extrémité de la toile ; il serait
difficile de faire mieux avec les mêmes ressources limitées.
Les dessins sont formés à l’aide de petits poinçons de bois,
et quoique le travail soit un peu grossier et d’une exécution
irrégulière, l’intention s’y révèle partout. On est frappé, en
même temps, de Phabileté avec laquelle les masses sont
balancées, et du remède judicieux employé pour corriger la
tendance de l’œil à se porter dans une et même direction,
moyennant des lignes opposées qui tendent dans une
direction contraire.
Lorsque M. Brierly visita l’île, une seule femme
fournissait tous les dessins qui y étaient en usage, et pour
chaque nouveau dessin, elle recevait comme récompense un

31
certain nombre de mètres de toile. Le dessin N°. 2 qui vient
du même endroit, contient également une leçon admirable
de composition que nous pouvons tirer d’un artiste
appartenant à une tribu sauvage. Il ne peut y avoir rien de
plus judicieux que l’arrangement général des quatre carrés
et des quatre points rouges. Sans les points rouges sur le
fond jaune, il y aurait eu un grand manque de repos dans
l’arrangement général ; sans les lignes rouges qui entourent
les taches rouges et qui servent à soutenir le rouge i. travers
le jaune, l’arrangement aurait encore été imparfait. Si les
petits triangles rouges au lieu d’être tournés en dedans,
avaient été tournés en dehors, le repos du dessin aurait
également été perdu, et l’effet produit sur l’œil aurait été
louche ; tandis qu’actuellement l’œil se trouve concentré
dans chaque carré, et concentré dans chaque groupe, au
moyen des points rouges qui entourent le carré central. Les
poinçons qui forment le dessin sont fort simples, chaque
triangle de même que chaque feuille étant un poinçon
détaché ; nous voyons par là, qu’un outil fort simple
placé entre les mains de la personne la moins cultivée, mais
qui se laisse guider par l’observation instinctive des formes
qui prévalent dans l’arrangement de toutes les œuvres de la
nature, conduirait facilement à la création de tous les
arrangements géométriques de la forme
que nous connaissons. L’étoile à huit pointes
qui se trouve au coin supérieur à gauche du
dessin N°. 2, est formée par l’application huit
fois réitérée du même outil ; de même que la
fleur noire avec seize pointes tournées en dedans et seize
32
autres tournées en dehors. Les dessins les plus
compliqués des mosaïques byzantines,
arabes et mauresques pourraient s’engendrer
par les mêmes moyens. La production d’un
effet large et général par la répétition de
quelques éléments simples, c’est là le secret
du succès dans toute espèce d’ornementation : Il vaut mieux
viser à la variété dans l’arrangement des différentes parties
du dessin, que la chercher dans la multiplicité des formes
variées.
L’impression des dessins sur les objets d’habillement,
que ceux-ci soient faits de peaux d’animaux ou de
matériaux comme celui dont nous traitons ici, serait le
premier pas fait vers l’ornementation, après le tatouage du
corps, à l’aide d’un procédé analogue. Dans l’un comme
dans l’autre il resterait plus d’originalité
et plus d’individualité, que dans les
procédés subséquents qui deviendraient
de plus en plus mécaniques. Ces
premières notions du tissage, qui
naitraient du procédé de tresser la paille
ou les bandes d’écorce, au lieu de s’en
servir en feuilles minces, auraient
également pour résultat de former par
degré l’esprit à l’appréciation de la juste
disposition des masses : l’œil du sauvage, accoutumé
comme il l’est de ne contempler que les harmonies de la
nature, ne tarderait pas de se pénétrer de la perception d’une

33
vraie balance de la forme et de la couleur. Le fait est que
cela est arrivé déjà, et nous trouvons que dans les ornements
des sauvages, la balance de l’une et de l’autre est toujours
maintenue fidèlement.
Après la formation des ornements à l’aide de
l’impression et du tissage, suivrait naturellement le désir de
former des ornements en relief ou en sculpture. Les armes
pour la défense et pour la chasse seraient les premières à
réclamer et a captiver l’attention. Les hommes les plus
braves et les plus capables concevraient le désir de se
distinguer de leurs semblables par la possession d’armes
non seulement plus utiles, mais aussi plus belles. Après
avoir trouvé par l’expérience, la forme la plus convenable et
la mieux adaptée pour atteindre à ce but, le désir naîtrait,
tout naturellement, d’enrichir la surface au moyen de la
sculpture ; et l’œil étant déjà accoutumé aux formes
géométriques produites par le tissage, la main s’évertuerait
bientôt à imiter ces formes par la répétition semblable
d’autant d’entailles faites avec le couteau. Les ornements
sur la planche II. décèlent cet instinct clairement et
pleinement. Ils sont exécutés avec la plus grande précision
et trahissent beaucoup de goût et de jugement dans la
distribution des masses. Les numéros 11 et 12 sont fort
intéressants, en ce qu’ils font voir jusqu’à quel point ce goût
et ce jugement peuvent se déployer dans la formation des
dessins géométriques, pendant que les dessins qui résultent
de la combinaison des lignes courbes, et ceux de la forme
humaine surtout, restent à l’état le plus primitif.

34
Avant de canot, Nouvelle Guinée.

Avant de canot, Nouvelle Guinée.


Les ornements représentés dans les
gravures sur bois placées ci-dessus
Dessin pris du flan trahissent un bien plus haut degré
d’un canot, d’avancement dans la distribution des
Nouvelle Zélande. lignes courbes ; la corde torse en forme le
type comme elle serait le type de toutes les lignes courbes
dans l’ornementation. L’union de deux torons, joints pour
leur donner une force additionnelle, ne tarderait pas à
accoutumer l’œil à la ligne spirale, forme que nous trouvons

35
dans les ornements de toutes les tribus sauvages, côte à côte
avec les dessins géométriques formés par l’entrelacement
de lignes égales ; et la même forme est retenue dans l’art
plus avancé de toutes les nations civilisées.
L’ornement d’une tribu sauvage, étant le résultat d’un
instinct naturel, est nécessairement toujours la vraie et
fidèle expression du but proposé ; tandis que dans bien des
ornements des nations civilisées, la première impulsion qui
engendre des formes reçues, se trouve affaiblie par la
constante répétition, de manière que l’ornement est parfois
déplacé, car au lieu de chercher d’abord la forme la plus
convenable pour y ajouter ensuite la beauté, on détruit la
beauté en détruisant la convenance, à force d’accumuler
l’ornement sur une forme mal-conçue. Si nous voulons
rentrer dans une voie plus saine, il faut que nous fassions
comme les petits enfants, ou comme les sauvages ; il faut
nous défaire des notions accises et des moyens artificiels,
pour recommencer à suivre et à développer les instincts de
la nature.
La belle pagaie de la Nouvelle Zélande, planche III., Nos.
5-8, pourrait rivaliser avec les œuvres de la civilisation la
plus avancée : [2] il n’y a pas une ligne sur la surface qui
soit déplacée. La forme générale est des plus élégantes, et la
décoration est partout on ne peut mieux adaptée à
développer la forme. Un manufacturier moderne, avec ses
raies et ses carreaux, aurait continué à travers la pelle, les
bandes ou anneaux qui entourent le manche. Le sauvage de
la Nouvelle Zélande a tiré de son instinct une inspiration

36
plus heureuse. Il a voulu, non
seulement que son aviron fût fort,
mais qu’il en eût l’apparence et il a
disposé ses ornements de manière à
donner à la pagaie une apparence de
force bien plus grande qu’elle
n’aurait eu, si la surface en était
restée dépourvue de décoration. La
bande centrale dans la longueur de
la pelle se continue tout autour de
l’autre côté, joignant la bordure sur
l’arête, laquelle fixe elle-même
toute les autres bandes. Si ces
bandes avaient terminée comme
celle du centre, elles auraient eu
l’apparence de tomber en glissant. Il
n’y avait que celle du centre qui pût
continuer comme elle le fait sans
troubler le repos.
La forme bombée du manche aux
points où il fallait un poids
additionnel, est conçue et ménagée
admirablement, et la croissance du
bombement est parfaitement définie
par le dessin plus hardi des anneaux.
Massue, Archipel de l’Est

37
Manche de pagaie — M. B.

38
39
40
1. ↑ Le tatouage de la tête prise du musée de Chester et reproduite sur la
page suivante, est digne de remarque, en ce qu’il démontre que même
dans ou usage si barbare, se manifestent les principes les plus éleva de
l’art de l’ornementation ; chaque ligne tracée sur la figure est on ne peut
mieux adaptée à en développer les traits naturels.
2. ↑ Le capitaine Cook, de même que d’autres voyageurs, parle maintes fois
du goût et du génie des habitants des îles de la mer Pacifique et des mers
du Sud : citant comme exemples, des étoffes peintes « d’une variété de
figures infinie, à tel point qu’on serait tenté de croire, qu’ils ont emprunté
leurs dessins à un magasin de mercier, contenant une collection des
produits les plus élégants de la Chine et de l’Europe, sans compter les
dessins originaux qui leur appartiennent en propre. » Mention est faite
aussi, presque constamment, des « mille différents dessins » de leurs
paniers et de leurs nattes, ainsi que de la fantaisie déployée dans leurs
riches sculptures et dans leurs coquillages incrustés. Voyez The Three

41
Voyages of Captain Cook, 2 vol. Lond. 1841-43 ; Voyage au Pole du Sud,
par DUMONT D’URVILLE, 8 vo. Paris, 1841 ; Id. Allas d’Histoire, fol. ;
Natural History of Mas, par PRICHARD, Lond. 1855 ; Native Races of
Indian Archipelago, par J. W. EARLE, Loud. 1852 ; General History and
Collection of Voyages and Travels, par KERR, LONDRES, 1811-17.

42
CHAPITRE II. — PLANCHES 4, 5, 6, 7, 8, 9,
10, 11.

ORNEMENTS ÉGYPTIENS.

PLANCHE IV.
1. Le lotus dessiné d’après nature.
2. Représentation égyptienne du lotus.
3. Autre représentation du lotus, dans un état
différent de croissance.
4. Trois plantes de papyrus, et trois lotus en
pleine fleur avec deux boutons, dans la
main d’un roi, comme offrande à un dieu.
5. Lotus en pleine fleur avec deux boutons,
attachés avec des rubans, type des
chapitaux des colonnes égyptiennes.
6. Lotus avec des boutons, en forme de
colonne, entouré de natte, d’après une
peinture représentant le portique d’un
temple.
43
7. Base de la tige du papyrus dessiné d’après
nature ; type des bases et des fûts des
colonnes égyptiennes.
8. Bouton entr’ouvert du papyrus, dessiné
d’après nature.
9. Autre bouton dans un état moins avancé de
croissance.
10. Représentation égyptienne de la plante de
papyrus ; type complet du chapiteau, du
fût et de la base des colonnes
égyptiennes.
11. Même représentation, combinée avec des
boutons de lotus, des raisins et du lierre.
12. Combinaison du lotus et du papyrus,
représentant une colonnes entourée de
nattes et de rubans.
13. Représentation égyptienne du lotus avec ses
boutons.
14, Représentation du papyrus, d’après
15. une peinture égyptienne.
16. Représentation de plantes qui croissent dans
le désert.
17. Représentation du lotus et du papyrus dans
le Nil
18. Autre variété de plante du désert.

44
PLANCHE V.
1. Éventail fait de plumes, placées dans une
tige de bois en forme de lotus.
2. Plumes d’ornements de la têtière des
chevaux des chars royaux.
3. Autre genre, d’Aboo-Simbel.
4. Éventails faits de feuilles sèches.
5. Idem.
6. Éventails.
7. Coiffure royale.
5. Idem.
9. Représentation d’une espèce de lotus.
10. Le vrai lotus.
11. Insignes portés par certains officiers du
temps des Pharaon.
12. Autre genre.
13-15. Vase en or émaillés en forme de lotus.
16. Gouvernail orné de lotus et de l'œil,
représentant la divinités.
17. Idem, autre genre.
18,19. Bateaux faits de plantes de papyrus liées
ensemble.

PLANCHE VI.

45
1. Chapiteau des grosses colonnes du temple
de Luxor, Thèbes, du temps d’Amunoph
III., 1250 A.C., selon Sharpe. Il
représente le papyrus en pleine fleur, et
tout autour se trouvent alternativement
des boutons de papyrus et de lotus.
2. Chapiteau des plu spetites colonnes du
Mémnonium, Thèbes, 1200 A.C. Il
représente un seul bouton du papyrus
orné des fasces pendantes coloriées,
qu’on voit sur les représentations peintes
des colonnes de la planche IV., Nos. 5, 6,
12.
3. Chapiteau des plus petites colonnes du
temples de Luxor, 1250 A.C.,
représentant huit boutons de papyrus
attachés ensemble, et ornés de fasces
pendantes et coloriées.
11. Chapiteau du temple hypèthre inachevé de
l’île de Philé — période romaine, 140
A.C. — composé de la plante du papyrus
dans trois états différents de croissance
placée sur trois rangées : la première
composée de quatre papyrus en pleine
fleur et de quatre autres grands
entièrement épanouis ; la seconde
composée de huit fleurs épanouis, plus
petites ; et la troisième, composée de
seize boutons : formant en tout un

46
faisceau de trente-deux plantes. On peut
tracer la tige de chaque plante, à la
grosseur et à la couleur de sa côté,
jusqu’aux bandes horizontales ou fasces.
Voyez planche IV., Nos. 5, 6, 12
12. Chapiteau du temple à Koom-Ombos,
formé du papyrus entièrement
développé, entouré de différents fleurs.
13. Chapiteau du temple principal de Philé,
représentant deux rangées papyrus dans
trois états de croissance. La première
rangée, composée de huit plantes, quatre
en pleine fleur et quatre tout épanouies ;
la seconde rangée, composée de huit
boutons : faisant seize plantes. Dans ce
chapiteau, la forme circulaire n’est pas
dérangée comme dans le No. 11.
14. Chapiteau du temple hypètre inachevé de
Philé, composé de trois rangées de
plantes de papyrus, dans trois états
différents de croissance. La première
rangée a huit plantes en pleine fleur, et
huit autres qui s’épanouissent ; la
seconde rangée, seize fleurs épanouies ;
et la troisième rangée, trente-deux
boutons de papyrus : en tout soixante
quatre plantes. La tige de chaque plante
se distingue par sa grosseur et sa
couleur, et se prolonge jusqu’aux bandes

47
horizontales qui les lient ensemble
autour du fût.
15. Chapiteau du portique d’Edfu, 145 A.C.,
représentant le palmier, orné de neuf
branches. Les fasces horizontales du
chapiteau, en forme de palmier, différent
des fasces de tous les autres chapiteaux,
en ce qu’il y a toujours une ganse
pendante.

PLANCHE VI*.
4. Chapiteau d’un temple dans l’oasis de
Thèbes, représentant une collection de
plantes aquatiques, à tiges triangulaires
attachées autour dÆun seul papyrus en
pleine fleur.
5. Chapiteau pris du portique d’Edfa, 145
A.C., d’une structure semblable à celle du
No. 4.
6. Chapiteau du principal temple de l’île de
Philé, 106 A.C. Papyrus en pleine fleur
entouré d’autres plantes de la même
espèce dans différents états de
croissance.
7. Chapiteau d’un temple dans l’oasis de
Thèbes.

48
8. Chapiteau de la colonnade de l’île de Philé,
représentant seize fleurs de lotus liées
ensemble sur trois rangées, vues en
élévation.
9. Chapiteau No. 8, vu en perspective.
10. Chapiteau d’un temple dans l’oasis de
Thèbes, représentant huit fleurs de lotus
liées ensemble sur deux rangées.
15. Chapiteau du temple hypèthre inachevé de
Philé, composé de papyrus dans deux
différents états de croissance, placé sur
trois rangées. La première, composée de
quatre plantes en pleine fleur, et de
quatre hautre qui s’épanouissent ; la
seconde, composée de huit ou pleine
fleur mais plus petites ; et la troisième,
de seize encore plus petites.
17. Chapiteau, forme gréco-égyptienne, mais
datant de la période romaine, très
remarquable en ce qu’il montre combiné
ensemble, les éléments égyptiens et
grecs savoir : papyrus, dans deux états
différents de croissance, accompagné de
l’acanthe et des tendrons du chèvre-
feuille.

PLANCHE VII.

49
1. Orenement de la partie supérieure des murs
d’un tombeau de Benibassan.
2. Idem, Idem.
3. Idem, de Karnac, Thèbes.
4. Idem, de Gourna, Thèbes.
5. Idem, de Sakhara.
6. Décoration de la moulure, dite torus, de
quelques-unes des plus anciennes
tombes dans le voisinage des pyramides
de Gizé.
7-9. Pris d’un sarcophage en bois.
10. Pris des tombeaux d’El Kab.
11. Pris des tombeaux de Bénihasran.
12. Pris des tombeaux de Gourna.
13. Idem.
14. Idem.
15. Pris d’un collier.
16. Pris de la partie d’un mur de tombeau, la
plus rapporchée du plafond, Gourna.
17-19.Diverses parties d’un collier.
20. Pris d’un mur de tombeau.
21. Pris d’un collier.
22. Pris de} la partie supérieure d’un mur de
tombeau, Sakhara.
23. Idem, Thèbes.
24. Pris d’un collier.
25. Pris d’un mur de tombeaua, Gourna.
26. Pris d’un sarcophage.
50
27. Pris du mur d’un tombeau.
28. Pris d’un sarcophage.
29. Pris de lapartie supérieure d’un tableau.
30. Arrangement de lignes pris de lambris
feints
31. Pris d’un sarcophage, Louvre.
32. Ornement du mur d’un tombeau à Gourna,
représentant le lotus à plat et en
élévation.
33. Pris d’un plafond à Medinet Haboo.
34. Arrangement de lignes pris de lambris
feints des tombeaux.
Les Nos 1-5, 10, 11, se trouvent toujours sur
la surface verticale, et sur la partie supérieure
des murs des tombeaux et des temples. Les Nos,
7-9, 12, 14, 18, 20, sont tous tirés des mêmes
éléments, savoir : du lotus dans une position
pendante, avec une grappe de raisins
intermédiaire. Cet ornement égyptien, d’un
usage si continuel, ressemble tellement dans
quelques-unes des ses formes, à la moulure
grecques connue généralement sous le nom de
moulure en quart de rond, que nous sommes
fortement portés à croire que la moulure grecque
en a tiré son origine. Les Nos. 13, 15, 24, 32,
font connaître un autre élément de
l’ornementation égyptienne, tirée des feuilles
séparées du lotus.

51
PLANCHE VIII.
Tous les ornements de cette planche sont pris
de caisses de momies qui se trouvent au musée
Britannique et au Louvre, et de même que ceux
de la planche précédente, ils sont formés, pour la
plupart, de la fleur du lotus et de feuilles
détachées de la m^me plante. Au-dessus des
feuilles de lotus du No. 2, il y a un ornement
blanc sur un plafond bigarré, un des plus anciens
ornements qui tire évidemment son origine de
l’entrelacement de torons de différentes
couleurs. La partie inférieure du No. 18 nous
représente un autre ornement très général, tiré
des plumes.

PLANCHE IX.
Les ornements de cette sont pris de dessins
originaux représentant des peintures qui ornent
des tombeaux dans différentes parties de
l’Égypte. Ils représentent principalement des
patrons qu’on pourrait produire au métier à
tisser, et au premier coup d’œil on peut voir que

52
c’est de là que la plupart tirent sans doute leur
origine.
Les Nos. de 1 à 8 représentent des nattes sur
lesquelles les rois se tenaient. Elles étaient
évidemment formées de pailles de différentes
couleurs. La tradition de cet état de l’art
décoratif à la formation de patrons, tels que nous
représentent les Nos. 9-12, 17-19, 21, a dû être
très rapide, et ces patrons ne sont très
probablement que les reproductions de tissus,
faits pour un usage journalier. Les Nos. 9 et 10
peuvent avoir suggéré aux Grecs l’idée de leur
méandre, à moins qu’ils n’y soient arrivés eux-
mêmes au suivant une voie semblable.
20. Pris du plafond d’un tombeau à
Gourna. Cet ornement représente le treillage
d’un mur de jardin, couvert d’une vigne,
ornement qui est loin d’être rare pour le plafond
convexes des petits tombeaux, et qui occupait
ordinairement tout le plafond de chaque
excavation, à l’époque de la dix-neuvième
dynastie.
21-23. Pris de caisses de momies d’une
période plus récente, musée du Louvre.

PLANCHE X.
53
1-5. Pris de caisses de momies d’une période
plus récente, musée du Louvre.
Arrangements géométriques de la feuille
de lotus.
6. Pris d’un tombeau à Thèbes. Chaque cercle
est formé de quatre fleurs de lotus et de
quatre boutons : l’étoile intermédiaire
veut probablement représenter quatre
feuilles de lotus.
7. Pris à Thèbes.
8, 9. Pris d’une caisse de momies.
10-24.Pris de plafonds de tombeaux dans
différentes parties de l’Égypte. Les Nos.
10, 13-16, 18-23, sont divers exemples
d’un ornement qui représente le
déroulement d’un tas de cordes, qui ne
peut avoir suggéré la première idée de la
volute. La ligne bleue continue du No.
24 est évidemment du même type.

PLANCHE XI.
1, 4, 6, 7. Pris d’un tombeau à Thèbes. ; ce sont
d’autres exemples de l’ornement en
corde, reproduit sur la dernière planche.
Les Nos. 2 et 3 sont des variétés du
genre d’ornement produit par un

54
arrangement d’étoiles, très général sur
les plafonds de tombeaux et de temples.
Le Nos 2 est formé sur des carrés, et le
Nos. 3, sur des triangles équilatéraux.
9. Pris d’une caisse de momies.
10. Pris de la broderie d’un manteau royal.
11-16.représentant différentes variétés de
bordures prises de peintures de
tombeaux.
17. Pris du vêtement d’une figure dans un des
tombeaux royaux de Biban et Moluk.
Cet ornement représente les écailles de
l’armure portée par les héros et les dieux
de l’Égypte.
18-20.Ornements semblables, dont les plumes des
oiseaux ont suggéré très probablement
l’idée première.
21. Ornement sur le vêtement du dieu Amun,
Aboosimbel.
22. Pris d’un fragment, — musée du Louvre.
23. Lambris feint provenant du tombeau de
Ramses, Biban el Moluk, représentant
probablement en diagramme, un bosquet
de papyrus ; car il occupe une position
semblable aux lambris feints d’une
période plus récente, qui étaient formés
des boutons et des fleurs du papyrus.
24. Pris d’un tombeau très ancien à Giza,
ouvert par le docteur Lopsius. La partie

55
supérieure représente le torus ordinaire
égyptien ; la partie inférieure provient du
lambris feint du même tombeau et fait
voir que la pratique d’imiter en
peinture ; les bois, date de l’antiquité la
plus reculée.

ORNEMENTS ÉGYPTIENS.

L’ ARCHITECTURE d’Égypte a cela de particulier, par


dessus tous les autres genres d’architecture, que plus le
monument est ancien, plus l’art en est parfait. Tous les
débris dont nous ayons connaissance représentent l’art
égyptien à l’état de décadence. Des monuments élevés deux
mille ans avant l’ère chrétienne, sont formés des ruines de
bâtiments encore plus anciens et plus parfaits. C’est ainsi
que nous nous trouvons portés en arrière vers une période
qui est trop éloignée de nos temps, pour que nous puissions
découvrir les vestiges de son origine ; et pendant que nous
pouvons tracer, en succession directe, comme descendante
de cette grande source mère, l’architecture grecque,
romaine, byzantine, avec ses rejetons, l’architecture arabe,

56
mauresque, et gothique, nous ne pouvons faire autrement
que de croire que l’architecture d’Égypte est un style
purement original, qui naquit avec la civilisation dans
l’Afrique centrale [1], passa à travers des siècles sans
nombre pour arriver au point culminant de la perfection, et
puis à l’état de décadence où nous le voyons actuellement.
Cet était est inférieur, sans doute, à la perfection inconnue
de l’art égyptien, mais il l’emporte de beaucoup sur tout c
qui suivit ; les Égyptiens ne sont inférieurs qu’à eux-
mêmes. Dans tous les autres styles nous pouvons tracer
l’avancement rapide, depuis l’enfance fondée sur quelque
style du passé, jusqu’au point culminant de la perfection, où
l’influence étrangère fut modifiée ou écartée et où
commença la descente vers ]a période d’une décadence
lente et languissante, s’entretenant aux frais de ses propres
éléments. Sur l’art égyptien nous ne voyons aucune trace
d’enfance ou d’influence étrangère ; d’où il faut conclure
que les Égyptiens puisaient leurs inspirations directement
aux sources de la nature. Cette rue est confirmée surtout par
l’examen de l’ornement égyptien ; les types en sont peu
nombreux, et ils sont tous des types naturels ; et la
représentation ne s’écarte du type que très légèrement. Mais
plus nous descendons l’échelle de l’art, plus nous trouvons
qu’on s’éloigne des types originaux ; à tel point, que dans
bien des ornements, tels que les ornements arabes et
mauresques, il est difficile de découvrir le type original
d’où l’ornement a été développé par les efforts successifs de
l’esprit.

57
Le lotus et le papyrus qui croissent aux bords de leur
rivière, symboles de la nourriture du corps et de l’esprit ; les
plumes d’oiseaux rares qu’on portait devant le roi, comme
emblème de la souveraineté ; le rameau du palmier, avec la
corde torse faite de ses tiges : tels sont les types peu
nombreux qui forment la base de cette immense variété
d’ornements avec lesquels les Égyptiens décoraient les
temples de leurs dieux, les palais de leurs rois, les
vêtements qui couvraient leur personne, leurs articles de
luxe ainsi que les objets modestes destinés à l’usage
journalier, depuis la cuiller en bois, avec laquelle ils
mangeaient jusqu’au bateau qui devait porter à travers le
Nil à la vallée des morts, leur dernière demeure, leurs corps
embaumés et ornés de la même manière. En imitant ces
types, les Égyptiens suivaient de si près la forme naturelle,
qu’ils ne pouvaient guère manquer d’observer les mêmes
lois que les œuvres de la nature déploient sans relâche ;
c’est pourquoi noua trouvons, que l’ornement égyptien, tout
en étant traité d’une manière conventionnelle, n’en est pas
moins toujours vrai. Nous n’y voyons jamais un principe
naturel appliqué mal à propos ou violé. D’un autre côté les
Égyptiens ne se laissaient jamais porter à détruire la
convenance et l’accord de la représentation par une
imitation du type par trop servile. Un lotus taillé en pierre,
formant le couronnement gracieux du haut d’une colonne,
ou peint sur les murs comme une offrande présentée aux
dieux, n’était jamais un lotus tel qu’on pourrait le cueillir,
mais une représentation architecturale de cette plante,
représentation on ne peut mieux adaptée, dans un ces
58
comme dans l’autre, au but qu’on avait en vue, car elle
ressemblait suffisamment au type pour réveiller dans ceux
qui la contemplaient l’idée poétique qu’elle devait inspirer,
mais sans blesser le sentiment de la convenance.
L’ornement égyptien se divise en trois sortes : l’ornement
de construction qui forme une partie du monument même,
étant le gracieux revêtement extérieur de la carcasse
intérieure ; l’ornement représentatif, rendu, cependant,
d’une manière conventionnelle ; et l’ornement purement
décoratif. L’ornement du reste, a quelque catégorie qu’il
appartînt, était, sans exception, symbolique, formé, comme
nous avons remarqué déjà, d’après quelques types peu
nombreux qui ne subirent que des changements très légers
durant toute la période de la civilisation égyptienne.
À la première espèce, savoir a l’ornement de
construction, appartiennent les décorations des parties qui
servent de supports ainsi que les membres qui forment le
couronnement des murs. La colonne qui n’avait que
quelques pieds de hauteur, de même que celle qui atteignait
la hauteur de quarante ou de soixante pieds, comme celles
de Luxor et de Karnac, n’était que la plante du papyrus de
grandes dimensions ; la base en représentait la racine ; le
fût, la tige ; et le chapiteau, la fleur tout épanouie entourée
d’un bouquet de plantes plus petites (No. 1, planche VI.),
jointes ensemble à l’aide de bandes. Non seulement une
série de colonnes représentait une forêt de papyrus, mais
chaque colonne par elle-même formait un bois ; et au
numéro 17 de la planche IV. nous avons la représentation

59
d’un bois de papyrus de différents degrés de croissance,
qu’on n’aurait qu’à réunir tels qu’ils sont à l’aide d’une
corde passé autour, pour avoir le fût égyptien et son
chapiteau richement orné ; et puis, nous avons aux numéros
5, 6, 10, 11, 12, planche IV, des représentations peintes, de
colonnes appartenant à des temples, dans lesquelles l’idée
générale est tracée de manière qu’il serait impossible de s’y
méprendre.
Nous sommes portés à croire que dans les temps reculés,
les Égyptiens avaient la coutume de décorer, des fleurs
indigènes du pays, les piliers de bois de leurs temples
primitifs ; et lorsque l’art chez eux prit un caractère plus
permanent, cette coutume se consolide, pour ainsi dire, sur
leurs monuments en pierre. Leurs lois religieuses leur
défendaient de changer ces formes qui étaient devenues
sacrées ; mais cette possession d’une seule idée motrice et
dominante était bien loin de conduire à l’uniformité, comme
nous pouvons voir nu premier regard jeté sur les planches
VI et VI*. Quinze (les chapiteaux que nous avons choisis
pour notre illustration ont pour type le lotus et le papyrus, et
pourtant, quelle variété ingénieuse ils présentent, quelle
leçon admirable ils nous donnent ! Depuis les Grecs jusqu’à
nos jours, le monde s’est contenté de la feuille d’acanthe
arrangée autour d’une comptine, pour former les chapiteaux
des colonnes de l’architecture classique, ne différant que
dans le modelé plus ou moins parfait des feuilles, ou dans
les proportions gracieuses ou dépourvues de grace de la
campagne ; la modification du plan n’a été tentée que fort

60
rarement. Et c’est ce qui n ouvert la voie du développement
si grand donné au chapiteau des Égyptiens ; commençant
avec le cercle, ils l’entourèrent successivement de quatre,
de huit, et de seize autres cercles. Si l’on tentait le même
changement dans le chapiteau corinthien, on ne manquerait
pas de produire un ordre de formes tout nouveau, tout en
retenant l’idée première d’appliquer la fouille d’acanthe à la
surface d’un vase façonné à l’instar d’une cloche.
Dans le fût de la colonne égyptienne, quand elle était
circulaire, on conservait l’idée de la forme triangulaire de la
tige du papyrus, moyennant trois lignes en relief, qui
diviseraient la circonférence en trois parties égales ; lorsque
la colonne était formée de quatre ou de huit fûts liés
ensemble, chacun de ces fûts était pourvu à la face
extérieure d’une arête saillante qui avait le même but. Le
couronnement ou corniche des batiments égyptiens était
décoré de plumes, qui étaient, à ce qu’il parait, l’emblème
de la souveraineté : tandis qu’au centre se trouvait le globe
ailé, emblème de la divinité.
La seconde espèce de l’ornement égyptien est le résultat
de la représentation conventionnelle d’objets réels sur les
murs des temples et des tombeaux ; et là aussi, dans les
représentation des offrandes présentées aux dieux, ou dans
celles des différents objets à l’usage journalier, de même
que dans les peintures des scènes réelles de la vie
domestique, chaque fleur, ainsi que tout autre objet, est
reproduite, non pas comme une réalité, mais comme une
représentation idéale. Ces représentations servaient, à

61
rappeler un fait en même temps qu’elles constituaient une
décoration architecturale, et il n’y avait pas jusqu’à
l’inscription hiéroglyphique qui n’ajoutât, par son
arrangement symétrique, à l’effet général. Le No. 4,
planche IV., nous fournit un exemple frappant dans la
représentation de trois plantes de papyrus et de trois fleurs
de lotus, avec deux boutons qu’un roi tient à la main
comme une offrande aux dieux. L’arrangement eu est
symétrique et gracieux, et nous y voyons que les Égyptiens,
en rendant le lotus et le papyrus d’une manière
conventionnelle, obéissaient instinctivement à cette loi que
nous trouvons partout dans les fleurs des plantes, à savoir :
le rayonnement des feuillet et de toutes les veines des
feuilles, s’élançant en courbes gracieuses de la tige mère ; et
ils ne suivaient pas seulement cette loi dans le dessin de
chaque fleur individuelle, mais ils l’observaient également,
en groupant plusieurs fleurs ensemble, comme on peut voir,
non seulement au No. 4, mais aussi dans la représentation
des plantes qui poussent dans le désert, représentation, qui
se trouve aux numéros 16 et 18 de la même planche, ainsi
qu’un numéro 13. Aux numéros 9 et 10, planche V., on voit
qu’ils ont tiré la même leçon, de la plume, qui est un autre
type d’ornement (il et 12, planche V.) ; le même instinct se
manifeste aux numéros 4 et. 5, où le type est une des
nombreuses espèces de palmiers, si communs dans ce pays.
La troisième espèce de l’ornement égyptien, c’est a dire
l’ornement qui est purement décoratif, ou qui paraît tel à
nos yeux, avait sans aucun doute également ses misons et

62
ses lois d’application, quoiqu’elles ne paraissent pas si
visibles pour nous. Les planches VIII., IX., X., XI., sont
dévouées à cette classe d’ornements tirés des peintures qui
se trouvaient sur des tombeaux, des vêtements, des
ustensiles, et des sarcophages. Ils se distinguent tous par
une symétrie gracieuse et une distribution parfaite. La
variété, qu’on peut produire du petit nombre de types dont
nous avons parlé, est fort remarquable.
Sur la planche XI. il y a des dessins de plafonds qui sont
apparemment des reproductions de dessins tissés. C’est la
direction que prennent les premières tentatives qu’un peuple
fait à produire des œuvres d’ornementation, tentatives qui
se manifestent, en même temps, par la reproduction
conventionnelle de ? choses réelles. Le premier besoin de
tresser la paille ou l’écorce des arbres, pour on former des
objets d’habillement, des couvertures pour leurs habitations
grossières ou pour le plancher sur lequel ils reposaient,
donna d’abord aux hommes l’idée d’employer la pailles et
les écorces de différentes couleurs naturelles, qu’ils
remplaceront plus tard par des teintures artificielles, c’est ce
qui fit naître la première idée, non seulement de
l’ornementation, mais de l’arrangement géométrique. Les
numéros 1—4, planche IX, sont pris de peintures
égyptiennes représentant des nattes sur laquelle se tenait le
roi ; tandis que les numéros 6 et 7, sont pris de plafonds de
tombent“ : qui représentent évidemment des tentes
couvertes de nattes. Les numéros 9, 10, 12, démontrent la
facilité avec laquelle les méandres ou frettes grecques se

63
produisaient par les mêmes moyens. L’usage universel de
eut ornement dans tous les styles de l’architecture,
ornement que l’on trouve, nous une forme ou une autre,
dans les premières tentatives d’ornementation de toutes les
tribus sauvages, fournit une preuve additionnelle que
l’origine en a été la même.
La formation des dessins par la division égale de ligues
semblables les unes aux autres, comme cela se fait dans le
tissage, tendrait à donner a un peuple qui entre dans la voie
du progrès, les premières notions (le la symétrie de
l’arrangement, de la disposition et de la distribution des
masses. Les Égyptiens, à ce qu’il paraît, ne sont jamais allés
au delà de l’arrangement géométrique, dans leur décoration
appliquée à une surface étendue. Les lignes ondoyantes sont
très-rares, et elles ne forment jamais le motif de la
composition ; cependant le germe de ce genre de décoration
même, la forme de la volute, existe déjà dans leur ornement
du cordon (numéros 10, 13-16, 18-24, planche X., et 1, 2, 4,
7, planche XI.) Les différentes cueilles de corde y sont
assujetties, il est vrai, à l’arrangement géométrique, mais le
déroulement de la corde l’aurait cette même forme, qui a été
une source si féconde de beauté dans plusieurs des styles
subséquents. C’est pourquoi nous osons soutenir, que le
style égyptien, quoiqu’il soit le plus ancien, est en même
temps le plus parfait, dans tout ce qui est nécessaire pour
constituer un vrai style d’art. Le langage dans lequel il se
révèle peut bien nous paraître étranger, particulier, formel et
rigide, mais les idées et les enseignements qu’il nous fournit

64
sont des plus solides. En avançant avec les autres styles,
nous trouverons qu’ils n’approchent de la perfection,
qu’autant qu’ils suivent, en commun avec le style égyptien,
ces principes justes et vrais, qu’on peut observer dans
chaque fleur qui pousse. De même que les fleurs, ces
favorites de la nature, ainsi chaque ornement devrait avoir
son parfum ; c’est à dire la raison de son application. Il
devrait tacher d’égaler la grace de construction, l’harmonie
des formes variées, la proportion et la subordination voulue
d’une partie à l’autre qu’on trouve dans le modèle. Toutes
les fois que nous trouvons, que l’un ou l’autre de ces traits
caractéristiques manque dans une œuvre d’ornementation,
nous pouvons être certains qu’elle appartient à un style
d’emprunt, et que l’esprit, qui avait animé l’œuvre
originale, s’est perdu dans la copie.
L’architecture des Égyptiens est parfaitement
polychromatique, il n’y a rien qu’ils n’aient peint : c’est
pourquoi nous avons beaucoup à apprendre d’eux sous ce
rapport. Ils se servaient de teintes plates, et n’employaient
aucune ombre ; et cependant ils ne trouvaient aucune
difficulté à réveiller dans l’âme, l’identité de l’objet qu’ils
voulaient représenter. Ils employaient les couleurs comme
ils employaient les formes, d’une manière conventionnelle.
Comparons la représentation du lotus (No. 3, planche IV.)
avec la fleur naturelle (N0. l) ; avec quel charme les traits
caractéristiques de la fleur naturelle sont reproduits dans la
représentation ! Remarquons comme les feuilles extérieures
sont distinguées par un vert sombre, et les feuilles abritées

65
de l’intérieur par un vert plus clair ; tandis que les tons
pourprés et jaunes de l’intérieur de la fleur, sont représentés
par des feuilles rouges flottant dans un champ de jaune, ce
qui nous rappelle parfaitement le jaune éclatant de la fleur
originale. Nous _v voyons l’art allié s la nature, et ce qui
ajoute à notre plaisir, c’est la perception de l’effort de
l’esprit qu’il a fallu pour l’accomplir.
Les couleurs dont les Égyptiens se servaient
principalement, étaient : le rouge, le bleu, et le jaune, avec
du noir et du blanc, pour définir les couleurs nettement et
distinctement ; le vert s’employait généralement, mais point
universellement, comme une couleur locale, pour les
feuilles vertes du lotus par exemple. Ces feuilles cependant
se coloriaient, sans distinction soit en vert soit en bleu ; le
bleu s’employait dans les temps les plus anciens, et le vert
pendant la période ptoléméenne : et à cette époque on
ajoutait même le pourpre et le brun, ce qui ne servait du
reste qu’à affaiblir l’effet. Le rouge qu’on trouve sur les
tombeaux et sur les caisses à momie de la période grecque
ou romaine, est plus faible de ton que celui des temps
anciens ; et c’est, à ce qu’il parait, une règle universelle
que, dans toutes les périodes archaïques de l’art, les
couleurs primaires, bleu, rouge, et jaune, sont les couleurs
qui prédominent et qui sont employées avec le plus
d’harmonie et de succès. Tandis que dans les périodes où
l’art se pratique traditionnellement, au lieu de s’exercer
instinctivement, il y a une tendance à employer les couleurs
secondaires ainsi que toutes les variétés de teintes et de

66
nuances, mais rarement avec le même succès. Nous aurons
plus d’une occasion de montrer cela dans les chapitres
suivants.

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1. ↑ On peut voir au musée Britannique, le plâtre d’un bas-relief de
Kalabshée en Nubie, représentant les victoires remportées par Ramses II,
sur un peuple noir, les Éthiopiens, à ce que l’on croit. Il est dignes de
remarque que, parmi les représentations de présents offerts par ce peuple
comme tribut au roi, on voit, outre les peaux de léopard et d’animaux
rares, outre l’ivoire, l’or, et les autres produits du pays, trois chaises
d’ivoire sculpté, précisément pareilles à celle sur laquelle le roi est assis
au moment de recevoir ces présents ; ce qui parait indiquer que les
Égyptiens tiraient de l’intérieur de l’Afrique ces objets de luxe si
soigneusement travaillés.

76
CHAPITRE III. — PLANCHES 12, 13, 14.

ORNEMENTS ASSYRIENS ET
PERSES.

PLANCHE XII.
1. Pavé sculpté, Kouyunjik.
2-4. Ornement peints de Nimroud.
5. Pavé sculpté, Kouyunjik.
6-11. Ornement peints de Nimroud.
12-14.Arbres sacrés de Nimroud.
Tous les ornements de cette planche sont pris
du grand ouvrage de M. Layard, The Monuments
of Ninevek. Nos. 2, 3, 4, 6, 7, 8, 10, 11 sont
coloriée comme ils le sont dans l’ouvrage
original ; et où les Nos. 1, 5, et les trois arbres
sacrés, Nos. 12, 13, 14. sont en relief,
représentée seulement par les lignes de contour,
nous les avons représentés sur notre planche,

77
comme ornements peints, en les coloriant
d’après le principe indiquée par les premiers,
dont on connait les couleurs.

PLANCHE XIII.
1-4. Briques émaillées, Khorsabad. — FLANDIN
& COSTE.
5. Ornement d’un vêtement royal, Khorsabad.
— F & C.
6, 7. Ornement d’un bouclier en bronze, idem
— F & C.
8, 9. Ornement d’un vêtement royal, idem — F
& C.
10, 11. Ornement d’un vaisseau en bronze,
Nimroud. — LAYARD.
12. Ornement d’un vêtement royal, Khorsabad.
— FLANDIN & COSTE.
13. Briques émaillées, Khorsabad. — F & C.
14. Ornement d’un bélier, Khorsabad. — F &
C.
15. Ornement d’un vaisseau en bronze,
Nimroud. — LAYARD.
16-21. Briques émaillées, Khorsabad. —
FLANDIN & COSTE.
22. Briques émaillées, Nimroud. — LAYARD.
23. Idem, Bashikad. — LAYARD.
78
24. Idem, Khorsabad. — FLANDIN & COSTE.
Les ornements Nos. 6, 8, 9, 12, servent
généralement à orner les vêtements royaux, et ils
représentent la broderie. Nous les avons coloriée
de la manière qui nous a paru la mieux adoptées
à développer les différents patrons. Les autres
ornements de cette planche sont coloriés tels
qu’ils ont été publiés par M. Layard et MM.
Flandin & Coste.

PLANCHE XIV.
1. Ornement en imitations de plumes dans la
curvité de la corniche, palais No. 8,
Persépolis. — FLANDIN & COSTE.
2. Base de colonne, ruine No 13, Persépolis.
— F & C.
4. Ornement sur le côté de l’escalier du palais
No 2, Persépolis. — F & C.
5. Base de colonne de la colonnade No.2,
Persépolis. — F & C.
6. Base de colonne, palais No. 2, Persépolis.
— F & C.
7. Base de colonne, portique No. 1,
Persépolis. — F & C.
8. Base de colonne à Istakhr — F & C.

79
9-12. Pris de chapiteaux sassanides, Bi Sutoun.
— F & C.
13-15. Pris de chapiteaux sassanides. — FLANDIN
& COSTE.
16. Pris d’une moulure sassanide — F & C.
17. Ornement, Tak I Bostan. — F & C.
18, 19. Ornement sassanides, d’Ispahan. — F &
C.
20. Archivolte, Tak I Bostan. — F & C.
21. Partie supérieure d’un pilastre, Tak I
Bostan. — F & C.
22. Chapiteaux sassanides, Ispahan. — F & C.
23. Pilastre, Tak I Bostan. — F & C.
24. Chapiteaux de pilastre, Tak I Bostan. — F
& C.
25. Chapiteaux sassanides, Ispahan. — F & C.

ORNEMENTS ASSYRIENS ET
PERSES.

80
Q UELQUE riche que soit la moisson que Monsieur Botta
et Monsieur Layard ont recueillie des ruines (les palais
assyriens, les monuments qu’ils nous ont fait connaître, ne
paraissent pas remonter à une période bien reculée de l’art
assyrien. De même que les monuments d’Égypte, ceux
d’Assyrie qui ont été découverts jusqu’aujourdhui,
appartiennent à
une période de
décadence, mais
ils sont encore
plus éloignés
que ceux
d’Égypte du
point culminant
de le perfection.
Il faut que l’art
assyrien ait été
Égyptien.
un style
d’emprunt, ou qu’il nous reste encore à découvrir des rentes
d’une forme plus parfaite de l’art. Nous sommes fortement
portés à croire que l’art assyrien n’est pas un style original,
mais qu’il a été emprunté nu style égyptien, et modifié par
le différence de la religion et des mœurs du peuple assyrien.
En comparant les bas-reliefs de Ninive avec ceux
d’Égypte, il est impossible qu’on ne soit frappé du grand
nombre de points de ressemblance qui existent dans les
deux styles ; non seulement on y trouve la même manière

81
de représenter
les objets, mais
ceux-ci sont
souvent si
semblables, qu’il
est difficile de
croire que deux
peuples soient
arrivés,
indépendammen
Assyrien. t l’un de l’autre,
à produire le
même style.
La manière de représenter une rivière, un arbre, une ville
assiégée, un groupe de prisonniers, une bataille, un roi dans
son char, est presque identique, chez l’un et l’autre peuple,
— la différence qui existe est simplement celle qui
résulterait naturellement de la représentation des mœurs de
deux peuples différents ; l’art nous parait être le même. La
sculpture assyrienne semble être un développement de celle
de l’Egypte, mais au lieu de surpasser l’original, elle décroit
en perfection, ayant le même rapport à l’art égyptien que
celui qui existe entre le style romain et le style grec. La
sculpture égyptienne tomba graduellement en décadence, à
partir du temps des Pharaon jusqu’à l’époque des Grecs et
des Romains ; les formes qui étaient d’abord coulantes et
gracieuses, devinrent grossières et abruptes ; l’enflement
des membres qui d’abord était plutôt indiqué que rendu,

82
finit par devenir exagéré ; le traitement conventionnel fut
abandonné pour une tentative imparfaite du naturel. Dans la
sculpture assyrienne, cette tentative fut poussée encore plus
loin, — tandis que l’arrangement général du sujet et la pose
des figures s’exécutaient encore d’une manière
conventionnelle, on essaya
de représenter les muscles
des membres et la rotondité
de la chair : symptôme
certain de décadence dans
les arts ; — on doit
idéaliser la nature et non la
copier. Un grand nombre
de statues modernes
différent de la Vénus de
Milo, de la même manière
que les bas-reliefs des Égyptien.
Ptolémée, différent de ceux
des Pharaon.
Les Ornements assyriens, selon nous, présentent aussi la
même apparence d’un style d’emprunt à l’état de
décadence. Il est vrai que nous n’en avons jusqu’à présent
qu’une connaissance bien imparfaite, à cause de la
destruction des parties des palais, qui devaient contenir le
plus d’ornements, — la partie supérieure des murs
d’intérieur et les plafonds, — destruction qui n’a été que la
conséquence de la nature de la construction des édifices
assyriens. Il ne peut exister aucun doute, cependant, que les

83
monuments assyriens
n’aient été décorés d’autant
d’ornements que ceux des
Égyptiens ; il y a, dans l’un
et l’autre de ces styles, une
absence totale de surfaces
unies sur les murs, qui
étaient couverts ou de
sujets ou d’écritures ; et
dans certaines positions où
ni les uns ni les autres ne
pouvaient s’employer, on a
dû faire usage d’un genre Assyrien.
d’ornementation pure, pour soutenir l’effet général. Ce que
nous possédons en fait d’ornements assyriens, provient des
vêtements des figures des bas-reliefs, et se compose en
outre de quelques fragments de briques peintes, de quelques
objets en bronze, et des représentations des arbres sacrés sur
les bas-reliefs. Nous n’avons découvert jusqu’à présent
aucun reste de leurs ornements de construction, car les
colonnes et les autres moyens de support qui auraient été
décorés de ce genre d’ornements, ont tous détruits ; les
ornements de construction que nous reproduisons sur la
planche XIV., de Persépolis, sont évidemment d’une époque
plus récente et soumis à d’autres influences ; ils ne seraient
conséquemment que des guides peu sûrs, dans toute
tentative de reproduire les ornements de construction des
palais assyriens.

84
Quoique les ornements assyriens ne soient pas basés sur
les mêmes types que ceux des Égyptiens, ils sont
représentés de la même manière. Les ornements en relief de
ces deux styles, ainsi que ceux en peinture, sont de la nature
des diagrammes. Il existe très peu de surfaces modelées, —
invention spéciale des Grecs, qui tenaient, dans ses vraies
limites, le modelé des surfaces, que les Romains porteront à
l’excès, jusqu’à ce qu’enfin toute ampleur d’effet fut
détruit. Les Byzantine retournèrent aux reliefs modérés, les
Arabes les employèrent avec encore plus de sobriété, et
chez les Maures, une surface modelée devint chose
excessivement rare. Sous un autre point de vue, le style
roman se distingue de la même manière, de l’ancien style
gothique, qui lui-même est d’un effet plus large que le
gothique le plus rapproché de notre époque, où les surfaces
devinrent enfin si élaborées que tout repos fut détruit.
À l’exception de la pomme de pin sur les arbres sacrés,
planche KIL, des ornements peints, et d’une espèce de
lotus, Nos. 4 et 5, les ornements ne paraissent par avoir été
formés d’après aucun type naturel : ce qui donne encore
plus de consistance à l’opinion, que l’art assyrien n’est pas
un style original. Les lois naturelles de radiation et de
courbure tangente, qu’on trouve dans les ornements
égyptiens, sont également observées chez les Assyriens,
mais avec beaucoup moins de vérité, — plutôt, pour ainsi
dire, traditionnellement qu’instinctivement. La nature n’y
est pas suivie d’aussi près que chez les Égyptiens, et elle
n’est pas non plus d’une exécution conventionnelle aussi

85
exquise que chez les Grecs. Les Nos. 2 et 3 de la planche
XIII. sont les types d’où les Grecs, à ce que l’on croit, ont
tiré quelques uns de leurs ornements peints ; mais qu’ils
sont inférieurs au style grec pour la pureté des formes et la
distribution des masses !
Quant aux couleurs, les Assyriens paraissent avoir
employé le bleu, le rouge, le blanc, et le noir, dans leurs
ornements peints ; le bleu, le rouge, et l’or, dans leurs
ornements sculptés : et le vert, l’orange, le bufle, le blanc, et
le noir, pour leurs briques émaillées.
Les ornements de Persépolis reproduits sur la planche
XIV., paraissent être des modifications des détails romains.
Les Nos. 3, 5, 6, 7. 8, proviennent de bases de colonnes
flutées, qui trahissent évidemment l’influence romaine. Les
ornements qui viennent de Tak I Bostan, — 17. 20, 21, 23,
24, — sont tous construits sur le même principe que les
ornements romains, n’offrant qu’une modification de la
surface modelée, telle que nous la trouvons dans l’ornement
byzantin, auquel ils ressemblent tous deux d’une manière
remarquable.
Les ornements 12 et 16, pris de chapiteaux sassanides à
Bi Sutoun, appartiennent au style byzantin dans leurs
contours en général, et renferment les germes de toute
l’ornementation des Arabes et des Maures. C’est le plus
ancien exemple que nous ayons d’ornements diaprés en
forme de losanges. Les Égyptiens et les Assyriens
paraissent avoir employé pour couvrir les grands espaces,
des dessins formés par un arrangement géométrique de

86
lignes : mais c’est le premier exemple de lignes courbes,
formant un patron général qui renferme une forme
secondaire. Le principe contenu dans le No. 16 pourrait
engendrer toutes les formes diaprées si exquises qui
couvraient les dômes des mosquées du Caire et les murs de
l’Alhambra.

87
Chapiteau sassanides de Bi Sutoun. — FLANDIN & COSTE.

88
89
90
91
CHAPITRE IV. — PLANCHES 15, 16, 17, 18,
19, 20, 21, 22.

ORNEMENTS GRECS.

PLANCHE XV.
Collection des différentes formes de la frette
grecque prise de différents vases et pavés.

PLANCHE XVI. — XXI


Ornements de différents Vases grecs et étrusques du musée
Britannique et du Louvre.

PLANCHE XXII.
1 et 4. Pris d’un sondage en Sicile. — HITTORFF.
3, 5-11. Pris du propylée. Athènes. — HITTORFF.
12-17. Pris des cuissons du plafond du propylée.
— PENROSE.

92
18. Moulure courante au dessus de la frise
panathénaïque, publiée par M. PENROSE en
or seulement, nous y avons suppléé le bleu
et le rouge.
19-21, 24-26. Ornements peints. — HITTORFF.
25 et 27. Ornements en terre cuite.
29. Ornements peints pris de la cymaise de la
corniche rampante du Parthénon. — L.
VULLIAMY, nous y avons suppléé le bleu et
le rouge.
30-33. Différentes frette dont il existe des traces
sur tous les temples d’Athènes. Nous y
avons suppléé les couleurs.

N OUS avons vu que l’ornement égyptien tirait directement


sa source de la nature, qu’il était fondé : sur quelques types
pou nombreux, et qu’il resta le même pendant tout le cours de
la civilisation égyptienne, sans subir d’autre changement que
celui d’une exécution plus ou moins parfaite, les monuments
les plus anciens étant les plus parfaits. Nous avons, en outre,
exprimé l’opinion que l’ornement assyrien était un style
emprunté, entièrement dépourvu du cachet qui caractérise
l’inspiration originale, mais présentant toutes les apparences
d’avoir été suggéré par l’art égyptien arrivé déjà à son déclin,
lequel déclin y fut porté encore plus loin. L’art grec, au
contraire, quoiqu’il fût emprunté on partie à l’art égyptien et
en partie à l’art assyrien, était le développement d’une
93
ancienne idée dans une direction nouvelle ; et, n’étant pas
enchaîné par les lois religieuses qui restreignaient, à ce qu’il
paraît, l’art assyrien et l’art égyptie, celui de la Grèce prit un
essor rapide vers un état de perfection fort élevé, du haut
duquel il est parvenu à fournir aux autres styles les éléments
d’une grandeur future. Cet art a porté la pureté de la forme à
un point de perfection tel qu’on n’a jamais pu atteindre
dépuis ;

Bout des tuiles de marbe du Parthénon. — VULLIAMY

94
Le haut d’un fût. L.
Le haut d’un fût. L. VULLIAMY VULLIAMY
et les restes si abondants que nous possédons de
l’ornementation grecque nous portent à croire, que la présence
d’un goût raffiné a dû être presque universelle, et que le pays
était inondé d’artistes dont l’âme et les mains étaient capables
de concevoir et d’exécuter ces beaux ornements avec une
vérité infaillible.
Il manquait cependant à l’ornement grec un des grands
charmes qui devraient toujours accompagner l’ornement, —
savoir, le symbolisme. C’était un ornement sans signification,
purement décoratif, jamais représentatif et on ne peut guère
l’appeler un ornement de construction ; car les différents
membres d’un monument grec, représentent simplement des
surfaces préparées d’une manière exquise, et admirablement
adaptées à recevoir l’ornement, qu’on y applique en effet,
d’abord en peinture ; plus tard on y joignit le relief.

95
L’ornement ne formait pas, comme chez les Égyptiens, partie
de la construction : on pouvait l’enlever sans changer la
construction. Sur le chapiteau corinthien l’ornement est
appliqué et non pas construit : il n’en est pas ainsi du
chapiteau égyptien ; là on sent que le chapiteau dans son
entier est l’ornement — en enlever une partie, ce serait
détruire le tout !
Quelque grande que soit l’admiration que nous inspire la
perfection extrême, presque divine, de la sculpture
monumentale des Grecs, nous devons admettre, qu’ils en
portaient souvent l’application au-delà des bornes légitimes de
l’ornementation. La frise du Parthénon était placée si loin des
yeux, qu’elle devenait un diagramme : les beautés qui nous
étonnent tant, lorsque nous les voyons de près, ne pouvaient
avoir aucune valeur, si ce n’est en ce qu’elles mettaient en
évidence ce culte d’artiste, qui se souciait peu de ce que l’œil
vit ou ne vit pas la perfection de l’œuvre, tant qu’il savait que
la perfection s’y trouvait ; mais nous ne pouvons nous
empêcher de regarder cela comme un abus des moyens, et les
Grecs étaient, à cet égard, inférieurs aux Égyptiens, dont le
système d’incavo relievo, appliqué à la sculpture
monumentale nous parait bien plus parfait.
Les exemples de l’ornement représentatif sont très peu
nombreux ; si nous exceptons l’ornement des ondes et la
frette,’qui servaient dans leurs peintures à distinguer l’eau de
la terre, et quelques reproductions conventionnelles d’arbres,
comme on en voit au numéro 12, planche XXI, il ne reste que
peu de chose qui mérite cette dénomination, mais en fait
d’ornement décoratif, les vases grecs et étrusques nous

96
fournissent des matériaux abondants ; et comme les ornements
peints des temples qu’on a découverts jusqu’à ce jour, ne
diffèrent nullement de ceux des vases, nous pouvons dire que
nous connaissons l’ornement grec dans toutes ses phases. De
même que dans l’ornement égyptien, les types en sont peu
nombreux, mais la reproduction conventionnelle y est encore
bien plus éloignée des types. Dans l’ornement si bien connu
du chèvre-feuille, il serait difficile de reconnaître une tentative
d’imitation, on y voit plutôt l’appréciation du principe
décelédans la croissance de la
fleur ; le fait est, qu’en examinant
les peintures des vases, nous
sommes assez tentés de croire que
les différentes formes des feuilles
d’une fleur grecque ont été engendrées simplement par la
brosse du peintre, qui donnait aux feuilles un cachet différent
selon que la main, en formant la feuille, était tournée en haut
ou en bu ; et il est même fort probable que la fleur n’a jamais
servi de modèle à l’artiste, et que la légère ressemblance que
l’ornement porte au chèvre-feuille n’a été reconnue qu’après
coup. On trouvera la représentation du chèvre-feuille à la
planche XCIX. : et la ressemblance est certainement fort
légère. Ce qu’il y a de plus évident, c’est que les Grecs, dans
leurs ornements, observaient la nature de près ; et quoiqu’ils
ne tentassent ni de copier ni d’imiter la nature, ils n’en
travaillaient pas moins d’après les mêmes principes. Les trois
grandes lois que nous trouvons partout dans la nature — le
rayonnement partant de la tige mère, la distribution
proportionnée des aires et la courbure tangente des lignes — y
sont toujours obéies ; et c’est la perfection infaillible dans
97
l’application de ces lois, se manifestant dans les œuvres les
plus humbles comme dans les œuvres les plus élevées, qui
excite l’étonnement, et qu’on ne peut réaliser pleinement
qu’autant que l’on tente de reproduire les ornements grecs,
tentative rarement couronnée de succès. Un des traits qui
caractérise fortement ornement grec, trait qui fut continué par
les Romains mais abandonné pendant la période byzantine,
c’est que les différentes parties d’un enroulement nuisent les
unes des autres en une ligne continue, comme dans l’ornemrnt
du monument choragique de Lysicrates.

Pris du monument choragique de Lysicrates. Athènes. L. VULLIANY


Dans le style byzantin, l’arabe, le mauresque, de même que
dans le style ogival du 13ème siècle, les fleurs s’élancent des
deux côtés d’une ligne continue. C’est un exemple qui nous
démontre que le changement le plus léger opéré dans un
principe généralement reçu, suffit pour engendrer un ordre
tout nouveau de formes et d’idées. L’ornement romain lutte
constamment contre cette loi fixe de l’ornement grec. À la tête
du chapitre romain se trouve un bel exemple qu’on peut
regarder comme le type de tous les autres ornements romains,

98
qui allaient rarement au-delà de l’arrangement d’une volute,
naissant d’une tige ajustée dans une autre et entourant une
fleur. Le changement qui eut lieu pendant la période
byzantine, par suite de l’abandonnement de cette loi fixe, a été
tout aussi important dans ses résultats à l’égard du
développement de l’ornement, que l’a été la substitution de
l’arc à l’architrave droite, par les Romains, ou l’introduction
du centre en ogive dans l’architecture gothique. Ces
changements exercent, sur le développement d’un nouveau
style d’ornement, la même influence qu’exerce la découverte
d’une loi générale dans la science, ou une heureuse idée
brevetée dans l’industrie, mettant en mouvement tout-à-coup,
des milliers d’intelligence : empressées à examiner et à
perfectionner cette première idée à peine ébauchée.
La planche XXII. est consacrée aux restes des ornements
coloriés qui couvraient les monuments grecs. On y remarquera
que, pour le caractère du dessin, ils ne diffèrent en rien des
ornements qu’on a trouva sur les vases. C'est un fait reconnu
presque universellement, que les temples en marbre blanc des
grecs, étaient entièrement couverts d’ornements peints. Quels
que soient les doutes qui puissent exister quant aux couleurs
appliquées plus ou moins à la sculpture, il ne peut y en avoir
aucun quant à leur application aux ornements des moulures. Il
existe partout des traces de couleurs si prononcées, qu’en
faisant un moule de ces ornements, les traces du dessin sont
marquées fortement sur le plâtre. Mais quand il s’agit de dire
quelles étaient les différentes couleurs, il n’y a plus la même
certitude. Elles sont représentées différemment par les
différentes autorités : où l’un veut voir du vert, l’autre trouve

99
du bleu — où l’un s’imagine qu’il aperçoit de l’or, l’autre voit
du brun. Il y a un point, cependant, dont nous sommes tout-à-
fait certains, c’est, — que tous ces ornements des moulures
étaient placés si haut au dessus du sol, et étaient d’ailleurs si
petits en proportion avec la distance d’où on les voyait, qu’ils
ont dû être coloriée de manière à les rendre distincts, et à en
faire ressortir le dessin. C’est en considération de cela que
nous avons mué suppléer la couleur aux Nos. 18, 29, 31, 32,
33, lesquels n’avaient été publiés auparavant que comme
ornements en or ou en brun sur le marbre blanc.
Planche XV. Sur cette planche nous avons donné une
collection des différentes variétés de la frette, ou méandre
grec, depuis la simple forme productrice du No. 3, jusqu’au
méandre plus compliqué du No. 15. On y verra, que la variété
de l’arrangement de la forme, qu’on peut produire par
l’entrelacement de lignes à angles droits, n’est que fort
limitée. Nous avons d’abord, No. l, la frette ou méandre
simple allant en une direction avec une seule ligne ; puis, No.
11, le double méandre, où la seconde ligne s’entrelace avec la
première ; les autres sont tous formés simplement en mettant
les méandres mentionnés l’un en dessous de l’autre, allant en
différentes directions comme au No. 17 ; dos à dos comme
aux Nos. 18 et 19 ; ou entourant des carrés, comme au No. 20.
Les autres espèces ne sont que des frettes imparfaites — c’est
à dire qu’elles ne forment point de méandre continu. La frette
rampante est la mère de toutes les autres formes d’ornements
entrelacés, employés dans les styles qui succédèrent au style
grec. C’est d’elle qu’a été dérivée la frette arabe, laquelle à
son tour, donna naissance à cette variété infinie d’ornements

100
entrelacés, formés par l’intersection de lignes diagonales et
équidistantes, que les Maures ont portés à une si grande
perfection à l’Alhambra.

Grec Arabe

Arabe Mauresque Celtique

Les entrelacs à nœuds des Celtes ne diffèrent des dessins


mauresques, qu’en ce qu’ils ont une terminaison courbe,
ajoutée aux lignes qui s’entrecoupent. La première idée
motrice une fois trouvée, elle donna
naissance a une variété immense de
formes nouvelles.
L’ornement de la corde nouée des Grec
Grecs, a probablement aussi exercé
quelque influence sur la formation des entrelacs celtiques et
des ornements entrelacés arabes et mauresques.
Les méandres chinois sont moins parfaits que tous ceux
dont nous avons parlé. De même que les méandres grecs, ils
sont formés de lignes perpendiculaires et horizontales qui
s’entrecoupent, mais ils

101
Chinois Chinois Chinois

n’ont pas la même régularité ; et le méandre est plus


généralement allongé dans une direction horizontale. Ils
forment d’ailleurs le plus souvent des méandres brisés, c’est à
dire qu’il y a la répétition constante de la même frette placée à
côté l’une de l’autre, ou l’une au dessous de l’autre, sans
qu’elles formant un méandre continu.
Les ornements et les frettes du Mexique, dont nous donnons
ici quelques illustrations prises de la poterie
mexicaine du musée Britannique, ont une
affinité remarquable avec la frette grecque ;
et dans les
illustrations
de
De Yucatan.
De Yucatan. l’architecture
de Yucatan par M. Catherwood, nous trouvons plusieurs
variétés de la même frette ; une d’entr’elles, surtout, est
essentiellement grecque. Mais, en général, elles sont brisées
comme les frettes chinoises ; il se trouve aussi à Yucatan une
frette avec une ligne diagonale, qui a un cachet particulier.
Les ornements de la planche XVI. ont été choisis pour
montrer les différentes formes de feuillage conventionnel
qu’on trouve sur les vases grecs. Ils sont tous très éloignés du
type naturel quel qu’il soit, et la construction en est basée sur
les principes généraux qui prévalent dans toutes les plantes, en
général, au lieu de tenter de représenter une plante spéciale
quelconque. L’ornement No. 2 est celui qui se rapproche le
plus près du chèvre-feuille — c’est à dire que les feuilles ont

102
la tendance à se tourner en haut qui est particulière au chèvre-
feuille, mais on ne saurait guère appeler cela une tentative de
représenter le chèvre-feuille. Plusieurs ornements parmi ceux
de la planche XVII. sont plus rapprochés de la nature : le
laurier, le lierre et la vigne sont faciles à reconnaître. Les
planches XVIII., XIX., XX., et XXI., représentent encore
d’autres variétés d’ornements prises des bords, des goulots et
des lèvres de vases qui se trouvent au musée Britannique et au
Leurre. Comme ils ne sont produits que par une ou deux
couleurs, tout l’effet de ces ornements dépend
de la pureté de la forme : ils ont,
presque tous, cela de particulier,
que tous les groupes de feuilles ou de fleurs
naissent d’une tige courbe ayant une volute aux
deux bouts, et que toute les lignes partent de cette
tige-mère en courbes tangentes. Les feuilles individuelles
rayonnent toutes du centre du groupe de feuilles, chaque
feuille diminuant en proportions exquises, à mesure qu’elle
approche de la source du groupe.
Si nous prenons en considération, que chaque feuille était
faite par un seul coup de brosse, car les différences qu’on y
remarque nous prouvent d’une manière incontestable qu’elles
se faisaient sans employer aucun auxiliaire mécanique, nous
ne pouvons que nous étonner de l’état d’élévation que les arts
devaient avoir atteint, pour fournir en si grand nombre, des
artistes capables d’exécuter avec une vérité infaillible, des
œuvres que l’art des temps modernes trouve presque au-
dessus de ses forces de copier d’une manière assez heureuse
pour produire le même résultat satisfaisant.

103
ORNEMENTS PRIS DE LA POTERIE MEXICAINE QUI SE TROUVE
AU MUSÉE BRITANNIQUE.

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CHAPITRE V. — PLANCHES 23, 24, 25.

ORNEMENTS POMPÉIENS.

PLANCHE XXIII.
Collection de bordure de différentes maisons de Pompéï. — ZAHN.

PLANCHE XXIV.
Divers pilasres et diverses frises de différentes maisons de Pompéï. — ZAHN.

PLANCHE XXV.
Collection de mosaïques de Pompéï et du Musée de Naples — D’après des
esquisses de l’auteurs.

Z AHN dans son magnifique ouvrage sur Pompéï a


illustré avec tant de talent et d’une manière si complète les
ornements de Pompéï, que nous avons cru qu’il n’était

114
nécessaire que de lui emprunter des matériaux pour deux
planches, afin d’illustrer les deux styles distincte
d’ornements qui prévalaient dans les décorations des
édifices de Pompéî. Les ornements de la première planche
(XXIII.) qui sont évidemment d’origine grecque, ne
composent d’ornements conventionnels en teintes pintes,
peints en noir sur un fond clair, ou en couleur claire sur un
fond sombre, mais sans ombre ni aucune tentative de relief ;
les ornements de la seconde planche, (XXIV.) plus romaine
de caractère, sont basés sur l’enroulement d’acanthe, et
entremêlés d’ornements en imitation directe de la nature.
Nous renvoyons le lecteur à l’ouvrage de Zahn [1] s’il
veut arriver à une appréciation complète du système de
l’ornementation en usage à Pompéï, système, comme le
prouvera l’examen de cet ouvrage, qui était porté aux
dernières limites du caprice, à tel point qu’il n’y a pas de
théorie de coloris et de décorations qui ne puisse être
soutenue et défendue, en prenant Pompéï comme autorité.
L’arrangement général de la décoration sur les murs
d’intérieur d’une maison pompéïenne, consistait, en un
lambris feint de demi revêtement, occupant un sixième de la
hauteur du mur ; sur ce lambris étaient placés de larges
pilastres, ayant la moitié de la largeur du lambris, et
divisant le mur en trois panneaux on plus. Une frise, qui
variait en largeur et qui occupait environ le quart de la
hauteur du mur à partir d’en haut, servait a réunir les
pilastres. La partie supérieure du mur était fréquemment
blanche, et subissait dans tous les cas un traitement moins

115
sévère que la partie inférieure ;
elle représentait généralement des
scènes de plein air, — le fond
étant occupé par ces peintures de
bâtiments d’architecture
fantastique qui excitèrent l’ire de
Vitruvius. Dans les meilleurs Diagramme d’un côté de mur
exemples, il existe une gradation d’une maison pompéienne.
de couleurs a partir du plafond
vers le bas, qui se termine en noir sur le lambris ; mais
c’était loin d’être une loi fixe. Nous choisissons parmi les
illustrations coloriées de l’ouvrage de Zahn plusieurs
variétés qui prouveront que ce traitement était loin d’être le
résultat d’un système : —

Lambris feints Pilastres. Panneau. Frises


Jaune Vert Rouge Noir
Rouge Rouge Noir Violet
Noir Jaune Noir Rouge
Noir Jaune Vert Vert
Bleu Jaune Vert Vert
Bleu Jaune Bleu Bleu
Jaune et Rouge
Noir vert Blanc
(alternativement)
Jaune et Rouge
Noir Gris Noir
(alternativement)
Vert et Rouge
Noir Noir Blanc
(alternativement)

116
L’arrangement qui produit le plus d’effet paraît être :
lambris, noir ; pilastres et frises, rouges ; panneaux, jaunes,
bleus ou blancs, pendant que la partie du mur au-dessus de
la frise est blanche et décorée d’ornements coloriés. Le
meilleur arrangement des couleurs pour les ornements du
fond parait être ; sur des fonds noirs, le vert et le bleu en
masses, le rouge avec sobriété, et le jaune avec plus de
modération encore ; sur des fonds bleus, le blanc en lignes
fines, et le jaune en masses ; sur des fonds rouges, le vert, le
blanc, et le bleu, en lignes fines. Le jaune sur le rouge ne
produit pas d’effet a moins qu’on ne le relève d’ombres.
On peut trouver à Pompéi presque toutes les variétés de
nuances et de tons des couleurs. On s’y servait du bleu, du
rouge et du jaune, non seulement en petites quantités dans
les ornements, mais aussi en grandes masses, comme fonds
pour les panneaux et les pilastres. Le jaune de Pompéï,
cependant, approche presque de l’orange, et le rouge est
fortement teint de bleu. Ce caractère neutre des couleurs
permettait de les placer ainsi en juxtaposition tranchante,
sans produire de discorde, — résultat auquel contribuaient
les couleurs secondaires et tertiaires qui les entouraient.
Mais le stylo de la décoration pompéïenne dans son
entier, est si capricieux qu’il est au-delà des limites de l’art
véritable, et qu’on ne saurait le soumettre a une stricte
critique. (“est un style qui plait en général, mais s’il n’est
pas absolument vulgaire, il approche souvent de la
vulgarité. Il doit son plus grand charme à cette exécution

117
légère, libre, fantasque, qu’il est impossible de reproduire
en dessin ; et qu’on n’a jamais pu imiter dans les tentatives
faites de reproduire ce style. La raison en est évidente : Les
artistes de Pompéi inventaient en dessinant ; chaque touche
de leur pinceau représentait une intention qu’aucun copiste
ne peut saisir.
La restauration, par M. Digby Wyatt, d’une maison
pompéienne au palais de cristal, Sydenham, tout admirable
et toute fidèle qu’elle est sous tous les autres rapports, a
échoué sur ce point ; personne, cependant, n’aurait pu
déployer de plus grandes connaissances, une expérience
plus étendue, un zèle plus ardent que le Signor Abbate, qui
a tout fait pour atteindre à la réalisation de cette exactitude
fidèle des décorations, à laquelle on désirait tant arriver. La
raison pour laquelle il n’a pas réussi complétement, c’est
que ses peintures sont trop bien exécutées en même temps
qu’elles ne sont pas assez individuelles.
Les ornements de la planche XXIII. qui décèlent
évidemment le cachet grec, forment généralement les
bordures des panneaux ; ils sont exécutés avec des patrons.
Comparée aux modèles grecs, ils présentent une pauvreté de
caractère qui montre une infériorité marquée ; on n’y trouve
plus cette radiation parfaite des lignes, de la tige mère, ni
cette parfaite distribution des masses, ni ces aires si bien
proportionnées. Leur charme consiste dans le contraste
agréable des couleurs, qui ressort encore davantage lorsque
l’ornement peint est entouré d’autres couleurs in situ.

118
Les ornements pris de pilastres et de frises, de la planche
XXIV., d’après le type romain, sont ombres, pour leur
donner la rotondité nécessaire, mais pas assez pour les
détacher du fond. Sous ce rapport les artistes pompéiens
montraient du discernement à ne pas dépasser les limites (lu
traitement en rond du : ornements, discrétion qui a été
entièrement négligée dans les époques suivantes Nous
avons ici l’enroulement des feuilles d’acanthe, formant le
fond sur lequel étaient greffées des représentations de
feuilles et de fleurs entrelacées d’animaux, précisément
semblables aux restes trouvés dans les bains romains, et qui,
du temps de Raphaël, devinrent la base des ornements
italiens.
Nous avons rassemblés sur la planche XXV. toutes les
forma ; du pavé mosaïque, pavé qui jouait un si grand rôle
dans les maisons des Romains, partout ou s’étendait leur
domination. Dans la tentative de produire des reliefs, dont il
y a plusieurs exemples sur cette planche, nous avons la
preuve que les Romains n’avaient plus le goût aussi raffiné
que l’était celui des Grecs, leurs maitres dans l’art. Les
bordures formées par une répétition d’hexagones, en haut et
des deux côtés de cette planche, sont les types d’où l’on
peut directement tracer toute l’immense variété des
mosaïques byzantines, arabes, et mauresques.

119
120
121
122
1. ↑ Les plus beaux Ornements et les Tableaux les plus remarquables le
Pompéï, d’Herculanum, et de Sabis, de., par Guillaume Zahn. Berlin,
1828.

123
Fragment en marbre blanc du palais Mattei, Rome. — L. VULLIAMY. [1]

CHAPITRE VI. — PLANCHES 26, 27.


ORNEMENTS ROMAINS.

PLANCHE XXVI.
1, 2. Fragments du Forum de Trajan, Rоmе.
3. Pilastres de la villa Medicis, Rome.
4. Pilastre de la villa Medicis. Rome.
5, 6. Fragments de la villa Medicis, Rome.

124
Les Nos. 1 — 5 sont pris de plâtres qui sont
au palais de Cristal ; le No. 6 est pris d’un plâtre
qui se trouve dans la collection du musée de
South Kensington.

PLANCHE XXVII.
1-3. Fragments de la frise du temple Romain à
Brescia.
4. Fragment des soffites des architraves du
temple Romain à Brescia.
5. Fragment des soffites des architraves du
temple Romain à Brescia.
6. Pris de la frise de l’arc des Orfèvres,
Rome.
Les Nos. 1 — 4 sont pris du musée
Brescian [2] ; le No. 5 est pris de l’ouvrage sur
Rome par MM. Taylor et Cresy.

ORNEMENTS ROMAINS.

125
L A véritable grandeur des Romains se voit plutôt dans
leurs palais, leurs bains, leurs théâtres, leurs aqueducs et
autres ouvrages d’utilité publique, que dans leurs temples,
dont l’architecture empreinte de l’expression d’une religion
empruntée aux Grecs, en laquelle ils avaient probablement
peu de foi, trahit un manque correspondant de zèle et de
culte pour les arts.
Dans les temples Grecs, il est évident que le but de
l’architecte était d’arriver à une perfection digne des dieux.
Dans ceux des Romains, on n’a eu pour but qu’une
glorification personnelle. Depuis la base de la colonne
jusqu’au sommet du fronton, toutes les parties sont
surchargées d’ornements, qui tendent plutôt à éblouir par
leur surabondance, qu’à exciter l’admiration par la qualité de
l’ouvrage. Les temples grecs qui sont peints, sont décorés
d’autant d’ornements que ceux des Romains, mais avec un
résultat bien différent, car les ornements sont arrangés de
manière à jeter un coloris délicat sur toute la structure, sans
nuire en rien à l’effet des surfaces admirablement dessinées
qui les reçoivent.
Les Romains cessèrent d’apprécier à leur juste valeur les
proportions générales de la structure et des contours des
moulures, lesquels étaient entièrement détruits par le modelé
excessif des ornements sculptés dont ils étaient décorés,
ornements qui, au lieu de naître naturellement des surfaces, y
étaient appliqués. Les feuilles d’acanthe sous les modillons
et celles autour de la campane des chapiteaux corinthiens,
sont placées l’une devant l’autre de la manière la plus
126
inartistique. Elles ne sont même pas liées ensemble par le
gorgerin au sommet du fût, mais s’y appuient simplement ;
tandisque dans le chapiteau égyptien, les tiges des fleurs
autour de la campane, se continuent à travers le gorgerin, et
représentent un type de beauté en même temps qu’elles
expriment une vérité.
La malheureuse facilité, que donne le système romain de
décoration à fabriquer des ornements, en se servant de la
feuille d’acanthe sous toutes les formes et dans toutes les
directions, est la cause principale de l’invasion de ce genre
d’ornements dans la plupart des constructions modernes. Il
exige de l’artiste, si peu de pensées, il est de sa nature si
complétement un produit de manufacture, qu’il a entraîné les
architectes à négliger une spécialité, qui est de leur ressort, et
à abandonner la décoration intérieure des bâtiments aux
mains de personnes les plus inaptes à les remplacer.
Dans l’usage qu’ils faisaient de la feuille d’acanthe, les
Romains ne montraient que peu d’art. Ils l’avaient reçue des
Grecs représentée d’une manière conventionnelle et
admirable ; ils approchèrent bien davantage des contours
généraux, mais ils portèrent à l’exagération, les décorations
de surface. Les Grecs se limitaient à exprimer le principe de
la feuillaison de la feuille, et donnaient tous leurs soins aux
ondulations délicates de la surface.
L’ornement gravé en tête de ce chapitre est typique de tous
les ornements romains, qui consistent universellement en
une volute s’élançant d’une autre volute, entourant une fleur
ou un groupe de feuilles. Cet exemple cependant, est

127
construit d’après les principes grecs, sans en posséder,
néanmoins, le raffinement. Dans les ornements grecs, les
volutes naissent de la même manière l’une de l’autre, mais
elles sont beaucoup plus délicates au point de jonction. On y
voit aussi la feuille d’acanthe, en élévation de côté, pour
ainsi dire. La méthode purement romaine de traiter la feuille
d’acanthe se voit dans les chapiteaux corinthiens, et dans les
exemples reproduits sur les planches XXVI. et XXVII. Les
feuilles sont aplaties en dehors, et elles sont placées l’une sur
l’autre comme sur la gravure ci-dessous.

Fragment de la frise de temple du Soleil, palais Colonna, Rome. — L. VULLIAMY.


Nous avons placé en juxtaposition les divers chapiteaux
gravés d’après l’ouvrage de MM. Taylor et Cresy, pour
montrer le peu de variété que les Romains pouvaient
produire en s’en tenant toujours à cette application de
l’acanthe. La seule différence qui existe, se trouve dans la
proportion de la forme générale de la masse ; proportion
dont le déclin est marqué visiblement à partir du chapiteau

128
de la colonne du temple de Jupiter Stator. Quelle différence
avec l’immense variété des chapiteaux égyptiens, variété qui
provient de la modification du plan général du chapiteau ;
l’introduction même de la volute ionique dans l’ordre
composite n’y ajoute aucune beauté, mais en augmente
plutôt la difformité !
Les pilastres de la villa Médicis, Nos. 3 et 4 de la planche
XXVI., et le fragment No. 5, sont des spécimens de
l’ornement romain, aussi parfaits qu’il est possible d’en
trouver. Comme spécimens de modelé et de dessin, ils ont
droit à notre admiration, mais comme accessoires
ornementaux destinés à rehausser le caractère architectural
d’un bâtiment, ils péchent, à cause de leur relief excessif et
du traitement élaboré de la surface, contre la loi du premier
principe : — l’adaptation au but qu’ils ont à remplir.
La variété de compositions qu’on peut obtenir en suivant
le principe de faire naître une feuille d’une autre feuille et de
les placer l’une sur
l’autre, est très
limitée, et ce ne fut
qu’après avoir
abandonné le
principe d’une
feuille s’élançant
d’une autre en une
ligne continue, pour Pris de l’abbaye de St. Denis, Paris.
adopter celui d’une tige continue d’où s’élancent des
ornements des deux côtés, que le pur ornement
conventionnel prit du développement. Les plus anciens
129
exemples de ce changement se trouvent dans les décorations
de Ste. Sophie à Constantinople ; et nous reproduisons ci-
contre un exemple pris de St, Denis, dans lequel quoique le
bombement à la tige et la feuille tournée en arrière à la
jonction de deux tiges, aient entièrement disparu, la tige
continue n’est pas encore entièrement développée, comme
on le voit dans la bordure étroite du haut et du bas. Ce
principe est très généralement suivi dans les manuscripts
enluminés du onzième, du douzième et du treizième siècle,
et c’est la base du feuillage du style ogival du 13ème siècle.
Les fragments reproduits sur la planche XXVII., pris du
musée Brescian, sont plus élégants que ceux de la villa
Médicis ; les feuilles y sont plus vivement accentuées et
traitées d’une manière plus conventionnelle. La frise de l’arc
des Orfèvres péche, au contraire, par la cause inverse.
Nous n’avons pas cru qu’il fût nécessaire de donner dans
cette série un exemple des décorations peintes des Romains,
dont il existe des restes dans les bains romains. Nous
n’avions pas à notre disposition des matériaux d’une source
authentique ; et de plus, elles ressemblent tellement à celles
de Pompéï, et montrent plutôt ce qu’on doit éviter que ce
qu’on doit suivre, que nous avons cru qu’il serait suffisant de
reproduire les deux sujets du forum de Trajan, dont les
figures terminées en rinceaux, peuvent être considérées
comme la fondation du cachet qui est le caractère
proéminent de leurs décorations peintes.

130
Temple de Jupiter Stator,
Rome. Temple de Vesta, Rome. Arc de Constantin, Rome.

131
Arc de Trajan, Ancones. Arc de Titus, Rome.

Temple de Mars Victor,


Rome. Panthéon, Rome. Panthéon, Rome.

Intérieur du Panthéon, Rome. Arc de Septime Sévère, Rome.

132
Chapiteaux corinthiens et composites sur une échelle réduite,
d’après l’ouvrage de MM. Taylor et Cresy. [3]

133
134
135
1. ↑ Examples of Ornamental Sculpture in Architecture, par Lewis Vulliamy,
Architecte,
2. ↑ Museo Bresciano, illustrato, Brescia, 1838.
3. ↑ The Architectural Antiquities of Rome, par G. L. Taylor et Cresy,
Architectes. Londres, 1821.

136
CHAPITRE VII. — PLANCHES 28, 29, 29*,
30.

ORNEMENTS BYZANTINS.

PLANCHE XXVIII.
1, 2, 3.
Ornements sculptés sur pierre, Ste. Sophie,
Constantinople, 6ème siècle. —
SALZENBERG, Alt. Christliche
Baudenkmals, Constantinopel.
4, 5. Pris des portes en bronze de Ste. Sophie.
— SALZENBERG.
6, 7. Parties d’un diptyque en ivoire, cathédrale
de Beauvais ; ouvrage appartenant, selon
les apparences, à la période anglo-
saxonne du 11ème siècle. — VILLEMIN,
Monuments Français inédits.
8. Partie d’une porte en bronze, basilique de
la Nativité, Bethlehem. 3ème ou 4ème

137
siècle. — GAILHABAUD, L’Architecture et
les arts qui en dépendent.
91-3. Sculptures sur pierre de St. Marc, Venise.
11ème siècle. — J. B. W., pris de plâtres
qui se trouvent à Sydenham.
14-16.Partie d’un chapiteau de l’église St.
Michel, Schwäbisch Hall. 12ème siècle.
— HEIDELOFF, Ornamentik des
Mittelalters.
17. Pris d’une porte, conservée au monastère
de Murrhard. — HEIDELOFF.
18. Composition de bosses, de St. Sebald,
Nuremberg, et de l’église de Nossen,
Saxe. — HEIDELOFF.
19, 20.
Frises de l’église de St. Jean, Gmund,
Souabe. — HEIDELOFF.
21. Sculpture romane en bois et en ivoire, de la
collection de Herr Leven, Cologne. —
HEIDELOFF.
22. Pris de la porte principale
en bronze, Monreale,
près de Palerme. — J. B. 11ème et
W. 12ème
23. Pris de la porte en bronze siècle.
du duomo, Ravello, près
d’Amalfi. — J. B. W.
24, 25.
Pris de la porte en bronze du duomo, Trani.
12ème siècle. — BARRAS ET LUYNES,

138
Recherches sur les Monuments des
Normands en Sicile.
26. Sculpture sur pierre prise du petit cloître,
monastère de Huelgas, près de Burgos,
Espagne. 12ème siècle. — J. B. W.
27. Pris du porche de la cathédrale de Lucques.
Circa 1204 — J. B. W.
28. Pris du porche de St. Denis près de Paris.
12ème siècle. — J. B. W.
29. Pris des cloîtres de St. Ambroise, Milan. —
J. B. W.
30. Pris de la chapelle de Heilsbronn, Bavière.
— HEIDELOFF
31. Pris de St. Denis. — J. B. W.
32. Pris de la cathédrale de Bayeux. 12ème
siècle. — PUGIN, Antiquities of
Normandy.
33. Pris de S. Denis. — J. B. W.
34. Cathédrale de Bayeux. — PUGIN.
35. Pris du porche de la cathédrale de Lincoln.
Fin du 12ème siècle. — J. B. W.
36. Pris du porche de Kilpeck, comté de
Hereford. 12ème siècle. — J. B. W.

PLANCHE XXIX.

139
1-6. Mosaïques prises de Ste. Sophie,
Constantinople, 6ème siècle. —
SALZENBERG, Alt. Christliche
Baudenkmals, Constantinopel.
7. Pavé en marbre, Agios Pantokrator,
Constantinople. Première moitié du
12ème siècle. — SALZENBERG
8, 9. Pavé en marbre, Ste. Sophie. —
SALZENBERG
10, 11.Mosaïques, Ste. Sophie. — SALZENBERG
12-15.Pris de manuscripts grecs enluminés,
musée Britannique. — J. B. W.
16, 17.Bordures prises de manuscripts grecs
enluminés. — CHAMPOLLION FIGEAC,
Palœographie universelle.
18. Pris de St. Marc, Venise. — Digby Wyatt,
Mosaics of the Middle Ages.

PLANCHE XXIX*.
19. Pris d’un manuscript grec, musée
Britannique. — J. B. W.
La bordure en dessous est de Monreale. —
DIGBY WYATT’S Mosaice.

140
20. Pris des homélies de Grégoire Nazianzen.
12ème siècle. — CHAMPOLLION FIGEAC
21, 22.
Pris d’un manuscript grec, musée
Britannique. — J. B. W.
23. Pris des Actes des Apôtres, manuscript
grec, bibliothèque du Vatican, Rome. —
DIGBY WYATT’S
24. St. Marc, Venise. — DIGBY WYATT’S
25. Partie d’un diptyque grec. 10ème siècle.
Florence. — J. B. W. (On croit que les
fleurs-de-lys sont d’un travail plus
récent.)
26. Email du 13ème siècle (Français). —
VILLEMIN, Monuments Français inédits.
27. Pris d’un coffret émaillé (le centre est pris
de la statue de Jean, fils de St. Louis). —
DU SOMMERARD, Les Arts du Moyen-âge.
28. Pris du tombeau émaillé de Jean, fils de St.
Louis. 1247. — VILLEMIN
29. Émail de Limoges, probablement de la fin
du 12ème siècle. — VILLEMIN
30. Partie d’un pavé en mastique, 12ème siècle,
conservé à St. Denis, près de Paris. —
VILLEMIN

141
PLANCHE XXX.
1, 2 Mosaïques (opus Grecanicum) de la
cathédrale de Monreale, près de
Palerme ; fin du 12ème siècle. — J. B. W.
3. Mosaïques de l’église d’Ara Coeli, Rome.
— J. B. W.
4, 5. Cathédrale de Monreale. — J. B. W.
6. Pavé en marbre, St. Marc, Venise. — J. B.
W.
7-10. Pris de San Lorenzo Fuori, Rome ; fin du
12*ше siècle. — J. B. W.
11. San Lorenzo Fuori, Rome. — J. B. W.
12. Ara Coeli, Rome. — J. B. W.
13. Pavé en marbre, St. Marc, Venise. — J. B.
W.
14. San Lorenzo Fuori, Rome. — Architectural
Art in Italy and Spain by WARING and
MACQUOID
15, 16.Païenne. — DIGBY WYATT’S Mosaics of the
Middle Ages.
17. Pris de la cathédrale de Monreale. — J. B.
W.
18. Pris d’Ara Coeli, Rome. — J. B. W.
19. Pavé en marbre, S. M. Maggiore, Rome. —
HESSEMER, Arabische und alt Italiänische
Bau Verzierungen.

142
20. Pavé en marbre, St. Vital, Ravenne. —
HESSEMER.
21. Pavé en marbre, S. M. eu Cosmedin,
Rome. — HESSEMER.
22, 23.
Mosaïque, St. Marc, Venise. — Specimens
of the Mosaics of the Middle Ages,
DIGBY WYATT’S
24. Baptistère de St. Marc, Venise. — WARING
AND MACQUOID

25. San Giovanni


Latermo, Rome DIGBY WYATT’S
Mosaics of the
26. Le duomo, Civita
Middle Ages.
Castellana
27. Ara Coeli, Rome. — J. B. W.
28. San Lorenzo,
Rome. Architectural Art in
29. Ara Coeli, Italy and Spain.
Rome. — WARING AND
30. San Lorenzo, MACQUOID
Rome.
31. San Lorenzo Fuori, Rome. — J. B. W.
32. San Giovanni Latermo, Rome. — DIGBY
WYATT’S Mosaics of the Middle Ages.
33-35.Cathédrale de Monreale. — J. B. W.
36-38.Pavé en marbre, S. M. Maggiore, Rome. —
HESSEMER

143
39. St. Marc, Venise. — Mosaics of the Middle
Ages. DIGBY WYATT’S
40. Pris du baptistère, St. Marc, Venise. — J.
B. W.
41. Pris de S. Marc, Venise. — Architectural
Art in Italy and Spain.
42. Pris du duomo, Monreale. — J. B. W.

ORNEMENTS BYZANTINS.
Le vague avec lequel les auteurs, qui ont écrit sur les arts,
ont traité l’architecture byzantine et l’architecture romane,
— cela même dans ces dernières années, — s’est étendu
aussi aux décorations concomitantes de ces styles
d’architecture. Ce vague provient principalement du
manque d’exemples aux quels l’écrivain pouvait avoir
recours ; et ce n’a été qu’après la publication du grand
ouvrage de Herr Salzenberg sur Ste. Sophie,
Constantinople, que nous avons pu former une idée
complète et arrêtée, de ce qui constituait le pur ornement
byzantin. L’église de St. Vital à Ravenne, quoiqu’elle soit
d’un style entièrement byzantin, quant à l’architecture, ne
nous donne qu’une idée bien incomplète de l’ornementation
byzantine ; St. Marc, à Venise, ne représente qu’une phase
de l’école byzantine, et la cathédrale de Monreale et les

144
autres exemples du même style, qui se trouvent en Sicile, ne
servent qu’à nous montrer l’influence de l’art byzantin pur,
mais c’est à peine s’ils en illustrent la vraie nature. Pour
connaître à fond et comprendre parfaitement le style
byzantin, nous avions besoin de ce dont les ravages du
temps et le badigeonnage des Mahométans nous avaient
privés, savoir, d’un édifice byzantin sur une grande échelle,
exécuté pendant la meilleure période de l’époque byzantine.
Cette source d’informations inappréciables nous a été
ouverte, grace à l’esprit éclairé du Sultan et à la libéralité du
gouvernement prussien, lequel l’a fait connaître au monde,
par la publication du bel ouvrage de Herr Salzenberg sur les
églises et les édifices de l’ancienne Byzance ; ouvrage que
nous recommandons à tous ceux, qui désirent avoir une idée
graphique de ce qu’était vraiment l’art décoratif byzantin.
Il n’y a probablement aucune branche de l’art, à laquelle
on puisse appliquer plus, à propos la remarque, ex nihilo
nihil fit, qu’à l’art décoratif. Ainsi, nous trouvons que les
particularités caractéristiques du style byzantin, proviennent
de la combinaison de diverses écoles ; et nous allons
indiquer brièvement les causes premières, qui ont servi à
former ce style.
Au commencement du quatrième siècle, même avant le
transfer du siège de l’empire romain de Rome à Byzance,
nous voyons tous les arts, soit dans une période de
décadence soit à l’état de transformation. Il est certain, que
Rome a communiqué son style particulier de l’art, aux
nombreux peuples étrangers placés sous sa domination,

145
mais il n’est pas moins certain, que l’art hybride de ses
provinces a réagi puissamment sur le centre de la
civilisation ; et même à la fin du troisième siècle, celui-ci
avait déjà matériellement affecté le style fastueux de
décorations, qui caractérisait les bains magnifiques et les
autres édifices publics de Rome. La nécessité où se trouva
Constantin, nouvellement établi à Byzance, d’employer des
artistes et des ouvriers orientaux, produisit un changement
plus vital et plus marqué dans le style traditionnel romain ;
et il ne peut guère y avoir de doute, que chaque nation
voisine n’ait fourni son contingent à la formation de l’école
nouvelle, selon son état de civilisation et ses connaissances
de l’art, jusqu’à ce qu’enfin cette masse composée
d’éléments hétérogènes, finit par se fondre en un ensemble
systématique, pendant le règne long et prospère, pour les
arts, du premier Justinien.

146
b
Nous ne pouvons manquer d’être frappés de l’influence
importante, que ce résultat exerça, pendant la domination
des César, dans la construction des grands temples et des
théâtres de l’Asie Mineure, dans lesquels nous voyons déjà
une tendance à employer les lignes courbes elliptiques, les
feuilles aux pointes aiguës, et le feuillage léger et continu
sans la boule bourgeonnante et la fleur, — traits
caractéristiques de l’ornement byzantin. On voit sur la frise
du théâtre à Patara (a), et sur le temple de Vénus à
Aphrodisias (Carie), un feuillage coulant, tel que celui
auquel nous avons fait allusion. Sur le portique du temple
élevé à Ancyre (b) par les chefs indigènes de la Galatie, en
l’honneur d’Auguste, se trouve un type encore plus
caractéristique ; et le chapiteau du pilastre d’un petit temple
à Patara (c), appartenant selon Texier au premier siècle de
l’ère chrétienne, est presque identique à un chapiteau
dessiné par Salzenberg à Smirne (d), lequel doit remonter,
selon lui, à la première partie du règne de Justinien, ou
environ l’an 525.

147
Faute de dates authentiques, nous ne pouvons arriver à
une décision satisfaisante, quant à l’in fluence que la Perse
a exercée sur le style byzantin, mais il est certain, que
Byzance employait en grand nombre les ouvriers et les
artistes persans. Dans les monuments remarquables à Tak-i-
Bostan, à Bi-Sutoun et à Tak-i-
Ghero, et dans plusieurs anciens
chapiteaux à Ispahan,
que reproduisent
Flandin et Coste dans
leur grand ouvrage sur
la Perse, nous sommes,
à première vue, frappés
de leur caractère entièrement
byzantin ; mais nous sommes portés
à croire, qu’ils sont postérieurs, ou
tout au plus contemporains, à la meilleure période de l’art
byzantin, c’est-à-dire à celle du sixième siècle. Quoi qu’il
en soit, nous trouvons les formes d’une période encore plus
ancienne, reproduites à une époque aussi récente que l’ап
363 ; et dans la colonne de Jovian à Ancyre
(e), élevée pendant ou peu après sa retraite de
la Perse, avec l’armée de Julien, nous
reconnaissons l’application d’une des formes
ornementales les plus générales de l’ancienne
Persépolis. On trouve aussi à Persépolis, les
feuilles pointues et canelées, si
caractéristiques du travail byzantin, comme
on peut le voir dans l’exemple ci-contre pris de Ste. Sophie
148
(f) ; et à une période plus récente, pendant la domination
des César, nous trouvons dans l’architecture du temple
dorique de Kangovar (g), des moulures, dont les contours
sont précisément semblables à ceux que le style byzantin
affectionnait le plus.
S’il est intéressant et instructif de tracer l’origine de ces
formes du style byzantin, il ne l’est pas moins d’en marquer
la transmission, en même temps que celle des autres formes,
à des époques plus récentes.
Ainsi le No. 1, planche
XXVIII. reproduit la feuille
particulière, telle qu’elle est
donnée par Texier et
Salzenberg, qui reparait dans
Ste. Sophie ; et le No. 3,
planche XXVIII. nous
représente la croix foliée de St.
André dans un cercle, si généralement employée dans
l’ornementation romane et dans l’ornementation gothique.
Sur la même frise se trouve un dessin (Allemagne) qui
diffère bien légèrement du No. 17. La branche courbe et
foliée du No. 4 — sixième siècle, Ste. Sophie — se trouve
reproduite avec une légère variation, au No. 11 — onzième
siècle, St. Marc. La dentelure des feuilles du No. 19 —
Allemagne — est presque identique à celle du No. 1 — Ste.
Sophie ; et tous les exemples de l’avant dernière rangée de
la planche XXVIII. représentant des sujets pris de

149
l’Allemagne, de l’Italie, et de l’Espagne, décèlent une
ressemblance générique, fondée sur le type byzantin.
La dernière rangée d’objets sur cette planche, présente
plus spécialement, des illustrations du style roman, et les
Nos. 27 et 36 représentent l’ornement entrelacé si fort en
faveur chez les nations du nord, et qui est principalement
basé sur un type indigène ; tandis que le No. 35 pris de St.
Denis, nous fournit un exemple, entre mille, de la
reproduction de modèles romains, dont le type qu’on
retrouve généralement employé dans le style roman, se
trouve sur la colonne romaine à Cassy, entre Dijon et
Chalons-sur-Marne.
Nous voyons donc que Rome, la Syrie, la Perse, et
d’autres pays, prirent tous part à la formation du style de
l’art byzantin et de ses décorations concomitantes, lequel,
tout complet qu’il était du temps de Justinien, réagit dans sa
forme nouvelle et systématisée sur la partie occidentale du
monde connu alors, subissant dans son cours certains
changements ; changements qui, provenant de l’état de la
religion, de l’art et des mœurs des pays où l’art byzantin fut
introduit, lui donnèrent un caractère spécifique, et
produisirent, dans certains cas, des styles d’ornements co-
relatifs et cependant distincts, comme on le voit dans les
écoles celtique, anglo-saxonne, lombarde et arabe. Sans
nous occuper de la question de savoir jusqu’à quel point, les
ouvriers et les artistes byzantins ont été employés en
Europe, nous ne saurions entretenir le moindre doute, que le
caractère de l’école d’ornementation byzantine, ne soit très

150
fortement empreint sur tous les premiers ouvrages de la
partie centrale et même de la partie occidentale de l’Europe,
ouvrages qui sont rangés sous le nom générique de roman.
Le pur ornement byzantin se fait remarquer par des
feuilles pointues à dentelures larges, qui en sculpture sont
coupées de biais aux extrémités, profondément cannelées et
perforées de trous profonds aux différents points de
naissance de la dentelure ; le feuillage est généralement
maigre et continu, comme dans les Nos. 1, 14, de la planche
XXIX. et le No. 20 de la planche XXIX*. Le fond, soit de
mosaïque ou d’ouvrage peint, est presque toujours couleur
d’or ; et on préfère les patrons légers entrelacés, aux dessins
géométriques. L’introduction de figures d’animaux ou
autres, est très limitée en sculpture ; et lorsqu’elles sont
coloriées, elles sont principalement employées dans les
sujets sacrés, d’un style raide et conventionnel, ne montrant
que peu de variété et de sentiment ; la sculpture elle-même
est d’une importance toute secondaire.
L’ornement roman, au contraire, dépendait
principalement de la sculpture, pour les effets : il est riche
en lumière et en ombre, en profondes incisions, en
projections massives, et enfin en un mélange varié de
figures de tout genre, de feuillages et d’ornements
conventionnels. La peinture supplée généralement à la
mosaïque ; et dans les ornements coloriés, on emploie les
reproductions d’animaux aussi librement que dans la
sculpture, vide le No. 26 de la planche XXIX* ; mais le
fond n’est plus toujours couleur d’or, il est tantôt bleu,

151
tantôt rouge ou vert, comme dans les Nos. 26, 28, 29, de la
planche XXIX*. Sous les autres rapports, si nous prenons
en considération les différences locales, nous voyons que le
style roman conserve beaucoup le caractère byzantin ; et
dans le cas particulier des vitraux peints, par exemple, il a
transmis ce caractère aux ouvrages du milieu et même de la
fin du treizième siècle.
Les ouvrages mosaïques de dessins géométriques
appartiennent spécialement à la période romane, surtout en
Italie ; on en trouvera de nombreux exemples à la planche
XXX. Cet art florissait principale ment pendant le douzième
et le treizième siècle ; il consiste dans l’arrangement de
petits morceaux de verre, en forme de losanges, dans une
série compliquée de lignes diagonales, dont la direction est
de temps à autre arrêtée ou définie par le moyen de couleurs
différentes. Les exemples pris de l’Italie centrale, tels que
ceux que reproduisent les Nos. 7, 9, 11, 27, 31, sont
beaucoup plus simples que ceux des provinces méridionales
et de la Sicile, où les artistes sarasins introduisirent leur
amour inné pour les dessins compliqués, dont les Nos. 1, 5,
33, reproduisent des exemples ordinaires, pris de Monreale,
près de Païenne. Nous devons faire remarquer qu’il existait
en Sicile, à la même époque, deux styles distincts de
dessin : l’un, dont vous venons de parler, qui se compose
d’entrelacements diagonaux et qui est éminemment d’une
origine mauresque, comme on peut le voir en examinant la
planche XXXIX. ; l’autre qui consiste en courbes
entrelacées, telles que nous présentent les illustrations, Nos.

152
33, 34, 35, prises aussi de Monreale, dans lesquelles nous
pouvons reconnaître, si non la main, du moins l’influence
des artistes byzantins. Les Nos. 22, 24, 39, 40, 41, sont d’un
caractère tout à fait différent, tout en appartenant à la même
époque ; ils servent d’exemples du style vénéto-byzantin,
dont l’influence était peu étendue, étant presque un style
local et particulier dans son caractère ; quelques unes des
illustrations appartiennent cependant plus spécialement à
l’école byzantine, telles que celles du No. 23, cercles
entrelacés, et des Nos. 3, 10, et 11, planche XXIX.,
reproduisant l’ornement qu’on trouve si généralement à Ste.
Sophie, dans la décoration des marches.,
L’opus Alexandrinum, ou ouvrage de mosaïques en
marbre, se distingue principalement de lopus Grecanicum,
ou ouvrage de mosaïques en verre, par la différence de la
nature des substances, mais quant au principe (celui du
dessin géométrique compliqué) c’est toujours le même. Les
pavés des églises dans le style roman, en Italie, abondent en
exemples de ce genre d’ornement, dont la tradition a été
transmise à la postérité depuis le siècle d’Auguste. Les Nos.
19, 21, 36, 37, et 38, donnent une bonne idée de la nature de
cet ornement.
Les styles locaux, d’après le système de marqueterie en
marbre, existaient dans plusieurs parties de l’Italie pendant
la période romane, et ils ont peu de ressemblance avec les
modèles romains ou byzantins ; tel est le No. 20, pris de St.
Vital, Ravenne, et tels sont les pavés du Baptistère et de San
Miniato, Florence, du onzième siècle, du douzième et du

153
treizième, dans lesquels l’effet désiré n’est produit qu’à
l’aide du marbre noir et du marbre blanc ; à ces exceptions
près, et excepté aussi les ornements produits par l’influence
mauresque dans le sud de l’Italie, on trouve que les
principes des ornements de marqueterie en verre et en
marbre de l’ancienne Rome, ont été suivis dans les
ouvrages du même genre, exécutés dans toutes les
provinces soumises à la domination romaine ;
principalement dans les diverses mosaïques découvertes à
Pompéï, qui en sont des exemples frappants, vide planche
XXV.
Tout importante qu’a été l’influence que l’art byzantin a
exercée en Europe, du sixième jusqu’au onzième siècle, et
même jusqu’à une époque plus rapprochée, il n’y a aucun
peuple chez lequel cette influence se soit fait plus sentir que
parmi la grande race arabe, qui a propagé la croyance de
Mahomet, conquis les plus beaux pays de l’Orient, et qui a
même réussi à s’établir en Europe. L’influence du style
byzantin se fait fort++ement remarquer dans les premiers
édifices, que les Arabes construisirent au Caire, à
Alexandrie, à Jérusalem, à Cordoue, et en Sicile. Les
traditions de l’école byzantine affectèrent plus ou moins
tous les pays voisins ; en Grèce elles restèrent les mêmes
sans subir presque aucune modification, jusqu’à une
période très rapprochée de nous, et ce sont ces traditions qui
ont servi, en grande partie, à former la base de tous les arts
décoratifs, en Orient et dans l’Europe orientale.
J. B. WARING.

154
Septembre 1856.

** Pour plus amples informations sur ce sujet, nous renvoyons le lecteur au


Guide de la cour byzantine et de la cour romane, Sydenham. — WYATT et
WAKINQ.

OUTRAGES AUXQUELS ON A EU RECOURS POUR LES


ILLUSTRATIONS.

SALZENBERG.Alt Christliche Baudenkmale von Constantinopel.


FLANDIN ET COSTE. Voyage en Perse.
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HEIDELOFF. Die Ornamentik des Mittelalters.
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GAILHABAÜD. L’Architecture et les Arts qui en dépendent.
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DIGBY WYATT. Geometrical Mosaics of the Middle Ages.
WARING AND MACQUOID. Architectural Art in Italy and Spain.
WARING. Architectural Studies at Burgos and its Neighbourhood.

155
156
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158
159
CHAPITRE VIII. — PLANCHES 31, 32, 33,
34, 35.

ORNEMENTS ARABES.
DU CAIRE.

PLANCHE XXXI.
Cette planche consiste en architraves et en
intrados ornés, pris des fenêtres de l’intérieur de
la mosquée de Tooloon, Caire. Les ornements
sont exécutés en plâtre, et presque chaque
fenêtre est d’un dessin différent. Les principaux
arcs du bâtiment sont décorés de la même
manière ; mais il ne reste actuellement qu’un
seul fragment d’un des intrados assezgrand pour
indiquer le dessin. Ce fragment se trouve
reproduit à la planche XXXIII, No. 14.
Les Nos. 1-14, 27, 29, 34-39, sont des dessins
des architraves autour des fenêtres. Les autres
dessins sont pris des intrados et des jambages.

160
La mosquée de Tooloon a été fondée en 876-
7, et ces ornements datent assurément de cette
époque. Cette mosquée est le bâtiment arabe le
plus ancien qu’il y ait au Caire, et possède un
intcrêt tout particulier en ce qu’elle présente
l’exemple le plus ancien que nous connaissions
du centre en ogive.

PLANCHE XXXII.
1-7. Pris du parapet de la mosquée du Sultan,
Kalaoon.
9-10. Ornements autour des arcs de la mosquée
En Nasireeyeh.
11-13.Ornements autour des architraves courbes
de la mosquée du Sultan, Kalaoon.
14. L’intrados d’un des principaux arcs de la
mosquée de Tooloon.
15-21.Ornements de la mosquée de Kalaoon.
22. Cordon en saillie, pris d’une chaire en bois.
23-25.Pris de la mosquée de Kalaoon.
La mosquée de Kalaoon a été fondée en 1284-
5. Tous les ornements sont exécutés en plâtre, et
ont été découpés dans le stuc pendant qu’il était
encore humide. Il y a trop de variétés dans les
dessins et même trop de disparités dans les
parties correspondantes du même dessin, pour

161
que l’on puisse supposer que ces ornements aient
été frappés ou coulés au moule.

PLANCHE XXXIII.
1-7. Pris du parapet de la mosquée du Sultan,
Kalaoon.
8-10. Architraves courbes de la même mosquée.
12. Intrados d’arc, mosquée En Nasireeyeh.
13. Pris d’une porte de la mosquée El
Barkookeyeh.
14. Architraves de bois, mosquée En
Nasireeyeh.
15. Intrados de fenêtre de la mosquée de
Kalaoon.
16, 17.Architrave de bois.
18. Frise autour d’une tombe, mosquée En
Nasireeyeh.
19. Architrave de bois.
20-23.Ornements pris de différentes mosquées.

PLANCHE XXXIV.
Ces dessins ont été pris d’un exemplaire
superbe du Coran, qui se trouve à la mosquée El
Barkookeyeh, fondée en 1384.

162
PLANCHE XXXV.
Consiste en différentes mosaïques prises de
pavés et de murs de maisons particulières et de
mosquées du Caire.
Ces mosaïques sont exécutées en marbre
blanc et noir, combiné avec des tuiles rouges.
Les Nos. 14-16 sont des dessins gravés dans
les dalles de marbre blanc, et remplis de ciment
rouge et noir. L’ornement sur marbre blanc
reproduit au centre du No. 21 est légèrement en
relief.
Pour les matériaux de ces cinq planches, nous
sommes redevables à l’obligeance de M. James
William Wild, qui a passé au Caire un temps
considérable à étudier la décoration de l’intérieur
des maisons arabes ; et ces spécimens peuvent
être regardés comme des copies fidèles des
ornements arabes du Caire.

ORNEMENTS ARABES.
Lorsque la religion de Mahomet commença à se répandre à
l’Orient avec une rapidité étonnante, les besoins toujours
croissants de la nouvelle civilisation, donnèrent lieu à la
formation d’un nouveau style d’art ; et quoique les premiers

163
édifices des Mahométans ne fussent que des bâtiments
romains Tympan d’un arc de Ste. Sophie, Salzenberg.

Tympan d’un arc de Ste. Sophie, Salzenberg.


ou byzantins adaptés à leur usage, ou des édifices construits
sur les ruines de ces bâtiments avec les mêmes, matériaux qui
avaient été employés, dans l’origine, à leur construction, il
n’en est pas moins certain, que les nouveaux besoins auxquels
nécessaire d’exprimer, ont dû imprimer, dès la première
époque, un cachet tout particulier à leur architecture.

164
Ils construisaient leurs édifices, en partie, de vieux
matériaux, et ils cherchaient à imiter dans les nouvelles parties
de la construction, les détails empruntés aux anciens
bâtiments. Le résultat fut le même, qui avait eu lieu
auparavant déja, dans la transformation du style romain en
style byzantin : les imitations étaient mal ébauchées et
imparfaites. Mais cette imperfection même donna naissance à
un nouvel ordre d’idées ; loin de s’en tenir au modèle original,
ils s’affranchirent par degrés, des entraves qu’imposait ce
modèle. Les Mahométans, dès la première époque de leur
histoire, formèrent et perfectionnèrent un style d’art — un
style particulier et tout à eux. Les ornements de la planche
XXXI. sont pris de la mosquée de Tooloon au Caire, qui a été
élevée en 876, c’est-à-dire, 250 années seulement après
l’établissement du Mahométanisme ; et dans cette mosquée,
nous trouvons déjà un style d’architecture complet en lui-
même, retenant, il est vrai, des traces de son origine, mais
libre de, tout vestige d’imitation directe du style précédent. Ce
résultat est remarquable, surtout, lorsqu’on le compare avec
les résultats de la religion chrétienne dans une autre direction.
On ne saurait guère dire du christianisme, qu’il ait produit un
style particulier, un style à lui et tout-à-fait libre des traces du
paganisme, avant le douzième ou le treizième siècle.
Les mosquées du Caire comptent parmi les plus beaux
édifices du monde. Elles se font remarquer, en même temps,
par la grandeur et la simplicité de leurs formes générales, et
par l’élégance et le raffinement déployés dans la décoration de
ces formes.

165
Cette élégance de l’ornementation était apparemment
d’origine perse, source à laquelle les Arabes, à ce que l’on
croit, ont puisé bien des arts qu’ils exerçaient. Il est plus que
probable que cette influence leur arrivait par un double
procédé. L’art byzantin lui-même décèle déjà, l’influence
asiatique. Les restes de Bi Sutoun, publiés par Flandin et
Coste, doivent appartenir à l’art perse, modifié par l’influence
byzantine, ou s’ils remontent à une date plus ancienne, il faut
conclure qu’une grande partie de l’art byzantin est dérivée de
sources perses, car la ressemblance des deux styles, dans le
caractère général des contours, est très-grande. Nous avons
déja parlé au chapitre III. d’un ornement sur un chapiteau
sassanien, reproduit au No. 16, planche XIV., qui est, à ce
qu’il paraît, le type des diaprés arabes ; et sur le tympan de
l’arc que nous reproduisons ici, d’après l’ouvrage que
Salzenberg a publié sur Ste. Sophie, on verra un système de
décoration totalement différent, et en désaccord avec une
grande partie des traits gréco-romains de l’édifice, traits qui
sont peut-être le résultat de quelque influence asiatique. Mais
quoi qu’il en soit, ce tympan est lui-même la fondation de la
décoration de surface des Arabes et des Maures. On
remarquera que le feuillage qui entoure le centre, tout en
représentant une réminiscence de la feuille d’acanthe, est la
première tentative faite pour écarter le principe de faire naître
les feuilles l’une de l’autre ; l’enroulement est continu et sans
interruption. Le dessin est répandu sur tout le tympan de
manière à produire une teinte unie et égale, but auquel les
Arabes et les Maures ont toujours tendu. Un autre trait qui s’y
fait remarquer, c’est, que les moulures de la bordure de l’arc
sont décorées à la surface, et que l’intrados de l’arc est décoré

166
de la même manière que les intrados des arcs arabes et
mauresques.
La collection d’ornements prise de la mosquée de Tooloon,
planche XXXI., est remarquable en ce qu’on y voit étalés déjà,
dans l’état primitif de l’art arabe, les types de tous ces
arrangements de formes, qui ont atteint le point culminant à
l’Alhambra. S’il existe une différence, elle ne résulte que de
ce qu’il y a moins de perfection dans la distribution des
formes, mais les premiers principes moteurs sont les mêmes.
Ces ornements représentent le premier degré de la décoration
de surface. Ils étaient exécutés en plâtre, et après avoir nivelé
et rendu parfaitement unie la surface de la partie qu’on en
voulait décorer, on estampillait le dessin sur le plâtre pendant
qu’il était encore à l’état plastique, ou on l’y traçait à l’aide
d’un instrument émoussé, lequel, en faisant les incisions,
arrondissait légèrement les contours. Nous reconnaissons, à
première vue, que le principe du rayonnement des lignes d’une
tige-mère, et celui des courbes tangentes de ces lignes, y
étaient, ou retenus par la tradition gréco-romaine, ou suivis par
sentiment, d’après l’observation de la nature.
Plusieurs des dessins, tels que 2, 3, 4, 5, 12, 13, 32, 38,
retiennent encore les traces de cette origine grecque : deux
fleurs, ou une fleur tournée en haut et une autre tournée en
bas, aux deux bouts de la tige ; il y avait cependant cette
différence que chez les Grecs les fleurs ou feuilles ne
formaient pas partie

167
Arabe. Arabe. Arabe.

Grec. Mauresque.

de l’enroulement, mais elles en naissaient, tandis que chez


les Arabes l’enroulement même était changé en feuille
intermédiaire. Le No. 37 montre l’enroulement continu dérivé
de l’art romain, mais la division à chaque tour de
l’enroulement, qui caractérise si fortement l’ornement romain,
y est omis. L’ornement dont nous donnons la gravure ci-
dessous est tiré de Ste. Sophie, et représente, à ce qu’il paraît,
un des premiers exemples de ce changement.

Les dessins droits de cette planche, pris principalement des


intrados des fenêtres, et qui à cause de cela, ont tous une
tendance verticale, peuvent être considérés comme les germes
de tous les modèles de cette classe d’un dessin si exquis, où la

168
répétition du même dessin, côte-à-côte, en produit un autre ou
plusieurs autres. Plusieurs, parmi les dessins de cette planche,
devraient être doubles dans la direction latérale ; mais le désir
que nous avions d’en reproduire autant de variétés que
possible, nous a empêchés de graver la répétition.
À l’exception de l’ornement du centre de la planche
XXXII., qui est pris de la même mosquée que l’ornement de la
planche précédente, tous les ornements des planches XXXIII.
et XXXIV., datent du treizième siècle, c’est-à-dire qu’ils sont
plus récents de quatre cents ans que ceux de la mosquée de
Tooloon. Les progrès faits dans le style, pendant cette période,
se voient au premier regard. Ces ornements sont bien
inférieurs, cependant, à ceux de l’Alhambra, qui datent de la
même époque. Les Arabes ne sont jamais arrivés à l’état de
perfection dans la distribution des masses, ou dans
l’ornementation des surfaces, que les Maures avaient atteint à
un si haut degré. L’instinct moteur est le même, mais
l’exécution est bien inférieure. Dans l’ornement mauresque, le
rapport entre les aires de l’ornement et le fond, est toujours
parfait ; il n’y a jamais ni lacunes, ni trous ; dans la décoration
des surfaces, se manifeste aussi un talent supérieur, — car il y
a moins de monotonie. Afin de montrer clairement la
différence, noua répétons l’ornement arabe, No. 12, planche
XXXIII., pour le comparer avec deux variétés de diaprés en
losanges de l’Alhambra.

169
Arabe. Mauresque. Mauresque.

Les Maures ont introduit, en outre, un autre trait dans leur


ornementation de la surface, c’est qu’il y a quelquefois deux et
même trois plans sur lesquels les dessins sont tracés, les
ornements du plan de dessus étant distribués hardiment sur la
masse, pendant que ceux du second plan s’entrelacent avec les
premiers, et enrichissent la surface sur un niveau plus bas ;
grace à cet arrangement si admirablement ménagé, une pièce
d’ornementation retient toute sa largeur d’effet, lorsqu’elle est
vue à distance, tout en décelant, à l’inspection minutieuse, des
décorations fort exquises et quelquefois excessive ment
ingénieuses. En général, leur traitement de la surface
présentait plus de variété. Les ornements en forme de plumes,
qui forment un trait si proéminent dans les ornements des
planches XXXII., XXXIII., étaient entremêlés avec des
surfaces planes, comme on peut le voir aux numéros 17, 18,
32, planche XXXII. L’ornement numéro 13, planche XXXIII.,
est en métal découpé, et approche de très près de la perfection
déployée dans la distribution des formes mauresques ; il

170
montre admirablement la diminution proportionnée des formes
vers le centre du dessin, et décèle cette loi fixe, loi que les
Maures n’ont jamais enfreinte, que l’ornement, quelqu’éloigné
qu’il soit ou quelque compliqué qu’en soit le dessin, peut-être
tracé jusqu’à sa branche et sa racine.
En général, les principales différences qui existent entre les
styles arabes et mauresques, peuvent se résumer ainsi, savoir,
que la construction des arabes est caractérisée par plus de
grandeur, et celle des Maures, par plus de raffinement et
d’élégance.
Les ornements exquis de la planche XXXIV., pris d’un
exemplaire du Coran, donneront une idée parfaite de l’art
décoratif des Arabes. Sans l’introduction des fleurs, qui
détruisent tant soit peu l’unité, et qui trahissent une influence
perse, ils présenteraient le plus beau spécimen
d’ornementation arabe qu’on pût trouver. Mais même, tels
qu’ils sont, ils peuvent nous servir de leçon, tant pour la forme
que pour la couleur.
La masse énorme de fragments de marbre tirés des ruines
romaines, n’a pas tardé à induire les Arabes à chercher à imiter
l’usage, qui était universel parmi les Romains, de couvrir les
planchers des maisons et des monuments, de dessins en
mosaïque, arrangés d’après un système géométrique ; et, à la
planche XXXV., il y a un grand nombre des variétés que cette
mode a produites chez les Arabes. Pour former une idée
correcte de ce qui constitue le style dans l’ornementation, on
ne pourrait faire rien de mieux, que de comparer les mosaïques
de la planche XXXV., avec les mosaïques romaines, planche
XXV., avec les mosaïques byzantines, planche XXX., et les

171
mosaïques mauresques, planche XLIII. Il y a à peine une
forme, qu’on trouve dans l’une, qui n’existe également dans
toutes les autres. Et cependant, quelle vaste différence dans
l’aspect de ces planches ! C’est comme une idée exprimée en
quatre langues différentes, dont chacune réveille dans l’âme la
même conception modifiée à l’aide de sons entièrement
différents.
La corde tordue, l’entrelacement des lignes, les croisements
de deux carrés, le triangle équilateral arrangé au dedans
d’un hexagone, tels sont les points de départ dans chacun
de ces styles ; tandis que les principales différences résultent
des divers systèmes de coloris, suggérés principalement par
les matériaux qu’on employait, et par l’usage auquel on les
appliquait. Les ornements arabes et romains sont des pavés
d’un ton sombre ; les ornements mauresques sont des lambris ;
tandis que ceux de la planche XXX., en teintes plus éclatantes,
représentent les décorations de membres faisant partie de la
construction des bâtiments.

172
173
174
175
176
177
CHAPITRE IX. — PLANCHES 36, 37, 38.

ORNEMENTS TURCS.

PLANCHE XXXVI.
1, 2, 3,
16, 18. Pris d’une fontaine à Pera,
Constantinople.
4. Pris de la mosquée du Sultan Achmet,
Constantinople.
5, 6, 7,
8, 13. Pris de tombeaux à Constantinople.
9, 12,14, 15. Pris du tombeau du Sultan Soliman
I., Constantinople.
10, 11,17, 19, 21. Pris de Yeni D’jami, ou
nouvelle mosquée, Constantinople.
20, 22.Pris d’une fontaine à Tophana,
Constantinople.

PLANCHE XXXVII.

178
1, 2, 6,
7, 8. Pris de Yeni D’jami, Constantinople.
3. Rosace du centre du dôme de la mosquée
de Soliman I., Constantinople.
4, 5. Ornements des tympans, sous le dôme le la
mosquée de Soliman I., Constantinople.

PLANCHE XXXVIII.
Partie de la décoration du dôme du tombeau de
Soliman I., Constantinople.

L’ ARCHITECTURE des Turcs, d’après ce qu’on en voit à


Constantinople, est principalement basée, quant à tout ce qui
appartient à la construction, sur le style des premiers
monuments byzantins ; tandis que le système
d’ornementation est une modification du style arabe, avec
lequel il possède à-peu-près la même affinité, que celle qui
existe entre le style du temps d’Elisabeth et la renaissance
italienne.
Lorsque l’art particulier à un peuple, est adopté par un
autre peuple de la même religion, mais différent de caractère
et d’instincts naturels, il faut nous attendre à le trouver
défectueux dans toutes les qualités, dans lesquelles le peuple
qui emprunte est inférieur à celui qu’il imite. Il en est ainsi à
l’égard de l’art des Turcs, comparé à celui des Arabes : la
179
différence qui existe, sous le rapport de l’élégance et du
raffinement, entre les styles des deux peuples, est la même
que celle qui existe entre leur caractère national.
Nous sommes, cependant, portés à croire, que les Turcs
ont rarement exercé eux-mêmes les arts ; mais qu’ils en ont
ordonné l’exécution plutôt qu’ils ne l’ont exécuté, car toutes
leurs mosquées et tous leurs édifices publics, présentent
l’aspect d’un style mixte. Sur le même bâtiment, on trouve
des ornements dérivés des ornements arabes et des ornements
fleuronnés perses, côte à côte avec des détails abâtardis du
style romain et du style renaissance ; ce qui nous conduit à
croire que ces bâtiments ont été construits, pour la plupart,
par des artistes d’une religion différente. À une époque plus
récente, les Turcs ont été les premiers, parmi les races
mahométanes, à abandonner le style traditionnel de
construction de leurs ancêtres, et à adopter dans leur
architecture, la mode prédominante du jour ; leurs bâtiments
et leurs palais modernes sont non seulement l’ouvrage
d’artistes européens, mais ils sont dessinés dans le style
européen le plus en vogue.
Parmi les productions de toutes les nations mahométanes
qui prirent part à l’Exposition de 1851, celles des Turcs
étaient les moins parfaites.
On trouvera dans l’admirable rapport de M. Digby Wyatt,
sur l’état des arts industriels au dix-neuvième siècle, des
spécimens de broderie turque, exposés en 1851 ; et si on les
compare au grand nombre des spécimens de prix de la
broderie indienne, reproduits dans le même ouvrage, on verra

180
facilement, et cela au premier coup d’œil, que l’instinct
artistique des Turcs doit être très inférieur à celui des Indiens.
La broderie indienne est aussi parfaite dans la distribution de
la forme et dans tous les principes de l’ornementation, que
l’objet de décoration le plus élaboré et le plus important.
Les tapis turcs sont les seuls objets, qui nous offrent des
exemples d’une ornementation parfaite ; mais ils sont
principalement fabriqués dans l’Asie Mineure, et très
probablement, ils ne sont pas faits par les Turcs eux-mêmes.
Les dessins en sont tout-à-fait arabes, et ils diffèrent des tapis
perses, en ce que le traitement du feuillage y est beaucoup
plus conventionnel.
En comparant la planche XXXVII., aux planches XXXII.
et XXXIII., on verra facilement les différences qui existent
entre les deux styles. Les principes généraux de la
distribution de la forme sont les mêmes, mais il existe
quelques différences d’une importance secondaire, qu’il
convient cependant d’indiquer.
La surface d’un ornement soit arabe, soit mauresque, n’est
que légèrement arrondie, relevée et enrichie par le moyen de
lignes qui y sont creusées ; ou lorsque la surface est unie, le
patron additionnel sur un premier patron, est produit à l’aide
de la peinture.
L’ornement turc, au contraire, présente à la vue, une
surface sculptée ; et les ornements peints que nous trouvons
dans les manuscripts arabes, planche XXXIV., exécutés en
lignes noirs sur des fleurs d’or, se trouvent dans le style turc,
sculptés sur la surface, produisant ainsi un effet moins large

181
que celui qu’on obtient par les ornements fleuronnés, creusés
dans la surface, du style arabe et du style mauresque.
Le style turc possède une autre particularité, qui fait qu’on
ne peut jamais le confondre avec l’ornement arabe, c’est le
grand abus de l’emploi de la courbe rentrante A A, qui est
pourtant un caractère proéminent dans le style arabe, mais
plus spécialement dans le style perse. Voyez planche XLVI.
Dans le style mauresque, loin de former un trait prédominant,
cette courbe n’est employée que dans des cas exceptionnels.
On adopta cette particularité de la courbe rentrante dans
l’ornement du temps d’Élisabeth, le quel, par le medium des
styles de la renaissance française et de la renaissance
italienne, tira son origine de l’Orient, dont il imita les
ouvrages damasquinés, d’un usage si général à cette époque.
On voit par les illustrations de la planche XXXVI., que le
bombement de la ligne rentrante se trouve, toujours, à
l’intérieur de la courbe spirale de la tige principale ; tandis
que dans l’ornement du temps d’Elisabeth, le bombement se
fait, indifféremment, soit à l’intérieur ou à l’extérieur de la
courbe.
Il est très difficile, et même presque impossible,
d’expliquer complètement à l’aide de mots, les différences
qui existent entre des styles d’ornements, qui possèdent une
ressemblance de famille aussi grande entre eux, que les styles
perse, arabe, et turc ; quoique l’œil les découvre aussi
facilement, et de la même manière, qu’on distingue une
statue romaine d’une statue grecque. Les principes généraux
sont les mêmes dans les styles d’ornements perses, arabes et

182
turcs, mais on trouvera quelque chose de particulier à chacun,
dans les proportions des masses, plus ou moins de grace dans
le coulant des courbes, une tendance des lignes principales à
se diriger dans certaines directions, et une manière
particulière d’entrelacer les formes ; tandis que la forme
générale du feuillage conventionnel reste toujours la même.
Le degré relatif d’imagination, de délicatesse ou de rudesse,
avec lequel les ornements sont dessinés, fera connaître de
suite, s’ils sont l’ouvrage du Perse raffiné et spirituel, ou de
l’Arabe non moins raffiné mais plus réfléchi, ou enfin du
Turc dépourvu de toute imagination. Ornement du

Ornement Turc Ornement Turc

183
Ornement Turc
Ornement du temps d’Élisabeth

La planche XXXVIII. représente une partie de la


décoration du dôme du tombeau de Soliman I., à
Constantinople ; c’est le spécimen le plus parfait, en fait
d’ornement turc, que nous connaissions, et il se rapproche
beaucoup du style arabe. Un des traits les plus
caractéristiques de l’ornement turc, c’est la prépondérance
qu’on y trouve du vert et du noir ; la même chose existe dans
les décorations modernes, du Caire, dans lesquelles le vert
prédomine plus que dans les décorations anciennes, où l’on
employait principalement le bleu.

184
185
186
187
CHAPITRE X. — PLANCHES 39, 40, 41, 41*,
42, 42*, 42†, 43.

ORNEMENTS
MAURESQUES,
D E L’ A L H A M B R A .

PLANCHE XXXIX.
ORNEMENTS ENTRELACÉS.
1-5, 16, 18, sont des bordures de lambris feints
en mosaïque.
6-12, 14. Ornements en plâtre, employés en
bandes horizontales et verticales,
entourant les panneaux des murs.
13, 15.
Points d’arrêt carrés dans les bandes des
inscriptions.
17. Ornement peint du grand arc dans la salle
du Bateau.

188
PLANCHE XL.
TYMPANS D’ARCS.
1. Pris de l’arc central de la cour des Lions.
2. Pris du divan ; salle des Deux Sœurs.
3. Pris de l’entrée conduisant de la cour du
Vivier à la cour des Lions.
4. Pris de l’entrée conduisant de la salle du
Bateau à la cour du Vivier.
5, 6. Pris des arcs de la salle de Justice.

PLANCHE XLI.
DIAPRÉS EN LOSANGES.
1. Ornement pris des panneaux de la salle du
Bateau.
2. „ „ de la salle des Ambassadeurs.
3. „ pris d’un tympan d’arc à l’entrée de
la cour des Lions.
4. „ pris d’une porte du divan ; salle des
Deux Sœurs.
5. Ornement pris des panneaux de la salle des
Ambassadeurs.
6. „ pris des panneaux de la cour de la
Mosquée.
7. „ pris des panneaux de la salle des
Abencerrages.
8. „ au dessus des arcs à l’entrée de la
cour des Lions.

189
PLANCHE XLI*.
9, 10.Ornements pris des panneaux de la cour de
la Mosquée.
11. Intrados du grand arc à l’entrée de la cour
du Vivier.
12. Ornements des côtés des fenêtres de l’étage
supérieur, salle des Deux Sœurs.
13. Ornements pris des tympans d’arcs, salle
des Abencerrages.
14, 15. „ pris des panneaux de la salle des
Ambassadeurs.
16. „ pris des tympans d’arcs de la salle
des Deux Sœurs.

PLANCHE XLII.
DIAPRÉS EN CARRÉS.
1. Frise au-dessus des colonnes de la cour des
Lions.
2. Panneaux des fenêtres de la salle des
Ambassadeurs.

PLANCHE XLII*.
3. Panneaux de la niche centrale de la salle
des Ambassadeurs.
4. Panneaux des murs de la tour du Captif.

190
PLANCHE XLII†.
5. Panneaux des murs de la maison de
Sanchez.
6. Partie du plafond du portique de la cour du
Vivier.

PLANCHE XLIII.
MOSAÏQUES.
1. Pilastre, salle des Ambassadeurs.
2. Lambris feint. Idem.
3. Lambris feint. Salle des Deux Sœurs.
4. Pilastre, salle des Ambassadeurs.
5, 6. Lambris feints, salle des Deux Sœurs.
7. Pilastre, salle de Justice.
8. Lambris feint, salle des Deux Sœurs.
9. Lambris feint de la fenêtre centrale, salle
des Ambassadeurs.
10. Pilastre, salle des Ambassadeurs.
11. Lambris feint, salle de Justice.
12, 13.Lambris feints, salle des Ambassadeurs.
14. Pris d’une colonne, salle de Justice.
15. Lambris feints pris des bains.
16. Lambris feint du Divan, cour du Vivier.

191
ORNEMENTS
MAURESQUES.

S I nous avons emprunté nos illustrations des ornements


des Maures exclusivement à l’Alhambra, ce n’est pas
seulement parceque c’est l’œuvre que nous connaissons le
mieux, mais aussi parceque c’est une œuvre dans laquelle
leur merveilleux système de décoration a atteint le point
culminant. L’Alhambra occupe le sommet le plus élevé de la
perfection de l’art mauresque, de même que le Parthénon
représente le sommet de l’art Grec. Nous ne connaissons
aucune œuvre aussi bien adaptée à servir d’illustration dans
une grammaire d’ornement, que ce palais de l’Alhambra, où
chaque ornement contient une gram maire en lui-même. Tous
les principes, quels qu’ils soient, que nous pourrions tirer de
l’étude de l’art de l’ornementation des autres nations, se
trouvent réunis dans cette grande œuvre des Maures, et ces
principes y sont observés plus universellement et avec plus
de vérité que chez les autres nations.
Dans l’Alhambra, nous retrouvons l’art parlant des
Égyptiens, la grace naturelle et le raffinement des Grecs, les
combinaisons géométriques des Romains, des Byzantins et
des Arabes. Il n’y a qu’un charme qui manque à ses
ornements, charme qui formait le cachet particulier des
ornements égyptiens, savoir, le symbolisme que la religion

192
des Maures défendait ; mais ce manque a été plus que
remplacé par les

« Il n’y a de conquérant que Dieu." Inscription arabe de l’Alhambra.


inscriptions, lesquelles flattaient l’œil par la beauté
extérieure, en même temps qu’elles réveillaient l’intelligence
par la difficulté de déchiffrer leurs involutions aussi curieuses
que complexes ; et, une fois comprises, elles charmaient
l’imagination par la beauté des sentiments qu’elles
exprimaient et par l’harmonie de leur composition.
À l’artiste et à tous ceux dont l’esprit est capable
d’apprécier à sa juste valeur la beauté à laquelle elles
donnaient naissance, ces inscriptions répétaient les mots,
Regardez et apprenez. Au peuple, elles proclamaient la
puissance, la majesté et les bonnes actions du roi. Au roi-
même, elles déclaraient sans cesse qu’il n’y a de puissant que
Dieu, que Lui seul est le conquérant, et qu’à Lui seul
reviennent en toute éternité les louanges et la gloire.
Ceux qui ont construit cet édifice merveilleux,
comprenaient bien toute la grandeur de leur œuvre ; et ils
n’ont pas hésité de proclamer dans les inscriptions qui ornent

193
les murs, que ce bâtiment surpassait tous les autres
bâtiments ; — qu’à la vue de ses dômes tous les autres
s’évanouirent et disparurent ; et, lâchant la bride à
l’exagération enjouée de leur poésie, ils parlèrent des étoiles
qui palissaient d’envie à la vue de tant de beauté ; mais ce qui
nous regarde de plus près, c’est leur déclaration, que ceux qui
en feront une étude attentive, en recueilleront l’avantage d’un
commentaire sur la décoration.
Nous avons cherché à obéir aux injonctions du poète, et
nous essayerons d’expliquer quelques-uns des principes
généraux, qui paraissent avoir guidé les Maures dans la
décoration de l’Alhambra — principes qui n’appartiennent
point exclusivement à leur époque, mais qui étaient
communs à toutes les meilleures périodes de l’art : Les
principes sont les mêmes partout ; la différence n’existe que
dans la forme.
1. [1] Les Maures se conformaient toujours à cette loi, que
nous considérons comme le premier principe dans
l’architecture — de décorer la construction et de ne jamais
construire la décoration. Non seulement la décoration de
l’architecture mauresque naît naturellement de la
construction, mais l’idée de la construction est soutenue dans
chaque détail de l’ornementation de la surface.
Nous croyons que la vraie beauté dans l’architecture,
résulte de ce "repos que ressent l’âme lorsque la vue,
l’intelligence, et les affections sont satisfaites.", Si un objet
est construit faussement, ayant l’apparence de dériver
(obtenir) du support ou d’en donner, mais ne faisant ni l’un ni

194
l’autre ; il ne peut fournir ce repos, et par conséquent il ne
saurait jamais avancer aucune prétention à la vraie beauté,
quelque harmonieux qu’il soit en lui-même. Les races
mahométanes, et les Maures surtout, n’ont jamais perdu de
vue cette règle ; chez eux on ne trouve jamais d’ornements
inutiles ou superflus : chaque ornement naît paisiblement et
naturellement de la surface décorée. Ils regardent toujours
l’utile comme le véhicule du beau ; et ils ne sont pas les seuls
à suivre ce principe, qui a toujours été observé dans toutes les
meilleures périodes de l’art ; ce n’est que lorsque l’art tombe
en décadence, que les principes vrais sont négligés ; ou bien
encore, dans une époque comme la nôtre, où l’on ne
s’évertue qu’à copier et à reproduire les œuvres du passé,
dépourvues de l’esprit qui a animé les originaux.
2. Toutes les lignes naissent les unes des autres en
ondulations graduées ; il n’y a point d’excroissances ; on ne
saurait rien ôter sans nuire à la beauté de la composition.
Dans l’acceptation générale du terme, il ne saurait y avoir
d’excroissances, si la construction est bien soignée ; mais
nous prenons le mot ici dans un sens plus limité : les lignes
générales pourraient bien s’élancer en rapport avec la
construction, et pourtant il pourrait y avoir des excroissances,
telles que boutons ou bosses, lesquelles, sans violer les règles
de la construction, détruiraient la beauté de la forme, si elles
ne naissaient pas graduellement des lignes générales.
Il ne peut y avoir ni beauté de forme, ni proportion, ni
arrangement parfait des lignes, là où manque le repos.

195
Toutes les transitions de lignes courbes à lignes courbes,
ou de lignes droites à lignes courbes, doivent être graduelles ;
ainsi la transition cesserait d’être agréable, si la brisure A
était trop profondeen
proportion des courbes,
comme cela arrive à B.
Partout où deux courbes sont
séparées par une ligne d’interruption, il faut qu’elles courent,
comme elles le font toujours dans les œuvres des Maures,
parallèlement à une ligne imaginaire (c) à l’endroit où les
courbes deviendraient tangentes l’une à l’autre ; car si l’une
ou l’autre dévie de la parallèle, comme c’est le cas à D, l’œil
au lieu de poursuivre la courbe graduellement en bas, se
porterait au dehors et le repos serait détruit. [2]
3. On arrêtait d’abord les formes générales, qu’on
subdivisait par des lignes générales ; puis on remplissait les
interstices d’ornements, qui à leur tour étaient subdivisés et
enrichis pour satisfaire à une inspection plus minutieuse. Ce
principe a été mis en pratique par les Maures avec le plus
grand raffinement, et l’harmonie et la beauté de toute leur
ornementation doivent principalement leur succès à
l’observation de ce principe. Les principales divisions
contrastent les unes avec les autres et s’entre-balancent
admirablement ; il y prévaut la plus grande netteté ; les
détails ne sont pas en conflit avec la forme générale. Vues à
distance, les lignes générales s’offrent d’abord à la vue ; à
mesure qu’on s’approche, les détails de la composition se
font valoir ; et en les examinant de plus près, on voit de
nouveaux détails sur la surface des ornements mêmes.

196
4. L’harmonie de la forme consiste apparemment dans la
juste balance et dans le contraste des lignes verticales,
horizontales, obliques et courbes. Comme en fait de coloris,
aucune composition ne saurait être parfaite s’il y manque
l’une ou l’autre des trois couleurs primaires, ainsi en fait de
forme, qu’il s’agisse de constructions ou de décorations,
aucune composition ne saurait être parfaite s’il y manque
l’une au l’autre des trois figures primaires ; et la variété, ainsi
que l’harmonie de la composition, dépendra du degré de
prédominance ou de sub ordination de ces trois figures. [3]
Dans la décoration de surface, tout arrangement de formes,
qui ne se compose que de lignes horizontales et verticales,
comme c’est le cas dans le
dessin A, doit être monotone
et ne donne qu’un plaisir
imparfait ; mais si l’on y
introduit des lignes qui
tendent à diriger l’œil vers
les angles, comme dans le dessin B, le plaisir se trouve
augmenté immédiatement. Que l’on ajoute ensuite des lignes
qui donnent une tendance circulaire, comme dans le dessin
C, et on aura une harmonie complète. Dans ce cas, le carré
est la forme motrice ou tonique ; les formes angulaires et
courbes sont les formes subordonnées.
On obtient le même résultat en adoptant une composition
angulaire, comme dans le dessin D : puis en y ajoutant des
lignes telles qu’on voit dans le dessin E, on remédie
immédiate ment à la tendance de suivre seulement la
direction angulaire des lignes inclinées ; mais qu’on les
197
réunisse par des cercles,
comme dans le dessin F, et
l’on aura l’harmonie
parfaite, c’est à dire le repos
— parceque l’œil ne voit
plus de manque auquel il
soit nécessaire de suppléer.
[4]

5. Dans la décoration de surface des Maures, toutes les


lignes partent d’une tige-mère. Tout ornement,
quelqu’éloigné qu’il soit de l’axe de la composition, peut être
tracé à sa branche et à sa racine. Les Maures étaient assez
heureux pour posséder l’art d’adapter l’ornement à la surface
décorée, de telle manière, que l’ornement avait tout autant
l’air d’avoir suggéré la forme générale que d’avoir été
suggéré par celle-ci. Dans tous les cas nous trouvons que les
feuilles découlent toutes d’une tige-mère, et jamais nous ne
sommes offensés par un ornement introduit au hasard et mis
là à tort et à travers, sans qu’il y ait aucune raison pour son
existence. Quelqu’irrégulier que fût l’espace à décorer, les
Maures se mettaient toujours à le diviser d’abord en aires
égales, puis ils distribuaient les détails, mais sans jamais
manquer de retourner à la tige-mère.
Dans cela ils suivaient, du reste, un procédé analogue à
celui quesuit la nature, tel qu’on le voit dans une feuille de
vigne ; l’objet en vue étant de distribuer la sève qui part de la
tige-mère vers les extrémités, la tige principale doit
évidemment diviser les feuilles en aires à peu près égales. Il
en est de même des divisions mineures ; chaque aire est à son
198
tour subdivisée par des lignes
intermédiaires, qui suivent toutes la
même loi de distribution égale, loi
observée jusque dans l’opération
minutieuse de remplir les tuyaux
alimentaires de la sève.
6. Un autre principe que les
Maures suivaient, c’est celui de la
radiation partant de la tige-mère,
principe suivi dans la nature, comme on peut le voir dans la
main humaine ou dans la feuille d’un châtaignier.
On peut voir dans l’exemple ci-contre, que toutes les
lignes rayonnent de la tige-mère ; que chaque feuille diminue
vers les extrémités, et que chaque aire est proportionnée àla
feuille. Les orientaux pratiquaient ce
principe avec une perfection
merveilleuse ; les Grecs en faisaient
autant dans leur ornement du chèvre
feuille. Nous avons déjà parlé, au
chapitre IV., d’une particularité de
l’ornement grec, basée apparemment sur
le principe observé dans les plantes de la tribu des cactiers,
où une feuille naît de l’autre, principe qu’on trouve
généralement dans l’ornement grec ; ainsi les enroulements
composés de feuilles d’acanthe, sont une suite de feuilles
naissant les unes des autres en une ligne continue, tandis que
les ornements arabes et mauresques naissent d’une tige
continue.

199
7. Toutes les jonctions de lignes courbes avec d’autres
lignes courbes, ou de lignes courbes avec des lignes droites,
doivent s’effectuer en devenant réciproquement les tangentes
les unesdes autres à leur point de rencontre ; c’est
une loi qu’on trouve partout dans la nature, et la
pratique orientale est d’accord avec cette loi.
Nombre d’ornements mauresques sont basés sur
ce principe, qu’on peut tracer dans les lignes des
plumes comme dans les articulations de chaque
feuille, et c’est à ce principe qu’est dû ce charme additionnel,
qu’on découvre dans l’ornementation parfaite et qu’on
désigne sous l’appellation de gracieux. On peut l’appeler la
mélodie de la forme, de même que les principes expliqués
auparavant en constituent l’harmonie.
Ces lois de la distribution égale, de la radiation partant de
la tige-mère, de la continuité des lignes et des courbes
tangentes se trouvent représentées dans toutes les feuilles
naturelles.
8. Nous devons faire remarquer, comme digne d’attention,
la nature des courbes exquises employées par les Arabes et
les Maures.
De même que nous croyons, en fait de proportions, que les
proportions les plus belles seront celles que l’œil aura le plus
de difficulté à découvrir ; [5]ainsi nous croyons à l’égard des
courbes, que les courbes les plus agréables seront celles, où
le procédé mécanique de leur formation sera le moins visible.
aussi trouvons nous, comme règle universelle, que les
moulures et tous les ornements des meilleures périodes de

200
l’art étaient fondés sur des courbes d’un ordre élevé, telles
que les sections coniques ; tandis que pendant la décadence
de l’art, les cercles et les dessins au compas étaient les plus
prédominants.
Les recherches de M. Penrose ont démontré, que toutes les
moulures et les lignes courbes du Parthénon représentent des
parties de courbes d’un ordre très-élevé, et que les segments
de cercles n’y étaient employés que très-rarement. Dans les
courbes exquises et si bien connues des vases grecs, on ne
trouve jamais de parties de cercles. Dans l’architecture
romaine au contraire, ce raffinement était déjà perdu : Les
Romains étaient probablement aussi peu capables de former
les courbes d’un ordre élevé que de les apprécier ; aussi s’en
tenaient ils, dans la plupart de leurs moulures, aux parties de
cercles qui pouvaient se faire au compas.
Dans les premières œuvres de la période gothique, les
tracés à réseaux ne trahissaient pas l’emploi du compas
autant que ceux d’une période plus récente, qu’on a appelée
avec raison la période géométrique, à cause de l’usage
immodéré qu’on faisait du compas.
"Voici une courbe (a) commune à
l’art grec comme à la période
gothique, et qui faisait les délices
des races mahométanes. Elle
devient plus gracieuse à mesure
qu’elle s’éloigne davantage de la courbe que produirait
l’union de deux cercles.

201
9. On trouve encore un autre charme, qui distingue les
œuvres des Arabes et des Maures, dans leur traitement
conventionnel des ornements, traitement qu’ils portaient au
plus haut degré de perfection, puisque leur croyance
religieuse leur défendait de représenter des formes vivantes.
Tout en travaillant comme travaille la nature, ils évitaient
toujours d’en faire une copie directe ; ils empruntaient à la
nature ses principes, mais sans tenter, comme nous, d’en
copier les ouvrages. À cet égard encore ils ne se trouvaient
pas seuls ; dans toutes les périodes marquées par la foi dans
l’art, on trouve l’ornementation ennoblie par l’idéal, et
jamais le sentiment de la convenance n’y est froissé par une
représentation trop fidèle de la nature.
Ainsi, en Égypte, le lotus taillé en pierre n’était jamais un
lotus tel qu’on pourrait cueillir, mais une représentation
conventionnelle, en parfaite harmonie avec les membres
architecturaux dont elle faisait partie ; c’était le symbole du
pouvoir, que le roi exerçait sur les pays où croît le lotus,
ajoutant ainsi la poésie à telle partie de la construction, qui
sans cela n’aurait été qu’un support grossier. Les statues
colossales des Égyptiens, n’étaient point de petits hommes
sculptés sur une grande échelle, mais des représentations
architecturales de la majesté, des emblèmes du pouvoir du
monarque et de son amour immutable pour son peuple.
Dans l’art grec, le traitement conventionnel des ornements,
les quels n’étaient pas symboliques comme ceux des
Égyptiens, était porté encore plus loin ; et dans la sculpture
appliquée à l’architecture, les Grecs adoptèrent un traitement

202
conventionnel de la pose aussi bien que du relief, qui différait
bien du traitement de leurs œuvres isolées.
Dans les meilleures périodes de l’art gothique, les
ornements fleuronnés se traitaient conventionnellement, sans
qu’on visât jamais à une imitation directe de la nature ; mais
avec le déclin de l’art, les ornements devinrent moins
idéalisés et plus rapprochés de l’imitation directe.
La même décadence peut être tracée dans les vitraux
peints, où les figures, aussi bien que les ornements, ne furent
traités d’abord que d’une manière conventionnelle, mais
quand l’art pencha vers le déclin, les figures et les draperies,
à travers lesquelles le jour devait être transmis, eurent leurs
nuances et leurs ombres.
Dans les premiers manuscrits enluminés, les ornements
étaient conventionnels, et les enluminures étaient en teintes
plates, n’ayant que peu de nuances et point d’ombre ; tandis
que dans les manuscripts plus récents on employa comme
ornements, des représentations soigneusement finies de
fleurs naturelles qui jetaient leurs ombres sur la page.

DU COLORIS DES ORNEMENTS MAURESQUES.

En examinant le système de coloris adopté par les Maures,


nous trouverons que pour la couleur comme pour la forme,
ils suivaient certains principes fixes, fondés sur l’observation
des lois de la nature, qu’ils observaient en commun avec
toutes les nations qui ont pratiqué les arts avec succès. Les
mêmes principes si éminemment vrais, prévalent dans tous

203
les styles archaïques de l’art, exercés pendant les périodes de
la foi ; et quoique nous trouvions dans chacun d’eux un
cachet plus ou moins local et temporaire, nous y discernons
bien des choses qui sont éternelles et immutables : les mêmes
grandes idées, réalisées en différentes formes et exprimées,
pour ainsi dire, en différentes langues.
10. Les anciens employaient la couleur comme auxiliaire
dans le développement de la forme, et s’en servaient comme
d’un moyen pour faire ressortir davantage les linéaments de
la construction d’un bâtiment.
Ainsi, dans la colonne égyptienne, dont la base
représentait la racine — le fût, la tige — le chapiteau, les
boutons et les fleurs du lotus ou du papyrus ; les couleurs
s’employaient de manière à augmenter l’apparence de la
force de la colonne et à développer plus pleinement les
contours des différentes lignes.
Dans l’architecture gothique aussi, la couleur s’employait
comme un auxiliaire qui aidait à développer les formes des
panneaux et des réseaux ; ce qu’elle effectuait à un degré,
dont il serait difficile de se faire une idée dans l’état incolorié
de nos bâtiments actuels. Ainsi dans les fûts élancés de leurs
hauts édifices, l’idée de l’élévation se trouvait encore
augmentée par les lignes de couleur, qui s’élançaient en
spirales vers le haut, et qui, en même temps qu’elles
ajoutaient, en apparence, à la hauteur de la colonne,
contribuaient aussi à en définir la forme.
De même, nous trouvons dans l’art oriental, que les lignes
de construction du bâtiment sont parfaitement définies par les

204
couleurs, dont l’application judicieuse a toujours pour
résultat d’ajouter, en apparence, à la hauteur, à la longueur, à
la largeur, ou au calibre de l’objet ; et dans les ornements en
relief, les couleurs développent constamment des formes
nouvelles, lesquelles auraient été perdues entièrement sans le
coloris.
En cela, du reste, les artistes n’ont fait que suivre
l’inspiration motrice de la nature, qui dans toutes ses œuvres
accompagne la transition de la forme par une modification de
couleur, disposée de telle manière, qu’elle aide à produire de
la netteté dans l’expression. Les fleurs, par exemple, sont
séparées par la couleur, de leurs feuilles et de leurs tiges, et
celles-ci, à leur tour, se distinguent du sol dans lequel elles
croissent. Il en est de même de la figure humaine, où le
changement de la forme est toujours marqué par un
changement de couleur ; ainsi la couleur des cheveux, des
yeux, des paupières, des cils, ainsi que le teint sanguin des
lèvres et la fleur vermeille des joues, ajoute à la netteté et
aide à faire ressortir la forme plus visiblement. Nous savons
tous jusqu’à quel point l’absence, ou la détérioration de ces
couleurs, que la maladie cause souvent, contribue à ôter aux
traits leur signification et leur expression. Si la nature n’avait
appliqué qu’une seule couleur à tous les objets, ceux-ci
auraient été aussi indistincts pour la forme, que monotones
pour l’aspect. C’est la variété sans bornes des teintes, qui
perfectionne le modelé et définit les contours de chaque
objet ; qui sépare le chaste lis, des herbes au milieu desquels
il s’élance, comme elle détache le glorieux soleil, la source
de toute couleur, du firmament dans lequel il brille.

205
11. Les couleurs que les Maures appliquaient à leurs
ouvrages en stuc étaient, sans exception, des couleurs
primaires ; le bleu, le rouge, et le jaune (or). Les couleurs
secondaires, le pourpre, le vert et l’orangé, ne se rencontrent
que dans les lambris feints en mosaïque, lesquels, se trouvant
plus rapprochés de la vue, offrent un point de repos, après le
coloris plus brillant qui se trouve au-dessus. Il est vrai que de
nos jours, nous trouvons que le fond de plusieurs de leurs
ornements est vert, mais un examen plus minutieux ne
manquera pas de nous démontrer, que la couleur appliquée
dans l’origine avait été le bleu, lequel, étant une couleur
métallique, a été tourné en vert par l’effet du temps. La
preuve en est dans les particules de couleur bleue, qu’on
rencontre partout dans les crevasses ; d’ailleurs les rois
catholiques, en faisant exécuter des restaurations, ont fait
repeindre le fond des ornements, en vert aussi bien qu’en
pourpre. Il est digne de remarque, que parmi les Égyptiens,
les Grecs, les Arabes et les Maures, les couleurs primaires
s’employaient toujours, pour ne pas dire exclusivement,
pendant les premières périodes de l’art, tandis que durant la
décadence, les couleurs secondaires acquirent plus
d’importance. Ainsi, si nous prenons l’Égypte, nous trouvons
que les couleurs primaires prédominent dans les temples
pharaoniques, et les secondaires dans les temples
ptolémaïques ; de même on trouve les couleurs primaires
dans les premiers temples grecs, tandis qu’à Pompéï en
employait toutes les variétés de nuances et de tons.
Au Caire moderne, et à l’Orient en général, le vert se
trouve toujours côte à côte avec le rouge, là où dans les

206
temps plus reculés on aurait employé le bleu.
La même chose est vraie à l’égard des œuvres du moyen-
âge. Dans les plus anciens manuscrits, ainsi que dans les
vitraux peints, on employait principalement les primaires,
sans exclure toutefois les autres couleurs ; tandis que dans les
époques plus récentes, nous trouvons toutes les variétés de
nuances et de teintes, mais elles s’employaient rarement avec
le même degré de succès.
12. Chez les Maures les couleurs primaires s’appliquaient,
comme règle générale, sur les parties supérieures des objets,
les secondaires et les tertiaires sur les parties inférieures ; ce
qui paraît être d’accord avec la loi de la nature, où nous
avons le bleu primaire au ciel, le vert secondaire aux arbres
et aux champs, pour finir avec les couleurs tertiaires sur la
terre. De même, nous trouvons dans les fleurs, les primaires
aux boutons et aux fleurs, et les secondaires aux feuilles et
aux tiges. Les anciens ont toujours observé cette règle
pendant les meilleures périodes de l’art. Nous voyons,
cependant en Égypte, le vert, qui est une couleur secondaire,
employé quelquefois dans les parties supérieures des
temples, mais cela vient de ce qu’en Égypte les ornements
étaient symboliques, c’est pourquoi si une feuille de lotus
était représentée sur la partie supérieure d’un bâtiment, il
fallait nécessairement la colorier en vert, ce qui n’empêchait
nullement la loi d’être vraie au fond, et l’aspect général d’un
temple égyptien de l’époque pharaonique, présente les
primaires en haut et les secondaires en bas ; mais dans les
édifices de l’époque ptolémaïque, et surtout dans ceux de la
période romaine, cet ordre était renversé, et les chapiteaux
207
aux feuilles de palmiers et de lotus, fournissent une
surabondance de vert appliqué aux parties supérieures des
temples.
À Pompéï, nous trouvons quelquefois dans l’intérieur des
maisons, une gradation de couleurs allant en descendant du
plafond et passant par degré, du clair au sombre, jusqu’à ce
qu’elle finisse en noir ; cependant ce n’est point une chose
assez universelle, pour nous convaincre que ce fût là la loi
générale. Nous avons montré, au contraire, au chapitre V.,
qu’il y avait de nombreux exemples où le noir était appliqué
immédiatement au-dessous du plafond.
13. Malgré les couches minces de blanc de chaux,
appliquées à différentes reprises, qui de nos jours couvrent
les ornements de l’Alhambra et de la cour des Lions surtout,
nous pouvons dire, que nous avons eu bonne autorité pour le
coloris tout entier que nous avons donné à notre
reproduction ; d’abord parce que dans plusieurs endroits, on
n’a qu’à écailler le blanc de chaux pour voir les couleurs
dans les interstices des ornements, d’ailleurs le coloris de
l’Alhambra a été exécuté d’après un système si parfait, que
tous ceux qui se donnent la peine d’en faire l’étude, peuvent
à la première vue d’un morceau d’ornement mauresque en
blanc, indiquer, avec une certitude presque absolue la
manière dont il a été colorié. Les formes architecturales
étaient dessinées de manière à être parfaitement en rapport
avec le coloris qu’elles devaient recevoir subséquemment, de
sorte que la surface indique d’elle-même les couleurs qui
devaient la couvrir. Ainsi en employant le bleu, le rouge, et
l’or, les Maures avaient soin de mettre ces couleurs dans des
208
positions, où elles étaient vues le mieux et où elles pouvaient
contribuer le plus à rehausser l’effet général. Dans les
surfaces modelées, ils plaçaient le rouge, qui est la plus forte
des trois couleurs, dans les profondeurs, où l’ombre peut
adoucir la couleur, mais jamais sur les surfaces ; le bleu se
mettait à l’ombre, et l’or sur toutes les surfaces exposées à la
lumière ; car il est évident que c’est le seul arrangement qui
puisse donner à ces couleurs toute leur valeur. Les différentes
couleurs sont toujours séparées, soit par des bandes blanches,
soit par l’ombre produit par le relief de l’ornement même —
et c’est le principe qu’il faut absolument observer dans le
coloris, où il ne faut jamais permettre que les couleurs se
touchent au point de se mêler à leur ligne de contact.
14. Dans le coloris des fonds des différents ornements
diaprés, c’est le bleu qui occupe toujours les aires les plus
grandes ; ce qui est parfaitement d’accord avec la théorie de
l’optique et avec les expériences faites à l’aide du spectre
prismatique. Les rayons de lumière se neutralisent, à ce que
l’on croit, dans les proportions de 3 de jaune, 5 de rouge, et 8
de bleu ; il faut donc une quantité de bleu égale au rouge et
au jaune, le tout mis ensemble, pour produire un effet
harmonieux, et pour empêcher qu’une couleur ne prédomine
sur les autres. Dans l’« Alhambra, » où le jaune est remplacé
par l’or, qui tend vers un jaune-rougeâtre, le bleu se trouve
encore en plus grande quantité, pour contre-balancer la
tendance naturelle du rouge d’accabler les autres couleurs.

DESSINS ENTRELACES.

209
Déjà au chapitre IV. nous avons remarqué que selon toute
probabilité, on pourrait faire remonter

Diagramme No. 1. Diagramme No. 2.

l’immense variété des ornements mauresques formés par


l’intersection de lignes équidistantes, à la frette arabe, et de
là, à la frette grecque. Les ornements de la planche XXXIX.
sont construits d’après deux principes généraux. Les numéros
1-12, 16-18, sont basés sur un principe (Voy. Diagramme No.
1), et le numéro 14 est basé sur l’autre (Voy. Diagramme No.
2). Dans la première série, les lignes sont équidistantes et
croisées diagonalement sur chaque carré, par des lignes
horizontales et perpendiculaires. Dans le système sur lequel
est basé la construction du numéro 14, les lignes
perpendiculaires et horizontales sont équidistantes, et les
lignes diagonales ne croisent que chaque second carré
alternativement. Le nombre de patrons, qu’on peut reproduire
par ces deux systèmes, est infini ; et en examinant la planche
XXXIX., on verra que cette variété peut être augmentée

210
encore, par la manière de colorier le fond ou les lignes de
surface. On pourrait changer l’aspect de l’un ou de l’autre
des patrons que nous avons gravés, en donnant plus de
proéminence aux différentes chaines ou aux autres masses
générales.

DIAPRÉS EN LOSANGE.

L’effet général des planches XLI. et XLI.* suffira, à notre


avis, pour justifier la supériorité que nous accordons aux
ornements des Maures. Composées comme elles le sont, de
trois couleurs seulement, ces planches sont plus
harmonieuses et produisent plus d’effet que toute autre
planche de notre collection, et elles possèdent d’ailleurs un
charme particulier que les autres sont loin d’atteindre. Dans
chaque ornement reproduit sur ces deux pages, on apercevra
facilement les différents principes que nous avons cherché à
établir : savoir, l’idée qui préside à la construction, qui veut
que les lignes principales se basent les unes sur les autres, la
transition graduelle d’une courbe à l’autre, les lignes courbes
formant les tangentes les unes des autres, l’ornement qui part
de la tige-mère, la loi de pouvoir tracer chaque fleur à sa tige
et à sa racine, et enfin la division et la subdivision des lignes
générales.

DIAPRÉS EN CARRÉS.

L’ornement No. 1, planche XLII., est un excellent exemple


du principe que nous soutenons, à savoir, que pour produire
211
le repos, les lignes d’une composition doivent représenter
l’équilibre des lignes verticales, horizontales, inclinées et
courbes. Pour former un contraste aux lignes horizontales,
perpendiculaires, et diagonales nous y trouvons des cercles
qui tendent dans une direction opposée. Afin que le repos
soit tout à fait parfait, la tendance de l’œil de suivre une
certaine direction y est corrigée par des lignes qui produisent
une tendance contraire, et quel que soit le point du dessin qui
frappe la vue, l’œil est disposé à s’y arrêter. Le fond bleu des
inscriptions, des panneaux ornés et des centres, soutenu
comme il l’est par les plumes bleues sur le fond rouge,
produit un effet des plus gais et des plus brillants.
Les principales lignes des ornements Nos. 2-4 des
planches XLII. et XLII.* sont produites de la même manière
que les ornements entrelacés de la planche XXXIX. Les Nos.
2 et 4 démontrent que le repos dans le dessin peut être obtenu
par l’arrangement des fonds coloriés ; on y verra aussi que
par l’arrangement des couleurs on produit de nouveaux
patrons additionnels, outre les dessins produits par la forme.
Le dessin No. 6 de planche XLII. † est une partie de
plafond, dont il y a une immense variété à l’Alhambra ; ce
patron est produit par des divisions du cercle, croisées par
des carrés qui les coupent. C’est le même principe qui existe
dans la copie, tirée du Koran enluminé, planche XXXIV.,
principe qui prévaut très généralement dans les plafonds des
maisons arabes.
L’ornement No. 5 de la planche XLII. † est d’une
délicatesse extrême, et il se fait remarquer par le système

212
ingénieux d’après lequel il est construit. Comme toutes les
pièces en sont pareilles, il sert à illustrer un des principes les
plus importants du dessin des Maures, celui qui a contribué
plus que tout autre principe peut être aux résultats heureux
qu’ils ont atteints, à savoir, que par la répétition de quelques
éléments simples et peu nombreux on peut produire les effets
les plus beaux et les plus compliqués.
Quelque déguisée qu’elle soit, la construction géométrique
est la base de toute l’ornementation des Maures. La
prédilection qu’ils avaient pour les formes géométriques, est
démontrée d’une manière évidente par l’emploi fréquent
qu’ils faisaient des mosaïques, les quelles offraient une libre
carrière à leur imagination. Tout compliqués que paraissent
les dessins de la planche XLIII., ils sont tous fort simples,
dès qu’on comprend le principe sur lequel ils sont basés. Ils
ont pour source l’intersection de lignes équidistantes
arrangées autour de centres fixes. Le numéro 8 est construit
d’après le principe du diagramme No. 2, cité de l’autre côté,
et c’est le principe qui produit la variété la plus grande ; on
peut même dire, que les combinaisons géométriques basées
sur ce système sont infinies.

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221
1. ↑ Cet essai sur les principes généraux de l’ornementation de l’Alhambra est
réimprimé, en partie, du « Guide Book to the Albambra Court in the
Crystal Palace, » par l’auteur de cet ouvrage.
2. ↑ Ces transitions étaient ménagées avec la plus grande perfection dans les
moulures des Grecs, les quelles décèlent ce raffinement développé au plus
haut degré ; le même raffinement se trahit dans les contours exquis des
vases grecs.
3. ↑ On ne saurait trouver un meilleur exemple de cette harmonie ailleurs, que
dans les temples grecs, où les lignes verticales, horizontales, angulaires, et
courbes sont parfaitement en rapport les unes avec les autres.
L’architecture gothique nous offre aussi de nombreuses illustrations de ce
principe : toute tendance des lignes de courir dans une direction y est
neutralisée par des lignes angulaires ou courbes : ainsi le tailloir de l’arc-
boutant est précisément ce qu’il faut pour neutraliser la tendance montante
des lignes, de même que le pignon contraste admirablement avec les dessus
courbés des fenêtres et leurs meneaux perpendiculaires.
4. ↑ Si nous voyons si souvent des ouvrages manqués, en fait de papiers-
peints, de tapis et d’objets d’habillement surtout, c’est parce qu’on néglige
cette règle si évidente ; les lignes des papiers-peints s’élancent
généralement vers le plafond, de la manière la plus désagréable, parce que
la ligne verticale n’y est pas corrigée par la ligne angulaire, ni la ligne
angulaire par la ligne courbe ; de la même manière, les lignes des tapis
vont toujours dans une direction seulement, tendant à conduire l’œil tout
droit à travers les murs de l’appartement. C’est aussi la source de ces
étoffes abominables, à raies et à carreaux, qui défigurent la forme humaine
— coutume préjudiciable au goût public et tendant à abaisser par degré le
ton de l’œil de notre génération, en fait de forme. Si on élevait les enfants
au son d’une vielle raclant sur un ton faux, leurs oreilles ne manqueraient
pas de se détériorer et perdraient tout sentiment pour l’harmonie en fait de
sons. La même chose doit naturellement arriver à l’égard de la forme, et il
faudrait que tous ceux qui s’intéressent au bien-être de la génération
actuelle, fissent des efforts vigoureux pour mettre un terme à cette
tendance.
5. ↑ Toutes les compositions en carrés ou en cercles seront monotones,
n’offrant que peu de plaisir, parce que les moyens qui ont servi à les
produire sont trop visibles. De même, les compositions distribuées en
lignes ou en divisions égales, seront moins belles que celles, qu’on ne peut
apprécier que par un effort de perception plus grand.

222
CHAPITRE XI. — PLANCHES 44, 45, 46,
47, 47*, 48.

ORNEMENTS PERSES.

PLANCHES XLIV., XLV.,


XLVI.
Ornements pris de manuscripts perses, qui se
trouvent au musée Britannique.

PLANCHE XLVII.
Pris d’un livre d’échantillons d’un manufacturier
perse, musée de South Kensington.

PLANCHE XLVII*.

223
Pris d’un livre d’échantillons d’un manufacturier
perse, musée de South Kensington.

PLANCHE XLVIII.
Pris d’un manuscript perse, musée de South
Kensington.

L’ ARCHITECTURE mahométane de Perse, à en juger par


les reproductions publiées dans l’ouvrage « Voyages en
Perse, » par Flandin et Coste, n’a jamais atteint à la
perfection qui distingue les constructions arabes du Caire.
Quoiqu’elle présente beaucoup de grandeur dans ses traits
principaux, les contours sont généralement moins purs ; et
on est frappé d’un grand manque d’élégance dans tous les
détails de construction, quand on les compare à ceux des
édifices du Caire. Le système d’ornementation nous en
paraît aussi, moins pur que celui des Arabes et des Maures.
Les Perses, différents en cela, des Arabes et des Maures,
étaient libres d’introduire des représentations de la vie
animale dans leur architecture, lesquelles entremêlées dans
leur décoration, produisirent un style d’ornement moins pur
que celui des Arabes et des Maures, qui n’avaient que les
224
ornements et leurs inscriptions, pour suppléer à tous les
besoins de l’ornementation ; les ornements par conséquent
devinrent d’une grande importance dans leurs constructions,
et arrivèrent à un point plus élevé d’élaboration.
L’ornementation perse est un style mixte, combinant avec
l’ornement conventionnel semblable à celui des Arabes, et
ayant probablement la même origine, la tentative d’imiter la
nature, tentative qui a quelquefois exercé une certaine
influence même sur le style arabe et sur le style turc, et dont
on trouve des traces jusques dans quelques parties de
l’Alhambra. L’importance qu’on attachait, en Perse, à
l’illumination des manuscripts, lesquels avaient sans doute
une grande circulation dans les pays mahométans, a dû
répandre le goût de ce style mixte. Les décorations des
maisons du Caire et de Damas, les mosquées et surtout les
fontaines de Constantinople, trahissent ce style mixte ; —
on y voit constamment des groupes de fleurs naturelles
s’élançant d’un vase, lesquelles, de même que les panneaux
qui les entourent, sont d’un dessin arabe conventionnel.
L’ornement de l’Inde moderne se ressent aussi de
l’influence toujours présente du style mixte perse. La
reproduction d’une couverture de livre (planches LIII. et
LIV.) prise de l’hôtel de la compagnie des Indes, nous en
présente un bon exemple ; l’extérieur de cette couverture est
orné dans le style pur arabe, tandis que l’intérieur (planche
LIV.) a tout-à-fait le caractère perse.
Les ornements de la planche XLIV., pris de manuscripts
enluminés qui se trouvent au musée Britannique, présentent

225
le même caractère de style mixte, dont nous avons parlé.
Les dessins géométriques en sont purement conventionnels,
et se rapprochent beaucoup du style arabe, dont cependant
ils n’atteignent pas la perfection, sous le rapport de la
distribution. Les numéros 1-10 sont pris de fonds de
tableaux, qui représentent de la tapisserie pendue aux murs ;
ils possèdent une grande élégance, et les masses sont très
bien contrastées avec les fonds.
Les patrons de la planche XLV. sont principalement des
représentations de pavés et de dés représentant
probablement des carreaux vernis, dont les Perses faisaient
un si grand usage. Comparés avec les mosaïques arabes et
mauresques, ils trahissent une infériorité marquée, quant à
la distribution de la forme et à l’arrangement des couleurs.
Nous ferons remarquer que dans tous les dessins persans de
nos planches, les couleurs secondaires et les tertiaires sont
plus prédominantes que dans ceux des Arabes et des Maures
(planche XXXIV.), où le bleu, le rouge, et l’or prévalent, et
produisent comme on peut le voir au premier coup-d’œil,
un bien plus bel effet.
Les ornements de la planche XLVI., se rapprochent
beaucoup plus du style arabe : les numéros 7, 16, 17, 21, 23,
24, 25, sont très généralement employés pour orner la tête
des chapitres dans les manuscripts persans, qui, tout
nombreux qu’ils sont, n’offrent que très peu de variété dans
leurs ornements. Si on les compare avec les manuscripts
arabes (planche XXIV.), on y trouvera une grande
ressemblance, quant aux lignes principales de la

226
construction et des ornements, ainsi que dans les
décorations de surface des ornements mêmes ; mais les
masses ne sont pas distribuées d’une manière si
harmonieuse ; les mêmes principes cependant prévalent
dans les uns et les autres.
Les patrons des planches XLVII. et XLVII*. ont été pris
d’un livre perse très curieux, qui se trouve au musée de
South Kensington, et qui nous paraît être un livre
d’échantillons d’un manufacturier. Les dessins sont d’une
grande élégance, et la manière conventionnelle dont les
fleurs naturelles sont rendues, trahit autant de simplicité que
d’ingénuité. Les patrons de ces planches et ceux de la
planche XLVIII. sont des plus précieux, en ce qu’ils
montrent sans la dépasser, l’extrême limite à laquelle on
peut aller dans le traitement conventionnel des objets.
Quand on se sert de fleurs naturelles pour la décoration, et
qu’elles sont soumises à un arrangement géométrique, on ne
doit pas les ombrer, comme on les trouve dans les
manuscripts de l’école moyen-âge la plus rapprochée de
notre époque, voyez planche LXXIII., si l’on ne veut courir
le risque de s’attirer la censure que méritent si justement les
papiers et les tapis à fleurs des temps modernes. L’ornement
au sommet de la planche XLVIII., qui forme le titre ainsi
que les bordures du livre, présente ce caractère mixte d’un
ornement pur mêlé à une ornementation composée de
formes naturelles, que nous avons considéré comme étant
caractéristique du style perse ;

227
trait, qui selon nous, le rend bien inférieur au style arabe et
au style mauresque.

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I

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CHAPITRE XII. — PLANCHES 49, 50, 51, 52, 53, 53*, 54,
54*, 55.

ORNEMENTS INDIENS.

PRIS DES EXPOSITIONS de 1851 et de 1855.

PLANCHE XLIX.
Ornements pris d’ouvrages en métal, exposés
dans la collection indienne, 1851.

PLANCHE L., LI., LII.


Ornements pris d’étoffes brodées et tissées, et de
peintures sur vases, exposées dans la collection
indienne, 1851, et qui se trouvent actuellement
au musée de South Kensington.

235
PLANCHE LIII., LIII*., LIV.,
LIV*.
Spécimens de laques peints pris de la collection
de la compagnie des Indes.

PLANCHE LV.
Ornements d’étoffes tissées et brodées, et de
boites peintes, exposées dans la collection
indienne à Paris en 1855.

L’exposition des produits industriels de toutes les nations,


en 1851, était à peine ouverte, que l’attention du public fut
attirée vers l’étalage somptueux des objets de la collection
indienne.
Au milieu du désordre général, visible chez toutes les
autres nations, dans l’application de l’art aux manufactures,
tant d’unité dans la composition, tant d’habileté et de
discernement dans son application, joints à une si grande
élégance et à un fini si parfait dans l’exécution des
ouvrages, non seulement de l’Inde, mais encore de tous les
autres pays mahométans représentés à l’exposition, — La
Régence de Tunis, l’Égypte, et la Turquie, — excitèrent
236
parmi les artistes, les manufacturiers, et le public en
général, une admiration et une attention, qui n’ont pas
manqué de porter des fruits.
Tandis que dans les objets exposés par les diverses
nations de l’Europe, on remarquait partout une absence
complète des principes généraux, dans l’application de l’art
aux manufactures, — tandis que d’un bout à l’autre du vaste
édifice de l’Exposition, on ne pouvait trouver qu’une
aspiration vaine après la nouveauté, sans aucun égard à la
convenance, n’arrivant à produire que des compositions
basées sur un système vicieux : celui de copier et
d’appliquer mal-à-propos, les formes de beauté que nous
ont transmises les différents styles des temps passés, sans
laisser entrevoir une seule tentative ayant pour but la
production d’un style en harmonie avec nos besoins actuels
et nos moyens de production, — le sculpteur en pierre,
l’ouvrier en métal, le tisserand et le peintre, empruntant l’un
de l’autre et appliquant alternativement, mal-à-propos, les
formes particulièrement appropriées à chacun ; — il se
trouvait dans des collections isolées aux quatre coins des
transepts, tous les principes, toute l’unité, toute la vérité que
nous avions cherchés vainement ailleurs, et cela, parce que
nous étions au milieu de peuples, pratiquant un art qui ayant
pris naissance avec leur civilisation avait grandi avec elle et
pris des forces en se développer. Unis par une foi commune,
ces peuples possédaient un art qui avait nécessairement la
même expression, variant, pourtant, dans chaque nation,
suivant l’influence à la quelle celle-ci se trouvait soumise.

237
On voyait le Tunisien conservant le cachet de l’art des
Maures qui créèrent l’Alhambra ; le Turc suivant les
principes du même art, modifié par le caractère de la
population mixte sur la quelle s’étend sa domination ;
l’Indien unissant les formes sévères de l’art arabe aux
graces raffinées de l’art perse.
Toutes les lois de la distribution de la forme, que nous
avons déjà observées dans l’ornement arabe et dans
l’ornement mauresque, se trouvent également dans les
productions de l’Inde. À partir du plus riche ouvrage de
broderie ou du tissu le plus élaboré, jusqu’à la fabrication et
à la décoration d’un jouet d’enfant ou d’un vase en terre,
nous trouvons partout les mêmes principes moteurs, — il y
a toujours le même soin donné à la forme générale, la même
absence de tout ornement superflu ; nous ne trouvons rien
qui ait été ajouté sans un but, et rien qu’on puisse ôter sans
nuire à l’effet. On trouve aussi chez les Indiens, la même
division et la même subdivision des lignes générales, qui
forment les principaux charmes de l’ornement mauresque ;
la différence qui crée le style n’en est pas une de principe,
mais simplement d’expression individuelle. Les ornements
des Indiens ont quelque chose de plus coulant et de plus
gracieux, et ils sont moins conventionnels que ceux du style
mauresque, par suite, sans doute, de l’influence plus directe
qu’a exercée sur eux le style perse.
Les ornements de la planche XLIX. sont principalement
pris de houkas, dont il y avait une immense variété exposée
en 1851 ; ils étaient tous remarquables par une grande

238
élégance de contours et par un traitement judicieux de la
décoration de surface, qui faisait que chaque ornement
tendait à mieux développer la forme générale.
On verra qu’il y a deux sortes d’ornements indiens,
savoir : l’un qui est strictement architectural et
conventionnel, tels sont les numéros 1, 4, 5, 6, 8, qui sont
traités en diagrammes ; et l’autre, comme les numéros 13,
14, 15, dans lesquels on a tenté une imitation plus directe de
la nature ; ces derniers ornements sont pour nous une leçon
excellente, en nous montrant combien il est inutile, dans
tout ouvrage de décoration, de vouloir faire plus
qu’indiquer l’idée générale d’une fleur. Le traitement
ingénieux de la fleur tout épanouie représentée au No. 15,
celui de la même fleur dans trois positions différentes aux
numéros 14 et 15, et le renversement de la feuille au No. 20,
sont très remarquables et des plus significatifs. L’intention
de l’artiste est pleinement exprimée par des moyens aussi
simples qu’élégants.
L’unité de la surface de l’objet décoré n’est point
détruite, comme elle l’aurait été par la méthode européenne
de représenter une fleur aussi naturelle que possible, en la
reproduisant avec ses différentes nuances de couleur et ses
ombres, comme pour vous donner la tentation de la cueillir.
À la planche XLVII. dévouée aux ornements perses, on voit
le même traitement appliqué à la représentation des fleurs
naturelles ; en comparant ces deux manières de représenter
les fleurs, on voit quelle influence l’art perse a exercée sur
le style floral de l’Inde.

239
Dans l’application des divers ornements aux différentes
parties des objets, le plus grand discernement se décèle
toujours. L’ornement est invariablement parfaitement
proportionné à la position qu’il occupe ; de petites fleurs
pendantes ornent les cous étroits des houkas, tandis que les
formes bombées de la base sont décorées d’ornements plus
grands ; au bord inférieur se trouvent des ornements qui ont
une tendance montante, et qui, en même temps, forment une
ligne continue autour de la forme de l’objet pour empêcher
l’œil de s’en écarter. Toutes les fois qu’on emploie
d’étroites bordures courantes, comme dans le No. 24, on les
contraste par d’autres qui suivent une direction contraire ;
l’artiste ne perd jamais de vue le repos général de la
décoration.
Dans la distribution égale de l’ornement de surface sur
les fonds, les Indiens déploient un instinct et une perfection
de dessin, tout-à-fait merveilleux. L’ornement No. 1, de la
planche L., pris d’une selle brodée, excita l’admiration
universelle en 1851. La balance exacte obtenue par l’artiste,
en plaçant la broderie d’or sur un fond vert et rouge, était si
parfaite, qu’il était au-dela du pouvoir d’un artiste européen
de la copier en maintenant la même balance, si complète, de
forme et de couleur. La manière dont les couleurs sont
fondues entre elles dans tous les tissus des Indiens, afin
d’obtenir ce qu’ils paraissent toujours chercher à produire,
savoir, que les objets coloriés vus à une certaine distance
présentent à la vue un éclat neutralisé, est des plus
remarquables. Obligés d’avoir égard à une juste économie

240
dans la production de nos planches, nous avons été
nécessairement limités à l’égard du nombre de couleurs à
imprimer, et nous n’en avons pas toujours obtenu, par
conséquent, la balance convenable. Tous ceux qui
s’occupent de quelque manière que ce soit, de la fabrication
des tissus, devraient inspecter la collection indienne au
musée de South Kensington et en faire un objet d’études
spéciales ; ils y trouveront les plus brillantes couleurs
parfaitement harmonisées entre elles — il est impossible
d’y trouver un défaut d’accord. Tous les exemples font voir
l’ajustement le plus parfait dans le soin de masser les
ornements à l’égard de la couleur du fond ; chaque couleur
ou teinte, à partir des plus pâles et des plus délicates
jusqu’aux plus foncées et aux plus riches en nuances, reçoit
exactement la quantité d’ornements qu’elle peut supporter.
On peut déduire les règles générales suivantes
applicables à la fabrication de tous les tissus indiens : —
I°. Quand on fait usage d’ornements d’or sur un fond
colorié, le fond sera le plus foncé là où l’on a employé l’or
en grandes masses ; et quand on emploie l’or avec plus de
sobriété, le fond sera plus clair et plus délicat.
2°. Quand on fait usage d’un ornement en or seul sur un
fond colorié, on y introduit la couleur du fond par le moyen
d’ornements, ou hachures, travaillés dans les couleurs du
fond sur l’or lui-même.
3°. Quand les ornements d’une seule couleur sont placés
sur un fond d’une couleur contrastante, on détache les

241
ornements du fond, par des contours d’une couleur plus
claire, pour empêcher un contraste trop tranchant.
4°. Quand, au contraire, les ornements d’une seule
couleur sont placés sur un fond d’or, on détache les
ornements du fond d’or, par des contours d’une couleur plus
foncée, pour empêcher que l’effet des ornements ne soit
affaibli. — Voyez le numéro 10 de la planche L.
5°. Dans les autres cas, où l’on fait usage d’une variété
de couleurs sur un fond colorié, des contours d’or ou
d’argent, ou bien de soie blanche ou jaune, détachent les
ornements du fond, en donnant à l’ensemble un ton général
d’aspect.
Dans les tapis et dans les combinaisons de couleurs aux
tons foncés, on se sert dans ce but de contours généraux de
couleur noire.
Le but que les Indiens ont en vue surtout, dans leurs
tissus, semble être de définir les ornements d’une manière
délicate, et non d’une manière abrupte ; ils visent à ce que
les objets coloriés, vus à une certaine distance, présentent
un éclat neutralisé ; qu’ils décèlent de nouvelles beautés à
mesure qu’on s’en approche ; et qu’une inspection
minutieuse fasse connaître les moyens par les quels l’artiste
est arrivé à produire ces effets.
En ceci, ils ne font que mettre en pratique les mêmes
principes, qui règlent la décoration de surface dans
l’architecture des Arabes et des Maures. Le tympan d’un

242
arc mauresque et un châle indien sont faits précisément
d’après les mêmes principes.
L’ornement de la planche LIII., pris d’une couverture de
livre qui se trouve dans la collection de la compagnie des
Indes, est un exemple brillant de décoration peinte. Les
proportions générales des Lignes principales du patron, la
distribution habile des fleurs sur la surface, et, malgré la
complication de la composition, la continuité parfaite des
lignes des tiges, placent cette composition bien au-dessus de
toute tentative faite en ce genre par les Européens. Les
ornements de l’intérieur de la même couverture, planche
LIV., sont traités d’une manière moins conventionnelle ;
mais avec quel charme l’artiste a observé les justes limites
du traitement des fleurs sur une surface plate ! Cette
couverture de Livre nous offre un spécimen de deux styles
distincts : — l’extérieur est d’après le style arabe, et
l’intérieur d’après le perse.

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CHAPITRE XIII. — PLANCHES 56, 57, 58.

ORNEMENTS HINDOUS.

PLANCHE LVI.
Ornements pris d’une statue en basalte qui se
trouve à l’« Asiatic Society. »

PLANCHE LVII.
1. Birman en verre.PALAIS DE CRISTAL.
2. Châsse de Birman. P.C.
3. Étendard Birman. P.C.
4-6. Pris d’une chasse de Birman. P.C.
7-10, 12-17. Ornements pris des copies des
peintures qui se trouvent sur les murs
des cavernes à Ajunta. — PALAIS DE
CRISTAL.

253
11. Birman, pris d’un monastère près de
Prome. — P.C.

PLANCHE LVIII.
1. Birman. — HÔTEL DE LA COMPAGNIE DES
INDES.
2, 3. Châsse de Birman. — PALAIS DE CRISTAL.
4. Coffre doré de Birman. P.C.
5. Hindou. — MUSÉE DU SERVICE UNI.
{{table|nodots|indentation=-1|section=6-
9.|titre=Ornements Hindous. — HÔTEL DE LA
COMPAGNIE DES INDES.
10. Birman. — PALAIS DE CRISTAL.
11. Hindou. — MUSÉE DU SERVICE UNI.
12. Birman. — MUSÉE BRITANNIQUE.
13. Hindou. — HÔTEL DE LA COMPAGNIE DES
INDES.
14. Hindou. — MUSÉE DU SERVICE UNI.
15. Hindou. — HÔTEL DE LA COMPAGNIE DES
INDES.
16-19,21. Birman. — P.C.
20, 22-25. Birman. — MUSÉE DU SERVICE UNI.
26. Birman. — P. C.

254
L ES matériaux restreints que nous possédons en
Angleterre, ne nous permettent pas de fournir un nombre
suffisant de spécimens de l’ornementation des Hindous,
pour arriver à en avoir une juste appréciation. Les écrivains
qui ont publié jusqu’à ce jour des ouvrages sur l’ancienne
architecture de l’Inde, n’ont pas suffisamment dirigé leur
attention sur la partie ornementale des bâtiments de ce pays,
pour nous permettre de reconnaître le vrai caractère de
l’ornement hindou.
Dans les premières publications sur l’art égyptien, toutes
les œuvres de sculpture et d’ornement étaient rendues d’une
manière si fausse, qu’il a fallu un temps considérable, avant
que le pubUc européen pût arriver à croire à l’existence de
tant de grace et de tant de raffinement dans les œuvres des
Égyptiens.
Les restes des monuments égyptiens qui ont été
transportés en Angleterre, les plâtres d’un grand nombre
d’autres qui existent encore en Égypte, et les reproductions
plus fidèles et plus dignes de foi qui ont été publiées, dans
ces dernières années, ont entièrement dissipé le doute qui
existait dans l’esprit du public à ce sujet ; et l’art égyptien,
aujourd’hui, a fini par prendre la vraie place qui lui
revenait, dans l’estime publique.
Après que la même chose aura été accomplie à l’égard de
l’ancienne architecture de l’Inde, nous serons dans une
meilleure position qu’à présent, de former une opinion
jusqu’à quel point elle a droit de prendre rang parmi les

255
beaux arts, ou bien nous saurons si les Hindous ne sont que
des entasseurs de pierres ornées de sculptures grotesques et
barbares.
Si nous ne possédions que des vues pittoresques du
Parthenon et des temples de Balbeck et de Palmyre, nous
n’hésiterions pas à déclarer, que les Romains étaient bien
supérieurs aux Grecs dans l’architecture. Mais les contours
d’une seule moulure du Parthénon suffiraient pour nous
faire changer d’opinion, et nous amener à proclamer à haute
voix, que ce que nous contemplions étaient les œuvres d’un
peuple arrivé au plus haut degré de civilisation et de
raffinement.
Quoique l’ornement ne soit, proprement parlant, qu’un
accessoire de l’architecture, et qu’il ne doive jamais usurper
la place des traits principaux de la construction, ni les
surcharger de manière à les masquer, il n’en forme pas
moins l’âme même du monument architectural ; car ce n’est
que par l’ornement, que nous pouvons arriver à former une
juste idée des soins et de la capacité intellectuelle qui ont
présidé à la construction de l’ouvrage. Toute autre chose,
dans un édifice, pourrait être seulement un résultat
mécanique produit à l’aide de la règle et du compas, mais
l’ornement nous fait connaître jusqu’à quel point
l’architecte est en même temps artiste.
Personne ne peut lire l’ouvrage de Ram Raz [1] sur
l’architecture des Hindous, sans sentir que ce peuple a dû
atteindre à un degré de perfection architecturale plus élevé,
que celui que les ouvrages publiés jusqu’à ce jour tendent à
256
nous faire accroire. On trouve dans cet ouvrage non
seulement des règles précises sur l’arrangement général des
structures, mais aussi des directions minutieuses sur la
division et la subdivision des ornements.
Un des préceptes cités par Ram Raz mérite d’être
rapporté, comme preuve que les Hindous faisaient grand cas
de la perfection générale : " Malheur à ceux qui demeurent
dans une maison qui n’est pas bâtie selon les proportions de
la symétrie. Il faut donc que l’architecte, en construisant un
édifice, en considère avec soin toutes les parties, à partir des
fondations jusqu’au toit." Parmi les directions qui se
trouvent dans cet ouvrage sur les diverses proportions des
colonnes, des bases et des chapiteaux, il existe une règle
pour trouver la propre diminution du diamètre supérieur
d’une colonne en proportion du diamètre inférieur.
Ram Raz dit que la règle générale suivie par les
architectes hindous, était de diviser le diamètre de la
colonne à la base, en autant de parties qu’il y avait de
diamètres dans toute la hauteur de la colonne, et de prendre
invariablement une de ces parties pour former le diamètre
du haut de la colonne. La raison en est, que plus la colonne
est haute, moins elle devra diminuer au sommet ; et cette
règle était suivie, parce que la diminution apparente du
diamètre dans les colonnes de la même proportion est
toujours plus grande suivant la hauteur.
On trouvera à la planche LVI. les meilleurs spécimens
d’ornements hindous que nous ayons pu nous procurer ; ils
ont été pris d’une statue de Surga, ou Soleil, en basalte, qui

257
se trouve dans la collection de l’« Asiatic Society ; » on
suppose qu’elle appartient à une époque entre le cinquième
siècle et le neuvième de l’ère chrétienne. Les ornements en
sont admirablement exécutés, et trahissent visible ment
l’influence grecque. L’ornement No. 8 représente le lotus vu
à plat, orné de boutons en élévation de côté, qu’un dieu tient
à la main.
Dans les livres sacrés cités par Ram Raz, se trouvent
plusieurs préceptes qui recommandent d’orner les divers
membres architecturaux, de lotus et de pierreries ; les quels
semblent former les principaux types des décorations des
moulures.
Des moulures entassées les unes sur les autres, forment
les traits caractéristiques des bâtiments hindous. Dans
l’ouvrage de Ram Raz se trouvent des instructions bien
définies à l’égard des différentes proportions de chaque
moulure, et il est évident que la valeur de ce style
d’architecture doit dépendre entièrement du plus ou moins
de perfection avec laquelle la transition d’une moulure à
l’autre est effectuée ; mais, comme nous l’avons déjà dit,
nous ne sommes pas à même, faute de matériaux, de porter
un jugement à cet égard.
Nous avons réuni à la planche LVII. tous les exemples
d’ornement décoratif que nous avons pu trouver sur les
copies des peintures des cavernes d’Ajunta, que la
compagnie des Indes a exposées au Palais de Cristal. Ces
copies, quoiqu’on les représente comme étant d’une grande
fidélité, ne sont néanmoins que l’ouvrage d’un artiste

258
européen, et par conséquent il nous est difficile de dire
jusqu’à quel point on peut s’y fier. Dans les parties
secondaires de ces copies, dans les ornements par exemple,
on voit si peu de cachet particulier, qu’on pourrait les
attribuer à n’importe quel style. Il est à remarquer qu’il y a
très peu d’ornements dans ces peintures ; particularité que
nous avons observée dans plusieurs anciennes peintures qui
appartiennent à l’« Asiatic Society. » Même sur les
vêtements des figures, il y a une absence d’ornements qui
ne peut manquer de frapper tout observateur.

259
260
261
1. ↑ « History of the Architecture of the Hindus, » par Kara Raz. Londres,
1834.

262
CHAPITRE XIV. — PLANCHES 59, 60, 61,
62.

ORNEMENTS CHINOIS.

PLANCHE LIX.
Les ornements, Nos. 1, 8-17, 24-28, 33-35, 40,
42, sont pris de peintures sur porcelaine,
et les Nos. 2-7, 18-23, 29-32, 36-39, 41, sont pris
de tableaux.

PLANCHE LX.
Les ornements, Nos. 1-12, 16, 19-21, 24, sont
pris de peintures sur porcelaine,
et les Nos. 17, 18, de tableaux.
Les Nos. 13, 22, 23, sont pris de tissus,
et les Nos. 14, 16, de peintures sur des boites en
bois.

263
PLANCHE LXI.
Les ornements, Nos. 1-3, sont pris de peintures
sur bois,
et les Nos. 4-6, 9, 10, 12-15, 17, 18, de peintures
sur porcelaine.
Les Nos. 7, 8, 11, sont pris de tissus,
et le No. 16, d’un tableau.

PLANCHE LXII.
Représentations conventionnelles de fleurs et de
fruits, peintes sur porcelaine.

M ALGRÉ la haute antiquité de la civilisation des


Chinois et la perfection à la quelle ils atteignirent dans leurs
procédés de manufacture, bien des siècles avant notre
époque, ils ne paraissent pas avoir fait beaucoup de progrès
dans les beaux-arts. M. Fergusson, dans son admirable "
Handbook of Architecture ", remarque que « la Chine
possède à peine un bâtiment digne d’être classé parmi les
œuvres d’architecture, » et que tous les grands ouvrages du
génie, dont tout le pays est couvert, « n’offrent à la vue

264
aucune composition architecturale et sont dénués de toute
espèce d’ornements. »
Dans leur ornementation, si familière au public, par les
nombreux objets de toute sorte, provenant de leur
manufacture, qui ont été importés en Europe, les Chinois ne
paraissent pas avoir dépassé le point auquel arrive tout
peuple dans l’enfance de la civilisation : leur art, tel qu’il
est, est entière ment stationnaire et ne présente aucune
tendance ni progressive ni rétrograde. Ils sont même en
arrière des habitants de la Nouvelle Zélande, sous le rapport
de la conception d’une forme pure ; mais ils possèdent, de
commun avec toutes les nations orientales, l’heureux
instinct de l’harmonie des couleurs ; et comme ce don est
plutôt une faculté naturelle qu’un talent qu’on acquiert, il ne
nous étonne pas, puisque c’est précisément ce à quoi nous
devions nous attendre. L’acquisition de l’appréciation de la
forme dans sa pureté demande une éducation plus subtile ;
c’est le résultat ou de qualités naturelles beaucoup plus
élevées, ou du développement des idées primitives par des
générations successives d’artistes continuant dans leurs
efforts, par de nouvelles améliorations, les progrès faits par
leurs prédécesseurs.
La forme générale d’un grand nombre de vases chinois se
fait remarquer par la beauté de ses contours, mais on peut
en dire autant des gargoulettes grossières d’argile poreuse,
que le potier arabe, dépourvu de la connaissance des
premiers principes de l’art, fabrique journellement sur les
bords du Nil, n’ayant pour seule aide que l’instinct naturel à

265
sa race ; mais la forme des vases chinois perd souvent sa
pureté, par l’addition d’ornements grotesques ou dépourvus
de toute espèce de signification, construits sur la surface de
l’objet, au lieu de paraître s’en élancer : de là nous sommes
amenés à conclure que les Chinois ne peuvent posséder
l’appréciation de la forme, qu’à un faible degré.
Dans leur décoration peinte et dans leur décoration des
tissus, les Chinois, en fait d’instinct artistique, ne trahissent
que celui d’un peuple primitif, Les ornements qui ont pour
base des combinaisons géométriques, sont ceux dans les
quels ils ont le plus de succès ; mais même alors, s’il leur
arrive d’abandonner les patrons formés par l’intersection de
lignes égales, ils paraissent n’avoir qu’une idée très
imparfaite de la distribution des intervalles. L’instinct qu’ils
possèdent de l’harmonie des couleurs, leur permet jusqu’à
un certain point, de balancer les formes, mais une fois
privés de cette aide ils ne semblent pas capables d’obtenir le
même résultat heureux. Les diaprés de la planche XLIX.
fournissent des exemples à l’appui de ce que nous venons
de dire. Les patrons 1, 8, 13, 18, 19, produits par des figures
qui assurent une égale distribution, sont plus parfaits que les
Nos. 2, 467, 41, dont l’arrangement est laissé au caprice de
l’artiste ; d’un autre côté les Nos. 28, 33, 35, 49 ; et les
autres patrons de ce genre reproduits sur cette planche, sont
des exemples dans les quels l’effet de l’ensemble est
produit par l’instinct nécessaire à balancer convenablement
les couleurs entre elles ; talent naturel que les Chinois
partagent avec les Indiens, dans leurs tissus où le ton de la

266
couleur du fond est toujours en harmonie avec la quantité
d’ornements dont on les décore. Les Chinois sont certaine
ment de bons coloristes, et peuvent balancer, avec le même
succès, les tons de couleur les plus riches ainsi que les
nuances les plus délicates.
Leurs efforts sont couronnés d’un plein succès, non
seulement dans l’emploi des couleurs primaires, mais aussi
dans celui des secondaires et des tertiaires ; et davantage
encore peut-être, dans le manie ment des tons clairs des
couleurs pures, — surtout dans le bleu pâle, le rose pâle, et
le vert pâle.
Les Chinois, à l’exception des patrons géométriques, ne
possèdent que très peu de formes purement ornementales ou
conventionnelles ; nous en donnons quelques exemples à la
planche LX., numéros 1-3, 5, 7, 8. Ils ne possèdent aucun
ornement conventionnel courant, comme nous en trouvons
dans tous les autres styles ; ils remplacent ce manque par
une représentation de fleurs naturelles entrelacées
d’ornements linéaires : tels sont les numéros 17, 18 de la
planche LXI. ; ou par des fruits, comme à la planche LXII.
Dans tous les exemples différents de leur ornementation,
leur instinct les maintient dans de justes limites ; et quoique
l’arrangement en soit généralement peu naturel et
inartistique, il n’outrage jamais, la convenance, par des
ombres et des nuances hors de place, comme on le voit
parmi nous. Le traitement des figures, des paysages et des
ornements dans leurs papiers de tenture, quelqu’inartistique
qu’il puisse nous paraître, est néanmoins assez

267
conventionnel pour qu’il ne choque jamais le bon goût, en
dépassant les limites légitimes de la décoration ; de plus,
dans leurs patrons floraux, les Chinois observent toujours
les lois naturelles de la radiation partant de la tige-mère, et
de la courbure tangente ; et il serait impossible qu’il en fût
autrement, car la spécialité des Chinois, c’est de copier avec
fidélité ; de là nous concluons qu’ils doivent observer de
près la nature. Ce qui leur manque, c’est le goût pour
idéaliser leurs compositions fondées sur ces observations.
Nous avons déjà parlé dans le chapitre des ornements
grecs, des particularités de la frette chinoise. Le No. 1 de la
planche LXI. est un méandre continu semblable à celui des
Grecs ; les Nos. 2-9, 18, sont des spécimens de frettes
irrégulières ; le No. 4 de la planche LX. est un exemple
curieux d’une frette à extrémité recourbée.
L’ornement chinois, pris dans son ensemble, est une
expression fidèle de ce peuple bizarre ; ce qui le caractérise
c’est la bizarrerie, — nous ne saurions dire qu’il soit
capricieux, car le caprice est l’élan erratique d’une
imagination vive ; et les Chinois sont entièrement dénués de
la faculté imaginative ; aussi toutes leurs œuvres péchent-
elles par le manque de la qualité la plus gracieuse de l’art,
— l’idéal.

268
269
270
271
272
273
CHAPITRE XV. — PLANCHES 63, 64, 65.

O R N E M E N T S C E LT I Q U E S .

PLANCHE LXIII.
ORNEMENTATION LAPIDAIRE.

1. La croix d’Aberlemno, formée d’une seule


dalle, haute de Angus 7 pieds. —
CHALMERS, Stone Monuments of Angus.
2. Ornement circulaire pris de la base d’une
croix en pierre, au cimetière de du
cimetière de St. Vigean, Angusshire. —
CHALMERS.
3. Partie centrale d’une croix en pierre qui se
trouve au cimetière de l’île
d’Inchbrayoe, Écosse.
4. Ornements d’une croix qui se trouve
Meigle, Angusshire. — CHALMERS.
5. Ornement pris de la base d’une croix près
de la vieille église d’Eassie, Angusshire.

274
— CHALMERS.
Note. — Outre les différents ornements qu’on observe
sur les pierres qui figurent ici, on trouve sur nombre de
croix écossaises exclusivement, un ornement particulier
qu’on appelle le dessin à lunettes. Il se compose de deux
cercles joints par deux lignes courbes, lesquelles sont
croisées par la traverse oblique d’un Z orné. Les antiquaires
sont et ont toujours été embarrassés d’expliquer l’origine et
la signification de cet ornement, dont nous n’avons jamais
trouvé, hors de l’Ecosse, qu’un seul exemple sur un bijou
gnostique, reproduit en gravure dans l’Essay on Christian
Coins, par WALSH.
Sur quelques-unes des croix de l’île de Man et de
Cumberland — de même que sur celle de Penmon,
Anglesea, — se trouve un ornement semblable au dessin
classique que nous avons reproduit sur la planche grecque
VIII., figures figures 22 et 27. Cet ornement a été emprunté
probablement au pavé mosaïque romain, où il se rencontre
quelquefois : mais on ne le trouve jamais dans les
manuscrits ni dans les ouvrages en métal.

PLANCHE LXIV.
ENTRELACS

1-5, 10-22, 26, 42-44, sont des bordures


d’entrelacs à rubans, copiées de
275
manuscrits anglo-saxons et irlandais qui
se trouvent au musée Britannique, à la
bibliothèque Bodléïenne, Oxford, et aux
bibliothèques de St. Gall et de Trinity
College, Dublin.
6, 7. Entrelacs à rubans, pris des évangiles d’or
de la bibliothèque Harléïenne, musée
Britannique. — HUMPHREYS.
8. Ornement formant la terminaison d’une
lettre initiale, formé de lignes
entrelacées et spirales, pris de
l’exemplaire des évangiles, No. 693,
bibliothèque de Paris. — SILVESTRE.
9. Entrelacs, pris d’un manuscrit irlandais qui
se trouve à St. Gall. — Keiler.
23. Ornement formant la terminaison d’une
lettre initiale, pris du livre du sacre des
rois anglo-saxons, production d’artistes
franco-saxons. — HUMPHREYS.
24. Ornements à entrelacs, pris du psautier
tironien, de la bibliothèque de Paris. —
SILVESTRE.
26. Ornement entremêlé de feuillage et
d’animaux dessinés d’après nature, pris
des évangiles d’or. — HUMPHREYS.
27. Ornement angulaire à entrelacs, pris de la
Bible de St. Denis. 9ème siècle.
28. Dessin des lignes angulaires, pris des
évangiles de Lindisfarne. Fin du 7ème
276
siècle.
29. Panneau à entrelacs, du psautier de St.
Augustin, musée Britannique. 6ème ou
7ème siècle.
30. Ornement formé de quatre triquètres joints,
pris du Sacramentaire franco-saxon de
St. Grégoire, bibliothèque de Reims.
9ème ou 10ème siècle. — SILVESTRE.
31. Partie d’une initiale gigantesque de la
Bible francosaxonne de St. Denis. 9ème
siècle. — SILVESTRE.
32. Ornement en quatre-feuilles à entrelacs, du
Sacramentaire de Reims. — SILVESTRE.
33. Ornement angulaire à entrelacs des
évangiles d’or, (agrandi).
34 et 37. Ornements entrelacés, formés de points
rouges, pris des évangiles de
Lindisfarne.
35. Entrelacs de triquètres, pris des évangiles
du sacre des rois anglo-saxons.
36. Ornement circulaire de quatre triquètres
joints, pris du Sacramentaire de Reims,
(agrandi).
38 et 40. Lettres initiales des évangiles de
Lindisfarne, formées d’entrelacs
d’animaux et de lignes angulaires. Fin
du 7ème siècle, (agrandies).

277
39. Ornement entremêlé de têtes de chiens, du
Sacramentaire franco-saxon de Reims.
— SILVESTRE.
41 et 45. Ornements à entrelacs quadrangulaircs,
pris du missel de Leofric, bibliothèque
Bodléïenne.

PLANCHE LXV.
ORNEMENTS SPIRAUX ET DIAGONAUX,
ORNEMENTS ZOOMORPHIQUES ET
ANGLO-SAXONS.
1. Lettre initiale, des évangiles de
Lindisfarne, fin du 7ème siècle, musée
Britannique, (agrandie).
2. Ornement en lignes angulaires, des
évangiles Grégoriens, musée
Britannique, (agrandi).
3. Entrelacs d’animaux, du livre de Kells,
bibliothèque de Trinity College, Dublin,
(agrandis).
4. Dessin diagonal. Evangiles de Mac
Durnan, bibliothèque du palais de
Lambeth. 9ème siècle, (agrandi).
5 et 12. Ornements en spirale des évangiles de
Lindisfarne, (agrandis).
6. Ornements en diagonal de manuscrits
irlandais, St. Gall, 9ème siècle,

278
(agrandis).
7. Entrelacs. Idem.
8. Entrelacs d’animaux, évangiles de Mac
Durnan, (agrandis).
9, 10,13. Dessins en diagonal, évangiles de Mac
Durnan, (agrandis).
11. Dessins en diagonal des évangiles de
Lindisfarne, (agrandis).
14. Bordure en entrelacs d’animaux, tirée des
évangiles de Lindisfarne, (agrandie).
15 et 17. Panneaux à entrelacs de bêtes et
d’oiseaux, pris des évangiles irlandais de
S. Gall. 8ème ou 9ème siècle.
16. Q initiale, en forme d’animal allongé et
angulaire, du psautier de Ricemarchus,
Trinity College, Dublin. Fin du 11ème
siècle.
18. Un quartier de cadre, ou bordure, pris
d’une page enluminée du
bénédictionnaire de St. Æthelgar, Rouen,
10ème siècle. — SILVESTRE.
19. Idem, pris du psautier d’Arundel, No. 155,
musée Britannique. — HUMPHREYS.
20. Idem, pris des évangiles de Canute, musée
Britannique. Fin du 10ème siécle.
21. Idem, pris du bénédictionnaire de
Æthelgar.

279
22. Ornement en spirale entremêlé d’oiseaux,
formant partie d’une grande initiale
majuscule, des évangiles de Lindisfarne.
(Grandeur réelle.) — HUMPHREYS.

O R N E M E N T S C E LT I Q U E S .
L E génie des habitants des Iles Britanniques, s’est
signalé, en tout temps, par des productions d’un style qui
différait singulièrement du style des autres nations du
monde entier. Si les traits caractéristiques qui nous
distinguent à présent, sont marqués d’un cachet particulier,
ceux qui distinguaient nos ancêtres depuis les temps les plus
reculés, ne l’étaient pas moins. Encore de nos jours, on
regarde avec admiration nos immenses temples druidiques ;
et parmi les productions des beaux-arts des siècles suivants,
nous trouvons des croix gigantesques en pierre ayant
jusqu’à trente pieds de hauteur, sculptées de la manière la
plus élaborée et ornées de devises dont le style ne ressemble
point au style des autres peuples, et ces croix nous
représentent l’ancien génie pour les structures lapidaires
sous une forme modifiée, inspirée par une foi nouvelle.
Les plus anciens monuments et reliques de l’art de
l’ornementation que nous possédons, (et ils sont bien plus
nombreux que la plupart des personnes ne s’imaginent),
sont liés si intimement avec la première introduction du

280
christianisme dans ces îles [1], que nous sommes forcés
d’avoir recours à celui-ci pour démêler l’histoire et le
cachet particulier de l’art celtique : tâche qui jusqu’à
présent a été effleurée à peine, quoiqu’elle offre, au point de
vue national, un degré d’intérêt égal à celui que peut
inspirer l’histoire de l’art de l’ornementation de n’importe
quel autre pays.
1. ÉVIDENCE HISTORIQUE. — Il est vrai que les historiens
ne sont pas d’accord, quant à la manière précise dont le
christianisme a été introduit en Angleterre, mais, sans qu’il
soit nécessaire de chercher à réconcilier ces différends, nous
avons l’évidence la plus ample, non seulement que le
christianisme a été établi dans la Grande Bretagne avant
l’arrivée de St. Augustin, 596, mais aussi que les anciens
théologiens britanniques différaient sur bien des points
importants de doctrine, avec le missionnaire envoyé par St.
Grégoire le grand ; ce qui est confirmé jusqu’à l’évidence
par les restes artistiques que nous possédons de cette
époque. St. Gregoire avait envoyé en Angleterre plusieurs
Bibles dont on conserve actuellement deux exemplaires :
l’un à la bibliothèque Bodléïenne d’Oxford et l’autre à la
bibliothèque du Collège Corpus Christi, Cambridge. Ces
deux exemplaires venus d’Italie, sont écrits en lettres
onciales et arrondies, si usuelles dans ce pays-là, et on n’y
voit aucun ornement ; l’initiale de chaque évangile se
distingue à peine de l’écriture du texte, seulement la
première ligne, ou quelquefois les deux premières lignes,
sont écrites en encre rouge, et chaque évangile a en tête le

281
portrait de l’évangeliste, (dont on n’a conservé du reste que
celui de St. Luc), assis sous un arc arrondi qui repose sur
deux colonnes de marbre, et qui est décoré de feuillage
arrangé d’une manière classique. Les plus anciens
manuscrits italiens sont tous dépourvus d’ornements
élaborés.
Le cas est totalement différent à l’égard des anciens
manuscrits qu’on sait avoir été écrits dans les îles
Britanniques. Ce sont ces manuscrits sur lesquels nous
basons principalement la théorie de l’origine indépendante
de l’ornement celtique ; aussi avons nous cru devoir donner
quelques détails paléographiques, pour prouver leur
antiquité vénérable, d’autant plus qu’on nous oppose
constamment des doutes quant à l’âge supposé de ces
documents précieux. Il est vrai qu’ils ne portent pas de date,
mais quelques-uns d’entr’eux contiennent le nom du scribe,
que nous sommes parvenus à identifier dans les premières
annales, ce qui nous a permis de fixer la période à laquelle
le volume a été exécuté. C’est ainsi qu’on a pu tracer avec
certitude, à une période qui ne descend pas plus bas que le
neuvième siècle, l’origine des évangiles autographes de St.
Columba ; du Leabhar Dhimma, ou évangiles de St. Dimma
Mac Nathi ; des évangiles Bodléïens, écrits par Mac Regol
et du livre d’Armagh. Un autre témoignage qui fournit la
preuve de la date reculée de ces volumes, se trouve dans la
collection sans pareille de chartes anglo-saxonnes de cette
époque, qu’on trouve au musée Britannique et dans d’autres
bibliothèques, chartes qui datent à partir de la seconde

282
moitié du septième siècle jusqu’à la conquête normande ; et
quoique ces chartes, comme Astle le remarque, " soient
écrites généralement d’une main plus déliée et plus cursive
que les livres de la même époque, on n’en voit pas moins la
ressemblance, entre les caractères des chartes et ceux des
livres, laquelle sert ainsi à établir mutuellement leur
authenticité." Il est impossible de comparer, par exemple, le
manuscrit Cottonien Vespasian, A 1, connu généralement
sous le nom de psautier de St. Augustin, avec les chartes de
Sebbi, roi des Saxons de l’Est, 670 (Casley, Catal. of MSS.
p. XXIV.), ou avec celles de Lothaire, roi de Kent, 679 ; ou
bien encore la charte d’Aethelbald, datée de 769, avec les
évangiles de Mac Regol ou de St. Chad ; sans être
parfaitement convaincu que les manuscrits sont de la même
époque que les chartes.
Une troisième preuve de la grande antiquité de nos
premiers manuscrits est fournie par le fait, qu’on en
conserve encore un grand nombre dans différents endroits à
l’étranger, où ils avaient été portés par les missionnaires
irlandais et anglo-saxons. L’histoire fait mention des
nombreux établissements monastiques que nos compatriotes
ont établis dans différentes parties de l’Europe ; et nous ne
citerons que le moine St. Gall, irlandais, qui a donné son
nom, non seulement à l’établissement monastique qu’il
avait fondé, mais même au canton de Suisse où le
monastère est situé. Parmi les livres monastiques de cet
établissement, transférés depuis à la bibliothèque publique,
se trouvent quelques-uns des manuscrits les plus anciens de

283
l’Europe, et un grand nombre de fragments de volumes
soigneusement ornés et exécutés dans les îles Britanniques,
que l’on vénère comme reliques du fondateur. De la même
manière on conserve à Fulda, les évangiles de St. Boniface.
Les évangiles de St. Kilian, (irlandais), l’apôtre de la
Franconie, qu’on a trouvés dans sa tombe, teints de son
sang se conservent à Wurtzbourg, où on les expose sur
l’autel tous les ans à l’anniversaire de son martyre.
Or, tous les manuscrits, dont on a la preuve qu’ils ont été
écrits dans les îles Britanniques à une époque antérieure à la
fin du neuvième siècle, trahissent dans leur ornementation
un cachet particulier, qui diffère totalement de celui qui
appartient à ceux des autres pays, si nous exceptons tels
endroits où les missionnaires irlandais ou anglo-saxons ont
pu introduire leur style, ou modifier ceux qui y existaient
déjà. Ajoutons ici que, quoique nous ayons dérivé nos
arguments principalement des plus anciens manuscrits, nous
arrivons au même résultat en considérant les ornements en
métaux ou en pierre de la même époque ; dont les dessins
forment les pendants de ceux des manuscrits, à tel point
qu’on ne peut qu’arriver à la conclusion, que les
dessinateurs qui ont produit les dessins des uns, ont dû
fournir aussi ceux des autres. Sur quelques-unes des
grandes croix en pierre, cette ressemblance est si frappante,
qu’on est presque tenté, en les examinant de croire qu’on
voit une des pages d’un volume enluminé, à travers une
loupe.

284
2. PARTICULARITÉS DE L’ORNEMENT CELTIQUE. — Les
principales particularités qui caractérisent l’ornement
celtique, consistent, premièrement en ce que les ornements
phyllornorphiques, soit à feuillages soit à végetaux, y
manquent complètement — il n’y a pas la moindre trace de
l’acanthe classique ; et deuxièmement, elles se manifestent
dans le traitement excessivement compliqué, minutieux et
élaboré des différents dessins, dessins géométriques pour la
plupart, composés d’entrelacs à rubans, de lignes diagonales
ou spirales, d’animaux et d’oiseaux monstrueux pourvus de
têtes, de langues et de queues très longues, entrelacées et
contournées en nœuds presque infinis.
Dans les manuscrits les plus somptueux, tels que le livre
de Kells, les évangiles de Lindisfarne, et de St. Chad, et
dans quelques-uns des manuscrits de St. Gall, on voit des
pages entières couvertes de dessins des plus élaborés,
divisés en compartiments, et qui dans leur ensemble
présentent des dessins en forme de croix. Il y a un de ces
dessins au commencement de chaque évangile. La
production d’une telle masse d’ouvrage [2] doit avoir exigé
un travail énorme et un soin infini, puisque l’examen le plus
minutieux, à l’aide d’une loupe, ne pourrait y découvrir une
erreur dans l’exactitude des lignes ou dans la régularité des
entrelacs ; et ce soin minutieux n’empêche pas le coloris de
produire l’effet le plus harmonieux.
Contrairement à l’habitude suivie auparavant, de
commencer un manuscrit avec une lettre qui ne différait
guère du reste du texte, on eut soin, dans ces manuscrits,

285
d’orner d’une manière également élaborée le
commencement de chaque évangile, qui fait face à ces
grandes pages ornées. Les initiales étaient souvent d’une
grandeur gigantesque et remplissaient la plus grande partie
de la page, le reste de la page était occupé par quelques-uns
des mots qui suivaient, dont chaque lettre avait la hauteur
moyenne d’un pouce environ. Dans les pages qui formaient
le commencement du texte, comme dans celles qui
contenaient les dessins en forme de croix, se trouvaient
représentés, avec plus ou moins de détails, tous les
différents styles d’ornementation.
Les ornements les plus variés que les artisans en métaux,
en pierre, et les écrivains des manuscrits employaient
généralement, se composaient d’une ou de plusieurs
bandelettes étroites entrelacées et nouées, contournées
quelquefois dans les enroulements les plus compliqués, et
quelquefois arrangées d’une manière géométrique et
symétrique. Sur les planches LXIII. et LXIV. se trouvent
nombre d’exemples des différents styles de cet ornement.
En coloriant ces rubans de différentes teintes, appliquées
sur un fond noir ou sur un fond de couleur, on peut produire
des effets variés et charmants. Pour se faire une idée de la
complication curieuse de quelques-uns de ces ornements,
on n’a qu’à suivre le cours du ruban dans ces dessins ;
comme, par exemple, dans celui qui se trouve dans le
compartiment supérieur de la figure 5, planche LXIII.
Quelquefois deux rubans poursuivent leur cours
parallèlement, s’entrelaçant alternativement, comme à la

286
figure 12, planche LXIV. Quand les circonstances le
permettent, les rubans sont dilatés et prennent une forme
angulaire pour remplir certains espaces du dessin, comme à
la figure 11, planche LXIV. La modification la plus simple
de ce dessin c’est le double ovale, qu’on peut voir aux
angles de la figure 27, planche LXIV. Cette modification se
rencontre dans les manuscrits grecs et syriaques, ainsi que
dans les pavés mosaïques des Romains, mais on la trouve
rarement dans nos premiers manuscrits. Une autre forme
simple est celle qui est connue sous le nom de triquètre, et
qui est fort commune dans les manuscrits et dans les objets
travaillés en métal. La figure 36, planche LXIV., présente
un exemple de quatre de ces triquètres introduits dans le
motif. Les figures 30 et 35 de la même planche représentent
des modifications de ce dessin.
Un autre ornement caractéristique, qu’on employait en
profusion dans les plus anciens ouvrages de tout genre, se
composait d’animaux monstrueux, tels que oiseaux, lézards
et serpents de différentes espèces, allongés généralement
outre mesure et garnis de nœuds, de queues et de langues
qui s’étendaient en longs rubans entrelacés, s’éntremêlant et
se contournant de la manière la plus fantastique ; quelque
fois d’une manière symétrique, mais le plus souvent d’une
manière irrégulière, dessinés qu’ils étaient de manière à
servir de remplissage dans certains endroits. Quelquefois,
mais pas souvent, on introduisait aussi la figure humaine ;
comme sur un des panneaux de la croix de Monasterboice,
au palais de Cristal, où l’on voit quatre figures humaines

287
singulièrement entrelacées ; et sur une des bosses de la
crosse de Lismore, appartenant au duc de Devonshire, on
voit plusieurs de ces groupes fantastiques. Sur la planche
LXIII. il y a des groupes d’animaux entrelacés de la même
manière. Les exemples les plus compliqués sont les groupes
de huit chiens (planche LXV., fig. 17) et de huit oiseaux
(planche LXV., fig. 15) pris d’un des manuscrits de St.
Gall ; mais l’exemple le plus élégant, c’est l’ornement
marginal (fig. 8, planche LXV.) pris des évangiles de Mac
Durnan, palais de Lambeth. Dans les manuscrits irlandais et
gallois plus récents, les bords des rubans entrelacés se
touchent, et les dessins sont bien moins géométriques et
plus confus. Le dessin étrange (fig. 16, planche LXV.) n’est
autre chose que la lettre initiale Q du psaume, Quid
Gloriaris, et il est pris du psautier de Eicemarchus, évêque
de St. David, 1088. Ce dessin doit représenter un animal
monstrueux pourvu de nœuds dont l’un s’étend sur le
devant au dessus du nez, et l’autre forme un crochet étrange
au dessus de la tête, le cou est garni d’une rangée de perles,
le corps est allongé et anguleux et se termine en deux
jambes tordues pourvues de griffes féroces, et la queue est
tellement nouée que l’animal aurait du mal à la débrouiller.
Très souvent on n’employait que les têtes d’oiseaux et
d’animaux pour former la terminaison d’un dessin, comme
on peut le voir dans plusieurs ornements reproduits planche
LXIV., et en effet la gueule béante et la langue allongée
fournissent un fini qui ne manque pas de grace.

288
Le plus caractéristique de tous les dessins celtiques c’est
celui qui se produit par deux ou trois lignes spirales, partant
d’un point fixe, et dont les extrémités opposées s’élancent
vers le centre des cueilles formées d’autres lignes spirales.
Les figures 1, 5, et 12, présentent des exemples de cet
ornement, reproduits tous sur une échelle plus ou moins
agrandie ; tandis que la figure 22 représente la grandeur
réelle. La figure 3, planche LXIII., montre comment ce
dessin peut être converti en un dessin diagonal. Dans les
manuscrits, de même que dans tous les meilleurs ouvrages
en métal et en pierre, qui datent d’une époque plus
ancienne, ces lignes spirales prennent toujours la direction
de C, jamais celle de S. Cette circonstance prouve, ce que
l’irrégularité du dessin même tend déja à démontrer, savoir,
que l’ornement central de la figure 1, planche LXIII., n’a
pas été tracé par un artiste versé dans les dessins réellement
celtiques, et trahit ou la négligence ou la présence d’une
influence étrangère. On a appelé ce dessin, le dessin à
trompette, parceque l’espace entre les lignes, forme un
dessin allongé et courbe qui ressemble à l’ancienne
trompette irlandaise, dont l’embouchure est indiquée par un
ovale en points, placé transversalement au bout le plus
large. On rencontre des exemples du même motif exécutés
sur les objets en bronze, d’un pied de diamètre environ,
qu’on a trouvés de temps en temps en Irlande ; et on ne sait
à quel usage ils ont pu servir ; on le voit aussi sur les petites
plaques circulaires émaillées, ouvrages Anglo-Saxons d’une
période reculée, qu’on a trouvées dans différents endroits en
Angleterre. Mais il se voit rarement sur pierre ; le seul
289
exemple que nous en connaissons en Angleterre se trouve
sur les fonts baptismaux de l’église de Deerhurst. Comme
cet ornement ne se rencontre dans aucun manuscrit exécuté
en Angleterre après le neuvième siècle, nous pouvons
conclure, que les fonts baptismaux en question sont les plus
anciens parmi les fonts ornés de ce pays.
Un autre dessin, qui n’est pas moins caractéristique, se
compose de lignes diagonales qui ne s’entrelacent jamais,
mais qui sont arrangées séparément à des intervalles égaux,
et qui forment une suite de dessins ressemblant aux motifs
chinois. [3] La lettre Z, droite ou renversée, constitue
l’élément primaire de ce dessin qu’on peut appeler, comme
conséquence, le dessin de Z. Il est capable d’un grand
nombre de modifications, comme on peut le voir, planche
LXV., figures 6, 4, 9, 10, 11, et 13. Dans les manuscrits les
plus élaborés, ce dessin est purement géométrique et
régulier, mais dans les ouvrages peu-soignés, il dégénère en
un dessin irrégulier, comme on peut l’observer à la planche
LXIII., figures 1 et 3.
On trouve encore de temps en temps, dans les manuscrits
anglais, un autre ornement fort simple, qui consiste en une
série de lignes angulaires placées séparément à distance
égale l’une de l’autre, de manière à former une suite de
marches ou degrés. Voyez planche LXIV., figures 28 et 36 ;
et planche LXV., fig. 2. Ce dessin du reste, ne saurait être
regardé comme caractéristique de l’ornement celtique,
puisqu’il se rencontre également dans les autres styles
depuis l’époque la plus reculée.

290
En dernier lieu, nous mentionnerons encore l’ornement le
plus simple de tous, celui qui ne consiste qu’en points
rouges. On s’en servait beaucoup pour former l’ornement
marginal des grandes initiales ou celui des détails ornés
avec le plus de soin. Ces points forment un des principaux
traits caractéristiques qui distinguent les manuscrits
irlandais et anglo-saxons. Quelquefois ils étaient arrangés
de manière à former un dessin à eux seuls, comme dans les
figures 34 et 37, planche LXIV.
3. DE L’ORIGINE DES ORNEMENTS CELTIQUES. — Les
différents styles d’ornementation que nous avons tracés ci-
dessus, se pratiquaient dans la Grande-Bretagne et en
Irlande depuis le quatrième ou cinquième siècle jusqu’au
onzième ou douzième ; et comme ces ornements paraissent
sous la forme la plus pure et la plus élaborée dans tels
endroits ou les races celtiques prédominèrent le plus long-
temps, nous n’hésitons pas à les classer sous le nom
générique d’ornements celtiques.
Nous laisserons entièrement de côté la question de savoir,
si les Irlandais avaient reçu leurs lettres et leurs styles
d’ornementation des premiers chrétiens britanniques, ou si
ces ornements avaient pris leur origine en Irlande et
s’étaient répandus ensuite en Angleterre. Pour décider ce
point, il faudrait examiner avec le plus grand soin l’origine
locale des premiers manuscrits anglo-saxons, ainsi que celle
des pierres sculptées et garnies d’inscriptions d’origine
romaine, romaine-britannique, ou appartenant à la première
époque du christianisme, qui se trouvent à l’ouest de

291
l’Angleterre et du pays de Galles. Mais pour notre argument
il nous suffit d’avoir l’autorité du vénérable Bède, qui nous
informe que les églises britanniques et irlandaises étaient
identiques dans leurs particularités, et la même identité
existe dans les monuments. Il est vrai que les Anglo-saxons
employaient ces mêmes styles d’ornement, tout aussi bien
que les Irlandais, comme on peut le voir dans les fameux
évangiles de Lindisfarne ou le livre de St. Cuthbert, qu’on
conserve dans la librairie Cottonienne du musée
Britannique ; et qu’on sait positivement avoir été exécuté à
Lindisfarne à la fin du 7ème siècle par des artistes anglo-
saxons. Mais d’un autre côté il est vrai aussi que
Lindisfarne était un établissement fondé par les moines
d’Iona, disciples des Irlandais de St. Columba, de manière
qu’il n’y a rien de surprenant à ce que les élèves anglo-
saxons aient adopté les styles d’ornementation employés
par leurs prédécesseurs irlandais. Il est certain que les
Saxons, qui étaient païens en arrivant en Angleterre,
n’avaient point de dessins d’ornementation qui leur
appartint particulièrement ; et au Nord de l’Allemagne il
n’existe point de restes, qui puissent fournir le moindre
appui à l’idée, que l’ornementation des manuscrits anglo-
saxons puisse avoir une origine teutonique.
Les conjectures les plus variées ont été avancées quant à
la source d’où les premiers chrétiens des îles Britanniques
ont pu tirer le cachet particulier de leurs ornements. Il y a
même eu des écrivains qui ont nié l’originalité
indépendante des églises britanniques et irlandaises, et ont

292
soutenu qu’elles avaient tiré leurs inspirations d’une source
romaine ; et ces auteurs n’ont pas craint d’avancer la
supposition que les grandes croix de pierre de l’Irlande
avaient été exécutées en Italie. Mais nous sommes à même
de réfuter cette assertion par le fait, qu’il n’existe pas un
seul manuscrit italien antérieur au neuvième siècle, ni une
seule pierre sculptée qui ait la moindre ressemblance avec
les restes qui se trouvent dans ce pays. Qu’on examine le
magnifique ouvrage sur les catacombes de Rome, publié
récemment par le gouvernement français, où toutes les
inscriptions et les dessins exécutés sur les murs sont
reproduits avec le plus grand soin, et on ne manquera pas
d’y trouver la preuve, que l’art et l’ornementation des
premiers chrétiens de Rome n’ont eu aucune part dans le
développement de l’art dans les îles Britanniques. Il est vrai
que les grandes pages ornées des manuscrits dont nous
avons parlé, ont une certaine ressemblance avec les pavés
mosaïques des Romains, de manière que, si ces pages se
trouvaient dans les manuscrits anglo-saxons exclusivement,
on aurait pu avancer la conjecture, qu’elles étaient copiées
de ces pavés qui existaient dans différents endroits de
l’Angleterre, et qui, au septième et au huitième siècles
devaient être encore à découvert ; mais les plus élaborées et
les mieux soignées de ces pages ornées se rencontrent dans
les manuscrits irlandais où l’on peut tracer clairement
l’influence irlandaise, et tout le monde sait qu’il n’y avait
point de pavés mosaïques romains en Irlande, les Romains
n’ayant jamais été dans cette île.

293
On pourrait dire aussi, que les entrelacs à rubans, si
communs dans les manuscrits, etc., étaient tirés des pavés
mosaïques romains ; mais dans ceux-ci les entrelacs sont
tout ce qu’il y a de plus simple et de plus naïf, ne
ressemblant en rien aux nœuds entrelacés et compliqués
qu’on peut voir, par exemple, à la planche LXIII. Le fait
est, que dans les restes romains, les rubans sont simplement
placés alter nativement les uns sur les autres, tandis qu’ils
sont noués dans les dessins celtiques.
D’autres écrivains persistent à prêter une origine
Scandinave à ces sortes d’ornements, qu’on a l’habitude
d’appeler les nœuds runiques, comme se rattachant aux
superstitions Scandinaves. Il est vrai que dans l’Ile de Man,
de même qu’à Lancaster et à Bewcastle, on trouve, sur des
croix, des inscriptions runiques qui portent le cachet
particulier des ornements dont nous venons de parler. Mais
il faut se rappeler que ce sont les missionnaires des îles
Britanniques qui ont converti au christianisme les nations
Scandinaves, et que les croix britanniques ne ressemblent
nullement à celles qui existent encore dans le Danemarc et
en Norvège ; celles-ci, d’ailleurs sont de plusieurs siècles
plus récentes que les plus anciens et les plus beaux des
manuscrits britanniques ; de manière qu’il n’y a rien qui
puisse venir à l’appui de l’assertion, que les ornements de
ces manuscrits soient d’origine Scandinave. Pour réfuter
cette assertion, il suffira de comparer nos planches avec
celles contenues dans l’excellente série d’illustrations des
anciennes reliques Scandinaves, qui se trouvent au musée

294
de Copenhage, publiée tout récemment. [4] Dans les 460
représentations qui forment le total de cet ouvrage, il n’y a
qu’une figure (No. 398) qui représente les motifs de dessin
des manuscrits britanniques, et nous n’hésitons pas à
affirmer que ce sont des restes d’ouvrages irlandais. Que les
artistes Scandinaves ont adopté l’ornementation celtique,
telle qu’elle a été pratiquée vers la fin du dixième et du
onzième siècle, c’est prouvé d’une manière évidente par la
ressemblance qu’il y a entre leurs églises en bois sculpté
(illustrées en detail par M. Dabi) et les ouvrages en métaux
de l’Irlande datant de la même époque, comme, par
exemple, la croix de Cong au musée de l’académie royale
d’Irlande, Dublin.
Les artistes Scandinaves, du reste, n’étaient pas les seuls
à suivre l’art celtique, mais les artistes plus accomplis de
l’école de Charlemagne et de ses successeurs, de même que
ceux de la Lombardie, avaient adopté déjà pour leurs
manuscrits magnifiquement enluminés, nombre
d’ornements particuliers à l’art celtique. Mais ils y mêlaient
les ornements classiques de l’acanthe et à feuillage, ce qui
donnait à leurs pages une grace qu’on cherche en vain dans
les œuvres élaborées mais péniblement compliquées des
artistes britanniques. Cette combinaison d’ornements se fait
remarquer, à la figure 25, planche LXIV., copiée des
évangiles d’or, au musée Britannique, magnifique exemple
de l’art des Francs du neuvième siècle. Dans quelques uns
des manuscrits des Francs, cependant, les motifs Anglo-
Saxons et irlandais étaient copiés de si près (seulement sur

295
une échelle plus grande), qu’on leur a donné le nom de
Franco-Saxons. C’est le cas avec la Bible de St. Denis,
Bibliothèque Nationale, Paris, dont on conserve quarante
pages à la bibliothèque du musée Britannique. La figure 31,
planche LXIV., a été copiée de ce manuscrit, grandeur
réelle.
Il nous reste encore à examiner, si Byzance et l’Orient
n’ont pas fourni les idées que les premiers artistes celtiques
ont ensuite développées dans la retraite de leurs monastères,
telles que nous les voyons exécutées dans les motifs
élaborés des manuscrits dont nous traitons. Le fait que ce
style d’ornements était complètement développé avant la fin
du septième siècle, et que Byzance avait été le siège des arts
à commencer du milieu du quatrième siècle, paraît indiquer
la possibilité, que les missionnaires britanniques ou
irlandais (qui se rendaient souvent à la Terre Sainte et en
Égypte) aient pu puiser dans ces régions les idées ou les
principes de quelques-uns de leurs ornements. On aurait de
la difficulté, il est vrai, à prouver cette assertion, attendu
qu’on ne sait que fort peu sur l’état de l’art réel de Byzance,
antérieurement au septième ou au huitième siècle. Mais ce
qui est certain, c’est que l’ornementation de Ste. Sophie,
illustrée avec tant de soin par H. Salzenberg, ne présente
aucune analogie avec nos dessins celtiques ; ceux-ci
cependant ont bien plus de ressemblance avec les premiers
ornements du mont Athos, dont M. Dideron a donné
quelques illustrations dans son Iconographie de Dieu. À la
planche X. des ornemens égyptiens, figures 10, 13-16, 18-

296
23, et planche XI., figures 1, 4, 6, et 7, on trouvera des
dessins formés de lignes spirales ou de cordes, qui ont peut-
être donné la première idée du motif en spirale de nos
ornements celtiques ; on verra, cependant, que dans la
plupart de ces exemples égyptiens, la ligne spirale est
arrangée en forme de S. Il n’y a que la figure 11, planche
X., qui soit arrangée en forme de C, s’accordant jusqu’à un
certain degré avec nos motifs, dont elle diffère, cependant,
grandement, quant aux détails. Les entrelacs élaborés, si
communs dans l’ornementation mauresque, s’accordent
jusqu’à un certain point avec les ornements slavoniques,
éthiopiques, et syriaques, dont nombre d’exemples ont été
reproduits par Silvestre, ainsi que dans notre Palographia
Sacra Pictoria ; et comme tous ces ornements avaient
probablement leur origine à Byzance ou à Mont Athos, on
serait tenté d’attribuer la même origine à l’idée des
ornements celtiques — idée qui a été développée d’une
manière différente par les artistes irlandais et anglo-saxons.
En résumé ce que nous avons cherché à prouver, c’est
que même en supposant, que les premiers artistes des îles
Britanniques aient tiré le germe de leurs styles particuliers
d’ornements d’une source autre que celle de leur propre
génie national, ils ont dans tous les cas, entre la période de
l’introduction du christianisme et le commencement du
huitième siècle, formé différents systèmes distincts
d’ornementation, lesquels, dans leur état développé ne
ressemblaient en rien à ceux de tout autre pays, quel qu’il
soit ; et cela a été accompli à une époque où presque tout le

297
reste de l’Europe, par suite de la dissolution du grand
empire romain, était plongé dans les ténèbres à l’égard des
productions artistiques.
4. ORNEMENTS ANGLO-SAXONS D’UNE ÉPOQUE PLUS RÉCENTE.
— Vers le milieu du dixième siècle, quelques-uns des
artistes anglo-saxons se servaient, dans leurs manuscrits,
d’un autre style d’ornement également frappant et
également distinct de celui de tout autre pays. Cet ornement
consistait en un dessin de la forme d’un cadre, composé de
barreaux d’or qui entouraient toute la page, au centre de
laquelle étaient placés les miniatures et les titres. Ces cadres
étaient ornés de feuillages et de bourgeons, mais pour rester
fidèles aux idées invétérées des entrelacs, les feuilles et les
tiges furent entre lacées entr’elles et avec les barreaux d’or
mêmes — les angles étaient, en outre, décorés de cercles, de
carrés, de rhombes, ou de quatrefeuilles. Ce style
d’ornement était des plus élaborés, au Sud de l’Angleterre
surtout ; et les exemples les plus grandioses ont été exécutés
à Winchester au monastère de St. Æthelwold, dans la
seconde moitié du dixième siècle. Le plus magnifique de
ces exemples, c’est le bénédictionnaire appartenant au duc
de Devonshire, et illustré complètement dans
VArchoeologia : les deux exemples, cependant, qu’on
conserve à la bibliothèque publique de Rouen, en
approchent de bien près ; et on peut dire la même chose de
l’exemplaire des évangiles qui se trouve à la bibliothèque
de Trinity College, Cambridge. Les évangiles du Roi

298
Canute, au musée Britannique, un autre de ces exemples,
nous a fourni le motif de la figure 20, planche LXV.
Les grands manuscrits de l’école française de
Charlemagne, ornés de feuillages, ont été sans doute les
originaux qui ont inspiré à nos artistes anglo-saxons d’une
époque plus récente, l’idée de combiner les feuillages avec
leurs ornements.
J. 0. WESTWOOD.

RENSEIGNEMENTS BIBLIOGRAPHIQUES.

LEDWICK. Antiquities of Ireland. 4to.


O’CONOR. Biblioth. Stowensis. 2 vols. 4to. 1818. Aussi, Rerum
Hibernicarum Scriptores veteres. 4 vols. 4to.
PETRIE. Essay on the Bound Towers of Ireland. Grand 8vo.
BETHAM. Irish Antiquarian Researches. 2 vols. 8vo.
O’NEILL. Illustrations of the Crosses of Ireland. Folio, en livraisons.
KELLER, FERDINAND, Dr. Bilder und Schrißzüge in den irischen
Manuscripten ; in den Mittheilungen der Antiq. Œsellsch. in Zurich.
Bd. 7, 1851.
WESTWOOD, J. 0. Polygraphia Sacra Pictoria, 4to. 1843-1845. Dans le
Journal of the Archaeological Institute, vols. VII. et X. Aussi, nombre
d’articles dans l’Archoeologia Cambrensis.
CUMMING. Illustrations of the Crosses of the Isle of Man. 4to.
CHALMERS. Stone Monuments of Angusshirt. Fol. imp.
SPALDINO CLUB. Sculptured Stones of Scotland. Folio. 1856.

299
GAGE, J. Dissertation on the St. Æthelwold’s Benedictional, dans
l’Archoeologia, vol. XXIV.
ELLIS, H. Sir. Account of Coedmon’s Paraphrase of Scripture His tory,
dans l’Archoeologia, vol. XXIV.
GOODWIN, JAMES, B. D. Evangelia Augustini Gregoriana ; dans Trans.
Cambridge Antiq. Society, No. 13, 4to. 1847, avec onze planches.
BASTARD, Le Comte de. Ornements et Miniatures des Manuscrits
Français. Imp. fol. Paris.
WORSAAE, J. J. A. Afbildninger fra det Kong. Museum i Kjöbenhavn. 8vo.
1854.
Et les œuvres générales de WTLLEMIN, STRUTT, DU SOMMERARD,
LANGLOIS, SHAW, SILVESTRE et CHAMPOLLION, ASTLE (on Writing),
HUMPHREYS, LA CROIT, et LISONS(Magna Britannia).

300
301
302
1. ↑ Les restes celtiques de l’époque païenne qui se trouvent à Gavr’Innis,
en Bretagne, à New Grange en Irlande, ainsi qu’un monument druidique
qui existe près de Harlech, Pays de Galles, décèlent des tentatives
grossières d’ornementation, consistant principalement en lignes spirales
circulaires et angulaires taillées dans la pierre.
2. ↑ Dans une de ces pages ornées, que nous avons copiée de l’évangile de
St. Chad, il n’y a pas moins de cent vingt représentations d’animaux des
plus fantastiques.
3. ↑ Quelques-uns des dessins reproduits dans la partie supérieure de la
planche chinoise LIX., se rencontrent, presque sans modification, dans
nos ouvrages en pierre et en métaux ainsi que dans nos manuscrits.
4. ↑ Nous trouvons dans cet ouvrage danois, à la division dévouée au siècle
de bronze, divers exemples d’ornements spiraux sur métal ; mais ils y
S

sont toujours arrangés en guise de avec quelques combinaisons fort


simples. Dans la seconde division de la période du fer, se trouvent aussi
différents exemples d’animaux entrelacés fantastiquement et représentés
sur métal. Mais on n’y trouve nulle part les entrelacs à rubans, les dessins
diagonaux ressemblant à Z ou les dessins en spirale ressemblant à une
trompette.

303
CHAPITRE XVI. — PLANCHES 66, 67, 67*,
68, 69, 69*, 70, 71, 72, 73.

ORNEMENTS MOYEN-ÂGE.

PLANCHE LXVI.
FEUILLES ET FLEURS CONVENTIONNELLES, prises de
manuscrits de différentes périodes.

PLANCHES LXVII. ET
LXVII*.
COLLECTION DE BORDURES, prises de manuscrits
enluminés, à partir du 9ème jusqu’au 14ème siècle.

PLANCHE LXVIII.

304
DIAPRÉS DE MURS, pris de miniatures de
manuscrits enluminés, à partir du 12ème jusqu’au
16ème siècle.

PLANCHE LXIX.
VITRAUX PEINTS DE DIFFÉRENTES PÉRIODES ET DE
DIFFÉRENTS STYLES.
1, 5, 6, 8. Église d’Attenberg, près de Cologne.
3. Église de Southwell, Comté de
Nottingham.
2, 4. Chapitre de la cathédrale d’York.
7. Transept du nord de la cathédrale d’York.
9, 11. Cathédrale de Soissons.
10. St. Thomas, Strasbourg.
13. Cathédrale de Troyes.
14. Cathédrale de Cantorbery.

PLANCHE LXIX*.
VITRAUX PEINTS DE DIFFÉRENTES PÉRIODES ET DE
DIFFÉRENTS STYLES.
12, 17.
St. Cunibert, Cologne.
15. Cathédrale de Cantorbery.
16, 26.
Abbaye de St. Denis.
18-24,26, 27, 29. Cathédrale de Bourges.
28. Cathédrale d’Angers.
305
PLANCHE LXX.
CARREAUX ENCAUSTIQUES. 13ème et 14ème siècle.

PLANCHE LXXI.
MANUSCRITS ENLUMINÉS, No. 1.

Les Nos. 1-12 sont du 12ème siècle ; le No. 13 est


du 13ème siècle. Les Nos. 12 et 13 sont pris des
Illuminated Books of the Middle Ages. —
HUMPHREYS.

Les autres ornements de cette planche sont pris


du musée Britannique.

PLANCHE LXXII.
MANUSCRITS ENLUMINÉS, No. 2.

13, 14. — 13ème siècle. 1, 3-6, 8-11. — 14ème


siècle. 2, 7, 12, 16. — 15ème siècle.

1, 2, 3, 7, 8, et 16, pris des Illuminated Books of


the Middle Ages ; 15, pris d’un manuscrit dans la

306
possession de l’auteur.

Les autres ornements sont pris du musée


Britannique.

PLANCHE LXXIII.
MANUSCRITS ENLUMINÉS, No. 3.

Manuscrits du 15ème siècle. 11-15, pris des


Illuminated Boots of the Middle Ages.

Les autres ornements sont pris du musée


Britannique.

ORNEMENTS MOYEN-AGE.

On peut facilement tracer la transition de l’arc en plein


cintre, qui caractérise le style roman, au style gothique du
treizième siècle, dans les bâtiments où ces deux styles sont
mêlés ; mais il n’en est pas de même de la transition de
l’ornement roman à celui qui était en vogue au treizième
siècle. Toute trace de la feuille d’acanthe a disparu, et l’on
trouve, en général, un style d’ornement purement
conventionnel, dans les bâtiments de cette époque.
307
L’ornementation qui se rapproche le plus du style roman, se
trouve dans les manuscrits enluminés du douzième siècle,
laquelle paraît avoir emprunté aux manuscrits grecs,
quelques-uns de ses traits caractéristiques. Les ornements s’y
composent d’une

Style ogival du 15ème siècle. Wells. Église de Warmington, Comté de


COLLINS Northampton.W. TWOPENY.

Eglise de Warmington, Comté de


Northampton. W. TWOPENY. Style gothique décoré. Wells. COLLINS.

308
tige continue qui se termine par une fleur, et du côté
extérieur de la quelle s’élancent des feuilles. La disposition
générale et l’arrangement des lignes sur un espace quelconque
y est exactement semblable à l’arrangement des ornements
sculptés du style ogival du treizième siècle.
Comme principe et comme exécution, les ornements du
style ogival du 13ème siècle sont les plus parfaits de tous ceux
de la période gothique. On y trouve autant d’élégance et de
raffinement dans les modulations de la forme qu’on en trouve
dans les ornements grecs. Ils sont toujours en parfaite
harmonie avec les parties de la structure qu’ils sont appelés à
décorer et s’en élancent toujours naturellement. En un mot, ils
remplissent toutes les conditions que nous désirons trouver
dans un style parfait de l’art, mais ils ne possédèrent cette
perfection qu’autant qu’ils restèrent conventionnels. À mesure
qu’ils devinrent moins idéalisés et qu’ils trahirent la tendance
d’imiter plus fidèlement la nature, ils perdirent leurs beautés
particulières, et cessèrent d’être une ornementation pour les
différentes parties architecturales des édifices qu’ils devaient
décorer ; ils n’en firent plus partie, pour ainsi dire, et ne
devinrent que des ornements appliqués sur une surface
architecturale.
Dans les chapiteaux des colonnes du style ogival du 13ème
siècle, les ornements s’élancent directement

309
Pris de l’Église de Stone, comté de Kent. Publié par la Société Topographique.

du fût, et se divisent au-dessus du gorgerin en une série de


tiges, dont chacune se termine par une fleur ; ce qui est
analogue au mode de décoration des chapiteaux des colonnes
égyptiennes. Dans le style décoré, au contraire, où l’architecte
a tenté une imitation plus fidèle de la nature, il ne lui a plus
été possible de traiter la feuille comme faisant partie du fût ;
et par conséquent il a été obligé de terminer le fût par une
campane, autour de laquelle s’enroulaient les feuilles. Plus
l’artiste s’est avancé dans cette voie d’imiter de près la nature,
plus l’arrangement de sa composition a perdu de son caractère
artistique.
La même chose arrive à l’égard des bosses qui couvraient
l’intersection des côtes. Dans les bosses sur les voutes du
style ogival du 13ème siécle, les tiges des fleurs formant les
bosses étaient une continuation des moulures des côtes, tandis
310
que dans les périodes subséquentes les intersections des côtes
furent cachées par les bosses elles-mêmes, qui devinrent des
ornements appliqués sur la colonne, comme l’était la feuille
d’acanthe sur la campane du chapiteau corinthien.
Dans les tympans des arcs, tant qu’on s’en tint au
traitement conventionnel de l’ornement, une tige mère
vigoureuse serpentait sur le tympan, de la quelle s’élançaient
des feuilles et des fleurs ; mais lorsqu’on en vint à tenter
d’imiter la nature, la tige cessa de constituer la forme de
l’ornement, et perdit toute sa grace par la tentative de l’artiste
de vouloir reproduire avec de la pierre la douceur de l’objet
naturel. La tige mère comme caractère principal de
l’ornementation, disparait par degré, et nous voyons souvent
les tympans couverts de trois immenses feuilles s’élançant
d’une tige torse placée au centre.
Nous ne pouvons, à l’aide du petit nombre de ruines qui
existent encore des décorations de l’intérieur des bâtiments,
former une idée exacte de ce genre d’ornement du treizième
siècle. Les ornements des manuscrits enluminés ne sauraient
nous servir de guides, car après le douzième siècle le style y
est rarement architectonique ; de plus il y avait un si grand
nombre d’écoles différentes d’enluminations, qui
empruntaient tellement l’une de l’autre, qu’on trouve souvent
dans la même enlumination un mélange de différents styles. Il
n’est pas probable que, pendant que les ornements sculptés
étaient généralement traités d’une manière conventionnelle,
les décorations du même bâtiment ne le fussent point.

311
Pris de la Cathédrale de Wells. COLLINS.
Nous donnons sur la planche LXVII., un choix des
bordures qui se trouvent sur les manuscrits enluminés
exécutés à partir du neuvième siècle jusqu’au quatorzième ; et
sur la planche LXVIII., des diaprés de murs pris
principalement des fonds des enluminations exécutées à partir
du douzième siècle jusqu’au seizième. Il n’y a qu’un bien
petit nombre d’ornements de l’une ou de l’autre classe qui
soient dignes d’être associés au pur ornement conventionnel
du style ogival du treizième siècle.
C’est pendant le treizième siècle que l’architecture atteignit
le point culminant de la perfection. Les mosquées du Caire,
l’Alhambra, les cathédrales de Salisbury, de Lincoln, et de
Westminster, possèdent tous la même qualité : le secret de
combiner l’effet général le plus large avec la décoration la

312
plus élaborée. Tous ces édifices possèdent entre eux une
certaine ressemblance : quoique leurs formes diffèrent
beaucoup les unes les autres, elles ont pour bases les mêmes
principes. Ils trahissent les mêmes soins à l’égard des masses
principales de la composition, la même appréciation des
ondulations de la forme, le même respect rigide pour les
principes naturels de l’ornementation, la même élégance, et le
même raffinement dans toutes les décorations.
Ce serait vainement, il faut le dire, qu’on tenterait de
reproduire de nos jours un bâtiment du treizième siècle. Des
murs blanchis, des vitraux peints et des carreaux
encaustiques, ne peuvent seuls soutenir l’effet qu’on arrivait à
produire, lorsque chaque moulure avait la couleur qui
convenait le mieux au développement de sa forme, et que du
plancher jusqu’au toit, il n’y avait pas un pouce d’espace qui
n’eût son ornement convenable — effet qui devait être d’une
magnificence au-delà de toute imagination. En un mot
l’architecture avait atteint une telle perfection, qu’elle
s’épuisa par les efforts qu’elle avait faits d’y parvenir, — la
lumière finit par s’éteindre : non seulement l’architecture,
mais tous les arts décoratifs qui en dépendent commencèrent
immédiatement à entrer dans une période de décadence, —
décadence qui ne s’arrête jamais avant l’extinction complète
du style.
On verra dans les exemples des carreaux encaustiques
reproduits sur la planche LXX. que ceux qui appartiennent à
l’époque la plus ancienne, tels que les numéros 17 et 27,
produisent l’effet le plus large et qu’ils sont le mieux adaptés
au but qu’ils devaient remplir. Quoique dans ce genre

313
d’ornements la décadence n’allât pas assez loin, pour qu’on y
tentât des imitations de relief, cependant nous pouvons voir
dans le No. 16 quelque chose approchant la représentation des
formes naturelles des feuilles, ainsi qu’un déclin très
prononcé dans les patrons, tels que ceux du No. 23, où se
trouvaient représentés des réseaux de fenêtre et les parties
architecturales de bâtiments.
La planche LXVI. contient une grande variété de feuilles et
de fleurs traitées d’une manière conventionnelle, prises de
manuscrits enluminés. Quoiqu’un grand nombre parmi elles
soient fortement enluminées dans l’original, nous les avons
reproduites en deux couleurs seulement, pour montrer
combien il est possible de représenter en diagramme le
caractère général des feuilles. En adaptant ces feuilles ou ces
fleurs à une tige en forme de volute, on produirait autant de
styles différents, en apparence, qu’il y a d’ornements sur la
planche, styles dont le nombre pourrait être encore augmenté
par la combinaison de différentes variétés de feuilles ou de
fleurs ; et si, à cela on ajoutait le traitement conventionnel
d’une feuille ou d’une fleur quelconque, en suivant le même
principe, il n’y aurait point de limites à la puissance inventive
de l’artiste.
Nous avons taché de rassembler sur les planches LXXI.,
LXXII., LXXIII., les types des divers styles d’enlumination
ornementale à partir du douzième siècle jusqu’à la fin du
quinzième, et ils trahissent, dès les premiers, une décadence
visible. Les ornements de la lettre N, planche LXXI., ne sont
surpassés par aucun des exemples des styles subséquents que
nous avons reproduits ; ils remplissent le but véritable de

314
l’enlumination, et représentent, sous tous les rapports, le style
pur de l’écriture ornée. La lettre elle-même forme l’ornement
principal, de la quelle s’élance une tige mère qui, s’élevant
hardiment de la base, s’élargit en une grande volute,
exactement au point le plus convenable pour amener un
contraste gracieux avec la ligne angulaire de la lettre ;
contraste, qui est admirablement soutenu par la volute verte
qui embrasse la partie supérieure de la lettre N et l’empêche
de tomber ; cette dernière volute est si admirablement
proportionnée qu’elle peut soutenir la volute rouge qui s’en
élance. Les couleurs, aussi, sont balancées et contrastées de la
manière la plus admirable ; et nous pouvons tirer une leçon
utile de la manière dont la rotondité des tiges est exprimée,
sans qu’il y ait une tentative réelle à produire un relief. Il
existe un nombre immense de manuscrits enluminés dans ce
style, que nous considérons comme le plus beau parmi les
différents styles d’enlumination. Ce style possède
certainement, dans son ensemble, le caractère oriental, et il a
été probablement un développement de l’enlumination des
Byzantins. Son adoption universelle exerça une grande
influence, ce nous semble, sur l’ornementation du style ogival
du treizième siècle, qui suit exactement les mêmes lois dans la
distribution générale de la forme.
Ce style, par suite d’une répétition constante, perdit
graduellement les beautés particulières et la convenance qu’il
avait tirées de l’inspiration première ; les enroulements
devinrent trop petits et trop élaborés, comme nous le voyons
dans le No. 13 de la même planche et emmenèrent
l’extinction de ce style. Nous n’y trouvons plus la même

315
balance de la forme, nous n’avons que les quatre séries
d’enroulements se répétant de la manière la plus monotone.
À partir de cette époque les lettres initiales cessent de
former l’ornement principal de la page, mais le texte se trouve
entouré de bordures qui courent autour de la page, comme au
No. 1, planche LXXII., ou flanqué d’un côté d’ornements en
queue comme aux numéros 9, 10, 11, 42. La bordure acquiert
graduellement une importance de plus en plus grande ; au lieu
de la forme vignette qu’elle avait généralement d’abord, elle
arrive graduellement, au genre du No. 15, pour finir avec
celui des numéros 7 et 2, où les contours extérieurs sont
entourés d’une ligne rouge tandis que le fond est couvert de
tiges et de fleurs intermédiaires, de manière à produire une
tinte uniforme. Le No. 8 est le spécimen d’un style qui était
très en vogue dans le quatorzième siècle ; il est d’un caractère
très architectonique et se trouve généralement sur de petits
missels et autour de très belles miniatures.
On pourra facilement tracer à l’aide des numéros 9, 10, 11,
la marche graduelle qui eut lieu à partir de l’ornement
conventionnel à teintes plates des numéros 13 et 14, jusqu’à la
tentative de reproduire le relief des formes naturelles qu’on
trouve sur les numéros 15, 7, 2. On remarque aussi un
abandonnement graduel de la continuité des tiges mères, et
quoiqu’on puisse encore tracer dans les numéros 15, 7, 2,
chaque fleur ou chaque groupe de fleurs jusqu’à sa racine,
l’arrangement général est rompu et fragmentaire.
Jusqu’à cette époque les ornements des enluminations sont
encore du ressort du scribe ; ils sont d’abord dessinés avec les
contours en noir, puis coloriés, mais nous verrons, planche

316
LXXIII., que le peintre commença à usurper la place du
scribe ; et plus nous avancerons, plus nous verrons qu’on
semble s’éloigner davantage du but légitime de
l’enlumination. Le No. 5 nous présente le premier pas dans
cette direction ; nous y voyons un arrangement géométrique
produit à l’aide d’ornements conventionnels entourant des
panneaux dorés, sur les quels sont peints des groupes de fleurs
traités d’une manière légèrement conventionnelle. Dans les
numéros 6, 7, 8, 9, 10, 15, nous voyons des ornements
conventionnels entremêlés de fleurs naturelles arrangées
d’une manière fragmentaire. L’abandonnement de toute
continuité dans la composition nous amène au No. 11 où nous
voyons une fleur naturelle et un ornement conventionnel sur
la même tige, puis aux numéros 12 et 13, où le peintre, maître
de la position, donne l’essor à son imagination, et représente
des fleurs et des insectes dont l’ombre se réfléchit sur la page.
L’art de l’enlumination une fois arrivé à ce point ne put aller
plus loin dans la voie de la décadence, — il n’y avait plus rien
d’idéal, — et il s’éteignit dans le désir de représenter un
insecte avec une fidélité telle, qu’on pût le prendre pour un
insecte véritable s’abattant sur la page.
Les numéros 1, 2, sont des spécimens d’un style particulier,
qu’on trouve dans les manuscrits italiens ; c’est une
rénovation qui eut lieu au quinzième siècle du système
d’ornement si en vogue dans le douzième siècle. Elle donna
naissance au style du No. 3, où le patron formé d’entrelacs,
était fortement colorié sur un fond d’or. Ce style s’éteignit de
la même manière que le précèdent ; les entrelacs qui d’abord
formaient des dessins purement géométriques, devinrent des

317
imitations de branches naturelles, et nécessairement, ce point
une fois atteint, le style ne put aller plus loin.
Il paraît y avoir une plus grande affinité entre les ornements
des vitraux peints et ceux des manuscrits enluminés, qu’entre
les premiers et les ornements sculptés des monuments de la
même période ; et de même que les ornements des manuscrits
enluminés, ceux des vitraux peints paraissent toujours
devancer les ornements de structure. Par exemple : les vitraux
peints du douzième siècle possèdent la même largeur d’effet,
et sont construits de la même manière que les ornements
sculptés du treizième, tandis que les vitraux peints du
treizième, décèlent déja, selon nous, un état de décadence. Il
s’est opéré le même changement que nous avons déja indiqué,
en comparant le No. 13 au No. 12 de la planche LXXI.
La répétition constante des mêmes formes conduit
graduellement à une surabondance d’ornementation dans les
détails, d’où il résulte que l’effet général en souffre
considérablement ; et les ornements sont hors de proportion
avec les masses générales. Or, comme c’est une des beautés
les plus caractéristiques du style ogival du treizième siècle,
que l’ornement y est en un parfait accord, quant à la grandeur
relative et à l’effet, avec les membres du bâtiment qu’il
décore, cela paraît un fait curieux, si toutefois c’est un fait.
Tous les ornements de la planche LXIX. et de la planche
LXIX*., à partir du No. 12 jusqu’au No. 28 sont du douzième
siècle ; les numéros 3 et 7 sont du treizième, et les numéros 1,
2, 4, 5, 6, 8, 9, 10, 11, sont du quatorzième. L’effet général de
ces planches prouve ce que nous avons avancé ; on peut s’en
convaincre en y jetant un simple coup-d’œil.

318
Nous trouvons toujours dans les vitraux peints du douzième
siècle la mise en pratique de tous les principes qui
appartiennent, comme nous l’avons montré, à un vrai style
d’art. Nous n’avons besoin que de signaler au lecteur la
manière tout ingénieuse dont les lignes perpendiculaires, les
obliques et les courbes sont balancées et contrastées entre
elles, dans tous les diaprés.
Les numéros 2 et 4 nous donnent un exemple d’un principe
très généralement suivi, dont le caractère est tout-à-fait
oriental : — le fond des vitraux est couvert d’un dessin
continu qui forme une couleur, laquelle s’entrelace avec un
autre dessin général qui couvre toute la surface.
Les numéros 1, 5, 6, 8, quatorzième siècle, nous offrent un
exemple du commencement du style tendant à l’imitation
directe de la nature, lequel finit par négliger tous les principes
qu’on doit suivre dans la peinture sur verre. Les ornements et
les figures, à travers lesquels la lumière devait passer, sont
ombrés par l’artiste, dans sa tentative d’en faire des
représentations copiées fidèlement d’après nature.

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CHAPITRE XVII. — PLANCHES 74, 75, 76,
77, 78, 79, 80, 81, 82.

ORNEMENTS DE LA
RENAISSANCE.

PLANCHE LXXIV.
1, 8, 9. Bas-reliefs de l’église de Sta. Maria dei
Miracoli, Venise.
2. Bas-reliefs de la Scuola di San Marco,
Venise.
3. Bas-relief formant la continuation en
montant de la fig. 2
4, 6. Bas-reliefs de l’église de San Michele in
Murano, Venise.
5, 7. Bas-reliefs de la Scala dei Giganti, Venise.

PLANCHE LXXV.
330
1, 2. Tirés d’une collection de plâtres pris, sous
la surintendance du Professeur Varny,
des principaux monuments du Cinque-
cento, Gènes.
3. Pris de la première porte faite par Ghiberti
au baptistère, Florence.
4, 5, 8, 9, 11. Recueillis à Gènes.
6. Pris à Venise.
7. Pris de l’église de Santi Giovanni e Paolo,
Venise.
10. Pris de l’hôtel Bourgtheroulde, Rouen.

PLANCHE LXXVI.
1. Bas-relief par Andreo Sansovino, pris de
l’église de Sta. Maria del Popolo, Rome.
2. Bas-relief de l’église de Sta. Maria dei
Miracoli, Venise.
3. Bas-relief de l’hôtel Bourgtheroulde,
Rouen.
4. Bas-relief tiré d’une collection de plâtres
des meilleurs ornements du cinque-cento
de Gènes, pris sous la surintendance du
Professeur Varny.
5, 7, 8, 10. Bas-reliefs, de Gènes.
6. Bas-relief du tombeau Martinengo,
Brescia.

331
9. Bas-relief de la base des “ Trois Graces ”
de Germain Pilon, Louvre.

PLANCHE LXXVII.
1-3. Ornements émaillés sur cuivre, dans
l’ancien style champlevé de Limoges,
pris du musée de l’hôtel Cluny. Paris.
4, 8. Idem, d’une période plus récente.
9. Ornement du fond d’un tableau, Hôtel
Cluny.
10, 11.Émaux sur fond d’or, Louvre.
12. Incrustation d’argent sur ivoire du seizième
siècle, Hôtel Cluny.
13. Pris d’un coffret qui se trouve à l’Hôtel
Cluny.
14. Pris d’une poire à poudre en fer, du
seizième siècle, Hôtel Cluny.
15-17.Objets semblables en buis, du même
musée.
18-20.Pris d’émaux de Limoges du seizième
siècle, du même musée.
21. Idem, du Louvre.
22-24.Émaux sur fond d’or, seizième siècle,
Louvre.
25. Partie d’un cabinet d’ébène du seizième
siècle, Hôtel Cluny.

332
26. Ornements incrustés sur un fourreau de
poignard du seizième siècle, Hôtel
Cluny.
27, 28.Ornements de poterie du seizième siècle,
Louvre.
29. Émail sur cuivre, style champlevé de
Limoges.
30. Ornements peints, Hôtel Cluny.
31. Pris de l’armure de Henri III., Louvre.
32. Plaque en métal, du même musée.
33-35.Pris d’objets en métal qui se trouvent au
Louvre.
36. Pris de l’armure de François II., Louvre.
37-39.Ornements repoussés en cuivre. Hôtel
Cluny.
40, 41.Émaux style champlevé de Limoges, du
même musée.
42-44.Ornements d’orfévrerie du seizième siècle,
Louvre.
45, 46.Pris d’une peinture en émail peint de
Limoges, seizième siècle, Hôtel Cluny.
47. Ornement en cuivre, même musée.
48. Incrustation d’ivoire sur ébène, idem.
49. Ornements peints, idem.
50-53.Émaux style champlevé de Limoges, idem.
54-56.Pris des accessoires de diverses peintures,
idem.
57-61.Émaux style champlevé de Limoges.

333
PLANCHE LXXVIII.
1-36. Ornements pris des différents specimens de
faïences hispano-arabiques, castelanes,
françaises et italiennes qu’on conserve
au musée de South Kensington ; et
surtout des faïences dites majoliques de
Pesaro, Gubbio, Urbino, Castel Durante,
et d’autres villes d’Italie, du quinzième,
du seizième, et du dix-septième siècle.

PLANCHE LXXIX.
1-3. Ornements recueillis de la faïence émaillée
de Bernard de Palissy, Hôtel Cluny.
4-10. Pris de différents spécimens de majolique,
Hôtel Cluny.
11-13.Ornements de faïence du quinzième siècle,
Hôtel Cluny.
14-18,21. Ornements de faïence du seizième
siècle, Louvre.
19, 20.Ornements de porcelaines du dix-septième
siècle, Louvre.
22, 23.Ornements de poterie allemande en grés,
décorée de vernis peint, seizième siècle.
Hôtel Cluny.

334
24, 33.Ornements de faïences françaises,
espagnoles et italiennes, Hôtel Cluny.
34. Pris du Louvre.

PLANCHE LXXX.
1, 2. Ornements de faïence.
3-6. Ornements de faïence du seizième siècle.
7-10. Ornements de faïence, du dix-septième
siècle.
11, 12.Ornement de faïence à lustre métallique.
13. Pris d’un vase en verre vénitien du
seizième siècle.
14-21.Ornements de faïence, du seizième siècle.
22, 23.Ornements de faïence d’une époque plus
reculée.
24-27.Ornements de grés flamand.
28-32.Ornements de faïence du seizième siècle.
33. Pris d’un panneau de bois sculpté, du dix-
septième siècle.
34-38.Ornements de grés émaillés.
39-12.Pris d’une broderie de soie sur velours.

N.B. — Tous les spécimens reproduits sur cette


planche ont été tirés de l’Hôtel Cluny,
Paris.

335
PLANCHE LXXXI.
1. Pris d’un buffet de bois sculpté daté 1554,
Hôtel Cluny.
2. Panneaux de bois du seizième siècle, Hôtel
Cluny.
3. Pris d’un dossier de chaise en chêne, Hôtel
Cluny.
4-6. Pris de différentes stalles de bois sculpté,
du quinzième siècle, Hôtel Cluny.
7-10, 25, 26, 35, 36. Pris de différents objets
d’ameublement, Hôtel Cluny.
11. Bout de poutre, fin du quinzième siècle,
Hôtel Cluny.
12, 13,20, 21, 39, 40. Pris de divers objets
d’ameublement du seizième siècle,
Hôtel Cluny.
14, 15.Pris d’objets d’ameublement du quinzième
siècle, Hôtel Cluny.
16. Pris d’un buffet, Hôtel Cluny.
17. Panneaux de volets, fin du quinzième
siècle, Hôtel Cluny.
18. Ornement sculpté, Louvre.
19. Pris d’un peigne en buis, Hôtel Cluny.
22. Balustrade de pierre, Château d’Anet.
23. Sculpture en pierre, Louvre.
24. Pris d’une cheminée, Hôtel Cluny.

336
27-30.Sculptures en marbre du fameux bassin de
la fontaine du Château Gaillon, qu’on
conserve actuellement au Louvre.
31, 32.Sculptures en pierre du dix-septième siècle,
Louvre.
33. Sculpture de bois, Hôtel Cluny.
34, 38.Pris de la fontaine du Château Gaillon,
Louvre.
37. Pris d’un fût d’arquebuse du seizième
siècle, Hôtel Cluny.

PLANCHE LXXXII.
1-9. Ornements sculptés d’objets
d’ameublement en chêne du seizième
siècle, Hôtel Cluny.
10, 11,19, 34. Pris du lit de François I., Hôtel
Cluny.
12, 13,14, 32, 33. Pris de divers objets
d’ameublement du seizième siècle,
Hôtel Cluny.
15-17.Pris d’un buffet du quinzième siècle.
18. Pris d’un buffet en chêne daté 1524, Hôtel
Cluny.
20-29.Pris de divers objets d’ameublement du
seizième siècle, Hôtel Cluny.
30, 31.Panneaux de volets, fin du quinzième
siècle, Hôtel Cluny.

337
ORNEMENTS DE LA
RENAISSANCE.

Si deux hommes doués d’intelligence et ardents à la


poursuite de l’étude de la littérature et des arts de l’Italie,
allaient se mettre à l’œuvre, l’un à tracer la date la plus
récente, à laquelle le reflet direct mais languissant de la
grandeur romaine avait décliné, au point à ne plus répandre
qu’une faible lueur sur le pays qu’il avait inondé jadis de sa
lumière éblouissante ; pendant que l’autre chercherait à
remonter vers les premiers efforts faits dans le même pays,
pour réveiller la vénération pour ce qui, au dire des
historiens, a été complètement éteint dans le cours des
siècles — savoir la beauté classique — ces deux
investigateurs ne manqueraient pas de se rencontrer et même
de se croiser en directions inverses, dans le cours de leurs
recherches. Le fait est, que les monuments matériels des
anciens Romains, répandus avec profusion sur le sol de
l’Italie, étaient si solides et si majestueux, qu’il aurait été
impossible de vivre près d’eux et de les oublier. Pour trouver

338
des fragments d’une beauté exquise, en pierre, en bronze, ou
en marbre, on n’avait qu’à se donner la peine de fouir la
terre qui les couvrait à peine ; aussi s’en servait on de temps
en temps, soit pour faire des tombeaux, soit pour former les
accessoires de divers bâtiments, dans la construction
desquels cependant, on perdait de vue et négligeait les
principes de l’art auxquels ces fragments devaient toute leur
beauté. Voilà pourquoi le style gothique a été lent à prendre
racine en Italie, où il était destiné à fournir une carrière
brillante mais de courte durée. À l’époque même, ou à peu
près, où un Anglais introduisait le cintre en ogive dans la
construction de St. Andrea, à Vercelli, au Nord de l’Italie, et
où les constructions allemandes du Magister Jacobus
s’élevaient à Assisi ; Nicolo Pisano, le grand rénovateur de
la sculpture antique, commença sa première protestation en
faveur des anciens et de leurs arts. La fin du treizième siècle
fut marquée d’ailleurs, par une révolution complète dans le
monde des lettres. Dante, dans son temps, n’a pas moins été
connu comme grand poète chrétien, que comme émule de
l’immortel poète de Mantoue, qui avait fait une étude
approfondie des sciences classiques. Au quatorzième siècle,
Pétrarque et Boccaccio, amis intimes, passèrent une vie
longue et laborieuse, pas seulement à écrire des ouvrages
italiens en vers ou en prose, mais à travailler sans cesse pour
conserver et pour rendre au monde, le texte, perdu depuis
long-temps, des auteurs romains et grecs. Cino da Pistoia, de
même que quelques autres savants commentateurs et
juristes, mit à la mode l’étude du grand « corpus » des
anciennes lois, et établit des académies où ce recueil fut

339
adopté comme texte. Ce fut Boccaccio qui donna à l’Italie le
premier récit lucide de la mythologie païenne, et qui institua
la première chaire de langue grecque à Florence, où il amena
de Constantinople le savant grec Leontius Pilatus pour y
remplir, le premier, les fonctions de professeur. Ces efforts
de ressusciter les connaissances classiques furent secondés
par une nombreuse cohorte de notables, parmi lesquels nous
citerons, comme les plus généralement connus, Jean de
Ravenna (élève de Pétrarque), Leonardo Aretino, Poggio
Bracciolini, Æneas Sylvius (plus tard Pape Pie II., 1458-
1464) et Cosmo, le père des Médicis. Ce fut à l’époque où
les hommes dont nous venons de parler, étaient parvenus, à
force de travail, à accumuler dans les bibliothèques
publiques et particulières, tout ce qui restait de l’ancienne
littérature classique, que l’art de l’imprimerie fut introduit en
Italie, vers le milieu du quinzième siècle. Sous les auspices
des Bénédictins de Subiaco, deux allemands, Sweynheim et
Pannartz, établirent leur presse dans le célèbre monastère de
Santa Scholastica, où ils publièrent, en 1465, leur édition de
Lactantius. En 1467 ils se rendirent à Rome où ils
produisirent, comme premier fruit de leurs travaux, « Cicero
de Oratore. » En Allemagne et en France, ce fut la littérature
biblique et ecclésiastique qui fournit la première occupation
à l’imprimeur, en Angleterre ce fut la littérature populaire,
tandis qu’en Italie, la littérature classique absorba, pendant
quelque temps, presqu’exclusivement l’attention des
typographes. Nicholas Jenson, que Louis XI. avait envoyé
aux ateliers de Fust et de Scheffer pour y apprendre « le
nouvel art par lequel on faisait des livres, » se rendit de

340
Mayence à Venise pour y exercer les connaissances qu’il
avait acquises dans cet art. C’est lui qui a inventé le
caractère italique adopté dans la suite par le savant Aldus
Manutius, homme remarquable, aussi érudit éditeur
qu’imprimeur zélé, qui, à commencer de l’an 1490, a donné
au monde en succession rapide, les éditions des différents
auteurs classiques grecs et romains. Parmi ces premières
œuvres, se trouve le « Hypnerotomachia, » ou rève de
Poliphilus, écrit par le savant ecclésiastique Fra Colonna ;
ouvrage à jamais mémorable dans l’art typographique. Il est
profusément illustré de gravures sur bois, dont les dessins
ont été attribués par quelques autorités au grand artiste
Andrea Mantegna. Grace à ces illustrations, qui trahissent
une étude approfondie des anciens ornements ; des types
opposés diamétralement à ceux du moyen-âge, se
répandirent sur le continent de l’Europe. La publication de
Vitravius qui eut lieu à Rome vers 1486, à Florence en 1496,
et qui parut accompagné d’illustrations à Venise en 1511,
ainsi que le grand ouvrage d’Alberti, « De Re
Ædificatoriâ, » Florence, 1485, mit le sceau à la tendance
classique du siècle en fait d’arts ; et fournit les moyens de
transmettre rapidement aux autres pays, les détails du dessin
antique accueilli avec tant de ferveur en Italie. Les
successeurs du premier Aldus à Venise, les Gioliti de la
même ville, et les Giunti de Florence, multiplièrent
rapidement les œuvres classiques ; ainsi l’imprimerie rendait
universel et cosmopolite, ce mouvement de la rénovation,
lequel, sans ce grand art, se serait limité probablement au sol
de l’Italie.

341
Mais, long temps même avant que les aspirations des
premiers explorateurs des mines de l’antiquité eussent
commençé à porter des fruits, les indices ne manquaient
point dans le monde artistique, de cet antagonisme aux
formes gothiques, qui était, pour ainsi dire, inné chez les
Italiens. Dans les ornements qui entourent le plafond de
l’église d’Assisi, œuvre attribuée à Cimabue, le père de la
peinture, l’acanthe est dessiné avec beaucoup d’exactitude ;
et Nicola Pisano et quelques autres maîtres du trecento, ou
treizième siècle [1], avaient déja su tirer de l’étude des restes
antiques, nombre d’éléments importants pour le dessin. Ce
ne fut cependant qu’au commencement du quinzième siècle,
que le mouvement de la rénovation commença à porter des
fruits précieux. Dans son premier état, la renaissance des arts
n’a été qu’une rénovation de principes, et ce n’a été guère
avant le milieu du quinzième siècle, qu’elle devint en
quelque sorte une rénovation littérale. Nous voulons bien
admettre que, dans la première période où les inspirations se
puisaient aux sources de la nature, et où les détails des
formes classiques n’étaient encore que peu connus et peu
imités, quelques unes des productions aient présenté des
défectuosités, auxquelles un système plus régulier
d’éducation remédia plus tard ; mais nous ne saurions nier
cependant, que nous préférons la fraîcheur et la naïveté, que
les premiers pionniers ont mis dans leur ouvrage, aux graces
plus complètes, mais aussi plus faciles, qui ont résulté de la
reproduction presque directe de l’antique.
Le premier grand pas en avant, a été fait par le célèbre
Jacopo della Quercia, qui, après avoir été exilé de Sienne sa
342
ville natale, à Lucques, exécuta vers 1413, dans la cathédrale
de cette ville, un monument à la mémoire d’Ilaria di Caretto,
épouse de Giunigi de Caretto, seigneur de la ville. Dans cet
ouvrage intéressant, (dont il existe un bon plâtre au Palais de
Cristal) Jacopo a prouvé une étude soigneuse de la nature,
tant dans les festons qui entourent la partie supérieure du
piédestal, que dans les « puttini, » ou enfants joufflus, qui
leur servent de supports ; la simplicité de son imitation se
trahit dans les petites jambes tordues d’un de ces « puttini. »
Son grand ouvrage cependant, c’est la fontaine de la Piazza
del Mercato, à Sienne, qui a coûté deux mille deux cents
ducats d’or, et qui présente, même dans son état actuel de
délabrement et de dépérissement, des preuves du rare talent
de l’auteur. Après l’exécution de ce capo d’opera, on lui
donna le nom de Jacopo della Fonte ; cet ouvrage lui a valu
de grandes distinctions, parmi lesquelles il faut compter sa
nomination de marguillier de la cathédrale de Sienne, ville
où il mourut en 1424, à l’âge de soixante quatre ans, après
une carrière marquée par de grands travaux et par beaucoup
de vicissitudes. Quoiqu’il ne fût pas heureux au concours
pour la seconde porte de bronze du baptistère de Florence,
comme on verra ci-après, il n’en a pas moins été estimé
pendant sa vie et il a continué, même après sa mort, à
exercer sur la sculpture une influence aussi grande que
salutaire. Mais quelque grand que fût son mérite, il était bien
au dessous de celui de Lorenzo Ghiberti son contemporain,
tant pour l’imitation correcte de la nature que pour la grace,
la dextérité et la facilité dans les combinaisons de
l’ornementation.

343
En 1401, Florence, sous une forme de gouvernement
essentiellement démocratique, était devenue une des villes
les plus florissantes de l’Europe. Dans cette démocratie
civique, les différents métiers étaient divisés en corporations
appelées « arti, » représentées par des députés (consoli).
Dans l’année mentionnée ci-dessus, ces députés résolurent
de faire élever au baptistère, une seconde porte de bronze
pour faire pendant à celle d’Andrea Pisano, laquelle avait été
exécutée dans un style noble mais gothique.
La Signoria, ou gouvernement exécutif, fit part de cette
résolution aux premiers artistes de l’Italie, pour les inviter au
concours. Lorenzo Ghiberti, natif de Florence, qui n’avait
que vingt-deux ans à cette époque, osa se présenter au
concours, et fut prononcé capable et digne d’entreprendre
l’ouvrage conjointement avec deux autres artistes,
Brunelleschi et Donatello. Ceux-ci, cependant, se retirèrent
volontairement en sa faveur ; et vingt-trois ans plus tard,
Ghiberti acheva et posa la porte. La beauté du dessin et du
travail était telle, que la Signoria lui donna la commande
d’une autre porte, qui fut finie en 1444. Il serait impossible
d’estimer trop haut l’importance de cette œuvre, soit à
l’égard de son influence historique sur l’art, soit pour son
mérite intrinsèque — car c’est un ouvrage qui, pour la
beauté du dessin et la supériorité du travail, n’a point son
égal parmi tous les spécimens semblables, de n’importe
quelle époque. Les ornements (dont nous avons reproduit
une partie, planche LXXV., fig. 3) qui entourent les
panneaux, sont dignes de l’étude la plus minutieuse. Lorenzo
Ghiberti, avait reçu son éducation de son beau-père, un
344
orfèvre ; il n’appartenait à aucune école et l’on ne saurait
dire qu’il en ait fondé une ; et son influence sur l’art, se
manifeste plutôt dans l’hommage que des hommes tels que
Buonarotti et Raphaël ont rendu à ses ouvrages, que par la
formation de sa part, d’une école pour élèves. Il mourut dans
sa ville natale, à un âge avancé, en 1455. Un de ses
successeurs immédiats, Donatello, a su imprimer à ses
ouvrages une verve et une vigueur mâle, qu’on ne trouvait
pas toujours dans les compositions de Ghiberti, malgré la
beauté qui les distinguait ; mais les qualités de l’un et de
l’autre de ces artistes se trouvèrent réunies dans Luca della
Robbia, qui a exécuté, dans le cours de sa longue vie (de
1400 à 1480) un nombre infini de travaux, dans lesquels les
détails de l’ornementation étaient exécutés dans un style
libre, gracieux et fort analogue à l’antique. Filippo
Brunelleschi combina le talent d’un sculpteur avec celui
d’un architecte. Il a fourni la preuve du premier, dans
l’excellent spécimen d’ouvrage avec lequel il entra en
concurrence avec Ghiberti pour l’exécution des portes
célèbres de San Giovanni Battista ; et de l’autre, par la
magnifique cathédrale de Sta. Maria qu’il construisit à
Florence. Cette combinaison des capacités d’architecte et de
sculpteur était, du reste, un trait qui caractérisait l’époque,
dont les monuments nous présentent un mélange harmonieux
de figures, de feuillages, et d’ornements conventionnels, qui
s’allient si agréablement avec les moulures et avec les autres
formes de la construction, qu’on voit au premier coup-d’œil,
que tout l’ensemble a dû éclore, dans une forme parfaite,
dans l’âme de l’artiste qui l’а exécuté.

345
Ce développement du goût qui distinguait la Toscane se fit
remarquer aussi à Naples, à Rome, à Milan, et à Venise. Le
flambeau allumé par Massuccio à Naples passa
successivement entre les mains d’Andrea Ciccione, de
Bamboccio, de Monaco, et d’Amillo Fiore.

Panneau de la Piscine du maitre-autel de la


Cortosa, Pavie.

L’opulence des princes à Rome, et les grands travaux


entrepris par les pontifes successifs, tendaient à attirer vers
la cité impériale les premiers talents de l’époque ; aussi y
trouve-t-on jusqu’à ce jour, dans les différents palais et
églises, des fragments de la sculpture décorative la plus
exquise. Bramante, Baldassare, Peruzzi, Baccio Pintelli (nos
gravures sur bois ci-contre reproduisent quelques exemples
élégants des arabesques exécutées par

346
Panneaux de la
Piscine du maître-
autel de la
Certosa, Pavie.

cet artiste à l’extérieur de l’église de Sant’Agostino, un des


premiers bâtiments dans le style pur de la rénovation,
exécutés dans la ville impériale) et le grand Raphaël même,
ne dédaignaient point de dessiner pour les sculpteurs, des
ornements qui trahissaient le goût le plus pur et
l’imagination la plus exquise. La preuve la plus frappante de
la perfection acquise dans ce département de l’art, par le
dernier des artistes que nous venons d’énumérer, se trouve

347
sans contredit dans les fameuses stalles en bois
du chœur de San Pietro dei
Casinensi, à Perugia. L’exécution des
sculptures par Stefano da Bergamo est
parfaitement digne des compositions
admirables de Raphaël.
Le dôme de Milan et la Certosa de Pavie ont
créé une école d’art vraiment remarquable,
école qui comptait au nombre de ses plus
importants maestri les artistes Fusina, Solari,
Agrati, Amadeo, et Sacchi. Ces localités, du
reste étaient depuis longtemps
traditionnellement connues pour le talent de
leurs sculpteurs ; et il n’y a point de doute que
ces artistes n’aient réalisé dans les formes les
plus parfaites, les traditions qui existaient
encore des Maestri Comaschi, ou Franc-
maçons, de Como, au génie desquels les
bâtiments les plus célèbres du moyen-âge
doivent leurs ornements les plus gracieux.
Parmi les Cinque-centistes Lombards, ce sont
Agostino Busti, mieux connu sous le nom de
Bambaja, et son élève Brambilla, qui ont le
plus haut titre à l’admiration générale, et dont
les charmantes arabesques, qui ornent la
Certosa, resteront toujours des merveilles
d’exécution. Nos gravures sur bois, prises de la
Piscine du maître-autel, peuvent servir à

348
Arabesques donner une idée du style général des
destinées par arabesques de Pavie.
Baccio Pintelli,
Parmi les artistes que produisit Venise, il
église de
faut mentionner en premier lieu, les Lombardi
Sant’Agostino,
(Pietro, Tullio, Giulio, Sante, et Antonio), aux
Rome.
talents desquels la ville a dû ses monuments les
plus fameux. Après eux vinrent Biccio, Bernardo, Domenico
di Mantua, et nombre d’autres sculpteurs, dont la gloire
cependant a été éclipsée par celle du grand Jacopo
Sansovino. À Lucques, ce fut Matteo Civitale (né 1435, mort
1501) qui soutint amplement la réputation de l’époque.
Retournant à la Toscane nous y trouvons, vers la fin du
quinzième siècle, la plus grande perfection déployée dans la
sculpture

349
350
Arabesques
destinées par
Baccio Pintelli,
église de
Sant’Agostino,
Rome.

Ornements de Partie d’un pilastre de l’église Partie d’un pilastre de l’église


la Piscine du Sta. Maria dei Miracoli, de St. Maria dei Miracoli,
maître-autel Venise, par les Lombardi. Venise.
de la Certosa,
Pavie.

351
des ornements, dont le principal trait caractéristique n’était
plus alors, comme auparavant, la simple imitation soigneuse
de la nature, mais plutôt une reproduction conventionnelle
de l’antique. Les noms de Mino da Fiesole — le plus grand
parmi les artistes de l’école des Fiesolani — de Benedetto da
Majano, et de Bernardo Rossellini, nous rappellent les
nombreux monuments exquis qui abondent dans les églises
de Florence et des autres principales villes du Grand-Duché.
Ces artistes excellaient dans les ouvrages en bois, en pierre
et en marbre ; et leurs ouvrages dans ce style de l’art, n’ont
été surpassés que par ceux de leurs prédécesseurs, dont nous
avons parlé, et par ceux d’un petit nombre de leurs
contemporains.
Parmi ceux-ci nous nommerons Andrea Contucci, mieux
connu sous le nom de Sansovino l’aîné, comme prééminent
dans son art ; et il serait impossible de porter le modelé des
ornements à un plus haut degré de perfection, que celui qu’il
a déployé dans les monuments admirables, qui font la gloire
de l’église de Sta. Maria del Popolo, Rome. Son élève
Jacopo Tatti, qui prit dans la suite le nom de son maître, est
le seul artiste qu’on puisse regarder comme son rival. Nous
en parlerons ci-après.
Ayant tracé succinctement la succession historique des
grands sculpteurs de l’Italie, qui étaient tous ornementistes
en même temps que sculpteurs, nous allons signaler
quelques unes des leçons, qu’à notre avis, l’étude de leurs
ouvrages ne peut manquer d’enseigner aux artistes et aux
artisans. Une des qualités les plus séduisantes, qui distingue

352
plus particulièrement les ornements supérieurs en relief du
Cinque-cento, c’est le talent judicieux avec lequel ceux qui
les ont produits, ont su tirer parti du jeu de la lumière et de
l’ombre, produit par les variations infinies du plan, non
seulement sur des surfaces parallèles au fond d’où s’élève
l’ornement, mais aussi sur des surfaces qui en forment les
tangentes aux angles de contact qui varient à l’infini.
Entre un enroulement en forme de volute, où le relief
diminue graduellement depuis le départ jusqu’à l’œil de la
volute, et un enroulement où le relief est uniforme sur toute
l’étendue, la différence de l’effet est très-grande ; et c’est à
leur préférence constante pour la première de ces formes,
que les artistes du Cinque-cento sont redevables des résultats
infailliblement agréables, qu’ils ont atteints dans les
combinaisons les plus simples, comme dans les plus
compliquées, de leurs formes spirales.
Cette appréciation raffinée des nuances délicates du relief
en sculpture, fut portée à sa plus grande perfection par
Donatello, dont l’autorité, en fait de goût, avait le plus grand
poids possible chez ses contemporains de Florence, et dont
l’exemple fut suivi avec respect et dévotion par les artistes
de toutes les classes. Il n’a pas été seulement le premier à
pratiquer le bassissimo relievo, où l’effet de la projection et
du modelé arrondi est produit dans des limites de relief si
minimes, qu’elles paraissent presque impraticables, mais il a
été aussi le premier à combiner ce genre d’ouvrage avec le
mezzo et l’alto relievo ; et au moyen de cette combinaison il
parvint à diviser son sujet en différents plans, presque

353
comme dans une peinture. Donatello connaissait trop bien
son métier pour jamais dépasser les conventions spéciales de
la sculpture, mais il enrichit la pratique des Cinque-centisti
florentins, de nombreux éléments dérivés de l’art de la
peinture. Ces inventions — car elles sont presque dignes de
ce nom, quoiqu’elles ne soient que le fruit d’une étude
soigneuse de l’antique — furent adoptées et imitées
avidement par les ornementistes de l’époque, et c’est à ces
inventions qu’on peut faire remonter la trace de la
supériorité technique si frappante, qui distingue les
meilleures sculptures et le modelage de la renaissance.
Enfin, quand ce système de l’arrangement régulier des
ornements en plans, eut atteint à l’apogée de la perfection,
les effets de lumière et d’ombre se trouvèrent ménagés si
ingénieusement, que vu de loin, le relievo ne présentait que
des points disposés symétriquement en rapport avec
certaines figures géométriques dominantes. En s’approchant
de quelques pas, l’œil pouvait démêler les lignes et les
figures qui joignaient les points des plus saillants. En se
reprochant de plus près encore, on distinguait les feuillages
et les tendrons, qui servaient à donner une idée tangible du
type de la nature reproduit conventionnellement, et plus
l’inspection était minutieuse et rapprochée, plus elle
découvrait l’appréciation parfaite de la part de l’artiste, de
tous les raffinements du tissu de la surface. La
« cisellatura, » ou « ciselure, » des meilleurs ornements
italiens de la période du cinque-cento, telle qu’on en voit
dans l’église dei Miracoli, Venise (fig. 1, 8, 9, planche
LXXIV.), par les Lombardi ; dans l’église de Sta. Maria del
354
Popolo (fig. 1, planche
LXXVI.), Rome, par
Sansovino ; sur les portes du
baptistère, Florence (fig. 3,
planche LXXV.), par
Ghiberti ; dans les sculptures
de San Michele di Murano
(fig. 4, 6, planche LXXIV.) ; à
la Scala di San Marco (fig. 2,
planche LXXIV.) ; à la Scala
dei Giganti (fig. 5, 7, planche
LXXIV.), et dans d’autres
bâtiments de Venise, est au
dessus de toutes louanges.
Jamais on n’y voit les fibres
d’une feuille ou d’un tendron
tournées dans une fausse
direction, jamais la tendance
gracieuse que la nature
déploie dans la croissance, n’y
est pervertie ou mal entendue.
La polissure et les détails n’y
trouvent leur place, qu’autant
qu’ils ont quelque fonction
spécifique à remplir ; et
quoique le travail y ait été
prodigué à pleines mains, à tel
Petits pilastres point que chaque touche Petits pilastres
d’un escalier en prouve que c’était un travail d’un escalier en

355
marbre de l’églised’amour, il n’y est jamais marbre de l’église
de Sta Maria dei prodigué en pure perte, de Sta Maria dei
Miracoli, Venise, comme cela arrive souvent de Miracoli, Venise,
par Tullio nos jours, où l’on transforme par Tullio
Lombardo, vers quelquefois en dessins Lombardo, vers
l’an 1455. primaires ceux qui, au point l’an 1455.
de vue de l’intérêt, devraient être secondaires ou tertiaires.
L’introduction dans les bas-reliefs des éléments, qui sont
du domaine de la peinture, dégenéra bientôt en confusion
entre les mains d’artistes moins pénétrés que Donatello, de
l’appréciation des limites exactes du traitement
conventionnel en fait de sculpture. Le grand Ghiberti même
a gâté l’effet de plusieurs de ses compositions les plus
gracieuses, par l’introduction de la perspective et d’autres
accessoires copiés trop directement d’après nature. Dans
quelques uns des ornements sculptés de Certosa, cette faute
est poussée à un tel point d’exagération, que des monuments
qui, par leur beauté et leur dignité devraient inspirer au
spectateur une admiration grave et sérieuse, ne servent qu’à
l’amuser — ressemblant à une maison de poupées peuplée
de fées, décorée de guirlandes, revêtue de tablettes, et
couverte fantastiquement de feuillage, au lieu de représenter
des œuvres d’art importantes, élevées en commémoration
des morts, ou destinées à un usage sacré.
Un autre reproche qu’on peut adresser avec justice à bon
nombre de ces monuments, c’est que les idées que leur
destination doit nécessairement faire naître, s’accordent mal
avec les ornements déployés dans les frises, les pilastres, les

356
panneaux, les tympans, et les autres points enrichis
d’ornements. Les masques tragiques et comiques, les
instruments de musique, les ornements terminaux semi-
priapiques, les autels antiques, les trépieds, les coupes à
libations, les amorini dansants, les hybrides monstres marins
et les chimères, sont peu en harmonie avec des monuments
érigés dans des édifices consacrés ou dédiés au culte
religieux. Il ne serait pas juste cependant, de mettre la faute
de confondre le sacré avec le profane, entièrement sur le
compte des artistes de la renaissance, dont les œuvres ne
servaient qu’à refléter l’esprit prédominant de l’époque, où
la rénovation du symbolisme mythologique n’était qu’une
protestation contre les entraves gênantes d’une tradition
ascétique, érigée en dogme sous la domination de l’Est, et
endossée par l’église pendant les siècles, où l’ascendant
qu’elle exerçait sur une population ignorante et turbulente,
avait atteint le comble de sa hauteur. Au quatorzième siècle
l’esprit des hommes les plus religieux était imbu des
associations les plus incongrues ; et il n’est pas nécessaire
d’aller au-delà de la « Commedia » de Dante, désignée par le
monde littéraire comme le poème épique divin, pour
reconnaître le fil embrouillé de l’inspiration gothique et
classique, qui sillonnait tout le tissu de la littérature de cette
époque.
L’étude des ornements italiens en relief du Cinque-cento,
n’est pas moins utile à l’architecte qu’au sculpteur ; car il
n’y a point de style dans lequel les ornements aient été
mieux espacés, ou arrangés plus heureusement, de manière à
contraster agréablement avec la direction des lignes
357
architectoniques adjacentes, qui les limitent et les tiennent en
subordination. On n’y trouve que rarement, pour ne pas dire
jamais, placé dans une position verticale, un ornement qui
demandait plutôt une position horizontale, ou vice versâ ; il
n’arrive que fort rarement, pour ne pas dire jamais, que les
ornements et les moulures, ou les styles et les liernes, qui
servent à donner la régularité et la symétrie à tout
l’ensemble, soient en désaccord les uns avec les autres. Les
planches LXXIV., LXXV., et LXXVI., représentent une suite
de spécimens qui se caractérisent, pour la plupart, par la
grace des lignes et par la distribution des ornements sur le
plan, distribution hautement artificielle malgré son
apparence naturelle. Ce sont les Lombardi, dans leurs
ouvrages de l’église de Sta. Maria dei Miracoli, Venise
(planche LXXIV., figs. 1, 8, 9 ; planche LXXVI., fig. 2) ;
Andrea Sansovino de Rome (planche LXXVI., fig. 1) ; et
Domenico et Bernardino de Mantoue, Venise (planche
LXXIV., figs. 5 et 7), qui ont atteint la plus grande
perfection sous ce rapport. Subséquemment à l’époque où
florissaient ces artistes, on commença généralement à faire
les ornements d’un haut relief plus uniforme ; en même
temps on donnait plus d’épaisseur aux tiges et aux tendrons,
qu’on n’effilait plus si uniformément ; on n’imitait plus si
soigneusement les accidents variés de la croissance et le jeu
de la nature ; on enrichissait le plan des panneaux avec plus
de profusion, et l’on donnait à l’ensemble un aspect plus
hérissé et moins raffiné. Le sculpteur se fit valoir comme
concurrent de l’architecte, de manière que le dernier, pour se
défendre contre le sculpteur et pour l’éclipser, se mit à faire

358
des moulures plus lourdes ; et
un style plus pesant devint
graduellement à la mode.
Nous trouvons l’indication de
cette tendance vers le plethora
en fait d’ornements, dans bon
nombre des ouvrages gênois
représentes, planche LXXV.,
figs. 1, 2, 4, 5, 8, 9, 11 ; et
рlаnсhе LXXVI., figs. 4, 5, 7,
8, et 10. ; La figure 6, de
même planche, prise du
célèbre tombeau Martinengo à
Brescia, trahit aussi cette
même tendance à surcharger.
On vit en même temps se
développer dans l’art de la
peinture, un mouvement
correspondant à celui qui
avait eu lieu dans la sculpture,
et dont nous venons de donner
un aperçu succinct. Giotto,
élève de Cimabue, secoua les
entraves de la tradition
Petit pilastre de grecque, mettant toute son
Petit pilaste
l’escalier des Géants, âme à l’étude de la nature. Ses
d’un escalier de
Palais Ducal, Venise, ornements, comme ceux de
marbre de
par Bendetto et son maître, se composaient
l’église de Sta.
d’une combinaison de
359
Domenico da mosaïques peintes, de bandes Maria dei
Mantua. entrelacées et de Miracoli,
reproductions libres de l’acanthe. Dans ses Venise.
ouvrages à Assisi, à Naples, à Florence, et à Padoue, il a
invariablement déployé une conception gracieuse de la
balance qu’il est essentiel de maintenir entre les peintures
sur murs et les ornements des murailles, tant pour la quantité
que pour la distribution et les couleurs relatives. Ces
principes si justes de la balance, ont été généralement
compris et adoptés pendant le quatorzième siècle ; Simone
Memmi, Taddeo Bartolo, les Orcagnas, Pietro di Lorenzo,
Spinello Aretino, et nombre d’autres artistes étaient
reconnus comme maîtres dans l’art de décorer les murs.
Benozzo Gozzoli, le fameux contemplateur de la nature, qui
vivait dans le siècle suivant, était également assidu dans ses
études de l’antiquité, comme on peut le voir dans les
ornements architectoniques qui forment le fond de ses
tableaux au Campo Santo, ainsi que dans les magnifiques
arabesques qui divisent ses peintures de San Gimignano. Ce
fut Andrea Montegna, cependant, qui imprima à la peinture
le mouvement que Donatello avait donné à la sculpture, et
cela, non seulement pour les figures, mais aussi pour toutes
les variétés des ornements empruntés à l’antique. Les
magnifiques cartons de cet artiste, que nous avons le
bonheur de posséder à Hampton Court, pourraient passer,
jusques dans leurs détails les plus minutieux, pour les
dessins d’un ancien Romain. Vers la fin du quinzième siècle,
le style de la polychromie prit une tournure nouvelle et
marquée, dont nous détaillerons les particularités dans une

360
autre notice
subséquente, où
nous traiterons
des arabesques et
des ornements
grotesques.
En détournant
nos regards de
l’Italie pour les
diriger vers la
France, pays qui,
le premier parmi
les nations de
l’Europe, alluma
Ornement qui son flambeau au
s’élance grand feu des arts
verticalement, de la renaissance,
près de l’église auquel l’Italie Partie d’une porte dans un des palais
de Sta. Maria avait mis la des Dorias près de l’église de San
dei Miracoli, flamme ; nous Matteo, Gênes.
Venise. trouvons que les
expéditions guerrières de Charles VIII. et de Louis XII.,
avaient communiqué à la noblesse de France une admiration
ardente pour la splendeur des arts, qu’ils rencontraient à
Florence, à Rome, et à Milan. Les premiers indices évidents
du changement qui allait s’opérer, furent manifestés dans le
monument (détruit malheureusement en 1793), érigé en
1499, à la mémoire de Charles VIII., autour duquel des
figures de femmes, en bronze doré, représentant les vertus,
361
étaient groupées exactement dans le genre italien. Dans la
même année, le Roi Louis XII. invita le célèbre Fra
Giocondo, architecte de Verona, ami et condisciple d’Aldus
l’aîné, et le premier qui publiât une bonne édition de
Vitruvius, à se rendre en France. Il y resta de 1499 à 1506, et
fournit au roi son maître, le dessin de deux ponts sur la
Seine, et probablement aussi quelques œuvres moins
importantes qui ont péri depuis. C’est à lui qu’on a
fréquemment attribué la construction du superbe château de
Gaillon, commencé par le cardinal d’Amboise en 1502, mais
au dire d’Émeric David et d’autres archéologues français,
cette assertion ne s’appuie pas sur des fondations
suffisamment satisfaisantes. L’évidence que l’on peut tirer
de la construction même, est tout en faveur d’une origine
française, et contraire à Giocondo, qui était plutôt un
ingénieur et un investigateur, qu’un ornementiste. D’ailleurs
on y trouve, entremêlé avec ce que l’on peut avec justice
appeler classique, une masse d’ouvrage bourguignon ; de
manière qu’on commettrait une injustice envers Giocondo en
lui attribuant la construction de ce château, de même qu’on
ferait tort à la France, en lui contestant l’honneur, de devoir
son premier grand monument de la renaissance, au talent
d’un artiste français. Du reste, les comptes publiés en entier
par M. Deville en 1850, mettent la question presqu’au delà
de tout doute, en démontrant, que Guillaume Senault en a été
l’architecte et le maître maçon. Il n’est pas impossible
cependant, que le cardinal ait consulté Giocondo sur le plan
général, dont les détails ont été exécutés ensuite par Senault
et ses compagnons, français pour la plupart. Le principal

362
artiste italien qui a travaillé à quelques unes des arabesques
les plus classiques, s’il faut en juger par le style, fut Bertrand
de Meynal, qui avait reçu la commission d’apporter de
Gènes la magnifique fontaine vénitienne, si bien connue
comme le vasque du château de Gaillon ; cette fontaine se
trouve actuellement au Louvre, et nous en avons reproduit
quelques ornements élégants, planche LXXXI., figs. 27, 30,
34, 38. Colin Castille, qui figure principalement sur la liste
des ouvriers-artistes, comme « tailleur à l’antique, » était
peut-être un espagnol qui avait étudié à Rome. Telles parties
de cet ouvrage de la renaissance qui ne sont pas dans le style
bourguignon, sont très pures dans tous les points les plus
essentiels, et diffèrent à peine des beaux spécimens italiens.
Ce ne fut cependant que dans le monument de Louis XII.,
actuellement à St. Denis, près de Paris, un des monuments
les plus riches du seizième siècle, que la symétrie de la
disposition architecturale fut, pour la première fois en
France, combinée avec une exécution de maître déployée
dans les détails. Cette belle œuvre d’art commandée par
François I., a été exécutée entre 1518 et 1530, par Jean Juste
de Tours. Douze arcs semi-circulaires entourent les corps du
couple royal, représenté nu ; sous chacun des arcs est placé
un des apôtres, et au quatre coins il y a quatre grandes
statues représentant la Justice, la Force, la Prudence, et la
Sagesse ; le tout étant surmonté par les statues du roi et de la
reine à genoux : Les bas-reliefs représentent l’entrée
triomphale de Louis à Gènes, et la bataille d’Aguadel où il
se signala par sa valeur personnelle.

363
On a voulu attribuer ce monument de Louis XII. à Trebatti
(Paul Ponee), mais le monument était achevé avant que cet
artiste vînt en France ; ce qui est prouvé par l’extrait suivant
tiré des archives Royales : François I. écrit au Cardinal
Duprat : — « Il est deu à Jehan Juste mon sculteur ordinaire,
porteur de ceste, la somme de 400 escus, restans des 1200
que je lui avoie pardevant or donnez pour le menage et
conduite de la ville de Tours au lieu de St. Denis en France,
de la sculpture de marbre de feuz Roy Loys et Royne Anne,
&c, Novembre 1531.»
Tout aussi dignes d’étude que le tombeau de Louis XII.,
sont les magnifiques sculptures en alto et basso relievo,
exécutées à la même époque, qui décorent tout l’extérieur du
chœur de la cathédrale de Chartres ; le sujet en est pris de la
vie du Sauveur et de celle de la Vierge, et forme quarante et
un groupes, dont quatorze sont l’ouvrage de Jean Texier qui
les commença en 1514, après avoir achevé la partie du
beffroi érigée par lui. Ces compositions sont pleines de
beauté et de vérité, les figures en sont animées et naturelles,
la draperie est libre et gracieuse, et les têtes sont pleines de
vie ; mais ce qu’il y a de plus beau peut-être, ce sont les
arabesques qui couvrent presque entièrement les parties
saillantes des pilastres, des frises, et des moulures de la base.
Ces ornements sont fort exigus ; les groupes qui couvrent les
pilastres, et qui sont les plus grands, n’ont que huit ou neuf
pouces de largeur. Mais tout petits qu’ils sont, ces ornements
montrent une verve de sculpture et une variété de devises
vraiment merveilleuses. On y voit arrangés avec un goût
exquis, des feuillages en masse, des branches d’arbres, des
364
oiseaux, des fontaines, des faisceaux d’armes, des satyres,
des insignes militaires et des outils appartenant aux
différents arts. Un F couronné — monogramme de
François I. — se distingue visiblement dans ces arabesques,
et sur les draperies sont tracées les dates des années 1525,
1527, et 1529.
Le tombeau qu’Anne de Bretagne fit élever à la mémoire
de son père et de sa mère, fut fini et placé dans le chœur de
l’église Carmélite de Nantes, le 1er Janvier 1507. C’est le
chef-d’œuvre de Michel Colombe — artiste d’un grand
talent et de beaucoup de naïveté. Les détails des ornements
surtout, sont des plus élégants. Le monument, élevé au
Cardinal d’Amboise, à la cathédrale de Rouen, fut
commencé en 1515, sous Roulant le Roux, maître-maçon de
la cathédrale. Aucun italien n’a eu part dans l’exécution de
ce monument, qu’on peut regarder comme l’expression de la
vigueur avec laquelle la renaissance avait exercé son
influence sur les artistes du pays.

365
366
Parties du tombeau de François II., Duc de Bretagne, et de sa femme Marguerite
de Foix, érigé par Anne de Bretagne à l’église carmélite de Nantes, par Michel
Colombe, en 1507.
Ce fut en 1530 et 1531 que François I. invita Rosso et
Primaticcio à venir en France ; et à ces artistes suivirent, en
succession rapide, Nicolo del’ Abbate, Luca Penni, Cellini,
Trebatti et Girolamo della Robbia. L’arrivée de ces artistes et
la fondation de l’école de Fontainebleau introduisirent dans
la renaissance française de nouveaux éléments, dont nous
parlerons subséquemment.
Nous aurions à dépasser les limites de cette esquisse, si
nous allions entrer dans les détails historiques de l’art de la
sculpture en bois. Aussi nous contenterons nous de
remarquer, que tous les ornements adaptés à la pierre, au
marbre, et au bronze, ont été appliqués aussi aux ouvrages
en bois ; et que dans aucune autre époque de l’art industriel,
le sculpteur n’a exercé son talent avec plus de grace pour
rehausser la richesse des objets d’ameublement somptueux.
Nos planches Nos. LXXXI. et LXXXII. offrent un
témoignage éclatant en faveur de notre assertion. Ceux qui
étudieront ces planches avec attention, ne manqueront pas
d’y apercevoir l’abandonnement graduel des ornements à
feuillages, qui formaient le fonds des premiers artistes de la
renaissance. Ce qui frappera en second lieu, ce sera
l’entassement de différents sujets et « Capricci » tirés de
l’antique, accompagnés d’une certaine ampleur de projection
et d’une légère tendance à la lourdeur ; et enfin on y
reconnaîtra l’adoption générale d’une suite de formes

367
particulières, et toutes nationales, différant des formes
italiennes, telles que les volutes conventionnelles
entrecoupées de petites entailles carrées ou oblongues
(Planche LXXXI. figs. 17 et 20), et les têtes en médaillons
(Planche LXXXI. figs. 1 et 17).
Il serait difficile de découvrir les traces de l’aube
naissante de la renaissance des Arts en France dans les
vitraux peints du quinzième siècle. Les ornements, les dais,
de même que les feuillages, y sont généralement d’un
caractère flamboyant et angulaire, quoiqu’ils soient finis
d’une manière nette et aisée ; et les figures portent le cachet
du style de dessin qui prévalait à cette époque. Le verre, tout
en produisant un effet fort agréable, est beaucoup moins
épais — surtout le verre bleu — que celui du treizième
siècle. Le nombre des vitraux exécutés à cette époque est
immense ; et on en trouve des spécimens, plus ou moins
parfaits, dans presque toutes les grandes églises de la France.
L’église de St. Ouen à Rouen, possède sur les fenêtres du
cléristère, quelques belles figures sur un fond blanc et carré ;
et on trouvera de beaux exemples des vitraux du même
siècle à St. Gervais, Paris, et à Notre-Dame, Chalons-sur-
Marne.
Cet art a subi de grandes améliorations à l’époque de la
renaissance. On employait les premiers maîtres pour faire les
cartons ; on se servait d’émail pour donner aux couleurs de
l’épaisseur sans en diminuer le riche éclat, et on employait
beaucoup plus de blanc. Bon nombre de ces vitraux ne sont
guère autre chose que des grisailles, comme ceux de la

368
Sainte Chapelle à Vincennes, dessinés par Jean Cousin ;
parmi lesquels il y en a un, représentant l’ange sonnant la
quatrième trompette, qui est admirable de composition et de
dessin. La cathédrale d’Auch contient également quelques
exemples excessivement beaux, exécutés par Arneaud
Demole ; Beauvais possède aussi nombre de vitraux de la
même époque ; entre autres, une fort belle fenêtre à arbre de
Jessé, œuvre d’Enguerand le Prince ; les têtes sont d’un style
grandiose, et la pose des figures rappelle les œuvres d’Albert
Durer.
Les grisailles qui ornaient les fenêtres des maisons de la
noblesse et même de la bourgeoisie, étaient petites mais
exécutées avec une délicatesse admirable ; et elles étaient
dessinées et groupées de manière à ne laisser que très-peu à
désirer.
Vers la fin du seizième siècle, cet art commença à
décliner ; les nombreux peintres sur verre chômaient faute
d’emploi, et le célèbre Bernard de Palissy quitta ce métier
dans lequel il avait été élevé, pour se dévouer à un état qui
présentait de plus grandes difficultés, mais qui lui a acquis, à
la fin, la plus haute renommée. C’est à lui que nous sommes
redevables des charmantes grisailles, représentant l’histoire
de Cupidon et de Psyché, d’après les dessins de Raphaël, qui
décoraient autrefois le château d’Écouen, résidence de son
grand patron, le connétable Montmorency.
Les ornements de la renaissance ne tardèrent pas à
pénétrer en Allemagne, mais ils furent lents à s’emparer de
l’âme des habitants, jusqu’à ce que la propagation des livres

369
et des gravures vînt à en accélérer l’acceptation générale.
Depuis long temps il y avait eu un courant constant d’artistes
qui quittaient l’Allemagne et la Flandre pour aller étudier
dans les grands ateliers de l’Italie. Dans le nombre, Roger de
Bruges, qui a passé une grande partie de sa vie en Italie, et
mourut en 1464, — Hemskerk et Albert Durer, qui ont
exercé une influence particulière sur leurs compatriotes. Ce
dernier artiste trahissait, dans un grand nombre de ces
gravures, une appréhension parfaite des conditions du dessin
italien, penchant tantôt vers la manière gothique de son
maître Wohlgemuth, tantôt vers la simplicité Raphaëlesque
de Marc’Antonio. La propagation, en Allemagne, des
gravures de celui-ci a incontestablement eu pour suite, de
former le goût d’hommes tels que Peter Vescher, qui fut le
premier à mettre à la mode en Allemagne l’art plastique de
l’Italie. Mais la renaissance de l’Allemagne, même à sa
période la plus heureuse, était impure — une prédilection
laborieuse pour les difficultés de la main en préférence des
difficultés de l’esprit, y produisit bientôt ces zigs-zags
bizarres, ces ornements à lacets et en forme de joyaux, et ces
monstres compliqués, animés plutôt que gracieux, qui prirent
la place de l’élégance raffinée des premières arabesques
italiennes et françaises. (Voyez la gravure ci-dessous.)
Laissons maintenant les Beaux-Arts pour nous tourner
vers les arts industriels, dont nous tracerons la rénovation
comme elle se manifestait dans les dessins des fabricants de
l’époque. Grâce à leur nature immuable et invariable, les
produits en verre et ceux de la céramique offrent une
évidence de style aussi complète que satisfaisante, aussi
370
avons nous consacré trois planches entières (Nos. LXXVIII.,
LXXIX., et LXXX.) pour illustrer ces produits. La plupart
des spécimens que nous y avons réprésentés ont été choisis
parmi la « Majolica » d’Italie, et nous allons faire quelques
remarques sur cette faïence et sa décoration.

Arabesque par Theodor de Bry, un des « Petits-maîtres » de l’Allemagne (1598),


en imitation du style italien, en y ajoutant des lacets, des carricatures, et des
formes de joyaux.
Il paraît que l’art de vernisser la poterie a été introduit en
Espagne et dans les Îles Baléares par les Maures, qui avaient
connu et exercé cet art depuis longtemps, sur les carreaux
coloriés dont ils décoraient leurs bâtiments. La faïence dite
« Majolica » tire son nom, à ce que l’on croit, de l’île de
Majorcque, d’où la manufacture de poterie vernie a passé, à
ce que l’on suppose, au centre de l’Italie ; et ce qui vient à
l’appui de cette supposition, c’est le fait, que la première
faïence d’Italie était ornée de dessins géométriques et de
feuilles à trèfle, portant le cachet Sarracénique, (planches

371
LXXIX. et LXXX., figs. 31 et 13). On s’en servit d’abord à
fabriquer des tuiles coloriées et concaves qu’on fit entrer
dans les constructions de briques, et plus tard sous la forme
de pavés encaustiques. La manufacture de ce genre de
faïence se poursuivait sur une grande échelle, entre 1470 et
1700, dans les villes de Nocera, Arezzo, Citta di Castillo,
Forli, Faenza (de là nom de faïence), Florence, Spello,
Perugia, Deruta, Bologna, Rimini, Ferrare, Pésaro,
Fermignano, Castel Durante, Gubbio, Urbino, et Ravenna,
de même que dans plusieurs villes des Abruzzi ; mais c’est
un fait admis que Pésaro fut la première ville où cette
fabrication acquit une certaine célébrité. On donna d’abord à
cette faïence le nom de « mezza » ou demi-majolica et on en
faisait des assiettes épaisses et lourdes et quelquefois très-
grandes. Ces assiettes sont d’une couleur gris-foncé, et
enduites à l’envers d’un vernis jaune-sombre. La contexture
en est grossière et graveleuse, mais on y voit çà et là un
lustre doré et prismatique, quoiqu’elles soient plus
généralement d’une nuance de perle. Cette demi-majolica,
au dire de Passeri et d’autres autorités, a été faite au
quinzième siècle, et ce n’est que subséquemment à cette
époque qu’elle a été remplacée entièrement par la majolique
fine.
Un moyen de vernisser la poterie a été découvert par Luca
della Robbia, né à Florence en 1399, qui se servait, à ce
qu’on dit, d’un mélange d’antimoine, d’étain et d’autres
substances, appliqué comme vernis à la surface des
charmantes statues en terre-cuite, et des bas-reliefs modelés
par lui. Le secret de préparer ce vernis fut conservé dans la
372
famille de l’inventeur, jusqu’en 1550, où il fut emporté dans
le tombeau par le dernier membre de la famille. On a tenté à
Florence, de ressusciter la fabrication de la faïence de
Robbia, mais le succès a été minime, par suite des grandes
difficultés que présentait l’entreprise. Les sujets des bas-
reliefs de Della Robbia sont religieux pour la plupart, genre
auquel le blanc luisant des figures est parfaitement adapté ;
les yeux y sont noircis pour relever l’expression, et les
figures blanches sont détachées par un fond bleu-foncé. Les
successeurs de Della Robbia ajoutèrent des guirlandes de
fleurs et de fruits en teintes naturelles, et quelques uns
d’entr’eux coloriaient les costumes et laissaient les chairs
sans vernis. Passeri prétend que cette découverte avait été
faite, déja à une époque plus reculée, à Pésaro, où l’on
fabriquait de la faïence au quatorzième siècle ; mais
quoiqu’il soit possible que la combinaison du vernis avec la
couleur, fût connue à cette époque reculée, il est certain
qu’elle n’a acquis de célébrité qu’en 1462, époque où
Matteo di Raniere, de Cagli, et Ventura di Maestro Simone
dei Piccolomini, de Sienne, s’établirent à Pésaro pour
continuer la fabrication de faïence qui s’y exerçait déja
alors ; et il est fort probable que leur attention ait été
réveillée par les ouvrages de Della Robbia, que Sigismond
Pandolfo Malatesta avait employé à Rimini. Il y avait, à ce
qu’il paraît, quelque confusion quant au procédé précis que
Della Robbia avait inventé, invention que lui, ainsi que toute
sa famille, regardait comme un secret précieux. Quant à
nous, nous croyons que le secret consistait plutôt dans la
manière de détremper et de cuire parfaitement les grandes

373
masses d’argile, que dans le moyen de faire le vernis
protecteur, lequel offrait, à ce qu’il paraît, trop peu de
nouveauté pour qu’il fût nécessaire d’en faire un secret.
Le lustre prismatique et un vernis blanc brillant et
transparent, telles étaient les qualités qu’on cherchait surtout
à obtenir dans la majolique fine et dans la faïence de
Gubbio ; le lustre métallique se produisait par des
préparations de plomb, d’argent, de cuivre et d’or, et sous ce
rapport la faïence de Gubbio surpassait toutes les autres
faïences. Pour donner à la faïence l’émail d’un blanc
éclatant, on se servait d’un vernis fait d’étain, dans lequel on
plongeait la poterie à demi-cuite ; puis on y peignait les
dessins avant que le vernis ne fut sec, et la promptitude avec
laquelle celui-ci absorbait les couleurs, explique
l’inexactitude du dessin qu’on y trouve si souvent.
Une assiette en vieille faïence de Pésaro, qui se trouve au
musée de la Haye, porte un chiffre qui paraît être composé
des lettres « C. H. O. N. » Une autre assiette, mentionnée par
Pungileoni, porte une marque formée par les lettres « G. A.
T. » entrelacées. Mais ce sont des exemples rares, attendu
que les artistes qui faisaient ces assiettes, ne signaient leurs
ouvrages que très-rarement.
Les sujets choisis par les artistes, étaient généralement,
des figures de saints, et des représentations d’événements
historiques tirés de la sainte Écriture ; mais ils choisissaient
de préférence les figures de saints, sujets qui continuèrent à
jouir de la faveur générale jusqu’au seizième siècle, époque
à la quelle on commença à y substituer des scènes

374
empruntées aux œuvres d’Ovide et de Virgile, sans renoncer
toutefois aux dessins tirés de la Sainte Écriture.
Ordinairement on donnait, à l’envers de l’assiette, en lettres
bleues, la description succincte du sujet et le renvoi au texte.
La mode de décorer les objets, des portraits de personnages
historiques, classiques et vivants, date d’une époque plus
récente. Tous ces sujets sont peints d’une manière plate et
molle, et ils sont entourés d’une espèce d’ornement
sarracénique assez rude, différant complètement des
arabesques Raphaëlesques qui étaient si fort à la mode
pendant les dernières années du règne de Guidobaldo. Les
assiettes couvertes de fruits coloriés et en relief
appartiennent probablement à la faïence de Della Robbia.
Le déclin de la manufacture de Majolica, causé par la
réduction des revenus du Duc régnant, et par le peu d’intérêt
que son successeur témoignait pour cette industrie, fut
accéléré encore par l’introduction de la porcelaine orientale
et par l’emploi de la vaisselle d’argent, qui devint de plus en
plus général parmi les classes élevées et riches ; on cessa de
décorer la majolique de sujets historiques, qu’on remplaça
par des dessins parfaitement exécutés, d’oiseaux, de
trophées, de fleurs, d’instruments de musique, de monstres
marins, etc., mais ces dessins devinrent graduellement de
plus en plus faibles sous le rapport du coloris et de
l’exécution, jusqu’à ce que leur place fût occupée par des
gravures d’après Sadeler et autres artistes flamands. Toutes
ces causes réunies contribuèrent à la décadence rapide de ce
genre de fabrication, que le Cardinal Légat Stoppani chercha
en vain à ressusciter.
375
La majolique fine de Pésaro atteignit sa plus grande
perfection sous le règne de Guidobaldo II., qui tenait sa cour
à Pésaro, et qui soutenait de sa protection les poteries de
cette ville. À cette époque la majolique produite à Pésaro,
ressemblait à celle d’Urbino de si près, qu’il était impossible
de distinguer l’une de l’autre ; la contexture de la faïence
était la même, et les mêmes artistes travailaient souvent dans
les poteries des deux villes. Déjà en 1486, la faïence de
Pésaro commença à passer pour être supérieure à toute autre
faïence d’Italie, à tel point que le gouverneur de Pésaro de ce
temps la prit sous sa protection, en défendant, sous peine
d’amende et de confiscation, l’importation de poterie
étrangère quelconque, et en ordonnant même que tous les
vases étrangers fussent bannis de l’état dans l’espace de huit
jours. Cette protection fut confirmée, en 1532, par Francesca
Maria I. En 1569, Guidobaldo II. accorda un brevet pour
vingt-cinq ans, infligeant une amende de 500 scudi pour
toute infraction, à Giacomo Lanfranco de Pésaro, pour ses
inventions dans la construction de vases travaillés en relief,
de grandes dimensions et de formes antiques, auxquels il
appliquait de l’or. En outre, Giacomo et son père furent
exemptés de tous les impôts ou taxes.
À cause de la nouveauté et de la variété que présentait la
majolique, les seigneurs du duché choisissaient des objets de
cette faïence, pour les cadeaux destinés aux princes
étrangers. En 1478, Costanza Sforza envoya à Sixte IV.
certains « vasa fictilia ; » et dans une lettre adressée à Robert
Malatiste par Lorenzo le Magnifique celui-ci lui rend grâces
pour un présent semblable. Un service peint par Orazio
376
Fontana, d’après des dessins de Taddeo Zuccaro, fut présenté
à Philippe II. d’Espagne par Guidobaldo qui avait donné
aussi un double service à Charles V. La collection de jarres,
présentée à la trésorerie de Loreto par Francesca Maria II.,
avait été faite sur l’ordre de Guidobaldo pour servir dans son
laboratoire ; quelques unes d’entr’elles sont décorées de
portraits ou de quelque autre sujet, et toutes sont étiquetées
du nom de quelque drogue ou mixture. Ces jarres, dont il
existe encore 380 à la trésorerie de Loreto, sont bleues,
vertes et jaunes. Passeri donne une classification de poterie
décorée, accompagnée de la liste des termes employés par
les ouvriers pour distinguer les différentes espèces de
peinture employées à la décoration des assiettes, et des
sommes payées aux artistes qui avaient exécuté les
peintures. Il donne aussi un extrait curieux d’un manuscrit
de la main de Piccolpasso, un « majolicaro » du milieu du
seizième siècle, qui a publié des écrits sur son art. Pour
comprendre l’extrait en question, il est nécessaire de se
rappeler, qu’un bolognino était l’équivalent d’un neuvième
de paul, et le gros, à un tiers de paul (dix sous et un liard) ; la
livre était le tiers, et le florin présentait les deux tiers d’un
petit écu ; et le petit écu ou écu ducal valait les deux tiers
d’une couronne romaine (valeur actuelle : cinq francs, six
sous et demi).
Trophées. — Ce genre d’ornements se composait d’armes
anciennes et modernes, d’instruments de musique et de
mathématique, et de livres ouverts ; ils sont peints
généralement en camaïeu jaune, sur un fond bleu. Les
assiettes de ce genre se vendaient principalement dans la
377
province même (Castel Durante) ou elles étaient fabriquées,
et les artistes qui en faisaient les peintures recevaient la
somme d’un écu
ducal pour le
cent. Ce genre
d’ornements était
en grande faveur
parmi les
Cinque-centisti,
soit pour le
marbre soit pour
la pierre : témoin
le monument
érigé à Gian
Galeazzo
Visconti, à la
Certosa, Pavie,
ainsi que les
parties de la
porte génoise
dont nous
donnons la
Piédestal qui fait partie d’une porte du palais, donné par
gravure ci- les Génois à Andrea Doria.
contre.
Arabesques. — Ornements qui se composent d’une espèce
de chiffre légèrement lié, de nœuds et de bouquets
entrelacés. Les objets décorés dans ce genre, s’envoyaient à
Venise et à Gènes, où on les payait au taux d’un florin le
cent.
378
Cerquate, c’était le nom qu’on donnait aux entrelacs de
feuilles de chêne, peints en jaune foncé sur un fond bleu ; on
les appelait aussi « peintures Urbino, » parce que le chêne
faisait partie des armoiries du Duc. Ce genre de décoration
valait quinze gros le cent ; mais lorsque le fond de l’assiette
était décoré, en outre, d’un petit sujet quelconque en
peinture, l’artiste recevait un petit écu.
Grotesques, c’étaient des entrelacs de monstres mâles et
femelles, dont le corps se terminait en feuillages ou en
branches. Ces décorations fantastiques se peignaient
généralement en camaïeu blanc sur un fond bleu ; le prix en
était de deux écus le cent, à moins qu’elles ne fussent peintes
par commande, pour Venise ; dans ce cas le prix alloué était
de huit livres ducales.
Feuilles. — Ces ornements se composaient de quelques
branches de feuilles, toutes petites, éparpillées sur le fond.
Le prix en était de trois livres.
Fleurs et Fruits. — Ces charmants groupes s’envoyaient
généralement à Venise, où on les payait au taux de cinq
livres le cent. L’autre variété de ce style consistait en trois ou
quatre grandes feuilles peintes d’une couleur, sur un fond
d’une couleur différente. Le prix en était d’un demi-florin le
cent.
Porcelaine, tel était le nom donné à un style d’ouvrage qui
consistait en fleurs bleues fort délicates, garnies de petites
feuilles et de boutons, peintes sur un fond blanc. Cet ouvrage
se payait à raison de deux livres, et au delà, pour le cent.

379
C’était fort probablement un style imité et importé de
Portugal.
Tratti, ou bandelettes larges, nouées de différentes
manières, et d’où s’élançaient
de petites branches. Prix,
deux livres le cent.
Soprabianco, c’était une
peinture blanche sur un fond
de céruse, pendant que la
marge de l’assiette était
entourée de bordures vertes
ou bleues. Ces ornements
valaient un demi-écu le cent.
Quartiert. — Dans ces
motifs, l’artiste divisait le
fond de l’assiette en six ou
huit rayons, qui allaient en
Partie de pilastre d’une porte du palais
divergeant du centre à la
présenté par les Génois à Andrea Doria.
circonférence ; chaque espace
était d’une couleur particulière, sur laquelle on mettait des
bouquets peints en différentes nuances. Les peintres
recevaient pour ce genre d’ornement le prix de deux livres le
cent.
Gruppi. — C’étaient des bandes larges entrefilées de
petites fleurs. Le motif en était plus grand que celui des
« tratti ; » et on l’embelissait quelquefois par une petite
peinture placée au centre ; dans ce cas le prix en était d’un

380
demi-écu, mais sans cette peinture additionnelle, on
n’allouait que deux jules.
Candelabri. — Ces ornements se composaient d’un
bouquet vertical s’étendant d’un côté de l’assiette à l’autre,
l’espace des deux côtés étant rempli par des feuilles et des
fleurs éparses. Le prix des Candelabri était de deux livres le
cent. La gravure ci-contre
démontre que ce sujet était
dès le commencement, en
grande faveur chez les
meilleurs artistes du Cinque-
cento, qui l’employaient très
généralement.
Nous aurions à dépasser
les limites de cette notice, si
nous voulions nous étendre
en détail sur le mérite et sur
les œuvres d’artistes tels que
Maestro Georgio Andreoli,
Orazio Fontana, et Francesco
Partie de pilastre d’une porte du palais
Xanto de Rovigo, ce qui
serait inutile, d’ailleurs, présenté par les Génois à Andrea Doria.
puisque M. Robinson dans son catalogue de la collection de
Soulages, publié tout récemment, a avancé quelques vues
fort intéressantes sur les différentes questions difficiles qui
ont rapport à ce sujet. De même, nous ne ferons que signaler
ici les modifications intéressantes apportées à la fabrication
et aux dessins céramiques en France, par la persévérance

381
indomptable de Bernard de Palissy, maître-potier de
François I. Nous avons reproduit, planche LXXIX., figs. 1,
3, plusieurs spécimens des décorations de sa faïence
élégante, qui, pour le dessin, occupent par rapport aux autres
monuments de la renaissance française, à peu près la même
position que la première majolique occupe à l’égard des
monuments de la rénovation italienne. Ce style commença à
se faire remarquer, il est vrai, dans la bijouterie française,
déjà sous le règne de Louis XII., à l’époque où l’appui
vigoureux du puissant Cardinal d’Amboise, imprima un élan
considérable à cet art ; mais ce ne fut que du temps de
François I., qui invita à sa cour le grand maître de la
renaissance — Cellini — que l’art du bijoutier atteignit sa
plus haute perfection. Pour apprécier, cependant, à sa juste
valeur la condition et la nature précise des ouvrages en
métaux-précieux, il est indispensable de jeter un coup-d’œil
rapide sur les principaux traits caractéristiques de cette école
admirable d’émailleurs, qui, par leurs productions pendant le
quinzième siècle, et plus encore par celles du seizième
siècle, disséminèrent de tous les côtés quelques uns des
ornements les plus élégants qui aient jamais été appliqués
aux ouvrages en métal.
Vers la fin du quatorzième siècle, les artistes de Limoges
trouvèrent non seulement, que les émaux de l’ancien genre
champlevé — dont nous avons donné, dans le but de montrer
le contraste, de nombreux exemples, planche LXXVII.,
figs. 1, 3, 4, 8, 29, 40, 41, 50, 53, 57, 61 — avaient
entièrement passé de mode, mais que presque tous les
orfèvres importaient d’Italie les émaux transparents, ou en
382
faisaient eux-mêmes, avec plus
ou moins de succès, selon le
talent de chacun. Dans cet état
des choses, ces artistes, au lieu
de tenter la concurrence,
inventèrent un procédé tout
nouveau, qui ne regardait que
l’émailleur, et qui mit celui-ci à
même de se dispenser
entièrement du burin de
l’orfèvre. Les premières
tentatives étaient fort grossières,
et il n’en reste que peu
d’exemples. Que les progrès
étaient lents, c’est prouvé par le
fait, que les premiers spécimens
qui aient quelques prétentions
au mérite, remontent au milieu
du quinzième siècle. Quant au
procédé, le voici : On traçait le
dessin à l’aide d’une pointe
aiguë, sur une plaque dépolie de
cuivre, qu’on couvrait d’une
couche mince d’émail
transparent. Après avoir passé
une ligne épaisse et noire sur le
tracé, l’artiste remplissait les
intervalles de différentes
couleurs, transparentes pour la
Partie inférieure qui montre la

383
plupart, pendant que les lignes naissance de la moulure d’un petit
noires faisaient le même emploi pilastre, de l’église Sta. Maria dei
que tiennent les bandes d’or Miracoli, Venise.
dans l’ouvrage cloisonné. C’est la carnation qui offrait le
plus de difficulté ; on la couvrait d’abord de noir, sur lequel
on modelait ensuite les grandes lumières et les demi-teintes,
à l’aide d’un blanc opaque, auquel on donnait parfois
quelques touches de rouge transparent. La dernière opération
qui restait à faire, c’était d’appliquer la dorure et de fixer les
imitations de pierres précieuses : — la dernière trace presque
de l’école byzantine, qui avait autrefois exercé une si grande
influence en Aquitaine.
L’ouvrage fini présentait une apparence semblable à celle
d’un émail grossier et transparent, — ressemblance qui était
probablement préméditée, d’autant plus que les spécimens
de cet émail n’étaient jamais fort grands, et par conséquent
ils étaient parfaitement adaptés à remplacer l’ivoire dans la
construction de ces petits triptyques, accessoires
indispensables dans les appartements et les oratoires des
riches pendant le moyen-âge. Aussi, trouvons nous, que tous
les premiers émaux peints ont la forme d’un triptyque ou
d’un diptyque, ou bien qu’ils avaient formé partie de l’un ou
de l’autre ; il en existe encore bon nombre qui sont garnis de
leur monture originale de laiton, et les antiquaires croient
qu’ils sont sortis de l’atelier de Monvearni, car ils portent
généralement le nom ou les initiales de ce maître. Quant aux
autres artistes, ils suivaient, malheureusement, l’habitude
générale qui prévalait pendant le moyen-âge, de ne pas
signer leurs œuvres, aussi leurs noms sont ils ensévelis dans
384
l’oubli, si nous exceptons ceux de Monvearni et de P. E.
Nicholat, ou plutôt de Pénicaud, qui est la version plus
correcte des inscriptions.
Au commencement du seizième siècle, le style de la
renaissance avait fait de grands progrès, et parmi les autres
changements qu’il amena, il mit en vogue les peintures en
camaïeu, ou grisaille. Les fabricants de Limoges adoptèrent
immédiatement ce nouveau genre de peinture ; et cette
adoption eut pour résultat de produire ce qu’on peut appeler
la seconde série d’émaux peints. Le procédé suivi dans ce
genre de peinture, était à peu près le même que celui qu’on
employait à l’égard des carnations des anciens spécimens :
on couvrait d’abord toute la surface de la plaque de cuivre,
d’un émail noir, puis on obtenait les clairs et les demi-teintes
par le moyen d’un blanc opaque ; les parties qui
demandaient l’application d’un coloris, tels que les visages
et le feuillage, recevaient un vernis de la teinte voulue ; on
ajoutait presque toujours des touches en or pour compléter la
peinture, et quelquefois, lorsqu’on désirait produire un
brillant plus qu’ordinaire, on appliquait sur le fond noir une
feuille mince d’or ou d’argent, appelée paillon, qu’on
recouvrait ensuite de vernis. Toutes ces différentes
opérations ont été employées dans les portraits de
François Ier et de Henri II., exécutés par Léonard Limousin
pour la décoration de la Sainte Chapelle, mais qui se
trouvent maintenant au musée du Louvre. Limoges, il faut le
dire, doit beaucoup au premier de ces monarques, qui non
seulement y établit une manufacture, mais décerna au
directeur Léonard, le titre de « peintre, émailleur, valet de
385
chambre du Roi, » et lui conféra en même temps le surnom
de « le Limousin, » pour le distinguer d’un autre artiste
encore plus fameux, Leonardo da Vinci. Le Limousin, du
reste, était loin d’être un artiste ordinaire, comme on peut le
voir, soit en examinant ses copies des anciens maîtres
allemands et italiens, ou ses portraits originaux de
contemporains célèbres, tels que ceux du duc de Guise, du
connétable de Montmorency, de Catherine de Medicis et
autres — exécutés, il faut bien se le rappeler, avec les
matériaux les plus difficiles à manier qui aient jamais été
encore employés dans un but artistique. Les ouvrages de
Léonard ont été exécutés entre 1532 et 1574, et,
contemporains avec lui florissaient un grand nombre
d’artistes émailleurs, dont plusieurs l’ont égalé, si non
surpassé dans leurs productions ; tels sont, entre autres,
Pierre Raymond, la famille des Pénicaud et celle des
Courtey, Jean et Susanne Court, et M. D. Pape. Pierre, l’aîné
de la famille des Courtey était non seulement un excellent
artiste, mais il jouissait de la réputation d’avoir fait les plus
grands émaux qu’on eût jamais exécutés ; ils sont au nombre
de douze, dont neuf se trouvent au musée de l’Hôtel de
Cluny, et les trois autres, au dire de M. Labarte, sont en
Angleterre. Ces émaux avaient été fabriqués pour la
décoration de la façade du château de Madrid, pour la
construction et l’embellissement duquel, François Ier et
Henri II dépensèrent des sommes considérables. Nous ferons
remarquer que les artistes de Limoges, dans cette dernière
phase de l’art de l’émaillure, ne se limitèrent pas, comme ils
l’avaient fait précédemment, à la reproduction de sujets

386
sacrés ; mais même les plus distingués parmi eux, ne
dédaignèrent pas de modeler des vases, des cassettes, des
cuvettes, des aiguières, des coupes, des plateaux, et une
variété d’autres objets à l’usage journalier, qu’on couvrait
d’abord entièrement d’émail noir, et qu’on décorait ensuite
de médaillons, etc. en blanc opaque. Au commencement de
ce nouveau genre de manufacture, les artistes prenaient la
plupart de leurs sujets, des gravures de Martin Schöen,
d’Israel van Mecken, et autres artistes allemands ; puis ils
copièrent celles de Marc Antoine Raimonds et autres artistes
italiens ; et enfin vers le milieu du seizième siècle ils
reproduisirent les ouvrages de Virgile Solis, Théodore de
Bry, Étienne de l’Aulne, et autres petits-maîtres.
Les ateliers de Limoges employés à la fabrication des
émaux peints, étaient en pleine activité pendant le quinzième
siècle, le seizième, le dix-septième et une grande partie du
dix-huitième, époque à la quelle l’art s’éteignit entièrement.
Les derniers artistes émailleurs furent les Nouaillers et les
Laudin, dont les meilleurs ouvrages se font remarquer par
l’absence des paillons, et par un dessin d’un style tant soit
peu indécis.
Il ne nous reste plus, en terminant, qu’à engager les
étudiants et les artistes à cultiver les beautés du style de la
renaissance, avec un soin égal à celui qu’ils devront apporter
à en éviter les extravagances. Lorsqu’un art permet une
grande liberté à l’artiste, celui-ci encourt une aussi grande
responsabilité, qu’un politique dans la science du
gouvernement. Dans les styles où l’imagination ne peut être

387
arrêtée que par une force intérieure, il est du devoir de
l’artiste de tenir en bride sa puissance inventive. Qu’il
emploie les ornements en abondance s’il le désire ; mais que
ses compositions respirent un air de modestie et de
convenance, tenant un juste milieu entre l’exagération et une
trop grande simplicité. Si son imagination ne lui est pas
propice, qu’il se contente de produire des formes fleuronnées
d’ornements conventionnels, genre qui plaît toujours à l’œil
et ne demande pas de grands efforts d’esprit ; et s’il désire
ensuite attirer l’attention par la reproduction
comparativement directe d’objets matériels, il n’en sera que
plus certain d’atteindre son but. Dans un style, comme celui
de la renaissance qui, non seulement permet, mais même
exige le concours des autres arts, l’artiste ne doit jamais
perdre de vue les spécialités de chacun des arts
individuellement. Qu’il les tienne comme les différents
membres d’une famille bien réglée, dans les relations les
plus intimes et les plus harmonieuses, mais qu’il ne permette
jamais à aucun parmi eux d’empiéter sur les prérogatifs d’un
autre, ni même de quitter son département pour envahir celui
de son voisin. Ainsi réglés et contenus, les styles les plus
nobles, les plus riches, et les mieux adaptés aux besoins
multiples d’un système social des plus artificiels, seront ceux
qui, comme la renaissance, exigeront le concours de
l’architecture, de la peinture, de la sculpture, et la plus
grande perfection technique en industrie, pour réaliser les
conditions qui sont essentielles et indispensables pour
produire l’effet voulu.

388
OUVRAGES AUXQUELS NOUS AVONS EU RECOURS POUR LES
ILLUSTRATIONS LITTÉRAIRES ET PITTORESQUES.

ALCIATI (A.) Emblemata D. A. Alciati, denuo ab ipso Autore recognita ;


ас, quæ desiderabantur, imaginibus locupletata. Accesserunt noua
aliquot ab Autore Emblemata suis quoque eiconibus insignita. Petit
in-octavo., Lyons, 1551.
ANTONELLI (G.) Collezione dei migliori Ornamenti antichi, sparsi nella
città di Venezia, coll’aggiunta di alcuni frammenti di Gotica
architettura e di varie invenzioni di un Giovane Alunno di questa I.
R. Accademia. In-quarto, oblong, Venise, 1831.
BALTARD. Paris, et ses Monumens, mésurés, dessinés, et gravés, avec des
Descriptions Historiques, par le Citoyen Amaury Duval : Louvre, St.
Cloud, Fontainebleau, Château d’Ecouen, &c. 2 vol. grand in-folio.
Paris, 1803-5.
C. BECKER ET J. VON HEFNER. Kunstwerke und Geräthschaften des
Mittelalters und der Renaissance. 2 vol. in-quarto. Francfort, 1852.
ВЕRGАМО STEFANO DA. Wood-Carvings from the Choir of the Monastery
of San Pietro at Perugia, 1535. (Cinque-cento.) D’après des Dessins
par Raphaël, dit-on.
BERNARD (A.) Recueil d’Ornements de la Renaissance. Dessinés et
gravés à l’eau-forte. In-quarto, Paris. Pas de date.
CHAPUY. Le Moyen-Age Pittoresque. Monumens et Fragmens
d’Architecture, Meubles, Armes, Armures, et Objets de Curiosité Xe
au XVIIe Siècle. Dessiné d’après Nature, par Chapuy, &c. Avec un
texte archéologique, descriptif, et historique, par M. Moret. 5 vol.
petit in-folio. Paris, 1838-40.
CLERGET ET GEORGE. Collection portative d’Ornements de la
Renaissance, recueillis et choisis par Ch. Ernest Clergel. Gravés sur

389
cuivre d’après les originaux par C. E. Clerget et Mme. E. George. In-
octavo. Paris, 1851.
D’AGINCOURT, J. B. L. G. S. Histoire de l’Art par ses Monuments, depuis
sa Décadence au IVe siècle, jusqu’à son Renouvellement au XVIe.
Ouvrage enrichi de 525 planches. 6 vol. in-folio, Paris, 1823.
DENNISTOUN (J.) Memoirs of the Dukes of Urbino, illustrating the Arms,
Arts, and Literature of Italy from 1440 to 1630. 8 vol. in-octavo.
Londres, 1851.
DEVILLE (A). Documents inédits sur l’Histoire de France. Comptes de
Dépenses de la Construction du Château de Gaillon, publiés
d’après les Registres Manuscrits des Trésoriers du Cardinal
d’Amboise. Avec un Atlas de Planches. In-quarto. Paris, 1850.
———— Tombeaux de la Cathédrale de Rouen ; avec douze planches,
gravées. In-octavo. Rouen, 1837.
DURELLI (G. & F.) La Certosa di Pavia, descritta ed illustrata con tavole,
incise dai fratelli Gaetano e Francesco Durelli. 62 planches. In
folio, Milan, 1853.
DUSSIEUX (L.) Essai sur l’Histoire de la Peinture sur Émail. In-octavo.
Paris, 1839.
GAILHABAUD (J.) L’Architecture du Ve. au XVIe. Siècle et les Arts qui en
dépendent, le Sculpture, la Peinture Murale, la Peinture sur Verre,
la Mosaïque, la Ferronnerie, &c., publiés d’après les travaux inédits
des Principaux Architectes Français et Étrangers. In quarto. Paris,
1851, et seq.
GHIBERTI (LORENZO). Le tre Porte del battisterio di San Giovanni di
Firenze. 46 planches gravées au trait, par Lasinio, avec une
description en Français et en Italien. In-folio, demi-reliure in
marroquin, Firenze, 1821.
HOPFER. Collection of Ornaments in the Grotesque Style.
IMBARD. Tombeaux de Louis XII. et de François I., dessinés et gravés au
trait, par E. F. Imbard, d’après des Marbres du Musée des Petits
Augustins. Petit in-folio, Paris, 1823.
JUBINAL (A.) Recherches sur l’Usage et l’Origine des Tapisseries à
Personnages, dites Historiées, depuis l’Antiquité jusqu’au XVIe.
Siècle inclusivement. In-octavo. Paris, 1840.

390
DE LABORDE (LE COMTE ALEXANDRE). Les Monumens de la France,
classés chronologiquement, et considérés sous le Rapport des Faits
historiques et de l’Étude des Arts. 2 vol. in-folio. Paris, 1816-36.
DE LABORDE. Notice des Émaux exposés dans les Galeries du Musée du
Louvre. Première partie, Histoire et Descriptions. In-octavo. Paris,
1852.
LABARTE (J.) Description des Objets d’Art qui composent la Collection
Debruge-Duménil, précédée d’une Introduction Historique. In-
octavo. Paris, 1847.
LACROIX ET SERÉ. Le Moyen Âge et la Renaissance, Histoire et
Description des Mœurs et Usages, du Commerce et de l’Industrie,
des Sciences, des Arts, des Littératures, et des Beaux Arts en
Europe. Direction Littéraire de M. Paul Lacroix. Direction
Artistique de M. Ferdinand Seré. Dessins fac-similes par
M. A. Rivaud. 5 vol. in quarto. Paris, 1848-51.
LENOIR (ALEX.) Atlas des Monumens des Arts libéraux, mécaniques, et
industriels de la France, depuis les Gaulois jusqu’au règne de
François I. In-folio, Paris, 1828.
—— Musée des Monumens Français : ou Description historiqueet
chronologique des Statues en Marbre et en Bronze, Bas-reliefs et
Tombeaux des Hommes et des Femmes célèbres, pour servir à
l’Histoire de France et à celle de l’Art. Ornée de gravures et
augmentée d’une Dissertation sur les Costumes de chaque siècle. 6
vols. in-octavo., Paris, 1800-6.
MARRYAT (J.) Collections towards a History of Pottery and Porcelain in
the Fifteenth, Sixteenth, Seventeenth, and Eighteenth Centuries, with
a Description of the Manufacture ; a Glossary, and a List of
Monograms. Illustrated with Coloured Plates and Woodcuts. In-
octavo. Londres, 1850.
MORLEY (H.) Palissy the Potter. The Life of Bernard Palissy, of Saintes,
his Labours and Discoveries in Art and Science, with an outline of
his Philosophical Doctrines, and a Translation of Illustrative
Selections from his Works. 2 vol. in-octavo. Londres, 1852.
PASSERI (J. B.) Histoire des Peintures sur Majoliques faites à Pésari et
dans les lieux circonvoisins, décrite par Giambattista Passeri (de

391
Pésaro). Traduite de l’Italien et suivie d’un Appendice par Henri
Delange. In-octavo. Paris, 1853.
QUERIERE (E. DE LA). Essai sur les Girouettes, Épis, Crêtes, &c., des
Anciens Combles et Pignons. Avec de nombreuses planches
représentant des anciens Combles et Pignons. Paris, 1846.
RENAISSANCE. La Fleur de la Science de Pourtraicture et Patrons de
Broderie. Façon Arabicque et Ytalique. Cum Privilegio Regis. In-
quarto. Paris.
REYNARD (О.) Ornemens des Anciens Maîtres des XV., XVI., XVII. et
XVIII. Siècles. 30 planches reproduisant des copies de quelques unes
des gravures les plus anciennes et les plus rares d’Ornements, de
Caractères Alphabétiques, d’ouvrages en argent. In-folio, Paris,
1844.
SERÉ (F.) Les Arts Somptuaires de Ve. au XVIIe Siècle. Histoire du
Costume et de l’Ameublement en Europe, et des Arts que en de
pendent. Petit in-quarto. Paris, 1853.
SOMMERARD (A. DU.) Les Arts au Moyen Âge. (Collection de Hôtel de
Cluny.) Texte, 5 vol. in-octavo ; Planches, 6 vol. in-folio. Paris,
1838-46.
VERDIER ET CATTOIS. Architecture Civile et Domestique au Moyen Âge et
à la Renaissance. In-quarto. Paris, 1852.
WARING AND MACQUOID. Examples of Architectural Art in Italy and
Spain, chiefly of the 13th and 16th centuries. In-folio, Londres,
1850.
WILLEMIN (N. X.) Monuments Français inédits, pour servir à l’Histoire
des Arts, depuis le VIe. siècle jusqu’au commencement du XVIIe.
Choix de Costumes civiles et militaires, d’Armes, Armures,
Instruments de Musique, Meubles de toute espèce, et de Décorations
intérieures et extérieures des Maisons, dessinés, gravés, et coloriés
d’après les originaux. Classés chronologiquement, et accompagnés
d’un texte historique et descriptif, par André Pottier. 6 vol. petit in-
folio, Paris, 1806-39.
WYATT, M. DIOBY, ET J. B. WARING. Hand-book to the Renaissance Court
in the Crystal Palace, Sydenham. Londres, 1854.
WYATT, M. DIGBY. Metal Work and its Artistic Design. Londres, 1851.

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393
394
395
396
397
398
399
400
401
402
1. ↑ Nous maintenons cet emploi de l’italien trecento parce qu’il figure dans
l’original anglais : « Nicola Pisano and other masters of the trecento, or
thirteenth century ». Nicola Pisano, né vers 1230 et mort vers 1280,
appartient au duecento. De même plus loin, l’auteur utilise le terme
« cinque-cento » pour désigner le XVe siècle. (Note Wikisource.)

403
CHAPITRE XVIII. — PLANCHES 83, 84,
85.

ORNEMENTS DU TEMPS
D’ÉLISABETH.

PLANCHE LXXXIII.
1. Le centre de l’ornement d’une cheminée en
pierre qui se trouvait autrefois au Palais
Royal de Westminster, et qui est placée
actuellement dans la garde-robe dela
Cour des Juges de Queen’s Bench.
2. Sculptures en pierre d’une vieille maison
de Bristol. Jacques I.
3. Frise, de Goodrich Court, Herefordshire.
Du temps de Henri VIII. ou d’Klizabeth.
Travail flamand.
5 et 7.Sculptures en bois de Burton Agnes, dans
le York shire. Jacques I.

404
6. Sculpture en bois au dessus de la porte
d’une maison près de Norwich.
Élisabeth.
8. Sculptures en bois d’un prie-dieu de
l’église de Pavennam, Bedfordshire.
Jacques I.
9. Sculptures en bois d’une cheminée, Old
Palace, Bromley, près de Bow. Jacques I.
10 et 15. Sculptures en pierre d’un tombeau de
l’Abbaye de Westminster. Jacques I.
11 et 12.
13. Sculptures en bois, Montacute, dans le
Somersetshire. Élisabeth.
14. Sculptures en pierre, Crewe Hall. Jacques
I.
16. Sculptures en bois de la Halle de Trinity
Collége, Cambridge.

PLANCHE LXXXIV.
1. Ornement en pierre, Burton Agnes,
Yorkshire. Jacques I.
2. Ornement en peinture, de l’escalier de
Holland House, Kensington. Jacques I.
3. Sculptures en bois. Holland House.
4. Idem, idem.
5. Sculptures en bois, Aston Hall,
Warwickshire. Epoque avancée de

405
Jacques I.
6. Pris d’une vieille chaise. Élisabeth.
7. Ornement en pierre d’un des tombeaux de
Westminster. Élisabeth.
8. 9. Ornements de Burton Agnes, Yorkshire.
Jacques I.
10. Ornements diaprés en bois, Old Palace,
Enfield. Élisabeth.
11. Ornements diaprés en bois, Aston Hall.
Jacques I.
12 et 16. Ornements en bois des bancs de
l’église de Pavenham, Bedfordshire.
Jacques I.
13 et 14. Pris de Burton Agnes. Les derniers qui
aient été publiés de la période de Charles
II.
15, 24,26. Ornements diaprés en pierre, Crewe
Hall, Cheshire. Jacques I.
17. Ornement d’une cheminée en marbre,
Little Charlton House, Kent.
18 et 20. Ornements en bois, dans la maison de
Peter Paul Pindar, Bishopsgate. Jacques
I.
19 et 21. Ornements en bois de Burton Agnes,
Yorkshire. Jacques I.
22. Pris d’un cabinet. Jacques I. Travail
français.

406
23. Pris d’un tombeau de l’Abbaye de
Westminster. Jacques I.
25. Pris d’un tombeau, Aston Church. Jacques
I.
27. Sculptures en bois de l’escalier d’Aston
Hall, Warwickshire. Époque avancée de
Jacques I.
28. Décoration en plâtre d’un plafond à
panneaux de Cromwell Hall, Highgate.
Charles II.

PLANCHE LXXXV.
1, 15,18. Ornements diaprés de Burton Agnes,
Yorkshire.
2. Ornements diaprés en bois, de la Halle de
Trinity Collége, Cambridge.
6 et 8. Idem, idem. Dernière époque de Jacques
I.
3. Pris de la draperie d’un tombeau de
Westminster. Élisabeth.
4. Ornements diaprés en bois, pris d’une
vieille maison à Enfield. Jacques I.
5. Ornements diaprés en plâtre, d’une vieille
maison près de l’église de Tottenham.
Élisabeth.

407
7. Tapisserie travaillée à l’aiguille. Élisabeth.
(J de grandeur.) Prise de la collection de
M. Mackinlay. Le fond est vert-clair ; le
sujet jaune clair, bleu, ou vert ; et les
contours sont en cordon de soie jaune.
9. Motif pris de la draperie d’un tombeau de
Westminster. ÉLisabeth.
10. Pris d’une couverture en damas d’une
chaise qui se trouve à Knowle, Kent.
Jacques I.
11. Ouvrage à l’aiguille appliqué. Jacques I. ou
Charles I. Tiré de la collection de M.
Mackinlay. Le fond est rouge foncé ; les
ornements sont en soie jaune ; et les
contours en cordon de soie jaune.
12. 14,
16, 17. Motifs pris de robes de vieux
portraits. Élisabeth ou Jacques I.
13. Ouvrage à l’aiguille appliqué. Par un
artiste italien. Jacques I. ou Charles I.

ORNEMENTS DU TEMPS
D’ÉLISABETH.

408
Avant de donner la description des traits qui caractérisent
le style qu’on appelle généralement le style du temps
d’Élisabeth nous croyons devoir tracer succintement
l’origine de la rénovation de l’antique en Angleterre, et ses
progrès successifs, jusqu’au moment où elle est parvenue à
triompher et à l’emporter complètement sur le style
gothique, au seizième siècle. La première introduction de la
renaissance en Angleterre date de l’an 1518, époque à
laquelle Torrigiano composait, par ordre de Henri VIII., un
monument consacré à la mémoire de Henri VII., monument
qui se trouve encore actuellement à l’abbaye de
Westminster, et qui présente un exemple à peu près pur du
style italien de cette époque. Le monument de la comtesse
de Richmond à Westminster dans le même style, date de la
même époque ; le dessin en a été fourni également par
Torrigiano qui se rendit, peu de temps après, en Espagne,
laissant en Angleterre plusieurs Italiens, attachés au service
de Henri, qui devaient naturellement contribuer à propager
le goût pour ce genre de style. Parmi les noms de l’époque
qiri sont parvenus jusqu’à nous, nous citerons ceux de
Girolamo da Trevigi, employé à la fois comme architecte et
comme ingénieur ; de Bartolomeo Penni et d’Antony Poto
(del’Nunziata), peintres ; et de Benedetto da Rovezzano,
fameux sculpteur florentin. Ajoutons à cette liste le nom de
Jean de Padoue, qui appartient à une période plus récente, et
qui a eu, à ce qu’il paraît, plus d’ouvrage que tous les
autres ; il a fourni, entre autres le dessin de l’ancien
Somerset House, en 1549. Cependant ce n’a pas été
purement et exclusivement l’influence italienne qui a
409
contribué à développer en Angleterre le nouveau style,
puisque nous rencontrons, à la même époque les noms de
Gerard Hornebande, ou Ilorebout, de Gand, de Lucas
Cornelis, de John Brown, et d’Andrew Wright, sergents-
peintres du Roi. En 1520, le célèbre Holbein vint en
Angleterre ; et c’est à lui et à Jean de Padoue que revient le
mérite d’avoir naturalisé en Angleterre le nouveau style,
modifié par le génie individuel et l’éducation germanique
de l’un, et par les modèles, et les réminiscences locales d’où
découlaient les inspirations de l’autre, qui a reproduit dans
ce pays, non sans des modifications considérables, plusieurs
des formes qui caractérisaient la première école vénitienne
de la renaissance. Holbein mourut en 1554, mais Jean de
Padoue lui survécut bien des années, et c’est lui qui fournit
le dessin du superbe hôtel Longleat vers l’an 1570. À
l’occasion des funérailles d’Édouard VI., 1553, mention est
faite dans le règlement de la procession, (Archœol. vol. XII.,
1796) des noms d’Antony Toto (cité ci-dessus), de Nicholas
Lyzarde, peintres, et de Nicholas Modena, sculpteur ; tous
les autres noms des maîtres-maçons, etc. sont Anglais. À
une époque plus récente, pendant le règne d’Élisabeth, nous
ne trouvons que deux noms italiens à savoir celui de
Federigo Zucchero) dont la maison à Florence dessinée, dit
on, par lui-même tendrait plutôt à prouver que le style
d’architecture anglais a exercé de l’influence, sur lui que
vice versâ, et de Pietro Ubaldini, peintre de livres
enluminés.

410
C’est la Hollande qui fournit à l’Angleterre le plus grand
nombre des artistes de cette époque, pendant laquelle se
forma véritablement le style dit du temps d’Élisabeth :
Lucas de Heere de Gand, Cornelius Ketel de Gouda, Marc
Garrard de Bruges, H. C. Vroom de Haarlem, peintres ;
Richard Stevens, hollandais, qui a exécuté le monument de
Sussex, à l’église de Boreham, Suffolk ; et Théodore
Haveus, de Clèves, l’architecte des quatre portes,
Humilitatis, Virtutis, Honoris, et Sapiential, de Caius
Collége, Cambridge, et qui a dessiné et exécuté, en outre, le
monument du Docteur Caius, vers l’an 1573. À la même
époque nous rencontrons déja une nombreuse phalange
d’artistes anglais, dont nous citerons comme le, s plus
remarquables les architectes, — Robert et Bernard Adams,
les Smitbsons, Bradshaw, Harrison, Holte, Thorpe, et Shute
(celui-ci a été l’auteur du premier ouvrage scientifique en
anglais, sur l’architecture, 1563) ; Hillier orfèvre et
bijoutier ; et Isaac Oliver, peintre de portraits. La plupart
des architectes que nous venons de nommer exerçaient leur
art au commencement du dix-septième siècle, époque à
laquelle la publication des « Elements of Architecture, » [1]
par Sir Henry Wooton, contribua à répandre l’étude du
nouveau style. Bernard Jansen et Gerard Chrismas, natifs de
Hollande l’un et l’autre, jouissaient d’une grande vogue
pendant le règne de Jacques I. et de Charles I., et la façade
de Northumberland House, Strand, est leur œuvre.
Quelque temps avant la fin du règne de Jacques I. — i. e.
en 1619 — le nom de Inigo Jones marque à peu près la

411
décadence complète du style du temps d’Élisabeth,
décadence dont la reconstruction du palais de Whitehall
donna le signal, fournissant en même temps un exemple qui
ne pouvait manquer de produire une révolution complète
dans l’art. Du reste, le style « Palladien » du seizième siècle
avait été introduit déja auparavant par Sir Horatio
Pallavicini, qui appliqua ce style à sa maison (démolie à
présent) à Little Shelford, Cambridgeshire ; et quoique
Nicholas Stone et son fils, architectes et sculpteurs, aient
continué à suivre l’ancien style, dans les monuments
funèbres surtout, celui-ci céda bientôt la place au genre plus
pur, mais moins pittoresque des meilleures écoles
italiennes.
Ainsi en partant de 1519, époque d’où datent les œuvres
de Torrigiano à Westminster, et descendant à la date de
1619, époque à laquelle Inigo Jones commença la
construction de Whitehall, nous embrassons le siècle du
style du temps d’Élisabeth, et la plupart des œuvres
exécutées pendant ce temps appartiennent à la période dite
Élisahéthéenne.
Dans la liste des artistes que nous avons donnée ci-
dessus, on remarque un mélange variable de noms italiens,
hollandais, et anglais. Dans la première période, règne de
Henri VIII., ce sont les Italiens qui prédominent, au nombre
desquels nous croyons pouvoir placer le célèbre Holbein,
car ses ouvrages de luxe en métal, etc. — comme par
exemple le gobelet qu’il a dessiné pour Jane Seymour, le
poignard et l’épée faits probablement pour le roi — sont

412
empreints d’une grace et d’une pureté de style dignes de
Cellini lui-même. Les arabesques qu’il a peintes dans le
grand tableau de Henri VIII. et de sa famille, au palais de
Hampton Court, quoiqu’elles soient, tant soit peu,
grotesques et lourdes n’en sont pas moins des imitations
soignées des modèles du cinque-cento ; et le plafond de la
chapelle royale du palais de St. James, dessiné par lui en
1540, est dans le style dont il y a nombre de beaux
exemples à Venise et à Mantoue.
Pendant le règne d’Élisabeth nous remarquons une
grande prépondérance d’artistes hollandais, car une
sympathie politique et religieuse liait alors l’Angleterre à la
Hollande ; et quoique ces artistes soient désignés pour la
plupart comme peintres seulement, il ne faut pas perdre de
vue, qu’à cette époque les arts étaient intimement liés les
uns avec les autres, et ce n’était pas chose rare que de voir
des peintres occupés à dessiner des modèles pour
ornements, tant peints que sculptés, et même des modèles
d’architecture ; d’un autre côté les peintres trouvaient dans
les accessoires de leurs tableaux mêmes de la place pour les
dessins d’ornements, comme on peut le voir, par exemple,
dans le portrait de la reine Marie, peint par Lucas de Heere,
tableau qui a des compartiments à panneaux d’entrelacs
géométriques, remplis de fleurons. Nous pouvons donc
conclure, que pendant la plus grande partie du règne
d’Élisabeth les états protestants des Pays-Bas et de
l’Allemagne [2] exercèrent une influence importante sur les
arts en Angleterre. Ce fut à la même époque que fut bâti le

413
château de Heidelberg (1556-1559), qui a dû produire de
l’effet sur les arts en Angleterre, d’autant plus qu’Élisabeth,
fille de Jacques I. tenait sa cour comme reine de Bohême, à
ce château, au commencement du dix-septième siècle.
Dans la dernière partie du règne d’Élisabeth et pendant le
règne de Jacques I. les artistes anglais étaient très
nombreux, et avaient, à ce qu’il paraît, tout le champ à eux,
libre de tout concurrent, à l’exception de Jansen et de
Chrismas ; c’est donc à cette période que nous devons nous
attendre à trouver une école véritablement anglaise.
Effectivement c’est à cette époque qu’appartiennent les
artistes anglais dont les noms sont associés avec la
construction et la décoration concomitante de bâtiments,
tels que Audley End, Holland House, Wollaton, Knowle et
Burleigh.
De même, on doit s’attendre à trouver dans les œuvres
des artistes du règne de Henri, des ornements purement
italiens ; comme c’est le cas en effet, non-seulement dans
les sujets dont nous avons parlé déjà, mais aussi dans les
exemples donnés planche LXXXIII., Nos. 1 et 3. Sous
Élisabeth nous ne trouvons qu’une imitation légère des
modèles italiens, et une adoption complète du style
d’ornement pratiqué par les artistes décorateurs de
l’Allemagne et des Pays-bas. Sous le règne de Jacques I.
nous retrouvons le même style, continué par les artistes
anglais d’une manière plus large, comme on peut le voir
aux Nos. 5 et 1 1 de la planche LXXXIV., pris d’Aston
Hall, construit dans la dernière partie de ce règne. Aussi,

414
cette époque offre-t-elle fort peu de ce qu’on puisse appeler
original dans le caractère des ornemsnts, lesquels ne sont
que des modifications de modèles étrangers. Déja à la fin du
quinzième siècle on peut découvrir le germe des
enroulements à jour qui caractérisent cette époque dans les
ouvrages décoratifs de l’Italie, tels que vitraux peints et
livres enluminés. Les superbes ordures ornées, etc. de
Giulio Clovio (1498-1578), élève de Giulio Romano,
représentent déjà sur différents points, l’enroule ment, les
bandelettes, les pointes de diamants et les festons qui
caractérisent le style du temps d’Élisabeth ; la même chose
se voit dans les vitraux peints de la bibliothèque
Laurentienne de Florence, par Giovanni da Udine (1487-
1564) ; cette ressemblance est encore plus frappante dans
les frontispices du grand ouvrage de Serlio sur
l’architecture, publié à Paris en 1545. Quant à l’autre trait
caractéristique qui distingue principalement les ornements
du temps d’Élisabeth, savoir les entrelacs à rubans
compliqués et capricieux, il faut en chercher l’origine dans
les dessins aussi excellents que nombreux des graveurs, qui
étaient connus sous le nom de « petits-maîtres » de
l’Allemagne et des Pays-bas, tels que Aldegrever, Virgilius
Solis de Nuremberg, Daniel Hopfer d’Augsbourg, et
Theodor de Bry, qui ont présenté au monde, dans le courant
du seizième siècle, un grand nombre de dessins à ornements
gravés. N’oublions pas de parler des compositions, tant
pour l’architecture que pour l’ornement, publiées à la fin du
même siècle par W. Dieterlin, compositions capricieuses et
d’un caractère tout-à-fait élisabéthêen, lesquelles, au dire de
415
Vertue, ont servi à Chrismas pour ses dessins de la façade
de Northumberland House. Tels sont les sources, d’où le
style dit élisabêthéen a tiré ses principaux fondements.
Remarquons ici que la décoration doit évidemment varier
en caractère, selon les différents sujets et les divers
matériaux auxquels elle s’applique, loi æsthétique
parfaitement reconnue par les maîtres italiens, qui se
gardaient bien d’appliquer aux œuvres de sculpture et
d’architecture le style appartenant à la peinture, qu’ils
reléguaient dans ses justes limites, ne s’en servant que pour
les livres enluminés, les gravures et les métaux
damasquinés ; mais il n’en fut pas ainsi des artistes qui
travaillaient en Angleterre à l’époque dont nous traitons ici,
bien au contraire, ceux-ci faisaient entrer le style de
l’ornement peint, dans toutes les branches de l’art, et ils
reproduisaient jusque dans leurs bâtiments, les caprices
illimités et bizarres de l’artiste décorateur, tels qu’ils les
trouvaient dans les gravures.
Quant aux principaux traits caractéristiques des
ornements du temps d’Élisabeth, — les voici : la variété
grotesque et compliquée des enroulements travaillés à jour
et pourvus de bords boucles ; les entrelacs à rubans
représentant quelquefois des motifs géométriques, mais plus
généralement des dessins flottants et capricieux, comme on
peut le voir, par exemple, au No. 12, planche LXXXIII., et
aux Nos. 26 et 27, planche LXXXIV. ; les rubans à lacet et
à pointes de diamant ; les contours courbes et rompus ; les
monstres et animaux grotesques entremêlés ça et là de

416
dessins larges et flottants, représentant des ornements de
branches et de feuilles naturelles, comme on en voit au No.
7, planche LXXXIII., et dont il existe encore un superbe
exemple au plafond de la grande galerie de Burton Agnes,
Yorkshire ; les ornements à balle et à pointes de diamants et
les compartiments en panneaux remplis de feuillage ou de
blasons ; les voussoirs et les tasseaux grotesques si
généralement en usage ; et enfin la hardiesse qui distingue
les sculptures, tant en pierre qu’en bois, qui sont pleines
d’effet quoiqu’elles soient exécutées grossièrement.
Contrairement à ce que l’on voit dans les premiers
exemples de la renaissance sur le continent, surtout en
France et en Espagne, les ornements du temps d’Élisabeth
ne s’appliquaient pas sur des formes gothiques, mais le
fondement, ou la masse architecturale, était, à l’exception
des fenêtres, d’un caractère essentiellement italien, marqué
par l’application grossière des ordres de l’architecture l’un
sur l’autre ; l’extérieur des murs étant garni de corniches et
de balustrades, et les murs de l’intérieur étant bordés de
frises et de corniches et surmontés de plafonds plats ou
voûtés ; même les pignons aux contours convexes et
concaves, qui sont si communs dans ce style, étaient fondés
sur les modèles de la première école de la renaissance à
Venise.
Les motifs diaprés en couleur exécutés sur bois, sur les
vêtements des statues monumentales, et sur la tapisserie,
trahissent pour la plupart plus de justesse et de pureté de
dessin que ceux des sculptures ; les couleurs, d’ailleurs, en

417
sont riches et fortement marquées. Ces étoffes étaient, en
grande partie, le produit des métiers de la Flandre, et, dans
quelques cas, de ceux de l’Italie ; — la première fabrique
indigène de ce genre n’a été établie qu’en ICI 9 à Mortlake.
Les Nos. 9, 10, 11, et 13, planche LXXXV. sont ceux qui
trahissent le cachet le plus essentiellement italien, parmi
tous les exemples donnés ; et on affirme même que le No. 1
3 est l’œuvre d’un artiste italien. Les Nos. 12, 14, et 16, qui
portent également le cachet du caractère italien, sont pris de
portraits de l’époque d’Élisabeth et de Jacques I., ouvrages
de quelques artistes hollandais ou italiens probablement.
Les Nos. 1, 4, 5, 15, et 18, quoiqu’ils soient exécutés dans
le goût italien, se distinguent par une grande originalité ;
tandis que les Nos. 6 et 8 appartiennent au style
élisabêthéen ordinaire. On conserve encore un bel exemple
d’ornements en couleur, exécutés sur le poêle appartenant à
la compagnie des ferronniers, daté de 1515, dont le fond est
d’or, décoré d’un motif riche et flottant de pourpre ;
semblable sous tous les rapports aux devants d’autel peints,
ou antependiums, de Santo Spirito, Florence, (quinzième
siècle) et fabriqué probablement en Italie.
À l’église Ste. Marie, Oxford, on conserve une riche
tenture de chaire, au fond d’or et ornée d’un motif en bleu ;
et à Hardwick Hall, Derbyshire, se trouve une belle piècé de
tapisserie avec un motif en fil d’or et de cramoisi sur un
foud de soie jaune. Mais le plus beau specimen, peut-être,
de ce genre d’ouvrage, c’est le poêle de velours cramoisi
orné d’un dessin travaillé en or, [3] fait dans la première

418
partie du seizième siècle et appartenant à la compagnie des
selliers. Quoique, dans les exemples dont nous venons de
parler, comme dans ceux donnés à la planche LXXXV.,
l’effet soit produit principalement par l’emploi de deux
couleurs seulement, il y a un grand nombre d’autres
spécimens où l’on trouve toutes les variétés de couleur
employées copieusement ; l’or cependant prédomine
toujours sur les couleurs — goût dérivé probablement de
l’Espagne, où la découverte des mines d’or du nouveau
monde avait conduit à l’usage démesuré de l’or comme
moyen de décoration, pendant le règne de Charles V. et
celui de Philippe II. On peut voir un bel exemple de ce
style, dans la cheminée magnifique ornée de sculptures
élaborées et dorées combinées avec du marbre noir, qu’on
conserve actuellement dans l’appartement du gouverneur à
Charter-house.
Vers le milieu du dix-septième siècle, toutes les marques
caractéristiques les plus prononcées de ce style avaient
expiré complètement ; et nous voyons s’éteindre, non sans
quelque regret, cette richesse, cette variété et ce goût du
pittoresque, qualités prédominantes de ce style, lequel, tout
dépourvu qu’il fut de bons principes moteurs, et tout sujet
qu’il fut à s’éparpiller et à tomber en confusion, ne pouvait
manquer néanmoins de pénétrer le spectateur d’une certaine
impression de noblesse et de grandeur.
J. B. WARING.

419
OUVRAGES CONSULTÉS.
H. SHAW. Dresses and Decorations of the Middle Ages.
„ The Decorative Arts of the Middle Ages.
„ Details of Elizabethan Architecture.
C. J. RICHARDSOB. Studies of Ornamental Design.
„ Architectural Remains of the Reigns of
Elizabeth and James I.
„ Studies from Old English Mansions.
JOSEPH NASH. The Mansions of England in the Olden Time.
S. C. HALL. The Baronial Halls of England.
JOSEPH GWILT. Encyclopedia of Architecture.
HORACE WALPOLE. Anecdotes of Painting in England.
Archœulogia, vol. XII. (1796).
The Builder (plusieurs sujets par С. J. RICHARDSON), 1846.
DALLAWAY. Anecdotes of the Arts in England.
CLAYTON. The Ancient Timber Edifices of England.
BRITTON. Architectural Antiquities of Great Britain.

420
421
422
1. ↑ On dit que les ouvrages de Lomazzo et de De Lorme ont été traduits en
Anglais pendant le règne d’Élisabeth, mais nous n’en avons jamais vu un
seul exemplaire.
2. ↑ Le monument remarquable de Sir Francis Vcre (temps de Jacques I.), à
Westminster est presque identique pour le dessin avec celui d’Engelbert
de Nassau, à la cathédrale de Breda (seizième siècle).
3. ↑ Voyez l’ouvrage superbe de Shaw, « Arts of the Middle Ages. »

423
CHAPITRE XIX. — PLANCHES 86, 86*,87,
88, 89, 90.

O R N E M E N T S I TA L I E N S .

PLANCHES LXXXVI. ET
LXXXVI*.
Série d’arabesques, peintes à fresque par
Giovanni da Udine, Perino del Vaga, Giulio
Romano, Polidoro da Carravaggio,
Francesco Penni, Vincenzio da San
Gimignano, Pellegrino da Modcna,
Bartolomeo da Bagnacavallo, et peut-être
par d’autres artistes, d’après les dessins de
Raphaël, et choisies parmi les décorations
des loges, ou arcade centrale du Vatican,
Rome.

424
PLANCHE LXXXVII.
Série d’arabesques peintes à fresque sur un fond
blanc, prises du palais ducal à Mantoue.

PLANCHE LXXXVIII.
Série d’arabesques peintes à fresque sur des
fonds en partie coloriés, prises pour la plupart du
palais ducal à Mantoue.

PLANCHE LXXXIX.
Série d’arabesques peintes à fresque sur des
fonds entièrement coloriés, prises des
décorations du palais ducal à Mantoue,
exécutées d’après les dessins de Giulio Romano.

PLANCHE XC.
Série de spécimens de décorations
typographiques du seizième siècle en Italie et en
France, pris des ouvrages publiés par les Aldine,
les Gianta, les Stephan et d’autres imprimeurs
célèbres.

425
Le mouvement vers la rénovation de l’antique, qui avait eu
lieu en Italie, pendant le quinzième siècle, mais seulement en
partie et d’une manière imparfaite, devint, peu après le
commencement du seizième siècle, systématique, et prit
conséquemment une nouvelle vigueur, grace principalement
aux arts de l’imprimeur et du graveur, qui aidèrent
puissamment à rendre cette rénovation populaire, en plaçant
rapidement entre les mains de tous les artistes éminents en
Italie et même hors de ce pays, des traductions de Vitruvius
et d’Alberti, ornées de nombreuses illustrations et
accompagnées de savants commentaires ; et avant la fin du
siècle, les traités écrits par Serlio, Palladio, Vignola et
Rusconi offraient un témoignage permanent du zèle avec
lequel les monuments de l’antiquité avaient été étudiés. Mais
de même que les besoins du système social italien du
seizième siècle différaient de ceux de l’époque impériale de
Rome, ainsi nécessairement la nature des monuments créés
pour satisfaire à ces besoins, différa de celle des monuments
de l’ancienne Rome. Dans le style de la renaissance du
quinzième siècle, l’artiste avait principalement dirigé son
attention à imiter les ornements de l’antiquité ; dans celui du
seizième, son attention fut dirigée principalement vers la
rénovation des proportions antiques des cinq ordres, en
même temps que celles de la symétrie architecturale, en
général : l’ornement pur avait été, en grande partie, négligé
dans ses détails, et n’était plus considéré, dans son ensemble,
que comme un accessoire décoratif de l’architecture. Les arts

426
qui, pendant le
quinzième siècle,
avaient été
fréquemment réunis
dans les maestri,
sous la direction
desquels on avait
exécuté de grands
monuments,
devinrent
individualisés, au
seizième siècle. Le
génie d’un Raphaël
et d’un Michel Ange
— ces géants
d’intelligence —
pouvait seul
maintenir les triples
attributs de la
peinture, de
l’architecture et de
la sculpture dans une
subordination Ornement
relative et vertical, de
convenable ; lors Gènes.
que, dans la suite,
des hommes tels que Bernini et
Pietro da Cortona tentèrent des
combinaisons semblables, ils
Panneau de soffite prise d’un des

427
palais génois. n’arrivèrent à produire, à peu de
chose près, qu’une confusion générale, qu’un effet manqué.
Comme les règles de l’art devinrent plus compliquées, des
académies s’établirent, dans lesquelles on introduisit un
système de division à l’égard du travail ; d’où il résulta, à
quelques rares exceptions près, que les architectes ne
songèrent guère plus qu’à des plans, des coupes et des
élévations, dans lesquels les colonnes, les arches, les
entablements, etc. accaparaient toute leur attention ; et que
les Panneau de soffite prise d’un des palais génois. Ornement
vertical, de Gènes. peintres travaillèrent davantage dans leurs
studios, et moins dans les bâtiments que leurs ouvrages
devaient orner, négligeant entièrement de s’occuper de l’effet
général des décorations, et ne visant qu’à la précision
anatomique, aux effets puissants de clair-obscur, à une
composition de maître, d’un traite ment large et d’un ton
chaleureux. Les sculpteurs d’un ordre élevé, abandonnèrent
la sculpture ornementale et concentrèrent presque
exclusivement leur attention, aux statues et aux groupes
isolés, ou aux monuments, dans lesquels la beauté de l’effet
général était subordonnée au seul développement des
caractères plastiques. La composition des ornements fut
laissée, en grande partie, au hasard ou au caprice ; et
l’exécution en fut confiée à des artistes de second ordre. Les
gravures ci-contre repré sentent des spécimens frappants, de
ce genre d’ornements. Mais les arabesques peintes dans le
style italien et les stucchi qui les accompagnaient
quelquefois, se distinguent de ces ornements d’une manière
si remarquable, que nous croyons devoir les réserver pour

428
une notice toute spéciale. Quoique l’architecture du palais
Pandolfini à Florence, et du palais Caffarelli, ci-devant
Stoppani, à Rome, œuvres de Raphaël, soit d’une grande
perfection, néanmoins, comme ce grand artiste doit sa
célébrité, comme ornemaniste, à ses arabesques, nous n’en
parlerons pas ici. Nous ne nous arrêterons pas non plus aux
ouvräges de Baldassare Peruzzi, tout intéressants qu’ils sont ;
parce que, à l’égard du moins de l’ornementation, ils se
rapprochent tellement de l’antique, qu’ils n’offrent aucune
individualité frappante. Quant à Bramante, on doit le
considérer plutôt comme un artiste de la période de la
renaissance, que sous tout autre point de vue. C’est le grand
artiste florentin, dont le génie ardent et impatient de toute
contrainte, se débarrassa de toutes les entraves de la tradition,
qui fournit le germe de cette originalité opiniâtre, laquelle se
communiquant à tous ses contemporains dans toutes les
différentes parties de l’art, amena une licence qui, (ce serait
vain de vouloir le nier) finit, entre des mains plus faibles que
les siennes, par amener un écart de la voie du bon goût et du
raffinement, dans toutes les branches de l’art.
Michel Ange naquit en 1474 de la noble famille florentine
des Buonarrotti, descendants des comtes de Canossa : il fut
élève de Domenico Ghirlandaio ; et s’étant fait remarquer de
bonne heure, par son talent pour la sculpture, il fut invité à
venir étudier à l’école fondée pour la culture de cet art par
Laurent de Medicis. Lors du bannissement de la famille des
Medicis, de Florence, en 1494, Michel Ange se retira à
Bologne, où il travailla au tombeau de St. Dominique ; après
quelque temps il retourna à Florence, et avant l’âge de vingt-

429
trois ans il avait exécuté son célèbre « Cupidon » ainsi que
son « Bacchus. » L’exécution de maître de la première de ces
statues, lui valut l’invitation de se rendre à Rome, où, parmi
un grand nombre d’autres ouvrages de cet artiste, se trouve
« la Piété, » sculptée sur la commande du cardinal
d’Amboise, et qui est maintenant à St. Pierre. Après la Piété,
son ouvrage le plus important fut la statue gigantesque de
« David, » qui se trouve à Florence. À l’âge de vingt-neuf
ans il retourna à Rome, où Jules II. l’appela pour ériger son
mausolée ; le « Moïse » de St. Pierre in Vincoli, et les
« Esclaves, » au musée du Louvre, avaient été, dans
l’origine, destinés à décorer ce monument, qui fut achevé sur
une échelle plus petite que celle sur laquelle on avait eu
l’idée d’abord de le construire. Il travailla ensuite aux
peintures de la chapelle Sistine, peintures qui, soit que nous
en considérions la sublime composition, ou que nous
prenions en considération l’influence qu’elles exercèrent sur
l’art contemporain et des temps qui suivirent, doivent être
rangées parmi ses plus grandes œuvres. En 1541, il acheva sa
grande peinture à fresque du « Jugement dernier, » exécutée
pour le pape Paul III. Le reste de sa vie, il s’occupa
principalement de la construction de St. Pierre, à laquelle il
travailla jusqu’à sa mort en 1564, et pour laquelle il ne voulut
jamais accepter aucune rémunération.
Pendant sa longue vie, Michel Ange, dans toutes ses
productions, semble avoir été possédé du désir incessant de
la nouveauté, aspiration qui, captivant toute son attention, l’a
empêché de s’occuper de l’étude de là perfection seule. Ses
innovations hardies dans l’ornementation ne sont pas moins

430
frappantes, que celles qu’il tenta dans les autres départements
de l’art. Ses larges frontons et ses moulures grandioses d’une
composition brisée, ses consoles et ses enroulements si
majestueux, son imitation directe de la nature, à une légère
exagération près, dans quelques unes de ses décorations, et la
grande étendue de surface unie qu’il conservait toujours dans
ses compositions architecturales, fournirent à l’arène
artistique de nouveaux éléments, dont s’emparèrent
avidement des hommes d’une puissance inventive moindre
que celle dont il était doué. Michel Ange produisit une vraie
révolution dans l’école romaine de dessin : — Giacomo della
Porta, Domenico Fontana, Bartolomeo Ammanati, Carlo
Maderno et Vignola lui-même, en ce qui regarde
l’ornementation, adoptèrent, avec un petit nombre des
beautés de ce grand artiste, un grand nombre de leurs défauts,
dont le plus grand était une exagération outrée. À Florence,
Baccio Bandinelli et Benvenuto Cellini étaient parmi le
nombre de ses ardents admirateurs et de ses imitateurs zélés.
Venise, heureusement, échappa jusqu’à un certain point, à la
contagion générale, ou du moins elle y résista plus longtemps
que presque tout autre endroit de l’Italie. Elle dut cette
immunité, en grande partie, à l’influence bienfaisante d’un
génie moins hardi que celui de Michel-Ange, mais beaucoup
plus raffiné, et presque tout aussi universel. Nous faisons
allusion au plus grand des deux Sansovino — à Jacopo.
Ce grand artiste naquit, en 1477, à Florence, d’une
ancienne famille. Ayant montré de bonne heure, un goût
remarquable pour l’étude de l’art, il fut placé par sa mère
sous Andrea Contucci de Monte Sansovino, dont nous avons

431
déja parlé dans le chapitre XVII., et qui travaillait alors à
Florence ; « Celui-ci s’aperçut bientôt, » dit Vasari, « que le
jeune homme promettait de devenir un artiste éminent. »
L’attachement qui se forma entre le maître et l’élève assuma
une telle intensité, que le public finit par les regarder, pour
ainsi dire, comme père et fils, et on ne donna plus à Jacopo le
nom de « de’Tatti, » mais bien celui de « di Sansovino ; »
nom qui lui est resté jusqu’à nos jours et qui lui sera toujours
donné. S’étant fait remarquer à Florence par son talent, et
étant considéré comme un jeune homme d’un grand génie et
d’une réputation des plus honorables, il fut conduit à Rome
par Giuliano da San Gallo, architecte du pape Jules II. À
Rome il attira l’attention de Bramante et exécuta, sous sa
direction, une grande copie en cire du « Laocoon, »
concouramment avec d’autres artistes, parmi lesquels se
trouvait Alonzo Berruguete, le célèbre architecte espagnol ;
son ouvrage fut déclaré le meilleur ; on le coula en bronze et
le cardinal de Loraine qui en devint, en dernier lieu, le
possesseur, l’emporta en France en 1534. San Gallo tomba
malade et fut obligé de quitter Rome ; Bramante procura un
logement à Jacopo dans la même maison qu’habitait Pietro
Perugino, qui était alors occupé à peindre un plafond pour le
pape Jules dans la Torre Borgia ; il fut si content du travail de
Jacopo, qu’il le chargea de préparer un grand nombre de
modèles en cire, pour son propre usage. Dans la suite Jacopo
se lia avec Luca Signorelli, Bramantino di Milano,
Pinturicchio et Cesare Cesariano, célèbre par ses
commentaires sur Vitruvius ; et il fut enfin présenté au pape
Jules qui l’employa. Il était sur la voie des honneurs et de la

432
fortune, lorsqu’il tomba sérieusement malade et fut obligé de
retourner dans sa ville natale, où il se rétablit bientôt ; il
concourut avec Bandinelli et d’autres artistes pour
l’exécution d’une grande statue en marbre, et remporta le
prix sur ses compétiteurs. De nombreuses commandes lui
arrivèrent alors et lui procurèrent une occupation
continuelle ; entre autres ouvrages, il exécuta à cette époque
pour Giovanni Bartelini, son beau « Bacchus » qui se trouve
maintenant dans la galerie degli Uffizii à Florence.
En 1514, on fit à Florence de grands préparatifs pour
l’entrée dans cette ville de Léon X. ; Jacopo fut employé à
préparer les dessins des arcs de triomphe et des statues. Le
pontife en fut tellement satisfait, que Jacopo Salviati mena
son ami Sansovino baiser le pied du pape, qui le reçut avec la
plus grande bonté. Sa Sainteté lui donna immédiatement la
commande de préparer un dessin pour la façade de San
Lorenzo à Florence, qu’il exécuta, à ce qu’il paraîtrait, avec
tant de talent, à la satisfaction de tout le monde, que Michel-
Ange qui devait concourir avec lui pour la surintendance de
la construction de cet édifice, en éprouva une certaine
jalousie, et usant de ruse, réussit à empêcher le succès mérité
de Sansovino ; car, dit Vasari, « Michel-Ange était déterminé
à garder tout pour lui-même. » Nullement découragé, malgré
cela, il continua à rester à Rome, où il fut employé à exécuter
des ouvrages de sculpture et d’architecture ; il eut le grand
honneur de voir son plan de l’église de St. Jean des
Florentins, choisi de préférence à ceux de Raphaël,
d’Antonio da Sangallo, et de Balthazar Peruzzi, ses
compétiteurs. Pendant qu’il surveillait le commencement des

433
travaux, il tomba, et se fit tellement mal, qu’il fut obligé de
quitter la ville. Différentes circonstances amenèrent la
suspension des travaux, jusqu’au pontificat de Clément,
époque à laquelle Jacopo retourna à Romе, et se remit au
travail. Dès cette époque il fut employé dans tous les travaux
d’importance qui furent entrepris dans cette ville, jusqu’à la
prise et au sac de cette ville par les Français, 6 Mai 1527.
Jacopo chercha un refuge à Venise, ayant l’intention de
visiter ensuite la France, dont le Roi lui avait offert de
l’emploi. Le Doge, Andrea Gritti, le persuada cependant de
rester à Venise et d’entre prendre la restauration des coupoles
de St. Marc. Il exécuta si bien ce travail qu’il fut nommé
Proto-Maestro de la république, avec la jouissance d’une
maison et d’un revenu annuel. Il remplit les devoirs de cet
emploi avec une telle sagacité et une telle diligence, que par
suite de différents changements et améliorations qu’il fit dans
la ville, il augmenta les revenus de l’État. Parmi les plus
beaux ouvrages qu’il exécuta à Venise — ouvrages qui du
reste peuvent être rangés parmi les plus beaux de l’art italien
— nous mentionnerons la libreria Vecchia, la zecca ou hôtel
de la monnaie, les palais Cornaro et Moro, la loge autour de
la campanile de St. Marc, l’église de San Georgio dei Greci,
les statues de l’escalier du géant, le monument de Francesco
Veniero, et les portes de bronze de la sacristie. Vasari nous le
représente comme un homme d’un caractère aimable et
agréable, d’une grande sagacité et d’une activité rare. Il
parait avoir joui de l’estime général. Parmi ses nombreux
élèves, nous mentionnerons Tribolo et Solosmeo Dánese,
Cattaneo Girolamo de Ferrara, Jacopo Colonna de Venise,

434
Luco Lancia de Naples, Bartolommeo Ammanati, Jacopo de
Medici de Brescia, et Alessandro Vittoria de Trent. Il mourut
le 2 Novembre 1570, à l’âge de quatre-vingt-treize ans ; « et
(comme nous le rapporte Vasari) quoique sa vie s’éteignît
dans le cours naturel des lois de la nature, tout Venise pleura
sa mort. » C’est principalement à l’heureuse influence
exercée par Sansovino, que l’école de Venise doit sa célébrité
pour ses ouvrages d’ornements en bronze.
Si nous quittons maintenant l’Italie et que nous passons en
France, nous reprendrons le fil des progrès nationaux,
interrompus par l’introduction dans ce pays des artistes
italiens engagés au service de Francois 1er (circa 1530) qui
formèrent « l’École de Fontainebleau, » dont le chef le plus
populaire était Primaticcio. Le style de dessin de cet artiste
était fondé, quant aux proportions, sur le système adopté par
Michel-Ange, mais ses figures aux membres un peu grêles,
offraient à la vue des lignes serpentantes, et d’une grace
quelque soit peu artificielle. La manière toute particulière,
dont les maîtres de Fontainebleau arrangeaient et
représentaient les draperies, exerça une influence singulière
sur les artistes français, non seulement dans le département
de leur art, mais dans l’ornement en général. Les plis
chiffonnés des vêtements, tout particuliers à cette école,
disposés non pas d’une manière naturelle, mais de manière à
remplir le mieux, les vides qui se trouvaient dans l’ensemble
de la composition, amena une légèreté générale dans le
traitement de semblables objets, et donna naissance à ce style
flottant, et tout à part, qu’on peut facilement découvrir dans
tous les ouvrages des artistes qui se sont appliqués à

435
reproduire le style en vogue à cette époque. Parmi les plus
distingués de ces artistes se fait remarquer le célèbre Jean
Goujon, né au commencement du seizième siècle, doué, du
reste, d’un talent d’une originalité des plus remarquables. Ses
principaux ouvrages, dont la plupart heureuse ment existent
encore aujourd’hui, sont : — la fontaine des innocents, Paris
(1550) ; la galerie de la salle des cent Suisses, maintenant des
Caryatides, supportée par quatre figures colossales de
femmes, qu’on range parmi ses meilleurs ouvrages ; la
célèbre Diane de Poitiers, connue sous le nom de Diane
chasseresse ; un très beau petit bas-relief du même sujet ; les
portes en bois de l’église de St. Maclou à Rouen ; les
sculptures de la cour du Louvre ; et enfin le Christ au
tombeau, dans le musée du Louvre. Goujon partagea
chaudement l’enthousiasme produit universellement par la
découverte des écrits de Vitruvius, et il écrivit même un essai
à ce sujet dans la traduction qu’en fit Martin. Il fut
malheureusement tué pendant le massacre de la St.
Barthélemy, pendant qu’il travaillait sur un échafaud au
Louvre, en 1572. Barthélemy Prieur, encore plus imbu que
lui de l’esprit italien de l’école de Fontainebleau, faillit
partager le même sort. Cet artiste ne fut sauvé que grace à la
protection du connétable de Montmorency, dont il était
destiné à élever l’effigie monumentale. Jean Cousin, le plus
ardent disciple du système adopté par Michel-Ange dans les
proportions des formes, était contemporain de Goujon et de
Prieur. Il est principalement connu, comme nous l’avons déjà
constaté (chapitre XVII.) comme dessinateur, par ses vitraux
peints, et comme sculpteur, par la belle statue qu’il fit de

436
l’amiral Chabot. Parmi la bande artistique de cette époque,
Germain Pilon, né à Loué, près de Mans, tenait une place
proéminente. Les statues du couvent de Soulesmes font
partie de ses premiers ouvrages. Son père l’envoya à Paris
vers 1550, et en 1557, son monument de Guillaume Langei
du Bellay fut placé dans la cathédrale de Mans. Il exécuta
vers la même époque les monuments de Henri II. et de
Catherine de Médicis, dans l’église de St. Denis, près de
Paris, d’après les dessins de Philibert de Lorme. Le
monument du chancelier de Birague est considéré comme un
de ses meilleurs ouvrages.
Le magnifique groupe, si bien connu, des trois Graces,
maintenant au Louvre, taillé dans un seul bloc de marbre,
était destiné à supporter une urne contenant les cœurs de
Henri II. et de Catherine de Médicis. Afin de donner une idée
du style ornemental de Pilon nous avons reproduit, planche
LXXVI., No. 9, la base du monument dont le groupe des
Graces devait faire partie. Les statues et les bas-reliefs du
monument de François 1er sont par Pilon et Pierre Bontemps.
On ne connaît aucun ouvrage du premier de ces artistes,
exécuté après 1590, année que Kugler donne comme la date
de sa mort.
La longueur des membres et la grace artificielle
particulières à l’école de Fontainebleau, furent portées aux
dernières limites de l’extravagance par Pierre Francheville,
né à Cambray en 1548, qui introduisit en France le style de
Jean de Bologne, dont il avait été l’élève pendant plusieurs
années, style qui présentait dans les formes une exiguïté et
une longueur encore plus grandes. Pour arriver à une juste
437
idée du caractère particulier du style d’ornement qui
prédominait à cette époque, et qui servit de transition pour
arriver au style généralement connu sous le nom de style
Louis XIV., on ne peut mieux faire que d’examiner les
ornements de l’appartement de Marie de Médicis au
Luxembourg, Paris, exécutés vers l’an 1620.
Le style de Le Pautre, artiste d’un grand talent et d’une
grande fertilité d’imagination, devint ensuite en vogue. La
gravure de la page suivante donne une idée de ce style.
Il serait peut-être bien, cessant de nous occuper pour un
moment des ornements sculptés italiens et français, de diriger
notre attention sur les ornements peints ; d’autant plus que
dans le court espace de temps, pendant lequel se manifesta un
zèle des plus grands pour la conservation des anciens
vestiges de la décoration polychromatique des Romains, on
atteignit à un très haut degré de perfection et de beauté. On
doit toujours se rappeler qu’il existait une très grande
différence entre les arabesques peintes et les arabesques
sculptées des anciens. Au commencement de la renaissance,
ces dernières furent presque entièrement négligées, tandis
que les premières furent imitées avec le plus grand succès,
comme on peut le voir par les pilastres de panneaux, si pleins
d’intérêt, dessinés par Baccio Pintelli pour l’église de St.
Augustin à Rome, et que représentent nos gravures de la
page 144.
À l’étude des anciennes sculptures des Romains et des
Grecs, suivit naturellement celle des décorations de
l’antiquité en marbre et en pierre, qu’on trouvait en

438
abondance dans toute l’Italie, et que découvraient les
excavations de chaque jour — tels que des restes, tantôt
parfaits, tantôt brisés, de vases, d’autels, de frises, de
pilastres, etc. décorés d’ornements ; des groupes ou des
statues, des bustes ou des têtes sur médaillons ou sur fonds
architecturaux ; des fruits, des fleurs, des feuillages et des
animaux, entremêlés de tablettes de diverses formes, portant
des inscriptions allégoriques. Une variété infinie de ces
objets d’une beauté exquise attirait l’attention des artistes de
cette époque, lesquels se rendaient à Rome dans le seul but
d’en prendre le dessin. En se servant des sujets qu’ils avaient
esquissés pour former les arabesques modernes, il était
presque impossible que dans le commencement, les artistes
pussent éviter de communiquer à leurs peintures, quelque
chose du cachet formel et matériel des objets sculptés d’après
lesquels ils avaient fait leur dessins originaux.
Cette circonstance peut expliquer, jusqu’à un certain point,
les différences qu’on ne peut manquer de découvrir entre
l’imitation et l’objet imité, dans le grand nombre des
premières tentatives de reproduire les décorations peintes de
l’époque impériale romaine. Parmi les artistes qui se
vouèrent avec ardeur à l’étude de l’antique, nul ne se fit plus
remarquer que Pietro Perugino, pendant le séjour qu’il fit à
Rome à la fin du quinzième siècle. Nous avons une preuve
manifeste des résultats auxquels il arriva, par suite des études
approfondies qu’il fit des ornements de l’antiquité, dans la
commande

439
Panneau de plafond, d’après un dessin par Le Pautre.

qu’il reçut de ses concitoyens de décorer le plafond du palais


de la bourse, ou « Sala di Cambio, » de fresques qui devaient
reproduire avec fidélité et vigueur, le style des anciens et
certains sujets tirés de l’antique. Cette belle œuvre, vraiment
artistique, fut exécutée par Perugino peu après son retour de
Rome à Perugia, et prouve d’une manière évidente combien
cet artiste avait puisé avec fruit à la source classique de l’art
antique. Cet ouvrage est, sans aucun doute, la première
reproduction complète des grotesques des anciens, et il
possède un intérêt tout particulier, non seulement parce qu’il
établit le droit de Perugino d’être considéré comme le
premier grand rénovateur fidèle de ce style gracieux, mais
440
aussi pour avoir été « la pièce d’épreuve » d’un genre auquel
tant de mains novices se sont dans la suite exercées, dont les
effortsfinirent par lui faire atteindre à la plus grande
perfection.
Les principaux élèves de Perugino, dont les travaux
aidèrent matériellement cet artiste dans l’exécution de ces
fresques gracieuses, furent Raphaël, alors âgé de seize ou de
dix-sept ans ; Francesco Ubertini, plus connu sous le nom de
Bacchiaca ; et Pinturicchio. Il est curieux de tracer
l’influence que le succès de cette première tentative exerça
sur l’avenir de ces trois jeunes étudiants. Il procura d’abord à
Raphaël et à Pinturicchio la commande de décorer, de
concert, la célèbre bibliothèque de Sienne, et dans la suite
engagea le premier à se livrer à la culture de ce genre
d’ornements, dont nous pouvons admirer les heureux
résultats dans la composition des arabesques inimitables des
loges du Vatican, etc., etc., et plaça le second artiste en
mesure d’exécuter les décorations du plafond du chœur de
Sta. Maria del popolo ; et de l’appartement Borgia, etc. à
Rome. Quant à Bacchiaoca il devint si entièrement épris de
ce style, qu’il dévoua toute sa vie d’artiste à peindre des
animaux, des fleurs, etc. pour des décorations grotesques ; et
il finit par acquérir dans toute l’Italie, une grande célébrité
pour la perfection de ce genre de composition.
Pour le dessin habile et libre, les couleurs harmonieuses, la
touche brillante, la balance parfaite des « pieni » et des
« vuoti, » et l’imitation fidèle des peintures des anciens
Romains, les fresques de la « Sala di Cambio » de Perugia
sont au nombre des plus parfaites qui aient jamais été
441
exécutées, quoique, sous le rapport de la
délicatesse, du fini et du raffinement, on
doive à peine s’attendre à ce qu’elles
puissent égaler les productions subséquentes
de Giovanni da Udine et de Morto da Feltro.
Raphaël, pendant le séjour qu’il fit à
Rome, sous le pontificat de Léon X., reçut de
ce pontife, la commande de décorer une
arcade qui avait été construite pendant le
règne de Jules II, par Bramante son beau-
père.
Il fut arrêté que l’ensemble des
décorations de cette arcade devait représenter
un sujet sacré, mais que le style et
l’exécution devaient rivaliser avec les plus
beaux restes des peintures anciennes
découvertes à Rome, jusqu’à cette époque.
La partie principale de la composition paraît
avoir été exécutée par Raphaël lui-même, et
les détails semblent avoir été confiés à une
bande d’assistants de choix, qui apportèrent
incontestablement un zèle des plus grands à
la réalisation de ce grand ouvrage. Ce fut par
leurs mains, guidées par le goût exquis du
grand artiste d’Urbin, qu’ont été crées les
décorations des célèbres loges, les quelles
depuis leur exécution n’ont jamais cessé
d’exciter l’admiration de tous les artistes.
Nous avons reproduit sur les planches
A b d i é
442
Arabesque dessinée
LXXXVI. et LXXXVI*. un
par Baccio Pintelli
choix, fait avec soin, des
pour l’église St.
principaux sujets de ces
Augustin, Rome.
décorations.
On ne saurait, avec justice, comparer ces
arabesques avec celles qu’on possède encore
de l’antiquité ; car celles-là ont été exécutées
par les plus grands maîtres de l’époque, pour
servir de décoration à un édifice des plus
magnifiques et des plus importants, tandis
que ces dernières appartiennent à une époque
moins remarquable sous le rapport de l’art, et
ont servi à décorer des bâtiments bien moins
importants relativement à la magnificence
des empereurs romains, que l’est le Vatican à
l’égard de la splendeur de l’époque papale.
La comparaison deviendrait plus équitable, si
nous pouvions faire revivre les gloires fanées
du palais des César, ou de « la maison
dorée » de Néron.
« Les différentes parties des arabesques de
l’antiquité, étaient presque toujours
dessinées sur une échelle réduite, afin de
favoriser l’étendue apparente du local
qu’elles étaient appelées à décorer ; en outre
elles décelaient une proportion générale entre
les différentes parties. Elles ne présentent pas
à l’œil, sous le rapport de l’échelle
proportionnelle qui devrait exister entre les
A b d i é
443
Arabesque dessinée
différents sujets, les différences frappantes
par Baccio Pintelli
qu’on trouve dans les arabesques de
Raphaël, dont les différentes parties sont pour l’église St.
Augustin, Rome.
tantôt d’une largeur outrée, tantôt d’une
petitesse extrême. Nous y voyons quelquefois les sujets les
plus larges, placés à côté ou au-dessus de ceux d’une
moindre dimension, ce qui augmente d’autant plus le
désaccord qui existe déjà dans la composition, et choque, en
outre, l’œil, autant par le manque de symétrie que par le
mauvais choix des sujets eux-mêmes. Ainsi à côté des
arabesques les plus riches, représentant sur une très petite
échelle, des combinaisons élégantes et minutieuses de fleurs,
de fruits, d’animaux, de figures humaines, de vues de
temples, de paysages, etc., nous trouvons d’autres
arabesques, représentant des calices de fleurs, d’où s’élancent
des tiges tordues, des feuilles et des fleurs, qui toutes,
relativement aux premières arabesques, sont d’une
proportion colossale ; nuisant ainsi non seulement à l’effet
des autres décorations, mais détruisant aussi la grandeur de la
composition architecturale dans son ensemble. En dernier
lieu, si nous examinons le choix des sujets, à l’égard de
l’association des idées qu’ils sont appelés à faire naître, et les
décorations des symboles et des allégories employés pour les
exprimer, nous trouvons que les ouvrages des anciens, qui ne
puisaient à aucune autre source que dans leur mythologie, ont
un avantage marqué, sous le rapport de l’unité de la
composition, si nous les comparons avec le mélange qui
prédomine dans les arabesques des loges, représentant un
monde imaginaire à l’aide des symboles du christianisme. »

444
Telles sont, entre autres, les conclusions générales aux
quelles est arrivé M. Hittorff, qui a étudié si à fond la
polychromie ancienne ; et il serait impossible d’en contester
la justesse. Cependant, tout en condamnant les fautes
d’ensemble, nous ne devons pas perdre de vue, la grace
exquise des détails, que le pinceau de Raphaël et de ses
élèves a enfantée. « Si nous passons du Vatican à la villa
Madama, nous trouvons, aussitôt que nous entrons dans le
vestibule de cette résidence, que les divisions des décorations
produisent un effet général moins confus : il existe une
proportion mieux réglée et une plus grande symétrie ; les
superbes plafonds, malgré la multiplicité de leurs ornements,
produisent un effet plus agréable et plus calme. Les
principaux sujets, qui représentent des scènes prises de la
mythologie païenne, offrent à la vue une unité d’ensemble
qui se rapproche davantage du caractère des ouvrages de
l’antiquité. Si nous adoptons l’opinion générale, que ce bel
ouvrage a été conçu par Raphaël, en imitation des arabesques
qui ornent les loges, et exécuté entièrement par Giulio
Romano et Giovanni da Udine, nous voyons que les élèves
favoris de ce maître incomparable ont réussi à éviter les
fautes contre le bon goût, que lui-même et ses contemporains
n’ont pu manquer de reconnaître dans sa première œuvre,
toute favorable qu’elle ait été reçue par la voix unanime, non
seulement des courtisans mais même des artistes. » Les
arabesques de cette charmante retraite sont peintes, pour la
plupart, sur des fonds de couleur, et, en cela, elles diffèrent
de celles du Vatican qui sont exécutées, en général, sur des
fonds blancs ; à l’égard de cet emploi de fonds de couleur,

445
Giulio Romano paraît avoir été plus partial que Raphaël ou
Giovanni da Udine.
La villa a été bâtie, sur les dessins de Raphaël, par
Romano et son collègue, pour le pape Clément VII. lorsqu’il
était encore le cardinal Giulio de Médicis. Les travaux
n’étaient pas encore entièrement terminés qu’ils furent
détruits par le cardinal Pompeo Colonna, qui voulut se
venger de Clément VII., lequel avait brulé quatorze de ses
châteaux dans la Campagna de Rome. Cette villa tombe
aujourd’hui en ruines ; mais la magnificence des trois arches
qui existent encore, suffit pour nous faire voir que le plan en
était digne de Raphaël ; car il n’y a aucun doute que c’est
l’œuvre de ce grand maître, comme le prouve une lettre de
Castiglione à Francesco Marcia, duc d’Urbino, ainsi que
quelques dessins, qui, de même que la lettre, existent encore
aujourd’hui.
Après la confiscation des biens de la famille des Médicis,
en 1537, la villa Madama fut achetée par Marguerite, fille de
Charles V. et veuve du duc Alexandre de Médicis ; et c’est du
titre de cette princesse qu’elle tire son nom de Madama.
Cette résidence fut alors, en partie, restaurée, quoiqu’elle
n’ait jamais été entièrement achevée, et Marguerite l’habita
après son mariage avec Ottavio Farnese. Elle devint ensuite,
avec les autres biens des Farnese, la propriété de la couronne
de Naples, par suite d’un mariage entre les deux familles.
Les élèves et les imitateurs de Raphaël ont exécutés un si
grand nombre d’arabesques, et ils atteignirent dans cet art, à
un si haut degré de perfection, qu’il est difficile aujourd’hui

446
de savoir, d’une manière positive, à qui nous sommes
redevables, des belles arabesques qui décorent encore, de nos
jours, un grand nombre des palais et des maisons de
campagne dans le voisinage de Rome. Après la mort
prématurée de Raphaël, les liens de fraternité, qui avaient uni
la société des artistes rassemblés autour de lui, furent brisés,
et ceux, qui avaient travaillé avec tant de talent sous lui, se
répandirent dans diverses directions, en Italie, emportant
avec eux l’expérience et les connaissances qu’ils avaient
acquises, en exécutant les grands travaux confiés à ce grand
maître. C’est de cette

Partie d’un plafond, en stuc, du palais Mattei di Giove, Roma, par Carlo
Maderno.

447
manière que les éléments des décorations d’arabesques
peintes furent disséminés dans toute la péninsule. Ces
artistes, cependant, trahirent dans leurs ouvrages, en
proportion qu’ils se trouvèrent éloignés de l’influence
classique de Rome, un style moins pur de décorations, et une
plus grande tendance à produire des effets pittoresques ; et
dans le dix-septième siècle, les arabesques disparurent
complètement pour faire place à un style de décorations
fastueuses, qui convenaient à l’extravagance de l’architecture
somptueuse, chérie et propagée par les Jésuites. Du temps de
Bernini et à une époque plus récente, du temps de Borromini,
les artistes, dans leurs ouvrages de stuc donnaient un champ
libre à toutes les fantasies de leur imagination, et le
malheureux peintre, devait se contenter des ouvertures
rétrécies laissées entre les ailes battantes et les draperies
flottantes des anges et des saints suspendus dans l’air, à des
voutes et à des dômes, où il ne pouvait guère mettre autre
chose que les jongleries du père Pozzo et de son école.
Avant de quitter entièrement le sujet des arabesques, nous
ferons bien peut-être d’indiquer l’origine de quelques
anomalies qui existent dans ce genre d’ornementation,
considéré sous ses divers aspects locaux. L’influence exercée
sur les différents styles, par les restes de l’antiquité, s’est
faite naturellement sentir plus particulièrement dans les
endroits où on les a découverts en plus grand nombre. Ainsi à
Rome, l’école de peinture en arabesques se rapprochait de
très près de l’antique, tandis qu’à Mantoue, à Pavie et à

448
Gênes, etc., on reconnaissait l’existence d’autres influences,
d’autres types entièrement distincts les uns des autres. À
Mantoue, par exemple, le système d’ornementation pouvait
se subdiviser dans l’école de la représentation des objets
naturels, et celle dont toutes les productions étaient d’un
conventionnel outré frisant même la caricature —
importation de Giulio Romano, et reflet du paganisme favori
de Rome. Les fresques gracieuses dont nous avons reproduit
de nombreux spécimens sur les planches LXXXVII. et
LXXXVIII., exécutées, pour la plupart, sur un fond blanc,
ont été prises des appartements déserts du palais ducal de
Mantoue, où les ravages du temps les auront bientôt
entièrement détruites. On y voit fréquemment des feuilles,
des fleurs et des tendrons entourant un roseau central, comme
aux Nos. 7 et 9 de la planche LXXXVII. ; — composition
qui paraît tirer son inspiration directe de la nature. Dans
d’autres exemples, comme dans les Nos. ], 2, 3, 4, 5 et 6 de
la même planche, on trouve un style tout de convention, où la
main de l’artiste dessine, guidée seulement par les fantaisies
de son imagination, une série continuelle, rarement
monotone, de courbes et d’enroulements, dont les points
principaux sont accentués par des calices de fleurs, et dont
les lignes dominantes sont ornées, et de temps à autre
interrompues par un feuillage de plantes parasites.
Les spécimens, Nos. 1, 2, 4 et 5, de la planche
LXXXVIII., présentent une différence frappante de style
dans la décoration du même bâtiment. L’artiste, dans ces
exemples, s’est éloigné encore davantage de la nature, tout en
conservant une mode de représentation encore plus

449
pittoresque, que dans les premiers exemples d’un style
beaucoup plus pur. Loin de nous de vouloir affirmer qu’on ne
puisse arriver à exécuter des ornements de l’ordre le plus
élevé, en fait de beauté, et du caractère le plus
architectonique, dans une composition basée sur des
reproductions d’objets entièrement de convention ; mais il est
certain que pour être agréable, une telle composition doit être
traitée d’une manière simple, et dessinée à plat, sous le
rapport du clair-obscur et des couleurs. La manière de varier
le traitement de l’ornement, doit être en proportion directe de
la différence plus ou moins prononcée, que les éléments, dont
l’ornement se compose, présentent à l’égard de l’aspect
ordinaire de la nature. Ainsi dans les belles arabesques de la
planche LXXXVII. qui représentent, librement esquissées
d’après nature, les formes de certaines plantes qui croissent
dans les jardins et dans les champs, une certaine délicatesse
de modelé et l’indication d’un effet accidentel, sont
permises ; mais il ne peut en être de même, lorsque, comme
dans les spécimens de la planche LXXXVIII., les arabesques
sont formées d’objets tout de convention ; là, un traitement
semblable nous paraît affecté et faible. On peut déjà tracer
dans la confusion des lignes, dans les rubans flottants, et dans
les formes vagues ornées de pierres précieuses du No. 5,
ainsi que dans les masques et les bonnets de fous monotones
du No. 1 (planche LXXX.) — cette tendance à la caricature,
qui a tant défiguré les productions, que le génie de Romano
enfantait avec une puissance de main de maître, mais
malheureusement avec une trop grande fécondité. Tant que
l’exubérance du génie de ce grand artiste s’est trouvée

450
contrôlée par l’association d’artistes d’un goût plus pur que
le sien, comme dans ses ouvrages à la villa Madama et à
Rome, on ne peut trouver que peu de chose à lui reprocher ;
mais lorsque dans la suite, devenu le « Gran Signore » à
Mantoue, il devint énivré d’orgueil, il produisit des œuvres,
toujours grandes et belles à la vérité, mais dans lesquelles il
n’entre pas peu de ce qui est ridicule.
Les spécimens de ses arabesques que nous avons
rassemblés à la planche LXXXVIII. montrent à la fois son
talent et sa faiblesse comme ornemaniste. Incapable de se
débarrasser des souvenirs qu’il avait de l’antique, et en même
temps trop égoïste, dans sa vanité, pour se contenter d’en
faire une reproduction fidèle, lorsqu’il puisait à cette source,
il laisse entrevoir dans les sujets qu’il en empruntait, un
aspect d’incertitude, qu’on trouve bien rarement dans les
spécimens que nous possédons de l’antiquité. Les sujets qu’il
tirait de la nature sont traités tout aussi mal : il ne cueillait les
fleurs dont le sein de la nature est orné, que pour les écraser
dans son étreinte grossière. Il existe, néanmoins, une
hardiesse dans ses productions fantasques, et une sureté de
main dans le dessin des cambrures de ses enroulements, qui
lui assurent une place honorable dans le temple des arts. De
même que « Van qui manquait de grâce, mais jamais
d’imagination, » c’est sous le rapport du bon goût dont il a
été, de son temps, un des principaux arbitres, que Griulio
Romano faillit fréquemment, comme le prouvent plusieurs
des ornements que nous avons reproduits à la planche
LXXXIX., qui sont principalement pris du palais del Te, à
Mantoue. Ainsi le No. 2 nous représente un enroulement

451
dessiné avec hardiesse, mais dont l’effet est entièrement
abîmé par l’objet ridicule d’où il s’élance ; le No. 3 nous
offre des masques absurdes qui semblent ricaner des formes
gracieuses qui les entourent ; et le No. 4 nous reproduit des
spécimens où la nature et l’antique sont traités également
mal. Le No. 6 de la même planche exemplifie une sévère
morale : — Servile dans les endroits où l’ornement devrait
être libre de toute entrave dans la disposition de ses lignes
principales, libre et hardi dans les endroits où une certaine
déférence à quelque type de forme cesse d’être servile, dans
les éléments accessoires dont il est composé, cet enroulement
courant, qui n’est qu’une adaptation d’un des patrons les plus
communs de l’antiquité, laisse entrevoir à la fois, la faiblesse
d’imagination de Romano et son manque de goût.
L’influence locale qui a réagi sur certains styles
d’ornement, comme nous l’avons déjà fait remarquer pour
les arabesques, peut se tracer aussi facilement dans les
meilleurs exemples typographiques et xylographiques des
anciens imprimeurs. Ainsi, les formes et la distribution
presque uniforme des « pieni » et des « vuoti, » des
ornements, Nos. 4-7, 9-16 de la planche XC, pris du célèbre
« Etymologien Magnum, » imprimé à Venise en l’an 1499,
trahissent évidemment l’influence du style des

452
Ornement typographique d’une des productions de l’aucienne imprimerie
parisienne. (Testament grec de Stephau.)

fragments orientaux ou byzantins, que Venise possédait en si


grand nombre. On pourrait presque croire que les lettres
initiales d’Aldine reproduites sur cette dernière planche, ont
été gravées par les mêmes mains, qui ont exécuté les patrons
damasquinés qui ornent les ouvrages en métaux de l’époque.
La bible toscane de 1538 nous offre des illustrations sans
nombre des objets de convention, qu’on trouve si
généralement dans la sculpture cinque-cento, et dont les
églises de Florence étaient ornées d’une manière si profuse.
Les spécimens de l’imprimerie parisienne méritent aussi,
sous tous les rapports, l’admiration du « virtuose »
Les productions de Stephan — No. 29, pris de son célèbre
testament grec — de Colinseus, son élève (No. 3), de Macé
Bonhomme, de Lyons, 1558, de Théodore Rihel, de
Francfort, 1574, de Jacques de Liesveldt d’Anvers, 1544, de
Jean Palier et de Regnault Chauldière, de Paris, offrent un
grand nombre d’illustrations agréables et pleines d’intérêt
des différences produites par diverses influences locales,
dans les ornements de détail d’un caractère semi-antique.
Avant de faire connaître brièvement les premières causes
de la décadence générale de la rénovation de l’art classique,
nous allons retourner à l’Italie et jeter un coup-d’œil sur une
ou deux branches de l’industrie, qu’il serait injuste de passer
sous silence. La première, et celle qui offre le plus d’intérêt,
c’est la verrerie de Venise — industrie qui a contribué

453
beaucoup à répandre la renommée de Venise sur toute la
surface du globe.
La prise de Constantinople par les Turcs, en 1453, força
les habiles artisans grecs à chercher un asyle en Italie, et les
fabricants de verre, de Venise, apprirent de cas exilés la
manière d’enrichir leur verrerie, par le moyen des couleurs,
de la dorure et de l’émaillure. Au commencement du
seizième siècle, les Vénitiens inventèrent l’art d’introduire
des fils de verre colorié et blanc opaque (latticinio) dans la
substance des objets qu’ils fabriquaient ; ce qui forma un
ornement beau et durable, dont la légèreté naturelle convenait
admirablement aux formes délicates des objets aux quels on
l’appliquait. L’État garda le secret de cet art de la manière la
plus jalouse, et décréta les peines les plus sévères contre tout
ouvrier qui le divulguerait ou qui exercerait son métier dans
un pays étranger. D’un autre côté il accorda de grands
privilèges aux fabricants de verrerie, de Murano, et les
ouvriers employés dans ce genre de manufacture jouirent
d’une plus haute

454
Panneaux, style Louis Seize, par
Fay.
Ornements de marqueterie, style Louis
Seize, par Fay.
considération que les autres artisans. En 1602, on frappa une
médaille d’or à Murano, dans le but de
transmettre à la postérité les noms des premiers fabricants
qui établirent des verreries dans l’île, et les noms qui s’y
trouvent sont ceux des manufacturiers : Muro, Leguso,
Motta, Bigaglia, Miotti, Briati, Gazzabin, Vistosi, et Bailarin.
Les Vénitiens réussirent à garder leur secret précieux,
pendant deux siècles environ, et par ce moyen, ils
monopolisèrent le commerce de la verrerie dans toute
l’Europe ; mais au commencement du dix-huitième siècle, le
goût de la verrerie massive taillée commença à prévaloir, et
la Bohême, la France, et l’Angleterre prirent part à
l’exploitation de cette branche de l’art industriel.
Un grand nombre d’ouvrages magnifiques en métaux
précieux furent exécutés à cette époque, dont un grand
nombre, on le suppose, a été fondu, en Italie, lors du sac de
Rome, et en France, pour payer la rançon de Francois 1er. Il
n’y a pas de doute, cependant, que la plus grande partie n’ait
été remodelée dans la suite. Le cabinet du Grand Duc de
Toscane, à Florence, et le musée du Louvre, à Paris,
possèdent néanmoins de belles collections de coupes et
d’autres objets émaillés et ornés de pierreries, qui prouvent
455
suffisamment l’habileté et le goût des orfèvres et des
bijoutiers du seizième siècle. Un des plus riches bijoux que la
mode mit en vogue et qui continua à être porté pendant un
temps considérable, fut « l’enseigne, » espèce de médaille
que les nobles portaient généralement à leurs chapeaux, et les
dames dans leurs coiffures. La coutume de donner des
présents dans toutes les occasions importantes, procurait
continuellement de l’ouvrage aux bijoutiers des deux pays ;
et même pendant les temps de troubles, ceux établis dans le
voisinage de la cour, voyaient fleurir leur commerce. La
restauration de la paix en Italie, après la convention de
Château Cambresis, et en France, à l’avènement de Henri IV.,
amena une augmentation de demandes pour les ouvrages
d’orfèvrerie ; et dans la suite, la magnificence des cardinaux
de Richelieu et de Mazarin ouvrit la voie au siècle de Louis
le Grand, pour qui furent exécutés de beaux ouvrages d’art
par l’orfèvre parisien, Claude Ballin, lequel travaillait dans le
Louvre, avec Labarre, Vincent Petit, Julien Desfontaines, et
autres. L’aigrette fut un des objets qui, à cette époque, mit le
plus à contribution, l’ingénuité des bijoutiers ; elle était
généralement portée par la noblesse. À partir de cette époque,
le style de la bijouterie française entra dans une voie rapide
de décadence ; la perfection du travail dans les objets en
métaux passa à ceux de bronze et de laiton, — les ciselures
sur laiton du célèbre Gouthier, sous le règne de Louis XVI.,
sont au-dessus de tout éloge. Nous reproduisons deux

456
Arabesque par Théodore de Bry, un des Petits Maîtres.
charmants spécimens du burin parisien, de ce genre
d’ouvrage, dont la roideur et la frivolité sont
rachetées par une exécution parfaite.
Les détails de cet art, et la popularité dont il jouit, ne
manquèrent pas d’exercer une certaine influence sur les
compositions artistiques en général ; car, comme les
meilleurs dessinateurs et les premiers graveurs de l’époque
étaient employés par les orfèvres à l’exécution de leurs
compositions et de leurs patrons, il s’en suivit naturellement,
qu’un grand nombre de dessins spécialement destinés aux
ouvrages de bijouterie, furent employés dans des
compositions destinées à un but bien différent ; comme on l’a
vu spécialement en Allemagne, où, surtout en Saxe, on
exécuta pour l’Électeur un grand nombre d’ouvrages d’un
style mixte, composé d’un mélange de renaissance et de style
bâtard italien, orné de courroies et de rubans, de cartouches,

457
et d’une complication embrouillée de membres
architecturaux. La gravure au bas de la page précédente,
d’une arabesque par Théodore de Bry, offre une assez bonne
illustration de la manière dont les motifs adaptés
expressément à l’émaillure dans le style de Cellini, étaient
amalgamés, pour fournir le grotesque de l’époque. Ce n’est
pas seulement dans les ouvrages de Théodore de Bry qu’on
trouve de pareilles anomalies ; les gravures à l’eau forte
d’Étienne de Laulne, de Gilles l’Égaré et autres nous
présentent exactement le même caractère. Les graveurs et les
dessinateurs de cette école étaient, en outre, fréquemment
employés, en Alle magne et en France, à fournir des modèles
pour les ouvrages de damasquinure, très longtemps en vogue
dans ces deux pays ainsi qu’en Italie.
Il est à remarquer que, quoique les croisés aient acheté des
armes orientales à Damas et qu’ils aient même apporté
quelquefois en Europe des objets d’un travail des plus
élaborés, — le vase de Vincennes, par exemple, — on n’ait
fait aucune tentative d’imiter ce genre de manufacture avant
le milieu du quinzième siècle, époque à laquelle on s’en
servit dans la décoration des armures à plaques de fer, alors
en vogue dans ce pays. Il est très probable que l’art de la
damasquinure fut introduit premièrement de l’Orient en
Europe par les grandes villes commerçantes, telles que
Venise, Pise, et Gênes, et qu’il fut employé ensuite, comme
une décoration plus durable pour les armures, que la dorure
partielle, par les artistes de Milan, ville qui était alors en
Europe ce que Damas avait été en Orient : — le grand
entrepôt pour les meilleures armes et armures. La

458
damasquinure fut employée d’une manière tellement
exclusive pour la décoration des armes, que les écrivains
italiens l’ont toujours désignée sous le nom de « lavoro all’
azzimina. » Au commencement du seizième siècle, cet art
commença à s’exercer hors de l’Italie ; et il n’est nullement
improbable qu’il ait été enseigné aux ouvriers français et
espagnols, par les artistes ambulants, que les rois de France
et d’Espagne, guidés par leur bon goût, ou peut-être entraînés
par leur vanité, attachaient à leur cour. L’armure de François
Ier, maintenant au Cabinet de Médailles, à Paris, est peut-être
le plus beau spécimen de damasquinure qu’on ait conservé.
Cette armure, ainsi que le bouclier, propriété de sa majesté la
Reine d’Angleterre, lequel se trouve à Windsor, a été attribué
au fameux Cellini ; mais si on les compare avec les ouvrages
bien connus de ce grand artiste, on verra que le dessin des
figures indique plutôt le style d’un artiste d’Augsbourg, que
celui de Cellini, dont le style est toujours large ; qualité qu’il
avait acquise de l’étude qu’il avait faite des œuvres de
Michel-Ange.
À partir de cette époque jusqu’au milieu du dix-septième
siècle, on décora de damasquinures un grand nombre
d’armes, dont le Louvre, le Cabinet de Médailles, et le musée
d’Artillerie, à Paris, possèdent de nombreux et beaux
spécimens. Nous pouvons mentionner les noms de Michel-
Ange, de Negroli, des Piccinini, et de Cursinet, comme ceux
d’artistes qui ont excellé dans l’art de la damasquinure, ainsi
que dans celui de l’armurier.
L’art de la damasquinure ne paraît pas avoir été en grand
usage en Angleterre, où l’on se contentait d’employer à la
459
place, la dorure partielle, la gravure, le cendrage, et le
brunissage ; et les quelques spécimens, qu’on en possède, y
ont été importés, ou ont été capturés par les Anglais dans
leurs guerres à l’étranger, telle que la magnifique armure
emportée en Angleterre par le comte de Pembroke, après la
bataille de St. Quentin.
Nous avons eu la tache agréable de rapporter de quelle
manière l’art ornemental français avait été régénéré au
seizième siècle, en suivant les traces de l’école italienne
d’alors ; et c’est pour nous main tenant un devoir bien moins
agréable de faire connaître l’influence funeste que l’Italie
exerça, au dix-septième siècle, sur l’art français. H ne peut y
avoir aucun doute, que Lorenzo Bernini et Francesco
Borromini, deux artistes italiens richement doués de dons
naturels, mais dont le mérite fut fort exagéré de leur temps,
firent un mal immense à l’art français. Placés au faîte de la
renommée, ils concentrèrent sur eux, pendant toute leur vie,
l’attention universelle. Le premier était le fils d’un sculpteur
florentin et naquit en 1589. Il décela de bonne heure un talent
précoce pour la sculpture, et même pendant son adolescence
il fut largement employé, non seulement comme sculpteur,
mais aussi comme architecte. Il vécut presque
continuellement à Rome : la fontaine de la Barcaccia sur la
piazza di Spagna, le célèbre triton sur la piazza Barberini et
les grandes fontaines de la piazza Navona ; le collége de la
propaganda fide ; le grand vestibule et la façade du palais
Barberini, en face de la strada felice ; une campanile pour St.
Pierre (qu’on a ôté dans la suite) ; le palais Ludovico,

460
Composition ornementale par Le Pautre.

sur le mont Citorio ; la célèbre piazza de St. Pierre ; et enfin


le grand escalier conduisant de St. Pierre au Vatican ; tous
ces ouvrages, sans énumérer un grand nombre d’autres, sont
de sa composition. Les bustes de Bernini étaient recherchés
par tous les souverains et tous les seigneurs de l’Europe ; au
point qu’à l’âge de soixante-huit ans, Louis XIV., qui était
peu accoutumé à se voir refuser quelque chose, et encore
moins à être réduit à jouer le rôle de suppliant, fut contraint
d’écrire au pape et à Bernini, des lettres de supplication, dans
lesquelles il priait le sculpteur de se rendre à Paris. On dit

461
que pendant toute la durée de son séjour dans cette capitale,
Bernini reçut, quoiqu’il y travaillât peu, cinq louis d’or par
jour, et que le roi, à son départ, lui fit remettre cinquante
mille écus, et lui accorda, en outre, une pension annuelle de
deux mille écus pour lui, et une de cinq cents pour ses fils,
qui l’avaient accompagné à Paris. À son retour à Rome, il
exécuta une statue équestre en l’honneur de Louis, statue qui
est maintenant à Versailles. Au talent d’architecte et de
sculpteur, Bernini paraît avoir ajouté celui de mécanicien et
de peintre ; il a peint, dit-on, environ cinq cents tableaux
dans le Case Barberini et Chigi. Il mourut en 1680.
Francesco Borromini, naquit près de Como, en 1599. Placé
de bonne heure en apprentissage chez Carlo Maderno, il
trahit bientôt un talent brillant comme sculpteur et comme
architecte. À la mort de Maderno il lui succéda dans la
surintendance des travaux exécutés à la cathédrale de St.
Pierre, sous la direction de Bernini, avec lequel il se querella
peu après. Grâce à son imagination ardente, à sa puissance
inventive et à sa rare facilité comme dessinateur, il eut
bientôt de nombreuses commandes à exécuter ; dans ses
productions capricieuses et fantasques, il arriva à tourner en
caricature tout ce qui, dans le style de Bernini, tendait à
l’extravagance. Jusqu’à sa mort, en 1667, il continua
assidûment à renverser tous les principes connus d’ordre et
de symétrie, non seulement à son propre profit, mais à
l’admiration générale des chefs de la mode de l’époque. Les
anomalies qu’il introduisit dans toutes ses compositions ; les
moulures disproportionnées, les 4 courbes rompues,
contrastées et rentrantes ; les lignes et les surfaces

462
interrompues et tordues, devinrent en vogue, et tous les
artistes en Europe se mirent à imiter de semblables
énormités. En France, elles firent fureur, et, au lieu des
formes un peu bizarres mais pittoresques qu’on trouve dans
les gravures de Du Cerceau, 1576 — on ne vît plus que les
formes plus élaborées mais moins agréables semblables à
celles exécutées par Marot, 1727 — et par Mariette, 1726-7.
Les œuvres de Borromini, publiées en 1725, et celles de
Bibiena, qui n’étaient guère plus pures, publiées en 1740,
eurent une immense circulation et tendirent à affermir le
public dans son admiration pour les ouvrages élaborés,
décelant une grande facilité de conception et de dessin,
versus la simplicité et la beauté. Malgré cette influence
pernicieuse, plusieurs artistes français de l’époque, sous les
règnes de Louis ХIV. et de Louis XV., exécutèrent, au milieu
de leur extravagance, un grand nombre de belles
compositions ornementales, qui décelaient une beauté
capricieuse de lignes, rarement surpassée ; telles que
certaines compositions de Le Pautre (règne de

463
Ornement de frize, Louis seize, par Fay.

Louis XIV.), ainsi qu’un grand nombre de décorations


d’intérieur qu’on trouve dans les œuvres de Blondel, publiées
sous le règne de Louis XV.
C’est à de Neufforge, cependant, qu’appartient le sceptre
dans cette cour de confusion artistique ; et il nous a laissé
assez de folies gracieuses dans les 900 planches de son grand
ouvrage sur l’ornement. Ce serait hors de place de signaler
ici, individuellement, l’un ou l’autre artiste, parmi la masse
d’archi tectes, de dessinateurs et de graveurs habiles,
auxquels le Grand Monarque et la brillante cour de son
successeur donnaient force commandes, libéralement payées.
Il y en a un cependant, Jean Berain, dont nous ne pouvons
passer le nom sous silence, d’autant plus qu’il occupait le
poste spécial de « dessinateur des menus plaisirs du roi, »
Louis XIV., et que c’est à lui que nous sommes redevables
pour les meilleurs dessins qui rendront le nom de Buhl,
célèbre, aussi longtemps qu’on trouvera, parmi le public, des
admirateurs de beaux meubles. Il contribua essentiellement à
la décoration de la galerie d’Apollon au Louvre, et des
appartements d’apparat aux Tuileries, comme le prouve un
ouvrage publié en 1710. Daigremont, Scotin et autres ont
gravé une autre grande collection des admirables dessins
comiques de cet artiste. À l’avènement de Louis XV. au
trône, en 1715, les compositions architecturales et
ornementales devinrent bien plus rococo et baroques,
qu’elles ne l’avaient été pendant la plus grande partie du

464
règne de son prédécesseur. Malgré le beau talent et le bon
exemple que l’architecte Souffot déploya dans ses œuvres,
les enroulements tors et ornés de feuilles, et les coquilles, en
vogue sous Louis XIV., se changèrent sous Louis XV. dans le
rocaille et finirent par dégénérer jusqu’aux eccentricités de la
chinoiserie. De ce style qui approchait de l’inanition,
l’ornement renaquit sous Louis XVI., et il se forma un style
élégant, quoique un peu trop linéaire, ressemblant, sous
quelque rapport, à celui introduit en Angleterre par Robert
Adams, principalement dans ses constructions de l’Adelphi.
Le génie de trois hommes capables exerça une influence
bienfaisante sur les compositions destinées pour les travaux
industriels, à une époque rapprochée de la Révolution : —
Reisner, ébéniste, célèbre pour son exquise marqueterie ;
Gouthier, ciseleur en cuivre de Marie Antoinette ; et
Demontreuil, sculpteur en bois de la famille royale. Pendant
la Révolution, le chaos régna en souverain, d’où sortit l’ordre

Panneau pour la marqueterie Reisner, par


Frise, Louis seize, par Fay.
Fay.

465
sous la forme d’une abjuration complète des colifichets de la
monarchie en faveur de la sévérité républicaine de David. À
mesure que la république s’affaiblit pour faire place à
l’empire, la mode abandonna peu à peu le style sévère
républicain pour la magnificence impérialiste — Napoléon
Ier employa Largement et récompensa libéralement les
meilleurs artistes ; et Percier, Fontaine, Normand, Fragonard,
Prudhon, et Cavalier, portèrent, par leur talent, le style
gracieux et savant, mais raide et froid, de l’Empire, au degré
le plus élevé de perfection. À la restauration, l’antique cessa
d’être de mode, et la confusion régna de nouveau. Les
facultés naturelles du pays, cependant, aidées par des
établissements publics conduits d’une manière judicieuse et
libérale, ravivèrent bientôt l’intérêt public ; et la rénovation
d’un style quasi archéologique, a eu lieu. On rechercha,
restaura, et imita de tous côtés, les monuments du moyen-âge
et de la renaissance ; et après des études nombreuses, un style
d’un caractère éclectique, mais approchant de l’originalité,
est en voie de se former dans ce pays.
La France, il faut l’avouer, est aujourd’hui maîtresse de
l’arène artistique, dans la distribution et l’exécution des
ornements de presque tous les genres ; mais les progrès qui
ont lieu en ce moment en Angleterre, sont si rapides, qu’il
n’est nullement impossible, qu’un historien, dans quelques
années d’ici, puisse placer les Alliés, comme cela devrait
être, sur un pied d’égalité.

466
OUVRAGES LITTÉRAIRES ET PITTORESQUES, AUXQUELS ON A EU
RECOURS POUR LES ILLUSTRATIONS.

ADAMS (E.) The Polychromatic Ornament of Italy. In-quarto,


Londres.
ALBERTI (L. В.) De Re Ædificatoria Оpus. Florent. 1485, in-
folio.
ALBERTOLLI, Ornamenti diversi inventati, ic., da. Milan. In-folio.
D’Androuet du Cerceau. Livre d’Architecture"". Paris,
1559, in folio.
D’AVILER, Cours d’Architecture, par. Paris, 1756, in-quarto.
BIBIENA, Architettura di. Augustæ, 1740, in-folio.
BORROMINI (F.) Opus Architectonicum. Rоmæ, 1725, in-folio.
CLOCHAR (P.), Monumens et Tombeaux mesurés et dessinés en
Italie, par. 40 Plans et Vues des Monuments les plus
remarquables de l’Italie. Paris, 1815.
DEDAUX. Chambre de Marie de Médicis au Palais du
Luxembourg ; ou Recueil d’Arabesques, Peintures, et
Ornements qui la décorent. In-folio, Paris, 1838.
DIEDO E ZANOTTO. Sepulchral Monuments of Venice. I Monumi
mi cospicui di Venezia, illustrai i dal Cav. Antonio Diedo e
da Francesco Zanotto. In-folio, Milan, 1839.
DOPPELMAYR (J. G.) Mathematicians and Artists of Nuremberg,
ic. Historische Nachricht von den Nürnbergischen
Mathematicis und Künstlern, etc. In-folio, Nürnberg, 1730.
GOZZINI (V.) Monumens Sépulcraux de la Toscane, dessinés par
Vincent Qozzini, et gravés par Jtrôme Scotto. Nouvelle
Edition, augmentée de vingt-neuf planches, avec leur
Descriptions. In-quarto, Florence, 1821.
GRUNER (L.) Description of the Plates of Fresco Decorations and
Stuccoes of Churches and Palaces in Italy during the
Fifteenth and Sixteenth Centuries. With an Essay by J. J.

467
Hittorff, on the Arabesques of the Ancients compared with
those of Raffaelle and his School. New edition, largely
augmented by numerous plates, plain and coloured. In-
quarto, Londres, 1854.
——— Fresco Decorations and Stuccoes of Churches and
Palaces in Italy during the Fifteenth and Sixteenth
Centuries, with descriptions by Lewis Gruner, K. A. New
edition, augmented by numerous plates, plain and coloured.
In-folio, Londres, 1854.
——— Specimens of Ornamental Art selected from the best
models of the Classical Epochs. Illustrated by 80 plates,
with descriptive text, by Emil Braun. In-folio, Londres,
1850.
MAGAZZARI (G.) The most select Ornaments of Bologna.
Baccolta de’piu scelti Ornati sparst per la Cilia di Bologna,
desegnati ed incisi da Giovanni Magazzari. In-quarto
oblong, Bologne, 1837.
DE NEUKFORGE, Recueil élémentaire d’Architecture, par. Paris
(1757). 8 vols, in-folio.
PAIN’S British Palladio. Londres, 1797, in-folio.
PALLADIO, Architettura di. Venet. 1570, in-folio.
PASSAVANT (J. D.) Rafael von ürbino und sein Vater Giovanni
Santi. In zwei Theilen mit vierzehn Abbildungen. 2 vols, in-
octavo. 1 vol. in-folio, Leipzig, 1839.
PERCIER ET FONTAINE, Recueil de Décorations intérieures, par.
Paris, 1812, in-folio.
PERRAULT, Ordonnance des cinq spices de Colonnes, selon les
Anciens, par. Paris, 1683, in-folio.
PHILIBERT DE LORME, Œuvres d’Architecture de. Paris, 1626, in
folio.
FRRANESL (FR.) Différentes Manières d’orner les Cheminées,
etc., par. Borne, 1768, in-folio, et autres ouvrages.
PONCE (N.) Description des Bains de Tite. 40 planches, in-folio.
RAPHAEL. Life of Raphael, by Quatremère de Quincy. In-octavo,
Paris, 1835.

468
Recueil d’Arabesques, contenant les Loges du Vatican d’après
Raphael, et grand nombre d’autres Compositions du même
genre dans le Style antique, d’après Normand, Queverdo,
Boucher, etc. 114 planches, in-folio imperial. Paris, 1802.
BUSCONI (G. ANT.), Dell’Architettura, lib. X., da. Venez. 1593,
in-folio.
SCAMOZZI, Idea del’Architettura da. Venez. 1615. 2 vols, in folio.
SERLIO (SEB.) Tutte le Opere d’Architettura di. Venet. 1584. In--
quarto.
——— Libri cinque d’Architettura di. Venet. 1551. In-folio.
Terme de Tito. Série de 61 gravures des peintures, des plafonds,
des arabesques, &c, des Bains de Titus, gravées par Carloni.
2 vols, in-plano, atlas. — In-folio oblong. Rome.
TOSI AND BECCHIO. Autels, Tabernacles, et Monuments
sépulcraux du quinzième siècle et du seizième, qui existent à
Rome. Publié sous le patronage de la célèbre Académie de
St. Luc, par MM. Tosi et Becchio. Descriptions en italien,
en anglais, en français, par Me. Spry Bartlett. In-folio.
Lagny, 1853.
VIGNOLA, Regola dei cinque Ordini d’Architettura, da. In-folio.
VOLPATO ED OTTAVIANO. Loggie del Raffaele nel Vaticano, etc.
Rome, 1782.
ZAHN ( W.) [1]Ornamente aller Klassischen Kunst-Epochen nach
den originalen in ihren eigenthümlichen farben dargestellt.
In-folio oblong. Berlin, 1849.
ZOBI (ANT.) Notizie Storiche suit’Origine e Progressi dei Lavori
di Commesso in Pietre Dure che si esequiscono nelt I. e R.
Stabilimento di Firenze. Seconde édition, augmentée et
corrigée par l’auteur. In-quarto, Florence, 1853.

469
470
471
472
473
474
475
1. ↑ Cet ouvrage plein d’intérêt, nous a fourni les sujets des planches
LXXVIL, LXXVIIL, LXXIX.

476
CHAPITRE XX. — PLANCHES 91 — 100.

FEUILLES ET FLEURS
D’APRÈS NATURE.

PLANCHE XCI.
Feuilles de maronnier d’Inde, de grandeur
naturelle, calquées sur nature.

PLANCHE XCII.
Feuilles de vigne, de grandeur naturelle, calquées
sur nature.

PLANCHE XCIII.
1. Feuille de lierre palmé. 2, 3, 4, et 5. Feuilles de
lierre ordinaire, de grandeur naturelle, calquées

477
sur nature.

PLANCHE XCIV.
1. Feuille de Chêne rouge. 2. Feuille de Chêne
blanc. 3. Feuille de Figuier. 4. Feuille d’Erable. 5.
Feuille de Bryone blanche. 6. Feuille de Laurier.
7. Feuille de Laurier à baies ; toutes de grandeur
naturelle, calquées sur nature.

PLANCHE XCV.
1. Feuille de Vigne. 2. Feuille de Houx. 3. Feuille
de Chêne. 4. Feuille de Chêne de Turquie. 5.
Feuille de Laburnum ; toutes de grandeur
naturelle, calquées sur nature.

PLANCHE XCVI.
1. Feuille de Rose sauvage. 2. Feuille de Lierre.
3. Feuille de Mûrier des haies ; toutes de
grandeur naturelle, calquées sur nature.

PLANCHE XCVII.
478
1. Aubépine, If, Lierre, et Fraisier ; tous de
grandeur naturelle, calquées sur nature.

PLANCHE XCVIII.
Fleurs vues à plat et en élévation.
1. Iris. 11. Véronique.
2. Lis blanc. 12. Scille penchée.
3. Asphodèle. 13. Glossocomia
4. Narcisse. clematidea.
5. Ognon. 14. Convolvulus.
6. Églantine. 15. Primevère.
7. Myosotis. 16. Pervenche.
8. Chèvrefeuille. 17. Clarkia.
9. Mauve. 18. Leycesteria
10. Cardamine. formosa.

PLANCHE XCIX.
1. Chèvrefeuille. 2. Convolvulus — de grandeur
naturelle.

PLANCHE C.
Grenadilles, de grandeur naturelle.

479
FEUILLES ET FLEURS
D’APRÈS NATURE.

N OUS avons tâché de démontrer dans les chapitres


précédents, que pendant les meilleures périodes de l’art,
tout ornement était basé sur l’observance des principes qui
règlent l’arrangement de la forme dans la nature, plutôt que
sur la tentative d’imiter d’une manière fidèle et absolue les
formes des objets naturels ; et que toutes les fois que dans
un art quelconque, on dépassait ces limites, c’était un des
indices les plus prononcés de décadence : — l’art véritable
consiste dans l’idéalisation et non dans la représentation
fidèle des formes de la nature.
Nous croyons devoir insister fortement sur ce point, car
dans l’état actuel d’incertitude ou nous sommes, sous le
rapport des arts, il commence à se développer une tendance
générale de reproduire, aussi fidèlement que possible, la
forme naturelle en guise d’ornement. On est fatigué de la
répétition éternelle des mêmes formes conventionnelles qui,
empruntées des styles passés, ne sauraient exciter en nous
que peu de sympathie. Le cri universel de « Retournez à la
nature, comme l’ont fait les anciens, » se fait entendre ;
quant à nous, nous serions des premiers à répéter ce cri,
mais avant tout, nous voudrions savoir ce que nous devons
y chercher et jusqu’à quel point nous arriverons à un
480
résultat satisfaisant. Si nous puisons à la nature comme
l’ont fait les Égyptiens et les Grecs, nous pouvons espérer
de réussir ; mais si nous le faisons comme les Chinois, ou
même comme les artistes du quatorzième et du quinzième
siècle, nous n’y gagnerons que bien peu. Les tapis floraux,
les tapisseries florales, et les sculptures florales de notre
époque, fournissent des preuves suffisantes qu’on ne peut
arriver, par de tels moyens, à la production d’un art ; et que
plus on imite fidèlement la nature, plus on est loin d’arriver
à produire une œuvre d’art.
Quoique l’ornement ne soit, proprement parlant, que
l’accessoire de l’architecture, et qu’il ne doive jamais
usurper la place des parties architecturales, ni les surcharger
ni les déguiser, il n’en est pas moins l’âme même d’un
monument d’architecture.
C’est par l’ornement d’un édifice que nous pouvons juger
le mieux de la puissance créatrice que l’artiste a déployée
dans la production de son œuvre. Les proportions générales
d’un bâtiment peuvent être bonnes, les moulures peuvent
être copiées avec plus ou moins de fidélité, des modèles
reconnus les meilleurs mais ce n’est que dans le traitement
de l’ornement, qu’on peut reconnaître si l’architecte est en
même temps, artiste. L’ornement fait connaître les soins et
le goût plus ou moins raffinés qui ont été déployés dans la
construction. Mettre l’ornement à la place convenable, n’est
pas chose facile ; mais faire en sorte que l’ornement ajoute
à la beauté et exprime l’intention de l’ensemble de
l’ouvrage, c’est encore plus difficile.

481
Malheureusement ce n’a été que trop la pratique de notre
époque d’abandonner la décoration des parties
architecturales, et plus spécialement de l’intérieur des
bâtiments, aux mains les moins capables d’en remplir la
tâche.
La déplorable facilité de fabriquer l’ornement, produite
par l’usage ravivé de la feuille d’acanthe, a contribué
beaucoup à ce résultat, et a paralysé l’instinct créateur de
l’artiste, qui a laissé aux soins d’un autre tout ce que cet
autre pouvait faire sans difficulté ; abdiquant ainsi sa haute
position, d’architecte, — tête et chef.
Comment, alors, arriver à satisfaire au désir universel
pour le progrès, — comment, inventer ou développer un
nouveau style d’ornement quelconque ? On nous dira
probablement, qu’il faut d’abord inventer un nouveau style
d’architecture, et que ce serait commencer à rebours que de
commencer par l’ornement.
Telle n’est pas notre opinion. Nous avons dejà montrer
que le désir pour les ouvrages d’ornement coexiste chez
tous les peuples avec les premières tentatives dans la voie
de la civilisation ; et que l’architecture adopte l’ornement,
mais ne le crée pas.
L’ordre corinthien d’architecture a été suggéré, dit-on,
par la vue d’une feuille d’acanthe qui, en croissant, s’était
élancée autour d’un pot de terre ; mais on s’était servi de la
feuille d’acanthe, comme ornement, bien longtemps
auparavant, ou, du moins, on en avait suivi le principe de la
croissance, dans les ornements conventionnels. Ce fut
482
l’application particulière de cette feuille à la formation du
chapiteau d’une colonne, qui amena pour résultat, la
création de l’ordre corinthien.
Les principes de la foliation, et même la forme générale
des feuilles, qui prédominent dans l’architecture du
treizième siècle, existaient longtemps auparavant dans les
manuscrits enluminés, lesquels, ayant tiré leur origine de
l’Orient, ont imprimé aux ornements du style ogival un
cachet presque oriental. Les architectes du treizième siècle
étaient conséquemment, très familiers avec ce système
d’ornementation ; et nous ne saurions douter qu’une des
causes de l’adoption universelle de ce style pendant le
treizième siècle, ne provînt de la grande familiarité qu’on
avait eu déja de ses formes principales.
Le style floral en imitation directe de la nature, qui suivit,
avait aussi été précédé par le même genre de style dans les
ouvrages d’ornement. La facilité de peindre sur un missel
des fleurs en imitation directe de la nature, amena la
tentative d’en exécuter en pierre, sur les édifices de
l’époque.
L’ornement architectural du temps d’Élisabeth est, pour
la plupart, la reproduction des ouvrages du tisserand, du
peintre, et du graveur. Il ne pourrait en être autrement,
surtout, dans tout style d’emprunt. Les artistes du temps
d’Élisabeth étaient nécessairement beaucoup plus familiers
avec les peintures, les tentures, les meubles, les ouvrages en
métaux, et autres objets de luxe que l’Angleterre recevait du
continent de l’Europe, qu’avec les monuments

483
architecturaux ; et c’est cette familiarité avec
l’ornementation de l’époque, et cette connaissance
imparfaite de son architecture qui conduisirent au
développement des particularités, qui distinguent
l’architecture du temps d’Élisabeth de l’architecture plus
pure de la renaissance.
Nous pensons donc, que nous avons raison de croire,
qu’on peut arriver à produire un nouveau style d’ornement,
indépendamment d’un nouveau style d’architecture ; et de
plus, que ce serait un des moyens les plus prompts d’arriver
à un nouveau style architectural ; — si on pouvait, par
exemple, trouver une nouvelle manière de terminer le
sommet des moyens de support, on aurait résolu une des
plus grandes difficultés.
Les caractères principaux et fondamentaux d’un bâtiment
qui servent à en constituer le style, sont : premièrement, les
moyens de support ; secondement, les moyens d’attache
entre les supports ; et troisièmement, la formation du toit.
C’est la décoration de ces parties architecturales qui donne
au style, son cachet particulier ; et ces parties s’écoulent si
naturellement l’une de l’autre, que l’invention de l’une en
amènera nécessairement les autres.
Il semblerait, au premier coup d’œil, que les moyens de
varier ces parties architecturales, ont été épuisées, et qu’il
ne nous reste plus qu’à faire usage de l’un ou de l’autre des
systèmes qui ont déjà fourni leur carrière.
Si nous rejetons l’emploi de la colonne et de la poutre
horizontale des Grecs et des Égyptiens, l’arc arrondi des
484
Romains, la voute et l’arc pointus du moyen-âge, et les
dômes des Mahométans, — Que nous reste-t-il, nous
demandera-t-on ? On nous dira peut-être que tous les
moyens possibles d’attache entre les supports, ont été
épuisés, et que ce serait vain que de chercher à trouver de
nouvelles formes. Mais est-ce qu’on n’aurait pu, de tout
temps, faire valoir la même impossibilité ? Les Égyptiens
auraient-ils jamais supposé qu’on pût jamais découvrir un
moyen d’attache autre que leurs immenses blocs de pierre ?
L’architecte du moyen-âge aurait-il jamais songé qu’on pût
arriver à surpasser ses voutes aériennes, et à traverser les
abîmes par des tubes creux en fer ? Ne désespérons de rien ;
le monde n’a pas encore vu, le dernier système
architectural. Il est vrai que nous vivons dans un siècle où
l’on se contente de copier, et où l’architecture décèle une
absence complète de vitalité, mais le monde a passé déjà
par de semblables périodes avant notre époque. Du chaos
qui existe actuellement sortira, sans aucun doute, — peut-
être pas de notre temps, — un système d’architecture qui
sera digne des vastes progrès que l’homme a faits dans
toutes les autres directions vers la possession de l’arbre de
la science.
Mais revenons à notre sujet. Quelle voie suivre, nous
demandera-t-on pour arriver, ou même pour tenter d’arriver
à un nouveau style de l’art ou à un nouveau style
d’ornementation ? Nous répondrons tout d’abord, que nous
avons peu d’espoir qu’il nous sera donné de voir plus, que
le commencement d’un changement ; car les architectes

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actuels sont d’un côté, beaucoup trop sous l’influence d’une
éducation passée, et d’un autre côté ils subissent trop le
contrôle d’un public mal informé ; mais la génération qui se
forme est née, sous l’un et l’autre rapport, sous des auspices
plus heureux, et c’est en elle que nous devons concentrer
notre espoir pour l’avenir. C’est pour son usage que nous
avons recueilli cette collection des ouvrages du passé, non
pour qu’elle les copiât servilement, mais pour que les
artistes, par suite d’un examen attentif des principes qui
existent dans tous les ouvrages du passé et qui ont excité
l’admiration universelle, pussent être conduits à la création
de nouvelles formes également belles. Nous croyons que si
un artiste ardent à la recherche de la science, veut secouer
toute tentation à l’indolence, examiner par lui-même les
ouvrages du passé, les comparer avec les ouvrages de la
nature, et faire tous ses efforts pour arriver à une parfaite
appréciation des principes qui existent dans les uns et les
autres, il ne peut manquer de devenir créateur à son tour et
d’individualiser de nouvelles formes, au lieu de reproduire
les formes du passé. Nous croyons qu’un artiste entièrement
pénétré de la loi de l’accord universel des choses dans la
nature, et de l’étonnante variété de leurs formes, lesquelles
cependant n’ont pour base qu’un petit nombre de lois fixes :
— la distribution proportionnée des aires, les courbures
tangentes des lignes et la radiation d’une tige-mère, —
quelque soit le type qu’il emprunte à la nature, n’a qu’à
renoncer au désir de l’imiter et à suivre la voie qu’elle lui
indique si clairement, pour arriver à la création de nouvelles
formes de beauté beaucoup plus facilement, qu’en suivant
486
la mode actuelle de s’appuyer sur les ouvrages du passé
pour trouver les inspirations du présent. On n’aurait besoin
que de quelques pionniers pour donner la première
impulsion : la voie une fois indiquée, d’autres la suivraient,
améliorant et perfectionnant l’idée première jusqu’à ce que,
entièrement développée, elle atteigne à un nouveau point
culminant de l’art, pour tomber ensuite en décadence et
finir par dégénérer en confusion à son tour. Pour le moment,
cependant, nous sommes assez éloignés de l’une et de
l’autre de ces phases. Nous sommes désireux de contribuer
de tout notre pouvoir, à l’accomplissement de ce but ; et
nous avons recueilli sur les dix planches de feuilles et de
fleurs, qui accompagnent ce chapitre, plusieurs des types
naturels qui, selon nous, sont les mieux adaptés à conduire à
la reconnaissance des lois naturelles qui prévalent dans la
distribution de la forme. Mais le fait est que ces lois sont si
universelles, qu’on verra qu’on peut les apercevoir dans une
feuille aussi bien que dans mille. Le seul exemple de la
feuille de châtaignier, planche XCI., renferme toutes les lois
qui existent dans la nature : nul art ne peut rivaliser avec la
grace parfaite de sa forme, la distribution proportionnelle de
ses aires, la radiation de la tige-mère, les courbures
tangentes de ses lignes, et la distribution égale de la
décoration de surface. Tel est l’enseignement que nous
présente une seule feuille, mais si nous portons plus loin
nos études sur la croissance des feuilles, nous verrons dans
un assemblage de feuilles de vigne ou de lierre, que les
mêmes lois qui existent dans la formation d’une seule
feuille, existent aussi dans un assemblage de feuilles. De
487
même que sur la feuille de châtaignier, planche XCI., l’aire
de chaque lobe diminue en proportion égale à mesure
qu’elle approche de la tige, ainsi dans toute combinaison de
feuilles, chaque feuille est partout en harmonie avec le
groupe. Si sur une feuille, les aires sont si parfaitement
distribuées que le repos de l’œil est maintenu, il en est de
même dans le groupe ; on ne voit jamais une feuille
disproportionnée venir détruire le repos du groupe. Cette loi
universelle de l’équilibre est partout visible sur les planches
XCVIII., XCIX., C. Les mêmes lois existent dans la
distribution des lignes sur la surface des fleurs ; il n’existe
pas une seule ligne sur les surfaces qui ne tende à
développer d’avantage la forme, — on ne pourrait en ôter
une sans endommager la perfection de la forme ; et
pourquoi cela ? parce que la beauté provient naturellement
de la loi de la croissance de chaque plante. Le sang
vivifiant, la sève, en quittant la tige, prend la voie la plus
prompte pour arriver aux confins de la surface, quelque
variée que soit cette surface ; plus la distance qu’elle a à
parcourir, est grande, ou plus le poids qu’elle a à supporter,
est lourd, plus, sa substance sera épaisse (Voyez
Convolvulus, XCVIII., XCIX.) Nous avons donné sur la
planche XCVIII., plusieurs variétés de fleurs, à plat et en
élévation ; d’après ces exemples on verra que la géométrie
est la base de toute forme : l’impulsion qui forme la surface,
s’élançant du centre avec une force égale, s’arrête
nécessairement à des distances égales ; — la symétrie et la
régularité en sont le résultat.

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Qui donc, maintenant, osera dire qu’il ne nous reste rien
autre chose qu’à copier les fleurs à cinq ou à sept lobes du
treizième siècle, le chèvrefeuille des Grecs ou l’acanthe des
Romains, et que ces types seuls puissent produire l’art ; —
la nature est-elle ainsi liée ? Voyez l’immense variété des
formes, et l’invariabilité des principes. Nous avons la
conviction qu’un autre avenir nous est encore ouvert ; nous
n’avons, pour y atteindre, qu’à nous réveiller de notre
assoupissement. Le Créateur n’a pas fait toutes les choses si
belles, pour que nous missions une limite à notre
admiration ; bien au contraire, et ses œuvres nous sont
offertes non seulement pour que nous en jouissions, mais
aussi pour que nous les étudiions. Elles nous sont données
pour réveiller cet instinct naturel qui est implanté en nous :
le désir d’imiter dans les ouvrages de nos mains, l’ordre, la
symétrie, la grâce, la convenance, que le Créateur a semé à
pleines mains sur la terre.

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