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Quantique
LE GUIDE DE RÉFÉRENCE
Marc Humphrey, Paul Pancella
& Nora Berrah
Physi~ue
Quantique , ,
LE GUIDE DE REFERENCE
GuyTrédaniel éditeur
19, rue Saint-Séverin
75005 Parts
Dans la mime collection
Ayurvéda, Sahara Rose Ketabi, 2018
Fleurs de Bach, Laure Martinat, 2019
ISBN : 978-2-8132-2075-2
www.editions-tredaniel.com
info@guytredaniel.fr
www.facebook.com/editions.tredaniel
Petits plus
Et pour tous les détails et les digressions qu'il aurait été dommage de manquer, cet
ouvrage se dote de petits plus :
~ DÉFINITION
~ PIÈGE ATOMIQUE
~ SAUT QUANTIQUE
Enfin, au fil des pages, nous vous présenterons les chats les plus sympas de l'histoire
de la mécanique quantique et vous donnerons quelques trucs pour les faire ronronner.
Remerciements
Tous les physiciens de moins de 100 ans ont eu, à un moment donné, un professeur
de physique quantique. Nous-mêmes en avons eu neuf au cours de nos études. Sans
leur patience et leur pédagogie, ce livre n'aurait pu être écrit. Nous devons donc des
remerciements à Bob Delaney, Mohamed Fellah, Tom Gorczyka, Gerald Hardie, Eric
Heller, Dean Kaul, Hugh Kelly, Gordon Mutchler et Larry Stacey. Nous sommes
également reconnaissants à Robert Eisberg, Robert Resnick, Raymond Serway et
d'autres, dont les ouvrages ont alimenté nos études et restent, à ce jour, sans équivalent.
Comme personne ne comprend vraiment la physique quantique, il est d'autant plus
important pour les physiciens de pouvoir en disctuer entre eux. Si ces débats ne garan-
tissent pas la compréhension, ils font certainement du bien à leurs protagonistes. Pour de
mémorables conversations au fil des ans, nous aimerions remercier Steve Baker, Chris
Edge, Robert Michniak, Lubna Rana, Ilme Schlichting, Tom Shefler, Joseph Snyder,
Rusty Trainham et Alan Wuosmaa. Nous avons aussi une dette spéciale envers Nick
Bonesteel pour sa relecture attentive et constructive du chapitre 21.
Connaître la physique quantique et savoir la transmettre sont des choses très difie-
rentes. Nous sommes donc très reconnaissants aux éditeurs qui ont élagué et poli notre
manuscrit pour en faire le livre que vous avez entre les mains. Tom Steves a beaucoup
œuvré à sa production, tandis qu'Ann Barton a transformé nos premiers jets en quelque
chose de lisible.
Enfin, au cours de l'écriture de ce livre, nous avons bénéficié du soutien essentiel de
nos chères moitiés. Nos remerciements sincères à Kathrin, Anne et Alan. Sans eux,
notre fonction d'onde se serait sûrement effondrée de façon dramatique.
PARTIE
1
Physique classique
et physique quantique
Sans doute avez-vous choisi ce livre parce que vous êtes curieux de la physique quantique et
que vous voulez en apprendre davantage. Peut-être avez-vous entendu dire que les plus petites
particules de matière choisissent parfois de se comporter comme des ondes. Ou avez-vous lu
que, quand le domaine quantique, les chats peuvent être à la fois vivants et morts. A moins
que vous ne vouliez comprendre les applications et le rôle de la physique quantique dans la vie
quotidienne et la fabrication des ordinateurs les plus rapides et les plus sûrs du monde.
Dans tous les cas, vous avez sans doute envie d'aller directement aux grandes découvertes des
physiciens, Planck, Bohr, Heisenberg, Einstein et Schrodinger. Mais si vous voulez apprécier
leurs travaux à leur juste valeur, il vous faut un point de comparaison pour jauger de ces
merveilles.
Ne craignez rien : avant la fin de ce livre, nous aurons abordé tout ce que vous voulez savoir
sur la physique quantique et même davantage. Pour vous échauffer, néanmoins, nous allons
vous présenter les grands piliers de la physique « non quantique ». On la qualifie désormais de
« classique », étant donné son charme et son utilité qui perdurent jusqu'à aujourd'hui. Notre
histoire commence sous un pommier de la campagne anglaise du xvn• siècle - et par rien de
moins que la naissance de la physique.
CHAPITRE
1
Le quantum de la physique
quantique
la température, la masse et la taille sont des quantités que l'on mesure couramment. Et
comme nous le verrons, la mesure est essentielle au développement, à la validation et à
l'application des nouvelles lois de la physique.
~ DÉFINITION
Une observation qualitative fournit des informations caractérisant les attributs ou les propriétés
spécifiques d'un objet ou d'un phénomène.
Une muure quantitative fournit des informations sur la taille ou la magnitude des caracté-
ristiques étudiées. et assigne une valeur numérique exprimée dans l'une des unités de base.
• Ne vous inquiétez pas de vos difficultés en mathématiques. Je vous assure que les miennes
sont bien plus grandes. •
Albert Einstein
Vous avez sans doute déjà entendu parler de la découverte d'Albert Einstein selon laquelle
la matière et l'énergie sont interchangeables sous certaines conditions. Il n'est pas difficile
d'écrire cela en mots, mais pour s'en servir, il faut un modèle mathématique. C'est là
qu'intervient la célèbre formule d'Einstein : E = mc2 • Vous l'avez sans doute déjà lue et
peut-être savez-vous que E représente l'énergie, m la masse et c la vitesse de la lumière.
En quelques traits de plume, elle indique avec exactitude combien d'énergie est contenue
dans un matériau d'une masse donnée.
Les physiciens empruntent deux voies très différentes pour dévoiler les lois de la physique et
les modèles mathématiques correspondants. Dans la première, les « théoriciens » travaillent
à leur bureau, avec un stylo et du papier ou, aujourd'hui, un ordinateur. Ils se servent de
la logique pour élaborer des formules dont ils pensent qu'elles décrivent le monde naturel.
Le point de départ de ce processus est souvent un ensemble d'autres lois bien établies, mais
il n'est pas rare d'introduire de toutes nouvelles lois fondées uniquement sur l'intuition.
Et en étudiant le développement de la physique quantique, nous verrons que ces idées
soudaines ont joué de fait un grand rôle.
La deuxième voie est celle des « expérimentateurs » et prend place en général dans un
laboratoire. Le point de départ de la physique expérimentale est un ensemble d'observa-
tions minutieuses, suivies de mesures non moins minutieuses. Dans la plupart des cas, les
expérimentateurs perturbent volontairement un système (par exemple en projetant de la
lumière sur un métal) et observent la façon dont il réagit. Une fois les données collectées,
ils recherchent les récurrences et en tirent des conclusions permettant d'établir de nouvelles
lois.
Chapitre 1 : Le quantum de la physique quantique 21
Bien sûr, ces deux approches se chevauchent et la limite est floue entre physique
théorique et physique expérimentale. En outre, elles dépendent fortement l'une de
l'autre. Les expérimentateurs comptent sur les théoriciens pour développer le cadre
mathématique nécessaire à la description de leurs observations, et les théoriciens
comptent sur les expérimentateurs pour confirmer que les phénomènes prédits sont
effectivement observés.
«La physique théorique sans expérimentation est vide. L'expérimentation sans la théorie est
aveugle.•
Heinz Pagels, physicien américain
Il existe une troisième approche qu'il vaut la peine de mentionner, en particulier pour son
importance dans la physique quantique. Si les physiciens expérimentaux ont du talent, il y
a des limites à ce qu'ils peuvent découvrir dans un laboratoire. Dans ce cas, ils emploient
souvent ce qu'on appelle en allemand Gedankenexperiment, c'est-à-dire une « expérience
de pensée».
~ DÉFINITION
Une exp6rlence de pen16e sert à imaginer le résultat et examiner les conséquences d'une
expérience qui ne peut être menée concrètement du fait de limitations physiques, matérielles
ou sociales.
Au xvmc siècle par exemple, le physicien anglais Isaac Newton s'est demandé ce qui
arriverait si l'on tirait un boulet de canon selon une trajectoire parallèle à la surface de la
Terre et à différentes vitesses. En se fondant sur des observations antérieures, il savait que,
tiré à faible vitesse, le boulet de canon retomberait sur Terre après une courte distance. Il
savait aussi que, tiré un peu plus vite, ce boulet voyagerait plus loin.
Il en a alors déduit que si l'on pouvait tirer un boulet de canon assez vite pour qu'il
suive la courbe de la Terre, il pourrait faire le tour du globe et revenir à l'endroit d'où
il avait été tiré ! Comme il n'était pas possible de tirer au canon aussi vite, il est arrivé
à cette conclusion uniquement par déduction. Nous rencontrerons beaucoup d'autres
expériences de pensée quand il s'agira d'interpréter les étranges conséquences de la
physique quantique.
22 Physique quantique - Le guide de référence
Le processus de la physique
Au fil de ces pages, nous allons introduire de nouveaux concepts en expliquant comment
ils ont été découverts. Mais dans le domaine quantique, ces concepts ne sont pas aussi
simples et faciles à comprendre qu'on pourrait le souhaiter. Pour prendre un bon départ,
commençons par considérer un phénomène familier et quotidien.
Imaginez que vous êtes à la cour du roi Arthur, assez près de la Table Ronde pour entendre
ce qui s'y dit. C'est le début de printemps, et le roi Arthur et Lancelot observent que les
jours vont en s'allongeant. Arthur a soigneusement étudié ce phénomène et remarqué que
la durée du jour augmente à peu près régulièrement. Il en a conclu que les jours conti-
nueront à s'allonger au même rythme. Il a même élaboré un modèle mathématique pour
le décrire : H = At, H représentant le nombre d'heures de jour, t la durée de ces jours et
A une constante quantifiant l'augmentation de la durée du jour par rapport au précédent
(la plupart des formules en physique exigent des constantes comme celle-ci pour que les
rapports mathématiques s'accordent à l'observation quantitative.)
Lancelot n'est pas du tout d'accord. Ayant observé l'automne précédent que les jours
raccourcissaient, il s'est fait la réflexion qu'il devait y avoir un cycle en jeu. Il propose
une formule alternative pour calculer le nombre d'heures de jour, fondée sur une simple
fonction trigonométrique sinusoïdale.
Avec des sabliers de pointe, Arthur et Lancelot mesurent soigneusement le nombre d'heures
diurnes tous les samedis pendant deux mois et les reportent sur un graphique. Ils ajustent
légèrement leurs formules pour les faire coller à leurs observations. C'est à ce moment-là
qu'Arthur sélectionne la valeur A de façon à ce que sa formule corresponde aux données.
En seulement deux mois d'observation, les deux formules correspondent suffisamment
aux données pour que les deux chevaliers soient sûrs de leur fait.
Chapitre 1 : Le quantum de la physique quantique 23
15
• • • Prédiction du roi Arthur
- Prédiction de Lancelot
14
l 13
.a
~
l 12
11
Mars Avril
Au bout de deux mois, les modèles d'Arthur et de Lancelot montrent une concordance
avec les valeurs observées (représentées par les ronds noirs).
Arthur s'en va ensuite par monts et par vaux pendant dix mois. Quand il franchit enfin le
pont-levis de Camelot, Lancelot ne peut s'empêcher d'exulter. Il suffit de voir comment
leurs formules correspondent aux observations pour comprendre pourquoi. Avec davantage
de données, le modèle de Lancelot s'est révélé exact, tandis que celui d'Arthur a manqué
son coup. La formule de Lancelot est donc acceptée, et celle d'Arthur rejetée.
Confiant dans la formule de Lancelot, Merlin (notre théoricien) se retire dans ses appar-
tements pour essayer de comprendre pourquoi elle marche. Après des réflexions et des
calculs mathématiques soigneux, il en conclut que non seulement la Terre tourne sur son
axe, mais que cet axe doit être incliné par rapport au plan de son orbite autour du Soleil.
Comme la Terre tourne autour du Soleil, son hémisphère nord est incliné vers le Soleil
durant l'été et incliné dans l'autre sens durant l'hiver. Par conséquent, les jours rallongent
au printemps et raccourcissent à l'automne.
24 Physique quantique - Le guide de référence
20
, , .
,,
• • • Prédiction du roi Arthur
- Prédiction de Lancelot ,
18
16
...
...
:>
.2,
:>
"C
14
~
~ 12
10
J F M A M J J A s 0 N D
Mols
Au bout d'un an, la théorie de Lancelot est validée tandis que celle d'Arthur est rejetée.
Mais l'examen des données révèle que même la prédiction de Lancelot n'est pas tout à fait
juste. Par exemple, en juin et en juillet, elle prévoit que les jours sont un peu plus courts
qu'ils ne le sont en réalité. La formule de Lancelot et l'interprétation de Merlin demandent
à être affinées pour correspondre à l'observation d'effets subtils. Néanmoins, cette théorie
est une très bonne approximation de la longueur des jours durant l'année. On peut même
s'en servir pour prédire la longueur des jours pendant de nombreuses années. Vu son succès,
cette théorie est élevée au statut de loi physique.
Bien que cet exemple soit une fiction, le processus par lequel le roi Arthur, Lancelot et
Merlin tentent de décrire la nature est typique de la manière dont on fait de la physique.
On observe un certain phénomène, puis les théoriciens en tirent des formules et des
interprétations pour l'expliquer. Les expérimentateurs procèdent à des mesures soigneuses,
et celles-ci servent à valider les théories réussies et à écarter les autres. Les théories qui
résistent à l'épreuve du temps acquièrent le statut de lois.
Dans l'intervalle, les divergences mineures entre théorie et expérience sont soigneusement
étudiées, afin de procéder à des ajustements qui les feront concorder encore mieux. En
général, cela consiste à prendre en compte les effets secondaires cohérents avec la théorie
Chapitre 1 : Le quantum de la physique quantique 25
en question. Mais dans certains cas, une légère divergence entre la théorie et l'expérience
révèle un défaut fondamental de la théorie et débouche sur l'émergence d'idées révolu-
tionnaires. Comme nous le verrons, ce fut le cas pour la physique quantique.
L'échelle quantique
Au début du xxc siècle, on avait développé un cadre élégant et très complet pour expli-
quer la plupart des faits ordinaires. Mais, en y regardant de plus près, on remarquait des
divergences curieuses entre la théorie et l'expérience. C'est grâce à l'investigation de ces
divergences que la physique quantique a vu le jour.
On admet aujourd'hui que, si ces divergences sont si longtemps restées dans l'ombre,
c'est parce que la physique quantique n'émerge que lorsqu'on traite de choses minuscules.
Elle n'est pas nécessaire, en effet, pour expliquer pourquoi les jours rallongent en été,
ni pourquoi les grains de sable forment un cône quand on les empile. On n'a besoin de
la physique quantique que lorsqu'on commence à s'occuper de choses plus petites qu'un
grain de poussière.
Cela ne veut pourtant pas dire qu'elle n'a pas d'importance dans la vie quotidienne.
Rappelez-vous que la physique sert à expliquer les rapports entre matière et énergie.
Comme nous le verrons dans les chapitres ultérieurs, les objets de tous les jours sont
composés de particules beaucoup plus petites qu'un grain de poussière. Par conséquent,
la compréhension des objets macroscopiques (ordinaires) dépend étroitement de la compré-
hension de leurs composants microscopiques.
~ DÉFINITION
Macroscopique qualifie des objets et des phénomènes de taille ordinaire, que l'on peut voir à
l'œilnu.
Microscopique qualifie des objets beaucoup plus petits, que l'on ne peut détecter qu'à l'aide d'un
microscope ou d'un autre instrument
Pour mettre cela en perspective, considérez le tableau suivant. Dans la colonne de gauche,
chaque nombre est dix fois plus petit que le précédent. L'épaisseur de ce livre, par exemple,
est cent fois plus petite que la taille d'un être humain, et le diamètre d'un cheveu est encore
cent fois plus petit. En descendant vers des échelles encore plus réduites, on entre dans le
domaine quantique : des ondes de lumière, des atomes et des particules.
26 Physique quantique - Le guide de référence
Mètres Objets
1 Taille de l'être humain
0,1
10-12
10-13
10-11 ,
La physique quantique ne devient apparente que lorsqu'on traite de choses exceptionnellement petites.
Dans les chapitres suivants, nous allons expliquer tous ces termes en détail, mais pour le
moment, il suffit de dire que les effets de la physique quantique n'apparaissent qu'à des
échelles un million de fois plus petites que vous.
PIÈGE ATOMIQUE
En notation scientifique, une différence d'une unité dans l'exposant correspond à une différence
de facteur dix en magnitude globale. Ainsi, J x 104 est cent fois plus grand que J x 102. Cette
écriture dense permet de connaitre immédiatement l'ordre de grandeur des valeurs considérées.
Nous avons utilisé deux sortes de nombres dans la colonne de gauche. Les dix premiers sont
écrits sous forme décimale, avec un 0 supplémentaire pour chaque réduction de facteur 10.
Les huit suivants sont écrits en notation scientifique. En général, un nombre en notation
Chapitre 1 : Le quantum de la physique quantique 27
scientifique (disons Mx 10N) peut s'écrire sous forme décimale avec le bon nombre de
0 et la valeur M. Quand N est positif, on introduit N 0 à gauche de la décimale et quand
il est négatif (N - 1) 0 à droite. Par exemple, 5 x 102 = 500 tandis que 5 X 10-3 = 0,005.
Si le nombre M n'est pas spécifié, cela veut dire qu'il est égal à 1. En d'autres termes, le
nombre 10-10 est équivalent à 1 x 10-10 •
Quoi de neuf ?
La physique quantique a un peu plus de 100 ans. Sa naissance au début du xxe siècle découle
principalement de la capacité à observer, manipuler et mesurer des objets à 1' échelle quan-
tique. Les physiciens ont en effet découvert que le monde microscopique n'était pas une
version réduite du monde macroscopique, mais un monde très différent, gouverné par des lois
assez étranges. Pour résumer, la physique quantique a débuté avec quatre idées principales.
Nous les expliciterons bien sûr en temps voulu, mais les voici brièvement résumées ici.
Granularité intrinsèque
Tout d'abord, la physique quantique nous apprend que, quand on passe à des échelles très
petites, certaines quantités physiques sont « pixélisées ». Des choses qui semblent continues
(lisses et graduelles) au niveau macroscopique sont de fait discrètes et morcelées à l'échelle
microscopique. En d'autres termes, elles sont délimitées par des valeurs distinctes et bien
séparées. Par exemple, les lois générales de la physique disent que l'énergie inhérente au
balancier d'une pendule pourrait prendre n'importe quelle valeur selon la vitesse et la
hauteur de son oscillation. Mais dans le domaine quantique, on verra que le balancier
d'une minuscule pendule ne peut pas osciller avec n'importe quelle énergie et qu'il est
limité à certaines valeurs énergétiques discrètes.
À première vue, cela semble moins révolutionnaire que cela n'est. À l'époque du tout-
numérique, nous sommes habitués à l'idée que les choses procèdent par petites étapes. Si
vous allumez votre chaîne hi-fi, par exemple, vous augmentez le son graduellement, comme
indiqué par de petits clics, une barre progressive ou même des valeurs chiffrées. De même,
tout le monde est accoutumé à l'apparence pixélisée des photos numériques prises en basse
résolution. Quand on affiche cette photo sur un écran d'ordinateur et qu'on zoome de plus
en plus, on voit que ce qui semblait lisse est en fait constitué de milliers de petits points.
La différence entre ces exemples de la vie quotidienne et la granularité quantique est que la
version quantique est inhérente et inévitable. On ne peut pas la dépasser. En principe, rien
28 Physique quantique - Le guide de référence
n'empêche d'imprimer ou d'afficher une photo avec une résolution de plus en plus haute.
À l'échelle quantique, toutefois, les pixels les plus petits n'existent tout simplement pas.
Dans le domaine quantique, de nombreuses quantités physiques sont de nature discrète ou pixélisée.
Incohérences logiques
La deuxième différence majeure est l'idée désagréable qu'on ne peut pas toujours compter sur
la logique dans le monde microscopique. Les physiciens trouvent cela particulièrement trou-
blant, étant donné le rôle important que joue la logique dans les sciences en général. Quand
des incohérences se manifestent, cela jette le doute sur l'existence d'un cadre cohérent.
Avez-vous déjà souhaité, par exemple, assister au match de championnat de votre équipe
tout en étant au mariage d'une de vos amies? Dans la vie ordinaire, il est impossible d'être
à deux endroits à la fois. Cette interdiction s'applique aussi bien aux choses qu'aux gens.
Mais dans le domaine quantique, il est possible pour des objets d'être simultanément en
plusieurs endroits. La probabilité en est la raison.
La probabilité a plus d'importance en physique quantique que dans les situations ordinaires.
Dans le monde que nous connaissons, vous allez à l'école ou au travail du lundi au vendredi,
et vous êtes chez vous le samedi et le dimanche. Cela signifie qu'en choisissant une date
au hasard, il y a 71 % de chances (5 sur 7) que vous soyez à l'école ou au travail et 29 % de
chances (2 sur 7) que vous soyez chez vous. Mais le jour dit, vous serez sans aucun doute
dans l'un ou l'autre lieu.
Chapitre 1 : Le quantum de la physique quantique 29
Les choses sont un peu moins claires en physique quantique. Dans ce cas, il est possible
d'être dans deux endroits en même temps. À moins que quelqu'un ne vous téléphone et
ne détermine que vous êtes dans l'un ou l'autre lieu. Une fois que vous avez répondu au
téléphone, votre position est dévoilée et vous êtes exclusivement dans un seul lieu. Mais
avant de prendre le téléphone, vous existiez littéralement dans les deux lieux. Cela paraît
étrange, mais c'est ainsi en physique quantique.
Ce n'est pas le seul paradoxe que l'on trouve. Les objets quantiques peuvent exister dans des
endroits interdits en physique classique, apparaître soudainement ou exhiber des propriétés
mutuellement exclusives selon la façon dont on les considère. Pour le meilleur ou pour le
pire, tout cela est parfaitement en accord avec les règles insolites de la physiqtlie quantique.
Incertitude inhérente
On se sert couramment du concept d'incertitude quand on ignore si quelque chose va se
produire ou non. Quand le présentateur de la météo dit qu'il y a 60 % de chances qu'il
pleuve dans un certain lieu le lendemain, il ne peut pas prédire avec certitude qu'il pleuvra.
Il peut seulement hasarder qu'il y a plus de chances qu'il pleuve que le contraire.
Au fil des ans, les prévisions météo se sont améliorées, et les bulletins sont aujourd'hui
beaucoup plus précis qu'il y a 20 ou 40 ans. C'est parce que les instruments destinés à
recueillir les données et à traiter les valeurs se sont affinés également. En principe, rien
ne nous empêche de développer des instruments de plus en plus précis et d'émettre par
conséquent des bulletins de plus en plus exacts. Ce ne serait pas facile et cela coûterait
beaucoup d'argent, mais il serait possible en théorie de réduire l'incertitude des prévisions
météorologiques à presque rien.
En physique quantique toutefois, la certitude avec laquelle on peut comprendre un système
quantique est limitée. Nous verrons cela plus en détail au chapitre 9, mais il suffit de dire
pour l'instant que dans le monde microscopique, on est toujours aux prises avec un certain
degré d'incertitude. Comme nous le verrons, cela a des conséquences très réelles - dont
l'incapacité à déployer les lois de la physique pour faire des prédictions n'est pas la moindre.
L'incertitude inhérente, et la perte de prévisibilité qui en résulte, est la troisième différence
majeure entre la physique classique et la physique quantique.
30 Physique quantique - Le guide de référence
Mesures interactives
Un peu plus haut dans ce chapitre, nous avons décrit le processus de la mesure et souligné
son importance pour développer et affiner les lois de la physique. Dans le monde macros-
copique, la mesure peut être effectuée indépendamment du système observé, sans que
cela ait une influence sur lui. Si l'on veut connaître la longueur d'une table, on sort un
mètre-ruban et on la mesure. Si l'on veut savoir s'il fait chaud, on regarde le thermomètre.
En physique quantique, comme vous vous en doutez, les physiciens ne disposent pas de
ce luxe. Dans le monde microscopique, dès que vous mesurez une propriété quelconque,
vous perturbez le système de façon incontrôlable. Ce n'est pas parce que les physiciens
quantiques sont maladroits et cela n'a rien à voir (ou très peu) avec le fait que les systèmes
quantiques sont très petits et donc très sensibles.
Non, comme nous le verrons dans la quatrième partie de ce livre, il existe un rapport
fondamental et inséparable entre le processus de la mesure et l'état physique du système.
Ce lien est inhérent à la physique quantique, et, comme vous pouvez l'imaginer, il force les
physiciens à repenser le processus standard de l'observation, de la théorie et de l'expérience.
PIÈGE ATOMIQUE
Dans les chapitres suivants, nous citerons nombre de théories pré-quantiques validées qui ont
été infirmées par les découvertes de la physique quantique. Nous devrons ainsi mentionner le
fait que de nombreux physiciens pré-quantiques se sont trompés sur certaines choses. Nous le
ferons avec tous les égards dus. car leurs travaux sont dignes de respect. vu les instruments et
les connaissances dont ils disposaient à l'époque.
Nous avons parlé de quatre idées qui caractérisent la physique quantique, mais vous voyez
qu'elles se chevauchent en partie. A dire vrai, d'autres surprises vous attendent. Mais
plutôt que d'agiter les bras en signe de stupéfaction, l'heure est venue de vous asseoir
confortablement et d'entamer l'histoire de la physique quantique.
Chapitre 1 : Le quantum de la physique quantique 31
2
Mécanique pré-quantique
~ DÉFINITION
La premlàn loi de Newton affirme qu'un objet au repos demeure au repos, et qu'un corps en
mouvement continue à se déplacer en ligne droite, à moins qu'une force n'agisse dessus.
La deud6me loi de Newton affirme que l'accélération d'un corps est directement proportionnelle
à la force agissant sur ce corps et inversement proportionnelle à sa masse.
La trolal6me loi de Newton affirme que pour chaque action, il existe une réaction opposée et
égale.
Chapitre 2 : Mécanique pré-quantique 39
Mais dans de nombreux cas, la somme totale des forces agissant sur un objet ne s'annule
pas tout à fait. Quelque chose cède et le mouvement de l'objet en est modifié.
Le billard en est un bon exemple. Pour entamer le jeu, on aligne la queue derrière la boule
de choc et on imprime une secousse. Ce faisant, la queue transmet une force à la boule.
Parce qu'il n'y a rien de l'autre côté pour l'empêcher d'avancer, elle commence à bouger
et à accélérer dans la direction impulsée par la secousse.
Si vous connaissez la puissance avec laquelle vous avez heurté la boule de choc (F) et la
masse de la boule (m), vous pouvez déterminer sa vitesse et la direction de son mouvement
(a, son accélération). Ce rapport s'appelle« la seconde loi de Newton». Elle dit que l'ac-
célération d'un objet est directement proportionnelle à la force appliquée et inversement
proportionnelle à sa masse : F = ma.
PIÈGE ATOMIQUE
Les termes masse et poids sont souvent confondus, mals à strictement parler, ce sont des choses
différentes. La masse est la mesure de la quantité de matière dans un corps, et elle s'exprime en
kilos. Le poids est la force par laquelle ce corps est attiré vers la Terre et on l'exprime en newtons
IN). Au niveau de la mer, l kilogramme de matière• pèse• environ 10 N. Au-dessus de la surface
de la Terre, là où l'attraction gravitationnelle est moindre, il • pèse • beaucoup moins. Dans cet
ouvrage, quand nous parlons d'un • corps massif ., nous voulons simplement dire un corps qui a
de la masse, pas forcément un objet lourd.
Une fois frappée, la boule de choc roule jusqu'à ce qu'elle rencontre les autres boules,
joliment assemblées en triangle. En les heurtant, elle leur imprime sa propre force. Ce
qui arrive ensuite dépend de la vitesse et de la direction de la bille de choc, de l'angle
sous lequel elle frappe l'arrangement triangulaire et de la perfection de cet arrangement.
A supposer que l'on en sache suffisamment sur la position initiale des boules, on pourrait
se servir des lois de Newton pour déterminer leur mouvement et leur position sur la table
après le coup d'ouverture. La capacité à les prédire, de même que la capacité à contrôler
la vitesse et la direction de la bille de choc, est ce qui distingue les requins du billard des
petits poissons.
La première et la deuxième loi de Newton étaient suffisantes pour lui valoir une place
dans !'Histoire. Mais pour faire bonne mesure, il en formula une troisième. Elle dit que
chaque fois qu'un objet imprime une force à un second objet (par exemple, quand vous
vous asseyez dans votre fauteuil), ce second objet lui imprime une force égale et opposée
(le fauteuil qui vous soutient). En termes simples, pour chaque action, il existe une réaction
égale et opposée.
36 Physique quantique - Le guide de référence
I
I
I
~-~-
\ I
\ I
\ I
\ I
\ I
\ I
\ I
\ I
\ I
'W
Les flèches représentent les forces gravitationnelles pointant vara le centre de la Te~ fies objets ne sont bien sllr
pas â l'échelle). Acœssoirament l'attraction gravitationnelle sur la Lune est BOO 000 000 000 000 000 000 fols
plus forte que sur la pomme, en raison de la taille bien plus grande de la Lune.
Newton émit donc l'hypothèse que la force qui attirait la pomme vers le sol avait la même
origine que la force gardant la Lune en orbite. Bien sûr, la force gravitationnelle ne se
contente pas d'agir sur les pommes, la Lune et la Terre. Elle agit sur tous les corps qui
ont une masse quelconque. La théorie de Newton prédit que peu importe la masse ou la
distance séparant deux corps, ils seront toujours attirés l'un vers l'autre par la force gravi-
tationnelle. En d'autres termes, sa théorie était une théorie de la« gravitation universelle•.
En appliquant sa théorie ainsi que ses lois du mouvement aux lunes et aux planètes visibles
dans le ciel nocturne, Newton put expliquer pourquoi la Lune orbite autour de la Terre et
pourquoi la Terre orbite autour du Soleil. En fait, ses lois étaient tout ce qu'il nous fallait
pour envoyer des engins spatiaux jusqu'aux confins du Système solaire.
38 Physique quantique - Le guide de référence
A présent que vous savez que les corps massifs sont attirés les uns vers les autres par la
gravité, vous vous demandez sans doute pourquoi les planètes ne sont pas tout simplement
attirées vers le Soleil et englouties dans un dernier tour de piste flamboyant. La réponse
est qu'elles ne se contentent pas de dériver paresseusement dans l'espace. En réalité, elles
parcourent à grande vitesse de vastes orbites autour du Soleil.
A tout moment, les planètes se déplacent en ligne droite sur une trajectoire parallèle à la
surface du Soleil. La première loi de Newton établit qu'elles continueraient à se déplacer
en ligne droite si une force n'agissait sur elles. Mais l'attraction gravitationnelle du Soleil
fait que les planètes sont attirées sur une ligne perpendiculaire à sa surface. En gros, elles
« coupent la poire en deux » entre la trajectoire parallèle et la trajectoire perpendiculaire
et se déplacent donc suivant une orbite courbe autour du Soleil.
Bien que les astronomes aient observé le mouvement des planètes pendant des milliers
d'années, il a fallu attendre les théories de Newton pour le décrire avec précision et
élégance. En hommage à cette remarquable contribution, on baptisa~ newton» l'unité
utilisée aujourd'hui en physique pour mesurer la force.
de thé posée sur la table près de vous. Si vous heurtiez la table par accident, l'énergie
emmagasinée entrerait en action, faisant tomber la tasse par terre.
Une autre manière d'expliquer cela est le champ gravitationnel, c'est-à-dire la zone d'in-
fluence qui entoure un corps massif et quantifie l'attraction gravitationnelle autour de lui.
Imaginons deux objets massifs, par exemple Dupont et Dupond. Quand Dupont se tient
auprès de Dupond, l'attraction gravitationnelle qu'il éprouve est déterminée par la puis-
sance du champ gravitationnel de son compagnon. Même si Dupond a une taille finie, son
champ gravitationnel remplit l'espace autour de lui et s'étend à l'infini. La puissance de
ce champ décroît avec la distance, si bien qu'elle est plus grande à proximité de Dupond
et plus réduite à quelque distance.
Les concepts d'énergie potentielle et de champ gravitationnel se sont révélés très utiles non
seulement pour interpréter les effets de la gravité, mais aussi pour comprendre les autres
forces de la nature. Nous reviendrons souvent aux rapports entre force, énergie potentielle
et champ gravitationnel.
~ DÉFINITION
De manière générale. l'état d'un objet se résume aux informations nécessaires pour expliquer
l'effet qu'ont sur lui les lois de la physique. Qu'il s'agisse de boules de billard ou de satellites en
orbite autour de la Terre. tout ce dont on a besoin est de leur position et leur vélocité jc'est-à-dire
la vitesse et la direction du déplacement).
En y réfléchissant, vous comprendrez que les états futurs des corps dans un système sont
déjà déterminés par leur état présent. Au grand chagrin de la Lune, Newton a démontré
que les corps célestes ne sont pas libres de se déplacer comme bon leur semble. Ses lois du
mouvement - également appelées « mécanique classique » - leur ont prescrit un mouvement
pour toujours !
40 Physique quantique - Le guide de référence
En outre, les mêmes lois disent que si l'on connaît l'état présent de chacun des corps d'un
système gravitationnel, on peut prédire leur état futur à tout moment de l'avenir. C'est le
principe de « déterminisme prédictif».
~ DÉFINITION
Le d6termlnt1me cau1al dit que l'état présent d'un système détermine ses états futurs. Le
d6termlnlame pr6dlcUf dit que lorsqu'on connait l'état présent d'un système, on peut prédire
tous ses états futurs.
C'est grâce aux lois de Newton et au déterminisme prédictif que l'on peut prévoir un
grand nombre de phénomènes naturels observables au quotidien. Prenons par exemple les
marées. Elles vont et viennent en accord avec la position de la Lune par rapport à la Terre.
Comme la Lune est un corps très massif, son attraction gravitationnelle est assez puissante
pour avoir une influence sensible sur les océans. Quand la Lune s'élève dans le ciel, elle
tire les océans vers le haut et c'est la marée haute. Quand elle descend sur l'horizon, c'est
la marée basse. Comme il est possible de prédire la position de la Lune avec la mécanique
classique, il est également possible de prévoir les horaires des marées. Ces lois peuvent
aussi servir à prédire l'arrivée de comètes, les dates des éclipses et même - en principe - la
météo du lendemain.
Inspiré par les théories de Newton, l'horloger anglais George Graham construisit dans les
années 1700 la première machine d'Orrery moderne. Ce dispositif mécanique affichait les
positions relatives du Soleil, des planètes et des lunes comme autant d'aiguilles sur une horloge
géante. L'univers de Newton était donc d'une précision mécanique : une fois remonté et mis
en mouvement, il donnait la position de tous les corps célestes pour l'éternité.
Les lois de Newton furent utilisées pour décrire sans faille le mouvement d'objets aussi
divers que les planètes, les boules de billard et les grains de sable. Mais il y a cent ans
environ, les physiciens commencèrent à manipuler des choses beaucoup plus petites. Et
comme nous le verrons dans la quatrième partie de ce livre, les concepts du déterminisme
perdirent en clarté dans le domaine microscopique.
Imaginons que vous achetiez un télémètre sophistiqué pour mesurer à la seconde près la
position et la vitesse de la Lune. Quelle que soit la qualité de ce télémètre, vos mesures
souffriront d'une légère erreur. Au bout d'un an, cette erreur sera bien supérieure à celle
de votre mesure initiale. Au bout de deux ans, elle aura encore augmenté, et au bout de
mille ans, vous aurez tout faux.
Pour faire des prédictions tout à fait exactes, il faudrait améliorer les télémètres en sorte
que les erreurs de mesure se réduisent à O. Cela demanderait beaucoup de travail, mais rien
ne s'y oppose en physique classique. Dans ce domaine, les mesures peuvent être effectuées
avec ce qu'on appellerait une infinie précision, ou une incertitude proche de 0, pourvu
que l'on soit prêt à travailler dur. Les prédictions du futur peuvent donc être faites avec
autant d'exactitude qu'on le souhaite.
Mais comme le concept de déterminisme, le concept de certitude devient un peu flou dans le
domaine quantique. Et, nous le verrons aux chapitres 9 et suivants, le principe d'incertitude
joue un rôle central dans la compréhension et l'interprétation de la physique quantique.
ISAAC NEWTON
Isaac Newton naquit en 1642. Prématuré, il aurait pu tenir
dans une bouteille d'un quart de litre, comme le disait en
plaisantant sa mère. Heureusement, il survécut à ses
premiers jours et engendra par la suite une série de
remarquables avancées scientifiques.
Newton acheva ses études universitaires vers vingt ans
et, dans les deux ans suivant l'obtention de son diplôme,
fonda trois branches indépendantes des mathématiques
et de la science. Réfugié dans la campagne anglaise pour
échapper à une épidémie de peste à Londres, il y inventa
les principes du calcul infinitésimal, jeta les fondations
de l'optique géométrique et formula le principe de
gravitation universelle.
Le monde allait néanmoins devoir attendre, car il choisit de ne pas les publier
immédiatement. Il craignait en effet d'attirer l'attention, une perspective qui lui était très
désagréable en raison de sa nature excessivement introvertie. En 1684 cependant, son
collègue Edmund Halley (oui, le Halley de la comète) offrit de financer la publication de
son livre. Ce dernier espérait donner le jour à un best-seller, son investissement antérieur
- L'Histoire des poissons - ayant été un échec commercial.
Les Principia de Newton sont sans conteste l'une des publications scientifiques les plus
importantes de tous les temps. Parmi d'autres choses, ils lui valurent d'être le premier
scientifique adoubé chevalier.
42 Physique quantique - Le guide de référence
~ DÉFINITION
En général, une loi de colll8"atlon dit qu'une certaine propriété physique (masse ou énergie)
d'un système physique fermé demeure inchangée quels que soient les processus physiques ou
chimiques auquel il est soumis. Cette propriété peut prendre plusieurs formes (énergie cinétique
ou énergie potentielle). mais la somme de ses parties demeure constante.
Ici, l'énergie de la Lune prend deux formes distinctes. En heurtant la Terre à grande
vitesse, elle a beaucoup d'énergie cinétique - c'est-à-dire d'énergie de mouvement. Mais
au moment où elle fait halte sur son orbite, son énergie a la forme d'une énergie potentielle
de gravitation. Durant la chute, la somme de son énergie cinétique et de son énergie
potentielle est fixe et son énergie totale demeure constante. La conservation de l'énergie
signifie que l'énergie n'est ni créée ni détruite, même si elle peut changer de forme.
Dans ce livre, une troisième loi de conservation se révélera importante : la conservation
de la charge électrique. Comme nous le verrons au chapitre suivant, la gravitation repose
sur la masse, comme l'électricité et le magnétisme reposent sur ce qu'on appelle la« charge
Chapitre 2 : Mécanique pré-quantique 43
3
Matière et lumière
SAUT QUANTIQUE
Newton est également célèbre pour avoir étudié l'arc-en-ciel créé par un étroit rayon de lumière
passant à travers un prisme placé dans une pièce sombre. Il en déduisit avec justesse que la
lumière blanche est faite de plusieurs couleurs, décomposées par le prisme. Mais son hypothèse
selon laquelle la lumière rouge se recourbe moins que la lumière violette parce qu'elle a plus
de • force • interne n'était pas aussi heureuse. Cette erreur inhabituelle présageait l'échec de sa
théorie des particules en faveur de la théorie des ondes.
Newton rejeta le concept d'onde au motif qu'il semblait incohérent avec son approche
géométrique des miroirs et des lentilles. Et vu le respect dont iljouissait parmi les physiciens
de son époque, la théorie ondulatoire de la lumière resta dans l'ombre pendant plusieurs
décennies. Mais même Newton ne pouvait résister aux preuves expérimentales, et quelque
deux siècles plus tard, sa théorie des particules de lumière finit aux oubliettes.
Chapitre 3 : Matière et lumière 4'1
~ DÉFINITION
I.:lnterf6rence ondulatoire est !"interaction entre deux ondes qui se chevauchent. J.:lnterf6rence
constructive se produit quand les ondes se combinent pour donner une onde plus large.
L'lnterf6rence destructive se produit quand les ondes s'annulent l'une l'autre.
La superposition est la somme arithmétique de deux ondes ou plus. de telle sorte que la hauteur
totale de l'onde résultante est équivalente en tout point aux hauteurs combinées des ondes
individuelles.
48 Physique quantique - Le guide de référence
Interférence constructive
Pif\;_
pV\J
(\ -
Interférence destructive
Quand deux ondes interférent, la taille de l'onde résultante dépend de la superposition des crêtes des deux
ondes (en haut), de la superposition de leurs creux (en bas) ou d'un phénomène intermédiaire.
Qu'est-ce que cela a à voir avec la lumière ? Imaginons maintenant que vous êtes dans
une chambre obscure et que la porte s'ouvre soudain sur un couloir éclairé. Un grand
rectangle de lumière est projeté sur le mur de la chambre. Mais que se passe-t-il si vous
refermez la porte en sorte que l'espace entre la porte et le chambranle soit le plus mince
possible? Au tournant du x1x• siècle, un compatriote de Newton, Thomas Young, chercha
la réponse à cette question.
Chapitre 3 : Matière et lumière 49
• Elle est infiniment moins utile et ingénieuse que la théorie indienne de l'éléphant et la tortue. •
Une critique peu enthousiaste de l'expérience de Thomas Young, publiée dans l'Edinburgh Review
par un partisan inconditionnel de Newton.
Pour résoudre le problème, Young découpa deux petites fentes dans un objet par ailleurs
opaque et le plaça dans une chambre obscure. Il projeta un faisceau de lumière par les
fentes et examina l'écran placé à quelques mètres. Au lieu de constater l'apparition de
deux bandes minces, comme le prédisait l'optique géométrique, il vit toute une série de
raies, un peu comme une clôture. L'explication la plus cohérente avec cette observation
contredisait formellement la théorie des particules de lumière : la lumière se comportait
bien comme une onde.
Young émit l'hypothèse que le faisceau initial était une onde se déplaçant à travers la
chambre. Les deux fentes (les points A et B sur son diagramme original) étaient les sources
d'une nouvelle onde- - comme les formes circulaires créées par des vagues passant à travers
un étroit canal. En s'éloignant des fentes, les deux ondes commençaient à se chevaucher et
à interférer l'une avec l'autre. Sur l'écran, le motif résultant était donc une série de raies,
sombres quand la crête d'une onde rencontrait le creux d'une autre (les points C, D, E et
F) et lumineuses quand les crêtes des deux ondes coïncidaient.
13
Le diagramme original de Young montre le résultat de sa célèbre expérience des deux fentes :
une figure d'ondes qui se chevauchent.
Le terme technique pour ce qu'avait vu Thomas Young sur son écran est« phénomène
de diffraction». On observe une diffraction chaque fois que deux ondes interfèrent l'une
avec l'autre, qu'il s'agisse de vagues sur un lac ou de lumière passant à travers une fente
étroite dans une pièce obscure.
50 Physique quantique - Le guide de référence
~ DÉFINITION
La dlffracHon est l'image qui apparait quand deux ou plusieurs ondes interfèrent après être
passées par une étroite ouverture : on voit des raies lumineuses émerger là où les ondes interfèrent
de façon constructive, et des raies sombres là où elles interfèrent de façon destructive.
D'abord accueillis avec scepticisme, les travaux de Young (et ceux d'autres physiciens)
gagnèrent progressivement la reconnaissance des scientifiques. Et ils finirent par renvoyer
dans les cordes la théorie de Newton sur la nature corpusculaire de la lumière. Mais le
coup final arriva un demi-siècle plus tard, avec les découvertes du physicien écossais James
Clerk Maxwell.
À peu près au même moment, cependant, des observations suggérèrent que 1' électricité et
le magnétisme étaient peut-être liés. Se fiant à cette piste, Maxwell formula un ensemble
de quatre équations simples qui, à la stupéfaction générale, démontrèrent que l'électricité
et le magnétisme étaient les deux faces d'une même médaille. Ces deux phénomènes sont
désormais englobés dans ce qu'on appelle le champ électromagnétique.
Tout comme le champ gravitationnel permet à une masse d'en attirer une autre, le champ
électromagnétique de Maxwell permet à une charge positive de repousser les autres charges
positives et d'attirer les charges négatives. Maxwell montra aussi qu'un courant de charges
électriques en mouvement suscite un champ électromagnétique qui peut déplacer l'aiguille
d'une boussole. Il poursuivit en démontrant que, si ces charges augmentent de vitesse ou
changent de direction (c'est-à-dire sont soumises à une accélération), elles produisent une
onde électromagnétique voyageant dans l'espace. Cette onde est mieux connue sous le
nom de « perturbation du champ électromagnétique ».
«L'électrodynamique classique» de Maxwell, comme l'on appelle aujourd'hui, eut une
portée immense. Elle était capable d'expliquer à peu près tous les phénomènes électriques
ou magnétiques de l'époque. Elle explique notamment pourquoi des couleurs sortent du
prisme de Newton et pourquoi les doubles fentes de Young donnent lieu à une diffraction.
Les physiciens et les ingénieurs s'en servent encore pour décrire avec une grande exactitude
d'innombrables phénomènes électriques et magnétiques.
~ DÉFINITION
L'6lectrodynamlque clualque est une théorie classique (pré-quantique) qui décrit le comporte-
ment des systèmes électriques et magnétiques. Elle est gouvernée par les quatre équations de
Maxwell et elle détaille avec exactitude les phénomènes électriques et magnétiques des systèmes
macroscopiques.
On s'en sert même pour calculer la vitesse à laquelle les ondes électromagnétiques voyagent
dans un espace vide. De manière remarquable, Maxwell démontra que celles-ci se déplacent
exactement à la même vitesse que celle estimée par les physiciens pour les rayons de
lumière! Si sa théorie ne fut confirmée par l'expérimentation que quelques décennies plus
tard, il restait peu de doute sur le fait que la lumière était effectivement un phénomène
ondulatoire. Les particules de Newton ne furent pas seulement renversées, elles furent
assommées par K.-O. une bonne fois pour toutes.
Mais ce n'est pas tout. Tout comme la mécanique classique prédit les états futurs de parti-
cules massives interagissant sur le plan de la gravité, 1' électrodynamique classique prédit les
52 Physique quantique - Le guide de référence
états futurs des charges électriques, pourvu, bien sûr, qu'on connaisse leur état initial. Ces
deux branches de la physique classique s'accompagnent de déterminisme causal et prédictif.
Le spectre électromagnétique
On sait aujourd'hui que la lumière visible n'est pas la seule onde électromagnétique. Les
ondes radio captées par les téléphones portables et les micro-ondes font aussi partie du
large spectre électromagnétique. La seule différence entre ces différents types d'ondes est
le rythme auquel elles oscillent, que l'on désigne du nom de fréquence et par le symbole
f Selon la physique classique, le spectre électromagnétique est continu, et toutes les
fréquences sont possibles.
Outre la fréquence, on peut caractériser les ondes électromagnétiques par leur« longueur ».
La distance séparant les pics d'une onde est appelée longueur d'onde et représentée par le
symbole grec À.. Dans le cas de la lumière visible, la lumière rouge a une longueur d'onde
supérieure (et une fréquence inférieure) à la lumière violette, qui a la longueur d'onde la
plus courte (et une fréquence supérieure).
La troisième grandeur nécessaire pour décrire les ondes électromagnétiques est la vitesse de
leur déplacement. Cette vitesse de la lumière est représentée par la lettre c. C'est une valeur
constante, qui ne change jamais, quel que soit le type d'onde électromagnétique. Elle sert
aussi de limite de vitesse universelle, car rien ne peut voyager plus vite que la lumière. Sur
le plan mathématique, ces trois quantités sont telles que c = l.f. Comme toutes les ondes
électromagnétiques voyagent à la même vitesse, les longueurs d'onde plus longues ont des
fréquences plus basses et les longueurs d'onde plus courtes, des fréquences plus hautes.
La plupart des sources de lumière, telles que le Soleil ou 1' éclairage électrique, émettent de
fait une lumière qui englobe un éventail de fréquences. Les physiciens se servent également
de sources lumineuses spéciales, qui émettent une lumière pure à fréquence unique, que
l'on appelle« lumière monochromatique».
~ DÉFINITION
La longueur d'onde (d'une onde) est la distance séparant deux pics successifs.
La fr6quence d'une onde est le nombre d'oscillations par unité de temps.
La lumière émise sur une seule fréquence (ou longueur d'onde) est appelée monochromatique.
Comparées aux vagues à taille humaine observées durant notre expédition de pêche,
les ondes lumineuses sont remarquablement courtes. En fait, la longueur d'onde d'un
Chapitre 3 : Matière et lumière 53
10 micro-ondes
Infrarouges
100000
lumière visible 0,0001
10000000
ultraviolets 0,000001
100000 000 rayons X
0,0000001
La • taille • d'une onde électromagnétique est déterminée par sa longueur d'onde ou sa fréquence. Toutes les
fréquences sont permises, formant un large spectre. Notez qu'un gigahertz (1 GHz} est égal a I milliard de
hertz (I 000 000 000 Hz}, I •hertz• signitiant un cycle par seconde.
C'est cette « petitesse » des ondes lumineuses qui avait induit Newton en erreur. En
effet, comparées aux dimensions d'une lentille, d'un miroir ou d'un prisme ordinaires,
les ondes lumineuses sont extrêmement courtes. Cela signifie que, lorsque la lumière
rebondit sur un de ces objets ou passe au travers, la déviation que subit sa trajectoire est
54 Physique quantique - Le guide de référence
~ DÉFINITION
Quand un objet ou une substance est chauffé·e ou excité·e au point d'émettre un halo, on appelle
spectre d'émission le 1cbéma de fr6quence1 jou de longueurs d'onde! observé.
Le rayonnement thermique est un type d'onde électromagnétique émis par un objet physique
en fonction de sa température.
fréquence
\
fréquence
Ce graphique montre trois spectres d'émission pour un corps solide chauffé â différentes températures
(en haut) et le spectre d'émission d'un gaz excité (en bas). Le spectre d'émission d'un gaz chauffé
est essentiellement le méme, quelle que soit la température (seule /'épaisseur des raies change).
Modifier la couleur du tisonnier n'est pas seulement une manière d'amuser ses invités,
c'est d'une grande utilité scientifique. En effet, le rapport entre le spectre d'un objet
incandescent et sa température est universel et dépend très peu de la nature exacte de cet
objet. Cette relation universelle a été mise en évidence par le photographe britannique
Thomas Wedgwood, qui a remarqué que tous les objets chauffes à une certaine température
56 Physique quantique - Le guide de référence
luisaient de la même couleur. Bien sûr, cela signifie qu'on peut déduire la chaleur d'un
objet à sa couleur, sans avoir à le toucher.
SAUT QUANTIQUE
La relation couleur-température de Thomas Wedgwood a servi à montrer que l'émission spectrale
du Soleil peut atteindre une longueur d'onde de 0,00005 cm. Par colncidence, il s'agit du centre
du spectre visible à l'être humain 1Comment le Soleil a-t-il fait pour correspondre parfaitement
à notre vision 7 La réponse à cela est venue de nul autre que Darwin, un cousin de Wedgwood •
l'œil humain a évolué en réaction au Soleil, plutôt que le contraire.
Par contraste avec les larges spectres continus émis par les matériaux solides chauffés, les
gaz excités électriquement n'émettent de la lumière que sur quelques fréquences distinctes,
soit d'étroites raies de couleur pure. Inversement, quand on projette une lumière blanche à
travers un gaz, il absorbe la lumière à ces fréquences particulières. Les gaz sont caractérisés
par de discrets ensembles de raies spectrales, et chaque type de gaz possède le sien. Dans la
deuxième partie, nous reviendrons sur les différences entre les solides et les gaz du point
de vue de la physique quantique.
Un peu plus haut, nous avons observé que 1' électrodynamique classique de Maxwell pouvait
expliquer la majorité des phénomènes électromagnétiques de la vie quotidienne. Mais les
spectres émis par les corps solides chauffés et les gaz excités résistent à cette explication.
Et comme nous le verrons aux chapitres 5 et 6, ces cas apparemment exceptionnels ont
mis en évidence une lacune fondamentale, qui a fait tomber la physique classique de son
piédestal et a précipité l'ère de la physique quantique.
varie quelque peu, il est plus exact de dire que la température ambiante et la pression sont
déterminées par la vitesse moyenne des particules en mouvement.
Le rapport général entre vitesse, température et pression des particules est le sujet d'une
branche de la physique en soi. La thermodynamique, ainsi qu'on la nomme, peut être quali-
fiée de troisième et dernier pilier de la physique classique. Et comme la célèbre conférence
de Maxwell l'a montré, les petites particules qui composent l'air que nous respirons sont
au cœur de cette branche. C'est ici que notre histoire prend un nouveau virage.
4
Théories atomiste
et atomique
L'indivisible atome
Imaginez que vous soyez isolés sur une île déserte avec un bloc d'or pur et un couteau
particulièrement affûté. N'ayant rien d'autre à faire, vous vous servez de ce couteau pour
couper le bloc d'or en deux. Puis, ayant accompli cet exploit, vous coupez de nouveau l'un
des morceaux en deux et répétez l'opération jusqu'à obtenir des morceaux d'un huitième
de la taille du bloc original. Avant de mourir d'insolation sous un soleil implacable, vous
les découpez encore et encore, jusqu'à avoir un tas de petits morceaux d'or en tout point
identiques au premier, sauf en ce qui concerne la taille.
Mais pourriez-vous continuer indéfiniment à découper l'or en morceaux toujours plus
petits ? Si vous posiez la question à Leucippe de Milet, un philosophe grec qui méditait ces
choses il y a 2 500 ans, il aurait certainement répondu« non». Leucippe était d'opinion
que tout ce qui nous entoure est constitué d'un nombre immense de particules indivisibles,
remplissant un espace par ailleurs vide.
Il en avait conclu que les objets de tous les jours - par exemple, un bloc d'or pur - sont
formés de particules identiques en nombres infinis. Ces constituants fondamentaux ne
peuvent pas être divisés, quel que soit le tranchant du couteau. Il existe une infinie variété
de ces particules, et on peut les combiner de plusieurs manières pour former tous les types
de matière.
Démocrite d'Abdère, un élève de Leucippe, poussa cette idée plus loin et nomma ces
petites particules atomos, c'est-à-dire « indivisibles » en grec. Quelques années plus tard,
Lucrèce immortalisa ce concept dans son poème De rerum natura (De la nature des choses).
SAUT QUANTIQUE
Si Newton et Maxwell n'étaient pas d'accord sur la nature particulaire de la lumière, ils croyaient
tous deux à la notion grecque de l'atome. Dans son Optique, Newton parle de • particules solides,
massives, dures, impénétrables et mobiles ... Tellement dures qu'elles ne sauraient s'user ou se
rompre jamais. • En 1872, Maxwell écrivit que les atomes sont • les seules choses matérielles à
demeurer dans l'état exact où elles ont commencé à exister • Quel dommage que la seule idée
qui les ait mis d'accord se soit finalement révélée fausse 1
À la fin du XVIIJ siècle, les chimistes avaient déduit que tous les objets matériels étaient
0
constitués d'une courte liste de composants singuliers. De par leur stabilité, ils ne pouvaient
se transformer l'un en l'autre. Étant donné leur nature élémentaire, ils furent appelés
« éléments » par le chimiste français Antoine Laurent de Lavoisier. Il en identifia 33, parmi
lesquels l'oxygène, l'hydrogène et l'or. Même s'ils ne pouvaient se convertir en un autre
type, ils pouvaient s'assembler en combinaisons distinctes pour former des composés (par
exemple le sel de table, qui est formé à parts égales de sodium et de chlore).
PIÈGE ATOMIQUE
Nous savons aujourd'hui que seuls 20 des éléments identifiés par Lavoisier sont vraiment
élémentaires. Sa liste comprenait par exemple de nombreuses • substances terrestres • telles
que la craie et l'argile. dont nous savons désormais que ce sont des composés. Il avait aussi
créé une catégorie de • substances simples appartenant à tous les royaumes de la nature •,
dans laquelle il rangeait la lumière et la chaleur. Aujourd'hui, les scientifiques dénombrent un
total de 118 éléments chimiques.
Le scientifique anglais John Dalton finit par s'inspirer de ses prédécesseurs grecs pour
expliquer les observations de Lavoisier et d'autres. En 1803, il émit l'hypothèse que chaque
élément était composé de minuscules particules identiques et propres à cet élément. Ces
particules semblaient fondamentales dans la mesure où elles ne pouvaient être divisées et
que leurs propriétés ne pouvaient être modifiées par un processus chimique quelconque.
Quant aux composés, il en déduisit qu'ils étaient constitués de combinaisons spécifiques
de particules élémentaires. Étant donné la similarité des propriétés entre ses particules et
celles de ses prédécesseurs grecs, il les nomma atomes.
~ DÉFINITION
Un élément est un type de matière composé d'un seul type d'atome, dans lequel l'atome est la
partie la plus petite possible.
Un composé est un type de matière fait de proportions fixes de deux éléments ou plus, et par
conséquent de proportions fixes de deux types d'atomes ou plus.
Un atome est une minuscule particule de matière possédant des propriétés uniques, qui demeurent
inchangées durant les processus chimiques.
Minuscules jusqu'où ? Les scientifiques de la fin des années 1800 reconnaissaient que les
atomes étaient si petits qu'on ne pouvait les observer directement, même avec les lentilles
les plus puissantes. Mais ils pouvaient inférer leur taille approximative en appliquant les lois
de la thermodynamique. La réponse était en effet minuscule : les atomes ont un diamètre
62 Physique quantique - Le guide de référence
approximatif de 1 x 10-10 m, ce qui veut dire qu'environ 100 trillions d'entre eux pourraient
tenir sur le point qui termine cette phrase.
atome
,{
Au cours de la diffraction de rayons X avec un cristal, les ondes incidentes ref/etent /'espacement des atomes.
Les rayons X qui pénètrent dans la seconde rangée d'atomes doivent voyager plus loin que ceux qui sont
réfléchis par la premiere rangée. On observe une interférence constructive entre les ondes émergentes quand
certaines longueurs d'onde correspondent exactement aux segments A et B. Et la longueur des segments
dépend bien sllr de /'espacement des atomes.
Chapitre 4 : Théories atomiste et atomique 63
Von Laue découvrit la cristallographie aux rayons X, une technique d'analyse de la matière
qui se développa très vite. Les scientifiques ne tardèrent pas à s'en servir pour en déduire
la structure de cristaux simples et réguliers, mais aussi pour comprendre des structures
cristallines beaucoup plus complexes. Quarante ans plus tard, Rosalind Franklin, James
Watson et Francis Crick utilisèrent la même technique pour dévoiler la structure à double
hélice de l'ADN, ouvrant ainsi le champ de la biologie moléculaire.
La théorie atomique de John Dalton offrait aux chimistes des bases solides à même d'ex-
pliquer la formation des composés chimiques et leur réarrangement durant les réactions
chimiques. Elle fournit également aux physiciens l'élément premier à l'origine de la
structure de la matière. À la fin des années 1800, on tenait généralement pour certain que
l'atome était la particule fondamentale de la nature.
" Les atomes sont les minima naturae !minima de la nature) et sont conçus comme les premiers
principes ou composants de tout ordre de grandeur physique. •
Article• Atome• de la première édition de l'Encyclopedia Britannica. publiée en 1771.
Heureusement pour nous, cette idée se révéla fausse. Ou du moins, incomplète. Comme
nous le verrons, si les atomes étaient les plus petites particules de la nature, il n'y aurait pas
beaucoup à dire sur la physique quantique !
L'atome divisible ?
Au printemps 1889, la Foire internationale de Paris s'ouvrit à l'ombre de la nouvelle tour
Eiffel. Six ans plus tard, tandis que ses concitoyens se tordaient encore le cou pour admirer
cette merveille architecturale, le physicien Henri Becquerel enveloppait des cailloux dans
du papier, dans une pièce obscure à l'autre bout de la ville.
Il étudiait les propriétés des roches phosphorescentes, dont on savait qu'elles « piégeaient »
la lumière et réémettaient un rayonnement quand on éteignait l'éclairage. En enveloppant
un morceau de sel d'uranium, il fut toutefois surpris de constater que celui-ci émettait un
rayonnement sans même avoir été exposé à la lumière. Un an plus tard, ce phénomène fut
baptisé « radioactivité » par ses collègues Pierre et Marie Curie.
64 Physique quantique - Le guide de référence
~ DÉFINITION
La radioactivité est le processus par lequel un type d'atome se transforme spontanément en un
autre type d'atome. Ce processus s'accompagne d'une émission de petites particules chargées
(particules a et Pl ou de rayonnement électromagnétique (rayons gamma).
Il leur fallut plusieurs années pour interpréter les bases scientifiques de la radioactivité,
mais les scientifiques finirent par conclure que les atomes d'uranium subissaient une trans-
formation en un type d'atome appelé« thorium». Au cours de ce processus, ils émettaient
de minuscules particules chargées énergétiquement. Si c'était vrai, cela signifiait que
l'atome n'était pas le constituant fondamental de la matière et qu'on pouvait le diviser en
composants encore plus petits.
Pour les partisans de l'atome indivisible, le coup suivant vint de l'autre côté de la Manche,
en 1897. À l'université de Cambridge, un physicien nommé Joseph John Thomson menait
des expériences sur les rayons cathodiques, un type de rayons émis par le pôle négatif d'un
circuit électrique ouvert. Thomson découvrit qu'en appliquant un champ électromagné-
tique à un faisceau de rayons cathodiques, il pouvait dévier leur trajectoire. Et plus ce
champ magnétique était large, plus la déviation était importante.
Si les rayons sont déviés par un champ magnétique, ils ne peuvent pas être eux-mêmes des
ondes électromagnétiques. En réalité, ils se comportent comme s'ils étaient de petites particules
à charge négative. Thomson les baptisa par conséquent électrons. En appliquant les lois de
Newton et les équations de Maxwell, il en déduisit que les électrons sont contenus dans les
atomes. C'était la preuve définitive que l'atome n'était pas la plus petite particule de la nature.
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Le modèle • plum pudding • de Thomson dépeint l'atome comme une sphère de matière
de charge positive, incrustée d'électrons de charge négative.
Le modèle nucléaire
Imaginons que vous visitiez un vieux fort de la guerre de Sécession et observiez la céré-
monie de tir au canon. Considérez cette question : si l'on étendait une grande feuille
de papier sur la trajectoire du boulet de canon, quelles seraient les chances que celui-ci
rebondisse sur le papier au lieu de passer au travers? C'est quelque chose d'aussi improbable
qui infirma finalement le modèle du plum pudding de Thomson. Et à son grand dam, cette
remarquable découverte fut faite par l'un de ses élèves, Ernest Rutherford.
En 1911, Rutherford et ses propres élèves, Hans Geiger (inventeur du célèbre compteur) et
Ernst Marsden, effectuèrent une série d'expériences sur les particules a. Ils étudiaient plus
précisément ce qui se passait quand on bombardait une fine feuille d'or de particules a.
•C'est l'événement le plus incroyable qui se soit jamais produit au cours de ma vie. C'est presque
aussi incroyable que si vous tiriez un obus de quinze pouces sur un mouchoir en papier et qu'il
revenait vous toucher. •
Réflexion de Rutherford sur l'expérience de la feuille d'or
La feuille d'or était si mince que les particules a auraient normalement dû passer au
travers, ralentir très légèrement et ressortir de l'autre côté. En outre, le diamètre global du
faisceau de particules a se serait légèrement élargi après avoir traversé la feuille d'or. Ces
deux observations étaient cohérentes avec le modèle de Thomson, puisque les particules
a de charge positive auraient subi une série de petites déviations (suite aux échanges
électromagnétiques entre les composants positifs et négatifs de la feuille).
Mais à leur grand étonnement, Geiger et Marsden ne détectèrent qu'une seule particule
a égarée sur le côté. Encore plus stupéfiant, ils trouvèrent même quelques particules
éparpillées en arrière de la feuille. L'application des lois de Newton et des équations de
Maxwell indiquait que cela n'était possible que si toute la charge positive de l'atome
était concentrée dans une seule région au lieu d'être répartie dans tout son volume,
comme l'avait prédit Thomson. Rutherford baptisa cette région dense de charge positive
le « noyau de l'atome ».
Chapitre 4 : Théories atomiste et atomique 8'1
particules a
atome de Thomson
particules a
..
0 •
atome de Rutherford
SAUT QUANTIQUE
outre la découverte du noyau, Rutherford fut le premier à donner l'interprétation correcte des bases
physiques de la radioactivité, pour laquelle il reçut le prix Nobel en 1908. Comme ce phénomène
avait à voir avec la transmutation chimique des éléments. c'est en chimie qu'on lui attribua le
prix Nobel. Cela le mécontenta à l'extrème, car il était d'opinion que • toute science est soit de la
physique. soit une collection de timbres. •
Pour mettre cela en perspective, imaginez que l'atome de Rutherford soit de la taille de
la salle du Madison Square Garden (capacité 20 000 personnes) : son noyau aurait la taille
d'une bille posée au centre de la patinoire, tandis que ses électrons se répartiraient tout
l'espace jusqu'aux sièges les plus éloignés.
ERNEST RUTHERFORD
Si vous vous souvenez que les particules de charges opposées s'attirent entre elles, vous
objecterez immédiatement à cette idée. Si les électrons ont une charge négative, pourquoi
ne sont-ils pas attirés par la charge positive du noyau, faisant ainsi s'effondrer l'atome ?
Pour répondre à cette question, Rutherford postula que les électrons se déplacent en orbite
autour du noyau, un peu comme les planètes autour du Soleil. Le mouvement des électrons
leur permet de rester à une distance stable du noyau, de telle sorte que l'atome dans son
ensemble est 10 000 fois plus grand que le noyau central.
Chapitre 4 : Théories atomiste et atomique 69
~ DÉFINITION
Le noyau atomique est une région dense de l'atome, qui comprend toute sa charge positive et
presque toute sa masse.
Un proton est une particule positive située au sein du noyau atomique. Le nombre de protons
détermine l'identité de l'atome.
Un neutron est une particule neutre, de masse à peu près égale à un proton, située au sein du
noyau atomique.
Le temps passant, Rutherford se mit à étudier les effets des collisions de particules a avec
des atomes de plus en plus légers (comparé à l'or, dont l'atome est relativement lourd). Il
put ainsi en déduire que le noyau est formé d'un certain nombre de particules positives,
qu'il appela« protons». Il calcula aussi que la magnitude de la charge positive d'un proton
correspond précisément à la magnitude d'un électron de charge négative. Comme l'atome
est un corps neutre, les protons et les électrons devaient exister par paires. Finalement,
conclut-il, le nombre de protons dans le noyau atomique détermine l'identité de l'atome.
Les atomes d'or, par exemple, possèdent 79 protons, tandis que les atomes d'hélium en ont 2.
On allait finir par apprendre que le noyau atomique est lui-même composé de protons et
d'autres particules appelées« neutrons». Le neutron n'a pas de charge et présente à peu près
la même masse que le proton (c'est-à-dire environ 2 000 fois la masse de l'électron). Plus
important, il peut lier ensemble les protons de charge positive qui, autrement, se repousse-
raient constamment les uns les autres. Les protons et les neutrons sont étroitement liés dans
le noyau, ce qui explique pourquoi il a fallu du temps pour les trier. Dans la cinquième
partie de ce livre, nous parlerons davantage de cette « colle » qui fait tenir le noyau.
La fin de la physique ?
À l'aube du xx 0 siècle, la physique classique avait accumulé une impressionnante série de
succès. Les lois du mouvement de Newton prédisaient la mécanique des corps macros-
copiques. Combinées à la théorie de la gravitation, elles étaient en mesure de prédire la
mécanique céleste avec une formidable précision.
Les principes de l'électricité et du magnétisme étaient également bien connus et quanti-
fiés, grâce aux équations de Maxwell. Ces dernières servaient à expliquer la nature de la
lumière ainsi que ses liens avec la température et la chaleur. En outre, les principes de la
thermodynamique permettaient aux physiciens de comprendre les concepts de température
et de pression résultant des atomes et des molécules disséminés dans l'air.
'10 Physique quantique - Le guide de référence
Enfin, les scientifiques avaient une compréhension claire de la structure de la matière. Toutes
les substances matérielles étaient composées d'un ensemble fini d'éléments chimiques,
eux-mêmes composés d'atomes uniques. Et les atomes avaient leur propre structure logique,
à mettre en parallèle avec d'autres parties de la nature, comme le Système solaire.
• Il n'y a plus rien à découvrir en physique : tout ce qui reste, ce sont des mesures de plus en
plus précises. •
Lord Kelvin, physicien. lors de son adresse à la British Association for the Advancement of Science.
en 1900.
Hormis quelques détails ici et là, il semblait que les physiciens classiques avaient réussi
à expliquer presque tous les phénomènes naturels connus des êtres humains. Il était par
conséquent difficile de prendre en défaut l'opinion dominante, selon laquelle la physique
était complète. Et ce fut sur cet arrière-plan sûr de lui que la physique quantique fit son
apparition et toqua timidement à la porte.
2
Postulats quantiques
Dans la première partie, nous avons assisté à la naissance de la physique et à sa fin apparente.
Comme il vous reste environ 300 pages à lire, vous vous doutez que la confiance des physiciens
classiques était mal fondée. La physique n'a pas fini en 1900: au contraire, c'est à ce moment-là
qu'elle a vraiment pris son essor.
Au début du xr siècle, les physiciens classiques se trouvaient face un nombre croissant d'énigmes
qu'ils ne parvenaient pas à percer, peu importe qu'ils altèrassent, distordissent ou prolongassent
les idées classiques. Nous allons donc faire la connaissance, dans cette deuxième partie, des
pionniers de la physique quantique et étudier leur approche semi-classique de ces énigmes.
Un par un, ils déduisirent une série de postulats sur la nature physique des systèmes microsco-
piques. Ces postulats sortaient de nulle part. Ils n'étaient basés sur aucun cadre logique et ne
découlaient pas de vérités fondamentales. Néanmoins, ils débouchaient sur des réponses exactes
quand on les insérait dans le cadre classique précédent. Mais pourquoi ? Avant de répondre à
cette question, étudions tour à tour les trois postulats quantiques de base.
CHAPITRE
5
La constante de Planck
Dans ce chapitre, nous allons tirer sur l'un des fils de la première Dans ce chapitre
partie et détricoter le tissu de la physique classique. Nous
verrons que même si les physiciens classiques pouvaient éclairer L'échec catastrophique de la
et prédire beaucoup de choses, ils étaient incapables d'expliquer physique classique
pourquoi un tisonnier devient incandescent quand on le met
Le sauvetage de la physique
dans le feu.
par la constante de Planck
Nous rencontrerons Max Planck, un véritable maître de la
• Les niveaux d'énergie,
physique classique, et nous verrons comment il a fait éclater les
quantification et états
notions fondamentales de la physique classique pour faire de la
quantiques
place à la théorie « quantique ».
L'échelle microscopique de la
Enfin, nous apprendrons pourquoi des siècles de théorie et
physique quantique
d'expérimentation scientifique ont échoué à révéler l'existence
de la physique quantique, et comment celle-ci s'est élégamment
dévoilée en une seule soirée de conjectures heureuses.
74 Physique quantique - Le guide de référence
La catastrophe ultraviolette
À la fin du chapitre 3, nous avons précisé que les équations de Maxwell ne suffisaient pas à
expliquer le phénomène électromagnétique des matériaux solides chauffés. Quel était exac-
tement le problème et quelle était sa gravité ? Pour le comprendre, revenons à notre tisonnier.
Un peu de terminologie, tout d'abord : le terme scientifique pour un objet tel qu'un
tisonnier est « corps noir •. Par définition, un corps noir est un objet qui absorbe toute
la lumière et n'en reflète aucune. Toutefois, les corps noirs ne sont pas toujours noirs, car
ils peuvent émettre leur propre lumière « interne » quand on les chauffe. Les scientifiques
de la fin du x1x• siècle avaient du mal à prédire l'émission spectrale - la répartition de
la quantité d'énergie émise - d'un corps noir chauffé. Comme ces spectres sont souvent
représentés par un diagramme présentant l'énergie émise (axe y) versus sa fréquence (axe x),
on les qualifie parfois de « courbes » de corps noir. Le diagramme présenté à la fin du
chapitre 3 - l'émission spectrale d'un objet solide - est une courbe, comme le sont les
points représentant les données expérimentales dans les deux prochains diagrammes.
~ DÉFINITION
Un corpe noir est un objet idéal qui absorbe tous les rayonnements tombant sur lui. Il ne reflète aucune
lumière externe. mais peut émettre un rayonnement thermique de l'intérieur quand il est chauffé.
La courbe de rayonnement d'un corps noir est un diagramme qui présente la distribution des
fréquences caractéristiques de l'émission de rayonnement d'un corps noir. On l'appelle aussi
• spectre de corps noir •.
Vers la fin des années 1800, les physiciens classiques firent de gros efforts pour élaborer la
description théorique d'un spectre de corps noir. Ils commencèrent par l'hypothèse que
de petites particules chargées gigotaient dans le tisonnier quand on le chauffait. Cela se
révéla exact : le tisonnier est rempli d'électrons, dont les vibrations - provoquées par la
chaleur - débouchent sur une émission de lumière. Pour faire simple, les électrons absorbent
la chaleur puis la réémettent sous forme de rayonnement électromagnétique.
PIÈGE ATOMIQUE
Au cours de ce chapitre, nous prétendrons que notre tisonnier est un véritable corps noir. En réalité,
même le plus noir des tisonniers reflète un peu la lumière. C'est pour cette raison que les scienti-
fiques ont inventé un substitut de corps noir. une cavité à peine éclairée par un trou minuscule.
Grâce aux expériences et aux études théoriques portant sur cette cavité. les protagonistes de ce
chapitre ont effectué d'importantes avancées.
Chapitre 5 : La constante de Planck 15
Quand on chauffe le tisonnier, les électrons oscillent de plus en plus vite et émettent de la
lumière à des fréquences de plus en plus hautes. C'est en accord qualitatif parfait avec ce
que l'on observe : un tisonnier chaud devient rouge, un tisonnier très chaud jaune, et un
tisonnier très, très chaud bleu. Jusque-là, tout va bien.
Pour faire une prédiction quantitative du spectre de corps noir, les physiciens classiques
supposèrent d'abord que les électrons pouvaient se déplacer avec n'importe quelle énergie
le long d'un éventail continu. Puis, ils supposèrent que l'intensité (ou l'énergie) émise à
une fréquence particulière était le produit de deux choses: le nombre d'oscillations à cette
fréquence et l'énergie moyenne d'une charge oscillant à cette fréquence.
Enfin, ils utilisèrent les équations de la thermodynamique et de l'électromagnétisme
classiques pour formuler l'expression mathématique du spectre de corps noir. On pouvait
tracer la courbe résultante en indiquant sur un diagramme l'émission d'énergie calculée
(axe y) à chaque fréquence possible (axe x).
C'était une approche éminemment raisonnable, qui s'était révélée efficace pour d'in-
nombrables problèmes auparavant. Le seul hic était que, dans ce cas, le résultat prédit était
complètement faux !
prédiction classique
.
données expérimentales
••
•
•
longueur d'onde
Pour commencer, cela ne ressemblait pas du tout à ce qu'ils avaient observé durant les
expériences de laboratoire. Plus grave, cela prédisait que l'intensité de la lumière émise
augmentait sans frein à des longueurs d'onde de plus en plus basses - au point que dans
la frange ultraviolette, l'objet émettrait des quantités infinies d'énergie ! C'était telle-
ment fâcheux pour les physiciens de l'époque, qu'ils baptisèrent cela « la catastrophe
ultraviolette ».
Catastrophe évitée
Alors que la controverse faisait rage, une solution révolutionnaire fut découverte par le
physicien allemand Max Planck. Un dimanche après-midi de 1900, il reçut un collègue
physicien du nom d'Heinrich Rubens à son domicile de Berlin. En expérimentateur
accompli, Rubens passa l'après-midi à lui expliquer certaines de ses plus récentes mesures,
lesquelles divergeaient de la prédiction classique.
Après le départ de son collègue, Planck décida d'élaborer une description théorique plus
précise et moins catastrophique des observations de Rubens. Étonnamment, en une seule
soirée, il réussit à formuler une équation mathématique en parfait accord avec les données
expérimentales. Avant de se coucher, il nota sa formule du rayonnement de corps noir sur
une carte postale et l'envoya à Rubens.
1
1
1 prédiction classique
1
données expérimentales \
longueur d'onde
Poussé par une intuition mathématique, Planck élabora une formule qui concordait
exceptionnellement bien avec la mesure du spectre de corps noir.
Chapitre S : La constante de Planck 77
Ce n'est pas avec des concepts pointus de physique que Planck avait élaboré sa formule, mais
enjouant avec des équations mathématiques. Selon ses propres dires, il arriva à ce résultat
«grâce à des conjectures heureuses». À ce stade, il ne pouvait pas fournir d'interprétation
physique de sa formule de rayonnement d'un corps noir. Néanmoins, il était suffisamment
sûr de lui pour la présenter à ses pairs douze jours plus tard.
Planck passa les deux mois suivants - qu'il qualifierait plus tard de« période la plus dure
de sa vie » - à essayer de justifier son équation par la physique. Ses efforts furent couronnés
de succès et il réussit à formuler une explication simple à sa théorie. Toutefois, comme
il devait pour cela abandonner l'un des principes centraux de la physique classique, il
qualifia son travail de véritable ~ acte de désespoir ». Il présenta ses conclusions à la German
Physical Society le 14 décembre 1900, jour que l'on considère désormais comme la date
de naissance de la physique quantique.
~ DÉFINITION
Le niveau d'énergie d'un système physique est la quantité d'énergie qu'il est autorisé à posséder.
Un quantum d'énergie est un petit paquet d'énergie dont la taille est déterminée par l'espacement
entre un niveau d'énergie et le suivant.
C'est pourquoi seule une certaine quantité, ou quantum d'énergie pouvait rayonner. Pas
plus, pas moins.
niveaux d'énergie
-t
quantum d'énergie
-h-x-fr(Jq_u_e_n_ce_t... WJv.
Ce schéma illustre les hypothèses quantiques de Planck : les lignes représentent les niveaux d'énergie
possibles pour des charges en oscillation, tandis que l'espacement de ces niveaux d'énergie
représente la quantité exacte d'énergie qu'une charge en oscillation peut émettre.
Finalement, Planck soutint que l'espacement entre les barreaux était déterminé par une
simple formule : E = hf, f étant la fréquence d'oscillation et h la valeur constante qu'il
avait définie, égale à 6,626 X 10-34 joules-secondes. Il ne le savait pas à l'époque, mais ce
petit h serait bientôt gravé au fronton de toute la physique quantique. Vu son importance
monumentale, il est aujourd'hui appelé« la constante de Planck». On lui donne aussi le
nom de« quantum d'action», parce que son unité dimensionnelle est l'énergie X le temps,
une unité que les physiciens appellent « action •.
Le modèle de Planck fournit une compréhension intuitive de la forme pointue de la courbe
de rayonnement du corps noir. À de hautes fréquences (et de petites longueurs d'onde),
un seul quantum d'énergie serait très grand. Si grand que, sur le plan statistique, seules
quelques charges oscillant dans le solide auraient autant d'énergie. Leur contribution totale
à l'émission globale d'énergie serait par conséquent réduite.
À l'inverse, à l'autre bout du spectre, il y aurait beaucoup d'oscillations de charge à basse
fréquence (grandes longueurs d'onde), mais chacune d'elles ne contribuerait à l'émission
d'énergie globale qu'en petite proportion. Seules les fréquences intermédiaires auraient un
nombre suffisant d'oscillations de charge et des quanta suffisamment grands pour influer
de façon notable sur la courbe de rayonnement du corps noir.
Chapitre 5 : La constante de Planck '19
Les points à retenir sont que les niveaux d'énergie des électrons chauffés sont limités aux
multiples entiers d'une valeur fondamentale, et que cette valeur fondamentale est donnée
par la constante de Planck x leur fréquence d'oscillation.
•En outre. il est nécessaire de considérer [l'énergie d'une charge unique] non comme une quantité
continue et infiniment divisible. mais comme une quantité discrète composée d'un nombre entier
de parties égales et finies. •
Max Planck dans son article d'avant-garde !Anna/en der Physik, vol. 4, 19011
Il est important de noter que les hypothèses de Planck sur la nature discrète des énergies
permises ne s'inspiraient pas de principes sous-jacents à la physique. Il fit ces suppositions
tout simplement parce qu'elles marchaient sur le plan mathématique. Il ne pouvait pas
expliquer pourquoi les niveaux d'énergie sont limités. Mais comme ils l'étaient, Planck
aboutit à une formule de rayonnement du corps noir qui concordait étroitement avec les
observations expérimentales.
Planck était un adepte inconditionnel de la physique classique. Ses hypothèses étant si
contraires aux notions classiques en vigueur, il essaya pendant des années de trouver une
façon de les expliquer autrement. Il est probable que cette obsession l'a empêché de mesurer
leurs véritables implications. Comme nous le verrons au chapitre suivant, il revint à un
autre grand physicien - le plus grand de tous, peut-être - de prendre la mesure exacte des
découvertes de Planck.
80 Physique quantique - Le guide de référence
MAXPLANCI<
Dans sa jeunesse, on déconseilla à Max Planck de faire
carrière dans la physique, au motif qu'il restait peu de
découvertes à faire dans ce domaine. Excellent pianiste,
il envisagea sérieusement une carrière d'interprète.
Heureusement, il opta finalement pour la physique. Et des
découvertes il en fit, assez pour lui valoir le prix Nobel
de physique en 1918.
Planck était très respecté pour son intégrité et ses
principes moraux. Témoin des dégâts que le troisième
Reich infligeait à l'Allemagne et à la science allemande,
il rencontra Adolf Hitler pour tenter de défendre, sans
succès, ses collègues juifs. Sans se décourager,
il dénonça jusqu'à sa mort le déclin constant de la
physique allemande.
Et malgré ses triomphes, il endura des épreuves plus
grandes encore : sa première femme mourut jeune, ainsi que leurs quatre enfants.
Le dernier, accusé d'avoir participé au complot du 20 juillet 1944 contre Hitler,
fut exécuté en 1945.
Physicien classique jusqu'au bout des ongles, il s'opposa vigoureusement à certaines
des implications paradoxales du développement de la physique quantique. Pendant des
années, il remit même en question la validité de ses propres découvertes. C'est pourquoi
les historiens parlent de lui comme d'un révolutionnaire scientifique, « réticent » ou
« improbable ».
~ DÉFINITION
La quantlBcatlon de l'énergie dans un système physique implique que ses niveaux d'énergie
sont limités à certaines valeurs discrètes.
Chaque fois que l'énergie d'un système correspond à l'un de ces niveaux d'énergie, le système
est dans l'état quantique correspondant.
La prochaine fois que vous verrez jouer une fanfare, examinez de près le joueur de trom-
bone. Il fait coulisser son instrument pour produire certaines notes. Bien sûr, s'il le faisait
de façon continue, il produirait non seulement les notes prescrites, mais toutes les notes
intermédiaires. Un trombone est par conséquent capable de produire une gamme continue
de notes. Cette gamme est analogue à la gamme continue d'énergie sur laquelle, selon les
physiciens classiques, les électrons chauftes pouvaient se déplacer.
Examinons maintenant le joueur de trompette. Il presse les valves de sa trompette pour
obtenir les notes nécessaires. Contrairement au joueur de trombone, il ne peut pas produire
les notes intermédiaires : elles sont limitées à un ensemble fini. Tout comme les énergies
permises dans les solides chauffés de Planck, les sons de la trompette sont quantifiés.
SAUT QUANTIQUE
Nous avons vu au chapitre 2 que l'état d'un objet comprend toutes les informations nécessaires
pour expliquer comment les lois de la physique l'affectent. Comme nous le verrons bientôt, un état
quantique n'est qu'une extension de ce concept sur le plan quantique. Comme précédemment,
quand on connait l'état quantique d'un objet, on a en principe toutes les informations nécessaires
pour déduire ses propriétés physiques.
Prenons toutefois garde à ne pas pousser trop loin l'analogie. Dans ce cas, les niveaux
d'énergie ne sont pas« quantifiés» par l'effet de la physique quantique, mais par le menuisier
qui a conçu l'escalier. Il aurait pu faire les marches de n'importe quelle hauteur. C'est
pourquoi vous ne passez pas vraiment d'un« état quantique »à un autre en gravissant les
marches.
La quantification de l'énergie
Même si on ne l'admettait pas tout à fait à l'époque de Planck, ses hypothèses quantiques
peuvent être généralisées au-delà des charges oscillantes des corps noirs à tout système
oscillant, qu'il s'agisse d'une petite fille sur une balançoire, de l'écrasement d'une vague
sur la grève ou d'un amateur de sensations fortes suspendu à un élastique. Par contraste
avec l'« escalier quantique » du paragraphe précédent, ces systèmes sont quantifiés par les
lois de la physique quantique.
Mais, objecterez-vous, les scientifiques observent les élastiques, les vagues et les pendules
depuis des siècles. Pourquoi n'ont-ils jamais remarqué la quantification ? Examinons
d'abord le premier exemple pour répondre à cela.
Supposons qu'une petite fille pesant 10 kg est assise sur une balançoire suspendue à 3 mètres
sous une branche d'arbre. Vous la poussez un peu, en sorte que la balançoire monte à un
angle de 30° par rapport à la verticale. Une simple application des lois de Newton nous
indique qu'au point le plus haut, son énergie potentielle de gravitation est d'environ
40 joules par rapport à son point de départ.
Si vous cessez de la pousser, le balancement ralentit et la hauteur de la balançoire diminue
peu à peu jusqu'à ce qu'elle s'arrête tout à fait. La raison en est que le point de contact
entre les cordes de la balançoire et la branche produit une friction, et que l'air qui entoure
la petite fille produit aussi un ralentissement semblable à une friction. Quand elle revient
au point le plus bas, son énergie potentielle de gravitation revient à O.
Cependant, selon les hypothèses de Planck, son énergie ne peut tomber de 40 joules à
0 de façon lisse et continue. Elle doit chuter par paquets discrets et finis. Mais vous le
remarqueriez sûrement, non ? Vous ou la petite fille. Heureusement, Planck nous a donné
les outils nécessaires pour répondre à cette question.
Le quantum d'énergie minimum pour un système en oscillation est donné par la fréquence
du système x la constante de Planck, constante dont il a fourni la valeur dans son article
précurseur. Comme la loi de Newton dit que la petite fille se balance à environ 0,3 Hz, on
peut facilement calculer que le quantum d'énergie minimum est de 0,3 Hz x la constante
Chapitre S : La constante de Planck 83
de Planck, c'est-à-dire: 2 x 10-34 joules. L'écriture en décimale souligne le point que nous
voulons faire ressortir : 0,0000000000000000000000000000000002 joule !
Voici la réponse. Le quantum d'énergie minimum est si petit comparé à l'énergie poten-
tielle de gravitation de la petite fille, qu'elle ne peut pas remarquer les petites secousses de
la balançoire qui s'arrête. Elles sont tout simplement trop petites. A toutes fins pratiques,
la diminution d'énergie semble continue.
En fait, pour que la petite fille ressente ces effets quantiques, il lui faudrait être
1 000 000 000 000 000 fois plus petite qu'elle n'est, et la balançoire devrait être
1 000 000 000 000 000 plus courte. Cet exemple montre bien que la physique quantique
ne règne pas sur le monde des petites filles, mais sur celui des entités microscopiques.
• Elle a sapé les fondements de nos idées non seulement dans le domaine de la science classique.
mais aussi dans le raisonnement quotidien. •
Niels Bohr sur l'influence de l'hypothèse quantique de Planck (Die Naturwissenschaften, vol.26,
1938)
Pour étudier cette branche de la physique, nous allons donc avoir besoin d'outils micros-
copiques. Heureusement, Mère Nature nous en a donné quelques-uns qui, bien que
minuscules, sont à portée de main. Le premier d'entre eux est la lumière qui, comme
nous l'avons vu au chapitre 3, oscille sur une longueur d'onde d'environ 1 x 10-7 mètre.
L'autre est l'atome qui, comme nous l'avons dit au chapitre 4, a un diamètre d'environ
1 x 10-10 mètre. Étant donné leur utilité pour l'étude de la physique quantique, nous allons
les passer en revue, cette fois dans une perspective quantique.
84 Physique quantique - Le guide de référence
6
La théorie quantique
de la lumière
~ DÉFINITION
L'effet pboto61ectrlque est l'éjection des électrons qui se produit quand un rayonnement élec-
tromagnétique est appliqué sur une surface (normalement métallique).
Qu'est-ce que tout cela a à voir avec Maxwell et ses ondes ? Tout d'abord, les équations
de Maxwell disent que l'énergie d'une onde lumineuse n'a rien à voir avec sa fréquence.
Par conséquent, pourvu qu'on projette une lumière assez vive, on libérera toujours des
électrons, peu importe la fréquence de la lumière utilisée. Pourtant, dans leur laboratoire,
les physiciens constatèrent qu'aucun électron n'était éjecté quand ils se servaient d'une
lumière d'une fréquence inférieure à un certain seuil (ou fréquence « de coupure »). De
plus, s'ils augmentaient la fréquence de leur source lumineuse, les électrons éjectés se
déplaçaient de plus en plus vite.
Chapitre 6 : La théorie quantique de la lumière 8'1
Deuxièmement, la théorie de Maxwell affirme que l'énergie d'une onde lumineuse est
déterminée par son intensité. Cela débouche logiquement sur le fait que plus la lumière est
vive, plus les électrons libérés filent à toute allure. Or, on constatait que l'énergie cinétique
ne dépendait absolument pas de l'intensité de la lumière. En projetant des lumières de plus
en plus vives, les chercheurs produisaient simplement plus d'électrons dotés de la même
énergie cinétique.
Enfin, si l'on projetait une lumière très faible sur le métal, la théorie de Maxwell disait
qu'on devrait attendre que les électrons accumulent l'énergie de se libérer de leurs atomes.
Ses équations permettaient même de calculer pendant combien de temps il fallait attendre.
Sauf que l'expérimentation prouvait qu'aucun délai n'était nécessaire, peu importait la
faiblesse de la lumière avec une fréquence assez haute.
~ DÉFINITION
Le photon est un quantum fondamental de rayonnement électromagnétique. On peut se le
représenter comme un paquet de lumière compact et localisé, doté d'une énergie bien précise.
Einstein émit l'hypothèse que l'énergie des quanta de lumière est directement propor-
tionnelle à la fréquence de la lumière multipliée par la constante de Planck : E = hf (si
cela ne vous rappelle rien, retournez jeter un coup d'œil au chapitre 5). En outre, si un
électron absorbe un photon, toute l'énergie du photon est nécessairement transférée à
88 Physique quantique - Le guide de référence
l'électrbn. Si ces postulats sont exacts, se demanda-t-il, que signifient-ils en termes d'effet
photoélectrique ? Retournons au laboratoire pour le savoir.
Rappelez-vous qu'en dessous d'une certaine fréquence, aucun électron n'est émis. Cela
s'accorde avec les hypothèses d'Einstein. La fréquence de coupure doit être la fréquence à
laquelle le photon ajuste assez d'énergie pour libérer l'électron. À une fréquence inférieure,
il n'a pas le peps suffisant pour le libérer. Aux fréquences supérieures, il le libère et le dote
d'énergie cinétique.
fréquences
dooo"~
fréquence de la lumière
Sur cette représentation graphique de l'effet photoélectrique, nous avons tracé l'énergie cinétique maximum
a laquelle les électrons sont émis par le sodium et le lithium en fonction de la fréquence lumineuse
appliquée. Les lignes joignant les points représentent les prédictions théoriques d'Einstein.
Rappelons ensuite que l'énergie cinétique d'un électron libéré est indépendante de l'inten-
sité de la lumière. Du point de vue d'Einstein, quand on augmente l'intensité de la lumière,
on augmente le nombre de photons, pas leur énergie. Si la fréquence de la lumière est
inférieure à la fréquence de coupure, chacun des photons a assez d'énergie pour libérer un
électron. Et comme tous les photons ont la même quantité d'énergie, chacun d'eux trans-
fère le même volume d'énergie cinétique à l'électron éjecté. Si on augmente l'intensité,
on a plus de photons et, par conséquent, plus de photons dotés de cette énergie cinétique
spécifique. L'hypothèse d'Einstein est à nouveau cohérente avec les effets observés.
Chapitre 6 : La théorie quantique de la lumière 89
PIÈGE ATOMIQUE
Albert Einstein est le plus souvent associé à la théorie de la relativité. Mais c'est pour son inter-
prétation théorique de l'effet photoélectrique qu'on lui décerna le prix Nobel.
Enfin, qu'en est-il du délai pour les faisceaux de faible intensité ? Einstein aurait défendu
l'idée que même le faisceau le plus faible possède au moins quelques photons. Pourvu que
sa fréquence soit supérieure à la coupure, même un seul photon a assez d'énergie pour
libérer un électron. L'électron n'a pas besoin d'économiser l'énergie, et il n'y a donc pas
de délai - exactement ce qu'observaient les physiciens.
Le photon
L'hypothèse d'Einstein était un exemple parfait de méthode scientifique. Face à un
problème, il avait formulé une hypothèse, l'avait testée avec une expérience et en avait
conclu qu'il était mis le doigt sur quelque chose. Après avoir griffonné à la craie quelques
autres calculs savants dans lesquels nous n'entrerons pas, il parut que son hypothèse était
cohérente avec toutes les observations pertinentes de l'effet photoélectrique.
Néanmoins, le concept de photon était en contradiction flagrante avec la théorie ondula-
toire de la lumière qui, au début du xx• siècle, était un paradigme largement accepté. Par
conséquent, la réaction initiale des pairs d'Einstein ne fut pas exactement enthousiaste. La
plupart d'entre eux écrivirent que c'était un raisonnement certes intelligent, mais hasar-
deux. Avec le temps, toutefois, on mena de plus en plus d'expériences, lesquelles pouvaient
être expliquées en termes de photons. La balance commença à pencher en faveur d'Einstein.
• Que certaines de ses spéculations aient manqué leur but. comme son hypothèse des quanta de
lumière. ne peut guère lui être reproché. car il n'est pas possible d'introduire des idées vraiment
novatrices, même en sciences exactes, sans quelquefois prendre des risques. •
Extrait de la recommandation de l'Académie des Sciences de Prusse en faveur de l'admission
d'Albert Einstein.
L'un des problèmes les plus importants auxquels Einstein appliqua son hypothèse des
photons est justement celui dont nous avons parlé : l'émission spectrale de corps noir.
C'était une étape logique, étant donné les parallèles évidents entre les hypothèses de
Planck et d'Einstein. Après avoir attaqué le problème, Einstein démontra non seulement
que les résultats de Planck étaient cohérents du point de vue des photons, il montra aussi
90 Physique quantique - Le guide de référence
que les hypothèses de Planck étaient simplement un cas particulier de son propre concept,
plus vaste.
Rappelez-vous que Planck avait affirmé que les charges oscillantes dans un corps noir
étaient limitées par des niveaux d'énergie distincts et régulièrement espacés. Il avait
conjecturé en outre qu'elles ne pouvaient émettre de rayonnement qu'en passant d'un
niveau d'énergie au niveau d'énergie inférieur. Et bien que ces hypothèses débouchassent
sur des conclusions exactes, Planck reconnaissait lui-même qu'il ne savait pas pourquoi
c'était le cas.
Le photon d'Einstein, lui, offrait une interprétation élégante : quand les oscillateurs
passent d'un niveau d'énergie à l'autre, ils émettent ... un seul photon. Dans la perspective
d'Einstein, ce ne sont pas les oscillateurs de charge qui sont quantifiés. L'entité quantifiée
n'est autre que la lumière elle-même !
SAUT QUANTIQUE
Albert Einstein publia son article sur l'effet photoélectrique dans le journal allemand Annalen der
Physik. L'éditeur qui le relut n'était autre que Max Planck. Impressionné par Einstein, il se fit plus
tard l'avocat de sa théorie de la relativité. Pendant des années cependant, il se refusa à accepter
la théorie des quanta de lumière, malgré le supplément de validation que celle-ci apportait à
son propre travail.
À ce stade, vous vous demandez sans doute pourquoi la première preuve expérimentale du
photon n'est pas arrivée avant le xxc siècle. Comme pour la petite fille sur sa balançoire,
la réponse est une question d'échelle.
Considérons une ampoule de 60 watts, qui produit 60 joules d'énergie lumineuse par
seconde. Bien qu'elle émette un large spectre de fréquence (de corps noir), la lumière émise
tourne autour de 200 000 GHz. Cela peut sembler imposant, mais, en la multipliant par
la constante exceptionnellement petite de Planck, on s'aperçoit que l'énergie d'un seul
photon est égale à 1 x 10-19 joules. Un énorme amas de photons est donc nécessaire pour
produire une énergie détectable par les êtres humains.
L'effet Compton
Bien qu'Einstein ait réussi à remporter plusieurs points avec son concept du photon, il
échoua à arracher une acceptation générale de sa théorie. La preuve vint finalement d'une
expérience importante basée, croyez-le ou non, sur les lois du mouvement de Newton (à
dire vrai, elle exigea aussi une pincée de la théorie de la relativité restreinte d'Einstein).
Chapitre 6 : La théorie quantique de la lumière 91
SAUT QUANTIQUE
Il semble approprié que Compton se soit inspiré des lois de Newton pour valider la nature particu-
laire de la lumière - aux dépens de la théorie ondulatoire de Maxwell. Après tout, c'était Maxwell
qui avait écrasé la dernière lueur d'espoir en ce qui concernait les corpuscules lumineux de
Newton.
9=0'
fréquence fréquence
o· 90° 180'
angle de diffusion(&)
compacts, localisés et indivisibles. Mais vous vous rappelez qu'il existe quelques cas, comme
l'interférence et la diffraction, où la théorie ondulatoire« marche». Il était par conséquent
très tentant, pour les premiers physiciens quantiques, de dire que la lumière n'était ni une
onde ni une particule, mais les deux à la fois.
Cela ne peut pas être vrai, n'est-ce pas ? Si la lumière est une particule concentrée, comment
pourrions-nous« définir» sa longueur d'onde et sa fréquence? Et si c'est une onde diffuse,
comment lui serait-il possible d'accumuler assez d'élan pour arracher un électron au métal
poli ? C'est forcément l'un ou l'autre. Avec un siècle de recul, nous pouv01;1s cependant
affirmer que la lumière n'est ni une particule ni une onde, mais les deux !
Plus précisément, la lumière est soit une particule soit une onde, selon la manière dont
on la mesure. Quand on mesure l'effet de la lumière passant par deux fentes, elle se
comporte comme une onde. Quand on mesure l'effet de la diffraction de la lumière
à partir d'un échantillon de carbone, elle se comporte comme une particule. Cette
nature schizophrénique est maintenant acceptée comme un principe fondamental de la
physique quantique. Et elle est si bien acceptée que les physiciens l'ont baptisée« dualité
onde-particule ».
Le seul problème est qu'on ne peut pas vraiment expliquer pourquoi. Pas plus qu'on ne
peut dire de quelle humeur est un rayon de lumière quand on ne le mesure pas du tout.
Le mieux qu'on puisse dire est qu'entre les mesures, la lumière est simultanément une
onde et une particule. Elle prendra l'une ou l'autre forme la prochaine fois qu'elle sera
mesurée.
D'un point de vue purement pragmatique, il est vite devenu évident que cette dualité
était une bizarrerie nécessaire. Sans théorie ondulatoire, les physiciens ne pouvaient
expliquer le schéma d'interférences des doubles fentes de Young. Et sans nature corpus-
culaire, ils ne pouvaient expliquer le billard subatomique de Compton. Toutes deux
étant nécessaires au tableau d'ensemble, on appelle « complémentarité » ce concept
défiant la logique.
94 Physique quantique - Le guide de référence
~ DÉFINITION
La dualité onde-particule relève de l'idée que la lumière exhibe à la fois des propriétés ondu-
latoires et particulaires. selon la manière dont on la mesure.
La complémentarité va plus loin, en suggérant que les deux points de vue sont nécessaires pour
fournir une description complète de la lumière. Mais on ne peut pas observer ces deux aspects
simultanément.
ALBERT EINSTEIN
Albert Einstein, ou « Johnnie » comme l'appelait sa femme,
fut un élève plutôt médiocre, révolté par la « coercition »
rigide de la pédagogie institutionnelle. Ses notes loin d'être
brillantes firent qu'on lui refusa des postes universitaires en
Allemagne, aux Pays-Bas et en Suisse. Finalement, il trouva
du travail comme « expert technique, troisième classe »
dans un bureau des brevets à Berne. Où pouvait-il mieux
apprendre à cerner les points essentiels d'un problème
complexe et à séparer le bon grain de l'ivraie ?
Son emploi d'examinateur de brevets isola Einstein des
pressions conservatrices de l'université traditionnelle. Il
était libre de résoudre des problèmes à sa manière non
conventionnelle. li le fit avec brio et développa un style
de résolution des problèmes bien à lui. Son approche
caractéristique était de lancer une hypothèse audacieuse
et de voir où elle le menait. Il entama par exemple son travail sur la théorie de la relativité
en imaginant simplement à quoi ressemblerait l'univers si on pouvait voyager à bord d'un
rayon de lumière.
Mais s'il était un physicien-né, Einstein ne se préoccupait pas seulement du monde
physique inerte. Il fut un citoyen très engagé, qui résista activement à la violence des
deux guerres mondiales. En tant que Juif, il dut quitter son pays natal pour l'Amérique,
où il adressa une série de lettres au président Roosevelt, l'incitant à la prudence en ce
qui concernait la dimension militaire de l'énergie atomique. En 1952, on lui offrit même la
présidence d'Israël. Mais il déclina respectueusement : sa vocation était la physique.
Père de la physique quantique, Albert Einstein contribua énormément, au fil des
décennies, à son développement. Pourtant, fidèle à sa nature non conformiste, il finit par
se distancier de l'interprétation dominante. Il préférait poser des questions stimulantes
par leur nouveauté, et notre compréhension moderne de la théorie quantique n'en est
que plus riche. Il est à noter que ses articles originaux sur la théorie quantique de la
lumière et la relativité restreinte - sans parler d'autres travaux précurseurs, mais sans lien
- furent tous publiés en 1905. En reconnaissance de ses efforts remarquables, le bureau
des brevets le promut en 1906 « expert technique, deuxième classe. »
Chapitre 6 : La théorie quantique de la lumière 95
L'une des raisons pour lesquelles il nous est si difficile d'accepter la nature duelle de la
lumière est qu'elle défie notre aptitude à nous la représenter. Mais en fin de compte, cela
a-t-il vraiment de l'importance? Rappelez-vous que l'utilité fondamentale de la physique
est sa capacité à prédire des phénomènes physiques. Une fois qu'on a accepté cette nature
duelle et qu'on sélectionne la bonne interprétation pour les mesures faites, on peut émettre
des prédictions parfaitement raisonnables, vérifiables et utiles.
Nous ajournerons ce débat pour le moment, mais n'ayez crainte, ce n'est qu'un début. Les
choses vont devenir de plus en plus étranges.
7
Quantifier l'atome
Dans ce chapitre, nous allons revisiter l'atome et apprendre que Dans ce chapitre
le coup décisif dans la dispute entre le modèle plum pudding
de Thomson et le modèle nucléaire de Rutherford fut assené L'instabilité inhérente de
par un de leurs élèves à tous deux. l'atome de Rutherford
Nous verrons un nouveau développement quantique, qui La quantification de l'atome
explique cette fois les mécanismes intérieurs (et extérieurs) de de Bohr
l'atome. Nous découvrirons la grande applicabilité du modèle
Nombres quantiques et sauts
atomique de Niels Bohr, et son pouvoir d'explication du spectre
quantiques
atomique, de l'effet photoélectrique, du tableau périodique et
de la formation des molécules. Une explication du tableau
périodique des éléments
Enfin, nous nous intéresserons à une façon astucieuse d'expli-
quer pourquoi l'atome est quantifié, seulement pour découvrir
que cela ne peut pas être vrai.
98 Physique quantique - Le guide de référence
L'atome revisité
Retournons en Angleterre pour voir si de nouveaux développements ont été apportés à
la théorie de l'atome. La dernière fois que nous y étions, Ernest Rutherford venait juste
de dévoiler le nouveau modèle d'atome - l'atome nucléaire - qui paraissait davantage en
accord avec les données expérimentales que le modèle de plum pudding de J.]. Thomson.
Depuis, rien de neuf ne s'était produit, en dehors de l'arrivée à Cambridge d'un physicien
frais émoulu du Danemark, Niels Bohr.
En 1912, Bohr rejoignit le groupe de Thomson, mais tous deux ne parvinrent pas à s'accorder.
Déterminé à tirer le meilleur parti de son année à l'étranger, Niels Bohr prit alors la route de
Manchester pour travailler avec Rutherford. Les deux hommes s'entendirent immédiatement
et formèrent une alliance qui allait ébranler à nouveau les fondations de la physique.
La spirale atomique
Vous vous souvenez qu'au chapitre 4, nous avons dissipé vos doutes sur la stabilité de l'atome
nucléaire de Rutherford en affirmant que l'électron orbite autour du noyau comme la
Lune orbite autour de la Terre. Il faut avouer que nous n'avons raconté que la moitié de
l'histoire. En mettant un électron en mouvement autour du noyau, nous l'avons condamné
à un destin encore plus sombre.
La Lune est un piètre modèle pour l'électron, non seulement parce que ce dernier est
beaucoup plus petit qu'elle, mais parce que contrairement à elle, il possède une charge
électrique. Rappelez-vous : chaque fois qu'une particule chargée change d'allure ou de
direction, elle émet un rayonnement électromagnétique. Cela est à la base de la lumière
émise par un tisonnier et des ondes radio dans le laboratoire d'Heinrich Hertz.
Un électron en orbite autour d'un noyau devrait changer constamment de direction pour
rester sur une trajectoire circulaire. Cela signifie qu'il devrait accélérer constamment et,
par conséquent, émettre constamment un rayonnement. Et la conservation de l'énergie
ferait que plus il rayonnerait, plus il devrait ralentir. Ce ralentissement le ferait chuter vers
le noyau. En un rien de temps, l'électron dégringolerait en spirale dans le noyau, et l'atome
s'effondrerait sur lui-même.
La théorie classique de Maxwell permet de calculer combien de temps cela prendrait :
environ 1 x 10-12 seconde. Le fait que vous soyez toujours assis et que vos atomes ne se
soient pas encore effondrés devrait vous convaincre qu'il manque un petit quelque chose
au modèle atomique de Rutherford.
Chapitre '1 : Quantifier l'atome 99
-· - -- --
1\) 1\) w w w w~
Sur cette représentation schématique des fréquences émises par des atomes d'hydrogène excités,
on voit l'espacement entre les raies spectrales diminuer à mesure que la fréquence augmente.
Notez que 1 THz = 1 000 000 000 000 Hz.
Plus intrigant encore, un maître d'école suisse du nom de Johann Balmer avait découvert
une récurrence remarquable dans l'espacement des raies spectrales de l'hydrogène (l'atome
le plus simple, composé d'un électron et d'un proton) : les longueurs d'onde des quatre
raies connues à l'époque étaient des fractions presque parfaites de la valeur 3,6456 x 10-17
mètres, soit : %, 16/i2, 25/21, et 36/32.
Grâce à sa formation en mathématiques, il ne fallut pas longtemps à Balmer pour noter
que les numérateurs de ces fractions étaient tous des nombres au carré : 32 , 42 , 52 et 62 • Il
remarqua aussi que les dénominateurs étaient tous égaux au numérateur moins 22 : 32 - 22 ,
42 - 22 , 52 - 22 et 62 - 22 • La concordance entre ces fractions et l'observation expérimentale
était supérieure à 1 pour 1 000. C'était trop pour être une simple coïncidence. En outre,
quand on découvrit les raies spectrales suivantes de l'hydrogène, elles correspondaient
exactement à la même série ! Cette numérologie spectrale avait certainement un sens,
mais lequel ? Personne ne le savait non plus.
100 Physique quantique - Le guide de référence
Le modèle de Bohr
Peu après son arrivée à Manchester, Bohr fit une découverte très importante. Il n'était pas
vraiment taillé pour le travail de laboratoire et préférait élaborer de nouvelles dérivées.
Rutherford était d'accord et Bohr entama très vite ses recherches pour comprendre et
remédier aux défauts de l'atome nucléaire de Rutherford.
Il y réussit en empruntant aux tactiques de Planck et Einstein, c'est-à-dire en quantifiant
l'atome. À dire vrai, il ne le quantifia qu'« à demi», parce qu'il supposait que dans certains
cas, l'atome se comportait de manière classique et dans d'autres, obéissait aux règles
quantiques. Mais il finit par élaborer un modèle capable d'expliquer presque toutes les
observations de l'atome d'hydrogène à l'époque.
PIÈGE ATOMIQUE
Bien que nous ayons présenté l'histoire du quantum plus ou moins dans l'ordre chronologique,
nous avons fait quelques bonds dans le temps. Rutherford, par exemple, élabora son modèle de
l'atome en 1911. soit plus d'une décennie après que Planck a dévoilé son hypothèse quantique.
Aussi. quand Bohr quantifia l'atome, il appliqua en réalité le • vieux • concept du quantum à la
• nouvelle • conception de l'atome nucléaire.
orbitant dans l'un de ces états stationnaires. Il qualifia d'« étatfondamental »l'état de plus
basse énergie, et d'« états excités» les états supérieurs.
~ DÉFINITION
Un atome est dit dans un état stationnaire chaque fois que ses électrons sont sur des orbites
stables dans lesquelles ils n'émettent pas de rayonnement. J.:état stationnaire le plus bas en
énergie est appelé état fondamental, tandis que les états supérieurs sont appelés états Hcltés.
Troisièmement, il postula que l'atome émet de la lumière seulement quand il passe d'un
état stationnaire de haute énergie à un état de basse énergie. En outre, il émit l'hypothèse
que la fréquence de lumière émise durant cette transition est égale à la différence d'énergie
entre les niveaux d'énergie correspondants divisée par la constante de Planck. Rien de
nouveau à cela, vous reconnaissez le rapport énergie-fréquence de Planck et d'Einstein.
Avant de décrire le quatrième (et le plus audacieux) postulat de Bohr, nous devons vous
présenter le concept de « moment angulaire » ou « moment cinétique ». Pour cela, compa-
rons un moulinet et une éolienne. On peut arrêter un moulinet avec le petit doigt. Mais
pour arrêter une éolienne, il faudrait sans doute l'incroyable Hulk. La raison en est que
tous les corps qui roulent, tournent ou gravitent autour d'un autre corps veulent continuer
à rouler, tourner et graviter. Une force externe est nécessaire pour les stopper.
En termes techniques, tout objet qui affiche un mouvement circulaire possède un moment
angulaire, dont la quantité dépend de sa masse, de son rayon de rotation et de sa vitesse
angulaire. Les objets grands et massifs ont un moment angulaire plus important que
les petits objets légers. (Incidemment, une autre manière de voir la stabilité des orbites
planétaires autour du Soleil est que leur moment angulaire orbital se conserve - encore
une loi de conservation.)
~ DÉFINITION
Le moment angulaire ou moment cinétique est la mesure de la tendance d'un corps qui roule.
tourne ou orbite à continuer à rouler. tourner ou orbiter.
Revenons à notre atome. L'électron en orbite a aussi un moment angulaire déterminé par
sa masse, sa vitesse angulaire et sa distance au noyau. C'est sur cette grandeur que Bohr
fonda son postulat principal. Il forma l'hypothèse que le moment angulaire d'un électron
en orbite est quantifié et que ses valeurs permises sont indiquées par les nombres entiers
(les incréments) de la constante de Planck.
102 Physique quantique - Le guide de référence
CITATION QUANTIQUE
• Alors, c'est l'une des plus grandes découvertes. •
Albert Einstein, quand il entendit parler des prédictions du modèle de Bohr.
Il s'attaqua ensuite aux mystérieuses raies spectrales de l'hydrogène. Son modèle pouvait-il
faire la lumière là-dessus ? Il commença par calculer les niveaux d'énergie de l'électron
quand celui-ci gravite autour du proton avec ses grandeurs permises de moment angulaire.
Ensuite, il calcula la fréquence lumineuse émise par l'électron quand il saute d'un niveau
d'énergie à l'autre. A partir de là, il était facile de trouver une formule pour les longueurs
d'onde émises lors des sauts d'un niveau d'énergie à l'autre.
Étonnamment, quand il examina le cas des sauts dans le premier état d'excitation, les
longueurs d'onde prédites par sa formule concordaient presque exactement avec les valeurs
observées par Balmer. La formule de Bohr était vraiment remarquable, puisqu'elle débou-
chait sur la bonne réponse en ne faisant appel à rien d'autre que la physique fondamentale
(en dehors, bien sûr, de ses postulats).
C'était une réussite encore plus éclatante que celle de Balmer. Après tout, celui-ci était
parti de la bonne réponse (la longueur d'onde connue) et avait travaillé à reculons pour
trouver une formule mathématique concordante. Bohr, lui, était parvenu à la solution en se
servant de principes de base. Même s'il nous faut encore examiner ses postulats de départ,
c'était clairement un bond en avant dans la compréhension de l'atome.
L'hydrogène expliqué
L'atome de Bohr donna aux physiciens une base formidable à partir de laquelle visualiser et
interpréter le fonctionnement interne de l'atome d'hydrogène. Un système permettant de
Chapitre 1 : Quantifier l'atome 103
garder la trace de tous les états stationnaires et de tous les niveaux d'énergie possibles nous
aidera à mieux comprendre cela. Pour ce faire, Bohr introduisit un système de comptage
basé sur ce qu'il appela le« nombre quantique ».
PIÈGE ATOMIQUE
Nous nous servons ici du concept du nombre quantique tel que défini dans le modèle de Bohr.
Dans ce cas. il y a exactement un état stationnaire (et un niveau d'énergie correspondant) par
nombre quantique. Toutefois, nous verrons au chapitre 11, que pour décrire un système en trois
dimensions comme l'atome. il faut trois nombres quantiques distincts (en vérité. il en faut quatre.
mais là, on anticipe vraiment). Nous traitons dans ce chapitre du• principal• nombre quantique.
C'est simple. L'état fondamental est donné par le nombre quantique 1 et correspond à une
orbite dotée d'un moment angulaire de 1 quantum (c'est-à-dire d'l unité de la constante
de Planck divisée par 6,28 ou hl21t). Le nombre quantique 2 appartient au premier état
excité, qui possède un moment angulaire de 2 quanta. Le nombre quantique 3 correspond au
deuxième état excité, avec 3 quanta. Et ainsi de suite, vers les nombres quantiques supérieurs.
PIÈGE ATOMIQUE
Dans ce traitement semi-quantique, Bohr fit un grand progrès avec sa quantification du moment
angulaire et son usage des nombres quantiques. Nous verrons toutefois au chapitre 11 que le
traitement entièrement quantique de l'atome d'hydrogène révèle que l'état fondamental n'a en fait
qu'un moment angulaire de O. Ne craignez rien cependant. le fait que les états d'énergie supérieurs
ont de plus grandes quantités de moment angulaire continue d'être vrai.
Le concept suivant introduit par Bohr fut le « saut quantique ». C'est une manière concise de
décrire le« passage» d'un atome d'un état stationnaire à un autre. Comme nous l'avons déjà
dit, c'est la base de l'interaction de l'atome avec la lumière. Quand l'électron saute d'un niveau
d'énergie à un niveau d'énergie inferieur, l'atome lui-même perd de l'énergie. Sachant que la
totalité de l'énergie est conservée, l'énergie perdue doit être convertie sous une autre forme.
Dans ce cas, elle est convertie en rayonnement électromagnétique et emportée par un photon.
En principe, un atome peut toujours sauter d'un état stationnaire donné à un autre.
Ce faisant, il émet un photon dont l'énergie égale la différence entre les deux niveaux
d'énergie. C'est la base du spectre de raies discrètes, où chaque raie spectrale correspond à
la différence entre un couple particulier de niveaux d'énergie. Comme l'espacement entre
les niveaux d'énergie d'un atome est unique, chaque atome a son propre spectre de raies.
De même, comme il n'existe pas de limite théorique au nombre de niveaux d'énergie, le
104 Physique quantique - Le guide de référence
spectre atomique peut contenir un grand nombre de raies chevauchant un grand nombre
de fréquences.
niveaux d'énergie
\.
,
\Ill 4
3
w
2
wvv.photon
f I~
Voici la représentation schématique des premiers niveaux d'énergie de l'hydrogène et le spectre de raies
correspondant à la transition à partir de l'état fondamental. Quand /'électron effectue un saut quantique d'un
état excité à l'état fondamental, un photon est émis. Les nombres sur la droite sont les nombres quantiques.
Bien qu'imagé, le terme« saut quantique)) est un peu trompeur. Si un électron s'arrachait
vraiment à une orbite pour s'attacher à une autre, il perdrait nécessairement de l'énergie
en route. Cela étant contraire à l'observation, il doit y avoir une autre explication.
~ DÉFINITION
Les nombres quanHquea sont assignés aux états stationnaires d'un atome, le nombre 1 corres-
pondant à l'état fondamental et les nombres 2, 3, 4 et ainsi de suite correspondant aux états
excités successifs.
Un saut quantique est la transition atomique d'un état stationnaire à un autre. Il s'accompagne
de l'émission (ou l'absorption) d'un photon, dont l'énergie correspond exactement à la différence
des niveaux d'énergie concernés.
Chapitre '1 : Quantifier l'atome 108
La seule interprétation qui soutienne vraiment l'examen est que l'atome cesse pour l'es-
sentiel d'exister dans son état initial et commence soudain à exister dans l'état final! C'est
un effet purement quantique difficile à visualiser et qui défie l'interprétation physique
fondée sur le sens commun. C'est pourtant ce qui se passe.
Le modèle de Bohr permet de comprendre les raies manquantes dans le spectre d 'absorp-
tion. Quand on projette un faisceau de lumière chromatique sur un atome, celui-ci peut
absorber les photons et passer d'un état stationnaire bas à un état excité supérieur. Dans
ce cas, le saut quantique s'effectue vers le haut et le niveau d'énergie final est supérieur au
niveau d'énergie initial.
Mais cela ne peut se produire que sous deux conditions. La première est que l'énergie
du photon doit correspondre exactement à la différence entre deux niveaux d'énergie
atomique. La seconde, c'est qu'il doit y avoir au moins un atome en état stationnaire
inférieur quelque part dans le gaz. Autrement, il serait impossible pour les atomes de gaz
d'absorber l'énergie du photon et de passer à un état excité.
Alors, comment cela explique-t-il le décalage entre les raies d'émission et d'absorption?
Eh bien, l'émission se produit quand les atomes ont été excités d'une manière ou d'une
autre. Par exemple, quand le gaz est chauffé et que les atomes entrent en collision les
uns avec les autres en absorbant une part d'énergie cinétique. Une fois les atomes en état
d'excitation, ce n'est qu'une question de temps avant qu'ils ne se« dés-excitent» et chutent
à des niveaux d'énergie inrerieurs en émettant de la lumière. Comme il n'y a pas de limite
aux états dans lesquels ils peuvent être excités, ni aux états dans lesquels ils déclinent, toutes
les combinaisons possibles de fréquences sont émises.
Mais si l'on essaie de mesurer l'absorption par un gaz froid, on n'observera que quelques
raies spectrales. C'est parce que les atomes d'un gaz froid ont moins d'énergie et qu'il y a
donc moins de collisions. Par conséquent, il est probable qu'aucun des atomes ne sera excité
dans un état stationnaire avec une énergie supérieure. Toute fréquence qui lie l'un de ces
états stationnaires de basse énergie à des états de plus haute énergie est par conséquent
absente du spectre d'absorption.
Enfin, il vaut la peine de noter que l'espacement entre les niveaux d'énergie se réduit à
mesure que les nombres quantiques augmentent. Ils ne sont pas espacés de manière régulière
comme dans le corps noir de Planck. Pour des nombres quantiques infiniment grands,
l'espacement entre les niveaux d'énergie atomique se réduit à O. Cela implique qu'il y a une
limite au plus haut niveau d'énergie possible, limite que les physiciens appellent« le seuil».
106 Physique quantique - Le guide de référence
Quand un atome absorbe un photon avec une énergie supérieure à la différence entre
le niveau d'énergie initial et le seuil, l'électron est de fait éliminé de l'atome. L'~ excès»
d'énergie est alors transféré à l'électron éjecté sous forme d'énergie cinétique. C'est la base
de l'effet photoélectrique.
NIELSBOHR
Né en 1885 à Copenhague, Niels Bohr passait encore son
permis de conduire quand Max Planck découvrit le
quantum d'action. Mais il ne tarda pas à obtenir la
médaille d'or de l'Académie royale des Sciences du
Danemark et un billet pour travailler avec le grand J. J.
Thomson dans son laboratoire de Cambridge.
Néanmoins, la personnalité directe et pragmatique de
Bohr gâcha leur première rencontre. Voulant se montrer
utile, Bohr souligna une erreur dans l'un des livres de
Thomson. Une froideur glaciale s'installa dès le début
et ne fit qu'empirer par la suite, poussant Bohr à aller
travailler avec le rival de Thomson, Ernest Rutherford. À
partir de là, Bohr entama ses recherches pour quantifier
l'atome, qui confirmèrent ultérieurement la théorie
nucléaire de Rutherford.
En vrai pragmatique, Bohr n'avait aucun scrupule à combiner un méli-mélo d'idées
pour trouver une solution valable. Cette approche fut d'une efficacité remarquable, à
commencer pour son modèle de l'atome. Dévoilé en 1913 dans une volumineuse série
d'articles de 69 pages, l'atome de Bohr lui valut une nouvelle distinction en 1922 : le prix
Nobel de physique.
Durant la Deuxième Guerre mondiale, Bohr fut secrètement recruté par l'Angleterre
pour faire des recherches sur la bombe atomique. Il commença par refuser, pensant que
l'engin serait irréalisable. Mais, forcé de fuir le Danemark durant l'occupation allemande,
notre pragmatique changea d'avis. Il gagna Los Alamos, où il joua un rôle important dans
les dernières années du projet Manhattan.
Le tableau périodique
Bohr aurait pu s'arrêter là, satisfait d'avoir inventé un modèle (semi-)quantique de l'hy-
drogène à un électron. Mais son esprit inquisiteur le poussait à rechercher ce que donnerait
l'application de son postulat aux atomes comportant 2, 3 ou même 92 électrons.
Chapitre '1 : Quantifier l'atome 10'1
~ DÉFINITION
Les couches électroniques sont les orbites autour du noyau atomique, chacune d'elles contenant
un nombre précis d'atomes.
La valence se réfère au nombre d'électrons présents dans la couche périphérique d'un atome :
c'est l'indicateur principal des propriétés chimiques d'un élément
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Voici une représentation des trois premières rangées du tableau périodique selon le modèle en couches
de Bohr. De gauche à droite. le nombre d'électrons augmente dans chaque couche. De haut en bas.
le nombre d'électrons reste égal dans la couche la plus externe.
Le modèle de Bohr allait remporter d'autres succès, concernant notamment les prédictions
des différentes raies spectrales. Mais son couronnement fut de prédire avec exactitude
les propriétés chimiques de l'hafnium, avec ses 72 électrons en orbite, un an avant qu'on
ne découvre celui-ci. Par une coïncidence heureuse, le hafnium fut découvert par des
physiciens travaillant dans la ville natale de Bohr et on le nomma d'après une version
latine de « Copenhague ,._
Les couches de Bohr fournirent aussi un aperçu de la formation des molécules. Les chimistes
savaient depuis longtemps que les gaz nobles (hélium, néon, argon, etc.) étaient les éléments
les moins actifs et donc les plus stables. Le modèle des couches de Bohr impliquait que
c'était parce que leur couche périphérique était pleine, une couche pleine équivalant à
la stabilité. Bohr appliqua ce raisonnement pour suggérer que les atomes cherchaient à
former des molécules quand cela leur permettait de « partager » des électrons et de remplir
effectivement leurs couches périphériques.
Prenons, par exemple, la molécule à 2 atomes formée par le sodium et le chlore. Les
chimistes l'appellent chlorure de sodium, et nous l'appelons sel de table. Le sodium ne
possède qu'un électron dans sa couche périphérique et il manque un électron au chlore
pour remplir la sienne. Quand l'atome de sodium« prête» son électron à l'atome de chlore,
formant ainsi une molécule, ils remplissent tous deux leurs couches périphériques. Les
deux atomes en deviennent plus stables et nos aliments n'en deviennent que meilleurs.
Chapitre 7 : Quantifier l'atome 109
Le sel de table se forme parce que le sodium (NA) a un électron en trop, et le chlore (Cl) un en moins.
En formant une molécule et en •partageant• l'électron périphérique du sodium, ils remplissent
leurs couches périphériques et deviennent plus stables.
Malgré ses points forts, l'explication du tableau périodique de Bohr péchait à un égard.
Il échouait à expliquer pourquoi le nombre d'électrons par couche est limité. Pourquoi,
par exemple, la couche intérieure ne peut-elle contenir que 2 électrons ? Et pourquoi la
seconde ne peut-elle en avoir que 8, si bien que le onzième électron du sodium est banni
sur une couche encore plus éloignée ? Le monde allait devoir attendre plusieurs années
avant de voir ce mystère dévoilé. Heureusement pour vous, vous n'aurez à attendre que
jusqu'au chapitre 12.
Supposons qu'au lieu de se déplacer en cercle autour du noyau, en sorte d'être toujours à la
même distance du centre, les électrons ondulent lentement sur leur orbite. Leur trajectoire
orbitale ressemblerait à une ligne ondulée, superposée à l'orbite circulaire. Si la longueur
d'onde de l'oscillation était de la bonne longueur, chaque orbite aurait exactement la même
trajectoire sur son orbite précédente. En d'autres termes, les orbites ondulées se joindraient
sans anicroche à mesure que l'électron enchaînerait les révolutions.
Si pour une raison quelconque, les électrons ne se déplaçaient pas selon une orbite parfai-
tement circulaire, mais sur une trajectoire ondulée autour de l'atome, certaines longueurs
d'onde ne seraient permises qu'à une certaine distance du noyau. Était-ce une façon
d'expliquer le mystère de la stabilité des états stationnaires ?
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Sur ce schéma, les cercles en pointillé représentent les quatre premiers rayons orbitaux permis
par l'atome de Bohr. et les cercles pleins les ondes stationnaires superposées.
Quand les orbites ondulées se rejoignent ainsi, les physiciens les appellent des ondes station-
naires. C'est à cause de leur similarité avec les vibrations produites par le pincement d'une
corde de violon. En outre, la physique classique nous apprend que les ondes stationnaires
possèdent une stabilité inhérente et qu'elles restent les mêmes tant qu'une friction ne
déplace pas l'énergie vibrationnelle.
Chapitre 7 : Quantifier l'atome 111
Pour un électron ondulant sur son orbite, une onde stationnaire stable se formerait chaque
fois qu'un multiple entier de sa longueur d'onde correspondrait à la longueur (c'est-à-dire
à la circonférence) de son orbite. Si pour une raison quelconque l'électron se comportait
comme une onde avec une longueur d'onde prédéfinie, il pourrait alors former une onde
stationnaire seulement pour des orbites spéciales autour du noyau. Cela pouvait-il expliquer
pourquoi certaines orbites sont spéciales ?
C'était une façon élégante d'expliquer la nature privilégiée des états stationnaires. Hélas,
cela ne pouvait pas être vrai. C'était impossible, parce qu'un tel comportement n'avait de
sens que si un électron possédait d'emblée des propriétés ondulatoires. Mais un électron
est une particule, n'est-ce pas ? En tant que particule, il ne peut pas se comporter comme
une onde. Ou bien si ?
3
Mécanique quantique
Au début des années 1920, les pionniers du quantum avaient fait d'énormes progrès dans la
compréhension de l'univers microscopique. Mais le temps qu'ils convergent du monde entier
vers Gôttingen pour le << festival Bohr », ils avaient pressé jusqu'à la dernière goutte les postulats
quantiques. Leurs brillants efforts n'avaient produit que des solutions disparates à un patchwork
de problèmes.
Leur travail était encore incomplet. Il restait pléthore d'énigmes, depuis les règles régissant le
remplissage des couches électroniques à la bizarre personnalité duelle de la lumière. Pour autant
qu'ils s'y efforcent, les percées avaient cessé. La« vieille» physique quantique, comme on appelle
aujourd'hui les premiers travaux de Planck, Einstein et Bohr, était en bout de course.
Heureusement, une nouvelle génération de physiciens se préparait à reprendre le flambeau. Ces
hommes et ces femmes, devenus adultes aux premiers jours de la physique quantique, étaient
d'une fidélité moins intransigeante à la physique classique. Plutôt que d'essayer de faire rentrer de
force de nouvelles notions quantiques dans le cadre de la physique classique, ils étaient disposés à
faire les bonds requis pour développer une vision du monde purement quantique. C'est le produit
de leurs efforts, la théorie de la mécanique quantique, que nous allons maintenant étudier.
CHAPITRE
8
Les ondes de matière
L'objectif, dans ce chapitre, est de sauter à pieds joints dans Dans ce chapitre
la théorie « moderne » de la mécanique quantique. L'idée
cruciale évoquée au chapitre précédent est que les particules de Un examen plus attentif de
matière peuvent arborer des propriétés ondulatoires - comme l'électron
la lumière ! Et ce n'est qu'en prenant en compte le concept
La quantification de la
d'ondes de matière qu'on peut commencer à bâtir une théorie
charge électrique
quantique cohérente, à la place du patchwork d'idées de la
«vieille» physique quantique. Les ondes de matière et les
longueurs d'onde de Broglie
Nous verrons aussi comment la symétrie de la lumière et de la
matière prolonge le bizarre concept de la dualité onde-particule La nature schizophrénique
pour englober non seulement la lumière, mais aussi les objets de la matière
matériels.
116 Physique quantique - Le guide de référence
L'humble électron
La physique quantique est faite de lumière et d'atomes. C'est en investiguant leur nature
que Planck, Einstein et Bohr produisirent leurs grandes quantifications. L'autre thème
unifiant leurs travaux était le lien critique établi par l'électron entre la lumière et les
atomes. Non seulement c'est un constituant fondamental de l'atome, et donc de tous les
types de matière, mais chaque fois qu'il se déplace - ou « saute » -, la lumière est forcée
de le suivre. Il ne faut donc pas s'étonner que l'étape suivante sur la voie de la physique
quantique se soit principalement appuyée sur l'humble électron.
Depuis longtemps, des scientifiques (et des non-scientifiques) tripotaient les électrons,
sans savoir qu'il s'agissait de parties d'atomes. Ils accumulaient des charges électriques, en
tiraient d'énormes étincelles et généraient du courant électrique sans connaître la véritable
nature de l'énergie qu'ils manipulaient.
C'est Thomson qu'on crédite de la « découverte » de l'électron, c'est-à-dire de l'iden-
tification et la mesure de ses caractéristiques - la première particule subatomique ainsi
isolée. Il s'avéra par la suite que le flux d'électrons était responsable de pratiquement tous
les phénomènes magnétiques et électriques qu'on observait depuis des décennies.
A la fin du x1x• siècle, Thomson établit clairement que l'électron était une particule
discrète, véhiculant une charge électrique négative. Une décennie plus tard, Robert
Millikan et Harvey Fletcher purent mesurer avec exactitude la charge de l'électron. Ils
confirmèrent qu'elle était la même pour tous les électrons et qu'elle était aussi la plus petite
unité de charge observable dans le monde.
C'était une autre façon de dire que la charge électrique est quantifiée. Toutes sortes
d'objets, petits et grands, peuvent être chargés électriquement, et cette charge peut avoir
une valeur positive ou négative. Toutefois, la quantité de charge est toujours un nombre
entier multiple de la charge de l'électron, soit en positif, soit en négatif (si elle n'est pas
équivalente à 0, bien entendu).
Ayant isolé des faisceaux d'électrons, Thomson put mesurer le rapport entre la charge
et la masse de l'électron en observant comment les faisceaux se recourbaient sous l'effet
de champs électromagnétiques. Quand Millikan eut mesuré sa charge, on put calculer
précisément la masse de l'électron et, comme nous l'avons vu, il s'avéra que c'était une
toute petite fraction (moins d'un dixième de centième) de la masse totale de l'atome au
sein duquel il résidait.
Chapitre 8 : Les ondes de matière 11'1
PIÈGE ATOMIQUE
On entend parler parfois de scientifiques qui • scindent• ou • cassent • l'atome. Si le fait de retirer
des électrons peut être techniquement considéré comme un désassemblage, il s'agit en réalité
de démonter le noyau de l'atome. Retirer des électrons est beaucoup plus facile que de modifier
le noyau. Cette dernière opération demande (et libère éventuellement) beaucoup plus d'énergie.
C'est pourquoi le terme • nucléaire • est préférable à • atomique • quand il s'agit de bombes ou
de centrales.
Si la charge électrique de l'atome moyen est neutre, il est possible de trouver des atomes
avec un supplément de charge négative ou positive (les ions). Et bien que les électrons
de charge négative soient attirés par le noyau positif, il est possible de surmonter cette
attraction pour arracher un électron. Enlevez un ou plusieurs électrons et vous aurez un
ion positif. Empilez quelques électrons de plus et vous aurez un ion négatif.
Tout cela pour dire que les raisons ne manquaient pas de s'intéresser aux électrons au début
des années 1920. Les électrons sont courants et il est relativement facile de les extraire des
atomes pour les étudier. Ils ont quelque chose de primordial en raison de leur unité de
charge électrique standard. Leur charge et leur masse font qu'on peut les déplacer avec des
champs électromagnétiques. Ils jouent aussi un rôle majeur en chimie, vu leur tendance à
s'accumuler dans les couches périphériques des atomes. Plus important encore peut-être, la
physique classique était encore incapable d'expliquer ce qu'ils faisaient au sein des atomes.
SAUT QUANTIQUE
Tous les noyaux atomiques sont composés de protons et de neutrons, à une exception près. Le
noyau de l'atome d'hydrogène ordinaire ne contient qu'un seul proton et pas de neutron du tout.
Par conséquent, l'atome d'hydrogène est un système très simple : un électron lié à un proton. Et
quand on arrache l'électron pour faire un ion d'hydrogène positif. cet ion est un proton isolé qu'il
est possible de manipuler et d'étudier.
118 Physique quantique - Le guide de référence
~ DÉFINITION
LOUIS DE BROGLIE
Ëgalitaires par nature, les scientifiques ne précisent pas
souvent le nom et le titre complet de Louis de Broglie :
Louis-Victor-Pierre-Raymond, septième duc de Broglie.
De fait, il était à la fois un duc français et un prince allemand.
Louis de Broglie naquit en 1892 à Dieppe. Il vécut jusqu'à
94 ans, ce qui lui permit de voir mûrir quantité des idées
quantiques qu'il avait contribué à semer dans sa jeunesse.
Louis de Broglie avait l'intention de faire des sciences
humaines son domaine de prédilection, mais après un
premier diplôme en histoire en 1910, son goût pour les
sciences et les mathématiques l'emporta. Son frère aîné
était déjà physicien expérimental, et heureusement pour le
développement de la physique quantique, Louis se tourna
vers la physique juste après la Première Guerre mondiale.
En 1924, il soumit une thèse de 127 pages présentant ses
idées sur les particules massives dotées de propriétés ondulatoires. Ses examinateurs
n'étaient pas certains de savoir si ce gamin avait fait une stupéfiante percée théorique,
ou s'il essayait juste de décrocher un doctorat avec un tas de bobards. Dans un geste
d'humilité admirable, ils envoyèrent sa thèse à Albert Einstein pour avis. Celui-ci répondit
rapidement que le jeune homme pouvait bien avoir raison.
Parmi de nombreuses distinctions, Louis de Broglie reçut le prix Nobel de physique
en 1929, après la validation expérimentale de son hypothèse sur les ondes de matière.
Mais il est intéressant de noter que, par la suite, il s'opposa à l'interprétation dominante
de la mécanique quantique. Il se rangea souvent du côté d'Einstein, s'agissant de
ses objections à une vision purement probabiliste de la physique quantique. Nous
reviendrons sur ce sujet dans les chapitres suivants.
L'idée que des particules massives pouvaient avoir des propriétés ondulatoires était promet-
teuse, mais elle ne répondait pas à toutes les questions. L'hypothèse de Louis de Broglie
collait parfaitement à la quantification du moment angulaire des orbites électroniques par
Bohr. Mais que faisait vraiment cette ondulation ?
Il n'était pas possible d'imaginer un électron sautillant sur sa trajectoire. D'une part, cela
aurait accéléré le rayonnement d'énergie des particules chargées, et d'autre part, la vitesse
de ces nouvelles ondes aurait été supérieure à la vitesse de la lumière, ce qu'Einstein avait
déjà démontré comme impossible. Pour ces raisons, et par manque de preuves directes,
peu de gens prirent Louis de Broglie au sérieux, au début.
120 Physique quantique - Le guide de référence
L'expérience Davisson-Germer
Depuis Newton, on savait que le moment cinétique d'une particule est directement
proportionnel à sa masse. Pour les particules massives présentant de grands moments
cinétiques, la taille de la constante de Planck rendait la longueur d'onde de De Broglie très
petite, même comparée aux longueurs d'onde de la lumière. Pour cette raison, il était très
difficile d'observer en laboratoire le comportement ondulatoire de particules de matière.
Conscient de ces difficultés, l'un des membres du jury de thèse demanda à De Broglie de
suggérer une expérience qui pourrait effectivement démontrer ses audacieuses affirmations.
La réponse que fit Louis de Broglie - la diffusion d'un faisceau d'électrons à travers un
cristal - était logique, puisqu'on s'en était déjà servi pour montrer les propriétés ondula-
toires de la lumière. Mais il ignorait que cet effet avait déjà été observé, sinon compris,
en laboratoire.
Dès 1922, en effet, les physiciens américains Clinton Davisson et Charles Kunsman avaient
bombardé diverses substances de faisceaux d'électrons à basse énergie. Ces conditions
expérimentales étaient appropriées, puisque le moment cinétique d'une particule est le
produit de sa masse et sa vitesse. Pour obtenir la longueur d'onde de De Broglie la plus
grande (et donc la plus détectable), il fallait se servir des particules les plus légères possible
(les électrons) et les laisser se déplacer aussi lentement que possible sans pour autant qu'elles
cessent de se mouvoir en ligne droite.
Dans une expérience ultérieure avec son collègue Lester Germer et en prenant en compte
certaines indications préliminaires précédemment négligées, Davisson obtint la preuve
formelle du comportement ondulatoire de la matière. Il est intéressant de noter que cette
expérience n'était pas destinée à l'origine à prouver la nature ondulatoire des particules,
mais à étudier une cible de nickel cristallin bombardé par un faisceau d'électrons lents.
Heureusement pour eux, quelqu'un renversa par accident un flacon sur le dispositif expé-
rimental et perça l'enceinte. Le nettoyage de la cible fit que le nickel polycristallin se
réorga1tisa en nickel monocristallin, produisant des schémas de diffraction irréfutables.
En 1927, Davisson et Germer en conclurent avec certitude que les électrons avaient des
propriétés ondulatoires.
Chapitre 8 : Les ondes de matière 121
Même si cette expérience de diffraction n'était pas aussi simple que la démonstration
des fentes de Young, elle apportait néanmoins la preuve du comportement ondulatoire
des électrons. En fait, elle était similaire à celle de Von Laue, dont nous avons parlé au
chapitre 4. Dans ce cas, les atomes des surfaces r