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Quantique
LE GUIDE DE RÉFÉRENCE
Marc Humphrey, Paul Pancella
& Nora Berrah
Physi~ue
Quantique , ,
LE GUIDE DE REFERENCE
GuyTrédaniel éditeur
19, rue Saint-Séverin
75005 Parts
Dans la mime collection
Ayurvéda, Sahara Rose Ketabi, 2018
Fleurs de Bach, Laure Martinat, 2019
ISBN : 978-2-8132-2075-2
www.editions-tredaniel.com
info@guytredaniel.fr
www.facebook.com/editions.tredaniel
Petits plus
Et pour tous les détails et les digressions qu'il aurait été dommage de manquer, cet
ouvrage se dote de petits plus :
~ DÉFINITION
~ PIÈGE ATOMIQUE
~ SAUT QUANTIQUE
Enfin, au fil des pages, nous vous présenterons les chats les plus sympas de l'histoire
de la mécanique quantique et vous donnerons quelques trucs pour les faire ronronner.
Remerciements
Tous les physiciens de moins de 100 ans ont eu, à un moment donné, un professeur
de physique quantique. Nous-mêmes en avons eu neuf au cours de nos études. Sans
leur patience et leur pédagogie, ce livre n'aurait pu être écrit. Nous devons donc des
remerciements à Bob Delaney, Mohamed Fellah, Tom Gorczyka, Gerald Hardie, Eric
Heller, Dean Kaul, Hugh Kelly, Gordon Mutchler et Larry Stacey. Nous sommes
également reconnaissants à Robert Eisberg, Robert Resnick, Raymond Serway et
d'autres, dont les ouvrages ont alimenté nos études et restent, à ce jour, sans équivalent.
Comme personne ne comprend vraiment la physique quantique, il est d'autant plus
important pour les physiciens de pouvoir en disctuer entre eux. Si ces débats ne garan-
tissent pas la compréhension, ils font certainement du bien à leurs protagonistes. Pour de
mémorables conversations au fil des ans, nous aimerions remercier Steve Baker, Chris
Edge, Robert Michniak, Lubna Rana, Ilme Schlichting, Tom Shefler, Joseph Snyder,
Rusty Trainham et Alan Wuosmaa. Nous avons aussi une dette spéciale envers Nick
Bonesteel pour sa relecture attentive et constructive du chapitre 21.
Connaître la physique quantique et savoir la transmettre sont des choses très difie-
rentes. Nous sommes donc très reconnaissants aux éditeurs qui ont élagué et poli notre
manuscrit pour en faire le livre que vous avez entre les mains. Tom Steves a beaucoup
œuvré à sa production, tandis qu'Ann Barton a transformé nos premiers jets en quelque
chose de lisible.
Enfin, au cours de l'écriture de ce livre, nous avons bénéficié du soutien essentiel de
nos chères moitiés. Nos remerciements sincères à Kathrin, Anne et Alan. Sans eux,
notre fonction d'onde se serait sûrement effondrée de façon dramatique.
PARTIE
1
Physique classique
et physique quantique
Sans doute avez-vous choisi ce livre parce que vous êtes curieux de la physique quantique et
que vous voulez en apprendre davantage. Peut-être avez-vous entendu dire que les plus petites
particules de matière choisissent parfois de se comporter comme des ondes. Ou avez-vous lu
que, quand le domaine quantique, les chats peuvent être à la fois vivants et morts. A moins
que vous ne vouliez comprendre les applications et le rôle de la physique quantique dans la vie
quotidienne et la fabrication des ordinateurs les plus rapides et les plus sûrs du monde.
Dans tous les cas, vous avez sans doute envie d'aller directement aux grandes découvertes des
physiciens, Planck, Bohr, Heisenberg, Einstein et Schrodinger. Mais si vous voulez apprécier
leurs travaux à leur juste valeur, il vous faut un point de comparaison pour jauger de ces
merveilles.
Ne craignez rien : avant la fin de ce livre, nous aurons abordé tout ce que vous voulez savoir
sur la physique quantique et même davantage. Pour vous échauffer, néanmoins, nous allons
vous présenter les grands piliers de la physique « non quantique ». On la qualifie désormais de
« classique », étant donné son charme et son utilité qui perdurent jusqu'à aujourd'hui. Notre
histoire commence sous un pommier de la campagne anglaise du xvn• siècle - et par rien de
moins que la naissance de la physique.
CHAPITRE
1
Le quantum de la physique
quantique
la température, la masse et la taille sont des quantités que l'on mesure couramment. Et
comme nous le verrons, la mesure est essentielle au développement, à la validation et à
l'application des nouvelles lois de la physique.
~ DÉFINITION
Une observation qualitative fournit des informations caractérisant les attributs ou les propriétés
spécifiques d'un objet ou d'un phénomène.
Une muure quantitative fournit des informations sur la taille ou la magnitude des caracté-
ristiques étudiées. et assigne une valeur numérique exprimée dans l'une des unités de base.
• Ne vous inquiétez pas de vos difficultés en mathématiques. Je vous assure que les miennes
sont bien plus grandes. •
Albert Einstein
Vous avez sans doute déjà entendu parler de la découverte d'Albert Einstein selon laquelle
la matière et l'énergie sont interchangeables sous certaines conditions. Il n'est pas difficile
d'écrire cela en mots, mais pour s'en servir, il faut un modèle mathématique. C'est là
qu'intervient la célèbre formule d'Einstein : E = mc2 • Vous l'avez sans doute déjà lue et
peut-être savez-vous que E représente l'énergie, m la masse et c la vitesse de la lumière.
En quelques traits de plume, elle indique avec exactitude combien d'énergie est contenue
dans un matériau d'une masse donnée.
Les physiciens empruntent deux voies très différentes pour dévoiler les lois de la physique et
les modèles mathématiques correspondants. Dans la première, les « théoriciens » travaillent
à leur bureau, avec un stylo et du papier ou, aujourd'hui, un ordinateur. Ils se servent de
la logique pour élaborer des formules dont ils pensent qu'elles décrivent le monde naturel.
Le point de départ de ce processus est souvent un ensemble d'autres lois bien établies, mais
il n'est pas rare d'introduire de toutes nouvelles lois fondées uniquement sur l'intuition.
Et en étudiant le développement de la physique quantique, nous verrons que ces idées
soudaines ont joué de fait un grand rôle.
La deuxième voie est celle des « expérimentateurs » et prend place en général dans un
laboratoire. Le point de départ de la physique expérimentale est un ensemble d'observa-
tions minutieuses, suivies de mesures non moins minutieuses. Dans la plupart des cas, les
expérimentateurs perturbent volontairement un système (par exemple en projetant de la
lumière sur un métal) et observent la façon dont il réagit. Une fois les données collectées,
ils recherchent les récurrences et en tirent des conclusions permettant d'établir de nouvelles
lois.
Chapitre 1 : Le quantum de la physique quantique 21
Bien sûr, ces deux approches se chevauchent et la limite est floue entre physique
théorique et physique expérimentale. En outre, elles dépendent fortement l'une de
l'autre. Les expérimentateurs comptent sur les théoriciens pour développer le cadre
mathématique nécessaire à la description de leurs observations, et les théoriciens
comptent sur les expérimentateurs pour confirmer que les phénomènes prédits sont
effectivement observés.
«La physique théorique sans expérimentation est vide. L'expérimentation sans la théorie est
aveugle.•
Heinz Pagels, physicien américain
Il existe une troisième approche qu'il vaut la peine de mentionner, en particulier pour son
importance dans la physique quantique. Si les physiciens expérimentaux ont du talent, il y
a des limites à ce qu'ils peuvent découvrir dans un laboratoire. Dans ce cas, ils emploient
souvent ce qu'on appelle en allemand Gedankenexperiment, c'est-à-dire une « expérience
de pensée».
~ DÉFINITION
Une exp6rlence de pen16e sert à imaginer le résultat et examiner les conséquences d'une
expérience qui ne peut être menée concrètement du fait de limitations physiques, matérielles
ou sociales.
Au xvmc siècle par exemple, le physicien anglais Isaac Newton s'est demandé ce qui
arriverait si l'on tirait un boulet de canon selon une trajectoire parallèle à la surface de la
Terre et à différentes vitesses. En se fondant sur des observations antérieures, il savait que,
tiré à faible vitesse, le boulet de canon retomberait sur Terre après une courte distance. Il
savait aussi que, tiré un peu plus vite, ce boulet voyagerait plus loin.
Il en a alors déduit que si l'on pouvait tirer un boulet de canon assez vite pour qu'il
suive la courbe de la Terre, il pourrait faire le tour du globe et revenir à l'endroit d'où
il avait été tiré ! Comme il n'était pas possible de tirer au canon aussi vite, il est arrivé
à cette conclusion uniquement par déduction. Nous rencontrerons beaucoup d'autres
expériences de pensée quand il s'agira d'interpréter les étranges conséquences de la
physique quantique.
22 Physique quantique - Le guide de référence
Le processus de la physique
Au fil de ces pages, nous allons introduire de nouveaux concepts en expliquant comment
ils ont été découverts. Mais dans le domaine quantique, ces concepts ne sont pas aussi
simples et faciles à comprendre qu'on pourrait le souhaiter. Pour prendre un bon départ,
commençons par considérer un phénomène familier et quotidien.
Imaginez que vous êtes à la cour du roi Arthur, assez près de la Table Ronde pour entendre
ce qui s'y dit. C'est le début de printemps, et le roi Arthur et Lancelot observent que les
jours vont en s'allongeant. Arthur a soigneusement étudié ce phénomène et remarqué que
la durée du jour augmente à peu près régulièrement. Il en a conclu que les jours conti-
nueront à s'allonger au même rythme. Il a même élaboré un modèle mathématique pour
le décrire : H = At, H représentant le nombre d'heures de jour, t la durée de ces jours et
A une constante quantifiant l'augmentation de la durée du jour par rapport au précédent
(la plupart des formules en physique exigent des constantes comme celle-ci pour que les
rapports mathématiques s'accordent à l'observation quantitative.)
Lancelot n'est pas du tout d'accord. Ayant observé l'automne précédent que les jours
raccourcissaient, il s'est fait la réflexion qu'il devait y avoir un cycle en jeu. Il propose
une formule alternative pour calculer le nombre d'heures de jour, fondée sur une simple
fonction trigonométrique sinusoïdale.
Avec des sabliers de pointe, Arthur et Lancelot mesurent soigneusement le nombre d'heures
diurnes tous les samedis pendant deux mois et les reportent sur un graphique. Ils ajustent
légèrement leurs formules pour les faire coller à leurs observations. C'est à ce moment-là
qu'Arthur sélectionne la valeur A de façon à ce que sa formule corresponde aux données.
En seulement deux mois d'observation, les deux formules correspondent suffisamment
aux données pour que les deux chevaliers soient sûrs de leur fait.
Chapitre 1 : Le quantum de la physique quantique 23
15
• • • Prédiction du roi Arthur
- Prédiction de Lancelot
14
l 13
.a
~
l 12
11
Mars Avril
Au bout de deux mois, les modèles d'Arthur et de Lancelot montrent une concordance
avec les valeurs observées (représentées par les ronds noirs).
Arthur s'en va ensuite par monts et par vaux pendant dix mois. Quand il franchit enfin le
pont-levis de Camelot, Lancelot ne peut s'empêcher d'exulter. Il suffit de voir comment
leurs formules correspondent aux observations pour comprendre pourquoi. Avec davantage
de données, le modèle de Lancelot s'est révélé exact, tandis que celui d'Arthur a manqué
son coup. La formule de Lancelot est donc acceptée, et celle d'Arthur rejetée.
Confiant dans la formule de Lancelot, Merlin (notre théoricien) se retire dans ses appar-
tements pour essayer de comprendre pourquoi elle marche. Après des réflexions et des
calculs mathématiques soigneux, il en conclut que non seulement la Terre tourne sur son
axe, mais que cet axe doit être incliné par rapport au plan de son orbite autour du Soleil.
Comme la Terre tourne autour du Soleil, son hémisphère nord est incliné vers le Soleil
durant l'été et incliné dans l'autre sens durant l'hiver. Par conséquent, les jours rallongent
au printemps et raccourcissent à l'automne.
24 Physique quantique - Le guide de référence
20
, , .
,,
• • • Prédiction du roi Arthur
- Prédiction de Lancelot ,
18
16
...
...
:>
.2,
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"C
14
~
~ 12
10
J F M A M J J A s 0 N D
Mols
Au bout d'un an, la théorie de Lancelot est validée tandis que celle d'Arthur est rejetée.
Mais l'examen des données révèle que même la prédiction de Lancelot n'est pas tout à fait
juste. Par exemple, en juin et en juillet, elle prévoit que les jours sont un peu plus courts
qu'ils ne le sont en réalité. La formule de Lancelot et l'interprétation de Merlin demandent
à être affinées pour correspondre à l'observation d'effets subtils. Néanmoins, cette théorie
est une très bonne approximation de la longueur des jours durant l'année. On peut même
s'en servir pour prédire la longueur des jours pendant de nombreuses années. Vu son succès,
cette théorie est élevée au statut de loi physique.
Bien que cet exemple soit une fiction, le processus par lequel le roi Arthur, Lancelot et
Merlin tentent de décrire la nature est typique de la manière dont on fait de la physique.
On observe un certain phénomène, puis les théoriciens en tirent des formules et des
interprétations pour l'expliquer. Les expérimentateurs procèdent à des mesures soigneuses,
et celles-ci servent à valider les théories réussies et à écarter les autres. Les théories qui
résistent à l'épreuve du temps acquièrent le statut de lois.
Dans l'intervalle, les divergences mineures entre théorie et expérience sont soigneusement
étudiées, afin de procéder à des ajustements qui les feront concorder encore mieux. En
général, cela consiste à prendre en compte les effets secondaires cohérents avec la théorie
Chapitre 1 : Le quantum de la physique quantique 25
en question. Mais dans certains cas, une légère divergence entre la théorie et l'expérience
révèle un défaut fondamental de la théorie et débouche sur l'émergence d'idées révolu-
tionnaires. Comme nous le verrons, ce fut le cas pour la physique quantique.
L'échelle quantique
Au début du xxc siècle, on avait développé un cadre élégant et très complet pour expli-
quer la plupart des faits ordinaires. Mais, en y regardant de plus près, on remarquait des
divergences curieuses entre la théorie et l'expérience. C'est grâce à l'investigation de ces
divergences que la physique quantique a vu le jour.
On admet aujourd'hui que, si ces divergences sont si longtemps restées dans l'ombre,
c'est parce que la physique quantique n'émerge que lorsqu'on traite de choses minuscules.
Elle n'est pas nécessaire, en effet, pour expliquer pourquoi les jours rallongent en été,
ni pourquoi les grains de sable forment un cône quand on les empile. On n'a besoin de
la physique quantique que lorsqu'on commence à s'occuper de choses plus petites qu'un
grain de poussière.
Cela ne veut pourtant pas dire qu'elle n'a pas d'importance dans la vie quotidienne.
Rappelez-vous que la physique sert à expliquer les rapports entre matière et énergie.
Comme nous le verrons dans les chapitres ultérieurs, les objets de tous les jours sont
composés de particules beaucoup plus petites qu'un grain de poussière. Par conséquent,
la compréhension des objets macroscopiques (ordinaires) dépend étroitement de la compré-
hension de leurs composants microscopiques.
~ DÉFINITION
Macroscopique qualifie des objets et des phénomènes de taille ordinaire, que l'on peut voir à
l'œilnu.
Microscopique qualifie des objets beaucoup plus petits, que l'on ne peut détecter qu'à l'aide d'un
microscope ou d'un autre instrument
Pour mettre cela en perspective, considérez le tableau suivant. Dans la colonne de gauche,
chaque nombre est dix fois plus petit que le précédent. L'épaisseur de ce livre, par exemple,
est cent fois plus petite que la taille d'un être humain, et le diamètre d'un cheveu est encore
cent fois plus petit. En descendant vers des échelles encore plus réduites, on entre dans le
domaine quantique : des ondes de lumière, des atomes et des particules.
26 Physique quantique - Le guide de référence
Mètres Objets
1 Taille de l'être humain
0,1
10-12
10-13
10-11 ,
La physique quantique ne devient apparente que lorsqu'on traite de choses exceptionnellement petites.
Dans les chapitres suivants, nous allons expliquer tous ces termes en détail, mais pour le
moment, il suffit de dire que les effets de la physique quantique n'apparaissent qu'à des
échelles un million de fois plus petites que vous.
PIÈGE ATOMIQUE
En notation scientifique, une différence d'une unité dans l'exposant correspond à une différence
de facteur dix en magnitude globale. Ainsi, J x 104 est cent fois plus grand que J x 102. Cette
écriture dense permet de connaitre immédiatement l'ordre de grandeur des valeurs considérées.
Nous avons utilisé deux sortes de nombres dans la colonne de gauche. Les dix premiers sont
écrits sous forme décimale, avec un 0 supplémentaire pour chaque réduction de facteur 10.
Les huit suivants sont écrits en notation scientifique. En général, un nombre en notation
Chapitre 1 : Le quantum de la physique quantique 27
scientifique (disons Mx 10N) peut s'écrire sous forme décimale avec le bon nombre de
0 et la valeur M. Quand N est positif, on introduit N 0 à gauche de la décimale et quand
il est négatif (N - 1) 0 à droite. Par exemple, 5 x 102 = 500 tandis que 5 X 10-3 = 0,005.
Si le nombre M n'est pas spécifié, cela veut dire qu'il est égal à 1. En d'autres termes, le
nombre 10-10 est équivalent à 1 x 10-10 •
Quoi de neuf ?
La physique quantique a un peu plus de 100 ans. Sa naissance au début du xxe siècle découle
principalement de la capacité à observer, manipuler et mesurer des objets à 1' échelle quan-
tique. Les physiciens ont en effet découvert que le monde microscopique n'était pas une
version réduite du monde macroscopique, mais un monde très différent, gouverné par des lois
assez étranges. Pour résumer, la physique quantique a débuté avec quatre idées principales.
Nous les expliciterons bien sûr en temps voulu, mais les voici brièvement résumées ici.
Granularité intrinsèque
Tout d'abord, la physique quantique nous apprend que, quand on passe à des échelles très
petites, certaines quantités physiques sont « pixélisées ». Des choses qui semblent continues
(lisses et graduelles) au niveau macroscopique sont de fait discrètes et morcelées à l'échelle
microscopique. En d'autres termes, elles sont délimitées par des valeurs distinctes et bien
séparées. Par exemple, les lois générales de la physique disent que l'énergie inhérente au
balancier d'une pendule pourrait prendre n'importe quelle valeur selon la vitesse et la
hauteur de son oscillation. Mais dans le domaine quantique, on verra que le balancier
d'une minuscule pendule ne peut pas osciller avec n'importe quelle énergie et qu'il est
limité à certaines valeurs énergétiques discrètes.
À première vue, cela semble moins révolutionnaire que cela n'est. À l'époque du tout-
numérique, nous sommes habitués à l'idée que les choses procèdent par petites étapes. Si
vous allumez votre chaîne hi-fi, par exemple, vous augmentez le son graduellement, comme
indiqué par de petits clics, une barre progressive ou même des valeurs chiffrées. De même,
tout le monde est accoutumé à l'apparence pixélisée des photos numériques prises en basse
résolution. Quand on affiche cette photo sur un écran d'ordinateur et qu'on zoome de plus
en plus, on voit que ce qui semblait lisse est en fait constitué de milliers de petits points.
La différence entre ces exemples de la vie quotidienne et la granularité quantique est que la
version quantique est inhérente et inévitable. On ne peut pas la dépasser. En principe, rien
28 Physique quantique - Le guide de référence
n'empêche d'imprimer ou d'afficher une photo avec une résolution de plus en plus haute.
À l'échelle quantique, toutefois, les pixels les plus petits n'existent tout simplement pas.
Dans le domaine quantique, de nombreuses quantités physiques sont de nature discrète ou pixélisée.
Incohérences logiques
La deuxième différence majeure est l'idée désagréable qu'on ne peut pas toujours compter sur
la logique dans le monde microscopique. Les physiciens trouvent cela particulièrement trou-
blant, étant donné le rôle important que joue la logique dans les sciences en général. Quand
des incohérences se manifestent, cela jette le doute sur l'existence d'un cadre cohérent.
Avez-vous déjà souhaité, par exemple, assister au match de championnat de votre équipe
tout en étant au mariage d'une de vos amies? Dans la vie ordinaire, il est impossible d'être
à deux endroits à la fois. Cette interdiction s'applique aussi bien aux choses qu'aux gens.
Mais dans le domaine quantique, il est possible pour des objets d'être simultanément en
plusieurs endroits. La probabilité en est la raison.
La probabilité a plus d'importance en physique quantique que dans les situations ordinaires.
Dans le monde que nous connaissons, vous allez à l'école ou au travail du lundi au vendredi,
et vous êtes chez vous le samedi et le dimanche. Cela signifie qu'en choisissant une date
au hasard, il y a 71 % de chances (5 sur 7) que vous soyez à l'école ou au travail et 29 % de
chances (2 sur 7) que vous soyez chez vous. Mais le jour dit, vous serez sans aucun doute
dans l'un ou l'autre lieu.
Chapitre 1 : Le quantum de la physique quantique 29
Les choses sont un peu moins claires en physique quantique. Dans ce cas, il est possible
d'être dans deux endroits en même temps. À moins que quelqu'un ne vous téléphone et
ne détermine que vous êtes dans l'un ou l'autre lieu. Une fois que vous avez répondu au
téléphone, votre position est dévoilée et vous êtes exclusivement dans un seul lieu. Mais
avant de prendre le téléphone, vous existiez littéralement dans les deux lieux. Cela paraît
étrange, mais c'est ainsi en physique quantique.
Ce n'est pas le seul paradoxe que l'on trouve. Les objets quantiques peuvent exister dans des
endroits interdits en physique classique, apparaître soudainement ou exhiber des propriétés
mutuellement exclusives selon la façon dont on les considère. Pour le meilleur ou pour le
pire, tout cela est parfaitement en accord avec les règles insolites de la physiqtlie quantique.
Incertitude inhérente
On se sert couramment du concept d'incertitude quand on ignore si quelque chose va se
produire ou non. Quand le présentateur de la météo dit qu'il y a 60 % de chances qu'il
pleuve dans un certain lieu le lendemain, il ne peut pas prédire avec certitude qu'il pleuvra.
Il peut seulement hasarder qu'il y a plus de chances qu'il pleuve que le contraire.
Au fil des ans, les prévisions météo se sont améliorées, et les bulletins sont aujourd'hui
beaucoup plus précis qu'il y a 20 ou 40 ans. C'est parce que les instruments destinés à
recueillir les données et à traiter les valeurs se sont affinés également. En principe, rien
ne nous empêche de développer des instruments de plus en plus précis et d'émettre par
conséquent des bulletins de plus en plus exacts. Ce ne serait pas facile et cela coûterait
beaucoup d'argent, mais il serait possible en théorie de réduire l'incertitude des prévisions
météorologiques à presque rien.
En physique quantique toutefois, la certitude avec laquelle on peut comprendre un système
quantique est limitée. Nous verrons cela plus en détail au chapitre 9, mais il suffit de dire
pour l'instant que dans le monde microscopique, on est toujours aux prises avec un certain
degré d'incertitude. Comme nous le verrons, cela a des conséquences très réelles - dont
l'incapacité à déployer les lois de la physique pour faire des prédictions n'est pas la moindre.
L'incertitude inhérente, et la perte de prévisibilité qui en résulte, est la troisième différence
majeure entre la physique classique et la physique quantique.
30 Physique quantique - Le guide de référence
Mesures interactives
Un peu plus haut dans ce chapitre, nous avons décrit le processus de la mesure et souligné
son importance pour développer et affiner les lois de la physique. Dans le monde macros-
copique, la mesure peut être effectuée indépendamment du système observé, sans que
cela ait une influence sur lui. Si l'on veut connaître la longueur d'une table, on sort un
mètre-ruban et on la mesure. Si l'on veut savoir s'il fait chaud, on regarde le thermomètre.
En physique quantique, comme vous vous en doutez, les physiciens ne disposent pas de
ce luxe. Dans le monde microscopique, dès que vous mesurez une propriété quelconque,
vous perturbez le système de façon incontrôlable. Ce n'est pas parce que les physiciens
quantiques sont maladroits et cela n'a rien à voir (ou très peu) avec le fait que les systèmes
quantiques sont très petits et donc très sensibles.
Non, comme nous le verrons dans la quatrième partie de ce livre, il existe un rapport
fondamental et inséparable entre le processus de la mesure et l'état physique du système.
Ce lien est inhérent à la physique quantique, et, comme vous pouvez l'imaginer, il force les
physiciens à repenser le processus standard de l'observation, de la théorie et de l'expérience.
PIÈGE ATOMIQUE
Dans les chapitres suivants, nous citerons nombre de théories pré-quantiques validées qui ont
été infirmées par les découvertes de la physique quantique. Nous devrons ainsi mentionner le
fait que de nombreux physiciens pré-quantiques se sont trompés sur certaines choses. Nous le
ferons avec tous les égards dus. car leurs travaux sont dignes de respect. vu les instruments et
les connaissances dont ils disposaient à l'époque.
Nous avons parlé de quatre idées qui caractérisent la physique quantique, mais vous voyez
qu'elles se chevauchent en partie. A dire vrai, d'autres surprises vous attendent. Mais
plutôt que d'agiter les bras en signe de stupéfaction, l'heure est venue de vous asseoir
confortablement et d'entamer l'histoire de la physique quantique.
Chapitre 1 : Le quantum de la physique quantique 31
2
Mécanique pré-quantique
~ DÉFINITION
La premlàn loi de Newton affirme qu'un objet au repos demeure au repos, et qu'un corps en
mouvement continue à se déplacer en ligne droite, à moins qu'une force n'agisse dessus.
La deud6me loi de Newton affirme que l'accélération d'un corps est directement proportionnelle
à la force agissant sur ce corps et inversement proportionnelle à sa masse.
La trolal6me loi de Newton affirme que pour chaque action, il existe une réaction opposée et
égale.
Chapitre 2 : Mécanique pré-quantique 39
Mais dans de nombreux cas, la somme totale des forces agissant sur un objet ne s'annule
pas tout à fait. Quelque chose cède et le mouvement de l'objet en est modifié.
Le billard en est un bon exemple. Pour entamer le jeu, on aligne la queue derrière la boule
de choc et on imprime une secousse. Ce faisant, la queue transmet une force à la boule.
Parce qu'il n'y a rien de l'autre côté pour l'empêcher d'avancer, elle commence à bouger
et à accélérer dans la direction impulsée par la secousse.
Si vous connaissez la puissance avec laquelle vous avez heurté la boule de choc (F) et la
masse de la boule (m), vous pouvez déterminer sa vitesse et la direction de son mouvement
(a, son accélération). Ce rapport s'appelle« la seconde loi de Newton». Elle dit que l'ac-
célération d'un objet est directement proportionnelle à la force appliquée et inversement
proportionnelle à sa masse : F = ma.
PIÈGE ATOMIQUE
Les termes masse et poids sont souvent confondus, mals à strictement parler, ce sont des choses
différentes. La masse est la mesure de la quantité de matière dans un corps, et elle s'exprime en
kilos. Le poids est la force par laquelle ce corps est attiré vers la Terre et on l'exprime en newtons
IN). Au niveau de la mer, l kilogramme de matière• pèse• environ 10 N. Au-dessus de la surface
de la Terre, là où l'attraction gravitationnelle est moindre, il • pèse • beaucoup moins. Dans cet
ouvrage, quand nous parlons d'un • corps massif ., nous voulons simplement dire un corps qui a
de la masse, pas forcément un objet lourd.
Une fois frappée, la boule de choc roule jusqu'à ce qu'elle rencontre les autres boules,
joliment assemblées en triangle. En les heurtant, elle leur imprime sa propre force. Ce
qui arrive ensuite dépend de la vitesse et de la direction de la bille de choc, de l'angle
sous lequel elle frappe l'arrangement triangulaire et de la perfection de cet arrangement.
A supposer que l'on en sache suffisamment sur la position initiale des boules, on pourrait
se servir des lois de Newton pour déterminer leur mouvement et leur position sur la table
après le coup d'ouverture. La capacité à les prédire, de même que la capacité à contrôler
la vitesse et la direction de la bille de choc, est ce qui distingue les requins du billard des
petits poissons.
La première et la deuxième loi de Newton étaient suffisantes pour lui valoir une place
dans !'Histoire. Mais pour faire bonne mesure, il en formula une troisième. Elle dit que
chaque fois qu'un objet imprime une force à un second objet (par exemple, quand vous
vous asseyez dans votre fauteuil), ce second objet lui imprime une force égale et opposée
(le fauteuil qui vous soutient). En termes simples, pour chaque action, il existe une réaction
égale et opposée.
36 Physique quantique - Le guide de référence
I
I
I
~-~-
\ I
\ I
\ I
\ I
\ I
\ I
\ I
\ I
\ I
'W
Les flèches représentent les forces gravitationnelles pointant vara le centre de la Te~ fies objets ne sont bien sllr
pas â l'échelle). Acœssoirament l'attraction gravitationnelle sur la Lune est BOO 000 000 000 000 000 000 fols
plus forte que sur la pomme, en raison de la taille bien plus grande de la Lune.
Newton émit donc l'hypothèse que la force qui attirait la pomme vers le sol avait la même
origine que la force gardant la Lune en orbite. Bien sûr, la force gravitationnelle ne se
contente pas d'agir sur les pommes, la Lune et la Terre. Elle agit sur tous les corps qui
ont une masse quelconque. La théorie de Newton prédit que peu importe la masse ou la
distance séparant deux corps, ils seront toujours attirés l'un vers l'autre par la force gravi-
tationnelle. En d'autres termes, sa théorie était une théorie de la« gravitation universelle•.
En appliquant sa théorie ainsi que ses lois du mouvement aux lunes et aux planètes visibles
dans le ciel nocturne, Newton put expliquer pourquoi la Lune orbite autour de la Terre et
pourquoi la Terre orbite autour du Soleil. En fait, ses lois étaient tout ce qu'il nous fallait
pour envoyer des engins spatiaux jusqu'aux confins du Système solaire.
38 Physique quantique - Le guide de référence
A présent que vous savez que les corps massifs sont attirés les uns vers les autres par la
gravité, vous vous demandez sans doute pourquoi les planètes ne sont pas tout simplement
attirées vers le Soleil et englouties dans un dernier tour de piste flamboyant. La réponse
est qu'elles ne se contentent pas de dériver paresseusement dans l'espace. En réalité, elles
parcourent à grande vitesse de vastes orbites autour du Soleil.
A tout moment, les planètes se déplacent en ligne droite sur une trajectoire parallèle à la
surface du Soleil. La première loi de Newton établit qu'elles continueraient à se déplacer
en ligne droite si une force n'agissait sur elles. Mais l'attraction gravitationnelle du Soleil
fait que les planètes sont attirées sur une ligne perpendiculaire à sa surface. En gros, elles
« coupent la poire en deux » entre la trajectoire parallèle et la trajectoire perpendiculaire
et se déplacent donc suivant une orbite courbe autour du Soleil.
Bien que les astronomes aient observé le mouvement des planètes pendant des milliers
d'années, il a fallu attendre les théories de Newton pour le décrire avec précision et
élégance. En hommage à cette remarquable contribution, on baptisa~ newton» l'unité
utilisée aujourd'hui en physique pour mesurer la force.
de thé posée sur la table près de vous. Si vous heurtiez la table par accident, l'énergie
emmagasinée entrerait en action, faisant tomber la tasse par terre.
Une autre manière d'expliquer cela est le champ gravitationnel, c'est-à-dire la zone d'in-
fluence qui entoure un corps massif et quantifie l'attraction gravitationnelle autour de lui.
Imaginons deux objets massifs, par exemple Dupont et Dupond. Quand Dupont se tient
auprès de Dupond, l'attraction gravitationnelle qu'il éprouve est déterminée par la puis-
sance du champ gravitationnel de son compagnon. Même si Dupond a une taille finie, son
champ gravitationnel remplit l'espace autour de lui et s'étend à l'infini. La puissance de
ce champ décroît avec la distance, si bien qu'elle est plus grande à proximité de Dupond
et plus réduite à quelque distance.
Les concepts d'énergie potentielle et de champ gravitationnel se sont révélés très utiles non
seulement pour interpréter les effets de la gravité, mais aussi pour comprendre les autres
forces de la nature. Nous reviendrons souvent aux rapports entre force, énergie potentielle
et champ gravitationnel.
~ DÉFINITION
De manière générale. l'état d'un objet se résume aux informations nécessaires pour expliquer
l'effet qu'ont sur lui les lois de la physique. Qu'il s'agisse de boules de billard ou de satellites en
orbite autour de la Terre. tout ce dont on a besoin est de leur position et leur vélocité jc'est-à-dire
la vitesse et la direction du déplacement).
En y réfléchissant, vous comprendrez que les états futurs des corps dans un système sont
déjà déterminés par leur état présent. Au grand chagrin de la Lune, Newton a démontré
que les corps célestes ne sont pas libres de se déplacer comme bon leur semble. Ses lois du
mouvement - également appelées « mécanique classique » - leur ont prescrit un mouvement
pour toujours !
40 Physique quantique - Le guide de référence
En outre, les mêmes lois disent que si l'on connaît l'état présent de chacun des corps d'un
système gravitationnel, on peut prédire leur état futur à tout moment de l'avenir. C'est le
principe de « déterminisme prédictif».
~ DÉFINITION
Le d6termlnt1me cau1al dit que l'état présent d'un système détermine ses états futurs. Le
d6termlnlame pr6dlcUf dit que lorsqu'on connait l'état présent d'un système, on peut prédire
tous ses états futurs.
C'est grâce aux lois de Newton et au déterminisme prédictif que l'on peut prévoir un
grand nombre de phénomènes naturels observables au quotidien. Prenons par exemple les
marées. Elles vont et viennent en accord avec la position de la Lune par rapport à la Terre.
Comme la Lune est un corps très massif, son attraction gravitationnelle est assez puissante
pour avoir une influence sensible sur les océans. Quand la Lune s'élève dans le ciel, elle
tire les océans vers le haut et c'est la marée haute. Quand elle descend sur l'horizon, c'est
la marée basse. Comme il est possible de prédire la position de la Lune avec la mécanique
classique, il est également possible de prévoir les horaires des marées. Ces lois peuvent
aussi servir à prédire l'arrivée de comètes, les dates des éclipses et même - en principe - la
météo du lendemain.
Inspiré par les théories de Newton, l'horloger anglais George Graham construisit dans les
années 1700 la première machine d'Orrery moderne. Ce dispositif mécanique affichait les
positions relatives du Soleil, des planètes et des lunes comme autant d'aiguilles sur une horloge
géante. L'univers de Newton était donc d'une précision mécanique : une fois remonté et mis
en mouvement, il donnait la position de tous les corps célestes pour l'éternité.
Les lois de Newton furent utilisées pour décrire sans faille le mouvement d'objets aussi
divers que les planètes, les boules de billard et les grains de sable. Mais il y a cent ans
environ, les physiciens commencèrent à manipuler des choses beaucoup plus petites. Et
comme nous le verrons dans la quatrième partie de ce livre, les concepts du déterminisme
perdirent en clarté dans le domaine microscopique.
Imaginons que vous achetiez un télémètre sophistiqué pour mesurer à la seconde près la
position et la vitesse de la Lune. Quelle que soit la qualité de ce télémètre, vos mesures
souffriront d'une légère erreur. Au bout d'un an, cette erreur sera bien supérieure à celle
de votre mesure initiale. Au bout de deux ans, elle aura encore augmenté, et au bout de
mille ans, vous aurez tout faux.
Pour faire des prédictions tout à fait exactes, il faudrait améliorer les télémètres en sorte
que les erreurs de mesure se réduisent à O. Cela demanderait beaucoup de travail, mais rien
ne s'y oppose en physique classique. Dans ce domaine, les mesures peuvent être effectuées
avec ce qu'on appellerait une infinie précision, ou une incertitude proche de 0, pourvu
que l'on soit prêt à travailler dur. Les prédictions du futur peuvent donc être faites avec
autant d'exactitude qu'on le souhaite.
Mais comme le concept de déterminisme, le concept de certitude devient un peu flou dans le
domaine quantique. Et, nous le verrons aux chapitres 9 et suivants, le principe d'incertitude
joue un rôle central dans la compréhension et l'interprétation de la physique quantique.
ISAAC NEWTON
Isaac Newton naquit en 1642. Prématuré, il aurait pu tenir
dans une bouteille d'un quart de litre, comme le disait en
plaisantant sa mère. Heureusement, il survécut à ses
premiers jours et engendra par la suite une série de
remarquables avancées scientifiques.
Newton acheva ses études universitaires vers vingt ans
et, dans les deux ans suivant l'obtention de son diplôme,
fonda trois branches indépendantes des mathématiques
et de la science. Réfugié dans la campagne anglaise pour
échapper à une épidémie de peste à Londres, il y inventa
les principes du calcul infinitésimal, jeta les fondations
de l'optique géométrique et formula le principe de
gravitation universelle.
Le monde allait néanmoins devoir attendre, car il choisit de ne pas les publier
immédiatement. Il craignait en effet d'attirer l'attention, une perspective qui lui était très
désagréable en raison de sa nature excessivement introvertie. En 1684 cependant, son
collègue Edmund Halley (oui, le Halley de la comète) offrit de financer la publication de
son livre. Ce dernier espérait donner le jour à un best-seller, son investissement antérieur
- L'Histoire des poissons - ayant été un échec commercial.
Les Principia de Newton sont sans conteste l'une des publications scientifiques les plus
importantes de tous les temps. Parmi d'autres choses, ils lui valurent d'être le premier
scientifique adoubé chevalier.
42 Physique quantique - Le guide de référence
~ DÉFINITION
En général, une loi de colll8"atlon dit qu'une certaine propriété physique (masse ou énergie)
d'un système physique fermé demeure inchangée quels que soient les processus physiques ou
chimiques auquel il est soumis. Cette propriété peut prendre plusieurs formes (énergie cinétique
ou énergie potentielle). mais la somme de ses parties demeure constante.
Ici, l'énergie de la Lune prend deux formes distinctes. En heurtant la Terre à grande
vitesse, elle a beaucoup d'énergie cinétique - c'est-à-dire d'énergie de mouvement. Mais
au moment où elle fait halte sur son orbite, son énergie a la forme d'une énergie potentielle
de gravitation. Durant la chute, la somme de son énergie cinétique et de son énergie
potentielle est fixe et son énergie totale demeure constante. La conservation de l'énergie
signifie que l'énergie n'est ni créée ni détruite, même si elle peut changer de forme.
Dans ce livre, une troisième loi de conservation se révélera importante : la conservation
de la charge électrique. Comme nous le verrons au chapitre suivant, la gravitation repose
sur la masse, comme l'électricité et le magnétisme reposent sur ce qu'on appelle la« charge
Chapitre 2 : Mécanique pré-quantique 43
3
Matière et lumière
SAUT QUANTIQUE
Newton est également célèbre pour avoir étudié l'arc-en-ciel créé par un étroit rayon de lumière
passant à travers un prisme placé dans une pièce sombre. Il en déduisit avec justesse que la
lumière blanche est faite de plusieurs couleurs, décomposées par le prisme. Mais son hypothèse
selon laquelle la lumière rouge se recourbe moins que la lumière violette parce qu'elle a plus
de • force • interne n'était pas aussi heureuse. Cette erreur inhabituelle présageait l'échec de sa
théorie des particules en faveur de la théorie des ondes.
Newton rejeta le concept d'onde au motif qu'il semblait incohérent avec son approche
géométrique des miroirs et des lentilles. Et vu le respect dont iljouissait parmi les physiciens
de son époque, la théorie ondulatoire de la lumière resta dans l'ombre pendant plusieurs
décennies. Mais même Newton ne pouvait résister aux preuves expérimentales, et quelque
deux siècles plus tard, sa théorie des particules de lumière finit aux oubliettes.
Chapitre 3 : Matière et lumière 4'1
~ DÉFINITION
I.:lnterf6rence ondulatoire est !"interaction entre deux ondes qui se chevauchent. J.:lnterf6rence
constructive se produit quand les ondes se combinent pour donner une onde plus large.
L'lnterf6rence destructive se produit quand les ondes s'annulent l'une l'autre.
La superposition est la somme arithmétique de deux ondes ou plus. de telle sorte que la hauteur
totale de l'onde résultante est équivalente en tout point aux hauteurs combinées des ondes
individuelles.
48 Physique quantique - Le guide de référence
Interférence constructive
Pif\;_
pV\J
(\ -
Interférence destructive
Quand deux ondes interférent, la taille de l'onde résultante dépend de la superposition des crêtes des deux
ondes (en haut), de la superposition de leurs creux (en bas) ou d'un phénomène intermédiaire.
Qu'est-ce que cela a à voir avec la lumière ? Imaginons maintenant que vous êtes dans
une chambre obscure et que la porte s'ouvre soudain sur un couloir éclairé. Un grand
rectangle de lumière est projeté sur le mur de la chambre. Mais que se passe-t-il si vous
refermez la porte en sorte que l'espace entre la porte et le chambranle soit le plus mince
possible? Au tournant du x1x• siècle, un compatriote de Newton, Thomas Young, chercha
la réponse à cette question.
Chapitre 3 : Matière et lumière 49
• Elle est infiniment moins utile et ingénieuse que la théorie indienne de l'éléphant et la tortue. •
Une critique peu enthousiaste de l'expérience de Thomas Young, publiée dans l'Edinburgh Review
par un partisan inconditionnel de Newton.
Pour résoudre le problème, Young découpa deux petites fentes dans un objet par ailleurs
opaque et le plaça dans une chambre obscure. Il projeta un faisceau de lumière par les
fentes et examina l'écran placé à quelques mètres. Au lieu de constater l'apparition de
deux bandes minces, comme le prédisait l'optique géométrique, il vit toute une série de
raies, un peu comme une clôture. L'explication la plus cohérente avec cette observation
contredisait formellement la théorie des particules de lumière : la lumière se comportait
bien comme une onde.
Young émit l'hypothèse que le faisceau initial était une onde se déplaçant à travers la
chambre. Les deux fentes (les points A et B sur son diagramme original) étaient les sources
d'une nouvelle onde- - comme les formes circulaires créées par des vagues passant à travers
un étroit canal. En s'éloignant des fentes, les deux ondes commençaient à se chevaucher et
à interférer l'une avec l'autre. Sur l'écran, le motif résultant était donc une série de raies,
sombres quand la crête d'une onde rencontrait le creux d'une autre (les points C, D, E et
F) et lumineuses quand les crêtes des deux ondes coïncidaient.
13
Le diagramme original de Young montre le résultat de sa célèbre expérience des deux fentes :
une figure d'ondes qui se chevauchent.
Le terme technique pour ce qu'avait vu Thomas Young sur son écran est« phénomène
de diffraction». On observe une diffraction chaque fois que deux ondes interfèrent l'une
avec l'autre, qu'il s'agisse de vagues sur un lac ou de lumière passant à travers une fente
étroite dans une pièce obscure.
50 Physique quantique - Le guide de référence
~ DÉFINITION
La dlffracHon est l'image qui apparait quand deux ou plusieurs ondes interfèrent après être
passées par une étroite ouverture : on voit des raies lumineuses émerger là où les ondes interfèrent
de façon constructive, et des raies sombres là où elles interfèrent de façon destructive.
D'abord accueillis avec scepticisme, les travaux de Young (et ceux d'autres physiciens)
gagnèrent progressivement la reconnaissance des scientifiques. Et ils finirent par renvoyer
dans les cordes la théorie de Newton sur la nature corpusculaire de la lumière. Mais le
coup final arriva un demi-siècle plus tard, avec les découvertes du physicien écossais James
Clerk Maxwell.
À peu près au même moment, cependant, des observations suggérèrent que 1' électricité et
le magnétisme étaient peut-être liés. Se fiant à cette piste, Maxwell formula un ensemble
de quatre équations simples qui, à la stupéfaction générale, démontrèrent que l'électricité
et le magnétisme étaient les deux faces d'une même médaille. Ces deux phénomènes sont
désormais englobés dans ce qu'on appelle le champ électromagnétique.
Tout comme le champ gravitationnel permet à une masse d'en attirer une autre, le champ
électromagnétique de Maxwell permet à une charge positive de repousser les autres charges
positives et d'attirer les charges négatives. Maxwell montra aussi qu'un courant de charges
électriques en mouvement suscite un champ électromagnétique qui peut déplacer l'aiguille
d'une boussole. Il poursuivit en démontrant que, si ces charges augmentent de vitesse ou
changent de direction (c'est-à-dire sont soumises à une accélération), elles produisent une
onde électromagnétique voyageant dans l'espace. Cette onde est mieux connue sous le
nom de « perturbation du champ électromagnétique ».
«L'électrodynamique classique» de Maxwell, comme l'on appelle aujourd'hui, eut une
portée immense. Elle était capable d'expliquer à peu près tous les phénomènes électriques
ou magnétiques de l'époque. Elle explique notamment pourquoi des couleurs sortent du
prisme de Newton et pourquoi les doubles fentes de Young donnent lieu à une diffraction.
Les physiciens et les ingénieurs s'en servent encore pour décrire avec une grande exactitude
d'innombrables phénomènes électriques et magnétiques.
~ DÉFINITION
L'6lectrodynamlque clualque est une théorie classique (pré-quantique) qui décrit le comporte-
ment des systèmes électriques et magnétiques. Elle est gouvernée par les quatre équations de
Maxwell et elle détaille avec exactitude les phénomènes électriques et magnétiques des systèmes
macroscopiques.
On s'en sert même pour calculer la vitesse à laquelle les ondes électromagnétiques voyagent
dans un espace vide. De manière remarquable, Maxwell démontra que celles-ci se déplacent
exactement à la même vitesse que celle estimée par les physiciens pour les rayons de
lumière! Si sa théorie ne fut confirmée par l'expérimentation que quelques décennies plus
tard, il restait peu de doute sur le fait que la lumière était effectivement un phénomène
ondulatoire. Les particules de Newton ne furent pas seulement renversées, elles furent
assommées par K.-O. une bonne fois pour toutes.
Mais ce n'est pas tout. Tout comme la mécanique classique prédit les états futurs de parti-
cules massives interagissant sur le plan de la gravité, 1' électrodynamique classique prédit les
52 Physique quantique - Le guide de référence
états futurs des charges électriques, pourvu, bien sûr, qu'on connaisse leur état initial. Ces
deux branches de la physique classique s'accompagnent de déterminisme causal et prédictif.
Le spectre électromagnétique
On sait aujourd'hui que la lumière visible n'est pas la seule onde électromagnétique. Les
ondes radio captées par les téléphones portables et les micro-ondes font aussi partie du
large spectre électromagnétique. La seule différence entre ces différents types d'ondes est
le rythme auquel elles oscillent, que l'on désigne du nom de fréquence et par le symbole
f Selon la physique classique, le spectre électromagnétique est continu, et toutes les
fréquences sont possibles.
Outre la fréquence, on peut caractériser les ondes électromagnétiques par leur« longueur ».
La distance séparant les pics d'une onde est appelée longueur d'onde et représentée par le
symbole grec À.. Dans le cas de la lumière visible, la lumière rouge a une longueur d'onde
supérieure (et une fréquence inférieure) à la lumière violette, qui a la longueur d'onde la
plus courte (et une fréquence supérieure).
La troisième grandeur nécessaire pour décrire les ondes électromagnétiques est la vitesse de
leur déplacement. Cette vitesse de la lumière est représentée par la lettre c. C'est une valeur
constante, qui ne change jamais, quel que soit le type d'onde électromagnétique. Elle sert
aussi de limite de vitesse universelle, car rien ne peut voyager plus vite que la lumière. Sur
le plan mathématique, ces trois quantités sont telles que c = l.f. Comme toutes les ondes
électromagnétiques voyagent à la même vitesse, les longueurs d'onde plus longues ont des
fréquences plus basses et les longueurs d'onde plus courtes, des fréquences plus hautes.
La plupart des sources de lumière, telles que le Soleil ou 1' éclairage électrique, émettent de
fait une lumière qui englobe un éventail de fréquences. Les physiciens se servent également
de sources lumineuses spéciales, qui émettent une lumière pure à fréquence unique, que
l'on appelle« lumière monochromatique».
~ DÉFINITION
La longueur d'onde (d'une onde) est la distance séparant deux pics successifs.
La fr6quence d'une onde est le nombre d'oscillations par unité de temps.
La lumière émise sur une seule fréquence (ou longueur d'onde) est appelée monochromatique.
Comparées aux vagues à taille humaine observées durant notre expédition de pêche,
les ondes lumineuses sont remarquablement courtes. En fait, la longueur d'onde d'un
Chapitre 3 : Matière et lumière 53
10 micro-ondes
Infrarouges
100000
lumière visible 0,0001
10000000
ultraviolets 0,000001
100000 000 rayons X
0,0000001
La • taille • d'une onde électromagnétique est déterminée par sa longueur d'onde ou sa fréquence. Toutes les
fréquences sont permises, formant un large spectre. Notez qu'un gigahertz (1 GHz} est égal a I milliard de
hertz (I 000 000 000 Hz}, I •hertz• signitiant un cycle par seconde.
C'est cette « petitesse » des ondes lumineuses qui avait induit Newton en erreur. En
effet, comparées aux dimensions d'une lentille, d'un miroir ou d'un prisme ordinaires,
les ondes lumineuses sont extrêmement courtes. Cela signifie que, lorsque la lumière
rebondit sur un de ces objets ou passe au travers, la déviation que subit sa trajectoire est
54 Physique quantique - Le guide de référence
~ DÉFINITION
Quand un objet ou une substance est chauffé·e ou excité·e au point d'émettre un halo, on appelle
spectre d'émission le 1cbéma de fr6quence1 jou de longueurs d'onde! observé.
Le rayonnement thermique est un type d'onde électromagnétique émis par un objet physique
en fonction de sa température.
fréquence
\
fréquence
Ce graphique montre trois spectres d'émission pour un corps solide chauffé â différentes températures
(en haut) et le spectre d'émission d'un gaz excité (en bas). Le spectre d'émission d'un gaz chauffé
est essentiellement le méme, quelle que soit la température (seule /'épaisseur des raies change).
Modifier la couleur du tisonnier n'est pas seulement une manière d'amuser ses invités,
c'est d'une grande utilité scientifique. En effet, le rapport entre le spectre d'un objet
incandescent et sa température est universel et dépend très peu de la nature exacte de cet
objet. Cette relation universelle a été mise en évidence par le photographe britannique
Thomas Wedgwood, qui a remarqué que tous les objets chauffes à une certaine température
56 Physique quantique - Le guide de référence
luisaient de la même couleur. Bien sûr, cela signifie qu'on peut déduire la chaleur d'un
objet à sa couleur, sans avoir à le toucher.
SAUT QUANTIQUE
La relation couleur-température de Thomas Wedgwood a servi à montrer que l'émission spectrale
du Soleil peut atteindre une longueur d'onde de 0,00005 cm. Par colncidence, il s'agit du centre
du spectre visible à l'être humain 1Comment le Soleil a-t-il fait pour correspondre parfaitement
à notre vision 7 La réponse à cela est venue de nul autre que Darwin, un cousin de Wedgwood •
l'œil humain a évolué en réaction au Soleil, plutôt que le contraire.
Par contraste avec les larges spectres continus émis par les matériaux solides chauffés, les
gaz excités électriquement n'émettent de la lumière que sur quelques fréquences distinctes,
soit d'étroites raies de couleur pure. Inversement, quand on projette une lumière blanche à
travers un gaz, il absorbe la lumière à ces fréquences particulières. Les gaz sont caractérisés
par de discrets ensembles de raies spectrales, et chaque type de gaz possède le sien. Dans la
deuxième partie, nous reviendrons sur les différences entre les solides et les gaz du point
de vue de la physique quantique.
Un peu plus haut, nous avons observé que 1' électrodynamique classique de Maxwell pouvait
expliquer la majorité des phénomènes électromagnétiques de la vie quotidienne. Mais les
spectres émis par les corps solides chauffés et les gaz excités résistent à cette explication.
Et comme nous le verrons aux chapitres 5 et 6, ces cas apparemment exceptionnels ont
mis en évidence une lacune fondamentale, qui a fait tomber la physique classique de son
piédestal et a précipité l'ère de la physique quantique.
varie quelque peu, il est plus exact de dire que la température ambiante et la pression sont
déterminées par la vitesse moyenne des particules en mouvement.
Le rapport général entre vitesse, température et pression des particules est le sujet d'une
branche de la physique en soi. La thermodynamique, ainsi qu'on la nomme, peut être quali-
fiée de troisième et dernier pilier de la physique classique. Et comme la célèbre conférence
de Maxwell l'a montré, les petites particules qui composent l'air que nous respirons sont
au cœur de cette branche. C'est ici que notre histoire prend un nouveau virage.
4
Théories atomiste
et atomique
L'indivisible atome
Imaginez que vous soyez isolés sur une île déserte avec un bloc d'or pur et un couteau
particulièrement affûté. N'ayant rien d'autre à faire, vous vous servez de ce couteau pour
couper le bloc d'or en deux. Puis, ayant accompli cet exploit, vous coupez de nouveau l'un
des morceaux en deux et répétez l'opération jusqu'à obtenir des morceaux d'un huitième
de la taille du bloc original. Avant de mourir d'insolation sous un soleil implacable, vous
les découpez encore et encore, jusqu'à avoir un tas de petits morceaux d'or en tout point
identiques au premier, sauf en ce qui concerne la taille.
Mais pourriez-vous continuer indéfiniment à découper l'or en morceaux toujours plus
petits ? Si vous posiez la question à Leucippe de Milet, un philosophe grec qui méditait ces
choses il y a 2 500 ans, il aurait certainement répondu« non». Leucippe était d'opinion
que tout ce qui nous entoure est constitué d'un nombre immense de particules indivisibles,
remplissant un espace par ailleurs vide.
Il en avait conclu que les objets de tous les jours - par exemple, un bloc d'or pur - sont
formés de particules identiques en nombres infinis. Ces constituants fondamentaux ne
peuvent pas être divisés, quel que soit le tranchant du couteau. Il existe une infinie variété
de ces particules, et on peut les combiner de plusieurs manières pour former tous les types
de matière.
Démocrite d'Abdère, un élève de Leucippe, poussa cette idée plus loin et nomma ces
petites particules atomos, c'est-à-dire « indivisibles » en grec. Quelques années plus tard,
Lucrèce immortalisa ce concept dans son poème De rerum natura (De la nature des choses).
SAUT QUANTIQUE
Si Newton et Maxwell n'étaient pas d'accord sur la nature particulaire de la lumière, ils croyaient
tous deux à la notion grecque de l'atome. Dans son Optique, Newton parle de • particules solides,
massives, dures, impénétrables et mobiles ... Tellement dures qu'elles ne sauraient s'user ou se
rompre jamais. • En 1872, Maxwell écrivit que les atomes sont • les seules choses matérielles à
demeurer dans l'état exact où elles ont commencé à exister • Quel dommage que la seule idée
qui les ait mis d'accord se soit finalement révélée fausse 1
À la fin du XVIIJ siècle, les chimistes avaient déduit que tous les objets matériels étaient
0
constitués d'une courte liste de composants singuliers. De par leur stabilité, ils ne pouvaient
se transformer l'un en l'autre. Étant donné leur nature élémentaire, ils furent appelés
« éléments » par le chimiste français Antoine Laurent de Lavoisier. Il en identifia 33, parmi
lesquels l'oxygène, l'hydrogène et l'or. Même s'ils ne pouvaient se convertir en un autre
type, ils pouvaient s'assembler en combinaisons distinctes pour former des composés (par
exemple le sel de table, qui est formé à parts égales de sodium et de chlore).
PIÈGE ATOMIQUE
Nous savons aujourd'hui que seuls 20 des éléments identifiés par Lavoisier sont vraiment
élémentaires. Sa liste comprenait par exemple de nombreuses • substances terrestres • telles
que la craie et l'argile. dont nous savons désormais que ce sont des composés. Il avait aussi
créé une catégorie de • substances simples appartenant à tous les royaumes de la nature •,
dans laquelle il rangeait la lumière et la chaleur. Aujourd'hui, les scientifiques dénombrent un
total de 118 éléments chimiques.
Le scientifique anglais John Dalton finit par s'inspirer de ses prédécesseurs grecs pour
expliquer les observations de Lavoisier et d'autres. En 1803, il émit l'hypothèse que chaque
élément était composé de minuscules particules identiques et propres à cet élément. Ces
particules semblaient fondamentales dans la mesure où elles ne pouvaient être divisées et
que leurs propriétés ne pouvaient être modifiées par un processus chimique quelconque.
Quant aux composés, il en déduisit qu'ils étaient constitués de combinaisons spécifiques
de particules élémentaires. Étant donné la similarité des propriétés entre ses particules et
celles de ses prédécesseurs grecs, il les nomma atomes.
~ DÉFINITION
Un élément est un type de matière composé d'un seul type d'atome, dans lequel l'atome est la
partie la plus petite possible.
Un composé est un type de matière fait de proportions fixes de deux éléments ou plus, et par
conséquent de proportions fixes de deux types d'atomes ou plus.
Un atome est une minuscule particule de matière possédant des propriétés uniques, qui demeurent
inchangées durant les processus chimiques.
Minuscules jusqu'où ? Les scientifiques de la fin des années 1800 reconnaissaient que les
atomes étaient si petits qu'on ne pouvait les observer directement, même avec les lentilles
les plus puissantes. Mais ils pouvaient inférer leur taille approximative en appliquant les lois
de la thermodynamique. La réponse était en effet minuscule : les atomes ont un diamètre
62 Physique quantique - Le guide de référence
approximatif de 1 x 10-10 m, ce qui veut dire qu'environ 100 trillions d'entre eux pourraient
tenir sur le point qui termine cette phrase.
atome
,{
Au cours de la diffraction de rayons X avec un cristal, les ondes incidentes ref/etent /'espacement des atomes.
Les rayons X qui pénètrent dans la seconde rangée d'atomes doivent voyager plus loin que ceux qui sont
réfléchis par la premiere rangée. On observe une interférence constructive entre les ondes émergentes quand
certaines longueurs d'onde correspondent exactement aux segments A et B. Et la longueur des segments
dépend bien sllr de /'espacement des atomes.
Chapitre 4 : Théories atomiste et atomique 63
Von Laue découvrit la cristallographie aux rayons X, une technique d'analyse de la matière
qui se développa très vite. Les scientifiques ne tardèrent pas à s'en servir pour en déduire
la structure de cristaux simples et réguliers, mais aussi pour comprendre des structures
cristallines beaucoup plus complexes. Quarante ans plus tard, Rosalind Franklin, James
Watson et Francis Crick utilisèrent la même technique pour dévoiler la structure à double
hélice de l'ADN, ouvrant ainsi le champ de la biologie moléculaire.
La théorie atomique de John Dalton offrait aux chimistes des bases solides à même d'ex-
pliquer la formation des composés chimiques et leur réarrangement durant les réactions
chimiques. Elle fournit également aux physiciens l'élément premier à l'origine de la
structure de la matière. À la fin des années 1800, on tenait généralement pour certain que
l'atome était la particule fondamentale de la nature.
" Les atomes sont les minima naturae !minima de la nature) et sont conçus comme les premiers
principes ou composants de tout ordre de grandeur physique. •
Article• Atome• de la première édition de l'Encyclopedia Britannica. publiée en 1771.
Heureusement pour nous, cette idée se révéla fausse. Ou du moins, incomplète. Comme
nous le verrons, si les atomes étaient les plus petites particules de la nature, il n'y aurait pas
beaucoup à dire sur la physique quantique !
L'atome divisible ?
Au printemps 1889, la Foire internationale de Paris s'ouvrit à l'ombre de la nouvelle tour
Eiffel. Six ans plus tard, tandis que ses concitoyens se tordaient encore le cou pour admirer
cette merveille architecturale, le physicien Henri Becquerel enveloppait des cailloux dans
du papier, dans une pièce obscure à l'autre bout de la ville.
Il étudiait les propriétés des roches phosphorescentes, dont on savait qu'elles « piégeaient »
la lumière et réémettaient un rayonnement quand on éteignait l'éclairage. En enveloppant
un morceau de sel d'uranium, il fut toutefois surpris de constater que celui-ci émettait un
rayonnement sans même avoir été exposé à la lumière. Un an plus tard, ce phénomène fut
baptisé « radioactivité » par ses collègues Pierre et Marie Curie.
64 Physique quantique - Le guide de référence
~ DÉFINITION
La radioactivité est le processus par lequel un type d'atome se transforme spontanément en un
autre type d'atome. Ce processus s'accompagne d'une émission de petites particules chargées
(particules a et Pl ou de rayonnement électromagnétique (rayons gamma).
Il leur fallut plusieurs années pour interpréter les bases scientifiques de la radioactivité,
mais les scientifiques finirent par conclure que les atomes d'uranium subissaient une trans-
formation en un type d'atome appelé« thorium». Au cours de ce processus, ils émettaient
de minuscules particules chargées énergétiquement. Si c'était vrai, cela signifiait que
l'atome n'était pas le constituant fondamental de la matière et qu'on pouvait le diviser en
composants encore plus petits.
Pour les partisans de l'atome indivisible, le coup suivant vint de l'autre côté de la Manche,
en 1897. À l'université de Cambridge, un physicien nommé Joseph John Thomson menait
des expériences sur les rayons cathodiques, un type de rayons émis par le pôle négatif d'un
circuit électrique ouvert. Thomson découvrit qu'en appliquant un champ électromagné-
tique à un faisceau de rayons cathodiques, il pouvait dévier leur trajectoire. Et plus ce
champ magnétique était large, plus la déviation était importante.
Si les rayons sont déviés par un champ magnétique, ils ne peuvent pas être eux-mêmes des
ondes électromagnétiques. En réalité, ils se comportent comme s'ils étaient de petites particules
à charge négative. Thomson les baptisa par conséquent électrons. En appliquant les lois de
Newton et les équations de Maxwell, il en déduisit que les électrons sont contenus dans les
atomes. C'était la preuve définitive que l'atome n'était pas la plus petite particule de la nature.
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Le modèle • plum pudding • de Thomson dépeint l'atome comme une sphère de matière
de charge positive, incrustée d'électrons de charge négative.
Le modèle nucléaire
Imaginons que vous visitiez un vieux fort de la guerre de Sécession et observiez la céré-
monie de tir au canon. Considérez cette question : si l'on étendait une grande feuille
de papier sur la trajectoire du boulet de canon, quelles seraient les chances que celui-ci
rebondisse sur le papier au lieu de passer au travers? C'est quelque chose d'aussi improbable
qui infirma finalement le modèle du plum pudding de Thomson. Et à son grand dam, cette
remarquable découverte fut faite par l'un de ses élèves, Ernest Rutherford.
En 1911, Rutherford et ses propres élèves, Hans Geiger (inventeur du célèbre compteur) et
Ernst Marsden, effectuèrent une série d'expériences sur les particules a. Ils étudiaient plus
précisément ce qui se passait quand on bombardait une fine feuille d'or de particules a.
•C'est l'événement le plus incroyable qui se soit jamais produit au cours de ma vie. C'est presque
aussi incroyable que si vous tiriez un obus de quinze pouces sur un mouchoir en papier et qu'il
revenait vous toucher. •
Réflexion de Rutherford sur l'expérience de la feuille d'or
La feuille d'or était si mince que les particules a auraient normalement dû passer au
travers, ralentir très légèrement et ressortir de l'autre côté. En outre, le diamètre global du
faisceau de particules a se serait légèrement élargi après avoir traversé la feuille d'or. Ces
deux observations étaient cohérentes avec le modèle de Thomson, puisque les particules
a de charge positive auraient subi une série de petites déviations (suite aux échanges
électromagnétiques entre les composants positifs et négatifs de la feuille).
Mais à leur grand étonnement, Geiger et Marsden ne détectèrent qu'une seule particule
a égarée sur le côté. Encore plus stupéfiant, ils trouvèrent même quelques particules
éparpillées en arrière de la feuille. L'application des lois de Newton et des équations de
Maxwell indiquait que cela n'était possible que si toute la charge positive de l'atome
était concentrée dans une seule région au lieu d'être répartie dans tout son volume,
comme l'avait prédit Thomson. Rutherford baptisa cette région dense de charge positive
le « noyau de l'atome ».
Chapitre 4 : Théories atomiste et atomique 8'1
particules a
atome de Thomson
particules a
..
0 •
atome de Rutherford
SAUT QUANTIQUE
outre la découverte du noyau, Rutherford fut le premier à donner l'interprétation correcte des bases
physiques de la radioactivité, pour laquelle il reçut le prix Nobel en 1908. Comme ce phénomène
avait à voir avec la transmutation chimique des éléments. c'est en chimie qu'on lui attribua le
prix Nobel. Cela le mécontenta à l'extrème, car il était d'opinion que • toute science est soit de la
physique. soit une collection de timbres. •
Pour mettre cela en perspective, imaginez que l'atome de Rutherford soit de la taille de
la salle du Madison Square Garden (capacité 20 000 personnes) : son noyau aurait la taille
d'une bille posée au centre de la patinoire, tandis que ses électrons se répartiraient tout
l'espace jusqu'aux sièges les plus éloignés.
ERNEST RUTHERFORD
Si vous vous souvenez que les particules de charges opposées s'attirent entre elles, vous
objecterez immédiatement à cette idée. Si les électrons ont une charge négative, pourquoi
ne sont-ils pas attirés par la charge positive du noyau, faisant ainsi s'effondrer l'atome ?
Pour répondre à cette question, Rutherford postula que les électrons se déplacent en orbite
autour du noyau, un peu comme les planètes autour du Soleil. Le mouvement des électrons
leur permet de rester à une distance stable du noyau, de telle sorte que l'atome dans son
ensemble est 10 000 fois plus grand que le noyau central.
Chapitre 4 : Théories atomiste et atomique 69
~ DÉFINITION
Le noyau atomique est une région dense de l'atome, qui comprend toute sa charge positive et
presque toute sa masse.
Un proton est une particule positive située au sein du noyau atomique. Le nombre de protons
détermine l'identité de l'atome.
Un neutron est une particule neutre, de masse à peu près égale à un proton, située au sein du
noyau atomique.
Le temps passant, Rutherford se mit à étudier les effets des collisions de particules a avec
des atomes de plus en plus légers (comparé à l'or, dont l'atome est relativement lourd). Il
put ainsi en déduire que le noyau est formé d'un certain nombre de particules positives,
qu'il appela« protons». Il calcula aussi que la magnitude de la charge positive d'un proton
correspond précisément à la magnitude d'un électron de charge négative. Comme l'atome
est un corps neutre, les protons et les électrons devaient exister par paires. Finalement,
conclut-il, le nombre de protons dans le noyau atomique détermine l'identité de l'atome.
Les atomes d'or, par exemple, possèdent 79 protons, tandis que les atomes d'hélium en ont 2.
On allait finir par apprendre que le noyau atomique est lui-même composé de protons et
d'autres particules appelées« neutrons». Le neutron n'a pas de charge et présente à peu près
la même masse que le proton (c'est-à-dire environ 2 000 fois la masse de l'électron). Plus
important, il peut lier ensemble les protons de charge positive qui, autrement, se repousse-
raient constamment les uns les autres. Les protons et les neutrons sont étroitement liés dans
le noyau, ce qui explique pourquoi il a fallu du temps pour les trier. Dans la cinquième
partie de ce livre, nous parlerons davantage de cette « colle » qui fait tenir le noyau.
La fin de la physique ?
À l'aube du xx 0 siècle, la physique classique avait accumulé une impressionnante série de
succès. Les lois du mouvement de Newton prédisaient la mécanique des corps macros-
copiques. Combinées à la théorie de la gravitation, elles étaient en mesure de prédire la
mécanique céleste avec une formidable précision.
Les principes de l'électricité et du magnétisme étaient également bien connus et quanti-
fiés, grâce aux équations de Maxwell. Ces dernières servaient à expliquer la nature de la
lumière ainsi que ses liens avec la température et la chaleur. En outre, les principes de la
thermodynamique permettaient aux physiciens de comprendre les concepts de température
et de pression résultant des atomes et des molécules disséminés dans l'air.
'10 Physique quantique - Le guide de référence
Enfin, les scientifiques avaient une compréhension claire de la structure de la matière. Toutes
les substances matérielles étaient composées d'un ensemble fini d'éléments chimiques,
eux-mêmes composés d'atomes uniques. Et les atomes avaient leur propre structure logique,
à mettre en parallèle avec d'autres parties de la nature, comme le Système solaire.
• Il n'y a plus rien à découvrir en physique : tout ce qui reste, ce sont des mesures de plus en
plus précises. •
Lord Kelvin, physicien. lors de son adresse à la British Association for the Advancement of Science.
en 1900.
Hormis quelques détails ici et là, il semblait que les physiciens classiques avaient réussi
à expliquer presque tous les phénomènes naturels connus des êtres humains. Il était par
conséquent difficile de prendre en défaut l'opinion dominante, selon laquelle la physique
était complète. Et ce fut sur cet arrière-plan sûr de lui que la physique quantique fit son
apparition et toqua timidement à la porte.
2
Postulats quantiques
Dans la première partie, nous avons assisté à la naissance de la physique et à sa fin apparente.
Comme il vous reste environ 300 pages à lire, vous vous doutez que la confiance des physiciens
classiques était mal fondée. La physique n'a pas fini en 1900: au contraire, c'est à ce moment-là
qu'elle a vraiment pris son essor.
Au début du xr siècle, les physiciens classiques se trouvaient face un nombre croissant d'énigmes
qu'ils ne parvenaient pas à percer, peu importe qu'ils altèrassent, distordissent ou prolongassent
les idées classiques. Nous allons donc faire la connaissance, dans cette deuxième partie, des
pionniers de la physique quantique et étudier leur approche semi-classique de ces énigmes.
Un par un, ils déduisirent une série de postulats sur la nature physique des systèmes microsco-
piques. Ces postulats sortaient de nulle part. Ils n'étaient basés sur aucun cadre logique et ne
découlaient pas de vérités fondamentales. Néanmoins, ils débouchaient sur des réponses exactes
quand on les insérait dans le cadre classique précédent. Mais pourquoi ? Avant de répondre à
cette question, étudions tour à tour les trois postulats quantiques de base.
CHAPITRE
5
La constante de Planck
Dans ce chapitre, nous allons tirer sur l'un des fils de la première Dans ce chapitre
partie et détricoter le tissu de la physique classique. Nous
verrons que même si les physiciens classiques pouvaient éclairer L'échec catastrophique de la
et prédire beaucoup de choses, ils étaient incapables d'expliquer physique classique
pourquoi un tisonnier devient incandescent quand on le met
Le sauvetage de la physique
dans le feu.
par la constante de Planck
Nous rencontrerons Max Planck, un véritable maître de la
• Les niveaux d'énergie,
physique classique, et nous verrons comment il a fait éclater les
quantification et états
notions fondamentales de la physique classique pour faire de la
quantiques
place à la théorie « quantique ».
L'échelle microscopique de la
Enfin, nous apprendrons pourquoi des siècles de théorie et
physique quantique
d'expérimentation scientifique ont échoué à révéler l'existence
de la physique quantique, et comment celle-ci s'est élégamment
dévoilée en une seule soirée de conjectures heureuses.
74 Physique quantique - Le guide de référence
La catastrophe ultraviolette
À la fin du chapitre 3, nous avons précisé que les équations de Maxwell ne suffisaient pas à
expliquer le phénomène électromagnétique des matériaux solides chauffés. Quel était exac-
tement le problème et quelle était sa gravité ? Pour le comprendre, revenons à notre tisonnier.
Un peu de terminologie, tout d'abord : le terme scientifique pour un objet tel qu'un
tisonnier est « corps noir •. Par définition, un corps noir est un objet qui absorbe toute
la lumière et n'en reflète aucune. Toutefois, les corps noirs ne sont pas toujours noirs, car
ils peuvent émettre leur propre lumière « interne » quand on les chauffe. Les scientifiques
de la fin du x1x• siècle avaient du mal à prédire l'émission spectrale - la répartition de
la quantité d'énergie émise - d'un corps noir chauffé. Comme ces spectres sont souvent
représentés par un diagramme présentant l'énergie émise (axe y) versus sa fréquence (axe x),
on les qualifie parfois de « courbes » de corps noir. Le diagramme présenté à la fin du
chapitre 3 - l'émission spectrale d'un objet solide - est une courbe, comme le sont les
points représentant les données expérimentales dans les deux prochains diagrammes.
~ DÉFINITION
Un corpe noir est un objet idéal qui absorbe tous les rayonnements tombant sur lui. Il ne reflète aucune
lumière externe. mais peut émettre un rayonnement thermique de l'intérieur quand il est chauffé.
La courbe de rayonnement d'un corps noir est un diagramme qui présente la distribution des
fréquences caractéristiques de l'émission de rayonnement d'un corps noir. On l'appelle aussi
• spectre de corps noir •.
Vers la fin des années 1800, les physiciens classiques firent de gros efforts pour élaborer la
description théorique d'un spectre de corps noir. Ils commencèrent par l'hypothèse que
de petites particules chargées gigotaient dans le tisonnier quand on le chauffait. Cela se
révéla exact : le tisonnier est rempli d'électrons, dont les vibrations - provoquées par la
chaleur - débouchent sur une émission de lumière. Pour faire simple, les électrons absorbent
la chaleur puis la réémettent sous forme de rayonnement électromagnétique.
PIÈGE ATOMIQUE
Au cours de ce chapitre, nous prétendrons que notre tisonnier est un véritable corps noir. En réalité,
même le plus noir des tisonniers reflète un peu la lumière. C'est pour cette raison que les scienti-
fiques ont inventé un substitut de corps noir. une cavité à peine éclairée par un trou minuscule.
Grâce aux expériences et aux études théoriques portant sur cette cavité. les protagonistes de ce
chapitre ont effectué d'importantes avancées.
Chapitre 5 : La constante de Planck 15
Quand on chauffe le tisonnier, les électrons oscillent de plus en plus vite et émettent de la
lumière à des fréquences de plus en plus hautes. C'est en accord qualitatif parfait avec ce
que l'on observe : un tisonnier chaud devient rouge, un tisonnier très chaud jaune, et un
tisonnier très, très chaud bleu. Jusque-là, tout va bien.
Pour faire une prédiction quantitative du spectre de corps noir, les physiciens classiques
supposèrent d'abord que les électrons pouvaient se déplacer avec n'importe quelle énergie
le long d'un éventail continu. Puis, ils supposèrent que l'intensité (ou l'énergie) émise à
une fréquence particulière était le produit de deux choses: le nombre d'oscillations à cette
fréquence et l'énergie moyenne d'une charge oscillant à cette fréquence.
Enfin, ils utilisèrent les équations de la thermodynamique et de l'électromagnétisme
classiques pour formuler l'expression mathématique du spectre de corps noir. On pouvait
tracer la courbe résultante en indiquant sur un diagramme l'émission d'énergie calculée
(axe y) à chaque fréquence possible (axe x).
C'était une approche éminemment raisonnable, qui s'était révélée efficace pour d'in-
nombrables problèmes auparavant. Le seul hic était que, dans ce cas, le résultat prédit était
complètement faux !
prédiction classique
.
données expérimentales
••
•
•
longueur d'onde
Pour commencer, cela ne ressemblait pas du tout à ce qu'ils avaient observé durant les
expériences de laboratoire. Plus grave, cela prédisait que l'intensité de la lumière émise
augmentait sans frein à des longueurs d'onde de plus en plus basses - au point que dans
la frange ultraviolette, l'objet émettrait des quantités infinies d'énergie ! C'était telle-
ment fâcheux pour les physiciens de l'époque, qu'ils baptisèrent cela « la catastrophe
ultraviolette ».
Catastrophe évitée
Alors que la controverse faisait rage, une solution révolutionnaire fut découverte par le
physicien allemand Max Planck. Un dimanche après-midi de 1900, il reçut un collègue
physicien du nom d'Heinrich Rubens à son domicile de Berlin. En expérimentateur
accompli, Rubens passa l'après-midi à lui expliquer certaines de ses plus récentes mesures,
lesquelles divergeaient de la prédiction classique.
Après le départ de son collègue, Planck décida d'élaborer une description théorique plus
précise et moins catastrophique des observations de Rubens. Étonnamment, en une seule
soirée, il réussit à formuler une équation mathématique en parfait accord avec les données
expérimentales. Avant de se coucher, il nota sa formule du rayonnement de corps noir sur
une carte postale et l'envoya à Rubens.
1
1
1 prédiction classique
1
données expérimentales \
longueur d'onde
Poussé par une intuition mathématique, Planck élabora une formule qui concordait
exceptionnellement bien avec la mesure du spectre de corps noir.
Chapitre S : La constante de Planck 77
Ce n'est pas avec des concepts pointus de physique que Planck avait élaboré sa formule, mais
enjouant avec des équations mathématiques. Selon ses propres dires, il arriva à ce résultat
«grâce à des conjectures heureuses». À ce stade, il ne pouvait pas fournir d'interprétation
physique de sa formule de rayonnement d'un corps noir. Néanmoins, il était suffisamment
sûr de lui pour la présenter à ses pairs douze jours plus tard.
Planck passa les deux mois suivants - qu'il qualifierait plus tard de« période la plus dure
de sa vie » - à essayer de justifier son équation par la physique. Ses efforts furent couronnés
de succès et il réussit à formuler une explication simple à sa théorie. Toutefois, comme
il devait pour cela abandonner l'un des principes centraux de la physique classique, il
qualifia son travail de véritable ~ acte de désespoir ». Il présenta ses conclusions à la German
Physical Society le 14 décembre 1900, jour que l'on considère désormais comme la date
de naissance de la physique quantique.
~ DÉFINITION
Le niveau d'énergie d'un système physique est la quantité d'énergie qu'il est autorisé à posséder.
Un quantum d'énergie est un petit paquet d'énergie dont la taille est déterminée par l'espacement
entre un niveau d'énergie et le suivant.
C'est pourquoi seule une certaine quantité, ou quantum d'énergie pouvait rayonner. Pas
plus, pas moins.
niveaux d'énergie
-t
quantum d'énergie
-h-x-fr(Jq_u_e_n_ce_t... WJv.
Ce schéma illustre les hypothèses quantiques de Planck : les lignes représentent les niveaux d'énergie
possibles pour des charges en oscillation, tandis que l'espacement de ces niveaux d'énergie
représente la quantité exacte d'énergie qu'une charge en oscillation peut émettre.
Finalement, Planck soutint que l'espacement entre les barreaux était déterminé par une
simple formule : E = hf, f étant la fréquence d'oscillation et h la valeur constante qu'il
avait définie, égale à 6,626 X 10-34 joules-secondes. Il ne le savait pas à l'époque, mais ce
petit h serait bientôt gravé au fronton de toute la physique quantique. Vu son importance
monumentale, il est aujourd'hui appelé« la constante de Planck». On lui donne aussi le
nom de« quantum d'action», parce que son unité dimensionnelle est l'énergie X le temps,
une unité que les physiciens appellent « action •.
Le modèle de Planck fournit une compréhension intuitive de la forme pointue de la courbe
de rayonnement du corps noir. À de hautes fréquences (et de petites longueurs d'onde),
un seul quantum d'énergie serait très grand. Si grand que, sur le plan statistique, seules
quelques charges oscillant dans le solide auraient autant d'énergie. Leur contribution totale
à l'émission globale d'énergie serait par conséquent réduite.
À l'inverse, à l'autre bout du spectre, il y aurait beaucoup d'oscillations de charge à basse
fréquence (grandes longueurs d'onde), mais chacune d'elles ne contribuerait à l'émission
d'énergie globale qu'en petite proportion. Seules les fréquences intermédiaires auraient un
nombre suffisant d'oscillations de charge et des quanta suffisamment grands pour influer
de façon notable sur la courbe de rayonnement du corps noir.
Chapitre 5 : La constante de Planck '19
Les points à retenir sont que les niveaux d'énergie des électrons chauffés sont limités aux
multiples entiers d'une valeur fondamentale, et que cette valeur fondamentale est donnée
par la constante de Planck x leur fréquence d'oscillation.
•En outre. il est nécessaire de considérer [l'énergie d'une charge unique] non comme une quantité
continue et infiniment divisible. mais comme une quantité discrète composée d'un nombre entier
de parties égales et finies. •
Max Planck dans son article d'avant-garde !Anna/en der Physik, vol. 4, 19011
Il est important de noter que les hypothèses de Planck sur la nature discrète des énergies
permises ne s'inspiraient pas de principes sous-jacents à la physique. Il fit ces suppositions
tout simplement parce qu'elles marchaient sur le plan mathématique. Il ne pouvait pas
expliquer pourquoi les niveaux d'énergie sont limités. Mais comme ils l'étaient, Planck
aboutit à une formule de rayonnement du corps noir qui concordait étroitement avec les
observations expérimentales.
Planck était un adepte inconditionnel de la physique classique. Ses hypothèses étant si
contraires aux notions classiques en vigueur, il essaya pendant des années de trouver une
façon de les expliquer autrement. Il est probable que cette obsession l'a empêché de mesurer
leurs véritables implications. Comme nous le verrons au chapitre suivant, il revint à un
autre grand physicien - le plus grand de tous, peut-être - de prendre la mesure exacte des
découvertes de Planck.
80 Physique quantique - Le guide de référence
MAXPLANCI<
Dans sa jeunesse, on déconseilla à Max Planck de faire
carrière dans la physique, au motif qu'il restait peu de
découvertes à faire dans ce domaine. Excellent pianiste,
il envisagea sérieusement une carrière d'interprète.
Heureusement, il opta finalement pour la physique. Et des
découvertes il en fit, assez pour lui valoir le prix Nobel
de physique en 1918.
Planck était très respecté pour son intégrité et ses
principes moraux. Témoin des dégâts que le troisième
Reich infligeait à l'Allemagne et à la science allemande,
il rencontra Adolf Hitler pour tenter de défendre, sans
succès, ses collègues juifs. Sans se décourager,
il dénonça jusqu'à sa mort le déclin constant de la
physique allemande.
Et malgré ses triomphes, il endura des épreuves plus
grandes encore : sa première femme mourut jeune, ainsi que leurs quatre enfants.
Le dernier, accusé d'avoir participé au complot du 20 juillet 1944 contre Hitler,
fut exécuté en 1945.
Physicien classique jusqu'au bout des ongles, il s'opposa vigoureusement à certaines
des implications paradoxales du développement de la physique quantique. Pendant des
années, il remit même en question la validité de ses propres découvertes. C'est pourquoi
les historiens parlent de lui comme d'un révolutionnaire scientifique, « réticent » ou
« improbable ».
~ DÉFINITION
La quantlBcatlon de l'énergie dans un système physique implique que ses niveaux d'énergie
sont limités à certaines valeurs discrètes.
Chaque fois que l'énergie d'un système correspond à l'un de ces niveaux d'énergie, le système
est dans l'état quantique correspondant.
La prochaine fois que vous verrez jouer une fanfare, examinez de près le joueur de trom-
bone. Il fait coulisser son instrument pour produire certaines notes. Bien sûr, s'il le faisait
de façon continue, il produirait non seulement les notes prescrites, mais toutes les notes
intermédiaires. Un trombone est par conséquent capable de produire une gamme continue
de notes. Cette gamme est analogue à la gamme continue d'énergie sur laquelle, selon les
physiciens classiques, les électrons chauftes pouvaient se déplacer.
Examinons maintenant le joueur de trompette. Il presse les valves de sa trompette pour
obtenir les notes nécessaires. Contrairement au joueur de trombone, il ne peut pas produire
les notes intermédiaires : elles sont limitées à un ensemble fini. Tout comme les énergies
permises dans les solides chauffés de Planck, les sons de la trompette sont quantifiés.
SAUT QUANTIQUE
Nous avons vu au chapitre 2 que l'état d'un objet comprend toutes les informations nécessaires
pour expliquer comment les lois de la physique l'affectent. Comme nous le verrons bientôt, un état
quantique n'est qu'une extension de ce concept sur le plan quantique. Comme précédemment,
quand on connait l'état quantique d'un objet, on a en principe toutes les informations nécessaires
pour déduire ses propriétés physiques.
Prenons toutefois garde à ne pas pousser trop loin l'analogie. Dans ce cas, les niveaux
d'énergie ne sont pas« quantifiés» par l'effet de la physique quantique, mais par le menuisier
qui a conçu l'escalier. Il aurait pu faire les marches de n'importe quelle hauteur. C'est
pourquoi vous ne passez pas vraiment d'un« état quantique »à un autre en gravissant les
marches.
La quantification de l'énergie
Même si on ne l'admettait pas tout à fait à l'époque de Planck, ses hypothèses quantiques
peuvent être généralisées au-delà des charges oscillantes des corps noirs à tout système
oscillant, qu'il s'agisse d'une petite fille sur une balançoire, de l'écrasement d'une vague
sur la grève ou d'un amateur de sensations fortes suspendu à un élastique. Par contraste
avec l'« escalier quantique » du paragraphe précédent, ces systèmes sont quantifiés par les
lois de la physique quantique.
Mais, objecterez-vous, les scientifiques observent les élastiques, les vagues et les pendules
depuis des siècles. Pourquoi n'ont-ils jamais remarqué la quantification ? Examinons
d'abord le premier exemple pour répondre à cela.
Supposons qu'une petite fille pesant 10 kg est assise sur une balançoire suspendue à 3 mètres
sous une branche d'arbre. Vous la poussez un peu, en sorte que la balançoire monte à un
angle de 30° par rapport à la verticale. Une simple application des lois de Newton nous
indique qu'au point le plus haut, son énergie potentielle de gravitation est d'environ
40 joules par rapport à son point de départ.
Si vous cessez de la pousser, le balancement ralentit et la hauteur de la balançoire diminue
peu à peu jusqu'à ce qu'elle s'arrête tout à fait. La raison en est que le point de contact
entre les cordes de la balançoire et la branche produit une friction, et que l'air qui entoure
la petite fille produit aussi un ralentissement semblable à une friction. Quand elle revient
au point le plus bas, son énergie potentielle de gravitation revient à O.
Cependant, selon les hypothèses de Planck, son énergie ne peut tomber de 40 joules à
0 de façon lisse et continue. Elle doit chuter par paquets discrets et finis. Mais vous le
remarqueriez sûrement, non ? Vous ou la petite fille. Heureusement, Planck nous a donné
les outils nécessaires pour répondre à cette question.
Le quantum d'énergie minimum pour un système en oscillation est donné par la fréquence
du système x la constante de Planck, constante dont il a fourni la valeur dans son article
précurseur. Comme la loi de Newton dit que la petite fille se balance à environ 0,3 Hz, on
peut facilement calculer que le quantum d'énergie minimum est de 0,3 Hz x la constante
Chapitre S : La constante de Planck 83
de Planck, c'est-à-dire: 2 x 10-34 joules. L'écriture en décimale souligne le point que nous
voulons faire ressortir : 0,0000000000000000000000000000000002 joule !
Voici la réponse. Le quantum d'énergie minimum est si petit comparé à l'énergie poten-
tielle de gravitation de la petite fille, qu'elle ne peut pas remarquer les petites secousses de
la balançoire qui s'arrête. Elles sont tout simplement trop petites. A toutes fins pratiques,
la diminution d'énergie semble continue.
En fait, pour que la petite fille ressente ces effets quantiques, il lui faudrait être
1 000 000 000 000 000 fois plus petite qu'elle n'est, et la balançoire devrait être
1 000 000 000 000 000 plus courte. Cet exemple montre bien que la physique quantique
ne règne pas sur le monde des petites filles, mais sur celui des entités microscopiques.
• Elle a sapé les fondements de nos idées non seulement dans le domaine de la science classique.
mais aussi dans le raisonnement quotidien. •
Niels Bohr sur l'influence de l'hypothèse quantique de Planck (Die Naturwissenschaften, vol.26,
1938)
Pour étudier cette branche de la physique, nous allons donc avoir besoin d'outils micros-
copiques. Heureusement, Mère Nature nous en a donné quelques-uns qui, bien que
minuscules, sont à portée de main. Le premier d'entre eux est la lumière qui, comme
nous l'avons vu au chapitre 3, oscille sur une longueur d'onde d'environ 1 x 10-7 mètre.
L'autre est l'atome qui, comme nous l'avons dit au chapitre 4, a un diamètre d'environ
1 x 10-10 mètre. Étant donné leur utilité pour l'étude de la physique quantique, nous allons
les passer en revue, cette fois dans une perspective quantique.
84 Physique quantique - Le guide de référence
6
La théorie quantique
de la lumière
~ DÉFINITION
L'effet pboto61ectrlque est l'éjection des électrons qui se produit quand un rayonnement élec-
tromagnétique est appliqué sur une surface (normalement métallique).
Qu'est-ce que tout cela a à voir avec Maxwell et ses ondes ? Tout d'abord, les équations
de Maxwell disent que l'énergie d'une onde lumineuse n'a rien à voir avec sa fréquence.
Par conséquent, pourvu qu'on projette une lumière assez vive, on libérera toujours des
électrons, peu importe la fréquence de la lumière utilisée. Pourtant, dans leur laboratoire,
les physiciens constatèrent qu'aucun électron n'était éjecté quand ils se servaient d'une
lumière d'une fréquence inférieure à un certain seuil (ou fréquence « de coupure »). De
plus, s'ils augmentaient la fréquence de leur source lumineuse, les électrons éjectés se
déplaçaient de plus en plus vite.
Chapitre 6 : La théorie quantique de la lumière 8'1
Deuxièmement, la théorie de Maxwell affirme que l'énergie d'une onde lumineuse est
déterminée par son intensité. Cela débouche logiquement sur le fait que plus la lumière est
vive, plus les électrons libérés filent à toute allure. Or, on constatait que l'énergie cinétique
ne dépendait absolument pas de l'intensité de la lumière. En projetant des lumières de plus
en plus vives, les chercheurs produisaient simplement plus d'électrons dotés de la même
énergie cinétique.
Enfin, si l'on projetait une lumière très faible sur le métal, la théorie de Maxwell disait
qu'on devrait attendre que les électrons accumulent l'énergie de se libérer de leurs atomes.
Ses équations permettaient même de calculer pendant combien de temps il fallait attendre.
Sauf que l'expérimentation prouvait qu'aucun délai n'était nécessaire, peu importait la
faiblesse de la lumière avec une fréquence assez haute.
~ DÉFINITION
Le photon est un quantum fondamental de rayonnement électromagnétique. On peut se le
représenter comme un paquet de lumière compact et localisé, doté d'une énergie bien précise.
Einstein émit l'hypothèse que l'énergie des quanta de lumière est directement propor-
tionnelle à la fréquence de la lumière multipliée par la constante de Planck : E = hf (si
cela ne vous rappelle rien, retournez jeter un coup d'œil au chapitre 5). En outre, si un
électron absorbe un photon, toute l'énergie du photon est nécessairement transférée à
88 Physique quantique - Le guide de référence
l'électrbn. Si ces postulats sont exacts, se demanda-t-il, que signifient-ils en termes d'effet
photoélectrique ? Retournons au laboratoire pour le savoir.
Rappelez-vous qu'en dessous d'une certaine fréquence, aucun électron n'est émis. Cela
s'accorde avec les hypothèses d'Einstein. La fréquence de coupure doit être la fréquence à
laquelle le photon ajuste assez d'énergie pour libérer l'électron. À une fréquence inférieure,
il n'a pas le peps suffisant pour le libérer. Aux fréquences supérieures, il le libère et le dote
d'énergie cinétique.
fréquences
dooo"~
fréquence de la lumière
Sur cette représentation graphique de l'effet photoélectrique, nous avons tracé l'énergie cinétique maximum
a laquelle les électrons sont émis par le sodium et le lithium en fonction de la fréquence lumineuse
appliquée. Les lignes joignant les points représentent les prédictions théoriques d'Einstein.
Rappelons ensuite que l'énergie cinétique d'un électron libéré est indépendante de l'inten-
sité de la lumière. Du point de vue d'Einstein, quand on augmente l'intensité de la lumière,
on augmente le nombre de photons, pas leur énergie. Si la fréquence de la lumière est
inférieure à la fréquence de coupure, chacun des photons a assez d'énergie pour libérer un
électron. Et comme tous les photons ont la même quantité d'énergie, chacun d'eux trans-
fère le même volume d'énergie cinétique à l'électron éjecté. Si on augmente l'intensité,
on a plus de photons et, par conséquent, plus de photons dotés de cette énergie cinétique
spécifique. L'hypothèse d'Einstein est à nouveau cohérente avec les effets observés.
Chapitre 6 : La théorie quantique de la lumière 89
PIÈGE ATOMIQUE
Albert Einstein est le plus souvent associé à la théorie de la relativité. Mais c'est pour son inter-
prétation théorique de l'effet photoélectrique qu'on lui décerna le prix Nobel.
Enfin, qu'en est-il du délai pour les faisceaux de faible intensité ? Einstein aurait défendu
l'idée que même le faisceau le plus faible possède au moins quelques photons. Pourvu que
sa fréquence soit supérieure à la coupure, même un seul photon a assez d'énergie pour
libérer un électron. L'électron n'a pas besoin d'économiser l'énergie, et il n'y a donc pas
de délai - exactement ce qu'observaient les physiciens.
Le photon
L'hypothèse d'Einstein était un exemple parfait de méthode scientifique. Face à un
problème, il avait formulé une hypothèse, l'avait testée avec une expérience et en avait
conclu qu'il était mis le doigt sur quelque chose. Après avoir griffonné à la craie quelques
autres calculs savants dans lesquels nous n'entrerons pas, il parut que son hypothèse était
cohérente avec toutes les observations pertinentes de l'effet photoélectrique.
Néanmoins, le concept de photon était en contradiction flagrante avec la théorie ondula-
toire de la lumière qui, au début du xx• siècle, était un paradigme largement accepté. Par
conséquent, la réaction initiale des pairs d'Einstein ne fut pas exactement enthousiaste. La
plupart d'entre eux écrivirent que c'était un raisonnement certes intelligent, mais hasar-
deux. Avec le temps, toutefois, on mena de plus en plus d'expériences, lesquelles pouvaient
être expliquées en termes de photons. La balance commença à pencher en faveur d'Einstein.
• Que certaines de ses spéculations aient manqué leur but. comme son hypothèse des quanta de
lumière. ne peut guère lui être reproché. car il n'est pas possible d'introduire des idées vraiment
novatrices, même en sciences exactes, sans quelquefois prendre des risques. •
Extrait de la recommandation de l'Académie des Sciences de Prusse en faveur de l'admission
d'Albert Einstein.
L'un des problèmes les plus importants auxquels Einstein appliqua son hypothèse des
photons est justement celui dont nous avons parlé : l'émission spectrale de corps noir.
C'était une étape logique, étant donné les parallèles évidents entre les hypothèses de
Planck et d'Einstein. Après avoir attaqué le problème, Einstein démontra non seulement
que les résultats de Planck étaient cohérents du point de vue des photons, il montra aussi
90 Physique quantique - Le guide de référence
que les hypothèses de Planck étaient simplement un cas particulier de son propre concept,
plus vaste.
Rappelez-vous que Planck avait affirmé que les charges oscillantes dans un corps noir
étaient limitées par des niveaux d'énergie distincts et régulièrement espacés. Il avait
conjecturé en outre qu'elles ne pouvaient émettre de rayonnement qu'en passant d'un
niveau d'énergie au niveau d'énergie inférieur. Et bien que ces hypothèses débouchassent
sur des conclusions exactes, Planck reconnaissait lui-même qu'il ne savait pas pourquoi
c'était le cas.
Le photon d'Einstein, lui, offrait une interprétation élégante : quand les oscillateurs
passent d'un niveau d'énergie à l'autre, ils émettent ... un seul photon. Dans la perspective
d'Einstein, ce ne sont pas les oscillateurs de charge qui sont quantifiés. L'entité quantifiée
n'est autre que la lumière elle-même !
SAUT QUANTIQUE
Albert Einstein publia son article sur l'effet photoélectrique dans le journal allemand Annalen der
Physik. L'éditeur qui le relut n'était autre que Max Planck. Impressionné par Einstein, il se fit plus
tard l'avocat de sa théorie de la relativité. Pendant des années cependant, il se refusa à accepter
la théorie des quanta de lumière, malgré le supplément de validation que celle-ci apportait à
son propre travail.
À ce stade, vous vous demandez sans doute pourquoi la première preuve expérimentale du
photon n'est pas arrivée avant le xxc siècle. Comme pour la petite fille sur sa balançoire,
la réponse est une question d'échelle.
Considérons une ampoule de 60 watts, qui produit 60 joules d'énergie lumineuse par
seconde. Bien qu'elle émette un large spectre de fréquence (de corps noir), la lumière émise
tourne autour de 200 000 GHz. Cela peut sembler imposant, mais, en la multipliant par
la constante exceptionnellement petite de Planck, on s'aperçoit que l'énergie d'un seul
photon est égale à 1 x 10-19 joules. Un énorme amas de photons est donc nécessaire pour
produire une énergie détectable par les êtres humains.
L'effet Compton
Bien qu'Einstein ait réussi à remporter plusieurs points avec son concept du photon, il
échoua à arracher une acceptation générale de sa théorie. La preuve vint finalement d'une
expérience importante basée, croyez-le ou non, sur les lois du mouvement de Newton (à
dire vrai, elle exigea aussi une pincée de la théorie de la relativité restreinte d'Einstein).
Chapitre 6 : La théorie quantique de la lumière 91
SAUT QUANTIQUE
Il semble approprié que Compton se soit inspiré des lois de Newton pour valider la nature particu-
laire de la lumière - aux dépens de la théorie ondulatoire de Maxwell. Après tout, c'était Maxwell
qui avait écrasé la dernière lueur d'espoir en ce qui concernait les corpuscules lumineux de
Newton.
9=0'
fréquence fréquence
o· 90° 180'
angle de diffusion(&)
compacts, localisés et indivisibles. Mais vous vous rappelez qu'il existe quelques cas, comme
l'interférence et la diffraction, où la théorie ondulatoire« marche». Il était par conséquent
très tentant, pour les premiers physiciens quantiques, de dire que la lumière n'était ni une
onde ni une particule, mais les deux à la fois.
Cela ne peut pas être vrai, n'est-ce pas ? Si la lumière est une particule concentrée, comment
pourrions-nous« définir» sa longueur d'onde et sa fréquence? Et si c'est une onde diffuse,
comment lui serait-il possible d'accumuler assez d'élan pour arracher un électron au métal
poli ? C'est forcément l'un ou l'autre. Avec un siècle de recul, nous pouv01;1s cependant
affirmer que la lumière n'est ni une particule ni une onde, mais les deux !
Plus précisément, la lumière est soit une particule soit une onde, selon la manière dont
on la mesure. Quand on mesure l'effet de la lumière passant par deux fentes, elle se
comporte comme une onde. Quand on mesure l'effet de la diffraction de la lumière
à partir d'un échantillon de carbone, elle se comporte comme une particule. Cette
nature schizophrénique est maintenant acceptée comme un principe fondamental de la
physique quantique. Et elle est si bien acceptée que les physiciens l'ont baptisée« dualité
onde-particule ».
Le seul problème est qu'on ne peut pas vraiment expliquer pourquoi. Pas plus qu'on ne
peut dire de quelle humeur est un rayon de lumière quand on ne le mesure pas du tout.
Le mieux qu'on puisse dire est qu'entre les mesures, la lumière est simultanément une
onde et une particule. Elle prendra l'une ou l'autre forme la prochaine fois qu'elle sera
mesurée.
D'un point de vue purement pragmatique, il est vite devenu évident que cette dualité
était une bizarrerie nécessaire. Sans théorie ondulatoire, les physiciens ne pouvaient
expliquer le schéma d'interférences des doubles fentes de Young. Et sans nature corpus-
culaire, ils ne pouvaient expliquer le billard subatomique de Compton. Toutes deux
étant nécessaires au tableau d'ensemble, on appelle « complémentarité » ce concept
défiant la logique.
94 Physique quantique - Le guide de référence
~ DÉFINITION
La dualité onde-particule relève de l'idée que la lumière exhibe à la fois des propriétés ondu-
latoires et particulaires. selon la manière dont on la mesure.
La complémentarité va plus loin, en suggérant que les deux points de vue sont nécessaires pour
fournir une description complète de la lumière. Mais on ne peut pas observer ces deux aspects
simultanément.
ALBERT EINSTEIN
Albert Einstein, ou « Johnnie » comme l'appelait sa femme,
fut un élève plutôt médiocre, révolté par la « coercition »
rigide de la pédagogie institutionnelle. Ses notes loin d'être
brillantes firent qu'on lui refusa des postes universitaires en
Allemagne, aux Pays-Bas et en Suisse. Finalement, il trouva
du travail comme « expert technique, troisième classe »
dans un bureau des brevets à Berne. Où pouvait-il mieux
apprendre à cerner les points essentiels d'un problème
complexe et à séparer le bon grain de l'ivraie ?
Son emploi d'examinateur de brevets isola Einstein des
pressions conservatrices de l'université traditionnelle. Il
était libre de résoudre des problèmes à sa manière non
conventionnelle. li le fit avec brio et développa un style
de résolution des problèmes bien à lui. Son approche
caractéristique était de lancer une hypothèse audacieuse
et de voir où elle le menait. Il entama par exemple son travail sur la théorie de la relativité
en imaginant simplement à quoi ressemblerait l'univers si on pouvait voyager à bord d'un
rayon de lumière.
Mais s'il était un physicien-né, Einstein ne se préoccupait pas seulement du monde
physique inerte. Il fut un citoyen très engagé, qui résista activement à la violence des
deux guerres mondiales. En tant que Juif, il dut quitter son pays natal pour l'Amérique,
où il adressa une série de lettres au président Roosevelt, l'incitant à la prudence en ce
qui concernait la dimension militaire de l'énergie atomique. En 1952, on lui offrit même la
présidence d'Israël. Mais il déclina respectueusement : sa vocation était la physique.
Père de la physique quantique, Albert Einstein contribua énormément, au fil des
décennies, à son développement. Pourtant, fidèle à sa nature non conformiste, il finit par
se distancier de l'interprétation dominante. Il préférait poser des questions stimulantes
par leur nouveauté, et notre compréhension moderne de la théorie quantique n'en est
que plus riche. Il est à noter que ses articles originaux sur la théorie quantique de la
lumière et la relativité restreinte - sans parler d'autres travaux précurseurs, mais sans lien
- furent tous publiés en 1905. En reconnaissance de ses efforts remarquables, le bureau
des brevets le promut en 1906 « expert technique, deuxième classe. »
Chapitre 6 : La théorie quantique de la lumière 95
L'une des raisons pour lesquelles il nous est si difficile d'accepter la nature duelle de la
lumière est qu'elle défie notre aptitude à nous la représenter. Mais en fin de compte, cela
a-t-il vraiment de l'importance? Rappelez-vous que l'utilité fondamentale de la physique
est sa capacité à prédire des phénomènes physiques. Une fois qu'on a accepté cette nature
duelle et qu'on sélectionne la bonne interprétation pour les mesures faites, on peut émettre
des prédictions parfaitement raisonnables, vérifiables et utiles.
Nous ajournerons ce débat pour le moment, mais n'ayez crainte, ce n'est qu'un début. Les
choses vont devenir de plus en plus étranges.
7
Quantifier l'atome
Dans ce chapitre, nous allons revisiter l'atome et apprendre que Dans ce chapitre
le coup décisif dans la dispute entre le modèle plum pudding
de Thomson et le modèle nucléaire de Rutherford fut assené L'instabilité inhérente de
par un de leurs élèves à tous deux. l'atome de Rutherford
Nous verrons un nouveau développement quantique, qui La quantification de l'atome
explique cette fois les mécanismes intérieurs (et extérieurs) de de Bohr
l'atome. Nous découvrirons la grande applicabilité du modèle
Nombres quantiques et sauts
atomique de Niels Bohr, et son pouvoir d'explication du spectre
quantiques
atomique, de l'effet photoélectrique, du tableau périodique et
de la formation des molécules. Une explication du tableau
périodique des éléments
Enfin, nous nous intéresserons à une façon astucieuse d'expli-
quer pourquoi l'atome est quantifié, seulement pour découvrir
que cela ne peut pas être vrai.
98 Physique quantique - Le guide de référence
L'atome revisité
Retournons en Angleterre pour voir si de nouveaux développements ont été apportés à
la théorie de l'atome. La dernière fois que nous y étions, Ernest Rutherford venait juste
de dévoiler le nouveau modèle d'atome - l'atome nucléaire - qui paraissait davantage en
accord avec les données expérimentales que le modèle de plum pudding de J.]. Thomson.
Depuis, rien de neuf ne s'était produit, en dehors de l'arrivée à Cambridge d'un physicien
frais émoulu du Danemark, Niels Bohr.
En 1912, Bohr rejoignit le groupe de Thomson, mais tous deux ne parvinrent pas à s'accorder.
Déterminé à tirer le meilleur parti de son année à l'étranger, Niels Bohr prit alors la route de
Manchester pour travailler avec Rutherford. Les deux hommes s'entendirent immédiatement
et formèrent une alliance qui allait ébranler à nouveau les fondations de la physique.
La spirale atomique
Vous vous souvenez qu'au chapitre 4, nous avons dissipé vos doutes sur la stabilité de l'atome
nucléaire de Rutherford en affirmant que l'électron orbite autour du noyau comme la
Lune orbite autour de la Terre. Il faut avouer que nous n'avons raconté que la moitié de
l'histoire. En mettant un électron en mouvement autour du noyau, nous l'avons condamné
à un destin encore plus sombre.
La Lune est un piètre modèle pour l'électron, non seulement parce que ce dernier est
beaucoup plus petit qu'elle, mais parce que contrairement à elle, il possède une charge
électrique. Rappelez-vous : chaque fois qu'une particule chargée change d'allure ou de
direction, elle émet un rayonnement électromagnétique. Cela est à la base de la lumière
émise par un tisonnier et des ondes radio dans le laboratoire d'Heinrich Hertz.
Un électron en orbite autour d'un noyau devrait changer constamment de direction pour
rester sur une trajectoire circulaire. Cela signifie qu'il devrait accélérer constamment et,
par conséquent, émettre constamment un rayonnement. Et la conservation de l'énergie
ferait que plus il rayonnerait, plus il devrait ralentir. Ce ralentissement le ferait chuter vers
le noyau. En un rien de temps, l'électron dégringolerait en spirale dans le noyau, et l'atome
s'effondrerait sur lui-même.
La théorie classique de Maxwell permet de calculer combien de temps cela prendrait :
environ 1 x 10-12 seconde. Le fait que vous soyez toujours assis et que vos atomes ne se
soient pas encore effondrés devrait vous convaincre qu'il manque un petit quelque chose
au modèle atomique de Rutherford.
Chapitre '1 : Quantifier l'atome 99
-· - -- --
1\) 1\) w w w w~
Sur cette représentation schématique des fréquences émises par des atomes d'hydrogène excités,
on voit l'espacement entre les raies spectrales diminuer à mesure que la fréquence augmente.
Notez que 1 THz = 1 000 000 000 000 Hz.
Plus intrigant encore, un maître d'école suisse du nom de Johann Balmer avait découvert
une récurrence remarquable dans l'espacement des raies spectrales de l'hydrogène (l'atome
le plus simple, composé d'un électron et d'un proton) : les longueurs d'onde des quatre
raies connues à l'époque étaient des fractions presque parfaites de la valeur 3,6456 x 10-17
mètres, soit : %, 16/i2, 25/21, et 36/32.
Grâce à sa formation en mathématiques, il ne fallut pas longtemps à Balmer pour noter
que les numérateurs de ces fractions étaient tous des nombres au carré : 32 , 42 , 52 et 62 • Il
remarqua aussi que les dénominateurs étaient tous égaux au numérateur moins 22 : 32 - 22 ,
42 - 22 , 52 - 22 et 62 - 22 • La concordance entre ces fractions et l'observation expérimentale
était supérieure à 1 pour 1 000. C'était trop pour être une simple coïncidence. En outre,
quand on découvrit les raies spectrales suivantes de l'hydrogène, elles correspondaient
exactement à la même série ! Cette numérologie spectrale avait certainement un sens,
mais lequel ? Personne ne le savait non plus.
100 Physique quantique - Le guide de référence
Le modèle de Bohr
Peu après son arrivée à Manchester, Bohr fit une découverte très importante. Il n'était pas
vraiment taillé pour le travail de laboratoire et préférait élaborer de nouvelles dérivées.
Rutherford était d'accord et Bohr entama très vite ses recherches pour comprendre et
remédier aux défauts de l'atome nucléaire de Rutherford.
Il y réussit en empruntant aux tactiques de Planck et Einstein, c'est-à-dire en quantifiant
l'atome. À dire vrai, il ne le quantifia qu'« à demi», parce qu'il supposait que dans certains
cas, l'atome se comportait de manière classique et dans d'autres, obéissait aux règles
quantiques. Mais il finit par élaborer un modèle capable d'expliquer presque toutes les
observations de l'atome d'hydrogène à l'époque.
PIÈGE ATOMIQUE
Bien que nous ayons présenté l'histoire du quantum plus ou moins dans l'ordre chronologique,
nous avons fait quelques bonds dans le temps. Rutherford, par exemple, élabora son modèle de
l'atome en 1911. soit plus d'une décennie après que Planck a dévoilé son hypothèse quantique.
Aussi. quand Bohr quantifia l'atome, il appliqua en réalité le • vieux • concept du quantum à la
• nouvelle • conception de l'atome nucléaire.
orbitant dans l'un de ces états stationnaires. Il qualifia d'« étatfondamental »l'état de plus
basse énergie, et d'« états excités» les états supérieurs.
~ DÉFINITION
Un atome est dit dans un état stationnaire chaque fois que ses électrons sont sur des orbites
stables dans lesquelles ils n'émettent pas de rayonnement. J.:état stationnaire le plus bas en
énergie est appelé état fondamental, tandis que les états supérieurs sont appelés états Hcltés.
Troisièmement, il postula que l'atome émet de la lumière seulement quand il passe d'un
état stationnaire de haute énergie à un état de basse énergie. En outre, il émit l'hypothèse
que la fréquence de lumière émise durant cette transition est égale à la différence d'énergie
entre les niveaux d'énergie correspondants divisée par la constante de Planck. Rien de
nouveau à cela, vous reconnaissez le rapport énergie-fréquence de Planck et d'Einstein.
Avant de décrire le quatrième (et le plus audacieux) postulat de Bohr, nous devons vous
présenter le concept de « moment angulaire » ou « moment cinétique ». Pour cela, compa-
rons un moulinet et une éolienne. On peut arrêter un moulinet avec le petit doigt. Mais
pour arrêter une éolienne, il faudrait sans doute l'incroyable Hulk. La raison en est que
tous les corps qui roulent, tournent ou gravitent autour d'un autre corps veulent continuer
à rouler, tourner et graviter. Une force externe est nécessaire pour les stopper.
En termes techniques, tout objet qui affiche un mouvement circulaire possède un moment
angulaire, dont la quantité dépend de sa masse, de son rayon de rotation et de sa vitesse
angulaire. Les objets grands et massifs ont un moment angulaire plus important que
les petits objets légers. (Incidemment, une autre manière de voir la stabilité des orbites
planétaires autour du Soleil est que leur moment angulaire orbital se conserve - encore
une loi de conservation.)
~ DÉFINITION
Le moment angulaire ou moment cinétique est la mesure de la tendance d'un corps qui roule.
tourne ou orbite à continuer à rouler. tourner ou orbiter.
Revenons à notre atome. L'électron en orbite a aussi un moment angulaire déterminé par
sa masse, sa vitesse angulaire et sa distance au noyau. C'est sur cette grandeur que Bohr
fonda son postulat principal. Il forma l'hypothèse que le moment angulaire d'un électron
en orbite est quantifié et que ses valeurs permises sont indiquées par les nombres entiers
(les incréments) de la constante de Planck.
102 Physique quantique - Le guide de référence
CITATION QUANTIQUE
• Alors, c'est l'une des plus grandes découvertes. •
Albert Einstein, quand il entendit parler des prédictions du modèle de Bohr.
Il s'attaqua ensuite aux mystérieuses raies spectrales de l'hydrogène. Son modèle pouvait-il
faire la lumière là-dessus ? Il commença par calculer les niveaux d'énergie de l'électron
quand celui-ci gravite autour du proton avec ses grandeurs permises de moment angulaire.
Ensuite, il calcula la fréquence lumineuse émise par l'électron quand il saute d'un niveau
d'énergie à l'autre. A partir de là, il était facile de trouver une formule pour les longueurs
d'onde émises lors des sauts d'un niveau d'énergie à l'autre.
Étonnamment, quand il examina le cas des sauts dans le premier état d'excitation, les
longueurs d'onde prédites par sa formule concordaient presque exactement avec les valeurs
observées par Balmer. La formule de Bohr était vraiment remarquable, puisqu'elle débou-
chait sur la bonne réponse en ne faisant appel à rien d'autre que la physique fondamentale
(en dehors, bien sûr, de ses postulats).
C'était une réussite encore plus éclatante que celle de Balmer. Après tout, celui-ci était
parti de la bonne réponse (la longueur d'onde connue) et avait travaillé à reculons pour
trouver une formule mathématique concordante. Bohr, lui, était parvenu à la solution en se
servant de principes de base. Même s'il nous faut encore examiner ses postulats de départ,
c'était clairement un bond en avant dans la compréhension de l'atome.
L'hydrogène expliqué
L'atome de Bohr donna aux physiciens une base formidable à partir de laquelle visualiser et
interpréter le fonctionnement interne de l'atome d'hydrogène. Un système permettant de
Chapitre 1 : Quantifier l'atome 103
garder la trace de tous les états stationnaires et de tous les niveaux d'énergie possibles nous
aidera à mieux comprendre cela. Pour ce faire, Bohr introduisit un système de comptage
basé sur ce qu'il appela le« nombre quantique ».
PIÈGE ATOMIQUE
Nous nous servons ici du concept du nombre quantique tel que défini dans le modèle de Bohr.
Dans ce cas. il y a exactement un état stationnaire (et un niveau d'énergie correspondant) par
nombre quantique. Toutefois, nous verrons au chapitre 11, que pour décrire un système en trois
dimensions comme l'atome. il faut trois nombres quantiques distincts (en vérité. il en faut quatre.
mais là, on anticipe vraiment). Nous traitons dans ce chapitre du• principal• nombre quantique.
C'est simple. L'état fondamental est donné par le nombre quantique 1 et correspond à une
orbite dotée d'un moment angulaire de 1 quantum (c'est-à-dire d'l unité de la constante
de Planck divisée par 6,28 ou hl21t). Le nombre quantique 2 appartient au premier état
excité, qui possède un moment angulaire de 2 quanta. Le nombre quantique 3 correspond au
deuxième état excité, avec 3 quanta. Et ainsi de suite, vers les nombres quantiques supérieurs.
PIÈGE ATOMIQUE
Dans ce traitement semi-quantique, Bohr fit un grand progrès avec sa quantification du moment
angulaire et son usage des nombres quantiques. Nous verrons toutefois au chapitre 11 que le
traitement entièrement quantique de l'atome d'hydrogène révèle que l'état fondamental n'a en fait
qu'un moment angulaire de O. Ne craignez rien cependant. le fait que les états d'énergie supérieurs
ont de plus grandes quantités de moment angulaire continue d'être vrai.
Le concept suivant introduit par Bohr fut le « saut quantique ». C'est une manière concise de
décrire le« passage» d'un atome d'un état stationnaire à un autre. Comme nous l'avons déjà
dit, c'est la base de l'interaction de l'atome avec la lumière. Quand l'électron saute d'un niveau
d'énergie à un niveau d'énergie inferieur, l'atome lui-même perd de l'énergie. Sachant que la
totalité de l'énergie est conservée, l'énergie perdue doit être convertie sous une autre forme.
Dans ce cas, elle est convertie en rayonnement électromagnétique et emportée par un photon.
En principe, un atome peut toujours sauter d'un état stationnaire donné à un autre.
Ce faisant, il émet un photon dont l'énergie égale la différence entre les deux niveaux
d'énergie. C'est la base du spectre de raies discrètes, où chaque raie spectrale correspond à
la différence entre un couple particulier de niveaux d'énergie. Comme l'espacement entre
les niveaux d'énergie d'un atome est unique, chaque atome a son propre spectre de raies.
De même, comme il n'existe pas de limite théorique au nombre de niveaux d'énergie, le
104 Physique quantique - Le guide de référence
spectre atomique peut contenir un grand nombre de raies chevauchant un grand nombre
de fréquences.
niveaux d'énergie
\.
,
\Ill 4
3
w
2
wvv.photon
f I~
Voici la représentation schématique des premiers niveaux d'énergie de l'hydrogène et le spectre de raies
correspondant à la transition à partir de l'état fondamental. Quand /'électron effectue un saut quantique d'un
état excité à l'état fondamental, un photon est émis. Les nombres sur la droite sont les nombres quantiques.
Bien qu'imagé, le terme« saut quantique)) est un peu trompeur. Si un électron s'arrachait
vraiment à une orbite pour s'attacher à une autre, il perdrait nécessairement de l'énergie
en route. Cela étant contraire à l'observation, il doit y avoir une autre explication.
~ DÉFINITION
Les nombres quanHquea sont assignés aux états stationnaires d'un atome, le nombre 1 corres-
pondant à l'état fondamental et les nombres 2, 3, 4 et ainsi de suite correspondant aux états
excités successifs.
Un saut quantique est la transition atomique d'un état stationnaire à un autre. Il s'accompagne
de l'émission (ou l'absorption) d'un photon, dont l'énergie correspond exactement à la différence
des niveaux d'énergie concernés.
Chapitre '1 : Quantifier l'atome 108
La seule interprétation qui soutienne vraiment l'examen est que l'atome cesse pour l'es-
sentiel d'exister dans son état initial et commence soudain à exister dans l'état final! C'est
un effet purement quantique difficile à visualiser et qui défie l'interprétation physique
fondée sur le sens commun. C'est pourtant ce qui se passe.
Le modèle de Bohr permet de comprendre les raies manquantes dans le spectre d 'absorp-
tion. Quand on projette un faisceau de lumière chromatique sur un atome, celui-ci peut
absorber les photons et passer d'un état stationnaire bas à un état excité supérieur. Dans
ce cas, le saut quantique s'effectue vers le haut et le niveau d'énergie final est supérieur au
niveau d'énergie initial.
Mais cela ne peut se produire que sous deux conditions. La première est que l'énergie
du photon doit correspondre exactement à la différence entre deux niveaux d'énergie
atomique. La seconde, c'est qu'il doit y avoir au moins un atome en état stationnaire
inférieur quelque part dans le gaz. Autrement, il serait impossible pour les atomes de gaz
d'absorber l'énergie du photon et de passer à un état excité.
Alors, comment cela explique-t-il le décalage entre les raies d'émission et d'absorption?
Eh bien, l'émission se produit quand les atomes ont été excités d'une manière ou d'une
autre. Par exemple, quand le gaz est chauffé et que les atomes entrent en collision les
uns avec les autres en absorbant une part d'énergie cinétique. Une fois les atomes en état
d'excitation, ce n'est qu'une question de temps avant qu'ils ne se« dés-excitent» et chutent
à des niveaux d'énergie inrerieurs en émettant de la lumière. Comme il n'y a pas de limite
aux états dans lesquels ils peuvent être excités, ni aux états dans lesquels ils déclinent, toutes
les combinaisons possibles de fréquences sont émises.
Mais si l'on essaie de mesurer l'absorption par un gaz froid, on n'observera que quelques
raies spectrales. C'est parce que les atomes d'un gaz froid ont moins d'énergie et qu'il y a
donc moins de collisions. Par conséquent, il est probable qu'aucun des atomes ne sera excité
dans un état stationnaire avec une énergie supérieure. Toute fréquence qui lie l'un de ces
états stationnaires de basse énergie à des états de plus haute énergie est par conséquent
absente du spectre d'absorption.
Enfin, il vaut la peine de noter que l'espacement entre les niveaux d'énergie se réduit à
mesure que les nombres quantiques augmentent. Ils ne sont pas espacés de manière régulière
comme dans le corps noir de Planck. Pour des nombres quantiques infiniment grands,
l'espacement entre les niveaux d'énergie atomique se réduit à O. Cela implique qu'il y a une
limite au plus haut niveau d'énergie possible, limite que les physiciens appellent« le seuil».
106 Physique quantique - Le guide de référence
Quand un atome absorbe un photon avec une énergie supérieure à la différence entre
le niveau d'énergie initial et le seuil, l'électron est de fait éliminé de l'atome. L'~ excès»
d'énergie est alors transféré à l'électron éjecté sous forme d'énergie cinétique. C'est la base
de l'effet photoélectrique.
NIELSBOHR
Né en 1885 à Copenhague, Niels Bohr passait encore son
permis de conduire quand Max Planck découvrit le
quantum d'action. Mais il ne tarda pas à obtenir la
médaille d'or de l'Académie royale des Sciences du
Danemark et un billet pour travailler avec le grand J. J.
Thomson dans son laboratoire de Cambridge.
Néanmoins, la personnalité directe et pragmatique de
Bohr gâcha leur première rencontre. Voulant se montrer
utile, Bohr souligna une erreur dans l'un des livres de
Thomson. Une froideur glaciale s'installa dès le début
et ne fit qu'empirer par la suite, poussant Bohr à aller
travailler avec le rival de Thomson, Ernest Rutherford. À
partir de là, Bohr entama ses recherches pour quantifier
l'atome, qui confirmèrent ultérieurement la théorie
nucléaire de Rutherford.
En vrai pragmatique, Bohr n'avait aucun scrupule à combiner un méli-mélo d'idées
pour trouver une solution valable. Cette approche fut d'une efficacité remarquable, à
commencer pour son modèle de l'atome. Dévoilé en 1913 dans une volumineuse série
d'articles de 69 pages, l'atome de Bohr lui valut une nouvelle distinction en 1922 : le prix
Nobel de physique.
Durant la Deuxième Guerre mondiale, Bohr fut secrètement recruté par l'Angleterre
pour faire des recherches sur la bombe atomique. Il commença par refuser, pensant que
l'engin serait irréalisable. Mais, forcé de fuir le Danemark durant l'occupation allemande,
notre pragmatique changea d'avis. Il gagna Los Alamos, où il joua un rôle important dans
les dernières années du projet Manhattan.
Le tableau périodique
Bohr aurait pu s'arrêter là, satisfait d'avoir inventé un modèle (semi-)quantique de l'hy-
drogène à un électron. Mais son esprit inquisiteur le poussait à rechercher ce que donnerait
l'application de son postulat aux atomes comportant 2, 3 ou même 92 électrons.
Chapitre '1 : Quantifier l'atome 10'1
~ DÉFINITION
Les couches électroniques sont les orbites autour du noyau atomique, chacune d'elles contenant
un nombre précis d'atomes.
La valence se réfère au nombre d'électrons présents dans la couche périphérique d'un atome :
c'est l'indicateur principal des propriétés chimiques d'un élément
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Voici une représentation des trois premières rangées du tableau périodique selon le modèle en couches
de Bohr. De gauche à droite. le nombre d'électrons augmente dans chaque couche. De haut en bas.
le nombre d'électrons reste égal dans la couche la plus externe.
Le modèle de Bohr allait remporter d'autres succès, concernant notamment les prédictions
des différentes raies spectrales. Mais son couronnement fut de prédire avec exactitude
les propriétés chimiques de l'hafnium, avec ses 72 électrons en orbite, un an avant qu'on
ne découvre celui-ci. Par une coïncidence heureuse, le hafnium fut découvert par des
physiciens travaillant dans la ville natale de Bohr et on le nomma d'après une version
latine de « Copenhague ,._
Les couches de Bohr fournirent aussi un aperçu de la formation des molécules. Les chimistes
savaient depuis longtemps que les gaz nobles (hélium, néon, argon, etc.) étaient les éléments
les moins actifs et donc les plus stables. Le modèle des couches de Bohr impliquait que
c'était parce que leur couche périphérique était pleine, une couche pleine équivalant à
la stabilité. Bohr appliqua ce raisonnement pour suggérer que les atomes cherchaient à
former des molécules quand cela leur permettait de « partager » des électrons et de remplir
effectivement leurs couches périphériques.
Prenons, par exemple, la molécule à 2 atomes formée par le sodium et le chlore. Les
chimistes l'appellent chlorure de sodium, et nous l'appelons sel de table. Le sodium ne
possède qu'un électron dans sa couche périphérique et il manque un électron au chlore
pour remplir la sienne. Quand l'atome de sodium« prête» son électron à l'atome de chlore,
formant ainsi une molécule, ils remplissent tous deux leurs couches périphériques. Les
deux atomes en deviennent plus stables et nos aliments n'en deviennent que meilleurs.
Chapitre 7 : Quantifier l'atome 109
Le sel de table se forme parce que le sodium (NA) a un électron en trop, et le chlore (Cl) un en moins.
En formant une molécule et en •partageant• l'électron périphérique du sodium, ils remplissent
leurs couches périphériques et deviennent plus stables.
Malgré ses points forts, l'explication du tableau périodique de Bohr péchait à un égard.
Il échouait à expliquer pourquoi le nombre d'électrons par couche est limité. Pourquoi,
par exemple, la couche intérieure ne peut-elle contenir que 2 électrons ? Et pourquoi la
seconde ne peut-elle en avoir que 8, si bien que le onzième électron du sodium est banni
sur une couche encore plus éloignée ? Le monde allait devoir attendre plusieurs années
avant de voir ce mystère dévoilé. Heureusement pour vous, vous n'aurez à attendre que
jusqu'au chapitre 12.
Supposons qu'au lieu de se déplacer en cercle autour du noyau, en sorte d'être toujours à la
même distance du centre, les électrons ondulent lentement sur leur orbite. Leur trajectoire
orbitale ressemblerait à une ligne ondulée, superposée à l'orbite circulaire. Si la longueur
d'onde de l'oscillation était de la bonne longueur, chaque orbite aurait exactement la même
trajectoire sur son orbite précédente. En d'autres termes, les orbites ondulées se joindraient
sans anicroche à mesure que l'électron enchaînerait les révolutions.
Si pour une raison quelconque, les électrons ne se déplaçaient pas selon une orbite parfai-
tement circulaire, mais sur une trajectoire ondulée autour de l'atome, certaines longueurs
d'onde ne seraient permises qu'à une certaine distance du noyau. Était-ce une façon
d'expliquer le mystère de la stabilité des états stationnaires ?
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Sur ce schéma, les cercles en pointillé représentent les quatre premiers rayons orbitaux permis
par l'atome de Bohr. et les cercles pleins les ondes stationnaires superposées.
Quand les orbites ondulées se rejoignent ainsi, les physiciens les appellent des ondes station-
naires. C'est à cause de leur similarité avec les vibrations produites par le pincement d'une
corde de violon. En outre, la physique classique nous apprend que les ondes stationnaires
possèdent une stabilité inhérente et qu'elles restent les mêmes tant qu'une friction ne
déplace pas l'énergie vibrationnelle.
Chapitre 7 : Quantifier l'atome 111
Pour un électron ondulant sur son orbite, une onde stationnaire stable se formerait chaque
fois qu'un multiple entier de sa longueur d'onde correspondrait à la longueur (c'est-à-dire
à la circonférence) de son orbite. Si pour une raison quelconque l'électron se comportait
comme une onde avec une longueur d'onde prédéfinie, il pourrait alors former une onde
stationnaire seulement pour des orbites spéciales autour du noyau. Cela pouvait-il expliquer
pourquoi certaines orbites sont spéciales ?
C'était une façon élégante d'expliquer la nature privilégiée des états stationnaires. Hélas,
cela ne pouvait pas être vrai. C'était impossible, parce qu'un tel comportement n'avait de
sens que si un électron possédait d'emblée des propriétés ondulatoires. Mais un électron
est une particule, n'est-ce pas ? En tant que particule, il ne peut pas se comporter comme
une onde. Ou bien si ?
3
Mécanique quantique
Au début des années 1920, les pionniers du quantum avaient fait d'énormes progrès dans la
compréhension de l'univers microscopique. Mais le temps qu'ils convergent du monde entier
vers Gôttingen pour le << festival Bohr », ils avaient pressé jusqu'à la dernière goutte les postulats
quantiques. Leurs brillants efforts n'avaient produit que des solutions disparates à un patchwork
de problèmes.
Leur travail était encore incomplet. Il restait pléthore d'énigmes, depuis les règles régissant le
remplissage des couches électroniques à la bizarre personnalité duelle de la lumière. Pour autant
qu'ils s'y efforcent, les percées avaient cessé. La« vieille» physique quantique, comme on appelle
aujourd'hui les premiers travaux de Planck, Einstein et Bohr, était en bout de course.
Heureusement, une nouvelle génération de physiciens se préparait à reprendre le flambeau. Ces
hommes et ces femmes, devenus adultes aux premiers jours de la physique quantique, étaient
d'une fidélité moins intransigeante à la physique classique. Plutôt que d'essayer de faire rentrer de
force de nouvelles notions quantiques dans le cadre de la physique classique, ils étaient disposés à
faire les bonds requis pour développer une vision du monde purement quantique. C'est le produit
de leurs efforts, la théorie de la mécanique quantique, que nous allons maintenant étudier.
CHAPITRE
8
Les ondes de matière
L'objectif, dans ce chapitre, est de sauter à pieds joints dans Dans ce chapitre
la théorie « moderne » de la mécanique quantique. L'idée
cruciale évoquée au chapitre précédent est que les particules de Un examen plus attentif de
matière peuvent arborer des propriétés ondulatoires - comme l'électron
la lumière ! Et ce n'est qu'en prenant en compte le concept
La quantification de la
d'ondes de matière qu'on peut commencer à bâtir une théorie
charge électrique
quantique cohérente, à la place du patchwork d'idées de la
«vieille» physique quantique. Les ondes de matière et les
longueurs d'onde de Broglie
Nous verrons aussi comment la symétrie de la lumière et de la
matière prolonge le bizarre concept de la dualité onde-particule La nature schizophrénique
pour englober non seulement la lumière, mais aussi les objets de la matière
matériels.
116 Physique quantique - Le guide de référence
L'humble électron
La physique quantique est faite de lumière et d'atomes. C'est en investiguant leur nature
que Planck, Einstein et Bohr produisirent leurs grandes quantifications. L'autre thème
unifiant leurs travaux était le lien critique établi par l'électron entre la lumière et les
atomes. Non seulement c'est un constituant fondamental de l'atome, et donc de tous les
types de matière, mais chaque fois qu'il se déplace - ou « saute » -, la lumière est forcée
de le suivre. Il ne faut donc pas s'étonner que l'étape suivante sur la voie de la physique
quantique se soit principalement appuyée sur l'humble électron.
Depuis longtemps, des scientifiques (et des non-scientifiques) tripotaient les électrons,
sans savoir qu'il s'agissait de parties d'atomes. Ils accumulaient des charges électriques, en
tiraient d'énormes étincelles et généraient du courant électrique sans connaître la véritable
nature de l'énergie qu'ils manipulaient.
C'est Thomson qu'on crédite de la « découverte » de l'électron, c'est-à-dire de l'iden-
tification et la mesure de ses caractéristiques - la première particule subatomique ainsi
isolée. Il s'avéra par la suite que le flux d'électrons était responsable de pratiquement tous
les phénomènes magnétiques et électriques qu'on observait depuis des décennies.
A la fin du x1x• siècle, Thomson établit clairement que l'électron était une particule
discrète, véhiculant une charge électrique négative. Une décennie plus tard, Robert
Millikan et Harvey Fletcher purent mesurer avec exactitude la charge de l'électron. Ils
confirmèrent qu'elle était la même pour tous les électrons et qu'elle était aussi la plus petite
unité de charge observable dans le monde.
C'était une autre façon de dire que la charge électrique est quantifiée. Toutes sortes
d'objets, petits et grands, peuvent être chargés électriquement, et cette charge peut avoir
une valeur positive ou négative. Toutefois, la quantité de charge est toujours un nombre
entier multiple de la charge de l'électron, soit en positif, soit en négatif (si elle n'est pas
équivalente à 0, bien entendu).
Ayant isolé des faisceaux d'électrons, Thomson put mesurer le rapport entre la charge
et la masse de l'électron en observant comment les faisceaux se recourbaient sous l'effet
de champs électromagnétiques. Quand Millikan eut mesuré sa charge, on put calculer
précisément la masse de l'électron et, comme nous l'avons vu, il s'avéra que c'était une
toute petite fraction (moins d'un dixième de centième) de la masse totale de l'atome au
sein duquel il résidait.
Chapitre 8 : Les ondes de matière 11'1
PIÈGE ATOMIQUE
On entend parler parfois de scientifiques qui • scindent• ou • cassent • l'atome. Si le fait de retirer
des électrons peut être techniquement considéré comme un désassemblage, il s'agit en réalité
de démonter le noyau de l'atome. Retirer des électrons est beaucoup plus facile que de modifier
le noyau. Cette dernière opération demande (et libère éventuellement) beaucoup plus d'énergie.
C'est pourquoi le terme • nucléaire • est préférable à • atomique • quand il s'agit de bombes ou
de centrales.
Si la charge électrique de l'atome moyen est neutre, il est possible de trouver des atomes
avec un supplément de charge négative ou positive (les ions). Et bien que les électrons
de charge négative soient attirés par le noyau positif, il est possible de surmonter cette
attraction pour arracher un électron. Enlevez un ou plusieurs électrons et vous aurez un
ion positif. Empilez quelques électrons de plus et vous aurez un ion négatif.
Tout cela pour dire que les raisons ne manquaient pas de s'intéresser aux électrons au début
des années 1920. Les électrons sont courants et il est relativement facile de les extraire des
atomes pour les étudier. Ils ont quelque chose de primordial en raison de leur unité de
charge électrique standard. Leur charge et leur masse font qu'on peut les déplacer avec des
champs électromagnétiques. Ils jouent aussi un rôle majeur en chimie, vu leur tendance à
s'accumuler dans les couches périphériques des atomes. Plus important encore peut-être, la
physique classique était encore incapable d'expliquer ce qu'ils faisaient au sein des atomes.
SAUT QUANTIQUE
Tous les noyaux atomiques sont composés de protons et de neutrons, à une exception près. Le
noyau de l'atome d'hydrogène ordinaire ne contient qu'un seul proton et pas de neutron du tout.
Par conséquent, l'atome d'hydrogène est un système très simple : un électron lié à un proton. Et
quand on arrache l'électron pour faire un ion d'hydrogène positif. cet ion est un proton isolé qu'il
est possible de manipuler et d'étudier.
118 Physique quantique - Le guide de référence
~ DÉFINITION
LOUIS DE BROGLIE
Ëgalitaires par nature, les scientifiques ne précisent pas
souvent le nom et le titre complet de Louis de Broglie :
Louis-Victor-Pierre-Raymond, septième duc de Broglie.
De fait, il était à la fois un duc français et un prince allemand.
Louis de Broglie naquit en 1892 à Dieppe. Il vécut jusqu'à
94 ans, ce qui lui permit de voir mûrir quantité des idées
quantiques qu'il avait contribué à semer dans sa jeunesse.
Louis de Broglie avait l'intention de faire des sciences
humaines son domaine de prédilection, mais après un
premier diplôme en histoire en 1910, son goût pour les
sciences et les mathématiques l'emporta. Son frère aîné
était déjà physicien expérimental, et heureusement pour le
développement de la physique quantique, Louis se tourna
vers la physique juste après la Première Guerre mondiale.
En 1924, il soumit une thèse de 127 pages présentant ses
idées sur les particules massives dotées de propriétés ondulatoires. Ses examinateurs
n'étaient pas certains de savoir si ce gamin avait fait une stupéfiante percée théorique,
ou s'il essayait juste de décrocher un doctorat avec un tas de bobards. Dans un geste
d'humilité admirable, ils envoyèrent sa thèse à Albert Einstein pour avis. Celui-ci répondit
rapidement que le jeune homme pouvait bien avoir raison.
Parmi de nombreuses distinctions, Louis de Broglie reçut le prix Nobel de physique
en 1929, après la validation expérimentale de son hypothèse sur les ondes de matière.
Mais il est intéressant de noter que, par la suite, il s'opposa à l'interprétation dominante
de la mécanique quantique. Il se rangea souvent du côté d'Einstein, s'agissant de
ses objections à une vision purement probabiliste de la physique quantique. Nous
reviendrons sur ce sujet dans les chapitres suivants.
L'idée que des particules massives pouvaient avoir des propriétés ondulatoires était promet-
teuse, mais elle ne répondait pas à toutes les questions. L'hypothèse de Louis de Broglie
collait parfaitement à la quantification du moment angulaire des orbites électroniques par
Bohr. Mais que faisait vraiment cette ondulation ?
Il n'était pas possible d'imaginer un électron sautillant sur sa trajectoire. D'une part, cela
aurait accéléré le rayonnement d'énergie des particules chargées, et d'autre part, la vitesse
de ces nouvelles ondes aurait été supérieure à la vitesse de la lumière, ce qu'Einstein avait
déjà démontré comme impossible. Pour ces raisons, et par manque de preuves directes,
peu de gens prirent Louis de Broglie au sérieux, au début.
120 Physique quantique - Le guide de référence
L'expérience Davisson-Germer
Depuis Newton, on savait que le moment cinétique d'une particule est directement
proportionnel à sa masse. Pour les particules massives présentant de grands moments
cinétiques, la taille de la constante de Planck rendait la longueur d'onde de De Broglie très
petite, même comparée aux longueurs d'onde de la lumière. Pour cette raison, il était très
difficile d'observer en laboratoire le comportement ondulatoire de particules de matière.
Conscient de ces difficultés, l'un des membres du jury de thèse demanda à De Broglie de
suggérer une expérience qui pourrait effectivement démontrer ses audacieuses affirmations.
La réponse que fit Louis de Broglie - la diffusion d'un faisceau d'électrons à travers un
cristal - était logique, puisqu'on s'en était déjà servi pour montrer les propriétés ondula-
toires de la lumière. Mais il ignorait que cet effet avait déjà été observé, sinon compris,
en laboratoire.
Dès 1922, en effet, les physiciens américains Clinton Davisson et Charles Kunsman avaient
bombardé diverses substances de faisceaux d'électrons à basse énergie. Ces conditions
expérimentales étaient appropriées, puisque le moment cinétique d'une particule est le
produit de sa masse et sa vitesse. Pour obtenir la longueur d'onde de De Broglie la plus
grande (et donc la plus détectable), il fallait se servir des particules les plus légères possible
(les électrons) et les laisser se déplacer aussi lentement que possible sans pour autant qu'elles
cessent de se mouvoir en ligne droite.
Dans une expérience ultérieure avec son collègue Lester Germer et en prenant en compte
certaines indications préliminaires précédemment négligées, Davisson obtint la preuve
formelle du comportement ondulatoire de la matière. Il est intéressant de noter que cette
expérience n'était pas destinée à l'origine à prouver la nature ondulatoire des particules,
mais à étudier une cible de nickel cristallin bombardé par un faisceau d'électrons lents.
Heureusement pour eux, quelqu'un renversa par accident un flacon sur le dispositif expé-
rimental et perça l'enceinte. Le nettoyage de la cible fit que le nickel polycristallin se
réorga1tisa en nickel monocristallin, produisant des schémas de diffraction irréfutables.
En 1927, Davisson et Germer en conclurent avec certitude que les électrons avaient des
propriétés ondulatoires.
Chapitre 8 : Les ondes de matière 121
Même si cette expérience de diffraction n'était pas aussi simple que la démonstration
des fentes de Young, elle apportait néanmoins la preuve du comportement ondulatoire
des électrons. En fait, elle était similaire à celle de Von Laue, dont nous avons parlé au
chapitre 4. Dans ce cas, les atomes des surfaces régulièrement espacées de cristaux fournis-
saient l'occasion aux rayons X diffractés d'interférer de façon constructive et destructive,
dessinant un motif régulier de pics sous certains angles.
Le schéma de gauche illustre l'intensité de la diffraction des électrons comme une fonction
de l'angle de diffraction. L'image de droite représente ce qui se tonnerait
sur un détecteur d'électrons placé au-dessus du cristal.
SAUT QUANTIQUE
Davisson reçut le prix Nobel de physique en 1937 pour ses travaux expérimentaux. Il se trouve
qu'il partagea ce prix avec un expérimentateur britannique, George Thomson, qui avait observé
des ondes électroniques avec une technique différente. Par une ironie du sort, George Thomson,
à qui l'on décerna le prix Nobel pour avoir démontré que l'électron était \me onde. était le fils de
J. J. Thomson, qui avait gagné le sien en l'isolant comme une particule.
C'était une découverte stupéfiante, bientôt suivie d'expériences similaires avec des parti-
cules plus lourdes comme des protons, des neutrons et même des atomes d'hélium, lesquels
affichèrent tous un comportement ondulatoire avec une longueur d'onde de De Broglie.
Les expériences confirmèrent donc l'idée d'un simple étudiant que peu de gens avaient pris
au sérieux. Cela ne résolvait pas tous les mystères de l'atome, loin de là, mais cela établissait
un fait essentiel à la compréhension de la physique quantique moderne.
122 Physique quantique - Le guide de référence
effets sont trop petits pour qu'on lui puisse les observer. Il faut descendre jusqu'aux particules
composées de quelques atomes, plus petites que des particules de fumée, pour y arriver.
Quand on entre dans le domaine des atomes et des molécules, ou plus petit encore, dans celui
des particules composant les atomes, la situation est similaire à celle des photons lumineux.
Un proton, un neutron ou un électron peuvent se comporter comme une particule, comme
un morceau de matière localisé. Ou ils peuvent afficher des effets d'interférence comme une
onde. Tout dépend comment on les regarde. C'est la mesure qui détermine l'aspect observé.
Et en l'absence de mesure, les deux aspects sont nécessaires à la description de l'objet.
C'est la même image complémentaire qui a finalement émergé des rayonnements élec-
tromagnétiques et des photons, là où, depuis l'époque de Newton, régnait une confusion
causée par des observations apparemment contradictoires. Désormais, on pouvait tirer un
certain réconfort de la symétrie de la nature. La matière et la lumière arborent la même
dualité onde-particule. Les photons et les particules de matière véhiculent de l'énergie et
un moment cinétique discret, et ont des longueurs d'onde et des fréquences débouchant
sur des effets d'interférence.
De Broglie, Einstein et Planck avaient démontré que les rapports entre énergie, fréquence,
moment cinétique et longueur d'onde étaient cohérents avec la relativité restreinte, et
communs à la lumière et la matière. La seule différence entre les photons et les autres
particules était que les premiers n'avaient pas de masse et ne pouvaient donc se déplacer
qu'à une seule vitesse, celle de la lumière.
Young interpréta correctement cette série de franges comme les interférences constructives
et destructives des ondes lumineuses. Les deux fentes faisaient office de sources d'ondes
lumineuses avec la même longueur d'onde. Les différentes zones de l'écran correspondaient
aux différents angles par rapport à la direction initiale de la lumière. A des angles différents,
la distance à partir des deux fentes aboutissait soit à une interférence constructive (frange
brillante), soit une interférence destructive (frange sombre).
Pour revenir à nos humbles électrons, une plaque photographique ou un autre détecteur
d'électrons est également nécessaire. Au lieu d'une frange claire, on détecte l'arrivée
individuelle des électrons sur« l'écran».
On sait que les électrons sont des particules discrètes, dotées de la même masse. On peut
se représenter le faisceau d'électrons comme un flux de balles identiques tirées par une
mitrailleuse très rapide. De fait, les dispositifs qui produisent ce genre de faisceau sont
souvent appelés des « canons » à électrons. Avec deux fentes séparées par une distance
beaucoup plus grande que la longueur d'onde de De Broglie, les électrons s'accumulent en
deux endroits sur l'écran, dans l'alignement direct des fentes. Mais si ces fentes sont assez
rapprochées, ce n'est pas ce que l'on observe. Dans ce cas, les électrons frappent l'écran
selon un motif plus compliqué.
En faisant passer un grand nombre d'électrons à travers les deux fentes, on voit que ceux-ci
frappent plus souvent l'écran à certains endroits et pas du tout à d'autres. Et la représentation
graphique du nombre de frappes versus la localisation montre un motif de pics et de creux
tout à fait identique à la figure de diffraction observée par Young pour la lumière ! Les
lignes claires correspondent aux zones de forte probabilité de distribution des électrons et
les espaces sombres aux zones où les électrons ne frappent jamais.
écran
interférence
.:.,,
c.:::::...:~:z5;<~:'.:~., . 71
destructive
électrons
•--+
•--+
•--+
Voici le schéma de l'expérience des fentes. Sur l'écran, des franges claires émergent lâ où les ondes
interférent de manière constructive. L'obscurité prévaut lâ où les ondes interférent de manière destructive.
Chapitre 8: Les ondes de matière 125
L'étonnant est que le schéma de bombardement avec deux fentes ne ressemble pas du tout
à la somme des schémas avec une seule fente. Dans ce dernier cas, les électrons tendent à
frapper l'écran en ligne droite à partir de la fente, et il n'y a pratiquement pas d'interférence.
La distribution des probabilités de la présence des électrons est un peu plus large que la
fente, ce qui peut s'expliquer par un éparpillement sur les bords, mais en dehors de cela,
elle n'a rien de remarquable.
Cette expérience n'a pas été effectuée avec des électrons avant 1961, mais même en tant
qu'expérience de pensée, elle était et demeure extrêmement utile pour comprendre la
nature de la matière à petite échelle. A l'instant où l'arrivée de l'électron sur l'écran est
détectée, on connaît sa localisation précise (à supposer que le détecteur soit bon). Cela ne
ressemble donc pas à une onde. Pourtant, les interférences se produisent avant son arrivée,
influençant la probabilité de l'endroit où il sera détecté.
l40 électrons
·.
A mesure que de plus en plus d'électrons passent par les deux fentes,
le schéma d'interférence émerge lentement.
126 Physique quantique - Le guide de référence
Le comportement observé ne dépend pas non plus du rythme auquel les électrons passent
par les fentes. Si l'on ralentit le rythme, le schéma émerge plus lentement, mais c'est le
même schéma de pics et de creux aux endroits probables où frappent les électrons. Même
en ralentissant assez pour qu'un seul électron passe par les fentes, on obtient quand même
des interférences et un schéma de diffraction. Cela signifie que cet électron interfère avec
lui-même et qu'il passe par les deux fentes sur son chemin vers le détecteur.
D'une façon étrange, les électrons sont donc à la fois des particules et des ondes. C'est
très difficile à imaginer, mais c'est ainsi que la nature fonctionne. L'échelle subatomique
étant très éloignée de la taille des objets quotidiens, il n'est peut-être pas étonnant que les
électrons et les protons ne se comportent pas comme des boules de billard.
La nature ondulatoire des électrons fournit bien la preuve de l'existence des états d'énergie
stable des atomes, comme le soupçonnaient De Broglie et d'autres. Il nous faut cependant
étudier plus en détail la nature de ces ondes de matière avant de le constater manifestement.
9
Fonction d'onde quantique
Dans ce chapitre, nous allons faire notre propre saut quantique. Dans ce chapitre
Jusqu'ici, nous avons pu présenter les idées quantiques selon
une progression logique en lien avec le développement de la • Les ondes de matière
physique quantique. Mais au début des années 1920, ce déve- et fonctions d'onde
loppement prit des chemins divergents. Nous explorerons ces
La probabilité et
voies tour à tour, mais dans un souci de clarté, nous raccroche-
l'interprétation de Born
rons les wagons aux concepts locomotive de la fonction d'onde
et de la mécanique ondulatoire. Et nous commencerons par • L'ubiquité des particules
présenter la vedette du spectacle, la fonction d'onde quantique. • Heisenberg et le principe
Après avoir vu que les particules de matière possèdent des d'incertitude
propriétés ondulatoires, nous allons creuser ces ondes en
profondeur. C'est essentiel, car elles sont beaucoup plus difficiles
à comprendre que les autres ondes, y compris les ondes élec-
tromagnétiques. La nature ondulatoire de la matière a plusieurs
conséquences importantes, comme nous le verrons.
128 Physique quantique - Le guide de référence
Nous découvrirons aussi que le concept familier de probabilité s'insinue au cœur même
de la physique quantique. Et, comme le savent tous ceux qui ont tenté un pique-nique au
mois d'avril, les probabilités s'accompagnent toujours d'incertitude ! Mais contrairement à
l'incertitude concernant la météo, nous verrons que l'incertitude au niveau quantique est si
fondamentale qu'elle ne peut être évitée. Nous verrons que les probabilités sont nécessaires
pour décrire à la fois la localisation des particules et leur vitesse, et que dans le monde quan-
tique, il faut abandonner l'idée réconfortante qu'elles suivent une trajectoire prévisible dans
l'espace. Cela peut donner l'impression que la science fait un pas en arrière, mais cette idée s'est
révélée essentielle pour la compréhension du fonctionnement de la nature à très petite échelle.
dit aussi comment. La fonction a toutes les caractéristiques que l'on associe aux ondes :
fréquence, longueur d'onde, vitesse et amplitude.
amplitude
longueur d'onde
Ce graphique montre la fonction d'onde d'une onde de matière figée à un instant t. A chaque valeur de x
correspond une valeur de y qu'on peut calculer grô.ce à la fonction sinusofdale. Dans ce cas, on connait
avec exactitude le moment cinétique (masse et vélocité) de la particule. On suppose que l'onde se déplace
vers la droite, si bien qu'après quelque temps, le motif se déplace vers la droite dans une proportion
dépendant de sa vitesse.
~ DÉFINITION
Les ondet de matt6re sont des ondes associées aux particules massives en mouvement. La valeur
effective d'une onde de matière n'est pas observable, mais l'amplitude au carré de l'onde donne
la probabilité d'observer la particule à un endroit donné.
La fonction d'onde est une description mathématique d'une onde de matière. Elle donne la valeur
de l'onde en tout point de l'espace et du temps, pour une certaine particule dans un certain état.
130 Physique quantique - Le guide de référence
Mais si l'on veut que cette chose ondulante ait un rapport avec le monde réel, il nous
faut expliquer ce que signifie la valeur de la fonction d'onde sur le plan physique. Dans
ce but, reprenons la symétrie entre lumière et matière dont s'est inspiré Louis de Broglie.
Les photons sont des paquets d'énergie associés à des ondes électromagnétiques, mais ne
sont pas eux-mêmes des ondes. Les photons n'oscillent pas dans le temps et l'espace, c'est
le champ électromagnétique correspondant qui oscille. Et on peut mesurer directement
ce champ électromagnétique grâce à ses effets sur les particules chargées.
La théorie de la relativité d'Einstein a montré que la masse est une forme d'énergie. Par
analogie avec la lumière, les particules massives comme les électrons peuvent donc être
considérés comme des paquets d'énergie associés à des ondes de matière. Une fois encore,
les particules elles-mêmes ne sont pas des ondes. Elles n'oscillent pas de bas en haut en se
déplaçant. Mais, dans le cas de la matière, les ondes associées ne peuvent pas être mesurées
directement par leurs interactions avec d'autres entités physiques. Au lieu de cela, il faut se
fier à des moyens indirects de mesure des ondes de matière. Heureusement, il en existe.
PIÈGE ATOMIQUE
Comme la lumière relève à la fois des ondes et des particules. c'est une erreur courante d'imaginer
que les particules lies photons) se déplacent eux aussi sur une trajectoire ondulée: Il faut essayer
de garder la complémentarité des deux images à l'esprit. Vus comme des particules. les photons
se déplacent en ligne droite !jusqu'à ce qu'ils rebondissent ou soient absorbés). Les ondes asso-
ciées représentent des changements périodiques dans les forces du champ électromagnétique.
si bien qu'un photon perpendiculaire à la direction dans laquelle voyage l'onde !ou le photon)
n'est animé d'aucun mouvement. La même idée s'applique aux ondes de matière associées aux
particules massives.
Le rôle de la probabilité
Il n'est pas possible de prédire exactement où atterrira un photon (ou un électron) après
qu'il a traversé les deux fentes. Mais le motif de franges permet de dire que la probabilité
de voir un photon est plus grande dans certaines positions que dans d'autres.
Cette probabilité est plus forte là où l'amplitude de l'onde électromagnétique formée par les
deux ondes émanant des deux fentes est plus grande en raison de l'interférence construc-
tive. Elle est plus basse quand l'amplitude de l'onde est faible en raison de l'interférence
destructive. Pour être plus précis, la probabilité est proportionnelle à l'intensité de la
lumière, laquelle est elle-même proportionnelle au carré de l'amplitude de l'onde résultante.
En ce qui concerne la matière, l'interprétation parallèle est que les ondes de matière
représentent en quelque sorte la probabilité de trouver une particule en un point donné.
La grande différence entre les ondes lumineuses et les ondes matérielles, toutefois, est qu'on
décrit les ondes de matière avec des nombres imaginaires (pour une brève introduction
aux nombres imaginaires, consultez le supplément mathématique de l'appendice C.)
C'est un fait de la nature qu'on ne peut observer directement les propriétés décrites par des
nombres imaginaires. Cependant, le carré d'un nombre imaginaire est un nombre réel et
observable. Le point important pour l'instant est que le carré de l'amplitude d'une onde
de matière à un certain point, tout comme le carré de l'amplitude d'une onde électro-
magnétique à un certain point, donne la probabilité de localiser la particule sur ce point.
Il est logique que la valeur de la fonction d'onde d'une onde de matière ne puisse pas
donner la probabilité de trouver une particule. Pour que se produisent des interférences
destructives, l'onde doit osciller entre des valeurs positives et négatives. La probabilité
peut être plus ou moins grande ou égale à 0, mais une probabilité négative n'a pas de sens.
C'est pourquoi il est préférable de se servir du carré de l'amplitude de la fonction d'onde,
qui, par définition, est positif.
Cette interprétation - le carré de la fonction d'onde d'une particule en un point de l'espace
et du temps est égal à la probabilité de trouver cette particule à ce point de l'espace et du
temps - est attribuée au physicien allemand Max Born. On l'appelle souvent« l'interpréta-
tion de Born». À strictement parler, le carré de la fonction d'onde représente la probabilité
de trouver la particule dans une région (ou un volume) minuscule de l'espace. C'est ce
qu'on appelle la « densité de probabilité ».
132 Physique quantique - Le guide de référence
~ DÉFINITION
On peut se représenter la densité de probabilité comme la densité de masse d'un objet dont
la masse n'est pas répartie également. La Terre, par exemple, possède une atmosphère très
légère, entourant une croûte terrestre beaucoup plus lourde, qui enveloppe à son tour un
noyau très dense. Si l'on voyageait depuis la stratosphère jusqu'au centre de la Terre, la
masse par unité de volume augmenterait de plus en plus. De même, la probabilité de trouver
une particule par unité de volume augmente quand la densité de probabilité est plus forte.
Là où l'on se représentait une particule située en un seul point, il faut maintenant l'imaginer
comme s'étendant dans toutes les directions. En général, elle n'est pas répartie uniformé-
ment dans le volume qu'elle occupe, et elle est plus susceptible de se trouver en certains
points. Ces points sont les régions où la densité de probabilité est la plus haute.
Heureusement, il est possible de construire une onde de matière localisée dans un certain
point de l'espace. Pour cela, il suffit d'ajouter quelques ondes sinusoïdales dotées de
longueurs d'onde légèrement différentes.
ondes élémentalres paquet d'ondes
En ajoutant quelques ondes sinusoïdales de longueur d'onde variable, on obtient une fonction
d'onde • localisée • en un certain point de l'espace.
Chapitre 9 : Fonction d'onde quantique 133
Le paquet d'ondes de notre schéma est plus susceptible d'être situé sur des valeurs proches
du centre. Mais la probabilité existe qu'il soit aussi positionné à droite ou à gauche. Le
mouvement de la particule fait que sa position ne peut être définie qu'approximativement.
Notez que ce schéma montre la fonction d'onde en une dimension, mais qu'en réalité elle
peut s'étendre dans les deux autres dimensions de l'espace.
~ DÉFINITION
Un paquet d'ondes décrit une onde plus ou moins située dans le temps et J'espace, c'est-à-dire
dont l'amplitude est partout de 0, sauf autour de sa position. La taille du paquet d'ondes peut
varier dans toutes ses dimensions, et sa forme peut aussi changer à mesure qu'il se déplace
dans Je temps.
plus petites que sa longueur d'onde. Une autre manière de dire cela, c'est que la résolution
(la précision de la mesure de la position) ne peut pas être plus petite que la longueur d'onde
de la lumière utilisée pour effectuer cette mesure.
Écrivons cela sous forme mathématique: À< 11x. C'est simplement la traduction de ce que
nous venons de dire: l'incertitude dans la définition de la position doit être plus grande (ne
peut pas être plus petite) que la longueur d'onde de la lumière utilisée pour voir la particule.
Rappelez-vous maintenant l'effet Compton, dont nous avons parlé au chapitre 6. Arthur
Compton a démontré que les photons ont un moment cinétique et que, quand ils inter-
agissent avec la matière, ils transfèrent ce moment cinétique exactement comme des
boules de billard qui entrent en collision. Pour localiser notre grain de poussière, il faut
par conséquent qu'il entre en collision avec au moins un photon. Cela signifie que cette
particule de poussière sera bousculée, déplacée dans une certaine direction.
Et quelle serait l'envergure de cette bousculade ? Notre ami Louis de Broglie a répondu
à cette question. Souvenez-vous que la longueur d'onde d'une particule est égale à la
constante de Planck divisée par le moment cinétique. C'est aussi vrai pour une particule
que pour un photon. On peut donc retourner cela et dire que le moment cinétique d'un
photon est égal à la constante de Planck divisée par sa longueur d'onde. Comme le photon
utilisé pour mesurer la position du grain de poussière peut venir de n'importe direction, la
collision débouche sur une incertitude de moment cinétique 11p liée à sa longueur d'onde.
On peut l'écrire ainsi sous forme mathématique : À= (h -;- 11p).
A présent, si l'on combine cela avec l'équation précédente, on obtient (h + 11p) < 11x. C'est
la même chose que de dire que le produit des deux incertitudes, de position et de moment
cinétique, doit être plus grand que la constante de Planck: h < (11x X 11p). Et c'est l'une des
manifestations d'un principe fondamental de la mécanique quantique, à savoir le principe
d'incertitude de Heisenberg, nommé d'après le physicien allemand Werner Heisenberg,
qui publia un article à ce sujet en 1927. De manière plus générale, Heisenberg montra
qu'en physique quantique, il n'est pas possible de mesurer toutes les quantités observables
avec une précision arbitraire. La précision des mesures est limitée non seulement par la
qualité des expériences, mais par la nature elle-même !
~ DÉFINITION
Le principe d'incertitude de Hellenberg exprime Je fait que Je produit des incertitudes dans
certaines paires d'observables (comme la position et Je moment cinétique) a une valeur minimale
correspondant approximativement à la constante de Planck.
Chapitre 9 : Fonction d'onde quantique 135
SAUT QUANTIQUE
Une conséquence intéressante du principe d'incertitude est l'existence de ce qu'on appelle
• l'énergie du point 0 •. Une particule confinée dans une très petite région de J'espace ne peut
jamais être • au repos • parce que si son moment cinétique était égal à o. cela violerait le principe
d'incertitude. Elle doit avoir un moment cinétique quelconque. selon la constante de Planck
divisée par la taille de la région spatiale dans laquelle elle se trouve. Le moment cinétique est la
vitesse, ce qui veut dire que la particule doit avoir une certaine somme d'énergie cinétique non
égale à O. Plus l'espace dans lequel est confinée la particule est petit, plus son énergie minimale
possible est grande.
Nous avons étudié cela en détail pour expliciter le sens du principe d'incertitude de
Heisenberg, mais il faut souligner que ce principe ne se limite pas à cet exemple. L'important
est que le comportement décrit est intrinsèque à la nature du monde et qu'il ne dépend
pas seulement des défauts des appareils ou des techniques.
136 Physique quantique - Le guide de référence
WERNER HEISENBERG
Werner Heisenberg naquit en 1901 à Würzburg, en
Allemagne, un an avant la « naissance » de la physique
quantique. Cela le plaça d'emblée dans les rangs de la
seconde génération des physiciens quantiques. Et cela
explique pourquoi, plutôt que de tenter de visualiser le
fonctionnement interne de l'atome, avec ses minuscules
électrons en orbite autour du noyau, il se concentra sur ce
qu'on pouvait effectivement observer en laboratoire,
notamment le spectre de raies atomiques. Ce point de
vue « moderne »joua un rôle décisif dans ses apports à la
physique quantique.
Une question critique que Heisenberg posa durant le
«festival Bohr» en 1922 fit une telle impression sur Bohr
lui-même qu'il l'invita à se joindre à lui à Copenhague.
Âgé de 20 ans, Heisenberg finit par accepter, et peu après
son déménagement au printemps 1924, eut l'occasion de flâner au château de Kronborg
avec son mentor et le fantôme d'Hamlet. Quelques années plus tard, il refusa un poste
de professeur à Leipzig, préférant continuer à travailler avec Bohr au Danemark.
Heisenberg reçut le prix Nobel en 1932, juste au moment où le parti nazi prenait le
pouvoir en Allemagne. Contrairement à nombre de ses pairs, il choisit d'y rester durant
les années précédant la Seconde Guerre mondiale. En 1942, il prit la tête des recherches
sur la bombe nucléaire, après que le programme fut abandonné par les militaires. Si son
échec fut assimilé par certains à une tentative délibérée de sa part pour le saboter ou le
freiner, il est plus probable que ce sont d'autres facteurs qui l'empêchèrent de réussir.
Après la guerre, il continua ses recherches et contribua à la conception du premier
réacteur nucléaire d'Allemagne de l'Ouest, entré en activité en 1957.
Chapitre 9 : Fonction d'onde quantique 137
Paires intriquées
Il s'avère que le principe d'incertitude de Heisenberg s'applique aux paires de grandeurs
observables et seulement à certaines d'entre elles. Le nom technique pour cela est« paires
intriquées ». Sans aller jusqu'à étudier toutes les paires intriquées, les raisons pour lesquelles
elles sont intriquées, ou même ce que signifie réellement « intriqué », il est utile de
s'intéresser à une paire particulière : l'énergie et le temps. L'énergie et le temps sont des
grandeurs observables, qui ont le même comportement d'incertitude que la position et le
moment cinétique.
~ DÉFINITION
Une paire lntrlqu6e de grandeurs observables est une paire de grandeurs d'une particule ou
d'un système obéissant au principe d'incertitude de Heisenberg.
Voici l'illustration de l'échange d'incertitude entre la position et le moment cinétique. La colonne de gauche
montre les positions de trois paquets d'ondes, tandis que la colonne de droite montre les éventails
correspondants de quantité de mouvement (longueurs d'onde) utilisés pour les construire. Quand le moment
cinétique est défini avec précision. la position est à son maximum d'incertitude. Et quand
la position est mieux définie, l'éventail du moment cinétique s'élargit.
Chapitre 9: Fonction d'onde quantique 139
~ DÉFINITION
La dur6e de vie est la durée moyenne du temps passé à l'état originel avant que se produise la
désintégration radioactive. C'est une moyenne statistique. puisqu'il est impossible de dire quand
une particule se désintégrera ou un état déclinera.
Le principe d'incertitude de Heisenberg indique qu'un état avec une durée de vie rela-
tivement courte doit aussi avoir une énergie très incertaine (petite !lt, grande !lE). Dans
un sens, il n'y a pas assez de temps pour savoir exactement quelle était l'énergie d'un état
avant qu'il décline. Inversement, l'énergie d'un état qui dure longtemps doit être mieux
définie. A l'extrême, si son énergie était déterminée avec exactitude (!lE = 0), un état
aurait une durée de vie infiniment longue. On le qualifierait alors de« stable »,puisqu'il
ne déclinerait jamais.
Un état stable doté d'une énergie bien définie correspond tout à fait à notre description
antérieure des niveaux d'énergie électronique de l'atome. C'est particulièrement vrai des
bas niveaux d'énergie, normalement occupés par des électrons si un photon ne vient pas
les hisser vers une orbite supérieure. D'un autre côté, l'incertitude infinie de position ou
de moment cinétique n'est pas vraiment applicable au monde réel. Un état de moment
cinétique précis devrait s'étendre à l'infini dans l'espace, ce qui n'est pas du tout réaliste.
Pas plus qu'on ne peut imaginer une incertitude infinie de moment cinétique pour une
particule dont la position est parfaitement déterminée.
Comme la masse est une forme d'énergie, l'incertitude temps-énergie débouche sur
des effets quantiques intéressants. Le premier est similaire à ce que nous avons dit des
états instables ci-dessus. En utilisant des accélérateurs à particules toujours plus gros, les
140 Physique quantique - Le guide de référence
physiciens ont découvert bien d'autres particules subatomiques en dehors des électrons,
des protons et des neutrons (nous verrons cela en détail dans la cinquième partie).
La plupart de ces nouvelles particules sont elles-mêmes instables et se désintègrent en
d'autres particules après une durée de vie caractéristique. Pour elles, le principe d'incerti-
tude de Heisenberg dit qu'elles n'ont même pas de masse définie. Le produit de l'incertitude
de masse (multipliée par c2) et de durée de vie ne peut pas être inférieur à la constante
de Planck. Par conséquent, les particules instables dotées d'une durée de vie relativement
courte sont affligées de grandes incertitudes en ce qui concerne leur masse. Il existe un
degré d'aléa même pour la masse de certaines particules !
SAUT QUANTIQUE
En 1932, Heisenberg reçut le prix Nobel• pour la découverte de la mécanique quantique•. Il se
déclara choqué que ses collègues, Pascual Jordan et Max Born, avec lesquels il avait coécrit un
article précurseur sur la mécanique matricielle en 1925, n'aient pas été également distingués.
Pour sa part, Born fut profondément attristé d'avoir été oublié par le comité du Nobel. Cet oubli fut
néanmoins réparé en 1954, quand on lui décerna le prix Nobel pour son interprétation probabiliste
de la fonction d'onde.
Le deuxième effet intéressant concerne les lois de conservation si chères aux physiciens.
En effet, la conservation de l'énergie peut être violée pourvu que cette violation ne dure
pas trop longtemps. En faisant à nouveau appel à l'équivalence masse-énergie d'Einstein,
la mécanique quantique permet à une particule massive de surgir dans tout lieu et à tout
moment, pourvu qu'elle disparaisse dans un délai inférieur à 11t.
Si l'on calcule l'équivalence en énergie d'une masse selon la formule E=mc2, et que
E multiplié par 11t est inférieur à la constante de Planck, il n'y a pas de problème. La
physique quantique prédit que cette brève violation de la conservation masse-énergie peut
se produire, et on a la preuve en physique des particules et en astrophysique que cela se
produit tout le temps.
masses et tailles qui nous sont habituelles, la précision avec laquelle on peut connaître à
la fois la position et la vitesse des objets ordinaires est suffisante pour qu'on ne s'approche
jamais des limites. Même le grain de poussière dont nous nous sommes servis précédem-
ment a une masse suffisante pour qu'on puisse réduire sa position et sa vitesse à la précision
souhaitée sans violer le principe d'incertitude.
Ce minuscule grain de poussière peut être localisé avec une grande précision, mais peut
aussi être virtuellement dépourvu de mouvement, violant ainsi le principe d'incertitude.
Imaginons qu'il soit localisé dans une région beaucoup plus petite que la longueur d'onde
de la lumière visible. Le principe d'incertitude prévoit que le moment cinétique minimum
ne peut être égal à O. Mais en nous servant de la relation de Heisenberg pour calculer
son moment cinétique minimum possible, nous trouverions que le moment cinétique en
100 000 ans est inférieur au diamètre d'un atome ! C'est trop lent pour être mesuré en
laboratoire, même par le plus patient des physiciens.
SAUT QUANTIQUE
La fin du déterminisme
Une fois que l'on considère l'échelle des atomes ou des particules encore plus petites, les
choses deviennent distinctement non classiques et contraires à la logique. Nous en avons
vu de nombreux exemples. La position des particules devient floue, les particules semblent
gouvernées par des fonctions d'onde invisibles, les particules interfèrent avec elles-mêmes
après être passées à travers ou autour d'obstacles. On ignore par quelle fente est passé le
photon ou l'électron, et l'idée même de trajectoire se révèle inutile. Les électrons sautent
spontanément et instantanément d'un niveau d'énergie à l'autre. Les particules surgissent
et disparaissent comme par enchantement. Essayer de tirer des informations d'une particule
revient à la perturber, ajoutant encore à l'imprévisibilité de la situation. Cette imprévisibi-
lité met à mal les deux déterminismes qui étaient les repères de la science à l'âge classique.
Dans le monde quantique, la connaissance la plus complète possible de l'état d'un système
physique n'est pas suffisante pour déterminer comment il sera dans le futur. On ne peut
pas connaître en même temps la position et le moment cinétique d'une particule, si bien
qu'aucune loi physique ne peut prédire où elle sera à l'avenir. Le déterminisme prédictif
absolu n'est pas un trait de la physique quantique. Il faut donc se préparer à déterminer les
probabilités d'occurrence des événements futurs.
CITATION QUANTIQUE
• Toutes les expériences étant soumises aux lois de la mécanique quantique. il s'ensuit que la
mécanique quantique marque l'échec final de la causalité. •
Werner Heisenberg
Est-ce la même chose pour le déterminisme causal ? C'est une question quelque peu
philosophique, mais qu'il vaut la peine de se poser. Si le résultat d'une expérience ou
d'une mesure ne peut être qu'un ensemble de probabilités, que peut-on dire des causes
des résultats effectivement observés ? Cela pose d'importantes limites à ce que l'on peut
connaître. Ces limites sont-elles temporaires, dans l'attente d'une meilleure compréhension
de la nature ? Ou bien est-ce tout ce qu'il y a à savoir? Dans la quatrième partie de ce
livre, nous allons approfondir ces questions, mais il nous reste du travail pour compléter
notre compréhension de la physique quantique moderne.
Chapitre 9: Fonction d'onde quantique 143
10
Mécanique ondulatoire
quantique
Il est temps d'en venir aux détails concrets de la physique Dans ce chapitre
quantique moderne. Nous allons d'abord étudier l'équation
fondamentale d'Erwin Schrodinger pour décrire les interac- la fonction d'onde et
tions des particules avec des forces et d'autres particules. Nous l'équation d'onde
verrons ce qu'elle signifie et comment on la résout. Puis, nous
Les champs de force et
examinerons comment elle mène tout naturellement aux postu-
les fonctions d'énergie
lats tombés du ciel aux chapitres précédents. Retroussez vos
potentielle
manches, car c'est maintenant que tout converge.
L'effet des forces sur les
Avant de plonger dans tout cela, il nous faut cependant garder à
fonctions d'onde des
l'esprit l'objectif ultime: il s'agit de comprendre de quoi est fait
particules
le monde naturel, comment il fonctionne et comment il évolue
avec le temps. Nous avons appris que toute la matière qui nous • L'équation de Schrôdinger et
est familière (y compris nous-mêmes) est composée d'atomes. sa solution
Nous voulons savoir comment les électrons se rattachent aux
noyaux dans ces atomes, comment ils permettent aux atomes
de former des molécules, des métaux, de l'air, de l'eau, des
bonbons, etc. Pour cela, il faut étudier comment les particules et
les ondes subatomiques se comportent sous l'influence de forces.
Et c'est là que l'équation d'Erwin Schrodinger entre enjeu.
146 Physique quantique - Le guide de référence
C'est une équation d'une importance comparable aux lois de Newton et nous allons devoir
l'écrire pour comprendre ce qu'elle dit. Mais ne craignez rien: nous n'approfondirons pas
ses complexités et nous ne ferons pas de maths. Nous nous contenterons de la présenter et
la décrire, pour comprendre par la suite comment elle s'applique à certains cas.
L'équation de Schrëdinger
La pièce manquante dans notre tableau d'ensemble est un moyen de définir le compor-
tement dynamique d'ondes-particules telles que les électrons, les protons et les neutrons.
Souvenez-vous que dans la première partie, nous avons souligné le fait que pour comprendre
le comportement dynamique des choses - c'est-à-dire la manière dont elles se déplacent et
changent dans le temps - il faut prendre en compte l'effet des forces. Les lois de Newton
expliquent comment les particules classiques réagissent aux forces, et les équations de
Maxwell font de même pour les forces électromagnétiques agissant à l'échelle macrosco-
pique. Mais comme nous l'avons vu, le domaine quantique est différent, si bien qu'il nous
faut une équation différente.
La voici sans plus tarder, telle qu' élaborée par Erwin Schrôdinger :
Précisions tout de suite que 1' équation de Schrôdinger est un outil permettant de
comprendre comment la fonction d'onde d'une particule évolue dans le temps et l'espace.
Quand les physiciens résolvent cette équation pour une particule donnée interagissant avec
un système physique donné, ils obtiennent la fonction d'onde de cette particule (entre
autres choses). Ils peuvent alors en déduire la probabilité de localisation de cette particule
en tout point de l'espace et du temps.
L'équation d'onde de Schrôdinger peut adopter plusieurs formes. La forme ci-dessus ne
traite que d'une dimension spatiale (dénommée x) mais nous savons que l'espace dans
lequel nous vivons en a trois. Une dimension est néanmoins tout à fait suffisante pour
l'instant. On l'appelle la forme temporelle de l'équation d'onde, pour la distinguer d'une
autre forme dans laquelle la dépendance au temps a été escamotée. Il s'avère que la forme
temporelle suffit à traiter tous les états des atomes, mais il est inutile de se préoccuper de
cette distinction.
Chapitre 10 : Mécanique ondulatoire quantique 14'1
Commençons par le début. L'équation de Schrodinger est une équation, c'est-à-dire que
l'expression à gauche du signe égal est équivalente à l'expression à droite. En fin de compte,
il faut obtenir une égalité de valeur des deux expressions. Les équations peuvent être très
simples, comme : 5 + 3 = 8. Il est possible de calculer des nombres inconnus avec des
équations algébriques comme 4x - 2 = 7 + x. L'équation de Schrodinger est seulement
un exemple plus complexe de cette idée.
Essayons maintenant d'identifier les termes de l'équation. Comme d'habitude dans ce
genre d'équations, quand les termes voisinent, cela signifie qu'il faut les multiplier les uns
par les autres. L'objet de cette équation est la fonction d'onde d'une particule, représenté
par la lettre grecque psi (\fi). Pour une particule donnée dans une certaine situation, \fi a
une valeur définie pour chaque position x et chaque instant t. Mathématiquement, on dit
que \fi est une« fonction» de x et t, et on l'écrit sous la forme \Jl(x, t) pour le rappeler.
Nous avons ensuite quelques constantes, notamment la constante de Planck, qui apparaît
deux fois. L'important dans ce cas est que c'est une constante, c'est-à-dire un nombre qui ne
change pas en même temps que les variables indépendantes x et t. C'est valable également
pour la masse (m) de la particule, une autre constante de l'équation.
i est aussi une constante, mais une constante particulière. C'est le symbole qu'on utilise
pour un nombre imaginaire égal à la racine carrée de - 1. Pourquoi? Parce qu'il est très
utile d'avoir un nombre comme celui-ci. Quand on multiplie un nombre réel, positif ou
négatif, par lui-même (au carré), on obtient toujours un nombre positif. Mais si on multi-
plie i par lui-même, on obtient - 1. Les nombres formés d'une combinaison de nombres
imaginaires et de nombres réels sont des« nombres complexes». Il est essentiel d'utiliser des
nombres complexes dans les fonctions d'onde pour qu'elles« fonctionnent »(reportez-vous
à l'appendice C pour plus de détails sur les nombres imaginaires.)
~ DÉFINITION
Un nombre réel est un nombre• ordinaire• !comme 1. 2 ou 3,1415). dont le carré est toujours
un nombre positif.
Un nombre Imaginaire donne un nombre négatif au carré. car il est formé d'un nombre réel
multiplié par la racine carrée d'un nombre négatif li en abrégé).
Un nombre complexe est formé par la somme d'un nombre réel et d'un nombre imaginaire.
U représente l'énergie potentielle de la particule, à savoir l'énergie que nous avons décrite
de façon qualitative au chapitre 2. C'est pourquoi la seconde partie de l'expression est le
«terme d'énergie potentielle ». Souvenez-vous que c'est aussi une façon de décrire l'effet
148 Physique quantique - Le guide de référence
d'une force ou d'un champ de force sur une particule. Par conséquent, la présence de U
fait le lien entre les forces et le comportement des particules quantiques.
Si la grandeur de la force varie avec la position, l'énergie potentielle aussi. La forme que
prend cette force dans l'espace est ce qu'on appelle habituellement le champ de force (champ
de force gravitationnel ou électromagnétique). De plus, la fonction d'énergie potentielle
contient toutes les informations nécessaires pour définir la force. Dans notre équation
temporelle à une dimension spatiale, U est uniquement la fonction de la position (x), et
non celle du temps.
~ DÉFINITION
I:6nergle potentielle est une énergie dépendante des coordonnées d'espace, associée à une force
dite conservative. Quand elle est définie par rapport à tout point de l'espace, la force associée va
dans la direction correspondant à la diminution la plus rapide de l'énergie potentielle.
Dans ce cas, la dérivée n'est qu'une façon d'exprimer à quelle vitesse la fonction change
dans le temps. Le point important est qu'elle représente un rythme de changement, lequel
peut varier lui-même dans le temps et l'espace.
Le dernier terme à définir, le terme d'énergie cinétique, comporte ce que l'on appelle la
seconde dérivée de la fonction d'onde ('I') par rapport à la position (x) :
él 2 '1'(x,t)
élx 2
C'est une manière d'exprimer la vitesse à laquelle la fonction d'onde change par rapport à
différents points dans x. L'analyse multivariée fait partie des mathématiques avancées qu'il
vous faudra étudier si vous voulez vraiment vous attaquer à cela.
180 Physique quantique - Le guide de référence
-2 4 6
-2
fonction originale
première dérivée
-1
-2
-3
-4
seconde dérivée
La dérivée d'une fonction mathématique est le rythme auquel cette fonction change par rapport a la variable
indépendante. On peut la représenter par une pente comme le montrent les pointillés ci-dessus.
La seconde dérivée est la mesure de /'accélération de la pente de la fonction originale.
Chapitre 10 : Mécanique ondulatoire quantique 151
égales. Il est un peu surprenant de voir que c'est souvent ce que font les physiciens quand
ils étudient de nouveaux aspects de la mécanique quantique.
SAUT QUANTIQUE
Même si l'on arrive à trouver une fonction d'onde satisfaisant l'équation de Schrôdinger, on
n'est pas pour autant au bout de ses peines. Après tout, il s'agit de physique, non de maths,
et la nature impose souvent des conditions extérieures à l'équation elle-même. Pour que
la fonction d'onde constitue une solution pertinente sur le plan physique, elle doit obéir
à ce que l'on appelle des« conditions aux limites».
C'est particulièrement vrai dans les cas où la fonction d'onde d'une particule s'étend dans
un espace doté de différentes fonctions d'énergie potentielle. Différentes fonctions d'onde
sont nécessaires pour chaque région d'énergie potentielle, et toutes doivent se joindre aux
frontières des régions.
~ DÉFINITION
Les conditions aux limites sont des conditions spécifiques que doit satisfaire toute solution
d'équation différentielle. afin que cette solution soit une description valide du monde physique réel.
Une autre condition aux limites logiques est que la somme de la fonction d'onde au carré
(c'est-à-dire la densité de probabilité) dans tout l'espace doit être exactement de 100 %. C'est
parce q,u'il y a une probabilité de 100 % que la particule soit localisée quelque part dans
cet espace. D'autres types de conditions aux limites peuvent exiger que la particule ait une
position moyenne à un instant donné, ou qu'elle soit confinée à un éventail de positions, etc.
Pour une fonction d'énergie potentielle donnée (ce qui suppose une certaine configu-
ration de forces), seules les fonctions d'onde 'l'(x, t) peuvent satisfaire à la fois l'équation
de Schrôdinger et les conditions aux limites adéquates. Il peut y avoir beaucoup de ces
fonctions, mais si elles existent, elles sont toutes différentes et distinctes. On les distingue
avec des indices : '1'1, '1'2, '1'3, etc.
Chapitre 10 : Mécanique ondulatoire quantique 153
Il est remarquable que non seulement ces fonctions d'onde individuelles sont des solutions
à l'équation de Schrodinger, mais que leur somme arbitraire l'est aussi. Ainsi, si '1'1 et
'1'2 sont des solutions, ('1'1 + '1'2) ou ('1'1 - '1'2) ou même (7'1'1 + 42'1'2) le sont aussi. Les
combinaisons de ce genre, faites par addition ou soustraction (parfois avec des facteurs de
pondération) sont appelées des combinaisons linéaires.
L'énergie est à la base de tout. Il n'est donc pas surprenant que dans cette formulation
de la mécanique quantique, les valeurs propres correspondent aux énergies totales de la
particule. Chaque fonction propre est la fonction d'onde d'une particule et chaque valeur
propre est l'énergie qui l'accompagne.
PIÈGE ATOMIQUE
Si les fonctions propres sont des fonctions d'onde distinctes et uniques. leurs énergies associées
ne sont pas uniques. Il est parfaitement possible que deux fonctions propres aient la même valeur
propre. Quand cela se produit. on qualifie cela de • dégénérescence •. Et cela arrive fréquemment
quand l'équation de Schrôdinger sert à décrire des problèmes à trois dimensions. comme nous
le verrons bientôt.
Rappelez-vous que les fonctions propres et les valeurs propres sont déterminées par la
fonction d'énergie potentielle qui accompagne une situation particulière et les conditions
aux limites qui forcent les mathématiques à se conformer à la réalité. La beauté de tout cela
est qu'on a finalement une explication aux états permis des électrons au sein des atomes.
Comme nous l'avons vu aux chapitres précédents, les expérimentateurs ont longtemps
observé que les électrons ne pouvaient exister que dans certains états discrets au sein des
atomes. Et comme nous le verrons au chapitre suivant, ces états correspondent exactement
aux fonctions propres que l'on obtient quand l'énergie potentielle de l'atome est introduite
dans l'équation de Schrodinger. En outre, les énergies exactes (valeurs propres) de ces états
correspondent aux raies des spectres d'absorption et d'émission observés des décennies
avant que Schrodinger ne formule son équation. Les orbites atomiques permises et les
niveaux d'énergie quantifiés ressortent naturellement de cette équation directrice.
ces informations statistiques pour en savoir plus sur la particule, outre la probabilité de sa
présence en un point de l'espace.
Les mesures individuelles de sa position, par exemple, débouche sur une série de résultats.
La moyenne statistique d'un grand nombre de ces mesures est ce qu'on appelle la~ valeur
moyenne » (ou l'espérance quantique) de la position (parce qu'on « espère » trouver la
particule avec une mesure aléatoire). Quand on connaît la forme mathématique d'une
fonction d'onde, on peut déterminer la valeur moyenne indépendamment des mesures.
Mais 1' équation de Schrodinger ne prédit pas le résultat exact des mesures individuelles.
• Cela aurait été magnifique si vous aviez raison. Malheureusement. les choses magnifiques se
produisent rarement dans le monde. •
Max Born. auteur d'une version rivale de la mécanique quantique, à Erwin Schrôdinger.
ERWIN SCHRÔDINGER
Erwin Schrôdinger naquit à Vienne en 1887. Considéré
toute sa carrière comme un physicien brillant, il attendit
cependant la fin de la trentaine pour faire sa première
contribution importante à cette discipline. En 1925, deux
ans avant son quarantième anniversaire, il tomba sur une
note de bas de page d'Einstein louant le travail de De
Broglie. Il entama alors sa quête du sens des ondes de
matière. Un an plus tard, sa célèbre équation prit forme au
cours d'un séjour dans un sanatorium des Alpes suisses.
Schrôdinger atteignit la majorité quelques années avant
la physique quantique. Sous ses dehors de physicien
quantique, c'était donc un physicien classique qui, grâce à
la mécanique ondulatoire, aspirait à restaurer certains des
traits classiques perdus. Il était en particulier déterminé à
se débarrasser de la notion profondément non classique
des sauts quantiques, qu'il qualifiait avec brutalité de « non-sens ». Il échoua, mais non
sans en avoir débattu sans fin avec Bohr et Heisenberg.
Schrôdinger possédait une profonde maturité intellectuelle et une curiosité sans limites.
Outre l'invention de la mécanique ondulatoire, il apprit les langues occidentales, étudia la
science et la philosophie grecques et traduisit les humoristes allemands en anglais. Publié
en 1944, son délicieux livre Qu'est-ce que la vie ? aurait donné à James D. Watson l'idée
de rechercher le gène, jetant par là les fondations de la biologie moderne.
196 Physique quantique - Le guide de référence
CITATION QUANTIQUE
• Si toutes ces fichues histoires de saut quantique devaient perdurer, je regretterais d'avoir touché
à la théorie des quanta 1•
Erwin Schrôdinger durant un débat avec Heisenberg et Bohr
Durant une courte période, entre 1925 et 1926, la mécanique matricielle de Heisenberg
et la mécanique ondulatoire de Schrodinger furent en compétition. Il semblait qu'elles
tentaient d'expliquer le même phénomène quantique de façon très différente. À mesure
qu'elles se propageaient et que les scientifiques commençaient à travailler dessus, il parut
que chacune d'elles avait ses points forts et ses faiblesses, mais que toutes deux réussissaient
parfaitement à prédire les résultats les plus importants.
SAUT QUANTIQUE
L'une des qualités de la mécanique matricielle de Heisenberg est qu'elle peut de façon très
directe identifier les paires intriquées de grandeurs observables (comme la position et le moment
cinétique, ou l'énergie ou le temps). Cela signifie que dans la formulation matricielle, étant donnée
une grandeur observable, on peut aisément savoir quelle est la grandeur associée. Comme ce
sont les paires intriquées qui obéissent au principe d'incertitude de Heisenberg, ce n'est pas
vraiment surprenant
Chapitre 10 : Mécanique ondulatoire quantique 157
Les physiciens finirent par pencher vers la théorie ondulatoire, vu sa ressemb~ance avec les
théories ondulatoires classiques qui leur étaient familières. Et puis, une véritable adhésion
à la mécanique matricielle aurait requis davantage de courage.
Au cours de l'année 1926 toutefois, Schrôdinger (qui venait en second dans la course
à la formulation de la mécanique quantique) démontra de façon convaincante que les
deux théories n'étaient que des formulations mathématiques de la même théorie. Sur le
plan fondamental aussi bien que mathématique, elles étaient identiques et, correctement
appliquées, fourniraient toujours les mêmes prédictions.
Pourquoi alors, vous demanderez-vous, avons-nous fait tant d'efforts pour présenter la
théorie de Schrôdinger et non la mécanique matricielle ? La raison tient en partie aux
détails mathématiques. Les équations différentielles sont assez difficiles à expliquer, mais
les opérations matricielles le sont au moins autant et paraissent encore plus « magiques » à
ceux qui ne sont pas familiers des mathématiques abstraites.
De plus, les interprétations les plus communes de la mécanique quantique s'appuient sur
la théorie de Schrôdinger et le concept de fonctions d'onde. Ce formalisme est un peu
plus facile pour relier la probabilité et l'incertitude, ces notions si importantes pour la
compréhension du monde quantique.
Nous étudierons de nombreuses implications de la mécanique ondulatoire de Schrôdinger
aux chapitres suivants, mais faisons d'abord une pause pour admirer l'envergure de cette
percée. Le formalisme de Schrôdinger est cohérent avec la dualité onde-particule et
toute l'étrangeté du principe d'incertitude. Il prédit les conditions de la quantification,
qui avaient été précédemment imposées comme des suppositions ad hoc. Il peut traiter les
états stationnaires et prédire les mouvements et les variations des paquets d'ondes au fil du
temps. En ce qui concerne les atomes, l'équation de Schrôdinger ne prédit pas seulement les
niveaux d'énergie de l'hydrogène, elle s'applique à tous les atomes, courants ou exotiques.
En outre, on peut aisément lui donner une forme cohérente avec la relativité restreinte
d'Einstein (qui sera essentielle au chapitre 12).
En d'autres termes, la théorie ondulatoire de Schrôdinger vaut de l'or. Maintenant que
vous avez un aperçu de ce qu'elle est et ce qu'elle fait, nous allons jeter un coup d'œil à
quelques fonctions d'onde dans la vraie vie.
158 Physique quantique - Le guide de référence
11
Illustrations des fonctions
d'onde
Nous dépasserons aussi pour la première fois les exemples unidimensionnels pour aborder
un vrai problème quantique à trois dimensions : l'atome d'hydrogène. Nous verrons
comment la théorie de Schrodinger mène tout naturellement aux hypothèses ad hoc formu-
lées par Niels Bohr. Nous appréhenderons une structure atomique qui n'a besoin ni de
plum pudding ni d'électrons filants. Et nous verrons que dans un univers tridimensionnel
(le nôtre), la mécanique quantique multiplie par trois le plaisir ludique de la quantification.
La particule libre
Le cas le plus simple que l'on puisse envisager est celui de la particule libre - c'est-à-dire
d'une particule qui se déplace dans l'espace sans obéir à des forces externes. Dans le monde
réel, ce seraient les électrons sortant du tube à rayons cathodiques de Thomson, avant que
les champs électromagnétiques n'agissent sur eux. Pour trouver la fonction d'onde dans ce
cas, il suffit d'utiliser l'équation de Schrodinger, la fonction d'énergie potentielle U étant
partout égale à 0 (dans une dimension). Appelons cette dimension unique x, comme nous
l'avons fait au chapitre précédent.
~ DÉFINITION
Une particule se déplaçant dans une région de l'espace où n'agit aucune force externe est consi-
dérée comme une particule libre.
La fonction d'onde d'une particule libre s'appelle une onde plane. formée de deux fonctions
sinusoldales. l'une réelle et l'autre imaginaire.
Les seules solutions convenant à l'équation de Schrodinger pour une énergie potentielle
0 sont les fonctions appelées ~ ondes planes ». Bien qu'elles soient complexes, leurs parties
réelles et leurs parties imaginaires ne sont que des fonctions sinusoïdales se déplaçant dans
la direction x avec une amplitude constante, c'est-à-dire des fonctions simples que nous
avons déjà rencontrées.
Les solutions permises englobent des ondes se déplaçant dans une direction x positive ou
négative. Mais elles comprennent aussi des ondes se déplaçant simultanément dans les deux
directions et dans la même fonction d'onde. Mathématiquement, c'est tout à fait possible,
et la combinaison peut inclure n'importe quelle proportion de composants se déplaçant
en avant ou en arrière.
Pour simplifier les choses, considérons une onde plane ne se déplaçant que dans une
seule direction. Une telle fonction d'onde possède un moment cinétique défini dans la
Chapitre 11 : Illustrations des fonctions d'onde 161
direction x et une amplitude constante. Un moment cinétique défini veut dire qu'il n'y
a pas d'incertitude intrinsèque, et une amplitude constante signifie que la probabilité de
trouver la particule est la même pour toutes les valeurs de x.
Cette dernière affirmation est assez étrange si l'on y réfléchit. Dans notre exemple, x n'a
pas de limites. Il peut s'étendre sur des milliards de kilomètres (ou plus) dans l'une ou
l'autre direction. La probabilité de trouver la particule en n'importe quel point x d'une
plage infinie signifie en réalité qu'on n'a aucune idée de l'endroit où elle se trouve ! S'il
est tout aussi probable de la trouver partout, alors elle n'a pas vraiment de position.
'I'
j
(, Imaginaire
100%
1'1'12
i
..!!!
....
J
-8
50%
;li
:!
i
0% y
La fonction d'onde d'une particule libre est formée de deux fonctions sinusofdales, l'une réelle
et l'autre imaginaire. Comme on connatt son moment cinétique avec certitude, on peut la trouver
partout dans l'univers avec une probabilité de 100 %.
162 Physique quantique - Le guide de référence
Comme d'habitude, l'énergie de la particule joue un rôle majeur dans le calcul de son
comportement. Si l'énergie totale de la particule est inférieure à l'énergie potentielle en
dehors de la boîte, on dit alors qu'elle est« confinée» à l'intérieur de la boîte.
Ici, l'analogie avec la mécanique classique se révèle utile, à condition de ne pas la pousser
trop loin. L'énergie totale est la somme de l'énergie potentielle et de l'énergie cinétique.
Comme l'énergie cinétique d'une particule réelle peut être égale mais pas inférieure à
0, l'énergie totale doit être égale ou supérieure à l'énergie potentielle. Dit autrement, les
particules ne peuvent exister dans des régions où l'énergie potentielle serait supérieure à
l'énergie totale. Ces dernières sont appelées des « régions classiquement interdites ».
~ DÉFINITION
Une r6glon cla11lquement Interdite est une région quelconque de l'espace dans laquelle
l'énergie potentielle d'une particule est supérieure à l'énergie totale. En physique classique,
on ne peut trouver de particule dans une telle région, parce que l'énergie cinétique négative
n'existe pas.
Considérons d'abord le cas où l'énergie potentielle est infiniment positive dans les régions
extérieures. Cela garantit que toute particule restera dans la région incluse entre les parois
du puits. Vu la nature discontinue de l'énergie potentielle, il est plus facile de résoudre
l'équation en traitant les trois régions séparément. C'est-à-dire qu'il faut la résoudre trois
fois - une fois quand la particule est à gauche du puits, une fois quand elle est à droite et
une fois quand elle est confinée à l'intérieur.
Une fois obtenues les solutions mathématiques permises, il faut s'assurer qu'elles corres-
pondent aux frontières entre régions. C'est un exemple des conditions aux limites évoquées
dans le dernier chapitre. Dans ce cas, elles exigent que les fonctions d'onde soient d'exac-
tement 0 aux bords de la boîte.
À l'intérieur de la boîte, l'énergie potentielle est de O. Cela signifie que les solutions valides
sont les mêmes que pour la particule libre de la partie précédente, à la différence près que
n'importe quelle énergie ne convient pas. Seules certaines énergies correspondent aux
fonctions d'onde égales à 0 aux deux bords. Et nous avons besoin de combinaisons d'ondes
planes qui se déplacent à gauche et à droite en parts égales.
164 Physique quantique - Le guide de référence
u
E3
E2
E1
0 L
0 L
0 L
Les trois premières énergies (en haut), fonctions d'onde (au milieu) et distributions de probabilités (en bas)
pour une particule confinée dans une région d'énergie potentielle infinie.
Chapitre 11 : illustrations des fonctions d'onde 185
On appelle ces solutions des « ondes stationnaires » parce que les fonctions d'onde se
comportent exactement comme des ondes avec un ressort attaché aux deux bouts (un peu
comme les ondes de l'atome de Bohr, présentées à la fin du chapitre 7). La longueur du
ressort correspond dans ce cas à la largeur du puits de potentiel. La particule elle-même
ne se déplace pas, mais sa fonction d'onde oscille sur une fréquence particulière en tout
point du puits. Ces formes ondulatoires ne paraissent pas bouger du tout, car les points
terminaux restent bloqués à 0 sur les bords.
~ DÉFINITION
Les onde• 1tatlonnal1'88 sont des schémas d'oscillation qui ne se propagent pas dans J'espace.
Les différents emplacements de l'onde stationnaire oscillent à la même fréquence. mais leur
amplitude varie.
Les ondes stationnaires sont en général pourvues de « nœuds », qui sont des points fixes
dépourvus d'oscillation. C'est plus facile à visualiser en une dimension, mais cela se produit
aussi dans deux ou trois dimensions.
Les différentes solutions acquièrent progressivement des énergies de plus en plus hautes.
Les fonctions d'onde d'énergie supérieure ont aussi des fréquences plus hautes (comme
nous l'avons déjà vu) et par conséquent, des longueurs d'onde plus courtes. Les énergies
permises ne sont pas régulièrement espacées et la décharge d'énergie, quand une particule
saute d'une fonction d'onde à une autre, augmente en même temps que l'énergie.
Notez que ces ondes stationnaires ont des emplacements où la fonction d'onde passe par 0,
les fameux nœuds. En dehors des nœuds à chaque bord du puits, toute solution d'énergie
supérieure possède un nœud de plus que celle d'en dessous (en partant de 0 pour une
solution de basse énergie).
Maintenant, au lieu d'avoir une énergie potentielle infiniment haute en dehors du puits,
laissons-la retomber à des valeurs finies et égales de part et d'autre du puits. Pour une
particule dont l'énergie totale est bien inférieure à la valeur de l'énergie potentielle, les
solutions sont approximativement les mêmes que pour un puits d'une profondeur infinie.
D'un autre côté, les particules avec des énergies supérieures au potentiel à l'extérieur du
puits sont des particules libres, pour lesquelles toute une série de solutions à ondes planes
sont possibles. Mais revenons à la situation intermédiaire : des solutions à onde station-
naire à l'intérieur du puits, avec des énergies inférieures, mais comparables à la valeur du
potentiel confiné.
166 Physique quantique - Le guide de référence
u
E3
E2
E1
0 L
u
0 L
u
0 L
Quand une particule est confinée dans une botte quantique finie, elle s'infiltre un tant
soit peu dans des régions classiquement interdites.
Chapitre 11 : lliustrations des fonctions d'onde 187
On voit désormais quelque chose de très intéressant. Dans le puits, les solutions permises
sont toujours des ondes stationnaires, chacune d'elles avec un certain nombre de nœuds.
Mais la fonction d'onde à l'extérieur du puits (proche de ses bords) n'est pas nulle. De
chaque côté, il est clair qu'elle pénètre un peu dans la région classiquement interdite avant
de se réduire à O. La« quantité »de fonction d'onde qui y pénètre dépend de la taille de
l'énergie de la particule, comparée à la taille de l'énergie potentielle formant le puits. Dans
ce cas, les conditions aux limites exigent que les fonctions d'onde complètes correspondent
non seulement aux bords, mais qu'elles se raccordent sans accroc (en langage mathéma-
tique : la valeur d'une fonction d'onde et sa pente doivent être continues aux frontières.)
Murs et tunnels
Nous venons de démontrer que les particules quantiques peuvent de fait s'infiltrer dans des
régions classiquement interdites. Nous en viendrons bien vite aux aspects philosophiques de
cette idée, mais pour l'instant, demandons-nous simplement si cet étrange comportement
peut être détecté en laboratoire.
Pour répondre à cette question, considérons un cas légèrement diffèrent - dans lequel on a
un« mur» de potentiel au lieu d'un puits. Imaginons que l'énergie potentielle est partout
nulle, sauf sur une étroite plage x. Au sein de cette plage, nous donnerons à l'énergie
potentielle une valeur positive quelconque.
particule Incidente
particule transmise
Contrairement aux particules classiques qui rebondissent sur les murs, les particules quantiques peuvent
les percer. La probabilité de cette occurrence dépend de l'énergie de la particule incidente
et de la taille de l'obstacle.
168 Physique quantique - Le guide de référence
Imaginons maintenant une particule approchant l'obstacle par la gauche. Dans cette région
(à une grande distance sur la gauche), l'énergie potentielle est un 0 constant, si bien que
les solutions à onde plane et particule libre ont n'importe quelle énergie selon l'équation
de Schrodinger. Choisissons une de ces solutions, dans laquelle l'onde se déplace vers la
droite et la particule a une énergie un peu inférieure à l'énergie potentielle de l'obstacle.
Pour découvrir ce qui se passe quand l'onde incidente heurte le mur, il faut utiliser la même
technique que pour le puits de potentiel carré. Comme précédemment, il y a trois régions
distinctes sur l'axe x, avec des valeurs constantes d'énergie potentielle distinctes. Nous
avons résolu l'équation de Schrodinger séparément pour les trois régions, puis choisi les
solutions s'harmonisant aux frontières, assorties à la fois à la valeur de la fonction d'onde
et à sa pente à chaque frontière.
Comme l'énergie de la particule est inférieure à l'énergie potentielle au sein de l'obstacle,
ce dernier correspond à une autre de ces régions classiquement interdites définies plus
tôt. Dans ces régions, il n'est pas possible d'avoir des solutions oscillantes comme quand
l'énergie totale est supérieure au potentiel. À l'intérieur de l'obstacle, seules des fonctions
d'onde exponentiellement dégénérescentes satisfont l'équation de Schrodinger. En partant
de la gauche, il faut donc harmoniser l'onde plane avec une dégénérescence exponentielle
au premier bord. Jusqu'ici, rien de nouveau.
Vient maintenant la partie intéressante. L'obstacle n'a qu'une largeur limitée. La fonction
d'onde exponentielle décroît de gauche à droite, mais elle n'est pas tout à fait nulle au bord
droit de l'obstacle. Afin d'avoir une solution complète, il faut élaborer une autre fonction
d'onde pour la région à droite de l'obstacle. Comme l'énergie potentielle est de nouveau
égale à 0, nous avons besoin d'une autre onde plane, dont la valeur et la pente doivent
s'harmoniser avec celles de la fonction d'onde dégénérescente sur ce bord aussi.
Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela signifie que, pour une particule incidente à gauche,
il existe une possibilité, petite mais réelle, que la particule passe effectivement à travers
l'obstacle et continue à se déplacer vers la droite ! Cela n'arrive jamais en physique classique,
puisque la région de l'obstacle est interdite. Cela n'arrive que dans le domaine quantique.
La probabilité de cette pénétration, ou de cet« effet tunnel~ comme on l'appelle, dépend
de façon critique à la fois de la largeur et de la hauteur de l'obstacle. Il est évident que plus
il est large, plus l'amplitude de l'onde harmonisée à droite est faible. Cela signifie que la
probabilité de l'effet tunnel se réduit sensiblement à mesure que l'obstacle s'élargit. De
même, plus l'obstacle est haut, plus vite la fonction exponentielle dégénère, ce qui réduit
à nouveau l'amplitude de la fonction d'onde à droite.
Chapltre 11 : Illustrations des fonctions d'onde 169
SAUT QUANTIQUE
Le tunnel quantique fut observé dès les années 1960. En fait. c'est en 1962 que le physicien
britannique Brian David Josephson expliqua correctement un bizarre comportement électronique
dans des circuits sensibles avec l'effet que nous venons de décrire. L'effet Josephson et la jonction
Josephson reçurent son nom, et on lui décerna le prix Nobel pour ses travaux. La supraconductivité
rendit ces effets encore plus prononcés et faciles à exploiter, mais nous garderons cela pour des
chapitres ultérieurs, consacrés aux applications réelles de la physique quantique.
Les niveaux d'énergie pennis d'un oscillateur quantique sont régulièrement espacés, comme le prédisait
Max Planck. Et comme l'amplitude d'un oscillateur classique augmente avec son énergie, un oscillateur
quantique s'étend de plus en plus vers une position • d'équilibre • à mesure que son énergie augmente.
Les solutions de haute énergie ont aussi plus de nœuds.
Commençons par tracer une fonction d'énergie potentielle, soit une courbe en forme de
bol (dans une dimension au moins). Le centre de la courbe correspond à l'emplacement
de la masse quand le ressort n'est ni étiré ni compressé. C'est la position d'équilibre dans
Chapitre 11 : illustrations des fonctions d'onde 1'11
laquelle la puissance du ressort est de O. Dans chaque direction à partir de ce point, l'énergie
potentielle augmente, de même que la force qui repousse la masse vers le centre.
En introduisant cela dans l'équation de Schrëdinger et avec un peu d'huile de coude, on
découvre à nouveau que seules certaines valeurs d'énergie sont permises. Les fonctions
d'onde correspondantes ressemblent à des ondes stationnaires. La situation a toutes les
caractéristiques du puits au carré étudié plus tôt, sauf que dans ce cas, la largeur du puits
augmente aussi avec des énergies plus hautes. L'effet est d'égaliser l'espacement entre les
niveaux d'énergie. Ils sont espacés comme les barreaux d'une échelle, exactement comme
Planck en avait fait l'hypothèse !
Il vaut aussi la peine de noter que l'oscillateur quantique est étiré quelque temps à un
point que la physique classique ne permet pas. Les fonctions d'onde résolutoires dans ce
cas affichent le même genre de « profondeur de pénétration ,. dans les régions interdites
que celle que nous avons vue pour le puits au carré.
Bien que nous n'ayons étudié cet exemple que dans une seule dimension, il a tout de
même des applications réelles. En particulier, quand deux atomes sont liés au sein d'une
molécule (« molécule diatomique »), la force qui les maintient ensemble est approxima-
tivement similaire à la puissance du ressort. Une molécule diatomique a toujours une
énergie quelconque et une part de cette énergie prend la forme de vibrations le long de
l'axe reliant les centres des deux atomes. L'énergie de ces vibrations se révèle quantifiée,
comme le prédit ce modèle, pourvu qu'elle ne soit pas trop importante.
L'atome d'hydrogène
À ce stade, nous avons plus ou moins épuisé les exemples intéressants pour les systèmes
quantiques unidimensionnels. Et comme nous vivons dans un monde tridimensionnel,
allons y faire un tour, pour savoir si la physique quantique a encore des atouts dans sa
manche.
Heureusement, la nature ne manque pas de systèmes tridimensionnels à explorer. Un
problème instructif est celui de l'atome de base - c'est-à-dire un électron attaché à un
proton-, l'atome d'hydrogène. En insérant dans l'équation de Schrëdinger l'énergie
potentielle de l'électron (due à la présence du proton), nous devrions avoir un aperçu des
fonctions d'onde à trois dimensions des électrons. Bien sûr, cela nous permettra aussi de
trouver les niveaux d'énergie atomique.
112 Physique quantique - Le guide de référence
A toutes fins pratiques, nous supposerons que le proton est dans une position fixe dans
l'espace, ce qui est de toute façon plus ou moins vrai, puis nous relèverons tous les empla-
cements possibles de l'électron par rapport à cette position.
Nuages d'électrons
Sachant exactement à quoi ressemble un champ électrique entourant un proton de charge
positive, il est facile de spécifier l'énergie potentielle à introduire dans l'équation de
Schrôdinger à trois dimensions. Mais il est plus utile de se servir d'une échelle d'énergie
potentielle où 0 est le maximum, en sorte que toutes les énergies potentielles soient négatives.
PIÈGE ATOMIQUE
Ne vous étonnez pas de notre décision de donner une énergie potentielle négative à l'électron. Il
ne s'agit pas d'un univers bizarre où les cochons volent et les bombes se montent toutes seules.
Il est simplement possible de le faire parce que les différences d'énergie ou de position restent
des différences, que l'énergie potentielle soit positive ou négative.
Les équations de Maxwell démontrent que l'énergie potentielle d'un électron par rapport
au proton est inversement proportionnelle à la distance qui les sépare. Par conséquent, à
grande distance du proton, l'énergie potentielle approche de 0, tandis qu'à petite distance,
elle chute de manière sensible. S'il fallait tracer l'énergie potentielle comme une fonction
de la distance de 1' électron par rapport au proton, on verrait un puits de potentiel se creuser
profondément à mesure que la distance approche de O. Il irait jusqu'à un infini négatif,
mais comme les volumes sont d'une petitesse infinie à de si petites distances et comme le
proton lui-même est extrêmement petit, cela ne nous dérange pas du tout.
Un ou deux semestres universitaires de calcul infinitésimal sont suffisants pour résoudre
l'équation de Schrôdinger en y incluant cette fonction d'énergie potentielle. Le résultat est
un ensemble de solutions valides qui sont, bien sûr, des fonctions d'onde tridimensionnelles.
Malgré cette richesse supplémentaire, elles ont des caractéristiques en commun avec les
fonctions d'onde dont nous venons de parler.
SAUT QUANTIQUE
Quant à Noêl 1925, déterminé à donner des fondements ondulatoires à la mécanique quantique,
Schrôdinger s'enferma dans une villa d'Arosa avec la thèse de De Broglie. le problème auquel il
s'attaqua était l'atome d'hydrogène. Dans ce sens. il élabora sa célèbre équation en étudiant le
problème même dont nous discutons ici.
Chapitre 11 : illustrations des fonctions d'onde 173
La première de ces caractéristiques est que les solutions sont, dans un sens très réel, des
ondes stationnaires. La raison en est à peu près la même que dans notre exemple unidimen-
sionnel : les valeurs et la pente de la fonction d'onde doivent varier de manière continue
dans l'espace et s'harmoniser partout. Sauf que cette harmonisation n'est plus nécessaire à
cause d'une frontière artificielle, mais à cause de la structure tridimensionnelle de l'espace.
Nous avons déjà vu cela avec les orbites à ondes stationnaires bidimensionnelles de Bohr,
à la fin du chapitre 7.
n=1
distance du proton
n=2
n=3
Le schéma ci-dessus montre les propriétés spatiales de plusieurs fonctions d'onde pour un atome
d'hydrogène. Les figures du haut représentent la probabilité pour plusieurs combinaisons de n et 1 de trouver
un électron amesure qu'on s'éloigne du proton. Les• bosses• situés entre les nœuds sont ce qu'on appelle
communément des nuages d'électrons. Les trois figures grises en bas montrent la forme approximative
des fonctions d'onde pour trois valeurs de !. A mesure que 1 augmente,
la complexité des fonctions d'onde augmente aussi.
1'14 Physique quantique - Le guide de référence
Comme les ondes stationnaires unidimensionnelles que nous avons vues plus haut, les
ondes stationnaires tridimensionnelles représentées sur ce schéma ont aussi des nœuds (des
emplacements où la fonction d'onde est de 0). La différence est qu'un nœud n'est plus un
simple point en une dimension : c'est une surface courbe en trois dimensions. Comme la
fonction d'onde a une amplitude 0 aux nœuds, il doit exister des régions entre les nœuds
où la fonction d'onde a une amplitude supérieure, et où il est par conséquent plus probable
de trouver un électron. Ainsi, les nœuds sont des limites entre des nuages d'emplacements
probables, que l'on appelle « nuages d'électrons •. Bien sûr, on peut aussi considérer les
différentes solutions de fonctions d'onde comme des distributions de probabilité pour
l'emplacement de l'électron.
angulaire. Et des valeurs supérieures de moment angulaire ont tendance à aller de pair
avec de plus hauts niveaux d'énergie.
Comme les solutions à 1' équation de Schrodinger sont des ondes stationnaires, la distribu-
tion de probabilité de l'électron ne change pas avec le temps. C'est pourquoi, il est un peu
déconcertant d'imaginer que ces états puissent avoir un moment angulaire quelconque.
Mais les mathématiques quantiques disent qu'ils en ont un (avec une exception notable,
relevée au chapitre 7). Il est donc préférable d'appeler ces états électroniques« orbitales»
au lieu d'« orbites ».
~-------------- .. y
1
1
' 1
'.J
X
coordonnées rectangulaires coordonnées sphériques
L'espace tridimensionnel peut étre représenté par des coordonnées rectangulaires fa gauche)
ou des coordonnées sphériques fa droite). Dans les deux cas, trois variables indépendantes
sont nécessaires pour couvrir les trois degrés de liberté.
Quand on fait le calcul mathématique, les trois choses à quantifier pour les électrons de
l'atome d'hydrogène sont l'énergie, la magnitude et le moment angulaire, ainsi que la
direction du vecteur de moment angulaire (caractérisé par sa projection dans une direction
donnée). Cela semble compliqué, mais ça ne l'est pas. Le plus important est que le moment
angulaire est un « vecteur ~ de quantité.
~ DÉFINITION
Un vecteur est une quantité qui possède à la fois une magnitude et une direction dans l'espace.
comme une flèche d'une longueur donnée pointant dans une direction donnée.
Chapitre 11 : illustrations des fonctions d'onde 1'1'1
z
Quand le vecteur de moment angulaire change de direction
par rapport à un axe tixe donné (appelé z), sa projection
le long de cet axe change aussi. Ici, on représente le vecteur
de moment angulaire pour le nombre quantique 1 = 2,
m =+2 de méme que les projections correspondantes m = - 2, - J,
O. 1. et 2.
m =+1
m=O
m =-1
m=-2
dans l'état de plus basse énergie de l'électron (n = 1, que l'on appelle« état fondamental»),
la seule valeur possible de moment angulaire est O. C'est une autre différence entre les
vieux modèles de l'atome d'hydrogène, qui supposaient que toutes les orbites devaient
avoir un moment angulaire quelconque, et la nouvelle version, dans laquelle le moment
angulaire 0 est permis.
Par convention, la lettre m sert à dénommer l'orientation du moment angulaire (en termes
de projection le long de quelques axes préférés). Elle ne peut prendre que des valeurs
entières comprises entre - let l. la quantité de moment angulaire se calcule en multipliant
certaines combinaisons de nombres quantiques par la constante de Planck. Comme cela a
l'air beaucoup plus compliqué que ça ne l'est, écrivons-le sous forme de tableau.
Les nombres quantiques de l'atome d'hydrogène
Nombre quantique Magnitude du moment Projection du moment
principal n angulaire l angulaire m
0 0
2 0 0
2 - 1, o. 1
3 0 0
3 - 1, o. 1
3 2 -2, - 1, o. 1, 2
4 0 0
4 - l, 0, 1
4 2 -2, - 1, 0, 1, 2
4 3 -3,- 2, - 1, 0, 1, 2, 3
N O... n-1 -1... 1
Quand plusieurs états quantiques ont la même énergie (par exemple n = 2, l = 1, m = -1,
n = 2, l = 1 et m = 0), on dit qu'il s'agit d'une« dégénérescence »de l'énergie et que les
états quantiques sont dégénérés. Chaque valeur de n possède un degré de dégénérescence
particulier. En comptant les différentes combinaisons des nombres quantiques dans le
tableau, on voit que n = 2 a 4 états dégénérés, n = 3 en a 9, etc. Le degré de dégénérescence
est égal à n2 •
~ DÉFINITION
La d6g6n6re1cence de l'énergie décrit une situation où des états quantiques distincts ont des
énergies identiques.
Nous avons donc résumé les rudiments de l'atome d'hydrogène. Pour faire une description
complète de cet atome (ou d'autres atomes du tableau périodique), il faut néanmoins prendre
en compte un trait quantique important, le spin. Ce sera le sujet du prochain chapitre.
12
Le spin de la particule
Les années folles furent vraiment une époque formidable pour Dans ce chapitre
le développement de la physique quantique. On en découvrit
tant en une courte période qu'il fallut un moment à la commu- Un moment angulaire unique
nauté scientifique pour combler son retard et comprendre ce à la physique quantique
que tout cela signifiait.
Deux types de particules
Une grande partie de ce travail consistait à régler ce que ni fondamentales qui se
Schrodinger ni Heisenberg n'avaient réussi à expliquer de comportent différemment
façon satisfaisante. On ne savait toujours pas pourquoi les
Les bases quantiques du
électrons occupaient plusieurs couches. En outre, des mesures
tableau périodique
plus précises de longueurs d'onde révélaient des complications
au-delà du spectre atomique simple étudié jusque-là. La solu- • Une explication de
tion à ces énigmes, et à d'autres du même genre, reposait sur l'antimatière
un nouveau genre de moment angulaire, unique à la physique
quantique.
Dans ce chapitre, nous allons mettre la touche finale à notre
description de la physique quantique moderne. Au bout du
compte, nous aurons non seulement une compréhension
exhaustive de la spectroscopie atomique à haute résolution et
du tableau périodique des éléments, mais également une toute
nouvelle forme de matière.
182 Physique quantique - Le guide de référence
L'expérience Stern-Gerlach
Le modèle de Bohr des électrons en orbite dans les atomes avait déjà pris en compte
l'idée de moment angulaire. Souvenez-vous que ce moment angulaire est la mesure de la
tendance d'un corps en orbite à demeurer en orbite. Dans le modèle de Bohr, le moment
angulaire de l'électron est déterminé par sa masse, sa vitesse angulaire et sa distance au
noyau. L'image semi-classique d'électrons en orbite autour du noyau atomique reposait
sur leur mouvement (et leur moment angulaire), à savoir leur capacité à résister à la force
d'attraction du noyau positif et à rester sur une orbite stable.
Le concept de moment angulaire persiste dans la mécanique quantique ondulatoire et le
postulat précédent, à savoir que l'énergie est quantifiée, découle naturellement de la solu-
tion à l'équation tridimensionnelle de Schrodinger, comme nous l'avons vu au chapitre 11.
Mais avec la mécanique ondulatoire, il n'est plus possible de se représenter les électrons
sur des orbites circulaires. Les solutions permises sont des ondes stationnaires autour du
noyau. Même les physiciens chevronnés ont du mal à visualiser le moment angulaire d'une
orbitale électronique dans lequel la particule ne suit aucune trajectoire dans l'espace, alors
ne vous étonnez pas de trouver cela abscons.
Le point important est que dans tout système à trois dimensions, le moment angulaire est
réel et doit être quantifié. De surcroît, le moment angulaire est un vecteur, qui possède
à la fois une magnitude et une direction. Selon l'équation de Schrodinger, la grandeur
totale et la direction du moment angulaire sont quantifiés. La quantification de la quantité
de moment angulaire était exprimée par le nombre quantique l au dernier chapitre. Pour
quantifier la direction, nous nous sommes servis de la lettre m, qui représente les valeurs
possibles de la projection du vecteur de moment angulaire sur un axe fixe.
Rappelez-vous que les découvertes quantiques de Planck, Einstein et Bohr ne furent
acceptées que quand les types en blouse blanche virent émerger les effets prédits de la
quantification de l'énergie. Les scientifiques étaient aussi impatients de découvrir la preuve
expérimentale de la quantification du moment angulaire. En 1921, Otto Stern, l'un des
assistants de Max Born en Allemagne, proposa une façon d'y arriver, mais il lui fallut un
an et l'aide de Walter Gerlach pour y parvenir.
En voici les grandes lignes : imaginons que le nombre quantique l représente le moment
angulaire orbital d'un électron. Comme l'électron possède une charge électrique, il subit
une force quand l'atome se déplace dans un champ magnétique non uniforme (c'est-à-dire
non homogène). Si la direction du champ pointe vers le haut, cette force se dirige soit vers
le haut, soit vers le bas, selon la direction du moment angulaire orbital de l'électron. Stern
Chapitre 12 : Le spin de la particule 183
Si c'était le cas, l'étendue des projections possibles sur un axe quelconque irait de - s à+ s.
Cela donnerait par conséquent deux valeurs possibles : - Y2 ou + Y2. Ce nouveau degré de
liberté finit par prendre le nom de « spin», par référence au tournoiement d'une toupie.
Une toupie en mouvement n'a également que deux possibilités : une rotation dans le sens
des aiguilles d'une montre et une en sens inverse.
z
+%
-%
PIÈGE ATOMIQUE
Même si les physiciens se servent du mot• spin • pour désigner le moment angulaire intrinsèque
d'un électron, c'est une erreur. L'électron ne peut pas tournoyer sur lui-même pour rendre compte
du moment cinétique supplémentaire. Vu sa taille, il devrait tourner beaucoup plus vite que la
vitesse de la lumière, et nous savons que c'est la vitesse limite pour toute matière en mouvement.
SAUT QUANTIQUE
La relativité restreinte ne projette pas l'univers en trois dimensions, mais en quatre : les trois
directions habituelles de l'espace. plus celle du temps. Il était donc naturel que cette théorie, avec
son degré de liberté supplémentaire. débouche sur un quatrième nombre quantique.
Fermions et bosons
Jusqu'ici, nous n'avons appliqué la mécanique quantique qu'à une seule particule à la fois.
Mais des choses intéressantes se produisent quand on en ajoute une, surtout du même type.
Les électrons, par exemple, sont identiques sur tous les plans. Si l'on veut jouer avec deux
électrons, la seule manière de les distinguer est de les séparer. En enfermant l'un d'eux
186 Physique quantique - Le guide de référence
dans le salon et l'autre dans la chambre à l'autre bout de la maison, on pourrait nommer
l'un Romulus et l'autre Remus pour se rappeler qui est qui.
Mais quand Romulus et Remus se rapprochent, rien ne va plus. Rappelez-vous que la
position d'un électron possède une incertitude inévitable. Si les paquets d'ondes représen-
tant les deux électrons se chevauchent, il devient impossible de déterminer qui est Remus
et qui est Romulus !
Pourquoi est-ce important ? Parce que la physique quantique ne peut faire des prédic-
tions que sur ce qui est connu. S'il est impossible de distinguer deux électrons dans un
système, elle fait la même prédiction, que Remus soit ici et Romulus là, ou l'inverse. Si
on échangeait les noms de ces éléments, il faudrait utiliser une fonction d'onde à deux
électrons pour avoir la réponse exacte. Une fonction d'onde à deux particules soumises au
même champ d'énergie potentielle doit donner les mêmes résultats quand les particules
sont interverties. Autrement, elle ne représente pas la réalité.
Nous vous épargnerons les calculs mathématiques, mais il s'avère qu'il y a exactement deux
façons d'écrire les fonctions d'onde avec cette propriété. On les appelle« fonction d'onde
symétrique »et« fonction d'onde antisymétrique».
~ DÉFINITION
Une fonction d'onde symétrique ne change pas du tout quand les identités des particules sont
interverties.
Une fonction d'onde antisymétrique change de signe (de positif à négatif) quand les deux
particules permutent, mais rien d'autre ne change. Comme seul le carré de la fonction d'onde est
observable, les probabilités et les valeurs moyennes ne changent pas.
Qu'est-ce que cela a à voir avec le spin de la particule, le sujet de ce chapitre ? Les mathé-
matiques quantiques pour les particules avec spin dévoilent une relation surprenante.
Étant donné la complexité des calculs, la surprise est que le résultat soit si simple à établir :
des particules identiques de spins entiers doivent avoir des fonctions d'onde symétriques,
tandis que des particules identiques de spins demi-entiers (1/ 2 , %, % etc.) doivent avoir
des fonctions d'onde antisymétrique.
Ce résultat tout simple a des répercussions importantes pour toutes sortes de systèmes
quantiques à plusieurs particules. Les deux types de particules se comportent de manière
différente quand elles se rencontrent, si bien qu'on leur donne des noms pratiques. Les
particules de spin entier sont appelées les « bosons », et les particules de spin demi-entier,
les « fermions ». Ce ne sont pas de nouvelles particules subatomiques, mais des catégories
Chapitre 12 : Le spin de la particule 187
de particules. Les électrons avec un spin demi-entier sont dans la catégorie fermions, tandis
que les photons deviennent des bosons.
Souvenez-vous que ce qu'on appelle spin en mécanique quantique est une propriété interne
de toutes les particules fondamentales. Il existe beaucoup de valeurs possibles pour la
quantité de spin, mais ce sont toutes des nombres entiers (0, 1, 2, etc.) ou des demi-entiers.
Autant qu'on le sache, toutes les particules fondamentales de la nature tombent dans l'une
ou l'autre catégorie.
~ DÉFINITION
Une particule de spin entier est appelée un boson. Une fonction d'onde représentant deux bosons
doit être symétrique quand les particules échangent leurs places.
Une particule de spin demi-entier est un fermion. Une fonction d'onde combinant deux fermions
doit être antisymétrique quand ils échangent leurs places.
Cette catégorisation, avec les comportements correspondants, est prédite par la physique
quantique et a été vérifiée au cours de nombreuses expériences. Elle reflète quelque chose
de vraiment fondamental dans le monde microscopique.
~ DÉFINITION
Le principe d'ezclualon de Pauli établit qu'au sein d'un atome. 2 électrons ne peuvent partager
le même ensemble de 4 nombres quantiques.
188 Physique quantique - Le guide de référence
Les électrons, bien sûr, sont des fermions et constituaient le premier objet d'intérêt de
Pauli et du reste des physiciens quantiques. Mais il existe d'autres fermions intéressants
qui sont aussi soumis au principe d'exclusion.
Les protons et les neutrons, par exemple, sont aussi des particules de spin demi-entier.
Comme vous vous en souvenez sans doute, les protons et les neutrons constituent le noyau
des atomes. Même si ce noyau est d'une petitesse incroyable, le principe d'exclusion de Pauli
force ces protons à trouver des états quantiques distincts. La même chose s'applique aux
neutrons. On en arrive par conséquent à la taille et à la densité du noyau, ainsi qu'à d'autres
aspects de la structure nucléaire. La plupart des noyaux, par exemple, ont davantage de
neutrons que de protons. A l'extrême, le principe de Pauli prédit que la partie périphérique
du noyau n'est faite que de neutrons et cela a été vérifié par l'expérience.
A plus grande échelle, les astronomes sont désormais convaincus que l'implosion d'une
étoile (une supernova) débouche sur un objet entièrement composé de neutrons. On appelle
cela une« étoile à neutrons », même si c'est très différent des étoiles habituelles. Comme
les neutrons ne peuvent pas occuper le même état quantique, ils doivent s'empiler dans des
états énergétiques de plus en plus hauts, qui ont aussi davantage de moments angulaires
et s'étendent plus loin dans l'espace. Le principe d'exclusion de Pauli joue un rôle majeur
dans la compréhension de la structure et des caractéristiques de ces objets exotiques.
Chapitre 12 : Le spin de la particule 189
WOLFGANG PAULI
Wolfgang Pauli naquit à Vienne en 1900, l'année même où
Lord Kelvin prophétisa qu'« il n'y [avait] plus rien à
découvrir en physique ». Heureusement, Pauli ne se fia pas
à ce pronostic et découvrit beaucoup d'autres choses,
entre autres le principe d'exclusion qui lui valut le prix
Nobel en 1945.
Avant même d'avoir terminé le lycée, Pauli devint un
expert autodidacte de la théorie générale de la relativité
d'Einstein. Sa maîtrise du sujet était telle qu'à l'âge de
20 ans, il écrivit un article de synthèse de plusieurs kilos.
Mais sa capacité de travail égalait son génie, au point que
Max Born dit à Einstein à son propos : « Ce petit gars n'est
pas seulement intelligent, c'est aussi un bûcheur. »
Même s'il gagna sa réputation en travaillant sur les
implications du spin de la particule, Pauli était à l'origine hostile à cette notion. li la
ridiculisa si bien auprès de Ralph Kronig, qui l'avait formulée, que, découragé, celui-ci
renonça à publier son article. Néanmoins, Pauli finit par adhérer à ce qu'il appelait « la
nouvelle hérésie de Copenhague ».
Plus tard, il se passionna pour la psychologie et entretint une correspondance amicale
pendant un quart de siècle avec Carl Jung, le fondateur de la psychologie analytique.
C'est donc avec une ironie appropriée que l'un de ses élèves le qualifia de « conscience
de la physique théorique ».
de l'énergie totale de ces électrons est aussi basse que possible. Si l'électron est à un niveau
d'énergie supérieur, il émet spontanément de l'énergie (sous forme d'un photon) en passant
à un état d'énergie inférieur.
Mais le principe d'exclusion de Pauli prévoit que, si un état quantique est déjà occupé
par un électron, il est impossible à d'autres électrons d'occuper cet état. Un atome à
plusieurs électrons remplit donc d'abord les états d'énergie les plus bas, et les électrons
supplémentaires s'échelonnent dans les états suivants, jusqu'à ce qu'ils aient tous trouvé
un état quantique à occuper.
Comme l'électron est une particule de spin demi-entier, il a deux états de spin possibles,
up et down. Par conséquent, pour chaque état ayant la même combinaison de nombre
quantique principal (n), de magnitude de moment angulaire orbital (l) et de direction de
moment angulaire orbital (m), il ne peut y avoir que 2 électrons, l'un de spin+~ et l'autre
de spin - ~. Chaque état individuel listé dans le tableau à la fin de chapitre précédent peut
donc avoir 0, 1 ou 2 électrons.
Le principe d'exclusion de Pauli explique ainsi pourquoi le tableau périodique a la forme
qu'il a. C'est parce que les niveaux d'énergie de l'atome se remplissent un par un, en partant
de l'énergie la plus basse, le nombre d'électrons par état étant limité par le principe de Pauli.
En outre, les propriétés chimiques des éléments sont déterminées par l'état quantique des
électrons périphériques, quel que soit le niveau de remplissage de l'état énergétique le plus
haut et sa forme. (Souvenez-vous que cette forme est déterminée par l'onde stationnaire
satisfaisant l'équation de Schrôdinger.)
SAUT QUANTIQUE
Sans le principe d'exclusion de Pauli, la vie telle que nous la connaissons ne pourrait exister. En
effet, si le remplissage des états quantiques n'était pas limité, les électrons s'accumuleraient dans
l'état énergétique le plus bas. L'univers serait alors rempli d'atomes de type hydrogène, et il n'y
aurait ni chimie, ni biologie, ni êtres humains pour découvrir la physique quantique.
Ce fut un énorme triomphe pour la physique quantique des années 1920, qui aboutit à
l'explication nette des propriétés physiques et chimiques des éléments. Les propriétés des
orbitales des électrons étaient déterminées par l'équation de Schrôdinger et le principe
d'exclusion de Pauli en définissait l'occupation. En fin de compte, seuls 4 nombres quan-
tiques étaient nécessaires pour désigner l'état de n'importe quel électron dans n'importe
quel atome. Le dur travail de toute une génération de physiciens avait finalement porté
ses fruits. Avant que nous refermions cette partie, toutefois, il nous reste à voir une autre
découverte, faite aussi durant cette incroyable décennie.
Chapitre 12 : Le spin de la particule 191
Antimatière
Revenons à l'adaptation relativiste que Dirac avait faite de l'équation de Schrodinger, qui
réserve une deuxième surprise majeure. Dans ce formalisme mathématique compliqué,
le tableau était beaucoup moins simple - même dans l'espace libre, sans atomes et sans
puits de potentiel pour les piéger. Au lieu d'une seule valeur complexe pour la fonction
d'onde, suffisante dans le cas non relativiste du chapitre 11, l'équation de Dirac n'exigeait
pas moins de 4 nombres complexes pour résoudre sa fonction d'onde, 2 avec une énergie
positive et 2 avec une énergie négative.
Souvenez-vous qu'il essayait de décrire des électrons de spin ~. Les deux composants
d'énergie positive ordinaire convenaient parfaitement comme possibles orientations du
spin de l'électron (spin up et spin down). Les deux composants d'énergie négative ne se
prêtaient à aucune interprétation physique. En physique, quand on aboutit à quelque chose
d'aussi absurde, on tend à en rejeter la faute sur les mathématiques elles-mêmes. Mais Dirac
en tira une autre conclusion.
SAUT QUANTIQUE
En 1926, Paul Dirac paria avec Heisenberg sur le délai d'intégration du spin de la particule à la
théorie quantique. Heisenberg hasarda 3 ans, tandis que Dirac avançait 3 mois. Même si son
estimation était d'un optimisme excessif. cela lui donna l'élan nécessaire pour développer sa
théorie quantique relativiste.
192 Physique quantique - Le guide de référence
PAUL DIRAC
Opprimé par un père qui méprisait les interactions
sociales, Paul Dirac eut une enfance malheureuse. Privé
d'amis, il se réfugia dans les livres. Il développa un intérêt
particulier pour les mathématiques et acquit très vite des
compétences et une intuition hors du commun dans ce
domaine. Cette formation contribua grandement à ses
succès futurs, car il accordait foi aux mathématiques même
quand l'interprétation physique n'était pas évidente.
En 1918, grâce à un article d'Arthur Eddington consacré
à la courbure de la luminosité des étoiles (prédite par
Einstein), les scientifiques anglophones découvrirent la
relativité générale. Dirac avait 17 ans. Fasciné, il entreprit
de maîtriser la relativité générale et restreinte. C'était la
meilleure préparation possible pour tenter d'intégrer la
relativité dans la mécanique quantique.
Malgré ses apports importants à la mécanique quantique des débuts, les travaux de
Dirac furent éclipsés par ceux de Schrëdinger et de Heisenberg. Cela le poussa à
développer quelque chose de tout à fait nouveau et personnel. Cette quête le mènerait
à l'équation d'onde relativiste et à la découverte de l'antimatière. En 1933, il partagea le
prix Nobel de physique avec Erwin Schrëdinger pour« la découverte de formes nouvelles
et productives de la théorie atomique ».
Dirac décida de faire un usage créatif du principe d'exclusion de Pauli pour traiter ce
problème. Il postula que ce que nous appelons l'espace vide est en réalité plein de particules
d'énergie négative. Il imagina que l'échelle d'énergie s'étend bien en dessous de O. L'univers
serait donc rempli d'un nombre énorme d'états quantiques négatifs. En partant de l'énergie
négative la plus basse, chaque état serait occupé par le nombre maximum permis par le
principe d'exclusion d'électrons d'énergie négative.
Dans la situation ordinaire, l'état occupé le plus haut possible serait le 0 del' énergie. Dirac
baptisa« mer» ce vaste réservoir d'électrons négatifs inobservés. De même que le principe
d'exclusion de Pauli, la mer des états quantiques occupés était nécessaire pour expliquer
pourquoi les électrons libres ne font pas de sauts quantiques dans les énergies négatives et
ne disparaissent pas en émettant des photons. Ils ne peuvent pas le faire puisque les états
d'énergie négative sont déjà occupés.
Toutefois, si l'une de ces particules d'énergie négative était promue d'une façon ou d'une
autre à un état d'énergie positive, elle apparaîtrait comme un électron ordinaire. Mais
le « vide » ainsi créé dans la mer d'énergie négative se comporterait aussi comme une
Chapitre 12 : Le spin de la particule 193
particule. Cette dernière particule (ou « trou » dans la mer) pourrait se déplacer comme
un électron. Elle aurait la même masse qu'un électron, mais une charge de signe opposé.
Cette« théorie des trous» prédisait l'existence d'une particule jamais vue auparavant, une
sorte d'anti-électron doté des mêmes propriétés que les électrons ordinaires, mais de charge
opposée. La même théorie prédisait qu'avec l'addition d'une quantité d'énergie appropriée
(pour faire sortir un électron négatif de la mer), un électron et un antiélectron (un trou)
pourraient surgir ensemble d'un espace autrement vide.
En 1932, un an après que Paul Dirac eut postulé l'existence de ces particules exotiques,
le physicien américain Carl Anderson les détecta dans une chambre à brouillard utilisée
pour mesurer des rayons cosmiques de haute énergie. Anderson nomma ces particules des
«positrons». C'était la première preuve précise d'un nouveau type de matière, l'antimatière.
Aujourd'hui, on ne parle plus de la mer des états d'énergie négative. Selon la théorie, on
ne peut qu'observer les trous, pas la mer elle-même. Les prédictions de la théorie sont les
mêmes, qu'on les considère comme des trous ou comme des antiparticules. Et maintenant
que l'antimatière fait partie de la physique, il est beaucoup plus facile d'oublier la mer.
antiparticule
photons de
haute énergie
L'effet inverse est également prédit et observé. Quand une particule croise un spécimen de
son antiparticule, les deux masses s'annihilent et disparaissent dans une quantité équivalente
d'énergie. Cette énergie se présente normalement sous la forme de 1 ou 2 photons.
Toute la mécanique quantique serait identique à ce qu'elle est dans notre monde si toute la
galerie des entités particulaires était remplacée par une galerie d'antiparticules. Les posi-
trons seraient liés aux noyaux faits d'antiprotons et d'antineutrons, et se trouveraient dans
des états stationnaires semblables à ceux dont nous avons parlé. Ils pourraient former des
Chapitre 12 : Le spin de la particule 195
4
Interprétation de la physique
quantique
La frontière qui sépare la science de la philosophie est mince. En creusant les théories scienti-
fiques, on se trouve inévitablement confronté à des questions auxquelles la science n'a pas de
réponse. C'est particulièrement vrai quand on s'occupe des branches les plus fondamentales de
la science. La physique quantique, avec toute sa richesse, a plus que sa part de mystères.
Jusqu'ici nous avons eu quelques aperçus des aspects surnaturels de la physique quantique. Les
photons sont des ondes le lundi, mais des particules le mardi. Les électrons « existent » dans
plusieurs endroits à la fois, y compris des régions interdites. Des particules exotiques, dont la
masse ne peut être mesurée avec précision, apparaissent et disparaissent en un clin d'œil.
Nous avons également vu que la mécanique quantique est une puissante construction mathé-
matique qui fournit les bonnes réponses pour les systèmes microscopiques. Mais est-ce tout
ce qu'elle est, un bon outil de calcul ? Ou y a-t-il un sens à ces dualités, ces probabilités et ces
incertitudes ? Maintenant que vous avez compris ce qu'est la physique quantique, nous allons
prendre un peu de recul et nous demander ce qu'elle signifie vraiment.
CHAPITRE
13
L'interprétation
de Copenhague
Caractéristiques fondamentales
Dans les chapitres précédents, nous avons expliqué la physique quantique selon l'école
que l'on appelle« l'interprétation de Copenhague ». On lui a donné ce nom parce que
c'est dans la capitale du Danemark que Heisenberg et Bohr ont effectué leurs travaux
précurseurs autour de 1927. Cette interprétation reflète principalement leurs vues, bien
que beaucoup d'autres penseurs y aient ajouté d'importantes contributions au fil des ans.
Voici quelques-unes des principales caractéristiques de cette interprétation :
• Ni la matière ni le rayonnement électromagnétique ne peuvent être décrits de
manière complète sans se référer à la fois à leurs propriétés corpusculaires et
ondulatoires.
• Les aspects ondulatoires et corpusculaires ne peuvent être mesurés ensemble.
• Les relations d'indétermination de Heisenberg sont intrinsèques et ne peuvent
être violées.
• Une entité subatomique (comme un électron) est décrite par une construction
mathématique que l'on appelle« fonction d'onde».
• Les fonctions d'onde ne peuvent être observées ou mesurées directement.
• Le carré d'une fonction d'onde donne des informations sur les probabilités de
futures mesures.
• Les fonctions d'onde varient de façon continue dans le temps, et à mesure que
le temps passe, prennent simultanément les caractéristiques de plus d'un état
quantique possible.
• Quand on la mesure, une fonction d'onde se transforme instantanément en un
état singulier.
• Les dispositifs utilisés pour faire des mesures expérimentales sont
macroscopiques, si bien qu'ils mesurent naturellement des choses classiques
comme la position et la vitesse.
• La description de la mécanique quantique se rapproche de plus en plus de la
description classique à mesure qu'elle s'intéresse à des systèmes de plus en plus
grands.
• Il n'y a qu'un seul univers et c'est le nôtre.
Chapitre 13 : l:interprétation de Copenhague 201
L'interprétation de Copenhague combine librement ces idées. Nous avons déjà vu certaines
d'entre elles, alors que d'autres sont mentionnées pour la première fois. Certaines sont
faciles à comprendre et à accepter, et d'autres posent problème quand il s'agit de les saisir
en profondeur. Pour comprendre comment ces différents éléments s'imbriquent en une
base commune d'interprétation, nous allons maintenant examiner en détail quelques-uns
de ces liens et thèmes majeurs.
Incertitude et dualité
Quand Heisenberg dévoila pour la première fois ses relations d'indétermination, elles ne
furent pas comprises. Beaucoup de physiciens expérimentaux les prirent en effet pour un
affront à leurs compétences et les virent comme un défi à relever. Comment ce théoricien
de Heisenberg, qui n'avait sans doute jamais mis les pieds dans un laboratoire, avait-il
l'audace de leur expliquer comment ils devaient effectuer leurs mesures !
Avec le temps toutefois, et beaucoup d'explications de la part de Heisenberg, il devint clair
que les relations d'indétermination n'avaient rien à voir avec l'habileté ou la maladresse
des expérimentateurs. Elles ne représentaient pas seulement une limite à la qualité des
mesures, mais une limite fondamentale à ce qu'il était possible de connaître.
SAUT QUANTIQUE
Peu de temps après l'arrivée de Heisenberg à Copenhague, Bohr et lui eurent de nombreux débats
sur la nature de la dualité onde-corpuscule. Puis, en 1927, Bohr partit pour des vacances de ski.
Durant cet intervalle, il développa une interprétation de la physique quantique fondée sur la
dualité, tandis que Heisenberg élaborait ses relations d'indétermination. Leurs débats reprirent
au retour de Bohr. et tous deux finirent par demander à Wolfgang Pauli de jouer le rôle d'arbitre.
Il en résulta un compromis que Heisenberg baptisa • esprit de Copenhague • et qui prit plus tard
le nom d'• interprétation de Copenhague •.
Superposition et effondrement
Au chapitre 9, nous avons vu qu'il existe plus d'une solution à l'équation de Schrôdinger
pour un système quantique donné. Chacune de ces solutions est une fonction propre
que l'on peut noter '11;, et les valeurs propres correspondent aux états quantiques valides
du système. Nous avons également expliqué que toute combinaison linéaire de valeurs
propres est en soi une solution valide et, par conséquent, un état quantique valide. Par
exemple, si 'l11.'P2.'P3 sont des états quantiques valides, '11 = 3'111 + 1'112 + 5'113l'est aussi.
Une telle combinaison est appelée « état de superposition », qui tire son nom du concept
de superposition d'ondes, présenté au chapitre 3.
Chapitre 13 : I:interprétation de Copenhague 203
Ce que nous n'avons pas encore dit, c'est que si l'on décide de jeter un coup d'œil pour
voir dans quel état se trouve le système quantique, on ne découvre aucun état superposé,
seulement un état pur (c'est-à-dire '111 ou '112 ou '113). Le fait d'observer le système (ou
d'effectuer une mesure) le réduit instantanément à un seul des états quantiques valides.
Les physiciens nomment cela« l'effondrement» de la fonction d'onde.
~ DÉFINITION
Un état de 1uperpo1ltlon pour un système quantique donné est une combinaison arithmétique
!linéaire) des états quantiques valides. C'est aussi un état quantique valide du système.
L'effondrement de la lonctlon d'onde est le passage instantané de tous les états quantiques
valides possibles à un seul état quantique durant le processus de mesure ou d'observation.
En outre, les nombres qui précèdent les valeurs propres à droite de la superposition notée
ci-dessous (les coefficients) sont liés à la probabilité de trouver le système dans la fonction
propre quand on l'observe. Plus précisément, le carré de chaque coefficient donne la
probabilité relative d'observer les fonctions propres correspondantes. Dans l'exemple
précédent, on a 32= 9 plus de chances d'observer '111que '112 , et 52 = 25 fois plus de chances
d'observer '113 que '112.
Cet effondrement de la fonction d'onde est mystérieux à plus d'un égard. D'abord, autant
qu'on le sache, il se produit instantanément. En physique classique, quand une variable
décrit une grandeur physique réelle, sa valeur change de manière continue avec le temps
et passe par toutes les valeurs intermédiaires entre les points de départ et de fin. Même si
le changement est rapide, il faut une certaine durée pour que le changement se produise
(non 0). Un changement instantané, qui ne requiert aucune durée d'aucune sorte, est
difficile à manipuler sur le plan mathématique. En physique classique, un tel événement
serait écarté comme étant physiquement impossible.
204 Physique quantique - Le guide de référence
-temps---+ --temps--.
Une transition continue (à gauche) et une transition instantanée (à droite).
D'un autre côté, la physique quantique a introduit ce genre de discontinuité ailleurs, alors
peut-être faut-il simplement s'y habituer. Quand les électrons des atomes changent de
niveau d'énergie durant un saut quantique, ils ne passent pas par des énergies intermédiaires,
et les photons apparaissent et disparaissent instantanément. L'effondrement de la fonction
d'onde ressemble peut-être à cela. Cela offre au moins une sorte de cohérence interne au
sein de la physique quantique. En tout cas, l'interprétation de Copenhague ne dit rien
de plus sur ce qui arrive à la fonction d'onde durant cet acte de mesure (l'effondrement).
PIÈGE ATOMIQUE
Comme c'est souvent source de confusion, il faut distinguer clairement entre réalité objective et
réalité subjective. Comme leurs noms l'indiquent, la première est liée à l'objet observé, tandis que
la deuxième dépend du sujet qui réalise l'observation. La réalité • objective • est donc quelque
chose de réel qui existe indépendamment de tout observateur et apparait de la même manière à
plusieurs observateurs. Dans notre monde, il existe toutefois des choses sur lesquelles personne
ne s'accorde. Ce sont des réalités • subjectives •, car elles dépendent du point de vue du sujet.
Au niveau quantique, si le simple fait d'observer modifie ce qui est observé, comment
plusieurs observateurs différents peuvent-ils obtenir le même résultat en essayant de mesurer
une grandeur physique? A moins qu'ils ne se mettent d'accord sur leurs observations, il est
difficile de déterminer ce qui a une réalité objective. Dans l'interprétation de Copenhague,
l'observation provoque un changement radical dans la fonction d'onde et la fonction d'onde
contient tout ce que l'on peut connaître de la particule. Cela semble remettre violemment
en question la science en tant que manière d'appréhender la réalité.
• Souvenons-nous que ce que nous observons, ce n'est pas la nature en soi, mais la nature exposée
à notre méthode d'investigation. •
Werner Heisenberg
Et de fait, l'une des plus grosses difficultés de l'interprétation de Copenhague est ce qu'on
appelle le« problème de la mesure». Le fait de mesurer ou d'observer l'état d'un système
joue un rôle crucial. Que veut-on dire exactement par mesure ? Et que se passe-t-il quand
la mesure est faite ?
Les partisans de l'interprétation de Copenhague diraient que la mesure provoque l'effon-
drement de la fonction d'onde. A l'instant même où elle est faite, la fonction d'onde, qui
contenait tout l'éventail des possibilités (superposition), est remplacée par un état quantique
pur. De plus, du point de l'expérimentateur, cet état singulier semble être la seule possibilité
correspondant au résultat de la mesure. Nous étudierons les étranges conséquences de cette
affirmation apparemment évidente au prochain paragraphe.
206 Physique quantique - Le guide de référence
MAX BORN
Le chat de Schrodinger
L'interprétation de Copenhague affirme qu'avant d'être épinglées par une mesure, des
choses potentiellement mesurables dans une fonction d'onde - comme la position et l'état
d'énergie - peuvent prendre toute sorte de valeurs. Certaines valeurs sont peut-être plus
probables que d'autres, parce que conditionnées par les détails de la fonction d'onde, mais
chacune reste possible. Comme nous en avons déjà débattu, il n'existe pas de position
unique pour un électron en mouvement, seulement un éventail de probabilités.
Cette idée était difficile à accepter pour de nombreux scientifiques, y compris ceux qui
avaient joué un rôle déterminant dans le développement de la physique quantique. Parmi
Chapitre 13 : I:interprétation de Copenhague 207
eux, Erwin Schrodinger était si déconcerté qu'il voulut mettre en évidence les paradoxes
de l'interprétation de Copenhague au niveau macroscopique.
Vous avez sans doute déjà entendu parler de sa célèbre expérience de pensée nommée « le
chat de Schrodinger ».Il s'agit d'imaginer un système quantique qui a une probabilité égale
d'être dans un état ou dans l'autre, puis d'imaginer que l'état effectif produise des effets
macroscopiques. Pour son système quantique, Schrodinger choisit la désintégration radioac-
tive : la physique quantique ne prédit pas quand un atome radioactif donné se désintégrera,
elle donne seulement la probabilité qu'il se désintégrera dans un délai donné. C'était assez
pour Schrodinger, puisque la détection de la désintégration d'un atome radioactif est assez
facile à réaliser avec un compteur Geiger. Il imagina ensuite la chose suivante :
« On place dans une boîte en acier un dispositif comprenant un compteur Geiger et une
minuscule quantité d'uranium, si petite qu'au bout d'une heure, une seule désintégration
atomique est aussi probable que l'absence de désintégration. Un relais amplifié fait en
sorte que la désintégration brise un petit fi.acon de cyanure. Un chat est- cruellement -
enfermé dans la boîte. Selon la fonction d'onde du système entier, au bout d'une heure,
le chat vivant et mort est mélangé en proportions égales. »
Soulignons tout de suite qu'il ne s'agit que d'une expérience de pensée, elle n'a jamais été
effectuée. Aucun animal n'a souffert, félin domestique ou autre. Il n'y a d'ailleurs aucune
preuve que Schrodinger ait jamais possédé un chat, alors ne craignez rien.
SAUT QUANTIQUE
La citation précédente est extraite d'une lettre que Schrôdinger écrivit à Einstein en août 1935. Le
chat de Schrôdinger était de fait la dernière d'une série d'expériences de pensée de plus en plus
sophistiquées, destinées à étendre les effets quantiques microscopiques au monde macroscopique.
Elle s'inspirait largement de deux expériences de pensée proposées par Einstein et intitulées • la
boite d'Einstein • et • le baril de poudre •.
Examinons ce qu'il entendait par «mélangé en proportions égales ». La boîte est hermétique,
opaque et à 1' épreuve du son, en sorte que durant une heure, il est impossible de dire si
la désintégration s'est produite et si le chat est mort ou vivant. Au moment où la boîte
est scellée et l'horloge démarre, la probabilité que la désintégration se soit produite est
de 0, si bien que le chat est certainement vivant. Mais à mesure que le temps passe, cette
probabilité augmente graduellement. Au bout de 60 minutes, elle est de 50 % . Si la boîte
reste fermée, il est autant probable que le chat soit mort que vivant.
208 Physique quantique - Le guide de référence
Selon l'interprétation de Copenhague, quand la boite de Schrôdinger est fermée, le chat est certainement
vivant. Une heure plus tard, le chat est dans une superposition 50/50 d'états • vivant • et • mon •.
Au moment oli l'on ouvre la boite, la fonction d'onde du chat s'effondre soit sur• vivant•, soit sur• mort•.
Selon l'école de Copenhague, le malheureux chat n'est ni vivant ni mort, mais dans les
deux états simultanés tant qu'il est dans la boîte. Ce n'est que lorsqu'on ouvre la boîte et
qu'on regarde dedans que la fonction d'onde du chat s'effondre dans l'un ou l'autre état. Il
est très difficile d'imaginer à quoi ressemble un chat à la fois mort et vivant, et plus encore
ce que ce chat peut éprouver! Pour Schrodinger et d'autres, l'absurdité de cette situation
soulignait les lacunes de cette interprétation de la physique quantique.
Mais sont-ce de vraies lacunes ? La solution est peut-être de comprendre exactement quand
se produit l'effondrement de la fonction d'onde. Si le moment critique est l'observation
du chat par un observateur conscient, alors le chat est à la fois mort et vivant avant que la
boîte ne s'ouvre. Mais le moment critique pourrait être la détection par le compteur Geiger
de la désintégration radioactive. Si l'on définit cela comme la mesure, alors il n'y a pas de
bizarre chat à moitié vivant. La fonction d'onde de l'atome radioactif s'effondre quand la
désintégration est détectée, mais le chat est dorénavant 100 % mort.
Ceux qui acceptent l'interprétation de Copenhague ne sont pas tous d'accord sur le fait
qu'il faut ou non un observateur conscient pour déclencher l'effondrement de la fonction
d'onde. Et puisque tous ceux qui s'intéressent à cette question sont des êtres conscients,
il est difficile d'inventer une expérience réelle qui distingue ces deux idées par rapport
à la nature de la mesure (nous reviendrons au rôle de la conscience un peu plus loin, au
chapitre 15).
Chapitre 13 : L'interprétation de Copenhague 209
L'une des choses sur lesquelles s'accordent les partisans de l'école de Copenhague, c'est qu'il
n'est pas nécessaire d'avoir une image classique des états quantiques non observés. Le but
de la physique quantique est de rendre compte des résultats des mesures, et elle le fait très
bien, quel que soit l'état dans lequel se trouve le chat quand on ne peut l'observer. C'est
une caractéristique générale de l'interprétation de Copenhague : la physique quantique
n'est pas obligée de dire quoi que ce soit sur des états qui n'ont pas été observés ou des
mesures qui n'ont pas été faites.
Les 29 participants au Cinquième congrès Solvay, parmi lesquels Einstein, Bohr, Heisenberg, Born,
Schrodinger, Planck, Pauli, Dirac et De Broglie.
210 Physique quantique - Le guide de référence
Cela ne plut pas du tout à Einstein, qui estimait que les probabilités inhérentes à l'inter-
prétation de Copenhague impliquaient des lacunes. Il se tint tranquille durant l'exposé
de ses collègues et attendit que les participants au congrès soient rassemblés dans la salle à
manger pour lancer sa contre-attaque. Alors, et durant les cinq années suivantes, il s'em-
ploya à trouver des expériences hypothétiques à même de battre le principe d'incertitude
de Heisenberg. Ce faisant, il réfuta la dualité et renversa l'interprétation de Copenhague
avec toutes ses probabilités.
Dans chacune de ses réponses, Bohr mit soigneusement en œuvre le processus par lequel
une entité quantique est détectée par un observateur macroscopique. Cela lui permit
d'identifier chaque fois une erreur dans la logique d'Einstein. Et en une occasion, il parvint
à retourner la théorie de la relativité d'Einstein contre lui !
14
La complétude de la
physique quantique
Le paradoxe EPR
En 1935, après une accalmie dans son long débat avec Bohr, Einstein stupéfia la communauté
des physiciens avec une nouvelle expérience de pensée. Même si Bohr avait réussi à réfuter
tous ses arguments jusque-là, Einstein n'était pas encore prêt à accepter l'interprétation de
Copenhague. La perte du déterminisme et l'incertitude inhérente à la physique quantique
continuaient de le chagriner. Mais il avait décidé de s'attaquer au problème de la mesure
et à la question fondamentale de la réalité objective.
• La mécanique quantique force le respect. Mais une voix intérieure me dit que ce n'est pas encore
le nec plus ultra. La théorie apporte beaucoup de choses. mais elle nous rapproche à peine des
secrets du Vieux. De toute façon. je suis convaincu qu'il ne joue pas aux dés. •
Albert Einstein à Max Born en 1926
Peu après avoir émigré aux États-Unis, Einstein s'associa à deux jeunes collègues, Boris
Podolsky et Nathan Rosen, pour proposer ce qu'on appelle aujourd'hui « le paradoxe
EPR •(d'après les initiales des trois auteurs). Leur objectif était de déterminer si la physique
quantique devait être considérée comme une théorie complète et exacte, ainsi que Bohr,
Heisenberg et Born l'avaient prétendu au congrès Solvay de 1927. Pour ce faire, ils impo-
sèrent ce qui paraissait être une exigence raisonnable : une théorie convenable devait
pouvoir décrire des grandeurs physiques d'une objectivité réelle. Des grandeurs que seule
l'observation permettait de préciser ne pouvaient pas convenir.
Rappelez-vous que, dans l'interprétation de Copenhague, une particule n'a de position
définie que si, et seulement si, on mesure sa position. Au moment de la mesure, la fonction
d'onde s'effondre dans l'une des nombreuses positions possibles. Dans un sens, la position
effective de la particule est créée par l'observateur. N'étant pas indépendante de l'observa-
teur, la position de cette particule ne peut pas être considérée comme une grandeur réelle
du point de vue objectif. Les auteurs du paradoxe voulaient développer un scénario au
sein de la physique quantique, dans lequel une grandeur non mesurée (comme la position
d'une particule) aurait une réalité objective, contrairement à l'approche de Copenhague.
Le formalisme de l'article original EPR, qui se réfère à la position et au moment cinétique,
est un peu difficile à suivre sans un tas de calculs mathématiques. Pour simplifier un peu,
nous présentons ici le scénario développé par le physicien américain David Bohm. Au lieu
de position et de moment cinétique, il s'agit de spin, en particulier du nombre quantique
de spin total égal à~ dont nous avons parlé au chapitre 12. Rappelez-vous que, par rapport
Chapitre 14: La complétude de la physique quantique 218
à un axez dans l'espace, le spin 7-2 d'une particule ne peut prendre que deux directions,
+zou -z.
Le paradoxe EPR traite de la détection de deux particules interagissant brièvement avant
de s'éloigner l'une de l'autre. Une loi physique est nécessaire pour prendre en compte
une quantité mesurable des deux particules (la conservation du moment cinétique).
Prenons pour exemple deux électrons (que nous appellerons e1 et e2), créés ensemble
par un événement singulier de telle sorte que la somme de leurs moments cinétiques
soit égale à O. Cela implique que l'un ait un spin +z et l'autre un spin -z, quel que soit
l'axe choisi comme référence pour la direction du spin(le même axe est utilisé pour
mesurer les deux spins).
Après avoir été créés, les deux électrons se déplacent dans des directions opposées. On
suppose qu'ils n'ont pas d'autre interaction jusqu'à leur détection. L'électron e1 se dirige
tout droit vers un emplacement que nous appellerons A, tandis que e2 se déplace dans la
direction opposée, vers un emplacement appelé B. Les détecteurs de spin (c'est-à-dire les
aimants de Stern-Gerlach) sont situés aux points A et B, mais sont ou ne sont pas activés ou
utilisés. A et B peuvent être situés à une distance arbitraire du point de départ des électrons,
si bien que nous les placerons très loin, à disons 10 000 milliards de km (il se trouve que c'est
la distance que la lumière parcourt en une année, qu'on appelle aussi « année-lumière ».)
Supposons maintenant que les électrons voyagent à 90 % de la vitesse de la lumière. Cela
veut dire qu'il leur faut moins de 200 jours pour atteindre leurs détecteurs respectifs.
Nous savons que les deux électrons doivent avoir des spins opposés, mais la physique
quantique ne dit pas quel est le spin +z ou -z. Si l'on ne mesure que ei, on a donc 50 %
de chances que son spin soit +z ou -z. De même si on ne mesure que e2, il y a 50 % de
chances que son spin soit +zou -z.
Mais cela devient bizarre si l'on mesure les spins de e1 et e2. Décidons d'abord de mesurer
le spin de et au point A, puis de mesurer le spin de e2 au point B une seconde plus tard
(c'est-à-dire que Best juste un peu plus loin que A). Il y a toujours 50 % de chances pour
que e1 ait un spin +zou -z. Mais si la première mesure montre que le spin de e1 est +z, il
en résulte une certitude de 100 % que le résultat de la mesure de e2 au point B sera -z. De
même, si le spin de e1 est -z, le spin de e2 doit être +z. C'est la conservation du moment
cinétique qui le veut ainsi.
La bizarrerie vient de ce que la mesure de e1 au point A a une influence sur la mesure de e2
au point B. Voyons si nous comprenons bien cela. Considérons les choses du point de vue
de e2 quand il approche du point B. Cela fait 6 mois qu'il a quitté e1. Le détecteur du point
A et e1sont à des milliards de kilomètres. Si aucune mesure n'est faite au point A, alors e2 a
216 Physique quantique - Le guide de référence
autant de chances d'avoir un spin +z qu'un spin -z. Mais si la mesure de e1 est fait au point
A, alors e2 est soudain forcé d'être dans un état de spin ou un autre (l'état opposé de e1) !
Dans l'expérience de pensée EPR, les électrons e1 et ez ont une origine commune (en bas). Ils se séparent
en se déplaçant dans l'espace jusqu'â. ce qu'on mesure leurs spins aux points A et B. Quand on mesure ei
au point A, toute la fonction d'onde s'effondre et l'information est instantanément transférée au point B
par une sorte de canal quantique. Apres la mesure, les deux électrons sont dans des états précis
anti-corrélés. Sur ce schéma, le temps progresse vers le haut.
~ DÉFINITION
En physique, le principe de locallt6 veut dire qu'aucune influence d'une particule à une autre
ne peut être transmise plus vite que la vitesse de la lumière.
Variables cachées
La seule manière de préserver la limite ultime de la vitesse dans la relativité restreinte du
scénario EPR était de dire que l'état de spin de chaque électron existait avant la mesure,
même s'il était impossible de dire lequel. En d'autres termes, il devait y avoir une« variable
cachée » qui déterminait le spin de chaque électron depuis le début. On ne pouvait pas
savoir quel était l'état de spin de chaque électron parce qu'on ne pouvait pas observer le
facteur déterminant, la variable cachée. La probabilité de 50/50 n'était qu'une illusion,
due à une connaissance incomplète.
218 Physique quantique - Le guide de référence
Voyez-le comme ceci : supposons que vous recueilliez les bulletins dans un bureau de vote
où défile un flot continu d'électeurs. Les électeurs masculins placent leur bulletin dans
votre main droite et les électrices les déposent dans votre main gauche. Si on vous a mis
un bandeau sur les yeux, vous ne pouvez pas distinguer les hommes des femmes et vous
en concluez que les électeurs déposent au hasard leurs bulletins dans votre main gauche
ou votre main droite. Le sexe de l'électeur est une variable cachée de votre point de vue.
Ce n'est qu'en constatant de visu le sexe des électeurs que vous pouvez déterminer l'ordre
sous-jacent au dépôt des bulletins.
Les auteurs du paradoxe EPR ne précisèrent pas quelle était cette variable cachée, mais ils
pensaient pouvoir la découvrir en poussant plus loin leur étude. Ils étaient persuadés de
leurs conclusions, parce que c'était la seule manière logique de préserver à la fois la limite
de vitesse absolue de la relativité restreinte et la réalité objective. Selon eux, la physique
quantique était tout simplement incomplète. L'histoire de la physique quantique n'était
pas terminée et il y avait encore des choses à découvrir. Et si l'on s'en tient à la logique
ordinaire, il est difficile d'écarter cette conclusion.
" Nous sommes donc forcés de conclure que la description de la réalité physique par les fonctions
d'onde de la mécanique quantique est incomplète. •
Einstein, Podolsky et Rosen
~ DÉFINITION
L'lntrlcatlon fait référence à la corrélation étroite de deux particules quantiques liée par une
fonction d'onde commune, quelle que soit la distance qui les sépare.
Chapitre 14 : La complétude de la physique quantique 219
Contrairement au chat de Schrodinger, il est devenu possible (et légal) d'effectuer de vraies
expériences qui se rapprochent des conditions de l'expérience de pensée EPR. Voyons ce
que nous pouvons en apprendre.
~ DÉFINITION
Une variable cachée locale est un mécanisme inconnu qui prédétermine le résultat des mesures,
mais dont l'influence ne peut se propager plus vite que la vitesse de la lumière.
220 Physique quantique - Le guide de référence
A l'autre extrême, quand l'axe de mesure au point B pivote de 180° pour pointer à la
verticale vers le bas, les deux observateurs détectent effectivement le même spin. Quand
e1 est en haut au point A, e2 est aussi en haut au point B. Les spins pointent toujours dans
des directions opposées (conservation du moment angulaire), mais comme l'appareil de
mesure au point Ba la tête en bas, il détecte le même spin qu'au point A. Comme les
mesures donnent le même résultat, on peut dire qu'elles sont corrélées et on peut assigner
la valeur +1 à cette corrélation.
Faisons maintenant pivoter l'aimant de Stern-Gerlach de 90°, en sorte qu'il pointe horizon-
talement. Les résultats sont un peu plus inhabituels. Les deux détecteurs étant exactement
perpendiculaires, on découvre que les mesures au point B sont aléatoires (par rapport à
l'axe horizontal de la mesure), quel que soit le résultat de la mesure au point A. Dans
ce cas, la moitié des mesures donnent un résultat (corrélation = +1), et l'autre moitié le
résultat inverse (corrélation= -1). Si l'on fait la moyenne des mesures, les valeurs positives
et négatives s'annulent pour donner exactement O. La corrélation avec un aimant horizontal
au point B est de O.
Chapitre 14: La complétude de la physique quantique 221
+1
- physique quantique "' "'
- - variables cachées locales
"' "' "'
"' "' "'
c:
0
il 0
:œt::
8
Voici la comparaison du degré de corrélation pour deux mesures distantes d'états de spin intriqués,
selon qu'on autorise la présence de variables cachées locales ou qu'on s'en tienne
a la prédiction de la physique quantique.
Les résultats obtenus dans ces trois cas sont les mêmes, qu'on croie ou non à l'interprétation
probabiliste de la physique quantique, ou qu'on permette à une variable cachée locale de
prédéterminer le résultat des mesures. Mais pour tous les autres angles, il s'avère que la
physique quantique et les variables cachées locales donnent des réponses différentes.
Bell calcula la corrélation mesurée par les deux observateurs pour tous les angles arbitraires
entre les deux détecteurs. En supposant l'existence d'une variable cachée locale, la corré-
lation devait varier entre -1 et +1, en ligne droite, tandis que l'angle entre les détecteurs
variait de 0 à 180°. En outre, il conclut qu'en présence d'une variable cachée locale, la
corrélation de certains couples de mesures devait satisfaire des relations mathématiques
que l'on appelle désormais « inégalités de Bell ».
~ DÉFINITION
Les Inégalités de Bell sont des relations mathématiques entre certaines mesures corrélées,
satisfaites par la présence de variables cachées locales.
222 Physique quantique - Le guide de référence
La prédiction quantique standard était pourtant différente. Si l'on suppose que les proprié-
tés n'ont pas de valeur réelle avant d'avoir été mesurées, et que la mesure d'e1 influence
instantanément e2, on obtient un degré de corrélation plus important à tous les angles
intermédiaires du détecteur. Il en résulte que la prédiction quantique standard viole les
inégalités de Bell, puisque les deux hypothèses originales ne peuvent être vraies en même
temps. Si la prédiction quantique se réalisait effectivement, c'était soit qu'il n'y avait pas
de variable cachée, soit que les particules n'étaient pas séparables, soit les deux.
PIÈGE ATOMIQUE
Comme on utilise les inégalités de Bell pour tester la physique quantique. il est tentant de penser
que les mesures soutenant la théorie quantique devraient satisfaire ces inégalités. Mais comme
Bell avait commencé par faire l'hypothèse de variables cachées locales. il s'avère que les mesures
confirmant la physique quantique sont au contraire celles qui mettent à mal les inégalités de Bell.
En outre, les inégalités de Bell donnèrent enfin un os à ronger aux physiciens expérimentaux.
En inventant des expériences qui violaient ces inégalités, ils pouvaient enfin se débarrasser
des variables cachées locales et confirmer la complétude de la physique quantique.
L'expérience d'Aspect
Bell calcula ses inégalités en 1965, persuadé qu'un vrai test expérimental demanderait
beaucoup de temps. Mais en 1972,John Clauser, de l'université de Berkeley en Californie,
découvrit un moyen de la tester (en utilisant un couple de photons au lieu d'électrons). Il
en résulta une violation des inégalités de Bell, indiquant que la nature fonctionne comme
l'avait prédit la physique quantique. Néanmoins, en raison de la taille limitée de son
dispositif et de la vitesse de son système d'acquisition des données, l'expérience comportait
une faille. Les deux mesures étaient assez proches et assez lentes pour pouvoir s'influencer
mutuellement sans dépasser la vitesse de la lumière. Le test définitif de l'hypothèse locale
dut donc attendre un peu plus longtemps.
Dix ans plus tard, avec un meilleur équipement, Alain Aspect, de l'École polytechnique
française, put combler cette faille. Son dispositif était assez gros et le temps de détection
assez court pour que l'influence« fantôme» d'un des photons sur l'autre doive se déplacer
à deux fois la vitesse de la lumière. Ses mesures les plus précises avec des photons polarisés
confirmèrent les résultats de Clauser. En outre, Aspect utilisa un dispositif de commutation
aléatoire à grande vitesse, qui permettait de modifier la trajectoire des photons et de les
diriger vers des détecteurs orientés dans différentes configurations.
Chapitre 14 : La complétude de la physique quantique 223
Pourquoi fit-il cela ? Des sceptiques soutinrent que cette communication plus rapide que
la lumière entre les photons d'un couple pouvait être due au fait qu'ils« connaissaient» au
moment de leur création la configuration exacte des détecteurs situés en aval. En modifiant
de manière aléatoire leur trajectoire, on écartait cet argument. Aspect fit donc en sorte
de combler cette faille, prouvant ainsi que la physique quantique faisait une prédiction
correcte dans ce cas également. La conclusion était irréfutable : la nature n'obéit pas à la
réalité locale à laquelle Einstein tenait tant.
Il semble donc qu'il n'y ait pas de place dans la physique quantique pour les variables
cachées locales et que la mesure a une profonde influence sur la fonction d'onde. Deux
particules intriquées demeurent liées par une sorte canal quantique, même quand elles
sont séparées par de grandes distances. Elles semblent être séparées, mais il faut les traiter
comme les parties de la même fonction d'onde, qui peut s'étendre sur de vastes distances.
En substance, cela signifie que toutes les parties de l'univers sont reliées, ce qui est une
idée stupéfiante pour la plupart des physiciens (et des non-physiciens).
Naturellement, il n'est pas nécessaire de creuser ces interprétations pour faire de la physique
quantique. La théorie fonctionne, et cela suffit à de nombreux scientifiques. Elle prédit de
façon précise les résultats de mesures dans le monde réel, du moment que l'on fait assez
de mesures pour avoir un bon échantillon statistique.
D'un autre côté, la physique quantique ne dit rien des résultats des mesures qui ne sont
pas faites. Cette lapalissade apparente est une autre façon de considérer le problème de la
réalité objective. Du point de vue quantique, les choses inobservées n'ont pas besoin d'être
réelles. C'est une conclusion troublante pour certains, mais elle représente de fait l'état
actuel de notre compréhension, soutenu par l'expérience. Pour l'instant, la question de
savoir si la physique quantique est complète reçoit une réponse affirmative.
Ce n'est pas la fin de l'histoire, mais une étape significative. L'étrangeté de la physique
quantique n'empêche pas de la mettre en œuvre dans de nombreuses applications tech-
nologiques. L'intrication, en particulier, semble mûre pour des applications concrètes,
dont nous étudierons quelques-unes au chapitre 21. Mais jetons d'abord un coup d'œil
aux alternatives à l'interprétation de Copenhague et intéressons-nous au problème de la
conscience dans la physique quantique.
224 Physique quantique - Le guide de référence
15
Autres interprétations
~ DÉFINITION
La théorie des mondai multiples dit que tous les résultats possibles d'une mesure existent
réellement. Al'instant de la mesure, l'univers se sépare en plusieurs versions de lui-méme, incluant
chacune une possibilité. Chacun de ces univers peut ensuite se diviser en plusieurs autres si l'on
fait d'autres mesures. On aboutit donc à d'innombrables univers simultanés, dotés de leur propre
espace, leur propre temps, leur propre histoire et leurs propres observateurs.
Selon la théorie des mondes multiples, au moment où l'on regarde dans la botte de Schrôdinger, l'univers
se divise en deux : un univers dans lequel le chat est vivant et un univers dans lequel il est mon.
En dehors de cela, ces deux univers sont tout â fait identiques.
Dans cette théorie, l'expérience formelle en laboratoire est inutile. Des événements
correspondant à l'effondrement d'une fonction d'onde se produisent tout le temps. Si
l'interprétation d'Everett est juste, il existe une infinité d'autres univers. Beaucoup
d'entre eux sont très semblables au nôtre, ne différant que par la position de quelques
électrons déplacés par de récents événements, mais d'autres sont très différents, ayant
divergé depuis longtemps. L'accumulation de petites différences au fil des ans aurait des
conséquences cumulatives.
Le point important est qu'après leur séparation, ces univers divergents n'interagissent plus.
Cela explique qu'on ne puisse pas détecter de mondes alternatifs, mais cela fait aussi qu'il
est difficile de tester la réalité de cette interprétation. On ne peut pas aller dans un monde
alternatif, puisque tout l'espace et le temps y sont copiés, y compris ses observateurs, à
savoir vous et nous.
228 Physique quantique - Le guide de référence
PIÈGE ATOMIQUE
La théorie de Broglie-Bohm
Malgré le triomphe du théorème de Bell, quelques tentatives sérieuses furent faites pour
contourner l'apparent manque de réalité objective au niveau quantique avec le concept
des variables cachées. Les interprétations de ce type retiennent à la fois la réalité objective
et le déterminisme, en postulant une réelle « force » ou grandeur physique qu'on échoue
à mesurer directement.
Louis de Broglie baptisa ce facteur « onde pilote », mais trouvant sa théorie « tronquée et peu
défendable», il renonça à la compléter. En 1952, David Bohm développa à son tour l'une
des théories les plus achevées de ce type, dans laquelle il postulait l'existence d'un potentiel
quantique dissimulé le long du potentiel réel examiné dans l'équation de Schrodinger. Ce
potentiel quantique (ou force quantique) guiderait les résultats des mesures quantiques et,
par conséquent, restaurerait le déterminisme.
SAUT QUANTIQUE
Louis de Broglie présenta son idée d'onde pilote au congrès Solvay de 1927. Ason grand désap-
pointement, elle ne recueillit que peu d'intérêt auprès de ses collègues. Il fut particulièrement déçu
qu'Einstein ne rebondisse pas sur ce sujet. Mais il ignorait à l'époque qu'Einstein l'avait étudiée
quelques mois auparavant et l'avait abandonnée. Einstein ne fut pas non plus convaincu par le
développement que Bohm en faisait. Dans une lettre de 1952 adressée à Max Born. il écrivit que
la solution de Bohm lui semblait • trop facile •.
Il devint très vite clair que, quelle que soit la nature de cette force-guide, elle devait être affec-
tée par tout l'univers. Au lieu d'être séparable en particules et objets individuels, l'univers est,
dans un sens, une seule grande fonction d'onde. Toutes ses parties s'influencent instantanément.
~ DÉFINITION
L'interprétation de Broglle-Bohm se fonde sur l'existence d'un potentiel quantique addition-
nel et prend en compte les interactions cachées non locales nécessaires à la restauration du
déterminisme.
Cette interprétation présente une certaine cohérence logique et semble faire partie d'une
tendance générale à considérer l'univers de façon holistique - contrairement aux tendances
antérieures, qui visent à comprendre le monde en s'intéressant à ses parties. Le fait qu'elle
repose sur l'existence d'une force mystérieuse, qui ne peut pas être (et n'a pas été) détectée
l'empêche toutefois de gagner la faveur de la majorité des physiciens.
Le principe holographique
Une autre manière de traiter les aspects déconcertants de la physique quantique est de
redéfinir complètement la réalité objective. Après tout, tout ce que nous savons du monde
est nécessairement filtré par nos sens. Et nous savons que, dans certains cas, nos sens nous
trompent, les illusions optiques en sont la preuve. Dès lors, l'image que nous nous faisons
de l'univers - particules, ondes et tout le reste - n'est peut-être qu'une sorte d'illusion.
Ceux qui envisagent sérieusement cette interprétation se servent de l'holographie comme
métaphore. Un hologramme est un moyen d'utiliser la lumière cohérente pour construire
des images en 3D. Depuis l'invention des lasers, on a appris à encoder assez d'informations
sur un film en deux dimensions pour former ces images. En fait, l'hologramme repose sur
la nature ondulatoire de la lumière et utilise essentiellement le phénomène de l'interférence
et de la diffraction. On oriente la lumière de la même manière que si elle était reflétée par
un objet réel, afin que l'objet paraisse présent sous tous les angles.
~ DÉFINITION
L'bolograpble est une méthode qui utilise la lumière. l'interférence et la diffraction pour produire
une image visuelle en trois dimensions.
L'information nécessaire pour produire une image en 3D est distribuée sur une surface ou un film
en deux dimensions appelé hologramme.
Chapitre 15 : Autres interprétations 231
Bien sûr, si vous avez déjà vu un hologramme, vous avez constaté qu'il est relativement
facile de comprendre qu'il ne s'agit pas d'un objet réel. En tendant la main pour le toucher,
on s'aperçoit bien vite qu'il n'y a rien. L'hologramme ne trompe qu'un seul des sens, la vue.
Si l'univers tout entier ressemble à un hologramme, il produit ses « images » à un niveau
beaucoup plus profond. Il ne s'agirait pas seulement d'images produites par la lumière,
mais de toutes les informations utilisées d'ordinaire pour percevoir la réalité. La réalité
elle-même reposerait sur un niveau sous-jacent d'information encodée, et toutes nos
perceptions seraient illusoires. La réalité de l'univers serait construite de telle façon qu'elle
produirait les résultats des mesures effectivement faites.
La croyance en l'existence des particules élémentaires n'est qu'une inférence faite sur la base
de ces mesures; nous n'avons pas d'expérience directe des particules au niveau quantique.
Et comme nous l'avons vu, de nombreuses incohérences logiques se présentent quand on
essaie d'imaginer la réalité de ces particules. L'interprétation de l'univers holographique
permettrait d'éviter ces problèmes.
La question de savoir si les électrons ont une existence objective ou ne sont qu'une illusion
n'a d'importance que du point de vue d'un observateur conscient. Ce sont les êtres humains
qui tentent de trouver un sens au monde, pas les électrons eux-mêmes. C'est pourquoi
dans la quête du sens de la physique quantique, on ne peut éviter la discussion de la nature
et du rôle de la conscience.
Logique quantique
Nombre des problèmes rencontrés en essayant de comprendre la physique quantique sont
en conflit apparent avec la logique ordinaire. Pour éviter d'avoir à creuser trop profond
dans la logique formelle, nous avons présenté en général des arguments faisant appel au
bon sens (fondés sur l'expérience ordinaire du monde). Les règles de la logique formelle
sont abstraites, mais la plupart des gens qui réfléchissent à ces choses les considèrent comme
réelles et aussi valides que les lois de la physique ou des mathématiques. C'est ce qui
complique les choses quand la physique quantique affirme quelque chose qui est contredit
par la logique. Qui doit définir ce qu'est la logique ?
Il existe une école d'interprétation affirmant que la logique doit céder le pas sur cette
question. La physique quantique montre la vérité du fonctionnement de l'univers. Si la
logique conduit à une conclusion différente, alors il faut changer les règles de la logique,
non celles de la physique. Un nouveau système logique, élaboré pour se conformer à la
réalité quantique, s'appellerait la logique quantique.
232 Physique quantique - Le guide de référence
Ce n'est pas dénué de sens. On peut dater le développement de la logique formelle dans
!'Histoire et la considérer comme le produit de l'intellect humain. En tant que tel, elle s'est
développée dans le contexte de notre expérience du monde macroscopique, c'est-à-dire
la façon dont les objets ordinaires se comportent, qui est très bien décrite par les lois de
la physique classique. Mais ce système logique pourrait n'être qu'une approximation qui
« marche » dans les situations ordinaires, comme le fait la physique classique.
En dehors de cette possibilité théorique, aucun progrès réel n'a été fait dans ce domaine.
Rien de ce qu'ont élaboré jusqu'ici les partisans de la logique quantique n'est considéré
comme un rival sérieux par rapport au vénérable édifice de la logique traditionnelle. La
majorité de ceux qui réfléchissent à la physique quantique cherche encore le moyen de
résoudre le conflit entre logique et physique.
Le rôle de la conscience
Durant des siècles, la physique classique a fait de grands progrès sans jamais oublier de
séparer observateur et observé. La réalité objective était ce qui existait en dehors de
l'observateur, à savoir des choses qui demeuraient les mêmes qu'il y ait ou non quelqu'un
à proximité. Mais avec l'incertitude quantique et les fonctions d'onde, nous avons appris
que l'observation semble avoir un effet majeur sur ce qui est observé. Cela suppose qu'une
conscience, un observateur conscient de lui-même, joue un rôle crucial dans la définition
de la nature de la réalité.
Nous sommes faits de la même matière que le reste de l'univers et soumis aux mêmes lois
physiques. Si la physique était tout à fait déterministe, notre comportement serait aussi
prédéterminé. La croyance en la liberté de choix serait une illusion.
Puisque la physique quantique a desserré le nœud déterministe de la physique classique,
autorise-t-elle le retour du libre arbitre ? Certains interprètes diraient que non, mais ce
point suscite beaucoup de controverse. Il doit y avoir un agent quelconque qui effectue
le choix, un aspect quelconque de l'être humain (ou de l'animal) qui possède la capacité
à exercer son libre arbitre. Pour pouvoir dire quelque chose du fonctionnement du libre
arbitre dans le contexte quantique, il faudrait une définition scientifique de cet agent,
de cette chose qu'on appelle un observateur conscient. Or, nous n'avons pas de bonne
définition scientifique de la conscience.
La conscience semble enracinée dans le cerveau, et les neurosciences montrent que ce
dernier fonctionne sur la base d'influx électrochimiques. C'est un réseau très complexe
de neurones, dont le nombre d'interconnexions est de l'ordre de 100 000 milliards.
Il est probable que les traits qu'on associe à la conscience - la mémoire, les émotions,
l'imagination et le libre arbitre - soient le produit de l'activité de tous ces neurones.
Mais comment cela se produit-il et quel rôle joue là-dedans l'incertitude quantique,
nous n'en savons rien.
SAUT QUANTIQUE
Jusqu'à ce que nous en sachions davantage sur la conscience, il sera difficile de décider si le
libre arbitre existe ou si c'est une illusion. Pour le moment, nous ignorons si l'incertitude
quantique joue un rôle central dans la liberté qu'a l'être conscient de choisir, si des choix
conscients ont une influence sur l'incertitude quantique, ou les deux. Seul le temps le
dira ... - peut-être.
Chapitre 15 : Autres interprétations 235
Ne serait-ce pas formidable si nous pouvions enfin comprendre, juste pour le plaisir de
savoir ? Quand Newton démontra que les cieux obéissaient aux mêmes lois physiques qui
avaient cours sur Terre, cela eut un effet considérable sur la société et la civilisation de
l'époque. La compréhension de la physique quantique pourrait avoir le même effet sur
nous. Il y a peut-être bien un lien entre le mystère de la physique quantique et le mystère
de la conscience. Il semble naturel de vouloir se comprendre et cela expliquerait notre
curiosité à propos du monde naturel.
La science traditionnelle a toujours fait grand cas de la séparation entre observateur et
observé. D'un autre côté, nous, les êtres humains, faisons partie de l'univers. Nous sommes
composés d'éléments chimiques, de molécules, d'atomes. Si les lois de la physique quantique
238 Physique quantique - Le guide de référence
règlent le comportement des atomes, elles nous ont aussi engendrés. Il s'est écoulé quelques
milliards d'années depuis le Big Bang, durant lesquelles les étoiles et les galaxies se sont
formées, les éléments chimiques sont nés, notre planète s'est condensée autour du Soleil,
la vie a pris racine et les êtres humains ont évolué. En tant qu'espèce, l'humain a progressé
au point d'avoir le temps de faire de la science et de se passionner pour l'étrangeté de la
physique quantique. Nous faisons tous partie de l'univers. Peut-être ne sommes-nous que
cela, justement : l'univers essayant de se comprendre lui-même.
5
Grande unification
Contrairement aux athlètes olympiques qui essaient de rafler autant de médailles que possible,
les physiciens préfèrent être connus pour une ou deux formules. Maxwell, par exemple, est
célèbre pour avoir décrit l'électricité et l'électromagnétique à d'aide de quatre équations. Newton
pouvait décrire (et prédire) la dynamique du Système solaire avec deux seulement. Schrodinger a
résumé la mécanique ondulatoire microscopique en une seule équation. Le mérite d'une théorie
est proportionnel à l'étendue du phénomène physique qu'elle explique, divisé par le nombre de
formules nécessaires pour le faire.
C'est pourquoi les physiciens s'enthousiasment pour ce qu'ils appellent ~ l'unification ». Cette
unification se réfère au fait que des phénomènes que l'on croyait autrefois indépendants (l'élec-
tricité et le magnétisme) sont en réalité les manifestations complémentaires de quelque chose
de plus fondamental (le champ électromagnétique).
Dans cette cinquième partie, nous allons voir que toute la physique est en réalité gouvernée par
un total de quatre forces indépendantes. Nous examinerons les indices tendant à prouver que ces
forces sont (ou ont été) unifiées au niveau fondamental. De nombreux physiciens considèrent
la ~ grande unification » comme le but ultime. Et même si son existence demeure incertaine, il
ne fait pas de doute que quand, ou si, une théorie du tout sera découverte, elle aura la constante
de Planck gravée au fronton.
CHAPITRE
16
Interactions élémentaires
Nous passerons également en revue les progrès faits jusqu'à aujourd'hui pour formuler
une théorie regroupant toutes les règles de la nature. Cette utopie pourrait être à portée
de main, car, comme nous l'avons vu, une grande partie du monde qui nous entoure peut
s'expliquer à l'aide de quelques théories simples et élégantes, ayant résisté aux vérifications
expérimentales. Ou alors cette unification n'est qu'un rêve, pour toujours inaccessible.
Mètres Objets
10 26 Diamètre de l'univers connu
10 25
1024
10 23
Distance avec la galaxie
1022
la plus proche
10 21 Diamètre de la Voie lactée
10 20
10 19 Mètres Objets
10 18 1 Taille de l'être humain
10 17 0,1
10 16 0,01
10 15 0,001
10 14 0,0001 Diamètre d'un cheveu
10 13 0,00001
1 000 000 000 000 Diamètre du Système solaire 0,000001 Diamètre d'un grain de poussière
100 000 000 000 0,0000001 Longueur d'onde de la lumière visible
10 000 000 000 0,00000001 Longueur d'onde de la lumière ultraviolette
1 000 000 000 Diamètre du Soleil 0,000000001 Longueur d'onde d'un rayon X
100 000 000 10-to
Nous allons décrire ces quatre interactions tour à tour, mais commençons par un peu de
terminologie. Dans les chapitres précédents, nous avons parlé de « forces » et nous avons
aussi décrit des << interactions ,. entre objets ou particules. En fait, les physiciens préfèrent
utiliser le terme « interactions » pour désigner les forces fondamentales. Pourquoi ? La raison
en est simple. Le mot « force » est associé à l'action de pousser ou tirer, ce qui n'est pas
suffisant pour décrire toutes les situations. On peut parler de la « force » électromagnétique
qui maintient un électron en orbite autour du noyau atomique, mais ce terme est moins
pertinent quand il s'agit de décrire l'émission d'un photon par un atome excité.
242 Physique quantique - Le guide de référence
Dans certains cas, nous parlerons donc de comportements similaires à une force, comme
pour le moment cinétique d'une particule. Mais dans d'autres cas, les interactions se
manifestent très différemment. Car nous le découvrirons, les portées et les puissances des
quatre interactions varient grandement.
L'interaction gravitationnelle
La gravité n'est pas la première des interactions fondamentales dont nous ayons parlé, c'est
seulement la première à avoir été reconnue par les scientifiques. Et de fait, cela remonte à
Aristote. Au chapitre 2, nous avons décrit la gravité comme une force d'attraction entre les
particules dotées de masse, petites ou grandes, chargées ou non électriquement. La gravité
opère entre le Soleil et Mars, entre la Terre et vous, et même entre le proton et l'électron
d'un atome d'hydrogène. Nous avons également vu au chapitre 2 que le génie de Newton
a été de comprendre que la théorie de la gravité était universelle, dans la mesure où elle
décrit une force qui agit sur toutes les particules massives, quels que soient leurs positions
et leurs éloignements. En d'autres termes, cette force a une portée infinie.
La loi de la gravitation universelle de Newton s'écrit ainsi : F = G~.
ri
En langage verbal, cela donne: la force d'attraction (F) entre deux objets est directement
proportionnelle au produit de leurs masses (m1 et m2), et inversement proportionnelle au
carré de la distance (r) entre eux. Le terme restant (G) est simplement une valeur constante
requise pour équilibrer les deux termes de l'équation.
Vous avez peut-être appris au cours de votre scolarité que l'accélération due à la gravité d'un
objet proche de la surface de la Terre est de g = 9,8 m/s2 • Cette « gravité »bien connue, dont
nous faisons tous les jours l'expérience sur Terre, vient simplement deg = GmTcrrc-;. (rTcrrc) 2•
SAUT QUANTIQUE
Aristote se fit la réflexion qu'une pierre semblait accélérer plus vite qu'une plume quand on les
laissait tomber, en raison de leur différence de masses. On dit de Galilée qu'il laissa tomber
deux objets similaires du haut de la tour de Pise pour infirmer cette idée. Mais l'accélération
gravitationnelle est la même dans les deux cas : 9,8 m/s 2. On sait désormais que c'est à cause de
la résistance de l'air - elle-même une manifestation de l'interaction électromagnétique - que la
plume flotte gracieusement et la pierre tombe comme une pierre.
La gravité est de fait la plus faible - et de loin - des quatre interactions. Vous aurez du
mal à y croire la prochaine fois que vous gravirez une pente à vélo, mais c'est bien le cas.
Chapitre 16 : Interactions élémentaires 243
Mais alors, comment se fait-il qu'elle soit l'interaction dominante dans des éléments aussi
vastes que le Système solaire ? Cela tient à la fois à la portée de son action et au type de
particules qui interagissent.
Sans vouloir dévoiler la suite, nous verrons dans les prochains paragraphes que deux autres
des interactions fondamentales, l'interaction forte et l'interaction faible, possèdent une
portée très courte et ne jouent qu'à des échelles comparables à la taille d'un noyau atomique.
À l'échelle macroscopique, elles sont donc tout à fait négligeables.
L'interaction électromagnétique, toutefois, a la même portée (infinie) que la gravité. La
grande différence entre elles est que selon le signe de la charge électrique, l'interaction
électromagnétique attire ou repousse les objets. Elle diminue à l'échelle planétaire, parce
que les objets macroscopiques ont tendance à avoir autant de charge positive que de charge
négative. Par conséquent, l'interaction électromagnétique des lunes, des planètes et des
étoiles s'annule plus ou moins.
Autant qu'on sache, il est impossible de faire de la gravité une force répulsive ; elle
consiste toujours en une attraction. Il n'y a pas de répulsion gravitationnelle pour annuler
l'attraction, si bien que cette dernière ne fait qu'accumuler les particules présentes dans le
système. C'est pourquoi les masses énormes du Système solaire et d'autres systèmes sont
uniquement influencées par la gravité.
L'interaction électromagnétique
Nous avons expliqué dans la première partie que la physique des phénomènes électro-
magnétiques est régie par l'interaction électromagnétique, qui comprend électricité et
magnétisme. Elle repose sur une grandeur appelée charge, dont il existe deux types :
positive et négative. Bien sûr, toutes les particules ne sont pas chargées et les particules
dites« neutres» se moquent éperdument de l'interaction électromagnétique.
Les charges similaires se repoussent et les charges opposées s'attirent. La découverte de
cette loi d'attraction ou de répulsion entre deux particules chargées remonte au physicien
français Charles Coulomb. En 1785, il démontra que la valeur de la force (F) entre deux
charges (q 1 et q2), séparées par une distance (r) est telle que F=k qixt .
r
Ici, la valeur k
(comme le G newtonien) n'est qu'une constante de proportionnalité. Cette formule dense,
qui présente une similarité frappante avec la loi de gravitation de Newton, indique que
l'interaction électromagnétique a aussi une portée infinie.
Comme nous l'avons vu au chapitre 3, l'unification théorique de l'électricité et du magné-
tisme a été réalisée par James Clerk Maxwell. Ses élégantes équations expliquent comment
244 Physique quantique - Le guide de référence
forte. C'est pourquoi les physiciens l'ont baptisée « interaction nucléaire forte ». Ce n'est
pas un nom très imaginatif, mais il lui est resté.
Si la gravité n'opère qu'entre les particules dotées de masse et que l'interaction électroma-
gnétique n'opère qu'entre les particules chargées, quelles sont les particules qui interagissent
par l'intermédiaire de l'interaction nucléaire forte? Pour l'expliquer, il nous faut citer une
autre propriété, qui joue un rôle similaire à la charge électrique ou la masse. Avant d'y
arriver, toutefois, examinons de plus près les protons et les neutrons.
En 1964, deux physiciens élaborèrent chacun de leur côté une idée qu'on baptisa plus
tard le« modèle du quark». C'était les théoriciens Murray Gell-Mann et George Zweig.
Le problème était que les accélérateurs de particules ne cessaient de s'améliorer et qu'ils
pouvaient accélérer leurs faisceaux à des énergies de plus en plus hautes. Les expérimen-
tateurs utilisant ces machines découvraient sans cesse des particules subatomiques. Il y en
avait tant, avec des masses, des charges électriques et des spins intrinsèques différents, que
les appeler« particules élémentaires» commençait à ressembler à une plaisanterie.
Au début, Zweig et Gell-Mann (et d'autres) essayèrent de trouver une classification pour
toutes ces particules. Ils s'aperçurent très vite qu'ils pouvaient prendre en compte la
plupart des propriétés des nouvelles particules s'ils les rangeaient en 4 types de particules
fondamentales, que Gell-Mann baptisa« quarks». Les types ou les genres de quarks furent
appelés « saveurs » et les physiciens en définirent 6. (Il faut préciser que des antiquarks
durent aussi être introduits pour rendre compte des propriétés de toutes les particules.)
SAUT QUANTIQUE
Bien que ce soit Murray Gell-Mann qui ait baptisé • quarks • les composants des protons et des
neutrons, il faut remercier !'écrivain irlandais James Joyce pour cette appellation. Gell-Mann l'a
en effet tirée d'une citation du célèbre Finnegans Wake : • Three quarks for Muster Mark 1•
Le modèle du quark prédit immédiatement que ces bons vieux protons et neutrons n'étaient
pas des particules fondamentales, mais étaient eux-mêmes formés de 3 quarks en 6 saveurs.
Quelques années seulement s'écoulèrent avant que le grand accélérateur de l'université
Stanford ne donne la preuve de la structure des protons. Les particules ponctuelles obser-
vées avaient les bonnes caractéristiques, et le modèle du quark fut accepté pour toutes les
particules soumises à une interaction nucléaire forte.
La propriété qui fait que les quarks éprouvent l'interaction nucléaire forte a été baptisée
«couleur» de la charge. Contrairement à la masse, dont il n'existe qu'un seul type (positif),
ou à la charge électrique, qui existe en deux types (positive et négative), la couleur existe
246 Physique quantique - Le guide de référence
en trois types, rouge, bleu et vert. Les quarks de même couleur se repoussent (rouge-rouge)
et les quarks de couleurs différentes s'attirent (rouge-vert ou rouge-bleu).
En outre, les quarks fusionnent pour former des particules plus grandes dont la couleur est
neutre (rouge, bleu et vert en parts égales). Les protons et les neutrons sont formés de trois
quarks de différentes couleurs et sont donc neutres sur ce plan-là. L'interaction attractive
qui maintient le noyau est une sorte de vestige de l'attraction fondamentale entre quarks.
La question de savoir comment cela se produit exactement fait encore l'objet de recherches.
PIÈGE ATOMIQUE
L'usage de • couleur • pour la propriété interactive de l'interaction forte n'a rien à voir avec la
couleur au sens ordinaire. Les quarks ne sont pas verts. bleus ou rouges. Nous savons qu'ils
ne peuvent pas l'être, car ils sont beaucoup, beaucoup plus petits que la longueur d'onde de la
lumière verte. bleue ou rouge.
Au niveau combinatoire, l'interaction forte est la même entre deux protons, deux neutrons
ou un proton et un neutron. On appelle cette propriété « indépendance de charge ». Et
qu'en est-il des électrons entourant le noyau ? Comme les électrons ne sont pas des quarks
et n'ont pas de couleur de charge, ils demeurent béatement inconscients de l'interaction
forte. Elle n'a aucune influence sur eux (accessoirement, cela fait des électrons une sonde
très sensible pour étudier le noyau, parce que leurs interactions avec lui sont dues presque
exclusivement à l'interaction électromagnétique, qui est beaucoup moins forte). Les quarks
ont aussi une charge électrique, si bien qu'on peut se servir d'un faisceau d'électrons pour
savoir où ils se trouvent et ce qu'ils font au sein des protons et des neutrons.
La portée de cette interaction nucléaire forte se doit d'être courte ; dans le cas contraire,
elle aboutirait non seulement à des interactions au sein du noyau, mais aussi entre le noyau
et les atomes voisins. En fait, sa puissance chute rapidement à 0 aux intervalles d'environ
1 femtomètre (t0-15 m).
Les chances sont néanmoins contre eux. La comparaison de ces interactions montre tant
de différences (masse contre couleur, portée infinie contre portée subnucléaire) qu'il y a
peu d'espoir de les unifier. Peuvent-elles n'être vraiment que des manifestations de quelque
chose de plus élémentaire ?
PIÈGE ATOMIQUE
Dans ce chapitre. nous nous sommes intéressés aux types de particules influencés par les quatre
forces élémentaires (comme les quarks et les fermions). Dans le chapitre suivant. nous verrons
qu'il existe un autre type de particules très important pour ces interactions - les bosons de
jauge - qui interviennent comme médiateurs durant les interactions entre particules de matière.
Croyez-le ou non, certains indices laissent à penser que ce n'est pas une chimère. Un succès
remarquable a même été remporté dans ce domaine: le prix Nobel de physique de 1979
a été attribué à Sheldon Glashow, Abdus Salam et Steven Weinberg pour l'unification
théorique de l'électromagnétisme et de l'interaction nucléaire faible.
La nature de cette unification n'est pas dénuée de ressemblance avec la manière dont
l'électricité et le magnétisme se sont révélés être le même phénomène. Mais il y a une
différence significative. On peut être témoin de la nature commune de l'électricité et du
magnétisme dans les circonstances les plus ordinaires. Mais dans le cas de l'interaction
électrofaible, l'interaction électromagnétique et l'interaction faible ne s'allient qu'à des
énergies particulaires bien supérieures à ce qu'on trouve aujourd'hui sur Terre.
Les particules dotées d'une énergie suffisante pour arborer une unification électrofaible
prennent la forme de rayons cosmiques dans la nature - des particules de l'espace nées à
des stades bien antérieurs de l'univers, quand les énergies étaient beaucoup plus hautes.
Cela indique qu'à une ère antérieure, ces deux interactions étaient liées (pour étudier
l'interaction électrofaible unifiée, il faut faire appel à des expériences de haute énergie,
conduites avec de gros accélérateurs à particules).
Chapitre 18 : Interactions élémentaires 249
Dans les années 1970, une théorie régissant l'interaction forte fut développée, comportant
des traits similaires avec la théorie électrofaible. Cela donna naissance à l'hypothèse selon
laquelle, si l'on revenait en arrière dans le temps, jusqu'au point où les particules avaient plus
d'énergie, on pourrait unifier l'interaction forte avec les interactions électromagnétique
et faible. Les recherches dans cette direction continuent.
La plupart des physiciens seraient donc d'accord pour dire que le dernier défi demeure
l'unification de la gravité et des autres interactions. Aujourd'hui, il existe des théories
quantiques pour les interactions électromagnétiques, fortes et faibles. Nous les passerons en
revue au chapitre suivant. Mais la gravité se distingue par sa résistance entêtée à la quanti-
fication. L'interaction gravitationnelle est encore considérée comme une théorie classique
(ou« continue»), qui ne comporte pas de niveaux discrets quand on l'examine de près.
Contrairement à la théorie gravitationnelle de Newton, la théorie de la relativité générale
d'Einstein (que nous étudierons au chapitre 18) prédit que des masses en accélération
peuvent émettre des ondes gravitationnelles, comme les charges électriques en accélération
émettent des ondes électromagnétiques. Mais les tentatives faites pour observer directement
ces ondes gravitationnelles ont échoué, parce qu'elles sont bien trop faibles.
Des progrès extraordinaires ont été faits pour expliquer un univers très complexe avec une
poignée d'interactions. Mais de nombreuses questions demeurent, à même de motiver les
physiciens de demain. Quelques pistes, comme la théorie des supercordes, font l'hypothèse
que le mélange actuel de particules élémentaires (que nous définirons au chapitre suivant)
pourrait être la combinaison de quelque chose d'encore plus élémentaire. Bien que ces
théories reposent sur des spéculations, et qu'il n'y ait pour l'heure aucune preuve expéri-
mentale d'une sous-structure, bon nombre de physiciens y croient. La seule certitude est
que le débat est encore en cours, et que nous devons attendre patiemment les résultats de
ces importantes recherches fondamentales.
250 Physique quantique - Le guide de référence
17
Particules élémentaires
Quarks et leptons
Au chapitre 4, nous vous avons parlé de l'ancien concept grec d'atomos, une sorte de parti-
cule minuscule et indivisible à l'origine de la matière dans l'univers. Bien que cette idée ait
été sérieusement relancée au début du x1x• siècle, il n'a pas fallu longtemps pour montrer
que les particules qu'on croyait fondamentales étaient en réalité faites de composants
plus petits. Mais cela voulait-il dire qu'il fallait renoncer à l'idée d'atomos ? Ou était-ce
simplement parce qu'on n'avait pas assez creusé la question?
Aujourd'hui, les scientifiques pensent qu'il existe en effet un ensemble de particules
vraiment élémentaires, c'est-à-dire qui ne sont pas composées d'autre chose. Aucun
sous-composant, aucune sous-partie n'attend d'être observé. Les particules élémentaires,
telles qu'on les appelle, sont vraiment indivisibles. Du moins, autant qu'on le sache.
~ DÉFINITION
Sans doute vous rappelez-vous qu'au chapitre 12, nous nous sommes longuement étendus
sur la classification des particules à partir de leur spin intrinsèque. Les particules de spin
demi-entier sont appelées des fermions et celles dont le nombre quantique de spin est 0 ou
un nombre entier sont appelées des bosons. Ces deux types de particules se comportent
de façon tout à fait différente en mécanique quantique, comme l'explique le principe
d'exclusion de Pauli. Par exemple, deux électrons dans un système donné ne peuvent
occuper le même état quantique. C'est la raison pour laquelle les atomes ont une structure
électronique, la chimie fonctionne et nous sommes ici pour en parler.
Les quarks sont peut-être les particules les plus étranges rencontrées jusqu'ici. Comme
les électrons, ils ont une masse, une charge électrique et un spin intrinsèque égal à Y2 (si
bien qu'ils obéissent au principe d'exclusion de Pauli). La différence, toutefois, est qu'ils
possèdent aussi une charge de couleur, qui les rend sensibles à l'interaction forte.
SAUT QUANTIQUE
Les accélérateurs de particules sont d'énormes engins qui permettent d'étudier les particules
élémentaires. Ils utilisent des champs magnétiques ou électriques pour porter des faisceaux
de particules (des protons par exemple) à des vitesses très élevées avant de les faire entrer en
collision. Quand les particules se heurtent elles libèrent des tas et des tas d'autres particules. On
a dit de cette méthode de • physique des hautes énergies • qu'elle ressemble au fait de fracasser
une montre ancienne contre un mur pour étudier son mécanisme 1
Un autre trait bizarre des quarks est que la quantité de charge électrique qu'ils possèdent
est moindre que celle des électrons. Le quark up a une charge équivalente aux deux tiers de
la charge d'un électron et un quark down à un tiers. Cela ne viole-t-il pas la quantification
de la charge électrique? La réponse est qu'apparemment les quarks ne sont jamais complè-
tement isolés. Ils semblent toujours se présenter par petits groupes. Dans ces combinaisons,
la somme des charges fractionnelles équivaut toujours aux entiers multiples de la charge
de l'électron. Cela veut dire qu'on ne peut pas observer une charge fractionnelle isolée, et
ce fait semble suffire à Dame Nature.
La règle qui détermine ces combinaisons est appelée « la neutralité de couleur » des quarks.
Une combinaison de quarks n'est stable que si le réseau de charge de couleur de ses membres
est « neutre ». Il existe deux façons de neutraliser les couleurs de quarks. La première est de
réunir 3 quarks de différentes couleurs, vert + rouge + bleu. La neutralisation mutuelle de
ces couleurs relie les 3 quarks, qui constituent ainsi les protons et les neutrons. La deuxième
façon est de combiner un quark d'une couleur avec un quark de son anti-couleur (par
exemple, bleu et anti-bleu). Dans ce cas, l'un des quarks est un antiquark.
Le nom donné aux particules soumises à l'interaction forte est « hadrons ». Ce sont les
recherches faites pour classifier toutes sortes de hadrons (dont des protons et des neutrons)
qui ont débouché sur le modèle original de quark. Nous savons désormais que tous
les hadrons sont composés de quarks de toutes les combinaisons et que chacune de ces
combinaisons est de couleur neutre.
Le proton est composé de deux quarks up et d'un quark down. Étant donné les charges
électriques des quarks u et d, on peut facilement calculer la charge nette de ce système :
+ 1 unité. De leur côté, les neutrons sont faits de deux quarks d et un quark u. La charge
294 Physique quantique - Le guide de référence
électrique est donc de 0, comme le prouve l'observation. Pour construire des atomes
ordinaires, on n'a donc besoin que de 2 types de quarks (up et down) et 1 électron.
Pour rendre compte de l'instabilité des neutrons libres et de certains noyaux radioactifs,
il faut ajouter à cela l'insaisissable neutrino. De plus, Dirac a montré que toutes ces parti-
cules sont associées à des antiparticules, ce qui porte le nombre de particules de première
génération à 8.
Une manière d'organiser ces 8 particules est de les séparer en deux, selon qu'elles sont
sensibles ou non à l'interaction nucléaire forte. Les quarks, qui y sont sensibles, forment
une catégorie à part des électrons et des neutrinos, qui ne le sont pas. Le groupe des
quarks s'appelle simplement « les quarks ». En revanche, les électrons et les neutrinos sont
regroupés sous le terme de« leptons» (tiré d'un mot grec signifiant« petit» ou« léger»).
~ DÉFINITION
Les quark• font partie des fermions élémentaires sensibles à l'interaction nucléaire forte.
Les quarks peuvent se combiner pour former des particules non fondamentales appelées hadrom,
également sensibles à l'interaction forte.
Les lepton• forment un groupe de fermions élémentaires non sensibles à la force nucléaire forte.
Les électrons et les neutrinos en font partie.
Notre catalogue commence donc par la catégorie des leptons, qui comprend les électrons,
les positrons (ou antiélectrons), les neutrinos et les antineutrinos. La catégorie des quarks
comprend les quarks up et down et les antiquarks correspondants.
SAUT QUANTIQUE
Tous les systèmes de la nature ont tendance à rechercher l'état énergétique le plus bas. En
physique des particules, cela se manifeste par la tendance des particules à se désintégrer
en particules moins massives, pourvu que cela respecte les lois de conservation. Si toutes les
propriétés pertinentes peuvent être conservées !charge électrique, énergie cinétique, moment
angulaire, etc.1. alors la particule se transforme spontanément en une !ou plusieurs! particule dont
la masse totale est inférieure à sa masse originelle. La différence de masse est alors convertie en
une quantité d'énergie déterminée par E = mc2.
On découvrit rapidement que le muon et le tauon avaient leurs propres neutrinos respectifs
(V11 et V,), distincts du neutrino de l'électron, qui les accompagnaient durant les réactions.
Il semblait donc que la famille originelle du lepton avait été copiée deux fois, pour atteindre
un total de 3 générations. Nous en sommes aujourd'hui à 6 leptons (plus leurs 6 partenaires
d'antimatière). Aucun de ces leptons n'est sensible à l'interaction nucléaire forte.
Comme pour les leptons, les scientifiques étudiant les quarks découvrirent qu'il fallait
davantage que des quarks up et down pour rendre compte des hadrons observés. Pour
abréger l'histoire, cela aboutit à 2 générations de quarks de plus, comme dans le cas du
lepton. Chaque génération est la copie de la précédente, la seule différence étant que la
génération antérieure a une masse plus importante. Les quarks de seconde génération
furent baptisés« charm ~ (charme) et« strange » (étrange), ou cet s, et les quarks de troisième
génération« top» (tout en haut) et« bottom » (tout en bas), out et b. N'oubliez pas que ce
sont des noms arbitraires et qu'aucun quark n'est plus« charmant» que l'autre.
PIÈGE ATOMIQUE
L'une des choses qui rendent la physique des particules obscure est qu'il existe différentes
façons de classifier le même groupe de particules fondamentales. Les particules subatomiques
possèdent de nombreuses caractéristiques, telles que la masse, la charge électrique, le spin et
d'autres. On peut donc les arranger par groupes selon ces caractéristiques ou une combinaison de
ces caractéristiques. Cela signifie que ces groupes ne sont pas mutuellement exclusifs et qu'une
particule peut se retrouver dans plus d'un groupe.
Ace stade, vous pourriez légitimement demander si c'est la fin de l'histoire. Du fait de l'augmen-
tation des capacités énergétiques des accélérateurs, les physiciens ont découvert au fil du temps
des particules encore plus massives (rappelez-vous l'équivalence de la masse et l'énergie). Mais
devons-nous attendre que cela continue au-delà des trois générations connues aujourd'hui?
En théorie, d'autres générations sont possibles, même si les particules qui les composent sont
rarement ou jamais observées dans l'univers actuel. En raison du principe d'incertitude,
256 Physique quantique - Le guide de référence
ces particules massives auraient des durées de vie extrêmement courtes, si elles pouvaient
se former quelque part. Mais dans le passé lointain, dans les secondes suivant le Big Bang,
la densité énergétique de notre univers était beaucoup plus importante.
Si l'on accepte l'existence d'une quatrième génération, cela voudrait dire que les quarks
et les leptons les plus lourds ont existé pendant une petite fraction temporelle, et que
leur existence a affecté l'évolution de l'univers. L'univers actuel serait très différent selon
l'existence ou non de cette quatrième génération. Tel qu'il est aujourd'hui, il n'est pas
cohérent avec plus de 3 générations de quarks et de leptons.
Aussi, même s'il nous manque la capacité à créer des particules encore plus fondamentales
pour vérifier si elles existent bien ou non, nous avons la preuve qu'elles ne sont pas permises
et que trois générations sont la limite. Ce n'est qu'un exemple de la manière dont la
cosmologie - l'étude de l'univers à grande échelle - rencontre la physique des particules,
qui l'étudie à une échelle minuscule.
vous commencez à glisser dans la direction qu'il a prise. Rattraper ce cake en vol tout en
bougeant altère aussi votre trajectoire, en raison de la conservation du moment cinétique.
C'est un exemple absurde, bien sûr, mais ne partez pas. Supposons que votre amie et vous
portiez tous deux des chaussures glissantes et que vous glissiez sur la patinoire presque, mais pas
tout à fait, dans la même direction. Vous êtes séparés par quelques mètres, mais vos chemins se
rapprochent lentement l'un de l'autre. Peu avant la collision, vous lancez un cake aussi fort que
possible dans sa direction. Cela vous oblige à vous écarter légèrement d'elle. Si elle rattrape le
cake que vous lui avez lancé, sa trajectoire est aussi légèrement déviée par rapport à la vôtre.
en mouvement
(arrière-plan)
•
1
1
•
1
• cake
lancé
•
1
••
1
1
•
surface
glissante
Une force de répulsion entre deux personnes sur une surface dépourvue de frottement peut étre modélisée
par l'échange d'un objet massif entre eux. La déviation de leurs mouvements est simplement
la conséquence de la conservation du moment cinétique linéaire.
258 Physique quantique - Le guide de référence
Il résulte de tout cela que si quelqu'un vous observait depuis une certaine hauteur sans
pouvoir voir le cake, il lui semblerait qu'une force invisible vous sépare juste au moment
où vous allez vous rapprocher. Et si vous vous lanciez tout un tas de cakes, il lui semblerait
même que vos trajectoires s'incurvent doucement et sans heurt.
Ce modèle d'échange des particules est à la base de toutes les interactions dans la théorie
quantique des champs. C'est aussi le modèle sous-jacent aux théories de champs spécifiques
des interactions électromagnétiques, nucléaire forte et nucléaire faible. Le thème commun
est que tous les cakes représentent un type de particule et tous les lanceurs de cake, un
autre type. Les particules de matière, qui échangent des particules vectrices de force, sont
toujours des fermions. Les particules vectrices de force sont toujours des bosons.
Ce modèle d'échange présente de grands avantages. Il nous débarrasse du problème concep-
tuel des forces agissant à distance - qui préoccupait fort les physiciens depuis Newton. Il
prend naturellement en compte la vitesse de la lumière comme limite universelle : aucune
particule échangée ne se déplace plus vite que la lumière, si bien qu'aucune force ne peut
modifier ses effets plus vite que cela. Plus important encore peut-être, il quantifie le concept
classique de champ sous la forme d'un discret échange (virtuel) de particules. Pour mieux
saisir tout cela, examinons maintenant les trois théories spécifiques des champs.
Électrodynamique quantique
L'électrodynamique quantique est le nom d'une théorie quantique de champs qui s'ap-
plique à l'interaction électromagnétique. Comme l'électrodynamique classique, elle ne
s'applique qu'aux particules chargées comme les électrons et les protons. En électro-
dynamique quantique, l'interaction entre deux électrons, par exemple, est modélisée
comme l'échange d'un boson sous forme de cake - dans ce cas, d'un photon« virtuel»
(Y). Nous avons vu au chapitre 6- et historiquement cela date de 1923 - que les photons
se comportent comme des particules discrètes, vectrices de moment cinétique même si
elles n'ont aucune masse (en mettant de côté notre analogie avec le cake« lourd»). Nous
avons vu aussi que les photons ont un spin de 1, donc qu'ils appartiennent clairement à
la famille des bosons.
Il est important de préciser « virtuel », parce que ces photons ne peuvent être détectés
directement. En raison du principe d'incertitude, un électron peut émettre spontanément
un photon à tout moment, pourvu que ce photon disparaisse après une durée assez courte.
Rappelez-vous que c'est le produit de la fluctuation d'énergie (llE) et de sa durée (llt) qui
doit être suffisamment petit (plus petit que la constante de Planck).
Chapitre 17 : Particules élémentaires 259
Normalement, le photon virtuel est réabsorbé par l'électron qui l'a émis. Mais, s'il y a un
autre électron à proximité, il peut être émis par le premier et réabsorbé par le second, du
moment que la violation de la conservation d'énergie n'est pas vérifiée par suite du principe
d'incertitude de Heisenberg.
photon
Ce photon virtuel est vecteur de force et altère par conséquent les trajectoires des deux
électrons. En réalité, il se produit un échange continu d'un grand nombre de photons
virtuels, qui dévient les deux trajectoires, comme nous l'attendons de la force électroma-
gnétique. Les scientifiques usent de schémas simplifiés pour représenter ces interactions,
que l'on appelle« diagrammes de Feynman,., d'après leur inventeur, le physicien américain
Richard Feynman. Quand un diagramme ne montre que l'échange d'un seul photon, il
représente en réalité l'effet total des nombreux photons virtuels échangés entre les particules
dans leurs interactions sur une période de temps donnée.
Le tableau que nous venons de décrire est schématique, et nous avons omis de nombreux
détails nécessaires à l'application intégrale de l'électrodynamique. Par ailleurs, il est parfait
pour décrire la force répulsive entre des particules de même signe, mais qu'en est-il des
charges opposées ? Nous savons qu'elles s'attirent, aussi comment l'échange de photons
peut-il rapprocher les particules ? Sans entrer dans les détails, disons qu'il y a de la place
pour des photons négatifs dans le monde des photons virtuels. Si vous pouviez lancer un
cake aux fruits de moment angulaire négatif, vous commenceriez à vous déplacer dans la
direction du cake au lieu de la direction opposée.
280 Physique quantique - Le guide de référence
L'électrodynamique quantique s'est révélée l'un des modèles théoriques les plus précis jamais
appliqués aux mesures des particules élémentaires. Par sa nature même, elle est cohérente
avec la physique quantique et la relativité restreinte. Elle fonctionne pour l'attraction et
la répulsion des particules. Elle prend en compte les antiparticules aussi facilement que
les particules ordinaires. Son succès a poussé les scientifiques à tenter d'adapter ses idées
directrices à d'autres interactions fondamentales. Et comme nous l'expliquerons plus avant,
cela a formidablement bien marché.
Interactions faibles
Le même type de théorie des champs que celle que nous venons de décrire s'applique à
l'interaction faible. Mais il y a des différences importantes. La plus importante est que,
dans ce cas, la particule échangée n'est pas un photon, mais une particule appartenant à un
groupe de trois particules, respectivement dénommées Zo, W et W. Comme le photon,
ce sont des bosons, mais contrairement à lui, elles possèdent une masse.
Il en résulte que l'interaction faible ne peut avoir une portée infinie. L'énergie d'un photon
dépend de sa fréquence, comme nous l'avons vu. Il n'existe pas de limite inférieure à la
fréquence d'un photon libre, si bien que son énergie peut être arbitrairement basse. Et
comme il se déplace à la vitesse de la lumière, un photon de basse énergie peut voyager très
loin durant la courte durée permise par le principe d'incertitude. Si les particules chargées
sont séparées par une distance encore plus grande, on n'a besoin que d'un photon de basse
énergie pour transporter la force. Et puisqu'il n'existe pas de limite inférieure à l'énergie
d'un photon libre, il n'y a donc pas de limite à la portée de l'interaction électromagnétique.
Mais si un boson d'échange a une masse, la distance qu'il peut parcourir est beaucoup
plus restreinte. La masse est une forme d'énergie et, contrairement au photon, un boson
d'échange massif ne peut pas avoir une énergie arbitrairement basse (c'est-à-dire que
l'échange de boson exige un ll.E plus grand que pour l'échange de photon). Cela veut
dire qu'un boson Wou Z émis spontanément devrait disparaître plus vite (c'est-à-dire
avoir un ll.t plus petit que celui d'un photon, pour ne pas violer le principe d'incertitude).
Un boson Zou W ne peut pas non plus voyager plus vite que la vitesse de la lumière,
ce qui limite sévèrement la portée de l'interaction faible. Et vu la taille importante des
bosons W et Z, 2 particules interagissant via l'interaction faible doivent être très proches,
autrement cette interaction ne se produirait pas du tout.
Une fois cette différence prise en compte, les calculs de la théorie quantique des champs
sont très simples. On peut même se servir de la masse connue des bosons W et Z pour
Chapitre 1'1 : Particules élémentaires 261
calculer la portée de l'interaction faible, et cela donne précisément le résultat observé par
les expérimentateurs.
SAUT QUANTIQUE
Du point de vue historique. les physiciens ont prédit la masse des bosons W et z en se fondant
sur la portée estimée de l'interaction faible, et ce. avant que quiconque les ait jamais observés.
En ajoutant ensuite assez d'énergie à la collision des particules avec un accélérateur suffisamment
gros, les expérimentateurs ont pu transformer les bosons virtuels en bosons W et Z réels et les
observer directement. Ces particules se sont avérées avoir la masse et les propriétés prédites par
la théorie, un autre grand succès de la théorie quantique des champs. dûment récompensé par
un prix Nobel.
u d d
s'évadent avec le surplus d'énergie, puisque le neutron est un peu plus massif que le proton.
Toutes les lois de conservation sont donc respectées.
Chromodynamique quantique
Galvanisés par le succès de la théorie quantique des champs s'agissant de l'électrodynamique
et l'interaction faible, les théoriciens tentèrent alors d'élaborer une théorie des champs
pour l'interaction nucléaire forte. Malheureusement, cela ne se passa pas aussi facilement.
On parle d'interaction nucléaire « forte » parce qu'elle doit surmonter une répulsion
considérable entre les protons de charge positive tassés dans le noyau atomique. La force
électromagnétique qui repousse les charges positives les unes loin des autres augmente
encore quand ces charges se rapprochent. Et le noyau est d'une petitesse si extrême que
cette force répulsive est vraiment énorme. Les neutrons jouent un rôle, mais dépourvus de
charge électrique, ils ne peuvent contribuer à cette cohésion que s'il existe une puissante
force d'attraction entre les protons et les neutrons.
La complexité augmente parce que les neutrons et les protons ne sont pas des particules
élémentaires, mais des particules composites elles-mêmes faites de quarks. Après avoir
compris cela, les théoriciens s'intéressèrent à la force qui retenait ensemble les quarks afin
de former des protons et des neutrons, espérant que résoudre cette question fondamentale
leur permettrait de comprendre la force nucléaire.
Il s'avéra que c'était une tâche ardue et il leur fallut fournir des efforts pendant plusieurs
décennies. Les physiciens expérimentaux étaient handicapés par le fait qu'il était impossible
de trouver de quarks isolés qui leur auraient fourni des données claires. Il s'avéra impossible
d'accélérer un faisceau de quarks afin de mesurer directement leurs interactions.
Un grand nombre d'allées et venues entre la théorie et l'expérimentation déboucha fina-
lement sur la théorie de champs pour les quarks, que l'on nomma<< chromodynamique
quantique ». Ce nom fut choisi pour rappeler que le trait essentiel des quarks, celui qui leur
permet de participer à l'interaction forte, s'appelle« la couleur de charge» (ou simplement
«la couleur»), par analogie avec la charge électrique dans l'électrodynamique quantique.
On appela aussi « gluon » (g) le boson-médiateur entre les quarks. La très courte portée
de l'interaction forte suggérait que les gluons étaient des particules massives. Comme il
existe 3 couleurs de charge, il devait y avoir 9 types de gluons pour couvrir toutes les
interactions possibles entre quarks et antiquarks (en fait, il n'y en a que 8, en raison d'une
redondance mathématique).
Chapitre 17 : Particules élémentaires 283
~ DÉFINITION
Le gluon est le vecteur de l'interaction forte entre les quarks. Il se présente en huit couleurs. est
électriquement neutre et de spin entier.
Le conllnement exige que les quarks n'existent que dans des regroupements de couleur neutre
(rouge-bleu-vert). Ni les quarks ni les gluons ne peuvent exister en dehors de ces regroupements.
que l'on observe comme des particules.
Tout cela constituait une théorie très différente de l'électrodynamique quantique. C'était
encore une théorie quantique de champs, mais en plus bizarre. Comme les quarks ne
peuvent être séparés, on ne peut pas parler de portée de force de la même manière. À
l'image des photons, les gluons n'ont pas de masse. La grande différence entre eux est que
les gluons ont une couleur de charge (les photons n'ont pas de charge électrique). Cela
veut dire que les gluons ne sont pas seulement les vecteurs de l'interaction forte, mais qu'ils
sont aussi influencés par elle. Les gluons peuvent échanger des gluons avec d'autres gluons
et tout cela embrouille terriblement le traitement théorique.
Aujourd'hui, on a peaufiné les détails et l'on a une théorie complexe mais fructueuse pour
expliquer comment les quarks s'assemblent en hadrons observables. Mais qu'en est-il de
l'objectif d'origine, qui était d'expliquer l'attraction des hadrons entre eux? Aucun de ces
objets n'a de couleur de charge et il semble donc à première vue que la chromodynamique
quantique ne s'applique pas à eux.
Rappelez-vous que nous avons déjà rencontré une situation similaire. Nous savons que les
atomes sont formés par l'attraction électromagnétique entre les électrons et les protons. Mais
nous savons aussi que les atomes sont parfois attirés les uns par les autres, ce qui conduit à
la formation de molécules à partir des électrons de valence.
264 Physique quantique - Le guide de référence
Les physiciens pensent que l'attraction entre deux neutrons, ou un neutron et un proton,
ressemble à ceci : si l'attraction qui retient les protons et les neutrons dans le noyau est
relativement forte (comparée à la gravité et à la force électromagnétique), elle est faible
comparée à la force qui maintient les quarks enfermés pour toujours dans les neutrons et
les protons. Une non-uniformité dans la distribution des quarks et des gluons à l'intérieur
des protons et des neutrons doit déboucher sur l'attraction observée, mais on ne sait pas
encore exactement comment cela se produit. C'est l'objet d'études intensives dans le
domaine de la physique nucléaire.
Gravité quantique ?
La prochaine étape, pour l'intrépide physicien théorique, sera de regrouper la quatrième
et dernière interaction fondamentale, la gravité, sous une sorte de parapluie de champ
quantique. Malheureusement, aucun succès n'est à signaler dans ce domaine. Il existe de
nombreuses raisons à cela, nous nous contenterons d'en donner les deux principales.
La première est que nous disposons déjà d'une excellente théorie pour décrire le fonction-
nement de la gravité, une théorie qui va bien au-delà des remarquables découvertes de
Newton. On l'appelle la« relativité générale ~ et on en accorde essentiellement le crédit
à Albert Einstein. Cette théorie a fonctionné à merveille pour prédire et expliquer toutes
sortes d'observations sur la gravité proche et lointaine, surtout dans des conditions extrêmes
comme les trous noirs et autres curiosités. La mauvaise nouvelle est que la relativité générale
ne ressemble en rien à la théorie quantique des champs. C'est une explication purement
géomé~rique de l'interaction gravitationnelle et si l'on veut la quantifier un tant soit peu,
il faud~ait quantifier le temps et l'espace eux-mêmes, si cela a un sens.
Le deuxième problème majeur se situe du côté expérimental. Tous les travaux théo-
riques évoqués ont été vérifiés par des expériences en laboratoire, en général grâce
à la diffraction de particules de haute énergie dans des accélérateurs. L'interaction
gravitationnelle entre les particules subatomiques est si incroyablement petite, même
comparée à l'interaction faible, que ses effets sont impossibles à détecter dans de telles
expériences. Pour les détecter, il faudrait les mesurer à des échelles macroscopiques. Et
comme nous l'avons souvent répété, ce n'est pas à grande échelle que l'on observe les
effets quantiques. Nous examinerons la relativité générale et les possibilités de théorie
quantique de la gravité au chapitre suivant.
Chapitra 17 : Particules élémentaires 288
Le boson de Higgs
Comme nous l'avons brièvement mentionné au chapitre précédent, l'interaction faible
a été unifiée sur le plan théorique avec l'interaction électromagnétique, une victoire
majeure pour la physique qui s'est produite assez récemment. C'est dans les années 1960
que Glashow, Salam et Weinberg élaborèrent leur schéma d'unification fondé sur l'élec-
trodynamique quantique. Au départ, leur travail prédisait qu'il devait y avoir un total de
4 bosons sans masse pour porter la force combinée, 2 neutres et 2 chargés. Mais on savait
déjà que l'interaction faible avait une très courte portée, contrairement à l'interaction
électromagnétique. Par conséquent, les preuves expérimentales suggéraient fortement
que les 3 nouveaux bosons (à ajouter au photon neutre) devaient avoir des masses plutôt
importantes. Les bosons W et Z furent alors découverts, comme nous l'avons dit.
Mais les physiciens théoriques se demandaient toujours pourquoi les masses des particules
d'échange pour la même interaction étaient si différentes. Le théoricien britannique Peter
Higgs (avec d'autres) suggéra alors un mécanisme de brisure de la symétrie entre les bosons
d'échange, donnant à trois d'entre eux (deux W et un Z) les masses observées.
Ce mécanisme théorique postule l'existence d'un nouveau champ d'énergie invisible
imprégnant l'univers. Ce champ exerce une force sur les particules que l'on interprète
comme une masse et peut même s'appliquer à d'autres particules, en dehors des bosons W
et Z. Comme dans toute bonne théorie quantique des champs, il faut qu'il y ait au moins
un boson associé à ce champ et c'est ainsi qu'on postula l'existence du boson de Higgs.
Il était difficile de prédire la masse de cette particule avec certitude, mais les masses des
bosons W et Z permirent de préciser l'échelle. Ils avaient déjà de très grosses masses par
rapport à d'autres particules élémentaires, et on attendait du boson de Higgs qu'il soit
encore plus massif. Pour cette raison, de nombreuses années passèrent entre la prédiction
de son existence et son observation expérimentale.
Enfin, le 4 juillet 2012, des scientifiques annoncèrent que le boson de Higgs avait été
produit et détecté dans le grand collisionneur de hadrons du CERN, actuellement le plus
puissant accélérateur de particules, situé à la frontière franco-suisse. Ce boson de Higgs
avait la masse attendue et semblait être la première particule élémentaire dépourvue de
spin. Il n'avait ni charge électrique ni couleur de charge. Il incarnait un nouveau champ
(appelé« champ de Higgs ») se diffusant dans l'univers, et ouvrait la porte aux particules
élémentaires avec masse.
Sans le mécanisme de Higgs, les théories quantiques de champs prédisaient que toutes les
particules élémentaires auraient 0 masse, c'est-à-dire tout à fait le contraire de ce qu'on
266 Physique quantique - Le guide de référence
constate aujourd'hui. Cette découverte n'est par conséquent que le plus récent triomphe
dans une série de théories que l'on appelle « le modèle standard » de la physique des
particules.
Le modèle standard
Un trait commun à toutes les théories quantiques de champs est que les particules d'échange
sont toutes des bosons, pas des fermions, en vertu des propriétés de spin qui ont conduit au
principe d'exclusion de Pauli. Tous les bosons d'échange connus ont un nombre quantique
de spins égal à 1. La masse de la particule vectrice a une influence sur la portée de l'interac-
tion. Le fait que le photon soit dépourvu de masse implique que la force électromagnétique
a une portée infinie, sans pour autant violer la conservation de l'énergie et du moment
cinétique, tandis que les interactions nucléaires forte et faible ont des portées sévèrement
limitées. Si l'on élabore un jour une théorie quantique de champs pour la gravité, elle
requerra l'existence d'un boson sans masse, que l'on pourrait appeler<< graviton».
• Si j'arrivais à me souvenir du nom de toutes ces particules. j'aurais été botaniste. jeune homme. »
Le Prix Nobel Enrico Fermi au futur Prix Nobel Laon Lederman
Toutes ces observations sur les théories quantiques de champs peuvent être regroupées
dans ce qu'on appelle le modèle standard de la physique des particules. Bien qu'imparfait,
il fait beaucoup pour la compréhension de ce qui peut se produire ou non à l'échelle
quantique. Comme nous l'avons vu, le modèle standard a toujours du mal à incorporer
la gravité. Mais pour le reste des interactions fondamentales, il fait de l'excellent travail
quand il s'agit de guider des calculs et des modèles informatiques prédictifs dans un grand
nombre d'expériences.
La précision des prédictions pour l'interaction électromagnétique et l'interaction faible
est vraiment époustouflante. En ce qui concerne l'interaction forte, le modèle standard a
prédit correctement l'existence et même la masse de nouvelles particules avant qu'on les
observe. La manière exacte dont les interactions entre quarks font tenir les protons et les
neutrons dans le noyau est encore un peu mystérieuse, mais on peut se fier aujourd'hui à
la compréhension de la structure de base des protons, des neutrons et des noyaux.
Chapitre 1'1 : Particules élémentaires 28'1
quarks
bosons
champ de Higgs
~Œr
0[EJ
000
~~BJ
leptons
Le modèle standard, qui rassemble toutes les entités connues de la théorie quantique des champs,
peut se résumer en une figure concise. Seul le côté matière est montré ici. étant donné
que le côté antimatière a pratiquement la même apparence.
Les caractéristiques qualitatives du modèle standard se résument en une figure. Les fermions
élémentaires sont sur la gauche, et les bosons médiateurs sur la droite. Les fermions se
séparent en quarks et en leptons, qui se présentent sous forme de paires de 3 générations.
Les gluons, en tant que particules d'échange porteuses de l'interaction forte, n'interagissent
qu'avec les quarks et avec eux-mêmes. Les photons n'interagissent qu'avec les particules de
charge électrique non égale à 0, ce qui exclut les gluons, tous les neutrinos et les bosons
neutres Z. Malgré sa puissance infèrieure à l'interaction forte et à l'électromagnétisme,
l'interaction nucléaire faible exerce une influence sur d'autres particules. Tous les fermions
fondamentaux (quarks et leptons) participent à l'interaction faible, médiatisée par les bosons
W et Z. La pièce la plus récente du modèle standard est le boson de Higgs et son champ
omniprésent, dont certaines des particules tirent leur masse.
Le modèle standard était un grand succès et demeure une représentation valide d'un large
éventail de la physique de base, mais il n'est pas complet. Certaines parties manquent et
d'autres sont encore à l'état brut. Son plus gros défaut est l'absence d'une théorie quantique
de champs pour la gravité. Cette omission flagrante est devenue le Graal de nombreux
physiciens, et c'est vers cette quête considérable que nous allons maintenant nous tourner.
268 Physique quantique - Le guide de référence
18
Vers une théorie du tout
Les physiciens ne sont jamais satisfaits. Ils ne visent rien de Dans ce chapitre
moins qu'une compréhension complète de l'univers - passé,
présent et futur. La physique quantique a fait de gros progrès Les carences du modèle
dans cette direction et le modèle standard résume très bien ces standard
progrès et l'état actuel de nos connaissances. Mais il ne fournit
• Un bref coup d'œil à la
certainement pas une image complète.
relativité
Nous entamerons ce chapitre en examinant de plus près en quoi
Quelques pistes pour la
pèche le modèle standard. L'étude de ces carences pourrait nous
gravité quantique
donner une idée de la manière de les combler pour parvenir à
une compréhension complète de la nature. Comme nous l'avons Le problème de la testabilité
dit au chapitre précédent, l'incorporation de la gravité dans
un cadre quantique constitue la plus grosse part du problème.
Nous allons donc passer en revue la manière dont les physiciens
théoriques s'y attaquent.
Dans ce chapitre, nous vous emmènerons aussi aux limites des
connaissances en physique. Ces limites soulèvent naturellement
la question de savoir ce qui peut être connu et celle de savoir
s'il est effectivement possible de tout comprendre. On ignore
si la prochaine révolution en physique est pour demain, si les
progrès continueront d'être lents ou s'ils s'arrêteront tout à fait.
Seul le temps le dira.
2'70 Physique quantique - Le guide de référence
~ DÉFINITION
Les param6tru libres dans un modèle théorique sont des valeurs de départ nécessaires. Ce sont
des grandeurs physiques nécessaires à la théorie pour faire ses prédictions. mais cette dernière
ne prédit ni ne limite leur valeur.
Les physiciens préfèrent les théories qui ne comportent pas trop de paramètres libres. En
effet, plus il y en a, moins la théorie est à même de fournir des explications. Le modèle
standard comprend un nombre relativement restreint de particules élémentaires, mais il
ne prédit pas exactement la masse de ces particules (excepté dans les cas sans masse, les
photons et les gluons). Il prédit effectivement que les antiparticules doivent avoir à peu
près la même masse que les particules, mais cela laisse tout de même une quinzaine de
paramètres libres. Le mécanisme de Higgs fournit une explication théorique au fait que
les particules élémentaires puissent avoir une masse, mais il ne définit pas encore ce que
doivent être ces masses.
SAUT QUANTIQUE
Il est utile de rappeler ici un autre défaut du modèle standard, bien qu'on ne sache pas encore s'il a
quelque chose à voir avec la physique quantique. L'astronomie et la cosmologie ont démontré que
les hadrons et les leptons connus ne forment que 15 % de la masse totale de l'univers environ. Le
reste de cette masse est influencé par la gravité, mais, apparemment. ni par l'électromagnétisme
ni par l'interaction nucléaire forte. On ignore encore de quoi il s'agit. si bien que les physiciens
l'ont baptisée • matière noire • La matière noire pourrait être composée de particules élémentaires
encore inconnues. Avec un peu de chance. le jour où l'on arrivera à incorporer la gravitation dans
la théorie quantique du tout. on saura ce qu'est la matière noire.
Chapitre 18 : Vers une théorie du tout 2'11
électromagnétisme
ô . ..;
0 ô . .il. .
UI
c
0
•
" l g-
f
1 1 1 l Î Î
Ce schéma illustre l'unification potentielle des interactions fondamentales à des époques très antérieures.
L'axe horizontal indique l'ô.ge approximatif de /'univers.
de GUT bien développée, mais le terme est utilisé pour distinguer ce niveau d'unification
de l'objectif ultime, à savoir une « théorie du tout », qui, elle, unifierait toutes les forces
fondamentales, y compris la gravité.
~ DÉFINITION
Une th6orte de grande unlllcaHon IGUTI est une théorie quantique de champs ordinaire. qui
unifie les interactions forte, faible et électromagnétique.
Une th6orle du tout (ToEI est l'unification des interactions forte, faible et électromagnétique
avec la gravité.
SAUT QUANTIQUE
Les deux parties de la théorie de la relativité d'Einstein furent publiées avant la naissance de la
physique quantique moderne. La relativité restreinte sortit en 1905 et la relativité générale en 1915.
Pourquoi la gravité est-elle si difierente des autres forces ? La clé est de visualiser la masse de
deux manières différentes. Pensez à la force électrostatique classique. Seules des particules
de charge non égale à 0 peuvent s'attirer ou se repousser en raison de l'interaction électro-
magnétique. Quand une telle force existe, elle pousse les particules chargées à accélérer,
selon la seconde loi de Newton : F = ma, ou a = Ff... La« source » de la force (F) est la
charge électrique, et l'effet de la force (l'accélération, a) est inversement proportionnel à la
masse (m). La même force a moins d'effet sur une masse supérieure. La charge électrique
et la masse jouent des rôles complètement différents.
Dans le cas de la gravité, toutefois, la masse joue les deux rôles. C'est à présent la « source »
de la force, en cela que seules les particules dotées de masse éprouvent la force de gravité
2'14 Physique quantique - Le guide de référence
et que la force ressentie est directement proportionnelle à la masse. De l'autre côté, l'effet
de la force est toujours freiné par la masse : F = ma. Les physiciens font la distinction entre
les deux masses: la« masse inerte» (résistance d'un corps au changement de mouvement)
et la« masse grave» (grandeur de l'attraction par la gravitation).
Des expériences ont montré que, dans tous les cas, la masse inertielle est égale à la masse
gravitationnelle. Les physiciens ont naturellement cherché les raisons d'une coïncidence
aussi surprenante. C'est en formulant un« principe d'équivalence» qu'Einstein développa
sa théorie de la relativité générale.
~ DÉFINITION
1
1
1
1
1
1
1
''~ ......
1 ......
1 .........,
1 /
1 I
1 I
1 /
I I
"' 1 I
...... 1 /
.........J,,
•L'ascenseur d'Einstein • est une expérience de pensée utilisée pour décrire le principe d'équivalence.
une trajectoire en ligne droite par rapport à la courbure de l'espace. S'il nous semble que
deux masses sont attirées l'une par l'autre, c'est parce qu'une masse déforme l'espace dans
lequel l'autre masse se déplace.
La relativité générale prédit aussi que même les photons dépourvus de masse sont affectés
par la gravité, en raison de la même distorsion de l'espace. Dans le modèle standard, les
particules de masse 0 (comme les photons) ne sont pas sensibles à la force gravitationnelle.
Cela indique encore une fois que la meilleure théorie de la gravité est incompatible avec
le modèle standard.
--------------------..~
L'analogie de l'ascenseur d'Einstein fournit une explication a l'effet de la gravité sur les photons sans masse.
Pour nous représenter la manière dont les photons peuvent être affectés par la gravité,
reprenons l'exemple de la cabine d'ascenseur. Cette fois, une lampe torche projette un
faisceau de lumière horizontal. Si la cabine accélère vers le haut, le faisceau de lumière
semble se recourber vers le bas sur sa trajectoire. Et si le principe d'équivalence est vrai,
cela signifie que la lumière se recourbe également quand la cabine stationne dans un champ
Chapitre 18 : Vers une théorie du tout 277
gravitationnel. La relativité générale prédit donc que les photons sont influencés par la
gravité, contrairement au modèle standard, dans lequel les photons n'ont pas de masse.
Cette prédiction a été vérifiée par de nombreuses observations de faisceaux de lumière se
recourbant en présence de puissants champs gravitationnels.
La relativité générale a connu de grands succès en rendant compte de tous les phénomènes
connus associés à la gravitation. Elle prédit correctement que la trajectoire de la lumière
se recourbe en présence de concentrations de masse, de l'existence de trous noirs, dans la
structure à grande échelle de l'univers, d'ascenseurs rapides, etc. Toutes ces réussites font
qu'il est difficile de l'écarter en faveur d'une théorie quantique de champs pour la gravité.
Les théoriciens cherchent donc à l'adapter au cadre quantique. Mais avec un modèle
d'interaction aussi radicalement différent, ils ont du pain sur la planche.
Supersymétrie
Le premier prolongement du modèle standard qui tente de corriger ses défauts et d'intégrer
la gravitation s'appelle « la supersymétrie », abrégée en SuSy. SuSy postule que les fermions
sont associés à des bosons totalement nouveaux (pas les bosons d'échange), mais aussi que
les bosons connus sont associés à de nouveaux fermions.
Comme le but est de simplifier les choses, on se demande pourquoi il faudrait doubler
le nombre de particules élémentaires. La raison en est que les calculs mathématiques de
la supersymétrie permettent d'unifier exactement les interactions faible et forte de haute
énergie. SuSy est aussi une composante indispensable de la théorie des cordes, que nous
verrons plus loin. Avec un haut degré de symétrie, on peut calculer plus d'interactions
exactes. SuSy fait de la place à un boson d'échange jusque-là inobservé, qu'on appelle« le
graviton», qui permet l'interaction gravitationnelle.
Malheureusement, aucun des associés supersymétriques prédits n'a jamais été observé. La
raison pourrait en être que ces nouvelles particules ont des masses bien plus importantes
que leurs partenaires ordinaires, ce qui implique le besoin d'accélérateurs plus grands et
plus puissants. Mais pourquoi cela ? Il semble un peu idiot d'inventer un autre niveau
de symétrie juste pour le rompre drastiquement. D'un autre côté, l'une ou l'autre de ces
nouvelles particules pourrait former la matière noire.
278 Physique quantique - Le guide de référence
plus d'imiter le modèle standard, la théorie des cordes ne fournit pas d'autres prédictions
qui pourraient être testées dans un futur prévisible. Comment imaginer en effet un moyen
de détecter quelque chose 1020 fois plus petit qu'un proton ?
La théorie des cordes est incontestablement inachevée. Certains théoriciens ont été décou-
ragés par le manque de résultats obtenus ces dernières années, mais d'autres continuent
d'explorer les possibilités pour trouver un moyen de tester expérimentalement certaines
parties de la théorie.
Au-delà de l'expérimentation ?
L'expérimentation des hypothèses et des prédictions théoriques fait tellement partie de la
science que l'on se doit de questionner toute théorie qu'on ne peut expérimenter. Est-ce
vraiment une théorie ? Est-elle assez bonne pour que des essais expérimentaux soient
possibles dans un avenir proche ? Il n'est peut-être pas possible de fournir des réponses
précises à ces questions, mais elles se doivent d'être posées.
280 Physique quantique - Le guide de référence
Le xx• siècle était une époque enthousiasmante pour les physiciens. Les décennies 1920 et
1930 furent particulièrement fructueuses pour la découverte des mécanismes profonds de
la nature. Durant une génération ou deux, de nouvelles théories furent proposées et testées
en rapide succession. Tous les trois ou quatre ans, la communauté scientifique était forcée
de repenser son image du monde au niveau fondamental. Les théoriciens travaillaient main
dans la main avec les expérimentateurs pour valider ou infirmer les théories.
Les répercussions de la révolution quantique alimentèrent encore des progrès après la
Seconde Guerre mondiale. A mesure qu'on comprenait de mieux en mieux la physique
quantique, des avancées technologiques permirent de vérifier ses affirmations et d'étendre
sa portée, tandis que la théorie débouchait sur des améliorations technologiques. Des
accélérateurs de particules de plus en plus perfectionnés, des ordinateurs plus rapides et
des détecteurs plus sensibles permirent d'élaborer le modèle standard des interactions et
des particules fondamentales.
Ces dernières décennies, de nombreux physiciens théoriques ont le sentiment que les
progrès ont considérablement ralenti au niveau de la compréhension fondamentale. De
plus, la plupart des propositions sérieuses pour incorporer la gravité au cadre quantique
ne peuvent être testées avec les outils expérimentaux qu'on pourrait concevoir dans un
futur proche (ou même lointain). Dans ce contexte, il n'est pas sûr qu'il vaille la peine de
construire la prochaine génération d'accélérateurs de particules.
SAUT QUANTIQUE
Le premier accélérateur de particules du monde. le cyclotron élaboré par Ernest Lawrence en 1932,
est réputé avoir coûté à peine 25 dollars. Par contraste, le grand collisionneur de hadrons. avec
lequel on a détecté le boson de Higgs. a coûté plus de 5 milliards de dollars 1
En effet, une grande partie de l'espoir concernant les essais expérimentaux des théories
les plus basiques repose actuellement non sur des écraseurs d'atomes améliorés, mais sur
la cosmologie et l'astronomie observationnelle. Nous approchons du point où une seule
expérience pourrait permettre de vérifier les postulats de la théorie du tout et cette expé-
rience est celle qui se déroule depuis 15 milliards d'années. C'est l'univers lui-même, le
Big Bang, et l'évolution subséquente de la matière et de l'énergie sous toutes leurs formes,
qui obéissent aujourd'hui à un ensemble de règles dont nous connaissons certaines et
d'autres pas encore.
Il est possible que la structure de la théorie quantique des champs, qui décrit si bien le
comportement des quarks et des leptons quand on peut ignorer la gravité, ait atteint ses
limites quant à sa capacité à décrire l'univers - à l'image de la physique classique qui s'est
Chapitre 18 : Vers une théorte du tout 281
essouffiée il y a un peu plus d'un siècle. Nous avons peut-être besoin d'une autre révolution
pour renverser le cadre théorique actuel. La physique quantique sera-t-elle remplacée par
une théorie inimaginable pour l'instant?
Les prochains Einstein, Planck et Schrodinger sont peut-être déjà parmi nous, s'efforçant
de trouver des formules qui uniront la gravité aux autres forces. Ils expliqueront peut-être
les raisons de cet assortiment de particules élémentaires et ce que devraient être leurs
propriétés (masse comprise).
CITATION QUANTIQUE
• Je pense qu'il y a de bonnes chances pour que l'étude de l'univers primitif et les exigences de
la logique mathématique nous conduisent à une théorie complètement unifiée durant la vie de
certains de ceux qui nous entourent aujourd'hui[ ... ].•
Stephen Hawking, Une bréve histoire du temps
En se fondant sur l'Histoire, en particulier le fait que, juste avant la révolution quantique,
des scientifiques réputés avaient déclaré que la physique était complète, les physiciens
d'aujourd'hui pensent qu'il y a encore beaucoup de progrès à venir. Il y a de bonnes
chances pour que l'histoire de la physique ne soit pas terminée. Si la fin de la physique
quantique arrive effectivement, ce qui viendra ensuite sera sans doute encore plus étrange,
mais également plus stimulant.
6
Applications de la théorie
•
quantique
La valeur d'une discipline scientifique repose en grande partie sur ce qu'elle peut faire pour
l'humanité. Les protagonistes de notre histoire l'ont bien compris, et il ne leur a pas fallu
longtemps pour doter leurs découvertes d'applications concrètes. Aujourd'hui, les technologies
quantiques prolifèrent et on ne peut prendre sa voiture ou payer à une caisse de supermarché
sans faire appel à la physique quantique.
Mais ces technologiques font pâle figure auprès des nouvelles pistes que nous promet l'avenir. Des
applications à même d'améliorer la santé, la vitesse des ordinateurs et la sécurité des communi-
cations se profilent déjà. Des idées encore plus échevelées ne sont qu'à quelques sauts quantiques.
Nous allons maintenant voir comment le geste de désespoir de Planck, les quanta de lumière
heuristiques d'Einstein et le chat de Schrodinger ont amélioré et continuent d'améliorer nos
vies. Dans cette dernière partie, nous allons enfin comprendre pourquoi la physique quantique
est si importante.
CHAPITRE
19
Lumières et solides
quantiques
La physique quantique n'a pas seulement fait progresser notre Dans ce chapitre
compréhension fondamentale de la nature, elle a aussi donné
naissance à une nouvelle génération de technologies, en partie Les applications
grâce à d'ingénieuses expériences qui ont validé nombre de ses quotidiennes des sauts,
aspects au cours du siècle dernier. états et niveaux d'énergie
quantiques
Dans ce chapitre, nous allons passer en revue les technologies
quantiques d'aujourd'hui en les mettant en rapport avec les Comment la physique
principes développés jusqu'ici. Nous expliquerons comment quantique éclaire les rues et
les sauts quantiques ont permis d'éclairer votre foyer. Nous les bars
verrons comment les états quantiques ont permis d'imprimer
Horloges atomiques et GPS
des cartes d'embarquement et de les scanner. Nous décrirons
même comment les niveaux d'énergie permettent d'éviter les Semi-conducteurs et
embouteillages. supraconductivité
Enfin, nous vous présenterons la théorie quantique des solides,
et nous verrons comment les légions d'atomes ressemblent
et diffèrent à la fois des atomes isolés. Enfin, nous verrons
comment ces propriétés uniques alimentent Internet et entre-
tiennent l'espoir d'un avenir sûr sur le plan énergétique.
288 Physique quantique - Le guide de référence
Néons
Un précurseur du célèbre néon a été pour la première fois expérimenté en 1855 par le
physicien allemand Heinrich Geissler. Il observa qu'une luminescence émanait d'un tube
rempli de gaz à basse pression quand on lui appliquait un champ électrique. Nous savons
désormais que l'application de ce champ électrique dépouille les atomes du gaz de leurs
électrons, créant ainsi un ftux d'électrons négatifs dans une direction et un ftux d'atomes
ionisés (ions) de charge positive dans l'autre. Les collisions entre les ions ou les électrons
et les atomes débouchent sur des ionisations supplémentaires, perpétuant ainsi le processus.
Ce mélange d'électrons et d'ions s'appelle aujourd'hui un« plasma ~. S'il est courant de
se représenter les solides, les liquides et les gaz comme les trois états de la matière, les
physiciens y ajoutent le plasma.
~ DÉFINITION
Un pla1ma est un état de la matière qui se forme quand un gaz atomique ou moléculaire est
hautement ionisé, c'est-à-dire qu'il est presque entièrement composé d'atomes, de molécules et
d'électrons libres ionisés.
Les collisions entre ions ou électrons et atomes ne fournissent pas toujours une énergie
suffisante pour libérer les électrons atomiques. Quand ce n'est pas le cas, les atomes
heurtés passent simplement de leur état fondamental à un état d'excitation. Peu après, ils
effectuent la transition inverse, émettant au passage des photons à une fréquence établie
par l'espacement des niveaux d'énergie. Ce sont ces photons qui créent la luminescence,
et la fréquence caractéristique en détermine la couleur. Quand la décharge luminescente
vient du néon, elle est de couleur rouge. L'hélium émet une couleur violette, le dioxyde
de carbone une lumière blanche et le mercure une lumière bleue - un exemple on ne peut
plus clair des transitions atomiques étudiées au chapitre 7.
L'ingénieur français Georges Claude déposa un brevet pour cette technologie en 1910,
ouvrant la voie à l'usage des néons pour la publicité et l'art. La décharge luminescente est
aussi à la base de la lampe à sodium, dont la lumière orangée caractérise d'innombrables
lampadaires de rue de par le monde.
Un dispositif miniaturisé opérant sur les mêmes principes, le tube au néon, fut introduit en
1971. Il fut largement utilisé dans les années 1970 pour les affichages électroniques et sert
aujourd'hui de technologie de base pour les écrans plasma de télévision et d'ordinateur.
Chapitre 19 : Lumières et solides quantiques 287
Même les ampoules fluorescentes ordinaires sont basées sur la décharge luminescente. Dans
ce cas, la décharge vient de la vapeur de mercure, invisible, car située dans la gamme des
ultraviolets. Les photons ultraviolets servent à exciter le revêtement phosphorescent de
l'ampoule, ce qui donne la vive lumière blanche que nous connaissons.
néon lampadaire de rue ampoule fluorescente
Wlr
~·115nm
Ne Na Hg
Les néons. les lampadaires de rue et les ampoules fluorescentes sont tous basés sur la décharge
luminescente. La fréquence particulière de la lumière correspond à une transition atomique soigneusement
sélectionnée. Ce diagramme simplifié des niveaux d'énergie montre les longueurs
d'onde caractéristiques de chacun.
Lasers
Le laser est l'un des meilleurs exemples des applications quantiques parce qu'il est largement
utilisé. Au chapitre 7, nous avons expliqué que des atomes excités émettent des photons
en faisant un saut quantique dans un état d'énergie inférieur. Dans la plupart des cas, cela
se produit sans aucune influence extérieure, et les émissions de cette sorte sont qualifiées
de « spontanées ». Ce n'est cependant que la moitié de l'histoire, car les atomes peuvent
aussi être encouragés à émettre des photons par un processus appelé « émission stimulée ».
~ DÉFINITION
L'6mblalon 1pontan6e d'un photon résulte d'un saut quantique non provoqué par des facteurs
externes.
L'6mlaalon 1tlmul6e d'un photon se produit quand un photon identique externe contraint l'atome
excité à faire un saut quantique.
288 Physique quantique - Le guide de référence
L'émission stimulée est un processus physique fondamental prédit à l'origine par Einstein en
1917. Son importance pour le laser est soulignée par le nom de ce dernier. En effet, avant
de devenir un nom commun, « laser » était l'acronyme de « light amplification by the stimulated
emission <if radiation» (amplification de la lumière par l'émission stimulée de rayonnement).
Le premier laser réussi fut construit par le physicien américain Theodore Maiman en 1958,
en faisant appel à un effet similaire : « microwave amplification by the stimulated emission of
radiation ». Il fut baptisé du nom incisif de « maser », et sa réalisation fut récompensée du
prix Nobel de 1964 (partagé par le physicien américain Charles Townes et ses homologues
soviétiques Nicolay Gennadiyevich Basov et Aleksandr Prokhorov).
L'émission stimulée est clairement la composante commune, mais qu'est-ce que cela veut
dire exactement ? L'émission stimulée d'un photon se produit quand un atome excité
entre en collision avec un photon de la même fréquence. En d'autres termes, un photon
stimule l'émission d'un photon identique. En outre, le photon stimulé a la même fréquence
que le photon incident, mais aussi la même direction et la même phase (par « phase »,
nous entendons que les pics et des creux des ondes électromagnétiques correspondantes
se produisent en même temps. Des photons de phase identique sont dits « cohérents »).
Inversion
dela !l.E= hf
population
stlmulatlon
émission
Trois étapes sont requises pour produire un laser : /'inversion de population. la stimulation et /'émission.
Ici, les lignes horizontales représentent les niveaux d'énergie et les points noirs indiquent
lesquels l'électron occupe â chaque étape.
Chapitre 19 : Lumières et solides quantiques 289
~ DÉFINITION
Une ID't'eralon de population fait référence à l'excitation de plusieurs atomes dans un état
spécifique. l:inversion n'est complète que quand la moitié de la population des atomes a été excitée.
Sans le savoir, vous rencontrez sans cesse des lasers dans la vie quotidienne, Au supermarché,
les caissières se servent de lasers pour scanner les codes-barres et lire les prix des articles,
Les lecteurs de CD et de DVD scannent la surface des disques, dans laquelle de petits
creux ont été gravés pour encoder numériquement les images et la musique. Bien sûr, on
trouve aussi des lasers dans les imprimantes laser pour transférer le toner sur le papier. Et
il y a aussi de bonnes chances pour que vous commandiez cette impression à l'aide d'une
souris à laser, qui convertit vos mouvements sur la table en mouvements à 1' écran.
Les lasers ont aussi révolutionné la médecine. On utilise tous les jours de petits lasers pulsés
en chirurgie, parce qu'ils sont très précis et évitent d'endommager les tissus ou les organes
voisins. Ils sont très efficaces et très peu invasifs pour les opérations de l'œil, notamment
le traitement du décollement de la rétine, du glaucome, de la myopie et autres aberrations
optiques. La cohérence et l'unidirectionnalité du faisceau laser en font également l'outil
idéal pour mesurer avec précision de petites ou de grandes distances. On a par exemple
utilisé des télémètres à laser pour mesurer la distance entre la Lune et la Terre avec une
marge d'erreur de moins de 10 cm!
En 2009, les avancées de la technologie des accélérateurs à particules ont permis de produire
le premier laser à rayons X ultra-intenses et ultra-courts. Il offre les mêmes caractéristiques
que les lasers de table, mais dispose d'autres propriétés. Son accélérateur linéaire permet de
produire un intense faisceau d'électron, proche de la vitesse de la lumière. Les électrons
sont dirigés vers des étages d'oscillation (appelés« onduleurs») où ils émettent des rayons X.
Comme les électrons ne peuvent éviter les rayons X, ils interagissent avec ces derniers,
ce qui donne des photons à rayons X clonés via le processus d'émission stimulée. Ce type
de laser est utilisé pour étudier les liaisons moléculaires, les supraconducteurs à haute
température, l'origine du magnétisme, et même ce qui se passe à l'intérieur de planètes
géantes comme Jupiter.
GPS
Vous avez entendu parler des GPS, puisque vous en avez sans doute un dans votre voiture,
dans votre portable ou les deux. Mais saviez-vous que le GPS (Global Positioning System)
Chapitre 19 : Lumières et solides quantiques 291
ne fonctionnerait pas sans les lois de la physique quantique? C'est parce que les satellites
GPS ont une horloge atomique à bord, dont la fréquence et l'heure sont les références les
plus exactes possible.
De l'horloge à eau des Chinois à la Swatch moderne, toutes les horloges comptent le
temps en enregistrant quelque chose qui se produit à intervalle régulier. Le balancier des
horloges de nos grands-parents, par exemple, oscillait environ une fois par seconde (ou
à une fréquence d'un hertz), en sorte que 60 oscillations équivalaient à une minute. Les
montres de poignet modernes fonctionnent grâce à un quartz qui, stimulé électriquement,
oscille plus de 10 000 fois par minute. Beaucoup d'autres cycles servent à compter une
minute, mais le principe est le même.
Un saut quantique dans un atome donné peut aussi donner une mesure de fréquence. Non
pas le rythme auquel les sauts se produisent, qui peut être aléatoire, mais la fréquence que
véhiculent les photons émis. Comme cette fréquence est réglée par la différence des niveaux
d'énergie, qui est la même pour tous les atomes d'un même type, on peut se servir d'un
ensemble d'atomes pour enregistrer l'heure.
SAUT QUANTIQUE
L'unité de temps fondamentale qu'utilisent les physiciens est basée sur un saut quantique.
Depuis 1967, une seconde correspond à • la durée de 9 192 631 770 périodes de rayonnement
correspondant à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l'état fondamental de l'atome de
Césium 133 •. C'est une autre manière de dire que le photon émis durant cette transition atomique
a une fréquence de 9 192 631 770 hertz, ce qui correspond à une longueur d'onde d'environ 3 mm.
Le GPS, lui, repose sur un réseau de satellites en orbite autour de la Terre, à environ
20 000 km d'altitude. Chacun de ces satellites est équipé d'une horloge atomique de même
fréquence, ce qui veut dire que l'heure donnée par un satellite est rigoureusement la même
que celle d'un autre satellite (à un milliardième de seconde près). En outre, chacun des
satellites émet continuellement sa position, définie à tout moment par notre bonne vieille
physique classique, cadeau d'Isaac Newton.
Pendant ce temps, sur Terre, votre GPS détecte les signaux radio d'au moins 4 satellites,
où que vous vous trouviez. Il détermine alors sa propre position en calculant sa distance
par rapport à eux. C'est possible, puisque les signaux voyagent à la vitesse de la lumière (c)
et qu'ils couvrent donc la distance (r) entre le satellite et le récepteur en un temps ll.t = %.
Le récepteur mesure la différence entre son heure et l'heure du satellite, puis calcule la
distance selon r = c x ll.t. Cela informe le récepteur qu'il repose sur une sphère dont le
rayon r est centré sur la position du satellite.
Une fois les trois autres satellites pris en compte, le récepteur sait qu'il repose sur 4 sphères
aux centres et aux rayons connus. Deux de ces sphères se recoupent en cercle, tandis que
la troisième recoupe le cercle en deux points. La quatrième détermine la position sans
ambiguïté.
Tout cela repose bien entendu sur le fait que le récepteur du GPS mesure le temps avec
précision. Cela veut-il dire que votre smartphone a besoin de sa propre horloge atomique ?
Heureusement non. Le récepteur du GPS déduit son heure du calcul de l'heure et des
3 positions coordonnées (x, y et z). Calculer les grandeurs inconnues avec 4 équations est
une tâche facile à la portée du plus simple des ordinateurs.
Accessoirement, si l'on veut connaître sa position au mètre près, on a besoin d'autre
chose que de la physique quantique. Pour parvenir à ce niveau de précision, la théorie de
la relativité est nécessaire. Comme les satellites orbitent à grande vitesse, leurs horloges
atomiques tournent plus vite que les horloges sur Terre. Si le récepteur ne corrige pas cela,
cela débouche sur des erreurs de position de quelques centaines de mètres - suffisamment
pour vous faire manquer le bon embranchement (à l'heure de pointe, naturellement).
Semi-conducteurs
En dehors de quelques molécules ici et là, jusqu'ici nous nous sommes surtout intéressés
aux atomes (et aux noyaux) isolés. Il suffit néanmoins de jeter un coup d'œil autour de soi
pour comprendre que ce n'est qu'une toute petite partie de l'ensemble. Votre logement est
rempli d'objets solides, depuis le livre que vous tenez jusqu'aux câbles électriques dans les
Chapitre 19 : Lumières et solides quantiques 293
murs et aux glaçons dans le congélateur. Nous allons maintenant vous présenter ce que la
physique quantique a à dire sur les solides, et nous verrons comment les caractéristiques
des solides quantiques peuvent améliorer la vie.
La structure de la matière solide et l'arrangement des atomes dans les solides dépendent
du nombre et des arrangements des électrons au sein de ces atomes, en d'autres termes
des propriétés électroniques des combinaisons d'atomes. Bien que tous les objets qui nous
entourent existent à une échelle macroscopique, leurs propriétés physiques sont dues
au mouvement des électrons en eux. Par conséquent, la matière solide et ses propriétés
s'expliquent - et se maîtrisent - par la physique quantique.
Les matériaux se divisent généralement en conducteurs (comme les fils de cuivre trans-
portant l'électricité) et en isolants (comme le papier de ce livre). La différence repose sur
leur capacité à conduire l'électricité. Si l'on attache une batterie à un circuit en cuivre,
le courant électrique circule. Les isolants, de leur côté, ne conduisent pas l'électricité.
Il existe aussi une catégorie de matériaux intermédiaires, qui ne conduisent l'électricité
qu'une partie du temps. C'est la catégorie que les physiciens ont baptisée du nom très peu
imaginatif de« semi-conducteurs». Vous ne serez pas surpris d'apprendre que ce type de
solide est également expliqué par la physique quantique.
~ DÉFINITION
Un conducteur est une forme de matière qui conduit l'électricité quand on lui applique un champ
électrique ou un voltage.
Un Isolant est une forme de matière qui ne conduit pas l'électricité.
Un semi-conducteur est une forme de matière qui peut conduire l'électricité à très haute
température.
Pour comprendre pourquoi, considérons d'abord deux atomes séparés par une grande
distance. Ces atomes sont des atomes de sodium, avec 1 électron dans la couche de valence
périphérique (désignée par 3s) et 10 autres électrons sagement rangés dans les couches
intérieures. Bien séparé d'un autre atome, l'atome de sodium possède son propre enseID:ble
de niveaux d'énergie discrets (mais identiques).
Si l'on rapproche ces deux atomes, quelque chose d'inhabituel se produit. Les fonctions
d'onde de tous les électrons commencent à se chevaucher et les niveaux d'énergie se divisent
par deux! C'est parce qu'on a à présent un système à 2 atomes et que les niveaux d'énergie
diffèrent légèrement selon que les électrons correspondants sont de spins identiques ou
294 Physique quantique - Le guide de référence
de spins opposés. Ce système à 2 atomes possède son propre ensemble de petits doublets
d'états énergétiques.
Bien entendu, les solides ont plus de deux atomes. En fait, n'importe quel fragment de
matière en a environ 1023 • Que se passe-t-il quand tant d'atomes voisinent? Les niveaux
d'énergie individuels se brouillent en une large bande, en raison du chevauchement des
fonctions d'onde et des interactions de spins .
......
3p------<
........
------
3s ------.:~~~
·------
2p ______,.........
,
. ......
------
2s ______,,::::::·
·------
1s ------·<·------
1 atome 2 atomes 1023 atomes
Les niveaux d'énergie d'un électron isolé s'appellent des singulets, ceux d'un système à 2 atomes des
doublets. Dans le cas d'un solide, qui a plus de 1023 atomes, ils prennent la forme de bandes de valence
ou de conduction. Dans l'atome de sodium, la couche 3s n'est qu'à moitié remplie.
Mais ce n'est pas terminé. Revenons à notre atome de sodium : les électrons sagement
rangés dans les couches intérieures (ls, 2s et 2p) forment des bandes énergétiques bien
remplies. Mais que se passe-t-il dans la bande correspondant à l'électron de valence dans
la couche 3s ?
Rappelez-vous que la couche de valence de cet électron peut recevoir 2 électrons, même si
le sodium n'en a qu'un. En d'autres termes, la couche périphérique d'un atome de sodium
isolé est à demi remplie. Dans le cas d'un solide, cela veut dire que la bande périphérique
est aussi à demi remplie. Et comme elle est formée par les électrons de valence, elle s'appelle
« la bande de valence ».
Chapitre 19 : Lumières et solides quantiques 295
Nous savons qu'un atome de sodium peut être excité. Cette excitation provoque l'occu-
pation de couches électroniques supérieures. Dans le cas du solide, les bandes d'énergie
supérieures sont aussi occupées. Et la bande qui suit immédiatement la bande de valence
est nommée « bande de conduction » pour des raisons que nous allons voir très vite.
~ DÉFINITION
La bande de valence est la bande des états d'énergie les plus hauts d'un solide quantique. Elle
peut être totalement ou partiellement remplie.
La bande de conduction est la première bande d'états d'énergie au-dessus de la bande de
valence. Les électrons promus sur la bande de conduction peuvent circuler sous forme d'électricité.
La bande Interdite représente la différence d'énergie entre Je sommet de la bande de valence
et le fond de la bande de conduction.
L'occupation et la proximité de ces deux bandes sont ce qui distingue les conducteurs
des isolants et des semi-conducteurs. Les conducteurs (comme le sodium) ont des bandes
de valence partiellement remplies. Si on applique un champ électrique sur un conduc-
teur (branchement d'une batterie) les électrons peuvent se déplacer et occuper l'un des
nombreux états d'énergie inoccupés à proximité. C'est ce mouvement qui forme le courant
électrique.
Par contraste, les bandes de valence des isolants et des semi-conducteurs sont complète-
ment remplies. Pour les isolants, la bande d'énergie séparant les bandes de valence et de
conduction(« bande interdite» ou« gap») est beaucoup plus large que l'énergie thermique
courante. Pour les semi-conducteurs, la bande interdite est approximativement équivalente
à l'énergie thermique courante. Cela veut dire que si l'on ajoute un peu de chaleur au
système, les électrons au sommet de la bande de valence, du fait de leur excitation ther-
mique, peuvent gagner la bande de conduction et y circuler librement. Les électrons des
isolants, par contre, sont plus ou moins confinés dans la bande de valence, car il n'existe pas
d'états d'énergie supérieurs qui leur permettraient de participer à la conduction électrique.
Les propriétés électriques des conducteurs et des isolants sont importantes, mais pas
d'un intérêt extrême. Les physiciens ont néanmoins manipulé les propriétés singulières
des semi-conducteurs pour inventer des tas d'appareils intelligents. Les transistors - ces
petits composants électroniques nichés au cœur de tous les circuits intégrés modernes -
reposent largement sur la nature intermittente des semi-conducteurs. Le silicium (silicon
en anglais) est parmi les semi-conducteurs les plus couramment utilisés, d'où l'origine du
nom « Silicon Valley ».
296 Physique quantique - Le guide de référence
~ DÉFINITION
Une cellule solaire est une composante électronique semi-conductrice qui convertit directement
la lumière du Soleil en électricité.
La première cellule solaire fut produite en 1954, aux États-Unis, par Gerald Pearson, Daryl
Chapin et Calvin Fuller. Mais le matériau dont ils se servirent n'était pas composé d'atomes
d'un seul type. Les physiciens avaient en effet découvert que les propriétés électroniques des
matériaux semi-conducteurs (tels que le silicium) pouvaient être améliorées en introduisant
une petite quantité d'impuretés, appelée« dopant ». Si les atomes dopants ont davantage
d'électrons de valence que le matériau de base, on a ce qu'on appelle un semi-conducteur
de « type n ». Si les atomes dopants ont moins d'électrons, c'est un semi-conducteur de
« type p ». Les cellules solaires et les transistors reposent tous sur la jonction entre ces
différents types de semi-conducteurs.
Une cellule solaire ordinaire, d'environ 5 cm de diamètre et 1 mm d'épaisseur, peut
produire en moyenne 0,2 watt de puissance dans une bonne lumière solaire. Des rangées
de 50 cellules ou plus sont reliées pour former des panneaux qui produisent des quantités
électriques plus importantes. Des améliorations constantes sont faites, essentiellement pour
augmenter le pourcentage de lumière converti en électricité. Mais l'efficacité actuelle n'est
que de 50 % , ce qui signifie que la moitié de la lumière solaire se contente de réchauffer
les cellules avant de se perdre dans l'environnement.
Chapitre 19 : Lumières et solides quantiques 29'1
bande de conduction
•
bande de valence
Les sauts quantiques au sein de matériaux solides sont a /'origine des panneaux solaires et des diodes
électroluminescentes. Les photons du Soleil sont absorbés par les électrons de la bande de valence
(a gauche). Quand ils gagnent la bande de conduction, l'électricité peut circuler. Inversement,
quand les électrons font un saut quantique de la bande de conduction a la bande de valence,
ils émettent de la lumière (a droite).
Voilà pour les sauts quantiques vers le haut, mais qu'en est-il pour les sauts quantiques vers
le bas? Si les atomes émettent de la lumière quand les électrons chutent d'un état d'énergie
à l'autre, les solides font-ils la même chose? Bien sûr, et c'est le phénomène qui alimente
les diodes électroluminescentes (LED).
Aujourd'hui, on trouve des LED aussi bien dans les écrans des chaînes stéréo que dans les
horloges et les appareils électroménagers. Elles remplacent avantageusement les ampoules
à incandescence. C'est une innovation si utile qu'elle a valu le prix Nobel de physique à
ses inventeurs, Isamu Akasaki, Hiroshi Amano et Shuji Nakamura, en 2014. On peut aussi
configurer les LED pour en faire des lasers. Une diode laser est en général plus petite que
les lasers présentés ci-dessus, mais elle a de nombreux usages commerciaux, tels que les
communications par fibre optique.
Supraconductivité
Comme son nom l'indique, le supraconducteur est encore meilleur que le semi-conducteur.
Vous avez sans doute entendu ce mot auparavant et connaissez peut-être même ses caractéris-
tiques. Mais qu'ont-elles de « supra »,justement ? Ce nom vient du fait que les matériaux
supraconducteurs peuvent transporter ce qu'on appelle des super-courants, des courants
électriques qui circulent sans résistance électrique.
Nous avons déjà effieuré le sujet du courant : c'est le mouvement des charges électriques
dans un matériau conducteur. Mais la résistance ? La résistance est une sorte de « fric-
tion » électrique qui provoque la perte involontaire de courant par un effet de conversion
en chaleur. En effet, quand vous branchez une batterie sur un bon vieux circuit (non
298 Physique quantique - Le guide de référence
~ DÉFINITION
Les aupraconducteurs sont des matériaux au sein de laquelle la résistance aux courants élec-
triques tombe à 0 à basse température. En état de supraconduction, ils s'opposent aussi à la
pénétration des champs magnétiques extérieurs.
Les auper-couranta sont des courants électriques qui circulent dans les supraconducteurs. Ils
peuvent perdurer un temps très long sans se dissiper.
La physique quantique nous permet de comprendre ce qui se passe dans ce cas. Une résis-
tance électrique se produit dans la plupart des matériaux ordinaires parce que les électrons
en circulation heurtent inévitablement quelque chose. Cela peut être un ion positif dans le
matériau sous-jacent, un atome d'impureté ou un défaut de la structure cristalline, pour
n'en nommer que quelques-uns. Il n'en reste pas moins que chaque fois qu'un électron
entre en collision avec l'un d'eux, il perd une part de son énergie sous forme de chaleur.
A cela, la physique classique répondrait qu'on peut bien refroidir le matériau supraconduc-
teur, les collisions demeureront. Elle ne peut donc pas expliquer la supraconductivité. La
réponse tient plutôt dans la prise en compte non pas des propriétés d'une particule indivi-
duelle, mais des propriétés ondulatoires collectives d'un grand nombre d'électrons dans un
solide. En résumé, dans un état supraconducteur, tous les électrons d'un matériau forment
une seule fonction d'onde cohérente. Une fois dans cet état, les impuretés et les défauts
du cristal deviennent des obstacles négligeables et le courant peut circuler sans résistance.
Si les conducteurs à résistance 0 offrent de nombreux avantages, ils ont aussi quelques
défauts. Le premier, bien sûr, est la nécessité de refroidir le circuit, en dessous de -200 °C
ou plus. C'est si froid qu'il faut des liquides cryogéniques spéciaux pour y parvenir, et ces
derniers sont à la fois chers et difficiles à manipuler.
Heureusement, quelques supraconducteurs à haute température ont été découverts, même
s'il faut souligner que, dans ce cas, l'adjectif« haute » est tout relatif. On doit encore les
refroidir en dessous de -100 °C, pour atteindre l'état de supraconduction. Ils ont aussi la
fragilité des matériaux céramiques, ce qui n'est pas la meilleure solution pour le câblage
Chapitre 19 : Lumières et solides quantiques 299
électrique. Il s'écoulera donc quelque temps avant que des lignes électriques supraconduc-
trices puissent transporter de l'électricité jusque chez nous et faire baisser nos factures
d'électricité.
SAUT QUANTIQUE
Le domaine de la supraconductivité s'est montré généreux avec ses pionniers, qui ont été distin-
gués par pas moins de quatre prix Nobel de physique. Heike Kamerlingh Onnes fut d'abord
récompensé par le prix Nobel de 1931 pour avoir découvert le phénomène, puis John Bardeen,
Leon Cooper et Robert Schrieffer gagnèrent le prix Nobel en 1972 pour son explication théorique en
mécanique quantique. En 1987, Johannes Georg Bednorz et K. Alexander Müller se le partagèrent
pour leur découverte des supraconducteurs à haute température l'année précédente. Enfin, le prix
Nobel 2003 fut attribué à Alexei Abrikosov, Vitaly Ginzburg et Anthony Leggett pour leur théorie
sur la supraconductivité améliorée.
Les supraconducteurs ont une autre propriété intéressante : ils expulsent les champs magné-
tiques extérieurs quand ils sont en état de supraconduction. Cette caractéristique, que
l'on appelle« l'effet Meissner »,n'est pas seulement passionnante pour les physiciens. Elle
est aussi très utile, et de nombreuses inventions technologiques cherchent à en tirer parti.
L'une d'elles est la lévitation magnétique. Si l'on place un aimant permanent juste au-dessus
d'un matériau supraconducteur, la force appliquée par le supraconducteur pour expulser
le champ magnétique fait flotter l'aimant au-dessus. C'est l'un des tours préférés des
professeurs de physique. Cette propriété est aussi utilisée dans la conception de trains à
très grande vitesse. Le Maglev, par exemple, est conçu pour flotter au-dessus d'un« rail»
supraconducteur, grâce à l'utilisation d'aimants au lieu de roues, d'axes et de roulements à
billes. Le Maglev est développé depuis plusieurs décennies et un train commercial est en
service à Shanghaï depuis 2004. Il peut atteindre une vitesse de 460 km/h, ce qui en fait
le train le plus rapide du monde.
On recherche actuellement d'autres matériaux supraconducteurs améliorés, surtout ceux
qui peuvent opérer à des températures beaucoup plus confortables. Seul le temps dira si
cette technologie sera à la hauteur de son potentiel, ou si son application restera un truc
d'amuseur mondain.
300 Physique quantique - Le guide de référence
20
Imagerie quantique
Dans ce livre, nous avons souvent rendu visite à ce qu'on appelle Dans ce chapitre
le « domaine quantique », où des particules plus petites qu'un
grain de poussière possèdent d'intéressantes caractéristiques. Il Les applications
n'est donc pas surprenant que l'une des applications les plus réus- quotidiennes de l'effet
sies de la physique quantique soit les micro et nana-imageries. tunnel. du spin et des ondes
de matière
Dans ce chapitre, nous allons continuer notre présentation
des applications quantiques et nous intéresser aux techniques L'imagerie médicale, des
d'imagerie, anciennes et modernes. Nous verrons comment le rayons Xà l'IRM
spin quantique a permis de diagnostiquer et guérir des maladies.
• La réinvention perpétuelle
Nous apprécierons les avantages pour la microscopie des ondes
du microscope
de matière comparées à la lumière normale. Nous découvrirons
aussi que quelques technologies font usage de l'effet tunnel La production de films
quantique, parmi lesquelles une application salvatrice à laquelle moléculaires
vous ne vous attendez pas.
Enfin, nous verrons comment des sources de lumière sophisti-
quées, dont le laser à rayons X, offrent la possibilité de filmer
certains des organismes les plus petits au monde.
302 Physique quantique - Le guide de référence
Imagerie médicale
De nombreuses techniques d'imagerie médicale font appel à la physique quantique pour
révéler, diagnostiquer ou examiner les maladies du corps humain. La première application
pratique est apparue deux mois à peine après la découverte des rayons X par le physicien
allemand Wilhelm Rontgen en 1895.
Les rayons X sont une forme de rayonnement électromagnétique à haute fréquence que
l'on dirige sur une cible métallique. Si le faisceau d'électrons incident a suffisamment
d'énergie, il libère quelques-uns des électrons des atomes métalliques durant les collisions.
La stabilité des atomes est rétablie quand un électron périphérique fait un saut quantique
pour remplir le trou de la couche intérieure. Durant cette chute, des photons de haute
énergie (rayons X) sont émis en raison de la grande différence entre les niveaux d'énergie.
Rontgen comprit immédiatement que les rayons X pouvaient pénétrer les matériaux solides
de basse densité, y compris les tissus humains. Il prit la première radiographie de la main
de sa femme pour démontrer l'effet de ce nouveau type de rayonnement. Sa découverte
lui valut le tout premier prix Nobel de physique en 1901.
Ces images illustrent les améliorations apportées par la physique quantique a l'imagerie médicale.
A gauche, la première radiographie de Rôntgen, datant de 1895, une technique qui applique indirectement
les principes quantiques. L'image de droite est un IRM moderne, une technique basée sur le spin
et les sauts quantiques (images reproduites avec l'autorisation d'Helmut Januschka).
Chapitre 20 : Imagerie quantique 303
Comme nous l'avons vu au chapitre 4, Max von Laue se servit en 1904 de rayons X pour
radiographier une structure cristalline et en 1952, le Britannique Francis Crick et l'Amé-
ricainJames Watson les utilisèrent pour mettre en évidence la double structure hélicoïdale
de l'ADN. Les rayons X ont aussi servi à déterminer la structure de molécules biologiques
comme l'insuline, le cholestérol, l'hémoglobine, les cellules et même certains virus, car
toutes ces choses peuvent être cristallisées.
Une autre technique d'imagerie médicale fait usage du spin quantique. L'imagerie à réso-
nance magnétique (IRM) détecte les états de spin des protons en présence de deux champs
magnétiques soigneusement contrôlés. C'est particulièrement utile, car le corps humain
est en grande partie composé d'eau, laquelle possède beaucoup d'atomes d'hydrogène et
donc de protons« accessibles». L'intensité du signal IRM est directement proportionnelle
au contenu en eau, ce qui permet de produire des images des tissus en haute résolution.
Pour un examen IRM, le patient est exposé à deux champs magnétiques. Réglé sur une
valeur constante, le premier aligne les moments de spin dans une seule direction, un peu
comme les aiguilles d'un compas. C'est parce qu'en présence d'un champ magnétique
statique, les spins up et down sont séparés par une quantité d'énergie égale à !l.E. Il y a
davantage de protons dans l'état de basse énergie que dans l'état de haute énergie.
L'appareil applique ensuite un deuxième champ magnétique, qui oscille à très haute
fréquence (f). Quand la fréquence du champ est telle que f = M/i., on dit qu'il est en
« résonance » avec les spins. Les photons du champ oscillant peuvent alors être absorbés
par les états de spins dans l'état d'énergie le plus bas, quand ils effectuent un saut quantique
vers l'état d'énergie supérieur. Ces sauts absorbent les photons du champ oscillant. Cette
absorption est détectée et plus il y a de protons, plus l'absorption augmente. L'appareil
peut alors quantifier le volume d'eau présent dans le tissu. En manipulant soigneusement
les deux champs, on obtient une image tridimensionnelle du tissu.
304 Physique quantique - Le guide de référence
(1) (2)
t t
âE=hf
+++
(3 ) t t (4)
t t t
î ++
Illustration schématique de /'IRM. En l'absence de champ magnétique, les spins des protons ont la méme
énergie (1). Un champ magnétique constant crée ensuite deux niveaux d'énergie séparés par '1E = hf (2).
Quand le champ magnétique dynamique est sur la fréquence de résonance f (3), les photons sont absorbés
par l'un des spins de plus basse énergie (4). Le volume d'absorption indique la densité du tissu.
Enfin, nous voudrions mentionner une autre technique d'imagerie médicale, la tomogra-
phie par émission de positrons, appelée PET scan en anglais. Le positron, comme nous
l'avons vu au chapitre 12, est le jumeau d'antimatière de l'électron ordinaire. Il est possible
de produire des positrons grâce au processus de désintégration radioactive des noyaux
instables. Ils ne durent pas longtemps quand ils sont entourés de matière ordinaire, car ils
sont rapidement annihilés par les électrons pour former des rayons gamma de haute énergie.
La tomographie à émission de positrons tire parti de ce fait pour étudier la structure et
l'activité des organes humains. Avant de réaliser l'image, on injecte un traceur chimique
au patient, puis on le positionne entre une série de détecteurs de photons. Ces derniers
signalent l'annihilation des rayons gamma et indiquent précisément leur origine. Les
données sont ensuite traitées pour étudier la structure et la fonction du tissu d'où les
rayons gamma ont émergé. Les PET scans sont particulièrement utiles pour surveiller les
troubles cérébraux.
Microscope électronique
Depuis le xvn• siècle, on utilise le microscope optique ordinaire pour observer des objets
trop petits pour être vus à l'œil nu. En déviant la lumière grâce à une série de lentilles,
Chapitre 20 : Imagerie quantique 305
cet appareil permet de grossir énormément de toutes petites structures. Son invention a
suscité des avancées révolutionnaires dans plusieurs disciplines scientifiques.
Comme une onde électromagnétique ne distingue que des objets qui ont au moins la
dimension de sa longueur d'onde, le microscope optique ne voit que des détails de l'ordre
de 10-7 mètre. Il ne peut donc servir à observer des atomes, dont la taille est d'environ 10-10
mètre. La physique quantique offre néanmoins d'autres moyens de scruter les profondeurs
de la nature.
Comme nous l'avons vu au chapitre 8, Louis de Broglie a démontré que la matière ordi-
naire a aussi des propriétés ondulatoires, un fait qu'il a codifié dans une équation simple
mais puissante : À. = hlp. Avec une accélération suffisante, un électron peut acquérir une
longueur d'onde de 10-12 m (soit 100 000 fois plus petite que la lumière visible). C'est
assez petit pour observer des objets à l'échelle atomique, et cela a conduit à l'invention
du microscope électronique. A la place des lentilles, un faisceau électronique est orienté
par un champ magnétique.
VVl
métal
: pointe
La fonction d'onde des électrons décline rapidement hors de la surface métallique. à moins qu'on n'approche
une pointe métallique. Dans ce cas les électrons franchissent l'intervalle entre la surface et la pointe
et le courant tunnel permet de sonder les caractéristiques de la surface. Cette image montre un échantillon
d'or. dont on voit distinctement les atomes (image reproduite avec l'autorisation d'Erwin Rossen.
de la Technical University Eindhoven)
Chapitre 20 : Imagerie quantique 30'1
Le premier microscope à effet tunnel fut inventé en 1981. Il eut un effet si décisif sur
le développement des nanotechnologies que ses inventeurs, Gerd Binnig et Heinrich
Rohrer, reçurent le prix Nobel de physique 5 ans plus tard. En effet, si l'on s'en sert pour
mesurer les surfaces, détecter les défauts de matériaux et suivre l'épaisseur de lubrifiants,
dans le domaine de la nana-ingénierie, il permet aussi de déplacer des atomes, augmenter
la réflectivité de miroirs spécialisés à rayons X, améliorer la performance électronique et
même réparer des molécules organiques au niveau atomique.
Détecteur de fumée
Il est probable que vous ne possédez pas de microscope à effet tunnel, mais peut-être
avez-vous chez vous un autre appareil dépendant de l'effet tunnel quantique ? Au cœur
de certains détecteurs de fumée, on trouve en effet une chambre d'ionisation qui détecte
la présence de particules de fumée. Cette chambre contient en général une petite pastille
d'américium 241, un isotope radioactif qui se désintègre en émettant des particules a (les
particules a sont composées de deux protons et deux neutrons). Et la désintégration a est
encore un phénomène de tunnel.
Au chapitre 11, nous avons vu que l'énergie potentielle d'une particule chargée en présence
d'une seconde particule est proportionnelle à la distance entre elles deux (nous considérions
alors l'attraction d'un électron et d'un proton. Dans ce cas-ci, il s'agit de la répulsion entre
une particule a et un noyau fils). Cela veut dire que la barrière potentielle éprouvée par la
particule a diminue à mesure que la distance augmente avec le noyau père. Les particules
a dotées d'une énergie suffisante peuvent franchir la barrière par effet tunnel et s'évader.
Il en résulte une désintégration a.
Les particules a émises par la pastille d'américium 241 entrent en collision avec les molé-
cules d'air, ce qui débouche parfois sur leur ionisation. On a donc un courant produit par
des électrons de charge négative et des molécules ionisées de charge positive. La quantité
de courant chute quand des particules de fumée s'interposent, et cette modification
révélatrice sert à détecter la fumée.
En raison des risques de fuite radioactive en cas de détérioration des appareils, les détecteurs
optiques sont aujourd'hui plus répandus. Ces appareils sont composés d'une chambre
optique avec une LED (diode luminescente infrarouge) et d'une cellule photoélectrique
placée à la perpendiculaire. En l'absence de fumée, le faisceau de la LED balaye la chambre
sans croiser la cellule photoélectrique. Mais quand des particules de fumée y pénètrent,
elles renvoient le faisceau dans toutes les directions, ce qui éclaire la cellule photoélectrique
et déclenche l'alarme.
308 Physique quantique - Le guide de référence
énergie
---------·de la particule a
r
rayon du
noyau père
Une particule a peut échapper à son noyau père en franchissant la barrière potentielle formée
par la répulsion électromagnétique. Ici, r représente la distance à partir du centre du noyau père,
U la fonction d'énergie potentielle et 'P la fonction d'onde de la particule a.
Imagerie cellulaire
Vous aurez du mal à y croire la prochaine fois que vous attraperez un rhume, mais les virus
sont très petits. En fait, de un dixième à un centième de nanomètre, ils appartiennent au
domaine quantique. En général, ils dépassent donc les capacités des microscopes électro-
niques. C'est pourquoi on ne connaît qu'une petite partie de leurs structures génomiques
et il est difficile de traiter les maladies virales.
Chapitre 20 : Imagerie quantique 309
Néanmoins, des recherches novatrices font appel à la physique quantique pour dévoiler les
secrets de ces minuscules bestioles. Les scientifiques se servent en effet de synchrotrons à
protons pour examiner leurs structures biologiques. Ces instruments électromagnétiques
émettent des faisceaux de particules à une fréquence bien supérieure au laser ordinaire, car
ils appartiennent à la gamme des rayons X. Ils peuvent mesurer l'émission d'électrons ou
d'ions suivant l'absorption des photons ou disperser les photons incidents pour créer des
images de diffraction. Cette dernière catégorie d'images est à la base de la cristallogra-
phie, dont nous avons parlé au chapitre 4. Ces deux méthodes fournissent des approches
complémentaires à l'étude des organismes vivants, du niveau macroscopique jusqu'au
niveau cellulaire.
La cristallographie est la méthodologie principale pour déterminer les structures tridi-
mensionnelles. Mais de nombreux systèmes biologiques sont difficiles, voire impossibles
à cristalliser, si bien qu'on ne connaît que quelques structures de protéines membranaires.
En outre, les dégâts causés aux échantillons par le bombardement de photons peuvent
nuire aux images.
C'est là que le laser à rayons X, que nous avons aussi présenté au dernier chapitre, a un rôle
à jouer. D'abord, il est un milliard de fois plus lumineux que le rayonnement synchrotron
à lui seul. Ses impulsions ultra-courtes, de l'ordre d'une femtoseconde (10- 15 seconde),
permettent également d'éclairer très brièvement l'échantillon. Ainsi, l'image peut être
réalisée avant que l'échantillon soit détruit par les rayons X. Cette technique a permis
de recueillir des données sur des cristaux de la taille du micromètre au nanomètre, et on
l'utilise pour des nanocristaux de protéine et des particules virales.
Mais il reste beaucoup à faire dans l'acquisition d'images d'échantillons encore plus petits.
Les petits virus de forme sphérique sont parmi les systèmes réplicatifs les plus simples en
biologie, et pourtant ils sont toujours mal compris. On ne dispose aujourd'hui que d'images
superficielles de la capsule du matériel génétique chez des virus intacts. Les virus qui ne
peuvent être cristallisés, comme le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) ou le
virus herpes simplex, font l'objet d'un intérêt tout particulier. La compréhension de leur
dynamique fonctionnelle pourrait faire la lumière sur les stades de l'infection.
310 Physique quantique - Le guide de référence
Ces images sont des micrographies électroniques en transmission du virus paramecium bursarium
de la chlorelle. Bien qu'elles affichent des caractéristiques intéressantes, on attend des progrès
de l'utilisation de lasers aélectrons libres.
Les physiciens espèrent pouvoir effectuer à l'avenir des études à résolution temporelle de
la structure, la fonction et la dynamique moléculaires à l'aide de lasers à rayons X. Cela
permettrait de voir le repliement des protéines et des acides nucléiques ou l'assemblage
et le désassemblage de complexes moléculaires et mener à la production in situ de films
montrant comment se forment ou se rompent les liaisons moléculaires. Il faudrait alors
Chapitre 20 : Imagerie quantique 311
enregistrer des milliards de clichés en trois dimensions toutes les quelques femtosecondes,
puis reconstruire ce qui se passe au niveau atomique.
Les films à l'échelle moléculaire pourraient même un jour fournir des images de la
dynamique des virus, ce qui donnerait la possibilité aux scientifiques de développer des
traitements innovants. Malgré la difficulté de réaliser des images de spécimens si petits,
l'avenir des techniques d'imagerie à rayons X est prometteur.
21
Traitement quantique
de l'information
Le calculateur quantique
De nos jours, les ordinateurs sont partout et servent à presque tout. Dans les années 1960,
il fallait une pièce entière pour contenir les premiers ordinateurs. Aujourd'hui, ils tiennent
dans la paume de la main, grâce aux semi-conducteurs améliorés. Les fabricants d'ordi-
nateurs sont désormais capables de produire des puces de quelques nanomètres (10-9 m).
Les progrès constants de la miniaturisation des ordinateurs obéissent à ce qu'on appelle
la « loi de Moore », selon laquelle le nombre de transistors des microprocesseurs sur une
puce double tous les deux ans.
Vous avez déjà deviné où nous voulons en venir. Si l'on ne cesse de réduire les micro-
processeurs de puces en micropuces et en nanopuces, il ne faudra guère de temps pour
qu'ils deviennent assez petits pour opérer dans le domaine quantique. En fait, on s'en
approche déjà et l'observation des effets quantiques au sein d'ordinateurs« classiques» se
profile à l'horizon. Dans un sens, ces effets sont susceptibles de constituer un problème
pour l'informatique traditionnelle, et on atteindra la« limite classique » des ordinateurs
miniaturisés dans une ou deux décennies.
s •
1 • 1000
•• 100
••
c
...
::i
10
iil •
s •
•
1-8 •
•
• 0,1
!!! 0,01
• •
.2
~ 0,001
1970 1980 1990 2000 2010
Ce graphique, qui montre l'augmentation du nombre de transistors sur un processeur au fil des ans,
est une illustration de la loi de Moore. Notez que l'échelle verticale est graduée en facteurs de JO.
Il ne faudra pas longtemps avant que les ordinateurs entrent dans le domaine quantique.
D'un autre côté, cela peut représenter une grande chance. Sera-t-on capable de mettre
à profit les effets quantiques pour construire de meilleurs ordinateurs ? De nombreux
scientifiques pensent que oui, et nous allons étudier ci-après pourquoi.
Chapitre 21 : Traitement quantique de l'information 315
PIÈGE ATOMIQUE
On s'intéresse ici à la propriété du spin quantique. Plus généralement. un qubit peut être formé à
partir de tout système quantique à 2 états. Cela pourrait être par exemple l'état fondamental et l'état
excité d'un atome. D'un point de vue théorique. il n'y a pas de différence. La seule dissemblance
réside dans la manière dont on construit le calculateur quantique.
En dehors d'avoir échangé les électrons contre des condensateurs en cuivre, il n'y a rien
de nouveau jusqu'ici. Mais en vous rappelant que grâce à la superposition les systèmes
316 Physique quantique - Le guide de référence
~ DÉFINITION
Un qublt !bit quantique) peut être formé d'une entité physique !comme un électron) qui a deux
états quantiques bien définis !comme les spins up et down). C'est l'équivalent quantique du bit
informatique.
Le paralléll1me est la capacité des qubits à adopter plusieurs valeurs en même temps. grâce à
la superposition quantique.
Cela prend encore meilleure tournure quand on ajoute des qubits. Imaginons que nous en
ayons 3. Nous avons vu dans le cas classique qu'un système à 3 bits ne peut prendre qu'une
et une seule valeur (000, 001, 010, 011, 100, 101, 110 et 111). De son côté, le qubit peut
prendre simultanément 8 valeurs possibles (qu'on écrirait 'Po, '111, '112, 'PJ, '114, 'Ils, '116 et
'111). Cette superposition peut s'écrire sous la forme 'Il= a'Po + b'P1 + c'P2 + d'PJ + e'114
+ f'Ps + g'P6 + h'P1, les minuscules (qu'on appelle coefficients) représentant des valeurs
arbitraires, dont la taille indique dans quelle mesure chaque état participe à la superposition.
À mesure de l'augmentation des qubits, l'éventail des valeurs possibles augmente expo-
nentiellement. Cette rapide augmentation (ce parallélisme) peut être mise à profit pour
faire marcher plus vite les calculateurs quantiques. À l'inverse, on peut aussi en profiter
pour rendre ces derniers plus petits, étant donné que le nombre de qubits requis pour des
calculs complexes est moindre que le nombre de bits correspondants.
En outre, ce n'est pas seulement en état de superposition qu'on peut trouver des groupes
de deux ou plusieurs qubits, mais également en état d'intrication. Nous examinerons cette
propriété un peu plus loin, avec les possibilités qu'elle autorise.
Chapitre 21 : Traitement quantique de l'information 317
Calcul quantique
Maintenant que nous savons comment régler un calculateur quantique, du moins en théo-
rie, comment pouvons-nous l'utiliser pour faire des calculs? Comme dans le cas classique,
le processus se résume à trois étapes. D'abord, l'ensemble de qubits doit être préparé ou
initialisé dans 1' état de départ. Ensuite, il faut réaliser une suite d'opérations pour manipuler
cet état. Enfin, il faut que le résultat soit annoncé d'une manière ou d'une autre.
1 1
'I' = Ji.'l'o + 0 '1'1 + 0 '1'2 +
Jï."'3
1 1 1
Opérations : 'I' = 0 'l'o + 13"'1 + 13"'2 + 13"'3
1 1 1
'I' = 13"'0
+ 13"'1 + 0 '1'2 +
13"'3
Ce schéma représente les étapes requises pour le calcul avec un qubit de spin 2. Au début, on rassemble
des qubits qui sont dans un état de superposition arbitraire. Après l'initialisation, ils s'effondrent dans
un état de superposition choisi. On réalise ensuite une série d'opérations qui brouillent la composition
de la superposition de qubits. Enfin, on prend une mesure pour annoncer la réponse. On ne détecte
qu'un état particulier, mais avec une probabilité donnée par le carré de son coefficient
après la dernière opération (dans ce cas, 33 %/.
Pour savoir comment faire tout cela, revenons à notre système à 3 qubits. Dans la phase
d'initialisation, on règle les valeurs de chacun des coefficients (a, b, etc.). On peut par
exemple établir a = 1 et le reste = O. C'est la même chose que de mettre le système dans
l'état 'Po, ou (0, 0, 0). On effectue ensuite les opérations, ce qui revient à brouiller les
différentes valeurs des coefficients d'une manière déterminée par l'algorithme. Après ces
opérations, l'état final du système possède un ensemble de coefficients différents de ceux
de 1' état initial.
318 Physique quantique - Le guide de référence
PIÈGE ATOMIQUE
Il est tentant de penser que les calculateurs quantiques gagnent de la vitesse en réalisant de
multiples calculs sur des qubits en parallèle. mais ce n'est pas le cas. C'est parce que l'étape
principale du calcul est la mesure, qui fait s'effondrer le qubit dans un état individuel aléatoire. Une
fois qu'il s'est effondré, on perd les avantages de la superposition et il faut recommencer à O. En
réalité, les calculateurs quantiques tiennent leur vitesse des effets d'interférences entre les états
quantiques. Pour tirer le meilleur parti d'un calculateur quantique, des algorithmes spécifiques.
conçus pour tirer le maximum des interférences quantiques, sont nécessaires.
Enfin, il faut lire l'état du qubit. C'est possible en prenant une sorte de mesure, dont les
détails dépendent du fait que les qubits sont basés sur des spins électroniques, des états
atomiques ou quelque chose d'autre. Comme nous l'avons vu au chapitre 13, quand on
fait une mesure, le qubit s'effondre dans un et seulement un des états superposés. Toute
mesure individuelle peut lire n'importe lequel des états superposés, avec une probabilité
donnée par le carré de chaque coefficient (lal 2 ou lfl 2). En faisant tourner l'algorithme
plusieurs fois et en enregistrant les résultats de la mesure, on obtient des statistiques sur ce
qu'était l'état final et on peut par conséquent déterminer le résultat du calcul quantique.
Le deuxième problème majeur est la capacité à concevoir des systèmes de plus en plus
grands fondés sur un nombre de qubits toujours plus important. Pour mettre un calculateur
quantique à l'échelle macroscopique, la difficulté est d'augmenter le nombre de qubits de
façon contrôlée, afin de ne pas perdre la cohérence. Un système à 2 qubits, par exemple,
pourrait être conçu avec 2 électrons liés au sein d'une petite molécule. Des molécules un peu
plus grosses seraient nécessaires pour un calculateur quantique avec une poignée de qubits.
~ DÉFINITION
La cob6rence est l'ensemble des relations bien caractérisées entre les états quantiques qui
composent un état de superposition.
La d6cob6rence fait référence à la perte involontaire de cohérence suite à l'influence de facteurs
externes aléatoires.
La ml11à1'6cbelle macro1coplque est le fait de construire de plus gros calculateurs quantiques
avec de plus en plus de qubits.
Mais pour construire un calculateur quantique avec des dizaines ou des centaines de qubits,
il faudrait des molécules de plus en plus grosses. Et plus la taille des molécules augmente,
plus augmente le risque que des effets incontrôlés (attraction électromagnétique entre
les électrons et les protons du système, par exemple) débouchent sur une décohérence.
Heureusement, au cours des 20 dernières années, des physiciens expérimentaux ont
imaginé plusieurs manières de combiner de plus en plus de qubits, en les isolant assez
longtemps des facteurs de décohérence pour qu'ils puissent réaliser des calculs élémentaires.
La première démonstration d'un calculateur quantique par IBM en 1998 appliquait le prin-
cipe de la résonance magnétique nucléaire (que nous avons vue au chapitre 20). Il s'agissait
d'un système à 2 qubits basé sur 2 spins nucléaires au sein de petites molécules organiques.
Un champ magnétique uniforme était appliqué pour établir les états de spin distincts, puis
d'autres champs magnétiques à oscillation rapide étaient appliqués pour initialiser les qubits,
réaliser des opérations et annoncer la réponse. On a depuis présenté des systèmes plus gros
utilisant la résonance magnétique des molécules, mais il est improbable que cette technique
convienne à des systèmes avec plus d'une dizaine de qubits en raison des effets de décohérence.
SAUT QUANTIQUE
Puisque le meilleur usage qu'on puisse faire des calculateurs quantiques est l'utilisation
d'algorithmes quantiques spéciaux. ils sont prometteurs quant à la résolution de certains types
de problèmes. Parmi ceux-ci. il y a la factorisation de grands nombres premiers !plusieurs centaines
de chiffres). les recherches en base de données, la génération de logarithmes discrets et la
simulation de molécules ou d'autres systèmes quantiques.
320 Physique quantique - Le guide de référence
Un deuxième exemple notable utilise des pièges à ions positifs ou négatifs. Les ions positifs
sont simplement des atomes qui ont acquis une charge positive suite à la perte d'une partie
de leurs électrons. Les pièges à ion sont des dispositifs qui peuvent isoler des ions dans
l'espace grâce à l'usage intelligent de champs électromagnétiques. Un calculateur quan-
tique fondé sur ce système emploie un laser pour initialiser les ions (les qubits), réaliser les
opérations et finalement annoncer la réponse.
En 2000, cette technique fut utilisée pour faire la démonstration d'un système à 4 bits
avec des ions de béryllium. En 2012, les physiciens américain David Wineland et français
Serge Haroche reçurent le prix Nobel en 2012 pour leurs travaux expérimentaux dans
ce domaine. C'est une technique prometteuse, puisqu'on pourrait ajouter une batterie de
lasers pour refroidir les ions à très basse température et atténuer ainsi la décohérence. Mais
le passage à l'échelle macroscopique d'un calculateur quantique à piégeage d'ions reste
problématique, car les ions se repoussent et il est difficile de les piéger en grand nombre.
CITATION QUANTIQUE
• Il semble que les lois de la physique ne s'opposent pas à ce qu'on réduise la taille des ordinateurs
jusqu'à ce que les bits aient la taille d'atomes et que le comportement quantique prenne le dessus. »
Richard Feynman
Un troisième type de calculateur quantique, mis au point en 2001 par le CEA, utilise
des systèmes physiques qui ressemblent aux puces traditionnelles. Grâce à une technique
semi-conductrice ordinaire, de petits « points quantiques » de silicium rassemblent effica-
cement les électrons individuels. Les électrons avoisinant les points quantiques interagissent
faiblement les uns avec les autres, ce qui permet la création d'états superposés. Dans ce
cas, on considère possible la mise à l'échelle macroscopique grâce aux talents de l'industrie
des semi-conducteurs. La clé d'un calculateur à points quantiques est donc la maîtrise de
la décohérence. Et pour cela, il faut réussir à refroidir les qubits à des températures bien
inférieures aux valeurs ordinaires.
Même si elles comportent des problèmes à la fois techniques et fondamentaux, ces premières
démonstrations donnent l'espoir aux physiciens que le calcul quantique sera un jour viable.
Il semble exister des systèmes physiques qu'on pourrait isoler, manipuler et faire passer
du stade du qubit simple à l'échelle macroscopique. Si l'idée d'ordinateur quantique peut
sembler lointaine à certains, les scientifiques sont optimistes quant aux possibilités de
percée dans un avenir proche.
Chapitre 21 : Traitement quantique de l'information 321
Cryptographie quantique
Le secret est aussi vieux que l'humanité et on trouve des traces de messages codés depuis
la haute Antiquité. La cryptographie est une technique visant à encoder un message en
une suite de caractères incompréhensibles, afin que ce message ne puisse être lu que par
son destinataire. Et tout comme la serrure de votre porte d'entrée ne peut être ouverte
que par ceux qui en possèdent la clé, les messages chiffrés ne peuvent être décryptés que
par ceux qui connaissent sa clé. Les clés de chiffrement prennent en général la forme d'un
nombre immense ou d'une longue ligne de texte.
Si deux personnes, que nous appellerons par convention Alice et Bob, veulent communi-
quer de façon sûre, Alice peut murmurer une clé à l'oreille de Bob. Une fois rentrés chez
eux, ils communiquent ainsi en toute sécurité, y compris par des canaux non sécurisés
comme une ligne téléphonique ou Internet. Avant d'envoyer un message, Alice se sert de
la clé convenue pour le brouiller. À l'autre bout, Bob use de la même clé pour décoder le
message. Quiconque intercepterait le message chiffré n'y verrait qu'un texte inintelligible
puisqu'il ou elle n'aurait pas la clé.
Mais supposons qu'Alice et Bob vivent très loin l'un de l'autre. Alice ne pourrait plus
murmurer la clé à l'oreille de Bob. Ils devraient donc trouver un moyen de se transmettre
la clé. La difficulté réside donc dans le partage de la clé. Les experts en sécurité de
données appellent cela le problème de la « distribution d'une clé sûre » (SKD pour secure
key distribution en anglais).
C'est là où la physique quantique vient à leur rescousse. En appliquant le principe de
l'intrication quantique, Alice peut transmettre une clé secrète à Bob sans que celle-ci
puisse être interceptée à leur insu. Comme nous l'avons dit au chapitre 14, l'intrication
est une propriété purement quantique qui émerge d'un système à deux ou plusieurs
entités quantiques. La cryptographie quantique repose par conséquent sur un processus
physique et non pas seulement mathématique. Et jusqu'ici, elle se révèle plus robuste que
la cryptographie classique.
SAUT QUANTIQUE
Le chiffrement RSA, l'un des systèmes de cryptographie les plus utilisés aujourd'hui. dépend d'une
clé publique qui est le produit de deux grands nombres premiers. Pour • casser • cette clé, il faut
rapidement identifier ses facteurs premiers. C'est au-delà des capacités d'un ordinateur actuel.
mais ce serait un jeu d'enfant pour un calculateur quantique. Cette vulnérabilité quantique de
la cryptographie classique souligne le besoin de nouveaux systèmes, éventuellement fondés sur
la cryptographie quantique.
322 Physique quantique - Le guide de référence
En projetant un laser de haute fréquence à travers un cristal de type particulier, Alice peut
créer un état intriqué d'une grande utilité pour la cryptographie quantique. En passant
par le cristal, un photon de haute énergie se divise de temps en temps en deux photons
de moindre énergie.
Comme les deux photons « fils » découlent du même photon, ils restent liés de plusieurs
manières. Tout d'abord, la conservation de l'énergie fait que l'énergie des deux photons
fils est égale à celle du photon original. En outre, les états de « polarisation » des deux
photons doivent être liés.
~ DÉFINITION
La polarisation est une propriété de la lumière visible qui dépend de la répartition préférentielle
des vibrations de son champ électrique. Le champ électrique d'un photon arrivant droit sur vous
peut par exemple osciller à la verticale ou à l'horizontale.
Le point important est que chaque photon émergeant du cristal d'Alice peut prendre un
des deux états perpendiculaires possibles (que nous appellerons« V» pour vertical, et« H »
pour horizontal). Pour mesurer la polarisation d'un photon produit par son cristal, Alice
doit orienter un filtre à la verticale ou à l'horizontale. Un filtre vertical ne laisse passer
que les photons dans l'état V. Les photons en état H sont bloqués et rien n'est transmis.
De même, un filtre horizontal ne laisse passer que les photons en état H.
En d'autres termes, un photon en état V est transmis 100 % du temps par un filtre vertical
et 0 % du temps par un filtre horizontal. Si l'on oriente le filtre selon un angle intermé-
diaire entre la verticale et l'horizontale, la probabilité que le photon soit transmis est aussi
intermédiaire. A 45°, par exemple, la probabilité de transmission est de 50 %.
Plus important, en raison de l'intrication quantique, les deux photons de chaque paire
doivent être en état de polarisation opposée. Avant toute mesure, les états V et H des deux
photons sont superposés. Quand Alice mesure l'un des photons, elle le trouve soit en état
V, soit en état H. Elle ne peut pas prédire dans quel état elle le trouvera, mais dès qu'elle
effectue la mesure, la fonction d'onde intriquée s'effondre en un seul état quantique. Si
elle trouve le premier photon en état V, elle sait que le second photon de la paire (envoyé
chez Bob) est en état H, et vice-versa.
Alice et Bob peuvent donc se servir de ces paires de photons intriqués pour générer et
partager leur clé secrète. Voici comment cela fonctionne : Alice engendre les paires de
photons intriqués une par une. Pour chaque photon, elle oriente son filtre aléatoirement
selon deux angles (disons à l'horizontale et à 30 % au-dessus de l'horizontale). Puis, elle
Chapitre 21 : Traitement quantique de l'information 323
note si le photon est transmis ou non. Pendant ce temps, le deuxième photon fait le trajet
jusque chez Bob. Quand il arrive, Bob règle son filtre arbitrairement selon deux angles.
Il est essentiel que l'un de ces angles corresponde à l'un des angles d'Alice, et que l'autre
soit différent. Disons qu'il règle son filtre à 30° ou 60°. Tous deux règlent donc leur filtre
de façon aléatoire et indépendante, sans savoir ce que l'autre a fait.
Après avoir mesuré un tas de photons, Alice appelle Bob et ils passent ces mesures en revue
une par une. Comme la conversation se passe sur un canal ouvert, qui est ou n'est pas sûr,
la seule information qu'ils révèlent est le réglage qu'ils ont utilisé pour chaque photon.
Quand le réglage des filtres est différent, ils écartent le résultat (dans un premier temps).
Quand il est le même - 30° par exemple -, ils le gardent.
La raison pour cela est que l'intrication quantique implique que les deux photons se
comportent de la même manière en interagissant avec des filtres réglés pareillement. Dans
ce cas, Alice et Bob notent un 0 pour un photon transmis et un 1 pour un photon non
transmis. Ils sont donc en possession de deux copies exactes d'une chaîne aléatoire de 0 et
de 1 (qu'on appelle une chaîne binaire aléatoire), laquelle peut être convertie en un nombre
ou un mot grâce à n'importe quel algorithme binaire. Plus ils effectuent de mesures, plus
long est le code binaire et plus complexe la clé.
On voit donc qu'Alice et Bob peuvent se partager une clé avec cette procédure. Mais
cette clé est-elle vraiment secrète ? Si quelqu'un, que nous appellerons Ève, écoute leur
conversation téléphonique, elle saisit les informations sur les réglages des filtres. Mais elle
ne connaît pas le résultat des mesures, si bien qu'elle n'a aucune information sur la chaîne
aléatoire résultant des mesures non rejetées.
Ah mais, direz-vous, si Ève a réussi à se glisser entre Alice et Bob de façon à mesurer elle
aussi les photons avant qu'ils ne partent chez Bob? Ses mesures détruiraient les photons.
Aussi, pour recouvrir ses traces, il lui faudrait générer de nouveaux photons et les trans-
mettre à Bob. Cependant, les nouveaux photons d'Ève ne seront pas intriqués avec les
photons détectés par Alice, puisqu'ils auront été préparés séparément. Par conséquent, en
s'assurant que les photons mesurés sont bien intriqués, Alice et Bob confirment que leur
clé d'échange n'a pas été découverte.
Pour conduire le « test » d'intrication, Alice et Bob examinent les résultats des mesures
avec différents réglages de filtre. Ils les comparent aux inégalités de Bell (que nous avons
vues au chapitre 14). Si les mesures violent les inégalités de Bell, ils savent que les photons
sont bien intriqués et que leur clé secrète est en effet secrète.
324 Physique quantique - Le guide de référence
SAUT QUANTIQUE
Outre la méthode d'intrication quantique décrite ci-dessus. on peut employer une méthode de
cryptographie quantique. Cette méthode est fondée sur le principe d'incertitude de Heisenberg.
Dans ce cas, Alice engendre des photons aléatoires dans un état de polarisation arbitraire et les
transmet à Bob. Ils usent ensuite du même protocole pour déduire leur clé secrète. La présence
d'Ève serait détectée par le fait que toute mesure effectuée sur un photon intercepté altérerait
nécessairement son état quantique. ce que Bob ne manquerait pas de remarquer.
La sécurité de cette technologie n'est néanmoins pas un argument suffisant. Il faut aussi
qu'elle soit pratique, surtout en ce qui concerne le transfert de photons sur de longues
distances par des câbles en fibre optique. Les expérimentateurs ont prouvé que les états
intriqués peuvent être engendrés et transmis sur des distances couvrant des centaines de
kilomètres. Et de nouveaux tests sont en cours pour mesurer la capacité de transmission
d'états intriqués depuis la Terre jusqu'aux satellites en orbite.
Même si elle n'en est encore qu'à ses premiers balbutiements, la cryptographie quantique
a déjà été appliquée par des entreprises qui offrent maintenant des systèmes « tourne-clés »
SDK (trousses de développement de logiciels). Certains sont sceptiques quant à la faisabilité
de cette technologie, mais si l'on pense à l'évolution du laser, qui est passé du statut d'outil
de recherche fondamentale à celui d'objet du quotidien, on peut espérer beaucoup du futur
de cette application quantique.
Téléportation quantique
Star Trek nous a familiarisés avec la fantastique notion de la téléportation des êtres humains.
Ce serait très pratique et cela nous économiserait des décollages et des atterrissages coûteux.
De même, la vie s'en trouverait énormément facilitée si l'on pouvait se téléporter au travail
le matin au lieu de devoir s'engager dans les embouteillages. Mais qu'y a-t-il de vrai dans
cette hypothèse de science-fiction ?
Deux aspects semblent essentiels à la téléportation. D'abord, il faut pouvoir scanner l'objet
en partance dans le moindre détail, afin de connaître sa composition atomique exacte.
Cette information est nécessaire pour assembler l'objet l'arrivée sans faire d'erreurs.
Deuxièmement, il faudrait disposer d'un transfert instantané de l'objet en partance à
l'objet d'arrivée. Autrement, la téléportation sur des grandes distances (comme la galaxie
voisine) prendrait beaucoup trop de temps.
À première vue, la physique quantique semble écarter le premier. Nous avons vu que le
principe d'incertitude de Heisenberg pose une limite fondamentale à ce qu'on peut connaître
Chapitre 21 : Traitement quantique de l'information 325
d'un système au niveau atomique. Quant au deuxième, la relativité restreinte paraît aussi
l'interdire puisqu'elle pose que rien ne peut voyager plus vite que la vitesse de la lumière.
Mais une fois encore, les états intriqués peuvent nous emmener au-delà de l'impossible.
En 1993, une équipe de scientifiques de chez IBM a démontré qu'en théorie, les états
intriqués pourraient nous aider à contourner la limite d'incertitude. Ils ont développé un
algorithme qui permet de téléporter une particule dans un autre point de l'espace, à la seule
condition que la particule de départ soit « détruite » durant le processus. Comme nous
l'avons expliqué au chapitre 14, l'information peut voyager instantanément d'une particule
à l'autre dans une paire intriquée (ce qu'Einstein appelait« l'effet fantôme à distance»). La
téléportation est donc réelle après tout, grâce à l'intrication quantique.
SAUT QUANTIQUE
La téléportation quantique est analogue à l'envoi d'un fax. en ceci que seule l'information est
transmise. et le produit final repose sur une sorte de • matière première • présente au point
d'arrivée. I.:une des raisons qui rend cela possible est l'inséparabilité des particules quantiques.
dont nous avons parlé au chapitre 12. Cela garantit la disponibilité d'une matière première vierge
pour le nouvel objet. Pour y parvenir. il suffit de transférer l'information de l'état quantique.
Alors, comment cela fonctionne-t-il ? Revenons à nos amis Alice et Bob, et examinons
comment ils peuvent téléporter un photon de chez Alice à chez Bob. Pour commencer,
recueillons l'information sur l'état quantique du photon qu'Alice désire téléporter et
emballons-le sous la forme d'un qubit, que nous appellerons 'Pt.
Pour débuter la téléportation, Alice et Bob doivent créer un état d'intrication entre les
deux nouveaux photons. Il en résulte un double qubit. Ils séparent après-coup les photons.
Nous appellerons celui que prend Alice 'Pa(b) et celui que prend Bob 'Pb(a). La lettre entre
parenthèses indique seulement l'identité du partenaire intriqué. Ajoutons que, comme
l'état intriqué est un double qubit, le couple de particules existe en quatre états potentiels
simultanés.
Maintenant, tandis que Bob patiente, Alice rassemble ses 2 qubits ('Pa(b) et 'Pt) pour former
un nouveau qubit double que nous appellerons 'Pa(t). De nouveau, en tant que double qubit,
il existe en 4 états possibles. Alice mesure ensuite l'état de son double qubit. Cela a pour
effet de faire immédiatement s'effondrer la fonction d'onde, si bien qu'elle sait désormais
dans lequel des quatre états intriqués il se trouve. Accessoirement, c'est aussi le moment
où les 2 qubits d'Alice se retrouvent intriqués et où le photon original, 'Pt, est« détruit».
Parce que l'un des 2 qubits de la paire d'Alice était à l'origine intriqué avec le qubit de Bob,
en effectuant sa mesure, elle fait aussi s'effondrer le qubit de Bob dans l'état 'Pb(t) ! Elle
328 Physique quantique - Le guide de référence
transmet alors le message à Bob, en se servant d'un couple de bons vieux bits classiques
(OO, 01, 10 ou 11) pour indiquer lequel des 4 états intriqués de qubit elle a trouvé durant
la mesure.
Il suffit maintenant à Bob d'appliquer une opération pour transformer son qubit 'Pb(t)
dans l'état de qubit ('Pt) spécifié par Alice dans sa communication classique. Le résultat
de cette opération est que le photon de Bob est dorénavant dans le même état quantique
que le photon qu'Alice voulait transporter. Le photon lui-même n'a pas été téléporté, mais
toute l'information dont il avait besoin pour préparer une réplique exacte l'a été.
Ce schéma montre comment Alice et Bob pourraient téléporter le photon 'Pt de chez Alice achez Bob
grace a l'usage d'une paire de photons intriqués originaires de 'l'a et 'I' b. Cela demande le transfert de 2 bits
ordinaires par un canal classique. et un échange d'information entre la paire intriquée via le canal
quantique. Ici. le temps progresse vers le haut.
Nous voyons maintenant que l'intrication nous a en effet permis de dépasser l'incertitude
de Heisenberg. Mais la nécessité de se servir d'un canal classique pour transmettre quelques
bits normaux d'information signifie que la téléportation dans ce sens sera toujours limitée
Chapitre 21 : Traitement quantique de l'information 327
Et après?
Au cours des trois derniers chapitres, nous vous avons présenté quelques-uns des avantages
de la physique quantique dans la vie ordinaire. Toute technologie découle d'une découverte
scientifique. Vu la nature époustouflante de certaines découvertes en physique quantique,
il n'est pas surprenant qu'elles aient réussi à mettre l'impossible à notre porte.
Désormais âgée de plus de 100 ans, la physique quantique est considérée comme une
discipline mûre. Mais le domaine quantique est si riche que nous sommes encore très loin
d'avoir tout compris. Il y a fort à parier que la physique quantique a encore des cartes dans
sa manche. Et on peut tout aussi bien parier que des physiciens persévérants finiront par
trouver un jour des choses utiles à faire avec.
Dès la première page, nous avons tenté de vous présenter les principaux concepts de la
physique quantique en termes simples et accessibles. Nous ne nous attendons pas à ce que
vous compreniez tous les tours et les détours de ce parcours. Après tout, même les maîtres
quantiques comme Bohr et Einstein ont reconnu que certains mystères quantiques le
demeureront toujours. Mais nous espérons que des termes comme dualité, quantification
et intrication ne résonnent plus comme du charabia à vos oreilles. Plus important encore,
nous espérons que nous avons stimulé votre envie d'en apprendre davantage.
328 Physique quantique - Le guide de référence
Pour notre part, nous attendons avec impatience la prochaine découverte en physique
quantique. Quand elle fera les gros titres des journaux, ce qui est inévitable, nous espérons
que vous en tirerez autant de plaisir que nous. Puisse la magie de la physique quantique
continuer de vous étonner et vous inspirer.
A
Glossaire
Atome : minuscule particule de matière dont les propriétés demeurent inchangées au
cours des processus chimiques.
Bande de conduction : bande d'énergie au-dessus de la bande de valence selon la
théorie quantique des solides. Les électrons promus à la bande de conduction circulent
sous forme de courant.
Bande de valence : plus haute bande d'énergie occupée dans un solide quantique. Elle
peut être totalement ou partiellement remplie d'électrons.
Bande interdite : différence d'énergie entre le sommet de la bande de valence et le fond
de la bande de conduction selon la théorie quantique des solides.
Boson : toute particule de spin quantique entier (photon), y compris de spin O.
Cellule solaire : appareil semi-conducteur qui convertit la lumière du Soleil en électricité.
Cohérence : relation définie des états quantiques qui forment l'état de superposition.
Complémentarité : concept selon lequel les points de vue ondulatoire et particulaire
sont tous deux corrects et également nécessaires pour fournir une description complète
des objets quantiques. Ces deux aspects ne peuvent être observés ensemble.
Composé : matière composée de 2 ou plusieurs éléments en proportions définies, et par
conséquent de 2 ou plusieurs types d'atomes de proportions définies.
Conditions aux limites : conditions que doit satisfaire la solution d'une équation diffé-
rentielle, pour qu'elle représente une description valide d'une situation donnée.
Conducteur : forme de matière qui conduit l'électricité quand on applique un champ
ou un voltage électrique.
330 Physique quantique - Le guide de référence
Confinement : propriété des particules possédant une charge de couleur. Ellesne peuvent
être isolées et s'observent uniquement avec d'autres particules en sorte que la combinaison
formée est blanche, c'est-à-dire que la charge de couleur totale est nulle.
Corps noir : tout objet physique qui absorbe les rayonnements. Il ne reflète aucune lumière
externe, mais émet un rayonnement thermique quand on le chauffe.
Couches électroniques : orbites ou couches distinctes autour du noyau de l'atome,
chacune contenant un nombre spécifique d'électrons.
Courbe du corps noir : graphique de la distribution de fréquence caractéristique du
rayonnement émis. On l'appelle aussi « spectre de corps noir ».
Décohérence : perte de cohérence dans un système quantique par suite de l'influence
de facteurs externes aléatoires.
Dégénérescence de l'énergie : situation dans laquelle différents états quantiques
présentent des énergies identiques.
Densité de probabilité : probabilité par unité de volume de trouver une particule en
un certain point d'un espace tridimensionnel.
Déterminisme causal : notion selon laquelle l'état présent d'un système détermine les
états futurs de ce système.
Déterminisme prédictif: notion selon laquelle la connaissance de l'état présent d'un
système permet de prédire ses états futurs.
Deuxième loi de Newton: loi de la physique qui affirme que l'accélération d'un corps
est directement proportionnelle à la force agissant sur lui et inversement proportionnelle
à sa masse.
Dualité onde-corpuscule : notion selon laquelle les objets microscopiques exhibent des
propriétés à la fois ondulatoires et corpusculaires, selon la manière dont on les observe ou
on les mesure.
Durée de vie: durée moyenne d'un état quantique d'une particule ou d'un noyau avant
sa désintégration radioactive.
Effet photoélectrique : rejet des électrons lorsqu'on applique un rayonnement électro-
magnétique sur une surface (en général métallique).
Effondrement de la fonction d'onde : transition instantanée de tous les états quan-
tiques valides possibles à un état quantique individuel durant le processus de mesure ou
d'observation.
Appendice A: Glossaire 331
Fonction d'onde antisymétrique : fonction d'onde qui change de signe (de positif à
négatif ou l'inverse) lors de l'échange de deux particules données.
Fonction d'onde symétrique : fonction d'onde qui ne change pas du tout quand les
identités de deux particules données sont interverties.
Fréquence: nombre d'oscillations d'une onde par unité de mesure du temps.
Gluon : vecteur de force entre quarks. Les gluons possèdent huit couleurs et un spin
intrinsèque de 1 et sont électriquement neutres.
Hadron: particule composée de quarks et soumise à l'interaction forte (proton, neutron).
Hologramme: surface ou film en 2 dimensions contenant l'information nécessaire pour
produire une image en 3 dimensions.
Holographie : méthode basée sur la lumière cohérente, l'interférence et la diffraction
visant à produire une image visuelle en 3 dimensions d'un objet.
Inégalités de Bell : relations mathématiques entre certaines mesures corrélées, satisfaites
par la présence de variables cachées locales.
Interaction électrofaible : force ou interaction théorique unifiée que l'on observe
normalement comme deux interactions : la force électromagnétique et la force nucléaire
faible.
Interférence d'ondes : interaction de deux ou plusieurs ondes quand elles se chevauchent.
L'interférence constructive se produit quand les ondes se combinent pour créer une onde
plus large. L'interférence est destructive quand les ondes s'annulent les unes les autres.
Intrication: corrélation étroite entre deux particules quantiques en raison d'une fonction
d'onde commune qui peut s'étendre sur de vastes distances.
Inversion de population : excitation de plusieurs atomes hors de leur état fondamental
dans un état d'excitation spécifié. L'inversion n'est complète que lorsque la moitié de la
population d'atomes est excitée.
Isolant: forme de matière qui ne conduit pas l'électricité.
Lepton : groupe de fermions fondamentaux non soumis à l'interaction nucléaire forte.
Les électrons et les neutrinos sont des leptons.
Localité : principe fondamental de la physique, selon lequel l'influence d'une particule
sur une autre ne peut se déplacer plus vite que la vitesse de la lumière.
Appendice A : Glossaire 333
Loi de conservation : loi de la physique qui affirme qu'une propriété physique donnée
(masse ou énergie) d'un système physique fermé demeure inchangée quels que soient les
processus physiques ou chimiques qui agissent sur ce système. Cette propriété peut prendre
plusieurs formes (énergie cinétique et énergie potentielle), mais la somme de celles-ci
reste constante.
Longueur d'onde : distance entre les crêtes successives d'une onde.
Macroscopique : échelle des tailles habituelles qu'on voit à l'œil nu.
Microscopique : échelle de tailles beaucoup plus petites, qu'on ne peut détecter qu'à
l'aide d'un microscope ou d'un autre instrument.
Mise à l'échelle macroscopique : construction de grands ordinateurs quantiques avec
de plus en plus de qubits.
Moment angulaire ou moment cinétique : mesure de la tendance d'un corps qui
roule, tourne ou orbite à continuer à rouler, tourner ou orbiter.
Neutron : particule électriquement neutre et de masse équivalente à 1 proton, située au
sein d'un noyau atomique.
Niveau d'énergie : quantité d'énergie donnée qu'un système physique peut posséder
selon les lois de la physique quantique.
Nœuds: emplacements donnés d'une fonction d'onde dépourvus d'oscillations.
Nombre complexe: somme d'un nombre réel et d'un nombre imaginaire.
Nombre imaginaire: donne un nombre négatif au carré, car il est formé d'un nombre
réel multiplié par la racine carrée d'un nombre négatif(i).
Nombre quantique : nombre ou indice utilisé pour qualifier les états stationnaires d'un
atome.
Nombre réel: nombre« ordinaire» (comme 1, 2 ou 3,1415), dont le carré est toujours
un nombre positif.
Noyau atomique : région centrale d'un atome, qui comprend toute la charge positive
de cet atome et pratiquement toute sa masse.
Onde plane : fonction d'onde d'une particule libre, composée de deux fonctions sinu-
soïdales, l'une réelle et l'autre imaginaire.
334 Physique quantique - Le guide de référence
ne peut tout simplement pas exister dans une telle région, parce qu'aucune masse réelle
n'a d'énergie cinétique négative.
Saut quantique : transition atomique d'un état stationnaire à un autre, accompagné de
l'émission (ou l'absorption) d'un photon (dont l'énergie correspond à la différence entre
les niveaux d'énergie).
Schéma de diffraction : image émergente quand deux ou plusieurs ondes interfèrent
après être passées par d'étroites ouvertures. Des raies claires s'affichent dans les régions où
les ondes interfèrent de manière constructive, tandis que des raies sombres se forment là
où les ondes interfèrent de façon destructive.
Semi-conducteur: forme de matière solide qui peut conduire l'électricité à des tempé-
ratures élevées.
Spectre d'émission: schéma observé des fréquences (ou longueurs d'onde) émises par
des atomes excités. Les atomes d'éléments différents ont des spectres d'émission distincts.
Super-courants : courants électriques circulant au sein des supraconducteurs. Ils peuvent
persister durant un temps très long sans se dissiper.
Superposition : somme arithmétique de deux ou plusieurs ondes, en sorte que la hauteur
totale de l'onde résultante est équivalente en tout point aux hauteurs des ondes individuelles.
Supraconducteurs : matériaux dont la résistance au courant électrique tombe à 0 à basse
température. En état de supraconduction, ces matériaux s'opposent aussi à la pénétration
des champs magnétiques externes.
Théorie de Broglie-Bohm : interprétation de la physique quantique qui postule l'exis-
tence d'un potentiel quantique se diffusant l'espace et autorisant les interactions cachées
non locales nécessaires pour restaurer le déterminisme.
Théorie de grande unification : théorie de champ quantique unifiant les interactions
électromagnétiques, forte et faible.
Théorie des mondes multiples : interprétation de la physique quantique qui affirme
que tous les résultats possibles de mesures se produisent effectivement, et qu'à l'instant de
la mesure, l'univers se divise en plusieurs copies de lui-même.
Théorie du tout : unification des interactions électromagnétique, forte, faible et
gravitationnelle.
Troisiàme loi de Newton : loi de la physique qui affirme que pour chaque action, il
existe une réaction opposée et égale.
Appendice A : Glossaire 33'1
Valence: nombre d'électrons présents dans la couche périphérique d'un atome. C'est un
indicateur très fort des propriétés chimiques de l'élément.
Variable cachée locale : mécanisme inconnu (caché) qui prédétermine le résultat des
mesures, mais dont l'influence ne peut se déplacer plus vite que la lumière.
Vecteur: quantité dotée d'une magnitude et d'une direction dans l'espace, comme une
flèche d'une longueur donnée pointant dans une direction donnée.
APPENDICE
B
Tableau chronologique
Autant que possible, nous avons présenté l'histoire de la physique quantique en ordre
chronologique. Mais pour des raisons de clarté, cela n'a pas toujours été le cas. Sachant
qu'une lecture purement historique présente aussi son intérêt, nous avons fait ci-dessous
la liste des principaux repères chronologiques, depuis l'atomos grec jusqu'au prix Nobel
de physique 2013.
D'veloppement historique de la physique quantique.
prix
Date Evénement
Nobel
Vers - 430 Démocrite invente le terme atomos.
1687 Isaac Newton publie ses lois du mouvement.
1803 Thomas Young effectue sa célèbre expérience des deux fentes.
1803 John Dalton ressuscite le concept d'atome.
1873 James Clerk Maxwell formule ses équations.
Johann Jakob Balmer établit les longueurs d'onde des raies du spectre visible
1885
de l'hydrogène.
1895 Wilhelm Rentgen découvre les rayons X. 1901
1897 Henri Becquerel découvre la radioactivité. 1903
1897 Joseph John Thomson découvre l'électron. 1906
William Thomson (Lord Kelvin) déclare qu'• il n'y a plus rien à découvrir
1900
en physique •.
1900 Max Planck formule la loi de rayonnement de corps noir. 1918
1905 Albert Einstein développe la théorie quantique de la lumière. 1921
340 Physique quantique - Le guide de référence
prix
Date Événement
Nobel
1907 Joseph John Thomson propose le modèle du• plum pudding» pour l'atome.
1909 Robert Andrews Millikan mesure le rapport masse-charge de l'électron. 1923
1911 Ernest Rutherford découvre le noyau atomique.
1912 Max von Laue découvre la diffraction des rayons X. 1914
1913 Niels Bohr achève sa théorie de l'atome. 1922
1920 Ernest Rutherford invente le terme • proton ».
1922 Expérience de Stern-Gerlach. 1943
1922 Festival • Bohr » à Gôttingen.
1923 L'effet Compton est découvert. 1927
1924 Louis de Broglie publie sa thèse sur les ondes de matière. 1929
1924 Wolfgang Pauli formule son principe d'exclusion. 1945
Werner Heisenberg, Max Born et Pascual Jordan développent la mécanique 1932
1925
matricielle.
1926 Max Born développe une interprétation probabiliste de la fonction d'onde. 1954
1927 Expérience de Davisson-Germer. 1937
1927 Paul Dirac formule la théorie relativiste de la mécanique quantique. 1933
1927 Werner Heisenberg formule le principe d'incertitude.
1931 Paul Dirac émet l'hypothèse de l'existence des positrons.
1932 James Chadwick découvre le neutron. 1935
1932 Enrico Fermi formule l'interaction nucléaire faible.
1932 Carl David Anderson détecte expérimentalement le positron. 1936
1935 Expérience de pensée du • chat de Schrôdinger ».
1935 Albert Einstein, Boris Podolsky et Nathan Rosen (EPR) publient leur article.
1936 Carl David Anderson détecte expérimentalement le muon.
Années Richard Feynman, Julian Schwinger et Sin-Itiro Tomonaga développent 1965
1940 chacun de leur côté l'électrodynamique quantique.
Années 1950 Invention du maser et du laser. 1964
Années 1960 Sheldon Lee Glashow, Abdus Salam et Steven Weinberg découvrent l'uni- 1979
fication électrofaible.
1961 Claus Jônsson réalise l'expérience des deux fentes avec des électrons.
1962 Brian David Josephson démontre l'effet tunnel. 1973
Appendice B : Tableau chronologique 341
prix
Date Événement
Nobel
1964 Le théorème de John Stewart Bell est publié.
George Zweig et Murray Gell-Mann formulent le modèle du quark chacun 1969
1964
de leur côté.
1964 Peter Higgs prédit le boson de Higgs. 2013
Années 1970 Développement de la chromodynamique quantique. 2004
1981 Alain Aspect réalise le test expérimental du théorème de Bell.
1981 Gerd Binnig et Heinrich Rohrer inventent le microscope à effet tunnel. 1986
Carlo Rubbia et Simon van der Meer détectent expérimentalement les bosons 1984
1983
Wetz.
2012 Détection expérimentale du boson de Higgs.
APPENDICE
c
Supplément mathématique
Malgré quelques équations disséminées ici et là, nous avons expliqué les fondamentaux
de la physique quantique sans faire appel aux calculs mathématiques sous-jacents. Mais
de par sa nature même, la physique quantique est intensément mathématique. Pour bien
la comprendre, une certaine familiarité avec les mathématiques est requise.
Au cas où vous auriez envie de jeter un coup d'œil en coulisse, nous présentons dans cet
appendice quelques-unes des formules mathématiques les plus importantes de la physique
quantique. Elles ont été discutées et même représentées graphiquement dans ce livre,
mais les formules elles-mêmes n'ont pas été fournies. Nous les livrons ici dans toute leur
beauté nue.
Avant d'entamer cette partie, toutefois, nous offrons un aperçu de la notation scientifique
et une introduction aux nombres complexes, sujet d'une importance extrême pour la
physique quantique et, nous l'avons vu, pour son interprétation.
Notation scientifique
La notation scientifique est simplement une façon abrégée d'écrire de très grands ou très
petits nombres. En fait, n'importe quel nombre peut s'écrire en notation scientifique sous
la forme A x 10B. La valeur de« B » indique combien de 0 sont nécessaires. Si « B » est
positif, il faut B x 0 avant le nombre décimal, tandis que pour des valeurs négatives de
« B », il faut (B - 1) Os après le nombre décimal. La valeur de« A» indique quelle valeur
on a après ou avant les O.
Par exemple, la longueur d'onde de la lumière orange est approximativement de 0,0000006
mètre = 6 x 10-7 m = 600 x 10-9 m = 600 nanomètres = 600 nm. Inversement, sa
344 Physique quantique - Le guide de référence
fréquence est d'environ 500 000 000 000 000 hertz= 5 x 1014 hertz= 500 x 1012 hertz
= 500 Térahertz = 500 THz.
Voici quelques-unes des valeurs les plus importantes en physique quantique, ainsi que les
préfixes et les symboles utilisés pour leur notation.
Notations décimale et scientifique
Notation décimale Notation scientifique Préfixe Symbole
1 000 000 000 000 1 X 1012 téra- T
1000000 000 1 X 109 giga- G
1000000 1 X lQ6 méga- M
1 000 1 X 103 kilo- k
0,01 1 X 10-2 ccnti- c
0,001 1 X 10-3 milli- m
0,000001 1 X lQ- 6 micro- µ
0,000000001 1 X 10-9 nano- n
0,000000000001 1 X 10-12 pico- p
0,000000000000001 1 X 10-15 femto- f
Nombres complexes
Les nombres complexes comportent deux catégories : les nombres imaginaires et les
nombres réels. Tout nombre complexe peut s'écrire sous la forme C + Di, étant entendu
que Cet D sont tous deux des nombres réels. Le symbole i représente l'unité de base des
nombres imaginaires, et il est tel que i • .r-:i.
Un moyen pratique de travailler avec les nombres complexes est de les représenter en deux
dimensions sur un graphique, dont l'axe x correspond à la part réelle (ou C dans notre
exemple ci-dessus) et l'axe y à la part imaginaire (ou D dans notre exemple).
Deux nombres complexes sont tracés ici en deux dimensions. Le nombre complexe 3 + 2i
apparaît à 2 unités sur la droite le long de l'axe réel, et à 2 unités vers le haut le long de
l'axe imaginaire. Le nombre complexe -2 - 3i apparaît à 2 unités vers la gauche le long de
l'axe réel et à 3 unités vers le bas le long de l'axe imaginaire.
Appendice C : Supplément mathématique 349
Axe
Imaginaire
,,,,,,"' .....
.......... ..... ---- ------
3
..... ..... ,
/
''
/
/
' ' \3+2/
I
I
I
1!------------ 1\
I
I 1 \
I 1 \
I 1 \
I 1 1
I 1 1
1 1 \
1 ·3 -~ ·1 2 s J Axe
1 1 1 réel
1 1 I
1 1 ·1 I
\ 1 I
\ 1 I
\ 1 I
\ 1 I
\ 1 ·2 I
I
', 1 I
' 1 /
', 1 /
/
~------- ·3 ..........
·2-3/ ..............
-- --- -- ..........
..... .....
Un nombre complexe peut étre représenté par un point sur un graphique a deux dimensions,
l'axe réel étant tracé de gauche a droite et l'axe imaginaire de bas en haut.
Nous avons souligné précédemment que les quantités imaginaires en physique ne peuvent
être mesurées de fait. C'est pourquoi on ne peut en général détecter la fonction d'onde
d'une particule, parce qu'elle contient une composante imaginaire. C'est aussi pourquoi on
souligne l'importance du carré de la fonction d'onde (ou, à strictement parler, du~ module
au carré•), qui est toujours un nombre réel.
Le carré d'un nombre complexe est assez simple à calculer: ce n'est que le carré de la part
réelle plus le carré de la part imaginaire. Dans les deux exemples qui précédent, le carré est
donné par 32 + 22 = 9 + 4 = 13. En jetant un coup d'œil au graphique, vous constaterez que
la racine carrée de cette valeur (Jï3) est seulement la distance entre l'ordonnée à l'origine
du graphique et le nombre complexe.
Notez que le carré des deux nombres complexes sur ce graphique est 13, même s'ils ont
l'air très différent et ont des positions différentes sur le graphique. Une autre façon de le
346 Physique quantique - Le guide de référence
dire est que chacun d'eux est placé sur un cercle d'un rayon égal à Jï3 tracé autour de la
coordonnée d'origine du graphe.
r
Nous avons écrit celle-ci dans une notation vectorielle générale, pour indiquer que la
force F est orientée le long d'un vecteur pointant à partir d'une des masses vers l'autre
(r) (le petit chapeau sur le vecteur de position signifie que c'est seulement un indicateur
de direction et que sa magnitude est égale à 1). De même, comme nous l'avons dit aux
chapitres 2 et 16, le symbole G est une constante de proportionnalité, nécessaire pour
équilibrer les deux termes de l'équation avec les dimensions adéquates.
Au chapitre 3, nous avons parlé de James Clerk Maxwell et décrit l'élégance et la puissance
de ses quatre équations d'électrodynamique classique. Voici ci-dessous les expressions
qu'il a calculées :
V·E-..e_
Eo
V·B-0
aB
VxE---
at
aE
VxB- 0 J+ E -
o o at
Appendice C : Supplément mathématique 34'1
Ces équations décrivent les relations entre un champ électrique (E) et un champ magné-
tique (B) créées par un système de charges stationnaires ou en mouvement. La charge
dans le système est représentée par le terme p et le courant qu'elle génère quand elle se
déplace est défini par le vecteur J.
Les deltas (au début de chaque équation) représentent les différentes dérivées spatiales à
trois dimensions. On voit aussi dans les deux dernières équations une paire de premières
dérivées dépendantes du temps. Enfin, deux valeurs constantes (µ0 et e 0 ) sont là pour
équilibrer les quatre équations.
Au chapitre 5, nous avons expliqué comment Max Planck résolut la « catastrophe ultra-
violette » avec une nouvelle formule décrivant la courbe de rayonnement du corps noir. Il
postula que les électrons en oscillation dans un solide chauffé peuvent émettre ou absorber
de l'énergie (E) à des fréquences spécifiques (f), les énergies étant telles que E = hj
C'était, bien sûr, le début de sa constante (h). En résolvant la courbe du corps noir découlant
de ce postulat, il a élaboré sa célèbre formule :
8nh/ 3 1
u(/,T) • - - 3- /If/KT 1
c e -
Cette équation donne la densité d'énergie (u) émise à une fréquence donnée (f) pour un
solide chauffé à température spécifique (7). Trois constantes fondamentales apparaissent
dans cette formule: la constante de Planck (h), la vitesse universelle de la lumière (c), et ce
qu'on appelle la constante de Boltzmann (K). Cette dernière, qui met en rapport la tempé-
rature et l'énergie, apparaît chaque fois qu'on applique les lois de la thermodynamique.
Au chapitre 7, nous avons mentionné la formule élaborée par Johann Balmer pour décrire
les longueurs d'onde (À) de certaines raies spectrales de l'hydrogène. Balmer la résolut
d'abord pour les transitions électroniques dans le premier état excité de l'hydrogène.
Quelques années plus tard, le physicien suédois Johannes Rydberg généralisa la formule
à toutes les transitions dans un niveau d'énergie final de l'hydrogène. La formule de
Rydberg est celle-ci :
.!.. R ..!__..!_
).. n~ n?
Les nombres des dénominateurs (n 1 et n1) sont des valeurs entières qui représentent les
nombres quantiques principaux pour les états initial et final impliqués dans la transition.
La constante de proportionnalité (R), insérée pour équilibrer les deux termes, est appelée
la constante de Rydberg.
348 Physique quantique - Le guide de référence
Comme nous l'avons vu, la première découverte importante du modèle de Niels Bohr pour
l'atome était sa dérivée des longueurs d'onde dans le spectre d'émission de l'hydrogène,
démontrée par :
1
n2 - n2
f 1
Cette équation est identique aux découvertes empiriques de Balmer et Rydberg, pourvu
que la constante de Rydberg (R) s'accorde avec la combinaison particulaire de la masse
électronique (m), de la charge électronique (e), de la constante de Planck (h), de la vitesse
de la lumière (c) et de la valeur constante (k) (cette dernière est la constante de Coulomb,
dont nous avons parlé au chapitre 16, et qui caractérise l'attraction électromagnétique
entre l'électron et le proton).
En se servant des meilleures valeurs disponibles en 1913 pour ces constantes, Bohr montra
que sa combinaison s'accordait avec la constante de Rydbergjusqu'à 1 %, étayant ainsi de
manière écrasante son modèle de l'atome.
Au chapitre 8, nous avons présenté la célèbre relation de De Broglie pour la longueur
d'onde Â. de l'onde de matière associée à un corps de masse m et de vitesse v, telle que
h h
À----.
p mv
Nous avons montré explicitement que le moment cinétique (p) est le produit de la masse
et de la vitesse du corps.
Au chapitre 9, nous avons examiné le principe d'incertitude de Heisenberg, qui affirme que
le produit des incertitudes pour les deux variables d'une paire conjuguée doit être supérieur
à la constante de Planck. Aujourd'hui, on a quelque peu affiné ceci avec les deux relations
qui suivent. La première, Px x a:..!!._, dit que l'incertitude de la position d'une particule
4n
sur un axe x (dénoté par ~x) multiplié par l'incertitude de son moment cinétique le long
de l'axe x (dénoté par ~Px) est supérieur ou égal à la constante de Planck divisée par 4m.
Quand on sélectionne l'énergie (E) et le temps (t) comme paire de variables conjuguées,
le principe d'incertitude de Heisenberg s'écrit sous la forme : E ta: 4: .
Nous avons déjà présenté, au chapitre 10, la forme temporelle de la célèbre équation d'onde
à une dimension de Schrodinger. La voici à nouveau :
h2 --..,.....--
<J 2 '1'(x,t) U( )n'( )
+ X T X,f • ih â'l'(x,t) •
8m.7r 2 ax2 2n at
Appendice C : Supplément mathématique 349
Nous avons aussi expliqué qu'il s'agit d'une équation différentielle partielle, qui met en
1
rapport la fonction d'onde d'une particule (lJl(x, t)) avec sa deuxième dérivée spatiale,
, . . à2 'P(x,t) d • ., d' . , 11 à'P(x,t)
notee 1c1 par ax 2 , e meme que sa prem1ere envee tempore e, dt
On a aussi ici un terme pour l'énergie potentielle éprouvée par la particule (U(x)), le
nombre imaginaire (i), la constante de Planck (h) et la masse de la particule (m).
Nous avons précisé que, dans bien des cas, l'équation de Schrôdinger peut s'écrire sous
une forme indépendante du temps. On écrit alors la fonction d'onde en minuscule (lJl(x)),
et l'équation est telle que :
h2 d 2tp(x)
- SmJr 2 dx 2 + U(x')tp(x)- Etp(x)
Notez que la seconde dérivée spatiale apparaît dans le premier terme, mais que la
deuxième dérivée temporelle s'est évanouie, remplacée par le produit de l'énergie de
la particule (E) multiplié par la fonction d'onde. C'est un bon exemple de la relation
fonction propre/valeur propre, puisque le côté gauche consiste en une certaine opération
sur la fonction d'onde, tandis que le côté droit est une valeur constante multipliée par
la fonction d'onde.
Au chapitre 11, nous avons appliqué l'équation de Schrôdinger à plusieurs cas particuliers.
Le cas le plus simple, où la fonction d'énergie potentielle est de 0, donne une fonction
d'onde pour une particule libre de longueur d'onde À. et de fréquencef, telle que:
'P( )
x,t •cosT- 2n ft
2nx . . 2nx
+1sm T- 2.7rft
Vous remarquerez que la fonction d'onde est écrite sous la forme C +Di, où Cet D dans
ce cas, sont des fonctions sinusoïdales de la position (x) et du temps (t). C'est une indication
claire du fait que la valeur de la fonction d'onde est un nombre complexe. De plus, on voit
qu'il n'y a pas de dépendance par rapport aux nombres quantiques. Rappelez-vous que
c'est parce que l'énergie d'une particule libre n'est pas quantifiée, elle peut avoir n'importe
quelle énergie possible.
L'exemple suivant était celui d'une particule de masse m confinée dans un « puits de
potentiel infini » d'une certaine longueur (L). Dans le puits, l'énergie potentielle est de
0, tandis qu'au dehors, elle est infinie. En résolvant l'équation de Schrôdinger pour ce
cas, on obtient des solutions de la fonction d'onde de la particule (lJl.(x)) et l'énergie
correspondante (E.), telles que ci-dessous :
390 Physique quantique - Le guide de référence
Notez qu'il n'y a qu'une seule solution pour chaque valeur du principal nombre quantique
n. Les trois premières sont représentées graphiquement au chapitre 11.
Dans le cas d'un puits avec une barrière finie, les valeurs d'énergie prennent une forme
légèrement différente :
n2h2
E · - - - - -2
• 8m(L + 2c5 )
c5 h
• Jsn m(U - E.)
2
Les énergies sont un peu réduites en raison de la présence d'une valeur que l'on appelle
la profondeur de pénétration (6) et qui quantifie l'étendue sur laquelle la fonction d'onde
s'infiltre dans la région classiquement interdite. Malheureusement, même pour ce problème
d'une simplicité relative, les formules des fonctions d'onde sont assez compliquées. C'est
pourquoi nous ne les donnons pas ici.
Dans le cas d'un oscillateur harmonique quantique, les niveaux d'énergie sont régulière-
ment espacés pour tous les nombres quantiques principaux (n) et tels que E. • (n + 'f,,)hf.
Ici encore, il ne vaut pas la peine d'écrire explicitement les premières fonctions d'onde,
vu leur complexité mathématique, mais elles sont illustrées graphiquement au chapitre 11.
Revenons enfin à l'hydrogène d'atome - le premier problème à 3 dimensions étudié avec
l'équation de Schrodinger au chapitre 11. Une fois encore, nous ne nous donnerons pas la
peine de reproduire les fonctions d'onde à 3 dimensions, même si certaines d'entre elles
ont été illustrées par des graphiques dans le corps du texte. Les niveaux d'énergie corres-
2n2mk2e4
pondants pour chaque nombre quantique principal (n) sont tels que : E. • - 2 2
nh
Ici on voit clairement le lien de dépendance par rapport au nombre quantique principal
(n), à la masse de l'électron (m), la constante de Coulomb (k), la charge de l'électron (e)
et, bien sûr, la constante de Planck (h).
APPENDICE
D
Ressources supplémentaires
350 pages ne suffisent pas à rendre justice à une discipline aussi riche que la physique quan-
tique. Heureusement, il existe beaucoup d'autres publications qui traitent à leur manière
de ce sujet fascinant. Pour ceux qui veulent en apprendre davantage, nous recommandons
ci-dessous d'excellents ouvrages, plus ou moins détaillés.
En outre, nous fournissons les références du développement historique de la physique
quantique. Sont cités plus loin les articles originaux qui ont établi la physique quantique
en tant que science et démontré ses applications les plus importantes.
Bloomfield, Louis A., How Things Work: The Physics of Everyday Lifë, 5th edition, New
York, John Wiley & Sons, 2013.
Bohr, Niels, Physique atomique et connaissance humaine, Paris, Gallimard, coll. « Folio Essais »,
2016.Born, Max et Einstein, Albert, Correspondance 1916-1955, Paris, Seuil, 1972.
Eisberg, Robert et Resnick, Robert, Quantum Physics of Atoms, Molecules, Solids, Nuclei,
and Particles, 2°d edition, New York, Wiley & Sons, 1985.
Ferris, Timothy, La Nuit du temps : Histoire du cosmos, de ['Antiquité au Big Bang, Paris,
Hachette, coll. «Essais et documents», 1992.
Gribbin, John, Le Chat de Schrodinger: Physique quantique et réalité, Paris, Flammarion, coll.
« Champs Sciences », 2009.
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A propos des auteurs
Marc Humphrey découvre la physique quantique à la fin de ses années de lycée - non
comme Max Planck, bien sûr, mais grâce à des ouvrages comme celui-ci. Après une licence
en physique, il étudie les mathématiques à l'université de Western Michigan, où il bénéficie
d'une prestigieuse bourse Goldwater. Il prépare ensuite un doctorat de physique atomique
à Harvard. C'est à cette période qu'il découvre son goût pour l'enseignement et qu'on lui
décerne le Harold White Prize et le Certificate for Distinction in Teaching pour l'excel-
lence de ses pratiques pédagogiques. Depuis dix ans, il se concentre sur l'enseignement de
la science aux non-scientifiques dans le cadre de ses emplois au U.S. Department ofState,
U.S. Department of Energy et à l'international Atomic Energy Agency. Il a également
servi comme volontaire des Peace Corps au Mali. Il vit à Vienne avec sa femme et leurs
deux enfants.
Paul Pancella enseigne la physique depuis 1990 à l'université du Western Michigan.
Enfant, il voulait être astronaute, jusqu'à ce qu'on lui prescrive des verres correcteurs. Il
continua néanmoins de s'intéresser à la science et passa une licence en sciences avec mention
(summa cum laude) à l'université de Saint-Louis, où il fut initié à la confrérie q>BK. Il prépara
ensuite un doctorat en physique nucléaire à l'université Rice de Houston. Aujourd'hui, il
se consacre à la promotion de l'éducation scientifique auprès d'un large public. Il a aussi
converti sa vieille Honda Civic en un véhicule tout-électrique.
Fascinée par la physique dès son plus jeune âge, Nora Berrah entame un DES en physique
théorique à la Faculté des sciences d'Alger, puis un doctorat en physique atomique à
l'université de Virginie. Après avoir été distinguée par l'université de Western Michigan,
elle dirige aujourd'hui le département de physique de l'université du Connecticut à Storrs.
Elle est spécialisée dans l'étude de l'interaction des photons avec les atomes, les molécules
et les nana-systèmes. Elle milite en faveur de la diversité et de la parité dans le domaine
de la science, de la technologie, de l'ingénierie et des mathématiques. Elle est membre de
l'American Physical Society et a reçu en 2014 le prix Davisson-Germer.
Achevé d'imprimer en août 2019
sur les presses de la Nouvelle Imprimerie Laballery
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Dépôt légal : août 2019
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