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Cyrano de Bergerac IV, 10

Introduction

Présentation
Personnage marquant de la littérature au même titre qu’un Figaro ou qu’un Lorenzaccio
« âme » de Cyrano, « panache » , « hétéroclite », « admirable »
« plus beau lorsque c’est inutile »

Situation
Roxane allée courageusement au front pour retrouver Christian (son amant)
Mort de Christian (sur scène !) (rupture avec la bienséance classique)
Mort choquante et séduisante pour le spectateur de la fin 19e s.
Belle mort (héroïque) de celui (Christian) qui n’est pas le héros
// avec la mort du héros éponyme (Cyrano) qui arrivera à l’acte V

Enjeux ?
v. 2216 « et je n’ai qu’à mourir aujourd’hui » – fin de la scène

Christian est mort, la bataille fait rage. Cyrano, qui perd son double, annonce sa mort mais il
ne meurt pas = contradiction
Paradoxe, mélange inconfortable tragique / militaire-héroïque, exigence d’action
• Scène décevante ?
Cyrano ne révèle rien => spectateur frustré
Cyrano est enfin celui qu’on annonçait qu’il soit : un militaire, un combattant
(Sens auditif ; « épée » ; répliques courtes, stichomythie) => spectateur rassuré
• Enjeux divers mélangés : deuil, pathos / enjeu sentimental (sauver Roxane), intrigue
amoureuse
• Quelle est la fonction de cette scène ? Dilatoire (qui fait attendre la déclaration de
Cyrano à Roxane) ? Enjeu dramatique de caractérisation du personnage ? Enjeu moral
(revient sur la mort de Christian, suicide déguisé ? Christian qui s’est sacrifié ?)
Confusion pour le spectateur = état d’instabilité émotionnelle du personnage (sans Christian,
comment exister ?)
Mouvements

CYRANO (à part, tirant l’épée)


Et je n’ai qu’à mourir aujourd’hui,
Puisque, sans le savoir, elle me pleure en lui !
Trompettes au loin.
DE GUICHE (qui reparaît sur le talus, décoiffé, blessé au front, d’une voix tonnante)
C’est le signal promis ! Des fanfares de cuivres !
Les Français vont rentrer au camp avec des vivres !
Tenez encore un peu !
ROXANE
Sur sa lettre, du sang,
Des pleurs !
UNE VOIX (au-dehors, criant)
Rendez-vous !
VOIX DES CADETS
Non !
RAGUENEAU (qui, grimpé sur son carrosse, regarde la bataille par-dessus le talus)
Le péril va croissant !
CYRANO (à de Guiche, lui montrant Roxane)
Emportez-la ! Je vais charger !
ROXANE (baisant la lettre, d’une voix mourante)
Son sang ! ses larmes ! …
RAGUENEAU (sautant à bas du carrosse pour courir vers elle)
Elle s’évanouit !
DE GUICHE (sur le talus, aux cadets, avec rage)
Tenez bon !
UNE VOIX (au-dehors)
Bas les armes !
VOIX DES CADETS
Non !
CYRANO (à de Guiche)
Vous avez prouvé, Monsieur, votre valeur :
Lui montrant Roxane.
Fuyez en la sauvant !
DE GUICHE (qui court à Roxane et l’enlève dans ses bras)
Soit ! Mais on est vainqueur
Si vous gagnez du temps !
CYRANO
C’est bon !
Criant vers Roxane que de Guiche, aidé de Ragueneau, emporte évanouie.
Adieu, Roxane !
Tumulte. Cris. Des cadets reparaissent blessés et viennent tomber en scène.
Cyrano se précipitant au combat est arrêté sur la crête par Carbon de CastelJaloux, couvert de sang.
CARBON
Nous plions ! J’ai reçu deux coups de pertuisane !
CYRANO (criant aux Gascons)
Hardi ! Reculès pas, drollos !
À Carbon, qu’il soutient.
N’ayez pas peur !
J’ai deux morts à venger : Christian et mon bonheur !
Ils redescendent. Cyrano brandit la lance où est attaché le mouchoir de Roxane.
Flotte, petit drapeau de dentelle à son chiffre !
Il la plante en terre ; il crie aux cadets.
Toumbé dèssus ! Escrasas lous !
Au fifre.
Un air de fifre !
Le fifre joue. Des blessés se relèvent. Des cadets, dégringolant le talus, viennent se grouper autour de Cyrano et du petit drapeau.
Le carrosse se couvre et se remplit d’hommes, se hérisse d’arquebuses, se transforme en redoute.
UN CADET (paraissant, à reculons, sur la crête, se battant toujours, crie)
Ils montent le talus !
et tombe mort.
CYRANO
On va les saluer !
Le talus se couronne en un instant d’une rangée terrible d’ennemis. Les grands étendards des Impériaux se lèvent.
CYRANO
Feu !
Décharge générale.
CRI (dans les rangs ennemis)
Feu !
Riposte meurtrière. Les cadets tombent de tous côtés.
UN OFFICIER ESPAGNOL (se découvrant)
Quels sont ces gens qui se font tous tuer ?
CYRANO (récitant debout au milieu des balles)
Ce sont les cadets de Gascogne
De Carbon de Castel-Jaloux ;
Bretteurs et menteurs sans vergogne…
Il s’élance, suivi des quelques survivants.

Ce sont les cadets…


Le reste se perd dans la bataille

❖ Premier mouvement Cyrano sauveur de Roxane


❖ Deuxième mouvement Cyrano au combat
❖ Troisième mouvement Cyrano porte-parole des Gascons

 La scène permet à Cyrano de rejouer son existence à trois niveaux : galant, héroïque et
identitaire (il vit au travers du groupe comme il vivait par l’intermédiaire de Christian)
 La scène qui fait mourir Christian fait, en parallèle, renaître Cyrano, qui se réinvente ici
une identité et justifie, plus que jamais, juste avant l’acte final, son statut de héros aux
yeux du spectateur.

Etude linéaire

Premier mouvement Cyrano, sauveur de Roxane


Le pathos
 « Son sang », « du sang » répétition à valeur d’insistance sur la vision de la mort par la
synecdoque du sang ; démultiplication de la tragédie « elle pleure » verbe d’action au
singulier => des pleurs => des larmes au pluriel
Omniprésence de Roxane dans la préoccupation de Cyrano et dans le texte
 Quatre mentions de Roxane (pronom sujet, pronom complément et prénom en
apostrophe) + quatre fois son nom est prononcé (« Roxane ») dans les didascalies
Quiproquo
 « tenez bon » de Guiche aux cadets mais qui vaut aussi pour Roxane et Cyrano =>
Connivence avec les spectateurs
Deuxième mouvement Cyrano au combat
Enchaînement des actions :
 Termes brefs (souvent monosyllabiques) « Feu / Feu ! »
 Ponctuation exclamative quasi systématique (pas seulement en fin de réplique ou de
vers) : « Hardi ! », « Feu ! », « On va les saluer ! »
Sens auditif
 Lexique de la voix « crie ». « Au fifre. » / « Un air de fifre ! » / Le fifre joue
 Son coupant, allitération de la fricative « f » : « flotte », « chiffre », « feu», « fifre »
 Cacophonie, avec l’insertion du patois gascon dans le français : « Reculès pas, drollos ! »,
« Toumbé dèssus ! Escrasas lous ! »

Troisième mouvement Cyrano porte-parole des Gascons


Force du collectif
 Pluriel du collectif « cadets », « bretteurs », « menteurs »
Place de choix
 trois octosyllabes successifs de la chanson pour désigner (expansions du nom sous forme
d’enchaînement des appositions) : « cadets » (nom noyau) … « bretteurs et menteurs »
deux vers plus loin
Métrique
 Valorisation de la compagnie militaire par l’emploi de l’octosyllabe, mètre héroïque des
épopées « ce sont les cadets de Gascogne »

Conclusion
Bilan
Scène qui nous permet de retrouver un Cyrano ragaillardi, qui se définit par ce qu’il sait le
mieux faire :
➢ Manier la langue, parler : « récitant »
➢ Epater la galerie (groupe des Gascons)
➢ Bouger, s’agiter (« s’élançant »)
Scène qui met en lumière le mode de fonctionnement du personnage : se faire porte-parole,
écho (avant, de Christian, désormais des cadets de Gascogne) de quelqu’un d’autre =
personnage qui vit par procuration, toujours émissaire de quelqu’un ou d’une cause. =
difficulté d’exister donc se mettre au service d’autres existences qu’il aide ou promeut.
Ouverture
Difficulté à être soi pour soi pour notre héros qui, après avoir affirmé « Je suis Cyrano
Savinien-Hercule de Bergerac » au premier acte, n’est pas sans rappeler Ruy Blas « Je
m’appelle Ruy Blas » (fin de l’acte final) = en cela, il est ce héros romantique qui peine à avec
lui-même, ruse avec lui-même (travestissement, double identité souvent) jusqu’à se perdre
(Cyrano à l’identité éclatée ou diluée, Chatterton ou Ruy Blas qui se suicident).
Victor HUGO, Ruy Blas (1838), V, 4
RUY BLAS, posant la fiole. Si ! C'est du poison. Mais j'ai la joie au cœur.

Rien. Mes maux sont finis. Tenant la reine embrassée et levant les yeux
au ciel.
Rien. Vous me maudissez, et moi je vous
bénis. - Permettez, ô mon Dieu, justice souveraine,

Voilà tout. Que ce pauvre laquais bénisse cette reine,

Car elle a consolé mon cœur crucifié,

LA REINE, éperdue. Vivant, par son amour, mourant, par sa pitié !

Don César !

LA REINE.

RUY BLAS Du poison ! Dieu ! C'est moi qui l'ai tué ! - je


t'aime !
Quand je pense, pauvre ange,
- Si j'avais pardonné ? ...
Que vous m'avez aimé !

RUY BLAS, défaillant.


LA REINE.
J'aurais agi de même.
Quel est ce philtre étrange ?
Sa voix s'éteint. La reine le soutient dans ses
Qu'avez-vous fait ? Dis-moi ! Réponds-moi ! bras.
Parle-moi !
Je ne pouvais plus vivre. Adieu !
- César ! Je te pardonne et t'aime, et je te croi!
Montrant la porte.

Fuyez d'ici !
RUY BLAS.
- Tout restera secret. - je meurs.
Je m'appelle Ruy Blas.
Il tombe.

LA REINE, l'entourant de ses bras.


LA REINE, se jetant sur son corps.
Ruy Blas, je vous pardonne !
Ruy Blas !
Mais qu'avez-vous fait là ? Parle, je te
l'ordonne !

Ce n'est pas du poison, cette affreuse liqueur ? RUY BLAS, qui allait mourir, se réveille à
son nom prononcé par la reine.
Dis ?
Merci !
RUY BLAS.

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