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Fr. Basile Valuet O.S.B. Amoris Lætitia
Fr. Basile Valuet O.S.B. Amoris Lætitia
2. Sur toute cette question, on consultera les deux documents de la Congrégation pour
la Doctrine de la Foi : Instruction Donum veritatis, sur la vocation ecclésiale du théolo-
gien (24 mai 1990), La Documentation catholique (DC), 1990, p. 693‑701 ; — et Note doctrinale
illustrant la formule conclusive de la « Professio fidei » (29 juin 1998), DC, 1998, p. 653‑655.
3. C’était le cas de l’exhortation de saint Jean-Paul II, Familiaris consortio (22 no-
vembre 1981), sur les tâches de la famille dans le monde présent.
4. Cf. le no 3 : « En rappelant que “le temps est supérieur à l’espace”, je voudrais réaffirmer
que tous les débats doctrinaux, moraux ou pastoraux ne doivent pas être tranchés par des
interventions magistérielles. Bien entendu, dans l’Église une unité de doctrine et de praxis
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est nécessaire, mais cela n’empêche pas que subsistent différentes interprétations de certains
aspects de la doctrine ou certaines conclusions qui en dérivent. […] »
5. S’il est vrai que la doctrine nous a été révélée par Dieu dans un but pastoral qui est le
salut des âmes, il serait en revanche faux de croire que la doctrine doit céder pour faciliter
la pastorale. Celle-ci en effet, est basée sur la doctrine même. Nulle « orthopraxie » qui ne se
base sur une « orthodoxie ».
6. Voir plus loin notre traduction française corrigée de ce no 303.
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annonçait dès le début (no 7) que c’est lui qui interpellerait le plus de
personnes. Il concerne les situations matrimoniales dites « irrégulières ».
Quasiment tous les paragraphes en ont été pris comme occasion de
malentendus.
Selon le no 291, « même si l’Église comprend que toute rupture du lien
matrimonial “va à l’encontre de la volonté de Dieu, [elle] est également
consciente de la fragilité de nombreux de ses fils”. Illuminée par le regard
de Jésus Christ, elle “se tourne avec amour vers ceux qui participent à sa
vie de manière incomplète, tout en reconnaissant que la grâce de Dieu
agit aussi dans leurs vies, leur donnant le courage d’accomplir le bien,
pour prendre soin l’un de l’autre avec amour et être au service de la
communauté dans laquelle ils vivent et travaillent”. […] ». La « grâce de
Dieu » dont il s’agit ici est au moins une grâce actuelle, mais on va voir
plus loin que sera envisagée aussi la possibilité que dans ces situations
certaines personnes soient aussi habitées par la grâce habituelle. Par ail-
leurs, il s’agit de fils de l’Église, donc dotés (on le suppose) de la foi et de
l’espérance, même s’ils ne vivent pas de manière complète de la vie de
leur Mère. Certains se sont dits choqués que le pape puisse ici accorder
des louanges au fait que de pseudo-conjoints « prennent soin l’un de
l’autre avec amour ». Mais il faut maintenir la valeur naturellement bonne
de tels soins malgré leur circonstance générale irrégulière.
Le no 292 rappelle la notion de mariage chrétien, puis signale d’autres
formes d’union, soit radicalement opposées (il s’agit sans aucun doute
des « couples » homosexuels, dont le no 251 nous a déclaré qu’ils n’avaient
aucune ressemblance avec le mariage, ou encore d’unions de rencontre),
soit ne reproduisant qu’imparfaitement l’idéal. En effet, certes, seul le
mariage monogamique indissoluble correspond à la volonté de Dieu,
contredite par les « unions de fait ». Cependant, parmi celles-ci, certaines
réalisent cet idéal de manière inchoative, imparfaite, en particulier si elles
revêtent un caractère stable, voire institutionnalisé, comme le mariage
civil, où l’on prend soin des enfants (no 293). Il est facile de comprendre
cela : des unions stables, où on prend soin des enfants, et où a priori
on s’engage pour toujours, ont une ressemblance indéniable avec un
vrai mariage. Ainsi, ces unions de fait pratiquées par deux catholiques,
lesquelles ne sont donc pas des mariages, ni naturels, ni sacramentels,
possèdent quelques caractéristiques intrinsèquement bonnes, rendant
ces situations moins mauvaises, et les faisant ressembler partiellement
au mariage. Ce qui ne veut pas dire que les actes contraires à la volonté
divine posés par de tels partenaires pourraient en devenir objectivement
bons.
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7. Le pape François a de nouveau évoqué ce type de cas dans son allocution du 16 juin 2016
au congrès ecclésial du diocèse de Rome, à la fin de laquelle, improvisant des réponses à des
questions, il signalait l’existence d’une coutume superstitieuse d’une région d’Argentine, où les
fiancés qui attendent un enfant s’installent dans le concubinage, et ne se marient que lorsqu’ils
sont… grands-parents. On peut songer ici plus directement aux couples d’Indiens des Andes,
chez qui le mariage est un luxe financier, et qui, par conséquent, vivent ensemble de manière
stable, et procréent, mais sans jamais se marier.
8. Il s’agit d’une citation de Jean-Paul II, Familiaris consortio, no 9, dont voici l’intéressant
contexte (d’après la traduction française du site Internet du Vatican) : « Il faut une conversion
continuelle, permanente, qui, tout en exigeant de se détacher intérieurement de tout mal et
d’adhérer au bien dans sa plénitude, se traduit concrètement en une démarche conduisant
toujours plus loin. Ainsi se développe un processus dynamique qui va peu à peu de l’avant
grâce à l’intégration progressive des dons de Dieu et des exigences de son amour définitif et
absolu dans toute la vie personnelle et sociale de l’homme. C’est pourquoi un cheminement
pédagogique de croissance est nécessaire pour que les fidèles, les familles et les peuples, et
même la civilisation, à partir de ce qu’ils ont déjà reçu du mystère du Christ, soient patiem-
ment conduits plus loin, jusqu’à une conscience plus riche et à une intégration plus pleine de
ce mystère dans leur vie. » Le thème des étapes de croissance apparaissait aussi ailleurs dans
Familiaris consortio, par exemple au no 34 : « L’homme […] est un être situé dans l’histoire.
Jour après jour, il se construit par ses choix nombreux et libres. Ainsi il connaît, aime et
accomplit le bien moral en suivant les étapes d’une croissance. »
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9. Quoique certaines formes d’intégration puissent exister même pour ceux-là (cf. AL,
no 297).
10. Le paragraphe annonce des modalités variées « d’intégration », sans les distribuer en
fonction des diverses situations, thème qui fera peut-être l’objet de futurs documents officiels,
pontificaux ou épiscopaux.
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12. C’est peut-être là une faiblesse du texte, qui aurait gagné à rappeler la doctrine, et
à montrer le lien de continuité entre le neuf et l’ancien, travail entrepris par le cardinal
Christoph Schönborn, Entretien sur Amoris Laetitia, avec Antonio Spadafaro, Paris, Parole
et Silence, 2016.
13. Au demeurant, cette dernière question soulève des problèmes délicats, liés aux canons
1085 et 1116, et que le Saint-Père, de toute évidence, n’a pas l’intention de trancher ici.
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croire que l’adultère n’est pas un péché, que le divorce n’est pas un mal,
ou que le mariage n’est pas indissoluble. Par ailleurs, le texte demande
que soit opéré un discernement sur ce qui est actuellement interdit par
la loi canonique aux divorcés remariés « dans les domaines liturgique,
pastoral, éducatif et institutionnel ». Il laisse donc entendre que peut-être
certaines des interdictions de la loi purement canonique (non divine)
concernant les divorcés remariés et destinées à éviter le scandale seront
revues plus tard. En tout cas, AL ne touche pas à la législation existante.
Et le libellé du no 300 prouve bien que l’Exhortation a voulu non pas
changer la législation canonique, mais seulement donner un « nouvel
encouragement au discernement responsable personnel et pastoral »
sur la manière d’appliquer cette loi à des cas particuliers « dans le col-
loque de for interne ». C’est en quelque sorte la question de l’épikie, ou
interprétation bénigne de la loi humaine en faveur de la liberté du sujet,
lorsqu’il apparaît à une personne sage, compétente et objective que le
législateur humain n’a pas pu vouloir imposer la loi à ces circonstances,
qu’il ne pouvait prévoir, et ce, en raison d’une loi divine plus générale,
qui, elle, embrasse tous les cas possibles. En effet, « étant donné que “le
degré de responsabilité n’est pas le même dans tous les cas”, les consé-
quences ou les effets d’une norme ne doivent pas nécessairement être
toujours les mêmes.[336] » (no 300). Naturellement, il s’agit d’épikie par
rapport à une loi non pas divine (ce qui est impossible), mais purement
ecclésiastique. En effet, le dispositif canonique actuellement en vigueur
comprend deux aspects. Le premier (double) est de droit divin : celui
qui est en état de péché mortel ne peut pas sans nouveau péché grave
accéder à l’Eucharistie (aspect reflété dans le canon 916), et le ministre
de l’Eucharistie ne peut pas lui donner la communion si ce péché grave
est obstiné et manifeste (ce que prend en compte le canon 915), car ce
serait un « contre-signe » sacramentel et un scandale. Mais le deuxième
aspect n’est pas de droit divin et ne représente qu’une interprétation pos-
sible de FC, no 84 : qu’un divorcé remarié qui ne renonce pas aux actes
réservés aux vrais époux mais n’est pas en état de péché mortel, n’ait pas
la permission morale d’accéder à l’absolution et à la communion (et c’est
ce que met en lumière AL) 14. Il importe donc de souligner que la raison
de l’épikie sera en l’occurrence une autre loi divine, celle concernant le
degré de responsabilité subjective. Bref, le pape n’a pas l’intention ici de
14. Noter que ce jugement est l’affaire du prêtre, non du sujet lui-même. Il n’est donc pas
question que le sujet « s’octroie » lui-même les circonstances atténuantes, comme certains
ont cru le comprendre.
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faire faire des exceptions à une loi donnée, mais de souligner qu’il y a
des situations qui ne rentrent pas dans les cas sur lesquels porte cette loi,
celles en particulier où l’imputabilité subjective est tellement diminuée
que les lois divines et ecclésiastiques concernant les péchés mortels ne
les concerneront plus, puisque, par hypothèse, l’acte sera au pis un péché
seulement véniel par « imperfection de l’acte ».
La note 336 annoncée à l’instant s’énonce alors logiquement : « Pas
davantage en ce qui concerne la discipline sacramentelle, étant donné
que le discernement peut reconnaître que dans une situation particulière
il n’y a pas de faute grave. […] 15. » L’expression « faute grave », concerne
ici la gravité subjective, et non objective. En effet, au point de vue théo-
logique, si une personne pose ou a l’intention de poser des actes objec-
tivement graves, sans néanmoins que cela lui soit gravement imputable
au point de vue subjectif, il en résulte que cette personne ne commet
pas plus qu’un péché véniel, et que, par conséquent, elle peut sans péché
demander la communion 16. La « discipline sacramentelle » mentionnée
ici est celle qui concerne les règles d’accès aux sacrements en général de
la part du sujet. On n’entend pas ici modifier la loi canonique visant le
ministre sur la collation du sacrement de l’Eucharistie en public là où
— et quand — la personne est connue comme vivant dans une situation
irrégulière, puisqu’il faut éviter « toute occasion de scandale » (cf. no 299),
et que, par ailleurs, ce ministre et le public ne peuvent pas savoir que
l’imputabilité subjective n’est pas grave 17.
15. La suite renvoie aux §§ 44 et 47 d’Evangelii gaudium qui citaient eux-mêmes le CEC,
no 1735, sur les causes de diminution de l’imputabilité, et affirmaient que l’Eucharistie n’est
pas une récompense pour les parfaits, considération qui se situait donc à l’intérieur du cas où
l’imputabilité ne serait que vénielle, et visait donc à juste titre la pensée janséniste.
16. Cf. Congrégation du Concile, Décret Sacra Tridentina Synodus (16/20 sep-
tembre 1905) ; cf. DzSch, no 3379 : « La communion fréquente et quotidienne […] doit être
rendue accessible à tous les fidèles de quelque classe ou de quelque condition qu’ils soient, en
sorte que nul, s’il est en état de grâce et s’il s’approche de la sainte table avec une intention
droite, ne puisse en être écarté. »
17. Ce dernier point était souligné par le Conseil Pontifical pour l’Interprétation
des Textes Législatifs, du 24 juin 2000 : Déclaration The Code of Canon Law, rappelant
qu’on ne peut pas admettre à la communion eucharistique les divorcés remariés (canon 915).
AL renvoie donc à juste titre dans sa note 345 au no 2 de ce document, selon quoi le ministre de
l’Eucharistie, ne pouvant pas connaître le for interne, doit refuser la communion eucharistique
en fonction de la situation au for externe (d’ailleurs y compris aux « divorcés remariés » ayant
renoncé aux actes intimes). Il ne s’agit donc pas de ce que peut faire le fidèle qui veut com-
munier incognito. Les Criterios básicos para la aplicación del capítulo VIII de Amoris laetitia
publiés le 5 septembre par les évêques de la Région pastorale de Buenos Aires, et approuvés
par le pape François (on en espère une prochaine traduction française), ouvrent néanmoins la
possibilité dans certains cas d’une communion en public, pourvu que les autres fidèles aient
été éduqués à ne pas porter de jugement sur ce fait, sinon il y aurait scandale (cf. le § 9). Salva
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La première phrase montre qu’il s’agit d’une loi divine, mais inter-
disant « d’admettre » à la communion, donc concernant le ministre
de l’Eucharistie. La deuxième en fournit les raisons intrinsèques : une
« contradiction objective » entre la condition de vie des divorcés remariés
et la communion. Le motif intrinsèque est donc celui de l’incompati-
bilité de tout péché mortel avec la communion d’amour signifiée par
l’Eucharistie. La question reste néanmoins ouverte des fidèles qui ne
seraient pas en état de péché mortel. Ensuite, la phrase suivante four-
nit un motif extrinsèque : le scandale pour la foi des autres fidèles. Ce
motif ne concerne qu’une communion donnée devant d’autres fidèles
(et concernera d’ailleurs même les divorcés ayant pris la résolution de
la continence) ou encore une règle officielle et générale de l’Église qui
permettrait à tous les divorcés remariés d’être admis à la communion.
Venons-en donc à l’alinéa suivant :
reverentia, nous sommes malgré tout quelque peu dubitatif sur l’efficacité d’une telle éducation
(évidemment nécessaire), et la loi (canon 915) — absolument fondée — n’a pas été modifiée.
18. Une traduction plus exacte serait : « Eux-mêmes empêchent qu’on les admette… » (« Ipsi
namque impediunt ne admittantur… »). Noter les mots « admettre » et « admis » : il s’agit de
la règle de la non-admission de ces fidèles par le ministre de l’Eucharistie, non de l’accès à ce
sacrement vu du côté du sujet.
19. Traduction française du site Internet du Vatican.
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37. […] Si le chrétien a sur la conscience le poids d’un péché grave, l’itiné-
raire de pénitence, à travers le sacrement de la Réconciliation, devient le pas-
sage obligé pour accéder à la pleine participation au Sacrifice eucharistique.
Évidemment, le jugement sur l’état de grâce appartient au seul intéressé,
puisqu’il s’agit d’un jugement de conscience. Toutefois, en cas de compor-
tement extérieur gravement, manifestement et durablement contraire à la
norme morale, l’Église, dans son souci pastoral du bon ordre communautaire
et par respect pour le Sacrement, ne peut pas ne pas se sentir concernée. Cette
situation de contradiction morale manifeste est traitée par la norme du Code
de Droit canonique sur la non-admission à la communion eucharistique de
ceux qui “persistent avec obstination dans un péché grave et manifeste”.
[Note 76 : « Canon 915 ; cf. Code des Canons des Églises orientales, canon
712 »].
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27. Cf. à ce sujet Rocco Buttiglione, Joie de l’amour et perplexité des théologiens,
Osservatore Romano, du 21 juillet 2016, p. 8 et 11.
28. Cf. Jean-Paul II, Lettre encyclique Veritatis splendor (VS), no 81 : « Si les actes sont
intrinsèquement mauvais, une intention bonne ou des circonstances particulières peuvent
en atténuer la malice, mais ne peuvent pas la supprimer. » Est envisagée ici une diminution
d’imputabilité subjective non par conscience erronée (serait alors en question la moralité
formelle, le péché formel), mais par diminution de l’immoralité objective, matérielle, prise
dans toute son amplitude (donc non seulement au sens de « l’objet moral », mais aussi des deux
autres sources de la moralité objective, à savoir la fin et les circonstances). Il ne s’agit pas, en
revanche, de changement de la moralité objective de mauvaise en bonne : « les circonstances
ou les intentions ne pourront jamais transformer un acte intrinsèquement malhonnête de
par son objet en un acte « subjectivement » honnête ou défendable comme choix. » Il est utile
de rappeler ici que, puisque Jean-Paul II, dans sa condamnation du conséquentialisme et du
proportionnalisme, et dans son assertion de l’existence d’actes « intrinsèquement mauvais »
de par leur objet même, s’appuyait expressément sur l’Écriture et la Tradition, l’infaillibilité
du magistère de l’Église était engagée, en tant que son encyclique confirmait la Tradition,
unanime à voir cette doctrine dans l’Écriture.
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31. On sait, bien sûr, que certaines circonstances pourraient aussi diminuer l’imputa-
bilité, sans pourtant la rendre légère. Ce point était connu aussi en droit canonique. Cf. par
exemple CIC/83, canon 1324, § 1, 10o (et ibid., § 3). Mais, par hypothèse, ce n’est pas le cas
envisagé dans AL.
32. Cf. par exemple Jean-Paul II, Veritatis splendor, no 62 : « Pour la conscience, en tant
que jugement d’un acte, une erreur est toujours possible. “Il arrive souvent — écrit le Concile
[GS, no 16] — que la conscience s’égare, par suite d’une ignorance invincible, sans perdre pour
autant sa dignité. Ce que l’on ne peut dire lorsque l’homme se soucie peu de rechercher le
vrai et le bien et lorsque l’habitude du péché rend peu à peu sa conscience presque aveugle”.
Dans ces quelques lignes, le Concile fournit une synthèse de la doctrine élaborée par l’Église
au cours des siècles sur la conscience erronée. […] Néanmoins, l’erreur de la conscience peut
être le fruit d’une ignorance invincible, c’est-à-dire d’une ignorance dont le sujet n’est pas
conscient et dont il ne peut sortir par lui-même. »
33. On retrouvait d’ailleurs cette équivalence dans la partie pénale du CIC, canon 1323, 2o :
« N’est punissable d’aucune peine la personne qui, lorsqu’elle a violé une loi ou un précepte […]
2o ignorait, sans faute de sa part, qu’elle violait une loi ou un précepte ; quant à l’inadvertance
et l’erreur, elles sont équiparées à l’ignorance ».
34. Rappelons au passage que le caractère libre et le caractère volontaire ne sont pas iden-
tiques : sous le coup d’une puissante passion de concupiscence, on commet un acte très vo-
lontaire, mais souvent pas pleinement libre, car les passions du concupiscible augmentent
le volontaire mais diminuent la liberté (parce qu’elles gênent la réflexion de l’intellect). En
revanche, la passion de crainte (qui est dans l’irascible) diminue à la fois le volontaire et la
liberté de l’acte posé sous son influence. D’autre part, dans l’intelligence, il n’y a pas que l’igno-
rance qui diminue la liberté ; il y a aussi l’inadvertance et l’erreur. Enfin, il arrive parfois que
la volonté ne veuille pas un acte extérieur, mais que les puissances inférieures n’obéissent pas
à la volonté. Ces points semblent avoir été négligés par certaines réflexions critiques.
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35. Voici le contexte du no 33 : « En tant que mère, l’Église […] sait que de nombreux
conjoints rencontrent de telles difficultés tant pour la pratique concrète que pour la compré-
hension des valeurs comprises dans la norme morale. » Au même numéro 33, Jean-Paul II
allait jusqu’à ajouter quelques lignes plus loin une réflexion curieusement non mentionnée
par AL : « D’autre part, la vraie pédagogie de l’Église ne révèle son réalisme et sa sagesse qu’en
faisant des efforts tenaces et courageux pour créer et soutenir toutes les conditions humaines
— psychologiques, morales et spirituelles — qui sont indispensables pour comprendre et vivre
la valeur et la norme morales. » Il y a donc bien des conditions humaines « indispensables
pour comprendre et vivre la valeur et la norme morales ». C’est bien, a contrario, le sens du
chapitre VIII d’AL.
36. Cf. dans ce sens les remarques de FC, no 7 : « En vivant dans un tel monde, et sous
l’influence provenant surtout des mass media, les fidèles n’ont pas toujours su et ne savent
pas toujours demeurer indemnes de l’obscurcissement des valeurs fondamentales ni se situer
comme conscience critique de cette culture familiale et comme sujets actifs de la construction
d’un authentique humanisme familial. Au nombre des signes les plus préoccupants de ce phé-
nomène, les Pères du Synode ont souligné en particulier l’expansion du divorce et du recours
à une nouvelle union de la part des fidèles eux-mêmes ; l’acceptation du mariage purement
civil, en contradiction avec leur vocation de baptisés à “s’épouser dans le Seigneur” ; […]. »
Voir aussi Jean-Paul II, Veritatis splendor, no 88 : « […] En réalité, dans le contexte d’une
culture largement déchristianisée, les critères de jugement et de choix retenus par les croyants
eux-mêmes se présentent souvent comme étrangers ou même opposés à ceux de l’Évangile. »
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nuire par exemple aux enfants. Ce membre de phrase peut donc dans un
premier temps être interprété à la lumière du no 298, où l’on annonçait
qu’il s’agit d’une « grande difficulté à faire marche arrière sans sentir en
conscience qu’on commet de nouvelles fautes », difficulté déjà envisagée
par FC, no 84.
Toutefois il pourrait aussi s’agir ici d’une impossibilité — non plus
certes objective, mais du moins subjectivement perçue comme telle par
la conscience (erronée en l’occurrence) — d’éviter de nouvelles fautes si
on ne persiste pas dans des unions physiques avec le conjoint illégitime.
Certes, le Dieu de miséricorde ne peut pas avoir placé l’homme dans
un cas objectivement perplexe, c’est-à-dire où, quoi qu’il choisisse, il
pécherait. Il peut s’agir en revanche du fait que, par suite d’un péché ou
d’une erreur de conscience, un homme se trouve effectivement dans une
situation perplexe, et se croie obligé, par exemple, de forniquer, cas déjà
envisagé par saint Thomas d’Aquin dans divers textes 37, notamment le
suivant :
37. Cf. Thomas d’Aquin, In IV Sent., dist. 5, q. 2, a. 2, qc. 4, ad 4 ; dist. 9, q. 1, a. 3, qc. 1,
ad 3 ; dist. 12, q. 3, a. 2, qc. 2, ad 2 ; dist. 19 q. 2 a. 2 qc. 2 ad 2 ; dist. 24, q. 1, a. 3, qc. 5, ad 1 ;
Sum. theol., Ia-IIae, q. 19, a. 6, ad 3 ; IIIa, q. 64, a. 6, ad 3 ; q. 82, a. 10, ad 2 ; Quodlibet XII, q. 23,
a. 3 ; Super Rom., cap. 14, l. 2 ; et surtout De veritate, q. 17, a. 4, ad 8 ; Quodlibet III, q. 12, art. 2.
38. L’objection 5 disait : « Praeterea, nullus faciens hoc ad quod obligatur, peccat : alias esset
perplexus ; quod est impossibile, quia sic necessario peccaret. Sed si habeat aliquis erroneam
conscientiam quod debeat fornicari, et fornicetur, non excusatur a peccato : alias tyranni, qui
sanctos occiderunt, non peccassent, quia arbitrabantur se obsequium Deo praestare. Ergo
conscientia erronea non obligat » (Thomas d’Aquin, In II Sent., dist. 39, q. 3, a. 3, arg. 5).
39. Thomas d’Aquin, In II Sent., dist. 39, q. 3, a. 3, ad 5 : « Ad quintum dicendum, quod
simpliciter nullus perplexus est, absolute loquendo ; sed quodam posito non est inconveniens,
illo stante, aliquem perplexum fore ; sicut intentione mala stante, sive fiat actus debitus,
qui est in praecepto, sive non fiat, peccatum incurritur ; similiter etiam stante erronea
conscientia, quidquid fiat, peccatum non vitatur. Sed potest homo conscientiam erroneam,
sicut et intentionem pravam, deponere ; et ideo simpliciter non est perplexus ». Voir aussi
Quodlibet III, q. 12, a. 2.
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40. Sur l’erreur coupable, cf. Jean-Paul II, Veritatis splendor, no 63 : « La conscience, en
tant que jugement concret ultime, compromet sa dignité lorsqu’elle est coupablement erronée,
ou “lorsque l’homme se soucie peu de chercher la vérité et le bien, et lorsque l’habitude du
péché rend peu à peu sa conscience presque aveugle” [GS, no 16, déjà cité au no 62, mentionné
plus haut] ».
41. Cette règle vaut pour tous les cas de volontaire in causa : le mal voulu seulement dans
sa cause (sa cause étant, elle, un acte directement volontaire) ne peut pas être plus volontaire
que sa cause.
42. Comme chacun sait, saint Thomas est resté très restrictif sur la possibilité d’une igno-
rance invincible de la loi divine. Nous y revenons plus loin.
43. Ce point avait été rappelé par exemple par Paul VI, Humanae vitae, no 14.
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44. Noter au passage que le pape François réaffirme l’existence de vertus morales infuses,
non mentionnées dans le CEC comme distinctes des vertus morales acquises. Certains com-
mentateurs voient bien que saint Thomas requiert les vertus morales pour bien agir selon la
charité. Mais ils semblent ne pas saisir qu’il se peut donc que faute d’avoir des vertus morales
acquises assez bien enracinées, la pratique de la loi divine soit très difficile pour une personne
donnée, et que des chutes ne fassent pas perdre la charité, parce que cette difficulté en arrive
même à diminuer l’imputabilité au point de rendre un péché objectivement grave seulement
véniel au point de vue subjectif. Cet aspect est bien connu chez les « habitudinaires » qui ont
renié leurs péchés. Mais il n’y a pas que ce cas. On peut demeurer dans la charité théologale
même si on pèche gravement au point de vue objectif contre l’acte propre d’une vertu morale,
bref, si la matière est grave, s’il manque la pleine advertance et le parfait consentement. La
charité n’est pas affaire de réussite, mais de volonté de faire ce que Dieu prescrit.
45. Il est important de remarquer que ce qui est en cause dans le discernement et l’accom-
pagnement des divorcés remariés n’est pas tant l’acte (passé) de s’être « remariés », que les
actes sexuels posés ensuite entre les partenaires non vraiment mariés, et l’intention de ne
pas les faire cesser.
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49. Cf. Jean-Paul II, Veritatis splendor, nos 75 (qui expose la théorie) et 76 (qui la
condamne). La lecture de ces deux numéros prouvera aisément au lecteur que le pape François
ne soutient pas le conséquentialisme en question.
50. Cf. Jean-Paul II, ibid., no 77, surtout : « […] Les conséquences prévisibles appar-
tiennent aux circonstances de l’acte, qui, si elles peuvent modifier la gravité d’un acte mauvais,
ne peuvent cependant pas en changer l’aspect moral. » Le pape François ne prétend pas que les
circonstances atténuantes transforment la matière d’un acte de grave en vénielle ou innocente.
Il se situe au niveau non pas de la matière de l’acte, mais de la connaissance et de la volonté.
51. La phrase a été traduite de manière incorrecte et imprécise, voire à contresens, dans le
texte français du site Internet du Vatican. Nous la retraduisons ici en fonction du texte espa-
gnol et du texte italien du même site, et en respectant la grammaire française. Son sens n’est
pas absolument clair, de toutes façons.
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Il semble qu’il faille comprendre ceci : une fois qu’elle aura perçu les
valeurs en jeu, la personne pourra certes reconnaître qu’elle pèche, mais
aussi discerner le geste de bonne volonté qu’elle peut faire pour concré-
tiser sa résolution d’arriver à ne pas offenser Dieu à l’avenir, même sans
réaliser intégralement pour l’instant la volonté de Dieu. Il ne s’agit donc
pas encore du ferme propos de ne plus avoir de relations sexuelles avec
le partenaire « irrégulier » (cas déjà prévu par FC, no 84), mais du fait
que la personne n’est pas — ou plutôt ne se croit pas — encore en état de
poser ce ferme propos.
Par ailleurs, il ne s’agit donc plus ici du cas (envisagé au no 301) où la
personne ne comprenait pas que sa « situation ne répond pas objective-
ment aux exigences générales de l’Évangile ». Ici, elle le reconnaît, mais
n’a pas encore la volonté assez forte, ou la confiance en Dieu assez vive,
pour en tirer les conséquences. Elle est cependant prête à un geste de
bonne volonté dans cette direction, à accepter de cheminer vers le bien
dont elle prendra peu à peu conscience. Évidemment, dans le dernier de
ces cas, la personne ne pourrait pas encore recevoir validement l’abso-
lution, car par hypothèse, elle saisit effectivement qu’elle pèche (à moins
qu’elle soit convaincue qu’il ne s’agit que d’un péché véniel), en particu-
lier parce que, comme on l’a dit, elle ne voit pas comment faire autrement
sans offenser Dieu encore plus. Mais ce geste de bonne volonté, lui, est
moralement bon, sans être encore méritoire.
La section suivante, intitulée Les normes et le discernement, va donc
faire le lien entre l’objectivité de la norme et le discernement de l’impu-
tabilité subjective.
Le no 304 rappelle un texte bien connu de saint Thomas, mais d’un
maniement délicat, car il pourrait être sollicité en faveur d’une « morale
de la situation », c’est-à-dire d’une morale selon laquelle il n’existerait
pas de préceptes négatifs valables en toute circonstance, et d’après quoi
la moralité d’un acte ne dépendrait que des circonstances où est placé
l’acteur 52. En fait, si cette théorie est fausse, il est en revanche exact que la
52. Sur cette « nouvelle morale » ou « morale de la situation », cf. déjà Pie XII, Discours
aux participants au congrès de la Fédération catholique mondiale de la jeunesse fémi-
nine (18 avril 1952) : « On demandera comment la loi morale, qui est universelle, peut suffire,
et même être contraignante dans un cas singulier, lequel en sa situation concrète est toujours
unique et d’“une fois”. Elle le peut et elle le fait, parce que justement à cause de son universalité
la loi morale comprend nécessairement et “intentionnellement” tous les cas particuliers, dans
lesquels ses concepts se vérifient. Et dans des cas très nombreux elle le fait avec une logique
si concluante, que même la conscience du simple fidèle voit immédiatement et avec pleine
certitude la décision à prendre. Ceci vaut spécialement des obligations négatives de la loi
morale, de celles qui exigent un ne-pas-faire, un laisser-de-côté. Mais nullement de celles-là
608
Amoris Laetitia
vérité pratique n’est pas toujours la même pour tous, car elle dépend aussi
des circonstances. Cela ne veut pas dire que la loi divine pourrait ne pas
avoir tenu compte de toutes les circonstances, ni qu’un précepte négatif
divin ne serait pas objectivement obligatoire en toute circonstance, mais
seulement que ce n’est pas toujours la même loi divine qui s’applique au
nouveau cas considéré. Il s’ensuit en particulier que l’on doit appliquer
à la pastorale de telles âmes non seulement la loi divine sur la chasteté,
voire l’adultère, mais encore celle qui concerne les conditions d’un péché
formel, donc la formation de la conscience et de la volonté, et, de la part
du prêtre, celle qui s’intitule « loi de gradualité », ainsi que les lois de pru-
dence et de charité pastorales. Sur ce dernier point, il est connu depuis
longtemps que le confesseur doit quelquefois attendre patiemment que
le pénitent soit en état de recevoir et de porter toute la vérité, de « com-
prendre les valeurs » et la possibilité de les appliquer, et enfin les pratiquer
effectivement, appuyé sur la grâce. Tout en ne cachant rien de la vérité,
il la présentera avec tact pour éviter de braquer contre la norme le fidèle
encore partiellement ignorant, et d’aggraver ainsi la culpabilité formelle
de ce dernier 53. Naturellement, cela dépend de chaque personne, et le
seules. […] la haine de Dieu, le blasphème, l’idolâtrie, la défection de la vraie foi, la négation
de la foi, le parjure, l’homicide, le faux témoignage, la calomnie, l’adultère et la fornication,
l’abus du mariage, le péché solitaire, le vol et la rapine, la soustraction de ce qui est nécessaire
à la vie, la frustration du juste salaire (cf. lac. 5, 4), l’accaparement des vivres de première
nécessité et l’augmentation injustifiée des prix, la banqueroute frauduleuse, les manœuvres
de spéculation injustes — tout cela est gravement interdit par le Législateur divin. Il n’y a
pas à examiner. Quelle que soit la situation individuelle, il n’y a d’autre issue que d’obéir. »
Cf. aussi saint Jean-Paul II, Veritatis splendor, no 54 et surtout no 56, où on lit notamment :
« […] En plus du niveau doctrinal et abstrait, il faudrait reconnaître l’originalité d’une cer-
taine considération existentielle plus concrète. Celle-ci, compte tenu des circonstances et de
la situation, pourrait légitimement fonder des exceptions à la règle générale et permettre ainsi
d’accomplir pratiquement, avec une bonne conscience, ce que la loi morale qualifie d’intrin-
sèquement mauvais. Ainsi s’instaure dans certains cas une séparation, voire une opposition,
entre la doctrine du précepte valable en général et la norme de la conscience de chacun, qui
déciderait effectivement, en dernière instance, du bien et du mal. Sur ce fondement, on prétend
établir la légitimité de solutions prétendument “pastorales”, contraires aux enseignements du
Magistère, et justifier une herméneutique “créatrice”, d’après laquelle la conscience morale ne
serait nullement obligée, dans tous les cas, par un précepte négatif particulier. »
53. Cf. Conseil pontifical pour la famille, Document Cristo continua, Vade-mecum
pour les confesseurs sur certains sujets de morale liés à la vie conjugale, 1997, no 8 : « Sur le plan
de la chasteté conjugale aussi, on doit considérer le principe toujours valable selon lequel il
est préférable de laisser les pénitents dans leur bonne foi pour les cas où l’erreur est due à
une ignorance subjectivement invincible, quand on prévoit que le pénitent, même s’il entend
vivre de sa foi, ne changerait pas de conduite et en viendrait même à pécher formellement.
Toutefois, dans ces cas aussi, le confesseur doit encourager ces pénitents, par la prière, par
l’exhortation à la formation de la conscience, par le rappel de l’enseignement de l’Église, pour
qu’ils accueillent dans leur vie le plan de Dieu, y compris dans ces exigences concrètes. »
609
Revue thomiste
Saint-Père insiste alors sur le fait qu’on ne peut ériger en norme absolue
une telle manière de procéder, ni l’absolution donnée dans des cas aussi
spécifiques. En faire une règle générale serait donc une erreur très dom-
mageable aux âmes 54.
Au no 305, voici la phrase (tout à fait traditionnelle) qui appelle la
note 351 : « À cause des conditionnements ou des facteurs atténuants, il
est possible que, dans une situation objective de péché — qui n’est pas
subjectivement imputable ou qui ne l’est pas pleinement — l’on puisse
vivre dans la grâce de Dieu, qu’on puisse aimer, et qu’on puisse également
grandir dans la vie de la grâce et dans la charité, en recevant à cet effet
l’aide de l’Église.[351] » Le texte distingue : 1o la totale non-imputabilité
(il n’y a pas du tout de péché formel) ; 2o l’imputabilité seulement par-
tielle, qui n’atteint pas, néanmoins, le niveau d’un péché mortel (le péché
formel existe, mais est seulement véniel). Rappelons que les moralistes
ont toujours affirmé qu’il était bien difficile de savoir si un péché (objec-
tivement grave, par hypothèse de travail), a atteint le niveau du péché
mortel, ou est en dessous de ce niveau 55.
La note 351, appelée ici, commence alors : « Dans certains cas, il
peut s’agir aussi de l’aide des sacrements ». Suivent alors, avec discré-
tion, deux mentions qui impliquent de fait que parfois le prêtre pourra
donner l’absolution, et la personne pourra accéder à l’Eucharistie. La
première mention, très classique, demande au prêtre un grand doigté
dans le discernement de l’état de conscience du pénitent, et donc dans
ses interrogations, afin de ne pas rendre la confession odieuse. La deu-
xième n’implique pas que toutes les personnes en situation matrimoniale
irrégulière pourraient communier. Au contraire, selon la note, cela n’a
lieu que dans certains des cas où l’imputabilité des actes n’est pas grave.
Dans cette hypothèse, où de telles personnes ne sont pas en état de péché
mortel (bien que ne prenant pas la résolution d’éviter les actes sexuels à
l’avenir, — et il semble bien que ce soit l’hypothèse faite par le pape —),
alors, selon la doctrine catholique, elles ont la permission de communier,
à condition toutefois que soit « évitée toute occasion de scandale » (AL,
no 299), et cela suppose donc chez le confesseur la certitude morale que le
54. Plutôt que dire, comme Antonio Spadaro, s.j., sur Radio-Vatican : « Il est possible
que la question de savoir si les divorcés remariés ont accès aux sacrements ou non n’ait aucun
sens, dans la mesure où elle renvoie à l’idée d’une règle générale applicable à tous les cas, en
positif ou négatif. » Nous préférerions affirmer que la question a un sens, mais peut recevoir
deux réponses différentes selon les cas (péché mortel ou non).
55. Cf. par exemple le futur cardinal Thomas M. J. Gousset, Théologie morale à l’usage des
curés et des confesseurs, Paris, Lecoffre, 1845, t. I, p. 97, no 264, s’appuyant sur saint Augustin.
610
Amoris Laetitia
56. On pourrait peut-être faire exception à ce principe pour des personnes âgées…
57. Nous l’avons dit, les évêques de la Région de Buenos Aires estiment néanmoins qu’il
n’y aurait plus scandale si les autres fidèles étaient suffisamment éduqués. Espérons qu’ils
ont raison…
58. Voir la législation issue de FC, no 84, notamment Conseil Pontifical pour l’Inter-
prétation des Textes Législatifs (24 juin 2000) : Déclaration The Code of Canon Law,
déjà citée, § 2 (fin).
611
Revue thomiste
On voit ici rappelé une nouvelle fois le devoir des Pasteurs de proposer
« aux fidèles l’idéal complet de l’Évangile ». La métaphore de la « boue de
la route » signifie que c’est un danger plus grave de risquer de se tromper
en n’absolvant pas des personnes qui le mériteraient (puisque par hypo-
thèse, elles ne commettent que des péchés véniels ex imperfectione actus),
que de risquer de se tromper (voilà la boue) en absolvant des personnes
qui n’auraient pas les circonstances atténuantes (au moins pour le futur,
par exemple parce que, une fois éclairées, elles ne seraient plus dans
l’ignorance).
Le no 309 fait un clair appel à l’image des 99 brebis justes et de la brebis
égarée. Dans le même esprit, le no 310 note que les miséricordieux sont
les vrais enfants du Père des miséricordes.
59. Cette virgule (présente aussi dans le texte espagnol) ne rend peut-être pas bien le sens.
La traduction anglaise semble plus claire, lorsqu’elle dit : « in proposing ». L’italien n’a pas la
virgule, mais n’en est pas plus clair, car il fait de la relative une déterminative, ce qui suppose
implicitement qu’il y aurait des Pasteurs qui, par ailleurs, « ne proposent pas aux fidèles », etc.
ce qui serait un comble. Alors qu’on veut dire : « Les Pasteurs, tout en proposant aux fidèles… »
Le texte allemand ne saurait être ici d’aucun secours, puisque dans cette langue on met tou-
jours une virgule au début des propositions subordonnées.
612
Amoris Laetitia
60. Cf. par exemple saint Alphonse de Liguori (1696‑1787), Theologia moralis, Ed. abso-
lutissima, Besançon, O. O. Chalandre, Lib. VI, tract. IV, § II, t. VI (1832), p. 48‑78 (on notera
au no 457, p. 64, l. 2, que le saint Docteur prend soin de préciser qu’il s’agit de péché grave
formel). Comme autres probati auctores, cf. Giuseppe Damizia, art. « Proposito », Enciclopedia
Cattolica, t. X (1953), col. 134‑135 (avec la bibliographie) ; Pietro Palazzini, art. « Propositum »,
in Aa. Vv., Dictionarium morale et canonicum, Pietro Palazzini (éd.), Romae, Officium libri
catholici, t. III (1966), p. 875‑876 ; Grégoire Manise., art. « Proposito », in Aa. Vv., Dizionario
di teologia morale, Card. Francesco Roberti (dir.), Rome, Studium, vol. II (41968), p. 1313‑1314 ;
Dominikus M. Prümmer, Manuale theologiæ moralis secundum principia S. Thomæ Aquinatis
in usum scolarum, revue par Joachim Overbeck, Fribourg en Brisgau / Rome, Herder, t. III
(151961), nos 354‑357 ; Benoît-Henri Merkelbach, Summa theologiæ moralis ad mentem
D. Thomæ et ad normam iuris novi, Paris, Desclée De Brouwer, t. III (31939), nos 476 et 486‑488
(ici surtout 488) ; Antonio Royo Marín, Teología moral para Seglares, « BAC, 173 », Madrid,
Biblioteca de autores cristianos, t. II (1958), nos 203‑205 (noter en particulier que sur l’uni-
versalité, l’une des propriétés du ferme propos, l’A. remarque, p. 297 : « Quiere decir que se
extienda a todos los pecados mortales que hay que evitar en el futuro, sin excluir uno solo ») ;
Marcelino Zalba, Theologiæ moralis compendium : iuxta constitutionem apostolicam Deus
scientiarum Dominus, « BAC, 176 », Madrid, Biblioteca de autores cristianos, t. II (1958),
nos 1037‑1045 ; quasi identique à Id., Theologiæ moralis Summa : iuxta constitutionem aposto-
licam Deus scientiarum Dominus, « BAC, 117), Madrid, Biblioteca de autores cristianos, t. III
(1958), nos 741‑753 ; Jean-Pierre Gury et Antonio Ballerini, Compendium theologiæ moralis,
Rome, Typographia polyglotta S. C. de propaganda fide, t. II (101889), nos 458‑463, p. 342‑358
(avec de nombreux documents) ; Joseph Aertnys, Theologia moralis secundum doctrinam
S. Alfonsi de Ligorio Doctoris Ecclesiæ, Turin, Marietti, t. II (111928), nos 286‑288.
61. Le chapitre VIII se conclut par les lignes suivantes du no 312 : « […] J’invite les fi-
dèles qui vivent des situations compliquées, à s’approcher avec confiance de leurs pasteurs
ou d’autres laïcs qui vivent dans le dévouement au Seigneur pour s’entretenir avec eux. Ils
ne trouveront pas toujours en eux la confirmation de leurs propres idées ou désirs, mais
sûrement, ils recevront une lumière qui leur permettra de mieux saisir ce qui leur arrive et
pourront découvrir un chemin de maturation personnelle. Et j’invite les pasteurs à écouter
avec affection et sérénité, avec le désir sincère d’entrer dans le cœur du drame des personnes
et de comprendre leur point de vue, pour les aider à mieux vivre et à reconnaître leur place
dans l’Église. »
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Revue thomiste
Les numéros 301 à 303 font état d’une longue prise de conscience de la
Tradition de l’Église en matière de facteurs diminuant l’imputabilité des
péchés commis même en matière grave, c’est-à-dire les conditionnements
et les circonstances atténuantes. Et les numéros suivants appliquent ces
conclusions.
La principale circonstance atténuante à envisager était déjà bien
connue depuis le moyen âge, c’était l’ignorance ou la conscience erronée.
Saint Thomas d’Aquin avait découvert que c’est toujours un péché d’aller
contre sa conscience, même erronée 62. En outre, il avait mis en lumière
que si la volonté suit une raison qui est erronée en raison d’une ignorance
qui excuse, elle reste bonne (bien que son acte ne le soit pas) 63. Cependant,
seule l’ignorance d’un fait pouvait excuser, selon lui, non celle de la loi
(si l’on a l’usage de la raison) 64. Ce n’est sans doute qu’après la décou-
verte du Nouveau Monde, et de ses habitants, depuis toujours ignorants
de la vérité religieuse, que les théologiens prirent conscience qu’il pou-
vait y avoir une ignorance non coupable de la Loi révélée. Ensuite, au
xviie siècle, le magistère dut clarifier que l’ignorance invincible, celle qui
excuse, pouvait avoir lieu même à propos de certains principes de la loi
naturelle, ce qui empêchait que se produisît un péché formel 65.
La notion d’ignorance invincible reparut expressément dans trois
documents magistériels du Bienheureux Pie IX, à propos cette fois de
la connaissance de la religion révélée. Le pontife remarquait d’abord :
« il faut aussi reconnaître d’autre part avec certitude que ceux qui sont à
l’égard de la vraie Religion dans une ignorance invincible n’en portent
point la faute aux yeux du Seigneur. Maintenant, à la vérité, qui ira,
dans sa présomption, jusqu’à marquer les limites de cette ignorance,
suivant le caractère et la diversité des peuples, des pays, des esprits et
de tant d’autres choses ? 66 » Pie IX reviendra sur cette excuse de l’igno-
rance invincible dans l’Encyclique Singulari quidem (17 mars 1856) aux
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Amoris Laetitia
67. Pie IX, Encyclique Singulari quidem aux évêques autrichiens (17 mars 1856), cf. Acta
Pii IX 2, p. 516‑517.
68. Pie IX, Lettre Quanto conficiamur moerore aux évêques d’Italie (10 août 1863),
cf. Lettres apostoliques de Pie IX, Grégoire XVI, Pie VII, Encycliques, brefs, etc., Texte latin
avec traduction française, Paris, Roger & Chernoviz, et éditions des « Questions actuelles »,
s.d. [1908 ?], p. 50.
69. Suprême Sacrée Congrégation du Saint-Office, Lettre à l’archevêque de Boston
(8 août 1949) ; cf. DzSch, no 3872. Voir aussi Pape François, Exhortation apostolique Evangelii
gaudium, no 254.
70. Cf. Concile Œcuménique Vatican II, Constitution dogmatique Lumen gentium,
no 14 et 15 ; Décret Unitatis redintegratio, cap. I.
71. CIC, canon 844, §§ 3 et 4.
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Revue thomiste
Conclusion
72. Concile Œcuménique de Trente, Décret sur la justification, cap. 11, citant saint
Augustin, De natura et gratia, 43, 50 ; cf. DzSch, no 1536.
73. Cf. Jean-Paul II, Veritatis splendor, surtout nos 54‑56.
74. Cf. Paul VI, Humanae vitae, no 14.
75. Cf. CEC, nos 1755 ; 1852 ; 2353.
76. Cf. CEC, nos 1650 ; 1756 ; 1856 ; 1858 ; 2380‑2381 ; 2384 ; 2400.
77. Cf. Concile de Trente, Décret sur le sacrement de pénitence, cap. 4 ; cf. DzSch,
nos 1676‑1677.
78. Cf. Jean-Paul II, Familiaris consortio, no 84 ; Jean-Paul II, Ecclesia de Eucharistia,
nos 36 et 37, se référant, on l’a vu, au Concile de Trente, Décret sur la très sainte Eucharistie,
cap. 7 et canon 11 ; cf. DzSch, nos 1647 et 1661.
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