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UNIVERSITÉ BABEŞ-BOLYAI

FACULTÉ DES LETTRES


Département de Langues et Littératures romanes

Mémoire de licence

UTOPIE ET REPRÉSENTATION SPATIALE DANS

CANDIDE OU L’OPTIMISME

DE VOLTAIRE

Directeur scientifique :
Lect. Dr. Andreea Bugiac

Étudiante :
Țolaș Alina

Cluj-Napoca
2019
SOMMAIRE
Sommaire 2

Introduction 3
Chapitre I : Les utopies des Lumières 5
1.1. Les sources pour les utopies du XVIIIe siècle 5
1.2. Les fonctions de l’utopie des Lumières 9
1.3. Les espaces utopiques 13
1.4. L’utopie chez Voltaire 19
e
Chapitre II : Les utopies de Candide : des représentations spatiales idéales au XVIII siècle ?
27
2.1. Le château de Thunder-ten-tronckh, un idéal spatial pour l’aristocratie du XVIIIe siècle 29
2.2. L’Eldorado, un espace idéal pour la société des Lumières 33
Chapitre III : La ferme, une synthèse de l’imagination utopique voltairienne 39
3.1. Une pseudo-utopie ouverte 40
3.2. Un retour au jardin d’Éden ? 43
3.3. De l’utopie spatiale voltairienne aux jardins urbains de nos jours 46
Conclusion 51
Bibliographie 53
Annexes 57

2
INTRODUCTION

Ce mémoire a comme sujet une problématique moins discutée en soi dans le cadre
de l’exégèse de l’œuvre de Voltaire, en particulier de son conte philosophique, Candide ou
l’Optimisme : la quête d’un espace de bonheur et les diverses valeurs de l’espace utopique
dans le processus de l’évolution de Candide vers la maturité philosophique.
Ce mémoire, structuré en trois chapitres, poursuivra donc cette quête en examinant
le sujet à partir du général pour arriver au particulier.
Dans le premier chapitre je me propose de faire une analyse des utopies du siècle des
Lumières, période représentative pour la valeur de modèle des utopies, grâce à la
préoccupation ardente des philosophes de cette époque d’aider la population à renoncer à
l’obscurantisme et de promouvoir la raison. Je commencerai le premier sous-chapitre par
une courte histoire des utopies, depuis l’Antiquité jusqu’au XVIIIe siècle. Puis, dans le
deuxième sous-chapitre je vais essayer d’identifier les fonctions de l’utopie spécifiques pour
ce siècle et dans le sous-chapitre suivant j’insisterai sur les traits des espaces utopiques.
Finalement, dans le dernier sous-chapitre je ferai une analyse générale d’œuvre de Voltaire
en essayant d’identifier la place de l’utopie dans son système philosophique.
Le deuxième chapitre sera dédié aux représentations spatiales idéales illustrées par
Voltaire dans son conte philosophique Candide ou l’Optimisme. Deux de ces utopies seront
analysées dans ce chapitre : le château de Thunder-ten-tronckh, imaginé par Voltaire comme
l’espace idéal de l’aristocratie du XVIIIe siècle, et le pays de l’Eldorado, un État utopique
pour la société du siècle des Lumières.
Dans le dernier chapitre je vais argumenter l’hypothèse selon laquelle la ferme est
une synthèse de l’imagination utopique voltairienne. Le premier sous-chapitre sera une
argumentation pour le jardin comme pseudo-utopie ouverte, un espace idéal, mais sans la
clôture des utopies classiques. Puis, j’argumenterai l’idée selon laquelle la fin du voyage de
Candide est le retour au jardin d’Eden, mais non le Paradis perdu du château Thunder-ten-
tronckh, même pas celui d’Eldorado, mais un jardin où, par sa simplicité, les personnages
trouvent finalement le bonheur. Enfin, dans le dernier sous-chapitre j’essayerai de repenser
les rapports entre utopie littéraire rêvée par Voltaire et notre contemporain et j’analyserai la
manière dont les espaces idéaux voltairiens entretiennent de possibles correspondances avec
l’urbanisme écologique de nos jours.
J’ai choisi ce sujet parce que j’apprécie le ton sarcastique, ironique de Voltaire, mais
aussi parce que j’admire son esprit libre. En ce qui concerne le choix de cette œuvre son

3
message résonne avec ma personnalité, et cette raison m’a déterminée de choisir comme
sujet de mon mémoire le conte Candide ou l’Optimisme. Moi aussi je pense qu’il faut
« cultiver notre jardin » dans le sens de cultiver nos talents et de faire tous les efforts
possibles pour trouver notre bonheur sur la Terre.
Pendant mes recherches, j’ai parfois eu des difficultés à trouver des ouvrages
critiques plus récents sur la variété des utopies de Candide ou l’Optimisme. La plupart des
ouvrages ne traitaient que l’utopie centrale présente dans le conte, à savoir l’épisode de
l’Eldorado. L’utopie de la métairie y était rarement traitée, ce qui m’a poussée à y réfléchir
davantage.
Pour la rédaction de ce mémoire de licence j’ai utilisé comme corpus le volume de
Candide ou l’Optimisme publié en 1759 aux éditions Cramer de Genève. Comme méthodes
de travail j’ai fait la lecture de mon corpus de recherche afin d’identifier les espaces
utopiques présents dans le conte, puis j’ai entrepris une recherche biographique pour
identifier les idéaux de Voltaire afin de voir s’il valorise les expériences de sa vie dans ses
œuvres et finalement j’ai fait une analyse du conte lui-même. Une partie originale de mon
mémoire est, à mon avis, la manière dont j’ai essayé de mettre en parallèle les théories
spatiales de Voltaire et celles, très récentes, sur l’urbanisme écologique.

4
CHAPITRE I

LES UTOPIES DES LUMIERES

L’homme a besoin d’un espace où il peut sentir un état de bien être,


d’accomplissement ou de satisfaction et la recherche de cet espace a été toujours un sujet de
préoccupation. Pour les hommes des Lumières, cette recherche est devenue un moyen de
comparer les vertus de différents modèles de civilisations, de se faire du plaisir et dans le
même temps d’instruire. À son tour, Voltaire a utilisé la critique constructiviste pour
éduquer ses lecteurs et pour signaler les tares de la société du XVIIIe siècle.

Le concept d’« utopie » est un terme en permanente évolution, et dans ce chapitre on


va examiner l’histoire de ce mot en examinant ses différents sens, son évolution et
finalement, les utopies de Voltaire.

1.1. Les sources pour les utopies du XVIIIe siècle

Inventé par l’humaniste Thomas More, le mot utopie a fait une belle carrière dans la
littérature et l’urbanisme européens à partir du XVIe siècle. En effet, dès le début du XVIe
siècle, le mot « utopie » sera repris par la littérature et, plus récemment, par l’urbanisme
aussi. Inventé par l’humaniste Thomas More, le mot utopie a fait une belle carrière dans la
littérature et l’urbanisme européens à partir du XVIe siècle. En effet, dès le début du XVIe
siècle, le mot « utopie » sera repris par la littérature et, plus récemment, par l’urbanisme
aussi.
Utopia de Thomas More est publié en 1516 sous le titre Libellus vere aureus, nec
minus salutaris quam festivus, de optimo rei publicae statu deque nova insula Utopia en
latine, et traduite en français en 1550 et en anglais en 1551. Le nom de l’île « Utopia » qui
apparaît dans le titre, est choisi pour aider le lecteur à comprendre, dès le debout, le concept
présenté. « Utopia » est un néologisme composé du grec ou, qui signifie « non » et topos,
qui signifie « lieu », donc l’île est une « pays de nulle part ». La forme grecque correcte était
a-topia mais Thomas More a préféré la forme anglaise « ou-topia » (prononcée [jutopja])
pour créer une homophonie avec le mot « eu-topia », qui signifie « pays de bonheur ». Ce

5
jeu des sens permet d’accentuer le caractère idéal de cette société et de la mettre en contraste
avec la réalité.1
Peu de temps après la parution d’Utopia le nom propre qui désigne le nom d’un
pays imaginaire devient un nom commun utilisé pour désigner une « construction imaginaire
et rigoureuse d’une société, qui consiste, par rapport à celui qui la réalise, un idéal ou un
contre-idéal. »2 Plus tard, elle se diversifie et apparaissent les eutopies (du grec eu qui
signifie « bien »), les dystopies (du grec dys, exprimant une difficulté, un trouble), des
utopies satiriques ou critiques, des anti-utopies ou des contre-utopies.
Thomas More a construit ce mot pour nommer une cité idéale, mais l’idée d’espace
et de société parfaite sont antiques. En décrivant l’âge d’or, Hésiode et Ovide sont
nostalgiques d’un passé idéal même s’ils ne proposent pas une société de rêve pour le futur.
Iamboulos décrit l’île du Soleil dans la Bibliothèque historique de Diodore de Sicile dans un
contexte similaire à celui de la Renaissance. Platon critique la société de son temps et offre
des modèles dans les descriptions de l’Atlantide dans le Timée et le Critias et de la cité idéale
dans La République, celle-ci étant considérée comme la source d’inspiration pour Utopia de
Thomas More.
Le texte biblique est une autre source d’utopies, particulièrement l’Ancien
Testament. Le Jardin d’Éden, dont les hommes sont chassés comme une punition pour le
« péché originel », est vu comme un endroit d’autosuffisance. Ce paradis perdu sera une
source d’inspiration pour les écrivains nostalgiques du Moyen Âge et de la Renaissance. À
son tour, Babel dévoile un modèle où les habitants parlent une langue unique et coopèrent
pour un résultat commun : construire une tour jusqu’au ciel.
Le monde des utopies s’enrichit pendant le XIIIe siècle avec la description du pays
de Cocagne, où les pénitences attachées à la Chute ont été abolies. Sa description permet de
dénoncer certains problèmes de la société de l’époque. Le pays de Cocagne a plein des
caractéristiques communes avec les utopies du XVIe siècle, mais s’en différencie par
quelques éléments importants : y dominent une dimension merveilleuse et le désir de la

1
Hans-Gunter Funke, « L’évolution sémantique de la notion d’utopie en français », in Gunter Narr Verlag, De
l’utopie à l’uchronie : formes, significations, fonctions ; actes du colloque d’Erlangen, 16-18 octobre 1986,
Tübingen, Gulde-Druck GmbH, 1988, p. 20.
2
Entrée « utopie », in Encyclopédie LAROUSSE [En ligne],
https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/utopie/100497, consulté le 2 décembre 2018.

6
vertu.3 Le millénarisme, pensée selon laquelle le Christ reviendra mille ans après sa
résurrection sur la Terre pour le Jugement dernier, alimente les utopies jusqu’au XXe siècle.
Treize ans après la parution de l’Utopie en France, l’imprimeur royal Geoffroy Tory
utilise l’adjectif « Utopique » dans l’œuvre Champ Fleury pour décrire les lettres. En 1532,
Rabelais adopte le mot « Utopie » dans Pantagruel, pour désigner un pays fictif.4
En 1611, le nom « utopie » est inclus dans le dictionnaire de Randle Cotgrave, A
Dictionarie of the French and English Tongues, où le terme « utopie » est défini comme
« An imaginarie place, or countrey ».5 La valeur du concept créé par Thomas More est
indiquée par le fait que, à peu près cent ans plus tard de la publication d’Utopia, le concept
d’« utopie » a obtenu une valeur métaphorique : il désigne un pays fictif, imaginaire et ne
réfère plus à une société idéale. Il reste une allusion vague au titre de l’ouvrage de More.6
Au XVIIe siècle, on voit se développer une grande variété d’utopies, comme
l’Histoire comique des États et empires de la Lune (1648) de Cyrano de Bergerac, La Terre
Australe connue (1676) de Gabriel de Foigny, l’Histoire des Sévarambes (1677-79) de Denis
Veiras, les Entretiens sur la pluralité des mondes (1686) de Fontenelle. L’utopie comme
genre littéraire se développe mais pas selon l’idée de traité politique de More. Les œuvres
de Foigny, Veiras, Fontenelle et Bergerac ne sont plus nommées des « utopies », mais des
« voyages imaginaires », pour les cas des voyages vers les espaces utopiques, ou des
« républiques imaginaires » pour les descriptions des cités utopiques. On voit donc, que le
terme « utopie » est remplacé par le « traité politique », le « voyage imaginaire » ou la
« république imaginaire »7.
Au XVIIIe siècle le concept « utopie » réapparaît et les idées de More sont reprises
pour faire intégrer le terme « utopie » dans le vocabulaire politique du XVIIIe siècle, en
désignant le plan d’un gouvernement imaginaire, inspiré par l’image de la république de
Platon.

3
Guy Demerson, « Cocagne, utopie populaire ? » [En ligne], in Revue belge de philologie et d’histoire, 1981,
pp. 529-553, disponible sur Persée, URL : https://www.persee.fr/doc/rbph_0035-
0818_1981_num_59_3_3335, consulté le 2 décembre 2018.
4
Marie-Luce Demonet, « Rabelais et l’utopie de l’ermitage » [En ligne], in Iveta Nakládalová, VII Jornadas
sobre el pensamiento utópico. Religión en Utopía, Academia Verlag, 2013, pp.71-96, disponible sur HAL.
Archives ouvertes, URL : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01116682/document, consulté le 3
décembre 2018.
5
Randle Cotgrave, A Dictionarie of the French and English Tongues, Printed by Adam Islip, 1611, London,
[En ligne], http://www.pbm.com/~lindahl/cotgrave/969small.html, consulté le 3 décembre 2018.
6
Hans-Gunter Funke, « L’évolution sémantique de la notion d’utopie en français », in Gunter Narr Verlag, De
l’utopie à l’uchronie : formes, significations, fonctions ; actes du colloque d’Erlangen, op. cit., p. 21.
7
Ibid. pp. 26-28.

7
Les récits utopiques se multiplient et le substantif « utopie » apparaît dans plusieurs
dictionnaires. En 1752, le dictionnaire de Trévoux incorpore le mot « utopie » comme un
terme désignant une « région qui n’a point de lieu, pays imaginaire »8. Cette définition, qui
garde la référence d’un espace géographique, s’oppose à la définition trouvée dans le
dictionnaire de l’Académie française : « Titre d’un ouvrage. On le dit quelquefois
figurément Du plan d’un Gouvernement imaginaire, à l’exemple de la République de Platon.
L’Utopie de Thomas Morus »9. On peut voir que cette définition refait le lien entre « utopie »
et Thomas More. En 1798, dans la 5e édition du dictionnaire de l’Académie française, la
définition devient plus précise : « Utopie se dit en général d’Un plan de Gouvernement
imaginaire, où tout est parfaitement réglé pour le bonheur commun, comme dans le Pays
fabuleux d’Utopie décrit dans un livre de Thomas Morus qui porte ce titre. Chaque rêveur
imagine son Utopie »10. Le sens littéraire du terme peut être vu nettement dans cette
définition. Il faut cependant repérer le caractère politique voire institutionnel du mot
« utopie » qui produit une dévalorisation du terme au XIXe siècle. Au XIXe siècle,
l’Académie française décrit « utopie » comme :

[…] Ce qui n’est en aucun lieu, nulle part ; et se dit en général d’Un plan de gouvernement
imaginaire, où tout est parfaitement réglé pour le bonheur de chacun, comme au pays
fabuleux d’Utopie, décrit par Thomas Morus, dans un livre qui porte ce titre. Chaque rêveur
imagine son utopie. De vaines utopies.11

Pendant cette période, l’accent se met sur le caractère chimérique, fictif, idéal, irréel
et irréalisable de l’utopie. La connotation dépréciative acquise par le mot durant le XVIIIe
siècle permet aux auteurs de l’utiliser dans des contextes positifs ou négatifs en fonction de
leurs idéologies. L’année 1830 apporte deux néologismes pour le contexte utopiste : le
socialisme et le communisme. Ces deux concepts sont surtout utilisés pour représenter ceux
qui critiquent la société bourgeoise et qui exigent des reformes. La Révolution française
transforme temporairement le mot « utopie » dans une insulte. Le concept qui, au XVIIIe
siècle, faisait référence à un genre littéraire, prend donc, au XIXe siècle, une nouvelle
signification : celle de la théorie sociale qui accompagne l’ascension des socialistes. On peut

8
***, Dictionnaire universel françois et latin : contenant la signification et la définition tant des mots de l'une
et de l'autre langue, avec leurs différens usages que des termes propres de chaque état et de chaque
profession..., Tome 7, Paris, Compagnie des libraires associés, 1752, p. 968.
9
Dictionnaire de l’Académie française, Paris, Éditions Bernard Brunet, 1762, p. 899.
Dictionnaire de l’Académie française, Paris, Éditions J.J. Smits & Ce, 1798, p. 710.
11
Dictionnaire de l’Académie française, Paris, Éditions Libraires éditeurs, 1835, p. 904.

8
voir que le mot « utopie » connaît une fluctuation de signification selon les différentes
idéologies qu’il doit servir.12
L’évolution du terme « utopie » crayonné ci-dessus nous prouve une longue
tradition de ce concept, arrivé, à la fin du XIXe siècle loin de son sens original, établi par
Thomas More. On peut observer dans l’évolution du mot « utopie » une disposition vers une
signification de « genre » d’une part et d’« idéologie » d’autre part. Cette double
signification nous détermine de bien apercevoir la définition exacte du mot telle qu’on peut
le comprendre aujourd’hui. Raymond Ruyer explique dans son livre L’utopie et les utopies
qu’il faut faire la distinction entre le « mode utopique » et le « genre utopique ». Il considère
le « mode utopique » comme un « type général de pensée »13 donc, la caractéristique
essentiellement humaine de l’esprit qui explore l’imaginaire et modifie le réel par
l’hypothèse. Ces raisonnements peuvent se développer dans différents domaines comme
l’histoire, la philosophie, la sociologie, la politique etc. Le mode utopique aide ainsi à
développer la réalité par l’imagination du possible. On peut affirmer que le mode utopique
est une interprétation large de l’utopie. Le mode utopique valorise particulièrement la
positivité de l’utopie et peut être attaché à l’interprétation « positive » de ce terme : l’« eu-
topos ». Le « genre utopique » est inclus dans la classe du « mode utopique » et expose une
correction abstraite de la réalité. Autrement dit, le genre littéraire se concentre sur l’abstract
et la fiction du genre et peut être attaché au sens de « non-lieu » d’« utopie ».
On peut résumer que le Siècle des Lumières est l’âge où les possibilités données
par l’utopie comme genre littéraire sont reconnues, la preuve étant l’affluence des œuvres,
aux formes et de longueurs variées, qui traitent de sociétés idéales : voyages imaginaires,
pièces de théâtre, fables, romans. Cette variété va aider les écrivains des Lumières de
valoriser les principes de ce siècle.

1.2. Les fonctions de l’utopie des Lumières

Au début du XVIIIe siècle, un nouveau courant littéraire et culturel fait son


apparition en Europe : les Lumières. Ce nouveau mouvement se propose d’instruire les
hommes à l’aide de la raison et de la science. En effet, le siècle des Lumières est une période
qui se caractérise par un ample accroissement de la culture et des intellectuels, surtout aux

12
Raymond Trousson, Histoire des littératures modernes : l’utopie, Bruxelles, Presses universitaires de
Bruxelles, 1991, pp. 36-40.
13
Raymond Ruyer, L'utopie et les utopies, Saint-Pierre-de-Salerne, Éditions G. Monfort, 1950, p. 114.

9
États-Unis et en Europe. C’est le siècle de la genèse d’un nombre important d’inventions et
de découvertes scientifiques qui ont changé le monde, c’est le siècle des révolutions (la
Déclaration d’Indépendance des États-Unis d’Amérique, la Révolution française, etc.), mais
aussi le siècle des philosophes (Voltaire, Montesquieu, Jean-Jacques Rousseau, Denis
Diderot), qui se groupent tous autour du sujet de la remise en question des structures
politiques et des systèmes de valeurs traditionnelles (religion, monarchie absolue, éducation,
sciences, etc.). Ils demandent l’égalité des droits, la liberté individuelle, la liberté de la
pensée et la liberté de croyance. La pensée des Lumières se disperse par des ouvrages écrits
dont le plus utilisé est l’Encyclopédie. Nonobstant la contestation de l’Église, ce courant
éprouve un important succès. Les idées des Lumières sont amplement diffusées en France,
en Allemagne mais aussi en Italie, en Angleterre et en Russie, à la cour des souverains. Au
XVIIIe siècle, le progrès se réalise dans divers domaines. L’invention de la machine à vapeur
conduit à un grand saut technologique. Les vols en ballon offrent de nouvelles perspectives
pour l’homme, l’expérience du cerf-volant de Benjamin Franklin prouve que le phénomène
des orages est de nature électrique et que la création des paratonnerres protégera les
bâtiments. La disparition des privilèges fait que la concurrence peut régler le marché et
réduire les situations de monopole. La musique connait un progrès sérieux grâce à des
compositeurs comme Bach et Mozart dont les œuvres sont connues dans le monde entier. La
peinture rococo évolue vers le raffinement et la préciosité et pendant la seconde moitié du
siècle se développe le néo-classicisme. La clientèle se diversifie car les aristocrates et les
bourgeois deviennent des consommateurs d’art. Dans la littérature, les écrivains
commencent à être intéressés par les problèmes de la vie quotidienne et ainsi, la littérature
devient l’expression des vœux du peuple. La langue française est parlée partout dans la haute
société européenne. 14 La philosophie des Lumières est basée sur cinq principes : la raison,
la liberté, le progrès, le bonheur et la tolérance. Tout ce progrès conduit la société française
du XVIIIe siècle vers la grande révolution politique et sociale de 1789.
L’autorité politique est remise en question principalement après la révocation de
l’édit de Nantes en 1685 et après la mort de Louis XIV en 1715, pour dénoncer les trois
pouvoirs que le roi détenait et sa fonction héréditaire, mais pareillement les inégalités
sociales de la société du XVIIIe siècle. Les philosophes contestent l’idée de la monarchie
absolue que le roi soit le seigneur de ses sujets et puisse gouverner en ayant tous les pouvoirs,

14
Entrée « Siècle des Lumières », in Encyclopédie Larousse, [En ligne], URL :
https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/si%C3%A8cle_des_Lumi%C3%A8res/130660, consulté le 10
janvier 2019.

10
sous le seul « contrôle de Dieu ». Néanmoins ils ont des idées divergentes pour résoudre le
problème de la monarchie absolue. Voltaire est favorable au despotisme cultivé,
Montesquieu, un grand admirateur du système anglais, présente comme alternative une
limitation du pouvoir royal par une constitution. L’idéal de Rousseau est la démocratie : la
loi doit être faite par le peuple, le gouvernement et les fonctionnaires de l’État doivent être
élus et contrôlés en permanence par les citoyens. Rousseau se méfie de la démocratie
représentative à cause de l’exemple de l’Angleterre, qui montrait les limites (le peuple perd
le droit à la parole après les élections) et les faiblesses des élus. Toutefois la plupart de ces
intellectuels se méfient de donner tous les pouvoirs à l’ensemble de la population. Pour eux
il est obligatoire d’être éduqué, d’avoir du temps libre, donc d’appartenir aux couches aisées
de la société, bref d’être capable de donner utilement son avis sur l’administration des
affaires publiques.
Un autre sujet pour la critique de la philosophie des Lumières est la dénonciation de
l’intolérance et du fanatisme religieux. Pour les représentants de ce mouvement, les religions
se basent sur la croyance en une intervention divine, qui relève du surnaturel et non de la
raison. Pour eux, elles doivent donc être abandonnées. Néanmoins c’est principalement
l’Église catholique qui est affrontée par les philosophes pour son influence considérable en
Europe. Montesquieu dans les Lettres persanes plaisante sur les pratiques et les croyances
catholiques. Voltaire lutte contre le fanatisme religieux qui conduit à la persécution des non-
catholiques. Pour les philosophes, le procédé habituel qui consiste à obliger les personnes à
avoir la même religion que leurs souverains, qui est à la mode à l’époque en Europe, est
inacceptable. Ils réclament la tolérance religieuse, la liberté de conscience et la liberté du
culte. La plupart des intellectuels ne sont pas athées, mais déistes, des partisans d’une
religion naturelle. Pour eux Dieu existe (c’est le grand horloger de l’Univers de Voltaire, l’«
Être suprême » qui inspirera Robespierre), ils croient en l’immortalité de l’âme. Pour eux,
la morale peut se fonder sur des règles naturelles et non sur des principes religieux.
Cependant ils demandent la renonciation aux différentes formes du culte divin et
condamnent l’existence de clergés distincts, vus comme des créations humaines, qui causent
la discorde et la guerre.
Le mouvement philosophique des Lumières a comme but le progrès de la société et
la lutte contre l’ignorance, l’injustice et l’esclavage. Ils défendent les libertés individuelles
et collectives, notamment la liberté d’expression et la liberté de l’homme. L’éducation et la
diffusion du savoir sont la chance des hommes d’accéder à la liberté et au bonheur et pour
cette raison est entreprise la rédaction de l’Encyclopédie.

11
Les représentants des Lumières ne sont pas que des critiques de la religion, de la
politique ou de la vie sociale. Certains d’entre eux se spécialisent dans l’organisation
économique. Ils critiquent les lois qui encombrent les entrepreneurs qui veulent innover, qui
cherchent des solutions pour le progrès. Jusque-là la vie économique était contrôlée par les
gouvernements pour limiter la concurrence, pour règlementer les conditions d’embauche et
assurer la qualité des produits. Les artisans se regroupent dans des corporations qui ont des
réglementations agréées par les autorités locales et qui s’imposent à ceux qui veulent exercer.
Ces actions ralentissent les innovations techniques et tiennent les prix élevés tandis que la
concurrence est intentionnellement interdite. Pour soutenir la production nationale, les
produits importés sont surtaxés. Les Physiocrates (ceux qui honorent les lois de la nature
physique) croient qu’ils sont des lois naturelles qui règlent l’activité économique et ils vont
régler l’économie naturellement. Les Physiocrates considèrent que ce réglage naturel conduit
au développement de la production, à la création du travail et a le bonheur de tout le monde.15
C’est au XVIIIe siècle que le terme « utopie » est redécouvert et défini comme un
nom commun. Cette reconnaissance affirme l’afflux d’œuvres, aux formes variées, qui
parlent des sociétés idéales : fables, voyages imaginaires, romans épistolaires, pièces de
théâtre. Les utopies de ce siècle, par rapport aux utopies des siècles antérieurs, qui se font
remarquer dans des romans dédiés entièrement à l’utopie – Utopia, de Thomas More ou
la Cité du soleil, de Tommaso Campanella – font usage de ce concept dans de courtes
histoires insérées dans des textes plus amples, comme la microsociété exemplaire du
domaine de Clarens dans La Nouvelle Héloïse, ou la description de l’Eldorado dans Candide
ou l’Optimisme. Malgré cela, une œuvre apparaît à la fin du siècle, qui annonce une autre
méthode d’utiliser l’utopie : il s’agit de L’An 2440, de Louis Sébastien Mercier. Il inaugure
ainsi l’« uchronie » en imaginant un monde « fortuné » non plus dans l’espace mais dans le
temps. C’est le Paris des Lumières du futur.
Dans les utopies des Lumières certaines thèses se contestent. Par exemple, Jean-
Jacques Rousseau considère que les gens sont naturellement bons et que la société détruit
leur bonté en faisant apparaitre la jalousie, l’envie des richesses et l’avarice. Voltaire
conteste cette idée et il soutient qu’il est envisageable d’avoir une vie heureuse, au sein de
la communauté, à condition de renoncer à certains vices ; dans Candide ou l’Optimisme, il
soutient son hypothèse avec l’Eldorado, un pays utopique où les habitants sont accueillants

15
Ibid.

12
et ne s’intéressent pas du tout à l’or, l’argent ou aux pierres précieuses abondantes dans leur
pays.
L’expérience utopique n’est plus contrainte à un espace isolé. Le voyage devient
un moyen de connaissance et d’éducation. L’utopie conserve l’objectif de mettre au point,
dans des contes irréels, des simulations qui permettent de tester, théoriquement, l’adéquation
d’une société avec les principes inspirés par les Lumières, de s’imaginer comme il serait de
vivre dans une communauté humaine sur le principe de la république des Égaux de Babeuf.16
Mais, par rapport aux utopies des siècles passés, le territoire de l’utopie n’est plus la ville,
mais la campagne. La société rurale devient le cadre le plus fréquent de l’utopie.
Les fonctions des utopies du siècle des Lumières sont de plaire et instruire, donc le
lecteur doit être éduqué en l’amusant, de soutenir la raison, la liberté, le progrès, le bonheur
et la tolérance, en offrant des modèles, moins évidents que celui de Thomas More.

1.3. Les espaces utopiques

Le mot utopie a été créé par Thomas More pour intituler son œuvre Utopia, et son
étymologie semble provenir du grec : ou (non) et topos (lieu), donnant donc le sens d’un
non-lieu, un lieu qui n’existe pas. Une autre étymologie prend en considération les termes
grecs eu et topos, signifiant lieu heureux. Depuis le XVIIIe siècle, le siècle d’or des utopies
dans la littérature, l’utopie est un genre littéraire qui évoque une société idéale,
indépendamment des contraintes de la réalité. Les utopies littéraires sont en général, des
sociétés entièrement planifiées ancrées dans un espace particulier. On a vu que la typologie
des espaces utopiques a connu une diversification pendant le siècle des Lumières et les
utopies valorisent les nouveaux territoires découverts.
Une première caractéristique importante de la société utopique est le rejet des valeurs
matérielles (l’or, l’argent, les gemmes et les joyaux) considérées comme des facteurs de
conflit et de discrimination sociale ; ce rejet aura comme conséquence un encouragement
sensible du travail individuel pour le bien collectif.
Une deuxième caractéristique est son isolement par rapport à la société
contemporaine : l’espace utopique renvoie généralement à un lieu secret, principe agréé pour
le fait qu’il permet la critique de la société en évitant la censure – une autre raison pour le

16
Stéphanie Roza, « Comment la révolution a transformé l’utopie : le cas de Gracchus Babeuf », in Annales
historiques de la Révolution française, no 366, 1er décembre 2011, p. 83–103, URL :
https://journals.openedition.org/ahrf/12219, consulté le 10 février 2019.

13
choix d’un lieu isolé est le fait que les habitants ne se révoltent pas car ils ne connaissent pas
d’autre modèle sociétal. Davantage, les espaces utopiques sont très difficilement accessibles
pour les mêmes raisons. Mais cet isolement est spécifique pour les utopies écrites avant le
XIXe siècle. Les utopies les plus récentes remplacent les espaces isolés par des espaces
entourés par des jardins.
Une troisième caractéristique fait référence à la régularité juridique, au
conservatisme et à une certaine monotonie sociale. Tous les habitants réagissent de la même
manière et se plient aux mêmes règles. Une quatrième caractéristique concerne le temps des
utopies. Les utopies donnent fréquemment l’impression que le temps connaît d’importantes
recompositions : il s’allonge, se scinde, se dissipe, s’évapore. Des fois, c’est l’idée même de
temps qui est tout simplement changée.
Fréquemment, les utopies critiques et rénovatrices prêchent le collectivisme. Le
mythe de l’égalité parfaite est le principe de base pour les espaces utopiques et pour cette
raison, la propriété privée est généralement exclue. Chez More la société méconnaît toute
propriété, les villages d’Owen, caractérisés par l’harmonie et la coopération forment une
communauté coopérative au but agricole, créée sur la propriété commune des biens.
Dans le roman Nous autres publié en 1920 par Eugène Zamiatine l’action se déroule
pendant le XXXe siècle, dans une ville sans nom protégée par un dôme translucide immense,
isolée du reste de l’environnement par un mur de verre. Tout est en verre. L’idéal de la ville
est le manque total d’opacité : les habitants n’ont rien à cacher dans un monde où règne
l’uniformité des gens. Dans chaque habitation il y a un écran de contrôle utilisé pour la
surveillance et la discipline des habitants. Le logement individuel se restreint donc à sa
fonction. De l’autre côté, les immeubles publics sont décrits méticuleusement et leur
importance les élève aux yeux des habitants au rang de monuments, démontrant la primauté
accordée au collectif et une vision de la cité vue comme régulatrice du destin des individus.
Si l’utopie est l’expression d’un libre jeu de l’imagination sur l’espace, elle est aussi
mystérieusement liée à l’existence du pouvoir et à des formes désagréables d’autorité. Ce
roman a été source d’inspiration à la fois pour 1984 de George Orwell et pour Le Meilleur
des mondes d’Aldous Huxley 17. Plus tard, l’« effet panoptique »18 de Foucault, résultant de

17
David Harvey, Spaces of Hope, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2000, p. 160.
18
Le panoptique est un type d’architecture carcérale créée par les frères Jeremy et Samuel Bentham, à la fin
du XVIIIe siècle. (Voir Annexe 1)

14
la création de systèmes spatiaux de surveillance et de contrôle, deviendra partie intégrante
de nombreux schémas utopiques.19
Même si l’espace utopique est imaginé comme un endroit parfait, il est, en fait, une
image en miroir de la réalité, c’est presque un revers du monde qui paraît défier la condition
normale de la société ou de la réalité. Cette distanciation ou même ce renversement sociétal
peut varier selon la période où l’utopie a été écrite. Dans l’Antiquité, l’utopie reflète l’univers
des idées, un univers intelligible qui conteste celui des phénomènes contingents. Hésiode
(VIIIe siècle av. J.-C.), poète grec, écrit la version originelle du mythe de l’âge d’or dans Les
Travaux et les Jours. Il parle d’un monde idéal, où les hommes vivent heureux dans un
monde éloigné dans le temps, de celui du poète.20 Dans le Timée et le Critias, Platon parle
de l’Atlantide.21 Au Moyen-Âge, l’utopie est mise en relation avec l’espace eschatologique,
qui concerne l’attente d’un espace messianique, qui remplace la réalité éphémère. Mais le
mépris de ce monde associé avec l’utopie sert à encourager une réflexion critique essentielle
censée changer la société ; ce jugement critique représente la plus importante des constantes
de l’utopie dès la Renaissance, d’Utopia de Thomas More au Phalanstère de Charles
Fourier22. Les nouveaux mondes découverts au XVIe siècle deviennent une autre source pour
les utopies. Les espaces utopiques se diversifient et représentent de nouveaux territoires :
des îles exotiques, des pays lointains ou des continents inconnus. Ces endroits existent
quelque part, néanmoins ils sont trop éloignés du monde quotidien. La Cité du Soleil de
Campanella est localisée à Taprobane, nom ancestral de Sri Lanka, dans un pays éloigné,
présumé proche du Paradis pour sa richesse et pour sa position à la fin du monde.
L’utopie se projette, par définition, sur un espace protégé du monde extérieur. La
ville ou le pays sont clos, ce que souligne la perfection ou l’achèvement de leur forme : Jean
Duvignaud, cité par Damien Ehrhardt et Hélène Fleury, considère la ville utopique comme
la « conscience d’un espace clos par un nous incarné dans cet espace »23. La protection peut
être concrétisée par des dispositifs de défense créés par l’homme ou par des obstacles
naturels comme les îles ou les espaces entourés par des montagnes hautes. Par exemple,

19
Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975, p. 202.
20
Elie Bergougnan, « Les Travaux et les Jours », in Hésiode. Traduction nouvelle avec des notices, Paris,
Librairie Garnier Frères, 1940, pp. 21-27.
21
Platon, Timée, [en ligne] La Bibliothèque électronique du Québec, Collection « Philosophie », Volume 8 :
version 1.01 p. 6, URL : https://beq.ebooksgratuits.com/Philosophie/Platon-Timee.pdf, consulté le 15 avril
2019.
22
Phalanstère - communauté de production imaginée par Fourier afin de parvenir à la dernière étape de
l'industrie sociétaire ; l’espace où vit la communauté. (Voir Annexe 2)
23
Damien Ehrhardt, Hélène Fleury, Les espaces de l’utopie : Vers une typologie spatio-historique, [En ligne]
2012, URL : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01519641/document, consulté le 15 avril 2019.

15
l’Utopia de Thomas More est un ancien isthme transformé dans une île par la séparation
de l’État d’Utopia. Dans le livre Candide ou l’Optimisme de Voltaire l’utopie la plus connue
est le pays utopique, Eldorado. Dans la description de ce pays Voltaire fournit tous les
éléments qui composent un monde idéal : l’espace est clos physiquement (entouré par de
hautes montagnes) de même que socialement, les habitants sont tous contents, prospères et
il n’existe pas de conflits. Cet espace idéal étonne dans la même mesure Candide, Cacambo
et le lecteur :

Ils ordonnèrent, du consentement de la nation, qu’aucun habitant ne sortirait jamais de notre


petit Royaume ; et c’est ce qui nous a conservé notre innocence et notre félicité. Les
Espagnols ont eu une connaissance confuse de ce pays, ils l’ont appelé El Dorado ; et un
Anglais, nommé le chevalier Raleigh, en a même approché il y a environ cent années ;
mais, comme nous sommes entourés de rochers inabordables et des précipices, nous avons
toujours été jusqu’à présent à l’abri de la rapacité des nations de l’Europe, qui ont une
fureur inconcevable pour les cailloux et pour la fange de notre terre, et qui, pour en avoir
nous tueraient tous jusqu’au dernier.24

Par rapport aux espaces fermés des XVIIe et XVIIIe siècles, l’espace de l’utopie
devient plus ouvert à partir du XIXe siècle. Cependant, l’utopie reste un lieu délimité et
identifiable. De la même façon que les jardins publics et les parcs ont changé l’image des
villes fortifiées, les utopies les plus récentes ont pris la même route et mettent un grand
accent sur les ceintures vertes, comme est par exemple La Saline Royale d’Arc-et-Senans25
en Franche-Comté, commandée par Louis XV et construite selon les plans de l’architecte,
Claude-Nicolas Ledoux (1736-1806), ou la ville de Chandigarh, dont le plan urbanistique a
été conçu par Le Corbusier.26
L’utopie est un outil efficace pour critiquer la société existante et offrir une
alternative, par la description/imagination d’une société qui ne se trouve nulle part, qui
garantit le bonheur de ses citoyens et pousse les principes de la régularité, du conservatisme
et même de la monotonie sociale pour le bonheur de chacun et de tous. La plupart des récits
utopiques corrigent les inégalités sociales, économiques et culturelles par des solutions
communes qui limitent le choix des décisions individuelles. Les inégalités sociales,

24
Voltaire, Candide ou l’Optimisme, Genève, Cramer, 1759, p. 149.
25
Voir Annexe 2.
26
Stéphane Jonas, « Des villes utopiques aux villes idéales », in Revue des Sciences Sociales, n° 28, coll.
« nouve@ux mondes ? », 2001, pp. 93-95.

16
ethniques, sexuelles, entre les générations et même celles religieuses disparaissent grâce à
une croyance commune. L’éducation est utilisée pour unir les idéaux des membres de la
communauté. Utopia de Thomas More sera ainsi, en fait, un modèle copié avec de petits
changements par les auteurs des utopies des XVIIe et XVIIIe siècles. Lorsque ceux-ci
proposent des modifications, celles-ci ne visent que le nombre d’heures du travail
obligatoire, l’organisation des repas, l’âge des premières relations sexuelles, le mode
d’attribution des fonctions dirigeantes et des honneurs qui les accompagnent mais l’idée
d’espace idéalement organisé du point de vue architectural, social et politique reste intact.27
Les récits utopiques n’échappent pas à l’autorité du temps – parfois c’est le temps
qui contribue à leur mise en forme. Cité par Michel Lallement et Jean-Marc Ramos, Marcel
Gauchet sépare donc cinq moments successifs dans l’histoire de la « conscience
utopique ».28 Les cycles se succèdent depuis le XVIe siècle (avec Thomas More) jusqu’au
présent, en prenant en considération les utopies du XVIIIe siècle (Voltaire), les utopies
socialistes (Charles Fourier, Étienne Cabet et les œuvres qui, à la manière de ceux de Karl
Marx et d’Edward Bellamy, mélangent profondément l’imaginaire et la prémonition
savante). Pour cette raison les utopies peuvent s’accommoder du regret autant que du projet,
selon leur modalité de production et leur disposition temporelle. Le regret représente la
nostalgie qui s’exprime par une décision de retour en arrière, par la prospection d’un passé
édifiant (le Paradis perdu, l’Age d’or ou même l’Atlantide). Le projet concerne une forme
d’anticipation que figure l’endroit rêvé du contentement (eu-topia), certainement d’un projet
qui ne mène « nulle part » si ce n’est au non-lieu (ou-topos). 29
Le concept d’uchronie (non-temps) a été créé en 1857 par Charles Renouvier pour
le mettre en rapport avec l’histoire de la civilisation européenne et pour mettre en avant des
alternatives à cette histoire, aider les individus s’imaginer comme elle aurait pu être si les
circonstances étaient autres. Contrairement aux apparences, le substantif n’a pas été créé tant
dans l’esprit de la philosophie française d’appliquer le concept de l’utopie sur le terrain du
temps que de réaliser une méthode originale. Aujourd’hui, le terme d’uchronie est, selon
Lallement et Ramos, « associé à l’idée de projection hors du temps, mais aussi à celle de

27
Thierry Paquot, « Utopie : uniformité sociale ou hétérogénéité. Thomas More, Robert Owen, Charles Fourier
et André Godin revisités », [en ligne] in Informations sociales, n° 125, mai 2005, pp. 112-119. URL :
https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2005-5-page-112.htm, consulté le 25 avril 2019.
28
Marcel Gauchet, « Visages de l'autre. La trajectoire de la conscience utopique », [en ligne] in Le Débat, n°
125, mars 2003, p. 112-120, URL : https://www.cairn.info/revue-le-debat-2003-3-page-112.htm, consulté le
25 avril 2019.
29
Michel Lallement et Jean-Marc Ramos, « Réinventer le temps », [En ligne], in Temporalités. Revue de
sciences sociales et humaines, no 12, 2010, URL : http://journals.openedition.org/temporalites/1315, consulté
le 14 mai 2019.

17
subversion des temporalités »30. Si on prend en considération ce point de vue, on peut
considérer que Charles Renouvier ne peut pas être considéré comme le véritable inventeur
du ce concept. Au XVIe siècle, Joseph Scaliger, un important humaniste, avait pensé à un
plan de modifier le temps en changeant les repères chronologiques de l’histoire chrétienne.31
L’efficacité de ce récit critique de la société de l’utopie a conduit à l’apparition d’une
grande variété des œuvres, autant de variations de ce récit de base. Or, de l’utopie à la
dystopie, il n’y a souvent qu’un pas. Par rapport à l’utopie, la dystopie est « une société
imaginaire régie par un pouvoir totalitaire ou une idéologie néfaste, telle que la conçoit un
auteur donné »32. La dystopie représente le contraire d’une utopie : c’est pourquoi elle est
parfois appelée contre-utopie, même si les deux termes ne sont pas des synonymes.
Conformément à Corin Braga entre ces termes existe une différence de perception :
« Alunecarea de la distopie la antiutopie implică o creștere proporțională a repulsiei și a
teroarei exercitate de aceste viziuni. »33 Les dystopies les plus connues sont : 1984 de George
Orwell (un roman qui décrit un pays dans lequel le recrutement des individus commence dès
l’enfance et où surveiller et dénoncer l’autre est un devoir), Le Meilleur des Mondes de
Aldous Huxley (qui parle d’une société de castes où les humains sont conçus dans des centres
d’incubation et tout le monde a un destin précis en fonction de sa caste), W ou le souvenir
d’enfance de Georges Perec où l’auteur dénonce les crimes des nazis pendant la Seconde
Guerre mondiale en imaginant une île où la société est inégale, et plus récemment, les
Hunger Games de Suzanne Collins, qui montrent une société post-apocalyptique où le
gouvernement réalise chaque année un jeu télévisé dans lequel des adolescents doivent se
battre à mort.
L’espace devient donc un décor ou même un symbole qui aide l’écrivain soutenir ses
idées et la grande variété des topos montre le grand intérêt pour ce type de lieu. On va voir
que les espaces utopiques de Voltaire sont des espaces qui suggèrent les divers idéaux de la
société du XVIIIe siècle.

30
Michel Lallement et Jean-Marc Ramos, « Réinventer le temps », [En ligne], in Temporalités. Revue de
sciences sociales et humaines, no 12, 2010, URL : http://journals.openedition.org/temporalites/1315, consulté
le 14 mai 2019.
31
Ibid.
32
Entrée « dystopie », in Dictionnaire Larousse, [en ligne], URL :
https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/dystopie/187699, consulté le 20 mars 2019
33
Corin Braga, Morfologia lumilor posibile. Utopie, antiutopie, science-fiction, fantasy, Editura Tracus Arte,
2015, p. 56.

18
1.4. L’utopie chez Voltaire

Voltaire, ou sous son vrai nom François-Marie Arouet est le fils d’un trésorier de la
chambre des comptes et d’une fille de famille noble du Poitou, donc il est issu de la société
bourgeoise. Il fait ses études à un collège conduit par les jésuites de Louis-Le-Grand. Ses
vers irrespectueux le contraignent à rester en province et en 1717 déterminent son
incarcération à la Bastille. Il revient à la Bastille après un conflit avec le chevalier Rohan-
Chabot. À sa libération il choisit un exil de trois ans en Angleterre où, sous l’influence des
philosophes britanniques, il développe l’idée de réformer la justice et la société.
À son retour en France, Voltaire continue à écrire avec un seul objectif : la recherche
de la vérité et la transformation de la société à son aide. Il écrit les tragédies Zaïre, La mort
de César et la comédie Nanine au château de Cirey, en Champagne. Il écrit L’Histoire de
Charles XII pour critiquer la guerre (1731) puis il critique les dogmes chrétiens dans Épîtres
à Uranie (1733) et le régime politique de France, basé sur le droit divin, dans Lettres
philosophiques (1734).
En 1746 Voltaire entre comme historiographe du roi à l’Académie française et à la
Cour, après avoir publié plusieurs poèmes. La publication de Zadig l’oblige de nouveau à
l’exil cette fois-là, à Potsdam en Prusse, à la résidence de Frédéric II, ensuite à Genève.
Voltaire s’établit à Ferney, près de la frontière suisse, où il est visité par les intellectuels de
son époque et où il écrit la plupart de ses œuvres.
Il publie Candide, un de ses contes les plus connus, en 1759, comme une
dénonciation de la pensée providentialiste et de la métaphysique stérile, indigné par
l’intolérance, les guerres et les injustices des hommes. Voltaire utilise ses pamphlets acides
pour défendre la liberté, la justice et le triomphe de la raison. En 1778, il reçoit le droit de
revenir à Paris, à l’Académie française et à la Comédie française, mais affaibli par son
succès, il meurt peu de temps après.
Voltaire a marqué le Siècle des Lumières, en étant un protecteur tenace de la liberté
de l’individu et de la tolérance. Il a connu son plus grand succès auprès de la bourgeoisie
libérale. Son œuvre est considérable, mais à cause de la censure, la plupart de ses écrits ont
été interdits en France, pendant sa vie. Ils ont été publiés de manière anonyme, imprimés à
l’étranger et introduits clandestinement en France.34

34
Condorcet, « Vie de Voltaire », in Œuvres complètes de Voltaire avec des remarques et des notes historiques,
scientifiques, et littéraires. Par mm Auguis, Clogenson, Daunou, Louis Du Bois, Étienne, Charles Nodier, etc.,
Paris, Delangle frères, éditeurs-libraires, 1828, p. 19 sqq.

19
Voltaire est un écrivain universel. Il a écrit des pièces de théâtre, des essais
historiques, de la philosophie, de la poésie, des contes, des textes critiques et une grande
correspondance. Il a publié les Œuvres complètes en 40 volumes in-octavo (édition
de Genève de 1775). Après sa mort, Beaumarchais publie une autre édition à Kehl et inclut
la correspondance de Voltaire, en rajoutant 30 volumes in-octavo, sans avoir toutes les
lettres.
Voltaire a écrit les contes à maturité. Les plus connus sont : Le Songe de Platon,
Zadig, Micromégas, l’Ingénu, Candide, Le Monde comme il va. Il ne donnait pas à ses contes
une très grande importance, mais, en présent, ceux-là représentent la partie de son œuvre la
plus éditée et la plus lue : « C’est dans ses contes, […] qu’il faut surtout chercher Voltaire :
c’est là que son génie s’épanouit en toute liberté ; c’est là qu’il nous surprend par sa gaieté
profonde et sa raison souveraine ; c’est là qu’avec son rire éclatant il nous jette la vérité à
pleines mains. »35 Les contes font partie des textes obligatoires du siècle des Lumières et
occupent une place importante dans la culture française. Mais, par rapport aux contes
classiques, les contes philosophiques prennent les caractéristiques des contes de fées et les
détournent dans des problématiques philosophiques. Donc, dans Candide, on trouve les traits
classiques du conte : le place de l’action est un château, le temps est indéterminé et la plupart
des personnages font partie de la noblesse. Voltaire réforme le genre du conte en y ajoutant
des éléments du roman d’aventures comme les longs voyages et l’existence de nombreux
événements. Même si ses contes gardent la forme des contes classiques, Voltaire insère dans
chaque conte une vue philosophique et en plus, de l’ironie, en se rapprochant ainsi du genre
de la farce. Dans les contes philosophiques de Voltaire on peut trouver, mélangées, une
moralité caractéristique pour le conte de fées et une représentation critique de la société
contemporaine ; la raison pour l’y inclure est de faire le lecteur réfléchir au conte et à la
problématique qu’il met en évidence. C’est sa méthode de transmettre ses idées. Dans ces
contes, on peut trouver même des éléments du genre picaresque, comme le passage des
personnages d’une classe sociale à une autre, ou la moquerie des sentiments supérieurs,
comme l’amour.36

35
Condorcet, Jean-Antoine-Nicolas de Caritat, Œuvres complètes de Voltaire. Nouvelle édition avec notices,
préface, variantes, table analytique... précédée de la Vie de Voltaire, par Condorcet et d’autres études
biographiques, Paris, Éditions Garnier Frères, Librairies-Éditeurs, 1879, p. V. Disponible en ligne à l’URL :
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4113177.texteImage.
36
Haydn Mason, « Voltaire et le conte philosophique », en Revue Internationale de Philosophie, Vol. 48, No
187, Dossier : « VOLTAIRE », pp. 55-64.

20
Une autre partie très importante de l’écriture de Voltaire est sa correspondance.
Pendant son exil à Ferney, il correspond avec toute l’élite européenne. Il a écrit plus de 23
000 lettres retrouvées en 13 volumes dans la Bibliothèque de la Pléiade. La correspondance
de Voltaire dessine splendidement l’image du XVIIIe siècle, une période critique de
l’histoire ; créée jour après jour pendant plus de soixante ans, la correspondance nous donne
une image fidèle de cette ère, dans sa noblesse, sa grandeur et sa bassesse, et nous habitue
aux philosophes, aux artistes, aux rois et aux hommes d’État, aux percepteurs et aux
commerçants de ce siècle ; elle reflète autrement la conscience, les sensations, les actions et
les pensées de Voltaire. Toutes les pages valorisent son intelligence, son génie et pour toutes
ces raisons Voltaire est le grand classique du genre épistolaire. Cette correspondance vivace,
brillante, amusante, parfois acerbe, ardente, enthousiaste propose un voyage à travers les
temps, immerge le lecteur dans les enjeux, les problèmes et les défis du siècle des Lumières,
et expose la plupart des artistes de cette époque. Norman Torrey considère que les lettres de
Voltaire contiennent sa vraie et profonde philosophie de vie : « C’est dans ses lettres qu’il
faut chercher l’expression la plus intime de la philosophie de Voltaire ; sa manière d’accepter
la vie et d’affronter la mort, ses idées métaphysiques et son scepticisme, ses luttes
passionnées au nom de l’humanité et ses accès de résignation mystiques »37.
Les œuvres philosophiques de Voltaire ne véhiculent pas de réponses apaisantes,
mais enseignent le lecteur à douter, car c’est par le doute qu’on s’éduque à penser. La partie
philosophique de son œuvre est toujours actuelle : Les Lettres philosophiques, le Traité sur
la tolérance, le Dictionnaire philosophique portatif, les Questions sur l’Encyclopédie.
Les Lettres philosophiques ou Lettres anglaises se composent de vingt-cinq lettres, ont été
publiées en 1734 et réunissent des sujets comme : la politique, les sciences, la religion,
les arts, ou la philosophie. Ces lettres ont été destinées à des gens plus ou moins érudits,
capables de lire et avec une certaine éducation habituée à la façon des écrits de Voltaire. Ce
sont des lettres ouvertes, écrites et publiées sous forme de livre pour être lues par un public
plus large. Le Traité sur la tolérance a été publié en 1763 et a été écrit pour réhabiliter
l’image de Jean Calas, un protestant qui a été faussement accusé et exécuté pour avoir tué
son fils pour l’empêcher de se convertir au catholicisme. Dans cette œuvre, Voltaire fait
appel à la tolérance entre les religions ; il accuse le fanatisme religieux et présente un
discours contre les superstitions embrassées par les religions. En 1764 Voltaire publie Le
Dictionnaire philosophique ou La Raison par alphabet sous le titre de Dictionnaire

37
Norman Lewis Torrey, The Spirit of Voltaire, New York, Russel&Russel, 1938, p. 170.

21
philosophique portatif conçu comme un instrument pour combattre l’Infâme. Le
Dictionnaire philosophique comprime l’essentiel de ses idées philosophiques, politiques,
morales et religieuses. Voltaire publie le Dictionnaire pour critiquer l’Église catholique,
affaiblie après un siècle d’altercations entre les jésuites et les jansénistes, mais après la
publication, dans sa correspondance, il ne reconnaît pas avoir quelque chose à faire avec une
telle œuvre.
Les pièces de théâtre de Voltaire ont eu un grand succès chez ses contemporains mais
de nos jours elles sont, pour la plupart, négligées. Voltaire a pourtant été et s’est considéré
comme le plus important auteur de théâtre du siècle des Lumières et ses pièces ont été jouées
sur la scène de la Comédie-Française depuis 1718 jusqu’à sa mort. Son œuvre dramatique
comprend cinquante tragédies dont le plus grand succès appartient à Zaïre, Sémiramis,
Œdipe, Mahomet, et des comédies : Le Comte de Boursoufle, Nanine, L’Enfant prodigue.
Le théâtre de Voltaire ne tient pas compte de la tendance d’autres auteurs de son temps,
d’interroger et remettre en question les règles du théâtre classique, en remplaçant « l’unité
d’intérêt », focalisée sur un personnage, à l’unité d’action, en essayant d’y introduire de la
tragédie en prose. Voltaire s’appuie sur les principes de la tragédie racinienne : respect des
trois unités, l’emploi de l’alexandrin. Pour Voltaire, le théâtre est fréquemment l’opportunité
de faire connaître ses idées philosophiques, en évitant la censure : il écrit contre le fanatisme,
l’intolérance et les tyrans.38
Voltaire commence à écrire des vers à l’enfance et cette pratique incessante l’a aidé
à se construire un mode naturel d’écrire. Il a écrit environ 250 000 vers39. La poésie de
Voltaire, désormais aussi dénigrée que sa philosophie, expose aussi ses pensées
philosophiques : les vers ont des vertus heuristiques en faisant une connexion entre la raison
et la pensée suggérée par la forme du poème même. Voltaire construit son arsenal poétique
dans la controverse, répartissant en vers sa philosophie.
Voltaire a écrit aussi des œuvres historiques comme : Le Siècle de Louis XIV,
Histoire de Charles XII, Histoire de l’empire de Russie sous Pierre le Grand, mais il garde
là sa perspective philosophique, telle qu’on voit dans l’Essai sur les mœurs et l’esprit des
nations, où il suit l’évolution de la société humaine et ses efforts pour sortir de l’état primitif.

38
Marcelle Sandhu, « Le théâtre de Voltaire : tragédie ou drame ? », in Dalhousie French Studies, Vol. 38,
Dalhousie University, printemps 1997, pp. 77-84, disponible en ligne sur :
https://www.jstor.org/stable/40837150?seq=1#page_scan_tab_contents, consulté le 20 mars 2019.
39
André Versaille, Dictionnaire de la pensée de Voltaire, introduction de René Pomeau, Bruxelles, Éditions
Complexe, 1994, p. 8.

22
Son œuvre scientifique est oubliée même si Voltaire est l’un des promoteurs du newtonisme
avec ses Éléments de la philosophie de Newton publiés en 1738 :

Ce qui caractérise Zadig, Candide, Memnon, Babouc Scarmentado, l’Ingénu, c’est un fond
de philosophie semée partout dans un style rapide, ingénieux, et piquant, rendue plus sensible
par des contrastes saillants et des rapprochements inattendus, qui frappent l’imagination et
qui semblent à la fois le secret et le jeu de génie. Nul n’a mieux connu l’art de tourner la
raison en plaisanterie. Il converse avec ses lecteurs, et leur fait accroire qu’ils ont tout l’esprit
qu’il leur donne, tant les idées qu’il jette en foule se présentent sous jour clair et sous aspect
agréable !40

Les manifestations de l’utopie chez Voltaire s’inscrit dans la tendance des utopies
des Lumières. Les utopies n’occupent pas l’œuvre entière, mais sont des séquences au rôle
de critique indirecte et subtile de la société. Les séquences utopiques dans Candide sont
celles de Thunder-ten-tronckh, un espace inchangé, le « paradis terrestre » du Candide, où
tout est dominé par un pouvoir absolu : Monsieur le Baron.

Monsieur le Baron était un des plus puissants seigneurs de la Westphalie, car son château
avait une porte et des fenêtres. Sa grande salle même était ornée d’une tapisserie. Tous les
chiens de ses basses-cours composaient une meute dans le besoin ; ses palefreniers étaient
ses piqueurs ; le vicaire du village était son grand aumônier. Ils l’appelaient Monseigneur et
ils riaient quand il faisait des contes. 41

On peut voir qu’il s’agit d’un espace fermé et despotique conduit par un grand
seigneur qui exerce son pouvoir de manière absolue et autoritaire. Une autre utopie est celle
des Jésuites du Paraguay, où le pouvoir politique et le pouvoir religieux se confondent.

C’est une chose admirable que ce gouvernement. Le royaume a déjà plus de trois cents lieus
de diamètre ; il est divisé en trente provinces. Los Padres y ont tout, et les peuples rien ; c’est
le chef-d’œuvre de la raison et de la justice. Pour moi, je ne vois rien de si divin que Los
Padres, qui font ici la guerre au roi d’Espagne et au roi de Portugal, et qui en Europe

40
Jean-François La Harpe, Cours de littérature ancienne et moderne, suivi du tableau de la littérature au XIX e
siècle, par Chénier, at du tableau de la littérature au XVI e siècle, par M. Saint-Marc Girardin et M. Philarète
Charles, Tome III, Paris, Libraries Chez Firmin Didot Freres, 1847, p. 194.
41
Voltaire, Candide, ou l’Optimisme, op. cit., pp. 4-5

23
confessent ces rois ; que tue ici des Espagnols, et qui à Madrid les envoient au ciel : cela me
ravit, avançons : vous allez être les plus heureux de tous les hommes.42

En effet ce sont les utopies rejetées par Voltaire. Il extrait une délicate ironie en
illustrant les contradictions de ces administrations absolues : « Los Padres y ont tout, et les
peuples rien ; c’est le chef-d’œuvre de la raison et de la justice ». Par contre, l’utopie
améliorée et spécifique pour Voltaire est celle de l’Eldorado, pays localisé aux jungles de
l’Amérique du Sud. Eldorado est un modèle irréalisable, établi dans une atmosphère de
liberté et tolérance. Ce pays est utopique dans le sens moderne : un monde parfait, monde
de la richesse et du bonheur.

Le pays était cultivé pour le plaisir comme pour le besoin ; partout l’utile était
agréable. Les chemins étaient couverts ou plutôt ornés de voitures d’une forme et
d’une matière brillante, portant des hommes et des femmes d’une beauté singulière,
traînés rapidement par de gros moutons rouges qui surpassaient en vitesse les plus
beaux chevaux d’Andalousie, de Tétuan et de Méquinez.43

L’Eldorado est un lieu éloigné et reclus, caractérisé par la prospérité, par l’ordre et
l’harmonie. Voltaire porte les caractéristiques de cet endroit au plus haut degré de perfection
et on peut voir ce que les images de l’utopie se trouvent dans l’imaginaire du Nouveau
Monde. Mais Voltaire n’est pas l’adepte de la pensée dans un monde parfait, où le mal et la
souffrance n’existent pas, et il souligne l’aspect imaginaire et irréel d’une idée semblable :
comme Eldorado est un pays qui n’existe pas Candide va le quitter. Voltaire présente
Eldorado ironiquement : ce pays est bien étonnant, tout le monde y est heureux, mais il
n'existe pas. Voltaire nous rappelle en quoi consistent nos rêves. Il dénonce l'utopie, et avec
l'utopie, il dénonce le rêve : il faut être réaliste, arrêter de rêver. Mais cet extrait pose aussi
une question : après avoir vu ce monde idéal, que faut-il faire ? Le texte qui
termine Candide répond à cette question : Candide et ses amis achètent une ferme et
cultivent leur jardin. C’est la morale de Candide : Voltaire nous rappelle que le bonheur est
le fruit du travail et non du rêve.
La vaste œuvre de Voltaire et sa préférence pour la subtilité dans ses contes, rend
difficile l’identification des épisodes utopiques et dépend de quel point de vue, et de quelle

42
Voltaire, Candide, ou l’Optimisme, op. cit., pp. 108-109.
43
Voltaire, Candide, ou l’Optimisme, op. cit., pp. 138-139.

24
définition du terme utopie on tient compte. Par exemple, dans le conte Micromégas, identifié
par Corin Braga comme une utopie44, Voltaire crée non seulement un monde nouveau, la
société où vit Micromégas, mais aussi une nouvelle race : les géants qui visitent la Terre et
découvrent l’ignorance de habitants de notre planète.
Comme on peut voir, Voltaire a utilisé tous les moyens pour éduquer la société de
son temps, pour faire ses lecteurs s’imaginer un monde où la tolérance, l’amitié et l’égalité
sont de véritables principes et pour corriger les tares de la société. À l’aide de sa vaste œuvre
littéraire et philosophique Voltaire met en valeur les principes du mouvement des Lumières
par des moyens plus ou moins évidents. Il exprime ses idées dans les lettres adressées à ses
proches, sous forme de Traités et plus subtile, à l’aide de la littérature :

… en qualité d’Ecrivain philosophe, il a plus influé sur les mœurs et la destinée des Nations
qu’aucun des Chefs qui les ont gouvernées. Aucun Prince n’a eu des relations plus étendues ;
aucun n’a dirigé l’opinion avec le même empire, enfin, aucune vie n’a été plus occupée, plus
active, plus agitée.45

Dans ce premier chapitre, divisé en quatre sous-chapitres, j’ai suivi l’origine,


l’évolution et le développement du mot utopie du nom propre qui désignait un pays jusqu’à
la perte de son statut et l’accumulation de nouveaux sens. Puis j’ai identifié les sources
d’inspiration du genre à commencer par la mythologie et en finissant avec les grandes
découvertes. Dans le deuxième sous-chapitre j’ai analysé les fonctions de l’utopie des
Lumières, un mouvement qui se proposait de changer la société du XVIIIe siècle en
valorisant le progrès général de cette ère. La société n’est pas la seule qui évolue. Les utopies
se transforment, elles aussi en se réduisant à des séquences ou épisodes à l’intérieur des
œuvres littéraires. J’ai vu aussi que l’espace utopique se définit par quelques traits : le rejet
de valeurs matérielles ou l’isolement par rapport à la société contemporaine du lecteur. La
régularité juridique, le conservatisme et la monotonie sont aussi spécifiques pour les
communautés utopiques. Un autre trait est le fait que les utopies prêchent fréquemment le
collectivisme. En plus, les espaces utopiques, même si idéalisés, représentent des images en
miroir de la réalité et sont utilisés comme des outils de critique de la société, de la religion

44
Corin Braga, « Utopie, eutopie, dystopie et anti-utopie », in Metabasis. Rivista di filosofia on-line, no 2, 2006,
p. 28, URL : http://www.metabasis.it/articoli/2/2_braga.pdf, consulté le 21 mai 2019.
45
Théophile Imarigeon Duvernet, Vie de Voltaire, suivie d'anecdotes qui composent sa vie privée, Paris, Chez
F. Buisson Imprimeur-Libraire, 1797, p. 1, disponible en ligne sur :
https://books.google.ro/books?id=zx27htbIBSYC&hl=ro&source=gbs_navlinks_s

25
ou de la monarchie. Le dernier sous-chapitre est dédié à Voltaire, un important promoteur
de la philosophie des Lumières. Il a dédié toute sa vie au changement de la société à travers
sa vaste et diverse œuvre. Le deuxième chapitre sera dédié à deux de ses utopies : d’une part,
le château de Thunder-ten-tronckh, le Paradis terrestre perdu de Candide mais qui sera rejeté
au long de l’œuvre comme une illusion, et, d’autre part, le pays de l’Eldorado, renfermant
une société entièrement opposée à celle de l’Europe occidentale du XVIIIe siècle.

26
CHAPITRE II

LES UTOPIES DE CANDIDE : DES REPRESENTATIONS SPATIALES


IDEALES AU XVIIIE SIECLE ?

Comme nous avons vu dans le premier chapitre, les mondes utopiques du Siècle des
Lumières ont trois fonctions : d’offrir une image en miroir de la société, de critiquer les tares
des classes sociales, de l’organisation politique et d’éduquer en offrant un modèle idéal
politique, social et de pensée.

Différent d’un conte folklorique, le conte philosophique de Voltaire, Candide, publié


en 1756, se développe dans un espace géographique bien déterminé et bien défini dans les
réalités historiques de son temps. Une exception pourtant : le chapitre sur l’Eldorado. Il est
possible donc de suivre, l’atlas en main les étapes et les voyages des personnages. Pour aller
plus loin, l’espace parcouru est souvent évoqué ou représenté de manière très détaillée et très
concrète ; cette œuvre de Voltaire a par là un côté documentaire qui ne peut pas être nié.46

Candide est écrit comme un récit de voyage sur le moyen de déplacement le plus à
la mode au XVIIIe siècle : le périple maritime. Ce type de voyage permet aux personnages
de découvrir d’autres espaces géographiques et de connaître d’autres cultures en s’éloignant
de l’Europe. La fin du conte est très représentative à cet égard : le personnage ne rentre pas
« à la case de départ » et ne retrouve point l’éden chimérique du château situé en Europe. 47
Il finit son voyage à Propontide dans l’Empire Ottoman, sur un autre continent.
Voltaire utilise les aspects exotiques comme le récit d’aventures romancées, les faits
culturels captivants pour divertir, pour faire plaisir aux lecteurs et bien sûr, pour le captiver
de façon un peu osée, comme, par exemple, il le fait en racontant le voyage au pays des
Oreillons ou les récits des malheurs de la vieille.
Le voyage de Candide commence après l’expulsion du château de Thunder-ten-
Tronckh, et prend peu à peu une dimension initiatique pour lui. Nous retrouvons là la
fonction éducative du roman des Lumières. Candide ou l’Optimisme est écrit comme un
roman d’éducation pour un jeune homme qui croit naïvement dans l’idéologie à laquelle il a
été exposé. Pendant son parcours Candide, les autres personnages et même le lecteur doivent

46
Jean-Paul Fenaux, Analyses et réflexions sur Voltaire, Paris, 1982, pp. 23-27.
47
Émile Simonnet, « L’espace dans Candide » [En ligne], URL :
http://emile.simonnet.free.fr/sitfen/narrat/candide.htm, consulté le 10 avril 2019.

27
découvrir l’immoralité et les maux des autres parties du monde et d’en renforcer la
généralité, sous les aspects les plus différents (physique, métaphysique, moral, politique et
social) sur tous les continents visités. À la fin de son voyage, le personnage au nom
symbolique est complètement transformé, plus raisonnable et aussitôt autonome.
La logique géographique du parcours de Candide est liée au désir de montrer pendant
chaque étape du voyage, une ou plusieurs formes du mal. Chaque lieu ou Candide s’arrête,
le fait découvrir un malheur, apercevoir un problème significatif pour l’humanité : l’irrespect
de la noblesse en Westphalie, la guerre des Bulgares/Abares, l’intolérance aux Pays Bas,
l’Inquisition au Portugal ; au Nouveau Monde n’est ni meilleur ni pire qu’en Europe. Là-
bas, Candide découvre la violence des Jésuites contre les Indiens de Paraguay, au Surinam
il rencontre l’esclavage. Le retour en Europe fait le lecteur connaître l’ennui de la vie
quotidienne des habitants de Venise, il lui donne aussi une vision critique et satirique sur la
Grande-Bretagne et la France avant une retraite presque tactique dans l’Empire turc, lui-
même conduit par l’absolutisme. Tous ces espaces présentent des problèmes, à l’exception
du pays de l’Eldorado. Le but éducatif du voyage se réalise dans un monde existant et ce but
est renforcé par la comparaison avec l’espace imaginaire et paradisiaque de l’Eldorado, où
Candide ne reste pas d’ailleurs. Eldorado reste un espace féérique, qui a la fonction, dans le
conte, d’une utopie qui aide principalement à donner des valeurs ou à placer des repères, des
critères de comparaison pour l’Europe en général et la France en particulier.
Voltaire prend ses « personnages marionnettes »48 dans la réalité quotidienne pour se
créer les circonstances qui lui permettent de proposer des solutions « réalistes ». Le premier
et le dernier chapitre opposent allusivement, deux espaces différents et contraires sous divers
aspects et ces réalités opposées condensent le parcours de Candide : son voyage d’un monde
où l’espace idéal est un espace construit pour la grandeur et pour l’orgueil personnel, à un
monde où l’espace idéal est la communauté et où le travail et non le statut comptent. Le rôle
des espaces, des changements de cadres et de costumes, les moments significatifs de
l’itinéraire de Candide et de la mise en scène servent à créer un décor pour les problèmes
que celui-ci rencontre.49
Le parcours d’une telle diversité d’espaces a permis à Candide de mûrir, de sortir de
l’univers des idéaux livresques, théologico-métaphysiques, d’évoluer du temps des illusions,
celui de l’idéologie de l’optimisme vers le temps de la réalité et du travail, bien que l’espace
de la réalité soit discret, et limité au cadre d’un jardin. Or, le personnage peut se libérer de

48
Ibid.

28
son maître à penser Pangloss, évoquant une représentation burlesque de la philosophie de
Leibniz. Cet espace modeste, peu paradisiaque, s’organise autour de principes concrets et
donne des lignes d’action claires.50

2.1. Le château de Thunder-ten-tronckh, un idéal spatial pour


l’aristocratie du XVIIIe siècle

Une première manifestation de l’utopie dans Candide, nous la retrouvons dans la


description du château de Thunder-ten-tronckh, un espace qui semble immuable, le « paradis
terrestre » de Candide, dominé de tous les points de vue par un pouvoir absolu :

Monsieur le baron était un des plus puissants seigneurs de la Westphalie, car son château
avait une porte et des fenêtres. Sa grande salle même était ornée d’une tapisserie. Tous les
chiens de ses basses-cours composaient une meute dans le besoin ; ses palefreniers étaient
ses piqueurs ; le vicaire du village était son grand aumônier. Ils l’appelaient Monseigneur
et ils riaient quand il faisait des contes.51

On peut voir que cet espace est un endroit fermé et écrasant conduit par un seigneur
très important qui exerce son pouvoir de manière suprême et autoritaire. Le château est situé
au pays de Leibniz, le principal philosophe et théoricien de l’Optimisme combattu par
Voltaire. La Westphalie était au moment de la publication de Candide la province la plus
pauvre, à cause de la Guerre de sept ans et des conflits divers de la noblesse52. Voltaire
accentue les défauts de l’idéal de Leibniz et l’aveuglement de ses personnages en choisissant
cette région comme Éden concepteur du conte et en laissant tous les habitants de ce château
à croire que le baron est un puissant seigneur. Il essaie d’offrir une leçon de relativité entre
l’idée que les hommes s’en font et la réalité triste.

L’importance du modèle de ce château est soutenue par l’organisation sociale et


idéologique qui a comme source d’inspiration la reproduction et l’inertie : chaque

50
Ibid.
51
Voltaire, Candide ou l’Optimisme, op. cit., pp. 4-5.
52
Gudrun Gersmann, New Men - Westphalian History 1648-1770, [en ligne], disponible sur Westfälische
Geschichte, URL: https://www.lwl.org/westfaelische-
geschichte/portal/Internet/input_felder/langDatensatz_ebene4.php?urlID=33&url_tabelle=tab_websegmente

29
personnage occupe la place qui lui est attribuée par son statut social et les quartiers de
noblesse sont les seuls qui comptent aux unions. Candide est accepté dans cet espace sans
avoir de droits similaires car il n’a pas les quartiers de noblesse requis. De son point de vue,
le château est un espace protecteur et le fait penser à un âge d’or originaire où la prospérité
et l’équilibre apparents s’exemptent de toute réflexion.
Dans le monde gréco-latin, l’âge d’or est une ère où la vieillesse et la souffrance ne
sont pas connues par les hommes, leurs besoins sont fournis par la nature sans être besoin de
travailler ou de faire des efforts. Dans cet espace idéal, la justice et la paix sont assurés parce
que tout y est donné d’avance. Le château de Thunder-ten-tronckh nous fait penser à une
autre image de la perfection originelle, celle du Paradis de la tradition chrétienne : au jardin
d’Éden, l’homme n’a pas encore la connaissance du Bien et du Mal et pour cette raison il est
immortel. Le baiser de Candide et Cunégonde rompt l’harmonie du château. La chasse de
Candide prouve la particularité artificielle de ce paradis. Le héros devient mortel et
commence un voyage qui va le conduire vers la connaissance du bien et du mal.53
Le premier chapitre de Candide est une satire de la lourdeur allemande, évidente dans
l’emphase du nom de Thunder-ten-tronckh, la corpulence de la baronne et de sa fille
« grasse ».54 Les romans et les contes du siècle des Lumières se remarquent par la frugalité
de détails sur les paysages et le décor. L’avidité des descriptions chez Voltaire est un procédé
systématique et fait que chaque détail accentue le sens et la fonction philosophique ou
satirique. Ainsi, l’Allemagne est réduite à des clichés comme l’épaisseur des corps ou la
philosophie épaisse.55
Voltaire traite ses personnages identiquement à l’espace : ils représentent des
stéréotypes de la société du XVIIIe siècle. Candide est mis au centre du conte et les autres
personnages orbitent autour de lui. Par cette centralité Voltaire veut souligner la marginalité
sociale du bâtard et suggère l’hypocrisie de la société, tout en condamnant aussi les idées
des ceux qui veulent paraître autres qu’ils ne le sont. Voltaire présente les personnages selon
un ordre familial et social hiérarchique et construit ainsi l’image d’une famille aristocratique
du siècle des Lumières56 : le baron, qui est le maître de la famille, et du château, la baronne,

53
Brenda Tooley, Gender and Utopia in the Eighteenth Century: Essays in English and French Utopian
Writing, London, Routledge, 2007, p. 126.
54
Charles Knight, The Literature of Satire, Cambridge University Press, 2004, p. 67.
55
Andrei Fernando Ferreira Lima, « Candide ou la quête du bonheur », Non plus, no 6, p. 19, disponible en
ligne à l’URL suivant : https://www.revistas.usp.br/nonplus/article/download/104530/108729/
56
Jean-François Halté, Raymond Michel, André Petitjean, « Candide : analyse textuelle, pour une application
pédagogique » in : Pratiques : linguistique, littérature, didactique, n°3-4, 1974, p. 102. Disponible à l’URL :
www.persee.fr/doc/prati_0338-2389_1974_num_3_1_905

30
qui s’impose seulement à cause de sa position comme femme du baron, les enfants, le
précepteur, image de la potence financière du baron et à la fin, Candide, le bâtard, le
personnage qui ne s’encadre dans l’image de cette famille et sera donc, chassé par
l’ignorance du baron et sa famille. L’importance de Cunégonde est suggérée par sa
présentation avant son frère. Les seuls personnages qui aient un prénom sont Candide et
Cunégonde. On ne sait pas si Pangloss est un nom ou un prénom. Ces trois individus sont
décrits de manière succincte. Pourtant cette parcimonie de la description n’est pas si
importante par rapport au manque d’importance réservé au baron, à son épouse et à leur fils.
Ils sont traités comme des anonymes et caricaturés superficiellement. Le baron est bon au
fond mais il a trop de prétentions et les serviteurs le considèrent un peu ridicule. Madame la
Baronne est vue comme froide. Elle ne se différencie que par son poids et une éducation
manifestée par une politesse formelle : « faisait les honneurs de la maison avec une
dignité »57, ce qui signifie qu’elle était laide et ignorante. Pour le fils, Voltaire considère
qu’il suffit de noter qu’il « paraissait en tout digne de son père »58, portrait qu’il confirme
dans la suite du conte où il se dévoilera vaniteux de ses titres jusqu’à l’absurdité.

Un destin particulier est réservé à Candide. Les rumeurs des serviteurs font le lecteur
découvrir son statut d’enfant non reconnu. Il participe avec Cunégonde et son frère aux
leçons de Pangloss, mais sa présence cache un secret de famille : il est le fils de la sœur du
baron et leur voisin. Candide est né d’un père « bon et honnête », il est physiquement
agréable et cela expliquera l’inclination sensuelle de Cunégonde. Son intelligence et sa
moralité l’érigent à une transformation vers l’esprit critique et assurent l’attachement ému
du lecteur. On peut considérer que le personnage principal peut exprimer les idées de
l’auteur, et jouer le rôle de héros d’un roman de formation : intelligent, mais jeune, naïf et
mou, traites suggérées par son nom aussi.

Tous les personnages qui entrent en contact avec Candide sont soumis à ce procédé
du cliché : les Français sont bavards, diffamateurs et superficiels (chapitre 22), les Espagnols
et Portugais sont arrogants et intolérants (l’inquisition du chapitre 6, le gouverneur du
chapitre 13), les Turcs sont totalitaires et cruels (chapitre 20).

Le nom même de Pangloss est parodique. Ce nom est formé de deux mots d’origine
grecque : le préfixe pan- qui signifie « tout » et le radical gloss- signifiant « langue », donc

57
Voltaire, Candide ou l’Optimisme, op. cit., p. 5.
58
Ibid.

31
« tout langue ». Pangloss est un personnage qui ne fait que de beaux discours. Il parle
beaucoup pour finalement ne rien dire d’intéressant. Dès ce premier contact le lecteur
distingue deux traits : « oracle de la maison », il est donc doctrinaire, car il n’y a personne à
le contredire ; et ses discours ridicules.

La parodie et le cliché sont utilisés dans le cas des noms des villes aussi : le nom du
château contient une allitération en « t » qui peut avoir l’intention de se moquer des
intonations germaniques gutturales. Voltaire construit le nom du château pour être
représentatif pour le baron. Ainsi, le nom est une composition desmots des deux langues :
anglais et allemand. De l’anglais sont les deux éléments initiaux, thunder signifiant tonnerre
et ten qui signifie dix. En allemand, ten peut aussi faire référence à l’article « den », et
l’onomatopée, par sa sonorité, conduit le lecteur vers le monde allemand. Jean-François
Halté, Raymond Michel, André Petitjean suggèrent que le nom du château et implicitement,
du baron, peut signifier « faisant plus de bruit que dix tonnerres »59. Un autre exemple d’un
lieu qui moque les intonations germaniques est le nom de la ville Waldberghoff-trarbk-
dikdorff qui signifie forêtmontagnecour-lettres dérisoires-épais village.60

Le château est aussi une satire de la société feudale. Voltaire met en opposition la
condition des riches, « grande salle », « tapisserie », « meute », « piqueurs », « grand
aumônier » qui sont des termes ou des titres qui représentent la noblesse et la simplicité du
peuple représentée par des ornements pauvres (« une tapisserie ») ou des « chiens de basse-
cour », des « palefreniers », un « vicaire ». Les serviteurs même, en s’adressant au baron du
titre pompeux de monseigneur, se moquent de ses contes. Leur respect est limité et
l’ambiance est parfois affectée et familiale.

La satire sociale culmine avec le refus d’un homme honnête, comme époux, à cause
de son nombre insuffisant d’ancêtres nobles : il peut prouver seulement 71 quartiers, au lieu
de 72, la lignée du baron, une différence imperceptible et dérisoire. Dans ce petit détail se
cache tout l’aplomb de la critique par les philosophes et puis par les révolutionnaires du
XVIIIe siècle, de la rigidité infructueuse et arrogante des castes qui prévalaient dans l’Ancien
Régime.

59
Jean-François Halté, Raymond Michel, André Petitjean, « Candide : analyse textuelle, pour une application
pédagogique », art. cit, p. 100, URL : www.persee.fr/doc/prati_0338-2389_1974_num_3_1_905
60
Collins Dictionary, Harper Collins Publishers, [en ligne], URL :
https://www.collinsdictionary.com/dictionary/german-english/berg

32
Dans ce premier chapitre sur le château de Thunder-ten-tronckh, Voltaire expose
l’essentiel du sujet et des procédés de son conte, et, à l’aide d’une parodie d’un espace
biblique : le Paradis et par la réécriture du mythe de la chasse du Paradis, où Candide est
Adam et Ève est Cunégonde, il construit la référence à un premier jardin, à un premier
paradis, qui sera pris comme source constante à la quête de son héros. Le château, symbole
du bonheur pour Candide, sera ultérieurement une référence essentielle pour son
apprentissage, jusqu’à sa reproduction finale dans la métairie orientale.

2.2. L’Eldorado, un espace idéal pour la société des Lumières

L’Eldorado est l’utopie spécifique pour Voltaire et met en valeur ses idées utopiques.
Le pays est situé dans un endroit isolé, situé aux montagnes de l’Amérique du Sud. Eldorado
est un modèle politique, social et religieux irréalisable, établi dans un espace où la liberté et
la tolérance sont les valeurs les plus importantes. Ce pays est utopique dans le sens moderne :
un monde parfait, monde de la richesse et du bonheur :

Le pays était cultivé pour le plaisir comme pour le besoin ; partout l’utile était agréable. Les
chemins étaient couverts ou plutôt ornés de voitures d’une forme et d’une matière brillante,
portant des hommes et des femmes d’une beauté singulière, traînés rapidement par de gros
moutons rouges qui surpassaient en vitesse les plus beaux chevaux d’Andalusie, de Tétuan
et de Méquinez.61

L’Eldorado est un lieu éloigné et retiré, caractérisé par la prospérité, par l’ordre et
l’harmonie. Les qualités de ce pays sont présentées au plus haut degré de perfection et on
peut voir tout ce que cette utopie doit à l’imaginaire relié au Nouveau Monde.

La visite au pays d’Eldorado introduit une suspension du rythme rapide et trépidant


du conte voltairien. Ce repos suit la frénésie du début et une description longue remplace
l’action. Candide et Cacambo contemplent émerveillés un espace qui est diffèrent mais dans
le même temps, semblable à ce qu’ils connaissent. Cet épisode, par la place centrale qu’il
occupe dans le roman, joue un rôle essentiel dans le développement de Candide. Pour le

61
Voltaire, Candide ou l’Optimisme, op. cit., p. 138.

33
prouver, Voltaire construit une image critique d’Eldorado, l’écrivain voulant indiquer que
ce pays n’est qu’une pure utopie, mais il laisse le lecteur penser et trouver la fonction de
cette utopie dans le roman et dans l’évolution de Candide.

Le texte ressemble, à une première vue, à une séquence de conte oriental. Les deux
voyageurs sont étonnés de ce qu’ils voient, les décors exotiques se mêlent aux merveilles.
Cet émerveillement fait les deux avoir l’impression que tout ce qui les entoure est grand et
disproportionné : « grands Officiers et grandes Officières », « grandes places ». À cette
impression de grandeur est adjoint le sentiment d’abondance délivré par l’exagération des
nombres : « deux files, chacune de mille musiciens », « milles colonnes », « la millième
partie de la ville ». Cette somptuosité est accentuée par un usage permanent du pluriel et par
le procédé de l’accumulation :

…les édifices publics élevés jusqu’au nuës, les marchés ornés de mille colonnes, les
fontaines d’eau pure, les fontaines d’eau rose, celles des liqueurs de canne de sucre qui
coulaient continuellement dans des grandes places pavées d’une espèce de pierreries qui
répandaient une odeur semblable à celle du gérofle et de la canelle.62

Eldorado leur semble un pays parfait, fait mis en évidence par l’emploi du superlatif :
« le plus de plaisir », « Jamais on ne fit meilleur chère, et jamais on n'eut plus d'esprit. »63.
Voltaire toutefois prévient le lecteur de se coller entièrement à la fiction de ce conte en
l’obligeant à prendre distance vis-à-vis de l’étonnement des héros. Il enlève au formidable
sa capacité de persuasion par la suroffre des détails surnaturels : tout est excessivement beau
et exagérément parfait pour y croire. L’auteur établit grâce à l’ironie un rapport privilégié
avec son lecteur qui s’amuse de la candeur des deux personnages émus par les apparences
et se trompant continuellement sur la réalité de l’Eldorado. Cacambo met drôlement en
valeur cette erreur : « Cacambo demanda à un grand officier comment il fallait s’y prendre
pour saluer Sa Majesté ; si on se jetait à genoux ou ventre à terre ; si on mettait les mains sur
la tête ou sur le derrière ; si on léchait la poussière de la salle »64. Candide à son tour, sollicite
à voir des lieux inexistants dans Eldorado : la « cour de justice », le « parlement ». Leur
attitude aussi, montre leur naïveté : ils n’embrassent pas le roi, ils lui sautent au cou, cette

62
Ibid., p. 156.
63
Ibid., p. 157.
64
Ibid., p. 155.

34
manifestation familière représente un enthousiasme enfantin et prouve que les personnages
n’ont pas assez de recul pour juger objectivement. Enfin la critique de Candide sur la société
d’Eldorado n’a pas une vraie valeur critique puisqu’il situe tout sur le même plan : « les bons
mots du roi ». Candide différencie entre la frivolité et les institutions politiques ou même le
palais des sciences. Autrement dit les deux personnages ne discernent pas la valeur réelle et
le sens de ce qu’ils aperçoivent : ils ont seulement une perception superficielle. Cette naïveté
a pour fonction de mettre en valeur le monde qu’ils visitent et de faire le lecteur découvrir
la valeur philosophique du texte et identifier dans la description d’Eldorado, l’espace
utopique.

Les deux voyageurs découvrent le pays étape par étape. Leur visite est décrite
chronologiquement. Le passage d’une découverte à l’autre dans le texte est marqué par des
formules temporelles : « après quoi », « en attendant », « après avoir parcouru ». Ce type de
composition où le voyageur découvre peu à peu un nouvel espace est spécifique pour le riche
nombre de livres de l’époque, qui décrivent une utopie. Si dans les œuvres utopiques de ce
siècle tout est conçu et décrit dans le moindre détail, l’Eldorado de Voltaire, même s’il utilise
le même schéma, n’en prend que les traits les plus grands. Du point de vue politique Eldorado
est conduit par une monarchie libérale, propice à la liberté d’expression des pensées
politiques, philosophiques et religieuses. Le roi n’est pas le souverain typique pour cette
période et les principes de hiérarchie sont adoucis à tel point qu’il est bien abordable et il est
facile de lui parler. Le roi acquiert les visitateurs avec « toute la grâce imaginable ».
L’absence du palais de justice et de la prison suggèrent non seulement le manque des délits
mais aussi le manque des tyrannies du roi. Eldorado se distingue par l’harmonie qui règne
entre les gens et par l’absence des nobles, des disparités entre les hommes et les femmes : «
vingt belles filles de la garde », « officiers et officières ». Une place importance est donnée
à la vie sociale et à la courtoisie, celles-ci donnant le sentiment de complicité et d’allégresse
entre les habitants. Le pays d’Eldorado est présenté comme une civilisation
fondamentalement urbaine. Pour que l’utile soit agréable, l’espace est allongé par les
perspectives : « les édifices publics élevés jusqu'aux nuës », « les marchés ornés de mille
colonnes », « de grandes places », « une galerie de deux mille pas ». Voltaire met l’esthétique
sur la première place et construit un espace où le décor est propre et parfumé et non
seulement beau. Le climat est frais et l’air est propre.

Sur le plan culturel, en Eldorado la science et la recherche détiennent une très grande
importance : « le palais des sciences, dans lequel il vit une galerie de deux mille pas, toute

35
pleine d’expérience de Physique ».65 La perfection de cette civilisation permet surtout à
Voltaire d’exprimer ses propres aspirations : monarchie libérale, humanisme et
développement des sciences. Des parties de l’idéal des Lumières se trouvent dans cette
utopie, conglomérées à un tel point que parfois il est difficile à voir la fonction de cette utopie
d’Eldorado.66

L’utopie d’Eldorado a une fonction critique : par la présentation d’un monde idéal
elle met instantanément en évidence les carences et les défauts de la société du XVIIIe siècle.
C’est la façon par laquelle Voltaire critique cette société et essaie de la remettre en question.
Il critique la monarchie absolue des rois de France en décrivant le souverain idéal. La
description détaillée de la ville est une critique cachée l’urbanisme anarchique de Paris :

Le XVIIIe siècle est pour Paris une époque d’antagonismes. La ville hésite entre des styles
qui s’opposent, et les périodes de frénésie constructive alternent avec les temps de la
réflexion utopique. Les constructions parisiennes, monumentales ou particulières, reflètent
les débats esthétiques de l’époque des Lumières : le bon goût, la place de la nature, le rôle
de l’architecte... Elles échappent le plus souvent à la simple querelle des ornements – rocaille
contre néoclassicisme – pour s’interroger plutôt sur les rapports des temps modernes à la
tradition et à l’héritage antique.67

L’urbanisme joue un rôle important dans les utopies, mais comme on peut voir
Voltaire ne donne pas de détails sur le mode de construction des édifices. Ce fait prouve que
Voltaire n’a pas le désir de décrire un système qui peut être mis en réalité de ce point de vue,
mais il insiste plutôt sur les valeurs : bonheur, altruisme, appétence pour la justice, goût du
travail.

Enfin, en soulignant l’admiration de Candide pour le palais des sciences Voltaire


rappelle au lecteur qu’il est un protecteur tenace de la culture et du progrès associé aux
auteurs de l’Encyclopédie. Il se révolte contre toutes les formes d’ignorance et de censure,
et laisse au lecteur s’interroger sur le sens de cet espace dans l’évolution morale de Candide.

65
Idem., p. 157.
66
Andrei Fernando Ferreira Lima, « Candide ou la quête du bonheur », art. cit., p. 19.
67
Marcel Chauffe, Paris au XVIIIe siècle : un siècle modèle pour l’architecture et l’urbanisme, 2013,
disponible sur Marcel&Simone, URL : http://chauffemarcel.over-blog.com/2013/12/paris-au-xviii-e-
si%C3%A8cle-un-si%C3%A8cle-mod%C3%A8le-pour-l-architecture-et-l-urbanisme.html

36
Eldorado est une étape dans l’évolution de Candide et représente une alternative pour les
valeurs de Thunder-ten-tronckh. Mais Voltaire ne croit pas à un monde idéal, où le mal et la
souffrance n’existent pas, et il insiste sur l’aspect fantastique et irréel d’une telle idée :
l’Eldorado est un monde qui n’existe pas et le héros du récit va quitter :

Si nous restons ici, nous n’y serons que comme les autres ; au lieu que si nous retournons
dans notre monde seulement avec douze moutons charges de cailloux d’Eldorado, nous
serons plus riches que tous les rois ensemble, nous n’aurons plus d’inquisiteurs à craindre,
et nous pourrons aisément reprendre Mademoiselle Cunégonde.68

Cet épisode représente la fin de l’aliénation et la tentative de réintégration, mais


souligne aussi le fait que les deux voyageurs n’ont pas compris les valeurs vraies de cet
espace : « nous serons plus riches que tous les rois ensemble ».

Eldorado se dévoile comme une utopie qui contribue au projet satirique du roman.
Par cette utopie, Voltaire condamne indirectement la société de son temps mais cette satire
a des valeurs éducatives pour autant que, sur un mode irréel, il propose au lecteur de penser
à des valeurs nouvelles. Les valeurs proposées par Voltaire sont celles pour lesquelles luttent
les philosophes des Lumières, facilitant le progrès de la civilisation. Pour le développement
du personnage de Candide, cette expérience représente une étape essentielle, changeant son
point de vue sur le monde. Désormais Candide part à la conquête de lui-même. Ce chapitre
rend possible le bonheur à travers le lieu emblématique du roman : le jardin.

Dans ce chapitre j’ai fait une analyse des espaces utopiques qu’on peut trouver dans
le conte philosophique Candide ou l’Optimisme de Voltaire. Le réalisme de ce conte est
donné par les réalités géographiques et historiques que Voltaire utilise pour désigner le décor
destiné à la découverte du bien et du mal par Candide et ses compagnons. Un seul espace se
distingue parmi les autres : l’Eldorado.

Une première utopie est celle du Paradis terrestre : le château de Thunder-ten-


tronckh. Dans cette utopie de la société du XVIIIe siècle Voltaire représente les valeurs du
peuple de son temps : l’indifférence, l’arrogance, les fausses valeurs. Candide voit le château

68
Voltaire, Candide ou l’Optimisme, op. cit., pp. 158-159.

37
de Thunder-ten-tronckh comme un Paradis terrestre et donc, son expulsion de cet espace le
fait partir dans un voyage de découverte du bien et du mal.

Eldorado, la vraie utopie en ce qui concerne les représentants du siècle des Lumières,
est une critique des valeurs politiques, sociales et religieux de la société du XVIIIe siècle,
mise en rapport avec le chapitre dédié au château de Thunder-ten-tronckh. Par son biais,
Voltaire propose des modèles de pensée, les valeurs des philosophes des Lumières, les
valeurs qui font la société progresser. Dans le chemin de découverte de Candide, le pays
utopique a un rôle constructif : celui d’exposer le personnage aux biens du monde.

Mais, en effet ce sont les utopies rejetées plus ou moins par Voltaire. L’écrivain
distille une fine ironie en démontrant les contradictions de la société du siècle des Lumières
et utilise le parcours d’une grande diversité des espaces pour conduire Candide et le lecteur
vers les valeurs véritables de la vie : le travail et l’indépendance.

38
CHAPITRE III

LA FERME, UNE SYNTHESE DE L’IMAGINATION UTOPIQUE VOLTAIRIENNE

Comme nous avons vu dans le chapitre précédent, Voltaire utilise l’utopie pour faire
le procès de la société du siècle des Lumières. Au début il utilise ce procédé pour offrir aux
lecteurs une image d’un endroit idéal pour l’aristocratie du XVIIIe siècle, puis il décrit un
espace idéal pour les philosophes des Lumières. Dans ce dernier chapitre nous allons
découvrir quel est l’espace utopique pour Voltaire et comment les villes du présent et du futur
reprennent l’idée du jardin comme espace idéal pour l’homme.
Le thème du jardin est multiple dans Candide : il existe plusieurs jardins dont le
jardin du baron de Thunder-ten-tronckh en Westphalie : « le petit bois qu’on appelait parc »69,
une forêt qui fait le lecteur penser à un jardin sauvage, sans l’intervention d’homme, une
allégorie peut-être pour les pensées « sauvages » des habitants du château et une suggestion
que seules l’éducation et l’équilibre peuvent aménager le jardin de vraies valeurs. Une autre
apparition du motif du jardin est la « maison isolée, entourée de jardins et de canaux »70 de
Portugal, où Candide rencontre Cunégonde, après l’avoir crue morte. Un espace de protection
pour les deux amants mais qui marque aussi le départ pour les efforts de Candide de rester
avec Cunégonde.
Au pays d’Eldorado, les jardins sont, par rapport au bois sauvage du château
Thunder-ten-tronckh, des espaces entièrement modifiés par l’homme et qui montrent la nature
artificielle des mondes utopiques : « les fontaines d’eau pure, les fontaines d’eau rose, celles
de liqueurs de cannes de sucre qui coulaient continuellement dans de grandes places pavées
d’une espèce de pierreries qui répandaient une odeur semblable à celle du gérofle et de la
cannelle »71. Le jardin du palais du noble Pococurante donne l’impression d’un espace
artificiel, froid : « les jardins étaient bien entendus, et ornés de belles statues de marbre ».72
Le modèle qui inspire Candide est le jardin du vieux Turc : « Je n’ai que vingt arpents,
répondit le Turc ; je les cultive avec mes enfants ;»73, et le jardin de Candide à la fin :

69
Voltaire, Candide ou l’Optimisme, op. cit., p. 8.
70
Ibid., p. 50.
71
Ibid., p. 156.
72
Ibid., p. 229.
73
Ibid., p. 290.

39
Toute la petite société entra dans ce louable dessein ; chacun se mit à exercer ses talents. La
petite terre rapporta beaucoup. Cunégonde était à la vérité bien laide ; mais elle devint une
excellente pâtissière ; Paquette broda ; la vieille eut soin du linge. Il n’y eut pas jusqu’à frère
Giroflée qui ne rendît service ; il fut un très bon menuisier, et même devint honnête homme. 74

Voltaire transforme le jardin dans un symbole de la culture, d’une part matérielle,


pour la subsistance qu’elle assure, et d’autre part intellectuelle, regardée comme une
métaphore de la nourriture spirituelle. Le jardin fait l’éloge du commun, de la propriété et
de la normalité, car au lieu de construire un monde parfait, il faut se contenter, selon Voltaire,
du monde tel qu’il est :

Lieu clos où la nature se civilise et s’humanise, le jardin est classiquement vu comme une
sorte d’utopie ou, pour le dire dans les termes de Michel Foucault, comme une
« hétérotopie »75 (Foucault, 1994, p. 756), un espace dont les règles ne sont pas celles du
monde quotidien.76

3.1. Une pseudo-utopie ouverte

À l’âge de 64 ans Voltaire achète le château de Ferney et le transforme selon ses


besoins en mettant en pratique la devise de son personnage : « Il faut cultiver notre
jardin ». Il prend son inspiration de sa période d’exil en Angleterre et commence à investir
dans le petit village.
Ferney devient son jardin : il valorise les marais en les cultivant, les pâturages
prennent la place des bruyères, Voltaire y plante des milliers d’arbres et construit des étables
et des bergeries. Les produits de son jardin se vendent à Genève. Ses ambitions transforment
Ferney du point de vue économique et social : on y ouvre une horlogerie, on y développe

74
Ibid., p. 293.
75
« Pour Foucault, les hétérotopies sont des ‘sortes d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles les
emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l’on peut retrouver à l'intérieur de la culture, sont
à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux » (Foucault, p.
755). Selon Foucault, le jardin serait « depuis le fond de l’Antiquité, une sorte d’hétérotopie heureuse et
universalisante » (Foucault, p. 759). » Geneviève Sicotte, « Le jardin dans la littérature fin-de-siècle, ou quand
un motif narratif devient un objet esthétique », [en ligne] in Projets de paysage : Le jardin et des rapports à
l'art. 2010, vol. 5, URL :
http://www.projetsdepaysage.fr/fr/le_jardin_dans_la_litterature_fin_de_siecle_ou_quand_un_motif_narratif_
devient_un_objet_esthetique, consulté le 18 mai 2019.
76
Ibid.

40
des spécialités genevoises et on obtient l’autorisation de retour en ville pour les réfugiés
protestants et français.77
On voit donc de l’expérience de Voltaire que la décision de cultiver son jardin n’est
pas le résultat d’une décision prise instantanément, mais c’est le résultat d’une expérience
de vie. Pour Candide aussi, il construit cette expérience que conduira le personnage vers la
décision de devenir fermier. Donc le dénouement de Candide est préparé pas à pas au long
du conte. Les rencontres que Candide fera après sa visite en Eldorado, seront déterminantes
pour sa décision finale. Au début Candide rencontre au Surinam un personnage opposé à
Pangloss : Martin, qui est plutôt pessimiste. Il pense que l’homme naît pour sentir la
souffrance et pour travailler sans trouver des raisons. Il a le rôle d’exposer Candide à une
philosophie entièrement distincte de celle de Pangloss. Cette nouvelle philosophie apporte à
Candide une connaissance totale, qui le conduit à créer une philosophie propre en proposant
une perception et une représentation du monde très différentes de celles de ses maîtres. Puis,
pendant sa visite au seigneur Pococurante Candide découvre que même si quelqu’un a tout,
il n’est pas nécessaire qu’il soit heureux. Le noble Pococurante est un homme fortuné par la
vie, qui n’a connu jamais le chagrin. Cependant, il est dégoûté de sa vie et sans ardeur, mais
il a une sérénité matérielle et intellectuelle. À Venise, Candide rencontre les rois déchus qui
évoquent le malheur de ceux qui avaient tous les avantages sur terre, mais qui ont perdu tout,
en insinuant la facilité à laquelle on perd les valeurs pour lesquelles on ne travaille pas. Il
tire aussi la conclusion que ces avantages ne sont pas les garants du bonheur à cause de cette
possibilité de tout perdre.
Dans le dernier chapitre le rencontre de Candide avec le derviche, qui réponds aux
questions de métaphysique de Pangloss lui donne la clé pour comprendre la vie. Candide
apprend ainsi ce qu’il doit faire : parler peu, renoncer aux idées prédéterminées et faire des
efforts pour garder un esprit innocent. La rencontre avec le bon vieillard musulman qui est
heureux et qui vit en autarcie donne à Candide une autre leçon : il apprend ce qu’il faut faire.
La vie de cette famille qui travaille dans son jardin et qui s’occupe à faire des confitures,
prouve à Candide la valeur des joies simples, de la coopération au sein d’une famille, et
notamment de l’utilité et le besoin d’encourager les talents humains.78 Il dévoile à Candide

77
Isabelle Mayault, Dans le jardin cultivé de Voltaire, 2018, URL :
https://www.liberation.fr/debats/2018/08/23/dans-le-jardin-cultive-de-voltaire_1674148, consulté le 18 mai
2019.
78
Arezou Abdi, « Sur la fameuse leçon morale de Candide de Voltaire “Il faut cultiver notre jardin” », [en
ligne] in La Revue de Teheran, 2014, URL : http://www.teheran.ir/?article1843#gsc.tab=0, consulté le 18 mai
2019.

41
le secret de son bonheur : « Le travail éloigne de nous trois grands maux : l'ennui, le vice, et
le besoin »79. Le fait que le vieillard n’a pas de nom est une suggestion que celui-ci, par
rapport à Pangloss qui parlait sans dire rien, est l’image de la sagesse et de l’équilibre entre
l’optimisme de Pangloss et le pessimisme de Martin et seule qui compte est sa philosophie
de vie. Voltaire utilise en Candide des noms satiriques. Ce personnage sans nom, mais
nommé « le bon vieillard » suggère que celui-ci n’est pas un personnage caricatural, alors
que sa vieillesse et sa bonté font le lecteur penser à Dieu.
Pendant son voyage, toutes les expériences, tous les espaces qu’il traverse et tous
les hommes qu’il rencontre dès son départ du château de Thunder-ten-tronckh, aident
Candide à mûrir et le conduisent vers sa décision finale, qui se situe entre les deux extrêmes
représentés par les idéologies de Pangloss et Martin. Il décide que la meilleure solution pour
être heureux est d’essayer être autonome, de s’occuper de son propre jardin, de sa propre
vie. Le jardin est donc l’espace ou Candide et ses amis trouvent le bonheur. Un espace clos
par des clôtures, par l’indépendance de pensée et par l’autonomie, mais ouvert vers le monde
car ils ont des interactions avec la communauté. Donc le jardin est un espace utopique quasi-
ouvert parce que, à l’intérieur de cet espace, Candide est libre d’adopter l’idéologie qu’il
préfère, peut s’organiser selon les besoins de ceux qui habitent et travaillent dans cette
métairie, mais, dans le même temps, le jardin est inclus dans une communauté et les habitants
de la métairie dépendent de cette communauté s’ils décident de valoriser le modèle du bon
vieillard et de mettre en vente les produits de leur travail.
La conclusion finale de Candide « il faut cultiver notre jardin »80 ne fait référence
qu’au fait de planter et de prendre soin de cet espace. La valeur polysémique du verbe
« cultiver » et du nom « jardin » ouvre une nouvelle perspective sur l’espace et sur la
conclusion finale de Candide. Un premier sens du verbe cultiver peut-être celui de faire des
efforts pour être heureux, de cultiver ses pensées et d’entretenir son bonheur. L’homme doit
changer ce qu’il peut changer et faire des efforts pour transformer le monde autour de soi.
Cultiver signifie aussi développer les idées, les opinions qui peuvent aider la société à
évoluer. Un autre sens du ce verbe est celui de cultiver sa vie, apprendre à contrôler ses
pensées, ses actions. En ce qui concerne le terme « jardin » celui-là fait référence à la vie.

79
Voltaire, Candide ou l’Optimisme, op. cit., p. 290.
80
Ibid., p. 294.

42
Cultiver le jardin conduit vers l’idée de la nécessité de se construire, de se perfectionner, de
faire des efforts pour son propre bonheur.81
Avec tout ce travail pour la vie le jardin est l’espace idéal. Le jardin est vu comme
un lieu qui par sa nature organisée configure ou reconfigure le monde à sa manière et comme
la vie, il se développe tout autour d’une certaine idée, donc, on peut dire que le jardin est une
matérialisation des idéologies.82
En admettant que le monde n’est indubitablement pas « le meilleur des mondes
possibles », Voltaire conduit le lecteur vers l’idée que l’humanité faudrait dédier son temps
aux activités habituelles plutôt que de penser à des sujets incompréhensibles. L’homme doit
délimiter ses ambitions à un bonheur relatif qui se trouve dans le travail : « Travaillons sans
raisonner, dit Martin, c’est le seul moyen de rendre la vie supportable. »83
En conclusion le jardin de Voltaire est une représentation d’une partie du monde qui
peut devenir idéal si on réussit à apprécier son enseignement en travaillant et sans se limiter
aux paroles insignifiantes et aux théories irréelles. En énonçant sa célèbre citation, Candide
prouve qu’il a trouvé sa propre philosophie. Si on le rapporte à Candide, le terme de jardin
prend aussi le sens que c’est Candide celui qui doit maintenir, développer et corriger ses
qualités personnelles.

3.2. Un retour au jardin d’Éden ?

Comme nous avons vu antérieurement, le jardin de Turquie où Candide et ses amis


s’installent n’est pas un jardin d’agrément, mais un jardin qui a un sens double du mot
culture, celle de la terre et celle de l’esprit, qui s’oppose à la nature sauvage et à la barbarie
que Candide rencontre pendant son voyage. À la fin d’un voyage qui a montré une grande
diversité de formes du mal, le jardin semble le reflet du monde rêvé par Candide. Ce jardin
réclame d’une part le paradis de la Genèse, et d’autre part, le jardin miroir du monde de
l’Extrême-Orient, les jardins paradisiaques de l’Asie orientale, le couvent des monastères,
les états paradisiaques de l’Islam où Allah est considéré le jardinier, la dimension

81
Alain Bourhis, Il faut cultiver notre jardin, 2016, URL :
https://en.calameo.com/read/0005313746206150bfd9b, consulté le 18 mai 2019.
82
Geneviève Sicotte, « Le jardin dans la littérature fin-de-siècle, ou quand un motif narratif devient un objet
esthétique », [en ligne] in Projets de paysage : Le jardin et des rapports à l'art. 2010, vol. 5, URL :
http://www.projetsdepaysage.fr/fr/le_jardin_dans_la_litterature_fin_de_siecle_ou_quand_un_motif_narratif_
devient_un_objet_esthetique, consulté le 18 mai 2019.
83
Voltaire, Candide ou l’Optimisme, op.cit., p. 292.

43
métaphysique des jardins persans dont quelques refont le plan de la cité – on ne comprend
pas cette phrase.
Avec la métairie, le cycle des espaces utopiques est clos. Dans le premier chapitre
Candide est chassé d’un espace qu’il considère comme le plus beau château, un Paradis
terrestre. Après toutes les expériences, les tribulations, et les transformations ils reçoivent ce
dont ils ont en vérité besoin : la sérénité qu’ils trouvent dans le jardin. Il est un symbole pour
le « jardin d’Éden » promis pour les sacrifices que les hommes font pendant la vie, l’espace
de récompense pour les maux que les personnages ont dû supporter pendant leurs vies.
L’installation dans cet espace est le résultat de toutes les aventures que Candide eut, comme
bien le conclut Pangloss :

Tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles ; car enfin, si
vous n’aviez pas été chassé d’un beau château, à grands coups de pied dans le derrière, pour
l’amour de mademoiselle Cunégonde, si vous n’aviez pas été mis à l’inquisition, si vous
n’aviez pas couru l’Amérique à pied, si vous n’aviez pas donné un bon coup d’épée au Baron,
si vous n’aviez pas perdu tous vos moutons du bon pays d’Eldorado, vous ne mangeriez pas
ici des cédrats confits et des pistaches.84

Mais ce n’est pas le Paradis promis par le Catholicisme, au moins, ce n’est pas un
paradis pour le corps, pour le physique. Les personnages doivent travailler très fort pour
profiter des fruits du jardin. Pourtant, avec tous les efforts, Candide et les autres ont
découvert finalement l’endroit sur la terre où il existe un système simple pour le bien-être :
la récompense pour le bon travail. En plus, le vrai retour au jardin d’Éden est de nature
spirituelle.85 Candide considérait le château Thunder-ten-tronck comme un paradis terrestre
non seulement à cause des qui l’entouraient, mais aussi de l’ampleur, du moins apparente,
des connaissances de Pangloss :

[…] le petit Candide écoutait ses leçons avec toute la bonne foi de son âge et de son caractère
[…] Il concluait qu’après le bonheur d’être né baron de Thunder-ten-tronckh, le second degré
de bonheur était d’être mademoiselle Cunégonde, le troisième, de la voir tous les jours, et le

84
Voltaire, Candide ou l’Optimisme, op. cit., p. 294.
85
Arezou Abdi, « Sur la fameuse leçon morale de Candide de Voltaire "Il faut cultiver notre jardin" » in La
Revue de Teheran, 2014, URL : http://www.teheran.ir/?article1843#gsc.tab=0, consulté le 18 mai 2019.

44
quatrième, d’entendre maître Pangloss, le plus grand philosophe de la province, et par
conséquent de toute la terre.86

Le jardin de Constantinople était considéré pendant le XVIIIe siècle comme le


Paradis terrestre et pour cette raison Voltaire fait le choix de cet endroit pour le vrai jardin
d’Éden de Candide.
La dernière phrase prononcée par le bon vieillard est une sévère critique de
l’aristocratie : les nobles ne travaillent pas. D’ailleurs, le seul personnage qui ne sera pas
admis dans l’utopie de Candide, dans son jardin, est le frère de Cunégonde. De cette façon
le cycle se clos de ce point de vue aussi. Candide a été chassé du Paradis terrestre du château
de Thunder-ten-tronckh, mais à la fin, il chasse le baron de son Paradis :

Candide dans le fond de son cœur n’avait aucune envie d’épouser Cunégonde. Mais
l’impertinence extrême du Baron le déterminait à conclure le mariage, et Cunégonde le
pressait si vivement qu’il ne pouvait s’en dédire. Il consulta Pangloss, Martin et le fidèle
Cacambo. Pangloss fait un beau mémoire, par lequel il prouvait que le Baron n’avait nul
droit sur sa sœur, et qu’elle pouvait selon toutes les lois de l’empire épouser Candide de la
main gauche. Martin conclut à jeter le Baron dans la Mer ; Cacambo décida qu’il fallait le
rendre au Lévanti Patron, et le remettre aux galères ; après quoi on l’enverrait à Rome au
Père Général par le premier vaisseau. L’avis fut trouvé fort bon ; la vieille l’approuva ; on
n’en dit rien à sa sœur ; la chose fut exécutée pour quelque argent, et on eut le plaisir
d’attraper un jésuite, et de punir l’orgueil d’un Baron Allemand.87

La métairie est le nouveau jardin d’Éden car dans cet endroit, Candide trouve le
bonheur. Pendant ses voyages il a découvert que ni le « plus beau des châteaux »88, ni le pays
le plus riche ni les richesses que Candide a apportées de l’Eldorado n’ont pu le satisfaire.
Seul le travail lui offre de la satisfaction. Voltaire montre ainsi qu’on trouve le bonheur
seulement en valorisant nos talents :

Toute la petite société entra dans ce louable dessein ; chacun se mit à exercer ses talents. La
petite terre rapporta beaucoup. Cunégonde était à la vérité bien laide ; mais elle devint une
excellente pâtissière ; Paquette broda ; la vieille eut soin du linge. Il n'y eut pas jusqu'à frère

86
Voltaire, Candide ou l’Optimisme, op. cit., pp. 6-7.
87
Voltaire, Candide ou l’Optimisme, pp. 281-282
88
Ibid., p. 11.

45
Giroflée qui ne rendît service ; il fut un très bon menuisier, et même devint honnête
homme ;89

On peut dire que Candide ne cherchait pas à retrouver le Paradis terrestre qu’il a
perdu dans le premier chapitre. Il a voyagé partout dans le monde à la recherche d’un espace
qui le rendrait heureux ; où il pouvait trouver la paix. Le fait est que Candide, tout comme
Adam et Ève, a désobéi aux règles données par le maître de son Paradis. Mais par rapport à
Adam et à Ève, il a appris à apprécier les valeurs véritables et donc il a le droit de créer son
propre jardin d’Éden. Après la rencontre avec le bon vieillard Candide décide que son espace
idéal est le jardin où il peut travailler, car « L’homme fut mis dans le jardin d’Eden, il y fut
mis, ut operaretur eum, pour qu’il travaillât ; ce qui prouve que l’homme n’est pas né pour
le repos. »90. Et tous les Paradis connus antérieurement par Candide supposaient plus de
repos que du travail.
Un autre argument pour soutenir l’idée que la métairie est le vrai Paradis terrestre
que Candide cherchait est la réplique du bon vieillard : « le travail éloigne de nous trois
grands maux : l’ennui, le vice et le besoin ».91 Donc, pour trouver le bonheur il faut renoncer
aux péchés à travers le travail qui nous oblige à philosopher moins.
Pour Candide et ses amis, acheter la métairie de Constantinople signifie la fin des
persécutions, la rencontre avec tous les hommes qu’ils aiment, la stabilité et ce qui est le plus
important : le bonheur. Tous ceux-ci sont des prérogatives qui mettent la métairie de Candide
dans la position d’un jardin d’Éden pour eux.

3.3. De l’utopie spatiale voltairienne aux jardins urbains de nos jours

Trouver le bonheur à travers le travail du jardin, comme on l’apprend chez Voltaire,


a été oublié à cause de la révolution industrielle pendant laquelle les hommes se sont éloignés
de la nature. Mais elle revient peu à peu premièrement sous forme de ville-parc et plus
récemment, sous la forme des jardins communautaires ouverts, accessibles pour tous les
habitants. Les projets pour les villes du futur proposent des jardins verticaux.
La cité-jardin est une théorie soutenue par Ebenezer Howard, urbaniste britannique,
dans son livre To-morrow : A peaceful path to real reform,92 paru en 1898. C’est une façon

89
Ibid., p. 293.
90
Ibid., p. 292.
91
Ibid., p. 290.
92
Sa traduction française Les Cités jardin de demain a paru en 1969.

46
de créer une ville opposée à la ville industrielle polluée et développée chaotiquement pendant
la révolution industrielle. Ce type de ville s’oppose aussi à la campagne, regardée comme
trop éloignée physiquement et économiquement des villes.93 Le concept de cité-jardin a été
immédiatement mis en application par Raymond Unwin dans la construction des villes
Welwyn Garden City et Letchworth Garden City94 situées au nord de Londres. Ensuite le
modèle a été copié partout dans le monde mais, en dehors des villes construites
en Angleterre, aucune autre ne reprend intégralement le concept. Ainsi, tous les espaces
urbains mélangeant la ville et la nature sont erronés définis comme cité-jardin.
Le modèle de la cité-jardin de Howard offre une solution pour harmoniser les espaces
industriels avec l’agriculture et les espaces d’habitation et se remarque par la gestion
publique du foncier pour éviter la spéculation financière sur la terre. La ville impose aussi
l’existence d’une ceinture agricole autour de la ville afin de fournir des aliments frais pour
les habitants. Pour assurer le confort des citoyens Ebenezer suggère que la densité du bâti
doit être relativement faible. Afin de fournir une vie de qualité, les services et les
équipements publics comme les parcs, les espaces commerciaux, les espaces culturels et les
institutions publiques doivent être situés au centre de la ville. Les actions des entrepreneurs
économiques sur la ville doivent être soumises au contrôle afin d’éviter les dérapages
urbanistiques qui peuvent être contre l’intérêt collectif. Une dernière caractéristique est la
participation des habitants dans la décision d’accepter ou de refuser la présence d’une
entreprise dans la ville. Il propose aussi une alternative pour remplacer les métropoles : le
Cité-Social95 formé de petites cités-jardins autour d’une ville plus grande, reliées par des
réseaux ferrés denses.96 Ainsi, Ebenezer propose une décentralisation des villes. Son idée est
reprise après la Première Guerre Mondiale pour le plan de développement du Grand Londres.
En France, ce modèle est la base de la construction des villes nouvelles autour de Paris et
de Lille.
Le modèle de la cité-jardin a été oublié à partir des années 1960 jusqu’en 1980 quand
la lutte contre la pollution a commencé et ce type de ville a été repris en considération.
Aujourd’hui, l’accent dans l’aménagement des villes est mis sur l’adaptation de la cité aux
besoins des habitants et de l’environnement, comme le précise Monique Eleb, psychologue

93
Jean-Yves Tizot, « Ebenezer Howard’s Garden City Idea and the Ideology of Industrialism », [En ligne], in
Cahiers victoriens et édouardiens, no 87, 2018, URL: http://journals.openedition.org/cve/3605, consulté le 20
mai 2019.
94
Voir Annexe 3 pour des images.
95
Voir Annexe 4.
96
Jean-Yves Tizot, « Ebenezer Howard’s Garden City Idea and the Ideology of Industrialism », art. cit.

47
et docteur en sociologie de l’habitat, citée par Charly Célinain : « L’habitat est la
combinaison du logement et de son environnement. Avec l’évolution démographique, le
schéma de la famille nucléaire (un couple, deux enfants) a explosé en plusieurs modèles :
famille monoparentale, recomposée... La vie a changé et l’habitat avec ».97
Mais les difficultés de nature sociale sont celles qui posent des problèmes réels. La
ségrégation sociale du château de Thunder-ten-tronckh est encore une réalité triste pour la
banlieue des villes. Jean-Pierre Respaut, adjoint au maire de Suresnes, France, déclare pour
Charly Célinain : « Il y a cette appellation péjorative de la cité de banlieue. La plupart des
habitants n’appréhendent pas le caractère exceptionnel de leur cadre de vie. »
À la fin on retourne à la métairie de Candide, espace remarquable pour la diversité
de ses habitants. Par rapport à Voltaire, pour les urbanistes de nos temps il est difficile de
créer le sentiment de communauté et dans le même temps d’encourager la mixité sociale à
cause de la mobilité des gens et la grande différence entre les revenus.
Dans les cités-jardins actuelles le mot « jardin » perd son sens donné par Eberner
Howard, celui de parc, espace vert et reprend son sens d’espace où on cultive les végétaux
pour fournir notre nourriture. Mais, par rapport au jardin du bon vieillard et de Candide les
jardins urbains de nos jours sont des jardins ouverts pour toute la communauté connus
comme des « community gardens » ou des « jardins partagés »98. Ce concept a été repris en
1997 et désigne aujourd’hui principalement de petits jardins de quartier, qui prend le modèle
des « community gardens » d’Amérique du Nord, en particulier de New York et de Montréal.
Ces jardins s’organisent autour des associations qui perçoivent une cotisation et sont installés
sur des terrains privés ou publiques, non cultivés. L’association offre aux adhérents un petit
terrain/jardinière d’environ deux mètres carrés ou moins, pour le jardinage, mais en est aussi
un lieu de promenade pour le public. Les parcelles peuvent être individuelles ou collectives
et cultivées en commun par les membres.99
L’idée de jardin collective n’est pas nouvelle. Le travail collectif des terrains
agricoles s’entend jusqu’au Moyen Age, en particulier pendant les périodes de crise. En
1970 à New York et plus tard dans d’autres villes d’Amérique du Nord, des initiatives locales
transforment les espaces inutilisés en jardins de quartier. La ville de New York compte

97
Charly Célinain, « Les cités-jardins, rêve ou future réalité », in Journal officiel des banlieues, 2013, URL :
http://www.presseetcite.info/journal-officiel-des-banlieues/societe/les-cites-jardins-reve-ou-future-realite
98
Voir Annexe 5.
99
Karen Schmelzkopf, « Urban community gardens as a contested space », in Geographical Review, 1995,
Vol. 85, p. 364, URL : https://www.jstor.org/stable/215279?seq=1#page_scan_tab_contents, consulte le 23
mai 2019.

48
aujourd’hui plus de 750 jardins partagés et sont accessibles aux membres selon des horaires
spécifiques. Les « community gardens » de New York organisent des repas de quartier, des
expositions et des spectacles et contribuent à la qualité de vie, particulièrement dans les
quartiers défavorisés. En France, le nombre de jardins partagés accroit annuellement : il
existe environ 100 en Île-de-France, 150 dans la région Rhône-Alpes et plus de 400 au niveau
national.100
Mais quel est le futur des « jardins-partagés » ? Avec les changements climatiques,
l’agrandissement des villes et la pollution causée par les transports, les terrains arables
deviennent plus rares, plus infertiles. Il est besoin donc, de produire plus à l’intérieur des
villes, et les petits jardins de quartier ne sont pas suffisants tandis que la surface au sol
coûte cher. La solution sont les fermes verticales. 101
Le manque d’espace et la dépendance économique vis-à-vis de ses voisins ont
obligé par exemple, Singapour de construire des fermes verticales. La première ferme
verticale commerciale de Singapour utilise la plus performante technologie pour pratiquer
une agriculture urbaine écologique. Ils cultivent et vendent dans les supermarchés locaux
des légumes verts comme du bak choi et des choux chinois avec une qualité de fraîcheur
supérieure et une empreinte carbone moins élevée que celles d’import. Ils utilisent
principalement l’eau de pluie collectée et recyclée donc la technologie aide à l’économie de
l’eau et de l’électricité.102
Les villes du futur tendent à devenir autarchiques en apportant l’agriculture sous
forme de micro-ferme, jardin partagé ou bien des fermes verticales à la ville et ainsi en
assurer la fraicheur de la nourriture. On voit donc que la ville du futur fait l’homme retourner
au travail de son jardin pour l’aider à valoriser ses talents natifs et pour l’aider à se retrouver
à l’abri des tentations du monde moderne.

Ce dernier chapitre s’est voulu être une analyse de la dernière utopie de Candide : le
jardin où les personnages se sentent à l’aise en valorisant leurs talents et trouvent le bonheur.

100
Laurence Baudelet, « Jardins collectifs : une histoire de partages », in Jardins de France, 2012, URL :
https://www.jardinsdefrance.org/jardins-collectifs-une-histoire-de-partages/, consulte le 23 mai 2019.
101
François Purseigle, Antoine Poupart, Pierre Compère, « La ferme verticale : image paroxystique de mondes
agricoles en mutation », in Laboratoire d’urbanisme agricole, Paris, 2013, URL : http://www.cms-
habiter.eu/SMS/Revue%20de%20projet%201/Recherches/Materiaux%20et%20environnement/Textes%20ref
erences/LUA%2020La%20ferme%20verticale%20_%20image%20paroxystique%20de%20mondes%20agric
oles%20en%20mutation.pdf, consulté le 20 mai 2019.
102
Tom Benner, « L’agriculture voit haut à Singapour », in Immoferme, no 38, p. 48, URL :
https://www.immorama.ch/app/uploads/2018/11/Immorama38_AgricultureASingapour.pdf, consulté le 23
mai 2019.

49
C’est un retour au Paradis terrestre rêvé par Candide. Dans ce chapitre on a vu aussi que le
thème du jardin prend de multiples formes dans Candide ou l’Optimisme : le parc du château
de Thunder-ten-tronckh, une forêt qui suggère la nature primitive des idées des personnages,
le jardin artificiel de l’Eldorado qui montre le caractère artificiel des mondes utopiques.
La ferme de Candide peut devenir idéale par le travail et le pragmatisme qui évite les
spéculations stériles. À la fin Candide prouve qu’il a trouvé sa propre philosophie. Si on le
rapporte à Candide, le terme de jardiner prend aussi le sens de maintenir, développer et
corriger ses qualités personnelles, de valoriser ses talents. Ces valeurs sont reprises
aujourd’hui par les jardins urbains qui ont pour rôle de fournir des produits frais à la
population et même d’assurer leur autonomie. Les formes agricoles varient de micro-ferme
à jardin partagé ou même à des fermes verticales. Ainsi, la ville fait l’homme retourner à ses
racines, à la vie simple, naturelle et pragmatique prônée par Voltaire.

50
CONCLUSION

Paradoxalement, le mot utopie, qui signifie selon son étymologie « sans lieu », fait
le lecteur s’imaginer une variété d’espaces, pour la plupart livresques. Les représentations
visuelles de ces espaces restent, dans nos souvenirs, aussi vivantes que les images des lieux
réels que nous avons vus.
Dans ce mémoire de licence je me suis donc proposé d’analyser les diverses valeurs
de l’espace utopique dans le procès de l’évolution de Candide vers la maturité philosophique.
Le premier chapitre a été divisé en quatre sous-chapitres, où j’ai analysé l’origine,
l’évolution et le développement du terme utopie depuis sa forme d’un nom propre qui
désignait le nom d’un pays imaginé par l’écrivain humaniste Thomas More jusqu’à son sens
moderne. Pour continuer, j’ai identifié les sources d’inspiration des utopies littéraires dans
la mythologie, la Bible et les grandes découvertes. Dans le deuxième sous-chapitre j’ai
entrepris une analyse des fonctions de l’utopie des Lumières et de ses formes pendant ce
siècle. Dans le troisième sous-chapitre j’ai identifié quelques traits communs des espaces
utopiques qu’on rencontre aussi chez Voltaire : le rejet des valeurs matérielles, l’isolement
par rapport à la société contemporaine du lecteur, la régularité juridique, le conservatisme et
la monotonie, le recours fréquent au collectivisme. Le trait le plus important de l’espace
utopique du XVIIIe siècle réside pourtant dans sa valeur de critique indirecte à l’adresse de
la société.
Le deuxième chapitre a été divisé en deux sous-chapitres, consacrés à deux espaces
dans Candide de Voltaire qu’on pourrait appeler, à premier abord, « utopiques » : le château
de Thunder-ten-tronckh, le Paradis terrestre perdu de Candide, et le pays de l’Eldorado, une
société opposée à celle de l’Europe occidentale du XVIIIe siècle. L’utopie du château de
Thunder-ten-tronckh représente l’espace rêvé de l’aristocratie et le langage utilisé pour
décrire le château et les personnages est satirique. La deuxième utopie analysée dans ce
chapitre e est celle de l’Eldorado, qui synthétise les idées utopiques de la société des
Lumières.
Le dernier chapitre est une analyse de la troisième « utopie » de Candide : la métairie
de Candide, un espace où les personnages trouvent le bonheur à l’aide d’un vieillard qui les
aide à trouver le sens réel de la vie. La valeur utopique de ce lieu résulte de la manière dont
il est décrit, comme un jardin où les hommes peuvent vivre en autarchie en valorisant leurs
talents. Pour Voltaire c’est l’espace réel qui devient utopique par le travail d’amélioration

51
de soi. Par son choix final, celui de « cultiver notre jardin » Candide fait l’épreuve de sa
maturité. Mais le jardin n’est pas seulement un thème littéraire, mais aussi un espace réel qui
assure la vie et qui, de nos jours, emprunte de plus en plus les valeurs des espaces utopiques
anciens pour modeler la vie urbaine contemporaine, sous la forme d’espaces verts retournés
à leur usage originel, celui de source naturelle et non polluante pour la nourriture. De nos
jours, l’espace rural est remplacé de plus en plus par celui urbain « écologisé » sous forme
de micro-ferme, jardin partagé ou même ferme verticale. Les utopies d’hier deviennent les
espaces réels de demain.

52
BIBLIOGRAPHIE

1. Bibliographie primaire

VOLTAIRE, Candide ou l’Optimisme, Genève, Éditions Cramer, 1759.

2. Bibliographie secondaire

2.1. Ouvrages critiques

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et des notes historiques, scientifiques, et littéraires. Par mm Auguis, Clogenson,
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CONDORCET, DE CARITAT, Jean-Antoine-Nicolas, Œuvres complètes de Voltaire.


Nouvelle édition avec notices, préface, variantes, table analytique... précédée de la
Vie de Voltaire, par Condorcet et d’autres études biographiques, Paris, Éditions
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Editura Tracus Arte, 2015.

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vie privée, Paris, Chez F. Buisson, Imprimeur-Libraire, 1797.

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URL : http://journals.openedition.org/cve/3605.

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***, Dictionnaire universel françois et latin : contenant la signification et la définition tant


des mots de l'une et de l'autre langue, avec leurs différens usages que des termes
propres de chaque état et de chaque profession, Paris, Compagnie des libraires
associés, 1752.

***, Encyclopédie Larousse, URL : https://www.larousse.fr/encyclopedie/

Académie française, Dictionnaire de L'Académie française, Paris, Edition Bernard Brunet,


1762.

Académie française, Dictionnaire de L'Académie française, Paris, Éditions J.J. Smits & Ce,
1798.

Académie française, Dictionnaire de L'Académie française, Paris, Edition Libraires éditeurs,


1835.

***, Collins Dictionary, HarperCollins Publishers, URL :


https://www.collinsdictionary.com/dictionary/german-english/berg

COTGRAVE, Randle, A Dictionarie of French and English Tongues, Printed by Adam Islip,
1611, London, URL : http://www.pbm.com/~lindahl/cotgrave/969small.html

VERSAILLE, André, Dictionnaire de la pensée de Voltaire, introduction de René Pomeau,


Bruxelles, Éditions Complexe, 1994.

56
ANNEXES

Figure 1 : Schéma de la prison panoptique de Jeremy Bentham ........................................ 58


Figure 2 : Intérieur d’une prison panoptique ...................................................................... 58
Figure 3: Plan d’un Phalanstère .......................................................................................... 59
Figure 4: Saline royale d’Arc-et-Senans ............................................................................ 59
Figure 5: Welwyn Garden City .......................................................................................... 60
Figure 6 : Letchworth Garden City..................................................................................... 60
Figure 7: Les trois magnets d’Ebenezer ............................................................................. 61
Figure 8 : La diagramme de la « Cité-Sociale » ................................................................. 61
Figure 9 : Jardin partagé ..................................................................................................... 62
Figure 10 : La ferme verticale de Singapore – Sky Green ................................................. 62

57
Annexe 1

Figure 1 : Schéma de la prison panoptique de Jeremy Bentham


(Source : https://www.lemonde.fr/culture/article/2014/06/05/prisons-du-panoptique-de-bentham-a-michel-foucault_4432900_3246.html)

Figure 2 : Intérieur d’une prison panoptique


(Source : http://compagniepanoptique.com/wp-content/uploads/2014/10/panoptique21.jpg)

58
Annexe 2

Figure 3: Plan d’un Phalanstère


(Source : http://www.charlesfourier.fr/IMG/jpg/decouverte_phalanstere_ill_copie_640x358.jpg?1354895891)

Figure 4: Saline royale d’Arc-et-Senans


(Source : https://img.aws.la-croix.com/2018/08/07/1200960316/Vue-aerienne-saline-royale-dArc-Senans-concue-Claude-
Nicolas-Ledoux-demande-Louis-XV_1_728_484.jpg)

59
Annexe 3

Figure 5: Welwyn Garden City


(Source: http://stock.jasonhawkes.com/media/e71f7ac6-3248-11e1-9ae8-7fc90608835e-houses-welwyn-
garden-city-hertfordshire)

Figure 6 : Letchworth Garden City

(Source: http://urbanrambles.org/walks/uk/england/east-of-england/letchworth-garden-city-184)

60
Annexe 4

Figure 7: Les trois magnets d'Ebenezer


(Source : https://journals.openedition.org/cve/3605)

Figure 8 : La diagramme de la « Cité-Sociale »


(Source : https://journals.openedition.org/cve/3605)

61
Annexe 5

Figure 9 : Jardin partagé


(Source : https://www.tendanceouest.com/actualite-141239-un-nouveau-jardin-partage-a-rouen.html)

Figure 10 : La ferme verticale de Singapore – Sky Green


(Source : https://www.latribune.fr/blogs/signaux-faibles/20140428trib000827281/la-ferme-verticale.html)

62

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