Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
www.mediapart.fr
1
1/3
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
2
où sont majoritairement logées les classes populaires. prendre cette ville, elle est trop défendue. Et ils ne la
Au pied d’un de ces grands ensembles que borde bombarderont pas comme Marioupol, sinon Biden va
l’avenue des Héros de Stalingrad, Anatoly, 69 ans, arriver… euh, enfin, nous l’espérons. »
ancien chauffeur routier, fait calmement le point avec Trois amies, retraitées elles aussi, quittent un autre
un ami en se chauffant au soleil. banc pour leurs appartements. La sirène d’alerte
« Tout ira bien. Nous résistons, nous sommes unis, aérienne s’est arrêtée mais la crainte est là. Pour l’une
ensemble, Poutine est seul. Je crois qu’il veut refaire d’elles, c’est la première sortie depuis le 24 février,
l’URSS, mais personne ne veut de ça, c’est stupide. Je premier jour de la guerre. « C’est un cauchemar,
n’étais pas fan de Zelensky, je trouve maintenant que pourquoi cette guerre ? Qui aurait pu imaginer
c’est le meilleur président qu’on ait eu. Je n’aime pas cela ? », dit-elle en pressant le pas.
trop les autres mais lui, oui », liste-t-il. Dans ces cités populaires, beaucoup de jeunes couples
ou de familles avec enfants ont quitté la ville
pour l’ouest du pays, plus sûr, ou pour l’étranger.
Dimanche, les Nations unies ont estimé que 10
millions d’Ukrainiens (sur 44 millions) ont quitté leur
logement (des « déplacés », selon la terminologie),
dont 3,5 millions qui ont fui à l’étranger. Kyiv (3,7
millions d’habitants) s’est vidé de plus de la moitié de
sa population.
Anatoly, 69 ans : "Je vis depuis 40 ans ici,
pourquoi partir ?" © Hervé Lequeux (Hans Lucas)
Anatoly, à la différence de beaucoup d’habitants
âgés du quartier, s’efforce de sortir tous les jours
à 11heures. « Vivre ici, ça va, assure-t-il. Il y a
l’eau, l’électricité, le chauffage, des magasins avec
des produits et du pain. Et après la guerre, ce sera
encore mieux, l’Europe nous aidera, on reconstruira
tout cela de nos mains. »
Lyudmyla : "Les jeunes sont plus mobiles. Nous,
« Bon, pour l’instant l’Europe parle beaucoup, nous toute notre vie est là." © Hervé Lequeux (Hans Lucas)
livre quelques armes, mais il en faut plus, beaucoup Dans les quartiers d’Obolon, les personnes âgées sont
plus », ajoute-t-il. « Dites-le : l’armée ukrainienne est ainsi surreprésentées. Parce qu’elles ne veulent pas
le bouclier de l’Europe. Si elle lâche, ce sera ensuite partir ou ne le peuvent pas. « Je vis là, au quinzième
la Pologne, les pays Baltes, la Moldavie et peut-être étage, depuis 40ans. C’est ma maison. Ma fille vit en
vous ! », promet-il, en prenant soin de dire en français Israël, elle m’appelle, me dit de venir, insiste, mais
« peut-être vous », un vieux reste de l’apprentissage qu’est-ce que je vais aller faire là-bas ? », dit Anatoly.
de la langue à l’école.
Quelques bancs plus loin, c’est Lyudmyla et son amie
Anatoly a renoncé à se rendre dans les abris, aménagés qui expliquent la même chose : « Partir? Pourquoi, et
dans les caves des immeubles. Comme une voisine, pour aller où ? Nous, nous sommes trop vieilles, toute
âgée elle-aussi, qui prend le soleil sur un banc tout notre vie est là. Les jeunes sont plus mobiles. Et cette
proche. « On a peur, bien sûr, mais il arrivera ce guerre va s’arrêter. C’est un tel non-sens, ça ne peut
qui doit arriver », dit-elle seulement. De toute façon, pas continuer », dit la première.
Anatoly n’y croit pas. « Les Russes ne peuvent pas
2/3
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
3
Au septième étage d’un immeuble tout proche, c’est qui ont détruit cette ville. Donc, je connais la guerre.
Lyda qui dit vouloir rester chez elle. « Ma fille vit en Oui, c’est une horreur, mais je ne partirai pas, je ne
France, au Plessis-Robinson, elle a trois enfants, a fait peux pas de toute façon », explique-t-il.
sa vie là-bas. Elle m’appelle, me soutient, me dit de
Dans les immeubles, beaucoup de personnes âgées
partir en Pologne. Mais je ne veux pas, j’ai 80ans »,
malades, isolées, pauvres demeurent cloîtrées chez
explique-t-elle.
elle. Ce dimanche matin, Edward et Andrey, qui
habitent la cité et sont « volontaires » dans un
centre d’entraide de l’arrondissement, livrent des colis
alimentaires à domicile. « Thé, lait, pâtes, semoule,
boîtes de légumes, gâteaux, biscottes, détaille Andrey.
Cela aide les gens qui ont peur de descendre au
magasin ou ont des difficultés à se déplacer. »
Les portes s’entrouvrent. Une femme très âgée
Lyda, 80 ans : "Ma fille vit en France et me dit de partir en sanglote. « Ne vous inquiétez pas, tout ira bien.
Pologne. Je ne veux pas." © Hervé Lequeux (Hans Lucas)
Mangez, mangez surtout, et essayer de sortir », veut la
Devant l’entrée d’une cage d’escalier, German, 93 ans, rassurer Andrey. Autre étage et là, les remerciements.
prend l’air assis sur un accoudoir de fauteuil fatigué. « Bravo les gars, vous êtes formidables, merci, merci!
« J’ai été officier soviétique en Angola dans les années », dit une dame. La solidarité se construit ainsi cité par
1970. Mon père a fait la guerre contre les Allemands cité. Dans une ville qui est chaque jour un peu plus
plongée dans la guerre.
Directeur de la publication : Edwy Plenel Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris
Direction éditoriale : Carine Fouteau et Stéphane Alliès Courriel : contact@mediapart.fr
Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08
Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90
Capital social : 24 864,88€. Propriétaire, éditeur, imprimeur : la Société Editrice de Mediapart, Société par actions
Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des simplifiée au capital de 24 864,88€, immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS,
publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. dont le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012 Paris.
Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart
(Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, François Vitrani. Actionnaires directs peut être contacté par courriel à l’adresse : serviceabonnement@mediapart.fr. ou par courrier
et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, Marie- à l'adresse : Service abonnés Mediapart, 4, rue Saint Hilaire 86000 Poitiers. Vous pouvez
Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, Société des également adresser vos courriers à Société Editrice de Mediapart, 8 passage Brulon, 75012
Amis de Mediapart, Société des salariés de Mediapart. Paris.
3/3