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Aisha Kandisha
Aisha Kandisha
« Je rentrais hier chez moi, après avoir dîné chez les Aït Oumlil…
Le soleil venait de se coucher, nous étions exténués par une rude
et longue journée d’abattage des blés ; nous avions rentré le foin
et je devais repartir seul car je devais ramener le mulet et aider à
la moisson qui n’était pas toujours terminée chez nous. On me
retint, bien sûr, et j’aurais dû écouter le père Aït Oumlil qui me
demanda de dormir chez lui et de l’accompagner le lendemain,
puisqu’il devait à son tour venir nous aider. Je n’avais écouté que
ma raison, ne désirant trop m’attarder chez mes hôtes ; j’avais
donc harnaché mon pauvre mulet, encore plus fatigué que moi, et
j’entrepris de traverser la forêt des Ida- ou- Kazzou ; la nuit venait
de tomber mais je ne craignais rien ; mon mulet suivait docilement
le chemin, je n’avais même pas à le guider ni à le contraindre à
aller plus vite, on aurait dit qu’il était plus pressé que moi de
retrouver sa paille, son étable et de se reposer avant une autre
laborieuse journée…
Je repris peu à peu mon calme et lorsque je réalisai que tout était
vraiment fini je me suis finalement relevé ; je regardai les arbres
immobiles et muets qui avaient assisté à l’étrange scène, la lune
et les étoiles qui continuaient de scintiller, comme d’habitude,
comme si rien d’extraordinaire ne s’était passé ; puis je me
rappelai d’où je venais, où j’allais, et je pensai à mon mulet. Il
s’était éloigné à une petite distance et s’était mis derrière le tronc
abattu d’un arganier, comme pour se protéger en se cachant là.
Bien des jours après cet événement Moh ne sortait plus de chez
lui ; il ne travaillait plus, non par paresse ou maladie, mais sa
famille désirait le préserver des grands efforts ; ils voulaient lui
laisser tout le temps nécessaire pour qu’il se remette de sa terrible
expérience ; en effet, il ne parlait guère, ou rarement, pour dire
seulement qu’il allait bien, qu’il ne fallait surtout pas le déranger
ni plus jamais lui reparler de son étrange nuit.
Abdelilah Alilou