Vous êtes sur la page 1sur 13

i i

“doc” (Col. : Wasmer) — 2014/8/25 — 13:30 — page 309 — #325


i i

Chapitre 15
L’équilibre général

ans ce chapitre, nous prolongeons le chapitre sur l’équilibre partiel en introduisant


D l’équilibre général, c’est-à-dire lorsque plusieurs marchés sont en équilibre et que
l’économie est fermée, pour reprendre la définition donnée par l’ouvrage de référence
de Mas-Colell, Whinston et Green1 . Au cœur de cet équilibre général se trouve la
notion de marchés interdépendants. En effet, l’équilibre sur un marché donné dépend de
l’équilibre sur les autres marchés et vice-versa. Imaginons que l’on s’intéresse à l’équilibre
sur le marché particulier, comme l’exemple du poisson, dont la production et le prix
d’équilibre sont codéterminés par l’offre et la demande. Cet équilibre dépend, comme
nous l’avons étudié, à la fois de la courbe d’offre et des coûts marginaux croissants
(temps supplémentaire de sortie en mer, conditions climatiques qui se détériorent) et de
la demande, c’est-à-dire de la façon dont les consommateurs décident de consommer en
fonction du prix. Mais cet équilibre peut être lié, parfois de façon très étroite, à ce qui se
passe sur d’autres marchés.

Si par exemple le cours de la viande augmente du fait d’une épidémie ou de difficultés


d’approvisionnement, du fait d’une augmentation du cours des céréales, ou encore de
plus stricts contrôles sanitaires, alors il est vraisemblable que la demande de poisson
augmentera en raison d’un report des consommateurs ; ce sont des notions que nous
avions déjà vues lors de la discussion de la substituabilité et de la complémentarité à la
section 5.3. Nous allons donc devoir comprendre les interdépendances et développer des
outils d’analyse permettant de les représenter de façon pédagogique. Nous commencerons
par l’analyse de la boîte d’Edgeworth, qui représente une économie d’échange à deux
marchés ; puis nous généraliserons cette économie à la production ; nous évaluerons
les conséquences normatives et notamment l’analyse du bien-être dérivée de la théorie
de l’équilibre général ; enfin, nous réexaminerons ces résultats en présence d’incertain
et introduirons les marchés de biens contingents. Cela nous amènera à conclure que,
dans les cas les plus plausibles, le fonctionnement des économies ne conduit pas à la
Pareto-efficacité, notamment dès lors que l’incertitude est suffisamment présente par
rapport au nombre de marchés disponibles pour échanger.

1. Andreu Mas-Colell, Michael D. Whinston et Jerry R. Green, Microeconomic Theory, Oxford University Press,
1995.

© 2014 Pearson France – Principes de Microéconomie, 2e – Etienne Wasmer


i i

i i
i i
“doc” (Col. : Wasmer) — 2014/8/25 — 13:30 — page 310 — #326
i i

310 Partie 3 – La concurrence pure et parfaite : offre et équilibre

15.1 Exemples graphiques d’interdépendance


entre deux marchés
Commençons par l’exemple de l’introduction avec deux biens substituables. Rappelons
que deux biens sont substituables, par définition, si un prix plus élevé d’un des deux biens
augmente la demande de l’autre bien.

Dans le cadre de l’analyse d’un équilibre général, les changements intervenus sur un
marché affectent les conditions de vente sur un autre marché. On parle d’interaction
entre des marchés lorsque la variation du prix ou de la quantité d’un bien provoque
simultanément une variation du prix ou de la quantité d’un autre bien. Une analyse en
équilibre général détermine donc les prix et quantités de tous les marchés simultanément.
Prenons l’exemple de l’interaction entre le poisson et la viande, biens substituables dont
les courbes d’offre et de demande sont représentées sur la figure 15.1.

Figure 15.1 – Offre et demande sur le marché du poisson

Interaction entre deux marchés :


biens substituables
Viande Poisson
P P

O
O

O
p3 p5
p2 p4
p1 D D

D D

q2 q1 q3 Q q4 q5 Q

Imaginons qu’à la suite d’une épidémie, la France décide de restreindre l’importation de


viande sur son territoire. Ce choix va tout d’abord créer une diminution de l’offre agrégée
de viande : la courbe d’offre O se déplaçant vers la gauche en O’. À demande inchangée,
cela entraînera donc une baisse de la quantité vendue de q1 à q2 et une hausse du prix de
la viande de p1 à p2 .

Ensuite, l’accroissement du prix de la viande peut conduire les consommateurs à reporter


leur achat sur un bien substituable, tel que le poisson, pour ainsi économiser sur leurs
dépenses. Il faut donc également considérer ce marché du poisson. Les conséquences de
l’épidémie sont de déplacer, sur le graphique de droite, la demande de D en D’, vers la
droite. Le prix du poisson est par conséquent aussi en augmentation, de p4 à p5 , ainsi que
l’offre qui passe de q4 à q5 .

Mais, contrairement à l’analyse de la section 5.3, les conséquences de l’épidémie ne


s’interrompent pas à ce stade. En effet, puisque le prix du poisson augmente, la courbe de
la demande de viande doit elle aussi réagir en réponse à ce qui se produit sur le marché

© 2014 Pearson France – Principes de Microéconomie, 2e – Etienne Wasmer


i i

i i
i i
“doc” (Col. : Wasmer) — 2014/8/25 — 13:30 — page 311 — #327
i i

Chapitre 15 – L’équilibre général 311

du poisson. La hausse du prix du poisson provoque une hausse de la demande de viande


de D en D’ sur le graphique de gauche de la figure 15.1. Cela prolonge la hausse du prix
de vente de la viande, qui passe de p2 à p3 , et accentue encore plus les conséquences des
restrictions sur les importations. Les interactions se poursuivent ainsi jusqu’à atteindre
un nouvel équilibre en q3 , qui peut théoriquement être plus élevé ou plus faible que q1 , et
ce en fonction de l’importance de la hausse de prix du poisson.

Précisons que l’analyse en équilibre général intègre théoriquement l’effet des changements
au sein d’un marché sur tous les autres marchés et pas sur un seul autre marché
(voir l’encadré en fin de section). En pratique, on se limite à l’étude de deux ou trois
marchés, mais notons que l’on aurait tout aussi bien pu intégrer à l’analyse des effets des
changements dans l’importation de la viande sur le marché de la restauration rapide, des
steak houses et de la production agricole ovine.

On peut réitérer l’analyse précédente pour deux biens cette fois-ci complémentaires,
comme le poisson et le vin blanc, si l’on part du principe qu’un plat à base de poisson
s’accompagne volontiers d’un côtes-de-beaune ou d’un arbois. Considérons maintenant
un renchérissement du prix du gasoil qui augmente les coûts liés à la pêche. Cela est
illustré sur la figure 15.2, partie gauche, où la courbe d’offre passe de O à O’. L’effet direct
en est la baisse de l’offre générale de poisson, augmentant son prix de p1 à p2 et diminuant
sa quantité d’équilibre de q1 à q2 .

Cette fois-ci, la hausse du prix de vente du poisson a un effet négatif sur la quantité de
vin blanc vendue : la courbe de demande sur ce marché se déplace vers la gauche de D à
D’. Par conséquent, prix et quantité de vin à l’équilibre diminuent de p4 à p5 et de q4 à q5
respectivement.

En retour, cela provoque à nouveau un effet sur le marché du poisson et, en particulier, une
diminution de la demande de poisson, de D à D’ sur la partie de gauche de la figure 15.2.
L’interaction entre les marchés du poisson et du vin blanc entraîne ainsi une dynamique

Figure 15.2 – Offre et demande sur le marché du poisson

Interaction entre deux marchés :


biens complémentaires

Poisson Vin blanc


P P

O O

O
p2 p4
p3 p5
p1
D

D D
D
q3 q2 q1 Q q4 q5 Q

© 2014 Pearson France – Principes de Microéconomie, 2e – Etienne Wasmer


i i

i i
i i
“doc” (Col. : Wasmer) — 2014/8/25 — 13:30 — page 312 — #328
i i

312 Partie 3 – La concurrence pure et parfaite : offre et équilibre

de baisse de la quantité de poisson vendue, accentuant la baisse initiale. Une analyse


en équilibre partiel surestimerait l’effet d’une nouvelle taxe sur le prix. Dans l’exemple
précédent avec un bien substituable, c’était l’inverse : l’effet aurait été sous-estimé en
équilibre partiel par rapport à l’équilibre général.

On peut dès à présent noter que le résultat obtenu en équilibre général est très différent de
celui auquel on aurait abouti en équilibre partiel. Au lieu de regarder l’offre et la demande
d’un seul bien, les prix et quantités d’équilibre général s’obtiennent en considérant
simultanément les prix et quantités des autres biens. En d’autres termes, le niveau d’offre
et de demande de chaque bien tient compte de celui de tous les autres biens. On voit dès
maintenant que, pour N marchés, il nous faudra résoudre un système à 2N équations,
une par offre et demande agrégée pour chaque marché.

Un exemple d’interdépendance : les aides au logement

Au chapitre précédent, nous avions vu l’effet des aides au logement dont l’impact
inflationniste sur les loyers a été établi par plusieurs études en France, celle de Gabrielle
Fack (« Are Housing Benefit an Effective Way to Redistribute Income? Evidence from a
Natural Experiment in France », Labour Economics, Elsevier, vol. 13, n˚ 6, p. 747-771,
décembre 2006) et plus récemment celle de Céline Grislain-Letrémy et Corentin
Trevien (« The Impact of Housing Subsidies on Rental Sector », présentation au
séminaire du département d’économie de Sciences Po, 4 avril 2014). Cet effet est
certainement la conséquence d’une offre peu élastique de logements locatifs et d’une
subvention à la demande dans un cadre d’équilibre partiel. Mais il existe aussi des
effets d’équilibre général.

En effet, l’augmentation de la demande de logement sur le marché locatif a au moins


deux effets. D’une part, en favorisant le marché locatif, celle-ci diminue la demande
de logement à l’achat-vente et conduit donc à diminuer le prix de vente sur le marché
immobilier. Pour nuancer ce premier effet, il faut cependant savoir que les aides au
logement sont aussi disponibles pour les propriétaires dits accédants, qui peuvent
financer une partie de leur emprunt immobilier par l’aide au logement. Rares sont
cependant les ménages acquéreurs qui y sont aussi éligibles. Toujours est-il que la
baisse du prix de l’immobilier impliquée par les aides au logement contribue à réduire
légèrement la demande de marché locatif.

D’autre part, il se peut que, dans les municipalités où les loyers augmentent, la
demande de logement social s’accroisse fortement. C’est notamment le cas en région
parisienne, où les délais d’obtention d’un logement social sont notoirement très élevés
(voir Alain Trannoy et Étienne Wasmer, « La politique du logement locatif », note
n˚ 10 du CAE, octobre 2013). Dans certaines municipalités, cela conduit à augmenter
l’offre de logement social, ce qui réduit d’autant la demande sur le marché locatif privé
et atténue l’effet initial de hausse des loyers dans le parc privé. Cela étant, il est assez
vraisemblable que l’augmentation de l’offre du secteur social se fasse au détriment de
l’offre du secteur privé, à la location et à la vente, avec des effets potentiels d’éviction

© 2014 Pearson France – Principes de Microéconomie, 2e – Etienne Wasmer


i i

i i
i i
“doc” (Col. : Wasmer) — 2014/8/25 — 13:30 — page 313 — #329
i i

Chapitre 15 – L’équilibre général 313

assez importants (voir sur ce point le mémoire de master et la thèse de doctorat de


Guillaume Chapelle, 2013, LIEPP et département d’économie de Sciences Po). Dans
ce cas, les courbes d’offre sur ces deux marchés se déplacent vers la gauche, ce qui
contribue à la hausse des prix à l’achat et renforce la hausse des loyers. Les élus locaux
qui luttent contre les loyers élevés en construisant du parc social ne doivent donc pas
le faire sur le parc privé, mais sur de nouveaux terrains qui n’auraient pas été mobilisés
par le parc privé.

15.2 L’échange en équilibre général :


la boîte d’Edgeworth
La théorie de l’équilibre général peut être exposée plus formellement de deux façons
différentes. La première est celle d’une économie d’échange à n agents et p biens distincts,
sans que la production ne soit modélisée. Il en existe une représentation graphique
avec deux biens et deux agents connue sous le nom de boîte d’Edgeworth1 . Dans cette
économie, les allocations initiales des p biens et des n agents sont échangées à un système
de prix de marché tel que la demande excédentaire de chaque bien est nulle.

L’avantage de l’échange
Commençons par un modèle en économie fermée sans production. La boîte d’Edgeworth
permet de représenter de manière compacte les paniers de biens des deux agents en un
seul graphique. Prenons l’exemple d’un couple qui prend son petit déjeuner et regarde ce
qui est disponible, en l’occurrence des croissants et des tranches de pain d’épice. Sur la
figure 15.3, l’axe horizontal représente le nombre d’unités de croissants, et l’axe vertical
celui des pains d’épice pour Agnès et Bertrand. Chaque point sur cette figure indique à la
fois le panier de biens de Bertrand et d’Agnès, c’est-à-dire la quantité de croissants et de
pains d’épice que chacun des deux agents possède.

Chacun a une quantité de départ de chaque bien. Le point I correspond aux dotations
initiales de Bertrand et d’Agnès. La somme de leurs deux dotations initiales correspond
à la quantité totale de croissants et de pains d’épice. Ici, le panier de biens initial d’Agnès
est (7C, 1P), ce qui signifie 7 croissants et 1 pain d’épice ; celui de Bertrand est (3C, 5P),
soit 3 croissants et 5 pains d’épice. Au total, cette économie, considérée en autarcie, est
composée de 10 croissants et de 6 pains d’épice.

Il est possible qu’Agnès préfère le pain d’épice relativement aux croissants, tandis que
Bertrand aime mieux les croissants que le pain d’épice. On retrouve ici le concept de taux
marginal de substitution, que nous introduirons formellement plus tard. Compte tenu de
leurs préférences, un échange peut avoir lieu entre eux, représenté par le point F. Agnès
échange 1 pain d’épice contre 2 croissants, et Bertrand 2 croissants contre 1 pain d’épice.
On peut constater que la quantité totale des deux biens n’a pas changé.

1. Du nom de Francis Ysidro Edgeworth (1845-1926), économiste et avocat irlandais.

© 2014 Pearson France – Principes de Microéconomie, 2e – Etienne Wasmer


i i

i i
i i
“doc” (Col. : Wasmer) — 2014/8/25 — 13:30 — page 314 — #330
i i

314 Partie 3 – La concurrence pure et parfaite : offre et équilibre

Plus formellement, si l’on note e A (e1A ; e1A ) et e B (e2B ; e2B ) les dotations initiales des deux
agents où l’exposant est le type de bien (1 ou 2) et l’indice est la lettre représentant l’agent,
U A , U B leur fonction d’utilité et x A (x 1A ; x 2A ) , x B (x B1 ; x B2 ) leur panier de biens final après
échange, un échange se produit si :

• x iA + x iB = eiA + eiB pour i = 1,2 : la nouvelle allocation est possible puisque les quantités
totales finales sont égales aux quantités initiales ;
• ∀K = A, B, U K (x K )  U K (e K ) : la nouvelle allocation est souhaitable pour chacun des
agents, c’est-à-dire si l’utilité procurée par la nouvelle allocation est supérieure à celle
produite par l’allocation initiale pour chacun des agents.

Graphiquement, les allocations intiales d’Agnès et de Bertrand conduisent à un échange


si le point de l’échange se situe à l’intérieur du rectangle de la figure 15.3 et si tous deux
trouvent l’échange mutuellement avantageux, ce qui va se représenter à partir de courbes
d’indifférence. On retrouve ici l’idée de Pareto-amélioration de l’équilibre partiel lors
d’un échange, mais cette fois-ci appliquée à deux biens et à deux agents.

Figure 15.3 – L’échange dans la boîte d’Edgeworth

Bertrand - Croissants
10C 5C 3C 0B
6P

Bertrand -
Agnès - Pain d’épice
Pain d’épice

F
2P 4P

1P 5P
I : dotations
initiales
6P
0A
5C 7C 10C
Agnès - Croissants
Dotations initiales : Agnès (7C ; 1P), Bertrand (3C ; 1P).
Quantités totales : 10C, 6P.
Après échange : Agnès (5C ; 2P), Bertrand (5C ; 2P.)

Allocations efficientes
Comment savoir si la nouvelle allocation atteinte au terme de l’échange est la meilleure
possible ? Comme nous l’avions fait pour la théorie du consommateur, on peut tracer les
courbes d’indifférence des deux agents comme l’illustre la figure 15.4, de forme convexe
en partant de l’origine pour chacun d’entre eux. Comme précédemment, l’échange n’a
lieu que si les deux agents augmentent leur utilité.

On peut visualiser ceci à partir du point I, qui est le point de dotations initiales. Sur
la figure, on a tracé les courbes d’indifférence d’Agnès notées U Aj pour j = 1, 2, 3 :
l’exposant j représente ici des niveaux d’utilité différents. Ces courbes sont telles que, à

© 2014 Pearson France – Principes de Microéconomie, 2e – Etienne Wasmer


i i

i i
i i
“doc” (Col. : Wasmer) — 2014/8/25 — 13:30 — page 315 — #331
i i

Chapitre 15 – L’équilibre général 315

Figure 15.4 – Efficience de l’échange

Bertrand - Croissants
10C 0B
6P

UB1

Agnès - UB2 C Bertrand -


G
Pain d’épice Pain d’épice
UB3
F

E B UA3

D
UA2
UA1
Points de tangence : I : dotations
pentes égales initiales
6P
0A
10C
Agnès - Croissants

partir de la courbe notée U A1 passant par le point de dotations initiales I, elles se décalent
vers le haut et donc traduisent une utilité plus élevée s’éloignant du point d’origine 0 A
(courbe en couleur). On a aussi tracé les courbes d’indifférence de Bertrand notées U Bj
pour j = 1, 2, 3 qui, à partir de celle notée U B1 qui passe par le point de dotations initiales
I, se décalent en s’éloignant du point d’origine de Bertrand 0 B et traduisent une utilité
s’accroissant en se dirigeant vers le bas.

On peut en déduire que, pour qu’un échange ait lieu, il faut qu’il se trouve dans la zone
ombrée : c’est celle qui représente l’intersection entre des surfaces où l’utilité d’Agnès et
celle de Bertrand sont toutes deux plus élevées. Ces surfaces sont définies par la courbe
d’indifférence qui passe par I pour Agnès (donc, tout point se situant en haut et à droite
de cette courbe traduit une utilité plus élevée pour Agnès) et par la courbe d’indifférence
qui passe par I pour Bertrand (donc, tout point se situant en bas et à gauche de cette
courbe traduit une utilité plus élevée pour Bertrand). La zone ombrée est l’intersection
de ces deux surfaces.

En effet, si une nouvelle allocation se produit au point D, par exemple, elle augmente à
la fois la quantité de croissants et de pains d’épice obtenue par Agnès, ce qui accroît son
utilité. En revanche, pour Bertrand, ce point se trouverait sur une courbe d’indifférence
plus proche de l’origine et réduirait donc son utilité ; par conséquent, ce dernier refuserait
l’échange. En revanche, aux points C ou B par exemple, l’échange est réalisable. Comme
on va le voir, il est possible de faire mieux pour les deux agents.

Pour cela, on peut remarquer que les courbes d’indifférence ont été tracées de façon à faire
apparaître des points de tangence entre les courbes d’indifférence des deux personnes. Cela
correspond aux points E, F et G. Comme on l’avait vu dans le cadre de la consommation
optimale, les points de tangence ont des propriétés particulières. Ils reflètent une situation
optimale. En suivant un raisonnement semblable à celui développé dans le chapitre sur la
théorie du consommateur, on peut montrer que l’échange est Pareto-efficient précisément
en ces points de tangence, lorsque les courbes d’indifférence correspondantes des deux

© 2014 Pearson France – Principes de Microéconomie, 2e – Etienne Wasmer


i i

i i
i i
“doc” (Col. : Wasmer) — 2014/8/25 — 13:30 — page 316 — #332
i i

316 Partie 3 – La concurrence pure et parfaite : offre et équilibre

agents ont une pente égale. En ces points, le taux marginal de substitution (TMS) des
deux agents est identique, et chacun valorise de la même manière un bien relativement à
un autre. On peut voir graphiquement qu’aucun des deux agents ne peut plus augmenter
son bien-être sans réduire celui de l’autre ; aucun autre échange ne peut plus avoir lieu.

L’équilibre atteint n’est toutefois pas unique. Plusieurs allocations Pareto-optimales sont
possibles ; elles dépendent des dotations initiales et des multiples échanges réalisés entre
les agents. L’ensemble des allocations efficientes est appelé courbe des contrats, comme
on peut le voir sur la figure 15.5, qui décrit l’ensemble des points de tangence entre les
courbes d’indifférence des deux agents. Ces points de tangence se situent sur une ligne
qui peut être concave ou convexe.

Figure 15.5 – Courbe des contrats

Bertrand - Croissants
10C 0B
6P

Courbe
de contrats
Agnès - G Bertrand -
Pain d’épice Pain d’épice
F

6P
0A
10C
Agnès - Croissants

Une autre propriété très importante de ces échanges particuliers est qu’ils ne conduisent
pas à un même partage du surplus d’utilité issu de l’échange. Par exemple, pour l’échange
représenté par le point E, la courbe d’indifférence de Bertrand passe par celle de l’allocation
initiale I : il maintient donc son même niveau d’utilité que lors de l’allocation initiale,
et c’est Agnès qui retire tout le surplus de l’échange. L’inverse se produit au point G :
Agnès a le même niveau d’utilité qu’au point initial I, et c’est l’utilité de Bertrand qui
a le plus progressé. C’est alors lui qui retire tout le surplus de l’échange. Entre ces deux
points extrêmes, chaque point sur la ligne de contrat représente un partage du surplus
qui correspond à un pourcentage (de 0 % à 100 % pour Agnès, de 100 % à 0 % pour
Bertrand, lorsqu’on passe de E à G).

L’équilibre concurrentiel de l’échange


On peut maintenant se poser la question de l’échange qui sera effectivement réalisé. On
va donc supposer qu’existe un système de prix donné, indépendant des agents. On peut
voir cela comme un système dans lequel un commissaire-priseur fixe un prix pour chaque
objet, et les consommateurs se prononcent sur la quantité de chaque bien qu’ils veulent

© 2014 Pearson France – Principes de Microéconomie, 2e – Etienne Wasmer


i i

i i
i i
“doc” (Col. : Wasmer) — 2014/8/25 — 13:30 — page 317 — #333
i i

Chapitre 15 – L’équilibre général 317

échanger. Le but de l’échange reste pour chaque agent de maximiser son utilité, compte
tenu du prix relatif des biens échangés et de sa dotation initiale.

L’analyse en équilibre concurrentiel est représentée sur la figure 15.6. La différence


par rapport aux graphiques précédents est qu’on a introduit une droite de budget
correspondant à ce que les deux personnes peuvent consommer sachant leurs dotations
initiales et le système de prix. L’intérêt de la représentation d’Edgeworth est que chacune
des droites de budget des deux agents, bien que distinctes, se représente par une même
droite sur ce graphique, en raison de leur pente identique.

On sait qu’Agnès va choisir un point de consommation qui se situe sur la contrainte


de budget, en un point de tangence entre sa droite de budget et une de ses courbes
d’indifférence. Il en va de même pour Bertrand. Puisque la droite de budget est confondue,
ce point de tangence est celui où les pentes de chaque courbe d’indifférence sont
identiques. L’échange est donc le lieu d’un triple point de tangence : entre les deux
courbes d’indifférence entre elles, et entre chacune des deux courbes d’indifférence et la
droite de budget.

Dans l’exemple suivant, le prix relatif des croissants et des pains d’épice est fixé à 1, ce
qui se lit sur le graphique par une pente de la droite de prix égale à −1. Cela signifie
qu’un croissant a la même valeur qu’un pain d’épice. Toute nouvelle allocation ne peut
donc se réaliser que si un croissant est échangé pour un pain d’épice. Si I correspond aux
dotations initiales, Agnès et Bertrand possèdent initialement des dotations de (7C, 1P)
et (3C, 5P). Si l’on considère les points entre les deux courbes d’indifférence en I pour
Agnès et Bertrand, seuls les points à l’intérieur sont de possibles allocations d’échange. Le
point B est en dehors de l’espace des échanges possibles.

En C, qui appartient à l’espace des possibles, en échange de 1 croissant, Agnès obtient


2 pains d’épice, mais cela est en contradiction avec le prix fixé. La quantité de pains d’épice
demandée par Agnès est supérieure à ce qu’elle offre en échange. Au prix fixé, Bertrand
refusera ainsi de donner 2 pains d’épice pour obtenir 1 seul croissant. En revanche, au
point F, 2 pains d’épice sont échangés contre 2 croissants, et chaque consommateur obtient
un panier de (5C, 3P). À partir de cet exemple on conclut que :

• pour une allocation efficiente à l’équilibre, le ratio des prix est égal à la tangente des
deux courbes d’indifférence : TMS A = PCroissants /PPains d’épice = TMS B ;
• pour les allocations possibles qui ne sont pas le point F, le marché est en déséquilibre
car l’offre et la demande sur un marché ne correspondent pas. On dit qu’il existe
une demande excédentaire sur un marché lorsque la quantité demandée d’un bien est
supérieure à son offre. Si cette quantité est négative, il s’agit d’une offre excédentaire. La
demande excédentaire est donc en fait la demande excédentaire nette. Dans l’exemple
précédent, au point C, le prix relatif du pain d’épice est plus faible que le prix d’équilibre,
et la quantité totale de pains d’épice demandée par le marché (ici par Agnès) est
supérieure à celle que le marché (ici Bertrand) est prêt à lui consentir : il existe une
demande excédentaire de pains d’épice ;
• à l’équilibre, la demande et l’offre excédentaires de chaque bien sont nulles, l’excédent
de demande est résorbé.

© 2014 Pearson France – Principes de Microéconomie, 2e – Etienne Wasmer


i i

i i
i i
“doc” (Col. : Wasmer) — 2014/8/25 — 13:30 — page 318 — #334
i i

318 Partie 3 – La concurrence pure et parfaite : offre et équilibre

La loi de Walras formalise cette relation. Elle énonce que la somme des demandes
excédentaires des biens multipliée par leur prix est nulle. C’est un résultat qui porte
sur les contraintes de budget des agents et qui est vérifié si les agents épuisent leur budget
au prix considéré, qui n’est pas forcément un prix d’équilibre.

Le corollaire, qui est en fait le résultat le plus important, est que sur un marché à N biens,
si N − 1 marchés sont à l’équilibre, le dernier l’est nécessairement en raison de cette
égalité. Il s’agit donc d’un résultat important de l’équilibre général des marchés.

Figure 15.6 – Équilibre concurrentiel

Bertrand - Croissants
10C 5C 4C 3C 0B
6P
Droite de prix
P

Agnès - Bertrand -
Pain d’épice Pain d’épice

F C
3P

1P 5P
I

10P
0A
5C 6C 7C 6C
Agnès - Croissants

15.3 L’échange et la production en équilibre général

Dans la seconde version de la théorie de l’équilibre général, appelée modèle de production


(à deux secteurs), les dotations initiales portent sur les facteurs de production, notamment
le travail et le capital, qui sont combinés par la fonction de production pour des biens
et des services. Le résultat sera identique : tous les facteurs sont employés à leur prix
compétitif d’équilibre et tous les biens sont échangés au prix d’équilibre.

L’efficience du modèle de production


Reprenons le cadre de la boîte d’Edgeworth appliquée cette fois à la production. La
figure 15.7 représente une boîte d’Edgeworth qui illustre l’utilisation de deux facteurs
liés à la production de deux biens. Sur chacun des axes, on remplace les consommations
par les facteurs de production. On représente désormais le capital et le travail. Ces deux
facteurs sont répartis entre la production des deux biens. Pour fixer les idées, appelons L
le bien 1 (par exemple des livres) et C le bien 2 (par exemple des CD). Chaque point du
diagramme indique donc la quantité de facteur travail et capital qui doit être utilisée par
chacun des deux produits et permet de déterminer le niveau de production.

© 2014 Pearson France – Principes de Microéconomie, 2e – Etienne Wasmer


i i

i i
i i
“doc” (Col. : Wasmer) — 2014/8/25 — 13:30 — page 319 — #335
i i

Chapitre 15 – L’équilibre général 319

Figure 15.7 – Modèle de production

Travail pour la production de CD


50L 40L 30L 20L 10L Oc
30K

F
20K 10K Capital
Courbe pour la production
Capital de contrats de CD
pour la production de production
de livres E
10K D 20K

30K
Ol 10L 20L 30L 40L 50L
Travail pour la production de livres

On trace également les courbes isoquantes définies au chapitre 10 qui représentent les
différentes combinaisons de travail et de capital nécessaires pour produire un même niveau
de chacun des deux biens. De même que dans le modèle d’échange sans production, les
allocations efficientes des facteurs de production sont atteintes pour les points où les
tangentes des courbes isoquantes des deux biens sont confondues. Les points D, E et
F font partie de la courbe des contrats dans la production, qui représente l’ensemble des
combinaisons de production efficientes pour lesquelles il n’est pas possible d’augmenter
la production d’un bien sans réduire celle de l’autre bien. Notons à nouveau que les
allocations efficientes ne sont pas uniques et qu’une fois une de ces allocations de
production atteinte, les échanges prennent fin dans l’économie. Enfin, en ces points
de tangence, les pentes, qui représentent les taux marginaux de substitution techniques
(TMST) entre capital et travail, sont égales pour la production de chacun des deux biens.
C’est donc une condition d’efficacité de l’économie.

En dernier lieu, le point I représente les allocations initiales. S’il n’est pas sur la courbe
des contrats, alors il y aura un gain mutuel à l’échange.

L’équilibre de production sur un marché concurrentiel


de l’échange
Si les marchés des facteurs de production sont concurrentiels, le salaire et le revenu du
capital sont les mêmes pour toutes les entreprises, respectivement w et r. Comme nous
l’avions vu dans le chapitre consacré à la théorie du producteur, en situation concurren-
tielle, les entreprises rémunèrent les facteurs de production à leur produit marginal, que
nous notons MPL = p∂ Q/∂ L et MPK = p∂ Q/∂ K et qui s’obtiennent en dérivant la
fonction de production pour chaque bien par rapport à chaque facteur et en multipliant
par le prix de vente du bien p, qui peut être soit p L , soit pC selon le secteur (livre ou CD).
On a donc, pour une allocation efficiente des deux facteurs, w = MPL dans le secteur L et
également dans le secteur C. De la même façon, on aura r = MPK dans les deux secteurs.

© 2014 Pearson France – Principes de Microéconomie, 2e – Etienne Wasmer


i i

i i
i i
“doc” (Col. : Wasmer) — 2014/8/25 — 13:30 — page 320 — #336
i i

320 Partie 3 – La concurrence pure et parfaite : offre et équilibre

Une allocation des facteurs de production efficiente est réalisée lorsque le taux marginal de
substitution technique (TMST) est égal au rapport des facteurs de production, soit :
MPL w
TMSTLK = =
MPK r

On peut retranscrire cet équilibre dans le plan des productions de chaque bien avec
plusieurs agents, chacun étant à la fois consommateur et producteur. L’équilibre entre les
consommateurs et les producteurs sera à nouveau la réunion de trois points de tangence.
D’une part, comme dans la théorie de la consommation, nous aurons un point de tangence
entre la consommation et la droite de budget des consommateurs, qui a comme pente
p L / pC . D’autre part, comme cela est représenté sur la figure 15.8, il y a un point de
tangence entre une nouvelle courbe, appelée frontière des possibilités de production, et la
droite de budget. Ainsi cette nouvelle courbe est tangente à la courbe d’indifférence des
consommateurs.

Figure 15.8 – Frontière des possibilités de production, courbes d’indifférence et conditions


d’efficience

CD
TMS = TMST

60

Courbe d’indifférence
de consommateurs

Frontière
des possibilités
de production
Livres
100

Cette nouvelle courbe est dénommée frontière des possibilités, car elle marque l’ensemble
des allocations des facteurs qui permettent une production optimale, pour laquelle il n’est
pas possible d’augmenter strictement la production d’un bien sans amoindrir celle de
l’autre bien. L’ensemble des combinaisons efficientes tirées de la courbe des contrats de
production est concave. Sa pente est un taux marginal de transformation (TMT) qui
est égal au ratio des coûts marginaux de production de chaque secteur noté CmCD et Cm L
pour les CD et les livres, respectivement.

La condition d’efficience est énoncée comme suit : une économie produit de manière
efficiente si, pour chaque consommateur :
TMS = TMT

Cette condition impose un point de tangence entre la courbe d’indifférence des


consommateurs et la frontière des possibilités de production. Comme nous savions que

© 2014 Pearson France – Principes de Microéconomie, 2e – Etienne Wasmer


i i

i i
i i
“doc” (Col. : Wasmer) — 2014/8/25 — 13:30 — page 321 — #337
i i

Chapitre 15 – L’équilibre général 321

TMS = p L / pC de la théorie du consommateur, nous avons donc une condition globale


de l’efficacité de l’équilibre concurrentiel avec production :

pL Cm L
TMS = = = TMT
pC CmCD

La condition d’égalité entre taux marginal de substitution et taux marginal de transforma-


tion peut être comprise intuitivement. Elle signifie que le taux de renonciation d’un bien
(L) afin d’obtenir une unité supplémentaire d’un autre bien (CD) équivaut, pour chaque
consommateur, au ratio du coût marginal du bien A par rapport au bien B. En d’autres
termes, une économie est efficiente si le taux de renonciation de la consommation est
identique au taux de renonciation de production, soit si la préférence des consommateurs
pour un bien relativement à un autre correspond exactement au coût relatif de ce bien
par rapport à un autre.

On peut saisir l’importance de cette condition en supposant l’égalité non vraie, avec par
exemple TMS = 2 et TMT = 3. Dans ce cas, si l’on reprend notre exemple de livres et de
CD, les consommateurs sont prêts à renoncer à 2 CD pour obtenir 1 livre. Or, le coût
marginal de production d’une unité supplémentaire de livre est de 3 CD. Clairement, on
assiste ici à une demande excédentaire de livres, et le marché n’atteint pas l’équilibre. On
retrouve donc une nouvelle loi de Walras.

Pour résumer, les conditions d’équilibre de l’échange en production sont les suivantes :

• les allocations de production sont efficientes, c’est-à-dire que les pentes des courbes
isoquantes sont égales (TMT identique pour tous les agents) ;
• les coûts de production sont minimisés, c’est-à-dire que les facteurs de production sont
payés à leur produit marginal pour tous les secteurs (w = MPL et r = MPK) ;
• la production est efficiente, c’est-à-dire que le taux de renonciation de consommation
est égal au taux de renonciation de production : TMS = ppCL = CCmCD mL
= TMT.

Le théorème de Rybczynski

Il faut noter que le modèle de production à deux secteurs apparaît souvent dans
la théorie traditionnelle du commerce international, car il contient un résultat très
intéressant, appelé théorème de Rybczynski : si la dotation d’un facteur de production
augmente, à l’équilibre général, la production du bien qui utilise ce facteur de
façon relativement plus intensive augmente et la production du bien qui l’utilise
relativement moins intensément diminue. Ainsi, dans une économie qui a recours
plutôt à du travail qualifié qu’à du travail moins qualifié, l’augmentation de la dotation
initiale de travailleurs non qualifiés va renforcer la spécialisation vers le secteur des
biens utilisant la main-d’œuvre non qualifiée. Adapté au commerce international, ce
résultat implique que l’ouverture aux échanges avec des pays dotés en main-d’œuvre
non qualifiée va défavoriser les secteurs faisant appel à de la main-d’œuvre non
qualifiée et donc défavoriser ces travailleurs.

© 2014 Pearson France – Principes de Microéconomie, 2e – Etienne Wasmer


i i

i i

Vous aimerez peut-être aussi