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HGGSP en première

2021-2022

Démocratie Puissances Frontières S’informer États et religions


Intro.
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Étudier les divisions politiques du monde :


les frontières
Introduction – les frontières dans le monde aujourd’hui
→ http://librecours.eu.free.fr/spip/spip.php?article645

Axe 1 – Tracer les frontières


Premier jalon – Le limes rhénan
Première partie – Une frontière mouvante
Seconde partie – Une ligne de fortifications
Deuxième jalon – Le partage de l’Afrique
Troisième jalon – La frontière intercoréenne
→ http://librecours.eu.free.fr/spip/spip.php?article388

Axe 2 – Les frontières en débat


→ http://librecours.eu.free.fr/spip/spip.php?article378

Objet de travail conclusif – les frontières de l’Union européenne


→ http://librecours.eu.free.fr/spip/spip.php?article380

Que dit le programme ?


Thème 3 – Étudier les divisions politiques du monde : les frontières (24-25 heures)
[...]
Introduction : les frontières dans le monde d’aujourd’hui.
– Des frontières de plus en plus nombreuses.
– Des frontières plus ou moins marquées.
– Frontières et ouverture : affirmation d’espaces transfrontaliers.
Jalons
Axe 1
– Pour se protéger : le limes rhénan.
Tracer des frontières,
– Pour se partager des territoires : la conférence de Berlin et le partage de l’Afrique.
approche géopolitique
– Pour séparer deux systèmes politiques : la frontière entre les deux Corée.
Jalons
– Reconnaître la frontière : la frontière germano-polonaise de 1939 à 1990, entre guerre et
Axe 2
diplomatie.
Les frontières en débat
– Dépasser les frontières : le droit de la mer (identique sur l’ensemble des mers et des
océans, indépendamment des frontières).
Jalons
Objet de travail conclusif
– Les enjeux de Schengen et du contrôle aux frontières : venir en Europe, passer la
Les frontières internes et
frontière.
externes de l’Union
– Les frontières d’un État adhérent.
européenne
– Les espaces transfrontaliers intra-européens : passer et dépasser la frontière au quotidien.
« Programme d’histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques de première générale »,
arrêté du 17 janvier 2019 publié au JORF du 20 janvier et au BOÉN du 22 janvier 2019, p. 7.
→ http://cache.media.education.gouv.fr/file/SP1-MEN-22-1-2019/92/5/spe576_annexe_1062925.pdf
1
Axe 1 – Tracer des frontières, approche géopolitique
Les frontières des États n’ont pas toujours été précises : pendant les périodes antique et médiévale, il
s’agit le plus souvent de confins, de marges, de zones frontalières. Le bornage commence à devenir
systématique à l’époque moderne, et seulement dans les zones peuplées. Pour les zones désertiques, il faut
attendre la période contemporaine.

Ces frontières ne sont pas tracées au hasard : elles sont le fruit de rapports de force, souvent tranchés
par un conflit militaire.
Si le rapport de force n’est pas trop asymétrique, il y a négociation et traité, puis le tracé sur carte fait
l’objet d’une convention de délimitation. Le tracé s’appuie le plus souvent sur les réalités du terrain
(reliefs, cours d’eau, populations, etc.) et sur les héritages historiques. Quand il n’y a rien, on peut avoir
recours à la ligne droite. La délimitation sur le terrain se fait ensuite par une commission mixte composée
d’arpenteurs topographes, avec parfois des interprétations et des erreurs géodésiques.

La dernière délimitation d’une frontière internationale est celle entre le Soudan et le Soudan du Sud,
dessinée en juillet 2011.

La continuité du tracé est parfois impossible, créant des enclaves. L’exemple extrême a été de 1971 à
2015 Dahala Khagrabari, une minuscule enclave indienne elle-même dans une petite enclave bengalie, le
tout dans une enclave indienne au Bangladesh.
Dans de rares cas, la solution est un chevauchement de souveraineté entre États, sous forme d’une
copropriété (condominium des Nouvelles-Hébrides, colonie franco-britannique de 1907 jusqu’à
l’indépendance du Vanuatu en 1980), d’un territoire non-partagé (les deux « zones neutres » entre l’Arabie
saoudite, l’Irak et le Koweït, de 1922 à 1991) ou à souveraineté alternée (tous les six mois pour l’île des
Faisans sur la Bidassoa, depuis 1856 ☞ 43°20′34″N 1°45′56″O).

Pour la frontière entre le Canada et les États-


Unis, qui la plus longue terrestre, une partie du
tracé est en ligne droite :
• le long du 45e parallèle nord entre d’une part le
Vermont et New York et d’autre part le Québec
(dès 1771-1773) ;
• le long du 49° parallèle nord du lac des Bois au
Pacifique (1818-1876) ;
• le long du 141e méridien ouest de la mer de
Beaufort au mont Saint-Élie (choisi en 1825,
avant l’achat de l’Alaska en 1867).

Une « éclaircie » sur le 141e, entre le Yukon et l’Alaska.


→ http://www.internationalboundarycommission.org/fr/ab
out/photo-gallery.php

2
Premier jalon – Pour se protéger : le limes rhénan
C’est quoi, un limes ?
En latin, le mot limes, pluriel limites, signifie un sentier, un chemin, et par extension une bordure, une
limite. Les auteurs actuels utilisent ce mot pour désigner les fortifications frontalières de l’Empire romain,
ou plutôt une zone fortifiée, même si les auteurs antiques l’ont peu utilisé, sauf au Bas-Empire.

L’expression « limes rhénan » est peu usuel, d’autant que les fortifications romaines ne bordent le Rhin
que sur son cours inférieur, de son embouchure jusqu’à Rheinbrohl (au nord de Coblence).
Les auteurs actuels utilisent plutôt celle de
limes Germanicus (« frontière de Germanie »), qui
longe le Rhin, puis se poursuit sur la rive droite de
Rheinbrohl jusqu’au Danube à Eining (en Bavière),
se poursuivant au-delà sous les noms de limes Norici
(la Norique correspondant à l’Autriche) puis de limes
Pannonicus (la Pannonie étant la Hongrie).

Les restes archéologiques entre Rheinbrohl et


Eining, sur 550 km entre le Rhin et le Danube, ont
été classés au patrimoine de l’humanité par
l’UNESCO sous le nom de « limes de Germanie
supérieure – Rhétie » (Obergermanisch-Raetischer René Goscinny et Albert Uderzo, Astérix et les Goths,
Limes en allemand : ORL), du nom des deux Paris, Dargaud, 1963, p. 22.
provinces concernées.

Le sujet porte principalement ici sur la fonction militaire de cette frontière romaine : la formule du
programme est « tracer des frontières » « pour se protéger ».

Problématique du jalon
Comment fonctionne le limes rhénan, coupure géopolitique décidée et
construite par Rome pour protéger le monde romain des peuples non-romanisés ?
« Thème 3 – Étudier les divisions politiques du monde : les frontières », fiche-ressource, octobre 2019, p. 8.
→ https://cache.media.eduscol.education.fr/file/HGGSP/06/2/RA19_Lycee_G_SPE_1_HGGSP_theme3_frontieres_1206062.pdf

Première partie – Une frontière mouvante

L’Empire romain (l’Imperium Romanum, de son nom officiel Senatus Populusque Romanus : SPQR) a été
en expansion du e siècle avant notre ère jusqu’à la fin du e siècle après notre ère.
À cette date, ses confins étaient considérées par les auteurs antiques comme les limites de la
civilisation, les autres territoires ne méritant pas d’être annexés : roches peu fertiles de Calédonie, forêts
et marécages de Germanie, steppes de Sarmatie, montagnes du Caucase, sables et cailloux brûlants de
Syrie, d’Arabie et du Sahara. Ces déserts étaient peuplés de Barbares1, insaisissables, qui s’enfuyaient et
n’avaient pas de villes à prendre.
Ce tour d’horizon souffre d’un contre-exemples : l’Empire parthe, centré sur la Perse et la
Mésopotamie, qui fut capable de repousser les armées romaines à plusieurs reprises (guerres parthiques de
Crassus en -53, écrasé à Carrhes, de Trajan en 113-123, de Lucius Verus en 161-165 et de Septime Sévère en
195-197). À partir de 224, l’Empire parthe est remplacé par la Perse sassanide, qui poursuit la guerre contre
les Romains jusqu’en 651.
1 Quisque est barbarus alio.
3
Imperium Romanum

Les provinces (provinciae Caesaris en vert ; provinciae Senatvs et popvii en brun) et les garnisons des légions
romaines (petits carrés rouge) en 125, sous l’empereur Hadrien.

Sous le Haut-Empire (de -27 à 235), les conquêtes se font plus rares et les frontières se stabilisent, avec
des conquêtes marginales.
En -27, partage des provinces : celles nouvellement conquises, peu urbanisées et souvent agitées,
restent sous l’autorité d’Auguste (= provinces impériales) avec la quasi totalité des légions ; les provinces
les plus romanisées et stables reviennent sous le contrôle théorique du Sénat (= provinces sénatoriales). Les
troupes deviennent sédentaires, installées dans des camps permanents à proximité des limites de l’Empire.
Puis progressivement les différentes zones-frontières sont fortifiées :
• limes Britannicus (mur d’Hadrien puis d’Antonin), face à la Calédonie ;
• limes Germanicus, le long du Rhin jusqu’au Danube ;
• limes Norici et Limes Pannonicus, le long du Danube ;
• limes Porolissensis, au nord-ouest de la Dacie, face à la Pannonie ;
• limes Alutanus, au sud-est de la Dacie, des Carpates au Danube ;
• limes Transalutanus, à l’est de la Dacie jusqu’au delta du Danube ;
• limes Arabicus, de Palmyre jusqu’à Aqaba ;
• limes Tripolitanus, en Libye tripolitaine ;
• limes Africae, ou fossatum Africae, dans l’Aurès et jusqu’à Gabès.

Ces confins militarisés doivent protéger la « civilisation » contre les « barbares », tout comme la
Grande Muraille de Chine du e siècle avant notre ère doit le faire contre les Mongols et Mandchous, les
marches carolingiennes des e et e siècles contre les Saxons, Avars, Arabes et Bretons, ou la frontier
nord-américaine au e siècle contre les Amérindiens.

4
Pour le limes Germanicus comme pour les autres confins de l’Empire, l’aménagement de la zone-
frontière fut très progressive, et déterminé par les guerres.

Les premières batailles entre Romains et


Germains ont lieu dès la fin du e siècle avant
notre ère, et ont généré une metus germanicus
(« peur du Germain ») : les Cimbres et Teutons
battent les Romains à Noreia (en Autriche) en
-113, puis à Arausio (Orange) en -105 ; la
situation est rétablie par les légions de Marius,
qui écrasent les Teutons à Aqua Sextiæ (Aix) en
-102, puis les Cimbres à Vercellæ (Verceil, en
Cisalpine) en -101.
Scène de bataille du film Gladiator, sorti en 2000, tourné à
Aux yeux des auteurs romains, il s’agit de Farnham en Angleterre, avec 300 figurants « légionnaires »,
barbares parmi les plus sauvages : à peine vêtus 100 archers, 80 cavaliers et 250 « Germains ».
de peaux de bête, pratiquant peu l’agriculture, → https://www.youtube.com/watch?v=yXiSp9aJYN4
barbus, indisciplinés et agressifs2.

La conquête d’un territoire entraîne rapidement le besoin de nouvelles opérations militaires sur les
territoires voisins pour le sécuriser. Ainsi, la conquête des Gaules nécessita de réduire immédiatement la
menace germanique : par deux fois des Germains franchirent en masse le Rhin, et par deux fois Caius
Julius Caesar (César) les vainquit, d’abord en -58 ceux commandés par Arioviste sur le territoire des
Séquanes, ensuite en -55 les Usipètes et Tenctères en Belgique 3.
En réaction, César fit une démonstration de force en franchissant le Rhin par deux fois, en -55 puis en
-53, faisant construire pour cela un pont temporaire en bois, probablement à Neuwied où le fleuve a 400 m
de large et huit de profondeur. Les opérations sur la rive droite se limitèrent à 18 jours de ravage du
territoire des Sicambres4. César dit avoir fait peur aux Germains (l’Armée romaine peut frapper partout),
mais cherche plutôt à impressionner Rome (César va, comme Alexandre, au-delà du monde connu).

Après l’assassinat de César, le Rhin fait office de séparation entre la Gaule romaine et la Germanie,
mais sans aucune troupe. Se sont les peuples frontaliers, clients de Rome, qui sont chargés de sa défense :
du nord au sud les Cananefates, Bataves, Ubiens, Vangions, Némètes et Triboques. En -39/38, les Ubiens
sont installés par Agrippa sur la rive gauche 5.
Mais en -16, une armée de Sicambres, Tenctères et Usipètes passe le Rhin et défait en Belgique la
Legio V Alaudae qui y perd son aigle (clades Lolliana, du nom du proconsul Marcus Lollius Paulinus, tué).
Le nouveau César, Caius Octavianus Augustus (Auguste), ordonne alors de conquérir la Germanie. Il
envoie sur le Rhin en -16 son beau-fils Nero Claudius Drusus comme commandant avec cinq puis six
légions. Drusus fait construire deux camps à Vetera (Xanten) et Mogontiacum (Mayence), avec chacun un
pont temporaire (emporté par les crues).
En -15, Drusus et son frère Tiberius Claudius Nero conquièrent les Rhètes et les Vendéliques entre
Alpes et Danube, fondant la province de Rhétie. De -12 à -9, chaque été, les légions romaines dirigées par
Drusus s’avancent en Germanie par les vallées de la Lippe et du Main (les cours d’eau servant à la
logistique), soumettent des peuples germains, franchissent la Weser et atteignent l’Elbe. À Oberaden ont
été retrouvés les traces d’un camp pour trois légions, couvrant 56 hectares (840 × 680 m) et occupé de -11 à
8. En -10, Drusus reçoit le titre de Germanicus, le « vainqueur des Germains », mais il se brise la jambe en
tombant de cheval et en meurt en septembre -9.
Drusus est remplacé par son frère Tibère, qui poursuit les opérations en -8 et -7, puis en 4 et 5 entre
Weser et Elbe, hivernant aux source de la Lippe dans le camp d’Anreppen. La province de Germania
Magna, est fondée, avec pour capitale oppidum Ubiorum (Cologne).
2 Gaius Julius Caesar (César), De Bello Gallico [La Guerre des Gaules], livre IV paragraphe 1, et livre VI paragraphes 21 à 28.
3 César, La Guerre des Gaules, livre I paragraphes 51 à 53 et livre IV paragraphes 4 à 15.
4 César, La Guerre des Gaules, livre IV paragraphes 16 à 19, ainsi que VI 9, 10 et 29.
5 Les Ubiens s’installent sur la partie orientale des terres des Éburons, peuple exterminé après avoir détruit la Legio XIV de
César en -54. Le territoire des Éburons était centré sur la forêt d’Ardenne.
5
En 6, la nouvelle province reçoit comme gouverneur Publius
Quinctilius Varus.

Mais en septembre 9, Varus et une armée sont pris en


embuscade et anéantis par une coalition de plusieurs peuples
germains. Les Romains appelle cela le Clades Variana (« désastre de
Varus »), les Allemands la Hermannsschlacht et les Français la
bataille de Teutoburg6. Sont anéantis trois légions (les e, e
et e), six cohortes d’infanterie auxiliaire et trois ailes de cavalerie,
soit de 20 à 25 000 hommes, sans parler des prostitués, enfants,
marchands et valets qui accompagnaient l’armée.
L’insurrection se développa, toutes les installations romaines de
la Lippe (Aliso, Waldgirmes, etc.) furent prisent ou évacuées en
catastrophe ; les prisonniers, soldats ou colons, finirent esclaves7.
Otto Albert Koch, Varusschlacht, 1909,
Lippisches Landesmuseum Detmold.

Quintili Vare, legiones redde !


Graues ignominias cladesque duas omnino nec alibi quam in Germania accept, Lollianam et Varianam, sed
Lollianam maioris infamiae quam detrimenti, Varianam paene exitiabilem, tribus legionibus cum duce legatisque et
auxiliis omnibus caesis. […]
Adeo denique consternatum ferunt, ut per continuos menses barba capilloque summisso caput interdum
foribus illideret, uociferans: "Quintili Vare, legiones redde!" diemque cladis quot annis maestum habuerit ac
lugubrem.
Il n’essuya de défaites ignominieuses que celles de Lollius et de Varus, toutes deux en Germanie. La première
fut plutôt un affront qu’une perte. La seconde faillit être funeste à l’État : trois légions furent taillées en pièces avec
leur chef, ses lieutenants et ses troupes auxiliaires. […]
Enfin on dit qu’Auguste fut tellement consterné de ce désastre, qu’il laissa croître sa barbe et ses cheveux
plusieurs mois de suite, et qu’il se frappait de temps en temps la tête contre la porte, en s’écriant : « Quintilius
Varus, rends-moi mes légions ! » L’anniversaire de cette défaite fut toujours pour lui un jour de tristesse et de deuil.
Suétone, Vie des douze Césars, « Vie d’Auguste », XXIII. → http://bcs.fltr.ucl.ac.be/SUET/AUG/23.htm

M(arcus) CAELIVS M(arci) L(ibertus) PRIVATVS


M(arcus) CAELIVS M(arci) L(ibertus) THIAMINVS
M(arco) CAELIO T(iti) F(ilio) LEM(onia) BON(onia)
[I] O(rdini) LEG(ionis) XIIX ANN(orum) LIII S(emissis)
[CE]CIDIT BELLO VARIANO OSSA
[LIB(ertorum) I]NFERRE LICEBIT P(ublius) CAELIVS T(iti) F(ilius)
LEM(onia) FRATER FECIT

Marcus Caelius Privatus


Marcus Caelius Thiaminus
À Marcus Caelius, fils de Titus, de la tribu Lemonia, de Bologne,
Centurion de premier ordre de la e légion, âgé de 53 ans et
demi, tombé pendant la guerre de Varus, puisse ses os être
retrouvés. Les corps de ses affranchis pourront reposer ici. Publius
Caelius, fils de Titus, de la tribu Lemonia, son frère, a fait.

Épitaphe de Marcus Caelius, centurion de la e légion, retrouvé à Castra Vetera (Xanten), conservé au
Rheinisches Landesmuseum de Bonn (CIL, XIII 8648). → https://www.photo.rmn.fr/

6 La Hermannsschlacht porte le nom de Caius Julius Arminius, un Chérusque officier dans l’armée romaine, conseiller de
Varus et traître. Le Teutoburg est la forêt s’étendant au nord et à l’ouest d’Osnabrück (saltus Teutoburgiensis, ou Teutoburger
Wald). De nombreux restes romains ont été retrouvés depuis 1988 entre le Großen Moor (un ancien marais) et le Kalkrieser
Berg (des collines) ☞ 52°24′29″N 8°7′46″E. Un monument de 53 m de haut avec une statue d’Arminius a été construit entre
1841 et 1875, le Hermannsdenkmal (☞ 51°54′42″N 8°50′22″E).
7 Publius Cornelius Tacitus (Tacite), Historiae [Annales], livre I, paragraphe 61.
6
Rome eu peur d’une invasion. Tibère envoya cinq légions en renfort aux trois restantes sur le Rhin,
sous le commandement de Caius Julius Caesar Germanicus (fils de Drusus, neveu de Tibère). Ce dernier
mena des raids (expeditio) de représailles en 14, 15 et 16, subissant à chaque retour des embuscades.

En 16, Tibère rappela Germanicus et décida l’abandon de la conquête de la Germania magna


(entre Rhin et Elbe), en faisant une simple zone d’influence avec de nouveau des peuples-clients servant de
glacis de protection : Frisons, Hermundures, Marcomans, Quades et Iazyges.
Mais ces alliances furent fragiles, simplement temporaires, nécessitant régulièrement des interventions
romaines sur la rive droite. Exemple en 28, les Romains attaquèrent de nouveau les Frisons. En 39, le
nouveau César (Caligula, fils de Germanicus) mena les légions contre les Chattes au nord du Main, puis
son successeur Tiberius Claudius Drusus (Claude, frère de Germanicus) fit de même en 41 et 50. Un grand
nombre d’empereurs ont en conséquence rajouté le titre de Germanicus dans leur titulature (ou de
Germanicus maximus : « très grand vainqueur des Germains »)8.

À la mort de Néron en 69, l’armée de Germanie met son chef


Vitellius sur le trône impérial, ce qui a pour conséquence la révolte
des Bataves et des Lingons en 70/71, les premiers assiégeant Castra
Vetena et y détruisirent deux légions (V Alavdae et XV Primigenia).

La défense du Rhin est rétablie sous l’empereur Vespasien, qui


fait mener en 73 une opération militaire jusqu’au Neckar avec cinq
légions, permettant l’occupation du Sud de la Forêt Noire, et ainsi la
réduction du rentrant entre Rhin et Danube.
L’empereur Domitien, fils de Vespasien, déclencha une
nouvelle guerre contre les Chattes en 83 et 84 avec cinq légions,
faisant la conquête de la basse-vallée du Main jusqu’au Taunus. En Aureus (pièce en or) datant de Domitien
89, il fit occuper le reste du rentrant entre Rhin et Danube, appelé en 86, représentant la Germania Capta9,
les champs Décumates (Agri decumates), protégés par le limes de Rheinisches Landesmuseum à Bonn.
Germanie supérieure – Rhétie, renforcé sous Trajan. → https://www.livius.org/
En 138-161, l’empereur Antonin le Pieux fit un peu avancer le limes, sur une ligne plus à l’est du
Neckar.

Le e siècle changea la situation sur le Rhin. Les peuples germaniques étaient toujours aussi agités,
mais l’Empire romain doit mener des guerres sur plusieurs fronts, notamment sur l’Euphrate et le Danube,
sans parler des guerres civiles. Ne disposant pas de réserve mobile, toutes les troupes étant aux frontières,
l’Empire doit prendre les unités d’un secteur, l’affaiblissant, pour renforcer un autre.

En 233-235, puis en 259-260 et 268, des Germains franchissent le limes, menant des raids jusqu’en
Aquitaine et Cisalpine10. La conséquence est l’abandon des Champs Décumates en 259/260 sous
l’empereur Gallien, ce territoire étant ensuite partiellement repeuplé par des communautés venant du
centre de la Germanie, appelés Alamans.

Les changements d’aires de peuplement des Germains culminent aux e et e siècles, déclenchant les
« Grandes Migrations » : Francs et Alamans s’installent sur la rive gauche du Rhin en 352 (devenant des
fédérés romains), suivis des Vandales, Alains, Suèves et Burgondes en 406/407 (passant sur le fleuve gelé),
se terminant par les Huns en 451.
Rome est pillée en 410 et 455 ; le dernier empereur de Rome est détrôné en 476.

8 C’est le cas des empereurs Caligula, Claude, Néron, Vitellius, Domitien, Nerva, Trajan, Antonin le Pieux, Marc-Aurèle,
Commode, Caracalla, Maximin le Thrace, Philippe, Philippe le fils, Valérien, Gallien, Postumus, Claude II le Gothique,
Aurélien, Probus, Carus et Carin.
9 Harold Mattingly et Edward Allen Sydenham, Roman Imperial Coinage (RIC), II, « Vespasien à Hadrien 69-138 », Londres,
1926, n° 372.
10 Autel de la déesse Victoire d’Augsbourg (Augsburger Siegelsaltar) élevé après une bataille en avril 260, découvert à
Augsbourg en 1992, monument de 92 × 76 × 156 cm en calcaire du Jura (1,8 tonne), Römisches Museum d’Augsbourg.
7
Seconde partie – Une ligne de fortifications

Le rapport de force entre les Romains et les « barbares » étant très asymétrique, le tracé est décidé
unilatéralement par les représentants de Rome, en s’appuyant sur les cours d’eau et les reliefs.
Deux zones-frontières sont fortifiées de façon différentes : la moitié nord longe le Rhin (en Germanie
inférieure), la moitié sud relie le Rhin au Danube (en Germanie supérieure et Rhétie).

Dans la province de Germanie inférieure (Germania inferior), la frontière borde le Rhin, de


l’embouchure du Vieux-Rhin à Katwijk jusqu’à la confluence entre l’Ahr et le Rhin (au sud de Remagen),
où commence la province de Germanie supérieure. Le Rhin, avec ses 400 à 800 mètres de large, est un
obstacle militaire appréciable, long à franchir pour une armée d’invasion, tout en étant facile à surveiller et
un excellent axe logistique (pour le ravitaillement).
La ligne fortifiée se limite donc pendant trois siècles à une série de camps fortifiés (castra) sur la
rive (ripa), dans lesquels garnisonnent un total de 20 à 30 unités d’auxiliaires (auxilia), à raison d’une
cohorte d’infanterie (cohors de 500 à 1 000 fantassins) ou d’une aile de cavalerie (ala de 480 cavaliers) par
camp. Des unités aussi modestes ne peuvent bloquer une invasion, mais seulement un raid de pillards. La
surveillance du fleuve est complétée par des tours de guet.

Castellum Fectio (Vechten, près d’Utrecht)11 construit en bois et Tour de guet en bois du er siècle,
terre en -4, brûlé en 69 (révolte des Bataves), reconstruit en 70, en reconstituée à Vechten en 2004.
pierre en 150 et incendié en 275 (raid des Francs). Le carré fait ☞ 52°03′22″N 5°09′56″E
173 × 148 m. ☞ 52°03′27″N 5°09′42″E → https://commons.wikimedia.org/

Pour les opérations plus importantes, quatre puis trois légions (composées chacune de 5 000 à
6 000 fantassins) sont affectées à la province, stationnées dans plusieurs grands camps bordant le Rhin ou
à proximité, à Noviomagus (Nimègue), Castra Vetera (Xanten), Novaesium (Neuß), Agrippina (Cologne) et
Bonna (Bonn). Ces légions ont un effet dissuasif.

Tout ces camps permanents et tours sont d’abord construits en bois à la fin du er siècle avant notre ère
(sous Auguste), puis reconstruits en pierre au e siècle de notre ère (à partir de Hadrien).
Bien qu’entourés d’une enceinte fortifiée, ils n’ont pas au Haut-Empire une valeur défensive
importante : le fossé est aussi étroit que la courtine, les tours sont rentrantes et carrées, les quatre portes
plutôt décoratives et des canabae ou tout un vicus (bourg) les bordent systématiquement. L’ensemble est
relié par une route longeant la rive gauche : les troupes sont destinées à contre-attaquer.

→ https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Limes1.png (carte des camps de Germanie inférieure)

11 Le castellum de Fectio a abrité de 70 à 150 la Cohors II Brittonum milliaria equitata et la Cohors I Flavia Hispanorum equitata,
puis de 150 à 275 l’Ala I Thracum.
8
Dans la province de Germanie supérieure (Germania superior), la frontière a évolué avec le temps.
D’abord placée sous Auguste sur les rives (ripae) du Rhin jusqu’au lac de Constance puis de là sur le
Danube, elle s’est un peu avancée sous Vespasien, englobant le Sud de la Forêt Noire.
Domitien la met intégralement sur la rive droite : le limes débute dès Rheinbrohl (sur le Rhin au sud
de Remagen), couronne les crêtes du Taunus, forme un saillant en couvrant le Wetterau (au nord-est de
Francfort), puis borde le Rhin sur la rive droite jusqu’à la Forêt Noire.
À la fin du règne de Domitien et sous Trajan, le limes longe désormais le Main, l’Odenwald et le
Neckar vers le sud ; de là il passe dans la province de Rhétie, s’infléchit dans le Jura souabe vers l’est,
englobe dans l’Empire le Nördlinger Ries12 et un bout du Jura franconien avant d’arriver sur le Danube à
Eining. En 159-161, soit sous Antonin, le limes de l’Odenwald et du Neckar est remplacé par une ligne
18 km plus à l’est, appelé en allemand le Vorderen Limes (le « limes avancé »).

Ce trajet du Rhin au Danube correspond au « limes de Germanie supérieure – Rhétie »


(Obergermanisch-Raetischer Limes : ORL) fouillé par la Reichs-Limeskommission à la fin du e siècle et
classé par l’UNESCO en 2005. L’abandon des champs Décumates en 259/260 fait disparaître cette frontière
fortifiée, qui a tenu un siècle, remplacé par la surveillance des ripae du Rhin et du Danube.

Les fouilles ont permis de localiser environ 900 tours de guet et 40 camps alignés sur 550 km, le tout
précédé d’un fossé en V (fossa) en avant d’un talus de terre (ager) et à partir de 119/120 d’une palissade
en bois (vallum). Cet obstacle est connu localement comme le Pfahlgraben (le fossé) ou le Teufelsmauer (le
« mur du Diable »). La palissade de Rhétie a été remplacée à la fin du e siècle par un mur en pierre.
La garde était confiée à un total de 20 à 30 unités d’auxiliaires selon la période, renforcées par quatre
puis trois légions à Mogontiacum (Mayence), Argentoratum (Strasbourg), Vindonissa (Windish, en Suisse) et
Castra Regina (Ratisbonne).
L’ensemble est relié par des routes de rocade, avec en prime des pénétrantes en territoire barbare.

Tour de guet en pierre du e siècle, Castellum (fortin) pour un détachement (un numerus), faisant 20 ×
reconstituée en 2002 à Idstein (dans le 20 m. Nommé Kleinkastell am Hinteren Schloßbuck (à Gunzenhausen,
Taunus). Numérotée Wp13 3/26, elle est entre en Bavière), il est à 18 m derrière une porte dans la palissade, entre
les camps de Zugmantel et d’Alteburg ; elle la tour 14/5 à 490 m à l’ouest et la 14/6 à 70 m à l’est. Il dépendait
fait 5,4 × 4,4 m à la base et 13 m de haut. d’un camp de cohorte (à Gnotzheim, 8 km au sud-ouest).
☞ 50°11′51″N 8°17′00″E ☞ 49°07′00″N 10°46′51″E → https://commons.wikimedia.org/
→ https://limes-idsteiner-land.de/

→ https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Limes2.png (carte des camps de Germanie supérieure et de la


partie occidentale de la Rhétie)

12 Le Nördlinger Ries est une dépression circulaire d’une vingtaine de km de diamètre, due à l’impact d’une météorite.
13 Wp : Wachpost(en), « poste(s) de surveillance », ou Limeswachturm(es), « tour(s) de guet frontalière(s) ».
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Reconstitution d’une portion du Vorderen Limes (construit en 160, abandonné vers 260) : au premier plan, la
palissade, le fossé et le talus, longés par un sentier, avec un fortin de 25 × 25 m (le Kleinkastell Mainhardt-Ost, fouillé
en 1975) gardant la porte ; à 320 m à l’arrière-plan, un camp (le Kastell Mainhardt de 177 × 142 m, fouillé en 1879 et
1893, abritait une unité d’auxiliaires, la Cohors I Asturum equitata) et son vicus. Le secteur est défriché pour
permettre la surveillance à partir des tours de guet. ☞ 49°04′49″N 9°33′43″E → http://www.limeswelten.de/
→ https://www.youtube.com/watch?time_continue=31&v=2q5VX1Rmv30 (Ein Tag am Limes)

Évolution du limes en Rhétie

Sous Trajan : sentier et tours en bois. Début de Marc Aurèle : tours en pierre et palissade.

Fin du règne de Marc Aurèle : clôture en osier. Sous Septime Sévère : mur en pierre.
→ https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Phase_1_Raetischer_Limes_Schneise.png ;
File:Phase_2_Raetischer_Limes_Palisade.png ; Phase_3_Raetischer_Limes_Flechtzaun.png ;
Phase_4_Raetischer_Limes_Mauer.png

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Les deux camps les plus connus

Reconstitution de la Porta praetoria du Kastell Saalburg (sur Maquette du Castrum Biriciana (Kastell Weißenburg,
un col du Taunus, au nord de Francfort). Le premier camp en au sud de Nuremberg) : ce camp de 170 × 179 m a
bois construit en 90 pour un numerus faisait 84 × 79 m, puis il été d’abord construit en bois en 90 pour l’Ala I
est agrandi à 147 × 221 m en 135 pour une cohorte ; il est Hispanorum Auriana, puis en pierre au milieu du
refait en pierre en 155/160 pour la Cohors II Raetorum civium e
 siècle, pour être détruit en 253 par les Alamans. Il
Romanorum, qui l’abandonne en 260. Le site sert de carrière a été fouillé en 1890-1913 ; sa Porta decumata a été
au e, est fouillé en 1841-1897 et reconstruit en 1900-1907. reconstituée en 1989-1990. ☞ 49°01′50″N 10°57′45″E
☞ 50°16′17″N 8°34′00″E → https://www.flickr.com/ → https://commons.wikimedia.org/
→ https://www.saalburgmuseum.de/ → https://www.weissenburg.de/

Les unités d’auxiliaires du limes ne pouvaient repousser


que des groupes de quelques centaines de barbares. Mais elles
profitaient pendant le Haut-Empire du morcellement des
peuples germains, qui n’avaient presque pas de cavalerie, avec
des guerriers indisciplinés et un armement inférieur (lances,
javelots et boucliers circulaires).
Le limes servait donc de démarcation, entre le territoire de
l’Empire et celui barbare, ce dernier restant en partie sous
influence romaine, que ce soit militaire, commercial ou
culturel (comme le prouve l’archéologie).
Pierre marquant l’emplacement de la
→ http://librecours.eu.free.fr/spip/spip.php?article397 palissade du limes, à proximité du Kastell
(kmz géolocalisant les camps du limes) Saalburg. → https://commons.wikimedia.org/

L’organisation change au Bas-Empire. Les Germains forment désormais des confédérations (Francs,
Alamans, etc.) et sont plus souvent armés de haches et d’épées longues.
La défense romaine est désormais confiée aux ripae (les fortifications le long des rives) des deux
fleuves, formant le limes Danube – Iller – Rhin, bien que les cours supérieurs du Rhin et du Danube
soient de largeur moindre.
Le nouveau limes est composé de petits forts (castella et burgi) gardés par les limitanei (« frontaliers »),
avec en réserve les comitatenses (formant l’armée mobile). La défense est davantage en profondeur : toutes
les villes sont fortifiées, ainsi que les principales routes.
La qualité défensive des ouvrages s’est améliorée : les forts sont construits sur des sites plus propices,
leurs fossés sont deux fois plus larges et profonds, leurs murs plus épais, leurs tours sont désormais en
saillis, rondes ou polygonales, leurs portes sont moins nombreuses et avec des cours rentrantes 14.

Pituita me tenet.
CIL, IV 8489 (graffiti de Pompéi).

 -- – Fonte de caractères utilisée : Linux Libertine . Cours et documents disponibles sur www.librecours.eu
14 Philippe Richardot, La fin de l’Armée romaine 284-476, Paris, CFHM – ISC – Economica, 2005, p. 175-181.
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