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Autour du livre

L’ENTROPIE GENETIQUE ET LE MYSTÈRE DU GÉNOME


de John C. Sanford :

Une discussion critique, scientifique et philosophique,


des controverses soulevées par le concept d’entropie génétique,
suivie de propositions de solutions pour expliquer la robustesse et la résilience du vivant.

par David L. Espesset.1

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SOMMAIRE.

1. AVERTISSEMENT – THE FULL MIND IS ALONE THE CLEAR……………………..…3

2. RESUME DE L’OUVRAGE – ARGUMENTAIRE GENERAL……………………………4


2. 1. Le rejet du darwinisme………………………………………………………...….….4
2. 2. L’entropie génétique et le mystère du génome…………………………………….…5
3. INTRODUCTION – INSUFFISANCE ET CRITIQUE DE LA SCIENCE
CONVENTIONNELLE……………………………………………………………………...6
3. 1. Une critique de l’orthodoxie………………………………………………………….6
3. 2. Science conventionnelle, science hétérodoxe………………………………………...6
3. 3. Critiquer la science en revient-il à "faire de l’anti-science" ? – « Qui aime bien,
châtie bien »…………………………………………………………………………..7
3. 4. Le darwinisme………………………………………………………………………..7
3. 5. Nécessité, inévitabilité, irréfutabilité et anti-scientificité des mutations spontanées
bénéfiques et héritables………………………………………………………………7
3. 6. La prétendue puissance de la sélection naturelle cumulative………………………...9
4. LA CONTROVERSE DE L’ENTROPIE GENETIQUE : ARGUMENTS ET
OBJECTIONS………………………………………………………………………………12
4. 1. Un argumentaire riche, étonnant et questionnant…………………………………...12
4. 1. 1. La complexité biologique et l’ADN polycontraint………………………….12
4. 1. 2. Le niveau de "visibilité" de la sélection naturelle…………………………..12
4. 2. Les objections……………………………………………………………………….17
4. 2. 1. Objections anti-créationnistes générales……………………………………17
4. 2. 2. Analyse de quelques objections contre la notion d’entropie génétique……..20
4. 2. 2. 1. L’« Axiome Primaire » n’en serait pas un…………………..20
4. 2. 2. 2. Les expériences d’accumulation de mutations……………...21

1. Adresse personnelle : 72, chemin des Baumillons, 13015 Marseille ; adresse courriel : david_espesset@yahoo.fr.

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 1


5. QUESTIONS SCIENTIFIQUES ET PHILOSOPHIQUES SOULEVÉES PAR
L’ENTROPIE GENETIQUE ……………………………………………………………….23
5. 1. Le rôle de l’entropie dans l’origine de la vie et l’évolution biologique…………….23
5. 1. 1. Thermodynamique, entropie et organismes vivants………………………...23
5. 1. 2. Origine thermodynamique de la vie………………………………………...24
5. 1. 3. Entropie et évolution………………………………………………………..25
5. 1. 4. Relations entre l’entropie thermodynamique, l’entropie biologique et
l’entropie génétique…………………………………………………………26
5. 2. Qu’est-ce que la réalité ?……………………………………………………………26
5. 2. 1. Logique, connaissance et vérité……………………………………………..27
5. 2. 2. Réalité, sciences humaines et physique quantique………………………….28
5. 2. 3. Réalité et falsifiabilité……………………………………………………….29
5. 2. 4. La réalité scientifique est une construction abstraite………………………..30
5. 3. Le problème des modèles et des simulations……………………………………….31
5. 4. La mise en évidence d’un paradoxe………………………………………………...33
6. DES SOLUTIONS POUR EXPLIQUER L’ORIGINE
ET LE MAINTIEN DU GÉNOME…………………………………………………………35
6. 1. L’intervention d’une intelligence : un Créateur……………………………………..35
6. 2. Des alternatives au créationnisme…………………………………………………..35
6. 2. 1. Le structuralisme……………………………………………………………35
6. 2. 2. La biologie au-delà du génome et la redondance – L’ingénierie génétique
naturelle et la réécriture du génome – La sentience du vivant……………...37
6. 2. 3. Convergence et inévitabilités évolutives – Prévisibilité de l’évolution…….41
6. 2. 4. L’écologie évolutive………………………………………………………...44
6. 2. 5. L’homéostasie comme mécanisme de l’évolution…………………………..46
6. 2. 6. La complexité du vivant…………………………………………………….48
6. 2. 6. 1. Indivisibilité, redondance et protection contre les erreurs…..48
6. 2. 6. 2. Complexité et entropie……………………………………...49
6. 2. 7. Dialectique évolutive et évolution dialectique……………………………...50
6. 2. 8. La téléologie………………………………………………………………...51
6. 2. 8. 1. Finalisme vs. Entropie………………………………………52
6. 2. 8. 2. Auto-organisation, auto-détermination, causalité circulaire,
autonomie et clôture organisationnelle téléologique du
vivant…………………………..……………………………53
6. 2. 9. Lois et prévisibilité de l’évolution – Importance de l’information…………55
6. 2. 9. 1. Prévisibilité de l’évolution génétique……………………….55
6. 2. 9. 2. Lois de l’évolution génomique……………………………...55
6. 2. 9. 3. L’Univers information : « It from bit »……………………..56
6. 2. 9. 4. Moteurs mathématiques et mécanique quantique…………..56
6. 2. 9. 5. Entropie, information initiale, information finale et histoire de
l’Univers…………………………………………………….57
6. 2. 9. 6. Énergie, information, complexité…………………………...57
7. CONCLUSION……………………………………………………………………………..59
8. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES…………………………………………………...60

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1. AVERTISSEMENT – THE FULL MIND IS ALONE THE CLEAR.

« Cent hommes étaient enfermés dans une immense pièce sombre et chacun d’eux avec une lampe
éteinte. […] [C]haque homme alluma sa lampe et la lumière des cent lampes était la vérité […].
Mais chacun […] crut que le mérite des belles choses qu’il voyait, revenait […] à sa propre lampe
capable de faire surgir des ténèbres du néant, ces belles choses. […] [I]l est nécessaire que les cent
lampes se réunissent à nouveau pour nous faire retrouver la lumière de la vérité. Les hommes
aujourd'hui errent, découragés, à la faible lumière de leur propre lampe […] ; ne pouvant éclairer
l’ensemble ils s’accrochent au menu détail, tiré de l’ombre par leur pâle lumière. […] [I]l n’existe
qu’une seule […] vérité qui est l’ensemble de mille et mille parties. Mais les hommes ne peuvent
plus la voir. […] [I]l est nécessaire que chacun fasse un pas en arrière et se retrouve avec les autres
au centre de l’immense pièce. »2

En me basant sur mes connaissances et lectures scientifiques et philosophiques, j’ai élaboré


un programme de recherche qui vise à développer une vision nouvelle, originale et audacieuse de
l’Univers en général et, surtout, du monde vivant, qui va largement au-delà de la vision matérialiste,
physicaliste et mécaniciste de la science (qui apporte des connaissances certes nécessaires mais pas
du tout suffisantes), loin de la conception traditionnelle, conventionnelle et conformiste de la théorie
darwinienne de l’évolution (qui ne saurait expliquer qu’une partie limitée de la complexité du vivant
et du processus évolutif).
Par pure curiosité, j’ai été amené à découvrir les thèses créationnistes, grâce au livre d’Arthur
Demongeot Le darwinisme tient-il debout ? 3 . Ces doctrines, trop souvent considérées comme
irrationnelles4, voire absurdes et n’ayant aucun sens, m’ont paru intéressantes non en elles-mêmes
(certains aspects me paraissant difficilement défendables), mais par la vision alternative du monde
qu’elles proposent, radicalement différente, par de nombreux points, de la vision strictement
"scientifique" du monde – laquelle, par certains aspects au moins, semble de plus en plus dépassée.
Aussi, au lieu de rejeter péremptoirement les idées créationnistes, je préfère les confronter aux
résultats scientifiques "académiques", afin de tenter d’en tirer une "théorie" plus personnelle.
D’aucuns critiqueront mon approche comme étant inacceptable car non scientifique ; qu’importe : la
recherche de la "vérité" passe parfois, j’en suis convaincu, par des chemins insoupçonnés.
C’est ce que j’ai souhaité réaliser dans cet essai. J’ai donc pris le temps de lire « L’Entropie
Génétique » dans son intégralité : c’est un ouvrage toujours passionnant, souvent déconcertant,
parfois perturbant ; mais il faut certaines fois savoir sortir de sa zone de confort5. Ainsi, au lieu de
rejeter les arguments apportés par John Sanford, comme l’ont par ailleurs fait certains auteurs 6 (ce
qui représente une approche stérile, puisqu’ils se contentent de présenter leurs objections
"scientifiques" que, précisément, Sanford prétend démonter), j’ai préféré – exercice des plus

2. Giovanni Guareschi, Don Camillo et ses ouailles (pp. 6-7).


3. Voir ma revue critique, disponible sur le site Bible & Science Diffusion.
4. Les notions de rationalité et d’irrationalité sont à l’origine d’un certain nombre d’amalgames et de confusions. Par
exemple, on oppose les deux concepts de façon dichotomique, alors qu’on peut développer l’idée d’une "non rationalité"
pas forcément irrationnelle ; en outre, la rationalité est très souvent associée exclusivement au mode de pensée
scientifique : ce qui n’est pas scientifique n’est donc pas rationnel, donc irrationnel.
5. J’ai remarqué que ce sont bien souvent les personnes qui prônent cette attitude intellectuelle salutaire qui se révèlent en fait
les plus prisonnières d’un mode de pensée conventionnel et les plus dogmatiques.
6. Comme Scott Buchanan.

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stimulants ! – essayer d’en tirer quelques hypothèses hardies, qui paraîtront peut-être quelque peu
impétueuses, périlleuses voire provocantes à certains lecteurs.

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 4


Références de l’ouvrage :
Éditions La Lumière, Collection Réforme (2019) ; ISBN 978-2-9538885-4-6 ;
Traduction de l’anglais (États-Unis) par Évelyne Pankar, Eric Lemaître, Emmanuel Nowak
et Gérald Pech.

Édition originale (d’où sont extraites toutes les citations en anglais) :


Titre : GENETIC ENTROPY ;
FMS Publications (première édition 2005 ; quatrième édition 2014) ;
ISBN 978-0-9816316-0-8.

2. RESUME DE L’OUVRAGE – ARGUMENTAIRE GENERAL.

2. 1. Le rejet du darwinisme.
Au-delà de l’immense complexité de l’organisation et du fonctionnement cellulaires, se trouve
le monde de la complexité encore plus gigantesque des organismes pluricellulaires, constitués de
billions de cellules qui montrent une coordination étonnante.7 Pour expliquer l’origine et l’évolution
de cette complexité, la science conventionnelle utilise la Théorie Synthétique de l’Évolution, en
particulier l’« Axiome Primaire » (the Primary Axiom), qui consiste en l’occurrence de mutations
aléatoires filtrées par la sélection naturelle. Au-delà du fait que les hypothèses fondamentales de cet
Axiome ne font l’objet d’aucune critique sérieuse ni dans les cours universitaires, ni dans les manuels
d’études supérieures, ni même dans la littérature spécialisée, 8 un certain nombre de ces hypothèses,
par leur manque évident de réalisme,9 se révèlent injustifiables par l’observation10 du monde vivant.
De plus, si on applique des hypothèses réalistes, l’Axiome Primaire est caduque. 11 Citons en
particulier quelques problèmes soulevés par Sanford :
- Le transfert de « […] l’unité de sélection de l’organisme entier à l’unité génétique (c’est-à-dire au
gène ou au nucléotide) », en redéfinissant « […] une population comme n’étant rien de plus
qu’un "réservoir de gènes" » 12 , ce qui n’est rien d’autre qu’une « […] redéfinition très
artificielle de la vie [...] »13 ;

7. P. 7 (« Above and beyond this cellular complexity is the equally complex realm of the organism, with trillions of cells
working in astonishing coordination […] » ; p. i).
8. P. 8 (« […] the Axiom’s foundational assumptions are not critiqued in any serious way, either in graduate classes, or in
graduate level textbooks, or even in the professional literature » ; p. ii).
9. P. 8 (« […] the obvious lack of realism of many of the most crucial assumptions […] » ; p. iii).
10. P. 8 (« […] observationally unjustifiable, assumptions » ; p. iii).
11. P. 9 (« […] when realistic assumptions are applied, population genetics actually repudiates the Axiom » ; p. iii).
12. P. 65 (en italique dans la traduction française ; « […] they very cleverly transferred the unit of selection from the whole
organism to the genetic unit (i. e., the gene or nucleotide). To do this they had to redefine a population as being nothing
more than a "pool of genes » ; p. 58 ; en italique dans le texte original).
13. P. 66 (« the very unnatural redefinition of life as "pools of genes" »). Cette vision artificielle du vivant constitue l’une des
principales critiques qu’on peut formuler à l’encontre du darwinisme : le manque de connexion avec la réalité du monde
vivant (notamment la conception des organismes comme des machines vivantes).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 5


- L’existence de « […] blocs de liaison […] transmis comme une unité simple et [qui] ne se
disloquent presque jamais », ce qui s’oppose à l’affirmation « […] selon laquelle chaque
nucléotide peut être regardé comme une unité sélectionnable individuellement »14 ;
- Le "bruit" biologique15, plus précisément le bruit génétique16, dont l’importance et le nombre de
sources sont grandement sous-estimées, « tous les différents types de bruits venant de tous
les différents aspects de l’individu et de son environnement » 17 : il en résulte que « […]
l’effet d’un seul nucléotide moyen sera toujours perdu dans un océan de bruit »18, car « [l]e
bruit est toujours présent, et à des niveaux beaucoup plus élevés […] » que généralement
reconnu ;19 de plus ; « [l]e bruit demeure toujours une contrainte sévère pour la sélection
naturelle »20 ;
- « Le coût de la sélection » 21 , en termes de "pertes" d’« […] une partie de la population
reproductrice »22, ce qui ajoute encore des contraintes sur la sélection naturelle.

2. 2. L’entropie génétique et le mystère du génome.


Dans ce livre, le problème de la dégénérescence génomique est étudié. Il est constaté que les
mutations délétères apparaissent à un rythme très élevé, et que la sélection naturelle darwinienne ne
peut éliminer que les plus mauvaises d’entre elles pendant que les autres continuent à s’accumuler.23
Il s’avère également que les mutations bénéfiques sont beaucoup trop rares et bien trop subtiles pour
subsister alors même que le génome subit une érosion implacable et systématique de l’information
qu’il contient, 24 car, s’il est soumis aux forces naturelles, le génome ne peut qu’irrévocablement
dégénérer au fil du temps.25 De plus, s’il est très facile de détruire de l’information, il est en revanche
très difficile d’en créer.26 En outre, par la dimension polyfonctionnelle de nombreux nucléotides et la
nature non linéaire de l’information génétique (par la présence de multiples informations
chevauchantes, d’où une compression des données),27 il s’avère que le génome encode beaucoup plus

14. P. 67 (« These linkage blocks are inherited as a single unit and almost never break apart. This falsifies one of the most
fundamental assumptions of the theorists, that each nucleotide can be viewed as an individually selectable unit » ; p. 61).
15. P. 67 (biological "noise" ; p. 62)
16. P. 103 (genetic noise ; p. 103).
17. P. 96 (en italique dans la traduction française ; « […] all the different types of noise from all the different aspects of the
individual and the environment » ; p. 95 ; en italique dans le texte original).
18. P. 99 (en italique dans la traduction française ; « […] the effect of an average single nucleotide will consistently be lost in
an ocean of noise […] » ; p. 98 ; en italique dans le texte original).
19. P. 102 (en italique dans la traduction française ; « Noise is always present, and at much higher levels than is normally
acknowledged by population geneticists » ; en italique dans le texte original).
20. P. 102 (en italique dans la traduction française ; « Noise always remains a severe constraint to natural selection » ; en
italique dans le texte original).
21. P. 68 (selection cost ; p. 63).
22. P. 68 (« All selection involves a biological cost – meaning that selection must remove ("spend") part of the breeding
population ») ; p. 63 ; en italique dans le texte original).
23. P. 129 (« […] deleterious mutations occur at a very high rate. Natural selection can only eliminate the worst of these,
while all the rest accumulate […] » ; p. 131).
24. P. 129 (« […] beneficial mutations are much too rare, and are much too subtle to keep up with such relentless and
systematic erosion of information » ; p. 131).
25. P. 13 (« When subjected only to natural forces, the human genome must degenerate over time » ; p. viii).
26. P. 129 (« It is very easy to systematically destroy information, but […] it is very hard […] to create information » ; p. 131).
27. P. 16 (« [The genome] actually embodies multiple linear codes that overlap and constitute an exceedingly sophisticated
information system embodying what is called data compression » ; p. 3 ; en italique dans le texte original).

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d’information qu’on le pensait.28 D’où est-ce que toute cette information est venue, et comment peut-
il être possible qu’elle subsiste ? C’est là le mystère du génome.29

28. P. 13 (« […] the nonlinear nature of the genome, the poly-functional nature of many of the nucleotides that make up the
higher genomes, the fact that the genome encodes much more information than was even recently thought possible […] » ;
p. viii).
29. P. 18 (« Where did all this information come from, and how can it possibly be maintained ? This is the mystery of the
genome » ; p. 4).

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3. INTRODUCTION – INSUFFISANCE ET CRITIQUE DE LA SCIENCE
CONVENTIONNELLE.
3. 1. Une critique de l’orthodoxie.
Tout mouvement de pensée est basé sur une forme normale d’orthodoxie, qui exprime la
conformité des idées vis-à-vis, en religion, des croyances et, en sciences, d’un paradigme ou d’une
théorie "en vogue". Fondamentalement, adhérer à une démarche orthodoxe ne pose pas de problème
particulier, l’orthodoxie n’ayant a priori aucune raison d’être moins proche de la "vérité" que
l’hétérodoxie. Toutefois, toute orthodoxie mène inévitablement à un certain conformisme qui, s’il est
susceptible de procurer une sensation de confort et de sécurité, risque d’aboutir à un enfermement qui
peut confiner à un aveuglement empêchant toute réflexion critique. D’autre part, le modèle dominant
étant partagé par le plus grand nombre, on tombe souvent dans les travers de l’argument d’autorité,
voire du dogmatisme. Ainsi, toute idée un tant soit peu différente est au mieux considérée comme
étrange, et au pire rejetée comme inacceptable, excentrique, presque hérétique. C’est exactement ce
que certains auteurs reprochent en premier lieu aux tenants du darwinisme – théorie qui jouit d’une
véritable "immunité intellectuelle".

3. 2. Science conventionnelle, science hétérodoxe.


Il existe un certain nombre de publications qui dérangent, car elles sortent délibérément du
cadre orthodoxe des paradigmes en vigueur. Il est remarquablement facile, et extrêmement tentant,
de rejeter péremptoirement ces textes, sous le prétexte, selon moi hautement fallacieux, qu’ils ne
respecteraient pas les règles de base du "cahier des charges" de l’investigation scientifique (qui
n’existe d’ailleurs pas, si ce n’est de façon fortement virtuelle, et qu’on invoque uniquement lorsqu’un
manuscrit semble poser quelque problème épistémologique). Un tel rejet ressemblant beaucoup trop
à une forme de sectarisme, je m’empresserai de l’éviter pour tenter de comprendre pourquoi tel ou tel
auteur, souvent qualifié de "créationniste" (parfois à raison d’ailleurs, mais le terme est bien plus
employé comme une sorte d’insulte rédhibitoire que comme un simple adjectif30), prend le risque
d’exposer des thèses nouvelles, différentes, originales, voire excentriques ou même franchement
hérétiques (le mot n’est pas exagéré, surtout dans la mesure où certains chercheurs n’hésitent pas à
s’ériger en parangons de la "défense" d’une sacro-sainte science bien-pensante, dans la mise en œuvre
d’une véritable censure inquisitrice visant véritablement à excommunier toute personne ne respectant
pas, ou pas suffisamment, le "cahier des charges" sus-cité).31
L’expression "entropie génétique" peut sembler bizarre au premier abord – dérangeante. La
lecture du livre de John Sanford fut pour moi non seulement passionnante, mais surtout fascinante de
bout en bout. Toutefois, et je tiens à insister, cela ne signifie nullement que je sois d’accord avec tous
les arguments de Sanford, ni, de façon plus générale, que je défende d’une façon ou d’une autre les
thèses créationnistes. Il n’en demeure pas moins que ce genre d’ouvrage me paraît salutaire, ne serait-
ce que par la vision différente, décalée, mise en perspective par une analyse spéciale de résultats
précédemment publiés dans des "revues internationales à comité de lecture" (étape considérée comme
indispensable pour la validation du savoir par des spécialistes sélectionnés pour leurs domaines
d’expertise).

30. Voir L’évolution vue par un botaniste, de Jean-Marie Pelt (p. 22).
31. Il est intéressant de remarquer que, malgré ces oppositions, Bertrand Louart considère, de façon subtile, que darwinistes et
créationnistes sont des « frères ennemis » (voir Bertrand Louart, Frères ennemis, 2007).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 8


Au lieu de rechercher les (prétendues ?) erreurs commises par Sanford (que d’autres auront
relevées bien mieux que je ne saurais le faire32), je préfère m’intéresser à ses arguments pour tenter
de les replacer au sein d’une explication plus générale de l’évolution biologique.

3. 3. Critiquer la science en revient-il à "faire de l’anti-science" ? –


« Qui aime bien, châtie bien ».
Il existe une objection fréquente face aux critiques, même constructives, faites à la science :
cette prise de position serait anti-scientifique.33 Les choses sont en fait bien plus subtiles. Au moins
en ce qui me concerne, critiquer la science permet d’en dévoiler les limites, les contradictions, les
failles,34 non pour éradiquer l’investigation scientifique, mais, tout au contraire, pour lui permettre de
s’affranchir de ces problématiques et, en fin de compte, de s’en trouver grandie.35 Certes, d’aucuns
rétorqueront que la science n’a pas besoin d’être améliorée car elle fonctionne déjà très bien – ce qui
est une forme fondamentale de scientisme. Toutefois, en suivant une logique plus ouverte et
constructive, selon laquelle tout système est susceptible de pouvoir être perfectionné, je pense qu’une
critique saine et approfondie d’un mode de pensée ne peut qu’être, en fin de compte, bénéfique.

3. 4. Le darwinisme.
On peut résumer le darwinisme (Synthèse moderne) comme suit : les populations présentent
une variabilité génétique qui a pour origine des mutations au hasard ainsi que des événements de
recombinaison aléatoires ; ces populations évoluent par des changements de la fréquence des gènes
qui surviennent par dérive génétique, flux génique et tout spécialement par sélection naturelle ; la
plupart des variants génétiques adaptatifs mènent à des effets phénotypiques faibles, ce qui produit
des changements phénotypiques graduels (bien que certains allèles dont les effets sont discrets
puissent être avantageux) ; la diversification se fait par spéciation, qui normalement entraîne un
isolement reproductif graduel entre populations ; et l'ensemble de ces processus, envisagés sur des
périodes de temps suffisamment longues, mènent à des changements tels que de nouveaux grands
groupes taxonomiques peuvent être définis (genres, familles, etc.).
Plusieurs de ces préceptes sont remis en question comme étant imprécis ou incomplets.
Notamment, le fait que le fonctionnalisme darwinien semble suffisant pour expliquer l’histoire de la
vie ne signifie absolument pas que le darwinisme fournisse effectivement une théorie complète sur
l’origine et l’évolution du vivant.

3. 5. Nécessité, inévitabilité, irréfutabilité et anti-scientificité des mutations spontanées


bénéfiques et héritables.
L’une des bases de l’évolution darwinienne est la variabilité biologique : grâce à des mutations
considérées comme aléatoires, les populations et les espèces présentent un certain polymorphisme.36

32. Par exemple, Assessing Limits to Evolution and to Natural Selection: Reviews of Michael Behe’s “Edge of Evolution” and
John Sanford’s “Genetic Entropy”, par Scott Buchanan.
33. Voir par exemple l’article Les multiples chemins de l’anti-science, sur le site Les pieds dans le plat – Les deux pieds dans le
plat des croyances, superstitions et dérives médiatiques (lespiedsdansleplat.me/les-multiples-chemins-de-lantiscience/).
34. Bien évidemment, on pourrait faire la même chose avec le créationnisme !
35. Voir, par exemple, l’édifiant Réenchanter la Science, de Rupert Sheldrake.
36. Notons ici la circularité du raisonnement darwinien : pour expliquer la biodiversité due à l’action de la sélection naturelle,
il faut que les populations présentent au départ une certaine… biodiversité.

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 9


Pour que la sélection naturelle puisse agir, l’occurrence de mutations bénéfiques, à l’origine d’un tri
"positif", est une nécessité théorique de la logique darwinienne.
En effet, Richard Milton affirme que la notion de « mutation génétique bénéfique spontanée
n’est rien de plus qu’une nécessité hypothétique de la théorie néo-darwinienne » 37 , car « jamais
personne n’a observé qu’une quelconque mutation génétique spontanée héritable puisse provoquer
la modification d’une caractéristique physique – à part, bien entendu, les cas, peu nombreux et bien
connus, des défauts génétiques qui sont la plupart du temps non viables »38. Pourtant, « comme il est
établi que des mutations délétères peuvent effectivement se produire, les darwinistes ont recours à la
loi des grands nombres : si des mutations délétères peuvent arriver, alors, avec suffisamment de temps,
des mutations bénéfiques pourront aussi se manifester. Cette affirmation n’est soutenue par aucune
preuve ; mais elle est irréfutable » 39 . Infalsifiable au sens de aarl Popper 40 , comme toutes les
inférences inductives, ou statistiques, de ce genre.41
Gérard Nissim Amzallag va même plus loin, en affirmant que « […] les mutations émergeant
au hasard deviennent des événements foncièrement exclus de toute causalité. Il en découle un
nouveau paradoxe : en tant qu’imprévisible accident, la mutation est l’événement anti-scientifique
par excellence […] »42 – ce qui rejoint l’idée que, selon Jean-François Moreel, « […] les théories
darwiniennes ne sont pas des théories scientifiques ou recevables comme telles »43.

Cette "inévitabilité" des mutations bénéfiques est en relation avec ce que j’appelle la logique
des Shadoks : plus on perd, plus on a de chances de gagner. A ce sujet, une petite digression est ici
nécessaire.
Les Shadoks sont les personnages d’une série télévisée française diffusée entre la fin des
années soixante et le début des années soixante-dix. Voulant voyager dans l'espace, ils entreprirent de
construire une fusée ; malheureusement, leur technologie étant des plus rudimentaires, à chaque essai
de lancement, leur fusée retombait et finissait en morceaux. Toutefois, ils avaient réussi à calculer
que leur engin avait une chance sur un million de fonctionner correctement et de pouvoir gagner
l'espace intersidéral : alors, loin de se décourager, ils enchaînaient les essais de lancement, se
dépêchant de rater les neuf cent quatre-vingt dix-neuf mille neuf cent quatre-vingt dix-neuf premiers
essais, étant certains que le millionième ne pourrait que réussir.
Le raisonnement des Shadoks repose sur une logique simpliste : en essayant continuellement,
on doit forcément finir par réussir. Donc, plus on rate, plus on a de chances de réussir. Cette façon de
penser est malencontreusement partagée par de nombreuses personnes : par exemple, les habitués des
jeux de hasard croient qu'ayant toujours perdu cela augmente leurs chances de gagner. Mais les choses
ne fonctionnent pas du tout de cette façon, pour au moins deux raisons :

37. « […] the beneficial spontaneous genetic mutation remains no more than a hypothetical necessity to the neo-Darwinian
theory » (Shattering the Myths of Darwinism, p. 157 ; toutes les traductions et adaptations de textes en anglais sont
personnelles, sauf dans les cas où j’ai eu accès à la traduction "officielle", ce qui est mentionné).
38. « No one has ever observed a spontaneous inheritable genetic mutation that resulted in a changed physical characteristic,
aside, that is, from a small group of well-known and usually fatal genetic defects » (ibid.).
39. « Because deleterious mutations are known to occur, Darwinists appeal to the statistics of large numbers. If deleterious
mutations can occur, then given enough time beneficial mutations can occur. There is no evidence for this claim. But it is
irrefutable » (ibid.).
40. The Logic of Scientific Discovery (en particulier le Chapitre 4).
41. Ce genre de "prévision" est inattaquable : si elle est vérifiée, on se vantera de l’avoir prévue ; si elle n’est pas vérifiée, on
fera appel à son incertitude inhérente. Difficile, dans ces conditions, de qualifier de scientifiques de telles affirmations.
42. Cité par Andréas Sniadecki dans Jean-Jacques Kupiec, l’ignorance au cœur de la cellule (p. 37).
43. Le darwinisme, envers d’une théorie (p. 9).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 10


- Si un événement a une probabilité d'une chance sur un million, en essayant un million de fois,
on obtient une probabilité de réussite de seulement 63% ; pour passer à 90%, il faut tenter sa chance
2.300.000 fois ;
- Comme le dit Daniel Dennett, « le hasard n’a pas de mémoire »44 et « ne pas comprendre ce
fait est connu sous le nom de Sophisme du Joueur45, qui est étonnamment répandu »46.

La vision darwinienne de l'évolution repose elle aussi sur un système d'essais et d'erreurs :
chaque mutation introduite correspond à un essai, et, comme la plupart des mutations s'avèrent
inutiles, on peut dire que ces essais mènent à des erreurs – d’autant plus que certaines mutations sont
nettement délétères. Toutefois, comme il arrive, de temps en temps, qu'un essai soit "concluant"
(correspondant à une mutation bénéfique), il n'y a pas que des erreurs.
Et, tout comme les Shadoks enchaînent essai sur essai en étant persuadés qu'ils finiront par
réussir, le darwinisme semble dire la même chose : malgré les nombreuses mutations inutiles, tôt ou
tard, une "bonne" mutation finira bien par se manifester et le mécanisme de l'évolution pourra se
mettre en marche. Donc, tout comme pour les Shadoks, plus il y a de mutations délétères, plus il y a
de chances que l'on observe une mutation bénéfique, qui fera évoluer l'espèce concernée. Ainsi, on se
retrouve bien dans la logique des Shadoks : plus ça rate, plus on a de chances que ça marche – ce qui,
de plus, contredit l’idée que le hasard n’a pas de mémoire. Dans cette optique, les mutations
bénéfiques deviennent inévitables. Il n’en demeure pas moins que « pour rendre compte de
l’évolution darwinienne par mutations aléatoires, il faut accorder à des événements extrêmement
improbables, sur de très longues périodes de temps, un pouvoir qui relève de la foi religieuse »47.
En outre, comme le précise Richard Milton, « le taux de mutation est artificiellement exagéré
simplement en utilisant une définition tellement vague que n’importe quel changement héréditaire
peut être considéré comme une "mutation" »48.

On voit ainsi que baser la quasi-intégralité d’une théorie scientifique sur de telles mutations
aléatoires pose, d’emblée, un certain nombre de problèmes – complètement ignorés par la majorité
des chercheurs.

3. 6. La prétendue puissance de la sélection naturelle cumulative.


Dans L’Horloger aveugle, Richard Dawkins met en place une longue démonstration
concernant la façon dont la sélection naturelle cumulative expliquerait non seulement la complexité
de la biosphère, mais aussi son origine et son évolution. Faisant appel au "monisme de processus" 49

44. « Chance has no memory » (Darwin’s Dangerous Idea, p. 54).


45. On parle aussi de l’"erreur du parieur".
46. « Failing to appreciate the fact that chance has no memory is known as the Gambler's Fallacy; it is surprisingly popular
[…] » (Darwin’s Dangerous Idea, op. cit., p. 54).
47. « […] in order to account for synthetic evolution by random mutation, one has to have an almost religious faith in the
power of extremely unlikely events and very long time scales » (Shattering the myths of Darwinism, op. cit., p. 159).
48. « […] the rate of mutation has been inflated by the simple device of making the definition of the term "mutation" so elastic
that it can include any and every inheritable change […] » (ibid., p. 158).
49. Notion développée par Momme von Sydow dans From Darwinian Metaphysics towards Understanding the Evolution of
Evolutionary Mechanisms ; par exemple, von Sydow écrit que « le darwinisme génétique se caractérise par une forme
radicale de réductionnisme de processus, appelé monisme de processus darwinien, selon lequel le processus de
mutation/sélection représente l’unique véritable mécanisme de l’évolution » (« […] gene-Darwinism is characterised by a
radical form of process reductionism, i. e. Darwinian process-monism, according to which the process of mutation and
elimination is the only real evolutionary mechanism » ; p. 244) ; il précise que « les darwinistes centrés sur le gène, comme
Dawkins, ont adopté le monisme de processus néo-darwinien comme étant le véritable pivot conceptuel du paradigme

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 11


radical du darwinisme (le fait de vouloir tout expliquer dans le monde vivant par un seul et unique
mécanisme, ce qui représente une forme poussée de réductionnisme), Dawkins construit un
raisonnement certes élégant, cohérent et apparemment infaillible, mais qui présente un défaut
rédhibitoire : il ne semble absolument pas correspondre à la moindre réalité biologique, pour plusieurs
raisons :
- Il serait très étonnant qu’un seul mécanisme soit à l’œuvre dans la nature pour expliquer
l’extrême complexité du vivant (même si elle est réductible50) ;
- Les organismes vivants y sont réduits, de façon extrême, tout d’abord à une "collection" ou
"mosaïque" de caractères, ou attributs, indépendants ; puis, de façon encore plus
extrémiste, à un ensemble de gènes "égoïstes", eux aussi indépendants51 ;
- La sélection naturelle est supposée agir au niveau de ces gènes individuels, alors que, par
définition (et au-delà des considérations tautologiques), il s’agit d’une survie et
d’une reproduction différentielles, qui ne peuvent se manifester qu’à l’échelle des
organismes : comme le précise Momme von Sydow, « la sélection ne "voit" que le
phénotype, indépendamment du génotype »52, donc « seul le phénotype peut être
directement vu par la sélection naturelle »53 (de façon plus générale, la vision de
l’évolution imposée par le darwinisme nie totalement la dimension organismique du
vivant, chaque espèce vivante ne pouvant évoluer qu’à l’échelle de populations –
mode de pensée populationnel54) ;
- De plus, comme le précise Richard Milton, « les darwinistes semblent croire, de façon
extrêmement optimiste, que, si une innovation majeure apparaît lors d’une étape
précoce du processus évolutif, cela augmenterait la probabilité de succès de
l’évolution par sélection naturelle cumulative. Parmi l’immense quantité de toutes
les caractéristiques qui peuvent être encodées par l’ADN, une erreur de réplication
peut très bien n’avoir aucun rapport avec cette innovation de départ, ou ne pas être
celle qui permet l’introduction d’une amélioration de cette innovation »55. Ainsi,
selon Milton, l’évolution par sélection naturelle cumulative semble extrêmement
improbable car « plus le nombre d’étapes impliquées dans le parcours évolutif
nécessaire pour en arriver au résultat final augmente, plus la probabilité que ces
étapes surviennent dans le bon ordre diminue »56. En fin de compte, « le fait qu’une
mutation génétique aboutissant à l’apparition d’une innovation bénéfique au niveau

évolutif » (« […] gene-Darwinians such as Dawkins have adopted […] [the] neo-Darwinian […] process-monism as the
true paradigmatic core […] » ; p. 11).
50. Les darwinistes voient la complexité biologique comme réductible ; les créationnistes, eux, la voient comme irréductible.
51. Momme von Sydow parle de « gènes conçus comme indépendants et séparés, réunis à l’intérieur d’un ensemble commun
et non structuré » (« the perspective of separate independent genes in a common unstructured gene pool » ; p. 140).
52. « Selection only ‘sees’ the phenotype irrespectively of the genotype » (p. 318)
53. « […] only the phenotype could be directly seen by natural selection » (p. 319).
54. « Dans le raisonnement évolutionniste, l’individu s’efface devant la population » (Guide critique de l’Évolution, p. 15).
Outre la confusion entre évolution et darwinisme, cette position est évidemment critiquable.
55. « Modern Darwinists seem to have a profoundly optimistic belief that the occurrence at an early stage in evolution of […]
a fundamental innovation […] makes cumulative selection […] somewhat less improbable. […] Of the vast range of
characteristics spelled out by DNA, the next copying error is more likely to be about something else entirely […] or it may
be the wrong step […] » (Shattering the myths of Darwinism, op. cit., p. 162). La contre-objection classique des darwinistes
est que la sélection naturelle jouerait le rôle d’un filtre justement capable de ne retenir que les mutations appropriées.
56. « […] the greater the number of steps into which we break up to the overall leap, the more improbable it becomes that they
will take place in the right order » (ibid.).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 12


de la forme ne présente qu’une infime probabilité de survenir devrait être un point
critique central du darwinisme »57.
De l’ensemble de ces réflexions, on peut tirer au moins la conclusion suivante : l’évolution
par sélection naturelle cumulative pose un certain nombre de problèmes qui, malgré les contre-
objections des darwinistes, semblent incommensurables (voir plus loin d’autres problèmes de la
sélection naturelle cumulative).

57. « […] the improbability of spontaneous genetic mutation leading to beneficial novelties in form ought to be a major source
of concern » (ibid., p. 164).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 13


4. LA CONTROVERSE DE L’ENTROPIE GENETIQUE : ARGUMENTS ET
OBJECTIONS.

4. 1. Un argumentaire riche, étonnant et questionnant.


Au-delà de l’argumentaire général présenté plus haut, j’insisterai sur les quelques points
suivants, qui me paraissent fondamentalement importants et largement sous-estimés.

4. 1. 1. La complexité biologique et l’ADN polycontraint.


Sanford aborde, en p. 16, le problème, très controversé, de la complexité biologique (sujet que
j’ai moi-même étudié dans une revue synthétique58). A partir du constat de l’existence « de multiples
codes linéaires qui se chevauchent »59 et d’une « compression de[s] données » (data compression), il
en arrive à l’idée, fascinante, de « l’ADN polycontraint » (poly-constrained DNA), selon laquelle « la
plupart des séquences codantes humaines codent deux ARN différents qui se lisent dans des directions
opposées »60 et que « certaines séquences remplissent des fonctions multiples simultanément »61, ce
qui mène à « supposer qu’il y a encore des niveaux plus élevés d’organisation et d’information
cryptés dans le génome » 62 et que « probablement toutes les séquences d’ADN dans le génome
cryptent des codes multiples (jusqu’à 12) »63. Il en conclut que « la nature polycontrainte de l’ADN
est une preuve solide du fait que les génomes supérieurs64 ne peuvent pas évoluer par le biais du
mécanisme mutations/sélection, sinon à un niveau insignifiant » 65 (une mutation ponctuelle
interviendrait dans la signification de plusieurs messages à la fois, situation qui semble effectivement
ingérable pour la sélection naturelle ; par contre, nous verrons que la conclusion de l’intervention
d’une « conception intelligente »66 n’est pas la seule possible).

4. 1. 2. Le niveau de "visibilité" de la sélection naturelle.


La définition de base de la sélection naturelle repose sur l’idée d’une survie et d’une
reproduction différentielles. Cela semble absolument évident : dans toute population, et en fonction
d’un certain nombre de facteurs écologiques, certains individus vivent plus longtemps que d’autres,
donc certains d’entre eux se reproduisent plus que les autres. Les organismes qui, favorisés, vivent
longtemps, peuvent se reproduire un certain nombre de fois ; ceux qui, moins favorisés, vivent moins
longtemps, se reproduisent moins ; quant à ceux, défavorisés, qui sont stériles ou qui meurent

58. La notion de complexité en biologie évolutive : une revue synthétique.


59. « […] multiple linear codes that overlap […] » (p. 3).
60. P. 137 (« […] most human coding sequences encode for two different RNAs that read in opposite directions […] » ; p. 141).
61. P. 137 (« Some sequences serve multiple functions simultaneously […] » ; p. 141).
62. P. 137 (« […] there are even higher levels of organization and information encrypted within the genome » ; p. 141).
63. P. 137 (« […] probably all DNA sequences in the genome encrypt multiple codes (up to 12) » ; p. 142).
64. Le mot "complexe" conviendrait mieux ici, pour éviter tout jugement de valeur (il n’existe pas d’organismes "inférieurs" ;
ils sont simplement moins complexes).
65. P. 138 (« The poly-constrained nature of DNA serves as strong evidence that higher genomes cannot evolve via
mutation/selection except on a trivial level » ; p. 142).
66. Le terme design est employé ici par Sanford (p. 142). Il faut savoir, d’une façon qui me paraît curieuse car pouvant être à
l’origine de confusions graves, que certains darwinistes anglophones (comme Richard Dawkins et Daniel Dennett) utilisent
également ce mot pour décrire la façon dont les êtres vivants seraient "modelés" par la sélection naturelle (et je me
demande jusqu’à quel point il ne s’agit pas là d’une provocation anti-créationniste). Ainsi, le mot design apparaît, au total,
153 fois dans The Blind Watchmaker, dont 16 dans l’expression Good design (titre du chapitre 2) ; 678 fois dans Darwin’s
dangerous idea, dont une fois dans l’expression good Design empruntée à Paley, et 98 fois dans l’expression Design Space
(objet notamment du Chapitre 6, Threads of actuality in design space).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 14


prématurément, ils ne se reproduisent pas du tout. Ainsi, selon Darwin lui-même, « j'ai donné le nom
de sélection naturelle ou de persistance du plus apte à cette conservation des différences et des
variations individuelles favorables et à cette élimination des variations nuisibles »67.
D’après cette définition, il semble clair que ce que la sélection naturelle peut "voir", ce sont
des organismes dans leur intégralité : comme le dit à juste titre Sanford, « […] la sélection ne peut
opérer qu’au niveau de l’organisme entier ».68 Or, de façon extrêmement curieuse, s’est développée
l’idée que la sélection naturelle pourrait intervenir directement au niveau des gènes individuels – d’où,
en portant cette notion à l’extrême, la fameuse théorie dite du « gène égoïste » popularisée par Richard
Dawkins69. Au-delà du fait que cette vision n’a plus rien à voir avec la définition donnée plus haut, le
débat se poursuit : « La sélection agit-elle principalement au niveau des gènes ? »70 est la question
que posent Francisco Ayala et Robert Arp71, pour laisser ensuite s’exprimer les deux points de vue
contradictoires :
- Pour Carmen Sapienza, « la sélection opère prioritairement sur les gènes »72 ; « défendant
le gène comme unité de sélection »73, elle présente les arguments suivants (titres de
certains paragraphes) :
* « La sélection naturelle opère au niveau du génome sans qu'il soit tenu compte de
la dimension phénotypique »74 ;
* « La sélection naturelle peut effectivement agir sur le produit de gènes
individuels »75 ;
* « La sélection naturelle peut agir directement sur les gènes eux-mêmes »76.
- Au contraire, pour Richard Burian, « la sélection n’opère pas prioritairement sur les
gènes »77. Il base son argumentation notamment sur le fait que « la sélection agit en
même temps à de nombreux niveaux »78, et que « les conditions environnementales,
ainsi que les cycles naturels, doivent présenter une stabilité suffisante pour que la
sélection puisse être efficace et cumulative, c’est-à-dire qu’elle permette de
conserver ou de transformer les attributs des organismes sur un grand nombre de
générations » 79 (considération qui échappe complètement à Richard Dawkins dans
L’Horloger Aveugle) : il précise que « pour que la sélection naturelle soit efficace,
des conditions appropriées doivent être réunies autorisant une sélection cumulative.
Par exemple, les cycles environnementaux doivent être suffisamment courts pour
être "visibles" par la sélection, sinon celle-ci ne pourra pas en tenir compte »80.

67. De l’origine des espèces (1859, ch. IV).


68. P. 19 (« […] selection can only be carried out on the level of the whole organism » ; p. 7).
69. The selfish gene (1976).
70. « Does selection operate primarily on genes? »
71. Contemporary Debates in Philosophy of Biology (Part IV).
72. « Sélection does operate primarily on genes » (ibid., p. 127).
73. « In defense of the gene as the unit of selection » (ibid.).
74. « Natural selection operates within genomes without regard for phenotypic effect » (ibid., p. 128 ; en italique dans le texte
original).
75. « Natural selection can, and does, act on the products of individual genes » (ibid., p. 130).
76. « Natural selection can act directly on genes themselves » (ibid., p. 130).
77. « Sélection does not operate primarily on genes » (ibid., p. 140).
78. « […] selection acts on many levels at once […] » (ibid., p. 141).
79. « […] with sufficient regularity of (environmental) conditions to allow cumulative selection to maintain or alter the traits
of the organisms […] over a long series of generations » (ibid., p. 142 ; parenthèses dans le texte original).
80. « […] there must be suitable conditions permitting cumulative selection for natural selection to be effective. For example,
the timing of environmental cycles must be short enough to be 'visible' to selection, or selection cannot act to take them
into account » (ibid., p. 150).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 15


Ainsi, « il est donc indispensable d'analyser les conditions requises pour la mise en
place d'une sélection cumulative, en attachant une grande importance aux cycles
longs qui peuvent avoir une incidence sur les tendances de l'histoire de la vie »81.
D’autre part, Burian insiste sur le fait « qu’il n'existe pas de réponse simple à la
question de savoir exactement ce qui doit être considéré comme un gène »82. En
outre, et de façon particulièrement subtile, il affirme que, « à chaque génération, les
organismes sont reconstruits par un processus d'interaction avec l'environnement, et
non par un mécanisme de copie »83 (ce qui semble en contradiction avec la vision
darwinienne de l’évolution84). De plus, il précise non seulement que « l’écologie
exerce une influence sur l’incidence plus ou moins importante des gènes »85 , mais
que, de plus, « ce sont des combinaisons d’allèles qui déterminent les
caractéristiques phénotypiques ayant une influence significative sur les
conditions de survie, non les allèles eux-mêmes ou leur fréquence dans la population »86.
En conclusion, Burian en arrive à l’idée que « généralement, la sélection "agit" non pas
comme une force exclusive sur un gène ou un trait isolé, mais plutôt comme un facteur de pondération
intervenant dans des situations affectant de nombreux traits, au cours de différentes phases dispersées
sur de longues périodes de temps »87. De la sorte, « la sélection agit prioritairement au niveau des
caractéristiques des organismes impliquées dans les exigences liées à leur survie, en relation avec
les nombreuses contraintes environnementales (biotiques et abiotiques) – c’est-à-dire,
fondamentalement, sur le phénotype »88.

On rejoint ici le point de vue de Sanford, ainsi que l’idée que la sélection naturelle ne pouvant
"voir" les mutations ponctuelles individuelles, elle ne saurait éliminer efficacement la plupart des
mutations délétères (seul un organisme chargé d’un "fardeau génétique" – qui représente une sorte de
"moyenne" de toutes ses mutations – trop lourd verra son espérance de vie considérablement
raccourcie).

En ce qui concerne la "visibilité" de la sélection naturelle, un autre question se pose : qu’est-


ce que la sélection naturelle peut distinguer et qui fera l’objet d’un tri (acceptation ou rejet) ? En
d’autres termes, entre deux individus d’une même espèce et vivant dans le même environnement,
jusqu’où la sélection naturelle est-elle capable de discerner des différences permettant la survie de
l’un et la disparition de l’autre ?
Pour étudier ce problème, j’utiliserai le même exemple que Richard Dawkins dans L’Horloger
Aveugle : l’évolution de l’œil chez les Vertébrés. Dawkins insiste, à plusieurs reprises : il vaut mieux,

81. « […] it is necessary to analyze the conditions for cumulative selection with great attention to long cycles affecting life
history patterns » (ibid., p. 151).
82. « […] there is no single answer as to what, exactly, should count as a gene […] » (ibid., p. 144).
83. « […] organisms are built anew in each generation by an interactive process with the environment, not by a copying
mechanism » (ibid., p. 146).
84. Voir, par exemple, Darwin’s Dangerous Idea, de Daniel C. Dennett.
85. « […] which genes have disproportionate influence changes with the ecology » (Contemporary Debates in Philosophy of
Biology, op. cit., pp. 158-159).
86. « […] the conditions causally relevant to the phenotypic states that influence survival are combinations of alleles, not the
alleles themselves or their frequencies in the population » (ibid., p. 149).
87. « […] selection normally "acts" not as a single force on an isolated gene or trait, but as a balancing device in response to
situations affecting multiple traits in scattered episodes over extended periods of time » (ibid., p. 151).
88. « […] selection acts primarily on properties relevant to the demands of organismal survival imposed by the ecology and by
competitors [… :] it acts, in the first instance, on heritable phenotypes » (ibid., p. 153).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 16


pour un animal, être doté d’un œil "partiel", incomplet, rudimentaire, capable d’assurer seulement 5 %
des capacités visuelles d’un œil "complet", comme un œil sans cristallin, que ne posséder aucun œil.89
Toutefois, à partir de cette évidence absolue, Dawkins construit un raisonnement purement théorique,
voire rhétorique, en réduisant le passage d’une version de X à la suivante à une différence tellement
tenue qu’on peut légitimement se demander si ce passage est vraiment possible : c’est-à-dire, la
sélection naturelle peut-elle vraiment voir une différence aussi petite ? Pourtant, Dawkins insiste :
« Si, chez un animal quelconque, réel et bien vivant, on observe un organe X, trop complexe pour être
apparu par hasard en une seule étape, alors, selon la théorie de l’évolution par sélection naturelle,
on peut affirmer qu’une fraction de ce X vaut mieux que pas de X du tout ; que deux fractions de X
valent mieux que seulement une fraction de ce X ; et que la totalité de X vaut mieux que les neuf
dixièmes de ce X »90.
Sur la base d’un raisonnement qui me semble analogue, Dan Nilsson et Suzanne Pelger ont
démontré, à l’aide de calculs mathématiques, qu’au maximum 363.992 générations étaient
nécessaires pour permettre l’évolution d’un œil complexe de type "appareil photographique"
(notamment doté d’une lentille convergente, le cristallin, et d’un récepteur photosensible, la rétine)
uniquement par sélection naturelle cumulative, à partir d’une tache sensible à la lumière. 91 En
considérant une année par génération, durée qui paraît réaliste pour de nombreux animaux aquatiques
de taille moyenne, ils en arrivent à l’idée que l’œil des Vertébrés se serait complètement développé
en seulement 364.000 ans.92 Analysons ce résultat en termes de sélection naturelle cumulative.
Pour des raisons pratiques dont l’utilité apparaîtra rapidement, j’arrondirai la valeur
précédente à 400.000 (arrondir à 300.000 ne changerait rien). Ainsi, l’évolution de l’œil type "appareil
photo" tel qu’il existe chez tous les Vertébrés aurait nécessité 400.000 étapes successives, ce qui
justifie les deux remarques suivantes :
- Chacune des 400.000 étapes a été constituée par au moins un organisme qui a vécu
suffisamment longtemps pour se reproduire au moins une fois et transmettre ses
gènes : que ce processus de filiation soit interrompu ne serait-ce qu’une fois et il faut
recommencer depuis le début ;

89. Par exemple : « […] part of an eye is better than no eye at all » (p. 85) ; « […] a lensless eye is better than no eye at all »
(p. 86) ; « Five per cent vision is better than no vision at all » (p. 90).
90. « Wherever we have an X in a real live animal, where X is some organ too complex to have arisen by chance in a single
step, then according to the theory of evolution by natural selection it must be the case that a fraction of an X is better than
no X at all; and two fractions of an X must be better than one; and a whole X must be better than nine-tenths of an X »
(The Blind Watchmaker, ibid., p. 91).
91. « […] n = 363 992 generations would be sufficient for a lens eye to evolve by natural selection » (A pessimistic estimate of
the time required for an eye to evolve).
92. « […] it would take less than 364000 years for a camera eye to evolve from a light-sensitive patch » (ibid.). Les auteurs
insistent sur le fait que leurs résultats « surestiment largement le nombre nécessaire de générations » (« […] the complete
calculation substantially overestimates the number of generations required » ; ibid.). Dans cet article, un certain nombre de
"conditions de départ" sont mises en place pour en arriver au résultat escompté : que « l’apparition de l’œil n’a jamais
présenté de problème pour la théorie darwinienne de l’évolution » (« […] the eye was never a real threat to Darwin's
theory of evolution » ; ibid.). Notamment, l’évolution de l’œil, à partir d’une tache photosensible, y est présentée sur la base
d’un certain nombre d’hypothèses certes réalistes d’un point de vue anatomique mais totalement invérifiables (ce que les
auteurs, d’une certaine façon, reconnaissent ; voir le paragraphe « 2. A MODEL OF EYE EVOLUTION »). De plus,
l’ensemble de l’étude présentée repose sur une forme de circularité, puisque, dès le départ, les auteurs définissent une
séquence évolutive en permanence compatible avec la sélection naturelle (« The first and most crucial task is to work out
an evolutionary sequence which would be continuously driven by selection » ; ibid.). Enfin, notons une contradiction
inhérente à cette démonstration : d’une part, l’évolution darwinienne est considérée comme lente et graduelle, nécessitant
des milliards d’années ; et, d’autre part, un organe complexe peut apparaître en quelques centaines de milliers d’années
(soit une durée dix mille fois plus courte).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 17


- Chacune des 400.000 étapes a forcément mené à un avantage adaptatif suffisant pour être
positivement sélectionné par rapport à d’autres moins bénéfiques.
Ces remarques impliquent les corollaires suivants :
- Comme l’évolution par sélection naturelle se fait sous l’emprise des conditions
environnementales, il est indispensable que ces dernières aient été stables au cours
de la période de 400.000 ans – ce qui paraît bien peu probable, d’autant plus que l’un
des piliers du darwinisme consiste à affirmer la contingence et la variabilité de ces
conditions ;
- Plus important pour ce qui nous intéresse ici, à chaque étape, la sélection naturelle a dû
être capable de détecter un changement aussi tenu qu’une fraction d’une valeur de
1/400.000 (valeur moyenne en considérant les étapes comme approximativement
équivalentes qualitativement) :
* Si on ramène ces 400.000 étapes à une "note" sur 1000, chaque étape correspond à
l’ajout de 0,0025 point : autrement dit, si on en est à l’étape où l’œil a une
note de 139,4575/1000, la sélection naturelle doit être capable de détecter un
œil dont la note serait de 139,46 pour que l’évolution se poursuive ;
* Si on ramène ces 400.000 étapes à une "note" sur 20, chaque étape correspond à
l’ajout de 0,00005 point : autrement dit, si on en est à l’étape où l’œil a une
note de 8,12565/20, la sélection naturelle doit être capable de détecter un œil
dont la note serait de 8,1257/20 pour que l’évolution se poursuive.
Cette représentation simple de l’évolution met en évidence l’impossibilité quasiment absolue
d’un tel mécanisme – à moins d’accepter l’idée que la sélection naturelle soit dotée de pouvoirs pour
le moins extraordinaires. En effet, que la sélection naturelle soit capable de "voir" des différences
invisibles à nos yeux humains est une chose ; envisager qu’un tel degré de détectabilité existe dans la
nature semble relever de la "pensée magique" – selon l’expression d’Arthur Demongeot93.
Cela n’empêche nullement Nilsson et Pelger d’affirmer que « la sélection naturelle devrait
agir simultanément sur tous les facteurs qui ont un effet positif sur la performance de l’ensemble »94.
D’autre part, ils insistent sur le fait que, selon eux, « l’ensemble de la séquence ne comprend pas
d’étapes spécialement peu performantes, pour lesquelles de nombreux changements doivent
intervenir sans vraiment améliorer la fonction »95 – phrase qui m’apparaît critiquable par plusieurs
aspects : elle est particulièrement vague et confuse, en particulier parce qu’elle n’indique nullement
comment savoir que toutes les étapes sont suffisamment performantes et qu’elle semble contradictoire
avec l’idée que l’évolution de l’œil serait, finalement, plutôt rapide (voire en faveur d’une évolution
saltatoire).

93. Le darwinisme tient-il debout ? (p. 228).


94. « Natural selection would act simultaneously on all characters that positively affect the performance » (A pessimistic
estimate of the time required for an eye to evolve ; op. cit.).
95. « There are thus no particularly inefficient parts of the sequence, where much change has to be made for little improvement
of function » (ibid.).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 18


4. 2. Les objections.
4. 2. 1. Objections anti-créationnistes générales.

« Comment faire pour discréditer une idée ?


Il suffit de la caricaturer, d’en donner une image grossière et inconsistante,
de l’entourer de la plus extrême confusion, pour ensuite la démolir à l’aide de toutes sortes
d’arguments qui en montrent le caractère simpliste, incohérent et ridicule. »96

C’est l’attitude choisie par la plupart des scientifiques pour tenter de contrer le
créationnisme.97 Un exemple frappant est présenté dans Le Guide Critique de l’Évolution, dans lequel
les idées suivantes sont indiquées :
- Les créationnistes feraient « […] preuve d’un scientisme extrême puisqu’ils font
outrepasser ses droits à la science en la faisant statuer sur un terrain expérimental
inaccessible »98 : une étrange vision du scientisme (notion par ailleurs extrêmement
floue et malléable), surtout quand certains auteurs critiquent précisément le
darwinisme de scientisme ;
- Le créationnisme ferait preuve d’essentialisme, notamment en attribuant « […] une
essence humaine à un embryon de quelques cellules »99 : pourtant, la présence de
l’intégralité du patrimoine génétique dans les cellules de cet embryon, voire dans la
cellule-œuf dont il est issu, leur donne, assurément, une dimension humaine (tout
comme un embryon de fourmi contient le génome de l’espèce correspondante – rien
de spécifiquement humain ici) ; d’autre part, comme mentionné plus loin, il ne faut
pas confondre essentialisme typologique et essentialisme explicatif 100 ;
- Le créationnisme appellerait la science « […] à changer de l’intérieur […] », dans un
« […] changement complet de nature de l’activité scientifique […] », lequel serait,
notamment, opposé au « […] principe de parcimonie qui exclut toute hypothèse
surnuméraire ad hoc, c’est-à-dire non testable »101 : au-delà de la vision simpliste du
principe de parcimonie102 (utilisé ici uniquement comme "garde-fou" anti-
créationniste), c’est justement à une telle redéfinition du champ d’investigation de la
science que certains auteurs aspirent, tel Rupert Sheldrake, pour Réenchanter la
Science103 ;
- Le créationnisme constituerait « une entorse au scepticisme initial [… car] la foi imprime
une idée préconçue du résultat qui devra sortir »104 : si on peut se demander sur

96. Andréas Sniadecki (Stephen Jay Gould, l’évolution sans histoire ; p. 3).
97. Il me semble que, si les scientifiques avaient vraiment l’esprit tranquille et étaient absolument certains de leur position, il
ne prendraient même pas le temps ni de formuler de objections anti-créationnistes, ni même de répondre aux attaques
créationnistes.
98. Guide critique de l’évolution (op. cit., p. 137).
99. Ibid. (p. 148).
100. Voir Explications mécanistes et téléologiques de l’évolution de la forme, par Anda Danciu (p. 88).
101. Guide critique de l’évolution (op. cit., p. 152 ; en italique dans le texte original).
102. Voir mon article De l'utilisation parcimonieuse du principe de... parcimonie.
103. Titre de l’ouvrage de référence.
104. Guide critique de l’évolution (op. cit., p. 155).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 19


quelle base repose ce "scepticisme initial sur les faits"105 (p. 23), autre notion très
vague car toute personne qui engage des recherches peut être qualifiée de sceptique
par définition, il semble en outre évident que tout scientifique qui engage une
expérimentation a, forcément, une idée du résultat qu’il devrait obtenir – sans quoi il
ne s’agit pas de recherches mais plutôt d’investigations aléatoires ; en outre, c’est
oublier qu’un certain nombre d’aspects fondamentaux de la recherche scientifique
relèvent, eux aussi, de la foi (comme le monisme matérialiste, par exemple) ;
- « Des entorses au matérialisme méthodologique sont à l’œuvre dans tous les
créationnismes [… :] le résultat est suivi d’évocations incongrues d’entités
immatérielles ou de mise en perspective des résultats dans le cadre du dogme
[…] »106 : ce prétendu matérialisme méthodologique n’est qu’un cache-misère des
choix philosophiques des scientifiques ; quant à des interprétations
"incongrues" vis- à-vis d’un "dogme", c’est exactement ce qui se lit trop souvent dans la
partie Discussion d’articles scientifiques (partie fréquemment dédiée à la
transformation d’hypothèses plausibles en certitudes absolues, reprises ensuite et
pérennisées dans les média qui ne font que perpétuer la confusion) ;
- « La croyance au sens de "foi" […] ne peut être remise en cause […]. La foi n’éprouve pas
le besoin de se justifier. […] La "croyance" scientifique, elle, tire sa légitimité de
l’ouverture laissée à sa propre déstabilisation. […] En raison de ces différences
fondamentales, il n’est pas souhaitable de parler de "croyance" lorsque l’on fait
allusion au degré de confiance que les scientifiques accordent à leurs résultats
[…] »107 : ces "différences fondamentales" sont, une fois encore, des cache-misère
pour tenter de passer sous silence le fait qu’un certain nombre de postulats
scientifiques, voire des théories entières, jouissent d’une authentique immunité
intellectuelle contre toute critique, même justifiée, car ces points auraient été
largement démontrés ; c’est, exemple célèbre, le cas de la théorie darwinienne de
l’évolution (qualifiée de dogme par certains auteurs108) ;
- « […] [L]a foi […] est corruptrice puisque cette "certitude" ne tolère le test de
l’expérience scientifique que s’il la conforte : il n’y a plus de scepticisme initial »109 :
il est possible de formuler le même type de critique à l’encontre du darwinisme : la
certitude que tous les aspects des organismes vivants sont des adaptations façonnées
par la sélection naturelle (vision âprement défendue par Dennett110 et Dawkins111) ;
- « […] un procédé courant est le tri conscient ou inconscient dans la collecte des "faits" ou
des données »112 : étant donné qu’il est impossible de traiter exhaustivement toutes
les données (à moins qu’elles soient en nombre très réduit), une sélection
d’informations jugées pertinentes et suffisantes est incontournable : dès lors, en en

105. Ibid. (p. 23). Il est étrange que ce scepticisme initial disparaisse totalement quand il s’agit de dégager des conclusions : ne
serait-il pas au contraire plus juste de douter de la validité du raisonnement mis en œuvre, plutôt que trop souvent présenter
ces conclusions comme des certitudes définitives ?
106. Guide critique de l’évolution (op. cit., p. 156).
107. Ibid., p. 156.
108. Comme Jean-François Moreel dans Le darwinisme, envers d’une théorie (pp. 241, 254, 269).
109. Guide critique de l’évolution (op. cit., p. 157).
110. Darwin’s dangerous idea.
111. The blind watchmaker.
112. Guide critique de l’évolution (op. cit., p. 157).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 20


ignorant certaines (souvent la plupart), non seulement on introduit un biais dans le
raisonnement, mais on est obligé de faire appel à des inférences inductives qui ne
sont que des généralisations bien souvent abusives (position défendue par aarl
Popper113) ;
- « Il manque à la spiritualité et à la foi trois propriétés essentielles pour prétendre être
source ou outil de science : structuration, universalité de contenu, source de la
légitimité. L’universalité de la science, elle, tient à l’universalité des réalités
matérielles de ce monde et à l’universalité des règles de la logique »114 : le manque
de structuration, d’universalité et de légitimité de la foi, d’une part, et l’universalité
des réalités matérielles et de la logique, d’autre part, restent, me semble-t-il, à
démontrer : cette phrase, purement théorique, ressemble plus à une affirmation
péremptoire qu’à une réalité indubitable ;
- « Le spiritualisme "scientifique" est par définition aux antipodes de la science car il nie la
nécessité d’un recours exclusif aux réalités matérielles de ce monde pour établir des
vérités. Or le recours aux expériences et aux observations sur le monde matériel est
la seule garantie de leur reproductibilité, critère fondamental du statut de
connaissance objective, et donc de scientificité. Introduire la spiritualité comme
élément de construction d’une quelconque affirmation sur le monde réel rend donc
cette affirmation non testable scientifiquement »115 : au-delà du fait selon lequel la
science n’établit pas de vérités116 ; que la reproductibilité des expérimentations
est bien souvent relative, virtuelle et théorique117 ; de la confusion volontaire et
idéologique entre matériel et réel (ce qui n’est pas matériel ne serait pas réel) ; que
l’objectivité de la connaissance est une illusion118 basée sur un concept discutable119 ;
on peut s’interroger sur la testabilité de toutes les hypothèses scientifiques (si, pour
une raison technique ou logistique, une proposition n’est pas testable, sera-t-elle
rejetée comme non scientifique?).
Comme on le voit, ces nombreuses objections sont elles-mêmes amplement critiquables :
d’une part, le vocabulaire employé est contestable ("évocations incongrues", "foi corruptrice") parce
qu’arrogant et prônant la supériorité hégémonique de la science ; d’autre part, parce que, même d’un

113. The logic of scientific discovery (The problem of induction, pp. 3-7).
114. Guide critique de l’évolution (op. cit., p. 157).
115. Ibid., p. 159.
116. « Nous ne devons pas considérer la science comme un "corpus de connaissances", mais plutôt comme un faisceau
d’hypothèses, c’est-à-dire un ensemble de conjectures et de prédictions, lesquelles en principe ne peuvent être vérifiées,
mais qui nous servent de base de travail tant qu’elles résistent aux tests, et au sujet desquelles il n’est jamais légitime
d’affirmer que nous savons qu’elles sont "vraies" ou "plus ou moins sûres" ou même "probables" » (« […] we must not
look at science as a ‘body of knowledge’, but rather as a system of hypotheses; that is to say, as a system of guesses or
anticipations which in principle cannot be justified, but with which we work as long as they stand up to tests, and of which
we are never justified in saying that we know that they are ‘true’ or ‘more or less certain’ or even ‘probable’ » ; aarl
Popper, The logic of scientific discovery, op. cit., p. 318).
117. « The loss of control is indeed disturbing, and might even call into question the criterion of reproducibility as a condition
for acceptance of a phenomenon as being worthy of scientific enquiry […] » (Joel Bernstein, cité par Rupert Sheldrake,
The Science Delusion, op. cit., p. 64 ; « La perte de contrôle est assurément troublante, elle remet même en question le
critère de reproductibilité comme condition pour qu’un phénomène soit considéré comme susceptible de faire l’objet d’une
enquête scientifique », Réenchanter la Science, op. cit., p. 124).
118. Illusions of Objectivity (The Science Delusion, ibid., ch. 11 ; L’illusion de l’objectivité, Réenchanter la Science, ibid., ch.
11).
119. Voir par exemple L’objectivité dans la recherche scientifique, et L’objectivité de la recherche scientifique, par Vincent
Devictor.

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 21


strict point de vue épistémologique, les « piliers du contrat entre science et connaissance »120 ne sont
pas aussi solides qu’il pourrait sembler en première analyse.

120. Guide Critique de l’Évolution (op. cit., p. 23).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 22


4. 2. 2. Analyse de quelques objections contre la notion d’entropie génétique.

« J’ai été troublé en découvrant un certain nombre d’exemples de déformation de la réalité


dans l’Entropie Génétique. Toutefois, je ne pense pas qu’il s’agisse là d’une tentative délibérée de
tromperie. Il est de notoriété publique que toute personne sous l’emprise du créationnisme terre
jeune puisse se retrouver passablement déconnectée de la réalité. De toute évidence, John Sanford
est quelqu’un de sincère et de bonne volonté, un membre respecté au sein de la recherche en
génétique qui ne recule pas devant le ridicule pour défendre ses propres opinions. »121

Voilà qui en dit long sur l’état d’esprit ouvert et prétendument objectif, neutre et indépendant
qui devrait être à l’œuvre au sein de la communauté scientifique. Parce qu’il propose une
interprétation radicalement différente du monde vivant, hors des sentiers battus de la science
conventionnelle, Sanford est stigmatisé de façon pour le moins partiale, fondamentalement subjective
et finalement abjecte. Être en désaccord avec quelqu’un est une chose ; dénigrer cette personne en est
une autre, qui relève d’un manque de respect et d’un amalgame intellectuel profond.122

4. 2. 2. 1. L’« Axiome Primaire » n’en serait pas un.


L’un des piliers de l’argumentation de Sanford est de considérer le mécanisme de base
du darwinisme comme un axiome, c’est-à-dire un « énoncé répondant à trois critères fondamentaux :
être évident, non démontrable, universel »123 . Le principe de la sélection naturelle est certes trop
souvent considéré comme évident (car il n’y en aurait pas d’autre124) et universel (ce qui constitue un
cas extrême d’inférence inductive, qualifié parfois de véritable "saut de la foi") : "évident" face au
créationnisme (l’une des origines idéologiques du darwinisme vient, selon Bertrand Louart, de la
volonté de détruire la notion de "création spéciale"125), universel car on le retrouverait à tous les
niveaux d’organisation du vivant, les molécules aux écosystèmes, mais également pour expliquer
l’évolution des systèmes culturels humains et la création artistique.126

Aussi, le principe de sélection naturelle est-il, ou non, démontrable ?

Bien sûr, pour les darwinistes convaincus, le principe de la sélection naturelle est non
seulement démontrable, mais amplement démontré : des ouvrages comme L’Horloger Aveugle ou
Darwin est-il dangereux ?, parmi tant d’autres productions, décortiquent dans le détail les prétendues
forces de la pensée darwinienne.

121. « It has been troubling to discover various instances of misrepresentation in Genetic Entropy. However, I do not believe
this to be any deliberate attempt to deceive. It has been widely observed that someone who is in the grip of young earth
creationism can get somewhat disconnected with reality. By all accounts, John Sanford is a sincere and godly man, a
respected figure in genetics research who has accepted the price of ridicule to promote what he believes » (Scott Buchanan,
op. cit.).
122. Daniel C. Dennett se caractérise tout particulièrement par cette tendance à tourner en ridicule les auteurs dont il ne partage
pas les idées (voir Darwin’s Dangerous Idea, op. cit.).
123. Première définition donnée par le CNRTL.
124. Voir le Chapitre 11 de L’Horloger Aveugle, intitulé en anglais Doomed rivals (traduction possible : Des concurrents voués à
l’échec).
125. Voir Aux origines idéologiques du darwinisme (p. 23).
126. Voir, par exemple Création artistique et darwinisme mental (dans Du vrai, du Beau, du Bien, pp. 142-147).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 23


Mais s’agit-il de véritables démonstrations ? La sélection naturelle n’est-elle pas plutôt
considérée comme tellement indéniable et incontestable que de simples "vérifications", se résumant
à des raisonnements orientés, soient nécessaires ? En effet, le darwinisme a souvent été critiqué
comme étant un édifice figé, dans lequel n’importe quel phénomène biologique doit absolument entrer,
coûte que coûte, pour "ne pas sortir du cadre".127
D’autre part, de simples changements populationnels (population shifts) sont considérés, par
définition, comme de l’évolution. Par exemple, lorsque les proportions de "pinsons de Darwin" à gros
bec ou à bec fin varient d’une année sur l’autre (en fonction de la disponibilité en grosses graines ou
en petites graines), on parle classiquement d’évolution. Mais ces événements micro-évolutifs (le
terme nano-évolutifs me semblerait plus approprié, tant ces variations mineures s’avèrent très souvent
non seulement temporaires mais réversibles) sont-ils vraiment représentatifs d’une évolution
significative ? Je pense qu’on peut objectivement se poser la question.

4. 2. 2. 2. Les expériences d’accumulation de mutations.


Les expériences d’accumulation de mutations (EAM) sont la plupart du temps
présentées dans la littérature scientifique comme représentant des preuves tangibles de l’existence de
l’évolution darwinienne. En effet, de simples changements populationnels (population shifts) étant
considérés comme de l’évolution par définition, l’apparition de quelques mutations isolées, réparties
sur des dizaines de milliers de générations, semble bien être à la base de l’évolution des populations
de bactéries. Est-ce vraiment le cas ? On peut interpréter les résultats de ces expériences d’une toute
autre façon.
Comme le précise tout d’abord Sanford, alors que ces expériences sont considérées comme
représentatives d’une évolution sur de longues périodes de temps, elles ne dépassent pas quelques
décennies128 : ce qui est très long d’un point de vue expérimental est en fait très court par rapport aux
temps géologiques (il y a confusion ici entre le temps absolu et le nombre de générations, ce qui n’est
pas du tout équivalent).
Mais, surtout, peut-on vraiment parler d’évolution ? Il me semble qu’on puisse considérer ces
résultats selon deux angles. Selon le point de vue darwiniste, il s’agit bien d’une évolution, puisque
ce changement est basé sur le couple variation-sélection : la variation se manifeste ici, justement, par
l’apparition de ces quelques mutations (quant à savoir si la sélection naturelle est intervenue, c’est un
autre problème), qui seraient à la base de ce mécanisme évolutif (et, dans un certain sens, cette
conclusion était donc connue à l’avance). Toutefois, comme le dit Sanford, on peut très bien
considérer qu’il ne s’agit là que d’un « réglage fin » (fine-tuning)129, sans qu’il s’agisse véritablement
d’une évolution (pas même d’une micro-évolution). Quel arguments pourraient aller dans le sens de
cette interprétation ?
Le premier, c’est que certains auteurs considèrent que le darwinisme est basé sur une immense
extrapolation130 : à partir de l’hypothèse, raisonnable et réaliste, de l’intervention de la sélection

127. Cette critique est également employée par les scientifiques conventionnels pour stigmatiser l’aspect dogmatique du
créationnisme.
128. « Plusieurs décennies représentent un temps très court, même s’il s’y produit plus de cinquante mille cycles de division
cellulaires » (p. 172 ; « Several decades is a very short time – even though more than 50 thousand cell division cycles have
occured » ; p. 180).
129. P. 172 et p. 180, respectivement.
130. Voir par exemple Momme von Sydow (From Darwinian Metaphysics towards Understanding the Evolution of
Evolutionary Mechanisms, p. 209).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 24


naturelle dans le processus évolutif 131 , les darwinistes ont fait de la sélection naturelle l’unique
mécanisme évolutif, non seulement capable de tout expliquer, du plus petit changement populationnel
local jusqu’aux transitions macro-évolutives majeures, mais, en outre, auquel tous les autres
mécanismes possibles peuvent être ramenés. C’est ce que Momme von Sydow appelle le « monisme
de processus » 132 dont nous avons déjà parlé, en lien avec une forme d’exagération extrême du
sélectionnisme (pan-sélectionnisme 133 ) et de l’adaptationnisme (pan-adaptationnisme 134 ) : le
« darwinisme radical »135. Ainsi, d’un point de vue très général, que le mécanisme à l’œuvre dans les
EAM représente véritablement une évolution, darwinienne qui plus est, reste, de fait, une question
ouverte.
D’autre part, il n’est pas du tout évident que l’introduction de toute mutation soit à l’origine
d’un processus évolutif. Comme le précise justement Sanford, il semble indéniable que de
nombreuses mutations restent invisibles pour la sélection naturelle, et ce pour de nombreuses raisons
(mutations neutres ou quasi-neutres, importance du bruit génétique, notamment). Ainsi, le fait de
détecter certaines mutations au sein de populations bactériennes, même sur des périodes de temps
longues, peut très bien être considéré comme insignifiant : il en faudra sans doute beaucoup plus pour
qu’une véritable variabilité apparaisse, susceptible, éventuellement, de produire un authentique
mécanisme évolutif, possiblement darwinien.136
Enfin, il est intéressant de considérer que l’adaptation potentielle qui peut résulter de
l’occurrence de ces mutations ne soit que le résultat d’une perte : « perte de fonction », « perte de
régulation », « perte d’information » 137 – ce qui en revient à se demander, finalement, ce que
l’organisme en question a véritablement "gagné", donc s’il a véritablement évolué. Quant à savoir si
cette perte peut-être mise en perspective vis-à-vis d’une dégénérescence générale liée à l’entropie
génétique, cela me semble une conclusion possible mais pas obligatoire.

En conclusion, je pense que les EAM ne sont pas significatives pour expliquer le mécanisme
évolutif, quel qu’il soit (darwinien ou non) – à moins, comme c’est la plupart du temps le cas, de
mettre en place un raisonnement dans lequel la conclusion, évidente et inévitable, est connue à
l’avance (ce qui est très souvent le cas pour "démontrer" la réalité du darwinisme).

131. L’existence de la sélection naturelle est une évidence absolue : comme les populations d’organismes présentent toutes une
certaine forme de variabilité (polymorphisme, biodiversité, etc.), ces organismes seront forcément l’objet d’un tri en
fonction de leur aptitude à la survie et à la reproduction, notamment en relation avec les conditions environnementales
auxquelles ils sont soumis.
132. Process monism (ibid., notamment le Ch. 9). Von Sydow parle également de "métaphysique darwinienne à mécanisme
unique" (Darwinian mono-mechanistic metaphysic ; ibid., p. 336).
133. Pan-selectionism (ibid., Ch. 9).
134. Pan-adaptationism (ibid., Ch. 4 & Ch. 9).
135. Radical Darwinism (ibid., notamment le Ch. 9).
136. De la même façon, quand Peter & Rosemary Grant ont démontré le lien entre les conditions environnementales, la survie
des "Pinsons de Darwin" et les changements de certains caractères (taille du corps, taille du bec, forme du bec) par
sélection naturelle et hybridation, on peut se demander s’ils ont vraiment observé ces oiseaux en train d’évoluer, même si
leurs études ont été prolongées sur trois décennies. En effet, premièrement, le lien entre sélection naturelle et hybridation,
d’une part, et évolution, d’autre part, semble pris pour évident dès le départ (d’où une forme de circularité, puisque ces
mécanismes sont considérés d’emblée comme évolutifs) ; deuxièmement, les changements observés, vus sous l’angle
d’adaptations à des conditions environnementales locales variables, peuvent très bien, ici aussi, être interprétés comme du
"réglage fin".
137. P. 173 (« […] loss-of-function or loss-of-regulation mutations (and hence loss of information) » ; p. 181).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 25


5. QUESTIONS SCIENTIFIQUES ET PHILOSOPHIQUES SOULEVÉES PAR
L’ENTROPIE GENETIQUE .

5. 1. Le rôle de l’entropie dans l’origine de la vie et l’évolution biologique.

« […] [L]’entropie […,] c’est la mesure du désordre présent dans un système […].
C’est l’antinomie de la vie et de toute notion de "conception". »138

Il semble impossible d’étudier la notion d’entropie génétique sans, au préalable, s’intéresser


à celle, plus générale, d’entropie thermodynamique, et de ses relations avec la vie. Malgré la citation
très négative ci-dessus, plusieurs auteurs se sont intéressés à la dimension thermodynamique du
vivant et de l’évolution biologique, aspects par ailleurs totalement ignorés par le darwinisme à cause
de son incapacité à étudier le vivant au niveau individuel, organismique.

5. 1. 1. Thermodynamique, entropie et organismes vivants.


La thermodynamique est la science physique qui étudie tous les processus dans lesquels
interviennent les notions d’énergie (comme la température et l’entropie) et de travail, notamment les
transformations impliquant des transferts d’énergie (comme les échanges thermiques) entre un
système et l’extérieur : par exemple, la thermodynamique traite des changements d’état de la matière,
des transformations entre les différentes formes de l’énergie, ainsi que de l’influence de la température
sur les propriétés physiques des corps.
En thermodynamique, un système désigne un ensemble, parfois ramené à une région de
l’espace, constitué de matière, délimité par une frontière, et capable d’échanger de la chaleur et du
travail avec son environnement extérieur. Tout système thermodynamique peut être défini sur la base
de cinq grandeurs physiques : température, volume, pression, énergie interne et entropie. L’entropie
d’un système est la grandeur thermodynamique qui caractérise la capacité d’un système
thermodynamique à fournir un travail ; comme l’entropie désigne également le degré de désordre, de
désorganisation (ou d’imprédictibilité) du contenu en information d’un tel système, c’est plutôt son
incapacité à fournir un travail qui est prise en considération : en effet, plus l’entropie est élevée, plus
l’énergie est dégradée, dispersée, donc inutilisable par le système pour produire un effet quelconque.
C’est l’entropie qui est à l’origine de la dégradation des objets et de la mort des êtres vivants. 139

Les organismes vivants, en tant qu’entités capables de produire et de consommer de l’énergie


et de fournir un travail, sont des systèmes thermodynamiques : ils sont donc directement concernés
par la thermodynamique et, plus précisément, par l’entropie. En effet, les êtres vivants se
caractériseraient par la capacité à créer de l’ordre à partir du désordre, ce qui semble contredire le
second principe de la thermodynamique, selon lequel l’entropie d’un système ne peut qu’augmenter.
A cet égard, la vie ferait figure d’exception, d’où la vision des organismes comme "points d’entropie
négative" (ou "néguentropie") ou "systèmes dissipatifs d’entropie" : ainsi, les êtres vivants seraient
capables, à partir d’énergie puisée dans leur environnement (l’énergie solaire ou l’énergie chimique

138. Leonard Mlodinow, Qui détient la clé de l’Univers ?, p. 137 (« Loosely speaking, entropy is a measure of the disorder in a
system. The more disordered, usually, the higher the entropy. Entropy is the enemy of life, and of any concept of
“design.” » ; War of the Worldviews, p. 121).
139. Ces essais de définitions sont, notamment, basés sur des éléments présentés sur Wikipédia et le CNRTL (Centre National
de Ressources Textuelles et Lexicales).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 26


potentielle 140 des nutriments), d’organiser et d’ordonner leur propre matière. En fait, le second
principe est respecté, car les êtres vivants ne peuvent maintenir leur ordre interne qu’au prix
d’échanges permanents d’énergie avec leur milieu extérieur : par conséquent, et en fin de compte,
l’entropie totale du système global "organisme + reste de l’Univers" augmente bien. D’un point de
vue thermodynamique, la vie peut donc être envisagée comme une résistance, une victoire, certes
localisée et éphémère, face aux lois qui gouvernent l’Univers : les organismes représenteraient donc
des zones d’entropie négative, extrêmement localisées dans le temps et dans l’espace. Et, à la mort
de chaque organisme, c’est le désordre qui finit par reprendre le dessus. 141

5. 1. 2. Origine thermodynamique de la vie.142


aaro Michaelian indique que le fait de « comprendre comment le vivant fonctionne sur le plan
thermodynamique pourrait donner des indications sur l’origine de la vie »143, car « la production
d’entropie constitue une mesure de la propension de la nature à exploiter les différents micro-états
accessibles »144. Ces observations le mènent à « formuler l’hypothèse selon laquelle c’est en vertu de
son rôle de catalyseur de l'absorption et de la dissipation de l’énergie des rayons solaires, à la surface
des mers lors de la période archéenne, que la vie serait apparue et aurait perduré jusqu’à
aujourd'hui » 145 . Ainsi, « dans cette perspective, l’origine et l’évolution de la vie peuvent être
envisagées comme procédant d’un impératif thermodynamique naturel : l’augmentation de l’entropie
de la Terre en interaction avec son environnement solaire »146.
A l’appui de cette hypothèse, Michaelian suggère que, « de façon générale, la complexité des
organismes vivants, des premières cellules jusqu’à la biosphère tout entière, a augmenté au cours du
temps ; par conséquent, leur production totale d’entropie, ainsi que la production nette d’entropie
par unité de biomasse ont, elles aussi, augmenté » 147 . Il insiste sur le fait que « l’origine de la
dimension tautologique de la théorie darwinienne de l’évolution par sélection naturelle148 vient, en
fait, de l’absence de prise en compte de la production d’entropie comme fonction des organismes
vivants. C’est une idée que Boltzmann avait proposée il y a 150 ans : la dynamique fondamentale du
vivant résulte de la production d’entropie »149. Au contraire, « selon la théorie proposée, l’origine de

140. Potentielle car nécessitant des mécanismes particuliers pour en assurer la libération contrôlée et progressive.
141. Adapté d’un article par Anne Debroise paru dans le magazine Science & Vie.
142. Thermodynamic origin of life (titre de l’article de référence par aaro Michaelian).
143. « Understanding the thermodynamic function of life may shed light on its origin » (ibid.).
144. « Entropy production is a measure of the rate of the tendency of Nature to explore available microstates » (ibid.).
145. « Here we hypothesize that life began, and persists today, as a catalyst for the absorption and dissipation of sunlight on the
surface of Archean seas » (ibid.).
146. « From this perspective, the origin and evolution of life […] can be understood as resulting from the natural
thermodynamic imperative of increasing the entropy production of the Earth in its interaction with its solar environment »
(ibid.).
147. Phrase originale complète : « Empirical evidence from the fossil record of the evolutionary history of Earth indeed suggests
that living systems, from cells to the biosphere, have generally increased in complexity over time, and correspondingly,
there has been an increase in their total entropy production, as well as in the net entropy production per unit biomass »
(ibid.).
148. Momme von Sydow résume particulièrement bien cet aspect tautologique du darwinisme : « Les organismes qui survivent
sont en général ceux qui sont mieux adaptés, puisqu’ils survivent. On définit le plus souvent la capacité d’adaptation par
la survie. Il en résulte que l’affirmation darwinienne de la persistance des plus aptes équivaut à l’affirmation tautologique
de la survie des survivants » (« Those entities which survive are generally more adapted, since they survive. Fitness
becomes defined – as has actually often been done – by survival. Thereby the Darwinian claim of the survival of the fittest
results in the tautological claim of the survival of the survivor » ; From Darwinian Metaphysics towards Understanding the
Evolution of Evolutionary Mechanisms, p. 341).
149. « Ignoring the entropy producing function of life is, in fact, the basis of the tautology in Darwin’s theory of evolution
through natural selection. As Boltzmann hinted 150 years ago, the vital force of life and evolution is derived from photon
dissipation, i.e. through entropy production » (Thermodynamic origin of life, op. cit.).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 27


la vie et du mécanisme évolutif présenterait la caractéristique d’un cycle autocatalytique faisant
intervenir un important couplage entre processus biotiques et abiotiques ; ce cycle serait mis en place
sous l’influence d’un mécanisme d’augmentation de la production d’entropie terrestre, dans le cadre
de l’interaction de la planète avec son environnement solaire – mécanisme tout à la fois universel et
orienté vers un but150. Ce vaste cycle autocatalytique, faisant non seulement intervenir le vivant mais
aussi des processus abiotiques de production d’entropie, est toujours d’actualité et semble même
avoir évolué vers encore plus d’efficacité à produire de l’entropie »151.

Dans cette perspective, l’augmentation d’entropie aurait donc joué un rôle prépondérant dans
l’apparition de la vie et la mise en œuvre du processus évolutif. Cette proposition semble donc en
faveur d’un rôle positif de l’entropie au sein du fonctionnement du vivant. Toutefois, l’entropie peut
prendre plusieurs formes différentes, susceptibles d’exercer des actions différentes sur les organismes.

5. 1. 3. Entropie et évolution.
Selon John Collier, dans le cadre d’une « théorie systémique en cours d’élaboration,
l’environnement et les organismes vivants, ainsi que leurs nombreuses interactions, sont considérés
comme reposant sur des principes communs » 152 . En relation avec les informations précédentes
concernant l’origine thermodynamique de la vie, on peut considérer que « [l]’évolution est sous
l’emprise de processus hors équilibre qui sont à l’origine d’une augmentation de l’entropie et du
contenu en information de l’ensemble des espèces vivantes » 153 . Plus précisément, « des
augmentations de l’entropie et de l’information des organismes, considérés comme des systèmes se
reproduisant de façon imparfaite, seraient à l’origine de la dynamique de l’évolution. La sélection
naturelle ne ferait que jouer le rôle d’un facteur externe limitant, influençant le rythme de
l’évolution »154.
De plus, il s’avère que les systèmes biologiques présentent deux types d’entropie :
- « L’entropie de l’information est une mesure de la capacité d’un système à résister aux
fluctuations aléatoires, c’est-à-dire une mesure de sa stabilité »155 ;
- « L’entropie de cohésion d’une espèce vivante est une mesure de son désordre dû aux difficultés
qu’ont les individus qui la composent, considérés séparément, à échanger leur matériel
génétique »156.

150. Voir plus loin le paragraphe sur la téléologie.


151. « The origin of life and beginnings of evolution, as depicted by this theory has the general feature of an auto-catalytic cycle
involving a strong coupling between biotic and abiotic processes, driven by the goal oriented and universal process of
increasing the entropy production of Earth in its interaction with its solar environment. This great auto-catalytic cycle
involving life and abiotic entropy producing processes remains to this day, and appears to be evolving towards still greater
efficiency at producing entropy » (Thermodynamic origin of life, op. cit.).
152. « […] a yet to be completed systems theory which treats environment, biological entities, and their interactions using
common principles […] » (Entropy in Evolution, par John Collier, 1986).
153. « Evolution is driven by non-equilibrium processes which increase the entropy and information content of species
together » (ibid.).
154. « […] the dynamics of evolution derive from […] increases in the information and entropy of a system of imperfectly
reproducing organisms. Natural selection is merely rate-determining, and is best viewed as an extrinsic factor affecting
evolutionary dynamics » (ibid.).
155. « […] the entropy of information is a measure of the indifference of the system to random fluctuation, or of its ability to
withstand random fluctuations, i.e., its stability » (ibid.).
156. « The entropy of cohesion is a measure of the disorder of the biological entity resulting from the segregation of its parts. In
the case of species, this is due to difficulties in sharing genetic material between diverse members » (ibid.).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 28


Ainsi, en définitive, « l’évolution résulterait de l’effet cumulé de l’augmentation de l’entropie
de l’information et de l’entropie de cohésion »157.

5. 1. 4. Relations entre l’entropie thermodynamique,


l’entropie biologique et l’entropie génétique.
De l’ensemble des données précédentes, on peut tirer les réflexions suivantes :
- Bien que l’entropie thermodynamique ne puisse qu’augmenter, l’entropie biologique, elle,
diminue localement et temporairement chez les organismes individuels ;
- L’entropie biologique globale de la biosphère comprise dans son intégralité spatio-temporelle
(zone superficielle de la Terre – entre environ 11.000 mètres de profondeur et 9000 mètres
d’altitude – depuis au moins 3,5 milliards d’années 158 ) a augmenté, en relation avec
l’augmentation générale de la disparité, de la diversité 159 et de la complexité160 , donc du
contenu en information, des organismes ;
- De façon ultime et générale, l’entropie serait intimement liée à la nature du vivant, à son origine et
à son évolution.

Ces informations semblent donc incompatibles avec l’idée que l’entropie puisse être vue
comme un facteur négatif au sein du fonctionnement du vivant et de son évolution – apparemment,
ce serait plutôt le contraire.

(Voir également plus loin les relations entre entropie et complexité biologique)

5. 2. Qu’est-ce que la réalité ?

« […] [I]l n’est pas facile de faire un problème de quelque chose que nous croyons bien connaître,
qui semble aller de soi, comme la réalité. »161

« La réalité, de toute façon, n’est jamais venue d’elle-même : elle se crée, […] une fiction à
laquelle on finit toujours par croire, […] une réalité qu’on a inventée. »162

« C’est faire preuve d’étroitesse d’esprit que de croire que l’image du monde que nous nous faisons
est la seule. »163

157. « Evolution, then, results from the joint effect of increases in the entropy of information and the entropy of cohesion »
(ibid.).
158. Selon les chiffres officiels ; toutefois, certains auteurs, extrêmement controversés, remettent en cause ces valeurs, qui
seraient basées sur un consensus subjectif et arbitraire (voir, par exemple, Shattering the Myths of Darwinism, op. cit.,
Chapitre 5).
159. Stephen Jay Gould introduit, dans La Vie est Belle (Chapitre 3), la distinction subtile entre diversité et disparité : la
diversité fait référence au nombre d'espèces différentes, tandis que la disparité se base sur l'ensemble des plans
d'organisation : au Cambrien, la disparité fut maximale, malgré une diversité apparemment limitée ; au cours de l’histoire
ultérieure du vivant, la tendance s'est complètement inversée.
160. Au sujet des problèmes controversés liés à la notion de complexité biologique, voir mon article.
161. Hervé Boillot, 25 mots clés de la philosophie (p. 33).
162. Jean-Paul Belmondo, Mille vies valent mieux qu’une (p. 54).
163. Leonard Mlodinow, Qui détient la clé de l’Univers ?, p. 312 (« It would be narrow-minded for us to believe that our
picture of the world is the definitive one » ; War of the worldviews, p. 280).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 29


La question philosophique fondamentale concernant la réalité semble faire débat depuis des
temps immémoriaux. J’essaierai d’y apporter quelques possibles éléments de réponse.
Hervé Boillot présente l’idée que « [l]a réalité est ce qui semble aller de soi, ce que nous
croyons toujours bien connaître. Elle alimente les certitudes les plus tenaces de la conscience »164.
Le CNRTL indique qu’en philosophie la réalité correspond à « [c]e qui existe indépendamment du
sujet, ce qui n'est pas le produit de la pensée » ; le réel, notion synonyme, est défini comme ce « [q]ui
existe d'une manière autonome, qui n'est pas un produit de la pensée ». Ces définitions sont à relier
à la notion de réalisme : le Guide Critique de l’Évolution précise que « [l]e réalisme postule que le
monde naturel existe indépendamment de la perception et de l’idée qu’en a celui qui l’observe »165,
ce qui signifie que « […] le monde des idées n’a pas la priorité sur le monde physique »166. Nous
verrons que ces idées sont discutables.
En effet, Boillot fait référence à Nietzsche, selon qui « […] le philosophe a pour fonction de
sonder, de mesurer l’épaisseur et la solidité des choses […] » (fonction qui de nos jours ne semble
plus revenir qu’aux scientifiques). Ainsi, il n’existe « [p]as un philosophe qui, d’une manière ou
d’une autre, ne s’attaque à la réalité, […] pour l’interroger, […] chose que ne fait jamais la croyance
naïve en la réalité »167.
Certes, on pourra rétorquer que les scientifiques ne tombent pas non plus dans cette "croyance
naïve". Pourtant, les philosophes, tels Platon ou Descartes, posent la question : « Existe-t-il seulement
quelque chose de réel indépendamment de l’esprit qui le connaît ? », et conteste ainsi « […] l’idée
même qu’il existe une réalité en soi, indépendamment de la conscience [...] »168. On en arrive, chez
Bachelard, à la notion que la réalité n’est pas « […] quelque chose de donné mais de construit […] »169.
En effet, « [p]récisément, au moment où nous concevons la réalité comme donnée des sens, sommes-
nous sûrs que nous n’avons pas affaire à de simples représentations ? »170
En fait, il s’avère que « […] toute croyance à la réalité est […] illusoire »171 – toutefois « […]
le philosophe [Descartes, en l’occurrence] doute moins de la réalité elle-même que de la croyance en
la réalité »172. En fin de compte, « […] il apparaît que la réalité ainsi conçue devient inconsistante
et relative […] »173, d’où « […] la nécessité de poser une réalité comme référence stable pour l’esprit
humain »174, selon Platon – mais cette réalité ne présenterait-elle alors pas une forte composante
subjective et arbitraire ?

5. 2. 1. Logique, connaissance et vérité.175

164. 25 mots clés de la philosophie (op. cit., p. 22).


165. Guide Critique de l’Évolution (p. 24).
166. Ibid. (p. 25).
167. 25 mots clés de la philosophie (op. cit., p. 22).
168. Ibid. (pp. 22-23).
169. Ibid. (p. 22 ; en italique dans le texte original).
170. Ibid. (p. 25 ; en italique dans le texte original).
171. Ibid. (p. 24).
172. Ibid. (p. 24 ; en italique dans le texte original).
173. Ibid. (p. 25).
174. Ibid. (p. 26).
175. Je ne m’étendrai pas ici sur la distinction entre vérité et réalité.

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 30


aant est à la recherche de « […] l’universel et sûr critère de la vérité de toute
connaissance » 176 . Il précise que la "définition nominale" de la vérité « […] fait l’accord de la
connaissance avec son objet […] »177, pour en déduire qu’ « […] une marque suffisante et en même
temps universelle de la vérité ne peut être donnée »178. Par contre, il insiste sur le fait « […] qu’une
logique, en tant qu’elle traite des règles générales et nécessaires de l’entendement, doit exposer, dans
ces règles mêmes, les critères de la vérité. […] Mais ces critères ne concernent que la forme de la
vérité […] et, s’ils sont […] très justes, ils sont pourtant insuffisants. Car une connaissance peut fort
bien être complètement conforme à la forme logique, c’est-à-dire ne pas se contredire elle-même, et
cependant être en contradiction avec son objet » 179 . Il en arrive à parler d’une "logique de
l’apparence"180, « […] art sophistique de donner à son ignorance, et même aussi à ses illusions […],
l’apparence de la vérité, en imitant la méthode de profondeur que prescrit la logique en général en
se servant de la topique de cette science pour colorer les plus vaines allégations. Or, on peut
remarquer […] que la logique générale […] est toujours une logique de l’apparence, […] étant donné
qu’elle ne nous apprend rien sur le contenu de la connaissance […] ». Charles Serrus indique « […]
que la vérité ne pouvait être séparée des conditions de sa découverte »181, concluant qu’ « […] on
peut se demander si la notion de vérité garde alors un sens »182.

Ces considérations font immanquablement penser à la délicate et sans doute impossible


distinction entre science et pseudo-science ; car, en effet, ce sont les scientifiques eux-mêmes qui
définissent, péremptoirement, les disciplines et méthodes prises pour scientifiques, et celles qui ne le
seront pas.183 D’autre part, en ce qui concerne un corpus de connaissances cohérentes entre elles, mais
ne correspondant pas à leur objet d’étude, c’est exactement ce que certains auteurs reprochent au
darwinisme (la dimension biologique des organismes vivants étant ignorée, si ce n’est niée, car ces
derniers y sont réduits à des "mosaïques de caractères" ou à des "conduits passifs pour transmettre
leurs gènes égoïstes") : dès lors, on peut légitimement se demander si la théorie darwinienne est
"vraie"184, c’est-à-dire si elle explique vraiment la réalité de l’évolution du vivant – ou plutôt une
représentation abstraite n’ayant que peu de liens avec la réalité du monde naturel. De ces réflexions
émerge la conclusion inévitable suivante : la notion de vérité – donc de réalité – reste subjective,
arbitraire et relative.

5. 2. 2. Réalité, sciences humaines et physique quantique.


Mathilde Fontez et Hervé Poirier185 citent Amos Tversky et Daniel aahneman, qui ont « […]
montré qu’il existe une multitude de cas où, au lieu de calculer les probabilités de manière rationnelle
pour faire un choix ou émettre un jugement, l’esprit humain viole les lois de la logique »186. Par

176. Critique de la raison pure (p. 80).


177. Ibid. (p. 80).
178. Ibid. (p. 81).
179. Ibid. (p. 81).
180. Ibid. (p.82 ; en italique dans la traduction française).
181. Ibid. (Préface, p. XXX).
182. Ibid. (Préface, p. XXX).
183. De façon plus générale, ce sont les chercheurs eux-mêmes qui édictent les règles fondamentales de l’investigation
scientifique (pour utiliser une comparaison quelque peu triviale, ce sont les joueurs qui établissent les règles du jeu).
184. Selon aarl Popper, aucune théorie scientifique ne peut être considérée comme vraie, car une telle théorie n’est pas
vérifiable mais peut seulement être corroborée par des faits (« Theories are not verifiable, but they can be
‘corroborated’ » ; The logic of scientific discovery, p. 248).
185. Dossier thématique On pense tous quantique (Science & Vie n° 1177).
186. Ibid. (p. 58).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 31


exemple, « […] nous jugeons les événements proches plus désirables que les événements lointains.
Ou […] nous sous-estimons ce que nous ignorons… Autant de traits psychologiques universels qui
fonctionnent comme des biais de raisonnement, déviant les trajectoires de nos décisions de la route
tracée par la logique probabiliste »187. Fontez et Poirier citent alors Jerome Busemeyer, selon qui
l’être humain aurait « […] la possibilité de répondre à un nombre illimité de questions… mais avec
une rationalité limitée […] »188.
Michel Bitbol 189 rappelle que les sciences classiques de la nature « […] expliquent le
comportement d’objets complètement séparés de ceux qui les étudient […] »190. « Dans les sciences
humaines, au contraire, l’objet d’étude est indissociable de celui qui l’étudie : l’homme s’étudie lui-
même. Mais cet écart majeur entre les sciences de la nature et les sciences de l’homme disparaît
presque entièrement avec la physique quantique, où on ne peut plus établir de séparation nette entre
les propriétés des objets et l’effet que produit l’instrument servant à la mesurer »191. Ainsi, « […] on
ne peut pas désentrelacer les phénomènes microscopiques de leurs contextes expérimentaux »192 .
Bitbol précise que « […] la théorie quantique […] renonce à la prétention d’expliquer la "nature"
des choses, et se concentre plutôt sur les phénomènes qui résultent de leurs relations avec nos
instruments »193, et en arrive à la conclusion troublante selon laquelle il faudrait « […] repenser un
grand présupposé de notre connaissance : la différence entre la réalité et les apparences »194.

5. 2. 3. Réalité et falsifiabilité.

« A partir du moment où un énoncé scientifique parle de réalité, il doit être falsifiable ;


si cet énoncé n’est pas falsifiable, cela signifie qu’il ne parle pas de la réalité. »195

aarl Popper est célèbre pour avoir proposé le critère de falsifiabilité, « selon lequel les
énoncés, ou systèmes d’énoncés, sont porteurs d’information sur le monde empirique uniquement si
on peut les confronter avec l’expérience, plus précisément si on peut systématiquement les tester, de
façon à pouvoir les soumettre à des tests qui pourraient avoir pour résultat leur réfutation »196. Popper
précise que « ce critère de falsifiabilité permet de faire la distinction, avec suffisamment de précision,
entre les systèmes théoriques issus des sciences empiriques et les systèmes métaphysiques »197. Ainsi,
on peut considérer que falsifiabilité et réalité seraient, en quelque sorte, équivalentes (toutefois,

187. Ibid. (pp. 58-60).


188. Ibid. (p. 64).
189. La quantique est la science de la surface des choses, par Mathilde Fontez (Science & Vie n° 1177).
190. Ibid. (p. 67).
191. Ibid. (p. 67).
192. Ibid. (p. 67).
193. Ibid. (p. 68).
194. Ibid. (p. 68).
195. « In so far as a scientific statement speaks about reality, it must be falsifiable: and in so far as it is not falsifiable, it does
not speak about reality » (aarl Popper, The logic of scientific discovery, p. 316).
196. « According to this criterion, statements, or systems of statements, convey information about the empirical world only if
they are capable of clashing with experience, or more precisely, only if they can be systematically tested, that is to say if
they can be subjected […] to tests which might result in their refutation » (en italique dans le texte original ; ibid., p. 315).
197. « […] our criterion of falsifiability distinguishes with sufficient precision the theoretical systems of the empirical sciences
from those of metaphysics […] » (ibid., p. 315).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 32


Popper indique que, « d’un point de vue historique, la métaphysique peut être considérée comme à
l’origine des théories des sciences empiriques »198).
Sans vouloir remettre en cause ce critère de falsifiabilité, il me semble cependant qu’on peut
poser un certain nombre de questions :
- Si, pour une raison quelconque (pratique, logistique, etc.), un énoncé ne peut être testé, sera-t-il
considéré comme ne décrivant pas la réalité ?
- Le critère de falsifiabilité ne confond-il pas "monde empirique" et "réalité" ? (J’avais identifié le
même problème en étudiant les objections anti-créationnistes) ;
- Ce critère ne sous-tend-il pas également une prétendue supériorité des "systèmes empiriques"
(considérés comme scientifiques) par rapport aux "systèmes métaphysiques" (considérés
comme non scientifiques) ?
- Enfin, cette "démarcation" entre les deux types de systèmes me semble faire totalement
abstraction de la composante métaphysique indispensable des théories scientifiques.199

5. 2. 4. La réalité scientifique est une construction abstraite.


Les scientifiques, sous couvert de la prétendue "pleine indépendance"200 de la science, se
considèrent trop souvent comme indépendants de toute philosophie, notamment parce que « […] la
science a le pouvoir d’exercer une fonction critique sur les productions de la philosophie […] »,
rendant ainsi la science « […] contraignante pour la philosophie »201 – ce qui sous entend l’idée que
la philosophie ne pourrait pas, quant à elle, exercer la moindre critique sur le fonctionnement de
l’investigation scientifique. Ainsi, selon Boillot, « […] la science positiviste croit simplement tenir la
science à l’écart de toute considération philosophique, au moment même où elle postule, fut-ce pour
la récuser, une réalité existant en soi […] »202.
D’autre part, Boillot qualifie le réalisme de naïf, insistant sur le fait que « […] la philosophie
nous convainc bien vite que la croyance naïve en la réalité est une illusion […] »203. J’ajoute que
c’est le réalisme scientifique qui me paraît tout particulièrement naïf.
Boillot précise également, suivant ainsi aant, que « [l]a seule réalité qui soit accessible est
la réalité phénoménale, et non la réalité en soi […] »204. Il cite Bachelard, pour qui « […] la réalité
n’est pas quelque chose de donné, mais une construction […] »205. « Bref, contrairement à ce que
l’on pense, le réel n’est pas le concret immédiat […]. Le concret réel est celui que construisent les
sciences […], en ayant recours à l’abstraction […] »206. Pour finir, on peut conclure, en suivant à
nouveau aant, qu’ « [i]l faut entendre par réalité objective non pas la réalité brute et chaotique des

198. « […] metaphysics […] from a historical point of view can be seen to be the source from which the theories of the
empirical sciences spring » (ibid., pp. 315-316).
199. N’oublions pas l’aphorisme de Lamarck : « […] [T]oute science doit avoir sa philosophie, et ce n’est que par cette voie
qu’elle fait des progrès réels » (Philosophie zoologique, 1809 ; cité par Bertrand Louart dans Le vivant, la machine et
l’homme, p. 20).
200. Guide Critique de l’Évolution (op. cit., p. 31). Cette vision naïve de l’investigation scientifique ne tient absolument pas
compte de toutes les influences et contraintes qui biaisent la recherche (considérations économiques, politiques, sociales,
mais aussi militaires).
201. Ibid., pp. 31-32.
202. 25 mots clés de la philosophie (op. cit., p. 31).
203. Ibid. (p. 31).
204. Ibid. (p. 30).
205. Ibid. (p. 32).
206. Ibid. (p. 33 ; en italique dans le texte original).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 33


événements et des choses, mais la réalité constituée et construite en objet connu par la pensée
humaine »207. Comme le dit également Mlodinow, qui se réfère également à aant, « […] la réalité
que nous vivons a été construite puis façonnée par nos esprits et […] elle est limitée par nos croyances,
nos ressentis, notre vécu et nos désirs »208. Aussi, pour conclure, « [l]a question est : sommes-nous
en train de lire le grand livre de l’Univers ou sommes-nous en train d’en écrire un ? »209

Dès lors, que peut bien signifier "être déconnecté de la réalité" ? S’il s’agit de la réalité
abstraite construite par les scientifiques, rien ne peut obliger personne à croire que cette "réalité" soit
la seule valable. S’il est clair que certaines connaissances scientifiques se retrouvent parfois dans de
spectaculaires applications technologiques ou médicales qui, par rapport à la notion de réalité,
peuvent être considérés comme autant de preuves tangibles (par exemple le numérique), en revanche,
la majorité du savoir scientifique n’ayant que peu ou pas de telles applications, il est extrêmement
difficile, voire impossible, d’être certain d’avoir réellement accès à la réalité ultime. Certes, il est
toujours possible d’affirmer péremptoirement qu’une découverte donnée démontre clairement
l’exactitude de telle ou telle théorie (ce que les darwinistes passent leur temps à faire, car la théorie
darwinienne joue le rôle d’authentique "acide universel" 210 ) ; toutefois, la même découverte, ou
d’autres, restent disponibles pour différents cadres interprétatifs "alternatifs", scientifiques ou
autres.211

5. 3. Le problème des modèles et des simulations.


Les modèles et simulations, qu’elles soient analogiques ou numériques, représentent
immanquablement des simplifications, parfois outrancières, de la réalité. Prenons un exemple tiré de
l’enseignement de la géologie au collège : la modélisation d’une éruption volcanique.
Le volcan est représenté par un tube "en U", la lave par du shampooing ou du ketchup (volcan
effusif) ou de la purée épaisse (volcan explosif). Le "moteur" de l’éruption (gaz dissous dans le
magma) est simulé par la mise en dissolution d’un cachet effervescent.
Les limites de cette modélisation sont aussi évidentes qu’accablantes (à tel point que cette
expérimentation simpliste devrait être abandonnée, car pouvant mener à de graves confusions212) :
- Les différences d’échelle (d’un facteur d’au moins cinq ordres de magnitude) sont
beaucoup trop importantes ;

207. Ibid. (p. 39).


208. Qui détient la clé de l’Univers ?, op. cit., pp. 312-313 (« […] German philosopher Immanuel Kant postulated that the
reality we experience is one that has been constructed and shaped by our minds, minds limited by our beliefs, feelings,
experiences, and desires » ; War of the worldviews, p. 280).
209. Ibid., p. 313 (« But are we reading the grand book of the universe, or are we writing one? » ; War of the worldviews, p.
281).
210. Selon l’expression de Daniel C. Dennett (Darwin’s Dangerous Idea, Chapitre 3).
211. A ce sujet, le relativisme philosophique affirme que toute connaissance est relative, notamment parce que la connaissance
dépend du sujet qui l’étudie : il en découle qu’il n’existe pas de vérité absolue ou objective. Cette position prône l’idée que
tous les discours se valent. On peut la critiquer comme étant une stratégie d’évitement, menant immédiatement à
l’impossibilité de toute réflexion approfondie sur quelque sujet que ce soit, et l’inutilité de toute argumentation, de tout
débat. Dans ce cadre, « [l]es assertions scientifiques auraient le même statut que les assertions mythologiques, religieuses
ou artistiques », mais ce serait oublier que « les modalités de production des affirmations sur le monde sont extrêmement
diverses : elles ne répondent pas aux mêmes objectifs ; elles ne reposent ni sur les mêmes codes, ni les mêmes méthodes »
(Guide critique de l’Évolution, p. 156 ; reste à savoir si ces différences sont véritablement significatives). Pourtant,
rappelons la fameuse citation : « The full mind is alone the clear ».
212. Sans compter tous les problèmes de comportement des élèves soulevés par la mise en œuvre de telles manipulations.

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 34


- Dans un volcan "naturel", la cheminée volcanique est plus ou moins rectiligne et verticale,
et non courbée ;
- Le magma et la lave qui en découle sont constituées de roche en fusion (et non de
substances – alimentaires, cosmétiques ou autres – produites par des activités
humaines) ;
- Les gaz dissous dans le magma y sont présents dès sa formation dans le manteau terrestre :
ils ne sont pas ajoutés de façon ad hoc pour mettre en évidence un mécanisme
(opposition entre un mécanisme totalement sous la dépendance des lois physico-
chimiques et une entreprise humaine reposant sur un projet).
Les problèmes me semblent encore plus écrasants avec les simulations informatiques213, tant
le monde réel et l’univers des ordinateurs semblent incompatibles et irréconciliables214.

Sanford, avec une certaine lucidité, critique les programmes informatiques développés par
Richard Dawkins pour modéliser l’évolution darwinienne (p. 22).215 Au-delà des points que soulève
l’auteur, j’insisterai sur d’autres problèmes, au moins aussi prégnants :
- Les simulations informatiques ne sont que des "exercices de style" ne démontrant rien du
tout, car elles sont justement conçues, non pour démontrer une proposition (déjà
considérée comme démontrée), mais pour tenter de la confirmer : si l’on y parvient,
alors on conclut que l’hypothèse est corroborée par l’informatique ; si l’on y parvient
pas, on se contente d’oublier cet échec considéré comme non significatif. Dans ce
genre de "démonstration", c’est l’ensemble du raisonnement qui est biaisé par cette
"condition" de départ : valider à tout prix l’hypothèse à tester en particulier pour
respecter le cadre établi, le paradigme dominant ;
- Dawkins parle du processus de tamisage (sieving process) par lequel le produit d’une étape
de la sélection cumulative devient lui-même l’objet d’un tamisage par une nouvelle
étape de sélection. Le premier problème, dans ce mécanisme, est que la sélection
naturelle est envisagée comme agissant toujours dans la même direction d’une étape
à la suivante ; c’est bien peu probable, d’autant que – et Dawkins semble
complètement l’oublier – cette sélection se fait sur la base de conditions
environnementales considérées comme aléatoires et imprévisibles, ce qui se
manifeste par le fait que ce qui est adapté aujourd’hui peut ne plus l’être demain.
Bref, dans la réalité concrète, la "direction" prise par la sélection naturelle ne cesse
de changer. Le deuxième problème, souligné par Dawkins lui-même (mais qui ne lui
apporte aucune véritable solution) et critiqué par Sanford, c’est que, dans son
programme visant à obtenir la phrase « Methinks it is like a weasel », l’ordinateur
sélectionne la phrase qui, même de très peu, ressemble le plus à la phrase-cible: le
but à obtenir est donc clairement identifié dès le départ (ce qui n’est pas du tout le
cas dans la nature, selon la vision standard de la théorie darwinienne de l’évolution).
Plus loin, Dawkins revient sur ce problème, insistant sur le peu de générations

213. Ces problèmes sont encore renforcés par l’emploi abusif de l’expression "intelligence artificielle" (exemple typique
d’oxymore imposé de façon dogmatique).
214. Il faut toutefois reconnaître que certaines simulations se sont révélées particulièrement puissantes, comme le fait de pouvoir
tester un pont virtuel avant même d’en envisager la construction.
215. The Blind Watchmaker (Chapitre 3).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 35


nécessaires « si l’on ne change jamais de direction »216, c’est-à-dire, « si l’on connaît
précisément vers quelle formule génétique se diriger, et comment l’atteindre »217. Il
précise alors qu’un tel processus n’existe pas dans le cas réel de l’évolution, sans
pour autant voir un quelconque problème à l’introduction d’un tel biais dans son
programme. Dawkins se contente de s’émerveiller du peu de temps qu’il aura fallu à
la machine pour arriver à la phrase recherchée – évidemment, puisque tout a été mis
en place, dans le programme, pour en arriver à ce résultat !
- Et c’est bien là un problème fondamental : dans son programme, Dawkins ne cesse
d’introduire, en toute connaissance de cause, tout un ensemble de contraintes, de
simplifications, de conventions arbitraires, afin, précisément d’obtenir ce qu’il
cherche ; ensuite, il s’étonne d’y être parvenu ! En fait, quoi de plus normal ? Quoi
de plus prévisible ? Il préfère jouer les étonnés en remarquant que les formes qu’il
obtient ressemblent à s’y méprendre à des insectes, attitude subjective à l’extrême
(répétée à l’envi avec la Figure 5, p. 61, où il "reconnaît" certaines formes, pourtant
très bizarres, avec un aplomb inébranlable). Malgré cela, il reconnaît que c’est son
propre œil, son propre cerveau, qui ont opéré le tri, la sélection218 : dans ce cas, le
résultat, même totalement "imprévisible" (mais l’était-il vraiment?), n’a absolument
rien d’étonnant. C’est l’ensemble de la procédure qui est complètement engluée dans
une circularité vide de sens. Cela ressemble à l’étonnement que pourrait manifester
un maçon entreprenant de construire une maison… d’avoir réussi à construire une
maison !

Sanford a lui-même utilisé des simulations informatiques pour tester un certain nombre de
points en lien avec l’entropie génétique, notamment une meilleure prise en compte du bruit biologique
(biological noise ; p. 104). Même s’il semble sûr de lui quant au bien fondé des résultats qu’il a
obtenus, je reste personnellement très sceptique de façon générale en ce qui concerne l’emploi de tels
modèles. Je le répète : comment être certain de représenter le monde naturel de façon réaliste en
utilisant une machine numérique, dont le langage se réduit à de gigantesques séries de 0 et de 1 ?219

5. 4. La mise en évidence d’un paradoxe.


Les arguments de Sanford en faveur de l’entropie génétique sont impressionnants et ne
peuvent, selon moi, être simplement ignorés. De la même façon que l’entropie de l’Univers ne cesse
d’augmenter (le menant sans doute vers sa "mort thermodynamique"), l’entropie du génome croît
régulièrement. D’après Sanford, ce serait cette augmentation de l’entropie génétique qui expliquerait,
en particulier, la disparition des espèces vivantes, par dégénérescence (p. 53).
Cette représentation des choses pose pourtant un certain nombre de problèmes :
- Lors des événements de spéciation, de nouvelles espèces apparaissent, dérivant
directement d’espèces antérieures : si le génome de ces dernières était dégénéré au
point de les rendre non viables, comment expliquer la survie et la propagation des
nouvelles espèces ?

216. « […] if you never take a wrong turning […] » (The Blind Watchmaker, p. 71 ; en italique dans le texte original).
217. « […] if […] you know exactly what genetic formula you are heading towards, and how to steer towards it » (ibid.).
218. « This is a task that is better done by the human eye, together with […] the 10-giganeurone computer inside the skull »
(ibid., p. 61).
219. Voir toutefois la notion d’« Univers information », présentée par Igor et Grichka Bogdanov.

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 36


- Certaines espèces, appelées maladroitement "fossiles vivants" (expression oxymorique,
puisqu’une espèce n’est qualifiée de fossile que si elle a disparu), semblent exister
depuis des dizaines, parfois des centaines de millions d’années (certaines blattes et
requins, le cœlacanthe, par exemple) : comment l’expliquer dans le cadre de
l’entropie génétique, qui semble agir sur des périodes beaucoup plus courtes ?

Face au grand nombre d’espèces qui constituent les biosphères actuelle et passées, un
paradoxe semble apparaître pour prendre en compte l’entropie génétique : on devrait observer bien
moins d’êtres vivants sur la Terre, que ce soient des espèces vivantes ou fossiles. Une seule explication
est alors possible : il doit nécessairement exister au moins un processus permettant de compenser les
ravages de l’entropie génétique. De nombreuses possibilités se présentent, comme nous allons
maintenant le voir.

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 37


6. DES SOLUTIONS POUR EXPLIQUER L’ORIGINE
ET LE MAINTIEN DU GÉNOME.

6. 1. L’intervention d’une intelligence : un Créateur.

« Le fait que les espèces aient réussi à survivre aussi longtemps


est la preuve du génie du Créateur,
qui a conçu les êtres vivants en leur conférant une robustesse et une résistance aux dommages
qui sont stupéfiantes. »220

Selon Sanford et les Créationnistes, les êtres vivants auraient été l’objet d’une Création,
processus intelligent menant à l’apparition d’organismes parfaits (car créés à l’image du Créateur,
considéré comme parfait). Cette perfection se manifeste alors, notamment, par l’absence de
consanguinité lors de croisements entre individus apparentés. Puis, au cours du temps, et sous l’action
de l’entropie, les organismes commencent à dégénérer, jusqu’à ne plus être viables et à disparaître.
Seule une nouvelle intervention du Créateur permettrait l’apparition de nouvelles espèces parfaites,
et ce processus "cyclique" pourrait se répéter indéfiniment.
Cette explication ne me déplaît pas foncièrement, mais elle me semble étayée par bien peu de
preuves tangibles. En dehors de la croyance en un tel Créateur, il est difficile d’envisager une
explication de ce genre. En revanche, la dimension "intelligente" de la conception du vivant est
extrêmement stimulante – les organismes pouvant être vus dans l’optique d’une intelligence
intrinsèque, capacité à trouver des solutions à toute une série de problèmes.

6. 2. Des alternatives au créationnisme.

« Il n’existe pas de représentation neutre de l’évolution,


l’image utilisée permet toujours d’insister davantage sur un aspect plutôt que sur un autre […],
ce qui véhicule nécessairement une certain vision du monde […] et donc une idéologie scientifique,
ou encore […] une prise de position dans le débat épistémologique. »221

La plupart des publications sur la pensée évolutionniste ne font référence, de façon résumée,
qu’à la théorie darwinienne et, parfois, à la théorie lamarckienne (résumée de façon extrême dans
l’expression "hérédité des caractères acquis"). Il en existe bien d’autres, considérées au mieux comme
marginales, au pire comme obsolètes, pseudo-scientifiques, voire anti-scientifiques. Je les passerai en
revue, puis montrerai comment ces modèles explicatifs pourraient constituer autant de solutions
possibles au problème de l’entropie génétique.

6. 2. 1. Le structuralisme.

220. « The fact that species have managed to survive this long is a testimony to the genius of the Creator, who designed living
things with an amazing robustness and resistance to injury » (Price, Carter & Sanford, 2020).
221. Guillaume Suing et Damien Aubert (Evolution : vers une approche dialectique).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 38


Le structuralisme est une théorie scientifique fondée par Richard Owen (1804-1892) et
défendue aujourd'hui notamment par Michael Denton222. Elle explique l’essentiel de la constitution,
du fonctionnement et de l’évolution des organismes par des considérations inhérentes à la structure
de la matière vivante. A l’opposé du fonctionnalisme, du sélectionnisme et de l’adaptationnisme
darwiniens, le structuralisme envisage le vivant comme l’expression d’un ordre inhérent à la matière
qui, s’organisant graduellement dans des constructions de plus en plus complexes, en arrive à former
des cellules vivantes et des organismes pluricellulaires. Dans ce cadre, non seulement la vie, mais
l’évolution du vivant sont vues comme nécessaires, voire inévitables, car sous l’emprise de lois
physico-chimiques fortement déterministes. Cette conception du vivant est aujourd’hui considérée
comme obsolète car détrônée au profit du darwinisme.
Le structuralisme repose sur les notions suivantes :
- Un certain nombre d’aspects présents chez les êtres vivants ne présentent aucune
dimension adaptative ;
- De nombreuses innovations évolutives, qui permettent de définir les grands groupes
phylogénétiques (taxa), font penser à des "schémas primordiaux" (primal patterns)
sans aucune dimension adaptative ;
- La forme et la structure des organismes vivants sont la conséquence de propriétés physico-
chimiques fondamentales de la matière vivante, n’ayant aucun rapport premier avec
le modèle d’évolution darwinienne (seules les adaptations ultérieures de ces formes
et structures seraient dues à la sélection naturelle, menant à des "masques
adaptatifs"223 trompeurs quant à l’origine ultime des formes et structures
originelles) ;
- Ainsi, la vie peut être considérée comme un système présentant un état particulier
d’organisation physico-chimique ;
- Contrairement à une idée reçue, le structuralisme n’est pas une forme de créationnisme, ni
même une théorie anti-évolutionniste ; cette théorie postule que le fonctionnalisme
darwinien, par lui-même, n’est pas suffisant pour expliquer intégralement l’origine et
l’évolution du vivant ;
- Dans cette perspective, les formes fondamentales présentes chez les organismes vivants,
appelés "Types"224, sont considérés comme immanents et déterminés par un
ensemble de lois biologiques naturelles spécifiques, dites "lois de forme" (laws of
form).
Michael Denton précise que « selon le paradigme structuraliste, une partie importante de
l’organisation générale du vivant, et de chaque organisme en particulier, est le résultat de contraintes
internes fondamentales dues à des causes qui dérivent de propriétés physiques premières des systèmes
biologiques et de la matière vivante. Ces contraintes internes, appelées “lois de la forme biologique”,
limiteraient les possibilités d’organisation des êtres vivants. Cette façon de voir a pour conséquence
qu’un grand nombre de formes biologiques de base apparaissent de la même façon que d’autres
formes naturelles – de façon ultime, grâce à l’auto-organisation de la matière – et doivent être

222. Voir Evolution: still a theory in crisis.


223. Adaptive masks (Evolution: still a theory in crisis, ibid., pp. 17 & 264).
224. Voir The Types: A Persistent Structuralist Challenge to Darwinian Pan-Selectionism, par Michael Denton.

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 39


considérées comme d’authentiques universaux »225. Denton affirme que « l’état fortement ordonné
des organismes vivants résulte de complexes mécanismes d’auto-organisation qui échappent à toute
spécification génétique »226. Ces processus « dépendent de lois naturelles de portée générale qui
déterminent les propriétés fondamentales de la matière »227. L’objection selon laquelle il
n’existerait aucune preuve de la validité du structuralisme repose d’une part sur une forme
d’aveuglement intellectuel (seul le darwinisme serait capable d’expliquer l’évolution du vivant) et,
d’autre part, sur le fait que le structuralisme n’ayant jamais rencontré la faveur des scientifiques, très
peu d’études y ont été rattachées.

Dans l’optique structuraliste, la matière contient forcément, en elle-même, les propriétés


permettant la survie et le maintien des espèces vivantes. Les organismes étant parfois considérés
comme s’opposant à l’action de l’entropie (ils représentent au contraire des formes
particulièrement ordonnées de la matière), on peut envisager qu’ils auraient, dès leur origine,
l’aptitude à s’opposer à l’action de l’entropie – en particulier l’entropie génétique. Ainsi, luttant
constamment contre le désordre (lutte dont le coût énergétique est très élevé), ils seraient
capables de maintenir un ordre suffisant, notamment dans leur génome, pour pouvoir survivre
et fournir de nouvelles espèces par spéciation.

6. 2. 2. La biologie au-delà du génome et la redondance –


L’ingénierie génétique naturelle et la réécriture du génome –
La sentience du vivant.
L’idée maîtresse de Denis Noble, c’est que « […] les fonctions des systèmes biologiques
reposent […] sur d’importantes propriétés de la matière qui ne sont pas déterminées par les
gènes »228. En effet, en se basant sur l’idée qu’il n’existe pas de "programme génétique" – notamment
parce « […] qu’il n’y a aucun niveau de causalité privilégié dans les systèmes biologiques »229 –,
Noble pense qu’il faut « […] redéfinir le génome comme une base de données pour la transmission
des organismes ayant "réussi" au sens de l’évolution […] »230. De façon audacieuse, pour ne pas dire
révolutionnaire, Noble affirme que « […] l’ADN ne fait rien d’autre qu’être là : la cellule s’en sert à
l’occasion pour lire la séquence dont elle a besoin, afin d’obtenir la production d’une protéine ».
Comme « […] des protéines sont nécessaires au dispositif de lecture du code fabriquant les
protéines », il s’avère que, de façon paradoxale, « [l]’ADN ne peut rien faire hors de la présence de
ces systèmes protéiques cellulaires […] » : ainsi, « […] le cœur du problème, c’est autant le processus

225. « According to the structuralist paradigm, a significant fraction of the order of life and of every organism is the result of
basic internal constraints of causal factors that arise out of the fundamental physical properties of biological systems and
biomatter. [...] These internal constraints, or "laws of biological form", [...] [are] believed [...] to limit the way organisms
are built [...]. This view implies that many of life’s basic forms arise in the same way as do other natural forms–ultimately
from the self-organization of matter–and are genuine universals » (Evolution: still a theory in crisis, op. cit., p. 14).
226. « […] a considerable amount of higher order in biological systems is […] arising as a result of complex self-organizing
mechanisms. Such emergent order is invisible from below and by definition beyond genetic specification » (ibid., p. 255).
227. « […] [The self-organizing processes] are dependent on higher-level natural laws that determine the properties of matter
in the first place » (ibid., p. 256).
228. La musique de la vie (p. 32).
229. Ibid. (p. 14).
230. Ibid. (pp. 14-15).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 40


de lecture que l’objet lu »231 – ce qui dépasse largement la vision conventionnelle des mécanismes de
transcription et de traduction.
Noble en arrive à l’idée « […] qu’il y a diverses manières de lire un génome » car « [l]a
lecture du génome […] est non seulement variable, mais aussi combinatoire », grâce à une forte
fragmentation du génome (notion qui me paraît pouvoir être reliée avec celle de l’ingénierie génétique
naturelle défendue par Shapiro). Selon Noble, « [i]l faut inclure dans cette variabilité les nombreux
processus de "retour en arrière". Ces processus permettent la correction des erreurs ou des
dysfonctionnements au niveau du génome », de façon à ce que « […] l’organisme soit tout de même
en mesure de passer outre »232. Dans cette perspective novatrice, « [l]a logique qui rend compte du
succès d’un gène ne se situe donc pas au niveau de son ADN, elle réside dans l’interprétation de ce
code et dans l’adéquation du résultat de cette interprétation avec la logique du vivant »233. En fin de
compte, « [l]e génome doit être lu à partir du phénotype, et non l’inverse »234.

L’ingénierie génétique naturelle est une solution qui pourrait compléter la vision structuraliste
de l’évolution, d’une part, et la position défendue par Denis Noble, d’autre part. James Shapiro
propose en effet une vision du vivant et de l’évolution qui semble présenter des points communs avec
l’approche de Noble, car le terme "ingénierie" décrit « des processus intégrés d’auto-
modification »235 : à ce sujet, Shapiro mentionne qu’il a été montré que les cellules vivantes étaient
dotées de la capacité à mettre en œuvre des processus actifs de réécriture partielle ou totale de leur
génome. Dans cette optique, le génome serait « un système de mémoire de type lecture-écriture soumis
à des changements non aléatoires sous le contrôle de fonctions cellulaires spécifiques »236 permettant
« un grand nombre de moyens pour les cellules d’introduire de l’information dans leur génome »237 :
ainsi, « ces différents types d’insertions constituent une forme d’écriture ayant la capacité de modifier
la mémoire génomique des cellules » 238 . En fin de compte, « l’ingénierie génétique naturelle
représente la capacité des cellules vivantes à manipuler et à restructurer les molécules d’ADN qui
constituent leur génome »239. Ces « processus de réorganisation peuvent concerner le génome dans
son intégralité »240.
Cette vision du vivant et de son évolution est centrée sur la notion d’information. Il s’agit de
comprendre comment les organismes « acquièrent, traitent et transmettent de l’information de façon
à permettre la mise en place et le fonctionnement de systèmes vitaux complexes » 241 . Dans cette
optique, « le processus évolutif est manifestement basé sur l’obtention d’innovations par une logique

231. Ibid. (p. 26).


232. Ibid. (p. 29).
233. Ibid. (p. 40).
234. Ibid. (p. 41).
235. « […] the built-in processes of self-modification […] » (Evolution: A View from the 21st Century, p. 132).
236. « […] the genome as a read-write (RW) memory system subject to non-random change by dedicated cell functions » (ibid.,
p. 28).
237. « […] the many ways cells inscribe information into their genomes […] » (ibid., p. xv).
238. « […] these diverse inscriptions constitute of form of writing that modifies the cell’s genomic memory » (ibid., p. xv).
239. « […] natural genetic engineering represents the ability of living cells to manipulate and restructure the DNA molecules
that make up their genomes » (ibid., p. 2).
240. « […] reorganization events have comprised whole genomes » (ibid., p. 5).
241. Partie de la phrase originale : « […] the life sciences have converged with other disciplines to focus on questions of
acquiring, processing, and transmitting information to ensure the correct operation of complex vital systems » (ibid., p. 4).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 41


combinatoire » 242 dont « les chances de succès sont bien plus importantes qu’un mécanisme de
modification génomique un nucléotide à la fois »243. « L’évolution se fait [alors] par amplification et
réorganisation de segments génomiques » 244 , ce qui présente l’avantage de « générer de la
redondance, aspect fondamental du processus évolutif »245.
De la sorte, « en considérant le génome dans une perspective informationnelle, ce type
d’ingénierie génétique systémique est une meilleure métaphore évolutive que celle, plus
conventionnelle, d’une marche au hasard orientée par la sélection naturelle »246 : au lieu de voir les
changements génomiques comme résultant d’événements aléatoires et accidentels, l’ingénierie
génétique naturelle conçoit ces « changements comme prenant leur origine dans une myriade de
fonctions cellulaires régulées » 247 , d’où « l’apparition d’innovations évolutives, à partir de la
production de nouvelles structures cellulaires et pluricellulaires, par la mise en jeu de fonctions
cellulaires d’auto-modification »248, au cours « d’épisodes de changements rapides »249 – en accord
avec les "équilibres ponctués" d’Eldredge et Gould250.
Shapiro en arrive à la notion d’une « cognition » des cellules. Très loin du déterminisme
génétique, notion fondamentale du "Dogme Central de la Biologie Moléculaire", cette cognition
permet aux cellules de « collecter et de transférer de l’information, dans le cadre de processus de
prise de décision »251 considérés comme actifs252. En conclusion, il apparaît que les cellules, loin de
se comporter en aveugle253, sont capables de « fonctionner téléologiquement, leurs buts étant leur
survie, leur croissance et leur reproduction » 254 – « conception entièrement nouvelle mais
rigoureusement scientifique d’envisager la cognition, la prise de décision et les fonctions orientées
vers un but »255.
Dans une perspective apparentée, Dennis Bray, dans son livre A Computer in Every Living
Cell , développe les notions de cognition et de sentience chez les organismes vivants. Dans le
256

242. « […] the evolutionary process has clearly been one of combinatorial innovation to produce functional systems […] »
(ibid., p. 5).
243. « […] this combinatorial process has a far greater probability of success than trying to modify each element in the genome
one nucleotide at a time » (ibid., p. 130).
244. « […] evolution by amplification and reorganization of genome segments » (ibid., p. 131).
245. « […] generating redundancy [… is] a key aspect of the evolutionary process » (ibid., p. 131).
246. « Thinking about genomes from an informatic perspective, it is apparent that systems engineering is a better metaphor for
the evolutionary process than the conventional view of evolution as selection-biaised random walk […] » (ibid., p. 6).
247. « […] genome change resulting from a constellation of regulated cell functions (natural genetic engineering) […] » (ibid.,
p. 123).
248. « Evolutionary novelty arises from the production of new cell and multicellular structures as a result of cellular self-
modification functions […] » (ibid., p. 143).
249. « […] episodic and abrupt changes […] » (ibid., p. 144).
250. Voir Punctuated Equilibria: an Alternative to Phyletic Gradualism et Punctuated equilibria: the tempo and mode of
evolution reconsidered.
251. « […] cell sensing, information transfer, and decision-making processes » (Evolution: A View from the 21st Century, op.
cit., p. 24).
252. Phrase originale complète : « Our view of genome change has become one that describes active cell processes rather than
a series of random accidents » (ibid., p. 129).
253. « […] living cells do not act blindly […] » (ibid., p. 137).
254. « […] cells are now reasonably seen to operate teleologically: their goals are survival, growth, and reproduction » (ibid.,
p. 137).
255. « […] entirely new and rigorously scientific ways to think about cognition, decision-making, and goal-oriented function »
(ibid., p. 139).
256. Littéralement, Un ordinateur dans chaque cellule vivante.

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 42


premier chapitre, intitulé Clever cells 257 , il insiste sur le fait que « même de simples cellules
individuelles sont conscientes du monde qui les entoure. Elles sont en effet capables de détecter des
saveurs et arômes de nature chimique, des vibrations d’origine mécanique, des stimuli visuels, des
champs électriques, et même la gravité. Elles y répondent de façon sélective et judicieuse par des
déplacements ou des changements de forme ou des modifications de leur milieu intérieur » 258 ,
concluant que « la plupart des micro-organismes font montre de ce que l’on appelle vigilance chez
les animaux supérieurs »259. Bray en arrive à l’idée que « la connaissance du monde représente une
caractéristique tellement primordiale de la vie »260 qu’« une conscience primitive de l’environnement
a dû constituer l’un des éléments indispensables pour que la vie apparaisse : cette conscience s’est
maintenue et s’est répandue, en prenant des formes de plus en plus complexes et productives, au sein
de la foule d’organismes vivants qui sont apparus au cours de l’histoire de l’évolution. Cette aptitude
inhérente au vivant s’est renforcée et s’est diversifiée selon une multitude de modalités différentes »261.
Dans une vision des choses que je qualifierais de révolutionnaire, Bray conclut que « le monde n’est
pas fait d’objets mais plutôt d’événements et de relations ; les organismes vivants ne sont pas faits
d’atomes ni de molécules mais plutôt de cycles de relations de causalité. La vie naît de la mise en
place d’une clôture catalytique au sein d’un ensemble de molécules diverses : une fois que cette
clôture est réalisée, on peut considérer que le système de toutes les molécules considérées
collectivement est vivant »262.
Mais Gray va encore plus loin, suggérant que « les cellules présentent deux caractéristiques
potentiellement déterminantes : la première est la perception du temps, de la causalité – une
connaissance de la façon dont les choses du monde réel s’enchaînent dans un certain ordre ; la
seconde est la faculté d’intégrité, qui rend les cellules capables de faire la différence entre ce qui leur
appartient en propre et ce qui fait partie du milieu extérieur »263. Dans cette perspective, « au fur et
à mesure que les cellules se nourrissent, grandissent, réagissent et entrent en action, leur composition
chimique, au départ statique, s’en trouve améliorée et modifiée. Comme ces modifications sont
réversibles, les cellules acquièrent une certaine réceptivité et une capacité de réactivité. Ces
remaniements sont le reflet de ce que les cellules ont vécu dans leur passé immédiat »264. De la sorte,
« les cellules seraient capables d’exploiter leur expérience passée pour prévoir le futur – ne serait-
ce qu’à partir du plus infime aperçu de ce qui va suivre – tout juste de quoi leur permettre d’anticiper

257. Litteralement, Des cellules intelligentes.


258. « […] single cells are aware of their surroundings. They detect chemical flavors, mechanical vibrations, visual stimuli,
electric fields, and gravity. They respond by moving or by changing their shape or internal state, selectively, in a
discerning manner » (p. 18).
259. « Most microorganisms display what in higher animals is termed attention » (ibid., p. 18).
260. « […] knowledge of the world is such a fundamental part of life […] » (ibid., p. 142).
261. « A primitive awareness of the environment was an essential ingredient in the origins of life : it was preserved and
expanded in increasingly elaborate and prolific forms in the subsequent explosion of living organisms during evolution.
This intrinsic capacity has been amplified and ramified in a thousand different ways » (ibid., pp. 142-143).
262. « […] the world is made of events and relationships rather than things. […] Living organisms […] are made not of atoms
and molecules but rather of cycles of cause and effect. […] Life […] lies in the property of catalytic closure among a
collection of molecular species. […] [O]nce catalytic closure among them is achieved, the collective system of molecules is
alive » (ibid., p. 198).
263. « […] [T]wo features of cells might be relevant. One is a sense of time, or causation–knowledge of the way that things in
the real world follow in a certain sequence. The other is integrity, which enables the cell to distingish between what
belongs to itself and what belongs to the outside world » (ibid., p. 233).
264. « […] [A]s the cell feeds, grows, responds, and moves, this static chemistry becomes refined and modified. […] The
reversible nature of these modifications […] ensures that they are dynamic and responsive. They represent the cell’s most
recent experiences » (ibid., p. 233).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 43


ce qui va arriver » 265 – vision des choses qui, selon moi, est compatible avec la dimension
téléologique du vivant.

Ces visions particulières et originales du processus évolutif permettent d’envisager une


solution possible au problème de l’entropie génétique. En effet, le mécanisme combinatoire
proposé par Noble permet de "contourner" l’effet délétère d’une mutation : « [s]i le plan A ne
marche pas, le plan B est activé, la cellule est capable de synthétiser des protéines qui fonctionnent
en lieu et place de celles pour lesquelles le gène défectueux codait originellement »266. Comme le
génome doit être lu à partir du phénotype, c’est-à-dire à partir de l’état dans lequel l’organisme
vivant se trouve à chaque instant, une manière de réinterprétation de l’information génétique
semble être réalisée en fonction du contexte, permettant une forme de "relecture" capable
d’amoindrir, voire d’effacer, au moins temporairement (et peut-être de façon beaucoup plus
durable), l’effet délétère de certaines mutations. Chaque organisme serait ainsi doté d’un certain
nombre de mécanismes de secours qui entreraient en jeu dès que les conditions "normales"
seraient perturbées. La forte redondance impliquée par de tels mécanismes permettrait
d’expliquer une grande partie de la robustesse et de la résilience des êtres vivants face, notamment,
à la dégradation du génome.
De plus, et de façon complémentaire et peut-être encore bien plus efficace, la cognition
des cellules envisagée par Shapiro pourrait leur permettre de connaître l’état de leur matériel
génétique et de mettre en œuvre des mécanismes efficaces permettant de contrer les effets de
l’entropie génétique, par exemple en reconnaissant certaines régions du matériel génétique
ayant accumulé un grand nombre de mutations délétères indétectables, pour une raison ou une
autre, par la sélection naturelle. Ainsi, par la mise en jeu d’un mécanisme de réécriture active,
les cellules vivantes pourraient éliminer une quantité significative de ces mutations et, au final,
alléger de façon importante leur fardeau génétique – moyen a priori efficace de lutter contre
l’entropie génétique.
En outre, la capacité des cellules vivantes, dotées d’une conscience, même rudimentaire,
du monde extérieur, de modifier et d’améliorer leur structure et leur fonctionnement interne par
la mise en œuvre d’une clôture catalytique, leur conférant une forme d’aptitude à entrevoir l’avenir
à très court terme, pourrait représenter, associée à la redondance et à la faculté de réécriture
active de leur génome, une solution extrêmement efficace au problème de l’entropie génétique.
En effet, on peut envisager que les cellules auraient acquis le moyen de détecter la
dégénérescence de leur propre génome (possibilité d’ailleurs peut-être non adaptative et
constitutive dès les premières protocellules, comme condition sine qua non à l’émergence de la
vie) et d’y remédier par la mise en jeu de toute une panoplie de mécanismes se complétant les
uns les autres. Bien évidemment, par leur nature physique, et puisque les molécules à la base de
ces mécanismes sont elles-mêmes encodées dans le génome, ces derniers ne sont pas infaillibles
et sont susceptibles de voir leur efficacité diminuer dans certaines lignées évolutives, ou dans
certaines espèces précises – raison possible de leur dégénérescence menant à leur extinction
collective ou individuelle. Cependant, l’hypothèse de l’universalité de ces processus "anti-
entropie" reste à mon sens extrêmement vraisemblable.

265. « […] the cell can use the past to read the future–to gain even the slightest inkling of what will happen next– […] simply to
help it predict the future » (ibid., p. 233).
266. The Music of Life (op. cit., p. 29).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 44


6. 2. 3. Convergence et inévitabilités évolutives – Contraintes évolutives –
Prévisibilité de l’évolution.
Terry Ord et Thomas Summer 267 définissent la convergence comme étant l’apparition
indépendante, au cours de l’évolution, de phénotypes semblables, au sens strict à partir d’informations
génétiques différentes (ce qui différencie la convergence de l’évolution parallèle, basée sur des
informations génétiques similaires – si toutefois l’origine génétique de ces processus a pu être
déterminée). Il faut également distinguer la convergence de la redondance fonctionnelle, ce qui peut
s’avérer délicat. 268 Convergence, évolution parallèle et redondance fonctionnelle sont toutes trois
regroupées sous l’appellation d’"évolution répétitive" (repeated evolution).269
La convergence évolutive se manifeste par la réapparition, chez des espèces vivantes parfois
très éloignées d’un point de vue phylogénétique, d’innovations évolutives semblables, presque
identiques. La convergence peut concerner des attributs physiques mais aussi des comportements.
L’interprétation classique ce telles occurrences est purement darwinienne : soumis aux mêmes
contraintes environnementales, des organismes différents pourront développer des solutions
analogues (qui se ressemblent sans toutefois présenter d’origine évolutive commune).
Il existe toutefois une autre interprétation de la convergence, défendue, notamment, par Simon
Conway Morris, selon qui « où que l’on porte son regard [dans le monde biologique], l’évolution est
bridée par la convergence »270 : ainsi, la réitération d’occurrences évolutives semble plus être la règle
que l’exception. Conway Morris insiste : « Qu’on s’intéresse à la fonctionnalité des solutions mises
en place par les organismes ou aux voies évolutives empruntées par ces derniers, les choix possibles
s’avèrent limités, si ce n’est inévitables »271. Il remarque que « quel que soit le niveau biologique
considéré, on trouvera des foyers présentant une stabilité biologique prolongée et qui agiront comme
des attracteurs irrépressibles »272 . Il fait appel à la notion d’« écomorphe », défini comme « une
configuration anatomique récurrente en adéquation avec des impératifs écologiques particuliers »273.
Dans le cadre d’une vision déterministe du processus évolutif, qui explore les différentes régions
accessibles de « l’hyper-espace biologique » (biological hyperspace), chaque solution, correspondant
à un écomorphe particulier, présente alors une forte probabilité d’apparaître un certain nombre de fois
au cours des temps géologiques274. Ainsi semble se dessiner « un schéma prévisible » (a predictive

267. Repeated evolution and the impact of evolutionary history on adaptation.


268. « Convergent evolution. The independent evolution of a similar phenotype. […] Ideally convergent evolution (adaptive or
otherwise) is distinct from parallel evolution in that phenotypes have been generated from different genetic processes.
However, this distinction cannot be made for most cases of reported convergence because the genetics that underlie
characteristics have yet to be investigated. Convergent adaptations should also be distinct from those that are functional
redundant, but in some cases it can be difficult to determine whether phenotypic characteristics are in fact similar or
different among taxa » (ibid.).
269. « Repeated evolution. The independent evolution of a similar functional outcome in different taxa, either through the
evolution of similar phenotypes (parallel and convergent evolution) or different phenotypes that achieve the same
functional outcome (functional redundancy) » (ibid.).
270. « […] everywhere you look evolution is hedged in by convergence » (The Runes of Evolution, p. 10).
271. « […] when one looks at either the functionality of biological solutions or the roads taken, then the choices are restricted,
if not inevitable » (ibid., p. 31).
272. « […] at whatever level of biology one considers there will be loci of persistent biological stability that will act as
irresistible attractors » (ibid., p. 33).
273. « […] recurrent anatomical configurations that answer the call of particular ecological needs » (ibid., p. 33).
274. « […] if evolution is a deterministic process, then each solution has a high probability of evolving several times » (ibid., p.
34).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 45


framework275) de l’histoire évolutive. En fin de compte, « les voies suivies par l’évolution s’avèrent
étroites et inévitables »276.
Parmi les nombreux facteurs qui, activement ou passivement, ont la potentialité d’orienter le
processus évolutif, on trouve les nombreuses contraintes auxquelles les organismes sont soumis, de
tous ordres : contraintes absolues ou universelles, contraintes fonctionnelles, contraintes génétiques,
contraintes développementales, contraintes phylogénétiques277. A leur sujet, on peut parler de « […]
barrières agissant comme des guides de l’évolution […,] qui déterminent la direction de
l’évolution »278, en insistant sur l’idée que « la notion de contraintes traduit le fait que toutes les
issues évolutives ne sont pas équiprobables et que la part de l’espace théorique des phénotypes
réellement occupé par une lignée peut être limitée »279. Toutefois, certaines contraintes, comme la
canalisation (agissant sur le développement embryonnaire en limitant l’expression de la variation
génétique, d’où la conservation du phénotype malgré les changements environnementaux), joueraient
« […] un rôle significatif sur l’augmentation du potentiel adaptatif des organismes »280. Douglas
Erwin281 fait aussi appel à la notion de contraintes, mentionnant « une quantité limitée de solutions
face à un problème particulier » 282 , d’où « des restrictions imposées à l’histoire évolutive des
différents taxons »283, résultant dans la convergence. Il précise que « les contraintes présentent de
nombreuses formes, allant de celles qui limitent la gamme de variation sur laquelle la sélection
naturelle peut agir, jusqu’aux forces physiques induites par la dynamique des fluides et la gravité,
entre autres »284. Il cite aurt Schwenk, qui présenta deux classes de contraintes, la première limitant
la production de nouveaux variants,285 la seconde menant au contraire à une grande variabilité sur
laquelle la sélection naturelle peut agir de façon drastique. 286 Aussi peut-on envisager que ces
contraintes pourraient intervenir dans le processus évolutif en rendant certains phénotypes
obligatoires, inévitables.
Dans un article consacré à la prévisibilité de l’évolution287, Simon Conway Morris insiste sur
le fait que « l'évolution est bien plus prévisible qu'on le pense généralement »288 et sur la possibilité
« d'identifier une certaine prévisibilité dans le processus évolutif ainsi que dans ses résultats »289. Il
rajoute que « les destinations évolutives sont très loin d'être accidentelles » 290 et « qu'en réalité,
plutôt qu'un processus totalement ouvert, l'évolution est extrêmement contrainte » 291 . Faisant
référence à « l'étrange capacité des organismes à se diriger vers des solutions particulières »292 ,
Conway Morris en arrive à l'idée qu'il « est peut-être temps d'aborder le problème des propriétés

275. Ibid., p. 43.


276. « […] the roads of evolution are indeed narrow and inevitable [...] » (ibid., p. 10).
277. Les contraintes, par Alibert et. coll.
278. Ibid., p. 246.
279. Ibid., p. 263.
280. Ibid., p. 264.
281. Evolutionary contingency.
282. « […] a limited range of solutions to a particular problem [...] » (ibid.).
283. « […] the limited range of viable solutions constrained the evolutionary history of different groups […] » (ibid.).
284. « Constraints come in many forms, from those that limit the range of variation available for natural selection to act upon
[...] to the physical forces of fluid dynamics, gravity and the like » (ibid.).
285. « For one class, the constraint operates because organisms simply are unable to produce new variants [...] » (ibid.).
286. « The second class of constraint is one where there is abundant variation, but various forces act through natural selection
to limit the range of solutions » (ibid.).
287. The predictability of evolution: glimpses into a post-Darwinian world.
288. « […] evolution is much more predictable than generally assumed […] » (ibid.).
289. « […] it is possible to identify a predictability to the process and outcomes of evolution » (ibid.).
290. « […] the evolutionary destinations […] are very far from being fortuitous […] » (ibid.).
291. « […] in reality rather than being an open-ended process evolution is deeply constrained » (ibid.).
292. « […] the uncanny capacity of organisms to navigate to particular solutions » (ibid.).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 46


biologiques en elles-mêmes si l'on veut apporter quelque ordre à l'évolution plutôt que répéter pour
la énième fois la formulation darwinienne de façon stérile. »293 Aussi conclut-il que « la biologie va
aller bien au-delà de [cette] formulation »294, notamment avec l'idée que « l'évolution présente une
forme inévitable »295.
Dans un article qui s'intéresse à la convergence évolutive en relation avec le "film de la vie"
(the tape of life296), Russell Powell et Carlos Mariscal297 affirment que « l'évolution convergente peut
faire l'objet d'expériences grandeur nature valables pour soutenir des inférences au sujet de la
stabilité profondément contradictoire des innovations macro-évolutives » 298 . Ils parlent
d'« innovations évolutives répétées qui sont probablement répandues au sein d'histoires évolutives
différentes et pourraient faire l'objet de généralisations semblables à des lois »299. Ils affirment que
« certains problèmes de conception sont omniprésents au cours de l'histoire de la vie » et que
« l'ensemble des solutions évolutives à ces problèmes est extrêmement limité »300 . Ils vont même
jusqu'à se demander : « Pourquoi les contraintes biomécaniques universelles qui agissent sur
l'évolution de la forme ne devraient-elles pas être aussi intéressantes pour les biologistes que les
résultats finaux de l'évolution, bizarres et circonstanciés ? »301
Erwin302 précise que les preuves apportées par la convergence devraient mener à une nouvelle
théorie de l’évolution303, sous la forme d’« une extension qui prendra davantage en considération la
génétique du développement telle qu’envisagée par l’évo-dévo, une meilleure compréhension de la
façon dont la production de la variation est biaisée et aussi une vision plus hiérarchisée de
l’évolution »304.

Dans cette vision d’une évolution inévitable, centrée sur de nombreuses


contraintes et sur la convergence, l’éventuel rôle néfaste de l’entropie génétique semble, une
fois encore, cantonné à l’arrière-plan. En effet, les êtres vivants, semblant en quelque sorte
"guidés" vers la mise en place puis la réutilisation des solutions les plus efficaces (que ce soit en
termes d’adaptation locale micro-évolutive ou de robustesse temporelle macro-évolutive), n’ont
pu que développer les moyens de gérer les problèmes liés aux processus de dégénérescence, en
particulier génétique. La résilience du vivant d’une part, sa diversité d’autre part, ainsi que la
réitération généralisée des innovations évolutives, témoignent en faveur de l’existence d’une
propriété fondamentale des organismes : la capacité à trouver des solutions pérennes pour assurer
leur survie individuelle et collective, forme de "volonté" farouche et déterminée à durer encore et

293. « […] perhaps it is time we addressed biological properties per se if we want to bring some order to evolution rather than
reiterate for the umpteenth time the dry bones of the Darwinian formulation » (ibid.).
294. « […] a biology that will move far beyond the Darwinian formulation […] » (ibid.).
295. « […] evolution has an inevitable geometry […] » (ibid.).
296. Expression introduite par Stephen Jay Gould dans Wonderful Life (p. 14).
297. Convergent evolution as natural experiment: the tape of life reconsidered.
298. « […] convergent evolution can constitute valid natural experiments that support inferences regarding the deep
counterfactual stability of macroevolutionary outcomes » (ibid.).
299. « […] iterated evolutionary outcomes that are probably common among alternative evolutionary histories and subject to
law-like generalizations » (ibid.).
300. « […] certain design problems are pervasive in the history of life » ; « […] the set of evolutionary solutions to pervasive
design problems is highly circumscribed […] » (ibid.).
301. « Why should universal biochemical constraints on the evolution of form not be as interesting to biologists as the quirky,
more detailed outcomes of evolution ? » (ibid.).
302. Evolutionary contingency (op. cit.).
303. « Is a new theory of evolution in the offing? » (ibid.).
304. « […] an expansion that will include a more prominent role for the developmental genetics of evo-devo [...]. It will also
include a greater appreciation for interesting biases in the generation of variation and possibly a role for a more
hierarchical view of evolution […] » (ibid.).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 47


toujours face à l’adversité. Cette perspective, qu’on pourra rapprocher de la dimension
téléologique du vivant développée plus loin, permet d’envisager la vie comme centralement et
nécessairement "équipée" pour résister, subsister et se perpétuer indéfiniment, grâce à cette
faculté particulière et spécifique inhérente dès les premières protocellules et transmise, au cours
des temps géologiques, à des milliards d’espèces. Ainsi, vivre, ce n’est pas seulement se nourrir
et se reproduire ; c’est, d’abord et avant tout, exercer ce pouvoir de maintenir le désordre en-
deçà d’un certain seuil, dans un équilibre certes précaire mais toujours maintenu au niveau
global de la biosphère.

6. 2. 4. L’écologie évolutive.
Conventionnellement, c’est la génétique qui est considérée comme l’aspect fondamental de
l’évolution (darwinienne), l’écologie étant vue comme secondaire. Thierry Lodé propose, au contraire,
de se focaliser sur la dimension écologique du processus évolutif, en insistant sur l’importance de la
dynamique structurante des interactions.
Lodé commence par remarquer que « […] des dizaines d’événements non-darwiniens ont été
découverts, les endosymbioses, la dérive génétique, les transferts horizontaux de gènes,
l’épigénétique, les catastrophes, et même la spéciation sympatrique, le déplacement de caractères et
la construction des niches. Mais il n’existe pas de consensus sur ces épisodes et beaucoup ont été
réintégrés à la théorie moderne après des réinterprétations en minorant les effets »305. Il note aussi
que « le gène n’a rien d’un organisateur, il est juste un livre de cuisine. Le gène ne peut rien faire
sans que la cellule ne l’exprime. De même, on peut considérer que le vivant s’est formé, non pas le
long d’une série continue, mais par morceaux […] »306, selon le principe des poupées russes : ainsi,
les tissus se sont formés par interactions entre cellules, puis les organes se sont formés par interactions
entre tissus. Et de conclure : « La simple force structurante des interactions a engendré des corps
vivants au cours d’une longue histoire évolutive. À chaque étape de ces poupées russes, les
communautés vivantes se sont liées […] »307.
Dans cette perspective originale, « [l]’évolution est une écologie libertaire, où chaque élément,
chaque être vivant cherche et trouve sa place dans la communauté écologique des espèces où chacun
dépend des autres et les autres de chacun ». Ainsi, « l’espèce serait un groupe d’individus qui
possèdent en commun un système de reconnaissance spécifique » : « [l]’individu appartient à une
espèce parce qu’il reconnaît un individu sans le connaître ». « Cette espèce forme l’un des
emboîtements irrévocables de la série des emboîtements du vivant dans les autres éléments, des
poupées russes depuis l’organisation cellulaire jusqu’à l’individu et l’inscription dans les
écosystèmes ». « Le succès [évolutif 308 ] des espèces est donc contraint par l’ensemble des
interactions écologiques qui dessinent l’espace-temps de l’espèce. À partir de ces milliers de liaisons
et de coopérations, se sont formées les communautés écologiques de notre histoire évolutive ». « On
peut par conséquent regarder l’évolution comme l’effet des interactions d’un ensemble de
communautés dynamiques, théorie libertaire que je nomme l’écologie évolutive. Ces communautés
libres dirigées par elles-mêmes forment ensemble sur notre planète une écologie qui évolue. […]

305. Notons ici l’une des prétendues grandes forces du darwinisme : la capacité à tout ramener à la sélection naturelle.
306. Ni Dieu, Ni Darwin, l’écologie évolutive (2020 ; en italique dans le texte original).
307. Ibid. (en italique dans le texte original).
308. Lodé parle de succès "reproductif", ce qui me semble limitatif par rapport à un succès évolutif, plus général.

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 48


[L]’écologie évolutive est le résultat des milliards d’interactions qui, depuis la nuit des temps,
associent les molécules entre elles, les cellules, les organes et les corps »309.

L’évolution étant considérée comme mue par des interactions incessantes à tous les
niveaux d’organisation et de structuration du vivant (molécules, organites, cellules, tissus,
organes, appareils et systèmes, individus, groupes, populations, espèces, écosystèmes et,
pourquoi pas, la biosphère dans son ensemble), le rôle de la dimension génétique du processus
évolutif pourrait être relégué au second plan – à l’opposé, donc, de l’évolution darwinienne – :
ce ne sont plus les gènes qui "décident" mais ces interactions particulières qui se mettent en
place le long de l’histoire évolutive, au cours d’étapes à l’origine de la structuration
d’innovations qui pourraient apparaître brusquement, orientant l’évolution de façon cruciale
mais relativement indépendamment des gènes. De la sorte, on peut envisager que l’effet de
certaines mutations s’en retrouverait amoindri, estompé, flouté – y compris celui de mutations
bénéfiques, d’ailleurs. Ainsi, en considérant les interactions écologiques comme primordiales
dans le processus évolutif, l’entropie génétique se retrouve confinée en une dimension si retreinte
qu’elle en devient secondaire. Une fois encore, c’est la Vie qui gagne.

6. 2. 5. L’homéostasie comme mécanisme de l’évolution.310


En page 64, Sanford fait appel au processus d’homéostasie, « […] phénomène naturel où
toutes les choses vivantes s’autorégulent quand les circonstances changent »311. Il affirme que « [c]e
genre d’homéostasie neutralise l’effet de la plupart des mutations, rendant ainsi encore plus de
mutations invisibles à la sélection » 312 , car « l’homéostasie fonctionne à chaque niveau de
l’organisation biologique »313.
Il me semble qu’il faut bien faire la différence ici entre l’homéostasie "générale" et
l’homéostasie "génétique", cette dernière pouvant être vue de deux façons : "positive", « la capacité
d'une population à maintenir l'équilibre de sa structure génétique et à résister à des variations
rapides »314, ou "négative", « la limite de la variabilité génétique d’une espèce »315 due au fait que
« toute amélioration importante dû à la sélection naturelle doit de façon évidente mener à une forte
diminution de la variabilité génétique » 316 . Cette démarcation a pour but de distinguer la
neutralisation de l’effet d’une mutation (bien présente) du fait de l’empêcher de se manifester dès le
départ (et donc absente). Notons que si Sanford voit l’homéostasie "générale" comme jouant en faveur
de l’entropie génétique, « en réduisant efficacement au silence la plupart des effets des

309. Ce paragraphe est entièrement construit à partir de citations de l’article de T. Lodé cité en référence (en italique dans le
texte original).
310. « Homeostasis as the Mechanism of Evolution », titre de l’article de référence par John S. Torday.
311. « Homeostasis is the natural phenomenon wherein all living things self-regulate themselves as circumstances change » (p.
57 ; en italique dans le texte original et dans la traduction française).
312. « Such homeostasis further neutralizes the effect of most mutations, making even more mutations invisible to selection » (p.
57).
313. « […] homeostasis operates at every level of biological organization […] » (p. 58).
314. « The tendency of a population to equilibrate its genetic composition and to resist sudden changes » (Oxford Reference).
315. « The limit to the amount of genetic variability available in a species, Mayr termed "genetic homeostasis." » (Richard
Milton, Shattering the myths of Darwinism, op. cit., p. 135).
316. « "Obviously," says Mayr, "any drastic improvement under selection must seriously deplete the store of genetic
variability." » (ibid.).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 49


nucléotides »317, il me semble, au contraire, qu’elle s’y oppose, tout comme l’homéostasie génétique,
qui, elle, paraît s’opposer au processus évolutif "classique" (voir ci-après ; les deux peuvent donc être
vues comme des mécanismes anti-darwiniens).
John Torday s’est intéressé aux relations entre homéostasie et évolution. Il précise qu’ « on
définit l’homéostasie comme la propriété que présente un système dont certaines variables sont
régulées de façon à ce que les conditions internes restent stables et relativement constantes. Il s’agit
d’un processus qui permet de conserver la stabilité de l’environnement interne d’un organisme face
aux fluctuations des conditions externes. Pour ce faire, l’homéostasie fait intervenir un capteur
capable de détecter les changements de la grandeur à réguler, un mécanisme effecteur qui peut faire
varier cette grandeur, et une boucle de rétroaction négative entre les deux. De tels processus
homéostatiques existent aux niveaux des cellules, des tissus et des organes, ainsi qu’à celui des
organismes en tant que touts (et qu’on appelle l’allostasie) » 318 . Les systèmes de correction de
l’ADN319, intervenant suite à la réplication, peuvent être considérés à la fois comme le capteur (la
matrice d’ADN originale), l’effecteur (qui corrige les erreurs sur le nouveau brin d’ADN) et la boucle
de rétroaction permettant de vérifier que l’erreur a été corrigée et éviter les "excès de zèle" du système.
Qu’en est-il du rôle possible de l’homéostasie dans le processus évolutif ? Torday insiste sur
le fait que « l’homéostasie est un mécanisme robuste, dynamique, transgénérationnel et diachronique
(permanent), qui permet le maintien, la pérennisation et la modification des structures et des fonctions
des systèmes physiologiques »320, que « l'homéostasie représente le principe mécaniste fondamental
de la biologie »321, et en arrive à « l'universalité illimitée du concept d'homéostasie »322. En fin de
compte, « l'homéostasie pourrait faire office à la fois d'agent de stabilisation et de facteur de
détermination du changement évolutif »323.
En effet, « il semblerait qu’une entropie réduite soit à la base de la dynamique évolutive, et
qu’un contrôle au niveau de l’homéostasie soit impliqué pour que cette propriété du vivant puisse
être préservée et pérennisée. Le fait de ramener l’évolution au niveau de l’homéostasie donne accès
aux bases mécanistes premières permettant d’expliquer l’origine et la causalité de ce processus. Il
n’est plus question de mutations aléatoires ni de sélection naturelle, mais d’adaptation de
l’environnement interne des organismes à l’environnement externe représenté par le monde physique,
au service de l’homéostasie »324.

317. P. 77 (« […] life’s self-correcting mechanism (called homeostasis) operates on every biological level, effectively silencing
most nucleotide effects […] ; p. 73).
318. « Homeostasis is defined as the property of a system in which variables are regulated so that internal conditions remain
stable and relatively constant. […] It is a process that maintains the stability of the organism’s internal environment in
response to fluctuations in external environmental conditions. […] Homeostasis requires a sensor to detect changes in the
condition to be regulated, an effector mechanism that can vary that condition, and a negative feedback connection between
the two. […] Homeostatic processes act at the level of the cell, the tissue, and the organ, as well as at the level of the
organism as a whole, referred to as allostasis » (Torday, 2015).
319. Molecular Cell Biology (pp. 551-555).
320. « Homeostasis is a robust, dynamic, intergenerational, diachronic (across-time) mechanism for the maintenance,
perpetuation and modification of physiologic structure and function » (ibid.).
321. « […] homeostasis is the mechanistic fundament of biology […] » (ibid.).
322. « […] the scale-free universality of the homeostatic principle […] » (ibid.).
323. « […] homeostasis can act simultaneously as both a stabilizing agent and as the determining mechanism for evolutionary
change » (ibid.).
324. « It has been suggested that reduced entropy is the driving force behind evolution, a property of life that requires
homeostatic control to be sustained and perpetrated. Reducing evolution to homeostasis offers a fundamental mechanistic
insight to the origin and causal nature of this process. It is no longer random mutation and Natural Sélection, but
adaptation of the internal environment of the organism to the external environment of the physical world in service to
homeostasis » (ibid.).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 50


Dans cette perspective, l’homéostasie, par sa dimension stabilisatrice, pourrait être
envisagée comme s’opposant à (et non favorisant) l’entropie génétique :
- L’homéostasie génétique, en permettant d’éviter l’apparition de certaines mutations, limite
l’augmentation du fardeau génétique, donc le nombre de mutations susceptibles d’être
indétectables par la sélection naturelle ;
- Lorsqu’une mutation se retrouve fixée, l’homéostasie "générale", en contrebalançant son
éventuel effet délétère, interviendrait comme un mécanisme compensateur : certes la
mutation devient de la sorte "invisible" pour la sélection naturelle (et donc pourrait
participer à l’augmentation du fardeau génétique), mais elle ne peut non plus jouer
aucun rôle dans le modèle d’évolution darwinienne : l’individu porteur n’en sera pas
défavorisé, ni sa descendance, puisque l’action de l’homéostasie est, nous l’avons vu,
"transgénérationnelle et diachronique" – en définitive, tout se passe comme si cette
mutation, bien que présente au niveau nucléotidique, n’existait pas, que ce soit au
niveau du phénotype de l’individu concerné ou au niveau de l’espèce à laquelle cet
individu appartient. 325 Résultat : aucune modification effective de l’information, pas
d’augmentation du bruit ni de l’entropie.326

325. Grâce à l’homéostasie, ce n’est pas la mutation qui est invisible, c’est la sélection naturelle qui est myope (ou aveugle).
326. Cette vision des choses me semble cohérente car si l’entropie est synonyme de désordre, au contraire, l’homéostasie, étant
stabilisatrice, peut être vue comme synonyme de "maintien de l’ordre".

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 51


6. 2. 6. La complexité du vivant.
6. 2. 6. 1. Indivisibilité, redondance et protection contre les erreurs.
Michael Denton s’intéresse à diverses caractéristiques liées à la complexité du vivant
et d’habitude trop peu prises en considération. Il constate, par exemple, que « […] le développement
de tout organe ou de toute partie du corps [est] étroitement relié au développement de pratiquement
tous les autres organes ou toutes les autres parties de l’organisme », c’est-à-dire qu’il existe, chez les
Métazoaires, « […] un degré extraordinairement élevé d’interdépendance entre les composantes de
leur organisme et que leur programme de développement ne [fait] appel à aucun principe de
modularité ». Il en conclut que ces idées « […] illustre[nt] à merveille la notion d’indivisibilité d’un
système complexe » 327 : la modification de la structure d’une composante s’accompagne
nécessairement de celle de la quasi-totalité de l’organisme. Finalement, le « […] développement des
organismes supérieurs328 impose certainement des contraintes supplémentaires qui interdisent toute
possibilité de changement évolutif non dirigé procédant élément par élément : l’existence d’une
redondance partielle ou totale entre les composantes de l’organisme, phénomène qui minimise
beaucoup l’impact des mutations aléatoires »329.
La redondance est une autre caractéristique en relation avec la complexité du vivant. Denton
l’explique comme suit : « Pour garantir l’atteinte d’un objectif donné, un stratagème classique
consiste à mettre en œuvre différents moyens tous capables individuellement d’y réussir : même si
l’un des mécanismes tombe en panne, la mission sera remplie »330. Selon lui, « [i]l semble qu’il y ait
là un principe universel : pour atteindre un but déterminé en toute sécurité, il faut mettre en œuvre
un certain degré de redondance, dans toutes les circonstances où la réalisation de l’objectif en
question dépend de l’interaction d’un grand nombre de composantes devant toutes fonctionner à la
perfection […]. L’emploi de la redondance est également nécessaire lorsque la réalisation de
l’objectif dépend d’un assez grand nombre de décisions cruciales prises successivement […]. On voit
mal comment les organismes pourraient échapper à la même nécessité […] »331. « Et il apparaît de
plus en plus que […] la redondance est omniprésente dans le développement des organismes
supérieurs, du niveau des gènes jusqu’aux processus de développement les plus complexes »332.
Le plus intéressant, vis-à-vis de la problématique liée à l’entropie génétique, est que ce « […]
type de redondance [soit] utilisé comme système de protection contre les erreurs au plus haut
niveau »333. « Il est de plus en plus vraisemblable que beaucoup d’aspects cruciaux du développement
des organismes supérieurs se révéleront mettre en œuvre le principe de redondance, et toujours pour
disposer d’un système de protection contre les erreurs qui garantisse 334 la réalisation d’objectifs
donnés avec un risque d’échec pratiquement nul. Ce très haut degré de redondance n’est
certainement pas dû au hasard : il découle au contraire d’une absolue nécessité »335.

327. L’évolution a-t-elle un sens ? (p. 460).


328. Voir note n°64.
329. L’évolution a-t-elle un sens ? (op. cit., p. 461).
330. Ibid..
331. Ibid. (p. 462).
332. Ibid. (p. 464).
333. Ibid. (pp. 464-465).
334. Le texte français présente ici une faute de grammaire ("garantissent") qui mène à une contradiction, voire à un contre-sens
(c’est le « système de protection » – au singulier – qui garantit le risque presque nul d’échec, et non les « erreurs » – au
pluriel). J’ai donc pris la liberté de corriger cette faute.
335. Ibid. (pp. 465-466).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 52


Or, observe Denton, « […] plus le degré de redondance est élevé, plus il est nécessaire que se
réalisent des mutations simultanées si l’on veut que s’accomplisse le changement évolutif ». Il insiste
alors sur le fait que « [l]a redondance est profondément paradoxale au regard de la théorie
darwinienne. Car la raison d’être de la redondance consiste précisément à éliminer ou à minimiser
l’effet des mutations aléatoires sur le fonctionnement de l’organisme […] »336.

Ainsi, on voit comment les notions d’indivisibilité et de redondance peuvent être


interprétées comme s’opposant à l’entropie génétique, par leur action contrecarrant celle des
mutations. On voit ainsi que, dans sa structure aussi bien que dans son fonctionnement, le
vivant apparaît, plus que jamais, dans toute la mesure de son immuabilité qui confine à
l’immortalité : ce ne sont plus les gènes "égoïstes" de Dawkins qui sont immortels, mais la Vie
dans la dimension globale de la biosphère. Dans l’histoire du vivant, l’entropie génétique semble
ne jouer qu’un rôle très secondaire – ou, au contraire, être vue comme une opportunité, comme
nous allons le voir maintenant.

6. 2. 6. 2. Complexité et entropie.
aoonin développe une théorie de l'évolution génomique non-adaptative, dans laquelle
l'évolution du génome n'est pas une adaptation, mais s'expliquerait grâce à une augmentation de
l'entropie suite à une sélection purifiante faible (weak purifying selection337) et à une dérive génétique
forte, en relation avec « des goulots d'étranglement de population » (population bottlenecks338). Cette
augmentation de l'entropie serait une « maladaptation » initialement impossible à surmonter339 – si
ce n'est par l'adaptation fonctionnelle ultérieure de séquences à l'origine neutres, permettant aux
organismes vivants de survivre à l'expansion de leur propre génome, 340 d'où une diminution de
l'entropie, variable selon les lignées.341
aoonin propose ensuite une quantification de la complexité faisant également intervenir
l'entropie. Il affirme que « l'entropie évolutive est parfaitement logique en termes biologiques : les
sites à faible entropie sont les plus conservés et, par inférence, les plus importants
fonctionnellement » 342 ; au contraire, les sites à forte entropie sont faiblement conservés, donc
relativement peu importants. Il apparaît ainsi que « les organismes qui sont habituellement considérés
comme les plus complexes (par exemple, les humains) se révèlent posséder des génomes
"entropiques", présentant une densité d'information faible, voire extrêmement faible, tandis que les
organismes que nous pensons traditionnellement comme primitifs, telles les bactéries, possèdent des
génomes "informationnels", dans lesquels l'information est plus compacte et la densité d'information
élevée »343.

336. Ibid. (p. 466).


337. The Logic of Chance (Chapitre 8, pp. 232-251).
338. Ibid. (p. 232).
339. « […] the original entropic push is a maladaptation that the population initially is not equipped to overcome » (ibid., p.
251).
340. « […] the subsequent functional adaptation of the originally neutral sequences offsets the burden of the increased genomic
entropy—in other words, it allows organisms to survive the expansion of their own genomes » (ibid., pp. 251-252).
341. « […] numerous evolving lineages followed the path of genome streamlining, in which the genome entropy and overall
biological complexity of the genome drop, often substantially […] » (ibid., p. 252 ; en italique dans le texte original).
342. « Evolutionary entropy makes perfect biological sense: Low-entropy sites are most conserved and, by inference, most
functionally important » (ibid., p. 228).
343. « [...] organisms that are habitually perceived as the most complex (for example, humans) turn out to possess "entropic"
genomes with low or even extremely low information density, whereas organisms that we traditionally think of as primitive,

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 53


Dans cette optique, une hypothèse originale, voire audacieuse, serait que les organismes
vivants pourraient s’avérer capables de tirer profit de l’entropie, non de façon adaptative (donc
en dehors de toute intervention de la sélection naturelle), mais en quelque sorte "par défaut",
étant d’une certaine façon "obligés" de composer avec cette dimension particulière de
l’Univers : l’augmentation du désordre. Ainsi, les êtres vivants se caractériseraient, notamment,
non à rester passifs face à l’entropie, mais, par cette aptitude à en tirer parti, à l’exploiter, par
exemple dans l’organisation de leur génome. Dès lors, l’entropie génétique ne constituerait pas
forcément, pas uniquement, un handicap rédhibitoire, mais, au contraire, une sorte
d’opportunité très particulière, car, "détournée" de certains de ses effets délétères, elle pourrait
être "réutilisée" à des fins sensiblement plus fructueuses, à savoir comme une "force" à l’origine
d’une partie de l’organisation génomique du vivant.

6. 2. 7. Dialectique évolutive et évolution dialectique.


Partant de l’observation selon laquelle « […] les mécanismes et la dynamique de l’évolution
sont encore largement débattus », Guillaume Suing et Damien Aubert développent l’idée que « […]
les systèmes vivants […] peuvent être compris de manière naturelle par une approche dialectique »344
(dans laquelle « […] le mécanisme darwinien […] apparaît comme l’exception […] » et qui « […]
permet de lever un des principaux hiatus philosophiques de l’évolutionnisme : la transformation de
la quantité en qualité (et réciproquement) »). En effet, « [s]uivant le principe dialectique de
l’accumulation quantitative induisant un bond qualitatif, on évite l’idée d’un processus graduel et
abstrait […] ».
Les auteurs précisent que « […] la dialectique est une philosophie du devenir qui s’oppose
fondamentalement à une philosophie de l’être » et repose sur trois thèses :
- « la thèse des contradictions dialectiques, comme lutte et unité des contraires, [qui] donne à la
matière une définition incluant et impliquant par nature son propre mouvement sous l’effet
de forces endogènes antagoniques » ; en d’autres termes, il s’agit d’une « contradiction
dialectique entre mécanismes moléculaires conservateurs et tendance à la désorganisation
interne et environnementale […] » ;345
- « la thèse de la transformation de la quantité en qualité […] » 346 , « par un saut qualitatif
circonscrivant objectivement […] les espèces » ;
- « La thèse de la négation de la négation fait […] d’une complexité dérivant du simple […] une
donnée fondamentale pour comprendre les phénomènes, puisque la question du mouvement
et celle de la matière ne font plus qu’une par définition […] »347, dans un « […] processus
qui "émancipe" jusqu’à un certain point les espèces de leurs contraintes environnementales
[…] ».
Ainsi, dans l’optique de dialectiques impliquant variation et sélection ou génotype et
phénotype, et d’une évolution « […] intimement liée à la définition de la vie elle-même », « […] le

such as bacteria, have "informational" genomes in which information is tightly packed and information density is high »
(ibid., p. 229 ; en italique dans le texte original).
344. En italique dans le texte original.
345. En italique dans le texte original.
346. En italique dans le texte original.
347. En italique dans le texte original.

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 54


mouvement autoconservateur de la vie a pour conséquence, de par sa lutte contre les fluctuations du
milieu348, d’aboutir à une transformation du vivant, c’est-à-dire à sa non-conservation tel qu’il était.
[…] La contradiction dynamique fondamentale du vivant déterminerait donc celle du moteur de son
évolution […] ». Suing et Aubert précisent que « [c]ette évolution s’est elle-même
complexifiée/perfectionnée suivant une tendance à l’émancipation progressive des contraintes
environnementales » (grâce au développement de formes pluricellulaires coloniales, de la
reproduction sexuée et des sociétés organisées, par exemple). « On a donc affaire à des systèmes
ayant des propriétés autoconservatrices de plus en plus efficaces, mais qui paradoxalement, du fait
de cette efficacité, semblent mettre en péril la conservation du système sur le long terme ». En
particulier, « [u]n système autoconservateur lutte ici objectivement contre les mutations ponctuelles
que le néodarwinisme tenait pour centrales dans le processus évolutif, mais il a lui-même évolué dans
le sens de variations à la fois plus larges et plus opportunes que le seul hasard ne laissait imaginer »
- les auteurs vont jusqu’à faire référence à « […] des mécanismes génétiques très élaborés [qui]
tentent de "dompter" de façon dialectique le couple darwinien hasard - sélection ».
Dans cette perspective, « […] nous apprenons que des mécanismes hautement élaborés se
sont superposés au cours de l’histoire du vivant, en suivant une tendance autoconservatrice
fondamentale, dont la seule finalité est de faire conserver/compliquer 349 la propriété
autoréplicative/autoconservatrice de ses origines moléculaires. En somme, non seulement le vivant
ne se conserve relativement que parce qu’il évolue, mais il évolue parce que des tendances
conservatrices ont mis en œuvre des stratégies de plus en plus efficaces et opportunes, "domptant"
ou détournant les tendances à la désorganisation naturelle (mutations, vieillissement, hybridation,
extinction de clones, etc.) ». Toutefois, Suing et Aubert constatent que « [m]alheureusement, cette
dynamique […] est souvent complètement absente de nos diagrammes phylogénétiques, mais aussi
de nos classifications ». En conclusion, il apparaît que « [l]es fameux principes de la dialectique sont
[…] de plus en plus évidents en biologie pour peu qu’on identifie la "conservation" du vivant […]
comme un contre-mouvement perpétuel aux fluctuations incessantes du milieu […] ».

Cette perception dialectique du vivant et de son évolution peuvent apparaître comme


une solution supplémentaire au problème de l’entropie génétique. En effet, cette contradiction
dynamique inhérente au vivant, à l’origine de son mouvement auto-conservateur, peut être
envisagée comme permettant d’intégrer, une fois de plus, entropie et origine du vivant d’une
part, entropie et évolution biologique d’autre part. Cette capacité dialectique des organismes à
gérer des tendances contradictoires leur conférerait, de la sorte, la possibilité non seulement
d’incorporer les "dangers" liés à l’entropie, mais aussi, en fin de compte, d’en tirer profit pour
leur fonctionnement et leur évolution. Cette faculté serait non seulement originelle, mais
pourrait avoir constitué une condition inséparable de l’apparition des toutes premières
protocellules.

6. 2. 8. La téléologie.

348. « […] l’environnement qui est lui-même une source de désordres que l’on connaît sous le nom d’entropie […] ».
349. Le terme "complexifier" me semble plus adéquat.

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 55


Wikipédia donne de la téléologie les éléments de définition suivants : « étude ou doctrine des
causes finales, de la finalité »350. Elle sous-tend l’idée que, dans l’Univers, toute entité a une fin, un
objectif, un but. La téléologie naturelle soutient que les organismes vivants présentent, eux aussi, des
objectifs intrinsèques. Le CNRTL voit dans la téléologie une vision du « monde comme un système
de relations, de rapports entre des moyens et des fins ». Dans cette optique, on peut considérer que le
but d'une chose est en même temps la cause et l'effet de la chose dont il est le but.
Selon Rupert Sheldrake, « l’idée de finalité est liée aux fins, aux intentions et aux objectifs,
conscients ou inconscients. Elle relie les organismes à leurs futurs potentiels. […] Les buts existent
dans un monde virtuel, pas dans la réalité concrète. Ils relient les organismes à des accomplissements
qui ne sont pas encore atteints, ce sont […] des "attracteurs". […] Les buts ou les motivations sont
des causes, mais ce sont des causes qui "tirent" vers un futur possible au lieu de "pousser" depuis le
passé »351.
Toute explication téléologique s’oppose en première analyse aux explications mécanistes
conventionnelles des phénomènes naturels. En effet, Alister McGrath précise que toute explication
téléologique implique que « le système considéré est organisé dans une direction »352 donnée. « Plus
essentiel encore, les explications téléologiques impliquent que le résultat final est la raison
explicative de l’existence de l’objet ou du processus qui y conduit. »353 Toutefois, Anda Danciu
rappelle que « […] Kant avait postulé […] la nécessité d’un programme téléomécaniste des
recherches en biologie qui implique une compréhension mécaniste et un principe téléologique »354.
En fin de compte, il n’existe donc pas d’incompatibilité entre les explications mécanistes et
téléologiques, les organismes étant, toujours selon aant, compris comme des "finalités naturelles"355.

6. 2. 8. 1. Finalisme vs. Entropie.


Leonard Mlodinow explique que « […] l'entropie […] est la mesure du désordre
présent dans un système : plus il est désordonné, plus l'entropie augmente. C'est l'antinomie de la vie
et de toute notion de "conception" »356. Il poursuit en remarquant « […] qu'avec le temps les choses
ont tendance à se désorganiser – c'est-à-dire que l'entropie augmente. Dans un sens, on peut
interpréter ce fait comme le manque de but ou de guide dans les lois physiques »357. Ces affirmations
amènent plusieurs remarques.
Affirmer que l'entropie est « l'antinomie de la vie » est un non-sens, car si l'entropie de
l'Univers ne cesse d'augmenter, c'est ce même Univers qui a précisément été le berceau de la vie. Si
entropie et vie étaient incompatibles, la vie n'aurait pu apparaître. En outre, Erwin Schrödinger a
démontré que les organismes vivants avaient spécifiquement cette capacité à réduire localement

350. https://fr.wikipedia.org/wiki/Téléologie.
351. Réenchanter la Science (op. cit., p. 153 ; « Purposes relate to ends or goals or intentions, conscious or unconscious. They
link organisms to their potential futures. […] Purposes exist in a virtual realm, rather than a physical reality. They connect
organisms to ends or goals that have not yet happened; they are attractors […]. Purposes or motives are causes, but they
work by pulling towards a virtual future rather than pushing from an actual past » ; The Science Delusion, op. cit., p. 79 ;
en italique dans le texte original).
352. Alister McGrath, Les énigmes de la biologie de l’évolution.
353. Ibid.
354. Explications mécanistes et téléologiques de l’évolution de la forme (op. cit., p. 31).
355. Ibid. (p. 94).
356. Qui détient la clé de l’Univers ? (op. cit., p. 137 ; « Loosely speaking, entropy is a measure of the disorder in a system. The
more disordered, usually, the higher the entropy. Entropy is the enemy of life, and of any concept of “design” » ; War of the
worldviews, op. cit., p. 121).
357. Ibid. (p. 137 ; « […] with time, things tend to become more disordered—that is, the entropy increases. In a way this is a
reflection of the lack of purpose or guidance in physical law » ; ibid., p. 121).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 56


l'entropie en maintenant une structure interne ordonnée (en même temps que l'entropie globale de
l'Univers augmentait).
De plus, interpréter l'augmentation globale de l'entropie comme « le manque de but ou de
guide dans les lois physiques » relève d'un choix arbitraire : on peut, au contraire, voir cette
augmentation comme une tendance générale de l'Univers qui, dans cette perspective, se dirige,
lentement mais sûrement, vers une "mort thermique" inéluctable. Associer "augmentation du
désordre" et "manque de but ou de guide" relève d'un amalgame intellectuel. Pour conclure sur une
note volontairement provocatrice, un guide peut très bien être désordonné.
Ces quelques considérations démontrent clairement, si besoin était, à quel point les relations
entre entropie et organismes vivants peuvent être vus sous deux angles opposés : l’entropie opposée
à la vie, ou l’entropie semblant favoriser la vie. Cette controverse m’apparaît au cœur de la polémique
concernant l’entropie génétique. De plus, tout ceci met également en évidence un certain nombre de
difficultés liées à la vision finaliste des organismes vivants, donc de leur dimension téléologique.

6. 2. 8. 2. Auto-organisation, auto-détermination, causalité circulaire, autonomie


et clôture organisationnelle téléologique du vivant.
Matteo Mossio et Leonardo Bich considèrent que l’organisation biologique peut-être
conçue comme un régime de causalité téléologique. 358 Ils insistent sur une caractérisation de la
téléologie qui s’applique spécifiquement au domaine biologique, mettant ainsi en évidence un aspect
très distinctif de l’organisation du vivant.359 Leur argumentation est basée sur le concept d’auto-
détermination, qui permet d’établir un lien entre organisation et téléologie, dans le sens où
l’organisation biologique se détermine elle-même, car ce sont les effets de sa propre activité qui
déterminent les conditions mêmes de son existence. 360 En effet, ces conditions d’existence, sur
lesquelles l’organisation exerce une influence causale, peuvent être considérées comme le but de cette
organisation biologique.361 Ainsi, chez les systèmes vivants, leurs buts et leurs conditions d’existence
ne sont qu’une seule et même chose,362 d’où une vision, au moins en partie, interne de la téléologie.
Cette auto-détermination fait intervenir un réseau de contraintes constitutives mutuellement
dépendantes dans le cadre d’une causalité circulaire formant une clôture organisationnelle.363 C’est
précisément cette circularité de la clôture organisationnelle qui permet de réhabiliter la notion de
cause finale et établit la base de la téléologie. 364 « C’est parce qu’ils sont capables d’auto-
détermination […] que les organismes biologiques […] réalisent une organisation téléologique
[…] ».365 Les êtres vivants sont ainsi vus comme des entités téléologiquement organisées dont les
parties se produisent et se maintiennent les unes les autres, permettant de la sorte la production et le

358. « […] biological organisation can be […] conceived of as an intrisically teleological causal regime » (What makes
biological organisation teleological?, 2017).
359. « […] a characterisation of teleology that specifically applies to the biological domain, and therefore captures some
distinctive feature of the living organisation » (ibid.).
360. « The core argument consists in establishing a connection between organisation and teleology through the concept of self-
determination: biological organisation determines itself in the sense that the effets of its activity contribute to determine its
own conditions of existence » (ibid.).
361. « […] the conditions of existence on which the organisation exerts a causal influence can be interpreted as the goal […] of
biological organisation […] » (ibid.).
362. « […] in the case of biological systems their goal and their own existence are one and the same thing […] » (ibid.).
363. « […] self-determination […] should be specifically understood as self-constraint […] [which] takes the form of closure,
i.e. a network of mutually dependent constitutive constraints » (ibid.).
364. « […] the circularity of organisational closure rehabilitates the notion of final cause, and grounds teleology […] » (ibid.).
365. La circularité biologique : concepts et modèles (Mossio & Bich, 2014).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 57


maintien de l’organisme en tant que tout.366 On peut dire que l’organisation globale d’une certaine
manière s’"auto-contraint", et donc s’autodétermine,367 cette clôture des contraintes constituant le
régime de causalité spécifique des systèmes biologiques.368 Dans cette perspective, les symbioses,
associations du vivant, et les écosystèmes, étant également capables de réaliser une telle clôture, sont
également de nature téléologique.369
Les fonctions biologiques peuvent être définies sur la base de cette causalité circulaire des
contraintes,370 et donc être considérées comme téléologiques. Étienne Roux insiste sur le fait que les
fonctions physiologiques semblent bien « dirigées vers un but » (goal-directed), aspect qui peut être
généralisé aux systèmes organiques. 371 Cet auteur mentionne les limites de l’explication
adaptationniste et la faiblesse fondamentale des théories sélectionnistes, qui définissent les fonctions
présentes sur la base d’une sélection opérée dans le passé, 372 faisant exclusivement référence à une
causalité externe (le processus de sélection lui-même), sans aucun égard par rapport à une causalité
interne (faisant intervenir des propriétés liées à l’organisation du vivant). 373 Concluant quant à la
pauvreté du fonctionnalisme en tant que doctrine explicative,374 il en arrive à l’idée qu’il n’existe pas
de conflit entre la dimension téléologique d’un système et une explication mécaniste de son
fonctionnement,375 notion scientifiquement acceptable et féconde.376
Selon Mossio et Bich, une telle approche fondée sur l’organisation, à l’inverse de l’approche
évolutive, met bien plus l’accent sur la dimension interne, physiologique, des systèmes vivants, plutôt
que sur les influences externes environnementales. 377 En effet, en se focalisant sur les aspects
temporels et populationnels, le darwinisme passe complètement à côté de la vraie nature des
organismes individuels.378 Bernd Rosslenbroich, quant à lui, relie la notion de clôture opérationnelle
à celle, plus générale, d’autonomie du vivant, dans le cadre d’une théorie permettant d’expliquer
l’augmentation de cette autonomie au cours de l’évolution en lien avec l’apparition des innovations
macro-évolutives.379

En quoi la dimension téléologique du vivant pourrait-elle représenter une solution face


au problème de l’entropie génétique ? La notion de clôture organisationnelle me semble être
liée à une forme de protection indirecte des organismes contre l’entropie génétique. En effet, on
retrouve ici, une fois encore, l’idée que les êtres vivants possèdent une sorte de sentience qui

366. « […] living systems are teleologically organised entities whose components produce and maintain each others as well as
the whole » (What makes biological organisation teleological?, op. cit.).
367. « […] the whole organisation can be said to […] self-constrain, and therefore to self-determine […] » (ibid.).
368. « […] closure of constraints constitutes the causal regime that is distinctively at work in biological systems » (ibid.).
369. « […] supra-organismal biological systems (as symbioses or ecosystems) could realise closure, and hence be teleological »
(ibid.).
370. « […] constraints subject to closure correspond to biological functions » (ibid.).
371. « […] the ‘goal-directed’ character of organic systems » (The concept of function in modern physiology, 2014).
372. « This is a major limitation to the aetiological selectionist theories of function, which defines current function from past
selection » (ibid.).
373. « […] the selectionist theories define what a function is in exclusive reference to external causation (selective process) with
no attention paid to internal causation in relation with organizational properties » (ibid.).
374. « […] the poverty of functionalism as an explicative doctrine […] » (ibid.).
375. « […] there is no conflict between the teleological dimension of the system studied and the mechanistic explanation of its
functioning » (ibid.).
376. « […] postulating a teleological dimension of biological systems […] is scientifically acceptable and fruitful » (ibid.).
377. « Unlike the evolutionary approach, the organisational one puts more emphasis on the internal dimension of living systems
rather than on external influences, by focusing mainly on physiology » (What makes biological organisation teleological?,
op. cit.).
378. « […] the temporal scale of the evolutionary approach […] has no explanatory significance in analysing individual
organisms » (ibid.).
379. The theory of increasing autonomy in evolution: a proposal for understanding macroevolutionary innovations (2009).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 58


leur donne la faculté de connaître subjectivement non seulement leur environnement extérieur,
mais aussi l’état de leur milieu intérieur. De la sorte, toute atteinte portée à leur intégrité
structurale, donc fonctionnelle, leur est plus ou moins immédiatement connue : ils peuvent ainsi,
par des mécanismes régulateurs, intervenir directement pour corriger le problème et maintenir,
autant que faire se peut, leur intégrité. Grâce à leur autonomie et à leur auto-détermination,
dans lesquelles causes et effets se recoupent, s’interchangent et se complémentent, les
organismes semblent s’être dotés, dès le départ, de cette incroyable capacité de robustesse et de
résilience qui ne cesse de se manifester. Ainsi, vivre ne concerne pas que la faculté de survivre
au présent ; c’est aussi, et surtout, cette faculté d’anticipation dirigée vers un futur plus ou moins
lointain mais sans doute moins indéterminé qu’il y paraît. Dans cette perspective, le cycle de la
Vie semble pouvoir se répéter indéfiniment.

6. 2. 9. Lois et prévisibilité de l’évolution – Importance de l’information.


6. 2. 9. 1. Prévisibilité de l’évolution génétique.
David Stern et Virginie Orgogozo observent « une répartition non aléatoire des
mutations significatives pour l'évolution » 380 , car « les mutations importantes se concentrent
généralement au sein de gènes particuliers, et dans des sites déterminés de ces gènes »381, et « la
contribution d’une mutation particulière à l’évolution du phénotype d’un organisme dépend donc
tout à la fois de la fonction, de la structure et du rôle des gènes et de leurs produits au sein des réseaux
génétiques »382, ce qui signifie que « tous les gènes ne sont pas égaux dans le cadre du processus
évolutif »383. Ils en concluent que « l'évolution génétique est soumise à des contraintes liées à la
fonction des gènes, à la configuration des systèmes génétiques et à la biologie des populations »384,
et que « les fondements génétiques de l'évolution phénotypique semblent donc être en partie
prévisibles »385.

6. 2. 9. 2. Lois de l’évolution génomique.


Eugene aoonin fait référence à « la découverte de plusieurs normes universelles
reliant entre elles des caractéristiques du génotype et du phénotype au niveau moléculaire »386. De
façon tout-à-fait caractéristique, « ces normes universelles ne semblent pas avoir été déterminées par
la sélection naturelle, mais constitueraient plutôt des propriétés émergentes de combinaisons de
gènes » 387 . En effet, « l’origine non adaptative des caractéristiques structurales générales des
réseaux a été solidement prouvée »388. D’autre part, « malgré des différences hautement significatives
entre les organismes, la constance de ces normes continue de se vérifier, souvent avec une forte

380. « Nonrandom Distribution of Evolutionarily Relevant Mutations » (Is Genetic Evolution Predictable?, 2009).
381. « Evolutionarily relevant mutations tend to accumulate in hotspot genes and at specific positions within genes » (ibid.).
382. « Gene function, gene structure, and the roles of genes and gene products in genetic networks all influence whether
particular mutations will contribute to phenotypic evolution » (ibid.).
383. « […] all genes are not equal in the eyes of evolution » (ibid.).
384. « Genetic evolution is contrained by gene function, the structure of genetic networks and population biology » (ibid.).
385. « The genetic basis of phenotypic evolution thus appears to be somewhat predictable » (ibid.).
386. « […] the discovery of several universal regularities connecting genomic and molecular phenomic variables » (Are There
Laws of Genomic Evolution?, 2011).
387. « […] the observed universal regularities do not appear to be shaped by selection but rather are emergent properties of
gene ensembles » (ibid.).
388. « Compelling evidence of the non-adaptive origin of global architectural features of networks was obtained […] » (ibid.).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 59


précision » 389 . Ainsi, « ces principes universaux pourraient être conçus comme des "lois de
l’évolution génomique" »390. En fin de compte, « on pourrait en arriver à la définition de "lois de
l’évolution biologique", dont l’importance serait comparable à celle des lois de la physique »391.

Régularité et prévisibilité semblent donc régner sur l’évolution génomique, des notions
liées à l’ordre, et non au désordre de l’entropie génétique. Il semble donc que la nature ait,
depuis longtemps, mis en place des mécanismes fondamentaux capables de compenser les
problèmes, en particulier ceux liés à l’entropie génétique. La généralité de cette possibilité
pourrait même être considérée comme une loi biologique, tant elle s’observe chez tous les
organismes, quels qu’ils soient.

6. 2. 9. 3. L’Univers information : « It from bit ».392


Selon Igor et Grichka Bogdanov, il pourrait exister « […] une information primordiale
à l’origine de l’Univers »393, « [u]ne information de nature mathématique qui "oriente" peut-être
l’évolution de l’Univers » 394 . Ainsi, « […] le cosmos tout entier ne serait qu’un immense nuage
d’informations dont l’évolution semble réglée par une sorte de "programme" […] » 395 . Plus
précisément, « […] chaque élément du monde physique, au niveau le plus profond, a une source et
une explication immatérielles », ce qui rejoint l’idée « […] qu’une "information platonicienne" existe
quelque part, enfouie dans les profondeurs de l’espace-temps […] »396. Finalement, « […] l’Univers
était déjà (dès l’origine) un fantastique système d’informations entrelacées, tressées les unes aux
autres au sein de notre réalité »397.

6. 2. 9. 4. Moteurs mathématiques et mécanique quantique.


Igor et Grichka Bogdanov citent le célèbre Erwin Schrödinger, qui a suggéré « […]
que les lois de la mécanique quantique pourraient déterminer jusqu’à la stabilité de l’information
génétique »398. Ils citent également George Gamow, qui « […] a apporté à la biologie l’une des clefs
qui a permis de déchiffrer le code génétique », car il fut « […] le premier à proposer que les quatre
bases de l’ADN soient regroupées trois par trois pour former les vingt acides aminés intervenant dans

389. « […] despite major biological differences between organisms, these quantitative regularities hold, often to a high
precision » (ibid.).
390. « […] the universals of genome evolution might qualify as "laws of evolutionary genomics" […] » (ibid.).
391. « […] "laws of evolutionary biology" comparable in status to laws of physics might be attainable » (ibid.).
392. Igor et Grichka Bogdanov, Au Commencement du Temps (2009, p. 296).
393. Ibid. (p. 13).
394. Ibid. (p. 25).
395. Ibid. (p. 37) ; voir aussi, par les mêmes auteurs, Le Code Secret de l’Univers (2015), en particulier les chapitres 25 à 28.
396. Ibid. (p. 39). Comme le précise Jean-Pierre Changeux, rappelons que « [l]’idée platonicienne de "réalités invariantes",
d’"essences" issues des mathématiques, qui composent un ordre universel, […] représente pour l’évolutionniste Ernst
Mayr un "véritable désastre" de la pensée occidentale » (Du Vrai, du Beau, du Bien, op. cit., p. 331). De façon plus
modérée, Guillaume Lecointre et ses collaborateurs considèrent que « [l]a pensée essentialiste est […] incompatible avec
tout transformisme et toute évolution » (Guide Critique de l’Évolution, op. cit., p. 27). Toutefois, au lieu de chercher à
« dépasser la pensée essentialiste », il est bien plus intéressant de remarquer qu’il existe en fait deux types d’essentialisme,
souvent confondus : l’un typologique (en relation avec le concept d’espèce) et l’autre explicatif (en relation avec le concept
de forme). L’essentialisme explicatif implique des essences en tant que structures causales qui expliquent les faits qui se
répètent (notamment des caractères ou attributs) chez les espèces vivantes. Ainsi, en donnant la priorité à l’explication
fonctionnelle d’un trait (et non à son appartenance à tel ou tel groupe taxonomique), ce type d’essentialisme est tout-à-fait
compatible avec les notions de mode de vie, d’adaptation et d’évolution (voir Explications mécanistes et téléologiques de
l’évolution de la forme, par Anda Anciu, 2019, pp. 88-90).
397. Au Commencement du Temps (op. cit., p. 43).
398. Ibid. (p. 49).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 60


la synthèse de toutes les protéines d’un organisme », « […] pour des raisons purement
mathématiques : parce que 3 est le plus petit nombre entier n tel que 4n soit supérieur à 20 […] ». Et,
point sur lequel les Bogdanov insistent, « […] ce qui est ici frappant, c’est la découverte d’un "moteur
mathématique", un ordre à l’œuvre dans les processus que l’on croyait jusque-là dominés par le
hasard […] »399.

6. 2. 9. 5. Entropie, information initiale, information finale et


histoire de l’Univers.
Les frères Bogdanov rappellent alors que « […] le second principe de la
thermodynamique s’applique à l’Univers entier », ce qui « […] veut dire que l’entropie – c’est-à-dire
le désordre – de l’Univers augmente à mesure que le temps passe. Et, puisque l’information est
l’inverse de l’entropie, la flèche du temps implique que l’information globale de l’Univers diminue à
mesure que le temps s’écoule. […] Mais alors, comment concilier cette "diminution de l’information"
avec l’augmentation locale de l’ordre – par exemple, la formation des planètes, l’apparition de
l’évolution de la vie, etc. – à mesure que le temps progresse ? […] Tout simplement en introduisant
la distinction entre deux types d’information situés, d’une certaine manière, "aux deux bouts de
l’Univers" : l’une est à l’origine, l’autre à la fin. La première, c’est l’information initiale.
Virtuellement infinie à l’instant zéro, cette information initiale […] "code" l’Univers avant le Big
Bang. Pour prendre une image commode, on pourrait la comparer à l’information génétique qui
"code" un organisme vivant avant sa naissance. Or, "à l’autre bout" […], il y a […] l’information
finale. Elle correspond à […] la complexité. Elle est naturellement très faible au moment du Big Bang
[…] et ne cesse d’augmenter avec le temps […]. Dès lors, toute l’histoire de l’Univers peut se
comprendre ainsi : une transformation de l’information initiale en information finale. […] [T]out se
passe comme si l’Univers entier était en train d’acquérir, au fil des milliards d’années, de plus en
plus d’information : lancé dans l’aventure de sa complexité croissante, le cosmos semble contraint
de recomposer, au cours d’une histoire immensément longue, l’information initiale d’avant le Big
Bang »400.
Les Bogdanov posent alors les questions : « Est-il raisonnable […] de considérer que
l’Univers est né d’un prodigieux flot d’information qui aurait trouvé sa source dans le zéro ? »401 ;
« […] [Q]uelle est, au niveau le plus profond des phénomènes, l’essence même de la réalité ? » ;
« […] [E]xiste-t-il des règles, un code sous-jacent à la réalité ? ». Il citent John Wheeler, selon qui
« […] l’Univers pourrait être comparé à un système de traitement d’information […] »402.

6. 2. 9. 6. Énergie, information, complexité.


Ainsi, au moment du Big Bang, « […] à cet instant fantastique [l’Univers] n’était
encore que de l’énergie […], une énergie colossale, inimaginable, qui n’a atteint un tel sommet
qu’une seule fois dans toute l’histoire du cosmos. […] [Ensuite,] en même temps que l’Univers
commençait son expansion, cette énergie allait commencer à se transformer, donnant naissance, au
fil du temps, à des structures organisées, à un ordre global, repérable de l’atome à l’étoile. Et,
aujourd’hui, 13,7 milliards d’années après le début, il est possible d’observer […] qu’une partie de

399. Ibid. (p. 50).


400. Ibid. (pp. 47-48).
401. Ibid. (p. 284).
402. Ibid. (p. 291).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 61


l’énergie primordiale a engendré un complexité incroyable, un état d’ordre bien plus élevé qu’à
l’origine : l’énergie du début des temps a été progressivement convertie en information […:] le
cosmos semble reconstituer une information qui n’attendra sa forme définitive qu’au tout dernier
instant : à l’instant où il aura réalisé l’information finale »403.
Dès lors, il faut considérer « […] que l’information puise représenter, au plus profond du réel,
un état fondamental de l’Univers » : « […] il semble qu’il existe […] un lien mystérieux entre
l’énergie d’un système et l’information qui le caractérise ». Toutefois, « […] les échanges entre
énergie et information pourraient avoir lieu dans un monde totalement inaccessible, un univers qui
se situe bien au-delà de la réalité qui nous entoure et que nous ne verrons jamais » 404 . Ainsi,
comprendre la réalité en revient à avoir accès à l’information qu’elle contient.
En fin de compte, « [à] l’origine de l’origine, avant même le commencement du monde, il y
avait donc, peut-être, une information […] dont la nature profonde demeurera, sans doute à jamais,
bien au-delà de notre entendement […,] plongée […] au cœur d’une éternité sans durée […] »405.
« Tel semble être le cycle – et le destin – de l’Univers : une information primordiale [… qui] se
transforme[] en énergie avant de se reconvertir […] en information finale »406.

Comment intégrer cette vision de l’Univers avec la notion d’entropie génétique ? En


insistant sur la notion d’ordre et sur la complexité. Le génome contient de l’information, ce qui
en revient à une forme d’ordre. Selon les frères Bogdanov, l’information initiale se
transformerait en information finale, ce qui se traduirait par l’augmentation de la complexité
globale de l’Univers, qui se manifeste, notamment, chez les organismes vivants, par leur
organisation, leur structure, leur fonctionnement – et leur génome. Dans cette perspective, le
maintien du génome de la majorité des êtres vivants pourrait être assuré par un "mécanisme de
conversion" permettant d’aboutir à une sorte d’équilibre dynamique entre les processus de
dégénérescence (accumulation de mutations quasi-neutres non sélectionnables) et ceux d’une
manière de régénération : sans aucun rapport avec la sélection naturelle darwinienne (mais sans
complètement l’exclure, certaines mutations pouvant être sélectionnables), ce mécanisme, basé
sur des considérations de nature informationnelle, permettrait, chez une majorité d’organismes,
de maintenir, ou de rétablir, la globalité de l’intégrité du génome grâce à la tendance générale de
la complexité du vivant à augmenter, en relation avec l’introduction d’information pertinente.407

Dans cette optique informationnelle, où tout, de façon ultime, est ramené à de


l’information, on peut envisager un Univers qui a du sens, un Univers "gros de la vie", un Univers
conscient, 408 un Univers dont l’évolution, contrainte et guidée, aboutirait forcément à des
organismes suffisamment viables pour permettre à la biosphère de perdurer pendant des
milliards d’années. Ainsi, la partie de l’information perdue pour cause d’entropie serait minime
car largement compensée par des processus universels permettant non seulement le maintien,

403. Ibid. (p. 312-313).


404. Ibid. (p. 313).
405. Ibid. (p. 315).
406. Ibid. (p. 316).
407. Un tel mécanisme ne pourrait toujours compenser l’importance du bruit génétique : dans ce cas, c’est la dégénérescence
qui l’emporterait – menant à l’extinction.
408. Deepak Chopra cite Aham Brahmasmi : « […] la conscience existe partout dans la nature. Si l’on rejette cette notion, le
monde devient absurde parce que la conscience est alors transformée en hasard […] » (Qui détient la clé de l’Univers ?,
op. cit., p. 60).

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 62


mais encore l’augmentation de l’information, le surenchérissement de la diversité et de la
complexité du vivant.
7. CONCLUSION.

Si l’entropie génétique pose effectivement au départ un problème majeur, clairement


mis en évidence par Sanford – et qui ne saurait être ignoré –, il semble, en revanche, qu’on
puisse affirmer que les organismes vivants ont trouvé plusieurs moyens de le gérer de façon
extrêmement efficace. S’il est clair que la pertinence de ces "mécanismes de compensation"
reste à démontrer (il ne s’agit, à ce stade, que d’hypothèses que je considère comme réalistes),
les biodiversités actuelle et passées représentent des arguments majeurs en faveur d’une
logistique fonctionnelle (et sans doute aussi structurale) du vivant axée précisément sur cette
gestion générale de l’entropie (et, en particulier, de l’entropie génétique). A partir des nombreux
arguments apportés avec force par Sanford, la conclusion qui me semble s’imposer, au-delà de
l’intervention d’un Créateur, donc d’un point de vue strictement scientifique (au sens
conventionnel du terme), est que, depuis son apparition, le vivant "joue" avec l’entropie, qu’il
aurait en quelque sorte réussi à détourner à son avantage. Il pourrait même s’avérer, de façon
ultime, que cette dualité entre organismes et entropie soit d’une part à l’origine même du vivant,
expliquant, de la sorte, son inévitabilité et, d’autre part qu’elle soit devenue une composante
fondamentale de la logique du vivant, expliquant son autonomie, sa robustesse et sa résilience.

L’ENTROPIE GENETIQUE – Revue et discussion par David Espesset. 63


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