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Détoxication d’effluents industriels liquides

Outil Pédagogique pour la formation et l’aide à la


décision

Cécile NARCE — Konrad SZAFNICKI

Ecole des Mines de Saint-Etienne


158 cours Fauriel
42023 Saint-Etienne Cedex 2
narce@emse.fr , konrad@emse.fr

RÉSUMÉ. La maîtrise de la détoxication des effluents industriels n’est pas aisée et peut
présenter des risques en cas de dysfonctionnement. Un outil informatique pédagogique libre
permet de simuler le fonctionnement d'une station d'épuration industrielle (SEI) sous
contraintes réelles. Il est facilement disponible sous des environnements de programmation et
de navigation libres.

ABSTRACT. An efficient management of industrial wastewater detoxification is far from being


easy and can moreover be dangerous. An educational, freeware simulator is described. It
makes it possible to simulate the wastewater treatment plant under real constraints. The tool
is easily available under free programming and browsing environments.

MOTS-CLÉS : détoxication des effluents industriels, simulateur pédagogique, métaux lourds,


cyanures.

KEYWORDS: industrial wastewater detoxification, educational simulator, heavy metals,


cyanides.

STIC & Environnement 2009


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1. Introduction

Les activités industrielles, en particulier liées au traitement de surface, génèrent


des quantités significatives d’effluents aqueux qui doivent être détoxiqués avant rejet
dans le réseau de collecte urbain ou dans la nature. Par exemple, selon l’arrêté du 26
septembre 1985 concernant les effluents des traitements de surface, les teneurs
maximales admissibles étaient : Nickel et Zinc – 5 mg/L, Cuivre – 2 mg/L, Chrome
VI et cyanures libres (CN-) – 0,1 mg/L (Arrêté 1985). L’arrêté du 30 juin 2006 les a
modifiés à la baisse : Nickel – 2 mg/L , Zinc – 3 mg/L, les autres idem. (Arrêté
2006). Le défi de taille pour les industriels, en particulier dans le domaine du
traitement de surface, consiste donc à détoxifier mieux avec un minimum de
modifications sur l’équipement existant, afin de minimiser les coûts. Ceci peut
parfois se faire à condition d’avoir une approche d’ensemble du processus, d’en
comprendre les goulots d’étranglement et optimiser les paramètres de
fonctionnement et de régulation. Cette démarche nécessite de disposer d’outils de
simulation les plus fidèles possibles et aisément accessibles y compris pour un large
public ; en particulier : les opérateurs, les gestionnaires, etc., afin de stimuler une
réflexion commune sur l’optimisation éventuelle du processus.

2. La détoxication : complexe, parfois risquée

La détoxication, mise en œuvre dans une station d’épuration industrielle (SEI)


fait intervenir un ensemble d’étapes complexes, visant à détruire ou à modifier les
composés toxiques ; par exemple oxyder les cyanures en cyanates, réduire le CrVI en
CrIII, précipiter puis filtrer les métaux sous forme de boues hydroxydes Me(OH)n qui
pouvaient être enfouies en décharge de classe I ou valorisées (SITS, 2002), Figure 1.
L’oxydation des cyanures peut ainsi présenter des risques mortels dans certaines
conditions, par exemple en utilisant comme oxydant l’eau de Javel :
CN- + NaClO  CNO- + NaCl [1]
Cette réaction a lieu de deux étapes (Degrémont, 1991) :
CN- + ClO- + H2O  CNCl + 2OH- [2]
- - -
CNCl + 2OH  CNO + Cl + H2O [3]
Dans un milieu fortement alcalin, pour pH > 10,5 la réaction [3] suit
instantanément la [2]. Toutefois, pour pH<10,5 le composé intermédiaire CNCl
peut se dégager ; très toxique par inhalation, poison d’action rapide et irréversible.
La condition sine qua non d’une décyanuration sûre et fiable est donc une régulation
du pH robuste et précise. En général on ajoute une marge de sécurité, en régulant par
exemple à des valeurs de pH >12.
La réduction du chrome VI en chrome III est une autre réaction sensible de
détoxication. Cette réaction est nécessaire afin d’éliminer le chrome VI, qui est
mutagène et cancérigène (cf. le film « Erin Brockovitch »). Elle doit avoir lieu en
milieu acide.
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Figure 1. Photo d’une station d’épuration industrielle. Au premier plan : réacteur


agité à flux continu (CFSTR) employé pour la détoxication des effluent liquides.

Toutes ces étapes ne sont pas évidentes à mettre en œuvre, surtout pour un
traitement des effluents à flux continu. En particulier, les étapes d’oxydation ou de
réduction peuvent présenter des risques pour la santé des opérateurs en cas de
dysfonctionnement (exemple : si la décyanuration se fait avec la javel et le pH
devient trop faible alors un gaz toxique – le CNCl – peut se dégager…).

3. Modélisation et Simulation
L’Ecole des Mines de St-Etienne a développé un outil informatique permettant
de simuler le fonctionnement d’une épuration continue d’effluents dans diverses
configurations très proches des conditions d’opération réelles, Figure 2. Le
simulateur est basé sur un modèle autorégressif discret de réactions entre acides et
bases, faibles ou fortes. Par exemple, si l‘on considère une réaction impliquant un
acide fort et une base forte, sous hypothèses d’un mélange total et parfait pendant
une « petite » durée (pas de temps) dt, les équations discrètes de « petits batchs »
pour simuler le pH résultant peuvent s’écrire (Narce, 2005) :
• acide dans acide : pas de réaction, juste le bilan des H3O+
pendant dt on ajoute : nHe O+ = dt ⋅ Qin ⋅10− pHin [4]
3
− pH0
initialement dans la cuve il y a : n
c
H3O+
= V0 ⋅10 [5]
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d’où :

 n He O + + n Hc O +  − pH in
+ V0 ⋅ 10 − pH 0
pH out = − log 10  3 3  = − log  dt ⋅ Qin ⋅ 10 

10 
 V0 + dV in   V0 + dt ⋅ Qin  [6]
 

• acide dans base : titrage d’une base forte par un acide fort, soit :
pendant dt on ajoute : na = nHe O+ = dt ⋅ Qin ⋅10− pHin [7]
3
−14+ pH0
initialement dans la cuve il y a : nb = nOH− = V0 ⋅10
c
[8]
si na < nb :

 n − na   V ⋅ 10 −14 + pH 0 − dt ⋅ Qin ⋅ 10 − pH in 
pH out = 14 + log 10  b  = 14 + log 10  0  =
 V0 + dV in   V0 + dt ⋅ Qin 

 V ⋅ 10 pH 0 − dt ⋅ Qin ⋅ 1014 − pH in 
= log 10  0  [9]
 V0 + dt ⋅ Qin 

sinon :

 n − nb   dt ⋅ Qin ⋅ 10 − pH in − V0 ⋅ 10 −14 + pH 0 
pH out = − log 10  a  = − log 10  
 V0 + dV in   V0 + dt ⋅ Qin  [11]

où : dt est le pas de temps de la simulation (par exemple 10 sec), V0 : le volume


initial dans la cuve, pH0 : le pH initial dans la cuve, pHin : le pH entrant, Qin : le débit
entrant pendant dt, dVin : le volume entrant dans V0 en dt (dVin = dt·Qin, avec : dVin
« V0), pHout : le pH résultant, à la sortie de la cuve, après mélange total et parfait, et
dVin le volume sortant de la cuve par déversement après la fin de la réaction.
De façon analogue on peut compléter les équations par les cas de figure « base
dans base » et «base dans acide » afin d’arriver à un modèle complet. On aboutit
ainsi à une fonction de simulation de pHout discrète de la forme :

pH out (t ) = f ( pH out (t − dt ),V0 , pH in (t ), dVin (t ) ) [12]

Les arrivées multiples dans la cuve (effluents, réactifs) sont assimilées à autant de
« petits batch », faisant appel à la fonction de simulation [12]. L’hypothèse de
mélange parfait peut se justifier par la présence d’un mélangeur puissant, en
fonctionnement, ainsi que des baffles brise-vortex. En cas de dysfonctionnement du
mélangeur on considère qu’une fraction significative du volume V0 de la cuve est
« morte », i.e. ne participe pas à la réaction à flux continu. L’hypothèse de petits
batchs est étayée par les paramètres effectifs, observés sur la station réelle
industrielle : V0 ∈ [10, 12] m3 , dt=10s, Qin|max=30m3/h soit : dVin|max ~ 0,83%·V0 .
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4. Formation à la conduite optimale d’une SEI


Sur la base du simulateur décrit on a développé un outil pédagogique permettant
de simuler le fonctionnement d’une station de détoxication industrielle, Figure 2.
L’utilisateur peut choisir le niveau de complexité de la SEI, allant d’un seul réacteur
de type CFSTR avec une seule entrée d’effluents, en passant par un réacteur à deux
entrées, trois réacteurs (deux-en-un ou en série) jusqu’à une SEI composée de cinq
réacteurs, Figure 3.

Figure 2. Simulation du réacteur agité à flux continu (CFSTR) avec différentes


possibilités de configuration : «Choix réactif», «Mode Manuel», «Mode Auto», etc.
Le pH objectif à réguler est fixé à 2,5. Les symboles a1, a2 (et/ou : b1, b2) représentent les
pompes de relevage de type tout-ou-rien (TOR) acides (ai) ou basiques (bi). Deux pompes
doseuses TOR des réactifs sont représentées : acide (en magenta, arrêtée) et basique (en
cyan, en train de fonctionner). Sur la fenêtre « Graphiques » des compteurs affichent les
quantités d’effluents traités depuis le lancement de la simulation (en m3) ainsi que les
quantités et prix des réactifs usés (p.ex. CO2 et NaOH 50% w/w).

A l’aide de la fonctionnalité « Choix des réactifs » l’utilisateur peut également


choisir différents réactifs du marché (e.g. acides forts : HCl, H2SO4, acide faible :
CO2,…), avec un rappel de leurs propriétés physico-chimiques (par exemple les pKa)
et économiques (e.g. prix au kg).
Les réacteurs peuvent être pilotés soit manuellement (à titre d’essai…) ou
automatiquement. Dans ce dernier cas différents paramétrages des régulateurs sont
envisageables, selon qu’on ait choisi les régulateurs industriels « pseudo-
proportionnels » ou des régulateurs de type PI, Figure 4.
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Figure 3. Configuration de simulation la plus complexe : cinq réacteurs CFSTR.


L’interface utilisateur est cette fois en anglais.

Figure 4. Paramétrages de contrôle d’un réacteur. L’interface utilisateur est en


chinois.
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L’installation peut être simulée dans un contexte industriel réel, par exemple en
prenant en compte des mesures de pH et débits enregistrées sur une station
d’épuration existante. On dispose pour cela d’une bibliothèque de fichiers contenant
des mesures réelles, enregistrées sur une SEI en 24 heures avec un pas
d’échantillonnage de dt=10 s. Dans ce cas, les débits et pH entrants sont imposés au
cours de la simulation, sur la base des valeurs enregistrées sur la SEI réelle.
Des indicateurs de consommation donnent des informations sur les coûts et
l’efficacité du traitement, entre autres : sur la quantité d’effluents traités, les volumes
des réactifs usés et leurs prix, l’efficacité de la régulation du pH, le taux d’usure des
composants (e.g. nombre de démarrages et arrêts des pompes doseuses par unité de
temps), etc.

4. Applications et perspectives
L’outil est utilisé dans la formation d’étudiants en options “processus industriels”
et “ingénierie de l’environnement” à l’ENSM.SE. On envisage son introduction à
court terme dans les cursus professionnalisants (formation par alternance et
continue) et pour la sensibilisation à la sécurité de fonctionnement dans des
entreprises de traitement de surface. Le résumé du bilan d’utilisations en ICM et
formation professionnelle peut se présenter comme suit : 2004 – 20 élèves, 2005 –
15 élèves FP + 20 élèves ICM, 2007 – 19 élèves, 2008 – 31 élèves. L’outil a
également servi de support pédagogique pour les cours dispensés à l’étranger ;
notemment en Pologne (échanges Erasmus) et aux USA (Virginia Tech). Un
déploiement est envisagé au Lycée Technique et Professionnel « Benoît
Fourneyron », spécialisé notamment dans les métiers de traitement de surface.
L’outil a été utilisé dans le cadre du Master international EnvIM, dans le cadre d’une
collaboration entre l’ISIGE et l’Université de Tsinghua. Il propose des interfaces
utilisateur en plusieurs langues : français, anglais, allemand, polonais, portugais,
espagnol, chinois, arabe, vietnamien…

Compte tenu du langage de codage utilisé (Java), l’outil peut être facilement
installé et/ou accessible à distance, via des navigateurs web les plus communs et
libres. Il est complémentaire d’autres projets de développement de simulateurs de
stations d’épuration, tels que GPS-X (GPS-X, 2009) ou le projet COST 624 (Pons &
Henze, 2005) par le fait qu’il se focalise sur les processus physico-chimiques plutôt
que (micro)biologiques et qu’il est libre d’utilisation.

5. Remerciements

Le développement de ce projet a été cofinancé par l’UNIT – Université


Numérique Ingénierie et Technologie (www.unit.eu ) ainsi que par la Grande Ecole
Virtuelle du Groupe des Ecoles des Mines (GEV-GEM).
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6. Bibliographie

Arrêté du 26/9/1985 relatif aux ateliers de traitement de surface (Decree of


Sept. 26, 1985, on the surface treatment workshops)
Arrêté du 30/6/2006 relatif aux installations de traitements de surfaces (Decree
of June 30, 2006 the surface treatment workshops)
Degrémont. Water Treatment Handbook, Ed. Degrémont, 1991; 6th ed.
GPS-X General Purpose Simulator. http://www.hydromantis.com/ , 2009.
Meinck, Stooff, Kohlschütter, Industrie-Abwässer, Masson, 1968-1977
Narce C. (2005). Système interactif d'aide à la décision pour la supervision et la
formation environnementale appliquées aux entreprises de traitement de surface
Thèse de doctorat : Sciences et génie de l'environnement. École Nationale
Supérieure des Mines de Saint-Etienne. 317 p. ISBN 2-9507146-6-8 (br.).
Olsson & Newell, Wastewater Treatment Systems, IWA publ. 2001
Pons Marie-Noëlle, Henze Morgens. Optimal Management of Wastewater
Systems. Ed. EU Publications Office (OPOCE), 2005. COST Action 624. ISBN: 92-
8980006-2
SITS, Traitements de surfaces - Epuration des eaux. Lyon : SITS. Agence de
l’Eau Rhône-Méditerranée-Corse, 2002, 287 p. ISBN 2-9506252-2-3
Szafnicki K, Narce C. « Towards a “crippled-mode” operation of an industrial
wastewater treatment plant », Water Research, 40, n°3, 2006, pp.579-587
Szafnicki K., Narce C., Bourgois J. « Towards an integrated tool for control,
supervision and operator training-application to industrial wastewater detoxication
plants », Control Engineering practice. Vol. 13 (6), 2005, pp.729-738
Szafnicki K., Bourgois J., Graillot D., Di Benedetto D., Breuil Ph., Poyet J.P.
« Real-time supervision of industrial wastewater treatment plants applied to the
surface treatment industries ». Water Research, 32, n°8, 1998, pp.2480-2490

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