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1 Les Actes2015

EXPRESSION, CRÉATIVITÉ : LES MÉDIATIONS ARTISTIQUES


DANS L’ACCOMPAGNEMENT THÉRAPEUTIQUE
Vendredi 16/ Samedi 17 janvier 2015

Ces journées viseront à donner la parole aux


praticiens des médiations et à apporter un regard sur
la richesse et la diversité des actions dans ce domaine, contri-
buant ainsi à enrichir nos connaissances mutuelles. Elles ouvriront
des espaces d’informations et d’échanges autour de la :
•diversité des pratiques (art thérapie, médiations artistiques, sociothérapie,...),
•diversité des champs d’intervention (psychiatrie, santé, médico-social, social,...),
•diversité des publics accompagnés (enfants, adolescents, adultes, personnes âgées,...).
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Suite au récent attentat contre Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, le colloque s’ouvre par la diffusion d’une chanson de Georges Brassens
«Quand Les Cons Sont Braves», Georges Brassens

Sans être tout à fait un imbécile fini,


Je n’ai rien du penseur, du phénix, du génie.
Mais je n’suis pas le mauvais bougre et j’ai bon coeur,
Et ça compense à la rigueur.
(Refrain:)
Quand les cons sont braves
Comme moi,
Comme toi,
Comme nous,
Comité de coordination : Comme vous,
Clémence Lucien et Fiona Saigre Ce n’est pas très grave.
Qu’ils commettent,
Comité d’organisation : Se permettent
Philippe Carette, Irina Katz-Mazilu, Marielle Maurel, Hiroko Palmer, Siegrid Darquet, Marie- Des bêtises,
Laure Potel, Delphine Beaumont, Léonie Greuillet Des sottises,
Qu’ils déraisonnent,
Avec la participation de : Véronique Blanchot et Guillaume Robic Ils n’emmerdent personne.

Photographie : Delphine Beaumont Par malheur sur terre


La plupart
Cité de la Santé : Nathalie Chalhoub et Séverine Brunet Des tocards
Sont des gens
Intervenants : Céline André-Carletti, Hélène Béreaud-Gonzales, Laurence Bosi, Astrid Campo- Très méchants,
Hurtado, David El Karmouni, Annick Eschapasse, Anne-Lise Frecchiami, Marie-Hélène Gambs, Des crétins sectaires.
Nathalie Gisbert, Jean-Pierre Klein, Yves Langlois, François Le Forestier, Anne Lopez, Mathieu Ils s’agitent,
Lustman, Paula Martinez-Takegami, Catherine Mondou, Marine Noble, Dominique Spiess, Ils s’excitent,
Bénédicte Stalla-Bourdillon et Xavier Tarneaud. Ils s’emploient,
Ils déploient
Leur zèle à la ronde,
Ils emmerdent tout l’monde.

Si le sieur X était un lampiste ordinaire,


Il vivrait sans histoire avec ses congénères.
Mais hélas ! Il est chef de parti, l’animal :
Quand il débloque, ça fait mal ! (au refrain)
Si le sieur Z était un jobastre sans grade,
Il laisserait en paix ses pauvres camarades.
Mais il est général, va-t-en-guerre, matamore.
Dès qu’il s’en mêle, on compte les morts. (au refrain)
Mon Dieu, pardonnez-moi si mon propos vous fâche
En mettant les connards dedans des peaux de vaches,
En mélangeant les genres, vous avez fait d’la terre
Ce qu’elle est : une pétaudière ! (au refrain)
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C -Maladies neurodégénératives, psychosomatiques et médiations artistiques

1•L’activité cérébrale produite par la réponse perceptive et émotionnelle liée à la création


artistique vue sous l’angle de l’art-thérapeute, A. Campo-Hurtado
2•L’art-thérapie aux confins du sensible et de l’intelligible, H. Béreaud-Gonzales
3•La sclérose en plaque : corps ennemi-corps ami, l’art-thérapie au sein de l’approche
Sommaire pluridisciplinaire psychosomatique de la sclérose en plaque (SEP), K. Eckstein
4•L’art-thérapie «soin de support» en cancérologie : La créativité pour soutenir l’énergie vitale
pendant la maladie et lutter contre l’isolement. Expériences d’ateliers pour les femmes, L. Bosi
Mots introductifs 5•Le chemin du deuil et le chemin du conte merveilleux dans des sessions d’accompagnement
P. Carette (Centre Popincourt-Association recherche et Rencontres, Paris) du deuil en famille, A. Lopez
N. Chalhoub, (Cité de la santé)
D. El Karmouni (Ffat) D -Adolescence et prise en charge thérapeutique par la médiation

A-Les médiations artistiques, pluridisciplinarité professionnelle 1•Le théâtre, outil de médiation thérapeutique en pédopsychiatrie, C. André-Carletti
Modérateur : P. Carette 2•A la rencontre du «Penseur»: entre pensées et mouvements, présentation d’un parcours
en Danse Mouvement Thérapie (DMT) d’une adolescente avec des troubles psychotiques,
1•Les ateliers de création et le soin, D. Spiess P. Martinez-Takegami
2•Objet à partager ou objet perdu, A. Eschapasse 3•L’adolescence entre chaos et édification, D. El Karmouni
3•Habiter chez soi ou comment l’art-thérapie contribue à l’accompagnement vers
l’hébergement de grands exclus de la rue, B. Stalla-Bourdillon, M. Noble, F. Le Forestier Film d’Yves Langlois : «L’autiste au tambour» -57 min

Film de Julie Siboni : «Point de fuite» -20 min. Synthèse : Dr J.-P. Catonné
Mots de clôture du colloque : X. Tarneaud
4•Réflexions sur le cadre, Ph. Carette Quelques mots des participants…
5•Présentation du Centre Popincourt, C. Lucien
6•Le travail interactionnel entre l’atelier d’expression plastique et la psychothérapie
individuelle, H. Palmer
7•Spécificité du travail d’art-thérapie au Centre Popincourt : isolement et prévention du
suicide, I. Katz-Mazilu
8•Figures du travail psychique en lien avec l’expérience en atelier, M. Maurel
9•Projet d’un lieu articulant soin et création, C. Mondou, N. Gisbert

B -Création artistique, thérapie accompagnée ou spontanée


Modérateur : Jean-Pierre Klein

1•Tactile et création, Matière et présence, atelier ordinaire pour tout un chacun, M.-H. Gambs
2•La production comme interlocutrice, J.-P. Klein

Film de Perrine Michel : «Lame de fond» -52 min.


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Ces échanges ont été motivés par deux axes David El Karmouni un cadre contenant, sécurisant et thérapeutique
importants: mettre en valeur l’expérience et Administrateur de la Ffat en collaboration avec le médecin, l’éducateur et
l’échange, à la fois individuels, associatifs et Ce mot a été élaboré par les membres du CA de tout membre des équipes pluridisciplinaires. Il
institutionnels, et également contribuer à diffuser la Ffat qui remercient au nom des arts thérapeutes peut collaborer à la prise en charge à partir de son
Mots introductifs et faire connaître des pratiques originales en milieu la cité de la Santé ainsi que Clémence Lucien, positionnement en tant que thérapeute. Quid alors
de soin, cela pour favoriser des collaborations, des Fiona Saigre, Irina Katz-Mazilu ainsi que Philippe de cette absence de réglementation juridique de
partenariats, des mutualisations. Pour mutualiser, il Carette. Ce cadre de la cité des Sciences est un la profession d’art-thérapeute en France ? Quel
Philippe Carette faut une pratique de l’expérience de l’échange. Pour cadre de renom, impressionnant, qui respire la sens peut-on donner à ce fouillis administratif
Directeur du Centre Popincourt illustrer notre propos, au Centre Popincourt, nous science, la technique, les grands noms. C’est pourtant reconnu par les médecins, psychologues,
Bonjour à tous, nous aurions voulu commencer sur travaillons depuis plus de 10 ans avec les formations un centre très ouvert aux enfants, adolescents, administrations et d’autres professionnels de terrain
des notes moins tragiques, mais l’actualité nous universitaires ou privées d’art-thérapie, déjà 70 adultes curieux de la culture et des sciences. aguerris à la santé mentale. Elle est aussi et surtout
a rattrapé. Nous sommes tous sous l’émotion stagiaires accueillis. D’autre part, je remercie tout Nous sommes très heureux d’être ici. Cela pose reconnue par nos patients qui à travers elle et le cadre
suscitée par l’attentat très récent de Charlie Hebdo particulièrement la Ffat pour ce travail de partenariat un certain nombre de questions : est-ce qu’un art que nous leur proposons trouvent narcissisation et
et concernés par les diverses manifestations et qui fonctionne depuis plusieurs années et que thérapeute est un scientifique digne de prendre la autre. Il serait temps que l’art-thérapeute à la fois
réactions qui émergent. Dans ce contexte, il a été nous espérons toujours aussi porteur d’action et de parole dans ces lieux ? Est-ce que l’art thérapeute clinicien, chercheur, voie ses compétences intégrées
assez difficile de boucler l’organisation des ces réalisations communes pour le futur. est hissé au rang de soignant doté d’un véritable dans les nomenclatures ministérielles adéquates.
journées et permettez moi de remercier tous ceux parcours de recherche autorisant sa présence en C’est également afin d’éviter les dérives et le
qui ont contribué à la réalisation de celles-ci. Nathalie Chalhoub ces lieux ? Sommes-nous au tournant d’une prise charlatanisme qu’on peut donner à ce professionnel
Il ne peut pas y avoir de clinique s’il n’y a pas de Responsable de la Cité de la santé de conscience des ministères de tutelle qui enfin du soin officiellement un cadre, des droits, des
liberté ; il ne peut pas y avoir de créativité et Je tiens à vous souhaiter la bienvenue au nom de pourront nous décréter personnel de soin ? devoirs. C’est aussi pourquoi nous vous convions,
d’expression s’il n’y a pas la libre expression, cela la Cité des sciences et en tant que responsable arts-thérapeutes, médecins, professionnels de la
me paraît tout à fait fondamental de le rappeler. de la Cité de la santé. C’est avec un réel plaisir Parce que l’art-thérapeute, nous allons le rappeler, a santé à notre congrès. Par la participation active et
Ces journées dans ce cadre ci, sont une première que j’accueille ce colloque qui est consacré à une démarche de formation initiale et de formation unifiée à travers nos recherches.
et le reflet de la volonté des uns et des autres, l’expression et à la créativité, ce qui est d’autant continue, de travail personnel et de supervision,
associations comme praticiens, de sortir d’un plus d’actualité compte tenu de ce qui se passe et il est confronté, à l’instar de tous les soignants Philippe Carette
certain isolement, de décloisonner un peu les en ce moment, colloque que l’on doit à l’initiative terrain et clinique dans des institutions diverses, Nous devions recevoir comme invité d’honneur Yves
relations ou les partenariats et d’essayer de mettre du centre thérapeutique Popincourt et de la sociales, médico-sociales et il est confronté parfois Prigent mais un message de sa compagne Valérie
en valeur et en avant ce qui concerne les pratiques Fédération Française des Arts thérapeutes. au terrain psychiatrique des plus complexes. Il Prigent nous informe de son décès le 10 novembre
à médiation. Le Centre Popincourt est dans cette La Cité de la Santé est un espace dédié à l’information n’est pas comme on pourrait le croire parfois un 2014. C’était un neuropsychiatre qui a beaucoup
posture, pluridisciplinaire et pluri-catégorielle et ou à la documentation, et c’est également un espace saltimbanque ou alors peut-être un saltimbanque compté pour l’équipe du Centre Popincourt. Il
sa préoccupation essentielle est avant tout de de rencontre autour de la santé. Il est situé dans la scientifique, un Charlie Chaplin scientifique qui, partageait son temps entre des formations, des
s’adapter aux gens et aux difficultés des patients bibliothèque et animé par l’équipe de bibliothécaires, loin de vouloir amuser la galerie même s’il peut en conférences, des consultations, des expertises
plutôt que l’inverse, d’avoir une ouverture et un de documentalistes mais également de partenaires avoir l’air, propose des processus constitutifs d’une judiciaires et il était très impliqué et soutenait nos
travail en réseau. C’est quelque chose qui nous du monde de la santé comme le Centre Popincourt véritable démarche de soin et d’accompagnement travaux liés aux médiations artistiques dans les
préoccupe depuis très longtemps. aussi bien que des médecins, des associations, des de patients parfois inscrits dans une souffrance structures de soin. Il était aussi membre du comité
Nous avons organiser une première exposition à la organismes divers. ardue. Notre profession se penche sans arrêt sur scientifique de l’UNPS (Union Nationale de prévention
cité des sciences, il y a quelques temps (avril 2014 «La Nous avons déjà travaillé avec le centre Popincourt les neurosciences, sur toutes les sciences qui du suicide) et c’est dans le cadre d’un symposium sur
voix au bout des doigts) et nous sommes très heureux en exposant des œuvres créées dans des ateliers pourraient venir la nourrir et nous aider à ajuster la les activités pratiques à médiation qui était pour nous
de poursuivre cette collaboration par la mise en place thérapeutiques. Nous avons également accueilli posture qui est la nôtre entre art, science et soin ; une première et qu’il présidait à l’Unesco en 2002.
de ces deux journées sous le thème Expression et des ateliers de chant qui ont été délocalisés chez toujours à chercher dans nos recherches, dans C’est à cette époque, que nous avons commencé
créativité : les pratiques à médiations artistiques dans nous et cela se reproduira au mois de juin. C’est les laboratoires de recherche ce que la psyché notre compagnonnage. Il a également présidé des
l’accompagnement thérapeutique. Nous avons eu une donc tout naturellement que la cité de la Santé humaine nous apprend de nouveau, ce que les journées à la Halle Saint Pierre que nous avions
forte demande d’inscriptions pour ces journées. Nous s’associe à ces rencontres. artistes et l’art nous apprennent de lui et d’eux. L’art- organisées en 2008. C’était quelqu’un de discret
nous excusons pour tous ceux qui sont en liste d’attente. J’espère que vous passerez des moments thérapeute est ainsi issu de méthode classique et réservé, qui n’aimait pas vraiment la trop grande
Nous allons faire notre possible pour diffuser l’ensemble passionnants. C’est un programme très riche. et articulé à une démarche artistique au cœur lumière, c’était vraiment intéressant de travailler avec
des travaux à tous ceux qui nous ont contactés. Très bonne journée. du soin, un professionnel capable de construire lui la clinique, sur une autre mise en scène.
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A) LES MÉDIATIONS ARTISTIQUES, PLURIDISCIPLINARITÉ PROFESSIONNELLE ensemble à l’amélioration de la qualité de vie Nous avons créé les DUCA (Dispositif Urbain
et de la santé des personnes malades, isolées Culture Alzheimer) et les DUCADE ( Dispositif
et handicapées au sein d’un territoire. Leur Urbain Culture Accompagnement Détente et
hôpitaux n’est pas nouvelle. Évoquons mode de coopération s’appuie essentiellement Expression). En ce qui concerne le Réseau Île-de-
les tableaux financés par les mécènes sur la mutualisation et la complémentarité des France, nous avons ainsi établi des partenariats
au Moyen Âge, figurant dans les salles ressources et des compétences. Il leur arrive avec les musées parisiens qu’il s’agisse du
Les ateliers de création et le soin communes des hospices... Ce qui est inédit aussi de solliciter des instances et de répondre Louvre, du musée du Quai Branly, musée
en 1999, c’est l’engagement d’un processus à des appels à projets. Les RCVS sont nés à Carnavalet, MAM... avec les conservatoires et
Dominique Spiess de professionnalisation de la culture pratiquée Paris en 2007, Beauvais en 2009, Marseille est centres culturels. Les établissements culturels
Présidente du GCSMS, dans les établissements de santé. Nouveau, la en cours de construction. Le Réseau de Paris accueillent, en présence de l’équipe mobile,
Réseau Culture, Ville, Santé en Île-de-France présence devenue légitime des artistes dans a constitué en 2012 un GCSMS, 20 membres les personnes pour des visites et des ateliers,
Bonjour, je suis Dominique Spiess, fondatrice un lieu de soin, et très intéressant à observer, sont signataires travaillant avec de nombreux l’équipe mobile prolonge cet accueil en se
de l’association Culture & Hôpital, à l’initiative l’apparition des volontés convergentes du partenaires. Pour vous donner une idée de la rendant à domicile ou dans les établissements
des RCVS et présidente du GCSMS RCVS IDF. ministère de la Culture et de la Santé. On a diversité, de la dimension et des compétences de santé pour les personnes qui ne peuvent se
Il m’a été confié la mission de vous parler des vu, dans les 14 ans, émerger des pratiques des partenaires, le bureau du GCSMS est déplacer.Voici une illustration exemple d’un hors-
médiations artistiques et culturelles en réseau. aux objectifs multiples et se manifester composé de la Fédération Hospitalière de les-murs des musées à domicile. Ce Monsieur,
Je vais vous expliquer en quelques mots ce différemment. Des expositions ont été France, d’un accueil de jour Alzheimer, d’un atteint de troubles anxio dépressifs, ne sort
qu’est notre réseau et comment il interagit organisées. Des cimaises ont été installées... service de soin à domicile, d’un CLIC/PPE plus de chez lui. Il a toujours aimé peindre.
auprès des personnes fragilisées par la maladie. Les artistes se sont rapprochés des soignants, (service d’information et d’orientation des L’ergothérapeute de l’équipe mobile, toujours
Avant d’évoquer la pluridisciplinarité, il me des formes d’activités en binômes se sont personnes âgées), d’une association de quartier présente dans les visites, lui propose plusieurs
semble important d’évoquer les différentes mises en place ; les chorégraphes travaillant et d’une association culturelle. programmes développés avec les musées. Il
formes d’approches professionnelles de avec des psychomotriciens, les conteurs ou Les RCVS se sont donnés pour objectif retient le thème impressionniste. C’est donc
médiation artistique et de les distinguer. Les les chanteurs avec des orthophonistes, les d’accompagner les personnes qui ne bénéficient à partir des œuvres du musée d’Orsay, en lien
notions ne sont pas toujours claires et on a plasticiens avec des psychologues... d’aucune proposition d’accompagnement avec les activités qui y sont développées que
tendance à les mélanger, alors qu’elles ont On a vu apparaître les soins de supports... ou qui sont insuffisamment accompagnées. le projet d’accompagnement est mis en place.
des approches totalement différentes. Il y Les familles des malades, l’ensemble de la C’est le cas des personnes en début de Vous le voyez ici peindre d’après une œuvre
a plusieurs façons d’intervenir auprès des communauté hospitalière ont été sollicités. Il maladie, des personnes jeunes, des aidants. d’Emile Bernard. Quand il ira mieux et qu’une
malades. La première, vous la connaissez, s’est agi de mettre tout en place pour favoriser C’est aussi le cas des personnes dont le sortie pourra être envisagée, l’ergothérapeute
l’art thérapie, puisqu’elle fait l’objet de ces la résilience des personnes par un double stade de la maladie est avancé qui terminent se rendra avec lui au musée pour voir de près
deux journées. Je ne vais pas vous en parler. accompagnement, l’un au travers du soin, le un accueil de jour, qui ne peuvent y être les œuvres sur lesquelles il aura travaillé. Grâce
La seconde est l’animation. L’animation vise à second par un impact sur l’environnement. admises ou en fin de prise en charge ESA, à ce moteur, ce Monsieur aura trouvé l’envie
participer à l’épanouissement des personnes Il s’est agi de miser sur les forces de chaque (Équipes Spécialisées Alzheimer). Le Réseau a et la force de sortir de chez lui. La vie pourra
dans leur quotidien. L’animateur organise de individu pour lui fournir un tremplin vers récemment entrepris l’accompagnement des reprendre.
multiples activités qu’il adapte à ses publics. l’amélioration de son état. personnes anxio-dépressives pour lesquelles Voici l’équipe mobile socle qui permet de
Les activités sont souvent assimilées à du Pour mettre en place toutes ces transversalités aucun accompagnement n’existe autre que réaliser ce parcours de soin individualisé.
loisir. Il en est autrement de la Culture et de ses nécessaires à l’accompagnement des médicamenteux. A court terme, sur le modèle L’ARS a participé à la construction de cette
pratiques dont je vais vous parler ce matin et qui personnes malades, des réseaux se sont dégagé, le RCVS va accompagner les personnes équipe par le financement de deux ETP pour
fait l’objet de nos activités. organisés. Les réseaux RCVS sont un atteintes de maladies chroniques. une expérimentation de trois ans. Nous
Il y a eu une date décisive dans le rapprochement regroupement de partenaires publics et Les RCVS agissent au sein de trois axes avons recruté ainsi une psychomotricienne
de l’art et de la santé, c’est celle de la signature privés qui rassemblent des acteurs sanitaires, complémentaires et convergents : sanitaire musicienne et une ergothérapeute plasticienne.
de la convention interministérielle Culture à médico-sociaux, sociaux, des associations et médico social, social, artistique et culturel. Le deuxième axe, l’axe social, repose sur un
l’Hôpital, en mai 1999, convention renouvelée d’usagers, des associations d’habitants et Le premier axe sanitaire et médico-social a programme d’intervention dans la communauté
en 2009.Cette convention incitait à l’accueil des bien entendu des artistes et acteurs culturels pour objectif d’accompagner les personnes favorisant le maintien de l’état de santé bio-
artistes dans le monde hospitalier, favorisait le puisque toute action engagée par le réseau malades et leurs aidants quelque soit leur lieu psycho-sociale de la personne. Il permet aux
rapprochement des établissements culturels s’exprime au travers de la culture et de la de vie, tout au long de la maladie, grâce à une personnes et aux établissements de s’insérer
et sanitaires. La pratique de l’art dans les pratique artistique. Ces partenaires travaillent équipe mobile pluridisciplinaire Culture/Santé. dans leur environnement.
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Nous montons des journées artistiques et panne » de pensée, mettant dans l’impasse par la médiation du miroir, avec l’élaboration
festives. Les Couleurs du Quartier, au cours les thérapeutes en attente de « signifiants » du concept de « makyo » articulé au stade du
desquelles l’ensemble des personnes en à partager, je tentais de réveiller  leur « miroir et de l’inquiétante étrangeté.
établissements ou à domicile se retrouvent. Objet à partager ou objet perdu, appareil à penser » au sens de Bion et de Depuis 1987 dans le cadre associatif, avec des
Nous travaillons beaucoup au rapprochement le devenir de la création, Anzieu, en mobilisant leur capacité à créer, et subventions d’Etat, pour des interventions
des établissements culturels avec les la question du cadre. proposais ainsi Ateliers Théâtre, Masques, en milieu scolaire, j’ai pu développer, une
établissements de santé. Tisser des liens entre Invitation artistique ou Marionnettes, Arts plastiques avec la terre ou la pratique de prévention des conduites à
voisins, développer des partenariats privilégiés psychothérapie ? peinture, en tant qu’espace de subjectivation. risques, en groupes, à partir de ce dispositif
au sein d’un même territoire nous semble Renforcer l’Être comme sujet au monde, Arcréation du masque maquillé comme « pré-
essentiel, avec, toujours en médiation, un projet Annick Eschapasse pour le différencier de ses manques : « Être » texte à penser ». Espace de travail spécifique,
culturel, des artistes. Dr en psychologie clinique au monde plutôt qu’ « Avoir » ou non un sorte d’« entre-deux », ou de troisième
L’axe trois développé par les RCVS est central Directrice des Associations Arcréation handicap. L’importance de permettre à terme, au sein de l’Ecole, car décalé de tout
car il s’agit de créer des liens en permanence et Mot de passe. Paris chacun de créer un écart entre lui et l’autre, apprentissage, sans finalisation artistique,
avec les artistes et intervenants, et d’installer L’art s’enracine à l’histoire de l’humanité en le Sujet et le Moi, se dessinait déjà dans ma ni mobilisation thérapeutique, le cadre de la
des partenariats d’engagement solidaire. Mettre tant que tentative de sublimation, pour faire démarche : ne pas se réduire ou être réduit Prévention invite l’élève à penser le monde
des artistes en résidence, leur donner des face, donner sens à notre condition de mortel. par les autres, à son image. Se décaler de qui l’entoure, à « faire un pas de côté », à
scènes et leur demander en retour d’intervenir Nos ancêtres ne se sont pas suffis de se la trisomie 21, de l’épilepsie, du déficit, du renforcer ses ressources psychiques, ses
auprès des personnes fragiles permet d’installer nourrir et de se reproduire, ils ont représenté handicap,… permet de ne pas prendre la « compétences psycho-sociales » selon les
la pérennité de la démarche engagée, de ne pas le monde sur les parois des grottes. Les partie pour le Tout. Le conte, les récits des termes officiels, et à développer l’estime
seulement considérer l’intervention de l’artiste origines de ce processus d’humanisation générations précédentes, l’histoire de l’art, la de soi. La médiation « contient » le monde
comme un temps de distraction ou de loisir, remontent aux premiers rituels funéraires. transmission de codes spécifiques à chaque interne de chacun, et permet d’échanger avec
mais au contraire de favoriser et d’entretenir La confrontation à la perte, inaugure ce qui pratique artistique, font fonction de greffe l’autre sur ce qui est partageable en groupe.
avec lui des relations nourries. deviendra l’histoire de l’art, entremêlée au de symbolique. L’artistique est alors dans ce La médiation du masque maquillé renforce la
C’est pour consolider cette démarche en début, au sacré. Notre humanité, l’histoire contexte, une invitation à la sublimation, « à construction de l’écart entre Soi et son reflet,
réseau que nous développons les Espaces des civilisations « s’originent » là. se tenir debout » tel « l’homme qui marche » et consolide ainsi les frontières entre Soi et
Culture Ville Santé. Il en existe six aujourd’hui Inviter un enfant, un adolescent, ou un de Giacometti. l’autre.
à Paris. Ces nouvelles antennes Culture/ adulte à l’artistique, c’est avant tout l’inscrire En hôpital de jour pour adolescents et adultes, Le travail de transmission, amorcé dès 1979
Santé sont des lieux culturels qui accueillent comme « humain parmi les humains ». Dans je développais des espaces thérapeutiques où lors de formations initiales et continues, ou
en journée des personnes malades, pour des le cadre d’une sorte d’espace initiatique, tel la médiation était support à travail psychique : lors de supervisions, se poursuit et m’amène
activités artistiques et culturelles animées par un rituel de passage, le professionnel invite je renonçais alors à l’aspect directement à accompagner les professionnels dans
l’’équipe mobile Artistes/Soignants et qui, en le participant qui accepte de se prêter au jeu, partageable et socialisante de l’invitation leur conceptualisation du cadre symbolique
soirée, prêtent leur scène pour programmer à traduire dans une forme ce qui l’anime et à l’artistique. Me positionnant comme qui est le leur : selon leurs applications
des Scènes Solidaires. qui l’humanise : doutes et angoisse face à psychanalyste à partir de 1986, je propose des médiations dans le champ culturel,
Je terminerai mon intervention sur la l’existence, tout autant que petits bonheurs alors en individuel le dispositif thérapeutique social, pédagogique ou thérapeutique.
photographie du Centre Culture Ville Santé qui et grandes joies. Ce qui est commun à toutes avec la médiation du masque maquillé, « Objet à partager » ou « objet perdu », les
ouvre ses portes en 2015 à Marseille. les médiations artistiques, réside dans cette que j’avais élaboré, et pratiqué jusque là productions créées au fil des séances vont
Un dernier mot pour conclure cette première invitation à représenter subjectivement le en groupe. Ce travail sur les enveloppes s’insérer dans une démarche précisée par le
partie. Les Réseaux Culture Ville Santé font monde qui nous entoure. psychiques permet d’accueillir et de mobiliser professionnel qui reste le garant du cadre de
l’objet d’un enseignement à la Sorbonne. Exerçant depuis 1975 dans le champ les patients porteurs de failles narcissiques, travail. Le cadre artistique va déplier - avec
J’interviens auprès des étudiants en Licence thérapeutique, j’ai fait le choix du terme voire de traumatismes, ou encore de précaution - les rencontres avec le socius,
« médiation culturelle » et Art Thérapie. Il « médiation artistique » pour rendre compte souffrances psychosomatiques : Travail l’alter-ego : l’objet artistique est partagé avec
s’agit avant tout d’assurer la pérennisation de des différents cadres d’application, et en d’ancrage et de résonnance, permettant d’autres, voyage, et s’externalise de l’espace
la démarche engagée par tous les acteurs des délimiter les objectifs, sans vouloir les de relier la parole et le corps, au sujet qui initial de création. Ainsi des spectacles ou des
réseaux Culture Ville Santé. hiérarchiser mais pour en « extraire » leur l’habite ; Travail « d’imaginarisation » des expositions peuvent avoir lieu après un travail
spécificité et leur fonction symbolique. contenus projectifs ouvrant sur la création de en atelier, pour permettre à chaque participant
Confrontée d’abord à des enfants « en symboles nouveaux ; Travail de désaliénation de passer de « l’in-time » à « l’ex-time ».Il n’y
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a pas de création -artistique- sans autre(s). fascination esthétique, que de son éventuelle danse, « obligent » à rencontrer et invitent à et que l’improvisation créative peut être
L’objet thérapeutique, lui, est fascination par rapport aux productions dépasser. vécue comme une incitation au passage à
fondamentalement « perdu » et ne s’exporte de l’inconscient. L’invitation à « jouer » au Il y a souvent confusion entre « effets » l’acte. Le professionnel, quelque soit son
pas hors de la séance ; objet « intime », il se sens de « la mère suffisamment bonne » thérapeutiques et « cadre » thérapeutique, champ d’exercice et sa fonction, se trouve
partage avec le thérapeute qui accompagne le de Winnicott, est traversée par la fonction et la juxtaposition des termes art et thérapie aujourd’hui dans la nécessité de participer
processus de symbolisation. Cette expérience paternelle de la Loi symbolique qui protège y participe : son double signifiant souvent à la structuration de l’appareil psychique :
de « castration symboligène » est annoncée le participant d’une « régression incestuelle » « accolé » risque de vouloir remplir « tous » limite différenciée entre soi et l’autre, place
dans le cadre des séances, dès la première sans limite. les rôles, telle une mère « toute-puissante » et fonction de l’interdit qui renvoie à l’interdit
rencontre. Quand Gisela Pankow proposait Dans le cadre d’une « invitation à l’artistique », qui n’invite pas vers « l’ailleurs » et ne de l’inceste, tissage entre résonance et
à des patients psychotiques de « modeler » quelle que soit la médiation proposée, (le laisse pas une place vide – celle du Père raisonnement. A côté des concepts structurels
leur image du corps, et Françoise Dolto choix faisant partie d’une indication réfléchie symbolique, le 3° terme. Dans la pratique, le de psychose, névrose et perversion, la notion
donnait des crayons de couleurs à l’enfant avec l’équipe de soin) le sujet est invité à brouillage de ces deux termes peut desservir de dissociation, mécanisme de défense pour
pour qu’il dessine, ou encore Winnicott mettre en veilleuse sa souffrance et se rendre le praticien dans son lien avec l’institutionnel faire face aux expériences traumatiques,
avec le jeu du Squiggle, ils ne se situaient disponible à la « proposition  du jour ». L’atelier et le développement et la reconnaissance de éclaire la clinique contemporaine, et
ni les uns, ni les autres, dans le champ des contourne ce qui fait symptôme, et invite le sa pratique. demande un positionnement spécifique,
médiations artistiques mais dans celui des participant à se décaler de lui, à faire « un pas Une « invitation à l’artistique » peut où la mobilisation du corps articulé au
psychothérapies analytiques. de côté ». Le professionnel assume alors une générer des effets cathartiques sans que le psychisme, et du psychisme articulé au
De ces positionnements spécifiques, fonction de transmission, qui le positionne participant n’ait travaillé consciemment sur corps, a toute sa place. Comme à toutes les
s’organisent deux types de pratiques comme « maître de séance », comme support son histoire, et sans que l’intervenant ne époques, les professionnels d’aujourd’hui,
qui requièrent des formations et des identificatoire, ce qui suppose un savoir sur sollicite frontalement le noyau « souffrant » tant les psychothérapeutes que les praticiens
compétences différentes et déplient des la technique-médiation proposée, initié par de sa personne. Les voies de traverse que d’ateliers artistiques, se doivent de travailler
champs distincts, qui gagnent à être précisés un autre, et donc représentant d’une filiation permettent les médiations artistiques dans sur leur positionnement pour participer
et à ne pas se superposer, ni se confondre de génération en génération de l’aventure leur mobilisation « créative » de la personne, au mieux, à l’évolution du patient ou du
encore moins à se hiérarchiser. Si l’ancrage artistique pour représenter le monde. Cela participent au travail d’ancrage et d’estime de participant qu’ils accompagnent. La formation
du professionnel qui propose une médiation nécessite de la part du professionnel, un lien soi, si nécessaires actuellement au-delà des continue et les supervisions y contribuent.
artistique, est de mobiliser la créativité, et privilégié avec la médiation qu’il propose, psychopathologies classiques. En effet on Reste la créativité du professionnel, quel
déplier cet élan chez ceux qu’il accompagne, en avoir traversé lui-même l’initiation, voire observe aujourd’hui, tant dans le champ social qu’il soit, dans l’exercice de sa fonction, aire
l’option est de renforcer l’enveloppe l’enseignement, avec ses butées et son et scolaire que dans le champ thérapeutique, transitionnelle toujours à déplier, comme le jeu
narcissique du participant en la consolidant élan créatif. L’artistique invite à regarder une faillite de la fonction symbolique. La dans les gonds d’une porte, pour permettre
et en l’enrichissant ; sa formation va s’étoffer « ailleurs ». C’est le positionnement du « névrotisation » primaire, nécessaire aux l’ouverture sur le monde et la rencontre avec
du patrimoine des civilisations, tout en professionnel qui définit le cadre et les relations intra et inter-humaines, est en l’autre.
opérant pour lui-même, une dé-fascination objectifs, en référence à l’institution-tiers panne. Les conduites à risques augmentent :
d’avec l’image et la question du « Beau ». La qui passe « commande » ou pose « une conduites addictives avec ou sans produits, Public
démarche proposée au participant est surtout indication » vis-à-vis du public accueilli. troubles des conduites alimentaires, pour J’ai une problématique, je travaille en
de soutenir les processus identificatoires, Ainsi le fait de « prendre un rôle et de jouer » tenter de contenir un monde interne manquant établissement pénitencier et les cadres
tout en « contenant » le matériau projectif. va se décliner différemment suivant le cadre de pare-excitation. Les scarifications, le veulent que les productions soient présentées
Le professionnel est le maître à bord des de séance : le positionnement de l’intervenant tatouage, voire la chirurgie esthétique peuvent car ils estiment que c’est intéressant pour
« contraintes à l’imaginaire » terme emprunté en théâtre, en jeu de rôle ou en psychodrame, s’entendre comme autant de tentatives les détenus de présenter leurs œuvres. Moi,
au théâtre, signifiant la fonction de balise et de est fondamentalement distinct et spécifique. d’inscrire quelque chose à même la peau, je leur présente tout de suite en amont, je
canalisation de l’imaginaire. Le professionnel Alors que la « mise en jeu » est commune faute de pouvoir les inscrire symboliquement. travaille par cycles de 5 séances dont une
dans ce cadre, assume de « border » l’appareil à ces trois outils, un seul s’enracine dans Si les psychothérapies des névroses avaient d’œuvre collective, et je leur dis que cette
projectif, toujours en risque de se déverser tel l’artistique : le théâtre. « Les rêves dansants » pour fonction de libérer les non-dits et de œuvre collective risque d’être présentée. La
un barrage au-delà de ses digues. L’espace de Pina Bausch témoignent de l’élan vital dénouer le risque névrotique, et les ateliers demande est forte de la part des institutions.
de créativité n’est en aucun cas l’espace du déployé dans la traversée de l’obstacle, artistiques d’inviter à l’ex-pression, on
« Tout » possible. Le professionnel doit tout que les exigences de base, inhérentes à observe depuis une quinzaine d’années Annick Eschapasse
autant veiller à se défaire du risque d’une tout spectacle, ici avec la médiation de la que l’analyse des signifiants ne suffit pas, Quand je vous entends dire « risque », le
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message d’ouverture du projet que vous curiosité et de la peur. Qu’est ce qu’on fait ? Public : Vous dites que vous gardez les objets
témoignez à ces groupes, je pense que là, Et donc ils sont revenus sur leurs productions de vos patients, vous en faites quoi ?
tout est dit de votre part, du hiatus, de votre antérieures, ils ont créé des textes et ça c’est
inconfort, de ce qui me permet d’être là. très intéressant aussi, de ne pas prendre une Annick Eschapasse Habiter chez soi ou comment
Est-ce que je dois dire non ? Je pense que production déjà faite mais de dire, tiens, il y a Je ne travaille pas avec les objets mais l’art-thérapie contribue à
je présente mieux maintenant le projet. Je une demande, qu’est-ce que j’en fais ? Pour le masque maquillé qui se retire par un l’accompagnement vers
suis prête après 28 ans d’expérience dans moi, le praticien doit protéger absolument son nettoyage de la peau qui efface. Je n’ai plus l’hébergement de grands
le milieu scolaire, je donne un cadre très cadre et vraiment être en confort psychique ce travail de l’objet artistique, mais j’ai appris exclus de la rue,
stricte aux financeurs et à l’équipe qui va avec son cadre et oser, non pas comme une grande chose : une sculptrice qui avait Association Aux Captifs,
accueillir. C’est à dire que vous devez vous, quelque chose qui va endoctriner l’autre plein d’ateliers, une artiste, je l’ai vue effriter La Libération
être en confort extrême avec votre cadre, mais comme quelque chose qui va structurer avec son groupe toutes les productions [...]
être prête afin de ne pas mettre l’adolescent même le partenariat. L’ARS finance, même si pour terminer le travail de l’année, retourner Bénédicte Stalla-Bourdillon
ou l’adulte ou l’enfant dans l’entre deux de ce ne sont pas des psy ni des artistes, si on au matériau brut. Il y a des outils qui déclinent Art-thérapeute,
ces adultes que nous sommes et qui doivent explique bien, pourquoi on va extérioriser une grâce à votre inventivité des possibles qui sont Marine Noble
s’arranger : il faut extrêmement protéger production et pourquoi on ne va pas le faire, extraordinaires, ça c’est la chance de chaque éducatrice spécialisée,
le cadre. Alors soit vous estimez vous, en mais le risque ça doit rester un fantasme. praticien d’inventer, c’est un rapport intime : François Le Forestier
interne de vous et avec vos collègues du Dans le cadre, nous on est garant qu’il n’y ait elle donnait un matériau qui était travaillé, et Cadre social
même métier qu’il est important qu’il n’y ait pas de risque si ce n’est de s’autoriser à se à la fin de l’année, la production était effritée Aux captifs, la libération : à la rencontre
pas d’œuvre communiquée, et vous négociez rencontrer. Voilà ma position. dans le sens du travail de la matière. des personnes exclues à la rue
en amont que c’est non négociable, soit vous Aux captifs, la libération est une association
l’énoncez comme un parti pris et l’énoncez Jean-Pierre Klein Public parisienne qui intervient auprès des publics à
aux participants qui vont être conviés et là, ils Ça me semble tout à fait important ce que De la part des jeunes avec lesquels vous la rue en grande exclusion et des publics en
vont être eux dans le risque et ce n’est pas un tu viens de dire. [...] Je crois que tu résous travaillez sur le masque, n’y a-t-il pas un désir situation de prostitution. Elle a été fondée il y a
risque pour vous mais vous allez travailler ce là l’écueil de l’art thérapie qui parfois est de photographier ? trente ans par Patrick Giros, prêtre et éducateur
risque, voire faire des œuvres sur la question d’emblée montré au reste du groupe, de rue en prévention spécialisée1. L’action est
du risque, d’être vu, d’être étiqueté toute leur montrer à l’extérieur, si bien que tout ce Annick Eschapasse déployée tout d’abord dans la rue, à travers des
vie comme étant passé par la case prison et qui est travail intime de soi à soi est balayé C’est travaillé avec le groupe en amont, depuis 3 tournées-rue qui sont les ancêtres de ce que nous
il y aura une autre œuvre qui sera exploitable. au profit de l’histrionisme, d’être dans le ans mon équipe ne se contente pas de dire aux appelons aujourd’hui les maraudes d’intervention
Il faut pour moi fondamentalement distinguer joli, ou dans le séduisant ou le provocateur. adolescents ce prologue : l’homme ne s’est pas sociale mais avec quelques spécificités : les
les œuvres ou les productions qui sont Comment tu t’y prends pour passer de cette contenté de se nourrir et de se reproduire mais tournées-rue se font sur des circuits définis, à
témoins d’un chemin qui peuvent rester expérience forte dans l’intime à comment s’est mis à enterrer ses morts et à dessiner sur les pied, avec un bénévole et un travailleur social.
en eux, pour eux, même en dehors de ce on va exporter, partager notre travail ? grottes. Après, je demande à mon équipe de façon Dans les rencontres à la rue, les binômes de
qu’on appellerait une thérapie classique, et Concrètement je n’ai plus ce parti pris, je ne très stricte dans le protocole de leur dire qu’on tournée n’apportent aucune aide concrète
la question de ce qui va sortir à l’extérieur. fais plus d’accompagnement vers les autres va aller non pas leur mettre un écran mais leur (alimentation, soins, ouverture de droits) mais
Ca m’est arrivé en 1991 : il n’y a aucune humains. Dans le champ de la thérapie, c’est mettre un miroir, et qu’il y aura des surprises, des construisent avec les personnes une relation de
production qu’on montre alors ce n’est pas de une production qui ne sortira pas, la personne inconforts et qu’on leur demande de ranger tous confiance dans la régularité et la durée et c’est
la thérapie ! Je travaille avec cette question ne l’emportera même pas chez elle, il y a un les outils qui renvoient à la question de l’image, et ce qui est appelé dans le jargon de l’association,
de la prévention et les subventionneurs ont travail sur l’objet perdu, c’est dit avant et on ne pour les plus petits qui seraient très instables ou l’accompagnement « à mains nues ». Les
dit : on voudrait savoir ce que vous faites démarre pas le processus tant que la personne agités, on leur demande de confier à l’enseignant. tournées-rue sont sectorisées et attachées à un
parce que vous fermez vos portes comme n’a pas pu élaborer cette question. Et dans le On a un rituel d’entrée beaucoup plus épais, plus lieu d’accueil de jour, ce que nous appelons une
des thérapeutes. Et j’ai dit : en effet, ce n’est champ de la prévention en milieu scolaire, il n’y les années passent, plus les rituels d’entrée sont antenne, où les personnes rencontrées peuvent
pas de la thérapie. Et j’ai visité les milieux a pas d’exposition en ce moment. Il y en a eu conséquents et investis. se rendre pour être accueillies, recevoir des
scolaires de façon décalée, pas où j’étais une en 91 qui sert toujours actuellement et je informations, demander de l’aide et commencer
intervenante, et j’ai dit aux adolescents : ça n’ai pas besoin d’en faire d’autre. Je ne suis un accompagnement social.
paraît bizarre de fermer une porte : ce travail plus, dans mon quotidien, dans l’aventure de
1 Louis Guinamard et Patricia Lattion, Patrick Giros, Brut
avec votre visage, les masques, crée de la la production artistique. de charité, éditions de l’Emmanuel, 2012.
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En quelques chiffres, l’association accompagne parait lointaine et est faiblement exprimée. Le projet s’intitule « Habiter chez soi » et Les associations partenaires de ce projet
dans la régularité 800 personnes exclues à la rue Les personnes que nous accompagnons propose à deux groupes successifs de 10 sont l’œuvre Falret et les studios Sainte
à Paris. L’association est fortement marquée sont concernées par le syndrome d’ « auto- personnes maximum, hommes et femmes, Geneviève. L’œuvre Falret propose diverses
par les principes de l’accompagnement social exclusion » décrit par le docteur Jean Furtos. un accompagnement global (santé ; suivi prises en charge à des personnes en situation
des personnes (35 travailleurs sociaux/ 50 Elles sont dans la non-demande, avec des social et accompagnement vers une solution de handicap psychique. Actuellement, dans le
salariés). Une psychologue a travaillé à mi- problématiques importantes d’hygiène. Elles d’hébergement/logement pérenne) à travers cadre du projet, un travail est fait autour de
temps en transversal sur les antennes, aucune éprouvent des grandes difficultés à se situer un fil conducteur majeur de dynamisation la prise en charge d’un homme pour lequel
art-thérapeute jusqu’en 2014. Par ailleurs, dans l’espace et le temps. Les échanges de :sorties, séjours de rupture, ateliers était suspecté un syndrome de Diogène. Il
l’association compte 250 bénévoles, 6 services prime abord ne sont pas si difficiles mais les d’expression hebdomadaire. Le postulat est était difficile de l’orienter vers une structure
civiques et une douzaine de stagiaires. A Paris, relations sont plus compliquées à construire que l’investissement d’un lieu de vie sur du d’hébergement qui accepte de l’intégrer avec
nous avons en charge 4 antennes avec pour à moyen-terme car les problématiques long terme est facilité par un investissement ce trouble d’envahissement du lieu de vie.
chacune des équipes de tournées-rue et un liées à l’attachement sont importantes. au préalable de son intériorité. Ces temps de L’intervention du Service d’Accompagnement
centre d’hébergement de stabilisation pour Les équipes d’intervention sociale sont dynamisation sont importants, de la même Médico-Social pour Adultes Handicapés
des personnes qui viennent de la rue et qui souvent désarmées face à ces personnes manière que les accompagnements physiques (SAMSAH) de l’œuvre Falret au domicile
vivent en colocation avec des bénévoles. car elles ne peuvent plus s’appuyer sur une pour ouvrir des droits ou refaire des papiers permet alors de cadrer et guider la personne
Nous rencontrons dans la rue des personnes logique d’accès aux droits pour assurer leur (et de la même manière que les rencontres dans le maintien dans son lieu de vie.
qui y survivent depuis des années et qui, accompagnement social. Les personnes ne en « tournées-rue »). Ils permettent à tous les L’association Sainte Geneviève, pour sa
même si elles ne sont pas âgées au regard comprennent plus le sens de leurs droits accompagnants dans leurs échanges avec la part, propose des studios tremplins en sous-
de l’espérance de vie en France, peuvent reconnus par la loi ou ne les acceptent plus personne accompagnée de susciter sa vitalité location avec des loyers à moindre coût pour
être considérées comme vieillissantes (non recours). Ces personnes manifestent intérieure : goûts, mémoire, sensations, des personnes présentant des difficultés
quand elles sont à la rue depuis plus de des grandes difficultés à accepter une sentiments, avis, désirs. Pour cette raison, sociales. Actuellement, trois personnes, un
cinq ans et qu’elles franchissent le cap des perspective de sortie de rue et à participer l’accès à un hébergement/logement ne vient couple et un homme isolé, y sont logés dans
quarante ans. L’âge moyen de mort à la rue concrètement aux démarches proposées par pas en premier dans l’accompagnement deux studios depuis le mois de juin 2014.
étant dans une fourchette entre 45 et 50 ans les travailleurs sociaux qu’elles rencontrent. proposé dans ce projet. Le projet s’adresse Parallèlement, un travail en réseau est réalisé
soit trente ans de moins que l’âge moyen de Les équipes d’intervention sociale voient à des personnes considérées comme avec les Centres Médico-psychologiques
la mortalité en France. Pour certaines de ces bien la nécessité de mieux travailler avec vieillissantes à la rue, âgées de 40 ans ou (CMP) de secteur avec des suivis communs
personnes vieillissantes à la rue, les équipes les équipes de soignants et de faire évoluer plus, et ayant un minimum de cinq années mais également avec des Permanences
d’intervention sociale en rue ou en accueil leurs pratiques d’accompagnement pour de rue consécutives à l’entrée dans le projet. d’Accès aux Soins de Santé dans les hôpitaux
de jour constatent des comportements qui qu’elles soient plus adaptées aux situations Ces personnes présentent des pathologies (PASS). Depuis quelques années, l’association
sont souvent liés à des pathologies de santé des personnes de manière à mieux les psychiatriques, avérées ou non, et/ou une Aux Captifs la Libération a développé avec le
mentale et ou des dépendances à l’alcool ou mobiliser et les dynamiser vers l’inclusion. dépendance à l’alcool. soutien de la fondation Bettencourt et avec
autres produits. Certaines des pathologies Le projet « Habiter chez soi » : en 2013, L’équipe projet est composée de François l’hôpital Bichat, un partenariat effectif avec le
psychiques ont déjà été diagnostiquées, l’association a proposé avec l’œuvre Falret Le Forestier, chef de projet ; Marine Noble, service d’alcoologie de l’hôpital Bichat vers
d’autres non. Certaines des personnes ont et les associations Sainte Geneviève un éducatrice spécialisée et Bénédicte Stalla- lequel sont orientées et accompagnées les
été suivies avant ou après être « tombées projet innovant à la DIHAL (Délégation Bourdillon, art-thérapeute. Le travail se fait personnes désireuses d’engager des soins
à la rue », d’autres n’ont jamais été suivies. Interministérielle à l’Hébergement à l’Accès aussi en triangulaire avec les référents sociaux pour se dégager des maladies alcooliques.
Certaines personnes ont besoin de soins de au Logement) et la Fondation Caritas pour des bénéficiaires du projet, rattachés à l’une En ce qui concerne la mobilisation des
santé mentale tels que ceux proposés en répondre aux questions spécifiques qui se des 4 antennes de l’association participant au futurs bénéficiaires du projet, les équipes
CMP, d’autres sont davantage concernées posent dans l‘accompagnement de ce public projet. En effet, au vu de la temporalité assez des antennes nous recommandent des
par des soins et des accompagnements en de la grande exclusion vieillissant à la rue : courte du projet (21 mois depuis le 1er janvier personnes accueillies qu’elles connaissent
addictologie. Cet accompagnement social quels accompagnements vers et sous un 2014), cette articulation avec les antennes dans bien et nous les rencontrons lors d’un
intègre les différentes dimensions de la toit pour des personnes exclues, vieillissant les suivis est nécessaire pour que le référent 1er entretien motivationnel, sans l’art-
personne : physique, psychologique, sociale à la rue, qui ne demandent presque plus social puisse prendre le relais de manière thérapeute pour le 1er groupe. Nous avons
et spirituelle. rien ? Qu’est-ce qui peut encore faire sens définitive à la fin de l’expérimentation et que constaté pour ce 1er groupe que notre
Pour la plupart de ces personnes, la pour elles ? Comment accompagner ces le bénéficiaire ait toujours un interlocuteur présentation n’était pas complète à ce
perspective d’une autre vie que celle de la rue personnes vers l’inclusion ? lorsque l’équipe projet sera dissoute. moment-là car nous le présentions comme
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il nous avait été présenté et toute la partie d’accompagnement. Les bénéficiaires sont volonté, leurs envies du moment, leur savoir- à l’expérimentation et en cherchant plutôt à
art-thérapeutique a été passée sous silence capables d’investir leur lieu de vie dans le être parfois mais pas toujours en fonction éveiller les esprits pour qu’ils se posent des
car cela nous semblait assez abstrait. principe d’être chez soi et non juste à l’abri. de leurs savoir-faire, ni de leur formation. questions.
Pour le second groupe, Bénédicte Les démarches et le suivi médical sont bien Et elle recueille donc leurs frustrations, Compte tenu de ce contexte particulier, sa
Stalla-Bourdillon, art-thérapeute sur le enclenchées et assumées par les personnes leur désespoir quand l’atelier s’arrête, première proposition est de s’appuyer sur
projet, a alors participé aux entretiens et le projet professionnel ou bénévole se quand plus personne ne se mobilise et les réussites de l’association en termes
motivationnels. La manière de présenter concrétise. qu’ils ne savent pas pourquoi ça a marché de dynamisation : les sorties ponctuelles,
le projet aux bénéficiaires accueillies a été L’art-thérapie dans l’accompagnement du et que ça ne marche plus… « et qu’est ce visite de musée, bowling… et ainsi par ce
repensée sous forme de tableau à bulles projet « Habiter chez soi » qui marche d’ailleurs ? et quelles sont les biais, respecter cette mémoire des liens
afin que les bénéficiaires puissent visualiser Tandis que Marine Noble rencontre au fil du consignes proposées ? et dans quel lieu ? créés depuis plus de 30 ans entre accueillis,
le parcours qui leur était proposé : « Nous mois de février 2014 les futurs bénéficiaires et avec qui ? » etc... Au final, toutes ces bénévoles et salariés, s’inscrire dans cette
leur parlons d’un projet en trois étapes bien du projet, il est demandé à Bénédicte Stalla- questions que Bénédicte Stalla-Bourdillon tradition et retrouver chacun là où il en est
distinctes l’une de l’autre mais avec comme Bourdillon de faire un état des lieux de la se pose quand elle construit un dispositif aujourd’hui dans l’association.
fil conducteur la dynamisation : au centre du dynamisation dans les antennes afin d’y d’accompagnement par la médiation Elle s’appuie également sur ces sorties
tableau, il y a le bénéficiaire et sa situation porter un nouveau regard. Sous ce terme, artistique, et qu’elle va poser à une vingtaine pour poser une régularité dans le temps aux
à l’égard de son projet d’hébergement. La elle découvre toutes les activités groupales de personnes dans l’association vont être rencontres avec les bénéficiaires (1 fois/
première étape est intitulée « Je suis à la proposées par les antennes pour remettre très bien reçues car il y a alors une grande semaine) et impulser un mouvement de
rue » car c’est réellement sa situation. Au en mouvement les personnes à la rue, soif de partage des expériences, de remise l’extérieur vers l’intérieur. Car petit à petit,
travers de cette étape, nous abordons 3 principalement des sorties ponctuelles et en question, de recherche d’amélioration. elle inclue à ce programme de sorties, un
points : la question de son image (l’image des séjours de rupture d’une durée d’un Donc, le train est en marche… temps à l’intérieur, dans une salle, et sous
du corps et l’image de soi), son identité week-end jusqu’à une semaine organisés Dès les premières rencontres entre prétexte de faire un peu traîner l’accueil
administrative et ses droits à une protection par les bénévoles et/ou les salariés. l’éducatrice spécialisée et l’art-thérapeute, autour d’un thé ou d’un café, elle grappille
sociale de base et une première orientation Elle observe également quelques pratiques leurs différences d’approches semblent également un temps d’intériorité, un temps
vers un dispositif d’hébergement/logement. un peu confidentielles mais tenaces, difficiles à concilier et toutes deux se posent entre soi et soi, au début et à la fin de chaque
La seconde étape intitulée « Je suis entré d’ateliers : 2 ateliers d’apprentissage de les mêmes questions : « comment allons- sortie, d’une durée de 30 mn et à cette
dans l’hébergement » est celle où son la peinture mené par des peintres et un nous travailler ensemble ? Comment allons- occasion, elle propose aux bénéficiaires,
projet de vie et d’avenir s’élabore pour atelier d’expression par la médiation des nous trouver chacune notre place ? » sous prétexte d’apprendre à se connaître les
et avec le bénéficiaire. Les questions arts graphiques. Début 2014, il faut savoir Aussi, nous vous proposons de partager uns les autres hors des sentiers battus des
relatives à sa santé, à la fois physiologiques que l’essentiel du temps des travailleurs avec vous, quelques uns « des essais et discours convenus sur soi-même, elle leur
et psychologiques, son estime de soi sociaux est pris par l’accompagnement des erreurs » et des ajustements que nous propose des jeux de mots, de chansons,
notamment ainsi que sur sa dépendance au social individuel et elle découvre que ces avons faits en équipe au fil du temps pour des consignes diverses et variées avec des
produit alcool sont travaillées pour arriver à ateliers souffrent alors de manque de ces 2 groupes successifs de bénéficiaires. médiations différentes pour les inviter à se
une orientation et une prise en charge vers reconnaissance, avec la suspicion de l’ Pour l’accompagnement du 1er groupe, reconnecter à eux-mêmes, là, à inventer une
des professionnels du champ médical. Dans « occupationnel » qui rôde dans tous les donc, Bénédicte Stalla-Bourdillon rencontre histoire à partir d’une image, là, à écrire un
cette étape, nous commençons également esprits, le manque d’intérêt des équipes les bénéficiaires au cours du 2è entretien, texte à partir des lettres de leur prénom, et
à aborder la question de l’inclusion. C’est à des travailleurs sociaux pour les pratiques une fois que leur participation a été validée. à lire et à partager ce qu’ils ont créés s’ils le
dire qu’il s’agit là de voir individuellement développées : par exemple, les animateurs Les termes d’art-thérapie, de création, ni souhaitent.
avec les bénéficiaires dans quel type des ateliers ne sont pas invités aux réunions même de dynamisation ne sont prononcés Au bout d’un mois et demi de sorties
d’activités, hors champ social, ils aimeraient d’équipe dans les antennes, peu de lors de ces entretiens. Pour présenter ritualisées, ensemble, toute l’équipe se
s’investir. Par exemple, trouver un club de complémentarité avec l’accompagnement le projet, Marine Noble parle plutôt d’un retrouve pour un 1er séjour à la campagne
quartier où ils partageraient une passion social, peu de transversalité au sein même parcours pour se retrouver soi-même, avec d’une durée de 4 jrs. Les séjours font partie
commune avec des personnes totalement des équipes d’accompagnants, peu de ses envies, ses souvenirs… et Bénédicte des réussites de l’association. Le séjour
insérées socialement et qui recherchent salles disponibles et adaptées aux activités. rencontre les bénéficiaires en sa qualité de « est organisé avec les personnes à la rue,
seulement du partage. Enfin, la troisième Au fil de son enquête, elle mesure aussi Bénédicte » comme le ferait une bénévole, aussi bien en termes d’activité (visite d’une
étape intitulée « Je suis chez moi » est toute la place laissée aux bénévoles pour une bénévole artiste toutefois. Dans son AMAP, équitation…) que du quotidien (le
en quelque sorte la conclusion du projet mener ces ateliers sur la base de leur bonne for intérieur, elle souhaite laisser le temps menu, la vaisselle…). Et pour conclure ce
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1er séjour, il est prévu que Bénédicte Stalla- les quelques sorties du début pour agréger sûrement, la question d’une légitimité de l’art- travaille davantage sur du concret» dit Marine.
Bourdillon propose un atelier à « sa façon » le groupe petit à petit et pour impulser ce thérapie qui se posait dans nos esprits pour Bénédicte répond «pourtant, la création
et dans ce contexte, elle propose un atelier mouvement de l’extérieur vers l’intérieur, ces publics en grande précarité : comment c’est du concret, disons plutôt que toi, tu
de drama thérapie qui fait mouche ! Non mais dès la 4è séance, les bénéficiaires oser se focaliser sur la création artistique en es dans du lien en direct et moi, je pratique
pas dans le sens d’une grande participation sont rentrés dans un parcours de création premier alors que ces personnes manquent la stratégie du détour». L’art-thérapeute se
des bénéficiaires mais dans le sens d’une en mixant les arts plastiques et le théâtre du minimum de confort matériel ? focalise sur les ressources créatives, regarde
visibilité de ce qui peut être expérimenté d’ombre sur le thème du portrait (face, profil Et derrière cette question résonnait aussi une les accueillis dans leur processus de création.
ensemble et pour l’occasion, avec la et ombres). autre question d’actualité et de politiques Elle veille à ce qu’ils aient à leur disposition
médiation du théâtre. Par ailleurs, il a été observé que ce temps publiques dans l’accompagnement social : les moyens suffisants pour redevenir sujets
De retour à Paris, il est convenu de du tout début de l’accompagnement, ce faut-il proposer la santé ou l’hébergement d’eux-mêmes en rentrant dans une démarche
capitaliser sur cette 1ère expérience et de temps de l’initiation à l’art-thérapie, ce en premier à ces personnes ? Jusqu’à de création personnelle et également, pour
poursuivre le processus avec la réalisation, temps qui s’inscrit petit à petit dans l’ordre présent, les politiques publiques demandent ce public, qu’ils retrouvent une contenance
par la médiation du collage, d’une fresque du symbolique, peut créer des inquiétudes aux personnes à la rue de se soigner avant élémentaire, ce qui n’est pas évident car
collective avec des images choisies dans chez ces personnes qui, par ailleurs, sont pour avoir un hébergement. Mais depuis ils ont perdu dans la rue toute intimité. De
les journaux. La consigne est de choisir une toujours à la rue et exciter des résistances l’expérience nationale d’ «un Chez soi son côté, l’éducatrice spécialisée cherche
image de la taille d’une main, une image qui à la mobilisation. C’est pourquoi, alors d’abord » qui donne un logement en premier, à comprendre les trajectoires de vie, aide à
les interpelle et de la coller sur la fresque qu’un atelier dure 2h30, la 1ère demi-heure et qui peut prouver que ça coûte moins cher sortir des discours plaqués, cherche à établir
en lien avec une autre image. Mais les est réservée à l’accueil autour d’un café et en santé publique, en journées d’hôpital… une cohérence des projets pour ensuite
questions du contenu, du sens des images c’est un moment où ensemble, avec les les idées changent. Mais nous, aux Captifs aller vers des orientations adaptées et
restent au 1er plan et cantonnent le groupe bénéficiaires, nous leur parlons, Marine la Libération, avec ce projet, nous avions accompagner les démarches sociales. Elle
dans les clichés, les expressions figées. Au et Bénédicte, de comment nous allons l’audace de proposer « la dynamisation » en veille enfin à ce que les personnes pour «
bout de quelques temps d’impasse, elle travailler ensemble avec eux, en quoi nous premier, et du point de vue de l’art-thérapie, avancer » socialement soient dans un cadre
propose donc aux bénéficiaires de travailler sommes complémentaires, comment le « la création » en premier ? qui apporte une certaine sécurité.
sur des fresques personnelles cette fois-ci, fait de développer leur créativité artistique Pour conclure cette partie et en forme de L’art thérapie en groupe semble «aider» les
comme s’il s’agissait d’un tableau, afin de va pouvoir les soutenir dans leur remise en clin d’œil, nous souhaitons laisser la parole personnes exclues à la rue. Tout d’abord,
redéployer les expressions, les potentiels mouvement et l’élaboration de leurs projets à un gars que nous avons rencontré au en leur apportant une contenance par la
de chacun et accéder à une expression plus d’avenir. Mais cette présentation n’est cours de la constitution du 2è groupe. Voilà régularité de leur participation dans le temps,
authentique ; cette nouvelle consigne trouve possible que pour le second groupe, parce sa situation : il est en France depuis 10 ans, de leur présence dans un lieu dédié avec des
un écho favorable en termes de couleurs, de qu’évidemment, au bout d’un an, nous nous à la rue depuis 10 ans, sans papier, sans interlocuteurs dédiés. Certains expriment le
rythme, de matières visuelles chez certaines connaissons mieux et nous sommes en un sou, polonais, ne parlant pas un mot bien que leur font ces ateliers tandis que
des personnes qui se décollent du sens et confiance. de français. Par ailleurs, il est alcoolique d’autres ont des difficultés à mettre des
du contenu et entrent dans leur imaginaire Pour nourrir cette confiance, il a été mis en depuis longtemps mais dit-il, ce n’est pas mots sur ce qu’ils expérimentent. Une autre
personnel. Dès lors, émerge la nécessité place un temps de supervision en équipe, un problème et à la question : « qu’est ce partie des personnes à la rue semblent trop
pour toute l’équipe de rendre visible la une fois/mois, et là, l’équipe a pu reprendre qui est prioritaire pour vous de changer dans en difficultés notamment parce qu’elles
fonction et le rôle de l’art-thérapeute dans tout ce qui se passait entre nous et creuser, votre vie pour aller vers un mieux-être ? » ne parviennent pas à rentrer dans une
le projet. identifier, expliciter davantage les rôles Il nous répond : « un accordéon, avoir un démarche collective. Durant les ateliers,
Pour la formation du second groupe, nous respectifs de chacun, poser les limites des accordéon. Si j’ai la musique, j’ai tout !!! » les participants découvrent qu’ils peuvent
nous sommes repositionnés en équipe pour interventions en séjour ou en atelier compte car c’est un excellent musicien ! recontacter un univers intérieur personnel
que d’une part l’art-thérapeute rencontre tenu des approches spécifiques de chacune. Les premières leçons tirées de et éventuellement le partager. Ils se sentent
les accueillis dès leur 1er entretien et Désormais, les rôles sont plus différenciés. l’expérimentation en cours plus vivants et se reconnaissent unique.
qu’elle participe au choix des bénéficiaires L’art-thérapeute ne dispose pas encore Le croisement des pratiques d’accompagnement Ils sont délivrés pendant un temps des
et d’autre part, qu’elle se présente comme d’une salle appropriée pour recevoir certains des personnes en grande exclusion entre problèmes quotidiens de la rue, et de leurs
art-thérapeute dès le 1er entretien afin de des accueillis en individuel mais la question éducation spécialisée et art-thérapie semble questions : où je vais manger, dormir…?
répondre à leurs questions si ces mots les est sur la table. Peut-être une prochaine pertinent. «Toi, tu vois des choses que je ne vois Certains des bénéficiaires diront qu’ils ont
interrogent. étape. pas. » se disent Marine et Bénédicte «L’art- oublié leurs problèmes : «Je ne me sens pas
Avec le second groupe, nous avons conservé Finalement, nous constatons qu’il y avait, thérapie travaille sur de l’invisible tandis que je pareil quand je suis dans l’atelier».
22 Les Actes2015 23 Les Actes2015

La dynamisation qui inclue l’art-thérapie Des accompagnements individuels en art- soi» qui est dans votre projet institutionnel, avons collaboré. J’ai utilisé ce film dans sa
permet aux personnes d’avancer mieux et thérapie pourraient sans doute aider les j’ai l’impression qu’oser poser le mot d’art- version longue à l’occasion d’une projection
plus vite vers les soins. En soi, l’art-thérapie personnes qui en ont besoin. thérapie permet à eux d’investir ce «en débat au centre Popincourt. Je connais bien
est déjà une pratique de soin et c’est bien soi». Sinon, c’est beaucoup plus long. Ça les conditions dans lesquelles le film a été
ce qui la distingue de la dynamisation. Dans Public ne m’étonne pas que l’accès aux soins tourné donc je peux répondre à vos questions.
cette pratique, les personnes ne forment Je commence une formation à Ste Anne mais d’addictologie soit accéléré grâce à cela.
pas un groupe de la rue avec toutes ses mon domaine c’est le handicap. Ma question Jean-Pierre Klein
méfiances et ses violences mais un groupe est comment la dépendance à l’alcool est ACL C’est juste une citation puisque Annick
qui partage, en particulier, une certaine gérée, comment ça fonctionne ? Auprès des grands exclus, il y a une sidération Eschapasse disait qu’il ne fallait pas faire
bienveillance à leur propre égard : le par rapport au problème du logement sans d’interprétation quand on est en art-thérapie,
«prendre soin de soi». Association Aux Captifs, La Libération prendre en compte les dimensions les plus c’est une citation de Winnicott, en substance :
Par ailleurs, l’accompagnement de groupes Dans les ateliers, ils arrivent généralement non cachées des personnes. En tant qu’éducatrice le moment clé, ce n’est pas quand je fais une
resserrés (10 personnes maximum) qui alcoolisés ou plutôt c’est eux qui le gèrent. Mais spécialisée, ça m’a permis d’avoir une brillante interprétation mais c’est lorsque l’enfant
se rencontrent fréquemment permet de s’ils sont trop alcoolisés, ils sont refusés, mais ouverture d’esprit sur mes pratiques, sur se surprend lui-même. Puisqu’il a été question
connaître mieux et plus rapidement les cela arrive rarement. C’est un questionnement mes accompagnements le fait d’être en de surprise ; je pense que l’un des fondements
personnes accueillies : les personnes qui est discuté librement avec eux. Des binôme parce qu’on est en équipe restreinte, de l’art-thérapeutique c’est que la personne
sortent de leurs discours tout faits, osent et personnes demandent d’aller vers le soin ou et le fait qu’on leur ait dit dès le départ : se surprenne elle-même et éventuellement
expérimentent davantage. Les personnes non, et certains font la demande alors qu’on Bénédicte est art thérapeute, ce n’est pas surprenne d’ailleurs l’art-thérapeute.
ont des relations approfondies avec leurs ne s’y attendait pas. Par exemple un couple où juste quelqu’un qui va venir faire des sorties
accompagnants et sont plus investies dans c’est lui qui y a été alors qu’au départ c’était pour et après c’est fini, on remarque qu’ils rentrent Public
leurs démarches. elle que c’était prévu. Elle a été très soutenue beaucoup plus vite dans la création et on va Art-thérapeute formée depuis peu à l’art-
Ainsi, la question des soins à l’hôpital est mais ne prévoyait pas d’arrêter, pourtant quand pouvoir dire les choses beaucoup plus vite. thérapie. Le cadre, la distance de l’art-
abordée plus facilement parce qu’il y a plus il est revenu de cure, c’est elle qui a enchaîné Le premier groupe devrait être terminé mais thérapeute, j’ai le sentiment que c’était très
de confiance entre les personnes. sur la cure. Cette expérimentation a un an, mais on est encore sur des freins, car ils viennent ouvert et ça me pose question. On entend la
L’accompagnement groupal et la dynamique ce qu’on voit déjà c’est que grâce à ce travail parce que ça leur fait du bien, mais pourquoi thérapeute dire « oh, c’est beau ce que vous
de groupe sont perçus positivement par les d’accompagnement groupal qui inclut l’art exactement ? La question se pose. faites», on nous enseigne la juste distance
personnes même si paradoxalement parfois thérapie il y a des orientations très facilitées, avec les personnes et là, il y a le tutoiement, il
elles ont manifesté des vraies difficultés avec un nombre important des personnes de y a un peu d’interprétation de l’œuvre...
à se maintenir dans le groupe. Le groupe ces groupes qui sont parties en soin, et on ne Point de fuite
tient, contient, maintient mais reste fragile. s’y attendait pas car elles en étaient très loin. Documentaire de 20 minutes, Irina
Les personnes à la rue participantes à ces réalisé par Julie Siboni. Effectivement, ce sont des questions très
ateliers attendent beaucoup de la dynamique Nathalie Gisbert Projection et débat intéressantes. Les références dans le travail
de groupe, elles font attention les unes aux À vous entendre, je comprends que vous animé par Irina Katz Mazilu. thérapeutique sont très nombreuses et tout
autres, demandent des nouvelles des unes mettez clairement l’atelier dans les soins. En 1995, la maison de santé Saint Paul de le monde ne fait pas référence à la même
et des autres quand certaines ne sont pas là. Mausole, à Saint Rémy de Provence, ouvre méthodologie.
Elles appartiennent à ce groupe, ce qu’elles ACL un atelier d’art-thérapie dans le cadre de Pour certaines personnes, ça peut être tout
n’avaient pas ressenti depuis longtemps. Spontanément, non ! Dans le travail social, l’association Valetudo. Une artiste peintre à fait thérapeutique de dire « ces couleurs, je
L’éducatrice spécialisée, qui est davantage on a certainement tendance à considérer néerlandaise et le personnel soignant de les trouve vivantes »..., pour d’autres, ça ne
dans l’accompagnement individuel aux que les soins c’est l’hôpital. Là, l’art-thérapie Saint Paul accompagnent des femmes qui se serait pas thérapeutique. Donc il faut travailler
Captifs la Libération, peut soutenir ces est une amorce des soins et on commence découvrent et se révèlent dans l’ombre d’un avec une certaine subtilité. C’est aussi la
personnes dans leur rapport au groupe en les à le présenter comme tel, on en parle. Nous certain Vincent van Gogh. question du témoignage, on comprend bien
encourageant notamment à ne pas tout dire, avons des résistances internes très fortes, que ce genre de documentaire est très difficile
à garder leur intimité, surtout au début. Son mais nous progressons ! Irina Katz Mazilu à réaliser. C’est un outil de communication
accompagnement individuel permet aussi à Ni Angela Evers, ni Julie Siboni n’ont pu être sociale parce qu’on a besoin que le grand
chacune des personnes de se recentrer sur Public présentes aujourd’hui, du fait de leur travail. public comprenne ce que l’art-thérapie
elle-même et sur son projet. Ce tissage entre «le chez soi» et «le en Je les connais bien toutes les deux car nous peut apporter. L’équipe de ce film a fait un
24 Les Actes2015 25 Les Actes2015

formidable travail dans ce sens. Ce genre membres d’un groupe de crypter et de décrypter
de travail doit être aussi thérapeutique pour constamment avec les autres ce qui constitue les
les gens à qui il s’adresse et c’est aussi une institutions, des groupes( ce qui s’est institué au fur
difficulté : à qui propose-t-on de témoigner, Réflexion sur le cadre et à mesure de son histoire) et les rapports de ce Centre thérapeutique Popincourt2,
comment, dans quelles conditions ? A quoi groupe à un ensemble social plus large, les autres liens, resocialisation, ateliers
sert de demander une autorisation écrite si Philippe Carette groupes ou institutions sociales. d’expression et d’art-thérapie
ensuite la personne décompense... En tant Directeur du Centre Popincourt Un cadre ne se constitue pas seul mais se
qu’outil de travail, ma collègue Clémence Là où il est question de normes et de limites c’est la constitue, se négocie avec les autres. Le cadre
Lucien était là lors de la projection de ce question du cadre qui est en discussion. est la façon dont se délimite de façon originale Clémence Lucien
film avec une quarantaine de personnes Le problème du cadre est de ne pas le confondre un groupe donné en liant de façon particulière les Psychologue clinicienne en charge de la coordination
présentes, professionnels et participants aux avec les dispositifs qui sont mis en place pour la éléments exté-rieurs à lui-même, et les éléments du pôle des ateliers d’Expression
ateliers du Centre Popincourt, pas seulement réali-sation d’un projet ou d’un objectif donné. intérieurs (personnes et personnalités, conditions Pour ces journées de réflexion, nous avions
de l’atelier de peinture, et après les 40 minutes Le cadre est produit par l’entremêlement complexe implications, histoires personnelles,... comme projet d’effectuer un tour d’horizon qui
de projection, nous avons débattu pendant 2 d’éléments concrets, présents et passés et de Il constitue une frontière imaginaire fondée sur la permettrait de donner un aperçu des pratiques
heures, et c’était très intéressant ! Dans la pro-jections dans l’avenir, donc imaginaires. Sa gestion des contraintes implicites et explicites qui à médiation dans le champ du soin. Dans ce
séance d’atelier consécutive, j’ai repris avec particularité est de n’être ni l’extérieur, ni l’intérieur font tenir ensemble les personnes appartenant but nous avons estimé que les thématiques
mes propres patients parce qu’il y avait des de ce qu’il délimite. Il est avant tout fonctionnel, Il au groupe en les rendant (complices= dans les de la pluridisciplinarité, de la diversité des
choses qui ont fait écho, il y avait des gens sert à contraster, à distinguer ce qui est dedans et mêmes plis). Frontière sur laquelle se développera publics ainsi que celle de la pluralité des
qui à certains moments étaient au bord des ce qui est dehors et défini ainsi les règles de ce qui l’identité d’un groupe, repérable dans les règles dispositifs, d’ateliers comme institutionnels,
larmes par rapport à leurs problématiques, se passe à l’intérieur en fonction de ce qui se passe d’organisation les instances de fonctionnement, devaient être présents parce qu’étant au
et ça fait partie du travail thérapeutique de à l’extérieur et inversement. les pratiques et habitudes quotidiennes. cœur de ce type d’accompagnement. D’une
montrer que nous sommes des êtres sociaux, Mais il n’est jamais la règle elle-même, il fait office Le cadre peut servir alors de référence à la manière générale, on constate une certaine
donc il nous faut bien se montrer sinon on de clef. Pour donner un exemple, le cadre dans régulation de l’interdépendance obligée par tout le hétérogénéité dans la façon d’inclure les
s’enterre et on reste dans l’isolement et la lequel on opère groupe social et nécessaire pour mener une action pratiques à médiations artistiques dans les
solitude. Les établissements comme le centre Popincourt commune. dispositifs institutionnels. Les conditions sont
est construit à partir de : Le fait que chacun des individus cherchera variables. L’idéal étant que celles ci soient
Nathalie Gisbert - l’histoire qui a menée à sa constitution, à s’autonomiser est le ferment même de la relatives aux visées de soin, aux publics
Très beau film ! Un mot du lieu où ça se - le type d’établissement, dynamique et de la richesse d’un groupe. Cela reçus, aux problématiques rencontrées et
passe : à Saint Rémy de Provence (où Van - l’implantation et la configuration des locaux, viendra constamment re-questionner le cadre qui aux objectifs thérapeutiques repérés. Cette
Gogh a été hospitalisé) où il n’y a que des - le type de personnes qui y travaillent, des devra permettre de re-délimiter la frontière qui co-construction avec les institutions mérite
femmes par choix, c’est tenu par des sœurs, références des uns et des autres, intégrera les « je au on ». un approfondissement réflexif et même une
dans l’indication d’hospitalisation. Il y a aussi - le type de personnes accueilli, des patients reçus, S’il ne devient plus perceptible s’il devient certaine créativité auquel chacun des acteurs
cette idée qu’il y a l’atelier peinture, et il y - les modes de financements,... déliquescent ou fait appel à des références intérieures devraient pouvoir prendre part.
a l’exposition. Il y a un atelier interne et un Il serait faux de penser que le cadre n’est que le lieu ou extérieures qui ne sont plus cohérentes avec Nous présentons brièvement ici le dispositif
atelier externe et cette magnifique grande dans lequel on se trouve. Ce lieu n’est qu’un es- l’histoire, les moyens l’environnement, les désirs institutionnel dans lequel s’inscrivent les
pièce que l’on voit dans le film donne à la fois pace, une scène, lieu de mise en actes de relations des personnes ou tout autre élément, le groupe ateliers d’expression du Centre Popincourt.
sur le cloître et le dehors. Et il y a exposition qui se définissent dans un cadre. risque de sombrer dans l’anomie. Le Centre thérapeutique Popincourt est
tous les ans des œuvres mélangées, tout le Cet espace n’est que l’outil de la mise en œuvre Si une personne quelconque se prend pour une structure ambulatoire intersecteur en
monde expose, certaines sont déjà artistes. des projets né de la constitution d’une association, le cadre lui-même ou confond les dispositifs, psychiatrie adulte, qui se situe dans le XIe
C’est un contexte un peu particulier, c’est qui elle-même n’est pas non plus le cadre, mais l’organisation ou les instances de fonctionnement arrondissement de Paris. Il travaille à la
parce qu’on aime la peinture qu’on y est la formalisation d’un groupe réunissant des per- avec le cadre lui-même nous risquons de sombrer prévention du suicide et à la lutte contre
hospitalisé. sonnes, dans des actions, pour un but commun. dans l’autonymie. l’isolement. Les actions menées dans cette
Le cadre n’est pas non plus les règles d’organisation L’Autonomie ne se trouvant pas dans perspective se déclinent dans différentes
et de fonctionnement, ni les lois qui légitime une l’affranchissement à tous les liens, elle n’est activités. Elles donnent lieu à des interventions
action elles n’en sont que des éléments. Le cadre que la capacité à se situer dans des liens
2 Depuis janvier 2017, le centre thérapeutique a déménagé
est la clef, la légende, qui permet à chacun des d’interdépendance. dans le XXe, 3 rue Jean-Baptiste Dumay, 75020 Paris
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classiques d’un centre médico-psychologique psychothérapeute, vous fera part d’un certain entre thérapeute et patient. Dans le cadre
mais elles se réalisent également au travers nombre d’observations sur des patients suivis de l’atelier d’expression, notamment en
d’ateliers à médiations artistiques. Les publics dans deux espaces de rencontre à la fois celui art plastique, nous avons les productions
reçus représentent une certaine mixité, en ce du psychologue et de l’art-thérapeute. Au Le travail interactionnel du sujet devant nous. Par conséquent, le
qui concerne leurs structures psychiques. Les Centre Popincourt, il existe un lien étroit entre entre l’atelier d’expression mouvement transférentiel est multiple car il
questions du suicide et de l’isolement peuvent les psychologues et les praticiens qui animent plastique et la psychothérapie s’articule entre l’art-thérapeute, le patient et
concerner autant des personnes souffrant les ateliers, dû au fait que l’accompagnement individuelle sa production.
de maladies mentales que des sujets ayant concerne les mêmes patients. Il est important Quand on travaille en groupe, les autres
à élaborer un vécu douloureux de perte de remarquer qu’il n’y a pas un espace dédié Hiroko Palmer participants envoient leurs regards et expriment
(chômage, deuil, vieillissement, etc.). Tout un à la parole, indépendant de celui consacré Artiste plasticienne leurs impressions sur leur travail. Cela favorise
travail s’est par ailleurs engagé au centre à à la pratique artistique. La pertinence Art-thérapeute la communication entre eux, mais cela permet
propos de l’accueil et de l’accompagnement d’une dynamique entre ces deux espaces Depuis longtemps le Centre Popincourt aussi à la personne d’être objective et d’avoir
des personnes âgées. Les personnes venant augmente les potentialités thérapeutiques propose des prises en charges articulées du recul. On peut aller plus loin si la confiance
au centre ont la possibilité de rencontrer un de chacun d’entre eux. Il n’y a pas un lieu où autour d’entretiens psychothérapeutiques et mutuelle entre les participants de l’atelier et
psychiatre, une assistante sociale, de suivre les approches psychiques se travaillent et un la pratique à médiation artistique dans le but l’art thérapeute est suffisamment établie. A
une psychothérapie et/ou de participer à autre lieu dédié seulement à une pratique d’induire des changements chez les usagers. ce moment là, la personne peut s’exprimer
un groupe à médiation artistique. Certains artistique. L’atelier est un lieu qui favorise L’accueil d’une personne au sein d’un atelier plus librement, sans craindre les regards
patients utilisent toutes les possibilités, une émergence de matière psychique via la se fait en coordination avec le psychologue ou des autres. Ce site d’accueil sécurisé est
d’autres non. Le parcours de chaque patient création mais également la relation au groupe le psychiatre et l’art thérapeute en passant par nécessaire pour l’éclosion du processus créatif.
est pensé et travaillé avec lui à partir de sa et au thérapeute. Le praticien des médiations la coordinatrice des ateliers. Les participants En ce lieu, les mouvements transférentiels
demande, afin de s’adapter à lui, à sa situation artistiques accompagne le trajet artistique aux ateliers viennent par différent biais ; les sont interactionnels et complexes. Il y a un
et à ses évolutions. tout autant que psychique par la présence, le réseaux médicaux, comme une indication mélange de désir inconscient et les conflits
Les groupes à médiation artistique sont au conseil, le geste, la parole. Dans un second du psychiatre, par sa propre recherche sur réactualisés de chacun surgissent à travers
nombre de quatre: le chant, le théâtre, les art- temps, après-coup, la rencontre, l’écoute Internet. De ce fait, la composition du groupe leurs productions et leurs conversations avec
plastiques avec le modelage et la peinture. avec le psychologue en individuel permet est souvent très hétérogène. le groupe durant les séances. La dimension
Les professionnelles qui animent ces ateliers d’élaborer, d’approfondir et d’aller plus loin Parmi nos ateliers d’expression du centre, la protectrice du groupe et la différenciation, la
ne sont pas toutes art-thérapeutes mais pour apprivoiser ce qui a pu apparaître lors médiation art-plastique est particulièrement conjugaison de « je » et « nous », s’expriment
toutes sont formées dans les deux champs des séances d’atelier. appuyée par l’importance du processus d’une façon verbale ou non verbale dans la
de l’artistique et de la psychopathologie. Irina créatif. La technique artistique devient un dynamique du groupe.
Katz-Mazilu et Hiroko Palmer, toutes deux véritable support de communication entre Nous utilisons des fois des situations réelles
art-thérapeutes et plasticiennes, évoqueront les participants et l’art thérapeute mais aussi qui réactualisent le conflit de la personne
ici leurs pratiques. L’une des particularités avec les autres participants. Pour certains antérieurement existant, comme une matière
du Centre Popincourt tient à son dispositif patients qui ont des difficultés à s’exprimer de travail dans un cadre de psychothérapie.
institutionnel prévoyant que tout participant verbalement en groupe, la médiation permet Ce qui m’est apparu important dans ce
à un des ateliers doit être suivi par un de privilégier la communication sans dévoiler mouvement interactionnel, c’est de préciser la
psychologue du CMP, selon deux cas de forcement leur intimité. Quelque part, fonction du cadre et son but. Nous essayons
figure : c’est très rassurant pour eux de pouvoir d’articuler avec ce que nous pouvons faire ou
- la personne est suivie en psychothérapie au communiquer avec les autres à travers ne pas faire d’un cadre à l’autre, si possible
CMP en complémentarité de sa participation des sujets communs et anodins. Ici, la au bon moment pour qu’il soit plus pertinent
à un atelier. conversation en groupe est importante car par rapport au problème de la personne.
- La personne qui vient dans un atelier la plupart des participants sont en situation Évidemment la situation peut varier d’une
rencontre ponctuellement un psychologue, d’isolement social quelques soient leurs personne à l’autre. Le sens des interactions
étant déjà suivie à l’extérieur. Elle rencontrera problèmes. pourrait être multiple car l’équipe du centre
le psychologue au centre ponctuellement Dans le cadre de la psychothérapie, l’analyse se compose de différentes professions
pour un travail que nous nommons de du processus transférentiel est un outil de comme le psychiatre, les psychologues, les
référence. Ma collègue Marielle Maurel, travail. Cela se fait par l’expression langagière art-thérapeutes, l’assistant social, l’équipe de
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l’accueil... et de leur devenir est importante, en sachant l’accrochage final des productions étant
D’autre part, je souhaite souligner des que certaines dispositions juridiques sont librement accompagné des commentaires
phénomènes interactionnels entre les contradictoires en termes de droits d’auteur, des uns et des autres. L’art-thérapeute est un
expressions plastiques et le travail personnel Spécificité du travail d’art-thérapie de propriété intellectuelle, de détention « modérateur » indispensable, garant du cadre
en psychothérapie. Quand on travaille avec au Centre Popincourt : isolement et exploitation des œuvres de l’esprit, de et du respect réciproque, assurant l’équilibre
la terre par exemple, il y a sa matière, son et prévention du suicide déontologie du soin, de respect des droits du entre affirmation de soi et acceptation de
odeur, sa température, et son volume. C’est patient. La réflexion au cas par cas semble la l’autre.
une matière vivante qui prend très facilement Irina Katz-Mazilu plus pertinente. Le patient/auteur doit être La prévention du suicide et l’art-thérapie : la
l’empreinte des mains des personnes qui Artiste plasticienne associé à ce débat, en adéquation avec ses question de la prévention du suicide traverse
la manipulent. Elle transmet la force et les Art-thérapeute capacités. notre travail, sans toutefois que la démarche
émotions de la personne en tant que traces «On ne se baigne jamais deux fois dans l’eau du Enfin, on peut souligner la valeur du groupe, en atelier d’art-thérapie soit directement
singulières. Cette matière archaïque facile à même fleuve.», Héraclite d’Ephèse, VIè siècle av. par sa contenance et par les spécificités centrée sur cet aspect. Les problématiques
modeler fait émerger une réactualisation de J.-C. Autrement dit, chaque instant est différent, du transfert groupal. Il appartient à l’art- personnelles – l’isolement, les pertes, les
l’inconscient et favorise la communication il s’agit de le vivre comme étant unique. thérapeute d’assurer un accompagnement désespoirs liées aux tentatives de suicide, au
non verbale par des gestes, car l’expérience Artiste plasticienne et art-thérapeute, je suis individualisé de chacun(e) au sein du groupe, suicide accompli de proches, aux difficultés
directe par le tactile donne jour à des responsable de l’atelier d’expression picturale l’aidant à se sentir soi-même parmi et avec de vie, aux psychopathologies, aux conduites
sensations intimes et réelles à travers notre au Centre Popincourt. C’est un atelier d’art- les autres. autodestructrices - peuvent affleurer
corps et nos cinq sens. Ce qui est intéressant thérapie de groupe associant de nombreuses J’accueille préalablement à toute entrée dans directement ou indirectement. La parole est
dans la création plastique c’est de pouvoir références théoriques – psychanalytiques, le groupe, chaque personne par un entretien facilitée sans être imposée3.
expérimenter et de vivre ses sensations cognitive-comportementales, systémiques et individuel destiné : Ainsi, il arrive qu’un homme âgée de plus
à travers le processus créatif. Avec cette humanistes - dans une approche globale, centrée - à « faire connaissance », de 60 ans partage, en pleurant au-dessus
caractéristique du travail en terre, on peut sur la personne et non-directive. Ceci permet aux - à donner des explications sur ma façon de d’une peinture, la douleur toujours présente
apercevoir un phénomène de rapport entre le participants d’évoluer chacun à son rythme et travailler, du suicide de sa mère lorsqu’il avait 8 ans.
processus de création et l’évolution du travail suivant leurs besoins, pour un travail psychique - à comprendre l’expression des attentes de Il arrive qu’une femme figure un cercueil en
personnel en psychothérapie. simultanément individuel et groupal. la personne, souvenir de sa compagne qui s’est suicidée
Il se peut, des fois, que le processus de Le cadre : l’atelier a lieu les jeudis, d’octobre à - à alléger le stress inévitable lors de suite à leur séparation. Un homme, dépressif,
symbolisation se déclenche à travers le juin, de 17 à 19 heures, avec 6 ou 7 personnes l’intégration à un groupe de personnes dépendant à l’alcool, ayant perdu sa femme
travail à médiation, et par la suite le sujet accueillies. L’atelier reste ouvert en fonction du se connaissant déjà et familiarisées avec prématurément, au chômage depuis une
pourra nommer les choses dans son travail nombre de participants déjà inscrits, pour des l’expression picturale. dizaine d’année, construit laborieusement un
personnel. Ainsi nous pouvons parfois nouveaux accueils et de nouvelles inscriptions au Je laisse à la personne toute latitude de préciser retour à la vie active, à une vie de couple. Une
constater le lien fort entre le travail d’atelier cours de l’année. L’atelier offre un espace dédié, ou non son parcours psychique et/ou clinique, femme vieillissante regrette de ne pas avoir eu
et la consultation psychothérapique. Ce avec la possibilité du stockage des productions en sachant qu’elle est suivie et accompagnée d’enfants. Une autre regrette de ne pas avoir
va et vient de différents espaces à la fois dans des cartons individuels et/ou d’affichage en amont par divers intervenants au centre où la force de se séparer d’un compagnon qui
psychiques et spatiaux ouvre diverses portes d’une séance à l’autre, suivant le désir de chacun. à l’extérieur. Cet entretien est immédiatement alourdit sa vie. Pour une autre encore, l’espace-
de réflexion. La prise en charge globale de la Il y a du matériel : gouaches, encres, pastels complété par une séance d’essai pour une temps de l’atelier est le seul, de toute une vie,
personne par différentes pratiques dans une à l’huile et secs, fusains, crayons, papiers de première approche de l’atelier. Chacun(e) où l’on peut faire ce que l’on veut… C’est ainsi,
même institution me semble intéressante, toutes couleurs en 65x50 cm, magazines, colles est simplement invité(e) à être là, avec une pour tous, un rempart aux angoisses, un lieu où
car cela lui permet d’avoir des points d’appui diverses, fixatifs, vernis, matériaux naturels et écoute de soi-même et de l’autre la plus fine l’on est en sécurité. Les productions incarnent
variés, de nouvelles possibilités vers le de récupération, livres d’art, documentation. possible, dans une présence et des échanges des émotions, et bien qu’elles soient souvent
changement. On peut travailler assis ou debout. Le dispositif allégés, contrastant avec la lourdeur du vécu non-figuratives et qu’aucune explication verbale
de l’atelier est complété par la présence d’un(e) de ces personnes. Paradoxalement ne rien n’est exigée, ces ressentis nous traversent, à
stagiaire, étudiant(e) en art-thérapie, sur la demander de particulier est bien plus efficace l’instar de nos vécus les plus archaïques.
durée d’une saison. Son parcours évolue d’une que de proposer – puisque proposition et La question du passage à l’acte – par
étape d’observation/intégration à celle d’une co- imposition sont souvent confondues.
3 CROUZET (D.), «Développement de la créativité et
animation et, si possible, de co-thérapie. La fin de l’atelier arrive trop vite, les échanges
prévention du suicide», in Le Journal des psychologues, no
La question de l’appartenance des productions verbaux ne sont pas ritualisés outre mesure, 291, 2011/8, pp. 47-53.
30 Les Actes2015 31 Les Actes2015

tentatives ou équivalents suicidaires - est A l’instar de la tragédie grecque, elle met processus primaires et secondaires, avec
traitée en transférant l’agir sur une production en place l’unité des trois : unité d’espace, celui de fusion-séparation-individuation,
extérieure à soi-même. Le matériau est un de temps et d’action, permettant ainsi de puisqu’elle produit des traces matérielles,
objet malléable, il ne souffre pas, il accepte déposer les vécus les plus extrêmes dans un des objets transitionnels dans un espace Figures du travail psychique
et supporte toutes les violences et toutes contenant qui les borde. Avec aussi la présence potentiel. Le travail dans la durée fait naître un en lien avec l’expérience
les impossibilités, on le retravaille jusqu’à du cœur antique – les « commentateurs », style personnel en lien avec le « mythe » de en atelier
ce qu’une solution advienne. Cela se passe le groupe et la diffraction du transfert7 - et chacun. Travailler sur le style – en art-thérapie
nécessairement dans la durée, cela impose celle du principal « destinataire » - l’art- – amène à réélaborer son propre mythe, et, Marielle Maurel
la réflexion, cela temporise et retarde l’agir, thérapeute, en posture de « spectateur », de par-là, devenir acteur de sa vie. Psychothérapeute
en levant l’inhibition en faveur de l’acte de « public », de récepteur actif. C’est ainsi que L’art-thérapeute a donc nécessairement une Ce travail est une courte restitution
création. les plus grandes tragédies – celles d’Œdipe, double compétence : un savoir-faire/ une dans le cadre d’un accompagnement
L’efficacité de l’approche art-thérapeutique d’Antigone, de Phèdre… – peuvent être pratique artistique personnelle approfondie et psychothérapeutique de patients ;
procède de sa spécificité. rejouées, sans que le besoin de « nommer » un savoir-faire clinique/relationnel. Il doit l’étayer Restitution, témoignage de ce que m’ont
Approche médiatisée non-verbale – ce qui ne se fasse nécessairement sentir, par un travail de réflexion, de supervision, de appris les patients et de ce que nous avons
veut pas dire que la parole est absente – et en toute sécurité, dans un lieu où il s’agit d’un documentation et de recherche. Pour revenir à découvert ensemble des effets subjectifs,
non-interprétative - ce qui ne veut pas dire travail sur la forme. Forme et fond n’étant Héraclite, l’unicité de chaque instant implique de l’expérience de la création dans un atelier
qu’il n’y a pas de recherche de sens. Sens qu’une seule et même unité, une intégration la possibilité d’une découverte – donc, tant avec plusieurs participants, dans un cadre
métaphorique – donc propre à la création de toutes dualités, oppositions, contraires, que l’on est vivant, l’espoir est là. Il nous dit contenant, et à un rythme hebdomadaire,
artistique. contrariétés et violences. aussi : «Si tu ne cherches pas l’inespéré, tu ne conjointement a un travail thérapeutique
Suivant la définition par la Fédération Ainsi, un des participants à l’atelier, peintre à le trouveras pas.»  individuel. Effets psychiques symboliques
Française des Art-Thérapeutes4, l’art-thérapie ses heures à l’extérieur, exposant et mettant associés de la création artistique a partir
est une pratique utilisant le processus de volontiers en vente ses productions, fait d’un matériau (qui peut être la sculpture,
création artistique à des fins thérapeutiques. clairement la distinction entre divers cadres. la peinture, le théâtre, l’écriture, le
Ce processus est un approfondissement, Ce ne sont pas les productions de l’atelier Fig. 1 chant,...) dans un cadre donné, et de la
une spécialisation des potentiels créatifs qu’il présente en tant qu’artiste peintre. rencontre de la parole adressée a un autre,
universels de l’être humain, intégrant les Questionné sur le ressenti d’une éventuelle psychothérapeute, et dans un autre lieu.
capacités propres de l’individu et son être « différence » il l’affirme : oui, ce sont deux Je voudrais citer ici cette phrase de Lacan
social. Le continuum dynamique entre types de production différentes. Il ne donne Fig. 2 « le sujet s’appréhende dans les effets des
catharsis et sublimation, entre imitation pas plus d’explications, les images parlent manifestations langagières adressées a
et découverte, entre individuation et d’elles-mêmes : celles de l’atelier souvent un autre dans le transfert », ici création et
appartenance, constitue le noyau même du oppressantes et encombrées, celles des nomination.
travail. L’art-thérapie peut aussi être définie expositions plutôt dans une joie de vivre. Fig. 3 Le cadre de la demande : il est différent selon
comme une stratégie du détour, facilitant Déposer les lourdeurs dans l’un ouvre la voie les sujets, il y a ceux qui sont accompagnés à
la symbolisation accompagnée lors du à l’autre. l’extérieur de l’institution, par exemple dans le
processus « d’auto-art-thérapie » de l’individu, Un exemple de parcours en art-thérapie cadre d’un autre CMP, soit pour un traitement
acteur et sujet en même temps5. Sa créativité : élaborer son propre style c’est forger médicamenteux prescrit par un psychiatre,
(re)trouvée perdure au-delà de l’espace-temps son propre mythe, construire son propre Fig. 4 ou une psychothérapie ou les deux d’ailleurs,
de l’atelier, puisqu’il est devenu « créateur de « rempart »8, réaménager ses défenses et ceux qui font une psychanalyse en libéral. Je
son propre mythe »6. son fonctionnement psychosomatique, faire les reçois avec une demande de création, dans
Mais au-delà de toutes définitions, l’approche évoluer ses relations interhumaines et son un atelier, « faire cette expérience », besoin
art-thérapeutique est un puissant contenant. être social. Fig. 5 de créer, d’être en lien avec d’autres. Je me
La médiation par les arts plastiques constitue situe dans ce cas comme réfèrente auprès
4 Ffat, Fédération Française des Art-Thérapeutes, www.ffat-
federation.org. un support privilégié pour le travail avec les du patient (terme employé à Popincourt
5 KLEIN (J.-P.), «Penser l’art-thérapie», PUF, 2012. 7 VACHERET (C.), «Les configurations du lien, la chaîne depuis plusieurs années) ; c’est-à-dire que
6 KATZ-MAZILU (I.), «Surgissements mythologiques, quand associative groupale et la diffraction du transfert», in Revue de j’accueille le patient, spécifiquement par
le mythe vient à l’art-thérapie», in Présence des mythes, Art & psychothérapie psychanalytique de groupe, no 45, pp. 109 -116. rapport à cette demande, et à ce qu’il vit dans
Thérapie no 118-119, septembre 2014, pp. 33-42. 8 KLEIN (J.-P.), «Penser l’art-thérapie», PUF, 2012.
32 Les Actes2015 33 Les Actes2015

l’atelier; cela peut d’ailleurs lui être suggéré par séances. Pouvoir vivre et dire ce qui se passe, Philippe Carette Je rappellerai qu’un suivi en art-thérapie
son thérapeute, quelquefois d’ailleurs il arrive pour un sujet, dans ces différents lieux, et à C’est une structure hospitalière mais est en soi de la symbolisation et que cette
que je sois en lien avec lui, à la demande du son rythme, peut lui permettre d’aller au-delà uniquement en ambulatoire, ce sont des symbolisation par la production artistique peut
patient. Il y a ceux dont la demande est d’abord des difficultés rencontrées, de les dépasser gens non captifs, qui viennent et qui peuvent évidemment se doubler par la symbolisation
celle d’une rencontre individuelle a partir pour une nouvelle expérience, c’est-à-dire en repartir. On a des cas de figure où des gens en production langagière ou verbale mais ce
d’une souffrance, d’un mal-être, demande de mouvement sont là depuis très longtemps parce qu’ils sont n’est pas obligatoire.
rencontrer un psychothérapeute, et c’est au Voici quelques exemples pour étayer mes dans des problématiques très difficiles et c’est
cours des séances que peut s’élaborer cette propos: d’abord celui d’un patient que je très difficile de passer à autre chose même si Clémence Lucien
autre possibilité pour lui de participer a un atelier rencontrais régulièrement, qui présentait des on a le souci de ne pas seulement capter ce Il y a une pluralité au niveau des dispositifs
avec une médiation choisie par lui . inhibitions, une grande passivité, inertie, difficulté public pour ces ateliers mais permettre d’avoir institutionnels.
De toute façon, quel que soit le cadre de à s’exprimer, ce dont il se plaignait beaucoup. Il a des ouvertures vers l’extérieur. Il y a aussi des
la première rencontre, ce que j’ai pu noter, demandé à participer à un atelier d’écriture, qu’il gens qui peuvent venir très ponctuellement ce
élaborer, parler ou pas avec le patient, concerne a fréquenté durant 2 ans ; le thème de cet atelier qui est assez compliqué pour nous.
très souvent d’abord le moment du rendez- était «  le voyage en compagnie de peintres et
vous, très signifiant pour chacun de là où il d’écrivains », à partir de ce moment là, il s’est Clémence Lucien
en est de ses difficultés, de ses craintes, de mis à voyager dans son histoire, sa filiation, Je suis tout à fait d’accord. Il y a des gens qui
ses symptômes. Moment de vie souvent à en parler, l’évoquer, il a fait des recherches habitent l’atelier un peu à la mesure de leur
particulièrement difficile suite a une perte par concrètes, ce patient s’est remis en route. Une pathologie, de manière un petit peu chronique et
exemple liée au travail (retraite, licenciement), autre patiente où c’est par le détour de plusieurs immuable. Il y a parfois des trajets, on a évoqué les
divorce, deuil, situation qui peuvent réactiver médiations : chant; puis travail corporel et changements d’atelier, ça bouge un peu mais on
des ruptures précédentes, deuils pathologiques. peinture, qu’elle peut s’exprimer plus facilement. reste dans l’institution. On est dans le mouvement.
Souffrance intolérable qui amène à consulter. Je l’ai rencontré au moment de son départ à la Il y a des personnes qui viennent ponctuellement
Choix de l’objet création, choix qui a du sens retraite, elle était déprimée, figée par des états comme dans un sas, mais une majorité fréquente
pour tel ou tel patient, il dit ce qui lui est d’angoisse avec des somatisations importantes. les ateliers depuis plus de 5 ans.
particulier. Point fondamental aussi, c’est la La peinture lui a permis de « jouer »avec des
structure du sujet, ses symptômes, et son couleurs, des formes, de prendre plaisir, d’être Marielle Maurel
cheminement qui oriente le travail entre surprise par ce qu’elle produit, un mieux être a Les gens qui reviennent, c’est passionnant,
création en atelier, les autres et une rencontre été très vite perceptible. Une autre patiente (dans comme une patiente que j’ai actuellement
de parole. La parole peut faire peur dans un le cadre d’une référence) qui avait choisi l’atelier qui revient avec une demande qui n’est
lien individuel, et c’est par le détour d’une sculpture, a pu continuer à créer, grâce au travail absolument pas la même que celle d’avant.
médiation, d’une expérience vécue dans un d’élaboration fait avec moi de ce qu’elle vivait Elle est à un autre moment, un autre temps
groupe, qu’un patient peut s’approcher de lui, dans l’atelier par rapport a une autre participante, psychique et elle est en train de chercher
ou inversement. alors qu’elle était prête a quitter définitivement l’atelier qu’elle voudrait faire. Plutôt un atelier
Je me suis demandée ce qui était en jeu, l’atelier. sculpture alors qu’elle faisait beaucoup de
et je dirais que ce qui est en jeu c’est un théâtre et du chant. Elle était en groupe, là elle
mouvement, un processus de symbolisation fait Dominique Spiess veut se confronter à elle-même autrement.
de l’expérience vécue qu’elle soit liée a l’objet La question du temps : j’entends parler de 1ère
créé, ou au lien avec les autres et de ce qui peut année, 2e, 3e, comment faites-vous ? Est-ce qu’il y Irina Katz-Mazilu
se nouer et se dénouer dans la parole. Dans les a un réseau d’amont et d’aval qui fait qu’on peut Le Centre Popincourt fonctionne comme une
deux lieux des traces psychiques se déposent en réseau faire la passation et travailler en équipe ? base de sécurité. On peut s’éloigner quand on
qui permettent au sujet de s’exprimer, de parler se sent bien et quand on est en difficulté on
de lui, de s’appréhender et pour certains d’ouvrir Irina Katz-Mazilu peut revenir…
sur des questions le concernant. Ce processus Pour ce qui est de la durée, c’est une question
de symbolisation a lieu dans un cadre et un lien dont nous avons beaucoup débattu, avec des Jean-Pierre Klein
transférentiel, plusieurs liens d’ailleurs : avec réponses différentes. Actuellement, il n’y a Ça peut être intéressant la double approche
l’art-thérapeute, les autres patients, et dans les pas de limite de durée. par le langage pictural et le langage verbal.
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de « l’instant » comme la danse, la musique, création réelle, concrète, en atelier. Il faudra dans le parc, ou faire du ski. Hélas la moins
le théâtre, le cirque ou même la cuisine...9 pouvoir aussi, à un moment donné, pour grande formation des nouveaux soignants,
Le travail autour des productions d’atelier se des patients artistes ou se révélant artistes tant sur le plan psychanalytique qu’artistique
Projet d’un lieu articulant ferait dans le cadre d’une réflexion en post- au cours de la prise en charge, accepter d’ailleurs, ne permet pas très souvent de parler
soin et création groupe (participants et intervenant), mais aussi cette création comme un acte esthétique. d’art-thérapie au sens où ce qui est produit,
avec l’intervenant et le thérapeute du patient Les artistes animateurs ou les thérapeutes ce qui en est dit et ce qui en est rapporté
Catherine Mondou qui détermineront ensemble par exemple s’ils comme moi, artistes aussi, pourront aider à au groupe soignant ferait partie du travail
Artiste, psychologue, proposent au patient d’amener sa production accéder à cette dimension qui doit être prise d’interprétation12. Nous sommes de plus en
et Nathalie Gisbert en thérapie et/ou de l’exposer. Les projets en compte dans le processus thérapeutique. plus réduits à des activités occupationnelles
Psychiatre d’exposition, livre, film, pièce de théâtre, sans exigence de présence, aucune analyse
C. Mondou seront toujours montés en concertation N. Gisbert des phénomènes de groupe, ni de suivi de
Nous formons pour le moment un groupe de avec les patients et les thérapeutes. Psychiatre ancienne école, non artiste moi- l’élaboration des œuvres. Anecdote, quand
trois personnes qui s’est constitué en juillet L’équilibre et l’articulation entre soin et même, hormis ce type bien particulier de un patient a commencé à appeler le sculpteur
2014 autour du projet d’un lieu qui articulerait création est au cœur de notre projet et sera création qu’est le récit construit au fil des que je faisais intervenir « Mr Gisbert » là on
soin et création. Nathalie Gisbert, psychiatre, toujours questionné afin de ne pas bloquer ans avec mes patients, je suis avide de a commencé à travailler. Autre exemple :
exerce dans le milieu de la psychothérapie les patients mais aussi les professionnels tout ce qui est production chez les autres, si un patient phobique passe son temps
institutionnelle à Blois. Évelyne Rebboh, et le processus thérapeutique même. Il je m’intéresse à cet aspect de la folie, aux en cuisine, au chaud, en compagnie virile
psychologue clinicienne, travaille en s’agira de veiller chaque fois à laisser du jeu formes étranges qu’elle engendre. Originaire plutôt que dans mon bureau, alors je fais des
psychiatrie publique à Tours où elle a monté entre les articulations, nécessaire à la libre de Rouen, je suis restée longtemps fidèle au entretiens avec les cuisiniers ! Pour résumer
des projets avec des artistes de plus en circulation des mouvements psychiques. festival Art et déchirure, que je vous conseille, : la médiation, c’est nous. Maintenant, il y
plus difficiles à faire aboutir. Et moi-même, La question du soin posée, de quelle création la gageure étant d’y brouiller les lignes a dans la proposition de C. Mondou autre
Catherine Mondou, artiste, psychologue, parlons-nous ? Il s’agit avant tout de la création entre fous créateurs et créateurs malades... chose, une plus-value, quelque chose qui
j’anime depuis longtemps des ateliers de d’un soi, d’un chez soi : se fabriquer un J’ai animé des ateliers peinture dans les pourrait rester, la trace qui rend plus facile la
création auprès de personnes fragiles dans corps, un espace intérieur et extérieur, créer services où je suis passée, au voisinage du lecture de ces phénomènes. Mais ce qu’on
des conditions souvent difficiles et précaires. des espaces où nos propres mouvements 93 et de L’Aracine. Puis pendant plusieurs ne veut pas faire, faut-il le rappeler, c’est
Toutes trois sensibles à la psychothérapie peuvent se déployer, mouvements années, j’ai été psychiatre à Recherche et de l’analyse sauvage des œuvres sans leur
institutionnelle, en connaissant aussi les psychiques, mouvements du corps. Il s’agit Rencontres11, j’ai travaillé dans l’esprit d’une auteur. J’ai quitté ce travail à Saumery et mes
fragilités, on s’est prises à rêver d’un lieu, donc aussi de la création ou recréation d’un réunion entre cliniciens et art-thérapeutes. anciens désirs reprennent leurs droits. Le
d’un lieu de soin et de création dans la monde viable et vivable. On voit bien ici que le Depuis dix ans je vis dans le Loir-et-Cher projet de C. Mondou m’a aussitôt intéressée
région où nous vivons et sommes engagées. projet esthétique (création d’une peinture par où j’ai travaillé dans une des cliniques dite dans son professionnalisme non dénué de
De quel soin parlons-nous ? De soins exemple) est un projet existentiel (se créer de thérapie institutionnelle dont les ateliers plaisir. Dans son utopie aussi ! J’apporterais
psychiques qui seraient prodigués au ou se recréer soi-même). C’est bien ce que sont une des pièces maitresses du soin. donc en quelque sorte la « caution médicale »
travers de consultations, d’ateliers et d’un Jean Oury affirme dans Essai sur la conation L’idée étant de multiplier les rencontres, pour s’il en était besoin, le soutien, mes modestes
travail autour des productions d’atelier. Les esthétique,10 la conation, « l’élan vers ». qu’un travail advienne, à travers le transfert, moyens dans son ouvrage, mais c’est elle le
consultations s’adresseraient à un public large Dans ce projet existentiel, la création pourra – on dit « l’investissement » maintenant – moteur ! De plus j’ai eu l’occasion, la chance
et seraient psychiatriques, psychothérapiques être analysée de manière dynamique au cours et se projette sur la toile, la pierre, voire en de la voir travailler, loin de toute psychanalyse
et/ou psychanalytiques. Il pourrait y de la psychothérapie en prenant appui sur une entretien... La cure type n’est qu’une variante appliquée, dans « l’être avec », dans le partage,
avoir ainsi une progression, un passage particulière de la cure, n’est-ce pas ? Les il faut du plaisir, de l’émotion, mais aussi des
9 Nous avons choisi de conserver une forme orale et à la
possible de la demande de médicament réunions fréquentes entre les soignants sont règles, de la méthode, du savoir-faire et du
première personne à ce texte à deux voix, tel qu’il a été
parce qu’on se sent un peu déprimé par présenté lors du colloque. censées relier tous ces éléments. savoir penser. De la retenue... aussi, G. Braque
exemple à un traitement psychanalytique. A l’heure où les psychologues travaillant en psychothérapie J’insiste donc, en parfait complément avec disait « J’aime la règle qui corrige l’émotion ».
institutionnelle sont qualifiés de “spécialistes de la tarte
Et cette progression pourrait être facilitée ma collègue, sur l’autre aspect du dispositif, Tout acte de création n’est-il pas
aux pommes” par la Direction Générale de l’organisation
par des activités de création en ateliers des soins, il semble important de défendre aussi ces ateliers à savoir la médiation – elle a insisté sur la 12 Je vous conseille un très bon livre écrit par des
qui seraient de deux types : ateliers de la de pratiques du quotidien si difficilement accessibles dans création. A ce titre je veux bien éplucher des infirmiers en psychiatrie sur la pratique d’atelier : I.
la psychose par exemple. Aubard, E. Digonnet, A.-M Leyreloup, “Ateliers en
« trace », passant par le dessin, peinture, pommes avec un patient ! Ou me promener
10 J. Oury, “Essai sur la conation esthétique”, Éditions Le psychiatrie, médiations thérapeutiques”, Elsevier Masson,
sculpture, photo, vidéo, écriture et ateliers Pli, 2005, Orléans 11 Plus connu à présent sous le nom de Centre Popincourt 2007
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thérapeutique ? Dans la mesure où il lie psychopathologie et psychanalyse à Paris 7. naissance d’un être au monde, une personne moyen de rentrer en relation, mais ce n’est pas
des représentations connues tout en leur Pourquoi je vous raconte tout cela ? Parce que existant dans un environnement, les deux l’art qui est une thérapie, c’est le processus
imprimant une énergie de sublimation13 dont le parcours que je vous décris est un chemin étant séparés tout en étant en présence. de création, pas le produit fini, mais ce monde
le but est encore du plaisir - le plaisir du jeu, qui suit les méandres de ce qui nous occupe Rien de magique là-dedans, c’est du concret, en train de se faire, défaire, refaire, en train de
je pense à Winnicott et permet de projeter, aujourd’hui, à savoir le soin et la création, c’est du réel qui viendrait étayer un corps prendre vie. Ce qui prend vie, il s’agit de faire
qui une image unifiée de soi (Anzieu), qui ses ou pour reprendre les termes de cette qui peut se mouvoir et s’émouvoir sans en sorte qu’il reste vivant, d’où l’importance
fantasmes, son désir le plus enfoui... ou dans rencontre : les médiations thérapeutiques. s’effondrer. D’autant que, bien sûr, l’acte de de ce lieu « suffisamment bon ». Cette
le cas de patients psychotiques, de fabriquer Les médiations thérapeutiques, je ne sais pas création ne se fait pas dans un absolu mais création s’appuie sur un désir à deux, désir du
un objet détachable, un lien avec le monde..., ce que c’est, je ne sais pas ce que ça veut dans un environnement bien particulier, thérapeute que quelque chose ait lieu, prenne
un monde comme l’a dit ma collègue. dire. Pour ma part, j’anime des ateliers dans un lieu protégé, c’est important, il n’y en forme (l’enforme d’Oury), désir du patient de
lesquels je favorise le processus de création – a pas assez de lieux protégés dans ces création d’un lieu où il pourra se tenir, d’un lieu-
C. Mondou je rappelle que ce sont toujours des ateliers où institutions pas toujours très hospitalières tenant, d’un tenant-lieu. Je cite Oury : « Par
Depuis de nombreuses années je questionne visuel et trace sont présents. Ainsi, ce qui me que sont les hôpitaux, maisons de retraites ma présence concrète, je soutenais en lui un
la création et le soin et affine et affirme de semble majeur ce n’est pas la médiation, c’est et autres structures dites d’accueil. L’accueil projet vivant quotidiennement renouvelé. »18
manière de plus en plus précise ma position la création. Pourquoi ? Parce que lorsqu’elle me semble devoir être aussi l’accueil de la Je poursuis19 : « Le paradoxe de l’existence
d’équilibriste entre soin et création.14 J’ai une survient, on assiste à un acte existentiel de création dans un lieu « suffisamment bon »17. esthétique, c’est que tout en étant une fuite
formation initiale en arts plastiques et une plus ou moins grande envergure qui toujours Ce que je soutiens là, vient notamment de soi et une tromperie essentielle, elle est
longue pratique artistique, presque trente ans aura un effet majeur et souvent décisif sur de la lecture très éclairante d’Essai sur cependant une façon de s’affirmer. Le point
de photographie noir et blanc, moitié moins de celui qui l’aura produit. On assistera à une la conation esthétique dont je souhaite de départ en est toujours la négation du conflit
travail graphique et de vidéo. L’écriture aussi construction ou reconstruction d’un monde partager quelques mots avec vous qui me auquel se substitue la poésie ; les rugosités qui
compte beaucoup dans mon parcours. Il va habitable qui ne sera pas un monde de délires font vraiment travailler, qui motivent mon existent dans la vie sont réconciliées en une
sans dire que le support visuel est essentiel ou d’hallucinations mais un monde dont le engagement fort dans ce qu’il est trop réalité songeuse, rêveuse. » « On abandonne
dans mon travail. Depuis plus de dix ans, fondement est concret : il y a la matière, les faible pour moi d’appeler de l’art-thérapie l’application au réel pour le remplacer par
j’utilise des pratiques visuelles dans les ateliers pinceaux, le papier, il y a aussi la trace, ce que ou encore des médiations thérapeutiques. le possible. » « Il s’agit de vivre le royaume
que je mène auprès de personnes fragiles15. le corps imprime sur le support, la force, la Bien sûr, ça crée du lien, bien sûr c’est un enchanté de toutes les possibilités. »
J’avais créé une association – REVE-FIXE, chaleur qu’il produit, le contact qu’il a avec lui en déclarant qu’il veut se peindre. Alors commencera Sans accompagnement, l’acte créateur, pour
un long travail d’élaboration lors duquel il va donner
autour de cela et qui pourrait bien prendre les outils et les textures, et enfin avec les certaines personnes fragiles, peut donc être
véritablement naissance à un corps sur la toile, le faire
une nouvelle forme avec notre projet. Ma représentations visuelles nées entre ses mains. sortir de l’informe et de l’indifférencié et qui lui permettra source de dangers et devenir même très
seconde formation est celle de psychologue Cette construction structurante n’a pas lieu d’investir peu à peu son propre corps autrement que par destructeur. Je pense à un patient avec
les mauvais traitements qu’il lui infligeait. Effectivement,
clinicienne, diplômée récemment en à chaque atelier, elle arrive parfois au bout lequel j’ai travaillé longtemps et qui affirme ne
il arrivait souvent en atelier avec des attèles, des bandages,
13 Sophie de Mijolla-Mellor, “Traité de la sublimation”, de plusieurs, mais je ne me souviens pas des pansements, faisant longuement état de sa douleur pouvoir dessiner qu’au sein de l’atelier, chez
PUF, 2012 qu’elle ne soit pas survenue à un moment ou avant de pouvoir se mettre à peindre. Après cette lui ses dessins s’animent et lui font peur, lui
14 Cette position de funambule apparaît dans le Manuel « naissance », il n’aura plus besoin de ce recours à la
à un autre. C’est plus ou moins manifeste, veulent du mal.
poétique et pratique à l’usage des soignants et autres souffrance pour sentir exister son corps et pourra être dans
curieux, publié aux PUF en 2013 dans la collection de ça arrive plus ou moins à la conscience. un échange très vivant en regardant son interlocuteur, Cette construction ou reconstruction d’un
Frédéric Worms Questions de soin. Il s’agit d’un ouvrage Mais que ce soit conscient ou non, élaboré chose qu’il ne pouvait pas faire avant. Il pourra également monde qui se concrétise au travers d’une
collectif auquel j’ai participé avec le groupe Corps, faire plusieurs fois l’expérience d’un éloignement de son
ou non, la plupart du temps ça ne l’est pas, représentation, est le fruit de l’ouverture au
Psychose, Psychanalyse, constitué dans les années 80 lieu de vie habituel (quitter sa mère et sa sœur) en allant
autour de Claudie Cachard, psychiatre et psychanalyste. les répercussions sur la vie de la personne dans des structures d’accueil qui lui permettront d’accéder possible. C’est ce qui est à favoriser au sein de
15 Ateliers auprès de jeunes mères hébergées dans un foyer seront bien réelles. Par exemple, elle aura à davantage d’autonomie. Cette aventure et quelques l’atelier. J’affirme toujours aux patients qu’ils
de L’armée du Salut, de personnes handicapées mentales autres, vécues à Ville-Evrard où pendant six ans j’ai animé
une meilleure orientation dans l’espace, vont y arriver lorsque soudain ils se bloquent,
accueillies dans les structures des Papillons blancs, de des ateliers peinture et à La Borde où j’ai été stagiaire, sont
personnes autistes, de personnes âgées à leur domicile dans le temps, on assistera à une naissance racontées dans mon mémoire de Master 1 de psychologie hésitent, perdent confiance. Ces simples mots
ou accueillies en institution. A Ville-Evrard (93), je suis ou renaissance d’un corps, d’un être au Pour une psychiatrie comme art de vivre un quotidien ouvrent au possible et ils y vont, ils y arrivent, ils
intervenue auprès d’adultes hospitalisés à temps plein ou entre extra-ordinaire et ordinaire. Ici, l’extra-ordinaire dans
monde.16 Car il s’agit bien de cela : la représentent ce quelque chose devenu possible.
partiel. Depuis peu, je travaille à plein temps à Orléans, la psychose sera parfois de réussir à faire tenir une tarte aux
engagée à la fois en qualité d’artiste art-thérapeute 16 Afin de répondre à une question posée dans le public, pommes dans un moule et l’ordinaire, de créer et recréer Et cela aura des répercussions concrètes dans
et de psychologue. J’y coordonne une UHR (unité je donne l’exemple d’un jeune homme schizophrène qui sans cesse sur la toile et dans les espaces du quotidien 18 Oury parle d’un patient avec lequel il a travaillé
d’hébergement renforcée) destinée à des personnes âgées après plusieurs années de peinture que l’on décrirait un monde qui s’effondre ou menace de s’effondrer en longtemps
démentes présentant des troubles psychiatriques et anime « abstraite », il serait plus juste de dire « informe », permanence. 19 p. 65, extrait sur le possible venant relier l’existence
des ateliers thérapeutiques. amène un jour en atelier un portrait photographique de 17 Expression empruntée à Winnicott esthétique (la création) à l’existence pratique (le réel)
38 Les Actes2015 39 Les Actes2015

leur vie : ils pourront sortir de chez eux, voire d’’identification, projective ou non, toujours d’autres régions il y a des projets comme cela une activité et d’en maîtriser son cadre. Mais
même changer de lieu d’habitation. possible, sur l’artiste-thérapeute. qui se montent actuellement. J’ai voulu faire savoir s’articuler avec d’autres, mutualiser.
Dans les divers lieux où je suis intervenue, Tout a été dit sur la fonction de la production un DU en soins palliatifs mais on m’a dit non Mais il n’y a pas de sous... dans le XIIe, les
ces questions autour de la création sont tout pour l’artiste, la notion de cadre, la fonction car vous n’êtes pas soignante, nous n’avons décideurs sont clairs.
à fait ignorées. Les équipes reconnaissent d’étayage possible de l’œuvre, surtout par les pas beaucoup de places et nous les gardons
l’intérêt pour les patients, un intérêt souvent écrivains. Je vous renvoie aux écrits de Duras pour les infirmiers et aides-soignants. Je trouve Public
limité et n’en font rien. J’ai souvent sollicité ou plus récemment au dernier livre d’Annie cela dommageable car je suis convaincue du Vous pensez à un lieu qui pourrait être utilisé
les équipes pour qu’il y ait des post-groupes, Ernaux, Le vrai lieu20, qui d’ailleurs pourrait processus créatif avec ces gens en grande par plusieurs institutions ?
des réunions autour des productions. Rien. être un joli nom pour notre projet. Il m’a difficulté face à la maladie. Je voulais apporter
Pour finir, un mot de mon expérience de semblé amusant, à un âge où l’on incline plus mon témoignage et mon soutien à votre projet Philippe Carette
stagiaire psychologue à Saumery où j’ai eu volontiers à faire ce que l’on aime vraiment, et nous espérons que le nôtre va évoluer. Oui, c’est un lieu qui est en train d’être
la chance de rencontrer N. Gisbert. J’avais d’inventer, de penser un lieu où les outils réfléchi, imaginé, ça reste à penser... Se
créé Fabrique d’histoires, un atelier autour seraient là, offerts, à qui veut les saisir (tout Irina Katz-Mazilu soutenir des expériences des autres pour
du dessin et de l’écrit. Une jeune fille, prise comme en analyse nous sommes des porte- Je voudrais apporter mon témoignage. J’ai pouvoir apporter notre pierre si c’est possible.
dans des problématiques d’hypersexualité, manteaux, des figures d’emprunt, des lieux travaillé pendant 3/4 années avec le Samu Mais les temps sont durs. On a le souci que
produisit un dessin très archaïque qui me de projection bien sûr). Un lieu ouvert à tous Social à Paris dans des hébergements les médiations artistiques soient repérables
sembla avoir une valeur clinique indéniable ceux pour qui la talking cure ne serait pas le temporaires ou définitifs. C’était une équipe pour qu’un soignant qui souhaite orienter un
et que son discours vint confirmer. J’avais seul outil. de travailleurs sociaux, avec une psychologue patient ait des lieux repérables et visibles,
alors demandé l’autorisation à la jeune fille Je dois à C. Mondou de partager ce rêve clinicienne une fois par semaine et puis moi- pour que ce pro sache où s’adresser pour ce
d’en parler à son médecin qui n’était autre et à mon expérience de terrain de pouvoir même, l’art-thérapeute. Je peux témoigner travail d’élaboration.
que N.Gisbert. S’en suivit une rencontre à l’articuler, je l’espère, aux structures locales. que vu le public, avec beaucoup d’étrangers
trois qui permit de poser les premiers mots parlant peu le français et comprenant peu Public
sur une histoire possiblement incestuelle. Public le travail de psychothérapie, il m’est arrivé Je travaille en institution, en individuel ou en
Malheureusement, cet atelier n’a pas J’habite dans un tout petit village où je suis plusieurs fois de signaler lors des réunions groupe, en art de la scène et en art plastique.
continué après mon stage comme il en avait peintre. Je fais partie d’une association des situations de détresse et d’anorexie Je voulais vous remercier de nous faire rêver
été question. Ce fut cependant un moment de peintres et de sculpteurs et au fur et à avec nécessité d’hospitalisation, mes encore, je trouvais que ces derniers temps, on
clé pour moi, non pas que je compris que mesure des mes 25 années passées dans interventions ont été suivies d’effets et mon avait du mal à rêver, de faire encore des projets
le dessin pouvait véritablement constituer les Pyrénées, j’ai eu des contacts avec des rôle thérapeutique était reconnu. Pour parler car c’est un peu dur en ce moment de travailler
un levier pour le soin, ça je le savais depuis psychologues cliniciens et très naturellement de projets, vous savez que la Ffat a déposé en psychiatrie et en libéral avec des gens qui ont
longtemps, mais de manière concrète, j’avais je me suis formée à l’art-thérapie. Nous avons une demande auprès du ministère de la santé des pathologies assez lourdes. Sur le film de ce
vécu pour la première fois la mise en œuvre décidé d’ouvrir un lieu qui s’appelle «De l’art pour que la profession soit reconnue, pour matin je n’ai pas réagi tout de suite, j’ai besoin
d’un soin possible à partir d’une création. à soi» qui est un petit atelier qui conjugue qu’effectivement ces projets puissent être de faire un cheminement de pensée, en faisant
psychologue clinicienne et art plastique. On financés et que notre indispensable apport à des liens. J’ai été un peu étonnée sur les propos
N. Gisbert a frappé à des portes pour pouvoir avoir un la vie sociale et à la thérapie soit valorisé. de la Ffat et ce que j’ai vu dans le film où j’ai
Attention, quelques jours après, la jeune lieu, les portes se sont fermées bien sûr, donc l’impression de voir plutôt une artiste en train
fille a mis le feu à sa chambre, après la on a décidé, avec nos deniers personnels, Philippe Carette de faire un atelier de peinture avec des gens en
« révélation », c’est de l’inflammable, d’où d’ouvrir cet atelier qui malheureusement ne Cela recouvre plusieurs problématiques : difficulté, j’ai trouvé ça plutôt intéressant, mais je
l’absolue nécessité d’un travail à plusieurs. correspond pas encore aujourd’hui à notre il y a la reconnaissance de la profession, ne vois pas où était l’art thérapie et je ne me vois
On le voit dans cet exemple, l’œuvre (sans rêve mais on espère bien y arriver parce l’aspect financier, mais il y a aussi une réalité pas moi dans cette position. Mais comme disait
jugement esthétique ici, la production, le que c’est très difficile, il n’y a pas de budget économique. La difficulté de ne pas rester Irina Katz-Mazilu ce matin, ce ne sont sûrement
moyen d’expression), est un vrai outil du et il faut vraiment puiser sur ses ressources seul est à ces différents niveaux, il est pas mes références et ma façon de travailler. J’ai
soin si elle est étudiée et reliée à ce qui en est personnelles, aussi bien financières que pour important de ne pas rester dans son coin mais été très intéressée dans votre projet du Loir-et-
dit, à ce qui se passe dans la clinique à travers l’énergie de façon à vraiment pouvoir mener de se rattacher par exemple à une fédération Cher quand vous avez dit que ce n’étaient pas
les milles petits riens du quotidien : c’est la à bien ce projet. D’avoir entendu que dans et comment les choses peuvent se faire les médiations qui vous intéressaient mais le
lecture diacritique chère à Oury. Sans compter éventuellement avec d’autres même si c’est cheminement, le processus de création et là je
20 Annie Ernaux, Le vrai lieu, Entretiens avec Michelle
qu’en atelier on peut assister à un phénomène Porte, Collection Blanche, Gallimard, Paris, 2014 très important d’être soi, de se repérer dans m’y retrouve un peu. J’aurais voulu que vous
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en disiez un petit peu plus en parlant de ce que Dans la psychose, créer un lien c’est important B) CRÉATION ARTISTIQUE, THÉRAPIE ACCOMPAGNÉE OU SPONTANÉE
ça veut dire pour vous processus de création, et sa tête a pu être droite et les échanges de
cheminement, car on travaille avec des matières, regards et la communication ont pu s’établir.
des techniques, je ne sais plus qui parlait ce comme un heureux événement, comme une
matin des lois et pas des règles, parce que je me Jean-Pierre Klein évidence, après avoir décidé de nous risquer
dis que les matières qui ne sont pas des règles Sans passer pour le papi de l’art-thérapie. chacun dans une suite d’essais laboratoire.
sont des lois, quand on travaille le plâtre ce n’est Depuis 1973, rendez-vous compte du chemin Tactile et création, Nous sommes redevenus explorateurs,
pas la même chose que la terre. Je ne sais pas parcouru. Ne vous découragez pas ! C’est matière et présence, atelier renouant avec l’intuition inébranlable d’un
si c’est le sujet mais je vous remercie d’avoir ce considérable ce qui s’est passé. Les artistes ordinaire pour tout un chacun savoir du tact, manuel, et global : celui de notre
projet, de le soutenir, d’aller un peu plus loin, car ne voulaient pas du terme thérapie et les psy enveloppe sensorielle, interface en perpétuel
actuellement, ce n’est pas facile, la psychiatrie et disait on ne veut pas que tout le monde se Marie-Hélène Gambs remaniement, capacité d’être affecté, organe
la psychanalyse sont un peu oubliées. dise thérapeute. Psychologue clinicienne de décision, de discernement. Nous sommes
Nous marchons sur le sable, nos pieds y tous enfants de Bachelard, de Merleau
Catherine Mondou laissent des traces. Nous marchons sur Ponty, de Maldiney, de Lacan, de J Oury, M.
Juste pour donner un exemple du processus des pavés sculptés ou des carrelages, pas de Certeau et de tant d’autres, humoristes,
de création, je pense à un patient avec lequel de traces, sauf : dans la mémoire tactile de philosophes, poètes… et surtout, nous avons
j’ai travaillé pendant 6 ans. C’est un patient qui nos plantes de pieds. L’atelier dont je vais appris et apprenons de nos patients.
se tenait toujours très droit, qui se tient avec vous parler est né de longues promenades, Les années 90 ont vu -sous la poussée du
la tête tournée, et donc il n’était pas dans la conversations et défis relevés, nous l’avons clivage de la médecine- sans- le- corps,
communication, on ne pouvait pas croiser son proposé pendant des années à des adultes et dévouée à l’imagerie numérique, une
regard, il est très filiforme et à chaque début à des enfants. redécouverte de la valeur du tactile, cette fois
d’atelier il disait qu’il avait mal quelque part, Avant d’ouvrir la porte de l’atelier, une réintégré dans les compétences du vivant
qu’il avait souffert tout le week-end (l’atelier question s’impose : qui sommes-nous et revendiqué comme objet d’étude à part
était le lundi), il arrivait avec des attelles. Je me lorsque nous osons proposer un atelier ? entière. Dans ces remaniements de la pensée
suis dit qu’il y avait un travail à faire avec le Thérapeutes ? Artistes ? Au nom de quoi, et du soin liée à celle d’une présence claire, nous
corps. Il est venu à la peinture à l’huile qu’on avec quels enjeux ? Il était une fois un réseau étions alors pionniers. Et métissés. Entrons
fabrique nous-mêmes avec des pigments. de soignants. Pétris d’expérience clinique, maintenant dans l’atelier :
Il y a rapport à la matière, à la création d’une nous avions œuvré à l’invention du secteur Devant vous, posé sur une table, un
matière, à la transformation et cette personne psychiatrique dans des années d’initiatives panneau rouge vif, légèrement incliné, et
faisait des peintures très abstraites en disant fertiles. Cela nous avait délestés de quelques un grand pot rempli de liquide blanc. Vous
qu’il faisait le soleil, la montagne, etc. mais on certitudes, mais notre appétit d’apprendre, et pouvez commencer, je reste à côté de
ne voyait que des choses abstraites. Un jour il de donner support en était raffermi. Dans ces vous... Silence ?geste ?question ? aucun
est arrivé avec une photo de lui qui participait mêmes années, nos relations avec des amis instrument, la situation est inhabituelle.
à une pièce de théâtre, dans un rôle, et il me artisans, artistes, nous questionnaient : quels Nous sommes debout, votre main, risquée
dit : je veux me peindre. Je dis d’accord. Pour étaient nos savoirs respectifs, nos savoirs dans le liquide inconnu, va poser du blanc
l’anecdote le médecin psychiatre m’avait faire ? manuels ?intellectuels ? Il était clair sur le rouge. L’onctuosité du kaolin glisse
mis en garde (droit à l’image...). J’ai insisté que certains parmi eux, dans la transmission sur la planche, voici une trace, ou plus. Vous
pour que ce travail se fasse et on a assisté de leur savoir- faire, transmettaient plus avez posé un doigt comme pour un dessin,
à un processus de création, pas seulement qu’une technique à leurs apprentis. je vous encourage : allez-y, c’est à vous.
picturale mais aussi d’un corps. Il a réussi Par ailleurs, la confrontation brutale avec ce Vous posez vos doigts, le bout des doigts ?
progressivement à se représenter avec une que nous démontrait F. Veldman à sa venue Comme sur l’ordinateur, avec précaution,
tête, un visage avec yeux, nez, bouche. C’est en France, avait décapé ce qui nous restait les traces se multiplient, le rouge et le blanc
un exemple de processus. Et pour conclure : il de torpeurs, il avançait fermement une praxis commencent à chanter en duo : des signes,
n’y a rien de magique, il faut réussir à habiter éclairée, avec humour, sans craindre nos des transparences arrivent. Je vous rassure :
son corps, et c’est le théâtre aussi qui l’a aidé. autorités, reliant le tactile au fondement de vous pouvez effacer, vous pouvez poser
Lui même a voulu créer du lien entre les deux. la vie. La naissance de cet atelier est arrivée toute la main. Votre geste prend son allure,
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la main circule sur le cercle, vous accélérez, d’explorer, de découvrir, de vous éprouver matériaux qui composent la situation sont son livre : Ce que sait la main (Albin Michel).
vous ralentissez, votre observation nourrit dans ce travail : sentir, faire, contempler, d’une simplicité désarmante, presque rien… Cet atelier ne prétend pas remplacer un
votre geste, il s’invente, produit des formes choisir, laisser être, hors de tout imaginaire Ils ne suffisent pas à eux seuls à déclencher apprentissage, auprès d’un peintre, d’un
inconnues, inattendues, courbes, droites. contraint. Puis nous rangerons l’atelier, rien les multiples activations. Lançons un regard tailleur de pierres, il est cependant sur les
Vous effacez, vous recommencez, il n’y a pas d’autre. La planche est rouge, l’argile blanche vers A. Mnouchkine, Peter Brook : lorsqu’ils mêmes chemins : l’expérience, et encore
de programme autre que cette invention dans n’est pas perdue, vos mains dans l’eau demandent à un acteur de faire trois pas dans l’expérience, guidée, sobrement. S’il est
le consentement au contact accepté. Oser sont douces et propres, c’est très simple. un cercle. Essayer rien de plus facile ? Les pas thérapeutique, c’est qu’il comporte aussi
peser, sans s’attarder... Je vous encourage, Orientons maintenant nos points de vue : indifférents, dans le retrait, sont ennuyeux à une dimension pédagogique. Tout parcours
je regarde avec vous, peu de commentaires, les niveaux en jeu sont sans cesse intriqués, voir, mais aussi à faire. Rien avant, pendant, thérapeutique comporte cette dimension.
pas d’interprétation Et l’autre main ? La et comme dans un dessin d’Escher, en après. Avec un minimum de directives les étapes
fraicheur de l’argile, sa douceur, le blanc métamorphose constante ; la sensorialité La mise au monde de soi est un acte qui ici existent, elles se déroulent dans un ordre
rassurant instruisent vos mains ouvertes ou est au premier plan, avec la sensualité. Ah ! se re joue à chaque instant. C’est une prise différent pour chacun, elles ne sont pas
fermées, vos phalanges, vos poings. Votre Fond et forme se sont inversés à certains de risque. L’intelligence créatrice n’est pas imposées.
style s’annonce, je reste attentive au tempo, moments rouge blanc rouge : c’est visuel. tonitruante, elle est en réponse, en initiative, Il ne s’agit pas de faire n’importe quoi, le cadre est
en accord avec le souffle, l’aise de chacun. Je La situation debout, active, peut devenir à chaque milliseconde, avec le monde. là, rigoureux : le kaolin à disposition, matière sans
veille à votre mobilité pendant que vos mains contemplative, les suspens sont à votre De tels exercices viennent la solliciter là résistance, la surface et les limites de la planche
se posent et voyagent sur la planche. Au bout gré : c’est un état d’attention, état du tonus où elle est assoupie, en attente. Alors : sont précis, et selon les accents donnés par
d’un moment vous disposez d’une habileté général, de la conscience aussi, pulsations. une telle séance peut-elle être nommée l’attention de l’accompagnant, les continuités et
sans réticence. Le support solide et la La complétude de la main, avec son habileté thérapeutique ? Si la réappropriation d’une les ruptures esthétiques des formes vont prendre
matière fluide vous invitent, vous obligent au inventive est à peine décalée des actes partie du corps dans une conscience de soi place dans un parcours unique, éphémère. Dans
mouvement : la main se pose, elle est reçue habituels de la vie, pourtant la préhension plus juste, plus complète est une bonne l’accompagnement nous sommes précédés :
dans ses appuis et peut explorer les variations n’étant ici pas nécessaire, d’autres fonctions chose, et c’est bien de cela qu’il s’agit, la Maria Montessori, Célestin Freinet, Arno Stern...
qui surgissent. Les traces ne s’inscriront pas de la main sont sollicitées, celles du contact réponse est oui. Elle se fait ici à la faveur se sont sentis requis par un accompagnement
dans le marbre, pour autant elles sont, dans ininterrompu, subtil dialogue avec la douceur d’un rapport de surprise et de tranquillité. qui ne coupe pas l’intelligence créative de la
leur passage, précieuses. ici du kaolin et la dureté du support bois. Combien de médecins ai-je vus réjouis après nappe phréatique du sensible. Proposer des
Vous êtes maintenant ambidextre, les formes, Fluidité et résistance, en secret écho à leurs premiers instants de gêne, constatant voies d’accès, une méthode et une autorité, une
les volutes, les continuités, les ruptures se votre physiologie : dureté des os, souplesse leur maladresse, puis ravis de voir leurs deux présence fiable, c’est être garant d’un processus
suivent, disparaissent, reviennent. Un détail de la paume. La surface rouge, peu à peu mains virevolter sur la planche, se permettant éprouvé qui à chaque fois reste surprenant. Aucun
vous arrête, vous y revenez, l’amplifiez. conquise, est en dialogue avec votre rythme sans freinage un déploiement de figures ? des deux dans l’atelier ne sait à l’avance de quelle
Votre regard est devenu complice, partenaire qui la parcourt. Tout le cercle rouge peut Oui, il se passe une réassurance après de réussite, de quel échec il peut être question, mais
de vos mains, il a abandonné son travail de disparaitre sous le blanc, il est à la taille de vos longues années de retenue sur un stylo, l’un des deux, l’accompagnant, est garant d’un
contrôleur sévère, s’autorise à chevaucher bras ouverts. Les étonnements se suivent. Le un clavier. La pleine disposition des mains processus balisé par sa propre expérience. Il est
les formes au fur et à mesure, à les suivre. regard est à l’œuvre, sans tyrannie. Les formes dans leurs capacités de faire, de sentir, de aussi témoin, les traces le concernent.
Révolution... Rien d’extraordinaire pourtant, qui naissent évoquent des écritures, des décider, d’apprécier, réaccorde la personne Il ne suffit pas d’être étiqueté thérapeute, artiste,
vous n’êtes pas devenu le génie créateur vagues, parfois vous le dites, leur profusion à ses capacités du moment, la réaccorde ou amateur d’art, ces qualifications ne donnent
du jour, mais le défilé des sensations et se déroule sans exiger aucune désignation, à son parcours humain :  revoyez les mains pas la compétence de l’accompagnement. Une
des formes, les fulgurances de quelques le plus banal est ici parfois jubilatoire. des nouveaux nés, leurs gestes ne sont pas injonction à observer ses propres mains au travail
pensées, les résonances des sensations, sont La dimension haptique de cette situation en atrophiés, la paume souvent dans le contact ne serait pas suffisante. De même le discours
là intenses, la vitalité s’éveille, jubile parfois. Il est le ressort principal : c’est la personne plein. Nous avons gardé la poignée de fallacieux annonçant que tout un chacun est artiste
est fort possible que vos circuits neuronaux sensible, en contact affirmé avec la matière, mains mais qui ose la savourer, s’y profiler, serait gênant. Les formes éphémères ne seront
soient sollicités de façon inaccoutumée et se avec l’espace, avec l’accompagnant, qui la recevoir dans toutes ses déclinaisons ? Et pas conservées, c’est annoncé dès le début de
soient déjà mis à de nouvelles connexions. est affectée, mise en mouvement, en que dire des artistes venus à l’atelier, réalisant l’atelier. Ce qui compte, c’est l’éprouvé, le rapport
Pendant une petite heure vous êtes vacant, représentation de soi. Elle est requise vers l’entrave de leurs habitudes, jouant avec de à l’esthétique et à la beauté, une sorte d’activation
actif, disponible, un espace vous est offert l’extérieur, dans une extension tranquille de nouvelles touches provoquées à l’inattendu ? sans prétention, et pourtant très profonde pour
sans nécessité d’aboutir à une représentation sa présence au monde. Car il ne s’agit pas Richard Senett a étudié le travail manuel certains. Il y a un avant, et un après l’atelier.
finale, il vous est demandé, simplement ici seulement d’une recette minimaliste : les dans des dimensions oubliées de nos jours, Qu’en est-il de l’art ? Cet atelier, prolongé
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au gré de chacun une fois rentré à la au bout de 10 minutes d’où ils venaient. Créer Le patient s’adresse ainsi à lui-même à travers
maison, ou à la séance suivante, permet un ce moment pour aller dans l’art et rechercher l’autre comme filtre, destinataire externe
microévénement : en échappant au projet l’étonnement, mais pour ça il faut un cadre, selon toutes sortes de figures complexes
de performance, de programme, il ne laisse je ne peux pas arriver sans avoir préparé mon La production comme transférentielles qui se jouent dans leur
pas d’autre reste que la mémoire vivace de cadre, mais je dois en sortir car les personnes interlocutrice entre-deux et, tout à la fois, à l’intérieur de
celui qui l’a vécu. Se vivre comme source sont tellement mouvantes et sensibles que chacun des deux acteurs. Mais, tôt ou tard,
d’un événement, certifié dans le choix de c’est très difficile d’aller dans la pédagogie Jean-Pierre Klein* la thérapie rencontre ce qu’on appel le roc de
l’apparaitre, autant par l’apprivoisement d’une et dans l’art et de se demander si c’est une Psychiatre l’irréductible, de l’inanalysable, du «refoulé
matière nouvelle que par l’assentiment de séance d’art-thérapie. Le handicap a été peu Directeur de l’INECAT, primitif».
l’accompagnant, est une belle aventure. évoqué et je m’interroge. (école de médiation artistique et d’art-thérapie) La médiation artistique, quant à elle, relève
L’art, il était dans la rue, disait un témoin des Auteur dramatique et essayiste le gant car elle est une façon non explicite
événements de Taxim : il avait vu un vieil Marie-Hélène Gambs Je commencerai en différenciant l’intime et de tourner autour de l’intime qui n’est
homme peindre un arc en ciel sur un escalier Quand on a commencé ce parcours-là avec l’intimité : l’intime est la perception indicible symbolisable qu’indirectement.
après les manifestations et leur répression. ces enfants très handicapés, nous le sommes de soi-même de l’intérieur, plus sensation Il s’agit, quand l’art s’en mêle, de saisir
Où commence l’art ? Dans le commencement… tous, on se découvre plus ou moins handicapé que perception consciente. Il ne peut être l’opportunité de s’adresser des messages
Les commencements, en se détachant du et ces ateliers que vous pouvez créer nous communiqué à autrui sinon allusivement : c’est à soi-même qui restent énigmatiques, sans
déjà fait, et en restant chevillé sur son axe de confrontent à nos handicaps, nous font ce qu’on appelle l’intimité partagée avec ses vouloir tout comprendre de ce qu’on produit.
détresse, en conversation avec le monde … passer outre et au travers. Je ne sais pas si je amis proches, ses partenaires affectifs, ses Rien n’est pire pour comprendre que de
Paradoxes. Certains après l’atelier sont allés réponds à votre question. Mais ce qui est dur, thérapeutes (!). Mais on bute sur l’impossibilité vouloir comprendre.
du côté de la calligraphie, d’autres vers le c’est de trouver une cohésion globale. C’est de rendre compte totalement de son intime. Deux tentations : si, en amont, on programme
dessin, d’autres ont retravaillé leur signature, peut-être plus simple de travailler avec une Habituellement, dans une psychothérapie, trop intentionnellement une commande
d’autres sont allés au musée, ou encore ont seule forme de pathologie, je m’interroge. le patient s’adresse à lui-même grâce à qui expose trop clairement ce qu’on veut
épaissi le kaolin vers les modelés, les reliefs, un rebond sur le corps du thérapeute. Sa résoudre (figure le deuil de ton père, joue
d’autres se sont mis à écrire, à s’avancer vers Public parole, ses gestes, son expression qui sont théâtralement ce que tu ne supporte pas en
le chant, ou ont habité leur silence. Aucun ne Je suis musicothérapeute, je fais des des tentatives de contacter son intime lui toi), il n’y aura souvent aucune surprise et on
s’est déclaré stérile. Il s’agit toujours et encore ateliers avec des personnes séropositives reviennent en effet après être passés par le ne trouvera que la confirmation de ce qu’on
de maintenir de la vie dans l’existence, de le en exclusion sociale. Merci pour votre corps, l’esprit, la compréhension, le soutien cherche. Si en aval, on porte un regard sur
signifier, de donner sa place à la puissance de intervention très poétique. Ce qui m’a touché et l’ouverture du thérapeute. La mission ce qu’on produit en voulant par là percer à
la banalité, et de s’étonner…, ensemble, l’un c’est au début de votre intervention quand de ce dernier consiste au fond en l’éveil tout prix le mystère de son fonctionnement
guidant l’autre. vous avez dit : qui sommes-nous lorsque du patient à son autothérapie grâce à son psychique, on risque d’être dans une position
A regarder, parmi d’autres : Merleau Ponty, nous proposons un atelier, sommes-nous accompagnement. trop extérieure à soi-même. On risque de se
«L’oeil et l’esprit», Gallimard 1964, Peter plus artistes ou plus thérapeutes ? C’est la Le professionnel lui renvoie ses productions répondre intellectuellement, du type «Je me
Brook, «L’espace vide», Seuil 1977. question que je me pose toutes les semaines (verbales tout particulièrement) d’une façon suis figurée au bord de la mer, ça signifie mes
en commençant l’atelier. ou d’une autre, sous forme de commentaires, problèmes avec ma mère» et non dans une
Public de répétition de la phrase en y ajoutant un réception innocente et sensible.
Merci pour votre communication très Marie-Hélène Gambs point d’interrogation, d’expression corporelle C’est secondairement, parce qu’on ne
poétique, vraiment magnifique, votre exposé C’est la grande question du jour, beaucoup en regard, ou d’une interprétation qui dévoile s’y attend pas, que du sens viendra
me touche particulièrement car je travaille parlée depuis ce matin. Tous les thérapeutes ce que le psychanalyste pense qui s’agit et éventuellement éclairer ces messages
avec des personnes handicapées avec la doivent se demander un jour dans leur vie s’ils s’agite dans les profondeurs du patient. énigmatiques que les consignes font
musique, mais je ne suis pas thérapeute, sont artistes ou s’ils ont renié leur dimension Le rôle du thérapeute est en fait loin de n’être émettre. Le médiateur artistique qui est
c’est d’ailleurs pourquoi je commence à me de création, mais je crois qu’une vraie thérapie que cognitif, le rejeu transférentiel, création déjà métacréateur (il aide les autres à
former car c’est très délicat. Il y a beaucoup c’est aussi une dimension de création, à deux symbolique, est le moteur de la thérapie. Le devenir créateurs) est ici un catalyseur
de handicaps, schizophrénie, trisomie... Ils ou a plusieurs. Ce sont des questions très 3 existe en thérapie, c’est le transfert qui permettant par sa présence ouverte que ces
sont très fatigués (médicaments), ont peu de passionnantes, mais pour avancer il faut se s’interpose entre les deux acteurs (je préfère messages atteignent son destinataire : la
mémoire. J’ai rapporté des instruments de risquer soi-même. dire phénomènes transférentiels qui englobe personne du patient mis en position de créer.
République-Tchèque et ils me redemandaient transfert et contre-transfert). Ne peut-on parler alors de rebond ? Nous
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mettrons de côté les cas si fréquents mêmes se localisent dans l’acte de création presqu’en deçà de l’intimité. Car, si elle est Jean-Pierre Klein
où le médiateur n’a pas à jouer au et son résultat qui agissent comme des un peu adressée au médiateur artistique Je peux simplement dire à propos des tragédies
psychothérapeute, ne conçoit la rencontre «pièges à transfert». ou à l’art-thérapeute et aux phénomènes grecques que Œdipe est une référence
qu’en termes intersubjectifs, c’est-à-dire Si la projection est la condition du travail transférentiels envers lui, elle s’adresse théorique, ce n’est pas une référence pratique.
entre deux subjectivités, la production étant dans et sur la matière pour travailler sur soi- avant tout à son auteur (le co-auteur avec Le complexe d’œdipe en effet, c’est tout à fait
prétexte. En revanche, dans l’art-thérapie même, grâce aux déclencheurs d’implication son accompagnant art-thérapeute qui est bouleversant de l’avoir mis en œuvre, quelle
ou la médiation artistique telle que nous les personnelle21 (notion que je développe au service de ce qui est en germe dans la est son histoire ? Il y a Tiresias qui arrive et qui
concevons, le rebond n’est pas une autre dans mes écrits), l’important est ensuite au production qu’il lui arrive de suggérer de dit : la personne que tu cherches, c’est toi !
personne (perçue à travers des projections mouvement centripète, de la production à pousser plus avant). L’art-thérapeute se met Tu as tué ton père, tu as marié ta mère et en
transférentielles) mais une chose : la la personne, non en termes de dévoilement au service de ce dialogue production vers la plus tu lui as fait des enfants. Comment ? Fous
production elle-même, non comme support cognitif, mais d’imprégnation, d’impression personne et vice-versa dont il est le servant. moi le camp, je te bannis,... L’interprétation, en
à un travail interprétatif, mais en tant elle- que lui renvoie sa production qui, du coup, Ce rebond va lui-même, à force, devenir psychanalyse, donnée trop tôt est rejetée. A la
même qu’émettrice d’»interprétations» au se trouve dans la position de délivrance ricochet, dirigé sur ce que la personne va fin, il s’automutile et sa mère-femme se suicide
sens d’interpellations indicibles, comme nous d’un rebond qui reste dans le registre qui a devenir, vers laquelle, à un moment, la et quand à ses enfants ils vont être poursuivis par
pouvons en recevoir d’œuvres d’art dont on présidé à son aller : sensible, à la limite de personne présente et le professionnel, tous la malédiction. Méfiez-vous de prendre l’œdipe
dit qu’elles nous «parlent», sans pouvoir en l’indicible, de l’infime, de l’impalpable dont deux en leurs présences complémentaires, comme modèle d’interprétation sauvage ! C’est
préciser plus. C’est elle, la production, qui Jankélévitch parle dans Le Je-ne-sais-quoi et vont tendre leur attention. La production la preuve même que ça peut faire des drames
joue principalement le rôle de l’interlocuteur. le presque-rien22. On peut alors prétendre que qui révèle sa fonction d’introductrice ou des tragédies plus exactement. La pratique
Le professionnel, quant à lui, favorisera cet la personne se «modèle» sur sa production. de la transformation de son auteur, et sauvage dans la tragédie de Sophocle non.
aller-retour entre la personne et la production. Ainsi une création morcelée qui fait, malgré permettra que lui-même, à terme, pourra
Ici c’est encore l’inconscient qui se tout, cohérence spontanément (ne l’induisons continuer de mener son cheminement sans Public
manifeste, à la différence qu’il ne le fait pas pas grossièrement) du fait des nécessités l’aide de son accompagnateur. C’est la Justement par rapport à l’interprétation où
clairement et que l’accompagnateur n’en est formelles permettra, non de faire le diagnostic création (accompagnée) qui est processus vous dites que ça peut être très dangereux
pas l’interprète mais le facilitateur d’un tête-à- du morcellement de la personne auteur de la de transformation. Le rebond s’est fait l’interprétation sauvage, vous disiez aussi
tête ou plutôt d’un corps-à-corps particulier : production, mais de susciter un dépassement ricochet pour rebondir plus loin dans un que l’auto interprétation était parfois sauvage
le corps de la personne/le corps de l’œuvre du morcellement pour la personne qui se trajet pas toujours contrôlé avec rigueur. aussi quand vous parliez de j’ai dessiné la
issue de la personne et se répercutant sur rassemblera en y ressemblant. Le thérapeute, resté sur la rive, voit parfois mer, c’est ma mère... À quel moment on peut
elle. Le rebond est là et l’intervenant n’en La production devient la métaphore du de loin ce tracé qui s’éloigne de lui et valider une interprétation satisfaisante, à quel
prévoit généralement pas davantage, surpris mouvement de mise en cohésion de la s’échappe de l’intentionnalité première. moment on peut se dire, on est dans le vrai.
lui-même de cet aller-retour qu’il a favorisé. création, ou plutôt la personne se constitue Les ondes provoquées résonnent et vibrent
Dans tous les cas, la production s’interpose comme métaphorique de la production issue dans la personne qui continue l’action en Marie-Hélène Gambs
entre le professionnel et la personne. d’elle. Enchevêtrement de mouvements provoquant des mouvements successifs C’est simple, c’est dans la surprise de
« Aimer, ce n’est pas se regarder l’un l’autre, complémentaires qui ont moins à être mis au de rebondissements renouvelés qui lui font conscience. La prise de conscience, de même
c’est regarder ensemble dans la même service de la conscientisation que d’instaurer comme une renaissance… que dans la parole comme unique voie de
direction » affirme Saint-Exupéry sur les une circulation sensorielle, sensitive, L’on va ainsi de l’inconnu à soi que l’on est symbolisation : non. C’est une voie parmi
cendriers que les amoureux aiment s’offrir. sensuelle, entre l’auteur et l’œuvre sous le vers l’inconnu de soi que l’on crée. d’autres. Quand tout à coup on est saisi, mais
On pourrait dire que l’art-thérapie constitue regard et l’ouverture du thérapeute qui se c’est le corps qui est saisi, on est saisi par
aussi une sorte de «couple», qui n’est pas focalise certes sur la personne en train de *Jean-Pierre Klein, psychiatre honoraire des hôpitaux, Dr HDR quelque chose qui se révèle, qui se déchire,
en psycho, directeur/fondateur de l’INECAT Institut National
de personne à personne mais tous deux –(ou créer et sur la production à accompagner de qui s’impose dans son sens : oui ! Quand on
d’Expression, de Création, d’Art et Thérapie, établissement privé
chaque membre du groupe et le professionnel) l’expression vers la création. d’enseignement supérieur qui délivre des titres professionnels le cherche après avoir lu l’introduction à la
tendus vers un avant qui est la production que Cette production par l’ineffable qu’elle reconnus par l’Etat de « médiateur artistique » et d’« art- psychanalyse : non. C’est le mental qui prend la
l’un va faire, accompagné par l’autre. (Doit-on comprend, a quelque chose de l’intime, thérapeute », auteur de romans et de pièces de théâtre ainsi que place de la révélation. La lucidité est la grande
des essais sur l’art-thérapie (dernier paru : « Initiation à l’art-
écrire accompagné qui désigne celui qui crée, ennemie de la révélation disait André Breton.
thérapie », éditions Marabout, 2014), 3 rue Georges Lardennois,
ou accompagnée qui désigne la production ?) 21 Klein J.-P., “Penser l’art-thérapie”, Paris, PUF, 2012 La révélation en thérapie, il y a cette respiration,
75019 Paris, klein.jpkev@gmail.com, www.inecat.org.
(postface d’Henri Maldiney), p. 162-170.
Les phénomènes transférentiels existent je comprends. Mais je puis attester comme
22 Jankélévitch J., “Le je-ne-sais-quoi et le presque-rien”,
tout autant qu’en psychothérapie, mais eux- Paris, PUF, 1957, Paris, Seuil, 1980. psychothérapeute d’enfants, d’adolescents
48 Les Actes2015 49 Les Actes2015

et d’adultes qu’on peut parfaitement faire des Lame de fond c’est une façon de dépasser, puisqu’on parlait
accompagnements de création en thérapie Film de 52 minutes, de l’interprétation, sans qu’on dévoile les
sans que jamais la personne ne perçoive réalisé par Perrine Michel. violences. Elle l’a dit directement, mais c’est
jamais le sens profond de ses créations. Ça Projection et débat animé par Irina dans une véritable création.
n’a pas d’importance. L’art thérapie ce n’est Katz Mazilu.
pas décrypter des symboles, c’est en créer. Un jour, je comprends que ma famille est Irina Katz-Mazilu
Des fois on les comprend, des fois on ne les victime d’une machination politique obligeant Ce qui est intéressant pour ce film c’est que
comprend pas, ça n’est pas grave. L’important les adultes à maltraiter les enfants. En tant ce soit une création cinématographique à
c’est de symboliser. que témoin, on m’incruste un micro dans la part entière. A un certain moment du film,
gencive. Puis on m’enferme. son frère lui dit qu’elle n’a jamais été placée.
Public Donc en fait, on ne sait rien. C’est ça qui est
Je suis en train de lire en ce moment le Irina Katz-Mazilu important. On ne sait pas ce qui s’est passé
livre de Jean-Luc Ménard, «Lieux de vie et Je pense que c’est une création et non pas quand elle était enfant. On sait qu’elle a été
d’accueil» et je voulais savoir par rapport à un documentaire. Concernant la crainte de hospitalisée parce qu’elle ne sortait plus de
ce genre de lieu un peu alternatif au monde l’effondrement, Winnicott dit que lorsqu’on chez elle, qu’il y a eu les médicaments, qu’il
institutionnel qui ne va pas forcément bien, est débordé par l’effondrement de ses y a eu la création et que c’est aujourd’hui une
est-ce que depuis le décès de Jean Oury la défenses internes, et surtout si ce sont les artiste qui se soigne de cette façon là.
clinique Laborde est toujours en activité ? parents qui rompent leur fonction de pare-
excitation, il y a la tentation d’en parler et Jean-Pierre Klein
Jean-Pierre Klein reparler qui réitère l’horreur, l’oublier est La sidération est telle que les gosses que j’ai
Je crois que c’est toujours en activité. Je suis issu impossible. Créer une œuvre est une façon suivis ne savent pas si ça a été vrai ou non.
de la thérapie institutionnelle, de la psychiatrie de se protéger, c’est de l’auto-art-thérapie
institutionnelle et j’ai exercé dans le Loir-et- qui permet de dépasser des traumatismes Irina Katz-Mazilu
Cher pendant 25 ans dans le service public graves. On ne sait rien de son frère. En art-thérapie
pour enfants et adolescents. Ce que je peux il est plus important de partir de là où on
dire c’est que dans ma conception personnelle, Jean-Pierre Klein est pour faire quelque chose que de savoir
qui n’est pas forcément celle des psychiatres Vous avez vu peut-être l’exposition de Niki exactement !
institutionnels dans les cliniques, je pense que de Saint Phalle qui à 64 ans a écrit à la main
lieu de vie est antinomique de lieu de soin. Ce «Mon secret» qui était que son père l’a Jean-Pierre Klein
qui veut dire que vivre quelque part, et dans ce violée à partir de l’âge de 11 ans, ce qui se Ferenczi qui disait que c’étaient des scènes
quelque part avec des lieux d’ateliers qui sont devinait à partir de certaines de ses œuvres réelles s’est fait honnir du processus
des lieux symboliques, c’est difficile de mêler les en particulier son film qui s’appelle Pater. Elle psychanalyse, alors que Freud en 1894
deux. Tout est possible si le lieu de l’atelier se était en psychanalyse à Nice et elle a publié ça a assisté à la dissection de cadavres de
trouve dans un autre pavillon, avec des gens qui et son père traumatisé qui était un banquier gosses abusés, la théorie de la séduction
ne sont pas ceux que l’on voit quotidiennement très respectable, catholique dans une bonne qui était revivre des scènes de séduction
pour manger, le coucher, les médicaments,... ville de Normandie lui a écrit une lettre où il dans la bonne société de Vienne. Je renonce
Il faut préserver l’espace du symbolique, qui reconnaissait les faits. Elle l’a portée à son à l’explication par des scènes véritables, ce
ne soit pas entravé par quelque chose de la psychanalyste qui a déchiré la lettre en lui sont des fantasmes des femmes.
vie quotidienne et du séjour. C’est donc très disant que tout ça c’étaient des fantasmes qui
compliqué. ne pouvaient pas avoir eu lieu, que c’étaient
des fantasmes venus d’elle. Je peux dire
des choses sur les enfants abusés, et bien
la fiction, la création qui indirectement fait
allusion aux violences, et la création morcelée,
la création où la forme elle-même signifie le
traumatisme sur le corps, les traumatismes,
50 Les Actes2015 51 Les Actes2015

C) MALADIES NEURODÉGÉNÉRATIVES, PSYCHOSOMATIQUES ET MÉDIATIONS Les images mentales nécessaire, le cerveau initie une action
ARTISTIQUES Quand nous regardons une image, ce n’est concrète suite à l’information qu’il a reçu.
pas ensuite que nous décidons de l’interpréter. Chaque nerf optique est un faisceau de
au mot esthétique. Ce mot, utilisé Nous interprétons inconsciemment en même grandes fibres d’axones des cellules
comme un synonyme de beauté, était temps que nous voyons l’image parce que ganglionnaires de la rétine. Les axones
originalement lié à la sensation (Aisthesis) l’interprétation est inhérente à la perception établissent des synapses avec les neurones
L’activité cérébrale produite qui assimile la beauté à l’intuition sensible. visuelle. Le cerveau ne réagit pas uniquement du corps géniculé latéral (CGL) du thalamus.
par la réponse perceptive et Panovsky (1991) signale que chaque personne à des éléments de contexte visuel mais De là, les axones des neurones du CGL
émotionnelle liée à la création qui se confronte à une peinture, qu’elle également à des informations liées aux envoient des signaux au cortex visuel primaire
artistique vue sous l’angle l’enchante esthétiquement ou qu’il l’étudie souvenirs et indices émotionnels et cognitifs appelé également aire V1 ou cortex strié. La
de l’art-thérapeute rationnellement, doit se sentir intéressée qui sont particuliers à chaque observateur. sortie du cortex strié fournit en information
par les trois éléments constitutifs : la forme Chaque peinture doit plus aux autres une multitude d’aires visuelles, V2, V3, V4 et
Astrid Campo-Hurtado matérialisée, le thème et le contenu. L’unité de peintures que l’observateur a vu qu’au monde autres, ainsi que les aires qui ne contiennent
Art-thérapeute : ces trois éléments est la base de l’expérience qu’elle peut représenter (Gombrich 1960). pas seulement une fonction visuelle.
« La sensation possible du plaisir esthétique esthétique et concoure d’égale manière à ce Selon Kandel (2012), Gombrich, Kris et Riegl Dans le cortex visuel primaire on peut
résulterait de la caresse des neurones », qui est appelé le plaisir esthétique de l’art. sont arrivés à la conclusion, après diverses identifier deux voies principales. Le courant
Groupe μ. En conséquence, et comme l’expérience études sur l’ambiguïté de l’image et la ou voie dorsale s’étend vers le haut jusqu’aux
Introduction esthétique entraîne souvent des réactions participation de l’observateur, que le cerveau lobules pariétaux et est importante pour traiter
Il existe un consensus, au sein des intenses, il est évident que l’art éveille est créatif et génère ainsi des représentions l’information sur la localisation des objets
différentes formations et pour une grande également un intérêt scientifique internes de ce que l’on voit dans le monde et leur compréhension. Le courant, ou voie
majorité des auteurs, que les images pour la compréhension de la beauté. qui nous entoure, que l’on soit artiste ou ventrale, s’étend vers le bas jusqu’aux lobes
produites par les patients en art-thérapie Ainsi, l’art en général et la beauté en observateur. Ces auteurs soutiennent temporels. Cette voie traite l’information qui
ne sont et ne doivent pas être interprétées. particulier se sont convertis en centre aussi que nous naissons avec des circuits amène à la reconnaissance et à l’identification
Ce que nous faisons en tant qu’art-thérapeutes, d’attention pour la neuroscience. neuronaux qui nous permettent d’être « des objets (Smith et Kosslyn, 2007).
c’est interpréter le processus particulier La neuroesthétique, une branche des psychologues » car le cerveau social génère La vision s’occupe ainsi à rechercher
observé sur le patient réalisant des dessins. neurosciences cognitives, poursuit l’œuvre également des représentations internes de “quoi et où” pour guider nos actions, être
Ceci est singulier car on assiste, comme témoin de Riegl (1902), qui a amené la psychologie l’esprit des autres, de leurs perceptions et capable d’identifier les objets et connaître sa
unique, à un instant où le patient va, de manière scientifique à faire l’étude de l’art et à raisons, de leurs pulsions et émotions, et localisation exacte dans l’espace. Les deux
explicite ou non, se mettre à découvert devant reconnaître la participation du spectateur. Les ont des disponibilités comme l’imitation ou hémisphères du cerveau paraissent identiques
la personne qui l’observe. Cet observateur œuvres de Kris (1952) et Gombrich (1960) ont l’empathie pour agir au sein d’un groupe. et s’occupent conjointement de la perception,
peut comprendre comment une image ou un établi les bases de la psychologie cognitive de Biologie du système visuel de l’observateur de la compréhension et du mouvement.
objet tridimensionnel réalisés par le patient l’art défendant la vision comme machine de Les principales voies visuelles du cerveau Les fonctions de l’hémisphère gauche
peut incorporer des éléments extériorisés la créativité. Les termes “art”, “perception” peuvent être représentées comme un comprennent la réception, la compréhension
de manière inconsciente dans l’image. et “beauté” de la neuroesthétique sont câblage neural qui connecte une série et l’expression de la grammaire et du langage
Mais comment agit le cerveau de l’art- définis en termes neuroscientifiques comme hiérarchique d’aires cérébrales. Comment parlé ou par signe. Les fonctions mentales de
thérapeute ? Il interprète et ne peut s’empêcher la sensation, la perception, l’attention, la le cerveau et plus concrètement le système l’hémisphère droit s’occupent de l’intonation
d’interpréter car son cerveau est celui d’un récompense, l’apprentissage et la mémoire. visuel organise-t-il l’information? Le cerveau musicale du langage, traitent l’information de
observateur d’images. Alors, comme pour tout L’art n’est pas une stimulation qui peut être analyse d’abord l’information qui arrive des manière plus globale, holistique et jusqu’à,
être humain, le cerveau a une activité mentale standardisée car il n’existe pas d’instruments organes sensoriels : information visuelle éventuellement, de manière créative (Kandel,
stimulée par les mécanismes neuronaux sous- pour cela. provenant des yeux, le son au travers des 2012).
jacents aux processus visuels et émotionnels Pour les sciences expérimentales, mesurer le oreilles, les odeurs par les narines, les saveurs Peu de connaissances existent sur la manière
qui produisent une expérience esthétique stimulus signifie rechercher l’équilibre entre par la bouche, le touché et température par la qu’ont les deux hémisphères d’intégrer
comme réponse à l’œuvre artistique créée par le groupe contrôle, la réalité du stimulus et peau. Ensuite, cette information s’organise l’information pour composer la construction
le patient. le monde qui nous entoure qui surmonte en à la lumière des expériences antérieures mentale esthétique. Toutefois, tant dans les
L’art et la neuroesthétique difficulté d’autres domaines de recherche et génère une représentation interne, une arts visuels que musicaux ou en poésie, les
Il est difficile de donner un sens unique (Van de Cruys and Wagemans (2011). perception du monde extérieur. Et lorsque processus cognitifs et émotionnels doivent
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être intégrés en une représentation unique Bibliographie : Mathieu Lustman et bonne distance pour ne pas troubler, ce
(Montañés, 2011). Une lésion unilatérale •Cardinali (D.), «Neurociencia aplicada:Sus Ce qui m’a interpellé, c’est quand vous dites que qui m’est arrivé au début. Cette énergie en
du cortex d’association pariéto temporo fundamentos», Ed Médica Panamericana, c’est nous qui voulons voir et pas forcément nous qui nous donne cet élan d’aller vers
occipital de l’hémisphère dominant produit Buenos Aires, 2007. le patient et là je pense que c’est vraiment un l’autre, l’autre le ressent, ça je ne peux pas
des aphasies alors que la lésion de la même •Gombrich (E.H.), «Arte e Ilusión: Estudio des apports possibles, et ma question est : le comprendre, mais je sais que cette énergie
région de l’hémisphère non dominant produit sobre la Psicología de la Representación est-ce que nous soignants nous ne projetons vers le malade, la plupart le ressentent.
un syndrome de négligence. Par exemple, Pictórica», Ed. 1998, Debate, Madrid, 1960. pas nos désirs sur les patients ? Et de quelle Souvent je les touche, je commence à chanter,
en montrant un modèle au patient, celui-ci •Kandel (E.R.), “The Age of Insight”, Ed. manière vous pouvez éventuellement parler de j’essaie le contact et alors il se passe quelque
pourra seulement dessiner la partie qui se Random House, New York, 2012. la manière dont nous soignants nous projetons chose de magnifique, il n’est plus malade, je
trouve dans sa demi-sphère visuelle droite •Kris (E.), “Aesthetic Ambiguity en nos désirs sur nos patients ? ne suis plus la thérapeute. Simplement, il y a
(Cardinali, 2007). Psychoanalytic”, Exploration of Art, International un humain face à un autre humain, cette envie
Conclusions Universities Press. New York, 1952. Astrid Campo-Hurtado de faire quelque chose pour l’autre, de lui
L’interprétation du monde qui nous entoure •Montañéz (P.), «Neurociencias en el Si on connaît nos penchants pour la beauté ouvrir un peu de lumière dans cette maladie
est déterminée par la structure biologique de arte: La asimetría funcional cerebral y sus académique. Mais ce n’est pas seulement ça, terrible. Le chant commence, et souvent je
notre cerveau. Cette spécificité biologique de implicaciones en la percepción estética el et si on comprend bien qu’on est vraiment m’arrête et je vois que la personne se met à
l’être humain d’interpréter est une autre forme arte», Ed. Universidad Nacional de Colombia, accro à la beauté esthétique, on le laisse de chanter. Concernant les dessins, la peinture,
d’expression, comme celle d’être social ou Bogotá, 2011. côté ; sinon on va toujours chercher la beauté, nous savons que le malade Alzheimer ne
cultivé. De la même manière que nous tenons •Panovsky (E.), «El significado en las artes avec les maladies neurodégénératives on ne peut pas se concentrer longtemps. Le cercle
compte du contre-transfert dans la pratique visuales», Ed.Alianza Forma, 5a edit, Madrid, peut pas le faire car le malade ne voit pas est important, il y a les mandalas, lorsqu’il a
de l’art-thérapie nous devrions tenir compte 2011. l’image, il inverse le concave et le convexe. un dessin en cercle, ça le limite aussi, il est
de notre perception comme observateur et •Riegl (A.), «El retrato Holandes de grupo, Il faut toujours se demander ce qu’on met moins dispersé. Ils font aussi des poèmes.
de ses limites. Dans le cas l’art-thérapie avec Machado Grupo Distribución”, Trad. 2009, en place est- ce que c’est pour soi, pour se
des patients souffrant de maladies neuro- Madrid, 1902. donner de la satisfaction intérieure. Astrid Campo-Hurtad
dégénératives qui compromettent le système •Smith (E.E.), Kosslyn S.M., “Procesos L’émotion pour vous ajoute un peu quelque
visiomoteur, le thérapeute reconnaît les limites cognitivos: modelos y bases neurales», Ed. Public chose : on est vraiment en contact avec un
liées à la maladie et les implications sur la 2008, Prentice Hall, Madrid, 2007. Merci de cette très riche intervention, et je être humain, on est un être humain. Une
perception, adaptant l’espace thérapeutique •Van de Cruys (S.), Wagemans J., “Putting me permettrai juste quelques petits mots à situation pour exemple. Une dame dormait
à la nécessité du patient qui aura plus de reward in art: A tentative prediction error propos du terrain. J’interviens en psychiatrie, chaque fois 10 minutes. Je lui prenais
possibilités de s’intégrer à la thérapie, car il account of visual art i-Perception”, 2(9)1035– accompagnement de fin de vie et gériatrie, et simplement la main. La fois suivante, elle
ne sera pas sollicité pour une action qu’il ne 1062, 2011. c’est là que je me permets d’intervenir. Depuis m’a pris la main pour dormir. C’était parfait, je
sera pas capable de réaliser. une vingtaine d’années, j’accompagne des l’accompagnais à dormir.
Mathieu Lustman malades Alzheimer et mon travail commence
Merci pour votre intervention très intéressante, et toujours par cette envie d’éveiller le malade Public
c’est vrai que relier la neuro-anatomie à l’esthétique dans ses envies, ce qui est préservé dans Juste une remarque à propos des hémi-
est un sujet qu’il faudrait creuser. J’ai entendu sa mémoire émotionnelle et sensorielle. Par négligences. Une personne travaillait toujours
quelques mots qui ont fait écho ; interprétation, exemple, le chant. Lorsque tous les malades debout, et elle commençait à avoir des troubles
ambiguïté, je me suis même demandé si, vous sont sur des chaises repliés sur eux mêmes, de l’équilibre. Elle avait une hémi-négligence
avez dit qu’on ne voyait pas le canard ou le lapin, si si on leur demande de chanter, ils ne font avec la partie droite et j’ai simplement
on ne pouvait pas les voir en même temps ? rien. On sait qu’il faut s’approcher d’eux, demandé comme elle travaillait debout qu’elle
pouvoir être les yeux dans les yeux, mais pose sa main sur le mur pour que ça lui fasse
Astrid Campo-Hurtado pour que ça soit possible, il faut justement un 3è appui pour qu’elle soit plus à l’aise pour
On voit les deux, on peut se souvenir de l’autre cet engagement, cette implication de l’art peindre et c’est vrai que je me suis posée des
côté, mais on ne peut pas vraiment, le système thérapeute, et cette implication consiste questions parce que ce jour là, elle a peint
ne permet pas ça, parce que parfois les personnes aussi dans l’effacement de nous même, une peinture sur la totalité de la feuille. Et
commencent un dessin et le finissent dans la tête. nous sommes dans cette empathie tout je travaille avec une neuro-psychologue qui
C’est normal et possible. en conservant notre lucidité dans la juste m’a expliqué que la connexion avec la main
54 Les Actes2015 55 Les Actes2015

gauche avait recréé quelque chose de l’ordre témoigne dans le film et elle fait preuve d’une joue un rôle essentiel vis à vis des soignants.
du circuit alors que je l’ai découvert de façon grande humilité car effectivement il y a des C’est un côté qu’on a tendance à oublier et
complètement fortuite. L’hémi-négligence, recherches, des molécules qui sont à l’étude ça revient à un débat sur l’évaluation et la
c’est assez particulier. L’art-thérapie aux confins du notamment aux États-Unis, mais pour l’instant légitimité des art-thérapeutes. Dans le film,
sensible et de l’intelligible rien n’est probant sur le plan médicamenteux, il est dit : l’évaluation est liée à l’évolution
c’est pourquoi il est important de ne des sciences fondamentales, je ne suis
Hélène Béreaud-Gonzales pas sous-estimer les thérapies non pas tout à fait d’accord, je pense qu’on doit
Plasticienne médicamenteuses telles que l’art-thérapie. être capable de faire une évaluation de type
Art-thérapeute Je fais aussi partie de la Ffat, la Fédération qualitative donc de ne pas uniquement voir si
Je travaille en EHPAD auprès de résidents française des art-thérapeutes. Nous avons on donne trop de médicaments ou si la taille
«déments», en tout cas atteints de pour projet la mise en place de groupes de augmente mais qu’on doit être capable de
pathologies neurodégénératives de type recherche, même si le domaine est encore très montrer l’ensemble de l’impact du rôle de
Alzheimer et de maladies apparentées. Je peu développé au niveau des essais cliniques l’art thérapie. Car ça, ce n’est pas uniquement
vais brièvement vous présenter le film, puis en France. Nous avons donc du travail dans l’évaluation fondamentale, car on voit les
suivra un débat d’environ vingt minutes le champ de la recherche, en commençant limites du bio-médial, mais ça serait vraiment
pour que vous me disiez ce que vous avez par se rassembler entre art-thérapeutes, intéressant d’avoir une évaluation qui montre
pensé du contenu de ce documentaire. puis avec d’autres professionnels de santé la complexité du rôle de l’art thérapeute.
J’ai intitulé mon intervention «L’art- et des sciences humaines (psychologues, Comment on évalue avec des questionnaires
thérapie, du sensible à l’intelligible» car médecins, psychomotriciens, sociologues,...), quantitatifs et les arts-thérapeutes peuvent
effectivement, il est question de sensorialité pour vraiment construire une démarche art- nous aider à poser cette question là.
et d’esthétique, esthétique au sens de la thérapeutique « intelligible » en ne restant
sensation (aisthésis). Avec les personnes pas uniquement dans le « sensible », ou Hélène Béreaud-Gonzales
souffrant de maladie d’Alzheimer et de l’émotionnel, afin de pouvoir expliquer notre Effectivement, je partais de ce que j’avais pu
maladies apparentées, c’est par cette spécificité pour asseoir notre crédibilité. lire ou voir de l’art-thérapie, c’est à dire quand
sensorialité que l’art-thérapeute parvient à Notre ouvrage commun, à venir, se situe donc on essaie de faire des bilans et d’évaluer
entrer en communication, puis par la suite au autant au niveau « intraprofessionnel » que un peu ce qu’on fait en séance, on se rend
cours du suivi, il peut y avoir une élaboration « transdisciplinaire ». compte qu’il n’y a pas beaucoup de matière,
d’éléments plus construits et composés. La «L’art-thérapie, du visible à l’intime», 2013 pas beaucoup d’outils méthodologiques, que
dimension esthétique, Paul Valéry en parle en h t t p s : / / w w w. y o u t u b e . c o m / w a t c h ? v = _ ce soit en art-plastique, en danse, en théâtre
termes de « résonance sensible », c’est par MzXM3JQdrw ou en musique mais du coup c’était pour
cette voie que nous oeuvrons en art-thérapie mettre l’accent sur le travail d’équipe et la
avec ces patients. Et j’ai employé le terme Mathieu Lustman nécessité de communiquer le plus possible
« intelligible » pour évoquer ce qui relève C’est la 2è fois que je vois ce film et il me ce qu’on fait et que ça prenne sens pour les
de la pensée et de la cognition, notamment touche particulièrement. La dame qui donne collègues et au niveau de la recherche pour
ce que la personne peut encore représenter l’impression qu’il n’y a plus rien à apprendre et faire des études mixtes, autant qualitatives et
lors des séances, même si pour beaucoup qui dit : c’est la 1ère fois que j’arrive à dessiner. un peu plus quantitatives au risque de perdre
d’entre eux les réalisations plastiques Je trouve que c’est beau, qu’on peut encore un peu de cette richesse en complexité.
demeurent abstraites, sans figuration apprendre à cet âge-là, et puis l’autre dame J’aimerai avoir votre avis.
explicite, comme vous le verrez dans le film. à qui on dit qu’on va l’exposer et que pour
Au niveau des maladies neurodégénératives, elle c’est évident, son dessin est beau et Public
la neuro-imagerie permet de mieux repérer les alors on va l’exposer. Ça fait sens. Autant J’ai été très touchée par ce film, d’autant
zones cérébrales touchées, mais nous n’avons au niveau des patients qu’au niveau des plus que j’ai accompagné ma mère sur cette
pas encore de connaissances suffisantes familles, car en Ehpad ils redécouvrent le fait maladie. J’ai bien ressenti l’importance de
sur l’étiologie de toutes ces pathologies, qu’on peut faire quelque chose, et vous dites l’équipe pluridisciplinaire, c’est important car
cela reste encore très énigmatique. Un que l’art thérapie n’a pas seulement un rôle l’art thérapeute doit aussi être accompagné et
médecin coordonnateur, Magali Guichardon vis à vis des patients mais je trouve qu’elle compris par l’équipe. Ma question, c’est au
56 Les Actes2015 57 Les Actes2015

moment où ces personnes arrivent à l’atelier, des renseignements précis aux soignants et niveau éthique. Les familles avaient donné recherches communes entre médecins et
elles se trouvent devant la feuille blanche, elles sont très intéressantes quand on fait un leur accord sur ce qui allait être montré par art-thérapeutes, nombreuses même si pas
comment vous abordez ça, est-ce que vous feed-back aux soignants. Ils sont vraiment rapport au projet et après ça risquait de forcément randomisées à grande échelle
leur donnez des matériaux, comment vous très touché de voir de que les participants poser problème de ce qu’on montrait de mais quand même un peu formalisées.
fonctionnez ? sont vraiment impliqués, qu’ils ont envie de la pathologie. Il ne faut pas idéaliser ! Les Evitons donc ce clivage entre scientisme et
participer, d’y revenir, de continuer, d’aller gens qui ont témoignés étaient ouverts à la bon sens. Ce n’est ni l’un ni l’autre : il faut
Hélène Béreaud-Gonzales jusqu’au bout d’un processus, que quand on thérapie et avaient envie de témoigner. A faire quelque chose d’intelligent. On l’est !
C’est toute la question : comment arriver leur demande de faire une réunion de clôture la fin il y a 2 aides soignantes, et pour l’une
à faire entrer le patient dans le processus pour prendre le temps de poser ce qui s’est des deux, au début, ce n’était vraiment pas Public
artistique sachant que quand j’ai candidaté vraiment passé dans le parcours, ils sont évident. Quand j’arrivais, c’était limite : qu’est- Sur l’animation, l’art-thérapie n’est pas
dans cet Ehpad j’avais mis l’accent sur le fait participants, on peut récolter des « perles » ce que tu viens faire par ici ? Pour finir, elle a une animation mais elle utilise quelques
que l’art-thérapie n’était pas de l’animation et ils vont témoigner du parcours qu’ils ont accepté de participer parce qu’elle a assisté à techniques d’animation pour entrer dans
et que ça s’adressait aux patients résidents fait. Quand on demande une représentation, une séance. Mais le fait qu’elles participent, le processus de soin. J’ai été animateur en
très atteints sur le plan cognitif et qui ne quand on demande par exemple de participer ça dépend de leurs horaires, ce n’est pas Ehpad et j’ai dû apprendre sur le terrain en
pouvaient pas bénéficier « d’animation ». à un film, j’ai vraiment été touchée par toutes toujours très régulier mais je les sollicite le contact avec les soignants à adapter mes
Finalement, j’accompagne des personnes ces images, ils sont là et ils sont contents plus possible pour qu’elles puissent voir ce techniques d’animation pour que ce soit viable
pour certaines qui ne parlent plus ou peu, et d’être filmés dans ce processus. Je pense qui peut se passer. avec les résidents. Il n’y a pas forcément à
les collègues témoignent de ces impasses qu’on a tous envie de faire des études faire de clivage animation/art-thérapie dans
de communication, et c’est toute la difficulté, scientifiques, ça serait génial si on avait les Public un cadre de soin. Quelque part on se rejoint
par le sensoriel je propose des matériaux moyens, mais on peut aussi avec nos petits Justement, est-ce que vous leur attribuez un sur l’approche de la personne pour s’adapter
et on rejoint la question du résultat et de moyens et du bon sens arriver à évaluer notre rôle ? à la personne. C’est important, quelque soit
l’évaluation, il y aura des séances où il n’y aura travail de façon correcte. la technique, on peut arriver même non art-
rien ou juste un trait sur la feuille, mais en art Hélène Béreaud-Gonzales thérapeute à avoir une approche soignante
plastique on a cet intérêt de la trace mais de Public Elles connaissent la pathologie, comment elles avec la personne en collaboration avec les
ne pas s’arrêter à cette production finie. Aux Merci pour ce film très inspirant. Ma se positionnent ? Je leur propose par exemple soignants. Y a-t-il d’autres pays qui ont fait
États-Unis, il y a cette tendance à faire des question : à propos du personnel soignant, d’aller auprès d’un résident avec lequel elles ont des études, et y a-t-il une grille qui existe par
évaluations sur les productions finales, ou les est-ce qu’ils participent aux ateliers et si oui, plus d’affinité, de ne pas faire à la place, ce qui rapport à la pathologie du patient.
art-thérapeutes font des grilles à partir de ce de quelle manière ? On vous a vu beaucoup est difficile quand le patient n’a pas une rapidité
qui est dessiné, mais on perd toute la part du interagir avec les patients, et y a-t-il un travail extraordinaire et qu’il a un temps de latence Hélène Béreaud-Gonzales
processus beaucoup plus difficile à analyser. de dynamique de groupe ? Est-ce que les parce qu’on n’est pas dans cette optique de Je suis partiellement d’accord avec vous
patients entre eux interagissent, travaillent résultat et de faire un truc fini. C’est une forme sur l’animation. Animation, c’est donner vie.
Public ensemble, échangent sur leurs œuvres ? d’acceptation de la pathologie, de ce qu’il est Mais on ne s’improvise pas art-thérapeute.
Pour rebondir sur la question de l’évaluation possible de faire. Ça étonne que ça puisse être On est souvent auprès de personnes qui ont
et de la pratique et de travailler avec des Hélène Béreaud-Gonzales fait. Ne pas trop désirer pour l’autre. des pathologies très importantes car c’est
subventions en cancérologie, on a été amené Alors ça ramène la question de l’éthique un détour pour pouvoir aller auprès de ces
à être obligé de mettre en place des systèmes dans le sens d’un film comme ça. J’avais Irina Katz-Mazilu personnes dont le langage est très altéré.
d’évaluation et je me suis rendue compte fait un projet et l’ami qui filme fait plutôt Je voudrais soutenir Hélène dans son Au niveau des outils, les américains ont
qu’il y a des moyens de l’ordre du bon sens des films d’animation, donc ça bouge un affirmation que la recherche est indispensable surtout développé au niveau art-plastique.
lorsqu’on n’a pas les moyens d’avoir recours peu parce qu’on n’avait qu’une caméra. Les et que l’évaluation est nécessaire. Avec la Il y a des limites. Il y a l’échelle clinique des
à des études organisées, randomisées, qui personnes âgées bougent peu et c’était Ffat, nous avons beaucoup étudié la situation thérapies médiatisées de Jean-Luc Sudre qui
amèneraient des résultats plus scientifiques. difficile de choper des moments où il y avait dans d’autres pays et l’année passée nous date de 1983, plus édité. Il n’y a pas d’outil
Tout simplement l’assiduité : il y a des chiffres du mouvement. Je pensais qu’on me verrait avons eu à une Table ronde un représentant standardisé. Chacun fait ses propres bilans
qu’on peut ramener, combien de personnes davantage interagir avec les résidents mais éminent des art-thérapeutes allemands en fonction de sa discipline artistique et de la
participent régulièrement à un atelier, et si on comme ils sont particulièrement atteints, qui nous a expliqué que la profession a pathologie, l’articulation des moyens psycho
défini notre cadre de façon assez précise, cette au niveau des paroles qu’ils vont prononcer, été reconnue en Allemagne et qu’elle est et artistiques et la pathologie.
question de l’assiduité donne tout de suite de leur discours, ce n’était pas possible au financée par les mutuelles, suite à des
58 Les Actes2015 59 Les Actes2015

Mathieu Lustman proposer un cadre dans lequel la personne vit La maladie se caractérise par des mécanismes
Il faut vraiment réfléchir aux limites de des expériences dont elle peut se saisir pour auto-immuns qui attaquent les cellules
l’outil évaluatif, l’enjeu, c’est montrer la transformer ce qu’impose la maladie sans chargées de synthétiser la gaine de myéline
complexité de ce qui se passe, par des outils La sclérose en plaque : être dans le déni. L’alliance thérapeutique qui entoure les fibres nerveuses. La myéline a
de sociologie, d’anthropologie, d’ethnologie, corps ennemi-corps ami, se construit autour de l’approche corporelle pour rôle de protéger ces fibres et d’accélérer
pour avoir une évaluation intelligente. l’art-thérapie au sein de comme la relaxation et le toucher, pour aller l’influx nerveux. Ce phénomène entraîne des
l’approche pluridisciplinaire vers des expressions artistiques par le chant lésions dispersées dans le système nerveux
David El Karmouni psychosomatique de la et la danse. Par ailleurs, j’ai intégré le dessin, central qui sont appelé « plaques », d’où le
Merci, parce que ce qu’on a vu dans ce sclérose en plaque (SEP) le collage et la terre qui permettent de laisser nom de la maladie.
film c’est l’archétype de ce qui devrait être une trace du vécu corporel. Chaque séance
et se faire. Pour répondre à ces questions Kerstin Eckstein est « bordée » par un espace de parole. Le La SEP est une maladie multifactorielle
de l’évaluation, beaucoup de phénomènes Art-thérapeute patient peut alors mettre en mots son vécu et dont on ne connait pas la cause exacte. Le
universels existent grâce à une chose : le Psychothérapeute faire des liens entre sa maladie et son histoire diagnostic est difficile car il n’existe pas de
témoignage. Lorsqu’on a envie de faire Responsable d’ingénierie de formation département de vie. Dans cette approche thérapeutique test spécifique. Les symptômes varient
entendre quelque chose qui nous plaît ou ne « Techniques de médiations » INFIPP (Lyon) complémentaire et non-médicamenteuse, beaucoup d’une personne à l’autre et se
nous plaît pas, on utilise des pétitions. C’est Je suis art-thérapeute spécialisée dans les l’art-thérapeute s’engage dans une relation modifient au cours de la vie chez une même
à nous de dire ce qui se passe et aussi de arts de la scène. En danse et théâtre, le intersubjective ; plutôt que de proposer personne. Les signes dépendent de la zone
rejoindre la parole du patient sur ce qui se corps de l’artiste est le lieu d’expression une technique dont il serait l’expert, il du cerveau ou de la moelle épinière touchée
passe, de rejoindre ou de faire rejoindre et la « matière » à partir de laquelle se accompagne la personne qui dispose elle- par les lésions. Il peut s’agir de troubles
les autres corps de métiers à notre cause construit le processus de mise en forme même des ressources pour évoluer vers un moteurs liés à une faiblesse musculaire
et témoigner constamment de ce qui se esthétique. Cette spécialisation m’a amenée mieux-être global. qui entraîne souvent des difficultés dans
passe. A force de témoignages, l’ignorance vers la médecine psychosomatique qui La sclérose en plaque24 (SEP) est une maladie la marche, des troubles de la sensibilité,
disparaîtra. cherche à éviter le clivage entre corps et auto-immune et inflammatoire qui affecte le des symptômes visuels, des troubles de
psychisme. Le psychosomaticien accueille le système nerveux central. Le plus souvent, la l’équilibre, des troubles urinaires ou sexuels.
patient dans une double écoute : il essaie de SEP évolue par poussées. A plus long terme, Ces signes sont souvent associés à une
soulager les symptômes tout en décelant la ces troubles peuvent progresser vers un fatigue extrême et inhabituelle, des troubles
souffrance existentielle de la personne qui, handicap irréversible25. de la mémoire, de la concentration ou encore
souvent de l’indicible, se manifeste dans le des épisodes dépressifs. Les traitements
malentendus ; il ne s’agit pas de « prescrire » la pratique
corps. Cette approche nécessite un travail médicamenteux disponibles à ce jour ne
d’une technique artistique pour « traiter » un symptôme.
en équipe qui réunit des professionnels Si on définit la psychothérapie comme la mise en place permettent pas de guérir, mais ils préviennent
de la médecine somatique ainsi que d’un cadre qui permet la transformation du sujet par des les poussées. La cortisone est le traitement de
les professionnels du soin psychique. procédés psychiques qui sont essentiellement médiatisés référence en cas de poussée inflammatoire.
par la parole, l’art-thérapie telle que je la conçois,
Des techniques de médiation corporelle et Pour la personne atteinte de SEP, la relation
représente ce même dispositif à la différence près que
artistique sont particulièrement adaptées les procédés psychiques sont essentiellement médiatisés au corps propre est source de souffrance : le
au champ clinique psychosomatique car par la pratique artistique. Une fois ces précisions posées, corps devient un ennemi, prêt à « attaquer »
elles permettent de rencontrer la personne on pourrait inclure ma démarche clinique dans une à tout moment. La personne qui doit vivre
certaine conception de l’art-thérapie dont je défends la
là où « ça parle » : autour du corps. Ma évoluer vers une forme secondairement progressive ;
reconnaissance en tant que membre de la FFAT.
pratique d’art-thérapeute s’est forgée au 24 Dans ces explications synthétiques, je me réfère à - forme primaire progressive (ou progressive d’emblée) :
sein de l’équipe pluridisciplinaire à l’Unité de plusieurs articles traitant de la sclérose en plaques publiés caractérisée par une évolution lente et constante de la
Psychosomatique et de Psychopathologie sur internet : www.inserm.fr, www.orpha.net, maladie dès le diagnostic ;
www.passeportsante.net et www.ameli-sante.fr. - forme secondairement progressive : après une forme
de la Douleur au CHRU de Montpellier et a rémittente initiale, la maladie peut s’aggraver de manière
25 On distingue 3 formes principales de la sclérose en
été reconnue en 2011 par l’ARS Languedoc plaque : continue. Des poussées peuvent survenir mais elles ne sont
comme une pratique que je définirais comme - forme rémittente ou récurrente : caractérisée par des pas suivies de rémissions franches et le handicap s’aggrave
psychothérapie à médiation corporelle et poussées entrecoupées par des accalmies. En général, peu à peu.
les poussées durent de quelques jours à 1 mois, puis Selon une étude de l’INSERM de 2014, environ 80 000
artistique23. Cette démarche consiste à
disparaissent progressivement. Dans la majorité des cas, personnes sont touchées en France (environ 1 personne sur
23 Le terme « art-thérapie » est équivoque et porteur de au bout de quelques années, cette forme de maladie peut 1000).
60 Les Actes2015 61 Les Actes2015

avec cette menace, se replie souvent sur elle- invalidité d’abord à 80% puis à 100%. Camille en position allongée puis je soutiens et Pour la 2e séance du 1er mars, je lui propose
même, désinvestit ses relations affectives a des ressources pour faire face au diagnostic manipule les articulations. Cette approche me une séance de relaxation en position allongée
et sociales, renonce aux activités qu’elle ne et le transforme rapidement dans des actes permet d’avoir un aperçu de sa mobilité et de avec un toucher enveloppant des articulations.
croit plus possibles. Dans ces cas, la maladie porteurs de sens dans sa vie. Elle quitte Paris, sa capacité à faire confiance. Camille se détend Voici la trace du vécu corporel :
est vécue comme une voie sans issue, le « je rêvais de vivre à la montagne », et prend profondément. Voici la trace du vécu corporel :
soignant comme un partenaire impuissant. contact avec l’Association des Paralysées
Comment relancer alors le désir et l’élan vital ? de France (APF). Son médecin l’oriente vers
Comment maintenir l’alliance thérapeutique ? l’Unité de Psychosomatique de Montpellier
Comment (re)trouver les ressources pour que car elle souhaite continuer sa psychothérapie,
cette « vie vaut la peine d’être vécue »26 ? or le déménagement la rapproche de sa sœur
J’ai rencontré Camille pour la première fois le aînée qui est psychothérapeute. Il est difficile
28 février 2006. Elle a alors 45 ans et vit seule pour elle de trouver un praticien qui ne soit pas
avec son fils de 17 ans. Elle est la deuxième dans le réseau de connaissances de sa sœur.
d’une fratrie de trois sœurs ; elle se sent A l’Unité, Camille est suivie par des
« entre deux », « manquant d’une place ». Les hospitalisations complètes de 2 à 3 jours trois
parents se séparent lorsque Camille a 14 ans. fois par an par toute l’équipe pluridisciplinaire. Dessin pastel gras, format raisin
Elle-même se sépare du père de son fils Elle voit le médecin psychosomaticien pour Dessin pastel gras, format raisin
quand ce dernier a 3 ans ; elle dit qu’elle a dû un bilan médical et un suivi en relaxation, Une silhouette plus humaine (avec la tête)
faire alors « le deuil de la famille idéale ». Les la psychologue clinicienne pour une Elle dit : « Le vert sont des canaux, ça circule. voire féminine (le bassin) se dégage, toujours
premiers symptômes de la SEP se déclarent psychothérapie d’inspiration analytique, C’est très impressionnant, j’ai senti la mobilité pas de mains ni de pieds. Camille dessine
lors de cette séparation en 1992: troubles reçoit des soins corporels par les infirmières à gauche alors que mon côté gauche est cette silhouette de la même couleur verte
d’équilibre et difficultés de la marche. Le formées à la balnéothérapie et au toucher habituellement plus fragile et douloureux.» que les « canaux où ça circule ». Elle dit : « Le
diagnostic a été long à être posé. Camille massage et moi-même en psychothérapie On remarque une représentation du corps qui vert, c’est le corps rempli, en mouvement. Le
voit nombre de médecins et spécialistes, à médiation corporelle et artistique. Ce suivi rappelle une construction mécanique sans rouge c’est la vie, le sang qui circule. C’est
certains, à bout d’explications, évoquent commence en 2005. Au début, elle pouvait tête ni marques d’identité sexuelle. L’image du comme une statue de Giacometti ».
une problématique psychosomatique ; elle encore marcher avec une canne, mais à partir corps semble envahie par le vécu de la maladie. La référence au sculpteur italien me paraît très
entend alors « C’est dans votre tête » et se de 2003, elle se déplace essentiellement Lorsque nous regardons ce dessin lors de la 3e pertinente. Entre 1945 et 1965 Giacometti
sent mal comprise. Après 6 ans d’exploration avec un scooter adaptée. séance du 22 mai 2006, elle dit: « C’est un robot ». cherche à dégager l’essentiel du corps
médicale, Camille est enfin orientée vers Dans le cadre de cette publication, il ne Le lendemain, elle demande de revoir ce féminin sans tenir compte de la personnalité
un neurologue qui pose le diagnostic: une m’est pas possible de retracer en détail le dessin : « Les traits verts me font penser à ou la psychologie du modèle :
SEP rémittente qui évolue vers une SEP processus thérapeutique de Camille. Je vais la myéline qui fait des ponts. Chez moi cette
secondairement progressive. Lors des donc illustrer son évolution par un choix de gaine des nerfs est détruite. J’ai un problème
poussées, Camille est traitée par la cortisone. productions. de lien. » Elle prend un pastel noir pour marquer
Aucun autre traitement n’est possible à cause Pour la 1ère séance, je lui propose une relaxation la lésion de la gaine qu’elle entoure de rouge
des effets secondaires. Comme traitement pour la « protéger ».
chaque département et dépendait du Ministère du
non-médicamenteux, elle suit des séances Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle
de rééducation chez un kinésithérapeute et et du Dialogue social. Avec la Loi nº 2005-102 du 11
fait un séjour une fois par an dans un centre février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la
participation et la citoyenneté des personnes handicapées,
de rééducation. Par ailleurs, elle commence
la COTOREP disparaît. À partir de janvier 2006, la Maison
une psychothérapie. En 2000, la Sécurité départementale des personnes handicapées[] intègre la
Sociale et la COTOREP27 constatent une commission des droits et de l’autonomie des personnes
handicapées (CDAPH). C’est dans cette nouvelle instance Alberto Giacometti, Great woman IV,
26 Cf. DW Winnicott, (1988), p.54.
que se prennent les décisions de compensation (humaine/
27 COTOREP : Commission technique d’orientation et de 1960-1961. Bronze, 270 x 31.5 x 56.5 cm. 
technique), de prestations (le plus souvent financières) et
reclassement professionnel. Créée en 1975 (Loi d’orientation Collection Fondation Giacometti, Paris
d’orientations en faveur des personnes handicapées. Cf.
no 75-534 du 30 juin 1975), la COTOREP gérait les
Wikipédia. © Alberto Giacometti.
problèmes liés au handicap et notamment à la réinsertion
professionnelle des handicapés. Elle était présente dans Dessin pastel gras, format raisin
62 Les Actes2015 63 Les Actes2015

À la fin de la séance Camille raconte : « J’aurais dû Elle se représente en femme debout. Pour Voici la trace du vécu corporel : séparation. Selon comment se passe
être un garçon. Je suis née couverte d’eczéma ». faire les contours du corps, elle a abandonné l’accordage affectif entre la mère et l’enfant,
Elle me fait remarquer que son prénom convient à la couleur du vert, évoquant le végétal ce dernier arrive plus ou moins à construire un
la fois à un garçon qu’à une fille28 et répète, « J’ai et se situant dans une zone de transition bon objet interne qui lui permet d’aborder cette
un problème de lien ». des couleurs froides, pour sa couleur séparation d’avec la mère. Ce mouvement
La séance l’amène à dépasser le vécu immédiat complémentaire, l’orange29. Elle dit : « Je suis décisif dans le développement psycho-affectif
de la SEP et à renouer avec son histoire de vie. enceinte d’un vide. Le bleu, c’est le froid. » constitue souvent un noyau archaïque dans
Le « problème de lien » devient alors le lien aux Lors de la 4e séance le 24 mai 2006, Camille les problématiques psychosomatiques : le
parents, leurs attentes vis-à-vis d’elle. revient vers cette expression « être enceinte processus de différenciation et d’individuation
Le dessin de la séance et sa référence à d’un vide ». Elle dit avec émotion : « Ce vide, reste inabouti, ne peut être élaboré et se
Giacometti amorce à mon sens un processus c’est le vide de relation avec mon père». manifeste en deçà de la symbolisation, hors
de représentation. Ne peut-on pas voir figurée Camille m’explique que sa mère surveillait de du langage dans le corps.
dans les deux cas l’identité sexuelle incertaine de près les contacts physiques entre son mari Pour l’amener à se sentir elle-même, distincte
Camille face au souhait des parents ou encore la et ses filles. Par conséquent, il n’osait pas Dessin pastel gras, format raisin de toute personne de l’environnement et à
perte de le féminité liée au vécu de la maladie ? toucher ses filles. Les parents de Camille se restaurer les limites du moi30, je lui propose
Lors de la 3e séance, elle dira de ce dessin : « C’est séparent quand elle 14 ans. Elle dit : « Mon Elle demande de faire un 2e. Elle se dessine une relaxation psychomusicale en position
un alien ». « Alien » signifie « autre, étranger ». père n’était plus là pour me renvoyer que je debout, entre terre et ciel avec une boule assise avec une musique de percussion. Voici
L’autre qu’elle n’est pas, qu’elle ne peut pas être : suis devenue femme ». rouge au niveau du plexus solaire. Le rouge la trace du vécu corporel :
le garçon souhaité, fantasmé par les parents. L’art-thérapeute assure les fonctions a été investi par elle précédemment comme
L’image inconsciente du corps se construit avant la maternelles selon Winnicott, Holding, Handling la vie. Serait-ce une représentation de l’élan
naissance, voire avant la conception. La médiation et Object-Presenting, ce qui amène le patient vital qui est relancé ? Commencerait-elle à se
artistique permet de donner forme aux contenus à se sentir dans son corps autrement que sentir exister et à se sentir femme ?
préconscients et inconscients véhiculés dans « malade chronique». Ainsi, la personne peut
l’histoire familiale. « Alien » fait aussi penser au faire l’expérience du sentiment continu d’exister
film de science-fiction où un monstre destructeur qui est à la base de l’unité somatopsychique
s’empare du corps des humains – serait-ce une alors que la maladie évolutive comme la SEP
allusion au vécu de Camille face à la SEP ? met en place des mécanismes de défense qui
Je retrouve Camille le 22 mai 2006 (3e séance) clive corps et psychisme. Ainsi, le suivi permet
et lui propose un travail autour de la respiration la restauration du narcissisme primaire qui est
en posant les mains sur le bas ventre et sur le au départ d‘un remaniement profond de la
sternum en position assise.Voici la trace du vécu personne et sa manière de vivre la maladie.Pour
corporel : l’aider à sentir son corps vivant par les vibrations Dessin pastel gras, format raisin
de sa voix, je propose à Camille de de chanter
en position assise en se visualisant debout. On ne voit pas très bien si elle s’est dessinée
Dessin pastel gras, format raisin sans visage ou face à la mer. L’identité semble
trouble.
29 L’association de couleurs complémentaires est régulièrement
Camille revient le 6 septembre 2006 à l’Unité Le lendemain (6e séance) elle rajoute un trait
utilisée par les peintres, graphistes et designers pour jouer
sur leur combinaison forte et leur esthétique. La théorie des (5e séance) après des vacances qu’elle a passé blanc qui part du plexus solaire vers le haut.
complémentaires, élaborée au XVIIIe siècle et au XIXe siècle, avec son fils, sa mère et ses sœurs dans la Elle dit « Quelque chose sort » - souffle,
diffusée d’abord chez des artistes comme Raphaël Mengs, et maison familiale. Elle décrit beaucoup de vibration, âme, naissance ? Elle évoque sa
popularisée par le Traité des couleurs de Goethe, a contribué à
tensions: « Je deviens méchante comme ma propre maternité, elle a eu son fils à 28 ans,
une modification du goût qui fait apprécier leur juxtaposition,
alors que l’on considérait autrefois que leur rapprochement de mère ». Après avoir abordé la relation au père, et elle dit alors : « Deux font un : la fille et la
ces couleurs « ennemies » blessait la vue[]. Michel-Eugène elle évoque la relation à la mère, primordiale mère font la femme ».
Dessin pastel gras, format raisin Chevreul énonce, en conséquence de sa Loi du contraste dans le développement. Winnicott décrit la La 7e séance a lieu le 23 mai 2007. Camille
simultané des couleurs, que deux couleurs complémentaire
dyade mère-enfant qui passe de la période
28 Le pseudonyme « Camille » a été choisi en fonction de juxtaposées sont perçues moins lavées de blanc, plus saturées, 30 Cf. Travaux de Didier Anzieu concernant le moi peau et
cette ambigüité du vrai prénom de la patiente. qu’elles ne le sont, vues isolément. (Wikipedia). fusionnelle vers la période d’individuation- les enveloppes psychiques.
64 Les Actes2015 65 Les Actes2015

évoque les vacances en juillet 2006 passées beaucoup moins dans action – réaction. Aujourd’hui,
avec ses sœurs au bord de la mer. Sa sœur je suis capable de dire aux autres quand je ne suis
aînée se souvient alors d’elle qui courrait à la pas bien. Avant, j’étais très irritable. Mais l’irritabilité
plage. En faisant allusion à la SEP elle lui aurait est liée aussi à la cortisone. Aujourd’hui, je prends
dit : « Celle qui court à la plage est morte ». un crayon et je fais un dessin. Je dirais même,
Je propose alors à Camille une relaxation pour moi, la SEP a été une planche de salut : j’ai
assise, centré sur la respiration. Voici la trace déménagé, j’ai quitté la ville pour m’installer à la
du vécu corporel : campagne. J’ai pu construire une identité, être
reconnue telle que je suis, c’est une reconnaissance
« Je me suis vue courir à la plage » individuelle, je ne suis plus la sœur de ma grande ou
« Robot » « Alien » de ma petite sœur. Aujourd’hui, j’ose dire ce que
je pense. Je préfère ma vie d’aujourd’hui à celle
d’hier».Pour Camille, l’approche par l’art-thérapie
Le suivi amène Camille à prendre distance municipale pour l’inclusion des personnes en devrait être intégrée dans le suivi de la SEP. A l’APF
du vécu pourtant omniprésent de la SEP situation de handicap. et auprès de son neurologue, elle témoigne de son
qu’elle désigne lors de la première séance Voici son témoignage concernant le processus expérience : « J’essaie d’expliquer et conseille à
comme « un problème de lien », pour élaborer thérapeutique: « Au départ, je ne connaissais tout le monde de faire de l’art-thérapie ».
progressivement la problématique archaïque pas l’art-thérapie. Je me demandais à quoi ça L’exemple de Camille encourage à mettre en
du lien qui pourrait être considérée comme les sert, faire des dessins. Mais après la séance, place des dispositifs de recherche clinique
Dessin pastel gras, format raisin « soubassements psychiques» de la pathologie j’avais l’impression d’avoir déposé quelque pour démontrer les bénéfices de l’art-thérapie
somatique. Chaque dessin représente un chose. Ça m’allégeait. C’était comme si j’ai comme une démarche de soin complémentaire
Elle dit en souriant qu’elle s’est vue à la plage ensemble de signifiants formels31 que Camille pu laisser quelque chose que je n’avais plus à la médecine33. J’ai trouvé plusieurs recherches
en courant. On constate qu’elle est capable mets en mots pour reconstituer le récit de son à prendre avec moi. Et puis, pendant ces qui mettent en évidence des répercussions
de laisser une trace de ce qu’elle ressent ; histoire. D’un statut de « malade chronique séances, on oublie tout. On touche à une positives en termes de ralentissement des
il en résulte une image qui est à l’opposé atteinte de SEP » et « invalide », elle évolue autre dimension, plus de mental, il y a autre périodes récidives de la SEP, de diminution de
de celle que sa sœur lui renvoie. Pour l’une vers le statut de femme, sujet individualisée, chose qui se met en route. Ça lâche, un peu troubles dépressifs34, d’amélioration de l’estime
la maladie évoque la mort, pour Camille le séparée et bien distincte des autres femmes comme dans l’eau32. Et après, ça travaille de soi, du soutien ressenti dans les relations
corps, même atteint de la SEP, ne l’empêche de son environnement, auteure et actrice de tout seul, ça a un côté magique.  Mais quand sociales d’une meilleure capacité de prévenir
pas de se sentir en vie. sa vie. Ainsi, elle arrive à intégrer la maladie j’ai vu les dessins les uns à côté des autres, les poussées35 et une meilleure qualité de vie36.
Apparemment, le suivi lui permet de prendre comme une expérience qui la fait évoluer. je me suis dit, ça raconte mon histoire ! J’ai Ces résultats sont tout à fait valables pour le cas de
conscience de son corps, de l’habiter, d’être Pour écrire cet article, j’ai repris contact avec pris ça en pleine figure ! En bien ! C’était la Camille. Or le processus thérapeutique suscite de
son corps, plutôt que de se réduire à « avoir Camille en janvier 2015. Actuellement, elle ne réalité de ma vie. L’art-thérapie m’a beaucoup surcroît un remaniement profond de la personnalité
un corps ». Le dessin lui permet par la suite peut plus du tout se tenir debout ni marcher. aidé. D’abord pour ressentir moins le poids de qui va de pair avec la transformation du statut de
d’affirmer ce sentiment d’exister. Elle est libre Il est devenu dangereux pour elle de conduire, mon corps. Puis pour prendre du recul. Je suis la maladie dans la vie de la personne. On pourrait
d’aller où bon lui semble. Ce dessin ne serait- « c’est difficile pour maintenir l’autonomie, 32 Camille fait ici allusion aux séances de balnéothérapie. donc considérer l’art-thérapie comme une
il pas signe d’un processus d’individuation et j’habite à la campagne ». Mais elle continue Avec l’infirmière référente de ces soins, Francine démarche de soin au carrefour somatopsychique,
Frayssines, nous avions l’habitude de travailler étroitement
de différenciation de sa mère et ses sœurs ? à avoir des ressources : elle ose solliciter de ce qui était mon propos ici et ce que je souhaite
ensemble : nos observations cliniques montraient souvent
Dans mon travail, je propose souvent de l’aide et a construit un réseau de personnes des processus thérapeutiques semblables concernant démontrer à l’avenir en développant ma démarche
mettre toutes les productions côte à côte et d’amis qui l’entourent. Camille est déléguée l’émergence de la problématique archaïque. Ainsi, nous de recherche scientifique.
pour faire un bilan du processus thérapeutique régionale de l’APF où elle anime des groupes avons mis place un parcours de soins avec une alternance
entre soin en balnéothérapie et soin en art-thérapie. 33 Cf. dans la littérature et recherche anglo-saxonnes :
parcouru. Voici les dessins de Camille des de parole : « Je conseille aujourd’hui de prendre
Pour chaque patient, nous décidions avec l’équipe de “evidence based research in complementary and alternative
2 premières et de la dernière séance qui contact avec une association. On s’enroule l’enchaînement le plus adaptée : d’abord les soins corporel medecine”.
retracent ce processus du vécu corporel du dans la pathologie de la SEP ». Par ailleurs, elle et ensuite la psychothérapie à médiation corporelle et 34 Adelwöhrer, Nausner, Stiegbauer, Bibl, Engleder,
« corps ennemi » au « corps ami » : s’engage en tant que conseillère artistique ou vice versa afin de faciliter l’émergence Schimetta, Pölz, Ransmeyr, Tölk, Aichner, Linz, Autriche,
et la mise en mots des traumatismes originaires qui se 2008.
retrouvent souvent aux fondements de la problématique 35 Fraser, Keating, St Louis, Missouri USA, 2014.
31 Cf. Anzieu. psychosomatique. 36 Devin, Lenne, Calais, Hautecoeur, Lille, 2012.
66 Les Actes2015 67 Les Actes2015

Bibliographie 3- Et enfin, le témoignage vidéo d’une le fait de s’exprimer, se ressourcer, manger


•Adelwöhrer, Nausner, Stiegbauer, Bibl, participante d’un atelier proposé par MDI plus sainement, bouger… bref d’adopter
Engleder, Schimetta, Pölz, Ransmeyr, Tölk, dans un lieu « ressource » - La Maison des une approche holistique de son traitement.
Aichner, «Kunsttherapie bei Patienten mit L’art-thérapie « soin de support » Patients de l’Institut Curie à Saint Cloud. Un L’AFSOS (Association Francophone des
schubförmiger Multiple Sklerose», Linz, 2008. en cancérologie : la créativité témoignage individuel qu’il n’avait pas été Soins Oncologiques de Support) a édité en
•Anzieu, (D.), «Le moi peau», Dunod, Paris, pour soutenir l’énergie vitale prévu de faire… mais qui s’est passé dans 2013 un guide à destination des patients. Ce
1995. pendant la maladie et lutter la spontanéité du moment. Un cadeau de guide a été distribué à l’échelle nationale par
•Brun, (A.), Roussillon, René et al., «Formes contre l’isolement. Expériences ce moment de tournage car il nous donne l’intermédiaire, notamment, des infirmières
primaires de symbolisation», Dunod, Paris, d’ateliers pour les femmes à entrevoir avec d’autres mots et d’autres chargées de recevoir les patients après le
2014. images que ceux de professionnels, une diagnostic d’annonce. Pour la réalisation de
•Ciccone, (A.), «L’hôpital, naissance à la vie Laurence Bosi vision de ce « mystérieux » processus que ce guide intitulé « Mieux connaitre les soins
psychique», Dunod, Paris, 2001. Art-thérapeute l’on nomme art-thérapie. de support pour mieux vivre son cancer»,
•Devin, Lenne, Calais, Hautecoeur, «Effets Fondatrice de l’association Médecins de l’Imaginaire, Art-Thérapie et Cancer l’AFSOS a sollicité la contribution de MDI.
de l’art-thérapie, à dominante peinture, sur chargée d’enseignement Master AT-PRES Paris- La reconnaissance de la pertinence de l’art- Ainsi l’art-thérapie a pu prendre officiellement
l’estime de soi et la qualité de vie de patients Sorbonne Cité thérapie s’est beaucoup développée, au cours sa place au sein des dispositifs de « soins
atteints de sclérose en plaques», Neurologie/ Ma présentation s’appuiera ici sur trois de la dernière décennie, dans le champ de la de supports » qui y sont présentés (annonce
Université Lille Nord de France, Résumé choses : cancérologie en France comme à l’étranger. et échanges soignants, psychologue, suivi
Journées de neurologie de langue française, 1- L’aventure de l’association Médecins de C’est une profession aujourd’hui reconnue douleur & fatigue, médecines douces,
Nice, 2012. l’Imaginaire (MDI) dont je suis la fondatrice dans les métiers qui composent les « soins de sexualité, activité physique, aide sociale,
•Eckstein, Kerstin, «Passages protégés – et qui œuvre depuis plus de 10 ans, contre supports » aux malades du cancer. Depuis une socio-esthétique). Depuis, il a été donné
Passages à vide – Passages souterrains». vents et marées, à trouver les financements petite quinzaine d’année en lien étroit avec une forme vidéo à ces présentations. Vous
Les approches à médiation artistique en nécessaires : les différents Plans Cancer et les demandes pouvez consulter celle sur l’art thérapie via
psychosomatique, in : (E.) Ferragut, (R.) - pour offrir des programmes d’art- récurrentes des patients via les associations ce lien : http://www.rosemagazine.fr/Vivre-avec/
Sirven, thérapie dans des lieux et pour des patients de Patients (notamment à travers les Etats Bien-etre/Soulager/Videos/Soulager-et-mieux-
•Eckstein (K.) , «Guide pratique des techniques qui n’auraient pas les moyens d’en bénéficier. Généraux des Patients organisés à plusieurs vivre-pendant-son-cancer-par-l-art-therapie-
de médiations corporelles. Du projet En 11 ans, MDI a accompagné près de 1700 reprises par la Ligue contre le Cancer) on a vu 12148/?leading
thérapeutique à la mise en œuvre», Masson, patients de tous âges. émerger le concept des « soins de support », Malheureusement il est important de dire que,
2010. - pour construire des dispositifs réponse à la demande d’une prise en charge malgré tous ces efforts, l’art-thérapie peine
•Eckstein, (K.), «Danse avec la douleur. L’Art- adaptés, évaluer, optimiser, modéliser… dans plus globale. à se développer. Le contexte économique
thérapie dans la prise en charge du patient le but d’élaborer une expérience spécifique à Il est aujourd’hui admis que vaincre la met à mal les perspectives d’emploi dans
souffrant de douleurs chroniques», in : (E.) ce champ d’intervention, maladie et éviter la récidive passe en plus ce secteur, peu de postes salariés existent
Ferragut et al., «Souffrance, maladie et - pour transmettre et permettre une des traitements, par le fait de faire attention dans les services et les réductions drastiques
soins», Masson, 2007. démultiplication des initiatives… à son corps et à son moral… On évoque la de subvention pour les associations comme
•Ferragut, Eliane et al., «Le corps dans la prise nécessité de gérer les effets secondaires de MDI ne facilitent pas les choses ! Mais, il
en charge psychosomatique», Masson, 2003. 2- Elle s’appuiera aussi sur un partage de vécu la maladie (fatigue, fragilisation de l’image est important de noter, que le grand progrès,
•Fraser, Keating, St Louis, «The effect of a de l’art-thérapeute que je suis, qui intervient du corps, douleurs, angoisse, dépression c’est que la médecine traditionnelle a
creative art program on self-esteem, hope, depuis 15 ans en cancérologie auprès de tous éventuelle) pour prévenir un éventuel effet accepté de faire une place à ces dispositifs
perceived social support, and self-efficacy les publics (enfants/ados comme adultes). Une « rebond »... et de poser un autre regard sur le malade.
in individuals with multiple sclerosis: a pilot expérience construite au contact des patients Ainsi à côté de la prise en charge technique La nécessité d’un autre regard … : « Et si
study», Missouri USA, 2014, Medipub, mais aussi à travers un travail de recherche et (chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie), il est, l’imagination et l’art n’étaient pas, comme on
National Library of Medecine. de réseau en lien avec d’autres art-thérapeutes de plus en plus souvent, proposé au malade, le croit trop souvent, une parure superficielle
•Winnicott, (D.W.), «Conversations ordinaires», intervenants en cancérologie en France l’accès à des soins dits « de support ». Il s’agit de la vie mais plutôt la source essentielle de
Gallimard, Paris, 1988. comme à l’étranger, avec la préoccupation de d’un ensemble de soutiens, mis en place toute expérience humaine » En 1975 déjà, le
favoriser le retour d’expérience, la transmission dès l’annonce de la maladie et qui ont pour psychologue et psychothérapeute américain
des connaissances et la recherche pour faire objectif de faciliter le vécu des traitements et Rollo May affirmait dans son ouvrage, Le
progresser la reconnaissance du métier. d’optimiser le retour à la santé. Il est évoqué courage de créer, que la créativité était un
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corolaire indispensable de l’existence et une programme. Nous sommes souvent frappé adaptation. Cette expérimentation lui a fait compassion envers elle-même, envers ce
aide précieuse pour aller de l’avant en dépit du par « les liens » que font les patients entre acquérir de nouvelles compétences qui vont qu’elle vit et envers les autres. C’est à travers
désespoir. Rollo (M.) (1975) «Le courage de la maladie et d’autres événements de leur être précieuse pour « l’après » cancer. la découverte de ses capacités créatives et
créer». Reconnaître ses talents, s’engager et vie personnelle (deuil, divorce…) et/ou de Ces expériences renouvelées sur le terrain, adaptatives et de cette qualité d’attention à
se remettre au monde - Edition Marcel Broquet la vie professionnelle (perte d’emploi, burn- m’ont amené à formuler la vision de mon elle-même, qu’elle va pouvoir « mieux vivre »
L’annonce du cancer est un choc ! C’est out, départ en retraite pas préparé…). De rôle d’art-thérapeute en cancérologie, l’épreuve que la maladie lui fait traverser et
une situation d’exception dans laquelle, ces constats, émerge souvent une demande comme celui d’un « passeur » qui va aider à pour intégrer cela ensuite comme une force
tout à coup, la vie échappe à tout contrôle. que l’on voit assez bien illustrée dans la vidéo l’accomplissement de ce processus en toute dans sa trajectoire de vie.
Examens, chirurgie, chimiothérapie vont que nous allons maintenant visionner. Houria sécurité et assister à cette prise en main de J’entends mon métier d’art-thérapeute avec
souvent bouleverser en profondeur les a proposé spontanément d’apporter un nouvelles compétences. Des compétences ce regard humaniste et positif. Pour moi, l’art-
repères intimes (image, estime de soi, témoignage lors du tournage d’une vidéo de qui étaient là… mais pas exploitées, peut-être thérapeute accompagne la souffrance de son
confiance…) et l’énergie vitale du malade. De présentation pour l’association. Elle venait de empêchées par exemple par des défenses patient, sans la nier, sans la minimiser mais
nombreuses études ont montré que l’annonce suivre un cycle complet d’atelier à la Maison un peu raides ou une dépréciation de soi, en l’accueillant en conscience et en tentant
du cancer puis la lourdeur des protocoles de des Patients de l’Institut Curie à Saint Cloud : conséquences ou non de la maladie… de l’amener par le biais des processus qu’il
soins pouvaient susciter un état d’anxiété, http://vimeo.com/20351672 Dans la sécurité de l’atelier, pensé comme initie vers un mieux vivre avec.
et provoquer parfois après les traitements, Houria décrit en empruntant les expressions cadre thérapeutique, ce « passeur » invitera Données probantes… : en 15 ans, une quinzaine
alors que la guérison est annoncée, une sorte poétiques de sa culture d’origine et de son le patient à vivre une expérience, un parcours d’études scientifiques internationales ont
d’écroulement psychique. Il est important de identité de femme, l’atelier d’art-thérapie initiatique en lui-même: montrées que des dispositifs d’art-thérapie,
noter également, que dans le contexte actuel, comme un endroit où elle a pu se mettre - à s’engager en douceur dans le avec des protocoles souvent de 8 à 10
la maladie a un impact économique important à l’ombre, un oasis pour se poser, boire de processus créatif personnel, séances (ce que je nomme « cycle d’atelier »),
et le malade peut rapidement se retrouver l’eau, calmer le volcan qui s’est embrasé à - de façon concrète et spontanée, ont un impact mesurable sur l’abaissement
dans une situation de précarité et d’isolement l’annonce du diagnostic… accoucher de ses sans préoccupation technique ou esthétique, du stress, de la colère, de la dépression,
qui vient se surajouter. peurs, les digérer et ne plus être dedans… - à se rapprocher de ses émotions, l’augmentation de la vitalité, des capacités de
MDI à Saint Malo a développé un programme Tout est dit du processus ! de ses questionnements, sans les juger, communication avec autrui et des indices de
d’art-thérapie qui s’adresse précisément à À travers l’expérience de l’art-thérapie, - à exprimer la singularité de ses qualité de vie en santé. Elles ont fait l’objet
des personnes touchées par cette « double le patient découvre qu’il est important ressentis et de son vécu, d’une remarquable étude en 2011 par une
peine »… Soutenu par l’INCa (Institut National qu’il s’accorde du temps pour : - à trouver ses solutions propres, en collègue britannique, Michèle Wood, avec qui
du Cancer), ce programme est destiné aux - souffler, ralentir, être dans expérimentant la plasticité de l’acte artistique je collabore actuellement pour compléter ce
femmes touchées par un cancer en situation le présent et prendre soin de soi, et en développant dans la création, ses matériel d’études plus récentes et le rendre
de fragilité sociale (précarité financière ou - prendre la mesure de ce qu’il capacités d’adaptation, accessible à des publics non-anglophone.
isolement familial). Il se déroulera sur 2 ans. traverse, des émotions qu’il ressent, - au final à « prendre soin » de ses Wood M., Molassiotis A., Payne S., (2011)
Récemment alors que nous préparions un - se représenter ce qu’il vit de préoccupations et de lui-même, dans un acte “What research evidence is there for the use
cycle d’atelier avec l’équipe soignante et la façon qui est la plus juste pour lui créatif et artistique. of art therapy in the management of symptoms
listions avec eux les patientes susceptibles - accueillir avec bienveillance et sans Comme le décrit Houria dans son témoignage, in adults with cancer ? A systematic review.»,
de suivre le programme, force était de jugement, c’est pas à pas que cette transformation Psycho-Oncology 20 : 135-145.
constater que peu de patientes du service - trouver des solutions singulières à s’opère dans le parcours de création, de Sans pouvoir rentrer dans les détails ici,
n’étaient pas concernées… Et même lorsque ses préoccupations, reprendre des repères, sublimation et de recherche de sens… L’acte compte tenu du temps qui m’est imparti,
les personnes ne sont pas en situation de - se ré-ancrer pour puiser dans ses thérapeutique attendu lors de ce processus il est notable que les effets mesurés
précarité et d’isolement, il est frappant de ressources et redéployer sa vitalité. est, en quelques sortes, une expérience scientifiquement par ces études, sont très
constater tout ce que le patient associe de lui- concrète du «prendre soin de soi ». Une proches de ceux constatés dans nos ateliers
même naturellement à la maladie… Ce qui nous a frappé dans le témoignage expérience qui va permettre à la personne et dont nos patients témoignent.
En effet, avant chaque début de cycle d’atelier, d’Houria, c’est que la patiente s’approprie ce de découvrir, au-delà de sa relation avec le Deux exemples, cité par l’étude Wood et
nous rencontrons le patient pour lui expliquer processus avec ses mots… elle a « intégré » «soignant» qu’est l’art-thérapeute : qu’elle collègues:
l’invitation qui lui est faite avec le support de le processus, elle va donc pouvoir faire face est aussi en capacité d’être un «soignant» •à l’étude conduite par Collie et al. (2006)
l’art-thérapie. C’est aussi l’occasion d’évoquer avec cette nouvelle expérience acquise à pour elle-même. Cette expérience étape USA qui identifie 4 thèmes récurrents
son vécu de la maladie et ce qu’il attend de ce d’autres moments qui lui demanderont une par étape, lui fait développer une forme de -le maintient d’un sentiment de soi
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unique, valeureux et stable... face au danger prenaient en charge mais à la limite pour eux, Mathieu Lustman effets des médicaments vont être à retard
perçu d’annihilation de soi, par exemple se le plus dur était ce qui se passait après le L’évaluation est importante de ce type là, qui et vont amener une grosse fatigue et à ce
sentir réduit à un patient cancéreux. cancer. J’ai l’impression qu’on nous dit dans montrent les difficultés à travailler avec des moment là, il y a un écroulement psychique
-la contribution à donner du sens deux idéaux : l’injonction pour nous soignants soignants. et il y a vraiment besoin à ce moment là de
-une vision plus claire d’avoir une approche globale, psycho- gens pour les accompagner. Quand elles
de l’expérience de la maladie, sociale versus d’un point de vue médical et Public arrivent dans nos ateliers, elles sont dans cet
-la capacité à adapter, ajuster les la deuxième injonction c’est de travailler en Je voulais savoir si le bien-être apporté en état là et ont conscience que la vie ne peut
comportements plus rapidement. inter/trans/pluridisciplinarité. Le problème art-thérapie avait déjà apporté une diminution pas reprendre comme avant, on ne peut pas
•à l’étude de Gotze et al (2007) en Allemagne, c’est que ce ne sont que des injonctions et des médicaments donnés ? reprendre son travail comme si on l’avait
qui identifie 5 domaines significatifs : avec votre démarche d’art-thérapeute, vous quitté la veille après une année de chimio,
-la stabilisation émotionnelle, donnez un petit peu sens à ces injonctions. Laurence Bosi et qu’il y a quelque chose qui s’est fracturé à
-l’approfondissement et l’enrichissement Parce que finalement, c’est facile de dire qu’il il ne me semble pas, les effets sont mesurés l’intérieur d’elles, et ce quelque chose il faut
de l’expression personnelle, faut travailler en approche globale, mais nous, sur des échelles pour le stress, et donc une qu’elles aillent pour savoir quoi en faire.
-la croissance personnelle, médecins, on a été formé en approche bio- diminution des anxiolytiques. Mais pas dans cet
-l’amélioration de la capacité à faire face médicale. Comment on évolue, comment effet là. Avec les adolescents, il y a des effets Public
et/ou gérer (coping) la maladie, on passe du bio-médical au bio-social, je sur l’acceptation de la chimiothérapie, problème Je voulais savoir : vos ateliers se passent
-l’augmentation des compétences pense que vous nous accompagnez vers ça de la confiance pour rester dans un confort qui dans un lieu indépendant ou dans l’hôpital,
de communication. et également vers le transdisciplinaire. Ma lui donne envie de continuer ses soins. est-ce que l’hôpital vous propose des lieux
À sa petite échelle, MDI a mené en 2013 avec question : quel dialogue avez-vous avec les adaptés ?
le soutien d’une société d’étude réputée, soignants pour les accompagner ? Prise en Mathieu Lustman
une enquête qualitative auprès des patientes charge est un mot qui me fait un peu peur Ce qui est important c’est de voir des Laurence Bosi
ayant bénéficié d’interventions d’art-thérapie parce qu’on pense à la place de l’autre et résultats. Avec ce témoignage filmé, on Ça se passe dans des tas de lieux différents
pendant leurs traitements ou après. Les j’aime mieux accompagnement où l’on laisse voit que des enjeux sont sur les enjeux pour les médecins de l’imaginaire. Parfois à
réponses mettent en évidence un apport de la place à l’autonomie de l’autre. identitaires, au niveau sociologique, qu’on l’hôpital, en service fermé par exemple en
bien être, du plaisir, la sensation de plus de travaille sur le processus d’évaluation hémato où c’est dans la chambre en individuel.
vitalité, la perception concrète de soutien. Cette Laurence Bosi identitaire. Finalement, les médecins ont peu Selon des critères de soin et de sécurité, on
enquête note également que le processus d’art- C’est vrai que monter ces programmes, c’est de temps, vous avez peut-être plus de temps peut faire des groupes, et puis des lieux en
thérapie semble favoriser la mise en œuvre de vraiment quelque chose de compliqué, qui avec les patients, alors comment finalement dehors comme des lieux ressources comme
mécanismes d’adaptation pour une meilleure demande du temps, Saint-Malo ça a été deux est travaillé ce processus de reconstruction à Saint Malo une salle prêtée par la mairie.
présence à soi (corps et psyché). ans de travail avec une équipe. Les groupes ont identitaire. A chaque fois on compose. On est des
Il y a encore beaucoup à faire pour faire commencé depuis le mois d’octobre et ça va être plasticiens, on est aussi des art-thérapeutes,
connaître ces études et que ces données sur deux ans, mais jusqu’à fin juin, on sera encore Laurence Bosi mais on a notre plasticité créative et on ne
probantes soient prises en compte par les à rencontrer des équipes, reparler, le temps C’est vraiment au centre du travail d’art- se sert pas suffisamment de ça. On s’est
décideurs en santé public. Je vous remercie des soignants est très compté, les infirmières thérapie, particulièrement quand on peut retrouvé dans des lieux improbables à l’hôpital
de m’avoir donné l’occasion de témoigner de prennent sur leur temps de déjeuner pour venir travailler avec des patients dans un lieu. Là où depuis 11 ans, avec une ventilation qui fait
ce travail et vous propose d’échanger pendant parler avec nous. Les conditions ne sont pas elles en ont vraiment besoin c’est à la fin et du bruit, une salle où des gens viennent de
le temps qu’il nous reste. faciles et j’ai mis du temps à les appréhender particulièrement dans l’après cancer. Quand manger.... on se débrouille, on est plastique.
parce qu’on a toujours l’impression qu’on les les médicaments se sont arrêtés, quand le
Mathieu Lustman gêne, qu’on les dérange, mais en même temps rythme assez intense de soin s’arrête, les Public
Je vous remercie pour cette intervention très elles demandent cet échange. Ce n’est pas proches qui ont donné beaucoup relâchent Le bagage créatif de l’art-thérapeute est
riche, et encore une fois, il y a un fil rouge sur une place facile à occuper celle d’art-thérapeute un peu aussi leur étreinte et la personne vraiment indispensable et il faut l’avoir tout
la façon dont les art-thérapeute interpellent dans cet univers là. Il faut beaucoup de patience se retrouve face à un véritable vide et des le temps sous le coude et à tout le temps
les soignants. Je me souviens d’un colloque et d’abnégation car tous ces temps ne sont pas questions existentielles importantes : est- multiplier par solution quand il n’y en a pas.
aux états généraux du cancer où les patients financés. Certains sont prêts à faire des petits ce que je reprends mon travail ? Beaucoup On ne le dit pas suffisamment mais c’est ce
dans la salle n’avaient pas spécialement de efforts pour que les choses avancent. reprennent le travail très vite et vont être en qui rend le métier passionnant.
critique sur la façon dont les médecins les situation de fatigue excessive parce que les
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l’enfermement, la pratique de l’atelier. apporte un vent de liberté. Dans cet espace


violence sont sur le chemin, L’atelier Conte ! Nous sommes tous ensemble de l’imaginaire, tout est possible : l’horreur,
- il y a des forces insoupçonnées enfants et adultes et cette matinée est le répugnant comme le merveilleux et le jeu
Le chemin du deuil et le chemin même en celui que l’on croyait faible, consacrée aux contes et à l’imagination. La permet d’oser, sans jugement. L’invention
du conte merveilleux dans des - il y a des mains tendues veille au soir, il y a eu la veillée conte qui a d’un conte, une création collective
sessions d’accompagnement pour peu que l’on ouvre la sienne, ouvert la porte. Les propositions corporelles Le groupe s’assied en cercle. La proposition
du deuil en famille - même s’il est long et terrifiant à du matin sont axées sur des échauffements est d’inventer un « conte » tous ensemble
Anne Lopez atteindre, le « fond des fonds » à toujours créatifs invitant le corps et la voix à s’exprimer en répondant spontanément, chacun à son
Artiste conteuse un sol pour que l’on y donne un coup de talon, plus largement, à entrer dans des personnages tour, aux questions du meneur. L’invention
Psychomotricienne - le désir est une lumière qui peut être de contes. C’est un moment de détente, de collective se fait dans une dynamique de
Plutôt que de reprendre le texte de mon recouverte ou enfouie mais en fait, jamais rire, de surprise. Ce n’est pas tous les jours question-réponse où le meneur assure la
intervention, j’ai trouvé plus intéressant de éteinte, que l’on s’essaie à des voix et des corps relance et la trame mais l’histoire ne se
vous transmettre un extrait de notre livre37 - la vie après l’épreuve se fait plus joyeuse, « d’ours en colère » ou « de sorcière nourrit que de l’imaginaire de chacun, des
sur cette même thématique qui viendra en plus précieuse, plus féconde. affamée»! Les rires sont là quand il faut oser rebonds et des enchevêtrements de l’un à
complément de ce que je vous ai transmis s’y lancer ou lorsqu’un autre manifeste une l’autre. Il est important d’accepter toutes
oralement. Comme nous l’avons vu le chemin du deuil attitude corporelle ou une voix dont ne l’aurait les propositions : incongrues, surréalistes,
La vie comme un conte ! Le conte est et la trame du conte merveilleux peuvent pas cru capable. Certaines familles retrouvent violentes. Elles doivent être développées.
un des moyens de partager les grands se faire écho. L’intérêt est aussi dans sa une part de jeu qu’elles connaissaient Un mot grossier peut être accepté s’il est
questionnements de la vie. Il ne cherche pas dimension symbolique forte qui permet avant le deuil, d’autres la découvrent avec justifié par l’évènement et le personnage
à imposer une unique réponse mais à les à chaque auditeur, quelque soit son âge étonnement. Si quelques retenues sont qui le prononce, sinon nous cherchons un
habiller par ses images et ses symboles de de l’appréhender à sa façon. La mort d’un encore là, elles sont accueillies. Ce n’est pas synonyme. Le meneur doit avoir bien présent
toute la diversité de nos cheminements et personnage peut intervenir dans le récit mais « si facile » et nous n’avons pas beaucoup à l’esprit la trame du conte merveilleux pour
de nos émotions. Cette parole conteuse en pas obligatoirement ; par contre, la mort d’occasions, dès que nous ne sommes plus ne pas faire l’économie de la chute, de
ouvrant la porte de l’imaginaire, nous permet symbolique est incontournable car le conte dit enfant, de développer notre jeu spontané et l’horreur et éventuellement de leur répétition.
de partager nos monstres, tout autant que la destruction d’une situation et la nécessité d’en goûter le plaisir sans craindre d’être jugé De la même façon, il ne doit pas lâcher le récit
nos émerveillements, nos désirs les plus fous vitale de découvrir une nouvelle façon de idiot ou immature ! avant qu’une fin heureuse se soit manifestée
ou les plus secrets. Cette parole dit notre vivre. Il est important aussi d’insister sur le - Jeux vocaux, de mimes et d’inventions : et déployée.
communauté humaine, rompt l’isolement et fait que le personnage jeté dans la tourmente ils se font dans une ambiance ludique où Exemples vécus :
invite à la rencontre. recevra de l’aide mais qu’il garde son libre chacun peut trouver sa place, le timide - Alors à ce moment-là, Bob a ôté son
Le conte merveilleux, une trame narrative arbitre pour l’accepter ou la refuser. Le conte comme l’exubérant le parent comme l’enfant. chapeau de coccinelle et il a levé la tête et
particulière! Avec des motifs constamment finit bien pour celui qui accepte le chemin en Comme en pays d’imagination la porte est qu’est-ce qu’il a vu ? demande le meneur.
renouvelés, le conte merveilleux raconte le s’y engageant corps et âme ! Pour ce qui est ouverte à tous les possibles, la réjouissance - Des vaches, une pluie de vaches !
surgissement dans la vie d’un évènement du cheminement dans le deuil il est évident arrive très vite devant l’inattendu, la drôlerie - Bien sûr une pluie de vache ! Et de quelle
hautement perturbateur puis toutes les qu’à la différence du conte merveilleux ou le culotté des images proposées! couleur ?
étapes à franchir pour accéder à une vie qui aucun critère permet de déterminer que le - Echauffement vocal et corporel : Le - Rose !
retrouve élan et fécondité. Cette trame existe deuil est fini. Par contre la personne peut tambour qui chante, passage de sons et A travers la joie de cette spontanéité
dans toutes les cultures et « La bonne morale ressentir qu’elle est peu à peu en capacité de de voix, miroir, ô mon beau miroir. (Ces s’expriment aussi les émotions que traversent
» n’en fait pas partie. Le conte laisse entendre vivre avec cette mort, la perte et l’absence propositions sont décrites dans le livre) les participants :
des murmures comme : qu’elle procure, d’accéder à une autre forme - Imaginer des personnages de conte. : - Julie-la-pie est tombée dans un grand
- la vie n’est pas un long fleuve tranquille, de présence et de relation avec la personne apparaît ainsi la diversité des imaginaires et trou…
- la stabilité est fragile et peut décédée. Elle peut s’ouvrir à d’autres tout leur singularité. Ces personnages permettent - Et au fond du trou, qu’est-ce qu’il y avait
être rompue à tout moment, en étant consciente que cela ne la met pas bien des transgressions et l’expression ? interroge le meneur - Un monstre qui bavait.
- la peur, l’égarement, l’isolement, à l’abri de nouvelles vagues émotionnelles. d’idéaux merveilleux : « Le géant se gratte la Beaucoup.
Le texte suivant s’inscrit dans le déroulement tête parce qu’il a une pustule bien baveuse - Ah oui, Julie est tombée dans la bave
37 “Sur le chemin du deuil, prendre soin de soi du corps
du séjour d’accompagnement au deuil des » ou « La princesse a posé la main du prince du monstre, et pour sûr, elle en bavait ! Mais
à l’être”. Tome 2. Ouvrage collectif dirigé par Geneviève
Manent. Juillet 2014. Ed. Edilivre familles tel que nous le pratiquons. Il décrit la sur son cœur…». Le partage en famille tout à coup, elle a vu quelque chose derrière
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le monstre, c’était quoi ? de perfection qui nuirait à l’énergie du jeu promenaient. Je suis allé en Bulgarie l’année de cette expérience avec très peu de repères
- Une petite fée. spontané et donc à la découverte du plaisir de dernière et ce qui m’a frappé c’est que dans et très peu d’accompagnement encore, ça
- Mais cette petite fée, oh la pauvre, laisser s’exprimer sa créativité, avec trois fois les petits villages, il y avait sur les arbres des avance mais il y a de l’ouvrage.
qu’est ce qu’elle avait ? - Perdu sa clochette ! rien et en un rien de temps ! « Cette façon de photos des disparus d’un point de vue social,
Toutes ces propositions permettent la faire » est à la portée de tous, elle n’exige pas on est en train d’inventer des nouvelles Mathieu Lustman
participation de tous les âges car, même si les que nous soyons un « grand artiste » ; elle façons de se confronter à la mort. Avant, il y Dans mon jargon à moi j’appelle ça un
2-3 ans ne répondent pas forcément à toutes demande juste que nous lui laissions un peu avait des temps sociaux, il y avait des règles processus de crise et c’est vrai encore une
les questions, ils ont en général une écoute de temps et de place pour tout simplement et quand la personne mourrait, la société fois que dans une logique de performance on
très attentive aux histoires qui se brodent et nous permettre de jouer même quand on est nous donnait des règles à suivre, c’était peut- est confronté à des épreuves et on retrouve
à chaque fois nous sommes ravis de leurs grand ! être plus facile. On avait un temps : on savait ce vocabulaire et c’est finalement toujours la
interventions spontanées, judicieuses et Rires, surprises des trouvailles et que pour la mort d’un proche ou d’un enfant même question : à quel moment dans notre
étonnés de leurs capacités à mémoriser les applaudissements ! Bien souvent les enfants on avait un an. La société nous accordait le société où il faut aller vite on a le temps de
inventions. n’ont jamais vu leur parent jouer « comme ça temps social de se retirer et de faire son se confronter à la crise. La crise, c’est quand
Nous finissons la séquence en annonçant, ! » et ils témoignent, « même les ados », du deuil ou de cheminer sur le deuil. La difficulté les solutions, les ressources habituelles ne
qu’en fin d’après-midi, un temps sera donné plaisir de cette découverte. Quelques échos : qu’on a actuellement dans une société qui fonctionnent plus, il faut trouver une solution
pour la mise en scène de leur grande histoire. « On devrait faire ça plus souvent, ça fait du va de plus en plus vite pour être performant, et comment on peut être accompagné pour
Présentation « théâtrale » du conte : selon le bien ! » ; « Au début, j’étais pas trop à l’aise efficace, avoir des grilles, des évaluations, trouver une solution.
nombre de participants nous faisons deux, mais maintenant je vais faire comme les ce temps là, la société ne nous l’accorde
trois groupes. Nous leur remettons des enfants ! » ; « Quand c’est qu’on recommence plus. Vous nous posez la question de la Anne Lopez
tissus, des déguisements et leur donnons ! » ; « Avec les enfants, depuis le décès, on façon d’affronter la mort, il y a des nouvelles Ça a été un choix d’intervenir comme ça,
environ quarante-cinq minutes pour préparer arrivait plus à faire des choses ensemble et règles, des thanatopracteurs, on est dans une parce que l’accompagnement au deuil ça
une adaptation et une mise en scène de là, ça redevient possible, c’est super » ; « Je réflexion actuellement pour réinventer notre existe bien avant nous, sous cette forme de
l’histoire inventée collectivement, chacun savais pas que maman elle pouvait jouer à relation à la mort. D’une certaine manière, session où les gens viennent et font un choix
devant y trouver un rôle. Ils se séparent faire la sorcière ! » ; « C’est important cette vous nous aidez avec ce temps à réinventer de venir dans leur déroulement de vie. C’est
dans diverses salles et préparent en secret ! place du rêve, on va trop vite au raisonnable un rapport avec la mort. De quelle manière un grand courage d’oser venir. Le fait qu’ils
En général nous n’intervenons pas, avec ou à l’efficace. » vous nous aidez à retrouver ce temps ? Et par aient cinq jours ensemble c’est énorme. Ils
néanmoins une vigilance vis-à-vis des plus Information : en mars/avril 2015, vous pourrez rapport aux soignant ce qu’est une épreuve peuvent s’apporter ne serait-ce que dans
jeunes afin de les aider et de veiller à ce avoir accès au site de notre nouvelle association initiatique. Jeune interne, les premières fois leurs échanges. C’est prendre soin de soi et
que le parent ait assez de disponibilité pour : « Chemins de deuil. Du corps à l’être» : www. où l’on est confronté à un mort, pouvez-vous mesurer comment on a besoin de temps de
s’investir, à titre personnel. C’est un moment chemins-de-deuil.fr. Mail: contact@chemins- nous aider à accompagner ce moment où on ressourcement et de partages, d’échanges.
de grande effervescence, de bouillonnement de-deuil.fr. Cette association est fondée par est confronté à la mort de l’un de nos patients, Ensuite, nous pouvons apporter des outils,
imaginatif où se déploient les qualités de neuf professionnels œuvrant depuis une car on n’a jamais le temps d’en discuter. mais le choix de notre forme permet de poser
chacun : l’un structure, synthétise ; l’autre quinzaine d’année dans l’accompagnement le temps.
se débrouille avec trois fois rien pour créer du deuil des adultes et des enfants ainsi que Anne Lopez
une forêt, le ventre d’une baleine ; ailleurs on dans la formation de professionnels. Anne Pour l’instant, on n’a pas d’expérience auprès Public
s’habille avec deux bouts de tissus qui feront Lopez: al.lopezanne@gmail.com. des soignants mais ce n’est pas la première fois Est-ce que les histoires créées sont partagées
personnage parce qu’il y a la force d’y croire qu’on nous pose la question. C’est vrai qu’au avec le groupe ?
! Puis le petit groupe se lance en y mettant le Public niveau de l’équipe, on serait prêt à chercher
grand jeu ! Encore une question très intéressante qui et à œuvrer dans ce sens là. Ce n’est pas rien Anne Lopez
Nous pouvons témoigner de la belle entente interpelle beaucoup les soignants. Vous avez d’être confronté à la mort de façon régulière. Je disais que le conte il intervient le matin
qui se crée dans chaque groupe, de l’attention dit que la mort était encore tabou, je ne suis Les choses bougent mais doucement. Dans du 3è jour. Le premier jour, on a beaucoup
mutuelle donnée afin que chacun, petit pas tout à fait d’accord, je crois que certains la société il y a des mouvements, mais quand abordé les histoires individuelles, il y a eu
comme grand, trouve place et plaisir dans peuvent se souvenir qu’il y a 20 ans, quand il y on accompagne ces personnes, on mesure du partage, comment le corps a réagit. Le
ce partage et 45 mn suffisent ! Ce temps avait un mort, on avait des catafalques noirs et comment au quotidien les gens partout lendemain on aborde beaucoup les émotions
qui parfois leur paraît trop court quand il on savait quand on se promenait qu’il y avait en France se retrouvent encore dans un par des mandalas puis le conte arrive et on
est annoncé, évite de tomber dans un désir des morts, il y avait des corbillards noirs qui se isolement immense, dans un surgissement a trois heures d’atelier autour de ça. Il y a
76 Les Actes2015 77 Les Actes2015

des propositions vocales, des propositions Anne Lopez Anne Lopez


gestuelles pour entrer dans les personnages, Pour art-thérapeute, je pense que j’aurai pu On s’est interrogé sur le choix des contes. Il
faire des voix de sorcières, et on le fait m’y trouver bien. Je viens de la danse, mime, y a des contes avec la mort des personnages.
familialement, enfants et adultes, ensuite il en tant que psychomotricienne j’étais peut- On a fait des expériences sur ces contes mais
y a des créations de personnages. On a dit être un peu déviante, parce qu’en cabinet on a cessé de les prendre car on les faisait
dragon. On se met deux par deux, je pose des j’étais dans l’histoire individuelle et en tant intervenir à un moment des pulsions de vie et
questions et ils se répondent mutuellement. que conteuse dans l’histoire universelle. on induisait plus la lamentation. Les premiers
Le dragon chausse du combien ? Après c’est Pour des deuils plus anciens, pour nous, on jours on pleure, mais on découvre qu’on peut
l’art de poser des questions. Du coup l’humour prend le temps d’avoir un entretien pour que pleurer et parler. Des enfants ne parlent pas
entre dans l’imaginaire, le sourire, le rire. Ils la personne accepte que les autres ne soient à leur maman parce qu’elle pleure. Il y a aussi
rient alors que la veille ils pleuraient peut-être pas sur le même temps. Il faut être vigilant. le choix des contes rien n’est anodin. Pour
beaucoup. Ils savent qu’ils ont autorisation, Ce qui arrive, c’est qu’elles viennent du deuil Charlie, se sont des créateurs qui ont été
permission de toutes les émotions. Ensuite, du conjoint surtout s’il est mort tranquillement, tués, et ça a touché et le fait que des masses
on fait une création de conte ensemble, mais par contre, la mort de mon fils il y a 7 ans humaines se soulèvent pour manifester ça,
ce sont des groupes d’une vingtaine de revient. La religion : on accueille et on propose malgré les épreuves, la vie continue.
personnes. Moi, j’ai cette trame là dans le un temps au niveau des spiritualités, si des
domaine de la création. Et le lendemain, en fin personnes ont envie de partager à ce niveau,
de journée, après qu’ait été évoqué l’identité, mais on invite à un questionnement sur le
l’avenir, comment je continue à vivre, sur sens, on est touché de la mort de l’autre, mais
quoi je peux m’appuyer, on fini la session, les commence à se questionner ma mort à moi.
enfants disent le pestacle, et c’est tout à fait On peut mourir à 40 ans Et si je meurs, que
juste. On fait des groupes et ils ont juste ¾ pensent mes enfants de la mort ? C’est très
d’heure et ce n’est pas plus long pour faire brassé à l’heure actuelle, on peut ne connaître
une adaptation du conte à leur façon. On leur que notre religion et rien de celle des autres,
donne des tissus, des ballons, des chapeaux... avoir des stéréotypes très fermés ?
Il y a 2 ou 3 groupes et assez souvent, les
enfants ont envie de se mettre ensemble et Public
les adultes ensemble. C’est impressionnant le Je suis ethnomusicologue et j’ai travaillé sur les
bonheur qui se partage, la solidarité pour que chants de deuil en Russie. Un processus de deuil
chacun trouve sa place, sa forme, sa façon. La peut avoir lieu des années après. Des femmes
session finie, mais la fécondité est manifestée ayant perdu leur fils 50 ans après et ça se traduit
et représentée comme ça. Dans la création du en musique, émotion mémorielle. Comment
conte, souvent l’adulte refuse le monstre. Pas faire la paix avec sa mémoire ? Le temps qui est
les enfants. Pour les adultes, tout de suite, il y a accordé à la mort : à Pâques on se lamente dans
une solution. Chez les personnes endeuillées, le cimetière tout en buvant. J’ai voulu travaillé
il n’y a aucun problème sur le surgissement sur le conte avec les personnes handicapés. Ils
du monstre et il n’y a aucun problème pour m’ont dit je n’ai pas d’imagination, mais je vais
trouver de la fécondité. Symboliquement, ça reprendre votre trame.
parle beaucoup. Mais on n’est pas là pour Et avec Charlie, la société avait peut-être
interpréter, on est là pour vivre, se réjouir. besoin de s’écrire son conte merveilleux, avec
le monstre qui est apparu. Comment on va
Public recréer le soi avec une forme de sublimation ?
En quoi vous êtes différente d’une art- En cela, on devrait beaucoup plus s’intéresser
thérapeute ? Votre atelier peut-il faire du bien au conte. Quand on voit le choc provoqué au
à une personne dont le deuil est de 10 ans ? niveau international, 50 représentants et chefs
Est-ce que la religion surgit lors du conte ? d’état, cela soulève la fête de la vie.
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D) ADOLESCENCE ET PRISE EN CHARGE THÉRAPEUTIQUE PAR LA MÉDIATION Elle favorise le « rebond » 38; « en se posant 2-La phase d’échauffement (corporel,
à côté des patients pour qu’ils vivent cette technique et psychique) consiste à prendre
rencontre mystérieuse avec eux-mêmes, contact avec le groupe mais aussi avec son
sécurité pour le patient, sans débordement. qu’ils posent un regard sur le vécu de leur corps, ses sensations.
C’est à cette unique condition que le lâcher création », ce sans jugement ni interprétation. 3-La phase d’improvisation théâtrale, exercice
prise peut être bénéfique. La complémentarité des 3 animateurs est d’expression libre à partir d’un contexte
Le théâtre, outil de médiation Comment penser le cadre de l’atelier pour fructueuse pendant l’atelier. Elle est tout ou d’une thématique donnée. Il s’agit de la
thérapeutique en pédopsychiatrie en assurer le bon fonctionnement ? Quatre autant dans le point post séquence réunissant phase centrale de l’atelier, et la plus attendue
composants structurent le cadre de l’atelier. les animateurs partageant leur point de vue des patients. C’est dans l’improvisation que
Céline André-Carletti Les indications : la prescription médicale sur le climat émotionnel, les dynamiques surgit l’imprévu et de cet imprévu que nait la
Psychologue est l’indication prévalente de la participation relationnelles et transférentielles - la compréhension, l’élaboration.
Psychothérapeute à l’atelier. L’atelier théâtre est un groupe résonance en langage systémique convenant 4-La phase de recentrage inspirée des
Eléments de contexte et objectifs de ouvert, se composant de patients en cours davantage au groupe. exercices d’initiation à la méditation issus
l’atelier d’hospitalisation. Le nombre de patients est Les modalités et les règles de l’atelier de l’ouvrage d’Eline Snel « Calme et attentif
L’atelier à médiation par le théâtre est proposé donc fluctuant au gré des entrées/ sorties D’une durée de 1h30, l’atelier a une fréquence comme une grenouille ». Des exercices
au sein d’un service pédopsychiatrie et destiné d’hospitalisation et de l’état de santé des hebdomadaire. Il est régi par 3 grandes centrés sur la respiration qui favorisent le
aux patients hospitalisés pour TCA dont une patients. règles qui sont systématiquement rappelées recentrage sur l’instant présent et le retour
majorité pour anorexie mentale prépubère. Ils Les animateurs thérapeutes au début de chaque séance (souvent énoncées en douceur dans l’unité.
sont âgés entre 8 et 15 ans. L’atelier théâtre Le groupe est encadré par trois animateurs par les patients). La confidentialité : ce qui 5-Le temps de parole final lors duquel chaque
est pensé comme un espace thérapeutique dont un est nommé « animateur référent »  se passe dans l’atelier reste dans l’atelier patient est invité à donner son ressenti sur
complémentaires aux autres prises en charge (donne les consignes, explique les jeux…) (à l’exception d’un fait grave ou alarmant). la séance, à dire librement ce qui est était
proposées dans le service ; un espace ; et les deux autres sont observateurs L’absence de jugement et de censure : vis-à- difficile ou facile pour lui.
d’expression ludique, en appui sur une ou participants selon les besoins du vis d’autrui mais aussi de soi-même. Le jeu au Retours d’expériences de l’atelier théâtre
pratique artistique (ré)créative, i.e. le théâtre. groupe. L’animateur référent concerne soit sens de l’amusement : l’atelier théâtre est un Rapidement, les patients se montrent motivés
Nous souhaitons, par le caractère récréatif du l’éducatrice spécialisée, soit la psychologue moment de détente, de partage, lors duquel et demandeurs, témoignant un engagement
théâtre, que les patients aient plaisir à jouer, et change d’une semaine à l’autre. Chacun nous nous divertissons et nous jouons. Cette de qualité. En séance, les axes de travail
qu’ils coupent avec les préoccupations de la à leur manière, les trois animateurs sont le dernière règle de l’amusement a d’autant plus concernent : la prise de conscience du corps,
maladie et les questions alimentaires. Au- garant du cadre. L’éducatrice spécialisée de sens qu’elle fait écho à une privation de plaisir de plus en plus présent et investi avec des
delà, les objectifs thérapeutiques visés sont assure un lien préférentiel avec les patients, fréquente dans la pathologie de l’anorexie. Elle gestes plus déployés, plus amples ce, grâce à
triples : le travail corporel, la familiarisation elle est leur référent permanent dans l’unité, met aussi l’accent sur les attentes modestes des exercices d’échauffement centrés sur le
avec ses émotions et l’expérimentation du elle les connaît et les sécurise. Douée d’une des animateurs qui n’attendent rien de leurs corps (cf. des jeux de conscience corporelle,
« lâcher prise ». Si l’idée de cet atelier au grande expérience en théâtre, elle apporte patients en termes de production artistique. le jeu des signes). Des mimiques très timides,
départ était essentiellement centré sur le la créativité nécessaire au jeu et favorise le Le théâtre est ici un outil, en aucun cas une quasi imperceptibles au départ jusqu’à des
patient, l’objectif institutionnel de créer du lâcher-prise des patients. L’infirmière est finalité. La production n’est pas destinée à être chorégraphies rythmées engageant chaque
lien dans le service – entre les patients eux- la caution médicale quand des difficultés vue par quiconque d’extérieur au groupe. partie du corps. L’expression émotionnelle
mêmes mais aussi avec les soignants - a somatiques apparaissent. Elle aussi connaît Le contenu de l’atelier : 5 grands temps : plus habitée, au travers d’une palette
rapidement émergé. Pressenti comme un très bien les patients, c’est l’occasion 1-La phase d’introduction et accueil consiste riche et nuancée … qui anime les visages.
média idéal, le théâtre comporte une forte pour elle et pour eux de se découvrir en un temps d’échange préliminaire – Chaque L’expérientiel de l’émotion sous toutes
dimension de jeu et détient des vertus sous un nouveau jour. Déchargée du rôle participant est invité à prendre la parole de ses formes : des plus infimes, aux plus
thérapeutiques intrinsèques (se mettre en d’animateur référent, elle se prête volontiers manière libre avant de démarrer l’atelier : « Un théâtralisées, avec des éclats de colère qui
scène, s’exposer aux autres, transmettre au jeu et est une ressource précieuse pour d’entre vous a t-il envie de dire quelque chose surgissent sans qu’on s’y attende, au détour
des émotions, faire appel à sa créativité…). aider les patients à se mettre en scène.,- avant que nous démarrions la séance ? ». Suit d’une improvisation ou des fous-rires qu’on ne
Encadré par des temps de paroles au début La psychologue- extérieure au service – l’énonciation des règles qui régissent l’atelier. peut stopper. Le renforcement de la confiance
et à la fin de l’atelier qui permettent de maintient un cadre contenant et sécurisant. dans l’autre, favorisant le travail d’équipe et
38 Rebond évoqué par Jean-Pierre Klein, à l’occasion
verbaliser, de mettre en mot le ressenti ou Elle contient les débordements et se pose de co-création. Ce faisant, accepter de ne
du colloque « Expression, créativité : les médiations
les difficultés, le jeu est expérimenté en toute comme réceptacle des angoisses archaïques. artistiques dans l’accompagnement thérapeutique » pas être seul maître à bord. La souplesse et
80 Les Actes2015 81 Les Actes2015

la malléabilité psychique (contre les éléments Public parce que je n’attends rien justement de la Céline André-Carletti
de rigidité) : faire preuve de réactivité et de Je sais que de nombreuses expériences ont façon dont les personnes jouent leur émotion. Bien sûr, c’est ce qu’on va travailler en post-
fantaisie face à des improvisations insolites. été tentées en art-thérapie avec le modelage, La personne joue au nom de la personne groupe notamment et c’est ce qui va se
Face à des adolescents très fermés, la sculpture et la danse thérapie, et je vois qu’elle met en scène. Cette personne, si passer quand on va confronter les points de
verrouillés, le théâtre, par sa mise en scène dans votre programme que vous intégrez elle est triste et que son indication de jeu vue entre animateurs et qu’on va travailler
et son caractère fictif permet d’investir le pas mal d’exercices concernant le corps et est la joie, je n’attends pas d’elle qu’elle soit sur ces dynamiques contre-transférentielles
« il » et aussi parfois, d’accéder au « je ». je voudrais savoir comment vous intégrez authentiquement joyeuse. J’attends d’elle et transférentielles. Ça fait totalement partie
Comme si l’espace de l’atelier devenait une ça. Vous misez sur l’apport aussi de la parole qu’elle joue la joie tel qu’un comédien la du travail de cet atelier, c’est complètement
aire transitionnelle39 au sens Winnicottien du qui est donc en lien avec un intellect souvent jouerai sur scène. intégré à l’atelier.
terme. L’espace potentiel où nous existons assez fort chez les anorexiques plutôt que
quand nous jouons, rêvons, créons, l’aire d’aller vers le corps à proprement parler avec Public Public
intermédiaire d’expérience. Pour Winnicott, des éléments plus archaïques, je pense au Le but n’est pas forcément que la personne Je voulais savoir comment vous choisissiez
jouer est un acte créateur, une expérience vitale modelage. Comment vous vous situez, quels soit investie dans le rôle qu’elle joue. vos sujets d’improvisation, libre ou imposé ?
dans le sens de ce qui est essentiel à l’enfant. sont les bénéfices qui ont été recueillis par
Je fais ici l’hypothèse que le jeu est essentiel rapport à telle ou telle médiation ? Céline André-Carletti Céline André-Carletti
aux enfants/ adolescents anorexiques. Tout Elle est investie émotionnellement dans le Oui, c’est vraiment très libre en fait. En dehors
comme le jeune enfant, ce jeu leur permet Céline André-Carletti sens qu’elle expérimente les émotions. Elle des phases où on travaille sur les émotions où on
d’exister réellement ou encore d’avoir le Non, je n’ai pas de réponse là-dessus par expérimente chacune des émotions y compris va juste donner l’indication de l’émotion même,
sentiment que la vie vaut la peine d’être contre, l’espace de parole est plus le lien celle qu’elle ne vit pas dans le moment. sinon ce sont des indications extrêmement
vécue. D’intégrer, peu à peu les frustrations dans le ressenti et c’est en ça que je dirai libres qui sont parfois autour d’un mot. En fait il
de ne pas être dans la toute puissance, dans que je rattrape l’expérience propre du corps Irina Katz-Mazilu y a certains enfants qui ont besoin d’une petite
l’hyper contrôle et par la même de pouvoir puisqu’on peut être vraiment dans le ressenti. J’aimerais savoir où vous vous situez quand impulsion créative et du coup on va donner un
exister comme un individu… Ce jeu, encadré Une des questions peut être : j’ai ressenti de vous dites que le théâtre a en soi des vertus mot, par exemple « chaise », des mots très
de temps d’échange et de réflexion, de mise la colère, où se situait cette colère, à quel thérapeutiques, on dit aux gens timides simples qui sont parfois proposés par les patients
en relation, dans l’ensemble de son dispositif, endroit de ton corps. On va travailler plutôt de faire du théâtre parce que ça leur fera eux-mêmes à leurs partenaires de jeux, aux
pourra s’avérer thérapeutique. En effet, sans sur ce genre de thématique. du bien, vous avez parlé de bienveillance autres patients. C’est vraiment ce qui émerge
qu’on les y pousse, au détour d’improvisations, et d’empathie, votre présentation est très dans l’instant présent, il n’y a pas vraiment de
des thématiques de vie émergent… la famille, Public bien construite mais personnellement je thématique préétablie en réalité. On favorise
les repas, les relations conflictuelles avec Par rapport au travail dans l’atelier, je voulais n’ai pas ressenti d’émotion alors que vous vraiment l’émergence de l’ici et maintenant dans
la fratrie ou les pairs, sont autant de sujets savoir si dans le théâtre on peut tricher avec dites la personne va expérimenter toutes les les thèmes.
qui vont être joués et rejoués. Autant de ce qui est en nous et dans ces circonstances émotions... Je ne m’y retrouve pas en tant
tremplins à la prise de conscience/ la mise à où vous avez des adolescents qui jouent sur qu’art-thérapeute. Public
jour de problématiques qui pourront ensuite vous et qui ne sont pas vraiment investis Est-ce que vous parlez de création de
être repensées. Par l’intermédiaire du jeu et émotionnellement comment vous les amenez Céline André-Carletti personnages ?
de la projection dans la fiction, les patients à essayer de ressentir ? Pour être tout à fait honnête, je ne suis pas art-
se libèrent, s’animent, fendent l’armure de thérapeute, vous l’avez compris, je présente Céline André-Carletti
l’anorexie. Incontestablement, le temps de Céline André-Carletti un atelier à médiation thérapeutique, ce qui est Oui, nous parlons de création de personnages,
l’atelier, il y a des rires, du plaisir…la maladie La question de la tricherie en fait n’intervient un petit peu différent je pense puisque je suis et c’est une autre thématique et là on va travailler
laisse place à la vie. pas parce que justement on est dans une psychologue psychothérapeute et que j’utilise par exemple à partir d’accessoires et l’indication
Bibliographie : histoire de mise en scène. Le jeu en lui même le théâtre pour aider au processus créatif à des ne sera pas un mot mais un accessoire. On en
Winnicott, (D.W.), «Jeu et réalité ; l’espace n’est pas un vécu authentique. On est dans fins thérapeutiques mais c’est vrai que je n’ai a plein à proposer : un chapeau, un appareil
potentiel», Gallimard, 1975. la représentation d’une émotion et d’une pas cette approche d’art-thérapie. photo,... Les enfants et adolescents peuvent
thématique. Donc l’authenticité intervient au aussi amener des accessoires et l’improvisation
détour de ce jeu mais j’aborderai plutôt les Irina Katz-Mazilu va se faire à partir de cela pour construire un
39 Avec l’idée de mouvement, de transit, de mise
choses de cette façon là, c’est à dire qu’à Mais vous êtes psychologue psychothérapeute, personnage soit dans le sens de l’accessoire
en relation d’un “dedans” et d’un “dehors”, ou d’un
“intérieur” et d’un “extérieur aucun moment je n’ai ressenti une tricherie donc il y a du transfert ? soit en contre-emploi selon ce qui vient.
82 Les Actes2015 83 Les Actes2015

Public (ADTA40, 1965), l’invitant à s’engager dans un créativité (au sens Winnicottien43). Il sera
Et est-ce que d’une séance sur l’autre ils processus créatif et thérapeutique. Elle est donc important d’accompagner le patient à
peuvent reprendre leur personnage ? une discipline qui demande une formation les retraverser ou les découvrir. Enrichir la
À la rencontre du « Penseur » : approfondie et spécifique. Une connaissance palette de mouvement est essentiel pour que
Céline André-Carletti entre pensées et mouvements, du corps, du mouvement/danse et de la l’individu puisse donner la réponse la plus
Tout à fait. Ils peuvent les faire vivre dans présentation d’un parcours en psychothérapie sont nécessaires. adaptée possible à son environnement.
d’autres situations s’ils le souhaitent. Danse Mouvement Thérapie Trois grandes notions sont au cœur de La DMT L’atelier s’inspire de la danse contemporaine,
d’une adolescente avec des (Wengrower et Chaiklin, 2008) : la première l’Analyse du Mouvement Laban et le
Public troubles psychotiques de ces notions est la reconnaissance de Mouvement authentique. L’exploration
Les improvisations sont par deux, par trois, l’unité psychocorporelle chez l’être humain. des gestes et du mouvement se réalise de
c’est eux qui choisissent ? Paula Martinez-Takegami Le mouvement et la danse reconnues comme manière libre et spontanée à travers des
Danse Mouvement Thérapeute, expression de cette unité. La deuxième, est la propositions et « consignes » d’improvisation.
Céline André-Carletti Danseuse contemporaine : reconnaissance du potentiel thérapeutique de Il s’organise en différents temps44.
C’est un choix aléatoire puisque c’est un Axelle a 17 ans quand elle est accueillie au sein l’activité artistique et créative. La troisième, Le chemin parcouru avec Axelle, a besoin
tirage au sort 2, 3, 4 ou tout le groupe. On de l’Hôpital de jour (HDJ) pour adolescents est la relation thérapeutique qui permet d’inventer d’autres espaces. Ces nouveaux
essaie qu’il y ait des improvisations de tous « psychotiques ». Elle participe aux ateliers de différencier la DMT d’une pratique espaces trouvent naissance dans l’atelier
types. de DMT dès le début de sa prise en charge. d’enseignement de la danse ou d’une activité de DMT ou au sein d’un autre atelier (atelier
Cet atelier s’inscrit au sein d’une prise en occupationnelle. percussion). Nous avons été amenés à visiter
charge globale et multidisciplinaire, dans une Afin d’accompagner les patients dans le musée Rodin ou à construire un atelier
dynamique de psychothérapie institutionnelle un processus thérapeutique et créatif, le croisé percussion-danse. Afin de retracer le
et d’un travail d’équipe. Notre voyage dansé a praticien dmt41 s’appuie sur des techniques parcours d’Axelle en atelier, j’ai décidé de le
duré un peu plus de deux ans. de lecture du corps et du mouvement. Une diviser en sous parties. Son parcours est très
Lors de notre rencontre, Axelle est une de ces techniques qui sous-tend ma pratique, riche et cette présentation ne donne qu’un
adolescente très en retrait, avec d’importantes est le système d’Effort42 qui permet de faire petit aperçu du chemin parcouru.
angoisses, des traits dépressifs se dessinant une description ou d’approcher l’énergie Un espace pour exister
sur son corps et sur son visage. Elle tend à se du mouvement à partir des « facteurs de Axelle se montre timide, anxieuse et inquiète
cacher dans son corps comme si elle voulait mouvement », de l’intention de celui-ci, il mais tout de même curieuse de l’atelier. Elle
disparaître, ses cheveux lui cachent le visage. n’est pas l’effort physique. Combiner des arrive fréquemment toute recroquevillée
Elle parle d’une voix très basse, sait rarement facteurs et les exprimer est un signe de regardant le sol, avec une marche lourde et
ce qu’elle veut. Il est même parfois nécessaire 40 Association américaine de danse mouvement thérapie. lente, ses épaules vers l’avant fermant sa
de lui « prêter » nos goûts pour la soutenir dans 41 DMT en majuscules désigne le métier, la Danse cage thoracique. Je dois venir la soutenir
les ateliers. Elle dit ne pas être importante, ne Mouvement Thérapie. Tandis que dmt en minuscules physiquement pour qu’elle puisse se
désigne le praticien danse mouvement thérapeute.
pas mériter de vivre. La rencontre avec l’autre
42 Effort qui fait partie de l’Analyse du Mouvement 43 La créativité est la capacité chez un individu de créer
est possible et est un appui. Laban. Nous avons des facteurs d’Effort privilégiés qui au sens universel. Elle n’est pas la créativité artistique.
Afin de mieux comprendre ce qu’est la DMT, correspondent à notre caractère, à notre façon d’être, ainsi « Il s’agit avant tout d’un mode créatif de perception qui
j’énoncerai ses fondamentaux et son cadre qu’à notre histoire. Ce système permet d’avoir une grille donne à l’individu le sentiment que la vie vaut la peine
de lecture du mouvement quant à ses qualités et formes, d’être vécue… » (Winnicott 1975 p. : 127)
théorique. Ces éléments permettent, je
son déploiement dans l’espace et son intention. C’est 44 L’atelier est organisé en différents temps (cette
l’espère, une meilleure compréhension du un état de lieu du monde intérieur de la personne qui organisation es plus au moins la même tant pour les
travail réalisé aux côtés d’Axelle. les réalise. Quatre facteurs sont décrits chacun avec un ateliers en individuel que pour le groupe) : un temps
La DMT : cadre théorique et présentation continuum entre deux pôles (Meekums, 2002 ; Panhofer, d’accueil ; un échauffement, qui vise à créer une
2005 ; Wengrower et Chaiklin, 2008) ici présenté d’une disponibilité corporelle et psychique ; un temps de
de l’atelier
manière très résumée : Facteur Flux. Lié au sentiment de développement, avec des propositions dirigées autour
La DMT est définie comme l’utilisation progression, de continuité, aux émotions ; Facteur Espace. d’un thème proposé par Axelle ou moi-même, avec ou
à des fins psychothérapeutiques de la Lié à l’attention, aux idées, à la pensée, à la perception, à sans utilisation d’objets, dans un contexte de jeu ; des
danse et du mouvement, pour favoriser l’environnement/ l’autre ; Facteur Poids. Lié à l’intention, explorations et improvisations libres ; une fin amenée
aux sentiments, au sentiment de soi-même, au Moi, à la en mouvement ; un temps non obligatoire pour écrire
l’intégration de l’individu dans sa dimension
présence ; Facteur Temps. Lié à l’intuition, à la prise de ou dessiner, suivi d’un temps de parole pour déposer son
physique, psychique, cognitive et sociale décision, « reconnaître le bon moment ». expérience, élaborée et faire trace.
84 Les Actes2015 85 Les Actes2015

relever du canapé où elle passait des longs qui tend à l’épuisement, dans une décharge, du fait de toujours se sentir mieux après la La rencontre avec l’œuvre imposante du
moments à dormir ou à se cacher en elle. elle court, saute, tournoie, chute. Le bas du séance, même quand elle se sent très mal. Penseur a été quelque chose de très excitante
Elle n’a pas d’axe vertical, ses muscles sont corps est beaucoup plus investi que le haut Elle évoque le plaisir qu’elle éprouve à danser pour Axelle. Elle avait un grand sourire. Ne
très contractés. La lourdeur de ses pas est du corps. Bras et buste sont peu habités. et à pouvoir faire sortir des choses. savait pas par où commencer. Je l’ai invité
liée à son poids corporel et au poids qu’elle Ses mouvements sont réalisés dans le plan « J’ai une grande colère en moi et j’ai à essayer de s’organiser. Elle démarre un
semble porter sur elle, elle porte le poids sagittal46 et dans un temps soudain. besoin de rentrer progressivement dans le croquis dans lequel on voyait principalement
du monde ! Elle n’a pas d’ancrage, pas de Très progressivement des solos émergent. mouvement pour l’exprimer, pour exprimer une ébauche du tronc et des membres
présence, elle n’a pas de place ni n’en prend. Elle est fière d’elle-même quand elle en ce que j’ai à l’intérieur », dira-t-elle. supérieurs, pas de tête, ni de jambes puis
D’une certaine manière, elle n’existe pas. fait, malgré les moments de vide pendant Elle habite de plus en plus son corps et a préférant ne pas le continuer, pour prendre
Guidée, soutenue et portée, Axelle n’arrive pas lesquels elle s’arrête net, en disant ne une présence plus importante. Ses danses des photos. Puis elle m’a rejoint sur un banc.
à proposer de mouvement. Seule, les danses pas savoir quoi faire. La lourdeur de ces se chargent d’une dimension affective et Nous avions une très bonne place juste
libres sont impossibles. Elle me sollicite pour moments diminue à chaque fois. Elle trouve émotionnelle, restant toujours dynamiques devant l’œuvre. Elle écrit :
l’accompagner. Elle réfléchit à ce qu’elle doit de plus en plus de ressources pour les mais devenant plus expressives. Les « Le Penseur : personnage pensif dans son
faire, s’arrêtant souvent. Elle semble avoir dépasser, me demande de l’aider d’une membres du groupe reconnaissant la monde, replié sur lui […] Il se crée son monde
des attentes précises, des normes ou règles manière très claire. Elle est facilement différence de son état au sein de l’atelier à lui. Fait de rêves et de songes. Il pense au
très fortes, une rigidité tant physique que mobilisable dans et par le mouvement. lui adressent des phrases telles que : « Ça monde dans lequel il aurait voulu vivre, évoluer.
psychique. Les choses doivent être faites Elle ne cherche qu’à être soutenue. fait plaisir de te voir comme ça ! » « Tu me Il aurait pu danser une danse évolutive du
d’une certaine façon, mais pas de sa façon. Deuxième période : L’émergence de surprends !», « j’aimerai te voir comme cocon chrysalide à l’épanouissement. Niché
Elle est souvent envahie par un sentiment de « Solos» ; la naissance du Penseur et de ça tout le temps ». Ca la fait sourire. sur son caillou, sa pierre à pierre tombale.
« nullité ». La dimension ludique, le jeu, est l’envol : Axelle est plus en plus en confiance, Elle arrive mieux à mettre en mots ce qu’elle Pense à la mort ».
très important pour la soutenir. Elle peut avoir créative, inventive et imaginative. Des traverse ; à décrire ce qu’elle perçoit et Elle observe et décrit la position du Penseur.
des moments de repli sur elle où elle part moments de vide et d’angoisse existent ressent dans sa danse ou en regardant la Elle dira : « ses membres sont en relation deux
dans ses pensées (angoisses), se coupant toujours au sein de l’atelier. Ils correspondent danse des autres avec une grande justesse, à deux, bras en opposition, l’un est replié,
du monde. Emerge alors une expression de aux moments où elle est peu en mouvement. bienveillance et subtilité. l’autre détendu, il est en torsion. En fait c’est
tristesse et un air perdu. Ses solos deviennent plus fréquents. Ce A cette période elle adore faire de petits une position pas très agréable pour penser. Je
Le contact physique et la présence d’objets sont des danses dynamiques où ses bras se mouvements rapides avec ses pieds, ne pense pas qu’on puisse … en tout cas moi,
s’impose à nous spontanément dans la déploient, se meuvent comme des ailes. Un mouvement que le groupe reconnaît comme dans cette position je n’arrive pas à penser
danse. Ceux-ci lui permettent de revenir dans certain air d’envol se dégage, ce qui contraste sien. Quand elle n’est pas là en atelier, positif, je pense négatif ». Nous arrivons à un
l’espace de l’atelier et la rassurent. Ils sont avec la lourdeur de ses pas de début de différents membres du groupe reprennent moment à faire un lien avec sa signature dans
d’un grand appui pour la connecter avec l’ici prise en charge. Avec une position de début ses mouvements en disant son prénom. sa danse, les positions se ressemblent mais
et maintenant, à soi et à l’autre. Ils permettent et de fin caractéristique. C’est une position Elle est présente dans ce groupe même ne sont pas les mêmes. Elle m’expliquera que
également l’exploration de qualités de « signature » près du sol, accroupie, main quand physiquement elle n’est pas dans la dans son cas, sa signature exprime tout autre
mouvements et stimulent sa créativité. tenant sa tête. Cette position signature sera pièce. Elle est passée d’un état de « ne pas chose : « elle exprime la pensée profonde. Elle
Elle s’approprie progressivement son atelier appelé Le Penseur, nom donné par Axelle. exister ni avoir une place », à un état où elle symbolise la profondeur de la danse. Le sens
et dit l’attendre pendant la semaine, Ça lui fait Je sens qu’un travail très précis autour du est fortement présente au sein du groupe caché. C’est comme ça que je la comprend ».
du bien. Elle est plus présente et souriante. Penseur de Rodin est à développer. Ce tant physiquement que psychiquement. Le travail est repris en atelier dans une séance
Elle arrive même à choisir un CD parmi ceux thème devient un élément clé dans nos Elle accepte sans hésiter mon invitation à en individuel et spécifique pour clore ce projet.
présents dans l’atelier et me demande de rencontres. Evoquer le Penseur même participer à un deuxième groupe. Elle était invitée à mettre en mouvement ce que
trouver des CDs de rock !45 Ces nouvelles hors atelier est quelque chose qui l’anime. cette expérience lui donnait envie d’exprimer.
musiques amènent une dynamique différente Se faire, ou prendre une place parmi les autres : Visite du musée Rodin, la rencontre avec le Sa danse est une très belle danse habitée
à sa danse. Elle devient plus à l’aise au sein Axelle intègre un groupe de DMT. Angoissée Penseur : la rencontre avec Axelle m’a amené et chargée d’émotion. Elle choisit une
de l’atelier. Son état pendant la séance est au début, elle arrive progressivement à se à sortir de l’espace de l’atelier pour nous musique de Sigur Rós pour la danser, ce qui
très différent de celui à l’extérieur, le jour et détendre. L’importance de la rencontre et le permettre de développer et d’explorer une ajoute encore à la dimension émotionnelle.
la nuit. lien à l’autre est un élément essentiel pour piste autour du Penseur de Rodin. Avec le Elle fera un solo où des déplacements, des
Elle a une danse de plus en plus dynamique la soutenir dans sa danse. Elle parle souvent soutien de mes collègues de l’HDJ une sortie mouvements des bras se dessinent, des
45 Comme ACDC, Green Day ou Queen. 46 Plan de la roue qui est le plan de l’action groupale au musée Rodin a été organisée. moments d’arrêts dans lesquels elle est là,
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présente ! C’est une danse que je qualifierais Vers la fin du chemin ensemble, Se dire au Public de médiateurs réels concrets. Ça a été
d’essentielle, sans bavardage ni remplissage, revoir : nous ferons un travail en fin de prise Bravo, parce que si je n’avais pas compris difficile car c’était une schizophrénie très
seul l’essentiel est présent. Sa danse démarre en charge pour se quitter. Des danses avec l’indicible et l’ineffable, il a été très bien lourde chez ce patient et on est passé par
au sol dans sa position signature pour finir les autres pour se dire au revoir. Avec des représenté, j’ai eu beaucoup d’émotion et j’ai des hauts et des bas. Des moments où j’étais
debout dans une variante de cette position, la temps de parole un peu plus important où elle traversé tout le parcours. hyper optimiste à d’autres où je ne savais
tête relevée, le regard face, son visage visible. exprime ce qu’elle retient de son parcours. plus comment faire, j’ai dû discuter beaucoup
Texte de fin après sa danse : « Danse Elle souhaite avoir un espace semblable à Paula Martinez-Takegami avec ma superviseuse et avec l’équipe pour
évolutive de la vie du Penseur (titre). Il l’extérieur. C’est vrai que le parcours de cette jeune me savoir par où on allait. A des moments,
passe sa vie à penser mais son état intérieur Le parcours d’Axelle a été très riche. Elle touche moi aussi fortement. l’équipe entière ne savait plus comment
n’est pas le même. Début : recroqueviller, s’autorise progressivement à prendre une faire tellement sa pathologie était lourde. On
chrysalide. Ensuite : se lève marche danse place et à « exister ». Elle démarre par une Public a du passer le relais et il est parti dans une
tout en pensant. Après : fait sans penser danse/mouvement dans un premier temps J’ai une longue pratique de la danse thérapie institution en Belgique.
complétement ; meurt d’avoir trop pensé ; au avec une nécessité de décharge d’un trop et je voulais faire une petite remarque sur la
paradis recommence à danser et à penser ». plein contenu en elle qui a besoin d’être définition que vous avez utilisée, américaine.
Le Penseur est une œuvre que je trouve déposé dans un espace contenant, qui Celle que je connais, et qui est sans doute
faire écho à ce que je perçois chez Axelle47. donne progressivement place à une danse celle d’origine, c’est que la Danse Mouvement
Les ateliers croisés : danse, Mouvements et expressive, communicative et réflexive. Elle Thérapie c’est un processus pour promouvoir
percussion : de par son initiative, un espace sortira avec un diagnostic de schizophrénie l’intégration physique, psychique et sociale
mêlant danse et percussion est créé. Elle paranoïde, quelques mois avant sa sortie elle d’un individu. Je trouve que c’est tout à fait
a adressé une invitation aux membres de dira qu’elle entend de voix depuis qu’elle est remarquable parce qu’en deux lignes on défini
l’atelier percussion et à moi-même pour y toute petite, élément qu’elle n’avait jamais ce que provoque la danse thérapie en parlant
prendre part. Axelle est moteur et leader exprimé. Elle quitte l’HDJ pour entreprendre du mot processus. Dans la définition initiale
de cette proposition. Elle génère un espace ses études au sein d’un espace de soin- il n’y a même pas les mots mouvement et
nouveau. Elle a un espace psychique dans études. danse. L’accent est mis sur le processus,
lequel elle s’autoriser à penser pour elle, L’utilisation de supports provenant d’autres effectivement intérieur, psycho-corporel,
accueillant ses envies et désirs, elle crée. Elle arts m’a aidé à ajuster au mieux mon dispositif partagé... et votre travail le montre tout à fait.
prend une place différente au sein du groupe pour favoriser l’émergence du mouvement,
pouvant être en avant et non plus effacée. de la danse, du travail psychothérapeutique Public
dans cette prise en charge. Ces arts Je voulais savoir si vous aviez déjà appliqué
47 Dans le livre « Comment parler d’Auguste Rodin
aux enfants ? Pour adultes et enfants » (Hardy 2013). Le (musique, sculpture), autre que la danse la DMT pour des personnes handicapées
Penseur faisant au départ partie de La Porte de l’Enfer. et le mouvement, sont des médiateurs au physique ou autiste par exemple. Si oui,
Il représentait Dante, l’auteur de La Divine Comédie. sein de ma propre médiation et non pas comment ça se passe ?
Il « était initialement à la fois un être au corps torturé,
une médiation art thérapeutique. Chaque
presque un damné, et un homme à l’esprit libre, décidé à
transcender sa souffrance par la poésie ». Puis dans l’œuvre médiation art thérapeutique est une langue Paula Martinez-Takegami
monumental indépendante, il est décrit comme un homme à part entière qui demande une importante Pour des personnes handicapées physique
« plongé dans ses réflexions », mais avec un corps puissant connaissance et maîtrise. non, car dans le cadre où je suis intervenue
suggérant « une grande capacité d’action ». C’est un homme
Le travail développé au sein de la DMT, favorise il n’était pas question de thérapie mais d’art.
qui réfléchit très fort, « il est absorbé dans ses réflexions ».
« Il est tourné vers l’intérieur vers tout ce qui agite son une expérience multidimensionnelle du sujet Il n’était pas question de DMT mais d’objectif
esprit » et non pas vers des objets extérieures. « Paumes et au travers des sensations kinesthésiques, artistique. Donc j’ai travaillé avec mes outils
doigts détendus par rapport au reste du corps », « comme esthétiques, émotionnelles, cognitives et de la DMT parce que j’ai un regard de ce
des ailes au repos, qui vont battre l’air et prendre leur
culturelles (Wengrower 2008), qui génèrent côté, mais les objectifs n’étaient pas de tout
envol… » C’est un homme « habité par l’effervescence de
son esprit » avec un « bouillonnent mentale emplissant une sensation de globalité. La danse est une dans cette dimension. C’était dans l’objectif
ce corps, alourdissant cette tête » qui doit être soutenue». expérience expressive qui permet de générer de démocratiser l’art. J’ai travaillé avec des
« …quand on regarde longtemps, on a l’impression d’une chez le « danseur » la sensation d’un soi unifié personnes psychotiques avec des traits
grande force dramatique et d’un mouvement violemment
et en harmonie avec son monde (Hawkins autistiques, en fait un patient homme en
contenu ».
1988) ce dont Axelle a pu témoigner. individuel, et là on a eu besoin de beaucoup
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se déclenchent à l’entrée en adolescence. mettant les sens du corps en mouvement, de ces derniers mène naturellement vers
Une tristesse profonde qui peut s’apparenter peut-elle accompagner les douleurs et l’obstacle musculaire ou tendineux, processus
à un trait mélancolique, une grande inviter à l’estompage des symptômes ? qui mènera tôt ou tard vers l’émotion, la
L’adolescence entre violence au collège et une nette tendance frustration, mettant en exergue les difficultés
chaos et édification à la manipulation amènent les parents à lui La thérapie, sous toutes ses formes, est en de l’individu à se confronter à l’apprentissage,
proposer un processus art-thérapeutique général rejetée par les PAR (Personnes A principal enjeu de toute croissance. Le Dojo
David El Karmouni au sein de mon cabinet. C’est à travers la la Rue). Elles ne veulent plus en entendre classique n’est évidemment pas l’endroit où
Art-thérapeute musique et le dessin que Pablo réussira parler car tout suivi est associé à des cadres l’individu peut élaborer les affres signifiantes
Psychologue clinicien à apaiser ses élans d’auto destruction. désormais considérés comme hostiles, qui accompagnent sa confrontation aux
Psychothérapeute Commençons par le cycle spatiotemporel contraignants, destructeurs : les personnes limites de corps et de l’entendement.
Le chemin vers l’édification de notre des forêts. Un certain Francis Hallé, Docteur se sentent jugées, mises en échec, mal Dans un cadre art-thérapeutique, nous
être est naturellement, biologiquement en biologie le décrit en trois phases : la forêt accompagnées par des prescriptions qui accompagnerons spécifiquement ces
et psychiquement semé de difficultés pionnière meurt en laissant un sol sédimenté ont renforcé leurs addictions ou les ont passages épineux où la personne se trouve aux
ordinaires. Elles nous permettent d’acquérir qui donne naissance à une forêt secondaire initiées selon elles. L’art-thérapie quant à prises avec elle-même, adversaire bien plus
l’adaptabilité et de développer des qualités dite climatique à partir de laquelle, si le elle intrigue. Elle amène la personne à me redoutable que le plus fort des combattants.
destinées à la construction de notre vie temps lui est accordé, une forêt ancienne, poser des questions lors des entretiens Cela est criant de vérité chez les personnes à
psychique et corporelle. Toutefois, au véritable berceau d’équilibre botanique, individuels d’accueil au sein de la structure la rue. Pour elles, le quotidien est un combat
sein de ce parcours, qu’en est-il pour énorme réservoir d’oxygène, nous gratifie de que j’ai coordonnée durant huit ans. Oui, il est continu pour la survie dans un monde qu’elles
ceux d’entre nous qui subissent, dans tout ce dont elle recèle. Ce cycle n’est pas question d’arts martiaux, ou plutôt de danse redoutent, craignent, détestent. L’idée
leur tendre enfance, des traumatismes sans me rappeler celui de du développement martiale, et toute personne est la bienvenue, alors de les inviter aux arts martiaux parait
liés au déracinement, à la défaillance de psychosexuel de l’Homme. Ce dernier croît et peu importe son état physique et nul besoin farfelue et inadéquate mais elle attisera leur
l’environnement et à un manque de sécurité ? se bonifie afin de devenir un adulte équilibré. de prérequis. « Comment ? L’on me propose curiosité et certaines s’inscriront dans un suivi
Deux cas cliniques vécus en institution et en Toutefois, lorsque les forêts climatiques ou à moi, avec toute l’agressivité que j’ai, de avec une présence assidue aux séances et
cabinet : nous verrons, dans un premier temps, secondaires voient leurs branches mortes pratiquer des arts martiaux ? Et ce serait feront montre de progressions étonnantes.
comment l’art-thérapie pratiquée au sein d’un grignotées par les parasites et transformées une thérapie !!? ». Pensée qu’Alex, 18 ans, Alex en fait partie. Il est issu du monde des gitans
accueil de jour, utilisant un média danse et art- par des phénomènes doux et lents (mille sortant de prison et nouvellement accueilli d’Europe de l’Est. Il vit dans la rue mais rejoint
martiaux peut faire face à l’errance intérieure ans sont nécessaires pour donner naissance dans la structure, me livrera bien plus tard. parfois sa maman qui réside dans une cabane
d’un adolescent de 18 ans. Violent vis-à-vis de à une forêt ancienne) en riche composte, Les arts martiaux sont souvent associés, au milieu du camp alloué à cette population
son environnement direct, il fait montre d’un l’adolescent, quant à lui, à son entrée en à juste titre, au combat et à la violence des mise ainsi au ban de nos villes. Il a une petite
symptôme schizo-paranoïde couvé depuis âge de latence voit sa forêt soumise à la rixes. Toutefois, la philosophie pacifiste qui sœur handicapée qu’il affectionne et évoque
la petite enfance marquée par un manque force destructrice d’un volcan en irruption. règne sur la pratique du Kung Fu Shaolin nous souvent la rage ressentie à l’endroit de leur
de repères et par l’abandon. Alex verra son Phénomène ordinaire, à l’instar de la lave, amène à considérer d’abord l’ennemi qui est père qui brille par son absence totale depuis leur
état stabilisé pourtant par son implication la sève brulante du corps et de la psyché en en nous-même. Celui qui a été forgé par nos tendre âge. Pour Alex, l’amour est une notion
dans les processus offerts par le geste, le transformation influencera toutes les étapes traumatismes, nos manques, nos illusions, associée à la niaiserie, un sentiment dont il n’a
rythme, la répétition, le cadre et évoluera de la vie jusqu’à l’âge de dix-sept ans, temps nos parcours chaotiques. Nous cessons, par jamais bénéficié et, au cours de graves crises de
vers un engouement pour les disciplines d’accalmie potentielle si le cheminement de le biais de cette pratique, de projeter sur violence, il pourra hurler dans la rue qu’il n’aime
sportives et artistiques qui convoquent l’adolescent a suffisamment été accompagné autrui nos drames intérieurs et, comme au personne, ce sentiment, il le laisse aux faibles
le corps, théâtre du chaos adolescent. par des environnements contenants. sein de toute bonne thérapie, nous acceptons et aux « narvalos » (« abrutis » en argot gitan).
Pablo quant à lui est convaincu qu’il a été de soigner en nous, « mine de rien », les Alex a une force physique impressionnante, il
abandonné par sa mère. Cette dernière vivait Qu’en est-il alors lorsque ces transformations heurts et les blessures de notre corps et de est souvent impliqué dans des bagarres d’une
en Amérique du sud et a décidé de confier chaotiques ordinaires ont été perturbées par notre psyché…par voie de conséquence. violence inouïe. Le commissariat de Police est
son bébé à un couvent qui veille à placer les des traumatismes majeurs, venus aggraver Oui car le Kung Fu Shaolin s’inspire d’abord une sorte de lieu qui l’appelle à une visite au
enfants. C’est au sein d’une famille française les perturbations déjà nombreuses liées de la danse : des mouvements exécutés sans moins hebdomadaire.
que Pablo trouvera refuge. Toutefois, à la construction du squelette psychique, la présence d’adversaire, aucun combattant. Il accepte de venir à l’une des premières séances
violence et comportements hétéro et auto psychoaffectif et psychocorporel de Nous verrons souvent le pratiquant fermer les de Kung Fu Shaolin que j’organise, persuadé dit-il
agressifs, les mêmes symptômes qu’Alex, l’adolescent ? Comment l’art-thérapie, en yeux pour sentir les gestes. L’apprentissage qu’il « va mettre la branlée à tout le monde ».
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Premières séances : Vingt troisième semaine de prise en soin : un exactement en Colombie, la Colombie natale Semaine 20
Les échauffements qui initient les séances incident majeur advient de Pablo, adopté. Il a huit ans en arrivant à Pablo s’est vu offrir des mailloches lors de
sont le moyen de rencontrer les corps, de Alex, sans qu’il ne soit blessé par un coup ou mon cabinet. La famille d’adoption m’adresse cette séance. Je l’invite à jouer avec moi, à
repérer les écueils des uns et des autres à contraint par une prise, est pourtant soumis à rude leur enfant pour traiter des symptômes de reproduire des rythmes que je lui propose. Au
les mettre en mouvement à cause des dégâts épreuve avec un partenaire de simulation violence auto agressive et hétéro agressive. bout d’une bonne heure de jeu durant lequel
engendrés par le froid, l’alcool, le tabac et les de combat. Ce dernier est plus rapide, plus Nous sommes sensiblement face aux mêmes le patient est « vivant », donnant une âme aux
drogues, ingrédients classiques de la vie dans technique, plus à l’aise qu’Alex qui n’arrive à aucun symptômes que ceux déployés par Alex : rythmes joués, les yeux brillants. Lui offrant
la rue. résultat malgré ces nombreuses tentatives « de dépréciation extrême de soi ; attaque de la possibilité d’impulser des rythmes que je
Alex est assez à l’aise, l’essoufflement que faire mal ». Lorsque personne ne s’y attendait, l’autre sous différentes formes (physique et pourrai suivre à mon tour, il refuse, la séance
je peux relever chez lui ne vient pas des Alex arrête son jeu de jambes et s’écroule au verbale) ; besoin de réassurance constant. Dès prend fin.
séries que nous venons tous d’exécuter mais sol, de gros sanglots arrivent…je regarde les la première séance, nos origines hispaniques
de sa hâte de commencer les combats. La autres patients et les invite à se rapprocher communes s’expriment et nous échangeons Semaine 24
déception que je lis sur son visage est grande très doucement de lui, à l’entourer en respirant longuement sur les ponts tissés entre nos Pablo arrive avec une idée fixe : jouer
quand je l’invite à essayer d’imiter les gestes profondément, en silence et sans le toucher. Le cultures andalouse et sud-américaine. La et m’offrir des rythmes. Nous jouons
que j’exécute face au groupe, en affirmant groupe est allé à la rencontre d’Alex avec une première proposition art-thérapeutique que je longuement sur des rythmes qu’il invente
également que les combats sont facultatifs et communication non-verbale inscrite dans le corps. fais est le dessin. Pablo esquisse des traits et dans un lâcher prise évident. Son corps est
qu’ils sont réservés à des séances ultérieures, Ici, le groupe fait corps d’étayage. Alex restera des formes…Ce sont toujours des objets et animé, il sue, rit, tape de manière effrénée.
lorsque nous aurons acquis suffisamment parmi nous jusqu’à la fin de la séance sans colère des paysages qui ne font la place à aucune L’inhibition est totalement levée. Il danse
de technique pour éviter tout accident. Il ni violence. C’est probablement le tournant le plus imagination. Il n’y a aucune fantaisie, tout est debout derrière son tambour.
demeure là, prêt à continuer la séance en important de la prise en soin de ce patient. carré, ce qui demeure le plus interpellant est
nous promettant « une raclée » quand il en que Pablo semble s’exécuter. « Faire bien, Semaine 30
aura l’occasion. Vingt septième semaine de prise en soin : comme on me le demande », semblait être Pablo a pris la décision de faire un pèlerinage
Imiter le mouvement et s’inscrire dans la Alex ne se bat plus dans la rue, il a grossi, une pensée dominante. Je commence alors en Colombie en compagnie de sa famille
répétition de celui-ci jusqu’à ce que notre un visage poupin et autres signes cliniques de à m’interroger sur la pertinence du média adoptive. La violence, les sarcasmes et
corps se l’approprie, voilà la consigne. Cela mieux être sont ostensibles. proposé et sur ma capacité à accompagner provocations ont disparu. Il a le sourire facile.
pose clairement la question de l’identification Lors de cette séance, Alex combattra, sa ce patient. Au conservatoire, Pablo choisira le piano et la
par mimétisme. Alex scrute mon corps, suit technique s’est améliorée, son compagnon batterie. Il est décrit par ses parents comme
chaque geste avec une tension due à la de combat chute. Nous verrons alors Alex Semaine 6 virtuose. Oui, belle virtuosité inscrite dans
concentration. Il veut y arriver. marcher lentement vers lui, se baisser à son Pablo arrive, des percussions trainent dans les phénomènes art-thérapeutiques. Quoi
S’engager dans cette voie, c’est naturellement niveau pour lui demander comment il allait en mon cabinet. Pablo les fixe du regard mais de plus impressionnant que la capacité, le
l’endroit d’une perte nécessaire de l’équilibre. posant une main puis une deuxième sur le réclame la feuille de dessin. Une percussion, potentiel artistique de nos patients catalysé,
Le corps d’un pratiquant est habitué aux corps de cet autre qu’il aidera à se relever en une sorte de tambour l’attire particulièrement. dynamisé, énergisé par la créativité et le
mouvements dont on ne saurait plus compter présentant des excuses et en assurant qu’il Il ose une question : qu’est-ce que c’est ? cadre sécurisant d’un lien humain de soin ?
les milliers de répétitions. Celui d’Alex doit ne voulait pas lui faire de mal. Ma passion prendra la parole pour expliquer
désapprendre et perdre des acquis, des Alex ne se bat plus dans la rue et fait une l’histoire de ce tambourin qui est la Public
réflexes pour faire la place à de nouveaux demande de « formation cariste » et de transformation d’un ancien bidon d’huile à Pour Alex, il a été suivi un certain temps, cette
schémas d’action transmis par nos nombreux logement. moteur. A la fin de mon propos, Pablo décide violence s’est désamorcée puis est revenue,
échanges non-verbaux lors des séances. Un Quelque temps après, la police l’interpelle. Il de fabriquer sa percussion. il y a eu la prison, qu’est-ce qui s’est passé ?
long travail de déconstruction est entamé, six va en prison, rattrapé par une ancienne affaire
semaines « de prise en soin » (expression de bagarre dans laquelle il était impliqué. Semaine 15 David El Karmouni
utilisée par une infirmière, A T, laquelle je Alex ne se battra pas, contrairement à son Pablo me demande beaucoup de traduire le L’effraction qu’il avait subit dans la tendre enfance
remercie ici de m’avoir transmis ces mots). habitude, avec les policiers qui l’ont arrêté. vocabulaire musical français en espagnol. Il a est bien entendu familiale. C’est après la prison,
Six semaines durant lesquelles Alex est Et en prison, il suivra une formation tout en hâte de commencer l’apprentissage de cette peut-être avec une identité refaçonnée (c’est peut-
assidu et au cours desquelles j’apprendrai répétant ses mouvements de Kung Fu. langue au collège.Le tambour de Pablo est être une élucubration de ma part) il est allé dans sa
que les rixes qu’il provoquait dans la rue ont terminé, les couleurs qui le composent sont famille et il s’est pris de nouveau des «baffes». Et
diminué. Partons à présent en Amérique du sud, plus celles du drapeau colombien. je crois que sa violence est repartie de là.
92 Les Actes2015 93 Les Actes2015

Public psychothérapeutes, tous les soignants, tous c’est une question extrêmement complexe, Pour moi le désir, avant mes études et ma
Est-ce que ce n’est pas une mission les accompagnateurs pour entrer en relation et il ne faudrait pas confondre et penser qu’il psychothérapie didactique pour devenir
thérapeutique lorsqu’on sait qu’il va y avoir avec l’usager. C’est d’abord à travers ce lien là s’agit absolument de maîtriser un cadre, car le psychothérapeute, pour moi le désir est
une rupture, telle que le milieu carcéral, ce que j’amène vers l’entretien et ensuite à partir cadre se construit toujours dans la relation, on chargé de fantasmes, de pulsions, de choses
serait légitime, puisqu’il y a une intervention des questions des personnes je dis ce que je est toujours deux à le construire. Ce n’est pas que nous projetons sur nos patients et ils n’en
de soins, d’intervenir dans la prison, parce fais dans ces lieux là. Ma proposition, ce qui l’a uniquement le thérapeute parce qu’il a a priori ont pas besoin. Ils ont besoin effectivement
que quand on voit que la personne s’en est hameçonné, c’est de faire des arts martiaux des intentions très fortes qui doit maîtriser de nos pulsions, ce qui est pour moi
pratiquement sortie... pour mieux se battre dans la rue. Mais il savait absolument son cadre. Ce n’est pas possible. complètement différent : la pulsion de vie est
très bien que c’était de l’art-thérapie. Hier, on différente du désir et même si elle peut le
David El Karmouni a beaucoup parlé d’énoncer le cadre. Mais David El Karmouni générer, la pulsion de vie va aider nos patients
J’entends ce que vous dites. Mais je crois que il y a aussi beaucoup l’intersubjectivité : ce L’intention de soin c’est un concept qu’il à s’étayer sur nous et à aller vers leur désir.
ce qui lui est arrivé pourrait nous arriver à tous. que nous portons comme intention de soin faut absolument approfondir parce qu’elle
Si on est bon thérapeute on a été soigné, on inter-subjectivement, c’est à dire de manière débarrasse de la toute puissance. Nous Irina Katz-Mazilu
est soigné, on continue de l’être à travers une non verbale, filtre vers nos patients. Quand débarrasser de nos désirs et de nos fantasmes Il est vrai que la vie appartient aussi à d’autres
supervision ou autre, et on se dote d’outils Husserl a parlé de perception intuitive et c’est aussi se débarrasser de notre toute que l’être humain. Est-ce que ce ne serait que
pour avancer et continuer de cheminer. Si on quand Young parlait d’intersubjectivité on a puissance. Bien sûr qu’une partie du cadre l’être humain qui a du désir ?
enlève les outils, c’est comme si on enlevait failli les mettre sur le bûcher, aujourd’hui dans est complètement de la responsabilité du
des béquilles et on rechute. C’est déjà le les couloirs des institutions les médecins les thérapeute mais le cadre est forcément co- David El Karmouni
phénomène qui lui est arrivé et puis, je suis plus éminents parlent de l’intersubjectivité construit. Je laisserai le loisir à des éthologues de
quelqu’un de croyant donc je vais dire « que entre patients et entre patients et corps répondre à ce genre de question. Pour ma
Dieu vous entende » , que l’art-thérapie soignant. L’intention de soin que nous portons Public part, en tant que danse thérapeute, bien sûr
puisse sur prescription d’un art-thérapeute doit être perçue par nos patients, même les Je voulais rajouter que le cadre peut être aussi que la vie est dans tout, dans les arbres, et
faire reconnaître à un directeur de prison plus démunis, et cette intention de soin parle attaqué. Donc ça va demander au thérapeute c’est bien pourquoi j’aime quelqu’un comme
qu’il y a un atelier qui doit se poursuivre pour de notre propre démunition car je ne peux de savoir s’adapter, de savoir résister aussi. Francis Hallé.
le bien de la santé de l’un de nos patients, pas parler du désir du soignant sans parler du
ce qui n’a pas été le cas. La rupture avec le fantasme du soignant donc ça me dérange Philippe Carette
monde thérapeutique et le monde médical a un peu, mais parler d’intention de soin. Elle On peut avoir des positions autres sur le
été sévère chez lui. Il ne veut pas en entendre figure peut-être de l’ordre de l’intention de cadre et des positions plus modérées. C’est
parler. Il a fait du groupe ses thérapeutes et de soi pour aller vers nos patients le plus démuni un grand sujet.
moi son accompagnateur mais tout ce qui est et le plus ignorant possible. Se mettre en
blouse blanche et tout ce qui est avec préfixe position d’apprentissage face aux experts que Public
psy il ne voulait plus en entendre parler. sont nos patients. Depuis hier, on aborde en premier lieu cette
question là à chaque fois : quel cadre on pose,
Public Public ce qui prouve la diversité de ces pratiques.
Mais quand vous vous présentez vous J’aime bien l’expression prise en soin plutôt
présentez votre atelier d’art-thérapie alors que prise en charge. Irina Katz-Mazilu
qu’est-ce qui fait qu’il n’en a pas eu peur ? Je voudrais juste dire un mot sur le désir
David El Karmouni puisque c’est un mot qui est tabou en psy.
David El Karmouni Il faut surtout remercier une étudiante de Quand on s’est débarrassé de ses désirs, on
Lorsque les personnes à la rue arrivent l’institut de formation que je dirige et qui est est mort. Il ne faut pas confondre désir et
à l’accueil de jour, je me faisais un point une infirmière qui utilise souvent ce mot et toute puissance. Est-ce qu’on ne peut pas
d’honneur à entrer en contact avec eux sur qui m’a définitivement débarrassé de « prise voir les choses autrement ?
le plan humain, peut-être en m’inspirant aussi en charge ».
des institutions qui m’ont formé notamment David El Karmouni
en psychothérapie institutionnelle où les Philippe Carette Je suis issu du monde de la danse thérapie.
endroits de l’officieux sont investis par tous les La notion de cadre a traversé les journées, La psy, je l’ai fait pour compléter mon panel.
94 Les Actes2015 95 Les Actes2015

En voyant votre film, je vois tous les potentiels leur potentiel, ce qui demande évidement les individus, la nomenclature ; c’est très
dans l’art mais je ne vois pas pourquoi vis à un travail d’accompagnement mais on voit important. Une association m’a téléphoné
vis des personnes avec certaines difficultés que ce n’est pas en les laissant dans leur pour me dire qu’on ne pouvait pas utiliser
«L’autiste au tambour» ou troubles pathologiques différents, nous routine qu’on peut les aider à évoluer. Ce le mot art thérapie, que c’était une activité
n’avons pas forcément toujours à être dans sont des personnes que l’on choisi car toutes musicale. Il y a eu protectorat ! Le mot thérapie
L’autiste au tambour un cadre thérapeutique. Grossièrement, ne peuvent pas aller aussi loin, mais on a est très protégé, comme diagnostique, donc
Film de 57 minutes, thérapie, ça dit pathologie, traitements, soins. démontré qu’avec ces personnes là, on peut on ne peut pas le dire, au delà des mots...
réalisé par Yves Langlois. On peut soigner aussi autrement, il y a la partie aller plus loin.
Projection et débat en présence du humaine, mais vous dites très bien dans ce Public
réalisateur. film que l’art est accessible à tous d’où cette Irina Katz-Mazilu Il y a plusieurs possibilités par l’art, on n’est
Ce film présente l’odyssée improbable de idée : on a tous la possibilité de créer. Ce sont Vous êtes psycho-sociologue, vous parlez là pas obligé d’être thérapeute, ça dépend de
sept jeunes artistes-autistes et de leurs des cadres qui sont différents. C’est pour de ne pas faire de la surprotection et ça nous son cadre, être artiste intervenant, pédagogue
accompagnateurs depuis Rouyn-Noranda évoquer le potentiel : dans une médiation concerne tous ! Dans les institutions ou les lieux ou quand je suis thérapeute, chaque forme a
au Québec jusqu’en Europe où ils réalisent thérapeutique, psycho-thérapeutique, sociale, d’accompagnement, il arrive que les personnes ses spécificités.
une tournée de spectacles et témoignent de artistique car l’art a une fonction sociale soient déstabilisées parce qu’il s’est passé quelque
leur impressionnante transformation grâce chose dans l’atelier d’art-thérapie par exemple, et ce Yves Langlois
à une méthode avant-gardiste : la SDIA Yves Langlois serait la faute à l’art-thérapie ou à l’art-thérapeute… Je connais bien Guy Cornaud, je travaille avec
(Sociodynamique d’Intervention par l’Art). Dans le mot socio-dynamique on essaie de alors que c’est « la vie » ! Retravailler cela avec des des équipes par deux ; je travaille avec une
faire de l’intégration par l’art sans utiliser le professionnels permet de donner des outils d’auto- danseuse orientale et d’autres thérapeutes
Irina Katz-Mazilu mot de thérapie et on remarque qu’entre le protection pour toute personne qui pourra ensuite travaillent avec d’autres personnes et l’artiste
Je souhaite dire que lors du jury48 nous avons mot artiste et autiste il n’y a qu’une seule s’en servir de façon autonome. Un peu comme a des notions qu’on apprend quelles qu’elles
ressenti comme une bouffée d’oxygène dans lettre de différence. Je l’ai vécu quand j’ai faire grandir quelqu’un... soient qui sont essentielles. Il faut être capable
un monde assez noir... fait « le dernier envol » sur une personne de réagir. Toute l’équipe était préparée et
handicapée physique qui avait voyagé pas mal Yves Langlois prête. Dans l’avion, c’était limite mais contrôlé
Yves Langlois qui a fait des propositions de film. C’est rare On intègre les familles car vous voyez par des gens qui se savaient capables.
L’art-thérapie ça reste très difficile à intégrer qu’on trouve des choses qui font élargir la qu’elles voyagent avec eux. Le travail se fait
au Québec. conscience des gens et dans un voyage dans parallèlement au niveau des familles, c’est un Public
le nord du Québec où il doit faire moins 40 travail de systémique, de changer un peu la Cette histoire de mots et de démarche, parce
Irina Katz-Mazilu (Québec c’est moins 30), il y avait Yohan qui se dynamique familiale qu’apparemment au Québec il est aussi difficile
Mais vous parlez d’art-thérapie alors que dans promenait dans les rues et qui commençait à d’intégrer l’art-thérapie dans les nomenclatures,
le film on parle de socio-thérapie ? faire de la musique. Quelques mois plus tard, Irina Katz-Mazilu il ne s’agit pas de dire si on est dans le désir ou
ils avaient monté un spectacle qui tournait La communication verbale, vu la difficulté à se dans autre chose. Il s’agit de clarifier la position
Yves Langlois dans différentes villes et tout le monde mettre d’accord sur le sens des mots, nous à partir de laquelle on parle et de pouvoir être
À Paris, vous connaissez ? Je suis vidéaste et disait : eh l’artiste ! Salut l’artiste ! Ce n’était désunit plus que ça nous unit - alors que la en mesure d’expliquer la démarche très exacte
j’utilise la vidéo comme on parle d’intégration plus l’autiste mais l’artiste. Le statut social est communication non-verbale qui passe par le avec laquelle on accompagne les personnes en
sociale, car on ne fait pas de thérapie individuelle très important et dans ce film, on renverse sensible et par l’émotion est universelle pour souffrance histoire de ne pas passer pour des
alors j’aime bien cette expression de socio- une notion communément connue qui dit l’être humain. Les attitudes et expressions charlatans. Afin que la puissance de l’art qui
thérapie qui est l’art d’intégrer les gens dans que comme les personnes autistes ont de corporelles, au delà du culturel, permettent de produit des effets thérapeutiques, la puissance
une dynamique de groupe, dans la société, et la difficulté à sortir de leur milieu, il ne faut percevoir chez l’autre une attitude agressive de l’art-thérapie qui produit des mieux-être
dans la capacité de vivre plus heureux. pas les traumatiser, il faut les laisser dans leur ou bienveillante en peu de temps. On peut proches de la guérison... à nous d’être très clair
routine parce que dans leur routine, ils sont se dire que le rapport à l’humain est le plus dans notre positionnement et d’être en capacité
Public confortables. On fait exactement l’inverse, on important. L’être-thérapeute c’est l’être- de l’expliquer.
Merci pour ce film que je trouve merveilleux. les emmène vers un autre continent. Dans humain au delà du savoir du thérapeute.
l’avion, c’est presque la panique, mais ensuite Yves Langlois
48 Il s’agit du 36è festival psy de Lorquin qui présente
l’actualité de la vidéo en santé mentale et publique, ainsi
quand ils sont revenus, allez au coin de la rue Yves Langlois Tout à fait, c’est l’origine de la motivation du
qu’un reflet de son histoire. ou la ville d’à côté ce n’était rien. Ils ont élargi C’est le processus de rencontre entre film. Sans utiliser de vocabulaire contraignant,
96 Les Actes2015 97 Les Actes2015

on démontre une pratique à partir d’un car le parc instrumental est très riche. Et là film peut changer quelque chose et c’est une
exemple. Il y a une quinzaine d’art-thérapeutes on voit effectivement différents degré dans peu ce qui est arrivé. L’université de Québec
dont aucun ne s’identifie par un mot. On l’autisme, avec pour certains que du geste, a décidé de développer un programme de
a réussi à parler de dessin, de danse, de beaucoup de brutalité, une collègue s’est pris formation à la méthode STIA. A Montréal des Synthèse
montrer comment ça se passe, comment les un bol tibétain en pleine figure. On ne se pose associations se sont regroupées et veulent
gens le vivent, comment les gens le reçoivent jamais la question de l’art et du médiateur. reconstituer une sorte de chapiteau turbulent. Irina Katz-Mazilu
avec cette intention de dire voici ce qu’on fait En tant que conférencier, où est le média, Mohamed veut toujours m’intégrer. Moi je Dans une synthèse, on utilise les mots clés. Il
mais sans porter de jugement pour justement dans l’art, dans la personne ? Dans le film, fais des films, mais le papotin, moi je veux y avait beaucoup de mots clés dans l’intitulé
ne pas rentrer dans des débats sans fin. Mohamed est incroyable, ça marche, chacun le faire ! Je suis emballé par ce projet et il de ce colloque : expression, créativité,
a sa place, il est ok avec sa place de médiateur y a toute une infrastructure qui est en train médiation artistique, accompagnement
Public qu’il a donné son rôle, ça m’a profondément de se mettre en place et j’ai eu des nouvelles thérapeutique. On peut retenir la diversité des
C’est très parlant ce qui s’est passé. interrogé. Soit on est animateur, soit on va de Geoffrey qui au retour avait eu quelques approches, et ce qui m’a fait très plaisir c’est
J’imagine que c’est un défi énorme de venir au delà et la question du soin, surtout du difficultés, c’était le seul dans les 4, mais il y a que cela s’est passé sans rivalité ni guerre
jusqu’à Paris. Y avait-il un changement après résultat et du bien être de la personne. Et eu un peu de recul puis il a réintégré le groupe fratricide, bien qu’on planche beaucoup sur
ce voyage ? la place des familles. Dans l’institution où je et ils font de la musique. Le film s’est fait sur 3 qui fait quoi, comment, où, avec quoi. On
travaille, ils sont laissés pour compte, mais ans, donc tout ça fait 6 ans à partir du premier peut ne pas être d’accord sur un concept,
Yves Langlois heureusement qu’il y a des films comme ça jour où ils sont venus me chercher. Chaque c’est un débat d’idées et non pas de
Il faut dire que le voyage est venu après 4 pour poser toutes ces questions. jeune se promène, et d’autre se sont intégrés, personnes. Nous avons eu 15 communications,
ans de travail le film démontre un résultat et Mohamed se promène pour présenter le trois films, des documents vidéo dans les
plus que la méthode au complet. Par contre, Yves Langlois film, à chaque fois il y a des parents d’enfants communications et des témoignages. Cela visait la
c’est sur que le retour a été très important. Il y a « Les turbulents », ils sont à Paris, vous autistes qui s’inscrivent dans des formations. transdisciplinarité. Le préfixe « trans » indique
Pour Geoffrey, ça a été difficile. Il n’a pas une avez tout à fait raison, c’est ce qui m’avait Malheureusement, c’est le financement qui le mouvement, le transit d’une chose vers
utilisation de la parole et lorsqu’il est revenu, motivé à aller voir le travail qu’il faisait avec ne suit pas. l’autre et non pas une simple juxtaposition ; la
il ne pouvait pas raconter son histoire, et des jeunes en institution. L’éducatrice est transdisciplinarité est un concept dynamique
pour lui ça n’a pas été facile. Pour les autres, arrivé avec des jeunes enfants et il y avait Public par définition. Nous avons entendu des
ça a été fantastique. Yann est retourné à une petite fille qui était à part, et elle était en Oui, c’est souvent le problème, ce qui crée un professionnels différents, psychiatres,
l’école alors qu’il avait dû la quitter parce punition pour une raison banale et Mohamed arrêt au niveau des structures. psychologues cliniciens, psychothérapeutes,
qu’il était totalement incapable de s’intégrer l’avait réintégrer de façon très naturelle en la psychanalystes, psychomotriciens, travailleurs
et j’ai appris récemment qu’il était entré à stimulant, et à la fin elle était complètement Yves Langlois sociaux : animateurs, éducateurs, animateurs
l’université, donc ça va très très bien. Pour intégrée dans le groupe. Dans cette heure On attend toujours la prochaine élection ! de réseaux, artistes, art-thérapeutes et des
le petit Thomas ça a été fantastique aussi, c’est à ce moment là que j’ai décidé de faire personnes en formation.Tout ceci dans
parce que lui qui a toujours eu des difficultés ce film. Ce n’est pas donné à tout le monde, Irina Katz-Mazilu un esprit intégratif et fédératif, mobilisant
d’intégration sociale, d’avoir cette image, car ça s’apprend, on n’a pas tous le talent inné. Merci d’être venu, c’est toujours important des énergies et des compétences dans
avec le cinéma les gens le reconnaissent, il d’avoir le créateur et j’espère qu’une suite une synergie de réflexions et d’actions
y a eu une intégration. Et pour Yohan, il est Public sera donnée à ce début d’échange. rassemblées autour de la personne en
stressé, il est content. C’est comme si tout Pour le déroulement, 4 ans, le grand voyage, difficulté, quelque soit la personne ou la
le film était son éloge. Ce sont les résultats l’implication des familles, à plus long terme, difficulté. Ce qui nous amène dans des lieux
du film. Les parents sont très impliqués, le que devient ce projet ? Certains partent, très variés, hôpital, clinique, CMP, EHPAD,
travail des intervenants a permis que tout cela d’autres arrivent, est-ce que cette dynamique ESAT, services et espaces sociaux. Il y a eu
se fasse. peut continuer ou est-ce que c’était une belle des éléments sur l’interculturel au début et à
aventure ? la fin, comme dans un livre avec sa une et sa
Public 4ème de couverture. Au tout début, Annick
Je suis conférencière de la cité de la Yves Langlois Eschapasse nous a parlé de la question des
musique. Nous proposons des ateliers avec En tant que cinéaste documentariste engagé, origines et à la fin David El Kamouni nous a
tous types de public. J’ai eu l’occasion de une des raisons pour que je fasse ce film est : parlé de la Colombie ; et monsieur Langlois
voir des débordements avec des autistes, est-ce que je pense que l’existence de ce est venu avec toute la planète ! Il est
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intéressant de constater que cette approche des passages à l’acte... Le témoignage de souhaite et vous présente tous mes vœux pour
« systémique » ait eu lieu au début et à la fin, l’atelier d’art-thérapie à Saint Rémy et le film qu’il en soit ainsi. Je crois cependant que, menés
comme pour encadrer l’ensemble du colloque. de monsieur Langlois nous ont fait du bien, de façon isolée, ces projets peuvent être difficiles
Il a été beaucoup question de corps et de ainsi que le très bon film du service dans cet Mots de clotûre du colloque à mettre en œuvre, surtout dans le contexte
psyché - et de psychosomatique, de cette EHPAD. Dans le film, quelqu’un disait : ces actuel et probablement durable, de restrictions
unité psychosomatique qui est extrêmement gens là sont authentiques, ils n’ont pas nos Xavier Tarneaud budgétaires. Je vous engage donc à rechercher
importante ; du côté du corps il a été question masques… ceci nous libère nous aussi ! Président de l’association Recherche et Rencontres et utiliser toutes possibilités de partenariats, de
de renouer avec son corps pour ceux qui Il m’appartient maintenant de clore ces deux regroupements ou de mutualisation de moyens,
l’ont perdu, de créer un corps pour ceux Merci à tous, intervenants et participants au journées, en tant que président de l’association avec d’autres associations, structures de soins,
qui n’en ont jamais eu, et de le dynamiser colloque, d’avoir été présents et permis ces Recherche & Rencontres, gestionnaire du collectivités locales et autres : nous sommes
quand ça va mieux et qu’un parcours a déjà échanges très enrichissants ! Centre Popincourt, qui a pris l’initiative de cette convaincus que, dans les circonstances actuelles,
été fait. Du côté de la psyché, on a parlé manifestation, dont je ne doute pas qu’elle sera c’est le meilleur moyen de structurer, de financer
de l’assise identitaire, de l’auto-génèse, suivie d’autres. et de concrétiser un projet. La route n’en est pas
du cheminement, de la plasticité de l’art- Car ces deux journées ont été un succès. pour le moins longue et tourmentée. Nous le
thérapeute, du patient, du cadre, de la société. Tout d’abord par la confirmation qu’elles ont savons d’expérience !
Avec une intégration psychosomatique qui se apportée de la place croissante et remarquable Merci à vous, les participants à ces journées
dirigeait vers le lâcher-prise et l’allègement de prise par les techniques à médiation, par l’art : vous êtes venus nombreux, vous nous avez
l’hyper- contrôle, avec l’advenir de la capacité thérapie en particulier, dans l’accompagnement posé de nombreuses et bonnes questions
de jouer, de devenir créatif et donc d’aller thérapeutique de personnes en grandes ou fait part de vos expériences, vous nous
mieux. Ainsi que de ce décollage créateur difficultés. avez encouragés, vous nous avez fait des
dont parlait Anzieu pour ceux qui sont dans Plusieurs intervenants nous ont décrit leur suggestions.
l’inhibition au départ. cheminement dans la mise au point de ces C’est bon à recevoir, c’est agréable pour
L’intervenant, quel qu’il soit, doit être techniques (ces ateliers de l’éphémère, ces les organisateurs que je remercie tout
capable d’une approche globale, capable de ateliers de la trace, qu’a si bien décrits l’une particulièrement, Irina Katz Mazilu, Fiona,
contenance et de malléabilité, de plasticité d’entre vous) et les bienfaits qu’ils ont constatés, Clémence, l’équipe du Centre Popincourt, de
personnelle, d’une capacité d’improvisation par les progrès qu’ils apportaient chez leurs même évidemment que Philippe Carette et
étayée par des compétences multiples : patients, notamment en termes d’ouverture la Ffat, pour avoir imaginé ces réunions, réuni
artistique, relationnelle et clinique. Une vers le monde et vers l’autre, et aussi par la les intervenants, monté le projet. Merci enfin
improvisation de qualité ne peut se faire que découverte du soi : ces moments de travail, à Mme Chalhoub de nous avoir accueillis dans
sur la base d’un solide savoir. Les témoignages de partage, d’échange, de création, source de ces beaux locaux.
des patients sont fondamentaux. Hier soir, surprise, de plaisir et de bonheur, peuvent, à Je ne peux terminer sans évoquer ceux pour
le film « Lame de fond » donnait une vue l’évidence, constituer des compléments, voire lesquels nous nous battons tous les jours : toutes
du dedans du délire en contraste avec le des alternatives à la médecine traditionnelle. ces personnes isolées et en souffrance, du fait
dehors du monde réel, dans un jeu très fin Merci donc à vous les intervenants, de nous avoir de circonstances diverses, souvent multiples,
et avec une évolution positive de la personne exposé votre combat pour la reconnaissance de liées à leur âge, leur santé, mentale et physique,
qui décrit sont propre effondrement et sa vos métiers, l’énergie que vous y déployez, votre ou leur situation vis-à-vis de la société et les
sortie du tunnel. Le débat a hélas du être lutte contre le système, l’incompréhension des problèmes qu’elles rencontrent avec leur famille,
écourté faute de temps et n’a pas permis uns et des autres, comme des structures de au travail, du fait du chômage, ou par manque de
suffisamment d’échanges et d’analyse pour notre système de soins, avec des ouvertures logement…
permettre une prise de distance par rapport qui paraissent porteuses d’espoir. Tout cela dans un monde de plus en plus connecté
au choc que la violence de ce témoignage a Merci de nous avoir exposé votre approche, et communiquant, mais source d’isolement, et
pu provoquer. Avec tout notre savoir faire, et vos projets, et même vos rêves : souvent le agité d’évènements inquiétants comme celui qui
dans toute la mesure du possible, en tant que même langage, la même situation : en Corse, s’est produit la semaine dernière.
soignants il nous faut éviter de laisser partir dans le Loir et Cher, dans les Pyrénées, Que nos vœux aillent surtout vers eux, en ce
une personne dans un état de déstabilisation comme à Paris. Il ne me parait pas douteux début d’année. Bonsoir à tous, bon Dimanche,
après un atelier. Cela peut se jouer par que vos projets se réaliseront, en tout cas je le bonne année.
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.J’en citerai 4 qui m’ont marquée : celui de se créent comme un tissage secret. L’image
Laurence Bosi, celui de Paula Martinez- et l’estime de soi restaurées, reconstruites, le
Takegami ; celui de Yves Langlois que j’avais sujet renait à lui-même chaque jour. Il pourra
Quelques mots des participants... vu sur internet et celui de Hélène Béréaud poétiser la vie en cultivant des vers « à soi »,
Gonzales. J’ai beaucoup de plaisir à écouter jouer le jeu de mots en déjouant le « je » des
«Ce premier colloque fut pour moi une Irina Katz Mazilu qui est tellement riche qu’on maux. L’art-thérapeute s’efface humblement
mine d’informations et un lieu d’échange et ne cesserait de l’écouter, quand elle parle ce derrière ce qui se passe ou ne se passe pas.
m’a surtout conforté dans mes recherches sont des tableaux de couleurs qui défilent Il se sent souvent démuni mais même s’il
personnelles sur l’art thérapie et l’expression sous nos yeux. Et bien  sur Monsieur Klein ne se passe rien, un cheminement se fait au
sous toutes ses formes.». Sylvie Lou Lécot, qui donne une tonalité à chaque comptes- rythme du sujet comme une graine qui germe
graphiste et animatrice d’ateliers d’expressions rendus.», Christiane Salvarelli. au printemps de la terre en expérimentant
plastiques pour personnes du grand âge. l’espace de la vie. Toucher ce qui touche
«Trouver sa place... De tous ces échanges, par petites touches, rencontrer la matière et
«Ce mail pour vous remercier infiniment ces retours d’expériences, ces recherches révéler les traces, cheminer et conter une
de cette journée que j’ai suivie vendredi, dans l’accompagnement thérapeutique, il nouvelle histoire, danser les pensées et panser
j’en ressors avec un ensemble de pistes à s’agit bien pour chacun de trouver, à travers les souffrances, chanter et jouer la musique
creuser. Cependant, et avec le recul de la son expression propre et au moyen de sa des corps, faire résonner les émotions, toutes
réflexion et de mes ressentis, je souhaitais créativité, sa place dans notre société. Partant ces pratiques d’accompagnement, dans leurs
vous dire ceci ; concernant le film de fin de de l’inconnu à soi vers la rencontre de soi et richesses propres, nous révèlent s’il fallait
journée, j’ai été très choquée intérieurement, de sa place dans un monde parfois chaotique, encore en douter que la créativité est bien
je l’ai vécu moi même comme une agression. cette rencontre avec soi et l’autre, avec son au cœur du soin comme un cœur à corps en
Pourquoi ? Certes le sujet était terrible mais identité n’a pas de frontières. Elle est au-delà accord. Un jour, le passage est ouvert, il n’y
ce n’était pas une explication suffisante à de la compréhension mentale comme une a plus d’obstacle et le passeur voit passer
mes yeux. Pourquoi cette sensation d’être révélation muette, un jaillissement intérieur le passant, sur l’autre rive, la rive de tous
prise en otage?  Au bout de 2 heures de au plus près de l’essentiel. L’art-thérapeute les possibles, celle où l’on renait à chaque
«travail» je me suis sentie très en colère devient passeur, guide pour symboliser et instant. On dirait que l’être humain est
contre vous, et j’ai compris. C’est le fait de traverser l’espace inconnu. Il accompagnera comme un instrument de musique qui doit
ne pas avoir été informée préalablement du le sujet jusqu’à sa propre rencontre, jusqu’à trouver sa place dans le grand orchestre du
contenu de ce film, cela m’aurait permis en ce qu’il trouve et reconnaisse sa place ici vivant, trouver sa propre note et son propre
toute liberté de choisir de regarder ou pas. et maintenant. C’est de cette alchimie que accord.», Chantal Rajic.
Vous me direz que je pouvais partir pendant renaitra et jaillira la source créative comme une
le film... Certes. Alors que toute la journée, thérapie. Trouver sa place parce que chacun
il a été question de clarté vis à vis d’autrui, là est unique et multiple, paradoxal et singulier,
brusquement, faisait irruption une brutalité sans parce qu’il constitue la pièce d’un grand
la nommer préalablement. Voilà simplement puzzle où il s’imbrique, s’ajuste, complète,
mon témoignage.», Sylvie Fueyo. se mélange ; à la fois semblable et différent,
à la lumière et à l’ombre de son être. Quand
«Je voulais vous dire combien j’ai apprécié chacun aura trouvé sa place, celle que nul ne
cette conférence. Cela m’a plongé dans pourra contester, celle que l’autre reconnaitra,
le vif du sujet moi qui suis en master 1 de notre regard sur nous-mêmes et les autres
dramathérapie. [...] J’ai senti chez beaucoup pourra changer. Ces autres que l’on pense
d’intervenants cette passion de raconter si différents, nous offrent par leur singularité
de faire partager et cela a été fort .J’ai pris ou par leurs souffrances, une ouverture
quelques notes mais insuffisamment. J’ai extraordinaire sur un monde encore inexploré,
aimé toutes les interventions  Il y a des un monde où l’on sait sans comprendre, où
récits qui m’ont touchée plus que d’autres l’on comprend sans avoir appris, où les liens
102 Les Actes2015

Paula Martinez-Takegami Nathalie Gisbert Marie-Hélène Gambs

Xavier Tarneaud Anne Lopez Hélène Béreaud-Gonzales

David El Karmouni Dominique Spiess Marielle Maurel

Catherine Mondou Irina Katz Mazilu Laurence Bosi

Clémence Lucien Jean-Piere Klein Astrid Campo-Hurtado

Hiroko Palmer Annick Eschapasse Philippe Carette

Yves Langlois Bénédicte Stalla-Bourdillon, Céline André-Carletti


Marine Noble, François Le Forestier

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