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AFFAIRE DEPARDIEU LE CRÉPUSCULE DE L'ART

www.causeur.fr – Surtout si vous n’êtes pas d’accord – mensuel no 119 – janvier 2024

ALAIN FINKIELKRAUT
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DES JEUX PLUS GROS QUE LE VENTRE


ISSN 1966-6055
NOUVEAU

Une fois par semaine, 30 minutes d’échange


avec des invités sur l’actualité

CO-ANIMÉ PAR
JEREMY STUBBS & CÉLINE PINA

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2
L'ÉDITORIAL D'ÉLISABETH LÉVY

JUSTICE
POUR ACTÉON !
A
vec les islamistes en culottes courtes1 Si les collégiens pudibonds d’Issou et leurs parents
qui peuplent désormais nombre de nos étaient capables de symbolisation et de conceptua-
établissements scolaires, on apprend en lisation, ils ne se seraient pas arrêtés au spectacle
s’amusant. Comme vous, j’avais un peu si choquant de femmes dévêtues. Au contraire, ils
oublié Ovide – qu’on a évidemment tous lu auraient apprécié la très convenable morale de l’his-
en VO. Et particulièrement cet épisode des toire et sa in, particulièrement édiiante. Ce sale
Métamorphoses où Actéon, s’égarant au petit voyeur d’Actéon, changé en cerf, init dévoré
cours d’une chasse, surprend Diane et ses copines se par ses propres chiens (il ne mégotait pas sur le gore,
baignant en petite tenue. Or, le fripon semble prendre Ovide). Ce destin cruel et inhumain suscite l’efroi et
un certain plaisir à cette contemplation non consen- la pitié. Il faut que la mémoire d’Actéon soit vengée et
tie. Chasseur et prédateur : le crime est signé. son nom, réhabilité.

Ces replètes baigneuses, qui ont inspiré de nombreux Casseuses de bonbons néoféministes et peine-à-jouir
peintres, ont créé un mini-scandale au collège islamistes pourraient communier dans la détestation
Jacques-Cartier d’Issou (Yvelines). Dans un cours d’Actéon, comme ils le font dans la haine de l’Occi-
de sensibilisation à l’art, une prof de français montre dent. Ce malheureux qu’on nommerait aujourd’hui
à une classe de sixième un tableau du xviie siècle « porc » fait un parfait bouc émissaire intersection-
intitulé Diane et Actéon2. On imagine que certains nel. Pour la bonne raison qu’il s’octroie la liberté que
émettent ces gloussements forcés exprimant le vomissent pareillement islamistes et féministes. Ce
mélange de gêne et d’excitation de garçons travaillés corps humain jeté aux chiens parce que c’est un corps
par les hormones. Mais il s’en trouve quelques-uns, de mécréant fait penser – pardon pour l’image – aux
une « poignée » selon le rectorat, pour proclamer leur corps juifs suppliciés du 7 octobre.
dégoût, et détourner les yeux. Haram !
Jeté aux chiens, c’est aussi, quoique en termes méta-
Puis la machine à rumeur s’emballe, on parle de propos phoriques, le sort que les ligues de vertu féministes
islamophobes et racistes. Des parents récriminateurs réservent à tous les hommes qu’elles accusent de
s’en mêlent. Le ministre se déplace. On apprend que, turpitudes et cochonneries – c’est-à-dire à tous les
depuis la rentrée, un groupe de familles – musul- hommes célèbres, l’extension continue du domaine
manes – d’élèves de sixième, donc nouvellement arri- du viol permettant de ratisser large. Chaque jour, un
vés, pourrissent la vie de l’équipe pédagogique par artiste ou un people est jeté aux chiens de garde de la
leurs incessantes critiques et réclamations. Air connu : funeste révolution #Metoo et dépecé sous les hourras
éternels ofensés, jamais responsables de rien. numériques des tricoteuses fanatiques. Si t’as pas été
accusé de viol à 50 ans, t’as raté ta vie d’artiste.
J’ignore si la réaction de l’État est allée au-delà de la
mobilisation de « référents Valeurs de la République ». Cependant, nos mangeuses d’hommes ont peut-être
présumé de leurs forces en s’attaquant à Depardieu
En attendant, l’incident est emblématique du choc (lire à ce sujet la défense implacable de Yannis Ezziadi,
des cultures qui ébranle la société et singulièrement pages 14-17). Elles vont avoir du mal à recracher
l’École. En refusant d’admirer un corps nu, les petits notre monstre sacré en pâtée pour chien. C’est même
bigots rejettent le cœur de l’art occidental : les noces le contraire. Depardieu pourrait être l’os (ou le poulet
tumultueuses de l’érotisme et de la culpabilité. Bien entier) qui restera coincé dans leur gorge. En tout cas
sûr, ils n’en savent rien, tout comme ils ignorent que le premier coup sérieux porté à leur règne par la peur
l’emprise religieuse exerce chez eux, dans toute son et l’intimidation. Que le président de la République
efectivité, sa fonction de répression sexuelle, passa- ose braver la doxa néoféministe qu’il avait érigée en
blement amoindrie en Occident. L’ironie grinçante de vérité oicielle – « femmes on vous croit » ! – change
l’époque est que cette religiosité de coincés ait trouvé le rapport de forces. Ou entérine le fait qu’il a changé.
des alliés à l’avant-garde du monde libéral. Islamisme Peut-être que la roue tourne. Et que justice sera bientôt
et néoféminisme, même combat – contre le désir, les rendue à Actéon. •
hommes, la littérature et les talons aiguilles. En un 1. En vrai en jogging, mais on aura compris.
mot, contre la sexualité. 2. Diane et Actéon, de Giuseppe Cesari.

3
Directeur de la publication
SOMMAIRE N° 119 – JANVIER 2024
3 28
Gil Mihaely

Directrice de la rédaction
Élisabeth Lévy
Justice pour Actéon ! Le grand capital
Directeur adjoint de la rédaction
Élisabeth Lévy contre les juifs
Jean-Baptiste Roques, Jeremy Stubbs
Jeremy Stubbs
Rédaction en chef
Martin Pimentel (causeur.fr)
Jonathan Siksou (culture) 10
Coup de rouge 30
Rédaction
Cyril Bennasar, Sami Biasoni, Jean Olivier Dartigolles Viols du 7 octobre : féministes,
Chauvet, Yannis Ezziadi, Alain
où êtes-vous ?

12
Finkielkraut, Stéphane Germain, Jean-Luc
Gréau, Pierre Lamalattie, Bérénice Levet, Barbara Lefèbvre
Patrick Mandon, Céline Pina.

Correction
Frédéric Baquet

Secrétaire de rédaction
Ma vie à l'Assemblée
Emmanuelle Ménard 32
Numérique : l'enfer est taxé de

14
Cécile Michel
bonnes intentions
Ont participé à ce numéro François Pachet
Michel Auboin, Corinne Berger, Jean-
Paul Brighelli, Olivier Dartigolles, Didier
Desrimais, Sophie Flamand, Gilles-William
Goldnadel, Dominique Labarrière, Barbara
Lefèbvre, Frédéric Magellan, Emmanuelle

ÉCOLE :
Ménard, Thomas Morales, Frederic de
Natal, François Pachet, Paul Rain, Georgia
Ray, Ivan Rioufol, Eddy Royer, Emmanuel
Tresmontant.

Direction artistique
Laurent Carré ATTAL, ESPOIR
Iconographie
Alexandre Denef

Direction marketing et
TERMINAL ?
commerciale
Marina Leroux
Affaire Depardieu, la revanche
Charles Lévy
01 84 79 01 35

Distribution
des minables
Yannis Ezziadi
36
Une idée folle : réinventer
MLP

18
l'école !
Gestion de la diffusion
en points de vente Élisabeth Lévy
BO Conseil Analyse Média Etude
Macron : la résolution de
38
Otto Borscha - oborscha@boconseilame.fr
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Par Stéphane Germain
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32, rue du Faubourg-Poissonnière Entretien avec Alain Finkielkraut
75010 Paris Propos recueillis par Élisabeth Lévy
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www.causeur.fr et Jean-Baptiste Roques
La conquête tranquille
Michel Aubouin

4
44
Oser enseigner
58
PISA et dépendances : lettre
70
Témoins gênants
Corinne Berger ouverte à Gabriel Attal Entretien avec Dimitri Casali
Jean-Paul Brighelli Propos recueillis par Jonathan Siksou

48
Les années de la jupe 72
Céline Pina
CULTURE & Francis Chigot,
l'art et la lumière

50 HUMEURS
Pierre Lamalattie

75
62
La boîte du bouquiniste
Thomas Morales

76
Sauternes oblige
Emmanuel Tresmontant

L'école contre le réel


78
Tant qu'il y aura des ilms
Entretien avec Lisa Kamen-Hirsig
Jean Chauvet
Propos recueillis par Céline Pina

52 Nicole Calfan, ses monstres


sacrés
80
Les carnets d'Ivan Rioufol
Groupes de niveau, Propos recueillis par Yannis Ezziadi
retour urgent !
Paul Rain
66 82
54
Le savoir qu'on achève
Avec ou sans la langue
Georgia Ray
La préférence pour l'autre,
même s'il est méchant...

68
Gilles-William Goldnadel
Entretien avec Pierre Jourde
Propos recueillis par Jonathan Siksou
L'indigne Georges Despaux
Prochaine parution :
Patrick Mandon
le 7 février 2024
Hannah Assouline – Xavier Martin

5
Les cancres utiles du Hamas
250 étudiants, tous inscrits dans le système d’enseigne-
ment supérieur américain. Les résultats sont édiiants.
53,2 % des personnes interrogées déclarent approuver
Par Jean-Baptiste Roques les paroles du chant « From the river to the sea »… sauf
que seuls 47 % d’entre elles sont capables de nommer
convenablement la mer (Méditerranée) et le leuve
(Jourdain) dont il est question.
Pire encore, moins d’un quart seulement savent qui
était Yasser Arafat. Mais revenons à la mer et au leuve.
Les étudiants ont-ils conscience que la revendication
d’un État arabe aussi vaste équivaut à refuser à Israël
son droit d’exister ? L’institut de sondage a montré une
carte de la région aux sondés propalestiniens concédant
ne pas bien maîtriser la géographie locale. Résultat,
après avoir vu le document, 75 % d’entre eux déclarent
ne plus adhérer au slogan du Hamas. À se demander
ce qu’on leur apprend à la faculté ! Restent toutefois les
activistes les plus radicaux, conscients de militer pour
Depuis le 7 octobre, les universités américaines se la disparition d’Israël (32,8 % de l’échantillon total).
trouvent dans un rare état d’efervescence. Des vidéos Les sondeurs avaient pour consigne de leur indiquer
tournent en boucle sur les réseaux sociaux, où l’on voit que le Hamas ne souhaitait pas seulement annexer un
des étudiants brandir des drapeaux palestiniens et pays, mais également y procéder au nettoyage ethnique
entonner le chant « From the river to the sea, Palestine des 7 millions de juifs qui l’habitent. Confrontés à cette
will be free ». Des paroles rien moins qu’extraites de la « révélation », 60 % des étudiants soutenant jusque-là
charte du Hamas. Mais ces brillants élèves savent-ils ce les djihadistes ont alors changé d’avis et revu à la baisse
qu’ils font ? Ron E. Hassner, professeur à Berkeley, en leurs positions. Bonne nouvelle pour l’entente entre les
Californie, a voulu le vériier. Il a demandé à un insti- peuples, mais terrible aveu quant au niveau des futures
tut de sondage d’interroger un panel représentatif de élites américaines. •

Luz ou Marsault, il faut choisir Les mois que Luz a passés dans les parages de Mme
Despentes n’ont pas été inutiles et lui ont ouvert les
yeux – mais pas dans le sens qu’on croit : « Il faut que
Par Didier Desrimais je “dé-male gaze” mon propre travail », déclare-t-il aux
Inrocks à l’occasion de la sortie de Testosterror, une
BD dans laquelle il « épingle la masculinité toxique ».
Car Luz a pris conscience que son dessin était « un
peu trop masculin ». La preuve : « Je dessinais de petits
nez aux femmes. » Une scène originelle est à la source
de ce travail de démasculinisation, explique-t-il à
L’Obs : « J’étais en train de pisser et j’avais laissé la
porte ouverte. Ma ille me l’a fait remarquer. Et en fait,
mon grand-père faisait exactement la même chose […],
une manière de mettre son patriarcat en plein milieu
de la famille. »
Donc, Testosterror : un virus provoque la chute du taux
de testostérone chez les hommes ; des mâles « radicali-
sés »entrent en résistance ; Jean-Patrick se détache du
Pas rancunier pour deux sous, quelques années après mouvement masculiniste pour découvrir sa part de
avoir échappé à l’attentat contre Charlie Hebdo dans féminité. L’album est présenté comme « une comédie
lequel périrent ses collègues et amis, le dessinateur Luz satirique hilarante qui déconstruit l’homme d’hier pour
jugea approprié d’adapter en BD le roman Vernon Subu- inventer l’homme de demain ». C’est curieux, mais il
tex, de Virginie Despentes, la même Virginie Despentes existe actuellement une excellente BD qui, au contraire,
qui, dès le surlendemain de l’attentat, avait écrit un déconstruit « l’homme de demain » à grands coups
papier dans Les Inrocks pour déclarer son amour aux de tartes virilistes dans la tronche et célèbre l’homme
frères Kouachi, « ceux qui avaient décidé, à leur façon, auréolé de toute sa puissance hormonale. Le recueil des
la seule qui leur soit accessible, de mourir debout plutôt meilleurs dessins de Marsault pour la revue La Furia
que de vivre à genoux », et qualiier leur geste meurtrier est en efet disponible et, à l’inverse du machin woke de
D.R.

« d’acte héroïque ». Luz, nous le conseillons très vivement. •

6
Parti pris de l’étranger Colère divine
Par Martin Pimentel Par Dominique Labarrière
Beaucoup de citoyens estiment que dans une France
idéale, les soubresauts sanglants du Proche-Orient ne
devraient pas afecter notre concorde civile. Toutefois,
l’étude IFOP/Écran de veille du 18 décembre, concer-
nant les regards portés par les Français musulmans sur
ce conlit, ne laisse pas d’interroger. On y apprend que,
pour 45 % des Français musulmans, les attaques terro-
ristes du Hamas du 7 octobre sont bien des « actions de
résistance ». Seulement 10 % de l’ensemble des Français
pensent cela ! Les plus jeunes, ceux qui vivent dans une
banlieue aisée ou ceux qui vont le plus régulièrement à la
prière sont les plus nombreux à partager cet avis. Sur le
plan politique, 58 % des Français musulmans estiment
que la France est plutôt du côté d’Israël contre 20 % en
moyenne chez l’ensemble des Français ; et, enin, 67 %
considèrent que les médias sont du côté d’Israël (contre Le discours était sans surprise. Le 12 décembre, le
38 % en moyenne chez les Français). député turc Hasan Bitmez, qu’on dit islamiste, a
De tels chifres expliquent peut-être le choix du président déroulé un argumentaire bien rodé dans l’impression-
Macron de ne pas se rendre à la manifestation contre nant hémicycle de l’Assemblée nationale d’Ankara. Le
l’antisémitisme du 12 novembre autant que l’argumen- passage obligé de la diatribe est bien sûr l’appel exalté
taire, certainement brillant, de Yassine Belattar. L’IFOP à la fureur divine ain qu’elle s’abatte enin sur Israël
n’est pas en mesure de donner les réponses de nos conci- et réduise à néant le pays, ses populations et jusqu’au
toyens juifs. On se doute que leurs réponses seraient moindre vestige de son existence. Rien que de très clas-
diférentes de celles des musulmans, mais on ignore sique, somme toute. Tout aussi convenu, du moins dans
dans quel sens et dans quelle mesure. « La proportion cette bouche-là, un autre couplet, fustigeant, celui-ci,
des juifs est tellement faible (0,5 % de la population) qu’il l’ambiguïté des relations entretenues entre la Turquie
est techniquement impossible d’en interviewer un millier d’Erdogan et l’État juif, un lou que l’orateur ne manque
à moins de se donner plusieurs mois pour le faire et un pas de dénoncer, de condamner. Quand il termine avec
budget très élevé », explique François Kraus, directeur sa prestation, il peut être content de lui. Il a fait le job.
du pôle politique et actualités. De toute façon, alors que En apothéose, cette terriiante menace : « Même si vous
Jérôme Fourquet (qui travaille aussi à l’IFOP) nous a échappez aux tourments de l’histoire, vous ne pouvez
appris qu’un nouveau-né sur cinq (!) en France se voyait pas vous sauver du châtiment d’Allah ! »
attribuer un prénom arabo-musulman, ce sont les ingé- Or, voilà bien qu’avant même de s’écarter de son
rences de la rue arabe qui alimentent les fantasmes et pupitre, il choit. En efet, il ne vacille pas. Il s’efondre,
hantises des Français. • littéralement terrassé. La sidération passée, des collè-
gues parlementaires se précipitent. Qui pour éventuel-
lement secourir, qui pour voir s’il n’y aurait pas quelque
chose de bien horrible à regarder. Bien vite, une inter-
rogation qu’on pourrait qualiier de métaphysique se
pose. Puisque dans son propos, l’élu invoquait la puis-
sance divine, celle-ci l’a-t-elle frappé pour le châtier
d’avoir une fois encore appelé à la destruction d’Israël,
ou pour avoir osé voir dans les louvoiements du calife
suprême Erdogan une épouvantable compromission à
la fois politique et religieuse ? On ne le saura jamais,
tant la transparence fait défaut aussi en matière de
colère divine. La transparence, certes, mais nullement
l’intransigeance, puisque le téméraire imprécateur
devait, hélas, décéder peu après de ce qui s’est révélé
être une crise cardiaque. Chez nous – laïcité soit louée !
– ces choses n’ont pas cours. Aucune fureur céleste ne
saurait terrasser un politique. Il est vrai qu’une motion
D.R.

de rejet y suit. •

7
Ils en sont tous La Belgique pour les nuls
Par Frédéric Magellan Par Sophie Flamand
La cause LGBT a-t-elle trouvé, avec le pape François,
un défenseur de l’ombre ? C’est ce qu’ont voulu s’imagi-
ner certains militants sur les réseaux sociaux. L’indice ?
Des clichés du souverain pontife arborant au cou une
croix aux couleurs bariolées, reprenant celles de l’arc-
en-ciel et rappelant donc le drapeau de la communauté
homosexuelle. Il est vrai que le pape argentin s’est
distingué par des positions plutôt bienveillantes, bous-
culant la traditionnelle réticence de l’Église catholique
sur le sujet. En octobre 2023, en réponse à cinq cardi-
naux, François a précisé que les couples homosexuels
pouvaient faire l’objet d’une bénédiction, à défaut de
pouvoir être mariés religieusement. En janvier, il avait
déclaré à l’Associated Press, l’agence de presse améri- Dès l’âge de 8 ans, les écoliers belges étudient le relief
caine : « Nous sommes tous des enfants de Dieu et Dieu de leur pays. Les écoliers français ou suisses doivent
nous veut tels que nous sommes et avec la force que nous les regarder avec envie, car le relief belge se limite à
avons chacun de lutter pour notre dignité. Être homo- trois leuves, la Meuse, l’Yser et l’Escaut. Si l’Yser ne
sexuel n’est pas un crime. Oui, mais c’est un péché. Bon, coule qu’en Flandre, la Meuse et l’Escaut, eux, tracent
commençons par distinguer le péché du crime. Mais le un assez long circuit en Wallonie. Donc, lors de l’exa-
manque de charité envers votre prochain est aussi un men de géographie, à la question « Citez deux leuves
péché. » qui traversent la Wallonie », les écoliers répondent « la
Cette airmation, qui a réussi à crisper à la fois les Meuse et l’Escaut » et peuvent dormir tranquilles. Cette
conservateurs et les modernisateurs, ne s’apparentait question simplissime a pourtant embarrassé l’un des
pourtant qu’à l’enseignement moral de l’Église. innombrables ministres belges. Et pas n’importe lequel
Évidente bienveillance, d’accord. Pour autant, la croix puisqu’il s’agit de Zakia Khattabi, ministre de… l’Envi-
aperçue sur les clichés n’avait rien d’un symbole LGBT. ronnement ! Certes, les nombreux tweets qu’elle dispense
Elle avait été oferte au pape en octobre 2018 par des quotidiennement laissaient déjà supposer qu’elle devait
jeunes du Panama. Chacune des couleurs représente être une élève très moyenne, pour ne pas dire bornée,
une partie de l’Amérique latine, du Mexique jusqu’au vu son vocabulaire plafonnant à 500 mots et son ortho-
cône Sud : on est quand même loin de la cause homo- graphe enfantine. Mais elle s’est surpassée lors de l’émis-
sexuelle. Depuis, la photographie du pape refait surface sion dominicale du 3 décembre où le très écolo-complai-
de temps à autre. Sur les réseaux sociaux, ce sont parfois sant Christophe Deborsu lui a demandé quels étaient les
des catholiques conservateurs ou des évangélistes qui deux leuves qui traversaient la Wallonie.
ressortent le cliché pour illustrer le supposé dévoie- Si la question en dit long sur le niveau des débats poli-
ment de la papauté. Parfois, ce sont les militants gay tiques en Belgique, la réponse, elle, est hallucinante.
qui veulent prouver, photo à l’appui, que le pape est Bégayant dans un sourire crispé, la ministre de l’En-
leur nouvel allié. Si le pape est infaillible, les voies du vironnement n’a pu citer que l’Escaut et, malgré ses
Seigneur sont, elles, impénétrables. • aligeants eforts, n’a jamais retrouvé la Meuse. Pour
quelqu’un qui s’est ixé comme ambition de « sauver la
planète », ça semble mal parti ! Déjà connue pour sa
pratique de l’apartheid, renommé « non-mixité choi-
sie » qui exclut toute personne qui ne soit d’ascendance
marocaine, et pour son antisémitisme à peine voilé, elle
avait scandalisé plus d’un Belge en refusant de recon-
naître la qualiication de « terroriste » au mouvement
du Hamas, après l’épouvantable pogrom du 7 octobre.
Elle avait justiié ce refus par le fait qu’elle ne connais-
sait pas la signiication du mot. Si Zakia Khattabi doit
dorénavant éviter l’emploi de tous les mots dont elle
ignore le sens, cela nous ofrira un silence très relaxant,
mais hélas, on n’y croit guère. Il reste donc à l’informer
que le vocabulaire, c’est comme la gestion du réseau
D.R.

hydraulique : ça s’apprend. •

8
Usine à gaz
Par Eddy Royer
Ain d’atteindre son objectif de zéro émission nette
en 2050, l’UE vient de décider l’élimination totale des
chaudières à gaz d’ici 2040 et la réduction des subven-
tions pour ce type de chaufage à partir de 2025. La
décision a été adoptée le 7 décembre par un accord
entre le Parlement et la Commission de l’UE en atten-
dant une ratiication déinitive en janvier 2024. De
plus, à partir de 2030, les nouveaux bâtiments résiden- Macron en septembre. Néanmoins, elles ont été exclues
tiels devront être équipés de panneaux solaires, et les des dispositifs d’aide à la rénovation énergétique et leur
bâtiments résidents existants – quelque 100 millions en installation a été interdite dans les logements neufs.
Europe – devront progressivement subir le même sort. Parmi les solutions de substitution, on retrouve les
Il y aura – heureusement ! – une dérogation pour ceux pompes à chaleur, qui assurent un rendement énergé-
qui présentent un intérêt patrimonial ou architectural. tique élevé pour une faible empreinte carbone. Cepen-
Pour certains élus écolos, ces mesures ne sont pas sui- dant, elles ne sont pas très accessibles. Il faut débourser
samment ambitieuses, mais pour les États membres, le en moyenne 13 000 euros pour une pompe à chaleur
déi est de taille. alors qu’une chaudière à gaz coûte moins de 5 000
En France, les chaudières à gaz équipent 40 % des foyers. euros. « Fin du monde, in du mois, même combat » est
L’été dernier, le gouvernement avait proposé d’interdire un des slogans préférés des écolos, mais visiblement, il
ces chaudières dès 2026 pour réduire les émissions de reste beaucoup à faire pour convaincre la majorité des
CO2 de nos logements, avant de reculer « pour ne pas Français de la véracité de cette formule et éviter que
laisser nos compatriotes, en particulier dans les zones ceux qui n’ont pas les moyens de s’adapter enilent un
les plus rurales, sans solution », justiiait Emmanuel gilet jaune. •

Famille, je vous hais dernière « d’entreprise familiale instable » et « d’institu-


tion en déclin ». Il présente toujours Harry et Meghan
comme les victimes angéliques d’un « système dessé-
Par Frederic de Natal ché », tandis quele roi Charles III, le prince William et la
princesse Kate sont caricaturés en méchants d’un ilm
Disney : machiavéliques, conspirateurs et sans cœur. La
clé de voûte de la construction de Scobie est l’accusa-
tion de racisme portée contre un membre de la famille
royale par Harry et Meghan lors d’une interview avec
Oprah Winfrey en 2021. Cette personne aurait spéculé
sur la couleur de peau éventuelle de leur ils à naître.
Le livre de Scobie réitère cette accusation, en la portant
contre deux membres de la famille qui ne sont toujours
pas nommés – selon lui, par pure délicatesse. Pourtant,
après la sortie du livre, on s’est aperçu que l’édition
néerlandaise cite bien les deux noms qui sont… Charles
et Kate. Scobie a prétendu que c’était une erreur, que les
deux noms iguraient dans une version préliminaire du
manuscrit – ce que l’éditeur néerlandais a fermement nié.
En 2020, le journaliste britannique Omid Scobie, très Ce coup de publicité raté s’est retourné contre l’auteur
proche de Meghan Markle et de son mari, le prince du pavé de 400 pages, dont les ventes ont dégringolé de
Harry, a eu un beau succès en tant que coauteur d’un façon spectaculaire, se montrant cinq fois inférieures à
best-seller latteur consacré au couple royal, Libres. Son celles de son ouvrage précédent au cours de sa première
nouveau livre, sorti en novembre, devait à la fois repro- semaine. Le livre a même été bradé dans certaines
duire le succès du précédent et dépasser la sphère des librairies. Perçu comme le porte-parole de Harry et
mondanités pour entrer dans celle de la politique. Fin de Meghan, dont les pleurnicheries ont ini par lasser le
règne : où va la monarchie britannique, les derniers scan- public, Scobie n’a afaibli que sa propre réputation et,
dales révélés promettait d’ébranler la maison Windsor. pour le pauvre prince Harry, les chances d’une réconci-
D.R.

Dans son brûlot, l’auteur n’hésite pas à qualiier cette liation avec sa famille. •

9
U P DE R OUG
O

E
Par Olivier Dartigolles
Habitué aux joutes médiatiques, hier comme dirigeant
communiste, aujourd’hui comme chroniqueur politique,
Olivier a des tripes et du cœur quand il s’agit de défendre ses
idées. « J’aime qu’on me contredise ! » pourrait être sa devise.

N
i leurs ni couronnes. Ci-gît le à venir. Il se traduira dans les urnes et par un
« en même temps » macronien, changement de société : la guerre de tous contre
après la tentative de grand écart tous, la perte de fraternité et du bien commun.
sur le projet de loi immigration.
J’ai toujours été un fervent défen- J’ai lu, le stylo à la main et le cœur battant,
seur du clivage gauche/droite. le dernier opus de la Tragédie française de
Il permet un débat politique Franz-Olivier Giesbert. Avant de s’achever par
clair et transparent, une bataille une déinition au scalpel du macronisme, il
idéologique indispensable à une démontre que rien ne va plus depuis 1983. En
vitalité démocratique. Encore faut-il savoir où fait, la France est grande et belle, elle peut faire
en est la droite. Encore faut-il comprendre où frissonner le monde, comme le chantait Ferrat,
se situe la gauche. Je sais aussi que les gouver- quand elle ne s’aligne pas, quand elle éduque ses
nements de centre droit, ceux qui ont voulu à enfants, quand le travail paye, quand l’éduca-
eux seuls représenter le « camp de la raison », et tion irrigue les cités, quand nous pouvons aussi
même celui de l’idéal démocratique, ont partout décider de notre souveraineté, de notre politique
accéléré la crise politique et la colère populaire. migratoire comme de l’avenir de nos retraites.

La Macronie pense pouvoir se refaire la cerise Parce qu’une nouvelle étape est franchie dans la
avec un calendrier 2024 qui verra se succéder les crise politique, que certains rêvent d’un moment
quatre-vingts ans du débarquement, les JO et la bonapartiste – mais sans Bonaparte –, que l’on
réouverture de Notre-Dame. Dans les rues de ne peut pas laisser le pays dans un tel climat pour
Pau ou de Paris, au hasard des rencontres et des les trois ans et demi à venir avant la prochaine
échanges, personne ne me parle de ces rendez- élection présidentielle, il faut retourner
vous. Comment peut-il y avoir le moindre au peuple par des élections législatives ou un
imaginaire collectif, porteur de ierté et de référendum.
gourmandise pour l’avenir, quand le présent est
aussi oppressant. Alors, de quoi me parle-t-on ? Je connais le contre-argument : « On a tous à y
D’abord des conditions de vie qui se dégradent, perdre, sauf le RN. » Mais qui est ce « tous » ?
de la peur de ne plus pouvoir y arriver, pour soi et Il ne forme pas un tout. La riposte face au RN
pour le pays tout entier. Le déclassement comme demande un peu de courage et la volonté d’en
seul horizon. Puis, c’est un immense ressenti- inir avec une paresse intellectuelle qui s’est
ment qui s’exprime contre nos dirigeants. Il y a contentée d’arguments moraux ineicaces.
« eux » et nous. Ce n’est pas un face-à-face, mais Nous avons été privés de débat lors de la dernière
un séparatisme élitaire. Une sécession de ceux élection présidentielle. On en paye aujourd’hui
qui, vivant bien, n’ont plus rien à faire de ceux la facture. Acceptons donc une belle et grande
qui ont une vie sans plaisirs de la vie. Si rien ne confrontation politique et démocratique.
© Crédit

change, ce constat accablant pour notre Répu-


blique sociale sera incendiaire dans les années Le macronisme est mort. Vive la politique ! •

10
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11

Janvier 2024
A
EI À L’ S SE M

MA V

BL ÉE
MA VIE À L’ASSEMBLÉE
Par Emmanuelle Ménard
On aurait pu croire que le mois de décembre verrait l’esprit de Noël
descendre sur l’Assemblée nationale… Mais pour cela, il faudrait que
les députés croient à l’esprit de Noël !

49-3. été observée pour le jeune homas Perotto, tué


Bon, pour tout vous avouer, j’ai perdu le il… 19, à Crépol d’un coup de couteau en plein cœur.
20, 21, 22, 23e 49-3 d’Élisabeth Borne depuis sa Enin ! Ces derniers mois, on s’est (trop !) souvent
nomination à Matignon. Et, je l’ai déjà dit, dans levé dans l’Hémicycle. Mais cette minute-là est
une indiférence quasi générale. Même les dépu- lourde, épaisse. Et vraiment silencieuse. Quand
tés du Rassemblement national ont abandonné nous nous rasseyons, Élisabeth Borne parle. Elle
l’idée de déposer des motions de censure et ne évoque « un devoir d’unité, un devoir de dignité ».
prennent plus la peine de voter celles de La France Et puis, elle condamne la « récupération poli-
insoumise qui, elle, continue de s’époumoner sans tique » et les « démonstrations et actes de violence
que plus personne ne l’écoute… Avec pour seule de l’ultra droite ». L’art de tout gâcher…Il y a des
conséquence – mais c’est peut-être leur seul objec- jours où on aimerait vraiment qu’elle se taise…
tif ? – d’agacer considérablement notre Première
ministre. Selon des propos rapportés par La Immigration
Tribune dimanche, elle aurait dit : « Ça me boufe Le mardi 28 novembre, en commission des lois,
du temps. Dans leurs discours, ils ne savent même les députés passent plus de trente minutes pour
plus quoi raconter. Cela n’a d’intérêt pour personne, savoir si les candidats au regroupement familial
ça devient lunaire. » « Lunaire » ? Tout serait telle- doivent apprendre ou non le français… Ces gens
Cedric LEMOINE/SIPA

ment plus facile si le Parlement n’existait pas… m’épuisent !

Minute de silence « Mamie vapote »


Lors de la séance de questions au gouverne- Alors qu’elle s’exprimait à la tribune le jeudi 30
ment du 28 novembre, une minute de silence a novembre, la députée Caroline Fiat – vice-prési-

12
dente de l’Assemblée nationale – a dû s’inter- la commission des lois vient de déclarer irrece-
rompre parce que la Première ministre vapotait vables presque un tiers des amendements que
dans l’Hémicycle durant sa prise de parole. Assez j’avais déposés. Prise de curiosité, je regarde le
justement, la députée a rappelé à Élisabeth Borne sort réservé aux députés LFI : même chose, même
que son ministre de la Santé venait de présenter proportion. Avouez que pour une majorité qui
un plan antitabac qui prévoit l’interdiction de se prétendait « ouverte aux propositions » et « la
fumer ou vapoter sur les plages, les parcs ou main tendue », on pouvait attendre mieux… Troi-
devant les établissements scolaires. Mais pas sième responsable, la droite de l’Hémicycle, qui
dans l’Hémicycle, c’est vrai… Et la députée de n’a aucun scrupule à voter avec les pires immigra-
pointer du doigt « un mépris total et un manque tionnistes. Cette droite que cela ne dérange pas
de respect ». Ce n’est pas la première fois que de rejeter le texte avant même qu’il soit discuté et
la chef de gouvernement est prise en lagrant donc, de ne pas accomplir la mission pour laquelle
délit de vapoter, à l’Assemblée comme au Sénat. elle a été élue. J’ai même entendu quelques « Vive
L’article L. 3513-6 du Code de la santé publique les vacances ! » à l’issue du vote… Pour moi qui
précise d’ailleurs que « le fait de vapoter dans me suis abstenue (pas question de s’associer à la
un lieu à usage collectif est puni d’une amende Nupes et à ses positions pro-immigration ; pas
pouvant aller jusqu’à 150 euros ». Chiche ! question de croire à la bonne foi d’une majorité
qui refuse d’emblée de discuter sur ce qui consti-
Pétaudière tue pour moi une véritable ligne rouge…), je me
Le 30 novembre, Ugo Bernalicis, député de LFI, sens dépossédée. Tout ce travail pour inir en
arrive comme une furie en commission des déconiture. Décidément, c’est le règne du billard
lois. Il reproche au président de la commission à trois bandes et des politiciens à deux balles.
des lois, Sacha Houlié, d’organiser l’examen du
projet de loi immigration en même temps que Amateurisme
la niche parlementaire de son groupe, qui se Avant la motion de rejet, les tractations battent
déroule au moment même dans l’Hémicycle. Le leur plein. Le cabinet du ministre de l’Intérieur
ton monte et certains craignent qu’on en vienne chouchoute les élus LR pour les convaincre
aux mains. Gérald Darmanin, présent, ironise de voter contre la motion de rejet. Et tous les
en expliquant que « Ugo n’est visiblement pas moyens sont bons pour parvenir à leurs ins.
prêt à entrer à Beauvau ». Référence à un clip Les voilà qui appellent le député Fabrice Brun
de campagne du député que je ne connaissais pour lui annoncer la création d’une nouvelle
pas, modèle de narcissisme et d’indécence sur brigade de gendarmerie à Rosières. Manque de
le thème de « la police tue »… Pour les curieux, chance, ce n’est pas Fabrice qu’ils contactent,
vous pouvez taper « Ugo à Beauvau » dans votre mais Philippe Brun, député PS, qui est appelé.
barre de recherche. C’est sur YouTube… Rappelez-vous, il y a quelques mois, Emmanuel
Macron enjoignait ses députés d’être iers d’être
Hanouka à l’Élysée des « amateurs ». Certains l’ont pris au mot.
Au risque d’ofusquer les adorateurs de la secte
de la laïcité, je n’ai pas été choquée quand Immigration suite et in
Emmanuel Macron a allumé la première bougie Mardi 19 décembre. C’est terminé. Le projet de
de Hanouka à l’Élysée. Après avoir refusé de loi a finalement été largement adopté. « Sans les
manifester contre l’antisémitisme, après avoir si voix du RN » nous explique Gérald Darmanin,
peu fait pour les 40 Français tués par le Hamas qui a tout fait pour que Marine Le Pen et ses
le 7 octobre, c’était bien le moins… députés s’abstiennent, dans l’espoir de pouvoir «
ressouder » sa majorité. Quelle sidérante manière
« Vive les vacances ! » ! Faire « comme si » les voix du RN n’existaient
Ce lundi 11 décembre, c’est la délagration. Le pas. Comme s’il y avait des députés de seconde
projet de loi sur l’immigration vient d’être rejeté zone, des sous-députés. Ceux-ci ont pourtant bel
par l’Assemblée nationale sans même avoir été et bien voté en faveur du texte quand 59 députés
examiné par les députés… À qui la faute ? À de la majorité votaient contre ou s’abstenaient…
Gérald Darmanin d’abord, qui a tout fait pour On apprend que le ministre de la Santé a proposé
humilier les députés LR dans les jours précédant sa démission dans la nuit. D’autres pourraient
le vote. À « l’aile gauche de la majorité » ensuite, suivre. J’espère que ceux qui ont mis leur démis-
qui n’a cessé de savonner la planche du ministre. sion « dans la balance » iront jusqu’au bout. On
Quinze minutes avant d’entrer dans l’Hémi- pourrait presque regretter que la liste ne soit pas
cycle, je m’aperçois en efet que le président de plus longue… •

13
Gérard Depardieu dans Danton d’Andrzej Wajda, 1983.
D.R.

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AFFAIRE DEPARDIEU, LA
REVANCHE DES MINABLES
Par Yannis Ezziadi

Gérard Depardieu est devenu l’ennemi c’est violent. « Petite chatte poilue »… oh que ça fait mal.
Quel traumatisme. Non mais quelle blague ! Et quelle
public numéro un du milieu artistique. malhonnêteté ! Se servir des saillies scabreuses de l’ac-
Retiré du musée Grévin, insulté par la teur pour venir appuyer la thèse du viol… quelle honte.
« Moule », « chatte », « clito » dans la bouche de Depar-
ministre de la Culture, black-listé de dieu, ça vous surprend ? Ça vous choque ? Ce genre de
l’audiovisuel public… il n’a pourtant propos faisait pourtant bien marrer tout le monde il y a
peu encore.
été condamné par aucun tribunal
(judiciaire). Peu de voix s’élèvent Souvenez-vous, il y a une dizaine d’années, sur le
plateau du « Petit journal ». Yann Barthès présentait
pour le soutenir. Yannis Ezziadi dit une séquence dans laquelle ses équipes tentaient de
tout haut ce que beaucoup d’acteurs ilmer Depardieu lors du tournage d’un ilm. L’acteur se
cachait et sortait sa tête de temps en temps pour crier
pensent tout bas. aux équipes de l’émission « Petit journal… le sexe ! »,
« La chatte ! Petit journal… la chatte ! » Rire général
sur le plateau. Personne ne semblait heurté. Allez, je vais
oser le dire : moi, rien ne me choque dans les images du

C
ilm de Moix. J’ai même beaucoup ri ! Y compris lors de
’est au tour de Gérard Depardieu. Le plus la séquence avec la petite ille. Vous trouvez ça grave ? Il
grand des acteurs ! Ils ont réussi à préci- l’a touchée cette petite ? Il lui a dit des choses pouvant la
piter sa chute. Une statue déboulonnée traumatiser ? Non ! Il parle loin d’elle, dans une langue
de plus. Ils étaient nombreux sur le coup, qu’elle ne comprend pas. Rappelons-le d’ailleurs : la
à en rêver. Miam ! Quelle jouissance ça famille Depardieu, dans une tribune publiée par le JDD,
doit être pour les petits, pour les minables, explique que l’acteur n’aurait pas fait cette blague au
de voir tomber le dernier monstre sacré. sujet de la jeune ille, que c’est le montage malhonnête
Quelle revanche pour eux ! Eux à qui on des images qui laissait penser cela. Mais quand bien
ne pardonne rien. Lui à qui on passait beaucoup. C’est même ! Hier, on louait Gérard Depardieu « le monstre »,
vrai qu’on lui avait presque tout passé jusque-là ! Les « le voyou », « le provocateur ». Aujourd’hui, on le
pets, Castro, Poutine, l’exil iscal. Mais « la moule », voudrait sage, tel un petit-bourgeois comme un autre.
elle, ne passe pas ! Surtout lorsqu’elle est « toufue ». Elle N’est-ce pas cette liberté dans les paroles qui, chez lui,
reste coincée en travers de la gorge de la bien-pensance. plaisait tellement ? Cette liberté poussée parfois à l’ex-
« Chatte », « moule », « clito »… c’en est trop ! Oui, c’est trême ? Contrairement à ce qu’on voudrait nous faire
vrai qu’il y avait déjà cette plainte pour viol qui traînait. croire, il est faux d’airmer qu’aujourd’hui « la moule »
Mais pour le moment, pas de preuves ! Pas de condam- ne fait plus rire personne et que « la chatte » choque ! Je
nation de la justice. vous assure que ça plaît toujours et que le succès reste au
rendez-vous dans la France « normale ».
Heureusement, les poubelles ont parlé. Les chutes du
ilm de Yann Moix nous ont montré une vérité indis- Beaucoup de gens du cinéma trouvent le traitement
cutable. Nous tenions enin la preuve irréfutable de la réservé à Depardieu tout à fait disproportionné,
grivoiserie, de la gauloiserie de Depardieu ! « J’ai une malhonnête et franchement dégueulasse. Mais
poutre dans le caleçon ! » Oh que c’est ofensant, oh que problème ! Personne n’ose le dire publiquement. →

15
Je connais des acteurs célèbres qui voudraient le soute- à le rattraper. Et puis, il est trop libre pour eux. Cette
nir. Je sais que certaines stars du cinéma ont contacté liberté – insupportable à ceux qui ne l’ont pas –, c’est
l’acteur et sa famille par de gentils SMS de soutien. Mais parce que tout le monde l’acceptait sans broncher qu’il
ces hommes savent que s’ils parlent publiquement, s’ils a pu se la permettre. Et pourquoi ? Parce qu’il est irrem-
osent aller à l’encontre de l’époque MeeToo, ce sera à plaçable ! Parce qu’il est le roi des acteurs. Parce qu’avoir
leur tour de tomber. Ils savent qu’on ira possiblement Depardieu dans son ilm est un honneur. Et ça coûte
leur trouver, bien caché derrière les fagots, un petit SMS cher ! Ça se paye. Pas que inancièrement. Ça coûte cher
lourdingue envoyé tard dans la nuit à une belle, qui parce qu’un génie, il faut se le farcir. Lui et son lourd
deviendra la preuve absolue d’une accusation de viol qui cortège d’angoisses, d’impatiences, de caprices et de
sortira par surprise. Aujourd’hui, au-dessus de la tête de provocations. Lui et sa fragilité, son besoin d’attention
chaque homme célèbre plane une lourde épée de Damo- et d’amour. Lui et ses blessures, son désespoir. Lui et sa
clès, qu’il soit irréprochable ou non. Et même si la justice sensibilité à leur de peau. Mais comment faire autre-
acquitte, relaxe ou classe sans suite l’enquête, c’en sera ment ? C’est ainsi. Pagnol en a souvent bavé avec Raimu.
terminé de son image respectable et de sa carrière. Coppola en a bavé avec Brando. Et que dire de Michel
Simon ? La liste est longue. Et ça, ceux à qui l’on ne
Combien de fois est-ce déjà arrivé ? Combien de temps pardonne rien, ceux qui ne peuvent rien se permettre
cela va-t-il encore durer ? Tout le monde se tait ! C’est parce qu’ils sont remplaçables, ne le supportent pas. La
la terreur. C’est l’inquisition. Mais revenons-en au cas jalousie ! Les ennemis de l’art me répondront « Ah mais
Depardieu. C’est un double crime ! Crime contre la pour vous, parce que c’est un grand un acteur, il peut
liberté de blaguer, même lourdement. Et crime contre tout se permettre ? » et je répondrai très honnêtement
l’art. D’ailleurs, n’est-ce pas un peu cela que l’on attaque que oui. Qu’il peut au moins se permettre beaucoup !
à travers Depardieu ? Le grand art ! Le grand art inéga- Quand je parle d’art, je ne parle pas de morale. Si Depar-
litaire. Oui, Gérard Depardieu écrase les autres. Il les dieu a fait chier une partie des gens avec qui il bossait,
écrase par la supériorité de son génie. Et ça fait chier les dans la balance, cela pèse moins lourd que le bien qu’il a
mauvais. Depardieu est insupportable pour certains, fait par son art, que sa contribution géniale et unique à
car il les dépasse de trop loin et qu’ils n’arriveront jamais la longue liste des chefs-d’œuvre auxquels il a participé.

Maria Laura Antonelli/AGF/SIPA

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Et puis, si je défends ici Depardieu, c’est que de toute le destin d’un grand artiste n’est-il pas de inir ainsi,
façon, je ne suis pas bien convaincu par cette histoire répudié par ceux qui pensent comme il faut ! L’excom-
de viol. C’est comme ça. Que voulez-vous ? Il y a des munication des acteurs, des vrais, serait-elle de retour ?
gens qui ne se cachent pas pour dire que « Depardieu Nous en sommes si proches. Un grand acteur est une
violeur », ils y croient et qu’avec tout ce que l’on sait, chose bizarre, incompréhensible, un sorcier, un voyou.
ça leur semble probable. Anouk Grinberg ne se cache Un grand acteur dérange, efraie, gêne. Au diable !
pas pour dire que Depardieu a violé Charlotte Arnould, Lorsqu’il mourra, Depardieu sera-t-il enterré discrète-
qu’il ment quand il nie. Comme si elle y était, dans cette ment, sans un seul minable petit représentant du minis-
chambre ! « Cette espèce de salaud l’a violée avec son gros tère de la Culture ? Tout comme Molière fut enterré de
doigt de pute », dit-elle au micro de France Inter sans nuit et sans messe à Saint-Eustache ? Ce sera tout à
que Sonia Devillers juge bon de rappeler la présomp- son honneur ! Libre jusqu’à la in. C’est une manière
tion d’innocence. D’ailleurs, Grinberg traite aussi Josée de se consoler. Mais beaucoup d’entre nous auraient
Dayan de camionneuse sans que Devillers lui rappelle tellement aimé en proiter encore un peu. Quelques
que son propos est homophobe. En parlant de Char- concerts. Un ilm par-ci, par-là, même mauvais. Mais
lotte Arnould, elle dit aussi « Une jeune femme de son pouvoir encore entendre quelques phrases inédites être
âge, frêle comme elle, vierge comme elle l’était, vous prononcées par lui. Entendre sa voix unique emplir les
pensez qu’elle voudrait se faire dépuceler par un cacha- mots et les charger de sens. Entendre un peu de son
lot ? » sans que la journaliste de France Inter épingle la lyrisme, encore.
grossophobie de ses propos. Mais comment le sait-elle
que Depardieu a vraiment violé ? Pas parce qu’elle en Car Depardieu, aujourd’hui, reste toujours le grand
a été témoin mais parce que Charlotte Arnould, c’est acteur lyrique et poétique qu’il était hier. Son génie
sa copine ! Alors moi, je ne m’empêcherai pas de dire n’a pas bougé. Lui non plus. Ce n’est pas lui qui a
que « Depardieu violeur », a priori, je n’y crois pas. Moi changé, c’est le monde. Nous n’assistons pas à sa
aussi je donne mon petit avis, comme tout le monde. chute. Lui reste debout, droit. C’est le monde qui
s’efrite et s’efondre autour de lui. Depardieu fou ?
Il faut dire qu’elle va être diicile à tenir la crédibi- Oui ! Mais le monde devient encore plus fou que lui.
lité des femmes après toutes ses accusations à tort et à Le voilà rattrapé ! Et ce monde fou, hystérique, tyran-
travers. Quand j’ai vu, moi, la manière dont on a traité nique réclame des artistes sages. Autant dire que l’art,
mon ami Philippe Caubère qui (ouf !) a été blanchi par c’est terminé. Rideau. Torreton a gagné ! Les hautes
la justice… j’avoue que, maintenant, je me méie. Je ne instances de l’« art » et de la « culture » ne pardon-
suis pas comme Yann Moix qui avait dit dans l’émis- neront plus à Depardieu. Tout ça, c’est de l’histoire
sion d’Hanouna : « Gérard a peut-être violé, peut-être ancienne. L’histoire ancienne, regardons-la d’ailleurs.
pas, la justice n’a pas encore tranché. Et moi je prends Sarah Bernhardt, par exemple, à qui l’on passait aussi
toujours la défense des femmes et je ne pense pas qu’il beaucoup de choses. L’immense tragédien Édouard
y ait des mythomanes chez les femmes. » Eh bien, moi, de Max, partenaire de scène de la grande Sarah, avait
c’est le contraire. Sans parler de mythomanie, je sais écrit un texte bouleversant sur l’actrice dont voici
que la plainte pour agression sexuelle est devenue quelques extraits, qui me laissent rêveur…
un outil de chantage, de menace, de pouvoir et de
vengeance. Mais, comme on dit, la justice tranchera. « […] Il y a deux Sarah – au moins. Il y a celle qu’on
voit de la salle. Et il y a celle qu’on voit des coulisses. Le
En attendant, nous voilà privés de l’ogre magniique, malheur est que, des coulisses, on voit quelques fois la
du monstre sacré. Le courage, c’est lui qui l’a eu. Le même que dans la salle, la plus belle. C’est un malheur,
courage de ne reculer devant aucune provocation. Le parce que, ces jours-là, on n’est plus maître de soi ; on
courage de se glisser dans les situations les plus indéli- arrive avec de la haine, de la fureur, on veut se venger
cates ain d’airmer sa liberté, quitte à se tromper. Ain d’elle, et puis on devient spectateur en jouant et, quand
de rester dans l’inconfort. Sa liberté et son insoumis- le rideau se ferme, on lui baise les mains, avec des larmes.
sion, il les paye aujourd’hui. Cher. Très cher. Mais après […] Sarah, c’est l’actrice Sarah. Ce qui se passe derrière
tout, est-ce si grave que cela ? Grave pour l’art, oui. la toile, c’est pour les acteurs. Ils peuvent voir, ils peuvent
Mais grave pour lui, pas certain. Il a tourné avec les plus être déçus. Ça n’a aucune espèce d’importance, puisque
grands réalisateurs, joué les plus beaux rôles. Qu’ofre le leurs pires déceptions ne les ont menés qu’à tant d’extases
cinéma contemporain de grandiose ? Pas grand-chose ! et d’éblouissement. […] C’est toujours une petite ille,
Quels grands ilms va-t-il rater ? Probablement aucun ! une insupportable petite ille, qui a des caprices, des cris,
Et si, par ses dernières provocations, c’était lui-même des crises. […] On a à tout moment une envie ardente de
qui avait amorcé sa fuite ? Si ces derniers pieds-de-nez l’étrangler. Logiquement, elle devrait avoir été étranglée
au conformisme wokisto-bourgeois signalaient son depuis longtemps. Mais ses victimes ont toujours diféré
refus de participer à ce monde de la « culture » qui de devenir ses bourreaux et le diféreront toujours, parce
n’est plus celui de l’art. Lui ne perd rien. C’est nous qui que, je pense, nous avons cette curiosité, devant l’acte
perdons. Enin, pas vraiment. Car Depardieu laisse d’un fou ou d’un enfant, ou d’un enfant fou, de savoir s’il
derrière lui tant de beauté, tant de grandeur. Et puis, arrivera à trouver pire la prochaine fois. » •

17
MACRON : LA RÉSOLUTION
DE VELOURS
Par Jean-Baptiste Roques

En hoisissant e autionner,
Projet de loi immigration : Emmanuel Macron invité de
l’émission « C à vous » sur France 5, 20 décembre 2023.
à uelques nuances rès, a

C
nouvelle oi sur ’immigration, e ’ est l’histoire d’un lapin sorti d’un chapeau.
chef e ’État onfirme e irage D’une loi sur l’immigration, beaucoup
à roite u’i avait éjà négocié
plus stricte que prévu, qui a été votée à une
incontestable majorité ce 20 décembre au
sur ’autres uestions. Et si, ’air Parlement. Personne ne la voyait venir, tant
de rien, Emmanue lacron était le sujet est tabou, tant on s’était habitué
à ce que les gouvernants regardent ailleurs
en train e evenir e résident e
Jacques Witt/SIPA

à chaque fois que la volonté populaire


moins rogressiste es inquante demande plus de frontières, moins d’aides
aux étrangers, moins d’aménité pour les hors-la-loi
dernières années ? venus d’ailleurs.

18
Mais voilà, il aura fallu que le groupe écologiste à d’un côté les attentes de plus de 70 % des Français en
l’Assemblé nationale, décidément composé d’ama- matière migratoire et de l’autre les « anciennes vertus
teurs, lance une rarissime motion de rejet contre chrétiennes devenues folles » (G.K. Chersterton) telles
une première version du texte, aussi fade que les 18 qu’elles prévalent dans les beaux quartiers.
réformes précédentes adoptées sur le sujet depuis
trente ans, pour qu’une nouvelle copie, autrement plus Mais sans attendre et sans surprise, le petit théâtre de
sévère, soit soumise à l’Assemblée nationale, où elle l’antifascisme a, dès l’adoption de la loi, donné quelques
a ini par être adoptée avec 349 voix pour, 186 voix représentations exceptionnelles. Jean-Luc Mélenchon
contre et 38 abstentions. a condamné par voie de tweet un nouvel « axe » poli-
tique Macron-Le Pen, renvoyant au vocabulaire d’Adolf
En quoi cette loi marque-t-elle une rupture ? Comme Hitler et Benito Mussolini lors de leur alliance secrète
l’a fort justement noté Marine Le Pen (dont le parti du 23 octobre 1936. Les militants d’Attac ont quant
a approuvé le texte malgré la possibilité de régula- à eux parlé d’une « trahison de notre histoire », Anne
risation que celui-ci instaure pour les sans-papiers Hidalgo s’est déclarée « en résistance », Sandrine Rous-
travaillant dans les métiers « en tension »), c’est la seau a qualiié le texte « d’extrême droite attentatoire
première fois dans l’histoire de la Ve République que aux droits humains fondamentaux » et les présidents de
des mesures de préférence nationale sont prises pour gauche de 32 départements ont promis de ne pas appli-
diminuer les lux migratoires. quer certains articles de la loi. Autant de bruit émanant
du « camp du bien » laisse penser que cette loi n’est pas
Emmanuel Macron a eu beau, dès le lendemain sur le si mal… N’oublions pas les artistes qui ont pétitionné,
plateau de « C à vous » (France 5), minimiser le poids les présidents d’université qui se sont indignés et Le
de ce symbole et pointer quelques détails qu’il « n’aime Monde qui a éditorialisé sur la « dérive » et la « rupture
pas » dans la loi (comme la « caution retour » qui morale » d’Emmanuel Macron.
sera demandée aux étudiants étrangers), il n’en a pas
moins salué la fermeté du texte, le qualiiant même Le président pourtant n’est pas prêt de gouverner avec
de « bouclier qui nous manquait ». Une formule sans Marine Le Pen. Rappelons que celle-ci, lors de la dernière
doute employée à contrecœur. Il n’empêche. Même si campagne présidentielle, avait pour programme rien
le président a, ce soir-là, mangé son chapeau, le lapin moins que de « supprimer le droit du sol, traiter les
qui en est sorti, lui, est toujours sur la table : il prend la demandes de droit d’asile uniquement à l’étranger, assu-
forme de l’entrée dans notre droit d’une idée cardinale rer la priorité nationale d’accès au logement social et
du Rassemblement national. à l’emploi (y compris dans le secteur privé), supprimer
l’autorisation de séjour pour tout étranger n’ayant pas
Techniquement, cette préférence nationale – que travaillé depuis un an en France, et expulser systémati-
Marine Le Pen préfère appeler à présent « priorité natio- quement les délinquants et criminels étrangers ». Il reste
nale » pour se démarquer du lexique de son père – se donc un goufre entre la coalition Ensemble-LR qui
traduit par de nouveaux principes appliqués aux presta- est de fait au pouvoir, et ses adversaires du RN ou de
tions sociales « non contributives » (aides au logement, Reconquête.
allocations familiales, allocation personnalisée pour
l’autonomie), qui ne seront plus versées immédiatement Cela dit, peut-on continuer de décrire Emmanuel
aux étrangers arrivant en France, mais au bout de cinq Macron en homme du centre mou ? Est-il toujours la
ans de résidence sur notre territoire quand ces derniers version « Comme j’aime » de François Hollande, le
ne travaillent pas, et de trente mois pour ceux qui ont double français de Justin Trudeau ? Car le voilà désor-
un emploi. Une règle déjà en vigueur pour le RSA, par mais, dans presque tous les dossiers, à adopter des posi-
exemple, sans que personne de sensé ait jamais trouvé tions dignes d’un membre on ne peut plus classique des
cela d’une infâme cruauté. Tories anglais ou de la CDU allemande. N’est-il pas à
présent plus élitiste, en matière d’Éducation natio-
Parmi les autres articles qui raidissent notre Code de nale, que Valéry Giscard d’Estaing, dont il est en train
l’immigration, il faut aussi signaler la in de l’acqui- de démanteler le « collège unique » avec l’aide de son
sition de la nationalité de plein droit pour les enfants ministre Gabriel Attal ? Plus austéritaire que Marine
d’étrangers nés en France, le rétablissement du délit Le Pen qui, contrairement à lui, voulait maintenir la
de « séjour irrégulier », ou la réduction du nombre de retraite à 60 ans ? Plus atlantiste que Nicolas Sarkozy,
possibilités de recours pour les personnes soumises à cet apôtre d’un compromis avec Vladimir Poutine ?
OQTF (obligation de quitter le territoire français). Plus pro-israélien qu’un Jacques Chirac, et même plus
gaulois que cet amateur de Corona et de tournois de
On ne peut toutefois exclure que certaines de ces sumo depuis qu’il a refusé de retirer sa Légion d’hon-
nouveautés soient retoquées par le Conseil constitu- neur à Gérard Depardieu ? Emmanuel Macron n’est
tionnel. Il sera, le temps venu, intéressant d’analyser peut-être pas tombé dedans quand il était petit, mais
la décision des sages de la rue de Montpensier, qui on se prend à se demander s’il ne prend pas de la potion
vont en somme se retrouver chargés d’arbitrer entre conservatrice depuis quelque temps. •

19
DES JEUX PLUS GROS QUE
LE VENTRE
Par Frédéric Magellan

Le coup d’envoi de Paris 2024 plines… D’autant qu’au Proche-Orient, le massacre


commis par le Hamas le 7 octobre dernier a réveillé
approche à grands pas mais les le spectre des 11 athlètes israéliens assassinés lors des
problèmes de sécurité et de Jeux de 1972 à Munich par des terroristes palestiniens.
Dans ces conditions, diicile de ne pas être inquiet. Et
circulation, endémiques en Île-de- de ne pas se poser les neuf questions suivantes, pour
France, ne semblent pas avoir été lesquelles nous avons interrogé divers connaisseurs du
dossier.
suffisamment pris en compte par
les organisateurs. Fragilisée par les Le « village des athlètes » est-il bien placé ?
À l’exception de quelques matchs de football program-
émeutes, ciblée par le terrorisme, més en province et des épreuves de voile et de surf, qui
menacée par les grèves, la Ville se tiendront respectivement à Tahiti et à Marseille, les
JO 2024 seront essentiellement franciliens. Tous les
Lumière a quelque peu présumé de sportifs seront logés dans un nouveau quartier de 52
ses forces. hectares situé en plein 93, entre Saint-Ouen-sur-Seine
et l’Île-Saint-Denis. Soit à quelques encablures du
parvis du Stade de France… endroit désormais célèbre
dans le monde entier depuis la razzia inouïe qui s’y
est déroulée le 28 mai 2022 en marge de la inale de

S
la Ligue des champions de football entre le Real
e doute-t-il de l’enfer qui l’attend cet Madrid et Liverpool. Ce soir-là, des bandes locales, au
été ? Le 14 décembre dernier, interrogé proil proche des émeutiers de juillet 2023, ont volé et
sur TMC au sujet des futures olym- violenté des centaines de supporters anglais et espa-
piades, le préfet de police de Paris, gnols. Les leçons de ce iasco ont-elles été tirées ? Rien
Laurent Nuñez, aichait une curieuse n’est moins sûr. Le 11 octobre dernier, le chef de la
sérénité : « Les choses vont bien se délégation olympique mongole, venu en France pour
passer, assurait-il. L’organisation de la assister à un comité de sécurité, se faisait détrousser,
Coupe du monde de rugby ou la visite à quelques mètres de là, d’un sac contenant des biens
de Charles III sont la preuve que nous sommes capables pour une valeur totale de près de 600 000 euros (son
de gérer la sécurité autour de grands rendez-vous. » épouse y avait déposé ses boucles d’oreilles en or).
Comme si une compétition consacrée à un seul sport
ou une déambulation parisienne oferte à un seul roi Les lieux d’afluence seront-ils bien protégés ?
représentait le même niveau de risque qu’une manifes- Outre le village olympique, plusieurs lieux de compé-
tation où vont se presser pendant trois semaines (du tition se trouvent également en banlieue parisienne,
26 juillet au 11 août prochains) plus de 10 000 partici- tels que Saint-Denis (93) où se dérouleront les
pants venus de 200 pays pour concourir dans 44 disci- épreuves d’athlétisme, de rugby et divers sports aqua-

20
Projet de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques, Paris 2024.
D.R.

21
tiques, mais aussi Le Bourget (93) pour l’escalade, à appréhender », reconnaît-on au ministère de l’Inté-
Villepinte (93) pour la boxe, ou Colombes (92) pour rieur, qui a révélé en octobre dernier la neutralisation
le hockey. Or, même à l’étranger, personne n’ignore d’une « vingtaine de drones malveillants » par la police
que ces contrées ne ressemblent pas exactement aux lors de la Coupe du Monde de rugby cet automne
belles artères haussmanniennes paisibles qui ont en France. Sans toutefois donner de détails sur les
fait la réputation de la capitale française. En mai de méthodes employées pour parvenir à ces coups de
l’année dernière, la légende du football hierry Henry ilet.
prévenait d’ailleurs les téléspectateurs de la grande
chaîne sportive américaine CBS Sport : « Vous ne Les équipements sportifs seront-ils prêts ?
voulez pas aller à Saint-Denis. Ce n’est pas pareil que Stade de France, Parc des Princes, Roland-Garros,
Paris. Croyez-moi ! » Et en septembre, quelques heures château de Versailles… La plupart des sites qui accueil-
avant le match France-Nouvelle-Zélande inaugurant leront les épreuves existent déjà depuis belle lurette
la dernière Coupe du monde de rugby, la femme et et sont parfaitement entretenus. Seul point noir : les
la ille de Ian Foster, sélectionneur des All Blacks, travaux, toujours en cours, au Grand Palais, où sont
étaient agressées à l’arme blanche dans l’hôtel de la censées se tenir les épreuves d’escrime. « Certaines
sélection, à Créteil (91). D’après une source policière, initions peuvent ne pas être faites, mais nous livrerons
des moyens spéciaux seront déployés pour rassurer comme prévu le lieu au comité d’organisation des Jeux
les milliers de touristes appelés à franchir le périphé- le 19 avril 2024 », promet pourtant Christophe Chauf-
rique. Des commissariats volants seront notamment four, directeur général délégué de la Réunion des
installés dans des bus près des sites de forte aluence. musées nationaux, l’organisme qui gère le monument.
Et les efectifs de police seront renforcés. Quantité de À Déols, une bourgade proche de Châteauroux, pas
congés ont même été refusés aux gardiens de la paix de stress en revanche : un vieil aérodrome désafecté
qui pensaient en poser durant cette période. Fatigue de l’OTAN a été réquisitionné pour le tir sportif, en
garantie cet été dans les rangs des forces de l’ordre. remplacement du site prévu au départ à La Courneuve
(93). « Plus pourri, tu meurs ! » râle un journaliste
Les sites olympiques seront-ils bien suisse spécialisé. Pour ce compatriote de Guillaume
surveillés ? Tell, si cette discipline est ainsi reléguée, c’est à cause
En complément de la présence policière, on estime à des écologistes, qui l’associent à la chasse.
près de 20 000 le nombre d’agents de sécurité privés
nécessaires à la protection de l’ensemble des lieux Les capacités en logement et transport sont-
appelés à être fréquentés par les spectateurs. Une elles sufisantes ?
gageure. Plusieurs grandes entreprises du secteur ont Selon les estimations de Pierre Rabadan, adjoint à la
boudé les appels d’ofres. Et les autres éprouvent les Mairie de Paris pour les JO, la capitale s’apprête à rece-
plus grandes diicultés à recruter. « Aujourd’hui, le voir « seulement » un ou deux millions de visiteurs de
métier n’est plus attractif, il ne paye pas », explique plus qu’une saison touristique habituelle (16 millions
Djamel Benotmane, secrétaire général du syndicat de visiteurs chaque été), pour la plus grande joie des
CGT Prévention Sécurité. Dans l’urgence, la tentation propriétaires qui ont prévu de louer leur appartement
peut être grande d’embaucher n’importe qui, sans à prix d’or durant les jeux, et qui iront se mettre au
pousser très loin les enquêtes de moralité, y compris vert en attendant la cérémonie de clôture. Mais côté
au sein de populations à très haut risque. Petit à transports, « on ne va pas être prêts », prévient en
petit, le tabou du déploiement militaire se dissipe. revanche la maire de Paris, Anne Hidalgo. Des embo-
Mi-novembre, on apprenait que 5 000 soldats seraient lies s’annoncent en efet sur le réseau ferroviaire et
présents en permanence à Paris lors des trois semaines par voie de conséquence sur les routes. En cause : les
de l’événement, logés sous des tentes sur la pelouse de travaux du CDG Express (liaison entre la gare de l’Est
Reuilly. En tout, 15 000 hommes de troupe devraient et l’aéroport de Roissy), des lignes 16 et 17 du métro et
être mobilisés. Lors des JO de Londres en 2012, le de la station Porte Maillot du RER E qui ne seront pas
recours aux militaires avait aussi été employé pour terminés à temps. Selon nos informations, il faudra
pallier le manque de vigiles. « C’est une solution totale- aussi déplorer des retards dans la livraison de diverses
ment insuisante et inadaptée, on les voit mal contrôler rames commandées pour permettre au réseau existant
les billets d’entrée par exemple », s’inquiète un policier. de supporter la surcharge de voyageurs. Pas de quoi
troubler toutefois le ministre des Transports, Clément
Le « risque drone » est-il bien identiié ? Beaune, qui n’a pas trouvé d’autre commentaire à faire
Au-dessus des grandes messes sportives, ces engins que de reprocher à la maire de Paris « de faire le buzz ».
volants télécommandés et équipés d’une caméra sont Le « pas de vague » dans sa version Hôtel de Roque-
désormais massivement utilisés par les télévisions. laure.
Comment se prémunir contre l’éventualité qu’un
appareil pirate, piloté par un terroriste et chargé d’ex- Sait-on précisément comment se déroulera la
plosifs, s’iniltre dans le dispositif oiciel ? Les drones cérémonie d’ouverture ?
sont une « menace nouvelle et sans doute la principale C’est un format inédit dans l’histoire des JO. Au lieu

22
Incidents au Stade de France lors de la inale de la Ligue des champions, Paris, 29 mai 2022.

de se tenir dans un stade comme à l’accoutumée, la d’euros, non seulement sous l’efet de la hausse du
cérémonie d’ouverture devrait se dérouler le soir du 26 prix de l’énergie et des matériaux de construction,
juillet sur la Seine, en plein Paris, où chaque délégation mais aussi à cause de quelques dépenses annexes, qui
déilera à bord de sa propre péniche le long d’un trajet n’avaient pas été prévues… Une source policière locale
de six kilomètres devant des centaines de milliers de évoque des arrangements « un peu » forcés entre des
spectateurs. Le 31 mai, sur France 5, le criminologue entreprises de construction et quelques voyous du cru,
Alain Bauer tirait la sonnette d’alarme : « Toutes les décidés à récupérer une part de la manne : « Ça donne
conditions du désastre sont réunies. » Le 22 octobre, des deals du genre “embauche mon petit cousin ou verse
l’ancien ministre des Sports David Douillet en rajou- une somme et il n’arrivera rien à ton chantier et ton
tait une couche dans La Tribune dimanche : « Si la matériel”. » La Calabre sans la mer.
veille, les voyants sont rouge cramoisi quant aux risques
d’attentat, il faudra un plan B. » Avant d’être démenti Les Français seront-ils en communion ?
une semaine plus tard par Emmanuel Macron, décla- Ces Jeux arrivent à un moment de doute identitaire
rant sur France 5 : « Il y a évidemment des plans B, des français intense. Bien sûr, nous ne bouderons pas
plans C, etc. » Problème, le préfet de police de Paris, notre plaisir d’avoir droit à un second Roland-Garros
lui, airmait le 14 décembre qu’il n’y avait pas de plan en plein mois de juillet, ni de voir Kylian Mbappé,
B… Après son coup de gueule télévisé, Bauer conie à qui le onze tricolore fera sans doute appel, sous le
avoir reçu des centaines de « messages semi-clandes- maillot des Bleus. Mais existe-t-il encore un peu de
tins de l’appareil d’État », lui disant : « Ah ! enin, merci ciment patriotique pour faire de cette série d’événe-
de l’avoir dit, nous, on n’y arrivait pas. » Tout laisse ments un grand moment d’unité française ? En réalité,
penser qu’on n’a pas ini d’entendre parler de cette depuis vingt-cinq ans, les politiques cherchent à
drôle de galère. retrouver par le sport l’instant « Black Blanc Beur » de
l’été 1998. Sauf que, vingt ans plus tard, le retour des
La note sera-t-elle salée ? champions du monde de football avait été marqué par
AP Photo/Manu Fernandez/Sipa

Au dernier pointage, la facture des Jeux s’établit à 8,7 des violences aux Champs-Élysées. Rappelons aussi
milliards d’euros, en hausse de 30 % par rapport au qu’en septembre dernier, les organisateurs de la Coupe
budget initial. Mais dans un contexte de forte inla- du monde de rugby se sont vu reprocher par Libéra-
tion post-Covid, il était diicile d’éviter pareille envo- tion rien moins que d’avoir incarné la « France rance »
lée. Pas de scandale en soi donc, sauf quelques déra- en raison d’une cérémonie d’ouverture qui sentait bon
pages comme le Centre aquatique olympique, situé en le pays d’antan, les santons et les petits villages buco-
face du Stade de France à Saint-Denis, dont les coûts liques. Pour la première fois de l’histoire, les JO auront
ont explosé, passant de 104 millions à 174 millions lieu dans un pays qui ne s’aime pas. •

23
HAUSSE DES TAUX ET
BAISSE DU NIVEAU
Par Stéphane Germain

Christine Lagarde préside les célébrations du 25e anniversaire de la BCE,


en pleine bataille contre l’inlation, Francfort, 24 mai 2023.

L
es économistes des générations futures
Si les Français sont notoirement regarderont le début du xxie siècle
nuls en économie, leurs élites, à comme l’une des périodes les plus
étonnantes de leur discipline. Pendant
commencer par Christine Lagarde, quelques années, nous avons en efet
ne semblent pas tellement plus mis à bas toutes les certitudes acquises,

calées. On a pu s’en apercevoir déié toutes les lois du marché. À partir


Shutterstock/sipa

de la crise des subprimes, en 2008, les


à l’occasion de la crise banques centrales ont pu faire tourner la

inflationniste post-Covid. planche à billets à plein régime, sans créer d’inlation.


À rebours de la théorie, les taux d’intérêt ont connu

24
alors un niveau historiquement bas. L’Allemagne a pu pour payer les intérêts de la dette contre 33 milliards en
même emprunter à des taux négatifs, une aberration. 2023. Pour faire face à cette dépense supplémentaire de
On prêtait 100 euros aux Teutons et ils promettaient 39 milliards (c’est combien en pavillons de banlieue ?),
d’en rendre 99 à leur créancier ravi. Essayez chez le il suirait de… supprimer l’Éducation nationale – 40,3
boucher : « Vous le mettrez sur ma note, René, et je milliards en 2023. Vu ce qu’on y apprend – surtout en
repasserai vous donner moins. » Gueule de René. économie – et les coups de couteau qu’on y risque, sans
doute un mal pour un bien.
Dans son sillage, la France a pu continuer à faire ce
qu’elle sait le mieux : s’endetter pour déverser par bras- Là où les choses se sont compliquées, c’est quand les
sées des milliards d’euros sur des clientèles diverses. élites européennes et plus précisément celles de la BCE
Avec, au cours de cette période bénie, l’argument de sont entrées dans la danse pour gérer la vague inla-
la « bonne afaire ». Emprunter à de telles conditions, tionniste. Pour faire simple, il convenait d’augmenter
il fallait être un décliniste réactionnaire pour ne pas rapidement les taux d’intérêt pour lutter contre la
vouloir proiter de l’aubaine. Et Dieu sait si Sarkozy, surchaufe, en restant prêt à les baisser aussi preste-
Hollande et Macron en abusèrent, non pour investir ment, dès que leur niveau risquait de déclencher une
dans la défense ou le nucléaire, mais pour calmer les récession. Certes perçues comme des apparatchiks
bonnets rouges, les banlieues, les gilets jaunes, et tous sans cœur, mais crédités d’une expertise technique,
les autres Gaulois réfractaires au boulot autant qu’à Christine Lagarde et ses équipes ont réagi comme on
l’arithmétique. pouvait, hélas, s’y attendre. Aussi médiocre en matière
économique que ses concitoyens, Mamie BCE n’a évité
Parallèlement à cette légitimation du tropisme français aucune des chausse-trappes que la crise à venir avait
pour la gestion dispendieuse des deniers publics, cette dissimulées sous ses pas. En septembre 2021, la reine
faiblesse historique des taux a eu de multiples efets. Christine déclare que « l’inlation est transitoire », alors
L’argent placé sur un compte épargne ne rapportait rien ; que tout indique le contraire. En décembre 2021, le
on se devait d’investir à tout prix dans quelque chose, gouverneur de la Banque de France, François Villeroy
le cas échéant et parfois de préférence, dans n’importe de Galhau, sans doute amoureux de la saucisse de
quoi. Le plus visible a été bien sûr la hausse vertigineuse Francfort, précise que « l’inlation devrait revenir
de l’immobilier, mais également celle de tous les actifs, à son niveau cible de 2 % en 2023 ». Nous serons en
actions, start-up au business model fumeux, montres, réalité à 5,3 %. Pendant ce temps-là, la Fed avait déjà
Porsche, bitcoins, jusqu’aux plus baroques – les NFT et commencé à relever ses taux, mais la BCE n’a pour-
les Bored Ape, littéralement les « singes las », sorte de tant pas eu le rélexe de survie du cancre : copier sur
vignette Panini virtuelle à 300 000 euros le bout. son voisin. Puis vint (enin) l’indispensable hausse des
taux d’intérêt, trop tardive et surtout trop brutale. Et
Les Français restent bien calés en fond de classement tandis que tout indiquait que l’inlation allait reculer
européen pour la culture inancière (14e sur 18 en 2020), et qu’il convenait donc de lentement mais sûrement,
mais ils en tirent une certaine ierté. Fidèles au Général, ramener de la toile ain de ne pas asphyxier l’écono-
« l’intendance suivra » semble être leur motto pour ne mie, le 14 juillet 2023 Lagarde se meurt (de honte),
prêter qu’une oreille distraite aux données macroéco- mais ne se rend pas (à l’évidence) : « La BCE ne s’enga-
nomiques. Tout ce qui dépasse la valeur d’une résidence gera pas dans un cycle de resserrement monétaire trop
principale leur semble équivalent – un million, un rapide. » Quelques jours après, le sieur Villeroy, lucide,
milliard, c’est du domaine de l’abstraction. Lorsque les renchérit : « La Banque de France ne prévoit pas de
efets de la planche à billets se sont enin alignés sur ce baisse des taux d’intérêt avant 2025. » Six mois plus
qui était écrit dans les manuels d’économie – le retour tard, le même annonce, sans surprise, une première
d’une vigoureuse inlation –, ils ont bien sûr mis cela baisse des taux. La planète inancière voit l’inlation
sur le compte des « patrons » désireux de s’en mettre rentrer dans la niche en 2024, tandis qu’au royaume
plein les poches. Ils n’avaient d’ailleurs pas complè- de Oui-Oui, à Francfort, la reine Christine se dit assez
tement tort, puisqu’on estime qu’un peu moins de la hostile à une inlexion des taux.En clair, elle est favo-
moitié de la hausse des prix n’a eu comme autre moti- rable à une prochaine contraction économique euro-
vation que celle d’améliorer leurs marges. Néanmoins, péenne. La France vient d’ailleurs d’enregistrer un
anecdotique pendant dix ans, l’inlation a atteint premier trimestre de croissance négative. Devinez ce
8,6 % en zone euro en décembre 2022, avec des consé- que fait la Fed avec ses taux ? Le contraire.
quences très concrètes pour l’État, les entreprises et les
particuliers. Hausse des taux d’emprunt, diicultés à Qu’importe la récession à venir. N’est-il pas inale-
acheter, tout cela s’est traduit par un gel du marché de ment rassurant de constater que le niveau de nos diri-
l’immobilier, une chute des prix en cours que certains geants est indexé sur celui de la population française ?
pronostiquent à 20 % (!). La valeur de certaines start- Au moment où le chômage hexagonal, toujours plus
up, les fameuses licornes valorisées plus de 1 milliard élevé qu’en Europe du Nord ou aux États-Unis (même
de dollars, s’est vaporisée. Et nos gouvernants devront lorsqu’il baisse) est en passe de remonter, ce triomphe
désormais trouver 72 milliards en 2027, une paille, de l’égalitarisme réchaufera les cœurs. •

25
LA CONQUÊTE TRANQUILLE
Par Michel Aubouin

n trois générations, les musulmans


ou implicites, de la loi commune. À presque toutes les
questions posées, les trois quarts des personnes sondées
de France sont devenus de plus en répondent de la même manière. Ainsi, malgré le carac-
plus religieux, et les jeunes encore tère très fragmenté de la religion musulmane en France,
une pensée commune émerge au nom de l’oumma, la
plus ultras. Forts d’une démographie communauté des musulmans. Cette pensée commune
jouant en leur faveur, ils imposent est d’autant plus forte qu’elle est cohérente. Elle consi-
dère que la religion prévaut sur le reste, quel qu’il soit, et
sans mal leurs règles et leurs mœurs que tout ce qui s’oppose à ses préceptes doit être prohibé.
face à un État incapable de défendre Elle admet même, dans les cas les plus extrêmes, qu’un
acte violent puisse être justiié par une atteinte aux
les lois de la laïcité. Le combat principes considérés comme sacrés.
voltairien contre les Églises est perdu. En cela, l’islam en France s’inscrit dans un mouvement

L
plus général, et d’une certaine façon planétaire, qui
e sondage réalisé par l’IFOP pour la prône l’extension du Dar al-Islam à tous les pays où les
chaîne franco-arabe elmaniya.tv auprès musulmans sont présents. Cette guerre de conquête
d’un millier de musulmans de France1 a le – ou de conviction – prend des formes très variées.
mérite de quantiier une impression géné- En France, elle est à deux doigts d’être gagnée parce
rale partagée par tous ceux qui travaillent qu’elle ne trouve plus, face à elle, d’autre dogme reli-
au contact de cette catégorie de la popu- gieux capable de la contredire. On lui oppose, à la place,
lation, en particulier dans les quartiers un principe mal déini en droit et d’une application
d’habitat social. Les musulmans, s’ils sont à géométrie variable : la laïcité. L’islam bénéicie par
de plus en plus nombreux, et pas uniquement à cause ailleurs d’une conjoncture particulièrement favorable,
des migrations, sont aussi de plus en plus religieux. encouragée par les pouvoirs publics : celle de la démo-
C’est une réalité que devraient méditer tous ceux qui graphie, en partie liée à nos modes de redistribution
pensaient que le drapeau de la laïcité suirait à empê- sociale, et celle de l’immigration, qui privilégie les
cher l’intrusion des religions dans l’espace public et la ressortissants de pays musulmans (Maghreb, Turquie,
sphère des comportements. Afghanistan).

Les enseignants en zone urbaine, eux, n’ont pas été Le deuxième enseignement de cette étude bat en
surpris : une majorité de leurs élèves est musulmane. Et brèche une idée répandue qui voudrait que l’élévation
cette religion, quand elle est majoritaire, s’impose aux du niveau de culture et de richesse atténue la pratique
autres, au moins en matière d’attitudes. Il n’est d’ailleurs religieuse. C’est le contraire que l’on constate. Les élites
pas rare qu’à la question posée de sa nationalité, l’élève musulmanes sont plus pratiquantes et plus engagées
réponde « je suis de nationalité musulmane ». Les élus que leurs grands-pères ouvriers de l’industrie automo-
de ces mêmes villes ne devraient pas être surpris non bile. Je ne suis pas loin de penser que le même constat
plus, dès lors qu’ils ont, pour de nobles raisons, laissé pourrait être dressé chez les catholiques.
s’édiier, à proximité des « quartiers », des mosquées
pouvant accueillir le vendredi des milliers de idèles. L’islam est présent en France depuis trois générations.
La première était ouvrière. Elle pratiquait un islam
Ce que révèle l’étude, en revanche, c’est la communauté « domestique », dans une discrétion qui a pu faire croire
des opinions qui s’expriment pour évoquer les rela- aux observateurs peu avisés qu’un islam prétendument
D.R.

tions entretenues par l’islam avec les règles, explicites modéré pouvait être érigé en modèle. La seconde géné-

26
ration, devenue française, mais de mères souvent nées a adopté, de ce point de vue, les codes de la démocra-
en terre d’islam, a fait sortir la religion des « caves » tie occidentale : il s’insurge contre ce qui lui déplaît et
et des salles de prière pour l’introduire dans l’espace s’organise en groupe de pression.
public. La troisième, qui s’exprime ici, est devenue mili-
tante. Elle ne vit pas l’islam comme un acquis mais Ce faisant, l’islam investit la sphère publique mais,
comme une conquête. Elle conteste sans retenue des surtout, il se heurte à d’autres pratiques, à d’autres
règles ixées par la loi. traditions, à d’autres héritages. Il inquiète la part de la
population non musulmane qui craint de subir à terme
Cette troisième génération a bénéicié de l’ascenseur l’opprobre de la mécréance. Déjà, ses enfants mangent
social. Elle est française de parents français, mais hallal contre leur gré, doutent des bien-fondés de la
alimente l’essentiel de l’immigration familiale en épou- science, s’accommodent de la séparation des garçons et
sant des conjoints nés au Maghreb ou en Turquie. En des illes, s’insurgent contre les œuvres représentant des
son sein, c’est la part la plus éduquée qui revendique femmes nues et fustigent l’homosexualité. L’islam, au
avec le plus de conviction son adhésion aux principes quotidien, impose son droit, c’est-à-dire la distinction
de l’islam. L’islam ne s’est pas sécularisé avec le temps. entre le licite et l’illicite, le hallal et le haram. L’État, face
Il s’est conforté. Ses porte-parole du quotidien sont à lui, peine à dire ce qui peut être toléré et ce qui doit
ingénieurs ou professeurs de lycée. Nous en connais- être proscrit.
sons tous.
Le combat voltairien contre les Églises est perdu. La
Ces porte-parole font de la loi de 1905 une lecture difé- religion n’est pas une opinion. Elle n’est pas une adhé-
rente de celle qui prévaut chez les non-croyants. Ils sion. Elle est d’abord une communion avec un principe
réclament tout à la fois l’égalité de traitement entre les supérieur qui transcende le quotidien de chacun des
religions, dans la négation d’une religion « historique », idèles. La religion est, avec la patrie, la seule cause pour
et des droits particuliers tirés des prescriptions reli- laquelle on accepte de mourir. Les dirigeants de ce pays
gieuses. Toute tentative d’encadrement de la pratique ne peuvent plus ignorer les combats qui s’engagent. •
est dès lors vécue comme une discrimination, en 1. « Abayas, burqa, attentat d’Arras… enquête auprès des musulmans sur la laïcité
particulier chez les plus jeunes. Le monde musulman et la place des religions à l’école et dans la société », 8 décembre 2023, ifop.fr.

Interdiction de l’abaya à l’école. « La génération actuelle, devenue militante,


© Crédit

ne vit pas l’islam comme un acquis mais comme une conquête et conteste sans retenue des règles ixées par la loi. »

27
LE GRAND CAPITAL
CONTRE LES JUIFS Par Jeremy Stubbs

La complaisance qui entoure les


manifestations antisémites sur les
campus américains s’explique par
un mot : l’argent ! Abreuvées de
subventions venant de pays arabes,
Rassemblement en soutien à la Palestine à l’université
d’Harvard (Massachusetts), 14 octobre 2023.

les universités ferment les yeux sur ux États-Unis, au cours des trois derniers
le militantisme de leurs étudiants. Et mois, les campus universitaires et
Joseph Prezioso / AFP

des philanthropes tels que Soros et certaines institutions gouvernementales


ont été le théâtre de nombreuses manifes-
les Rockefeller financent aussi bien tations propalestiniennes accompagnées
le Parti démocrate que des lobbys d’incitations à la haine, voire au génocide.
Les actes d’agression et de vandalisme
« propalestiniens ».
28
antisémites se sont multipliés dans les grandes villes. a été déclaré antisémite par le Parlement allemand en
Et pour couronner le tout, le 5 décembre, les prési- 2019 – des « Israeli Apartheid Weeks » sont organi-
dentes de trois des universités les plus prestigieuses, sées chaque année sur les campus pour dénoncer le
appelées à justiier devant le Congrès la tolérance sionisme. Le mouvement jouit du concours des plus
apparente accordée à l’antisémitisme par leurs insti- de 200 branches de Students for Justice in Palestine
tutions, n’ont pu donner que des réponses évasives. (SJP) aux États-Unis et au Canada. Ce réseau s’est doté
Comment expliquer une telle dérive dans une démo- en 2010 d’un comité national dont le inancement est
cratie occidentale ? La clé de l’énigme réside moins facilité par un sponsor iscal, la Wespac Foundation.
dans la puissance des idées que dans celle de l’argent. SJP a été interdit dans l’état de Floride en octobre
Car l’argent séduit les instances dirigeantes, comme il 2023 et suspendu par l’université George Washington
inance les activités des militants. Si les autorités ont en novembre. L’organisme est aidé aussi par American
souvent tardé à sanctionner leurs étudiants qui célé- Muslims for Palestine (AMP), fondé en 2006 par un
braient ouvertement les atrocités du Hamas, ce n’est des cofondateurs de SJP, Hatem Al-Bazian, professeur
pas sans lien avec les sommes faramineuses dont des américano-palestinien à Berkeley. Une organisation
pays arabes, le Qatar en tête, abreuvent les universités sœur, Americans for Justice in Palestine, joue le rôle
américaines depuis des années1. En revanche, toutes de sponsor iscal et ses revenus en 2022 étaient de plus
les actions prétendument antisionistes ont été orga- d’un million et demi de dollars. Les deux entités sont
nisées par des ONG qui, elles, sont arrosées par les l’objet d’un procès concernant un adolescent tué par le
dollars du grand capital philanthropique américain2. Hamas qu’elles sont accusées d’avoir soutenu.

L’argent qui inance ces ONG transite par un système Une autre ONG, Samidoun, créée en 2011 au Canada
complexe et opaque qui sert aussi à subventionner ain de mener campagne pour la libération des prison-
les ambitions électorales du Parti démocrate, ainsi niers palestiniens en Israël, est accusée d’être une
que toutes les causes intersectionnelles à la mode. Le couverture pour le Front populaire de libération de
capital provient souvent des grands philanthropes de la Palestine (FPLP). Elle a été déclarée organisation
la gauche, comme le Rockefeller Brothers Fund ou les terroriste en Israël en 2012 et interdite en Allemagne
Open Society Foundations de George Soros. Mais les en octobre 2023. Son sponsor iscal est Alliance for
sommes circulent à travers d’autres organismes sans Global Justice (AGJ), un fonds alimenté par Tides et
but lucratif qui jouent le rôle de « sponsor iscal », à qui Soros a donné 250 000 dollars en 2020. Ses reve-
apportant aux ONG bénéiciaires des avantages nus en 2020-2021 s’élevaient à plus de 56 millions de
iscaux et la possibilité de cacher l’identité de leurs dollars. En plus de faire l’éloge des régimes de gauche
donateurs. autoritaires, AGJ est accusée de lever des fonds pour le
collectif Palestine vaincra, l’organisme français à qui
Il existe deux grands spécialistes de ce qu’on appelle on reproche sa proximité avec le FPLP et que Gérald
le « dark money » ou « argent anonyme ». Le groupe Darmanin a essayé en vain de dissoudre en 2022. En
Tides, créé en 1976, gère deux fonds et une entre- 2023, Arabella Advisors a judicieusement coupé ses
prise de lobbying. Il reçoit des sommes importantes liens avec AGJ. Deux groupes de juifs antisionistes,
des Rockfeller Brothers, mais surtout de Soros qui, Jewish Voice for Peace (JVP), fondée en 1996, et If Not
entre 2020 et 2022, lui a donné presque 42 millions Now, né en 2014, ont reçu des sommes importantes
de dollars. Conirmant qu’on peut être capitaliste et des Rockefeller et de Soros, et If Not Now de la part
très à gauche, Pierre Omidyar, le fondateur d’eBay, et de Tides et d’Arabella Advisors. Cette liste pourrait
Peter Bufett, ils de Warren, y ont également contri- se prolonger de manière fastidieuse. Pour boucler la
bué. Arabella Advisors, créée en 2005 par Eric Kess- boucle, terminons par l’exemple de l’US Campaign for
ler, un ancien de l’administration Clinton, gère cinq Palestinian Rights, une coalition d’ONG placée sous
fonds diférents. Entre 2020 et 2022, Soros lui a donné la houlette d’un autre organisme, Education for a Just
plus de 60 millions. En 2022, le groupe a levé 1,35 Peace in the Middle East. Ce dernier, qui a proité de la
milliard de dollars. générosité des Rockefeller, est accusé de soutenir indi-
rectement le Hamas. Elle est le sponsor iscal du Pales-
Tout cet argent sert, entre autres choses, à irriguer tinian BDS National Committee. Selon le fantasme
un réseau dense d’organismes antisionistes dans les traditionnel, les juifs exploitent le capital pour mani-
milieux universitaires et militants. Depuis 2005, un puler le monde. Ici, les judéophobes l’exploitent à des
mouvement informel, Boycott, Divestment and Sanc- ins antisémites. On pourrait dire que les juifs sont les
tions (BDS), dirigé par un Palestinian BDS Natio- victimes des protocoles des « sages antisionistes ». •
nal Committee composé de Palestiniens, inspire des
actions pour appeler les universités américaines à 1. Armin Rosen, « What Yale Has in Common with Hamas », Tablet Magazine, 29
boycotter Israël et à désinvestir dans les entreprises nov. 2023 ; Bari Weiss, « Is Campus Rage Fueled by Middle Eastern Money? »,
commerçant avec lui. Ces appels ont surtout pour The Free Press, 12 déc. 2023.
2. Sources : les sites du Rockefeller Brothers Fund et des Open Society
objectif de maintenir la question palestinienne sur le Foundations, InfluenceWatch, ProPublica, The Washington Beacon, The
devant de la scène. Sous l’égide du comité BDS – qui Washington Examiner.

29
IOLS DU 7 OCTOBRE :
FÉMINISTES,
OÙ ÊTES-VOUS ?
Par Barbara Lefèbvre

Depuis trois mois, des collectifs


appellent à ne pas oublier les crimes
À l'occasion de la journée internationale contre
les violences faites aux femmes, le collectif « Nous vivrons »

sexuels commis par le Hamas, dénonce le silence du milieu féministe sur les crimes sexuels

le 7 octobre. Mais même face à


du Hamas, Paris, 25 novembre 2023.

C
l’horreur, le néoféminisme a la e 25 novembre 2023, la « Marche contre les
violences faites aux femmes » était sur le
condamnation à géométrie variable. point de débuter place de la Nation à Paris.
Pour la gauche woke comme pour une Parmi les manifestants, les collectifs Nous
vivrons et 7 Octobre avaient organisé un
certaine droite villepiniste, toutes groupe visant à interpeller les féministes
les femmes ne se valent pas. sur les crimes sexuels du Hamas. Quelques-

30
unes d’entre nous portaient un survêtement taché de étaient également commis par des SS ou des kapos
rouge à l’entrejambe, symbole du viol de Naama Levy, au sein du camp. Des femmes tutsies ont, elles aussi,
kidnappée le 7 octobre et sortie d’un véhicule du Hamas témoigné de viols pendant les massacres de 1994.
avec le pantalon ensanglanté et les tendons d’Achille
coupés (au moment où j’écris ces lignes, soit soixante- Au regard de tous ces phénomènes hélas bien connus,
dix jours après, la jeune femme est toujours retenue on distingue deux spéciicités des crimes sexuels
par les terroristes). Violemment apostrophé par une commis le 7 octobre dernier lors de la rave party Tribe
cinquantaine d’antifas assurant le service d’ordre de of Nova et dans les foyers des kibboutzim. D’une part,
Révolution permanente et du NPA, notre groupe n’eut leur aspect massif indique qu’ils ont été commandi-
d’autre choix que de renoncer à rejoindre le cortège. tés, le viol faisait partie des armes à utiliser contre les
Ce jour-là, la rue parisienne appartenait aux militants juifs ce jour-là. D’autre part, la plupart des femmes
gauchistes et propalestiniens. violées, mutilées et martyrisées ont été ensuite abat-
tues d’une balle dans la tête (des viols post-mortem
Les femmes et illettes juives violées dérangent le narra- ont été signalés), comme lors des génocides. On préci-
tif, assez répandu dans la gauche woke, tout comme au sera ici que des cas ont aussi été rapportés de cadavres
sein d’une certaine droite villepiniste, dans lequel les d’hommes présentant des plaies par balle au niveau
Palestiniens sont l’allégorie de la Victime universelle. des parties génitales.
Impossible de les voir comme des djihadistes sangui-
naires, des violeurs de masse. Ils sont des victimes, au Je suis convaincue que les viols de masse du 7 octobre
pire des « résistants ». Quand une femme est victime ont été prévus et commandités probablement depuis
de viol, il s’en trouve encore pour lui dire de s’habiller Téhéran, où le pouvoir des ayatollahs est aux abois.
de façon pudique. Quand des femmes israéliennes sont Même si les médias se désintéressent du mouvement
violées par des terroristes palestiniens, le silence des Femme Vie Liberté, il a considérablement ébranlé le
féministes revient à dire que ces victimes-là ont mérité pouvoir de ces fanatiques qui redoublent de cruauté
leur sort puisqu’elles appartiennent au peuple bourreau. dans la répression des hommes et des femmes insur-
gés. Des femmes sont quotidiennement battues et
Certaines ont toutefois sauvé l’honneur de la gauche, humiliées en public pour avoir ôté leur hijab, elles
jadis en pointe dans le combat universaliste féministe. sont emprisonnées et violées dans les prisons, les
Je pense à l’écrivaine Maryam Madjidi, Française écoles ou chez elles, dans l’indiférence de la commu-
d’origine iranienne, qui a publié dans L’Humanité nauté internationale.
début décembre un texte titré : « Toutes les femmes sauf
les juives ? » Elle y parle de cette « solidarité à géomé- Ali Khamenei, dont l’autorité politique et morale est
trie variable qui [lui] donnera toujours la nausée » et absolue dans le régime iranien, a déclaré dans une
rappelle que « les pasdaran d’Iran et le Hamas de Gaza fatwa que « si une ille est arrêtée, elle ne doit pas quitter
[...] ont le même sang sur les mains et la même haine ce monde en restant vierge ». En efet, dans l’imagi-
des femmes ». naire islamique, les femmes qui meurent vierges iront
au paradis, donc il faut les souiller pour les envoyer en
Depuis la nuit des temps, les crimes sexuels entrent enfer. Dès le début de la République islamique en 1979,
dans le cadre systémique des persécutions, des guerres, ces pratiques ont été documentées. Les pasdaran ont
des conquêtes. Dans l’histoire des violences sexuelles bien reçu le message en torturant et violant nombre
de masse, l’objectif des commanditaires est de souiller de jeunes femmes, mais aussi de jeunes hommes dont
la femme du camp adverse pour la rendre salie à sa des mineurs. Les djihadistes du Hamas sont alimentés
communauté, si possible enceinte. Il ne s’agit pas de par la même interprétation des textes coraniques,
la faire disparaître, mais qu’elle survive comme une habités par la même haine. Et par la même frustration
morte-vivante. Ce qui revient à un acte de soumission sexuelle.
et de terreur inligé à l’ennemi et, surtout, à un acte
d’humiliation absolue puisque la femme, source de Reste une question : faut-il redouter que l’arme du
perpétuation génétique et culturelle de son groupe, est viol soit aussi employée par le Hamas sur les otages ?
alors rabaissée au rang de chose, au même titre que les De récurrentes rumeurs circulent à ce sujet, mais il
bêtes du troupeau. faut attendre le résultat des enquêtes et des auditions
Maya Vidon-White/UPI/Newscom/SIPA

conduites par Israël auprès des otages féminines déjà


Mais les crimes sexuels s’inscrivent aussi dans la libérées. Pour ma part, je me prépare au pire. Je ne
pratique des génocides contemporains. On sait par vois pas pourquoi les djihadistes du Hamas, soutiens
des témoignages de survivantes que des femmes armé- inconditionnels de l’État islamique, n’imiteraient pas
niennes ont été violées par les génocidaires turcs et leur pratique systémique du viol, contre les femmes
leurs supplétifs kurdes. À Birkenau, les femmes subis- yézidies notamment, en Irak et en Syrie. C’est dans
saient aussi des agressions sexuelles, notamment après leur interprétation perverse du Coran que ces crimi-
la sélection où elles passaient au « sauna », la salle où les nels justiient leurs crimes sexuels. De sorte qu’on peut
déportés étaient déshabillés, rasés et tatoués. Des viols parler d’une véritable théologie du viol. •

31
NUMÉRIQUE : L’ENFER
EST TAXÉ DE BONNES
INTENTIONS
Par François Pachet

Rouleaux compresseurs de l’industrie centaine de vinyles. Un jeune de la génération Z a à sa


disposition immédiate et quasi gratuite (dix euros par
du divertissement, les plateformes mois) environ 100 millions de titres. Nous sommes
de musique et de vidéo en ligne passés de la rareté stable à ce que les anthropologues
appellent une société d’abondance. Nous l’avons tous
vont bientôt être redevables d’un voulue, nous l’avons eue.
impôt spécial au titre de la « justice À première vue, trouver des inancements pour
sociale ». Une fausse bonne idée, selon permettre à la ilière de compenser des revenus trop
François Pachet*, qui est atterré que faibles semble donc être une bonne idée. La loi votée le
13 décembre par l’Assemblée nationale prévoit de préle-
le législateur ne comprenne rien à ver 1,5 % du chifre d’afaires des difuseurs de musique
l’économie digitale. par streaming. Cette loi concernera les acteurs comme
Spotify, Deezer, mais aussi de gros difuseurs comme
Amazon, Apple ou Google (via YouTube), qui repré-
sentent des parts de marché non négligeables.

D
epuis les succès du streaming, désormais la C’est malheureusement une loi inique, voire stupide.
première forme de difusion de la musique, Déjà, taxer le chifre d’afaires (les revenus) et non pas
de nombreuses voix s’insurgent contre les les bénéices relève d’une vision étrange de l’économie
rémunérations très faibles versées aux (on apprend désormais au lycée, voire au collège, qu’une
artistes par les plateformes. Le sujet est société a des charges, qu’il faut retrancher du CA pour
complexe, mais il est vrai que vivre de sa obtenir le bénéice). Les revenus des plateformes de
musique est aujourd’hui très diicile, à streaming sont par ailleurs reversés à 70 % environ aux
moins d’être une star internationale. Il ayants droit, c’est-à-dire aux labels (Universal, Sony
faut faire un million d’écoutes pour gagner quelques Music, etc.). Moribonds dans les années 2000 quand la
milliers d’euros, dont seulement une petite partie est musique a été massivement numérisée grâce au format
reversée aux artistes. Qui fait des millions de streams MP3, victimes de piratage massif, ils sont aujourd’hui
aujourd’hui en France ? N’oublions pas cependant que le plus riches que jamais, et ce grâce à ces plateformes qui
streaming réalise un rêve ancien, voire antique : rendre leur reversent des milliards de dollars par an. Cepen-
la culture accessible à tous, à grande échelle et partout. dant, aucune plateforme aujourd’hui n’est encore véri-
L’accès plutôt que la propriété : le streaming crée un tablement rentable. Les bénéices réalisés par les acteurs
monde dont les boomers les plus audacieux n’auraient indépendants Spotify et Deezer, tous deux européens
jamais rêvé. Les plus riches d’entre eux possédaient une (Deezer est né en France, Spotify est suédois), sont

32
La plateforme française de streaming musical Deezer célèbre son introduction à la Bourse de Paris, 5 juillet 2022.

fragiles. Depuis sa création en 2008, Spotify n’a jamais sur son lit (il y a même un style de musique clinophile1 :
été proitable sur une année entière ! En cause, préci- la bedroom pop). Les plateformes proposent à peu près
sément, les charges élevées (maintenir une plateforme autant de nouveaux titres par jour qu’il y en avait par
pour 500 millions d’utilisateurs est très coûteux) et le an en Angleterre il y a vingt ans ! Par conséquent, beau-
reversement de l’essentiel des revenus aux labels. En coup plus d’artistes, beaucoup plus de musique et une
2023, Spotify a licencié environ 25 % de ses efectifs diiculté quasi insurmontable pour un nouvel arrivant
dans l’espoir de parvenir enin, après quinze ans, à être de se frayer une place dans les playlists et les recom-
proitable. Enin, ces deux entreprises, les seules euro- mandations plus ou moins automatiques.
péennes du secteur, doivent lutter contre des services
analogues proposés par les fameux Gafam (notamment Autant dire que la loi streaming ne réglera rien. Il faut
Amazon, Apple, Google), qui sont régulièrement accu- souligner que la plupart de nos députés sont totale-
sés de domination excessive. Il faut noter que les reve- ment incompétents dans les matières techniques et
nus spéciiques au streaming de ces Gafam ne sont pas scientiiques. On avait Cédric Villani, un brillant esprit
connus, car ils sont mélangés à d’autres activités (vente capable de comprendre et synthétiser des domaines
d’ordinateurs et d’iPhones pour Apple, vente de tout entiers de l’industrie de la « tech », mais il n’a pas
pour Amazon) qui sont, elles, très lucratives. On peut survécu aux mouvements chaotiques de la vie politique.
cependant douter qu’ils soient rentables en eux-mêmes. Dans l’Assemblée nationale actuelle, on peine à trou-
On taxe donc une activité européenne pas ou peu ver un élu ayant une quelconque expérience (ne parlons
rentable, qui lutte à armes inégales contre les méchants même pas de connaissance) des milieux de la tech qu’il
Américains. D’ailleurs, la loi à peine votée, Spotify a faudrait aujourd’hui, plus que jamais, défendre.
déclaré qu’il réduirait ses investissements en France,
et abandonnait son soutien inancier aux Francofolies En réalité, ce texte est un sparadrap de fortune qui cache
de La Rochelle et au Printemps de Bourges : cherchez mal le problème de fond dont personne n’ose parler : la
l’erreur. dévaluation de la culture numérique. On le sait, quand
on fait tourner la planche à billets, on crée de l’inlation
La relative faiblesse des revenus des artistes s’explique en dévaluant la monnaie. Pourquoi en irait-il autre-
par le fait que les labels conservent l’essentiel des reve- ment avec une création culturelle toujours plus proli-
nus (un contrat typique donne environ 10 % à l’artiste). ique, plus rapide, plus balisée, plus facile à produire ?
Si les plateformes de streaming peinent à trouver la On ne peut pas à la fois prétendre que n’importe qui est
rentabilité, il faut chercher les causes ailleurs que dans artiste et garantir à tous ces artistes des revenus suscep-
la gourmandise des artistes. tibles de les faire vivre. Le même phénomène touche les
livres – les éditeurs ont du mal à lire tous les manuscrits
Le fait est qu’au moment où le rêve d’un accès universel qu’ils reçoivent, au point que pendant le Covid, ils ont
ROMUALD MEIGNEUX/SIPA

à la culture se réalisait, la démocratisation des moyens cherché à calmer les ardeurs des auteurs en herbe. Et le
de production musicale (lehome studio) engendrait cinéma n’échappe pas à cette tendance. Comme dit Éric
un efet imprévu : la surabondance de l’ofre. Finiles Neuhof, on n’a peut-être pas besoin de 250 ilms fran-
coûteux studios d’enregistrement avec des tables de çais par an. Finalement, l’abondance culturelle, long-
mixage sophistiquées et des ingénieurs du son pour les temps désirée, n’est peut-être pas si désirable. •
piloter. N’importe qui peut désormais, pour un coût (*) Chercheur, spécialisé en intelligence artificielle et musique.
dérisoire, composer et produire entièrement un titre 1. La clinophilie est le besoin (pathologique) de rester couché.

33
OLE : ATTAL,
ESPOIR TERMINAL?

34
3
Une idée folle : réinventer
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Oser enseigner
5
Groupes de niveau,
l'école ! Corinne Berger retour urgent !
Élisabeth Lévy Paul Rafin

3
48
Les années de la jupe 54
« Transmettre n'a jamais été Céline Pina Le savoir qu'on achève
aussi dangereux » Entretien avec Pierre Jourde
Entretien avec Alain Finkielkraut
Propos recueillis par Élisabeth Lévy et Jean- 50 Propos recueillis par Jonathan Siksou

Baptiste Roques L'école contre le réel


Entretien avec Lisa Kamen-Hirsig
Propos recueillis par Céline Pina
58
PISA et dépendances : lettre
ouverte à Gabriel Attal
Jean-Paul Brighelli
Hannah Assouline

35
UNE IDÉE FOLLE :
RÉINVENTER L’ÉCOLE !
Par Élisabeth Lévy

L’éducation a été abandonnée à des


idéologues qui, en plus de laisser
le niveau s’effondrer, y ont laissé
prospérer les lobbys identitaires.
L’explosion de la violence Conférence de presse de Gabriel Attal au collège Charles-
Péguy, à Paris, dans le cadre des annonces sur la réforme
et l’irruption du terrorisme du collège et du lycée, 5 décembre 2023.

D
parachèvent le désastre. Pour ’accord, il y a un brin de volontarisme
Gabriel Attal, le défi est immense dans notre optimisme. Parce que c’est la
et les obstacles, tout autant. Mais vraie dernière chance de sauver l’École.
En supposant que ce ne soit pas déjà foutu.
son discours de rupture avec le Autrement dit, s’il n’est pas déjà minuit et
laisser-faire, qui a tenu lieu de quart, il est moins cinq, docteur Attal.
Alain Finkielkraut, qui est depuis long-
politique, donne envie d’y croire. temps le chroniqueur accablé du désastre,

36
ne sait pas si le ministre de l’Éducation nationale réus- toute justiication religieuse – songeons à cette collé-
sira, mais il ne doute pas de la sincérité de son engage- gienne de 12 ans qui a menacé son enseignante avec un
ment (voir son entretien pages 38-43). Nous non plus. couteau de 30 centimètres.

Une chose est sûre : si on n’arrête pas le massacre, si On se demandera ce qui nous permet de penser que
on continue à jeter dans l’âge adulte des générations Gabriel Attal peut être l’homme de la reconstruction.
incapables d’accéder à l’autonomie parce qu’elles ne D’abord, le fait qu’il joue à contre-emploi. Ce jeune
possèdent pas le langage pour penser ce qu’elles vivent, homme bien né, biberonné au progressisme haut de
la France deviendra, non seulement un no man’s land gamme – ouverture au monde et amour de la culture
inhabitable, mais aussi une province oubliée du monde. –, a dû rompre avec son milieu idéologique pour voir
C’est donc la mère des batailles, celle qui devrait obsé- ce qu’il voit. Échaudés par l’expérience décevante de
der tous les gouvernants. Mais depuis des décennies, la Jean-Michel Blanquer (ce qui ne remet pas en cause
plupart ont choisi de participer ou de se soumettre à ses qualités), les sceptiques répètent qu’Attal, c’est rien
la vaste entreprise d’escamotage du réel. Une cohorte que du verbe. Et puis, ajoutent-ils, on ne peut pas faire
geignarde de professeurs, syndicats, bureaucrates, coniance à quelqu’un qui croit que l’empathie peut
pseudo-pédagogues, épaulés par des parents nigauds s’enseigner en classe. Il est vrai que cette innovation
et des médias enthousiastes, a imposé une vérité paral- anti-harcèlement semble tout droit sortie d’un texte de
lèle à coups de mantras orwelliens comme « le niveau Muray. Comment, en quelques heures, inculquer le sens
monte » ou « l’excellence pour tous » – autant procla- de l’altérité et des limites à des gamins qui paraissent
mer que « l’ignorance, c’est la connaissance ». Leur totalement dépourvus de surmoi ? On peut aussi repro-
seule boussole, c’est l’égalité. Sans oublier quelques cher au ministre d’abuser de la ritournelle des valeurs
articles de foi sur le respect des diférences et le droit de la République qui est depuis des années le paravent
pour chacun de vivre comme il l’entend – mon voile, de son abandon.
mon choix.
Toutefois, l’action commence par le verbe. Celui de
Il fallait une sacrée puissance de feu idéologique pour Gabriel Attal rompt radicalement avec le baratin
faire perdurer cette fantasmagorie. Ses propagateurs pédago qui guide l’Éducation nationale depuis un
ont réussi à interdire toute remise en cause du collège demi-siècle. Outre l’interdiction de l’abaya et les sanc-
unique, vache sacrée d’une religion éducative tournant tions promises aux trublions ayant refusé d’honorer la
le dos à toute idée de hiérarchie et de compétition – et mémoire de Dominique Bernard, c’est la première fois
ne parlons pas de transmission ou de grands auteurs. qu’un ministre reconnaît nettement la dégringolade du
Loin de tirer les mauvais élèves vers le haut, le collège niveau et semble concrètement remettre les savoirs au
unique a entraîné tout le monde au fond, les résultats centre de son ambition. On dira que les sanctions sont
au bac étant à l’ensemble ce que le plan quinquennal trop légères, que les groupes de niveau sont une brèche
était au stalinisme. Logiquement, les seuls à avoir bien timide dans le sacro-saint collège unique. Que les
échappé au saccage sont les enfants de bonne famille syndicats sont en embuscade, prêts à torpiller toute
qui fréquentent le privé ou les établissements de centre- initiative marquée du sceau de l’exigence et que, jusqu’à
ville. De plus, l’efondrement est cumulatif, les profes- présent, ils ont eu la peau de toute tentative de réforme.
seurs oiciant aujourd’hui étant eux-mêmes issus de
cette école au rabais – comme en témoigne l’ortho- N’empêche. À en croire le braillomètre (invention
graphe hasardeuse de certains. de Cyril Bennasar qui mesure la pertinence d’une
politique aux criailleries qu’elle suscite à gauche), le
La chute abyssale du niveau n’est pas la seule maladie de ministre est sur la bonne voie. Depuis l’annonce de
l’École. Au cours des mêmes décennies funestes, l’Édu- la création de groupes de niveau en maths et en fran-
cation nationale a docilement accueilli toutes les lubies çais, il s’afole. D’après Libé, ces dispositifs, avec leurs
identitaires, de la propagande LGBT aux exigences de vilains relents d’élitisme, sont unanimement décriés
familles musulmanes. La nébuleuse frériste a parfai- par les chercheurs. Si la science le dit, peu importe que
tement compris que l’école de la République était son l’expérience prouve au contraire que l’homogénéité des
ventre mou. Depuis l’afaire des voiles de Creil, en 1989, classes améliore le niveau. Même levée de boucliers
elle a multiplié les ofensives, exigeant des accommode- contre le retour du redoublement, forcément stigma-
ments souvent concédés en loucedé. La seule manifes- tisant. En prime, Najat Vallaud-Belkacem et Benoît
tation de fermeté de l’État a été la loi de 2004 proscri- Hamon, deux anciens ministres qui igurent en bonne
vant les signes religieux à l’école publique. Trop tardive, place dans la longue liste des fossoyeurs de l’École, sont
NICOLAS MESSYASZ/SIPA

elle a pourtant permis une longue rémission. Qui a pris vent debout tandis que l’inefable François Dubet, chef
in avec les attentats de 2015, et l’apparition d’élèves de ile de la sociologie « efaciste » (Renaud Camus) y
proclamant publiquement qu’ils n’étaient pas Charlie. va de son couplet contre les « slogans conservateurs ».
Depuis l’assassinat de Samuel Paty, la menace qui pèse Reste à espérer qu’on les verra un jour s’étrangler de
sur les professeurs est vitale. Parallèlement, on assiste rage parce que Gabriel Attal ou un de ses successeurs
à l’émergence d’une violence apparemment dénuée de annoncera 60 % de réussite au bac. •

37
« TRANSMETTRE N'A
JAMAIS ÉTÉ AUSSI
DANGEREUX »
Entretien avec Alain Finkielkraut
Propos recueillis par Élisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques

Comme tous les grands professeurs, se désintoxiquer de l’illusion de l’excellence


pour tous ? Autrement dit, est-il encore
Alain Finkielkraut ne part jamais temps de sauver l’École ?
d’une page blanche. Sa pensée est Alain Finkielkraut. L’égalité est une vertu démo-
cratique devenue folle. Pour Jules Ferry et les premiers
stimulée par celle des grands auteurs penseurs républicains, la difusion la plus large de l’ins-
dont il a toute sa vie colligé les truction était essentielle au projet démocratique. À
l’instar de Charles Renouvier, ils s’insurgeaient contre
citations les plus inspirantes, ces « ces bourgeois peu amis d’une égalité qui élèverait les
« perles » auxquelles il consacre ouvriers à leur propre niveau », c’est pourquoi selon
eux, il revenait à l’État d’instaurer, sans complaisance
son nouveau livre. Ce sont aussi ces ni relâchement, une forme de sélection. Cette exigence
illustres prédécesseurs qui l’aident n’est plus comprise. La sélection est perçue comme
une pratique barbare, et l’idée prévaut qu’en matière
à penser l’actualité. Gabriel Attal de culture rien n’est supérieur à rien. « Toute action
peut-il sauver l’école ? Réponse d’un pédagogique est objectivement une violence symbolique
en tant qu’imposition par un pouvoir arbitraire d’un
mécontemporain qui n’a pas perdu arbitraire culturel », écrivaient Pierre Bourdieu et Jean-
tout espoir. Claude Passeron en 1970. Cette critique radicale de
l’École a été adoptée par l’École. On en voit le résultat.
Tout est à reconstruire.
Causeur. Vous pensez, avec Marc Bloch
et Condorcet, que « les peuples libres ne Malgré tout, il y a eu longtemps une
connaissent d’autres moyens de distinction bourgeoisie cultivée, soucieuse de
que les talents et les vertus ». Seulement, transmettre à ses enfants autre chose
voilà près d’un demi-siècle que nous que des biens matériels. Aujourd’hui, la
sommes dopés à l’égalitarisme ancré dans déculturation est générale. Où est donc
le victimisme – s’ils sont mauvais, ce n’est le groupe social susceptible de porter la
pas de leur faute. Autrement dit, nous ne révolution dont l’École a besoin ?
sommes plus un peuple libre au sens de Pierre Bourdieu avait, sur un point, raison. Les enfants
Condorcet. Pouvons-nous le redevenir ? nés dans une famille bourgeoise, où on lisait des livres,
Peut-on retrouver l’esprit méritocratique et où on parlait une langue riche, où on allait au théâtre et

38
Hannah Assouline

Alain Finkielkraut.

39
Le tableau Diane et Actéon (1602) de Giuseppe Cesari, présenté à des collégiens
d’Issou dans le cadre d’un cours de sensibilisation à l’art. Trop de corps dénudés au goût
de certains élèves qui ont accusé l’enseignante de vouloir délibérément offenser les musulmans.

au musée étaient favorisés par rapport aux autres. Pour m’accable, c’est que la bien-pensance tire sur Gabriel
combattre cette inégalité réelle, il y avait deux moyens Attal à boulets rouges. On nous explique que son choc
envisageables : soit favoriser les défavorisés, soit défa- des savoirs, sa réhabilitation de l’autorité visent à satis-
voriser les favorisés. Comme le montre Renaud Camus faire la droite, voire l’extrême droite. L’École, c’était
dans Les Inhéritiers, l’institution scolaire a choisi la le grand souci, la grande obsession de la gauche. Et
deuxième méthode. La culture générale, relevant désor- aujourd’hui, la gauche se retourne contre l’École répu-
mais du délit d’initiés, a été progressivement bannie de blicaine. Jacques Julliard en avait déjà fait le constat et
l’École. Ainsi s’est installé, toujours au nom de l’éga- il a abandonné la gauche, parce que la gauche était en
lité, l’enseignement de l’ignorance. Il n’y a plus de classe train d’abandonner ses propres principes.
cultivée en France, l’inégalité économique s’accroît et
on le voit sur les réseaux sociaux, l’homogénéité cultu- C’est ce que Cyril Bennasar appelait le
relle prévaut. Ce sont des responsables politiques qui « braillomètre » : lorsque les associations,
disent : « on doit travailler en profondeur sur comment les syndicats et les médias de gauche
développer le vivre-ensemble », ou encore « il y a un s’énervent, ça va dans la bonne direction.
débat qu’on a à l’intérieur du monde éducatif sur quelle Cela étant, quelle que soit sa détermination,
est la manière d’enseigner les valeurs de la République ». Attal dépend du président.
Voilà où en est la syntaxe de l’élite française. La culture C’est le grand mystère. Emmanuel Macron n’est pas
n’est pas morte, mais elle est orpheline. seulement l’homme du « en même temps », il est
l’homme des sincérités successives. En 2017, Jean-
Gabriel Attal peut-il réussir ? On a envie de Michel Blanquer arrive au ministère de l’Éducation
le croire, mais on a été échaudés par Jean- nationale avec un discours très ferme : retour aux
Michel Blanquer… savoirs fondamentaux et rupture avec la politique de
La sociologie en vogue depuis cinquante ans nous a réforme qui sévissait depuis un demi-siècle. Il ne s’agit
expliqué que la rhétorique de la méritocratie conver- plus de réformer, mais de refonder et même de sauver
tissait un privilège de classe en propriété personnelle. l’École. Cinq ans après, Emmanuel Macron nomme
Pour abolir ce privilège, on a choisi d’accueillir les élèves Pape Ndiaye ministre de l’Éducation nationale, entre
plus faibles dans les classes plus avancées et ensuite de les deux tours des législatives, pour séduire une partie
se régler sur leurs capacités pour ne laisser personne de l’électorat de gauche. Et Pap Ndiaye ayant, sur le
en dehors du chemin. C’est ainsi, avec les meilleures plan politique comme sur le plan communicationnel,
intentions, que le niveau s’est efondré. Les premières échoué, Gabriel Attal le remplace au bout de quatorze
victimes de cette politique étaient et sont ceux qui n’ont mois et dit et fait le contraire de son prédécesseur. Que
que l’École pour s’élever. Dans le monde d’aujourd’hui, pense le président ? Son intelligence est tellement plas-
ni Charles Péguy ni Albert Camus n’auraient pu faire tique que personne ne peut le savoir.
de véritables études et devenir ce qu’ils sont devenus.
Gabriel Attal a rompu avec ce discours, avec cette Faire bouger l’Éducation nationale, ce n’est
pensée, avec cette politique dévastatrice. C’est tout à pas une mince affaire. Il y a les professeurs,
Wikimedia Commons

son honneur. Réussira-t-il ? C’est une autre question. Le les syndicats, les parents qui exigent. Gabriel
public change, le climat n’est plus le même, la culture Attal propose des groupes de niveau en
n’occupe plus la place qui était la sienne jusque dans les maths et en français. Ce n’est pas vraiment
années 1960, un ministre ne peut pas tout faire. Mais une révolution.
j’ai coniance en lui. Je crois qu’il est déterminé. Ce qui Il n’empêche qu’il revient sur le dogme du collège

40
unique. Personne ne l’avait fait avant lui, car l’égalita- des cerveaux des gens.
risme contemporain a transformé le baccalauréat en Cette question ne relève pas de la responsabilité du
droit de l’homme. Aura-t-il la possibilité de rétablir un ministre de l’Éducation nationale. La France doit impé-
examen de in d’études secondaires digne de ce nom ? rativement retrouver sa souveraineté, choisir sa poli-
Pourra-t-il résister à la pression des parents d’élèves ? Je tique d’admission, maîtriser les lux migratoires. Sinon
ne saurais pas le dire, simplement je ne doute pas de sa nous risquons de basculer dans la barbarie. Jean-Pierre
sincérité. Obin vient de publier un livre intitulé Les profs ont peur,
qui s’ouvre sur une anecdote terriiante. Un président de
Faudrait-il admettre un taux de réussite au région assiste à un cours d’histoire dans un lycée. Voici
bac autour de 50 ou 60 % ? ce que lui dit le professeur : « Oui, je viens de faire un
Je ne donnerai pas de chifre. Disons qu’il faut en inir cours sur Hitler et le nazisme sans parler des juifs. C’est
avec ce que Benoît Hamon appelait « les notes bienveil- vrai, mais comprenez-moi, je n’ai pas envie de retrou-
lantes », il ne faut plus contraindre les examinateurs à ver ma voiture vandalisée comme la dernière fois. Je dois
rajouter des points. Il faut accepter – d’ailleurs, Gabriel être prudent, j’ai une femme et des enfants. » Nous en
Attal l’a fait –, la perspective du redoublement. Le sommes là. Pourquoi est-il si diicile pour la France de
redoublement n’est pas une punition, mais une occa- retrouver la maîtrise de ses frontières ? Parce que, dans
sion de refaire surface. les années 1930, beaucoup d’immigrés juifs se pres-
saient à nos portes ; certains étaient recalés. En vertu de
Ça ne s’appelle plus « redoublement », mais cette expérience historique, on fait venir par milliers et
« maintien ». par dizaines de milliers des gens qui veulent régler leur
Oui. Le gnangnan a totalement déconstruit l’École. Il compte aux juifs. Soyons clair, tous les nouveaux arri-
s’agit maintenant de la rebâtir. Un ministre n’y suira vants du Maghreb et d’Afrique subsaharienne ne sont
pas, c’est clair. pas antisémites, loin s’en faut, mais il y en a suisam-
ment pour mettre la vie des juifs en péril et pour rendre
L’autre front de Gabriel Attal, c’est la de plus en plus diicile à l’École l’enseignement devenu
pénétration des idées islamistes à l’œuvre obligatoire de la Shoah.
depuis quarante ans. Il a interdit l’abaya.
Dans son rapport sur les manifestations et signes reli- On commence à avoir un peu de recul sur cet
gieux à l’École, présenté en 2004, Jean-Pierre Obin entrisme islamiste à l’École, comme dans la
montrait que les professeurs de lettres étaient de plus en société française. Trente-cinq ans après Creil,
plus souvent contestés et menacés par des élèves musul- vingt ans après la publication des Territoires
mans et par leurs parents. « Rousseau est contraire à perdus de la République, assistons-nous
ma religion », expliquait un élève au professeur de fran- enin à un grand dessillement ?
çais d’un lycée professionnel. Molière et en particulier Avec la montée en puissance du Rassemblement natio-
Tartufe étaient également des cibles de choix. « Tout nal, on assiste en France à l’extrême droitisation de
laisse à penser, concluait le rapport, que dans certains la volonté de lutter contre l’immigration massive. À
quartiers, les élèves sont incités à se méier de tout ce gauche, la Nupes est en train d’éclater, les socialistes,
que les professeurs leur proposent, comme de ce qu’ils les communistes et La France insoumise ne s’entendent
trouvent dans leur assiette à la cantine. Ils sont enga- plus, mais il suit d’un nouveau projet de loi un peu
gés à trier les textes étudiés selon les mêmes catégories plus ferme sur l’immigration pour qu’Olivier Faure,
religieuses du hallal (autorisé) et du haram (interdit). » Fabien Roussel et Alexis Corbière se réconcilient et
Les choses n’ont fait qu’empirer depuis. Le 7 décembre parlent à l’unisson. La gauche, c’était la laïcité, la Répu-
2023, dans le cadre d’un cours de sensibilisation à l’art, blique, la justice sociale, c’est devenu presque exclusi-
une professeure du collège Jacques-Cartier à Issou a vement le sans-frontiérisme, l’antiracisme, l’ouverture
présenté Diane et Actéon du peintre Giuseppe Cesari. tous azimuts, l’hospitalité inconditionnelle.
Des élèves choqués par les corps dénudés ont accusé
l’enseignante de vouloir délibérément ofenser les Deux ans après Creil, dans L’Hebdo, Pierre
musulmans – islamophobie donc, et même racisme. Bourdieu a osé vous traiter de sous-
Si l’immigration se poursuit à ce rythme frénétique philosophe, mais aussi de « pauvre Blanc de
(480 000 nouveaux arrivants en 2022), le métier d’ensei- la culture ». Ce sont des mots qui résonnent
gnant deviendra un métier impossible. Et d’ores et déjà, étrangement aujourd’hui, alors qu’on parle
beaucoup d’enseignants font cours la peur au ventre. de plus en plus de racisme anti-Blancs.
On pense évidemment à Samuel Paty et à Dominique Pour Pierre Bourdieu, il n’y avait pas d’adversaire légi-
Bernard. C’est la première fois dans l’histoire qu’il est time. Cet homme était une caricature vivante ; tous ceux
dangereux de transmettre. qui ne pensaient pas comme lui étaient des salauds, et
des imbéciles. Voici ce qu’il écrivait de L’Homme révolté
Les institutions ou un ministre y peuvent- d’Albert Camus : « Bréviaire de philosophie édiiante,
ils encore quelque chose ? On ne sait pas sans autre unité que le vague à l’âme autiste qui
extirper les idées stupides ou dangereuses sied aux adolescences hypokhâgneuses et qui assure →

41
à tous coups une réputation de belle âme. » Je suis très à l’ofensive islamiste, il veut, comme nous, défendre
ier d’être aussi mal traité qu’Albert Camus. Pierre et transmettre ce qu’André Malraux appelait « l’héri-
Bourdieu, avec cette phrase sur les « pauvres Blancs tage de la noblesse du monde », et non réinventer une
de la culture », annonce le wokisme. Il est au point de religion pour nous réarmer moralement. Dieu nous a
bascule. Depuis, le wokisme a pris la relève de la lutte abandonnés et il ne reviendra pas.
des classes dont il se réclamait encore. Pour la pensée
woke, l’ennemi n’est plus tant le capitalisme que l’im- Gabriel Attal veut expérimenter une tenue
périalisme blanc. Octavio Paz disait déjà que nous unique à l’école. Vous qui en portez une à
avons perverti la grande tradition critique européenne l’Académie française, qu’en pensez-vous ?
en la mettant au service de la haine de notre monde. Charles Péguy disait des hussards noirs de la Répu-
L’idéologie qui prévaut au sein du milieu universitaire blique qu’ils étaient « sveltes, sévères, sanglés ». Cela vaut
occidental, c’est la haine de l’Occident, en tant qu’il beaucoup mieux que le T-shirt-jean-baskets, l’uniforme
est blanc. Sur le modèle de Bourdieu, les Blancs sont des professeurs comme des élèves. Le blue-jean a même
les premiers à dénoncer le privilège des visages pâles. été remplacé en classe par le pantalon de jogging. Je
Bien plus que le gauchisme, le wokisme est un véritable plaide pour une tenue décente – non pas forcément un
lavage des cerveaux. Pierre Bourdieu avait commencé uniforme –, une tenue verticale si j’ose dire des profes-
le travail puisque sa vision du monde repose sur la seurs et des élèves. On doit s’habiller pour aller à l’école.
dichotomie sommaire entre les dominants et les domi-
nés. II réussissait le prodige d’être à la fois simpliste Une tenue qui ait de la tenue ?
et abscons. Dans un livre déjà ancien, je disais que la Voilà, exactement !
vie avec la pensée cédait lentement la place au face-à-
face du fanatique et du zombie. Avec le wokisme, un Dans votre livre, vous vous inquiétez de la
nouveau personnage a fait son apparition : le zombie vague d’anti-intellectualisme qui sévit contre
fanatique. Nous n’avons pas ini de pleurer. le wokisme aux États-Unis. Sommes-nous
menacés par le même « retour de bâton » ?
Tout est à reconstruire, dites-vous. Mais Je ne crois pas que la France soit menacée par cette
sufit-il de brandir la laïcité, les valeurs de la forme de populisme. Je pense à la phrase de Gustave
République ? Certains pensent qu’à l’islam Flaubert dans une lettre à George Sand : « Je n’écris pas
qui est une identité chaude, une spiritualité, pour le lecteur d’aujourd’hui, mais pour les lecteurs qui
il faut opposer une autre spiritualité, et se présenteront tant que la langue vivra. » Même lui, à
préférer les femmes voilées aux lolitas en son époque, avait le sentiment que la langue pouvait
string. mourir ; son immortalité n’est pas donnée. Si elle se
Je préférerai toujours les femmes libres aux femmes réduit à un moyen de communication, ce sera autre
voilées. La laïcité, ce n’est pas seulement la séparation de chose que la langue que nous essayons tant bien que
l’Église et de l’État, c’est, pour dire en termes pascaliens, mal de parler encore aujourd’hui. Et je voudrais que
l’indépendance de l’ordre spirituel. Et cette indépen- cette question soit prise en compte dans le cadre d’une
dance est malmenée, notamment par la grande ofen- écologie générale. Sauver la Terre et non la planète.
sive islamiste. C’est cette indépendance qu’il faut à tout Personne n’habite la planète, on habite la Terre. Sauver
prix maintenir, donc on ne doit pas seulement défendre la culture, sauver la beauté du monde et plus que tout
la laïcité comme un règlement du vivre-ensemble, mais peut-être, sauver la langue. On ne luttera pas contre le
précisément comme une façon de penser dans laquelle réchaufement climatique en transformant le territoire
la culture est mise au premier plan. La laïcité, ce n’est en parc éolien, c’est-à-dire en paysage industriel. Voilà,
pas la in du sacré, c’est le remplacement du sacré reli- me semble-t-il, l’urgence d’aujourd’hui. Cela m’inquiète
gieux par le sacré de la culture. bien davantage qu’un trumpisme à la française.

Beaucoup de pays ne connaissent pas la On ne sera pas non plus sauvés par la maison
laïcité et ont quand même procédé à ce de la langue française à Villers-Cotterêts.
remplacement. Son président nous explique qu’il s’agit de
Peut-être, mais ce sont quand même des pays séculari- défendre les langues françaises, comme
sés. Et c’est de cette sécularisation que je me sens moi- si le français n’avait rien à voir avec la
même le continuateur. France. Vous consacrez un chapitre à une
citation de de Gaulle sur le roman national.
N’empêche, face à l’islam, une partie de Quelles pages faudrait-il rajouter à ce roman
la droite catho, derrière François-Xavier national ?
Bellamy, estime que nous sommes en train Je n’ai jamais parlé de roman national. L’histoire de
de perdre parce que nos sociétés libérales France doit être enseignée telle qu’elle est, et de la
désenchantées ont perdu le sens du sacré. manière la plus objective possible. À nous de nous
Je ne suis pas sûr que ce soit le point de vue de Fran- inscrire dans cette histoire, comme le demandait Jules
çois-Xavier Bellamy. C’est d’abord un professeur : face Ferry. Tous les Français, quelle que soit leur origine,

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Emmanuel Macron inaugure la Cité internationale de la langue française au château de Villers-Cotterêts,
30 octobre 2023. « La question de la langue doit être prise en compte dans le cadre d’une écologie générale :
sauver la culture, sauver la beauté du monde et plus que tout peut-être, sauver la langue… »

sont, grâce à l’École, les héritiers de l’histoire de intellectuelle que votre père ?
France. Contre les crispations identitaires, L’Histoire Oui, en tout cas ma mère était une grande lectrice. Et
mondiale de la France, de Patrick Boucheron, voulait quand, à 10 ans, j’ai commencé à lire des illustrés, elle
montrer, premièrement, que la continuité historique a très vite mis le holà.
de la France était un leurre, et deuxièmement, que
tout ce que cette histoire avait de bon venait de l’autre, A-t-elle vécu assez longtemps pour voir le
de l’étranger. Je plaide, moi comme Simone Weil, produit de ses efforts ?
pour un droit à la continuité historique. Et quand des Oui, bien sûr. Quand j’ai échoué en 1968 à la Rue
historiens prétendent que cette continuité relève du d’Ulm, elle était malheureuse comme une pierre,
fantasme au moment même où, du fait des change- elle ne parlait même plus à ses amies. Cette pression
ments démographiques, elle est remise en question, je augmentait encore mon angoisse. C’est pour cela que
suis très inquiet. Quant aux motifs de satisfaction ou j’ai choisi, en 1969, de passer le concours de l’ENS
de ierté dans les dernières décennies, je dois dire que Saint-Cloud. Ma mère ne se serait pas remise de deux
j’ai du mal à en trouver. échecs d’ailée à la Rue d’Ulm, et moi non plus.

Votre œuvre est essentiellement celle d’un Votre optimisme mesuré sur la question
passeur dans laquelle vous vous effacez de l’École au cours de cet entretien est-il
devant vos maîtres, Levinas, Kundera, Roth, sincère ou forcé ?
etc. Vous avez toutefois fait une entorse à Je suis très pessimiste, j’ai peur qu’il ne soit trop tard
cette règle dans À la première personne, pour les raisons que je vous ai dites. Je crois qu’il faut
en 2019, mais les lecteurs sont restés un absolument soutenir les eforts de l’actuel ministre
peu sur leur faim. On a envie d’en savoir de l’Éducation. Est-ce qu’il obtiendra les résultats
plus. Êtes-vous un produit de cet élitisme escomptés ? Je n’en suis pas sûr. Gabriel Attal est
républicain dont vous avez la nostalgie ? notre espoir terminal.
Jean Birnbaum m’a amicalement reproché d’avoir
intitulé mon livre À la première personne parce que je Êtes-vous le dernier
m’étais déjà confessé dans Le Juif imaginaire et aussi intellectuel français ?
dans L’Identité malheureuse. Je suis d’abord l’enfant Non, pas du tout. D’abord, je n’au-
de mes parents, et mes parents avaient une exigence, rais pas cette outrecuidance, je
que je travaille bien à l’école. Il fallait que je ramène fais ce que je peux avec les petits
de bonnes notes. Je n’avais pas le choix, ma mère ne moyens qui m’ont été donnés. Il y a
travaillait pas, elle m’accueillait quand je rentrais aujourd’hui en France de grandes
Gabrielle CEZARD/SIPA

afamé du lycée Henri-IV – j’avais jeûné à la cantine : igures intellectuelles, et je suis sûr
je dévorais un sandwich au jambon avec un thé citron qu’il y en aura d’autres demain, je
et je me mettais aussitôt au travail. J’ai réussi à l’école ne m’inquiète pas. La pensée, l’art
parce que je n’avais pas d’autre choix. et le roman ne vont pas disparaître.
Pêcheur de perles,
Ce qu’il faut espérer, c’est qu’il y ait Alain Finkielkraut,
Votre mère venait d’une famille plus encore des lecteurs demain. • Gallimard, 2024.

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OSER ENSEIGNER
Par Corinne Berger

Gabriel Attal veut en finir avec le que vous attribuez, et elles seules, qui détermineront
l’obtention » des examens, « le brevet et le baccalau-
dogme égalitariste. Le ministre défend réat doivent dire la vérité sur les acquis des élèves et
la verticalité de la transmission, le redevenir un étalon de mesure iable de cette exigence ».
En creux, on reconnaît qu’on ment aux élèves et qu’il
contrôle continu et une évaluation s’agit de « renouer avec la iabilité de l’évaluation » –
fidèle aux compétences de l’élève. traduit du jargon en langue ordinaire, cela donne : en
inir avec le foutage de gueule que constitue, et pour
Ces mesures de bon sens vont se les élèves, et pour les professeurs auxquels elle est
heurter à de fervents opposants : imposée, la pratique systémique de la surnotation.

les professeurs ! Profs, élèves et Il est surtout étonnant qu’on ait, depuis des décen-
parents : il est temps que chacun nies, remis en cause la souveraineté de la notation et
ainsi singulièrement atteint la crédibilité et l’autorité
reste à sa place. intellectuelle des enseignants. Ne plus piétiner leur
expertise est une bonne chose, mais ces préconisa-
tions d’évidence seront-elles suivies d’efet, quand on
sait que la propension à l’autocensure et à la surnota-

J
tion est devenue chez beaucoup une seconde nature :
e n’aime pas dire du bien des macro- est-on encore capable de reconnaître une vraie bonne
nistes, mais là je suis un peu coincée. copie si on les juge toutes bonnes ?
Les annonces faites par Gabriel Attal le 5
décembre pour tenter d’enrayer la baisse Une autre mesure importante consiste à redonner la
du niveau des élèves, une énième fois main aux professeurs en ce qui concerne le redou-
constatée par le classement PISA… et les blement. Là encore, on peut se demander dans quel
profs, sont frappées au coin du bon sens. esprit malade a germé l’idée de donner le dernier mot
Deux remarques cependant : tout d’abord aux familles pour le passage en classe supérieure.
on se réveille bien tard (mais la suicidaire politique Le redoublement, jugé peu eicace par des « spécia-
de l’autruche a peut-être enin trouvé ses limites) et, listes »– et sans doute trop coûteux… –, est devenu
par ailleurs, où habite Emmanuel Macron, capable de exceptionnel depuis de nombreuses années, condi-
faire se succéder au même poste les antinomiques Pap tionné à l’accord des parents ; l’avis des professeurs a
Ndiaye et Gabriel Attal ? été rendu accessoire et purement consultatif. Depuis
quand le fait d’avoir pondu un gosse vaut-il expertise
L’essentiel des mesures vise à « rehausser le niveau sur ses capacités scolaires ? Pensons à Molière, dont le
d’exigence » : parmi elles, redonner de la crédibilité Diafoirus voit dans toutes les faiblesses de son idiot de
aux examens, en supprimant les correctifs acadé- ils les signes de la plus haute intelligence. Les parents
miques de surnotation, tant au brevet qu’au bacca- se méprennent bien souvent sur leur progéniture,
Olivier Coret/SIPA

lauréat, et en remettant les notes au cœur de l’évalua- qu’ils ne connaissent pas sous le même angle que les
tion du contrôle continu au collège, en lieu et place professeurs, et sont prompts à voir dans la créature
des fumeuses et démagogiques « compétences ». Attal qu’ils ont enfantée un petit être surdoué, encouragés
écrit aux professeurs : « Ce sont désormais les notes en cela, on y revient, par le leurre de la surnotation

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© Crédit

Cours de physique en classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE) du lycée Louis-le-Grand, Paris, janvier 2020.

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généralisée. Si l’on remet les parents à leur place de de se retrouver face à une classe de seconde aux écarts
parents, on n’y perdra pas… spectaculaires, que l’efectif rend à peu près impos-
sibles à réduire : y cohabitent quelques élèves qui sont
à leur place avec d’autres dont l’apathie intellectuelle
s’apparente à un état de mort cérébrale (je parle d’expé-
rience !). Bien évidemment, à un tel niveau d’efondre-

La promotion d’une « pédagogie ment, je ne suis même pas sûre que la mesure annon-
cée soit eicace, mais il faut tenter la chose et revenir
explicite » réintroduira la sur le dogme égalitariste du même cursus pour tous,
principe sur lequel repose justement le collège unique.
verticalité dans la transmission, Autres éléments à retenir des annonces ministérielles :
inhérente à toute instruction digne la volonté de normaliser et d’homogénéiser les ensei-
gnements par le recours dans le premier degré à des
de ce nom et qui n’aurait jamais dû manuels labellisés (pourquoi pas, quand on connaît les

être mise à mal.


disparités entre les enseignants et les dérives souvent
suscitées par la liberté pédagogique totale…). Et la
promotion d’une « pédagogie explicite », méthode
éprouvée par la pratique, et qui, espérons-le, mettra in
aux lubies de la construction du savoir par les élèves
Gabriel Attal veut donc sortir de la « doctrine de eux-mêmes, en réintroduisant la verticalité dans la
passage quasi systématique en classe supérieure » dans transmission, inhérente à toute instruction digne de
le cycle primaire, et « rendre le dernier mot aux profes- ce nom et qui n’aurait jamais dû être mise à mal.
seurs » pour prescrire des dispositifs de remédiation
et de redoublement. Redoubler n’est pas une sanction, Toutes ces mesures (valorisation des notes face aux
et peut permettre à certains élèves, surtout dans les « compétences », retour au redoublement imposé,
petites classes, d’avoir plus de temps pour acquérir les instauration de groupes de niveau pour contrer
bases qui conditionnent tous les autres apprentissages. les efets du collège unique, limitation de la liberté
Il est cependant dommage que le ministre n’évoque pédagogique…) font hurler les syndicats… de
pas l’orientation des collégiens et lycéens : il serait bon gauche (signe que Gabriel Attal n’est sans doute pas
que les professeurs retrouvent également la main dans mauvais !) : tout cela stigmatiserait et pénaliserait les
ce domaine, ce qui éviterait en in d’année scolaire la classes populaires, condamnées selon la CGT à subir
remise en question de leurs préconisations dans d’oi- « une école du tri social » ou de la « ségrégation », pour
cielles commissions d’appel et de plus discrets passages reprendre le terme nuancé employé par le SNES. Ces
des familles dans le bureau du chef d’établissement. idiots n’ont toujours pas compris que transmettre de
Quel désaveu du conseil de classe et des professeurs vrais savoirs et donner de vraies notes, supprimer le
lorsque après moult pleurnicheries et promesses d’al- passage systématique d’élèves trop fragiles, limiter
coolique (« je vais me mettre au travail, je le jure… »), une hétérogénéité invalidante pour tous, c’est rendre
on croise en septembre un élève au sourire triomphant service à tous les élèves, même et surtout les plus
dans la ilière qu’on avait vigoureusement déconseillée défavorisés. Si l’école n’exige rien de ces élèves-là, par
au mois de juin ! Si on ne donne pas plus de poids à laxisme et démagogie, par fausse bienveillance, elle
la parole du professeur, y compris dans l’orientation les abandonne et les assigne à leur origine sociale. Le
d’élèves qu’ils connaissent bien, ils seront condamnés vrai mépris consiste à leur faire prendre les vessies
à faire encore de la iguration en conseil de classe et ne des compétences pour les lanternes des savoirs. Tout
retrouveront pas le crédit qu’on prétend leur redonner. ce qui vise à ne pas les tromper est bon à prendre,
pour tenter d’en inir avec l’escroquerie scolaire qu’on
L’autre mesure annoncée vise à déconstruire (un peu) impose aux classes populaires comme aux autres. De
le collège unique (enin !) et à mettre en œuvre des toute façon, il n’est même pas certain que l’argument
groupes de niveau en mathématiques et français : des diférences sociales soit très pertinent aujourd’hui,
l’hétérogénéité des classes est telle qu’elle est deve- dans la mesure où la déshérence intellectuelle, verbale
nue impossible à gérer et s’avère contre-productive, et culturelle se retrouve aussi chez les enfants de la
puisque les meilleurs élèves sont ralentis dans leur bourgeoisie.
progression et tirés vers le bas, tandis que les plus
faibles, se reposant sur l’activité déployée par les Si l’on s’inlige la prose desdits syndicats, rédigée
autres, ne tirent aucun proit de leur présence au sein comme il se doit chez les « progressistes » dans leur
de la même classe. On veut donc regrouper les élèves impayable et imbitable écriture inclusive, on y trouve
par niveau dans les matières fondamentales, en adap- sans surprise la célébration de tout ce qui a causé le
tant le rythme à des élèves plus homogènes dans des désastre actuel. Écoutons-les et on saura ce qu’il ne
efectifs réduits. Pourquoi pas, si cela permet d’éviter faut pas faire si on veut redresser l’école. La vision

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Gabriel Attal en déplacement à Denain (département du Nord)
pour l’inauguration de l'école Berthelot, 15 décembre 2023.

du ministre est selon eux « passéiste et hors-sol » (Sud Évidemment la prudence est de mise quant à l’applica-
Éducation), reposant sur l’illusion du « c’était mieux tion des mesures annoncées. La résistance peut d’abord
avant ». La CGT évoque un « retour à l’école fantas- venir des enseignants eux-mêmes, dont le tropisme
mée des années 1960 », Sud brandit l’accroche « Attal politique encore pavlovien les amène à se méier de
prépare l’école d’avant-hier », et le SNES n’est pas en tout ce qui ne vient pas de la gauche. On peut craindre
reste avec sa formule « arrière toute ». Drôle d’argument aussi que la réduction de certains efectifs pour la
tout de même, qui consiste à forcément condamner mise en place des groupes de niveau ne s’accompagne
le passé (fût-il plus convaincant que le sinistre présent pas de la création d’un nombre de postes suisants,
en matière d’enseignement) et à promouvoir par prin- ni surtout de l’indispensable vériication de la qualité
cipe, on peut même dire par rélexe, tout ce qui relève des enseignants recrutés. Quid de leur parcours et de
du changement (fût-il délétère et néfaste). L’école des leur maîtrise disciplinaire, si on ne remet pas en ques-
années 1960, je l’ai connue comme élève, je ne l’ai tion les désastreux instituts de formation actuels ? Le
pas fantasmée… et je sais ce que je lui dois. Pourquoi ministre ne parle pas non plus de la nécessaire revalo-
s’interdire de revenir à d’anciennes méthodes si elles risation des salaires, qui permettrait d’attirer dans le
ont fait la preuve de leur eicacité ? Comme l’écrivit le métier les meilleurs étudiants, et d’éviter ainsi que les
compositeur Verdi dans une lettre célèbre, « tournons- nouveaux profs soient au même niveau de médiocrité
nous vers le passé, et ce sera un progrès ». que leurs élèves…

Cerise sur le gâteau, le syndicat Sud pense que Gabriel Enin, comment ne pas pointer également la contra-
Attal ravit au passage l’extrême droite et les réac- diction entre d’un côté la volonté aichée de remettre
tionnaires, autant dire dans son esprit les fachos qui le savoir et l’exigence au centre de l’école, et de l’autre
peuplent le pays. Je ne me sache pas appartenir à l’ex- le dénigrement des classes préparatoires, parangon de
FRANCOIS GREUEZ/SIPA

trême droite (qui reste à déinir), et je crois pouvoir cette même exigence, dont plusieurs à travers la France
en toute indépendance d’esprit, avec les réserves qui sont menacées de fermeture à l’heure qu’il est ? Il ne
s’imposent, me réjouir de tout ce qui se propose d’en- faudrait pas que « le choc des savoirs » ne soit qu’une
rayer le déclin, de quelque bord qu’émanent les bonnes formule creuse de communicant et que, à l’école comme
intentions. Je n’attends plus depuis longtemps qu’elles dans bien des domaines, le macronisme ne se rende
viennent de la gauche. encore et toujours coupable de tirer à hue et à dia. •

47
LES ANNÉES DE LA JUPE
Par Céline Pina

devant des classes sans accompagnement. Les direc-


lèves armés, professeurs agressés tives ministérielles sont contestées par des professeurs
ou menacés, la violence fait idéologisés : l’Éducation nationale est un énorme
iceberg à la dérive.
partie du quotidien de l’Éducation
nationale. Mal formés, souvent Professeur dans un collège à Lyon, Isabelle vient de jeter
l’éponge. Elle parle de jeunes collégiens qui n’ont aucune
lâchés par leur hiérarchie et leurs conscience de la façon dont on s’adresse à un adulte, car ils
collègues, les profs se retrouvent ne savent pas prendre en compte l’altérité. Encore moins
quand elle est assortie d’une position hiérarchique. Ils ne
seuls face à des élèves qui ignorent comprennent pas la verticalité et la vivent comme une
le respect qu’ils doivent aux adultes. violence. Dans les classes, le brouhaha est permanent et
l’agressivité, le principal mode relationnel entre élèves
Face à cette crise profonde de et avec les enseignants. Dans cet établissement, pas de
l’autorité, l’institution répond encore drame, juste une violence du quotidien à bas bruit. Tout
de même, il y a ce professeur de physique à qui un élève a
« inclusivité ». asséné une claque. La sanction : trois jours d’exclusion et
un simple changement de classe. Le professeur bafoué a

D
dû subir la parade et les moqueries de son agresseur tout
ire que l’école n’est plus un sanctuaire au long de l’année. Elle raconte aussi les parents paumés
est un lieu commun. En quelques décen- qui demandent à l’école de « dresser » leurs rejetons,
nies elle est devenue une cible désignée ceux qui défendent les pires débordements ou menacent
du terrorisme islamiste, un champ de une hiérarchie incapable d’agir.
bataille de revendications communau-
taristes, où la violence est de plus en plus Pour Isabelle, deux facteurs expliquent cet efondre-
présente. Anciennement « creuset de la ment : la religion, en clair le communautarisme musul-
République », l’école est le théâtre de man, et le dogme de l’inclusion, qui a conduit à accueil-
tous les conlits de la société. Le métier de professeur est lir des élèves dont le handicap physique ou les diicultés
un sport de combat face à des incivilités multiples, un sociales et psychologiques sont tellement lourds, qu’ils
sport qui peut signiier danger de mort. En témoignent relèvent d’une prise en charge spéciique. Se trouvant
les cas tragiques de Samuel Paty et Dominique Bernard, rapidement en situation d’échec, ils peuvent deve-
mais aussi des violences inédites, qui ne sont plus exclu- nir ingérables, voire violents, et gravement perturber
sivement commises au nom de l’islam : en quelques toute une classe. S’ajoute, notamment en région pari-
jours, on a appris qu’une collégienne de 12 ans avait sienne mais pas seulement, l’accueil de primo-arrivants
menacé sa professeur d’anglais avec un couteau de souvent non francophones. Pour les socialiser, l’école
30 centimètres, et qu’un élève de troisième avait tenté n’a que la bonne volonté des professeurs.
d’empoisonner une enseignante d’arts plastiques en lui
faisant boire du détergent. Pour le psychologue Daniel Pendanx, ces témoignages
dépeignent un face-à-face délétère entre professeurs et
L’islamisme n’est donc pas le seul vecteur de cette élèves, abandonnés par une institution qui n’assume
montée de la violence à l’école. Le délitement de pas sa fonction de triangulation. Elle ne sait pas impo-
l’institution parle d’une crise profonde de l’autorité. ser de limites aux demandes des élèves et des parents,
L’école ne suscite plus d’attente chez les élèves et ne ni donner du sens au travail des professeurs. L’insti-
leur inspire plus de respect. De moins en moins bien tution est devenue une igure maternelle, vouée à l’in-
formés, les enseignants se retrouvent souvent jetés conditionnalité et au dévouement. Elle ne joue plus le

48
Lyon, décembre 2023 : agression
violente d’une adolescente Saint-Amand-Montron, avril 2023 : un ado- Combs-la-Ville, octobre : une
par une bande de illes. lescent tabassé pour une place de cantine. enseignante agressée en plein cours.

Créteil, novembre 2018 : un élève menace une professeure avec une arme factice.

rôle symbolique du père, qui consiste à doter l’enfant il porte l’honneur du quartier et de son groupe ethnico-
de moyens intellectuels et de connaissances pour aller religieux, en manifestant son adhésionà un autre projet
dans le monde et y trouver sa place. de civilisation que celui des « Français ». Le refus de
prendre en compte cette dimension explique l’échec de
La légitimité de l’école repose aussi sur sa capacité l’institution face à la pression islamiste.
à porter une promesse d’émancipation. C’est par la
promesse d’avenir meilleur que l’école forgeait du Le paradoxe, et pour tout dire la machine à rendre
commun et poussait à regarder vers le haut. Sa verti- fou, c’est que ce refus de voir et de penser les difé-
calité permettait la transmission. Aujourd’hui, elle rences culturelles va de pair avec leur exaltation – on
est vue comme un espace horizontal qui s’emploie à airme à la fois qu’elles n’existent pas et qu’elles sont
détruire les identités et à efacer les origines, sans ofrir une merveilleuse source d’enrichissement. La doctrine
d’horizon commun. D’où le conlit exacerbé avec la plaçant l’élève au centre du système éducatif a pour
communauté musulmane, dont la culture se heurte efet de valoriser son identité d’origine. Pour justiier
aux fondements anthropologiques de notre société : ce choix, l’école dépeint la rencontre interculturelle
égalité entre hommes et femmes, sécularisation, liberté sous les seuls auspices de la fraternisation et en occulte
de conscience et d’expression. Entre l’identité valorisée l’aspect conlictuel, refusant de voir la face sombre de
par la famille et le quartier, et cette école qui peine à la revendication identitaire, l’incitation au séparatisme.
déinir la sienne, on imagine aisément où va la loyauté En niant le problème, on a au moins une certitude, celle
des jeunes. de ne jamais le résoudre.

Ce contentieux conirme le diagnostic d’Hugues Cet aveuglement volontaire nourrit la grande solitude
Lagrange établi dans Le Déni des cultures (2010). Il avait des enseignants et leur sentiment d’abandon. Quand
fait scandale, simplement en observant que la crise de ils sont menacés ou contestés par une action militante,
l’intégration relétait les diférences culturelles et la les salles des profs ne font pas corps. Certains collègues
diiculté de les accommoder. Avec certains élèves, le sont même les premiers à critiquer le professeur dans la
professeur ne fait pas face à un individu, mais à des tourmente, comme l’a vécu Samuel Paty. Dans ce chaos,
logiques collectives claniques liées à la communauté et le simple fait que Gabriel Attal nomme les choses pour-
D.R.

au quartier. L’élève ne parle pas seulement en son nom, rait être un tournant. •

49
L’ÉCOLE CONTRE LE RÉEL
Entretien avec Lisa Kamen-Hirsig
Propos recueillis par Céline Pina

Selon Lisa Kamen-Hirsig, professeur


des écoles, l’Éducation nationale
est « malade de l’intérieur ».
L’institution est tellement gangrénée
par un idéologisme hors-sol, de
la formation des enseignants aux
programmes éducatifs, que Gabriel
Attal aura beaucoup de mal à Lisa Kamen-Hirsig.

imposer ses réformes.


sein des établissements. Résultat : l’école publique est
Causeur. Les premiers pas de Gabriel Attal à toujours vue comme défaillante, dans sa mission de
la tête du ministère de l’Éducation nationale transmission du savoir comme dans sa fonction de
sont salués. Qu’en pensez-vous ? garantie de la sécurité des élèves et des professeurs. Les
Lisa Kamen-Hirsig. En son temps, l’arrivée de Jean- classements montrent que l’efondrement de l’institu-
Michel Blanquer avait suscité beaucoup d’espoir. Il avait tion se poursuit et Jean-Michel Blanquer aura quitté ses
été présenté comme celui qui rétablirait l’autorité et les fonctions en champion du wokisme : sa circulaire sur la
D.R.

savoirs fondamentaux et remettrait un peu d’ordre au transidentité à l’école est un modèle du genre.

50
Vous ne croyez pas que le jeune ministre ration d’enseignants, eux-mêmes « mal enseignés ».
pourra changer la donne ?
Il bénéicie d’un état de grâce et aurait tort de ne pas Vous trouvez les enseignants vraiment si mal
l’utiliser, mais divers éléments me laissent circons- formés et idéologisés ?
pecte. Rappelez-vous, ce ministre qui n’a plus que les On est souvent surpris de la mauvaise maîtrise de la
mots d’autorité et de respect à la bouche est le même langue française chez trop d’enseignants. Ils peinent
qui avait pour mot d’ordre les cours d’empathie quand parfois même à identiier un sujet inversé. Si j’écris,
il a pris ses fonctions. « Dans les arbres chantent les oiseaux », un nombre non
négligeable d’enseignants désigne le nom « arbres »
Vous ne croyez pas en sa sincérité ? comme le sujet. Quant à l’imprégnation idéologique, je
Je crois surtout que personne ne mesure le degré de vous invite à aller faire un tour sur le site du Café péda-
sclérose de l’institution. Quand mon livre est sorti, gogique et surtout sur le groupe Facebook « 800 000
Xavier Darcos, qui fut ministre de l’Éducation natio- feignasses », ces communautés de professeurs très
nale, m’a proposé de me rencontrer. À ma question actives sur les réseaux sociaux. Elles se distinguent
« Alors qu’est-ce que cela fait de devenir le ministre en par une intolérance très assumée. Être vu comme de
charge de l’instruction publique ? », il répondit : « On se droite est rédhibitoire. Les professeurs qui participent
rend compte de son absence de pouvoir. » Je ne doute pas à ces médias collectifs se positionnent d’ores et déjà
de la bonne volonté de Gabriel Attal. Il a déjà levé un de manière forte sur les annonces du ministre. Leur
tabou en afrontant en face le réel. Reconnaître et dire discours peut se résumer ainsi : « C’est nous qui avons
publiquement que 50 % des professeurs se censurent ou le pouvoir, nous sommes intouchables et nous ne ferons
être clair à propos de ce que recouvrait l’ofensive liée à pas ce que le ministre demande. » C’est ainsi que le pacte
l’abaya était bienvenu. Lever le déni n’est pas rien, mais enseignant, par exemple, est massivement rejeté et ceux
je doute simplement qu’il ait les moyens de réformer qui y adhèrent intimidés. C’est aussi cette réalité-là qui
une institution malade de l’intérieur. explique l’échec de l’Éducation nationale.

C’est-à-dire ? Vous pensez donc que le Mammouth est


Jean-Michel Blanquer a par exemple voulu obliger les aussi impossible à dégraisser qu’à digérer
enseignants de CP à utiliser la méthode syllabique. Il et que Gabriel Attal échouera à cause de la
s’est heurté à une forte résistance des professeurs des sclérose de l’institution…
écoles, alors même que les résultats en lecture des Restaurer l’autorité, faire des groupes ou des classes de
élèves français sont inquiétants. Nombre d’institu- niveau, permettre l’uniforme et le redoublement sont
teurs faisaient passer leurs convictions avant l’intérêt des mesures de bon sens, plébiscitées par les parents,
général des élèves et vivaient le choix par l’institution mais souvent combattues par les professeurs, alors
d’une méthode d’apprentissage qui a fait ses preuves même que les résultats de la France dans les classe-
comme une marque de mépris pour leurs libertés et ments chutent. Pour enrayer cette chute, il faudrait
une forme de coercition. Gabriel Attal va très vite se donner plus d’autonomie aux chefs d’établissement,
heurter à une administration pléthorique, à des syndi- notamment celle de recruter et licencier les ensei-
cats très puissants et à des enseignants en grande gnants. L’erreur de M. Attal est de ne pas décentraliser
partie très, très à gauche et profondément idéologisés. le système, de ne pas lui donner d’air.
Une dérive encore renforcée par le fait que les instituts
qui forment les enseignants de l’école publique sont Comment ?
eux-mêmes imprégnés d’une idéologie gauchiste. Il faudrait rendre aux parents la liberté de choisir
l’école la meilleure pour leurs enfants, qu’elle soit
À quoi le voyez-vous ? publique ou privée, et supprimer la carte scolaire. Le
Il suit d’aller sur les sites des Inspé, ces organismes chèque éducation que je propose a cette vocation. La
qui ont remplacé les IUFM. Il est diicile d’y trouver dotation de l’établissement serait basée sur le nombre
des informations concrètes sur les méthodes d’ensei- d’élèves accueillis. Si on estime
gnement, la façon dont on gère une classe, la meilleure à 7 000 euros le coût moyen d’un
manière de transmettre la connaissance. En revanche, élève en école primaire, un établis-
cela pullule de modules ou d’articles sur l’éducation sement accueillant 100 élèves rece-
sexuelle, la lutte contre les discriminations, l’écologie, vrait 700 000 euros. On remettrait
le genre, le tout bien souvent rédigé en écriture inclu- ainsi l’école face au réel et on obli-
sive… Quand je me suis retrouvée la première fois gerait ceux qui la constituent à
devant une classe, personne ne m’avait appris comment regarder en face le fait que l’échec
on enseignait. J’étais à court de techniques et de savoir- de l’école n’est pas seulement celui
faire devant des enfants qui ne demandaient pourtant du politique, mais aussi celui de
qu’à apprendre. À ce niveau-là, rien n’a changé : les ceux qui en constituent la commu-
Lisa Kamen-Hirsig,
professeurs sont toujours mis devant les élèves sans nauté humaine : professeurs et La Grande Garderie,
formation sérieuse. On en est ainsi à la deuxième géné- personnels administratifs. • Albin Michel, 2023.

51
GROUPES DE NIVEAU,
RETOUR URGENT !
Par Paul Rafin

méthodes, celles qui ne fonctionnent pas, depuis


L’instauration du collège unique devait cinquante ans : classer les élèves selon leurs perfor-
réduire les inégalités et renforcer mances, assurent-ils, ce serait discriminer, attenter à
la sacro-sainte égalité républicaine, et même contre-
la cohésion dans les classes. C’est productif. Cependant, l’hétérogénéité des classes n’est
l’exact contraire qui s’est produit. Le un dogme que depuis 1977 et la création du collège
unique ; or, depuis cette époque, le niveau chute conti-
rétablissement des groupes de niveau nuellement. Une preuve ? Le nombre moyen de fautes,
s’impose plus que jamais car l’école sur une dictée identique proposée quatre fois à des
élèves de CM2 entre 1987 et 2021, monte de 10,7 à 19,4.
prétendument inclusive est devenue
« un lieu de séparation, d’injustice et Par-delà les raisonnements, il faut avoir été professeur
pour comprendre à quel point ces groupes de niveau
de médiocrité ». Et c’est un ex-prof sont salutaires : l’on n’imagine pas l’ampleur du goufre
qui le dit. qui existe, au sein d’une même classe, entre les élèves les
moins bons et les meilleurs. Depuis que Najat Vallaud-
Belkacem, par décret, a rendu le redoublement option-

L
nel (2014), des collégiens jusqu’en troisième lisent
e PISA nouveau est arrivé, avec, comme comme des primaires, et des lycéens, jusqu’en termi-
chaque fois, son lot de déceptions. La nale, écrivent comme des collégiens. Les plus forts vont
France baisse. Et même si cet afaiblisse- « tirer les plus faibles », dit-on : théorie ! L’écart est tel,
ment est « général », « contextuel », que en vérité, que le mélange ne prend pas.
le pays demeure dans la « moyenne » de
l’OCDE, les chifres sont terribles : en Cela fait des années que l’échec est patent. On aurait
mathématiques, la proportion des élèves pu espérer une prise de conscience moins tardive.
en diiculté passe de 17 %, en 2003, à C’était sans compter l’inventivité des pédagogues qui,
29 %, en 2022 ; celle des élèves les plus pour maintenir la mixité envers et contre tout, se sont
performants de 15 %… à 7 % ! réfugiés dès les années 1970 derrière le concept de
« diférenciation ». Il s’agit d’adapter l’enseignement
Branle-bas de combat au gouvernement ! Gabriel Attal à la capacité de chacun, élève par élève, en adoptant
promet un « électrochoc », parle d’« urgence », évoque des épreuves, des évaluations, et même des notations
des « changements radicaux ». Parmi ceux-ci, la créa- diférentes : en d’autres termes, établir des enseigne-
tion de trois groupes de niveau en mathématiques ments par niveau… mais sans groupes de niveau !
ainsi qu’en français, dès la rentrée 2024 (en sixième et Ce « en même temps » injustiiable est, trop souvent,
en cinquième), avec une extension au reste du collège matériellement impraticable, à cause des efectifs et du
en 2025, et des efectifs réduits pour les groupes les trop grand écart entre les enfants : alors, nombre de
plus faibles. professeurs, démunis, délaissent malgré eux, au choix,
les bons élèves ou les mauvais ; et comme les seconds
Aussitôt cris, émois et pâmoisons chez les pédagogues sont foule, ce sont souvent les premiers, les premières
en tous genres qui s’entêtent à préconiser les mêmes victimes de ce vaste système.

52
Manifestation de lycéens contre la réforme Haby visant à instaurer
un collège unique, Paris, 13 mars 1975.

L’hétérogénéité des classes, dans l’esprit des pédago- nisent pourtant ! Ou celle de 1997 de Duru-Bellat et
gues, poursuivait deux objectifs : réduire les inégalités Mingat, publiée dans la Revue française de sociologie,
et renforcer la cohésion. C’est l’exact contraire qui est qui reproche aux groupes de niveau d’être plus favo-
arrivé. Noter autrement un mauvais élève pour qu’il rables aux meilleurs élèves, par pur mépris de l’éli-
ait la même moyenne que son camarade meilleur, ce tisme. Citons encore cette étude de 2019, de Boutche-
n’est pas égalitaire, c’est injuste, et plutôt inégal. Et nulle nik et Maillard, qui pointe du doigt « l’exposition à la
cohésion dans la pluralité des niveaux, car le contraste compétition » (sic) entre les élèves, comme si c’était un
est tel, entre un enfant qui maîtrise la lecture des vers crime.
et un autre qui ne sait pas encore lire, qu’il est presque
impossible de l’amoindrir, et qu’il faut bien appliquer, Un beau pied-de-nez à ces études fort discutables, c’est
inalement, des règles diférentes à des individus d’une qu’Andreas Schleicher, l’inventeur du classement PISA,
même classe. À plus grande échelle, cela n’a-t-il pas recommande précisément la mesure de Gabriel Attal ;
comme un air de déjà-vu ? Inclure, c’est soumettre et que les pays de l’OCDE qui l’ont déjà mise en œuvre,
aux mêmes règles ; ce n’est pas permettre de déroger tels l’Irlande et le Royaume-Uni, sont montés dans le
au collectif. Ainsi, l’école, en 2023, derrière la volonté classement. À bon entendeur !
sincère, n’en doutons pas, d’intégration, d’excellence,
de bienveillance et d’équité, est devenue un lieu de Alors, les groupes de niveau, bonne ou mauvaise idée ?
séparation, d’injustice et de médiocrité. Bonne sans doute ; mais inutile, certainement. Parions
que d’ici la in du quinquennat Macron, l’école sera
Tous les professeurs ont constaté les failles de l’hétéro- toujours aussi médiocre. Il faudrait a minima revenir
généité, j’en témoigne, pour en avoir souvent discuté à l’enseignement vertical, au cours magistral, au certi-
avec des collègues d’opinions diverses. Mais, par une icat d’études, aux enseignements chronologiques,
contradiction étrange, un certain nombre d’études et j’en passe ! C’est-à-dire à une école d’avant 2000,
maintiennent obstinément, en dépit de toute réalité, d’avant 1980, et même d’avant de Gaulle, dont les
que les groupes de niveau ne favoriseraient pas la ministres, Peyreitte et Fouchet, furent les premiers
réussite scolaire : serait-ce idéologique ? On pointerait promoteurs d’un préjudiciable réformisme – mais
sans in leurs incohérences, comme celle de l’IDEE1, c’est une autre histoire. •
qui regrette que « l’enseignant ini[sse] par baisser 1. Le programme IDEE (Innovations, données et expérimentation en éducation),
ses attentes vis-à-vis des élèves faibles, s’adressant à partenaire du ministère de l’Éducation nationale, lancé en 2022 et financé
par l’Agence nationale de la recherche, vise à « développer la recherche
eux par rapport à leur niveau tel qu’il est », ce qui est expérimentale à large échelle en éducation, et à promouvoir l’utilisation de
AFP

l’exacte déinition de la diférenciation, qu’ils préco- ses résultats » (idee-education.org).

53
LE SAVOIR QU’ON ACHÈVE
Entretien avec Pierre Jourde
Propos recueillis par Jonathan Siksou

Pierre Jourde a vu la lente Il fallait alphabétiser les étudiants en lettres. Lesquels


ignoraient aussi complètement l’histoire de leur pays.
décomposition du système éducatif. Le tiers des étudiants échouaient en première année.
Enseignant depuis une quarantaine Ils avaient passé leur scolarité à aller sans problème de
classe en classe, avaient eu le bac sans diiculté (89 %
d’années, il sait comment la de reçus).
bureaucratie, l’idéologie, l’ignorance Habitués à ne pas s’engager, un nombre non négligeable
d’étudiants attendent que la licence leur tombe dessus,
puis la bêtise ont miné l’institution. soutenus en cela par certains syndicats étudiants. Le
Le constat du désastre est sans diplôme devient un droit. Mais il y a eu un déni, comme
on en a la spécialité en France. Masquer les problèmes
appel, mais il refuse le pessimisme. est toujours une urgence, pour ne surtout pas « stigma-
tiser », verbe qui sert à ne pas voir ce qui fâche. Souve-
nez-vous du livre Le niveau monte, en 1989, de Baudelot

P
et Establet. Ils ont l’air in, à présent. Il y a pourtant eu
ierre Jourde sait de quoi il parle. Cet des alertes, nombreuses, pas écoutées, venant des ensei-
universitaire, romancier et critique litté- gnants, de nombreux livres de professeurs racontant
raire n’a de cesse, au il de ses chroniques en détail ce qu’ils vivaient. Puis des classements, dont
publiées sur le site BibliObs, de dénon- le dernier en date, PISA, conirme ce qu’on refusait de
cer les intellos de France Inter, les ofen- voir : l’école française ne fonctionne plus, n’assure plus
sives woke et islamistes, les syndicats la promotion sociale des classes populaires, comme
étudiants, le monde de la « culture » qui elle l’a fait pendant des dizaines d’années, où des ils
renie notre culture… Sa liberté de ton lui de paysans devenaient instituteurs, voire universitaires.
permet de dresser un constat alarmant sur notre époque
et de rappeler avec inesse tout ce que l’on doit au savoir Vous avez commencé à enseigner en 1981,
et à la littérature. Jean-Christophe Buisson, qui signe la est-il possible de dater un point de bascule,
préface de son nouveau livre, On achève bien la culture, ou plusieurs ?
le qualiie de « FTP des Arts et des Lettres ». Nous lui Justement, 1981 est une excellente date. Mitterrand,
avons demandé de prendre les armes. pour qui j’avais voté avec enthousiasme, arrive au
pouvoir. Je suis vite revenu de mes illusions. C’est le
Causeur. « L’école, en France, est largement début de la démagogie. La loi Savary en 1984 est une
un échec », écrivez-vous dans l’avant-propos première étape. Lionel Jospin crée les IUFM en 1990.
de votre livre. Comment arrive-t-on à un tel Machines bureaucratiques à décerveler les profes-
constat ? seurs, à grandes doses de théories pédagogiques, de
Pierre Jourde. D’abord, cela ne date pas d’hier. Lorsque « sciences de l’éducation » et d’exercices fumeux. Mes
j’ai été nommé maître de conférences en 1992, je voyais étudiants en revenaient avec le sentiment qu’on se
arriver des étudiants, titulaires du bac, qui avaient des foutait d’eux. Ils ont développé une formation d’ani-
Hannah Assouline

diicultés à construire une phrase, rendaient des copies mateurs plus que de gens censés transmettre des
grouillant de fautes, et ne lisaient pas un livre alors qu’ils connaissances. Il s’agissait de renoncer à la « verti-
étaient inscrits en littérature. Balzac était pour eux une calité », pour que les élèves « construisent eux-mêmes
langue étrangère. Année après année, cela s’est aggravé. leurs savoirs ». Le résultat était imparable : les enfants

54
© Crédit

Pierre Jourde.

55
issus des classes populaires ne disposaient que de ce 89 % de reçus au bac ! Et il faut plus de licenciés, plus
qu’ils entendaient à la maison ou à la télé. Construisez de masterisés, etc. La quantité contre la qualité.
vos savoirs avec ça. Les enfants issus des classes favori-
sées disposaient déjà d’un certain savoir, transmis à la Le dernier classement PISA conirme
maison. Et on se demande pourquoi l’ascenseur social l’effondrement du niveau des élèves en maths
ne fonctionne plus ! Sous prétexte de rendre l’école et en français. Faudrait-il aussi évaluer le
plus démocratique, on a abandonné les classes popu- niveau en histoire, en géographie, en culture
laires, par pure démagogie. Et c’est la gauche qui s’est générale, ou mieux vaut s’arrêter là ?
illustrée dans ce travail ! Ce serait nécessaire. À 18 ans, un jeune citoyen fran-
Le résultat est là. Remarquez, Pécresse, sous Sarkozy, çais ignore en quoi exactement a consisté la Révolution
a achevé la démolition des universités, qui sont désor- française, confond bourgeois et nobles au xviiie siècle.
mais les SDF du système. Pour les classes bourgeoises, C’est systématique. Il mélange toutes les époques,
les grandes écoles. Pour les pauvres, les universités, puisqu’on a renoncé à la chronologie. Il est incapable
démunies de tout. L’UNEF achève la pauvre bête de situer l’Afghanistan ou le Venezuela sur une carte,
universitaire en exigeant qu’il n’y ait aucune sélection ignore tout de la géographie de la Palestine, est inca-
(ce qui garantit, comme on s’en doute, la qualité des pable de parler anglais après sept ans d’enseignement.
diplômes décernés) tout en exigeant la profession- Une vraie réussite.
nalisation, sans même s’apercevoir de la contradic-
tion. En France, les meilleurs quittent la recherche La responsabilité est-elle à chercher
et l’université, ou ont l’intelligence de ne surtout pas uniquement du côté de la politique éducative
s’y engager, découragés par l’énorme, inutile, stérili- ou aussi chez les profs ?
sant travail bureaucratique. Einstein aurait dû rédiger C’est la politique éducative, à 90 %, mais les syndicats
des centaines de pages de projets et de dossiers pour de gauche en ont été complices. Tout le monde en a
pouvoir faire des recherches sur une idée loufoque, la été complice, ça arrangeait les parents, les élèves, les
relativité. Il aurait sans doute renoncé. gouvernements, les syndicats.

La fameuse « égalité des chances » est-elle Le niveau des profs est-il un sujet tabou ?
un objectif démagogique ? Faut-il le mettre sur la table ?
L’égalité des chances est ce que doit viser l’école : Il y a de nombreux professeurs dévoués, passionnés et
compenser les inégalités de fait, autant qu’elle le peut, d’un excellent niveau. Cela aussi est en train de s’efon-
pour que tous aient les mêmes chances de réussite, drer. Qui veut encore exercer un métier qui n’est plus
selon leurs capacités et leur travail, pas selon leur respecté, payé misérablement, où la charge de travail,
origine sociale. Mais on a transformé ça en égalita- notamment bureaucratique, augmente sans cesse, où
risme niveleur, en mensonges chifrés à la soviétique. l’on doit au premier poste déménager à l’autre bout
Au lieu de faire en sorte que tous les élèves atteignent de la France, pour enseigner devant des élèves parfois
un certain niveau, on a fait du chifre, en triomphant : charmants, parfois agressifs et agités, ou simplement

Philippe Meirieu lors d’un colloque national sur l’enseignement des savoirs au lycée, Lyon, 1998.

© Crédit

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indiférents, selon ce que donne la loterie académique ? d’histoire, en levier de pouvoir et de tyrannie. Tout ça
On racle le fond pour pourvoir les postes, on recrute durera comme le maoïsme, et on aura droit aux regrets,
des gens incultes et sans orthographe. On demande de au « contexte de l’époque » en guise d’excuse pour les
moins en moins une maîtrise de la discipline enseignée, gens qu’on aura détruits sciemment. Et puis la ressem-
on exige qu’à l’oral le candidat explique en quoi il sera blance avec le nazisme commence à se voir. L’idéologie
un bon fonctionnaire républicain. Un nul peut parfaite- des Indigènes de la République, antisémitisme, racisme,
ment réussir dans cet exercice convenu et absurde. homophobie, ça empeste son Nuremberg. L’idée qu’une
culture doit rester pure, pas détournée, l’idée qu’il faut
Et il faut ajouter l’idéologie et le expurger les livres et les ilms, ça pue le même remugle.
pédagogisme qui semblent inhérents à la L’idée que la connaissance doit être issue de l’esprit du
fonction. Pourquoi ? peuple, pas de la froide rationalité, c’est la déinition
La pédagogie est inhérente, nécessairement, à ce métier, même de la science völkish chère aux idéologues nazis.
il faut savoir, et savoir transmettre. Mais la pédagogie Et on s’étonne de l’antisémitisme dans les universi-
est un art à 90 % pratique. Il faut l’apprendre par un tés américaines abreuvées au wokisme ! Mais c’est la
stage dirigé par un conseiller, dans une classe, pas en logique même !
ingurgitant des théories qui ne serviront à rien. Il faut
être pragmatique. Je sais de quoi je parle, ayant enseigné Vous écrivez que « la culture est une chance
à tous les niveaux, dans tous les milieux et dans toute de devenir autre que soi », à l’ère du culte
la France, entre Creil, les corons du Nord, l’université de soi-même sur les réseaux sociaux, ce
de Tours ou de Grenoble. L’idéologie et le pédagogisme message est-il audible ?
ont détruit la fonction. Et lorsque Gabriel Attal impulse Il est vrai que sur les réseaux sociaux, dans les selies,
une réforme qui met l’accent sur les contenus, qui la publicité, les émissions de divertissement à la télévi-
France Inter invite-t-elle pour la commenter ? Philippe sion, la télé-réalité, les micros-trottoirs journalistiques,
Meirieu, le pédagogiste en chef, qui a une lourde et même dans la littérature, on ne parle que de soi-
responsabilité dans le désastre. même et jusqu’à l’écœurement. Le capitalisme a misé
sur l’individualisme le plus infantile, « je suis moi »,
Les professeurs font désormais face à une et le seul fait d’être moi fait ma valeur, même si je suis
génération d’offusqués, de victimes et un imbécile inculte qui n’a jamais rien fait. Ou bien
d’hyper susceptibles. Cela modiie-t-il les j’ai de la valeur et j’exige du respect parce que je suis
rapports à l’enseignement, au programme ? supporter du PSG, musulman, juif, mormon, breton,
Oui, notamment à l’université. Désormais, un élève ou noir, transsexuel, obèse. Cet éclatement complet du
un étudiant est afecté d’une exquise sensibilité, et ne tissu social permet de vendre plus eicacement, sans
veut pas être mis en « insécurité » par un texte, notam- craindre d’autres luttes, que la casse par l’ultra gauche,
ment si cela heurte ses convictions religieuses, fémi- idiots utiles du grand capital. La Fondation Bill Gates
nistes, homosexuelles, animalistes, ou n’importe quoi. soutient les mouvements wokistes, et Rokhaya Diallo,
Mais la littérature n’est pas un art de confort. Elle est là qui trouvait très bien qu’on incendie Charlie Hebdo, fait
pour ébranler les convictions, faire réléchir, faire sortir la promo de Valentino.
de son cocon d’idées toutes faites, avoir une connais-
sance du mal. Si on refuse cela, autant faire d’autres Un récent sondage IFOP montre que 31 %
études. Des maths, c’est plus neutre. En fait, même pas, des élèves musulmans scolarisés dans le
d’ailleurs, les maths sont le produit du colonialisme secondaire et le supérieur ne condamnent
occidental et du mâle blanc. pas « totalement » l’assassinat de Dominique
Bernard à Arras. Ça vous étonne ?
Les universités et les grandes écoles sont Oui. On peut comprendre le fanatisme. Samuel Paty
noyautées par des associations LGBT, avait mis en débat la liberté d’expression. Jamais de
néoféministes, trans, islamistes, antifas… liberté d’expression sur la religion,
Est-ce un effet de mode qui passera ou c’est péché. Dominique Bernard
les mentalités en sont-elles durablement s’est contenté d’être prof. La bêtise
imprégnées ? est insondable. Mais derrière ça, on
Ils se heurtent déjà à leurs contradictions. Notamment sent bien que tout prof est perçu par
sur le plan de l’« intersectionnalité » : faire converger les les musulmans (et certains catho-
« luttes » des musulmans, des féministes, des Noirs et liques, mais ils ont perdu l’habitude
des mouvements LGBT, ça ne va pas être facile, quand de tuer pour ça) comme un ennemi
on voit le sort réservé aux femmes et aux homos en pays de l’obscurantisme et du dogme.
d’islam, ou dans nos banlieues, et le racisme négrophobe
des pays musulmans ! Certains mouvements féministes Tout est perdu ? À lire
récusent aussi ce que des activistes LGBT veulent faire On aurait pu le dire au moment de Pierre Jourde, On
achève bien la culture,
des femmes. Un juste mouvement d’émancipation la condamnation de Dreyfus ou « Chez Naulleau », Léo
Sipa

se transforme, c’est classique, il suit de lire un livre en 1940. • Scheer, 2023.

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PISA ET DÉPENDANCES :
LETTRE OUVERTE
À GABRIEL ATTAL
Par Jean-Paul Brighelli

i le niveau des petits Français est


en baisse, c’est parce que celui
de leurs profs dévisse aussi. Leur
formation est le nœud du problème
que doit résoudre le ministre
de l’Éducation nationale. Jean-
Un jour comme un autre dans une école primaire
de la commune d’Ambroise (Indre-et-Loire),

Paul Brighelli lui souhaite bonne pendant les années 1970.

chance, et soumet quelques pistes


de réflexion. Certes, une statistique réalisée en 2022, après un an et
demi d’interruption des cours, est légèrement faussée.

M
Mais elle l’est tout autant pour les tigres du Sud-Est
onsieur le ministre, asiatique – et pour l’Estonie, meilleur élève de l’Europe.

Choc PISA, dites-vous… Mais le plus Nos voisins d’outre-Rhin ont moins bien digéré que
choquant est que la nouvelle déroute nous la nouvelle de leur efondrement. Déjà en 2000,
de l’école française n’a choqué la première évaluation PISA avait occasionné outre-
personne. Même les médias ne sont Rhin un choc salutaire : les Allemands, qui se croyaient
Bridgemans Images

pas parvenus à faire monter la sauce, encore à l’heureux temps de l’école bismarckienne,
tant tout le monde, depuis trente ans décidèrent de réagir avec un vrai succès. Cette fois, c’est
que la débandade s’est accentuée – au l’alux soudain de réfugiés syriens, invités par Angela
lendemain de la loi Jospin – est résigné à voir le niveau Merkel à venir violer des Allemandes lors de la Saint-
glisser vers les abysses. Sylvestre 2016, qui a fait chuter la moyenne.

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Nous avons nous-mêmes vécu un épisode équivalent C’est le nœud du problème. Les redoublements, le
après la double décision ingénieuse du couple gauchiste brevet, les notes aux examens, tout cela n’est que brou-
Giscard/Haby, qui au milieu des années 1970 ont opté tilles et écran de fumée. Allez jusqu’au bout et suppri-
à la fois pour le collège unique et pour le regroupement mez le bac, relique vieillotte d’un système que l’on ne
familial. J’étais déjà enseignant, nous avons vu arriver ressuscitera pas. Ce sera près d’un milliard d’euros
des gosses pas plus méchants que d’autres mais fran- économisés chaque année.
chement illettrés, insérés dans les classes sur le seul
critère de leur âge. Forcément, les enseignants soumis Puis-je faire une suggestion pour améliorer le recrute-
à la « massiication » – un mot atroce qui ne réjouit que ment et la formation des maîtres ? Cessez de la conier
les pédagogues professionnels – ont baissé le niveau de aux universités, et proposez-la aux lycées à CPGE.
leurs exigences, ain de ne pas perdre tout à fait ce tiers Henri-IV a déjà une classe expérimentale, post-bac, qui
de classe qui ne comprenait rien, quitte à sacriier ceux en trois ans propose de former des professeurs des écoles
qui savaient déjà tout. Quand on pense que ce sont les compétents. Nul besoin d’universitaires experts en
enfants de ces immigrés-là qui sévissent aujourd’hui recherches pointues pour enseigner à des néo-étudiants
dans les banlieues, on s’étonne moins. auxquels il suit, au fond, de transmettre tout ce que
l’on a soigneusement évité de leur apprendre dans les
L’une de vos premières décisions – j’en parlais déjà quinze années précédentes – de l’orthographe à la date
dans mon dernier livre, L’École à deux vitesses – est de la bataille de Marignan en passant par l’étude des
donc d’en inir avec ce collège unique, ce qui enlamme fractions ou des nombres à décimales. Deux questions
la combativité des fossoyeurs en exercice du système dont de récents sondages en sixième ont prouvé qu’elles
scolaire. Philippe Meirieu appelle ainsi ses troupes – n’avaient pas été abordées au primaire.
qui en trente ans ont iniltré le ministère et les univer-
sités – à « résister » : en se prenant pour de Gaulle, il Si vous abandonnez la formation des maîtres aux
vous attribue un rôle peu reluisant. Peut-être faudrait- universités, vous allez renforcer le pouvoir de la clique
il indiquer à ces archontes de la malfaisance que leur mérieutique qui se frotte déjà les mains à l’idée de
règne se termine. contourner vos préconisations – comme elle l’a fait
jadis lorsque Gilles de Robien a voulu institutionna-
En efet, monsieur le ministre, si vous ne prenez pas liser l’apprentissage de la lecture-écriture en alpha-
des mesures complémentaires immédiates, leur dicta- syllabique.
ture se pérennisera – et se renforcera. La formation
des maîtres, dites-vous à raison, est à revoir complè- Plutôt qu’à des universitaires auteurs de thèses sur l’inu-
tement. Ain de provoquer un déclic dans la mémoire tilité de l’orthographe ou du bon français qui s’acharne-
des boomers dont les petits-enfants sont massacrés ront à défaire votre projet avant qu’il soit éclos, coniez
consciencieusement par ces mêmes pédagogues et donc la formation des maîtres aux enseignants de lycée et
leurs séides, vous avez parlé de reconstituer les écoles de classes préparatoires – par exemple ceux qu’une saine
normales sur un cycle de trois ans post-bac. gestion des prépas en surnombre à Paris, actuellement
en projet, laisserait le bec dans l’eau. Quitte à charger du
Il faudra efectivement recruter intensément si l’on chapeautage de cette formation une personne digne de
veut que la iction des classes de niveau devienne coniance – après tout, l’actuel recteur de Paris a réussi
une réalité tangible. En répartissant les élèves selon à imposer la méthode Lego dans la capitale, confor-
leurs aptitudes, et surtout – c’est essentiel – en ixant mément aux préconisations de Stanislas Dehaene, et à
un nombre d’élèves dans ces divers groupes inver- insuler de la mixité scolaire dans les lycées de la capi-
sement proportionnel aux diicultés, éventuellement tale sans pour autant descendre le niveau.
en donnant aux établissements assez de latitude pour
augmenter selon les besoins les emplois du temps des Vous ne pouvez pas faire coniance à ceux qui ont
matières en tension, vous allez créer un besoin d’en- détruit le système, et qui frappent aujourd’hui à
seignants de qualité qui, pour le moment, ne peut votre porte pour se voir conier des fonctions qui
être satisfait. Les jurys peinent à donner les concours leur permettront de torpiller vos intentions. Seuls de
à des candidats d’une médiocrité insigne, vu qu’ils vrais enseignants, maîtres de leur discipline, peuvent
arrivent souvent de psycho-socio-nigologie, ilières assurer l’apprentissage de ces mêmes disciplines. Et
où l’on n’enseigne aucune des matières qu’ils sont ils sauront en même temps initier les étudiants aux
censés enseigner. subtilités de la vraie pédagogie – celle qui ne laisse
personne en route et permet à chacun d’aller au plus
Et comme ils ont bénéicié, en deux ans de master haut de ses capacités.
MEEF, d’une formation visant à apprendre à n’ap-
prendre rien (un constat fait dès 1999 par Jean-Claude Cela dit, bravo pour votre réactivité dans l’afaire du
Michéa dans L’Enseignement de l’ignorance), ils se collège d’Issou. Les élèves sanctionnés doivent être
retrouvent admirablement inaptes à transmettre quoi déplacés plus loin – loin de leurs familles toxiques, de
que ce soit. leurs « grands frères » et de leur ghetto. •

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ULTURE & HUMEURS

Château de Fargues

À Sauternes, le château de Fargues pratique depuis toujours la polyculture


sur 180 hectares de prairies et de forêts, dont 28 hectares de vignes préservées.

60
6
Nicole Calfan,
70
Témoins gênants
76
Sauternes oblige
ses monstres sacrés Entretien avec Dimitri Casali Emmanuel Tresmontant
Propos recueillis par Yannis Ezziadi Propos recueillis par Jonathan Siksou

66 72 78
Tant qu'il y aura des films
Avec ou sans la langue Francis Chigot, Jean Chauvet
Georgia Ray l'art et la lumière
Pierre Lamalattie

68 80
L'indigne Georges Despaux
Patrick Mandon
74
La boîte du bouquiniste
Les carnets d'Ivan Rioufol

Thomas Morales
82
La préférence pour l'Autre,
même s'il est méchant...
Gilles-William Goldnadel

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NICOLE CALFAN,
SES MONSTRES SACRÉS
Propos recueillis par Yannis Ezziadi

J’avais rendez-vous dans sa loge du théâtre Marie-Bell


blouissante ingénue à la Comédie- (aujourd’hui théâtre du Gymnase). La loge était magni-
Française et visage bien connu du ique, tamisée, sombre même. Partout du velours rouge.
Plein de bouquets de leurs séchées sur les meubles, sur
cinéma populaire, Nicole Calfan les tables. J’étais fascinée. J’avais l’impression d’être
a travaillé avec les plus grands dans la roulotte d’une voyante. Les yeux noirs de kohl,
fumant une cigarette, elle me dit de sa voix rauque :
comédiens et réalisateurs. Pour « Vous êtes très mignonne mon petit. Bon, je ne vais
Causeur, elle revient sur quelques-unes pas vous demander de me réciter quoi que ce soit. Vous
avez un physique très harmonieux. Si ça marche, vous
de ses rencontres les plus marquantes. serez une ingénue. Vous irez voir Jacques Charon de ma
part. » J’ai passé l’audition sur la scène de la Comédie-
Française dans le rôle de Rosine, du Barbier de Séville, et

N
j’ai été engagée. Je me suis retrouvée dans le grand bain.
icole Calfan, c’est cinquante-six ans Je jouais sept pièces diférentes par semaine. Toutes les
d’une carrière bien remplie. Comédie- ingénues du répertoire. Marie Bell a fait mon bonheur,
Française, cinéma, théâtre de boule- mais je ne l’ai jamais revue…
vard, elle va où la passion la mène. Henri
Verneuil, Raymond Rouleau, Jean Le Fernand Ledoux ?
Poulain, Jean-Pierre Miquel, Jacques Quel maître ! Il avait tourné avec les plus grands :
Deray l’ont dirigée, et elle a partagé Renoir, Decoin, Grémillon, Carné, Duvivier, Guitry…
l’aiche avec Jean Poiret, Olivier Reed, Il a été mon premier professeur au conservatoire.
Faye Dunaway, Delon, Belmondo, Depardieu ou Quand on entrait dans la salle, on disait : « Bonjour
encore Ava Gardner ! maître », et lui répondait systématiquement : « Bonjour
Nous avons soumis à la comédienne neuf noms qui kilomètre ». C’était ainsi tous les matins. On adorait ça.
font partie de la longue liste de ses monstres sacrés. Il ne nous apprenait pas grand-chose techniquement,
Nicole Calfan aime les souvenirs et la nostalgie. Ça mais on l’écoutait parler, il nous nourrissait. Je l’aimais
tombe bien ! beaucoup. Plus tard, j’ai demandé à Jean Yanne – avec
qui je vivais alors – d’engager Ledoux. C’est comme ça
Causeur. Marie Bell ? qu’il s’est retrouvé dans Les Chinois à Paris.
Nicole Calfan. Mes parents la connaissaient. La
grande tragédienne de l’époque ! J’avais terminé mes Robert Hirsch et Jacques Charon ?
deux années de conservatoire, et le concours de sortie Duo comique extraordinaire ! À cette époque, l’esprit
– qui permettait d’entrer à la Comédie-Française si de la Comédie-Française, c’était eux. J’étais leur petite
on décrochait un premier prix – n’avait exceptionnel- protégée. C’est grâce à eux que j’ai été si heureuse dans
lement pas lieu : c’était le printemps 1968 ! Marie Bell cette maison. Après les représentations, ils m’emme-
rapporta à mes parents que Jacques Charon (sociétaire naient dîner au restaurant, puis en boîte de nuit. Je
du Français) cherchait pour la maison de Molière une partais assez tôt, mais eux restaient jusqu’à l’aube.
nouvelle ingénue à faire entrer dans la troupe, et qu’il Hirsch – qui était homosexuel – me disait : « Je n’ai aimé
allait faire passer des auditions. Je suis allée la voir pour que deux femmes : toi et Jeanne Moreau ! » Ils avaient
qu’elle me donne le numéro de Charon. J’étais très instauré une atmosphère très festive, très joyeuse au
impressionnée. C’était une grande star. Une diva. Un sein de la troupe. C’était des années folles. Ils étaient
monstre sacré. heureux de faire du théâtre, heureux de jouer et ne

62
Nicole Calfan.

boudaient pas leur plaisir. J’ai découvert leur incroyable vous admire beaucoup et je viens de débuter ce soir
fantaisie en débutant avec eux dans Le Tartufe. Hirsch avec l’une de vos robes. » Elle me répond alors sèche-
jouait Tartufe et Charon jouait Orgon. Hirsch était un ment : « Ça me fait une belle jambe ! » et elle part sans
grand clown. Un grand burlesque. un sourire. Terrible déception.

Jeanne Moreau ? Isabelle Adjani ?


J’ai passé ma jeunesse avec des petits classiques J’ai décidé de quitter la Comédie-Française pour tour-
Larousse sur ma table de nuit. Mon préféré, c’était Le ner Les Trois Mousquetaires (ilm de Richard Lester
Tartufe, car il y avait les photos de Jeanne Moreau avec Oliver Reed, Faye Dunaway, Christopher Lee et
dans le rôle de Marianne. Elle était un modèle pour Richard Chamberlain), alors que j’avais encore un
moi. La première fois que j’ai joué sur la scène de projet qui me tenait à cœur. Raymond Rouleau avait
la Comédie-Française, c’était Angélique dans Le proposé de me mettre en scène dans Ondine de Girau-
Malade imaginaire. Lorsqu’on m’a mis le costume, il y doux. J’avais même choisi mon partenaire : Jean-Luc
avait écrit sur une étiquette, à l’intérieur, « Mademoi- Boutté. Mais je suis quand même partie et n’ai pas
selle Moreau ». C’était le costume qu’elle-même avait honoré ce merveilleux projet. C’est Adjani qui a hérité
porté ! J’étais bouleversée. Le soir de la première, du rôle. Et ce fut un énorme triomphe ! Avec Ondine,
Frédéric Castet (de la maison Dior) a organisé une Adjani est devenue Adjani. Une révélation. Je garde le
Yannis Nicole

grande soirée pour fêter mes débuts. Et qui était là ? souvenir d’une très grande actrice. Une grande puis-
Jeanne Moreau ! Mon idole. Je cours vers elle, tout sance émotionnelle. Nous étions très complices et
émue, et lui dis : « Mademoiselle, mademoiselle ! Je partagions la même loge. Je me souviens que le sol →

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Avec Dirk Bogarde, dans La Trahison de Cyril
Frankel (1975). Avec Alain Delon, dans Le Gang de Jacques Deray (1977).

était jonché de scénarios, car bien que pensionnaires Sur le tournage, Delon et Belmondo étaient adorables
au Français, nous avions déjà toutes deux commencé avec moi. J’étais de nouveau sous la protection
à tourner au cinéma. En quittant déinitivement cette de deux stars, comme au Français, avec Hirsch et
loge, j’ai écrit un mot sur le miroir, au rouge à lèvres : Charon. J’aime tellement Delon que j’ai écrit un
« Je vous laisse Ondine, prenez-en soin… » livre sur lui, Lettre entrouverte à Alain Delon. C’est
un grand amour. Il a dit un jour au Parisien : « J’ai
Alain Delon ? eu deux amours platoniques dans ma vie. Un avec
Delon, c’est mon Delon. C’est tout ! J’étais allée passer Bardot, et un avec Calfan. » J’ai ensuite tourné avec lui
des essais pour Borsalino. Deray, Delon et Belmondo Le Gang et Franck Riva. On a souvent essayé de ternir
étaient assis chacun dans un fauteuil. C’était impres- son image, il a toujours suscité beaucoup de jalousie.
sionnant. J’ai fait quelques essais très furtifs et ils m’ont Bien sûr que c’est un homme sombre, avec un passé
engagée. Lorsque j’ai vu que le tournage se déroulerait douloureux, avec de la délinquance même. Delon,
à Marseille, j’ai tout de suite appelé Delon pour lui c’est beaucoup de soufrance, mais c’est un homme
dire qu’il me serait malheureusement impossible de droit, respectueux, idèle. Et puis, surtout, c’est un
faire le ilm, car je jouais L’Avare tous les soirs au Fran- immense acteur. Et un passionné de cinéma. Il s’est
çais. « Mademoiselle, vous avez ma parole d’homme beaucoup investi, inancièrement même, il a aidé et
que vous serez tous les soirs à l’heure à la Comédie- produit de grands réalisateurs comme Joseph Losey.
Française », me répondit-il. Je l’ai fait. Je jouais le On disait qu’il était dur. C’est vrai qu’il était dur avec
soir à Paris, je prenais ensuite le premier avion pour les réalisateurs, il intervenait beaucoup… « Non ! Il ne
Marseille vers 6 heures du matin, on venait me cher- faut pas mettre la caméra comme ça ! Il faut la mettre
cher à l’aéroport, on m’emmenait à Cassis, je tournais comme ça ! » Mais souvent… il avait raison ! Alain
et, vers 17 heures le chaufeur de Delon me ramenait Delon est le dernier monstre sacré du cinéma. Le
à l’aéroport. Ça a duré comme ça pendant trois dernier grand mythe vivant.
semaines. Quand j’arrivais à Paris, je me dépêchais
pour être à l’heure au théâtre. Ce qui m’a sauvée, c’est Jean Poiret ?
que Marianne n’entre qu’au troisième acte ! Je courais Tyran sanguinaire et acteur de génie ! J’ai joué pendant
dans les couloirs, j’enilais vite ma robe, je me précipi- trois ans Joyeuses Pâques avec Jean Poiret et Maria
tais en scène et disais ma première réplique : « Ah ! que Pacôme, pièce dont il était l’auteur. Je venais de quitter
D.R.

je suis, Frosine, dans un étrange état… » la Comédie-Française, mais c’est à ses côtés que j’ai

64
tout appris. Mais quelle soufrance ! Quelle douleur ! l’exigence, la fermeté, le travail. Michel Fau, c’est ce
Il n’était jamais content de ce que vous faisiez. Il me que le théâtre peut faire de meilleur. Lorsqu’en 2019
cassait sur scène en me disant à voix basse : « C’est nul ! j’ai joué Le Tartufe sous sa direction, j’ai eu l’im-
Allez ! Du rythme, du rythme, du rythme ! » Il faisait pression de me retrouver à la Comédie-Française de
sans cesse des remarques. C’était épuisant, déstabili- ma jeunesse. Il avait constitué une troupe digne des
sant. Heureusement que j’avais de très bonnes critiques. grandes heures du Français. Il y avait notamment
Mais je n’en pouvais plus. Un jour, au bout de trois ans, Michel Bouquet et Christine Murillo, et les magni-
sans prévenir personne, j’ai décidé de ne pas aller jouer. iques costumes de Christian Lacroix. J’ai aussi joué
Je me suis dit : ça suit de soufrir comme ça ! Ce n’est cet été Le Vison voyageur, à ses côtés et sous sa direc-
pas normal. Ils m’ont attendue en vain et la représenta- tion. Avec lui, c’est le théâtre que j’aime, celui qui me
tion a dû être annulée. Voilà comment ça s’est terminé. fait rêver. Grâce à Michel, j’ai retrouvé ma famille de
Dix ans après, Poiret m’a proposé une pièce dont il théâtre. C’est un grand homme de spectacle. Un vrai.
était l’adaptateur. Il ne m’en voulait pas. Et moi non
plus, je ne lui en voulais pas. Il était comme ça, car il Pour inir, une question qui n’a rien à voir
était angoissé, perfectionniste. Il se faisait du mal à lui- avec le reste. Vous vous êtes toujours
même, mais c’était un génie d’une puissance comique déclarée féministe. Vous avez été l’une
incroyable. Un rythme d’une précision mécanique. Un des plus belles femmes du cinéma de
virtuose. Et j’insiste pour dire que Poiret était aussi un votre génération. Avez-vous eu, dans votre
grand auteur ! carrière, peur des hommes ? Sentiez-vous
être une proie ? Et que pensez-vous de
Dirk Bogarde ? l’époque #MeToo ?
Rencontre incroyable pour un navet ! Le ilm que nous Je n’ai jamais été agressée, ni harcelée. Non, je n’ai
avons tourné ensemble était très mauvais. La Trahison, jamais été terrorisée par les hommes. Le seul à m’avoir
avec Ava Gardner également, et Timothy Dalton (avant serrée de trop près, c’est Pierre Grimblat. J’avais 16
James Bond !). Ava Gardner était encore très belle, ans. Je lui ai ilé une bonne bafe et ça a été terminé. Je
mais elle buvait beaucoup. Elle ne pouvait tourner que n’ai pas fait le ilm qu’il me proposait, et ça m’a fermé
le matin. Durant le tournage en Autriche, Dirk et moi quelques portes. Mais c’était mon choix ! Je pense que
sommes tombés amoureux. Il était homosexuel, mais dans la majorité des cas, si une femme ose dire non,
nous avons eu un grand amour platonique jusqu’à sa c’est non. Et ça s’arrête là. Moi, je ne serais jamais
mort. À la in du tournage, il m’a dit : « J’ai aimé deux montée dans la chambre d’un producteur. Je défends
femmes. Charlotte Rampling pour un chef-d’œuvre, et les femmes battues ou violées. Mais on est obligé de
vous pour un navet. » constater aussi que la plainte pour agression sexuelle
devient un outil de chantage et de vengeance. Avec
Michel Fau ? cela, même sans aucune preuve, on peut détruire une
J’ai retrouvé avec Michel Fau ce que j’ai connu avec réputation et mettre au ban de la société n’importe
Hirsch et Charon. Avec lui, c’est le respect des acteurs, qui. C’est terriiant. •
Marcel Hartmann

Nicole Calfan campe Elmire dans Le Tartuffe de Michel Fau, octobre 2017.

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C OU SANS LA LANGUE
Par Georgia Ray

Jean Szlamowicz veut en finir


avec l’écriture inclusive. Contre
les assauts woke qui écornent le
français, son nouvel essai prouve
que c’est une ineptie de confondre
la langue et le sexe, le genre des
mots et le sexe des gens. Une
démonstration magistrale et
définitive. Jean Szlamowicz.
D.R.

66
L
e Sexe et la Langue. Sous ce titre délicieuse- rique, mais la coutume de frapper les jeunes illes nubiles
ment facétieux, le linguiste Jean Szlamowicz à coups de bâton n’est peut-être pas un fait social à la
règle magistralement son compte à l’écri- hauteur de ce féminisme grammatical abouti. Non, la
ture inclusive et aux métastases grammati- « langue » n’est pas du « discours » : une phrase (plutôt
cales du militantisme néoféministe. Oppo- très) misogyne telle que « les femmes doivent rester à la
sant une belle (et rare) rigueur intellectuelle maison » ne présente aucun fait grammatical « répréhen-
aux niaiseries mi-doloristes mi-hargneuses sible ». Pour inir, oui, la langue est nécessairement « à la
des damnés de la grammaire, ce spécialiste traîne », accusée qu’elle est par le progressexisme de ne
d’analyse rhétorique passe au crible le discours de celles- pas adopter assez vite des néologismes et des tournures
et-ceux pour qui les pires humiliations sont à chercher qui – voyons ! – tombent sous le sens : il.elle pleut, je ne
du côté d’une langue française odieusement masculi- vais pas chez le coifeur.euse. Quoiqu’on parle souvent
niste, à réformer d’urgence pour que la vie soit plus belle. de ce qui n’a pas de réalité tangible (discours), il faut
Pour toustes. tout de même que les choses existent pour pouvoir les
nommer (langue) : qu’il y ait, par exemple, suisamment
Devant les théories fantaisistes de néomasochistes d’hommes sages-femmes pour que « sage-homme » s’im-
« prêts à s’inventer un adversaire pour continuer d’être pose, au-delà de la leçon de grammaire nunuche dispen-
féministes », l’auteur remet à sa place toute une « clique sée par un navet cinématographique à visée sociétale
de coupeurs de langue » qui « se rêvent maquisards [...] (Sage-Homme, Jennifer Devoldère, 2023).
au fond de leur blog », et rappelle l’essentiel : la langue est
une combinatoire de signes arbitraires, elle ne représente La réponse de Jean Szlamowicz aux indignations du mili-
rien ni personne, elle est l’outil de la pensée et non pas son tantisme inclusiviste est merveilleusement cinglante,
contenu. « Il ne faut pas confondre la langue et le sexe, le et on ne peut mieux dire : « Les injustices existent, mais
genre des mots et le sexe des gens. » Les points médians et ailleurs que dans la grammaire [...] et quand on est
les « e » muets, censés féminiser au forceps une langue si friand de subtilités symboliques, on devrait être capable
phallocrate, sont avant tout des absurdités linguistiques. de se poser la question de savoir s’il y a plus d’oppres-
Vouloir féminiser la langue par-delà l’usage – « chefe », sion à vivre sous un voile ou à accorder le suixe -eur de
« professeure », « chaufeuse de bus », « autrice » – est manière générique. » Quant à la langue, nous rassure-
grotesque avant même d’être idéologique. Si l’on suit le t-il, elle est modiiée par l’usage et non par les lubies de
raisonnement fallacieux consistant à dire que les mots simili-intellectuels imbibés de théories gramsciennes :
sont les miroirs des choses et le relet des phénomènes, « Si les locuteurs ont besoin d’un féminin, ils le créeront
que l’absence de féminin pour « médecin » est bien la et l’utiliseront. S’ils n’en ont pas besoin, ils ne passeront
preuve de la « minoration » sociale des femmes, on en pas leur temps [...] à imaginer des féminins inutiles. » En
vient à se demander de quel droit le mot « train », avec attendant, glissons Le Sexe et la Langue dans nos biblio-
si peu de lettres, peut prétendre désigner une locomotive thèques respectives.
avec tous ses wagons, pourquoi le mot « oiseau » s’em-
ploie pour un moineau autant que pour un condor des La langue et la grammaire sont les énièmes ZAD –
Andes, sous l’efet de quelles manigances complotistes le zones à démolir – de militants égocentriques gagnés
mot « microscopique » est à ce point visible à l’œil nu et, par l’ennui civilisationnel et l’inculture d’atmosphère.
inalement, pourquoi le mot « invisibilisation » n’a rien Agitant les derniers hochets marketing du moment,
d’invisible. Avouons toutefois que sur ce dernier point, ils continuent à ânonner mécaniquement que « la
on gagnerait à confondre les mots et les choses. langue est fasciste ». Tellement fasciste qu’elle a permis
à Roland Barthes, en son temps,
Face à une ribambelle de pseudo-linguistes atterrants, de dispenser toute une année de
désireux de libérer notre langue de carcans imaginaires cours sur le « désir de Neutre ».
qu’ils rêvent par tous les biais d’objectiver ain de leur Tellement fasciste, qu’elle autorise,
opposer des actes de résistance admirables, Jean Szla- à présent, l’ouvrage oiciel de la
mowicz énonce avec érudition et humour des vérités Cité internationale de la langue
qui fâchent. Non, le genre, en grammaire, n’est pas un française (Villers-Cotterêts), dirigé
marquage d’opposition sexuelle, mais d’opposition par la philologue Barbara Cassin, à
tout court, le masculin et le féminin servant à créer des se fourvoyer dans la syntaxe de la
nuances et des diférences (galet/galette, herbe/herbage, dernière phrase des Mots de J.-P.
moteur/motorisation, médecin/médecine...) et non à Sartre, adaptée pour l’occasion au Jean Szlamowicz
sexuer la langue : un radiateur n’a rien de masculin, pas thème de la langue (« une langue (préf. Nathalie
plus qu’une fenêtre n’a quelque chose de féminin. Oui, qui les vaut toutes et qui [sic] vaut Heinich), Le Sexe
et la Langue : petite
comme dans la majorité des langues, le masculin est n’importe laquelle »). Terrible grammaire du genre
généralisant et a une valeur de neutre : on va chez le coif- défaite – la pire de toutes – pour les en français, où
feur même si la personne qui s’occupe de nous est une déconstructeurs d’hier, de se voir l’on étudie écriture
inclusive et autres
coifeuse. Le jarawara (Amazonie) est, nous apprend-il, anéantir par la langue des démolis- dérives militantes,
l’une des rares langues où le féminin a une valeur géné- seurs d’aujourd’hui. • Intervalles, 2023.

67
L’INDIGNE GEORGES
DESPAUX
Par Patrick Mandon

Georges Despaux, peintre de l'horreur

Le roman de Cécile Chabaud retrace de Buchenwald.

C
l’étrange parcours de Georges ertains d’entre nous vivent entre chien
Despaux(1906-1969). Ce collabo et loup : dans la lumière, ils se perdent,
notoire a été déporté par les nazis dans l’ombre, ils s’égarent. Ils incarnent
notre humanité inquiétante et pitoyable
à Auschwitz et Buchenwald puis et, parfois, admirable. C’est le travail de
condamné à l’indignité nationale à l’écrivain de remonter la piste qui mène
de leur déchéance à leur énigme. Cécile
la Libération. L’horreur des camps Chabaud est un écrivain.
a pourtant révélé chez ce marginal Pendant la guerre, M. Mélenchon aurait-il été résis-
une grande humanité.
D.R.

tant ou prudent ? Maquisard en blouson de cuir ou

68
petit pépère du peuple en charentaises ? Ne pouvant le signalait à la mémoire de presque tous ceux qu’elle
répondre pour moi-même, je ne saurais me prononcer a rencontrés. Elle a tenu tête à l’illusion de l’évidence,
pour notre trotskyste d’arrondissement. Mais je l’ima- elle a trouvé une ligne d’espoir. Elle tenait son afaire,
gine sans peine, à la Libération, en imprécateur de qu’elle pouvait faire basculer dans l’univers hautement
prétoire. Les coupables, réels ou supposés, auraient-ils révélateur du roman.
eu la moindre chance devant ce justicier expéditif qui
se serait levé tôt pour requérir, ce « matin du 6 décembre Les métamorphoses
1945, où s’ouvrait le procès d’un salaud » ? C’est à Auschwitz, où il est enfermé peu de temps, et
surtout à Buchenwald, dans un univers de pure cruauté,
C’est compliqué ! qu’il va se révéler tel qu’en lui-même : amical, protec-
L’homme que l’on va juger, à Pau, se nomme Georges teur, sensible, talentueux. Il dessine sur des feuilles
Despaux (1906-1969). Soufreteux, contrefait, il a l’ap- de fortune ; ses œuvres éblouissent ses codétenus,
parence de ces personnes prodigieusement maigres, les divertissent : il est solidaire, estimé, reconnu. Cet
avec, dans le regard, un relet de lassitude et de découra- ancien de la collaboration, en quittant ses vêtements
gement, et que l’on appelait les déportés. D’ailleurs, c’est souillés d’ordures morales pour le pyjama rayé des
un déporté : d’abord à Auschwitz, ensuite à Buchenwald, martyrs, consent enin à baisser sa garde de crapulerie
où il se lie d’une amitié fraternelle avec Samuel, un juif et trouve sa rédemption. Georges était doué, il possédait
originaire de Louvain, en Belgique. Pourtant, peu de toutes les qualités qui font les vies réussies : quelle faille
temps avant sa déportation, il avait écrit des articles originelle n’avait cessé de grandir en lui, de diviser son
éclaboussés d’une tache indélébile d’encre antisémite, être, d’égarer sa raison, de le discréditer ? Dans le camp,
dans une feuille de chou éditée par la branche locale du il s’attache à Samuel, se prive de pain pour le nourrir,
Parti populaire français (PPF), fondé par Doriot, que le sauve de la mort : Samuel est juif, de cette « race »
Sophia Chikirou croit reconnaître dans Fabien Roussel, qu’il disqualiiait dangereusement dans ses articles
actuel chef du Parti communiste, auquel appartenait d’agitateur plébéien. Ce faisant, il n’assure nullement
avant sa conversion au nazisme ce même Doriot ! son avenir : ce cloaque d’extermination abolissait tout
espoir de survie. Il survivra, cependant, et Samuel
Contre l’illusion de l’apparence aussi2. Néanmoins, en 1945, peu après sa libération,
Cécile Chabaud ne dissimule rien des fautes, ni rien Georges Despaux, collabo notoire, est condamné à l’in-
de leur gravité, de ce personnage auquel elle donne dignité nationale. Par la suite, il abandonne sa famille,
un destin : de cet homme qui eut une existence il se retire du monde, se métamorphose encore, cette
physique, elle fait une création littéraire. C’est par la fois jusqu’à l’efacement social, avant de mourir dans la
iction, cette chance supplémentaire accordée au réel, solitude et le dénuement complet. Samuel ne va jamais
qu’elle fonde cette personnalité trouble autant que le renier, va le secourir sans relâche, mais il était impos-
troublante, acharnée à se perdre, à s’égarer dans les sible de le maintenir longtemps au-dessus du vide.
passions tristes, à suivre les conseils de cette présence
négative qui vient le visiter régulièrement, qu’au fond Soit un homme, un Français, un
il exècre, mais dont il est sûr qu’elle nuira déinitive- sale type selon toute vraisemblance,
ment à sa réputation, jusqu’à le rendre « indigne » de plus précisément un mystère fran-
vivre au milieu des hommes… çais qu’a voulu percer un écrivain.
Cécile Chabaud a sauvé du néant
Il est malaisé d’entrer dans les détails d’un récit impec- d’abjection où il s’était jeté volon-
cablement construit. Despaux, guidé par un esprit tairement, un homme voué au
retors, emmêlé dans ses contradictions, a brouillé les malheur d’être né. •
cartes et n’a pas fait d’aveux indiscutables. Sans doute
contrarié par ses vilenies, ce diable d’homme, qui donne
À lire Du même auteur,
l’impression de se sentir surnuméraire, se cherche un Cécile Chabaud, Rachilde, homme de lettres, Écriture, 2022 ;
mauvais rôle dans le théâtre de l’Occupation. On le Indigne (illustré de Tu fais quoi dans la vie ? Prof !, l’Archipel, 2021.
sait collaborationniste, il quitte le PPF, il prétend avoir superbes dessins de
Georges Despaux),
œuvré en sous-main pour l’Intelligence Service, on le Écriture, 2023.
suspecte d’être un escroc. À la in, il est efectivement
1. « Le 11 avril 1945, des prisonniers affamés et émaciés prirent d’assaut les tours
arrêté par la Gestapo le 1er février 1944. Condamné de guet et s’emparèrent du contrôle du camp. Plus tard dans l’après-midi,
comme prisonnier politique (!), après quelques pérégri- l’armée américaine entra dans Buchenwald. […] On estime qu’au moins 56 000
nations, il parvient à Auschwitz en avril, puis rejoint prisonniers masculins, dont 11 000 juifs, furent tués par les SS dans le complexe
concentrationnaire de Buchenwald. » (Encyclopédie multimédia de la Shoah).
Buchenwald le 12 mai, jusqu’à la libération du camp, le
2. Depuis plusieurs années, une passionnante exposition intitulée « Georges
11 avril 19451. Despaux : une mémoire contre l’oubli » présente, avec un appareil
pédagogique très complet, nombre des dessins que Georges confia à son
L’auteur a d’abord mené une enquête, croisé des textes, ami Samuel Vanmolkot (pour l’état civil). Cette exposition itinérante, qui
circule partout en France, est une initiative du fils de Samuel. Elle témoigne
rencontré les derniers témoins. Quelque chose lui inter- de l’abominable condition de vie des déportés. Prochaines dates d’expo non
disait de refermer le dossier Despaux sur l’infamie qui communiquées à ce jour.

69
TÉMOINS GÊNANTS
Propos recueillis par Jonathan Siksou

n France, on ne déboulonne pas


les statues, disait Emmanuel
Macron. Pourtant, chaque mois, la Dimitri Casali.

statue d’un personnage célèbre est


déboulonnée. Le 4 décembre, à Saint- Mascareignes en 1733. Les Mascareignes rassemblaient
la Réunion, l’île Maurice et Rodrigues. Et il a fait de cet
Denis de la Réunion, c’est celle de archipel un îlot de prospérité à force de travail acharné
Mahé de la Bourdonnais qui a été et, surtout, d’intelligence. Administrateur de génie, il a
développé la canne à sucre, le café, les épices. Il a aussi
retirée de l’espace public. Dans un construit toutes les infrastructures de la Réunion et de
essai précis et enlevé, Dimitri Casali l’île Maurice, des routes, des aqueducs, des hôpitaux.
Pour cela, c’est vrai, il a employé le travail forcé d’es-
dénonce ce totalitarisme woke. claves, mais il faut rappeler que la Réunion était alors
une île déserte ! Il n’y avait rien ni personne. Sans Mahé
Causeur. La dernière statue à avoir été de la Bourdonnais, la Réunion ne serait pas ce qu’elle est
déboulonnée est celle de Mahé de la aujourd’hui.
Bourdonnais, à la Réunion. Cet homme était- Sa statue trônait en plein centre de Saint-Denis depuis
il un épouvantable esclavagiste ? 1856. L’œuvre avait même reçu un prix à l’Exposition
Dimitri Casali. L’exemple de Mahé de la Bourdonnais universelle, sous Napoléon III. Aujourd’hui, la ministre
Hannah Assouline

est excellent, car c’est un symbole très fort : marin parti de la Culture et le préfet de la Réunion ont donné leur
bourlinguer, tout jeune, il a été à la fois explorateur accord pour la déboulonner et la cacher dans une caserne
et grand navigateur (il a même perdu un bras contre fermée au public. Tout le monde ignore que cet homme
la Royal Navy !), avant d’être nommé gouverneur des avait épousé une métisse avec qui il avait eu une ille,

70
Voltaire où es-tu ?
Il y a pile un an, Causeur prenait fait et cause pour étant, c’est bien connu, un méchant esclavagiste.
le retour de Voltaire. Cette initiative lancée par La promesse de son retour a été faite à l’été 2023.
René Monier, un citoyen alarmé par la disparition Début 2024, il n’est toujours pas revenu. La déci-
de la statue du philosophe, square Honoré-Cham- sion revient au ministre de la Culture qui s’illustre,
pion (Paris 6e), a, en quelques semaines, réuni ô surprise, par son non-empressement.
près de 5 000 signatures pour réclamer le retour
de l’œuvre sur son socle. La Mairie l’avait exiltrée Plus que jamais, la pétition mérite d’être signée :
en 2020 après des dégradations en série, Voltaire www.leretourdevoltaire.com

noire, qu’il a reconnue et ramenée à Paris ain de lui cauchemar artistique. On a alors perdu énormément
donner la meilleure éducation possible. Cet épisode ne d’œuvres d’art.
dépeint pas véritablement le proil de raciste impénitent
dont parle la maire de Saint-Denis. La suppression de La nouveauté est peut-être que ce
ce monument par la France oicielle est une grande mouvement woke est marqué par la bêtise et
première pour satisfaire le wokisme ambiant. l’ignorance ?
Absolument. On assiste au choc entre la méconnais-
On déboulonne aussi des anti-esclavagistes sance de l’histoire et la bêtise. L’efondrement de l’école
et des personnages qui n’ont aucun rapport y est pour quelque chose, car l’ignorance se télescope
avec l’esclavage, comme le général de Gaulle. avec l’actualité brûlante. Les conséquences sont inquié-
De Gaulle comme Churchill sont aussi traités de supré- tantes, car si nous n’avons plus la même histoire, nous
matistes blancs. Ce mouvement de déboulonnage n’avons plus la volonté de vivre ensemble. C’est la porte
s’inscrit dans un vaste mouvement qui débaptise nos ouverte à une société de haine et de guerre civile. Les
rues et nos écoles, réécrit nos textes littéraires, cache terroristes islamistes ont compris mieux que nos
nos tableaux… Cette idéologie woke veut efacer nos dirigeants l’importance de notre histoire et de notre
racines et notre histoire. culture, raison pour laquelle l’assassin de Dominique
Bernard cherchait un prof d’histoire à assassiner ! Nous
Votre livre traite de situations similaires avons la plus belle histoire du monde. Il faut absolument
en Angleterre et aux États-Unis. En France, raviver ce sentiment national qui n’existe plus. Dans les
le président a dit : « La République ne manuels d’histoire, les termes « sentiment national » et
déboulonnera pas une seule de ses statues », « patriotisme » ont disparu depuis une vingtaine d’an-
et pourtant… nées. Enin, il ne faut pas avoir peur de contre-attaquer.
Le 14 juin 2020, Emmanuel Macron a airmé qu’en Personne ne parle des 1 250 000 esclaves blancs (four-
France, on ne déboulonnerait aucune statue, mais pas chette basse) enlevés par les Barbaresques. À notre tour
un mois ne passe sans qu’une statue ne soit déboulon- d’exiger des excuses et des réparations !
née ou dégradée. Huit jours après cette déclaration, la
statue de Colbert, devant l’Assemblée nationale, était Ne soyons pas plus woke que les woke !
recouverte de peinture rouge et d’un tag : « Négropho- Dans votre conclusion, vous écrivez que « la
bie d’État », alors que le site est surveillé par la police ! mémoire divise et l’histoire réunit ».
Un mois plus tard, c’est la statue de Joséphine de Beau- Pierre Nora disait que « l’histoire rassemble ». Je préfère
harnais qui était pulvérisée aux cris d’une vingtaine dire qu’elle réunit. Cela rejoint l’idée de Simone Veil qui
de Martiniquais indépendantistes, le MIR. Ce qui est n’aimait pas l’expression « devoir
grave, c’est qu’il y avait un cordon de CRS non loin des de mémoire ». Pour elle, il n’y avait
manifestants et qu’ils ont laissé faire ! Normalement, en qu’un devoir, celui d’enseigner et
France, quand on dégrade une statue monument histo- d’éduquer. Je trouve ça excellent,
rique, on est condamné à sept ans de prison et à une car les mémoires sont les souve-
amende pouvant aller jusqu’à 100 000 euros. La loi n’est nirs historiques de communautés
plus appliquée. souvent drastiquement opposées.
Alors que l’histoire, si on analyse
Ce n’est pas nouveau dans l’histoire qu’on froidement les faits, ne peut être
veuille effacer l’histoire… jugée. L’histoire n’est ni noire ni
Sous la Terreur surtout ! En 1793, ce mouvement a été blanche, elle est grise et c’est ce gris
terrible pour notre histoire. Les jacobins – amis de de la complexité qui la rend passion- À lire
Dimitri Casali, Ces
Robespierre – ont voulu éradiquer toutes les racines nante. Voilà ce qu’on devrait ensei- statues que l’on abat,
chrétiennes et monarchiques de la France. Un vrai gner à nos enfants. • Plon, 2023.

71
GOT,
L’ART ET LA LUMIÈRE
Par Pierre Lamalattie

Montluçon, Musée des Musiques Populaires

« Paysage toscan », par Francis Chigot


et Louis Blanchard, 1932.

72
Francis Chigot (à droite) avec ses monteurs
dans son atelier de Limoges, vers 1920.

La Cité du vitrail, à Troyes, rend


hommage à Francis Chigot, maître
verrier de la Belle Époque et de
l’Art déco. L’occasion de découvrir
les vitraux qu’il avait créés pour la
basilique de Conques, et qu’un certain
Pierre Soulages a remplacés dans
les années 1980. Prétendant tout
sacraliser, le « maître du noir » n’a
rien compris au sacré. L’un des grands vitraux de la gare de Limoges.

P
Un lycée et une association
arfois, je ne peux pas m’empêcher de me faire Il y a quelques années, le lycée technique Turgot, à Limoges,
du mal. C’est ainsi qu’en novembre 2022, j’ai a lancé le projet de retrouver et de restaurer les vitraux
tenu à suivre en direct l’hommage natio- qui ornaient la basilique de Conques avant Soulages. Les
nal à Pierre Soulages, dans la Cour carrée cartons avaient été dessinés par Pierre Parrot (1894-1979),
du Louvre. Tout ce qu’il y avait d’oiciel autrefois professeur dans cet établissement, et les vitraux
en France s’est retrouvé là pour rendre un réalisés par Francis Chigot (1879-1960).
hommage oiciel à l’artiste français le plus
oiciel. Emmanuel Macrona repris l’idée, Dans la foulée, l’association Francis Chigot (présidée par
maintes fois développée, qu’avec un tel Hubert Védrine) voit le jour en 2018, une monographie et
artiste, la lumière sortait du noir et inversement. On a de beaux livres sont édités. Enin, une exposition labelli-
entendu des phrases telles que : « Le noir avait triomphé sée « d’intérêt national » est organisée in 2022 à Limoges.
et la lumière fut. » Ou encore : « Ne travailler qu’à partir
du noir, le réinventer, y faire surgir la lumière. » Durant Une deuxième rétrospective s’est récemment ouverte à
les longueurs, j’ai repensé à une belle scène des Copains Troyes, ofrant un panorama de l’œuvre du maître. Il est
de Jules Romain où les plus hautes autorités d’Auvergne émouvant de constater que, dans cette afaire comme
inaugurent en grande pompe une statue de Vercingéto- dans un certain nombre d’autres, les avancées signiica-
rix. Cour carrée, c’était un peu la même ambiance. Puis tives en matière d’histoire de l’art résultent d’initiatives
D.R. – Crédit divers, Limoges

j’ai sursauté en entendant cette phrase : « À 12 ans, alors locales et associatives.


qu’il visitait l’abbatiale de Conques avec ses camarades de
classe, il tourna son regard vers la nef, leva les yeux vers les Un artiste dans une ville d’art
vitraux, et ce fut comme une révélation… » Il y avait donc Francis Chigot naît à Limoges où son père tient une
de beaux vitraux à Conques avant ceux de Soulages, et ce maison de décoration et de peinture sur verre. Le jeune
sont même eux qui auraient décidé de la vocation de cet Francis est formé à l’École nationale des arts décora-
artiste ! Il fallait mener une petite enquête. tifs de la ville, puis à Paris. Il reprend l’atelier légué par →

73
son père et le fait évoluer vers ce qui l’intéresse le plus, Dans son atelier, Chigot est une sorte de chef d’or-
le vitrail. Il acquiert rapidement une belle réputation et chestre. Selon l’historienne Martine Tandeau de
igure en bonne place dans les expositions internatio- Marsac, il est « un artiste peintre, décorateur de forma-
nales et universelles. Il devient aussi un partenaire de tion. Il ne l’oublie jamais dans son travail. Il suit un
référence pour les chantiers de monuments historiques. projet de bout en bout, rencontre les clients, esquisse
Pendant l’Occupation, il est notamment mis à contribu- les dessins des futurs vitraux (voir ses carnets de notes
tion pour déposer les verrières d’églises et de cathédrales quotidiens), il choisit le cartonnier le mieux adapté
ain de les protéger des bombardements. à la commande, il suit la “coloration”, c’est-à-dire le
choix des verres. Son art du détail et de coloriste fait
Chigot vit dans une ville où il n’y a guère de frontière qu’un vitrail signé Chigot porte vraiment sa sensibilité
entre artisanat, arts décoratifs et beaux-arts. C’est un d’artiste, on ne peut le confondre avec aucun autre. » Il
foisonnement général. Cette continuité a aussi une meurt à 80 ans en se levant pour aller travailler !
dimension sociale. Divers métiers se côtoient dans l’ate-
lier Chigot comme dans la ville de Limoges. Les jeunes Le temps du mépris
issus du monde ouvrier ou de l’artisanat sont nombreux À peine nommé ministre de la Culture, Jack Lang
à bénéicier des formations mises en place par la IIIe propose à Soulages d’intervenir sur une église de son
République. Cette « inclusivité » est bien diférente de choix. Il peut y faire ce qu’il veut ! Carte blanche !
l’esprit des avant-gardes, souvent marqué par une intel- Génie oblige ! La préférence se porte, en 1986, sur
lectualisation clivante. Conques. Et qu’importe la Charte de Venise (1964),
texte international qui, en matière de patrimoine,
Un âge d’or du vitrail empêche de détruire pour remplacer. Le public et les
Chigot entame sa carrière à la Belle Époque. C’est une experts s’opposent au projet. Rien n’y fait. Pire, les
période où le vitrail, comme tous les arts décoratifs, soutiens de Soulages tirent ierté d’avoir vaincu « un
connaît un essor considérable. Certes, il orne encore véritable village d’irréductibles ». L’art contemporain
les églises et Chigot, catholique fervent, est dans son a cette mauvaise habitude de se sentir renforcé par
élément. Cependant, le vitrail déborde désormais l’opposition des gens ordinaires.
largement l’univers religieux : il embellit nombre de
bâtiments civils tels que thermes, brasseries, gares, Du mysticisme à la
préfectures, châteaux, immeubles d’habitation, etc. mystiication
C’est un véritable âge d’or. Veillant à recruter ses colla- Le concept d’église qui prévaut à
borateurs à la pointe des nouvelles tendances, Chigot Conques est celui d’un lieu vide
va faire évoluer son travail de l’Art nouveau vers l’Art qui aide à faire le vide. Les vitraux
déco durant l’entre-deux-guerres. Et ses techniques de Soulages, simples verres
évoluent aussi. Il commence avec la peinture sur verre, translucides, mettent en scène,
qui permet des formes luides, parfaitement dans l’es- en réalité, une sorte de cliché
prit de l’Art nouveau, puis considère qu’un vitrail doit touristique de la contemplation.
afronter le verre lui-même. Il a envie de le couper, de le Pour s’en convaincre, il suit de
cisailler. Il crée des motifs en assemblant des morceaux. parcourir les écrits de certains À voir absolument
À cette période, sa prédilection porte sur les verres contemplatifs, comme le Château « Francis Chigot :
un monde de
américains qui, comme dans les fameuses créations de l’âme de hérèse d’Avila. Cette lumières », Cité du
Tifany, ont des matières diaprées. Après la Première nouvelle conception paraît donc vitrail, Troyes, du
Guerre mondiale, son style s’épure et il recourt volon- totalement anachronique, s’agis- 28 novembre au 10
mars 2024.
tiers à des verres plus simples, parfois gravés de stries, sant d’une basilique romane béné-
picots et reliefs divers. dictine, jadis pleine de couleurs et
visant à l’enrichissement de l’âme.
Conques, chef-d’œuvre Art déco La religion se présente alors prin-
Juste avant la Seconde Guerre mondiale, les Bâtiments cipalement comme un ensemble
de France lancent un concours pour un nouveau décor de récits (Bible, vie des saints,
à Conques. La basilique a en efet perdu presque tous etc.) et les églises foisonnent de
ses vitraux depuis un incendie déclenché par les protes- ces histoires en images. C’est en
tants au xvie siècle. Chigot et Parrot sont choisis. Mais le s’inscrivant dans cet esprit que
chantier ne débute qu’à la Libération et s’achève en 1952. Chigot a produit ses verrières : ici,
Ces 110 vitraux, aux teintes ocre et aux formes géomé- la vie de saint Norbert, là, celle
triques, donnent à l’ensemble une tonalité à la fois puis- de sainte Foy, etc. La conception À lire
François Landries et
sante et retenue, en accord avec le lieu, et constituent un incarnée par Soulages peut être Martine Tandeau de
cycle Art déco d’une exceptionnelle qualité. Notons au qualiiée de négative (ou encore Marsac, Ce que maître-
passage que la légende selon laquelle Soulages aurait vu d’apophatique) en ceci qu’elle verrier veut dire :
Francis Chigot (1879-
ces merveilleux vitraux à l’âge de 12 ans, soit en 1931, est élimine tout ce qui pourrait 1960), Mon Limousin,
pure afabulation. rappeler la vie terrestre. • 2022.

74
LA BOÎTE DU BOUQUINISTE
Par Thomas Morales

Les bouquinistes virés des quais de


Seine par la Ville de Paris ont trouvé
refuge à Causeur. Jusqu’à la fin des
JO, la rédaction vous ouvre leur boîte
à vieux livres.
Le Sucre, de Georges Conchon

G
eorges Conchon (1925-1990) n’avait pas
la tête de l’emploi. Ne vous iez pas à son Georges Conchon.
faux air de Philippe Castelli et à son emploi
hautement symbolique de secrétaire des illustré par Ferracci, l’aichiste star des seventies, qui a
débats au Sénat. Ce fonctionnaire d’élite, paru aux éditions Albin Michel.
proche de Michel Rocard, ancien condis-
ciple de Giscard, ami de Jean Carmet et de De quoi s’agit-il ? Du marché à terme des marchan-
Gérard Depardieu, aimait pointer la rapa- dises qui fait grimper artiiciellement le prix du sucre,
cité des hommes. Le système ne lui résis- de la faillite des boursicoteurs, de la gabegie des grandes
tait pas, il le décortiquait et le dépeçait avec une vora- institutions et du silence complice de l’État. Le sujet
cité jouissive, qu’il s’attaque à la décolonisation ou à la est complexe, vitreux, inlammable, même son héros
dinguerie des marchés inanciers, son réquisitoire drôle malheureux, Adrien Courtois, inspecteur des impôts
est toujours férocement d’actualité. Sous cette igure tentant de faire fructiier l’héritage de son épouse, phar-
placide, vaguement ennuyeuse, la pipe inamovible, se macienne à Carpentras, n’y comprend plus rien. « Mais
cachaient un pamphlétaire rigolard, un écrivain révolté le principe du marché à terme, son charme, sa glorieuse
en costume trois-pièces et un habitué des listes des incertitude, c’est justement la spéculation sur l’imprévi-
meilleures ventes. Conchon, aujourd’hui honteuse- sible », avance l’auteur, un brin goguenard. Conchon,
ment oublié, a été honoré tout au long de sa carrière. c’est Albert Londres chez les Pieds nickelés, la rigueur
Dès 1956, il a reçu le prix Fénéon pour Les Honneurs d’une enquête journalistique à l’américaine avec ce
de la guerre, puis, en 1960, le prix des Libraires pour style rapide, haché, tendu et un côté bistrotier, la vanne
La Corrida de la victoire, et il décrocha même le prix fuse sur le zinc. Dans ce roman de 1978 qui précède le
Goncourt en 1964 pour L’État sauvage. ilm de Rouio, on admire surtout son art du portait,
toute cette faune sauvage, remisiers, commissionnaires,
Il était invité à la table de Pivot le vendredi soir et les banquiers, hauts fonctionnaires qui
ilms adaptés ou non de ses romans connurent des court après « un petit sou » de plus.
succès au box-oice. Il a notamment écrit Sept morts Et puis, il y a Raoul d’Homécourt de
sur ordonnance pour Jacques Rouio et La Victoire en la Vibraye, incarné par Depardieu,
chantant pour Jean-Jacques Annaud, Oscar du meilleur qui explique à Adrien Courtois les
ilm étranger en 1977. Un an plus tard, en 1978, il s’inté- mécanismes naturels de la déroute :
resse à une « vieille » afaire de 1974 où 66 milliards « Fais donc pas cette tête ! T’es pas le
se sont évaporés dans la nature. Pour tout le monde ? premier, tu seras pas le dernier. Y a
« Il en fut très peu parlé. Même dans Le Monde, dont ce pas d’exemple, pas un seul exemple,
serait pourtant assez le genre. Un moment on a pu croire tu m’entends, d’un petit spéculateur
qu’ils allaient lever un coin du voile, au Monde, mais ils qui y ait pas laissé sa chemise. Depuis
Georges Conchon, Le
l’ont vite lâché. Closed, tout de suite. Occulted ! »écrit- que le Marché est Marché, ça devrait Sucre, Albin Michel,
D.R.

il au début de ce roman sobrement intitulé Le Sucre et se savoir, et ÇA SE SAIT PAS !... » • 1978.

75
SAUTERNES OBLIGE
Par Emmanuel Tresmontant

Par peur du sucre, les Français ont renoncé à boire ce qui demeure
l’un des plus grands vins du monde, le sauternes.

Fargues peut se conserver cent ans. Dans sa jeunesse,


il offre une explosion de fraîcheur et d’agrumes.
Charlotte et Philipe de Lur Saluces.

L
Les vins de Sauternes sont un trésor e 24 juillet 2023, le marquis Alexandre de
Lur Saluces rendait son dernier soule au
national aujourd’hui mal-aimé. château de Fargues, dans lequel il vivait
Au château de Fargues, la famille depuis sa naissance en 1934, au milieu
Château de Fargues

des champs, des vignes et des forêts, à


de Lur Saluces perpétue un savoir- Sauternes. Tout a déjà été dit au sujet de
faire exceptionnel qui donne toute sa ce grand homme du vin, qui était aussi
un grand lettré, à qui son grand-père
noblesse à ce précieux nectar. Eugène (ami de Charles Maurras) faisait

76
lire les sermons de Bossuet à l’âge où, d’ordinaire, on Aujourd’hui, produire un grand vin de Sauternes
collectionne les images de pin-up hollywoodiennes ! relève du pur sacerdoce, car sa consommation s’est
Alexandre de Lur Saluces avait été le propriétaire du efondrée. Les sauternes représentent 0,1 % de la
mythique Château d’Yquem, de 1968 à 2004, jusqu’à ce production et 0,4 % du chifre d’afaires des vins de
que Bernard Arnault le rachète avec le projet explicite Bordeaux… Jusque dans les années 1950, c’était l’âge
de produire un vin de Sauternes plus « accessible ». d’or, on servait du sauternes à l’apéritif dans des verres
en cristal de Baccarat. Yquem se vendait trois fois plus
Ne partageant probablement pas cette philosophie, cher que les plus grands vins rouges de Bordeaux !
le marquis, tel le roi Lear, s’était alors replié en son Aujourd’hui, son prix est à peine celui d’un modeste
château de Fargues, une forteresse du xiiie siècle, et deuxième grand cru classé de Pauillac. Et que dire de
propriété de la famille depuis… 1472 ! (L’arbre généalo- tous les autres ? On trouve des bouteilles de sauternes
gique des Lur Saluces remonte aux Capétiens, ce qui en à 30 euros, alors que chaque pied de vigne ne donne
fait l’une des plus vieilles familles de France.) Sorti du qu’un petit verre de vin. Les 140 producteurs de
Moyen Âge avec tous ses fantômes, le château est une Sauternes et de Barsac en sont ainsi réduits, pour
merveille qu’il faut absolument visiter, à l’image d’ail- beaucoup, à faire du vin blanc sec, plus facile à écouler.
leurs de tout le Sauternais, dont les paysages évoquent
ceux de la Toscane vallonnée. Encore un trésor national dont plus personne ne parle
alors qu’il faudrait le redécouvrir de toute urgence.
Vingt ans après, c’est peu dire que les sauternes élabo- Oubliez votre peur du sucre et allez vous immerger
rés à Fargues ont dépassé en grandeur ceux de son dans cette petite oasis de civilisation entourée de pins
illustre voisin : sans aucun marketing, les Lur Saluces, et de murs de pierres sèches. C’est dans cet écosys-
père et ils, ont inventé ici un luxe artisanal et paysan, tème préservé que les brumes automnales venues de
ancré dans la terre et soumis au rythme des saisons. la Garonne et du Ciron permettent l’apparition de la
Ils ont appliqué à leurs vignes des gestes ancestraux, toujours mystérieuse « pourriture noble » : un cham-
ainsi que nous l’explique Philippe de Lur Saluces, le pignon auquel les savants ont donné le nom austère de
troisième enfant d’Alexandre, auquel celui-ci a peu Botrytis cinerea (la cendre). Partout ailleurs, le botrytis
à peu conié les rênes du château, après une période est un parasite ; à Sauternes, c’est de l’or ! De septembre
d’épreuves initiatiques dignes des chevaliers de à novembre, il conit les raisins en évaporant leur eau
la Table ronde… « En hiver, on taille et on brûle les et en concentrant leurs sucres et leurs parfums. Mais la
sarments ; au printemps, on laboure légèrement les sols vision de cette pourriture noire faisait peur ! Au xviiie
sur lesquels on répand un peu d’engrais naturel et on siècle, les négociants de Bordeaux n’osaient pas dire la
attache les vignes aux piquets de bois avec de l’osier ; vérité à leurs clients hollandais, anglais et américains,
l’été, on les efeuille, on ramasse le foin pour faire du ils en avaient honte. Le secret du sauternes n’est donc
fumier et on restaure les barriques ; l’automne, enin, connu que depuis deux siècles à peine. « Pour obtenir
on récolte les raisins à la main, dans des paniers en bois le botrytis, on ne peut pas traiter les vignes chimique-
de peuplier colmatés avec de la cire rouge… » ment, sinon, il disparaîtrait : aucun vin n’est donc plus
naturel et sain que le sauternes ! » s’enlamme Philippe
Philippe et son épouse Charlotte (issue d’une noble de Lur Saluces dont le regard ressemble soudain à
famille vendéenne, les Boux de Casson) forment un celui de ses ancêtres qui avaient bouté l’Anglais hors
couple fusionnel. Avant de rejoindre le château de de France aux côtés de la Pucelle…
Fargues en 2004, à la demande du marquis, ils ont vécu
longtemps à l’étranger, et notamment en Chine. Cette Comment boire un Fargues ? Jeune : avec des huîtres
expérience est aujourd’hui bien utile pour vendre du et des saint-jacques ; vieux, avec un roquefort bien
sauternes à des consommateurs asiatiques qui ignorent crémeux, un ris de veau à la trufe, un homard rôti…
totalement l’idée d’accords mets-vins, puisque tous les Avec seulement 20 000 bouteilles par an, Fargues
plats sont posés sur la table en même temps pendant le incarne la quintessence aristocratique de Sauternes.
repas. Après la mort de son père, Philippe s’est retrouvé Ses nectars sublimes, gorgés de sève, peuvent se conser-
en pleine lumière, face aux médias du monde entier, ver cent ans (en vieillissant, ils acquièrent des notes de
avec, sur les épaules, le poids d’un héritage familial safran et d’écorce d’orange).
écrasant : « Je redoutais les acabailles, la fête qui marque
la in des récoltes avec les vendangeurs ; c’est un rituel Si vous leur rendez visite, Charlotte et Philippe vous
très important au cours duquel la plus jeune des vendan- conseilleront des millésimes déjà anciens à des prix qui
geuses fait un discours et donne ensuite la parole au ne relètent pas l’énormité du travail accompli, comme
propriétaire. C’est à ce moment-là que la relation avec les la cuvée 1996 (60 euros) ou la 2002 (80 euros). •
ouvriers se forge et que l’on gagne leur respect, ou pas…
Les vendangeurs de Sauternes sont l’élite, car ils doivent www.chateaudefargues.com
savoir récolter chaque grain à la main, par tris successifs. À visiter :
La Maison du Sauternes. Créée en 1979 au cœur du village, cette association représente
Je leur ai dit qu’ils n’étaient pas là seulement pour ramas- les 140 châteaux de l'appellation. Millésimes de 1976 à 2022, c'est la plus grande cave à
ser du raisin, mais qu’ils étaient là pour faire Fargues ! » Sauternes du monde ! Prix vignerons. www.maisondusauternes.com

77
TA N T QU’IL Y AURA DES FILMS
Par Jean Chauvet
Le grand retour de Pascal Thomas, un rôle en or pour Daniel Auteuil, un ilm grec
en forme de ratage intégral. Ainsi va le cinéma européen en ce début d’année, entre
plaisirs et déconvenue.

Allons-y ! par des amateurs au charme fou ? Un petit bijou de


comédie romantique rurale coproduit par une société
de production baptisée « Les Films du chef-lieu » : on
Le Voyage en pyjama, de Pascal Thomas
ne saurait trouver appellation plus appropriée ! Sur
Sortie le 17 janvier 2024
le ton de la chronique, comme Jean Renoir, Maurice
Pialat, Jacques Rozier ou Bertrand Tavernier, Pascal
Pascal homas n’a pas la carte. Cette fameuse carte homas saisit sur le vif la vie de ces jeunes gens de
germanopratine inventée par Jean-Pierre Marielle la campagne avant la catastrophe urbaine. Sous les
et ses copains du conservatoire pour se moquer du blagues et l’humeur rigolarde, une sourde mélancolie
petit monde fermé du cinéma hexagonal. Mais la très fait son apparition. Dès son deuxième ilm, le cinéaste
sérieuse Cinémathèque française a ini quand même installe ainsi sa « petite » musique.
par lui rendre hommage l’an passé sous la forme
d’une rétrospective bienvenue et méritée. Depuis 1972 Dix-huit ilms suivront jusqu’à ce Voyage en pyjama
et la sortie du merveilleux Les Zozos, le scénariste qui inaugure cette nouvelle année. Entre-temps,
et réalisateur n’a cessé d’enchanter ses spectateurs. Les Maris, les femmes, les amants ; La Dilettante ;
Comment ne pas se souvenir du ilm suivant, Pleure Mercredi, folle journée ; Mon petit doigt m’a dit et À
pas la bouche pleine, avec son impeccable casting cause des illes, entre autres, ont distillé leur indé-
mené tambour battant par les professionnels Jean niable capacité à rendre heureux les spectateurs. Sa
Carmet, Bernard Menez et Frédéric Duru, secondés recette, de jolis scénarios inement ciselés, des dialo-
gues malicieux et des acteurs qu’on sent portés par la
joie de jouer devant cette caméra qui les aime. On s’en
voudrait de ne pas citer également Ensemble, nous
allons vivre une très très grande histoire d’amour…,
ilm méconnu et pourtant l’un des plus réussis à nos
yeux. Cette adaptation de Fais-moi très mal, mais
couvre-moi de baisers – un ilm de Dino Risi coécrit
avec les géniaux scénaristes italiens de la grande
époque, Age et Scarpelli – est une comédie pleine
d’allant incarnée à la perfection par Marina Hands,
Julien Doré et Guillaume Galienne dans le rôle hila-
rant d’un tailleur sourd et amoureux.

Avec son nouvel opus, Le Voyage en pyjama, le cinéaste


signe donc son 20e long-métrage. Il y raconte les tribu-
lations, notamment cyclistes, d’Alexandre, un quadra-
génaire qui décide de se réconcilier avec son passé. Il
entame un voyage pour retrouver tous ceux qui ont
compté dans sa vie : ses amis, mais aussi ses ex qui le
maudissent autant qu’elles le regrettent. Retrouvant
Numéro 7/Les Films Français

pour la septième fois le comédien Alexandre Lafau-


rie, il lui conie ici le rôle principal et la réussite du
ilm tient autant à ce choix qu’à celui de ses parte-
naires, parmi lesquels Pierre Arditi, Constance Labbé,
Irène Jacob, Lolita Chammah et Hippolyte Girardot.
Pascal homas apporte sa modeste mais réjouissante
contribution aux débats sur l’éternelle thématique des

78
Courage, fuyons !
relations hommes-femmes. Il n’est pas certain que sa
vision mesurée coche les cases de l’hyperféminisme
en cours et c’est… tant mieux. Comme Victor, son
héros, le cinéaste préfère les petites routes improbables Pauvres créatures, de Yorgos Lanthimos
aux grandes voies toutes droites et Sortie le 17 janvier
convenues. Et nous avec lui. Il nous
invite à rêver le monde en prenant
le temps de vivre, sans se faire,
pour autant, d’illusions excessives.
Là résident sa force et son charme
de conteur mi-lunaire, mi-lucide.
On ne saurait alors résister à sa
nouvelle invitation au voyage. •

 ourquoi pas ?
Un silence, de Joachim Lafosse
Sortie le 10 janvier 2023

Le cinéaste belge Joachim Lafosse excelle dans l’anato- Le cinéaste grec Yorgos Lanthimos est depuis son
mie de la cellule familiale, comme il l’a déjà prouvé avec troisième ilm, Canine, sorti en 2005, une créature du
d’incontestables réussites : À perdre la raison, L’Écono- Festival de Cannes. Il a remporté successivement, entre
mie du couple et Les Intranquilles. Il revient cette fois 2009 et 2017, les prix Un certain regard, ceux du Jury et
avec Un silence, soit une proposition très stimulante du Scénario. Franchissant une à une les marches de la
tirée d’un fait divers qui s’est déroulé en Belgique. Ou provocation gratuite et esthétisante, Lanthimos déroule
plutôt, un fait divers dans un fait divers puisqu’il s’agit sa carrière comme un général en campagne. Chacun de
de l’incroyable découverte des pratiques pédophiles de ses ilms se veut être un coup de tonnerre dans le calme
l’avocat d’une victime de Marc Dutroux ! On ne saurait du cinéma européen. Il revient cette année avec Pauvres
faire plus abyssal et vertigineux. Le ilm ne pourrait être créatures, un pseudo brûlot néoféministe, à travers le
alors que l’illustration de cette abominable vérité, une récit de l’émancipation d’une jeune ille dans une
énième variation d’un délinquant sexuel. Mais comme « comédie noire surréaliste et rétrofuturiste » (sic) dont
Films du Losange – Searchlight Pictures

le titre l’indique explicitement, les naïvetés visuelles autant que


Lafosse s’intéresse d’abord et avant les outrances narratives donnent
à tout à celle qui s’est tue durant des seulement à sourire amèrement. On
années pour préserver son avocat se demande ce que William Dafoe,
de mari : l’épouse, donc, incarnée Emma Stone et Mark Rufalo sont
à la perfection par Emmanuelle allés faire dans cette galère qui ne
Devos. Face à elle, Daniel Auteuil les ménage guère. On soufre même
est impressionnant de vérité, de pour eux durant cent quarante et
justesse et de complexité, de force une minutes : pauvres créatures,
et de fragilité. • pauvres acteurs, pauvres de nous ! •

79
 L IBE R


LES CARNETS D'IVAN RIOUFOL
Les progressistes qui se convertissent au réel parlent
désormais comme la vieille droite pragmatique. L’année
2024 s’annonce prospère pour ces carabiniers d’opérette
et résistants de la 25e heure. Ils continuent cependant à
rejeter bruyamment « l’extrême droite », tout en tentant de
s’approprier, à leur tour, le combat contre l’islam politique.

C
e n’est pas pour me vanter, mais la nation, l’angélisme des belles âmes, la paresse
deux plus deux font bien quatre. des intellectuels, le pharisaïsme des faux gentils,
Mes détracteurs de jadis ont bonne le cynisme des donneurs de leçons, la méchan-
mine à devoir aussi admettre que ceté de la meute, le suivisme des médias restent
l’eau mouille. Marcel Aymé, une des sujets inépuisables. Mais je les vois venir, les
fois de plus, avait vu juste : « Les arrivistes de toujours. Hier, ils daubaient sur les
radoteurs inissent toujours par « déclinistes » et dressaient des listes de « réacs »
avoir raison » (Vogue la galère). ou de « fachos ». Nombreux sont les opportu-
Jean-François Kahn, que j’eus à nistes qui, voyant le vent tourner sous le poids
SA HARSIN/SIPA

mes basques comme un sparadrap, disait vrai des évidences, virent de bord. Les progressistes
dans son obsession à me pister : oui, cela fait qui se convertissent au réel parlent désormais,
trente ans et plus que je me répète. Je fais profes- sans se l’avouer, comme la vieille droite pragma-
sion d’enfoncer les mêmes clous : la fragilité de tique qu’ils diabolisaient. L’année 2024 s’annonce

80
prospère pour ces carabiniers d’opérette et résis- 16 % des sondés « n’expriment pas une condam-
tants de la 25e heure. Ils se remarquent déjà par nation totale » de l’assassin du professeur Domi-
leur propension à rejeter bruyamment « l’extrême nique Bernard, tué au couteau par un islamiste à
droite », bouc émissaire qui leur permet de s’ap- Arras le 13 octobre. Rappelons, de surcroît, que la
proprier, à leur tour, le combat contre l’islam poli- jeunesse musulmane adhère à 74 % à la charia (la
tique importé. loi islamique) plutôt qu’à la démocratie. Commen-
taire de François Kraus (IFOP) : « La manière
L’idée ixe demeure ma boussole. Depuis les dont la majorité des musulmans conçoivent leur
années 1990, je martèle ce propos simple, qui rapport de la religion avec la société est en déca-
semble enin ébranler la pensée oicielle : rien lage croissant avec le reste du pays. » (Le Figaro, 13
n’est plus grave pour la France que l’immigration décembre). Le « hallal way of life » s’est banalisé
de remplacement encouragée par l’islam coloni- dans les quartiers « populaires ». La guerre civile
sateur. La colère française puise dans le senti- est au bout de ce séparatisme, si rien ne vient faire
ment d’abandon du peuple indigène, sommé obstacle à la naïveté des dirigeants et à la propa-
par des « élites » inconsistantes de disparaître gande des Frères musulmans, ce mouvement
au nom de la mondialisation, du métissage, de subversif et antisémite laissé en paix par Gérald
la créolisation. J’observe que les faits s’accélèrent Darmanin, ministre de l’Intérieur, qui préfère
et donnent raison aux Cassandre. Certes, je me interdire des mouvements de cathos intégristes
suis trompé en rejoignant, après les attentats (Civitas, Academia Christiana).
du 11 septembre 2001 contre les États-Unis,
l’utopie néoconservatrice d’une démocratie La gauche anti-Nupes, attachée à la survie de
concevable en Irak. Cette lubie passée, due à ma la France, a toute sa place dans la résistance à
solidarité de principe avec le monde occidental opposer au nouveau totalitarisme coranique et
attaqué, m’a convaincu de l’incompatibilité à la libanisation de la société. Encore faudrait-
entre l’islam et la démocratie, entre la loi d’Allah il que ces sociaux-démocrates rompent avec
et la loi du peuple. Depuis, mon atlantisme a été leur prétention à donner des leçons, comme au
également refroidi par la subversion du wokisme temps de leur hégémonie. Beaucoup de ceux qui
importé des universités américaines soumises fuient le gauchisme culturel croient camouler
aux minorités sexuelles et ethniques. leur ralliement tardif aux parias en les excom-
muniant. Renvoyer dos à dos, comme le fait
Pour le reste, les perroquets avaient tort : ils le Printemps républicain, les défenseurs de la
disaient voir dans l’immigration une « chance civilisation française et les prosélytes de l’islam
pour la France », dans l’islam une « religion de conquérant, en les associant à une même
paix et de tolérance » et dans « l’économique et « tenaille identitaire », est un raisonnement de
social » la solution universelle. Tout au contraire, faux-cul. Il annonce d’autres capitulations de la
il est urgent de s’assumer « xénophobe », « isla- part de ces prolophobes : ils redoutent d’appeler
mophobe » et « identitaire », puisque c’est le prix un chat un chat de peur de se rallier à un bon
que doit payer au clergé médiatique en déroute sens trop commun. Or la nation est une valeur
l’impatient qui veut arrêter l’invasion, dompter plébiscitée par 73 % des Français (L’Opinion, 14
l’islam et sauver l’âme française. Pas sûr que les décembre). Partout les yeux s’ouvrent devant les
plagiaires de la droite oseront suivre… désastres d’une société ouverte. Sans l’immigra-
tion massive, l’Éducation nationale serait dans
Les baratins ont assez duré. Celui-ci, par exemple, les premières places dans les classements PISA.
entendu cent fois pour relativiser la passivité de Même les syndicats d’enseignants, naguère
la contre-société face aux violences urbaines ou adeptes de l’apaisement, se raidissent devant les
aux actes du terrorisme islamiste : « À 99,99 %, pressions d’élèves ou de familles.
les musulmans sont intégrés en France. » Cette
airmation est hélas inexacte. Deux France irré- Trente ans et plus ont été perdus à cause d’idéo-
conciliables se font face. Un sondage IFOP du 9 logues arrogants qui devraient avoir des comptes
décembre révèle que 78 % des Français musul- à rendre. L’islam et l’immigration engagent le
mans voient la laïcité comme une discrimina- destin de la France, quoi qu’en pense la Macro-
tion, c’est-à-dire une injustice et une violence. nie, que ces sujets ennuient. En 2024, les diri-
72 % d’entre eux désapprouvent l’interdiction de geants mal inspirés vont devoir écouter, plus que
l’abaya à l’école, et 50 % estiment que les élèves jamais, les « ploucs » de la France « moisie ». C’est
sont en droit de ne pas assister aux cours si ceux- à eux qu’il revient d’écrire l’histoire du réveil de
ci « heurtent leurs convictions religieuses ». Pire : la France oubliée. •

81
LA PRÉFÉRENCE POUR L’AUTRE,
MÊME S’IL EST MÉCHANT…
Par Gilles-William Goldnadel
Le Conseil d’État a ordonné au ministère de l’Intérieur de permettre le
retour en France d’un Ouzbek proche de la mouvance djihadiste. Qu’en
pense le président d’Avocats sans frontières ?

J
e pointe depuis longtemps la préférence pour J’ai montré dans ma précédente chronique dans ces
l’Autre comme le signe le plus manifeste de pages que les assassinats ou les viols suivis d’éventra-
la pathologie occidentale. Si l’on doit préfé- tions de femmes juives et blanches le 7 octobre dernier
rer le lointain à son prochain, c’est donc que n’ont pas été pris en compte par les féministes gauchi-
le premier est meilleur que le second. Ce santes, qui tueraient pour un simple regard appuyé ou
racisme à l’envers est devenu aujourd’hui un comportement inapproprié, parce que, pour elles, les
tellement ordinaire qu’il semble presque à l’endroit. mâles non blancs du Hamas ne sauraient être vraiment
méchants. Je veux écrire aujourd’hui qu’un Ouzbek
Pour le dessiner de manière chromatique, une partie prodjihadiste a été épargné par la Cour européenne des
de la société occidentale daltonienne voit désormais le droits de l’homme, puis par le Conseil d’État très exacte-
blanc tout en noir. L’une des spéciicités de cette patholo- ment pour les mêmes inconscientes raisons.
gie psychologique collective se manifeste par le fait que,
pour la première fois dans l’histoire de l’Occident, c’est la Voilà un étranger, admirateur de l’islamiste Iquioussen,
population majoritaire qui subit le racisme systémique. considéré comme dangereux pour nos compatriotes par
les services de renseignement français, mais que les juges
L’autre spéciicité de cette détestation atypique est qu’elle européens puis français veulent voir revenir sur notre
a été initiée par des membres de la population victime. territoire, car il serait en danger dans son pays… dans
Pour le dire plus clairement, ce sont des Blancs d’ex- lequel pourtant il avait décidé de repartir. Je ne suis pas
trême gauche qui, dans les années 1970, ont expliqué que sûr que la Cour européenne défende le droit des hommes
les policiers français étaient des SS nazis, que Monsieur sans défense ni que le Conseil défende le droit d’un État
Dupont-Lajoie, le Français moyen, était un beauf à béret protecteur.
raciste et pétainiste, et que, par voie de conséquence,
la population étrangère immigrée, et principalement On avait connu pire : la France condamnée par la justice
l’Arabe anciennement colonisé, était le nouveau Juif. européenne pour avoir expulsé vers son pays l’Algérie
un terroriste islamiste condamné. Une expulsion jugée
C’est à ce moment précis que SOS Racisme posa une fautive, car l’expulsé s’exposait à quelque péril en rentrant
petite main jaune sur la poitrine de ses potes. Puis, chez lui. Preuve étant ainsi rapportée que l’on préfère
quelques décennies plus tard, les compagnons de Mélen- voir les siens innocents encourir des risques plutôt que
chon, lors d’une manifestation islamiste, épinglèrent une l’Autre, même s’il est méchant. À ce stade, on peut parler
étoile jaune sur le torse de leurs amis soi-disant victimes de pathologie suicidaire.
de l’islamophobie. L’un des drames les plus consé-
quents de ce psychodrame consternant habite dans le Enin, de grâce, que l’on m’épargne le couplet sur l’État
fait qu’une partie de la population immigrée a ini par de droit. Un État de droit à la carte n’est pas le droit. Non
adhérer à ce scénario plus hystérique qu’historique selon plus que la justice à la tête du client n’est juste. Les mêmes
lequel il serait vain de se battre pour progresser tant les qui voudraient religieusement respecter les décisions
dés seraient pipés. Il est diicile de résister au confort d’une Cour européenne, dont on sait les tropismes idéo-
tentant d’une idéologie victimaire. logiques, ne sont en rien gênés par le fait que les migrants
illégaux piétinent notre droit des étrangers. Les mêmes
De l’autre côté de l’océan Atlantique, sur la base d’autres qui nous expliquent doctement que les juges du Conseil
références historiques, le même racisme a été installé sur d’État ne sauraient se tromper, militent pour la sainte
fond de Black Lives Matter. Dans une récente interven- rébellion écologique et la pieuse désobéissance civique.
tion, j’ai montré comment les juifs blancs américains en Ces mêmes sont des tartufes en robes de Justes.
faisaient les frais. Mais là où cette dilection pour l’altérité
prend un tour suicidaire, c’est quand la préférence pour Je n’ai rien contre l’Autre, sauf s’il est méchant. Je n’ai
l’Autre s’applique... même quand celui-ci est méchant ! rien contre lui, mais je suis pour les miens. •

82
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