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Philippe Garrigues

Techniques analytiques

et chimie de
l’ environnement
Philippe Garrigues est Directeur de Recherche CNRS à l’Institut
des Sciences Moléculaires de l’Université de Bordeaux.

Le présent chapitre est orga- qui accompagnent la vie des


nisé en quatre parties : sociétés d’aujourd’hui et les
– les progrès de l’analyse demandes des citoyens ont
chimique sur les trente der- conduit à faire adopter des
nières années ; ces progrès conventions, directives et
sont liés à l’amélioration des règlements pour contrôler
techniques et des instruments l’utilisation des milieux na-
analytiques ; turels. Les principales sont
– les nouveaux paradigmes rappelées dans l’Encart :
apparus à l’occasion de l’ap- « Conventions, directives et
plication de la chimie analy- règlements pour la santé et
tique à l’environnement ; l’environnement ». Tous ces
–  les problèmes posés par les documents comportent des
« contaminants émergents » annexes qui mentionnent des
des années 2010 –  essentiel- listes de produits chimiques
lement les nanomatériaux et concernés en priorité et pour
les microplastiques ; lesquels des solutions sont à
– les futures directions qui trouver.
s’imposent en matière de Les objectifs de préser-
recherche. vation de l’environnement
contenus dans ces directives
interpellent au premier chef
1 Les progrès de
l’analyse chimique :
une longue histoire
la chimie. Il y a en effet de
plus en plus de substances
chimiques qui sont produites
dans le monde. La genèse du
1.1. Une nécessité face
règlement REACH vient d’ail-
aux nouveaux règlements
leurs du constat par l’Union
La prise de conscience des Européenne, en 2006, que sur
atteintes à l’environnement 100 000 substances chimiques
Chimie et expertise, santé et environnement

Conventions, directives et règlements pour la santé et l’environnement

REACH (Registration, Evaluation, Authorization of CHemicals)


REACH est une réglementation européenne entrée en vigueur le 1er juin 2007 sur l’enregis-
trement, l’évaluation, l’autorisation et les restrictions des substances chimiques. REACH
rationalise et améliore l’ancien cadre règlementaire de l’Union Européenne (UE) sur les
produits chimiques.

Ses principaux objectifs sont :


–  d’assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement contre
les risques que peuvent poser les produits chimiques ;
–  de promouvoir des méthodes d’essai alternatives (limitation des essais animaux) ;
–  d’assurer la libre circulation des substances au sein du marché intérieur et de renforcer
la compétitivité et l’innovation.
REACH fait porter à l’industrie la responsabilité d’évaluer et de gérer les risques posés
par les produits chimiques et de fournir des informations de sécurité adéquates à leurs
utilisateurs.

Directive cadre européenne sur l’eau 


La directive-cadre sur l’eau (DCE) est une directive européenne adoptée le 23 octobre 2000.
Elle a pour but d’établir une politique de l’eau commune pour les États européens :
–  elle réglemente et vise à réduire la pollution de l’eau et des écosystèmes aquatiques ;
–  elle protège des effets des inondations et sècheresses ;
–  elle promeut l’utilisation durable de la ressource en eau.
Convention de Stockholm
La convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants est un accord internatio-
nal, signé par 151 pays, et qui vise à proscrire l’utilisation de certains produits polluants (POP*).

Convention OSPAR (pour Oslo-Paris) 


La convention OSPAR, convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique Nord-
Est, entrée en vigueur en 1998, encadre la coopération internationale pour la protection
du milieu marin.

* POPs (Polluants Organiques Persistants) : les POPs sont l’ensemble des molécules organiques répon-
dant à quatre critères : la toxicité pour la santé ou l’environnement, la persistance des substances
dans l’environnement car non dégradées par les mécanismes biologiques naturels, la bioaccumulation
dans les organismes les ayant ingérés, et le transport à longue distance qui a pour conséquence de les
retrouver très loin du lieu d’émission.

seules 140 étaient documen- ber » (Chemical Abstract


tées en termes d’évaluation Service Number1) : à la date
du risque. Par suite du règle- de janvier 2015, 91 millions
ment REACH, il devrait y en de substances organiques
avoir 30 000 à être documen-
tées d’ici 2018. 1. Numéro de CAS : numéro
d’enregistrement d’un composé
Dans un autre regard, on
chimique ou biologique dans la
peut considérer le nombre base de données « CAS », qui
de produits chimiques enre- répertorie toutes les substances
2 gistrés par le « CAS num- décrites dans la littérature.
Techniques analytiques et chimie de l’environnement
et inorganiques ont reçu un l’analyse, de solvants, et bien
numéro de CAS ! Sur ces mil- sûr de déchets ;
lions de composés, près de –  détecter des traces et des
35 millions sont disponibles ultra-traces. Le seuil des
commercialement. En fait, on basses concentrations dé-
travaille sur un nombre rela- tectables ne cesse de dimi-
tivement faible de produits, nuer, ce qui a des influences
en termes de règlementation considérables sur la gestion
et d’inventaire, puisqu’uni- de l’environnement ;
quement 0,8 % des produits
– savoir discriminer entre
commercialement disponibles
les différentes formes mo-
et moins de 0,5 % des produits
léculaires. Ainsi, pour les
connus sont utilisés.
éléments inorganiques, les
différents états de valence 2
1.2. Quels objectifs pour diffèrent dans leurs proprié-
l’analyse chimique ? tés (exemple : entre le chrome
6 et le chrome 3, les niveaux
Devant ces énormes tâches de toxicité sont totalement
qui sollicitent potentiellement différents). La spéciation 3
la chimie analytique (Encart : est un facteur déterminant à
« L’analyse chimique : la chaîne connaître (exemples : le mé-
classique »), celle-ci porte ses thyl-mercure est plus actif
efforts sur les objectifs géné- plus que le mercure lui-même.
raux suivants : Le tributylétain, utilisé dans
–  développer des méthodes les peintures antisalissures,
quantitatives robustes et était lui aussi très biocide4).
fiables ;
–  permettre des analyses de
2. Degré de valence : la valence
plus en plus rapides et aisées d’un élément chimique est le
à mettre en œuvre in situ ; nombre de liaisons qu’il peut for-
– sélectionner de bonnes mer avec d’autres éléments. Dans
méthodes pour les différents le cas d’espèces ioniques comme
les ions chrome, le degré de va-
types de matrices environne-
lence correspond à la charge de
mentales : matrices directes l’ion (Cr3+ ou Cr6+).
comme l’air, le sol, les dé- 3. Spéciation : la spéciation d’un
chets, l’eau ; matrices déri- élément chimique est la distinction
vées comme les plantes ou entre les différentes formes de liai-
les animaux. sons de cet élément dans un en-
vironnement donné. Pour le mer-
Plus précisément, la chimie cure par exemple, on différencie
analytique, pour se hisser aux ses différents degrés d’oxydation
performances nécessaires, ainsi que les différentes formes
progresse selon les lignes sous lequel on peut le trouver lié
suivantes : à des molécules organiques. La
spéciation est importante car cha-
–  s’harmoniser avec les ob- cune de ces espèces peut avoir des
jectifs du « développement propriétés de toxicité différentes.
durable » en promouvant « la 4. Au sujet des peintures biosalis-
chimie analytique durable ». sure contenant de l’étain, voir l’ou-
vrage La chimie et la mer, ensemble
Cela conduit à développer une
au service de l’homme, coordonné
instrumentation miniaturi- par M.-T. Dinh-Audouin, chapitre
sée, qui permet de limiter les de F. Quiniou et C. Compère, EDP
quantités d’échantillons pour Sciences, 2010. 3
Chimie et expertise, santé et environnement

L’analyse chimique : la chaîne classique

Une étude de chimie analytique comporte classiquement quatre phases. Les enjeux actuels
demandent des progrès sur chacune de ces phases :
1) l’échantillonnage (la préparation de l’échantillon) ;
2) la purification et le fractionnement : quand on travaille sur des matrices complexes, on
a des milliers, voire des millions de molécules. La purification et le fractionnement vont
nous permettre de caler la classe de composés qui nous intéresse ;
3) l’identification et la détection finale des composés individuels via des techniques de
plus en plus sensibles et de plus en plus ciblées sur la spectroscopie de masse dans les
dernières années ;
4) le traitement des données.

La démarche de la chimie ana- la chromatographie moderne.


lytique doit aussi s’attacher à Les années 1970 ») et la spec-
la détection des différentes trométrie de masse (voir l’En-
molécules issues d’un produit cart : « L’émergence de la spec-
par dégradation abiotique ou trographie de masse moderne.
biotique5. En effet, très souvent, Les années 1980 »).
ce ne sont pas les produits ori- Dans les années 1990 sont
ginaux qui sont toxiques, mais intervenus des développe-
les produits de leur biotrans- ments majeurs, et en premier
formation ; les produits de lieu, l’apparition de la spec-
métabolisation sont fonction-
trométrie de masse tandem.
nalisés et sont bioactifs sur les
Dans cette technique, à partir
sites biologiques.
de l’impact électronique sur
un composé qui produit une

2 L’état actuel de première série de fragments,


l’analyse chimique on recommence une étape de
fragmentation et on obtient
de nouvelles séries de frag-
2.1. L’évolution de l’analyse
ments. La connaissance de
chimique, des années 1970
l’ensemble de ces données
à nos jours
augmente considérablement
Les progrès de l’instrumen- la capacité de distinguer des
tation analytique des années molécules aux structures voi-
1970 et 1980 ont apporté des sines comme par exemple des
perfectionnements décisifs aux composés isomères qui ont les
techniques analytiques de base mêmes masses moléculaires
que sont la chromatographie mais qu’il faut distinguer
(voir l’Encart : « L’émergence de parce qu’ils peuvent présenter
des toxicités très différentes.
5. Dégradation biotique/abiotique : Parallèlement, on a pu consi-
la dégradation biotique est une dérablement accroître les
dégradation chimique résultant
limites de détection et travail-
de l’action de divers organismes
vivants, tandis que la dégradation ler quasiment au picogramme
abiotique ne fait pas intervenir (Encart : « À la conquête du
4 d’organismes vivants. picogramme »).
Techniques analytiques et chimie de l’environnement
L’émergence de la chromatographie moderne
Les années 1970

La chromatographie, schématiquement, est une technique d’analyse utilisant une colonne


dans laquelle on a mis des petites billes qui vont former un labyrinthe, et dans laquelle
on introduit un mélange de molécules. En fonction de leur taille et d’autres propriétés,
certaines de ces molécules restent attachées sur ces microbilles et vont être entraînées
séquentiellement (c’est l’ « élution ») : la molécule A, puis la molécule B, puis la molécule C…
Dans les années 1970, on avait de très grosses colonnes, qui en fait ne permettaient pas de
séparer de manière très fine les composés.
Première innovation : avec l’introduction de colonnes capillaires (30 mètres de long,
50 mètres de long, avec des diamètres de 2 à 3 millimètres), on réalise un « labyrinthe »
très puissant grâce auquel on peut séparer des familles de composés voisins les uns des
autres. C’est en particulier ce type de technique qui a permis de caractériser de manière
individuelle l’ensemble des polychlorobisphényles, constituants de nombreux mélanges
industriels comme le pyralène en France, qui a été autorisé jusqu’à la fin des années 1980.
Deuxième innovation importante : l’apparition de la chromatographie en phase liquide haute
pression (HPLC, « High pressure liquid chromatography »). Auparavant, on utilisait essentiel-
lement la chromatographie en phase gaz : on poussait des mélanges de molécules avec du
gaz pour les séparer, mais cela ne s’appliquait qu’aux molécules volatiles. L’apparition de
la chromatographie en phase liquide haute pression, au début des années 1970, a été un
événement qui a considérablement élargi le champ de la technique.
Voir aussi Chimie et expertise, sécurité des biens et des personnes, chapitre de P. Sibille,
coordonnée par M.-T. Dinh-Audouin, D. Olivier et P. Rigny, EDP Sciences, 2015.

L’émergence de la spectrométrie de masse moderne


Les années 1980

Pour une mesure de spectroscopie de masse, on bombarde la molécule à caractériser avec


des électrons. Elle se casse en de nombreux fragments que l’on peut reconnaître et qui
constituent une sorte de carte d’identité de la molécule ; on peut ainsi identifier celle-ci
quelle que soit sa matrice de départ.
Les principales difficultés pratiques venaient des problèmes de résolution, sur lesquels
des progrès importants ont été faits. Les « pouvoirs de résolution » sont passés de 100 à
1 000 ou 10 000 (c’est-à-dire que les masses moléculaires étaient définies avec autant de
chiffres derrière la virgule de la masse atomique du composé correspondant).
Dans les années 1980, on a vu apparaître des spectromètres de masse « de paillasse »,
c’est-à-dire pratiquement accessibles à tout le monde. D’autre part, on a commencé à
travailler au niveau du nanogramme d’échantillon en utilisant à la fois les techniques de
chromatographie et les techniques de spectrométrie de masse.
Voir aussi Chimie et expertise, sécurité des biens et des personnes, chapitre de P. Sibille,
coordonnée par M.-T. Dinh-Audouin, D. Olivier et P. Rigny, EDP Sciences, 2015.

Les techniques de couplage nées 1990 en ce qui concerne


entre chromatographie et la chromatographie en phase
spectrométrie de masse ont liquide. Dans les années 2000,
été mises au point dans les an- elles ont été complétées par 5
Chimie et expertise, santé et environnement

À la conquête du picogramme
Une réflexion planétaire pour situer la chimie
analytique

Notre planète, c’est un volume d’air de 3 × 1018 m3 et un


volume d’eau de mer de 1,37 × 1015 m3. Si on relarguait
trois tonnes d’un produit dans l’environnement, soit dans
l’atmosphère, soit dans la mer, on aurait une concentration
respectivement d’environ un picogramme* par mètre cube
d’air ou de deux picogrammes par litre d’eau.
Les techniques analytiques d’aujourd’hui sont capables
de mesurer des niveaux de concentration aussi faibles.
Le « picogramme par mètre cube » est ainsi devenu une
norme règlementaire sur la teneur à utiliser lorsque l’on
veut quantifier la présence dans l’air de dioxines, des pro-
duits toxiques surveillés.

* Le picogramme (pg) correspond à un millième de nanogramme


(10-12 g).

les techniques de couplage connaît une évolution continue


entre chromatographie en de ses performances du fait
phase gazeuse et spectro- des progrès des techniques
métrie de masse « qua- instrumentales.
drupôle ». Parallèlement, Ainsi, on peut signaler :
alliées au « TOF » (« time of
– une nouvelle méthode
flight », analyses en temps
d’échantillonnage ;
de vol), elles ont permis de
nouvelles diminutions des –  de nouvelles méthodes de
limites de détection et on est fractionnement chromatogra-
maintenant capable de tra- phique ;
vailler sur des concentrations –  de nouvelles méthodes de
infimes, de l’ordre de quelque détection ;
10- 15 gramme (femto­gramme). –  l’apparition de techniques
Actuellement, on peut dis- biochimiques et microflui-
poser d’appareils qui per- diques.
mettent à la fois une préci-
sion de masse très importante 2.2.1. Une nouvelle méthode
(très haute résolution) et d’échantillonnage : la micro­
une grande sensibilité pour extraction en phase solide
descendre à des seuils de L’échantillonnage a progressé
concentration très bas. par l’invention de méthodes
réalisant la microextraction
en phase solide (Figure 1).
2.2. Les dernières révolutions
Le composant de base de ces
des techniques d’analyse
méthodes d’extraction est une
Stimulée par l’ampleur des baguette de verre que l’on en-
demandes qui lui sont adres- toure d’un polymère poreux.
6 sées, la chimie analytique En fonctionnalisant le poly-
Techniques analytiques et chimie de l’environnement
extractiondu
extraction duflux
fluxde
dela
lafibre
fibrecreuse
creusede
dela
lamatrice
matricede
defiltration
filtration
etpréconcentration
et préconcentrationde del’analyte
l’analyte

fibrede
fibre desilice
silice
fondue
fondue

revêtement
revêtement
VVf
f
KKfs
fs

échantillon
échantillon
VVs CC0 Na++, ,Ca
Na Ca2+2+(MW
(MW<<30
30kDa)
kDa) analyte-PEI(MW
analyte-PEI (MW>>750
750kDa)
kDa)
A s 0
B

Figure 1
Schémas de matériel de microextraction en phase solide par baguette de prélèvement (A) ou par fibre creuse (B).
PEI = polyéthylène imine.
Source : Sawatsuk T., Shiowatanaa J., Siripinyanond A. (2006). J. Anal. At. Spectrom., 21 : 1331-1335.

mère, on le rend attractif pour liquid chromatography »), na-


le composé d’intérêt recher- nochromatographie en UPLC
ché que l’on veut extraire de («  Ultra Performance Liquid
l’air, de l’eau ou d’une solution Chromatography »), etc.
d’extraction d’une matrice. Le développement de ce qu’on
Les composés venus se piéger a appelé la « chromatogra-
sur ce polymère qui entoure phie multidimentionnelle » 6
la baguette de verre peuvent doit aussi être mentionné.
être récupérés grâce à un mé- On effectue une première
canisme de désorption, soit séparation des composés par
thermique, soit par lavage au chromatographie en phase
solvant. Différentes variantes gazeuse dans une première
de cette technique existent, colonne puis on reprend dans
utilisant des membranes, des une deuxième colonne les
fibres creuses, etc. produits séparés pic par pic.
Quand un pic passe provenant
2.2.2. De nouvelles de la colonne 1, on le reprend
méthodes de fractionnement et l’injecte dans la colonne 2.
chromatographique Si, dans le pic issu de la pre-
La phase de « fractionnement mière colonne, plusieurs pro-
et techniques séparatives » duits ont été coélués, il va y
Cut
a pu être rendue beaucoup avoir éclatement du pic dans
plus rapide grâce à l’utilisa- le passage par la deuxième 7683
ALS
tion de la chromatographie en colonne. Ces techniques ont FID1 FID2

phase liquide haute pression, permis de déconvoluer des


en particulier mise en œuvre mélanges très complexes de Colonne Colonne
1 2
à haute température. Toutes composés (Figure 2).
Deans Switch
ces techniques ont été consi- 6890N GC

dérablement miniaturisées et 6. Voir aussi Chimie et expertise,


sécurité des biens et des personnes, Figure 2
permettent de travailler avec
chapitre de G. Cognon/B. Frère,
de petits volumes de produit coordonné par M.-T. Dinh-Au- Schéma de principe
en phase liquide ; on parle douin, D. Olivier et P. Rigny, EDP de la chromatographie
maintenant de nano LC (« nano Sciences, 2015. multidimensionnelle. 7
Chimie et expertise, santé et environnement

2.2.3. De nouvelles méthodes classes de progrès qui viennent


de détection d’être cités. Sans entrer dans
En ce qui concerne la détec- les détails, on peut lister :
tion, les efforts se sont lar- – les techniques liées aux
gement focalisés sur la spec- capteurs chimiques, biochi-
trométrie de masse, et ont miques, qui utilisent des tech-
donné naissance à un fécond niques enzymatiques. Elles
développement de techniques sont des apports du milieu
apportant à la fois haute réso- de la biochimie et sont très
lution et de la haute sensibi- utilisées pour détecter très
lité grâce aux couplages entre rapidement certains contami-
spectromètres de masse et nants dans différents milieux ;
chromatographie (Figure 3). –  le développement de « poly-
L’emploi de sources d’échan- mères à empreinte molécu-
tillon par ablation laser a été laire ». Il s’agit d’une tech-
déterminant pour l’exploita- nique originale qui peut se
tion de matrices solides. révéler très précieuse dans la
recherche de contaminants
2.2.4. Apparition de connus. À partir d’une sorte
techniques biochimiques et de « patron moléculaire », on
microfluidiques peut construire un polymère
La liste des apports métho- marqué d’empreintes molé-
dologiques des recherches culaires spécifiques des com-
récentes en chimie analytique posés qu’on va rechercher :
n’est pas close par les grandes une affinité particulière en

Figure 3 ionisation
électro- analyseur Cellule de analyseur
spray quadrupôle collision à temps de vol détecteur
Couplages entre spectrométrie
de masse et chromatographie –
spectroscopie
de masse =
(SM) masse
spectrométrie de masse ; source
par ablation laser.
gaz argon
couplage
SM/SM =
séquence

CHROMATOGRAPHIE EN PHASE GAZEUSE

COLLECTEUR MULTIPLE SPECTROMÉTRIE


PAR TORCHE PLASMA
échantillon COUPLÉE À LA SPECTROMÉTRIE DE MASSE
injecteur four
aimant stratifié

détecteur
colonne
1

pompes

po

bouteille de gaz turbo


m

2
co


po
m

faisceau haut voltage


co

collecteur
cellule de collision
ABLATION LASER hexapôle
Faraday et
channeltrons Laser spectromètre
région cône/interface warp filtre et à temps de vol
torche plasma (entrée de l’échantillon) multiplicateur Daly
Analyte

Matrice

8
Techniques analytiques et chimie de l’environnement
résulte qui permet de piéger Dans un deuxième temps,
dans le milieu les composés on s’est intéressé aux PCB
recherchés ; (Polychlorobiphény les),
– on peut encore citer les aux HAP (Hydrocarbures
développements basés sur la Aromatiques Polycycliques)
micro et la nano-fluidique. On et aux P OP s (Polluant s
effectue les opérations dans de Or ganique s Per sis t ant s)
petits canaux où l’on peut réa- de manière générale. Dans
liser des réactions chimiques, ces années-là, il s’agissait
mais aussi développer des mi- d’études par familles de
crosystèmes analytiques pour composés. Les HAP sont des
travailler sur des quantités de composés aromatiques qui
prise très faibles. Un groupe n’ont pas tous les mêmes pro-
américain, par exemple, tra- priétés physico-chimiques ni
vaille avec ces méthodes sur tous les mêmes réactivités,
la détection de pesticides dans mais globalement à peu près
le sang d’agriculteurs, à partir la même structure molécu-
de prélèvements de moins de laire : ils sont dits congé-
100 microlitres. nères.
Ces développements n’ont pas D ans le s anné e s 19 8 0,
tous atteint le même degré de d’autres composés ont dé-
maturité pratique et métho- frayé la chronique : la dioxine
dologique, mais tous ont au et les furanes. Là aussi, on
moins fait l’objet de démons- avait affaire à des composés
trations de laboratoire. Ils qui étaient bien ciblés. Les
donnent l’idée de la fécondité pesticides organo-azotés,
des efforts déployés en la ma- des « pesticides de deuxième
tière et de la façon irrésistible génération », sont apparus sur
avec laquelle « les limites du le marché ; ils sont beaucoup
possible » sont régulièrement plus spécifiques, plus systé-
dépassées. miques, et ont une durée de
vie beaucoup moins impor-
tante dans le milieu que les

3 Les polluants
organiques
pesticides organo-chlorés.
Mais dans tous ces cas là,
on restait encore au criblage
3.1. Historique des composés par famille chimique ou par
organiques analysés famille d’usage. On parlait des
carbamates, on parlait des
Dans les années 1970 on s’est organophosphorés, etc.
intéressé aux pesticides orga- Dans les années 1990, on a
nochlorés, mis au premier plan commencé à s’intéresser aux
médiatique par le fameux livre détergents : les alkylphé-
de Rachel Carlson sur le DDT7. nols, les agents plastifiants,
les phtalates – beaucoup de
7. Voir le Chapitre de I. Rico-Lattes composés d’abord repérés
dans cet ouvrage Chimie et exper­ dans les stations d’épuration
tise, santé et environnement, EDP puis retrouvés dans les cours
Sciences, 2016. d’eau. On a toujours affaire à
Le DDT (Dichlorodiphényltrichloro­
un criblage à la fois par fa-
éthane) est un produit chimique
organochloré utilisé notamment mille chimique et par famille
en tant qu’insecticide puissant. d’usage. 9
Chimie et expertise, santé et environnement

Dans les années 2000, la décennies jusqu’aux années


situation devient beaucoup 2000, on n’a regardé que ce
plus confuse, du point de vue que l’on cherchait. C’était ce
du chimiste analyticien : on qui était effectivement règle-
voit apparaitre toute cette mentaire : les HAP, les PCB.
classe de composés qu’on Le choc a été déclenché par un
appelle produits pharmaceu- article du milieu des années
tiques et de soins corporels 2000 à partir des observations
(PPCP). On parle de polluants faites par l’US Geological
organiques persistants Survey sur 139 rivières : on
(POPs), de per turbateurs y voyait décrits des contami-
endocriniens, de composés nants qui n’étaient pas forcé-
CMR (cancérogène, muta- ment règlementés (Figure 4).
gène, reprotoxique). Les dé-
La grande surprise a été de
nominations traduisent des
réaliser que les composés
mélanges de genres entre
qu’on avait l’habitude de ci-
noms par propriétés de com-
bler de manière règlemen-
posés (polluants organiques
taire, comme les pesticides ou
persistants), par usage (pro- les HAP par exemple, étaient
duits pharmaceutiques), par loin d’être majoritaires. Les
toxicité, etc. Le spectre des stéroïdes, les produits phar-
produits chimiques à sur- maceutiques délivrés sans
veiller dans l’environnement ordonnance, les détergents,
devient plus confus et plus les désinfectants, les agents
complexe à saisir. plastifiants… ceux-là étaient
majoritaires (Encart : « Des
polluants d’abord insoupçon-
3.2. Les années 2000,
nés »). On a alors découvert
une prise de conscience
toute une classe de compo-
Un regard d’historien sur sés d’importance majeure
cette période récente peut pour l’environnement mais
rendre critique : pendant très qui jusqu’à présent n’avaient
longtemps, pendant plusieurs pas été ciblés et qui provenait

100
4
Concentration totale
5
Fréquence de détection
80 1
5
3 7
2
60
22
Pourcent

7 6
11
40
14
5 2
1
20
Figure 4
Résultats d’analyses faites 0
dans les rivières américaines.
de détergents
Stéroïdes

Médicaments délivrés

Plastifiants

Antibiotiques
Désinfectants

Médicaments prescrits

Antioxydants
sans ordonnance
Repoussants
d’insectes
Métabolites

de flammes

Insecticides

HAP

de reproduction

Parfums

Solvants
Hormones
Retardateurs

La diversité des polluants n’avait


pas été anticipée.
Source : adapté de Kolpin et coll.
(2002). Environ. Sci. Technol., 36 :
10 1202-1211.
Techniques analytiques et chimie de l’environnement
des usages quotidiens des
citoyens. Des polluants d’abord insoupçonnés
Cette prise de conscience PPCP : « Pharmaceuticals and Personal Care Products»
a fait l’effet d’un choc et a (PPSC)
entraîné au niveau de la plu-
part des États européens, en –  Sont dispersés de manière chronique dans l’environne-
particulier en France, des ment par les eaux usées
programmes de surveillance –  Médicaments : antidépresseurs, analgésiques, anti-
particulièrement importants. inflammatoires
L’un d’entre eux a été clos en –  Antibiotiques : sulfonamides, pénicillines, tétracyclines,
2014 par l’INERIS 8, l’ONEMA9 ampicilline, érythromycine
et d’autres partenaires, sur –  Hormones : stéroïdes les premiers à avoir été identifiés
l’analyse de l’ensemble de dans des effluents. Xéno-œstrogènes.
plusieurs familles de conta-
minants organiques sur plu-
sieurs rivières de France.
En définitive, tout produit fin du cycle de vie de ces pro-
chimique, quel qu’il soit, peut duits est laissée à l’apprécia-
se retrouver relargué dans tion naturelle des individus :
l’environnement au cours de soit ils sont mis à la poubelle,
son cycle de vie. C’est en par- soit excrétés dans la cuvette
ticulier les cas des produits des toilettes, etc. Dans tous
de soins corporels (les cos- les cas, ils finissent dispersés
métiques, les shampoings, dans l’environnement.
les savons, les lotions les
déodorants), ou des produits
pharmaceutiques pour les 3.3. Les composés issus des
hommes ou les animaux. La cosmétiques et des produits
pharmaceutiques
8. INERIS (Institut National de Le Tableau 1 donne, à titre
l’Environnement Industriel et des d’indication, le tonnage annuel
Risques) : l’INERIS a pour mis- de produits de soins corpo-
sion d’évaluer et de prévenir les
risques accidentels ou chroniques
pour l’homme et l’environnement,
liés aux installations industrielles, Tableau 1
aux substances chimiques et aux
exploitations souterraines. Site : Quantités de produits de soins corporels consommés en Allemagne (en
www.ineris.fr. Voir le Chapitre de tonnes).
É. Thybaud dans Chimie et exper­
tise, santé et environnement, EDP Produits de bain 162 300 t
Sciences, 2016.
9. ONEMA (Office national de l’eau Shampoings 103 900 t
et des milieux aquatiques) : éta-
Produits de soin de la peau 75 500 t
blissement public français de ré-
férence, sous tutelle du ministère Colorants/soins capillaires 71 000 t
de l’Écologie, du Développement
durable et de l’Énergie, crée en Dentifrices/soins de bouche 69 300 t
2006 pour accompagner la mise
Savons 62 600 t
en œuvre de la politique publique
de l’eau en France avec la Directive Crèmes solaires 7 900 t
cadre sur l’eau (DCE). Voir aussi
le Chapitre de P. Flammarion dans Parfums, après-rasages 6 600 t
Chimie et expertise, santé et envi­
ronnement, EDP Sciences, 2016.
Total 559 100 t 11
Chimie et expertise, santé et environnement

rels utilisés en Allemagne : transforment-ils en métabo-


on arrive à 600 000 tonnes de lites ? Quelle est leur toxicité ?
produits. Certes, tous ces pro- etc.
duits ne sont pas directement
toxiques, mais même à pour-
centages relativement faibles, 3.4. Les perturbateurs
ils vont contenir des antibac- endocriniens, leur
tériens, des antiseptiques, rémanence et leurs
des nanoparticules, etc., qui effets potentiels sur
au final vont représenter des l’environnement
tonnages importants qui vont
Certaines molécules trou-
se retrouver dans l’environ-
vées dans l’environnement
nement. On touche là une res-
sont des perturbateurs endo-
ponsabilité sociale du citoyen.
criniens (Encart : « Les per-
Quant aux produits pharma- turbateurs endocriniens »).
ceutiques, on sait qu’il en Leur présence a été déduite
existe une très grande variété : de déséquilibres observés sur
les antidépresseurs, les anti- les répartitions mâle/femelle
analgésiques, les anti-inflam- dans les populations de pois-
matoires, les antibiotiques – sons de certaines rivières.
avec les gros problèmes liés à
Plusieurs molécules rejetées
la résistance de certaines bac-
dans l’environnement ont
téries susceptibles de détruire
effectivement des effets de
l’efficacité des antibiotiques
perturbateurs endocriniens ;
–, et bien sûr les hormones et
les alkylphénols, les phta-
les stéroïdes qui ont été les
premiers à être identifiés dans lates, certains stéroïdes, en
certains effluents de stations particulier ceux qui sont pré-
d’épuration. sents dans les pilules contra-
ceptives, et aussi certains
Pour comprendre l’effet de pesticides organochlorés ou
tout cet ensemble de molé- organoazotés.
cules introduites dans l’envi-
ronnement par l’activité hu- À titre d’illustration, on peut
maine, et en particulier par se reporter à une étude des
l’activité domestique, il faut poissons (goujons et gar-
répondre à de nombreuses dons) vivant dans la Seine. La
questions : quelle est l’évolu- Figure 5 montre les images
tion de la consommation de ces prises sur leurs organes
produits ? Quelles en sont les sexuels ; les formes rondes
dégradations abiotiques ? Les sont des ovocytes, donc des
dégradations dans les stations organes femelles. On observe
d’épuration ? Comment se que certains poissons sont
« intersexués » : ils ont à la
fois les organes mâles et les
organes femelles.
Cette étude a été réalisée
Les perturbateurs endocriniens
sur une grande échelle, et le
Un perturbateur endocrinien est un agent qui perturbe le Tableau 2 en présente certains
fonctionnement du système endocrinien, ou plus précisé- résultats : le nombre de pois-
ment une substance ou un mélange exogène altérant les sons pêchés, le pourcentage
fonctions du système endocrinien. de mâles et le pourcentage
12 de poissons intersexués. La
Techniques analytiques et chimie de l’environnement
Figure 5
Phénomènes d’intersexualité des poissons en Seine. Photographie de
gardons et de goujons étudiés dans le cadre des effets de perturbateurs
endocriniens, et coupes de leurs ovocytes.
Source : Minier C. et coll. (2000). An investigation of the incidence
of intersex fish in Seine Maritime and Sussex regions,
analusis, 28 : 801-808.

Tableau 2
Résumé de résultats des recherches de perturbations endocrines chez les poissons de rivières de Haute-
Normandie et de l’East Sussex. Comparaison des pourcentages de poissons mâles et intersexués.

Pour­ Poissons
Nombre Poissons
centage intersexués/
Sites de Mâles inter-
de mâles poissons
­poissons sexués
(%) mâles (%)
Gamaches la Bresle – 80 79 46 58,2 2 4,3
Eu la Bresle – 76 104 56 53,8 8 14,3
Neufchâtel la Béthune – 76 37 27 73,0 7 25,9
Dampierre l’Epte – 76 37 19 51,4 0 0
Gournay l’Epte – 76 49 33 67,3 14 42,4
Elbeuf la Seine – 76 21 8 38,1 0 0
Poses la Seine – 27 44 11 25,0 1 9,1
Balcombe l’Ouse – GB 57 25 43,9 0 0
Scaynes Hill l’Ouse – GB 35 16 45,7 0 0
Total 463 241 52,1 32 13,3

Source : Minier C. et coll. (2000). 13


Chimie et expertise, santé et environnement

perturbation des populations des taux de concentration


par rapport à l’équilibre natu- de polluants de trois fois la
rel est importante. À vrai dire, concentration prédictive sans
identifier de façon irréfutable effet (PNEC, « Predicted No
la cause de ces perturbations Effect Concentration »10) pour
(en particulier l’importance certaines molécules comme
de la population des « inter- les alkylphénols, ces phéno-
sexués ») est très difficile. mènes sont multifactoriels et
Même si l’on a pu constater se prêtent mal aux prévisions.
Autre illustration de cette
pollution des rivières : le
Tableau 3 Tableau 3 compare les taux
d’œstrogènes, et en particu-
Exemples de concentrations en œstrogènes naturels et synthétiques dans
lier de l’œstrone, de l’œstra-
les eaux de rivières Concentrations minimales, maximales
et concentration médiane entre parenthèses (– : non analysé). diol et de l’éthinylestradiol,
qui entrent dans la compo-
Concentration en œstrogène (ng/L) sition des pilules contracep-
Pays tives, relevés dans plusieurs
17b-­ Éthinyl­ rivières.
Estrone Estriol
Estradiol estradiol
La pollution par les subs-
Italie 1,5 0,11 0,33 0,04 tances médicamenteuses est
Allemagne 0,1-4,1 0,15-3,6 – 0,1-5,1 un problème difficile car les
(0,4) (0,3) (0,4) stations d’épuration en ser-
vice ont souvent une efficacité
Pays-Bas < 0,1-3,4 < 0,3-5,5 – < 0,1-4,3
faible sur eux11. Le Tableau 4
(0,3) (< 0,3) (<0,1)
illustre cette situation : par
Source : Levi Y., Cargouët M. (2004). Nouveaux micropolluants exemple, on note que la car-
des eaux et nouveaux risques sanitaires, bamazépine n’est dégradée
L’Act. Chim., 277-278 : 49-56. qu’à 10 %. Beaucoup de ces
composés vont se retrouver
dans l’environnement aqua-
tique sans dégradation.
Tableau 4
Taux de dégradation de diverses substances pharmaceutiques lors du
traitement des eaux usées.

Taux
4 Les nanomatériaux et
les microplastiques :
deux contaminants
Substances émergents
de dégradation
Benzofibrate 99 % L’actualité apporte plusieurs
soucis nouveaux au-delà de
Carbamazépine 10 %
ceux qui accompagnent les
Diazépam 10 %
Diclofénac 14 % 10. PNEC : la PNEC d’une subs-
tance définit sa toxicité pour
Galaxonide 80 % l’environnement. Elle correspond
à l’estimation de la plus grande
Ibuprofène 99 % concentration pour laquelle la
Roxithromycine 45 % substance n’a pas d’effet sur
l’environnement.
Tonalide 85 % 11. Voir aussi le Chapitre de C. Lus-
son dans Chimie et expertise, santé
Source : Kreuzinger N. (2003), et environnement, EDP Sciences,
14 Institute for Water Quality, Vienna, Austria. 2016.
Techniques analytiques et chimie de l’environnement
subs t ance s médic amen-
teuses : il en est ainsi les Définition des nanomatériaux
nanomatériaux et des micro-
 Le nanomatériau est ainsi défini comme :
plastiques.
« un matériau naturel, formé accidentellement ou ma-
nufacturé, contenant des particules libres, sous forme
4.1. Les nanomatériaux : d’agrégat ou sous forme d’agglomérat, dont au moins
des origines et des 50 % des particules, dans la répartition numérique par
compositions variées taille, présentent une ou plusieurs dimensions externes
se situant entre 1 nm et 100 nm »
Les nanomatériaux (Encart :
European Commission, Octobre 2011,
« Définition des nanomaté-
révision attendue début 2015
riaux ») sont extrêmement
variés et cela complique les
débats auxquels ils donnent
lieu (voir à ce sujet le Chapitre État d’agglomération Concentration Forme
de D. Bernard dans Chimie et
expertise, santé et environne­
ment). Spéciation
de surface
Comme indiqué plus haut, Taille
pour comprendre la toxicité
Charge
d’une substance, il faut la de surface
caractériser d’une manière
complète. Cel a appar aî t
comme par ticulièrement
compliqué quand il s’agit de
nanomatériaux tant les para- Fonctionnalité Distribution
de surface des tailles
mètres requis sont nombreux
et divers comprenant par
exemple la concentration, la Porosité/surface Structure/
forme, le taux d’agrégation ou Composition cristallinité
d’agglomération, la charge de
surface, la surface spécifique,
la fonctionnalité de surface, la Figure 6
porosité et la composition de De nombreux paramètres pour caractériser les nanomatériaux.
la structure (Figure 6). Source : Hassellöv, Kaegi, 2009.

de leurs méthodes de choix,


4.2. Une analyse nouvelle et
que sont la spectroscopie de
complexe des nanomatériaux
masse et les techniques sépa-
De nombreuses méthodes ratives.
et instruments analytiques Toutes les caractéristiques
(Tableau 5), provenant lar- des nanomatériaux vont jouer
gement des laboratoires de sur leur possibilité de disso-
science des matériaux, sont lution, de déposition, d’agré-
à la disposition des labora- gation une fois qu’ils ont été
toires de chimie analytique relargués dans l’environne-
pour être appliquées aux ment. Elles doivent être mises
nanomatériaux. Cependant, en face de la chimie du milieu
pour un chimiste analyticien, en termes de pH, de force io-
ces études représentent une nique, de salinité et d’oxygène
nouvelle donne qui les éloigne dissout (Figure 7). 15
Chimie et expertise, santé et environnement

Tableau 5
Méthodes à mettre en œuvre pour caractériser les nanomatériaux.

Propriétés physico­
Méthodes de caractérisation
chimiques
Taille (distribution) microscopie électronique, microscopie à force atomique, diffusion
dynamique de lumière, analyse du suivi individuel de particules
Forme microscopie électronique, microscopie à force atomique, spectro­
scopie UV-visible (pour des nanoparticules plasmoniques)
État d’agglomération microscopie électronique, diffusion dynamique de lumière, spectro­
ou d’agrégation scopie UV-visible (pour des nanoparticules plasmoniques)
Structure cristalline­ diffraction rayons X, diffraction d’électrons
Surface/charge spectroscopie d’électrons Auger, spectroscopie des pertes d’énergie,
spectrométrie de photoélectrons induits par rayons X, RMN du solide,
z-potential, isothermes d’adsorption-désorption de l’azote
Stabilité dans le diffusion dynamique de lumière, spectro­scopie UV-visible, ICP-
temps/dissolution spectroscopie d’électrons AUger, spectrométrie par torche à plasma
couplée à la spectrométrie de masse, dosages colorimétriques
Dosage métrique Variable
Ingestion spectroscopie par torche à plasma couplée à la spectrométrie
d’électrons AUger, spectrométrie par torche à plasma couplée à la
spectrométrie de masse, microscopie électronique à transmission,
fluorescence, cytométrie en flux, analyse par activation neutronique

• Aggrégation
• Ingestion ?
• Déposition
• Toxicité ?
• Dissolution

Propriétés Chimie du milieu Interactions biotiques


• Composition chimique • pH • Biofilm
• Taille • Force ionique • Vertébrés (ex : poisson)
• Revêtement • Salinité • Invertébrés
• Potentiel Zeta • Oxygène dissous
• Forme

Figure 7
Les processus gouvernant le devenir des nanoparticules dans
l’environnement aquatique. Le devenir des nanomatériaux dans
l’environnement dépend de nombreux paramètres du milieu.

La Figure 8 détaille cette être soit organique soit inor-


situation pour une particule ganique.
de nanomatériau d’argent qui Quand cet ensemble se re-
va se composer de ce qu’on trouve dans l’environnement,
appelle un cœur, avec tout il peut donner naissance à une
16 autour une écorce qui peut myriade de réactions : diffé-
Techniques analytiques et chimie de l’environnement
Corps Ag-NP Écorce Figure 8
(structure corps-écorce)
Composition d’une nanoparticule
Ag0 Organique
d’argent : cœur et écorce, toute
Écorce
une variété d’assemblages.
Quasi-sphérique
Il y a des interactions entre le cœur
Corps ou l’écorce avec l’environnement,
Ag0 Polyvinyl-
Citrate et entre le cœur et l’écorce.
pyrrolidone
Nanotubes Tiges
Inorganique

– sulfure d’argent (Ag2S)


– chlorure d’argent (AgCl)
ENVIRONNEMENT –…
Nanoplaques triangulaires

Figure 9
Ag (0) Oxydation : point de départ
Écorce Ag2S de la transformation Transformation du nanoargent
+O2 Oxydation
dans l’environnement. Les voies de
S
2–

transformation sont complexes.


Ag (0)

Ag2S NPs Les transformations changent Source : d’après Levard et coll.,


Écorce Ag2O
en
t • Les propriétés de surface EST 2012
tem
h au ntré • La sulubilité, la biodisponibilité ?
2– ] ce
[S con –
Cl • La toxicité
Écorce AgCl
Cl –
AgCl–2, AgCl2– Biodisponible
Ag+ 3

Cl –

AgCl NPs Insoluble


Complexation

Toxique Toxicité ?

rentes espèces ioniques vont ment des matières plastiques


pouvoir être générées selon d’usage répandues par la
les caractéristiques du milieu, technologie actuelle, sont dé-
avec perte ou sans perte de finis dans l’Encart : « Définition
l’écorce, etc. (Figure 9). La des microplastiques ».
toxicité doit être analysée en Les trois sources majeures
fonction de tous ces para- des microplastiques sont,
mètres, et cela jette un éclai- d’une part ceux qui sont pro-
rage exigeant sur la quantité duits directement par l’indus-
des recherches qui doivent trie pour entrer dans la fabri-
être menées. cation de différents produits,
d’autre part ceux qui se for-
ment dans l’environnement
4.3. Les microplastiques :
par la dégradation de matière
leurs sources, leurs effets
plastique, et en dernier lieu
et les grandes interrogations
ceux qui proviennent de la
qu’ils génèrent
perte de fibres synthétiques
Les microplastiques, fines lors du lavage de produits
particules issues de la dé- textiles. En vérité, la plupart
gradation dans l’environne- des microplastiques qu’on va 17
Chimie et expertise, santé et environnement

Définition des microplastiques (Figure 10)

« Les Microplastiques sont des particules de plastiques


inférieures à 1 mm voire à 5 mm pour certains auteurs.
Le filet à plancton de maille de 0,333 μm est utilisé pour
la collecte  »
(C.J. Moore, 2008)

Figure 10
Les microsplastiques.

retrouver sont en fait des mi- –  sont-ils toxiques par eux-


croplastiques textiles à base mêmes ou par leur compo-
de rayonne, de polyamide ou sition ? Puisqu’ils ont été fa-
de polyester (Figure 11). briqués par polymérisation,
Les questions qui se posent ils contiennent peut-être des
pour comprendre la toxicité restes de catalyseurs ?
des microplastiques sont – sont-ils toxiques via les
nombreuses : polluants hydrophobes qui

70 Acrylique
Polyéthylène basse densité
60 Polystyrène
Polyester
Nombres de pièces

50 Polyamide

Figure 11 40
Rayonne

30
Les différents microplastiques
retrouvés dans certains poissons, 20
par espèces et catégories de 10
plastiques.
Source : Lusher A.L., McHugh M., 0
T. trachurus

T. minutus

C. macrophtalma

B. luteum
M. merlangus

A. cuculus

C. lyra

M. variegatus
M. poutassou

Z. faber

Thompson R.C. (2013).
Occurrence of microplastics
in the gastrointestinal tract of
pelagic and demersal fish from
the English Channe, Marine Pélagique Démersal
18 Pollution Bulletin, 67: 94-99.
Techniques analytiques et chimie de l’environnement
peuvent s’accrocher sur eux
Polluants anthropiques
et s’introduire dans les orga-
Produits chimiques d’origine naturelle té
nismes ? i
TICs NÉGLIGÉS … IGNORÉS … xic
–  sont-ils véhicules de bac- to
inconnus OMIS … NÉGLIGÉS …
téries ?
Analytes Artefact Large portion de produits chimiques
Plusieurs laboratoires se sont cibles reconnaissable d’origine naturelle et anthropique
saisis de ces questions. La de toxicités variées
Figure 12 montre bien que TICs : composés que l’on tente d’identifier
les microplastiques analysés
dans différentes espèces de
poissons marins sont en effet
des résidus textiles. mais qu’on est incapable Figure 12
d’identifier.
Les composés chimiques retrouvés
Un concept s’impose de plus
5 De la « chimio- dans l’environnement : un faible
en plus en matière de chimie pourcentage connu, et beaucoup de
diversité »… et environnement, c’est celui composés non identifiables.
Il y a des milliers et des mil- de cycle de vie. Il fait partie Source : Christian Daughton de
liers de produits chimiques de notre quotidien (Figure 13). l’EPA (États-Unis), 2009.
dans l’environnement, si bien Tous les citoyens, et bien sûr
qu’on peut parler de chimio- les chimistes, qui travaillent
diversité, comme on parle dans les laboratoires, doivent
de biodiversité. On connait en prendre conscience. Il faut
à peine quelques pourcents que dès la conception d’un pro-
des espèces chimiques pré- duit on puisse à la fois adopter
sentes dans l’environnement. une attitude raisonnée (« éco-
La Figure 12 illustre le fait conception ») en termes de
que beaucoup de composés disponibilité des matériaux, de
sont négligés, ignorés ou ressources d’énergie, de recy-
omis, qui ne sont considé- clabilité des produits tels qu’ils
rés ni au titre de polluants sont faits. Toutes les études de
anthropiques (dus aux acti- chimie pour et sur l’environne-
vités humaines), ni à celui de ment renforcent cette recom-
produits naturels. D’un autre mandation – on pourrait dire
côté, il existe des produits cette « ardente obligation » –
qu’on détecte effectivement avec force.

Incinération
et élimination
Extraction de
matériaux brutes

Récupération
Réutilisation Conception
et recyclage et production
Recyclage
matériaux/composants
Figure 13
Réutilisation
Le cycle de vie d’un produit, de
Utilisation la conception à la fin de vie, une
et maintenance Conditionnement
et distribution préoccupation de plus en plus
importante.
Source : Sonnemann, 2011. 19
Chimie et expertise, santé et environnement

L’« âge de la raison » pour la chimie ?


Les conclusions appellent à l’avènement de
l’âge de raison pour la chimie et l’environne-
ment :
–  développons une attitude proactive : enregis-
trer et évaluer les risques, concevoir les usages
et les procédés, mesurer les expositions.
C’est bien sûr ce que veut mettre en place le
programme REACH, c’est aussi ce qu’on peut
faire à travers l’analyse du cycle de vie des
produits ;
– développons la chimie de l’environnement
qui nous permet d’étudier le devenir des conta-
minants chimiques, donc de faire un état des
lieux.
–  prenons en compte l’analyse du cycle de vie ;
–  appliquons les 12 principes de la chimie verte
(voir le Chapitre d’I. Rico-Lattes dans Chimie et
expertise, santé et environnement).

20

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