Vous êtes sur la page 1sur 4

Agronomie

Agronomie

COMPOSTAGE ET ENVIRONNEMENT
Par Joséphine Peigné (ECOCERT/INRA de Colmar) et Philippe Girardin (INRA de Colmar)
Le compostage présente de nombreux avantages agronomiques et environnementaux: un
produit sans odeur, facilement transportable et épandable. La montée en température lors du
compostage hygiénise le compost, les mauvaises herbes et les pathogènes sont détruits.
Certaines études montrent que le compostage dégrade des pesticides lors du processus et une
fois épandu sur le sol. Cette technique ne présenterait-elle donc que des avantages?
Il semblerait que non. En effet, le compostage entraîne des pertes d’éléments qui peuvent poser
des problèmes environnementaux. Cependant, il est possible de limiter fortement ces pertes par
certaines techniques de compostage.
guer des groupes de micro-organismes Les impacts du
selon les différentes phases du com- compostage sur l’air
postage :
• ils se développent dans des gammes L’ensemble des processus biochimiques
de températures allant de 10 à 45 °C du compostage va entraîner la forma-
et commencent à dégrader les sucres, tion de nombreux gaz, présentant des
acides aminés etc., impacts sur l’air de différentes natures :
• les micro-organismes thermophiles • les gaz à effet de serre, mis en cause
prennent le relais en raison de l’aug- dans le phénomène de changement
mentation de température ; ils sont climatique,
responsables de la majorité de la • les gaz dits de redéposition : suite à
dégradation de la matière organique leur émission ils vont se redéposer
et se développent dans des gammes dans le milieu naturel et l’enrichir, ils
de température supérieure à 50 °C, peuvent être responsables de problè-
• les micro-organismes mésophiles me d’eutrophisation de milieux
plus spécifiques interviennent lors aquatiques,
de la phase de refroidissement et • les gaz malodorants et toxiques, ces
maturation du compostage ; ils vont gaz posant essentiellement des pro-
continuer à dégrader des matières blèmes de santé pour l’homme.
organiques plus stables comme la Les gaz à effet de serre
Le compostage est un processus de lignine. Le dioxyde de carbone (CO2), gaz res-
transformation de matière organique Cette succession d’activités des diffé- ponsable de 60 % de l’augmentation
fraîche en une substance organique rents micro-organismes va ainsi assurer de l’effet de serre ces dernières années,
humifiée, plus stable, appelée “com- deux grandes réactions du compostage : est le principal gaz émis lors du com-
post”. La transformation est due à l’ac- la minéralisation des matières orga- postage. Cependant en terme d’émis-
tion simultanée de réactions biolo- niques fraîches et l’humification pro- sions à l’échelle du globe, l’agriculture
giques, chimiques et physiques. Elle duisant le compost, matière plus stable. à travers les changements d’affectation
nécessite de l’oxygène et de l’eau, deux Les différentes réactions chimiques des terres et les pratiques culturales ne
conditions de vie limitante des princi- associées vont être responsables de la représente que 30 % environ des émis-
paux agents responsables de la produc- formation d’éléments minéraux, d’eau sions. L’agriculture joue à la fois le rôle
évaporée, de CO2 et de nombreux gaz de puits et de source dans l’émission de
tion du compost : les micro-organismes.
émis lors du compostage. ce gaz via le déstockage du carbone du
L’ensemble de ce processus est illustré
par la figure n°1. L’ensemble de ces réactions va introdui- sol ou inversement sa séquestration.
re des changements physiques de la Or il semble que le compostage, com-
De nombreux micro-organismes sont matière de départ. Le produit sera plus paré à des matières non traitées ou fer-
impliqués dans la transformation de la sec en raison des pertes d’eau, le volu- mentées sans oxygène, augmente la
matière organique. Tous ne sont pas me du tas sera réduit en raison des stabilisation du carbone une fois épan-
connus, mais il est possible de distin- pertes de matières. du dans le sol. Le traitement des

6 Alter Agri • septembre/octobre 2001 • n°49


matières organiques émet des quantités Le protoxyde d’azote (N2O), gaz res- alentours de sa source d’émission et
négligeables d’un point de vue global. ponsable de 5 % de l’augmentation de enrichir le sol et les milieux aquatiques
De plus, lors du compostage, le CO2 l’effet de serre, peut être émis au début
en azote. De plus, il joue un rôle dans
provient de la dégradation de la matiè- et surtout à la fin du compostage. Celes mécanismes des pluies acides. Lors
re organique fraîche. Son émission est gaz est formé suite à deux réactions:du compostage, plus de 50 % de l’azo-
difficilement contrôlable. Pour stopper la nitrification et la dénitrification. La
te présent au début peut être émis sous
son émission il faudrait tout simple- nitrification, transformation de l’azote
forme d’ammoniac. Son émission est
ment empêcher le processus de dégra- ammoniacale en nitrate, se déroule endue à deux facteurs:
dation de la matière organique, donc condition de température moyenne • la production de NH4+ suite à la
ne pas composter! (< 45°C) donc au début ou lors de la dégradation de la matière organique
phase de maturation du compostage. (réaction d’ammonification) et de
Le méthane (CH4), responsable de Elle nécessite des conditions aérobies, l’urée (ou acide urique pour les
15 % de l’augmentation de l’effet de c’est-à-dire de bonnes conditions d’aé- volailles),
serre, est émis lors de la phase de mon- ration du tas de compost. Inverse- • la présence de fortes températures et
tée en température. Ce gaz est 20 fois ment, la dénitrification est une réac- d’un pH basique, conditions favo-
plus puissant que le CO2 par rapport à tion qui transforme les nitrates en N2. rables à la volatilisation du NH4+ sous
son action sur l’effet de serre, son émis- Du N2O est produit si la réaction n’est forme de NH3.
sion doit donc être contrôlée un maxi- pas totale. Elle nécessite des condi-Ce gaz sera émis lors de la phase de
mum. La formation du méthane lors du tions anoxiques, comme pour le CH4. montée en température et après chaque
compostage est due à l’action de bacté- Lors du compostage, les conditions retournement.
ries thermophiles appelées méthano- d’aération à l’intérieur du tas peuvent
Les oxydes d’azote (NOx), autres que
gènes. Ces bactéries ont besoin de varier, le N2O sera alors produit en le N2O, sont aussi des gaz respon-
fortes températures pour se développer raison de la présence des deux types de
sables de pluies acides (et destructeur
et de conditions anoxiques, c’est-à-dire réactions. de la couche d’ozone). Ils sont pro-
des conditions d’oxygénation nulles. Les gaz dits de redéposition duits lors du compostage, mais le
Tout compostage qui s’effectue dans de Le principal gaz émis de ce type est détail de leur formation est moins
mauvaises conditions d’aération va l’ammoniac (NH3). Ce gaz, d’origine connu et surtout les quantités émises
produire et émettre du méthane. agricole à 95 %, va se redéposer aux sont négligeables.

Micro-organismes Micro-organismes
Micro- thermophiles Micro-organismes
organismes mésophiles mésophiles
non spécifiques Bactéries thermophiles
méthanogènes plus spécifiques

Phase mésophile Phase thermophile Phase de refroidissement


Phase du De quelques heures De quelques jours et de maturation
compostage à quelques jours à quelques semaines
De quelques semaines
à quelques mois

Retournement

Évolution des
paramètres
du compostage Stabilisation
Comsommation d'oxygène : des paramètres
Température :
pH :

Principales Matière Minéralisation/humification Substances


réactions organique humiques
+
fraîche Pertes de H20, CO2, NH3, NO2, énergie… minproduits
biochimiques éraux

Figure n°1 : le processus de compostage

N° 49 • septembre/octobre 2001 • Alter Agri 7


Les gaz toxiques niques. bilis é rapidement par les micro-orga-

À travers cette appellation de gaz toxiques, Le principal problème du ruissellement est nismes et sera potentiellement volatili-

ce sont les composés organiques volatiles plus technique qu’environnemental, des sable. Ainsi, si le matériel de départ est
(COV) qui sont impliqués. Leur émission flaques d’eau aux abords des tas représen- riche en azote (fumier de volailles), il est
tants des obstacles à la manipulation du recommandé d’ajouter des matériaux
dépend du degré d’activité biologique, des
conditions d’aération et donc de tempéra-
compost. carbonés dont le carbone est facilement
ture. Ces gaz sont le plus souvent problé-
dégradable (pailles). L’ajout de matériaux
Le lessivage é
carbon s contenant beaucoup de lignine
matiques dans les grandes stations de com-
Le lessivage a deux origines lors du com-
postage, où leur concentration à proximité
est moins efficace, toutefois ajouter du

des tas peut être dangereuse pour l’homme.


postage : les eaux de pluies qui percolent
carbone est toujours b n fique dans ces éé
dans le tas et l’eau formée lors du com-
à ç
cas l . Une fa on simple de prendre en
Les impacts du postage. Tout comme le ruissellement, les
éé
compte ces variables est de contr ler le ô
compostage sur l’eau eaux de lessivage sont g n ralement fai-
é
blement charg es en
rapport C/N du produit brut.
éléments polluants. Les deux derniers aspects vont jouer sur
é ç
Contrairement aux id es re ues, le com- è
Le principal probl me est li é à l’accumu- l’aération lors du compostage. En effet,

postage est moins nocif pour l eau que lation d’éléments sous le tas de compost
dès le début, si le produit à composter est
’ éé
pour l air. Les l ments perdus par ruissel- si celui-ci est maintenu à la même place
bien structuré, les conditions d’aération
tous les ans. Les teneurs en azote plus ou
seront bonnes et la montée en tempéra-
lement ou lessivage sont, le plus souvent,
é à moins élevées des différents matériaux
ture s’effectuera bien. Plus le tas est a r ,
n gligeables vis- -vis des pertes par voie
é é
gazeuse. joueront aussi. Ainsi, un fumier de
moins il y a de risque d missions de
volaille, riche en azote, peut présenter un
’é

Le ruissellement m thane. Cependant, une trop forte


risque s’il est lessivé lors du compostage.
é

Lors de fortes précipitations, l’eau peut


mont e en temp rature va provoquer
Cependant, la réglementation prend en
é é

des risques d missions accrues d am-


compte ces problèmes, en recommandant
’é ’
ruisseler sur le tas de compost et se char-
éé
ger en l ments (nitrate, phosphore, etc.).
moniac. Les conditions d’émission de
de changer de place le tas de compost
Seuls les tas à proximit é é
imm diate de
ces deux gaz sont antagonistes. Une


tous les ans.
à ce problème est de
Le potassium est l’élément le plus lessivé jouer sur le rapport C/N pour contrô-
solution technique
sources d eau seront source de pollution.
Or, la réglementation française (règlement pendant le compostage. Bien qu’il ne soit
sanitaire et installation classée) fixe des
ler le dégagement de NH3 et bien aérer
pas considéré comme un polluant, la
distances de sécurité bien précises quant à
le tas pour le méthane.
perte de potentiel de fertilisation peut
l’emplacement des tas d’effluents orga- poser problème. Les écoulements doivent
Enfin, un tas trop humide n’absorbera
donc être contrôlés.
pas de fortes pluies, augmentant ainsi
les risques de lessivages.
Les bonnes pratiques La mise en place du tas
é
Les diff rents impacts environnementaux La forme et la taille du tas de compost
ê ôé
du compostage peuvent tre contr l s en peuvent influencer les conditions d mis- ’é
tenant compte des pratiques qui vont sion des gaz. Un andain d une hauteur ’
influencer les facteurs de pollution. ’
d 1,5 m et de forme trap zo dale repr - é ï é
Le choix du matériel à sente la structure la plus appropri e. é
La localisation et les aménagements du
composter tas de compost sont très importants pour
Le produit brut à composter, qu’il soit
contrôler les écoulements d’eau. Les sys-
d’origine animale ou végétale, va jouer un
tèmes de récupération des jus préviennent
rôle prépondérant pour le contrôle des
tout risque de pertes. Cependant, étant
émissions de polluants. Différents aspects donn é les faibles risques de pollution
sont à prendre en compte :
engendrés, aménager de coûteuses aires
• les teneurs en azote facilement dispo- de compostage ne semble pas toujours
justifié.
nible et les teneurs en carbone facile-
ment dégradable,
• l’humidité du produit brut, Le traitement
• l’utilisation et le choix d’agents struc- Lors du compostage, le tas de compost va
turants. être retourné plusieurs fois. Cette tech-
Le premier point va jouer sur les pertes nique assure un maintien ou une reprise

d azote lors du compostage, principale- é
de la mont e en temp rature. G n rale- é éé
ment sous forme de NH3. Plus il y aura ment, le retournement du compost est

d azote dans le produit brut, plus de é ’
effectu dans l optique d a rer le tas. Dans ’é
é
NH4+ sera produit. Si les compos s car- la pratique, il faut savoir que l apport ’
é é
bon s ne sont pas facilement d gradables ’ è
d oxyg ne est de courte dur e (quelques é
(lignine), alors le NH4+ ne sera pas immo- ’
heures) ; c est la mont e en temp rature é é

8 Alter Agri • septembre/octobre 2001 • n°49


qui s’en suit qui va assurer une bonne de cette période. Cette pratique est inté- tiques en utilisant un indicateur mis au
aération via les mouvements d’air chaud ressante vis-à-vis de l’humidité du tas de point à l’INRA de Colmar (voir enca-
dans le tas. compost car elle permet de la réguler. En dré). Dans tous les cas, bien gérer le
À chaque retournement, le NH3 produit à effet, elle empêche l’entrée d’eau lors compostage d’un point de vue environ-
l’intérieur du tas va être volatilisé. Le d’épisodes pluvieux et inversement nemental permet de réduire des pertes
nombre et la fréquence des retournements empêche un dessèchement trop impor- d’éléments et de préserver ainsi la valeur
doivent donc être raisonnés, ils ne sont tant du tas lors d’épisodes climatiques fertilisante de son compost. ■
efficaces qu’au début du compostage et 2 chauds et secs. Cependant, les bâches
L’équipe Agriculture Durable de l’INRA de Colmar
à 3 retournements suffisent généralement. type semis ne sont pas conseillées car elles a mis au point un indicateur agro-écologique éva-
Au-delà, le NH3 est volatilisé sans véri- empêchent le tas de respirer. Les luant l’impact de la technique de compostage sur
table gain d’un point de vue agronomique meilleures bâches sont celles en géotex- l’environnement. Cet outil d’évaluation calcule un
(hygiénisation, homogénéisation etc.). tiles ; leur coût élevé est toutefois un frein risque (échelle de 0 à 10 où 10 correspond au risque
à leur utilisation. nul) d’émissions de 3 gaz: le NH3, CH4 et N2O.
Pour exemple, voici le calcul des risques d’émissions
La phase de maturation
Conclusion des 3 gaz suivant les scénarios du tableau n°1:
La durée de cette phase est plus ou moins
longue suivant les techniques de compos- Trois scénarios de compostage et leurs NH3 CH4 N2O
tage. Elle est nécessaire à la formation impacts sur l’environnement sont illus- Scénario 1 7,5 6,5 7,5
d’un compost dit “mûr”, c’est-à-dire trés dans le tableau 1. Le scénario n°1 Scénario 2 1 10 10
stable et sain lors de son épandage. Tou- représente de bonnes conditions de com- Scénario 3 9 1 1
tefois, des phases de maturation trop postage, les deux autres scénarios illus- Cette simulation illustre des pratiques potentielle-
longues (de 6 à 12 mois) vont provoquer trent bien l’antagonisme des émissions ment polluantes soit en terme d’effet de serre (scé-
des pertes gazeuses de NH3 mais surtout de gaz à effet de serre et de l’ammoniac nario 3) soit en terme de pollution azotée (scéna-
rio 2). Le scénario 1 correspond à un équilibre
de N2O. suivant le choix des pratiques. Actuelle- entre les risques d’émissions des 3 gaz.
Le bâchage est le plus souvent réalisé lors ment, il est possible d’évaluer ces pra-

Scénarios de compostage NH3 CH4 N20 Lessivage


ruissellement
Matériel de départ Fumier de bovin (stabulation libre, 7 kg de paille/j/UGB) + + + +
C/N = 20 à 30
Bonne porosité
SCENARIO N°1

De 70 % à 80 % d’humidité
Mise en place du En période sèche
tas de compost Andain au champ
Hauteur = 1,5 m
Traitement Retournement : deux (un mois d’intervalle)
Durée de la phase de maturation : deux mois
Couverture géotextile pendant la maturation
Matériel de départ Fumier de volaille -- ++ ++ ++
C/N = 10 à 15
Bonne porosité
SCENARIO N°2

25 % d’humidité
Mise en place En période pluvieuse
du tas de compost Andain sur une plate-forme en béton
Avec récupération des jus
Hauteur = 1,5 m
Addition d’eau : jusqu’à 50 % d’humidité
Traitement Retournement : 7 fois (chaque semaine)
Durée de la phase de maturation : 2 mois
Matériel de départ Fumier de bovin (< 3 kg de paille/j/UGB) ++ -- -- -
C/N < 20
SCENARIO N°3

Faible porosité
À peu près 80 % d’humidité

Mise en place En période sèche


du tas de compost Andain au champ
Hauteur = 2 m
Traitement Retournement : une fois lors de la mise en place du tas
Durée de la phase de maturation : 1 an
Tableau n°1: Évaluation qualitative des impacts environnementaux de 3 types de compostage - favorise les pertes
+ diminue les pertes

N° 49 • septembre/octobre 2001 • Alter Agri 9

Vous aimerez peut-être aussi