HiWS

Enfants
VÉW
ILLUSTRÉ PAR QUINTON WINTER
TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR PIERRE REIGNIER
masarine
ADELINE CHRISTOPHER ROBIN. . . . . . . . 34
TIFFANIE SUWANA. . . . . . . . . . . 8 B30RK. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
ADAMRIPPON. . . . . . . . . . . . . . 10 CONSTANTIN BRÂNCUEJI. . . . 38
ANANZINGAMBANDE. . . . . 12 CARDE BECKWITH
ANDREA BOCELLI. . . . . . . . . . . . 14 &ANGELA FISHER. . . . . . . . . . 40
ANANDIGOPALdOSHI. . . . . 16 DENGADUT. . . . . . . . . . . . . . . . . 42
ANDREW CARNEGIE. . . . . . . . . . 18 CHRISTINE DE PIZAN. . . . . . . 44
ANDREA DUNBAR. . . . . . . . . . 20 DOBRIDOBREV. . . . . . . . . . . . . . 46
ANDYWARHOL. . . . . . . . . . . . . . 22 DOROTHYDIETRICH. . . . . . . . 48
ANNA AKHMATOVA. . . . . . . . . 24 DRSEUSS. . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
CHRIS COLLER. . . . . . . . . . . . . . 26 ÉLISABETH DE HONGRIE. . . . 52
BIDDYMASON. . . . . . . . . . . . . 28 LES PIRATES DE L’EDELWEISS 54
CHRIS FREDDIE. . . . . . . . . . . . . 30 ELLEN MacARTHUR. . . . . . . . . 56
BIKINI KILL. . . . . . . . . . . . . . . . 32 ELLEN& WILLIAM CRAFT. . . . 58
EMMA GONZALEZ. . . . . . . . . 60 INDIRA RANAMAGAR. . . . . . . 84
ERIC UNDERWOOD. . . . . . . . . 62 JOHNBOYEGA. . . . . . . . . . . . . . . 86
EVONNEGOOLAGONG IRENASENDLER. . . . . . . . . . . . 88
CAWLEY. . . . . . . . . . . . . . . . . . 64 KELVIN ÛOE. . . . . . . . . . . . . . . . . 90
EUGENE EIEITZ. . . . . . . . . . . . . 66 JAMIECHADWICK. . . . . . . . . . 92
GERTRUDE STEIN. . . . . . . . . . 68 KISZVALDEZ. . . . . . . . . . . . . . . . 84
HANS CHRISTIAN JESSICACOX. . . . . . . . . . . . . . 96
ANDERSEN. . . . . . . . . . . . . . . . 70 LIAM DAVIS. . . . . . . . . . . . . . . . . 88
GRELA GERWIG. . . . . . . . . . . . 72 JEANNE DW. . . . . . . . . . . . . 100
HERMETO PASCOAL. . . . . . . . 74 LUKE AMBLER. . . . . . . . . . . . . . . 102
HANNAHHERBST. . . . . . . . . 76 JOANA INÈS DE IA 0807...104
JACK JOHNSON. . . . . . . . . . . 78 MOHAMED ÎAHER. . . . . . . . . . . 106
HUAMULAN. . . . . . . . . . . . . . 80 JOLIEnEGORDONLOW. . . . 108
JOHN BRADBURNE. . . . . . . . 82 NA010 MATSOMORA. . . . . . . . 110
KATIESANDWINA. . . . . . . ...112 RYANWHITE. . . . . . . . . . . . . ....138
OCEAN VUONG. . . . . . . . . . . . 114 LYDACONLEY. . . . . . . . . . . ...140
KENOJUAKASHEVAK. . . . ...116 SAROOBRIERLEY. . . . . . . . ...142
ORVILLE MARGARETE STEIFF. . . . . ...144
& WR WRIGHT. . . . . . . . 118 SAVION GLOVER. . . . . . . . . ....146
KIMSOO-NYUNG. . . . . . . ....120 MARIA LORENA BARROS ...148
PETER JACKSON. . . . . . . . . . . 122 SHAH RUKH KHAN. . . . . . . ....150
DAMEGODIVA. . . . . . . . . . ...124 MARIA SPELTERINI. . . . . ...152
LE PAPE FRANÇOIS. . . . . . . . 126 SIMON BOLIVAR. . . . . . . . . ....154
LETIC1ABUFONI. . . . . . . . ....128 MEGAN HINE. . . . . . . . . . . ...156
ROBERT SMITH. . . . . . . . . . . . 130 SOCRATES. . . . . . . . . . . . . ....158
LISEMEITNER. . . . . . . . . . . . 132 RONDAROUSEY. . . . . . . . ...160
ROBERTACOWELL. . . . . . . . . 134 SRINIVASA RAMANUOAN... ....162
LOUOAIN AL-HATHLOUL... ...136 ROSIE SWALE-POPE. . . . . J64
STANISLAV PETROV. . . . . . . . 166
SALLYRIDE. . . . . . . . . . . . . . . 168
TAKA ZENRYU KAWAKAMI. . 170
SAVANNA KARMUE. . . . . . . 172
THE INNOCENCE PROJECT. . 174
SOPHIE BLANCHARD. . . . . . 176
LES CASQUES BLANCS. . . . . . 178
SOPHIE PASCOE. . . . . . . . . . 180
THOMAS NEUWIRTH. . . . . . . 182
LA MAÎTRESSE DE L'ÉCOLE
MATERNELLE ST-NICOLAI .184
TSALI. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 186
TU YOUYOU. . . . . . . . . . . . . . 188
VIDAL SASSOON. . . . . . . . . . . 190
URSULAK.LEGUIN. . . . . . . 192
WERNER HERZOG. . . . . . . . . . . 194
VERA RUBIN. . . . . . . . . . . . . . 196
WILLIAM BUCKLAND. . . . . . . 198
WHOOPIGOLDBERG. . . . . . 200
WITOLD PILECKi. . . . . . . . . . . . 202
ZULMABRANDONI
DEGASPARINI. . . . . . . . . . . . 204
YUAN LONGPING. . . . . . . . . . . 206
ADELINE TIFFANIE SIIWANA
(NÉE EN 1996)
Chaque année, les inondations menaçaient un peu plus la
maison d’Adeline, en Indonésie. L’école fermait, et les enfants
se réjouissaient de passer la journée à s’amuser. Mais un
jour, un déluge d’eau renversa la clôture du jardin d’Adeline
et s’engouffra dans la maison.

Adeline et sa famille se dépêchèrent de une réserve naturelle. Ce jour là, les

transporter leurs biens les plus précieux
à l’étage. Quand l’électricité et l’eau
courante furent coupées, ils durent
abandonner leur maison. Adeline voulut
comprendre pourquoi ce genre de
phénomène se produisait.
Elle découvrit deux choses :
premièrement, que le réchauffement
climatique faisait monter le niveau des
eaux et rendait les inondations plus
fréquentes. Ensuite, que les marais de
palétuviers, avec leurs réseaux géants de
racines qui absorbent l’impact des vagues
cl du vent, étaient détruits d’année en
année par la main de l’homme.
Ces marais offraient également un habitat
à un grand nombre d’animaux, filtraient
la pollution et attiraient une faune et une
flore dont la population locale se
nourrissait. Ees effets de leur disparition
étaient ressentis par tout le monde.
Lors de vacances scolaires, Adeline
rassembla 150 amis et élèves de son école
pour planter de jeunes palétuviers dans
enfants croisèrent des singes, des
serpents et des lézards. Pour eux, ce fut
une occasion de s’amuser, d’apprendre et
de s’immerger dans la nature.
Cette journée marqua la naissance d’une
organisation qu’Adcline baptisa Sahabal
Alam (Les Amis de la nature). Depuis lors,
près de 3000 étudiants ont déjà répondu
à son appel et participé à plus d’une
centaine d’actions destinées à préserver
l'environnement. Ils ont planté du corail
dans des récifs pour attirer les poissons
et promouvoir l’écotourisme, convaincu
des dizaines de personnes d’échanger
leurs voitures contre des vélos, et équipé
des villages reculés en électricité grâce à
des générateurs qui utilisent la force
de l’eau.
Adeline est persuadée qu’en agissant
autour d’eux, les jeunes peuvent devenir
des héros de l’environnement. En nous
dressant tous contre la fatalité, nous
pouvons offrir un bel avenir à notre
planète et aux créatures qui la peuplent.

8
 ADAM RIPPDN
(NÉ EN 1989)
Adam Rippon n’eut d’abord aucune envie de chausser des
patins. Il fallut de nombreux encouragements de sa mère
pour qu’il veuille bien essayer. Mais une fois sur la glace, il
adora cette sensation. Bientôt, il se rendit chaque semaine à
la patinoire pour y prendre des cours. Il avait dix ans.

Lorsqu’il quitta le domicile familial pour
se consacrer à plein temps à sa passion,
Adam se retrouva vite à court d’argent.
Il n’avait parfois que les pommes offertes
par son club de gym pour se nourrir, et il
dormait dans le sous sol de son
entraîneur. Puis les succès sportifs
commencèrent à s’enchaîner, et Adam se
mit à accumuler les titres et les
médailles. Il glissait, bondissait et
pirouettait sur la glace comme personne,
et rien ne semblait pouvoir l’arrêter.
Pourtant, il rencontra bientôt des
obstacles. Adam termina huitième du
championnat des États Unis; un résultat
remarquable, mais pas suffisant pour
être sélectionné pour les Jeux
olympiques. Peu après, il se réceptionna
mal lors d’un entraînement et se cassa le
pied. Adam songea à tout laisser tomber.
Mais alors qu’il faisait une pause dans sa
carrière pour concevoir les
chorégraphies d’autres patineurs, sa
passion se rappela à lui. Il prit conscience
qu’il aimait trop ce sport pour y
renoncer.
Quelques années plus tard, il obtint l’une
des trois places disponibles dans l’équipe
olympique des États Unis, devenant par
la même occasion le premier athlète
américain ouvertement gay à
représenter l’Amérique aux J.O. Peu
importe qu’un patineur préfère les
garçons ou les filles, mais Adam voulait
banaliser l’homosexualité pour donner
aux gamins du monde entier le courage
d’être eux mêmes.
«Je suis immortel, comme une fée!»
a-t-il un jour plaisanté. «Je reviens
chaque année, et chaque année je
m’améliore. »
Désormais, un saut porte même son
nom : le Rippon Lutz. Pour l’exécuter,
rien de moins simple! Il faut faire trois
sauts piqués d’affilée, bras levés et mains
jointes au dessus de la tête.

11
 ANA NZINGA MBANDE
(1583-1663)
En 1624, Ana prit le pouvoir au Ndongo, un royaume situé
sur la côte ouest de l’Afrique. Ses sujets étaient attaqués de
toutes parts : les Portugais lançaient des raids sur les
villages, capturant hommes et femmes qu’ils réduisaient en
esclavage, tandis que les royaumes africains alentours se
faisaient menaçants.

Ana décida d’agir pour protéger son
peuple. Elle demanda à rencontrer un
haut responsable portugais, insistant
pour être traitée d’égal à égal. Ce n’est
pas parce que les Portugais avaient
brutalement conquis plusieurs autres
territoires africains qu’elle allait courber
l’échine devant eux! Le gouverneur
accepta finalement de la recevoir.
Lorsqu’elle vit qu’il était assis sur la seule
chaise disponible, elle ordonna à l’un de
scs conseillers de se mettre à quatre
pattes pour lui servir de siège, de sorte
à être sur un pied d’égalité avec son
ennemi.
Pour mettre un terme aux attaques et
protéger les siens, elle conclut un traité
de paix avec le Portugal et accepta de se
convertir au christianisme.
Mais les Portugais ne respectèrent pas
l’accord, et Anna fut forcée de fuir à
l’intérieur des terres avec son peuple. Là,
à bonne distance de scs ennemis, elle
fonda le royaume du Matamba,
nommant des femmes à des postes clefs.
Pour accroître la puissance du Matamba,
elle ouvrit les portes de son royaume aux
esclaves fugitifs et aux Africains enrôlés
de force dans l’armée portugaise. Bien
organisée, sa propre armée accueillait
également des adolescents qui quittaient
leur famille pour la vie de soldat. C’était
une existence difficile, mais un sacrifice
nécessaire pour garantir la sécurité de
la population.
Ana conduisit elle même les opérations
militaires jusqu’à un âge avancé et
s’éteignit à quatre vingt un ans. À sa
mort, le royaume du Matamba était
considéré comme l’égal des colonies
portugaises. Avec son sens aigu de la
stratégie et son refus de se soumettre,
Ana a sauvé son peuple d’une vie en
esclavage.

12
 ANDREA BOCELLI
(NÉ EN 1958)
Andrea voyait mal depuis sa naissance, mais lorsqu’un
ballon le frappa en pleine tête pendant un match de foot, il
perdit entièrement la vue. Les médecins tentèrent
l’impossible, allant jusqu’à placer des sangsues dans ses
orbites. Peine perdue : à douze ans, Andrea était devenu
aveugle

Il ne renonça pas pour autant à sa Le talent d’Andrea lui sauta

passion. Plus que tout au monde, Andrea
aimait la musique. Il jouait de la flûte, du
saxophone, du trombone, de la
trompette, de la guitare, des percussions
et du piano. Privé de sa vision, il apprit à
lire la musique écrite en braille pour
continuer à progresser et à jouer de
nouveaux morceaux.
Pour rassurer ses parents, Andrea suivit
des études de droit. Mais son cœur ne
battait que pour la musique. Au lieu
d’embrasser la carrière d’avocat, il prit
des cours de chant avec le ténor d’opéra
Franco Corelli, passant scs soirées à
jouer du piano dans des bars pour payer
les leçons. Pendant des années, Andrea
vécut de cette façon.
immédiatement aux oreilles, et il voulut
enregistrer un duo avec lui. Cette
chanson, Miserere, connut un grand
succès cl lança enfin la carrière d’Andrea.
Depuis, Andrea a parcouru beaucoup de
chemin : à ce jour, il a vendu plus de
quatre vingt millions d’albums, chanté
pour trois papes, et une plage italienne a
même été baptisée en son honneur.
Avec Andrea, la musique classique a
quitté les salles de répétition
poussiéreuses pour s'afficher au sommet
des hit parades internationaux. Plus que
tout, il espère que son histoire montrera
aux plus jeunes qu’il n’y a pas d’obstacle
insurmontable.

Puis, un jour, le chanteur d’opéra le plus « Pour chacun d’entre nous, il existe un
célèbre du monde, Luciano Pavarotti, projet, dit il. 11 nous appartient
entendit un enregistrement de sa voix. simplement de le trouver. »

15
 ANANDIGOPALOOSHI
(1865-1887)
Comme c’était encore fréquent dans l’Inde du dix-neuvième
siècle, Anandi fut mariée à l’âge de neuf ans et donna
naissance à un enfant à l’âge de quatorze ans. Dix jours plus
tard, le bébé mourut. Malheureusement, de telles tragédies
étaient alors fréquentes dans son pays, où l’accès aux soins
médicaux était difficile, voire impossible.

Anandi voulait absolument changer ça. migraines. Le climat froid et humide de

À dix huit ans, elle prit le bateau pour les
États Unis, où elle s’inscrivit au Woman’s
Medical College of Pennsylvania. «Je n’ai
peut être pas le parcours scolaire
requis », écrivit elle dans son dossier de
candidature, « mais, s’il vous plaît,
donnez moi une chance de soulager la
souffrance des femmes de mon pays. »
Anandi fut acceptée, et sa détermination
paya : elle devint la première femme
indienne diplômée en médecine
occidentale. Un événement suffisamment
important pour que la Reine Victoria en
personne lui envoie un message de
félicitations.
Mais durant toutes ses années d’études,
sa propre santé lui causa beaucoup de
problèmes. Elle se sentait faible et
essoufflée, en proie à la fièvre et aux
la Pennsylvanie, auquel son corps n’était
pas habitué, avait aggravé la maladie qui
la rongeait. Peu de temps après son
retour à Bombay, la tuberculose
l’emporta à seulement vingt deux ans.
Bien que la maladie l’ait empêchée d’aller
au bout de ses projets, toute une
génération de femmes s’est inspirée de
son exemple pour se libérer du rôle
ingrat dans lequel les enfermait la
tradition.
Aujourd’hui, plusieurs distinctions
médicales portent son nom, mais aussi
un gigantesque cratère sur la planète
Vénus! Le jour où elle aurait soufflé ses
153 bougies, Google a remplacé son logo
par un dessin d’Anandi serrant son
précieux diplôme sous le bras. Le monde
n’a pas oublié la première femme
médecin indienne.

16
 ANDREW CARNEGIE
(1835-1919)
Andrew n’avait que douze ans quand il commença à
travailler en tant que porteur de bobines dans une usine
textile. Ses parents avaient quitté leur Écosse natale et vendu
tout ce qu’ils possédaient pour s’installer aux États-Unis.
On était en 1848, et Andrew gagnait 1,40 $ par semaine.

À quatorze ans, Andrew devint le nécessaires à la fabrication de l’acier,

secrétaire particulier d’un certain
Thomas Scott, qui occupait un poste
important à la Société des chemins de fer
de Pennsylvanie. Au cours de ces années,
Andrew profita de la moindre occasion
pour s’instruire.
Alors qu’il travaillait pour cette société,
il investit de l’argent dans une entreprise
qui fabriquait les premiers wagons lits ;
des voitures dans lesquelles les
passagers pouvaient dîner comme au
restaurant, puis dormir comme à l’hôtel,
tandis que le train filait dans la nuit
américaine. Les wagons lits eurent
beaucoup de succès, et Andrew partit en
Europe à la recherche de nouvelles
opportunités d’investissement.
Quand il rencontra des fabricants d’acier
anglais, Andrew comprit le formidable
potentiel de ce nouveau métal, à la fois
très solide et peu cher. De retour en
Amérique, il fonda sa propre aciérie.
Bientôt, il posséda plusieurs aciéries,
mais aussi les matières premières
ainsi que les bateaux et les trains pour
les acheminer.
Lorsque Andrew vendit son empire
industriel, sa fortune s’élevait à environ
475 millions de dollars, ce qui
représenterait aujourd’hui 310 milliards!
Plutôt que de profiter égoïstement de cet
argent, Andrew se transforma en
mécène : il finança la construction de
2800 bibliothèques, fonda une université
et un musée d’art à Pittsburgh, fit
construire la célèbre salle de spectacle
new yorkaisc, le Carnegie Hall, mit en
place des subventions pour les étudiants
et les démunis, et créa une fondation
dont le but était de promouvoir la paix
entre les nations.
À sa mort, sa fortune avait
considérablement diminué. «Tout
homme qui meurt riche meurt
déshonoré», a écrit Andrew. Pour lui,
avoir de l’argent n’avait aucun sens si on
ne l’utilisait pas pour aider les autres.

19
 -Ie
ANDREA DÜNBAR
(1961-1990)
Andrea passa son enfance à Buttershaw, un lotissement
populaire de Bradford, au nord de l’Angleterre. Elle avait
l’impression de vivre au milieu de nulle part.
Andrea était encore écolière lorsqu’elle
tomba enceinte, mais le bébé ne survécut
pas à l'accouchement. Elle avait tout juste
quinze ans. Elle profita d’un examen
d’anglais de fin d’année pour écrire une
pièce de théâtre inspirée de son vécu
tragique. Intitulée ThcArbor, la pièce
racontait l’histoire d’une adolescente
enceinte aux prises avec un père violent.
Andrea donna finalement naissance à
trois autres enfants, devenant mère à
l’âge de dix sept ans.
Tout en s’occupant de son premier
enfant, Andrea continua à travailler sur
TheArbor. Envoyée à un théâtre
Londonien, la pièce finit par tomber
entre les mains d’un célèbre metteur en
scène qui s’enthousiasma à sa lecture.
Bientôt, The Arbor fut jouée à Londres et
à New York, suscitant une grande
attention et plaçant la jeune dramaturge
sous le feu des projecteurs.
Mais être dans la lumière n’était pas
simple pour Andrea. Plus elle avait du
succès à Londres, moins elle se sentait à
sa place dans sa ville de Bradford. Et
lorsqu’une adaptation
cinématographique de sa seconde pièce
20
fut tournée sous le titre Ri ta, Susie et
Bob aussi, certains habitants de
Buttershaw trouvèrent qu’Andrea
donnait une mauvaise image d’eux.
Elle s’efforça de ne pas y accorder
d’importance : «Pendant qu’ils s’en
prennent à moi, lança t elle un jour,
ils fichent la paix à quelqu’un d’autre.»
Andrea ne quitta jamais Bradford où elle
éleva ses trois enfants. Elle écrivait le
soir, lorsqu’ils étaient au lit et qu’elle
avait accompli les tâches ménagères. Elle
mourut brutalement d’une hémorragie
cérébrale à seulement vingt neuf ans.
Le lotissement qui a servi de décor aux
histoires d’Andrea a beaucoup changé
depuis son époque. De vieux bâtiments
ont été détruits, de nouveaux érigés,
mais Andrea et ses pièces de théâtres
n’ont pas été oubliées. Elles sont toujours
jouées au théâtre, adaptées au cinéma,
analysées et commentées. Aujourd’hui
encore, ses écrits permettent d’ouvrir
une précieuse fenêtre sur la vie des
membres les plus démunis et les plus
négligés de la société.
 XJ;

ANDYWARHOL (1928-1987)
Un grand tableau composé de trente-deux petits tableaux
représentant des boîtes de soupe en conserve, des pigments
de cuivre devenus bleus après avoir été arrosés d’urine, une
banane jaune vif ; voici quelques exemples du travail d’Andy
Wharol, l’un des artistes les plus novateurs de tous les temps.

Andy grandit dans un quartier crasseux objets du quotidien et transformait le

de Pittsburgh aux États Unis. Souffrant
de la pollution, ce petit garçon à la santé
fragile passait beaucoup de temps au lit.
Pour l’aider à combattre l’ennui, sa mère
lui apprit à dessiner et à peindre. Andy
se mit à jeter des formes et des couleurs
sur le papier, et ne s’arrêta plus jamais.
Cette passion le conduisit à être le
premier de sa famille à s’inscrire à
l’université, où il étudia les beaux arts.
Mais après son échec aux examens de
première année, il ne put poursuivre
ses études.
Cet été là, Andy travailla pour un
marchand ambulant de fruits et légumes.
Dès qu’il avait un peu de temps, il
dessinait ses clients les plus étranges. Le
hasard voulut qu’un de ses professeurs
voie ces dessins. Impressionné, il aida
Andy à réintégrer l’université. Diplôme
en poche, Andy sauta dans le premier
train pour New York, bien décidé à vivre
de son art.
Bientôt, il développa le style qui le rendit
célèbre : il prenait des images et des
banal en exceptionnel. Comme nombre
d’artistes avant gardistes, il testait les
limites de la notion même d’art. Marcel
Duchamp avait exposé un urinoir dans
une galerie. Andy présenta au public
des boîtes de savon et des bouteilles
de Coca.
Il réalisa également des films
expérimentaux qui, à l’époque,
déroutaient les spectateurs, mais qui
sont aujourd’hui considérés comme des
œuvres importantes. Dans l’un d’eux, on
voit un homme manger un champignon
pendant trois quarts d’heure. Dans un
autre, un poète dort pendant six heures.
Est ce de l’art?
Andy a affirmé un jour : «L’art est ce
qu’on parvient à faire passer pour de
l’art.»
Après sa mort, son argent servit à créer
la Fondation Andy Warhol. Aujourd’hui
encore, elle encourage et promeut,
comme il l’avait voulu, les artistes
singuliers, iconoclastes et provocateurs.

23
 -1-
ANNA AKHMATOVA
(1889-1966)
Écrire un poème en Union soviétique au début du vingtième
siècle pouvait vous mettre en grand danger. Sous les ordres
d’un dictateur brutal du nom de Staline, les autorités de cet
État n’hésitaient pas à mettre votre maison à sac, à enlever
des membres de votre famille et même à vous faire
disparaître si vous osiez écrire quoi que ce soit contre lui.

Anna composait des poèmes depuis l’âge
de onze ans, et personne ne pouvait
l’en empêcher. Aussi, quand son père lui
dit qu’il refusait de voir son nom de
famille associé à scs stupides
scribouillages, elle adopta le nom de sa
grand mère et quitta la maison.
À Saint-Pétersbourg, elle lit la
connaissance d’un groupe de jeunes
poètes qui partageaient ses idées et ses
espoirs. Ils fondèrent un mouvement,
éditèrent des revues de poésie, et bientôt
toute la ville ne parla plus que d’eux.
Puis, quand Staline arriva au pouvoir, des
gens commencèrent à se faire arrêter au
milieu de la nuit, simplement pour avoir
commenté la situation politique du pays.
Exprimer librement son opinion était
devenu impossible.
Anna détestait Staline et sa brutalité. En
représailles, la police espionna ses
moindres faits et gestes, plaça des
micros chez elle et envoya en prison ceux
qu’elle aimait le plus.
Anna se mit à vivre dans la terreur, avec-
la poésie pour seule arme. Mais écrire,
même en secret, devint bientôt trop
dangereux. À tout moment, la police
pouvait faire irruption chez elle, fouiller
la maison et trouver les poèmes qu’elle
avait dissimulés.
Anna trouva pourtant une cachette que
même la police de Staline ne pourrait
jamais découvrir : l’intérieur de sa tête.
Elle abandonna le papier et écrivit en
pensées, transmettant oralement scs
poèmes à ceux en qui elle avait toute
confiance. Elle les récitait, encore et
encore, jusqu’à ce qu’elle soit certaine
qu’ils resteraient gravés dans les
mémoires.
Anna voulait qu’on se souvienne de ses
poèmes, mais aussi des victimes de
Staline.
«Tu entendras le tonnerre et tu te
souviendras de moi», écrivit elle.
Après la chute de l’L'nion soviétique,
Anna devint l’un des poètes les plus
aimés et respectés de Russie.

24
 CHRIS COLFER
(NÉ EN 1990)
Coincé sur un lit d’hôpital pendant trois mois lorsqu’il était
enfant, Chris s’évada dans la lecture. Il aimait tout ce qui
commençait par «Il était une fois...», surtout si les pages
étaient pleines de méchantes sorcières, de princesses
héroïques et de sortilèges.

À l’école, Chris ne se sentait pas à sa mais le réalisateur de Glcc se passionna

place. Pour expliquer ce qu’il éprouvait,
il s’est un jour comparé à un lama. «Dans
quelle catégorie range t on les lamas? se
demandait il. Ce ne sont ni des vaches ni
des chevaux.» Il était devenu le souffre
douleur de sa classe et se sentait
affreusement seul.
À défaut de trouver un autre lama dans
l’école, Chris se découvrit une passion
pour l’écriture, le chant et le théâtre.
Quand scs professeurs refusèrent de le
laisser chanter « Defying Gravity » parce
que cette chanson était d’ordinaire
interprétée par une femme, Chris en fût
très blessé.
L’école terminée, il passa une audition
pour Glee, une série télévisée mettant en
scène la chorale d’une école dont le
joyeux répertoire va des chants d’Église à
la musique pop.
Chris avait auditionné pour le rôle d’Artie
Abrams, un chanteur cloué dans un
fauteuil roulant à la suite d’un accident
de voiture. Il ne décrocha pas ce rôle,
tellement pour son histoire personnelle
qu’il décida de créer un nouveau
personnage rien que pour lui. C’est ainsi
que Chris devint Kurt Hummel à l’écran,
un lycéen gay fou de fringues et de chant,
harcelé à cause de ses passions et de son
homosexualité. Au fil de la série, les
scénaristes inclurent des incidents de la
vie de Chris, comme dans l’épisode où
Kurt est l’objet de moqueries parce qu’il
chante « Defying Gravity».
Une fois le succès de Glcc bien établi,
Chris se consacra à l’écriture,
s’immergeant dans l’univers fictionnel
qui avait bercé son enfance. Le résultat
fut un roman intitulé Le Pays des contes :
Le Sortilège perdu. Dans cette histoire,
des jumeaux se voient offrir un livre qui
se révèle être un portail entre notre
monde et un monde où les contes sont
devenus réalité.
Chris a dit un jour : «Tu dois montrer aux
autres qui tu es vraiment avant qu’ils ne
le décident à ta place. »

27
 BIDDY M ASON
(1818-1891)
Biclcly Mason était une Noire américaine née esclave.
Très jeune, elle fut arrachée à ses parents. Vendue à de
nombreuses reprises, elle passa de maître en maître et finit
par travailler dans une plantation du Mississipi, au service
d’un mormon du nom de Robert Smith.

Quand les autorités mormones réputée pour son savoir encyclopédique

invitèrent leurs fidèles à peupler l’Oucst
américain, Robert Smith déménagea
avec l’ensemble de sa famille. Tout au
long des trois mille kilomètres d’une
marche éreintante, Biddy porta la plus
jeune de scs filles sur son dos tandis
qu’elle conduisait le bétail, préparait des
repas et prenait soin des animaux.
Quelques années plus tard, Robert Smith
décida de reprendre la route, cette fois ci
vers la Californie. Là, Biddy se lia d’amitié
avec des Noirs qui lui expliquèrent que la
Californie était désormais un État libre :
nul être humain ne pouvait y être la
propriété d’un autre. Une merveilleuse
nouvelle pour Biddy, mais pas pour son
maître, qui voulut partir avec ses
esclaves au Texas. Prévenu de ses
intentions, le shérif envoya des hommes
chez l’esclavagiste et l’empêcha de fuir.
Le 19 janvier 1856, Biddy obtint le statut
de femme libre.
Installée à Los Angeles, elle devint
infirmière et sage femme, bientôt
en matière de plantes médicinales.
Quand ses patients n’avaient pas les
moyens de payer, elle les soignait
gratuitement. Sinon, elle économisait
chaque centime reçu.
Au bout de dix ans, elle eut assez
d’argent pour acheter deux parcelles de
terrain, devenant ainsi la première Noire
à posséder des terres à Los Angeles.
Biddy se lança avec succès dans les
affaires et amassa une petite fortune
qu’elle partageait avec les gens dans le
besoin : elle nourrissait les pauvres,
accueillait des orphelins et rendait visite
aux prisonniers. Elle finança même une
école pour les enfants noirs.
« Si vous tendez une main fermée, rien de
bon ne peut vous arriver, disait elle. Au
contraire, une main ouverte est une
bénédiction, parce qu’elle donne en
abondance tout autant qu’elle reçoit.»
Près d’un siècle après sa mort, le 16
novembre fut déclaré «Journée Biddy
Mason» à Los Angeles.

28
O
 CHRIS FREDDIE
(NÉ EN 1987)
Pendant des années, les rues de Londres ont été le théâtre
d’affrontements entre gangs. Depuis l’enfance, Chris vivait
au milieu de cette violence. Alors qu’il venait tout juste
d’avoir seize ans, son frère aîné se fit tuer par balles dans un
salon de coiffure.

«C’est ça, la vie que tu veux avoir?» lui
demanda un éducateur.
Non, Chris ne voulait pas d’une telle vie.
Grâce à cet éducateur, il comprit que la
colère, la douleur et la tristesse qui le
submergeaient depuis la mort de son
frère pouvaient être transformées en
énergie positive plutôt qu’en violence
supplémentaire. Que son destin n’était
pas tracé d’avance et qu’il avait le pouvoir
de l’influencer.
Il fit des études, étudiant la musique et
l’art dramatique, mais décida finalement
de consacrer son temps à aider les
jeunes des quartiers difficiles. Son
ambition était de changer la vie de
gamins engagés sur la mauvaise voie,
comme l’éducateur qui avait changé la
sienne quelques années plus tôt.
Chris savait que la plupart des
adolescents ne veulent pas se retrouver
dans un gang. Personne n’a envie de
vivre dans la violence et la précarité.
Personne n’a envie d’avoir peur de
marcher dans la rue. Personne n’a envie
d’aller en prison ou d’être entraîné dans
des situations dangereuses... C’est juste
que parfois, quand on est né au mauvais
endroit, la vie de gang semble être la
seule qui s’offre à vous.
Chris mena une campagne dans les
écoles des quartiers concernés, diffusant
le numéro de téléphone d’« Échec au
crime», une organisation qu’on pouvait
appeler anonymement pour transmettre
des informations sur des actions
violentes de gangs. Il tenait à ce que les
gamins sachent qu’il ne s’agissait pas de
balancer, mais de sauver des vies.
«Qu’est-ce que ça vous ferait, leur disait
il, si c’était votre mère qui se faisait
agresser et que tout le monde se taisait?»
En 2012, Chris crut à une plaisanterie
lorsqu’il reçut une lettre signée de la
reine et du premier ministre, l’informant
qu’il était invité à Buckingham Palace
pour y être décoré de l’ordre de l’Empire
britannique. Sa Majesté voulait le
remercier en personne d’avoir contribué
à rendre les rues de Londres plus sûres.

31
 BIKINI Kl LL
(FORMÉ EN 1990)
Avec leurs têtes rasées, Kathleen et Kathi étaient souvent
confondues à l’université. Puis Tobi a commencé à travailler le
même jour que Kathi dans une sandwicherie. Et Billy a
rencontré Tobi devant un Burger King, avant un concert punk.

Ensemble, ils formèrent le groupe Bikini
Kill.
À l’époque, dans l’Élat de Washington, la
scène musicale punk était dominée par
des groupes exclusivement masculins,
et les filles trouvaient difficilement leur
place dans cet univers. Comme si la
musique et les concerts étaient
seulement une affaire de garçons.
Pourquoi l’autre moitié de l’espèce
humaine était elle exclue de ce
mouvement? Pourquoi personne ne
composait des morceaux punk sur les
problèmes des femmes?
Kathleen, Kathi, Billy et Tobi estimèrent
qu’il était temps de changer tout ça.
Le groupe prit la tête de Riot grrrl, un
mouvement qui se battait pour inclure
les femmes et leurs émotions au sein de
la scène punk. Les Bikini Kill
encourageaient les filles à s’exprimer,
n’hésitant pas à faire monter des
spectatrices sur scène pour qu’elles
racontent leurs histoires. Leur chanson
« Rcbcl Girl» devint bientôt l’hymne du
mouvement Riot grrrl.
Tobi expliqua alors qu’elle voulait
encourager toutes les Américaines à
former des groupes et à inventer une
culture qui leur soit propre.
Et ça a fonctionné.
Aux quatre coins du pays, des jeunes
femmes se mirent à écrire et à dessiner
dans des fanzincs qu’elles imprimaient
elles mêmes avant de les relier avec
quelques agrafes. Des milliers de garages
virent éclore des groupes de filles.
Les réactions masculines furent souvent
hostiles. Des membres du groupe se
firent agresser, et certains allèrent
jusqu’à menacer de trafiquer le micro de
Kathleen, la chanteuse, pour l'électrocuter.
« Les gens nous détestaient
passionnément», dit elle. Mais ces filles
qui venaient à leurs concerts leur
donnaient la force de continuer. Pour
celles qui ne se reconnaissaient pas dans
les chansons qu’elles entendaient à la
radio, les morceaux de Kathleen et sa
bande étaient une source d’énergie et
d’inspiration. Bikini Kill a su faire entrer
le féminisme dans la musique
underground, et aujourd’hui encore,
beaucoup de groupes les remercient
d’avoir ouvert la voie.

32
 ijji
CHRISTOPHER ROBIN
(1920-1996)
Enfant, Christopher Robin avait trois peluches préférées : un
ourson, un âne et un porcelet. Un jour que sa nounou était
en congé, Christopher Robin se retrouva seul avec son père.
Ils emportèrent ses peluches dans la forêt et passèrent
des heures à jouer, imaginant toutes sortes d’aventures
malicieuses.

Un autre après midi, ils se rendirent
ensemble au zoo où ils virent un ours
noir qui faisait des cabrioles sur les
rochers de son enclos.
«Comment s’appelle-t il?» demanda
Christopher. «Winnie», répondit son père.
Christopher décida que ce serait le
nouveau nom de son ours en peluche,
qu’il rebaptisa Winnie l’ourson.
Ensemble, ils inventèrent des histoires
qui mettaient en scène les peluches, et le
père de Christopher les coucha sur
papier. L’Angleterre était encore sous le
choc de la Première Guerre mondiale, et
les joyeux récits d’un ourson gourmand
qui adorait le miel étaient exactement ce
dont la population avait besoin pour
retrouver le sourire. Le livre fut aussitôt
un best-seller.
Mais Christopher vécut mal ce succès.
Désormais, n’importe qui pouvait
profiter des jeux partagés avec son père,
et il eut le sentiment que sa vie privée ne
lui appartenait plus. Pour ne rien
arranger, avoir inspiré un des
personnages de Winnie l’ourson lui valut
d’être la cible de moqueries à l’école : en
français, il s’appelle Jean Christophe,
mais dans la version originale
Christopher Robin est désigné par son
vrai prénom !
Il avait l’impression d’être devenu un
personnage de fiction.
La Seconde Guerre mondiale éclata, et
Christopher partit se battre. Dans son
uniforme de soldat, il eut l’impression
d’être enfin comme tout le monde,
comme si ça l’aidait à se débarrasser du
personnage inventé par son père. À son
retour, il ouvrit une librairie et vécut
paisiblement avec sa femme. Au lieu de
rester éternellement le petit garçon des
livres de son père, Christopher écrivit
son propre destin, devenant l’homme
qu’il avait décidé d’être.
Porcinet, Bourriquet et Winnie l’ourson,
les trois véritables peluches de
Christopher Robin, sont aujourd’hui
exposées à la Bibliothèque publique de
New York, où ils reçoivent chaque année
la visite de milliers d’admirateurs.

35
 BJÔRK
(NÉE EN 1965)
Bjôrk a toujours été ravie de se sentir différente. Avec son
premier argent de poche, elle s’acheta une tente. Elle avait
tellement envie de dormir dehors! C’est dans la région
sauvage des Hautes Terres d’Islande qu’elle trouva l’espace
et la liberté dont elle rêvait.

Elle les trouva aussi dans la musique.
À l’image de sa personnalité, la voix de
Bjôrk était déjà singulière. Apres s’être
fait remarquer en chantant à l’école, le
premier album qu’elle enregistra à
seulement onze ans devint disque d’or
en Islande. D’autres enfants se seraient
réjouis d’un tel succès. Pas Bjôrk.
Stressée par la pression, elle abandonna
la musique pendant deux longues années.
Mais quand la vague punk atteignit
l’Islande, Bjôrk se reconnut dans
l’énergie décomplexée de cette nouvelle
forme d’expression. Elle fonda Spit and
Snot (crachat et morve), un groupe
uniquement composé de filles. Après la
séparation du groupe, elle joua et chanta
dans plusieurs autres formations.
Finalement, à la suite de toutes ces
expériences au sein de divers groupes,
Bjôrk enregistra des chansons en solo.
La combinaison de sa voix unique, de scs
compositions totalement inclassables et
de cette liberté qui émanait d’elle lui
assura une place à part dans le paysage
musical.
Actrice dans un film nommé aux Oscars,
elle s’est présentée avec une robe en
forme de cygne, semant des œufs sur le
tapis rouge. Elle a aussi enregistré une
chanson dans une grotte remplie de
chauve souris. Dans le clip vidéo de
« Hunter», on assiste à sa lente
transformation en ours polaire.
Après quelques années difficiles, Bjôrk
composa un disque sur son ordinateur
portable, se laissant transporter, seule
avec son monde intérieur, dans un
tourbillon de notes. Cet album reste à ce
jour son plus grand succès. Pourtant, à sa
sortie, certains ne la crurent pas capable
d’avoir composé toutes ces beaux
morceaux. Des rumeurs prétendirent que
des hommes l’avaient forcément aidée,
alors qu’elle avait passé des heures et des
heures toute seule, à broder note par note
les mélodies chatoyantes de son disque.
En 2000, le premier ministre islandais
proposa de lui offrir une île. Mais elle
refusa. Femme libre et fidèle à elle
meme, Bjôrk ne veut rien devoir à
personne.

36
(
 CONSTANTIN BRÂNCUÇI
(1876-1957)
Constantin est né à Hobita, un minuscule village roumain.
Ses parents étaient de modestes paysans, et dès l’âge de sept
ans, Constantin dut s’occuper des moutons. Il passait son
temps à sculpter des morceaux de bois qu’il ramassait.

Malmené par scs frères et son père,
Constantin fuguait souvent. L’année de
ses onze ans, il s’enfuit pour de bon.
Six années durant, il exerça toutes sortes
de petits boulots pour survivre : vendeur
sur les marchés, diseur de bonne
aventure, ou encore garçon de café dans
la ville de Craiova où son errance prit fin
lorsqu’un client aisé l’entendit jouer du
violon. Quand l’homme apprit que
Constantin avait lui meme fabriqué
l’instrument avec du bois de
récupération, il le fit entrer à l’école des
arts et métiers. Là, Constantin
perfectionna son don pour la sculpture,
poursuivant ensuite son apprentissage à
la prestigieuse école des beaux arts de
Bucarest. Son diplôme en poche, il décida
de partir à Paris, et c’est à pied qu’il
parcourut les deux mille trois cents
kilomètres qui le séparaient de la
capitale des arts!
Une fois à Paris, il se consacra corps et
âme à la sculpture.
Constantin travaillait le bois, la pierre, le
marbre et le métal. Il se laissait guider
par l’aspect naturel du bloc qu’il sculptait.
La Muse endormie, une harmonieuse tête
ovale en métal poli, et Oiseau dans
l’espace, une forme qui évoque la grâce
aérienne d’un oiseau, figurent parmi ses
œuvres les plus connues.
Parce que Constantin sculptait les choses
comme il les ressentait, sans
nécessairement chercher la
ressemblance, certains critiques lui
reprochèrent de créer des œuvres trop
abstraites. Lui voyait les choses
autrement : ce qui comptait pour
Constantin, ce n’était pas d’être fidèle aux
apparences, mais à ses émotions.
Après la prise de pouvoir des
communistes, il ne retourna plus en
Roumanie. Malgré tout, il voulut donner
ses œuvres à son pays d’origine. Mais le
gouvernement roumain refusa.
Cela n’empêcha pas Constantin de
devenir célèbre dans le monde entier.
Soixante dix ans après son brutal refus,
le gouvernement roumain a fait appel à
la générosité de sa population pour
réunir une partie des onze millions
d’euros nécessaires à l’acquisition d’une
seule sculpture du petit berger d’Hobita.

39
 x|-
CAROLBECKWITH
(NÉE EN 1945)

&ANGELAFISHER
(NÉE EN 1947)
Bien que l’une soit née en Australie et l’autre aux États Unis,
Carol et Angola ont toujours ressenti la même attirance pour
l’Afrique.

Alors qu’elle s’y rendait pour la première
fois à l’invitation d’une amie, Carol eut
l’occasion de passer du temps avec un
groupe de Massaï, une tribu de
redoutables guerriers semi nomades
dont la vie tourne autour du bétail.
Tombée elle aussi amoureuse de la
culture de ce peuple, Angela se lia
d’amitié avec Carol, et les deux femmes
décidèrent d’aller photographier
ensemble une cérémonie guerrière.
Très vite, les nouvelles amies comprirent
qu’elles partageaient non seulement un
même amour pour l’Afrique, mais aussi
un même but : garder une trace des
anciennes cultures encore vivantes sur ce
continent vaste et pluriel qui a vu naître
les tout premiers êtres humains.
Depuis qu’elles se sont rencontrées, Carol
et Angola ont parcouru ensemble
435000 kilomètres à travers quarante
pays africains, saisissant les modes de vie
de 150 cultures différentes avec leurs
40
appareils photos. Au fil de leurs
pérégrinations, elles ont noué des amitiés
indéfectibles, se sont fait arrêter par la
police, et ont été les témoins de profonds
changements.
Au Kenya, elles ont assisté à la rébellion
des jeunes filles d’une tribu Pokot qui
refusait un rituel subi par les femmes
depuis des centaines d’années. Afin
d’éviter l’absurde et douloureuse
mutilation imposée par cette tradition,
ces filles se réfugièrent dans une école de
missionnaires où elles furent rejointes
par des garçons. Avec le temps, une
nouvelle tribu se constitua, respectueuse
des traditions à l’exception de ce rituel
archaïque.
Tandis que les guerres font rage et que le
monde moderne avale tout, les coutumes
ancestrales évoluent ou disparaissent,
parfois pour le meilleur et souvent pour
le pire. Grâce aux photographies de Carol
et d’Angola, ces cultures menacées ne
seront jamais oubliées.
 -t-
DENGAOUT
(NÉ EN 1980)
Deng vivait une enfance heureuse dans la bananeraie de ses
parents, située aux abords d’un petit village de pêcheurs du
Soudan du Sud. Il avait six ans le jour où sa vie bascula.
La guerre faisait rage au Soudan, et les
generaux ne reculaient devant rien pour
enrôler de nouvelles recrues. Ce jour là,
des soldats liront irruption dans le
village de Deng et l’emmenèrent de force.
Il fut contraint de marcher trente trois
jours avec une trentaine d’autres enfants
kidnappés comme lui. Cette marche fut
un calvaire : certains garçons subirent
les attaques d’animaux sauvages.
D’autres moururent sous les balles de
bandits. D’autres encore, privés d’eau et
de nourriture, s’écroulèrent épuisés et
sans vie.
Deng survécut jusqu’en Éthiopie. Là, on
lui montra comment se servir d’un fusil
d’assaut avant de l’obliger à combattre au
sein de l’Armée populaire de libération
du Soudan. Lorsqu’il tira pour la
première fois avec ce puissant fusil, il
était si petit que le recul lui démit
l’épaule.
Deng vécut l’enfer et fut le témoin
d’horreurs qui dépassent l’imagination
- des enfants déchiquetés par des
grenades pendant les combats ou
mourant tout simplement de soif.
Lui même fut grièvement blessé et faillit
se vider de son sang.
43
Mais le destin n’avait pas dit son dernier
mot : Deng retrouva son frère John Mac,
et ils réussirent à fuir vers le Kenya en se
cachant sous des sacs de maïs, à l’arrière
d’un camion. Après dix huit mois dans
un camp de réfugiés, les frères se virent
octroyer un visa pour l’Australie. Ils
s’envolèrent pour leur nouveau pays,
impatients de laisser la brutalité de la
guerre derrière eux et de commencer
une nouvelle vie.
Depuis lors, Deng a fait du chemin. Après
avoir étudié le droit à l’université
occidentale de Sidncy, l’enfant soldat est
devenu avocat. Il représente les intérêts
d’un grand nombre de Soudanais vivants
en Australie, souvent à titre gratuit.
En 2014, son frère John Mac retourna au
Soudan pour aider des civils à fuir la
guerre. Il mourut alors qu’il faisait
traverser le Nil à plusieurs familles. Pour
rendre hommage à l’homme
extraordinaire qu’était son frère, Deng a
récemment créé la Fondation John Mac.
Elle s’est donnée pour but d’aider, grâce
au pouvoir de l’instruction, ceux dont la
vie a été broyée par la guerre.
 -i-
CHRISTINE DE PIZAN
(1364-1430)
Fille de l’astrologue du roi Charles V, Christine avait accès à
la bibliothèque du souverain où elle passait des heures,
entourée de livres. Bien que née à une époque où les
femmes étaient rarement instruites, son père avait tenu à ce
qu’elle apprenne au moins à lire et à écrire.

Elle adorait la lecture, mais était horrifiée
par toutes les remarques misogynes qui
parsemaient les ouvrages de la
bibliothèque. En ce temps là, les femmes
vivaient généralement sous l’autorité
masculine, ne possédaient rien, et
n’avaient pas le droit d’exercer un
véritable métier. Christine pensait que
cette discrimination était largement due
à la façon dont les femmes étaient
décrites dans les livres, comme si elles
étaient des créatures cruelles ou
stupides plutôt que des êtres humains
qui méritaient d’être traités à l’égal des
hommes.
Quand son père, puis son mari
moururent, Christine se retrouva seule
avec sa mère et trois enfants à charge.
Son mari ne lui ayant pas laissé assez
d’argent pour vivre sans travailler, elle fit
la seule chose qu’elle savait très bien
faire, à savoir écrire, devenant ainsi la
première femme de lettres française. En
1400, soit treize ans après le décès de son
mari, ses poèmes d’amour et de deuil
étaient lus et appréciés à travers toute
l’Europe.
Mais elle voulut aussi utiliser son talent
d’écrivain pour donner une vision
différente de la gent féminine. Dans
La Cité des dames, Christine remet en
cause le regard essentiellement masculin
que la société d’alors portait sur les
femmes, en présentant des figures
féminines historiques, fortes et
puissantes. Réfutant l’idée largement
répandue de l’infériorité naturelle de son
sexe, elle imagine une cité nouvelle dans
laquelle les femmes seraient instruites,
respectées et autorisées à jouer un
véritable rôle dans la société.
Nombre d’intellectuels considèrent
La Cité des dames comme l’un des tout
premiers ouvrages de littérature
féministe. C’est ainsi que Simone
de Beauvoir écrivit à propos de
Christine : «C’est la première fois qu’on
voit une femme prendre la plume pour
défendre son sexe. »

44
WM
 DOBRIDOBREV
(1914-2018)
Dobri vit le jour en 1914, clans un petit village bulgare du
nom de Bailovo. La Première Guerre mondiale le priva de
père, et il fut élevé par sa mère. Quant à la Seconde Guerre
mondiale, c’est de l’ouïe dont elle le priva presque
entièrement lorsqu’un obus explosa tout près de lui.

En 2000, Dobri céda tout ce qu’il se cachait derrière cet étonnant

possédait à une église et décida de
consacrer sa vie à faire le bien. Il
s’installa dans une modeste habitation et
y vécut jusqu’à sa mort.
Jour après jour, il parcourait à pied le
long chemin qui le séparait de Sofia, la
capitale bulgare, où il allait récolter de
l’argent devant la cathédrale Saint
Alexandre Nevski. Beaucoup le prenaient
pour un simple mendiant, ignorant qu’il
reversait à des églises et des monastères
tout l’argent qu’il recevait. La cathédrale
qui le voyait chaque jour tendre la main,
puis embrasser celle des donateurs,
reçut l’incroyable somme de 20 000
euros de la part de «grand père Dobri»,
comme les gens avaient fini par le
surnommer affectueusement.
Quand quelqu’un lui posait des questions
sur sa vie, curieux de savoir l’histoire qui
personnage, Dobri se contentait de dire
qu’il avait fait quelque chose de mal,
autrefois, et qu’il avait à cœur de se
racheter.
« La bienveillance est juste et vraie, a dit
Dobri. Nous devons nous aimer les uns
les autres. »
Sur le mur d’un immeuble de Sofia,
l’artiste de rue Ernaste Nasimo a peint
une immense fresque de Dobri tenant
une bougie allumée sous son visage de
vieux sage. Les médias l’appelèrent
« Le saint de Bailovo ».
Dobri s’est éteint à l’âge vénérable de
cent trois ans. Dans un pays aux prises
avec la pauvreté et la corruption, Dobri
est devenu un symbole de bonté et
d’espoir.

47
 DOROTH Y DIETRI CH
(NÉE EN 1969)
Les balles avaient été acheminées sous bonne garde. Une
d’entre elles fut choisie au hasard, puis chargée dans un fusil
pointé directement sur la tête de Dorothy. La scène était
filmée en direct à la télévision canadienne. Dorothy se tenait
debout contre un mur, vêtue d’une robe rouge, un petit
récipient en métal dans la bouche. Un doigt pressa la détente.

Dorothy attrapa la balle avec sa bouche.
Ce jour là, elle devint la première femme
à réaliser le bullet catch, un tour si
dangereux qu’il avait déjà coûté la vie à
plusieurs magiciens.
Depuis toute petite, Dorothy avait appris
à échapper au danger. Lorsqu’elle jouait
aux cow boys et aux Indiens avec ses
frères, ils finissaient toujours par la
ligoter. Et elle, Dieu sait comment,
réussissait toujours à s’échapper.
«Tu te prends pour qui? lui demanda un
jour sa tante. Pour Houdini?»
Dorothy se rendit à la bibliothèque pour
savoir qui était au juste cet Houdini. Elle
lut qu’il était le plus célèbre des
escapologues, ce drôle de mot désignant
les gens qui, comme elle, étaient des
maîtres de l’évasion. Entravé par de
lourdes chaînes, suspendu par les pieds
dans le vide ou profondément enterré,
Houdini avait émerveillé le monde en
parvenant à s’échapper à chaque fois.
Dorothy eut envie de faire comme lui.
Elle quitta la maison à treize ans et partit
48
à New York en stop. Elle avait le
sentiment de marcher dans les pas de
son héros, Houdini ayant fugué à douze
ans pour rejoindre un cirque.
Elle étudia l’art de l’illusion et de l’évasion,
dévorant les livres qui lui tombaient sous
la main et s’inspirant des prestidigitateurs
contemporains. Bientôt, Dorothy se
produisit dans les hôtels, les écoles et les
discothèques. Ses tours de magie
acquirent une grande réputation, comme
celui où des petits animaux
apparaissaient de nulle part, ou encore
celui où elle faisait léviter des spectateurs.
Lorsqu’elle fut invitée à les exécuter à la
télévision, Dorothy renversa les rôles :
pourquoi était ce toujours des femmes
qui se faisaient découper en rondelles
par des hommes? Elle se mit à scier
toute célébrité masculine qui acceptait
de jouer le jeu.
Aujourd’hui, Dorothy a ouvert un musée
à la gloire de son héros, Harry Houdini,
et elle s’y produit dès qu’elle a un
moment de libre.
 DR SEUSS
(1904-1991)
À Springfield, dans l’Illinois, le père de Theodor Seuss Geisel
possédait une brasserie qui produisait plus de
300000 barils de bière par an. Malheureusement pour lui, le
gouvernement américain prohiba l’alcool en 1920, forçant la
brasserie familiale à mettre la clef sous la porte.

Le maire le chargea alors de superviser Conscient que les ouvrages scolaires

les parcs de la ville, parmi lesquels
figurait le zoo. 11 y emmenait souvent son
fils Theodor, qui prenait toujours son
carnet de croquis avec lui. De retour chez
lui, le garçon tapissait les murs de sa
chambre de dessins d’animaux pendant
que sa mère le faisait rire en inventant
des rimes absurdes.
Theodor fit des études supérieures à
l’université de Dartmouth, où il devint
rédacteur en chef de la revue
humoristique de sa fraternité. Lors d’un
vote, ses nombreux amis le désignèrent
comme «l’étudiant qui avait le moins de
chance de réussir dans la vie».
Lorsque la Seconde Guerre mondiale
plongea le monde dans le chaos et les
ténèbres, Theodor intégra l’unité de
propagande cinématographique du
célèbre réalisateur Frank Capra, dont la
mission était de remonter le moral des
troupes et des civils américains.
La guerre finie, Theodor s’installa en
Californie. Découvrant que la lecture
posait des problèmes à un grand nombre
de jeunes Américains, il voulut les aider.
pouvaient être affreusement ennuyeux,
il s’efforça d’écrire un livre que les
enfants prendraient plaisir à lire. Parce
qu’on apprend beaucoup plus facilement
en s’amusant !
De cette idée naquit Le Chat chapeauté
que Theodor publia sous le pseudonyme
Dr Seuss. Étrange et désopilant récit qui
joue sur les mots et les sonorités, le livre
captiva des millions d’enfants, leur
apprenant à lire tout en les pliant de rire.
Désormais connu sous le nom de
Dr Seuss, Theodor continua à écrire et à
dessiner pour les enfants, à leur ouvrir
les portes de ce monde merveilleux
qu’est la lecture. Si vous ne les avez pas
encore lus, allez donc tourner les pages
des Œufs verts au jambon, du Chat
Chapeauté, de Horton, du Grinch ou
encore du Lorax.
Il y aura bientôt trente ans que Theodor
nous a quittés, mais ses histoires sont
toujours lues avec bonheur partout dans
le monde, par les enfants mais aussi
leurs parents.

51
 ELISABETH
DEHONGRIE
(1207-1231)
Fille du roi André II de Hongrie, Élisabeth naquit en 1207.
À quatorze ans, elle épousa Louis IV de Thuringe,
un artistocrate qu’elle aima profondément et avec qui
elle eut trois enfants.
Élisabeth avait à cœur de vivre selon les
principes de l’Évangile. Quand d’autres
auraient choisi une existence facile de
luxe et de plaisir, la fille du roi de Hongrie
ne songeait qu’à aider ceux qui n’avaient
pas sa chance.
Alors que son mari Louis voyageait pour
affaires, des inondations submergèrent
la Thuringe. Élisabeth secourut autant de
monde qu’elle le put, n’hésitant pas à
donner scs propres vêtements aux
nécessiteux, ainsi que des biens en
provenance du château. Elle s’habillait
simplement, refusant de revêtir les
riches atours des femmes de son rang,
et allait à pied porter du pain aux
pauvres des environs.
Parti en croisade en 1227 aux côtés de
l’empereur Frédéric II, Louis tomba
malade et mourut loin d’Élisabeth. Le
cœur brisé, elle promit de lui rester
fidèle et de ne jamais se remarier.
52
Sa grande générosité envers les pauvres
était très mal vue par la famille de Louis,
lequel n’était plus là pour la protéger de
leur hostilité. Elle fut bientôt chassée du
château où elle avait vécu avec son mari
et dut se séparer de ses enfants, faute de
moyens pour les élever convenablement.
Elle consacra alors sa vie aux plus
démunis. Chaque jour, elle se rendait
dans un hôpital qu’elle avait fait
construire et passait de lit en lit, soignant
les malades.
Élisabeth s’éteignit en novembre 1231.
Elle n’avait que vingt quatre ans. On
raconte qu’aussitôt après scs obsèques,
des miracles se multiplièrent autour de
sa tombe. Des enfants aveugles
recouvrèrent la vue, des estropiés se
remirent à marcher, et on vit même des
morts ressusciter. Quatre ans après sa
disparition, la sainteté d’Élisabeth fut
officiellement reconnue.
LES PIRATES DE L'EDELWEISS
Lorsque l’Allemagne était sous la domination brutale des
nazis, beaucoup d’enfants rejoignirent les Jeunesses
hitlériennes, une organisation qui leur enseignait la haine et
la cruauté. En 1936, l’adhésion devint obligatoire pour tous les
jeunes de dix à dix huit ans, sous peine de sévères sanctions.

Mais certains ne l’entendirent pas de des lederhosen1 et des foulards noués

cette oreille.
Les Pirates de l’Edelweiss étaient des
groupes de jeunes qui, à travers
l’Allemagne, s’opposèrent aux nazis en
refusant d’intégrer les Jeunesses
hitlériennes. Pour la plupart, les Pirates
étaient des gamins de la classe ouvrière
âgés de quatorze à dix sept ans qui
travaillaient à l’usine. Ils voulaient
profiter de leur jeunesse, et le contrôle
qu’exerçaient les nazis sur les faits et
gestes de la population leur donnait la
sensation d’étouffer. Le jazz avait été
interdit, des milliers de livres étaient
brûlés chaque jour, et les gens vivaient
dans la peur, n’osant exprimer leur
opinion sur ce régime tyrannique de
crainte d’être dénoncés aux autorités.
Les Pirates trouvèrent dans les
montagnes et les campagnes allemandes
la liberté de dire et de chanter ce qu’ils
avaient sur le cœur. Ils partaient en
randonnée dans la nature sauvage, loin
de la surveillance nazie, dormaient sous
la tente ou sur la paille d’une grange, et
chantaient des chansons interdites
autour d’un feu de camp. Ils avaient les
cheveux longs, des chemises à carreaux,
autour du cou. À la nuit tombée, ils
recouvraient les murs des villes de
slogans hostiles à Hitler.
Ils cachaient aussi des déserteurs ou des
prisonniers évadés. À chaque fois qu’ils
trouvaient la voiture d’un nazi, ils
versaient du sucre dans le réservoir. Ils
affrontaient les Jeunesses hitlériennes
dans des batailles de rue, pillaient les
magasins où les nazis se fournissaient, et
utilisaient tous les moyens possibles
pour donner des informations aux pays
qui combattaient Hitler.
Ces actions demandaient un grand
courage : les Pirates qui se faisaient
arrêter étaient passés à tabac, envoyés
en camp de concentration ou même
pendus. Mais ça ne les empêchait pas de
chanter :
Hitler veut nous contraindre par la Force
Nous maintenir enchaînés
Mais un Jour nous serons libres à
nouveau
Un jour nous briserons nos chaînes.
Pantalons en cuir traditionnels des Bavarois

55
 -i'
ELLEN MacARTHUR
(NÉE EN 1976)
Dans le livre Hirondelles et Amazones, les enfants de deux
familles passent leur été à faire du bateau à voile sur un lac,
à camper sous les étoiles et à pêcher du poisson pour
le dîner. Après avoir relu ses passages préférés, Ellen
s’endormait en rêvant de naviguer sur son propre voilier.

Pendant des années, Ellen économisa
l’argent que ses parents lui donnaient
pour déjeuner et parvint à réunir une
somme suffisante pour acquérir son
premier bateau. C’était une modeste
embarcation qu’elle appela Threp’ny Bit,
le nom d’une ancienne pièce de trois
pence, clin d’œil à toute la monnaie
qu’elle avait amassée.
À dix huit ans, elle s’acheta un bateau un
peu plus grand et entreprit un tour de
Grande Bretagne à la voile. Désormais
atteinte du virus de la navigation, Ellen
se lança dans des compétitions
internationales, sillonnant le globe sur
son voilier. Après quelques tentatives
manquées, elle battit le record du tour
du monde à la voile en solitaire. Pour
accomplir cet exploit, elle navigua
quasiment vingt quatre heures sur
vingt quatre, ne dormant jamais plus de
vingt minutes d’affilée.
Mais elle n’était pas vraiment seule.
À terre, un public nombreux suivait ses
progrès grâce aux vidéos qu’elle
enregistrait en guise de journal de bord,
tandis que son bateau était balloté sans
merci par des vagues gigantesques.
Son voyage de 71 jours, 14 heures,
18 minutes et 33 secondes la fit connaître
dans le monde entier, et Ellen décida de
se servir de sa célébrité pour faire
quelque chose d’utile.
Durant toutes ces journées passées en
tête à tête avec elle même, Ellen avait
beaucoup réfléchi. Aux baleines
longtemps chassées sans pitié, jusqu’à
les mettre en danger d’extinction. Au fait
qu’on trouvera plus de plastique que de
poissons dans l’océan en 2050, si rien
n’est fait d’ici là. Elle avait pris conscience
de la nécessité de changer notre façon
d’agir, sous peine d’épuiser les
ressources de notre planète.
Renonçant à sa carrière sportive pour
mettre sa combativité au service de la
planète, elle créa la Fondation Ellen
MacArthur, dont le but est d’encourager
les gens à se tourner vers un mode de vie
plus durable. Espérons que ses initiatives
aideront à préserver l’océan pour les
futures générations de navigateurs.

56
 -i-
ELLEN CRAFT (1826-1891)

& WILLIAM CRAFT

(1824-1900)
Mari et femme, William et Ellen Craft étaient esclaves à Maçon,
dans l’État de Géorgie. Née d’une mère métisse et d’un père
blanc, Ellen avait une peau très claire, au point qu’on la prenait
souvent pour un membre de la famille de son maître.

Cela donna une idée à William. Certains esclaves, Ellen se retrouva assise entre
États d’Amérique interdisaient l’esclavage. deux hommes blancs dans une luxueuse
Si un Noir parvenait à se rendre dans un voiture séparée. Nerveuse, elle fit
de ces États libres, il s’affranchissait de sasemblant d’être sourde pour ne pas être
condition d’esclave. Mais deux Noirs trahie par sa voix. Les Craft embarquèrent
voyageant seuls avaient toutes les chances ensuite à bord d’un bateau à vapeur à
d’attirer l’attention et de se faire arrêter, destination de Philadelphie, un État libre.
puis durement fouetter. En revanche, Le déguisement d’Ellen était si réussi
songea William, un esclave et son maître qu’elle fut même invitée à dîner par le
passeraient inaperçus. capitaine! Après quatre jours de voyage
William coupa les cheveux de sa femme, éprouvants, ils étaient enfin libres.
qui enfila ensuite un pantalon qu’elle avait Dès leur arrivée, ils commencèrent
cousu elle même. Les Craft complétèrent l’apprentissage de l’écriture et de la
le déguisement masculin avec une paire lecture. Ils finirent par s’installer à Boston
de lunettes et grand chapeau chic. Enfin, où Ellen devint couturière et William
ils eurent l’idée géniale de mettre le bras ébéniste. Mais deux ans plus tard, quand
d’Ellen en écharpe pour éviter qu’on lui un chasseur d’esclaves se mit à leurs
demande d’écrire, car elle n’avait jamais trousses, ils s’enfuirent en Angleterre.
appris. L’esclavage fut officiellement aboli en 1865
Le couple s’échappa de la propriété de leur aux États Unis. Trois ans plus tard, les
maître et fila vers la gare où ils achetèrent Craft y retournèrent et fondèrent une
deux billets pour Savannah, une ville ferme école destinée aux esclaves
située à trois cents kilomètres de là. nouvellement libérés.
Tandis que William voyageait avec les
59
 EMMA GONZALEZ
(NÉE EN 1999)
Chaque année, les armes à feu tuent plus de 11500
personnes aux États Unis, meurtres et accidents confondus.
En France, aux alentours de 100. Les armes à feu sont légales
aux États-Unis. Pas en France.
Le 14 février 2018, un ancien élève a
déboule dans le lycée d’Emma Gonzalez
avec un fusil d’assaut, tuant dix sept
personnes. C’était la 208e fusillade en
milieu scolaire américain depuis 1999.
Cet événement tragique traumatisa Emma
et ses camarades de classe. Pendant deux
terrifiantes heures, ils étaient restés
caches dans une salle de cours, sans savoir
s’ils allaient vivre ou mourir.
Les élèves survivants pleurèrent leurs
amis perdus, mais ils réclamèrent aussi
des explications : pourquoi était il si facile
de se procurer des armes? Pourquoi
étaient elles autorisées alors qu’elles
génèrent plus de violence que de
sécurité? Qui allait les aider à changer ça?
Ils rejoignirent un combat qui fait rage
depuis des années aux États Unis. Si
certains citoyens veulent être libres de
posséder des armes à feu, d’autres
estiment que la vraie liberté est de vivre
dans une société moins violente, c’est à
dire sans armes à tous les coins de rue.
Emma prononça d’émouvants discours à
l’intention des dirigeants de son pays,
plaidant pour un contrôle plus strict des
60
armes. Au nom de ses amis morts sous
les balles, elle réclama du changement.
Avant la fusillade, Emma était une
lycéenne férue d’art, d’astronomie et
d’expression écrite. Elle s’occupait de
l’alliance gay hétéro de son école (une
organisation pour aider tout le monde à
s’intégrer) et se rasait les cheveux pour
garder la tête froide sous le soleil de
Floride. Après la tragédie, elle devint le
nouveau visage de la lutte contre les
armes à feu.
Emma organisa la March For Our Lives
(Marche pour nos vies), ensemble de
manifestations pacifiques qui se
déroulèrent le 24 mars 2018 dans plusieurs
villes pour réclamer un contrôle accru des
armes à feu. Entre 1,5 et 2 millions de
jeunes descendirent dans la rue ce jour là,
ce qui en fit la plus grande manifestation
d’élèves de l’histoire des États-Unis.
«Après toutes ces morts et toutes ces
souffrances causées par la violence
armée, a dit Emma, il semble que seuls
les jeunes aient l’énergie et la volonté
nécessaires pour faire bouger les
choses.»
 -t-
ERIC UNDERWODD
(NÉ EN 1984)
Eric apprit d’abord à danser dans la rue. Lui et ses soeurs se
lançaient des défis au son de la radio, devant leur maison de
banlieue du Maryland. Mais ils vivaient dans un quartier
dangereux. Quand des coups de feu éclataient, leur mère leur
criait de se coucher au sol.

Un jour, elle inscrivit Eric dans la section
théâtre d’une école des arts de la scène.
L’audition d’entrée fut un fiasco : il
n’arrivait pas à se souvenir des répliques.
«Est ce qu’il y a une autre discipline dans
laquelle tu te sentirais plus à l’aise?»
demandèrent les professeurs. Eric
comprit qu’il devait trouver quelque
chose s’il ne voulait pas dire adieu à cette
école. Dans une salle, il aperçut un groupe
de filles en tutus qui faisaient des
étirements.
«J’aimerais faire ça», répondit il d’une
voix hésitante.
Les professeurs l’encouragèrent à essayer,
et bientôt Eric prit régulièrement des
cours, visionnant chaque jour des vidéos
de célèbres ballets sur YouTube et
s’efforçant de reproduire les pas et les
mouvements. Dans sa chambre, il posait
le pied sur la couchette supérieure de son
lit superposé pour faire des étirements.
À quinze ans, son talent lui permit d’obtenir
une bourse d’étude et d’intégrer la School
of American Ballet de New York, une des
écoles les plus prestigieuses du monde.
Parce que les Noirs sont peu représentés
dans le milieu de la danse classique, les
chaussons de danse ont toujours été d’un
rose pâle qui se confond à la peau
blanche, mais pas vraiment à la peau
noire ! Puisque les chaussons pour
danseurs noirs n’existaient pas, Eric
devait appliquer du maquillage sur les
siens avant chaque représentation.
Cela ne l’a pas empêché de devenir la star
du Royal Ballet de Londres. Et une
entreprise a même fini par collaborer
avec lui pour concevoir les premiers
chaussons adaptés aux danseurs à la peau
sombre.
Invité dans une école de garçons, Eric
rencontra un gamin qui avait du talent
pour la danse classique. Mais son père
préférait qu’il joue au foot, parce que ça
correspondait mieux à l’idée qu’il se
faisait d’un garçon. Cela contraria Eric.
Il voudrait tant faire comprendre que la
danse classique est pour tout le monde :
les riches et les pauvres, les garçons et
les filles. C’est juste un moyen parmi
d’autres de s’exprimer et d’émouvoir
les gens.

63
EVONNEGDO LAGONGCAWLEY
(NÉE EN 1951)
Petite fille, Evonne passait des heures à frapper une balle
contre une citerne à l’aide d’un morceau de bois. Bravant les
discriminations raciales, elle se mit à jouer au tennis. Très
vite, elle fut repérée par le directeur d’un club qui la prit sous
son aile, l’invitant même à vivre au sein de sa famille.

Evonne est une aborigène Wiradjuri. Son
peuple vivait en Australie des milliers
d’années avant que des colons anglais
viennent voler leur terre et les tuer,
provoquant une chute brutale de leur
population, ainsi qu’un douloureux
déracinement.
Les aborigènes croient que tout ce qui
existe sur notre planète des rivières aux
montagnes en passant par les êtres
humains et les kangourous a été créé
par leurs ancêtres au cours d’une période
qui serait à l’origine de tout et qu’ils
appellent le «Temps du rêve». Ils jouent
de la musique avec des didgeridoos et
divers idiophones, des instruments qui
comptent parmi les plus anciens au
monde. Leur esprit créatif s’exprime
également à travers des motifs complexes
qu’ils dessinaient autrefois sur la roche
ou les murs des grottes, et qu’on retrouve
aujourd’hui sur un large éventail de
supports.
Souvent, à cause de la façon dont leurs
ancêtres ont été traités par les colons et
de la discrimination raciale, les enfants
aborigènes peinent à trouver leur voie en
Australie. Aujourd’hui encore, Evonne fait
figure d’exception.
Elle partit vivre aux États-Unis, et son
talent s’imposa sur les cours de tennis du
monde entier. Sacrée deux fois numéro
un mondiale, elle remporta quatre vingt
six tournois en simple (dont sept titres du
Grand Chelem), fut nommée Australienne
de l’année et se vit même honorée par un
timbre à son effigie. Neuf années durant,
elle figura parmi les dix meilleures
joueuses du monde et devint la seconde
joueuse de tous les temps à remporter
Wimbledon après avoir eu un enfant.
À sa mort de sa mère, Evonne retourna en
Australie, poussée par l’envie de
redécouvrir son héritage aborigène. Elle
créa la Fondation Evonne Goolagong dont
le but est d’offrir, à travers la pratique du
tennis, de meilleures perspectives
d’avenir aux enfants aborigènes. Depuis
maintenant vingt deux ans, la fondation
aide des gamins à donner le meilleur
d’eux mêmes, comme l’a toujours fait
Evonne.

64
 EUGENEHUTZ
(NÉ EN 1972)
Eugene avait treize ans quand la centrale nucléaire de
Tchernobyl explosa, rejetant des particules radioactives dans
l’air de Kiev, en Ukraine. Avec sa famille, Eugene quitta la ville
à la hâte pour s’installer chez sa grand-mère rom.
Traditionnellement nomades, les Roms avaient été
sédentarisés de force par le régime communiste et
contraints de travailler dans les usines et les fermes d’État.

Après être passée par divers camps de
demandeurs d’asile en Pologne, en
Autriche et en Italie, la famille d’Eugene
posa enfin ses valises à Burlington, une
ville américaine de l’État du Vermont. Il
leur était impossible de revenir à Kiev, le
père d’Eugène étant dans le collimateur
du gouvernement soviétique, qui
n’appréciait pas le groupe rock dans
lequel il jouait de la guitare.
Ce père guitariste ne tarda pas à lui
transmettre son amour de la musique. Il
l’emmena voir des groupes punk et lui
apprit à jouer de la guitare sur un
instrument qu’il avait fabriqué lui même.
Jeune adulte, Eugene partit vivre à
New York où il fit la connaissance d’autres
émigrants. Venus des quatre coins du
globe, ils étaient obsédés par la musique
gitane, inspirés par leurs racines ou tout
simplement passionnés. Ensemble, ils
formèrent Gogol Bordello, un groupe de
punk rock gitan qui propose une musique
joyeuse et tapageuse, influencée par les
multiples origines de ses membres.
On trouve Scrgey le Russe au violon,
Tommy ('Éthiopien à la basse, Pedro
l’Équatorien aux percussions, Ori
l’Israélien au saxophone, auxquels
s’ajoutent une flopée de musiciens de
tous horizons venus apporter leur talent,
leur culture et leur excentricité au
groupe.
À l’occasion d’une de ses visites annuelles
en Ukraine, Eugène joua quelques
morceaux dans un camp de Roms.
Entendre leurs mélodies traditionnelles
accompagnées du son des guitares
électriques et de la boîte à rythmes
désarçonna les Roms, qui se mirent
bientôt à rigoler. En quelques secondes,
une immense vague de fou rire
submergea le camp!
Dans une Amérique parfois tentée de se
replier sur elle même, la vision positive
que les chansons endiablées d’Eugene
véhiculent sur l’immigration et l’amitié
entre les peuples est plus importante que
jamais.

67
 GERTRUDE STEIN
(1874-1946)
Au début des années 1900, les artistes du monde entier
convergeaient vers Paris. Ils peignaient des toiles
mélancoliques de rues luisantes de pluie, composaient des
poèmes romantiques sur les quais de la Seine et
transformaient leurs aventures quotidiennes en romans.

Au centre de toute cette énergie créative
se trouvait Gertrude.
Née aux États Unis, elle vécut très jeune
à Vienne, puis à Paris. Quand sa famille
retourna finalement en Californie,
Gertrude trouva l’école affreusement
ennuyeuse et passa le plus clair de son
temps le nez dans les livres.
Orpheline à dix sept ans, elle se lança
dans des études de psychologie et de
médecine, mais elle se heurta au
machisme ambiant. À cette époque, le
milieu de la médecine était
essentiellement masculin, et Gertrude se
disputait sans cesse avec des hommes
persuadés de tout savoir mieux qu’elle.
Découragée, elle abandonna avant d’être
diplômée et rejoignit son frère Léo qui
s’était installé à Paris.
Gertrude et Léo se mirent à collectionner
des œuvres d’art. L’appartement qu’ils
partageaient était rempli de tableaux et
de sculptures. Bientôt, leur collection
compta des œuvres qui allaient figurer
parmi les plus célèbres du monde, dont
des toiles de Cézanne, de Matissc et de
Picasso. Ces peintres de génie devinrent
aussi des amis proches de Gertrude.
Chaque samedi soir, son appartement se
remplissait de poètes, de peintres et
d’écrivains. Tous ces artistes gravitaient
autour de Gertrude, à l’affût de ses
histoires, de son humour acerbe et de
ses points de vue pleins de sagesse.
Qu’on s’appelât Hemingway ou Picasso,
Fitzgerald ou Matissc, tout le monde
voulait passer le samedi soir au 27, rue de
Fleurus, à célébrer l’art et la vie dans une
ambiance créative et jubilatoire.
Gertrude écrivait, elle aussi, et son style
était unique. Certains estimaient que ça
n’avait aucun sens, mais d’autres furent
profondément émus par la beauté des
étranges bégaiements de ses poèmes.
Dans «Sacrée Emily», elle écrit : Une rose
est une rose est une rose.
En prenant sous son aile de talentueux
artistes sans le sou et en repoussant les
limites de la langue, Gertrude a
contribué à propulser l’art dans le
XXe siècle.

68
 xjr-
HANS CHRISTIAN
ANDERSEN
(1805-1875)
Vous avez peut être entendu parler de la princesse qui dort
sur un petit pois. Ou de cet empereur qui pense porter de
sublimes habits alors qu’il est tout nu. Ou encore de la petite
sirène qui habite un royaume sous-marin, mais rêve de
rejoindre la terre ferme. Toutes ces histoires ont été écrites
par Hans Christian Andersen.

Hans est né au Danemark. Sa mère, pour le Théâtre Royal du Danemark.

blanchisseuse, était analphabète, mais
son père cordonnier lui lisait des
histoires, le soir avant de s’endormir.
Hans se prit rapidement de passion pour
les contes que lui racontait son papa. Ils
enflammaient son imagination et lui
permettaient de s’échapper de sa morne
existence.
À quatorze ans, il quitta la petite maison
familiale et se rendit à Copenhague, la
capitale du Danemark. Il se débrouilla
bien, sa jolie voix lui assurant une place
dans une chorale prospère. Mais l’âge lui
fit perdre son timbre cristallin et Hans
fut renvoyé. Il s’essaya ensuite à la danse
classique, mais dut admettre qu’il était
trop maladroit pour cette discipline. Il se
tourna alors vers le travail manuel, sans
davantage de succès.
C’est alors que la chance lui sourit en la
personne de Jonas Collins, qui travaillait
Impressionné par les histoires que Hans
s’était mis à écrire, Jonas convainquit le
roi de lui accorder une bourse d’étude.
Ces années sur les bancs de l’école furent
toutefois une période des plus sombres
pour Hans, raillé par les autres élèves
beaucoup plus jeunes que lui et maltraité
par le directeur de l’établissement. À
nouveau, il trouva une échappatoire dans
les histoires qu’il se racontait. Une fois
son calvaire scolaire terminé, il se
consacra entièrement à les écrire.
Scs contes ne rencontrèrent pas le
succès avant la publication de La Petite
sirène, qui lui valut enfin la renommée à
laquelle il aspirait. Partout dans le
monde, les histoires de Hans continuent
d’être racontées, au cinéma ou par des
parents assis au chevet d’un enfant qui
se laisse aspirer par ses rêves.

71
 GRETA GERWIG
(NÉE EN 1983)
Pendant son enfance sans éclat sur les bancs d’une école
catholique de Sacramento, en Californie, Greta avait le
sentiment de passer à côté de tout. Elle essaya la danse
classique et l’escrime, mais jouer la comédie était sa vraie
passion. Aussi fut elle aux anges lorsqu’elle décrocha le rôle
principal du Magicien D’Oz pour le spectacle de fin d’année.
Chaussée d’une paire de Converses rouges, la Dorothy des
temps modernes rêvait de devenir actrice.

Hélas, Greta ne fut acceptée dans aucune
des écoles d’art dramatique où elle avait
postulé. Cela ne l’empêcha pas de
s’installer à New York où elle étudia
l’anglais et la philosophie. Quitter
Sacramento pour une ville plus excitante
était déjà une victoire.
Mais Greta ne s’arrêta pas en si bon
chemin. Plutôt que de passer d’incertaines
auditions pour les films des autres, elle et
scs amis décidèrent de les réaliser eux
mêmes. Ces films étaient tournés avec des
moyens modestes et les acteurs
improvisaient la plupart du temps.
Ils permirent à Greta de se faire
remarquer, et on lui proposa des rôles
dans des productions de plus en plus
importantes.
Désormais en route vers la célébrité,
Greta se sentit nostalgique de
l’environnement qui lui avait semblé
autrefois trop étroit pour ses rêves. Elle
eut envie de retrouver les belles
demeures anciennes, les avenues
bordées d’arbres et les rivières sinueuses
de sa ville natale. Elle décida d’y tourner
un film dans lequel elle ne se contenterait
pas de jouer, mais qu’elle écrirait et
réaliserait elle même.
Lady Bird racontait la vie d’une
adolescente à Sacramento, son école
catholique, ses cheveux teints en rose, et
son envie de fuir sa ville endormie.
Lady Bird fut sélectionné pour un Oscar.
Les Oscars du cinéma existaient depuis
plus de quatre vingt dix ans, et Greta
n’était que la cinquième femme à être
nominée dans la catégorie « Meilleur
réalisateur». Accueillant la nouvelle avec
des cris, des rires et des larmes de joie,
elle s’écria : «Espérons que ça incitera
une nouvelle génération de femmes à se
lancer dans l’écriture et la réalisation de
films!»

72
 -t-
HERMETOPASCOAL
(NÉ EN 1936)
Hermeto est né albinos, ce qui signifie que sa peau est
privée du pigment naturel qui la colore, mais aussi qu’il a de
sérieux problèmes de vue. Au sein d’une famille paysanne,
sa peau pâle était trop fragile pour lui permettre de travailler
avec ses parents sous le soleil brûlant de la campagne
brésilienne. Seul à la maison, il passait le temps en jouant de
la musique avec les moyens du bord. Parce qu’il vivait dans
une région pauvre, sans établissement scolaire adapté à sa
déficience visuelle, Hermeto quitta l’école à dix ans.

Une fois en âge de se débrouiller seul, Cette prestigieuse collaboration fit

1 lermeto partit tenter sa chance à Rio de
Janeiro, là où l’immense statue du Christ
rédempteur veille sur la ville et où l’eau
semble prendre feu au soleil couchant, le
long de plage de Copacabana.
À Rio, il se mit à faire de la musique avec
tout ce qui lui tombait sous la main : des
verres, des tables, des parties du corps
humain, et même avec des animaux!
Pour Hermeto, tout est un instrument.
Toute chose en ce monde est
potentiellement musicale.
Les compositions qu’il enregistra à cette
époque attirèrent l’attention de Miles
Davis, l’un des musiciens de jazz les plus
célèbres au monde. Très impressionné
par la créativité, l’originalité et le talent
de cet artiste inclassable, Miles Davis
voulut absolument enregistrer avec lui.
décoller la carrière d’1 lermeto, et il n’a
cessé depuis de donner des concerts à
travers le monde avec son groupe.
Personne ne fait de la musique comme
lui. Hermeto ne s’en lient pas à un genre
musical, comme le jazz ou la samba ; il
joue ce qui s’impose à lui.
Marqué par son enfance à la campagne,
la nature lui est souvent une source
d’inspiration : dans une de scs
compositions intitulée « Müsica da
lagoa», des musiciens glougloutent sous
l’eau d’un lagon tandis qu’l lermeto joue
de la flûte traversière, à demi immergé.
Aujourd’hui, Hermeto est revenu vivre
dans la région de son enfance. Entouré
de sa famille et des nombreux musiciens
qu’il accueille, il passe ses journées à
écouter les mélodies que lui jouent la
nature et les objets du quotidien.

75
 -1'
HANNAH HERBST
(NÉE ENM)
Un jour, Hannah reçut une lettre de sa correspondante Ruth.
qui vivait en Éthiopie, sur la côte est de l’Afrique. Ruth lui
expliquait à quel point le quotidien de sa famille était
difficile en l’absence d’électricité et d’eau potable. Hannah,
qui vivait aux États-Unis, ne pouvait imaginer une existence
sans eau courante ni lumière à la nuit tombée. Elle eut envie
d’améliorer les choses. Envie d’aider, tout simplement.

Hannah s’intéressait à la science et à la à apporter des améliorations jusqu’à ce

technologie depuis qu’elle avait participé
à un stage d’initiation à l’ingénierie,
quand elle avait onze ans. Lors de ce
stage, elle s’était sentie un peu seule en
comprenant qu’elle serait l’unique fille
de son groupe, mais apprendre à
programmer des robots lui avait procuré
un tel sentiment d’excitation qu’elle était
restée malgré tout jusqu’au bout.
que son idée devienne réalité.
Son invention lui valut de remporter le
Prix du meilleur jeune scientifique
américain, doté de 25000 dollars et des
conseils d’un scientifique reconnu. Elle
mit à profit l’argent et les conseils pour
apporter de nouvelles améliorations à
son dispositif.

Après avoir lu cette lettre, Hannah
chercha un moyen de mettre sa passion
pour la science au service des problèmes
dont lui avait parlé Ruth. À seulement
quatorze ans, elle conçut les plans d’une
machine qui, une fois posée sur l’eau,
permettait de générer de l’électricité
grâce aux vagues et aux courants. Une
énergie qui pouvait ensuite servir à
assainir l’eau et éclairer les maisons.
Son premier prototype n’arrêtait pas de
se casser, ce qui exaspéra Hannah. Mais
au lieu de se décourager, elle tira des
enseignements de scs échecs et continua
À seize ans, Hannah fut admise à la
Florida Atlantic University pour y étudier
le génie informatique. Aujourd’hui, elle
continue de perfectionner BEACON, le
nom qu’elle a donné à sa machine.
Hannah n’a pas l’intention de la vendre.
Elle attend qu’elle soit parfaitement
opérationnelle pour en publier
gratuitement les plans sur Internet, de
sorte que Ruth et tous ceux qui en ont
besoin à travers le monde puissent la
construire gratuitement en suivant ses
explications.

76
 -i-
MJOHNSON
(NÉ EN 1975)
Jack a grandi à Hawaï, entre champs d’ananas et plages de
sable doré. Il s’est mis à surfer peu de temps après s’être mis
à marcher. À dix-sept ans, il est devenu le plus jeune surfeur
à atteindre la finale des Pipe Masters, une prestigieuse
compétition de surf.
Mais un accident mit un terme
prématuré à sa carrière : un jour, une
énorme vague le précipita, tête la
première, contre le récif. 11 perdit
quelques dents et gagna 150 points de
suture. Jack conserva néanmoins
l’amour du surf, mais il renonça à en
faire son métier.
Il se mit à filmer les exploits de ses amis
surfeurs, composant lui même la
musique qui accompagnait les vidéos.
Lorsqu’il se rendit compte que ses
compositions suscitaient encore plus
d’intérêt que ses images, il décida
d’explorer cette autre facette de son âme
d’artiste.
Son premier album, Brushfire Fairytalcs,
contenait des chansons qu’il avait
d’abord jouées à scs amis autour de feux
de camp allumés sur la plage. Le disque
se vendit à plus d’un million
d’exemplaires.
Quatre ans plus tard, son troisième
album, In Between Dreams, s’écoula à
quinze millions d’exemplaires. Jack
jouait désormais dans la cour des grands.
Scs mélodies douces, joyeuses,
79
dessinaient des sourires sur le visage de
ceux qui les écoutaient. À une époque où
la situation économique se dégradait
partout dans le monde, la musique de
Jack offrait un peu de paix.
Il se lança dans une tournée mondiale,
reversant les profits générés par ses
concerts à des œuvres de bienfaisance.
Après chaque spectacle, une partie des
recettes était distribuée à des
organisations locales investies dans la
protection de l’environnement. Le reste
était donné à une fondation qui
encourage les alternatives au plastique
ou les systèmes alimentaires locaux et
durables.
« L’amour, c’est quand on a envie de
donner plus qu’on a envie de prendre»,
dit Jack.
Quand il n’est pas sur les routes avec ses
musiciens, il essaie de surfer tous les
jours, se réveillant avant ses enfants
pour avoir le temps d’attraper quelques
vagues. Selon Jack, plonger de bon matin
dans l’océan est un excellent moyen de
se sentir vivant.
 HUA MU LAN
Il y a des siècles et des siècles de cela, alors que des féroces
tribus nomades du nord sillonnaient la Chine, dévastant
tout sur leur passage, l’empereur envoya ses émissaires
dans le moindre village pour enrôler tout homme en état de
combattre. En voyant arriver les soldats de l’empereur, la
jeune Mulan eut peur pour son père. Il était âgé, et elle
savait qu’il ne survivrait pas à la guerre.

Elle sc précipita à l’arrière de sa maison,
se coupa les cheveux aussi court que
possible et enfila des vêtements
d’homme. Quand les soldats de
l’empereur frappèrent à la porte, Mulan
se présenta comme l’homme de la
famille et rejoignit l’armée.
Au bout de dix années passées à batailler
dans la boue et la puanteur, Mulan fut
promue au grade de général. Au fil des
combats, elle s’était éprise de J in Yong,
un officier qui luttait à ses côtés. Quand
elle lui avoua être une femme, il tomba
lui aussi amoureux, promettant à Mulan
de ne jamais révéler son secret. Leur
amour fut comme un pied de nez à
l’horreur de la guerre.
Alors que les tribus nomades rendaient
les armes et que les hostilités prenaient
fin, l’Empcrcur de Chine voulut offrir un
poste prestigieux et toutes sortes de
faveurs à Mulan, en récompense de son
héroïsme. Mais elle refusa, ne
demandant qu’un cheval pour retourner
voir sa famille, ainsi qu’une escorte de
deux soldats.
Son père plissa les yeux dans le soleil en
voyant trois bers cavaliers se diriger vers
sa maison. Qui donc était ce majestueux
général flanqué d’une escorte? Lorsqu’il
comprit qu’il s’agissait de sa fille, son
cœur déborda de joie.
S’enfermant dans sa chambre de jeune
fille, Mulan relira son armure et remit les
vêtements qu’elle portait avant de
rejoindre l’armée. Lorsqu’elle en sortit,
les deux soldats qui l’accompagnaient
furent médusés de découvrir que leur
intrépide général était en réalité une
femme.
Des chansons furent écrites à la gloire de
Mulan, colportant ses exploits d’un bout
à l’autre de la Chine et à travers les âges.
Aujourd’hui, avec Mulan des studios
Disney et le film chinois Mulan, la
guerrière légendaire, le cinéma prend la
relève pour raconter au monde entier la
fabuleuse histoire d’une femme au grand
cœur et au grand courage.

80
&
 JOHNBRADBURNE
(1921-1979)
Après une enfance paisible passée au sein d’une famille
anglaise, John dut interrompre ses études quand la Seconde
Guerre mondiale éclata en 1939.
Pendant la guerre, il intégra les Gurkas,
une unité de soldats népalais recrutés par
l’armée britannique, et défendit
Singapour. La ville tomba aux mains des
Japonais, et il dut fuir dans la jungle avant
de faire naufrage en tentant de
s’échapper. Alors qu’il traversait ces
terribles épreuves, John eut une
révélation religieuse.
De retour en Angleterre, il séjourna dans
un monastère, puis entama un long
voyage spirituel, une sacoche en cuir
pour tout bagage. Seize années durant,
John sillonna l’Europe et le Moyen
Orient, écrivant des milliers de poèmes et
exerçant toutes sortes de métiers.
Lorsqu’il trouva l’endroit où il lui semblait
que son aide serait la plus utile, John
posa son unique valise.
Mutemwa est une léproserie située au
Zimbabwe, en Afrique. Ses pensionnaires
souffrent tous d’une maladie qui s’appelle
la lèpre et qui entraîne de graves
problèmes de vue, des lésions nerveuses,
et la perte de doigts ou d’orteils. Meme si
l’on sait depuis longtemps que la lèpre
n’est pas contagieuse, beaucoup de
lépreux restent contraints de vivre isolés.
83
John trouva les lépreux de Mutemwa
entassés dans des huttes délabrées,
souffrant de la faim et du manque
d’hygiène. 11 décida de vivre parmi eux.
John s’occupait des malades, chassait les
rats, cuisinait, chantait des chansons et
réparait les installations. Il fît tout ce qui
était en son pouvoir pour améliorer les
conditions de vie de ces malheureux.
Un jour, les responsables de l’association
qui gérait la léproserie mirent John à la
porte. Pourquoi? Parce que les lépreux
étaient désignés par des numéros et que
John insistait pour les appeler par leurs
noms. Il exigeait aussi qu’on leur donne
plus à manger.
John n’abandonna pas pour autant ceux
qu’il avait promis d’aider. Jusqu’à la fin de
sa vie, il vécut dans une montagne à
proximité de la léproserie, dont il
descendait chaque jour pour secourir ses
amis malades.
Aujourd’hui, des pèlerins viennent
toujours se recueillir sur sa tombe, et une
association caritative portant son nom
continue à prendre soin des lépreux.
Beaucoup voient en John, généreux poète
et vagabond de Dieu, un véritable saint.
 INDIRA RANAMAGAR
(NÉE EN 1970)
Au Népal, quand des adultes sont envoyés en prison, ils
doivent souvent y emmener leurs enfants, parce qu’ils n’ont
personne pour s’occuper d’eux. Les prisons népalaises sont
sales, surpeuplées et dangereuses. Les enfants qui y vivent
sont privés de soins médicaux, d’instruction et
de nourriture convenable. Surtout, ils sont privés
d’une véritable enfance.

Née dans une famille pauvre, Indira
n’avait pas le droit d’aller à l’école avec ses
frères, simplement parce qu’elle était une
fille. Mais son appétit de connaissances
était plus fort que la discrimination : elle
apprit à écrire seule, dévorant les
manuels scolaires de ses frères et
s’entraînant à tracer des lettres dans la
terre, avec un morceau de bois. À force de
persévérance, elle finit par se faire
accepter dans l’école du village. Elle
termina l’année scolaire première de sa
classe.
Poursuivant sur sa lancée, Indira devint
institutrice et apprit à lire aux femmes
de son village. Pourtant, elle avait envie
d’en faire encore plus pour les autres.
Elle se rendit à Katmandou, la capitale du
Népal, où elle rencontra un militant des
droits de l’homme nommé Parijat qui lui
montra ce qu’était la vie en prison. Il lui
expliqua qu’un grand nombre de détenus
n’avaient commis que de petits délits,
comme voler de la nourriture pour
survivre, et que beaucoup d’autres
souffraient de troubles mentaux.
Incapable de rester les bras croisés
devant toute cette souffrance, Indira
fonda Prisoner’s Assistance Népal, une
organisation qui prend soin des enfants
de parents détenus. Depuis qu’elle s’est
engagée dans cette bataille, Indira a
ouvert deux écoles et quatre maisons de
l’enfance qui ont déjà porté secours à
plus de mille six cents gamins. À l’heure
actuelle, Prisoner’s Assistance accueille
environ cinq cents filles et fils de
prisonniers.
Indira poursuit son travail caritatif avec
la farouche détermination de la petite
fille qui traçait autrefois les lettres de
l’alphabet dans la terre.
«Je rêve que chaque enfant sur cette
planète puisse mener une vie digne,
explique Indira. C’est leur droit, et c’est
mon combat.»

84
 OOHN BOYEGA
(NÉ EN 1992)
John figurait parmi les derniers de sa classe dans toutes les
matières. Même le sport ne faisait pas exception. Tout ce qui
l’intéressait, c’était de rêvasser à ses films préférés, comme
Star Wars, et aux rôles qu’on lui confierait un jour dans de
futurs épisodes de la célèbre saga.

La première fois qu’il joua la comédie,
John incarna un léopard lors d’un
spectacle scolaire. Il y prit tellement de
plaisir qu’il voulut renouveler
l’expérience. John s’inscrivit dans une
école de son quartier qui donnait des
cours de théâtre, mais aussi de
claquettes et de danse. Cela déclencha les
moqueries des garçons du voisinage.
Faire de la danse classique ne
correspondait pas à l’image de durs à
cuire qu’ils voulaient tous se donner.
Alors qu’il était encore à l’école, John
décrocha un rôle dans Attack the Block,
un film où un gang d’adolescents doit se
défendre contre une attaque
d’extraterrestres. Sa prestation très
remarquée lui valut bientôt d’être choisi
pour jouer le premier SlormLrooper noir
dans le septième épisode de Star Wars.
En devenant Finn, le soldat de l’Empire
qui se rebelle contre le Premier Ordre,
John réalisa son rêve d’enfant.
Seule ombre au tableau, la bande
annonce du film déclencha une
polémique. Pourquoi? Parce que John a
la peau noire. Difficile de trouver une
raison plus absurde, et pourtant des gens
désapprouvèrent, par pur racisme, la
création d’un Stormtrooper noir.
« Message aux personnes concernées :,
écrivit John, les gars, il va falloir vous y
faire.» Il fut toutefois heureux de
constater que pour la plupart, les
spectateurs étaient très enthousiastes.
Pour preuve, le film rapporta la coquette
somme d’un milliard de dollars en
seulement douze jours.
Lorsqu’il toucha son premier gros
chèque, John appela scs parents pour
leur expliquer qu’un journaliste voulait
leur poser des questions sur son enfance.
Lorsqu’ils arrivèrent à l’adresse indiquée,
ils découvrirent la magnifique maison
que John venait de leur acheter.
«Alors, ça fait quoi d’avoir le meilleur fils
du monde?» plaisanta-t il lorsque son
père et sa mère dirent enfin adieu au
petit appartement qu’ils louaient depuis
toujours.
Les unes après les autres, les rêveries
d’écolier de John deviennent réalité.

87
 -1;

IRENASENDLER
(1910-2008)
En 1999, quatre étudiantes américaines tombèrent sur un
vieil article qui parlait d’une femme nommée Irena Sendler.
Quand elles tapèrent son nom sur Google, elles ne
récoltèrent qu’un seul résultat de recherche. Mais les quatre
amies menèrent leur propre enquête, déterminées à en
savoir plus. Voici ce qu’elles apprirent.

Lorsque les nazis occupèrent Varsovie, ils
obligèrent les Juifs à se regrouper dans
un petit quartier appelé un ghetto, coupé
du reste de la ville par un haut mur
d’enceinte. La vie y était abominable. Les
gens mourraient de faim et de froid, et
les maladies se propageaient rapidement
parmi la population entassée, affaiblie et
privée de soins.
Révoltée par l’horreur de la situation,
Irena rejoignit Zegota, une organisation
clandestine qui aidait les Juifs. Profitant
de son métier d’infirmière, elle parvint à
faire sortir des enfants, au nez et à la
barbe des nazis. Elle les cachait dans des
ambulances, les guidait à travers le
réseau souterrain des égouts, et il lui
arrivait même de les dissimuler dans une
valise. Irena n’hésitait pas à risquer sa vie
pour les autres.
Son courage permit de sauver 2500
enfants, relogés sous des noms
d’emprunt dans des familles d’accueil. Elle
consigna leurs vrais noms sur des bouts
de papier qu’elle glissa dans des bocaux
en verre, avant de les enterrer sous le
pommier d’un verger voisin. Elle espérait
pouvoir les déterrer un jour, et rendre aux
enfants leur véritable identité.
Finalement, Irena fût arretée. On lui brisa
les jambes et les pieds pour lui soutirer
des informations sur Zegota, mais elle
refusa de trahir ses amis et fut
condamnée à être fusillée. Des affiches
placardées dans toute la ville
annoncèrent sa mort. C’était un
mensonge. Un gardien soudoyé par
l’organisation clandestine l’avait aidée à
s’échapper.
Une fois la guerre terminée, elle déterra
les bocaux et aida les enfants à retrouver
leurs parents. Malheureusement,
beaucoup d’entre eux n’avaient pas
survécu à la sauvagerie nazie.
Les quatre étudiantes écrivirent une
pièce de théâtre intitulée La Vie dans un
bocal pour faire connaître au monde
l’héroïsme d’Irena. Aujourd’hui, si vous
tapez son nom sur Google, vous
obtiendrez plus 500000 résultats de
recherche.

88
 KELVIN DDE
(NÉ EN 1996)
Kelvin est né clans un des quartiers les plus pauvres de
Freetown, la capitale de la Sierra Leone. L’électricité y était
si peu fiable que la lumière ne s’allumait qu’une seule fois
par semaine.
Depuis l’âge de dix ans, Kelvin attendait
impatiemment la fin de l’école pour aller
écumer les poubelles de son quartier, à la
recherche de vieux appareils
électroniques. Il les démontait
soigneusement afin de comprendre leur
fonctionnement, puis se servait des
composants pour créer des machines
tout droit sorties de son esprit créatif.
De retour du travail, sa mère retrouvait
une maison aux allures de dépotoir, le sol
jonché de câbles et de circuits imprimés.
« Pourquoi faut il que tu ailles ramasser
ce que les autres jettent?» lui
demandait elle.
Transformant le salon en atelier
d’électronique, Kelvin fabriqua des
batteries pour alimenter les lampes du
voisinage, un générateur pour que sa
maison puisse toujours bénéficier de
l’électricité, une table de mixage, et
même un émetteur grâce auquel il put
animer sa propre station de radio!
91
Si Kelvin se fait appeler DJ Focus, c’est
parce qu’il croit qu’on peut tous réussir
ce qu’on entreprend, pour peu qu’on y
consacre toute son attention.
La persévérance, la passion et la
créativité de Kelvin ne tardèrent pas à se
faire remarquer. Une chaîne de télévision
locale l’interviewa, et il fut bientôt invité
à visiter l’une des plus prestigieuses
universités technologiques des États
Unis. Là, Kelvin prononça un discours
inspirant diffusé sur Internet et écouté
par des millions de gens.
« La créativité est universelle, a dit Kelvin
ce jour là, et elle peut jaillir là où on s’y
attend le moins.»
Aujourd’hui, Kelvin vit au Canada où il a
fondé sa propre société d’appareils
électroniques. Quand il ne travaille pas, il
s’investit dans une organisation
caritative qui fournit une aide médicale
gratuite aux victimes de la guerre et de la
pauvreté, partout dans le monde.
 JAMIE CHADWICK
(NÉE EN 1998)
Le 24 août 2015, Jamie remporta le championnat
britannique de GT au volant d’une Aston Martin V8 Vantage.
À dix-sept ans, Jamie était le plus jeune vainqueur de
l’histoire de cette prestigieuse compétition automobile,
ainsi que la première femme à la remporter.

À treize ans, Jamie fît scs premières
armes de pilote sur les circuits de
karting. Ses succès lui permirent de
participer à un week end de courses, la
Ginetta Junior Scholarship, dont elle
sortit victorieuse. Remarquée après cet
exploit, elle intégra l’école de pilotage
d’Aston Martin.
La course automobile est un sport
essentiellement masculin, mais Jamie ne
prête pas attention aux plaisanteries
sexistes. Depuis sa victoire en GT, on lui a
confié le volant d’une Formule 3, et Jamie
peut désormais rêver d’une carrière en
Formule 1. Aucune femme n’a participé à
une course de Fl depuis Lella Lombardi
en 1976, et Jamie est bien décidée à être
la prochaine. Quand elle a entendu un
haut responsable de son sport préféré
déclarer que les femmes étaient
incapables de conduire des Fl, l’envie de
lui prouver le contraire a décuplé sa
motivation. Si elle parvient à succéder à
Lella, Jamie fera des pointes de vitesse à
plus de 350 km/h.
L’un des plus grands obstacles pour
réussir dans ce sport est l’argent. La
plupart des pilotes ont des familles qui
les soutiennent financièrement. Bien
qu’elle puisse compter sur quelques
sponsors, Jamie doit faire attention à
chacune de ses dépenses.
C’est aussi un sport très exigeant sur le
plan physique. Pour être en mesure
d’absorber la force g qui les plaque au
siège, les pilotes se soumettent à un
entraînement intensif, comme les
spationautes. Avant de bénéficier des
structures d’une équipe professionnelle,
Jamie devait se débrouiller seule : elle
enfilait son casque très lourd et
s’allongeait sur son lit, tête dans le vide,
s’efforçant de la maintenir aussi
longtemps que possible dans
l’alignement de son corps.
Son entourage professionnel croit en
elle. «C’est une pilote vraiment
complète», a dit d’elle le dirigeant d’une
écurie automobile. Avec panache, Jamie
démontre qu’être une fille n’empêche en
rien de filer à toute vitesse sur les
circuits de course.

92
 -Ir
KESZVÂLDEZ
(NÉ EN 1998)
Né aux Philippines, Kesz passait ses journées à fouiller une
immense décharge, à la recherche de morceaux de métal ou
de verre. Il n’avait que trois ans. Brutalisé par un père qui le
forçait à travailler, Kesz survécut en mangeant des restes de
nourriture trouvés parmi les ordures. Ses parents
l’appelaient « Malchance ». Ils essayèrent même de le vendre.

À quatre ans, Kesz s’enfuit de chez lui et
devint un enfant des rues, dormant dans
un cimetière ou l’embrasure d’une porte.
Un soir, alors qu’il se ruait avec d’autres
gamins sur un camion d’ordures, Kesz fut
bouscule et tomba sur des pneus
enflammés qui lui brûlèrent tout un côté
du corps. Une nuit d’horreur qui se
transforma en lueur d’espoir lorsque
Harnin Manalaysay, un travailleur social,
l’emmena à l’hôpital. Harnin le prit
ensuite sous son aile, devenant
officiellement son tuteur. Pour la
première fois, Kesz se sentit aimé.
d’aider de plus en plus d’enfants des
bidonvilles de Manille, la capitale des
Philippines.
Pour le travail accompli avec C3, Kesz
reçut le Prix international de la paix des
enfants, devenant ainsi le plus jeune
lauréat et le premier Philippin à être
récompensé. Il consacra une partie des
100000 euros qui accompagnent le prix à
des causes qui lui tiennent à cœur,
conservant le reste pour faire
fonctionner sa propre association
caritative.

Avec celui qu’il considérait désormais
comme son père, Kesz créa une
association appelée «Championing
Community Children » ou C3 en abrégé,
dont le but est d’aider les enfants des
rues en leur remettant des colis
contenant des jouets, des vêtements, des
produits d’hygiène, des fournitures
scolaires et des friandises. Il appelle ces
colis les «Cadeaux de l’espoir». Très vite,
l’arrivée de nombreux volontaires permit
C3 a été fondée il y a douze ans, et scs
volontaires ont déjà aidé plus de 38000
enfants des rues. Kesz a personnellement
soigné près de trois mille blessures.
« Ne perdez pas espoir», répète Kesz à ces
gamins démunis et livrés à eux mêmes.
Mais il s’adresse aussi aux enfants plus
chanceux qui ont une maison et une
famille : «On n’est jamais trop jeune pour
tendre la main à ceux qui en ont besoin.»

95
 OESSICA COX
(NÉE EN 1983)
Depuis toujours, Jessica rêvait de voler. Ne pas être comme
les autres était difficile à vivre, et elle découvrit que
s’imaginer dans les airs, naviguant au-dessus des gens, lui
faisait du bien. Qu’est-ce qui la rendait différente?
Jcssica est née sans bras.

Elle portait des prothèses de bras, parce
qu’elle avait l’impression d’en avoir
besoin pour être acceptée. Ces prothèses
étaient lourdes et devenaient encore
plus inconfortables sous la chaleur de
l’Arizona. À quatorze ans, Jessica a fait un
des choix les plus importants de sa vie :
elle a décidé d’arrêter de les porter et
d’assumer sa différence. Elle a appris à se
servir de ses pieds pour faire ce que les
autres font avec leurs mains, et elle n’est
jamais revenue sur sa décision.
Jessica conduit une voiture, nage, danse,
fait de la plongée sous marine et du surf.
Elle est également diplômée en
psychologie et pratique le taekwondo à
haut niveau, affrontant des adversaires
qui possèdent tous leurs membres. Elle
ne s’est jamais sentie inapte, juste
différemment apte.
Jessica ne s’est pas laissé décourager par
ces obstacles. Deux instructeurs, quatre
avions et trois années éprouvantes plus
tard, elle a obtenu sa licence de pilote.
En 2013, Jessica s’est envolée pour
l’Éthiopie. Là, elle a rencontré Tariku, un
garçon de huit ans qui lui aussi est né
sans bras, fis ont déjeuné ensemble en
utilisant leurs pieds, et Tariku lui a fait
découvrir l’injera, une grande crêpe
garnie très consommée en Éthiopie, ainsi
que la technique pour la rouler avec les
pieds! En la voyant quitter son village
aux commandes d’un avion, Tariku a dû
se dire qu’il n’y avait rien au monde qu’il
ne puisse accomplir.
Voulez vous savoir ce que Jessica
conseille à ceux qui se sentent isolés à
cause de leur handicap?

Elle a aussi appris à piloter un avion.
Pour relever ce nouveau défi, il a fallu
adapter tout ce qui est nécessaire à la
navigation aérienne, depuis le bouclage
de la ceinture de sécurité au démarrage
du moteur.
«Ne restez pas à l’écart et apprenez à
aimer vos particularités, parce qu’elles
vous permettent d’apporter quelque
chose d’unique à la société. »

96
 LIAM DAVIS
(NÉ EN 1986)
Liam avait de mauvaises fréquentations. À dix ans, il traînait
avec des garçons plus âgés et avait eu maille à partir avec
la police. Son avenir semblait se boucher chaque jour un peu
plus. C’est alors que le responsable du Grimsby Town
Football Club lui Fit une proposition : «Je t’accepte dans
le centre de formation de mon équipe, si tu restes dans
le droit chemin. » Liam tint sa promesse, et ce fut le début
de sa carrière de footballeur.

Quelques années plus tard, Liam tomba
amoureux d’un garçon. Il ne garda pas
cette relation secrète, mais n’éprouva pas
non plus le besoin de crier ses
sentiments sur tous les toits.
Il continua à jouer au football en semi
professionnel, s’entraînant deux fois par
semaine et travaillant à temps partiel
dans un café. Alors qu’il venait de
rejoindre un nouveau club,
Grimsborough, Liam évoqua son petit
ami à ses coéquipiers qui se montrèrent
bienveillants et lui dirent qu’il pouvait
compter sur eux en cas de besoin.
Les journaux nationaux finirent par en
entendre parler. «Le seul footballeur
britannique ouvertement gay!»,
claironnèrent les gros titres. Pour lui
comme pour son équipe, ce fut un choc
de constater que son homosexualité était
l’objet d’une telle attention.
Liam essuya quelques insultes sur le
terrain, mais le soutien qu’on lui
témoigna marqua davantage son esprit.
Il aimerait que les footballeurs se sentent
suffisamment en sécurité pour ne plus
avoir besoin de faire semblant. Bien sûr,
entrer sur un terrain de foot sans savoir
comment vont réagir les dizaines de
milliers de spectateurs qui ont appris
votre homosexualité est sûrement
terrifiant. Mais Liam a du mal à
comprendre que les joueurs d’équipes
plus modestes comme la sienne aient si
peur d’assumer ce qu'ils sont.
Aujourd’hui, sur les cinq cents joueurs
environ qui disputent le championnat
d’Angleterre, aucun n’est ouvertement
gay. Liam est persuadé que certains
d’entre eux préfèrent les hommes, mais
qu’ils craignent d’être rejetés s’ils en
parlent.
Qu’est ce qu’il aimerait? Que d’autres
comme lui se disent : «Je peux le faire. Je
suis assez courageux et assez fort pour
ne plus me cacher.»

99
 -t
JEANNE D'ARC
(1412-1431)
L’enfance de Jeanne se déroula en pleine guerre de
Cent Ans, un conflit aussi sanglant qu’interminable qui
opposait les Français aux Anglais pour le contrôle de la
France. Ses parents possédaient une belle ferme dans
laquelle la petite Jeanne menait une vie paisible, entre
travaux de couture et soins prodigués aux animaux.

À treize ans, elle affirma avoir eu une
apparition : un saint et deux saintes lui
avaient ordonné de chasser les Anglais
hors de France et de conduire Charles VII
à Reims, pour qu’il s’y fasse sacrer roi.
Elle parvint à convaincre son oncle de
l’accompagner jusqu’à la ville voisine de
Vaucouleurs et de lui présenter Robert
de Baudricourt, un capitaine partisan de
Charles VII. Lorsqu’elle expliqua au
capitaine que des saints lui étaient
apparus, le capitaine éclata de rire. « Ben
voyons!» s’exclama t il en lui conseillant
de rentrer chez elle avant qu’il ne se
fâche.
Mais au bout d’un an, la détermination
de Jeanne et le soutien des habitants de
Vaucouleurs, qui croyaient en elle, firent
plier le capitaine Baudricourt. Il lui
fournit une escorte armée pour qu’elle
puisse aller rencontrer Charles VII. Afin
de ne pas attirer l’attention, elle se coupa
les cheveux et enfila des habits d’homme.
Charles fut intrigué par cette paysanne
qui venait jusque dans son château
affirmer qu’elle allait mener scs troupes
à la victoire. Après un entretien en
tête-à tête dont nul ne connaît la teneur,
le roi lui donna des hommes et l’envoya
secourir Orléans.
Le moral des soldats français était au
plus bas quand Jeanne arriva à Orléans,
qui subissait une attaque féroce des
Anglais. Mais sa venue changea tout. Le
courage et le rayonnement intérieur de
Jeanne galvanisèrent les troupes qui se
mirent à charger les Anglais avec ferveur.
La ville fut sauvée, et Charles put être
sacré roi à Reims, selon le désir des
saints qui étaient apparus à Jeanne.
Un an plus tard, elle tomba aux mains
d’ennemis de Charles VIL Les Anglais, qui
connaissaient son importance pour
l’armée française, payèrent une très
grosse somme pour se la faire remettre.
Au terme d’un procès injuste, Jeanne fut
brûlée vive. On dit que son cœur aurait
échappé aux flammes.
Le 16 mai 1920, Jeanne fut officiellement
déclarée sainte.

100
 LU KE AMB LER
(NÉ EN 1989)
Ce samedi-là, Luke avait passé un bon moment avec son
beau-frère Andy. Les deux hommes avaient ri et fait
les idiots, s’amusant comme deux gamins. Deux jours
plus tard, Andy se donna la mort.
Ce drame brisa le cœur de tous ceux qui
connaissaient Andy.
Pour Luke aussi, ce fut un choc terrible.
Mais se sentir déprimé était un
sentiment qui lui était familier. Il avait eu
ses propres problèmes dans son enfance,
souffrant notamment de troubles de
l’alimentation et de harcèlement scolaire.
Devenu rugbyman professionnel, il
s’était senti obligé de jouer au gros dur,
même quand il était triste ou inquiet.
Selon Luke, il arrive que les hommes et
les garçons refoulent leurs sentiments
parce qu’ils se sentent trop gênés pour
les exprimer. Garder toutes ces choses
en soi peut devenir très lourd à porter et
vous donner l’impression qu’il n’y a plus
de solutions, plus d’espoir. C’est ce qui
était arrivé à Andy.
Parce qu’il avait envie de tendre la main à
ceux qui souffraient de problèmes
similaires, Luke créa l’Andy’s Man Club.
Le but de ce club est d’offrir aux hommes
un lieu où ils puissent exprimer
103
librement ce qu’ils ont sur le cœur, sans
craindre d’être jugés ou moqués.
Luke lança également une campagne sur
les réseaux sociaux. Il prit une photo de
sa main, le pouce et l’index formant le
signe « OI<», avec la légende : « C’est OK de
s’exprimer.» Depuis, des célébrités de
tous les horizons ont publié des solfies
où ils font le même geste, s’efforçant de
diffuser le message de Luke : il n’y a pas
de honte à dire ce qu’on ressent.
Il existe un vieux proverbe qui dit : « Une
souffrance partagée est diminuée de
moitié». Une affirmation
scientifiquement prouvée! Des
expériences ont montré que le simple
fait de parler de ses problèmes peut
permettre de se calmer et de relativiser.
Luke a déjà reçu des messages de
personnes qui le remerciaient de les
avoir sauvées. «N’oubliez pas, rappelle
t il, encore et encore : les garçons aussi
ont le droit d’exprimer leurs
sentiments.»
 t
OUANA INÈS DE LA CRUZ
(1651-1695)
Juana est née au Mexique en 1651, une époque où il était
rare que les filles reçoivent de l’instruction. Mais Juana
apprit à lire dès l’âge de trois ans en suivant ses sœurs à
l’école et en suppliant les professeurs de lui enseigner la
magie des mots.

Un jour, sa mère lui expliqua que les filles
n’avaient pas accès aux études
supérieures. «Et si je me déguisais en
garçon pour aller à l’université?» lui
rétorqua Juana.
Sa mère refusa, puis finit par la laisser
partir étudier sous la houlette d’un
prêtre. Il s’avéra que Juana possédait des
capacités hors du commun. Vingt leçons
lui suffirent pour apprendre le latin, et
elle composa bientôt des poèmes en
quatre langues. Elle pouvait soutenir une
conversation avec des philosophes, des
mathématiciens, des poètes et des
historiens, qui ressortaient
unanimement impressionnés de leurs
échanges avec la jeune femme.
La réputation flatteuse de Juana lui valut
de recevoir de nombreuses propositions
de mariage qu’elle refusa toutes,
préférant se retirer dans un couvent
pour se consacrer à l’étude des arts et
des sciences.
Devenue religieuse et désormais appelée
Sœur Juana Inès de la Cruz, elle dévora
un livre après l’autre. Rien n’échappait à
sa curiosité et à sa soif d’apprendre. Elle
se constitua une formidable bibliothèque
de plus quatre cents ouvrages et en
rédigea elle même quelques uns.
Mais en haut lieu, certains virent cette
intense activité intellectuelle d’un
mauvais œil : ils estimaient que
l’érudition était réservée aux hommes et
que Dieu désapprouvait la situation.
Cela contraria grandement Juana. Prise
d’une saine colère, elle écrivit :
«Pourquoi les femmes ne pourraient
elles pas se cultiver par elles mêmes? Ne
possèdent elles pas un esprit tout aussi
rationnel que celui des hommes?»
Finalement, elle vendit tous ses livres et
donna l’argent aux pauvres. Alors qu’elle
soignait des religieuses souffrant de la
peste, Juana succomba elle même à la
maladie. Aujourd’hui, Juana reste
présente à travers son œuvre poétique et
les nombreux tableaux, pièces de théâtre
et films qui perpétuent son souvenir.
Quant à ceux qui refusaient qu’elle
étudie, l’histoire leur a donné tort :
le couvent où elle s’était retirée est
devenu une université qui porte son nom.

104
 -t'
MOHAMED TAHER
Selon un récent rapport des Nations Unies, 99,3% des
Égyptiennes disent avoir subi des harcèlements sexuels dans
la rue. Agressées physiquement et verbalement, les femmes
ont fini par se sentir si peu en sécurité que beaucoup d’entre
elles préfèrent rester à la maison.

Inspiré par le projet du photographe Dane danseuses classiques, Mohamed réalisa

Shitagi, qui a mis en scène des danseuses
classiques dans les rues de Paris et
New York, Mohamed se demanda si une
idée similaire pourrait aider les femmes
du Caire à reprendre possession des rues
de leur ville.
Il lança un appel à toutes les danseuses
qui souhaitaient participer. «Nous avons
reçu beaucoup de réponses, dit il. Les
filles avaient envie de danser dans les
rues. Elles avaient envie de se sentir
libres.»
Armé de son appareil photo et
accompagné de quelques danseuses,
Mohamed se mit à sillonner les rues du
Caire. Ils partaient tôt le matin pour
profiter de la belle lumière matinale et
éviter la foule, puis l’objectif de Mohamed
saisissait la grâce de ces jeunes hiles
exprimant librement leur féminité, sans
crainte d’être agressées. Jouant sur le
contraste entre l’âpreté de la ville
trépidante et les mouvements aériens des
une splendide série de photographies
porteuses d’un message fort : fini de vivre
dans la peur!
Certaines participantes s’étaient
inquiétées de l’accueil des passants, mais
les réactions furent presque toujours
positives. La plupart des gens se
montèrent surpris, mais finalement émus
de croiser la beauté d’un pas de danse
dans les rues de leur pays aux mœurs
conservatrices. Ils approchaient poliment
les danseuses et demandaient s’ils
pouvaient prendre un selfie avec elles.
Les autorités égyptiennes ont récemment
aggravé les sanctions pénales contre le
harcèlement sexuel. Mais changer les lois
ne suffit pas toujours à changer les
esprits. Mohamed espère que d’autres
projets semblables au sien verront le jour
et contribueront à modifier un peu plus la
façon dont les Égyptiennes sont
considérées et traitées par leurs
compatriotes masculins.

107
 JULIETTE 'CORDON LOIN
(1860-1927)
Née à Savannah, aux États-Unis, Juliette était surnommée
Daisy par ses parents et Crazy1 Daisy par ses cinq frères et
soeurs. Ils se demandaient toujours ce qu’elle allait bien
pouvoir encore inventer.
Depuis loulc pelitc, Daisy souffrait de
maux d’oreilles qui l’avaient rendue
partiellement sourde. Le jour de son
mariage, un grain de riz se logea dans
son oreille valide et lui fit perdre l’ouïe
presque entièrement. Cet incident
marqua le début d’un mariage
malheureux. Elle n’avait que quarante-
cinq ans quand son mari mourut
subitement alors qu’ils vivaient au
Royaume Uni. Daisy décida alors de
parcourir le monde, des plus hautes
pyramides d’Égypte aux profondeurs de
la jungle indienne, avant de revenir en
Angleterre.
C’est alors qu’elle rencontra Robert
Baden Powell, le fondateur du scoutisme,
mouvement jusque là réservé aux
garçons. Conquise, Daisy décida de lancer
une version féminine. Elle commença en
Écosse, en réunissant un petit groupe de
filles auxquelles elle apprit à camper, à
lire une carte, à faire des nœuds et à
allumer un feu.
Elle fut fascinée de constater à quel point
vivre dans la nature avait des effets
bénéfiques sur les jeunes filles. En leur
apprenant à être autonomes, Daisy leur
donnait une assurance qu’elles n’avaient
jamais eue jusque là.
108
Il existait d’autres mouvements de filles,
mais pour leurs responsables, les
activités proposées par Daisy n’étaient
pas convenables : une fille comme il faut
devait apprendre à coudre, et non à
camper dans les bois comme une petite
sauvage !
Daisy voulait aider les filles à acquérir
des compétences pratiques; leur donner
confiance en elles et leur faire découvrir
la liberté d’une vie au grand air. Elle
retourna dans sa ville natale et dit à sa
cousine : «J’ai quelque chose pour les
filles de Savannah, et de toute
l’Amérique, et même du monde entier, et
nous allons commencer des ce soir!»
Des millions de filles et des centaines de
patrouilles fleurirent bientôt aux quatre
coins des États-Unis.
Lorsque Daisy mourut en 1927, des
centaines de Girl Scouts assistèrent à ses
obsèques, une bougie à la main. En 2017,
l’organisation avait aidé plus de
cinquante millions de filles à grandir et à
s’épanouir, parmi lesquelles Taylor Swift,
Michelle Obama et Mariah Carey.
1 crazy = folle en anglais
•»o
 NAOTO MATSUMURA
(NÉ EN 1960)
En mars 2011, un violent tremblement de terre secoua
le Japon, provoquant un énorme tsunami qui inonda
les terres. Quand la vague géante frappa la centrale
nucléaire de Fukushima, ses réacteurs explosèrent, libérant
un nuage radioactif qui se répandit sur la région alentour.
Toute personne vivant dans un périmètre de trente
kilomètres autour de la centrale fut évacuée. L’exposition
aux particules radioactives peut avoir de graves
conséquences sur la santé, et même être mortelle.

Dans la panique de la fuite, les gens autruches, d’une grosse centaine de

abandonnèrent toutes sortes d’animaux
derrière eux, attaches dans des étables,
coincés dans des poulaillers ou enfermés
dans des logements. Lorsque Naoto
retourna chez lui quelques mois après la
catastrophe, il trouva les pauvres bêtes à
l’agonie ou déjà mortes de faim.
Le gouvernement voulait faire abattre
tous les animaux qui avaient survécu,
mais Naoto s’opposa à ce massacre. Si
personne ne voulait prendre soin de ces
bêtes délaissées, lui était prêt à se
dévouer. C’est grâce à Naoto que les
autorités japonaises acceptèrent de ne
pas les tuer.
Aujourd’hui, celui qu’on surnomme «le
dernier homme de Fukushima» vit dans
un monde sans êtres humains : ce sont
les animaux qui lui tiennent compagnie.
Il s’occupe de cinquante vaches, de deux
chats, de chiens, et de divers autres
animaux de ferme ou de compagnie qui
comptent sur lui pour être nourris et
soignés.
Naoto sait que vivre dans cette zone
évacuée est dangereux, mais le bien être
de centaines d’animaux lui semble plus
important que la santé d’un seul homme.
Il ne pouvait tout simplement pas
abandonner ces êtres vivants à leur triste
sort. Et puis il croit aux pouvoirs du
corps humain et à sa capacité
d’adaptation en milieu toxique.
Quand ses enfants, désormais adultes,
l’appellent de Tokyo, Naoto les rassure :
« Ne vous inquiétez pas, cette catastrophe
nucléaire peut bien tuer le monde entier,
elle n’aura pas ma peau! Je ne partirai
pas d’ici.»

111
 KATIE SANDWINA
(1884-1952)
Deuxième d’une famille de quinze enfants, Katie était la fille
d’artistes de cirque qui sillonnaient l’Europe, stupéfiant les
spectateurs avec leurs incroyables démonstrations de force.
À deux ans seulement, elle était capable de faire l’équilibre
sur la main de son père. Son talent naturel pour le spectacle
crevait déjà les yeux.

Katie se muscla d’abord en faisant de la premier culturiste de l’histoire, les gens

gymnastique, puis elle commença à
soulever des haltères à l’adolescence.
Quand sa famille partait en tournée avec
le cirque, son père offrait une grosse
récompense financière à tout spectateur
qui parviendrait à battre sa fille à la lutte.
Pourtant, aucun homme ne réussit jamais
à prendre le dessus sur Katie.
À cette époque, les Hercules de foire ces
hommes d’une force extraordinaire qui
se produisaient dans les cirques et les
fêtes foraines étaient très à la mode.
L’un des plus célèbres s’appelait Eugcn
Sandow. Il cherchait à être fort, mais
aussi à égaler la beauté des statues de la
Grèce antique. Beaucoup de gens
pensaient alors qu’il possédait l’un des
corps les plus harmonieux du monde.
Lors d’un de ses spectacles à New York,
Katie mit le public au défi de l’affronter
dans une compétition d’haltérophilie.
Eugen, qui se trouvait parmi la foule, leva
la main. En voyant monter sur scène celui
que l’on considère aujourd’hui comme le
pensèrent que Katie n’avait aucune
chance.
Chacun à leur tour, ils soulevèrent d’une
main des haltères de plus en plus lourds
au dessus de leur tête. À135 kg, soit un
peu plus que le poids d’un panda géant,
Katie n’eut aucun mal à tendre le bras en
l’air. Malgré de terribles grimaces d’effort,
c’est à peine si Eugen parvint à lever ses
haltères à hauteur de poitrine. Les
spectateurs furent abasourdis, et Katie
s’envola vers la gloire.
Après des années de célébrité, elle décida
de mener une vie plus calme et ouvrit un
restaurant avec son mari. Parfois, quand
l’envie lui en prenait, elle estomaquait ses
clients en tordant une barre en acier ou
en soulevant nonchalamment son mari
dans les airs, d’une seule main.
Ça l’amusait de leur rappeler que tout un
chacun est plein de surprises. Après tout,
surprendre les gens, c’est ce que Katie
avait fait toute sa vie.

112
 A
OCEAN VU ONG
(NÉ EN 1988)
Pendant la guerre du Vietnam, un soldat américain tomba
amoureux d’une jeune Vietnamienne qui travaillait dans
les rizières. Ensemble, ils eurent trois enfants. L’un de ces
enfants est la mère d’Ocean.
Le soldat américain finit par retourner
aux États Unis pour rendre visite à sa
famille. Durant son absence, la ville de
Saigon tomba aux mains de l’Arméc
populaire vietnamienne, et les troupes
américaines se retirèrent. La vie devint
alors tumultueuse pour des milliers de
gens. La mère d’Ocean fut séparée du
reste de la fratrie et placée dans un
orphelinat. C’est finalement dans une
ferme rizicole qu’Ocean vit le jour.
Après de longs mois dans un camp de
réfugiés, le petit garçon de deux ans et
six membres de sa famille parvinrent à
rejoindre les États-Unis, où ils vécurent
entassés dans un studio. Aucun d’entre
eux n’avait appris à lire. Le soir, ils se
réunissaient autour de la grand mère
d’Ocean pour écouter ses histoires qui
les ramenaient au pays.
Par la suite, Océan consacra toute son
énergie aux études, déterminé à faire la
fierté de sa famille. Mais c’était
compliqué : les autres élèves s’en
prenaient à lui, et sa dyslexie le rendait
lent avec les mots.
À force de ténacité, il entra à l’université,
mais il dut renoncer après deux mois
115
d’efibrts. Inquiet d’avouer son échec à sa
mère, il vécut chez des amis, dormant de
canapé en canapé. C’est à cette époque
qu’il découvrit la scène poétique new
yorkaise. Contaminé par l’énergie
créatrice des poètes, il eut envie de
coucher ses propres mots sur le papier.
Sans trop y croire, Océan réunit plusieurs
de ses poèmes dans un recueil et
participa à un concours. Ciel de nuit
blessé par balles remporta non
seulement le premier prix, mais aussi
diverses récompenses littéraires aux
États Unis et en Angleterre.
Sur la couverture originale de ce livre, on
voit Océan à deux ans, assis entre sa mère
ci sa tante dans un camp de réfugiés. Ce
jour là, cette photo leur avait coûté trois
boîtes de riz en conserve. Le succès de ses
ouvrages, désormais traduits dans le
monde entier, a permis à Océan d’acheter
une maison avec jardin à sa mère.
Océan se dii souvent que c’est grâce à la
guerre qu’il est né. C’est une drôle de
pensée, un peu difficile à accepter. Mais
parfois, la vie prend des chemins
bizarres.
 KENOOUAKASHEVAK
(1927-2013)
Un igloo posé sur la Terre de Baffin, une île de l’archipel
Arctique, abrita la naissance de Kenojuak. Son père était un
chaman capable de faire remonter les poissons à la surface
de l’eau pour faciliter la pêche. Au cours de son enfance,
Kenojuak apprit les techniques ancestrales de l’artisanat
inuit, de la couture des peaux de phoques à la fabrication
de vêtements étanches avec des tendons de caribou.

Un jour, des infirmières venues contrôler
la santé des habitants du village
découvrirent que Kenojuak avait
contracté la tuberculose. Elle fut
hospitalisée à Québec, contrainte de
s’éloigner de son mari et de ses quatorze
enfants, dont sept adoptés.
C’est au cours de cette période
douloureuse que l’art entra dans la vie de
Kenojuak.
Trois années durant, elle trompa la
maladie et l’ennui de sa chambre
d’hôpital en dessinant, en sculptant et en
fabriquant des poupées aux côtés de
l’artiste Harold Pfieffer. Enfin de retour
chez elle, Kenojuak poursuivit son travail
de création sous le regard admiratif et
intrigué de son mari. Ses représentations
étranges et colorées de la faune et des
peuples autochtones de l’Arctique furent
rapidement appréciées pour leur beauté
et leur singularité, bien au-delà de sa
petite communauté. Elles figurèrent
parmi les toutes premières œuvres
inuites à être imprimées et dupliquées à
de nombreux exemplaires.
En 1963, la somme que lui rapporta le
documentaire intitulé Kenojuak, artiste
esquimau permit à son mari de s’acheter
son propre kayak et de mieux nourrir sa
famille. Bientôt, le travail artistique de
Kenojuak fut exposé aux quatre coins du
monde, récompensé par des prix et
vendu dans les plus grandes galeries
d’art. Une de ces œuvres, Le Hibou
enchanté, figura sur un timbre canadien,
et une autre, Le Hibou au bouquet, sur
un billet de dix dollars.
Avec l’argent que lui fit gagner son talent,
Kenojuak put aider sa famille et ses amis.
S’entraider, dit elle, fait partie de la
culture inuite. Toutefois, l’argent n’a
jamais été sa motivation. Alors, quelle
était la motivation de Kenojuak? «Faire
quelque chose de beau, c’est tout.»

116
 ORVILLE WRIGHT
(1871-1948)

aWILBURWRIGHT
(1867-1912)
Un jour, le père d’Orville et Wilbur, un évêque qui voyageait et
rapportait souvent des jouets à ses enfants, leur ramena un
petit hélicoptère propulsé par un élastique. Lorsqu’il se cassa,
les frères décidèrent aussitôt d’en fabriquer une réplique.

Un jour, Wilbur perdit une dent en jouant
au hockey. Complexe par cette blessure, il
refusa de retourner à l’école. Sa mère
étant tombée malade, il passa ses
journées à s’occuper d’elle et à lire des
livres empruntés à la riche bibliothèque
familiale. Lorsque leur mère s’éteignit,
Orville quitta l’école à son tour.
Le marché des bicyclettes était alors en
plein essor aux États Unis, et les frères
Wright décidèrent de monter un atelier
pour réparer les roues voilées et autres
pneus crevés. Bientôt, ces passionnés de
mécanique furent capables de construire
leurs propres modèles de vélos. La Wright
Cycle Company était née, et elle ne tarda
pas à prospérer. Mais Orville et Wilbur
avaient d’autres ambitions.
Les journaux regorgeaient d’articles sur
des ingénieurs tentant de concevoir des
machines volantes. Le problème n’était
pas tant de les faire décoller, mais d’en
contrôler la trajectoire une fois dans les
airs. Les frères concentrèrent leurs
efforts sur la conception d’un système qui
résoudrait ce problème.
Puis vint le temps des essais. Ils
équipèrent des planeurs avec un nouveau
système de contrôle, modifiant et
améliorant sans cesse leur invention.
Lorsqu’ils l’estimèrent au point, Orville et
Wilbur s’attelèrent à la difficile tâche de
construire un avion motorisé. En 1905,
après d’innombrables accidents, les
Wright firent voler le Flyer III, le premier
avion pratique et manœuvrable.
Wilbur mourut en 1912. Si Orville souffrit
de voir les avions devenir des machines
de destruction lors des guerres qui
ravagèrent bientôt la planète, il se sentit
fier d’avoir inventé avec son frère un
moyen inédit de rapprocher les gens et
de découvrir le monde.

119
 KIM SOONYUNG
(NÉE EN 1971)
Lorsqu’elle avait neuf ans, un des professeurs de Kim lui
suggéra de faire du tir à l’arc, parce qu’elle était plus grande
que ses camarades de classe et qu’elle avait de longs bras.
Elle se mit aussitôt à décocher des flèches.
Des années d’entraînement acharné
permirent à Kim d’être sélectionnée
pour les Jeux olympiques de 1988 qui se
déroulaient dans son pays, la Corée du
Sud. Elle avait dix sept ans. Lors de la
finale, elle tira neuf flèches d’une
distance de trente mètres, chacune
d’elles se fichant en plein centre de la
cible. Kim repartit avec deux médailles
d’or et le cœur résonnant des
applaudissements de ses compatriotes.
Sa rapidité et sa précision lui valurent le
surnom de «Vipère». Bientôt, Kim détint
tous les records de tir à l’arc en plein air.
Aux Jeux olympiques suivants, elle
remporta l’or et l’argent. De retour en
Corée du Sud, Kim posa son arc pour
construire une famille. Elle se maria, eut
deux enfants et mena une existence
différente, loin du milieu sportif. Mais
elle n’en avait pas tout à fait terminé avec
la compétition.
Six ans après avoir troqué la vie
d’archère contre la vie de famille, Kim
comprit qu’elle n’était pas prête à
renoncer pour toujours aux émotions du
sport de haut niveau. Huit mois durant,
120
elle reprit l’entraînement. Son talent
intact et le travail fourni lui permirent de
se qualifier pour les Jeux de Sidney, en
2000. C’était un vrai défi de revenir après
une si longue absence, d’autant qu’elle
devait affronter des adversaires plus
jeunes et mieux entraînées. Pourtant,
elle réussit l’exploit de décrocher l’or et
le bronze, ce qui fit d’elle l’archère
sud coréenne la plus médaillée de tous
les temps.
En 2011, Kim fut élue «archère féminine
du XXe siècle» par la Fédération
internationale de tir à l’arc.
Elle se consacre désormais à
l’entraînement de championnes et à la
promotion de son sport. En 2012, Kim
partit aux États Unis pour améliorer ses
connaissances sur l’arc à poulies, un arc
moderne très utilisé en Amérique. Cette
année là, les archères sud coréennes
dominèrent leurs adversaires et firent
une moisson de médailles d’or.
Avec son incroyable come-back après six
années d’absence, Kim a prouvé au
monde qu’il n’est jamais trop tard pour
réaliser de grandes choses.
 PETER JACKSON
(NÉ EN 1961)
Peter est né le jour d’Halloween clans une petite ville
néo-zélandaise. Enfant unique, il dut trouver des moyens
de se divertir seul. Comblant d’abord sa solitude avec
des classiques du cinéma peuplés de monstres comme
Godzilla ou King Kong, Peter essaya ensuite de réaliser ses
propres films.

Avec la caméra Super 8 de ses parents et
des copains pour acteurs, Peter tourna
un film de guerre, creusant des
tranchées dans le jardin familial et
émaillant la pellicule de minuscules
trous pour créer un effet spécial qui
évoquait des tirs d’armes à feu. Il n’avait
que neuf ans.
Plus tard, Peter trouva un emploi dans
un journal pour financer son premier
long métrage. 11 passa quatre années à
tourner une histoire d’extraterrestres
venus sur Terre pour capturer des
humains dont la chair devait alimenter
une chaîne de fast Food intergalactique!
Filmé week end après week end, les rôles
étaient une nouvelle fois tenus par des
amis. Peter créa lui meme tous les effets
spéciaux de son long métrage, qu’il
intitula Bad Taste {Mauvais goût). Ce film
à la fois bizarre, dégoûtant et drôle ne
ressemblait à rien de connu.
Contre toute attente, Bad Taste fut
sélectionné au festival de Cannes, où il
provoqua des réactions très contrastées :
certains le jugèrent révoltant, d’autres
étaient enthousiastes. Bad Taste fut
diffusé dans trente pays. Âgé de
vingt six ans, Peter quitta son emploi de
photograveur pour se consacrer à sa
passion.
Après avoir réalisé une série de films
d’horreur, Peter se vit proposer
l’adaptation d’un de ses livres préférés :
Le Seigneur des anneaux. Le résultat
connut un extraordinaire succès, les
spectateurs du monde entier se pressant
au cinéma pour suivre les aventures de
Frodon, le courageux hobbit flanqué
d’une escorte de nains et d’elfes, en
mission pour détruire l’Anneau unique.
Une fois terminé le tournage des trois
volets du Seigneur des anneaux, Peter
put enfin réaliser son rêve d’enfant et
proposer sa propre version de King
Kong. «Je crois que c’est le meilleur King
Kong jamais sorti sur les écrans», écrivit
un critique de cinéma. De fait, le film
remporta trois Oscars. Il en a fait, du
chemin, le garçon qui bricolait des films
dans son jardin !

123
 DAME GDDIVA
(990-1067)
Au Moyen Âge, les habitants de Coventry, en Angleterre,
étaient écrasés par de lourds impôts. Leofric, leur seigneur,
les obligeait à donner presque tout leur argent pour entretenir
l’armée du roi. Le peuple était non seulement pauvre,
mais aussi très malheureux.

Mais Godiva, la femme de Leofric, était
sensible au malheur de la population. Il lui
était insupportable de songer que ces
pauvres gens devaient se contenter de
pain et d’eau quand sa famille faisait
bombance. Elle supplia son mari d’alléger
les impôts. Pour le convaincre, elle lui
rappela ce qui s’était passé à Worcester
quand les impôts étaient devenus
insupportables à la population :
le collecteur d’impôts avait été tué et, en
représailles, la ville avait été détruite sur
ordre du roi.
«Alléger les impôts? Il n’en est pas
question!» répliqua le seigneur de
Coventry à sa femme. «Vous chevaucherez
nue dans les rues de la ville avant que je
considère votre demande.»
Godiva le prit au mot et partit sur le
champ seller sa plus belle monture, nue
comme un ver. Sa longue chevelure dorée
pour tout vêtement, elle s’en alla à travers
ville sur un cheval d’un blanc immaculé.
Par respect pour sa pudeur, les habitants
de Coventry restèrent tous enfermés chez
eux, volets fermés. Lorsqu’un homme
entrebâilla son volet pour jeter un coup
d’œil à la nudité de Dame Godiva, il fut
frappé de cécité.
Profondément impressionné par l’acte de
bravoure de son épouse, Leofric supprima
les impôts les plus lourds et fit construire
un monastère, inspiré par une révélation
divine. Quant à Godiva, sa générosité ne
s’arrêta pas là. À la mort de son mari, elle
mit l’argent dont elle avait hérité au
service d’œuvres pieuses et fit don d’une
précieuse relique le bras de saint
Augustin à une église.
Elle n’a pas été oubliée. D’innombrables
œuvres d’art ont célébré l’altruisme de
cette femme forte qui n’a pas hésité à
braver les interdits pour servir une cause
juste.
Dans le centre de Coventry, surplombant
la place du marché, on peut voir
aujourd’hui l’horloge Lady Godiva.
À chaque nouvelle heure, une porte
s’ouvre au son d’un carillon et un
mécanisme fait apparaître Godiva, nue sur
un cheval d’un blanc immaculé.

124
 £|-
LE PAPE FRANÇOIS
(NÉ EN 1936)
Depuis l’époque de Jésus, il y a toujours eu un pape.
Lorsqu’un pape renonce ou décède, 120 cardinaux se
cloîtrent dans la chapelle Sixtine jusqu’à ce qu’ils désignent
son successeur. Le monde retient son souffle en attendant
qu’une fumée blanche s’échappe de la cheminée, signe
qu’une décision a été prise.

Le 13 mars 2013, François est devenu le
266e pape de l’Histoire, c’est à dire le
chef suprême de l’Église catholique.
Il est le premier pape originaire
d’Amérique latine, et le premier à choisir
le prénom François. Mais ce n’est pas ce
qui le différencie le plus de ses
prédécesseurs.
François n’habite pas dans les
somptueux appartements où logeaient
les autres papes. Il a choisi de vivre dans
un bâtiment plus modeste qui accueille
des visiteurs du Vatican. Il ne profite pas
non plus de la luxueuse résidence d’été
réservée aux papes. Plutôt que de mener
grand train, il préfère passer du temps
avec des gens simples.
Humble et proche des fidèles, il lave les
pieds de prisonniers, se prête au jeu des
sel fies et va à la rencontre de tribus
amazoniennes dont les territoires sont
détruits par ceux qui exploitent la forêt.
Lorsqu’on lui a offert une Harley
Davidson, François l’a aussitôt mise aux
enchères pour rénover un foyer d’accueil
destiné aux sans abri. Il a suspendu un
évêque qui gaspillait l’argent de l’Église
pour son confort personnel et a
transformé sa fastueuse résidence en
soupe populaire.
En tant que chefs de l’Église catholique,
les papes ont toujours prôné des valeurs
très conservatrices. Pas François. Quand
une journaliste lui a demandé ce qu’il
pensait des homosexuels, il a répondu
«Qui suis je pour juger?». Ça n’a peut
être pas l’air de grand chose, mais
l’Église Catholique ayant jusque là
toujours critiqué l’homosexualité, cette
réponse a marqué une grande avancée.
Beaucoup de fidèles ont d’ailleurs été
choqués par ces propos. Mais cela n’a pas
empêché François de poursuivre sur la
voie de la tolérance, condamnant dans
un discours vibrant ceux qui refusent
d’ouvrir leur cœur. Pour François, on ne
devrait pas se servir de la Bible comme
d’un instrument pour juger les autres.
Lui la considère comme une source
d’inspiration pour donner toujours plus
d’amour à ceux qui en manquent.

127
 LETICIA BUFONI
(NÉE EN 1993)
À neuf ans, Leticia faisait déjà des étincelles sur les
skate-parks couverts de graffitis de Sào Paulo, au Brésil.
Autour d’elle, rien que des garçons. Voilà qui n’était pas du
goût de son papa.
« Le skateboard, c’est pour les garçons ! lui
lança l il un jour. Je t’interdis d’aller au
skate park. » Joignant le geste à la parole,
il brisa en deux la planche de Leticia.
Mais il en fallait plus pour décourager la
jeune skateuse. Elle construisit une autre
planche, et retourna aussitôt glisser sur
les rampes taguées. En la voyant rentrer à
la maison, du sang ruisselant de ses
genoux écorchés, son père secoua la tête,
conscient qu’il ne pourrait rien faire pour
l’empêcher de vivre sa passion.
Résigné, il l’accompagna en Californie
pour participer aux X Gaines, la plus
grande compétition mondiale de sports
extrêmes. Tandis qu’il la regardait
exécuter le même trick, encore et encore,
en s’efforçant de le perfectionner, le père
de Leticia comprit à quel point sa fille
s’impliquait dans ce sport. « Si tu réussis
parfaitement cette figure, lui dit il, tu
pourras rester aux États-Unis pour
pratiquer le skate. »
Elle releva le défi et élut domicile au pays
du skateboard.
128
Jour après jour, un entraînement acharné
permit à Leticia de plaquer de plus en
plus de figures difficiles, sur des rampes
de plus en plus hautes. Impressionnées
par son talent, de grandes marques
décidèrent de parrainer son aventure
sportive. Figures aériennes, grabs, grinds,
flips... Leticia voulait maîtriser tous les
tricks.
À vingt ans, elle devint la première athlète
féminine à remporter trois médailles d’or
dans une même édition des X Gamcs.
Aujourd’hui de retour au Brésil, Leticia est
reconnue partout où elle va, et on lui a
même confié une émission de télévision.
Mais ce qui la ravit plus que tout, c’est de
donner envie aux filles de monter sur une
planche de skate.
Puisque son sport deviendra
officiellement une discipline Olympique
aux Jeux de Tokyo en 2021, Leticia compte
bien ramener une médaille d’or à ce père
qui lui a dit un jour que le skateboard
n’était pas pour les filles.
 ROBERT SMITH
(NÉ EN 1959)
Parce que son professeur de guitare lui répétait qu’il était
nul, Robert laissa tomber les cours. Il décida d’apprendre
seul, à l’oreille, en essayant de reproduire les chansons qu’il
entendait à la radio.
Adolescent, Robert apprit aussi à se
maquiller. Ça l’amusait, de provoquer.
Certaines personnes lui hurlaient dessus,
ce qu’il trouvait à la Ibis étrange et
hilarant. Un jour, il enfila une robe pour
aller à l’école. Aucun professeur ne lui fil
de remarque, mais quelques garçons
l’attendirent à la sortie pour le tabasser.
Robert se serait bien passé de cet
épisode haineux, mais pas question de
devenir quelqu’un d’autre pour plaire
aux gens étroits d’esprit.
C’est à l’école qu’il forma, avec quatre de
ses amis, un groupe appelé The Cure. Ils
donnèrent leur premier concert à l’âge
de treize ans devant leurs camarades de
classe. Ils cherchaient un chanteur, mais
n’arrivaient pas à trouver la perle rare.
Bien qu’il détestât le son de sa voix,
Robert finit par se dévouer.
Il chantait la bouche maculée de rouge à
lèvres et les yeux cernés de maquillage
noir. Avec scs cheveux arrosés de laque,
on aurait dit qu’un oiseau avait construit
un nid géant sur sa tête!
Les Cure écrivirent des morceaux pour
ces moments où on a envie de bondir à
travers le salon, traversé par une folle
énergie, et d’autres pour ceux où on
131
préfère être seul, planqué sous une
couverture. Le groupe composa des
chansons pour les filles et les garçons
qui ont du mal à trouver leur place. Leur
musique fut qualifiée de punk, de rock
gothique, de new wave... Mais Robert et
scs amis se fichaient pas mal des
étiquettes. Ils étaient The Cure, tout
simplement.
Lorsqu’ils entrèrent en studio pour
enregistrer leur premier album, le
producteur ouvrit de grands yeux en
voyant la vieille guitare d’occasion de
Robert.
«C’est quoi, ce truc?» s’exclama-t-il,
horrifié. «Tu ne peux pas jouer avec ça ! »
Robert alla s’acheter un nouvel
instrument, mais y intégra secrètement
des éléments de sa vieille guitare.
«Techniquement, je ne suis pas un bon
guitariste, admet Robert. Mais au moins,
j’ai un son unique.»
À ce jour, le groupe a vendu plus de
trente millions d’albums. Robert porte
toujours du rouge à lèvres, met toujours
autant de laque dans ses cheveux et joue
toujours sur un instrument qui
comporte des éléments de sa première
guitare.
 -t-
LISEMEITNER
(1878-1968)
En 1944, un chimiste allemand nommé Otto Hahn reçut
le prix Nobel de chimie, la récompense suprême pour
un scientifique. Lise Meitner, sa collaboratrice depuis
trente ans, fut complètement ignorée.
Troisième enfant d’une famille qui en
comptait huit, Lise naquit à Vienne en
1878. À l’époque, les Autrichiennes
n’avaient pas accès au lycée, mais son
père veilla à ce qu’elle reçoive des cours
privés. Ainsi, quand les universités de
son pays s’ouvrirent aux femmes, en
1897, Lise put suivre des éludes
supérieures, devenant la seconde femme
diplômée de l’université de Vienne.
Lise concentra bientôt ses études sur la
radioactivité. Elle partit en Allemagne et
travailla main dans la main avec Otto
Hahn, menant des recherches pionnières
en physique nucléaire.
En 1923, elle fit une importante
découverte. Mais tout comme cela allait
se produire au moment de l’attribution
du prix Nobel, Lise fut oubliée au profit
d’un Français, Pierre Auger, qui donna
plus tard son nom au phénomène
découvert par Lise («Effet Auger»).
Quand les nazis prirent le pouvoir, Lise
dut s’enfuir. Parce qu’elle était juive, elle
132
risquait de connaître l’horreur des
camps de concentration. Otto Hahn resta
dans le laboratoire de Berlin.
Réfugiée à Copenhague, Lise travailla
avec son neveu pour expliquer le
phénomène de fission nucléaire qu’elle
avait mis au jour avec Otto Hahn. La
fission nucléaire est une réaction au
cours de laquelle un noyau atomique
lourd se divise en noyaux plus légers.
Quand cela se produit, d’incroyables
quantités d’énergie sont libérées. Pour
cette raison, les armes nucléaires ont
une capacité de destruction massive,
tandis que les centrales nucléaires
peuvent fournir de l’électricité à des
centaines de milliers de foyers. Environ
onze pour cent de l’énergie mondiale
proviennent de la fission qui s’opère
dans des réacteurs nucléaires.
En 1992, Lise obtint enfin un peu de
reconnaissance : quand l’élément
hautement radioactif 109 fut découvert,
on le baptisa «le meitnerium » en son
honneur.
 ROBERTA COHELL
(1918-2011)
Passionné de voitures de sport et d’avions de chasse depuis
sa plus tendre enfance, Robert rejoignit l’Armée de l’air
britannique dès qu’il fut en âge de le faire.
Malheureusement, il souffrait du mal de l’air et fut renvoyé.
Robert se tourna naturellement vers la course automobile,
filant à toute vitesse sur les circuits plutôt que dans le ciel.

Mais Robert retrouva la Royal Air Force
lorsque la Seconde Guerre mondiale
éclata, combattant les nazis aux
commandes d’un Spilfire ou d’un
Hawker Typhoon.
Au cours d’une mission, il se perdit dans
d’épais nuages et manqua de tomber
dans la mer, parvenant à se poser sur
une falaise juste avant d’être à court de
carburant. Une autre fois, il s’évanouit en
vol et ne reprit connaissance que
quelques instants avant de s’écraser.
Finalement, contraint à un atterrissage
d’urgence en Allemagne, il fut capturé et
resta enfermé cinq mois dans un camp.
Pour se distraire de la faim, il apprit la
mécanique à scs codétenus.
La guerre terminée, Robert retourna en
Angleterre où il consacra son temps et
son énergie à la course automobile. Mais
quelque chose n’allait pas : il ne sentait
jamais vraiment à l’aise, jamais bien dans
sa peau. Après avoir consulté différents
psychothérapeutes, Robert commença à
comprendre qu’il n’était pas né dans le
bon corps. Il avait beau avoir toutes les
caractéristiques physiques d’un homme,
il savait au fond de lui qu’il était une
femme. Et il voulait un corps en
adéquation avec ce qu’il ressentait.
Commença alors le long et difficile
processus de changer un corps masculin
en un corps féminin. À l’époque,
l’opération était non seulement illégale,
mais aussi dangereuse, car très rarement
pratiquée dans le monde. Au terme de
bien des sacrifices, Robert devint
Roberta. C’était la première fois qu’un
Britannique subissait une telle
transformation.
Avoir changé de sexe l’empêcha de
continuer la compétition automobile,
mais Roberta resta impliquée dans ce
sport et ne cessa jamais de piloter des
avions.
À travers la guerre, la solitude et son
combat pour devenir ce qu’elle était
vraiment, Roberta a toujours mené sa vie
pied au plancher.

135
 -fr
LOUJAIN AL-HATHLOUL
(NÉ EN 1989)
Depuis longtemps, les femmes d’Arabie Saoudite se battent
pour leur émancipation. Elles n’étaient pas autorisées à
participer aux Jeux olympiques avant 2012, pas autorisées à
voter avant 2015, pas autorisées à conduire une voiture
avant 2018, et elles n’ont toujours pas le droit d’ouvrir leur
propre compte en banque.

Loujain veut que les changements en promettre de ne plus jamais laisser sa

faveur des femmes se poursuivent et
s’accélèrent dans son pays.
Née dans une province conservatrice du
royaume d’Arabie Saoudite, Loujain a
passé une partie de son enfance en
France. Partie étudier au Canada, elle y
découvrit Kcek, une application
permettant de diffuser de courtes vidéos.
Loujain se filma alors au volant d’une
voiture, visage découvert et cheveux
cascadant librement : trois fautes selon
la loi de son pays. Loujain voulait que
toutes les Saoudiennes aient le droit de
conduire : elle pensait que ce symbole
d’indépendance ouvrirait une brèche qui
entraînerait forcément d’autres
changements positifs.
Certains lui reprochant d’avoir posté ces
vidéos depuis un pays lointain, bien à
l’abri des sanctions, Loujain décida de
retourner en Arabie Saoudite. Son père
vint la chercher à l’aéroport et la laissa
conduire, filmant sa fille au volant. Les
autorités virent la vidéo sur Internet et
convoquèrent son père, lui faisant
fille conduire. Loujain ne baissa pas les
bras pour autant.
Quelques jours après son mariage, elle se
filma à nouveau au volant et fut jetée en
prison pendant soixante treize jours.
Pour être libérée, elle dut signer un papier
stipulant qu’elle ne diffuserait plus de
vidéos réclamant davantage de droits pour
les femmes. Elle le signa sans hésiter,
parce que le document ne lui interdisait
pas de militer par écrit ! Aussitôt de
retour chez elle, la jeune insoumise prit
la plume pour poursuivre la lutte.
Le 15 mai 2018, son combat pour l’égalité
lui a valu d’être à nouveau arrêtée. Mais
grâce à l’attention qu’elle a su attirer sur
la situation injuste des femmes de son
pays, les yeux du monde sont braqués
sur le gouvernement saoudien. Les
pressions internationales se multiplient,
réclamant la libération de Loujain et des
autres militants de la cause féminine,
ainsi que l’égalité de traitement entre les
hommes et les femmes de ce royaume
encore bien trop machiste.

136
 -t'

RYAN WHITE
(1971-1990)
Le Sida est un syndrome causé par un virus appelé VIH.
Le corps perd ses défenses immunitaires et devient de
moins en moins capable de résister aux maladies. Même si
les médicaments dont on dispose aujourd’hui permettent de
mieux contenir les effets de ce virus, les premiers malades,
il y a près de quarante ans de cela, mouraient rapidement
après l’avoir contracté.

Encore écolier, Ryan White fut infecté à la
suite d’une transfusion de sang
contaminé par le VIH. Les médecins lui
donnèrent six mois à vivre.
Malgré la maladie, Ryan voulut retourner
à l’école. Mais presque tous les parents
d’élèves et les professeurs s’y opposèrent
farouchement. À l’époque, beaucoup de
gens ne savaient pas que le VIH ne
pouvait se transmettre que par le sang et
les sécrétions sexuelles. Ils considéraient
Ryan comme un danger et refusaient
qu’il s’approche des autres enfants.
L’unique jour où il fut autorisé à revenir à
l’école, plus de la moitié des élèves
décidèrent de rester chez eux. Les gens à
qui il livrait le journal pour gagner un peu
d’argent se mirent à se désabonner.
Se sentir ainsi mis à l’écart fut très
douloureux pour Ryan, d’autant qu’il
avait conscience de ne représenter
aucune menace. Il s’ingénia alors à
informer le grand public sur la réalité du
Sida et à récolter de l’argent pour ceux
qui en souffraient. Bien qu’il ne vécût pas
assez longtemps pour voir le résultat de
scs actions, elles jouèrent un grand rôle
dans le développement et la mise à
disposition des traitements contre cette
maladie.
Pour échapper à l’ostracisme dont il était
victime, Ryan et sa famille partirent
s’installer dans une autre ville. Les élèves
de son nouveau lycée, bien mieux
informés sur le Sida et son mode de
transmission, ne craignirent pas de lui
serrer la main ou de lui faire la bise. Ryan
se sentit le bienvenu.
Ryan vécut cinq années au delà de
l’estimation des médecins. Lorsque la
maladie l’emporta le 8 avril 1990, plus de
1500 personnes assistèrent à ses
obsèques. Ce jour là, le président Reagan
lui rendit hommage en ces termes :
« Nous devons à Ryan d’ouvrir nos cœurs
et nos esprits à ceux qui sont atteints du
Sida.» Ce à quoi il ajouta : «C’est la maladie
qui fait peur, et non les malades.»

139
 LYDA CONLEY
(1869-1946)
Dans les années 1640, les Indiens Wyandot furent chassés de
leurs terres par des colons blancs. D’abord contraints d’aller
vivre dans l’Ohio, ils migrèrent ensuite au Kansas dans les
années 1840. Là, ils établirent un cimetière pour leur peuple.
Soixante dix ans plus tard, ce cimetière fut vendu au
gouvernement américain qui voulait y construire
un lotissement.

Lyda trouva cela inacceptable.
« Ne devrions nous pas être fiers de nos
ancêtres et protéger leurs tombes?»
demanda cette avocate. Une partie de sa
famille était enterrée là - grand mère,
mère, sœur, tantes et oncles. Elle n’avait
pas l’intention de laisser des gens ériger
des logements sur leurs sépultures.
Déterminée à agir, elle se rendit au
cimetière et y construisit une cabane
dans laquelle elle s’installa, fusil à portée
de main, à la manière d’une sentinelle.
Avec ses sœurs, elle fixa des panneaux
« Défense d’entrer» tout autour du
cimetière, et elles se relayèrent pour
garder les lieux vingt quatre heures sur
vingt quatre.
En 1907, ce n’est plus avec un fusil, mais
avec des mots que Lyda alla défendre sa
cause. Elle porta l’affaire devant la Cour
Suprême, devenant la première avocate
amérindienne admise à plaider devant la
plus haute juridiction des États Unis. Les
juges rejetèrent son appel. Elle refusa
pourtant de quitter sa cabane.
En 1912, elle tira des coups de feu pour
chasser un officier de police qui s’était
introduit dans le cimetière. Elle fut
condamnée à une peine de prison, mais
son combat suscitait de plus en plus
d’attention et de soutien au Kansas. En
1916, une loi déclara le terrain invendable
et inconstructible.
Bien qu’elle eût gagné son combat, Lyda
continua à passer ses journées au
cimetière, déambulant entre les tombes
et prenant soin des oiseaux et des
écureuils qui, comme elle, y avaient élu
domicile.
À sa mort, elle fut inhumée parmi ses
ancêtres, dans le cimetière qu’elle avait
passé sa vie à défendre. En 2016, Lyda
remporta une nouvelle victoire lorsque
sa dernière demeure fut classée
monument historique.

140
H» ,/
 SAROO BRIERLEY
(NÉ EN 1981)
Depuis l’âge de cinq ans, Saroo mendiait sa nourriture avec
ses deux frères aînés Guddu et Kallu. Parfois, Guddu gagnait
quelques pièces de monnaie en balayant, la nuit, l’intérieur
des trains de la petite gare indienne de Ganesh Talai. Un soir,
Saroo l’accompagna. Fatigué, il s’allongea sur un banc et
s’endormit sur le quai.

À son réveil, Guddu s’était volatilisé, ainsi
que le train dans lequel Saroo l’avait vu
monter. Le petit garçon arpenta le quai
sombre en criant le prénom de son frère.
Aucune réponse. Désemparé, Saroo
grimpa à bord du train suivant,
s’imaginant naïvement que celui ci le
conduirait à son frère. Il s’endormit à
nouveau. Lorsqu’il se réveilla, des
paysages inconnus défilaient derrière la
vitre. Deux jours plus tard, le train
s’arrêta enfin, et les portes s’ouvrirent. Il
l’ignorait encore, mais Saroo se trouvait à
plus de 1500 kilomètres de chez lui.
Des mois durant, il vécut seul dans les
rues de Calcutta, avant que la chance ne
lui sourie une première fois : pris de pitié
pour ce petit bonhomme en haillons, un
passant le conduisit dans un centre pour
enfants abandonnés. Les responsables
tentèrent de retrouver sa famille, mais
Saroo ne connaissait pas le nom de sa
ville natale.
Adopté par un couple australien, il
s’adapta au mode de vie de son nouveau
pays, oubliant même l’hindi au profit de
l’anglais.
Adulte, Saroo découvrit Google Earlh et
décida de s’en servir pour essayer de
retrouver la gare d’où il était parti. Sur
son ordinateur, il suivit toutes les lignes
ferroviaires menant à Calcutta, se
creusant la cervelle à la recherche d’un
détail. Finalement, il se souvint d’une
chose : une fontaine proche de la voie
ferrée où il allait souvent jouer.
En 2012, Saroo se rendit en Inde où eurent
lieu d’émouvantes retrouvailles avec sa
mère, sa sœur et l’un de ses frères. C’est
alors qu’il apprit la tragique nouvelle :
Guddu était mort, heurté par un train, la
nuit où Saroo l’avait cherché en vain.
Saroo a désormais des contacts réguliers
avec sa famille indienne, et il a acheté
une maison à sa mère. Son incroyable
destin a même inspiré Lion, un film dans
lequel on peut entendre une chanson
dont le titre résume bien l’état d’esprit de
Saroo : «Never Give Up1 ».
1 N’abandonne jamais

143
 MARGARETE STEIFF
(1847-1909)
Au cours des dix-huit premiers mois de sa vie, Margarete fut
une enfant pleine de santé. Puis la maladie bouleversa
sa jeune existence, la laissant avec les jambes paralysées et
un bras droit presque inutilisable.

Malgré son infirmité, Margarete incassables et sans danger pour les

commença tôt l’école et eut d’excellentes
notes.
Un jour, elle annonça qu’elle voulait
devenir couturière. Personne n’imaginait
qu’elle puisse y parvenir avec un seul
bras valide, mais les doutes de scs
proches ne la découragèrent pas. À
dix sept ans, elle acheta l’un des
premiers modèles de machine à coudre
et se trouva bientôt à la tête d’une petite
entreprise de vêtements et d’accessoires
en feutre.
Pour les fêtes de Noël, Margarete
fabriqua des porte épingles en forme
d’éléphant. Bien qu’inilialement destiné
aux couturières, ce furent finalement les
enfants qui tombèrent sous le charme du
petit pachyderme en feutrine.
La plupart des jouets de l’époque étaient
fabriqués avec des matières dures, bien
moins agréables à câliner que la feutrine
de Margarete. L’intérêt des enfants pour
cet objet l’incita à fabriquer d’autres
animaux tout doux, cette fois-ci à
destination des plus jeunes. Bientôt, elle
imprima un catalogue sur lequel on
pouvait lire : «Jouets en feutrine,
enfants». Les Jouets Steiff étaient nés.
Son frère Fritz l’encouragea à développer
l’affaire. Il trouva un nouveau bâtiment
pour héberger l’entreprise et y fit
aménager un appartement dans lequel
Margarete pouvait vivre
confortablement et en toute
indépendance. Elle se mit à concevoir des
chiens, des chats, des singes, des girafes
ou encore des ânes, tous fabriqués dans
des matières douces au toucher.
Fritz eut un jour l’idée d’ajouter l’ours à
cette collection d’animaux. Steiff fut
parmi les tout premiers fabricants de
jouets à proposer des ours en peluche.
On pouvait reconnaître un authentique
ours de la marque grâce au bouton Steiff
cousu dans son oreille.
En 1907, près d’un million d’ours en
peluche sortaient chaque année des
ateliers de Margarete. Un bon siècle plus
tard, les animaux signés Steiff figurent
parmi les jouets les plus aimés des enfants
et les plus appréciés des collectionneurs.
Fièrc de son passé, l’entreprise a conservé
la devise de Margarete : « Les enfants
méritent ce qui se fait de mieux».

144
I,
 SAVION GLOVER
(NÉ EN 1973)
Savion a toujours eu le sens du rythme. À trois ans, il jouait
déjà des percussions avec tout ce qui lui tombait sous
la main. Son talent ne tarda pas à être remarqué, et on lui
proposa de rejoindre un groupe.
Un jour où sa formation donnait un
concert au Broadway Dance Conter,
Savion assista pour la première fois à une
prestation de hoofers, ces danseurs qui
pratiquent un style de claquettes different
de celui, plus exubérant, des comédies
musicales. Les hoofers s’inspirent d’une
forme de danse inventée par les esclaves
pour remplacer les percussions qui leur
étaient interdites, car elles leur
permettaient de communiquer en secret.
En frappant les pieds sur le sol au lieu de
frapper les mains sur la peau d’un
tambour, les esclaves avaient créé un
moyen d’expression que leurs maîtres ne
pouvaient pas déchiffrer. En tant que Noir
américain, Savion eut envie de perpétuer
l’histoire de ses ancêtres à travers la
danse.
Il mit son sens du rythme au service des
claquettes et décrocha bientôt le rôle
principal d’une comédie musicale, The
Tap Dance Kid. Dans ce spectacle, Savion
jouait Willie, un garçon qui rêve de
devenir danseur. Avocat aux idées
conservatrices, le père de Willie s’oppose
à ses ambitions artistiques, mais rend
147
finalement les armes face au talent et à la
détermination de son fils.
Pour qualifier sa manière de faire des
claquettes, Savion parle de style « frappé ».
C’est saccadé, frénétique, implacable. Au
lieu des pas et des mouvements
traditionnels, il laisse la place à de
longues séquences d’improvisation, à de
violentes bouffées d’émotion. Au-delà du
style de danse, c’est toute la mise en
scène que Savion renouvelle. Dans l’un de
scs spectacles, trois danseurs font des
claquettes sans la moindre musique, des
micros placés dans leurs chaussures.
Dans un autre, Savion porte un smoking
et martèle la scène au son des cordes
d’un orchestre symphonique.
En 2006, Savion donna le sourire au
monde entier en prêtant son talent aux
«pieds joyeux» de Mumble, le manchot
du film d’animation Happy Feet.
Celui que certains appellent «L’homme
qui a redonné vie aux claquettes » voit
aussi son art comme une façon de
rappeler au monde les épreuves
endurées par les Africains.
 -1-
MARIA LDRENA BARROS
(1948-1976)
Dans les années 1960, les Philippines étaient secouées par
des manifestations d’étudiants qui s’insurgeaient contre
le coût de l’instruction, le manque de droits des travailleurs
et les violences policières. Le gouvernement réprimait
violement les protestataires.

Élevée par sa mère, Maria fit très tôt
preuve d’une grande curiosité,
s’interrogeant en particulier sur les
inégalités sociales dont souffrait son
pays : pourquoi certaines personnes
étaient elles si riches alors que tant
d’autres étaient si pauvres?
Fille unique, Maria trompa sa solitude en
dévorant des livres. Elle tomba amoureuse
du théâtre et de l’écriture. À l’université,
elle privilégia l’anthropologie, qui est
l’étude des comportements humains.
Lors des manifestations étudiantes, elle
protesta pour réclamer plus d’égalité
entre les citoyens de son pays.
Quand les forces de police vinrent se
masser devant son université, en 1970,
braquant leurs armes sur le bâtiment,
Maria se barricada dans l’établissement
en compagnie d’autres étudiants.
Après cette expérience, elle eut envie
d’agir plus efficacement et fonda une
organisation de femmes. Parcourant les
villages, les usines ou encore les écoles,
Maria propagea ses idées et recruta de
nouvelles militantes. Très vite, son
mouvement prit de l’ampleur.
Un an plus tard, une nouvelle loi autorisa
la police à arrêter n’importe qui sans
motif particulier. Maria fut jetée en
prison, mais elle s’évada douze mois plus
tard. Elle vécut alors dans la clandestinité,
écrivant des chansons, des poèmes et des
pamphlets hostiles au gouvernement qui
inspirèrent ceux qui le combattait. Un
jour, elle se retrouva encerclée par les
forces gouvernementales et se défendit
avec bravoure. Grièvement blessée, elle
tomba aux mains de ses agresseurs qui
lui promirent de la soigner, si elle leur
donnait des informations sur son
organisation. Elle refusa, préférant
mourir plutôt que de trahir ses
camarades de lutte et ses convictions.
À seulement vingt huit ans, Maria reçut
des obsèques dignes d’une héroïne. Des
chants révolutionnaires furent entonnés,
et scs amis partagèrent des anecdotes sur
son courage et sa force de caractère.
Aujourd’hui, aux Philippines, Maria reste
un symbole de cette lumière que les
périodes sombres font parfois naître
en nous.

148
 SHAH RUKH KHAN
(NÉ EN 1965)
Au cours de longues soirées à New Delhi, la famille de
Shah Rukh se rassemblait autour d’une radio pour écouter
des chansons de Bollywood. Shahrukh dansait et chantait
pour le plus grand plaisir de ceux qui l’entouraient. Quand
la musique se taisait, il allait rejoindre ses copains pour
une partie de cricket à la lumière des réverbères.

À l’école, tout le monde était
impressionné par scs imitations de
grands acteurs de Bollywood, le nom
qu’on donne au cinéma musical indien.
Avec 3,6 milliards de billets écoulés à
travers le monde, Bollywood en
remontre à Hollywood, à qui il doit son
nom, mais qu’il distance d’un milliard de
billets vendus. Les films indiens sont
généralement longs, tournés dans des
couleurs vives et rythmés par des
chorégraphies et des chansons.
La passion de Shah Rukh pour le cinéma
l’entraînait plus souvent dans les salles
obscures que dans les salles de classe.
Quand son père mourut, les cours de
théâtre lui apportèrent du réconfort,
mais sa sœur tomba en dépression et
Shah Rukh dut s’occuper d’elle.
Lorsque ce fut au tour de sa mère d’être
malade, Shah Rukh comprit qu’il devait
se faire un nom en tant qu’acteur pour
aider sa famille. Déterminé à se lancer
dans une carrière professionnelle, il
partit vivre à Bombay, la ville qui abrite
Bollywood. Sans argent ni ami sur place,
151
il dut parfois dormir dans la rue lorsqu’il
se faisait expulser d’un logement dont il
ne pouvait plus payer le loyer.
Mais quand on lui donna une chance de
montrer son talent, Shah Rukh sut
conquérir le cœur de millions de
spectateurs, en Inde et au delà. Il devint
un acteur de premier plan et l’un des
mieux payés au monde.
Les sommes fabuleuses qu’il gagne
aujourd’hui ne sont pas jetées par les
fenêtres : Shah Rukh finance de
nombreuses organisations caritatives,
même s’il préfère rester discret sur le
sujet : pour lui, donner aux œuvres de
bienfaisance ne doit pas servir à se
forger une bonne image.
Shah Rukh vit avec sa femme, ses
enfants, et sa sœur dont il prend
toujours soin. Il aime encore jouer au
cricket et possède même sa propre
équipe professionnelle! Mais il sait que
rien n’est jamais acquis : «Le succès et
l’échec font tous deux partie de la vie,
dit il sagement. Ni l’un ni l’autre ne sont
faits pour durer.»
 MARIA SPELTERI NI
(1853-1912)
Les chutes du Niagara sont un ensemble de trois chutes
d'eau tonitruantes situées à la frontière du Canada et des
États-Unis. Âgées d’au moins 12 000 ans, ces immenses
cascades mesurent plus d’un kilomètre de large et
déversent l’équivalent de soixante dix piscines olympiques
toutes les minutes.

Elles sont d’une insondable beauté et
d’une extrême dangerosité. Aujourd’hui
encore, elles continuent à engloutir,
année après année, des touristes
imprudents.
Mais Maria n’avait pas peur.
Élevée dans une troupe de cirque
italienne, Maria lit scs premières
apparitions sur la piste à l’âge de trois
ans. Devenue majeure, elle se produisit
seule dans toute l’Europe avant de
traverser l’océan Atlantique pour
rejoindre l’Amérique.
À seulement vingt trois ans, Maria
accomplit une audacieuse prouesse pour
célébrer le centième anniversaire de
l’indépendance des États Unis, libérés de
la domination britannique avec l’aide de
la France. Sur un câble épais de
seulement 5,7 centimètres et long d’une
centaine de mètres, elle traversa les
gorges du Niagara au dessus du fracas
des eaux bouillonnantes. Le public fut
abasourdi par tant d’habileté et de
courage, mais ça restait un peu facile au
goût de Maria. Elle décida donc de
renouveler l’exploit quelques jours plus
tard, celte fois ci avec des paniers de
pêche en guise de chaussures !
Toujours trop simple pour elle.
Une semaine plus tard, la téméraire
funambule effectua une nouvelle
traversée avec les yeux bandés.
Elle rejoignit l’autre rive saine et sauve.
Mais son appétit de prouesses n’était pas
encore rassasié, et elle franchit une
dernière fois les chutes du Niagara,
poignets et chevilles enchaînés. Pas une
fois, elle n’hésita le long du mince câble.
Elle n’eut pas toujours autant de chance.
Le 5 mai 1877, alors qu’elle pédalait sur
un vélo placé en équilibre sur un câble,
Maria tomba d’une grande hauteur. Les
spectateurs furent choqués et horrifiés.
Maria survécut pourtant à l’accident,
preuve que les êtres humains sont
capables d’accomplir des choses
extraordinaires et de se relever après
les dégringolades les plus spectaculaires.

152
 I
SIMON BOLIVAR
(1783-1830)
À partir de 1492, des explorateurs espagnols appelés
conquistadors traversèrent l’océan Atlantique en bateau.
Ils envahirent des territoires américains, réduisirent leurs
populations en esclavage et pillèrent leur or pour financer
des guerres en Europe.

Né dans une Famille aisée du Venezuela, l’armée indépendantiste de Simon

en Amérique du Sud, Simon prit
conscience de l’injustice de cette
situation en 1799, lorsqu’il partit vivre en
Espagne après la mort de ses parents. En
Europe, Simon étudia l’histoire, la
philosophie cl la littérature. Il aimait, au
cours de longues promenades avec l’un
de ses anciens professeurs, débattre d’un
sujet qui lui tenait à cœur : la notion de
liberté.
De retour dans son pays natal, Simon
déclara que l’heure de la révolution avait
sonné. 11 voulait que les populations
d’Amérique du Sud se battent pour leur
liberté apres des siècles de domination
espagnole.
Et il était prêt à prendre la tête de cette
lutte.
Il rassembla une armée de soldats qui
partageaient ses rêves, les arma et
entama une longue marche à travers des
centaines de kilomètres de jungle, de
marécages et de plaines arides. Après
être parvenue à passer la chaîne de
montagnes de la cordillère des Andes,
affronta les royalistes espagnols qui
furent mis en déroute. Cette victoire
marqua le début d’une longue série de
batailles et de périodes de clandestinité
pour Simon, qui échappa également à
plusieurs tentatives d’assassinat.
En 1819, Simon participa à la fondation de
la première union des nations sud
américaines, la Grande Colombie, dont il
devint le président. Un pays fut même
nommé en son honneur : la Bolivie. Cinq
ans plus tard, les forces de la couronne
d’Espagne furent définitivement
vaincues lors de la bataille d’Ayacucho.
Au bout du compte, Simon ne se
contenta pas de libérer son pays natal,
le Venezuela. Il aida également la Bolivie,
le Panama, la Colombie, l’Équateur et le
Pérou à se défaire du joug espagnol.
Aujourd’hui, les habitants de ces pays
l’appellent toujours le « Liberator» et
célèbrent sa mémoire tous les 24 juillet,
jour anniversaire de la naissance du
grand libérateur de l’Amérique du Sud.

155
 MEGAN HINE
(NÉE EN 1984)
Si vous vous retrouviez coincés sur une île tropicale,
crapahutant dans une jungle ou perdu au milieu d’un désert,
Megan serait la personne que vous voudriez avoir à vos
côtés. Elle sait quels insectes manger, comment allumer un
feu n’importe où, et elle vous apprendra à filtrer votre urine
si vous n’avez plus rien à boire.

Enfant, Megan se sentait toujours à inexplorés, au cœur des jungles ou des

l’étroit. Elle entendait l’appel de la nature
et rêvait de fuir la grisaille de la salle de
classe pour vivre des aventures.
Lorsqu’elle jouait au tennis à l’école, elle
faisait exprès d’envoyer la balle le plus
loin possible hors du court, de manière
à passer le reste de l’heure à la chercher
dans les broussailles.
À l’adolescence, ce besoin d’action et de
grand air poussa Megan à rejoindre les
cadets de l’armée. Elle y découvrit la
pratique du kayak de rivière, de
l’escalade glacière et les longues
randonnées sur terrains accidentés.
Par la suite, elle devint monitrice de
conduite tout terrain dans la Région des
lacs, au nord ouest de l’Angleterre, et
monitrice de rafting dans les Alpes.
Aujourd’hui, Megan passe la plus grande
partie de l’année seule dans la nature.
Seulement munie d’un sac à dos, d’une
hachette et d’une trousse de secours,
elle ouvre des chemins encore
montagnes, à la recherche de lieux de
tournage pour des émissions de survie.
Elle a parfois frôlé la catastrophe. Une
nuit, dans le désert du Namib, elle s’est
réveillée face à des lions qui tournaient
autour de son feu de camp. Une autre
fois, en Thaïlande, quand un
malencontreux hasard lui a fait traverser
une plantation de drogue, Megan s’est
fait poursuivre pendant des heures par
des trafiquants armés de mitrailleuses.
Elle a été menacée par des ours, mordue
par un serpent et coincée sous une
avalanche. Pourtant, Megan
n’échangerait pour rien au monde sa vie
contre une autre.
Si elle rencontrait la petite fille qu’elle
était, quel conseil lui donnerait elle?
«Je dirais à la petite Megan de ne pas s’en
faire, si ses rêves lui paraissent étranges
ou irréalisables, parce qu’il existe
toujours un moyen de surmonter les
obstacles.»

156
 SOCRATES
(1954-2011)
Né au Brésil, à proximité de l’embouchure de l’Amazone,
Socrates doit son prénom au grand philosophe grec.
Lorsqu’il avait huit ans, son père détruisit l’ensemble de ses
livres, par peur d’être inquiété par la dictature au pouvoir.
Le régime militaire voulait tout contrôler, même la culture.
Marqué par cet épisode, Socrates se promit de lutter contre
l’oppression quand il serait grand.

Très doué pour le football, Socrates
intégra l’équipe des SC Corinthians.
Fidèle à ses convictions, il engagea le club
dans une expérience d’autogestion qu’il
appela la «démocratie corinthianc», en
totale opposition avec la façon brutale et
autoritaire dont était dirigé le pays. Le
club remporta le championnat en 1982 et
1983, les joueurs portant des maillots où
était simplement inscrit le mot
«démocratie». Ils célébrèrent la victoire
en déployant une banderole sur laquelle
on pouvait lire : «Gagner ou perdre, mais
toujours démocratiquement.»
Parallèlement à sa carrière de
footballeur, Socrates poursuivit des
études de médecine qu’il mena à bien
entre les matchs et les entraînements.
Le «docteur» Socrates fut bientôt
reconnu comme l’un des meilleurs
footballeurs du monde. Il avait un style
d’une grande élégance, et son art de la
talonnade fit dire à Pelé qu’il jouait mieux
vers l’arrière que la plupart des
footballeurs ne jouaient vers l’avant.
Il marqua beaucoup de buts pour l’équipe
du Brésil et devint un héros national.
Devant 1,5 million de personnes réunies
lors d’un meeting politique, Socrates
annonça que si le gouvernement
n’organisait pas des élections libres et
impartiales, il partirait jouer en Italie.
Les autorités firent la sourde oreille, et
Socrates rejoignit le club de la Fiorentina.
Socrates adorait taper dans un ballon,
mais le foot restait pour lui un jeu. Ce qui
lui importait vraiment, c’était d’œuvrer
pour la liberté d’expression. Le «docteur»
considérait avant tout ce sport comme
un moyen de faire entendre sa voix et de
changer les choses. Aujourd’hui encore,
Socrates figure toujours dans nombre de
palmarès des meilleurs footballeurs de
tous les temps. Mais si ses légendaires
talonnades n’ont pas été oubliées, on se
souvient tout autant de lui pour ses
actions hors du terrain.

159
 RONDAROUSEY
(NÉE EN 1987)
Conséquence d’une naissance compliquée, Ronda eut
du mal à s’exprimer convenablement avant l’âge de six ans.
Deux ans plus tard, elle perdit son papa.
À partir de ses huit ans, sa mère, une
judoka, lui donna le goût des arts
martiaux et l’inscrivit dans un club de
judo. À treize ans, Ronda était si forte
qu’elle lui brisa accidentellement le
poignet.
Autant elle s’épanouissait sur les tatamis,
autant elle souffrait à l’école : ses
problèmes de peau, ses oreilles «en
chou fleur» à cause du judo et ses
muscles très développés à force de
s’entraîner lui valurent d’être appelée
«Mlle Homme» par scs camarades de
classe. Elle en fut terriblement blessée.
Si on avait dit à Ronda qu’elle serait,
quelques années plus tard, la troisième
personne au monde la plus recherchée
sur Google! Aujourd’hui, elle sait qu’il n’y
a pas de honte à être forte et se dit même
hère de ses oreilles froissées par les
combats.
«Combattre n’est pas masculin. C’est
humain»,explique t elle.
Pendant des années, Ronda s’entraîna au
judo avec des hommes plus costauds
qu’elle. Elle se sentait frustrée de ne pas
pouvoir envoyer ces armoires à glace au
tapis à l’aide d’une de ses prises
préférées. Elle pleurait presque à chacun
160
de ces entraînements, mais cette
méthode finit par payer.
À dix sept ans, Ronda devint la plus
jeune judoka à se qualifier pour les Jeux
olympiques et, quatre ans plus tard, la
première judoka américaine à remporter
une médaille olympique. Après ça, elle
abandonna le judo au profit des arts
martiaux mixtes (MMA) et fut la
première femme à signer un contrat avec
l’Ultimate Fighting Championship, la
ligue majeure de MMA. Pour remporter
scs combats, Ronda n’avait besoin en
moyenne que de deux minutes et
cinquante neuf secondes. Personne ne
semblait pouvoir la battre.
Jusqu’au jour où elle s’inclina contre
toute attente face à 1 lolly Holm. Cette
première défaite lui mit un coup sévère
au moral, et il lui fallut un peu de temps
pour s’en remettre. Mais les grands
champions se relèvent toujours.
Aujourd’hui, Ronda a ouvert un nouveau
chapitre de son exceptionnelle carrière
sportive, devenant catcheuse
professionnelle sous le nom de Rowdy.
Ses nombreux fans rugissent de joie,
déchaînés, dès qu’elle pénètre sur le ring.
Plus personne ne l’appelle Mlle Homme.
 SRINIVASA RAMANUOAN
(1887-1920)
En 1913, G.H. Hardy, un mathématicien anglais, reçut une lettre
en provenance d’Inde. «Cher Monsieur, commençait-elle,
permettez-moi de me présenter : employé au département
comptable des bureaux du port de Madras pour un salaire
de 20 £ par an, je suis aujourd’hui âgé d’environ 23 ans.»

Des pages et des pages de théorèmes
étaient joints à la lettre. Hardy fut
tellement stupéfait de ce qu’il avait sous
les yeux qu’il crut d’abord à un canular.
Mais en y regardant de plus près, il
comprit qu’il tenait là quelque chose
d’extraordinaire. Selon ses propres mots,
il songea alors : « Ces théorèmes ne
peuvent être une mystification, parce que
personne n’aurait assez d’imagination
pour les inventer.»
Depuis qu’à l’âge de quinze ans il était
tombé sur un livre contenant les énoncés
de milliers de théorèmes, Srinivasa ne
pensait plus qu’aux nombres. Avant ça, il
avait été un excellent élève dans toutes
les matières, mais une fois le livre
refermé, seules les mathématiques lui
semblèrent dignes d’intérêt. Scs autres
notes s’en ressentirent.
dans toutes les matières à l’exception des
mathématiques où il excellait.
Heureusement, des mathématiciens
indiens convaincus de son talent lui
écrivirent des lettres de recommandation
pour l’université de Madras. Puis ce fut
encore une lettre, cette fois ci adressée à
G.H. Hardy, qui lui ouvrit les portes de la
prestigieuse université de Cambridge.
En Angleterre, Srinivasa ne tarda pas à
impressionner tout le monde et reçut de
nombreux diplômes et honneurs.
Combinées à l’approche plus rigoureuse
de Hardy, ses intuitions fulgurantes
faisaient merveille. Mais le climat humide
et froid ne lui convenait pas plus que la
nourriture anglaise, et Srinivasa retourna
en Inde où la maladie l’emporta à
seulement trente deux ans.

Quelque temps après cette révélation, Beaucoup de théorèmes de Srinivasa

Srinivasa quitta le domicile familial et
compta sur l’hospitalité d’amis pour se
loger. 11 passait désormais ses journées à
noircir des cahiers avec scs idées. Il voulut
s’inscrire à l’université, mais aucune
n’accepta cet étudiant atypique, médiocre
étaient si complexes qu’ils n’ont pu être
démontrés qu’après sa disparition. 11 a
laissé derrière lui des piles de résultats
sur lesquels les mathématiciens
d’aujourd’hui continuent à se creuser
la tête.

163
 ROSIE SWALE-POPE
(NÉE EN 1946)
Le jour de ses cinquante sept ans, Rosie noua les lacets
de ses chaussures de sport et verrouilla la porte de son
cottage du Pays de Galles, point de départ d’une course
à pied de plus de 30000 kilomètres.

Rosie n’a pas toujours été aussi sûre
d’elle. À quatorze ans, elle lut envoyée
dans un pensionnat de jeunes filles où
elle se présenta avec des poux dans les
cheveux, des bas de laine et des culottes
de grand mère. Elle se rappelle avoir
reçu un zéro à un examen noté sur cent
points. L’espace confiné de la classe
l’intéressait bien moins que la vie au
grand air.
Après un premier travail dans un journal
local, elle partit à la découverte de l’Inde,
du Népal et de la Russie, presque sans
argent ni bagage. Un mariage et un
enfant plus tard, Rosie sillonna les océans
avec son mari et sa petite fille. Puis,
toujours avide d’aventures et de défis,
elle participa à des marathons dans le
désert et la toundra arctique, et traversa
le Chili à cheval pendant plus d’un an.
Lorsque son second mari mourut d’un
cancer de la prostate, Rosie décida de se
lancer dans une course à pied autour du
monde pour sensibiliser les hommes à la
détection précoce de cette maladie.
Partie de la petite ville balnéaire de
Tenby, au Pays de Galles, elle courut à
travers l’Europe, la Russie, l’Alaska, le
Canada et enfin l’Islande, avant de
rentrer chez elle au bout de cinq années.
Au fil de son périple, elle fut chassée par
des loups, attaquée par des ours,
menacée par des hommes armés de
fusils et de haches, renversée par un bus,
prise dans un blizzard, hospitalisée pour
une pneumonie. Elle courait en tirant
une remorque dans laquelle se
trouvaient ses affaires, dormant à la belle
étoile ou chez des inconnus qui lui
offraient l’hospitalité. Malgré des côtes
cassées et une blessure à la hanche,
Rosie alla au bout de son aventure : c’est
appuyée sur des béquilles qu’elle se fit
acclamer par des centaines de personnes
venues fêter son retour à Tenby.
Pour Rosie, faire des choses qui sortent
de l’ordinaire permet parfois de se
libérer de sa peine. Quand elle parle du
voyage entreprit à la mort de son mari,
elle explique : «J’ai commencé à courir
dans la solitude et le chagrin, mais en
chemin la tristesse a laissé place au
bonheur de vivre. Je n’ai qu’un seul
message : la vie est précieuse. »

164
 STANISLAV PETROV
(1939-2017)
La plupart des gens ne connaîtront jamais le nom
de Stanislav. Pourtant, nous lui devons peut être tous
d’être en vie.
Ce soir de 1983, Stanislav était de garde
dans la base d’alerte stratégique
Serpoukhov 15, un centre militaire chargé
de s’assurer que les Américains ne
tiraient pas de missiles sur la Russie. On
était alors en pleine guerre froide entre
ces deux puissances enfermées depuis
des décennies dans un antagonisme
stérile. En cas d’attaque américaine, la
Russie était prête à riposter avec toute la
force de son arsenal nucléaire.
Stanislav était venu remplacer au pied
levé un autre officier qui n’avait pu
assurer son service. Minuit avait sonné
lorsqu’un avertissement se mit à
clignoter en lettres rouges sur les écrans
de contrôle, bientôt suivi des hurlements
d’une sirène. À en croire les informations
affichées par les ordinateurs, un missile
venait d’être tiré par les Américains. Puis
un autre. Et encore un autre.
Stanislav connaissait la procédure : il
devait alerter le haut commandement
afin d’organiser immédiatement la
riposte. Mais au lieu de les appeler, il prit
le temps de la réflexion. Le nombre de
missiles détectés lui semblait trop faible
167
pour être crédible. Il pencha pour une
défaillance du système de surveillance et
conclut qu’aucun missile ne se dirigeait
vers la Russie.
Il décrocha le téléphone et indiqua à ses
supérieurs qu’il s’agissait d’une fausse
alerte, en s'efforçant de ne rien laisser
paraître de son angoisse : s’il se trompait,
son pays était sur le point d’être réduit en
cendres par des armes nucléaires. Il laissa
passer une bonne vingtaine de minutes,
les plus longues de sa vie. Aucun missile
n’avait été tiré depuis les États Unis.
En n’obéissant pas aveuglément aux
ordres, Stanislav a permis d’éviter un
désastre mondial.
Ce n’est que dix ans après l’incident que
le monde découvrit l’immense service
que lui avait rendu Stanislav. Parce qu’elle
a sans doute permis d’éviter une
Troisième Guerre mondiale, sa décision a
sauvé des millions de vies et changé le
destin de notre planète. Qui sait ce que
serait la terre aujourd’hui, si Stanislav
avait agi différemment? À sa mort, les
journaux l’appelèrent «l’homme qui a
sauvé le monde».
 SAILY RIDE
(1951-2012)
Adolescente, Sally passait le plus clair cle son temps sur
les courts de tennis. Bientôt, elle devint l’une des meilleures
joueuses américaines. Elle semblait promise à une belle
carrière, mais Sally privilégia finalement sa passion pour
l’astrophysique : l’étude des étoiles, des planètes et des galaxies.

Une fois diplômée, Sally vit une annonce
dans les journaux : pour la première fois
de son histoire, la NASA recrutait une
femme astronaute. Sally, qui avait
toujours rêvé d’aller dans l’espace, sut
que c’était la chance de sa vie.
Plus de huit mille candidates se
présentèrent, et Sally fut l’une des six
femmes retenues. Les rescapées de cette
impitoyable sélection subirent alors un
entraînement intensif. Douze heures par
jour pendant deux ans, elles
enchaînèrent les sauts en parachute, les
séances de plongée sous marine et les
vols en avion supersonique. Elles
apprirent à connaître les moindres
recoins d’un véhicule spatial et
étudièrent les subtilités de la géologie.
Sally excella tant sur le plan physique
qu’intellectuel et gagna sa place dans la
navette spatiale Challenger.
Lorsque la NASA annonça que Sally
participerait à la prochaine mission
spatiale, les journalistes lui posèrent des
questions ridicules : «Vous pleurez
quand ça ne se passe pas comme vous le
voulez? Vous allez avoir des toilettes
séparées? Vous comptez vous maquiller
dans l’espace?»
Sally préféra ignorer ces questions. Elle
savait de quoi elle était capable, et le fait
d’être un homme ou une femme n’avait
rien à voir là dedans.
Le 18 juin 1983, Sally devint la première
Américaine à aller dans l’espace.
En regardant la planète Terre depuis le
hublot d’une navette spatiale, Sally fut
submergée par ce sentiment particulier
que seuls les astronautes peuvent
vraiment ressentir : la conscience aiguë
que nous cohabitons tous des
membres de notre famille aux fourmis,
en passant par les séquoias et les
océans , sur un gros caillou qui Hotte
dans l’espace. Elle eut l’intime conviction
que nous devons absolument prendre
soin de notre planète, parce que c’est
tout ce que nous avons.
En 2001, elle fonda la Sally Ride Science,
une société dont le but est d’encourager
les filles à étudier la science. Des années
après sa mort, son initiative a toujours
autant de succès.

168
 'I'
TAKAZÉNRYU
KAWAKAMI
Né dans une famille qui a fourni des générations et des
générations de prêtres au temple Shunkoin de Kyoto, au
Japon, il allait sans dire que Taka suivrait la meme voie.
Mais il voulait d’abord voir les États-Unis.

Taka étudia la religion et la psychologie à
l’université d’Arizona. Un jour, alors qu’il
prenait le thé avec un ami, il fit une
remarque grossière au passage d’un
homosexuel. Son ami réagit vivement :
« Moi aussi, je suis gay, lui dit il. Alors, c’est
ça que tu penses de moi?»
Taka eut honte. Il pensa aux moqueries
dont il avait été victime en tant
qu’Asiatique à son arrivée aux États Unis.
Lui qui avait subi une forme de
discrimination, comment pouvait il à son
tour faire preuve d’intolérance envers les
autres? L’homosexualité était un sujet
auquel Taka n’avait jamais vraiment
réfléchi. Lorsqu’il prit le temps d’y songer,
il lui sembla que si c’était mal perçu dans
son pays, c’était d’abord une question de
culture : l’harmonie sociale prime sur les
convictions personnelles, au Japon, et la
plupart des Japonais préfèrent être dans
la norme, ne pas se faire remarquer.
pas pour autant ses nouvelles valeurs.
Bien que les unions entre personnes du
même sexe ne soient pas encore
reconnues dans son pays, il propose
désormais de célébrer les mariages
homosexuels au temple Shunkoin. 11 a déjà
marié des couples gays du monde entier,
mais aussi quelques couples japonais.
Taka donne également des conférences
dans des universités japonaises. 11
explique aux étudiants que les relations
entre personnes du même sexe ne datent
pas d’hier au Japon, et que des documents
prouvent même qu’elles existent depuis
plus de deux mille ans. Absolument rien
dans les textes sacrés du bouddhisme
n’interdit de telles relations.
«Environ sept pour cent de la population
japonaise n’ont pas le droit de se marier,
dit Taka. Une telle situation n’est pas
propice au bonheur de notre peuple.»

De retour à Kyoto, Taka accepta avec joie Grâce à lui, on voit déjà un petit plus de
son destin de prêtre, mais il n’en oublia bonheur se propager à travers le Japon.

171
 SAVAN N A KARMUE
(NÉE EN 2006)
Savanna n’en crut pas ses oreilles quand elle apprit que les
maladies cardiovasculaires tuaient chaque jour plus de deux
mille Américains. Le plus triste dans tout ça, c’est qu’un
grand nombre de ces décès pourraient être évités. Si nous
protégeons notre coeur, notre coeur nous protégera.

Lors d’une visite à sa maîtresse qui conserver un cœur sain. Dans un

venait de subir une opération du cœur,
Savanna discuta avec le cardiologue de
service. Elle n’avait que six ans, mais sa
curiosité lui donna envie d’en savoir plus.
Elle s’informa sur les veines et les
artères, sur la façon dont l’oxygène et les
nutriments sont distribués à l’ensemble
de nos organes, ainsi que sur
l’importance de manger sainement et de
faire régulièrement de l’exercice.
Plus elle en apprenait sur le cœur
humain, plus elle était certaine de
vouloir devenir cardiologue quand elle
serait grande. Mais elle tenait à agir tout
de suite : avec un enfant sur trois en
surpoids, les États Unis connaissent une
véritable épidémie d’obésité, largement
due à un régime alimentaire à base de
malboulfe et de boissons sucrées.
Savanna chercha un moyen d’aider tous
ces enfants en danger.
C’est ainsi qu’elle fonda Happy Hcart
(«Cœur heureux»), une organisation
caritative dont le but est d’informer les
enfants sur ce qu’il faut faire pour
premier temps, elle écrivit un livre pour
présenter de façon claire et simple tout
ce qu’elle avait appris lors de ses
recherches sur le cœur, de sorte que les
autres enfants puissent profiter de scs
connaissances.
Dans un deuxième temps, Savanna
organisa les «Happy Hcart Challenges»;
des visites d’au moins une semaine dans
les écoles où elle apprend aux élèves à
manger de façon plus saine, à se mettre
au sport et à comprendre le
fonctionnement du système
cardiovasculaire. Elle estime que les
enfants sont plus réceptifs au message
quand il est transmis par quelqu’un de
leur âge.
Par son action, Savanna espère
contribuer à réduire de moitié l’obésité
juvénile aux États Unis d’ici 2031, ainsi
que le nombre de décès dus aux
maladies du cœur.
Elle pense qu’on mérite tous d’avoir des
«cœurs heureux».

172
 THE INNOCENCE PROJECT
En 1986, une femme de vingt sept ans fut découverte morte
dans une rue de New York. Elle avait été assassinée. Quand
la police vint arrêter Barry Gibbs, un facteur qui avait fait
la guerre du Vietnam, il ne comprit pas ce qui lui arrivait.

Barry cria son innocence, mais personne
ne l’écouta. Même son fils le croyait
coupable. Le jury le condamna à vingt
ans de prison.
Après des années derrière les barreaux,
Barry, seul et désespéré, prit contact
avec l’innocence Project et les supplia de
l’aider. Quand cet organisme qui traque
les erreurs judiciaires demanda où se
trouvaient les prélèvements génétiques
effectués sur la scène de crime, on lui
répondit qu’ils avaient mystérieusement
disparu.
Plus tard, lors d’une perquisition au
domicile d’un des inspecteurs de police
qui avaient arrêté Barry, ces
prélèvements furent retrouvés. Les
avocats de l’innocence Project
possédaient désormais la preuve que
Barry avait été victime d’un coup monté.
Ils portèrent l’affaire devant les
tribunaux, et Barry fut enfin libéré après
dix neuf longues années de prison.
En 2010, la ville de New York versa dix
millions de dollars à Barry, à titre de
dédommagement. Aucune somme ne
pouvait être à la hauteur du calvaire qu’il
avait enduré, mais au moins il allait
pouvoir profiter pleinement des années
de liberté qui lui restaient à vivre.
Fondé en 1992, l’innocence Project a déjà
aidé gratuitement des centaines de
personnes injustement condamnées. Cet
organisme à but non lucratif cherche
inlassablement à mettre la main sur des
prélèvements d’ADN susceptibles
d’innocenter des personnes détenues à
tort. Parmi les prisonniers qu’il s’efforce
d’aider, certains sont condamnés à la
prison à perpétuité, d’autres à la peine
de mort.
On peut être condamné pour des crimes
qu’on n’a pas commis pour trois raisons
principales : parce qu’un témoin a cru
voir quelque chose qu’il n’a pas vraiment
vu, parce que les éléments de preuves
n’ont pas été traités correctement, et
parce que des méthodes déloyales ont
été utilisées pour arracher des aveux.
Quelles que soient les raisons pour
lesquelles une personne honnête se
retrouve derrière les barreaux, Peter
Neufeld, Barry Schek et leur équipe
d’avocats dévoués continuent à se battre
pour celles et ceux qu’ils croient
innocents.

175
 SOPHIE BLANCHARD
(1778-1819)
En 1804, une Française nonamée Sophie Blanchard devint
la première femme aéronaute à piloter seule un ballon.
Sur la terre ferme, Sophie était plutôt
craintive, inquiète de se déplacer en
voiture à cheval. Dans les airs, en
revanche, Sophie la timorée n’avait plus
peur de rien. À bord de son aérostat, elle
embarquait des feux d’artifices qu’elle
faisait exploser dans le ciel, pour le plus
grand bonheur de foules fascinées et
conquises. Elle entreprit même une
périlleuse traversée des Alpes, au cours
de laquelle le froid recouvrit son visage
de givre.
À plusieurs reprises, Sophie perdit
conscience parce qu’elle montait trop
haut avec son ballon. Parfois, elle volait de
nuit et s’endormait dans sa nacelle au
milieu des nuages.
C’est dans le ciel qu’elle se sentait
vraiment chez elle.
Mais si flotter dans un aérostat était une
expérience poétique, c’était également
une activité dangereuse. Surtout avec des
feux d’artifice à bord. La moindre erreur,
et l’hydrogène hautement inflammable
qui gonflait le ballon pouvait réduire en
cendre son petit vaisseau céleste. Sans
compter que ces engins étaient
notoirement difficiles à contrôler : Sophie
connut plus d’un atterrissage en
176
catastrophe. Malgré tous ces écueils,
l’intrépide aéronaute se rendit célèbre
dans toute l’Europe. Napoléon Bonaparte,
qui envisageait d’utiliser les aérostats
pour attaquer scs ennemis, la nomma
même ministre de l’Air.
Le 6 juillet 1819, les badauds se pressèrent
au Tivoli, un parc de loisirs parisien, pour
admirer un nouvel exploit de Sophie.
Tandis que son ballon s’élevait, Sophie
allumait des feux d’artifices qui
illuminaient son ascension comme des
étoiles filantes.
Brusquement, le ciel de Paris s’embrasa,
et les Parisiens poussèrent des cris en
voyant des flammes dévorer l’enveloppe
du ballon. L’aérostat se mit à dégringoler,
et Sophie lâcha du lest pour freiner la
descente. Elle pensait s’en sortir une fois
de plus, mais la nacelle heurta le toit
d’une maison, éjectant Sophie qui se brisa
la nuque sur un trottoir.
Avec cette chute fatale, Sophie devint
aussi la première femme à périr dans un
accident aérien. Enterrée au cimetière du
Père Lachaise, elle repose sous un
monument funéraire qui représente un
ballon en flammes.
 n
LES CASQUES BLANCS
Chaque jour, des bombes s’abattent sur les écoles,
les habitations et les hôpitaux syriens. Certaines
contiennent des vieux clous ou des bouts de métal, d’autres
du gaz toxique. La plupart de ces bombes sont lancées par
le gouvernement syrien. Il prétend viser des terroristes,
mais ceux qui meurent sont des gens comme vous et moi.

El quand ces innocents se retrouvent Après avoir récolté plus de 100000 $ de

coincés sous les décombres d’un
bâtiment détruit, ce sont les Casques
blancs qui risquent leur vie pour tenter
de les sauver.
Qu’ils soient ingénieurs, artistes,
enseignants ou tailleurs, les membres
des Casques blancs sont issus de
religions et de milieux sociaux très
divers. Ce sont des bénévoles sans armes
qui aident toute personne en détresse,
quelles que soient ses opinions
politiques. Pour eux, un blessé est un
être humain avant d’être un ennemi.
Ces sauveteurs volontaires administrent
les premiers secours aux rescapés et
vont chercher les corps sans vie pour
qu’ils puissent être inhumés décemment.
En juillet 2018, ils avaient déjà sauvé
115000 vies.
Dans certaines régions très religieuses
de la Syrie, un homme n’a pas le droit de
secourir une femme. Pour remédier à ce
problème, des groupes de sauveteuses se
sont formés au sein des Casques blancs.
dons, les femmes Casques blancs
disposent désormais de six ambulances
et d’une centaine de volontaires.
Les Casques blancs jouent aussi un rôle
crucial de témoins en filmant tout ce qui
se passe dans ces zones où les
journalistes sont très rares. Les vidéos
qu’ils ont tournées ont permis de
confirmer les frappes aériennes dont
sont victimes les civils. En avril 2018,
leurs images ont apporté la preuve que
l’année syrienne avait utilisé du gaz
toxique sur sa propre population.
Pour des raisons politiques, les
gouvernements russes et syriens ont
propagé des mensonges, s’efforçant de
faire croire à l’opinion publique que les
Casques blancs travaillaient main dans la
main avec les terroristes. Cela ne les a
pas empêchés de poursuivre leur
mission humanitaire : parce qu’ils savent
que sauver une vie n’a pas de prix, rien
ne les empêchera de braver le danger
lors des raids aériens pour fouiller les
décombres à la recherche de survivants.

179
 SOPHIE PASCOE (NÉE EN 1993)
Sophie n’avait que deux ans quand la tondeuse de son papa
lui passa sur les jambes. Un terrible accident qui faillit lui
coûter la vie. Les médecins réussirent à sauver sa jambe
droite, mais la gauche dut être amputée sous le genou.

L’accident la rendit d’abord un peu En se soumettant à un entraînement

craintive. «Je ne pourrai jamais faire ça»,
disait elle au début en voyant sa grande
sœur grimper à un arbre ou escalader le
filet d’une aire de jeux.
«On est sûrs que tu en es capable»,
répondaient ses parents. «Commence
par essayer, avant de dire que c’est
impossible.»
Lorsque la natation fut inscrite au
programme de sa classe, Sophie se trouva
en difficulté, à la traîne des autres élèves.
Pour lui donner confiance en elle, sa
mère décida de lui offrir des cours privés.
aussi rigoureux qu’intensif, Sophie
parvint à se qualifier pour les Jeux
paralympiques de Pékin. Elle n’avait que
quinze ans. Dans son pays, la Nouvelle
Zélande, les gens n’en revenaient pas
qu’une fille aussi jeune puisse se
mesurer aux grands athlètes
paralympiques. Comme lors de sa
première compétition à l’école, la
performance de Sophie alla bien au delà
des espoirs que son entourage plaçait en
elle. Elle remporta trois médailles d’or et
une d’argent. Tous les Néo Zélandais
étaient fiers d’elle.

Plus tard cette année là, l’école organisa
sa compétition annuelle de natation.
Pour la première fois, Sophie put se
mesurer à ses camarades de classe. Elle
remporta toutes ses courses. Pour la
fillette, ce fut le déclic : non seulement
elle pouvait égaler les enfants valides,
mais aussi les battre à plate couture!
Son talent crevait les yeux. Avant de
mourir, son grand père lui fit promettre
de décrocher un jour l’or paralympique.
Et c’est exactement ce qu’elle décida de
faire.
Tandis qu’elle se tenait sur la plus haute
marche du podium, les regards de
Sophie et de son père se croisèrent. Le
papa et sa fille se comprirent sans un
mot : oui, cet accident de tondeuse avait
été horrible, mais avec l’aide de sa
famille, Sophie avait su transformer ce
coup du sort en retentissante victoire.
Elle était championne du monde!
Elle avait promis une médaille d’or à son
grand père. À ce jour, elle en a remporté
neuf.

180
 ;T:

THOMASNEUWIRTH
(NÉ EN 1988)
Le village autrichien de Bad Mitterndorf niche dans un décor
de vallées verdoyantes et de montagnes aux sommets
enneigés. Passer son enfance dans un si bel environnent
aurait été une chance pour Thomas s’il n’avait pas éprouvé
un tel sentiment de solitude. Les garçons l’attiraient plus que
les filles, mais il n’avait personne à qui se confier. Isolé,
Thomas craignait de ne pas être normal.

Dans le grenier de la maison familiale, Conchita fut l’objet d’insultes, en

Thomas enfilait des jupes et des robes. Ce
n’est qu’à l’abri des regards qu’il pouvait
être lui même. Plus tard, après avoir suivi
des études de stylisme dans une grande
ville, il se sentit de plus en plus à l’aise
pour exprimer sa véritable personnalité.
Parce qu’il voulait cesser de vivre caché,
Thomas se créa un double qu’il appela
Conchita Wurst.
Conchita avait des yeux sombres et
mystérieux, de longs cheveux soyeux et
une barbe sculptée à la perfection. Elle
portait des robes glamours et chantait
d’une voix à la fois tendre et puissante.
Le 10 septembre 2013, Conchita fut choisie
pour représenter l’Autriche lors du
concours de l’Eurovision.
Beaucoup de gens décidèrent de la
soutenir, pour scs qualités de chanteuse,
bien sûr, mais aussi parce qu’ils avaient
conscience qu’une victoire de Conchita
serait une victoire sur l’homophobic et les
pensées d’un autre âge.
particulier en provenance de pays où les
homosexuels luttent pour avoir les
mêmes droits que tout le monde. Mais il
en fallait plus pour la déstabiliser.
Le soir de la finale de l’Eurovision, elle
monta sur scène vêtue d’une longue robe
dorée, et chanta une chanson qui parlait
de se battre dans les moments difficiles,
de rester fidèle à soi même et de renaître
de ses cendres comme le phénix.
Avec un total de 290 points, Conchita
donna la victoire à l’Autriche, qui n’avait
plus remporté ce concours depuis des
décennies. Le public massé devant la
scène et les 170 millions de téléspectateurs
la regardèrent brandir fièrement son
trophée et lancer : «Nous sommes unis,
et nous sommes inarrêtables».
Cette victoire a été celle de l’Autriche, de
Conchita ou de Thomas, mais aussi la
victoire de toutes celles et ceux qui, un
jour, ont eu du mal à trouver leur place
dans la société.

183
 LA MAÎTRESSE DE L'ÉCOLE
MATERNELLE STNICOLAI
C’est un paisible matin d’été en Allemagne. Accompagnés de
leur maîtresse, les enfants de l’école maternelle St-Nicolai
partent à l’aventure dans la foret. Il fait déjà chaud, et
les arbres se balancent doucement sous une brise
rafraîchissante. Soudain, un cri déchire l’air. Un petit garçon
manque à l’appel.

Alors qu’il s’amusait au milieu d’une pile
de rondins, un garçon de trois ans vient
de passer à travers une planche pourrie
qui bouchait l’entrée d’un ancien puits de
mine de charbon. En dessous, un
vertigineux plongeon de vingt cinq
mètres et les profondeurs d’une eau
noire. Le petit garçon ne sait pas nager.
les pompiers ne viennent enfin les
secourir. Ni l’un ni l’autre ne souffre de
blessures graves.
«L’eau était peut être froide, dirent plus
tard les pompiers, mais elle leur a sauvé
la vie. Sans eau, ils se seraient écrasés au
fond du puits.»

N’écoutant que son courage, la maîtresse
se jette dans le vide à la suite de son
élève. Elle parvient à le récupérer et le
serre contre elle en se maintenant à Ilot
comme elle peut. Tâtonnant
désespérément, elle parvient à agripper
quelque chose sur la paroi du puits.
L’eau est glacée, chargée de morceaux de
métal rouillé. La chaleur de son corps
maintient le petit garçon en vie.
«On va bien!» crie-t-elle pour rassurer
les autres enfants.
La maîtresse et son petit élève attendent
pendant une heure et demie avant que
L’histoire fit grand bruit en Allemagne :
« Une maîtresse héroïque sauve un
enfant de la noyade», pouvait on lire à la
une des journaux. Quelque temps après,
son acte de bravoure lui valut d’être
désignée «Maîtresse de l’année», tandis
que les Allemands ne parlaient plus que
du miracle de la forêt d’Osterwald.
Parce qu’elle ne veut pas se mettre en
avant, la maîtresse de l’école maternelle
St Nicolai a souhaité rester anonyme. Ses
compatriotes ont beau ignorer son nom,
ils n’en admirent pas moins son courage
et sa bonté.

184
 »

TSALI
En mai 1883, Tsali vit son frère arriver chez lui, porteur
de mauvaises nouvelles : les hommes blancs rassemblaient
le peuple autochtone des Cherokees pour les déporter loin
de leur terre. Avant la prochaine lune, tous les Cherokees
devaient prendre la direction de l’Ouest. S’ils refusaient,
ils risquaient la mort.

Tsali, qui menait une vie paisible avec sa
femme et ses trois fils dans une petite
maison en bois construite au bord de la
rivière Nantahala, ne voyait aucune
raison de s’en aller.
Mais les soldats ratissèrent la terre des
Indiens, obligeant des milliers de
Cherokees à abandonner leur foyer.
Certains roussirent à s’enfuir avant d’être
capturés, mais Tsali fut arrêté et emmené
avec sa famille sur la route de l’exil.
Alors qu’ils marchaient sous la
contrainte, la femme de Tsali trébucha, et
un soldat lui donna un coup de
baïonnette. Cela rendit Tasli furieux. Dans
sa langue hermétique aux hommes
blancs, il dit à ses fils : «Au prochain
tournant, je vais faire semblant de m’être
foulé la cheville. Dès que les soldats
s’arrêteront, sautez leur dessus et
emparez vous de leurs armes. Ensuite,
nous nous enfuirons dans la montagne.»
Le plan fonctionna, mais un soldat fut
accidentellement tué dans l’empoignade.
Tsali et sa famille trouvèrent refuge dans
une grotte à flanc de montagne. Plusieurs
centaines de Cherokees en fuite vinrent
les rejoindre plus tard, formant une
communauté rebelle de femmes et
d’hommes unis par la volonté de ne
jamais abandonner leur terre.
Le général qui commandait l’armée vécut
cette affaire comme une humiliation. 11
voulait laver l’affront. Si Tsali se rendait,
proposa-t-il, son armée ne
pourchasserait pas les trois cents
Cherokees qui se cachaient avec lui dans
les Smoky Mountains.
En échange de la liberté de son peuple,
Tsali accepta de se livrer au général.
«11 est doux de mourir chez soi, murmura
Tsali en attendant d’être fusillé, et d’être
enterré aux abords de la rivière qui longe
sa maison.»
Un siècle plus tard, la terre où vivait Tsali
fut inondée, et sa tombe se trouve
désormais sous le lac Fontana. Les trois
cents Cherokees qu’il sauva sont les
ancêtres de plus de cinq mille
Amérindiens qui vivent aujourd’hui
libres.

187
 -fr
TU YOUYOU (NÉE EN 1930)
Dans les années 1960, le nord du Vietnam était secoué par
une guerre chaotique contre le sud. Ce n’était pas seulement
des balles et des bombes dont les troupes devaient
s’inquiéter. Pour les soldats qui se frayaient un chemin à
travers les profondeurs de la forêt tropicale, le paludisme
était une préoccupation bien plus pressante encore.

Ceux qui contractaient la maladie après C’est cette connaissance de la médecine

une piqûre de moustique étaient pris de
Fortes fièvres, de vomissements et
voyaient leur peau se mettre à jaunir.
Souvent, leurs souffrances n’étaient
interrompues que par la mort. Les
médicaments existants ne fonctionnaient
plus, et partout dans le monde des
scientifiques cherchaient un nouveau
remède. Désespéré, le dirigeant du
Nord Vietnam demanda de l’aide au
président chinois. C’est ainsi que naquit
un programme scientifique ultrasecret :
Projet 523. C’est là que Tu entra en scène.
L’envie de s’orienter vers la recherche
médicale lui était venue après avoir
contracté la tuberculose à l’adolescence.
Une fois guérie, elle avait éprouvé le
besoin de comprendre les maladies,
autant par souci de garder la santé que
pour aider ses semblables. À l’université,
elle étudia la médecine moderne, mais
aussi la médecine traditionnelle chinoise,
convaincue qu’il y avait beaucoup à
apprendre de toutes ces plantes utilisées
pour soigner depuis plus de deux
millénaires.
traditionnelle que Tu apporta au Projet
523. Plus de 240 000 composés chimiques
avaient déjà été testés en vain dans le
monde entier. Sous la direction de Tu, les
recherches prirent une tout autre
direction : ce sont des centaines de
préparations traditionnelles qui Turent
testées sur des souris.
Une petite plante au feuillage aromatique
appelée armoise annuelle donna
d’excellents résultats sur les animaux.
Restait à savoir si ça fonctionnait sur les
humains. Confiante dans sa découverte,
Tu décida de faire les premiers essais
cliniques sur elle même. Ce fut un succès.
Grâce aux recherches de Tu, des millions
de vies furent sauvées. En 2015, elle reçut
le prix Nobel de médecine. Beaucoup de
gens virent dans ce choix un hommage à
la médecine traditionnelle chinoise, et
une preuve que les connaissances de nos
ancêtres ont toujours beaucoup à nous
apporter.

188
 -fr
VIDAL SUN
(1928-2012)
Après le départ de son père, Vidal, son frère et sa mère
trouvèrent refuge dans le petit appartement où sa tante
vivait déjà avec ses trois enfants. Ils manquaient
cruellement d’espace et partageaient des toilettes
extérieures glaciales avec d’autres familles.

Sa mère finit par envoyer Vidal et son
frère dans un orphelinat où ils se
trouvèrent vite en difficulté scolaire,
harcelés parce qu’ils étaient Juifs.
Lorsque la guerre éclata, les frères furent
évacués à la campagne.
À son retour à Londres, Vidal ne pensait
qu’à devenir footballeur. Mais sa mère
formait d’autres projets pour lui. Elle le
traîna dans un salon de coiffure et
demanda au propriétaire s’il avait du
travail pour son fils. Celui-ci répondit que
Vidal devait faire deux ans
d’apprentissage s’il voulait qu’on lui
confie une paire de ciseaux, et que ça
serait coûteux. Vidal et sa mère venaient
de tourner les talons, découragés, quand
le propriétaire du salon les interpella :
«Attendez! s’écria t il. Tu as l’air d’être un
garçon bien élevé. Tu peux commencer
lundi.»
Quelques jours suffirent à Vidal pour
comprendre qu’il avait trouvé sa voie : il
serait coiffeur, et un coiffeur
révolutionnaire qui plus est! Totalement
investit dans son travail, il mit toute son
énergie à devenir le meilleur.
Ses efforts payèrent, et à vingt six ans il
possédait déjà son propre salon.
L’endroit était minuscule, mais les
clientes s’en fichaient : le talent de Vidal
était sur toutes les lèvres, et les
Londoniennes ne juraient que par ses
fameuses coupes géométriques.
Plutôt qu’un style demandant un
perpétuel entretien, les coupes de Vidal
étaient conçues pour retomber
naturellement en place, sans qu’il soit
nécessaire de se recoiffer en permanence
ni d’utiliser des produits onéreux. Ça
changea la vie de scs clientes. Les
femmes n’avaient plus besoin de passer
chaque semaine des heures dans un
salon, la tête coincée sous des machines
inconfortables. Au lieu de ça, elles
repartaient avec des coupes qui restaient
sublimes pendant des mois.
Très vite, scs ciseaux experts modelèrent
les chevelures d’actrices et de
mannequins, les salons Vidal Sassoon
se multiplièrent sur toute la planète, et il
créa sa propre gamme de soins
capillaires. Une fois riche, Vidal utilisa
son argent pour aider les Juifs à travers
le monde.

191
 -fr
URSULA ÎLE GUIN
(1929-2018)
Les parents d’Ursula étaient anthropologues, un métier qui
consiste à étudier l’être humain sous tous scs aspects.
Sa mère écrivit la biographie d’Ishi, le dernier des Yahis,
une tribu d’indiens d’Amérique entièrement décimée par
les colons blancs.

La maison regorgeait de livres, et Ursula par les aventures de Gcd l’Épcrvier, un

se mit très jeune à lire et à écrire. Elle
n’avait que onze ans lorsqu’elle envoya sa
première nouvelle à son magazine
préféré, Astounding Science Fiction, dans
l’espoir qu’elle serait publiée. Elle reçut
une réponse négative. Les refus se
succédèrent pendant des années, mais
elle ne se découragea jamais. Il lui fallut
dix ans d’efforts répétés pour qu’un
éditeur s’intéresse enfin à son travail.
Quand Ursula se maria et eut des enfants,
son mari prit en charge une grande part
des travaux ménagers et des obligations
familiales pour qu’elle ait le temps
d’écrire. Elle en profita pour créer
Terremer, un monde composé de
centaines d’îles entourées d’un vaste
océan inexploré. Sorciers et dragons se
croisent dans les récits d’Ursula, qui
décrivent un univers fondé sur un délicat
équilibre entre la terre et la mer, la
lumière et les ténèbres, le bien et le mal.
Une fois publiées, ses histoires firent le
bonheur de plusieurs générations
d’enfants qui s’évadèrent des heures
durant sur les îles de Terremer, aspirés
jeune mage ayant quitté l’île paisible de
Gont pour étudier la magic et poursuivre
une mystérieuse créature sur des terres
inconnues.
Dans un autre livre, Ursula a imaginé les
Géthcnicns, une évolution de l’espèce
humaine devenue asexuée. Elle voulait
explorer le comportement de
personnages qui ne réagissent pas en
fonction de ce qu’on attend d’un garçon
ou d’une fille.
À sa manière, Ursula a poursuivi le travail
de scs parents anthropologues en
sondant la nature humaine et en
cherchant des réponses aux grandes
questions qu’ils s’étaient eux aussi
posées : Comment les êtres humains
doivent ils se comporter? Existe t il
d’autres façons de vivre? Qu’est ce qui est
juste?
Quand Ursula s’éteignit en janvier 2018,
des gens prirent la parole dans le monde
entier pour la remercier d’avoir apporté
une touche de magie et de sagesse dans
leur vie.

192
 WERNERHERZOG (NÉ EN 1942)
Enfant, Werner faillit se faire renvoyer de son école parce
qu’il refusait de chanter ou de jouer d’un instrument
pendant les cours de musique. De tempérament colérique,
il préférait souvent être seul.

Sa famille était si pauvre qu’il n’avait
qu’une idée vague de ce qu’était le
cinéma. Mais quand un projectionniste
ambulant fit une halte dans le petit
village allemand où il vivait, Werner fut
aussitôt conquis. Il se mit à écrire des
scénarios et à rêver de grands films
épiques.
Devenu jeune homme, Werner obtint une
bourse pour étudier la littérature et le
théâtre aux États Unis. Sur le bateau qui
traversait l’océan Atlantique, il rencontra
Martje, qui allait devenir sa femme.
Au bout de trois jours, Werner claqua la
porte de l’université.
Rentré dans son pays, il travailla deux
ans comme soudeur pour financer son
premier film. Avec l’argent économisé et
une caméra volée, il tourna Héraclès, un
court métrage dans lequel on voit des
culturistes s’entraîner dans une salle de
gymnastique tandis qu’au dehors, les
catastrophes s’enchaînent. Cette
réflexion sur la puissance de l’homme fut
la première d’une longue série
d’histoires insolites et envoûtantes.
Pour un de ses films, Werner recréa
l’expédition maudite de conquistadors
espagnols le long du fleuve Amazone.
Les conditions de tournage furent
éprouvantes pour les techniciens et les
acteurs qui durent vivre dans des
cahutes, risquer la noyade sur des
radeaux ballotés par les rapides, survivre
à la chaleur sous leurs lourds costumes
d’époque... et supporter les terribles
disputes entre le réalisateur et son
acteur principal, très colérique lui aussi!
Une fois, il demanda à des chasseurs de
piéger 400 singes pour une scène, mais
ceux ci décidèrent de les revendre après
avoir été payés. Werner se présenta à
l’aéroport au moment où les singes
allaient s’envoler vers un autre pays et se
fit passer pour un vétérinaire afin de
tous les récupérer.
Werner aime divertir, mais son ambition
va plus loin : «Je suis à la recherche de
quelque chose qui résonne tout au fond
de nos âmes», dit il. En apprenant à
contrôler sa colère pour qu’elle ne se
mette pas en travers de son art, Werner
a pu réaliser quelques uns des films les
plus beaux et les plus étranges jamais
tournés.

195
 -Ie
VERA RUBIN
(1928-2016)
Tout ce que l’on peut voir dans notre univers, des planètes aux
coccinelles, est fait d’une matière constituée d’atomes. Mais les
scientifiques pensent que quatre-vingt-cinq pour cent de la
matière de l’univers sont faits d’une substance différente et
mystérieuse qu’on appelle « matière noire ». On ne sait presque
rien sur la matière noire, sinon qu’elle existe. La première
personne à prendre conscience de son existence fut Vera.

Enfant, à l’heure où les fillettes sont et surtout d’une matière invisible :

censées dormir, Vera regardaient les
étoiles à travers la fenêtre. Parce qu’elle
rêvait de les voir de plus près, son père
lui acheta un télescope.
Au lycée, un professeur lui assura : «Tant
que vous resterez à l’écart de la science,
vous aurez des chances de réussir. » Vera
eut la bonne idée de ne pas l’écouter : en
1948, elle fut la seule étudiante de son
université à être diplômée avec une
spécialité en astronomie.
Après avoir enseigné, fait de la recherche
et passé de nouveaux diplômes, Vera
rencontra un jeune physicien, Kent Ford,
avec qui elle étudia la lumière qui nous
vient des étoiles situées en périphérie de
lointaines galaxies. Plus ils en savaient
sur le sujet, plus quelque chose les
chiffonnait : les étoiles se déplaçaient
plus vite que ne le prédisaient les lois de
la gravité. Vera en déduisit que la masse
de ces galaxies n’était pas constituée que
de leur seule part visible, mais aussi
la matière noire.
La communauté scientifique hésita
d’abord à se rallier à cette hypothèse
qu’elle trouvait un peu trop audacieuse.
Mais la méfiance des collègues de Vera se
dissipa finalement devant la force de sa
démonstration. L’existence de la matière
noire est aujourd’hui presque
unanimement acceptée, même si on n’a
toujours aucune idée de ce dont elle est
faite.
Après cette découverte majeure, Vera
continua à explorer l’univers. En Î992,
elle observa que certaines étoiles d’une
galaxie tournaient dans un sens, et
d’autres dans le sens opposé. Elle en
conclut que cette galaxie était née de la
fusion de deux galaxies dont les étoiles
tournaient dans des sens différents.
«L’univers recèle encore tant de
mystères, a dit un jour Vera. Ils attendent
l’audace des scientifiques de demain
pour être découverts. »

196
 ;T:

WILLIAM BÙCKLAND
(1784-1856)
Fils d’un prêtre, William vivait dans un village anglais
entouré de vieilles carrières et de champs verdoyants.
Lorsque son père l’emmenait faire des promenades, William
en profitait pour fouiller le sol et examiner la roche
jurassique, à la recherche des traces d’un lointain passé.

William étudia la théologie chrétienne universitaire. Chez lui, il possédait une

comme son père, mais il s’intéressa
également à la géologie et à la
minéralogie. Il était convaincu que des
secrets se trouvaient enfouis sous nos
pieds, et il était déterminé à les mettre
au jour.
Devenu prêtre à son tour, William n’en
continua pas moins à explorer les
entrailles de notre planète.
Lors de fouilles qu’il entreprit dans la
grotte de Kirkdale, William déterra
d’innombrables os d’animaux aujourd’hui
disparus en Europe : hyène, éléphant,
hippopotame ou encore rhinocéros. Au
début, il crut que ces ossements avaient
été déposés là par les eaux du Déluge
décrit dans la Bible, mais en étudiant la
question de plus près, il comprit que les
hyènes avaient traîné les autres animaux
dans cette grotte pour les dévorer.
William était un personnage haut en
couleur. Qu’il creuse la terre en quête de
vestiges osseux ou qu’il examine les
parois rocheuses à la recherche de
fossiles, il préférait porter la robe
table faite d’excréments de dinosaures
fossilisés sur laquelle il servait le thé à
ses invités! Il lui arrivait aussi de donner
scs cours à dos de cheval ou en
compagnie d’un ourson qu’il habillait en
professeur.
En guise de voyage de noces, il passa un
an à visiter les carrières et les grottes
d’Europe avec sa jeune épouse Mary.
Un jour, à la Société géologique de
Londres, William annonça la découverte
d’une espèce inconnue de reptile géant
qui vivait sur terre 166 millions d’années
plus tôt. Il le baptisa Megalosaurus.
Ce fut la première des créatures qu’on
appela plus tard « dinosaures » à faire
l’objet d’une description scientifique et
à recevoir un nom.
À la mort de William, quelque chose
empêcha de creuser le sol à l’endroit où
il devait être enterré. Il s’avéra que c’était
du calcaire jurassique! Ses amis virent
cela comme le dernier pied de nez d’un
grand scientifique qui ne s’était jamais
pris trop au sérieux.

199
 WHOOPIGOLDBERG
(NÉE EN 1955)
La première fois qu’elle vit une femme noire à la télévision,
Whoopi n’en crut pas ses yeux. Cette femme s’appelait
Nichelle Nichols, et elle jouait le rôle d’Uhura, un officier
chargé des communications à bord d’un vaisseau spatial
naviguant aux confins de l’espace.

Whoopi rêvait de devenir actrice. En Le destin de Whoopi bascula lorsqu’elle

voyant Uhura dans la série Star Trek, elle
comprit que son rêve pouvait devenir
réalité.
Avec un père absent et une mère
toujours au travail, Whoopi restait
souvent seule. Le cinéma vint bientôt
combler sa solitude, devenant pour elle
une véritable obsession : elle passait des
journées entières à regarder des films,
les uns après les autres.
Dès qu’elle le put, Whoopi partit vivre en
Californie pour se lancer dans une
carrière d’actrice, emmenant dans ses
bagages la petite fille dont elle venait
d’accoucher. Pour que son bébé ne
manque de rien, elle travailla dans une
banque, fit de la maçonnerie, et maquilla
même les morts pour le compte d’une
entreprise de pompes funèbres. Pendant
des années, elle exerça des métiers
alimentaires pendant la journée, tandis
qu’elle consacrait scs soirées et ses
week ends au théâtre. Jouer la comédie
lui permettait de s’évader de sa vie
difficile et d’imaginer qu’elle était
quelqu’un d’autre le temps d’une
représentation.
créa un spectacle intitulé The Spook
Show. Seule sur scène, elle incarnait
plusieurs personnages étranges, tout
droit sortis de son imagination : des
marginaux et des excentriques dont la
vision du monde était à la fois hilarante
et touchante. Le public en redemandait.
Le succès du Spook Show lui permit de
décrocher un des rôles principaux dans
La Couleur pourpre, un film qui raconte
la vie difficile d’une Noire américaine
dans les années 1930. La carrière de
Whoopi était lancée. Depuis, elle a joué
dans de nombreux films, passant avec
aisance d’un personnage de fantasque
médium à celui d’une chanteuse
déguisée en nonne.
Mais l’un de ses plus grands bonheurs
fut de rejoindre le vaisseau spatial de
Star Trek pour y interpréter Guinan, une
extraterrestre pleine de sagesse.
Désormais, c’est au tour de Whoopi de
naviguer aux confins de l’espace,
montrant le chemin à des milliers de
filles qui, elles aussi, iront un jour au
bout de leurs rêves.

200
ûO°
 -i-
WITQLD PILECKI
(1901-1948)
Witold défendit la Pologne contre les Russes pendant la
Première Guerre mondiale, et se battit à nouveau pour son
pays lors de la Seconde Guerre mondiale. La Pologne fut
finalement vaincue par les nazis, mais Witold ne rendit pas
les armes pour autant.

Avec un autre soldat, il fonda l’Armée
secrète polonaise, une organisation
clandestine qui intégra bientôt la
résistance.
Un jour, Witold alla voir ses supérieurs
pour leur soumettre un plan. On
entendait beaucoup parler d’un immense
camp de prisonniers appelé Auschwitz
qui venait d’être construit au sud de
la Pologne, mais personne ne savait
vraiment ce qui se passait derrière scs
hauts barbelés. Witold se porta volontaire
pour se faire arrêter puis interner à
Auschwitz, de sorte à recueillir des
informations.
Une fois sur place, il fut horrifié de
découvrir qu’Auschwitz n’était pas une
prison, mais un camp d’extermination,
construit dans le but de tuer autant de
Juifs que possible à l’aide d’un gaz
toxique.
À l’aide de pièces introduites
clandestinement dans le camp, Witold
construisit un émetteur radio dont il se
servit pour transmettre de précieuses
informations à la résistance. Il rédigea
également de longs rapports qu’il parvint
à faire sortir en cachette et qui furent
remis aux ennemis de l’Allemagne.
Homme d’un grand courage, Witold fut la
première personne à alerter le monde sur
les atrocités commises par les nazis.
Au bout de trois années à observer et à
rendre compte de la tuerie de masse
organisée par le pouvoir allemand, Witold
estima avoir rempli sa mission. 11 parvint
à s’échapper avec deux camarades,
répandant du tabac derrière eux pour que
les chiens des nazis ne puissent pas
suivre leur trace.
Après la guerre, Witold fut arrêté par les
autorités communistes et accusé
d’espionnage au profit des Britanniques.
Au terme d’une parodie de procès, il fut
exécuté.
Ce n’est qu’en 1990 que le monde apprit le
rôle majeur que Witold avait joué dans la
prise de conscience des actes barbares
perpétrés par les nazis. Depuis, un
monument a été érigé en sa mémoire, et
des rues ainsi que des écoles polonaises
portent désormais son nom : Witold
Pilecki, l’homme qui se porta volontaire
pour rejoindre l’enfer d’Auschwitz.

203
 ZULMABRANDONI
OE GASPARINI
(NÉE EN 1944)
Gasparinisaura était un petit dinosaure herbivore qui se
déplaçait sur ses pattes arrière et maintenait son équilibre
en balançant sa grande queue. Il y a 83 millions d’années,
il parcourait en modestes troupeaux ce qui est aujourd’hui
l’Amérique du Sud. Gasparinisaura est un des rares
dinosaures nommés avec le suffixe féminin «saura» au lieu
du masculin «sauras». Pourquoi? Parce qu’il doit son nom
à une femme qui s’appelle Zulma Brandoni de Gasparini.

Dans l’Argentine des années 1950 qui la
vit grandir, il était impensable que Zulma
devienne une scientifique. On attendait
alors des femmes qu’elles restent à la
maison pour s’occuper des enfants et des
tâches ménagères. Mais Zulma n’était pas
du genre à se laisser dicter sa conduite :
elle s’inscrivit à l’université de La Plata
pour étudier la zoologie.
Lorsqu’elle poursuivit sa formation à
l’institut Miguel Lillo, on tenta de la
dissuader d’étudier les fossiles de reptiles
marins. Les autres scientifiques
affirmèrent que c’était un domaine trop
complexe pour elle. Zulma, à son
habitude, les ignora.
Avide de documentation fossile, elle
s’adressa à une université américaine,
puis se mit à entreprendre ses propres
recherches sur le terrain. Son infatigable
quête de fossiles la mena en Argentine, à
Cuba, en Colombie, au Venezuela et en
Antarctique. En étudiant des squelettes
d’animaux marins qui vivaient il y a de
cela des millions d’années, Zulma
contribua à dessiner une image de notre
monde tel qu’il était alors.
Lorsqu’elle découvrit Gasparinisaura, scs
collaborateurs décidèrent de nommer
l’animal préhistorique en hommage à
celle qui avait tant œuvré pour la
compréhension de la vie sur terre.
Aujourd’hui, Zulma enseigne à
l’université de La Plata, où elle encourage
une nouvelle génération de femmes à
percer les mystères des dinosaures.

204
 ;T:

YUAN LONGPING
(NÉ EN 1930)
Dans les années 1960, la famine tua au moins quinze millions
de Chinois. Une combinaison de conditions climatiques
défavorables, de catastrophes naturelles et de mauvaises
décisions politiques entraîna une pénurie de nourriture.
Les gens mangeaient tout ce qu’ils pouvaient ingérer : de
l’herbe, de la terre, des racines, et parfois même d’autres gens.

Yuan était horrifié. Né dans une famille ordinairement cultivés. La production

très pauvre, lui même avait connu la faim
avant d’étudier la biologie et l’agronomie.
Une nuit, il rêva d’immenses plants de riz,
beaucoup plus hauts que tout ce qu’on
avait connu jusque là. Ce rêve lui donna
une idée : le riz étant l’aliment de base du
régime alimentaire chinois, la solution
pour prévenir de futures famines était de
trouver un moyen d’en produire plus.
Son projet était de croiser différents
types de riz pour obtenir un riz dit
« hybride», capable de pousser plus
rapidement et en plus grande quantité.
Les premières expériences permirent de
créer un nouveau type de riz, mais qui ne
présentait pas d’avantages significatifs
sur les types déjà cultivés. Yuan essaya
ensuite de croiser du riz cultivé avec une
espèce de riz sauvage. Les résultats
furent incroyables.
chinoise de riz quadrupla entre 1950 et
2017, pour atteindre plus de 150 millions
de tonnes par an. Cette augmentation
graduelle de la production permit de
nourrir soixante millions de chinois
supplémentaires.
Pour autant, Yuan ne s’est jamais reposé
sur ses lauriers. Alors qu’il entre dans sa
quatre vingt dixième année, il s’efforce
de créer une variété de riz encore plus
productive, susceptible de nourrir
d’innombrables bouches
supplémentaires aux quatre coins du
globe.
Chaque jour, Yuan enfourche sa moto
pour aller inspecter ses plantations de
riz. Il ne saura jamais combien de
millions de vies il a sauvées, mais il sait
qu’il veut en sauver encore plus.

Le riz ainsi créé avait un rendement vingt

fois supérieur aux types de riz

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