Vous êtes sur la page 1sur 4

Devoir 

: Enjeux christologiques de
l’icône
Fabrice Victoire

I- Introduction
Je traiterai dans ce devoir des enjeux christologiques de l’icône. Réfléchir à de tels enjeux nous invite
à poser la problématique suivante : si l’Ancien Testament proscrit de faire des représentations de ce
qui est au Ciel alors que le Verbe, 2ème personne de la Sainte Trinité, s’est incarné, on peut en déduire
que l’icône qui est une représentation du Christ ou d’un saint est une image autorisée d’une réalité
spirituelle.

Les conséquences de ce débat peuvent s’appliquer au dialogue avec les autres confessions
chrétiennes, notamment les églises protestantes qui pour certaines refusent les représentations du
Christ ou des saints à travers les icones ou les statues.

Je baserai ma réflexion sur la thèse que refuser l’icône c’est refuser l’Incarnation du Verbe dans toute
sa plénitude.

Pour cela, je commencerai par étudier dans une première partie ce que dit l’Ancien Testament sur les
représentations de ce qui est au ciel. Puis je me pencherai, d’une manière un peu apophatique dans
une deuxième partie, sur le fait que ne pas représenter le Christ serait nier Son corps, Son humanité.
Enfin je montrerai que c’est parce que Jésus est vrai Dieu et vrai homme que l’icône permet
d’accéder au mystère qu’elle représente.

II- Dans l’Ancien Testament


J’ai moi-même été interpellé en écoutant un pasteur protestant sur une chaine de télévision
évangélique qui au cours d’une prédication intéressante en est venu à dire « de ne pas prier devant
des statues. Elles sont des objets qui ne vous répondront pas ». Ceci a été la raison du choix de ce
devoir.

Dans l’Ancien Testament, Dieu a dit à Moïse dans les dix Paroles « Tu ne fabriqueras aucune idole,
aucune représentation de ce qui est dans les cieux, sur la terre ou dans l’eau sur la terre, tu ne te
prosterneras pas devant des statues de ce genre, tu ne les adoreras pas. En effet, je suis le Seigneur
ton Dieu, un Dieu exclusif. », Ex. 20,4-5. Dieu demande au peuple juif de ne faire aucune
représentation de ce qui est au ciel. Il est à remarquer que celui-ci vivait parmi des peuples qui
adoraient des dieux qui habitaient dans des statues. Le commandement reçu par Moïse invite le
peuple juif à se démarquer et à se couper de ces peuples des temps passés. Et ceci afin que
l’adoration soit adressée uniquement au Dieu d’Israël, qui est un « Dieu exclusif ».

Toutefois une contradiction dans les chapitres qui suivent dans le livre de l’Exode semble apparaître.
En effet, on peut lire en Ex. 25,18-19 « Tu façonneras deux chérubins en or martelé, aux deux
extrémités du couvercle. Ces deux chérubins feront corps avec le couvercle, à chacune de ses
extrémités ». D’une part Dieu dit de ne pas faire de représentation de ce qui est au Ciel et d’autre
part Il dit de façonner deux chérubins. Or Dieu est Dieu et Il ne peut pas se contredire. La
contradiction vient peut-être de la compréhension du commandement donné dans les dix Paroles.

Ce que Dieu demande c’est de ne pas faire d’idole. Le dictionnaire donne la définition suivante du
mot idole : représentation d’une divinité (image, statue…), adorée comme si elle était la divinité elle-
même. Au-delà de l’idole, ce que Dieu souhaite c’est de ne faire aucune représentation de ce qui est
au Ciel. Or Dieu est pur Esprit. A mon sens, Dieu a commandé à Moïse de ne pas représenter Dieu car
Dieu est Esprit et l’homme ne peut pas et ne doit pas imaginer ce qu’est un être pur esprit. Il peut lui-
même entrer en relation avec l’Esprit de Dieu car l’homme possède en lui-même un esprit mais il ne
peut le représenter car il se tromperait certainement. Il est écrit « Nul ne peut voir Dieu et vivre », Ex
33,20. Dieu est donc invisible aux yeux de chair. Il en a décidé ainsi dans Sa sagesse, la vision
béatifique étant réservé à la vie éternelle après la mort terrestre.

Je pense que Dieu a permis de représenter des chérubins car Moïse avait eu précédemment la vision
d’anges. On peut lire juste avant le chapitre 25, au chapitre 23,20-32, que Dieu parle d’envoyer son
ange. Moïse avait sans doute vu de ses yeux de chair des anges et savait donc comment les
représenter. En en construisant deux statues, il n’y avait donc pas d’idolâtrie car l’adoration et la
gloire revenaient au vrai Dieu.

Il convient donc de retenir que le commandement donné à Moïse permet au peuple de se préserver
de l’adoration d’idoles, des dieux qui n’en sont pas, et de réserver le culte au seul vrai Dieu. Mais
qu’en est-il depuis que le Verbe de Dieu, deuxième personne de la Sainte Trinité, s’est incarné.

III- Depuis l’Incarnation du Verbe


La Bible nous enseigne que le Verbe s’est incarné : « Le Verbe s’est fait chair et Il a habité parmi
nous », Jn 1,14. Dieu a donc pris un corps et Jésus-Christ est né du sein de la Vierge Marie.

Or nier que l’on puisse représenter Jésus serait nier qu’Il est vraiment eu un corps. En effet le Verbe
de Dieu avant l’Incarnation était uniquement pur Esprit. D’après le commandement vu ci-dessus, il
aurait donc été interdit de le représenter. Si donc peindre une icône de Jésus serait interdit, cela
signifierait que le corps de Jésus ne serait pas son corps, qu’il ne serait qu’une apparence. Le Verbe
serait demeuré pur Esprit et n’aurait eu qu’une apparence comme corps. Cela correspond à l’hérésie
de docétisme.

Si l’on pousse plus loin la réflexion, cette conception pousse à dévaloriser la matière. Le Verbe ne
s’étant pas réellement incarné, le corps n’a pas de valeur en soi et est mauvais. Il pousse au mal, au
plaisir. Seule la connaissance a de la valeur. L’esprit de l’homme lui permet uniquement de s’élever.
Et seuls ceux qui accèdent à cette connaissance peuvent être sauver. Le reste des hommes qui
profitent des plaisirs du corps et qui ne connaissent pas la vérité se perdent. Ceci est la théorie de la
gnose.

On peut donc dire qu’un christianisme qui refuserait l’icône, serait un christianisme empreint de
docétisme voire de gnosticisme. Refuser l’icône et dire « Je ne représente pas Jésus » serait refuser à
Jésus son corps de chair et affirmer que Jésus est pur Esprit. Son corps ne serait qu’une apparence et
du fait qu’il est interdit de représenter ce qui est au ciel, il serait donc interdit de représenter Jésus.
Cela revient donc à dire que l’Incarnation n’a pas eu lieu ou du moins en nier toute la portée. Cela
conduit à nier l’importance de la matière (gnose). En effet cela signifie que l’on ne peut s’élever vers
Dieu que par l’esprit, ce qui est en partie vrai car Jésus a dit « Dieu est Esprit et ce qui adorent
doivent adorer en esprit et en vérité » mais aussi que notre corps est mauvais et ne peut pas nous
aider dans notre relation à Dieu.

Or Tertullien a dit « la chair est la charnière du Salut ». Si en refusant l’icône, on refuse pleinement
l’Incarnation du fils de Dieu et donc le salut du corps de l’homme alors la chair n’est pas sauvée. Si la
chair n’est pas sauvée alors l’homme n’est pas sauvé complètement car l’homme est corps, âme et
esprit (1 Th 5). Refuser l’icône serait un élément sotériologique qui conduirait à diminuer l’impact du
Salut apporté par Jésus Christ

Cela conduit à avoir un christianisme bancal. Cela peut nous amener à nier l’importance du corps
dans la vie spirituelle. Par exemple, cela peut contribuer à minimiser l’importance du regard dans la
prière (une icône pas sa matérialité peut nous permettre d’élever notre âme et notre esprit).

Une parenthèse peut être faite quant aux icônes qui représentent la Vierge Marie et les saints. Je n’ai
évoqué ici que les icônes du Christ. Mais les saints sont eux aussi au Ciel. Or d’après le
commandement donné à Moïse, il serait interdit de les représenter.

Toutefois le salut opéré par le Christ, comme évoqué ci-dessus, concerne tout l’homme et a conduit à
la déification de la nature humaine. Par le Christ, l’homme est devenu fils de Dieu et est rendu
semblable au Christ. Les saints sont remplis du Saint Esprit jusque dans leur corps (cf. 1 Co 6,21
« Votre corps est le temple du Saint Esprit »). Par analogie, s’il est possible de représenter le Christ il
est aussi possible de représenter les saints qui sont configurés au Christ.

On peut donc dire que refuser l’icône serait nier l’incarnation du Fils de Dieu ou du moins amoindrir
les conséquences qu’elle a dans la foi chrétienne.

IV- Jésus vrai Dieu et vrai homme


J’en viens donc maintenant à me positionner selon la foi de l’Eglise. Le concile de Chalcédoine (451)
affirme que Jésus est vrai Dieu et vrai homme.

Jésus est vraiment Dieu. Il est le Fils Unique de Dieu, le Verbe (Jn 1,1 et 18), image de sa substance
(Heb 1,3). Il est vraiment homme. Son corps était bien réel. Bien des personnes ont pu le toucher.
Même après sa résurrection, son corps est matériel : saint Thomas a mis ses doigts dans son coté (Jn
20,27-28), Jésus a mangé du poisson (Luc 24,41-43). Jésus a donc vécu sur la Terre durant 33 ans
environ et de son vivant, il aura été possible, par exemple, de dessiner son portrait (ce que peut-être
des artistes de l’époque ont fait).

Maintenant qu’Il est au Ciel, il y est avec son corps. La Bible dit que Jésus est le médiateur entre Dieu
et les hommes. Son corps, en qui habite la plénitude de la divinité (Col 2,9) est donc élément de salut
(remarque : c’est pourquoi nous recevons le Corps de Jésus à l’Eucharistie). Car lorsque le Corps de
Jésus est là c’est tout Jésus qui est là.

Or nous pouvons représenter le Corps de Jésus, en faire une image, comme une photographie d’un
être qu’on aime et que l’on veut regarder pour se rappeler sa présence. Cela car Jésus s’est incarné
et n’est plus pur Esprit. Représenter Jésus ne conduit pas à créer une idole (peut-on dire que Dieu est
une idole de Dieu ?) mais plutôt à se souvenir de sa présence. Saint Jean Damascène a écrit :
« Aujourd’hui puisque Dieu a été vu dans la chair, je ne représente que ce qui a été visible de Dieu ».
Cette phrase résume bien ce que j’ai essayé de montrer.
Pour aller plus loin, que fait-on quand on vénère une icône ? Comme l’a dit un prédicateur
contemporain « une icône peut être appelée une fenêtre vers le Ciel » (Damian Staine). En effet la
réalité peinte vient comme à travers la fenêtre (l’icône) vers nous. Et la vénération ne va pas à la
matière, le bois, la peinture mais va au prototype (Saint Basile) c’est-à-dire à la réalité peinte (le
Christ ou la Vierge Marie ou un saint).

La matière a son importance car c’est elle qui porte la représentation du prototype. Et nous pouvons
voir dans la Bible que la matière n’est pas à négliger contrairement à ce qu’affirment les gnostiques.
Evidemment on peut le montrer par l’Incarnation de Jésus qui a assumé toute notre nature, corps,
âme et esprit. Mais aussi d’autres passages liés aux saints du Nouveau Testament nous le prouvent.
Par exemple, l’ombre du corps de Pierre guérissait les malades (cf. Actes 5,15). De même des
mouchoirs qui avaient touché le corps de Paul était la santé pour bien des gens (cf. Actes 19,12). La
matière et donc les icônes ne sont pas à rejetés comme l’affirme la gnose. Bien plus, elle peut être
porteuse de la grâce. Les icônes peuvent être porteuse de la gloire de Dieu.

J’évoquerais maintenant l’aspect pédagogique d’une icône. Enseigner sur le Christ, ou sur la mère de
Dieu ou sur les saints peut être considérer comme un enjeu christologique de l’icône car cela permet
de mieux connaitre le Christ ou sa mère ou les saints. Chaque chose dans une icône a une
signification. Je prendrai plusieurs exemples pour montrer cela.

Souvent les icônes représentent le Christ bénissant avec sa main. Il a le pouce replié sur l’auriculaire
et sur l’annulaire. Les deux doigts qui ne sont pas repliés, l’index et le majeur signifient que le Christ
est vrai Dieu et vrai homme. De même, dans une icône du Christ, la couleur bleue représente la
divinité, la couleur marron l’humanité.

La perspective inverse dans l’icône de la Trinité de Roublev (représentant les 3 anges apparus à
Abraham et à travers eux représentant la Trinité) permet à celui qui regarde de se sentir à l’intérieur
de l’image, c’est-à-dire à l’intérieur du mystère qu’elle représente.

Une main de Marie, sur une icône de la mère de Dieu avec Jésus Enfant, est toujours pointée vers
Jésus comme pour dire : « c’est à Lui qu’il faut aller ».

V- Conclusion
Pour conclure, réfléchir aux enjeux christologiques de l’icône conduit à retourner aux réflexions
antiques de notre foi à travers les premiers conciles œcuméniques. En effet comme j’ai pu le montrer
dans ce devoir, nier l’icône revient à nier l’incarnation du Fils de Dieu (ouvertement ou dans ses
conséquences). L’apport du concile de Chalcédoine (et des conciles précédents) est considérable :
l’affirmation de Jésus vrai Dieu et vrai homme est fondamentale pour la foi. C’est cette affirmation
qui permet de dire que Jésus est le médiateur entre Dieu et les hommes (comme le dit la Bible) et
qu’il est à la fois du Ciel et de la Terre.
On peut donc représenter, à travers une icône (ou une statue), son corps qui a été vu sur la Terre.

L’icône sera alors comme une fenêtre sur le Ciel car en la vénérant on vénèrera son prototype, c’est-
à-dire la réalité qu’elle représente. L’icône sera alors porteuse de la gloire de Dieu.

Vous aimerez peut-être aussi