LA VÉRITÉ

EN PEINTURE

\
 OU M~ME AUTEVR
OANS LA M~ME COLLECTION
Jacques Derrida

De quoi demain ... (avec Élisabeth Roudinesco)

Éperons. Les styles de Nietzsche
Heidegger et Ia question

LA VÉRITÉ
EN PEINTURE

Champs essais
 AVERTISSEMENT

Disons que, pour m'en tenir au cadre, à Ia limite,

j'écris ici quatre fois autour de Ia peinture.
1. Pour soUiciter Ia philosophie (Platon, Kant,
Hegel, Heidegger) qui domine encore Ie discours sur
Ia peinture. Tout ce que Kant aura entrevu sous le
nom de parergon (par exemple le cadre) n'est ni dans
I'eeuvre (ergon) ni hors d'elle. Dês qu'il a lieu, il
démonte les oppositions conceptuelles les plus ras-
surantes.
2. Pour décrypter le singulier contrat qui lie le
trait phonique, avant même le mot (Gl, Tr, + R), au
trait dit graphique. 11 y va aussi de Ia lettre et du
nom propre, de l'autobiographie et de la narration
politique en peinture. La chance est ici donnée par
Le ooyage du dessin (Adami).
3. Pour analyser le ductus (idiome du trait comme
signature du dessinateur) et le systeme de Ia duction
(production, reproduction, réduetion, ete.). Il y va de
l'initial et du paradigme, de Ia série, de Ia généalogie,
du deuil et des restes en peinture. Cartouches (nom
propre et commun, masculin ou féminin) intitule ici
Ia chance donnée par The Pocket Size Tlingit Colfin
© Flammarion, 1978. (Titus-Carmel).
ISBN: 978-2-0812-4829-8 4. Assistant, non sans y prendre part, à un duel
entre Heidegger et Schapiro pour savoir à qui
reviennent en uéritê les souliers délacés de Van Gogh,
4 LA V~RIT~ EN PEINTURE
je demande ce qu'il en est du désir de restitution
quand il a trait à Ia vérité en peinture.
Quatre fois, dira-t-on, autour de Ia peinture, donc
dans
.... les parages qu'on s'autorise ' c'est toute I'histoire ,
a conterur comme les entours ou les abords de
I'oeuvre : cadre, passe-partout titre signature musée
are h·ive, d'lscours~ ~arché, bref"" partout ou on légifêre
en marquant Ia limite, celle de Ia couleur même. Du
~roit .à Ia peinture, voilà le titre ambitieux auquel
J aurals. voulu accorder ce livre, son traiet autant que
son obiet, leur trait commun, qui n'est autre ni un
ni indivisible, que le trair lui-même. '
I.D.
PASSE-PARTOUT
-1-
Quelqu'un oient, ce n'est pas moi, et prononce : « Je m'in-
téresse à l'idiome en peinture. »
Comprenez-uous : celui qui parle est impassible, il est
resté immobile pendam le déroulement de sa phrase, atten-
ti! à s'abstenir d'aucun geste. Lã ou peut-être oous l'auen-
diez, prês de Ia tête et autour de tels ou tels mots, par
exemple « en peinture », il n' aura pas mimé Ia double come
des guillemets, il n'aura pas dépeint une écriture les doigts
en l'air. II tnent seulement et uous annonce : « Je m'inté-
resse à l'idiome en peinture. »
Comme il oient, et qu'il oient de uenir, le cadre manque,
les bords d'un contexte s'éoasent, Vous ne comprenes pas
rien mais que oeut-il dire au jus te ?
Qu'il s'intéresse à l'idiome « en peinture », à l'idiome
lui-mêm«, pour lui-même, « en peinture » (expression elle-
même Jort idioma tique, mais quest-ce qu'un idiome?)?
Qu'il s'intéresse à l'expression idiomatique elle-même, aux
mots « en peinture » ? aux mots en peinture ou aux mots
« en peinture » ? ou aux mots « "en peinture" » ?
Qu'il s'intéresse à l'idiome en peinture, traduisez : à ce
qu'il en est de I'idiome, du trait ou du style idiomatique
(singulier, propre, inimitable ) dans le domaine de Ia
peinture, ou bien encore, autre traduction possible, à Ia
singularité ou à Ia spécificité irréductible de l'art pictural,
de ce « langage » que serait Ia peinture, etc. ?
Ce qui Jait au moins, si uous comptez bien, quatre hypo-
thêses, mais chacune se divise, par greffe et contamination
de toutes les autres, et oous n'en aurez jamais fini de traduire.
 6
l
LA VÉRITÉ EN PEINTURE
Moi non plus.
Et. si uous. vouliez patienter un peu en ces lieux , oous
sa,urnz. qf4!je ne peux dotniner Ia situation, ni Ia traduire
m Ia dêcrire. Je ~ p'eux pas rapporter ce qui s'y passe, le
raconter ou le dépeindre, le prononcer ou le mimer le
donner ~ lire ou à formaliser sans reste. Je devrais touj/mrs
reconduire, reproduire, laisser se réintroduire dans l' éco-
nomie formalisatric,e de ma ,~ela!i~, chaquefois surchargée
~ ~/que supplément, I indécision que je ooudrais y
redu're. To~t se passera, au bout du compte, comme si je
oenass de dire : « Je m'intéresse à l'idiome en peinture. »
Et que je l' écrioe.maintenant plutieurs fois, en surchar-
g~,!nt.le texte de guillemets, de guillemets entre guillemets,
d.italiques, de crochets, de gestes pictographiés, queje mul-
tiplie les raffinements de ponctuation dans tous les codes
je parie qu'à Ia fin l'initial résidu reviendra. li aura mi;
en marche un Premier Moteur divisé.
Et je oous laisse maintenant aoec quelqu'un qui vient et
prononce, ce n'est pas moi: « Je m'intéresse à l'idiome en
pemture. »
-2-
La vérité en peinture, c'est signé Cézanne. C'est un
mot de Cézanne.
Résonnant dans le titre d'un livre, ça sonne alors comme
un da.
Pour le rendre, dane, à Cézanne, et d' abord à Damisch
qui le cite aoant moi I, je reconnais Ia dette. Je le dois.
Pour que le trait revienne à qui de droit.
Mais Ia vérité en peinture déjà se deuait.
Cézanne aoait promis de s'acquitter: «JE VOUS DOIS
LA VÉR/TÉ EN PEINTURE, ET JE VOUS LA ot.
RAI» (à Emile Bemard, 23 octobre 1905).
Etrange énoncé. Celui qui parle est un peintre. li parle,
I. Huit thislS.pour. (ou contre une sm,iologie de Ia peinture, in Macula,
ê )
~, 1977·A D~I1I1ICh,re pren~s même le mot de« mot • (... «suivant le mot,
1 ~nonc~ délibérémenr ambigu de Cézanne...• ) quand même [e ne le
p~endral' P,:s au mot, eu une reserve toujours demeure quant IUX limites
leI de Ia déhbératlon.
PASSE-PARTOUT 7
il écrit plutôt, c'est une lettre et ce « bon mot » s' écritplus
facilement qu'il ne se dito li écrit, d'un langage qui ne
montre rien. li ne donne rien à ooir, ne décrit rien, repré-
sente encore moins. La phrase n'opere en rien sur le mode
du constar, elle ne dit rien qui existe hors de I'événement
qu'elle constitue mais elle engage le signataire d'un énoncé
que les théoriciens des speech acts nommeraient ici « per-
[ormatif », plus précisément de cette sorte de performatif
qu'ils appellent « promesse », Je ne leur emprunte pour
l'instant que des commodités approximatiues, des titres de
problêmes, sans savoir s'il y en a, des « constatifs » et des
« performatifs » purs.
Que fait Cézanne? Il écrit ce qu'il pourrait dire, mais
d'un dire qui ne constate rien. Le « je vaus dois » lui-même,
qui pourrait comporter une référence descriptioe (fe dis,
je sais,je vois queje oous dois) se lie à une reconnaissance
de dette qui engage au moins autant qu'elle décrit : elle
souscrit.
La premesse de Cézanne, de celui dont on lie Ia signature
à un certain type d' événement dans l' histoire de Ia peinture
et qui en engage plus d'un à sa suite, cette promesse est
singuliere. Sa performance ne promet pas, à Ia leure, de
dire au sens constatif, mais encore de « faire ». Elle
promet un autre « performatif », et le contenu de Ia pro-
messe est déterminé, eomme sa forme, par Ia possibilité de
cet autre. La supplémentarité performatioe est a/ors
ouuerte à l'infini. Sans référence descriptioe ou « consta-
tive », Ia promessefait événement (elle «[ait : en énonçant )
pourvu qu'un eertain encad~ement ~onventionnel,. auere~
ment dit un contexte marque de fiction performatioe, lu,
en assure Ia possibilité. La promesse des lors ne [ait pas
éoénement comme tout « acte de langage » : en supplément
de I'acte qu'elle est ou qu'elle constitue, elle « produit »
un éoénement singulier qui tient à Ia structure performative
de l'énoncé - il s'agit d'une promesse. Mais, autre supplé-
ment, I'objet de cette promesse, le promis de Ia promesse,
c'est un autre performatif, un « dire » qui pourrait bien,
naus ne le savons pas encore, être un « peindre » qui ne
dise ni ne dêcrioe, etc.
Une des eonditions pour Ia performance d'un tel événe-
ment, pour le déchalnement de sa chatne, ce seroit, selon
 8 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
les ,théor~ciens classiques des speech acts, que Cézanne
ueuille dire quelque chose et qu'on puisse l'entendre. Ceue
condition ferait partie de Ia fiction, autrement dit de l'en-
semble des protocoles conuentionnels, au moment ou un Emile
Bemard s'apprête à dêcacheter une lettre.
Supposons que j' aie écrit ee livre pour savoir si cette
condition pouuait jamais étre remplie, s'il y aoait même
un sens à Ia définir - ce qui reste alors à savoir.
La théorie des speech acts a-t-el/e son correspondant
en peinture ? Est-ce qu' el/e s'entend en peinture ?
Comme el/e en appelle toujours, et nécessairement, aux
ualeurs d',inrenti~~, de, vérit~ et de sincérité, un protocole
absolu ~oZl aussuot !O:t~eplt de cette premiêre question :
que doit étre 10; vente pour être due, voire pour être
rendue? En peinture i Et si el/e consistait, en peinture
à rendre, que ueut-on dire quand on promet de Ia rendr;
elle-même eomme un da ou un rendu ?
Qu' est-ce à dire, rendre?
Quoi de Ia restitution ? Et en peinture ?
Ouurons Ia lettre, aprês Emile Bemard, «La vérité en
peinture» serait done un trair de Cézanne.
Ill'aurait signé comme on signe un trait d'esprit. A quoi
cela se reconnatt-il ?
A ceei d'abord que l'éoénement, le double éoénement
doublement incertain se contracte, et ne contracte auec
lui-même qu'à l'instant ou Ia singularité du trait se divise
pour se lier au jeu, à Ia chance et à I' éeonomie d'une
langue. S'il y aoait, en toute puretê, de l'idiome ou du
dialeete, on deorait les reconnattre, à l'ceuore dans ce
trait de Cézanne. Ils seraient seuls eapables d' a:surer une
for;na.1isati~n économique aussi puissante dans l'épargne
elliptique d une langue naturel/e, et de dire tant de choses
en ,si peu de mots, tant qu'il en reste toujours, des restes
(lelpso~ena), paur déborder l'e/lipse en sa réserue, faire
jouer 1 economie en l'exposaru à sa chance,
Supposons que j'aie tenté ee livre, en ses quatre temps,
pour l'intérêt - ou Ia grâce - de ces restes.
Reste - I'intraduisible.
Non que l'idiome « de Ia vérité en peinture » soit simple-
ment intraduisible, je oeux dire l'idiome de Ia locution
car les gui/lemets ne suffisent pas à nous en assurer : il
PASSE-PARTOUT 9
pourrait s'agir de l'idiome de Ia vérité en peinture, de ce
à quoi cette étrange locution semble pouvoir se référer et
qui s'entend déjà de multiples [açons. Intraduisible, cette
locution ne l'est pas absolument, Dans une autre langue,
aoec de Ia place, du temps et de l'endurance, de longs
diseours pourraient en proposer de laborieux approchants.
Mais intraduisible elle le reste dans sa performance écono-
mique, dans I' ellipse de son trait, le mot à moi, le mot
pour mot ou le trait pour trait oU el/e se contracte : autant
de mots, de signes, de lettres, Ia même quantité ou Ia
même dépense pour le même contenu sémantique, aoec le
même reoenu de plus-oalue. Voilà ce qui m'intéresse, cet
« intérêt », quand je dis : « Je m'intéresse à l'idiome de Ia
vérité en peinture. )1
On peut toujours essayer de traduire.
Quant au sem, de quels traits pertinents deorait-on
rendre compte en une traduction qui ne regarderait plus à
Ia dêpense pédagogique? lls sont au moins quatre, à
supposer, concesso non dato, que l'unité de chacun
demeure inentamable.
1. Ce qui a trait à Ia chose même. En ,raison du p~v~ir
qu'on a prêté à Ia peinture (reproduction ou rest'tut,,?,,
immidiate, adéquation et transparence, etc.), (( Ia vmté
en peinture », dans Ia langue française qui n'est pas une
peinture, cela peut vouloir dire et s'entendr~ :,Ia vérité
restituée elle-même, en personne, sans médiation, fard,
masque ni ooile. Autrement dit Ia vrai~ vérité ~ Ia, vérité
de Ia oérité, restituêe dans son pouootr de restuutum, Ia
vérité se ressemblan: asses pour échapper à toute méprise,
à toute illusion; et même à toute représentation - mais
asses dioisée déjà pour se ressembler, produire ou engendrer
deux fois, selon les deux génitifs : vérité de Ia vérité et vérité
de Ia oérité.
2. Ce qui a trait, de ce [ait, à Ia rep~ésentation 0#-
quate, dans l'ordre de Ia fiction ou le relief de son effigte.
Dans Ia langue française, s'il y en a qui soit une et si ce
n'est pas une peinture, (( Ia vérité en peinture », cela peut
vouloir dire et s'entendre : Ia oérité fidêlemen: représentêe,
trait pour trait, dans son portrait. Et cela peut aller du
reflet à l' al/égorie. La vérité alors n' est plus elle-même
dans ce qui Ia représente en peinture, seulement son double,

10 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
si ressemblant soit-il et précisément autre en raison de Ia
ressemblance. Vérité de Ia vérité encere, auec les deux
génitifs, mais cette fois Ia oaleur d' adéquation a écarté
celle de dêooilement, La peinture de Ia vérité peut être
adéquate à son modele, en le représentant, elle ne le
manifeste pas lui-même, en le présentant, Mais comme le
modele est ici Ia oérité, c'est-ã-dire cette oaleur de présen-
tation ou de représentation, de déuoilementou d' adéquation,
le trait de Césanne ouore l'abime. (Heidegger, dans
I'Origine de I'eeuvre d'art, nomme le « trait )) (Riss) qui
n'ouvre pas seulement au-dessus du goulfre mais tient
ensembleles rioes adoerses.) A entendre le mot de Cézanne,
Ia oérité (présentation ou représentation, déuoilement ou
adéquaiion) doit être rendue « en peinture ll, soit par
présentation, soit par représentation, selon les deux modeles
de Ia oérité. La vérité, le modele du peintre, doit être
rendue en peinture selon les deux modeles de Ia oéritê.
Dês lors, l'expression abyssale « vérité de Ia vérité )),celle
qui aura fait dire que Ia oérité est Ia non-oérité, peut se
croiser aoec elle-même selon toutes sortes de chiasmes, selon
qu'on déterminera le modele comme présentation ou comme
représentation. Prêsentation de Ia représentation, présen-
tation de Ia présentation, représentation de Ia representa-
tion, représentation de Ia prêsentation. Ai-je bien comptê ?
Cela Jait au moins quatre possibilités.
]. Ce qui a trait à Ia picturalité, au sens « propre )),de Ia
présentation ou de Ia représentation. La vérité pourrait se
présenter OU représenter tout autrement, selon d'autres
medes. lei elle le Jait en peinture : et non en discours
(comme c'est communément le cas) , en littérature, poêsie,
théâtre ; elle ne le fait pas non plus dans le temps de Ia
musique ou dans d'autres espaces (architecture ou sculp-
ture). On retient donc ici le propre d'un art, et c'est celui
du signataire, de Céeanne le peintre. Le propre d'un art
et d'un art entendu au sens propre cette [ois, dans l'ex-
pression ((en peinture ». Nous ne l'avions pas [ai: dans les
deux cas précédents : ( peinture ))venait figurer Ia présen-
tation ou Ia représentation d'un modele, qui se trouoait
être Ia oérité, Mais cette figuration tropique oalait pour
Ia logique de tout autre art de Ia présentation ou de /a
représentation. Dans Ia langue française, s'il y en a qui
11
PASSE-PARTOUT
soit une et si ce n'est pas une peinture, « Ia vérité ~ pein-
ture » cela peut oouloir dire et s'entendre : Ia vénté, teIle
qu'eIl; s'espose, se prêsente ou se repré~entedans le champ
proprement pictural, sur le mode .fJJctural, propr~t
pictural même si ce mode est troptque par rapport a Ia
vérité eize-même. Pour entendre ainsi l'expression « vérité
en peinture )),il [aut sans doute s'éca~ter u.npeu de la.~lus
grande force d'usage (à supposer qu ~ dispose de cnter:e~
rigoureux pour l'éoaluer), tout ~ ma'?"tena~tIa ~tte
grammaticale et syntaxique, ootre sémanuque. Mazs un
idiome, c'est cela, s'il y en a. li ne fixe pas seule1ne!'~!a.
propriété économique d'un, « ~oyer )),il rêgle Ia ~SStbil,.te
des jeux, des écarts, des equ,voque.s, toute u.ne econotme,
précisément, du trais. Cette économteseparasue elle-méme.
4. Ce qui a trait à Ia vérité dans l'ordre de Ia petnture~
dane, et au sujet de Ia peinture',non s~/e1ne!'t pour ce qu,
est de Ia présentation ou .re.presentat,on.fJJcturale de I~
vérité. Le parasitage de l'idiome « en pemture }).fJ?r lui-
mime permet d' héberger un nouveau s~ : Ia vente. quant
à Ia peinture, dans le d011U!'ine ou aI! sUJ.etde Ia petn!ur~,
le vrai sur l'art qu'on dit ptctural. S. maintenant on défintt
cet art par Ia valeur de vérité, en ~n sens ou dans I'autre,
on entendra iei le vrai sur le vra t, Dans Ia langue fran-
çaise s'il y en a qui sait une et ne soit pas Ia peinture, ~t
si ~rtant elle peut ouorir son systeme.à s~npropre parast-
tage « Ia vérité en peinture ))peut oouloir dire et s'entendre :
Ia .tférité dans le domaine de Ia peinture et à son suJet,
en peínture, commeon dit s'y conr.uzttreen pei!"tu.re.Je oous
dois Ia vérité sur Ia peinture et Je oous Ia dirai et comme
Ia peinture doit ItreJa,vérité,je.vous dois I~ vérité sur Ia
vérité etje vaus Ia dira r, En se laiisan: parasuer, le systême
de Ia langue comme systême de l'idi~ ~~ra pe1ft-être
parasité le systeme de Ia peinture; plus preCJs~t,.1 aw:a
laissé paraitre, analogiquement, le par~~age, eS~e1ft.el
qui ouore tout systême à son dehors ~t. d.Vlse I unue du
trait qui prétend le border. Cette parntum de Ia bordure,
voilà peut-être ce qui s'écri,t et, se J?llsse.pa.rtout dans ce
livre; et le cadre protocolaire sy démulnplJe sans fin, de
lemmes en parerga, d'exergues en cartouches- A ~om-
mencerpar l'idiome du passe-partout. On se lalSseCOUJOUTS
tenter par cette croyance en l'idiome : il ne dirait propre-
 12 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
ment qu'une chose et ne Ia dirait qu'en liant trop strictemem
le sens et Ia forme pour se priter à Ia traduction. Mais si
l'idiome êtait cela, ce qu'on croit qu'il doit étre il ne le
serait pas, il perdrait toute force et ne ferait' pas une
langue: li s~ait privé de ce qui joue en lui avec des efJets
de oérité, SI Ia locution ((Ia vérité en peinture ))a force de
« vérité )1 e,t s'ouvr,e, de son jeu, à l'abime, c'est peut-itre
que, en pemture, il y va de Ia vérité, et dans Ia vérité
il y va (cet idiome ) de l' abtme.
Le trair de Cézanne se libere facilement d'un contexte
itnt,nédiat. Est-il ~ nécessaire de le saooir signé d'un
peintre ? -S.aforce ~zent mime à cette capacitê de jouer
avec les déterminatums du contexte sans s'indéterminer.
Sans doute le trait fait-il passe-partout, li circule três
f!ite. entre ses possibles. Aoec une agilité déconcertante,
il déplace ses accents ou sa ponctuation cachée, potentialise
formalise, économise d' énormes discours, multiplie entre ~
les tractations, les transactions, Ia contrebande, Ia grefJe
le parasitage. Mais il fait seulement passe-partout, c'est IJ
une apparence : il ne oeut pas tout dire et n'importe quoi.
Et d' ailleurs, comme tout passe-partout (au sens le plus
strict! ), il doit formellement, je oeux dire de ses formes
répondre à un systême fini de contraintes.
Que fait un passe-partout ? Que laisse-t-il faire ou que
laisse-t-il ooir ?
-3-
Ces quatre vérilés en peinture, le peintre ne promet pas,
pour rendre son dü; de les peindre. A Ia lettre du moins,
il s' engage à les dire : « Je vaus duis Ia vérité en peinture,
et je oous Ia,dirai. II Si on l' entend à Ia lettre, ilfait serment
u n
tfe parler; ne parle pas, seulement, promet de le faire,
il s ~a~e à pa~/er. I/ fait serment de dire, par Ia parole,
Ia vente en pemture, et les quatre oérités en peinture.
L' ~te de parole - Ia premesse - se donne déjà comme
vraz, en tout cas oêrace et sincêre, et il promet oéritable-
ment de dire oraimen: Ia oérité. En peinture, n'oublions
pas.
Mais faut-il, dês qu'il parle, prendre un peintre à Ia
PASSE-PARTOUT 13
lettre? Venant d'un Cézanne, « je oous Ia dirai I) peut
s'entendre par figure: il a pu promettre de dire en peinture
Ia oérité, de dire à sa maniêre, selon Ia métaphore picturale
du discours ou comme un discours traoaillant silencieuse-
ment l'espace de Ia peinture, ces quatre uérités. EI comme
il promet de les dire « en peinture ll, on n' a mime pas
besoin, pour cette hypothêse, de savoir du signataire,
d'autre pari, qu'il est peintre.
' Ce trait entre Ia lettre, le discours, Ia peinture, ooilà
peut-étre tout ce qui se passe ou se faufile dans La vérité
en peinture.
Le signataire promet, semõle-t-il, de «( dire li en peinture,
en peignant, Ia oérité et même, si l' on ueut, Ia oérité en
peinture. « Je uous dois Ia 'Vérilé en peinture ll, cela peut
s'entendre sans peine : ((je dois oous rendre Ia oérité en
peinture li, sous forme de peinture et agissant moi-mime en
peintre. Nous ne sommes pas au bout de ce speech act
prometiam peut-être un painting act. Par Ia promesse
oerbale, par ce performati/ qui ne décrit rien, Cézanne
fait quelque chose, autant et plus qu'il ne dito Mais ce
faisant, il promet qu'il dira Ia oérité en peinture. Ce qu'il
[ait, c'est s'engager à dire. Mais ce dire-là pourra bien
' être aussi un faire, soit un faire discussif, un autre dire
performatif produisant une vérité qui n' était pas déjà lã,
soit un faire pictural qui en raison de quelque habitation
de Ia parole dans Ia peinture, aura oaleur de dire. Dans
Ia performance de ce performatif prome~tanl, un ~utr~
performatif et parlant en somme pour ne nen dire quI soz.t
lã, I' a/légorie de Ia vérité en peinture est loin de s' offrir
toute nue sur un tableau.
On rêoe alors d'une peinture sans oérité, ce qui, sans
dette, courant le risque de ne plus rien dire à personne,
ne laisserait pas de peindre. Et ce « sans lI, par exemple
dans Ia locution « sans dette II ou « sans vm'té lI, forme
I'une des portêes légêres de ce livre.
Que se passe-t-il partout oU ces suppléments de perfor-
matifs déchainés entrelacent leurs simulacres et le p~us
sérieux de leur liuéralité i Que se passe-t-il en un jeu
aussi peroers mais aussi nécessaire? On se demande ce
qu'il en reste quand l'efJet d'idiome est de Ia partie, le trait
laissant à peine l'initiatioe au soi-disant signataire de Ia
 14 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
premesse. Césanne a-t-il promis, vraiment promis, promis
de dire, de dire Ia vérité, de dire en peinture Ia vérité
en peinture ?
Et moi?
J'écris ia' quatre fois, autour de Ia peinture.
La premiêrefois occupé à plier Ia grande questum philo-
sophique de Ia tradition [« Qu' est-ce que I'art? )), « le
beau? )) « Ia représentation? )) « l'origine de l' aMJre
d' art ? ))et~.) à l'atopique insistante du parergon : ni aMJre
(ergon), m .hors d'aMJre, ni dedans ni dehors, m' dessus
m dessous, ti déconcerte toute opposition mais ne reste pas
indéterminé et donne lieu à I'aMJre. Il n' est plus seulement
autour d'elle. Ce qu'il met en p/ace - les instances du
c~re, du titre, de Ia signature, de Ia légende, etc. - ne
laisse plus de déranger I' ordre interne du discours sur Ia
peinture, ses ceuores, son commerce, ses évaluations, ses
plus-oalues, sa spéculation, son droit et ses hiérarchies.
A quelles conditions, si du moins c'est possible, excéder
démo;'ter o~ dép/~er r héritage des grandes philosophie;
de I art qut dominen: encore toute cette problématique,
celle de Kant surtout, celle de Hegel et, à un autre titre
celle de Heidegger? Ces prolégomênes de La véríté ~
peínture, eux-mémes parergon de ce livre, un cere/e les
conceme.
Une deuxiême fois, plus attentij au ceme lui-mime, je
tente de décrypter ou de décacheter un singulier contrai,
celui qui peut lier le trait phonique, auant mime le mot
(pa~ ~xemple~L, ou TR, ou + R),au trait ditgraphique.
Imnsible et inoui, ce contrai suit d' autres vaies, par
d' aut~es aiguil/ages " il y va de Ia lettre et du nom propre
en I!~mture? de Ia narration, de Ia reproduction technique,
~ I idêologie, du phonême, du biographême et de Ia poli-
tique, entre autres choseset toujours en peinture. La chance
aura été donnée par Le voyage du dessin de Valeria
Adami.
Une troisiêmefois, remetiam à /'épreuve le trait comme
signature, qu'~?le.passe par le nom propre dit patrony-
tmque ou par I idiome du dessinateur qu'on appel/e parfois
PASSE-PARTOUT 15
ductus,j'explore en sa conséquencele systême de Ia duction
(production, repr~duction, induction, .rêduction, ,etc.).
Cela reoient à trauer autrement le trau, son umte et sa
divisibilité, et il y va sans dire de l'initial, comme des
initiales, de Ia répétition et du nombre, du modele ou du
paradigme, de Ia série, de Ia date, de l' événement (Ia fois,
Ia chance, le coup, le tour), de Ia généalogie et des restes
surtout, dans le travail du deuil : en peinture. Cartouches
prête son nom - propre et commun, masculin. et f~ni~
- à Ia chance ia' donnée par The Pocket Síze Tlingit
Coffin, de Gérard Titus-Carmel.
Une quatriême fois j' entrelace tous cesfils à travers un
polylogue à n + I ooix, qui se ~ouve être. de femme.
Qu' est-ce qui se passe (et de qum? de qUI?) partout
oU des lacets de souliers se présentent? Se présentent et
disparaissent (dajfort), ~sant .dessus et dessou;, dedan~
et dehors, de gauche à droite et vice versa? Et qu est-ce quI
se passe (avec) des I'!'ets .quand ils ~ont plus ~u moins
défaits? Qu'est-ce quI a Ileu quand ils sont délacés ~
peinture? On cherche le revenu ou le revenant, ce 9Ul
vient de revenir, dans ces pas sans pas, en ces souliers
dont rien n'assure, dit-elle, qu'ils font Ia paire. La question
de l'entrelacs et du disparat résonne alors. A qui et à
quoi reoiennent les « chaussures de Van, qogh ))da~ I~r
vérité de peinture? Qu'est-ce qu'un dêsir de restltutl~D:
s'il a trait à Ia vérité en peinture? La chanc« fut ICl
donnée par une sorte de duel entre Heidegger et Schapiro.
Un tiers (plus d'un tiers, rien moins que des témoins)
faisait alors le mort pendant que l'un et l'autre .s'escri-
maient, à rendre proprement ces chaussures, droitement,
et à qui de droit, au orai destinataire.. .
Quatre [ois, dane, autour de Ia petnture, a toumer
seulement autour, dans les parages qu'on s'autorise, c'est
toute I'histoire, à reconnaltre et à contenir comme les
entours de l' auore d' art, ses abords tout au plus " cadre,
titre, signature, musée, archiv~, repro~uction, disf"!l"s,
marchê, bref partout oU du droit à Ia pemture on legifere
en marquant Ia limite, d'un trait d'opposition qu'on oeut
indivisible. Quatre fois autour ~ Ia ~Dtfleur,aussi, ~'on
croit étrangere au trait, comme si la dijJerencechromattque
ne comptait pas. Or un parergon et des cartouches ne
 16 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
laissent plus d'assurance au droit d'un tel abordo 11 faut
aborde r autrement.
Le trait commun de ces quatre fois, c'est peut-être le
trait. En tant qu'il n'est jamais commun, ni mime un
aoec et sans lui-même. Sa divisibilité fait texte, et tr~
et reste.
Les discours sur Ia peinture se destinem peut-être à
reproduire Ia limite qui les constitue, et quoi qu'ils Jassent
et quoi qu'ils disent : il y a pour eux un dedans et un
dehors de 1'0000000edês lors qu'il y a de l'ceuore. Une série
d'oppositions oient en suite de celle-ci qui n'est d'ailleurs
pas forcément premiêre (elle appartient à un systême
dont Ia bordure elle-même reconduit le problême ), Et le
trair y. est toujours dét~né en trait d' opposition.
Mat~ que se passe-t-il avant ou sans que Ia difJérence
ne deoienne opposuum dans le trait? Et s'il n'y aoait
pas même là un devenir? Car le devenir a peut-être
totqours ~.paur concept cette détermination de Ia difJérence
en oppositum.
La questionone serait p~us alors: « Qu' est-ce qu'un trair? »,
ou « Que deoient un trau ? », ou « Qu' est-ce qui a trait à
un tel trait? ». Mais « Comment le trait se traite-t-il ?
J?t se. c~trac~e-t-i? en son retrait? », Un trait n'apparait
jamau, jamass luz-mime, puzsqu'zl marque Ia difJérence
entre les formes ou les contenus de I'apparaitre. Un trait
n''fpparait jamais, jamais lui-même, jamais une premiêre
fou. li co~~e par ~e.retirer. Je suis ici Ia conséquence
de ce que J avazs appele ti y a longtemps, auant d'en oenir
au tour de Ia peinture, l'entame de l'origine : ce qui
s'ouore, d'une trace, sans initier.
Un espace reste à entamer pour donner lieu à Ia oêrité
en peinture. Ni dedans ni dehors, il s'espace sans se laisser
~adrer "'!lis il nI! se tient pas hors cadre. li traoaille,
fait trauailler, laisse traoailler le cadre, lui donne à
traoailler (laisser, Jaire et donner seront les mots les plus
,ncl!"'pri~ de moi. en ,ce li",!,e). Le trait sy attire et sy
retire luz-mime, ri sy ature et s'y passe, de /ui-mlme.
li se situe. li situe entre Ia bordure oisible et le fantõme
central depuis lequel naus fascinons. Je propose d'user de
ce mot intransitivement, comme on dirait « naus halluci-
nons », « je salive », « tu expires », « elle bonde » ou « le
I
,~
PASSE-PARTOUT 17
bâteau mouille », Entre le dehors et le dedans, entre Ia
bordure exteme et Ia bordure interne, I' encadrant et
I' encadré, Ia figure et le [ond, Ia forme et le contenu, ~e
signifiant et le signijié, et ainsi .d~ suite po'fr to~t~ 0pp<!sr-
tion biface. Le trau alors se dioise en ce lieu ou il a lieu.
L' emblbne de ce topos paraít introuoable, je l'emprunte
à Ia nomenclature de l' encadrement : c' est le passe-partout.
Celui qui fait ici éoénement ne doit pas passer pour
une clé unioerselle. On ne pourra pas se le passer de main
en main comme un instrument commode, un court traité,
un oiatique, ooire un organon ou un canon de poche, bref
un passe transcendantal, un mot de passe pour ouorir
toutes les portes, déchiffrer teus les textes et surueiller
leurs chames. Si on s'empressait de l'entendre en ce sens,
je deorais aoertir : cet auertissement n' est pas un passe-
partout,
J' écris à même le passe-partout bien connu cJes ~a-
dreurs. Et pour l'entamer, à même cette surface dite tnerge,
généralement dêcoupée dans un carré de carton et ouuerte
en son « milieu » pour y laisser paraitre l'ceuore. Celle-ci
peut d'ailleurs, à l'occasion, y être remplacée par une
autre qui glisse ainsi dans le passe-partout comme un
« exemple », Dans cette mesure, le passe-partout reste une
structure à fond mobile ; mais pour laisser paraitre, il ne
forme pourtant pas stricto sensu un cadre, plutõt un cadre
dans le cadre. Ne laissant pas, cela va sans dire, de s'espacer,
il joue sa carte ou son carton entre le cadre, en sa bordure
interne proprement dite, et Ia bordure externe de ce 9u'il
donne à ooir, laisse ou fait paraitre en son cerne oide :
l'image, le tableau, Ia figure, Ia forme, le systême de traits
et de couleurs.
Ce qui paralt alors, et généralement sous cerre, paraft
seulement se passer du passe-partout sur lequel il fait fonds.
Ce serait à peu prês le lieu d'une préface ou d'un aver-
tissement, entre Ia couuerture portam les noms (auteur
et êditeur ) et les titres (ouorage et collection ou champ ) ,
le copyright, Ia page de garde et, d' autre part, le premier
mot du livre, Ia premiêre ligne ici des Lemmes, par oU
il faudrait « commencer »,
Passe-partout, le mot et Ia chose, a d' autres usages,
mais à quoi bon les recenser? lls se trouoent tout seuls.
18 LA VÉRITÉ EN PEINTURE

Et si je vou/ais /es mettre en tableau, i/ y en aurait tou- PARERGON

jours un pour jouer entre /es autres, extrair de /a série
pour l'entourer, d'un tour de plus.
Passe-partour néanmoins ne s' êcritpas au pluriel, force
de foi grammatica/e. Cela tient à sa composition idoma-
tique et à l'invariabilité de l'aduerbe. Mais Ü peut s'en-
tendre au pluriel : « Curiosités de toutes sortes, plâtres,
mou/ages, esquisses, copies, passe-partout remplis de gra-
oures (Théophi/e Gautier). En un mot i/ s' écritsinguliere-
I)

ment mais /a foi de ses accords peut exiger /e pluriel.

Les bords internes d'un passe-partout souoent sont
biseautés.
II I

I. LEMMES

c'est assez
dire : abíme et satire de l'abime

commencer et finir par un

« ça suffit )) qui n'ait rien à uoir auec le suffire ou se-
suffire de Ia suffísance, rien à [aire avec Ia satisfaction.
Reconsídérer, plus loin, toute Ia syntaxe de ces locutíons
intraduisibles, l' aoec du rien à voir et l'aoec du rien à
faire. Ecrire, si possible, finalement, sans avec, non pas
without mais sans avec, finalement, pas même soi.
Ouverture par le satis, l'assez (au-dedans et au-dehors,
au-dessus et au-dessous, à droite et à gauche), Ia satire,
Ia farce au bord du trop
m!~a~~c~!~~é::~~~lr~~scncadrésl d'une cxpositionen cours. Ou autre-
intYt::~:'~emmierc version, plus brev~ - três abrégée dans les protoccles
, mes -, parut dans Digraph« (3 t ) L '
Sectíon, Le colossal est inédíte e ' e 4, 1974, "quatneme
L ,', n son enner.
trati~ep:.e:r~~~avf~s~~~r~~!ai: ~~mdPagnée d'au~ne exhibinon • illus-
livre I" "n, alI ans ce preDllerchapitre ou quart de
I I vant~o~l'~~~i~afchmleblne
. !i
~aPI'racs
rléa
•.,m!me destination que dans Ies trois sui-
lÇrenceau « tableau • lei un . dé
I ~~ft:~~!/~Iu:tratif, sans r~férence, sans titre ~i légitimÍté, ~~~I~n!;
OUautrem~nt~ifl:t~'~:t lpoomSsl~bml enlt,Ie topos instable de I'ornementalité.
, e, e parergon.

II
 22
LA VÉRITÉ EN PEINTURE
.
v1l1e.II ( «
déplacement de Ia « che-
avec n, « cum n, « ama n, « simul n, etc.) depuis
O,JSt~ et gramme. Chercher comme toujours serrure et
« pente clé », Leurre de l'écriture avec soi. « Avec des
ress0l;lrces q~i conduiraient à l'intérieur du systême de
Ia peinture, important dans Ia théorie de Ia peinture
toutes les questions et tous les codes de questions qui
se développent ici, autour des effets de « nom propre n
et de « signature n, dérobant au cours de cette effraction
tous les critêres rigoureux d'un cadrage - entre le
ded~n.s et Ie dehors - emportant Ie cadre (ou plutõt
ses Jomtures, ses angles d'assemblage) non moins que
Ie de~~s oU,le dehors, !e tableau ou Ia chose (imaginez
Ies dégâts d un vol qui vous priverait seulemenr des
cadres, ou plutôt de s~s jointures, et de toute possibilité
de recadrer vos objets de valeur ou vos objets
d'art). » (Glas)
'. qu'est-ce qu'un
ntre ? Et SI parergon étaít le titre ?
lei le faux titre, c'est l'art. Un séminaire traiterait de
l'art. De l'art et des beaux-arrs. II répondrait ainsi à un
programme et à l'une de ses grandes questions. Celles-ci
sont ch~q~e ~ois prélevées dans un ensemble dérerminé.
Selon I histoire et selon Ie systême. L'histoire serait
~~e ~e Ia philo~ophie. dans ,laquelle se découperait
1hi~toIre de l~ ~htl~sophi~ de 1art en tant qu'elle traite
de 1art et de 1histoire de 1art : Ies modeles Ies concepts
1es p~oblêemes n ,en sont pas tombés du cieI, " ils se sont
constitués selon des modes et à des moments déterminés.
Cet ensemble forme un systeme, une grande Iogique et
~e ,ency~Iopédie à l'intérieur desquels les beaux-arts
s enlev~raIent comme une région. L'agrégation de phi-
Iosophie forme aussí une histoire et un systême
PARERGON
L comment une question de ce type - l'art -
s'inscrit à un programme. Il ne faut pas seulement se
toumer vers l'histoire de Ia philosophie, par exemple
vers Ia grande Logique ou l'Encyc1opédie de Hegel, vers
ses Leçons sur l'Esthétique qui dessinent just~ment ~e
partie de l'encyc1opédie, systême d~ Ia formation ens.el-
gnante et cyc1edu savoir. 11 faut temr compte d~ certams
relais spécifiques, par exemple ceux ~~ l'~ns~lgnement
dit de Ia phi1osophie en France, dans 1 msntunon de ses
programmes, de ses formes d'~amens e~ de concours,
de ses scênes et de ses rhétoriques, Qwconque entre-
prendrait systématiquement une telle enquête - dont
re ne fais ici que repérer l'enjeu et Ia né~s~té - d~~ait
sans doute s'orienter, à travers une histoíre politique
três surdéterminée, vers le réseau qui s'indique du nom
propre de Victor Cousin, homme politiq~e et phi1oso-
phique três français qui se crut fort hégélien et ne cessa
de vouloir transplanter, c'est à peu prês son mot, Hegel
en France aprês lui avoir demand~ par é~rit au moins
et avec insistance de le féconder, IUl Cousin, et à travers
lui Ia philosophie française [lettres citées dans Glas,
p. 207 sq.]. Fort, entre ~utr~ choses, de cette ~rossesse
plus ou moins nerveuse, il pnt une par~ déte~~te,.l~
représenta du moin~, d~s ~acons~ruCt1o~de 1umversite
française et de son msntunon philosophique, de toutes
les structures de l'enseignement que nous habitons
encore. Je ne fais ici que nommer, d'un nom propre
comme l'un des fils conducteurs, Ia nécessité d'une
déconstruction. Selon Ia conséquence de sa logique, e~e
s'attaque non seulement à l'édifi:cation interne, ãla fois
sémantique et formelle, des philosophêmes, mais à ce
qu'on lui assignerait à tort comme son logement externe,
ses conditions d'exercice extrinseques : les formes
historiques de S3 l?~dagogie, les s.tru~r~ sociales,
économiques ou politiques de cette msntunon pédago-
gique. C'est parce qu'elle touche à des structures
solides, à des institutions « matériales n, et non seule-
"
24 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
ment à des discours ou à des représentations signifiantes,
que Ia déconstruction se distingue toujours d'une
analyse ou d'une « critique », Et pour être pertinente,
elle travaille, le plus strictement possible, en ce lieu ou
l'agenceme~lt dit.« interne » du philosophique s'articule
de façon necessaire (interne et externe) avec les condi-
tions et les formes institutionnelles de I'enseignement.
Jusqu'au point ou le concept d'institution lui-même
serait soumis au même traitement déconstructeur. Mais
i'introduis déjà au séminaire de l'an prochain [I974-
1975]
déli-
miter mai,nt~ant une .entrée plus étroite dans ee que,
cette annee, Je tenteraí d'exposer en cours. Tradition-
nellemen~, un cours commence par l'analyse sémantique
de son ntre, du mot ou du eoneept qui I'intitule et
ne peut légitimer le discours qu'en recevant de Iui sa
propre Iégitimation. On commencerait aIors par se
demander : l'art, qu'est-ce que e'est? Puis : d'oü ça
vient? Quelle est I'origine de l'art? Cela suppose qu'on
s'entende sur ce. qu'on entend sous le mot art. Done :
quelle est l'origine d~ sem de « art » ? Pour ees questions,
le fil conducteur (mais c'est vers Ia pensée du fil et de
I' entrelacement que de três loin je voudrais vous
conduire), cela aura toujours été I'exístence des
« eeuvres n, des « eeuvres d'art », Hegel le dit au début
des Leçons sur l' Esthétique : nous n'avons devant nous
qu'une seule représentation, à savoir qu'il y a des
oeuvres d'art, Cerre représentation peut nous fournir
un point de départ approprié. La question devient
alors : quelle est « l'origine de I'oeuvre d'art n? Et il n'est
pas insignifiant que cette question donne son titre à
l'un des derniers grands discours sur l'art, celui de
Heidegger.
Cette procédure de Ia question installe dans une
présupposition fondamentale. Elle prédétermine massi-
vement Ie systême et Ia combinatoire des réponses.
PARERGON 25
Ce qu'elle commence par impliquer, c'est. q.ue l'a~ -
le mot, le concept, Ia chose - a une umte er mieux,
un sens originaire, un etymon, une vérité une et nue
qu'il suffirait de dévoiler à traoers l'hist~ire. ~t d'abord
que « art » se laisse atteindre selon les trOISvotes du mot,
du concept et de Ia chose, voire du signifiant, du signifié
et du référent, voire encore de quelque opposition entre
présence et représentation. .
A traoers l'histoire : Ia traversée dans ce cas peut aUSSl
bien dénoter l'historicisme, le caractêre déterminant
de l'historicité du sens, que l'anhistoricité, l'hístoire
traversée, transie en direction du sens, dans le sens
d'un sens en lui-même anhistorique. Le syntagme « à
travers l'hístoire » pourrait intituler toutes nos questions
sans les contraindre d'avance. En présupposant 1'ety-
mon - un et nu -, présupposition sans laquelle peut-
être on n'ouvrirait jamais Ia bouehe, en commençant
parméditer Ia polysémie apparen~e de t~~hnepour~e~e à
nu le noyau simple qui se cacheraít dernere I~multiplicité,
on se donne à penser que art a un senso Mieux, que son
histoire n'en est pas une ou qu'elle n'en est u~ 9ue
pour être gouvernée par ee sens un et nu, sous le regime
de son sens interne, eomme histoire du sens de l'art.
Si l'on tenait l'opposition physis/tekhne pour irréduc-
tible si l'on aecréditait aussi précipitamment sa traduc-
tion 'par naturelart ou technique, on s'engagerait .fa~e-
ment à penser que I'art, n'étant plus n~ture, est .histOlre.
L'opposition nature/histoire prendrait le r~3.1sa~o-
gique de physis/tekhne. On peut .done le dire ~éJ~ :
quant à 1'histoire, nous aurons affaire .à Ia contradiction
ou à l'oscíllation entre deux motifs apparemment
ineompatibles. Ils ~elevent fin~ement .d'une .seule ~t
même formalité logique : à savoir que SI ~ p~o~opl?ie
de l'art a toujours le plus grand mal à dominer I histoire
de I'art, un certain concept de I'historicité de 1'~,
c'est paradoxalement, parce qu'elle pense trop facile-
men~ l'art comme historique. Ce que j'avance là sup-
pose évidemment Ia transformation, d'un énoncé à
l'autre, du concept d'histoire. Ce sera le travail de ce
séminaire
I1 1I 26 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
Si done
1'0n entamait des leçons sur l'art ou sur l'esthétique par
une question de ee type «( Qu'est-ce que l'art? »,
« Quelle est l'origine de l'art ou des eeuvres d'art? »,
ee Quel est le sens de l'art ? », « Que veut dire l'art? »,
etc.), Ia forme de Ia question y ferait déjã réponse. L'art
y serait prédéterminé ou pré-eompris. Une opposition
conceptuelle y serait déjà, toujours, à l'eeuvre, qui a
traditionnellement servi à comprendre l'art : par exemple
eelle du sens, comme contenu interne, et de Ia forme.
Sous Ia diversité apparente des formes historiques de
I'art, ,des eoneepts de l'art ou des mots qui semblent
traduire « art » en grec, latin, germain, etc. (mais Ia
clõture de eette liste est déjà problématique), on cher-
eherait un sens un et nu. 11 informerait du dedans,
~omme un eontenu, en se distinguant des formes qu'il
Informe. Pour penser l'art en général, on accrédite
~nsi une série d'oppositions (sens/forme, intérieur/exté-
neur, contenu/contenant, signifíé/sígnífíanr, représenté/
re~résent~t? ete.) qui structure précisément I'interpré-
tanon traditionnelle des eeuvres d'art. On fait de l'art
en général un objet dans lequel on prétend distinguer
un sens intérieur, l'invariant, et une multiplicité de
variations externes à trauers lesquelles, eomme autant
de voiles, on tenterait de voir, ou de restaurer, le sens
vrai, plein, originaire : un, nu. Ou encore, geste ana-
logue, en se demandant ee que oeut dire « art », on
soumet Ia marque « art » à un régime d'interprétation
três déterminé, survenu dans I'histoire : il consiste, en
sa tautologie sans réserve, à interroger le vouloir-dire
de t,oute ceuvre dite d'at:t, ~ême si sa forme n'est pas
le dire. On se demande amsi ce que veut dire une eeuvre
~lastique ~u mu~i~e en soumettant toutes les produc-
nons à I autonte de Ia parole et des arts « dis-
cursifs»
ARERGON 27
si bien
<I.u'enaeeélérant un peu le rythme on irait à eette collu-
810n : entre Ia question (« qu'est-ce que l'art ? », « quelle
est l'origine de I'eeuvre d'art? », « quel est le ,sens. de
I'art ou de l'histoire de l'art? ») et Ia classification
hiérarchique des arts. Quand un philoso~he ~épete eette
question sans Ia transformer, sans Ia detrwre dans sa
forme, dans sa forme de question, dans sa structure
onto-interrogative, il a déjà soumis tout l' espa;~ aux
arts discursifs, à Ia voix et au logos. On peut le venfier :
Ia téléologie et Ia hiérarchie sont preserites dans l'enve-
loppe de Ia question -
le philosophique en-
ferme l'art dans son cercle mais e'est aussitõt laisser
prendre son discours sur l'art dans un cercle. "
Comme eelle du tiers, Ia figure du eerc1e s impose à
I'ouverture des Leçons sur l'esthétique et de L'origine
de l'muvre d'art. Três différents dans leur visée, leur
démarehe, leur style, ees deux discours ont peut-être en
eommuo, eomme un intérêt commun, d'exclure - ee
qui vient alors, du dedans eomme du dehors, les former,
fermer, border.
Et si e'était un cadre I
I'un, eelui de Hegel,
donne son plus grand déploiement à Ia téléologie
II 28 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
c1assique. II achêve, comme on dit un peu trop facile-
ment, l'onto-théologie. L'autre, celui de Heidegger
tente, d'un pas. ~n arriêre, de remonter en deçà d~
toutes les opposmons qui ont commandé l'histoire de
l'esthétique. Par exemple, au passage, celle de Ia forme
et de Ia matiêre, avec tous ses dérivés. Deux discours
d?nc, ~ussi différent.s qu~ possible, de part et d'autr~
d une ligne dont on imagme le tracé simple et indécom-
posable. Comment se fait-il pourtant qu'ils aient ceei en
commun : Ia subordination de tous les arts à Ia parole
et, sinon à Ia poésie, du moins au poême, au dír, à Ia
langue, à Ia parole, à Ia nomination (Sage, Diduung,
Sprache, Nennen) ? (Relire ici Ia troisiême et derniêre
partie de L'origine ..., La oérité et I'art.)
pas alIer plus loin pour l'instant, dans
Ia .lecture de ces deux discours .. M'en tenant provi-
~olrement à leur introduction, je remarque cecí :
ils partent tous deux d'une figure du cerc1e. Et ils y
restent. Ils s'y tiennent même si leur résidence dans le
cerc1e n'a pas en apparence le même statut. Je ne me
dem~de pas pour l'instant : qu'est-ce qu'un cercle P
Je laisse de cõté Ia figure du cercle, sa place, son privilêge
ou sa décadence dans l'histoire de l'art. Le traitement
du cercle faisant partie de l'histoire de l'art et s'y délimi-
tant autant 9u'il ~a délimíre. il n'est peut-être pas
neutre de IUl appliquer ce qui n'est, aussi, que l'une
de ses figures. C'est encore un cerc1e, ce qui redouble
remarque et abyme Ia singularité de cette figure. Cercl~
de cercles, cercle dans le cercle encerclé. Comment un
cercle s'abymerait-il ?
Le cercle et l' abyme, tel serait le titre. Sans doute
rencontrerons-nous, chemin faisant, Ia question du titre.
Que se passe-t-il quand on intitule une« eeuvre d'art » ?
Quel est le topos du titre? A-t-il lieu et ou quant à
l'reuvre? Sur le bord? hors bord? sur Ia bordure
PARERGON 29
interne? dans un par-dessus-bord remarqué et réappli-
quê, par invagination, au-dedans, entre le centre pré-
umé et Ia circonférence? ou entre l'encadré et l'enca-
drant du cadre? Est-ce que le topos du titre, comme
d'un cartouche, commande I' « ceuvre » depuis I'instance
discursive et judicative d'un hors-d'eeuvre, depuis
l'exergue d'un énoncé plus ou moins directement défí-
nitíonnel, er même si Ia définition opere à Ia maniêre
d'un performatif? Ou bien le titre joue-t-il à l'intérieur
de l'espace de l' « eeuvre », inscrivant Ia légende à préten-
tion définitionnelle dans un ensemble qu'elle ne com-
mande plus et qui le constitue, lui, le titre, en effet
localisé? Si je dis par exemple que le cerc1e et l'abime
seront le titre de Ia píêce que je joue aujourd'hui, en
introduction, qu'est-ce que je fais et qu'est-ce qui se
passe? Le cerc1e et l'abime seront-ils I'obiet de mon
discours et par lui définis? Ou bico décrivent-ils Ia
forme qui eontraint mon discours, sa scêne plutõt que
son obiet, et encore, une scêne dérobée par l'abime à Ia
représentation présente? Comme si un discours sur le
cercle devait aussi décrire un cercle, et peut-être celui-là
même qu'il décrit, décrlre un mouvement circulaire au
moment même ou il décrit un mouvement circu1aire, le
décrire se déplaçant lui-même dans son sens; ou bico
comme si un discours sur I'abíme devait connaítre
l'abime, au sens ou 1'0n eonnait ce qui arrive, ce qui
affecte, comme on eonnait un échec ou un succes plutõt
qu'un objeto Le cerc1e et l'abíme, donc, le cercle en
abyme
début
des Leçons sur l' Esthétique. Dês les premiêres pages de
l'Introduction, Hegel pose, comme touiours, Ia question
du point de départ. Comment eommencer un discours
philosophique sur l'esthétique? Hegel avait déjà lié
I'essence du beau à l'essence de I'art. Se10n l'oppositíon
3° LA VÉRITÉ EN PEINTURE I'AKEKGON 31
I t rminée de Ia nature et de l'esprit, et dane de Ia
n ture et de l'art, il avait déjà posé qu'un ouvrage phi-
10 phique consacré à l'esthétique, philosophie ou
ience du beau, devait exc1ure Ia beauté naturelle.
C' t dans Ia vie courante qu'on parle d'un beau ciel.
Mai il n'y a pas de beauté naturelle. Plus précisément,
1 beauté artistique est supérieure à Ia beauté naturelle,
omme l'esprit qui Ia produit est supérieur à Ia nature.
On doit donc dire que Ia beauté absolue, le telos ou
I' sence finale du beau apparaít dans l'art et non dans
1 nature en tant que telle. Or le problême de l'intro-
duction ne fait pas de difficulté dans le cas des sciences
naturelles ou mathématiques : l'objet y est d'avance
donné ou déterminé, et avec lui Ia méthode qu'il
requiert. Quand au contraíre les sciences portent sur
des produits de l'esprit, le ((besoin d'une introduction
ou d'une préface se fait sentir ». L'objet de telles sciences
étant produit par l'esprit, par ce qui connait, celui-ci
aura dü s'engager dans une connaissance de soi, dans
Ia connaissance de ce qu'il produit, du produit de sa
propre production. Cette auto-détermination pose de
singuliers problêmes d'initialité. L'esprit doit s'intro-
duire dans son propre produit, produire un discours sur
ce qu'il produit, s'introduire de lui-même en lui-même.
Cette duction circulaire, cette intro-réduction à soi
appelle ce que Hegel nomme une (( présupposition »
(Voraussetzung). Dans Ia science du beau, l'esprit
se présuppose, anticipe, précipite. La ute Ia premiêre.
Tout ce par quoi i! commence est déjà un résul-
tat, une ceuore, un effet du ressaut de l'esprit, un
resultare. Tout fondement, toute justification (Begriin-
dung) aura été un résultat, voilà, on le sair, le ressort de
Ia dialectique spéculative. Les présuppositions doivent
procéder d'une « nécessité prouvée et démontrée )),
précise Hegel. (( En philosophie, rien ne doit être
accepté qui ne possêde le caractêre de nécessité, ce qui
veut dire que tout doit y avoir valeur de résultat. »
Nous sommes, dês l'introduction, encerc1és.
Sans doute l'art figure-t-i! une de ces productions de
l'esprit grãce auxquelles celui-ci revient à lui-même,
reprend connaissance et vient en son lieu propre en y
 32 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
reoenant, circulairement. Ce qui s'appelle l'esprit, c'est
ce qw se dit « viens » pour s'entendre déjà dire
« ~evien,s», L'esprit n'est ce qu'il est, ne dit ce qu'il veut
dire qu en reoenant, Sur ses pas, et en cerc1e. Mais l'art
ne for~e que l'un de ces cercles dans le grand cercle
du Geist ou du revenant (ce visiteur peut s'appeler
Gast, ou ghost, guest ou Gespenst). La fin de l'art, et sa
vérité, c'est Ia religion, autre cercle dont Ia fin, Ia vérité
aura été Ia philosophie, etc. Et on sair, nous aurons à ~
tirer parti plus tard, Ia fonction du rythme ternaire
dans cette circu1ation. 11 reste qu'ici on étudie 1'art
depuis sa finoSon être-passé est sa vérité. La philosophie
de l'art est donc un cercle dans un cercle de cercles :
un « anneau )),dit Hegel, dans le tout de Ia philosophie.
11 tourne sur lui-même et s'annulant s'enchaine à
d'autres anneaux. Cette concaténation annulaire forme
le cercle des cercles de l' encyclopédie philosophique.
L'art y découpe une circonscription ou y enleve une
circonvolution. 11s'encercle
L 1'inscription d'un cercle
dans le cercle ne donne pas nécessairement l'abime, sur
l'abíme, en abyme. Pour qu'elle soit abyssale, le plus
petit c~rcle doit inserire en lui Ia figure du plus grand.
Y a-t-tZ de l'abíme dans Ia circulation hégélienne? A
Ia question posée ~ou~ cette forme, il n'est pas de réponse
décidable. Que signifie le « il y a » dans ces énoncés ?
En quoi le « il y a )) se distingue-t-il d'un « i1 existe ))
ou « X est )), « X se présente )), « X est présent )),etc. ?
Contoumant ici un protocole nécessaire (il passerait
par le don ou Ia donation de I'abíme, sur I'abíme, en
abyme, par Ia problématique du es gibt, il y a, ça donne,
et du es gibt Sein, ouverte par Heidegger), je remarque
seulement ceei : Ia réponse arrête l'abíme à moins
qu'elle n'y soit d'avance entrainée. Et elle peut y être
sans le savoir, au moment même ou une proposition
du type « ceei est un abíme ou une mise en abyme »
parait détruire l'instabilité des rapports de tout à par-
PARERGON 33
tie, l'indécision des structures d'inclusion qui précipite
en abyme. L'énoncé lui-même peut faire partie
du tout
méta-
phore du cercle des cercles, de Ia formation (Bildung)
comme encyclopédie philosophique. Métaphore orga-
nique, finalisée comme un tout dont les parties cons-
pirent. Métaphore biologique aussi. Or elle est aussi
métaphore, si c'en est une, pour 1'art et pour l'ceuvre
d'art. Le tout de Ia philosophie, le corpus encyclopé-
dique est décrit comme un organisme vivant ou comme
une ceuvre d'art. 11 est représenté sur le modele de
l'une de ses parties qui devient ainsi plus grande que le
tout dont elle fait partie, dont elle fait (une) partie.
Comme toujours, et Kant l'a formalisé de maniêre
essentielle, Ia communication est intérieure entre le
problême du jugement esthétique et celui de Ia finalité
organique. Au moment de décrire Ia précipitation lem-
matique, Ia nécessité de traiter le concept de philosophie
de l'art de façon anticipative, Hegel doit recourir,
certes, à Ia métaphore du cercle et du cercle de cercles
dont il dit d'ailleurs qu'elle n'est qu'une représentation.
Mais aussi à Ia métaphore du tout organique. Seule
Ia philosophie dans son ensemble (gesammte Philosophie )
nous donne Ia connaissance de l'univers comme d'une
unique totalité organique en soi, qui se développe « à
partir de son propre concept », Sans rien perdre de ce
qui en fait un tout « qui revient à lui-même », ce « seul
monde de vérité » se contient, retient et rassemble en
lui-même. Dans Ia « couronne » de cette nécessité
scientifique, chaque partie représente un « cercle reve-
nant en lui-même )) et gardant avec les autres un lien
de solidarité, un entrelacement nécessaire et simultané.
11 est animé d'un « mouvement rétrograde )) (ein
Rückwarts) et d'un « mouvement progressif» (Vor-
 34 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
toãrts ) par lequel il se développe et se reproduit en un
autre de façon féconde (fruchtbar ), C'est ainsi que,
pour nous, le concept du beau et de l'art est « une
présupposition donnée par le systême de Ia philoso-
phie », La question « Qu'est-ce que le beau? )),seule
Ia philosophie peut Ia poser et y répondre : le beau est
une production de l'art, c'est-à-dire de l'esprit. L'idée
de Ia beauté nous est donnée par l'art, eereIe à l'intérieur
du. cercle de l'esprit et de l'encyeIopédie philoso-
phique, ete.
Avant de commeneer à parler du beau et des beaux-
arts, il faudrait donc, en droit, développer le tout de
l'EncyeIopédie et de Ia grande Logique. Mais comme
il faut bien commencer, en faít, « de façon lemmatique
en quelque sorte )) {sozusagen lemmatisch ) par anticipa-
tion ou .précipitation de couronne, HegeI reconnait que
son point de départ est vulgaire, et sa justification
philosophique insuffisante. 11 aura commencé par Ia
« représentation II (Vorstellung ) de l'art er du beau pour
« Ia conscience courante II (im gewohnlichen Betousstsein ),
Le prix à payer peut paraitre três lourd : on dira par
exemple que toute l'esthétique développe, explicite,
étale les représentations de Ia conseience naíve. Mais ce
négatif ne s'annule-t-il pas aussitôt? Dês Ia page sui-
vante, Hegel préeise qu'on est justifié, sur un cercle de
cercle, à partir de n'importe ou. « Pas de commencement
absoIu dans Ia scienee. II
Point de départ choisi, dans Ia reprêsentation courante :
il y a des eeuvres d'art, nous les avons deuant naus dans
Ia représentation (V orstellung ). Mais à quoi les recon-
nait-on ? Ce n'est pas une question juridique et abstraite.
Achaque pas, à chaque exemple, sans d'énormes pro-
tocoles théoriques, juridiques, politiques, etc., Ia limite
tremble entre le « il y a II et le « il n'y a pas I) « ceuvre
d'art )),entre une « chose » et une « eeuvre )),une « ceuvre »
en général et une « ceuvre d'art », Laissons. Que veut
dire « laisser )) (voir, faire, voir faire, faire voir, faire
faire, laisser comme un reste, laisser en testament),
que fait « laisser »? etc.
PARERGON 35
certainement pas insi-
gnifiant que plus d'un siêcle aprês, une méditation sur
l'art commence par tourner dans un cercle analogue
lors qu'elle prétend faire un pas au-delã ou en deçà
du tout de Ia métaphysique ou de l'onto-théologie
oceidentale. L' origine de l' auore d' art aura pris appeI
pour un saut ineommensurable. Certes, et en voiei
sechement quelques índices, dans l'attente d'une Iecture
plus patiente.
I. Toutes Ies oppositions qui soutiennent Ia méta-
physique de l'art s'y trouvent questionnées, en particu-
lier celle de Ia forme et de Ia matiêre, avec tous ses
dérivés. Cela se fait au cours d'un questionnement sur
I'être-eeuvre de I'eeuvre et l'être-chose d'une chose dans
toutes les déterminations de Ia chose qui soutiennent
plus ou moins implieitement toute philosophie de l'art
(hypokeimenon, aistheton, hyl«),
2. Comme l'indique Ia Postface, c'est depuis Ia possi-
bilité de sa mort que l'art se laisse iei interroger. 11 est
possible que l'art agonise, mais à sa mort et à son deuil
(Heidegger ne parIe pas du deuíl), « il faudra bien
quelques siêcles ». L' origine est située dans Ia résonance
des Leçons de Hegel sur l'Esthétique en tant qu'elles
pensent l'art comme un « passé » : « Dans Ia méditation
Ia plus compréhensive (umfassendsten), parce que
pensée à partir de Ia métaphysique, que possêde l'Ocei-
dent sur l'essenee de l'art, dans Ies Leçons de Hege1 sur
l' Esthétique, se tient cette proposition : « Mais nous
n'avons plus un besoin absolu de porter un contenu à
présentation {zur Darstellung ) sous Ia forme de l'art.
L'art, du cõté de sa plus haute desti,natio~, est pour no~.s
un passé (ein Vergangenes ), )) Apres avorr rappelé qu il
serait dérisoire d'éluder cette proposition sous prétexte
que des eeuvres d'art ont survécu à ce verdict, possi~ilité
qui n'a pas échappé, on s'en doute, à son auteur, Heideg-
 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
ger enchaine : « Seulement Ia question demeure : l'art
est-il encore, ou n'est-il plus un mode (Weise) essentiel
et ~écessaire s.elon lequel Ia vérité décisive [décidante]
advient (geschieht ) pour notre être-là historial (geschicht-
liches)? Mais s'il ne l'est plus, alors demeure Ia
question de savoir pourquoi. La décision au sujet de Ia
proposition de Hegel n'a pas encore eu lieu. ))Heidegger
interroge donc l'art et plus précisément l'ceuvre d'art
comme avênement ou comme histoire de Ia vérité
mais d'une vérité qu'il propose de penser au-delà o~
en deçà de Ia métaphysique, au-delà ou en deçà de
Hegel. Laissons pour l'instant.
3· Troisiême indice, encore rappelé dans Ia Post-
face: le beau n'est pas relatif au plaisir ou au « plaire II
(Gefallen) comme on l'aurait toujours présupposé,
notamment avec Kant. Ne nous hâtons pas de traduire :
le beau au-delà du principe du plaisir. II y faudra des
médiations, mais elles ne manqueront pas.
4· Le beau au-delà du plaisir, certes, mais aussi I'art
au-delà du beau, de I'esthétique comme de Ia callistique
(à ce dernier mot, Hegel dit préférer le « mot courant II
d'esthétique). Comme Hegel qui y voyait Ia destination
de l'art universel, c'est l'art occidental que Heidegger
place au centre de sa méditation. Mais pour répéter
autrement l.'histoire de son essence en rapport avec Ia
transformatíon d'une essence de Ia vérité : l'histoire
de l'es~ence de l'art occidental « est aussi peu à concevoír
à partir de Ia beauté prise pour elle-même qu'à partir
y .r
de exl?ér.ienc~ vécue Erlebnis) li. A supposer même
~u il soit Jam31Squ<;stlon pour un « concept métaphy-
sl9ue )), conclut Heidegger, d'accéder à cette essence.
Rien n'exclut donc qu'il soit même construit pour ne
pas y accéder, pour ne pas en venir à ce qui advient
sou~ .I~ nom. de l'art. Et que Heidegger appelle déjà
« vente lI, quitte à chercher cette vérité sous ou en deçã
de Ia détermination métaphysique de Ia vérité. Je laisse
pour l'instant ce « dessous li ou cet « en deçà li suspendus
à Ia verticale.
A s'en tenir à ces indices préliminaires, on reçoit le
texte heideggerien comme Ia « répétition li non-iden-
tique, décalée, décrochée, de Ia « répétition li hégélienne
111
PARERGON 37
dans les Leçons sur I'Esthétique. II travaille à délier ce
qui retient encore l'esthétique hégélienne au sol inaperçu
de Ia métaphysique. Et pourtant, si cette « répétition li
ne faisait qu'expliciter, en Ia « répétant )) plus profon-
dément, Ia « répétition li hégélienne ? (Je ne définis qu'un
risque, et je ne dis pas encore que Heidegger le court,
simplement, ni surtout qu'il ne faille en aucun cas le
courir : à vouloir l' éviter à tout prix, on peut aussi se
précipiter vers Ia fausse sortie, le bavardage empirique,
l'avant-gardisme printanier ou primesautier. Puis qui a
dit qu'il fallait éviter tous ces risques? et le risque en
général?) Et pourtant, si Heidegger en restait lui aussi,
sous Ia contrainte lemmatique une fois de plus, à Ia
« représentation courante li de l'art qu'il accepterait
comme le fi} conducteur (par exemple en disant aussi
« des eeuvres d'art sont devant nous )),celle-ci, celle-Ià,
les chaussures bien connues de Van Gogh, etc.) de sa
puissante médítation
dépose ici le « célebre
tableau de Van Gogh qui a souvent peint de telles
chaussures li. je les laisse. Elles sont d'ailleurs, délais-
sées, délacées, à prendre ou à laisser. Beaucoup plus
tard, entrelaçant ce discours avec un autre, j'y revien-
drai, comme à tout ce que je laisse ici, de façon appa-
remment aussi déconcertée. Et je reviendrai sur ce qui
revient à laisser, lacer, entrelacer. Par exemple plus
d'une chaussure. Et plus loin encore, beaucoup plus
tard à ce que dit Heidegger du trait de « l'entrelacement li
( Geflecht ), du « lien qui délie li (ou délivre) (entbindende
Band) et du « chemin li dans Der Weg zur Sprache.
Accepter ici, s'agissant de Ia ~érité ~n pe~ture O? e!l
effigie, que l'entrelacement laisse disparaítre périodi-
quement un lacet : dessus dessous, dedans dehors,
gauche droite, etc. Effigie et fiction
 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
I:--. et d ans cette repennon
' ,.. déecroc h ée,
il est moms étonnant de voir cette méditation, close
s~ un~ référence à Hegel, s'ouvrir par une révolution
circulaire dont Ia rhétorique, au moins, ressemble beau-
coup à celle que nous avions suivie dans l'Introduction
aux Leçons sur l'Esthétique.
, p.o~qu~i un cercle ? ~chéma de l'argument : chercher
1ongme d une chose, c est chercher ce à partir de quoi
et par ou eIle est ce qu'elle est, c'est chercher sa prove-
nance essentielle, qui n'est pas son origine empirique,
L'eeuvre d'art provient de l'artiste, dit-on. Mais
q?'est-c:= qu'un artiste? CeIui qui produit des oeuvres
d art. L ongme de l'artiste, c'est I'ceuvre d'art, l'origine
de I'eeuvre d'art, c'est l'artiste, « aucun n'est sans
I'autre », Dês lors, « artiste et ceuvre sont en eux-mêmes
et dans leur réciprocité (Wechselbezug) en vertu d'un
tiers (durch ein Drittes) qui est bien le premier, à savoir
ce dont artiste et ceuvre d'art tiennent aussi leur nom
l'art », Qu'est-ce que }'art? Tant qu'on se refuse à s~
donner d'avance une réponse à cette question, « art ))
n'est qu'un moto Et si on veut ioterroger l'art, on est
bien ~bligé de ,se d~nner le fi! C<?nducteurd'une repré-
sentatron. Et c est Ieeuvre, le faít qu'il y a des eeuvres
d'art. Répétition du geste hégélien en Ia nécessité de
son lemme : il y a des ceuvres que l'opinion courante
désigne comme reuvr~ d'art et c'est elles qu'il faut
mterroger pour y déchiffrer l'essence de l'art. Mais à
quoi reconnaít-on, couramment, que ce sont des ceuvres
d'art SI. l' on n ,a pas d' avance une sorte de pré-com-
préhension de l'essence de l'art? Ce cercle herméneu-
tique n'a que l'apparence logique, formelle et dérivée
d'un cerc!e vicie';X. 11 ne s'agit pas d'y échapper mais
au contraire de s y engager et de le parcourir : « Nous
devons donc accomplir le cercle (den Kreügang '0011-
ziehen ), Ce n'est ni un pis-aller (Notbehelf) ni un
manque (Mangel). S'engager sur un tel chemin, c'est
Ia force, et demeurer sur ce chemin, c'est Ia fête de Ia
ARERGON 39
pensée, étant admis que penser soit un métier (Hand-
werk). )) L' engagement sur le chemin circulaire en
ppelle d'une part à une valeur artisanale, quasi
manuelle, du métier de penseur, d'autre part à une
xpérience de Ia fête comme expérience de Ia limite,
de Ia clõture, de Ia résístance, de l'humilité. Le « il faut ))
de cet engagement est en chemin vers ce qui, dans
Unterwegs zur Sprache, rassemble, entre propriatio~ et
dé-propriation (Ereignis IEnteignis), le pas, Ie chemm à
frayer (einen Weg bahnen, be-uegen ), le trait de frayage
(Aufriss) et le langage (la langue-parole : Sprache), etc,
Ce qui, plus loin dans le texte, aiointe tout le jeu d~
trait (Riss, Grundriss, Umriss, Auf,!~s, Gez~ge) à cel~
de Ia stêle, de Ia stature ou de I'installation (thesis,
Setzen, Besetzen, Gesets, Einrichten, Gestalt, Ge-stell,
autant de mots que ie renonce ici à traduire) appartient
l cette loi du pas qui enjoint le cercle à l'ouverture l~-
matique de L' origine : « ••• étant a~s que penser ~Olt
un métier. Non seulement le pas capital (Hauptschritt )
de I'oeuvre vers l'art, en tant que pas de l'eeuvre
vers l'art, est un cercIe, mais chacun ~es .pas. que
nous essayons circule dans ce cercle (kreist m diesem
Kreise) )). .
I Fête de
; le corps, de pied en cap, engagé dans ce pas de
cerc1e (Hauptschriu, Handwerk, Denken). Ce que vous
voulez - contre Ia fête - c'est ne pas mélanger les
genres mais filer les métaphores, Vous pouvez toujours
essayer : question de style. --I
L ne pas rompre violemment
le cercle (qui se vengerait alors),.l'as.sume.r rés?lum~t,
authentiquement (Entschl~ssen~t, Etgentltchkei~). L ex-
périence de Ia clõture circulaire ne ferme nen, elle
 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
ne so~re ni le manqu~ ni Ia négativité. Expérience
affirmative sans volontarísme, sans compulsion trans-
gressive : ne pas transgresser Ia 10i du cercle er du pas
de cercle mais sy fier. En cette fidélité consisterait Ia
~n~~e: Le ~ésir n'est pas a?sent d'accéder, par cette
repeuuon fídêle du cercle, à 1encore infranchi. Le désir
~'un n~u.veau pas,. fút-il rétrocédant {Schritt zurück),
lie et de/te cette demarche. Lien sans lien, franchir le
cereIe sans s'atfranchir de sa 10i. Pas sans pas
I-
.,. t donc
J m erromps onc ICI, provisouemenr, Ia lec-
í • ••
ture de L'origine.
L'encereIement du cereIe entrainait à l'abime. Mais
comme toute production, celle de l'abime venait saturer
!
ce qu'elle creuse.
I
'I C'est assez dire : abíme et satire de l'abime.
La fête, Ia « fête de Ia pensée » (Fest des Denkens)
qui s'e!1~ag~ dans le Kreisgang, dans le pas de cercle,
de quoi jouit-elle ? D'ouvrir et de combler l'abime à Ia
fois. I?'accomplir : den Kreisgang vollziehen.
. ~n lpter~oger.ref!et comique ..On ~e le manque jamais
SI I abíme jamais n est assez, s'il dou rester - indécis
- entre .le sans-fond et le fond du fond. L'opêration
~e Ia « ~IS~ en a~YI?e» s'occupe toujours (activité, posí-
non ~tfaIree., maIt~lse du suiet) à faire, quelque part,
le plein, piem d'abíme, le plein de l'abime _ tique de Ia [aculté de juger. Heidegger ne Ia nomme pas
I ici mais il Ia défend ailleurs contre Ia lecture de
« un tiers » (ein Drittes) assure Ia circula-
tion, il rêgle l'encerclement. La Mitte, tiers, élément
ARERGON
t milieu, veille à l'entrée dans le cereIe herméneutique
u dans Ie cercIe de Ia dialectique spéculative. L'art
íoue ce rõle. Chaque fois que Ia philosophie détermine
I'art, le maitrise et l'enclõt dans l'histoire du sens ou
s l'encyc1opédie ontologique, elle lui assigne une
onction de médium.
Or celle-ci n'est pas ambiguê, elle est plus ou moins
qu'ambiguê. Entre deux opposés, le tie~ p;ut p~"ci'per,
i1 peut toucher aux deux bords. MaIS I ambiguíté de
participation ne l'épuise pas. Ce qui laisse croire -Ies
croyants - à sa médiateté, cela même peut aussi ne se
rendre à aucun des deux termes, voire à Ia structure de
I'opposition, et peut-être à Ia dialectique en tant qu'elle
urait besoin d'une médiation.
Indice d'un écart : par rapport à toute Ia machinerie
de Ia pose (position/opposi~on, S~tzungIEntge~ense~-
.ung). Alui donner le nom philosophique art, on.1 aurait
domestiqué dans l' économie onto-encyeIopédique et
dans l'histoire de Ia vérité
et Ia place que L' origine
de l' auore d' art reconnait aux Leçons sur l' esthétique
(<< Ia méditation Ia plus compréhensive de 1'0ccident sur
l'essence de l'art ») ne peut être déterminée, dans un~
certaine topographie historique, qu'à partir de Ia Crt-
Nietzsche. Ce qui vaut de Ia dialectique spéculative en
général se précise rigoureusement dans les ~çons :
une affinité essentielle avec Ia Critique, te seul livre -
livre troisiême - qu'elle puisse réfíéchir et se réappro-
prier presque auss~tÔt. ~es deux p~emieres ~ritiques de
Ia raison pure (spéculative et pratique) avaient ouvert
un goutfre apparemment infini. La troisiême pouvait,
 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
devait, aurait da, aurait pu le penser : c'est-à-dire
saturer, accomplir dans Ia réconciliation infinie. « Déjà
Ia philosophie kantienne a non seulement éprouvé le
besoin de ce point de jonction (V ereinigungspunkt) mais
l'a reconnu de façon précise, en a foumi Ia représenta-
tion. )) La troisiême Critique a su identifier dans l'art
(en général) l'un des moyens termes (Mitten) pour
résoudre (auflosen) I' « opposition ))entre l'esprit et Ia
nature, les phénomênes internes et les phénomênes
externes, le dedans et le dehors, etc. Mais elle souffri-
rait encore d'une lacune, d'un « manque » (Mangel),
elle demeurerait une théorie de Ia subjectivité et du
jugement (réserve de principe analogue dans L'origine).
Confinée, unilatérale, Ia réconciliation n'est pas encore
effective. Les Leçons doivent suppléer ce manque dont
Ia structure a comme toujours Ia forme d'une anticipa-
tion représentative. La réconciliation s'annonce seule-
ment, se représente dans Ia troisiême Critique en l'espêce
d'un devoir, d'un Sollen projeté à l'infini.
Et c'est bien l'apparence.
D'une part, Kant déclare « ne vouloir ni pouvoir ))
(§ 22) examiner si le « sens commun ))(ici réinterprété
comme norme indéterminée, non conceptuelle et non
intellectuelle) existe comme principe constitutif de Ia
possibilité de l'expérience esthétique ou bien si, à titre
régulateur, Ia raison nous commande de le produire
(hervorbringen) à des fins plus élevées. Ce sens commun
est sans cesse présupposé par Ia Critique qui en réserve
néanmoins l'analyse. On pourrait montrer que ce sus-
pens assure Ia complicité d'un discours moral et d'un
culturallsme empirique. Nécessité permanente.
D'autre part, rappelant Ia division de Ia philosophie
et toutes les oppositions irréductibles qu'avaient déter-
minées les deux premiêres Critiques, Kant projene bien
le plan d'une eeuvre qui viendrait réduire l' « énigme ))
du jugement esthétique et combler une fente, un clivage,
un abíme (Kluft) : « Si donc un abime à perte de vue
(unübersehbare Kluft ) est établi entre le domaine du
concept de Ia nature, c'est-ã-dire le sensible, et le
domaine du concept de Ia liberté, c'est-à-dire le supra-
sensible, de telle sorte qu'aucun passage (Uebergang)
J
ARERGON 43
n soit possible de 1'un à l'autre (donc au moyen de
I'usage théorique de Ia raison), comm~ entre dC?S mondes
i différents que le premier ne pwss~ ~v01r. aucune
influence (Einfluss) sur le second, celui-ci dou cepen-
nt (s01l doch) avoir une infiuc;nce sur ~~lui-là. [...]
11 faut bien (muss es) par consequent qu il y ait un
fondement de l'unité (Grund der Einheit) ... ))Plus bas,
métaphores ou analogies voisines : il est encore question
d l'immense « abíme ))qui sépare les deux mondes et de
I'impossibilité apparente de jeterun ~nt ,CBrücke)d'une
rive à 1'autre. Appeler cela analogie, ~ est encore ne
rien dire. Le pont n'est pas une analogíe. Le recours à
I'analogie, le concept et l'effet d'analogie sont ou font
I,pont lui-même - et dans Ia Critique et dans toute Ia
puissante tradition à laquelle celle-ci appartient encore.
L'analogie de l'abime et du pont par-dessus l'abime,
c'est une analogie pour dire qu'il doit bien y avoir une
nalogie entre deux mondes absolument hétérogenes,
un tiers pour passer l'abime, cicatriser Ia béance et
P.CIlserl'écart. Bref un symbole. Le pont est un symbole,
il passe d'une rive à l'autre, et le symbole est un ponto
L'abime appelle l'analogie - recours actif de toute
Ia Critique - mais l'~ogie s'abime s~s fin d~ lors
qu'il faut bien un certam art pour décrire analogique-
ment le jeu de l'analogie

lI. LE PARERGON
, • faire l' économie de
I abime : non seulement s'épargner Ia chute dans le
sans-fond en tissant et repliant à 1'infini le tissu art
t~xtuel de Ia reprise, multiplication des piêces à l'inté-
neur ~e~ piêces, m~s aussi établir les lois de Ia réap-
pro.pr1atlOn" f~rma1iser les rêgles qui contraignent Ia
log1~ue,de I ab.1meet font ~anavette entre l'économique
et I aneCOn?m1que, Ia releve et Ia chute, l'opération
abyssale qU1ne peut que travail1er à Ia releve et ce qui
en elle reproduit réguliêrement l'etfondrement
'-- .. quel est donc l'objet de Ia troisiême Critique?
l;a cnnque d~ Ia raison pure théorique suppose l'exclu-
S10n (Ausschltessung) de tout ce qui n'est pas connais-
sance théorique : l'affect (Gefiihl ) dans ses deux
grandes valeurs (plaisir/déplaisir) et le pouvoir de
désirer (Begehrungsvermogen) . Elle ne découpe son
champ qu'en se coupant des intérêts du désir en se
désintéressant du désir. Dês lors que seull'entendement
peut donner des principes constitutifs à Ia connaissance
l'exclusion ~or!e simultanément .sur Ia raison qui trans~
gresse les limites de Ia connaissance possible de Ia
nature. Or les principes a priori de Ia raison, s'ils sont
PARERGON 45
régulateurs à l'égard de Ia faculté de connaitre, sont
constitutifs par rapport à Ia faculté de désirer. La cri-
tique de Ia raison pure théorique exclut donc Ia raison
t le désir, Ia raison du désir et le désir de Ia raison.
De quoi s'agit-il au fond? Du fond.
L'entendement et Ia raison ne sont pas deux facultés
disiointes, elles s'articulent dans un certain travail et
dans un certain nombre d'opérations qui engagent pré-
isément l'articulation, c'est-à-dire le discours. Entre les
deux facultés, en effet, un membre articulé, une troi-
iême faculté entre en jeu. Ce membre intermédiaire
que Kant nomme justement Mittelglied, articulation
moyenne, c'est le jugement (Urteil ). Mais de quelle
nature seront les principes a priori de l'articulation
moyenne? Seront-ils constitutifs ou régulateurs?
Donnent-ils a priori des rêgles au plaisir et au déplai-
ir? L'enjeu de cette question se mesure à ceci : des
principes régulateurs ne permettraient pas de découper
un domaine propre (eigenes Gebiet ),
Le Mittelglied formant aussi l'articulation du théo-
rique et du pratique (au sens kantien), nous nous
enfonçons dans un lieu qui n'est ni pratique ni théo-
rique ou bien à Ia fois pratique et théorique. L'art (en
général) ou plutôt le beau, s'il a lieu, s'inscrit ici. Mais
cet ici, ce lieu s'annonce comme lieu privé de lieu.
11risque, ayant lieu, de n'avoir pas de domaine propre.
Cela ne le prive pas pour autant de jurídiction et de
fondation: ce qui n'a pas de domaine (Gebiet ) ou de
champ (Feld) propre, de « champ d'objets » définissant
son « domaine », peut avoir un « territoire » et un « sol II
( Boden) pourvu d'une « légalité propre » (lntroduction,
111).
Le Mittelglied, membre intermédiaire, doit être en
effet traité comme une partie séparable, une partie
particuliêre (ais ein besonderer Theil ), Mais aussi comme
une partie non particuliêre, non détachable, puisqu'el1e
forme l'articulation entre deux autres, on peut même
dire, avant Hegel, comme partie originaire (Ur-teil ),
11 s'agit en effet du jugement. Le même paragraphe
rappelle qu'une critique de Ia raison pure, c'est-à-dire
de notre faculté de juger d'aprês les principes a priori,
 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
serait « incomplête » (unvo/lstiindig) si une théorie du
;ug~~~, du Mi~telglie~, n'en ~ormait pas une « partie
parttculiere », Mais aU!Sltõt apres, à Ia phrase suivante,
que dans une philosophie pure les principes du juge-
ment ne formeraient pas une partie dêtachée, entre
Ia partie théorique et Ia partie pratique mais pour-
raient être rattachés, annexês (angleschlossen) à chacune
des deux. Kant semble donc vouloir dire deux choses
contradictoires à Ia fois : qu'il faut dégager Ie membre
11 moyen comme partie détachable, opérer Ia partition
de Ia partie mais aussi qu'il faut remembrer le tout en
reformant le nexus, Ia connexion, Ia réannexion de Ia
partie aux deux grandes colonnes du corpus. N'ou-
blions I?as qu'il s'agit ici de jugement (Urteil ), de
Ia fonction de Ia copule dont on se demande si elle
joue un rôle séparable, si elle joue sa propre partition
ou si elle travaille à l'orchestre de Ia raison, au concert
du pratique et du théorique.
Regardons le paragraphe de plus prês, dans Ia préface
de Ia troisiême Critique. 11ne comporte aucune contra-
diction. Ce n'est pas du même point de vue que Ia
section de Ia partie est prescrite et interdite. A l'intérieur
d'une critique de Ia raison pure, de notre faculté de
juger d'aprês des príncipes a priori, Ia partie doit être
détachée et examinée à parto Mais dans une philosophie
pure, dans un « systême de Ia philosophie pure », tout
doit être recousu. La critique détache parce qu'elle
n'est elle-même qu'un moment et une partie du systême.
C'est dans Ia critique que se produit justement le sus-
I pens cntique, le krinein, l'entre-deux, Ia question de
savoir si Ia théorie du jugement est théorique ou pra-
11 tique, puis référée à une instance régulatrice ou constitu-
II tive. Mais le systême de Ia philosophie pure aura dú
comprendre en lui-même le critique et construire un
discours général qui aura et rendra raison du détachable,
Ce systême de philosophie pure, c'est ce que Kant
appelle Ia métaphysique. Elle n'est pas encore possible,
Seule Ia critique peut avoir un programme actue1lement
possible.
La question du désir, du plaisir et du déplaisir est
done aussi Ia question d'un détachement (Di le mot Di
ARERGON 47
le concept n'apparaissent comme reis dans Ia Critique)
qui va elle-même se spécifier, démembrer ou remem-
brer : détachement - séparation d'un membre -, déta-
chement - délégation d'un représentant, signe ou sym-
bole chargé de mission (le beau symbole de Ia moralité,
f. roblêmes de l'hypotypose, de Ia trace ( Spur ), de
, « écriture chiffrée » (Chiffreschrift), du signe clignant
(Wink),. cf. par exemple les §§ 42 et 59), dêtachement,
ttitude désintéressée comme essence de l'expérience
thétique.
Pour dire le rapport des deux possibles (le possible
cruel de Ia critique et le possible à venir de Ia méta-
physique), Kant propose une autre métaphore. li l'em-
prunte déjà à l'art, dont il n'a pas encore été question,
lIa technique de l'architecture, à l'architectonique : le
philosophe pur, le métaphysicien devra opérer comme
un bon architecte, comme un bon technites de l'édífi-
cation. Ce sera une espêce d'artiste. Or que fait un bon
architecte, selon Kant? li doit d'abord s'assurer du
fond, de Ia fondation ou du fondement. « Une critique
de Ia raison pure, c'est-ã-díre de notre faculté de juger
elon des principes a priori, serait incomplête si celle
de Ia faculté de juger qui y prétend aussi pour elle-même
comme faculté de connaítre n'y étaít pas traitée comme
partie détachée; dans un systême de philosophie pure,
cependant, ses príncipes n~ eonstitueraient p~ une p~-
tie détaehée entre Ia theonque et Ia pratique mais
pourraient en cas de besoin (im Nothfalle), à l'occasion
(gelegentlich) être annexés (angeschlossen) par les deux.
Car si un tel systême, sous le nom général de méta-
hYSique, doit un [our se dresser (zu Stande kommen)
Y...], il faut d'abord que Ia critique ait d'avance sondé
le terrain pour cet ~difi.ce, à Ia profondeur ou s~ tient
Ia premíêre fondation (Grundlage) du pouvorr des
príncipes indépendants de l'expérience, afio qu'il ne
sombre [s'effondre, sinke] pas en queIque partie (an
irgend einem Theile), ce qui entrainerait inévitablement
avec soi Ia ruine (Einsturz) du tout. »
Instance propre de Ia critique: l'architecte de Ia raison
fouille, sonde, prépare le terrain. A Ia recherche du fond
pierreux, du Grund ultime sur leque! édifier le tout de
 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
Ia métaphysique. Mais aussi des racines, de Ia racine
commune qui se partage ensuite à Ia lumiêre phéno-
~énale, et qui ne se livre j~~s elle-même à l'expé-
nence. En tant que telle, Ia cntique, sans savoir s'il y
en a, veut descendre au buthos, au fond del'abíme.
11 est encore trop tÕt pour interroger le fonctionne-
ment général de Ia métaphore et de l'analogie dans Ia
troísiême Critique. Ce fonctionnement n'est peut-être
pas simplement réfíéchi par Ia théorie qui, dans le livre,
le comprend et s'y abime,
Nous venons de rencontrer Ia premiêre « métaphore » :
début de Ia Préface (V orrede ). Or à Ia fin de l'Introduc-
tion qui suit ( Einleitung ), et comme pour encadrer
tout le prolégomêne, ce sera Ia métaphore de l'ouvrage
artificiel assurant le passage au-dessus du gouffre
naturel, le pont (Brücke) projeté sur le grand abíme
(grosse Kluft ), La philosophie, qui doit dans ce livre
penser l'art -l'art en général et le beI art - comme
une partie de son champ ou de son édifice, Ia voici qui
se représente elle-même comme une partie de sa partie :
c'est un art de l'architecture. Elle se représente, elle se
détache, détache d'elle-même un mandataire, une partie
d'elle-même auprês d'elle-même pour penser le tout,
saturer ou cicatriser le tout qui souffre de détachement.
La philosophie de l'art suppose un art de philosopher,
art majeur, art de mineur aussi en son préalable critique,
art d'architecte en son érection édificatrice. Et si, comme
il sera dit plus loin, le bel art est toujours un art du génie,
l' Anthropologie du point de oue pragmatique déléguerait
plutõt un Allemand au poste de Ia critique : le génie
allemand se manifeste plutõt du cõté de Ia racine,
l'italien de Ia couronne des feuilles, le français de Ia
fíeur et l'anglais du fruit. Enfin si elle se propose ici,
entre autres choses, de rendre compte du désir, du
plaisir et du déplaisir, cerre philosophie pure ou méta-
physique fondamentale s'expose d'abord et se repré-
sente dans son propre désir. Le désir de Ia raison serait
un désir fondamental, désir du fondamental, et d'aller
au buthos. Non pas un désir empirique puisqu'il conduit
vers l'inconditionné, et ce qui se livre sous les espêces
d'une métaphore déterminée devrait, métaphore de Ia
1II1
ARERGON 49
raison, rendre raison de toute autre métaphore. Elle
figurerait l'être-désir du désir, le désir de Ia raison
mme désir de Ia structure fondée. Le désir édifiant
produirait comme art de philosopher, commandant
tous les autres et rendant raison de toute rhétorique.
De « grandes difficultés » s'annoncent. 11 faut cons-
truire une théorie du jugement comme Mittelglied.
Mais il y aura de « gr~des difficuItés )~(g:osse ScJz:W:rig:
luiten) à trouver au jugement des príncipes a pnor» qw
lui soient propres et qui gardent Ia théorie de l'empi-
risme. On ne peut trouver de concepts a priori que dans
I'entendement. La faculté de juger s'en sert, elle les
applique, mais elle ne dispose pas de concepts qui lui
appartiennent ou lui soient spécifiquement réservés.
Le seul concept qu'elle puisse produire, c'est un concept
vide, en queIque sorte, et qui ne donne rien à connaitre.
Par lui, « aucune chose n'est proprement connue »,
11fournit une « rêgle » d'usage qui ne comporte aucune
objectivité, aucun rapport à l'objet, aucune connaissance.
La regle est subjective, Ia faculté de juger se norme
elle-même, et elle doit le faire, faute de quoi il faudrait
convoquer, à l'infini, une autre faculté d'arbitrage. Et
pourtant cette rêgle subjective s'applique à des juge-
ments, à des énoncés qui prétendent structurellement
• l'objectivité universelle.
Telle serait Ia diffi.culté, Ia contrainte, Ia confusion, Ia
Verlegenheit. Elle semble confirmer un certain verdict
hégélien, puis heideggerien : ce discours sur le beau et
sur l'art, pour en rester à une théorie du [ugement,
s'embarrasse dans l'opposition - dérivée - du sujet
et de l'objet.
Du beau et de l'art, il n'a pas encore été questiono
Rien, jusqu'iei, dans Ia Préface, n'annonçait qu'il düt
en être questiono Or voiei que cette « grande diffículté »
de principe (subjectif ou objectif), Kant déclare qu'elle
« se trouve » (findet sich ), qu'elle se rencontre « prinei-
palement » (hauptsãchlich ) dans les jugements « qu'on
appelle esthétiques I). Ceux-ci auraient pu constituer
un exemple, si important soit-il, une grande occur-
rence de Ia « difficulté I). 11s'agit en vérité de I'exemple
principal, de l'exemplaire unique qui donne le sens
 50 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
et oriente Ia multiplicité. L' examen de cet exemple,
à savoir du domaine esthétique, forme le morceau de
ch~ix, Ia « piece. l.a plus importante » (die wichtigste
St~k) ,de Ia cntl9ue de Ia facu1té de juger. Bien
qu ils .n apport~t nen à Ia connaissance, les jugements
esthétíques relevent, en tant que jugements, de Ia
seule fa~t~ de connai~e~ qu'ils mettent en rapport
avec le plaísir ou le déplaisir selon un principe a priori.
Ce rapport de Ia connaissance au plaisir se révêle ici
dans sa pureté puisqu'il n'y a rien à connaitre, mais
telle est justement l'énigme, l'énigmatique (das Rãt-
selhafte) au ~reur du jugement. C'est pourquoi une
«s~o~ spéciale» (besondere Abteilung), un découpage
particulíer, un secteur découpé, une partie détachée
forment l'objet de Ia troísiême Critique.
II ~e fa~t pas ,attendre d'elle ce qu'en principe, dans
s?n intennon declarée, elle ne promet pas. Cette cri-
nque du goüt ne concerne pas Ia production, elle n'a
en vue ni Ia « formation » ni Ia « culture », qui s'en
passent fort. bien. Et c:omme Ia Critique montrera qu'on
ne peut assigner de regles conceptuelles au beau, il ne
s'agira pas de constituer une esthétique, füt-elle générale,
mais bien d'ana1yser les conditions de possibilité for-
melles d'un jugement esthétique en général, donc d'une
objectivité esthétique en général.
Sur cette visée transcendantale, Kant demande
qu'on le lise sans indulgence. Mais pour le reste, il
r~~t les manqu~, le c:uactere Iacunaire (Mangelhaf-
ugkeit) de son ttavail. e est le mot dont se sert aussi
Hegel.
A q~o,i ti~t le manq';le? De quel manque s'agit-il?
Et SI~ était Ie cadre. SIIe ~que formait le cadre de
Ia théone. Non pas son accident mais son cadre. Plus
ou moins encore : et si le manque était non seu1ement
Ie manque d'une théorie du cadre mais Ia pIace du
manque dans une théorie du cadre.
Arête/manque
Le « caractêre lacunaire » de son travail selon Kant
du moins, tiendrait au fait que Ia nature ; embrouillé,
ARERGON 51
mpliqué, emmêlé (verwickelt) les problêmes. Les
cuses de l'auteur se limitent à Ia premiêre partie de
I'ouvrage, à Ia critique du [ugement esthétique, et non
Ia critique du jugement téIéologique. C'est seulement
s Ia premiêre partie que Ia déduction n'aura pas Ia
larté et Ia distinction (Deutlichkeit ) qu'on serait pour-
t en droit d'attendre d'une connaissance par concepts.
prês avoir déploré que Ia nature ait mêlé les fíls, au
moment ou il acheve son ceuvre critique (Hiemit endige
ICh also mein ganzes kritisches Geschãft ), en reconnais-
ant des lacunes et en projetant un pont par-dessus
I'abime des deux autres critiques, Kant' parle de son
ge. 11 doit gagner du temps, ne pas accumuler le
retard, se presser vers Ia doctrine
1__
plaisir pur,
il s'agit du plaisir. De penser le
l'être-plaisir du plaisir. Partie du plaisir,
c'est pour lui que Ia troisiême Critique fut écrite, pour
lui qu'elle doit être lue. Plaisir un peu aride - sans
concept et sans jouissance -, plaisir un peu strict mais
on y apprend encore une fois qu'il n'est pas de plaisir
uns stricture. A me laisser conduire par le plaisir [e
reconnais et dévoie du même coup une injonction. Je
Ia suis : l' énigme du plaisir met tout le livre en mouve-
ment. Je Ia séduis : en traitant Ia troisiême Critique
comme une ceuvre d'art ou un bel objet, ce qu'elle
n'était pas simplement destinée à être, je fais comme si
Yexistence du livre m'était indi1férente (ce qui, nous
explique Kant, est requis par toute expérience esthé-
tique) et pouvait être considérée avec un imperturbable
détachement.
Mais qu'est-ce que l'existence d'un livre?
I. Je Ia suis. La possibilité du plaisir est Ia questiono
Démonstration : les deux premiers paragraphes du Pre-
mier moment du jugement de gout considéré au point de oue
de Ia qualité, Livre premier (Analytique du beau] de Ia
premiêre Section (Analytique du jugement esthétique )
de Ia premiêre Partie (Critique du jugement esthétique ).
 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
Pourquoi appeler esthêtique un jugement de goüt
C'est 9ue, pour distinguer si une chose peut être dite
belle, re ne consulte pas le rapport de Ia représentation
à l'objet, en vu~ d'une connaiss~ce (le jugement de goüt
ne nous en livre aucune) mais son rapport au sujet
et à son affect (plaisir ou déplaisir), Le jugement de
goüt .n'est pas ';ID jug~~nt de connaissance, il n'est pas
« l?gtque » ~alS ~ubJectlf et donc esthétique : rapport
à I affect (aisthesis ), Tout rapport de Ia représentation
peut. éveI?-tuellement être objectif, même un rapport
sensible; J~a!s le plaisir ou le déplaísir, Des représen-
tanons esthétiques peuvent certes donner lieu à des
!ugements 10fiq~es lor~qu'elles sont rapportées par le
rugement à I obiet, mais quand le jugement lui-même
se rapporte au sujet, à l'affect subjectif - c'est ici le cas
- il est et ne peut être qu'esthétique.
Ce qu'on traduit en général par satisfaction subjective,
le Wohlgefallen, le plaire qui détermine le jugement
esthétique, doit être, on le sait, désintéressé. L'intérêt
(Interesse) nous rapporte toujours à l'existence d'un
objeto Ie suis intéressé par un objet quand son existence
(Existenz) m'importe d'une maniêre ou d'une autre.
Or Ia question de savoir si je puis dire d'une chose
qu'elle est belle n'aurait, intrinsêquement, rien à faíre
av~c l'intérêt que je. porte ou ne porte pas à son
CXl.stence.Et mon plaisir (Lust ), certe espêce de plaire
qui se nomme plaisir et que j'éprouve devant ce que je
juge beau, requiert une indífférence ou plus rigoureuse-
ment un manque d'intérêt absolu pour l'existence de Ia
chose.
Ce plaisir pur et désintéressé (non pas indifférent :
H~idegger reproche ici ~ ~ietzsche de n'avoir pas com-
pns l~ .strue.ture non indifférente de ce laisser-être),
ee plaisir qui me tend vers une non-existence ou du
moins vers une chose (mais qu'est-ce qu'une chose?
néeessité de greffer ici Ia question heideggerienne) dont
l'existence m'est indifférente, un tel plaisir détermine
le jugerD:ent de go.ut et l'énigme du rapport endeuillé
- travail du deuil d'avance entamé - à Ia beauté.
Comme une sorte de réduetion transeendantale, l' époche
d'une thêse d'existence dont le suspens libere, dans
ARERGON 53
ê
rtaines conditions formelles, l'affection pure du plaísir.
On eonnait l'exemple. Je suis devant un palaís. On
e demande si je le trouve beau, ou plutõt si je puis
ire « ceei est beau ». Il s'agit de jugement, de jugement
e valeur universelle et tout doit done pouvoir se pro-
uire sous forme d'énoncés, de questions et de réponses.
ien que l'affect esthétique ne se laisse pas .rédui~e,
l'instance du jugement eommande que Je pwsse dire
« ceei est beau II ou « ceei n'est pas beau ».
Le palais dont je parle est-il beau? Tout~ sorte. ~e
réponses peuvent tomber à côté. de Ia quesnon. SI re
is : je n'aime pas les choses faltes pour les badauds
u bien, eomme le sachem iroquois, je préfêre les gar-
ortes, ou bien, à Ia Rousseau, il y a là un signe de .Ia
vanité des grands qui exploitent le peuple pour produire
des choses frivoles, ou bien si j'étais dans une lle déserte
t si j'en avais les moyens, [e ne me donnerais tout de
même pas Ia peine de l'r faíre ~porter, ~tc.,. a~cune
de ces réponses ne constitue un Jugemen~ mtnnseq1;le-
ment esthétique. J'évalue en effet ce palais en fonCt1o~
de motifs extrinsêques, en termes de psychologle empi-
rique, de rapports de production économique, de struc-
rores politiques, de causalité technique, ete. .
Or il faut savoir de quoi l'on parle, ee qui coneerne
j"trinsequement Ia valeur de beauté et ee qui reste exté-
rieur à son sens immanent de beauté. Cette requête
permanente - distinguer entre le sens interne ou
propre et Ia cireonstanee de l'obiet dont on parle -
organise tous les discours philosophiques sur l'art, le
sens de l'art et le sens tout court, de Platon à Hege1,
Husserl et Heidegger. Elle présuppose u;t ~sco~rs s~
Ia limite entre le dedans et le dehors de I obiet d art, IC1
un discours sur le cadre. Ou le trouve-t-on ?
Ce qu'on veut ~avoir, se~on ~~t, en me ~~andant
ije trouve ee palais beau, c est SI je tro.uve qu ~ es~beau,
autrement dit si Ia seule représentation de I obiet -
en elle-même, dans elle-même - me plait, si elle
produit en moi un plaisir, quelque indiffére~t (gleich-
gUltig) que je reste à l'~xistenee d~ eet objet .. « O~
voit facilement que ee qui compre, c est ce que ie fais
en moi-même de cette représentation, non pas ce en
 S4 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
qu?i je ~épen~~ de l'exístence de cet obiet, pour que je
p1l!sse dire qu il ~t beau et .pour démontrer que j'ai du
gout, ,Chacun doit reconnartre que le jugement sur Ia
beauté ou se mêle, si peu que ce soit, l'intérêt est três
p~al et nullement un jugement de goüt pu:. On ne
~Ol~pas être le moins du monde prévenu en faveur de
I exIsten~e de Ia chose (Existenz der Sache ) mais être
de ce pomt de vue tout à fait indifférent pour jouer le
rô~e du ,ug~ eI?-matiêre de goft~..Mais nous ne pouvons
mIe.ux éc1~cIr cerre proposinon d'une importance
capl~e q~ en opposant Ie plaire pur et désintéressé
(umn~eres~rten. ~ohlgefallen) dans le jugement de goüt
à celui qui est lie [uerbunden ) à l'intérêt : surtout quand
nous pouvons être en même temps certains qu'il n'y a
paa d'autres espêces d'intérêt que celles que nous allons
mamtenant nommer. » Il s'agit de l'intérêt pour l'exis-
tence de l'agréable et pour l'existence du bon
un plaisir désintéressé : Ia formule est trop
connue, trop reçue, comme Ia fin de non-recevoir
qu'elle n'a cessé de provoquer. Colêre de Nietzsche et
d' Artaud : le désintérêt ou le désintéressement sont de
n:op~ ~urmure. médítant de Heidegger, à Ia fio de
L ongme : Ie plaisír est superftu ou insuffisant.
.N~ pas s~ hâter .de conclure quand il s'agit du plaisir.
lei ~ un plaísir qw serait, donc, pur et désintéressé, qui
se livre.ratt. aInSI dans Ia pureté de son essence, sans
con~~anon 'par I~ dehors. n ne dépend plus d'aucune
empírícné phenomenale, d'aucune existence détermi-
née, ni celle de l'o~j~t ni celle d~ sujet, mon empiricité
me rapportant précísément à I'existence de l'objet beau
ou à l'existence de ma motivation sensibIe. En tant qu~
tel, et considéré intrinsêquemenr (mais comment déli-
~t~r I'intrinsêque, c~ .qui court le long, secus, de Ia
limite illt~me ?), Ie.pIaISlrsuPP?se ~on pas Ia disparition
pure et símple mais Ia. neutralísation, non pas simple-
m~t Ia mise à mort mais Ia mue en crypte de tout ce qui
existe en tant qu'il existe. Ce pIaisir est purement sub-
ARERGON 55
tectif : dans le jugement esthétique il ne désigne
(beseichnet ) rien de l' objeto Mais sa subjectivité n' est
une existence, ni même un rapport à I'existence.
'est une subjectivité in- ou anexistante s'élevant sur Ia
crypte d~ sujet ~piriq~e e~ d~ tout son m?nd~.
Et qui, elle, neanmoms jouit. Non, ne jouit pas :
t distingue Ie plaisir (Wohlgefallen, Lust ) de Ia
touissance (Genuss). Prend du pIaisir. Non, car elle Ie
çoit aussi bien. Si Ia traduction de Wohlgefallen par
plaisir n'est pas tout à fait rigoureuse, celle par satisfac-
lion encore moins, le plaire risque d'incliner vers
I'~éable et de laisser croire que tout vient de l'objet
qw plait. En vérité, dans Ie Wohlgefallen, [e me plais,
mais sans complaisance, ie ne m'intéresse pas, surtout
pu à moi en tant que j'existe, je-me-plais-à. Non pas à
quelque chose qui existe, non pas à faire quoi que ce soit.
Je-me-plais-à-me-plaire-à - ce qui est beau. En tant
qu'il n'existe pas.
Comme cet affect du se-plaire-ã reste de part en part
ubjectif, on pourrait parler ici d'une auto-affection.
te rõle de l'imagination et donc du temps dans tout ce
discours le confirmerait. Rien d'existant, en tant que teI,
rien qui soit dans le .temps et dans I'~pa~ ne p~t
produire cet affect qui s'affecte donc lui-même de lui-
même. Et pourtant le se-plaire-à, le à du se-plaire
indique aussi que cette auto-affection sort immédiate-
ment de son dedans : c' est une hétéro-affection pure.
L'affect purement subjectif est provoqué par ce qu'on
ppelle le beau, ce qu'on dit qui est beau : dehors, dans
l'objet et indépendamment de son existence. D'oü le
csractêre critique et indispensable de ce recours au
iugement : Ia structure de I'auto-affection est telle qu'elle
'affecte d'une objectivité pure dont on doit dire « elle
eu belle » et « cet énoncé a valeur universelle », Il n'y
urait pas de problême - ni de discours sur l'art -
autrement. Le tout-autre m'affecte de plaisir pur en me
privant à Ia [ois de concept et de jouissance. Sans ce tout-
autre, pas d'universalité, de requête d'universalité,
mais pour Ia même raison, quant à lui, pas de jouissance
(sínguliêre, empirique, existante, intéressée) ni de
concept déterminant ou de connaissance. Rien encore
 56 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
~e pratique ni de théorique. L 'hétéro-affection Ia plus
l~éductible habite --:- intrinsequement - I'auto-affec-
non .Ia plus elose, voilà Ia « grosse Schwierigkeit » : elle
ne. tlent. pas à Ia confortable installation d'un couple
su}etjobJet fort dérívé, dans un espace judicatif survenu.
Ni à quelque engrenage huilé de mimesis homoiosis
adaequatio. On sait qu'au premier abord' du moins'
Kant reiette Ia valeur d'imitation. Quant à l'homoiosi;
ou à I'adaequatio Ia chose est au moins compliquée dês
lo~ qu'on n'a plus affaire à un jugement déterminant
.~alS ~ ~ jugemeat réfíéchissanr et que Ia res en ques-
non n existe pas, en tout cas n'est pas prise en compre
dans son existence de chose. C'est au terme d'un tout
autre itinéraire que nous vérifierons l'efficace de ces
val~ (mimesis, homoiosis, adaequatio ) dans le discours
kantien 1
I- '. . ne (me)
r~te pres<;luenen : ~ l~ chose, 01 son existence, ni Ia
mienne, 01 le pur obiet 01 le pur sujet, aucun intérêt de
~en qui soít à rien qui soit. Et pourtant j'aime : non,
c est encore trop, c'est encore prendre intérêt à l'exís-
tence, s~s dou,~e. Je n'aime pas mais ie prends laisir
à ce qui ne m mtéresse pas, à ce du moins qu il est
e l'objet beau qui ne doit I?as ~ous intéres~e! en t~t
indiffére~t que j'aime ou n'aime pas. Ce plaisir que je
prends, je ne .Ie prends pas, je .Ie rendrais plus tÕt, ie
rends ce que je prends, Je reçois ce que je rends, je ne
pr~n~s p~s ce q~e je reçois. Et pourtant je me le donne.
Puis-je dire que re me le donne ? 11 est si universellement
obiectíf - dans Ia prétention de mon jugement et du
sens ~~un - qu'~ ~e peut venir que d'un pur dehors.
Inassirnilabíe, ~ Ia limite, ce pIaisir que je me donne ou
auq~;t plutõt J~ me do~e, par lequel je me donne, je
ne I eprouve meme pas, SIéprouver veut dire ressentir :
I. Economimen's, in Mim,sis (en collaboration avec S. Agacinski, S. Kof-
man,. Ph. Lacouc-Lab.arthe, J.-L. Nancy, B. Pautrat). Coll .• La philo-
sophíe en eft'et., AubJer-Flammarion, 1975.
AlERGON 57
hénoménalement, empiriquement, dans I'espace et
le temps de mon existence intéressée ou intéres-
te. Plaisir dont l' expérience est impossible. Je ne le
rends, ne le reçois, ne le rends, ne le donne, ne me le
nne jamais parce que je (moi, sujet e,xi:s~t). n'ai
ais accês au beau en tant que tel. Je n 3.1Jam3.1Sde
laisir pur en tant que j'existe.
Et pourtant il y en a, du plaisir, il en reste encere;
., y a, es gibt, ça donne, le plaisir est ce que f~ donne;
ur personne mais il en reste et c'est le meilleur, le
lus puro Et c'est ce reste qui fait parler, puisq,':le c:es~,
core une fois, du discours sur le beau qu il s agit
'bord de Ia discursivité dans Ia structure du beau
non 'seulernent d'un discours qui surviendrait au
u.
2. Je Ia séduis : en traitant Ia troisiême Critique .comme
une eeuvre d'art, je neutralise ou encrypte son existence.
Mais je ne pourrai savoir si je dois, pour le faire, m'au-
oriser de Ia Critique tant que je ne saurai pas ee qu'est
l'existenee d'une ehose, et done I'intérêt pour l'existenee
'une ehose. Qu'est-ce qu'exister, pour Kant? Etre
présent selon I'espace et le temps, comme chose
individ~elle : selon Ies conditions de l'esthétique trans-
c:endantale. Rien de moins esthétique en ce sens que
qu' aistheton. Mais cette mexIstence. e.sthetlq~e ~o~t
m'affecter et c'est pourquoi le mot esthétique est justifié,
dês le départ, dans son mainti~n., ..
Quand I'obiet (beau) est un livre, <;luest-ce qui existe
et qu'est-ce qui n'existe pIus? Le livre ne se conf<;md
pas avee Ia multiplicité sensibIe de ses exemplaires
exístants. L'objet livre se présente donc comme tel,
dans sa structure intrinsêque, eo~e indépen~t ~~
copies. Mais ce qu'on appellerait alors son idéalité
n'est pas pur, une analyse três différenciée doit la
distinguer de I'idéalité en général, ~~ .ce~~ d:autres
types d'objet, et quant à I'art, de l'idéalité d autres
classes de livres (roman, poésie, ete.) ou d'objets d'art
non discursifs ou non livresques (peinture, sculpture,
musique, théâtre, etc.), Dans c~aque cas Ia. s~rueture
d'exemplarité (unique ou multiple) est originale et
 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
prescrit donc un affect différent, Et dans chaque cas
reste à savoir le cas qu'on fait du cas, si on le laisse
tomber ou si on le retient, comme un excrément extrin-
seque ou une idéalíté intrinsêque,
Un exemple, mais en abime : Ia troisiême Critique.
Comment traiter ce livre. Est-ce un livre. Qu'est-ce
qui en ferait un livre. Qu'est-ce que lire ce livre. Com-
ment le prendre. Ai-je le droit de dire qu'il est beau.
Et d'abord de me le demander --I
1_-
l'ordre.
par exemple Ia question de
Un objet d'art spatial, dit plastique, ne prescrit
pas nécessairement un ordre de lecture. Je peux me
déplacer devant lui, commencer par le haut ou par le
bas, parfois tourner autour. Cette possibilité a sans
doute une limite idéale. Disons pour l'instant que Ia
structure de cette limite laísse un jeu plus grand que
dans le cas des objets d'art temporels (discursifs ou
non), sauf si un certain morcellement, une mise en
scêne spatiale précisément (une partition effective ou
virtuelle) permet de commencer en plusieurs lieux, de
faire varier le sens ou Ia vitesse.
Mais un livre. Et un livre de philosophie. S'il s'agít
d'un livre de métaphysique au sens kantien, donc de
philosophie pure, on peut en droit y accéder de n'im-
porte ou: c'est une espêce d'architecture. Dans Ia troi-
siême Critique, il y a de Ia philosophie pure, il en est
question et le plan en est tracé, Dans Ia mesure de l'ana-
logie (mais comment Ia mesurer) on devrait pouvoir
commencer partout et suivre n'importe quel ordre,
encore que Ia quantité et Ia qualité, Ia force de lecture
puisse dépendre, comme pour une architecture, du
point de vue et d'un certain rapport à Ia limite idéale
- qui fait cadre. Mais il n'y a jamais que des points de
vue : Ia solidité, l'existence, Ia structure de l'édifice n'en
dépendent pas. Peut-on le dire, par analogie, d'un livre.
On n'accêde pas forcément à une architecture en suivant
l'ordre de sa production, des fondations pour en arriver
ARERGON S9
u falte. Et il faut distinguer ici entre Ia perception,
l'analyse, Ia pénétrati?n, l'uti1is~tion, ,:oire Ia d.estruc-
n. Mais lit-on un livre de philosophie pure SI on ne
ence pas par les fondements et si 1'on ne suit pas
l'ordre juridique de son écríture. Qu'est-ce. alors que
re de Ia philosophie et doit-on seulement Ia lire. ~rt.es,
l'ordre juridique soutenu par les fondements ne comede
avec l'ordre du fait : par exemple, Kant a écrit son
troduction aprês le livre et c' est I'effort le plus puis-
t pour rassembler tout I~ systême d.e sa philos'?I?hie,
nder en droit tout son discours, articuler Ia cnnque
ur Ia philosophie. L'introduction suít, le fondement
vient aprês avoir prévenu. Mais. même s'il était acquis
u'en droit, dans Ia métaphysique au sens kantíen,
faut commencer par le fondement, Ia critique n'est pas
métaphysique : elle est, d' abord, à Ia recherche du
ndement (aussi vient-il en fait apres), suspendue
mme une grue ou une drague au-dessus de Ia fosse,
ravaillant à gratter, fouiller, déblayer, dégager un ter-
rain sür. Dans que! ordre lire une critique. L'ordre de
't ou 1'ordre de droit, L'ordo inveniendi ou l'ordo
ponendi. Toutes ces questions diffêrent, se subor-
onnent les unes aux autres et quelle qu'en soit l'am-
leur interminable, elles valent en général pour tout
texte critique
une complí-
tion supplémentaire nous contraint à reeonsidérer
I'agencement de tout~ =
tique n'est pas une cnnque p~
questio~s., La troisiême C~-
d autres. ~on obiet
pécifique a Ia forme d'.un cerram type de lugement
le jugement réfíéchissant - qUI travaille (sur)
I'exemple d'une façon três singuliêre. La dis~ction
entre jugement réfléchissaat et jugement détermínant,
distinction familiêre et obscure, surveille tous les par-
tages intérieurs du livre. Je Ia rappe11edans sa généralité
la plus pauvre. La facu1té de juger en général permet de
penser le particulier comme contenu sous le général
 60 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
(rêgle, príncipe, loi). Lorsque Ia généralíté se donne
d'abord, l'opération du jugement subsume et détermine
le particu1ier. Elle est déterminante (bestimmend) elle
précíse, rétrécit, comprend, resserre. Dans l'hypothese
contraíre, le jugement réfléchissant (refiectirend) ne dis-
pose que du particu1ier et doit remonter, faire retour
y~rs Ia générali~é : l'exempl~ (c'est ce qui nous importe
IC1) y est donne avant Ia 101 et permet de Ia découvrir
dans son unicíté même d'exemple. Le discours scienti-
fique ou logique courant procede par jugements déter-
minants, les exemples suivent pour déterminer ou, dans
un dessein pédagogique, pour illustrer. Dans l'art et
dans I,a vie, partout ou ,l'on doit, selon Kant, procéder
à des iugements réfíéchíssants et supposer (par analogie
avec l'art : nous viendrons plus loin à cette rêgle) une
finalité dont nous n'avons pas le concept, l'exemple
précêde. S'ensuit.une historicité singuliêre et (temps de
simulacre compris) une certame ficture (réglée, relative)
du théorique
enm'autori-
sant de cette brisure réfíéchíssante, je commence ma
lecture de Ia troisiême Critique par des exemples.
Cette docilité est-elle perverse. Rien ne permet encore
d'en décider.
]e commence donc par des exemples : non par I'In-
troduction, qui donne les lois, ni par le début du livre
(I'analytique du beau). Ni par le milieu ni par Ia fin,
mais quelque part vers Ia conclusion de l'analytique du
beau, au paragraphe 14. 11 s'intitule Eclaircissement
par des exemples (Erlaüterung durch Beispiele).
Son intention Ia plus évidente est d'éclairer Ia struc-
ture de « l'obiet propre du pur jugement de goüt ))
(den eigentlichen Gegenstanâ des reinen Geschmacksur-
ARERGON 61
lMils). J e ne vais même pas en retenir tous les exemples,
seulement quelques-uns et je laisse provisoirement de
té Ia três retorse théorie des couleurs et des sons, du
essin et de Ia composition qui se déploie entre les deux
ragments que je traduis ici. A moins qu'elle ne s'en
rouve du même coup entamée. J'en suppose en tout
Ia lecture.
« Les jugements esthétiques peuvent, tout comme les
jugements théoriques (logiques) être classés en juge-
ments empiriques et jugements purs. Les premiers
énoncent l'agréable ou le désagréable d'un objet ou de
n mode de représentation, les seconds énoncent Ia
beauté de cet objet ou de son mode de représentation :
eeux-là sont des jugements des sens (jugements esthé-
iques matériels), ceux-ci (en tant que formels) sont
euls à proprement parler des jugements de goüt
(allein eigentliche Geschmacksurtheile),
« Un jugement de goüt n'est donc pur que dans Ia
mesure ou aucun plaisir (Wohlgefallen) simplement
empirique n'est mêlé à sa détermination fondamentale
(Bestimmungsgrunde). Cela survient néanrnoins chaque
fois que l'attrait (Reiz ) ou l'émotion (Rührung) ont
part au jugement (einen Antheil an dem Urtheile haben)
par lequel quelque chose doit être déclarée belle.
...
[ ]
« Toute forme des objets des sens (des sens externes
u aussi bien, médíatement, des sens internes) est ou
bien figure (Gestatt ) ou bien jeu (Spiel); dans ce der-
nier cas ou bien jeu des figures (dans l'espace, c'est Ia
mimique et Ia danse) ou bien simple jeu des sensations
(dans le temps). L'attrait (Reis) des couleurs ou des
ons agréables de l'instrument peut s'y ajouter (hinzu-
kommen), mais le dessin (Zeichnung) dans le premier cas
r Ia composition (Composition) dans I'autre constituent
I'objet propre du pur jugement de goüt; et que Ia pureté
des couleurs aussi bien que des sons, ou encore leur
multiplicité variée et leur contraste paraissent contribuer
(beizutragen) à Ia beauté, cela ne veut pas dire pour
utant que, parce qu'ils sont agréables pour eux-mêmes,
11 fournissent au plaisir de Ia forme (Wohlgefallen an
der Form) un supplément de même nature (einen
 62 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
gleichartigen Zusate}, mais bien plutõt qu'ils donnent
à voir (anschau/ich machen) cette forme de maniere
seulement plus exacte, précise et complete (nur genauer,
bestimmter und vollstiindiger) et, de surcroít, animent
Ia représentation par leur attrait en éveillant et mainte-
nant l'attention sur l'objet lui-même.
« Et même ce que 1'0n nomme omements [Zierathen:
décoration, agrément, enjolivement] (Parerga ), c'est-ã-
dire ce qui n'appartient pas intrinsêquement à toute
Ia représentation de I'objet comme sa partie intégrante
mais seulement comme additif extérieur (was nicht in
die ganze Vorstellung des Gegenstandes ais Bestandstück
innerlich, sondem nur õusserlich. ais Zutha: gehõrt ) et
augmente le plaisir du goüt, ne te fait toutefois que par
sa forme: comme les cadres (Einfassungen) des tableaux
ou les vêtements des statues, ou les colonnes autour des
édifices somptueux. Mais si l'omement ne consiste pas
lui-même en une belle forme, s'il est comme le cadre
doré (goldene Rahmen) simplement appliqué (ange-
I bracht ) pour recommander le tableau à notre assenti-
I1
ment par son attrait, on le nomme alors parure
( Schmuck) et il fait tort à Ia beauté authentique I cõté, il touche et coopere, depuis un certain dehors,
I
théorie qui marcherait comme sur des rou-
lettes
les
vêtements des statues - par exemple - seraient donc
des omements : parerga.
ARERGON
Kant s'explique ailleurs sur Ia nécessité de recourir
ux langues mortes et savantes. Le grec confere ici
ne dignité quasi conceptuel1e à Ia notion de ce hors-
'oeuvre qui ne se tient pourtant pas simplement hors
'oeuvre, agissant aussi à cõté, tout contre l'ceuvre
( ergon ) . Les dictionnaires donnent te plus souvent
hors-d'oeuvre )),c'est Ia traduction Ia plus stricte, mais
ussi « objet accessoire, étranger, secondaire », « supplé-
ent », « à-cõté )), « reste », C'est ce que ne doit pas
evenír, en s'écartant de Iui-même, le sujet principal :
l'éducation des enfants dans Ia Iégislation (Lois, 766 a)
u Ia définition de Ia science (Thêétêt», 184 a) ne doioen:
pas être traitées en parergon. Dans Ia recherche de Ia
use ou Ia connaissance des principes, ilfaut éoiter que
1 parerga l'emportent sur l'essentiel (Ethique à Nico-
maque, 1098 a 30). Le discours philosophique aura
touiours été contre le parergon. Mais qu'en aura-t-il été
du contre.
Un parergon vient contre, à cõté et en plus de I' ergon,
du travail fait, du fait, de l'eeuvre mais il ne tombe pas
u-dedans de l'opération. Ni simplement dehors ni
implement dedans. Comme un accessoire qu'on est
bligé d'accueillir au bord, i bordo 11est d'abord l'à-bord.
L'à-bord, si nous voulions jouer un peu - pour Ia
poétique - à l'étymologie, nous renverrait au haut
allemand bort, (table, planehe, bord d'un vaisseau).
u Le bord est done proprement une planehe; et l'étymo-
logie permet de saisir l'enchainement des significations.
La premiêre est cel1ede bord d'un vaisseau, c'est-à-dire
ouvrage fait en planches; puis, par métonymie, ce qui
borde, ce qui renferme, ce qui limite, ce qui est à
l'extrémité. II Dit Littré,
Mais I' etymon aura toujours eu, pour qui sait lire, ses
effets de bordo
Le bateau n'est jamais loin quand on manie des
figures de rhétorique. Bordel a Ia même étymologie,
c'est facile, d'abord une petite cabane en bois.
Le bord est de bois, en apparence indifférent comme
le cadre d'une peinture. Avee Ia píerre, mieux que Ia
pierre, te bois nomme Ia matiêre (hyle veut dire bois).
LA VBRITI! BN PBINTUlUI 3
 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
Ces questions du bois, de Ia matíere, du cadre, de Ia
limite entre le dedans et le dehors doivent, quelque part
en marge, se constituer ensemble.
Le parergon, ce supplément hors d'oeuvre, s'il a le
statut d'un quasi-concept philosophique, doit désigner
une structure prédicative forme1le, générale, qu'on peut
transporter intacte ou réguliêrement déformée, reformée,
dans d'autres champs, pour lui soumettre de nouveaux
contenus. ar Kant se sert ailleurs du mot parergon :
Ie contexte en est três différent mais Ia structure analogue
et aussi problématique. On le trouve dans une três
longue note ajoutée lors de Ia seconde édition de La
Religion dans les limites de Ia simpie raison. Ce lieu, Ia
forme de ce lieu importe beaucoup.
A quoi Ia Note est-e11e ajoutée? A une Remarque
générale qui clõt Ia deuxiême Partie.
ar qu'est-ce que le parergon? c'est le concept de Ia
remarque, de cette Remarque générale, en tant qu'elle
définit ce qui vient s'aiouter à La religion dans les limites
de Ia simpie raison sans en faire partie et sans pourtant y
être absolument extrinsêque. Chaque Partie du livre
comporte une Remarque générale (AIIgemeine Anmer-
kung), parergon qui conceme un parergon. Comme il y a
quatre Parties dans La Religion, ce1le-ci se trouve en
quelque sorte eadrée, mais aussi quadrillée par ces
quatre Remarques sur des parerga, des hors-d'eeuvre,
des ee adjuvants » qui ne sont ni dehors ni dedans.
Le début de Ia Note surajoutée, dans Ia deuxíême
édition, à Ia premiêre des Remarques générales, définit 1e
statut de Ia Remarque comme parergon : ee Cette
Remarque générale est Ia premíêre des quatre qui ont
été ajoutées [angeMngt : appendues, comme des appen-
dices] à chaque morceau de cet écrit (jedem Stück
dieser Sehrift) et qui pourraient avoir pour titre : I. Des
effets de Ia grâce, 2. des miracles, 3. des mystêres, 4. des
moyens de Ia grâce, Ce sont en quelque sorte des
parerga de Ia religion dans les limites de Ia raison pure;
e1les n'en sont pas des parties intégrantes (sie gehOren
nieht innerhalb dieselben) mais e1les y confinent Caber
stossen doeh an sie an : elles Ia touchent, Ia poussent,
Ia pressent, se pressent contre elle, cherchent le contact,
ARERGON
ercent une pression à Ia frontiêre]. La raison,
nsciente de son impuissance (Umiermõgens} à satis-
aíre son besoin moral [le seul qui devrait, aurait dü
nder Ia religion dans les limites de Ia simple raison]
'étend iusqu'à ces idées transcendantes, susceptibles
e combler ce manque (die jenen Mangel ergãnsen},
aos toutefois se les approprier (sich zuzueignen) comme
un accroissement de son domaine (Besitz, possession).
e ne conteste ni Ia possibilité ni Ia réalité des objets
e ces ídées mais elle ne peut les admettre dans ses
maximes pour penser et agir. Elle compte même que si,
dans l'insondab1e champ du surnaturel, il y a quelque
hose de plus (noch euoas mehr) que ce qu'elle peut.se
rendre inte1ligible et qui serait cependant nécessaíre
pour suppléer [trad. Gibelin pour Erganzung] à son
insuftisance morale, cette chose, même inconnue, vien-
dra secourir (zu statten kommen) sa bonne volonté,
arAce à une foi que I'on pourrait appeler (quant à s~
possibilité) réfléehissante (refteetirenden) parce que Ia foi
dogmatique qui se proclame savoir lui parait peu
incêre et téméraire; car lever 1es difficultés par rapport
ce qui est en soi (pratiquement) bienétablin'est qu'une
besogne secondaire (parergon) quand elles concement
des questions transcendantes. ))
Ce que traduit ee besogne secondaire », c'est Neben-
geseM/te : affaire ou affairement accessoire, activité ou
opération qui vient à cõté ou tout contre. Le parergon
inserit quelque chose qui vient en plus, extérieur au
champ propre (ici de Ia raison pure et de La religion.da.ns
les limites de Ia simpie raison) mais dont I'extériorité
transcendante ne vient jouer, jouxter, frôler, frotter,
presser Ia limite e1le-même et intervenir dans le dedans
que dans Ia mesure ou le dedans manque. 11 manque de
quelque chose et se manque à ~ui-~ême. Parce quela
raison est ee consciente de son unpuissance à satisfaire
on besoin moral )),elle recourt au parergon, à Ia grãce,
au mystere, au miracle. Elle a besoin de Ia besogne
adjuvante. L'adjuvant, certes, menace. Son usage est
critique. 11 comporte un risque et se paie d'un J?rix
dont Ia théorie s'élabore. Achaque parergon de La rasson
correspond un dommage, un préjudice (Nachieil) et
 66 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
les quatre classes de dangers répondront aux quatre
~pes de parergon : I. pour Ia prétendue expérience
interne (effets de Ia grâce), le fanatisme, 2. pour Ia
prétendue expérienee externe (mirac1es), Ia superstition,
3· pour les prétendues lumiêres de l'entendement dans
l'ordre sumaturel, l'illuminisme, 4. pour les actions
prétendues .sur le sumaru;el (moyens de Ia grâce), Ia
thaumaturgie. Ces quatre egarements ou séductions de
Ia raison ont eux aussi en vue, néanrnoins, un certain
plaire, le plaíre-à-Dieu (gottgefalliger Absicht ),
Done, exemple parmi les exemples, Ies vête-
ment~ des statues (Gewiinder an Statuen ) auraient
fonction de parergon et d'ornement, Cela veut dire
I I
r~ h.ejsst), ~t -il ~récisé, ee qui n' est pas intérieur ou
mtnnseque (innerlich}, comme une partie intégrante
('!Is I!estandstück), à Ia représentation totale de l'obiet
(tn die ganze Vorstellung des Gegenstandes) mais qui lui
appartient seulement de façon extrinsêque (nur ãusser-
lich ) comme un surplus, une addition, une adjonction
(ais Zuthat }, un supplément.
Hors-d'oeuvre les vêtements des statues, qui viennent
à Ia fois omer et voiler leur nudité. Hors-d'eeuvre collés
à Ia ,bordure de l'eeuvre néanmoins, comme du corps
representé dans Ia mesure ou - tel est l'argument - ils
n'appartiendraient pas au tout de Ia représentation. Le
représenté de Ia représentation serait le corps nu et
naturel; l'essence représentative de Ia statue s'y rappor-
terart ~t, en elle, seule cette représentation serait belle,
essentíellement, purement et íntrinsêquement belle,
« objet propre d'un pur jugement de goüt li.
Cette délimitation du centre et de I'intégrité de Ia
rel?résen~tion~ de .son dedans et de son dehors, peut
déJà parartre msolite. On se demande de surcroít ou
faire commeneer le vêtement. Ou eommence et ou
finit un parergon. Tout vêtement serait-il un parergon.
Les cache-sexe et les autres. Que faire des voiles absolu-
ment transparents. Et comment transposer l'énoncé dans
ARERGON
I peinture. Par exemple, telle Lucrêce de Cranach ne
lent qu'une légêre bande de voile transparent devant son
e : ou se trouve le parergon? Doit-on considérer
mme un parergon Ie poignard qui ne fait pas partie
son corps nu et naturel et dont elle tient Ia pointe
ournée contre elle, au contact de sa peau (Ia pointe
u parergon, seule, toucherait alors son corps, au milieu
'un trlangle formé par ses deux seins et son nombril) ?
n parergon le eollier qu'elle porte à son eou ? Question
l'essence représentative et objectivante, de son
ehors et de son dedans, des critêres engagés dans cette
élimitatíon, de Ia valeur de naturalité qui s'y présup-
e et, aceessoirement ou principalement, de Ia place
u corps humain ou de son prívílege dans toute cette
roblématique. Si tout parergon ne s'ajoute, on l'a vérifié
s La Religion, qu'à Ia faveur d'un manque intérieur
u systême auquel il s'ajoute, qu'est-ce qui fait défaut
Ia représentation du eorps pour que le vêtement y
vienne suppléer? Et qu'est-ce que l'art aurait à voir
vec ça? Qu'est-ce qu'il donnerait à voir? ferait voir?
laisserait voir? laisserait faire voir? ou se faire voir?
Nous ne sommes qu'au commeneement de nos éton-
nements devant ee paragraphe. (Parergon signifie aussi
l'exceptionne1, I'insolíte, l'extraordinaire.) ]'ai, un peu
trop vite, arraché le « vêtement » au milieu d'une série
de trois exemples, de trois parerga qui ne sont pas
moins étranges. Chacun en luí-même d'abord, dans leur
sociation ensuite. L'exemple qui vient aussitõt aprês,
e'est celui des colonnes autour des édifiees somptueux
(Siiulengiinge um Prachtbãude}, Ces colonnes seraient
ussi des parerga supplémentaires. Aprês le vêtement,
Ia colonne? Pourquoi Ia colonne serait-elle extérieure à
I'édifice? D'oü vient ici le critêre, l'organe critique,
I'organon du discemement? 11 n'est pas moins obscur
que dans le cas précédent. 11 présente même une diffi-
culté de plus : le parergon s'aioute cette fois à une ceuvre
qui ne ~eprése1!terien ~t qui déjà s'ajoute ~ Ia nature.
On croit savoir ce qui revient ou ne revient pas en
propre au corps humain, ce qui se détache ou ne se
détache pas de lui - encore que le parergon soit précísé-
ment un détachement mal détachable. Mais dans un
1 68 LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON

ouvrage d'architecture, Ia Vorstellung, Ia représentation

'est pas structurellement représentative ou bien l'est à
r vers des détours dont Ia complication déconcerterait
doute celui qui voudrait discemer, de maniêre
itique, le dedans du dehors, Ia partie intégrante et
partie détachable, Pour ne pas rajouter à cette compli-
tion, je laisse de cõté, provisoirement, le cas des
lonnes en forme de corps humain, celles qui sou-
ennent ou représentent le soutien d'une fenêtre (et
ne fenêtre faít-elle ou non partie du dedans de l'édifice ?
t une fenêtre d'édifice dans une peinture?) et qui
vent être nues ou vêtues, représenter un homme
u une femme, distinction à laquelle Kant ne fait pas
usion.
Avec cet exemple des colonnes s'annonce toute Ia
roblématique de I'inscription dans un milieu, du décou-
age de l'eeuvre dans un champ dont il est toujours diffi-
. e de décider s'il est naturel ou artificiel et, dans ce
ernier cas, s'il est parergon ou ergon. Car tout milieu,
même s'il est contigu à l'eeuvre, ne constitue pas un
parergon au sens kantien. Le site naturel choisi pour
l'érection d'un temple n'est évidemment pas un parer-
on. Un lieu artificiel non plus : ni Ie carrefour, ni
'église, ni le musée, ni les autres eeuvres autour de
l'une ou l'autre. Mais le vêtement ou Ia colonne, si.
ourquoi ? Ce n'est pas parce qu'ils se détachent mais
u contraíre parce qu'ils se détachent plus diffici1ement
t surtout parce que sans eux, sans leur quasi-détache-
ment, le manque au-dedans de l'eeuvre apparaitrait; ou
e qui revient au même pour un manque, n'apparaitrait
pas. Ce qui les constitue en parerga, ce n'est pas simple-
ment leur extériorité de surplus, c'est le lien structurel
mterne qui les rive au manque à l'intérieur de l' ergon.
Et ce manque serait constitutif de l'unité même de l' ergon.
ans ce manque, l'ergon n'aurait pas besoin de parergon.
Le manque de l' ergon est le manque de parergon, du
vêtement ou de Ia colonne qui pourtant lui restent exté-
rieurs. Comment faire Ia part de l' energeia ?
A cette série d'exemples, à Ia question qu'ils posent,
peut-on rattacher le troisiême exemple? C'est en fait le
premier et j'ai procédé à l'envers.En apparence, il est
7° LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON 11
difficile de l'associer aux deux autres. 11s'agit des cadres
pour tableaux de peinture (Einfassungen der Gemãlde),
Le cadre : parergon comme Ies autres. La série peut
urprendre. Comment assimiler Ia fonction d'un cadre
celle d'un vêtement sur (dans, autour ou contre) une
t rue, et à celle des coIonnes autour d'un édifice? Et
ue dirait-on d'un cadre encadrant une peinture repré-
entant un édifice entouré de colonnes à forme humaine
v tue? L'incompréhensible du bord, de l'à-bord, n'ap-
parait pas seulement à Ia limite intérieure, celle qui passe
ntre le cadre et le tableau, le vêtement et le corps, Ia
olonne et l'édifice. Aussi 1 Ia limite extérieure, Les
purerga ont une épaisseur, une surface qui les séparent
n n seu1ement, comme le voudrait Kant, du dedans
Intégral, du corps propre de l' ergon mais aussi du dehors,
lu mur sur leque!le tableau est accroché, de l'espace
li ns leque! Ia statue ou Ia colonne sont érigées, puis,
te proche en proche, de tout le champ d'inscription
hl torique, économique, politique dans leque! se pro-
duit Ia pulsion de signature (problême analogue, on le
vérifiera plus loin). Aucune « théorie », aucune « pra-
tique», aucune « pratique-théorique » ne peut intervenir
ffectivement dans ce champ' si elle ne pese (sur) le
dre, structure décisive de 1enjeu, 1 Ia limite invisibIe
(entre) l'intériorité du seus (mise 1 l'abri par toute Ia
t radition herméneutiste, sémiotiste, phénoménologiste
t formaliste) et (1) tous Ies empirismes de I'extrinsêque
qui, ne sachant ni voir ni lire, passent à côté de Ia
questiono
Le parergon se détache 1 Ia fois de l'ergon (de l'reuvre)
t du milieu, il se détache d'abord comme une figure sur
un fond. Mais il ne s'en détache pas comme l'reuvre.
Elle se détache aussi sur un fond. Le cadre parergonal
e détache, lui, sur deux fonds, mais par rapport 1
hacun de ces deux fonds, il se fond dans l'autre, Par
r pport 1 l'reuvre qui peut lui servir de fond, il se fond
dans le mur, puis, de proche en proche, dans le texte
énéral. Par rapport au fond qu'est le texte général, il
e fond dans l'ceuvre qui se détache sur le fond général.
Toujours une forme sur un fond mais le parergon est
une forme qui a pour détermination traditionnelle non
72 LA VÉRITÉ EN PEINTURE GON 73
de se détacher mais de disparaítre, de s'enfoncer,
'effacer, de se fondre au moment ou il déploie sa
grande énergie. Le cadre n'est en aucun cas un
d comme peuvent l'être le milieu ou l'ceuvre mais
épaisseur de marge n'est pas non plus une figure.
u moins est-ce une figure qui s'enlêve d'elle-même,
Qu'est-ce que Kant aurait dit d'un cadre encadrant
peinture représentant un édifice entouré de colonnes
exemples en sont nombreux), de colonnes à forme
umaine vêtue (les fresques de Ia voüte de Ia chapelle
tine - quel est son cadre? - sont des peintures dont
bjet représenté, peint, est un volume sculpté repré-
tant lui-même, par exemple à Ia droite de Ionas,
enfants nus formant une colonne qui soutient un
lafond, etc, Même implication autour de Ia sybille
ique ou autour de Zacharie tenant un livre à Ia
. , ou de Jérémie, ou de Ia sibylle libyque; il est
cile de dire si les enfants-colonnes sont vêtus ou
êtus : ils portem des vêtements), le cadre tout entier
t posé sur le chevalet d'un peintre Iui-même repré-
té par un autre tableau.
On pourrait penser que j'abuse en m'acharnant sur
eux ou trois exemples, peut-être fortuits, dans un
us-chapitre secondaire; et qu'il vaut mieux se rendre
des lieux moins marginaux de I'eeuvre, plus prês du
tre et du fond. Certes. L'objection suppose qu'on
uche déjà que1 est le centre ou le fond de Ia troisiême
ritique, qu'on ait déjà pris en vue son cadre et Ia limite
son champ. Or rien ne parait plus difficile à détermi-
. La Critique se donne comme une eeuvre (ergon)
plusieurs cõtés, elle devrait comme telle se laisser
eentrer et cadrer, délimiter son fond en le découpant,
d'un cadre, sur un fond général. Or ce cadre est problé-
matique. J e ne sais pas ce qui est essentie1 et accessoire
dans une ceuvre. Et surtout je ne sais pas ce qu'est cette
chose, Di essentielle Di accessoire, Di propre Di impropre,
que Kant appelle parergon, par exemple le cadre. OU le
cadre a-t-il lieu. A-t-il lieu. OU commence-t-il. Ou
ânít-il, Quelle est sa limite interne. Exteme. Et sa
urface entre les deux limites. Ie ne sais pas si le lieu
de Ia Critique ou se définit le parergon est lui-même un
14 LA VÉRITÉ EN PEINTURE RGON 15
parergon. Avant de décider de ce qui est parergonal
dans un texte posant Ia question du parergon, il faut
savoir ce qu'est un parergtm - si, du moins, il y en a.
A l'obiecteur impatient, s'il insiste pour voir enfin Ia
chose même : toute l'analytique du jugement esthétique
suppose en permanence qu'on puisse rigoureusement
distinguer entre l'intrinsêque et l'extrinsêque. Le [uge-
ment esthétique doit porter proprement sur Ia beauté
intrinsêque, non sur les atours et les abords. 11 faut
done savoir - présupposé fondamental, du fondamen-
tal- eomment déterminer I'intrinsêque -l'encadré-
et savoir ee qu'on exclut comme cadre et comme hors-
cadre. Nous sommes done déjà au centre introuvable
du problême. Et lorsque Kant, à qui on demande
« qu'est-ce qu'un cadre? », répond : c'est un parergon,
un mixte de dehors et de dedans, mais un mixte qui
n'est pas un mélange ou une demi-mesure, un dehors
qui est appelé au-dedans du dedans pour le constituer
en dedans; et quand il donne comme exemple de
parergon, à côté du cadre, le vêtement et Ia eolonne, on
demande à voir, on se dit qu'il y a lã « de grandes
difficultés » et que le choix des exemples, leur association
aussi, ne va pas de soi.
D'autant plus que, selon Ia logique du supplément,
le parergon se divise en deux. A Ia limite entre l'reuvre
et l'absence d'ceuvre, il se divise en deux. Et cette
division donne lieu à une sorte de pathoIogie du parer-
gon, dont les formes doivent être nommées et classées,
tout comme La religion reconnaissait quatre types de
méfaits ou de préjudices parergonaux. Kant est en effet
en train de déterminer « l'objet propre du jugement pur
de goüt I). Or il n'en exclut pas simplement le parergon
en tant que tel et en général. Seulement dans certaines
conditions. Le critêre d'exclusion est ici une formalité,
Que faut-il entendre par formalité ?
Le parergon (cadre, vêtement, eolonne) peut augmen-
ter le plaisir du goüt (Wohlgefallen des Geschmacks),
contribuer à Ia représentation propre et intrinsêquement
esthétique s'il intervient par saforme (durch seine Form)
et seulement par sa forme. S'il a une « belle forme »,
il fait partie du jugement de goüt proprement dit ou en
LA VÉRITÉ EN PEINTURE ARERGON 77
tout cas y intervient essentiellement. C'est, si 1'0n peut
re, le parergon normal. Mais si en revanche i1 n'est
beau, purement beau, c'est-à-dire d'une beauté
rmelle, i1 déchoit en parure (Schmuck) et nuit à Ia
uté de I'eeuvre, i11ui fait tort et lui porte préjudice
(Abbruch). C'est l'analogue du préjudice ou du dom-
Ige [Nachteil ) de La Religion.
Or l'exemple de cette dégradation du simple parergon
parure séduisante, c'est encore un cadre, le cadre
ré cette fois (goldene Rahmen ), Ia dorure du cadre
'te pour recommander le tableau à notre attention par
n attrait (Reis ), Ce qui est mauvais, extérieur à l'obiet
ur du goüt, c'est donc ce qui séduit par un attrait;
l'exemple de ce qui dévoie par sa force attrayante,
, t une couleur, Ia dorure, en tant que non-forme,
ntenu ou rnatiêre sensible. La détérioration du parer-
on, Ia perversion, Ia parure, c'est l'attrait du contenu
nsible. En tant que dessin, agencement de lignes, for-
tion d'angles, le cadre n'a rien d'une parure et on ne
ut s'en passer. Mais dans sa pureté, i1 devrait rester
t colore, dépourvu de toute matérialité sensible empi-
rque,
Cette opposition forme/matíêre commande, on le sait,
I ute Ia Critique et l'inscrit à l'intérieur d'une puissante
Ir dition. Ce serait, seIon L'origine de I'CEuvre d'art,
I'une des trois déterminations (hypokeimenonlsumbebekos,
mscheton/noeton,eidos-morphé/hy/e) qui tombent violem-
ment sur Ia chose. Elle procure un « schéma conceptuel »
(Begriffschema) pour toute théorie de l'art. Il suffit
'associer le rationnel au formeI, l'irrationnel à Ia
atiêre, celui-ci à l'illogique, celuí-lã au logique, d'ac-
oupler l'ensemble à Ia paire suiet/cbiet pour disposer
d'une Begriffsmechanik à Iaquelle rien ne résiste. Mais
I quelle région vient cette détermination de Ia chose
n matiêre informée? L'usage massif qu'en fait l'esthé-
tique laisserait penser à une déportation depuis le
lomaine de l'art, En tous cas le créationnisme chrétien
urait apporté une « incitation particuliêre li, une moti-
v tion supplémentaire à considérer le complexe forme-
matiêre comme Ia structure de tout étant, I' ens creatum
mme unité de forma et meteria. La foi disparue, les
 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
schêmes de Ia philosophie chrétienne restent efficaces.
« C'est ainsi que l'interprétation de Ia chose selon Ia
matiêre et Ia forme, qu' elle reste médiévale ou devienne
transcendantale au sens kantien, est devenue courante
et allant de soi. Mais pour autant e11en'en est pas moins
que Ies autres interprétations de Ia choséité de Ia chose
une surimposition tombée (Ueberfall) sur l'être-chose
de Ia chose. Cette situation se révêle déjã dans Ie fait
que nous nommions les choses proprement dites
(e?gentlichen Dingen) des choses pures et simples [bloss
Dinge, des choses nues]. Ce « nu » (bloss) veut dire
toutefois le dépouillement {Entblõssung ) du caractêre
d'utilité (Dienlichkeit) et de fabrication. La chose nue
(blosse Ding ) est une espêce de produit (Zeug) mais
un produit dévêtu (entkleidete) de son être-de-produit.
L'être-chose consiste alors en ce qui reste encore (was
noch übrigbleibt). Mais ce reste (Rest ) n' est pas propre-
ment (eigens) déterminé en lui-même ... »
et si l' Ueberfall avait Ia structure du
parergon? La surimposition violente qui tombe agres-
sivement sur Ia chose, l' « insulte », dit étrangement
mais non sans pertinence le traducteur français de
Ueberfall, I'asservit et Ia conjugue, littéralement, sous
matiêre/forme, est-ce Ia contingence d'un cas, Ia chute
d'un. accident ou une nécessité qui reste à interroger ?
Et SI, comme Ie parergon, ce n'était Di l'un Di l'autre?
Et si le reste ne pouvait jamais, dans sa structure de
même plus attendre ou questionner dans cet horizon I
reste, se laisser déterminer « proprement », s'i1 ne fallait
le
mot parergon intervient justement (§§ 13 et 24) au
ARERGON 79
moment ou Kant vient de distinguer entre jugements
matériels et jugements formels, ces derniers seuls consti-
tuant des jugements de goüt au sens propre. 11 ne
I git pas, cela va de soi, d'une esthétique formaliste
(nous pourrions montrer d'un autre point de vue que
'est le contraire) mais de Ia formalité comme espace de
I' thétique en général, d'un « formalisme» qui, au lieu
de représenter un systême déterminé, se confond avec
I'histoire de l'art et l'esthétique elle-même. Et l'effet de
formalité se lie touiours à Ia possibilité d'un systême de
drage à Ia fois imposé et effacé.
La question du cadre est dé;à cadrée quand e11e
pparaít à tel détour de Ia Critique.
Pourquoi cadrée ?
L' Eclaircissement par des exemples (§ 14) appartient à
I'Analytique du beau, Livre Premier de l' Analytique du
, ement esthétique. Or cetteana1ytiquedu beaucomporte
luatre parties, quatre cõtés, quatre moments. Le juge-
ment de goüt y est examiné sous quatre faces : 1. seIon
I qualué, 2. selon Ia quantité, 3. selon Ia relation des
fins (le parergon trouve ici son logement), 4. selon Ia
modalité. La définition du beau selon Ia qualité, c'est
l'objet d'un Wohlgefallen désintéressé; selon Ia quan-
títé : ce qui plait universellement sans concept; selon
I relation à des fins : Ia forme de fínalité sans Ia repré-
entation d'une fin (finalité sans fin); selon Ia modalité : ce
qui est reconnu sans concept comme l'obiet d'un
Wohlgefallen nécessaire.
T el est le cadre catégorial de cette analytique du
au. Or d'oü vient ce cadre? qui le fournit? qui le
nstruit? d'oü l'ímporte-t-on ?
De I'analytique des concepts dans Ia Critique de Ia
raison pure spéculative. Bref rappel : cette analytique
I concepts est I'une des deux parties de l'ana1ytique
Ir nscendantale (analytique et dialectique transcendan-
rale, division reproduite dans Ia troisiême Critique :
nalytique et dialectique du iugement esthétique).
I.'analytique transcendantale comporte une analytique
I concepts et une analytique des principes. La
premiêre décompose le pouvoir de l'entendement pour
y reconnaitre Ia possibilité des concepts a priori dans
80 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
1eur « pays de naissanee lI, à savoir l'entendement ou
ils sont en germe et en réserve. Comme seule l'intuition
(réeeptive) se rapporte immédiatement à l'objet, l'en-
tendement 1e fait par l'intermédiaire, précisément, de
jugements. Le jugement est Ia eonnaissanee médiate
d'un objeto Et nous pouvons {(ramener tous 1es acres
de l'entendement à des jugements, de telle sorte que
l'entendement en général peut être représenté comme
un pouvoir de juger (Urteilskraft) », Pouvoir de penser
eomme pouvoir de juger. On trouvera done les fonetions
de l'entendement en déterminant les fonetions de
l'unité dans le jugement. Les eoneepts se rapportent,
comme prédicats de jugements possibles, à Ia représen-
tation d'un objeto Dês lors, à eonsidérer Ia simple forme
de l'entendement, en faisant abstraetion du eontenu des
jugements, on peut établir Ia liste des formes de juge-
ments sous quatre titres et douze moments (quatre fois
trois : le quatre-fois-trois construit aussi le tableau
(Tafel) des facu1tés supérieures à Ia fin de I'Introduc-
tion de Ia troisiême Critique. Kant répond, en note, à
ceux qui objeetent à ses divisions « tripartites » (drei-
teilig) et à son goüt pour Ia « triehotomie »; et le
trois+ un informe le rapport des facu1tés requises par
les beaux-arts - imagination, entendement, âme - au
goüt : « les trois premiêres facu1tés ne s'unissent que
grâce à Ia 4e », précise Ia note du paragraphe 50): quan-
tité des jugements (universels, particuliers, singuliers),
qualité (affirmatifs, négatifs, indéfinis), relation (catégo-
riques, hypothétiques, disjonctifs), modalité (problé-
matiques, assertoriques, apodictiques). Table de douze.
Or il y a autant de coneepts purs de l'entendement, de
coneepts originaires et indérivables que de fonetions
logiques dans les jugements. D'oü Ia déduetion de Ia
table des catégories (eontre le prétendu empirisme gram-
matica1 d'Aristote) à partir de Ia table des jugements.
Cette table, ce tableau ( T'afel) , ce board, ce bord,
Kant I'importe done dans l'ana1ytique du jugement
esthétique. Opération légitime puisqu'il s'agit de juge-
ments. Mais transport qui ne va pas sans problême et
sans violence artificieuse : on transpose et fait entrer de
force un cadre logique pour l'imposer à une structure non
ARERGON 81
logique, à une structure qui ne coneeme plus essentiel-
I ment un rapport à l'objet eomme objet de eonnais-
ce. Le jugement esthétique, Kant y insiste, n'est pas
n jugement de connaissance.
Le cadre s'ajuste mal. La difficu1té est sensible dês le
r mier paragraphe du livre, dês le Premier moment ,du
I ement de gout considéré au point de vue de Ia qualité,
" e jugement de goüt est esthétique » : en ee cas
unique, non prévu par l'analytique des eoncepts et des
lu ements dans l'autre Critique, le jugement n'est pas un
ugement de connaissance », 11ne releve done pas de
I logique transcendantale dont on a fait veflÍ:1'I~ board.
La violence de l'encadrement se multiplie. Elle
nferme d'abord Ia théorie de l'esthétique dans une
théorie du beau, celle-ci dans une théorie du goüt et Ia
rhéorie du goüt dans une thé?rie. du jugement. Ce, ~o~t
1 des décisions qu'on pourrait dire extemes : Ia délimi-
t tion y a des conséquenees massives mais une eertaine
hérenee intérieure peut à ce prix être sauvée. 11 n'en
v plus de même pour un autre geste d'encadrement
ui, en introduisant le bord, fait violence à l'intérieur du
y teme et distord ses articu1ations propres. C'est done
lui qui doit nous intéresser en premier lieu si nous
eherehons une prise rigoureusement etfeetive.
Au eours de Ia derniêre délimitation (théorie du goüt
mme théorie du jugement), Kant applique done une
nalytique des jugements logiques à ~e analrt;iq~e ~es
lugements esthétiques au moment meme ou il .msl~te
ur l'irréductibilité des uns aux autres. 11 ne justifie
[amais eet encadrement, ni Ia contention qu'il impose
rtificiellement à un diseours sans cesse menaeé de
débordement. Dans Ia premiêre Note de Ia premiêre
page, Kant dit que les fonetions logiques du jugement lui
ont servi de guide (Anleitung). Cette note touehe à une
difficu1té si décisive qu'on ne voit pas pourquoi elle ne
nstituerait pas le texte principal dont elle forme Ia
basse fondamentale, à savoir l'espaee non écrit ou sous-
écrit, Ia portée supposée des harmoniques. La voici :
u La définition du goüt qui sert ici de fondement est Ia
uivante : le goüt est Ia facu1té de juger du beau. M~s
qui est requis alors pour appeler un obiet beau doit
82 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
être découvert (entdecken ) par l'analyse des jugements
de goüt, 1'ai [intervention de Ia premiêre personne en
note] recherché les moments (Momente) que releve ce
jugement dans sa réflexion en prenant pour guide les
fonctions logiques (car dans les jugements de goüt il y a
toujours encore (immer noch) un rapport à l'entende-
ment). C'est celui de Ia qualité que j'ai examiné d'abord,
parce que c'est celui que le jugement esthétique sur le
beau prend d'abord en considération. ))
L'appel de cette Note est dans le titre « Premier
moment du jugement de go111considéré au point de oue de
Ia qualitê I). La Note précêde donc, d'une certaine façon,
le texte de l'exposition, elle en est relativement détachée.
11en va de même pour Ia parenthêse qu'elle comporte:
« (car dans les jugements de goüt il y a toujours encore
(immer noch) un rapport à l'entendement) I). Cette
parenthêse (insérée dans une Note qui n'est ni dans ni
hors l'exposition, ni dans ni hors son contenu) tente de
[ustifier, et elle est seule à le faire, le cadre de I'expo-
sitíon, à savoir l'analytique du jugement dont le bord a
été importé en toute hâte à l'ouverture de l'exposition.
Avant Ia Note et sa parenthêse (avant, si 1'0n regarde
l'espace de Ia page de bas en haut, mais aprês si 1'0n
s'en tient à l'ordre de l'exposition qui place Ia Note en
haut de Ia page, au lieu de son appel), une autre paren-
thêse, plus breve, fait une poche dans le texte dit « prin-
cipal II et s'y invagine en quelque sorte: « Pour distinguer
si une chose est belle ou non, nous n'en rapportons pas
Ia représentation à l'objet par le moyen de l'entende-
ment en vue d'une connaissance, mais au sujet et à son
s,c::n~ent . de pl~sir ou de déplaisir par le moyen de
1imagmanon (unte peut-être à l'entendement, vielleicht
mit dem Verstande verbunden). ))
Les deux parenthêses, parerga dans et hors l'exposi-
tion, ont le même objet, Ia même finalité : justification
(visiblement três embarrassée) du cadre importé, de
I'analytique imposée, recours mal assuré, pour faire
passer Ia table et ajuster le bord, à une hypothétique
« liaison » à l'entendement, auquelle jugement de goüt,
bien qu'il n'ait rien de logique, se rapporterait « tou-
jours encore I).
ARERGON
Comme une ancienne liaison difficile à rompre ou un
dre d'occasion qu'on a du mal à vendre er qu'on veut
lacer à tout prix.
Le cadre de cette analytique du beau, avec ses quatre
moments, est donc fourni par l'analytique transcendan-
e pour Ia seule et mauvaise raison que l'imagination,
source essentielle du rapport à Ia beauté, se lie peut-
Itre à I'entendement, qu'il y a peut-être et encore
(oielleicht, noch) de l'entendement lã-dedans. Le rap-
rt à l'entendement, qui n'est ni sür ni essentiel,
ournit donc le cadre de tout ce discours; et en lui, du
iscours sur le cadre. Sans forcer les choses, et en tout
s pour décrire un certain forçage kantien, on dira que
out le cadre de l'analytique du beau fonctionne, par
pport à ce dont il s'agit de déterminer le contenu ou
I structure interne, comme un parergon ; il en a tous les
actêres : ni simplement intérieur ni simplement exté-
rieur, ne tombant pas à cõté de l'eeuvre comme on aurait
pu le dire d'un exergue, indispensable à l' energeia pour
libérer Ia plus-value en enfermant le travail (tout mar-
hé et d'abord le marché de Ia peinture suppose donc
un procês d'encadrement; et un travail déconstructeur
etfectif ne peut ici se dispenser d'une théorie du cadre),
il est appelé et rassemblé comme un supplément depuis
le manque - une certaine indétermination « interne ))-
dans cela même qu'il vient encadrer. Ce manque, qui
ne peut pas être déterminé, localisé, situé, arrêté dedans
u dehors avant I' encadrement est à Ia fois, pour se
ervir encore de concepts appartenant précisément à Ia
logique classique du cadre, ici au discours kantien, pro-
du;t et production du cadre. Si on lui applique Ia regle
définie dans l' Eclaircissement par des exemples, et s'il
devient à son tour un exemple de ce qu'il permet de
considérer comme exemple (cadre décrit dans le cadre),
n peut faire comme si le contenu de l'analytique du
jugement était une oeuvre d'art, un tableau dont le
cadre, importé de l'autre Critique, jouerait en raison de
a beauté formelle le rôle de parergon. Et si c'était sim-
plcment un exergue attrayant, séduisant, amusant, ne
pérant pas au propre de l'eeuvre, pure déperdition
e valeur et gaspillage de Ia plus-value, il n'y aurait là
LA VÉRITÉ EN PEINTURE RGON

'une parure. Mais il se trouve que c'est elle, cette

lytique du jugement qui, dans son cadre, permet de
tinir Ia requête de formalité, l'opposition du formei
du matériel, du pur et de l'impur, du propre et de
propre, du dedans et du dehors. C'est elle qui
, rmine le cadre eomme parergon, ee qui à Ia fois le
titue et l'abíme, le fait à Ia fois tenir (comme ee qui
tenir ensemble, ce qui constitue, monte, enchâsse,
it, borde, rassemble, garnit, autant d'opérations
mblées par I'Einfassung) et s'effondrer, Un cadre
entiellement construit et donc fragile, telle serait
ence ou Ia vérité du cadre. S'Il y en avait. Mais cette
rité » ne peut plus être une « vérité )),e11ene définit
plus Ia transcendantalité que l'accidentalité du
Ire, seulement sa parergonalité.
philosophie veut l'arraisonner et elle n'y parvient
. Mais ce qui a produit et manipulé le cadre met tout
uvre pour effacer I'effet de cadre, le plus souvent
1 naturalisant à l'infini, entre les mains de Dieu (on
urra le vérifier chez Kant). La déconsttuetion ne doit
r cadrer ni rêver l'absence pure et simple de cadre.
deux gestes apparemment contradictoires sont ceux-
mêmes, et systématiquement indissociables, de ce qui
déconstruit ici.
i les opérations engagées, si les critêres proposés par
I' a1ytique du beau dépendent de cette parergonalité;
t utes les oppositions de valeur qui dominent Ia phi-
ophie de l'art (avant et depuis Kant) en dépendent
o leur pertinence, leur rigueur, leur pureté, leur pro-
l ré, e11esse trouvent done affectées de cette logique
parergon qui est plus puissante que celle de l'ana-
ique. On pourrait suivre les conséquences de cette
f ctante affection dans le détail. Elles ne peuvent être
1I es. L'opératíon réfiéchissante que nous venons de
er se faire écrit sur le cadre (ceei est - écrit sur le
dre) : loi générale qui n'est plus une loi mécanique ou
1 ologique de Ia nature, de l'accord ou de l'harmoníe
facultés (etc.), mais une certaine dislocation répétée,
détérioration réglée, irrépressible, qui fait craquer
dre en général, I'abíme en coin dans ses angIes et
articulations, retourne sa limite interne en limite
86 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
externe, tient compte de son épaisseur, nous fait voir
le tableau du côté de Ia toile ou du bois, etc.
Pour ne remarquer que Ia premiêre conséquence du
forçage initial, voyez Ia fin de Ia premiêre Note (autre
parergon qui encadre à Ia fois le texte et, en lui comme
en elle, Ia parenthêse). De même que Kant ne peut pas
justifier en toute rigueur l'importation de l'analytique du
jugement, il ne peut pas justifíer l'ordre qu'il suít dans
I'application du cadre, des quatre catégories de I'analy-
tique des concepts. Pas plus que Ie transport du tableau
(Tafel ), c'est-ã-dire du cadre, I'ordre de I'exposition ne
parvient ici à rationaliser philosophiquement son intérêt.
Sa motivation se dissimule derriêre I'arbitraire du décret
philosophique. L'exposition commence en effet par le
groupe des deux catégories mathématiques (quantité et
qualité). Pourquoi ne pas commencer par les deux
catégories dynamiques (relation et modalité ) ? Et pour-
quoi renverser aussi I'ordre des catégories mathéma-
tiques elles-mêmes, tel qu'il était suivi dans l'exposition
d'origine (Ia quantité avant Ia qualité)? Ce dernier
renversement s'explique certes par le fait que Ia connais-
sance n'est ni Ia fin ni l'effet du jugement de goüt : Ia
quantité (ici l'universalité) n'est pas Ia premiêre valeur
d'un jugement de goüt, Fin de Ia note: « c'est celui de
Ia qualité que j'ai examiné d'abord, parce que c'est
celui que le jugement esthétique sur le beau prend
d'abord en considération ». Pourquoi d'abord (zuerst)?
La priorité n'est pas prescrite par Ia table, par I'ordre du
iugement, par Ia logique propre au cadre. Rien dans
I'analytique (logique) en tant que telle ne peut rendre
compte de cette priorité. Or si un renversement de
l'ordre logique se produit ici pour des raisons qui ne
sont pas logiques, pourquoi ne se poursuivrait-il pas ?
Quelle est ici Ia rêgle ou Ia limite critique ?
La qualité (le caractêre désintéressé) est cela même
qui détermine Ia formalité de l'objet beau : celui-ci doit
être pur de tout attrait, de tout pouvoir séducteur, il ne
doit provoquer aucune émotion, promettre aucune
jouissance. L'opposition entre le formeI et le matérieI,
le dessin et Ia couleur (en tant que non formelle du
moíns), la composition et le son (en tant que non formei
ON
oins), le parergon formeI et le parergon de parade
parure, l'opposition entre le bon et le mauvais
on (qui en lui-même n'est ni bon ni mauvais)
d donc du cadrage de cette qualité, de cet effet
e qu'on appelle qualité, valeur de Ia valeur, et
1 quelle, violemment, tout parait commencer. Posi-
: opposition : cadre.
même, dans l' Eclaircissement, le discours sur le
t sur Ia couleur se tient dans l'angle des deux
ories mathématiques (qualité et quantité) alors
que toute l'analytique du beau défait, sans cesse
mme sans le vouloir, le travail du cadre.
cadre travaille en effet. Lieu de travail, origine
cturellement bordée du plus de valeur, c'est-à-dire
rdée sur ces deux bords par ce qu'elle déborde, il
v ille en effet. Comme le bois. 11 craque, se détraque,
i loque alors même qu'il coopere à Ia production
produit, le déborde et s'en déduit. 11 ne se laisse
. simplement exposer.
)analytique du beau travaille, défait done sans. cesse
vai! du cadre dans Ia mesure ou, tout en se laissant
driller par l'analytique des concepts et par Ia doe-
du jugement, elle décrit l'absenee du eoneept dans
tivité du goüt. « Le beau est ce qui est représenté
coneept comme objet d'un Wohlgefallen univer-
1. » Cette définition (deuxiême moment, catégorie de
quantité) dérive de. Ia définitio~. qual!~tive (le
intéressement). L'obiet d'un plaisir désíntéressé
dépend pas d'une inclination empirique, il
dresse done à Ia liberté et touche chacun au lieu ou
u.u -
\II••••• quiconque - peut être t~)Uehé.11 ~t d0!le
iversel. Or en expliquant pourq,UOlcette universalíté
lt être sans eoneept, Kant exhibe en quelque sorte
forçage - imposer une analytique des coneepts à un
sans coneept - mais il justifie son opération par
argument qu'on pourra eonsidérer comme J.a.consti-
, tion, ee qui fait tenir-ensemble-debout tout l'édifice de
troisieme Critique au milieu de ses deux grandes ailes
critique du jugement esthétique et Ia critique du
ement téléologique). C'est I'analogie. Elle opêre par-
ut dans le livre, on peut en vérifier réguliêrement
 88 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
l'effet. Au lieu ou nous sommes de l'exposition - son
carrefour -, el1e rassemble sans-concept et concept,
l'universalité sans concept et l'universalité aoec concept,
le sans et l'avec; elle légitime ainsi Ia violence, l'occupa-
tion d'un champ non conceptuel par le quadrillage d'une
force conceptuel1e. Sans et avec en même temps (ama).
C'est qu'en raison de son universalité qualitative, le
jugement de goüt ressemble au jugement logique qu'il n'est
pourtant jamais, en toute rigueur. Le non-conceptuel
ressemble au conceptuel. Ressemblance três étrange,
proximité ou affinité (Aehnlichkeit) singuliêre qui,
quelque part (a préciser plus loin 1) fait ressortir à Ia
mimesis une interprétation du beau qui rejette ferme-
ment l'imitation. 11 n'y a là aucune contradiction qui
ne soit réappropriée par l'économie de Ia physis comme
mimesis.
Celui qui prend au beau un plaisir désintéressé (sans
jouissance et sans concept) « parlera du beau comme si
(als ob) Ia beauté était une propriété (Beschaffenheu )
de l'objet et comme si son jugement était logique
(constituant par des concepts de l'objet une connais-
sance de l'obiet) quoiqu'il soit seulement esthétique et
ne contienne simplement qu'un rapport de Ia représen-
tation de l'objet au sujet; il a en effet, cependant, cette
ressemblance [Aehnlichkeit : affinité, proximité, parenté]
avec le jugement logique : on peut présupposer que sa
valeur vaut pour chacun. Mais ce n'est pas de concepts
que peut surgir cette universalité. Car des concepts il
n'y a aucun passage au sentiment de plaisir ou de
déplaisir (sauf dans les pures lois pratiques, mais el1es
contiennent un intérêt; il ne s'en joint aucun au pur
I
jugement de gout»)).
I Le discours sur Ia couleur et sur le son appartient à
l' Eclaircissement par des exemples, au cours de l'exposi-
tion de Ia troísiême catégorie : Ia catégorie dynamique
de Ia finalité. Le jugement de goüt se rapporte à une
finalité purement formel1e, sans concept et sans fin,
sans représentation conceptuelle et déterminante d'une
fin. Les deux catégories mathématiques sont néan-
I. eC. Bconomimesis, op, cit.
IthON
1111 indispensables: on n'exclut le son et Ia couleur
111111 des attraits que dans Ia mesure de leur non-
I I lité, de leur matérialité. En tant que pures formes,
I I couleur peuvent donner lieu à une appréciation
v r elle, conforme à Ia quantité d'un jugement de
I I' elles peuvent procurer un plaisir désintéressé,
I íorme à Ia qualité d'un jugement de goüt. Les sensa-
I de couleur et de son peuvent « à bon droit ))être
U I pour bel1es dans Ia mesure ou el1essont « pures » :
I détermination de pureté concerne seulement Ia
me qui seule peut être « universellement communi-
1 avec certitude », On accêderait de deux maniêres
1 pureté formel1e : par une réflexion non sensible, non
I uelle, par le jeu régulier des impressions,. « si ~'on
I'l')() e avec Euler » que les couleurs sont des vibrations
I P ther (pulsus) à intervalles réguliers et si (analogie
melle entre sons et couleurs) les sons consistent en un
ihme régulier des vibrations de l'éther ébranlé. Kant
ti beaucoup de mal à conclure sur ce point. 11reste
I dans cette hypothêse, on n'aurait pas affaire à des
uuenus matériels de sensations reçues mais à des
I rminations formelles. C'est pourquoi Ia coule~
111 pie est une couleur pure et peut donc appartenir
li dans du beau, donnant lieu à des appréciations
mversellement communicables. Les couleurs mélan-
ne le pourraient pas. Le motif empiriste (la couleur
I ple ne provoque pas de perception transmissible)
r tt renversé mais i1 ne s'agit pas ici de perception
I I rminante, seulement de plaisir ou de déplaisir.
tte ambivalence de Ia couleur (valorisée comme
pur té formelle ou comme relation, dévalorisée comme
li re sensible, beauté d'un cõté, attrait de l'autre,
nce pure dans les deux cas) se porte au carré quand
I 'agit de Ia couleur du cadre (goldene Rahmen, par
mple), quand l'équivoque parergonale de Ia couleur
nt épaissir l'équivoque parergonale d';1cadre. Quel
rait l'équivalent de ce carré pour Ia musique I
90 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
1__ on dira que tous les cadres ne sont pas, n'ont
pas été, ne seront pas des carrés, des figures rectangu-
laires ou quadrangulaires, ni même tout simplement
angulaires. Les tables et les tableaux (Tafel ) non plus.
C'est vrai : une histoire critique et systématique et
typologique de l'encadrement parait possible et néces-
saíre 1. Mais l'angle en général, le quadrangulaire en
particulier n'en formeront pas un obiet parmi d'autres.
Tout ce qui s'écrit ici vaut pour Ia logique de Ia bordure
parergonale en général, mais le privilêge de « cadre )),
pour sembler plus chanceux en latin qu'en germain, n'y
est pas fortuit
'-- question kan-
tienne : rapport du concept au non-concept (haut/bas,
gauche/droite), au corps, à Ia signature qui s'est placée
« sur » le cadre : en fait, parfois; structurellement,
touiours, La prothêse
ce qui ne marche pas
comme sur des roulettes dans Ia troisiême Critique dês
I. Au moment de Ia premiêre publication de Parergon, je n'avais pai
encere lu Meyer Shapiro, Sur quelques problhnes de sémiorique de l' ar!
visud: champ et véhicules dans les signes iconiques, tr. Jean-Claude Leben-
sztein, Critique 315-6. On y trouvera plus d'une indication concemant
1'- histoire • de I'encadrement, son - invention tardive " Ie caractére peu
- naturel » du - cadre rectangulaire " aussi bien que _Ie cadre qui s'infiéchit
et pénetre à I'intérieur du champ de l'image pour comprimer ou enchevê-
trer les figures (le trurneau de Souillac,l'Imago Hominis dans l'évangéliaire
d'Echtemach ... ) '. Je renvoie aussi, cela va de soi, à toutes les publications
de Lebensztejn.
91
[u'on s'occupe un peu de l'exemple, de cet exemple
mple qui et que forme le cadre. Si ça marche
m ur des roulettes, c'est peut-être que ça ne va
i bien, en raison d'une infirmité interne de Ia
qui demande à être suppléée par une prothêse ou
ure le progres dans l'exposition qu'à l'aide d'~
1\ uil roulant ou d'une poussette d'enfant. On fait
vancer ce qui ne tient pas debout, ne s'érige pas
I ul en son procês. L'encadrement soutient et
I 11 nt toujours ce qui, de soi-même, s'effondre
ontinent, s'exc
cela se démontre
r xemple, sur le probleme de l'~emple ~t. du juge-
nt réfiéchissant. Or que nous dit Ia Critique de Ia
.11 on pure? Que les exemples sont les roulettes du
I ment. Les traducteurs français disent parfois les
quilles )) du jugement : ce sont bien des roulettes
(rt'ingelwagen), non pas les planches-à-roulettes ( skate-
,••rd) mais les petites voitures à roues sur les-
111 Iles on pousse les enfants, les vieillards ou les
ntirrnes, ceux qui n'ont pas assez de jugement, de bon
n , cette faculté de jugement naturelle, Ia chose Ia
111 ux partagée (ce n'est pas le sensus communis de Ia
nl iême Critique) qui s'appelle, c'est ici le mot de
nt, Mutterwitz. Ceux qui n'en ont pas assez, de ce
l ,tz maternel, les infirmes, les imbéciles, illeur faut des
oulettes, des exemples. « Les exemples sont ainsi les
urlettes de Ia faculté de juger (Gangelwagen der
, 'rlheilskralt) et celui-lã ne saurait s'en passer à qui
I \ nque (mangelt) ce talent na~el. )) L~ roulettes,
11 nmoins, ne remplacent pas le [ugement : nen ne peut
mpIacer le Mutterwitz. Dont le manque n'est suppléé
r aucune école (dessen Mangel keine Schule ersetsen
ann ), Les roulettes exemplaires sont donc des pro-
Ih es qui ne remplacent rien. Mais comme tous les
92 LA VÉRITÉ EN PEINTURJI
exemples (Beispielen}, Hegel l'aura fait remarquer,
elles jouent, ont du jeu, donnent du jeu. A l'essence.j
côté de l'essence (beiher ), précise encore Hegel. Ell
peuvent alors renverser, déséquilibrer, incliner le mou-
vement naturel en mouvement parergonal, détourner
l'énergie de l' ergon, introduire le hasard et l'abime dan
Ia nécessité du Mutterwitz : non pas un ordre contrair
mais un écart aléatoire qui peut faire perdre d'un coup
Ia tête, une roulette russe si l'on met en jeu le plaisír
sans jouissance, Ia pulsion de mort et le deuil du travail
dans l'expérience du beau
du parergon - faire son
deuil. Comme le tout-autre de l'hétéro-affection, dano
le plaisir sans jouissance et sans concept, il provoque
et délimite le travail du deuil, le travail en général
comme travail du deuil
le travail à parer
Ia réserve, l' épargne,
Ia parcimonie, le pare - le se-protéger de l'ceuvre
( ergon ), énergie captée, bordée (Ia « liaison I) ( Verbin-
dung) de l'énergie, condition de Ia « maitrise (Herrs-
I)
chaft ) du principe du plaisir le résultat « n'est pa
simple II -à suivre)
I- le se-protéger-ze-
l'eeuvre, de l'energeia qui ne devient ergon que (depuis
RGON 93
parergon : non pas contre l' énergie libre et pleine et
et déchainée (aete pur et présence totale de
r eia, premier moteur aristotelicien) mais contre ce
I manque en elle; non pas contre le manque comme
Iif posable ou opposable, vide substantiel, absence
I rminable et bordée (encore l'essence et Ia présence
111 bles ) mais contre l'impossibilité d' arrêter Ia diffé-
/I en son contour, d'arraisonner l'hétérogêne (Ia
IUI r nce) dans Ia pose, de localíser, füt-ce de maniêre
, I mpirique, ce que Ia métaphysique appelle, on vient
1 I voir, manque, de le faire revenir, égal ou semblable
lIi (adaequatio-homoiosis ), en son lieu propre, selon
, traiet propre, de préférence circulaire (castration
rnme vérité). Apparemment opposées - ou parce
i'opposées - ces deux déterminations bordantes de ce
mtre quoi travaille le parergon (l'opération de l'énergie
I1 r et de Ia productivité pure ou l'opération du
I nque essentiel) sont le même (métaphysique).
le hors-cadre (mise en léthargie et valeur
li olue du cadre) : naturalisation du cadre. Il n'y a pas
I dre naturel. Il y a du cadre, mais le cadre n' existe
,.
L parergon - apotrope (parure, parade) des pro-
us primaires, de l'énergie libre, c'est-à-dire de la
11 tion théorique )) (Ein psychischer Apparat, der nur
., " Primiirvorgang besãsse, existiert zwar unseres Wissens
'li ht und ist insoferne eine theoretische Fiktion). Seule
1111 certaine pratique de Ia fiction théorique peut donc
Ir vailler (contre) le cadre, le (faire ou laisser) jouer
( ontre) lui-même. Ne pas oublier néanmoins que le
"menu, l'objet de cette fiction théorique (l'énergie libre
\11 processus originaire, sa productivité pure) est Ia
11 taphysique, l'onto-théologie elle-même. L<!pratique
\ Ia fiction risque toujours d'y croire ou d'y faire
mire. La pratique de Ia fiction doit donc veiller à ne
I se laisser refiler une fois de plus Ia vérité métaphy-
rque sous l'étiquette de Ia fiction. Il y a fiction et
94 LA VÉRITÉ EN PEINTURI!

fiction. Nécessité ici de l'angle - diagonalité - ou ça

joue et travaille, et de faire apparaitre le reste d'angl
dans les cadres ronds (il y en a). Hegel : l'esprit lié à
l'apparition de Ia forme ronde
111. LE SANS DE LA COUPURE PURE

t LA FAÇON DE FANER DES TULIPES

_ tout fieurira au bord d'une ..• Et je sais bien qu'il ne s'agit point
tombe désaffectée : Ia fíeur à Ia beauté libre ou vague ia d'une t2te, mais seulement de Ia têt»
du naud (ou comme d'une rêtrooersion
(pulchritudo vaga) et non adhérente (pulchritudo de l'utérus ), de Ia gourde séminale, et
adhearens ), Ce sera, par exemple arbitraire, une tulipe donc d' aucune autre intelligence que celle
sans couleur et sans parfum (plus sürement que Ia cou- d'un gland (ou rétrooersion de l'utérus ),
leur, le parfum est perdu pour l'art et pour le beau Mais cela ne jeue-t-il pas quelque
(§ 53), essayez de cadrer un parfum) que Kant n'a sans jour, justement, sur l'intelligence des
doute pas cueillie en Hollande mais dans le livre d'un autres têtes? des soi-disan: oéritables
certain Saussure qu'il lisait beaucoup à l'époque. têtes?
« Mais une fíeur, sum Beispie/ eine Tu/pe, est tenue pour
'i;"'s donc de Ia fieur fanant ou fanée.
belle parce qu'en Ia percevant on rencontre une finalité Et peut-être suffirait-il â'aooir
qui, jugée comme nous faisons, ne se rapporte à aucun attiré I'attention, fixé un moment les
fin » - regards, porté le goat, fixé Ia mode sur
ces moments-là pour aooir un peu modi-
fié Ia morale, peut-être; peut-être Ia
politique? L'opinion, du moins, de
quelques personnes.
voire
... Nous aussi en avons fini de Ia
« beauté )); de Ia forme parfaite : celle
d'une coupe, pour les tulipes à leur
éclosion (classique ),
... D'oa Ia déformation et I'impropriété
manifeste de nos mots, de nos phrases;
D'ou Ia forme incongrue, baroque :
ouverte enfin, - de nos textes. ))
PONGE, L'opinion changée quant
aux fleurs.
t A VilttT* BN PBINTURB
 LA VÉRITÉ EN PEINTUlUl
se cueille à Ia fin d'une note
en bas de page. On s'en souvient : « Mais une fieur, par
exemple une tulipe, est tenue pour belle parce qu'en 10
percevant on rencontre une finalité qui, jugée comme
nous faisons, ne se rapporte à auçune fin. »
Dans l' Analytique du beau, Ia note est appelée par lu
définition du beau conclue du troisiême moment : I
jugement de goüt examiné quant à Ia relation de
finalité. Selon le cadre catégoriel importé de Ia Critiqus
de Ia raison pure, l' Analytique était construite et bordée
par les quatre catégories : qualité et quantité (catégoríes
mathématiques), re1ation et modalíté (catégories dyna-
miques). Le problême du parergon, Ia question générale
et abyssale du cadre avait surgi au cours de l'exposition
de Ia catégorie de re1ation (à Ia finalité). L'exemple de
Ia tulipe est placé tout à fait au bout de cette exposition :
dernier mot de Ia derniêre note elle-même appelée par
le dernier mot du texte principal. A Ia fin de chaque
exposition, pour les quatre catégories, Kant propose
une définition du beau : selon Ia qualité (objet d'un
Wohlgefallen désintéressé), selon Ia quantité (ce qui plaít
universellement sans concept), selon Ia relation (ta
forme de Ia finalité perçue sans Ia représentation d'une
fin), Au moment ou il a extrait cette troisiême définition
du beau «( La beauté est Ia forme de Ia finalité - Form
der Zweckmiissigkeit - d'un objet en tant qu'elle est
perçue en lui sans Ia représentatíon d'une fin - ohne
Vorstellung eines Zwecks - »), Kant ajoute unenotepour
répondre à une objection.
Une fois de plus, on sait pourquoi, je rétrocêde par
voie réfléchissante, de l'exemple, si possible, vers le
coneept.
II s'agirait d'une fieur. Pas n'importe laquelle, ni Ia
rose, ni I'héliotrope, ni le genêt : Ia tulipe. Elle se trouve
donc dans un texte, Mais il y a tout lieu de présumer
qu'elle ne vient pas directement de Ia nature. Plutôt
d'un autre texte. L'exemple parait arbitraire jusqu'au
moment ou 1'0n s'aperçoit qu'un certain Saussure est
souvent cité par Kant dans Ia troisiême Critique. Or ee
M. de Saussure, « homme aussi spirituel que profond »,
dit Kant dans Ia grande Remarque générale concernant
OON 97
/,(I$~ des jugementsw esthétiques réfiéchissants, était
1\ ur d'un Voyage dans les Alpes. On y lit ceei, que
nt n'aura pas cité: « Je trouvai, dans les bois au-dessus
l'hermitage, Ia tulipe sauvage, que je n'avais jamais
uparavant. » (T. I, p. 431.)
traite d'un livre ou d'une anthologie, il importe
oup que Ia tulipe de Kant soit néanmoins naturelle,
olument sauvage. Une paradigmatique de Ia fieur
nte Ia troisiême Critique. Kant y eherehe toujours
, dice d'une beauté naturelle, toute sauvage, dans
uelle se déeouvre le sans-fin ou le sans-concept de Ia
I té. Au moment ou, beaucoup plus loin (§ 42, sur
'""blt intellectuel du beau), il veut soutenir que
I térêt immédiat pris aux beautés de Ia nature, avant
ut jugement de goüt, est l'indiee d'une âme bonne,
I court à l'exemple de « Ia belle forme d'une fieur sau-
», 11 faut, bien sür, que eet intérêt aille à Ia beauté
formes et non aux attraits qui utilisent ces formes
I fins de séduction empirique. Celui qui admire
I belle fieur sauvage, jusqu'à regretter son absence
ntuelle dans Ia nature, celui-là « s'intéresse immé-
I tement et intellectuellement à Ia beauté de Ia nature »
n l'intervention d'aucune séduction sensuelle. Or il
I tout à fait « remarquable » que si on substitue une
f1 ur artificielle (künstliche) (et, précíse Kant, on peut
n faire de tout à fait semblables aux naturelles), et si
I upercherie est découverte, l'intérêt disparaít aussitõt.
me s'il est remplacé par un intérêt pervers : utiliser
rte beauté d'artifice pour omer, par exemple, son
ppartement,
L'exemple de Ia finalité sans fin doit done être sau-
v ge. « Finalité sans fin », Ia locution est aussi fanée que
plaisir désintéressé », elle n'en reste pas moins énigma-
uque. Elle semble vouloir dire ceei : tout dans Ia tulipe,
I ns sa forme, semble organisé en vue d'une fin. Tout
emble finalisé, comme pour répondre à un dessein
( elon le mode analogique du comme si qui régit tout ee
li cours sur Ia nature et sur l'art), et pourtant à cette
vi ée d'un but, le bout manque. L'expérienee de ee
manque absolu de bout viendrait à provoquer le senti-
rnent du beau, son « plaisir désintéressé », Je laisse
LA VÉRITÉ EN PEINTURl iON 99
111 r ment de côté tous les problêmes d'étymologie
,lI" dérivation ou d'affinité - que peut soulever cette
rnblance de but et de bout, Retenons qu'ils ont en
imun le sens de Ia fin, du terme-en-vue-duquel,
Ir rnité d'une ligne ou d'un mouvement orienté, fin
n ou sens de Ia fin. Le sentiment de Ia beauté,
Ir ction sans attrait, Ia fascination sans désir tien-
I nt à cette « expérience » : d'un mouvement orienté,
I 11 é, harmonieusement organisé en oue d'une fin qui
urt nt n'est jamais oue, d'un bout qui manque ou
ao but en blanc. Je détourne cette expression du code
I' rtillerie : tirer un but en blanc, c'est tirer sur un
I 11 placé à une distance te11eque Ia balle (ou l'obus)
rent couper Ia ligne de mire prolongée. But y désigne
I I ine depuis laquelle on tire de but en blanc : le

non comme origine de Ia pulsion. 11 faut Ia finalité,

mvement orienté, sans quoi il n'y aurait pas de
uté, mais il faut que l'orient (Ia fin qui origine)
I nque. Sans finalité, pas de beauté, Mais non davan-
i une fin devait déterminer cette beauté.
. tulipe sauvage serait exemplaire de cette finalité
/I fin, de cette organisation inutile, sans but, gratuite,
hur d'usage. Mais il faut y insister, l'être coupé du but
, devient beau que si tout en lui est tendu vers le bout.
ule cette interruption absolue, cette coupure pure à se
I Ir d'un seul coup, d'un seul bout (bout veut dire
IUp : de buter) produit le sentiment de Ia beauté. Si
ue coupure n'était pas pure, si elle se laissait au
ioins virtuellement prolonger, compléter, suppléer, il
II urait pas de beauté.
e qui [ustifie peut-être à jouer de but en blanc, à
er de bout en bout et de but en bout, c'est une
ciation de prime abord étrange. Dans Ia Note, Ia
tulipe parait posée, déposée sur une tombe. En réponse,
11 nc, à une objection.
L'objection : il y a des formes finales sans fin qui pour-
I nt ne sont pas belles; toute finalité sans fin ne produit
íonc pas le sentiment de Ia beauté. Kant prête à
l'objecteur anonyme un exemple curieux : au cours de
íouilles, on retire souvent, du fond de vieilles tombes,
I ustensiles de pierre qui comportent un trou, une
 100 LA VÉRITÉ EN PEINTURB
ouverture, une cavíté (Loche ) « comme pour un
manche (Hefte ) », Leur forme n'indique-t-elle pas dai-
rement une finalité, et une finalité dont Ia fin reste
indéterminée ? Or, poursuit l'objection, cette finalité
sans fin ne provoque aucun sentiment de beauté. Ces
outils pourvus d'un trou sans manche, ces outíls, ces
ustensiles, ces utiles finalisés sans but ni bout visible
sans fin déterminable dans un concept, on ne I~
déclare pas beaux.
Certes, répond Kant, mais il suffit de les considérer
comme des artefacta (Kunsttoerke ) pour les rapporter
à un but déterminable. 11 n'y a donc pas de « Wohlge-
fallen )) immédiat à leur intuition. Cette réponse est
~sez obscure. J?'un cõté, elle oppose l'expérience immé-
d%at~de Ia finalité ~ans Ia .tulipe à celle, médiatisée par
un J~gem~~t, de I ustensile; Dans les deux cas il y
aurait expenence de Ia beauté parce que Ia finalité serait
s~s fin et dans !'~et dans Ia nature. D'un autre cõté,
SI Kunstsoerk désigne I'ceuvre d'artifice en général et
non,l'objet des beaux-arts, I'expérience de Ia beauté en
serart absente dans Ia mesure ou l'intention (Absicht)
~upposée implique une fin et ~ usage déterminables :
il n y aUral~pas seulement finalité mais fin, Ia coupure
pure y serait pansable. L'engin finalisé n'est pas absolu-
ment coupé de son bout, on peut médiatement le pro-
longer vers un but, le suppléer virtuellement, repIacer
le manche dans son trou, remmancher Ia chose, rendre
à Ia finalité sa fino Si l'engin n'est pas beau dans ce cas
, )A ,
C est pour n erre pas assez coupé de son but. 11 y adhêre
encore. 11 y a une adhérence - à suivre - entre le
bout détaché et l'organisation finalisée de l'organe, entre
Ia fin et Ia forme de finalité. Tant que reste une adhé-
rence, füt-elle virtuelle ou symbolique, tant qu'il n'y
a pas de coupure pure, il n'y a pas de beauté. De beauté
pure du moins.
Aussitôt aprês avoir refermé Ia tombe et recouvert le
lieu ~e fouille, Kant pose l'exemple de Ia tulipe :
(( Mais une fíeur, par exemple une tulipe, est tenue
pour beIle parce qu'en Ia percevant on rencontre une
finalité qui, jugée comme nous faisons, ne se rapporte
à aucune fino I)
M<.ON 101
tulipe n'est belle que sur le bord de cette coupure
11 dhérence. Mais pour que Ia coupure apparaisse
I elle ne peut le faire encore que selon sa bordure -
, ut que Ia finalité interrompue se laisse voír, et
11Im finalité et comme interrupture : comme bor-
I a finalité seule n'est pas belle, I'absence de but
11\ plus qu'on distinguera ici de l'absence du but,
I 1 finalité-sans-fin qui est dite beIle (dite étant ici,
I I l'avons vu, l'essentiel). C'est donc le sans qui
ipte pour Ia beauté, ni Ia finalité ni Ia fin, ni le but
manque ni le manque de but mais Ia bordure en
de Ia coupure pure, le sans de Ia finalité-sans-fin.
tulipe est exemplaire du sans de Ia coupure
11
sur ce
tj qui n'est pas un manque, Ia science n'a rien à
r
le sans
I coupure pure s'annonçait dans I'ustensile désaf-
t ,défunt (defunctum), privé de son fonctionnement,
n le trou sans manche de l'engin. Interrompant un
111 tionnement finalisé mais en laissant une trace, Ia
111fta toujours un rapport essentiel avec cette coupure,
hiatus de cet abíme ou surprend le beau. EIle
" nnonce, mais eIle n'est pas beIle en elle-même. Elle
I donne lieu au beau que dans l'interrupture ou elle
I e le sans paraitre. L'exemple de Ia hache déterrée
I it donc à Ia fois nécessaire, non fortuit, et inadéquat.
n suture retient le sans en tant précisément que le
I ours déterminant de Ia science y forme son obiet :
ommence par inférence à juger de ce qui complete
l'ouril, de l'intentíon de l'auteur, de l'utilisation, du
I ut et du bout de l'engin, je construis une technologie,
 102 LA VÉRITÉ EN PEINTURH
une sociologie, une histoire, une psychologíe, un
économie politique, etc.
Tandis que sur le sans de Ia coupure pure Ia science
n'a rien à dire. Elle reste bouche bée. « 11n'existe pas d
science du beau, mais seulement une critique du beau .•
(§4.t, Des beaux-arts.) Non qu'il faille être ignorant pour
avoir rapport à Ia beauté. Mais dans Ia prédication de
beauté, un non-savoir intervient de façon décisive
concise, incisive, en un lieu et à un instant déterminé,
précísément à Ia fin, plus précísément quant à Ia fino
Car Ie non-savoir quant à Ia fin n'intervient pas à Ia
fin, iustement, mais que1que part dans le milieu, par-
tageant le champ dont Ia finalité se prête au savoir
mais dont Ia fin s'y dérobe. Ce point de vue du non-
savoir organise le champ de Ia beauré. De Ia beauté, ne
l'oublions pas, dite naturel1e. Ce point de vue donne
à voir qu'une fin est en vue, qu'il y a forme de finalité,
mais on n'y voit pas en vue de quoi est en vue le tout,
Ia totalité organisée. On n'en voit pas Ia fin. TeI point
de vue, de but en blanc, plie Ia totalité à se manquer
I e1le-même. Mais ce manque ne Ia prive pas d'une
partie. Ce manque ne Ia prive de rien. Ce n'est pas un
manque. L'obiet beau, Ia tulipe, est un tout et c'est le
I
sentiment de son harmonieuse complétude qui nous en
délivre Ia beauté, Le sans de Ia coupure pure est sans
manque, sans manque de rien. Et pourtant dans mon
expéríence de Ia tulipe aecomplie, de Ia pIénitude de
son systême, mon savoir manque de quelque chose et
il le faut pour que je trouve cette totalité be1le. Ce
que1que chose n'est pas que1que chose, ce n'est pas
une chose, -encore moins une partie de Ia chose, un
morceau de Ia tulipe, un bout du systême. Et c'est
pourtant Ia fin du systême, Le systême est entier et
pourtant il manque à mes yeux de son bout, d'un bout
qui n'est done pas un morceau comme un autre, qui ne
se totalise pas avec les autres, ne se soustrait pas
davantage au systême qu'il ne s'y ajoute et qui peut
seul en tous cas, par sa simple absence ou plutõt par Ia
trace de son absence (Ia trace elle-même hors de chose,
absente, de l'absence de rien) me donner ce qu'on
devrait hésiter à appeler encore l' expérience du beau.
103
u1 absence du but ne me Ia donnerait pas, ni sa
n . Mais Ia trace de son absence (de rien), en
, qu'elle forme son trait dans Ia totalité sous l'espêce
tln , du sans-fin, Ia trace du sans qui ne se donne à
1Il pereeption et dont l'invisibilité marque pour-
, ne totalité pleine à Iaquelle el1e n'appartient pas
111 n'en a que faire en tant que totalité, Ia trace du
t l'origine de Ia beauté. Seule el1e peut être dite
11 partir de ce trait. De ce point de vue Ia beauté
, jamais vue, ni dans Ia totalité ni hors d'el1e : le
n'est pas visible, sensible, perceptible, il n'existe
Et pourtant il y en a et c'est beau. Ça donne-le beau.
ans-là est-il traduisible ? Son corps se laissera-t-il
her de sa Iangue sans y perdre un reste de vie?
? ohne? without? aneu? «( Musique hématogra-
u ))du Tympan). La beauté ne va pas sans ce sans,
I n va qu'avee ce sans-là, el1e ne donne rien à voir,
iout pas elle-même qu'avec ce sans-là et aucun
t • Et encore ne (se) donne-t-elle pas à voir avec ce
lã, puisqu'el1e n'a rien à voir, nous venons de le
t avec Ia vue, ou du moins, en toute rigueur, avec
VI ible. Nous venons d'écríre, quelques lignes plus
t : « Ia beauté n'est jamais vue ... le sans n'est pas
ble ... ))
1> cerre trace de sans dans Ia tulipe le savoir n'a rien
íire.
11 n'a pas à-en connaitre. Non qu'il défaille devant Ia
111 e. On peut tout savoir de Ia tulipe, exhaustivement,
u pour quoi el1e est bel1e. Ce pour 9uoi elle est belle
, t pas quelque chose qu'on pourrait savoir un jour,
telle sorte qu'un progres de Ia connaissanee puisse
lu tard nous permettre de Ia trouver bel1e et de
voir pourquoi. Le non-savoir est Ie point de vue dont
I réductibilité donne lieu au beau, à ce qu'on appel1e
I beau.
Le beau de Ia beauté pure et en tant que tel1e. 11
lait insister sur le pur dans Ia trace du sans de Ia cou-
re pure. ]'y reviens maintenant pour ne pas quitter
fleur sauvage.
I ourquoi Ia science n'a-t-elle rien à dire de Ia tulipe
tant qu'el1e est bel1e ?
 104 LA VÉRITÉ EN PEINTURII
Si I'on remonte de l'apparition de Ia tulipe (à Ia fin
du § 17, De l'idéal de beauté, dont Ia tulipe est don
l'exemple final) au paragraphe précédent (Le jugement
de gout n'est pas pur en tant qu'il déclare un objet beau
à Ia condition d'un concept déterminé ), nous rencontron
déjà Ia fíeur - premier exemple - et Ia mise hors jeu
du botaniste quant à ce pour quoi Ia fieur est belle.
« Blumen sind freie Naturschõnheiten )) : les fieurs sont
de libres beautés de Ia nature, des beautés de Ia narure
qui sont libres. Pourquoi libres ?
Deux espêces de beauté : Ia beauté libre (freie
Schõnheit ) et Ia beauté simplement adhérente (bloss
anhiingende Schõnheit ), littéralement « beauté simple-
ment suspendue, pendue-à, dépendant-de. Seule Ia
beauté libre (indépendante) donne lieu à un jugement
esthétique pur, à une prédication de beauté pure. C'est
le cas des fleurs sauvages. Kant donne les équivalents
latins des expressions beauté libre et beauté adhérente,
La beauté libre, celle de Ia tulipe, c'est pulehritudo vaga,
l'autre c'est pulehritudo adhaerens. Pourquoi ces mots
latins entre parenthêses P Pourquoi ce recours à une
langue morte et savante ? C' est une question que nous
devons poser si nous voulons suivre le travail du deuil
dans le ~scou~s sur Ia beauté. Dans Ia premiêre Note
du chapitre swvant, Kant analyse les modeles du goüt
(paradigme, parengon, patron, Muster des Geschmacks).
Il prescrit que, dans les « arts parlants » du moins, les
modeles soient rédigés « dans une langue morte et
savante », Pour deux raisons, lexica1e et grammaticale.
Pour que leur soient épargnées les transformations dont
souffrent les langues vivantes et elles tiennent d'abord
au lexique : vulgarisation des termes nobles, viei11isse-
mc:nt des termes usités, précarité des termes nouveaux;
pws à Ia grammaire : 11 faut que Ia langue qui fixe le
modêle du goüt ait une Grammatik qui ne soit pas sou-
rmse « aux changements capricieux de Ia mode » et se
tienne dans des « rêgles inaltérables »,
Que Ia troisiême Critique propose ou non des modeles
du goüt pour les arts parlants, chaque fois que Kant
recourt à une langue savante et morte, c'est pour garder
les normes dans Ieur état de plus grande rigidité, pour
IION 105
I tire à l'abri du fiéchissement ou de Ia décomposi-
I un caveau hermétique. Quand à fouiller le
J Kant on tombe sur ces mots latins dont on ne
I r nd pas tout de suite (ni parfois jamais) Ia
1\ , on a un peu l'impression de ces ustensiles
I I , dotés d'un trou mais dépourvus de manche et
I I question restait de savoir s'ils sont beaux ou
d'une beauté libre ou d'une beauté adhérente. La
111 de Kant, c'est que leur beauté en tous cas ne
y t être vague ou libre dês lors qu'on pouvait
11 ter d'un savoir, suppléer d'une thêse ou d'une
nh e.
u signifie cerre opposition? Pourquoi l'équiva-
de libre et de vaga? Libre veut dire libre de toute
h adhérente, de toute détermination. Libre veut
" taché. 11avait été annoncé que ee diseours traitait
I t chement en tous sens, le sens et le sans du déta-
m nt. Libre veut dire détaché de toute détermination:
uspendu à un concept déterminant le but de
I I t. La pulehritudo vaga ou beauté libre ne présup-
ucun concept (setzt keinen Begriff, et pour nous
I ngue savante et morte, c'est l'allemand, que nous
IIn , dont nous usons avec tous les jeux de mots et
modes, avec les caprices grammaticaux les plus vite
I de ce que l'objet doit être (oon dem uoraus, toas
,. Tegenstand sein soll ), Libre veut done dire, dans le
111 ept qui le rapporte à Ia beauté, détaché, libre de
I adhérence au concept déterminant Ia fin de l'objet.
I comprend mieux l'équivalence de libre et de vague.
a est Ia chose indéfinie, sans détermination et sans
tination (Bestimmung), sans fin, sans bout, sans
ite. Un terrain vague n'a pas de limite arrêtée.
n bord, sans bordure de propriété, sans cadre indé-
unposable et qui ne supporte Ia partition. Vague est
I mouvement sans son but, non pas sans but, mais
son but, La beauté vague, celle qui seule donne
u à une prédication de beauté pure, est une errance
I finie, sans limite, qui se tend vers son orient mais
n eoupe plutõt qu'elle ne s'en prive, absolument.
1 ne s'arrive pas à sa destination.
La beauté adhérente au contraire se suspend par
106 LA VÉRITÉ EN PEINTURI
quelque attache au concept de ce que doit être l'objet.
Elle y est quelque part, si faible, ténu, entrevisibl
qu'en soit le ligament, pendue, appendue. Premiêr
conséquence : coupée du concept de son but, la beaut
vague ne renvoie qu'à elle-même, à l'existant singulier
qu'elle qualifie et non au concept sous lequel il esl
~mpris. La tulipe n'est pas belle en tant qu'elle appar-
nent à une classe, répondant à tel concept de Ia véritabl
tulipe, de Ia tulipe parfaite. Cette tulipe-ci, elle seule eSI
belle «( une fíeur, par exemple une tulipe n), elle, Ia
tulipe dont je parle, dont je dis ici maintenant qu'elle est
belle, devant moi, unique, belle en tous cas dans sa
singu1arité. La beauté est toujours belle une fois, même
si le jugement Ia classe et entraine Ia fois dans Ia séri
ou dans la généralité objective du eoneept. C'est 1
paradoxe (Ia classe qui sonne - ímmédiatement - le
glas de l'unique en beauté) de Ia troisiême Critique
comme de tout discours sur le beau : il doit n'avoir
affaire qu'à des singularités qui ne doivent donner lieu
qu'ã des jugements universalisables. D'oü le parergon,
l'importation des cadres en général, ceux de Ia pre-
miêre Critique en particulier.
Inversement, Ia beauté adhérente, dês lors qu'elle
requiert le coneept déterminant d'une fin, n'est pas Ia
beauté inconditionnelle d'une ehose, mais celle, hypo-
thétique, d'un objet compris sous le concept d'une fin
partícuííere. « La premíere [Ia beauté libre] ne présup-
pose aucun concept de ce que doit être l'objet; Ia
seconde présuppose ce concept, ainsi que la perfection
(Vollkommenheit, Ia plénitude, l'aceomplissement) de
l'objet d'aprês lui. Les beautés de la premiêre espêce
s'appellent beautés (existant pour elles-mêmes, für sich
bestehende) de cette chose-ci ou de cette chose-là
(dieses oder jenes Dinges}; l'autre beauté, en tant que
dépendant d'un concept (ais einem Begriffe anhãngend,
appendue à un concept), est attribuée à des objets
(Objecten) qui se tiennent sous le concept d'un but
particulier. »
Le ceei beau est donc beau pour lui-même : il se
passe de tout, il se passe de vous (en tant que vous
existez), il se passe de sa classe. L'envie, Ia jalousie, Ia
1°7
ufication travaillent au-dedans notre affect, qui
traient alors à cette sorte d'indépendance quasi nar-
I ue du ceei beau (ceci plutôt qu'objet) qui ne ren-
rien d'autre qu'à lui-même, qui ne fait signe vers
d déterminable, pas même vers vous qui devez y
ncer, mais comme un voyeur, à l'instant ou le eeci
onne, en tant qu'il se donne, ne faisant pas signe
a fin ou plutõt, signant sa fin, s'en coupe et
che absolument. La tulipe, si elle est belle, cette
irremplaçable dont je parle et que je remplace en
nt mais qui reste irremplaçable en tant qu'elle est
I ,cette tulipe-ci est belle parce que sans fin, complete
que coupée, d'une coupure pure, de sa fino
I faut bien aiguiser les pointes, les lames ou les fils
certain ehiasme. Cette tulipe-ci est belle parce que
ou vague, c'est-à-dire indépendante. Elle jouit,
11 -même, d'une certaine complétude. Elle ne
que de rien. Mais elle ne manque de rien parce
I' lle manque de fin (dans l'expérience du moins que
en faisons). Elle est in-dépendante, pour elle-
e, en tant qu'ab-solue, absoute - eoupée - abso-
«(
nt coupée de sa fin forme parfaite : celle d'une
I») : absolument íncomplête, done. Inversement,
in déterré, concavité privée de son manche, parait
omplet et pourtant on le rattache au concept d'une
f ction. En tant qu'incomplet il se laisse appréhender
le concept de sa perfection, Sa beauté, s'il c:n a,
I adhérente. La coupure n'y est pas pure. Nous
n donc affaire à deux structures complêtes-incom-
I I . L'engin troué est complet parce qu'incomplet,
11 tulipe est incomplête parce que complete. Mais
in reste incomplet parce qu'un concept peut le
plir. Cette tulipe est d'abord complete parce que le
me pt ne peut pas la combler. La coupure n'y laisse
I une peau, aucun tissu d'adhérence. Une fíeur belle
I touiours en ce sens une fíeur absolument coupable
olument absoute, innocente. Sans dette. Non pas
loi mais d'une loi sans concept. Et un coneept
mit toujours un supplément d'adhérence. Il vient
moins recoudre, il apprend à coudre. Nous n'en
n pas fini de compter les effets de ce chiasme.
 108 LA VÉRITÉ EN PEINTURI!
A cause d~ Ia coupure, Ia science n'a rien à dire du
vague. Aussitôt aprês Ia distinction entre les deux
beautés : « ~~ fteurs sont de libres beautés de Ia nature,
Ce que doit etre cette chose, une fteur, presque per-
so~ne ne le s~t, ,hors le botaniste ; et même celui-ci,
qUI y reconnart I organe de Ia fécondation (Befruch-
tungsorgan) de Ia plante, ne tient aucun compte de
cette fin naturelle quand il en juge suivant le goüt. )I
En tant que t~l~en tant qu'ilínscrit son obiet dans Ie
cyc1e de Ia finalite naturelle, Iw reconnaít une fonction
et une fin objectives, le botaniste ne peut trouver Ia
fleur belle. Tout au pIus peut-il en concevoir une
beauté adhérente. Si un botaniste accêde à une beauté
vague, ce ne sera pas en tant que botaniste. Le discours
sC1en~lfiquesera devenu en lui muet ou impossible. Il
n~ disposera plus de concept supplémentaire, c'est-à-
dire de concept, de concept en tant que généralité satu-
rante ~enant boire o.u effacer Ie sans de Ia coupure pure.
11 n est ~as ínsignífianr - c'est Ia signifiance même-
que le discours sur Ia fleur devienne scientifique
rattache, Ia fteur à son bout, efface Ia beauté du sans e~
reconn,aIssant à Ia fleur sa fonction dans le cyc1eséminal.
La tulípe est ~~lle coupée de Ia fécondation. Non pas
stérile : Ia stérilité est encore déterminée depuis Ia fin
?U comm~ fin de Ia fi~, incomplétude de Ia complétude:
ímperfectíon, La tulipe est à cet égard puissante et
c?mplet~. Elle ~oit pouvoir entrer dans le cycle de Ia
fécondanon. MaIS elle n'est belle qu'à ne pas yentrer.
La semence s'y perd mais non pas - ici le mot de
perte risque à tout instant de recomposer l'adhérence
comme si un morceau était détourné d'une circulatio~
à reconstituer - pour être perdue ou refinaliser sa
perte en réglant le détournement sur le tour ou le
retour, mais autrement. La semence s'erre. Ce qui est
beau, ~'est Ia dissémination, Ia coupure pure sans
negatlvlt~, ,un sans. sa~s négativíté et sans signification.
La négativité est sígníâanre, elle travaille au service du
se,ns. La .négatíviré de l'engin troué est signifiante.
C ~st ~ sígníâant. ~e sans-but, le sans-pourquoi de Ia
t~pe n es~ p~s signifiant, n'est pas un sígnífiant, pas
meme un sígnifiant du manque. Du moins en tant que Ia
ARERGON 109
ipe est belle, cette tulipe-ci, En tant que tel, un
gnifiant, même un signifiant sans signifié, peut tout
uf être beau. A partir de lui on peut rendre compte
tout sauf de Ia beauté, voilà du moins ce que semble
velopper Ia tulipe kantienne ou saussurienne.
Les exemples alors proposés par Kant sont, comme
oujours, de grande portée. J e procede depuis les
emples, on sait maintenant selon quelle voie, mais
I'insiste ici sur le retors réfléchissant : nous nous
prochons de deux paragraphes délimitant ce que
ant appe1le exemplaire et exemplaire sans concept, La
écessité « pensée » dans un jugement esthétique ne
t être dite qu' « exemplaire » (exemplarisch). C'est
nécessité de l'adhésion de tous à un jugement comme
emple (Beispiel) d'une rêgle universelle que l'on ne
ut énoncer (Angeben) (§§ 37 et 38, c'est au cours du
assage de Ia troisiême à Ia quatriême catégorie, du
moment de Ia relation au moment de Ia modalité). Tel
erait l'effet de bouche bée provoqué par un exemplaire
unique dont Ia beauté doit être, dans un jugement
(bouche ouverte), reconnue sans discours conceptuel,
s énoncé de rêgles (bouche muette, souffie coupé,
parole souffiée).
Deux ordres d'exemples : de beautés libres naturelles,
analogues à ce1le de Ia fleur (animaux sauvages, oiseaux,
le perroquet, le colibri, l'oiseau de paradis), mais aussi
de beautés libres artificielles, étrangêres à Ia nature.
On prévoit de grandes difficultés. Comment des pro-
ductions de l'art pourraient-elles nous apparaitre
comme des finalités sans fin ? Insignifiantes ? Coupées
du but?
Et pourtant il faut bien qu'il y en ait si Ia beauté
Iibre, vague, errante, pure nous touche aussi dans l'art.
Or quels sont ces exemples ? Quels sont les exemples
de productions d'art qui sont belles sans rien signifier
par et pour elles-mêmes (bedeuten [... ] lür sich nichts)
et sans rien représenter? Sans thême et même sans
teste, si texte garde son vieux sens d'organisation
signifiante, de signifiance? Sera-t-on surpris d'y ren-
contrer le cadre ou du moins certaines inscriptions
d'encadrement?
 110
LA VÉRITÉ EN PEINTURE
« Les fleurs sont de libres beautés de Ia nature. Ce
que doit. être cette chose, une fleur, presque personne
ne le sart, hors le botaniste; et même celuí-ci qui y
• l' ,
r~connatt organe de Ia fécondation de Ia plante, ne
?ent a':lCUDcompte de cette fin naturelle quand il en
juge swvant le goür. Donc on ne fonde pas ce jugement
~ur une perfection quelconque, ni sur quelque finalité
interne en rapporr avec Ia composition (Zusammenset-
zung) de Ia multiplicité. De nombreux oiseaux (te
perroq~et, le colibri, l'oiseau de paradis), une foule de
crustaces de Ia mer sont pour eux-mêmes des beautés
qui ne reviennent à auCUDobiet déterminé d'aprês des
concepts relativement à sa fin, mais qui pIaisent (gefal-
len) librement et pour elles-mêmes, » Voiei maintenant
l'autre série d'exemples : des beautés libres dans l'art,
toute adhérence coupée au concept et à Ia fin, au
concept de Ia fin, ne sont pIus des significations ni des
représentati?ns~ ni des signifiants ni des représentants.
Dans Ia rhetonque du paragraphe, ce deuxiême type
d'exemple parait aussi fonctionner comme l'illustration
insistante et métaphorique du premier. On recourt à
I'exemple de l'art pour mieux nous faire comprendre
ceIw d~ Ia nature sur un fond d'analogie : « Ainsi {So )
Ies dessins à Ia grecque [dessins en ligne droite de forme
Ia~yrinthique l, les rinceaux d'encadrement [Laubwerk su
Emfassungen, structures feuillées] ou sur tapisseries de
papi~r, etc., n~ sígnífienr rien pour eux-rnêmes ; ils ne
representent nen (sie stellen nichts uor), auCUDobjet
sous un concept déterminé, et ce sont des beautés libres.
On 'peut encore compter dans cette classe ce qu'en
f!luslque on appell~ Phantasieen [improvisation, varia-
non libreJ (sans theme) (ohne Thema ) et même toute
Ia mus~que sans texte (die, ganze Musik ohne Text ), )I
Serait donc belle, selon I art et d'une beauté libre ou
errante, donnant alors lieu à un jugement de goüt pur
toute organisation finalisée ne signifiant rien, ne mon~
trant rien, ne représentant rien, dépourvue de thême et
de t.exte (au sens c1assique). Ces structures peuvent
aussi représenter, montrer, signifier, certes, mais elles
n~ sont des beautés librement errantes qu'à ne pas le
faire : en tant que quelque part elles s'empIoient ou se
RGON 111
nt à ne plus le faire. Elles s'y emploient car elles
ivent être aussi des organisations de forme finalisée
quoi elles ne seraient pas belles. Le sans-thême et
ans-texte procêdent bien du sans de Ia coupure pure.
ut insignifiant n'est pas beau. Les rinceaux d'enca-
ent, par exemple, peuvent représenter des feuillages
's ils ne déploient Ieur beauté que sans Ia représen-
tion. Il faut néanmoins que leur insignifiance, Ieur
ignifiance plutõt ait forme de finalité, mais sans fino
On pourrait être tenté, en exploitant cet exemple,
rien ne l'interdit en droit, de conclure que contraire-
ent à ce que nous étions fondés à penser ailleurs,
on Kant, le parergtm constitue le lieu et Ia stru~e
Ia beauté libre. Otez d'un tableau toute représentation,
ute signifiance, tout thême et tout texte comme
uloir-dire, enlevez-lui aussi tout le matériau (Ia toile,
couleur) qui selon Kant ne peut être beau pour lui-
ême, effacez tout dessin orienté par une fin détermi-
ble, soustrayez le fond mural, son soutien social,
i torique, économique, politique, etc., qu'est-ce qw
te? Le cadre, l'encadrement, des jeux de formes et
e lignes qui sont structurellement homogênes à Ia
ructure de cadre. Il serait donc difficile, sinon impos-
ible, de concilier pourtant ce que Kant énonce deux
es plus haut du parergon er ce. qu'il dit icí des
rinceaux d'encadrement ou de Ia série des productions
ans thême et sans texte qui lui sont analogues. La
ifticu1té permet d'aiguiser un tranchant.
Comme le rinceau d'encadrement, le parergon d'enca-
rement est a-signifiant et a-représentatif. Autre trait
mmun, I'encadrement peut aussi, en tant que parergon
( ddition extérieure à Ia représentation), participer,
jouter à Ia satisfaction du goüt pur, pourvu qu'il le
fasse par sa forme et non par l'attrait sensible (Ia couleur)
ui le transforme en parure. Il peut donc y aVOIrune
ertaine beauté du parergon, même si elle est justement
uppIémentaire. Qu'est-ce qui sépare maintenant le
parergon du rinceau d'enca~rement et .d~ aUl!es pro-
duits du même type? Le nnceau est lC1 considéré en
lui-même, comme objet et non comme accessoire. S'il
e passe de signifiance et de représentation, ce n'est plus
112 LA VÉRITÉ EN PEINTURI ARERGON II3

u tout comme le cadre. Le cadre ne signifie rien, un

int c'est tout, semble penser Kant. On ne voit
'annoncer en lui aucune signifiance, rien en lui n'est
nalisé ni finalisable. Tandis qu'ici le mouvement de
I ignification et de Ia représentation est entamé : les
mceaux, l'improvisation musicale pure, Ia musique
thême ou sans texte semblent vouloir dire ou
ontrer quelque chose, ils ont forme d'être tendus vers
uelque fino Mais cette tension, cette vection, cette
íon est absolument interrompue, d'un coup neto
Ile doit l'être : à devoir l'être, purement, absolument,
I ant toute adhérence à ce dont elle se coupe, elle
libereIa beauté (libre, errante et vague). A devoir l'être,
I sans-texte et le sans-thême se rapportent à Ia fin sur
I mode du non-rapport. Absolu. Et à devoir l'être, ce
n-rapport absolu doit aussi, si c'est possible, s'inscrire
aos Ia structure de l'artefact. Le sans du sans-thême
t du sans-texte doit se marquer, sans être ni présent ni
bsent, dans Ia chose à laquelle il n'appartient pas et
ui n'est plus tout à fait une chose, qu'on ne sait plus
ommer, qui n'est pas, une fois affectéepar Ia marque,
un support matériel ni une forme de ce qui ne se trouve
ni ici ni là, et qu'on pourrait indiquer, à Ia condition
d'un certain déplacement, sous le nom de texte ou de
trace --
I

tran-
chante ou tranchée soit-elle, irréconciliable en appa-
rence, l'opposition entre Ia pulchritudo vaga et Ia
pulchritudo adhaerens ne doit-elle pas quelque part trou-
ver sa limite? La non-adhérence absolue devrait certes
n'avoir aucun contact, aucune frontiêre commune,
aucun échange avec l'adhérence : aucune adhérence
possibleentre l'adhérence et Ia non-adhérence. Et pour-
 II4 LA VÉRITÉ EN PEINTURlI
tant ~ette rupture de contact, cette séparation même
constitue une limite, un blane, l'épaisseur d'un blanc
- un cadre si vous voulez - qui en suspendant le
rapport, les met en rapport sur le mode du non-rapport
reproduisant ici à Ia [ois Ia liberté de Ia beauté vagu:
et l'adhérenee de Ia beauté adhérente. Pas sans rapport
de l'une à l'a':ltr~, d~ lors que I'une garde de l'autre.
Ce jeu de Ia limite n est pas un exercice algébrique. II
s'annonce três concrêtement dans le texte de Kant.
D'abord par le fait que l'opposition de l'errant et de
l'adhérent est une opposition prédicative. Errant et
adhérent sont des prédicats pour le beau. On peut et
on doi~ done se demand~r. e~ que e'est que Ia beauté
en général avant que Ia division de celle-ci ne s'élance
dans son procês arborescent, avant qu'elle ne se déter-
mme, depuis une racme commune, en beauté adhérente
ou en beauté errante. Ne faut-il pas pré-comprendre ce
que e'est que Ia beauté elle-même, l'essenee ou Ia
p~~ene~ du beau pour entendre quelque ehose à Ia
distinction entre errant et adhérent ? et pour que mal-
gr~ l'hétérogénéité absolue que rappelle Kant,' nous
puissrons eneore parler de beauté dans les deux cas?
Il devrait done bien y avoir quelque part une adhérence
entre les deux beautés.
On peut imaginer que Ia logique du diseours kantien
récuse d'avance cette forme de question : il n'y a pas
de « racine commune » aux deux beautés, L'essence de
Ia beauté, nous ne Ia pré-eomprenons pas dans le
co~~ des deux types, mais d'abord à partir de Ia
bc;aute libre donnant lieu à un jugement esthétique puro
C est le pur qui nous donne le sens de Ia beauté en
g~néral, le telos pur de Ia beauté (eomme non-telos).
C est .Ie pIus beau q~ nous donne à penser le beau
essentiel, f!t non le moins beau qui en reste une approxi-
manon tiitonnante en vue de l'erranee. L'adhérenee
serait en vue de l'erranee. Ce qui se pense selon sa fin
(son telos déterminé) serait en mouvement vers ee qui
se passe de telos. Le telos des deux beautés serait le
sans : Ia non-présentation du telos.
C'est ~e premiêre maníêre de récuser Ia. question
de Ia racme commune. Elle parait três conforme à Ia
ARERGON II5
ique du discours : le pur vaut mieux que Ie non-pur.
t pourtant, à partir du moment ou Ia réponse contraire
Ataussi pertinente et Ia dissymétrie peut s'inverser,
question initiale de Ia racine eommune (eomme adhé-
ee) oblige, depuis son irréductibilité, à une refor-
ulation. Si Ia beauté errante entrenent un rapport de
n-rapport à Ia fio, son horizon est l'annonce, frappée
'impossiblité, de Ia fio, faisant pression, exerçant une
ntrainte depuis son impossibilité même d'une fio dont
e Ia pulchritudo adhaerens nous donne I'exemple.
es lors Ia beauté adhérente est peut-être moins pure
ais elle est plus belle et plus parfaite que Ia beauté
vague. De Ia beauté elle nous dit plus. ~~e n,?us .dit
lus sur ee que doit être l'accord entre I unagmanon
l'entendement qui produit l'idée de beauté. La
uté adhérente serait plus belle que Ia beauté pure.
t elle donnerait Ia raison de l'analogie entre les deux
utés,
Chacune nous dit done plus et moins que l'autre ee
ue doit être le beau. Y a-t-il un maximum d'adhérenee ?
n maximum de liberté
L les trois questions : I. Ia
question de l'analogie comme question de l'homme, de
Ia place de l'homme dans cette critique. Elle prend au
moins trois formes. A) Qu'en est-il de Ia beauté de
l'homme et de Ia femme dont Kant déelare qu'elle ne
aurait être qu'adhérente? B) Qu'en est-il de Ia place
de I'homme en tant que « seul capable, parmi tous les
objets du monde, d'un idéal de beauté »? Et quel
rapport y a-t-il entre Ia beauté adhére~lte de l'homme et
le fait qu'il soit seul porteur de l'idéal de beauté?
C) Pourquoi le systême et Ia hiérarchie des beaux-arts
sonr-ils eonstitués (§ 51) sur le modele analogique du
 II6
LA VÉRITÉ EN PEINTURE
langage humain, et du langage dans son rapport au
corps humain, cela. non sans quelque embarras signalé,
encere en note mais non sans une ngoureuse nécessité
Interne de Ia Critique.
r 2. LB: q~estion ~e l'imagination productive et de Ia
p odu~v1te humwn~. Il n'y a pas d'expérience de Ia
beaute sans une « liberté de jeu de l'imagination »,
On ne pense pas ici l'imagination d'abord et seulement
comme Ia faculté de l'étant appelé homme mais à partir
du sans de Ia coupure pure (de Ia beauté vague). Or au
moment (le quatriême Momem) ou Kant propose une
R~qu~ générale sur I'imagination, i! distingue entre
~e lmag~atlon. reproductive .(lieu. d~ l'imitation et
une certame m"ne~s) et une imagmanon productive,
sPOntanée . [productio und selbstthãtig}, celle qui se
trouve «71 jeu dans I'expérience de Ia beauté vague et
dans le iugement esthétique puro Que faut-il entendre
par certe productivité et par ce libre jeu dom Ia valeur
~~struira l'opposition entre l'art mercenaire et l'art
li,i?éral,le seul qui soit bel art en tant qu'il joue et ne
s échange contre aucun salaire ? 11 faudra mettre systé-
matJquement en rapport avec toutes les questions précé-
dentes celle de Ia productivité, du salaire et du
marché 1.
3· .T~ut ce discours concemait, jusqu'ici, le beau.
Celui-cí se rapporte, sur Ie mode de Ia détermination
ou de l'ind~termination, à une fin et à un accord, à
une harmonie, à une convenance de l'imagination avec
Ia nature ou avec l'art. Le sans découpait aussi sur le
made du non-rapport, l'anticipation d'une h;rmonie
~ale. D'ou l~ pl~re, l~ p~sir ~si~ ~s I'expérience
du t>;au. Et I'indétermination, l'indéfinité était toujours
e 1enten~ement devant une expérience essentielle-
m~t sensible. ~a raison n'était pas encore en scêne.
L exclu de ce discours (et l'exc1u du dedans forme ce
manque au-dedans qui appelle toujours le cadre parer-
gonal), ce n'est donc pas le sans du sans-fin mais le
contre de. l~ contre-fin. La question de Ia contre-fin
(Zr.oeckwidngkeit) usant de violence et produisant ce
I. c:f. &onomimuis, tIP. dt.
RGON II7
ue Kant appelle non pas un au-delà du pl~sir ou ~
1 isir de l'au-delà, mais, d'une formule qw pourrait
er dans « Au-delà du príncipe du plaisir », un
plaisir négatif » (nega tive .Lust), c'est ~a question du
ub/ime. Kant explique qu'il doit en traiter seulement
appendice, en simple appendice adhérent à l' Analy-
,.que du beau (eir:zen blossen Anha,!g) .•.Tandis qu~ « le
u fait naitre directement par lw-meme un sennment
'intensification (Beforderung : accélération aussi) de Ia
ie et peut s'unir par suite avec les attraits et l~ leu de
l'imagination [formul~ p.lus níetzschéenne que N,letzsche
l'aurait cru], celui-ci [le sentunent du sublime] est
n plaisir qui ne jaillit (entspríngt). qu'indirectement,
avoir de telle sorte qu'il est produit par le sennment
'une inhibition (Hemmung, d'un arrêt, d'une rétention)
tantanée (augenblicklich) des forces vitales aussitõt
uivi d'un épanchement (Ergiessung : déversement)
'autant plus fort de ces ~êmes forces », .
Qu'en est-il de ce regam de force produit par une
triction et par une contre-striction ? Quel rapport cela
ntretíent-il, dans l'appendice du sublime, avec le
plaisir négatif » ?
Le parfum de Ia tulipe, d'une qui serait pourpre,
peut-être de pudeur, mais encore, ce n'est pas
Ilr-
« La fleur est une des passions typiques
de l'esprit humain. L'une des roues de
son manege. L'une de ses métaphores de
routine.
L'une des invo/utions, des obsessions
caractéristiques de cet esprit.
Pour nous libérer, libérons Ia fieur.
Changeons d' opinúm quant à elle.
Hors de cet imJolucre :
 118
LA VÉRITÉ EN PEINTURIl
Le concept qu' e//e devint,
Par que/que révo/ution dévo/utive,
Rendam-/a, sauoe de toute définition
à ce qu'elle est,
- Mais quoi dane?
- Bien évidemment : un concep-
tacle. ))
L'opinion ehangée quant aux
fíeurs,
I- " place l'homme. Son lieu
est assez <pfficile.à reconnaitre dans Ia troisiême Critique.
11 y parart mobile et multiple,
11 ~aut d'abord expliquer pourquoi I. l'homme ne
peut etre bea~. selon l'errance, obiet d'un iugemenr de
goüt pur; 2. l'idéal d.u bea~ ne peut se rencontrer que
dans I~ forme humame. L enchainement de ces deux
proposmons I':ut surprendre : pas de beauté libre ou
vague? pas de rugemenr de goüt pur quant à Ia forme
humame à laque~e pourtant revient, à elle seule
réservée, ~ beauté idéale, La beauté idéale et l'idéal du
beau, ,ce n est pas, conceptuellement, Ia même chose,
1l1a1S I homme est I~ nom de ce qui assure leur échange :
leur necessme et immédiare équivalence
. La déte~na.tio~ conceptuelle de Ia fu
libre de Ilmagmatlon. Le sans ouvre le [eu dans Ia
limite le jeu
beauté.
Or Ia beauté de l'homme ne peut être libre errante
o~ va~e eo~me. e~ll~ ?e Ia tulipe. Elle ne ~ut done
s 0';lvnr au ,eu, illímité de I'imagination productive.
Qw ~urtant n appartient qu'à I'homme, Celui-ci se
sous~t done à un pouvoir d'erranee qu'il est seul à
détenir,
L'exemp~e .de Ia beaut~ de l'homme s'inscrit d'abord
dans une sene, Le prédicat eommun, c'est le rappon
GON 119
coneept d'une fin qui détermine ce que I'objet doit
, à savoir sa perfection. Les exemples : l'homme
général : homme, femme, enfant, dit Kant), le cheval,
. ce (Gebaüde), L'homme, le cheval et l'édifice
pposent un concept de Ia fin et ne sauraient être
réhendés eomme des beautés libres.
Comment expliquer que Ia beauté d'un cheval ne
isse être qu'adhérente? D'autres animaux (oiseaux ou
tacés) avaient été classés parmi les beautés libres de
nature. Pourquoi, inversement, certaines fleurs ne
urraient-elles être déterminées depuis le concept de
but? Sans doute le sont-elles du point de vue du
taniste mais ce point de vue n'est pas le point de vue
Ia beauté. 11 faut ehoisir entre ne point voir Ia beauté
e et ne point voir Ia fino Mais cette possibilité de
nrier le point de vue, de faíre ou non abstraction de
fin, de considérer ou non Ia féeondation (tel était le
'tere), nous en disposerions dans le cas de Ia fieur, des
i eaux ou des crustacés, jamais dans te cas du cheval.
i de l'homme. Nous en disposerions dans le cas des
essins à Ia grecque, des rinceaux d'encadrement, des
pisseries de papier, des musiques sans thême et sans
ate, jamais dans le cas de ces autres artefacta que
nt les édifices (l'église, le palais, l'arsenal, le kiosque).
ourquoi?
Certe question est plus obscure qu'il n'y parait. Rien
De semble pouvoir y répondre dans le contexte immé-
diat de l'argumentation kantienne. 11 faut alors recentrer
toute cette critique du jugement esthétique, reconnaitre
quel point elle anticipe téléologiquement Ia critique
du jugement téléologique, et en elle les propositions
concernant Ia pIace de l'homme dans Ia nature. Seu1e Ia
deuxiême partie de Ia Critique peut en effet justifier,
dans Ia systématique interne du livre, ce qui se dit ici
des deux beautés et notamment ce choix d'exemples.
On aurait cerres pu s'en douter et ce n'est pas découvrir
grand-chose : un tel livre doit se lire depuis l'autre
bout. Mais il est rare que dans un discours aimanté par
sa fin les propositions médianes restent aussi suspendues,
immédiatement iniustifiables, voire inintelligibles, que
dans le cas qui nous oecupe.
 120 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
. C'est surtout le cheval qui gêne. On admet à Ia
ngueur . qu'il soit difficile, voire impossible de faire
abstraction d'une fin dans Ia représentation de l'homme
ou. de ses édifices. Mais quelle différence y a-t-il, de ce
poinr de vue, entre Ie cheval, un oiseau et un crustacé ?
Or pour répondre à Ia question du cheval il faut tenir
compte ~e Ia place ,de l'h?mme : no~ plus ~omme objet
beau (d une bea~te adher~n~e) ~81S comme sujet des
Ju~ements esthétique et téléologique. Si le sujet qui
opere ces jugements n'est pas reconnu comme unité
~tIu:0p~logique, si le jeu de ses fonctions (sensibilité,
imagmauon, entendement, raison) n'est pas lié selon
une organisation finalisée sous le nom d'homme occu-
pant une place privilégiée dans Ia nature rien de tout
cela n'est íntelligible, et rien d'abord de ce:':e opposition
entre I'errant et l'adhérent. Si en revanche une anthro-
pologie déte~.née intervient dans cette critique du
Jugem~nt esthétique, toute une théorie de l'histoire de
Ia société et de Ia cu1ture décide au moment le plus
formellement critique. Elle pese de tout son contenu sur
les cadres.
Kant avait proposé deux séries de distinctions
(§ ~5).. D'abord en~~e Ia finalité objective et Ia finaliü
subJectwe. La prenuere rapporte une organisation à S8
fin, telle qu'e11e est déterminée par un concept, c'est-ã-
dire à sa fin comme contenu et non simplement comme
forme, Or te beau, jugé dans sa finalité formelle n'a
~u~ co~tepu final. 11n'a donc pas de rapport à ~ que
1objet doit etre, à une perfection ou à un bien : finalité
formelle et subjective.
La finalité objective, déterminée dans son contenu par
~ concept, peut être - deuxiême distinction _
tnt~ .ou ~xterne. Externe, e11e consiste en l'utilité
(Nutelichkeit}, celle par exemple d'un ustensile avec
ou sa~s manche. Cette utilité est facilement déterminée
du pom.t de vue de l'homme, sa détermination anthro-
pocentnque ne surprend pas. Mais comment introduire
Ia référence ~umaine. dans Ia finalité interne, que Kant
nomme aUSSIperfection (Vollkommenheit)? On a sou-
vent confondu Ia perfection et Ia beauté. Kant tient à
rompre avec cette tradition. Le jugement de goftt ne
RGON 121
e en aucun cas sur Ia perfection de I'objet, sur sa
ibilité interne d'existence. Pour juger de celle-ci, je
disposer du con~pt d~ ce que? 9~titat!-vement et
irativement, l'obiet dote lere. 51 je n en dispose pas,
eulement une représentation formelle de .l'objet.
, t même Ia définition d'une telle représentation : le
-savoir de ce que l'obiet doit être? de sa fin~t~
.ective, exteme ou interne. 11 y a bien une. fínalíté
jective des représentations, « une certame aisance à
prendre une forme donnée dans l'imagination »,
sans concept de fin objective. La beauté errante
rrespond à une finalité subjective, sans fín, s~s
ntenu, sans concept. Finalité subjective ou finalité
fin d'un côté, finalité objective de l'autre. Le sans-
de Ia finalité n'est contradictoire que dans le cas de
finalité objective.
Les trois exemples de beauté adhérente (homme,
eval, édifices) supposen~ non seulement le ;oncept
'une finalité objective mais qu'~n. ne puisse meme.pas
faire abstraction dans I'expérience de ces objets.
sans du sans-fin ne peut s'y découper, füt-ce en
e variation de point de vue. .
C'est que malgré leur diversité apparente, ces trois
emples sont anthropologiques (le cheval est aussi pour
I'homme, pour Ia nature ~o.nt le centre est homme) et
I'homme, sujet de cette cnnque, ne peut pas se penser
ns sans fin comme une pure forme ou une errante
~té. Et pa~ce qu'il est capable d'un idéal de beauté,
otion à définir dans un instant, il ne peut pas se penser
ans (but ou fin), être beau d'une beauté pure, vague
libre, ou du moins s'apparaitre tel.
Reprenons les exemples dans l'ordre inverse~ ~'~difice
t compris à partir du concept de sa fín, 1eglise en
vue de cu1te, le palais en vue de l'habitation, l'arsenal
vue de Ia mise en réserve des armes ou des muntnon~.
ésaffectés, ils garderont encore le sen~ de leur ,desn-
nation finale. Ce n' était pas le cas des nnceaux d enca-
drement. La fin de l'édifice est déterminée par et pour
le sujet ((homme », .
Mais quoi du cheval ? Quelle est Ia finalité dont on
De peut faire abstraction, comme dans le cas des oiseaux
122 LA VÉRITÉ EN PEINTURll
ou des crustacés? Et cette finalité a-t-elle un rapport
essentiel avec l'homme ? . Pour comprendre l'exemple d~ chev~, so~ fonctio.n-
On devrait pouvoir faire abstraction de Ia fínalité
interne du cheval et le considérer - pourvu qu'il ne
soit ni chãtré ni stérile mais abstrait en pleine forme du
processus de reproduction - comme une beauté sau-
vage et errante de Ia nature. Mais c'est de sa finalité
exteme que Kant ne fait pas abstraction. Et c'est dans
sa finalité externe qu'i1 identifie sa finalité interne : le
cheval est pour l'homme, au service de l'homme et
perçu seulement par l'homme dans sa beauté adhérente.
Telle est sa destination interne: l'externe. Pour l'homme,
pour un être qui ne peut lui-même que tenir à son
adhérenee. La subjectivité est l'adhérence,
Pour justifier ainsi le choix de l'exemple, il faut aller
voir ce que Ia deuxiême partie du livre (notamment au
§ 83) nous dit de l'homme : celui-ci est, comme tous les
êtres organisés, une fin de Ia nature mais i1 est aussi,
sur terre, ici, Ia fin derniêre de Ia nature. Tout le
systême des fins est orienté par lui et pour lui. Cela
est conforme aux principes de Ia raison. Pour le juge-
ment réfléchissant, bien entendu, et non pour le jugement
déterminant. L'homme est le but demier de Ia nature.
S'il faut chercher quelle fin il doit lui-même atteindre
dans son rapport à Ia nature, ce doit être une fin rendue
possible par Ia bienfaisance (Wohltiitigkeit ) de Ia
~ture. Kant a nommé (§ 82) Ia terre matemelle, 1e
sem maternel de Ia mer (Mutterboden (des Landes) und
der.Muttersehooss (des Meeres)) : nous ne pouvons, du
pomt de vue de notre entendement et de notre raison,
concevoir les êtres que selon des causes finales, c'est-ã-
dire subjectivement, I'opposition antinomique du fina-
lisme subjectif et du mécanisme objectif devant se
résoudre dans le principe suprasensible de Ia nature
«( hors d~ nous comme en nous »). La fin que l'homme
doit atteindre dans Ia nature est done rendue possible
par Ia bienfaisance de Ia nature - et ce serait le bon-
heur - ou par l'aptitude habile à toute sorte de fins
pour lesquelles Ia nature (intérieurement et extérieure-
ment) serait utilisée - et ce serait Ia culture (eu/tur)
de l'homme. Bonheur et culture supposent que l'homme
RGON 123
ue en ceuvre ce que Ia nature met à sa disposition.
ment pertinent à Ia place ou i1 advient, i1 fa~: faire
tervenir une théorie de Ia culture, plus precisement
e anthropologie pragmatique, dans Ia théorie du
u dans Ia formation de ses concepts fondateurs, par
~ple l'opposition de ~'err~t et de, l'adhérent., ~'est
e nécessité architectomque irréductible. La troisieme
ritique dépend de maniêre essentie1le - ces exemples
I ignalent - d'une anthropologie pragmatique et de
qui se nommerait, selon plus d'un sen~, un huma-
me réfléchissant. Ce recours anthropologiste, reconnu
son instance juridique et forme1le, pese en masse,
r son contenu, sur cette déduction prétendfunent pure
u jugement esthétique.
L'exemple du cheval rend l~ chose plus c~~e. Pour
ue je ne puisse faire abstractíon de Ia finalite externe
u cheval au moment ou je lui reconnais une beauté
'adhérence, pour que je ne puisse faire abstracti.on de
finalité objective qui ne peut être qu'externe, i1 faut
ue Ia bête soit d'abord et seulement po~, l'ho~e;
Ia se confirme plus loin (§ 63 De.z~ jinaltte relatioe a
Ia nature, à Ia différence de Ia finalité ,!nte;ne) au ,co~
d'une argumentation três complexe qu i1n,~t pas ~~s-
pensable de reconstituer ici : « Cette derniêre finalite se
nomme utilité (pour l'homme) ou a~ssl convenance
(pour toute autre créature), et elle est s~p~c:~c:nt rela-
tive tandis que Ia premiêre est ~e final:ite mte~e de
l'être nature1. [...] De même s i1 devait y avoir du
bétail dans le monde, bceufs, moutons, chevaux, etc.,
il fallait que l'herbe crüt sur terre, mais aussi les salso-
lacées dans les déserts de sable pour que les chameaux
puissent prospérer ... [...] Et 9uoiq'!e parmi ~e~e~emples
cités 1es espêces d'herbes doivent etre considérées pour
elles-mêmes comme des produits organisés de Ia nature,
et par là comme effets de l'art (kuns.treich), ~n ,les
regarde cependant, p~ rapport .~ux ammaux qui s en
nourrissent, comme simple manere br~lte (blosse rohe
Materie). Mais enfin si l'homme, par Ia liberté de sa cau-
salité, trouve que les choses de Ia nature convlenn~nt à ~es
intentions, bien souvent loufoques (les plumes bigarrées
 124 LA VÉRITÉ EN PEINTUR
des oiseaux en parure pour ses vêtements, les terr
eolo~ées. ou les sues végétaux pour se farder), parfol
aussi raisonnables, le cheval pour ehevaueher, le bceuí
à Minorque même l'âne et le pore pour labourer, on D'
peut pas admettre ici une fin relative de Ia natur
(pour eet usage). Car Ia raison de l'homme sait donn I
aux choses ~e conformité avec les caprices arbitrair
de son mvention, pour lesquels il n'était pas luí-mêm
prédestiné pa~ Ia ~ture. Mais si l' on admet que d
hommes devaíent vivre sur terre, alors du moins 1
m~yens san,.s lesq~els ils ne pouvaient vivre comm
anunaux, meme raisonnables (au degré le plus bas qu'on
voudra) ne devaient pas manquer; dans ee cas 1
choses de Ia nature indispensables à cet usage devaient
être considérées aussi eomme fins naturelles. »
Dês lors le cheval est pour l'homme et l'homme pour
l'homme. Ni I'un ni l'autre ne peut être beau d'un
beauté libre, mais leur plaee dans Ia chaíne des exempl
n'est pas Ia même. Ni l'un ni l'autre ne souffre le san:
de l'erranee. Mais le sans du sans a des effets différent
sur l'un et sur l'autre. Le cheval, tout eomme l'édifice
d'ailleurs, est capable de beauté adhérente. Sans plus.
Efl p~u~ du sans, l'ho~e est capable, et seul capable,
d un Ideal de beauté. L adhérenee de Ia beauté humaine
ne se sépare pas de cette capacité dont sont privées et
les autres beautés adhérentes et les beautés errantes.
Porteur d'un idéal de beauté, l'homme est aussi doté
de Ia beauté idéa1e.
Que veut dire idéal ?
Pour toutes les raisons que nous connaissons mainte-
nant, une rêgle de goüt ne peut se laisser déterminer par
eoncepts. Et pourtant une communicabilité universelle,
un aeeord le plus parfait possible conditionne toute éva-
luatíon. Mais selon des critêres nécessairement empi-
nques, Kant le reconnait, faibles, à peine suffisants pour
étayer Ia présomption d'un principe eommun, profon-
dément eaehé dans tous les hommes. En l'absence de
eoneept gé~éral des rêgles, l'univ~rsalité restant requíse,
Ia valeur d e,xt;mpl81re,de produit exemplaire du goüt,
devient Ia. referenee unique ou majeure. L'exemplaire
(exemp/ansch), c'est un produit (Produkt} singulier
RGON 125
puisqu'il est exemple - qui vaut immédiatement
ur tous. Seuls que1ques produits exemplaires peuvent
ir cet effet de quasi-rêgles. D'oü le caractêre histo-
ue, cu1ture1, pragmatico-anthropologique du goüt,
ui-ci se constitue aprês coup, aprês Ia production,
exemple. L'absence de eoncept libere done cet
rizon de productivité historique. Mais eette historicité
t d'un exemplaire qui ne se donne en exemple que
Ia mesure ou il fait signe, empiriquement, vers un
ncipe d'aecord structural et universel : absolument
historique.
uivons ee schême de Ia production. Non eoneeptue1,
" emplaire ne s'imite pas. On n'aequiert pas le goüt
r imitation. Le jugement de goüt, même s'il se réfêre
d productions prototypiques (exemplaires), doit être
tonome et spontané. Dês lors le modele suprême, le
lu haut patron (das hõchste Muster), ne. peut êí!e
u'une idêe, une simple idée que ehacun doit produire
lamJorbringen} en lui-même et d'aprês Iaquelle i1 doit
I er tout ee qui est objet de goüt. 11 faut un pa~on
ais sans imitation. Telle est Ia logique de l'exemplaire,
l'auto-production de l'exemplaire, cette valeur
étaphysique de production. ayaJ?-t.toujours le doub~e
et d'ouvrir et de fermer I'historicité. Chacun produi-
t l'idée du goüt, celle-ci n'est jamais prédonnée par
concept : Ia production de l'idée est historique, série
'inaugurarions sans prescriprion. Mais comme cette
roduction est spontanée, aut~n~me, libre au ~oment
ême ou par sa liberté elle rejomt un fonds umverse1,
ien n'est moins historique. .
L'auto-production du Muster (patron, paradigme,
engon) est Ia production de ee que Kant appelle
'abord une idêe, notion qu'il précise aussitõt en lui
ubstituant celle d'idéal. L'idée est un eoncept de Ia
ison, l'idéa1 Ia représentation d'~ ên:e, ou d~~~
senee partículiêre adéquate à eette idée. SI 1on surt lCl
tte valeur d' adéquation, on retrouve le logement de Ia
",;mesis dans le lieu même dont l'imitation parait
clue. Et en même temps, de Ia vérité eomme adéqua-
tion dans eette théorie du beau.
Le paradigme du beau repose done sur l'idée de Ia
126 tA VÉRITÉ EN PEINTURE
raison, sur l'idée rationnelle absoIument indéterminée
d'un « maximum » - e'est le mot de Kant - d'accord
entre les jugements. Ce maximum ne peut être repré-
senté par des eoncepts mais seulement dans une pré-
sentation (Darstellung) singuliêre (in eizelner Darstel-
lung vorgestellt). Le paradigme n'est pas une idée mai
une singuIarité que nous produisons en nous conformé-
me~t à e~tt~ idée; Kant propos~ de l'appeler idéal.
Mms celui-ci, dans Ia mesure ou il se produit dans Ia
présentation d'une chose singuliêre - d'un exem-
plaire - ne peut former qu'un idéal de 1'imagination.
Celle-ci est Ia faculté de Ia présentation (Darstellung).
Cette valeur de présentation supporte tout Ie discours.
De même, nous l'avons vu, qu'on ne peut eomprendre
Ia faculté de l'imagination qu'à partir du sans et du
libre jeu, on ne peut davantage y aecéder sans eette
valeur de présentation : libre jeu du sans dans Ia mise
en présence.
Le sans y est néanmoins strictement comprimé et
orienté par 1'instanee économique du maximum. Le libre
jeu dans Ia présentation se soumet de lui-même à sa
régulation, à l'idée régulatrice d'un eonsensus maximal
entre des hommes.
Se~ l'homme serait capable d~ présentation, puisque
seul il est capab1e de production - d'exempIarité,
d'idéal, ete.
Kant pose ici une question et introduít un clivage de
grande conséquence. 11 se demande : I. si l'on accêde
a priori ou empiriquement à cet idéal, 2. quelle espêce
de beauté donne lieu à cet idéal.
A eette deuxiême question Ia réponse est claire et
prompte. La beauté errante ne peut donner lieu à
aucun idéal. La beauté dont on recherehe l'idéal est
nécessairement « fixée » (fixierte] par le concept d'une
finalité objective. Par suíte, contrairement à ce qu'on
aurait pu croire, Ia beauté idéale ne donnera jamais lieu
à un jugement de goüt pur mais à un jugement de goüt
en panie intellectualisé, comportant une idée de Ia rai-
son qui détermine a priori Ia possibilité interne de
l'objet d'aprês des concepts déterminés. On ne peut done
« penser » un idéal de « belles fleurs », ni d'aucune
AlU!RGON 127
beauté vague », Premiêre réponse à Ia question :
u'est-ce que le beau en général, avant l'opposition
tre l'errance et l'adhérence ? L'oscillatíon est rompue,
I pur s'oppose à l'idéal. L'idéal de beauté n~ I?eut
nner lieu à un jugement esthétique pur : celui-ci ne
ut concerner qu'une errance, l'idéal est d'adhérence.
auté pure et beauté idéale sont incompatibles. Le
rIS de Ia coupure pure sembIe done interrompre ici le
roces d'idéalisation. La béance dans l'idéalisation ouvri-
it à Ia beauté errante et à l'événement d'un jugement
thétique pur.
Mais d'oü cela apparait-il? D'oü apparait cette oppo-
Ition entre l'idéal (de l'imagination) et le pur, entre le
n-sans et 1e sans ?
Depuis l'homme. L'homme, pourvu d'une raison,
'un entendement, d'une imagination et d'une sensibi-
hté, est eet X depuis lequel, en vue duquel se prend en
vue l'opposition : du pur et de I'idéal, de l'errant et de
I' dhérent, du sans et du non-sans, du sans-fin et du
on-sans-fin, c'est-à-dire aussi bien du non-sens et du
ns. Le sujet de cette opposition est l'homme et il est
I seul sujet de cette Critique du juge~ent. 11.~t seul
pable d'un idéal de beauté et, depws cet idéal, de
I isser se présenter le sans de Ia coupure pure. 11 est
pable de eet idéal de l'imagination quant aux ehoses
de Ia nature paree qu'il est doué de raison, ce qui veut
ire, en langage kantien, apte à se fixer ses propres fins.
eul être dans Ia nature à se donner ses propres fins,
lever en lui le sans, à se eompléter et penser depuis sa
hn il est Ie seul à former un idéal de beauté, à appré-
he~der le sans des autres. 11 n'erre pas. 11 ne peut se
penser sans but et c'est pour9uoi, il est au centre plein
de ce point de vue, centre plein d un champ néanmoms
décentré et dissymétrique. L'homme n'est pas entre
l'errance et l'adhérence comme en un milieu d'oü il
verrait Ies deux. 11se trouve d'un seul côté (l'adhérence
soi, à sa propre fin) et de ee ~ôté il m~t l'~rrance en
perspective. « Seulement ce q~ a en sOl-:meme Ia fin
de son existence, l' homme, qw par Ia raison peut se
fixer à lui-même ses fins ou bien, quand il doit les
mprunter à Ia perception extérieure, peut les unir
 128 tA VÉRITÉ EN PEINTU1Ui
eependant à des fins, essentielles
, et universelles ,et dana
ee cas porter aUSSI un jugement esthétique sur cet
aecord, eet homme done parmi tous 1es objets du mond
est seul capab1e d'un idéal de beautê, eomme l'humaníté
en sa personne, en tant qu'intelligenee est capab1e d
l'idéal de perfection,
I) (§ 17) , thétique et comme idéal empirique. Produit de l'ima-
, Conséq~~n;e paradoxale mais déjà évidente : Ia beauté
idéale et I'idéal de beauté ne relêvent p1us d'un [uge-
ment de goüt puro Clivage entre 1e beau et 1e goüt ou
pour être précis, entre le beau idéa1 et 1e goüt pur entr~
une callistique et une esthétique. ' même três anciens » (selbst oon langer Zeit ), C'est
<;ela tient au fait que Ie sujet de ee diseours se sous-
trart, dans son humanité, à son propre discours. 11n'y
a pas de place pour une esthétique de l'homme qui se
dérobe au jugement de goüt pur dans Ia mesur~ même
ou. il est porteur de l'idéal du beau et représente lui-
m~e, dans sa forme, Ia beauté idéa1e. 11 s'enlêve à
lui-même, à sa propre esthétique, il interdit l'esthétique
humaíne pure paree que, pour que, en tant que le sam
de Ia eoupure pure s'efface en 1ui. Te! est aussi l'enjeu
de Ia révolutíon eopernicienne.
Comment l'homme éehappe-t-il à un diseours sur
l'esthétique dont il est l'origine eentrale?
Qu'est-ce done que 1e beau de l'homme? Pour que
le: ~~-sans de: Ia coupure pure soit possible, une autre
divisíon est necessaire,
, Kant distingue, quant au beau de l'homme, deux
ídées. Deux morceaux, dít-il ailleurs (zwei Stuck«), TI
eoupe le beau de l'homme en deux morceaux, efface
tour à tour Ia coupure de chacun, sans se demander si
Ia ~~té de l'homme, pure, errante, non ídéale, celle
qu il nent eon:une ~n réserve et qui, ne lui apparait pas,
ne ~e~~n:mt jamais objet pour lui, ne nent pas à Ia
possíbílíré de ee moreellement sans négativité.
Chaque morceau est fixé. Les deux morceaux ont en
commun d'être fixés. 11 y a d'abord l'idée-normale
esthétique (non pure) : die esthetische Normalidee.
L'homme s'y présente en tant qu'être sensible, fini,
appartenant à une espêce animale. Cette idée correspond
à une intuition particuliêre de l'imagination empruntant
ses canons à l'expérienee. Pour voir dans Ia nature que1s
lERGON 129
nt les éléments typiques dans Ia forme d'une eertaine
pece (homme ou cheval), on se réfêre à une eertaine
technique de Ia nature II produisant le type général.
ucun individu n'y est adéquat mais on peut construire
image concrête de ce type, précisément eomme idée
tion, ee type se réfêre à un coneept três déte~né.
ne incidente importe ici beaucoup et à deux ntres.
t note que l'imagination, facu1té des signes, peut
ois reeonduire à des signes de coneepts anciens,
'une part Ia premiêre fois qu'il est question de signes :
toute une sémiotique soutient Ia troisiême Critique.
'autre part Ia référence à un « três ancien aeeessible
I)
ement à travers signes eommunique avec telle
arque elliptique, risquée comme en passant, dans
I'lotroduction (VI) : le plaisir (Lust ) de connaítre,
u'on ne remarque plus maintenant, a « sürement existé
son temps ».
Et ee plaisir est du même : il tient toujours à Ia mal-
rise du dissemblable, à Ia réduction de l'hétérogêne.
'accord, Ia conformité, Ia rencontre (Zusammentreffen)
ntre les pereeptions et les catégories (eoneepts géné-
ux de Ia nature auxquels se eonforment les lois) ne
procurent en apparence aucun plaisir. Mais Ia réduetion
de plusieurs lois empiriques « hétérogênes à un ~rin-
I)
'pc ({cause un plaisir três remarquable ». Et quoique
I'mtelligenee de Ia nature dans son unité ne nous procure
plus forcément un tel plaisir, celui-ci a « ~Ureme~t
existé en son temps » (aber ste 1St gewtSS eu ihrer Zeit
lewesen), sans ,quoi « 1'.expérience Ia plu~ ,eo~une ne
erait pas possible ». Simplement ee plaisir s est peu à
peu eonfondu avec l'expérienee et n'a plus été remarqué.
Ainsi, bien que Ia troisiême Critique (lieu de l'esthé-
tique) dissocie le plaisir et Ia connaissanee, bien qu' elle
fasse de cette dissociation une frontiêre juridique rigou-
reuse entre le goüt et Ia eonnaissance, l'esthétique et le
logique, il faut bien que le principe du plaisir aít
quelque part, dans un temps immémorial (eoneept dont
le statut reste fort incertain dans une Critique), commandé
Ia connaissanee, qu'il I'ait conditionnée et aeeompagnée

13° LA VÉRITÉ EN PEINTURIl
P,artout ou elle était,possible, déterminée comme expé
~le~Ce(au sens kantien), précédant ainsi 1'écart entre 1
JOun:et 1~~onnaitre. ~mment situer ici le temps de cet
archi-plaisir soudant I'imagination (esthétique) à l'en-
tendement (logique) ?
, L'id~e-no~ale esthétique - à laquelle aucun indi-
vidu I?- est ad~quat - forme le canon empirique de 1.
beaute humaine : type moyen analogue à Ia grandeur
moyenne qu'on dégagerait de milliers d'images indivi-
duelles pow: construire Ia « stature d'un bel homme »,
Ce type var~e avec les conditions empiriques, il diffêr
pour un .((negre », un « blanc » ou un « chinois », 11en
va de meme pour le type d'un « beau cheval II ou d'un
« beau chien » ,d'llD:e ~c,e déterminée. Cette image qui
(( fíotte II p~ les. individus de l' espêce est un « arché-
type » (Urbild ) reglant toutes les « productions » de
Ia nature pour une ~pece donnée. Non pas un arché-
type de beauté mais Ia forme et Ia condition de Ia
beauté p~ur une espêc~, pan~ le c~s du visage humain,
ce type regulateur, qui n est jamais beau en lui-même
manque même à I'ordinaire d'expression et révêle ~
homme d'une « valeur intérieure médiocre» si toute-
fois l'on admet, précise Kant, que Ia naru:e porte à
l'e~térieur les p~opo~ons intérieures. Et il est tout prêt
à 1admettre. Mieux, il ne peut pas, dans ce systême ne
pas,l'admettre. Nous le vérifierons. Par exemple, ;i Ia
caricature correspond à une exagération de I'idée-nor-
male, à une outrance dans le type, le génie marque lui
dan s lee vi • '
visage meme et dans son expression un écart
qui déporte le type. ' i1 ne permet à aucun attralt sensuel (Smnenretz )
De cette idée-normale du beau se distingue alors
- c'est 1'autre morceau -l'idéal du beau. 11ne peut se
rencontrer que dans Ia forme humaine. L'homme n'est
jamais beau d'une beauté pure mais Ia beauté idéale lui
est réservée. lei interviennent pour Ia premiêre fois
I'intériorité absolue et Ia moralité absolue comme condi-
tions de 1'idéal du beau : ce qui absorbe ou résorbe le
sans de Ia coupure pure. Si Ia forme humaine a droit
toute seule, à Ia beauté idéale, c'est parce qu'ell~
exprime le dedans et que ce dedans est un rapport de
Ia raison à une fin morale pure. Cela engage toute Ia
RGON 131
h irie du signe et du symboIe dont Ia position appa-
tr plus loin, précisément au pivot, au centre ou à
harniêre du livre, au fameux paragraphe 59 : le
ier de Ia premiêre partie (fin de Ia critique du
ment esthétique), i1 touche à Ia question de Ia
t phore philosophique et s'intitule De Ia beauté
symbole de Ia moralité. Dês le paragraphe 17,
l'idéal de beautê, ce symbolique est défini comme
ression du dedans au-dehors, union présentative du
ans et du dehors. L'ordre expressiviste et symbo-
ue de Ia beauté à lieu dans l'homme et pour l'homme :
« De l'idée-normale du beau se distingue encore
l'idéal du beau qu'on ne peut s'attendre à rencontrer
que dans la forme humaine pour des raisons déjà
indiquées. Dans celle-ci l'idéal consiste en l'expres-
sion du moral (in dem Ausdrucke des Sittlichen), sans
quoi l'objet ne donnerait une satisfaction ni univer-
selle ni positive (non simplement né~tive dans une
présentation scolairement correcte), L'expression
visible (Der sichtbare Ausdruck) d'idées morales
qui gouvement l'homme intérieurement, ne peut être
empruntée, il est vrai, qu'à l'expérience; mais pour
rendre en quelque sorte visible dans leur extériorise-
tion corporelle (in kiirperlicher Ãusserung) (comme
effet de l'intérieur) (a1s Wirkung des Innern ) leur
liaison (Verbindung) avec tout ce que notre raison
rattache au bien-moral dans l'idée de la plus haure
finalité : Ia bonté de 1'!me, Ia pureté, Ia force, ia
sérénité, etc., il faut que les idées ~ures de Ia raison
et une grande puissance de l'imagmation s'unissent
, en celui qui veut les présenter (darstellen). Voiei ce
qui démontre Ia justesse de ,cet idéal de ~ beauté :
de se mêler à la satisfaction (Wohlgefallen) de son
objet et cependant il y fait prendre un grand íntérêt;
en conséquence Ie jugement porté d'apree une telle
norme ne peut jamais être purement esthétique, et le
jugement conforme à un idéal de beauté ne peu~
jamais être un simple jugement du goüt » (17). (}'al
souligné expression, extériorisation corporelle, pré-
senter). ----
 132
LA VÉRITÉ EN PEINTURB
. cette sérnio-
tique morale qui lie Ia prêsentation à l'expression d'un
~ed~s, et Ia beauté de l'homme à sa moralité, fait done
systeme avec.un humanisme fondamental. Celui-ci jus-
tifie, au mOInS subrepticement, l'íntervenríon de Ia
~ture. et d~ l'anthropologie pragmatiques dans Ia
d~duCt1ondes rugemems de goüt. II y a Ià de quoi rendre
~son d'unesorte d'effet d'incohérence, d'une gêne ou
d une indécisíon suspendue dans le fonctionnement
du discours. Deux points de repêre :
I. Dans le qua~rieme et dernier moment du iugemenr
de goüt (Ia modalité), Ia v~e~ d'exemplarité en appelle
à un sen~ comm~ (Gm;nnsmn). La regle du jugement
exemplaire recueillant I adhésion universelle doit rester
au-delã de tout énoncé. Le sens commun n'a donc pas
le sens co~un de ce qu'on appelle en généralle sens
I
commun : 11 n'est pas intellectuel, ce n'est pas un
entendement. Quel est alors son statut ? Kant se refuse
ici ã décider, voire ã examiner (<< nous ne voulons ni ne
P~UV(:>ns examiner ici... ») si un tel sens commun existe
(s «. d. Y,en a ,un )!) .comme príncipe constitutif de Ia
possibilíré de 1expenence ou bien si, ã titre régulateur
er non constitutij cette fois, Ia raison nous commande de
produíre (hervorbringen) en nous un seus commun à
des fins .plus élevées. Ce qui reste ainsi suspendu c'est
Ia quesnon de savoir si le príncipe esthétique d~ goüt
I?ur, en ~ant qu'il requiert l'adhésion universelle, a un
li.eu,spécifique corr~pondant ã ~ pouvoir propre, ou
~l c est encore une idée de Ia raison (pratique), une
ld~e de Ia con~nn~.n~u~éuniverselle unanime qui en
on~nte le pr~ces Idéalisat~ur .. Comme touiours, tant
qu une telle idée reste à 1 horizon, Ia Ioi morale et le
culturalisme empirique s'allient pour dominer le
champ.
2. L'autre .i~d.écision signifiante quant au príncipe
concerne Ia. divisíon des. beaux-arts, Celle-ci comporte,
comme touiours, une hierarchie, elle va três loin dans
le détail et repose elle aussi sur une analogie : entre
ERGON 133
I' t et le langage humain. Les trois espêces de beaux-
I (art parlant, art figuratif (bildende ), art du [eu des
nsations (Spiel der Empfindungen) correspondent
x formes de l'expression humaine référées aux moyens
, xpression du corps (articulation, gesticulation, modu-
1 tion : mots, gestes, tons). Cette correspondance est
ogique. Or ã deux reprises, dans des notes en bas
page, Kant manif~te q~'il n~, tient .pas absol~ent
ce principe de classificatIo? ~lerarchique e~ qu il ne
1 i trouve pas de valeur theonque à toute epreuve :
Si donc nous voulons diviser les Beaux-Arts, nous ne
uvons, du moins ã l'essai (uenigstens zum Ver~~),
hoisir de principe plus commod~ (bequemeres.Princ,P)
ue l'analogie de l'art avec l'espece d'expression dont
1 hommes se servent dans leur langage (Sprechen)
ur se communiquer, aussi parfaitement que possible,
n seulement leurs concepts mais aussi leurs sen-
~m~ ,
« "* Le lecteur ne jugera pas cette esquisse d une
ivision possible des beaux-arts comme d'un projet de
théorie. Ce n'est lã que l'un des multiples essais que
I'on peut et doit encore tenter. » (§ 51.)
La redondance d'une deuxiême note, dans le même
paragraphe, souligne l'embarras : « Le lecteur ne. devra
n général considérer ceei que c,?~e un .ess~ pour
relier les Beaux-Arts sous un pnnClpe, qui dou être
cette fois celui de l'expression d'idées esthétiqu~
(d'aprês l'analogie d'un langage (n:zch. der Analogie
IÍner Sprache), et non comme une dérivation tenue pour
décisive. »
Le scrupule de Kant ne serait que .l'índice .d'une
vigilance critique s'il portait ~ur un p.Otnt localisable,
révisable ou détachable du systeme. Mais on ne VOltpas
comment il aurait pu éviter, sans une refonte totale,
une teIle déduction classificatrice et hiérarchisante,
réglée sur le langage et sur l~ corps de l'homme, su~ l~
eorps de l'homme interprété comme. langage do~~
par Ia parole et par le regard. L'humamsme est Implique
par tout le fonctionnement du sys.teme ~t aucune autre
déduction des Beaux-Arts n'y était possible.
Le príncipe analogique y est en effet inséparable d'un
 RGON
135
134 LA VÉRITÉ EN PEINTURIl

principe anthropocentrique. Le centre humain s'y tient imesis), Ia loi du même et du propre qui se reforme
aussi au milieu, entre Ia nature (animée ou inanimée) IlIujours. ..' .
et Dieu. C'est à cette seule condition qu'on peut Contre l'inutatton mais par analogie
comprendre l'analogie entre jugements déterminants et
jugements réfíéchíssants, piêce essentie11ede Ia machine.
Dans l'incapacité ou nous sommes de détermíner absolu-
ment les lois empiriques partículíêres de Ia nature économimesis -
(puisque les lois générales de Ia nature, prescrites dans
notre entendement, les laissent indéterminées), nou
devons faire comme si un entendement (non le nõtre)
avait pu leur donner une unité, « comme si que1que
entendement renfermait le fondement de l'unité de Ia
variété des lois empiriques li (Introduction, IV). Dês
lors Ia finalité naturelle, concept a priori dérivant d'un
jugement réfíéchissant, se conçoit par analogie avec l'art
humain qui se donne un but avant d'opérer. Cette
analogie - se donner le but de I'opération, en effacer
a priori le sans - met donc en rapport l'art de l'homme
et I'art du créateur. L'analogie avec Ia finalité pratique
en est le médium. « Car on ne peut attribuer aux pro-
ductions de Ia nature une chose telle qu'un rapport de
Ia narure à des fins, mais on ne peut employer ce
concept que pour réfíéchir ( rejlectiren) sur Ia nature
au point de vue de Ia liaison des phénomênes en e11e,
liaison donnée par des lois empiriques. Ce concept est
d'ailleurs tout à fait distinct de Ia finalité pratique (de
l'art humain ou même des meeurs), encore qu'il soit
pensé par analogie .avec e11e.»
La connexion entre l'anthropo-théologisme et l'ana-
logisme indique, entre autres choses, un certain cap,
le capo
Ce1ui-ci parait manquer à Ia pulchritudo vaga, errant
sans fin déterminable, dans le sans du but en blanc, sans
complément d'obiet, sans fin objective. Mais tout le
systême qui Ia prend en vue supplée le cap, détermine le
vague (comme manque) et redonne le sens à l' errance :
son destin et sa destination. L'analogisme recapitule ou
recapite. 11 sature l' hiatus par Ia répétition : Ia mise en
abyme résiste à l'abime d'effondrement, reconstitue
l'économie de Ia mimesis. Ce11e-ciest le même (écono-

4· LE COLOSSAL
Ce qui se refor~e toujours - l'économimesis _
p0'bo se refermer n en laisse pas moins chaque fois une
e~ uchure. La fin de Economimesis (in Mimesis o c)
s OUV!wtsur,l'eau « mise à Ia bouche », ' • •
Laissons 1embouchure ouverte 11 s'azit to . . .
d '. . e- UJours leI
e savOlr.ce qur se passe aoec ou sans ce qu'on /aisse
Et ce qur se passe de laisser, qu'il soit suivi d'un no~
ou d'un verbe, lorsq,u.'i!nous porte d'un coup, d'un pas
fi~-deIà de: Ia passwite comme de l'activité. Laisson;
aire ou Iaíssons voir ce qui se passe de l'embouch
ouverte. ure
Ce que j'essaierai d'y reconnaítre, en son voisina e
et1tournant un peu autour, ressemblerait à une certai~~
co onne.
Un colosse plutôt, un certain cotossos qui s'érige en
mesure.
Qu'est-ce que s'ériger en mesure ?
La ~olonn~ et l~ colosse, ce n'est pas Ia même chose.
~AmolDs qu ils n aient en commun cela seulement de
n erre pas des choses. En tout cas, si 1'on voulait garder
~ mot « mot II et le mot « chose », cotosse er cotonne sont
eux. mots et deux choses dissociables qui n'ont rien
à VOl~ensemble et q~i ensemhle n'onr rien à voír :
ne vdolentrIe~ et ne laissent nen voir, ne font rien voir
ne onnent nen à voir de ce qu'on croit. ) d'érigé, de dressé. »
IEt pourtant, en~re Ie cotossos grec et Ia columna ou Ie
co umen des Romains une s?rte ~'~té sémantique et
formelle exerce une atreacnon írrésístíble, Le trait de
JtGON 137
I double attraction intéresse d'autant plus qu'il y
récisément du double, et de l'un, le colosse, comme
ble.
e parlant que du colossos, Vemant déclare: « A 1'ori-
, le mot n'a pas une valeur de taille I) (Figuration
I'invisible et catégorie psychologique du double : le
ossos, in Mythe et pensée chez les Grecs ), « N'a pas
valeur de taille » : ceia veut dire en apparence,
blement, qu'un colossos n'est pas nécessairement
d, gigantes que, hors de proportion. Sans que le
texte y invite le moins du monde, ni par conséquent
tention manifeste de Vernant, Ia « valeur de taille»
rte ailleurs. Avant Ia grandeur, et d'abord ceIle du
rps humain, par exemple celle des pieds qu'on dit
i pointure, « taille »aura marqué le trait d'une coupe,
tranchant d'une épée, toutes les incisions qui viennent
tamer une surface ou une épaisseur pour y frayer
e voie, y délimiter un contour, une forme ou une
tité (coupe de bois ou de tissu).
i, « à l'origine, le mot [colossos] n'a pas une valeur
taille », il n'y viendra plus tard, précise Vernant,
ue par accident, Qu'en est-il ici de l'accident, de
ui-ci précisément, qui fait venir Ia taille au colosse,
n pas Ia taille incisive qui donne Ia mesure, non pas
taille modératrice mais Ia taille démesurante? Cet
ident n'est pas au programme, semble-t-il, de Ia
che étude de Vernant qui s'est contenté d'en écarter
question dês ses premiêres lignes : « A l'origine le
ot n'a pas une valeur de taille. 11 ne désigne pas,
mme il le fera plus tard pour des raisons accidentelles,
es effigies de dirnension gigantes que, « colossale »,
aos le vocabulaire grec de Ia statue, três divers et
sez fíottant, comme M. E. Benveniste I'a montré, le
erme colossos,du genre anirné et d'origine préhellénique,
rattache à une racine kol-, qu'on peut rapprocher de
rtains noms de lieux en Asie Mineure (Kolossai, Kolo-
phon, Koloura) et qui retient l'idée de queIque chose
A travers l'effigie, justement, et dans l'espace fictionnel
de Ia représentation, l'érection du kol- assure peut-être
te que j'ai proposé de nommer ailleurs (Glas, + R),
 LA VÉRITÉ EN PEINTUIU
à propos du colossal justement, le détail ou Ia détaille,
le passage de Ia taille, qui est toujours petite ou mesuré ,
à Ia démesure du sans-taille, à l'immense. La dimension
de l'effigie, l'effigie el1e-même aurait pour effet fictionn I
de démesurer. Elle détaillerait, elle libérerait l'excês d
taille. Et l'érectíon serait bien, dans son effigie, diffé
rence de taille. Puis kol- assurerait encore, plus ou
moins dans l'effigie d'un phantasme, le passage entr
le colosse et Ia colonne, entre le colossos, le colum4/1
et Ia columna.
Je me tiendrai dans ce passage.
A Ia différence d'autres « idoles II analogues (breuu
xoanon), le colossos est indéplaçable. Rien de portatif
en lui. C'est une immobilité pierreuse et figée, un
monument d'impassibilité qu'on aura dressé sur Ia terr
aprês l'y avoir un peu enfoncé, et parfois enterré. Bien
1'1
que les philologues ou les archéologues, Vernant par
exemple, n'aillent pas voir dans cette direction, au
I moment même ou ils parlent pourtant de Ia Gorgone et
de lithinos thanatos (Pindare), on devrait relier ici le
d~scours sur le ~ol- avec t~ute Ia pr~blématique freu-
dienn~ de Ia !"eduse (érecrion/castratíon/apotropaíque)
II dont J 3.1 tente de déplacer Ia lecture dans le Hors livre
de La dissémination, aussi bien que du col qui assure une
II grande densité de circu1ation dans Glas (( Et du clin (-)
entre les deux col (-) )),p. 25I). Ie ne le ferai pas ici,
pas.plus CJ.ueje ne m'engagerai du ~Ôtédu trait heideg-
genen tRiss, Zug et toute Ia « famille » de leurs croise-
ments) ou du rõle que joue l'entame (Aufriss) en ce
corpus. J'y viendrai ailleurs et plus tardo Je préfêre en
rester pour l'instant à Ia troisiême Critique qui nous
sert de guide en ce trajet préliminaire.
Cela vaut le détour. On y tombe sur de Ia colonne,
et le colossal n'y est pas seulement rencontré, c'est un
thême. Mais Ia colonne et le colossal n'y occupent pas
le même lieu. Nous l'avions déjà vérifié : quand elle
soutient un édifice, Ia colonne était, par exemple sinon
par hasard, un parergon .' supplément d'opération, ni
ceuvre ni hors d'ceuvre. On peut repérer dans l'Anary-
tique du sublime une distinction voire une opposition
entre Ia colonne et le colossal. La colonne est de taille
RGON
139
I enne, modérée, mesurable, mesurée. La mes~re de
II rection peut être prise. En ce sens elle ne serait pas,
olonne, colossale.
..ctte opposition du colosse et de Ia colonne ne se
ne pas à lire immédiatement comme telle dans le
te kantien. Elle n'en est Pas moins incontestable dans
aragraphe De l'éoaluation des gra~Ts des choses de
nature nécessaire à I'idée du subl,me (§ 26). Kant Y
rche ~ exemple du ~u~lime qui convienne ~ Ia
ique du jugement ~~hetl9ue puro 11 doit ~onc etre
tinct du jugement réléologíque en tant que [ugement
onneI. Cet exemple de sublime ne, sera donc pa~
prunté à l'ordre des « pr?ductions d art ». c;:elles-Cl
t en effet, pourrait-on dire, à l~ taille de I hom~e
en détermine Ia forme et les dimensions. La mal-
e de l'artiste humain y opere en.vue d'une fín, elle
termine, définit, informe. En décidant des conto?rs,
border Ia forme et Ia taille, elle mesure et domine.
le sublime, il n'y en a, s'il y en a; qu:à déborder :
I xcede Ia taille et Ia bonne mesure, il n est plus pro-
rtionné à l'homme et à ses déterminations. 11 n'y a
nc pas de bon exemple, d'exemple « co~venable » de
blime dans les produits de l'art humaín. Or quels
emples se présentent à Kant comme « mauvais .1)
emples du sublime? Dans quels exemples 11! faut-ll
s chercher le sublime, même et surtout 51 on est
té de le faire? En bien, précisément (et entre
renthêses) dans les édifices et les colonnes : (z.B.
t(
lbiiuden, Siiulen u.s.w.) ». Ailleurs exemple d~ parer-
on mi-eeuvre mi-hors-d'reuvre, ru ceuvre m hors-
'~uvre et surgissant pour y suppléer del?uis .l~
anque au-dedans de l' oeuvre, Ia eolonne devient 1e1
emplaire de l'ceuvre dominable et inf~rmab1e, à la
raille de l'artiste, et dans cette mesure mcapable de
onner idée du sublime.
Bien entendu les choses de Ia nature, quand leur
oncept contient déjà ~e fin déterminée, sont aU551
ancapables de nous ouvnr au sublime : par .exemp1e le
heval dont Ia destination naturelle nous est b~en co~~e.
oués d'une fin déterminable et d'une t~lle définie,
15ne peuvent produire le sentiment du sublime, dísons
LA VÉRITÉ EN PEINTU~ RGON

suréleoé, Erhaben, le sublime, n'est pas seulement

ut, élevé, ni même três élevé. Três haut, absolument
ut, plus haut que toute hauteur comparable, plus que
paratif, taille non mesurable en hauteur, le sublime
sur-élévation au-delà d'elle-même. Dans Ia langue,
sur n'y suffit plus. Sa surélévation signifie au-delã de
te élévation et non seulement l'élévatíon supplé-
taire. (11y va de ee qui s'appelle dans Glas l'éleve.)
e Ia surélévation sublime ni l'objet naturel à desti-
tion déterminable ni l'objet d'art (Ia eolonne) ne
vent done donner idée. La surélévation ne peut
annoncer, elle ne peut provoquer à son idée, y motiver,
usciter qu'au spectacle d'une nature, cerres, mais
une nature qui n'aura été informée par le eoncept
ucune fin naturelle. La surélévation s'annoncera
mime Ia nature brote: an der rohen Natur, une nature
'aucun contour final ou formei ne puisse cadrer,
cune limite border, finir ou définir en sa taille. Cette
ture brute sur 1aquelle il faudrait « montrer » (auf-
. en) Ia surélévation sublime sera brute en ee qu'elle
'offrira aucun « attrait » (Reiz) et ne provoquera
cune émotion de peur devant un danger. Mais elle
ra eomporter des « grandeurs », grandeurs qui néan-
oins défient Ia mesure, excêdent Ia domination de Ia
. ou du regard et ne se prêtent à aucune manipula-
on finie. Ce n'est pas le cas des objets naturels pourvus
'une fin (eelle-ci nous est aeeessible, dans le concept,
mme un tout que l'imagination peut aussi comprendre),
des objets d'art qui par définition sortent des mains
l'homme, dont ils gardent alors Ia mesure - et e'est
cas de Ia colonne.
Non du colossal.
Qu'est-ce que le colossal ?
Par opposition aux eeuvres d'art et aux ehoses de Ia
nature finies et finalisées, Ia « nature brote » peut offrir
u présenter le « prodigieux », l' Ungeheuer (l'énorme,
l'immense, l'exeessif, l'étonnant, l'inouí, parfois le
monstrueux). Les ehoses « prodigieuses » ne dcviennent
objets sublimes que si elles restent étrangêres et à Ia
peur et à Ia séduetion, à l' « attrait », « Prodigieux »
est un objet qui, par sa taille (Grõsse ), anéantit, réduit
142 LA VÉRITÉ EN PEINTURI RERGON 143
rien (oernichtet ) Ia fin qui en constitue le concept.
prodigieux excede, y mettant fin, Ia limite finaIe.
I déborde sa fin et son concept. Prodigieux, ou mons-
ueux, prêtons-y attention, est le caractêre d'un objet,
t d'un objet dans son rapport à sa fin et à son concept.
colossal, qui n'est pas le prodigieux, ni le mons-
ueux, qualifie Ia « simple présentation )) (blosse Darstel-
lung) d'un concept. Mais non de n'importe quel
mcept : Ia simple présentation d'un concept qui est
presque trop grand pour toute présentation )) (der
IlJr alle Darstellung beinahe zu gross ist ), U n eoncept
ut être trop grand, presque trop grand pour Ia présen-
tion.
olossal ( kolossalisch ) qualifie donc Ia présentation,
I mise en scêne ou en présence, Ia prise en vue plutôt
quelque chose, mais de quelque chose qui n'est pas
ne ehose, puisque c'est un concept. Et Ia présentation
ce concept en tant qu'il n'est pas présentable. Ni
implement imprésentable : presque imprésentable. Et en
. on de sa taille : il est « presque trop grand », Ce
oncept s'annonce et se dérobe à Ia présentation sur
ne. On le dirait, en raison de sa taille presque
cessive, obscêne.
Comment arrêter Ia catégorie du « presque trop ))?
L « trop )) pur et simple mettrait bas le colossal : il
ndrait Ia présentation impossible, Le « sans trop ))ou
I « pas trop )),l' « assez ))aurait le même effet. Comment
penser, dans Ia présence d'une présentation, le se-tenir-
U -debout (Darstellen) d'un excês de taille qui reste
eulement presque excessif, au bord à peine franehi d'un
trait limitatif? Et qui se taille, si on peut dire, dans
l'excêsê
Le presque-trop forme donc l'originalité singuliêre,
ns bordure ni simple débordement, du colossal.
Hien qu'il ait un rapport essentiel à l'approximation,
u mouvement approchant de l'approche (beinahe zu
ross ), bien qu'il nomme l'indécision de l'approche, le
oncept du « presque trop )),lui, en tant que concepr,
n'a rien d'une approximation empirique. 11 n'a pas
chappé à Ia plume de Kant. (Je hasarderai ici Ia défi-
nition du philosophos cotossos, qui n'est pas le « grand

LA VÉRITÉ EN PEINTUR
phi1osophe » : celui qui calcule presque trop bien 1
approches du « presque trop » dans son texte.) L
presque trop garde une certaine fixité catégoriale. Il
répête r~~erement, et c~aque f?is associé à « grand •
Kant precise en effet, aussitõt apres, que Ia présentation
d'un concept devient difficile, dans son « but », quand
l'intuition de l'obiet est « presque trop grande» pOUI
notre « po~voir d:aPI?réhension» (Auff'!SsungsvermOgen).
Elle « devient difficile » (erschwert toird), progressive
ment, par approximation continue. Mais ou coupei
alors ? ou délimiter le trait du presque trop ?
Le « pouvoir d'appréhension » parait donner ici Ia
~~ure. Ne ?OUSprécipitons pas vers ce qui, par 1
biais d~ Ia metaphore, de l'hypotypose (schématique ou
symbolique), nous mettrait immédiatement l' Auffassen
sous Ia main ou sous les yeux. Cette problématique est
nécessaire, elle conduirait aussi bien au fameux para-
graphe 59 de Ia troisiême Critique qu'au traitement
hégélien du « Fassen » comme métaphore usée. Je Ia
contourne provisoirement, m'y autorisant d'autres traiet
(La mythologie blanche, in Marges, et Economimesis, o.c.).
Le .«. presque-trop-grand.» du colossal (pressés, nou
traduirions : du phallus qui double le cadavre· mais ne
jamais être pressé quand il y va d'érection, iaisser Ia
chose se faire) se détermine donc, si on peut encore
díre, en sa relative indétermínatíon, c0lIllI.lepresque trop
grand au regard, SI on pouvait encore dire, de Ia prise,
de l'appréhension, de notre pouvoir d'appréhension.
(Je n'abuserai pas du mot français d'appréhension :
aux limites de l'appréhension, le colossal fait presque
peur, il inquiete à partir d'une relative indétermination :
qu'~~-ce qu~ vient ~ qu'est-ce qui va arriver? ete.
Ma.J.sil ne doit pas faire peur, dit Kant.)
La prise de l'appréhension n'est pas ceI1e de Ia
~mpréhensio? I?~s cette problématique, il s'agit tou-
jours de savoir SI 1on peut prendre (appréhender ou
comprendre, ce qui n'est pas Ia même chose), comment
s'y prendre pour prendre, et jusqu'à quelles limites Ia
préhension peut et doit s'étendre. Comment s'y prendre
avec le colossal? Pourquoi est-il presque trop grand
pour notre Auffassung, pour notre appréhension, et
ARERGON 145
I cidément trop grand pour notre Zusammenfassung,
notre compréhension? Un peu plus haut dans le même
h pitre, Kant avait distingué deux pouvoirs de l'ima-
mation, Lorsque celle-ci se rapporte íntuítivement ~
IR quantum afi.n de l'utiliser c?mme mesu,re ou um~e
I umérique de mesure, elle dispose de I apprehensio
(Auffassung) ou de Ia comprehensio aesthetic~. (Zu!am-
", nfassung). La premiêre peut aller à l'infini, Ia
onde a du mal à suivre et devient de plus en plus
hfficile à mesure que l'appréhension pro~esse. Elle
ueint vite son maximum : Ia mesure esthétique fonda-
mentale pour l'évaluation des grandeurs.
Qu'en est-il donc du -prendre quant au c?l?ssal?
Iourquoi Kant appelle-t-il colossale, sans reference
parente au colossos,Ia présentation d'un concept (d'un
I 'C"ff dont le Begreifen luí-même n'irait pas ~ans p~ise
t sans prise en vue)? Qu'est-ce que Ia presentanon
d'un concept pour qu'elle puisse être parfois colossale
I) en tant que telle, inégale au concep~ qw, ~out en
r tant trop grand pour sa propre presentation, ne
I i se pas de s'y présenter néanmoins, colossalement?
Lnfin, qu'est-ce que le sublime aurait à voir avec
routes ces inadéquations ?
J e viens de prélever le fragment de texte dans lequel
urgissait le mot « colossal ». Le tlSSUco?-textuel aPI?ar-
uent à l'Analytique du sublime (Ire parne, Ire Section,
Livre 11, apres l' Anaiytique du beau). L.e beau et le
ublime présententun cert:ün nombre d~ tr~ts communs :
il plaisent par eux-memes, sont indépendants de
,ugements des sens et de iugemems ,déte~minants
(logiques), ils provoquent aUSSl.U?-e prétennon à Ia
valeur universelle, du côté du plaisir, certes, ~t non de
I connaissance. Tous deux supposent un [ugement
réfíéchissant et en appellent du « plaire ))à des eoncepts
mais à des eoncepts indéterminés, done à des « présen-
t tions », et à Ia faculté de prése~tation. ..
On peut difficilement parler d une opposttton. entre ~e
beau et le sublime. L'opposition ne pourrait surgir
qu'entre deux objets déterminés, avec leur contour,
leurs bords, leur finité. Or si Ia différence entre le beau
et le sublime ne fait pas opposition, c'est précisément
146 LA VÉRITÉ EN PEINTURt
parce que Ia présence d'.une limite est ce qui donn
fo~e au beau. Le sublime se trouve, lui dans un
« obJ~t sans forme » e~le « sans-limite » se « r;présente •
en l~ ou à son ~c~lon, donnant toutefois à penser 1
totalité du s~s-hmlte. Le beau semble ainsi présentei
un concept .mdéterminé de l'entendement le sublim
un conce\'t indéterminé de Ia raíson. ' tales. Cerre rétention est suivie d'un brusque épan-
A partl~ d~ cette définition - définition du beau
comm~ definiss~ble e~ son contour et du sublim
dé-fini comme indéfinissable pour l'entendement
on .comprend déjà que le sublime se rencontre moin
facilement que le beau dans l'art, plus facilement dan
l~ « n~ture brute. I). 11 peut y avoir du sublime dan
I art s il est S,?umlSaux conditions d'un « accord avec
Ia nature »'. SI l'art donne forme en limitant, voire en
encadrant, il peut y avoir un parergon du beau, parergon
de Ia colonn:e ou parergon comme colonne. Maís il ne
peut y aVOIr, semble-t-il, de parergon au sublime.
, Le colossal exclut le parergon. D'abord parce que ce
n est pas une eeuvre, un ergon, ensuite parce que l'infini
s'y. présente et l'infini ne se laísse pas border. Dans Ia
fini~de d~ ses contours formels, au contraíre, le beau
r.eq~e~ d ~utant plus Ia bordure parergonale que sa
~tatlon. n est pas seulement exteme : le parergon, on
s ~n souvle~t, y est appelé par le creusement d'un cer-
tam lacunaire au-dedans de I'eeuvre
En présentant ~ concept indéte~né, ici de l' enten-
dement, lã de Ia raison, le beau et le sublime produisent
un «. Wo~lgefallen », ce qu'on traduit souvent par
« satlsfll;ctlon » et que j'aí proposé de transposer en
« se-p!atre-à »~ pour des raísons déjà données et de
surC~Oltpour eviter Ia saturation de l' « assez » qui ne
COnVl~~ltpas. Dans le cas du beau, le « se-plaire-à »
~t, « lie,» ~ Ia qualité, dans le cas du sublime à Ia quan-
tl~e. Ou 1o~ ,voit déjà s'annoncer Ia question de Ia
taille et Ia différence du colosse à Ia colonne
L'autre différence, nous l'avions déjà rec~nnue dans
un ~utre contexte : le plaísir (Lust ) provoqué par le
sublime est négatif. Si. nous relisons cette séquence en
vue du cotossos, .la loglq~e de Ia taílle, de Ia coupure
pure, du sans-taille, de 1excês ou du presque trop de
ARERGON
ille impose une fois de plus sa nécessité. Dans
I' xpérience du beau, il y a intensification et accéléra-
n de Ia vie, le sentiment s'unit facilement à Ia force
dique de l'imagination ~t à ses attraits ( R~~e~).
ns le sentiment du sublime, le plaisir ne « jaillit »
u' « indirectement », 11vient aprês l'inhibition, l'arrêt,
suspension (Hemmung ) qui retiennent les forces
hement, d'un déversement (Ergiessung) d'autant plus
issant. Le schême est ici d'un barrage. L'écluse ou
vanne interrompt un fíux, l'inhibition fait gonfier les
ux, l'accumulation fait pression sur Ia limite .. La
ression maximale ne dure qu'un instant (augenbltck-
h), le temps d'un clin d'ceil pendant lequelle pas~age
t strictement fermé, et Ia stricture absolue. Puis le
arrage se rompt et c'est l'inondation. Expérience vio-
lente ou il n'est plus question de plaísanter, de jouer,
e prendre du plaisir (positif) ni de s'~rrêter .aux
attraits » de Ia séduction. Plus de leu {Spiel ) mais le
érieux (Emst ) dans l'occupation de l'imagination. Le
plaisir ne s'unit pas avec l'attrait (Reiz) parce que
l'esprit n'est pas simplement attiré (angezogen) mais,
inversement, toujours aussi repoussé (abgestossen). Le
trait de l'attrait (les deux familles ~e Reissen et. de
Ziehen dont il nous faudra analyser ailleurs le croise-
ment dans L'origine de l'ceuvre d'ort et Unterwegs .zur
'prache ) est divisé par le double sens de Ia tracnon,
le « positif» et le « négatif ». Ce. que « contl~~t » le ~(~e-
plaire-à » du sublime, c'est rnoms un « plaisir positif»
que du respect ou de l'admiration. C'est pourquoi il
u mérite d'être appelé plaisir négatíf ».
Cette négativité du sublime ne se distingue pas seule-
ment de Ia positivité du beau, Elle reste aussi étrangere
l Ia négativité dont nous avions re~onnu qu'elle était
aussi au travail, un cerram travail du deuil, dans
l'expérience du beau. Telle négativité était déià singu-
liêre, négativité sans négativité (sans sans sans), sans
de Ia coupure pure, sans fin de Ia finalité. La sin~ere
négativité du sans fait ici place au contre : opp~SlOon,
conflit, disharmonie, contre-force. Dans Ia beaute natu-
relle, Ia finalité formelle parait pré-déterminer l'objet
 149
LA VÉRITÉ EN PEINTURI RGON

en vue d'un accord avec notre faculté de juger. L

sublime dans l'art retrouve cette concordance (Überein
stimmung). Mais au regard de Ia faculté de iuger, )
sublime naturel, celui qui reste privilégié par cett
analyse du colossal, parait formellement contraíre à un
fin (zweckwidrig ), inadéquat et sans convenance,
inapproprié à notre faculté de représentation. II parait
faire violence à l'imagination. Et d'autant plus sublime.
La mesure du sublime est à Ia mesure de cette démesure
de cette incommensurabilité violente. Toujours au titr
du contre et de Ia violence contraire, le paragraphe 27
parle d'une émotion qui, surtout en son début, peut
être comparée à une secousse (Erschütterung), à un
tremblement ou à un branlement dü à l'alternance
rapide voire à Ia simultanéité d'une attraction et d'une
répulsion (Anziehen] Abstossen). Artraction/répulsion
du même objetoDouble bind. 11 y a là un excês, un sur-
plus, une surabondance (Vberschwengliche) qui ouvre
un abime (Abgrund). L'imagination a peur de s'y perdre.
Et nous reculons. L'abíme - dont le concept, comme
celui du pont, organisait les considérations architecto-
niques - serait Ia présentation privilégiée du sublime.
L'exemple de l'océan ne viendra pas fortuitement dans
Ia derniêre Remarque générale sur l' exposition des
jugements esthétiques réfléchissants, non pas l'océan
comme objet de jugements téléologiques mais l'océan
des poêtes, l'océan spectaculaire, limpide « miroir
d'eau » borné par le ciel quand il est calme, « abime
menaçant de tout engloutir » quand il s'emporte. Ce
spectacle est sublime. La même Remarque distingue le
« sans-intérêt » (ohne alies Interesse), propre à l'expé-
rience du beau, du « contre-intérêt » qui ouvre l'expé-
rience du sublime. « Est sublime ce qui plaít immédia-
tement par son opposition (Widerstand) à l'intérêt des
senso »
Le « se-plaire-à » du sublime est purement ou sim-
plement négatif (nur negativ) dans Ia mesure ou il
suspend le jeu et élêve au sérieux. Dans cette mesure il
constitue une occupation rapportée à Ia loi morale.
Elle a un rapport essentiel à Ia moralité {Siulichkeit )
qui suppose aussi Ia violence faite aux senso Mais Ia
 150 LA VÉRITÉ EN PEINTUR
vi~lenc~ es~ ici le fait de I'imagination, non de Ia raison
L unagma~on retoume cette violence contre elle-mêm ,
elle se m~tile, ,ligote, bande elle-même, se sacrifie et
~érobe, s entaille et se vole, elle-même, C'est en
li~u q~e Ia valeur de sacrifice opere thématiquement
l'mtérteur de Ia troisiême Critique, alors que nous l'
avons const~~ent traquée. Ma.is cette vioIence muti
lante et sacrífícíetle organise l'expropriation à I'ínté
rteu~ d'un ~cul; et l'échange qui s'ensuit est iusremem
I~ 101. du sublime autant que le sublime de Ia loi, L'ima
~tlo,!- g~gne à ce qu'etle perd. Elle gagne à perdre,
L unagt,!-atl0I?- orgamse le rapt (Beraubung) de s
p~opre liberte, elle se laisse commander par une autr
101 qu~ celle de l'u~age empirique qui Ia détermine en
vue d une fin. Mats par ce renoncement violent ell
gagne en extension (Erweiterung ) et en puissanc
( A!acht). çette puissance est plus grande que ce
~~ ell~ sacríâe, er SI le fondement lui reste caché,
I ~agtnatlon a Ie sentiment du sacrifice et du rapt en
meme temps que de Ia cause (Ursache) à laquelle elle
se soumet.
Premiêre conséquence : si le sublime s'annonce dans
Ia !lature brute plutôt que dans l'art, Ia contre-finalit~
qui 1: con~tltue nous oblige à dire que le sublime ne
peut ~tre ~lmpIe!Dent un « objet naturel li. On ne peut
pas dire d un obiet natu~~I, dans son évaluatíon positive
.(~u ou su~~e) qu il est contraíre à Ia finalité.
SunpIement.I objet naturel en question peut être propre
apte [taúglich ) à Ia « présentation d'une sublimité )/
D'une sublimité qui, elle, ne peut se rencontre~
co~e telle que da~s l'esprit et du cõté du sujet. Le
sublim~ ne peut habíter au~e forme sensible. 11 y a
des obiets ~aturels beaux, il ne peut y avoir d'objet
naturel sublime. Le vrai sublime, le sublime propre et
pr~pr~e!lt dit (das ~gent/iche Erhabene) ne se rapporte
qu a~ idées ,de Ia ratso~. 11 se refuse donc à toute pré-
senta~lOn adequa te. Mais comment cet imprésentable
peut-il s~ pr~ent~r? Cornmenr le bénéfíce du calcuI
víolent, I'ínâníté, s annoncerait-il dans le fini ? 11 faut se
te demander : si le sublime n'est pas contenu dans un
objet naturel ou artíficiel fini, il n'est pas davantage
RGON
e infinie elle-même. 11 présente inadéquatement
fini dans le fini et l'y délimite violemment. L'inadé-
tion (Unangemessenheit ), Ia démesure, l'incommen-
ble se présente, se Iaisse présenter, dresse~ lã,
ttre debout devant (darstellen) comme cela m~me.
présentation est inadéquate à. l'íd~e d~ Ia raAlson
elle se présente dans son ínadéquation meme,
quate à son inadéquation. L'inadé~~ti~n d~ Ia
entation se présente. O~ en tant qu l~dequatlon,
I n'appartient pas au sensible naturel, ni à Ia nature
général mais à l'esprit qui se. contente ~'~pIOJ!er Ia
ture pour nous donner à sennr une finalite indépen-
te de Ia nature. A Ia différence de celui du beau, le
ncipe du sublime doit donc être. recherché en nous
. projetons (hineinbringen) le sublime dans Ia nature,
us en tant qu'être rationnels. .
li n'y a d'effet colossal qu'au point de vue de Ia rai-
n. Telle est Ia raison du colossal, et. telle en .est ~a
i on qu'aucune présentation ne saur~t en aV~lI ~at-
n. Le sentiment du colossal, effet d une proiecnon
ubjective, est l'expérience d'une inadéquation ~e Ia
résentation à elle-même, ou plutõt, = to~te p.resen-
tion est adéquate à elle-même, d'une. madequatlo? du
résentant au présenté de Ia présentation. Une p~ese~-
t tion inadéquate de l'infini présente sa propre inadé-
uation une inadéquation se présente comme telle en
• prop:e béance, elle se détermine en son contour, se
taille et s' entaille comme incommensurable au ~ans:taille,
v ilà une premiêre approche du colossal en erecnon ..
Parce que le sublime n'est pas dans Ia n~ture ~atS
eulement en nous, parce que le colossal qui en rel.eve
e procede que depuis nous, l'analytique du sublime
t seulement un appendice (einen blo~s~n Anhang)
l'appréciation esthétique de Ia finalite naturelle,
• C'est 1à une remarque préliminaire fort né~essatre?
note Kant à l'ouverture de l'Analytique du sublime, qui
épare totalement les idées du sub~e de cell~ d'une
finalité de Ia nature et fait de Ia théorie du sub~e un
imple appendice à l'évaluation critique (Beurtealung)
esthétique de Ia finalité naturelle, car par là aucune
forme particuliêre n'y est représentée [dans 1anature] ... ))
 LA VÉRITÉ EN PEINTU
Ainsi, bien que Ie sublime soit mieux présenté par I
na~e (brute) que .par l'art, il n'est pas dans Ia natur
mais en nous, projeté par n~)Usdepuis l'inadéquati II
~ nous ~e plusieurs .pouvOlrs, de pIusieurs faculté
L ~ppendi~e sera le lieu de cette inadéquation. II I
trartera et il ~~ se,ra ~e~té. Ce lieu serait le lieu propr
~u c?loss~ s il n était 1emplacement inadéquat d'un
ínadéquatíon.
C'est cette détermination « subiective ))du sublime'
partIr de nos facultes que Hegel iugera intéressante et
lDs~sante. Ille fait dans les Leçons sur /' Esthétique au
chapitre sur l:e SY",!?o/im:e, .du, s:m/ime .: En rompanl
ayec le s'ymbo~sme, I infinité mteneure devient inacces-
sible et. ínexprimable, Sa présentation ne peut plus êtr
~ymbolique (au sens hégélien ou saussurien du terme qui
Implique Ia participation ou Ia ressemblanee analogique
~ntr~ le symbole et le symbolisé). Le eontenu (l'ídée
lnfini~, en l?os~tionde signifié et non plus de symbolisé)
dé~ruIt le sígnífianr ou le représentant. 11ne s'exprime
qu en marquant dans son expression l'anéantissement
de l'expression. Il fait voler en éclat le signifiant qui
voudraír se mesurer à son infinité. Plus précisémenr, Ia
forme',!'acte d~ former, le Gestalten, se détruit à travers
e~ qu 11 exprime, explique ou interprete. Dês lors
I'mterprétation exé~étique (Auslegung) du contenu se
prodwt eomme releve (Aufhebung) de l'acte d'inter-
prét~r, de montrer, déplier, manifester, C'est là le
sublime : une releve de l'Auslegen dans I'Auslegung du
eontenu. Le ~ontenu y opere et commande Ia releve de
Ia forme. Voi1à ce que le « subjectivisme )) de Kant
aurait manqué. Si c'est Ie contenu, l'infinité elle-même
ce qu: Hegel ap~elle l'un, Ia substance, qui oper~
elle-mem~ cett;e releve de Ia forme, si e'est elle qui rend
Ia forme inadéquare, alors on ne peut expliquer cette
operanon .à partir d'une subjectivité finie. Nous devons
au contraire comprendre le sublime en tant qu'il est
fond,é dans l'unique substance absolue, dans Ie contenu
à .present~r (ais dem darzustellenden Inhalt ), Autrement
dit à parnr du présenté de Ia présentation et non de Ia
présenraríon du présenté. S'iI y a inadéquation dirions-
nous dans un code à peine différent, entre le ;ignifié et
RGON 153
ignifíant, cette inadéquation. sublime . d~~t ê~re
e depuis le plus et non le moins, depws I infinité
ifiée et non Ia finitude signifiante.
l-par exemple - une p~ésen~tion ,~!os~ale ~t
taille, ce qui est sans taille, c est l'idée infinie,
t le présenté qui ne se laisse pas adéquatement pré-
ter. La forme de Ia présentation, elle, Ia Darstellung,
ne taille, si grande soit-~e. ~a taille d~ colossal
t pas à Ia taille de ce qu'il presente et qui est sans
lle. Hege1 reproche à Kant de partir de ~ ~e et
n du sans-taille. A quoi Kant répond en pnncipe que
ur penser le sans-taille, il faut que celui-ci se présente,
me s'il se présente sans se présenter, a~équatement,
e s'il s'annonce seulement, et précisément dans
ufhebung. II faut (il faut et il faut bien) partir du
lossal en tant qu'il s'entaille, q~'il e~eve sa ~e et
découpe sur le fond du sans-taille : il faut partir de
figure, et de sa taille.
Tout cela se passe done autour d'une eoIonne infinie
ais tronquée à Ia limite du tronc, à Ia place de Ia
ncature ou du tranehant, sur le trait de bordure, fio
mme une lame, qui définit Ia taille. La ~u~tion
'ouvrant de savoir si on doit penser une sublimité de
l'Ameà partir d'un bord ou de l'autre, de l'infini ou du
ni étant entendu que les deux ne s'opposent pas mais
~ransgressent l'un vers l'autre. et l'un dans l'~utre.
lus précisément : Ia question s ouvre de savcnr, ou
lutõt de penser, si on doit d'abord penser (eomme le
se Hege1) Ia sublimité, partir de Ia pensée de Ia
ublimité ou au contraíre (eomme se le figure l<a?t) de Ia
résentation, inadéquate à cette pensée, ~u sub~e, etc,
Kant et HegeI réfléchissent néanmoins Ia ligne de
upure ou plutôt le pas franchissant ~ette li~e entre
fini et infini eomme lieu propre du sublime et mterrup-
tion de Ia beauté symbolique; il n'est donc .pas "sur-
prenant qu'ils considêrent tous deux un certam [udaísme
comme Ia figure historique de l'~ption sublime, l'un,
Kant, au point de vue de Ia relígíon et de. Ia ~or~e,
dans l'interdit de Ia représentation lcomqu~ (~ ((B,ld~»,
Di « Gleichnis »), l'autre, Hegel, dans Ia poesie hé~ralque
considérée comme Ia plus haute forme négative du
 154 LA VÉRITÉ EN PEINTU J!RGON 155
sublime. La forme affirmative du même sublime
rencontrerait, dit-íl, dans 1'art panthéiste.

Quelle est alors Ia question ?

L ,Comme celle du beau, l'analytique du
sublime procede à I'intérieur du cadre de 1'analytiqu
e que Kant ne pose pas et que: pourtant no~ pou-
o poser du dedans de son discours. Et SI nous
uvons Ia poser du dedans de son discours, c'est que
du)u~ement Imp~rtée de.la Critique de Ia Raison pur y être posée elle n'est pas sans s'y po~e~. Les ques-
théorique (quantité, qualité, relation, modalíté). Nou
os peuvent être aussi parergonales. VOICl..
~vons déjà reconnu les problémes posés par cett
Tentons de considérer à nouveau Ia magmtude. Ce
ImportatIon au moment de situer le parergon. lei, m traduit l'absolument grand, non pa~ Ia grandeur
compte tenu du caractêre informe de 1'objet sublime,
olue (puisque ce grand est étranger et ~co~mensu-
Kant propose de commencer par Ia quantité er non par ble à Ia grandeur) ni 1e grand abso1u (pwsqu on pour-
Ia qualité comme il 1'avait fait dans 1'analytique du
it être tenté d'inverser ou de permuter 1es deux
beau. Il commence donc par le sublime mathématiqu
tributs et de transformer l'un ou l'autre en substanti~)
et non ~ar le subl~me ~ynamique. Or c'est dans l'espace is l'absolument grand, sy.ntaxe .inc?rrecte pour dési-
du sublime mathematlque que surgissent Ia colonne et
le colossal. Et le problême de Ia taille. ner une valeur qui n'est m no~alisab1e ~bsol.ument
« Nous appelons sublime ce qui est absolument grand
I grandeur du grand) ni une simple modification du
(sch/echthin gross) II (§ 25). L'absolument grand n'est m (le grand comme grandeur). C'est parce qu'il est
olument grand, que ce grand n'est plus de l'ordre
pas une grandeur, au sens quantitatif. Etre grand et
u aux ordres de Ia grandeur. Il ~t p1us grand que Ia
e~re,une grandeu!, ce sont là deux « concepts totalemenr
randeur ni grand ni grandeur, mais absolument grand.
différents imagnituda et quantitas) », Le grand absolu
uelle ~t alors Ia question ? Voiei. . ,
n'appartient pas à Ia grandeur, il n'est pas et n'a pas
Pourquoi Ia magnitude, qui n'est pas une quannte,
une grandeur. Il ne se prête à aucune comparaison
t pas une quan~té ~mparable, dans l'ordre des
(abso/ute, non comparative magnum, über alle Verglei- hénomênes, se laisserait-elle representer sous Ia ca~é-
chung;' N'étant égale ni comparable à rien, cette
orie de Ia quantité plutôt que sous une autre? Qu a-
magmtude reste absolument inégale, inadéquate à quoi
I l1e de conunun ou d'analogue avec elle .alors mêm~
que ce soit de mesurable. Démesure absolue de cette
magnitude sans grandeur, l'inégal ne peut y être en u'elle lui est incomparab1e ? Autrement dit, pourquo~
ppeler magnitude ou I( abso1ument grand l~ ce qw
tant qu'inégal, qu'égal à soi, égal qu'à soi. C'est ce'que
o\est plus une quantité? Pourquoi c~tte référence,
nous appelons sublime, « une grandeur qui n'est égale
qu'à elle-rnême n, De lâ suit que le sublime ne se ren- ncore, à une taille dans l' espace ? ~ns~te? autre. q~es-
tion encore Ia même si Ia phénoménalisation doit etre
contre jamais dans Ies choses de Ia nature, seulement dans
les idées. Dans lesquelles ? demande alors Kant. Ce sera dnrise, pourquoi l~ sublime serait-il l'ab~ol~e~t
l'objet d'une « déduction )) rand et non l'abso1ument petit? Pourquoi ~exces
bsolu de Ia grandeur, ou plutôt de Ia quantité, se
 156 LA VÉRITÉ EN PEINT
sch~matiserait-i1 du côté de Ia grandeur et non de I
penresse > Pourquoi cette valorisation du grand q\ll
mtervienr donc encore dans une comparaison entre d
incomparablesp L'absolument grand ne se comp I
certes à nen, à aucune grandeur phénoménale en tOUI
cas,. mais il ~t préfér,é à l'absoIument petit. Bref, pour
quoi le sublime est-il grand et non petit ? Pourquoi I
grand (absoIument) est-il sublime et non le petn
(absolumenr) ? Kant pose Ie fait de cette préférence, d
ce. plaisir pns au plus grand ou du plus grand plai \I
prI~ au grand, de cette économie qui fait, quasi-taut
logie, que le plus vaut plus que le moins, et l'absolumem
grand plus que l'absolument petit, puisque le schêm
de Ia préférence (le plus) y entraine comme une cons
quence analytiq~e. Si en effet on se demande, comm
je viens de Ie faire, pourquoi Ia préférence irait au plu
grand, on oublie nai'vement que le plus et donc 1
grandeur s'inscrivent dans le mouvement et dans 1
conce.pt même de .préférence. 11 faut alors déplacer J
quesnon : pourfJ'!Ol.y aurait-il préférence ? et plus stric
tement pourquoi, SI dans Ia phénoménalité l'excês d
quantité. doit s'annoncer, et le passage au-delà de J
comparaison, pourquoi le ferait-il du cõté du grand I
no~ du pent, du plus grand et non du pIus petit, du
mOInSgrand ou de I'absolumenr petit?
. Kant .pose que Ia préférence ne peut être que subiec-
tive m2!s Ia tautologíe même de Ia proposition le dis-
pense d une ques~lOn. SI aucune mathématique ne peut
en tant ~u~ t~~e Justifi~r. ~e préférence, un avantage
~e supenonte, un prívilêge (Vorzug), il faut qu'un
jugement esthétique y soit impliqué, et une mesure
subiective venant à fonder des jugements réfiéchissants.
Un objet, nous fút-il indifférent dans son existence
nous p~ai~toujours par sa simple grandeur, même si o~
Ia consIdere. comme sans forme (formlos), et ce senti-
ment est urnversellement communicable. Le rapport à
cet,te grandeur n'~t pas mathématique, ni le « respect II
qu elle inspire, DI davantage le « mépris II que suscite
« ce que nous nommons simpIement petit I). Kant ne
se demande pas pourquoí cela irait de soi, de soi natu-
rellement vers le plus grand et le plus hauro La question
RGON 157
t d'autant plus inévitable que l'infinité non phéno-
nale de I'idée doit toujours se présenter dans I'intui-
10. Or tout ce qui se « présente » dans l'intuition et
in se « représente esthétiquement, tout phénomêne
)1
I ussi un quantum. Mais qu'est-ce qui décide que,
Ince quantum, le plus vaut plus que le moins,
mieux II que le moins, et le grand plus ou mieux que
I petit P L'instance de décision ou de « préférence II ne
ut être, en tant que telle, ni phénoménale ni nouménaIe,
nsible, ni intelligible.
I. question revient à l'origine de Ia présentation.
iurquoi le grand absolu (le sublime), qui n'est pas un
ntum puisqu'il excede toute comparaison, se laisse-
11 présenter par un quantum qui n'arrive pas à le pré-
ler? Et pourquoi ce quantum essentiellement ina-
uat le présente-t-il d'autant « mieux II qu'il est plus
nd? Le plus ou moins (grand) ne devrait avoir
lu aucun sens, aucune pertinence au regard du grand
olu, de Ia magnitude. Or il a un sens, note Kant
( I il décrit là ce qui en effet se passe) puisque l'évalua-
uon positive porte vers le haut ou le grand absolu, Ia
gnitude, et non vers le petit ou le moyen.
Kant aura introduit Ia comparaison lã ou, dit-il, elle
n devrait pas avoir lieu. 11 l'introduit, il Ia laisse
'introduire de maniêre apparemment fort subtile.
on pas en ré-impliquant Ia magnitude dans ~~compa-
ble, mais en comparant le comparable ã 1mcompa-
ble. La logique de l'argument, me semble-t-il, et
ut-être Ia chose même, ne sont pas sans rapport
vec Ia preuve de l'existence de Dieu selon saint Anselme
(aliquid quo nihil majus cogitari potest ) --I
 LA VÉRITÉ EN PEINTU
L sublime ce en comparaíson de qu I
tout le r~te est pent. Kant laisse s'mtrodwre ainsi un
comparaison, .une Vergleichung, lieu de toutes 1
figures, analogies, métaphores, etc., entre deux ordr
absolument irréductibles entre eux, absolument hétér
gênes et dépa;~illés; II iette un pont par-dessus 1
g~>uff~e,entre 1Impresentable et Ia présentation. A vr I
~~re 11. prétend ne pas le jeter mais le reconnaltre,
I ~dentlfier : le pont, comme symbole, se jette. Dês lor
c est toute Ia. nature, Ia t~talité des présences et de
grandeurs qui est et apparalt comme petite au regard de-
la magnitude, Et c'est lã le sublime. II n'est rien dan
Ia .natu~e, si gran~ qu:~n s~it le phénomêne, qui n
pwsse etre ramene ã lmfiniment petit. Le télescop
!l0u,s rend cett~ affírmation três proche. Inversemem,
il n es~ nen. qui ne puisse pour l'imagination s'étendr
~ux dimensions du monde, en comparaison avec d
efhelles d~ mesure e~core plus petites, et cette foi
c est le microscope qw nous aide. Mais comme il y a
dans notre Imaginatíon un~ tendance au progrês infini,
dans notre raison une pretennon à Ia totalité absolue
comme à une idée réelle, Ia démesure (Unangemessenheit)
de notre P?uvo~r d'~valuation phénoménale des gran-
deurs, .son madequatlOn ã l'idée infinie éveille en nous
le sennmenr d'une faculté suprasensible. Cet éveil est
proprement sublime, et il nous fait dire : « est sublime
ce en comparaison de quoi tout le reste [tout autre
alles andere] est petit » , Passen ressemblant d'abord à l'opération de Ia main.
RGON 159
le colossal, nous l'avions
é attendre, ressurgit ici. Nous sommes en
t devant une sorte de mesure premiêre et fonda-
tale. 11 y aurait une évaluation fondamentale
stes oder Grundmass) de Ia grandeur, et deux
.êres de prendre : appréhender et comprendre.
mment l'entendre?
Dans l'ordre phénoménal, une évaluation de Ia gran-
r procede mathématiqu~e~t, par, concepts ,de
mbre ou par leurs ~ignes .alge~~lques;,1 ~utre p~ocede
thétiquement par simple mtumon, ~ 1ceil. .ar SI nous
ulions nous confier seulement à 1 évaluation mathé-
tique, nous serions privés de .toute mesure fondamen-
e ou premiêre. Dans Ia série des nombres allant à
I'lnfini chaque unité en appellerait à une autre unité
m~ure. L'évaluation de Ia grandeur fondamentale
(Grundmass) doit donc consister en une capacité de
isie (Fassen ) immédiate et intuitive : présentationdes
ncepts de nombre par .1'imagination. Autre mantere
e répéter que I' évaluation .~es .grandeurs, po~ les
bjets naturels, est en dermere mstance esthétíque
ubjective et non objective». A • ,. •
Pouvoir rapporté à ce qui peut ~tre pns à, 1ceil, ~ns
vue, voilà le fondamental quand il y va de 1 évaluation
es grandeurs. Le colossal sera peut-être quelque ch?se,
I présentation plut~t de ~ue1que chose qw p~ut. etre
prise sans pouvoir etre pnse, en mam ou à 1ceil, le
tre prise sans pouvoir être prise et qui dês lors vous
I A VÍRITt IIN PEINTUIU!
 161
160 LA VÉRITÉ EN PEINT RERGON

écrase, vous rejette en bas tout en vous élevant, puisqu

vous pouvez Ia prendre en vue sans Ia prendre en main
sans Ia comprendre, et que vous pouvez Ia voir sans I
voir complêtement. Mais non sans plaisir, d'un
plaire-à-cela sublime.
Reprenons : l'évaluation mathématique de Ia gran
deur n'accêde jamais à son maximum. L'évaluati 1\
esthétique, Ia premiêre et Ia fondamentale, y atteint
et ce maximum subjectiJ constitue Ia référence absolu
qui éveille le sentiment du sublime; aucune évaluati 11
ou comparativité mathématique n'en est capable, 5 \I
si - et cette remarque de Kant, abandonnée comme li
passage, entre parenthêses, est saisissante - Ia mesur
esthétique fondamentale reste vivante, est maintenu
en vie (lebendig erhalten wird) dans l'imagination qu
présente les nombres mathématiques. Ce qui montr
bien que l'évaluation fondamentale de Ia grandeur en
son maximum est subjective et vivante, si énigmatiqu
que reste cette « vie », cette vivacité ou cette vivanc
(Lebendigkeit) .
Or cette premiêre mesure (subjective, sensible
immédiate, vivante) procede du corps. Et eUe a 1
corps pour premier objeto On doit maintenant le vérifier,
C'est le corps qui s'érige en mesure. 11 fournit l'unité d
mesure mesurante et mesurée : du plus petit et du plu
grand possible, du minimum et du maximum, comme
du passage de l'un à I'autre,
Le corps, disaís-je. Le corps de l'homme, comme iJ
va de soi, et sans dire. C'est à partir de lui que l'érection
du plus grand se préfêre,
Tout se mesure ici à Ia taille du corps. De l'homme.
C'est à ce mesurant fondamental (Grundmass) qu'il
faut rappêrter le colossal, son excês de taille, son insuf-
fisance de taiUe, le presque et le presque trop qui le
tient ou l'élêve ou l'abaisse entre deux mesures.
On vient de l'entrevoir : pour que l'évaluation esthé-
tique donne lieu à une mesure mathématique, l'inter-
vention de l'imagination est indispensable. Celle-ci
s'empare (aufnimmt) d'un quantum sensible pour en
faire une estimation empirique. Or l'imagination,
intermédiaire entre Ia sensibilité et l'entendement, est
162 LA VÉRITÉ EN PEINTU
capable de deux opérations. Et nous retrouvons ici 1
d~ux bo~~s, 1~ d~ux faces du trait, de Ia limite ou de I
t~e. L un~auon est Ia taille parce qu'elle a deu
tailles. La ~e a toujours deux tailles : elle dé-limit
Elle a Ia taille de ce qu'elle délimite et Ia taille de
qu'elle dé-lim,ite? de ce qu'elle li?tite et de ce qui '
libere de. sa limite. Deux opérations de l'imagination
donc, qw sont toutes deux de préhension. L'appréhen
sl(~n (apprehensio, Auffassung) peut aller à l'infini sa"
peme. L'autre, Ia compréhension (comprehensio, Zusam
mer:fas~ng) ne. pe~t pas swvre, elle est finie, assujettJ
à. 1intuuus derioatious et au sensible. Elle arrive tr
vite à un maximurn, qui s'érige alors en mesure fond
mentale. Ce maximurn de Ia compréhension est « I
~esure ~ondamentale, esthétiquement Ia plus grande, d
1 évaluatíon de Ia grandeur », Et si l'appréhension
s'éte?d au-delà ,~ece maximurn, il fait perdre en compr
hens~on ce qu il gagne en appréhension, D'oü cett
conseguence apparemment paradoxale : le bon lieu 1
topo~ idéal pour l'expérience du sublime, pour l'inad~
quation de. Ia présen~ation à l'imprésentable, ce sera un
place médiane, un li~u moyen du corps qui fourniss
un m~urn esthéu.que sans se perdre dans l'infini
mathémauq';1e. 11 dou y avoir un corps à corps : 1
corp~ « subli?teAII (celui qui provoque le sentiment du
sublime) doit ei!e assez loin pour que Ia grandeur
~axlmale apparalsse. et reste sensible, assez prês pour
~~re yu .et « compI';1s lI, pour ne pas se perdre dan
1indéfini mathéJ?lauque. E-loignement réglé, mesuré
entre un trop pres et un trop loin.
Dans 1~ exemples kantiens, ce corps à corps est un
corps à r.ierr~. Avant même que surgisse le colossal,
a~ant q~ il sou nommé, et vous le pressentez déjà de
pierre, pi~rreux, pétrífíé ou pétrifiant, les deux exemples
sont de pierre.
, I?'abord, une fois de plus, les Pyramides. Kant se
~efere ~ux Lettres d'Egypte. Savary explique: il ne faut
etre 01. tr?? p~es ni trop loin des Pyramides pour
ressentir 1emotion propre à Ia chose. De três loin
l'appréhens.ion des pierres ne donne lieu qu'à un~
représentation obscure sans effet sur le jugement esthé-
RGON
ue du sujet. De três prês, l'appréhension visuelle
e du temps pour s'accomplir de l~ base au sommet,
premíêres perceptions s' « évanoUlssent II avant que
agination n'atteigne aux dernieres et.« Ia compré-
íon n'est jamais complete », accomplie. 11 faudrait
nc trouver un lieu moyen, un éloignement [uste pour
I r le maximum de compréhension au maximum
ppréhension, pour prendre en vue le maximurn de ce
, n ne peut pas prendre et imaginer le maximum de
qu'on ne saurait voir. Et quand l'imagi~ati0Il: atteint
maximurn et éprouve le sentunent de son impuis-
nce, de son inadéquation à présenter l'idée d'un t?ut,
U retombe, elle s'abime, elle sombre en elle-meme
an sich selbst zurück sinkt ), Et cette retombée abyssale
Ia laisse pas sans une certaine é~otion .positive :
certain transfert lui donne de quoi se plaire à cette
hute qui Ia fait revenir à elle. 11y a un « se-plaire-à II
ns ce mouvement de l'imagination impuissante (in
h selbst zUTÜck sinkt dadurch aber in ein rührendes
ohlgefallen versetzt wird); C'est ce,qui ~e p~sse, autre
u de pierre au nom de Pierre, et c est I Eglise, quand
le spectateur entre pour Ia prem~ere ,fois dans l'é~lise
e Saint-Pierre à Rome. 11 est « egare » ou frappe de
tupeur », On dirait presque médusé : tout ~ l'heure
u-dehors maintenant au-dedans de Ia crypte pierreuse.
C'est d~ moins ce qu'on raconte (wie man erziihlt) :
ant n'est jamais allé Y voir de plus prês, ni à. Rome
i en Egypte. Et il faut aussi compter avec Ia distance
'un récit d'un récit écrit dans le cas des Lettres de
vary. Mais l'éloignement requis p0?I' l'expérience du
ublime n'ouvre-t-il pas Ia percepuon à l'espace .du
récit? L'écart entre l'appréhension et Ia comp~éhension
n'appelle-t-il pas, déjà, une voix ~rrauve? Ne
'appelle-t-il pas, déjà, d'une voix narrauve, le colossal ?
Nous y revenons apres avoir tourné lentement autour
de son emplacement. Dans 1e ~aragraph~ pr~cédent,
Kant vient de nommer les Pyramides et Samt-Plerr~ de
Rome : « ••• si on doit donner le jugernent esthénque
pur (qui ne soit mêlé avec aucun jugement téléologique
comme jugement de 1a raison) et par là un exemp1e
pleinement approprié à une critique de la faculté de
 LA VÉRITÉ EN PEINTURI RGON

l' utre. Taille, bordure, bords de coupure, ce qui

juger esthétique, on ne doit pas montrer le sublirn
dans des produits de l'art (par exemple des édifices, e et se passe, sans passer, de l'une à I'autre,
des coIonnes, etc.) en Iesquels une finalité humain
détermine aussi bien Ia forme que Ia grandeur, ni dan
les chose~ de ~a,nature, dont le concept comporte déjl
une fin .déterrmnee (par exemple des animaux dont 1
destination naturelle est bien connue), mais dans 11
nature brute (et en elle dans Ia mesure seulement 01
elle ne comporte aucun attrait ni rien d'émouvant venu
d'un danger réel), pourvu seulement qu'elle contienn pas_sans-de-l'une-à-l'autre
de Ia grandeur. ~ d~s cette.so~e de représentation
Ia nature ne connent nen qui soit prodigieux (unge-
heuer) (rien. de magnifiqu~ ou d'~pouvantable); 1
gr!l1lde~rqui est appréhendee peut etre étendue aussi
10mqu on voud~? SIs~ule~ent elle peut être comprise
en un tout par 1imagmanon. Un objet est prodigieux
Iorsq';le, par sa grandeur, il anéantit Ia fin qui en
c~nstItue !e con~ept. Colossale en revanche s'appelle Ia
simple presentanon ?'un c~>nceptq~ ~t presque trop
gran~ pour toute pr~sentatIon (à Ia limite de ce qui est
I Kant a plusieurs fois retouché sa
hrase y aiguisant sa plume. Le « qui » du « qui est
r~IatIvement prodigieux); ~ ~ fin de Ia présentation resqu'etrop grand » a pour a!ltécéd~nt, d'UJ?-eédition
~ un conc~pt.est rendue difficilepar le fait que l'intui- l'autre, le concept ou Ia prese,ntatIo~.MaIS cela ne
non de ~objet est. presque ,trop grande pour notre víent-il pas au même? La pres~ntat1onde ,quelque
faculté d a~prehe~sI0n. » D appréhension et non de hose qui est trop grande pour etre présentee o,! Ia
compréhensl0~, bien que l'appréhension se définisse présentation trop grande de quelque chose p.our etre
par. le l?ouvolr de progresser à l'infini; elle s'essouffíe présentée, cela produit toujours une it:ladéq~~tIond~ Ia
moms vrte q~e Ia compréhension. Nous y avions insisté présentation à elle-même- Et cette. méAgaliteP?sslbl~
plus haut mat~pour affinerIa distinction et Ia proximité du présent de Ia présentation à Iuí-même, voilà qur
entre ko~ossa[,!ch et ungeheuer, il faut encore rappe1erIa ouvre Ia dimension du colossal, du Darstellen colossal,
connotanon vlrtuell~ qur marque cette derniêre valeur : de l'érection là-devant du colosse qui se taille. 11 se
le ",?"st"!4eux. A. Philone~? Ia privilégieen rempIaçant taille, surgit et ressurgit dans sa taille immense, à Ia
systemanquement « prodigieux » (traduction Gibelin) fois limitée puisque le présenté reste trop grand,
par « monstrueux », presque trop grand pour lui, et illimitée par cela même
Le colossal semble appartenir à Ia présentation de Ia qu'elle présente ou qui se présente en elle. ~e do?ble
nature brute, rude, crue. Mais on sait que le sublime trait d'une taille qui limite et illimite à Ia fois, Ia ligne
n'e~prunte que ses présentations à Ia nature. Le diviséesur laquelle un colossevient à se tailler, s'entaíl-
sublime du colossal, s'il ne releve pas de l'art ou de Ia lant sans taille, voilà le sublime. Kant le dit aUSSl
culture, n'a pourtant rien de naturel. La taille du
« subjectif » : déchiffrons-y l'idéaft~ psychique de c~
colosse n'est ni culture ni nature, à Ia fois l'une et
qui « n'est pas dans Ia nature », 1ongme ~e Ia psyché
l'autre. II est peut-être, entre le présentable et I'impré- comme colossos, rapport au double du cí-devant qui
sentable, le passage autant que I'irréductibilité de l'une
 166 LA VÉR1TÉEN PEINTU
vient là-deoan; s'ériger. Se suréleuer, prétendument,
delà de Ia hauteur.
.I
cí-devanr, Fort
~~ . colossal. Ce qui vient-Ià-devant-s'ériger. Devam
s er~~er dans le .mouvemenr excessif de sa propre di
pantion, ~e son lmprésentable présentation. L'obscénit
de son abíme. _
. cette doubl
taill~ ne se compare qu'à elle-même. Car Ia limite
n:e~ste pas. Même s'il y en a, Ia taille de cette entame
n ~,,!st~ pas, elle. ~e commence jamais, nulle parto Ni
ongmaire ni dénvee, comme Ia trace de chaque trait
C'est cela, ce qui se présenre sans taille.
, . idé I
--:- '" et, SI vous consi erez e tronc du présent
q~. se fait ~ClA present, vous voyez double, vous voyez
qu il aura du erre double. Le colossal est, autremenr dit
se surélêve des deux côtés de sa propre taille, i1 est des
RGON 167
\I
cõtés sa propre taille, i1 est de sa propre taille des
'I
cõtés. A priori et d'entrée de [eu double colosse,
n double colonne. D'ou sa résonance.
à Ia fois puissant et imp~ssant, puissant
n impuissance même, tout en pwssance dans son
ité à soi. Tout ici résonne et se répercute dans le
e dynamique .. Le colossal a. été traité dans ~e
I pitre sur le sublime mathématique. ~este à VOlt
ent le dynamique V1e~tau mathé~tlque. .
our le jugement esthétique, le sublime dynamzque
Ia nature se donne dans Ia différence entre Ia force
Ia puissance, quand Ia force (Macht) n'a pas Ia
rce d'exercer sa puissance ou sa violence (Gewalt) :
nous. Et Ia force ne devient puissance qu'à l'emporter
r Ia résistance d'une autre force --
.
glas et ~ctique du. colossos.
ans l'intervalle entre le sublime mathématique et le
ublime dynamique, un arbre avait été proj~té. dans ~
voie lactée. 11y avait le pont au-dessus de 1abune qw
 168 LA VÉRITÉ EN PEINTU

menace de tout engloutir, au bord duquel s' entame l'an

lytique du sublime. Maintenant ce tourbillon qUI
arrache l'arbre pour le projeter, immensément, dans Ia
dissemence laiteuse. Il y va toujours, comme on "
maintenant, de I'écriture chiffrée (Chiffreschrift)
même Ia nature. Et d'un exemple : « Des exemples d
sublime mathématique dans Ia nature nous sont livr
dans Ia pure intuition par tous les cas ou nous I
donnée non pas tant un três grand concept numériqu
que, plutõt, une grande unité en tant que mesure pOUI
l'imagination (afin d'abréger les séries des nombre)
r
Un arbre, que nous évaluons d'aprês Ia taille de l'hommI

donne dans tous les cas une mesure pour une montagne I

et si celle-ci était haute d'un mille environ, e11e peut

servir d'unité pour le nombre exprimant le diamêtre d
Ia terre, de telle sorte que celui-ci devienne accessibl
à l'intuition, le diamêtre de Ia terre jouant Ie mêm
rôle pour le systême planétaire que nous connaisson I (par dessus le marché)
celui-ci pour Ia voie lactée; et Ia foule immense de tel
systêmes de voies lactées appelées nébuleuses, qui
vraisembIablement constituent entre elles un systêm
analogue, ne nous laissent attendre ici aucune limite. Ii

I
 i, le résonnement dans cette autre langue vous
t encore, j'aimais les mots pour trahir (pour
ter, triturer, traíner, tramer, tracer, traquer).

Par exemple, pour trahir Adami, être traitre à son

vail, je me laisserais donner un cadre.

L'exhiberai-je sans reste? Comment évaluer l'écono-

'e des moyens, les contraintes d'une échéance (tant
jours, mais c'est plus retors, je procede à partir d'une
ccumulation difficile à mesurer), d'un format (tant de
es, mais ie plie et multiplie les tropes, surdétermine
codes, engrosse les langues et les marges, capitalise
l'ellipse, jusqu'à un certain point qui me regarde mais
ue je vois mal), et puis ce qu'ils appe1lent les conditions-
e-la-reproduction, le marché-de-la-peinture : mais
ussi de Ia signature, de l'écriture et même, ici prise en
mpte, de Ia rature.

Premiére version publiée en 197 dIa' .

:;w 197~. éditions Maeght). L'o<;~st:Sen ~~~~ D~êre /e miroir (nO l14. 11 dessinait à Ia gomme, le voiei qui rature .
.e Vale~lO Adami. Le f)oyag. du dmin
11 esr utile de Ie rappeler ici d
P . par ,une exposition
000 ~
'E ar:u une centaine d aurres dessins
Que fait-il, lui, du marehé, des cadres et des marges ?
Elles avaient préparé les d~uxe:. tu ••. pour un dessin d'opre. G/a s, :
CHI (CHI~RE pour l'ensembl )rel qUI r~çur~nt leur titre, ICH et En parler de toute évidence ne lui suffir pas. Ni
en corps IS. sans marge bo deu texte qUI sua. Celuí-eí fut imprim~
d'abord fait pour s'en ex~liq~e~e ou passe-partout d'aucune sorte. Et l'énoncé de thêses à ce sujet. Benjamin, ici portraituré,
enjoint à L' auteur comme producteur : qu'il ne se contente
 173
172 LA VÉRITÉ EN PEINT

pas de prendre position, par des discours, au sujet I

Ia société et que jamais, füt-ce de thêses ou de produn
révolutionnaires, il n'approvisionne un appareil de pr
duction sans transformer Ia structuremêmedel'appar I
sans le tordre, le trahir, l'attirer hors de son élém 1\
Aprês l'avoir piégé, l'ayant d'un mauvais coup pri
mot ou au mors.

lei même, voyez, il a forcé un cadre. Ill'a mis à 11'

et retourné, s'acharnant à disloquer les angles, fouill 11
les encoignures. A tergo, laissant croire qu'on pouvn
tourner autour, faire un tour de propriété, passer d I
riêre Ia reproduction spécu1aire.

Mais ou le dos fait face, le texte était déjà : lettr

initiales déjà écrites de ce que vous croyez être
main par quelqu'un qui écrit ici moi, disant (quoi
lisez, regardez) ici maintenant, mais depuis toujour
entraínées dans Glas par une incroyable scêne d
séduction entre Rembrandt et Genet. Avec passage
l'acte, bien sür, comme on entend Ia séduction dans 1
psychanalyse.

Mettant le cadre en avant, le poussant sur Ia scên

maltraité, sous les proiecteurs, il a barré marges, il
écrit, donc raturé, ce qu'il faisait; il a dessiné, trait pOUI
trair, ce qu'il écrivait, ce qu'il raturait plutôt : c
Marges que je tenterais en vain de me réappropri I
comme une rente ou un titre.

Pour ce double geste, et ce mobile d'une citation,

déjà, de Ia double gravure (disque et dessin), Concerte
per un quadro di Adami, il lui fallait deux fois deux
mains. 11 compose, il décompose : entre autres piêce pour< un dou i" d'aprls Glas (l'une de. deux faces de ce qui sera une ."figra-
avec des partitions que j'ai feint de signer, ou Ia néce le objet double face).
sité de jouer à plusieurs mains, sur plus d'une portée,
insistait depuis longtemps (( Deux textes, deux main ,
deux regards li, Ousia et grammê; « 11 est là comme
l'ombre du livre, le tiers entre les deux mains tenant le
livre, Ia différence dans le maintenant de l'écriture li,
Ellipse; « 11faut au moins deux mains pour faire fone-
174 LA VÉRITÉ EN PEINTU 175
nner l'appareil, et un systême de gestes, une multi-

I
ité organisée d'origines. 11 faut être plusieurs pour
re et déjà pour « percevoir ». La structure simple de
maintenance et de Ia manuscripture est un mythe,
« fiction » aussi « théorique » que l'idée du processus
aire », Preud et Ia scêne de l'écriture).
e Concerto a quauro mani s'interprête deux fois en
versant l'orientation des mains : devant un miroir,
un miroir, derriêre le miroir. L'étrange manu-
e détourne Ia spéculation, elle présente ce qui Ia
ente, derriêre le miroir, en couverture. Celle-ci fait
ne partie d'elle-même, morceau d'un présentoir qui,
r se trouver à Ia fois dedans et dehors, manipule sur
u ieurs registres un objet qui pourtant le déborde.
feint de représenter un instrument non représentatif
r exemple un piano).
Mais aussi, vaguement distraite par Ia fumée d'une
arette, d'une danse chirurgicale, les doigts en choeur.
aos Viaggio all' est c'est Ia bouche en cceur.
A couvrir, dês son tirre, Ia totalité d'une série dont
n'est pourtant qu'un morceau, d'un ensemble dont il
'est qu'un instrument, le concerto s'empare-t-il de Ia
s puissante galerie (un mot que je prélêve dans un
utre dessin)? Détraque-t-il le sens de Ia marche ou
u marché? On se le demandera pour chaque dessin,
haque titre, chaque trait. Partout le même stratagême.
I rait pour traít, chacun vaut pour tous mais ne laisse
I ais Ia moindre chance, de ce fait, à l'équivalence.
Que se passe-t-il quand une plus-value se met en
byme?

quoi donc aurai-je cédé? A qui.

Quant à Ia peinture, sur e1le, à cõté d'e1le ou par-dessus,

Etude pour un desrin d'aprls
41••••••..11. J •• r
le discours me parait toujours niais, à Ia fois enseignant
et incantatoire, programmé, agi par Ia compulsion
Glas (I'autre face).
magistrale, poétique ou phi1osophique, toujours, et plus
encere quand il est pertinent, en situation de bavardage,
inégal et improductif au regard de ce qui, d'un trait,
LA VÉRITÉ EN PEINTU , R 177

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 179
LA VÉRITÉ EN PEINTU R

(se) passe (de) ee langage, lui demeurant hétérogêne 011

lui interdisant tout surplomb. Et puis, si je dois sim
plifier sans vergogne, e'est eomme s'il y avait eu pour
moi, dans Ia peinture, deux peintures. L'une eoup8J1I
le souffíe, étrangêre à tout diseours, vouée au mutism
présumé de « la-chose-même », restitue, en silenee aut
ritaire, un ordre de présence. Elle motive ou déplo
done, le déniant totalement, un poême ou un philos
phême dont le eode me parait épuisé. L'autre, Ia mêm
done, volubile, intarissable, reproduit virtuellement un
vieux langage, en retard sur Ia pointe d'un texte qu
m'intéresse.
A Ia pointe de ee texte (texte général, je ne vais p
te définir encore dans tous les rouages ou les énergie
de son dispositif), m'attendait Ia signature anguleu
d'Adami. Avancée stupéfiante et simultanérnent sur
tous les fronts (historique, théorique, formel, poli
tique, etc.),
J'ai done cédé, avant même de le savoir, eomme I
j'étais lu d'avance, éerit avant d'écrire, prescrit, saisl,
piégé, pêehé. Et puis ça me regardait. Me faisant parler
ça me mettait dans mon tort mais il était trop tard et
ça m'aura appris.

Par exemple dans le dessin au poisson que je bapti-

serai Ich : sans autorisation de l'auteur, pour le lul
prendre à mon tour et le tenir au bout de maligne, d'un
ligne apparemment simple, sans moulinet, sans ta / ,
maehine interposée qui tourne et pêche toute seule
sous les roues du train, dans La meccanica dell' asnientura
(elle date du mois suivant).

Ich, corps arraché d'un poisson, corps étranger d'un

mot pour intéresser une autre Zangue (Adami le fait sou- Etude pour dersi" d'apris Glas.
vent) au jeu des signatures et à Ia surenchêre agonistique
spéculant sur leje. Corps tronqué ou matrice surchargée
(il y en a tant ehez Adami), amoree pour le phallus
ehristique (/chtus), piste, graphe ou traee [Ichnos )
d'un mors sans voix.

180 LA VÉRITÉ EN PEINTURI
Je donne Ia traduction de Ich.
Glas (on exigera que je me cite moi-même patiemment
ie parle ici de Ich et 1'expose comme un au;re, et tout UI:
chacun) traque en tous sens l'opération du désir bapti
mal qui entre et sort mais ne retient jamais, comme Ich
ni dans l' eau ni hors de l' eau. ' lcb : ce cahier de dessin tourne en nsion, av~ce
. pe~ pages (double colonne, double bande) sont
ICI relit:es, par ~e .agrafe nommée spirale, comme dan
un cahier. Codicarium Quaternarium? quatre cõtés en
ê
tout ?S' un. support lui aussi coupé en quatre selon
un decalage interne de Ia reliure et une limite obliqu
comme Ia surface des eaux.
Pêchée dans Glas, tirée au-dessus de Ia mer hors d
son .éIément, une phrase semble durer, à I~ fois se
contmuer et se couper : d'abord en elle-même d
gauche à droite, interrompant son propre mouve~ent
puis se reconstituant, d'un saut par-dessus Ia reliure,
par-dessus Ia marge domestique ou 1'articu1ation. Prenant
appel sur son gl à peine articulable. Tout se marque
ici à peine.. L'énoncé ne se coupe pas seulement au-
dedans, aUSSlsur ses deux bords externes, au massicot.
« Ce qui à Ia fois me coupe et me souffte tout le reste»
s' écrit et se lit ainsi, se perforrne en coupant et en
soufftant tout le reste, en train de faire ce qu'il dit faire
de dessiner ce qu'il est en train d'écrire. Les bordares
encadrantes sont sautées, les marges saturées mais en
abyme. Ich replongé «( Ia replongée conso~ne ll) au
I??ment même de Ia pêche et du baptême, dans un
élément sans ~ond. Le phallus christique sort-il de Ia
mer ? Pas de nve, plus de bord, certes, mais le bord est
nommé : « l'angle est toujours pour moi un bord de
tombe »,
Ma signature - qui en attestera l'authenticité dans
~e~~ reproduction de reproduction ? et si Adami l'avait
mutee, comme mon écriture? et si ['avais, sur ia
gauche, contrefait Ia sienne ? - ma signature est aussi
181
I R
upée avant le da. Ce qui se détache - tombe par-
sus bord - est aussi un morceau du nom de l'autre
da) et l'un des motifs les plus ?b~édants de Glas.
Le da n'est pas là, hic et nunc, mais il ne manque {!as.
mme Ia couleur? il faudra voir plus tard : ce qu: se
it fort de Ia chute monumentale - tombe par-dessus
rd. dé ., d'
pour rouiours., les. dissertations dont on. voudrait le
uvrir avec applicauon, dans le .genre «.pel~ture et/ou
riture » « Ia rhétorique du trait n, « histoire et fo~c-
onneme~t de Ia légende dans Ia sémíotíqce d' Adam! n,
Ia réinscription du titre n, « Ia subverslOn poíitico-
ynecdochique de Ia B.D. 11, etc. .
Je-marque seulement l'événement de Ich, Sll~ struc-
ure en est singuliêre, ne relevan~ plus routefois de ce
ue Ia conscience ou Ia percept1~n appréhe~d~nt au
utre de Ia singularité, chaque dessin d' Adarm, ~ affecte
'un événement. « Global II dira~~ Genet. J. aiouterar
lílescopé, Ia dramaturgie ten~t à I'íntrusíon violente de
l'appareil optique qui de 10m rassemble et bouleverse,
~ it rentrer l'un dans l'autre, aussi bien qu'à l'événement
dont il précipite le récit. .
La phrase qui traverse les hauteur~ de Ich s~ laisse,
jusqu'à un certain point, déchiffrer, re veux dire dans
le systême d'une langue. Ie v<?us,a~an~onn~ cett~ lec-
ture : Ia polysémie ,:,<?ireIa. dlssermnauon I entraínent
loin de toute rive qui mterdisent à ce que vous appelez
un événement de s'arriver jamais. Laissez fíotter le filet,
le jeu infiniment retors des noeuds et des mailles qUI
prend cette phrase dans son dessin. .
J e tire seulement un fil pour tenter, mais encore en
vain, de capter ce qui advient. Je remarque ~'abord que
chaque lettre, chaque mot se donneà vou, appa~aít
donc, trait ou forme, hors langue. Mais s:ms se lim}ter
a reproduire, par ressemblance ou analogíe, cela meme
ui se dit ou se montre. Chaque lettre a ~ans do~t~ Ia
forme arquée, tendue, Ia rigidité convulsive e: l~g~re-
ment incurvée, Ia souple fiexion d'un phallus enge ou
du poisson entre vie et mort, encore pendu, au crochet
(une sorte de mors aussi), arraché à son élement mais

182 LA VÉRITÉ EN PEINT
bon~ssant .en~ore, désir dansant pour Ia premiêre
derniêre f01Sd un sursaut : p1us d'air. Et chaque letu
sans doure; gl ~urtout, remarque ce qui se monu
comme ce qw se dit : surface glissante, caractêre anguleu
mot angIe, bord de tombe, signature crochue. Chaq I
1ettre, mors ou morceau de mot, s'écrit avec deux main
sur chaque page, deux fois deux mains : écriture fi I
melle, écriture discursive,. picto-idéo-phonogramm
pour ~ seul concerto, dominé par un seul instrument
Mal~ g!? son gl? le son gl, le gl d'angle, son gl
Ce~e ecnture à pem~ ~rononçab~e n' est pas u~ mor
P?eme, p.as un mot SI 10n se renent de franchir, ri 11
n y auto~lse, le pas de ~ens. gl n'appartient pas au di
cou~s, rn. da~antage à 1espace et rien n'assure Ie pas
ou 1avernr d une telle appartenance. Le suspendu n' t
pourtant plus un phonême insignifiant Ie bruit ou Ie Cri
,.. '
qu on oppose naivement, comme Ia nature ou l'animaJ
à Ia pll!0le. ~ésistant,. au dis.cours du pêcheur, il •
figurerait Ia pemture s il ne lui restait aussi irreprésen
table : non pas I'éclat de voix dans Ia peinture mai
l' éclatement de Ia paro1e dans le dessin ou Ia ta~he d
couleur dans Ia graphie ou le trait dans Ia couleur.
~~belle au c~mmerc~ apaisé, à l'échange réglé des deux
~I~m.ents(le:ucal ~t pictural), prês de trouer l'arthron d
I ~cnture dlscu,rs~ve et de Ia peinture représentative
n est-ce p~ un evenement sauvage, presque inénarrab1e ?
.Adarnl I enfonce p~es ~e Ia queue du poisson, non
10m de Ia reliure articulée, dans l'angle inférieur du
quart de page, au lieu d'affaissement de Ia limite, sur
et sous Ia mer. Mouvement de survie, arrêt de mort
transe. finale, sursaut cambré tenu au mors. Pris dans
Ies x,naillesou dans Ies écailles anglées de l'ichtus comme
Ia signature d' Adami, son sigle plutõt, car si l~s Iettres
composent un bane de poissons, une bande d'érections
err~tes .à 1'agonie, en revanche le poisson dominant
celui qui mord le mieux et dit je (je suis mort) ou ho~
est .corpus meum, so~ de Ia mer un corps d'écriture
é~ée? une surface littérale, homogêne aux initiales du
signataire.
gl ne se rédui.sant ni à une forme spatiale (Ia poussée
de lecture glottique, vers une bul1e presque impossible,
183
r che d'un coup (ictus ) à Ia surface) ni à un logo-
me (ce n'est même pas l'ancien fragment d'un mot
l'ex-trait d'un discours), lch crêve d'un coup, comme
isson, et le langage et le tableau. .'
e dirais d'un coup de musique si ce mot n~ risquait
e laisser encore arraisonner dans un systeme ana-
e. D'une danse alors, danse de mort dans Ia queue
poisson, d'un rythme imprimé à Ia queue. Et. Pll! Ia
ue lamée. Rythmos, on le sait, en est venu à s!grnfier
fois Ia cadence d'une écriture et l'ondulauon des
t . lei imprimé à Ia mer matrici~~e - l'homme-
I on sublimant à mort pour plus d air - aux ondes,
I surface ondée d'une musique battue par Ia queue
ieuse de Ich.
01ou abime du tableau : touchant au f~nd de Ia m~r,
e três vive et droite, autochtone, ou galere ~aufra~~e,
ve immobile et monumentale~ un vers de)à. « ate »
S Glas ici de três haut repêche, entre des guillemets,
angl~, des noires aussi saD;sportée. ~u co~enc;
ent c'était le premier vers d un m~uvals poem~ ~u à
-sept ans j'ai publié dans ?De pente ~~~e mediter-
éenne qui a sombré depws .et dont }ai aban~onné
on seul exemplaire dans un vieux coffre à. EI-Bw.
[e ne garde, m'en gardant, que Ia memoire de ~tte
remiere ligne, au fond d'une scene ou depws touiours
, . du savoir comment me donner Ia mort. .
Glas y émerge en morceaUX à d~~, r~pns~, coupé
lui-même, une fois dans glu, à 11?tene~u d un seul
ot, une autre fois inapparent ou maudible, .de IU!-
ême détaché par le chasme entre d~ux mots, : 11se lit,
voit écrit ou dessiné, tenu au silence (etang lalt,
tant redevenu lait, étranglé sans r, etc.).
Ceci n'est pas dans Glas, qu'on se reporte par
xemple à Ia page deux cent dix-neuf et ~ans ses parages.
Le corps du mot « noyée », Ia « noyee », fto~e entre
eux eaux, un peu au-dessus_ du fond, corde det~due
loin de son ancrage dans Ia phrase, lettres agrandies à
la dérive, image ~ilatée, limites évasées à travers des
lunettes sous-marmes.
 LA VÉRITÉ EN PEINTUR
Deux lignes de force travaillent ou dynamisent
tableau d~ pêche (comme o~ dit tableau de chasse),
deux pulsions de mort se croisent en x, double diago
nale pour tem r en vie toute Ia surface investie, les deux
fois deux parties. Une mort pousse, attire ou retient
vers Ie bas, du cõté de l'angle inférieur droit (noyade I
colo~e d~,cendan~e). L'autre I?ort, aussi impitoyable,
sub~e, eleve à I angle oppose (asphyxie du phallu
extrait de Ia mer et colonne ascendante). On sauve d'un
noyade en attirant Ia bête, toute vive, hors de son
milieu.
On peut décrire à l'infini Ia prise instantanée de Gla
par Ich, Ia prise de Ich sur Glas. Elle serait totale si 1
t?ut de Ia proie, déià, n~ relevait du simulacre. Ie pré-
fere marquer pourquoi elle ne peut donner lieu •
aucune représentation illustrative. Ni dans un sens ni
dans l'autre. Et quelque réévaluation qu'on puiss
accorder à une telle illustration, il faudrait plutõt dire
lustration. La scêne dénommée Ich est introuvable dan
Glas et n'en reproduit rien. Bien sür elle capture et tire
à elle ~oute une machination pisciculturale, rythmée par
Ia logique de Ia double bande (double bind) ou tenue
par l'argument dit de Ia gaine. Ainsi, par exemple quant
à donner le nom ou le titre : « Mais don de rien,
d'aucune chose, tel don s'approprie violemment, il
harponne, arraisonne ce qu'il parait engendrer, iI
pénêtre et paralyse d'un coup le donataire ainsi consa-
cré. Magnifié, celui-ci devient un peu Ia chose de celui
qui le nomme ou le surnomme ... » ou encore « le texte
dénommé de Genet, nous ne le comprenons pas ici, iI
ne s'épuise pas dans Ia poche que je coupe, couds et
relie. C'est lui qui Ia troue, Ia harponne d'abord, Ia
regarde; mais Ia voit aussi lui échapper, emporter sa
fíêche vers des parages inconnus n, et quant à Ia néces-
sité d'élaborer sous Ia gaine, « tout cela doit rester sou
Ia gaine ... il y a plus de jouissance ... à faire comme si le
pois~on r~stait entier, enc~re vivant, d'autant plus
mobile, glissant, fuyant, qu'il se sait menacé », Et puis-
R
'il y a l'angle et l'onde, l'insistance infatigable et
cupante des ongles dans tous les dessins d' Adami
uf tiens dans les trois dessins congénêres de Glas ;
s~nt po~r une fois des dispositifs sans rnains, rien
humain non plus n'y apparatt. comme tel: « pl~Ces.à
viction » et « théâtre d'un cnme n condut Benjamin
t les premiêres rues vides photograp~ées ~ar
tget), qu'on lise sur telle double .page (~74) I aS~OCla-
D des poissons et des ongles. PUlS Gabrielle, mere ~e
et, prénom matriciel de tout le livre, est un « POIS-
n-lune ».
Et pourtant Ich développe, sans négatif, unt: scêne q1;Ú
peut en aucun cas se trouve~ dans Gl~s fi le repre-
ter à quelque titre que ce SOltoA~ ~oms po~r cette
ison : Ich performe sa propre operanon, Ia violence
hue, acérée d'une capture qui s'empare d'un
conscient (faítes Ia revue des armes, le moulinet de
meccanica les rangées d'hameçons sous Ia mam de
tua in via;gio,. il y a, oui, le t!~V~ et Ia force, le
voir-faire incomparable, l'agressívíte, les ruses ou le
ir du pêcheur-analyste, et puis cet X à Ia place
uquel on nomme le coup de chance ou I~ couP. de
e : Ia ligne fiotte un moment, comme 1anennon,
.s vibre et se tend d'un coup, ça mordo 11 faut aUSSl
ue Ia bête s'y rende), fait sa proie persécutée d'un
te, d'une signature, d'un Ich, ce~e trace p~sC1phal-
que, le traque et le traine hors de lui, pour lui do~er
voir le laisser ooir, enfin, mort, ce qu il ne poUVaI~se
onn~r lui-même. Adami dessine ici (ce) qu'il dessme,
ontre (ce) qu'il fait en affectant de mon~rer que1que
ose de l'autre main, il montre ce q~ (se). passe,
terdit à Glas, hors de portée pour son sígnaraire- Icp
igne l'envers absolu d'un text~, son autr.e scene, mais
ontre aussi qu'il montre, dessme Ia galerie, Ia monstra-
rion, l' exhibition ou, si on ne veut plus. ~arler les deux
utres langues d'Adami, expose l'exposition Par-d~sus
te marché. Non pas au-dessus du marche, ce serait le
186
LA VÉRITÉ EN PEINT\1

r auquel vous vous laisseriez encore premire, mais

ttre en jeu ou en abyme les simulacres destructeurs
I plus-value. Sans que cette auto-exposition (ni
ulobiografia) réapproprie quoi que ce soit, se dévoile
'égale jamais en quelque vérité surgie de l'eau : Ia
histique, disait Platon, comme pêche à Ia ligne. Dans
igueur et Ia sévérité joyeuse du trair, impassibilité
dusante de Ia ligne, Ia disjonction travaille toute
Iité possible, elle disloque, dissocie, déboíte, déca1e,
nque, interrompt. Mais, sur I'autre scêne, de I'autre
10, Ia force rassemblante d'une érotique répare,
ye, ajointe, reconstitue l' « intégrité dans Ia disper-
n » (Jacques Dupin). La même pulsion bande et tire
deux cõtés. Et branche directement, I'un sur l'autre,
inconscients.
L'événement est inénarrable mais le récit s'enchaine.
I/fl-// I poser l'envers de l'exposition mais sans résumption
ible : ce simulacre de /ch se remontre, à tant de
i sances supérieures, dans Ia double bande dessinée,
double dessin (recto/verso) dont vous tenterez de
re le tour, puisque le support, une plaque métallique,
ra posé sur un sode. Mais vous ne pourrez jamais
rassembler pour Ia mettre, comme le tout d'un
ctacle, sous les yeux. Comme toujours chez Adami,
I rtefact est aussi un outil, une machine, un automobile :
i même Ia roue au-dessus de l' Elegy for young looers
t tre-citation de Auden), l'automatique jet d'eau sous
iupe, Ia locomotive ou le moulinet de La meccanica,
voire, les machines sont souvent des armes, Ia fronde
I' Autobiografia ou le fusil meurtrier de Staline. Ça
arche ou ça part presque tout seul.
Pulsion ou projection pénétrante (fronde, fusil, mais
ussi Ia seringue de Sequenza), attraction, introjection
pirante (les armes de pêche, l'aspirateur de Scena
domestica, Ia seringue encore à Ia pointe effilée mais
Autobiografia.
'elle-même disjointe). La seringue est son instrument :
dessin à Ia pointe incisive, pénétrant sous Ia peau, style
.gu prélevant puis, aprês mélange, injectant les cou-
leurs, irriguant et révélant le corps inconscient, cela se
fait en musique : Syrinx, Ia panique.
Au dos, on décrit le dos d'un tableau, 1'envers du
188

, en repassant par les eoins, les eneoignures, les

I . Ce qu'on croit pouvoir lire, « texte » ou pseudo-
de, n'occupe pas le centre mais se déporte dans
1 (en bas à droite), mordant sur Ia bordure, avec
légêre dislocation du eoin. Sur Ia bordure, sur les
rx,s renommées et raturées. Mais annoneées, sur ee
I abimé, par un x.

Ia lettre du ehiasme, e'est Chi, en sa transcription

ituelle. J'appelle ainsi eette autre scêne, selon si vous
I z l'inversion anagrammatique de Ich, ou de Iscb
homme hébraíque).

I rononeez qui ou khi, en expirant, râlant ou raclant

peu, avee un r en plus au travers de Ia gorge,
que cri. Mais on peut essayer plusieurs langues et
les sexes (par exemple she).

I igne ee tableau.

roisement privilégié par tous les textes que j'ai

ndus sous mon nom et que, pour les bonnes raisons
ue j'ai dites, je n'hésite plus à ramener à Ia surface, en
ulles ou bandes légendaires. « Nous sommes dans un
híasme inégal ... Selon le 'I.. (le ehiasme) (qu'on pourra
ujours eonsidérer, hâtivement, eomme le dessin
hématique de Ia dissémination), Ia préfaee, en tant que
emen, peut aussi bien rester, produire et se perdre
mme différence séminale que se laisser réapproprier
s Ia sublimité du pêre. » Hors livre. « Tout passe par
chias me, toute l'écriture y est prise - le pratique.
Eltgy for young 1000trs. . forme du chiasme, du x, m'intéresse beaueoup, non
comme le symbole de l'inconnu mais parce qu'il y
lã une sorte de fourche (c'est Ia série carrefour, quadri-
[urcum, grille, claie, clé, etc.) d'ailleurs inégale, l'une des
ointes étendant sa portée plus loin que l'autre : figure
du double geste et du croisement dont nous parlions
tout à l'heure. » Positions.
x, l'intersection générale de Glas, de ses commence-
190 LA VÉRITÉ EN PEINTII 191
R

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t~t{.11(a4j (u táttfútif,/.
tftf~ ti [«ft,,) lU{ p)IPrI(
1r---"---.L....u-/iLL .J..lIuli.ll Li.. ....LI..L.Ui~-..J

Brude pour un dessin d'apri. GIas.

Etud« pour un dtsrin d'aprb GIas.


192 LA VÉRITÉ EN PEIN1II
ments ou fins en bandes tordues et écartées d I
aussi l'opération démiurgique dans le Timée ': « I
systase ainsi obtenue, d'un bout à l'autre il Ia fendi
en deux d'une. schize d~s le sens de Ia longueur;
deux bandes, il lc:s ~xa 1une sur l'autre par le mil!
en forme de x; puis illes ploya pour former de chaC\1II
un cerc1e et réunit entre elles toutes les extrémit
l'opposé du point de croisement ... Le mouvement I
cerc1e extérieur ill'adjugea à Ia nature du Même e lu
du cerc1e intérieur à Ia nature de l'Autre. )) , le haut et par étapes, escales, avec le soutien d un
Mais comme pour aecrocher Ia ehose dans Ia galeu
de l'exposition, Ia tenant suspendue par le haut, ene 11
I'hameçon crochu de Ich, il répête Ia premiêre Ieru
le crochet X d'une citation.
Découpée dans Glas, celle-ci décrit d'avance UII
es~a.de, le pro~ês,d'une ,surenchêre spéculant à l'infin
qur signe ? qui lit? 9Ul regarde et dé-peint l'autr
. On peut alors se laisser prendre à considérer que I
simulacre de légende intitule, au dos comme cela se f ,
~arfois, le « devant ))silencieux de l'accrochage : doubl
echelle, double mesure, Ia même pourtant, une échell
sur l'autre hissée, comme pour regarder par-dessus I
cadre, par-dessus Ia marche, Ia derniêre, et dominer I
s~rplomb. C~aque éc?elle est une double colonne qu
glisse ou coulisse sur 1autre. Mais comme toujours ch I
Ad~, le désartículé, le dissocié, le disloqué se retient,
arrêté en même temps qu'exposé : le dis-joint (maint
nant fait ceuvre).
Le disjoint maintenant fait eeuvre.
, Par Ia for~e ,du trait, selon une systase de puissant
ligatures qui viennent bander, serrer, maintenir stricte
ment les membra disjecta. La double échelle est fortement
garrotée, p~, cordes et bandes, dans l' échafaudag
c;omplexe (pili~rs, colonnes, cadres, chapitaux). Un
echelle est un echafaud, ce fut aussi un synonyme d
potence, ~e ~es fi~es organisatrices de Glas Ce qu «(
je voulais ecnre, c est POTENCE du texte, )) L'autr
mot, le seul à recevoir de grands caractêres et dont
po~ ,finir, j'intitule Ia fable des trois dessins, ce fut
chimere: « Le mot cerné, c'est peut-être CHIMERE ))),
193
I ous ces motifs, Ia chímere sortant de l'eau à mi-
l'échelle immobile sur le bord, l'absence de
r' humaine, on les trouvait rassemblés dans La
~~~.
. double échelle dressée, rivée, entravée, on sart
.
• lle n'arrive jamais. Série de marques «(
c'est le
e mot que marge et marche )), La double séance)
ne conduisent à ríen, de l'autre cõté, aux marges
rature. « L'escalier conduit toujours à l~ mo~ :
I e. CEdipe et le Christ se sont rencontrés dans un
ier. ))li y va, faut-il le répéter, de marches [..:]
e on sait, au moins depuis Jacob, chaque fo~s
'on rêve d'un acte sexue1, cela représente symboli-
ent une escalade ou une dégringolade. « Escaliers,
helles, Ia marche sur un escalier ou une échelle, Ia
ntée aussi bien que Ia descente, sont des représenta-
n symboliques de l'acte sexuel (Traumdeutung) »,
Ias.
La couleur n'a pas encere été nomm~. Au moment
) j'écris, je n'ai pas vu Ia couleur de Ch'me:e. ~ourq~Ol
ontrer des dessins? Qu'est-ce que le dessin d Adami?
1faut expliquer. •
Avant le fini d'une production dont on connaít Ia
puissance et l'insolence ~u déferlement c~omat1que,
voudrait-on ouvrir l'atelier sur le work tn progres~,
évoiler le substrat línéaíre, le tramé en cours, le travail
traia, le trait nu, le trajet ou les étapes d'un « voyage ))?
.e serait un peu simple.
194 195

viens, sans trop d'arbitraire, d'accumuler des mots

Ir : travail en train, trait, traiet, tramé. raurais pu
tressé, tracé, traiectoíre, traversée, transformation,
ription, ete.

our transposer, autrement dit pour trahir ia fonction

1 phase du trait chez Adami, quand celui-ci opere
1 ligne », laissez tomber gl, traiter avec tr,

tt le dessin = tr,

N'y lisez pas une programmatrice formelle pour tous

mots qui viendront, en larges bandes ou aplats, ia
plir comme ia couleur. Ce n'est pas une matrice
térielle mais un systeme de traits, pas une matrice
rmelle puisque son contenu est déjà arrêté.
Et pourtant tr ne reste pas tout à fait intact à travers
utes les transformations des prétendus contenus ou
mpléments. Les mots dits entiers sont chaque fois
fférents dans leur forme et dans leur contenu. La
trise de cette traduction ou transcription, le trépas,
\ I transe ou Ia tragédie de Ich, les trous, trones, trépana-
íons, le tréma ou le trop qui intéressent Adarni n'ont
paremment aucune affinité linguistique ou séman-
I que avec ce que je dis faire quand je trie ou triche sur
I til d'un cheveu, quand je tringle (opération qui
nsiste à « marquer une ligne droite sur du bois, avec
n cordeau bandé et frotté de craie qu'on élêve par le
ilieu et qui marque en retombant sur le bois ll, Littré),
uand je trime, tremble ou me trouble en écrivant, en
ulant le corps flottant d'une traille pour passer une

196 LA VÉRITÉ EN PEINT\l
riviêre? en traq~t Ia bête, en trempant ma li 11
meillié~que, en pechant à Ia traine, au trémail, \I
tr s.
Mais si .tr est Achaquefois altéré, transforme, dépl
par ce qUI paraít Ie compléter, il garde une sorte I
suffisance, !l0n pas une identité à soi, sens ou cor]
propre, mais une étrange et altiêre indépendance. 1111
Ia tlC?lt pas du noyau sémantique trans ou era.
.Ni un tout ni un morceau, ni métaphore ni méton
mie (<< Comment arrêter Ies marges d'une rhétorique ? .)
liAprend, se dureit, se retranche, coupant, osseux, un
arete.
Cette matrice tronquée ne manque de rien poui
affecter déjà. Provoquer à tous les transferts.
9uelque chose viendra I'accomplir, imprévisiblement
mais pour ne lui avoir jamais manqué.
Et voiei Ie paradoxe : parce que rien ne lui manqu
parce .que son progr~e inchangeable contrõle el
contramt tout ce qur peut lui survenir ça veille
engager des itinéraires absolument nouvea~ tout autr
chaq~e fois. Chaque mot, chaque phrase prend, en S8
quasi-complétude, un sens hétérogêne entame un
secc;>ndetrav~rsée qui pourtant n'est pius secondaire,
dérivée, servile au regard du maitre tr : au dessin te!
q.ue le prati~ue. Ad~ .. La couleur n'y est jamais anti-
cípée, elle ~ arnve J~aIS avant l'arrêt complet du trait
moteur, mais par là meme elle déploie, en larges bandes
C?nt~u.es, une. force d'autant plus déchainée que le
dispoSlt:if graphique reste prêt, tranquille, ímpassible-
ment pret à tout.
~ntre Ie trait er Ia couleur Ia rigueur du partage
devient pIus tranchante, stricte, sévêre et jubilante à
mesure qu'on, avance dans Ia période dite récente.
A retarder le ,~t de couleur, el1e mobilise plus de via-
Ience, potentialise Ia double énergie : d'abord le cerne
~lein, Ia ligne noire, incisive, définitive, puis l'inonda-
non des Iarges gammes chromatiques en aplat.
La couleur transforme alors Ie programme, avec une
197
Ir nce d'autant plus tranegressive (Ia cons~ence pe~-
IIV dirait arbitraire) qu'elle laisse Ia 101 du trair
, en sa Iumíere d'encre. 11 y a, certes, un contrat :
I dessin qui n' est plus un croquis ou ,~e esquisse
dispositif différentiel des couleurs. MaiS il n'engage
. laisser les deux instances autonomes. Comme on
I Ia grâce, Ia « deuxiême navigation » du dessin dans
iuleur est un premier voyage, un transfert ~augural.
, pour ainsi dire aucun passé, a~cune veille al?rs
m et parce que Ia structure graphique est achevee :
ouverte, viable. , ' ,
Jne preuve parmi d'autres : Preud tn tnaggw. verso
rtdra. Ce qu' Adami appelle « voyage du dessin » y
plique en abyme invisible, un dessin de voyage.
en a d:autres, suivez iei le Viaggio all'est (encore les
vées Ia traversée le train, comme dans Casals IS
I
'lmÍni Home to p.d.), La meccanica dell'avuenrura (les
uliers de marche, le parapluie et Ia locomotive au~o-
Ilbiles le mot film qui passe vite, comme un tram,
l'é~an, ou dont Ia bobine se déroule d'elle-m~e,
Imme le moulinet), le cycle de Sequenza, le tra',et
hygraphique de l' Autobiografia, le voyage de G?rki à
pri, l'émigration de Mies Van der Rohe à, Chicago,
demier exil de Benjamin. Transfert, ínvasrons, exil,
Igrations de masse, nostalgi~, fray~es erratiques, pe~-
tion déportation, agresSlOns, regresslOnS, le dessin
S'Actanrl traverse le musée en déflagration - ou
",nconseient - de notre temps à l'allure d'un tran~eu-
p-express : être-en-train historico-pictural, théonco-
lítique.
Dans Le voyage de Preud, un même dessin, up.e fois
is sur les rails, se prête, sans bouger en lw~meme ou
presque, à toute une série de le~es différentes,
haque fois de part en part transf~rmees à travers Ia
redistribution des valeurs chromatlques et, toutes les
versions différentielles qu'en propose Adami. Et pour-
tant « le dessin, iei, n'a rien d'un fondement » (Hubert
Damisch).
 LA VÉRITÉ EN PEINTtI
199

P i travaille, dans ou hors 1a langue, un tr.

va se précipiter vers l'appât, on va mordre : a1lons,

re un retour de logocentrisme, le voi1à qui consacre
ogie, absorbe l'espace dans 1avoix, Ia peinture dans
e, le rhême ou le philosophême, i1structure tout
e un 1angage et pire, selon une théorie mimétique
ypercratyléenne du langage.
u tement nono 11y va ici, au contraire, de violence
'arbitraire. D'avancer l'injustifiable pour aucune
cience, et quelque chose qui ne tienne, à entrer
.vement en rapport avec les événements déc1enchés
Adami, qu'en n'ayant rien à uoir avec eux. Et puis
e représente, n'imite rien, i1 ne grave qu'un trait
érentiel, donc plus un cri informe, i1 ne releve pas
re de Ia lexie, i1ne se laisse pas encore domestiquer
un verbe a~aisé, i1initie et fraye un tout autre corps.
e vous arretez donc pas là. Pour n'être pas un élé-
t transcendantal (sémantique ou formel) tr se rend
I'analyse. Comme tout conglomérat transformable.
mposez le tr, faites-en varier les atomes, opérez des
titutions ou des transferts, gommez comme Adami
d i1 dessine. Dans un prem.ier tableau, gardez
bord le double consonnantique, effacez tel1e et tel1e
e du t, remplacez-les par les traits d'une autre
n onne. Par exemple f (à peu prês le renversement
I trophique du t) mais cela pourrait être, pour un
Ire voyage, b, c, d, g, p, V. Gardant le même r, vous
rez alors, avec cette variation en fr, dégagé un
La meccarnoca dell'atJtJtntura.
t + r. Consonne plus r. Et en dessinant le +, vous
urez cíté, en cours de route, toutes les croix d' Adami,
I cheminement des croix rouges surtout, les insignes
'infirmiêres, d'ambulanciers fantastiques marquant à 1a
I Ia guerre et Ia paix, Ia neutralité indécidable dans 1a
pographie de l'Europe politique, circulant au milieu
mutilations chirorgica1es, des corps morcelés et
 200 LA VÉRITÉ EN PEINTU 201

restaurés, des moignons, des jambes de bois, des pro

thêses agressives, des têtes pansées, des membres )11
des yeux bandés.

Cet effet + r, comme l'effet + 1 dans Glas, vo

pourriez l'analyser froidement, pratiquement.
Mais aussi l'orchestrer, ear si nous tenions ici UII
discours, lui et moi, ce serait plutôt sur Ia musiqu

11 faut iouer Ir à quatre maios, et faire toujo

comme Adami, plusieurs choses à Ia fois.

Par exemple en surnommant le Ritratto di Walt,

Benjamin.
C'est encore une fois l'interprétation active de frag
ments radiographiés, Ia sténographie épique d'un
inconscient européen, le télescopage monumental d'un
énorme séquence. Elle est stratifiée mais eímultanémear
biographique, historique, économique, technique, poli
tique, poétique, théorique. Une textualité sans bord
déstructure et réinscrit le motif métaphysique du réf
rent absolu, de Ia ehose même en sa derniêre instance :
ni ce scripturalisme formaliste et non figuratif qui vien-
drait effacer ou dénier Ia scêne qui le supporte (histoire,
théorie, politique, etc.), ni un « réa1isme-de-gauehe »
Ia simplification codée ou Ia stéréotypie politiste quJ
annulerait l'événement scientifique, écrasant aussi Ia
eouehe du discours, l'épaisseur de culture, l'efficac
idéologique.

Pour commencer par l'une seulement de ses partition

possibles (ear c'est un montage de partitions, de césures,
 202
LA vtRITt EN PEINll1
de limites), Ie Portraii de Benjamin met en (( s I
matérielle exacte » le corpus théorique du « sujei
Violente, sobre et puissante cítatíon, au sens brechti •
du gestus interrompu pour suspendre l'identificat til
(Benjamin en faisait grand cas) : du Trauerspie/ et de
ana1yses du hiéroglyphe ou de l'allégorie, de L'aut
eomme producteur, etc, Une telle citation de loin tél
cope, bloque et renverse tout. Le texte Benjamin devi li'
Ia légende, une píêce dépendante et jouée, ana1y
interprétée par le Portrait.
Qui, néanmoins, regarde l'auteur.
L' auore d' art à /' époque de sa reproductibi/ité tech
nique (1936) interroge les effets politiques de Ia phot
graphie et du cinéma. N'oubliez pas que vous avez sou
les yeux, en un premier sens, une reproduction. EU
dépend d'~ marc?é (par-dessus le marché ne peut
ínnruler qu un déreglement fictionnel), d'un appar 1/
politique, optíque, technique. Benjamin y insiste :
l'instant ou Ia technique de reproduction franchit
I'étape de Ia photographie, une lígne de fracture, un
n~uv~u front a~ssi, traverse t01:lt l'espace de l'art.
L unícité présumee d une produCtlon, l' être-une-seule
fois de I'exemplaíre, Ia valeur d'authenticité se trouv
pratiquement déconstruite. La religion, le culte, le rire,
l'aura cessent de. dissimuler, dans l'art, le politiqu
comme tel. A partir du moment ou l'on peut reproduir
non seulement des eeuvres se prêtant, pensait-on, à I
distinction production/reproduction mais d'autres dan
lesque~es,la repr~duction entame Ia structure d'origine
(Adanu nent toujours Ie compte de cette effractíon),
(( Ia fonction de l'art n'est plus fondée dans un rituel
mais sur une autre praxís : elle a sa fondation dans Ia
politique »,
Si cette crise fut contemporaine des origines du socia-
lisme (séquence radiographiée dans Ies Dix Leçons sur
le Reieh -Ia machine à écríre de Níetzsche, Liebknecht,
2°3
akusbund etc. - mais aussi dans le portrait
c Babel, ies gllets d~ Lénine, le cuirassé Potem-
etc.) elle devait avoir commencé pIus tÔt et elle
loln d'être dose. La réaction des artistes fuit souvent,
l'art pour l'art, Ia théologie négative d~ I'art pur,
I formalismes refusent de se reconnaítre aucun
politique ou d'analyser les conditions objectives du
:hé. Benjamin simplifie un peu, au passage, le rõle
Mallarmé dans cette histoire. Avec ~ous, les ,eff~t~
me qu'on peut lire chez Mallarme, 1 am~l~te
e telle position marque aussi le texte de Benjamin,
ricien des enjeux politiques du ~arché dans ses
formations techniques et économiques, méfian~ et
ystificateur à l'égard des idéologies rêactionnaires
u rituel fétíchiste, Benjamin fít aussi fi~e de gran~
h e, amateur d'éditions ori~ales qu:il ne ~allait
t ut pas lire collectionneur d exemplaires uniques
r res: et cel~ dans le domaine de l'édition littéraire
l'uniclté n'a pas Ia même valeur qu~ dans d'autres
. Ironie douloureuse d'un autoportr81t,: « A mesure
e sécularise Ia valeu r cu1turelle de l'image, on se
résente de façon plus indéterminée le substrat de
II une seule fois » (Einmaligkeit). D~ plus en plu~,
n Ia représentation du spectateur, 1une-seule-fois
phénomênes régnants dans l'image culturelle .est
pplantée par l'une-seule-fois empiri9u~ de ,l'artl~te
de son opération artistique. Mais jamais, bl~n
tendu, sans reste. Le concept d'authenticité (Echtheit)
cesse jamais de tend~e vers, q1:l~que chose de, plus
u'une simpIe attribution d ongme (authenttSchen
u chreibung). (L'exemp~e le plu~ significatif étant
lui du collectionneur qur garde toujours quelque chose
u fétichiste et qui par Ia possession de l'eeuvre d'art
rticipe à son pouvoir cultuel). »
La figure de Benj~ retrace l'ambigui~é 9u'il
éclare ici. 11 s'illustre lui-même, Des deux cõtés d une
I e de fracture,
L' esthête fétichiste ou rêveur est aussi un théoricien
litique, militant d'avant-garde, inassimilable d'un
 LA VÉRITÉ EN PEIN I 2°5
cõté comme .de l'au.tre, partout reieté, sans pIace \11
carte des idéologies européennes, marxiste 11
accuse de ne pas être le dialecticien qu'il a tou til
voul~ ê?,e, penseur politique auquel on reprochalt
messiamsme, son mysucisme, son talmudisme.
Mal reçu dans son pays et dans son milieu,
que ignoré dans Ia terre d'exil -Ia France d'abonl
'I
encore aujourd'hui - ou il a passé sa vie et s'est d(lI11
Ia morto Homme critique, en position critique
limites, homme frontiêre, ' Das Reich le binocle de Liebknecht apparait tout
~e do~er Ia, mort : qu~ son suicide (séquence pl
énigmatique .qu on n~ le ditosouvent et dont II giOCII I
SUJctdJ~ décrít peut-etre mieux l'effroyable simuJ I
spparnenae à ~e scêne de fr,ontiere franco-espagnoí
voilã qui ne doit pas donner lieu à des rêveries syml .
~stes mais à l'analyse d'un appareil historico-polítlq,
implacable,
. Le Ritratto d~ Walter f!enjamin porte un titre I
tionnel et parodique, parne du dessin, comme le n 111
Benjamin, écrit de Ia main d' Adami dont on reCODU
l'écriture ~ais qui ne signe pas, et pourtant signe ( I"
signe ?), detachant, abandonnant ou remarquant, d 'li
le nom de Benjamin, au lieu d'affaissement de Ia fron
tiêre (comme sous le gl de lch), un morceau du corp I
son nom. Outre son écriture, on identifie les lettres I
son nom propre qui suffisent à Ie rendre disponible
co~un, ami, .s~ellant du même coup, par tant I
traits, Ia fraternité des sujets. Ceci est Ie corps de mU11
nom (sur ce portrait aussi lire Damisch, jouer I.
concerto à quatre noms, sans oublier l'air des pr
norns).
Benjamin avait une théorie du portrait. Celui
aurait joué un rôle de transition, à Ia frontiêre entr
« l'art cultuel II et Ia « rep!oductibilité technique I). I
représentation photogr~phique du visage est le reste, I
dermere resistance du ntuel. Quand le visage commen
à .disparaitre ou, ~omme ici, à ne plus occuper le haut
ru le centre, s unpose Ia légende (Beschriftung}
« Elle a un tout autre caractêre que le titre d'un tableau.
Ritratto di WaZter Benjami!, est d'un type aussi légen
daire que le nom « Benjamin », A peu prês au centre t
front du suiet, le nom est aussi au bas d'un cadre.
c.l'un (tableau) absent : d'un disparo.
paru est le sujet. Le disparo apparatt, absent au
même du rnonument commémoratif, revenant à
vide marquée par son nom. Art ~u c~taphe.
tre, donc, d'un (tableau) abs~t : ~ un di~paro.
I cadre vide, comme un appareil opnque, ailleurs
I elles ou 1es lunettes. Elles restent blanches ~
leau peint, celles de Freud ou de Babel aUSSl.
aos visage, au centre d'un tabIeau traversé d:~e
vertica1e déroutée. lci par une autre fronuere,
e Ia frontiêre franco-espagnoIe, au-dessus, sous Ia
nce sans regard d'une sentin~e, espagnole ou A
.se, peu importe, Ia force politique est Ia meme
deux cõtés. Des deux cõtés Ia rnort (comme dans
mb'e) d'un cõté le Benjamin allemand traqué par 1es
et ~efoulé par les forces d'occupation (au-des~us
I frontiêre Ia couleur sera proche du vert-de-gris),
d sous ce sera 1e rouge d'un Benjamin (Ia tête y est
) également surveillé, trahi, réprimé, comme l'Es-
e rouge. Sous son nom Ia frontiere traverse Ia
frappe et tranche à hauteur de front.
'uand Ia « valeur d'exposition li (Ausstellungswert)
ture Ia « valeur de culte » (Kultuert ), celle-ci se
I enche dans le visage humain. « Ce n'est en rien un
rd si Ie portrait se tient au centr~ de Ia pr~ere
tographie. Dans le culte du souvemr voué a~ etres
és, éloignés ou morts, Ia valeur ~turell~ de 1~ge
uve son demier refuge. Dans I exprc:sslon fu~uve
'un visage d'homme [i~ le vi~~ge à ~e humain, .à
ne vivant, d'un réfugié, fugitif ~ tram de fran~
ligne toutes 1es lignes] les premieres photographies
nt pl;ce à l'aura pour Ia derníere fois. » Lisant Baude-
re Benjamin avait cru pouvoir lier Ia perte de l'aura
1 'vacuité du regard. Ce portrait à lunettc:s ~Ianc~es
pose aussi le « théâtre d'un cnme )1 à « signification
Iitique li, comme les rues ~ése~es dans I~ ~ans
I Atget. Piêces à conviction, faits divers, « indications
'itinéraires li « journaux illustrés II (un tableau porte
titre) « Ia iégende est devenue pour Ia premiêre fois
206
nécessaire, elle a un tout autre caractêre que le 111
d'un tableau »,
Hiéroglyphe d'une biographie, de Ia théorie, d
politique, allégorie du « sujet » - de Benjamin au sen
au nom de Benjamin -, fresque narrative en proje I
accé1érée iusqu'ã Ia limite de l'instantané, synopse d' I
film ou tous les fragments métonymiques, représem
tions de mots ou de choses, tiennent comme en susp "
~e. force de frayage int~rro~pu, le gestus d'un eU1I1
~al~Ipar Ia morto Appareil scientifique : produits 1'1
jetes sur 1e support du film, bande ou écran totalem 11
i?vestis ou dynamisés, les traits procêdent par secou
ecarts brefs, oscillations aiguês, étalent parfois I
lon~es durées plates, Ia pointe du sismographe rest 111
continüment au contact de ce qu'elle incise, plus 1I
sensible et impassiblement objective.
Ça (quoi ?) aurajmarehé.
Une légende souterraine est au travail, un faux til!
dont Ia répression même aurait infailliblement ajoinl
les lignes fragmentaires, réarticulé les fractions dan I
continuum linéaire, organisé 1es simulacres de fétich
Le Front Benjamin.
Je dis bien simulacres de fétiches. Le fétichism
généralisé par Adami tourne en dérision les logiqu
c1assiques du fétichisme, l'opposition du mors fétichl
à Ia chose même, à Dieu, au référent d'origine, au ph II
lus transcendantal.
Fr?~t capital de Benjamin, frontalement coupé par I
frontiêre franco-espagnole, front des guerres qui I' 111
traversé, divisé, à lui-même opposé. Et dont son n01l1
es~encore l'enjeu : était-il, authentiquement, révolution
narre ou non, marxiste ou non, dialecticien ou non, jUI'
ou non? Ou en était-il au regard de ce que tous I
codes, ceux de l'occupation aussi, nomment une lign
de démarcation? II en a franehi une pour se laiss I
frapper sur l'autre.
Le sujet de ce Front Benjamin n'aura donc pas ét
207
I min lui-même, En un sens qu'on peut généraliser,
It aussi le portrait d'une photographie célebre, le
r it d'un portrait photographique dont on reconnait
I les lignes (il est reproduit sur Ia couvertur~ des
",inat;ons en traduction anglaise) : Ia pose, le visage
hé sans face, les montures vides - ici deux fois par-
;elon une ligne oblique, dessus et dessous, dedans
I hors - Ia main pliée, 1esdoigts (encore démesuré-
I agrandis, 'comme ceux de Ia sentinelle) soutenant 1e
méditatif.
compromis bístorique entre Ia. peintur~ et Ia
Itographie, le portrait photographique ~ I « ere
1 reproductibilité technique », le VOIC1dénoncé,
en abyme ~s sa reproduction, dépla~ parce
cité à comparaítre dans une geste qui deporte Ia
veté référentielle, mais cette fois sans retour.
triture, comme souvent, des photographies, mais
i un texte, sans bordure de chose même. Des
n ées matérielles, des processus techniques, des
hines de guerre ou des appareils politiques, des
endes gorgées de culture entrainées dans ~e érul;
m incessante, un puissant fíot mythographique drai-
nt toutes les forces d'un ehant révolutionnaire. Mais
lu d'abstraétion ni de ehose même. Car dans cette
ographie politique de Benjamin, I' « affect du
age )) ne perd ~u~e VIolence,. au contraíre, à
produire sur des limites, ~ur d~ lign~ de fracture
d'affrontement, en des lieux d effraCtlon : cadres
t cadres de cadres. Les traits humains n'y dessinent
u -mêmes que des cadres ou des ID;0t;ltures. Et ~
ront Benjamin ne se ferme plus, son idiome ~t pns,
.t différentiel à son tour, dans un voyage, Ia diagonale
'une narration fictive avec laquelle il échange ou
chame tous ses fragments.
Par exemp1e avec The surrealist Map of the World
208
LA VÉRITÉ EN PEIN1 I'
209

urréa1istes en avaient gommé l'Espagne) et sur-

I avec Le voyage de Preud qui date de Ia même année,
re aussi sur une photographie, aecumule, au transit
ntalier, l'énergie d'un déferlement théorico-poli-
u , l'épos inoui d'un héros juif, d'un penseur révo-
uonnaire que Ia maehine dominante essayait de
ouler, reieter, stériliser. De ees héros positifs
I tzsche, Freud, Gorki, Babel, Liebknecht, Lénine,
e) ou négatifs (Bismark, Hitler, Staline, etc.), on
rai/le les extraits, les fragments détachables eomme
signatures (maehine à écrire ou plumier rouge,
nettes, parapluie, ehapeau, gilet, ehaise, cigare, ete.,
j aussi les casques ou fusils à lunette), artefacts,
pareils à voir, à écrire, à tuer, fétiehes monumentaux
emblêmes minuscules.

Pourquoi dé-tailler ? Pour qui.

Le prélêvement du détail agrandi ressortit en tout

et à Ia teehnique einématographique et à Ia psycha-
I ytique. Les deux pouvoirs, les deux teehniques,
I deux situations, autre démonstration de Benjamin,
ont indissociables. Une seule et même mutation.

Revenez maintenant à I' Autobiografia (entre autres

mdex à Ia date de naissanee). Puis à l'épilogue de
(.'ceuvre d'art ... ou Benjamin explique: si le fascisme
tend tout naturellement à esthétiser Ia vie politique »,
tI Ia réponse du eommunisme est de politiser l'art »,
Légende pour ee que j'aurais voulu ici même des-
iner : un autre portrait d' Adami, un auto-portrait
CARTOUCHES

Premiére ve~sion J;lu~liée lors de l'exposition de Gérard Titus-Carmel :
The Pocker S!U TII~r Coffin er les 61 p,emiers dessins qui s'msuivi,ent,
lU M,!sée national d art moderne, Centre Georges Pompidou (ler mar&-
~avnl (978). Lei ~2,?• coffins » et leur • mod~le • furent alors reproduits
...!
. ~llcatalogue íntitulé Glrard Titus-Carmel, The Pocket Sil&' Tli~t
cUJJ.n, I ustré de Ca,touches par Jacques Derrida.
30 novembre 1977
et ainsi du reste, sans précédent.
2 décembre 1977
Si j'écris maintenant CELA SERA RESTE SANS
XEMPLE, ils ne liront pas.
Ils se détoumeront aussitôt en pensant que je
crifie au genre de l'éloquence traditionne1leet, pour
une fois, au code de l'éloge : une oraison funêbre,
le drapé de l'idéalisatíon, Ia pompe du futur antérieur
u-dessus du cercueil muet, à la fois hermétíque et
transparent. Tout y est visible, en effet, exposé en
vitrine sous Ia plaque d'altuglass (quel mot), accessible
par toutes ses surfaces, et pourtant cios, crypté, cloué,
vissé : impénétrable.
En lisant à peine, ils se demanderont de quoi je
parle.
De celui-ci, de ce « coffin » singulier, fermé (impas-
sible, tacitume, têtu, de bois) dans ia solitude absolue
de son titre princier? Mais alors, est-ce que je parle
du mot ou de Ia chose?
La chose, Titus-Carmel Ia désigne d'un singulier
(article défini) qu'il appe1le « générique )) (u Sous le
titre générique de The Pocket Siee Tlingit Coffin est
rassemblé un assez grand nombre de dessins... »).
 215
214 LA VÉRlTÉ EN PEINTU R

Est-ce que je parle du mot ou de Ia chose? Ou d/I

reste? Mais alors quoi? Quels restes? Les rest
auxquels une sépulture est censée donner lieu?
le reste de Ia série, les 127 cercueils que l'incipit di
petit coffin princeps aurait engendrés? Engendrés u
laissés dégénérer, selon le cas, avec un air de famill
qui n'en soustrait aucun à lui-même, au secret absolu,
à ce détachement définitif qui l'isole et l'ab-sout hor
série.
Car ils sont tous, et chacun, seul, unique, irrempl
çable : Le Coffin, lui, l'autre.
De toutes maniêres, ils défient en série Ia répétítion,
D'oü mon découragemenr, aujourd'hui : je ne peu
tenir à leur sujet qu'un discours général, dans 1
meilleur des cas générique ou génétique. Je les manque.
Ils me manquent aussi, d'oü me vient ce sentiment
déjà? 11 ne faut pas l'oublier, en oublier un seul (pa
un seul) si on veut voir ou toucher quelque chose d
ce groupe ou se feint une généalogie, voire une repro-
duction.
Ne pas en oublier un seul et que chacun reste seul,
si du moins ceux qui ne me lisent pas encore veulent
bien suivre cette théorie de cerceuils, l'obséquence
de ce cortêge en lignée singulíêre, Ia série sans modele
, odel
• ~~I~i~~ ~~ériq~; d~ Th. Pocku Siz« T/ingil Coffin rasse~blé un
d nombre de dessina (cent vingt-Iept précisément) ayant trait au m me m)
~:r:~
éel • dans Ia main de l' • auteur • qui écrit d'autre part :
=.
u;,
dont le défilé en double bande, sur ce mur, les fascine , ' d' e bolte d'acajou de dimenliona modestes (I~ x 6,:: x ,::,4 7m•
encore trop pour qu'ils m'écoutent prononcer CELA • ~:ion: tCl
a été soignée : choix du bois, de Ia teinte, d~f{~r~?~~ ~~~~t}~~~ ~~

SERA RESTE SANS EXEMPLE. • de l'u.emblagc (que~~1d·ar.on~e)~dJ:

,.boltecltrecouvert
~~:d~~~r:dr;.:a
unmldro e) . àunovaled.osier
deux iarg~urs, ont ét~
enveloppésurdeuxpor-
és deux contreCom servant e repolOln "d I '
de son périmctre de fourrure .ynthétique 8lile, L ovale es.t, e ,P US, IJl!Imtenu
Ia e dont I•• liens, travenant I•• paroil de Ia bolte en I~ pomtl .•pUII noués
\O'::: deça.!rt•• de clefs, tombent librement tout autourde ce pelt1t~erdcuelllen bO}ldes
3 décembre 1977 ";"~~I;!nfi..p
. 1 ue d'altu tasl, fixée par quatre mmuscu es VIS. C auon, .lcr:mc
;'::'kll Sin }/ingil Co(Jin (o~: tu t« lassitud« considéré« comm •• /U-
nl <ti chirUTgi.), Baudoin L4bon-SM I Pans 1976.
Pas un seul.
Pourquoi Ia métaphore familiale ou généalogique
s'est-e1le imposée à moi, hier? Ie sais pourtant qu'elle
manque de pertinence, et aussi le mot de reproduction.
Mais Ia limite de cette pertinence - le lieu ou ça
ne touche plus - je suis sür aussi que c'est bien ce
qui a lieu, ici, ce qui se passe, ce qu'il a mis en place.
Je relís. Le mot « altuglass » dont il s'est servi lui-
même. En décomposition : Ia glace transparente, le
froid de Ia mort, le glas, l'aíeul en sa langue étrangere,

216 LA VÉRITÉ EN PEINT
le: meuz:tre, l'artificiel ou le synthétique (ni Ia natur
ID Ia VIe, Ia sépulture), toutes les puissances de I
syllabe « tu », 11 faut que je renonce à ce type d'an
lyse interminable.
~!s se demandent comment j'ai pu écrire d'un cereu Ii
qu il ~ura « engendré », Le cerceuil du pêre? I,
cerceuil (~~ sa langue étrangere) comme pêre? 1
coffret (dixit Freud dans Le thême des trais coffr I
- il faudra y revenir) comme ventre féminin voir
matemel. 11 faudra que je renonce à ce type d'~aly
intenninable.
Le « sans exempl~ » 9ui s'est. imposé hier. Et le p
du,..pas-un-seul. Difficile à faire entendre ' mais
.
n msisterai pas. Ne pas les délivrer de Ia fascination
au moment ou ils s'abiment dans Ia distance infini
nulle po~t, l'espace démesuré qui sépare le peth
cercueil pnnceps de toute une lignée ressemblante, d
toute une prétendue descendance qu'il ne reconnait p
11 ne faut pas Ia reconnaítre.
Lui, tout autre, en relief, modele réduit gardant
~ ~éduction tous =. reli~fs, il "!'appartient pas à Ia
n
z'~~e dont, ,dereehe!, ta,t. partte. 11 (lui) reste lui
heterogene, unmobile er indifférent, impassible et têtu
sur un socIe, une stêle, un trõne ou, toujours à Ia
hauteur, lui le nain royal, sur l'estrade de son cata-
!alque. 11risque sa tête sur cet échafaudage hallucinant,
i1 est exposé ~ Ia hauteur, plus petit que le plus petit
de tous mais unmensément grandi, hors de proportion,
dan~ son retr~chement exhaussé. Et pourtant déchu,
d~tltué, débns à l'abandon, banni, excIu d'une famille
(tnbu~ g~ns, ~eru:s) avec l~que~e il n'a plus de rapport,
A vrai dire il n en aura ,Jamllls eu, alors même qu'en
~ecre~, ,d~s ,un t~ps unmémorial, un passé qui n'a
Ja.m,~se~e present, ill'aura présomptivement engendrée.
S1 J écns. pour l~ « spectateurs )) interloqués que ça
regarde, je ne dois pas les libérer de Ia fascination
par mon discours. Car celui-ci, j'entends qu'il ne se
mêl~ de ;ien (Ia chose que vous regardez n'est pas mon
~alre ~ celle de m~n discours dont elle se passe fort
b~en), ,J entends gu il ne touche à rien. 11 doít, leur
dirais-je, vous laisser seuls avec Ia chose qui vous
217
TOUCHES
de Ia laisser seule avec vous, rester muet au bout du
pte; passer à cõté d'~e en .si!en~e, comme ,une
re théorie, une autre série, ne nen dire de ce qu elle
résente pour moi, ni même pour lui.
t du même coup Ia laisser, elle, Ia chose, à Ia
te sans nom de son mutisme.
e sair, et elle sait se taire.
4 décembre 1977
11 aura fallu s'y mettre., ' .
Pour lui d'abord. Pour moi en suíte de IUl. Ordre
séquences (conséquenccs et obséquences des séries).
'y mettre : cela veut dire, d'abord, aborder, com-
cer, entreprendre. Et si ,c'est s~ns ~xemple, ~'est
ce que Ia série aura pose un sm~e~ ,problem~
'initialité. J'en viendrai plus tard aux ínítíaíes. Qui
commencé? Ou? Quand? Comment? A telle date,
uand LE petit obiet en acajou a été co~çu et mis a?
ur construit en solide? en dur? Ou bien quand 11
~mmencé à le harceler, à s'achamer sur lui plutõt
I préfere ce mot à cause de Ia r~férence au ,piege,
Ia chasse, à l'appât qui dot,me a~ chienset aux olsea~
e proie le goüt de Ia chair), des le 23 jum 1975, des
premier des 127?
Des 127 quoi? '
11 dit « dessins », un « grand nombre de dessins »
mais ce ne sont pas des dessins seulement, i! y a des
quarelles, des gouaches, des gravur~, ~t l'ensemble~
y compris le princeps, le coffin lw-meme, de quo;
t-i! ensemble? Que signifie ici ensemble?
Je dirai par commodité les 127 article~. Cela reste
uffisamment indéterminé, cela se sera déJà vendu sur
un certain marchê, cela fait partie d'un ensembl.e
articulé, cela insiste sur les articuZations, cel~ re~rod~t
ingulierement, inimitablement. c:;haq'!e fois, 1art!,le
dJfini (générique) 9.ui scelle l'unicité d un pnnce (c'est
chaque fois the coJlm, le même et l',autre), cela d~~~e
Ia « partie (numérotée ou non) quI,forme ~~ dl'V'~
d'un texte légal, juridique, diplomatJqUe, rel.gteux, liuê-

218 LA VÉRITÉ EN PEINl ti
raire li (Robert ), tout cela s'inscrivant à l' articl
Ia morto
Qu'en est-il donc du premier article?
Cette question de príncipe, quant au droit du prin
je Ia crois beaucoup plus compliquée, pour lui et poiu
moi en suite de lui. Voilà ce que pour l'instant je JII
contenterai de suggérer en disant « cela sera resté S 1\
exemple » ou « sans précédent »,
Ce n'est pas quelque chose qui sera resté sans, t
C'est le reste lui-même, dans sa structure de reste, qu:
aura été, c'est assez curieux du reste, sans (sans exempl
ou sans précédent).
Il aura fallu s'y mettre. Je m'y mets, sauront-ils l'en
tendre, c'est ce qu'il dit aussi en artículant bien.
S'y mettre : non seulement commencer, entreprendr
un travail, se mettre à l'ceuvre ou s'engager, donner du
gage, mais aussi se metere dans, s'étendre, s'allonger av
des gestes lents, parfois impatients ou découragés, exal
tés ou déprimés, 127 fois, plus une ou sans l'autre, dan
un cercueil qu'on a construit pour soi, ou pour l'autr
à. chaque coup pour Ia premiêre et derniêre fois, à l'ar
ticle de Ia mort mais sans exc1ure une autre fois, toujour
Ia premiêre et Ia derniêre.
4 décembre 1977
219
roucass
I enroulements (pas de cartouche en ,~énér.al~ans une
te et un enroulement) porteurs d ínscnpuons. Ce
t parfois les traits d'un de.ss~ ~utour d'un document
iel (je pense à un acte de deces).
Cartouch« nomme aussi, avance Littré, une sorte
, eau elliptique qui, dans les ínscriptions hiérogly-
iques, entoure les noms propres d~s dieux, ~es. rois.
'llipse d'un anneau dénommeraít alors I alliance
ageant une généalogie dans un nom propre, quelque
e comme une lettre de noblesse, un sceau secret, un
u d'exil sur Ia carte {canuccio ), sur une carte jouée,
I vrée à Ia chance ou à Ia nécessité, Ia géographie. cryptée
'un imperium, une autre famille, une autre tnbu, tres
miliêre et três étrangere. .
t pourtant il ne faut pas que je tente de m'appropner
tte série de eénotaphes. ..
Le mot s'imposerait si ces coffres mortuaires éta1~nt
ut à fait vides. Un cénotaphe est un tombeau ,;de
(Itenostaphos, Iunotaphion) pour le, co~s dísparu d un
I paro, disparu ou volé, empoche à l,occaslOn - et
Ia tire - par quelque plckpocket exerce.
Dispor» est le sujet.
Mais vides - et même aprês épuisement - les cof-
frets ne le sont que du corps propre. 11 y reste d'autres
liefs, reliques, reliquats, p~ exemple ~ anneau d,?nt
I reparlerai, des fils assembles autour d une place vide
(un « foyer dít-íl) et surtout ce nnroir tout au fond. 11
)1

t là pour toutes les spéculations, tout~ I~ représen-

Pourquoi ai-je dit « prince » au moment de désigner
l'article principiei, le « premier » cercueil, l'incipit pré-
somptif? Pour ne pas dire pêre, roi, ou empereur. Je
prévois, dans ce prince-là, de l'héritier déjà, du rejeton
ou de l'enfant, et peut-être du mort-né, J'aurai sans
doute à y revenir.
A coup sür, je n'aurais pas accepté de tenir un dis-
cours au-dessus, à cõté ou au-dessous de ces cercueils
s~s avouer le désir ~e m'y mettre à ~on tour, irrépres-
siblement, compulsívement, 127 fois au moins, d'y
inserire mon nom sur le cartouche.
Pour I'instant, je m'intéresse au masculin : un cartouche,
Le cartouche a parfois le relief d'une sculpture, avec
t tions : Ia scêne commencera par se repeter. 11 vous
uffit de vous pencher pour vous Ymen;re, en morceaux
u tout entier, pour ne plus vous retemr sur aucun d~s
bords et pour y tomber, voyez-vous, spectateur ou spe-
culateur de l'autre cõté. [e ne tenterai pas de dérober,
ftlt-ce ~ur l'espace d'une sígnature sur le cartouche, Ia
Iignée de ces marques mortualIes. .. .. .
[e ne spéculerai pas, que ce SOl~bien clair à Jamais,
Le petit objet ligneux ne m'appartlent pas. Pas plus que
toute sa descendance présomptive et coupée de luí, pas
plus que cette dérivation en dérive. Ce ne sont pa~ les
miens. C'est une affaire de famille : ce sont les siens.
A chacun les siens.
 220
LA VÉRITÉ EN PEIN'IlI
Difficile pourtant de résister A I'investissement h,
dional. Je suis IA, comme eux maintenant comm 111
obsédé, assiégé, ça me regarde de. tous les' cõtés, ç 111
regarde en tous les sens et depuis le fond du miro I
co~e une mort qui me serait déjà arrivée. Multlll
et ínterminable, une seule pourtant. Que peut-on dé i,
d'u~ cercueíl sinon I'avoír pour soi, le voler, s'y m til
et s y voir, y coucher ou accoucher, de préférence a
I'autre, autre maniêre de le neutraliser, d'apaiser
~ropre terreur, d'en user avec I'altérité, d'en user l'all
rité ? ~~s que peu~-on désire~ .d'un cercueil sinon qU'1
r~ste ou 11 est, A distance, A I ecart - en reprodui 111
I ecart, en msistant jusqu A épuisement - sinon qU'1I
re~te Al'autre ? Les deux désirs ne SOnt pas contradt
torres, mies deux gestes qu'il induit. I1s négocient t \I
jours Ia kenose, ils traitent le mort I'un avec l'autre.
Sans exempl~, il faut s'y ~ettre. Cent víngt-sept foi,
avec et sans (toithout ) Ia fois supplémentaire dont vou
ne saurez jamais décider, c'est ça Ia mort, si elle aura él
Ia bonne.
Qu'est-ce qu'une fois, cette bonne fois ?
6 décembre 1977
Avant-hier, j'ai écrit « à Ia tire »,
Je pensais au pickpoket qui s'exerce A voler un cer-
cueil ou un mort dans Ia poche de l'autre.
Mais le mot tirer pourrait désormais attirer Alui dan
~ rass~mblement finalement impossible, dans ud glos-
sm~ qUIferme mal, t~u~ les traits de cette scêne, L'obiet
s~ ~ue ~omme ~ ~Olr (drawer), il ressemble à un
nroir ql! on ferait vemr à soi, comme à Ia Morgue, pour
r~c~nnaltre un cadavre encore anonyme; c'est Ia défi-
runon de Ia Morgue ou de l'Institut médico-légal :
~(endroit ou 1'0n expose des cadavres de personne
mconnues »,
L'autre jour, avec Titus-Carmel, je suis allé voir les
127 dess}ns (drawings) Al'I.nstitut nommé Beaubourg,
actuel detenteur des 128 articles (te détenteur occupe à
TOUCHES 221
fois, dans ee cas, plus d'une place, eelles du proprié-
re, du puissant acq~éreur, du légataire, du .simple
sitaire, du banquier ou du notaire commis à Ia
de avant l'ouverture d'un testament qu'il devra de
ute façon gérer, le plus jalousement). .
e l'armoire métallique, du grand coffre-fort ou ils
trouvaient couchés, rangés l'un au-dessus de l'autre,
us avons tiré, iustement, d'énormes boites de carton
ir en forme de tiroir. Elles contenaient les drawings,
127 dessins en forme de tiroir (drawer). Les ép~is
allélépipêdes noirs étaient refermés sur les dessms
r des lacets ou des rubans noirs. Nous les avons
noués pour en tirer un à un les cercueils qui eux-
êmes, exhibant leurs cordelettes, etc. Nous avons
rlé de Ia Morgue, et de Ia Morgue dans Ia Morgue.
Le glossaire ou l'attirail do~t je tr~te en ~e ~,?me~t
tire, tirer, tiroir, tirage) conduit Acelui du trair, 11 induit
u tement Ia duction, et même le « ductus », ce trait idio-
atique auquel on reconnait un dessinateur avant ~ême
u'il signe de son nom (c'est de ee « duetus » que Je ne
ussirai pas Aparler ici). On tire uD:trait .:sur les rest~s
ont on dessine 127 fois le cercueil, puis sur Ia série
u'on décide d'« achever ». On soutire un cercueil, par
xemple pour le soustraire de Ia série. On.(le) tir~ à soi,
ur soi. On tire des traites sur un cercueil, On tire des
ouches.
La question revient toujours : quel e~t I'a~~t ou Ia
duction d'un tiroir? Ou d'un cercueil à tIrOUS? De
quoi se tire-t-on ainsi ? Je renonce à tous les tirages, au
marehé ou à Ia spéculation sous-traitant le luxe des tirés-
t-part, à tous les contrats sous scellés, mais je me
demande ce qui se passe ici. Séduire Ia hantise d'un
cénotaphe, l'attirer à I'é~~ ins!ste~ sur I'éca~, dévoyer
127 fois le mort, 127 fois faire I article et Ie tirer à.part.
En se retirant aprês Ia soustraction d'un cercuell.: à
l'autre, à Ia série mais pour l'y remettre comme SI de
rien n'était, etc.
Reoenant - 127 fois. Je commence à spéculer sur ce
qui se chíffre ainsi du reste. Pour l'insrant, ce chiffre-
 222 LA VÉRITÉ EN PEINlll
1;7 - ne, s= .dit rien. ~.-C. n~en dit rien, il p ri
d usure, d erosion, etc. Tirer : nrer au sort tirer I
cartes, tirer à sa fin, etc, ' ite le sans-exemple selon Ia structure même, par elle
11 a un idiome - ou plutõt un effet idiomatique
"t
du ttrer. Je l'entends en deux sens : l'idiome du ti' II
tiré mais aussi l'idiome du mot tirer et de toutes I
maniêres dont i1 se traite dans Ia langue.
Plus tard, ailleurs, attirer tout ce discours sur 1
traits tirés, l'attirer du cõté ou se croisent les d 11
« familles », celle de Riss (Aufriss, l'entame, Umriss I
c~>ntour,le cadre, l'esquisse, Grundriss, le plan, le pr
CIS, etc.) et eelle de Zug, de Ziehen, Entziehen, Gez
(trait, tirer, attirer, retirer, le contrat qui rassemble tou
u:
les a1ts : « Der Riss ist das einheit/iche Gezüge VI'
Asfriss und Grundrtss, Durch - und Umriss» Heid
ger, L'origine de I'CEUvred'art). ' s. Ceux-ci semblent « copier » un modele (il ecnt lui-
Plus tard, ailleurs, se rendre au lieu ou le croisemem
de ces deux ((familles », de L'origine de l'auvre d'art •
Unterwegs zur Sprache, entrelace sa nécessité, celle de 1
différence, avec le motif, précisément, de l'entrel
eement {Geflechi}, Comment se eroisent ces deu
familles d'idiomes, ete.? Et ainsi de suíte. Et autrement
L'autrement du « ainsi de suite » devient alors mon
thême.
I'aurai ~té attiré, sédui~ plutõt, Pll! le mot ductus, p r
Ia nec~s~l~ede s.on sens, ble~ sür, pwsque dUC1USsignifi
ce trait idiomatique du dessmateur qui vient signer tOUI
seul, ~v~t même le soussígné du nom propre. Le duc
tus fait signature, ou vaut signarure, dit-on, Mais j'aura
aussi été fasciné, à proximité de Titus, par l'affinité de
syllabes finales. Elles signent.
Qu'est-ce qui, à Ia fin, donne Ia signature de Titus ?
Que donne-t-elle ? Y a-t-H (gibt es ?) de Ia signature ?
7 décembre 1977
. A cette théorie sérielle des 127 cercueils de poche
(ie Ia nomme encore en français et de façon approxima-
TOUCHES 223
), je ne vais pas ehe!ch~r de. préeédent. Elle reste
on moi, en un sens tres singulier, sans exemple. Elle
truite, d'un autre rapport à l'.exemp~a~e, au modele
cipiel, à ee que je nommerai de préférence le para-
me.
n arriêre, aprês coup et à sa maniêre, elle éjecte le
radigme.
Non qu'elle le perde, l'annule ou s'en défasse pure-
t et simplement. Ce qu'elle expulse, décompte ou
falque, elle le garde à sa maniêre, et elle en exhibe le
te elle le surélêoe sur ce socle, Ia stêle, le trõne ou
u'ade de son catafalque (ex cathedra, une fois monté
ehaire, i1 s'y tait). ., .
J'appelle « paradigme » le cercueil « prmeeps », le pe~t
oir ou le petit piêge en aeajou, ee volume dont le relief
lide parait pour l'instant ~lus « réel » q?e l~s ~27 de~-
ême le mot « copier » entre guill~ets dans un « car~
uche » du coffin dont je reparlerai), I1s semblent lui
&iresuite (conséquence, obséquence) pour le .mettre.à
lat et en perspective, y perdant du couple relief et fai-
t référence. Seul ce paradigme auran un nom, un
om singulier et done prop~e, si .ce~ui-ci n'était aussi
générique » : The Pocket .S,~e Tl'ng,t Coffin. 11 donne-
ait même son nom, on dirait presque son patronyme,
une lignée reproductriee, le lui prêterait plutõt, le lui
céderait en héritage à titre de reoanche.
Mais si le paradigme parait être à l'or~gine d'une
Fnéalogie, l'usurpation ne ~dera pas. à f2l!e scan~e
et le paradigme devra ~e ret1re~ (!etr~t, ~xll, r~trll!te).
Le paradigme n:a ~a~ eté à l'orlg~e,.ll ~ est lw-~em.e
ni producteur m generateur. Fac-simile d un modele, il
ura d'abord été produit - et même, en tous les sens
de ce mot, comme modele, réduit, Selon l'indémon-
trable, l'improbable et inimitab~e ductus ~e T~~~-Car-
mel, H y va done ~ien d~ Ia duction e~ sérIe. : m .1md~e-
tion, ni Ia production, m Ia r~produ~0!1' ni la r~du~on
ne l'épuisent de leurs modalités, m meme Ia séduction
qui le conduit à l'écart.
Le petit cercueil princeps n'est pas donné, c'est le
LA vmuTi EN PEINTURE
8

224 LA VÉRITÉ EN PEIN111
moins qu'on puisse dire, il n'est pas là, donné préalahl
appartenant à une sorte de nature, natif et autocht 1\
comme le sont le plus souvent les « modeles 1), I
« exemples 1), les « référents 1). Le petit cercueil d'ac \11
est lui-même un « produit », 11 n'a pas de privil
absolu par rapport à une série de productions ou I
reproductions.
C'est pourquoi je préfêre l'appeler « paradigme 1).
Le mot grec ici convient. 11 désigne le plus souv 111
cette sorte de modele artificiel qui procede déjà d'un.
technê. Le modele, l'exemple, est alors un artefact, \111
référent construit, parfois de toutes piêces, instruit UII
structure fabriquée. C'est ici le caso 11 y aura e~ \I
passé antérieur et comme à l'origine en fac-simile de
fu~ antéri~ur, « production d'un modêle » qui ne
I serait trouve, pas. plus qu'aucune sépulture, déjà I
dans Ia nature. NI même dans aucune société donn
Mais je devrai compliquer incessamment ces formule
ces modules discursifs, je les délaisserai au fur et '
mesure comme les déchets d'une consommation insu
~sa~1te, les reliefs d'.une cêne interrompue en plein
)~UISSancepar une mise au tombeau, aprês des déclar
trens sans commune mesure avec Ia chose même : ce
I est mon corps, ceei est mon nom. Aucun mot n'aura ét
suffisamment ductile, surtout pas ceux de production
de reproduction, de séduction, de réduction. La duction
n'y suffit plus.
Cependant le paradigme, le petit obiet solide, imper-
turbable et de bois, fait pour résister au temps et à tou
les assauts, pour supporter sans mot dire toutes le
manipulations, pour excéder toutes les perspectives el
toutes les anamorphoses, pour repousser les attaques de
tous les bords (car Titus-Carmel touche à tout, iI
attaque par tous les bords), pour garder secret le relief
,li
hors ~e pri~, inabord~~le, introuvable, le petit cercueil
,I paradigmatique aura ete IA, comme depuis touiours, posA
(un theme~ d~>nc,une thêse), exposé, déposé puis « repro-
duit » (mais 11 faut dire aussi retire, à l'écart soustrait à
l'ab~i de son r~trait) 127 fois tiré-ã-part s~ un sup~rt
fragile, un papier vulnérable aux traits mêmes, 127 fois
multiplié, décrit, sérialisé, analysé, détaillé, déplacé,
225
TOUCHES
urné dans tous ses états (ou presque) et sous tous ses
les (ou presque). .
petit (paradigme) aura été constnnt comme une
ypte pour garder jalousement son secret au moment
: Ia plus grande exposition. J.alo~sem~nt, p:u-ce,que
ut est atraíre ici, me semble-t-il, d envie et d exces de
I . Car s'il est offert à tous les contacts, A toutes les
uches du moins avant son achat par un Centre qui
it ici' en délégation, entreprise de Fompes F~ebres
tionales pour des obsêques du memt: nom, 11 reste
tinément et, comme on dit, herméuquement dos,
ppelant ces petits temples portatifs que les Grecs
pelaient des hermes. 11 est muet, [ermé sous sa trans-
ence altuglassée. ..
Domaine réservé, A rendre fou de [alousie le voyeur
istant, à travers ces traits réguliers, plus ou moms
oits-
7 décembre 1977
Séduire le mort l'attirer à l'écart (leurre, acharne-
ment), l'égarer, fai:e perdre Ia piste du fantõme, le faire
revenir au centuple, et plus encore. Sauf (fors) dans ce
offre-lã.
S'enfermer avec toute Ia famille du paradigme. Para-
dtiknumi : montrer à côté, mettre en regard, d'oü com-
parer (aussitõt, donc, l'id~e d:e série an~loglque)., r,non-
trer, exposer, assigner, dístribuer, attríbuer (l'ídée de
tribut me parait ici indispensable).
L'autre opération, dans Ia même famille, l'autre verbe
ne serait pas inutile si je devais écrire en grec sur ce
coffin paradeigmatizô : ~roposer pour modele ou donner
en e~emple, mais aUSSIfaire un exemple, condamner,
blãmer, frapper d'infamie, s'~cha~er sur quelqu'un
pour le déshonorer .. Le paradigmatisme (paradeigma-
tismos ) est une peíne infam~t~ destinée à flll~eexemple.
11 s'agit peut-être, dans l'hístoíre du coffin, d un exemple
condamné (on dit aussi plombé, sous sc~ll~s), non pas
d'une condamnation pour faire exemple m d un exemple
 226
LA VÉRITÉ EN PEINTU
de ~ondamnation, m,aisd'~e condamnation (exempla.ir
de I exemple :, damne paradigme. A mort! Ou condamn
en tout cas, c est plus retors (parce que Ia condamnatíon
peut, comme le revenant, faire retour), au bannissemem
« Fermez le ban ", dit-il.
Ils s'apercevront que j:aime le mot paradigme. A J
mesure de mon amour, ow, e'est le mot qu'il faut, pour I
c,offin,.1emot et lachose. A Ia mesure de tout ce que j'
moestu : ce de~er. mot est trop usé maintenant UI
tous les bords, mais II est dans ce cas irremplaçable A I
mesure ~e ,c~ que j'en investis plutõt à Ia suit~ d
assauts r~,petes, des ~agues oifensives dont il aura sou
tenu le siege, du capital, de l'mtérêt comme de l'usur
de to~s .Ies inv~tissements de l'autre auxquels il aur •
donne he~ et fait appel. J'essaíe de m'y retrouver.
mo~paradigme (en toutes lettres) est un nom bien propu
à dire Ia ch~se en q1l:es~on,i1est à sa mesure pour toute
s~rtes de .ratsons qw s accumulent en plus-value mais j
n en dirai qu'une ou deux.
Ainsi, par exemple, l'artefacr ne s'expose pas seule-
ment à Ia,~e. P~ur les Grecs, i1 n'est pas seulement le
modele Vlsl,~le~ un peintre ou d'un dessinateur, d'un
z~aphe s ;'lls~ll'ant alors d'un exemple constitui voire
d une constltut;Ion (sy~t~e, systase, syntaxe) quand Ia
métapho~e devíent polítíque. Platon parle d'un Etat qui
~e connaítra le bonheur que si le II diagranune » constitu-
tionnel en a été tracé par des II zoographes " travaillant
Ies ye~ fixés sur Ie « paradigme divin »,
Mats le plus souvent, done, un paradigme ne se pro-
pose pa,s seulement au regard, préposé comme un précé-
dent IDlS à plat, comme un plan préa1able pour le zoo-
graphe. 11 occupe un volume, il s'avance comme une
s?'Ucture .de reli~fs appartcnant à l'espace de Ia construo-
non mampulatrlce, comme Ia maquette d'un édífice ou
d'un monument, d'un appareil ou d'une machine par
exemple un bateau. (Le coffin est aussi un reste jlo:tant
une coque ou le coffret d'un corsaire en dérive T -C'
en p~le comme .d'une II épave I).) Bref, un corps' qui n~
se laisse pas facilement mettre à plat et dont on peut
tenter, ~out au plus, de faire le tour, encore que pour
cerre raison même, le tour n'en soit jamais achev'é : les
TOUCHES 227
uisses ne l'épuisent pas, s'épuisent elles-mêmes à Ia
e (macchietta} et doivent un jour prendre fin, un
ur précis, pour des raisons de fatigue, d'usure, de
ance ou de maIchance.
Or ici le coffin I( initial ", le cercueil O (tiens, il com-
rte Ia forme O en son sein, l'ovale entre miroir et
ltuglass) ou I, ou - I, comme on voudra, cet in(dé)-
. able de Ia série a bien un statut volumineux, archi-
al ou scu1ptural, et avant même d'être installé à
hauteur pour en être mis bas : déchu, couché sur une
urface, accouché sur un support, délivré ou tout cela
Ia fois.
C'est aussi lui-même qui, avant d'être mis bas, don-
rait naissance, comme un générateur ou une génitrice,
question reste encore ouverte, à une progéniture
iprobable, à une descendance incalcu1able.
Ils se demanderont comment un cercueil peut mettre
as. J'essaierai de l'expliquer. Mais aussi bien comment
ne le ferait-il pas ?
Le cercueil O (I ou - I) n'a pas seulement ce statut
'architecture ou de sculpture, il est, étendu sur le dos
omme un gisant - ci-git le Tlingit Coffin -, une st~-
rue princiêre. On n'en verra le dos, me semble-t-il,
que dans l'ultime dessin (u juillet 1976), au moment
du demier retournement, le u'r faisant enfin tableau
(noír), sombre tableau et ténébreuse affaire, de son des-
IOUS. Le dos fait face, comme un masque mortuaire, les
cheveux tombant à Ia verticale, les eeillets vides (mais
i1 est encore trop tõr pour en parler). La stature aura
bien été un paradigme en ce sens, pour architecte,
cu1pteur, accoucheur si on préfere, plutõt qu'un modele
pour zoographe. Ce n'est pas le modele d'un zoographe
parce que le modele a été, en un sens qu'il faudra préci-
ser, soustrait, mais d'abord parce qu'il n'y a plus de
zoographe.
En effet : avant le renversement du paradigme, le
cercueil O se trouve monté, surélefJé à Ia hauteur d'un
mont sublime (il faudra bientõt monter à l'assaut aprês
avoir fait le siêge) et artificieusement agencé. Le mon-
tage est minutieux, comme d'une montre - en vue
d'une explosion à retardement ou pour l'exposition de
 228
LA VÉRITÉ EN PEINTUII TOUCHES 229

les rouages intestins dans le boitier transparent. Le

nteur - auteur de 7 Démontages - dit quelque part
'il a un cõté « montre suisse »,
Or dans l'opération qui ne monte que pour mettre
, Titus-Carmel (j'entends à l'instant son nom comme
lui d'un envahisseur, l'empereur issu de Ia plebe qui
'un ou de plusieurs coups - d'état - renverse, desti-
, interrompt une généalogie royale pour fonder une
tre dynastie et instaurer un nouvel âge politique)
itus-Carmel ne calcule pas comme un peintre ou un
inateur zoographique. Il se comporte aussi en tha-
tographe. A l'égard du paradigme précisément. Il ne
contente pas de traiter de Ia sépulture, du mort et
restes, et à cette fin d'en ajointer le paradigme. Non,
'e t le paradigme qu'il met à mal, et à morto Son para-
) . iame ne montre pas un cercueil, il se montre dans son
rcueil, Ia derniêre demeure du paradigme enfin mis
n terre.
Titus-Carmel cadavérise le paradigme. S'acharnant
3Jjuin 1975 ur son efligie, en feignant de le feindre dans une série
Le • premier • et le • dernier • des 127 dessins.
reproductions simulées, il le réduit, il le transforme
11 jui/l./ IV n déchet minuscule, hors série dans Ia série, et hors
'usage désormais.
11s'en passe (plus de paradigme, plus de cercueil, un
de plus ou de moins), il y met fino

11travaille, au deuil, sans exemple et sans précédent.

li apprend à se passer.

8 décembre 1977

Je renonce. Découragement. Je n'en viendrai jamais

à bout, n'en serai jamais quitte. Il faudra recommencer
aprês avoir traité en résidus, plus d'une fois, tous les
mots dont je viens de faire usage, je devrai en user beau-
coup, les consommer, les ronger jusqu'à 1'0s ou à Ia
corde, les remettre en perspective, les retourner dans
tous les sens par une série d'écarts, de variations, de
modulations, d'anamorphoses. Et puis m'arrêter à un
 230 LA VÉRITÉ EN PEINTU
moment donné (~~ pages plus ou moíns), de fa
apparemment arbitraire, comme lui à Ia fin de l'ann
plus ou moins, sur le mode de Ia contingence.
8 décembre 197
Con~genc~ : c'est le mot qui me cherchait.
Car il Y va ICI du contingent, de ce qui touche au tou
cher, au tangible, de ce qui touche, comme on perçoh
(des choses o~ de l'argent), comme on manipule à mêm
Ia peau, mamgance le faux-contact, établit le manê
des contiguités plus ou moins discrêtes en série' mel
il. y va aussi du contingent qui s'attri~ (comme 'adjec
tif) ~ux .effets .du hasard ou de Ia chance, l'építhêt
de I écheance mcalculable, I'usage du non-nécessair
devenu.fa~; ,et e~ du contingent, le nom cette fois :
Ia multiplícíré ratíonnée d'un ensemble sériel distribué
attribué (encore), en partage, à qui de droit. I
Comment rendre raison de cette ration, les 127 par
exemple?
Le contíngent est un attribut. On dira le contingent
des 127 artícles, comme on dit un contingent d'armes
de soldats, de provisions ou de médicaments en temp:
de guerre (I'usage du nécessaire). ]e me servirai donc
du mot contingent. D'ailleurs, comme j'ai d'avance
échoué à rendre raison de Ia chose même, de I'idiome et
de ce. dUCIUS irréductible, comme j'ai d'avance accepté
de. laisser le coffin se. défendre tout seul, ce qu'il fait
mieux que personne, je me serai contenté de me servir
de quelques mots, d'en proposer l'utilité ou Ia formalité
économíque à ~'autres~ les mots cartouche, par exemple,
parad'gme, article, duction, contingent, et pas mal d'autres
eux-mêmes aléatoires et inévitables, qui formeront à leU:
tour une série parallêle, Ia fatalité d'un nouvel idíome.
I1 .faut d~nc s'y remettre et repartir de cette échéance
contmgep.tee. Elle sera restée sans exemple, voi1à une
ruse ou Je pressens quelque stratagême scélérat,
J'enrends ce demier mot dans son registre sadien.
TOUCHES 231
11
8/9 décembre 1977
Peut-être un jour dira-t-on, à Ia mode légendaire ou
ythique, « les 127 cercueils de Titus-Carmel » (bien
'il n'y en ait qu'un, ne I'oubliez jamais, unique en son
e) comme on dít, par exemple, « Les 120 journées de
ome ou I'école du libertinage».
L'analogie, comme Ia mise en série de séries, peut
doit rester accidentelle. EIle appartient à l'ordre du
ntingent. EIle ne fait appel ni au modele ni à l'exemple,
guliêrement de Sade pour Tirus-Carmel, de part et
'autre de plusieurs révolutions, républiques ou em-
Et 'pourtant, si je m'y suis autorisé, c'est que l'analo~ie
iviale (le contingent des 120, ave~ ou sans u~e sem~me
plus) en porte une autre, et qui touche à 1essentiel :
deux contingents mettent en scêne un travail et une
louissance quant au reste. Ils mettent en scêne, théâtre et
IlIiorie, le rationnement du reste. .
Reste disséminal, peut-être, 120 et quelques jets ou
projets, mais excrémentiel aprês tout.
Le « premier » proiet, le cercueil principiel, gardien
dcs restes, redeviendra, au terme du process~, .à Ia fin
de Ia r.rocession, Ie déchet monumental de Ia sene.
111 est déjà, à l'articulation de chaque artic1e.
Assumer le déchet, tel avait été le contrat par lequel
Titus-Carmel avait traité avec lui-même, 11 avait décidé
de garder tous les « dessins » de l'année, même les moins
bons. Au tournant de I'anniversaire, parvenu à Ia
121' version, i1 en avait cependant détruit deux, dont
te reparlerai, sauvant encore l'impair ou le nombre pre-
mier.
Assumer I'excrétion anale, I'avaler ou Ia faire avaler,
en escompter Ia jouissance, telle fut l:opération rythmée,
Ia cadence réguliêre des 120 Journees. Chaque expen-
mentation est méticuleusement notée, narrée, datée,
scrupuleusement comptabilisée. La compulsion ari~-
mologique et Ia narration comptable sont de Ia parne,
elles procurent un supplément de jouissance et ne
----~ 232 LA VÉRITt EN PEINTU
lai~s.ent aucun répit à l'écriture. 11faut faire cas de l'
crenon (orale ou anale), Ia prendre en soi ou sur soi I
momc:nt (~ecre9 d~ sa séparation, et l'intérioriser.
MaIS I ~tro,e~on du morceau, autrement dit 1/
mors, est ínterminable, elle finit toujours par lais I
tomber un ~este .d'incorpo~ation absolument hétérogên
Analy~e mfinie du deuil, entre I'introjection et l'in
corporanon.
Le mors s~ couJ?Cain~i .de .son lieu de production ou
~e reproduction dite ongmarre, de son orifice, de s 11
issue o~ de sa fosse: 11sort de sa fosse, suivez-le, suiv
ce demier mot. Suivez Ie mot fosse, mais suivez aussi I
mot mm:~:q~d j'ai dit « du morceau, autrement dit du
mors », j'msistais autant sur le dit que sur Ia chose.
I'
mors ,~st le morceau,~ans I~ bouche, qu'il y parle ou non
et qu il y cause ou I mterdise. La réduction du reste d
c~ ~este-Ià, reste impossible, je raconterai comment 'ell
resls~e. Ie le rapporterai pour faire droit à ce qui en c
c~ntm~~nt sans précédent, requiert Ia narratio~. Car
des qu li,t~uche à Ia série (127 toithout one, hors séri
~s Ia se~le), on ne peut plus faíre l'économie du récit.
S il faut s y mettre et s'y remettre et en remettre c'est
que ça ne se fB:itjamais d'un coup. Faisant exemple du
sans-exemple, il a montré dans cette exposition qu'on a
beau, vraunent beau, multiplier les approches, les
assauts, les atraques, on a beau multiplier les mouve-
ments d'appropriation, séduire Ia chose I'apprivoiser
Ia domestiquer, Ia fatiguer de ses avanc~ elle reste e~
tant que reste (vraim~nt beau), indi1fére~te, eoupk du
monde, de Ia production comme de Ia reproduction.
(~s on reconsidérera cette eoupure, ça se complique
tOU!ours quand Ia structure d'un entrelacs sériel entre
en [eu.)
Coupée, pour le moment, autrement dit tronquée
entiêrement tronquée. Un étron en somme et en série'
.. "
en connngent rationné, un morceau, un mors coupé
(de stronzare ou de strunzen) et bien formé une « matiêre
fécale c~nsist~te et. bien moulée » dit Li:n.é qui aioute
à notre mtennon puisque nous nous intéresserons encore
TOU~ 233
enroulements nommés cartouches : « ••• petit ~~e
les enfants font avec de Ia poudre à canon mowllee
mise en pãte et qu'ils allument par le sommet »•
•armement 'donc, en ce contingent d'une parade
IMlnu,a:'ire,en 'cette expédition, voilã ce qui reste à vou :
feu, L'armement« quels mots -
9 décembre 1977
Un étron qu'on voudrait bien s'approprier, ~B?sj~ais
parvenir, qu'on voudrait reprendre en SOlJUSqua Ia
t jusqu' à épuisement. '
Lejusqu'à ce que (mort s'ensuive) est int~ble, Ia
-.ni·inai·son de l'ana1yse apparemment conungente.
Qu'ils lisent par exemple le jusqu' à ce que dans ce
ment des 120 [oumées. ... "
Je l'extrais à dessein de Ia Vmgtteme J~urnee. ~ est
fin on va déborder sur Ia vingt et umeme et 11 est
tion d'un « secret », de I' « autre secret » tenu ~ous
calque, le voile ou le linceul. (( Comme ces.mes~s
s'expliquerent pas daf)antag~, u tWUSa ét~ .mpossib~
savair ce qu'ils ont voulu dir«. Et, le susnons:-tWUS,Je
ais que tWUSferions bien par pudeur '!e le temr s~ ~
'le, car il y a tout plein de choses qu'.l ~ [aut qu 'rz:l'-
[...
l Ce serait ré'Véler des secr~ts quI dOlv~t etre
lrifouis pour le bonheur de l'humamté; ce sera~t.entre-
prendre Ia corruption générak des maurs, et p!éCJPJter,ses
frires en Jésus-Christ dans tous tes écarts ou pour:aJent
porter de uls tableaux. ») Et voiei Ia cascade dégoulinante
« jusqu'à ce que » dans les ({5 récits » de .1aDuelos .:
« Un autre sefaisait piquer ks [esses, les cou.lles et le 'VIt
/ltJecune grosse alêne de savetier, et cela avec à ~ pres
"s mêmes cérémonies, c'est-à-dire jusqu'à ce qu'.l eíJt
mangé un étron queje ~uiprés~!ais ~ns un pot de ehambre
sans qu'il voulut savOJrde quI d était.
« On n'imagine pas, messieurs, ~ les ~.s portent le
dilire dans le[eu de leur iAmagina~.~.N en ~'-J~pas ~ un
qui, toujours dans les memes pnnapes, engea.t. que te le
rossasse à grands coups de canne sur les fesses, Jusqu ~ ce
p'il eUt mangé l'étron qu'il faisait tirer devam 11# du
234 LA VÉRITÉ EN PEINTII
fonâ même de Ia fosse des lieux ? Et sa perfide décharg
coulait dans ma bouche, à cette expédition, que lorsgu
auait dévoré cette fange impute. II
Tirer, donc, encore, devant soi du fond même d
fosse des lieux.
Un coup, puis un autre, et un autre.
Extraire le reste et se l'approprier.
Le projet de sperme disséminal ne débouche p
avant, dans Ia bouche de l'autre, que l'étron n'ait I
incorporé par Ia bouche, Ia sienne. (Embouchure 1I
reste, vomissement dans l'economimesis.)
Le reste une fois consommé, il faut, une fois compuI
sive de plus, s'y remettre. Pour faire eeuvre et série.
Ce qui fau ceuore, c'est le décret décisif, Ia séparati 1\
de corps, Ia mise au secret de l'étron : une série, étr 11
elle-même (unicité générique, the coffin), ensembl
tronqué, se trouve arrêtée, fixée, découpée, au term
d'une multiplicité de coups. Par exemple au 127e artiel
de Ia morto
D'oü vient le décret qui met en coupe et en crypte?
De qui ? De quoi ?
Pourquoi l'arrêt de mort à 127 ?
9 décembre 1977
Je tourne autour de ce chiffre, je spécule, je compare
avec Ia comptabilité pointiUeuse (d'autres diraient
maniaque, ou obsessionneUe, ou compulsive) des autres
séries, des séries de séries, des séries en nombre.
11 tient des comptes, apparemment. 11 rêgle des
comptes, sans doute, avec le paradigme. De quoi est-il
comptable ? de qui ? devant qui ?
Ça ne s'arrête plus de computer en moi, comme si
j'espérais rendre raison du nombre, raison pertinente
de Ia ration contingente, comme si j'espérais toucher,
donc, à Ia nécessité de cette contingence, au bord, à tous
les bords de ce coffin si nombreux.
Je récapitule : il y ales « 25 Variations sur l'Idée de
Rupture II (déiã les parallélépipêdes oblongs, les ban-
deaux pileux venant panser, ligaturer, serrer Ia césure
OUCHES
235
hée, l'effrondrement d'un trait d'union : mai~ Je ne
i pas l'inventaire, on trouve dans c~~que sen~ -
ue pourtant et irremplaçable - les elements d une
e ei ainsi du reste, ce qui enchaine à elle-même une
'ouverte de séries), il y a l~s «. 18 Mausolées JW!n
hauffeurs de Taxi New-Yorkau ll; il y ales « 20 Va~-
sur l'Idée de Détérioration » (encere le parallele-
de comme un cercueil elos avec l'angle d'anaque
ur Ia décomposition, etc.), il y ales « 17 Bxemples
ltération d'une Sphere ll, puis il ~ ~ les « V! Spheres li,
« 7 Démontages ll, les « 15 !~ons !A~nes II (avec
uche en un sens três smct, mscnptl<?n tombale
noms'de poete et « suaire impr~gné d~ l'image d'un
le lI). [Le nombre alors fait parne du. ntre, l~ ,v1t:nty
rrompre l'autorité du nom, de Ia voix, de 1eCr1~e
onéti ue: dans le titre même. C'est une des fonctíons
Ia séde. Mais quand le chiffre ne disloque pas le titre
minal il intervient encore dans les sous-tltres, dans
numérotage ou Ia datation (c'est ici le cas) ou en
éral dans ce qui joue 1e rõle de car~o,!che. ~~ tex~e
it accompagne inséparab1ement, Ia sene. 11s y mscnt
nc même s'il s~mble se présenter hors:ca~e e~ hors-
ie. Ce coffin n'est pas sans cartouche~ )e 1~pltquer~
lus tard.] Sans chifíre incorporé au titre, 11 y a. ~USSI
foaquin's Lave Affair ll, « suíte de 8 paves non 1~slb1es
I'emblée ", les 19 dessins de L' Usa,ge du NécessalT,e, lc:s
•• dessins de « The Four Season StJC~ », etc. Ça n aVal~
s dépassé 34 (mais 3 ~ 4 = 12,3 + 4, = 7, 12.et 7·
27). Cette fois l'accrolssement paraít enorme: . 127·
urse de fond. La série est plus conséquente.. SI Ia pra-
tique sérielle trafique Ia mise ~ mortod~ ~aradigm~ ou la
échéance du modele, celui-ci aurait ete ~ette fois pl~s
résistant : p1us que 4 saisons. Les 34 Sticks font ~-
versaire (21 juin 1974/21 juin 1975), leso 127 cercue,ils,
ommencés deux jours aprês 1e demier des Stick«
(23 juin 1975), débordent elliptiq.ueme:nt l:anneau
(rr juillet 1976). L'engagement anmversaire n est pas
tenu. 1 b e
Faut-il compter avec les dates ou avec e nom r
d'articles? Qu'est-ce que ça signifie, outre .l'a~nke
.pparemment insignifiante d'une chance, d'une echeance,
 237
LA VÉRITÉ EN PEIN II

,obre 1975
"9 ao"t 1975

91wrier 1976

17 .epltmbrt 197.'
 238 tA VÉRITÉ EN PEIN'III
d'une déchéance P Qu'est-ce que ee chiffre - 127
aura satísfait pour arrêter le désir d'aller plus 1 111
Pourquoi pas un eereueil de plus ?
127 : j'ai d~abo~~tendance, m?i, à décomposer ain
à Ia lecture dissociée, 12 + 7. Tiens, ça fait 19 comm
dans L' U~age du Nécessaire et on sait que dans e~ dern
cas, le chiffre 19 avait été obtenu aprês Ia soustracu«
ou Ia destruction d'un dessin; i1 avait été dérobé
tiré ou annulé, extrair de Ia série: il aura fallu réduir~' I
I2+ 7 : I2 mois, une année, plus une traínée \111
q~eue de comete, Et il.y.a 12 dessins aprês I,am:iv I
saíre du premier, le 23 JUlO, et I1s s'étalent sur un 1I
plus d'une semaine (sept iours et une trainée) du J
tiême mois. Il a tiré du coffin 12 gravures (celles dont I
reprod1!Ctlons sont justement accompagnées d'un é til
à portee de cartouehe et sur lequel je reviendr )
Do:uze eercuei.ls, eomme dans Les douze frêres I
Gr~ : le roi menace les douze fils de les tuer si I
treizíeme enfant est une fille. Dês avant Ia naissanee 1
douze cercueils sont prêts. Les fils s'enfuíent et juren~ d
tuer toute fille qu'ils reneontreraient. Qu'on se repor!
à Ia suite, jusqu'aux sept ans pendant lesquels Ia fiUe
tut, resta muette comme Ia mort pour délivrer ses frêr
devenus corbeaux. Freud Ia raconte dans Le thême d I
trais coffrets.
9 décembre 1977
Le thême des 127 coffrets de Titus-Carmel. Aurai-j
Ie temps de réinscrire toute une lecture de Freud dan
ee cartouche ?
127 : 12 + 7. 12 : 3 x 4 (heures, moís, saisons, n'im
porte quoi, choisissez), 7 = 3 + 4 ou eneor
I + 2 +~ + 4 ., 1~ et I + 2 + 7 = 10. Tetracty
pyth.agorlClenne G en ar trop parlé dans La dissémination
re laisse tomber, non sans rappeler que les proportion
du coffin o (- I OU + I) correspondent au nombre d'or
(10 X 6,2 X 2>4em) et donc au même registre de spé-
culations arithmopoétiques).
TOUCHES 239
matin, sur ma table, j'ai à côté de Ia maehine un
't electronic pocketable calculator (Model Ur-300,
lal No. 27932). Ie compute, d'une maio un peu dis-
te.
I t voi1à : 127 est un nombre premier.
n'est pas tout, mais c'e~~ tres, impo~t. Un
bre premier, selon sa défínition, n est. dtvmble que
, lui-même. Par aucun autre nombre enner. Le coffin,
\I son unicité générique, est done entier, intact, invul-
able, il n'est divisible par rien d'autre que lui-même.
ne l'affectera plus du dehors. L'impair est indivi-
le dans ce caso Le reste reste entier, à Ia condition
t n' défalquer un, le coffin paradigmatique qui appar-
t sans appartenir à Ia série qu'il rend possible. II s'y
it mais en y laissant aussi Ia marque de sa propre
ustraction, ce qui définit l'instance du mors transeen-
tal : un morceau exceptionnel, mordu, arraehé ou
u avee Ia bouche, [fait] bande à part, mais pour
dre possible Ia chame articulée, Ia série d'articles à
quelle il fait exception [tout sauf lui, fors le mors] et
s laquelle eependant il se réinscrit réguliêrement.
On dira indifféremment le mors transeendantal ou le
rs transcendantal.
Mais Ia mise à mort du paradigme est aussi celle du
anscendantal. L'aete de T.-C. aura forcé le cercueil
anscendantal - si vous voulez bien le suivre - à ren-
trer dans Ia série ou dans le cortege et à y occuper n'ím-
porte quelle place, ee à quoi doit toujours s'entrainer
un cercueil d'avant-garde.
Le nombre premier du coffin résiste done à toute ana-
Iyse, il est fait pour ça, il ne se résout pas en p~antasmes,
il ne se divise pas, il ne se fend pas. Du moias aucune
décomposition venue du dehors ne peut~elle l'affecter,
fors Ia sienne propre. L'armement atomique. Le. coffin
devieot alors lui-même, indivisible en somme, jusque
dans Ia dissémination de sa lignée. Integre hors de Ia
érie integre une fois réintégré ou réinséré, inattaquable
d'un'lieu à l'autre, impassible, splendidementautonome:
suffisant. La suffisance de eette lignée s'arroge même -
e'est sa prérogative unique -Ia modestie, Ia mesure, Ia
modération qu'on peut toujours eotendre au moment
 240 LA VÉRIT:á EN PEIN 11'
ou que~qu'un dír, ac~eptant Ia limite: ça suifit. 127.
s~t~ c est assez, ie ~ en peux plus. T.-C. dit de Ia , I
~ acatou aux propornons du nombre d'or que ses dim "
slon~ s?nt « modestes I). Ça suffit, asses, satis et « 111
de 1 abíme »,
. Superbe morgue. II fallait penser, comme l'inc 11
cient, bien sür, au nombre premier, et, consciemm "
pour Ie coup, dans Ies proportions du nombre d'",
QueUe morgue. QueI raffinement à Ia fino
Dans son titre en Iangue étrangêre, un cercueil mu
garde Ie dernier moto Quelle morgue.
9 décembre 19
Avant d~ lais~er froidement en plant cette pous
~umérologlque, re remarque ceci : il a détruit deux d
sms, II me l'a dito II serait arrivé à 129, autre impa I,
~erte~ (et.129 - 10 = 119 = 12(0) - I, etc.), mal
,mpal~ qUI ne resterait plus premier. Deux de plus et J
paradigme n'est plus premíer en sa lignée, il devíem
dívisíble par un autre que lui : ctisséminable offert à )
décomposition sans forme. ' u bénéficiaires? C'est Ia question du savoir que je
Ces deux-Iã me fascinent.
. Exclus ou détruits, ils laíssent Ia trace d'une interrup
non dans 1~contrat qu'il a.vait voulu passer avec lui
même, entiêrement avec lw-même si un tel aete e I
po~slble, pour.la formation de ce contingent ou l'insti
tutíon de Ia hgnee : garder tous les dessins tous le
restes, même Ie~ (plus ou moins) manqués, l;s avortés
les débris, Ies détritus, 11aurait donc reconnu que tous
Ies déchets ne se valent pas.
On peut dire des deux bannis qu'il ne les a pas gardés
cerres, les vouant ainsi à une perte sans nom et san'
sépulture; mais aussi bien qu'en Ies perdant poursauver
Ia, série en son nombre premier, il les a sauvés du
desastre ou de Ia pompe funêbre, de Ia fosse commune
ou de Ia sinistre exposition des cénotaphes.
Tout, enner sauf ces deux-Ià. C'est Ia conctition du
mort-ne. Qu'on regarde bien ces cercueiIs, il y a du
TOUCHES
rt-né dans cette histoire de coifin et peut-être dans
coifin lui-même, D'abord yannihi~ation .des deux
its n'a pas été sans reste. 11s en SOUV1ent et 11 en parle.
cartouche en garde Ia mémoire, 11 ne leur a I~ssé
une sépulture et aucun nom mais une date au moins :
et morts entre le 20 et le 21 (I) aoüt. 11 en reste des
oins, les 4 taches (ou maquettes) noires, les plus
pouillées, sans lacet «( cordons de poêle )1). Deux
, ntre eux, les deux premiers, sous calque, et l'un d'eux
lement, le seul des quatre, laisse voir les touffes de
I
il sur les cõtés, à l'intérieur du cercueil. Dans ce que
'appelle son cartouche il les décrit au passage comme
deux oisillons gris sans bec », Rien n'interctit alors de
nser que les deux exclus, comme tout ce qu'on exclut
général, se font représenter à I'intérieur de l'enclos.
Les deux forment-ils une paire? ou un couple?
nt-ils ou non partie de Ia lignée? En portent-ils le
om, et de quel droit? Ie poserai ~ a~ltre jour Ia !1lêm~
uestion quant à un cartouche en general: appartient-il
u non à I' « oeuvre II ? Est-il ou non à l'ceuvre ?
De Ia catastrophe généalogique, comment savoir si les
eux exclua ou le double rejeton banni ont été victimes
pose, et d'un reste-ã-saooir. Ces deux sont sublimes, les
plus subtils, le:splus subtilisés de: tous. en l~ur soustrac-
tion hors-séríe, nous les pleurerons à jamais. Les bords
de cette crypte s'en trouvent scellés,
Scellés par un hors-série dont I'extériorité a et n'a
pas Ia même fonction, relative, du hors-série-d~s-la-
érie qui revient au coifin princeps, et, dans sa swte, à
chacun des exemplaires.
I'avais été mis sur Ia piste de cette série de hors-série
« hors-série li par l'allusion de Gilbert Lascault à une
soustractíon analogue, dans ou hors L' Usage du Néces-
saíre : « Aux dix-neuf dessins, s'ajoute, exclue de Ia
série, produite à peu prês au mitan de Ia série, une .ving-
tiême ceuvre : il faudra revenir sur cette exclusion. ))
Et il y revient : « ••• un des nécessaires a été exclu de Ia
série. Ce nécessaire s'intitule Béant, s'ouvrant, ailleurs
dêclos, lu dans son bâillement : W. B. Yeats ... II (Remarques
 LA VÉRITÉ EN PEIN"II OUCHES 243
ptrsées sur L' Usage du Nécessaire, Revue d'Esthé-
ue, mars 1973. 11faut lire Lascault. Je date de cette
rence ma premiere pensée pour Títus-Carmel, et le
timent que ce nécessaire exc1u marquait Ia bordure
saire du Nécessaire même, le nécessaire - l'ex-
té, le contingent, « sauf' », « fors » - du Nécessaire,
M'hors-série ou le Fors-série. Le coup du sort, nom
pre : Lachésis. Le nom de cette fileuse, l'une des
i sceurs, rappelle « Le thême des trois coffrets »,
igne « le hasard qui se manifeste au-dedans des lois
issant le destin », Lachésis, tiens, e'est le titre du
sin XII dans L' Usage du Nécessaire! Ça suffit.)

10 déeembre 1977

li faut faire l'impossible. S'y remettre aujourd'hui.

u travail, bien sür.
Du deuil. Faire du deuil son deuil. C'est ee que j'ap-
lle faire l'impossible.
Pour lui d'abord (mais il a déjà réussi, non ?) et pour
20 ""úr 1975 oi en suite de lui. S'y remettre, s'allonger de tout son
I ng, s'étendre sans peur, sans p'udeur, sur le dos (qui
te alors invisible encore qu'il s'expose mieux, plus
veuglément, au miroir), dans le cotfre de bois, y faire
:11 aour , n trou - un peu le contraire de creuser sa tombe -
mme on enfonce sa tête, par quelques mouvements
refs, dans un eoussin un peu dur, lui donner son moule
t sa propre forme.
Mais pour se l'approprier, pour être sür de son bien
(le seeret caehé, le bien préeieux entre tous, le trésor du
ouveau Monde au pays des trafiquants de fourrure, les
lingit) il faut avoir de longue date, depuis toujours,
préparé ta chose. Par exemple, aprês beaucoup d'autres
bjets analogues dans leurs séries (boites, coffrets, boi-
tiers, parallélépipêdes, ligaments, garrots, lacets, liga-
fures, pansements, tissus, fourrures synthétiques, angles
droits et formes ovales, etc.), beaueoup d'éléments autre-
ment ajointés mais analogues dans leur disjonction ou
dans leurs réajointements partiels, il faut avoir conçu
et fabriqué, quasiment de ses mains, son propre cercueil.
 244 LA V~RIT~ EN PEIN
Travail de menuisier : i1 consiste d'abord à raffin I
P?~ le coffin sur toutes ses surfaces, à l'amenuiser,
dJ",,'!uer sa forme et son contenu (modele réduit et t I
réduite, ~e sont se~ mots, si réduite que le corps du d
p~ a disparo, ~ en reste que le mot et l'allusion 8\1
pratiques mortuaíres du Nouveau Monde).
. Supposons donc qu'il s'y soit mis. Ce devait être 111
jour, avant le 23 juin 1975, da~~ du premier des ln,
quelque temps. avant notre premiere rencontre : il m'
parlé du. paradigme et des premiers jets comme d'un
chose falte, en esqui~sant, si je me rappelle bien, 1
gestes de met"t!e Ia mam dans Ia poche. Avant le 23 iuin,
donc, reconstItu?ns le processus, il aurait conçu, c' I
le mot, le paradigme du paradigme. Un archi-premi I
d~s~JD, un ~ro~o-cercueil auraít-il donc procuré J
precedem de 1obiet menuisé? Son devis ? Sa devíse]
En tout cas, av~t le 23 juin, il dispose de ce qU'OIl
appelle un « ~odele ))de série. Une premiêre manipu
lation esset,ttI~e l~ aura permis de s'exhausser au
dessus de I'objet (d abord plus grand que lui puisqu'll
l'aborde en ~t~dant s'y mettre) jusqu'ã ce que celui-cí
soit assez ~nunué .pour qu'il le puisse manier, tenir
dans sa MaID. Touiours Ia surélévation colossale. Pre
mIere .levée du cercueil (íl aura été en1evé plus d
127 foís),
Enlevcments au cercueil.
Pensam à toures les ruses, à tous les artífices qui
s'.~ploi~~t dans l'ombre à cer enlêvement répété, je
~rals qu ti complote pour avoir le morr dans sa manche
SJDO~pour contracrer alliance avec lui : jeux de mains;
manege et mamgances.
Puis d'un toumemain l'empocher.
C'est ce qu'il appelle « mettre le modele dans sa
poche I).
Je cite ici un écrit dont il faut tenir un compre aussi
exact que possible. II s'intitule « THE POCKET
SIZ~, TLINGI.T COFFIN (ou : De Ia lassitude
consrdér~e comme mstrument de chirurgie) I). Ce document
reprodwt lors de l'exposition (il en fait donc partie):
OUCHES 245
d'abord publié avec l~ 12 graoures d~ coffin
udoin Lebon, SMI Pans, 1976) et consiste en
propositions ainsi classées pour votre spécu1ation :
'1 1.2. I 2.1., 2.2., 2·3·, 2·4·, 2·5· 13·1., 3·2., 3·3·,
.,3.5. Encore une série hors-série qui vient s'inscrire,
fois en douze, dans Ia série. L'acte de T.-C. s'y
pose ainsi comme acte d'écriture discursive, laissant
« acre >l, au sens de l'archive ou du document testa-
ntaire. II commémore, explique, décrit, raconte
I toire et Ia structure du coffin, mais de façon as~ez
ptique et iouée, assez fictive et assez peu reproductive
1 t un texte de plus et non une réplique) pour que
hors-d'eeuvre ne surplombe pas le coffin (le chef-
1 uvre) et en fasse partie au contraíre. 11est d'ailleurs
it en cours d'opération, pendant le pr?cessus. On
t donc lui accorder, en un sens assezstnct, Ia valeur
'un cartouche. 11en a tous les traits : carte (cartuccio )
table comme support d'inscriptions supplément~res,
exemple à même les cercueils d'empereurs égyptiens;
emble de traits renfermant un titre ou une dédicace;
eau elliptique autour des noms pr~pres ,de di~':lx
u de rois, avec des formules de devise, d armome,
blason.
Nous pourrons lire ce cartouche à Ia fois comme un
titre et une signature. 11 n'est pas étranger, même .s'i~
e s'y réduit pas,. au cartellino ou a'!. ca~te~. <;elW-Cl
eut identifier et ngner le tableau, qu il s y integre ou
non, qu'il s'isole ~u non d~ l'in;lage selon des confí-
IUfations topologtqu~ tres dive~es. Iean-Claude
Lebensztejn a propose une analyse nche. et n~our~se
du cartel, de sa structure et de sa fonction historique
dans un paragraphe (1.4) de son Esquisse d'une typologie
(in L'art de Ia signature, Revue de l'art, 26, 1974).
Le cartel qui nous intéresse ici n'est pas três éloigné
d'une signature, avec journal de bo,~d et ~e ~e Vls~te.
Qu'on le lise attentivement. Pour 1mstant Je n Y, releve
que deux traits. D'abord il s'ordonne au sous-~tre de
Ia chirurgie, à Ia violence du scalpel ou de Ia (e senngue.))
et au jeu de mains. Suivez ~ le texte le r~vai1
acharné sur le corps, en chair et en os. Ensuite le
signataire du cartel, Titus lui-même, y note, en lettres
 tA VÉRITÉ EN PEINTIJ
capitales, avec Ia promptitude d'un coup d'Etat (I
d'un coup de théãtre, entre 2 et 3 :
« CECI ÉTANT, METTRE LE MOD~LE DAN
SAPOCHE. »
Ce coup de théâtre est à Ia fois d'un théorême
d'un mot d'ordre.
II résonne au moins sur trois surfaces.
II décembre 197
Laisser le discours sur les trois surfaces à demain
Supposanr lu, ~ cette étape, le cartel « de Ia lassitude ... "
i'en extrais cecr :
« 3.1. [...] - scande /a journée de ses sorties.)
« Le poser lã et n'en faire qu'une bouchée, » 12 décembre 1977
(~pro.-nécroph~gie : à l'intention de ceux qut
auraient jugé force ou théâtral mon lever de tentur
sur Ies 120 JOurnées ...)
Revenír sur, sC;Spas, toujours, encore, récír/série,
Pro~esslon funéraíre et palindrome. Revenir : le revenu
de I usure, le revenant, l'hôte, guest, ghost. Le coffin
comme hõtel de passe. Ce que fait T.-C. revenant à I
charge (surcharge et décharge d'une piêce à conviction :
c0Il1Il?-ents'en débarrasser?) et revenant sur les li~
du cnme. II traque a~ssi un déterré, suit le sillage d'une
« ,épave )~.Dans ~e sillage du sillage, exultation aussi
d une veillée funebre, Finnegans Wake encore. Faíre
chanter les morts. Faire vibrer le sarcophage : sous le
charme.
~t les mots. Ce coffin grouille de mots illisibles, en
en~er ou en !D0rceaux nombreux. Le nombreux dort
enner, expo~e selon ses dimensions, joué selon ses
rythmes. Suivre les cadences du trait. Toute Ia série
des mots en or dont j'ai dü faire cas (mort, corps, hors,
fors, mors, corpse, sort, bord, retors, et ainsi de suíte).
, A propos du nombre d'or e~de Ia tétractys (1 2 7,+ +
c est 1 +2 +
3 +
4), 1anecdote pour reconduire
TOUCHES 247
tement vers le nom propre, pour l'induire de loin :
blique raconte que Pythagore aimait à se retirer
le mont Carmel pour y méditer, Retire aussi Les Rois.
ant de récits (en séries) sous-traités dans Ia crypte
on cartouche. II y suit plus d'un ordre. Et répercute
I plus d'une surface. Le travail de l'angle : il RECTI-
dans tous les sens : tue, fait angle plus ou moins
it, puis répare, restaure, ressaisit, puis de nou-
u, etc. Dette inépuisable jusqu'à échéance d'un
p de dés «( au fond d'un naufrage »). II faut redresser
e injustice, et réparer un torto
Les mots anglais en ce network, leur nécessité, tout
qu'on pourrait faire avec corpse ou rest (résidence,
'/'Os du corpse) ...
I
Pour dire ces trois possibilités, je n'exploite pas plus
ue 1ui une expression idiomatique fort économe en
n ellipse. [e décris une chirurgie équivoque.
Elle trouve sa chance dans Ia langue et programme
geste autant qu'elle se le voit prescrire.
I. II n'a pas seulement mis Ie modele dans sa p.oche.
11a exposé, enseigné, montré paI' l'exemple (paradigme)
omment, en général et en particu1ier, « mettre le
modele dans sa poche ». Le dominer, le jouer, le défaire,
lui faire échec au cours d'un simulacre de négociation,
par un marché de dupes, une manigance ou un manêge.
Mettre quelqu'un dans sa po~h~ : en faire so~ ~é
oumis (alliance - anneau elliptique - et assujetns-
ement à Ia fois) aprês avoir leurré selo,n l'acham~ent,
placé Ia chair en vue pour Ia capture d un autre animal,
Vaincre sa résistance à l'usure, être plus fort, ou plus
mort que lui, à l'occasion en faisant le morto
Oui, mettre quelqu'un dans sa poche, autant que
que/que chose : qui décidera si le coffin, si Ia Chose est
quelqu'un ou quelque chose, de quelqu'un ou de
quelque chose?
En ce premier sens, il a mis le modele dans sa poche
 I LA VÉRITÉ EN PEINTlI
P:U-c~9u'i! en a .fini a--:ec!u!-(feu le paradigme), ave
dignité ou son ntre principíel de modele.
11 en a fíni de plusieurs maniêres. Au moins quau
(ABCD).
I A. 11 a « produit )), quasiment de ses mains I
pat;adi~e. Celui-,ci n'était pas lã, en soi, avant t~lIl
operanon. T.-C. n est plus dans Ia situation du démiur
qui, ~ll1,lsle Timée, contemple un paradigme improduu
et précédenr, le programme de ses formes. L'opératíon
chirurgicale de T:-C. n'est pas une démiurgie. 11 m I
Ia ~am au paradigme et meme porte Ia main sur lUI
M~s d~ coup z: d'oü l'équivoque terrible du coup I
mam, I'impossible coup de maitre -, en « produisant
le paradigme, en se. do~1U!nt le. modele, en le priV8111
d~ sa transcendll?ce impeneuse, i! risque de se surélev r
luí, T.-C., en pere du modele « paternel ))mis ã mon
pêre du pêre, grand-pêre du fils, petít-fíls du grand-pêr
d~ soi-même l'aieul? etc. Du m~n;te coup, si 00 peu;
dire, tuant l~ paradigme, le .parnclde tue son produit,
~~trem~~t dit son rejeton, 11 le fait avorter (127 foi
l.mfantlCl~e)" et s~ propre paternité avec, ainsi sou
signée, Lignée brisée, plus de famílle, une série, une
se~le ~e serres sans commencement ni commandemenr
(ni sttck de commandement), sans archie ni hiérarchi
et ainsi de suite, (J'aimerais attirer ce discours dans le
I odêle (l~ fruit ou le pêre, comme on voudra) est
parages de Ia Chôra du Timée et de Ia « bâtardise » qui
s'y r~ppor~e mais [e dois faíre vite et court.)
• Nécessairement le mort se venge. Et le paradigmc
revient, il prend sa revanche. Le « modele » est toujoura
le revenant rêvé. La hantise ne lui survient pas elle
donne le premier pas. A Ia fin de Das Unhei';'Ziche
[i! faudrait tout citer co~e pour le choix des coffrets]
I Freud rappelle Di!!' Zerrissene de Nestroy : celui qui se
nent pour meurtner soulêve [aufhebt] le couvercle de
ch~que trappe e~ e~ voit surgir chaque fois le fantõme
I pretendu [vermetntZtche GespenstJ de Ia victime. 11 est
etfrayé ; « je n'en ai pourtant tué qu'un seul! ))
Le paradigme, disais-je, « à titre de revanche »,
B. 00 pourrait comparer (mettre en série) Ia série
du coffin avec toutes les précédentes, bien qu'elle s'en
passe fort bien aussi. Je me limiterai à La Grande
oueRES 249
neraie Culturelle (1969-1970). Ne oous précipitoos
vers le « symbole », ce cootingent de victimes
.ques ces victuailles encore érigées sur leurs
les ;' 59 bananes en ma?ere ,plastiq~e, feignant,
sibles, de copier le modele d une s01XllIlf:1eme o~
e premiêre (la « vraie », Ia « naturelle lI) qui poumt
tement, détumescence afftigeante offert~ .~u copro-
Igeaffamé. Le contingeot est de 60 (Ia moine des 120)
de 59 (nombre pr~er), + I, ou de 119 - I/~,.etc.).
fruit (qui est aussi le pere) « naturel » de Ia sene.est
décomposition, autrement dit en analyse effect1V~,
tique. La décomposition dure le temps de l'exposi-
n. Celle-ci donne le temps de .la re.marq?e,. d~
marquer Ia différence entre le frwt (qui serait amsi
pere) « naturel )) et les 59 « faux-fruits I) (qui se
emblent comme des frêres - faux-frêres - ou des
rs ou des fílles, comme 00 voudra).
qui se remarque ainsi, c'est. Ia différe~ce e~tre ~e
modele » et les « copies» (mais le modele fait déià
ie de Ia série exposée), Ia banane ( patemelle )).et
filiales, indistinctes, indiscemables, plus ou ~oms
onymes (j'écris ici sur un autre, cartel~. Mats, au
ment ou cette différence (modele/copie, « pere/
etons » dirait Platon) est le mieux marquée, le
talement pourri, décomposé, analysé, déchu. 11 ne
nctionne phis ; défunt {defunctus ) .temo~el,e ~(naturel ».
Les filiales ne soot plus des COpies, 01 d ailleurs des
riginaux. Ce seraieot ?es phantas;nata plutõt (copies de
pies sans exemple) SI Ia force d un ductus ne \,Ortalt le
reste au-delà de tout phantasme, au de1à de Ia signature,
u nom propre et même du nommable. 11 re~d c~m~te,
n sa contingence, de l'idéalité du modele. L'ld~sauo~
'élêve toujours, comme Ia fermentatlo~ de 1~~nt
(Geisr), comme un gaz, au-dessus. d'une décompositíon
organique. Déjã dans la Bananeraie ...
11 y a bieo quelque chose d' analogue dans l~ cootin-
gent des 127. Le paradigme, cette ,fOlS, semble echapper
u désastre, i! ne tombe pas en decompOS1tlO~.Aucune
débandade. 11 tient même le mort presomptif dans un
 LA VÉRITÉ EN PEINl I
état de rigidité constante, rigueur tendue par des Ia 11
stricts. La stricture est nouée au-dedans et au-dehoi
elle traverse ta paroi comme un lacet, une série I
lacets tirant dans tous les senso (Dans tous les sens, I
séries reviendront à entrelacer, et déjà dans les mot
series, lignée, enchainement et en grec seira, cor t
chaine, lasso, corde à noeuds). Mais il donne bt I
l'exemple et le lieu de Ia décomposition, des reste I Pour Ia banane, aucun doute : elle aura ete en situanon
reliefs; et il semble bien avoir Ie même rapport u
127 artic1es que Ia banane « vivante » aux 59 fauss
copies en rnatiêre plastique, encore que celles-ci soi 111
justement de matiêre plastique, en relief, et ceux-l
dessinés à plat. Et pourtant entre les deux séries, un
dissemblance pertinente. ] e veux dire qui touche. EU
touche justement Ia différence entre le modele (natur 11
et le paradigme (artificiel), dans leur rapport à I
production et à Ia décomposition. Modele « naturel "
Ia banane présomptivement paternelle n'a pas él
« produite » au sens « technique » du terme. Elle
décompose « naturellement ». Elle n'est pas faite pOUI
survivre aux filiales, sa détumescence est Ia débandad
du modele. Le paradigme « artificiel », lui, le coffin
géniteur ou générateur aura été « produit », en apparenc
du moins, et i! dure autant que ses simulacres. Marquant
le lieu de Ia décomposition « naturelle », supposé lUI
donner lieu en 1ui (restes en lui), il ne se décompos
~as. To~tes s~s ,mises en perspective dessinées (par-
tíelles, a Ia différence des bananes) Ie décomposent
peut-être en partie(s) mais il est fait pour ne pas s
décomposer, pour excéder l'analyse en son nombre
premier.
Or voiei du paradigme le paradoxe : en raíson de S8
prérogative même, et de cette autre histoire qui le
rapporte aux « phantasmata )), il est déchu de son
privilêge. Dês lors qu'il est construir, artifieiellement
bâti, il. s'inscr~t automatiquement dans Ia série, ni pIus
m moms qu un cartouche apparemment hors-série.
Ilfait partie du contingent et il est même plus homogêne
aux 127 que Ia banane exemplaíre aux 59 autres. Sans
doute reste-t-i! hétérogêne en raíson de son relief, de
sa matíêre, de sa singularité volumineuse, etc, Mais il
TOUCHES
l'est plus en tant que « produit ".d'une technê, ~,Io~
Ia banane, modêle (fruit ou pere) naturel I etalt
S9 simulacres. , ..
'ailleurs - et voilà ou ie veux en vemr aujour-
'hui - qui nous assure que le coffin de bois, (hyle,
l ou matiêre, petit madrier) aura été premser, ne
it-ce que dans le temps ? ""
turelle » de précéder to~tes ~es a~tres, toutes ,Ies
pies », On n'a pas bes~m d ~e in[éren~e., d un
ement, d'un témoignage discursif ?U d un recrt po~
n assurer. Dans le cas du coffin, 11 nous faut crotre
qu'en dit l'auteur présumé, Ti~s-Carmel. Seule
rlsistoire qu'il nous raconte en fait foi, et cette narraUon
oposée dans le cartouche dontje p~r.laís plus .haut~
I. I. à savoir que c'est le pent boítier de boís qui
nt en :ête de Ia production et servit ainsi de (~modele !)
I. I. Sous le titre générique de The Pocket Sise Tlmplt
offin est rassemblé ~ ~sez grand nombre de des~ms
I t vingt-sept préclsem~nt] ,ay~t tran au meme
odêle : i! s'agit d'une boite d aca}ou... »), , .
Or cette déclaration qui met de l'ordre dans Ia sene,
réeit qui scelle une irréversibilité appartient au
ouche. Ceci est un cartouche : i! met en ceuvre et
't partie de l'eeuvre en (s')y ins.crivant ~comm~) le
ure, Ia signature et le ~~~orma?f autob~ographique
u signataire (comment J ai •dessiné c~r~alns de ~es
rcueils). 11 raconte que le pere ~e la sene (le « m~me
odeie ll), par lui produit, ,celw, qUI do~e so~ ntre
• générique ll, à savoir un singulier collectif qui pour
tre singulier, comme un nom p~tr?ny~lque, n'~n vaut
as moins pour un ensemble généalogique - i! nous
raconte donc nous demandant de le croire, que ce
,
re-fils est l'unique « boite
d' acajou
. », etc, .
Maís rien aucune nécessíté strucmrelle et mterne,
dans Ia séri~ des 128 artic1es, n'interdit de considérer
la bolte d'acajou comme une simili-reproduction en~re
utres la matérialisation hylétique de tel ou tel dessm,
• telle' ou telle place de Ia série, ,v?ire, .apres tout, pour-
auoi pas, aprês tous, in fine. SI Je f~s abstraction de
l'ordre imposé (performé) par le srgnataire en son
 252 LA VÉRITÉ EN PEIN111
cartouche: .rien ne m~~terdit de déplacer les aru I
dans Ia serre, de considérer que Ia boite d'acajou "
oc~per. toutes les places, ~t n'importe laquelle,
meme titre que les autres simulacres. C'est d'aill \11
tentant : pourquoi n'aurait-il pas solidifié Ia chos
fin, de parcours, pour achever un monumenr ? ou à P ,
pres au milieu, pour en jalonner ou arrêter l'esqui
Le hors-série, dans ce cas comme dans celui des I
peut couri~, c'est ~ curseur, tout au long d'une II
à laquelle il apparnent sans lui appartenir. Il l'hab I
sans y résider, il Ia hante.
L'apparition du visiteur est innombrable i! sême J
arithmosophistes. ' D'oü l'instabilité dynamique, voire le double bind
13 décembre 19
La logique du cartouche vous déconcerte comm
celle d'une narration dont le site resterait improbabJ
Si je place le cartouche hors d'ceuore, comme Ia vérit
méta~l~n~stique ou méta-opérationnelle de l'ceuvr
sa vente intouchable tombe en ruine : elle deviem
exteme et je peux, en considérant le dedans de l'ceuvr
déplacer ou renverser l'ordre de Ia série réinsér
tranquillement le paradigme n'importe ou.' Même I
détruire comme les deux mort-nés comme les deu
fausses copies exclues. ' ncentre toute Ia puissance, il a tous les pouvoirs.
Si inversement je fais place au cartouche à l'intérieur
o~ sur le bord interne d'un cadre, il n'est plus qu'un I
p~e~e,de Ia performance générale, il n'a plus valeur d
v~?te surplombanre, L~ résultat est le même, le récit
reinscnt, avec le paradigme, dans Ia série.
Ou est passé le cartouche ? Il se vole lui-même. Plu
de récít, plus de vérité.
~a place p~ordiale du présumé paradigme, du
« pere ~)putatíf, n est donc pas inscnte à même Ia chose,
Elle nent à une performance de cartouche qui luí
soustrait d'une main ce qui se donne de l'autre en cett
ret?rse .chirurgie. I?ês. lors qu'un paradigme est « pro
duit », 11 peut aussI. bien descendre des « copies », d
pseudo-« reproductíons » filiales qui lui auront ainsl
TOUCHES 253
nné le jour. Si le cartouche introduit Ia possibilité
une perversion dans l'ordre même qu'il est seul à
rformer, i! ne s'agit plus seuIement de tentation,
mme je viens de l'écrire. Tout est mis en oeuvre
I ur que Ia perversion ou I'inversion catastrophique
iennent nécessaires. Elles sont fatales. Produit, le
radigme a dü être précédé de sa suíte, par quelque
sin ou dessein antérieur l'inscrivant d'avance dans
filiation sérielle sans commencement ni fin, sans
tre ordonnance que Ia phantasmatique d'un contíngent
tant (au-delà de Ia hiérarchie et au-delã du phan-
me).
ui tend ce coffin entre ses lacets, liant le hors-série à
érie, et ce que je vais dire du paradigme présomptif
ut aussi bien pour chaque I27e ou I28e du premier.
Tantõt, si modeste soit-il dans sa présentation, i! se
andit démesurément de son analogie avec les 127 au-
. Surélévation colossale, Magnifié, hors de propor-
on, incommensurable, il domine, ce minuscuIe, toute
scêne de l'exposition. Ie le vois plus gros que Beau-
urg, énorme. Plus grand que tout musée d'art
sique et contemporain. Vous êtes en lui, vous ne
voyez que lui, vous y revenez, vous vous répercutez sur
parois. Tous les dessins sont exécutés sur commande
à sa gloire. 11rayonne, le magnifique, il jette des feux,
L'espace politique se mobilise, dynamisé ou hiérarchisé
par Ia place du mort depuis laquelle il étend son empire
t gouverne hiératiquement, sans un geste.
Tantôt au contraire (est-ce le contraire ?) il se trouve
réduit à sa modeste apparence, presque ridicu1e,
infiniment petit au regard de toute Ia lignée, insignifiant
côté de chaque dessin mural et monumental. lnappa-
rent petit reste menuisé, résidu désuet d'une opération
qui l'a toujours dépassé, une écorce ligneuse et sans vie,
une peau tombée «( le petit cercueil Tlingit a laissé
sa [ses) peau[x) ... » conclut le cartouche), un pere, si
vous insistez, mais comme petit vieux diminué,
amenuisé, aíeul anonyme et oublié dans Ia grande
cérémonie familiale à Ia gloire du nom perdu. Délaissé
 254 LA VÉRITÉ EN PEIN] I'
(une ,vieille. c~auss~e, plus ou moins délacée). R
un pere qui vient d accoucher aprês avoir été gro I
tous les autres.
Ou encore, troisiême possibilité ou se rêgle l' écon 11I1
des deux autres : un hors-série (ou hors-la-Ioi) p til
d'autres, dans Ia loi de Ia série, ni plus grand m ri"
pent que tout un chacun, soustrait à toute hiérarclu
effet de série sans famille.
Effet de pêre : toute série secrête un hors-série I"
s'y perd à chaque récurrence.
14 décembre 19
Le parergon. La topologie du cartouche relêver 11
donc de ce que j'ai analysé ailleurs au titre du parerg",
(te suppíémenr du hors-d'eeuvre dans l'ceuvre), Br I
une sene que je ~~onque ICl : le co.ffin paradigmatiqu
le patron, le parricide auquel 11 donne lieu, le parergou
Le tour de force, Ia force du trair, dans ce cas : réduir
le paradigme, .Ie modele ou Ie ~(pa~gon (ce mOI
I)
attendaít depws longtemps son msernon en ces lieu )
à Ia pIace du parergon. Dans Ia même série, Ie pharmako I
et Ia bâtardise.
La question revient : comment cadrer un cartouche ~
Dans Le parergon, je rnettais légêrement au défi d
cadrer un parfum. J'ígnoraís alors La Reconstitutioe
olfactioe ...
Faire Ia part du cartouche, de cette écriture articu1é
à ~'expositio~, e~ qui vie~t attester que cecí, le petit
objet de bOIS, c est le pere, le premier et « même ~
m?deIe. Dês lors que c'est un cartouche mis en jeu ou
mlS. eTf (ZU'Ore, s~n ironie ne fait plus foi. On n'est pa
oblige de .le croue. et nen ne le prouve ni ne Ie donne
à percevoir, On sait - Freud l'a rappelé pour en tirer
quelques conséquences - que Ia paternité (ceei est
le pêre, dit le cartouche) est toujours inférée à partir
d'une sentenc~" d'une déclaration en forme de jugement.
Car Ia patermte ne se perçoit pas, ne se touche jamais.
C'est pourquoi elle n'est en aucun cas naturelle. 11 en
va autremenr, dit-on, pour Ia materniré,
TOUCHES 255
n ce sens le « phallus » « naturel » de Ia banane en
mposition serait plutõt à Ia place de Ia mêre. Dans
t mesure du moins, un tel cartouche n'eüt pas été
saire dans le cas de Ia Bananeraie, pas nécessaire
t à l'ordre généalogique. En príncipe i! ne viendrait
l'idée de personne de refuser à Ia banane naturelle,
discours, une certaine antériorité absolue, un rõle
précédent íncontestable, par rapport aux 59 filiales
nymes. L'intérêt ou le capital de ~ette histoire, .ce
I t pas qu'on puisse ou non douter d un acte de nais-
ce ou d'une reconnaissance de paternité, ni du
rtouche comme l'aete de T.-C. Mais ceci : dês lors
le cartouche ne fait plus Ia loi et ne peut prétendre
iter Ia vérité qu'en donnant lieu aux conditions du
ute, i! entre en série, comme un simulacre parmi
I utres. Fait partie de Ia série s~s paradigme, san~
re, le petit agenda de poche, le iournal de bord qui
de encore du modele ou du pêre. 11 transforme le
radigme en effet de paradigme (sans l'annuler, car i! y
a toujours). Supplémentaire, effet lui-même aiouté
u retranché, use ou I2ge (nous retrouvons un autre
mpte), le récit de cartouche sur le chef (le discours du
hef') s'exécute comme un morceau, un mors, une scêne
rmi toutes celles qui s'entrelacent ici.
Ie nomme cela le chef-d'(EU'()t'e, l'effet de chefferie
mme reste d'une mise en eeuvre, autrement dit en
érie, sans modele, sans précédent,
Ce n'est qu'un chef-d'(EU'()t'e (plus tard ils liront autre-
ment ces traits d'union; tout cela travaillerait en somme
u nom d'un trait d'union, en son nom), selon Ia généa-
logie d'un génitif perverti, le chef né de I'eeuvre.
a-t-i! du chef né? Chez les Tlingit?
Qu'est-ce qui fait tilt au moment ou je prononce
encere ce nom de tribu ? Ça raisonnera sürement plus
tardo
e 11a donc circonvenu le modele, i! l'a obligé à se
tenir dans une série ouverte/fermée conune une boite.
L'eidos rnême de modele, le paradigme du modele, le
paradigme du paradigme, il 1'a ainsi déioué pour le
mettre dans sa poche. A cette fin - ill'a du même coup
tini (fignolé, préparé, maquillé comme un défunt pour
 LA VÉRITÉ EN PEIN111
une derniêre mascarada de funeral home), achevé (/li
à.mort et cond~~ à ~on.terme, parfait), réduít (à pr 111
nen, à sa fin, à 1ínsignífianr, au tres petrt - tête réduu
d'un petit chef).
Çe tour subtilisant, il ne l'a pas joué à ce paradigm
m~s, ~e~plaIrement, au paradigme (en) général. I I
se I est joue en se le donnant car il n'est pas facile de '
I nceptuel -,
débarrasser. Me~tre dans sa poche, c'est garder mi \I
que jamars aupres de soi (voir à côté ou p1us haut p \11
Ia vengeance du paradigme mort),
C'~t pourquoi il y a toujours de l'idéa1ité dans 11
paradigme e~ dans so~ deuil non moins qu'ail1eurs.
T.-C. a fait son deuil du paradigme et son paradign»
du deuil. Le coffin contient les restes du coffin et I
paradigm~ 7't Ia sépulture du. paradigme, le mODU
ment funéraire de soi-meme qui De se contient plus 11
se tenir SI bien dans ses restes. Effet de fantôme. Ri 11
n:est plus étrange, plus inquiétant : il est lã sans être )
niplein ni vide de lui-même, et il se regarde. Sans
vou : on le regarde et il nous regarde mais il ne se v 1
pas ~out entier dans s~ glace ni dans aucune des repro
ductíons (T.-C. aura ignoré Ia superstition qui oblige
dissimuler les miroirs sous un drap dans les chambr
des mox;:s!. Et ~'?n:me il ~'y a plus de modele - SOIl
corps a ete subtilise -Ia sepulture (modele) du modêl
es~à peu prês vide. Je pense à l' ldée d'un parallélépip~d
sonde en deux (Grand Cénotaphe n° 1) (1971).
.o. Comme tout cercueil, celui-ci garde et détruit à !tI
fois Ia garde ~t Ia destructi,?n de ce qu'il garde et détruit
Toute oraison à son sujet doit dODCrester dans un
réserve, et sur Ia réserve : l'ironie, l'équivoque, 1
masque de l'acteur, l'hypocrisie et le demi-deuil sont de
l~ partie, T.-C., pêre pius ou moins naturel du para-
digme mOIt~né, met le ~o~ele (( dans sa poche », li
monumentalise ce dont il signe alors Ia disparition, il
marque Ia déchéance de ce qu'il institue (le pêre et 1
fils à Ia fois). L'acte de T.-C. ironise. Et comme un
cercueü-modeíe peut s'ouvrir et se fermer sur Ies rest
d'un cercueil-modêle, l'ironie exemplaire se met en
botte elle-même.
Ie cite ici Jean-Marc Tisserant. Avant le Coffin, en
TOUCHES 257
74, il écrivait : « ••• le même s'altêre de revenir au
ême dans un écart qm' se trace - et écart est le palín-
me de tracé -, ceei par le jeu d'une distante qui
, t pas seulement mise à l'écart ou mise en botte de
Idée originale en tant que príncipe transcendantal
critique du modele comme substratum intemporel et
mais encore ironie d'elle-même.: »
( .T.-C. ou le procês du modele). On lira Le procês du
dele pour comprendre Ia structure et Ia généalogie de
qui se passe ici, mais aussi bien comme une partie
arergonale) de l'ceuvre de T.-C., et non des moindres,
même comme un ensemble série! dont l'eeuvre en
uestion ferait aussi partie dans une sorte d'entrelace-
ent sans commencement ni fin, Ia partie pouvant
uiours, voilã une leçon de cette chirurgie, comprendre
tout. Par exemple : tout se passe comme si Ia mise en
Ite du paradigme, cel1eque vous croyez avoir sous les
eux ou dans Ia main, venait accomplir Ia formule pres-
'te dans Le procês du modele, l'achever, le matérialiser
ussi - en bois (hyle) - dans une ultime allégorie. La
ormule ironique ((mise en boite » viendrait de prendre
rps(e), un autre; et une fois déplacée, entralnée
ailleurs, el1e se met d'el1e-même en boite dans son
allégorie, toujours dans un autre cercueil, Ia sépulture
e l'autre. Elle avait été d'avance nommée, désignée
dans Ia langue (mise en boite) par un roya! tisserand
(celui du paradigme dans Le politique de Platon, avec
les entrelacs qu'on peut y suivre en série). Dans Ia
mise en boíte comme mise à mort du modele, le corps(e)
disparu mais il n'est pas absent. Une fois empoché ou
emboité, incorporé, il rend le travail du deuil impossible,
U lui fait faire l'impossible. Et le fantôme se venge, il
multiplie ses apparitions. Dês le deuxiême jour, le
couverc1e se leve (en lévitation, un peu comme tous les
autres, en vol, en l'air) : démontage rigoureux pour une
effraction, sur épreuve, le 24 juin 1975.
En quoi l'allégorie est-elle ici plus conséquente? Elle
Ivait déjã commencé, les boites, cassettes, coffrets ne
manquaient pas et Ie (( procês du modele » était bien
engagé en tous ses éléments discrets. Le supplément de
conséquence tient à ceei, qui contient jusqu'à l'abime :
 258 LA VÉRITÉ EN PEINI
Ia boite .elle-mtme. es: mise en botte. Elle n' en pa
reste, mise en boite : un reste et une mise en boite,
Qu'est-ce que l'emboiternent d'une boite?
Ie dois y aller d'un autre récit en ce cartouche
de Ia bolte d'allumettes. ' pparemment le coffin n'est pas une boite d'allu-
15 décembre 1I
. L'histoire ~e Ia boite d'allumettes est indispen ",
SIon veut bien comprendre le deuxiême sens d I
devise « mettre le modele dans sa poche », Ce deuxi 11I
sens s'est trouvé réalisé, incorporé. En conséquen
2. Lors de notre premiêre rencontre (mais sans d 111
nous connaissions-nous déjã), T.-C. me parle un V II
à Ia main, du coffin. C'était, me sernble-t-il 'aux aJ 11
tours de juin-juillet 1975. La chose devait êtr: menui
déiã, et Ia procession en marche. Je fais alors allusion
p'omp!'sfunêbre» et à certaines séquences que j'en av I
régulierement greffées ou retournées dans Glas 111
début (page dix-huít) à l'avant derniêre page. ' yez par exemple le rõle de Ia chamiêre dans L'Usage
(Ayant explíqué pourquoi, à l'artic1e de Ia mort l
pudeur n'était plus de mise pour un cartouche, je ci~
« Au moment du « coup de théâtre », dans Pompes Fun
bres, quand on « glisst;' II le cercueil dans le catafalqll
- ((escamotage de Ia b,ere ))- avant sa réduction com,
le cercueil de ( Sainte Osmose II (/ettre fictiv; sur 1I
Légende Dorée puhliée en italien) en botte d' allumettes II ',1
mort de Jean se dédoublait en une autre mort », Le Jem
mort dont on bande le cadaore... II et à I'avant-demiêr
pag~ de Glas entre le « dais de l' oil révulsé et le « lait d
I)
deuil cacheté I) : I( Comment fait-ü ? li est prêt. li a toujoun
eu son cadavre sur lui, dans sa poche dans une boll
d' a//u~ttes. Sous Ia main. Ça s'a//u:ne tout seul. C"
~a't: 11se sent Jaire obstacle à sa mort, c'est-à-dire lu.
pet}t tnoant, à Ia suréléoation sublime, démesurée, san
taille, de son colasse. I1 n'est qu'un détail de son double d
moins que ce ne soit /e contraire. Toujours plus, avec ~t/
mors: qu'a'fJe~le tout de l'autre. Faim de Ia pulsion. »)
L ass~atIo~ coffin/boite d'allumettes parait asso.
nécessaíre à Titus-Carmel puisque dans son cartouch
OUCHES 259
11 Ia « chirurgie »), il cite Pompes funêores en note
ans ma poche, Ia boite d'allumettes, le cercueil
u cule ... »).
elle nécessité, par lui retenue, oblige à insister.
nes, ni même un cercueil bien identifiable en Occi-
I, et sans doute ailleurs. 11 ne s'ouvre pas, autrement
par effraction, et ne contient aucune allumette,
de ces petits corps de bois couchés côte à côte,
ndant de prendre feu et fiamme entre vos doigts. Et
rtant. Dês lors que le cartouche sur Ia « chirurgie »
premiêre page, associe dans une note, cartouche de
touche, le coffin à Ia boíte d'allumettes, Ia contiguíté
t partie de l'eeuvre sérielle, Elle lui appartient au
ins comme un parergon.
r enfin qu'est-ce qu'une boíte d'allumettes ?
arallélépipêde semblable au coffin et à peu prês de sa
ille (si on le destine à Ia cuisine), Ia boite d'allumettes a
. de particulier qu'elle ne s'ouvre pas, comme tant
, utres coffrets, selon l'articulation d'une charniêre.
11 Nécessaire. Ici, pour une fois, une boite s'ouvre ou e
rme en glissant dans une autre, qui n'est autre qu'ell -
me. Une bolte ouverte sur le haut s'embotte dans un
utre boíte, Ia même, ouverte sur deux côtés, aux der-
a res extrémités. La fermeture hermétique rompo
deux ouvertures, elle se compose des deux. La boh
décompose - en deux boítes indépendantes; t
'emboíte elle-même (se met en boíte) dans cette décom
ition. Or quand on glisse le cercueil dans le cal
que, on procede à un ernboitement de ce genre. Ceu
. e en boíte de Ia boite forme bien, dans Pom
lunebres, l'un des multiples mouvement inducteurs I.
up de théâtre, aprês celui-ci, qui préparait les ch
plus loin :
« ••• Je me demande pourquoi Ia Mort, lesstars de cini""
,. oirtuoses en voyage, les reines en exil, les rois banni ,,"
1m corps, un visage, des mains. Leur Jascination tIl nt
d'autre chose que d'un charme humain, et, sans trOI'/'
I'mthousiasme des paysannes qui ooulaient l'aperceoo«
Ia portiêre de son wagon, Sarah Bernhardt aura;' ,
 260 LA VÉRITÉ EN PEINT\l
apparattre sous Ia forme d'une petite boite d'allwmfl
suédoises. Nous n'étions pas uenus voir un visage nu«
Jean D. mort ... »
Car Ia.~cen~se passe aussi « dans Ia salle de Ia Morgu
« quand J allai le uotr a Ia Morgue », Morgue de Ia lit:
rature cette fois.
Autre inducteur précédent « Ia comparaison » ave ,
boíte d'allumettes, le fait qu'auparavant le narrarem
l'autre [ean, avait « une mainfermée au fond de sa poch« ,
I'autre s'appuyant sur une baguette flexible ... »
Troisiême inducteur, le plus proche et le plus déci I
sans doute, le glissement d'une boíte dans une autre d
cercueil dans le catafalque : ' ucher, dans Ia phrase, Ia (( boite d'allumettes »,
« On glissa le cercueil dans le catafalque par une 0UfJ
ture ménagée à l'une des extrémités. Ce coup de théâtr ,
I'escamotage de Ia biêre, m'amusa beaucoup. »
La ((comparaison » ne se fait plus attendre longtemp ,
elle s'impose au paragraphe suivant :
« Machinalement je mis Ia main dans Ia poche de mil
veste et j'y rencontrai ma petite boite d' allumettes. EII
était oide. [...) - C'est une petite botte d'allumettes qu
j' ai dans ma poche.
((II était naturel que me reotnt à ce moment Ia compara;
son qu'un jour aoait faite un gars en prison, me parlant tUJ
colis permis aux prisonniers :
« - T'as droit à un colis par semaine. Qu'ça soye UtI
cercueil ou une botte d' allumettes, c'est pareil, c'est un
colis. »
Puis, aprês le passage cité par Titus-Carmel, ceei qu
m'intéresse par l'erreur signifiante qui s'ensuivit dana
ma lecture, et qui ne fut pas induite par hasard :
« J'accomplissais dans ma poche, sur Ia botte caressée par
ma main, une cérémonie [unêbre en réduction [... ] Ma bott»
était sacrée. E/le ne contenait pas une parcelle du corps tU
Jean, e/le contenait Jean tout entier. Ses ossements avaient
Ia taille des allumeues. [...] Toute Ia gravité de Ia céré-
monie était amassée dans ma POCheou venait d' avoir lieu
le transfert. Toutefois, il est à noter que Ia POChe ne
posséda /ama,is aucun caractêre religieux [... ] sauf qu'en
parlant a Brik, quand mon regard s'attacha à Ia braguette
reposant sur Ia chaise auec Ia lourdeur des bourses qui
roucHES 261
tiennent les couilles dans les costumes florentins, ma
m lâcha Ia botte d'allumettes et sortit de ma poche. »
Mon erreur, donc, on en comprendra vire le méca-
me, consista à croire longtemps, tout à l'heure
ore, que Ia poche était d'un pantalon.
16 décembre 1977
vais-ie mal lu ? Apparemment oui. Le narrateur dit
ans Ia 'poche de ma veste ». Mais l'écriture dérive
tement vers « Ia lourdeur des bourses » qui vient
hive écrite et publiée de ma précipitation, ce passage
Fors (que je cite encore sans pudeur, il traite des
I'fUlremra) ou, à propos du travail de Nicolas Abraham
Maria Torok sur le deuil, le fantôme, Ia crypte,
I'introjection et l'incorporation, etc., je situais Ia poche
des bourses :
IILa crypte est peut-être ce contrai avec le mon, Le
ryPlophore s'engage envers le mort, il lui laisse, paur
l'ouoerture du crédit, une hypothêque en soi, un gage dans
If corps, une POChekystique à Ia fois .visible .(effronté~) et
crête, lieu d'un plaisir thanatopoétique qUI peut toujours
rfPTendre [eu. D'oü le double désir, Ia contrad~ction mor-
,,118 assignée par toute crypte. Pour garder Ia Vle et mettre
" mort dans sa poche (dans une ((botte d' allumettes » pré-
'sem les Pompes funêbres de Genet ) , ilfaut lui rêseroer ce
liIu cousu prês des pudenda, cette piêce rapp,ortée ou se
tient le plus précieux, l' argent, le titre ou l'actum au taux.
" plus éleoé, Prise aussi pour le chantage de l'autre, ~el"!
fUi laisse toujours sans ressource lorsque ~an~ Ia nuu, a
chaque toumant, à l'angle de chaque rue, ti tnen: menacer
IIn désir : Ia bourse ou Ia vie »,
17 décembre 1977
Rencontré Genet. 11 me dit que ce fut d'abord un
événement ((réel », il avait vraiment cette boite d'allu-
mettes dans sa poche à Ia Morgue, devant le cadavre de
 LA VWTÉ EN PEIN II
son ami, l'autre [ean, J.D. Pompes funebres est déd
~ean Decarnin. La. dédicace appartient au cartouch I,
livre. Comme le ntre et Ia signature, l'exergue l' 1'1
graphe, l'épitaphe. Ou s'arrête un cartouche? '
. A relire le cartouche des 12 gravures, je n'arrive p
situer Ia poche, peut-être une troisiême, Ia po h
rev?lv~! (non, c;est improbable, à cause des cigarett
mais l'idée de I arme ne me quitte plus) : « ••• omm
pr~ent, cet insupportable coffret, à portée de Ia m 1\
tap~ dans l:a po~he entre le paquet de cigarettes et I
peUt ca1epm notr ... »,
Donc, ne pas se tromper de poche, entre Ia sienne
celle de l'autre.
18 décembre 197
Qu'est-ce qu'une boite?
Revenir sur l'emboitement. La série: emboitement I
d~1?oitement. La boíte d'allumett~ comme obiet d
sene par excellence, en attendant mieux. D'autres trair
pertinents, mais aussi bien contingents, emboítés dan
Ia même « comparaison )) cercueiljboite d'allumett
Le coffin, retour de Ia poche-revolver, reste une arm
autant qu'un étui à munitions. Parade offensive et
défensive. L'art martial de Titus. « Nécessaire d'armes •
au~t q'!e de voyage, disait-il de L' Usage du Nécessair ,
ICl ~. boite d'allumettes est une arme à feu. On peut
Ia diriger contre les autres, faire usage des petits cylin-
dres de bois, tout prêts à prendre feu et Bamme ou •
e~ploser (prês de Ia tête, Ia leur), des cartouches. Ou
bien contre Ia boíte elle-même qui peut vous sauter entre
les mains, une poudriêre,
N on p~ un poudrier (les os en poudre, les accessoires
du maquillage pour Ia toilette du mort, le petit miroir
mco11?oré au ~~itier) mai~ une poudriêre : suicide, le
paradigme suicide se renre en se faisant sauter. 11
saborde. Fuit le ci-devant modele. Feu (sur) le para-
digme. Il-füt.
TOUCHES
19 décembre 1977
eu le paradigme. Travail d'artificier. Armes à feu ou
rves de cartouches, s'il y en a dans le contingent de
tes les formes, de toutes les tailles, sujets à des
hmes (Plus ou moins « fast ))) et à des calibrages
1 bles, passer de l'idée de contingent à celle de
noplie. ., ..
uis à l'idée de canon. Tous les canons, associes lCl de
n réglée (canonique) ou nono Faire comme si le
n tenait, en laisse, un discours sur le mot canon,
I ves dans toutes les directions de l'homonymie ou de
ynonymie. La musique et les. mathématiques, .Ia
rgie, I'imprimerie, Ia paléographie sont de Ia parne,
ainsi de suite. De l'autre cõté, tous les sens du canon
mme tubulure (voir les sept rubriques du Littré). De
t en blanc, comme dans Le sans de Ia coupure pure, Ia
ve.
Qui veut-il saluer ?
20 décembre 1977
Qui veut-il sauver? Et qui de cette opération se
rera sain et sauf - lui ?
L'armement. L'art de Ia balistique. La cartouche. La
e traçante. J'avais noté plus haut : il« éjecte Ie p3!a-
igme », Oui, comme ~e, cartouche ~Ide, une do~e
u en chute libre et legerement oblique, le premier
;ge d'une fusée (sol-solou sol-air) : ça tombe s~I0D:Ia
rrajectoire d'un vol dont elle rapporte le film (negatifs,
uleurs, radiographies, etc.). Ou encore : auparavant,
se serait projeté, en l'air, catapulté par étages em-
boités comme Ia fusée d'une jouissance féminine. Le
paracllgme de lancement reste au sol, sur Ia rampe.
Etudier Ia structure du LEM.
 LA VÉRITÉ EN PEIN"l1I
21 décembre I te quelque cartouche supplémentaire, un parerg.on,
La grande exposition sur fond noir : pleins feux SUl I
chose. L'arsenal de Titus-Carmel. Mais ce n'est 1
tout. La panoplie touche encore autrement au feu elt.
'lia de toutes les maniêres, T.-C. joue aussi, d~s 1111
cartouche, avec le feu, avec le feu du foyer (« césure I
flammes qu'est le foyer [...] feu de l'action, du drame. J
mlrOlr... comme ... chaud-central ))).
Le foyer familial n'est pas nommé, bien sür, mais (11
peut librement spéculer, dans le miroir, sur une histo I
de famille, une (sombre histoire) ))entre parenthês
II
c?mme le demier mot de l'affaire, au plus proche de I
signature,
Rien de moins familier (unheimlich), dans ceu
panoptique, qu'un foyer de foyers. Cendres et cav
de famille. Le foyer devenu crématoire, toute une eu
sine de l'incinération, par exemple pour « cette br
chette curviligne avec ses deux oisillons »,
Travail en série : usure et consumation achamée. L
reste,n'en ~t ni f?T~d".it (selon un art qui prétendrait
Ia presentanon ongmaire de Ia chose, à Ia production d
présence pure, sans trace de doublure et sans passé) n
reproduit ou représenté (le ci-devant paradigme aura ét
enlevé : leoée du eercueil). Ce qui reste d'une évaluation
~ori~n~e ou d'une pensée II classique ))du reste aur
été réduit en cendres et de cette opération historiqu
nous gardons néanmoins plus d'une preuve monumen-
tale, au moins 127.
21 décembre 1977
11~.tiré toutes ses.cartouches, jusqu'à épuisement des
munmons. (La pente orpheline du conte d' Andersen
meurt au petit matin, dans le froid, aprês avoir épuisé
Ia boíte d'allumettes.)
. 11y a du reste de cartouche, parce que Ia dissémina-
non des cartouches (en tous sens, en tout genre) n'épuise
r ueHES
un total. 11 n'y a pas de total des sens et des
r (masculin/féminin). Toujours une boite dans Ia
'ce que nous dit le mutism~ du coffín, e~ en lw le
ple d'oisillons sans bec, Touiours une boite hors ~a
t • Fors Ia boíte. D'oü Ia nécessité de volerlec~rcu~il,
que fois et chaque fois autremen~ Cette nécessité
inserire à même Ia II chose » et à meme le cartouc~e.
'en viens ce matin au troisiême « sens » de Ia devise
ettre le modele dans sa poche ))).Je l'~ppelle. devise
e qu'on Ia lit dans un cartouche, mais aUSSlparce
, lle va nous donner à déchiffrer, lentement, un
on. , I S
. Mettre le modele dans sa poche, c est le vo ~r: e
proprier en un toumemain dans des condi~ons
teso Question du titre : s'il a inscrit « Pocke~ Size »
le titre au-delà de toute sorte de bonnes-raisons, le
I à Ia tir; d'un pickpocket doit guetter Ia lecture à
I' gle. .
Ductus inimitable du pickp~cket~. son ;x~r.cl,ce q~o-
ien son expertise, Ia force singuliêre, 1agilité furtlv.e
so~ trait (de génie), répétant (Ia. transgression doit
re répétée pour commencer) Ia pire et Ia p1us fatale
scélératesses : vo1 et viol de sépulture,
Dans une phase déterminée du deuil, 1es~ome~t~ ~e
'omphe (impérial), Ia jubila~on, l'explosl0n. libidi-
e : je connais quelqu'un qw vécut ~ tel triomphe
promenant toute une nuit, dans sa vouure, 1ecercueil
sa mêre fraíchement déterré - ou l'abattement,
uand on baisse les bras, on laisse tomber Ia chose~
u'on reprend le lendemain dans l'exaltation pour lw
onner toutes 1es couleurs ou pour Ia restaurer, parer,
éparer dans son intégrité invulnérable. ..
Tous ces m0Ill:ents, et d'autres, .écriv~nt le~ histoire
ur les 127 dessins, Ils en déploient I archive synop-
uque,
Qui signe le vol ?
Et de quel nom, propre ou commun ? Et si le nom
lui-même était ici l'enjeu du voI?
Cartouche, 1e nom du grand vole~., Nom. pr<?pr~ou
nom commun ? Cartouche a bien laisse une ínsntunon,
266 LA VÉRITÉ EN PEIN 1I oueRES 267

Ia mise en commun de son nom propre; mais celut

avait sans doute des origines communes; et cette [n j

tution d'héritage, ill'a payée três cher dans son c I

Que signe un Cartouche?
Et un Titus-Carmel ? 11 se signe devant Ia proc ••
de l'autre. Mais il y en a touiours, de l'autre, et
n'assiste pas à des obsêques, Un cortêge de reven 111
vous entoure de toutes parts, ils vous provoquem I
vous pressent, depuis les Triomphes de Ia Mon I
Quattrocento [usqu'à The Triumph of Li/e de Sh 1\
[« ..• here the true similitudelOf a triumphal pageant...
ee... But mark, Jww ehained to the triumphal chairil',
mighty phantoms of an elder day - 11).

22 décembre 19
Le voI de 127 coffrets mortuaires. Sur le Se, à Ia d I
du 21-7-75, il a laissé des empreintes, les paumes de
mains, et une carte de visite qu'il faut déchiffrer
l'envers. Chaque cotfret situe l'archive d'un vol, il donn
lieu à un voleur. Titus-Carmel et les 127 voleurs. 1.
deuxiême iour il soulêve un couverc1e. Revoir, plu
tard, Das Motiv der Kiistehenwah/ (le thême de: tro,
eoJJrets) d'un bout à l'autre. Réinterprétation général .
Une autre syntaxe. Histoire d'alliance et d'héritage
Leque1 des 127 contient le portrait? Or, argent, plomb ,
le sceau du plomb muet, du plombage (plomb-sur-
plomb) et du plombagineux dans le eoffin.

23 décembre 1977
Ceci est un cartouche. Dit-il, Je n'ai pas seulement
un cartouche, [e le suis. Ceci est mon cartouche, c'est
moi qui l'ai volé. Ceci est mon corps, le corps de mon
nom.
Un titre, un nom propre, une signature s'inscrivent
sur un cartouche. Par exemple « The Poeket Size Tlingit
Coffin I), Comment l'a-t-il arrêté ? Pourquoi et comment
s'est-il arrêté à cette contingence devenue nécessaire?
 268 LA VÉRITÉ EN PEIN II TOUCHES
oncé nominal (un nom et trois attributs emboítés,
cun fonctionnant différemment) et três singulier.
des attributs (Pocket-Size ) sont des noms com-
uns, l'autre un nom propre (Tlingit). C'est donc une
e de nom propre (singulier générique et familíal),
i un nom propre emboitant en lui-même un nom
pre (Tlingit), le nom d'une famille étrangêre, le
m de l'autre.
Emboitement supplémentaire et abyssal : Tlingit
nommepas seulement Ia familleou Ia tribu de l'autre,
t aussi un nom étranger dans une langue déjà
gere, l'anglais, doublement étrangêre, pour les
Ungit et pour Titus-Carmel : double insertion vio-
te, par colonisation, dans le titre comme dans Ia
lombie britannique. Doublement étrange : une
gue étrangêre encryptée dans une autre, e1le aussi
rangere, déjà, et le tout dans un nom propre.
Qui devra devenir três familier : écoutez, répétez,
essez les surfaces, les angles, les bords.
The Pocket Size Tlingit Coffin : tribut payé à une
ibu étrangêremais étrangement familiêreaussi : Titus-
el en connait les maurs (le coffin comparé à
amulette, cette fois, du Shaman) et les masques. Et
fétiches.
L'autre jour, [e suis tombé en arrêt devant Ia crypte,
21 juillel 1975 e de son nom. Gérard est bien français, mais Titus-
el unir, d'un fragile,'ruptible trait d'union partout
I'oeuvre (en particulier dans ses Cryptiques et ses
DImontages), deux noms d'allure étrange, sinon étran-
re, et, en supplément, étrangers l'un à l'autre. La
eville est fragile. Ça pourrait boiter, ou mal s'em-
Iter, dans un trait d'union qui s'en tire três bien au
te, en fin de compte : dans le chef-d'eeuvre.
J eux furtifs mais têtus des initiales dans Ia nomina-
on cryptique. T.-C. : initiales de Tlingit Coffin. Et
fois deux syllabes autour d'un trait d'union
. e. Les deux noms s'emboitent bien l'un dans
'autre. Les dimensions du cercueil sont bonnes pour
nom propre (dimensions « modestes », prétend-il) :
Tlingit Coffin, Titus-Carmel. Les bordures angulaires
ussi : deux fois deux consonnes (TS-CL, TT-CN)
 LA VéRITé EN PEIN1 li
aut0ll! des 2 X 2 syllabes. Les consonnes durem. 1/
foumíssent Ia charpente ligneuse, osseuse, l'ossatur
les ossements,
Ie vous laisse maintenant spécu1er avec toutes I
lettres .(en particulier les T, les CIGIT) qui repo to
tranquillemenr dans le cimetiêre alphabétique de
ntre : 26 lettres, ni plus ni moins. Comptez le titre
avec lui, en mesure.
Cependant, je l'imagine : pendant plus d'un an, I
caresse le nom dans S3 poche, le nom de l'autre le i 1\
solide, au carré, en entier dans son nombre d'~r, r
tant aussi, étranger, rétíf, d'oü l'impatience, le décour
gement, parfois, le meurtre et Ia réparation. N om I
nivore ou sarcophage, nom propre dans Ia langue 11
I'autre, avec l'arbitraíre d'une généa1ogie, Ia nomin
tlO~ 9u'on ne peu~ ni choisir ni se réapproprier. Recom
posmon ou récapitulation interminable d'un récit dali
l'acte de T.-C. Palindrome, anagramme, nécrose I
régénérescence, Les cendres. Les oisillons sont phén
ciens,
24 décembre 197
Tenir le compte, faire cas, dans ce carnet de bord,
~e ,toutes les Iettres de son nom, de Ia mise en [eu
lJt!eralement, du corps de son nom. Dans sa poche, i1
Jn1S le coffin à Ia place du « petit calepin noir »,
A ce que j'ai dit. hier, ajouter ceci : TlingIT amor
un .palindr<;>me,à Ia rencontre d'un autre T plus ou
mOIDScrucial, Dans les 15 Incisions Latines, à l'artic1
Lucrêce, le nom Titus se lisait à I'envers 2UTIT. Seul
un S aura souffert au moment ou le corps du nom
retourne dans Ia tombe.
. ~t. puis, encore, le ruptible trait d'union, visible
IDV1s1bIe,dans une fragilité qui dé-monterait tout
l'ceuvre, curseur
.'.,
met en pieces et rapiece autour d'un trait d'union dom
.
et rupteur à Ia fois. 11 monte et démonte
i1 signe : ceei est le corps de mon nom. Et mon nom
compre le même nombre de lettres, c'est encore crucial,
et bordé par 4 consonnes, dont les deux médianes, autour
TOUCHES
trait d'union justement, sont les mêmes (S-C), que
11 de JésUS-Christ (5 - 6). On peut lire encore
I 6 = II ou 5 - 6 = - ,I.
oute l'arithmétique du coffin s'y récapitulerait. Juste
t « CECI ETANT, METTRE LE MODELE
NS SA POCHE » (Ia poche de qui au fait ?), son
ouche avait évoqué à propos, semblait-il, de tout
tre chose, « La crucifixion d'lsenheim de Manhias
rünewald ».
i je dis que le trait d'union n'est pas seulement
emblême, une devise, un sceau, un blason ou une
oirie mais le symbole, c'est pour rappeler que tout
mbole est stricto sensu un trait d'union, rassemblant,
1 n le sumballein, les deux morceaux d'un corps
agé dans le contrat, le pacte ou l'alliance. Le balis-
ue retentit tout prês du symbole dans Ia langue.
Le mors. 11 mord sur Ia série - exemplairement. Qui
ord sur lui. Toujours un « ceei est mon corps » à se
ettre sous Ia dent, pour « n'en faire qu'une bouchée ».
à laisser fondre, si vous n'aimez pas, comme lui,
oquer : un lot de 127 hosties. J'en prends note à cette
te : un ca1endrier peut toujours être fictif; Ia chrono-
logie des dessins est ici sur Ia touche, el1e vaut ce que
v ut l'espace d'un cartel. Le principe d'ordre jamais
'est intangible.
ler janvier 1978
La déposition de son titre - comme de cartouches.
Le titre - Cartouches - au pluriel, dans toutes ses
portées, Ainsi, par exemple
1. Ceci - ce texte, si vous voulez, cette série déjà
intitulée Cartouches est (je préfêre dire reste) elle-même
une série de cartouches. Le titre décrit Ia forme, Ia
nature, Ia structure ou Ia pIace du texte : voici des
cartouches, ceux que je suis.
 LA VÉRITÉ EN PEIN 111
2. Cartouches (le texte ainsi intirulé) traite de 1II
croit de cartouehes en tous sens et en tous genres (JlIIII
masculin et/ou féminin, propre et/ou commun
noue l'entrelacs du et/ou). Ce titre définit done de \11
croit l'objet eontenu dans le texte, l'ensemble irr 111
tiblement pluriel des objets traités et contenus : VIII
des cartouehes, eeux que je montre ou auxquels j'ai tr I
3. Les obiets (d'ailleurs abjects) ainsi traités, h
sont pas seulement les ehoses nommées cartouch
mais les noms eux-mêmes, et de surcroit si vous avez ,
attentifs, bien des mots assoeiés, des eorps entiers "
des moreeaux de mots, des reliefs de sens ou de leu.
eeux que je dis ou écris.
4. Cartouches donne à remarquer que tout titre
lui-même un eartouehe, pris dans Ia structure (par I
gonale) d'un cartouehe. C'est là qu'il a lieu et il n I
marque pas seulement par un énoncé descriptif 1111
définitionnel, plutôt par un performatif, et d'un gem
bizarre, une performance sans présence, sans production
de soi qui ne se déboíte aussitõt d'un écart.
5. Cartouches se remarque done en eette performanc
voici, je suis moi-même cartouehe et cartouehe(s)
pluriel, je signe dês le titre, je me signe à mort et m
réduis au premier chef, eapitale et tête réduite.
6. Cartouches ne remarque done pas seulement 1
lieu du titre eomme lieu de Ia signature. Sa performan
singuliêre (comme le cí-devant paradigme, comme 1
série, c'est un hapax, il n'aura eu lieu qu'une foi)
intitule et signe à Ia fois : elle, il, je signe, done nou
signons Cartouche (s) .
7. Les six traits préeédents peuvent eneore se décom
poser. La marque du pluriel (s) reste, de surcroit, entr
autres ehoses et supplémentairement, signe de rappel
pour Ia multiplieité sérielle 1,2, 3,.4, 5, 6, et même 7
Celui-ci, le 7, s'augmente aussitõt, par-dessus le marché
d'un pouvoir de capitalisation en abime. Il produit une
TOUCHES 273
-value sans fond. Il peut se remarquer pr que à
tini.
[e viens peut-être de déerire Ia série intitul The
lut Size Tlingit Coffin. Du moins dans sa tru ture
érique, autre façon de dire que tout re t fi ire.
Ire affaire, et Ia sienne, dont il se tire três i 1\ t ut
1.
as de eartouche sans « enroulement» ur oi,
lindre ou spirale. Ce que je viens de dessiner h m -
uement, de décomposer plutõt, e'est un mouv 1\1 nt
, roulement et d'emboitement, de déroulement 1 de
boitement. Il faut les penser ensemble, ch li" e
ant et s'ouvrant sur lui-même mais se dé \li t 1\1
I ce fait selon un éeart sans cesse répété, s'alt r 111 I
détériorant. L'autre, le double, le diable est di" I
lte. Imaginez un cylindre dans un cylindre \I li,
manuserit ou un dessin roulés dans un cart li. 11\
rallélépípêde dans un parallélépipêde, puis d
uches dans un étui à munitions, une boite d' li.
ettes, Vous ouvrez, fermez, ouvrez, trouvez
Le jeu de supplément, Ia répétition de I'écart I II
\I aller à l'infini, ou presque, à moins que d'un « ça Sulll
vous ne laissiez un beau jour Ia série s'arrêter, à t 11
te, à tel artic1e, par exemple au I27e, pour sceller I
rypte. . . ., . dé idé d I
Que je laisse mtacte pour vous, ear J ai eci e e n
as toueher, vraiment.
2 janvier 1978
Ils attendaient une description : de feu le paradigme
er de toute sa suite, artic1e par article, et même de Ia
érie en hiatus qui les isole à tout jamais l'un de l'autre.
Archipel, insularité absolue, e~ les bras ~e ta mer ent~e
tous ees petits eercueils. Mais le connngent e~t fait,
puis exposé, dans sa ehance et dans sa nécessíté, pour
e passer superbement (quelle morgue) de tout diseours.
 274 tA VÉRITÉ EN PEINTll
Comment expliqu~r que sur le marché et en soi (si VIIII
msisuez po~r d!stmguer), un chef-d'~uvre n'ait pu
passer en lui-même d'un cartouche discursif, d'un d
criptif, fút-il signé de l' « auteur » en son privilê
Et de quel pouvoir tient-il ici le privilêge P Comm 111
l'expliquer alors qu'il reste, par fonction de défunt
qui aura pu s'en passer (pas de cartouche, plus de I
touche) sans être jamais touché, compris ni même efHe I
par les assauts d'éloquence, aussi impassible et inv 1I
nérable qu'aux harcêlements du trait? C'est peut- I
qu'il était déjà dans Ia tombe, le cartouche.
Et le descriptif. Si j'avais voulu décrire, j'aurais d I
rencontré, outr~ les o,bstacles .empiriques qu'on p II
imagmer, les difficu1tes canomques de Ia descripti 111
dans lediscours sur l'art. Or celles-ci s'affectent, en ,
cas umque, de complications supplémentaires m I
essentielles. En voiei une demi-douzaine.
I. Tous les (( arts » sont mis en oeuvre, en ceuvr
séquentielle, les arts de Ia parole non moins que 1
autres et quel que soit leur titre de noblesse dans J
classifícatíon traditionnelle (menuiserie, couture, serro
rene, scu1pture, architecture, dessin, peinture, litt
rature, théâtre - une piêce en 127 actes - et [e n'exc1u
pas ia musique, et ses canons, au rythme d'une march
funêbre accompagnant Ia procession). Essayez de décrir
2. Les 127 articles sont en eux-mêmes une sorte d
mouvement décr'it, trajet de station en station, et décri
vant (désécrivant aussi). Le coifin, l'article définissant
Iui-même. Mais celui-ci, selon le palindrome de l'ex
posmon, ne prend sa valeur que de ia description appuyée,
recommencée, insistante en ses écarts. 11 faudrait don
décrire cette singuliêre description d'un obiet qui, en
toute certitude, n'existe pas sans Ia description et ho
d'elle, Chaque description décrit I'objet et elle-même,
autant que son rapport à un autre article; dês lors e11
requiert toujours un supplément descriptif. Aucun
~che. technique, .aucun catalogue ne s'en acquitter
ramais, par pnncipe. Pas plus que l'auteur lui-même
dont le cartouche descriptif, exergue dans I'eeuvre, vient
compliquer l'objet de ses associations, points de vue,
contmgenees phantasmatiques, ete ..., même s'il entend
OUCHES 275
(( ce qui unporte... par-delà les fantasmes ». La
tte de l'auteur, eomme Ia mienne, sont aussi indescrip-
1 . Personne ne sera jamais quitte devant ces restes.
suffit pour aujourd'hui. Je m'aperçois, en datant,
Ia période pendant 1aquelle je tiens ee carnet de
rd coincide, selon l'anniversaire, avee l'époque de son
e, si on peut dire : du ler décembre 1975 au
lanvier 1976, aucun dessin. Ni production, ni repro-
ction. Abstinence complete. C' est aussi le moment
l'exposition, chez Templon, d'un premier 10t. 11s'y
et en janvier, c'est le 5ge (60 - I : Ia Bananeraie,
0/2).
Lot : chance et nécessité bien partagée de ce vocable
nt j'aurais da me servir pour gagner quelques signes.
""tingem fait une procession trop longue pour dire à
prês Ia même chose, moins bien : pas de ehance
partager avee le contingent.
Quant à ((carnet de bord », je le voulais initialement
mme titre, surtout à cause du T muet, à Ia fin, et de
uelques autres associations appropriées, mais un jour
décembre, j'ai eu Ia ehance de lire sur un agenda édité
The Metropolitan Museum of Art ia description
uivante, pour l'image de Ia semaine : ((Box in the shape
if a cartouche. Rising slightly abooe the gilded background
Df this uooden box are applied ebony and painted ivory
f,ieroglyphs which render Tutankhamun's personal name
nd his regular epithet : « Tut », ((ankh », « Amun », « ruler
Df On of Upper Egypt »,
7 janvier 1978
Quand Ia date elle-même devient le lieu d'une crypte,
quand elle en tient lieu.
Sauront-ils jamais pourquoi j'inscris ceei à telle date?
Coup de di.
On a dit aussi le date (Ia chose donnée, le datum).
1Iy a ia date d'aujourd'hui, dont ils ne sauront jamais
rien de ce qui y fut donné à vivre - et retiré,
 IOUCHES
277
LA VÉRITÉ EN PEIN 1I

La date elle-même tiendra lieu de crypte, Ia seul 1"

reste, fors le ceeur.
Dater se dit, en droit, du lieu d'écriture ou de i I
ture pour l'engagement, le contrat, Ia missive, le t I
ment. Qui saura jamais d'oü je date ceei, aujourd'h II
même ? 11y a le don (es gibt) et il y a aussi ce qu'au] 111
d'hui je n'aurai pas pu donner. Et que donc je v \I
garder mieux que jamais.

8 janvier I

(Accélérer le processus aujourd'hui, finir avam I

9 janvier et pas un signe de plus. Coup de fi} : I
maquene du coffret, pour le catalogue et les reprodu
tions, serait déjà prête.)

3. Chaque assaut descriptif, cbaque 127e est enti I

Unique, discret, suffisant. Ie ne peux pas m'abim I
dans l'ana1yse patiente de chaque artic1e. Série uniqu '975
d'uniques: Yhiatus chaque fois maintient et rature, dan
l'entrelacement sériel, Ia référence à l'autre (j'ai propo
ailleurs d'appe1er ça une sériature) et à l'autre de l'autr
Comment décrire ce pli de Ia référence interne ou cit I
tionnelle? De cette grammaire transformationnelle]

4. A l'intérieur de Ia structure générique que j' I

tenté de formaliser (elle n'est déjà pas simple) le simu
lacre de référence au ci-devant modele s'affecte de pli
ou d'écarts supplémentaires.
Quatre exemples (ABCD).

A. Tel dessin ne prend pour « modele» qu'un autr

dessin, celui qui le précêde immédiatement et s' appliqu
à le copier, comme s'il n'y avait que lui au monde et ç
à faire.

B. Tel autre (du 5 octobre, le mois le plus fécond,

comme s'il préparait Ia fête des morts, autour de son
anniversaire) exhibe des cordelettes (( réelles » : elles
n'appartiennent pas à l'élément du trait et, venues de
 278 LA VÉRITÉ EN PBIN II
l'écheveau utilisé pour Ia boíre d'acaiou, c'est CODUlI
elles greffaient, cousaient, reliaient un morceau
paradigme, selon une sorte de synecdoque en rei
sur le corps de l'autre; et de surcroit en traversanr
calque I et même le support.
C. Tels autres sont composés de plusieurs d 111
ou fragments de dessins dífférents, réajustés ou sup'
posés, mettant en cause jusqu'à l'unité de chaque arn
et l'entamant dans sa décomposition même. , e Ia maio dessus. J'essaierais en vaio de typer,
~ surimpression des reliefs - avec des effets chaque It
singuliers - cIasser ~ussi le [eu des calques (ils li"
disposés par-dessus 1altuglass, recadrant ou reecifll"
les angles de perspectíve, étendus aussi comme 1
linceul trensparem), les collages, les agrafes cc réell
~ s~chage en palimpseste de supports dé;à COUV I'
d écriture (le 27 mars sur un papier à en tête d'un MI
d'Hammamet - le rôle des occasions saisies en tuu
ceIa).
D. La référence morcelée, fragmentée, non se I
ment aux éléments (eux-mêmes toujours décornp,
sables) de eet!e série, ~~s d~ tant d'autres. Un exempl
seulement. :.1 ovale d o~ler, mstrument de torture 1><"1'
les deux oisillons tombés du nid et sacrifiés à Ia broch
cite à comparaitre, par sa forme, le O de Ia série H.I.O.
(C( O : Encercler, cerner. Noyau de résistance. Maneeuv,
afio de briser le charme [cercle magique] I)). III
J'interromps aussitôt un discours appelé par .
C( charme », par ce mot, et par toute cette séduction ti"
mort au nom de Titus-Carmel.
J e passe de IA aux cordelettes (lacets, liens, tres
cordons, fils, filets) qui se multiplient, dansent et '
dressent parfois comme les serpents au-dessus de I
Tête de. Méduse, pour composer ailleurs les figur
les p~us diverses (entrelacements souples ou tenue rigid )
esquisser, mterrompre ou rappeler tous les mouvemenl
possibles - ou disparaítre, tomber dans le Iacs.
5· Comment cIasser tous les usages de ces cord
Iettes, tous Ies sens selon Iesquels elles prennent ou
JUCHES 279
nt prendre ? La structure en souple filet (netsoork ),
r eau vous met au défi. Mais non sans vous avoir
I serré dans un Iabyrinthe. Tant de laniêres, tant
I es.
op à dire ici, je renonce. Elles sont, comme le
, A PRENDRE OU A LAISSER de toutes
res.
I décrivent d' avance tous les mouvements par
eis votre description tenterait de s'en saisir et de
nomie, les discours dans lesquels je me prends ici,
puis un certain temps ailleurs. Au moins trois :
Un discours sur Ia strieture : elles sont tendues pour
) bander le mors, serrées plus ou moins strictement,
deux cõtés, pour tendre le fantôme d'un double bind
lui tendre ce piêge selon des (C clés lI, qui ne vont pas
serrure. Même laçage dans d'autres séries et, au-
uns, autour des deux corps embrochés en miroir.
, Un discours sur le lacs, le laçage comme stricture
Ir laçant le dedans et le dehors, le dess~s et le des:
Ia droite et Ia gauche. Cette traoersee de Ia paroi
'ix points dans ce cas) disloque, une f~is mise en
vre, toutes les jointures rassurantes du discours sur
t toutes les limites autorisant au cadrage, toutes les
rdures de propriété. J'en ai tenté ailleurs I'ex-position,
ropos d'une autre série de véhicules à, p~endre ?u. à
er, à rendre plutõt, pleins de lacets défaits et d ceil-
traversés, les chaussures de Van Gogh.
y. Un discours sur Ia série: non pas Ia série de cor-
lettes, mais Ia cordelette ( series ou seira) comme figure
nyme de l'entrelacs sériel (je me rappelle maintenant
l'éponyme donne le nom A une année). Avant son
lêvement ou sa mise en terre par les croque-morts
rdes pendantes puis tendues à craquer), avant même
u'on puisse y reconnaitre quoi que ce soit (cc franges I),
filets de bave ))ou (C cordons de poêle lI, propose 1'0r-
nnateur des <Euvres), ceIa sera resté, traversant chaque
'anche (chaque table, chaque tableau) I'emblême de Ia
280 LA VÉRITÉ EN PEIN'I\I
sériature. Supplémentarité d'entrelacement (aussi 111
entre les 3 diseours ci-dessus) ne laissant aucun r I"
au typos, au parangon, et à Ia description. Le supplém "
transforme et détache. Les deux à Ia fois.
6. Aucun repos non plus pour une classification.
coffin, on aura remarqué qu'il n'assure au reste au
repos. Pas même le dernier, celui de Ia derniêre demeui
Toute généalogie revient à classer et on connaít, cen
le goüt de l'auteur pour Ia taxinomie. On pourrait d< 11
être tenté de ranger tous les articles de Ia panopli
d'exposer Ia panoptique en tableau. A entrées mul
tiples, avec des fils d'Ariane entrelacés. On s'orienter I
ainsi, selon au moins six perspectiues :
I. Suivant les techniques (fusain, erayon plus i \I
moins gras, mine de plomb, instruments à bricol I
coller, agrafer, trouer, calquer, gouaches, aquarel1
le crayon blanc aussi et Ia gomme).
Mais ces techniques se croisent, se surimpriment,
parasitent, et ce sont aussi des matiêres, et il utilise I
support comme moyen technique.
2. Suivant les perspectioes (certains angles sont pr
vilégiés et forment des familles de sous-types, des profil
de profils).
Mais Ia loi du déplacement se déplace elle-même,
quelle « vérité II ordonner ces prises de vue? 11 n'y
que des perspectives sans référent hors-perspectiv ,
Qu'appellera-t-on « face lI, « profil )l, surplomb, dessu
ou dessous, gauche ou droite, d'un cénotaphe ? L'orien
tation d'un corps propre n'y fait plus Ia loi. Au fond,
c'est un coffin sans core, sans noyau central et organi-
sateur.
3. Suivant les supports (grande variété de papiers,
ils sont de taille, de va1eur, d'épaisseur et même d
eouleur diverses).
Mais il n'y a pas seulement du papier, il y a des mor-
ceaux empruntés à l'écheveau du paradigme ligneux
(est-ce du support ou non ?); et Ie support, qui n'est en
1< UCHES 281
I " ipe ni le fond ni Ia figure, participe souvent de l'un
de: l'autre, de l'un et de l'autre; il est parfois troué,
y r é, déehiré dans sa solidité de substrat, défoncé
me 1e eercueil qu'il supporte et qu'on ne peut plus
lrer.
li' uivant Ia présence ou l'absence de certains traits
r exemple les coffrets dessinés (ou fabriqués) avec ou
cordelettes, avec ou sans miro ir, avec ou sans
ue (se voiler Ia face devant l'impossibilité de décider
u premier chef, le calque est un trair, un fond, une
re, ete., ou de quel élément il releve), avec ou sans
ature (lisible ou non), etc.
Mais le nombre des traits n'est pas délimitable,
cun est le re-trait de tous les autres, il cite, classe,
rit une autre série, et surtout Ia hantise fait Ia loi,
b ent insiste plus qu'un autre, obsede, assiêge, avec
I 1e sans (trait d'union : unth-out).
5. Suivant les dimensions (les cadres ont beau les
aler, il y en a de tous les calibres).
Mais nous avons vu pourquoi le plus petit est plus grand
ue 1eplus grand, annulant ainsi sa propre conséquence.
6. Suivant les rythmes (les dates, les accélérations, les
entissements ou les plages vides, le groupement des
us-séquences typées durant tell~. période, etc.).
Mais ce serait se fier à l'ordre d'un recit dont Ia logique
u cartouche a situé le piêge, Et les rassemblements, avec
'r de famille, se font aussi par-dessus de longs inter-
valles. L'unité d'une période (d'un détour) est indéter-
minab1e.
LE coffin sera donc resté i,nclassable. Chaque arfi:c1e
uvre un jeu de cartes perforees pour Ia transforrnation
de l'autre, qui lui-rnême ... et ainsi de suíte.
8 janvier 1978
Tombe, dans le lacs.
 LA VÉRITÉ EN PBIN I1
8 janvier
.Ce qui ne s~ laisse pas classer, on ne le cadre 1'1
Ailleurs, depws longtemps, Ie [eu du cadre, du q I I
et des cartes et de Ia charte, dans Ia díssémmatíon
Ie Spiege/spie/ du « Quadriparti )) ou du « Cadr 11
(Geoiert ) .
Mettre son nom propre, à commencer par le 9"1"
dans ma poche, tout ou partie.
Le jeu du trois et du quatre. Ne pas oublier les tabl
et qu'?n .ne peut pas tabIe~ sur un cartouche, ni compt
sur lui ni compter avec lw. Ie me rappelle Ies difficuh
de Kant entre les tabIes et le parergon. Ne pas oubll
davantage : 3 x 4 = 12, et 3 + 4 = 7.
.Tiré à part, le faire-part de deuil. Cent-vingt-
fois comme une salve de missives bordées de nu I
Ça s'envoie, quelqu'un ou quelque chose, et à 01
même, pour se faire part du legs qui cent vingt sept fUI
vous aura tous couchés, et moi-même, ainsi de sul!
S'envoyer le reste, voilà le désir, et son impossible. J
~ss~e pet.It t~u;ours n~ pas revenir, ne pas arriver, 011
missive, m meme I'émissaire,
Étudier Ia structure du LEM.
,~e cer~eil volant, co~e moyeo de transpon
oéhicule, disent les rhétoriciens, tous terrains. 00)'
vérifié : coque de navire (ou « épave ))),fusée (quand ell
s'enterre un peu aprês Ia chute), feu, eau, air, terre, I
enfin -
8 janvier 197
Une sorte d'ascenseur, avec ou sans câble parachute
Avec ou sans cordon ombilical.
ueRES 283
I 9 janvier 1978
ÇA SE CORSE - NE PAS TlRER TOUTES
FICELLES.
10 janvier 1978
I [outerai : et ne pas mettre toute Ia gomme. Atteris-
impossible aujourd'hui. . .
ntraitable : l'ombilic de ce coffin, de celui-ci, de
cun retiré en sa crypte. On a beau le fouetter, les
I res laissent une marque mais ne font rien. Tant de
es. Le bloc du coffin, fermé co~e ~ .dictionnlÜ!e
t Ouvre à l'article laisse. Laisse, dit-il : - voir,
'r~ - tomber, - pour compte, - en héritage (lais).
ien~tous ces mots en laisse, plus ou moins tendue, plus
I moins lâche, à chacun sa chance et sur sa fino J e
n e à Ia Cêne et au treiziême à table.
II janvier 1978
Inclassable. Pas de sépulture sans rangement classi-
toire sans série ordonnée, sans tabulation. Autrement
, t le ~arnier. Le coffin circule, curseur et rupteur,
it d'union entre le cimetiêre et Ia fosse commune.
classe ne manque pas, c'est le moins qu'on puisse
re, el1e est à l'eeuvre (ordre, série, lignée, chronologie,
. omie, rang, rangée, rangement, avec et sans hiérar-
ie), Mais ce qui n'en releve plus et dont e~e ne ~e
leve plus, c'est peut-être le sort. Le s~rt qui lui est fait,
ort qui lui est jeté, celui qui en est [eté,
On ne pourra plus le m~ttre .en nomendature, cata-
~e ou table de classifícatíon, j'aurais du moms voulu
y employer. En tabIe d'opération peut-être, et encore,
ais sans leçon d'anatomie. ,..
C'est à l'exposition en tableaux qu il aurait fallu,
. même, dire nono Mais de toute façon, aura-t-elle eu
eu ? et ainsi de suite, etc.
 LA VÉRITÉ EN PEIN II OUCHES 285
11 janvier 11/

Bien entendre Ia chance et Ia nécessité d'un

suffit ». C'est assez, mais sans satisfaction; et qUI
sature -. Rien à voir avec Ia suffisance ou l'in. 1111
sance. Le verbe suffire ne t'apprendra rien sur un t I
suffit »,

L'inouí du coffin: le 11 juillet (il en avait fait 111 P 11

et 16 grands), devant Ia chose retournée en tableau 1111,
sens dessus dessous, les quatre fers en l'air et reill
grands ouverts, Titus-Carmel a dü murmurer, si j' ,
tends bien, « ça suffit ».

11-12 janvier 1j

Ainsi du reste - et autrement.

'Iuteur devant un détail de La Grande Bananerai« culturelle Le • m " I
en décomposition dans I'angle droit, au-dessus de Ia tête.
11 juil//I

• Th« Four uaso" Sticks •

lei un des Summer Stick: QUX deux bOUlS, nouês,
286 LA VÉRITÉ EN PEIN I1 OUCHES

• 20 Variations sur I'idée de détérioration " Dessin XII .

• .17 Exemples d'altération d'une Sphere " - Neuuiêm« altération .

• 18 Mau.ol~c. pour 6 chautl'curs de taxi new-yorkais •

- Mausolit Mod.Jto H~rnande% N° 3-

PBINTURB
288 LA VÉRITÉ EN PEIN I, TOUCHES

I( L' Usage du néccssaire N - Lachesis IV .

• L'Usage du nécessaire ••- Lion, émir cornu d'un Toe, rime Noil, 1971.
 LA VÉRITÉ EN PEIN 11'
RESTITUTIONS
de Ia vérité en pointure

eUÇjA:) eUIT3ÇJ:JUJ eUTIT

à I.-C. ..... sztejn

« POINTURE (lat. punctura), sf.

Syn. anc. depiqilre. T. d'imprim.
Petite Iame de fer qui porte une pointe
et qui sert à fixer sur Ie tympan Ia
feuille à imprimer. Trou qu'eUe fait
dans le papier. T. de cordonnier, de
gantier. Nombre de points d'une
• IS lncisions latines - Lucréce (détail), chaussure, d'une paire de gants. »
Littré.

« Je vous dois Ia vérité en peinture,

et je vous Ia dirai. II
Cézanne.

« Mais elle m'est si chere, Ia vérité,

le chercher à faire wai aussi, enfin je
crois, je crois que je préfêre encore être
cordonnier à être musicien avec Ies
couleurs. » Van Gogh.
 Et pourtant. Qui disaít, je ne me souviens plus,
I n'y a pas de fantõmes dans les tableaux de
Gogh »? Or nous avons bien là une histoire de
tõmes. Mais il faudrait attendre d'être plus de deux
ur commencer.

- Pour appareiller plutõt, et même plus de trois.

- Les voilà. Je commence. Quoi des chaussures?

i, des chaussures? De qui sont les chaussures?
quoi sont-elles ? Et même qui sont-elles ? Les voilã,
questions, c'est tout.

- Vont-elles rester là, déposées, laissées à I'abandon,

.ssées ? Comme ces chaussures apparemment vides,
cées, attendant avec un certain détachement qu'on
e et dise, qu'on vienne dire ce qu'il faut pour les
nacher?

- Ce que je veux dire, c'est qu'il y aura eu comme

La premiere partie de ce «polylogue. (à n + I voix - féminine) a été pubb
dans le numéro 3 de Ia revue Macu14, à l'intérieur d'un ensemble intitulé Mamo
l'appariement d'une correspondance entre Meyer Scha-
HtideKJer e lI!. souliers de yan GOl? J'y prends prêtexte d'un essai de Meycl Iro et Martin Heidegger. Et qu'ã prendre Ia peine de
Schapiro pubhe dans le meme numero de Maeu/a, sous Ie titre «La nature _, rmaliser un peu, elle reviendrait, cette correspon-
co~ ~b)eI persontul •. 11 s'agit d'une critique de Heidegger, plus prêcisêment de
qu il ~t d~ cha!,ssures de Van Gogh dans L'origine de I'/l1UVred'art. L'article de ce, aux questions déposées à l'instant.
Schapiro (a p~rl1tre en traduction aux éditions Gallimard), dêdié à Ia mémoire d
Kurt Goldstein (.qui le premier, dit l'auteur, attira mon anention sur cet esstl
[~'origitu de I'lZufJ1'~d'arl] prêsenté dans une confêrence en 1935 et 1936.), parut
- Elle y reviendrait. Reuenir sera d'une grande
d abord en 1968, 10 Th« R.ach of Mind .. Essays ir! memory of Kun Goldun« rtée dans ce débat (portée aussi) si du moins il s'agit
(Springer Publishing Company, New York).
e savoir à qui et à quoi reoiennent certaines chaussures,
294 LA VÉRITÉ EN PEIN II ITUTIONS 295
ut-être les chaussures en général. A qui et à quoi,
onséquence, il faudrait, s'acquittant d'une dette, les
tituer, les rendre
Pourquoi dire toujours de Ia peinture qu'elle
d ? qu'elle restitue?

s'acquittant d'une dette plus ou moins fantõma-

ue, restituer les chaussures, les rendre à qui de droit;
s'agit de savoir d'oü elles reoiennent, de Ia ville
hapiro) ou des champs (Heidegger), comme des rats
quels je m'avise qu'elles ressemblent (quel est alors
mme aux rats de ces rats ?), à moins que ce ne soit
tOt à des piêges à lacets guettant le promeneur en
in musée (pourra-t-il éviter de précipiter le pas pour
mettre les pieds ?); s'il s'agit de savoir quel revenu
uit encore leur déréliction hors d'usage, quelle
u -value déchaíne l'annulation de leur valeur d'usage :
s du tableau, dans le tableau et, troisiêmement,
mme tableau, ou pour Ie dire d'un mot três équivoque,
leur vérité de peinture; s'il s'agit de savoir quel pas
revenant, citadin ou paysan, vient encore les hanter
lhe ghost 01 my other I », l'autre Je de Vincent le signa-
e, suggêre Schapiro citant, mais Heidegger le fait
si ailleurs, Knut Hamsun); s'il s'agit de savoir si les
haussures en question sont hantées par du fantõme
sont Ia revenance elle-même (mais alors que sont,
ui sont en vérité, et de qui de quoi, ces choses ?). Bref,
revient à quoi ? A qui ? A qui, à quoi restituer, rat-
cher, réaiuster justement

- à quelle pointure [ustement, sur mesure, adéqua-

ent

- et d'oü ? comment ? s'il s'agit du moins de savoir,

venir sera d'une longue ponée.
Ce que je veux dire, c'est qu'il y aura eu correspon-
ance entre Meyer Schapiro et Martin Heidegger.
L'un dit en 1935 : ça revient, cerre paire, des champs,
du paysan, et même de Ia paysanne
 LA V:áRIT:á EN PEIN W
- d'oü tient-illa certitude qu'il s'agit d'une pair ,
chaussures ? Qu'est-ce qu'une paire?
- Je ne le sais pas encore. En tous cas, Heide
n'a aucun doute à ce suiet, c'est une paire-de-ch \I
sures-de-paysan (ein Paar Bauernschuhe). Et ça rev "I
ce tout indissociable, cette chose-paire, des champ I
du paysan, voire de Ia paysanne. Heidegger ne rép» ,I
pas ainsi à une question, il est sür de Ia chose av 111
toute autre questiono Semble-t-il. L'autre, pas d'aco I I
du tout, dit aprês müre réâexion, trente-trois ans pl\1
tard en exhibant les piêces à conviction (mais sans '11
terroger au-delâ et sans poser d'autre question) : D 11
il y a erreur et projection, sinon tromperie et faux-tém I
gnage, ça revient, cette paire, de Ia ville
- d'oü tíent-il la certitude qu'il s'agit d'une pair« I
chaussures? Qu'est-ce qu'une paire, dans ce cas 1
Ou dans le cas de gants et autres choses semblables ?
- Je ne le sais pas encore. En tous cas, Schapiro n'
aucun doute à ce sujet et n'en laisse paraitre aucun. 1I
selon lui, ça revient, cette paire, de Ia ville, à du citad 11
et même à tel « man 01 the toam and city )), au signatalr
du tableau, à Vincent, porteur du nom de Van Go li
aussi bien que' des chaussures qui semblent ainsi le com
pléter, lui-même ou son prénom, au moment ou I
reprendrait ainsi d'un « ça me revient » ces objet
convexes qu'il a retírés de ses pieds
- ou ces obiets creux dont il s'est retiré.
- Ça ne fait que commencer mais on a déjà l'im
pression que Ia paire en question, si c'est une pair
pourrait bien ne revenir à personne. Les deux chose
pourraient alors, si même elles n'étaient pas faites pour
le désappointer, exaspérer le désir d'attribution, d
réattribution avec plus-value, de restitution avec 1
béaéfice d'une rétribution. Défiant le tribut, elles pour-
raient bien être faites pour resrer-lã.
lTUTIONS 297
Mais que veut dire dans ce cas rester ?
Posons en axiome que le désir d'attribution est un
r d'appropriation. En matiere d'art comme partout
S. Dire : ceei (cette peinture ou ces chaussures)
nt à X, cela revient à dire : ça me revient par le
iur du « ça revient à (un) moi », Non seulement : ça
nt en propre à tel ou telle, au porteur o.u à Ia por-
«( Die Bõuerin aul dem Acker trãgt d,e Schuhe ...
Bãuerin dagegen trãgt einlach die Schuhe », dit l'un
1935, « They are clearly pictures 01 the artist's own
, not the shoes 01 a peasant », réplique l'autre en
8, et je souligne) mais ça me re,:ient ~n p~opre, p~
ref chemin de détournement : l'ldenuficauon, parmi
ucoup d'autres identifications, de Heidegger avec
paysan et de Schapiro avec du citadin, de celui-lã
du sédentaire enraciné, de celui-ci avec de l'émi-
t déraciné, Démonstration à suivre car n'en dou-
pas, dans ce procês de resti~~on, il y va aussi ~es
ussures, voire des sabots et S1 I on remonte à peine
haut pour l'instant, des pieds de deux illustres
fesseurs occídentaux, Di plus ni moins.
_ II s'agit certainement des pieds et de beaucoup
I urres choses, à supposer que des pieds soient quelque
ose et d'identifiable à soi. Sans même aller chercher
Ue~s ou plus haut,. ~a. restitution rétablit dans ses
oits ou dans sa propnete en remettant le suiet debout,
s sa stance, dans son institution. «••• the erect body »,
it Schapiro.
_ Considérons alors les chaussures comme un ins-
tut, un monumento Rien de naturel en ce produit.
'est au produit (Zeug) que Heidegger s'intéresse dans
I'analyse de cet exemple. (Par simplification commode,
ardons Ia version de Zeug en « produit », Elle est un-
ée dans Chemins... pour Ia traduction de L' origine de
rcmvre d'art. Zeug, il faut le préciser et s'en souvenir
ésormais, c'est sans doute un « produit », un artefact,
.s aussi un ustensile, un produit généralement utile,
'ou Ia premiêre question de Heidegger sur 1'«utilité I»~.
 LA VÉRITÉ EN PEIN I
De cet artefact, l'un dít, avant même de s'interro I
de poser toute autre question : cette paire revient I
(ou à l'une). A l'autre, répond l'autre, preuve en 11\
mais sans autre forme de procês, et l'un ne reviem I
à l'autre. Mais dans les deux attributions ça r , I r. On m'a demandé un discours. On m'a mis un
peut-être au même par un bref chemin de détoumem "
à un sujet qui dit moi, à une identification.
- Et ces chaussures les regardent. Elles 111'"
regardent. Leur détachement est évident. Dél
délaissées, détachées du sujet (porteur, détenteur
propriétaire, voire auteur-signataire) et détaché
elles-mêmes (les lacets sont détachés)
- détachées l'une de l'autre même si elles sont apl
reillées, mais avec un supplément de détachement d 1\
l'hypothêse ou elles ne feraient pas Ia paire. Car d' t
tiennent-ils tous deux, je veux dire Schapiro d'un c I
Heidegger de l'autre, Ia certitude qu'il s'agit là d'uu
paire de chaussures? Qu'est-ce qu'une paire dan
cas ? Allez-vous faire disparaitre ma question? E t
pour ne pas l'entendre que vous accélérez l'échang I
ces voix, de ces tirades inégales ? Vos strophes di 1
raissent plus ou moins vite, à Ia fois entrecoupée I
entrelacées, tenues ensemble au croisement meme I
leurs interruptions. Césures apparentes, vous ne I
nierez pas, et multiplicité toute feinte. Vos périod
restent sans origine dénombrable, sans destination, m I
elles ont en commun l'autorité. Et vous me tenez élOl
gnée, moi-même et ma demande, en mesure, je SUl
évitée comme une catastrophe. ar inévitablement j'in
siste : qu' est-ce qu'une paire dans ce cas?
- détachées de toute maniêre, elles nous regardent,
bouche-bée, c'est-à-dire muettes, Iaissant causer, inter
loquées devant ceux qui les font parler «( Dieses hat gel
prochen », dit l'un des deux grands interIocuteurs) I
qu'elles font parler en vérité. Elles deviennent commesen
sibles, jusqu'aufou-rireimperturbablementretenu, au c
mique de Ia chose. Devant une démarche aussi süre d'ell
même, índémontablement, Ia chose, paire ou pas, rito
lTUTIONS 299
11 faudrait revenir à Ia chose même. Et je ne sais
ncore d'oü partir. Je ne sais pas s'il faut en parler
n écrire. Tenir un discours à son suiet, au sujet de
que ce soit, c'est peut-être Ia premiêre chose à
I u (mais leque~ au juste ?) et de~ tex~es sous I~
. Ie viens de lire, pour Ia prenuere fois, The still
as a Personal Object - A Note on Heidegger and Van
h. Et de relire, une fois de plus, Der Ursprung des
tuerkes. Je ne ferai pas ici Ia chronique de ~es lec-
antérieures. J'en retiens seulement Ceci, pour
encero J'ai toujours été convaincu de Ia forte
sité du questionnement heideggerien, même s'il
te ici, au pire comme au meilleur sens du terme, Ia
losophie traditionnelle de l'art. Et peut-être dans
mesure même. Mais j'ai chaque fois perçu te
eux passage sur « un célebre tableau de Van Gogh »
e un moment d'effondrement pathétique, déri-
e, et symptomatique, signifiant.
Signifiant quoi ?
Pas de hâte ici. Pas de précipitation vers Ia réponse.
précipitation du pas, voilà peut-être ce qu'on n'aura
ais su éviter devant Ia provocation de ce « célebre
leau », Cet effondrement m'intéresse. Schapiro le
ecte aussi à sa maniêre (qui est aussi celle d'un détec-
) et son analyse m'intéresse par lã, même si elle ne
satisfait pas. Pour répondre à Ia .quest1?n ~e ce que
ifie tel effondrement, faudra-t-il Ia redwre à une
pute sur I'attribution des chaussures? Faudra-t-il,
peinture ou en réalité, se disputer les chaussures ?
t seulement se demander « (de) qui sont-elles? », Je
'y avais pas pensé mais je me prends maintenant à
aginer que, malgré Ia pauvreté apparente de cette
uerelle de restitution ou de cette traite des chaussures,
certain marché conelu pourrait bien tout y faire
ser. Dans son énormité, le problême de l'origine de
uvre d'art pourrait bien passer par ces trous de lacet,
les ceillets des chaussures (d'une peinture) de Van
gh. Oui, pourquoi pas ? Mais à Ia condition que ce
300 LA VÉRITÉ EN PBIN I ,
traitement, bien sür, ne soit abandonné ni aux ma 11
Martin Heidegger ni aux mains de Meyer Schaplru I
dis bien ne soit pas abandonné car nous entendon '11
servir aussi de leurs mains, voire, au reste, de I "
pieds.
Le choix de Ia démarche à faire est difficile. Ça pOllh
Ce qui est sür, c'est qu'il y aura eu correspondance 111
Heidegger et Schapiro. Et qu'il y a là comme un "1'1'
riement dans le différend, l'énigme d'un ajust 11I
complémentaire des deux côtés, d'un bord à l' 111'
Mais je ne sais pas encore d'oü partir, s'il faut en plll
ou écrire, ni surtout sur que! ton, selon quel cod: I
vue de quelle scêne. Et à quel rythme, celui du pa
ou ce1ui du citadin, à l'âge de l'artisanat ou de Ia t I
nique industrielle? Ces questions ne sont pas, ní
scrupules, hors du débat engagé par Heidegger auto»
de l'eeuvre d'art.
Mais ai-je bien envie d'entreprendre cette démarch
Je commencerai par fixer une certitude d'allure a 11
matique. M'y installant comme en un lieu ou ça p r
ne pas bouger, ou ça ne patine plus, je partirai d I
(três vite), aprês y avoir bloqué un de mes pieds, \111
de mes pointes, immobile et plié en deux avant le COI'I
du starter. Ce lieu que je commence par occuper 111
tement, avant Ia course, ce ne peut être iei qu'un lieu I
Iangage.
Voiei. Les questions de Ia démarche embarra
(boiteuse ou louche ?), les questions du type « ou meti!
les pieds ? I), « comment ça va marcher ? )), « et si ça /I
marche pas ? )), « qu'est-ce qui se passe quand ça 1\
marche pas (ou quand on met ses chaussures au v
tiaire ou les pieds à côté de ses pompes ? I), « quand ~
s'arrête - et pour queIle raison - de marcher ? », « qUI
marche? I), « avec qui ? )), « avec quoi ? », « sur ies pie I
de qui ? « qui fait marcher qui ? », « qui fait march ,
I),
quoi ? )), « quoi fait marcher qui ou quoi ? )), etc., tout
ces figures idiomatiques de Ia question me paraissent, I
même, nécessaires.
Nécessaires " c'est un attribut.
- Les chaussures aussi. Ça s'attribue à un suiet, s'
ITUTIONS 3°1
11 che par une opération dont l'équivaIent Iogico-
mmatica1 est plus ou moins de mise.
Nécessaires reste un adjectif encore un peu vague,
h ,ouvert, évasé. 11faudrait plutôt dire : des idiomes
question dont Ia forme est três apte. ElIe s'adapte.
11 s'ajuste, de façon stricte, serrée, bien lacée, coIlant
nitement mais avec souplesse, dans le vocabulaire,
I lettre ou Ia figure, au corps même de ce dont vous
z ici envie de faire obiet, à savoir les pieds. Les deux
ds, cela importe au premier chef.
Mais on ne dit pas une paire de pieds. On dit une
re de chaussures ou de gants. Qu'est-ce qu'une paire
n ce cas, et d'oü tiennent-ils tous deux que Van Gogh
int une paire? Rien ne le prouve.
Pour ma part, j'ai souvent traité, en tous sens, de
marche et, c' est à peu prês le « même » mot, le « même ))
s, de Ia marque et des Marges dont j'ai fait un titre.
s même en fut un autre. Al-ie alors parlé des pieds ?
n'en suis pas sür (il faudra chercher), ni d'un certain
cessaire, voilà le nom, de Ia marche, à savoir au plus
s du sol, le degré le plus bas, le plus subjectif ou sous-
ent de ce qu'on nomme Ia culture ou l'institution, Ia
ussure. Plus strictement, Ia paire de souliers
- La double séance tourne autour des pointes de Ia
nseuse, analyse « Ia syntaxe du point et du pas I), dit
mment « chaque paire, dans ce circuit, aura toujours à
uel9u'autre renvoyé, signifiant en outre I'opération de
ifier... »,
- Mais Ia pointe ne porte pas le pied au contact
'une surface. El1e ne s'y étale pas. Plus strictement, Ia
aire de souliers et même, pour se limiter à ce sur quoi
supporte Ia plante des pieds au-dessus du sol - des
villes ou des champs, peu importe -, Ia paire de
eIles. Sa surface externe, et donc inférieure, porte au
lus bas et c'est d'elle que ie crois n'avoir jamais parlé.
lle est plus bas que le pied.
 3°2 LA VÉRITÉ EN PEIN II
I'avance alors : quoi des chaussures quand •
marche pas ? Quand elles sont mises de côté, r I'
pour un temps plus ou moins long, voire à tout iam
hors d'usage? Que signífient-elles P Que valent- 11
Plus ou moins? Et selon quelle économie? Vers II
fait signe leur plus (ou moins)-value? Contre 1"
peuvent-elles s'échanger? En quel sens (qui? q\\l1I
font-elles marcher ? et parler ?
Voilà le sujet qui s'annonce.
11revient lentement. Mais toujours trop vite - I
de précil?itation -~ Ia tête Ia premiêre pour oc J
debout, mstantanement, les lieux abandonnés. 1",
investir et s'approprier les lieux hors d'usage comm 'I
ne restaient inoccupés que par accident, et non J
structure.
Le sujet s'étant annoncé, laissons ici, pour un temp
les ~haussures. 11se passe que1que chose.quelque ch«
a lieu quand des chaussures sont abandonnées, vid
pour un temps ou à jamais hors d'usage, apparemm II
détachées des pieds, portés ou porteurs, détachée I
elles-mêmes si elles sont à lacets, l'une de l'autre lUlI
jours mais avec ce supplément de détachement d 111
l'hypothêse ou elles seraient dépareillées.
- Oui, supposons par exemple deux souliers
lacets) droits ou deux souliers gauches. Ça ne fait p111
une paire, ça louche ou ça boite, je ne sais pas, de fa 1111
étrange, inquiétante, menaçante peut-être et un 11
diabolique. J'ai parfois cette impression avec tell
chaussures de Van Gogh et je me demande si Schaph«
et Heidegger se ne hâtent pas de faire Ia paire pour
rassurer. Avant toute réftexion on se rassure avec Ia paii
- On sait alors comment s'orienter dans Ia pen
- Dês lors que ces chaussures délaissées n'ont plu
de rapport strict avec un sujet porteur ou porté, ell
deviennent le support anonyme, allégé, vidé (mais d'a I
tant plus pesant qu'il est abandonné à son ineru
opaque) d'un sujet absent dont le nom revient hanter J
forme ouverte.
TITUTIONS
Elle n'est jamais tout à fait ouverte, justement.
I garde une forme, Ia forme du pied. Informée par le
, elle est une forme, elle décrit Ia surface exteme
l'enve1oppe de ce que 1'0n appelle une « forme », à
voir, je cite encore Littré, un « morceau de bois qui a
figure du pied et qui sert à monter un soulier ». Cette
e ou cette figure du pied
Schapiro verra Ia « figure Ii de Van Gogh dans
Ii chaussures.
Cette « forme » ou cette figure du pied en bois
place le pied, comme une prothêse dont 1e soulier
te toujours informé. Tous ces membres-fantômes
t et viennent, vont plus ou moins bien, ne s'adaptent
toujours.
Que fait-on alors quand on attribue des chaus-
res ? Quand on 1es donne ou quand on les restitue?
ue fait-on quand on attribue un tableau ou quand on
entífie un signataire ? Et surtout quand on va jusqu'à
tribuer des chaussures peintes (en peinture) au signa-
re présumé de ladite peinture? Ou inversement
uand on lui en conteste Ia propriété ?
- C'est peut-être lã qu'il y aura eu correspondance
tre Meyer Schapiro et Martin Heidegger. Je suis
téressé au fait qu'elle ait eu lieu. Apparemment. Mais
us ne savons pas encore ce qu'est ce lieu et ce que
. e avoir lieu dans ce cas, ou, comment, etc,
- On vient de demander : que fait-on quand on
ttribue des chaussures (réelles) au signataire présumé
'une peinture dont on présume qu'elle représente ces
êmes chaussures? Précisons : des chaussures-sujet
(lUpport destiné à porter leur porteur sur le sol, des
illes ou des champs, support qui figurerait ici le premier
rubstrat, à moins que le porteur n'en fasse un autre
age que ce1ui de Ia marche, auquel cas le mot d'usage
querait selon certains d'être perverti) mais sujet lui-
ême d'une toile qui en constitue à son tour le sujet
 LA VÉRITÉ EN PEIN II
ou le support cadré. Et c'est ce double sujei (les ch I
sures en peinture) que les deux plaideurs veulent ,
restituer au sujet véritable : le paysan ou Ia pay 111
d'un côté, le peintre citadin de 1'autre (un peu plu 111
d'être le signataire du tableau censé représent r
propres chaussures, voire lui-même en personne : 111'
les sujets sont ici au plus proche d'eux-mêmes, en I1
rence).
Ou est Ia vérité de cet avoir-lieu ? L'origine de l' ,
d' art appartient à un grand discours sur le lieu et I
Ia vérité. Par tout ce qui vient de s'annoncer on le •
communiquer (est-ce à 1'insu de son « auteur » ?)
Ia question du fétichisme. Prolongée au-delà de I
« économie poli tique » ou de sa « psychanalyse » •
sens strict, voire de Ia simple et traditionnelle 0PP" I
tion du fétiche à Ia chose même.
Tout se passe comme si 1'on voulait dire Ia v til
au sujet du fétiche. Nous y risquerons-inous ici ?
- 11 faudrait pour cela mettre ce débat entre I
deux grands professeurs en résonance avec tant d'aun
textes. Marx, Nietzsche, Freud
- qui parle plus strictement du fétichisme de I
chaussure. Dans Ia premiêre partie, ou le prem
mouvement, de son essai de 1927 sur Le fétichisme. I
généalogie qu'il propose alors du fétiche (comm
substitut du phallus de Ia femme ou de Ia mêre) r 11
drait compte, selon lui, du privilêge accordé au pi .1
ou à Ia chaussure
- les chaussures ou Ia chaussure ?
- Ia chaussure. Cette préférence tiendrait au fi 11
que le « garçon », dans 1'expérience terrifiante qu'il
faite de ce qu'il vit comme Ia « castration » de sa m r
a regardé « d'en-bas 11 aurair, lentement, levé I
I).
yeux. Depuis le sol.
- La chaussure, compromis ou substitut rassurant
serait done une « forme » de prothêse, mais toujour
lTUTIONS
e pénis et pénis de Ia femme. Détachable et rat-
hable. Comment expliquer alors que dans L'intro-
tion à Ia psychanalyse (Le symbolisme dans le rêoe)
oulier et Ia pantoufie soient classés parmi les sym-
1 des organes génitaux de Ia femme? Ferenczi y
nnait parfois le vagin (Sinnreiche Variante des
huhsymbols der Vagina, 1916) mais ce n'est qu'une
'ante individuelle et il faudra préciser, inversement -
Serait-ce parce que, comme un gant qu'on
tourne, Ia chaussure a tantôt Ia « forme » convexe du
d (pénis) tantôt Ia forme concave qui enveloppe le
(vagin) ?
- Dans ces derniers textes, il n'est pas question de
ichisme (phallus de Ia mêre) et quand il en est ques-
n, Freud ne dit pas que le pied (ou Ia chaussure)
mplace ce qui est censé manquer à cause de sa forme
ais à cause de sa situation orientée, Ia syntaxe d'un
ouvement vers le haut, depuis le tres-bas, le plus-bas,
systême de rapports dans Ia génération alléguée du
tiche, Et Freud ne désigne pas alors quelque chose,
tout plus ou moins détachable, par exemple « le
íed » ou « Ia chaussure I). 11 précise : « ou une partie
I e ceux-ci », Ia partie reIativement détachable d'un
n emble toujours divisible.
- Le gros orteil par exemple? La chaussure ne
I ue-t-elle
pas à elle seule un gros orteil détaché ? Dans
marché de Ia pointure, Ia résonance des offres, des
emandes, des actions en hausse ou en baisse devrait
'augmenter d'une spéculation sur Bataille (Le gros
Drleil,La mutilation sacrificielle et l'oreille coupée de Van
ogh, Van Gogh Prométhée),
- En tout cas Ia chaussure, pour Freud, n'est pas
lus le pénis que Ie vagin. Sans doute rappelle-t-il,
ntre Steckel, que certains symboles ne peuvent être
d Ia fois masculins et féminins. Sans d~ute précise-t-il
que des objets longs et fermes ne sauraient symboliser
des organes génitaux féminins (des armes par exemple),
 LA VÉRITÉ EN PEIN'II
ni des ?bjets a:e~ (caísses, boítes, coffrets) des or 11
mascu1ins; ~atS c .est pour admettre aussitôt apr I'
I~ symbolis~tlon bisexuelle reste une tendance irrépr
sl~I~, archaique, remontant à I'enfance qui ignor I
?i!ference des sexes (Traumdeutung VI, V). « AjouIIII'
lCl que Ia pIupart des symboIes de rêve sont bisexu I
et peuvent, seIon Ies circonstances, être rapporté \I
orgaI?-esdes deux sfxes. » ,rUeber den Traum ), S 1111.
Ies ,ctrc~nstances, c est-à-dire aussi selon une syn:
irréductible à queIque substantialité sémantique li
« symbolique »,
- 11 faut done toujours réserver une sorte d'e
d'interprétation, un suppIément de Iecture, à vrai dn
décisif, pour l'idiome d'une variation syntaxique. M JII
si I'idiome absoIu est Ie nom d'un Ieurre. Le «
d'idiome II absolu n'autorise pas - av contraire ju I
~ent - à se contenter d'équ:v~ences symboliques t \I
A
iours pretes à porter ou d umversaux de confectiou
C'est peut-être Ie sens d'une petite phrase entre par 11
thêses et comme en post-scriptum, à Ia fin de Ia n I
de Ferenczi : il y distingue Ies variantes individuell
des symboIes universeIs. Cette distinction tient à I
rich~~e des ass~ciations. (<< sich an sie reichlich Einftill
ass~z,!ren »] .mats ee ~tere économique conceme d
vananons qui sont aUSSldes écarts, des restructuration
des redistributions générales. Et des écarts sans norm
esse':1tielIe. Réseau de traces différentielles, (Je préci
aUSSlentre parenthêses que Ie cas évoqué par Ferencz
ne met pas en scêne des chaussures, stricto sensu, ma
en queIque sorte des sur-chaussures, des supplément
ou .des sur-vêtements (Gummi- Ueberschuh (Galoschen))
9w ne s'adaptent pas au pied mais aux souliers. Quand
il pIeut ou quand il neige, on Ies dépose à l'entrée d
Ia maison en gardant néanmoins ses souliers. Et - tra I
important sinon suffisant pour l'inrerprétatíon - ce par
dessus ou ce surpIus de chaussure est en caoutchouc.
D'oü, se!on Ferenczi, I~ symbolisme du vagin. Reste
savoir, e est à swvre, Sl cet effet de gaine -
- Compre tenu de ce qui vient d'être dit du « pa
[TUTIONS
I diome II mais aussi contre Ies universaux symboliques,
v de soi que nous resterons Ioin, três Ioin d'une lec-
idiomatique de Van Gogh, de sa signature ou a for-
. de teI tabIeau. 11 s'agira seulement, comme cela
r dit et fait à propos de Genet, de Ponge ou de
nchot, de préliminaires à Ia position d'une telIe
tion. Elle est tout entiêre à rééIaborer, nous en
es bien d'accord ?
D'aeeord ou pas, [e propose de remettre cette
tion à pIus tardo Elle est d'ailleurs faite pour être
.se, elle conceme Ia remise à pIus tard, pIus Ioin, si
arrive jamais. Ie Ia crois três scientifique mais aussi
gere à ce qui se dit Ie pIus souvent au nom de Ia
e, c'est-á-díre d'une phi1osophie de Ia science.
- 11 y a deux types d'objet et Ia « forme II de Ia
ussure a un autre privilêge : elIe fait systême des
types d'objet définis par Freud : allongés, solides
fermes sur une surface, creux ou concaves de I'autre.
se retoume
- eomme une paire de gants. Van Gogh a peint
e paire (?) de gants (en janvier 1889, à Arles) et dans
note qu'il Iui consacre, Sehapiro semble encore les
nsidérer comme des « obiets personnels », Illes réap-
roprie, s'empresse de les apparier et même de les
pparier aux cyprês de Ia même nature morte [« The
hoice of objects is odd, but we recognize in it Van Gogh's
pirit. In other still lioes he has introduced objects that
long to him [je souligne] in an intimate way - his hat
tJndpipe and tobacco pouch ... His still lioes are often per-
onal subjects, little outer pieces of the self exposed with
1m personal but always significant things. Here the blue
laves, joined like two hands [je souligne] in a waiting
passive mood, are paired in diagonal symmetry with a
branch of cypress, a gesticulating tree that toas deeply
poetic to Van Gogh ... the glooes and the branches belong
together ... II (je souligne) 1
I. Mc:yc:r Schapiro, Van Gogh, Abrams, Nc:w York, s. d., p. 93.
 tA VÉRITÉ EN PEIN' ITunONS

Je propose qu'on ne se risque pas encore à traiter

tement de cette question du fétichisme, de Ia
ibilité des gants ou de l'orientation dans Ia paire.
uis pour le moment intéressé à Ia correspondance
Meyer Schapiro et Martin Heidegger.

Nous piétinons. Nous ne patinons même pas,

pataugeons, plutôt, avec une complaisance un peu
cente. A quoi rapporter ce mot de correspondance
revient sans cesse? A cet échange de lettres, en
S?
[e m'intéresserais plutôt à une correspondance
ete, évidemment : évidemment secrête, eryptée dans
her de l'évidence et de Ia vérité, trop évidente parce
le ehiffre en ce eas reste seeret de n'être pas celé,
ref, encore confiée au facteur de Ia vérité, cette cor-
pondance n'est un seeret pour personne. Son secret
ait se lire à lettre ouverte. La eorrespondance
ête pourrait être déehiffrée à même Ia eorrespon-
ce publique. Elle n'a pas lieu d'autre part et n'est
inserite ailleurs. Chacun dit : je vous dois Ia vérité
peinture et je vous Ia dirai. Mais il faut faire porter
ccent sur Ia dette et sur le doit, vérité sans vérité de
vérité. Qu'est-ce qu'ils doivent tous Ies deux, et de
uoi doivent-ils s'aequitter par cette restitution des
Nature morte (corbeille avec oranges et citrons, branchages, ga"~:;i•. ussures, l'un prétendant Ies rendre à Ia paysanne,
utre au peintre? .
Oui, il y a eu en effet cet échange de lettres en I965.
hapiro le révele dans La nature morte... puisqu'il faut
duire ainsi « The Still Life... » que vous venez de
e. Cette « Nature morte... », l'essai qui porte ce titre
t un hommage rendu, un présent fait à un mort, un
on dédié à Ia mémoire de Kurt Goldstein. Ce1ui-ci
'était, de son vivant, attiré Ia reeonnaissanee de Scha-
iro au moins par ce geste : lui avoir donné à lire
'origine de l'auvre d'art (« It was Kurt Goldstein who
fim called my attention to this essay... »}, Schapiro
'acquítte, d'une eertaine façon, d'une dette et d'un
evoir d'amitié en dédiant sa « Nature morte... » à son
. morto Le fait est loin d'être indifférent ou extrin-
 310 LA VÉRITÉ EN PBIN II
seque, nous y reviendrons, ou du moins l'extrin ,"
intervient toujours, comme le parergon, au-dedan I
Ia scêne, Retenez ces faits et dates. J'en isole sêch 111.
quelques-uns en attendant. Emigré três jeune, Sch \,1
enseigne à Columbia (New York) ou Goldstein, fu •
l'Allemagne nazie en 1933 (aprês y avoir été ern]» ,
sonné puis libéré à Ia condition de quitter le pays) li'
lui aussi enseigné de 1936 à 1940. II y arrive apr •
pénible séjour d'un an à Amsterdam, précisément. 11
aura écrit La structure de I'organisme. Ce sont les ann
mêmes ou Heidegger donne ses conférences sur L',,,.
gine de I'ceuore d' art et son cours d' Introduction
métaphysique eles deux textes ou il se réfêre à
Gogh).
Ce dernier acte se passe donc à New York, Unív •
sity of Columbia, ou Schapiro vivait et enseignait d I
si je ne me trompe, quand Goldste(n y arriva poui
enseigner à son tour, de 1936 à sa mort, avec \llt
interruption pendant Ia guerre (Harvard et Boston I
1940 à 1945). Ce dernier acte
- Est-ce le dernier ?
- A cette date 1, le dernier acte est à New YOI
dans cette grande institution universitaire de ColuJII
bia accueillante à tant de professeurs émigrés, m I
quel chemin et quelle histoire, depuis prês d'un siê I •
pour ces chaussures de Van Gogh. Elles n'ont p
bougé, elles n'ont rien dit mais ce qu'elles auront fi 11
marcher, et causer! Goldstein, lui, l'homme de I'aph
sie, mort aphasique, n'en aura rien dito II a simplem \I
indiqué, montré le texte de Heidegger. Mais tout
passe comme si Schapiro, de New York (ou il a au
prononcé l'oraison funêbre de Goldstein en 1965), 1
disputait, les chaussures, à Heidegger, les reprena I
I. Je reprodui. ici Ia note de Ia rédactioe propoée par Macula :
• Depuis cerre date, alora qu'elle étaít d~jà composée sur épreuve •• I
fiction que nous publiona ici fut en quelque sane íouee ou racontée p I
Iacques Derrida à l'université de Columbia (Stminaire de th~rie de I
littérature) sur l'invitation de Marie-Rose Logan et de Bdward W. Sald
Cette séance eut lieu Ie 6 octobre 1977. Meyer Schapiro prit pan au dtb.,
qui .'ensuivit. N.D.L.R. •
lTUTIONS
Ies restituer, via Amsterdam, Paris (Van Gogh à
) à Van Gogh mais du même coup à Goldstein
vait attiré son attention sur le détournement hei-
erien. Et Heidegger les retient. Et quand tous deux
nt en somme, « ie vous dois Ia vérité II (car tous
prétendent dire Ia vérité, voire Ia vérité de Ia
té - en peinture et en chaussure), ils disent aussi :
ois les chaussures, je dois les rendre à qui de droit,
ur appartenance propre : au paysan ou à Ia paysanne
côté, au peintre citadin et signataire du tableau de
tre. Mais à qui en vérité? Et qui croira que cet
ode est seulement une dispute théorique ou philo-
bique pour l'interprétation d'une ceuvre ou de
vre d'art? voire une querelle entre experts pour
ribution d'un tableau ou d'un modêle ? Schapiro,
ur les restituer, dispute âprement les chaussures à
idegger, au « professor Heidegger li qui aurait en
e voulu, par paysan ínterposé, les chausser, les
tire à ses pieds de terrien, avec ce pathos de
appel de Ia terre », du Peldweg ou des Holzwege qui,
1935-36, ne fut pas étranger à ce qui poussa Goldstein
ntreprendre sa longue marche vers New York, via
sterdam. 11 y a beaucoup à acquitter, à rendre, à
tituer, sinon à expier en tout cela. Tout se passe
mme si Schapiro, non content de remercier un mort
ur ce qu'il lui a donné à tire, offrait à Ia mémoire de
n collegue, congénere et ami, nomade, émigré, cita-
n,
- une partie détachée, une oreille coupée, mais à
ui?
- Ia paire reprise, soustraite, voire arrachée à l'en-
mi commun, au discours commun en tous cas de
l'ennemi commun. 11 s'agit pour Schapiro lui aussi, et
u nom de Ia vérité, de reprendre pied, de reprendre
chaussures pour y remettre les pieds qu'il faut. En
alléguant d'abord que ces chaussures furent celles d'un
igrant et d'un citadin, « the artist, by that time a man
Df town and city li, les choses devant plus tard se compli-
uer dangereusement du fait que ce migrant n'a cessé
 312 LA VÉRITÉ EN PEIN I
de tenir le discours de l'idéologie terrienne, artis 11
paysanne. Tous ces grands professeurs auront, c 11111
on dit, beaucoup investi dans ces chaussures à plu d',
titre hors d'usage. IIs en ont remis. Remeure I'
d'une grande portée en ce débat. Les rets de ces ch I
sures sont formés de ces re- du revenir et du rem 111
Remise des chaussures. EIles sont, eIles peuvent 11111
jours être détachées (en tous les sens que nous aV11I
dits), délaissées, à Ia remise. Tentation, dês lors in 111
à même l'objet, de le remettre : remettre les chaus I
à ses pieds, les remettre au suiet, à l'authentique 11
teur ou propriétaire rétabli dans ses droits et réinstitu
dans son être-debout. La structure de Ia chose et li
procês oblige alors, touiours, à en rajouter. La m 111
y est de rétorsion supplémentaire.
- Ce que fait maintenant cette in,éroyable recon 11
tution. C'est une dramaturgie délirante qui proien
son tour : une hallucination coIlective. Ces souliers (1111
hallucinogênes.
- Oui, je vais ici un peu vite. Mettons que tout
se passe aussi par-dessus le marché et faites-moi cr til
pour l'instant. Consentez-moi une légêre avance 1
disons que j'épouse ce qui fut peut-être, de part I
d'autre, un délire. II y a de Ia persécution dans ce ré II
dans cette histoire de chaussures à identifier, à appn
prier, et vous savez de combien de corps, noms I
anonymats, nommables et innommables, ce conte I
fait. Nous y reviendrons. Ce qui porte icí, et qui m'im
porte, c'est cette correspondance entre Meyer Schapir I
et Martin Heidegger.
- Va-t-on les renvoyer dos à dos, réinstallant I
paire
- Est-ce bien une paire?
- réinstallant les deux chaussures dans leur délai
sement ({propre ll, dans leur être-délacé qui, entre eux,
au beau milieu
IlfUTIONS
dans leur restance ?
Ce serait impossible. La restance n'est jamais de
Irepos, eIle n'est pas Ia présence substantieIle et
nifiante. J'ai aussi, moi, à faire avec ces chaussures,
I donner peut-être, même si je me contentais de
Ia fio : tout simplement ces chaussures n'appar-
nent pas, eIles ne sont ni présentes ni absentes,
a des chaussures, un point c'est tout.
11lia ces chaussures. Et de nos voix, Ia torsade -
Es gibt, ça donne, ces chaussures.
La correspondance littérale, ce que vous appelez
hange de lettres, c'est maintenant un phénomêne
u pres) publico Rendu public par Schapiro dans
hommage à Ia mémoire de Goldstein. Cet échange
ormais public aurait donné lieu, apparemment, à
lque chose comme un désaccord. II s'est soldé,
ions-nous, par un désaccord. En tous cas Schapiro
dévoile et commente cette correspondance, gardant
i le demier mot, concIut sur un désaccord. 11 pré-
d détenir Ia vérité des chaussures (du tableau) de
cent (Van Gogh). Et comme il doit Ia vérité, illa
titue. 11 identifie (en tous les sens de ce mot) Ia
inture et les chaussures, leur assigne leurs points ou
r pointure propre, nomme I'eeuvre et attribue le
I t de l'eeuvre (les chaussures) au sujet de l'reuvr~,
lt à son sujet véritable, le peintre, Van Gogh. Hei-
ger selon lui se trompe et de peinture et de chaus-
r s. En les attribuant à du paysan ou de Ia paysanne,
reste dans l' erreur [« the errar lies... »), dans Ia pro-
I tion imaginaire, celle-la même contre ~aqueIl~~ pr~-
ndait nous mettre en garde [« He has indeed ' 'mag'-
d everything and projected it into the paintin~". »];
idegger aurait remis les chaussures à des pieds de
ysan ou de paysanne. 11 les aurait d'avanc~ lacées,
rées autour des chevilles paysannes, celles d un suiet
nt l'identité, dans te contour même de son absence,
ait bien stricte. TeIle serait l'erreur, l'imagination,
 LA VÉRITÉ EN PEIN Iti
Ia projection précipitée. Elle aurait des causes multipl
Schapiro en détecte plus d'une, mais laissons cela I1U"
l'instant.
- Mais à cause de quoi cette correspondanc 111
publique?
- Comme toute cause, et toute chose en proc ,
cause prochaine est une sorte de piêge. Schapiro le 1 I 1
à Heidegger avant de s'y prendre lui-mêrne les pi .I
- Et pourtant. 11 s'y connait en piêges. 11 a I
de Ia main Ia plus experte sur le piêge en peinture. I' ,
exemple sur ce piêge à souris (mousetrap ] que Jo ,,'
dans cette Annonciation du Maitre de Flémalle 1
- Mais ce piêge est tendu au di(ble ( Muscipula til.,
boli), l'appât en est Ia chair christique.
- Raison de plus pour se méfier ici. Le diabolk I
est peut-être déjà pris, appât supplémentaire, da I
boitement de ces deux souliers Iouches qui, si le douI I
ne fait pas Ia paire, piêgent ceux qui veulent y rem 111
les pieds, précisément parce qu'on ne peut pas - "
doit pas - y mettre les pieds et que lã serait Ie pl
étrange. Quant à l'ombre christique de l'appât, nmo
verrons qu'elle n'est pas tout à fait absente parmi llll
ces fantômes. Ce piêge étrange -
- Autre espêce de piêge et de ce qui fut nomm
dans Pas Ia paralyse.
- Insouciant, donc, Schapiro tend un piêge à H I
degger. 11soupçonne déià I' « erreur )),Ia « proiection
l' « imagínation )) dans le texte de Heidegger à tu,
signalé par son ami et collêgue Goldstein. L'instrucdeu
ayant ainsi commeneé, il écrit au Professeur Heideg
I, ec. Meyer Schapiro, • Muscipula Diaboli " the Symbolism of lhe Mil' I.
Allarpiece, In Renaissance An, ed, Creigton Gilbert, Harper, I I
Traduit en français dans Symbol,J d, Ia Renaissance, recuei! collecríf puloll
par Danie1 Arasse aux Presses de l'Ecole Nortnale Supérieure, Paria, I!I
ITUTIONS
I'appelle ainsi pour parler du collêgue et du corres-
dant, et Heidegger tout court quand il nomme le
bre penseur, auteur de L'origine de l'ceuore d'are) :
uel tableau vous êtes-vous référé, au juste ? L' « obli-
te )) réponse du Professeur H. {« In reply to my
tion, Professor Heidegger has kindly written me that
pícture to which he referred is one that he saw in a
at Amsterdam in March 1930. This is c/early de Ia
lIe's no. 225 (see Figure I). »} se ferme sur son
ur comme un piêge, On entend le bruit : clair.
t clair, clearly, c'est entendu, l'affaire est entendue :
Ia Faille 255, ça ne peut pas revenir à du paysan :
'hey are the shoes of the artist, by that time a man of
town and city, ) Instruction c1ose, sentence arrêtée :
uffira de compléter ou de raffiner le compte-rendu
e procês en somme três vite expédié. Le Professeur
pris. Sehapiro, confirmé dans son soupçon, peut
reconstituer un des mécanismes possibles de Ia
prise, elle-même au service d'un pathos pulsionnel
politique (1' « ídéologie » terrienne et paysanne) :
t une sorte de ressemelage à l'aide de Ia semelle
autre tableau aperçu lors de Ia même exposition
1930. C'était Ia premiêre méprise, le premier piêge
nt celui que Schapiro tendra au Professeur pour
re Ia paire et ne lui laisser aucune ehanee. Ceci pour
ndre à Ia question qui m'a été posée à l'instant :
tes les causes de ce procês auront été des píêges
mme à l'avance figurés par l'enjeu apparent du
bat : à qui revient le piêge ?), des chausse-trapes ou
vous préférez, des lacets, des piêges à lacets. « Vieux
iers aux lacets » [« Old boots with laces I»), tel est le
donné par le grand catalogue de l'exposition des
uileries (1971-72) (Collection du Musée National
neent Van Gogh à Amsterdam) au tableau que Pro-
or Sehapiro prétend identifier à partir de Ia réponse
nfiante de Professor Heidegger et qu'il reproduit, lui,
o
U8 le titre de « Old shoes I). Je ne sais pas encore
elle est Ia part qui revient à Van Gogh dans le choix
ce titre. Mais comme une certaine indétermination
entielle fait partie de notre problême qui est aussi
lui du titre et du discours tenu (par exempIe par
 3I6 LA VÉRITÉ EN PBINI
l'auteur) au sujet du tabl'au, il convient peut- Ir
laisser à Ia chose que1que suspens. Les auteur
catalogue que ie viens de citer ont tenu compre 111
Ia Faille~ celuí-Ià même qui fait autorité pour Sch I"~
(( Les ntres des ceuvres données par Vincent d 11
correspondance, communément adoptés, ont ét "
cisées lorsqu'ils n'étaient pas suffisamment expU 11
d'oü quelques différences, soit avec 1es titres \1 11
autrefois, soit avec ceux du nouveau Catalogue Rai (1111
de J. Baart de Ia Faille ... »). Nommés ou non I
Van Gogh, dans un titre ou dans une lettre, ces 1
(à serrer/desserrer, plus ou moins strictement, le 111
port~ur o~ porté) dessinent Ia forme même du p
AUSSlfascmant que (par 1à même) négligeab1e pour
deux professeurs qui n'y font pas Ia moindre allu 110,
Voilà une des causes: le lacet. Une chose dont le 111
est aussi un nom de piege (le 1acet). 11ne vaut pas \1\
ment pour ce qui passe par 1es eeillets des chaus 11/
ou des corsets. Nos voix, ici même -
- Je remarque en effet, maintenant, cette bouu
étrange
- prête à étrangler
- du lacet défait. La boucle est ouverte, plus en •.•
que 1es chaussures détachées, mais aprês une sort I
neeud esquissé
- elle forme un cercle à son extrémité, un ter I
ouvert, comme provisoirement, prêt à se referm I ent, le « dépareillé II peut dire et montrer Ia
comme une pince ou un porte-clé. Une laisse. D 1\
l'ang1~'inférieur droit ~u elle fait face, symétriquem 111
à Ia signature de « Vmcent I), rouge et sou/ignée. 111
occupe 1à une place três couramment réservée à I
signature de l'artiste. Comme si, de l'autre cõté, d 1\
l'autre .angle? ,à l'autre bord, mais symétriquem 111
à (quasi) pante avec elle, elle en tenait lieu, comme ,
elle en tenait lieu vide et ouvert ...
- Si 1es 1acets sont desserrés, 1es chaussures '"
bien détachées des pieds et en elles-mêmes. Mais
lTUTIONS
ens à ma question : elles 1e sont aussi, de ce fait,
e de l'autre et rien ne prouve qu'elles font Ia paire.
ucun titre, si [e comprends bien, ne dit « paire de
iers » pour ce tableau. Alors qu'ailleurs, dans une
re que Schapiro cite d'autre part, Van Gogh aura
lé d'un autre tableau en précisant « une paire de
souliers I). Est-ce que Ia possibilité de ce « dépa-
é » (deux chaussures du même pied, par exemple,
t davantage 1e double l'une de l'autre mais ce doub1e
uille Ia paire et l'identité à Ia fois, interdit Ia complé-
tarité, para1yse l'orientation, fait loucher vers 1e
ble), est-ce que Ia logique de cette fausse parité,
tOt que de cette fausse identité, ne construit pas 1e
e? Plus ie regarde cette peinture, moins ça parait
voir marcher ...
Ouí, mais il faut pour cela que le « dépareillé I)
te une possibilité, [e dirai, à Ia limite, improbab1e.
d'ailleurs, quand bien même Van Gogh aurait
tulé le tableau, et l'aurait intitulé « paire de ... », cela
changerait rien à l'effet produit, qu'il soit ou non
ciemment recherché. Un titre ne défínit pas
p1ement le tableau auque1 il s'attache ou dont ilse
ache selon des modes nombreux et parfois surdéter-
és. 11 peut faire partie du tab1eau et y jouer p1us
un rõle, y assurer plus d'une figure de rhétorique.
Paire de- lI, par exemple, peut induire à penser Ia
ité, Ia « vérité de Ia paire » au moment ou se donne
voir le dépareillé, ou 1e hors-pair. Et puis, autre
ité, Ia vérité de Ia paire, avec beaucoup p1us de force.
out comme, nous 1e verrons, 1e hors-d'usage exhibe
tilité ou 1e déseeuvrement expose l'eeuvre.
- Je trouve cette paire, si on peut dire, gauche. De
en parto Regardez 1es détails, Ia face latérale
teme : on dirait deux pieds gauches. De ouliers
érents, Et plus je les regarde, plus ils me regardent,
oins ils ressemblent à une vieille paire. A un vi ux
uple, plutõt. Est-ce Ia même chose? Si on se lai ait
er à Ia facílité du symbolisme dont vous parliez tout
318 LA VÉRITÉ EN PEINII TlTUTIONS 319

à l'heure, Ia bisexualité évid~e de cette chose plur 11

tiendrait à Ia passivité retournée, ouverte comm 11
gant, plus offerte, plus déshabillée de Ia chau 111
gauche (je précise : à gauche sur Ie tabIeau puisqu I
dépareillé peut aussi affecter Ia disposition di 111
« vraie » paire, Ie soulier gauche nous faisant face d l' II
Ia gauche, et le droit depuis Ia droite du tabl \I

- c'est une paysanne

- une mangeuse de pommes de terre ou Ia Paysll/I

du Brabant (1885), Ia coiffe vide de l'une ou de l'a\11I
tandis que l'autre chaussure (gauche ?), à droite 8UI
tableau (comment s'orienter pour en parler?) est (lI I
droite, étroite, stricte, moins ouverte. Bref on aurai; 11
autrefois plus masculine, et c' est e1le qui tend le 1 I
au cercle entr'ouvert, en face du prénom.

- Si comme l'avance Schapiro, le signataire t I

propriétaire ou, nuance importante, le porteur li
chaussures, dirá-t-oa que le cercle entr'ouvert du 1 I
appe1le un rattachement : de Ia peinture à Ia signat 11
(à Ia pointure qui troue Ia toile), des chaussures à 1 111
propriétaire, voire de Vincent à Van Gogh, bref 1111
complément, un rattachement général comme vér I
en peinture ?

- C'est aller beaucoup trop vite. De quel~\1

preuve qu'on prétende disposer, Ie signataire d li.
tabIeau ne peut être identífié au propriétaíre nommahl
d'un objet essentiellement détachable et représenté d 1\
le tableau. On ne peut procéder à une telle identificatíun
sans une incroyabIe ingénuité, incroyabIe· de Ia p ,
d'un expert aussi autorisé, Ingénuité identificat 1
quant à Ia structure d'un tableau, et même d'un Pcysanne du Brabont.

représentation imitative au sens le plus simple de I

« copie ». Ingénuité identificatoire quant à Ia strucnn
d'un objet détachable en général et quant à Ia logiqu
de son appartenance en général, Quel intérêt a I
motiver un teI faux-pas, c'est Ia question que je vouln
poser tout à l'heure à propos de l'étrange scêne I
320 LA vÉRId EN PBIN I TlTUTIONS
restitution à trois, tous trois grands universit I
européens. Pourquoi tout à coup cet aveuglement, 1I
mise en sommeil, soudain, de toute vigilance critiqu
Pourquoi Ia lucidité reste-t-elle três active, hyper II
tique, autour de cette macu1a, mais seulement sur
bords? Pourquoi cette compulsion hâtive, pou 111
l'un à faire hommage au second, le mort, d'une natul
morte arrachée à (l'interprétation non moins hâtiv I
compulsive de) l'autre, le troisiême ou le premier conun
on voudra, le quatriême restant comme toujours ex \11
Ça donne pour mieux reprendre, ça prend en donn 111
dês lors qu'il y a ces lacets
- de Ia bourse ou du fétiche, si je comprends b 11
La dégaine de cet obiet, si je comprends bien, 00 I
sait pas encore à que1 porteur elle renvoie mais pui qu
vous vous intéressez au porteur, je vois pour rins 111
dans ce lacet, une sorte de cheque au porteur. ]
cheques au porteur. Le píêge, c'est que chacun
précipite pour le remplir, de son nom ou d'un nom t
société à responsabilité limitée (SARL) dont il est pll
ou moins actionnaire ou porteur d'obligation (Heid
pour une société agricole, terrienne, rurale, séden r.
Schapiro pour une société industrielle, citadin.
nomade ou émigrante), sans s'apercevoir que le chêqu
est barré. Et comme cela se fait souvent, d'un doubJ
trait, et peut-être davantage encore : celui qui cadre J
tableau, le coupant de son dehors, le plaçant en ~
sévêrement elos, et celui qui délimite, dans le tabTeau,
Ia forme des chaussures, en particulier cette vacan
défaíte, hantée, délacée
- J'ajouterai ce1ui qui sépare une chaussure
l'autre. Car qu'est-ce qui prouve qu'il s'agit là d'un
paire?
- Diffici1e, dans ces conditions, pour aucun portem
de passer à Ia caisse. Et pour aucun donneur de fai
hommage.
- Et pourtant. 11 y a hommage. Ça donne. Voilà
321
gibt que Heidegger nous aura donné, mieux qu'un
tre, à penser. Le Es gibt « avant » l'être, le Es gibt
lettre,le Sein à partir de (et revenant au) Es gibt Sein.
- Mais nous n'avons pas encore ouvert le dossier
cette correspondance entre Meyer Schapiro et
. Heidegger. Prenons notre temps. De toute
çon, d'oü qu'elles viennent ou reviennent, ces chaus-
es ne reviendront pas à bon porto .
- Ni à bon marché. En dépit de l'incroyable mar-
dage, ou en raison de l'interminable surenchêre
'une analyse qui n'en finit pas de relier, cette fois
- Elles auront beaucoup voyagé, traversé toute
rte de villes et de territoires en guerre. Plusieurs
erres mondiales er les déportations en masse. On peut
rendre son temps. Elles sont lã, faites pour attendre.
our faire marcher. L'ironie de leur patience est infinie,
D peut Ia tenir pour nulle. Nous en étions donc à cette
rrespondance publique er je disais que scellant un
I accord, ce scellé tenait sous scellé une autre corres-
ndance. Secrête celle-là, bien que lisible à même
'autre. Une correspondance symbolique, un accord, un
onique. Dans cette communication entre deux
lllustres professeurs qui ont tous deux une communi-
tion à faire sur un « célebre tableau de Van Gogh »
- l'un des deux est un spécialiste. La peinture, et
ême Van Gogh, c'est un peu sa chose, il veut Ia
der, qu'on Ia 1ui rende -
- que perçoit-on? A travers Ia considération
mutuelle, Ia cívilité d'une légitimation réciproque qui
parait moucheter les coups les plus meurtriers, on est
sensíble aux effets d'un code commun, d'un désir
analogue (identique, identifiable), une ressemblance
dans l'empressement (qui est aussi un empressement
vers Ia ressemblance identificatoire), bref un intérêt
commun, et même une dette commune, un devoir
partagé. IIs doivent Ia vérité en peinture, Ia vérité de
 322 LA VtRITt EN PEIN 11'
Ia peinture et même Ia peinture comme vérité, VIIII
comme vérité de Ia vérité. (IIs doivent dire Ia vérit
peinture. 11 faut bien sür compter avec Ia dette u
devoir - « je vous dois )) - mais dire, qu'est-ce 1i
ça veut dire ici? Et dire en peinture : Ia vérité I 11
elle-même, comme on dit « en peinture »? ou Ia v 111
dite au sujet de Ia peinture, dans le domaine d
peinture? Ou Ia vérité dite en peinture, par le 111
moyen de Ia peinture, non plus dite mais - dire n' I "
plus qu'une maniêre de dire, une figure - pc,,,
Ia vérité silencieusement peinte, elle-même, en 111
ture ?). Pour cela, ils ont tous deux intérêt à ident'jl
à identifier le sujet (porteur ou porté) de ces chaussm
à nouer, à renouer stricto sensu, dans leur bon sens,
objets qui n'en peuvent mais -, à identifier et à (
réapproprier, pour en user à leur tour, cet étr "
hors-d'usage, produit producteur de tant de plus-v I"
supplémentaire. 11 faut à tout prix en retrouver I
pointure, même si ce « sujet ) n'est pas le même pUI"
l'un et pour l'autre. IIs sont d'accord, c'est le conn ,
de cette institution tacite, pour en chercher un, ou pUlII
faire semblant d'en chercher un, tous deux ét /li
assurés d'avance de l'avoir trouvé. Puisque c'est UII
paire, d'abord, et aucun d'eux n'en doute, il doit
avoir un sujet. Si bien que le contrat, l'institution, 11
ce marché de Ia chaussure, c'est d'abord Ia parité ent.
lc:s chaussures, ce rapport três singuliêrement duel qu
~Just~les deux parties d'une paire (identité et différen
identité toc:ue dans le concept ou dans Ia sémantiqu
formelle, différence et non-recouvrement dans l'ori "
tation des traits). S'il y a paire, il y a contrat possibl
on peut chercher le sujet, l'espoir reste permis. )
colloque - et Ia collocation - pourra avoir lieu, I
dispute (s') engager. On pourra s'approprier, expropri r
prendre, donner, reprendre, offrír, s'acquitter, rah
hommage ou injure. Sans quoi
- Pourquoi dire de cette corresrndance qu'elJ
est symbolique ? Symbolique de quoi . sont détachés, en ce double sens, encore en un
- Du symbole. Du symb%n. J'ai dit correspondan
TInITIONS
bolique en raison de cet engagement préalable et
é, de ce colloque contracté à partir d'un intérêt
mmun (le rattachement par un nexus, l'annexion des
ussures ou, cela déjà suffit, Ia simple formation de
oncé « de qui sont les chaussures » ou, ce qui revient
prês au même, dans l'infanterie de cette prépa-
ion un peu militaire, « de qui ou de quoi sont les
s » qui sont ici l'objet du soin constant des profes-
rs), Cela implique une sorte de reconnaissance
iproque (de Ia paire), un échange diplomatique
uble et réciproque) ou en tous cas ce droit des gens
suppose une déclaration de guerre. Pour commé-
rer l'engagement mutuel, on se partage les chaussures,
cun garde un morceau du symõolon. Et le même
rceau, ou plutôt le morceau ressemblant et différent
même tout, le morceau complémentaire. C' est
urquoi Ia paire est Ia condition de Ia correspondance
bolique. Pas de contrat symbolique dans le cas
un double qui ne ferait pas Ia paire. Qui ne serait
une (même) chose en deux, mais un deux dans
dentité.
- Alors finalement, au sujet de quoi, cette corres-
ndance? Au sujet de Ia correspondance? Au sujet
cette parité de Ia paire?
- Ah voilà. Au sujet de quoi. La question « de qui
nt les pieds ? », à laquelle on voudrait faire revenir
de qui sont les chaussures? ) suppose résolue Ia
uestion « de quoi ) ou « que sont les pieds ? », Sont-ils ?
I résentent-ils
ê Qui ou quoi? Avec ou sans chaus-
ures ? Celles-ci sont plus ou moins détachées (en elles,
tre elles et des pieds), par là déchargées : d'une
che ou d'une fonction actuelle. A Ia fois parce que
visiblement détachées et parce que, ne jamais oublier
l'éther invisible de cette évidence triviale, ce sont des
bjets peints (déseeuvrés en tant qu'eeuvre) et les
• ujet » d'un tableau. Hors de fonctionnement, défunts,
utre double sens, celui de Ia déliaison et celui du
étachement d'un émissaire : représentation diploma-
 LA VtRITt EN PEINTO'
tique, si vous voulez, par métonymie ou synecdoqu
Et ce qui se dit des chaussures peut aussi se d J
quoique l'opération soit plus délicate autour d I
eheville, du eou ou des pieds.
A quel sujet, done, eette correspondanee? Au uj'
du sujet de rattaehement. On se presse de renouer v'
le sujet. Le détaehement est insupportable. Et I
correspondanee a lieu au suiet du vrai suiet du su I
d'un « célebre tableau », Non seulement au sujet I,
suiet du tableau, comme on dit, mais du sujet (port 111
ou porté) des chaussures qui semblent former le su I
capital du tableau, des pieds du sujet dont les pi I
ees chaussures puis ee tableau lui-même semblent
détaehés et comme en dérive. Ça fait beaucoup. I I
c'est três compliqué. La structure du détachement « I
done de Ia subjectivité de ees dífférents sujets - diff I
dans chaque caso Et il faut bien dire que Ia corresp 11
dance qui nous intéresse a pour dessein l'effacement I1
toutes ces différences. Parmi lesquelles je n'ai pas en I
compté celle qui détermine Ia subjectivité (sous-jacent )
de Ia chaussure en sa surface Ia plus fondamentale, I
semelle. Ni Ia subjeetivité encore plus ou moins fond I
mentale du sol (sur ou sans le support de Ia toile) av I
ce pas de contact (ce pas de sujet) qui soulêve, selon UII
rythme, l'adhérence d'une marche. Le pas n'est p
présent ou absent. Et pourtant ça marche mal sans p I
- Mais je suis três surpris. C'est bien le texte d
Heidegger qui a ouvert ce débat. Or ne laísse-t-il p
loin derriêre lui toute problématique de Ia subjectivité 1
Celle-ci suppose en effet ce qui est ici par lui dé-séd
menté, entre autres, Ia détermination de Ia cho
comme « hypokeimenon », support, substrat, sub
tance, etc. ?
- C'est un des paradoxes de cet échange. Chaqu
discours y reste inégal, à lui-même inadéquat. Dan
L'Origine ... , le passage sur « un célebre tableau d
Van Gogh » appartient à un chapitre sur La chose I
l'reuvre. On y est oecupé à soustraire Ia chose, mais 1
soustraction ne suffit pas, aux déterminations méta
TITUTIONS
ysiques qui lui seraient tombées dessus, Ia recouvrant
1ui faisant à Ia fois injure (Ueberfall), insultant, dit
traducteur français, ee qui est proprement chose
Ia chose, produit dans le produit, ceuvre dans
vre (das Dinghafte des Dinges, das Zeughafte des
lfIIes, das Werkhafte des Werkes). Ces déterminations
I l'Ueberfall vont par paires ou par couples. Parmi
, il y a Ia détermination de Ia chose comme dessous
'POkeimenon ou hypostasis) par opposition aux
ebekota qui lui surviennent. Ce couple oppositionnel
transformera, dans Ia latinité, en subjectum (subs-
tia) / accidens. Ce n'est que l'une des paires d'oppo-
.ons tombées sur Ia chose. Les deux autres seraient
e de aisthetonlnoeton (sensiblejintelligible) et celle
hylejeidos-morphe (matiêre/forme-figure).
11 faut aceompagner un moment eette démarehe
ideggerienne. Elle constitue le conteste encadrant
édiatement l'allusion au « célebre tableau », Et si
apiro a raison de reproeher à Heidegger d'être si
attentif au contexte interne et externe du tableau
e à Ia sérialité différentielle des huit tableaux
chaussures, il aurait da lui-même éviter une précipi-
.on rigoureusement eorrespondante, symétrique,
ogue : découper sans autre précaution une vingtaine
lignes dans le long essai de Heidegger, les arracher
ta1ement à leur cadre dont Schapiro ne veut rien
voir, en arrêter le mouvement puis les interpréter
vec une tranquillité égale à celle de Heidegger faisant
der les « chaussures de paysan », Aussi, nous apprêtant
traiter de chaussures en peinture et de subjectum en de
ultiples sens, et de sol, de fond, de support (Ia terre
Ia toile, Ia terre sur Ia toile, Ia toile sur Ia terre, les
uliers sur Ia terre, Ia terre sur et sous les souliers, les
ieds ehaussés sur terre, le sujet supposé porter (ou
orté) des pieds, des chaussures, etc., le sujet du
bleau, son sujet-objet et son sujet signataire, le tout
e nouveau sur une toile avee ou sans dessous, etc.),
ref nous apprêtant à traiter de l' être-dessous, du sol
du sous-sol, il est peut-être opportun de marquer
e pause, avant même de commencer, auprês de ce
rubjectum. Je réserve pour une autre fois Ia lecture des
326 LA VÉRITÉ EN PEIN11I
vêtements ou tissus ou voiles, par exemple le b"
comme dessous de ce texte. Ce n'est pas sans rap 111
on le verra, avec le dessous qui nous occupe en
moment du côté de Ia semelle, sole en anglais
- Est-ce opportun pour faire droit à une (U I
d'assonance affine, comme pour donner la note av I"
de parler du sujet en tous sens du « célebre tableau '
Ou bien faut-il considérer comme essentiel et néces 11
le lien entre les deux « sujets », les deux lieux problém
tiques du sujet ?
- Je crois que c'est opportun pour les deux rais /I
La question du dessous comme sol, terre, puis comm
semelle, chaussure, chaussette - le bas -, pied, t
ne peut être étrangêre à Ia « grande question » d I
chose comme hypokeimenon, puis comme subjectu",
Ensuite s'il est acquis que la démarche de L'origin
prétend reconduire en-deça, en amont ou à Ia veille ti
la constitution du « subjectum » dans l'appréhension ti
la chose (en tant que telle, en tant que produit ou 11
tant qu'eeuvre), alors lui poser la question du « sujet ,
du sujet de cette paire de souliers, ce serait peut-êu
commencer par une méprise, par une lecture imaginair ,
projective ou erronée. Sauf si Heidegger ignore (exclu ,
forclõt ? dénie ? laisse dans l'implicite ? dans l'impens6 )
une autre problématique du suiet, par exemple dans UII
déplacement ou un développement de Ia valeuI
« fétiche ». Sauf donc si on déplace autrement ceu
question du subjectum, hors de la problématique de I
vérité et de Ia parole qui gouveme L'origine. Le moin
qu'on puisse dire, c'est que Schapiro ne le tente p
11 y est pris et même sans en avoir apparemment 1
moindre soupçon.
- Et pourtant. Si ce « pas en arríêre » (Sehriu
zurück) sur le chemin de pensée
- 11 y a l'insistance sur Ia pensée questionnant
comme « Weg)), comme chemin ou comme cheminement.
Elle rêgle tout chez Heidegger. Elle est difficile et 11
TlTUTIONS
ít l'accorder avec le « sujet » qui nous occupe en
lieu propre, avec son paysage, sa paysannerie, son
onde », et cette « chose » qui n'est ni du sol ni du
an mais entre eux, les chaussures. Cela nous
erait trop loin aujourd'hui, du cõté des chaus-
ou des bas avec lesquels une pensée chemine,
e, parle, écrit, avec sa langue (comme) chaussée;
de ce qui a lieu quand les chaussures de Ia pensée ne
t pas, le sont-elles jamais, lacées de façon absolument
cte ou quand les bas de Ia langue sont un peu défaits.
Ipposez que les chaussures de Van Gogh ressemblent
eelles qui viennent, dans le texte, de cheminer sur
chemin qui conduit à ce qu'il y a de proprement
duit dans le produit » (Doch welcher Weg führt
Zeughaften des Zeuges est une phrase qui précêde
quatre lignes l'évocation du « célebre tableau » et Ia
e que Schapiro cite en commençant : « Nous nous
assurerons au mieux en décrivant tout simplement,
aucune théorie philosophique, un produit, Comme
emple, prenons un produit connu : une paire de
iers de paysan ... », 11 ne s'agit pas encore de produit
mme une oeuvre d'art ou en elle : articulation fine
équivoque dont nous devrons bientôt tenir compte,
du moins on veut lire ce texte).
- Si done pourtant, ee « pas en arriêre » sur le
emin de pensée devait revenir en-deçà de tout
subjeetum », comment expliquer cette attribution
ve, primesautiêre, précritique des chaussures d'un
bleau à un (( sujet » aussi déterminé, le paysan, Ia
ysanne plutõt, attribution et détermination serrées
ui orientent tout ce discours sur le tableau et sur sa
vérité »? Serions-nous d'accord pour qualifier ce
te comme je viens de le faíre : naíf, primesautier,
critique?
- Oui, et Ia démonstration de Schapiro confirme,
ur ce point précis, ce qu'on pouvait percevoir três
te. Mais il reste à délimiter Ia place et Ia fonction de
tte ((attribution » dans le texte, Ia carte de ses effets
ur le long cours de Ia démarche, sa non-congruence
 LA VÉRITÉ EN PEIN \I

apparente avec les motifs dominants de l'essai : rem nl

en-deçã du subjectum, en effet, mais aussi critique d I
représentation, de l'expression, de Ia reproduction, ,.
11 faudra y revenir, comme à Ia logique de l'UeberJ ,/1
Sur toutes ces questions et malgré une pertinence n
tive et ponctuelle, Ia démonstration de Schapiro 111
parait bien vite essouflée. Et sa « naiveté primesaut I
ou précritique II (je reprends ces mots) tout à I I
symétrique ou complémentaire de celle qu'il a raison I
dénoncer chez Heidegger. La correspondance I

suivre ces effets jusque dans le détail. Tout à I'heui

Nous étions convenus d'une pause auprês du subJ '
tum, au moins pour retourner le dessous de cette corr
pondance.

- 11 y a au musée de Baltimore une paire de chau

sures de Van Gogh (oui, peut-être une paire,cettefo I.
des chaussures montantes comme celles-ci. Disons I
demi-bottes. Mais à gauche, l'une des deux est retourn .
montrant son dessous, sa semelle à peu prês neuv .
ornée d'un dessin c1outé. Le tableau date de I H,
(F. 333).
- Revenons en-deçà de l'allusion au « célêbi
tableau li, au moment ou le chapitre La chose et l' ceuv
nomme « l'expérience grecque fondamentale de l'être I
l'étant en général li. Ie souligne fondamentale (GrundI,
fahrung). L'interprétation de Ia chose en hypokeimenoll
puis en subjectum ne (se) produit pas seulement (comm )
un léger phénomêne linguistique. La traduction tran
formatrice de hypokeimenon en subjectum correspondrsu
à un autre « mode de pensée li et d'être-lã. Elle traduírait,
transporterait, transférerait (Heidegger souligne le p
sage en über) par-dessus et au-delã de ladite expérien
grecque fondamentale : « La pensée romaine repren I
(übernimmt) les mots (Wiirter) grecs sans l'expérien
co-originaire correspondante de ce qu'ils disent, sans I
parole (Wort) grecque. L'absence-de-sol (Boden/
sigkeit) de Ia pensée occidentale s'ouvre avec cett
traduction »,
Le sol (de Ia pensée) vient donc à manquer quand d
33° LA V~RITÉ EN PEIN II
mots perdent Ia parole. Les « mêmes » mots (~rI '
privés de Ia parole (Wort) correspondant à l'expérl 1\
originairement grecque de Ia chose, les « mêmes » 111
qui ne sont donc plus tout à fait les mêmes, les dou! I
fantômatiques d'eux-mêmes, leurs simulacres lége •
mettent à marcher au-dessus du vide ou dans le v I
bodenlos, Retenons longtemps cette différence des m«
à Ia parole, elle nous aidera tout à l'heure, et plu I I t
enéore, à comprendre, au-delã du débat étroit sur I' 1III
bution de ces attributs, de ces accidents que seraient I
pieds, ã fortiori les chaussures, ce que dit Ia chose.
qu'on lui fait ou laisse dire, ce qu'e11efait ou laisse d I
- Devríons-nous croire qu'entre cette privation I
sol et le lieu de ces chaussures, leur avoír-líeu ou 1 111
tenir-lieu, il y ait que1que topos commun? Elles 1111
l'air en effet d'être un peu en l'air, soit qu'elles par
sent sans contact avec Ia surface, comme en lévitation 11
dessus de ce qui pourtant Ies supporte (celle de droit •I
plus visiblement ((gauche » des deux, semble un peu (111
levée, mobile, comme si elle s'enlevait pour un II
tandis que l'autre adhérait davantage au terrain), '"
que, abandonnées à leur être-délacé, elles suspend 111
toute expérience du sol, celle-ci supposant Ia march I I
station debout et qu'un « sujet » iouisse de ses pieds, ,,,'
encore, plus « radicalement l),que leur statut d'obj I
représenté dans Ie cadre strict d'une toile peinte, v I
accrochée au mur d'un musée, détermine Ia Bod I
losigkeit elle-même, Ia provoque ou Ia définisse, Ia tr
duise, Ia signifíe ou comme on voudra, Ia soit, lã
- et le désir alors de leur faire reprendre pied sur I
sol de l'expérience fondamentale
- Non, non, du moins pas si vite. 11s'agit seulemem
pour commencer, de découvrir quelques effondremem
de terrain, quelques abimes aussi dans le champ 111
s'avancent si tranquillement
- Pourquoi pas de tranquillité? Pourquoi ceu
persécution ?
lTUTIONS 331
les discours d'attribution, les déclarations de
riété, les performances ou les investitures du type :
est à moi, ces chaussures ou ces pieds sont à quel-
'ua qui dit « moi et peut du coup s'identifier, elles
l)
artiennent à du nommable (commun : le paysan ou
paysanne, l'homme de Ia ville; ou propre : Vincent
Gogh; et propre dans les deux désirs : Heidegger,
apiro qui exigent Ia restitution). Ces abimes ne sont
le « dernier mot et surtout ils ne consistent pas
l)
plement en cette Bodenlosigkeit dont nous venons
arler. Au moment même ou Heidegger dénonce Ia
uction en mots latins, au moment ou, en tous cas, il
e perdue Ia parole grecque, il se sert aussi d'une
étaphore ». Au moins d'une métaphore, celle du
dement et du sol. Le sol de l'expérience grecque
it défaut à cette « traduction ». Ce que je viens d'ap-
er trop vite « métaphore » concentre toutes les diffi-
rés à venir : parle-t-on « métaphoriquement » du sol
ur quoi que ce soit? Et de Ia marche ou des chaus-
es (le vêtement, l'outil, l'institution, l'investiture
lme) pour Ia pensée, le langage, l'écriture, Ia peinture
le reste.
Que dit Heidegger? 11 dit ceei : dês lors qu' on
'ppréhende plus Ia chose comme le faisaient les
, à savoir en dessous comme hypokeimenon, mais
e substantia, le sol vient à manquer. Mais ce sol
t pas l'hypokeimenon, c'est l'expérience originaire e~
ndamentale des Grecs ou de Ia parole grecque qui
préhende Ia chose comme être-dess~us. C' ~t le sol d.e
IYPokeimenon. Ce redoublement (métaphorique ?) doit
e interrogé pour lui-même. Et le dessous du dess?us
duit à une pensée de l'abime, plutôt que de Ia rmse-
-abyme, et l'abime serait « ici » un des lieux ou non-
ux prêts à tout porter de ce ieu.
- Voilà qui éloigne ~eaucoup de}a « Natu;e morte .....»
Schapiro et de ce qur fut nomme tout à 1heure, SI je
e souviens bien, l'offrande de l'oreille coupée à
ldstein.
- Non, d'une paire (qui n'a peut-être jamais exísté,
332 LA VÉRITÉ EN PBIN I
et que personne n'a jamais eue) de choses détach
renouées pour en faire cadeau. Un cadeau, comm I
nom l'indique, en chaine. Est-ce que ça s'est élo 11
Qu'est-ce que s'éloigner? L'é-loignement ent-fem; I,
il, é-loigne le lointain ...
- Je ne m'éloigne pas, je suis en train, à partir 11 I
de revenir à ce que dit l'autre. Car Ia chose est n •.,
plus dérobée ou enrobée par-dessous son inve I I 11
qu'il n'y parait. A I'instant ou il nous rappelle u
grec et à l'appréhension de Ia chose comme hYPll
menon, Heidegger donne à penser que cet origin 11
recouvre encore, lui tombant dessus, quelque clu
L'hypokeimenon, ce dessous, dissimule un autre de 111
Ainsi le dessous latin (substantia-subjeaum} fait d 1
raitre, avec le sol grec, le dessous grec (hypokeimln' I
mais celui-ci cache ou voile encore (Ia figure du VIII
ment, du linge voilant comme dessus-dessous ne tar 1 ,
pas à apparaitre, et I'hymen qui l'entraine dans l'lml
cidable ne sera pas sans rapport avec Ia chaussett 1
soquette ou le bas, entre pied et chaussure) une cho I
« plus )) originaire. Mais le « plus )) s'emportant 11
même, Ia chose n'a plus figure ou valeur de « desso
Se trouvant (ou pas) « sous ))le dessous, elle n'ouvr ,
pas seulement un abíme. Elle prescrirait brusquern 1\
discontinüment, d'un coup, le changement de directu••
ou plutôt une tout autre topique.
- Peut-être celle de ce revenir dont Ia grande port .
tout à l'heure
- Peut-être. Le topos de l'abime et a fortiori c 111
de Ia mise-en-abyme pourraient aussi dissimuler, 11
tous cas amortir un peu Ia brusque et anguleuse né
sité de cette autre topique. Et de cet autre pas. VoilA
qui m'intéresse « sous » cette correspondance quant
un « célebre tableau » de vieux souliers de mar "
délacés
- à moitié délacés
TlTUTIONS 333
et lorsque se pose, si on peut dire, Ia question de
lieu. Comment prendre cette correspondance et ce
sfert, toutes ces traductions ?
J'arrive en retardo Je viens d'entendre les mots
btme )),« offrande ) ou « don », Ça donne dans l'abime,
donne -I'abíme, 11y a, esgibt, l'abime. Or i1 me semble
n que L' origine se lit aussi comme un essai sur le don
chenkung), sur I'offrande : l'un des trois sens dans
quels justement Ia vérité viendrait à son instauration,
on institution ou à son investiture (Stiftung). L'un
deux autres sens, Ia fondation (Gründen), n'est pas
rapport au sol. D'autre part, cette vérité qui est,
t Heidegger, « non-vérité et qui « advient (geschieht)
li
le tableau de Van Gogh . (énoncé sur lequel ironise
apiro), L' origine dit aussi que son essence ouvre
lutôt à I' « abíme I). Rien à voir avec Ia certitude attri-
tive sur le sol assuré de Ia subjectivité (cartésiano-
elienne). Alors? Avant d'appliquer ces « concepts )
00 ou abíme par exemple) au débat, voire à tel
objet » qui serait Ie texte de Heidegger, peut-être
udrait-il commencer par les déchiffrer et les restituer
PU le texte de Heidegger qui se soustrait peut-être
I vance à l'application qu'on voudrait lui en faire, en
blématise d'avance tous les instruments. Alors une
plication malicieuse et agile pourrait bien se révéler
énue, lourde, somnambulique, et le détectíve piégé
- Sans doute. 11 faudrait alors procéder de telle
çon . que toutes ces inégalités à soi du discours,
lautieusement -
- Nous étions réunis, c'était entre nous Ia conven-
n, pour parler de La nature morte... de Schapiro et
'une certaine correspondance dont le secret nous fut
un moment promis. Je propose qu'on y vienne enfio.
n'en tinira jamais autrement dans les limites pro-
ées. Macu/a définit les limites, voilà ce qui reste
voir et si c' est pour nous Ia Ioi, nous ne pouvons
y toucher.
334 LA VÉRITÉ EN PEIN II
- Moi, ce qui m'a intéressé, c'est de voir 111
expliqué d'un certain côté pourquoi j'avais tou I"
trouvé ridicu1e et lamentable ce passage de Heid
sur Van Gogh. C'était donc bien Ia naíveté de c I'
Schapiro appelle justement une « projection li.On 1\
pas seulement déçu quand le sérieux académiqu
sévérité et la rigueur du ton font place à cette « ,{"
tration II (bildliche Darstellung). On n'est pas seulem "
déçu par Ia précipitation consommatrice vers le CODl "
d'une représentation, par Ia lourdeur du patho , I
Ia trivialité codée de cette description, à Ia fois sur 11 I
gée et indigente, dont on ne sait jamais si elle s'811 I
autour d'un tableau, des souliers « réels I) ou des sou, I
imaginaires mais hors peinture, par la grossiêret I
cadrage, l'arbitraire ou Ia barbarie du découpage, l' "
rance massive de l'identification : « une paire de soull
de paysans li, comme ça! ou a-t-il pris ça? ou I fessor Heidegger, comme dit Professor Schapiro en
explique-t-il? Alors on n'est pas seulement déçu I"
pouffe de rire. La chute de tension est trop forte. ,
suit pas à pas le cheminement d'un « grand-penseui
il fait retour à l'origine de l'eeuvre d'art et de Ia v ti
en traversant toute l'histoire de l'Occident et voilã <t"
tout à coup, au détour d'un couloir, on se retrouv
pleine visite organisée, écoliers ou touristes. Quelqu'm
est allé chercher le guide dans Ia ferme voisine. PI 11
de bonne volonté, Il aime Ia terre et une cert "
peinture quand il s'y retrouve. Abandonnant son a II
vité habituelle i1 va prendre sa clé en faisant atten h
les visiteurs qui descendent lentement du caro (11
un Iaponais parmi eux, qui posera tout à l'heure quelqu
questions au guide, en aparte.) Puis Ia visite commen
Avec l'accent local (souabe), il essaie de faire vibrer I
clientêle (il y réussit parfois et tremble aussi régul
rement, en mesure, chaque fois), il multiplie les a I
ciations et les projections immédiates. De temp
autre, il montre les champs par Ia fenêtre et persom
ne s'aperçoit qu'il ne parle plus de peinture. Bon. I
on se dit que la scêne, le choix de l'exemple, Ia procédui
du traitement, rien de tout cela n'est fortuito Le guíd
d'occasion est celui-là même qui, avant et aprês ceu
tirade incroyable, poursuit son discours sur l'origin
TlTUTIONS 335
l'eeuvre d'art et sur Ia vérité. C'est le même discours,
'a jamais été interrompu par Ia moindre digression
qui manque d'ailleurs à toutes ces démarches pro-
orales quant aux chaussures, c'est le sens de Ia
ession : les chaussures doivent faire Ia paire et
cher sur le chemin, en avant ou en arriêre, à Ia
'te en cercle, mais sans digression, sans pas de côté
. ne soit alors répréhensible; or il y a un rapport
e le détachable du pas et Ia possibilité du digressif).
vous vois choqués, dans votre déférence, par Ia scêne
e j'ai, comment dire
projetée.
- Alors revenons en classe. Tout ça est classique,
I aire de classe, de pédagogie aussi et de classicité.
mmage à Professor Goldstein, projette une diaposi-
ve. 11 veut intéresser, par cette illustration, dês le
but de sa conférence. Car L'origine fut d'abord, à
ne date três significative, une série de conférences
vant une Kunstunssenschaftliche Gesellschaft puis de-
I nt un Freie Deutsche Hochstift, et s'en ressent.
- Le mot « illustration li vient d'être prononcé. 11
I' vait été plusieurs fois auparavant. Je propose qu'on
mmence par là, s'il faut commencer et s'il faut lire
Note de Schapiro contre laquelle j'ai I'intention de
fendre systématiquement, au moins pour l'exercice
commission, Ia cause de Heidegger (qui, ne l'ou-
lions pas, tient aussi, en ce lieu ou il est question de
chose, un important discours sur Ia causa). Bon
ombre de difficu1tés tiennent à ce qu'on traduit par
llustration. Dans son protocole, Schapiro se sert de ce
ot par leque1 on traduit aussi en français « bildliche
arstellung li «(
11 suffit pour cela d'une illustration.
ous choisissons à cet effet un célebre tableau de
an Gogh ... Schapiro ouvre son texte - et L'origine-
li).
ce point (mais de que! droit ?) et il écrit : « Dans son
sai sur L'origine de l'ceuore d'art, Martin Heidegger
terprete une peinture de Van Gogh pour illustrer (to
 LA VÉRITÉ EN PEIN 11I
illustrate) Ia nature de l'art comme dévoilement ti
vérité, 11 en vient à cette peinture au cours d'un 11
tinction entre trois modes d'être : les artefacta utilit 11
[produits], les choses naturelles et les eeuvres d' ti I
propose de décrire d'abord, « sans aucune théorie 111.,
losophique ... » une espêce familiêre de produit [Z,
traduit par equipment] - une paire de chaussur II
paysan, et « pour en faciliter Ia visualisation » [VI'I'
realisation, qui traduit Veranschaulichung, présent I "
intuitive, sensible], il choisit « un célebre tableau 1
Van Gogh qui a souvent peint de telles chaussur
Mais pour saisir « l'être-produit du produit », 01111
devons savoir « comment les chaussures servent eU '
tivement », Pour Ia paysanne elles servent sans qu'ell
pense ni même qu'elle les regarde. Debout et march 1\
dans ses chaussures, Ia paysanne connait l'utilité [Sertll
ability, Dienlichkeir] en laquelle « consiste l'être-prod 11
du produit I). Mais nous ... » Et Schapiro cite ces d 11
paragraphes que vous jugez tous si ridicules ou '
imprudents. Relisons-les d'abord, en allemand, en fr 11
çais, en anglais.
- C'est fait.
- Avant d'aller plus loin, je releve dans le déc \I
page protocolaire de Schapiro un certain nombre I
simplifications, pour ne pas dire plus. Elles ont d
effets sur tout ce qui suit. 11 simplifie en disant qu
Heidegger interprete une peinture pour illustrer I
nature de l'art comme dévoilement de Ia vérité. "
n'a pas besoin, pour le prouver, de se référer à ce qu
dit Ia page suivante, à savoir (dans Ia traduction fran
çaise d'abord) : « ••• l'eeuvre n'a nullement servi (diem
gamicht ), comme il pourrait sembler d'abord, à mieu
illustrer ce qu'est un produit I). Ce qu'on a traduit 11
français par « illustrer lI, c'est Veranschaulichung, cett
fois, et non Darstel/ung aussi traduit plus haut p t
USTlITUTIONS 337
ustration. La Veranschaulichung, Ia présentation in-
'tive en que1que sorte, c'est ce qu'il fallait faciliter
invo~uant l'exemple du tableau. Mais c'est aussi ce
u'on n a pas fait, bien qu'on ait paru le faire. Hei-
gger le précise clairement : I'eeuvre ne nous a pas
i à cela, ne nous a pas rendu ce service qu'en
mme nous avons feint d'attendre d'elle. Elle a fait
leux qu'illustrer ou présenter à l'intuition sensible
ou pire, selon le point de vue -, elle a montré, fait
aitre, Heideggervient de rappeler que I'oeuvre n'a
« servi » de Veranschaulichung ou de Darstellung,
I?récise : « C'est bien plus l'être-produít du produit
w arrive, proprement (eigens ) et seulement par l' ceuvre,
on paraitre. » Ce paraitre de l'être-produit n'aurait
lieu dans un ailleurs que l'ceuvre d'art pourrait,
y renvoyant, illustrer. 11 a lieu proprement (et
ement) en elle. Dans sa vérité même. Cela peut
mbler aggraver l'illusion dénoncée par Schapiro et
ettre au compte de Ia présentation ce qui n'était
ceusé qu'au titre de Ia représentation, comme si
eidegger pensait voir encore plus directement ce que
chapiro lui reproche d'inférer trop vite. Mais les
hoses ne sont pas encore si simples et nous devrons
revenir.
Tout d'abord : ce n'est pas en tant que chaussures-
-paysan, mais en tant que produit (Zeug) ou en tant
ue chaussures comme produit que l'être-produit s'est
, esté. La manifestation est celle de l'être-produit
u produit et non de telle ou, telle espêce de produit,
oire de chaussures. T elle était Ia fonction de Ia Dars-
, Ilung, 11 faut bien Ia délimiter dans ce passage et en
érencier les étapes. Heidegger n'est pas en train,
out simplement, comme le prétend Schapiro, de dis-
nguer entre trois modes d'être de Ia chose.
- Mais de quoi s'agit-il alors au moment ou inter-
vient Ia prétendue « illustration » ?
- Heidegger vient d'analyser le systême des trois
uples de déterminations surimposées à Ia chose. Ils
ont connexes, associés dans une sorte de « mécanique
 LA VÉRITÉ EN PEIN'III
eoneeptuelle » (Begriffsmechanik) à 1aquelle rien I
résiste. Parmi les effets de ce systême, le couple matl ,
forme et le concept de chose comme matiere info 111
ont longtemps dominé toute théorie de 1'art et tu11I
esthétique. Aujourd'hui encore. Dês lors qu'il '111
resse ici à l'eeuvre d'art, Heidegger insiste et pr I
sa question : ce comp1exe (dominant) forme-m li ,
a-t-i! son origine dans l'être-chose de Ia chose ou hl ,
dans I'être-oeuvre de I'eeuvre et dans l'être-pr li••
(sous-entendu avec Ia participation de l'homme, d'",
Ia tentation de prendre ce comp1exe matíêre-for li'
pour Ia structure immédiate de Ia chose) du prod til
Autrement dit, ne serait-ce pas à partir de Ia ch«
comme eeuvre ou comme produit que se serait secr I
ment constituée cette interprétation généra/e (prétend«
ment généraIe) de Ia chose comme matiêre inform
Or relisez le chapitre : au cours de cette interrog 1111
sur le produit eomme matiêre informée, l'exempl I
Ia paire de chaussures survient au moins trois
aoant et sans Ia moindre référence à une CBUfJ7'e
"I
d'lJ I
qu'elle soit picturaIe ou autre. Deux fois assoei
celui de Ia hache et de Ia cruche.
- 11 y a beaucoup à dire sur ces exemples et
le discours de Ia cruche ehez Heidegger, à propo
la chose justement.
- Oui, chez Heidegger et d'autres avant lui, d n
sa tradition, ou aprês lui, Ponge par exemple, M
ne nous laissons pas détoumer. Une autre fois. Ap,
avoir été à deux reprises associée à Ia cruche et I
hache, Ia paire de chaussures (la troisiême fois m I
toujours avant qu'il soit question du tableau) se déta li
des autres exemples. Elle est tout à coup seule, .11
répond sans doute à un besoin particulier, mais II
degger ne 1e thématisera jamais. C'est peut-être qui
Ia différence de Ia hache et de Ia cruche, ce produ 11
utile est aussi un vêtement (Fussbekleidung) dont I
mode de rattaehement au corps du sujet - disons plll
rigoureusement au Dasein - comporte une originalit
dont on tirera un meilleur parti dans ce contexi
TlTUTIONS
339
. sons. En tous cas cet exemple se passe três bien,
ndant de longues pages, de toute référence esthé-
ue ou picturaIe. Or c'est au cours de sa derníere
rence avant 1'allusion au « célebre tableau » que
met en place un schême essentiel. Sans Iui on ne
mprendrait rien au passage sur telle eeuvre de Van
gh, à sa fonction différentielle, à son équivoque
éductible aussi. J'ai dit schême : i1 s'agit en somme,
un sens kantien à peine déplacé, d'un mixte, d'une
diation et d'une double appartenance ou d'une
uble articulation. Le produit (Zeug) semble se tenir
tre Ia chose et I'ceuvre d'art (I'oeuvre est toujours
vre d'art dans ce contexte : Werk). 11 participe des
bien que l'eeuvre ressemble (gleicht ), plus que
~roduit, à Ia « simple chose ». L'exemple deschaussures
de 1'analyse de ce schématisme au moment de sa
iêre mise e~ place. C'est seulement trois pages
lus 10m, pour faíre un pas de plus dans eette question
l'être-produit que Heidegger reprendra 1e même
emple : cette fois à l' « intérieur » d'une eeuvre d'art;
us verrons pourquoi et comment cet « intérieur » se
ourne, d'un seul pas franehi. Pour l'instant, Ia paire
chaussures est un paradigme
\I
I - dans ce statut de paradigme, elle a une três noble
éalogie philosophique, depuis Platon, On peut donc
tendre ici une sorte de citation, aussi cryptée que
nventionnelle, dans une longue chaíne de diseours.
- c'est ici un paradigme de Ia chose comme « pro-
uit ». ElIe n'est pas encore « peinte » ou « peinture »
elle tient exemplairement cette « place intermédiaire
wischenstellung, lieu de I'entre, entre-stêle ou entre-
ture dirait peut-être Lacoue-Labarthe dont il faut
lire ici Typographie, dans Mimesis] entre Ia simple
ose (blossen Ding) et l'ceuvre (Werk) », Quand le
produit » sera le sujet d'une « ceuvre », quand Ia chose
mme produit (chaussures) sera le « sujet » présenté
représenté par une ehose comme eeuvre (tableau de
ao Gogh), Ia chose sera trop compliquée pour qu'on
traite aussi légêrement et aussi simplement que
 34° LA VÉRITÉ EN PEINTII
Schapiro. Car on aura affaire à une eeuvre (qui resseml.l
plus à. une simp~e chose qu'à un produit et plus qu'u»
prodwt à une sunple chose), à une eeuvre présem 111
ou représentant un produit dont le statut est im I
médiaire entre Ia chose et l'ceuvre, etc. Le mode inl I
médiaire est au milieu des deux autres qu'il rassem 11
e~ diyise eIl; lui selon. ~e, structure d'enveloppem 111
diffícile à etaler. VOlCl d abord le schématisme I"
produit. Par exemple : les chaussures en général, I
prélêve et souligne quelques mots : « Le produu
(Zeug), par exemple le produit chaussures (Sehuhz
repose, aussi prêt (fertig, achevé) en lui-même qu I
chose pure et simple, mais il n'a pas eomme le blo II
granit, cette Eigenwüehsige [difficile à traduire : noo I
« spontanéité » (tr. fr.) mais compacte suffisance, pn.
priété drue et ne renvoyant qu'ã soi, entêtée]. D'auu
part le produit montre aussi une parenté (V erwaml
schaft ) avec I'eeuvre d'art, dans Ia mesure ou il ,
produit (heruorgebracht ) de main d'homme. Mal I
cela, I'eeuvre d'art à son tour, par cette présenee
suffisant à elle-même (in seinem selbstgenügsamen An
sen) , ressemble (gleicht) à Ia chose pure et simfl I é mais qui peut toujours être anaJysé : délié jusqu' à
ne renvoyant qu'à soi (eigenwüchsige) et qui n ,
contrainte à rien {eu nichts gedrãngten ) [... ] Ainsi I
produit est à moitié chose, parce que déterminé p I
Ia choséité, et cependant plus que cela; en même temj
il est à moitié eeuvre d'art, et eependant moins q
cela
- donc une oeuvre comme le tableau aux chaussur
représente sa moitié et cependant moins que cela
- et eependant moias que cela, paree que lui manqu
l'autosuffisance de I'eeuvre d'art.
- done une eeuvre comme le tableau aux chaussur
exhibe ce qui manque à quelque ehose pour être un
eeuvre, elle exhibe - en chaussures - le manque d'ell
même, on pourrait presque dire son propre manqu
Et c'est en cela qu'elle se suffirait? Qu'elle s'accompli
rait? Se complête-t-elle alors ? A moins qu'elle ne (8 )
TITUTIONS 341
borde, dans l'inadéquation, l'exeessif, le supplé-
otaire?
- Heidegger poursuit. « Le produit a done sa place
termédiaire (Zwisehenstellung) propre entre Ia chose
l'oeuvre, à supposer qu'il soit permis de se livrer à
telle classification eomptabilisante. »
Ce qui, aux yeux de Heidegger lui-même, limite Ia
.timité de eette triplicité arithmétique (celle par Ia-
lle Sehapiro résume hardiment tout le eontexte :
•.. in the course of distinguishing three modes of things... »),
st que si Ia chose 2 (le produit) est entre le chose 1
ue, pure et simple) et Ia ehose 3 (l'oeuvre d'art),
icipant ainsi des deux, il n'en reste pas moins que
chose 3 ressemble davantage à Ia chose I : aussi,
us loin, le tableau se présentera comme une ehose et
lui reconnaitra un privilêge dans Ia présentation qui
'y fera (dans Ia présenee, se suflisant à elle-même) de
ehose 2 (ehaussures comme produit). Ces « trois »
modes » ne sont done pas entre eux dans un rapport
distinction, comme le croit Sehapiro. (Entrelacement
certain point. Comme un lacet, chaque « ehose )),
aque mode d'être de Ia chose, passe au-dedans puis
-dehors de l'autre. De Ia droite à Ia gauche, de Ia
uche à Ia droite. Nous articulerons cette strophe du
cet : dans sa retorsion passant et repassant par l'oeíllet
Ia chose, du dehors au dedans, de dedans au dehors,
Ia surfaee exteme et sous Ia surface interne (et
. versa quand cette surfaee est retournée comme le
ut de Ia ehaussure de gauche), il reste le « même »
part et d'autre, entre droite et gauche, se montre
disparait (fort/da) dans Ia traversée réguliêre de
l'eeillet, assure Ia ehose de son rassemblement, dessous
Ii~ au-dessus, dedans serré au-dehors, par une loi de
tricture. Dure et souple à Ia fois), Ainsi, l'eeuvre, qui
semble plus à Ia ehose pure et simple qu'un produit
chaussures par exemple) est aussi un produit. Le ta-
leau aux chaussures est un produit (d'art) ressemblant
une chose, présentant (et non re-présentant, nous y
viendrons) un produit (chaussures), etc,
 LA VÉRITÉ EN PEIN 111
Le recours au « célebre tableau » est d'abord iu 111
par une question sur l'être-produit et non sur I' U I
d'art. C'est comme en passant et aprês coup qu"
semblera parler de I'ceuvre en tant que telle. Au 111,
ou Heidegger propose de se tourner vers le tabl
il ne s'intéresse donc pas à I'ceuvre, seulement à I' "
prod~t dont des chaussures - n'importe lesquell.
fo~ssent un exemple, Si ce qui lui importe et qUI
décrit alors, ce ne sont pas les chaussures en peinnu
on ne peut légitimement attendre de lui une de 111'
ti~~ du ta~leau p'our lui-même ~i par conséquent "
crltiquer. I:unpertm~nce. A qUOI s'occupe-t-il don
pourquoi insiste-t-il tant sur I'être-produit? Il
s~upçon, lui aussi, et une hypothêse : Ia chose pur
simple, Ia chose I n'a t-elle pas été secrêtement d ,
minée à partir de Ia chose 2, du produit comme mau ,
informée? Ne faut-il pas tenter de penser l'être-pro 1111I
« avant », « hors », « sous » cette détermination survenu
« C'est ainsi que l'interprétation de Ia chose selou I
matiêre et Ia forme, qu'elle reste médiévale ou devi /111
transcendantale au sens kantien, est devenue cour "I
et ~llant de soi. Mais? pour ,au~ant elle n'en est Jl
moms que les autres mterpretanons de Ia choséité I
Ia chose une surimposition tombée sur' (Ueberfi 1/
l'être-chose de Ia chose. Cerre situation se révêle d
~s te fait q~e nous. nommions les choses proprem
dites {eigentlichen Dingen) des choses pures et simpl
(bloss Dinge, des choses nues). Ce « nu » (Das « bloss
veut dire toutefois le dépouillement [EntbliJssung, I
mise à nu qui dépouille de -] du caractêre d'utilu
( Dienlichkeit) et de fabrication
- Si je comprends bien : 000 pas Ia mise à nu 111
pied, par exemple, mais Ia mise à nu des souli I
redevenus choses nues, sans utilité, dépouillées de 1 \lI
valeur d'usage ? Présenter des chaussures comme cho
(1 ou 3, sans 2), ce serait en exhiber une certain
nudité, voire une obscénité
- obscénité, c'est déjà en remettre, disons nudit
oui. Heidegger poursuit : ... « et de fabrication. I
TUTIONS 343
e nue (blosse Ding) est une espêce de produit
) mais un produit dévêtu (entkleidete) de son
-de-produit. L'être-chose consiste alors en ce qui
e encere (was noch übrigbleibt). Mais ce reste (Rest)
I t pas proprement (eigens) déterminé en lui-même ... »
Le reste : ces chaussures nues, ces choses à
ge incertain, retournées à leur délaissement de
e à ne rien faire.
C'est peut-être encere trop les penser à partir
leur valeur d'usage. Pour penser autrement ce
10 este », et « proprement » (e.gens), Heidegger fait
un autre pas. 11 veut interpréter l'être-produit
I ou en-deçà du couple matiêre-forme, convaincu
'00 n'atteindra pas à ce reste par soustraction du
roduit » mais en ouvrant un autre chemin vers ce
'il y a de proprement produit dans le produit, vers
« Zeughaften des Zeuges D. La référence à Van Gogh
scrit dans ce mouvement, en ce qu'il peut avoir de
strictement singulier. Cela dit, à l'intérieur de ce
uvement, le geste de Heidegger, avec Ia subtilité
.sanale d'un cordonnier à l'alêne courte et passant
te du dedans au dehors, parle tantõt du tableau, en
" taniõt de tout autre chose, hors de lui. Dans un
'li mier temps et au premier chef, Ia question qui
voque Ia référence au tableau ne conceme en rien
e ceuvre d'art, D'une certaine maníêre il n'est pas
uestion de peinture dans Ia motivation premiêre du
ssage. Et pourtant, par ce mouvement en lacet dont
us parlions (du dedans au dehors, du dehors au
dans, traversant de sa pointe ferrée Ia surface du cuir
u de Ia toile dans les deux sens, par piqâre et poin-
re) le trajet de Ia référence se divise, se multiplie.
e façon à Ia fois retorse et naíve sans doure mais
10n une nécessité que le proces de Schapiro me
ait négliger.
- S'agit-il de rendre justice à Heidegger, de lui
tituer son da, sa vérité, Ia possibilité de sa marche et
e son cheminement propres ?
344 LA VÉRITÉ EN PEIN 11'
- Cette question vient un peu tõt. Je ne fai
commencer.
- I'interromps un instant pour rappeler, dan
parergon, ce blanc du cadre aux angles ouvem
séparait le passage cité à l'instant - sur le « nu .,
(Iproduit dévêtu » et le « reste» - d'une série de q
tions que je voudrais citer : « ••• et si l' Ueberfall av I I
structure du parergon? La surimposition violente 1'"
tombe agressivement sur Ia chose, 1'«insulte», dit étr "
gement mais non sans pertinence le traducteur fran
de l' Ueberfall, l'asservit et Ia conjugue, littéralem 111
sous matíêre/forme, est-ce Ia contingence d'un ca I
chute d'un accident ou une nécessité qui reste à im ,
roger ? Et si, comme Ie parergon, ce n'était ni l'un 111
I'autre. Et si Ie reste ne pouvait jamais, dans sa strucnu
de reste, se laisser déterminer « proprement », s'il I
fallait même plus attendre ou questionner dans I
horizon... » Dira-t-on que nous sommes ici dan I
même espace problématique, celui du bord, du cadt ,
du lieu de Ia signature et, en général, de Ia strucnn
parergonale, telIe qu'elle est décrite « à partir » d'un
certaine lecture de Ia Critique de Ia faculté de juger ?
- Oui (( à partir de » et donc aussi hors d'elle), 0\1
de façon strictement nécessaire, me semble-t-il, T I
ce qui s'échange íci à propos d'un tableau et d'une J
respondance, inscrivons-Ie dans ce blanc-ci au cadr
disIoqué. On ne peut pas, Ie souhaíterais-ie, ana1y I
tous Ies motifs qui Ie faisaient attendre à cette pIa
ElIe y était prescrite en toute rigueur mais avec ceu
souplesse de Ia chance, avec ce pari qui aurait pu lais I
Ia place vide. 11 faudrait tout relire et encore d'autr
choses.
- Doit-on traduire ergon par produit ou par oeuvre1
et parergon par hors-d' eeuvre ?
- Le parergon répond à cette questiono Ce qui m'in
téresse ici, ce n'est pas Ia nécessité de faire retour v
Le parergon, mais ce qui s'y ajoute maintenant. D
lTUTIONS 345
n, bien SUl', parergonale, comme un dehors assigné
le dedans et pourtant irréductible.
Quoi, par exemple ?
I'
Eh bien, si avec le cadre et Ia colonne, le vêtement
pour Kant .~ exemple, de parergon, dans sa rep~é-
tation esthétique, et SI alors le corps ou le sujet
pre de Ia représentation est le « nu », alors tels
eux souliers aux lacets », ou les rangera-t-oa ? N'ont-
as pour sujet « principal » cette fois le parergon, tout
, avec toutes les conséquences qui s'ensuivent? Un
I1gon sans ergon? Un supplément « pur »? Un
ent comme supplément « nu » du « nu ? un sup-
)J
ent sans rien à suppIéer, appelant au contraire ce
'il supplée comme son propre supplément? Com-
t se rapporteraient-ils à Ia chose « nue )}? au « nu »
U « reste » dont on vient de parler ? Et pourtant, en
autre sens, nous les avons dits « nus » tout à l'heure,
us les avons vus tout nus. Est-ce un hasard si Ia
métaphore » vestimentaire vient si facilement à Hei-
er pour parler de Ia chose « pure et simple » ? « Ce
nu )} (bloss) veut dire toutefois le dépouillement
ntblossung) du caractêre d'utilité (Di~lichkeit) et
fabrication. La chose nue (blosse Ding ) est une
de produit (Zeug) mais un produit dévêtu
fmtk1eidete) de son être-de-produit. L'être-chose
siste alors en ce qui reste encore. Mais ce reste (Rest )
'est pas .Eroprement déterminé en lui-même. 11 reste
uteux (Bs bleibt fraglich) que ce soit sur Ia voie (auf
Wege) d'une soustraction (Abzug) de tout carac-
e de produit (alles Zeughaften) que l'être-chose de
chose en vienne en général à apparaitre. » Une sous-
ction (de l'être-produit) ne nous restituera pas le
reste» en tant que chose « nue », Le reste n'est pas une
ose nue. 11 faut « penser » autrement le reste.
- J'ai toujours l'impression que tout en commentant
eidegger, en le restituant de façon apparemment três
tticte, on lui fait dire tout autre chose, on change tous
accents, on ne reconnait plus sa langue. Le commen-
 LA VÉRITÉ EN PEIN J I
taire devient obscene et penser autrement devient 11
autrement que lui, qui veut penser « proprement I oud. Par un lacet invisible qui troue Ia toile (eomme
reste. lei, autrement, ce serait autrement que pr 1"
ment. Mais alors qu'est-ce qui serait propre à cet aull
- Revenons plutôt au « célebre tableau », Une cht
produit, des chaussures, s'y trouve comme repré 11\
(Heidegger dira d'ailleurs qu'elle n'est pas représem
re-produite, mais laissons pour I'instant ces questi 111
nous les reprendrons). Ce « produit » a au moin I
caractêres singuliers que nous pouvons dês maint n 111
signaler : il est du genre « vêtement » (parergon 1 ,
ce sens) et ce n'est pas le cas de tous les produit . "
esquisse un mouvement de retour à Ia chose ditC'J' ,
métaphore ou transfert, « nue » : en tant que pro 1110
inutile, hors d'usage actuel, délaissé, délacé, o I
comme chose (1 et 3) et comme produit (chose 2) d 11
une sorte de désceuvrement. Pourtant, en tant que pro
duit (utilisable) et surtout en tant que produit du g 1\
vêtement, et quel vêtement, il est investi, habit
informé
- hanté
- par Ia « forme » d'une autre chose nue dont il
(partiellement et provisoirement ?) détaché
- « le parergon se détache ... » tructif-impressionnant, ,1927), fi~e sur ~ond, quel est
- et à laquelle il semble attendre (faire attendr )
d'être rattaché, réapproprié. 11semble fait pour renou I
Mais Ia ligne du détachement (et done du hors-d'usa
comme du déseeuvrement) n'est pas seulement celle q 11
fait le tour des chaussures et ainsi leur donne forme, I
découpe. Cette premiêre ligne est déjà un tracé d'aller
retour entre le dehors et le dedans, notamment quand ell
suit le mouvement du lacet. EUe n'est donc pas simpl
elle a une bordure interne et une bordure externe ince
samment retoumée. Mais il y a une autre ligne, un
autre systême de traits détaehants : c'est I'eeuvre en tanl
que tableau dans son cadre. Le cadre fait oeuvre d
TITUTIONS 347
ceuvrement supplémentaire. 11 découpe mais aussi
« pointure » « troue le papier »), passe en elle puis
r d'elle pour Ia recoudre à son milieu, à ses mondes
me et externe. Dês lors si ces chaussures ne servent
u c'est parce qu'elles sont, certes, détachées des
d~nus et de leur sujet de rattaehement (propriétaire,
t nteur usuel, porteur porté). C'est aussi parce qu'elles
nt peintes : dans les limites d'un tableau mais des
ites qu'il faut penser en lacets. Hors d'eeuvre dans
uvre, hors d'eeuvre en tant qu'eeuvre : les laeets
versent les ceillets (qui vont aussi par paires) pour
ser du cõté invisible. Et quand ils en reviennent,
t-ce de l'autre côté du cuir ou de l'autre cõté de Ia
ilc? La piqüre de leur pointe ferrée, au travers d~s
lIets bordés de métal, troue simultanément le cuir
Ia toile. Comment distinguer les deux textures d'invi-
bilité ? Les trouant d'une seule pointure
- 11 y aurait donc une pointure des lacets, en cet
utre sens -
- les trouant d'une seule pointure
- Ia pointure appartient-elle au table~u? [e pense
ux pointes qui clouent Ia toile sur le chaSSIS.Dans le
ou l'on peint les clous (ce que fait Klee dans Cons-
lieu ? A quel systeme appartiennent-ils ?
- les clous ne font pas partie de Ia figure « prinei-
le ", comme les lacets. Le fonctionnement de leur
inture requiert une autre analyse -
_ les trouant d'une seule pointure, Ia figure des
I cets aura cousu le cuir sur Ia toile. Si les deux épais-
I urs les deux texrures sont traversées d'un seul coup
édo~blé, c'est qu'elles sont désormais indiscernables.
out est peint sur cuir, Ia toile est à Ia fois chaussée et
échaussée, etc. Telle est du moins I'apparence dans ce
t u d'apparition/disparition.
 LA VÉRITÉ EN PEINII'
Bref, pour précipiter l'ellipse du Parergon et·du .\ I
tU Ia coupure pure que j'abandonne ici : que re t I
d'un pied nu ? Et qui ? Ces questions font-elles 11
Le pied nu (plus ou moins lié en sous-main et qu'il
fasse ou non Ia paire) serait-il ici Ia chose ? Non p I
chose même, mais l'autre ? Et quel rapport avec l'e 111
tique? avec le vocable « beau ))?
- Un « beau » pied, un pied sublime comme dan I
chef-d' Q!UlJTeinconnu de Balzac ?
- J'ai dit, de façon plus louche et plus boiteus , 111
vocable.
- Quoi du reste, des pieds ou des chaussures, VII I
une question trop ouverte. Je propose qu'on Ia res II
et qu'on revienne plus précisement à l'objet du dé I
tel qu'il a été comme transfiguré par les deux corre 111
dants : Ia figure du paysan pour l'un, du peintre 111
l'autre qui en fait un portrait de l'artiste. L'obiet I
débat
- L'abject du débat : des souliers c'est aus
qu'on laisse tomber. Les vieilles chaussures en part
lier. Instance de Ia chute, du chu ou du déchu. On 1 j
tomber comme une vieille chaussure, une vieille sav I
une vieille chaussette. Le reste, c'est aussi ce bas.
- « Se faire du reste cadeau li (Glas), voilà peut- I
suivant telle syntaxe qui ne s'arrête ni ne marche - p
du tout -, voilà Ia scêne de Van Gogh
- et des trois éminents collêgues. Mais revenon
l'objet du débat. Pourquoi et de quel droit Heide
s'autorise-t-il, s'agissant du « célebre tableau )1, à 1I
« souliers de paysan li ? Pourquoi les pieds ou les souJ I
devraient-ils appartenir ou revenir à un paysan ? S h
piro a-t-il raison ou tort de lui en faire l'objection \I
ponctuelle ?
- Je précise Ia question : à un paysan ou à une p
TITUTIONS
349
e ? ~im~n de ce ~él?at, restons-y encore un peu :
urquoi Heidegger dit-il tantôt « une paire de chaus-
es de paysan (ein Paar Bauemschuhe} et rien d'autre
(Ilnd nichts weiter) ll, sans détermination sexuelle ou en
I sant le masculin prendre pied à Ia faveur de cette
tralité, tantôt, plus souvent d'ailleurs, pour désigner
« sujet ll, « Ia paysanne li (die Bãuerin}? 11 ne s'en
plique jamais et Schapiro, de son cõté, n'y prête pas Ia
oindre attention. A quel sexe reviennent ces chaus-
es? Ce n'est pas exactement Ia même question que
Jus haut, quand on se demandait s'il y avait ou non une
uivalence symbolique entre le prétendu « symbole II
haussure li et tel ou tel organe génital ou si seule une
taxe différentielle et idiomatique pouvait arrêter Ia
alité, lui conférer telle valeur entrainante ou
minante, etc. Ce n'est pas ici Ia même question et
~t l'attribution des chaussures (en peinture) à
sujet-porteur
- des chaussures et d'un sexe
- masculin ou féminin, cette attribution n'est pas
s résonance avec Ia premiêre questiono N'oublions
I que L'origine traite de l'essence de Ia vérité, de Ia
ité de l'essence et de l'abime (Abgrund) qui s'y joue
mme du fatum « voilé » qui transit l'être.
Greffe du sexe sur les chaussures. Elle n'est pas
êtée par L'origine : tantôt l'indétermination glisse
force de langue vers le masculin, tantôt le féminin
mporte. 11 y a du paysan et Ia paysanne, jamais un
ysan. Côté Schapiro, ça revient sans discussion pos-
ble à du masculin (ee a man o/ the town and city ll), Ie
xe de Vincent Van Gogh ne faisant aucun doute pour
ignataire de Ia « Nature morte ... I)
- 11 est vrai que ni Heidegger ni Schapiro ne
blent accorder une attention thématique au sexe de
ttachement. L'un rattache, avant tout examen, à du
ysan mais passe sans erier gare du paysan à Ia paysanne.
'autre, aprês examen, rattache à du peintre citadin,
is ne se demande jamais pourquoi ce seraient des
35° LA VÉRITÉ EN PEIN II
chaussures d'homme ni pourquoi l'autre, non c 111 , chose et Ia motte de terre dans le champ. La cruche
de dire « du paysan ll, ajoute parfois « Ia paysanu
Parfois et même le plus souvent.
- Mais qu'est-ce qu'une attention thématiqu f
ce qu'elle semble exc1ure (l'implicite ? le foreIos? I I
nié? l'impensé? l'encrypté ? 1'«incorporé » ? aut nt I
fonctions différentes) se laisse-t-il exc1ure du champ
- De quel champ ? Bordé par qui ? par quoi? I
du paysan ou de Ia paysanne ?
- 11 y a pourtant comme une rêgle dans l'entr
scêne de Ia paysanne. Heidegger désigne ainsi Ia J '
teuse des chaussures hors du tableau, si on peut 11
quand le lacet du discours passe hors de Ia bordur I
cadre, dans ce hors-d'ceuvre qu'il prétend voir se 1"
senter à même I'ceuvre. Mais chaque fois qu'il parI I,
produit exemplaire dans le tab1eau, il dit de façon neuu
générique, c'est-ã-dire, selon une grammaire, ma II
line : « ein Paar Bauernschuhe )),une paire de chaussui
de paysan. Pourquoi les pieds de Ia chose, ici des ch \I
sures, sont-ils ensuite posés comme les pieds d'un
femme (paysanne)? L'induction d'un tel geste est d' \I
tant plus surdéterminée que Ia peinture alors, dan ,
passages, ne fait plus Ia loi. Cette induction a sans d \I
été favorisée par tant d'auttes « paysannes )) de V I
Gogh, ce qui va dans le sens de Ia contamination in I
minée par Schapiro. Plusieurs tableaux seraient venu
composer le modele imaginaire de Heidegger. N \I
devrons réexaminer plus loin ce grief. Ailleurs je pr»
poserai aussi de mettre en série, en galerie, toutes 1
figures de femme qui scandent de leurs apparitions d
crêtes, furtives, presque inaperçues, le discours I
Heidegger sur La Chose : Ia paysanne, Ia servante thra
Ia gardienne de musée, Ia « jeune fille ) comme « trul
jeune chose ) dans Ia locution citée au début de non
chapitre et rencontrée, comme les premiers exempl
en chemin, am Weg : « Der Stein am Weg ist ein Di,
und die Erdscholle auf dem Acker. Der Krug ist ein Di,
und der Brunnen am Weg... La pierre sur le chemin I
TITUTIONS 351
une chose, et Ia fontaine au bord du chemin.
'homme (Mensch) n'est pas une chose. 11 est vrai que
s appelons une jeune fille qui entteprend une tâche
Ia dépasse une « trop jeune chose » (ein su junges
) mais seulement parce que nous omettons d'une
ine maniêre, dans ce cas, l'être-humain (Mens-
m), pensant y trouver plutôt ce qui constitue préci-
ent l'être-chose des choses (das Dinghafte der
O",e) ••• »
- Le piêge à lacets, le lacet ou Ia chausse-trape de
t à l'heure commencent à ressembler à un cache-
e, à une gaine peut-être.
- Non non, il s'agit, bien sür, de ces choses qui
ivent aller au pied. Et que Heidegger tirant d'un
é, Schapiro de l'autre, l'un avant tout examen, l'autre
rês un examen rapide, tous deux avec autant de vio-
ce compulsive et d'artifice, veulent essayer, ajuster
- appointer : rendez vous
- en forçant, à tout prix. Là c'est le pied d'un cita-
qui n'est pas três loin de lui, là c'est le pied d'une
ysanne toute proche. Spécu1ation en miroir pour
urer Ia chose. Qui sert et ressert, ici une femme, lã
homme, dans un duel à mort, bien sür, implacable
cruel malgré Ia courtoisie académique, Ia considéra-
n mutuelle des deux hommes, les rêgles de l'honneur
tous les témoins rassemblés sur le champ. L'arme
hoisie, puisqu'i! faut forcer sur le parergon, c'est le
hausse-pied. Quant au terrain : pré piégé pour les
ercs, ils risquent d'y rester tous les deux. Témoin sur-
ivant : restent les souliers en peinture qui les regardent,
s le détachement d'une ironie imperturbable.
- J'avais demandé : Schapiro a-t-i! raison?
- Un peu trop à mon aviso Là, il faut faire le détail,
ot ã moto Tout est affaire, en ce marché, de détache-
352 tA VÉRITÉ EN PEIN 11 TITUTIONS 353
ment et de détaille. Schapiro a extrait ce long p
rythmé par un étrange « Et pourtant (Und dennocn]
Puis il écrit : « Le Professeur Heidegger sait bien 111
Van Gogh a peint plusieurs fois de telles chau 11
mais il n'identifie pas le tableau qu'il a en vue, c 11I111
si les différentes versions étaient interchangeable , JI'
sentant toutes Ia même vérité. » Schapiro a raison, I 11
que trop raison. Heidegger ne cherche pas à pr
de quel tableau il s'agit, IIse précipite dans Ia réfé li.
et une référence aussi vague (« un célebre table \I
comme si Ia chose était si süre et si c1aire, san 11
attentif à Ia série différentielle qui non seulement I
ceme les références possibles, mais fait de Chlllll
tableau une référence latente, latérale et différent 11
aux autres. On peut même trouver comme un ind 1
cette sérialité dans l'un des tableaux (Trais pair
souliers, F. 332). A l'extrême gauche, le soulier I
lacets défaits a le « col », si on peut dire, ouvert I
retourné comme un gant, à Ia ressemblance de 111
qu'on voit à Ia gauche de F. 255, le tableau identifié I I
Schapiro comme celui de I/origine. Au centre, aUI'
« retourné )),un soulier exhibe sa semelle. Je dis « 11
à cause du cou (de pied en cap)

- ou de l'utérus.

- Tout cela aggrave Ia naíveté référentialiste, mono

référentielle de Heidegger. II faut le souligner à prol I

d'un discours sur L/origine de l'ceuore d'art. Cela 11

peut être sans rapport avec toute l'entreprise. Et poui
tant:

a - Heidegger « sait bien », et Schapiro sait qu'il I

sait bien : « Van Gogh a peint plus d'une fois de tell
chaussures )) (solches Schuzeug mehrmals gemahlt hai]
Pourquoi n'en a-t-i! pas tenu compte? Sa faute 11
est-elle plus ou moins lourde? Aurait-il induit un
sorte de « tableau général II gardant, par abstraction 011
soustraction, les traits communs ou présumés tels I
toute une série? Cette hypothêse - Ia pire - est exclu
par tout ce qu'on peut lire de Heidegger. Il a touiour
 354 LA VÉRITÉ EN PEIN II
été sévêre pour ee eoneeptualisme qui se doubler 11
d'une barbarie empiriste. Alors ?
Défense de Heidegger, cireonstanee atténuante : '
« intention » n'était pas de s'intéresser à telle peintur I I
décrire et d'interroger sa singularité en critique 1',
Relisons done une fois de plus l'ouverture de e p'
sage. 11 s'agit bien de « décrire simplement » (e;'lj
beschreiben) non pas un tableau mais « un produn
« sans théorie phílosophique ». « Comme exemp1e ncH'
choisissons un produit habitueI: une paire de chau 11
de paysan », Pas encore de tableau, pas d'auvre di."
un produit. Poursuivons. « Pour les décrire, point n'
besoin d'avoir devant soi des échantillons effectifs d' ob] I
utilitaires de ce type. Tout le monde les eonnait. M I
comme il y va d'une description immédiate, il peut "
bon de faciliter Ia présentation intuitive (V eranschaul
chung) . A titre d'accessoire de secours (Für diese N achll/II
mots omis par Ia traduction française) une (re) présent
tion en image (bildliche Darstellung ) suffit. Nous chol I
sons à cet effet un célebre tableau de Van Gogh 11'
a peint plus d'une fois de telles chaussures. »
- C'est clair, le tableau est pour l'instant, par hyp«
thêse, un accessoire intuitif. On peut reprocher à H I
degger cette démarche illustrative, mais ee serait aul,
chose que de faire comme s'il voulait décrire le tabl 11
pour lui-même, puis de lui reproeher des fautes li
lecture dans cette hypothêse qui n'est pas pour l'inst 111
Ia sienne. Pour l'instant, l'obiet à décrire, à interprét I
ce n'est pas le tableau ni même l'obiet en tant qu
peint ((re) présenté), mais un produit familier que t 111
le monde connait. Rien de ce qui suit ne concerne ni 11
prétend cerner Ia spécificité picturale ni même Ia spé I
ficité de ces ehaussures en tant qu'elles seraient diffi
rentes d'autres chaussures. Ayant sous les yeux, pOUl
soutenir I'attention et faciliter l'intuition, I'image d'un
paire de chaussures, quelle qu'elle soit, de paysan 011
non, peinte ou non, on pourrait y relever les mêm
traits : l'être-produit, l'utilité, I'appartenance à un
monde et à Ia terre, au sens três déterminé que Heide
ger reeonnait à ees deux mots qui n'intéressent p
TlTUTIONS 355
hapiro et sur lesquels il faudra revenir. Mais alors,
ra-t-on, pourquoi avoir ehoisi une peinture? Pour-
oi avoir explicité si lourdement ce qui tient à l'iden-
cation problématique de ees chaussures comme chaus-
es de paysan? Dans Ia phase ou nous sommes en
et, et Heidegger le dit, des chaussures réelles (de
I ysan ou non) ou des ehaussures vaguement dessinées
J craie au tableau auraient rendu le même service. Le
bleau noir aurait suffi.
- C'est ce que Schapiro reproche à Heidegger.
- Mais Heidegger Ie dit (( Mais qu'y a-t-il de plus
voir lâ ? Chacun sait ce qui appartient à des ehaus-
es ») et on ne peut le lui reprocher qu'en supposant
u'il s'intéressait d'abord à un tableau, qu'il voulait
alyser comme tel, ee qui n'est pas le cas. Pour l'usage
u'il voulait d'abord en faire, les toiles étaient en effet
terchangeables et sans dommage. Si son attribution
Ia chose à du paysan est bien (nous aurons encore à
aminer iusqu'à quel point) imprudente et précipitée,
n sait du moins qu'il aurait pu tenir, pour ce qui impor-
it à I'analyse de l'être-produit, le même discours pour
souliers de ville : le rapport du porteur à cet étrange
oduit (três proche et pourtant détachable de son corps),
rapport à Ia marche, au travail, au sol, à Ia terre et au
onde. Tout ce qui revient au monde « paysan est à )1
t égard une variable accessoire même si cela releve
assivement de Ia « projection » et répond à des inves-
sements pathétiques - fantasmatiques - idéologiques -
litiques de Heidegger.
b - La « même vérité », celle que « présente » le
bleau, ce n'est pas pour Heidegger Ia vérité « pay-
nne », une vérité dont le contenu essentiel tiendrait à
J'attribution (même imprudente) des chaussures à du
aysan. La caractéristique « paysanne » reste ici secon-
aire. La « même vérité » pourrait être « présentée » par
ut tableau à chaussures, voire toute expérience de
haussures et même de tout « produit » en général :
'est celle d'un être-produit revenant de « plus loin »
 LA VÉRITÉ EN PEINlII
que le couple matiêre-forme, voire qu'une « distin 1111
des deux », Cette vérité revient à une « origine riu
Iointaine », Elle n'est pas d'un rapport (d'adéquai \111
ou d'attribution) entre teI produit et teI propriét I
usager, détenteur, porteur-porté, L'appartenance 111
produit « chaussures » ne renvoie pas à tel ou tel I~
jectum, ni même à tel ou tel monde. Ce qui est di t
l'appartenance au monde et à Ia terre vaut pour Ia v 11
et pour les champs. Non pas indifféremment m
également.
Schapiro se méprend donc sur Ia premiêre fonct 1111
de Ia référence picturale. 11méconnait aussi un argum 111
heideggerien qui devrait ruiner d'avance sa propre r
titution des chaussures à Van Gogh: l'art comme « m
en eeuvre de Ia vérité » n'est ni une « imitation )),ni UII
« description » copiant le « réel )),ni une « reproduction
qu'elle représente une chose singuliêre ou une essen
générale, Car en revanche, tout le procês de Schap I I
en appelle aux chaussures réelles : le tableau est cen
les imiter, représenter, reproduire. 11faut alors en dét I
miner l'appartenance à un suiet-réel ou prétendu tel
un individu dont Ies extrémités, hors du tableau, fi
doivent pas rester longtemps déchaussées
- comme de vieilles dents. Mais il n'évitera pas 1
bridge. 11ignore que le soulier forme déjà prothêse. 1 ,
peut-être le pied. Ça peut toujours être d'un autre. Taní
de locutions passent par là pour dire le déboitement d
l'inadéquat, quand on est à cõté de ses pompes, 0\1
l'abus de l'usurpateur : « to be in someone's shoes », Pr
cipitée dans I'abíme, Ia sphinge, dês l'instant ou I'enfíur
- Schapiro serre les lacets du tableau autour d
pieds « réels ». Je souligne : « They are clearly pictur«
of the artist's own shoes, not lhe shoes of a peasant ... Lat r
in Arles he represented, as he wrote in a letter of Augwl
1888 to his brother, « une paire de vieux souliers )),which
are evidently his own... » They are : le lacet passe IA,
dans Ia copule, il accouple les chaussures peintes et le
pieds du peintre. 11est tiré hors du tableau, ce qui sup
pose un trou dans Ia toile.
TITUTIONS 357
- Fallait-il, d'ailleurs, attendre Heidegger pour se
fier ? Pour éviter de considérer un objet peint comme
e copie? Pour éviter, pire, de lui attribuer un modele
quat (Ies chaussures réelles) et d'attribuer de sur-
It un sujet adéquat à ce modele (Van Gogh), ce qui
t deux attributions capitalisées ? Puis il y a le mot eoi-
t/y, le mot clear/y qui intervient encore plus loin, au
oment d'idenrífíer un tableau dans un catalogue, les
ots « his own » qui à plusieurs reprises déclarent si
anquillement Ia propriété, les propositions du type
eci est cela » ou Ia copule noue un prédicat « réel » à
objet « peint ». Tout ce langage dogmatique et pré-
itique surprend de Ia part d'un expert. Tout se passe
mme si le martêlement des valeurs d'évidence, de
srté, de propriété devait résonner três fort pour empê-
er d'entendre que rien ici n'est clair, ni évident, ni
ropre à qui ou à quoi que ce soit. Et sans doute Scha-
Iro le sait-il ou se le dit-il plus ou moins clairement.
ais c'est à ce prix seulement qu'il peut avoir les
haussures, les acquérir en vue de restitution, les arra-
her à I'un pour les donner à l'autre, Auq~el il ne se
oit pas étranger. Les passer donc. A ses ple~s et ~!lX
eds de l'autre. Comme un vêtement ou un obiet qu on
passe. Le se-passer de cette passe, c'est aussi ce que
nt les chaussures en restance. Voilà ce qui se passe ici.
- Je distinguerais trois dogmes dans le credo de
chapiro, 9uand il .spécule ainsi sur l'occasion ~e ces
vieux souliers. TrOlS dogmes de structures distinctes
ais analogues dans leur finalité fonctionnelle. I. Des
haussures peintes peuvent appartenir réellement et se
1 isser restituer réellement à un sujet réel, identifiable,
nommable. Cette illusion est facilitée par I'identificatioo
1 plus proche entre le détenteur allégué des chaussures
t le soi-disant signataire du tableau. 2. Des chaussures
ont des chaussures, qu'elles soient peintes ou « réelles )),
eulement et simplement des chaussures qui sont ce
qu'elles sont, adéquates à elles-mêmes et d'abord adap-
tables à des pieds. Des chaussures appartiennent en
propre. Elles n'ont pas, dans leur structure de produit
remplaçable, dans le standard de leur pointure, dans le
 LA VÉRITÉ EN PEIN111.~ TITUTIONS 359

détachable de cet instrument de type vestimentair ,I I

quoi faire dériver toute appartenance et toute propr I

strictes. 3. Des pieds (peints, fantomatiques ou r I
appartiennent à un corps propre. Ils n'en sont pas d I
chables. Ces trois assurances ne résistent pas I
moindre questiono Elles sont aussítôt démontées, I
tout cas, par ce qui se passe, ce qu'il y a dans cette 111
ture.

- Bien qu'elles portent sur des articulations di

tinctes, ces trois assurances tendent à les effacer au pr I

fit d'un seul et même continuum. A rattacher les d~I

chables selon une stricture absolue.

- Plus de lacet, quoí, même plus de neeud visibl

ni de trous ni d'ceillets, des chaussures pleines, absolu
ment adhérentes au pied.

- Comme dans Le modele rouge de Magritte. M i

là aussi, il faut tenir compte d'un effet de série et de cit
tionnalité. Magritte en a peint plusieurs. Là, sans comp
ter La philosophie dans le boudoir (1947) ou Le puirs II
vérité (1963), il y a incontestablement paire, on v I
I'orientation des doigts de pied qui forment avec 1
bottines un seul et même corps. Ils font Ia paire et 1
soudure.

- Encore Le modele rouge mime-t-il et toume-t-il

en dérision ce leurre. Encore coupe-t-il le pied-chau
sure à Ia cheville, au cou, indiquant de ce trair, aioui
aux traits horizontaux et réguliers du fond de bois, pu
aux traits du cadre, que cette paire de souliers montant
(vers quoi ?), maintenant hors d'usage, au col vide , IA Model. roug«.
délacé (différemment d'un modele à l'autre), citam
alors à comparaitre les témoins de Van Gogh, diffêrem
encore leur supplément de propriété, le revenu de leur
usure. Leur mutisme fait parler l'expert qui ne va p
tarder à dire, comme Heidegger du tableau de Van Gogh,
« ça a parlé I). Deux psychanalystes - de Londres bien
sür, ça ne passerait pas Ia Manche - ont dit à Magritte .
« The Red Model is a case 01 castration. » Le peintre leur
 LA VÉRITÉ EN PEIN II ITUTIONS

La Philo,ophi. dans I. boudoir.

L. Puits d. fJtritt.
 LA VÉRITÉ EN PEIN 11'
adressa alors « a real psycho-analytical drawing » qui 1 ,
inspira le même discours.
- Mais pourquoi le tranchant de ce verdict c 1111
Schapiro? S'il était si crédule dans l'identification d
tableau
- ça je ne l'ai pas encore montré, je m'en suis I 1110
aux prémisses générales, Plus tard, s'agissant d
tableau
- disons alors crédule dans l'attribution, en gén r I
de chaussures peintes à un sujet déterminable, et,
qui est en effet plus grave, déterminable en réalll
est-ce que Ia naiveté de Heidegger n'est pas encore .,111
massive? 11 attribue lui aussi, et sans le moindre
men, les chaussures peintes à du paysan, voire à d
paysanne. Cette attribution parait incompatible v'
ce qu'il dit plus bas contre l'imitation, Ia copie, Ia repr I
duction représentative, etc., contre Ia valeur d'adéqu I
tion ou d'homoiosis. Par exemple : « Ou bien Ia propu
sition selon laquelle l'art est le se-mettre-en-ceuvre d I
vérité redonnerait-elle vie à une opinion heureusem 111
dépassée selon laquelle l'art serait une imitation ou UII
copie descriptive du réel ? La réplique du donné exi
sans doute Ia conformité avec l'étant, une prise
mesure réglée sur lui; adaequatio, dit le Moyen A
6/LotwaLç dit déjà Aristote. Depuis longtemps, I
conformité avec l'étant est considérée comme équiv
lente à l'essence de Ia vérité. Mais croyons-nous vr I
ment que ce tableau de Van Gogh copie (male ah,
dépeígne) une paire de chaussures de paysan donn I
(présente, vorhandenes), et que ce soit une oeuvre par
qu'il y a réussi ? Voulons-nous dire que le tableau a prl
copie du réel et qu'il a transformé celui-ci en produ I
(Produkt) de Ia production artistique? Nullement.
Cette réponse «( Nullement ») vaut aussi, au paragraph
suivant, pour Ia reproduction d'une essence général
que certains auraient voulu, gardant le même schém
substituer au donné singulier. Alors je comprends bi 1\
en quoi cela atteint les préoccupations et disqualifi
TlTUTIONS 363
assurances de Schapiro (qui semble croire à Ia
roduction de chaussures « données », celles de Van
gh et même de tel Van Gogh « donné », à un moment
en un lieu donnés, « by that time a man of the toum and
Iy »/), je comprends bien aussi en quoi Ia preuve
ême, dans ce cas, est a priori sans pertinence. Mais ce
ue je ne comprends pas, c'est pourquoi Heidegger
apperait à Ia même suspicion, à Ia sienne en somme,
lors qu'il dit, sans preuve cette fois, sans même
e recherche de preuve : ce sont des chaussures de
ysan. 11ne dit même pas ce sont pour répondre par
ne définition à une éventuelle question, illes nomme :
Ein Paar Bauemschuhe », sans même imaginer le pre-
ier murmure d'une questiono
- C'est toute Ia dissymétrie, Ia surenchêre incessante
cette correspondance. Une revendication est plus
Ive que l'autre, plus excessive, si on peut dire, que
I' utre. Une attribution excede l'autre. Imaginez un
mmissaire-priseur qui s~it ~ Ia fois un expert et. un
cheteur et qu'il fasse lui-même, dans Ia salle vide,
onter les encheres. Pour des souliers d'occasion plus
u moins dépareillés sur une toile encadrée. D'un côté,
I' ttribution de Schapiro reste dans l' esthétique repré-
tative, et même Ia plus empiriste. En deçà (précri-
que) ou au-delà (excessive) du mouvement effectué
L'origine dans le passage qui vient d'être traduit.
ais de son cõté, en disant « Bauemschuhe » sans se
ser de question ã ce sujet, Heidegger est en deçà
e son discours sur Ia vérité en peinture et encore plus
. que Schapiro. Son e~ces va jusqu'à p.arler de c~aus-
ures de paysan avant meme toute quesnon « represen-
tive» et déjà dans l'ordre d'une vérité « présentative »,
'est que le pas en arriêre d'une vérité d'~déquation
vers une vérité de dévoilement, quelle que soit sa néces-
ité et sa force « critique », peut aussi bien laisser pra-
tiquement désarmé devant l'in~énu, ~e pré-critique, le
ogmatique, devant tout « pré-investissement » «I fan-
matique », « idéologique », etc., ou de quelque nom
u'on l'appe11e). 11y a lã une loi. C'est peut-être un d
ecrets de cette correspondance, de sa dissymétri u
 LA VÉRITÉ EN PBIN 1I
de son excessive symétrie dans le contrat de v 11
(<< je vous dois Ia vérité en peinture »), entre Ia v 111
comme adéquation (de représentation, ici attribut i
cõté Schapiro) et Ia vérité de présence dévoilé I ,
Heidegger). Laissons pour l'instant ce contrat de v I ,
entre les deux vérités. (Ce qui y contracte a rapl""
avec un trait (Riss ) et un attrait (Zug) de l'ceuvre
un Gezüge, qui nous attireront beaucoup plus loin ti 11
le texte de Heidegger.) La vérité des chaussures COIIIIII
ehose due (l'objet du sujet) contraint cette corr p 01,
danee et nous devrons, à supposer qu'il faille iaru
devoir, en réexaminer les termes plus tardo Un I
innombrables difficultés, dans Ia lecture de L'ori "
et singuliêrement de ce passage, c'est de res I ,
l'instant furtif ou se franehit, et de quel pas, une
taine ligne.
- Au sens de über die Linie (trans lineam ou
linea?) et de Ia topologie de l'être dans Zur Seinsfra
- N on. Enfin, si. Mais cette connexion passe 1'
des détours dont nous n'avons pas ici le temps. N I
place. Je désignais seulement, au plus proche, le fr 1\
chissement de certaines lignes, de certains traits dan I
tableau (le contour du « produit », par exemple Ia li 11
du colou Ia ligne en lacet). Et surtout, d'abord I
franchissement des lignes d'encadrement, les traits q
détachent le tableau du milieu réel. Ou, à quel momem
en quel sens cette transgression a-t-elle lieu? Et
franchissement est-il une transgression ? De quelle 1
Ce qui revient à se demander notamment si et d 1\
quelles limites Heidegger entendait parler du « célêbr
tableau »,
- Lequel?
- On ne sait pas encore. Nous l'avons vérifié
à l'instant précis ou, dans ce chapitre, il prend l'exempl
d'une paire de chaussures de paysan, aucun tabl 11
n'a encore été nécessaire. Aucun n'a même été évoqu
Et cela dure depuis quelques pages. Or même \I
TITUTIONS
oment ou le « célebre tableau » fournit en somme un
emple d'exemple, son statut nous laisse dans une
certitude définitive. On pourra toujours dire, défiant
preuve, que Heidegger n'entend pas parler du tableau,
le décrit pas comme tel, passant réguliêrement d'un
emple de produit (chaussures de paysan) à l'exemple
l'exemple (telles chaussures dans tel tableau) et dans
deux sens, puis de l'exemplarité à l'être-produit en
rélevant les prédicats de l'être-produit et laissant
mber les autres
- comme de vieilles chaussures
- plus ou moins attentivement et même s'il leur
nsacre un discours pathético-pédagogique abondant.
ême s'il y investit, dans cette investiture de produits
vestímentaíres, des valeurs auxquelles on peut s'intéres-
r d'autre part.
- C' est vouloir à tout prix le justifier.
- Non. On .peut voir clairement, clearly, evidently,
ue tout ce qui s'énonce d'abord dans les trois premiers
aragraphes (jusqu'au « Et pourtant. » (Und dennoch.},
iculation ou suspens rhétorique três inhabituel chez
eidegger, il faut en tenir un compte rigoureux) ne
rétend rien dire du tableau lui-même. Seul objet visé,
tte paire de chaussures de paysan dont il avait été
uestion plus haut. Aucun trait propre au tableau.
prês le « Et pourtant. ))(suivi d'un point et d'un alinéa)
Ia tira de pathétique (comment Ia nommer autrement?)
Ia forme d'une méditation qui s'évade. Mais qui
'évade d'un tableau seulement évoqué et dans lequel
Di le regard ni le discours n'ont encore pénétré, qu'ils
n'ont pas même abordé ou effleuré d'une description.
ien n'a encore été dit qui concemãt strictement le
contenu du tableau et à peine vient-on de le nommer
une deuxiême fois qu'on le quitte encore d'un discours
évasif et débordant. Qu'on y prête attention : chaque
paragraphe est une nouvelle vague qui feint de frôler
l'obiet et qui s'en retire aussitôt, Et pourtant : une
 LA VÉRITÉ EN PEIN \I
légêre touche, un três bref contact, assez indétenu h
pour engendrer à peu prês n'importe quel di 1111
débordant, aura laissé dans le texte Ia marque P I
passage. Aussi légere sera donc l'objection de Sch p I
qui ne trouvera à s'appuyer que sur cette touche ,.
identifier le tableau dont, croit-il, Heidegger t •
train de parler. Cette touche, c'est (( Aus der dun I
Offnung des ausgetretenen Inwendigen des Schuhzeug
« De l'ouverture obscure du dedans usé ... », C'est
vague, ouvert, lâche, pour pouvoir se dire, à peu pr ,I
n'importe quelle paire de chaussures, réelles ou nlll!
de paysan ou de citadin, et en tout cas, comm I
remarque iustement Schapiro, de trois peintur I deux senso On prétendait dane, dans le paragraphe
souliers signées de Van Gogh. Mais encore une foi 111
ne peut en faire une objection qu'en prêtant à Hei
ger une intention que rien ne démontre dans son teu
cel1e de décrire et de ne se référer qu'à des chaussur
peintes, telles chaussures peintes, dans les limites d'ul
cadre qui ne peut être franchi que dans un sens : I1II
dehors vers le dedans. Si on cesse de prêter eette int li
tion à Heidegger et tant que cette question du cadt
n'est pas réglée dans toutes ses portées, l'argument p 11I
se retourner contre l'objecteur. (N'oublions pas qui I
faudra désormais reposer cette question du cadre, I
question de ce cadre en suivant Ia figure ou le trai I
du lacet : stricture par passage alternatif et réversihl
du dedans au dehors, du dessous au dessus. Ces lac I
montant vers le col « dans » le tableau ou « dans » I
cadre forment aussi le tour du tableau et du cadr )
Quand Schapiro écrit un peu plus loin : « Ie ne trouv
rien dans la description imaginative (fanciful descri
tion) donnée par Heidegger des ehaussures représent
par Van Gogh qui n'ait pu être imaginé en regardam
une paire de chaussures de paysan réelle », on peut l'ap
prouver. Mais on peut y voir aussi Ia confirmation q\l
Heidegger ne prétendait pas déerire un tableau. Du
moins pas simplement, car les prémisses mêmes du déb I
nous manquent encore, comme le cadre du débat et I
débat sur le cadre, sur la structure (Ia stricture diron
nous bientõt) de sa double limite, interne et externe, 5011
double bordo
TITUTIONS
Schapiro a en effet passé sous silence, le faisant sauter
ans sa longue citation, ce qui s'inscrivait sur le bord
érieur du paragraphe « pathétique » (le troisiême
aragraphe de ce passage autour du tableau). Heideg-
er va à Ia ligne, comme il l'avait fait aprês « Und
noch. », et il éerit : « Mais tout cela, peut-être ne le
oyons-nous que sur les chaussures du tableau (im
i/de, ou en image) lJ, comme tableau, comme image, etc,
u'il dise (( peut-être lJ, qu'il feigne au moins par
ypothêse de voir une limite dans une description
ntrainte ou contenue par des déterminations picturales,
simple fait éclaire Ia possibilité de passer le cadre dans
récédent, voir ou lire autre chose ou au-delà du tableau
cadré, autre chose qu'une « image » et que ce tableau-
i. En disant : mais peut-être y sommes-nous restés
ermés comme dans une projection ou une hallucina-
tion subjective, Heidegger confirme bien que son projet
était de déborder le tableau en tant que représentation.
'allusion à Van Gogh n'avait done pas Ia fonction que
lui prête Schapiro. L'évasion pathétique
- Heidegger n'accepterait pas ces mots. Sur ce que
chapiro appelle son ( pathos lJ il aurait sans doute plus
d'une question à poser. Cela nous entraínerait trop
loin. Puis il ne s' évade pas, il reste, s' enfonce et derneure ...
- J'entendais « évasion » par débordement d'une
limite picturale au col évaséou à demi retourné, par fran-
chissement de Ia représentation cadrée, de I'immédiateté
visible, si quelque chose de tel existe, dans le tableau.
Ce débordement est-il l'opération discursive elle-même
dês le premier mot, dês Ia premiêre articulation? Ou
bien a-t-il sa raison interne, en quelque sorte, dans la
tructure picturale ? La question qui m'intéresse est une
de celles qui ne sont thématiquement posées par aucun
des deux correspondants. Elle conceme la structure de
cette limite, de l'être-dans ou de l'être-hors. A Ia fois
quant au produit et quant à l'eeuvre. C'est en effet
Ia question du supplément de parergon qui en relaie ou
entraíne un certain nombre d'autres que je n'ai pas le
 LA VÉRITÉ EN PEINTU
temps d'énumérer. Dês lors que l'évasion prend apl,l
sur une touche descriptive aussi pauvre, aussi indét I
minée, tout autre trait descriptif (U n'y en a pour in
dire pas d'autre) ne concemerait plus une peínnn
Par exemple (mais U n'y a pas d'autre exemple): « 11
le cuir s'étend Ia terre grasse et humide. Par-dessou I
semelles ... », Et encore ce « par-dessous »s'enfoncerait I
par-dessous 1a toile
- qui serait Ia semelle ?
- si 1a toile seule était désignée. Pour ces seul
raisons, déjà, on ne peut reprocher à Heidegger de
tromper de tableau, d'en confondre plusieurs, de m I
décrire ou de projeter dans un lieu imaginaire. 11 li
prétend pas se référer en toute rigueur à un tableau 11
général, ni à tel tableau singulier. Cette référen
- Mais qu'est-ce que se référer? Qu'est-ce que I
référence en peinture ?
- cette référence, quelle qu'elle soit, n'est pas essen
tielle à son propos. De plus, U s'intéresse iei à 1a vérit
de 1a vérité, condition indispensable pour savoir ce qu
référer veut dire. Et 1anotion de référence, comme cell
de référent, n'appartient-elle pas à une sémio-lingui
tique dominée, encore aujourd'hui, qu'on le veuille, 1
sache ou non, par le couple matiêre-forme ê Par cett
interprétation de Ia chose comme « produit » que
passage même de L'origine est en traio de mettre en
cause ou en procês ?
- Soit. Mais alors comment expliquer que plus loin,
à l'autre bout, tout ce discours sur les chaussures, sur
cet exemple de produit, soit rnis au compte du tableau
lui-même ? Non plus seulement comme discours sur
le tableau mais du tableau, diseours tenu par lui, voir
par Ia paire de chaussures? C'est plus grave et plua
grave que ce que lui reproche Schapiro.
- Oh, pour l'un et pour l'autre, c'est sür, 1a chose
RESTITUTIONS
parle. Voyez ce que Heidegger dit ailleurs de Ia causa,
ce serait essentiel pour notre débat.
- [e reprends ma questiono Tout se passe finalement
comme si Heidegger n'avait certes pas parlé du tableau.
Mais loin de s'en évader, il n'en aurait pas parlé en vue
de le laisser parler fui-mime. Non pas fait parler mais
laissé parler. Ces chaussures (une fois peintes) parlent,
cette chose produite et détachée de son sujet se met
• (en) parler, voilà ce que Heidegger dit un peu aprês.
11 ne le dit pas lui-même, mais disons que ça se dit et
en tout cas voiei ce que nous lisons : « L'être-produit
du produit a été trouvé. Mais comment? Non pas
• travers une description ou une explication (Brklãrung )
d'une paire de chaussures [Sc~uhz~ges : ça se .trad~t
par paire dês lors que Zeug determme le produit utile,
nuance importante qui nous intéressera plus loin]
effectivement présentes; non pas à travers un rapport
sur le procês de fabrication des chaussures ; ni davantage
• travers l'observation de Ia maniêre dont iei et là on
utilise effectivement les chaussures. Mais - mais
seulement en nous mettant devant le tableau de Van
Gogh (wir uns vor das Gema/de uan Goghs brachten),
Celui-ci a parlé (Dieses hat gesprochen}, Dans Ia
proxirnité de l'ceuvre nous avons soudain été ailleurs
que là ou' nous avons accoutume ' d"etre. L' ceuvre d' ar t
a donné à savoir ce que Ia paire de chaussures (Schuh-
seug ) est en vérité. Ce serait Ia pire des ~lu:sions ~i
nous voulions penser que c' est notre description qui,
en tant qu'activité subjective, a ainsi tout dépeint .e~
ensuite introduit dans le tableau. Si quelque ehose 1C1
est problématique, e'est seulement le fait que nous
n'ayons appris que trop peu à proxirnité de l'ceuvre
et n'ayons énoncé cet apprendre [Erfahren : éprou~~r,
expérimenter, traverser] que de façon trop grossiere
et trop immédiate. Mais avant tout l'ceuvre n'a nullement
servi, comme i1pouvait sembler d'abord, à une meilleure
présentation intuitive (V eranschau/ichung), et seulement
à cela, de ce qu'est un produit. C'est bien plutôt à
travers l'ceuvre et seulement dans l'ceuvre que l'être-
produit du produit en vient proprement (eigens)
 370 LA VÉRITÉ EN PEIN J I
à son paraítre (Vorschein). Qu'est-ce qui advient j I
Qu'est-ce qui dans I'eeuvre est à l'reuvre? [Wa "
im Werk am Werk? à I'eeuvre sans doute comm 111'
dit II au travail lI, sinon à pied d'eeuvre mais on peut, I
jouant à peine, traduire aussi par « à même l'oeuv
ou « appartenant à l'ceuvre, oeuvrant dans l'eeuvr
ce qui condense de nombreuses questions]. Le tabl \I
de. Van Gogh est l'ouverture de ce que le produit, I
paire de chaussures de paysans, est en vérité [was J••
Zeug, .das Paar Bauemschuhe, in Wahrheit ist, soy 111
attentifs à Ia syntaxe de cette phraseJ. Cet étant enu
dans le décêlement (Unverborgenheit) de son être,
décêlement de l'étant, les Grecs l'appelaient <iÀ-Ij6cllXo 11
- Est-ce que cela n'est pas pire que tout? pire qu
l' « illusioo II subjectiviste dénoncée par Heideg~er'
Pire que Ia « projection II incriminée par Schapiro r
Voiei maintenant que le tableau dévoile en parlam,
dans Ia proximité immédiate de sa présence, en fi
de laquelle il suffirait de se plaeer ou de se trouver. C I
me parait eontredire ce qui fut dit tout à l'heure ti
l'exemple d'exemple,
- 11 fallait peoser cette exemplarité en /acet.
- 00 abuse du laeet, tout le monde en ioue
- Oui, ça parait « pire IIque Ia ré-adéquation ou I
ré-attributioo d'une représeotatioo au cours d'un
rattaehemeot laborieux. Ce serait pire si (e Dieses h I
gesprochen IIavait le sens courant du discours, et don
du diseours humain prêté à une peinture, à un
ehaussure en peinture. En abordant plus tard 1
problême du trait (Riss) , de l'attrait (Zug), du
systême qui eootracte les traits (Gezüge) dans lein
rapport à Ia parole et à Ia langue, j'essaierai de montr I
que e'est plus eompliqué. Pour l'instant, ee serait
« pire ))en effet, si Ia « vérité )) était celle de Ia ee paysan
nerie lI, pour ainsi díre, des ehaussures et non simplement
de leur « être-produit », Or on a bieo lu : « Le tableau
de Van Gogh est l'ouverture de ee que le produit, lu
TlTUTIONS 371
ire de chaussures de paysans, est en vérité. II La
taxe de Ia phrase, .identique en allemand et en
çais, marque bien Ia place du suiet. 11 s'agit de Ia
~rité du produit, de I'être-produit et 000 de I'exemple,
savoir telle paire de ehaussures resserrée dans sa
étermination eomme eelle de paysans. C'est bieo
nforme à Ia visée démoostrative de cette séquence.
e mot « exemple ))prêterait à confusion s'il iodiquait
emeot un rapport déterminant d'iodividu à géné-
oté eooeeptuelle ou un simple resserrement spéeifique
( pêce/geare) du cooeept d'être-produit à celui de
aussures (soulíers, sabots, savates, bottes, pointes, etc.)
uis à celui de ehaussures de paysan (Iesquelles?)
os à eette paire-cio
- Mais une ehaussure seule, est-ee un iodividu du
oupe « paire lI? Et une paire, est-ee un iodividu de
'ensemble ((chaussures li? Ie suis venue iei pour poser
eette questioo que personne, depuis tout à l'heure, ne
semble eoteodre.
- Si Ie mot « exemple IIprête à Ia eonfusioo que je
disais, il faut préciser : toute Ia séqueoce semble
dure ee rapport d'articulatioo eooeeptuelle (genre,
pêce, iodividu, paire ou pas). C'est bieo cette paire
dans ce tableau qui ouvre à Ia vérité de l'être-produit.
Mais qui y ouvre daos sa préseoee dévoilée-dévoilante,
en se 1aissant traverser
- eomme un eeíllet, eomme le cuir, comme Ia toile
des chaussures, traverser par 1e laeet?
- vers Ia vérité. Et dans ee cas, même s'il y avait
erreur d'attributioo ou projection de paysannerie, Ia
marge d'aberratioo serait três étroite. C'est Ia vérité
de l'être-produit eomme teI qui porte. S'il y a projection,
Ia prise est maigre pour Ia poliee des tableaux, pour
ce diseours de l'ordre et de Ia propriété en peín-
ture.
- S'il y a police (o'y en a-t-il pas toujours ?), elle
372 LA VÉRITÉ EN PEINTII
opérerait ici eontre une autre poliee, eontre un li"
arraisonnement idéologique, et
- Que veut dire idéologique dans ee cas? L'or! 11I.
propose au passage quelques schêmes d'interprétat ou
quant à Ia formation et aux limites de ee eon I I
d'idéologie ou de son ehamp.
- Le raffinement sur Ia syntaxe de « le produit I
paire de ehaussures » m'a paro incroyable. Tout
jouerait done dans le suspens de eette appositi 11
à Ia pointe d'une virgule entre « le produit » et « I
paire », eette pause déposant Ia paire un peu à côté lu
produit, d'un intervalle un peu plus long entre d \I
mots
- quelle est Ia pointure d'une virgule ?
- Il ne s'agit pas d'un intervalle de temps entre deu ,
dont l'un est « paire », mais de ee fait syntaxique qu
« Ia paire» est en apposition, redoublant le produit,
d'un redoublement néanmoins resserrant, plus stri t,
plus étroit (le produit, par exemple ici Ia paire). Alor
l'espaee de cette peinture est assigné par Ia pointure d
Ia virgule qui elle-même, eomme une virgule, comm
une chaussure, ne dit jamais rien.
- Tout revient encore à une de ces « explications d
texte »... Est-ce qu'on lit? Est-ce qu'on regarde ]
- Vous eroyez qu'on accepterait ça, qu'on 1
reeevrait comme une explication de texte ou comm
close reading ?
- Tout revient à un de ees exercices de leeture à I
loupe qui prétendent tranquillement faire Ia loi, tOUI
eontrôler, policiêrement en effet.
- Ça peut toujours, plus ou moins tranquillement,
devenir policier. Ça dépend eomment, en vue de quoi
dans quelle situation ça opere. Ça peut aussi armer
TITUTIONS 373
ntre eette autre poliee (secrête) qui sous prétexte de
us délivrer des chaines de l'écriture et de Ia lecture
(toujours réduites, analphabétiquement, à I'alphabet)
vous enferme en toute hâte dans un prétendu hors-
xte : le pré-texte de Ia perception, de Ia parole vive,
es mains nues, de Ia création vive, de l'histoire
lle, ete. Prétexte en effet pour asséner le diseours le
lus écu1é, le plus fruste, le plus fatigué. C'est aussi
vee du prétendu non-texte, du pré-texte nu, de l'immé-
iat, qu'on essaie de vous intimider, de vous assujettir
u programme le plus vieux, le plus dogmatique, le
lus sinistrement autoritaire, aux maehines médiati-
antes les plus massives. Mais nous ne pouvons nous
gager ici dans ee débat sur les barbaries. J e propose
qu'on revienne à ee passage ou, le cadre jouant
díscrêtement (mouvement inaudible du laeet), se pro-
duit en silence l'événement qui nous retient ici
vee ses enjeux policiers, politiques, historiques,
psyehanalytiques. La bordure entre ee texte-ci (au
ens courant, prétendument strict, de ehose imprimée
dans un livre) et une textualité générale (sans bord
absolu) s'y enleve.
- S'y enleve: au sens de Ia Gestalt apparaissant sur
fond? ou bien de ce qui s'y effaee et s'y perd?
- Les deux peut-être : les deux peuvent être
« à-l'eeuvre ))comme nous disions plus haut. Avant de
revenir au réquisitoire de Schapiro et à sa cause, [e
voudrais expliquer três vite l'apparenee d'un renver-
sement de perspective dans L'origine (qu'on peut er
doit traiter aussi en peinture). Aprês avoir secondarisé
un exemple d'exemple et sans qu'il soit question de
référer à un tableau pour lui-même, dans son systeme
de tableau
- ça existe, ça, il y en a, du tableau pour lui-même
dans son systême de tableau ?
- aprês avoir seeondarisé un tel « systême )), Hei-
degger en est venu, par étapes, à confier toute Ia vérité
 374 LA VÉRITÉ EN PEIN'l1l
au tableau, à Ia restituer tout entiêre à Ia peintur I"
« a parlé », faisant à Ia fin tout autre chose qu'illu Ir
ou rendre présent à l'intuition. Comment et pourquo
Tout cela est difficile. Minuscule et minutieusem '"
réglé. Comme dans ce procês de fétichisme, tout I
affaire et économie de détail, de Ia dêtaille, on ne P 'li
faire l'économie du détail. Pas plus ici qu'ailleur . II
faut délacer L'origine avec des gestes lents et attenut
au moindre pli, risqués aussi, avec de temps à aUI I
un écart brusque, en tirant.
Heidegger choisit un tableau, il décide, pose I
produit une convention : « Nous choisissons à cet ell ,
un célebre tableau de Van Gogh qui a souvent p 1\1
de telles chaussures... » Il ne l'identifie pas dan
singularité. II ne lui donne aucun titre, aucun num I ,
de catalogue. 11ne se soucie en rien de son ínscriptíon
différentielle ou citationnelle dans une série (de V 1\
G~~h 01:1 d'a~tres, de Millet par exemple). Mais on 11
qu il sait : 11 y en a d'autres. Qu'est-ce qui, pom
I'instant, pourrait autoriser son insouciance? Ceci
aussitôt aprês et à plusieurs reprises, il ne convoque I
peinture que pour constater - et faire constater
qu'elle est inutile. On n'a rien à en faire et rien à
apprendre. De cette inutilité il va tirer parti, le pari
q~'on va voir. II va l'exploiter, spéculer sur elle, J I
faire rendre. 11 faudra donc raffiner et différencier J
détail de cette valeur d'inutilité, de l'inutilité. Mal
dês maintenant on peut garantir Ia pertinence de cett
proposition : dans Ia mesure ou Heidegger a clairement
~~voyé le tableau à son inutilité quant à ce qui import
ICl, dans cette mesure, en tant que et tant qu'il le fait,
on a le droit de dire que Heidegger ne se sert pas du
tableau pour sa démonstration et que d'une certain
maniêre il n'en est pas questiono La référence eSI
suspendue (ou traversée).
- Dira-t-on alors qu'il a três vite laissé tomber 1
~bl~u comme, une vieille chaussure, c,omme un objet
mutile, hors d usage? Comme un abiect P Ce serait
encore le considérer Iui-même.
j TITUTIONS 375
- Disons qu'ille met de cõté, le pose à cõté du dis-
I urs présent. De toute façon, laisser tomber prend du
ps. C'est une trajectoire assez retorse pour qu'il s'y
se plus d'une chose. Dês qu'il a « choisi » le tableau,
choisir entre les tableaux d'une série dont il connait
existence, ill'abandonne. II commence, dês Ia phrase
ivante, à laisser, si vous voulez, tomber : « Mais
u'y a-t-il là de si important à voir (Aber tuas ist da mel
sehen ?) ? » Qu'y a-t-il de plus et de si important dans
e peinture? La réponse vient vite, elle est nette :
. . Rien que nous ne sachions déjà, sous-entendu en
hors du tableau. Cette réponse ne sera jamais contre-
'te, seulement méditée sur un chemin en Iacet. Jamais
ucun contenu n'apparaitra dont on puisse décider que,
tant que contenu, il appartient au tableau, il est
écelé, défini, décrit, lu en lui. Dans ces condirions, ou
urrait-il y avoir confusion ou projection quant à Ia
ture ou à Ia propriété de choses peintes ?
Aprês avoir demandé « Mais qu'y a-t-il Ià de si impor-
t à voir ? » et répondu : rien, « chacun sait ce qui est
propre à des chaussures », Heidegger propose une des-
cription banale et minimale de « ce que nous savons
déjà » (was wir schon wissen) avant toute peinture. Des-
cription en termes de matiêre et de forme précisément,
ces catégories qu'il s'agit à un moment ou à un autre de
délaisser. Mais cette description en elle-même laisse
omber, délaisse le tableau aussitÔt aprês sa premíêre
évocatíon (« nous choisissons ..• »)
- Mais qu'est-ce que délaisser un tableau?
- Ce qui porte, dans ces quelques lignes descrip-
tives, c'est peut-être qu'elles excIuent les sabots (de bois)
ou les chaussures de filasse : « Mais qu'y a-t-il lã de si
important à voir ? Chacun sait ce qui est propre à une
chaussure. S'il ne s'agit pas justement de sabot ou de
chaussures de filasse (Hols- oder Bastschuhe}, on y
trouve Ia semelle de cuir, une empeigne, l'une à l'autre
assemblées par couture et clous. Un tel produit sert à
chausser le pied [dient zur Fussbekleidung, à vêtir Ie
.pied]. En fonction de cette utilité (Dienlichkeit), qu'il
 LA VÉRITÉ EN PEIN'III r TITUTIONS 377
'agisse de travail aux champs ou de danse, Ia matiêre et
forme varient. II

- 11 vient d'exclure les sabots ou les chaussures de

is. Pourquoi sinon parce qu'il parle d'un tableau?
t-ce que cela ne donne pas raison à Schapiro? La
lupart des paysans, les paysannes surtout, portent des
bots dans les tableaux ou dessins de Van Gogh. Je
se en particulier à cet Intérieur de ferme (1885,
. 168), à L'écosseuse de pois (1885, F. 214), à telle
aysanne arrachant des pommes de terre (1885, F. 251), à
Femme à Ia bêche uue de dos (1885, F. 255), au Paysan
GUChant(1885, F. 318), à Le bücheron (1885, F. 1327), au
aysan à Ia bêche (1890, F. 1587), aux Paysans au
Qvail (1890, F. 1602), à tant d'autres sabots dans des
es, des ensembles ou des « natures mortes )) dont le
ond reste visiblement le monde paysan. Si les sabots
nt exclus dans l' exemple même de Heidegger, une
imple lecture interne devrait suffíre à conc1ure qu'il ne
Nature morre (bcuteilles, vases, sabots), te plus de place pour des chaussures de paysan
présentables par Van Gogh. On serait ainsi díspensé
ces conjectures externes concemant les dates, les
lieux, le porteur ou le sujet réel des chaussures. La dis-
Nature morri (choux, saboll,
sion en serait abrégée et cene serait pas plus mal.
'est lassant, ce point de détail ou ce détail de pointure.
11 y a d'autres enjeux et plus urgents. La description
teme nous épargnerait ces interminables investigations
.rconstancielles, policiêres et anecdotiques.

- Mais une armée de fantômes réclame ses chaus-

ures. Des fantômes en armes ou une immense houle de
déportés recherchant leur nom. Si vous voulez vous
rendre à ce théâtre, voici le chemin de l'affect : Ia mé-
moire sans fond d'une dépossession, d'une expropria-
tion, d'une spoliation. Et des tonnes de chaussures
entassées là, paires mêlées et perdues.

- Vous paraissez aussi trop sürs de ce que vous

appelez description interne. Et l'externe ne reste jamais
dehors. 11 y va ici d'une décision quant au cadre, à ce
qui sépare l'inteme de l'externe, par une bordure elle-
 LA VÉRITÉ EN PEINT ••
même double en son trair, et ajointant ce qu'elle part
Il y va de tous les intérêts engagés dans le procês de I produit.
partage. La logique du parergon ici à I'eeuvre ôte à I
égard toute sécurité. D'autant plus que le parergon
peut-être ici Ia forme de ce lacet qui rattache le ded I
au dehors, si bien que le lacet (dedans-dehors) à moiu
défait dans le tableau figure aussi le rapport du tableau
son dehors. Le tableau est pris dans le lacet qu'il sembl
pourtant comprendre comme sa partie. Quant \I
investigations policiêres, il a déjà été suggéré qu'outr
son importance en tant que représentant de Ia loi, I
police était toujours plus et autre que ce qu'on voudr 11
limiter sous ce nom. Les agents de Ia police ne sont p
seulement dans les commissariats, dans les cars blind
ou sur les lieux habitueIs de leur intervention. L'inv
tigation qui nous intéresse est aussi une enquête sur I
police. Elle est policiêre en ce senso Et pour l'anecdo
tique, il faut précisément voir ce qui se donne comme t I
Moi aussi j'avais cru qu'une telle lecture interne ferait I
décision. Mais nono 11y a des chaussures de paysan qu
ne sont pas des sabots. Et surtout, Van Gogh en a peint
dont Ia « paysannerie » parait indiscutable. Par exempl
Le semeur de 1881. L'un des deux tableaux du moin
qui, datés de Ia même année, sont peints « d'apr
Millet » sous ce même títre, fait apparaitre le détail d
chaussures - on peut dire maintenant souliers puisqu'il
n'y a plus de sabots - de même type que ceux décrit
par Heidegger et hardiment attribués par Schapiro
Van Gogh, « by that time a man of the town and city » (J
me répête tout le temps cette petite allégation senten
cieuse, on ne s'en lassera jamais)! De toute façon, 6U
moment ou Heidegger écarte les sabots, il ne par1e tou
jours pas du tableau, même si c'est teI tableau en vue qu
le pousse à resserrer l'exemple autour de souliers, d
chaussures comme deux souliers qui font Ia paire. Il li
ira de même quand l'hypothêse des souliers sera confir
mée par l'allusion au cuir qui exclut encore les sabot
Décrivant ce qui appartient et revient sürement à 1
chose comme produit, décrivant en termes de matiêr
et de forme, il veut, toujours sans l'aide de Ia peínture
poser Ia question de Ia Dienlichkeit, de l'utilité en quot
RESTITUTIONS 379
emble résider, pour Ia tradition, l'être-produit du
Les souliers, ça sert. Das Zeugsein des Zeuges besteht
in seiner Dienlichkeit, « l'être-produit du produit consiste
dans son utilité », voilà « ce que nous savons déjà »,
- Mais sur l'utilité propre aux souliers, Heidegger
laisse trainer l'équivoque et à vrai dire ne Ia lêvera ja-
mais, alors même qu'il prétend Ia rappeler dans son
évídence Ia plus banale. 11a dit d'abord que les souliers
mwnt à chausser le pied, à 1e vêtir, à le couvrir (dient
nr Fussbek1eidung). Rapportée à telle partie du corps
exposée (suriout en ses dessous) et qu'il s'agit de pro-
téger, dissimuler (mais pourquoi ?), serrer sinon orner
(Heidegger ne s'intéresse à ce vêtement qu'en raison de
IOn utilité, et à son utilité qu'en raison de Ia marche et
du travail, cela ne sera pas sans conséquence), Ia chaus-
ure n'est pas encere, dans cette premiêre phase, posée
comme un instrumento Seulement comme un vêtement
ufile. En revanche, au paragraphe suivant, entrée en
cêne de Ia paysanne, l'utilisation est référée au pas, à
Ia marche, à Ia station debout et au travail, bref aux pieds
en mouvement. Comme si une chaussure sans mouve-
ment ou sans contact avec le sol, ne touchant en somme
qu'aux pieds, perdait son sens et toute utilité. Cela n'est
pas une contradiction, mais à ne pas insister sur le vête-
ment ou du moins sur le vêtement hors du travail, sur Ia
parure, le postiche, le travestissement ou l'investiture de
parade, sur d' autres usages que Ia marche ou sur l'utilisa-
tion de l'inutile, on peut s'immobiliser devant deux
limites au moins virtuelles. Premíerement : ne pas com-
prendre à quoi peut être « u~e » l'~utilité dont il s~ra
question tout à l'heure (souliers vides, plus ou moins
desserrés, hors de marche; et tableau lui-même hors
d'usage, désinséré comme les souliers qu'il exhibe, le
hors-d'usage y donnant à voir le hors-d'usage et l'usage,
l'usage suspendu des souliers « dans » le tableau sus-
pendu, et réciproquement). Deuxiêmement : le proces-
IUS dit de fétichisation du produit et de l'ceuvré, des
soulíers et de Ia peinture, ne peut être thématiquement
interrogé dans ses zones problématiques déjà codées
LA VÉRITÉ EN PEIN 11 ITUTIONS

(f(\t-ce pour les critiquer), Ia « sexuelle » et I' « écono-

'que », C'est justement ici que [e situerais l'enjeu de Ia
· e, de Ia parité ou de l'appareillé des souliers. Une
· de souliers est plus facilement traitable comme une
· ité qu'un seul soulier ou que deux souliers dépa-
· és. La paire inhibe au moins, si elle ne l'interdit pas,
motion « fétichisante »; elle rive à l'usage, à l'usage
normal », elle chausse mieux et fait marcher selon Ia
i. C'est peut-être pour exclure Ia question d'une cer-
· e inutilité, ou d'un usage dit « pervers », que Heídeg-
et Schapiro se sont interdit le moindre doute sur Ia
'té ou l'appareillé de ces deux souliers. Ils les ont liés
semble pour les lier à Ia loi de l'usage normal. Ils ont
. , enchaíné, réprimé le díabolique, celui d'une du-
licité sans parité, d'un double sans paire. Ils ont liga-
pour limiter un inquiétant démembrement. Condi-
. n pour rendre justice à Ia vérité qu'ils croyaient
elevoir en peinture. Qu'auraient-ils fait, essayez de
'imaginer, de souliers dépareillés, de deux souliers du
ême pied, ou d'un soulier plus esseulé encore que ces
deux là? Auraient-ils pu tenir le même discours en
prensot pour exemple telles chaussures d'Adami (singu-
Ii~ent ce soulier de femme ajusté ou retiré, on ne sait
pu, le talon restam, apparemment découvert, voilé d'un
bis ou plutõt de ce qui, entre Ie bas et le soulier, comme
un dessous de plus, un sous-vêtement suppIémentaire
dans ce strip-tease ...) ou Ia Nature morte au oieux soulier
de Miró (1937)? ou ce soulier de femme (de morte?)
~ Magritte intitule IA lune] ou The Shoe de Lindner ?
Quand on s'assure de Ia chose comme d'une paire, quand
on oublie que le détachement va aussi d'un soulier à
I'autre et divise Ia paire, on réprime toutes ces questions,
on les fait rentrer dans l'ordre.

- On vient de dire : tout cela ne pouvait plus être

thématiquement interrogé. Mais est-ce forcément une
insuffisance ? Et si Heidegger interrogeait au-delà de cette
thématique déjà codée ? S'il se méfiait aussi du concept
de fétichisme selon Marx ou selon Freud ? Et s'il voulait
tout reprendre de ce problême, et de Ia question de Ia
chose en vérité qui travaille Ia valeur de fétichisme?
 LA VÉRITÉ EN PEIN1 \I RESTITUTIONS

Vous avez tous l'air bien assurés de pouvoir déterminer

comme exclu, méconnu, impensé, dénié, trop implicite
- autant de possibilités au reste distinctes - ce que
vous ne trouvez pas dans, dans ce que vous délimitez en
toute hâte comme le dedans cadrable d'un teste, d'une
uníté détachable du corpus.

- Mais non, iustement, j'allais dire, mettant le mot

de « fétichisation » entre guillemets, et parlant de limites
u moins virtuelles, qu'il fallait y être attentif : ce qui
ressemble à un processus de fétichisation (l'inutilité de
l'oeuvre et du produit, l'inutilité du produit à l'eeuvre
dans l'oeuvre) se trouve décrit par Heidegger comme
un étrange mouvement de l' aletheia. Cela peut être tiré
dans diverses directions, toutes ouvertes. Peut-être y
a-t-i!, dans le trajet en lacet, de quoi nouer ou dénouer
autrement toute ladite question du fétichisme et du
symbolique.

- Parlera-t-on désormais d'un argument-des-deux-

souliers comme on parle dans Glas, d'un argument-de-la-
gaine? Argument des deux-souliers, plutôt que de Ia
paire, plutôt que du couple( homo ou hétérosexuel).
Bisexualité du double en deux souliers. L'argument-de-
la-gaine intervenait aussi, à partir de Freud, depuis, mais
au-delà du príncipe freudíen, pour dêplacer le concept
philosophico-psychanalytique du fétichisme, l'opposition
du fétiche à Ia chose même qu'il devenait, Ia décidabilité
sexuelle (paysan ou paysanne? Van Gogh ou Ia pay-
sanne ?), Ia castration comme vêritê de Ia vérité, etc.
Deux-souliers gainent aussi, mais quoi, en vue de quel
bénéfice, et quel sexe? Ils serrent plus ou moins fort, plus
TIIt S"Ot. ou moins strictement. Et Ia stricture plus ou moins défaite
des lacets, ceux de Ia gaine aussi, donnerait peut-être à
voir.

- le « torse de quelque Vénus en marbre de Paros

qui surgirait parmi les décombres d'une ville incendiée »!
C'est ainsi qu'ils « aperçurent dans un coin de Ia toile
Ie bout d'un pied nu qui sortait de ce chaos de couleurs,
de tons, de nuances indécises, espêces de brouillard
LA ViJuT* EN PEINTtlIUI J]
 LA VÉRITÉ EN PEINTU
sans forme; mais un pied délicieux, un pied vivant I
«(
Dans Le chef-d'reuvre inconnu Oui, oui, c'est bien 11
toile li, dit l'un. « Vous êtes devant une femme et vou
cherchez un tableau », dit le peintre) les visiteurs (111
alors médusés, « pétrifiés d'admiration I). « - Il y a un
femme là-dessous ... li.
- donnerait peut-être à voir ce que le corset, 1
dessous lié de Ia gaine ou de Ia chaussure, garde pri
dans un plus ou moins de stricture, toujours, v .1
en effet ce qui m'importe, mais n'allons pas trop vil
comme une issue sans dénouement. L'argument d I
gaine, c'est que ça joue toujours sur deux tableau
Je reviens en arriêre, à l'instant ou Heidegger rapp 11
que l'être-produit consiste en son « utilité I). 11ne s'
cupe toujours pas du tableau de Van Gogh. 11va maln
tenant opérer en plusieurs temps et selon une démarch
três insolite.
Premier temps " cette utilité ne peut se laisser appr
hender que dans l'usage, qu'en cours d'usage, à l'usag
Aucune peinture ne nous est donc de Ia moindre utilit
pour appréhender l'utilité d'un produit. Evocation de
paysanne, donc, hors tableau : « L'être-produit du pr
'I
duit consiste en son utilité. Mais qu'en est-il de ceu
demiêre P Saisissons-nous avec elle déjà ce qu'il y
de proprement produit dans te produit (das Zeughaft
des Zeuges)? Ne devons-nous pas, pour y arriver,
nous mettre en quête du produit utile dans le cours d
son usage (in seinem Dienste) ? La paysanne aux champ
porte les souliers. Là seulement ils sont ce qu'ils som.
Ils le sont d'autant plus authentiquement (echter) qu
Ia paysanne au travail pense moins à ses souliers ou 1
regarde moins, voire les sent moins. Elle se tient debout
et va en eux. C'est ainsi que les souliers servent effecti
vement. Au long du processus d'utilisation du produit
le proprement produit du produit doit venir à notr
rencontre. »
Toujours à l'intérieur de cette premiêre phase, Hei-
degger feint, c'est une démarche rhétorique, de tirer
une conséquence de ce qui vient d'être dit : si l'utilité,
essence de I'être-produit, ne peut apparaitre qu'en cour
I RESTITUTIONS
d'usage, à l'usage, si l'usage ne peut être, pense-t-il,
qu'etfectif, l'etfectivité même, alors le tableau ne sert à
rien pour accéder à ce qui sert, à l'utilité du produit. 11
est inutile à l'appréhension de l'utile. Mais pourquoi?
En apparence pour une seule raison. Or cette raison
se dédouble et ce dédoublement m'intéresse. C'est
encore un mouvement d' entrelacement du lacet. Par ce
mot d'entrelacement entendons au moins trois choses :
I) l'entrelacement du lacet avec lui-même, 2) qu'il soit
aussi incomplêtement lacé (entre-lacé comme on dit
entrouvert pour ce qui n'est pas complêtement ouvert),
3) et enfin que le figurant de l'entrelacement y soit entre-
lacé avec le figuré, le laçant avec le lacé. L'entrelacement
n'est pas ici thématisé par Heidegger mais sous le nom de
Geflecht, il occupera plus tard son discours, dês 1950. Je
traduis quelques lignes jusqu'au « Et pourtant. » qui va
marquer un tournant : « Au long du processus de l'uti-
lisation du produit le proprement produit du produit
doit venir à notre rencontre. Par contre aussi longtemps
que nous nous contentons de nous représenter (vergegen-
wartigen) en général une paire de souliers ou de regar-
der en image les souliers qui sont simplement lã vides,
inutilisés, nous n'apprendrons jamais ce que l'être-pro-
duit du produit est en vérité. D'aprês le tableau de Van
Gogh, nous ne pouvons même pas établir ou se tiennent
ces souliers. Autour de cette paire de souliers de paysan
il n'y a rien à quoi ils pourraient appartenir [wozu und
wohin sie gehõren kõnnten, à quoi et de quoi ils pourraient
revenir, et en vue de quoi], seulement un espace indé-
terminé. N'y reste pas rnême collée une motte prise à
Ia glêbe du champ ou au chemin de campagne, ce qui
pourrait au moins faire signe vers leur utilisation. Une
paire de souliers de paysan et rien d'autre. Et pourtant. »
Dans ce moment de l'argumentation, l'inutilité du
tableau tient donc à deux raisons qui se recoupent, se
redoublent et s'entrelacent selon un mode
- On disait à l'instant une raison qui se dédouble
au contraire
- On peut aussi le dire, ce qui importe c'est le mode
 LA VÉRITÉ EN PEIN'III
remarquable de I'entrelacement d'une raison qui
remarque dans l'autre ou en elle-même.
- Je coupe encore. Une chose est süre mainten 111
sinon deux, à suivre ces que1ques lignes. Tout en d I
rant le tableau inutile, Heidegger en dit au mOI"
~eci : « cette paire de souliers de paysan », I1 ' u
incontestablement du tableau, d'une référence, m 111
si elle est dite inutile, à certe peinture-ci, à une « C 11
peinture-ci », On ne peut plus dire que Ia référence 1
suspend~e o~ l~ peinture mis~ de côté. 11ne laisse I I
tombery il décrit un tableau, S1 peu que ce soit.
-:- C'est incontestable en effet, Et s'il y a un 11
à dire que « ce ne sont pas des souliers-de mais d
souliers-de », Heidegger s'est lourdement avan
Sans toutefois les attribuer à un suiet réel, extérieur 111
antérieur au tableau, il a chargé ces souliers, il le
investis, arraisonnés, compulsivement Iacés autour I
chevilles paysannes, alors que rien dans le tableau n'
autorisait expressément.
- Ni ne I'interdísait.
- D'oü le symptôme, l'intérêt symptomal de I'in
vestiture, d'un côté comme de l'autre. Mais dans le c
d~ .Heidegger, il ne suflit ~as. de dire que c'était ill
ginme, imprudent ou arbitraire (arbitraire quant u
tableau, três nécessaire à Ia démarche investissante d
Heidegger). 11 ne suflit pas d'ana1yser les motivation
~e tout~ ~orte (métap~ysiques, « idéologiques )), pol
tiques, idiophantasmatiques, toutes nouées ensembl )
qui l'ont poussé en 1935, prês d'un demi-siêcle apr
leur production et leur mise sur le marché, à annex I
ces souliers, sous prétexte de les rapatrier dans leu.
authentique paysage rural, dans leur lieu natal. Il faut
souligner Ia contradiction symptomatique, dans Ia mêm
phrase, entre l'indétermination alléguée du tableau qu
ne nous apprendrait rien sur les souliers, sur leur appar
tenance, leur lieu, leur « champ )) social et, d'autr
part, cette attribution de paysannerie. La contradiction
IlESTITUTIONS
t d'autant plus grave que l'attribution se prétend
interne, fondée dans le tableau er non sur une coniecture
ou une reconstruction comme dans Ia Note de Schapiro.
t elle colle aux souliers avant tout autre examen, plus
tenace, plus adhérente encore que des mottes de terre
- plus indécrottable
- ce mot connote aussi Ia vulgarité citadine et bour-
geoise, celle qui colle aux chaussures de ville. 11y a trop
d'injures politiques dans cette correspondance, de coups
bas pour que nous en remettions ici.
- Mais cette correspondance a pour sujet le bas
- Lequel?
- L'autre, toujours le supplément de bas.
- Je reviens à Ia contradiction symptomatique. A
quel moment apparait-elle? Le tableau est doublement
inutile à Heidegger. lnutile parce qu'il nous « montre »,
« exhibe » ou « représente », peu importe ici, dépeint des
objets-produits, inutiles, (( vides et inutilisés », Ils ne
peuvent rien nous apprendre sur l'utilité qui nous inté-
resse. Ils sont lã hors d'usage, sans valeur d'usage
acruelle. La ligne, le systême de traits qui découpent
ce ((hors-d'usage », nous Ies suivons sur Ia bordure de ce
vide, les bordures, Ia bordure multiple qui détache
l'être-produit de ce que j'appellerai sa portée subjective.
Bordure linéaire et assez simple autour du cou de pied
ou de Ia cheville dé-peints in absentia. Assez simple
quand le montant est droit, moins simple quand il
retombe comme un gant à moitié retourné (à gauche).
Sans Ia moindre simplicité quand il s'agit du lacet,
entrelaçant le dedans et le dehors, Ie dessous et le dessus,
Ia droite et Ia gauche, ou a fortiori de ces trous bordés,
ourlés, que sont les oeillets comme lieu de passage.
Tout ce systême de bordures entrelaçantes détache
I'être-produit de sa portée subjective tout en amorçant
(en induisant et en appâtant) le rattachement de ladite
 LA VÉRITÉ EN PEIN'J 1/
temps d'énumérer. Dês lors que l'évasion prend a I I
sur une touche descriptive aussi pauvre, aussi ind I I
minée, tout autre trait descriptif (il n'y en a pour 111
dire pas d'autre) ne concemerait plus une peintui
Par exemple (mais il n'y a pas d'autre exemple): « I'
le cuir s'étend Ia terre grasse et humide. Par-dessou I
semelles ... », Et encore ce « par-dessous » s'enfoncer I I
par-dessous ia toile
- qui serait Ia semelle ?
- si Ia toile seule était désignée. Pour ces seul
raisons, déià, on ne peut reprocher à Heidegger d
tromper de tableau, d'en confondre plusieurs, de m I
décrire ou de proieter dans un lieu imaginaire. 11 I
prétend pas se référer en toute rigueur à un tableau 11
général, ni à tel tableau singulier. Cette référen
- Mais qu'est-ce que se référer? Qu'est-ce qu I
référence en peinture ?
- cette référence, quelle qu'elle soit, n'est pas ess 1\
tielle à son propos. De plus, il s'intéresse iei à ia vérit
de ia vérité, condition indispensable pour savoir ce qu
référer veut dire. Et ia notion de référence, comme ce11
de référent, n'appartient-elle pas à une sémio-lingul
tique dominée, encore aujourd'hui, qu'on le veuille, I
sache ou non, par le couple matiêre-forme ê Par cett
interprétation de Ia chose comme « produit » que
passage même de L'origine est en train de mettre 1\
cause ou en procês ?
- Soit. Mais alors comment expliquer que plus 10ÍD,
à l'autre bout, tout ce discours sur les chaussures, SUl
cet exemple de produit, soit mis au compte du tableau
lui-même ] Non plus seulement comme discours sur
le tableau mais du tableau, discours tenu par lui, voir
par Ia paire de chaussures? C'est plus grave et plu
grave que ce que lui reproche Schapiro.
- Oh, pour l'un et pour l'autre, c'est sür, ia cho
TlTUTIONS
par1e. Voyez ce que Heidegger dit ailleurs de Ia causa,
serait essentiel pour notre débat.
- Je reprends ma questiono Tout se passe fina1ement
omme si Heidegger n'avait certes pas par1é du tab1eau.
Mais loin de s'en évader, il n'en aurait pas par1é en vue
de le laisser parler lui-même. Non pas fait par1er mais
laissé par1er. Ces chaussures (une fois peintes) parlent,
ette chose produite et détachée de son sujet se met
• (en) par1er, voilà ce que Heidegger dit un peu aI!res.
11 ne le dit pas lui-même, mais disons que ça se dít et
n tout cas voiei ce que nous lisons : II L'être-produit
du produit a été trouvé. Mais comment? Non pas
• travers une description ou une explication (Erkliirung)
d'une paire de chaussures (Sc~uhz~ges : ça se .trad~t
par paire dês lors que ~eug dete~e 1e produit ut~le,
f nuance importante qui nous mteressera p1us 10m]
effectivement présentes; non pas à travers un rapport
ur le procês de fabrication des chaussures; ni davantage
• travers l'observation de Ia maniêre dont ici et lã on
utilise effectivement les chaussures. Mais - mais
eulement en nous mettant devant 1e tab1eau de Van
Gogh (wir uns vor das Gemãlde uan Goghs brachten).
Celui-ci a par1é (Dieses hat gesproch~n)., p~ns Ia
proximité de l'eeuvre nous avons soudain ete ailleurs
que là ou. nous avons accoutume ' d' etre. L' ceuvre d' art
A
a donné à savoir ce que Ia paire de chaussures (Schuh-
zeug) est en vérité. Ce serait Ia pire des ~ll~sions ~i
nous voulions penser que c'est notre description qui,
en tant qu'activité subjective, a ai?si tout dépeint .e~
ensuite introduit dans le tab1eau. SI quelque chose lC1
est problématique, c'est seulement le fait que nous
n'ayons appris que trop peu à proximité de I'eeuvre
et n'ayons énoncé cet apprendre [Erfahren : éprou'f~r,
expérimenter, traverser] que de façon trop grossiere
et trop immédiate. Mais avant tout l'eeuvre n'a nullement
servi, comme il pouvait sembler d'abord, à une meilleure
présentation intuitive (V'eranschaulichung), et seulement
l cela, de ce qu'est un produit. C'est bien plutôt à
travers I'eeuvre et seulement dans l'ceuvre que l'être-
produit du produit en vient proprement (eigens)
 370 LA VÉRITÉ EN PEIN J TITUTIONS
à son paraitre (Vorschein). Qu'est-ce qui advient i I
Qu'est-ce qui dans I'eeuvre est à I'ceuvre > [Wa "
im Werk am Werk? à I'eeuvre sans doute comm 1111
~it « au trav,ail n, sin0I?-à piedd'ceuvre mais on peut, "
jouant à peine, tradwre aUSSlpar « à même l'oeuvr
ou « appartenant à l'ceuvre, eeuvrant dans l'ceuvr
ce qui condense de nombreuses questions]. Le tabl \I
de, Van Gogh est l'ouverture de ce que le produit, I
paire de chaussures de paysans, est en vérité [was I"
Zeug, das Paar Bauemschuhe, in Wahrheit íst, soyon
attentifs à Ia syntaxe de cette phrase). Cet étant enu
dans le décêlement (Unoerborgenheit ) de son être. (
décêlement de l'étant, les Grecs l'appelaient «À-Ij6c1cx, 11
- Est-ce que cela n'est pas pire que tout ? pire qu
l' (( illusion » subjectiviste dénoncée par Heidegg r ,
Pire que Ia « projection » incriminée par Schapiro
Voici maintenant que le tableau dévoile en parlam,
dans Ia proximité immédiate de sa présence, en fo
de laquelle il suffirait de se placer ou de se trouver. C I
me parait contredire ce qui fut dit tout à l'heure ti
l'exemple d'exemple.
- 11 fallait penser cette exemplarité en lacet.
- On abuse du lacet, tout le monde en joue
- Oui, ça paraít ((pire » que Ia ré-adéquation ou J
ré-attribution d'une représentation au cours d'un
rattachement laborieux. Ce serait pire si (( Dieses h I
gesprochen n avait le sens courant du discours, et don
du discours humain prêté à une peinture, à un
chaussure en peinture. En abordant plus tard 1
problême du trait (Riss ) , de l'attrait (Zug) , du
systême qui contracte les traits (Gezüge) dans leui
rapport à Ia parole et à Ia langue, j'essaierai de montr •
que c'est plus compliqué. Pour l'instant, ce ser h
« pire » en effet, si Ia ((vérité » était celle de Ia ((paysan
nerie n, pour ainsi dire, des chaussures et non simplement
de leur « être-produit », Or on a bien lu : ((Le tableau
de Van Gogh est l'ouverture de ce que le produit, I
371
aire de chaussures de paysans, est en vérité, » La
yntaxe de Ia phrase, .identique en allemand et en
rançais, marque bien Ia place du sujet. 11 s'agit de Ia
vérité du produit, de l'être-produit et non de l'exemple,
savoir telle paire de chaussures resserrée dans sa
étermination comme celle de paysans. C'est bien
nforme à Ia visée démonstrative de cette séquence.
e mot « exemple » prêterait à confusion s'il indiquait
ulement un rapport déterminant d'individu à géné-
ité conceptuelle ou un simple resserrement spécifique
( pêcefgenre) du concept d'être-produit à celui de
aussures (souliers, sabots, savates, bottes, pointes, etc.)
uis à celui de chaussures de paysan (lesquelles?)
puis à cette paíre-ci.
- Mais une chaussure seule, est-ce un individu du
oupe (( paire lI? Et une paire, est-ce un individu de
'ensemble « chaussures n? Je suis venue ici pour poser
tte question que personne, depuis tout à l'heure, ne
semble entendre.
- Si le mot ((exemple prête à Ia confusion que je
)1
disais, il faut préciser : toute Ia séquence semble
dure ce rapport d'articulation conceptuelle (genre,
pêce, individu, paire ou pas). C'est bien cette paire
dans ce tableau qui ouvre à Ia vérité de l'être-produit.
Mais qui y ouvre dans sa présence dévoilée-dévoilante,
en se laissant traverser
- comme un eeillet, comme le cuir, comme Ia toile
des chaussures, traverser par le lacet?
- vers Ia vérité. Et dans ce cas, même s'il y avait
erreur d'attribution ou projection de paysannerie, Ia
marge d'aberration serait três étroíte. C'est Ia vérité
de l'être-produit comme tel qui porte. S'il y a projection,
Ia prise est maigre pour Ia police des tableaux, pour
ce discours de l'ordre et de Ia propriété en pein-
ture.
- S'il Y a police (n'y en a-t-il pas toujours ?), elle
372 LA VÉRITÉ EN PEINTUII
opérerait ici contre une autre police, contre un aun
arraisonnement idéologique, et
- Que veut dire idéologique dans ce cas? L'origw
propose au passage quelques schêmes d'interprétat 1111
quant à Ia formation et aux limites de ce cone J I
d'idéologie ou de son champ.
- Le raffinement sur Ia syntaxe de « le produit, J
paire de chaussures » m'a paru incroyable. Tout
jouerait donc dans le suspens de cette appositi 11,
à Ia pointe d'une virgule entre (( le produit )) et « I
paire )),cette pause déposant Ia paire un peu à côté du
produit, d'un intervalle un peu plus long entre deu
mots
- quelle est Ia pointure d'une virgule ?
- Il ne s'agit pas d'un intervalle de temps entre deu ,
dont l'un est ((paire )l, mais de ce fait syntaxique qu
(( Ia paire » est en apposition, redoublant le produ II
d'un redoublement néanmoins resserrant, plus stri I,
plus étroit (le produit, par exemple ici Ia paire). Alor
l'espace de cette peinture est assigné par Ia pointure d
Ia virgule qui elle-même, comme une virgule, comm
une chaussure, ne dit jamais rien.
- Tout revient encore à une de ces ((explications d
texte ))... Est-ce qu'on tit? Est-ce qu'on regard ?
- Vous croyez qu'on accepterait ça, qu'on 1
recevrait comme une explication de texte ou comm
close reading?
- Tout revient à un de ces exercices de lecture à I
loupe qui prétendent tranquillement faire Ia loi, toui
contrôler, policiêrement en effet.
- Ça peut toujours, plus ou moins tranquillement,
devenir policier. Ça dépend comment, en vue de quol,
dans quelle situation ça opere. Ça peut aussi armer
TITUTIONS 373
ntre cette autre police (secrête) qui sous prétexte de
vous délivrer des chaínes de l'écriture et de Ia lecture
(toujours réduites, analphabétiquement, à l'alphabet)
vous enferme en toute hâte dans un prétendu hors-
texte : le pré-texte de Ia perception, de Ia parole vive,
es mains nues, de Ia création vive, de l'histoire
réelle, etc. Prétexte en effet pour asséner le discours le
Jus éculé, le plus fruste, le plus fatigué. C'est aussi
vec du prétendu non-texte, du pré-texte nu, de l'immé-
diat, qu'on essaie de vous intimider, de vous assujettir
u programme le plus vieux, le plus dogmatique, le
plus sinistrement autoritaire, aux machines médiati-
tes les plus massives. Mais nous ne pouvons nous
engager ici dans ce débat sur les barbarles. Je propose
qu'on revienne à ce passage ou, le cadre jouant
discrêtement (mouvement inaudible du lacet), se pro-
duit en silence l'événement qui nous retient ici
vec ses enjeux policíers, poli tiques, historiques,
psychanalytiques. La bordure entre ce texte-ci (au
ens courant, prétendument strict, de chose imprimée
dans un livre) et une textualité générale (sans bord
bsolu) s'y enleve.
- S'y enleve: au sens de Ia Gestalt apparaissant sur
fond ? ou bien de ce qui s'y efface et s'y perd ?
- Les deux peut-être : les deux peuvent être
« à-l'eeuvre ))comme nous disions plus haut. Avant de
revenir au réquisitoire de Schapiro et à sa cause, je
voudrais expliquer três vite l'apparence d'un renver-
ement de perspective dans I/origine (qu'on peut et
doit traiter aussi en peinture). Apres avoir secondarisé
un exemple d'exemple et sans qu'il soit question de
référer à un tableau pour lui-même, dans son systeme
de tableau
- ça existe, ça, i1 y en a, du tableau pour lui-même
dans son systême de tableau ?
- aprês avoir secondarisé un tel (( systême I), Hei-
degger en est venu, par étapes, à confier toute Ia vérité
 374 LA VÉRITÉ EN PEINT I,
au tableau, à Ia restituer tout entiêre à Ia peinture tl"l
« a parlé », faisant à Ia fin tout autre chose qu'illu tr I
ou remire présent à I'intuition. Comment et pourqui
Tout cela est difficile, MinuscuIe et minutieusem 111
réglé. Comme dans ce procês de fétichisme, tout I
affaire et économie de détail, de Ia dêtaille, on ne 11I
faire l'économie du détail. Pas plus ici qu'ailleurs. I1
faut délacer L'origine avec des gestes lents et attenul
au moindre pli, risqués aussi, avec de temps à auu
un écart brusque, en tirant.
Heidegger choisit un tableau, il décide, pose I
produit une convention : « Nous choisissons à cet etl I
un célebre tableau de Van Gogh qui a souvent p "I
de telles chaussures ... » 11 ne I'identifie pas dans
singularité. 11 ne lui donne aucun titre, aucun num r I
de catalogue. 11 ne se soucie en rien de son inscripti 11
différentielle ou citationnelle dans une série (de V 1\
Gogh ou d'autres, de Millet par exemple). Mais on s li
qu'il sait : il y en a d'autres. Qu'est-ce qui, poui
l'instant, pourrait autoriser son insouciance? Ceci
aussitôt aprês et à plusieurs reprises, il ne convoque I,
peinture que pour constater - et faire constater
qu'elle est inutile. On n'a rien à en faire et rien à
apprendre. De cette inutilité il va tirer parti, le part
q~'on va voir. 11 va l'exploiter, spécuIer sur elle, J
faire rendre. 11 faudra done raffiner et différencier I
détail de cette valem d'inutilité, de I'inutilité. Mal
dês maintenant on peut garantir Ia pertinence de cett
proposition : dans Ia mesure ou Heidegger a clairement
~c:nvoyéle tableau à son inutilité quant à ce qui import
lC1, dans cette mesure, en tant que et tant qu'il le fait
on a le droit de dire que Heidegger ne se sert pas du
tableau pour sa démonstration et que d'une certain
maniêre i1 n'en est pas questiono La référence e t
suspendue (ou traversée).
- Dira-t-on alors qu'il a três vite laissé tomber I
tableau comme une vieille chaussure, comme un objet
inutile, hors d'usage? Comme un abject? Ce serait
encore le considérer luí-même.
TITUTIONS 375
- Disons qu'ille met de cõté, le pose à cõté du dis-
urs présent. De toute façon, laisser tomber prend du
ps. C'est une trajectoire assez retorse pour qu'il s'y
se plus d'une chose. Dês qu'il a « choisi » le tableau,
choisir entre les tableaux d'une série dont il connait
exístence, ill'abandonne. II commence, dês Ia phrase
uivante, à laisser, si vous voulez, tomber : « Mais
u'y a-t-il là de si important à voir (Aber was ist da mel
sehen ?) ? » Qu'y a-t-il de plus et de si important dans
e peinture? La réponse vient vite, elle est nette :
rim. Rien que nous ne sachions déjã, sous-entendu en
ors du tableau. Cette réponse ne sera jamais contre-
'te, seulement méditée sur un chemin en lacet. Jamais
cun contenu n'apparaitra dont on puisse décider que,
tant que contenu, il appartient au tableau, il est
écelé, défini, décrit, lu en lui. Dans ces conditions, ou
urrait-il y avoir confusion ou projection quant à Ia
nature ou à Ia propriété de choses peintes ?
Aprês avoir demandé « Mais qu'y a-t-il là de si impor-
tant à voir ? » et répondu : rien, « chacun sait ce qui est
propre à des chaussures », Heidegger propose une des-
cription banale et minimale de « ce que nous savons
déjà » (was wir schon wissen) avant toute peinture. Des-
cription en termes de matiêre et de forme précisément,
ces catégories qu'il s'agit à un moment ou à un autre de
délaisser, Mais cette description en elle-même laisse
tomber, délaisse le tableau aussitÔt aprês sa premíêre
évocation (<< nous choisissons ... »)
- Mais qu'est-ce que délaisser un tableau ?
- Ce qui porte, dans ces que1ques lignes descrip-
tives, c'est peut-être qu'elles excluent les sabots (de bois)
ou les chaussures de filasse : « Mais qu'y a-t-il lã de si
important à voir ? Chacun sait ce qui est propre à une
chaussure. S'il ne s'agit pas justement de sabot ou de
chaussures de filasse (Hole- oder Bastschuhe ), on y
trouve Ia semelle de cuir, une empeígne, l'une à I'autre
assemblées par couture et c1ous. Un tel produit sert à
chausser le pied [dient zur Fussbekleidung, vêtir le
.pied]. En fonction de cette utilité {Dienlichluit}, qu'il
 LA VÉRITÉ EN PEINIII TITUTIONS 377
'agisse de travail aux champs ou de danse, Ia matiêre et
forme varient. »

- 11 vieot d'exclure les sabots ou les chaussures de

is. Pourquoi sinon parce qu'il parle d'un tableau?
t-ce que cela ne donne pas raison à Schapiro? La
lupart des paysans, les paysannes surtout, portent des
bots dans les tableaux ou dessins de Van Gogh. Je
se en particulier à cet Intérieur de ferme (1885,
. 168), à L'écosseuse de pois (1885, F. 214), à telle
aysanne arrachant des pommes de terre (1885, F. 251), à
Femme à Ia bêche vue de dos (1885, F. 255), au Paysan
'euchant (1885, F. 318), à Le bücheron (1885, F. 1327), au
aysan à Ia bêche (1890, F. 1587), aux Paysans au
Iravail (1890, F. 1602), à tant d'autres sabots dans des
nes, des eosembles ou des « oatures mortes ))dont le
ond reste visiblement le monde paysan. Si les sabots
nt exclus dans l' exemple même de Heidegger, une
imple lecture interne devrait suffire à conclure qu'il ne
Nature morte rboureíües, vases, saboes). te plus de place pour des chaussures de paysan
représentables par Van Gogh. 00 serait ainsi dispensé
de ces conjectures externes concernant les dates, les
lieux, le porteur ou le sujet réel des chaussures. La dis-
Nature mDrte (choux, sabote, I
sion eo serait abrégée et cene serait pas plus mal.
'est lassant, ce point de détaíl ou ce détail de pointure.
11y a d'autres eojeux et plus urgents. La descríption
interne oous épargnerait ces interminables investigatioos
circonstancielles, policiêres et anecdotiques.

- Mais une armée de fantõmes réclame ses chaus-

ures. Des fantõmes en armes ou une immense houle de
déportés recherchant leur nom. Si vous voulez vous
rendre à ce théâtre, voici te chemin de l'affect : Ia mé-
moire sans fond d'une dépossession, d'une expropria-
tion, d'une spoliation. Et des tonnes de chaussures
entassées lã, paires mêlées et perdues.

- Vous paraissez aussi trop sürs de ce que vous

appelez description interne. Et I'externe ne reste jamais
dehors. 11y va ici d'une décision quant au cadre, à ce
qui sépare l'interne de l'externe, par une bordure elle-
 LA VÉRITÉ EN PEIN1U I IESTITUTIONS
même double en son trair, et ajointant ce qu'elle part
11 y va de tous les intérêts engagés dans le proces d
partage. La logique du parergon ici à l'eeuvre ôte à
égard toute sécurité. D'autant plus que le parergo1l
peut-être ici Ia forme de ce lacet qui rattache le ded 1\
au dehors, si bien que le lacet (dedans-dehors) à moit
défait dans le tableau figure aussi le rapport du tableau
son dehors. Le tableau est pris dans le lacet qu'il sembl
pourtant comprendre comme sa partie. Quant li
investigations policiêres, il a déjà été suggéré qu'ouu
son importance en tant que représentant de Ia loi, I
police était toujours plus et autre que ce qu'on voudr 11
limiter sous ce nom. Les agents de Ia police ne sont P
seulement dans les commissariats, dans les cars blind
ou sur les lieux habituels de leur intervention. L'inv
tigation qui nous intéresse est aussi une enquête sur I
police. Elle est policiêre en ce senso Et pour l'anecdo
tique, il faut précisément voir ce qui se donne comme t 1
Moi aussi j'avais cru qu'une telle lecture interne ferait I
décision. Mais nono 11 y a des chaussures de paysan qu
ne sont pas des sabots. Et surtout, Van Gogh en a peint
dont Ia « paysannerie » parait indiscutable. Par exempl
Le semeur de 1881. L'un des deux tableaux du moin
qui, datés de Ia même année, sont peints « d'apr
Millet ))sous ce même títre, fait apparaitre le détail d
chaussures - on peut dire maintenant souliers puisqu'lI
n'y a plus de sabots - de même type que ceux décrit
par Heidegger et hardiment attribués par Schapiro
Van Gogh, « by that time a man of the town and city)) (J
me répête tout le temps cette petite allégation senten
cieuse, on ne s'en lassera jamais)! De toute façon, au
moment ou Heidegger écarte les sabots, il ne parle tou-
jours pas du tableau, même si c'est teI tableau en vue qui
le pousse à resserrer l'exemple autour de souliers, d
chaussures comme deux souliers qui font Ia paire. 11 en
ira de même quand I'hypothêse des souliers sera confir-
mée par l'allusion au cuir qui exclut encore les sabots.
Décrivant ce qui appartient et revient sürement à I
chose comme produit, décrivant en termes de matiêre
et de forme, il veut, toujours sans l'aide de Ia peinture,
poser Ia question de Ia Dienlichkeit, de l'utilité en quoi
379
emble résider, pour Ia tradition, l'être-produít du
produit.
Les souliers, ça sert. Das Zeugsein des Zeuges besteht
in seiner Dienlichkeit, « l'être-produit du produit consiste
dans son utilité », voilà « ce que nous savons déjà »,
- Mais sur l'utilité propre aux souliers, Heidegger
laisse trainer l'équivoque et à vrai dire ne Ia lêvera ja-
mais, alors même qu'il prétend Ia rappeler dans son
êvídence Ia plus banale. 11 a dit d'abord que les souliers
mvent à chausser le pied, à le vêtir, à le couvrir (dient
.ur Fussbek1eidung). Rapportée à telle partie du corps
exposée (suri:out en ses dessous) et qu'il s'agit de pro-
téger, dissimuler (mais pourquoi ?), serrer sinon orner
(Heidegger ne s'intéresse à ce vêtement qu'en raison de
IOn utilité, et à son utilité qu'en raison de Ia marche et
du travail, cela ne sera pas sans conséquence), Ia chaus-
ure n'est pas encore, dans cette premiêre phase, posée
comme un instrumento Seulement comme un vêtement
utile. En revanche, au paragraphe suivant, entrée en
acene de Ia paysanne, l'utilisation est référée au pas, à
Ia marche, à Ia station debout et au ttavail, bref aux pieds
en mouvement. Comme si une chaussure sans mouve-
ment ou sans contact avec le sol, ne touchant en somme
qu'aux píeds, perdait son sens et toute utilité. Cela n'est
pas une contradiction, mais à ne pas insister sur le vête-
ment ou du moins sur le vêtement hors du travail, sur Ia
parure, le postíche, le travestissement ou l'investiture de
parade, sur d' autres usages que Ia marche ou sur l'utilisa-
tion de l'inutile, on peut s'immobiliser devant deux
limites au moins virtuelles. Premíêremeat : ne pas com-
prendre à quoi peut être « u~e ) l'~utilité dont il s~ra
question tout à l'heure (souliers vides, plus ou moms
desserrés, hors de marche; et tableau lui-même hors
d'usage, désinséré comme les souliers qu'il exhibe, le
hors-d'usage y donnant à voir le hors-d'usage et l'usage,
l'usage suspendu des souliers « dans )) le tableau sus-
pendu, et réciproquement). Deuxíemement : le proces-
sus dit de fétichisation du produit et de l'ceuvré, des
souliers et de Ia peinture, ne peut être thématiquement
interrogé dans ses zones problématiques déjà codées
LA VÉRITÉ EN PEINTIl IESTITUTIONS

(füt-ce pour les critiquer), Ia « sexue11e))et I' « écono-

mique ». C'est justement ici que je situerais I'enjeu de Ia
paire, de Ia parité ou de l'appareillé des souliers. Une
paire de souliers est plus faci1ement traitable comme une
fltilité qu'un seul soulier ou que deux souliers dépa-
reillés. La paire inhibe au moins, si elle ne l'interdit pas,
motion « fétichisante )); elle tive à l'usage, à l'usage
• normal I), elle chausse mieux et fait marcher selon Ia
loi. C'est peut-être pour exc1ure Ia question d'une cer-
tline inutilité, ou d'un usage dit « pervers )),que Heideg-
aer et Schapiro se sont interdit le moindre doute sur Ia
parité ou l'appareillé de ces deux souliers. Ils les ont liés
CDsemblepour les lier à Ia loi de l'usage normal. Ils ont
Iié, enchainé, réprimé le diabolique, celui d'une du-
plicité sans parité, d'un double sans paire. I1s ont liga-
turé pour limiter un inquiétant démembrement. Condi-
tion pour rendre justice à Ia vérité qu'ils croyaient
elevoir en peinture. Qu'auraient-ils fait, essayez de
l'imaginer, de souliers dépareillés, de deux souliers du
m~e pied, ou d'un soulier plus esseulé encore que ces
deux là? Auraient-ils pu tenir le même discours en
prenant pour exemple telles chaussures d'Adami (singu-
Iierement ce soulier de femme ajusté ou retiré, on ne sait
pas, le talon restant, apparemment découvert, voilé d'un
bas ou plutõt de ce qui, entre le bas et le soulier, comme
un dessous de plus, un sous-vêtement supplémentaire
dans ce strip-tease ...) ou Ia Nature morte au oieux soulier
de Mir6 (1937)? ou ce soulier de femme (de morte ?)
que Magritte intitule La Zune(OU The Shoe de Lindner ?
Quand on s'assure de Ia chose comme d'une paire, quand
on oublie que le détachement va aussi d'un soulier à
l'autre et divise Ia paire, on réprime toutes ces questions,
on les fait rentrer dans l'ordre.

- On vient de dire : tout cela ne pouvait plus être

thématiquement interrogé. Mais est-ce forcément une
insuffisance ? Et si Heidegger interrogeait au-delã de cette
thématique déjà codée ? S'il se méfiait aussi du concept
de fétichisme selon Marx ou selon Freud ? Et s'il voulait
tout reprendre de ce problême, et de Ia question de Ia
ehose en vérité qui travaille Ia valeur de fétichisme?
 LA VÉRITÉ EN PEINTU I RESTITUTIONS

Vous avez tous l'air bien assurés de pouvoir déterminer

comme exclu, méconnu, impensé, dénié, trop implicite
- autant de possibilités au reste distinctes - ce que
vous ne trouvez pas dans, dans ce que vous délimitez en
toute hâte comme le dedans cadrable d'un texte, d'une
unité détachable du corpus.

- Mais non, justement, j'allais dire, mettant le mot

de « fétichisation » entre guillemets, et parlant de limites
au moins virtuelles, qu'il fallait y être attentif : ce qui
ressemble à un processus de fétichisation (l'inutilité de
l'oeuvre et du produit, l'inutilité du produit à l'eeuvre
dans l'oeuvre) se trouve décrit par Heidegger comme
un étrange mouvement de l' aletheia. Cela peut être tiré
dans diverses directions, toutes ouvertes. Peut-être y
a-t-it, dans le trajet en lacet, de quoi nouer ou dénouer
autrement toute ladite question du fétichisme et du
symbolique.

- Parlera-t-on désormais d'un argument-des-deux-

souliers comme on parle dans Glas, d'un argument-de-la-
gaine? Argument des deux-souliers, plutôt que de la
paire, plutôt que du couple( homo ou hétérosexuel).
Bisexualité du double en deux souliers. L'argument-de-
la-gaine intervenait aussi, à partir de Freud, depuis, mais
au-delà du principe freudien, pour dêplacer le concept
philosophico-psychanalytique du fétichisme, l'opposition
du fétiche à Ia chose même qu'il devenait, Ia décidabilité
sexuelle (paysan ou paysanne? Van Gogh ou Ia pay-
sanne ?), Ia castration comme vérité de Ia vérité, ete.
Deux-souliers gainent aussi, mais quoi, en vue de quel
bénéfice, et quel sexe? I1sserrent plus ou moins fort, plus
The Shoe. ou moins strictement, Et Ia stricture plus ou moins défaite
des lacets, ceux de Ia gaine aussi, donnerait peut-être à
voir.

- le « torse de quelque Vénus en marbre de Paros

qui surgirait parmi les décombres d'une ville incendiée »!
C'est ainsi qu'ils « aperçurent dans un coin de Ia toite
te bout d'un pied nu qui sortait de ce chaos de couleurs,
de tons, de nuances indécises, espêces de brouillard
LA VáiuTt! EN PEINTUIlB 13
 LA VÉRITÉ EN PEINTUIII
sans fonne; mais un pied délicieux, un pied vivant I Ii
Dans Le chef-d'ceuvre inconnu «< Oui, oui, c'est bien Wl
toile », dit l'un. « Vous êtes devant une femme et vo I
cherchez un tableau », dit le peintre) les visiteurs s 111
alors médusés, « pétrifiés d'admiration », « - Il y a UI1
femme là-dessous ... ».
- donnerait peut-être à voir ce que le corset, I
dessous lié de Ia gaine ou de Ia chaussure, garde prl
dans un plus ou moins de stricture, toujours, voil
en effet ce qui m'importe, mais n'allons pas trop vit ,
comme une issue sans dénouement. L'argument de 1
gaine, c'est que ça joue toujours sur deux tableau
Je reviens en arriêre, à l'instant ou Heidegger rappell
que l'être-produit consiste en son « utilité )1. 11 ne s'o
cupe toujours pas du tableau de Van Gogh. Il va main
tenant opérer en plusieurs temps et selon une démarch
três insolite.
Premier temps : cette utilité ne peut se laisser appr
hender que dans l'usage, qu'en cours d'usage, à l'usa~ .
Aucune peinture ne nous est donc de Ia moindre utilit
pour appréhender l'utilité d'un produit. Evocation de 1
paysanne, donc, hors tableau : « L'être-produit du pr
duit consiste en son utilité. Mais qu'en est-il de cett
derniêre P Saisissons-nous avec elle déjà ce qu'il y
de proprement produit dans le produit (das Zeug~aft
des Zeuges)? Ne devons-nous pas, pour y arriver,
nous mettre en quête du produit utile dans le cours d
son usage (in seinem Dienste) ? La paysanne aux champ
porte les souliers. Là seulement ils sont ce qu'ils sont,
Ils le sont d'autant plus authentiquement (echter) qu
Ia paysanne au travail pense moins à ses souliers ou 1
regarde moins, voire les sent moins. Elle se tient deboui
et va en eux. C'est ainsi que les souliers servent effectí-
vement. Au long du processus d'utilisation du prodult
le proprement produit du produit doit venir à notr
rencontre. »
Toujours à l'intérieur de cette premiêre phase, Hei
degger feint, c' est une démarche rhétorique, de tirer
une conséquence de ce qui vient d'être dit : si l'utilité,
essence de I'être-produit, ne peut apparaitre qu'en cour
RESTITUTIONS
d'usage, à l'usage, si l'usage ne peut être, pense-t-il,
qu'effectíf, I'effectivité même, alors le tableau ne sert à
rien pour accéder à ce qui sert, à l'utilité du produit. Il
est inutile à l'appréhension de l'utile. Mais pourquoi?
En apparence pour une seule raison. Or cette raison
se dédouble et ce dédoublement m'intéresse. C'est
encore un mouvement d' entrelacement du lacet, Par ce
mot d'entrelacement entendons au moins trois choses :
I) l'entrelacement du lacet avec lui-même, 2) qu'il soit
aussi incomplêtement lacé (entre-lacé comme on dit
entrouvert pour ce qui n'est pas complêtement ouvert),
3) et enfin que le figurant de l'entrelacement y soit entre-
lacé avec le figuré, le laçant avec le lacé. L'entrelacement
n'est pas ici thématisé par Heidegger mais sous le nom de
Geflecht, il occupera plus tard son discours, dês 1950. Je
traduis quelques lignes jusqu'au « Et pourtant. » qui va
marquer un tournant : « Au long du processus de l'utí-
lisation du produit le proprement produit du produit
doit venir à notre rencontre. Par contre aussi longtemps
que nous nous contentons de nous représenter (vergegen-
wartigen) en général une paire de souliers ou de regar-
der en image les souliers qui sont simplement là vides,
inutilísés, nous n'apprendrons jamais ce que l'être-pro-
duit du produit est en vérité, D'aprês le tableau de Van
Gogh, nous ne pouvons même pas établir ou se tiennent
ces souliers. Autour de cette paire de souliers de paysan
il n'y a rien à quoi ils pourraient appartenir [wozu UM
wohin sie gehõren kõnnten, à quoi et de quoi ils pourraient
revenir, et en vue de quoi], seulement un espace indé-
tenniné. N'y reste pas même collée une motte prise à
Ia glêbe du champ ou au chemin de campagne, ce qui
pourrait au moins faire signe vers leur utilisation. Une
paire de souliers de paysan et rien d'autre. Et pourtant. »
Dans ce moment de l'argumentation, l'inutilité du
tableau tient donc à deux raisons qui se recoupent, se
redoublent et s'entreIacent selon un mode
- On disait à l'instant une raison qui se dédouble
au contraire
- On peut aussi le dire, ce qui importe c'est le mode
 LA VÉRITÉ EN PEINT
remarquable de 1'entrelacement d'une raison qui
remarque dans 1'autre ou en elle-même,
- Ie coupe encore. Une chose est süre mainten 111,
sinon deux, à suivre ces quelques lignes. Tout en dé I
rant le tableau inutile, Heidegger en dit au m "
ceci : « cette paire de souliers de paysan ». 11 s' 11
incontestabIement du tabIeau, d'une référence, m 01
si elle est dite inutile, à certe peinture-ci, à une « C ti
peinture-ci », On ne peut plus dire que Ia référence I
suspendue ou Ia peinture mise de côté. 11 ne laisse p'
tomber, il décrit un tableau, si peu que ce soit.
- C'est incontestabIe en effet. Et s'il y a un s o
à dire que « ce ne sont pas des souliers-de mais d
souliers-de », Heidegger s'est lourdement avan
Sans toutefois les attribuer à un sujet réel, extérieur 011
antérieur au tableau, il a chargé ces soullers, il le
investis, arraisonnés, compulsivement lacés autour d
chevilles paysannes, alors que rien dans le tableau n'
autorisait expressément.
- Ni ne l'interdisait.
- D'oü le symptôme, l'intérêt symptomal de l'in
vestiture, d'un côté comme de l'autre. Mais dans le C8
de Heidegger, il ne suffit pas de dire que c'était i11
gitime, imprudent ou arbitraire (arbitraire quant a I
tableau, três nécessaire à Ia démarche investissante d
Heidegger). 11 ne suffit pas d'analyser les motivation
~e tout~ ~orte (métap~ysiques, « idéologiques », poli
tiques, idiophantasmatiques, toutes nouées ensemble)
qui 1'ont poussé en 1935, prês d'un demi-siêcle apr
leur production et leur mise sur le marché, à annexer
ces souliers, sous prétexte de les rapatrier dans leur
authentique paysage rural, dans leur lieu natal. II faut
souligner Ia contradiction symptomatique, dans Ia mêm
phrase, entre l'indétermination alléguée du tableau qu
ne nous apprendrait rien sur les souliers, sur leur appar-
tenance, leur lieu, leur « champ )) social et, d'autr
part, cette attribution de paysannerie. La contradiction
I RESTITUTIONS
I est d'autant pIus grave que l'attribution se prétend
interne, fondée dans le tabIeau er non sur une conjecture
ou une reconstruction comme dans Ia Note de Schapiro.
Et elle colle aux souliers avant tout autre examen, plus
tenace, plus adhérente encore que des mottes de terre
- plus indécrottabIe
- ce mot connote aussi Ia vulgarité citadine et bour-
geoise, celle qui colle aux chaussures de ville. 11 ya trop
d'injures politiques dans cette correspondance, de coups
bas pour que nous en remettions ici.
- Mais cette correspondance a pour sujet le bas
- Lequel?
- L'autre, toujours le supplément de bas.
- Je reviens à Ia contradiction symptomatique. A
quel moment apparait-elle ? Le tableau est doublement
inutile à Heidegger. Inutile parce qu'il nous « montre »,
« exhibe ))ou « représente », peu importe ici, dépeint des
obiets-produits, inutiles, « vides et inutilisés », Ils ne
peuvent rien nous apprendre sur l'utilité qui nous inté-
resse. Ils sont lã hors d'usage, sans valeur d'usage
actuelle. La ligne, le systême de traits qui découpent
ce « hors-d'usage », nous les suivons sur Ia bordure de ce
vide, les bordures, Ia bordure multiple qui détache
l'être-produit de ce que j'appellerai sa portée subjective.
Bordure linéaire et assez simple autour du cou de pied
ou de Ia cheville dé-peints in absentia. Assez simple
quand le montant est droit, moins simple quand i1
retombe comme un gant à moitié retourné (à gauche).
Sans Ia moindre simplicité quand il s'agit du lacet,
entrelaçant le dedans et le dehors, le dessous 'et le dessus,
Ia droite et Ia gauche, ou a fortiori de ces trous bordés,
ourlés, que sont les oeillets comme lieu de passage.
Tout ce systême de bordures entrelaçantes détache
I'être-produit de sa portêe subjective tout en amorçant
(en induisant et en appâtant) Ie rattachement de ladite
 LA VÉRITÉ EN PEINTU/l1
portée subjectioe. Entendez ces demiers mots comme v \I
voudrez : le contenu déterminé de Ia subjectivité du
suiet, du sujet des souliers, de qui est supposé remplu
les chaussures; ou encore le sujet porteur ou port •
sinon propriétaire. Dans cette portée subjective, décou
pée de son talon comme un cheque en blanc, vont
porter les sujets pressés d'y mettre les pieds, Martln
Heidegger ou Meyer Schapiro, avec leur propre inv
titure. Par exemple.
- Pour faire revenir des fantômes ? Pour les empê
cher au contraire de revenir ? Ces souliers se mettent
ressembler aussi à un membre-fantõme, 11s deviennent
sensibles, nerveux, presque bavards là ou apparemment
Ia chose ne sent et ne dit rien, objectivement.
- Donc Heidegger dit : les souliers sont inutiles, dan
cet état, pour qui voudrait accéder à l'utilité de l'utile,
l'essence supposée du produit. Cette inutilité de l'inutil
à penser l'utile, cette - déjà - double inutilité ne tient
pour I'instant qu'à I'être-détaché ou délaissé, délacé de
souliers. L'exhibition des lacets à demi desserrés, Hei
degger n'en parle pas directement, mais c'est elle qu
importe ici et elle appartient au systême de traits mar-
quant Ia coupure.
- Ce mot de coupure me gêne. D'abord il install
trop vite, il arraisonne et maintient dans une probléma-
tique de Ia vérité-castration (rappelez-vous les psychana-
lystes de tout à l'heure quand à Magritte ils ensei-
gnaient Ia castration
- à Londres?
- oui, à Londres). Cette problématique est un peu
simpliste - un cas ou un effet tout au plus - si on tient
compte de l'argument-de-la-gaine ou des-deux-souliers,
Puis ces lacets, précisément, ces liens desserrés ne me
paraissent pas jouer dans une logique de Ia coupure.
Plutõt dans celle de Ia stricture, dans I'entre-lacement
de Ia différance de (ou comme) stricture. Le desserre-
RESTITUTIONS
ment des lacets n'est pas absolu, il n'absout pas, ne
délie pas, ne coupe pas. 11garde une stricture organisée.
Non pas un plus ou moins de stricture mais une forme
déterminée (structurée) de stricture : du dedans et du
dehors, du dessous et du dessus. La logique du déta-
chement comme coupure conduit à l'opposition, c'est
une logique, voire une dialectique de l'opposition. J'ai
montré ailleurs qu'elle avait pour effet de relever Ia
différence. Donc de suturer. La logique du détachement
comme stricture est tout autre. Différante : elle ne
uture jamais. Elle permet ici de tenir compte de ce
fait : ces souliers ne sont ni attachés ni détachés, ni
pleins ni vides. Un double bind y est comme suspendu
et tendu à Ia fois, que je n'essaierai pas ici de rattacher
strictement à un autre discours sur le double bind. Mais
cette paire louche, boiteuse, plus ou moins bien appa-
reillée, comme l'entre-deux bande, entrebâillée, elle
n'est ni vide ni pleine. Une certaine hantise, qui revien-
dra tout à l'heure, ne peut s'accommoder d'aucun de
ces couples d'oppositions, de ces coupes opposition-
nelles. Si je dis du fantõme en ce bail des souliers, que
le, Ia, les double( s) band-
- Oui, disons alors stricture ou destricturation.
- Toute stricture est à Ia [ois stricturation et des-
tricturation.
- C'est ce que dit Ia « paire» de souliers de Van Gogh ?
- Elle ne dit pas ça, mais elle ne dit pas autre chose.
Ça, c'est ce qui se dit qui se passe d'une restance, si vous
voulez bien suivre l'analyse interminable de ce lacet. Une
analyse veut toujours délier.
- C'est en considérant Ia déliaison, Ia destrictura-
tion, l'être-desserré des lacets, le hors-d'usage des
deux souliers que Heidegger déc1are le tableau inutile
à sa recherche. Mais, deuxiême raison entrelacée avec
celle-ci, le tableau, inutile en ce qu'il représente et
cadre ainsi, l'est aussi, inutile, en ce qu'il représente et
390 LA VÉRITÉ EN PEINTU
cadre. Inutile par ce qu'il donne en peinture et: par
qu'il donne en peinture. Inutile dans les chaussur
inutiles (le produit) mais aussi inutile en tant u
tableau désinséré, détaché de -son milieu par l'arti
de son rattachement, Ia ligne du cadre. Ce n'est p
seulement un produit inutile montrant un produit inu
tile, il est inutile en tant qu'eeuvre (Werk), produ 11
abstrait de son milieu et donnant à voir un produ h
abstrait de son milieu. Son milieu d'appartenance (I
mur du musée par exemple) est aussi abstrait que celu
des souliers. Quand Heidegger parle de I' « espace ind
terminé II autour des souliers, il aurait aussi pu le dir
de ce qui entoure le tableau.
Dans cette phase de I'argumentation, Heidegger m I
ainsi l'accent sur le dé-, le dé-lacé, le destricturé, 1
détachement, I'abstraction. Plus tard, le processus d
rattachement, Ia restricturation toujours déjà amorcé
viendra, aprês le « Et pourtant. », mettre en eeuvre cett
double inutilité, en faire d'une certaine maniêre usag
et plus-value
- cette triple inutilité, puisque Ia double inutilit
(celle du produit et celle de I'eeuvre) est inutile à Ia
saisie de I utilité,
- En tout cas Ia correspondance entrelaçante entre
ces deux détachements abstraits, celui des souliers et
celui du tableau, n'est en rien fortuite. Elle ne ras-
semble pas deux détachements, deux termes, deux iden-
tités détachables, deux fois détachables, deux « choses II
ou deux produits dont I'un est produit au sens strict
et l'autre une ceuvre, aucun des deux n'étant naturel.
Elle ne rassemble pas deux selon une loi qui leur serait
extérieure. Le détachement de l'un marque, re-marque
ou sur-marque celui de I'autre. En lui-même l'entre-
laçant. Je propose ce mot de marque (marche, marge)
pour des raisons expliquées ailleurs mais il suffit de
dire ici que c'est pour éviter de dire « dire >l, « montrer >l,
« représenter >l, « peindre >l, autant de mots que ce sys-
teme ceuvre à déconstruire. Donc I'être-détaché (délacé
ou destricruré, délaissé ou abstrait) de l'un entrelace de
I RESTITUTIONS 391
sa remarque I'être-détaché de l'autre : les souliers aux
lacets (un peu) défaits donnent à remarquer Ia pein-
ture.
- IIs donnent ?
- Ça donne, il y a, es gibt, II Y a ça, les deux souliers
peints ...
- En vieux langage, on dirait
- II Y a du vieux langage ? Comme des vieux sou-
liers désuets, hors d'usage ou périmés, du langage peint
en somme ? Vous voyez ou ça mênerait ...
- Laissons le vieux langage. D'autres diraient : les
souliers tiennent un discours sur Ia peinture, sur le
cadre, sur les traits. Ces souliers sont une allégorie de Ia
peinture, une figure du détachement pictural. I1s
disent : nous sommes Ia peinture en peinture. Ou
encore : on pourrait intituler ce tableau : l'origine de Ia
peinture. II met le tableau en tableau et vous invite à ne
pas oublier; cela même qu'il vous fait oublier : vous
avez sous les yeux de Ia peinture et non pas des souliers
(essayez donc de les remettre, à vos pieds ou à ceux d'un
autre I), Ia peinture est originairement ce détachement
qui perd pied. Mais le détachement doit aussi s'entendre
- Non, non, non, ça ne dit rien de tel, ça ne donne
rien à entendre, surtout pas, une fois de plus, cette
mise-en-abyme de Ia peinrure dans Ia peinture dont on a
bien montré à quelle saturation restituante, à quelle rés-
déquation représentative elle tendait encore. Non, nono
- Si - le détachement doit aussi s'entendre comme
une mission représentative à rattacher à son origine
émettrice, Un rattachement est déjà, toujours, en train
de resserrer le destricturé. En ce sens les souliers font
marquer (font marcher, font marché-de) ce qu'on tra-
duirait par l'énoncé suivant : ceei est un tableau, nous
sommes Ia peinture en peinture, ceei est dessiné par
392 LA VÉRITÉ EN PEINTUIU
les traits, les bordures, les lacets des souliers vides q I
nous détachent du sujet en pied. Dês lors ces trait 1\
lacets forment le « cadre » du tableau qui paraissait 1
encadrer. Nous, les souliers, nous sommes plus gran
que le cadre et Ia signature incorporée. Le tableau
dans les chaussures que nous sommes
- Elles s'agrandissent tout à coup démesurément
on peut tout y mettre. Tout (le monde) peut voulolr,
veut pouvoir les emprunter ou les voler, comme le pell
poucet ou le chat boné. Qui est l'ogre? Mais ces bott
de sept lieues, ce serait aussi le texte du récit, Le peut
poucet, Le chat botté, Cendrillon. Le texte est une chau
sure plus grande que celle qu'il met en scêne et qui e I
pourtant plus grande que lui. Et le discours prêté à I
chaussure, à l'instant, est aussi une chaussure. Mêm
loi, pour ces vieux souliers, que pour les Habits neuf
de l' empereur dans Le [acteur de Ia vérité.
- Loi du parergon qui comprend tout sans com-
prendre et pervertit tous les rapports de Ia partie au
tout. Car inversement le tableau encadrant, ce qui s
donne pour peinture en premiêre évidence - pour
Heidegger, Schapiro et quelques autres - se remarqu
comme paire (plus ou moins louche) de souliers. Déta-
chés en cours de rattachement, en procês de (dé-re-)
stricturation. Si le tableau pouvait parler à son tour (il
a parlé, dit Heidegger), hypothêse à travailler plus loin
ne dirait-il pas : je suis, comme toute peinture, un
chaussure, une espêce de soulier et même peut-êtr
une paire (version possible) de souliers. En tant que
tableau, et en tant que tel tableau, telle paire (version
possible) de souliers.
- Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'un tel dis-
cours traduisant Ia remarque de Ia peinture en peinture
est une version peu normale de Heidegger. 11 ne res-
semble guêre à ce qu'on peut lire dans L'origine quand
Ia vérité y prend Ia parole : « Celui-ci [Ie tableau] a
parlé ... L'eeuvre d'art a donné à savoir (gab zu wissen)
ce que Ia chaussure est en vérité. »
RESTITUTIONS 393
- Apparemment pas. Ce serait en tout cas trans-
former, sinon pervertir Ia maniêre dont ce texte est lu
ffen général )) et peut-être par Martin Heidegger lui-
même. Personne n'y a jamais vu une peinture ni une
chaussure. Et pourtant. Je I'aime comme ça.
- 11 reste que Ia figure de cette correspondance
entrelacée (depuis longtemps on ne sait plus qui y tient
Ia parole et si ça parle) ne releve d'aucune rhétorique
établie. Parce que ce n'est pas simplement un discours,
bien sür, mais parce que même transportes, par rhéto-
rique, hors de Ia rhétorique discursive, les tropes ou les
figures ne marcheraient pas iei. Cette correspondance
entrelaçante, par exemple le débordement interminable
du tout par Ia partie qui fait sauter (par-dessus) le
cadre, ne se produit pas à l'intérieur d'un élément
cadrant ou cadré, comme les figures de rhétorique dans
Ia langue ou le discours, comme les figures de « rhéto-
rique » « picturale » dans le systême de Ia peinture. lei
Ia surenchêre en plus-value de Ia correspondance débor-
dante (surbordante) a lieu entre l'élément dit général
(discours, écriture, peinture) et tel ou tel élément déter-
miné en lui. Ce dernier vaut plus que le tout. La rnéto-
nymie ou Ia synecdoque ne sont plus simplement ce
qu'elles sont. D'autant plus que ça opere dans les deux
sens, le « tout ))iouant toujours métonymiquement, sur
les deux tableaux, Ia partie de Ia partie. Le jeu est là, il
ne va pas sans un étrange contrat entre plus d'un trait.
Et de cela Heidegger dit plus, peut-être, et plus singu-
lier qu'il n'y parait dans ce passage. 11faudra pour l'en-
tendre aller plus loin que le passage des souliers de
Van Gogh.
La figure sans figure de cette correspondance est
entrevue. Quelle pertinence gardent alors les questions
classiques d'identification, de description, d'attribu-
tion? Que1 sens y a-t-il à savoir de qui, de quoi, au
juste, au p1us juste, on parle en ajustant? Et surtout
à savoir si ça se passe dans le tableau ou hors cadre ?
11y a de Ia naíveté à ignorer le droit de ces questions.
11n'y a en pas moins à s'y confiner.
Deuxiême temps. Seule Ia possibilité de cet entrela-
394 LA VÉRITÉ EN PEINTU I
cement débordant permet à Heidegger de passer alor
Ia ligne dans les deux sens, tantôt dans le cadre, tant I
hors cadre. Qu'il le fasse ou non en connaissance I
cause.
Le « Et pourtant. )) forme Ia scansion Ia plu
apparente dans ce passage de Ia ligne. On vient ti
dire toute l'inutilité. On va maintenant exploiter 1\
plus-value du hors d'usage. C'est dans I'inutilité - d
souliers : du tableau - qu'on va « lire ))- dit le traducteur
français -, « voir ))dit Heidegger, l'utilité du produít,
l'être-produit du produit comme utilité. Et c'est alo
le paragraphe incriminé, le paragraphe pathétique, celu
qui vous parait si ridicule, si chargé de « proiections •
« idéologiques », Relisons-le, Dans les trois langues.
- 11 est si codé aussi par Ia poétique du terroir,
par des modeles traditionnels, si stéréotypé dans l'affec-
tation de son pathos qu'on peut aussi le lire comme un
exereice mimant I'application scolaire et disant en
somme : voilà ce qu'on pourrait touiours ressentir
voilà ce qu'on peut dire dans le genre
-l'essentiel étant de faire apparaítre le débordement
(de ce qui est strictement visible) par Ia « terre ))
par le « monde I) et par I' « appartenance protégée II
des souliers.
Si on pouvait ici parler, sinon de fétichisation, du
moins des conditions d'une fétichisation, et du produit
et de l'eeuvre, et des chaussures et de Ia peinture, il
faudrait les ressaisir à l'instant ou le hors-d'usage déta-
ché (relativement déstricturé) donne lieu, dans son
détachement même, dans sa déréliction ou sa sépara-
tion, à une sorte de plus-value abyssale. A une sur-
enchere sans fond. Sous Ia forme de ce qu'on pourrait
appeler un effet de vérité. L'inutile donne lieu à une
exploitation spéculative. 11 échappe à l'espace de Ia
production et tend vers Ia rareté absolue, l'unieité
irremplaçable. En lui-même et en tant qu'il donne à
lire Ia loi de l'utilité cherchée, 11 devient plus qu'utile,
RESTITUTIONS 395
utíle à Ia saisie de I'utilité de I'utile. 11permet de penser
l'être-produit du produit et I'être-eeuvre de I'ceuvre.
Car à partir du moment ou le détaché appelle le rat-
tachement, un discours s'y esquisse, et toute une ma-
noeuvre, pour appeler l'adhérence.
- Vous renouez iei avec ce qui fut engagé dans Le
sans de Ia coupure pure au suiet des produits artificiels
et « défunts ))(les ustensiles démis de leurs fonctions,
et comportant un trou, une ouverture, une cavité,
Loche, « comme pour un manche )),mais sans manche
- des souliers vides en somme), au suiet des eeuvres
d'art, de Ia pulchritudo vaga et de Ia pulchritudo
adhaerens.
- Dans l'inutile (l'inutilité du tableau (se) donnant
à lire (dans) celle des souliers, l'inutilité de l'ceuvre
(dans) celle du produit, et réciproquement) Ia vérité
de l'utile apparait. Elle apparait dans Ia mise en ceuvre
de Ia production inutile. Mise en oeuvre de Ia vérité,
dira plus loin Heidegger. La vérité de l'utile, autrement
dit l'être-produit du produit (en son premier abord),
apparait dans l'instance du hors-d'usage, dans le déla-
cement et dans Ia destricturation. Qui servent alors,
en cela, à cela. Ce mouvement de Ia vérité passe par
Ia possibilité de Ia fétichisation mais il ne s'achêve,
si on peut dire, qu'en confirmant cela même qu'il
paraít effacer. La vérité de Ia présentation, en son
paraitre, surcharge l'inutile de valeur, l'augmente de
plus-value en le rattachant symboliquement à son
appartenance. Celle-ci, différence capitale car il s'agit
de Ia tête du suiet, n'est pas celle d'un sujet proprié-
taire, détenteur ou porteur des souliers, Elle n'es~
même pas celle de tel ou tel monde, par exemple celui
de Ia paysanne qui n'est précisément qu'un exemple.
C'est, pour tout produit et pour toute utilité, Ia terre
et le monde. La terre et le monde, même si on doit
chaque fois les penser autrement et de façon singuliê-
rement déterminée, dans une opposition, un contlit ou
une guerre (de Ia terre et du monde). Heidegger y
rapportera plus loin sa pensée du trait et de Yattrait.
 LA VÉRITÉ EN PEINTUlI
La « vérité » de l'utile n'est pas utile, Ia « vérit •
du produit n'est pas un produit. La vérité du produ I
« chaussure )) n'est pas une chaussure -
- Mais on pourrait penser Ia différence de l'êtr
I'étant comme Ia chaussure, à travers elle, dans S 11
pas. Et ainsi Ia différence ontologique : chaussée 11
peinture.
- Par exemple.
- Mais Heidegger ne s'arrête pas, voilà ce qu
compte, à l'utilité de l'être-produit qu'il vient de « voir M
dans les souliers en peinture. Qu'il vient de voir « peut
être », « peut-être seulement ))en peinture, « en image ",
im Bilde. Ce « peut-être seulement ))aurait da suspendr
toute I'assurance de Schapiro. « Mais tout cela, d t
Heidegger à Ia fin de Ia tirade, peut-être ne le voyon
nous que sur les souliers du tableau. » La conséquenc
en est équivoque. Heidegger affecte au moins de n'êtr
pas sür : ce qu'il vient d'évoquer pathétiquement tiem
peut-être à Ia puissance d'évocation du tableau ou A
Ia subjectivité du spectateur, et illaisse alors prudem
ment planer un doute sur Ia rigueur du rattachement,
Paradoxe : I'objection de Schapiro tombe alors mêm
qu'elle se trouverait renforcée par I'affirmation impll
cite de Heidegger (cela se trouve du moins dans 1
tableau, sinon au-delã). Mais si ça ne se trouve ~
dans le tableau, aussi bien ça ne s'y trouve pas, Ia pein-
ture se franchissant elle-même dans Ia référence qu'ell
constitue d'entrée de jeu.
Troisiême temps. Mais ce n'est là une fois de plu
que mouvement pour aller plus loin. L'utilité au fond
n'intéresse pas Heidegger en derniêre instance, ni don
l'inutile, Comme être-produit du produit, l'utilité n'est
encore que cette valeur dérivée du couple matíere-
forme, de ce qui est « tombé-sur )) Ia chose comm
produit. En ne considérant les souliers qu'au titre d
l'ustensile (useful artijact ), Schapiro semble s'arrêter
à ce qui n'est qu'une étape de L'origine.
11 faut alIer plus loin. Le paragraphe suivant quitte-t-il
RESTlTUTIONS 397
définitivement un tableau dont on ne sait pas encore
clairement s'il a jamais été abordé? C'est difficile à
trancher. Il est indispensable de reconnaitre ce mouve-
ment pour comprendre ce passage par (à travers) le
tableau. Même si, comme le fait Schapiro, on coupe
et désarticule brutalement Ia démarche de l/origine, on
comprendra toutefois un peu mieux Ia référence au
« célebre tableau )) en lisant un paragraphe de plus.
Celui qui commence par « Mais tout cela peut-être ne
le voyons-nous que ... », Il conduira à penser que I'uti-
lité du produit vient encore de plus loin. Vient de
plus loin cela même, l'utilité, que Ia double ou triple
mutilité des souliers en peinture aura fait paraitre. Car
l'utilité était encore pensée en termes de matiêre in-
formée et il faut, pour accéder à l' « authentique être-
produit )), remonter plus haut que cette paire opposí-
tionnelle : matiêre-forme.
- La peinture - celle-ci - est-elle requise pour ce
retour vers une origine encore plus lointaine, plus
dérobée ? Pour ce pas de plus dans Ia pensée ?
- Quand on assiste à un « pas en arriêre )),on v6it
les chaussures de face. Je dis cela pour rire, mais aussi
en écho à Ia précision de Schapiro, plus loin : telles
chaussures de paysan sont vues de dos, celles-ci (les
siennes!) Van Gogh les a « rendues ))de face {« he has
rendered tirem as if facing us ))}, et elles nous regardent
en somme, comme le peintre lui-même.
- La peinture - celle-ci - est-elle requise pour cet
autre pas? On ne peut pas en décider, toujours pour
les mêmes raisons. Les traits délimitant et l'objet et le
cadre õtent a priori toute pertinence à cette question
et à Ia « décision » qu'elle appelle. Les disqualifient par
stricture. Par entrelacs. Certes, Heidegger semble encore
mettre le tableau de cõté (mettre de cõté, c'était [adis
une traduction bizarre mais ici intéressante pour Auf-
heben). Il le fait avec une rhétorique plus spectaculaire.
Aprês l'alinéa et Ia concession (( Mais tout cela peut-
être... »), il ne parlera plus du tableau, il suivra Ia
 LA VÉRITÉ EN PEINTU
paysanne, il analysera ce qui, dans l'utilité du produ II
vient de plus loin que le couple matiêre-forme, M I
ce sera pour mieux sauter, en conclusion : c'est lu I
le tableau « qui a parlé )),Dieses hat gesprochen. Et d 1\
l'intervalle, « sous » l'utilité, « sous ))le rattachement
son « appartenance " utilisatrice, il aura nommé
« grâce à quoi lI, par Ia « force » de quoi, « en vertu I
quoi » (kraft ) l'utilité du produit est possible, Ia con I
tion de l'utilité, Ia Verlãsslichkeit:
Verléisslichkeit. Le mot est difficile à traduire. l'
précisé laborieusement « grâce à quoi ", « par Ia for I
de quoi ", « en vertu de quoi » parce que le rappoll
(kraft) n'est pas d'une condition de possibilite fi I
melle à son conditionné ou d'un fondement plus pn
fond à ce qu'il fonde mais d'une sorte d'expérien
Expérience, disons pour l'instant, de fiabilité : on peui
compter sur le produit. Le produit est fiable. II n' I
utile que si nous nous confions à sa fiabilité. A partir
du moment ou Heidegger a nommé Ia fiabilité, il n
s'intéresse plus à Ia valeur, en somme dérivée li
condítionnée, d'utilité. Le lieu de l'argumentation
celui du débat ouvert par Schapiro - est déplacé.
Ce qui est oerlãssig mérite confiance, foi ou crédit
Dans ce cas, le crédit est antérieur à tout contrat sym
bolique faisant l'objet d'un engagement signé (explicit
ment ou non) par un suiet nommable. II n'est pa
culturel ni davantage naturel. 11 revient à un engag
ment-
- Associera-t-on fidélité à fiabilité? Fidêle est c
sur qui ou sur quoi on peut aussi compter. Et cette valeur
de fidélité s'accorderait avec tout ce qui fut dit de 1
restitution : des chaussures qu'on rend, de Ia vérit
qu'on doit, qu'on restitue ou qui restitue, de ce que 1
peinture « rend " fidêlement, si elle le donne à voir
« en peinture «, Et les protagonistes de Ia correspon-
dance veulent à Ia vérité rendre fidêlement les souliers :
de Ia peinture - et à qui de droit, Cela par fidélité •
un engagement antérieur à tous les contrats sociaux
dont on peut témoigner en droit publico Les chaussur
en sont ici partie prenante, les témoins secrets : non
RESTITUTlONS 399
plus seulements comme produits « utiles ))mais comme
choses fiables -
- Les chaussures sont-elles parties prenantes ou
exc1ues dans le portrait des Arnolfíni, cet extraordi-
naire contrat de mariage sans autre témoin que le
peintre laissant au-dessus d'un miroir lui faisant face
I'inscription « Johannes de Eyck fuit hic, 1434 », trans-
formant ainsi en attestation de mariage un tableau
représentant une alliance per fidem (pouvant se passer
de témoin), dans une scêne dont le texte pictural
devrait constituer une épreuve majeure pour de nou-
velles ana1yses ? Ailleurs, plus tardo Je note seulement
que les chaussures de ceux qui contractent mariage
selon Ia Foi sont déposées, abandonnées, à l'écart, à
gauche du tableau et, pour I'autre paire, entre les deux
époux, au fond et au centre du tableau, sous Ia table,
sous le miroir et sous I'inscription du peintre. Expli-
cation de Panofsky : elles sont là, comme d'autres
symboles typiques de Ia foi, pour marquer l'empreinte
du sacré. Quand Moise s'approche pour mieux voir
le buisson ardent, Yahvé lui dit « õte tes sandales de
tes pieds car le lieu que tu foules est une terre sainte »
tBxode 3,s). Sont-elles alors, ces chaussures, exclues
de I'espace sacré, ou surinvesties au contraire dans Ia
peinture par cette sacralisation de l'hymen? ou les
deux à Ia fois, seIon Ia double fonction d'un pharmakon,
et Ia double fonction d'un parergon? Sont-elles des
« produits »? et fiables en quel sens? Heidegger et
Scbapiro auront aussi resacralisé, chacun de façon
différente mais aussi ambivalente, les souliers en pein-
ture : parce que détachés (exclus de tout en un sens)
mais dans le processus de leur rattachement. Leur
appartenance est sacrée, mais (il y a toujours mais
dans ce cas) il faut détacher l'abiect, rattacher le
sacré, sacraliser en rattachant Ia chose. Mais du coup,
Ia nudité du pied peut être ou bien pIus pure, pIus
sacrée (déliée de l'abject) ou bien plus démunie, déchue,
dépourvue de I'objet sacré, sans rattachement. D'oü,
du même coup, l'ambivalence de l'usure : bonnejmau-
vaise, proprejsale, famílíêre/abiecte. Moíse : « Je vous
400 LA VÉRITÉ EN PEINTURI RESTlTUTIONS 4°1
ai conduits pendant quarante ans dans le désert ...
sans que vos sandales soient usées» (Deutéronome, 29,s).
A l'enfant prodigue on donne aussitôt des chaussures,
en même temps qu'une robe et un anneau. (Luc, 15,22).
Mais d'autre part, Ia misehna interdit le port des
chaussures le iour du sabbat. On se déehausse en
pénétrant dans un lieu sacré ou simplement en entrant
chez l'hôte qui doit vous offrir de quoi vous laver les
pieds (Luc, 7, 38, 44). Inversement, Ia nudité du pied
devient marque négative d'indignité (Ia captivité) ou
signe de deuil.

- La valeur de fiabilité est ici antérieure à I'oppo-

sition de l'utile et du saeré. Sans fiabilité il n'y aurait
pas de produit utilisable mais pas non plus d'objet
symbolique. La bague, les « mots et les actions II requis
pour un hymen per fidem, doivent offrir une fiabilité
minimale pour que l'engagement ait lieu, pour que le
moindre échange soit possible. Cette fiabilité élémen-
taire, cette fidélité d'avant tout est une sorte d'anneau
(Ring), d'alliance originaire ...
- II faudrait lire ee que Heidegger dit ailleurs de
eet anneau (Ring). Est-ce que les souliers, Ia paire de
souliers -

- Dans le contexte de L'origine, la fiabilité (Ver-

Ziisslichkeit) revient à un engagement (dette, devoir,
restitution, vérité) dont le eoneept ne peut que précéder
toutes lês valeurs qui font systême avec eelles de
matiêrejforme : le symbolique, le sémio-linguistique,
ete. La VerZiisslichkeit du produit, « avant II son utilité
mais comme condition de eette utilité, engage dans
l'appartenance à Ia terre et au monde. Cette apparte-
nanee n'est plus des souliers au porteur ou à l'utili-
sateur, mais de tous les deux au monde et à Ia terre,
qui se donnent à penser dans leur « combat )) même,
Portrait des ipoux Arnolfini,
selon eet engagement et non plus à partir des eoncepts
philosophiques auxquels nous faisions allusion plus
haut. « Grâce à II eette fiabilité, et grâce au produit
qui Ia suppose, Ia paysanne est « confiée II (dit Ia tra-
 LA VÉRITÉ EN PEINTURI
duction française pour einge/assen : reçue, accueilli ,
admise en), accordée à l'appel silencieux de le terr
à ce langage sans langage de Ia correspondance avee 1
terre et avec le monde. Sans cet appel silencieux (I
voici qui monte des chaussures en tant que cho
fidêle
- ou qui en descend, pourquoi pas
- chez Schapiro ça descendrait plutôt, il y voit un
visage), sans le préalab1e absolu de cet engagement,
dans cette fiabilité pré-originaire, aucun contrat sym
bolique, aucune production, aucune utilisation ne s
raient possibles, ni aucun des concepts qui servent
dominer tout ça, en particulier ceux de matiêre I
de forme
- donc aussi de signe, linguistique ou non, d
sujet, d'obiet, de réalité, de fantasme, de savoir, ete.
Ou s'arrêtera-t-on ? Qu'est-ce que s'arrêter ?
- Par exemple le moment d'enlever ses chaussure
et ~e s'en séparer, pour un temps variable ou pour
touiours.
- J'ai dit qu'il y avait là un contrat pré-originair
avec Ia chose fiable mais I'appel silencieux qu'on en-
tend à travers Ia Verlasslichkeit ne vient pas de I
nature, telle du moins qu'on Ia conçoit dans Ia tra-
dition philosophique. Mais du combat de Ia terre et
du monde. Et de son trait, On peut le dire três som-
mairement : aucune chance de rien entendre à ee
pages sur « le célebre tableau )),aucune chance de leur
adresser Ia moindre objection qui leur soit pertinem-
ment mesurable si on ne suit pas, au moins en principe,
Ie trajet heideggerien pour penser Ia terre, le monde
et Ie quadriparti ( Geoiert ), I'anneau (Ring) et le tour
(Gering), autrement,
- Le lacet peut y conduire, ou I'entrelacement?
RESTITUTIONS
- C'est sür, si on en prend le temps. Lisez La
I chose. Penser autrement n'implique pas qu'on pense
sans rapport ou dans un simple rapport de transforma-
tion altérante à Ia pensée courante ou philosophique,
mais encore selon un autre rapport d'entrelacement
qui n'est ni de reproduction ni de production transfor-
matrice d'une matiêre donnée.
- Nous ne pouvons nous engager ici sur Ia piste
longue -
- C'est vrai. Je voulais seulement marquer, situer
une connexion, une nécessité principielle. Et insister
sur ce qui nous intéresse dans le contexte étroit de
notre débat. En quelques points.
Premiêrement : aucune des « correspondances » dont
nous avons jusqu'ici distingué les modalités ne peut
être déchíffrée sans un recours au moins problématique
à Ia correspondance qui vient d'être dégagée sous le
nom de Verlâsslichkeit, au moment ou L' origine fran-
chit ce pas : « L'être-produit du produit consiste bien
en son utilité (Dienlichkeit). Mais celle-ci repose elle-
même dans Ia plénitude d'un être essentiel du produit.
Nous Ia nommons Ia Verliisslichkeit I). Cette nomina-
tion, cette donation du nom est aussi un « acte »
complexe : il suppose, en sa performance même, une
fiabilité de Ia langue et du discours; mais il le produit
en même temps, il s'y engage. Nous ne pouvons ana-
Iyser ici cette structure mais il le faudrait. C'est une
« eeuvre » à Ia fois et un « produit », le seul espace dans
lequel le discours sur le tableau et le discours du tableau
peuvent se laisser comprendre. Le moins qu'on puisse
dire, c'est que Schapiro ne s'y est pas rendu. 11 a reven-
diqué, avec les chaussures, I'autorité sur un domaine
(le discours sur Ia peinture, une spécialité) dont il a
cru que les frontiêres étaient déterminables : au-delã,
c'est par exemple le contexte « philosophique »
- Justement nono
- plus ou moins bavard de L'origine. Partage des
 LA VÉRITÉ EN PEINTUJU
compétences. Par ici, du cõté de Ia peinture (I on sait
bien ce que c'est »), les chaussures de Van Gogh.
Deuxiêmement : dans Ia logique de cerre démarche,
Ia fiabilité est Ia premiêre ou l'ultime condition d
I( )l
possibilité concrête de tout rattachement : du produit
à son utilité, à son usage, à son sujet porteur ou porté
à son appartenance en général. Ces rattachements s
rattachent à Ia Verlãsslichkeit, à ce don ou à cet abandon
pré-originaire -
- à LA-MERE quoi, ou de LA-MERE, et le
deux-souliers se -
- comment passer ce qui se dit sous ces mots san
penser d'abord, en son abord, Ia Verliisslichkeit? Alora
ne vous pressez pas de reconnaitre des schémas trop
utiles. Ne jouez pas les utilités,
- Mais Heidegger n'a rien contre l'utile, il ne dê-
veloppe pas une « idéologíe » anti-utilitariste.
- ~on. Ce don ou cet abandon pré-originaire re-
condwt le rattachement en-deçã de toutes les instances
ou catégories de production, de matíêre-forme ou
d'utilité, de loi, de contrat, d'échange ou de dette
symbolique, de serment, de suiet ou d'obiet (total ou
partiel), etc. Heidegger ne rattache pas les chaussures
à un port (porteur ou porté) comme suiet, surtout pas
comme sujet réel hors du tableau. Mais il ne peut
être absous de cette accusation (Schapiro ne le peut
pas) que P?ur avoir renoué les choses bien plus süre-
ment et bien plus (I profondément )l, pré-originaire-
ment :. d~s l'appartenance (correspondante) au dis-
cours silencieuxde Ia terre. A ce mariagepré-contractuel
ou pré-contracté avec Ia terre.
- avec LA-M.ERE, et cette paysanne confiante qui
entend l'appel silencieux, qui lui répond en silence -
- Ne jouez pas les utilités. Tous les traits de déta-
chement sur lesquels nous sommes repassés, ceux qui
RESTITUTIONS
marquent le contour des souliers délacés dans le
tableau, ceux qui délimitent le tableau lui-même, sont
effacés dans l'appartenance de cette Verlãsslichkeit et
dans ces noces avec Ia terre. Si bien que l'instance ou
plutõt Ia restance picturale parait omise, secondarisée,
instrumentalisée à son tour. On oublie Ia peinture.
Exactement comme le progres de Ia re-présentation
à Ia présentation effaçait aussi Ia spécificité obstinée
du texte ou du reste pictural. Mais on verra plus loin
que rien n'est apaisé dans I'effacement apparent. Et
aprês avoir lu que « L'eeuvre laisse Ia terre être Ia
terre», on verra comment le trau, l'entame (Aufriss), I'at-
trait et le systême de traus ioue dans le combat entre le
monde et Ia terre.
Troisiêmement : si Ia Verlãsslichkeu assure « en
premiêre ou derniêre instance », le serrement entre!açant
des souliers, si elle lace et laisse en même temps, si Ia
vérité du produit parait à même (an) cette fiabilité
qui parait à même Ia peinture qui « a parlé )l, elle est
bien le resserrement le plus strict (souple et rigoureux
à Ia fois, comme le Gering de La chose) de toutes ces
puissances de rattachement. Cette fiabilité essentielle
et pleine » rend possibles - restitue - à Ia fois Ia
(I
régression Ia plus critique », Ia plus profonde »
I( (I
en-deçà des philosophêmes de matíêre-forme, d'utilité,
de production, de subjectivité, d'objectivité, de symbole
et de loi, etc., mais aussi Ia régression Ia plus naívement
archaique dans l'élément de Ia confiance ingénue, celle
qui peut se laisser prendre, s'abandonner au piêge le
plus grossier, au piêge primaire, au piêge d'avant tous
les piêges. A Ia possibilité de leurre que constitue le
jeu de miroir du monde, son Spiegelspiel.
Quatribnement : Ia possibilité du serrement en général
s'éclaire ici d'une difficulté de traduction qu'on ne
peut traiter en accessoire. Ie n'ai pas encore traduit
Verliisslichkeit. Fiabilité est une approximation plus ou
moins stricte, plus ou moins lãche. Le traducteur
français de Chemins ... propose un mot à Ia fois irrece-
vable et souterrainement pertinent. lrrecevable au
premier abord : solidité. La Verlãsslichkeit serait Ia
solidité du produit, ici des souliers, parce qu'on peut
 LA V~RlT~ EN PEINTURB
leur « faire confiance », dit une note du traducteur,
la chaussure « ne nous lâchera pas », « on peut s'ap-
puyer » sur elle.
- Ceci parait conforme avec l'idée de contrat noué
avec les chaussures, avec leurs lacets même, passés
comme un certain marché, au pied de Ia lettre ou avant
Ia lettre.
- Mais dans la langue courante, la solídité d'un
produit tient surtout à ses qualités de résistance
physique, résistance des matériaux, résistance des
formes à l'usure, etc, L'idée de confiance, de crédit,
de foi ou de fiabilité en parait plutõt absente. En revanche
quand le traducteur français (sans toutefois s'en
expliquer et à dessein ou non) fait jouer « solide » dans
la phrase suivante, avec « soudée » (autre traduction
irrecevable pour gewiss), il restitue étrangement un
mouvement lisible dans le texte teI que je l'interprête
ici. La chaine qui relie solide à solidarité et à soudure
est bien celle du resserrement qui se trouve ici à
I'eeuvre. Voici Ia traduction française dans Chemins...
En premiêre lecture et à cause du mot « solidité », elle
court le risque de dissimuler définitivement la version
allemande. Et pourtant : « ••• cel1e-ci [l'utilité] à son
tour repose dans Ia plénitude d'un être essentiel du
produit. N ous l' appelons la solidité (die Verliisslichkeit).
Grâce à el1e [Kraft ihrer), la paysanne est confiée
[eingelassen] par ce produit à l'appe1 silencieux [schwei-
genden Zuruf: l'appel se tait mais il s'entend et il n'est
pas muet; le tableau parle ainsi en se taisant); grâce
à Ia solidité du produit, elle est soudée à son monde
[ist sie ihrer Welt gewiss]. Pour el1e, et pour ceux qui
sont avec el1e comme el1e, monde et terre ne sont là
qu'ainsi : dans le produit. Nous disons « ne... que ))
mais ici la restriction a tort (irren dabei). Car s'est seule-
ment la sotidité du produit qui donne à ce monde si
simple une stabilité bien à lui, en ne s'opposant pas
à l'aftlux permanent de la terre », La traduction de cette
derniêre phrase est si lâche qu'on en vient à se demander
si c'est bien de ce texte qu'il s'agit :.« Wir sagen ••nur"
RESTITUTIONS
und irren dabei; denn die Verléisslichkeit des Zeuges gibt
erst der einfachen Welt ihre Geborgenheit und sichert
der Erde die Freiheit ihres stéindigen Andranges », [e me
garderai bien de traduire à mon touro Notons seulement
que l'assurance, donnée à la terre, d'une liberté dans Ia
constance de sa pression (pulsion, poussée, pression
violente) consonne avec Ia Geborgenheit donnée au
monde par Ia même fiabilité. Geborgenheit associe le
secret caché, crypté, à l'être-en-sécurité, à ce qu'il faut
bien réserver, sinon dérober, pour vivre. Te! serait le
resserrement de cette alliance originaire, tel l'effet de
Ia Verliisslichkeit. Tout ce qu'on pourrait ensuite
chercher à ajuster sur mesure, « à Ia pointure », en
termes d'adéquation, de réappropriation, de réattri-
bution, d'identification, de réadaptation de la partie
au tout, de rattachement symbolique, de restitution, etc.,
toute la problématique du suiet, de Ia loi et du fétiche,
dans ses « formes » aujourd'hui disponibles, tout cela
ferait d'abord fonds sur une telle fiabilité. Mais dire
qu' el1e est le solou le sous-sol sur lequel marche un
discours sur le sol, la marche, la semel1e, les souliers,
les píeds, etc., ne serait-ce pas déjà Ia traduire, ~tte
fiabilité, dans les marques de ce qu'elle rend possible ?
Dês lors toutefois que ces marques appartiennent à Ia
marche, au pas, au chemin (Weg), ce ne sont plus,
pour cette pensée, des formes dérivables de figures,
tropes ou métaphores. La pensée pense à partir d'elles.
Reste à savoir - si c'est encore de savoir qu'il
retourne - quoi du rapport entre le trait de dé-ratta-
chement (la stricture du tableau et dans le tableau) et
Ia parole qui permet de dire de Ia peinture que d' eile:
même elle « a parlé », Comment cette parole - qw
n'est pas un discours - s'entretient-elle de ce trait?
Comment s'entrelace-t-elle avec lui? Rien n'en est dit
dans ce passage de L'origine. Plus tard, plus loin.
Laissons cette question se reposer.
- Admettons qu'on vienne ainsi de reconstituer,
de restituer, en l'interprétant, en négociant avec lui,
un certain trajet de L'origine. Admettons que ce traiet
devait passer par l'inutilité même des souliers et du
 LA VÉRITÉ EN PEINTUR
tableau, du produit et de l'ceuvre; qu'il avait besoin
de spéculer sur ce hors-d'usage, passant la ligne en
la~t dans les deux sens, faisant revenir, éloignant,
faísant de nouveau revemr, dedans, dehors, lã-bas, ici,
fort, da. (Heidegger tient la chose, les souliers en
peinture, par le lacet et joue avec la bobine
- qui est pour Schapiro, jouant de Ia même façon
ce1le de Van Gogh, « a piece of his own life », « facing
us ».
-l'attirant vers lui puis l'éloignant grâce à Ia fiabilité
du lacet). 11 fait la même chose avec la paysanne,
tantõt dans le tableau, tantõt hors du tableau. Jouer
du lacet, c'est toujours possible. Mais en jouant du
lacet avec Ia bobine du fort, da, i! faut tenir compte de
I'entre-lacement, et c'est plus compliqué ...
- Mais non, ne soyons pas si sürs de savoir ce qu'est
le fortida. Ce que nous savons c'est que toute démarche
(discursive ou picturale en particulier) implique un
[ortjda. Tout rapport à un texte pictura1 implique ce
mouvement double et doublement entrelacé à lui-même.
C'est un certain fortlda que décrit le tour de lacet dont
~o~s par~ons plus haut .. Tout le discours heideggerien
(ici et ailleurs) s'entretient du fortlda, et ici d'un
tableau qui marque ou fait marcher lefortlda en peinture.
Disons que le titre du tableau pourrait être aussi bien
Ia peinture (ça faisait hurler tout à l'heure, à juste titre,
mais tant pis) que les chaussures ou fortlda. D'oü
partent, ou et à qui reviennent les chaussures, d'oü
reviennent-elles en se rapprochant, etc.? Et tout le
chemin de pensée, pour Heidegger, reconduit, par
I'é-loignemerit, à un Da (ainsi le Da du Sein) qui n'est
pas simplement proche, dont Ia proximité laisse jouer
en elle le lointain du fort. Le rapport n'est pas d'oppo-
sition, chaque valeur offre un ceillet à la traversée, à Ia
figure ou à Ia pointure de l'autre. Port : Da. Double
ceillet, voi!à comment il faut le renouer en écrlture.
- Admettons. Mais alors Heidegger avait-il au
RESTITUTIONS
même titre besoin, voilà ou je voulais en venir, que ces
soullers fussent de paysan ? Et Ia ligne passée, d'y voir,
d'en bas, depuis le bas, une paysanne? Une paysanne
debout?
- C'est à peu prês Ia même question que celle du
fort : da. La valeur de proximité joue un rõle décisif
dans ce texte et dans Ia pensée heideggerienne en
général. Les souliers de paysan sont plus proches de
cette terre à laquelle i! fallait faire retour. Mais dans le
príncipe, le même trajet aurait été possible avec des
chaussures de ville. Il aurait été plus long, plus éloignant,
plus détoumé. Mais l'éloignement est le sujet. Quant
à Ia paysanne, elle ne surgit que dans les passages ou
i! s'agit moins qu'ailleurs de décrire un tableau, quand
Ia peinture est le plus loin possible. Telle est du moins
Ia réponse qu'on peut tenter en se fiant à Ia logique
manifeste du texte. Si 1'0n ne voulait pas trop simplifier,
i! faudrait reconnaitre toutes les ressources, les tours,
retours et retors de cette valeur de proximité. Depuis
Sein und Zeit elle rêgle et dérêgle toute cette pensée.
Ici le « bon » rapport à l'eeuvre est à deux reprises
défini comme une « proximité » (in der Nãhe des
Werkes). Mais on sait depuis Sein und Zeit que le
« proche » peut s'entendre tantôt en un sens ontique,
tantõt en un sens ontologique, et qu'il ne s'oppose pas
simplement à l'é-loigné d'une Entfernung qui éloigne
1e lointain. Ainsi s'éloigne Ia peinture, ainsi éloigne-
t-elle. Impossible ici de s'approcher davantage de ce
proche, faute de -
- Je voudrais qu'on revienne à des certitudes plus
déterminables. Nous ne savons p1us qui a Ia parole et
ou nous en sommes. Sans doute Schapiro n'a-t-il pas
pris Ia mesure de L'origine (mais ce n'était pas son
propos), pas même des quelques pages autour du
« célebre tableau li, soit. Sans doute a-t-i! simplifié.
Sans doure a-t-i! méconnu Ia nécessité de l'argumenta-
tion, le mouvement en lacet de son aller-retour et
l'abime de son fort : da. Sans doute en a-t-i! ignoré la
portée plus que philosophique. Cela dit, si l'on revenait
410 LA VÉRITÉ EN PEINTURB
aux dimensions qu'íl a, Iui, assignées à ce débat (sa
convention est Ia nõtre, et nous devons accepter le
contrat qu'il propose), ne peut-on maintenir, quant
à l'ideotificatioo du tableau et à l'attribution des
souliers, qu'il a raison ? Et que, comme cela fut accordé
plus haut, s'il y a un sens à dire ce sont des souliers-de X
et non des souliers-de Y, Heidegger s'est lourdement
avancé. Et cela même en admettant Ia nécessité de Ia
démarche heideggerienne dans soo trajet long, dans
son trajet essentie1 ?
- Je ne l'ai pas encore fait. Je l'ai seulement suivi
et plus tard, avec les questions du trair, de l'attrait et
de Ia parole, j'essaierai d'interroger autrement.
- Alors. Même si on l'admettait, ne pourrait-on
accorder à Schapiro que sur un point précis et fút-il de
détail
- mais on a dit tout à l'heure qu'il n'y avait que du
détail, autant dire qu'il n'y en a pas en cette
affaire.
- sur un point précis Heidegger a fait un faux-pas ?
On parlait tout à l'heure de « contradiction symptoma-
tique» et injustifiable eotre telle phrase relevant l'indé-
termination du tableau, le milieu abstrait autour des
souliers, Ieur non-appartenance en somme, et d'autre
part Ia formule qui suit aussitôt, « une paire de souliers
de paysan », définissant dogmatiquement une apparte-
nance minimale que Heidegger aurait tort de croire
lisible, de façon interne, sur l'objet peint.
- Oui. Mais rnême de ce point de vue três limité,
suffit-il que Heidegger ait tort pour que Schapiro ait
raison?
- Que fait Schapiro? II ne dit pas seulement :
Heidegger a été imprudent, rien ne prouve que ce sont
des souliers de paysan et cette allégation n'aurait auCUD
senso II dit : ce ne sont pas des chaussures de paysan,
~ITUTIONS
parce que ce sont les souliers de Van Gogh. Qui n'est
pas, en tout cas à cette date, un paysan!
- Que fait Schapiro? Comment arrache-t-il les
souliers à Heidegger pour en offrir Ia « nature morte »
maintenue en vie à Ia mémoire d'un mort et comme un
morceau vivant de Vincent? Plus qu'un morceau, on
le verra, Vincent lui-même. Vincent, Ia signature,
y devient le titre, Ia légende, l'histoire ou Ia définition
du tableau, de son sujet comme de son objeto Car ce qui
importe à Schapiro, c'est que les souliers soient bien
ceux de Vincent et, si détachés soient-ils, qu'ils le soient,
comme par un lacet ombilical, de Vinceot. Les rendant
à Vincent, les lui restituant, il les offre du même coup
à un tiers, comme un morceau de Viocent ou une pars
totalis que Vincent aurait provisoirement déliée, un
jour, à Paris. Vincent lui-même aurait offert, comme un
précieux morceau de lui-même, cette partie détachée,
ill'aurait donnée à -
- Comme une oreille coupée, comme cet organe,
ce n'est pas n'importe lequel, qu'il aurait fait porter,
dépêché, détaché, en mission, en représentation
- peignant ensuite un auto-portrait bandé, Ia tête
pansée, serrée, dissimulant cette fois Ia partie manquante,
exhibant du même coup in absentia le « personal object ))
perdu. Curieuse nature morte.
- Je ne vais pas comparer des souliers à une oreille.
Surtout pas une paire de chaussures à une oreille.
- On a laissé tomber ma questiono Est-ce une paire?
Qu'est-ce qu'une paire? Je voudrais qu'on fasse I'ana-
lyse spectrale de Ia paire et de toutes les façons qu'e~e a
d'être détachée, de toutes les séparations de Ia paire.
J'en vois au moins cinq.
- Non, non, pIus tardo
- Je remarque que le titre de Schapiro, c'est « La
412 LA VÉRITÉ EN PEINTURl
nature morte comme objet personnel I). lei ce serait UIl
objet personne1 visiblement détaché (rien à voir ave
l'oreille), comme tableau de chaussures en exposition,
détaché du corps d'un sujet morto Mais revenant.
Revenant vivant au mort : dês lors vivant, lui-mêm
revenant. Faisant revenir. Cet (( objet personnel »
détachable et revenant au revenant, le voici offert en
sacrifice à Ia mémoire d'un autre mort qui, par définition
et comme son nom l'indique, reste de pierre en cet
âpre festin, de pierre précieuse comme l'offrande au
nom (de ce) qui reste. Mais revient aussi, comme un
revenant, grâce au don de ce revenant. Tout en s'assu-
rant - pour s'assurer - comme de Van Gogh et de Hei-
degger, qu'il reste bien ou il est. - Et pourtant les sou-
liers, eux aussi, restent là.
- Lesquels? ou ? dans ce potlach ?
- Lã, pour que l'inconscient de chacun y mette du
sien, les chausse sa pointure.
à inférence du type : donc Ies chaussures peintes appar-
- Non, Ia pointure du fantôme, de l'inconseient de
à réelles appartenant en réalité à X. De pIus Ia lecture
l'autre. C'est fait pour ça, Telle est Ia facture qu'ils pré-
sentent, tout compte fait.
- Mais que fait donc Schapiro ? Comment opere-t-il,
au cours de ce sacrifice ?
- Penchons-nous. Il rappelle d'abord que Van Gogh
avait peint de tels souliers plusieurs fois. Et que Hei-
degger, le sachant, I'a dénié, n'en a tenu aucun compte,
comme si les différentes versions étaient « interchan-
geables I), produits de série et non ceuvres, « présentant
toutes Ia même vérité li. 11les a traitées en produits de
série pour avoir méconnu Ia série. Nous avons analysé
ce mouvement. Aprês quoi, Schapiro dispose en quelque
sorte sur Ia table, comme des cartes à jouer ou des piêces
à conviction, les huit tableaux de chaussures répertoriés
dans le catalogue de Ia Faille parmi toutes les toiles
exposées à Ia date de L'origine. La démonstration com-
mence. Trois seulement présentent ((lhe dark openings of
RESTlTUTIONS
the worn insides », « l'obscure ouverture du dedans usé .
dont parle Heidegger. Cet élément descriptif est três
pauvre, c'est l'une des deux notations de ce type qu'on
peut relever dans L' origine, et encore dans un para-
graphe dont rien ne nous assure, nous l'avons vu, qu'il a
le tableau pour objeto Néanmoins Schapiro le prélêve et
le retient. Il en tire argument pour éliminer cinq tableaux
ou cinq cartes sur huit. Des trois qui restent il déclare
sans autre forme de démonstration : « They are clear/y
pictures of the artist's oum shoes, not the shoes of a pea-
santo ))
- Pourquoi « manifestement )), « clearly li ?
- L'appel dogmatique à l'évidence manifeste sonne
ici comme un décret. Cette prétendue évidence ne peut
être produite par Ia forme des souliers, par quelque lec-
ture interne du tableau, à supposer même qu'on puisse
ne faire qu'un seul pas d'une description interne à une
tiennent en réalité à X, elles représentent Ies chaussures
interne ne produit légitimement aucune évidence pou-
vant soutenir une telle inférence, même si on acceptait,
concesso non dato, Ie principe de l'inférence. Car Van
Gogh a peint des chaussures de paysan à Ia forme ana-
logue, des souliers montants et non seulement des
sabots. La preuve est donc curieusement « externe )) :
Ia date présumée des tableaux. Présumée car l'un des
trois tableaux seulement porte « Vincent 87 li, si on tient
cela pour une preuve. A cette date présumée, Van Gogh
était à Paris, loin des paysans! 11 n'a donc pu peindre
des souliers de paysan! Cette conclusion triomphante
suffirait à étonner. Schapiro surenchérit encore : i1 a
donc peint les siennes! Le morceau est adjugé, l'expert
a condu, le parterre se tait.
Que s'est-il passé? L'expert a fait jouer alternative-
ment deux types d'argumentation. Tantôt il a fait appel
à une description interne en reconnaissant que, même
à Paris, Van Gogh pouvait peindre des souliers qu'il
« avait portés en Hollande I). La date ne joue plus alors,
 LA VÉRITÉ EN PEINTU
seulement Ia forme, dont Schapiro semble prétendr
qu'elle exc1uait Ia paysannerie. Mais si Van Gogh a pu
peindre des chaussures du passé, et s'il n'est pas prouv
que Ia forme soit exc1usivement citadine, pourquoi
n'aurait-il pas peint à Paris des souliers de paysan ? A vrai
dire l'argument interne est sans valeur. Pour deux rai-
sons : parce que c' est un argument interne insuffisant
(il y a de tels soutiers de paysan, en général et dan
toute Ia peinture de Van Gogh), et parce qu'il est
insuffisant en tant qu'argument interne (il n'y a aucun
sens à en tirer une conc1usion sur l'appartenance
exteme à un sujet réel hors du tableau). Tantôt l'expert
fait appel à un argument externe, Ia date, et alors il veut
nous faire croire qu'une fois à Paris Van Gogh ne pou-
vait plus peindre des soutiers de paysan ni même d'autres
soutiers que les siens, ou les soutiers de personne. Allé-
gation doublement irrecevable. Elle présuppose d'abord
que Van Gogh n'était pas un paysan, n'était plus un
paysan, ne pouvait plus s'identifier, si peu que ce soit,
si partiellement que ce soit, pas même du bout des
doigts de pied, à du paysan. Si cela a un sens, c'est
faux, on peut le démontrer et je réserve cette démons-
tration pour plus tardo La même allégation présuppose
aussi qu'aprês son départ de Hollande, en tout cas
aprês 1887, Van Gogh ne s'intéresse plus au monde
paysan. Or même si elle n'était pas gratuite en elle-même,
cette hypothese stupéfiante est démentie par une lettre
que Schapiro cite lui-même aussitôt apres : « Une
deuxiême nature morte de « vieux souliers de paysan »
est mentionnée dans une lettre de septembre 1888
au peintre Emile Bemard mais il y manque Ia surface
usée et l'intérieur sombre caractéristiques de Ia des-
cription de Heidegger. » Rien ne va plus dans Ia logique
de ee paragraphe. Si l'on avait ici à prouoer, Ia lettre
prouve que Van Gogh pouvait peindre et avait peint en
effet des souliers de paysan aprês 1886. Donc si les
soutiers mentionnés par Ia lettre ne ressemblent pas,
eux, à eeux que Heidegger décrit (s'il décrit un tableau),
les tableaux retenus comme piêces à conviction pou-
vaient bien en revanche représenter des soutiers de
paysan. Done eelui qui eorrespond à Ia « description »
RESTITUTIONS
heideggerienne (surface usée et dedans obscur) pouvait
bien représenter lui aussi des soutiers de paysan. Rien
en tout cas ne peut prouver le contraire. L'expert s'est
eontredit et son argumentation, pour prouver trop,
s'emporte elle-même. Au moment de restituer un chau-
dron
- Voilà une instruction qui sent sa police. Cette
ratiocination autour d'une paire de soutiers volés ou
détournés, je l'entends d'autant plus facilement comme
venue d'un détective privé, d'un Dupin qui voudrait
finalement rendre Ia chose, remettre les chaussures
- Ia chaussure peut-être, le double de Ia ehaussure
qui s'est fait Ia paire, Ia ehaussure du double. L'analyse
spectrale de Ia séparation interne d'une paire, telle que
je Ia proposais tout à l'heure en cinq points, si -
- d'un Dupin qui voudrait remettre Ia chose à
qui de droit, pour faire hommage de cette restitution
(ajustée à Ia pointure de Ia princesse), s'y laissant à son
tour piéger, d'autant plus facilement, disais-ie, que ee
discours policier s'affaire autour de rien en somme,
restes de rien, de pas, de vestiges, de traces sans présenee
ni absence sur un sol sans fond ou sur un sous-sol abimé.
Fort, Da : Ia pointure joue de Ia virgule.
- 11 a été écrit ailleurs que ça peut toujours ne pas
arriver à destination, ça peut toujours ne pas revenir au
porto Telle est Ia condition de revenance. Dans Le fac-
teur de Ia oérité, rempIacez le pied de Ia « lettre » par une
« ehaussure» et vous lirez: « C'est ce qui égare et hasarde
sans retour garanti Ia restance de quoi que ce soit : une
ehaussure n'arrive pas toujours à destination, et dês lors
que cela appartient à sa structure, onJ'eut dire qu'elle
n'y arrive jamais vraiment, que quan elle arrive, son
pouvoir-ne-pas-arriver Ia tourmente d'une dérive in-
terne. » On peut ajuster cet énoncé à Ia divisibilité d'une
paire. Pas plus que Ia lettre, une paire n'est indivisible.
- C'est pourquoi ne parlant pas simpIement en
416 LA VÉRITÉ EN PEINTURB
policier mais d'abord du discours policier, je n'ai pas dit,
comme Heidegger, ce sont des souliers de paysan mais
contre lui : rien ne prouve que ce sont des souliers de paysan
(Ia seule proposition incontestable, selon moi, de Scha-
piro); et je n'ai pas dit, comme Schapiro, ce sont les
souliers d'un citadin et même de Van Gogh, mais contre
lui : rien ne prouve, ni ne peut prouver que « they are
the shoes 0/ the artist, by that time a man 0/ the town and
city », Chaque fois que vous lisez « they are c1ear/y... »,
« this is clearly ... », « are evident/y ... », cela ne signifie pas
que c'est clair ou évident, bien au contraire, mais qu'il
faut dénier I'obscurité intrinsêque de Ia chose, sa
crypte essentielle, et qu'il faut faire croire que c'est
manifeste tout simp1ement parce que Ia preuve fera
toujours défaut. « Clear/y » et « evident/y » portent d'abord
sur Ia restitution des souliers à Van Gogh, sur Ia pro-
priété des souliers qui 1ui reviendraient en propre (d'au-
tant moins fétichisables comme chose de l'autre, autre
chose, qu'elles sont vieilles, familiêres, usées, formées
au pied, maculées). Je souligne : « They are clearly
pictures 0/ the artist's own shoes, not the shoes 0/ a
peasant »••• « ••• « une paire de vieux souliers » which are
evidently his own ... » P1us bas, « c1ear/y » assure l'identi-
fication, cette fois, d'un tab1eau à partir d'une 1ettre de
Heidegger qui aura fait un surprenant trajeto On peut
par1er ici de détournement pro1ongé. « En réponse à ma
questíon, 1e Professeur Heidegger m'a obligeamment
écrit que le tableau auquel il s'est référé est un tableau
qu'il vit dans une exposition à Amsterdam en
mars 1930. C'est manifestement (c1ear/y) de Ia Faille
nO255 (voir figure I). » Pourquoi est-ce manifeste? Rien
n'en est dito Est-ce parce que Ie catalogue de cette expo-
sition excluait toute autre possibilité ? Alors pourquoi ne
pas le dire ? Dans ce cas toute l'improbable et laboríeuse
démonstration qui précêde eüt été de trop. Et de sur-
croít, même si à partir de Ia référence de Heidegger
(dans sa lettre) à sa référence (dans son texte) comme
identique à Ia référence (dans sa visite à l' exposition
de 1930), même si ces références étaient superposables
et ne laissaient aucun doute quant à ce tableau (de Ia
Faille nO 255), encore faudrait-il prouver I. que toute
RESTITUTIONS
paysannerie (si quelque chose de tel existait en matiêre
de chaussures semblables) en était exclue, 2. que ces
souliers étaient ceux de Van Gogh. Or ce que nous
avons dit du paragraphe précédent ruine toute possibilité
de preuve à cet égard.
L'assurance paraít d'autant plus péremptoire dans sa
précision qu'aussitôt aprês avoir identifié le tableau,
Schapiro doit évoquer Ia possibilité d'une contamination
entre certains traits appartenant à deux tableaux dans Ia
référence de Heidegger : « On y exposait aussi au même
moment une toile représentant trois paires de chaussures
(VI, Fig. 250), et il est possible que Ia semelle exhibée
d'un soulier dans ce tableau ait inspiré Ia référence à Ia
seme11edans Ia relation descriptive du philosophe. Mais
aucun de ces tableaux ni aucun des autres ne pennet de
dire proprement (proper/y) qu'une peinture de souliers
par Van Gogh exprime I'être ou l'essence des souliers
d'une paysanne et son rapport à Ia nature et au travail.
Ce sont les souliers de l'artiste, soit, à cette époque, d'un
homme des villes et de Ia grande ville. »
Identification (dans tous les sens de ce mot, ils sont
nombreux), attribution, réappropriation : le désir n'a
plus de limite. Premier temps, premiêre exigence : Scha-
piro considere le tableau comme une « copie » et il ignore
une loi de structure élémentaire en induisant des rap-
ports de propriété dans Ia « réalité » extérieure au tableau,
dans le prétendu modele de Ia copie : non seulement,
dit-íl, ça ne revient pas à du paysan ou à de Ia paysanne
(ce qui fait trop vite concIure de l'improbable à l'exclu)
mais elles reviennent à un homme, à un homme qui est
un peintre, à un peintre qui est le signataire du tableau,
propriétaire de sa signature autant que de ses chaussures,
qui reviennent ici au même. Deuxiême temps, deuxiême
exigence : cela ne suffisant pas à Ia restitution parfaite, il
faut encore que le porteur-détenteur-propriétaire-signa-
taire (autant de valeurs accumulées, autant de capital
augmenté car ccs significations s'aioutent, ne se confon-
dent pas) réel des chaussures peintes soit plus défini, que
Ia pointure soit rigoureuse et Ia chose plus sürement
ajustée. Celui auquel on rend son bien doit aussi être
« hommes des villes et de Ia grande ville », Cela doit, à un
 LA v:áRId EN PEINTURB
moment donné [« by that time »), le fixer dans son
essence car, autrement, pourquoi n'aurait-il pas fait du
pays~ a!0rs qu'il é~t en ville ? Comme si Van Gogh ne
pouv~t etre de Ia ville et de Ia campagne, comme s'il ne
pouvait garder en lui du paysan (voire avec lui des sou-
liers de paysan : qu'est-ce que c'est, au iuste ?) dês lors
qu'il serait devenu provisoirement citadin! comme s'il ne
pouvait peindre des souliers de paysan alors qu'il portait
des souliers de ville! comme s'il ne pouvait peindre, avec
ses pinceaux, píeds nus! comme si on peignait des
chaussures avec ses chaussures! Car c'est Ia troisíême
exigence et le troisiême temps : ainsi défini, le proprié-
taire, etc., réel des chaussures peintes (épithete qui
retient ou produit toute l'équivoque du rapport mo-
dêle/image) doit être substantiellement situé dans le
~emp~ et dans l'espac:e: Une fo~s qu'on a cru pouvoir
identifier le tableau Vise par Heidegger, une fois qu'on
en a attribué le sujet (telles chaussures déterminées) au
sujet (porteur, détenteur, propriétaire, artiste signataire,
homme, citadin), il faut encore que, présent à telle dàte
dans telle oille, il n'ait pu peindre autre ehose que des
chaussures de ville, les plus proches (Dal ) possible.
Des chaussures peintes à partir des ehaussures portées,
qui done ne partent pas, enfio pas três loin, et sont déjà
de retour. Ou? 1à. Ou là? Lã, voyez, iei, iei tout de
suite.
- Et pourtant. Tout comme Heidegger, qu'il cite
sur ce point avec ironie, Schapiro exclut qu'il y ait de
son propre côté Ia moindre « projection », Assuré d'avoir
seientifiquement déterminé le contenu et l'origine du
tableau (chaussures de ville comme obiet personnel du
peintre), Schapiro a beau jeu de dénoneer Ia projection
identificatoire de Heidegger : celui-ci a annexé les sou-
liers à son paysage social, il les a surinvestis avec son
« lourd pathos de l'originaire et du terrien », Il aurait fait
cela même dont il se défend, il aurait « tout imaginé et
projeté dans Ia peinture »,
- Une hallucination eu somme. C'est de l'halluei-
nation eu peinture que nous nous entretenons iei.
RESTITUTIONS 419
Est-ce que Ia peinture doit se laisser appliquer un dis-
cours élaboré ailleurs sur I'hallucination? Ou bien
doit-elle en être l'épreuve déeisive, et Ia condition?
- lei plusieurs remarques. Oui, hallueinations et
revenants. Mais qu'est-ce que ça veut dire? Nous au-
rions beaucoup de raisons de nous méfier du concept de
« projection », tel que le manipule Schapiro. Qu'est-ce
qu'une projection en peinture ? Quelles sont les limites
d'une projection ? Qu'est-il interdit de projeter et pour-
quoi? Qu'est-ce qu'une expérience sans projection?
Ce concept de projection n'appartient-il pas à un objec-
tivisme ou du moins à un systême des rapports sujet-
objet ou de Ia vérité (comme adéquation ou comme
dévoilement, eomme présence dans Ia représentation ou
dans Ia présentation) qui ne peut plus se mesurer aux
effets de l'inconseient, tels qu'un certain état de Ia
théorie psychanalytique les a déterminés, ni surtout à
Ia structure restante des marques dont Ia graphique nous
intéresse iei? Néanmoins, prenons pour l'instant ce
concept de projection ou d'imagination, tel que l'utili-
sent en somme aisément nos deux correspondants, l'un
pour lui opposer Ia présence de Ia vérité en peinture
comme aletheia, l'autre Ia représentation fidêle et mimé-
tique, vraie parce qu'adéquate à l'objet. Alors il pourrait
y avoir plus de projection hallucinatoire que ne le dit
Schapiro dans sa propre reconnaissance du tableau. On
vient de le démontrer, rien dans ce tableau ne permet de
ooir les souliers, encore moins les pieds ou le corps tout
entier de Van Gogh homme de Ia ville, Van Gogh à
Paris, etc. Inversement, il pourrait (je dis bien il pour-
rait) y en avoir moins que ne le dit Schapiro dans Ia
« vision » de Heidegger. Dans son cas en effet les risques
de projection auront été atténués pour les raisons qui
furent longuement développées tout à l'heure et tou-
chant à Ia structure même de Ia référence au tableau
dans L'origine. Je n'y reviens pas mais j'y ajoute un
argumento 11 concerne le moment ou, sans doute pos-
sible, Heidegger parle du tableau pour dire imprudem-
ment « une paire de souliers de paysan », L'imprudence
et le risque de projection sont incontestables, aussi
 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
incontestables que du côté de Schapiro. Mais une cir-
constance au moins peut les atténuer du côté de Hei-
degger. Cette circonstance atténuante tient au conteste.
Au contexte scripturo-pictural de Van Gogh. Elle ne
consiste pas seulement dans le grand nombre de paysans
et de paysannes, de chaussures de paysans (détachées
ou non, nommées, déclarées, intitulées ou non) que Van
Gogh aura peintes, avant et apres 1886, le grand nombre
de scênes et d'objets de Ia vie paysanne qu'il se sera
acharné à vouloir restituer en peinture et en vérité
«( ... que ce soit une vraie peinture de paysans. Je sais que
c' est cela... Par de tels tableaux, ils apprennent quelque
chose d'utile », Lettres A son frêre Théo, 1883-1885.
Elles sont pleines d'invectives contre les « citadins »).
Non. Elle consiste en ceci: I' « idéologie », disons pour
faíre vite, rurale, terrienne, terreuse, artisanale que
Heidegger est accusé d'avoir proietée, ce « lourd pathos
de l'originaire et du terrien », est-ce si étranger A Van
Gogh ? Qui a dit : « Quand je dis que je suis un peintre
de paysans, c'est bien ainsi en réalité et tu verras mieux
par Ia suite que c'est IAque je me sens dans mon mi-
Iieu. »? Ces signes (peinture et écrits sur Ia peinture)
sont trop abondants et trop connus. N'en abusons
pas. « Idéologie » paysanne et artisanale en peinture,
souci de Ia vérité en peinture «( Mais elle m'est si chêre,
Ia vérité, Ie chercher à faire vrai aussi, enfio ie crois, je
crois que je préfere encere être cordonnier à être musi-
cien avec Ies couleurs. »), voilà ce qu'il partage avec
Heidegger, même si sa « vérité », du moins dans son
discours, reste représentative. N'abusons pas de cet argu-
ment, mais reconnaissons que Ia projection hallucina-
~oire de Heidegger, s'il y en a, est motivée par ce sUPPOrt
identificatoire. On doit, certes, expliquer pourquoi Hei-
degger avait besoin de choisir te! type d'obiet (produit
dit « utile » comme vêtement et tel vêtement), tel type
de tabIeau, tel peintre, pour dire ce qu'il entendait dire.
11 n'aurait pu aussi facilement dire Ia même chose avec
d'autres objets, avec d'autres peintures, avec d'autres
chaussures, celles de Van Eyck, Miro, Magritte ou
Adami. On doit, certes, analyser le choix, et les limites,
du modele exemplaire pour un tel discours sur L'origine
RESTITUTIONS 421
de l'reuvre d'art. Et poser des questions analogues au
sujet des modeles poétiques de Heidegger. Il reste que
les risques de projection étaient pIus limités. La « pro-
jection » opere dans le choix plutôt que dans l'analyse du
modele, dês lors que le corpus exemplaire est celui de
Van Gogh. Une certaine analogie entre Heidegger et
Van Gogh, quelles qu'en soient les limites A d'autres
points de vue, une certaine communauté du « pathos »
fournissait paradoxalement un sUPPOrt d'identification
qui réduisait d'autant les risques de « projection », de
délire hallucinatoire. Le paragraphe « pathétique » sur
l'appel silencieux de Ia terre, consonne, autre corres-
pondance, avec telle ou telle lettre de Van Gogh.
- [e voudrais aller plus loin. Non p1us pour sous-
traíre Heidegger au verdict de Schapiro ou pour lui
trouver des « circonstances atténuantes », Mais pour
faíre apparaítre, au-delà des trais exigences de Schapiro,
une vague d'identification supp1émentaíre. Supplémen-
taire car l'identification est, comme l'attribution, de
structure supplémentaire, ou parergonale. Et supplé-
mentaire parce que cette exigence de rattachement est
par définition insatiable, insatisfaite, toujours dans Ia
surenchêre. Elle relance, elle en remet chaque fois
davantage. Aprês avoir, sur un mode défensif et critique,
contesté le droit de propriété agricole revendiqué par
Heidegger, Schapiro passe à I'offensive générale. L'of-
fensive se déc1enche avec Ia question suivante : est-ce
que l'erreur de Heidegger (démonstration supposée
acquise) tient simplement au choix d'un mauvais
exemp1e ? Non, c'est qu'il n'a pas su ana1yser son propre
exemple et même s'il avait eu raison de « voir » des
chaussures de paysanne, il aurait manqué l'essentieI, « Ia
présence de I'artiste dans son eeuvre », Voici : « Is Hei-
degger' s mistake simply that he chose a wrong example ?
Let us imagine a painting of a peasant-uoman shoes by
Van Gogh. Would it not haoe made maniJest just those qua-
lities and that sphere of being described by Heidegger with
such pathos ? Heidegger toould have missed an importam
aspect of the painting : the artist's presence in the work. »
Dês cet instant, Ia réappropriation des souliers par son
 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
propre Van Gogh ne va plus connaítre, pour Schapiro,
aucune limite. Au terme de l'offensive, on n'aura plus
affaire à un objet personnel (une affaire personnelle ou
un morceau de corps) détachable, à un objet en somme
qui appartiendrait à Van Gogh sans se confondre avec
lui, füt-ce un membre fantôme. On serait en présence de
Van Gogh lui-même. Le tableau manifesterait Ia « pré-
sence » de l'artiste lui-même dans son « auto-portrait )),
non seulement un « morceau de sa propre vie » (a piece
of his oton life) mais un morceau indétachable et donc
entrainant tout le corps avec lui, une de ces « choses
inséparables de son corps )) (things inseparable from his
body) et même de son corps debout, « érigé )) [« the
erect body in its contact with the ground ») : le pas de Van
Gogh revenant, passam dans le tableau. Entre le corps
de ce passant et les chaussures, entre les pieds et les
souliers, entre les deux soutiers eux-mêmes, dans Ia
paire, plus de séparation possible. Le référent réel du
tableau, le modele qui était si ingénuement attribué
jusqu'ici à Ia copie, le voici maintenant agrandi jusqu'à
Ia totalité du sujet. Le titre du tableau, sa légende :
Hoc est corpus meum. On est encouragé à ce déchiffre-
ment: Van Gogh se donne, sedonneà voir,faitl'offrande
sacrificielle de sa chair en donnant à voir ses soutiers. Et
Gauguin, cité par Schapiro en conclusion, le confirme-
rait : il a devant lui Ia « vision du Christ ressuscité ", « Ia
vision d'un Jésus prêchant Ia bonté et l'humilité. »
Plus de détachement : les souliers ne sont plus rat-
tachés-à-Van Gogh, ils sont Vincent lui-même, de lui-
même indétachable. Ils ne figurent même pas une de ses
parties mais toute sa présence rassemblée, resserrée,
contractée en elle-même, avec elle-même, auprês d'elle-
même : une parousia.
Est-ce alors un paradoxe ou une nécessité de ce qui
fut nommé « correspondance » ? Toujours est-il que le
moment ou Schapiro semble le plus radicalement s'op-
poser à Heidegger est aussi le moment ou sa démarche
ressemble le plus à celle de sa partie adverse. Comment
se produit cette identification médiatisée ?
La grande offensive commence donc au moment ou
Schapiro feínt, par concession tactique, d'imaginer des
RESTITUTIONS 423
souliers de paysanne peints par Van Gogh. Pour montrer
que même dans ce cas Heidegger aurait manqué l'es-
sentiel, Ia présence de l'artiste dans l'eeuvre, il faut donc
retrouver les traits de Vincent dans le corps de Ia
paysanne, Vincent en paysanne. Mieux, Ia paysanne
Van Gogh dans ses chaussures. Cela va loin mais serait
encore plus intéressant si les protocoles de cette identi-
fication étaient autres. Mais peu importe. 11 s'agit
maintenant de mettre un visage sur (dans) les souliers,
le visage du signataire. Vincent Van Gogh fuit hic. Ce
que Heidegger aurait négligé, ignoré (ooerlooked), c'est
le « personnel » et le « physionomique » de ces souliers.
A Ia différence des sabots de bois qu'il a peints à
d'autres moments (sabots de paysan, clairs, propres et
sans trace d'usure, donc impersonnels), à Ia différence
des savates de cuir (savates de paysan, vues de dos), il
montre ici les souliers de face, venant à nous, regardant
le spectateur (as if facing us), nous fixam, visage dévi-
sageant ou dévisagé, avec des traits individuels, des
rides, un « portrait véridique de chaussures vieillis-
santes » (oeridical portrait of aging shoes ), U n peu comme
on dirait « Portrait de vieillard » ou mieux, pour pro-
longer l'intention de Schapiro : a portrait of the artist as
an old thing.
Le rattachement est si serré (absolu) qu'il s'efface ou
s'absout : les souliers peints ne sont pas seulement les
souliers réels et réellement présents de Vincent réel et
présent, ils ne reviennent pas seulement à ses pieds :
ils sont Vincent Van Gogh de pied en capo Chausser égale
être, qu'on en restitue toute Ia conséquence.
Le cap : Vincent a signé là un auto-portrait, il a illus-
tré sa signature, sujet des chaussures peintes, et si dans
cet auto-portrait il a dissimulé les pieds, ce ne serait pas
pour délaisser des chaussures vides (restantes) mais
parce que ces souliers sont le visage de Vincent : le cuir
de sa peau vieilli, ridé, chargé d'expérience et de fatique,
sillonné par Ia vie et surtout três familier (heimlich), Si
les souliers hantés sont sans pied, ce ne serait pas pour
rester, détachés, plus bas que Ia plante mais pour être,
plus haut qu'aucun membre, absolument rattachés :
l'attache est ici un autre cou. 11 élêve jusqu'à Ia figure, il
 LA VÉRITÉ EN PEINTURB
transfigure. Les chaussures transfigurées sont en lévi-
tation, les auréoles d'elles-mêmes, Ne plus regarder vers
le bas, le três-bas (les pieds, les chaussures, le sol, le
sous-sol) mais une fois de plus (suivez Ia paysanne) vers
le haut, le três-haut, le visage faisant face, Ia Face.
On pourrait avoir l'impression d'être, par rapport à
L'origine, sur l'autre pôle. Heidegger tirait vers Ie bas,
vers Ia terre, I'abíme, etc. Non pas vers le visage de Ia
subiectivité. Et pourtant.
Et pourtant, malgré ou à cause de cette opposition
maximale, les propos entrent en connivence, ils se
mettent à se ressembler étrangement, à se renvoyer leur
image, à s'identifier par plus d'un trait. Bien sür, l'iden-
tification ne sera pas entiêre et Ia correspondance aura
des limites. Comme toute paire. Et pourtant, quand
Schapiro oppose cet auto-portrait à Heidegger, son
accent rappelle celui de I/origine : ((Yet Van Gogh is in
some ways like the peasant ; as an artist he works, he is
stubborniy occupied in a persistem task that is for him his
inescapable calling, his life ( ...) that part of the costume
whith which we tread the earth and in which we locate the
strains of mooement, fatigue, pressure, heaoiness - the
burden of the erect body in its contact with the ground.
They mark our inescapable position on the earth. II
- Oui, il y a bien ce retour à Ia terre et cette concen-
tration d'un monde de l'artisanat dans les souliers, le
labeur paysan, etc, C'est le même « pathos », Mais les
énoncés de Schapiro s'autorisent de I'analogie entre le
peintre et le paysan. Ce n'est pas le cas chez Heidegger.
- Ce n'est pas si sür ni si simple. Cette analogie est
certes d'abord un thême de Van Gogh : ie suis un paysan,
je suis un cordonnier, j'appartiens à ce monde, et quand
je me dépeins moi-même, si souvent -
- Que Van Gogh dise et peigne si souvent « moi )),
est-ce qu'on n'en fera pas une « circonstance atté-
nuante )l pour Sehapiro cette fois, eomme de l'idéologie
((p,aysanne II du peintre pour Heidegger ?
RESTlTUTIONS 425
- Personne n'est accusé, ni surtout condamné, pas
même soupçonné, li y a de Ia peinture, de l'écriture, des
restitutions, voilà tout. Qui connaít ici Van Gogh,
Heidegger, Goldstein, Schapiro? Ce carré -
- D'une certaine maniêre, quand Heidegger propose
dans L/origine de revenir en-deçã de l'opposition tardive
entre l'artiste et l'artisan (le travailleur manuel) et de
repenser Ia technê ou le technités (nous y aborderons
plus tard), il s'avance aussi dans cet espace de I'analogie
entre le peintre et le paysan. Pour répondre à cette
question, il faudra bien se décider à lire ce passage, que
i'annonce depuis longtemps, sur Ia signature, le trait et
I'attraction.
- Voilà que soudain tout paraít étrangement conson-
ner entre Heidegger et Schapiro. N'est-ce pas inquié-
tant?
- La consonnance s'interrompt chaque fois que
Schapiro dit (( self ll, « self conscious ll, « self awareness ll,
« own )), « portrait )): il remet tout à une conscience de
soi, à une subjectivité à laquelle Heidegger ne se confie
jamais sans question, et qu'il interroge toujours comme
une époque de Ia métaphysique : celle qui, depuis Des-
cartes, cherche à s'assurer dans Ia subjectivité un sol
de certitude (un roe ou un socIe inébranlables, sur les-
quels cette fois Ia semelle adhérente ne glisse plus).
Disons à cette occasion que Schapiro se méprend en
parlant d'un « concept du pouvoir métaphysique de
I'art II qui resterait une « idée théorique II er en prêtant
tout cela à Heidegger. C'est cela même qui est mis en
question dans L' origine, de façon systématique. Et il
n'est pas sür qu'on en trouve plus de trace chez Hei-
degger que chez Ia plupart - au moins - des théoriciens
de Ia peinture. Les présupposés métaphysiques me
paraissent par exemple, plus présents et plus détermi-
nants dans Ia Note de Schapiro.
- Ce qui vient d'être dit des souliers comme por-
trait du peintre-paysan-à-l'ceuvre pourrait confirmer Ia
suggestion de tout à l'heure : les chaussures sont lã en
426 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
peinture, elles sont lã pour (figurer, représenter, remar-
quer, dé-peindre?) Ia peinture à I'eeuvre, Non pas pour
être rattachées aux pieds de tel ou tel, dans le tableau
ou hors de luí, mais lâ pour-la-peinture (et vice versa)
- Ia peinture à I'eeuvre, comme le peintre en acre,
comme Ia production picturale en son procês ?
- pour ce qu'il y a de Ia restance picturale, formule
qui ne se réduit à aucune des autres mais que je dois
abandonner ici à son ellipse. Le fi! s'en tire d'ailleurs.
- I'avais à peine commencé à lire cette deuxiême
partie de Ia Note de Sehapiro, cette identification à l'ad-
versaire.
11 y a cette référence à Knut Hamsun décrivant ses
propres souliers. Sehapiro l'oppose à Heidegger. Notam-
ment quand Hamsun éerit : « Ils (mes souliers) m'affec-
taient eomme Ie fantõme de mon autre Je - une partie
vivante de mon propre moi. » Pour en eonclure, eomme
il semble le faire et eomme Schapiro en tout eas s'em-
presse d'en décider, que « mon autre Je» est moí-même,
est Je, et surtout que son fantõme est Je, il faut vouloir
dormir sur ses deux oreilles. Qu'est-ce que e'est que
« mon fantõme » ? Que dit Ia locution : le fantõme de
mon autre Je? mon autre Je, est-ce moi-même ou un
Je autre, un autre qui dit Je? ou un moi-même qui
n'est lui-même que divisé par le fantõme de son
double ? Dês qu'il y a du fanrõme ou du double comme
revenant, Ia logique de l'identification, est-il besoin d'y
insister, ne s'apaise pas aussi facilement que semble le
penser Sehapiro. Si je dis : ees souliers sont le fantõme
de Van Gogh, de l'autre Je fantomatique de Van Gogh,
l'oscillation du génitif traduit à elle seule le malaise,
l'Unheimlichkeit de Ia ehose : le fantõme de Van Gogh
eomme eelui qu'il est ou eomme celui qu'il a en lui ou
devant lui et qui le hante, un autre, done, le fantõme
(qui est un autre) en lui comme celui d'un autre, ete ...
- Mais alors Ia hantise de ces ehaussures ? Sont-elles
un fantõme (un morceau de fantõme, un membre
RESTITUTIONS 427
fantõme)? Dans ee cas sont-elles le fantõme de Van
Gogh ou le fantôme de l'aurre Je de Van Gogh, et que
veut dire alors l'autre Je? Ou bien, sans être fantõme
elles-mêmes, ont-elles le fantõme, sont-elles le lieu
propice à avoir, faire revenir, prendre ou retenir le
fantõme, et lequel? le sien ou celui de l'autre (déta-
chable) ? De l'inconscient de l'autre?
- On ne répondra pas à cette question iei mais il
faut voir comment elle se lie à celle de Ia paire que vous
ne voulez pas entendre depuis tout à l'heure. Une ana-
lyse spectrale du deux des chaussures devrait nous dire
comment elles oont " si elles ootu ensemble et alors
comment, et si elIes oont aux pieds et alors comment.
Aller auec dans le premier cas, aller à dans le second,
mais a/ler à ne veut pas dire se rendre à (tel ou tellieu).
Pour aller, dans les deux cas, aller ensemble, ou aller-à,
deux souliers doivent, e'est une des conditions indis-
pensables, faire Ia paire. En principe. Mais dês qu'elles
ne vont plus quelque part, qu'elles sont. détach~es,
délaissées, délacées, elles peuvent ne plus faire Ia paIr~.
La paire se sépare. Quel est alors le spectre des POSSl-
bilités ou Ia possibilité des spectres? Les chaussures
peuvent être dépareillées, apparte~ chacune à. une
autre paire par laquelle elles contmuent à se laisser
hanter. Mais dans ce premier cas de dépareillé, ça peut
encore aller ou du moins marcher si Ia pointure et Ia
double orientation (droite et gauche) le permettent.
C'est une premiêre possibilité, presque « normale »,
bien que le dépareillé, signalé par d'autres traits, fasse
boiter ou loucher l'expérience inquiete que nous avons
dans ee casoDeuxiême possibilité: un seul soulier. Nous
en avons déjà parlé. Paire amputée ? Soulier amputé de
Ia paire à laquelle H appartient? Hanté par l'autre?
Triomphant et souverain, enfin seul, et captant t?ute
l'investiture fétichiste ? ou narcissique ? Double mieux
rassemblé du mort ou de Ia morte? Erection du boite-
ment? Elimination du double? Misere ou souverai-
neté monumentale de l'inutilisable? Toutes ces inves-
titures sont possibles, elles restem, ouvertes à Ia syntaxe
de tous les spectres. Troisiême possibilité (je suis sür
428 LA VÉRITÉ EN PEINTURE RESTITUTIONS 429
que je vais en oublier) : deux souliers droits ou deux sou-
liers gauches. Non mettables, non utilisables, en prin-
cipe. En tout cas ils ne oont pas ensemble sans blesser le
porteur, à moins qu'il ait les pieds d'un monstre. Mais
les deux souliers, alors détachés du port et de l'usage,
se réfíéchissent mieux l'un l'autre. Chacun est étrange-
ment le double de l'autre. La capitalisation de Ia hantise
y trouve un bénéfice supplémentaire, elle peut combiner
les possibilités précédentes, les étayer, les augmenter.
Cette troisiême possibilité se divise en deux : I. les
deux souliers droits ou les deux souliers gauches peuvent
appartenir, dans une origine qui continue de les habiter
même s'ils s'en sont détachés, à deux paires différentes.
Chacune d'elles s'est séparée d'elle-même mais laisse sa
marque sur chaque soulier. Elle est reconnaissable et
cette différence entre les deux souliers droits ou les deux
souliers gauches vient rompre un peu ce qu'ils ont de
superposable et donc d'inquiétant, de boiteux, de
louche; elle amorce un ré-appariement três vite
inhibé. 2. Les deux souliers droits ou gauches sont
exactement semblables, ils appartiennent à deux paires
(séparées l'une de l'autre et d'elles-mêmes) qui n'ont
entre elles de différence que numérique. On croirait
voir double : deux uniques parfaitement identiques.
Fiction hallucinogêne. L'appariement, Ia com-paraison
même, ni le pari ne sont possibles. Car un pari revient
toujours à comparer. Encore faut-il qu'une différence le
permette. Mais quand il n'y a plus de différence?
Dira-t-on alors, comme on vient de le faíre, que le pari
devient impossible ? Ou au contraíre: qu'il ne reste plus
úlloulitTl. qu'à parier? qu'il n'y a plus qu'à parier? Dans le cas
des chaussures, Ia paire arrangerait tout dans Ia mesure
ou l'être-avec des deux individus (complets incomplets,
tout et parties) ne supprime pas, conserve au contraire,
suppose et releve une différence. Celle-ci revient pour
l'essentiel à Ia seuIe orientation (il y va ici de toute l'es-
thétique transcendantale de Kant) et à Ia seule orienta-
tion d'un « corps propre », La comparaison en cet autre
sens est alors possible : plus de pari.

- Plus de pari?
43° LA VÉRITÉ EN PEINTURE
- On dirait alors que Schapiro, Heidegger et
quelques autres auront, devant le tableau, três raison-
nablement parié pour Ia paire? I1s auront joué Ia paire?
Et cela (plus de pari) afin d'éviter les risques du pari?
Ce qu'ils n'ont pas réussi à faire puisqu'il faut compter
avec le pari de l'inconscient ou l'inconscient du pari, si
vous préférez. Toujours plus de pari. Si bien que le
piêge marche toujours dans l'entrelacs, soit qu'il fasse
marcher, laisse marcher ou qu'il paralyse. Plus de pari,
pas de pari. I1s ont parié pour Ia paire, pour Ia compa-
raison, pour un pari qui limite les risques du pari absolu,
qui se limite et se resserre lui-même jusqu'à s'étrangler.
Jusqu'à se lier pour ne pas s'absoudre. Car Ie retors
tient à ce que le pari absolu ne doit jamais exclure le
disparate ou l'impair absolu. I1s ont donc parié, bon gré
mal gré, contre Ia possibilité du pari. On appellera dis-
paras ce qui ouvre le fort : da de Ia pointure, le jeu du
disjparaitre, à Ia possibilité du dépareillage. Avoir fait
marcher le destin et provoqué à un pari impossible,
voilà ce qui reste du coup de Van Gogh : Ia génialité de
son impair.
- Je reprends I'analyse specttale de ce disparat.
Deuxiême hypothese, donc, de Ia troisieme possibilité,
deux souliers droits ou gauches qui ne se distinguent
que « numero », Chaque soulier est alors le double par-
fait de l'autre : jamais Ia paire n'aura été plus interdite.
Le double est d'autant plus ce qu'il est
- Doppelgiinger!
- qu'il ne va pas. 11ne va pas avec son double par-
fait. Inadaptable : à l'autre, à Ia paire, aux pieds, à Ia
marche.
Voilà le spectre. En ai-je épuisé les possibilités?
Quatre ou cinq, je ne sais plus, et j'en oublie, et j'omets
Ia syntaxe déterminante des variations secondaires, en
particulier celle des pointures.
- Mais cette analyse specttale concernait-elle les
chaussures réelles ou les chaussures en peinture ?
RESTITUTIONS 431
- Celles qui restem, selon Ia restance dont je parle.
Le spectral de l'analyse défie Ia distinction entre les
chaussures réelles et les chaussures en peinture. 11 ne
l'efface pas, il Ia défie et Ia double. L'analyse spectrale
concemait, en vérité diraient-ils, mais doublant aussi
Ia vérité, le rapport des chaussures II peintes » aux
chaussures II réelles ». Elles ne font pas Ia paire, et Ia
feraient d'autant moins que le simulacre du double y
atteindrait une perfection hallucinante. Le rapport de
hantise qui travaille le dépareillé (et donc Ia paire) est
irréductible à tout le mimétologisme (je ne dis pas Ia
mimesis) qui rêgne dans Ia philosophie ou dans Ia théorie
philosophique (c'est-à-dire quelquefois scientifique) de
Ia peinture, à toutes ses oppositions, à toutes ses paires
de catégories. Car une paire marche avec des oppositions
symétriques, harmonieuses, complémentaires, dialec-
tiques, avec un jeu réglé d'identités et de différences.
- Mais le dépareillé (le disparat) ne permet-il pas
de mieux faire apparaitre Ia vérité, Ia parité de Ia paire,
le rapport à soi de Ia paire ou du couple
- ce n'est pas exactement Ia même chose,
- de mieux penser Ia paire comme telle ?
- de mieux penser à sa réparation, sans doute, à
panser, ã bander lã ou le-la-les double(s) band-
- Laissons là le spectre de l'impair. Quand on veut
parler des chaussures qui restent, il y en a beaucoup,
par exemple des multiplicités de paires plus ou moins
dépareillées, comme dans cet autre tableau de Van
Gogh (Trais paires de souliers dont l'un exhibe, tous
les fers en l'air, son dessous), il faut savoir s'arrêter.
Bst-ce possible ? Le disparat ou l'impair c'est qu'il y a
toujours une chaussure en plus, ou en moins, une troi-
siême ou une premiêre. Nous parlions de Knut Ham-
sun que ses vieux souliers impressionnent comme le (I
fantôme d'un autre Je ». Schapiro savait-il que Knut
Hamsun est aussi une référence précieuse de Heideg-
432 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
ger? Et qu'il y a Ià encore un trait d'identification
entre les correspondants ? Hamsun est cité, par exemple,
dans I'Introduction à Ia métaphysique. Et quelques pages
avant cette autre allusion de Heidegger à un « ce tableau
de Van Gogh », três breve celle-lã et relevée en note
par Schapiro qui pouvait y lire au moins une critique
de Ia re-présentation mimétique d'un modele : « Ce
tableau de Van Gogh : une paire de grosses [ou gros-
siêres, derbe] chaussures de paysan. L'image ne re-
présente proprement rien (Das Bild stellt eigentlich
nichts dar). Pourtant ce qui est là (da ist), c'est avec
cela qu'on est seul aussitõt, comme si soi-même, un
soir d'automne, alors que charbonnent les derniers
feux de pommes de terre, on revenait du champ avee
sa pioche, fatigué, vers Ia maison. Qu'est-ce qui est
là étant [Was ist da seiend : on ne doit pas, eomme le
font toutes les traductions, toueher à eette syntaxe
sous peine d'altérer l'essentiel] La toile? Les touches
du pinceau ? Les taches de eouleur ?».
Est-ce le même tableau que dans L' origine? Com-
ment en décider ? La citation de Hamsun par Heidegger
n'a aueun rapport direct avec ce tableau ou avec des
chaussures, eomme e'était le eas dans celle de Sehapiro.
Et pourtant : elle appartient, dans l'Introduction à Ia
métaphysique, au même mouvement que Ia breve allu-
sion que nous venons de lire à un tableau de Van Gogh.
11 s'agit de dégager Ia question ({ quel est l'être de
l'étant », Le tableau de Van Gogh est un des exemples
ê 11 n'y a pas même un trou en elles.
de ee qui est là (da), de l'étant, de ee qui est, de ee
qui est présent, done là (da). 11 vient auprês d'autres
exemples de type différent mais qui ont en commun
d'être là, comme étant (le bâtiment du lycée, une
chame de montagnes, le portail d'une église romane,
un Etat, ete.) mais dont il est difficile de dire en quoi
consiste l'être de l'étant qui permet chaque fois de dire
que l'étant est. Ce qui est, comme être de cet étant,
n'est pas (l'étant). Une certaine pensée, une eertaine
expérienee du néant (du non-étant) est requise pour
l'accês à cette question de l'être de l'étant, eomme à
Ia différence de l'être à l'étant. 11 faut ici alIer três
vite. Certe pensée du néant est étrangêre ã Ia science
RESTITUTIONS 433
qui n'a affaire qu'à de l'étant. Elle revient à Ia philo-
sophie ou à Ia poésie. Hamsun est invoqué comme
poête qui s'ouvre à Ia pensée du néant, dans ({ee véri-
table diseours du Néant (wahre Rede uom Nichts) » qui
« reste toujours insolite (ungewohnlich) », Comme pour
Schapiro, Hamsun est ici le poête de l'insolite. Le
fantomatique n'est pas loin. Le rapport qui déeolle
l'être de l'étant sans en faire autre ehose, un autre
étant, seulement un néant, un non-étant qui est là
sans être lã comme étant présent, ce rapport a quelque
connivence avec Ia hantise. L' Unheimlichkeit est Ia
condition - entendez ce mot eomme vous voudrez -
de Ia question de l'être, de son être-en-ehemin, en
tant qu'elle (ne) passe par rien. Dans Zeit und Sein,
l'expérienee qui rapporte Ia présence à l'absenee
( Anwesenj Abwesen) est dite unheimliche.
- Ousia et grammê, qui porte ce passage en exergue,
parle aussi d'une cheoille de l'essence.
- Et il y a dans Ia citation de Hamsun par Hei-
degger, un ({trou » (Loch) qui n'est « pas même un
trou », comme ee ({trou » (Loch aussi) de Kant qui
induisait à penser, dans Le sans de Ia coupure pure,
avec et sans Kant, un sans sans manque, « sans négati-
vité et sans signification », un pas sans pas négatif.
Voit-on ee pas sans ou un autre dans ces ehaussures?
- Voici Hamsun cité par Heidegger. Est-ce un autre
que ce1ui qui hante Ia Nature morte de Schapiro? 11
parIe de deux oreilles, d'une paire d'oreilles peut-être,
indétaehables apparemment, mais dont l'être-double
pennet à Ia stéréophonie du vide de se laisser entendre.
Rumeur sans origine, le néant est là sans être là. Pas
même un trou. 11 faut être assis entre ses oreilles,
eomment est-ce possible? pour entendre. ({Le poete
dit : " 11 est ici assis entre ses oreilles et il entend le
véritable vide. Tout à fait comique, une fantasmagorie
(Himgespinst ), Sur Ia mer (A. s'est souvent rendu
auprês de Ia mer autrefois) s'agitait (pourtant) quelque
434 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
chose, et il y avait (gab es) lã-bas (dort) une rumeur
[Laut: entre 1ebruit et Ia voix], que1que chose d'audible,
un chceur des eaux. lci - 1e néant rencontre 1e néant
et n'est pas là (ist nicht da), n'est pas même un trou.
On ne peut que secouer Ia tête en signe d'abandon
[de reddition, de résignation : ergebungsvoll].•• »
- Ie reviens en retard, j'ai dü vous abandonner
en chemin. A-t-on répondu à ma premiêre question?
Qui a dit, je ne me souviens p1us, « 11 n'y a pas de fan-
tõmes dans 1es tab1eaux de Van Gogh, pas de visions,
pas d'hallucinations. C'est de Ia vérité torride... »?
- Artaud protestait Ià contre une autre maniêre de
« suicider » Van Gogh (Van Gogh, le suicidé de Ia
société). Cette allégation de fantõmes ou d'hallucina-
tions serait une maneeuvre de Ia société, déléguant sa
police psychiatrique
- mais « suicider » quelqu'un, est-ce le faire revenir
en fantõme ou 1e faire rester, comme fantõme, ou il est,
en somme assez bien enterré, ne disposant plus que
de ses pas ? Pas de revenant. Pas de nom.
- C'est à son nom que se rend Van Gogh.
- Selon Schapiro Van Gogh (alias J.-C.) en ses
chaussures s'est rendu lui-même. Dans un auto-portrait
on se rend soi-même. A soi-même. 11 faudrait annexer
le problême du narcissisme à ce1ui du fétichisme et
reprendre tout, à Ia base. Nous n'en aurions pas
tini.
- Mais rendre n'a pas 1e même sens dans 1es deux
locutions : se rendre en peinture et se rendre quelque
chose à soi-même, se payer
- ici sa tête, ou son oreille ou ses souliers. Se rendre
quelque part serait un troisiême sens, celui des souliers
précisément. Et se rendre à quelqu'un serait, pour qui
se livre dans une reddition, un quatriême senso Van
RESTITUTIONS 435
Gogh a rendu ses chaussures, il s'est rendu dans ses
chaussures, il s'est rendu avec ses chaussures, il s'est
rendu à ses chaussures, il s'est rendu ses chaussures.
Tous les sens se nouent et se dénouent dans le lacet
de cette syntaxe.
- Toutes ces chaussures restant là, en solde, on
peut alors comparer, appareiller, dépareiller, parier
ou non sur Ia paire. Le piêge, c'est Ia fatalité du pari.
La logique du disparat. On peut aussi essayer d'acheter
le piêge et l'emporter chez soi, comme un tribut, ou
comme on croit emporter quelque chose à Ia semelle
de chaussures peintes. Toutes ces chaussures restent là
- car il en a peint beaucoup et malgré le « pas d'idiome »,
on aimerait bien faire céder Ia cause três singuliêre
de cet acharnement : que faisait-il au iuste ? - comme
un tribut inappropriable. Un fantõme s'attribue-t-il P
Peut-on dire « le fantõme-de » si on ne peut dire les
souliers-de ? Pas de justice distributive pour ce tributo
Les chaussures sont toujours ouvertes à l'inconscient
de l'autre. En location selon une autre topique ou Ia
topique d'un autre. En location, en solde, aux encheres,
au sort, à prendre comme on pourra mais jamais à
posséder, encore moins à garder. Seulement à rendre
si on croit les avoir, et à croire donner si on ne les a pas.
Quand Artaud proteste contre les fantômes
- Attention. 11 proteste au nom d'une certaine
vérité, sans sujet, sans objet, accordée à une musique
qui revient souvent dans son texte (malgré sa « préfé-
rence », à cause d'elle, Van Gogh serait un « formidable
musicien »). On y retrouve entrelacés tous 1es motifs
de notre correspondance. Mais un motif, qu'est-ce que
c'est ? Et l'exc1usion apparente des fantõmes, de ceux-ci
et non de ceux-là, est seulement destinée à laisser
revenir l'inquiétante étrangeté, Ia « sensation d'occulte
étrangeté », Ecoutez Ia peinture. Elle nous « épouille-
rait », selon Artaud, de 1'«obsession » de « faire que les
objets soient autres », « d'oser enfin risquer le péché
de l'autre ... », Ecoutez Ia peinture : « Non, il n'y a pas
de fantôme dans les tableaux de Van Gogh, pas de
 LA VÉRITÉ EN PEINTURE

drame, pas de sujet et je dirai même pas d'objet, car TABLE DES ILLUSTRATIONS
le motif lui-même qu'est-ce que c'est?
« Sinon quelque chose comme l'ombre de fer du
motet d'une inénarrable musique antique, comme le PARERGON
leit-motiv d'un thême désespéré de son propre sujet.
« C'est de Ia nature nue et pure vue, telle qu'elle se
révêle, quand on sait l'approcher d'assez preso Pages
[ ] ... Johannes K-EPLER,De Nioe sexangula, marque de l'im-
.:< Et je .ne connais p~ de peinture apocalyptique, primeur, (photo Flammarioo). . . . . . . . .. 30
hieroglyphique, fantomatique ou pathétique qui me Lucas CRANACH, Lucrêce, 1533, Berlin, Staatliche
donne à moi cette sensation d'occulte étrangeté, de Museen Preusische Kulturbesitz, Gemâldegalerie,
cadavre d'un hermétisme inutile, tête ouverte, et qui (photo Walter Steinkopf) . . . . . . . . . .. 68
rendrait sur le billot son secreto )) Antonio FANTUZZI, Un cryptoportique, 1545, (photo,
Flammarion). . . . . . . . . . . . . . . .. 70
- 11faudrait « rendre » encore, donc, en se séparant. MAITREL. D., Cryptoportique de la grotte dujardin des
Et même en laissant tomber. Pins, à Fontainebleau, (photo Flammarion). . .. 72
Antonio FANTUZZI, Panneau d'ornement auec ooale
- Rendre ce secret pourtant lisible à même Ia oide, 1542-1543, (photo Flammarion).. . . . .. 75
lettre, « hermétisme inutile » du reste crypté. Antonio FANTUZZI,Cartouche rectangulaire vicie, 1544-
1545, (photo Flammarion). . . . . . . . . ., 76
- Mais Ia séparation c'est en soi déiã, dans le mot, Encadrement de porte, style Louis XIV, gravure ano-
dans Ia lettre, dans Ia paire, l'ouverture du secreto Le nyme, (photo Roger Viollet) . . . . . . . . .. 84
Nicolas ROBERT, La Tulipe, in « La Guirlande de
nom l'indique. 11 faudrait donc rendre ce secret déjà Julie », (photo Giraudon). . . . . . . . . . .. 98
lisíble, comme un reste de chiffre inutile.
Frontispice de Nouueaux Dessins d'ornements, de pan-
neaux, lambris, earosses, erc., (photo Roger Viol-
- 11 ne faut rien rendre. Seulement parier sur le let). . . . .. ..... 112
piêge comme d'autres jurent sur une bible, 11 y aura
Le Colosse de Rhodes, tapisserie des Gobelins,
eu à parier. Ça donne à rendre. A remettre. xvne siecle . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
Antoine CARON,Le Massacre des triumoirau, musée du
- Ça vient de partir. Louvre, (photo Flammarion). . . . . . . . .. 142
Francisco GoYA, Le Colasse, aquatinte, (photo Roger
- Ça revient de partir.
Viollet) . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 149
Francisco Gors, Le Colosse ou Panique, huile, musée
- Ça vient de repartir.
du Prado, (photo Giraudon).. 161

+ R
PAR DESSUS LE MARCHÉ

Valerio AoAMI, Etude pour un dessin d'apres « Glas » de

Jacques Derrida, 27-2-75 . . . . . . . .173 et 190
 LA VÉRITÉ EN PEINTURE
Valerio AnAMI, Etude pour un dessin d'apres « Glas » de
Jacques Derrida, 27-2-75, Mine de plomb, colI.
parto . . . . . . . . . . . . . . . . 174 et 191
Valerio ADAMI,Concerto a quattro mani, 31-3-75, Mine
de plomb. . . . . . . . . . . . . . 176 et 177
Valerio ADAMI,Etude pour un dessin d'aprê: « Glas » de
Jacques Derrida, 22-5-75, Mine de plomb, colI. parto 179
Valerio ADAMI, Autobiografia, 6-4-75, Mine de
plomb. . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 186
Valerio ADAMI,Elegy for young looers, 1-4-75, Mine de
plomb. . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 188
Valério AnAM1,La Piscina, 1966, huile sur toile, galerie
Schwarz, Milan, (photo Bacci). . . . . . . . .. 194
Valerío An~I, La Meccanica dell'asmentura, 25-3-75,
Mine de plomb. . . . . . . . . . . . . . .. 198
Photographie de W. Benjamin qui a servi de modele
au Disegno . . . . . . . . . . . . . . . . . . 208
Valerio AnAMI, Disegno per un ritrauo di W. Benja-
min, 24-8-73, Mine de plomb, coll. part. . . . . . 208
(Photos galerie Maeght, excepté le nO7 : photo Bacci.)
CARTOUCHES
Gérard TITUS-CARMEL, photographie du modele «rêeb
(e The Pocket Size Tlingit Coffin», 1975) dans Ia main
de l'auteur (photo André Moraio) 215
« The Pocket Size Tlinglit Coffin », 1975, Musée natio-
nal d'art moderne, Centre Georges Pompidou,
(photos du musée).
2]juin I975, crayon et aquarelle sur papier.
I i juillet [976, sanguine et collage sur papier . 228
29 aot2t I975, mine de plomb sur papier.
[7 septembre I975, crayon lithographique sur
papler. . . . . . . . . . . . . . . . . .. 236
4 octobre [975, mine de plomb sur papier.
ç féorier [976, mine de plomb sur papier. . . .. 237
20 aot2t [975, encre, crayon et calque sur papier.
2[ aot2t [975, encre de chine sur papier. . . . 242
24juin I975, gravure et son épreuve sur papier . 267
TABLE DES ILLUSTRATIONS 439
2[ juillet I975, épreuve de vernis mou sur papier . . 268
5 octobre I975, crayon, calque et collage sur papier à
lettre.
27 mars I976, crayon sanguine, tracés de pastel gras
sur papier à lettres fixé aux 4 coins sur papier sup-
port . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277
L'auteur devant La Grande Bananeraie culturelle,
Aachen, janvier 1972, (photo André Morain)... . . 285
« The Four Season Stick » - Summer Sticks : au deux
bouts, noués, 1974, crayon sur papier, colI. privée,
~penhague. . . . . . . . . . . . . . . . . 285
« 18 Mausolées pour 6 chauffeurs de taxi new-yor-
kais » - Mausolée Modesto Hernandez n° 3, 1970,
crayon et fourure sur papier, coll. part., Paris. . . . 286
« 20 Variations sur l'idée de Détérioration » - Des-
sin XI I, 1971, crayon sur papier, coll. D.B.C., Paris.
« 17 Exemples d'altération d une Sphere » - Neuoiême
altération, 1971, crayon sur papier, coll. privée,
Liege . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 287
« L'Usage du nécessaire » - Lachesis IV, 1972, crayon
sur papier, coll. F. et J. Choay, Paris.
« L'Usage du nécessaire » - Léon, émir comu d'un roc,
rime. Noêl, 1972, crayon sur papier, Louisiana
Museum, Humlebaeck, Danemark. . . . . . . . 288
« H 10 X » - 0, 1973, crayon et collage sur papier,
coll. S. et Z, Mis, Bruxelles.
« Démontage » - Démontage V I, 1972, crayon et col-
lage sur papier, coll. privée, Paris. . . . . . . . . 289
« 15 incisions latines »- Lucrêce (détaíl), 1973, crayon
sur papier, coll. privée, Liêge . . . . . . . . . . 290
(Photos André Morain de 8 à 14.)
RESTITUTIONS
Vincent VAN GOGH, Vieux souliers aux lacets, 1886,
Amsterdam, musée national Vincent Van Gogh,
(photo du musée). . . . . . . . . . . . . . . 294
Vincent VAN GoGH, Nature morte (corbeille avec
oranges et citrons, branchage, gants), Arles, 1889,
Upperville, (Virginie) coll. Mellon (photo
MACULA). . . . . . . . . . . . . . . . . . 308
 LA VÉRITÉ EN PEINTURE

Vincent VANGoGH, Paysanne du Brabant, 1885, Am-

sterdam, musée national Vincent Van Gogh (photo
du musée) . . . . . . . . . . . . . . . . . . 319
Vincent VANGoGH, Les Souliers, Paris, 1887, Baltimore
Museum of Art, (photo MACULA).. . . . . . . 329
Vincent VAN GOGH, Les Souliers, Paris, 1886-1887,
BruxelIes, colI. Schumacher, (photo MACULA). . 329
Vincent VANGoGH, Trais paires de sau/iers, 1886-1887,
Cambridge (Massachusetts) Fogg Art Museum,
Harvard University, 0011. M. Wertheim, (photo du
musée), . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 353
Renê MAGRITIE, Le Modlle rouge, 1935, Paris, musêe
national d'Art moderne, Centre G. Pompidou, (photo
du musée) © A.D.A.G.P. 359
Renê MAGRITTE,La Philosophie dans le boudoir, 1947,
coll. particuliêre, Washington, (photo X.)
© A.D.A.G.P. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 360
René MAGRITIE,Le Puits de vérité, 1963, New York, eol1.
Davlyn Gal1eries, (photo X.) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 361
Vineent VAN GOGH, Nature morte (bouteilles, vases, sa-
bots), Nuenen, 1884, Utrecht, Stichting Museum van
Baaren, (photo MACULA) 376
Vincent VANGoGH,Nature morte (ehoux, sabots, etc.), La
Haye, 1881, Amsterdam, musée national Vineent Van
Gogh, (photo du musée) 376
Renê MAGRITTE,«La Clê des songes», La Lune (détaíl),
1930, coll, particuliêre, (photo X.) © A.D.A.G.P. ... 380
Richard LINDNER,The Shoe, 1976-1977, (photo galerie
Maeght) © A.D.A.G.P. .. . .. .. .. .. .. .. .. . .. .. . .. . 382
Jan VAN EYCK, Portrait des êpou» Amolfini, 1434, Lon-
dres, National Gallery, (photo du musée) . . . . . . . . . .. 400
Vincent VANGoGH, Les Souliers, Arles, aoüt 1888, New
York, coll. Kramarsky Trust Fund, (photo MACULA) 428
 TABLE

PASSE-PARTOUT

I. PARERGON

I. Lemmes 21

11. Le parergon 44
lU. Le sans de Ia coupure pure 95
IV. Le colossal 136

2. + R
(par-dessus le marché) . . . . . . . .. 169

3. CARTOUCHES 211

4. RESTITUTIONS
de ia vérité en pointure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 291