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Un sujet actuel
Beyrouth, fin des années 1980. Factions en plein combat. Mères qui pleurent
leurs fils, disparus ou tués… Patrick Perrault (Hippolyte Girardot),
photographe français, une Nikon à la main, ne laisse aucun détail lui
échapper. Il est là pour couvrir la Guerre du Liban. L’éthique n’importe
presque plus tant son regard semble fasciné, avide de saisir, par bribes
visuelles, la douleur des Libanais. Pourtant, Perrault est enlevé et séquestré.
Avec une telle violence, qu’il en oublie presque ce que cela signifie de
vivre avec les vivants.
Lorsque le film est présenté à Cannes, en mai 1991, la guerre du Liban vient
de s’achever, à peine un peu plus de six mois plus tôt. Hors la Vie s’impose
donc tout de suite comme une œuvre d’une grande actualité. Une œuvre
presque documentaire et journalistique qui témoigne en interne de la
situation, sans prendre parti. Le scénario de Maroun Baghdadi, Didier
Decoin et Elias Khoury ne cherche de fait pas à faire une histoire de la
guerre. Hors la Vie ne tente pas d’expliquer et d’analyser. Il montre.
La nécessité de documenter
L’absurdité de la guerre
Parce que la question du regard est cruciale dans Hors la Vie. De par son
métier même, Patrick Perrault a besoin de ses yeux. Au début du film, ses
yeux de photographe sont posés sur le malheur d’autrui. C’est son propre
malheur que portent en eux ses yeux, désormais fatigués et vides, à la fin du
film. L’œuvre de Maroun Baghdadi est anxiogène parce qu’elle parvient
à créer ce chemin tortueux. Un crescendo glacial dans le malheur. Le film,
très sombre, montre un monde extérieur douloureux puisqu’en guerre mais
qui reste plus lumineux que l’enfermement. Un monde qui fonctionne
toujours selon les changements, jour et nuit. Malheureusement, la lumière du
dehors est un leurre. Une chimère inatteignable, bien loin de la prison froide
et noire.
Le film s’ouvre donc sur les yeux actifs de Patrick Perrault. Ces mêmes yeux
qui seront masqués par un sac sur sa tête puis bandés par un foulard, une fois
devenu otage. On lui demande souvent de fermer les yeux. On lui dit « Si tu
vois nos visages, c’est fini pour toi ». Il ne peut regarder que dans des miroirs
qui seront détruits ou par le tissu de son foulard, laissant entrevoir un peu de
lumière. Mais il est puni pour cela « Tu triches. Tu mets mal ton bandeau. Tu
regardes en-dessous ». Comme Orphée qui descend aux Enfers, on lui intime
l’ordre de ne pas se retourner. On lui dit, en anglais « This is Lebanon, man.
Don’t trust your eyes. Things are never the way they look ». Patrick
répondra, un peu plus tard « I’m blind ». Patrick a besoin de ses yeux. Mais il
est devenu aveugle. Patrick veut voir. Et savoir. Mais il ne perd pas cette
envie.
Est-ce cela qui l’aura sauvé ? Au fond, l’est-il vraiment ? Peut-être qu’il
en a dorénavant trop vu.