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NAPOLEON SOUS TRANXENE

« Il est parti de rien, il a tout conquis » tel est le slogan du film, mais Ridley Scott échoue à nous
expliquer ce qui aurait dû constituer le fil directeur de ce film, définitivement raté malgré quelques
points positifs (les costumes?).

Bien sûr, essayer de montrer l’ascension (et les raisons de son ascension….) puis la chute de
Napoléon en quelques heures est un pari difficile, ce qui oblige à faire des choix. Encore faut-il
faire les bons.

De nombreux historiens ont déjà pointé les erreurs historiques qui émaillent effectivement le film à
chaque scène. En fait, on a déjà vu ça ailleurs, la transposition d’un récit d’un média à un autre (ex :
d’un livre, de l’histoire réelle à un film) peut nécessiter des arrangements scénaristiques pour
maintenir l’intérêt du spectateur, l’action, ou tout simplement pour que le spectateur comprenne de
quoi il s’agit sans devoir se référer immédiatement à un livre d’histoire. Il est dit qu’une version
plus longue de deux heures (qui sera disponible sur plateforme plus tard) arrivera, mais force est de
constater que le montage de cette version courte cinématographique est une catastrophe qui avance
en s’amplifiant.

C’est le premier problème de ce film. En fait, il n’est pas trop mal jusqu’avant la campagne
d’Egypte. Marie-Antoinette (avec sa belle chevelure que les bourreaux ont oubliée de couper….)
qui se fait guillotiner sous les yeux de Napoléon puis Robespierre qui se suicide sous les yeux de
Barras sont des erreurs historiques, on reste relativement indulgent dans la mesure où elles
permettent de faire avancer l’action même pour un spectateur ne connaissant pas grand-chose de la
Révolution Française. Suit le siège de Toulon, assez bien reconstitué (même si ces cons de Français
utilisent des échelles pour escalader une muraille qu’ils ont partiellement fait exploser). Le film
commence à péricliter une fois que Napoléon arrive en Egypte, avec des scènes artistiquement
belles mais scénaristiquement dispensables : Napoléon admire pendant une minute une momie
(pour avoir à l’écran le quota d’esclaves nubiens?) et vainc les Mamelouks en tirant un boulet sur la
pyramide (à plusieurs kilomètres de là dans la réalité…) ce qui fait cabrer le cheval du chef des
Mamelouks qui se casse la gueule. Ayant appris que Joséphine le trompe avec un certain Charles,
Napoléon décide de quitter l’Egypte.

Ceci a déjà été cité et dénoncé dans de nombreuses autres critiques, le film se focalise beaucoup sur
la relation entre Napoléon et Joséphine, jusqu’à faire de cette dernière la motivation principale du
Corse. Certes, il n’est pas illégal de faire un film sur leurs vies amoureuses tumultueuses, mais alors
respecter la vérité historique aurait été meilleur, ne serait-ce que sur le plan de la crédibilité et de la
plausibilité. En Egypte, Napoléon ne passa pas son temps à admirer des momies mais aussi à
renverser une carafe d’eau sur la robe de la jolie fiancée d’un officier, histoire de s’éclipser avec elle
durant un moment interminable… De même, plus loin dans le film, il n’y aura pas un mot de Marie
Walewska.

C’est donc là où le film commence à se planter. On s’attend à voir et comprendre comment


Napoléon, d’un petit officier, est devenu un des généraux préférés des Français, mais on n’en saura
rien, puisque la Campagne d’Italie, où Napoléon s’est couvert de gloire tandis que Joséphine le
trompait déjà avec son sigisbée, est ignorée.

Suivent (entre autres….) des scènes inutiles de l’arrestation de membres du Directoire et v’là-t-y
pas que Bobo, qui a failli se faire lyncher dans la salle du conseil des Cinq-Cents (500 mais pas à
l’écran…) se fait couronner empereur quelques plans plus tard. Historiquement inexacte selon les
critiques que j’ai pu consulter, on pourrait admettre qu’il s’agit d’une « interprétation artistique » de
la bataille d’Austerlitz, en soi pas désagréable à regarder.
Et ensuite le film part vraiment en sucette, car selon l’histoire officielle ça sera l’apogée de
l’Empire, mais notre Napoléon va se rendre compte qu’il est en train de rater sa vie. Il papote en
vain pour conclure la paix en Europe, divorce de Joséphine en la giflant durant la cérémonie, obtient
un polichinelle d’une Marie-Louise brune avant de charger à cheval à la tête de ses troupes à
Borodino. Mieux que Prigogine, il arrive à Moscou pour s’y asseoir dans un trône vide. Mais
comme la ville finit par cramer, Napo finit par rentrer en France où il finit par abdiquer. Après un
saut à l’île d’Elbe, il redébarque en France, semble-t-il espérant revoir une Joséphine à l’article de la
mort. Parce que bien sûr, c’est très crédible, il doit sûrement penser qu’il est encore aimé d’une
femme qu’il a humiliée en public. Sauf que la vraie Joséphine était morte en mai de l’année d’avant,
et que selon mes connaissances, Napoléon ne l’a pas frappée durant la cérémonie de divorce. En
gros, non seulement le film n’est pas historiquement exact (ce dont on s’est rendu compte depuis un
certain moment), mais en plus il n’est pas cohérent avec la logique interne qu’il prétend nous servir
comme scénario, c’est-à-dire que même si on transposait ces événements à des personnages
« lambda », l’on n’y croirait pas.

Et puis à la fin, c’est vraiment « Waterloo », mais du point de vue français… A part les Britanniques
en carré face aux cuirassiers français, tout est bon à jeter. Une « interprétation artistique » ou même
historiquement fidèle aurait été possible à mon avis, même sans disposer du concours de l’armée
soviétique commandée par Bondartchouk (il paraît qu’ils ont actuellement des problèmes d’effectifs
en Russie…), par exemple l’attaque sanglante et vaine de la ferme de Hougoumont avec des tirs
d’artillerie ratés, ce qui aurait pu faire un écho aux boulets brisant la glace à Austerlitz. Mais rien de
tout ça. Comprenant que de toute façon le film est une défaite et que la seule chance éventuelle qu’il
a de revoir Joséphine c’est dans l’Au-Delà, Napoléon décide de miser le tout sur le tout et charge de
nouveau à cheval sur la « morne plaine » (car tout le monde sait que Waterloo est une morne plaine,
sauf les cartes géologiques) jusqu’à se trouver à croiser les yeux avec Wellington (flanqué de son
célèbre tireur d’élite, qui voulait dézinguer Bobo dès avant la bataille, avec un fusil qui devrait
porter à l’époque… 200 mètres?) ! Que ceux qui craignaient un film anti-français se rassurent, non,
Wellington ne vient pas humilier Bobo en duel, au contraire, il laisse ce dernier partir pour Saint-
Hélène. Après avoir ramassé une mouche dans sa soupe et plaisanté avec deux Petites Anglaises,
Joaquin… tombe de sa chaise. Fin des images mais pas du texte. Liste des batailles de Bobo avec 3
millions de morts (pas de figurants, il s’entend !). Puis les derniers mots de Napoléon, car non
Napoléon n’est donc pas mort en tombant de sa chaise, mais après avoir dit « tête… armée…
Joséphine ». C’est fabuleux, jusqu’à la dernière scène (pourtant sans image), ce film arrive encore à
nous surprendre en ressortant le « Joséphine » douteux de Montholon, non-confirmé par les autres
témoins et ajouté vingt ans plus tard par ce dernier vraisemblablement pour plaire à son nouveau
protecteur Louis-Napoléon, fils de la fille du premier mariage de Joséphine. Et comme dit la
chanson « Osez, osez Joséphine », le film ose le portrait de Joséphine dans la chambre de Napo à
Sainte-Hélène, alors que ce portrait était en réalité celui de son fils légitime Napoléon
(« L’Aiglon ») qui serait d’ailleurs le dernier membre de sa famille à avoir été évoqué par Napoléon
mourant.

Bon, ben, s’il y a encore des gens qui ne seraient pas encore convaincu que le montage n’a pas été
réalisé à l’emporte-pièce, je leur ferai remarquer que bien que « coupée au montage », Ludivine
Sagnier apparaît parmi les rôles en début de générique.

J’en viens plus brièvement au second problème qui ne dépend vraisemblablement pas du montage.
Ah, Napoléon, parti de rien pour tout conquérir. Il a réussi à emmener derrière lui jusqu’en Russie et
en Egypte une grande armée de sans-culotte gilets-jaunes râleurs qui n’ont pas hésité à se
débarrasser de leurs souverains avant et après le Premier Empire. Meilleur tacticien de tous les
temps (statistiquement prouvé) et inspirateur d’institutions se retrouvant dans la plupart des pays
civilisés non-colonisés par la perfide Albion, ce bonhomme-là devait être un sacré meneur
d’hommes charismatique. Mais quiconque verra ce film ne saura rien sur ce qui a fait d’un obscur
officier l’un des personnages les plus connus de tous les temps, sauf pour l’action quelques coups
de canon tirés dans les rues de Paris sur des abrutis de monarchistes, et pour sa personnalité que…
euh… Joaquin Phenix ne joue pas mal, il joue faux. A part pour quelques ordres et quand il
s’engueule avec Joséphine, Napoléon ne parle que d’une voix étouffée et fait la gueule. Ben oui
doit-il se dire, qu’est-ce que j’en ai à foutre de la vie, de toute façon, je serai battu en 1815 à
Waterloo par un Wellington longue-vue à l’oeil et balai dans le cul, et puis Joséphine ne jouit pas à
mes laborieuses levrettes ! (deux fois dans le film…). L’acteur comique Christian Clavier aka
Jacouille avait su, dans la sérié télévisée, transmettre ce mélange de charisme et de sympathie, mais
« Joker » nous donne surtout envie d’invoquer son nom pour passer notre tour. Bien sûr, comme
pourra rétorquer R.Scott, plus personne n’est là pour témoigner de comment était Napoléon, mais il
nous suffit de voir comment les pires dictateurs (ex : Staline, l’exception notable étant Hitler) ou les
populistes de notre époque (pensons seulement à D.Trump et à sa base électorale) savaient feindre
la sympathie pour amener des populations entières à les suivre. Et ce manque de charisme et de
« chaleur humaine », même simulée, ne peut pas être remplacé par un Napoléon chargeant à cheval
à la tête de ses armées, posture aussi historiquement fausse qu’irréaliste (car oui, c’est plus pratique
pour commander de se mettre en tête de la cavalerie au risque de se faire faucher de le début de la
bataille et de ne plus pouvoir diriger les mouvements de troupes… ah mais c’est vrai, les historiens
militaires l’ont noté, de toute façon on ne voit pas beaucoup de mouvements de troupes, la meilleure
tactique c’est de foncer droit sur l’ennemi!). Bref, la seule chose que réussit ce Napoléon dépressif
sous Tranxène, c’est de personnifier l’ambiance de ce film.

Enfin, troisième et souhaitons-le dernier problème, le manque de soin apporté aux détails. J’ai déjà
mentionné un petit échantillon d’erreurs historiques et au-delà, même si les costumes et certains
décors sont vraiment convaincants, les petits détails n’améliorent pas l’image du film. La plupart
des personnages ne sont pas ressemblants à leurs modèles historiques. Et, dernier point qui
m’intéresse en tant qu’ancien consultant linguistique (salut aux clients/collègues s’ils me lisent!),
Napoléon Bonaparte au début du film ne s'appelle pas "Napoleone Buonaparte" (le comble pour un
réalisateur britannique, est-ce une posthume vengeance de celui que les Rosbifs appelaient encore à
Sainte-Hélène, pour l'humilier, "le général Buonaparte" ?), et les lettres manuscrites et même l’acte
d’abdication sont rédigés… en anglais !

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