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F

Madame Bovary

FICHE FILM
de Jean Renoir
Fiche technique

France - 1934 - 1h43


N. & B.

Réalisation et scénario :
Jean Renoir
d’après Gustave Flaubert

Musique :
Darius Milhaud

Interprètes :
Valentine Tessier
(Emma)
Pierre Renoir
(Charles Bovary)
Max Dearly
(Homais) Valentine Tessier (Emma Bovary)
Daniel Lecourtois
(Léon) Résumé
Fernand Fabre
Mme Bovary se heurte à sa belle-mère bot. L’opération semble avoir réussi. Mais
(Rodolphe) sans que son mari, Charles, médecin de l’état du malade empire et l’on fait appel à
Alice Tissot campagne s’interpose. A la mort de celle- un chirurgien de la ville qui doit en dernier
(Mme Bovary mère) ci, Charles, pour plaire à sa jeune épouse, recours amputer le patient.
dépense sans compter. Elle sort, et l’on Lheureux, le marchand de robes et de tis-
Jean Gehret voit même Charles au bal. Les années pas- sus, fait une fortune avec Emma qui dépen-
(le préfet) sent. Une petite fille est née. Emma qui a se sans compter et qui arrive à obtenir de
Larquey rêvé d’autre chose que de cette morne vie son mari une procuration pour signer des
quotidienne s’ennuie et se console auprès traites à sa place. Le curé à qui Emma s’est
(Hippolyte) d’un hobereau local, Rodolphe, qui lui fait confiée essaie de la faire rentrer dans le
entrevoir en promesse une autre existence. droit chemin, mais Homais, athée et rai-
Le pharmacien Homais, lui, pousse Charles sonneur, sape toute son influence…
à se lancer dans la chirurgie. Son premier
patient est tout trouvé, Hippolyte le pied-

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Critique Jean Renoir était particulièrement fier Minnelli) ou Isabelle Huppert (version
que Madame Bovary ait plu à Bertolt Chabrol). Sans cesse en représentation,
Brecht. Il est certes difficile de juger des le regard à la recherche du moindre
Madame Bovary fut produit par l’édi- raisons de l’adhésion de Brecht à une public, finissant par jouer pour elle-
teur Gaston Gallimard qui désirait diver- version de plus de trois heures (3h30 même en dernier ressort (sauf erreur, le
sifier ses activités et que des amis selon certaines sources) dont nous ne film exclut tout miroir), le moindre de
avaient mis en contact avec le réalisa- connaissons plus que les deux heures ses gestes, la moindre de ses postures
teur. Renoir tourne les extérieurs sur les supportées par les producteurs. Ce n’est disent à la fois la vérité d’une détresse,
lieux mêmes du roman, en Normandie, à pas la seule chose qui fait de Madame d’un besoin absolu et vital d’illusion, et
Lyons-la-Forêt et à Rouen. Il a les Bovary un film précieux, maudit et à le mensonge de l’imposture, cette autre
moyens de sa production et suit avec part dans l’œuvre de Renoir. (…) forme de vérité que révèle l’œil méca-
une grande fidélité l’ordre du roman ori- Si chaque personnage de Madame nique, bête («bovin») de la caméra.
ginal (il réécrit les dialogues, jugeant le Bovary a ses raisons (ou déraisons) (…) L’illusion se renforce d’une théâtra-
premier traitement trop éloigné de d’agir comme il le fait, une logique inter- lisation du jeu des acteurs et d’une mise
Flaubert). ne en tout cas, certains ne bénéficient en abyme du théâtre dans le théâtre ins-
Ce qui enthousiasmait Renoir était de d’aucune justification morale sous crivant l’action dans une scène à l’ita-
retrouver son frère Pierre et de diriger quelques biais qu’on les envisage. Le lienne, un cadre dans le cadre.
Valentine Tessier (qui faisait alors partie pharmacien Homais est de bout en bout Joël Magny
de la troupe de théâtre de Pierre Renoir). ignoble de prétention et de suffisance, Cahiers du Cinéma n°482
Diriger également Le Vigan et Max indifférent aux crimes qu’il fait com- - Juillet-Août 1994
Dearly était pour lui un régal. Pourtant, mettre au nom de la science (que ni
selon son propre aveu, Madame Renoir ni Flaubert n’opposent au «bova-
Bovary est un des cinq ou six romans rysme»), Rodolphe est aussi fade que
parfaitement irréductibles à une trans- jouisseur cynique, heureux homme
position cinématographique. Et d’affaires sans scrupule ni remords… Entretien avec le réalisateur
lorsqu’on a la chance de pouvoir Léon est tout juste sauvé par son refus
aujourd’hui voir ce qui reste de ce grand de voler son patron (ce qui, sous l’angle
film, on demeure touché par l’intelligen- romantique ou «bovaryen», ne joue pas Madame Bovary est un cas un peu
ce et l’humilité de sa conception. en sa faveur), et par son désarroi. semblable à celui de Tire au flanc. Ces
Les acteurs incarnent leur personnage Charles Bovary par son amour naïf, rural, films, on ne sait trop pourquoi, ont la
en s’appropriant les «dialogues» mêmes mais «sincère» (mais pas plus que celui réputation d’être de pures et simples
de Flaubert. De plus, il n’essaie pas de d’Emma, Léon ou Rodolphe)… commandes.
tricher avec le décor et la reconstitution. La vision renoirienne d’Emma Bovary Moi, j’ai revu Madame Bovary. J’en ai
Georges Wakhelvitch, le décorateur, n’est déjà plus tout à fait celle de revu, en tout cas, une partie, il n’y a pas
nous confia que la réalisation fut des Flaubert, ne serait-ce que parce qu’à très longtemps, il doit y avoir deux, trois
plus minutieuses, rendue d’ailleurs plus l’écran, elle ne saurait être la somme ans, je crois que c’était à la
aisée par le fait que les extérieurs des images qu’elle suscite à travers le Cinémathèque. Vraiment, il y a dedans
étaient encore marqués par l’empreinte désir des autres. Valentine Tessier un personnage que j’ai admiré énormé-
du XIXe siècle. Quant au travail en stu- incarne littéralement l’héroïne de ment, c’est mon frère Pierre, je l’ai trou-
dio, Renoir apportait le plus grand soin à Flaubert, à la fois Emma, énamourée, et vé ah ! vraiment très beau. Et Valentine
des détails. L’ensemble du film est éga- Bovary, d’un charme lourd auquel ren- Tessier est tout simplement délicieuse,
lement servi par une musique de Darius voient les bovins fréquemment évoqués elle est adorable ! elle a une façon de
Milhaud qui est un des éléments drama- sans détours. Il n’est déjà plus besoin marcher, de remuer sa jupe, d’entrer, de
tiques primordiaux. d’explications psychologiques ou socio- sortir, une espèce de sécurité…
Roger Viry-Babel logiques. Le corps même de l’actrice est Je peux vous dire que la raison - on a
Jean Renoir le théâtre de ses attirances contradic- toujours des tas de raisons de faire des
Ramsay Poche Cinéma toires, les illusions de l’esprit et la films - enfin, ce qui m’a attiré, la grande
pesanteur de la matière. Valentine raison de ce film, c’est que c’était une
Tessier est une des moins séduisantes expérience avec des gens de théâtre.
Bovary de l’écran, bien moins en tout Valentine et mon frère étaient essentiel-
cas que Jennifer Jones (version lement des gens de théâtre et, autour

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d’eux, nous avions une troupe composée n’est pas la seule méthode pour faire chasse d’eau qu’on y entendait). La
de beaucoup de gens de théâtre ; Max des films qui partent du début et qui se chienne d’après La Fouchardière puis
Dearly était avant tout un homme de terminent à la fin, et qui sont en somme La nuit du carrefour tiré de l’un des
théâtre. Et j’étais content de faire un comme une énorme scène. Mais, per- meilleurs Maigret, rôle tenu par Pierre
film, d’écrire un scénario pour des gens sonnellement, j’aime mieux la méthode Renoir, ouvrent la voie des chefs-
de théâtre, avec des dialogues qui me qui consiste à concevoir chaque scène d’œuvre : Boudu (ou Michel Simon est
semblaient devoir être bien dits par des comme un petit film à part. C’est ce que admirable), Le crime de M. Lange (qui
gens de théâtre. Au fond, cette expé- fait Chaplin, d’ailleurs et, mon Dieu, ça contient la scène fameuse de Jules
rience ressemble un peu à ce que je fais ne lui réussit pas mal. Berry déguisé en curé et qui, mourant,
maintenant en allant travailler sur la réclame un prêtre), La partie de cam-
scène. Simplement, c’était sur un écran. C’est peut-être, dans votre cas, ce qui pagne (inachevé, mais peut-être le plus
Vous savez, la joie d’avoir certaines désoriente le public. beau film de Renoir, où il retrouvait tout
phrases que l’on sait devoir être formu- Je crois que c’est extrêmement déso- à la fois l’inspiration de Maupassant et
lées par des gosiers qui sont habitués à rientant et que, quand ça ne s’applique celle de son père), La Marseillaise
prononcer les mots… C’est un grand pas à un film dont l’action est très pre- (exaltation un peu manichéenne, mais
plaisir, cela. nante, eh bien, les gens vous en veulent bien filmée, de la Révolution), La bête
un peu. Je crois que c’est - on ne peut humaine (superbe adaptation de Zola)
Vous avez tourné un film beaucoup plus pas dire un défaut ou une qualité - et surtout les deux œuvres maîtresses
long que celui que nous voyons mainte- disons une caractéristique, qui a dû me de Renoir, La grande illusion, film
nant. nuire souvent. pacifiste qui montrait également com-
Ah ! Oui, c’était trop long, et, c’était Propos recueillis par Jacques Rivette ment les affinités de classe se nouent
bien meilleur. A dire la vérité, là aussi, et François Truffaut par-dessus les différences nationales
on a détruit le film en le coupant ; et ce Cahiers du Cinéma n°78 - Déc. 1957 (les liens entre l’aristocrate français
ne sont pas les producteurs, qui ont Pierre Fresnay et le hobereau allemand
lutté tant qu’ils ont pu ; mais les distri- joué par Stroheim) et La règle du jeu,
buteurs n’ont pas osé sortir un film œuvre prophétique, comparable à ce
durant plus de trois heures. Ça ne se fai- que fut à la veille de la Révolution, Le
sait pas. C’était l’époque où les doubles Le réalisateur mariage de Figaro.de Beaumarchais.
programmes semblaient répondre à la Bien des scènes de La règle du jeu
crise du cinéma, parce qu’il y avait déjà sont devenues classiques : la danse
une crise du cinéma, exactement comme macabre, la partie de chasse. La guerre
maintenant, la même d’ailleurs. Les dis- Deuxième fils du peintre Auguste Renoir surprit Renoir en Italie où il se préparait
tributeurs disaient : «Non, nous aimons et frère de l’acteur Pierre Renoir, il à tourner La Tosca qui fut achevé par
beaucoup le film, mais on ne peut pas, découvrit le cinéma en 1902 avec Les Carl Koch. Il se réfugia aux Etats-Unis où
ce n’est pas possible…Il faut couper.» aventures d‘Auto-Maboul puis ce fut il acquit la nationalité américaine (son
Alors, je l’ai coupé. Mais, étrangement, le choc causé par Les mystères de grand-père maternel avait été I’un des
une fois coupé, ce film était beaucoup New York de Gasnier et les Charlot. fondateurs du Dakota). A Hollywood, il
plus long - ah, oui, moralement - que Pourtant, après avoir fait la guerre dans se heurta à de sérieuses difficultés. Ni
sans être coupé ; il n’en finissait pas. l’aviation, ce n’est qu’en 1923 que son film de propagande, This Land Is
(…) Malheureusement, je suis sûr que Renoir abandonne la céramique pour le Mine avec Charles Laughton, ni son
la copie intégrale a disparu dès les cou- cinéma. Son premier film est La fille de adaptation du Journal d’une femme
pures, quand on a fait les coupures dans l’eau que joue sa propre épouse de chambre malgré Paulette Goddard,
la copie, puis sur le négatif, et qu’on a Catherine Hessling, ancien modèle de ni son Homme du Sud dont les pro-
jeté et brûlé toutes les chutes. son père. Nana, son premier long blèmes lui étaient trop étrangers,
métrage important, traduit l’influence n’emportent l’adhésion. Parlant de cette
Il y a, dans Madame Bovary, une plus qu’eut sur lui Stroheim. Son inspiration période en 1952, dans Les cahiers du
grande plénitude que dans vos films pré- va alors du vaudeville militaire (Tire au- cinéma, il dit ses déceptions face aux
cédents. flanc) à la comédie, de Feydeau (On contraintes imposées par le système
Plus ça allait, plus j’apprenais à purge bébé, joué par Michel Simon et holIywoodien. Retrouvant sa liberté, il
construire des scènes ayant leur déve- Fernandel et qui fit sensation, en ces tourna aux Indes un film exaltant la vie
loppement complet. Je crois que ce débuts de cinéma sonore, par le bruit de et la beauté de la nature, un chef-

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d’œuvre Iyrique, bouleversant (la mort Filmographie The Diary of a


de l’enfant) et exaltant tout à la fois,
Chambermaid 1946
The River dont l’influence fut profonde
sur le cinéma indien lui-même. Il (Le journal d'une femme de chambre)
convient de souligner la beauté des
La fille de l’eau 1924 The Woman on the Beach
images dues à son neveu, Claude
Renoir. De retour en Europe, il s’arrêta Nana 1926 La femme sur la plage
en Italie pour y mettre en scène une
Charleston 1927 The River 1950
libre version du Carrosse du Saint-
Sacrement de Mérimée : ce fut Marquitta 1928 Le fleuve
l’éblouissant feu d’artifice du Carrosse
La petite marchande d’allu- Le carrosse d’or 1952
d’or. Il ne retrouvera plus une telle maî-
trise. En dépit de leurs références pictu- mettes 1928 French Cancan 1954
rales aux maîtres de l’lmpressionnisme,
Tire-au-flanc Elena et les hommes 1956
French Cancan, Elena et les
hommes (I’histoire du général Le tournoi 1929 Le déjeuner sur l’herbe 1959
Boulanger, curieusement transformée
Le bled Le testament du Dr Cordelier
sans raison apparente) et Le déjeuner
sur l’herbe déçurent beaucoup, seuls On purge bébé 1931 Le caporal épinglé 1961
les inconditionnels de Renoir proclamant
La chienne Le petit théâtre de Jean Renoir 1971
leur admiration. L’adaptation du Dr.
Jekyll et Mr. Hyde de Stevenson, propo- La nuit du carrefour 1932
sée sous le titre du Testament du doc-
Boudu sauvé des eaux
teur Cordelier, paraît bien faible en
comparaison des versions de Fleming, Chotard et Cie 1933
Mamoulian, Fisher ou même Jerry
Madame Bovary 1934
Lewis. Le caporal épinglé, d’après un
bon roman pourtant de Jacques Perret, Toni
est bien loin de La grande illusion.
Le crime de M. Lange 1935
Renoir paraît s’intéresser désormais
davantage au théâtre où il donne Orvet, La vie est à nous 1936
au roman (il publie Les cahiers du capi-
Partie de campagne 1936-1946
taine Georges en 1966) et à ses souve-
nirs (Renoir, une biographie de son père Les bas-fonds
en 1962 ; Ma vie et mes films, en 1974).
La grande illusion 1937
Sa dernière œuvre filmée, initialement
prévue pour la télévision, Le petit La Marseillaise 1938
théâtre de Jean Renoir, confirme ce
La bête humaine
désintérêt.
Une remise en cause de Renoir a été La règle du jeu 1939
tentée par des critiques comme
Swamp Water 1940
Raymond Borde. Peut-être certains de
ses films ont-ils été en effet surestimés, L'étang tragique
mais il reste le cinéaste de la lumière et Documents disponibles au France
This Land Is Mine 1943
des intentions généreuses, celui de La
partie de campagne et de La grande Vivre libre Jean Renoir Le jeu et la règle par Roger
illusion. Viry-Babel - Ramsey Poche Cinéma
Salute to France 1944
Jean Tulard Jean Renoir Premier Plan n°22 - 23 - 24
Dictionnaire du Cinéma The Southerner 1945 Cinéma 79 n°244 - avril 1979
L'homme du Sud

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