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Signification des démonstratifs PIE

suivi de quelques éléments supplémentaires sur les dérivations de noms verbaux


sprécifiques aux formes à infixe nasal

par O.Simon, Ph.D

Le paradigme des principales formes de démonstratifs proto-indo-européens (PIE) se trouvant dans


tout bon manuel consacré à cette langue, il ne s'agit ici aucunement de le reconstruire, mais plutôt
de comprendre le sens et l'étymologie de ces diverses formes au regard de mes précédentes études.
Rappelons qu'en théorie, une langue pourrait se passer de démonstratif au sens strict. Par exemple,
le néerlandais moderne a comme démonstratifs (neutre singulier/reste) dat/die et dit/deze. Mais
l'afrikaans, langue issue du néerlandais, utilise die comme article défini, et n'a comme démonstratifs
hierdie et daardie issus de hier = « ici » et de daar = « là »1. En ce qui concerne le PIE, un survol
général de la situation est donné par Mate Kapović : « Considering the number of the attested
stems, it is probable that PIE had a three-way system of demonstrative pronouns (like Lat.
Hic/iste/ille and most IE languages, or Japanese kore/sore/are), correlated with three persons, and
not a two-way one (like English this/that). The exact reconstruction of the semantics of the stems is
a bit speculative, since these change easily in languages. The three best-attested (and probably
main) demonstratives are *k^i- « this (near me/speaker) », *s-/t- « that (near you/the addressed) »,
and *(H1)ey-/(H1)e- « that (near him/over there) ». The somewhat less well-attested stems are
*(H1)e/ow-o-s « this » (Ved. avas, OCS ovъ) and *(H2/3)e/on- « that (near him) » (OCS onъ, Lith.
anas, Arm. na). It is not clear why there were five different reconstructable demonstrative stems (a
number of scenarios are possible) though some languages preserve all of them, cf. OCS sъ, ovъ, tъ,
onъ (suppletive accusative i) »2.

D'après le Pr. Pinault, « Tous les démonstratifs du tokharien reposent sur le type *so/to-, avec la
même répartition que dans les autres langues : *s- au nominatif singulier masculin et féminin, et *t-
ailleurs. »3. Dans la mesure où je suis la chronologie établie par le Pr. Anthony 4 pour les rameaux
du PIE selon laquelle l'Anatolien a quitté le premier le tronc commun IE vers -4200, suivi du
Tocharien vers -3700, cela veut dire que le démonstratif principal du PIE, *so/tod était bien établi
après le départ de l'Anatolien et donc pour le reste des rameaux ultérieures, et que le Hittite doit être
examiné séparément des langues – celles qui ont quitté le tronc PIE après le Tocharien - sur
lesquelles je porterai mon attention.

Avant d'en venir à ses démonstratifs, rappelons-nous la syntaxe du Hittite que nous avions
notamment étudiée dans Syntaxe de la Phrase Proto-indo-européenne5, §1-7 : ce que j'appelle « le
groupe verbal » (clitiques gravitant autour du verbe + verbe) admet en première position des
« introducteurs clausaux », et des pronoms relatifs en troisième (la deuxième position étant occupée
par une particule signifiant « dit-on, à ce qu'on dit » qui ne devait vraisemblablement pas être d'un
usage très fréquent). Si l'on omet les introducteurs fonctionnant avec un mot accentué, il y a nu qui
va évincer au cours de l'histoire les deux autres introducteurs šu (qui indique le passé) et ta
(indiquant le présent). L'identité entre le nu hittite et le no vieil-irlandais (la « dummy particle »

1 Notons que le « d » central de ces deux formes a tendance à ne plus être prononcé dans la langue moderne, ce qui
montre que ces composés sont à présent perçus comme des formes indivisibles.
2 Mate Kapović, p.85 in The Indo-European Languages, second edition, Routledge, 2017.
3 P.G.Pinault, « Introduction au tokharien » p.113, in Lalies, Actes des sessions de linguistique et de littérature – 11
(Cortona, 20-31 août 1990), Presses de l'Ecole Normale Supérieure, 1992
4 David W. Anthony, p.100 in The Horse, the Wheel and Language – How Bronze-Age Riders from the Eurasian
Steppes shaped the Modern World, Princeton University Press, 2007.
5 https://www.academia.edu/35141817/Syntaxe_de_la_phrase_proto_indo_europ%C3%A9enne
sans sens précis utilisée pour des raisons phonétiques avant le verbe) est établie depuis longtemps,
de même que la relation (au moins étymologique) entre ta et notre base de démonstratif PIE *to-.
Šu a posé plus de problèmes mais, dans un article récent 6, j'ai établi la relation sémantique entre *su
et *to au regard du procès verbal :

*su > procès verbal > *to

*To est ce qui va dans le sens de verbe et même s'en éloigne, d'où le préverbe du vieil-irlandais to-
(par exemple dans le célèbre nom verbal tàin = « vol de bétail », de *to + *H2eg- = « pousser,
mener (notamment le bétail)), tandis que *su est ce qui se rapproche du sujet du verbe ; c'est bien
sûr la base du pronom réfléchi *swe = « soi » qui valait pour toutes les personnes en PIE.

En hittite donc, quand le pronom personnel vient directement après ces particules, celles-ci perdent
leur voyelle finale pour s'agglomérer avec le pronom, qui commence généralement en -a, l'on
obtient : n-a, š-a, t-a. Ceci a donc été parfois suggéré comme l'origine des pronoms démonstratifs
PIE. Il y a des arguments pour et contre. On peut rétorquer à juste titre que ces « démonstratifs »
seraient alors astreints à figurer en première place dans le groupe verbal alors que les vrais
démonstratifs des autres langues IE ne sont pas sujets à de telles contraintes. En revanche, ces
pronoms hittites exhibent des terminaisons spécifiques que l'on retrouve dans les pronoms des
autres langues, différentes du paradigme habituel de la déclinaison des substantifs en PIE 7 :
nominatif-accusatif neutre singulier at = *(t)od, et nominatif pluriel animé e = *(t)oi (masculin, en
revanche, l'équivalent du masculin singulier nominatif *(s)o n'apparaît pas ; de même la relation
éventuelle entre le *s de *so et le š de šu n'est vraiment pas évidente sémantiquement parlant) mais
on peut objecter que ce qui est souvent appelé le pronom « déictique faible » PIE, porte les mêmes
désinences, et encore plus en ce qui concerne le masculin nominatif singulier souvent reconstruit en
*is = Hittite animé nominatif singulier aš.

Penchons-nous sur celui-ci. Son rôle principal dans plusieurs langues-filles et donc
vraisemblablement en PIE était celui de pronom personnel de la troisième personne (sachant que le
PIE était « pro-drop ») : (masculin/neutre singulier nominatif) Latin is/id, Gothique is/it(a), Vieil-
irlandais é/ed et (masculin/féminin) Lituanien jis/ji. Un accusatif masculin singulier in est signalé en
grec chypriote, ainsi qu'un masculin singulier nominatif is en louvite hiéroglyphique. Les formes
obliques du même pronom personnel de plusieurs langues slaves sont également basées sur cette
forme. Ce pronom est parfois reconstruit avec une laryngale H1 : *H1ei- par référence au pronom
relatif indépendant PIE *H1yos. Cependant, cette laryngale ne se justifie pas au regard du hittite,
puisque cette langue8 a imma = « vraiment, en effet » (avec le louvite im(m)a) face au latin immo
qui a à peu près la même signification et qui repose sur le pronom personnel en -i.

6 https://www.academia.edu/44237837/Gradation_dadjectifs_d%C3%A9nominatifs_en_PIE_and_Nouveaux_
%C3%A9l%C3%A9ments_sur_la_syntaxe_du_groupe_verbal_en_PIE
7 Alwin KLOEKHORST, pp.196-197 in The Hittite Inherited Lexicon, thèse de doctorat soutenue le 31 mai 2007 à
l'Université de Leyde (Pays-Bas), téléchargeable à https://openaccess.leidenuniv.nl/handle/1887/11996
8 Ibidem p.446.

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