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Revue des Études Anciennes

Grec Οέσσεσθαι « demander, supplier » et ses correspondants


dans les langues occidentales (celtique — germanique)
Albert Cuny

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Cuny Albert. Grec Οέσσεσθαι « demander, supplier » et ses correspondants dans les langues occidentales (celtique —
germanique). In: Revue des Études Anciennes. Tome 12, 1910, n°1. pp. 10-15;

doi : https://doi.org/10.3406/rea.1910.1607

https://www.persee.fr/doc/rea_0035-2004_1910_num_12_1_1607

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Grec Οέσσεσθαι « demander, supplier » et ses correspondants
dans les langues occidentales (celtique — germanique).

La racine verbale g^hedh- « demander, prier » est attestée en


grec, non seulement pour le thème du présent *g^hedh-ye/0-
par la glose d'Hésychios : ΟέσσεσθαΓ αιτέϊν, ίκετεύειν, mais
plusieurs fois aussi pour le thème de l'aoriste sigmatique, chez
Pindare, Hésiode, Archîloque et chez Apollonios de Rhodes.
En effet, Pindare Ném. V. io, a la 3e p. pi. θέσσαντο et Hésiode
frg\ 9, de même qu'Archiloque io (éd. Bergk) présentent le
participe Οεσσάμενος. De même encore Apollonios qui a θεσσάμενοι
I 824 sans qu'on puisse attacher une grande importance à ce
témoignage tardif. Le verbal en -to- est sûrement représenté
dans le composé πολύ - θεστος « très désiré », d'où « très cher »
que l'on lit chez Callimaque (Hymne à Cérès 48) et peut-être
par les noms propres Θέστη (ou Θέστις), et Θεστ-υλίς Théocr.
II, i. Il continue un ancien *g^hedh(s)t6s. De même pour le
nom d'agent en -tor-, cf. sans doute Θέστωρ Homère Iliade,
(cf. Θεστορ-·3ης), soit * gw3hedh(s)tor-. M. Brugmann Gr. Gr.
3(igoo), p. n5, en rapproche également les noms propres
béotiens Φεστίας, Θιο-φεστός dans la section où il parle du
traitement spécial des gutturales labio-vélaires (kl%, g*%, g^ h)
devant e en béotien, thessalien et lesbien. En ionien-attique
on a θ dans ce cas pour l'aspirée, mais φ (comme devant α et o)
en éolien et en béotien. C'est une raison qui pourrait conduire
à rattacher encore à la même racine le nom des Thessaliens qui
se présente avec les variations cpnnues :

ionien Θεσσαλός
attique Θετταλός
thessalien ΙΙετθαλός
béotien Φέτταλός.
θίσσεσθαι 11
Le degré ο de la racine g^hedh-, soit gl¡hodh-, est également
bien représenté en grec. Mais ici les conditions phonétiques ne
sont plus les mêmes. Le groupe *g%ho- devient labial, soit
*φο- dans tout l'ensemble des dialectes grecs à cause du point
d'articulation de la voyelle o. Le nom d'action (paroxyton)
*g%¿hódhos (formé comme λόγος sur λέγω etc..) évolue donc
régulièrement en *φόθος qui, en vertu de la dissimilation des
aspirées subséquentes, donne le mot bien connu : πόθος «désir»
d'où est dérivé l'adjectif ποθε'.νός. De même l'itératif régulier
*g%hodh-éyò (formé comme çop-εω sur φέρ-ω etc..) aboutit à
*οοθε^ω, d'où régulièrement ποθέω (cf. encore θείνω < *g^hen-yö,
φόνος < *g™hón-os, etc1...).
La racine *g™hedh-, *gnìhodh- (le degré réduit *g^hdh- est
peut-être représenté dans le grec φθ-όνος «envie», cf. pour le
sens πόθος « regret »), n'appartient pas seulement au grec (et
comme on le verra à l'indo-européen occidental (grec —
italique — celtique — germanique), mais elle est également attestée
dans une partie du groupe oriental, à savoir dans les langues
iraniennes. Celles-ci possèdent en effet le correspondant exact
du thème de présent θεσσε/0-, (* ^g%hedhf'■/'0-J . On a en vieux perse
la ire personne indicatif présent jadiyâmi «je prie » (c'est-à-dire
jadyämi) et en avestique (entre autres formes) la 3e personne
imparfait indicatifJa'Sya-t qui remontent à une forme de thème
indo-iranien *jhadhya- soit également i.-e. * g^hedhyc /0- . La
racine *glghedh- appartenait donc au vocabulaire de l'indo-
européen commun et l'on pouvait s'attendre à la retrouver dans
une autre langue indo-européenne soit orientale, soit
occidentale. On l'a en effet reconnue depuis longtemps dans le vieil
irlandais •g^diu, «je prie, je demande» qui s'explique bien par
i.-e. *g™hodhéyô et qui est ainsi l'équivalent exact du grec ζοθέω
(ancien *<ροθέω). On aurait pu être également tenté de la retrou-
ver en germanique (gotique bidjan « prier », allemand bitten,
anglais bid, germanique commun *bidjan(an) si l'on admettait
encore aujourd'hui que sporadiquement les labio-vélaires de
ι. *<ρονέω seul manque à la série : il est remplacé par des dérivés postérieurs
de
j φόνος.
f A» part_» ce detail,
j'i ... βεσσο-
Osivo* = φόνος
πόθος .
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l'indo-européen sont représentées dans ce groupe par des
labiales comme elles le sont en réalité dans gotique wuljs
«loup», grec λύκος; fimf «cinq», grec πέντε, latin quinqué,
waírpan «jeter», vieux slave vrigae «je jette». Mais on enseigne
à bon droit aujourd'hui que ce traitement relève de causes
particulières (assimilation exercée par une labiale du même
mot), et il est impossible de songer à une explication de ce
genre dans le cas de *gu¿hedhyo qui aurait abouti à *{y)widjò en
germanique commun et le serait resté. Aussi explique-t-on
généralement *bidjo- « prier » comme étant un thème formé
sur la racine bheidh- «persuader, être persuadé», soit le
degré zéro bhidh + le suffixe -y'/0-. A cela il y a une
difficulté, c'est que bidjan en gotique (et dans toutes les autres
langues germaniques) se conjugue exactement comme sitjan
« être assis », sat, sitans (=grec εζο-(μαι), i. -e. *sed-yo-, et il
a fallu admettre pour expliquer la formation 6αθ, bidans qui
existait déjà en germanique commun, ce que les Allemands
appellent une «Entgleisung», c'est-à-dire une déviation du
type normal de la racine : bidjan appartiendrait réellement à
une racine en i (bhidh-), mais comme il ressemblait
extérieurement à sitjan (et autres), il aurait formé son prétérit 6αθ
d'après l'analogie de sat (et autres), son participe bidans d'après
l'analogie de sitans (et autres semblables). Cette interprétation
pouvait passer à défaut d'une meilleure, mais elle n'explique
toujours pas le fait remarquable que, pour la formation, bidja,
6αθ coïncide exactement (la consonne initiale seule diffère)
avec le thème du présent *g1¡hedhye/0- qui est attesté à la fois par
le grec Όέσσεσθαι et par l'iranien jadya- (plus ancien *jhadhya-)
non plus que l'identité parfaite du sens de tous ces thèmes
verbaux. En effet, la consonne initiale étant à part pour le
moment, la ressemblance est frappante, bidja- pouvant être
tout aussi légitimement germanique primitif *bedjo- que
germanique primitif *bidjo- (c'est-à-dire i.-e. -edhyo- aussi
bien que -idhyo-. C'est sans doute ce qui a déterminé
M. A. Walde à dire dans son Lat. etym. Wörterbuch (sub
verbo jldò) que le rapprochement de germanique (gotique)
bidjan avec la racine bheidh- (celle de fido, du grec πέποιθα etc.),
est incertain. (Contra Kluge, Et. Wb. VII Auflage).
D'une part donc bidja- ressemble étrangement à g^hedhyo-
et d'autre part il est inconciliable avec lui si le mot est en
germanique de desoendance indo - européenne directe, g%h
devant aboutir à (y)w- et non à 6-. Comment se tirer de
cette difficulté? La chose serait facile si, depuis l'article de
H. Osthoff (Labio-velare media und media aspirata im Keltischen)
dans les Indogermanische Forschungen, IV, p. 264 sui v. (1894),
on n'enseignait généralement qu'en celtique commun, c'est-
à-dire aussi bien dans le groupe brittonique qu'en irlandais,
la labio -vélaire aspirée i.-e. *gt%h~ est toujours représentée
par g-. En effet, la racine dont il s'agit ici avait vécu en
celtique ainsi qu'on l'a vu par l'irlandais gtfdiu (= πυθέω), mais
dans la théorie indiquée les mots correspondants en
brittonique (en gaulois par exemple) auraient eu également un g- à
l'initiale. Pourtant, M. J. Loth, dont l'autorité sur le domaine
celtique est bien connue, a protesté, timidement, il est vrai,
contre ce que l'enseignement d'Osthoff a de trop absolu
(Mélanges Havei, pp. 237-240 [1909]) et il a apporté deux
exemples irréfutables du traitement b en gallois, savoir
nyf qui suppose nécessairement un brittonique commun
*snib- (cf. grec vfya), et deifio « brûler» qui suppose
nécessairement un brittonique deb-. Ces deux mots sont
indo-européens et avaient à l'origine un g^h- (racines snigl¡h- et
dheg^h-). Mais M. Loth a cherché à pallier les choses et s'est
demandé s'il n'y avait pas ici alternance indo-européenne
entre guih- et gr¿- finaux (le dernier donnant régulièrement
b dans toutes les langues celtiques), et il a rapproché pour
nyf la. glose d'Hésychios vtß<r χώνα και κρήνην. Mais on peut tout
aussi bien voir dans νίβα un mot macédonien = grec νίφα et
c'est ce que l'on fait généralement ; quant à νίβα* κρήνην, il se
rattache sans doute à νίζω (^nig^yò) et se retrouve par exemple
dans le mot χερνιβα accus. M. Loth n'a du reste rien trouvé
d'analogue pour la racine dheg%h- et il se demande si la valeur
de la voyelle attrait eu une influence sur l'évolution de
l'aspirée labio- vélaire. L'exemple des dialectes grecs montre
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qu'il peut très bien en avoir été ainsi. On remarquera, dit-il,
qué dans les deux cas contraires à la loi d'Osthoff la voyelle est
palatale. A priori on attendrait du reste b en brittonique pour
répondre à i.-e. g^h-, car, dans le système indo-européen des
labio- vélaires, savoir :
J.W . „W)L . „tu

le sort de gu¡ ayant été réglé dès le celtique commun et celui-ci


étant devenu b, on remarquera qu'en irlandais la sonore
aspirée g%h a été traitée comme la sourde k™, c'est-à-dire que toutes
deux ont perdu la labialisation (vieil irlandais c et g) ; on
attendrait donc que le brittonique fît de même, et, puisqu'il a
sûrement ρ pour la sourde (par exemple breton pemp « quinqué » en
face de v. irl. cóle), il y a des chances pour qu'il ait également 6
(au moins dans certains cas) pour corrrespondre à la sonore
aspirée. Un dialecte aussi peu labialisant que le latin par
exemple (si on le compare aux autres dialectes italiques) a
bien labialisé le g^h- en /- à l'initiale et, dans ctertains cas
à l'intérieur, d'où 6. Enfin on pourrait admettre que devant la
voyelle vélaire par exemple on a g comme dans gor « couvée »
de la racine g^her- « chauffer », grec θέρος, cf. latin formas, parce
qu'ici l'appendice labio-vélaire serait tombé devant la voyelle
vélaire avant que le g^h- placé devant la voyelle palatale fût
devenu h. Mais ce sont là des questions de phonétique celtique
qu'il faut laisser à la décision des spécialistes. Il serait à
souhaiter que l'un d'entre eux critiquât à nouveau tous les exemples
d'Osthoñ. En tout cas *snib- et *deb- autorisent à penser
qu'un thème indo-européen *g™hedh'f/0-i fonctionnant comme
présent en grec et en avestique, soit ire personne singulier
*gx$hedhyö, se présenterait en brittonique sous la forme *bedio
(par exemple gaulois *bediu)l¡) et par là serait expliquée l'énigme
que pose le verbe germanique *bidjan(an), gotique bidjan, etc.
Bidja remonterait bien à *bedjo et serait simplement un
emprunt, comme il y en a beaucoup, du germanique au
celtique. L'apophonie usitée dans la conjugaison de bidjan
s'expliquerait ainsi naturellement et l'on n'aurait pas besoin
de recourir à une déviation de la norme. On objectera sans
doute que le germanique n'a pas emprunté de mots religieux
ΟίσκτΟαι 15
au celtique, mais le mot n'a d'abord eu que le sens de « faire
une requête » comme le montre clairement le grec et M. H.
d'Arbois de Jubainville a montré qu'un certain nombre de mots
de valeur sociale ont passé du celtique en germanique (voir
MSL., t. VII (1891), μ. 286 et suiv.). Parmi ces emprunts il y
en a de plus anciens les uns que les autres : reiks par exemple
(nom. pi. < *rlkiz) a subi les effets de la première mutation
consonantique (k au lieu du g du gaulois), -rix, -rigos, plur.
-riges, mais il y en a d'autres, non moins certains, qui ont
gardé les consonnes celtiques telles qu'elles étaient, par
exemple gotique kelikn qui est l'équivalent par emprunt du
gaulois celicnon et gotique siponja- « disciple » qui est un
emprunt à un mot brittonique où le k% de la racine sek%-
« suivre » était devenu régulièrement p. Ce ρ n'a pas été
transformé en /par le gotique ni mécaniquement ni par
substitution* phonétique. Le germanique commun *bidjò,
gotique bidja, vha. bitt(i)u, etc. (bitten; anglais bid) serait
précisément dans ce cas1.
A. CUNY.

i. Voir Thurneysen, Handbuch des Altirischen (1909), S 182 et aa3 (pp. m et i35).

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