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Celebrity culture in France and english-speaking countries: A comparative


approach

Article  in  Revue Française de Sociologie · April 2011

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Nathalie Heinich
French National Centre for Scientific Research
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R. franç. sociol., 52-2, 2011, 353-372

NOTE CRITIQUE

La culture de la célébrité en France et dans les


pays anglophones
Une approche comparative
par Nathalie HEINICH

RÉSUMÉ
Il existe dans le monde universitaire anglophone un important courant de recherches,
développé dans la dernière génération, sur la « celebrity culture », qui n’a pas son équivalent
en français. Après avoir dressé un bilan de ces travaux, discipline par discipline, cette note
critique tente d’élucider les raisons d’un tel décalage entre sciences sociales anglophone et
francophone, et d’identifier les obstacles qui, dans l’une et l’autre traditions, peuvent encore
entraver le développement d’une sociologie de la célébrité capable d’éclairer, hors de toute
visée normative, les multiples facettes d’un phénomène devenu, au XXe siècle, quasi univer-
sel.

En 1978, le critique de cinéma américain James Monaco remarquait, dans


une annexe bibliographique de sa compilation intitulée Celebrity (1978), que
« pas grand-chose d’intéressant n’a été écrit sur le phénomène de la célé-
brité » ; il citait moins d’une dizaine de références sur le sujet : deux Français
(Edgar Morin et Roland Barthes) et, pour ce qui est de la culture anglophone,
deux ouvrages généraux (Thomas Carlyle sur les héros et C. Wright Mills sur
l’élite du pouvoir), quatre spécialistes américains du cinéma, dont lui-même,
ainsi que le pamphlet contre « l’image » publié à New York par l’historien
Daniel Boorstin (1961) une quinzaine d’années auparavant.
Une génération plus tard, en 2006, une volumineuse anthologie sur la
« celebrity culture », compilée par le spécialiste des médias canadien
P. David Marshall (2006) comprendra dans sa bibliographie environ
vingt-cinq ouvrages universitaires en langue anglaise consacrés à la célébrité
en tant que telle, qu’il s’agisse du phénomène même de la renommée, des
personnalités ou de leurs admirateurs (les fans) ; à quoi s’ajoutent ceux,
nombreux, prenant pour objet les acteurs, la culture populaire, la télévision,
etc., ainsi qu’un grand nombre d’articles. Voilà qui illustre la vitalité d’un
courant clairement identifié comme tel dans le monde anglophone – que ce
soit aux États-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne ou en Australie –, et qui

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s’est spectaculairement développé à partir de la fin des années 1970 sous le


terme de « celebrity culture ».

Un décalage transatlantique

Ce qu’illustrent également ces données bibliographiques, c’est, en compa-


raison, la pauvreté de la présence française dans ce domaine. Il n’existe en
effet aujourd’hui aucune anthologie semblable en français, et l’expression
même de « culture de la célébrité » n’est pas répertoriée comme catégorie de
la recherche, contrairement au monde académique anglophone. Il semble que,
pendant une quarantaine d’années, l’essai pionnier d’Edgar Morin sur les
stars ([1957] 1972) n’ait guère connu de succession.
Tout au plus a-t-on pu observer depuis une dizaine d’années la parution de
quelques études sur le phénomène des fans et sur la culture populaire – nous y
reviendrons –, ainsi qu’une tentative pour donner ses titres de noblesse socio-
logique à la notion émergente de « médiacultures » (Maigret et Macé, 2005).
Dans l’ouvrage qu’ils lui ont consacré, les sociologues Éric Maigret et Éric
Macé proposent une bibliographie fournie, dans laquelle toutefois ne figurent
pas les auteurs phares de la « celebrity culture » tels que Boorstin, Marshall,
deCordova, Gabler, Gamson, Giles, Rojek ou Turner – nous y reviendrons
aussi. Ces noms apparaîtront toutefois dans l’anthologie que ces mêmes
auteurs consacreront trois ans plus tard aux « cultural studies » (Glevarec,
Macé et Maigret, 2008), mais il n’y sera toujours pas question de « culture de
la célébrité », alors même que l’on peut répertorier à partir des années 1970
pas moins de vingt-deux ouvrages en langue anglaise (sans compter les arti-
cles) portant dans leur titre ou leur sous-titre les mots « celebrity », « fame »
ou « stardom ». Inversement, il est assez peu question de « culture popu-
laire » dans les « cultural studies », « media studies », « films studies » et
autres « fan studies » dont relèvent ces travaux sur le plan des disciplines.
D’une langue à l’autre, les découpages académiques ne sont décidément pas
les mêmes ni, partant, les problématiques.
S’agissant d’un phénomène massif dans le monde occidental moderne, ce
décalage entre les deux cultures universitaires, anglophone et francophone,
est particulièrement frappant, et mérite que l’on s’y arrête (1). Nous allons
donc décrire successivement l’éventail des études sur la célébrité en anglais et
en français, en rapportant ces deux corpus à leurs contextes académiques
respectifs.

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NOTE CRITIQUE

La « celebrity culture » dans le monde anglophone

En publiant en 2006 sa volumineuse anthologie consacrée à la « celebrity


culture », David Marshall conféra consistance et visibilité à un courant
d’études déjà considérablement développé, et qui possède aussi à présent ses
analystes (Meyrowitz, 2002 ; Turner, 2004 ; Harmon, 2005). Nous nous limi-
terons ici aux ouvrages, à l’exclusion (sauf quelques exceptions notables) des
très nombreux articles.
Comment classer cette production considérable ? On peut tout d’abord
l’envisager de façon chronologique, en distinguant, premièrement, les rares
publications, très dispersées, allant de la Seconde Guerre mondiale à la fin des
années 1960 (Löwenthal, [1943] 1961 ; Powdermaker, 1950 ; Horton et
Wohl, 1956 ; Boorstin, 1961 ; Klapp, 1962) ; deuxièmement, le démarrage du
courant, entre la fin des années 1970 et la fin des années 1980 (Monaco,
1978 ; Goode, 1978 ; Dyer, [1979] 1998 ; Caughey, 1984 ; Schickel, 1985 ;
Braudy, 1986 ; Rein, Kotler et Stoller, [1987] 2006) ; troisièmement, sa
montée en puissance, avec une quinzaine d’auteurs dans les années 1990
(deCordova, [1990] 2001 ; Gledhill, 1991 ; Fowles, 1992 ; Jenkins, 1992 ;
Lewis, 1992 ; Cathcart et Drucker, 1994 ; Gamson, 1994 ; Gabler, 1995 ;
Marshall, 1997 ; Collins, 1998 ; Frow, 1998 ; Evans et Wilson, 1999) ; et,
enfin, sa consolidation actuelle, avec près d’une vingtaine d’ouvrages publiés
dans les seules années 2000 (Giles, 2000 ; Cowen, 2000 ; Dahlgren et Sparks,
2000 ; Andrews et Jackson, 2001 ; Barbas, 2001 ; Rojek, 2001 ; Maltby,
Houran, Lange et al., 2002 ; Ponce de Leon, 2002 ; Couldry, 2003 ; Turner,
2004 ; Cashmore, 2006 ; Holmes et Redmond, 2006 ; Marshall, 2006 ;
Castles, [2000] 2007 ; Halpern, 2007 ; Rowlands, 2008 ; Brim, 2009 ; Loug-
hlan, McDonald et Van Krieken, 2010). Voilà qui suffit à mettre en évidence
la nette accélération des études sur la célébrité dans le monde anglophone
depuis le milieu des années 1980. Elles proviennent donc d’auteurs nés, au
minimum, après la Seconde Guerre mondiale et, pour nombre d’entre eux,
avec ou après l’apparition de la culture télévisuelle.
Un autre classement, non plus par la chronologie mais par la nationalité, met
en évidence la prééminence des Américains (Barbas, Boorstin, Braudy, Brim,
Caughey, Collins, Cowen, deCordova, Ferris, Gabler, Gamson, Goode,
Halpern, Jenkins, Monaco, Ponce de Leon, Powdermaker, Rein, Rowlands,
Schickel), puis des Britanniques (Cashmore, Couldry, Dahlgren et Sparks,
Dyer, Evans et Wilson, Giles, Gledhill, Holmes et Redmond, Kear et Steinberg
[1999], Maltby, Rojek), ainsi que la présence des Australiens (Castles, Frow,
Turner, Loughlan), et enfin des Canadiens (Klapp, Marshall), après les travaux
pionniers sur les médias de Marshall McLuhan ([1964] 1977). Le genre édito-
rial peut également avoir sa pertinence, selon que l’on a affaire à des essais à la
limite du pamphlet (tels Boorstin, Dyer, Rowlands), à des anthologies
(Monaco, Gledhill, Lewis, Andrews et Jackson, Dahlgren et Sparks, Marshall),
ou encore – beaucoup plus souvent – à des enquêtes ou des réflexions empiri-
quement étayées, ne serait-ce que par le recours à l’historiographie.

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C’est toutefois la discipline qui offre l’entrée la plus parlante dans cette
production, caractérisée par une grande variété de spécialisations universi-
taires. L’essor des travaux sur la célébrité à partir de la fin des années 1970
provient avant tout des spécialistes de cinéma. Le premier d’entre eux fut le
critique américain James Monaco, qui rassembla en 1978 un ensemble de
textes sur la célébrité, au sein de laquelle il distingue trois catégories : les
« héros », qui ont accompli un exploit, les « stars », se distinguant avant tout
par leur personnalité publique, et les « quasars », dont la célébrité n’advient
que par accident. L’année suivante, l’historien du cinéma anglais Richard
Dyer publie un livre sobrement intitulé Stars où, à partir d’une historio-
graphie du Hollywood de l’entre-deux guerres, il défend avec conviction une
conception marxiste de la star comme dépositaire et instrument de promotion
de l’idéologie dominante des sociétés industrielles occidentales – il y
reviendra dans un second livre, en 1986, à partir de trois études de cas. En
1985, Richard Schickel – auteur en 1973 d’une biographie de l’acteur
Douglas Fairbanks – propose une analyse des célébrités comme des « étran-
gers intimes » (« intimage strangers »), relevant d’un monde ambigu issu du
brouillage des frontières entre vie publique et vie privée. Un autre historien
du cinéma américain, Neal Gabler – auteur d’une monumentale histoire des
grands producteurs juifs d’Hollywood –, publie dans la décennie suivante
deux livres importants : l’un, en 1995, consacré à Walter Winchell, célèbre
éditorialiste qui introduisit dans la presse la culture du ragot à propos des
célébrités, inaugurant la dépendance du pouvoir envers les médias ; l’autre, en
1998, consacré à la culture du divertissement (« entertainment »), dont il
montre qu’elle est constitutive de l’identité américaine, construite donc sur la
culture populaire et non sur la culture savante, notamment depuis l’apparition
du cinéma. Enfin, plus récemment, la britannique Su Holmes et le néo-zélan-
dais Sean Redmond ont réuni, en 2006, un ensemble de contributions sur
divers sujets relatifs à la célébrité sous ses formes les plus contemporaines –
télé-réalité, stars de la télévision, hommes politiques, communautés de fans
sur Internet, etc.

Outre les spécialistes de cinéma, ce sont les « media studies » – correspondant


en partie à ce que l’on nomme en France « sciences et techniques de l’informa-
tion et de la communication » – qui fournissent le plus grand nombre de travaux
sur la célébrité dans le monde anglophone. Les pionniers, en 1987, furent trois
professeurs de communication ou de marketing, Irving Rein, Philip Kotler et
Martin Stoller, qui proposèrent une description précise des méthodes par
lesquelles on peut se gérer soi-même comme une « marque personnelle et profes-
sionnelle » et atteindre ainsi une « haute visibilité », selon le titre donné à leur
ouvrage, devenu un classique du marketing. Mais c’est dans les années 1990 que
les spécialistes des médias multiplieront les travaux sur la célébrité. En 1991,
l’anglaise Christine Gledhill dirige un ouvrage collectif sur le vedettariat
(« stardom ») comme « industrie du désir », à travers différents éclairages
empruntés à une vingtaine d’auteurs : origines du « star system », utilisation des
vedettes dans la publicité et dans la mode, identifications féminines, personna-
lités télévisuelles, stars homosexuelles, statut des femmes noires à Hollywood,

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ainsi qu’un certain nombre de monographies (sur Rudolf Valentino, Shirley


Temple, Joan Crawford, Grace Kelly, Marilyn Monroe, James Stewart, Jane
Fonda, Michael Jackson, etc.). L’année suivante, l’américain Henry Jenkins
tente, dans Textual poachers, de déjouer le stigmate attaché aux fans de produc-
tions télévisuelles, et la vision pathologique qu’en donnent les lettrés ; proposant
une autre image de la culture « fan », il souligne leurs capacités d’action et le
pouvoir qu’ils exercent, notamment par la formation de communautés d’admira-
teurs. C’est une approche analogue qu’adopte, toujours en 1992, l’anglaise Lisa
Lewis : forte de son ancienne activité de productrice à la télévision, elle
rassemble une série de contributions tendant à valoriser le statut de fan dans sa
dimension active de gestion de l’identité. La même année encore, l’américain Jib
Fowles, constatant l’impact des célébrités sur les vies des gens ordinaires, qui ont
pris la place des voisins dans les villages d’antan, propose une description
détaillée du monde des stars américaines à partir de l’analyse biographique d’une
centaine de « performeurs » (deux tiers d’acteurs, des musiciens et des athlètes).
En 1994, deux Américains, Robert Cathcart et Susan Drucker, dirigent un
ouvrage collectif consacré aux conceptions du héros dans le monde médiatique et
au traitement des vedettes dans la presse – personnalités sportives, journalisti-
ques, grands entrepreneurs, chanteurs de pop ou de rock, etc. Et c’est également
à partir de l’étude des médias qu’en 1997 le canadien P. David Marshall se
concentre sur les rapports entre célébrité et pouvoir dans la culture contempo-
raine, dès les premiers magazines pour fans de cinéma dans les années 1920 ; il
insiste notamment sur le passage de la définition classique (« fame »), attachée
autrefois aux rois, aux héros et aux prophètes, à une acception moderne (« cele-
brity »), entachée de vulgarité car émanant directement des masses, dont elle
représente en quelque sorte le triomphe. Ce sera lui également qui produira, en
2006, la volumineuse anthologie, déjà mentionnée, sur la Celebrity culture.
Entretemps, les britanniques Peter Dahlgren et Colin Sparks avaient dirigé en
2000 un ouvrage collectif sur le lien entre le journalisme et la culture populaire ;
et en 2003 un autre Britannique, Nick Couldry, avait proposé, à partir d’une
discussion de la littérature existant sur le sujet, une approche critique des « rituels
médiatiques » (inspirée notamment par l’événement mondial que constituèrent
les obsèques de la princesse Diana) et de l’imaginaire de sens commun qui fait
des médias, désormais, le centre du monde social.

Dans le contexte anglophone, il est difficile de dissocier les professeurs de


littérature des spécialistes des cultural studies ; les uns et les autres fournis-
sent une part importante des travaux sur la célébrité. Ainsi, en 1986, l’améri-
cain Leo Braudy produit une monumentale histoire de « la frénésie de la
renommée » sous toutes ses formes, de l’Antiquité à nos jours, mettant en
évidence sa progressive démocratisation ainsi que son rôle spécifique au
XXe siècle, où, intensifiée par les moyens techniques de reproduction de
l’image, elle se concentre sur les performances scéniques. En 1990, Richard
deCordova, spécialiste américain de littérature et de communication, recons-
titue finement l’émergence et le développement du star system aux
États-Unis, qui a produit les « personnalités de l’image » (picture personali-
ties). En 1998, la journaliste Gail Collins retrace l’histoire du ragot sur les

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célébrités (gossip) dans la culture politique américaine. Citons enfin, bien


qu’il n’ait pas publié de livre sur le sujet, l’australien John Frow, auteur en
1998 d’un article important (« Is Elvis a God ? ») qui s’interroge sur la perti-
nence de la comparaison religieuse à propos du statut d’Elvis Presley aux
yeux de ses fans. Un autre Australien, Graeme Turner, tente en 2004 de
« comprendre la célébrité » (Understanding celebrity), à travers un tour d’ho-
rizon assez complet des analyses auxquelles elle a pu donner lieu, ainsi que
des différentes formes que prend le phénomène, à la fois en matière de
production – en tant que bien de consommation produit par une industrie et
des institutions spécifiques, au premier rang desquelles la presse à sensation –
et en matière de consommation – dans sa fonction culturelle de construction
de communautés et d’identités collectives. En 2006, l’anglais Ellis Cashmore
propose une synthèse de la « culture de la célébrité » sous tous ses aspects
(société de consommation, marketing, extension au sport, rôle de la beauté et
de la race, télévision, etc.), soulignant qu’il s’agit d’un phénomène aussi
connu que mal compris. L’année suivante, sera publiée la réflexion originale
de l’australien John Castles (issue de sa thèse en 2000) sur les « grandes
stars » et le rôle constitutif de la reproduction ou de la réplication de l’image
dans le culte idolâtre dont font l’objet les acteurs et, surtout, les héros des
concerts de rock.

Viennent ensuite des disciplines plus canoniques, mais moins prolixes sur
la question de la célébrité. Chronologiquement, les sociologues ont été les
premiers à s’intéresser au sujet : Leo Löwenthal, sociologue d’origine alle-
mande, associé à l’École de Francfort, publia dès 1943 un livre sur la culture
populaire où il analysait notamment les articles biographiques des magazines
grand public ; il mit ainsi en évidence la nette augmentation des biographies
de personnalités du spectacle entre 1901 et 1941, au détriment des personna-
lités issues de la vie politique, entrepreneuriale et professionnelle ; et, au sein
même du monde artistique, la baisse considérable des arts « sérieux » au
profit du divertissement. Vingt ans plus tard, en 1962, le sociologue canadien
Orrin Klapp consacre un ouvrage aux différentes catégories de héros, et
déplore la « détérioration » des héros que constitue le « culte des célébrités »,
signe d’un « manque de discrimination » allant de pair avec la démocratisa-
tion. L’année suivante, la traduction en anglais d’un ouvrage du sociologue
italien Francesco Alberoni (1963) – qu’il faut mentionner ici bien qu’il ne soit
pas issu d’un pays anglophone – popularise dans le monde intellectuel l’idée
d’une « élite sans pouvoir » : celle des stars, objets d’une admiration qui tend
selon lui à se substituer à l’envie dirigée vers les traditionnelles élites politi-
ques et économiques. En 1978, le sociologue américain William J. Goode
tente, avec The celebration of heroes, une synthèse ambitieuse, où il propose
de prendre au sérieux, dans une perspective non marxiste, les différentes
formes du « prestige comme système de contrôle », dans leurs dimensions à la
fois sociale, psychologique, éthique et économique. Il faut attendre ensuite les
années 1990 pour voir des sociologues s’intéresser concrètement au sujet. En
1992, le britannique Michael Billig consacre une enquête aux conversations
des gens ordinaires sur la famille royale. Et, en 1994, l’américain Joshua

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Gamson analyse finement les différentes facettes, les origines et les inci-
dences du culte de la célébrité aux États-Unis, insistant notamment sur le rôle
fondamental de la technologie photographique ; il est l’un des rares à s’ap-
puyer sur des enquêtes de terrain qu’il a lui-même réalisées : une observation
participante des spectateurs massés devant le bâtiment où sont décernés les
Golden globe awards à Hollywood, ainsi que l’organisation de groupes de
parole sur le rapport aux célébrités. Enfin, en 2001, l’anglais Chris Rojek,
dans un livre sobrement intitulé Celebrity, synthétise un certain nombre de
travaux publiés sur le sujet, insistant sur la modernité du phénomène ; il
propose notamment de distinguer entre « célébrité », « notoriété » et
« renom », et souligne le caractère éphémère des « celetoïds » et des
« celeactors » fabriqués par les médias populaires.
La psychologie n’est pas non plus absente du corpus des études sur la célé-
brité. Dès 1956, deux psychiatres américains, Donald Horton et Richard
Wohl, avaient publié dans une revue professionnelle un article qui fera date,
grâce à l’expression « interaction para-sociale » proposée pour qualifier le
type de relations que les médias procurent à leurs publics, donnant l’illusion
d’une interaction en face à face avec des artistes. Il faudra ensuite attendre
deux générations pour qu’un psychologue s’attelle à son tour au sujet. Les
anglais Andrew Evans et Glenn Gilson tentent en 1999 une « psychologie des
stars » à partir d’une compilation de diverses sources publiées. Et un autre
Anglais, David Giles – ex-journaliste spécialisé dans la culture populaire –
publie en 2000 une « psychologie de la gloire et de la célébrité » intitulée Illu-
sions of immortality, où il tente notamment d’explorer les effets de la célé-
brité sur les stars elles-mêmes – avec une amusante introduction imaginant les
affres de Kate Moss à court de lait devant aller acheter une bouteille chez
l’épicier du coin… En 2002, un article co-signé par Lynn McCutcheon et
d’autres psychologues anglais, dans une revue spécialisée, met au point une
« celebrity worship scale », afin de mesurer des degrés de pathologie dans
l’adoration des célébrités. La même année, un autre article, cosigné par John
Maltby et une équipe de psychologues anglais, utilise cette même échelle
pour mettre en évidence le lien entre « adoration des célébrités » et « orienta-
tion religieuse », mais sans parvenir à des résultats concluants. Maltby et
Giles uniront leurs efforts en 2006 pour s’interroger sur le lien – ambigu –
entre l’attachement des adolescents aux célébrités et la conquête d’une auto-
nomie émotionnelle par rapport aux parents. Enfin, tout récemment, le
psychologue américain Orville G. Brim a consacré un ouvrage aux fonde-
ments psychiques du désir de devenir célèbre, soulignant qu’il s’agit là d’un
point aveugle de la psychologie.
Les historiens ne sont que trois à avoir fait de la célébrité l’objet d’une
réflexion spécifique. Daniel Boorstin fit figure de pionnier avec son célèbre
The image de 1961, mélange d’analyse de la nouvelle culture américaine et de
pamphlet contre cette fausse valeur qu’est, à ses yeux, la célébrité ; plusieurs
fois réédité, le livre deviendra un best-seller international, inaugurant la
critique savante de la célébrité médiatique. Forme de modernisation à l’améri-
caine des thèses de l’École de Francfort sur la massification de la culture, il

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dénonce le règne de « l’image », pourvoyeuse de « pseudo-événements » et


génératrice d’une célébrité sans autre objet qu’elle-même, de sorte qu’une
personnalité n’est désormais rien d’autre qu’« une personne qui est connue
pour sa notoriété » (« a person who is known for his well-knowness »), selon
une formule qui deviendra un lieu commun à force d’être citée. Quarante ans
plus tard, l’Américaine Samantha Barbas retrace, en 2001, l’histoire du statut
de fan et du « culte de la célébrité » aux États-Unis à partir des débuts du
cinéma, à travers les fan clubs et les critiques qu’occasionnent parfois leurs
débordements. L’année suivante enfin, un autre historien américain, Charles
Ponce de Leon, s’intéresse à l’histoire du journalisme en Amérique depuis la
fin du XIXe siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, mettant en évidence
son inflexion vers des sujets touchant à l’intime et à la vie privée, notamment
celle des vedettes.
Notre corpus anglophone comprend également trois ethnologues ou
anthropologues. Hortense Powdermaker, en 1950, appliqua les méthodes de
l’observation ethnographique au monde hollywoodien. En 1984, l’anthropo-
logue américaniste John Caughey, se penchant sur les « mondes sociaux
imaginaires », s’intéressa notamment aux « personnages médiatiques », qui
peuvent être aussi bien des célébrités contemporaines que des figures histori-
ques ou des personnages fictionnels. Vingt ans plus tard, Kerry O. Ferris
mènera en 2004 une intéressante enquête de terrain à partir d’un recueil de
75 récits de gens ordinaires ayant croisé des célébrités à Los Angeles ; l’ar-
ticle décrit les manifestations émotionnelles associées à cette expérience, et
met en évidence, dans une perspective goffmanienne (Goffman, [1974] 1991),
les règles implicites de comportement chez les protagonistes de cette forme
particulière d’interaction.
Du côté de l’économie, il faut citer bien sûr le célèbre article de Sherwin
Rosen sur « l’économie des superstars » en 1981, qui faisait suite aux consi-
dérations sur l’économie du prestige abordées par Goode dans son livre sur la
célébration des héros. Quinze ans plus tard, un ouvrage apportera une contri-
bution supplémentaire : quoique non spécifiquement consacré à la célébrité
mais, plus généralement, aux très hauts revenus, The winner-take-all society
de Philip J. Cook et Robert H. Frank (1996) proposera une explication de
phénomènes économiques atypiques par la valeur ajoutée de la célébrité. Mais
seul, semble-t-il, le livre de l’américain Tyler Cowen, What price fame ?
(2000), prend pour objet l’économie de la célébrité en tant que telle, mettant
en évidence l’importance de cette question dans la société actuelle, et l’exis-
tence d’une économie spécifique, non connectée au mérite ; assimilant la
notoriété à une marque, il en donne une interprétation fonctionnaliste, faisant
de la quête de célébrité la marque d’une société qui réussit, même si elle peut
être préjudiciable aux individus qui s’y livrent et qui, parfois, succombent à
une forme d’intoxication à la célébrité (« fame addicts »).
Enfin, la philosophie brille par son mutisme sur cette question, à l’excep-
tion de l’américain Mark Rowlands qui, dans Fame (2008), se livre à une
attaque en règle contre les formes contemporaines de la célébrité, qu’il assi-
mile à un virus, nommé « vfame » ; disjonction de la célébrité et du respect,

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volatilité, dégénérescence culturelle : toutes les tares de ce « nouvel opium


des masses », version égalitariste de la vraie célébrité, se trouvent incarnées à
ses yeux en la personne de Paris Hilton.
Ce bilan confirme le diagnostic posé par Kristine Harmon : qu’il s’agisse
de reconstituer l’histoire de la gloire et les changements dans la nature de la
célébrité, de mettre au jour ses mécanismes, d’étudier le phénomène des fans
ou d’exposer des études de cas, la question de la célébrité n’occupe qu’une
place mineure dans les disciplines les plus traditionnellement implantées que
sont la philosophie et les sciences sociales, de sorte qu’elle souffre d’un
certain déficit de théorisation. Malgré la multiplication des travaux dans la
dernière génération, elle demeure surtout le fait des études littéraires, cinéma-
tographiques et médiatiques, apparaissant ainsi comme « l’une des formes de
connaissance sociale les plus dévaluées » (2005, p. 98). Et que dire alors
lorsque s’ajoute à cela, comme c’est le cas en France, la rareté des travaux ?

Approches françaises du culte de la célébrité

La situation française au regard de cette problématique est paradoxale : en


effet c’est un sociologue français, Edgar Morin, qui a produit, au plan
mondial, la première réflexion consistante spécifiquement dédiée à la ques-
tion des stars (paru en 1957, le livre sera traduit en anglais dès 1960) ; mais, à
de rares exceptions près, il faudra ensuite attendre une quarantaine d’années
pour voir paraître des études sur la célébrité, et en nombre encore bien limité
– à peine une douzaine d’ouvrages, toutes disciplines confondues.
Le livre célèbre de Morin a eu le mérite d’être l’un des premiers à pointer
l’intérêt sociologique ou anthropologique d’un phénomène qui, à l’époque où
il fut écrit, n’avait guère encore que deux générations. Après une analyse
souvent fine et, à bien des égards, encore convaincante aujourd’hui de cet
emblème de la célébrité que sont les vedettes de cinéma, l’auteur se livre à
une diatribe – où l’on reconnaît les thèmes familiers à l’École de Francfort –
contre le star system, « institution spécifique du grand capitalisme », syno-
nyme de « massification », de « multiplication des images » comme dévoie-
ment capitalistique de la véritable culture, de « marchandisation » élevée au
rang de « puissance mythique », bref de « fabrication » inauthentique, cons-
truite de toutes pièces à des fins mercantiles, au plus loin de toute authenticité
([1957] 1972, pp. 98-101). Morin était manifestement ambivalent envers un
phénomène qu’il prenait au sérieux, par l’analyse, tout en le discréditant, par
la réduction à une émanation du capitalisme. Faute de véritable enquête empi-
rique sur le sujet (démarche qui aurait constitué la véritable prise au sérieux),
il en reste à une interprétation métaphorique qui tente de se démarquer de la
stigmatisation postmarxiste en faisant « l’apologie d’un mythique populaire »
(Maigret, 2000, p. 221). Son point de vue évoluera toutefois, entre son
premier ouvrage consacré au cinéma, un an avant la publication des Stars
(Morin, 1956) et celui par lequel, en 1962, il étendra sa réflexion à cet Esprit

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Revue française de sociologie

du temps qu’est la « culture de masse ». Il y affirme notamment que les


« Olympiens » (terme popularisé par un article de Violette Morin en 1963)
« sont les condensateurs énergétiques de la culture de masse » : « surhumains
dans le rôle qu’ils incarnent, humains dans l’existence privée qu’ils vivent »,
ils « accomplissent les phantasmes que ne peuvent réaliser les mortels, mais
appellent les mortels à réaliser l’imaginaire » (Morin, 1962, pp. 145-146).
La même année que Les stars paraissait un autre ouvrage célèbre, dû non
plus à un sociologue mais à un sémiologue : Roland Barthes, dans ses Mytho-
logies (1957), consacrait deux courts chapitres au « Visage de Garbo » et à
« L’acteur d’Harcourt ». Il y exerçait sa discrète ironie à l’encontre de valeurs
typiques de la culture populaire, rebaptisée pour l’occasion « bourgeoise » –
seule façon de rendre audible, dans le monde intellectuel, la critique du
peuple.
Dix ans plus tard, un jeune philosophe français, Guy Debord, publie un
livre qui deviendra lui aussi une référence majeure dans la France de
l’après-Mai 68 : La société du spectacle (1967). Il y rafraîchit non plus,
comme venait de le faire Boorstin aux États-Unis, la critique de la massifica-
tion de la culture propre à l’École de Francfort, mais la critique de l’aliénation
propre à la tradition marxiste. L’essentiel de son argumentation se décline
dans les premières pages du livre : elle vise non plus l’incarnation caricaturale
de la célébrité que constitue la star, telle que l’avait analysée Morin, mais sa
forme ordinaire qu’est la condition de l’homme moderne, aliéné par un
« spectacle » qui n’est que représentation, séparation et médiation, donc inau-
thenticité. Notons que si l’essai d’Edgar Morin sur les stars arrivait à l’acmé
de la culture du cinéma comme divertissement mondialement populaire, celui
de Guy Debord sortit quelques années après que la télévision eut commencé
de détrôner le cinéma dans les pratiques de loisir, permettant à celui-ci de
prétendre, de plus en plus, au statut d’« art » à destination d’un public relati-
vement cultivé, tandis que la télévision devenait le loisir par excellence des
catégories sociales les plus basses dans la hiérarchie (Heinich, 2002).
Sous une forme plus universitaire et dénuée de visée critique, l’historien
Jean-Claude Schmitt publiera en 1983 un ouvrage collectif sur Les saints et
les stars, dont les auteurs s’attacheront à comparer le culte moderne des
vedettes avec l’hagiographie chrétienne. Dans le même esprit, quinze ans plus
tard, un ouvrage collectif dirigé par trois ethnologues (Centlivres, Fabre et
Zonabend, 1998) fera travailler la comparaison non plus avec les saints, mais
avec les héros, notamment dans un article de Jean-Pierre Albert sur les stars
(1998). L’économie aussi s’emparera du sujet grâce à la synthèse proposée
par Françoise Benhamou (2002) à partir des quelques travaux d’économistes
américains. Le droit enfin s’y intéressera, avec la thèse pionnière de David
Lefranc (2004), une somme considérable qui traite du statut juridique de la
renommée sous tous ses aspects (notamment le droit au nom, le droit à
l’image et le droit au secret de la vie privée), à partir d’une définition
convaincante du concept même de renommée en droit privé. Enfin, tout
récemment, les sciences politiques s’y sont mises également, grâce aux
travaux de Jamil Dakhlia sur la « peopolisation » du politique (2008).

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NOTE CRITIQUE

Mais ce sont les sociologues qui, en France, sont les plus nombreux à s’at-
teler au sujet, même si leurs contributions, tardives, demeurent encore rares.
Elles se concentrent sur deux thématiques : le statut des célébrités et les fans.
Concernant la première, elle a été inaugurée en 1990 avec une enquête origi-
nale de sociologie des professions menée par Sabine Chalvon-Demersay et
Dominique Pasquier sur les animateurs de télévision. Dix ans plus tard,
Emmanuel Ethis (2001) dirigera un ouvrage collectif sur le festival de
Cannes, où interviendront sociologues et ethnologues, notamment avec une
observation par Élisabeth Claverie (2001) des spectateurs de la « montée des
marches ». Un peu plus tard, Gabriel Segré s’intéressera à la fabrication des
stars de la télé-réalité à partir de l’observation des coulisses d’une émission
(2006), ainsi qu’au statut axiologique de ce type d’émissions à partir d’une
analyse de discours (2008). Tout récemment enfin, Alain Chenu (2008) s’est
attaché à quantifier la proportion des différentes catégories de personnalités
ayant fait la une de Paris-Match depuis 1949.
La seconde thématique – les fans – apparaît elle aussi tardivement dans la
sociologie française. Dominique Pasquier, dans la continuité de son travail
sur les animateurs, publie en 1999 une étude sur les adolescents fans d’une
série télévisée, Hélène et les garçons, et de son interprète principale, à partir
du courrier des spectateurs de l’émission. En 2000, Christian Le Bart et
Jean-Charles Ambroise enquêtent sur les fans des Beatles, tandis qu’Éric
Maigret revient dans un article sur les limites de l’analogie religieuse
(Maigret, 2000). Deux ans plus tard paraît, sous la direction de Philippe Le
Guern (2002), une anthologie en français sur la question des « œuvres
cultes », où figurent les travaux de Pasquier et Le Bart consacrés aux fans de
vedettes. Peu après, Gabriel Segré livrera un remarquable travail sur le « culte
Presley », issu d’une enquête de terrain dans un fan club et d’une observation
participante à Graceland (2003, 2007). Citons enfin, bien qu’il s’agisse d’un
article, la réflexion sociologique d’Emmanuel Ethis sur l’identification aux
stars de cinéma (2008).
C’est peu, comparé à la proliférante et protéiforme production académique
en langue anglaise. Philippe Le Guern le soulignera justement dans son
« bilan critique » publié dans un numéro spécial de la revue Réseaux consacré
aux « Passionnés, fans et amateurs » : « Handicapée par toute une série d’obs-
tacles objectifs – rareté des enseignements universitaires sur la culture popu-
laire et ses publics, et par conséquent sur les fans ; intérêt encore trop rare ou
limité pour les travaux anglo-saxons sur le sujet, ou pour des champs de
recherche susceptibles de renouveler les cadres d’analyse, tels les camp ou les
queer studies ; segmentation très forte des objets, un spécialiste de musiques
populaires étant le plus souvent ignorant des travaux sur la télévision et réci-
proquement –, l’étude des cultures fans peine à se développer en France :
portée par quelques individus, elle n’a jamais réussi à trouver de véritable
cohérence. Le contraste avec la situation en Angleterre et aux États-Unis est
saisissant quand on voit des départements entiers se pencher sur les publics
des bandes dessinées, sur les fans de Star Wars ou encore sur les fans de
musiques populaires et la question du genre. » (2009, p. 49).

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Revue française de sociologie

C’est à cette invisibilité en France de la « culture de la célébrité » qu’ont


récemment tenté de remédier des sociologues de la jeune génération, en atti-
rant l’attention sur ce qu’ils nomment les « médiacultures » : « média à la fois
comme industries culturelles et comme médiation, cultures comme rapport
anthropologique au monde à travers des objets à l’esthétique relationnelle
spécifique, le tout au pluriel pour souligner, au-delà de l’unité d’un même
type de médiation, la diversité proliférante des objets et de leurs usages »
(Macé, 2006, p. 135). Mais il faut pour cela déconstruire les catégories
universitaires traditionnelles, en « décloisonnant l’étude sur les médias (tradi-
tionnellement réservée aux spécialistes de la communication) de celle sur les
cultures (apanage des spécialistes de l’art, du cinéma, de la culture) et de celle
sur les politiques de représentations (réservée aux penseurs du politique) »
(Maigret et Macé, 2005, p. 10). Il faut aussi cesser de s’appuyer sur « la méta-
phore religieuse du culte comme pratique stéréotypée, opium d’un peuple
décérébré vendu par des industries culturelles » (Maigret, 2000, p. 102), et
cesser d’accepter sans discussion la qualification de « populaire », qui n’est le
plus souvent qu’une projection fantasmatique du monde lettré – d’où la néces-
sité de « faire un détour réflexif en affirmant l’impossibilité de faire la socio-
logie des fans sans faire la sociologie de ceux qui les construisent comme tels,
en particulier les savants » (ibid., p. 218).

Au-delà des différences

Ces différences massives entre les deux traditions académiques, anglo-


phone et francophone, pourraient s’expliquer, certes, par les spécificités de la
culture américaine, principale pourvoyeuse de travaux sur la célébrité : l’im-
portance de cette valeur, outre-Atlantique, ne suffirait-elle pas à rendre
compte de la quantité d’études universitaires qui lui sont consacrées depuis
environ une génération ? C’est ce que suggère Jake Halpern dans sa réflexion
sur les « drogués de célébrité » (« fame junkies ») aux États-Unis : de plus en
plus solitaires, les Américains trouveraient une compensation de leur isole-
ment dans l’attachement aux célébrités, seuls ou en groupe – il existe d’ail-
leurs là-bas une « National association of fan clubs » (2007, p. 182). Neal
Gabler, pour sa part, propose une explication moins psychologique et plus
convaincante, ancrée dans la spécificité de la culture américaine depuis le
XIXe siècle : la culture populaire y serait devenue l’incarnation même de la
démocratie, faisant du divertissement (« entertainment ») l’expression par
excellence de la vie américaine (notamment depuis l’apparition du cinéma,
loisir populaire s’il en est), et de l’Amérique une « République du
divertissement » (1998, p. 31).
En comparaison, la vieille Europe et, en particulier, la France demeurent
des bastions de la « haute culture », dont sont exclues les principales catégo-
ries de vedettes hors du commun ou, comme on dit parfois, « monstres
sacrés » que sont les acteurs de cinéma et les chanteurs de rock ou de pop

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NOTE CRITIQUE

music. Si l’on ajoute que la culture de la célébrité est, pour une grande part,
une culture sinon sans œuvres, du moins où la passion pour la personne de
l’acteur ou du chanteur compte au moins autant que la passion pour les films
ou les musiques qu’ils interprètent, on comprend d’autant mieux son invisibi-
lité dans l’intelligentsia.
Reste que, dans le monde universitaire proprement dit, la question de la
célébrité demeure reléguée, du côté anglo-américain comme du côté français,
aux disciplines considérées comme mineures ou – ce qui revient en partie au
même – récentes, telles que les études cinématographiques, les sciences de la
communication ou les cultural studies : c’est dire que le sujet, même s’il est
très présent dans la production universitaire actuelle, est peu académique.
C’est ce que remarquait notamment Joshua Gamson, auteur d’un des meil-
leurs ouvrages sur la question : « Peut-être en raison de cette large accessibi-
lité […], les universitaires et intellectuels tendent à traiter les travaux sur la
culture populaire avec un certain manque de respect. » (1994, p. 197). On
devine, dans ce mépris plus ou moins assumé, la double influence du
marxisme, à travers les notions d’« idéologie » et d’« aliénation » (influence
qui se fera sentir longtemps encore, par exemple avec un article de Barry King
en 1987), et de la théorie critique de l’École de Francfort et de son principal
représentant aux États-Unis, Herbert Marcuse (Marshall, 1997, pp. 9-10).
La doxa universitaire américaine n’est donc nullement exempte de la forte
hiérarchisation opposant haute culture et culture populaire – opposition qui
fait d’ailleurs l’objet, depuis une vingtaine d’années, d’un nombre considé-
rable de publications (Levine, [1988] 2010). Mais ce phénomène y a été
contrebalancé par l’émergence, à partir de la fin des années 1970, des cultural
studies, importées de l’école de Birmingham et de ses travaux pionniers sur le
rapport des classes populaires à la « culture », entendue au sens anthropolo-
gique élargi des façons d’être et des références partagées, et non plus seule-
ment au sens, traditionnel, des œuvres d’art majeur (Glevarec, Macé et
Maigret, 2008).
Si donc le monde universitaire français partage avec son homologue améri-
cain une attitude critique à l’égard des productions de la culture de masse, ce
n’est pas tant en vertu du « dénigrement de la vision » propre à la pensée fran-
çaise, qu’analyse Martin Jay (1993), qu’en raison de la prégnance d’une
conception hautement sélective de la « culture », assimilée aux arts majeurs
(version élitaire), et de l’influence des critiques formulées à partir de l’École
de Francfort contre l’aliénation des masses (version progressiste). Éric
Maigret résume bien les principaux thèmes chers à Adorno et à ses succes-
seurs : « Fantasme de l’atomisation sociale à travers la figure de l’individu
isolé, dément. Fantasme de la manipulation à travers la figure de la foule
hystérique, emmenée par un leader charismatique. Fantasme de la domination
capitaliste sans partage à travers la figure du fan collectionneur, insatisfait par
l’accumulation, obsédé par le vide de la valeur d’échange. Le consommateur
de médias populaires apparaît en effet à Adorno comme l’autre de la Culture,
de la Culture majuscule » (2000, p. 220).

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Revue française de sociologie

Il y a là un point commun fondamental entre les deux traditions universi-


taires, sur lequel il convient d’insister pour finir : dans la plupart des études
que nous avons mentionnées, exceptionnelles sont celles qui n’adoptent pas
un point de vue normatif sur leur sujet, que ce soit pour le critiquer – c’est la
version critique de l’aliénation ou de la domination des masses – ou pour l’en-
censer – c’est la version critique du mépris légitimiste pour la culture
populaire.

Point commun : la normativité

Le philosophe Thierry Lenain remarquait dans un article éclairant que la


perspective adoptée par Morin cédait à une forme de constructivisme critique,
dès lors qu’il prétendait qu’« il suffit d’injecter une personnalité construite de
toutes pièces dans une pin-up (c’est-à-dire un tendron apprêté dans un studio
de photographie) pour en faire une star » (2005, p. 324). Ce constructivisme
critique avant la lettre s’accompagne chez Morin d’une forme d’élitisme, dans
la mesure où la comparaison religieuse réduit l’adoration des stars « à l’ido-
lâtrie et au fétichisme identificatoires », ce qui, souligne Lenain, « ne laisse
finalement aucun crédit anthropologique au culte des stars, renvoyé en bloc
au registre de l’aliénation » (ibid.).
Globalement toutefois, l’approche de Morin peut être considérée, ainsi
qu’y invite Éric Macé, comme la première tentative visant à « dépasser les
apories de la théorie critique pour introduire la dimension dialectique des
industries culturelles et la dimension anthropologique de la culture de masse »
(2006, p. 17), « montrant en quoi elle constituait dorénavant une ressource
culturelle de première importance dans la formation des imaginaires indivi-
duels et collectifs » en « proposant à flot continu un nouvel idéal du moi à
travers le mythe du bonheur individuel » (ibid., pp. 52-53) : « tout comme il
existe une culture nationale produite par l’école, une culture religieuse
produite par l’Église, une culture humaniste produite par l’art et la philo-
sophie, il existe une culture de masse produite par les industries culturelles,
qui “se surajoute” aux premières : si elle n’est pas la “seule culture du
XXe siècle”, elle est “le courant véritablement massif et nouveau du
XXe siècle” » (ibid., pp. 54-55).
Or, c’est peu dire que Morin n’a guère été suivi dans cette inflexion de sa
pensée en faveur d’une amorce de prise en considération de la culture de
masse non comme modèle à saluer, mais comme phénomène anthropologique
à étudier – prise en considération qui aurait permis de conférer à la question
de la célébrité, si omniprésente dans le monde moderne, un statut d’objet inté-
ressant pour les sciences sociales. Relisons notamment cette appréciation peu
amène visant – implicitement – L’esprit du temps peu après sa parution, sous
la plume de deux jeunes collègues de Morin promis à un brillant avenir : « Il
est peut-être temps de bannir de l’univers scientifique où certains tentent de
l’introduire une vulgate pathétique qui s’est constituée – surtout en France – à

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NOTE CRITIQUE

leur sujet [les produits de l’industrie culturelle] et qui balance entre l’indé-
montrable et le même-pas-faux. » (Bourdieu et Passeron, 1963, p. 998).
Par-delà le règlement de comptes avec une conception désormais datée de
la sociologie, il faut voir dans ce jugement impitoyable les prémisses d’une
posture qui sera fortement reprochée à Pierre Bourdieu une génération plus
tard, une fois digéré le choc que représenta, dans la sociologie de la culture
française, la parution de La Distinction en 1979 : la posture dite « légiti-
miste », symétrique et inverse du « misérabilisme » dans le sort sociologique
fait à la culture populaire (Grignon et Passeron, 1989). Comme l’explique
clairement Éric Macé : « Le problème est que la sociologie de la culture a
entériné ce grand partage légitimiste construit par les élites. Ce qui l’a conduit
à ne s’intéresser (très marginalement) aux produits et aux pratiques cultu-
relles non élitistes que du point de vue de leur illégitimité, considérant toutes
autres approches comme tout aussi illégitimes dans le champ sociologique
que ces objets le sont du point de vue de l’élitisme culturel. Cette doxa légiti-
miste a constitué en France l’obstacle majeur à une véritable production de
connaissance sociologique sur la culture en général et sur la culture de masse
en particulier. » (2007, pp. 133-134).
Et en effet, le moins que l’on puisse dire est que la question des fans, au
croisement de la culture populaire et du culte des célébrités, n’a guère occupé
Bourdieu, si ce n’est, comme le fait remarquer Le Guern, pour assimiler le
« fandomisme » aux « pratiques de groupes sociaux spécifiques », en l’occur-
rence la petite bourgeoisie et les classes populaires, et en faire une illustration
parmi d’autres de « deux des caractéristiques les plus révélatrices des
dominés : le sentiment d’aliénation ou de dépossession, d’une part. Et d’autre
part, un rapport à la culture marqué par le sens de l’accumulation », faisant du
fan « cet archétype du public dominé à qui s’imposent le sens des hiérarchies
et – en certaines occasions – le sentiment de sa propre indignité culturelle »
(2009, pp. 31-32). Cette réduction de la culture de masse à la seule probléma-
tique de la domination rejoint la théorie de l’aliénation culturelle issue de
l’École de Francfort ; elle marquera profondément la sociologie française de
la culture à l’époque contemporaine (Heinich, 2011), contribuant probable-
ment à expliquer la faible pénétration des cultural studies en France (même si
Bourdieu fut l’introducteur de Hoggart, dès 1970, dans sa collection « Le sens
commun ») et, conséquemment, le faible développement des études sur la
célébrité, ainsi que la quasi-ignorance dont pâtissent encore les travaux
anglophones issus de ce courant.
Ceux-ci cependant souffrent eux aussi d’une forme d’aveuglement liée à la
posture critique, mais sur un mode inversé. L’on connaît en effet l’inflexion
qu’ont prise les cultural studies à partir des années 1980, lorsque, en traver-
sant l’Atlantique, elles se sont mariées au « postmodernisme » puisé dans la
philosophie française (Cusset, 2003) : l’intérêt anthropologique pour les
formes de culture non canoniques s’est mué en un exercice systématique de
« déconstruction » critique du « discours », ou plus exactement de ses formes
académiques, au profit d’une valorisation politique de tout ce qui participerait
à l’expression de « communautés » opprimées, des femmes aux homosexuels

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Revue française de sociologie

en passant par les minorités raciales. Voilà qui contribue à expliquer une
nouvelle forme d’intérêt, à partir des années 1990, pour la célébrité, en tant
qu’elle serait « intertextuellement construite » par des fans qui, dès lors,
peuvent apparaître non plus comme des « idiots culturels », victimes juvé-
niles, irresponsables et passives d’une industrie culturelle aliénante, mais
comme les acteurs de leur propre culture, capables de discriminer entre ce qui
serait « authentique » et ce qui ne relèverait que de la récupération commer-
ciale (Grossberg [1992] 2006, p. 582). Ce fut le cas notamment avec les
contributions de Christine Gledhill en 1991, de Henry Jenkins en 1992 et, la
même année, de Lisa Lewis, laquelle explique que la collection d’articles
qu’elle a réunis « a été conçue pour offrir aux fans la reconnaissance et le
respect qu’ils méritent en tant que producteurs culturels qui répondent de
façon créative au milieu social » (1992, p. 6).
Le problème est que la normativité laudative qui stérilise les cultural
studies plombe l’investigation aussi sûrement que ce contre quoi elle se bat, à
savoir la normativité critique qui domine traditionnellement le monde intel-
lectuel : à vouloir démontrer la créativité des amateurs de célébrité et la diver-
sité de leurs investissements en fonction de leurs supposées appartenances
communautaires, on n’obtient guère que des litanies de lieux communs sur le
« discours social » et le « texte », assorties de considérations de principe –
éventuellement adossées à quelques analyses de discours – sur les intérêts
spécifiques des femmes, des homosexuels ou des Noirs pour telle ou telle
célébrité.
C’est dire qu’il n’y a qu’un pas entre la revendication d’une place pour la
célébrité dans le monde universitaire, en tant qu’objet d’étude légitime, et la
revendication d’une place pour l’amour des célébrités dans le monde social en
tant que pratique légitime – si même la différence entre ces deux registres
discursifs est perçue par les auteurs de ce type de publications. De sorte
qu’une prise au sérieux de cette question par une sociologie qui serait à la fois
empiriquement étayée et théoriquement ambitieuse, allant au-delà des études
de cas sans s’envoler dans les généralités sur « le social » ou « la postmoder-
nité », doit se battre sur un double front : non seulement « l’opposition persis-
tante entre la bonne rationalité et le mauvais “cultisme” » qui, comme le note
Le Guern, « continue à structurer l’univers académique et, par conséquent, à
exclure les fans comme sujet d’étude sérieux » (2009, p. 24) ; mais aussi le
plaidoyer plus moderne (ou postmoderne) en faveur des cultures populaires,
malheureuses victimes d’une injuste discrimination alors qu’elles porteraient
en elles des trésors de créativité ignorée.
C’est dire que, pour avancer vers une réelle élucidation du statut de la célé-
brité dans le monde contemporain, il faudrait aussi cesser de s’appuyer sur ce
que sont devenues les cultural studies dans le monde universitaire anglophone
où elles ont pris naissance. Car à importer sans distance les publications qui,
aujourd’hui, tiennent le haut du pavé en matière de culture de la célébrité et,
plus généralement, de culture populaire, on introduirait aussi ce qui, précisé-
ment, fait obstacle à une claire intelligibilité du phénomène : à savoir une
normativité rampante, même renversée de la critique à l’éloge, qui demeure le

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NOTE CRITIQUE

point commun aux traditions universitaires anglophone et francophone en


matière de culture de la célébrité.
Ce n’est donc pas parce que les chercheurs anglophones ont pris une
grande longueur d’avance sur les Français dans les études sur la célébrité
qu’il n’y aurait plus qu’à les traduire pour combler notre retard : en effet, une
part considérable de ces travaux sont fortement marqués par leur contexte
académique, donc souvent très datés, rarement appuyés sur des enquêtes
spécifiques, peu ambitieux intellectuellement et, d’une étude de cas à l’autre,
assez répétitifs. Aussi y a-t-il encore beaucoup à faire pour arracher cette
question importante – parce qu’elle touche à des enjeux non seulement
« culturels », mais aussi politiques, religieux, économiques, juridiques,
psychologiques, moraux – à la double et contradictoire invisibilité que lui fait
subir l’approche normative, qu’elle soit critique ou anti-critique.
Qu’un phénomène soit considéré comme « vulgaire » ne devrait être ni un
obstacle à son étude – parce que la vulgarité n’est que la forme disqualifiée de
la popularité, indice d’une réalité massive –, ni une incitation à instrumenter
son étude au profit de la réhabilitation d’une pratique qui, de toute façon n’a
nul besoin du monde universitaire pour se déployer. Il y a donc encore de la
place, de part et d’autre de l’Atlantique, pour une sociologie novatrice de la
célébrité – à condition du moins que les sociologues acceptent de sortir d’une
conception normative de leur rôle.

Nathalie HEINICH
Centre de recherches sur les arts et le langage (Cral)-Ehess
96, boulevard Raspail – 75006 Paris
heinich@ehess.fr

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