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Nathalie Heinich
French National Centre for Scientific Research
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NOTE CRITIQUE
RÉSUMÉ
Il existe dans le monde universitaire anglophone un important courant de recherches,
développé dans la dernière génération, sur la « celebrity culture », qui n’a pas son équivalent
en français. Après avoir dressé un bilan de ces travaux, discipline par discipline, cette note
critique tente d’élucider les raisons d’un tel décalage entre sciences sociales anglophone et
francophone, et d’identifier les obstacles qui, dans l’une et l’autre traditions, peuvent encore
entraver le développement d’une sociologie de la célébrité capable d’éclairer, hors de toute
visée normative, les multiples facettes d’un phénomène devenu, au XXe siècle, quasi univer-
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Un décalage transatlantique
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C’est toutefois la discipline qui offre l’entrée la plus parlante dans cette
production, caractérisée par une grande variété de spécialisations universi-
taires. L’essor des travaux sur la célébrité à partir de la fin des années 1970
provient avant tout des spécialistes de cinéma. Le premier d’entre eux fut le
critique américain James Monaco, qui rassembla en 1978 un ensemble de
textes sur la célébrité, au sein de laquelle il distingue trois catégories : les
« héros », qui ont accompli un exploit, les « stars », se distinguant avant tout
par leur personnalité publique, et les « quasars », dont la célébrité n’advient
que par accident. L’année suivante, l’historien du cinéma anglais Richard
Dyer publie un livre sobrement intitulé Stars où, à partir d’une historio-
graphie du Hollywood de l’entre-deux guerres, il défend avec conviction une
conception marxiste de la star comme dépositaire et instrument de promotion
de l’idéologie dominante des sociétés industrielles occidentales – il y
reviendra dans un second livre, en 1986, à partir de trois études de cas. En
1985, Richard Schickel – auteur en 1973 d’une biographie de l’acteur
Douglas Fairbanks – propose une analyse des célébrités comme des « étran-
gers intimes » (« intimage strangers »), relevant d’un monde ambigu issu du
brouillage des frontières entre vie publique et vie privée. Un autre historien
du cinéma américain, Neal Gabler – auteur d’une monumentale histoire des
grands producteurs juifs d’Hollywood –, publie dans la décennie suivante
deux livres importants : l’un, en 1995, consacré à Walter Winchell, célèbre
éditorialiste qui introduisit dans la presse la culture du ragot à propos des
célébrités, inaugurant la dépendance du pouvoir envers les médias ; l’autre, en
1998, consacré à la culture du divertissement (« entertainment »), dont il
montre qu’elle est constitutive de l’identité américaine, construite donc sur la
culture populaire et non sur la culture savante, notamment depuis l’apparition
du cinéma. Enfin, plus récemment, la britannique Su Holmes et le néo-zélan-
dais Sean Redmond ont réuni, en 2006, un ensemble de contributions sur
divers sujets relatifs à la célébrité sous ses formes les plus contemporaines –
télé-réalité, stars de la télévision, hommes politiques, communautés de fans
sur Internet, etc.
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Viennent ensuite des disciplines plus canoniques, mais moins prolixes sur
la question de la célébrité. Chronologiquement, les sociologues ont été les
premiers à s’intéresser au sujet : Leo Löwenthal, sociologue d’origine alle-
mande, associé à l’École de Francfort, publia dès 1943 un livre sur la culture
populaire où il analysait notamment les articles biographiques des magazines
grand public ; il mit ainsi en évidence la nette augmentation des biographies
de personnalités du spectacle entre 1901 et 1941, au détriment des personna-
lités issues de la vie politique, entrepreneuriale et professionnelle ; et, au sein
même du monde artistique, la baisse considérable des arts « sérieux » au
profit du divertissement. Vingt ans plus tard, en 1962, le sociologue canadien
Orrin Klapp consacre un ouvrage aux différentes catégories de héros, et
déplore la « détérioration » des héros que constitue le « culte des célébrités »,
signe d’un « manque de discrimination » allant de pair avec la démocratisa-
tion. L’année suivante, la traduction en anglais d’un ouvrage du sociologue
italien Francesco Alberoni (1963) – qu’il faut mentionner ici bien qu’il ne soit
pas issu d’un pays anglophone – popularise dans le monde intellectuel l’idée
d’une « élite sans pouvoir » : celle des stars, objets d’une admiration qui tend
selon lui à se substituer à l’envie dirigée vers les traditionnelles élites politi-
ques et économiques. En 1978, le sociologue américain William J. Goode
tente, avec The celebration of heroes, une synthèse ambitieuse, où il propose
de prendre au sérieux, dans une perspective non marxiste, les différentes
formes du « prestige comme système de contrôle », dans leurs dimensions à la
fois sociale, psychologique, éthique et économique. Il faut attendre ensuite les
années 1990 pour voir des sociologues s’intéresser concrètement au sujet. En
1992, le britannique Michael Billig consacre une enquête aux conversations
des gens ordinaires sur la famille royale. Et, en 1994, l’américain Joshua
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Gamson analyse finement les différentes facettes, les origines et les inci-
dences du culte de la célébrité aux États-Unis, insistant notamment sur le rôle
fondamental de la technologie photographique ; il est l’un des rares à s’ap-
puyer sur des enquêtes de terrain qu’il a lui-même réalisées : une observation
participante des spectateurs massés devant le bâtiment où sont décernés les
Golden globe awards à Hollywood, ainsi que l’organisation de groupes de
parole sur le rapport aux célébrités. Enfin, en 2001, l’anglais Chris Rojek,
dans un livre sobrement intitulé Celebrity, synthétise un certain nombre de
travaux publiés sur le sujet, insistant sur la modernité du phénomène ; il
propose notamment de distinguer entre « célébrité », « notoriété » et
« renom », et souligne le caractère éphémère des « celetoïds » et des
« celeactors » fabriqués par les médias populaires.
La psychologie n’est pas non plus absente du corpus des études sur la célé-
brité. Dès 1956, deux psychiatres américains, Donald Horton et Richard
Wohl, avaient publié dans une revue professionnelle un article qui fera date,
grâce à l’expression « interaction para-sociale » proposée pour qualifier le
type de relations que les médias procurent à leurs publics, donnant l’illusion
d’une interaction en face à face avec des artistes. Il faudra ensuite attendre
deux générations pour qu’un psychologue s’attelle à son tour au sujet. Les
anglais Andrew Evans et Glenn Gilson tentent en 1999 une « psychologie des
stars » à partir d’une compilation de diverses sources publiées. Et un autre
Anglais, David Giles – ex-journaliste spécialisé dans la culture populaire –
publie en 2000 une « psychologie de la gloire et de la célébrité » intitulée Illu-
sions of immortality, où il tente notamment d’explorer les effets de la célé-
brité sur les stars elles-mêmes – avec une amusante introduction imaginant les
affres de Kate Moss à court de lait devant aller acheter une bouteille chez
l’épicier du coin… En 2002, un article co-signé par Lynn McCutcheon et
d’autres psychologues anglais, dans une revue spécialisée, met au point une
« celebrity worship scale », afin de mesurer des degrés de pathologie dans
l’adoration des célébrités. La même année, un autre article, cosigné par John
Maltby et une équipe de psychologues anglais, utilise cette même échelle
pour mettre en évidence le lien entre « adoration des célébrités » et « orienta-
tion religieuse », mais sans parvenir à des résultats concluants. Maltby et
Giles uniront leurs efforts en 2006 pour s’interroger sur le lien – ambigu –
entre l’attachement des adolescents aux célébrités et la conquête d’une auto-
nomie émotionnelle par rapport aux parents. Enfin, tout récemment, le
psychologue américain Orville G. Brim a consacré un ouvrage aux fonde-
ments psychiques du désir de devenir célèbre, soulignant qu’il s’agit là d’un
point aveugle de la psychologie.
Les historiens ne sont que trois à avoir fait de la célébrité l’objet d’une
réflexion spécifique. Daniel Boorstin fit figure de pionnier avec son célèbre
The image de 1961, mélange d’analyse de la nouvelle culture américaine et de
pamphlet contre cette fausse valeur qu’est, à ses yeux, la célébrité ; plusieurs
fois réédité, le livre deviendra un best-seller international, inaugurant la
critique savante de la célébrité médiatique. Forme de modernisation à l’améri-
caine des thèses de l’École de Francfort sur la massification de la culture, il
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Mais ce sont les sociologues qui, en France, sont les plus nombreux à s’at-
teler au sujet, même si leurs contributions, tardives, demeurent encore rares.
Elles se concentrent sur deux thématiques : le statut des célébrités et les fans.
Concernant la première, elle a été inaugurée en 1990 avec une enquête origi-
nale de sociologie des professions menée par Sabine Chalvon-Demersay et
Dominique Pasquier sur les animateurs de télévision. Dix ans plus tard,
Emmanuel Ethis (2001) dirigera un ouvrage collectif sur le festival de
Cannes, où interviendront sociologues et ethnologues, notamment avec une
observation par Élisabeth Claverie (2001) des spectateurs de la « montée des
marches ». Un peu plus tard, Gabriel Segré s’intéressera à la fabrication des
stars de la télé-réalité à partir de l’observation des coulisses d’une émission
(2006), ainsi qu’au statut axiologique de ce type d’émissions à partir d’une
analyse de discours (2008). Tout récemment enfin, Alain Chenu (2008) s’est
attaché à quantifier la proportion des différentes catégories de personnalités
ayant fait la une de Paris-Match depuis 1949.
La seconde thématique – les fans – apparaît elle aussi tardivement dans la
sociologie française. Dominique Pasquier, dans la continuité de son travail
sur les animateurs, publie en 1999 une étude sur les adolescents fans d’une
série télévisée, Hélène et les garçons, et de son interprète principale, à partir
du courrier des spectateurs de l’émission. En 2000, Christian Le Bart et
Jean-Charles Ambroise enquêtent sur les fans des Beatles, tandis qu’Éric
Maigret revient dans un article sur les limites de l’analogie religieuse
(Maigret, 2000). Deux ans plus tard paraît, sous la direction de Philippe Le
Guern (2002), une anthologie en français sur la question des « œuvres
cultes », où figurent les travaux de Pasquier et Le Bart consacrés aux fans de
vedettes. Peu après, Gabriel Segré livrera un remarquable travail sur le « culte
Presley », issu d’une enquête de terrain dans un fan club et d’une observation
participante à Graceland (2003, 2007). Citons enfin, bien qu’il s’agisse d’un
article, la réflexion sociologique d’Emmanuel Ethis sur l’identification aux
stars de cinéma (2008).
C’est peu, comparé à la proliférante et protéiforme production académique
en langue anglaise. Philippe Le Guern le soulignera justement dans son
« bilan critique » publié dans un numéro spécial de la revue Réseaux consacré
aux « Passionnés, fans et amateurs » : « Handicapée par toute une série d’obs-
tacles objectifs – rareté des enseignements universitaires sur la culture popu-
laire et ses publics, et par conséquent sur les fans ; intérêt encore trop rare ou
limité pour les travaux anglo-saxons sur le sujet, ou pour des champs de
recherche susceptibles de renouveler les cadres d’analyse, tels les camp ou les
queer studies ; segmentation très forte des objets, un spécialiste de musiques
populaires étant le plus souvent ignorant des travaux sur la télévision et réci-
proquement –, l’étude des cultures fans peine à se développer en France :
portée par quelques individus, elle n’a jamais réussi à trouver de véritable
cohérence. Le contraste avec la situation en Angleterre et aux États-Unis est
saisissant quand on voit des départements entiers se pencher sur les publics
des bandes dessinées, sur les fans de Star Wars ou encore sur les fans de
musiques populaires et la question du genre. » (2009, p. 49).
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music. Si l’on ajoute que la culture de la célébrité est, pour une grande part,
une culture sinon sans œuvres, du moins où la passion pour la personne de
l’acteur ou du chanteur compte au moins autant que la passion pour les films
ou les musiques qu’ils interprètent, on comprend d’autant mieux son invisibi-
lité dans l’intelligentsia.
Reste que, dans le monde universitaire proprement dit, la question de la
célébrité demeure reléguée, du côté anglo-américain comme du côté français,
aux disciplines considérées comme mineures ou – ce qui revient en partie au
même – récentes, telles que les études cinématographiques, les sciences de la
communication ou les cultural studies : c’est dire que le sujet, même s’il est
très présent dans la production universitaire actuelle, est peu académique.
C’est ce que remarquait notamment Joshua Gamson, auteur d’un des meil-
leurs ouvrages sur la question : « Peut-être en raison de cette large accessibi-
lité […], les universitaires et intellectuels tendent à traiter les travaux sur la
culture populaire avec un certain manque de respect. » (1994, p. 197). On
devine, dans ce mépris plus ou moins assumé, la double influence du
marxisme, à travers les notions d’« idéologie » et d’« aliénation » (influence
qui se fera sentir longtemps encore, par exemple avec un article de Barry King
en 1987), et de la théorie critique de l’École de Francfort et de son principal
représentant aux États-Unis, Herbert Marcuse (Marshall, 1997, pp. 9-10).
La doxa universitaire américaine n’est donc nullement exempte de la forte
hiérarchisation opposant haute culture et culture populaire – opposition qui
fait d’ailleurs l’objet, depuis une vingtaine d’années, d’un nombre considé-
rable de publications (Levine, [1988] 2010). Mais ce phénomène y a été
contrebalancé par l’émergence, à partir de la fin des années 1970, des cultural
studies, importées de l’école de Birmingham et de ses travaux pionniers sur le
rapport des classes populaires à la « culture », entendue au sens anthropolo-
gique élargi des façons d’être et des références partagées, et non plus seule-
ment au sens, traditionnel, des œuvres d’art majeur (Glevarec, Macé et
Maigret, 2008).
Si donc le monde universitaire français partage avec son homologue améri-
cain une attitude critique à l’égard des productions de la culture de masse, ce
n’est pas tant en vertu du « dénigrement de la vision » propre à la pensée fran-
çaise, qu’analyse Martin Jay (1993), qu’en raison de la prégnance d’une
conception hautement sélective de la « culture », assimilée aux arts majeurs
(version élitaire), et de l’influence des critiques formulées à partir de l’École
de Francfort contre l’aliénation des masses (version progressiste). Éric
Maigret résume bien les principaux thèmes chers à Adorno et à ses succes-
seurs : « Fantasme de l’atomisation sociale à travers la figure de l’individu
isolé, dément. Fantasme de la manipulation à travers la figure de la foule
hystérique, emmenée par un leader charismatique. Fantasme de la domination
capitaliste sans partage à travers la figure du fan collectionneur, insatisfait par
l’accumulation, obsédé par le vide de la valeur d’échange. Le consommateur
de médias populaires apparaît en effet à Adorno comme l’autre de la Culture,
de la Culture majuscule » (2000, p. 220).
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leur sujet [les produits de l’industrie culturelle] et qui balance entre l’indé-
montrable et le même-pas-faux. » (Bourdieu et Passeron, 1963, p. 998).
Par-delà le règlement de comptes avec une conception désormais datée de
la sociologie, il faut voir dans ce jugement impitoyable les prémisses d’une
posture qui sera fortement reprochée à Pierre Bourdieu une génération plus
tard, une fois digéré le choc que représenta, dans la sociologie de la culture
française, la parution de La Distinction en 1979 : la posture dite « légiti-
miste », symétrique et inverse du « misérabilisme » dans le sort sociologique
fait à la culture populaire (Grignon et Passeron, 1989). Comme l’explique
clairement Éric Macé : « Le problème est que la sociologie de la culture a
entériné ce grand partage légitimiste construit par les élites. Ce qui l’a conduit
à ne s’intéresser (très marginalement) aux produits et aux pratiques cultu-
relles non élitistes que du point de vue de leur illégitimité, considérant toutes
autres approches comme tout aussi illégitimes dans le champ sociologique
que ces objets le sont du point de vue de l’élitisme culturel. Cette doxa légiti-
miste a constitué en France l’obstacle majeur à une véritable production de
connaissance sociologique sur la culture en général et sur la culture de masse
en particulier. » (2007, pp. 133-134).
Et en effet, le moins que l’on puisse dire est que la question des fans, au
croisement de la culture populaire et du culte des célébrités, n’a guère occupé
Bourdieu, si ce n’est, comme le fait remarquer Le Guern, pour assimiler le
« fandomisme » aux « pratiques de groupes sociaux spécifiques », en l’occur-
rence la petite bourgeoisie et les classes populaires, et en faire une illustration
parmi d’autres de « deux des caractéristiques les plus révélatrices des
dominés : le sentiment d’aliénation ou de dépossession, d’une part. Et d’autre
part, un rapport à la culture marqué par le sens de l’accumulation », faisant du
fan « cet archétype du public dominé à qui s’imposent le sens des hiérarchies
et – en certaines occasions – le sentiment de sa propre indignité culturelle »
(2009, pp. 31-32). Cette réduction de la culture de masse à la seule probléma-
tique de la domination rejoint la théorie de l’aliénation culturelle issue de
l’École de Francfort ; elle marquera profondément la sociologie française de
la culture à l’époque contemporaine (Heinich, 2011), contribuant probable-
ment à expliquer la faible pénétration des cultural studies en France (même si
Bourdieu fut l’introducteur de Hoggart, dès 1970, dans sa collection « Le sens
commun ») et, conséquemment, le faible développement des études sur la
célébrité, ainsi que la quasi-ignorance dont pâtissent encore les travaux
anglophones issus de ce courant.
Ceux-ci cependant souffrent eux aussi d’une forme d’aveuglement liée à la
posture critique, mais sur un mode inversé. L’on connaît en effet l’inflexion
qu’ont prise les cultural studies à partir des années 1980, lorsque, en traver-
sant l’Atlantique, elles se sont mariées au « postmodernisme » puisé dans la
philosophie française (Cusset, 2003) : l’intérêt anthropologique pour les
formes de culture non canoniques s’est mué en un exercice systématique de
« déconstruction » critique du « discours », ou plus exactement de ses formes
académiques, au profit d’une valorisation politique de tout ce qui participerait
à l’expression de « communautés » opprimées, des femmes aux homosexuels
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en passant par les minorités raciales. Voilà qui contribue à expliquer une
nouvelle forme d’intérêt, à partir des années 1990, pour la célébrité, en tant
qu’elle serait « intertextuellement construite » par des fans qui, dès lors,
peuvent apparaître non plus comme des « idiots culturels », victimes juvé-
niles, irresponsables et passives d’une industrie culturelle aliénante, mais
comme les acteurs de leur propre culture, capables de discriminer entre ce qui
serait « authentique » et ce qui ne relèverait que de la récupération commer-
ciale (Grossberg [1992] 2006, p. 582). Ce fut le cas notamment avec les
contributions de Christine Gledhill en 1991, de Henry Jenkins en 1992 et, la
même année, de Lisa Lewis, laquelle explique que la collection d’articles
qu’elle a réunis « a été conçue pour offrir aux fans la reconnaissance et le
respect qu’ils méritent en tant que producteurs culturels qui répondent de
façon créative au milieu social » (1992, p. 6).
Le problème est que la normativité laudative qui stérilise les cultural
studies plombe l’investigation aussi sûrement que ce contre quoi elle se bat, à
savoir la normativité critique qui domine traditionnellement le monde intel-
lectuel : à vouloir démontrer la créativité des amateurs de célébrité et la diver-
sité de leurs investissements en fonction de leurs supposées appartenances
communautaires, on n’obtient guère que des litanies de lieux communs sur le
« discours social » et le « texte », assorties de considérations de principe –
éventuellement adossées à quelques analyses de discours – sur les intérêts
spécifiques des femmes, des homosexuels ou des Noirs pour telle ou telle
célébrité.
C’est dire qu’il n’y a qu’un pas entre la revendication d’une place pour la
célébrité dans le monde universitaire, en tant qu’objet d’étude légitime, et la
revendication d’une place pour l’amour des célébrités dans le monde social en
tant que pratique légitime – si même la différence entre ces deux registres
discursifs est perçue par les auteurs de ce type de publications. De sorte
qu’une prise au sérieux de cette question par une sociologie qui serait à la fois
empiriquement étayée et théoriquement ambitieuse, allant au-delà des études
de cas sans s’envoler dans les généralités sur « le social » ou « la postmoder-
nité », doit se battre sur un double front : non seulement « l’opposition persis-
tante entre la bonne rationalité et le mauvais “cultisme” » qui, comme le note
Le Guern, « continue à structurer l’univers académique et, par conséquent, à
exclure les fans comme sujet d’étude sérieux » (2009, p. 24) ; mais aussi le
plaidoyer plus moderne (ou postmoderne) en faveur des cultures populaires,
malheureuses victimes d’une injuste discrimination alors qu’elles porteraient
en elles des trésors de créativité ignorée.
C’est dire que, pour avancer vers une réelle élucidation du statut de la célé-
brité dans le monde contemporain, il faudrait aussi cesser de s’appuyer sur ce
que sont devenues les cultural studies dans le monde universitaire anglophone
où elles ont pris naissance. Car à importer sans distance les publications qui,
aujourd’hui, tiennent le haut du pavé en matière de culture de la célébrité et,
plus généralement, de culture populaire, on introduirait aussi ce qui, précisé-
ment, fait obstacle à une claire intelligibilité du phénomène : à savoir une
normativité rampante, même renversée de la critique à l’éloge, qui demeure le
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NOTE CRITIQUE
Nathalie HEINICH
Centre de recherches sur les arts et le langage (Cral)-Ehess
96, boulevard Raspail – 75006 Paris
heinich@ehess.fr
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