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Le Roi Maya
Le Roi Maya
Américanistes
Baudez Claude-François. Le roi maya en face. In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 85, 1999. pp. 43-66;
doi : 10.3406/jsa.1999.1729
http://www.persee.fr/doc/jsa_0037-9174_1999_num_85_1_1729
Résumé
Les sculpteurs mayas ont presque toujours représenté leurs personnages avec le visage de profil, et
seule l'image du roi a parfois échappé à cette règle, comme dans le Petén du Classique Ancien sous
l'influence de Teotihuacan. Il est suggéré que le visage royal vu de face établit une relation privilégiée
avec le spectateur et lui impose crainte et respect. La sculpture de Copán et de Quirigua, dès ses
débuts, adopte cette perspective qui permet de développer le relief, le volume et la taille des
monuments. À Toniná, la frontalité aurait aussi précédé et encouragé le haut-relief. À Piedras Negras,
en revanche, il est plus difficile de comprendre pourquoi le roi est montré tantôt de face, tantôt de
profil.
Resumen
El rey maya de frente En regla general, los escultores mayas han representado a sus personajes con
la cara de perfil y las excepciones se refieren casi todas a la figura real, como en el Petén del Clásico
Temprano, bajo la influencia de Teotihuacan. Está sugerido que la cara del rey, vista de frente,
establece una relación privilegiada con el espectador y le impone temor y respecte. Desde sus
primeras estelas, la escultura de Copán y la de Quírigua adoptan esta perspectiva, la cual permite el
desarrollo del relieve, del volumen y del tamafio de los monumentos. En Toniná, la frontalidad también
parece haber precedido el alto relieve y favorecido su desarrollo. En cambio, en Piedras Negras,
queda más difícil entender porque el rostro del rey está presentado a veces de frente y a veces de
perfil.
LE ROI MAYA EN FACE
Les sculpteurs mayas ont presque toujours représenté leurs personnages avec le visage de
profil, et seule l'image du roi a parfois échappé à cette règle, comme dans le Petén du Classique
Ancien sous l'influence de Teotihuacan. Il est suggéré que le visage royal vu de face établit une
relation privilégiée avec le spectateur et lui impose crainte et respect. La sculpture de Copán et de
Quirigua, dès ses débuts, adopte cette perspective qui permet de développer le relief, le volume et
la taille des monuments. À Toniná, la frontalité aurait aussi précédé et encouragé le haut-relief.
À Piedras Negras, en revanche, il est plus difficile de comprendre pourquoi le roi est montré
tantôt de face, tantôt de profil.
Mots clés : Maya, roi, face, profil, période classique, Basses Terres centrales, Teotihuacan.
En régla general, los escultores mayas han representado a sus personajes con la cara de perfil
y las excepciones se refieren casi todas a la figura real, como en el Petén del Clásico Temprano,
bajo la influencia de Teotihuacan. Esta sugerido que la cara del rey, vista de frente, establece una
relación privilegiada con el espectador y le impone temor y respecte. Desde sus primeras estelas,
la escultura de Copán y la de Quirigua adoptan esta perspectiva, la cual permite el desarrollo
del relieve, del volumen y del tamafio de los monumentos. En Toniná, la frontalidad también
parece haber precedido el alto relieve y favorecido su desarrollo. En cambio, en Piedras Negras,
queda más difícil entender porque el rostro del rey esta presentado a veces de frente y a veces de
perfil.
Palabras cla ves : Maya, frente, perfil, periodo clásico, Tierras Bajas Centrales, Teotihuacan.
As a rule, Maya artists have shown the human figure with his face in profile, with a few
exceptions that almost always concerned the king, as in the Teotihuacan-infmenced Peten of the
Early Classic period. It is suggested that the royal face, seen in front view, sets up a special
relationship with the viewer, and imposes upon him fear and respect. From its beginnings, the
sculpture at Copán and Quirigua adopted this perspective, that allowed an increase in the relief,
* Équipe « Archéologie des Amériques » du CNRS, Maison de l'archéologie et de l'ethnologie, 21, allée
de l'Université, 92023 Nanterre cedex.
Journal de la Société des Américanistes 1999, 85 : p. 43 à 66. Copyright © Société des Américanistes.
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volume and size of their monuments. At Toniná, it seems that the front view was used before the
development of high relief, while it is not easy to understand why, at Piedras Negras, the king's
face is shown at times in profile, at times in front.
Key words : Maya, king, front, profile, Classic period, Central Lowlands, Teotihuacan.
Face ou profil est un choix qui n'obéit pas seulement à des considérations
techniques ou esthétiques, mais sémantiques. La différence fondamentale entre les options
de ce choix réside dans la relation entre le spectateur et la représentation ; quand le
premier regarde un ou des personnages (ou visage) de profil, il est dans la simple
situation du voyeur qui voit sans être vu ; par contre, mis en présence d'une face, il est
confronté à un autre regard que le sien, qui l'interpelle et l'implique, et cela même
quand il s'agit d'une image de pierre, sculpture en pied ou simple masque. Cet échange
de regards, ce face-à-face est ambivalent : le spectateur est fasciné mais au risque de se
perdre. A priori la vue frontale serait à la fois plus importante, plus compromettante et
plus dangereuse que la vue de profil.
Si le souverain et ses proches sont les seuls humains à avoir parfois échappé à la
règle générale du visage de profil, ces exceptions ne sont pas distribuées au hasard dans
le temps et dans l'espace. L'image du roi en face, loin d'obéir au caprice de l'artiste ou
du souverain, son modèle, est un phénomène culturel qui s'est manifesté seulement en
certains lieux et à certaines époques. Même en admettant que l'adoption d'une telle
convention puisse être en partie due à des accidents historiques, on doit s'interroger
sur l'origine de cette déviance et sur sa signification. A-t-elle modifié l'attitude du
spectateur à l'égard de son souverain ? Pour quelles raisons la frontalité a-t-elle été
préférée, puis abandonnée ? Quand les présentations de profil ont-elles coexisté avec
celles de face et à quelles considérations le choix de l'une ou de l'autre a-t-il obéi ? La
frontalité a-t-elle eu une incidence sur l'évolution de la technique et du style ?
Les Olmèques se sont particulièrement distingués dans la ronde-bosse, mais ils ont
également exécuté des bas-reliefs sur des parois rocheuses ou sur des stèles. Dans la
majorité de ces cas, les personnages ont la tête de profil, à peu d'exceptions près
comme la Stèle 2 de La Venta sur laquelle le roi est en haut-relief et de face (Drucker
1952 : fig. 49 ; Heizer 1967 : pi. 2)
Parmi les monuments ancestraux à la sculpture monumentale du Classique ancien
des Basses Terres, il n'y a pas d'antécédents au thème du roi en face tel qu'il se
manifeste dans le Peten au ve siècle. Les personnages dessinés en bas-relief sur les stèles
d'Izapa, de Kaminaljuyu, d'El Baul et d'Abaj Takalik sont vus de profil, tout comme
sur les premiers monuments du Peten, la Stèle 1 de Nakbé, la 29 de Tikal ou la 5 de
Uaxactun.
La Stèle 4 de Tikal (Figure 1 ), sur laquelle le visage du roi est pour la première fois
montré de face, célèbre l'accession de « Museau Retroussé » ( Nun Yax Ayin) en 379 de
notre ère (8. 17.2. 16. 17, Jones and Satterthwaite 1982). Ce souverain n'est pas le fils de
« Patte de Jaguar » (ou « Grande Patte »), précédent roi de Tikal, mais de «
Propulseur Hibou », un étranger dont l'origine était sans doute Teotihuacan et qui, en 374,
était roi quelque part en pays maya (Stuart 1998). Sur la Stèle 4, « Museau
Retroussé », coiffé d'un heaume de jaguar, est assis sur un masque de monstre (il
pourrait s'agir du monstre terrestre ou, comme le proposent Schele et Freidel en 1990,
du pictogramme du nom royal) ; ses jambes sont vues de profil, mais son buste et son
visage sont montrés en face. Dans le ciel, le masque de la foudre regarde le roi qu'il
semble protéger. La Stèle 18, attribuée au même règne, célèbre la fin du 18e katun du
cycle 8 (8.18.0.0.0 ou 396 apr. J.-C). Bien que le haut du monument manque,
« Museau Retroussé » a la même attitude que sur la stèle précédente ; il est assis sur un
masque, porte sur la poitrine un masque coiffé du « tocado con borlas », coiffure bien
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Fig. 1. — Tikal, Stèle 4 (Dessin W. Сое in Jones and Satterthwaite 1982 : figure 5a).
connue à Teotihuacan, et tient dans le creux de son bras une figurine. Le fragment
supérieur, inventorié comme Stèle 32 et attribué au même souverain, le montre
également de face (Figure 2). Sur la Stèle 31 (Figure 3), inaugurée en 9.0. 10.0.0 (445),
« Ciel d'Orage » n'a pas respecté la tradition, établie par son père, de se montrer de
face alors qu'à la même date le roi du site voisin de Uaxactún érige la Stèle 26,
(intentionnellement effacée plus tard), sur laquelle il apparaît debout et de face. Les
autres stèles « frontales » de Uaxactún (2 et 20) sont datées de 9.3.0.0.0 (490), soit
45 ans plus tard. À Tikal, la Stèle 23 paraît plus récente encore de 20 à 60 ans (datée
par le style entre 9.4 et 9.6) : le personnage de face, très effacé, porte un collier de
pectens. Sur l'autel 19, non daté, du même site, un roi au visage de face, est assis en
tailleur.
À Yaxhá, la Stèle 1 1 (Greene, Rands & Graham 1972 : Plate 163) montre un roi de
face qui présente toutes les caractéristiques de la Stèle 32 de Tikal, et qui est stylisti-
quement datée de la fin du cycle 8.
Ainsi, le roi est vu de face sur des monuments, pour la plupart datés entre 379 et
445, d'au moins trois sites du Petén : Tikal, Uaxactún et Yaxhá. Une nouvelle
iconographie, caractérisée par des éléments qui auraient Teotihuacan pour origine, est
Baudez, CF.] LE ROI MAYA EN FACE 47
Fig. 2. — Tikal, Stèle 32 (Dessin W. Сое in Jones and Satterthwaite 1982 : figure 55a).
Fig. 3. — Tikal, Stèle 31 (Dessin W. Сое in Jones and Satterthwaite 1982 figure 51c, a).
:
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Fig. 4. — Tikal, vases polychromes de la Tombe 10 (d'après Culbert 1993 figures 15-17).
:
Ces traits sont étroitement associés à la représentation frontale. En effet, sur deux
des monuments du Classique ancien les plus « Teotihuacan » (Stèle 32 de Tikal,
Figure 2 et Stèle 11 de Yaxhá), le personnage entièrement de face exhibe à la fois un
« tocado con borlas », des yeux cerclés, un ornement de nez rectangulaire, de grands
ornements d'oreille circulaires et un collier à triple rang.
L'intérêt pour les vues de face que la sculpture monumentale du Petén manifeste,
trouve sa confirmation sur les céramiques stuquées polychromes (complexe Manik) de
la Tombe 10 de Tikal, où frontalité et éléments Teotihuacan sont associés (Figure 4).
Cette association est réalisée sur des bols à couvercle et à base annulaire, décorés de
créatures surnaturelles en buste ou tête seule, vues de face (Culbert 1993 : fig. 15-17).
Sur le couvercle de la figure 4 : a, deux têtes frontales de Tlaloc alternent avec deux
guerriers en buste de profil, l'un avec la « bigotera de Tlaloc » seule, l'autre avec les
yeux cerclés et la « bigotera ». L'intérêt de ces décors est de compléter l'inventaire des
nouveaux traits non-mayas par d'autres qui font manifestement partie du répertoire
Teotihuacan : ainsi, la bande nouée au-dessus du front de Tlaloc, les gouttes de sang
(Figure 4 : c), les volutes de parole (Figure 4 : a), le « signe de l'année » (Figure 4 : b).
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Sur un bol cylindrique tripode de la Tombe 48, sont peints sur stuc et de face trois
crânes crachant le sang qui alternent avec une étoile dans le plus pur style du Mexique
central 3 (Culbert 1993 : fig. 30b).
On ne peut donc nier que les nouveaux motifs et la présentation frontale qui se
manifestent dans le Petén pendant la première moitié du cinquième siècle se retrouvent
dans l'art de Teotihuacan. Malgré les difficultés d'ordre chronologique, il est peu
probable que la diffusion se soit effectuée dans le sens Petén vers la métropole
mexicaine, car ces traits — et en particulier la frontalité — n'ont pas d'antécédents
dans le sud de la Mésoamérique. En revanche, et relativement aux autres arts
mésoaméricains, Teotihuacan a beaucoup utilisé la perspective frontale. Paradoxalement, si
les Mayas du ve siècle ont montré leur roi de face, c'est grâce à Teotihuacan qui n'a pas
directement abordé les sujets politiques dans son art (Pasztory 1997). Dans cette
métropole, la frontalité est surtout réservée aux compositions, ou assemblages de
signes et de symboles, qui expriment une créature ou un concept. Comme la partie
centrale en est souvent un masque, et que des bras ou des mains font partie de la
composition, on a été tenté d'y voir un corps humain qui représenterait une divinité.
En réalité, la seule créature clairement identifiée comme telle est celle de Tlaloc. Dans
ce cas, le dieu apparaît en buste ou en tête, soit seul (« Tlaloc del Rayo » de Tetitla,
Miller 1973 : fig. 248-249), soit accompagné, en guise de corps, d'un ensemble
circulaire où figurent divers symboles tels que fleurs, étoiles de mer, coquillages, végétaux,
grecques, etc. (« Escudo de Tlaloc » de la Zona 3. Ibid. fig. 84-85). Les autres
compositions utilisent comme élément central un médaillon (tête de mort ou motif réticulé),
ou un masque analogue à la fois à ceux en pierre dure pour lesquels la cité est célèbre
et à ceux que l'on trouve sur les couvercles d'encensoir. On a comparé (Pasztory 1997)
ces derniers aux compositions peintes car, dans les deux cas, il s'agit d'assemblages de
symboles (que Séjourné appelle images héraldiques). Le décor des encensoirs
comprend aussi des « adornos » sous forme de nombreux éléments appliqués autour de
l'image principale. Des « adornos » semblables entourent les compositions peintes
désignées comme « figuras frontales con énorme tocado » (Zone 5A, Cuarto 23, mural
1-3. De la Fuente 1997 : fig. 6-15).
Les Teotihuacanos ont aussi représenté de face des animaux tels que des jaguars et
des oiseaux, ainsi que des hybrides homme/animal (« figuras aladas descendientes »)
et des masques grotesques (tels que ceux qui, plaqués sur le serpent à plumes, sont
l'équivalent de la tête arrière du monstre bicéphale des Mayas : Tepantitla, pièce 2.
Miller 1973 : fig. 173, 178-179. Atetelco, Patio Pintado, murales 1-5. Ibid. : fig. 345,
349).
L'utilisation de la frontalité répond ici au besoin de donner toute son importance
au motif ou à l'ensemble de motifs présenté. Les artistes n'ignoraient pas que la
frontalité compromet le spectateur en l'impliquant davantage avec ce qu'il a sous les
yeux. Cette importance reconnue à la frontalité est manifeste dans les scènes où des
figures de profil convergent vers une image de face, comme pour lui rendre culte ou
hommage (par exemple le mural des félins du Conjunto del Quetzalpapalotl, Cuarto 3,
mural 1 . De la Fuente 1995 : 128). C'est sans doute la peinture murale qui a inspiré les
artistes teotihuacanos à jouer avec le contraste face/profil ; en effet, dans une pièce
considérée comme un ensemble, le mur du fond invite à l'image frontale alors que les
murs latéraux sollicitent les représentations de profil.
Baudez, CF.] LE ROI MAYA EN FACE 51
augmenter. Par contre, le personnage montré tout entier de face paraît, même quand
son épaisseur est minime, vouloir se diriger vers le spectateur en se dégageant peu à peu
du bloc qui l'enferme. Le champ est libre pour le faire. En acquérant plus de relief,
l'image du souverain acquiert plus de volume pour la même hauteur, donc plus de
présence. Par rapport à la stèle maya habituelle sur laquelle l'image du roi est traitée de
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profil et en bas-relief, les stèles de Copán entre la fin du katun 14 et celle du katun 17
(71 1 et 771), gagnent doublement en présence par la frontalité et par le relief. Après la
fin du katun 17, les stèles — à l'exception de la С — disparaissent. Le CPN 60
(Stèle 1 1), monument funéraire de « Soleil Levant », est une colonne circulaire
sculptée en bas-relief, probablement inspirée par les colonnes sculptées du Yucatan, qui
Baudez, CF.] LE ROI MAYA EN FACE 55
présente le roi défunt debout avec le corps de face et le visage de profil. C'est la
première stèle de Copán à ne pas être entièrement frontale.
La séquence monumentale de Quirigua ne nous est connue en détail qu'entre
9.15.15.0.0 (746) et 9.18.15.0.0 (805) (Maudslay 1889-1901). Quelque deux cents ans
après les premiers monuments frontaux en bas-relief (Mon. 26 et 21), le Mon. 12
(autel L = 9. 12.0.0.0) est un disque avec un personnage assis au visage de profil, alors
que sur le Mon. 20 (Stèle T = 9. 13.0.0.0) le roi est entièrement frontal. La frontalité est
célébrée spectaculairement avec les zoomorphes, grands rochers sculptés en forme de
monstre terrestre, de la gueule duquel, en haut-relief, émerge le roi. Métaphore de
l'accession au trône, le zoomorphe de Quirigua trouve son origine lointaine dans les
autels olmèques, dont le prototype est l'autel 4 de La Venta. Les Mon. 1 et 3 (Stèles A
et C) présentent un cas intéressant d'opposition face/profil sur le même monument ;
dans les deux cas, le devant de la stèle est occupé par l'image frontale du roi dont le
visage et la coiffure sont traités en haut-relief. L'arrière du monument présente, en très
bas-relief, un personnage masqué et de profil, dansant dans l'inframonde, qui
représente sans doute un ancêtre. Les nombreuses stèles du règne de « Cauac Ciel » qui,
avec les zoomorphes, ont été érigées tous les cinq ans, sont sculptées en un relief plus
épais que celui de la majorité des stèles mayas, mais beaucoup moins que les stèles
contemporaines de Copán. On peut remarquer que le relief est généralement plus
accusé au niveau de la tête et de la coiffure du roi. Sur ces monuments, le personnage
et son entourage débordent légèrement sur les côtés.
Mais ici ce n'est pas tant le relief et le volume que l'on a utilisé pour accentuer la
présence royale déjà mise en évidence par la frontalité, mais la hauteur. Celle du
Mon. 19 (Stèle S), la première de « Cauac Ciel », est inférieure à 3 mètres, celle des
suivantes varie entre 5 et 7,50 mètres, pour culminer avec les 1 1 mètres du Mon. 5
(Stèle E, la plus haute des stèles mayas), érigé pour célébrer la fin du 17e katun.
Comme à Copán et en même temps qu'elle, les règnes postérieurs à celui de « Cauac
Ciel » délaissent la stèle au profit de l'autel zoomorphe. Les dernières stèles I et К
(Mon. 9 et 1 1, respectivement inaugurés en 800 et 805) sont beaucoup plus basses (de
3,5 à 4 mètres) que les précédentes, mais aussi beaucoup plus en relief, en particulier au
niveau des jambes et de la tête, comme si on avait voulu compenser par le relief la
diminution de hauteur.
On ne s'étonnera pas que les deux cités proches et rivales aient connu des
développements artistiques parallèles. Elles ont choisi très tôt de montrer leur roi de plein
front, ce qui donnait à la figure royale une autorité et une présence inconnues avec les
images de profil. Elles ont cherché ensuite à la renforcer en augmentant le relief du
personnage et de son entourage. Leurs voies ont alors bifurqué : Copán a de plus en
plus développé le relief et le volume de ses monuments, alors que Quirigua en a
développé la hauteur. Les résultats sont comparables : on est en présence de rois qui
vous écrasent par leur volume ou leur stature, et qui vous regardent ; rois qu'il était
sans doute interdit, sous peine de lèse-majesté et d'aveuglement, de regarder en face. À
Copán comme à Quirigua, le roi est comparé au soleil ; levant lors de l'accession au
trône, quand il est montré sortant des mâchoires du monstre terrestre, comme sur les
zoomorphes de Quirigua ; couchant, quand on le voit s'y enfoncer (Baudez 1988).
Une des propriétés, à la fois naturelle et symbolique, du soleil est qu'il ne peut être
regardé « en face ». C'est pour cette raison que le roi maya faisait dessiner sur son
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bouclier le masque, vu de face, du soleil ; cette image était destinée à épouvanter ses
ennemis et ajouter une protection magique à l'action défensive du bouclier, à la façon
des souverains romains qui disposaient des têtes de Gorgone sur leurs cuirasses. Le roi
a profité de la métaphore solaire pour imposer à ses sujets de baisser les yeux en sa
présence ou peut-être même devant ses images. Ainsi, dans la zone sud-est de l'aire
maya, la frontalité, l'augmentation du relief, du volume ou de la hauteur, et la
métaphore solaire sont inséparables et concourent toutes vers le même but : faire du
souverain un être d'exception que l'on doit respecter et craindre autant qu'un dieu. S'il
est possible que tous les rois mayas aient eu droit aux mêmes égards, (comme
l'empereur aztèque, l'inca et nombre de rois africains et océaniens qu'il est tabou de
regarder), l'interdiction de regarder le roi soleil en face est seulement explicite à Copán
et à Quirigua.
À première vue, les statues royales de Toniná, avec leur petite taille, n'étaient pas
faites pour impressionner le spectateur. Si elles ont imposé le respect c'est plutôt par
leur réalisme, et par la mise en scène qui présidait à leur présentation. L'histoire des
débuts de la sculpture de cette cité du Chiapas, à la frontière des Basses et des Hautes
Terres, est mal connue. M. 106, le premier monument daté avec certitude (9.8.0.0.0 ou
593), est un panneau calcaire sculpté en bas-relief du Souverain n° 1 de profil, assis sur
un trône en forme de monstre terrestre frontal (Becquelin & Baudez 1979-1982 : 860 ;
fig. 175). La plus ancienne stèle connue semble être le M. 74, planté dans la pièce du
fond du temple de la Structure D5-1 (Figure 8. Becquelin & Baudez 1979-1982 : 642 ;
fig. 59). Ce bloc prismatique est sculpté d'un personnage debout, entièrement de profil
et armé d'une lance. La stèle, dont la date est en partie effacée, est très proche de la
Stèle 1 de Santo Ton (Blom & La Farge 1927 : 309-310 ; fig. 261-262), que Proskou-
riakoff(1950 : 195) date par le style 9.9.0.0.0 ± (613). M. 78, trouvé associé à un autel
lisse au pied de la même Structure D5-1, est une stèle très effacée, sculptée d'un
personnage entièrement de face en moyen-relief (d'une épaisseur maxima de 7 cm) sur
une dalle plate (Becquelin & Baudez 1979-1982 : 645 ; fig. 60). La même technique a
été utilisée pour le M. 50 (Graham & Mathews 1996), où un souverain, portant la barre
cérémonielle, est figuré de face ; il en est de même de la stèle baptisée Zots Choj par
Juan Yadeun. Après 650, les stèles sont sculptées en haut-relief : ainsi M. 28 que l'on
situe à 9.11.0.0.0 (652) ou 9.11.5.0.0 (657) (Proskouriakoff 1950: 121), M.26
(Figure 9) qui porte une date de 9.12.0.0.0 (672), et M3 daté 9. 13.0.0.0 (692. Mathews
1983).
Il semblerait donc que, dans la première moitié du vne siècle, l'on soit passé du
bas-relief de profil et du moyen-relief de face, à la presque ronde bosse (où le
personnage apparaît adossé à une longue cape qui le déborde légèrement) et, enfin, la
vraie ronde bosse (M. 102). Ces sculptures sont de taille légèrement inférieure à celle de
leurs modèles, et sont, dans la pose comme dans l'ornementation, plus sobres que les
stèles de Quirigua et de Copán. Les rois soutiennent des deux mains la barre
cérémonielle ou les laissent reposer sur les cuisses ou sur la ceinture, ou les présentent paumes
ouvertes. Les bijoux et les emblèmes sont souvent limités, à l'exception de la coiffure
sur laquelle est concentré le plus gros de l'appareil symbolique. Si les monuments en
moyen-relief de face sont antérieurs aux statues, comme nous le supposons, la
frontalité aurait précédé et encouragé — comme à Copán et Quirigua — le haut-relief,
mais ceci reste à démontrer.
Baudez, CF.] LE ROI MAYA EN FACE 57
« accession au trône ». Les autres stèles de chaque groupe concernaient les périodes
successives de chaque règne, et la comparaison des dates a permis au chercheur
d'identifier ďautres glyphes d'événements comme « naissance » et « mort ».
Quand à Toniná presque toutes les stèles sont des statues et donc de frontalité
« obligée », celles de Piedras Negras sont en bas-relief et le visage du personnage
principal est tantôt de face, tantôt de profil (Montgomery 1994). Le choix entre face et
profil est-il indifférent, abandonné au caprice de l'artiste, ou obéit-il a des règles ?
Dans ce cas, quelles sont-elles ? Concernent-elles le type de période dont on célèbre la
fin. le type d'événement de la carrière d'un roi, un rituel particulier, ou un certain
aspect de la fonction royale ? Le choix entre les deux perspectives peut être également
déterminé par les contraintes de la représentation : dans une scène où interviennent
plusieurs personnages qui communiquent entre eux, le visage du roi sera de profil pour
bien montrer qu'il est concerné par l'action des individus à ses côtés. Certaines actions
sont, elles aussi, plus faciles à rendre de profil qu'en vue frontale ; ainsi en est-il du jet
de grains, procédé de divination exécuté par le souverain en fin de période.
Avec la Stèle 25 commencent la séquence des stèles de Piedras Negras et le groupe
des monuments du roi I, dont elle illustre l'accession suivant un modèle qui sera repris
par d'autres stèles. Le roi est assis dans une niche rectangulaire encadrée par le corps
du monstre céleste, dont les deux têtes, l'une vivante, et l'autre morte (et à l'envers)
sont visibles sous la niche ; symbole du soleil diurne, un oiseau aux ailes étendues est
perché tout en haut du monstre céleste. Sa tête est montrée de face, tout comme celle
du souverain au-dessous, rappelant ainsi l'équivalence du roi et de l'astre. Le roi est
donc présenté dans un cadre cosmique qui lui confère une dimension universelle. Les
deux autres stèles iconiques (26 et 31) de ce règne sont frontales et très semblables : le
personnage principal est debout avec deux captifs à ses pieds ; son visage disparaît
dans un heaume gigantesque qui occupe près des deux tiers du monument. Il tient un
bâton dont le sommet recourbé se termine par une tête de serpent, et un bouclier
rectangulaire.
L'accession du roi II n'est pas marquée par une stèle à niche. Sur la Stèle 35, il
apparaît entièrement de face bien que sa coiffure soit moins imposante que sur les
stèles précédentes. Il est armé d'une lance et d'un bouclier, duquel dépasse un sac à
encens, composant ainsi l'image d'un roi guerrier et prêtre. Sur trois autres
monuments, il a le visage de côté : sur la Stèle 33, il est assis sur un trône et reçoit d'une
femme debout une lancette d'autosacrifice. Sur la 32, il est debout et porteur d'au
moins (le bras droit n'est plus visible) un bouclier, et sur la 34. il n'a pas de lance mais
tient le bouclier et le sac à encens de la main gauche.
Avec le roi III, réapparaît la stèle à niche, n° 6, à laquelle s'ajoutent les Stèles 7 et
8, respectivement datées 731 et 692 qui représentent le roi avec le visage de face et
accompagné de captifs. C'est un portrait du souverain guerrier prêtre, avec lance (dont
la lame est un couteau excentrique), bouclier et sac à encens. La nouveauté, ici,
consiste dans la réapparition de symboles Teotihuacan, tels que l'écusson de Tlaloc,
les gouttes de sang, le Signe de l'Année, et les yeux cerclés. À la même époque, la Stèle 6
de Copán (682) exhibe elle aussi les mêmes traits Teotihuacan (Baudez 1994). Parmi
les stèles sur lesquelles le roi a le visage de profil, la 2 le montre debout, en train de jeter
les grains ; sur la 4, il est debout et accompagné d'un captif et paraît tenir un sac à
encens ; sur la 5, il est assis et présente le foudre à une femme.
Baudez, CF.] LE ROI MAYA EN FACE 61
Sur la Stèle lia niche (Figure 10), c'est l'accession du roi IV qui est célébrée. La
Stèle 9 (736) est encore une image frontale avec lance, bouclier, sac à encens et
symboles Teotihuacan. Sur la Stèle 40 le roi, à la tête de côté, est montré à genoux en
train de jeter les grains.
Le roi V a pour tout monument iconique une stèle à niche (14), la dernière de la
série. Sur la Stèle 13, le roi VI debout et au visage de profil, jette les grains et tient un
sac à encens. La Stèle 1 5 montre le roi VII en vue frontale, debout avec un sac à encens,
alors que sur la 12 (qui porte la dernière date du site 9. 18.5.0.0 ou 795) il est de profil,
assis sur un trône et domine tout un groupe de captifs.
Les stèles sur lesquelles le souverain fait face ne sont pas réservées à la célébration
des fins de katun : les deux angles sont utilisées pour célébrer autant les fins de
lahuntun ou de hotun. Les stèles frontales ne sont pas plus grandes que celles où le roi
62 JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES [85, 1999
regarde de côté. L'opposition face/profil, si tant est que les Mayas de Piedras Negras
lui aient attribué une signification, semble résider à la fois dans l'action représentée et
dans les rôles royaux que l'on veut illustrer. Pour les scènes d'action entre plusieurs
personnages, le roi a le visage dirigé vers eux, c'est-à-dire de profil (Stèles 5, 12, 33) ; il
en est de même quand il jette les grains (Stèles 2, 13, 40). La vue pleinement frontale est
réservée à l'image de l'accession « en niche », et au roi « en majesté » dans laquelle le
souverain apparaît à la fois comme un guerrier sacrificateur et comme un prêtre (Stèles
26, 31, 7, 8, 9). Il faut noter aussi que les éléments Teotihuacan, liés à la guerre,
n'apparaissent que sur les stèles frontales.
Piedras Negras a accordé le privilège (?) de la frontalité à des femmes : l'une figure
sur la face principale de la Stèle 1 , l'autre au dos de la 3. On ne sait s'il s'agit de la même
personne ou de deux, dans la mesure où plusieurs dames (sans doute des reines) sont
mentionnées dans les textes qui se réfèrent aux règnes des rois II et III.
L'histoire de la sculpture de Piedras Negras confirme le principe, démontré à
Copán et à Quirigua, selon lequel la frontalité favorise l'augmentation du relief
(Sharer 1994 : 647). Ainsi, sur la Stèle 25 (inaugurée en 608) le roi est dans une niche
très peu profonde ; sur la 6 (687), la niche s'est creusée, le visage est mieux traité mais
reste trop important par rapport au corps ; les proportions de la figure assise sont plus
réalistes sur la Stèle 1 1 (731) grâce à la profondeur accrue de la niche. Dans celle de la
Stèle 14 (761), plus profonde encore, la figure royale atteint son relief maximum.
Dans la mesure où à Piedras Negras, les traits Teotihuacan sont associés à la
frontalité, celle-ci comme ceux-là doivent avoir pour origine les monuments du
Classique ancien du Petén qui présentent la même association. On suppose que les
souverains de Piedras Negras ont emprunté ces emblèmes, en même temps que la vue
frontale, aux images des légendaires fondateurs des grandes dynasties du Petén. Il est
fort probable que le prestige des symboles d'origine Teotihuacan ait été plus dû au fait
d'avoir été portés par les anciens rois des premières grandes cités mayas, qu'au
souvenir de la métropole disparue. À leur tour et à l'imitation de Piedras Negras, les
cités du Petexbatùn comme Dos Pilas ou Aguateca ont utilisé ces emblèmes sans
toutefois avoir recours à la frontalité.
À Copán comme à Quirigua, à Toniná comme à Piedras Negras, le roi en face est
un thème traité exclusivement sur des monuments indépendants. Dans le nord- ouest
du Yucatan, par contre, certaines des images royales, qui décorent les colonnes et les
jambages des édifices, sont frontales. Ces manifestations apparaissent au Puuc
Ancien, notamment à Xcalumkin et Xculoc. Plus tard, au Puuc Florescent, à Oxkin-
tok (comme à Xcochkax, Dsecilna, San Pedro Dzitbalche, Calkini, Temax, Mayapàn)
les personnages des colonnes sont en haut-relief. Un personnage joufflu et au ventre
rebondi (« fat god »), au corps recouvert d'éléments emboîtés comme des tuiles, figure
aux côtés du roi sur des colonnes de la Structure CA-7 d'Oxkintok ; on le retrouve
sous la forme d'un petit atlante en ronde-bosse en façade d'un édifice de Xculoc. Bien
que l'on manque de datations qui nous permettraient de l'assurer, il est bien possible
qu'ici encore, la frontalité ait permis le développement du relief. Proskouriakoff
(1950 : 167 & suiv.) a insisté sur la présence de traits exogènes non-classiques («
Quality X ») associés à la frontalité dans cette sculpture, mais sans se prononcer sur leur
provenance. On ignore donc l'origine de la frontalité en zone Puuc qu'il est peu
probable de situer dans les Basses Terres centrales.
Baudez, CF.] LE ROI MAYA EN FACE 63
NOTES
1. En effet, les textes placés au-dessus des deux personnages identiques font référence à Museau
Retroussé.
2. Dans la pièce 1 de Teopancaxco : Laminas 1 et 4 in Ruben Cabrera « Teopancaxco. Casa Barrios о
:
del Alfarero », in : Beatriz de La Fuente, éd. 1996.
3. Comparer avec le mural 3 du Patio 20 du Palais des Jaguars, Zone 2 de Teotihuacan. On y retrouve la
tête de mort frontale, les gouttes de sang et les étoiles. Miller 1973 : fig. 47.
4. La même idée est développée avec le trône en forme de jaguar du Castillo de Chichen Itza et avec les
Chac Mool.
5. La frontalité réapparaît brièvement à Tikal sur un panneau en stuc de la Structure 5D-57, où l'on peut
voir le roi Ah Cacau, entièrement de face, tenant captif Ah Bolon Bakin de Calakmul, vaincu en 695. Il est
possible que l'idée de la frontalité ait été reprise à cette occasion car la date de la victoire tombe 13 katuns
après la dernière date de la Stèle 31 de Ciel d'Orage (Sharer 1994 : 268 ; fig. 5.25).
6. À la possible exception de la Stèle 35, dont manque la partie supérieure. Stylistiquement, elle est très
proche des monuments de la fin du cycle 8 du Petén, auxquels elle a été comparée (Baudez 1994 156).
7. Si l'on retient cette datation proposée par Schele (1987) qui est en désaccord avec celle avancée par
:
Riese (Baudez & Riese 1990) de 9.11.13.5.0.
8. P. Becquelin m'a fait observer que la qualité du matériau utilisé par certaines cités a pu aussi jouer un
rôle dans ce développement ; en effet, le tuf volcanique utilisé à Copán comme le grès fin de Quirigua et de
Tónina, sont tendres et faciles à travailler après extraction, et durcissent ensuite à l'air. Le calcaire est un
matériau plus difficile à extraire comme à sculpter (Morley 1935 : 27-29). Cependant, les Olmèques ont
préféré la ronde bosse même en basalte, matériau bien plus dur que les précédents.
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