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Journal de la Société des

Américanistes

Le roi maya en face


Claude-François Baudez

Citer ce document / Cite this document :

Baudez Claude-François. Le roi maya en face. In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 85, 1999. pp. 43-66;

doi : 10.3406/jsa.1999.1729

http://www.persee.fr/doc/jsa_0037-9174_1999_num_85_1_1729

Document généré le 14/06/2016


Abstract
The maya king in front view As a rule, Maya artists have shown the human figure with his face in
profile, with a few exceptions that almost always concerned the king, as in the Teotihuacan-infmenced
Peten of the Early Classic period. It is suggested that the royal face, seen in front view, sets up a
special relationship with the viewer, and imposes upon him fear and respect. From its beginnings, the
sculpture at Copán and Quirigua adopted this perspective, that allowed an increase in the relief,
volume and size of their monuments. At Toniná, it seems that the front view was used before the
development of high relief, while it is not easy to understand why, at Piedras Negras, the king's face is
shown at times in profile, at times in front.

Résumé
Les sculpteurs mayas ont presque toujours représenté leurs personnages avec le visage de profil, et
seule l'image du roi a parfois échappé à cette règle, comme dans le Petén du Classique Ancien sous
l'influence de Teotihuacan. Il est suggéré que le visage royal vu de face établit une relation privilégiée
avec le spectateur et lui impose crainte et respect. La sculpture de Copán et de Quirigua, dès ses
débuts, adopte cette perspective qui permet de développer le relief, le volume et la taille des
monuments. À Toniná, la frontalité aurait aussi précédé et encouragé le haut-relief. À Piedras Negras,
en revanche, il est plus difficile de comprendre pourquoi le roi est montré tantôt de face, tantôt de
profil.

Resumen
El rey maya de frente En regla general, los escultores mayas han representado a sus personajes con
la cara de perfil y las excepciones se refieren casi todas a la figura real, como en el Petén del Clásico
Temprano, bajo la influencia de Teotihuacan. Está sugerido que la cara del rey, vista de frente,
establece una relación privilegiada con el espectador y le impone temor y respecte. Desde sus
primeras estelas, la escultura de Copán y la de Quírigua adoptan esta perspectiva, la cual permite el
desarrollo del relieve, del volumen y del tamafio de los monumentos. En Toniná, la frontalidad también
parece haber precedido el alto relieve y favorecido su desarrollo. En cambio, en Piedras Negras,
queda más difícil entender porque el rostro del rey está presentado a veces de frente y a veces de
perfil.
LE ROI MAYA EN FACE

Claude- François BAUDEZ *

Les sculpteurs mayas ont presque toujours représenté leurs personnages avec le visage de
profil, et seule l'image du roi a parfois échappé à cette règle, comme dans le Petén du Classique
Ancien sous l'influence de Teotihuacan. Il est suggéré que le visage royal vu de face établit une
relation privilégiée avec le spectateur et lui impose crainte et respect. La sculpture de Copán et de
Quirigua, dès ses débuts, adopte cette perspective qui permet de développer le relief, le volume et
la taille des monuments. À Toniná, la frontalité aurait aussi précédé et encouragé le haut-relief.
À Piedras Negras, en revanche, il est plus difficile de comprendre pourquoi le roi est montré
tantôt de face, tantôt de profil.

Mots clés : Maya, roi, face, profil, période classique, Basses Terres centrales, Teotihuacan.

El rey maya de /rente

En régla general, los escultores mayas han representado a sus personajes con la cara de perfil
y las excepciones se refieren casi todas a la figura real, como en el Petén del Clásico Temprano,
bajo la influencia de Teotihuacan. Esta sugerido que la cara del rey, vista de frente, establece una
relación privilegiada con el espectador y le impone temor y respecte. Desde sus primeras estelas,
la escultura de Copán y la de Quirigua adoptan esta perspectiva, la cual permite el desarrollo
del relieve, del volumen y del tamafio de los monumentos. En Toniná, la frontalidad también
parece haber precedido el alto relieve y favorecido su desarrollo. En cambio, en Piedras Negras,
queda más difícil entender porque el rostro del rey esta presentado a veces de frente y a veces de
perfil.

Palabras cla ves : Maya, frente, perfil, periodo clásico, Tierras Bajas Centrales, Teotihuacan.

The maya king in front view

As a rule, Maya artists have shown the human figure with his face in profile, with a few
exceptions that almost always concerned the king, as in the Teotihuacan-infmenced Peten of the
Early Classic period. It is suggested that the royal face, seen in front view, sets up a special
relationship with the viewer, and imposes upon him fear and respect. From its beginnings, the
sculpture at Copán and Quirigua adopted this perspective, that allowed an increase in the relief,
* Équipe « Archéologie des Amériques » du CNRS, Maison de l'archéologie et de l'ethnologie, 21, allée
de l'Université, 92023 Nanterre cedex.
Journal de la Société des Américanistes 1999, 85 : p. 43 à 66. Copyright © Société des Américanistes.
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volume and size of their monuments. At Toniná, it seems that the front view was used before the
development of high relief, while it is not easy to understand why, at Piedras Negras, the king's
face is shown at times in profile, at times in front.

Key words : Maya, king, front, profile, Classic period, Central Lowlands, Teotihuacan.

On pourrait s'étonner que la ronde-bosse, expression privilégiée de la sculpture


monumentale des Olmèques, ait été si délaissée au profit du bas-relief, chez leurs
voisins et successeurs mayas. La présence ou l'absence d'architecture en pierre
pourrait expliquer en grande partie ce contraste ; les Olmèques auraient profité de leurs
espaces et de leurs perspectives pour sculpter des œuvres autour desquelles ils
pouvaient tourner, alors que les Mayas, grands architectes, se seraient engagés dans la voie
du bas-relief pour habiller les corps des pyramides, les façades des temples et les
linteaux des portes. Si le choix entre face et profil ne se pose pas dans le haut-relief (car
la perspective dépend de la situation du spectateur par rapport à la sculpture), il est par
contre crucial dès que le relief est suffisamment « bas ». Un personnage peut être alors
représenté entièrement de face ou entièrement de profil, mais le plus souvent il est fait
appel à des solutions mixtes où le visage, les épaules, le buste et les jambes sont vus sous
divers angles. Ainsi, à la période Classique ancienne des Basses Terres mayas, on
présente de préférence le personnage principal des stèles ou d'autres monuments avec
le visage et les jambes de profil, alors que ses épaules et son buste sont vus de face, de
trois-quarts, ou de profil. À la période suivante, à côté de personnages figurés de profil
de la tête aux pieds, la pose préférée consiste à avoir tout le corps de face, les pieds
ouverts dans des directions opposées, et le visage seul de profil. Ce n'est pas seulement
dans le domaine de la sculpture monumentale que les Mayas ont évité les visages de
face ; les vues frontales de personnages peints sur vases ou sur codex sont rarissimes,
et les glyphes mêmes n'échappent pas à la règle générale du profil.
Ce parti pris de préférer presque toujours le profil à la face n'est pas innocent et il
faut supposer que la représentation frontale du visage humain causait, en général, des
difficultés aux artistes mayas qui n'hésitaient pas, par ailleurs, à montrer de front les
masques ou les visages conventionnels désignant les grandes entités cosmiques. Pour
Proskouriakoff, la préférence pour le profil dans la sculpture s'explique par des
considérations techniques. D'après elle, la vue frontale n'est satisfaisante que traitée
en haut-relief car « les proportions et les dimensions qui expriment le mieux la
structure fondamentale du visage et du pied humain sont raccourcies quand on les
présente sur un seul plan » (1950 : 22). À ces propos, on peut répondre que le problème
de perspective à rendre les pieds de face a été simplement résolu par les Mayas par la
présentation conventionnelle des pieds ouverts à 180°, position qui n'est en rien
« naturelle ». Quant à rendre la « structure fondamentale » du visage, ce problème ne
semble pas avoir préoccupé outre mesure les Mayas qui n'ont pas cherché à sculpter de
véritables portraits et qui ont traité le visage humain de profil ou de face, comme le
corps, de façon conventionnelle, en se contentant de marquer des contours, et sans
avoir recours au modelé. Il est possible cependant que les Mayas aient été sensibles au
dynamisme que confère au personnage la combinaison corps de face/visage de profil.
Mais cela n'est pas suffisant à justifier ce qui apparaît souvent comme une aversion ou
même un tabou.
Baudez, CF.] LE ROI MAYA EN FACE 45

Face ou profil est un choix qui n'obéit pas seulement à des considérations
techniques ou esthétiques, mais sémantiques. La différence fondamentale entre les options
de ce choix réside dans la relation entre le spectateur et la représentation ; quand le
premier regarde un ou des personnages (ou visage) de profil, il est dans la simple
situation du voyeur qui voit sans être vu ; par contre, mis en présence d'une face, il est
confronté à un autre regard que le sien, qui l'interpelle et l'implique, et cela même
quand il s'agit d'une image de pierre, sculpture en pied ou simple masque. Cet échange
de regards, ce face-à-face est ambivalent : le spectateur est fasciné mais au risque de se
perdre. A priori la vue frontale serait à la fois plus importante, plus compromettante et
plus dangereuse que la vue de profil.
Si le souverain et ses proches sont les seuls humains à avoir parfois échappé à la
règle générale du visage de profil, ces exceptions ne sont pas distribuées au hasard dans
le temps et dans l'espace. L'image du roi en face, loin d'obéir au caprice de l'artiste ou
du souverain, son modèle, est un phénomène culturel qui s'est manifesté seulement en
certains lieux et à certaines époques. Même en admettant que l'adoption d'une telle
convention puisse être en partie due à des accidents historiques, on doit s'interroger
sur l'origine de cette déviance et sur sa signification. A-t-elle modifié l'attitude du
spectateur à l'égard de son souverain ? Pour quelles raisons la frontalité a-t-elle été
préférée, puis abandonnée ? Quand les présentations de profil ont-elles coexisté avec
celles de face et à quelles considérations le choix de l'une ou de l'autre a-t-il obéi ? La
frontalité a-t-elle eu une incidence sur l'évolution de la technique et du style ?
Les Olmèques se sont particulièrement distingués dans la ronde-bosse, mais ils ont
également exécuté des bas-reliefs sur des parois rocheuses ou sur des stèles. Dans la
majorité de ces cas, les personnages ont la tête de profil, à peu d'exceptions près
comme la Stèle 2 de La Venta sur laquelle le roi est en haut-relief et de face (Drucker
1952 : fig. 49 ; Heizer 1967 : pi. 2)
Parmi les monuments ancestraux à la sculpture monumentale du Classique ancien
des Basses Terres, il n'y a pas d'antécédents au thème du roi en face tel qu'il se
manifeste dans le Peten au ve siècle. Les personnages dessinés en bas-relief sur les stèles
d'Izapa, de Kaminaljuyu, d'El Baul et d'Abaj Takalik sont vus de profil, tout comme
sur les premiers monuments du Peten, la Stèle 1 de Nakbé, la 29 de Tikal ou la 5 de
Uaxactun.
La Stèle 4 de Tikal (Figure 1 ), sur laquelle le visage du roi est pour la première fois
montré de face, célèbre l'accession de « Museau Retroussé » ( Nun Yax Ayin) en 379 de
notre ère (8. 17.2. 16. 17, Jones and Satterthwaite 1982). Ce souverain n'est pas le fils de
« Patte de Jaguar » (ou « Grande Patte »), précédent roi de Tikal, mais de «
Propulseur Hibou », un étranger dont l'origine était sans doute Teotihuacan et qui, en 374,
était roi quelque part en pays maya (Stuart 1998). Sur la Stèle 4, « Museau
Retroussé », coiffé d'un heaume de jaguar, est assis sur un masque de monstre (il
pourrait s'agir du monstre terrestre ou, comme le proposent Schele et Freidel en 1990,
du pictogramme du nom royal) ; ses jambes sont vues de profil, mais son buste et son
visage sont montrés en face. Dans le ciel, le masque de la foudre regarde le roi qu'il
semble protéger. La Stèle 18, attribuée au même règne, célèbre la fin du 18e katun du
cycle 8 (8.18.0.0.0 ou 396 apr. J.-C). Bien que le haut du monument manque,
« Museau Retroussé » a la même attitude que sur la stèle précédente ; il est assis sur un
masque, porte sur la poitrine un masque coiffé du « tocado con borlas », coiffure bien
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Fig. 1. — Tikal, Stèle 4 (Dessin W. Сое in Jones and Satterthwaite 1982 : figure 5a).

connue à Teotihuacan, et tient dans le creux de son bras une figurine. Le fragment
supérieur, inventorié comme Stèle 32 et attribué au même souverain, le montre
également de face (Figure 2). Sur la Stèle 31 (Figure 3), inaugurée en 9.0. 10.0.0 (445),
« Ciel d'Orage » n'a pas respecté la tradition, établie par son père, de se montrer de
face alors qu'à la même date le roi du site voisin de Uaxactún érige la Stèle 26,
(intentionnellement effacée plus tard), sur laquelle il apparaît debout et de face. Les
autres stèles « frontales » de Uaxactún (2 et 20) sont datées de 9.3.0.0.0 (490), soit
45 ans plus tard. À Tikal, la Stèle 23 paraît plus récente encore de 20 à 60 ans (datée
par le style entre 9.4 et 9.6) : le personnage de face, très effacé, porte un collier de
pectens. Sur l'autel 19, non daté, du même site, un roi au visage de face, est assis en
tailleur.
À Yaxhá, la Stèle 1 1 (Greene, Rands & Graham 1972 : Plate 163) montre un roi de
face qui présente toutes les caractéristiques de la Stèle 32 de Tikal, et qui est stylisti-
quement datée de la fin du cycle 8.
Ainsi, le roi est vu de face sur des monuments, pour la plupart datés entre 379 et
445, d'au moins trois sites du Petén : Tikal, Uaxactún et Yaxhá. Une nouvelle
iconographie, caractérisée par des éléments qui auraient Teotihuacan pour origine, est
Baudez, CF.] LE ROI MAYA EN FACE 47

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Fig. 2. — Tikal, Stèle 32 (Dessin W. Сое in Jones and Satterthwaite 1982 : figure 55a).

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Fig. 3. — Tikal, Stèle 31 (Dessin W. Сое in Jones and Satterthwaite 1982 figure 51c, a).
:
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contemporaine de ces manifestations de frontalité. Elle comprend la coiffure dite


« tasseled headdress » ou « tocado con borlas » (chapeau à glands ou à pompons), des
personnages aux yeux cerclés, des pectens (ou coquilles Saint- Jacques) portés en
collier, un ornement nasal rectangulaire ou en T inversé, et un propulseur.
Le premier monument à exhiber certains de ces traits est la Stèle 5 de Uaxactun
(8.17.1.4.12 ou 378 de notre ère) qui montre « Grenouille-Fumée » (ou Siyah K'ak'),
l'étranger sans doute responsable de la mort de « Patte de Jaguar » et de l'installation
de « Museau Retroussé » sur le trône de Tikal (Stuart 1998). Debout et entièrement de
profil, il est muni d'un gourdin incrusté de lames d'obsidienne et d'un propulseur,
armes supposées provenir du Mexique Central. Sur la Stèle 4 de Tikal (8. 17.2. 16. 17 ou
379), « Museau Retroussé » tient dans le creux du bras ce qui apparaît comme un
propulseur, et porte autour du cou un collier de pectens. Sur la Stèle 18 (8. 18.0.0.0 ou
396), il exhibe sur sa poitrine un masque coiffé du « tocado con borlas ».
« Museau Retroussé » serait représenté costumé en guerrier de Teotihuacan '
sur les côtés de la Stèle 31 (9.0.10.0.0 ou 445. Figure 3), érigée par son fils « Ciel
d'Orage ». Il est armé d'un propulseur et d'un bouclier rectangulaire sur lequel est
dessinée une tête coiffée du « tocado con borlas » et dont le visage, vu de face, porte des
cercles autour des yeux, un ornement rectangulaire sous le nez, et de grands ornements
d'oreille prolongés vers le bas d'un pecten. Sa bouche, de contour ovale, montre des
dents, mais pas de crocs. Il ne s'agit donc pas ici, contrairement à l'opinion répandue,
du Dieu de l'Orage de Teotihuacan, considéré comme l'ancêtre lointain du Tlaloc
Postclassique, car il lui manque la bouche caractéristique, arquée avec de longs crocs.
Les peintures murales de Teotihuacan, elles-mêmes, distinguent bien entre une
créature surnaturelle chargée d'attributs faisant référence à l'orage, à la pluie et, par
extension, à la végétation, et des individus, généralement des guerriers, aux yeux munis
d'anneaux (dits « lunettes » ou « goggles »). Un collier de perles et de pectens entoure
le cou de « Museau Retroussé » et de longues plumes qui pendent de sa ceinture,
tombent jusqu'à ses mollets.
Teotihuacan est-elle bien la responsable de l'apparition de ces nouveaux traits ?
Deux séries de difficultés nous invitent à examiner de façon critique la question des
rapports Teotihuacan/Petén au ve siècle. Il faut remarquer d'abord que ces éléments
sont peu nombreux et définis picturalement de façon vague. Le « Tlaloc » de
Teotihuacan n'est pas présent sur les monuments de Tikal. Le propulseur du Petén
ressemble peu au dessin de la même arme exécuté par les peintres teotihuacanos. Si le
pecten est courant dans la grande métropole mexicaine, son dessin est bien différent de
celui adopté dans le Petén, et, sauf une exception 2, cette coquille n'est pas portée
comme bijou à Teotihuacan. Le seul élément vraiment semblable est le fameux
« tocado con borlas ».
Ensuite, si ces traits nouveaux dans le Petén ont Teotihuacan pour origine, ils
devraient être plus anciens dans le centre du Mexique que dans les Basses Terres
mayas. D'après la corrélation GMT, ces éléments en majorité se manifestent en pays
maya entre 378 et 445 de notre ère alors que sur les peintures murales de Teotihuacan,
on les date de la quatrième phase stylistique, qui correspond à Xolalpán (450-700 de
notre ère. Lombardo de Ruiz in : De la Fuente 1996). Si l'on s'en tenait à ces deux
chronologies, le Petén apparaîtrait plus comme donneur que comme receveur, ce qui
est hautement improbable.
Baudez, CF.] LE ROI MAYA EN FACE 49

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Fig. 4. — Tikal, vases polychromes de la Tombe 10 (d'après Culbert 1993 figures 15-17).
:

Ces traits sont étroitement associés à la représentation frontale. En effet, sur deux
des monuments du Classique ancien les plus « Teotihuacan » (Stèle 32 de Tikal,
Figure 2 et Stèle 11 de Yaxhá), le personnage entièrement de face exhibe à la fois un
« tocado con borlas », des yeux cerclés, un ornement de nez rectangulaire, de grands
ornements d'oreille circulaires et un collier à triple rang.
L'intérêt pour les vues de face que la sculpture monumentale du Petén manifeste,
trouve sa confirmation sur les céramiques stuquées polychromes (complexe Manik) de
la Tombe 10 de Tikal, où frontalité et éléments Teotihuacan sont associés (Figure 4).
Cette association est réalisée sur des bols à couvercle et à base annulaire, décorés de
créatures surnaturelles en buste ou tête seule, vues de face (Culbert 1993 : fig. 15-17).
Sur le couvercle de la figure 4 : a, deux têtes frontales de Tlaloc alternent avec deux
guerriers en buste de profil, l'un avec la « bigotera de Tlaloc » seule, l'autre avec les
yeux cerclés et la « bigotera ». L'intérêt de ces décors est de compléter l'inventaire des
nouveaux traits non-mayas par d'autres qui font manifestement partie du répertoire
Teotihuacan : ainsi, la bande nouée au-dessus du front de Tlaloc, les gouttes de sang
(Figure 4 : c), les volutes de parole (Figure 4 : a), le « signe de l'année » (Figure 4 : b).
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Sur un bol cylindrique tripode de la Tombe 48, sont peints sur stuc et de face trois
crânes crachant le sang qui alternent avec une étoile dans le plus pur style du Mexique
central 3 (Culbert 1993 : fig. 30b).
On ne peut donc nier que les nouveaux motifs et la présentation frontale qui se
manifestent dans le Petén pendant la première moitié du cinquième siècle se retrouvent
dans l'art de Teotihuacan. Malgré les difficultés d'ordre chronologique, il est peu
probable que la diffusion se soit effectuée dans le sens Petén vers la métropole
mexicaine, car ces traits — et en particulier la frontalité — n'ont pas d'antécédents
dans le sud de la Mésoamérique. En revanche, et relativement aux autres arts
mésoaméricains, Teotihuacan a beaucoup utilisé la perspective frontale. Paradoxalement, si
les Mayas du ve siècle ont montré leur roi de face, c'est grâce à Teotihuacan qui n'a pas
directement abordé les sujets politiques dans son art (Pasztory 1997). Dans cette
métropole, la frontalité est surtout réservée aux compositions, ou assemblages de
signes et de symboles, qui expriment une créature ou un concept. Comme la partie
centrale en est souvent un masque, et que des bras ou des mains font partie de la
composition, on a été tenté d'y voir un corps humain qui représenterait une divinité.
En réalité, la seule créature clairement identifiée comme telle est celle de Tlaloc. Dans
ce cas, le dieu apparaît en buste ou en tête, soit seul (« Tlaloc del Rayo » de Tetitla,
Miller 1973 : fig. 248-249), soit accompagné, en guise de corps, d'un ensemble
circulaire où figurent divers symboles tels que fleurs, étoiles de mer, coquillages, végétaux,
grecques, etc. (« Escudo de Tlaloc » de la Zona 3. Ibid. fig. 84-85). Les autres
compositions utilisent comme élément central un médaillon (tête de mort ou motif réticulé),
ou un masque analogue à la fois à ceux en pierre dure pour lesquels la cité est célèbre
et à ceux que l'on trouve sur les couvercles d'encensoir. On a comparé (Pasztory 1997)
ces derniers aux compositions peintes car, dans les deux cas, il s'agit d'assemblages de
symboles (que Séjourné appelle images héraldiques). Le décor des encensoirs
comprend aussi des « adornos » sous forme de nombreux éléments appliqués autour de
l'image principale. Des « adornos » semblables entourent les compositions peintes
désignées comme « figuras frontales con énorme tocado » (Zone 5A, Cuarto 23, mural
1-3. De la Fuente 1997 : fig. 6-15).
Les Teotihuacanos ont aussi représenté de face des animaux tels que des jaguars et
des oiseaux, ainsi que des hybrides homme/animal (« figuras aladas descendientes »)
et des masques grotesques (tels que ceux qui, plaqués sur le serpent à plumes, sont
l'équivalent de la tête arrière du monstre bicéphale des Mayas : Tepantitla, pièce 2.
Miller 1973 : fig. 173, 178-179. Atetelco, Patio Pintado, murales 1-5. Ibid. : fig. 345,
349).
L'utilisation de la frontalité répond ici au besoin de donner toute son importance
au motif ou à l'ensemble de motifs présenté. Les artistes n'ignoraient pas que la
frontalité compromet le spectateur en l'impliquant davantage avec ce qu'il a sous les
yeux. Cette importance reconnue à la frontalité est manifeste dans les scènes où des
figures de profil convergent vers une image de face, comme pour lui rendre culte ou
hommage (par exemple le mural des félins du Conjunto del Quetzalpapalotl, Cuarto 3,
mural 1 . De la Fuente 1995 : 128). C'est sans doute la peinture murale qui a inspiré les
artistes teotihuacanos à jouer avec le contraste face/profil ; en effet, dans une pièce
considérée comme un ensemble, le mur du fond invite à l'image frontale alors que les
murs latéraux sollicitent les représentations de profil.
Baudez, CF.] LE ROI MAYA EN FACE 51

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Fig. 5. — Quirigua, Monument 26 (Dessin C. Beetz in Jones 1983 : figure 13.1).

L'expression de frontalité la plus « provocante » est l'attitude du jaguar, présenté


le corps de profil, qui tourne la tête vers le spectateur et le regarde en face : attitude non
innocente à la recherche de la complicité du spectateur, ou geste de menace ? (Zone 4 :
Animales mitológicos. Miller 1973 : fig. 94. Zone 5 A, Portico 13, Mural 1-2. De la
Fuente 1995 : fig. 6.8) 4.
L'adoption par les gens du Petén de la frontalité et d'éléments iconographiques
provenant de Teotihuacan, n'aura pas duré longtemps. La nouvelle mode disparaîtra
au Petén aussi soudainement qu'elle était apparue 5. Plus tard, on verra réapparaître la
frontalité dans les Basses Terres centrales, accompagnée parfois encore de traits
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Teotihuacan, dans un nombre limité de sites (Piedras Negras, Toniná, Quirigua et


Copán).
Hors Petén, les plus anciennes stèles représentant le souverain en vue frontale
proviennent de Quirigua : le Mon. 21 (Stèle U) est daté 9.2.3.8.0 (478 AD) et le
Mon. 26 remonte à 9.2.18.0 ?.O ?. (493. Figure 5). Les deux stèles sont faites dans le
même schiste bleu gris et représentent un personnage en vue frontale totale qui
déborde sur les faces latérales du monument, comme sur les stèles classiques anciennes
1, 2 ou 28 de Tikal (Jones 1983 : 122). Ce dernier auteur compare également le
Mon. 26 aux Stèles 2 et 20 de Uaxactun (Ibid. ) qui portent des dates voisines. Il est
vraisemblable que ces anciens monuments de Quirigua, sculptés d'après des modèles
du Petén, sont à l'origine de la tradition de frontalité qui sera le canon de la sculpture
monumentale de ce site tout au long de son histoire.
À Copán, les plus anciens monuments iconiques découverts jusqu'à présent 6
sont frontaux, mais plus tardifs : il s'agit des Stèles E (Figure 6) et 9, datées
respectivement 9.5.0.0.0 7 et 9.6.10.0.0 (564). Il est probable cependant que des chaînons
manquent à la séquence sculpturale de Copán et que la frontalité ait été adoptée dans
ce site à peu près en même temps qu'à Quirigua. En effet, dans le texte du Mon. 26,
l'individu mentionné comme troisième roi de Quirigua a pour glyphe celui du fils de
Yax K'uk Mo ', le fondateur de la dynastie copanèque, et le nom d'un autre personnage
désigné comme quatrième souverain se retrouve à Copán dans un contexte Classique
ancien. Comme le texte du Mon. 26 ne mentionne ni rois de Quirigua, ni le glyphe-
emblème de cette cité, il s'agit plus vraisemblablement de souverains copanèques.
Schele, responsable de cette interprétation, en déduit qu'à l'époque Copán contrôlait
déjà Quirigua (Fash 1991 : 87-88). Il est donc probable que les deux cités voisines se
partageaient alors les modes importées des prestigieux sites du Petén, ce que confirme
le style de la Stèle 35 de Copán.
Quoi qu'il en soit, dès leurs premières stèles iconiques et presque jusqu'à leur
abandon, Copán et Quirigua ont opté pour la frontalité totale du souverain. À Copán,
les stèles iconiques les plus anciennes comme E, P, 7, 2, etc. sont prismatiques,
légèrement évasées vers le haut, et sculptées en bas-relief. Comme l'avait remarqué
Spinden, le relief va peu à peu augmenter au cours du temps, bien que ce ne soient pas
toujours les stèles qui ont le relief le plus accusé (comme F et 4) qui soient les plus
récentes. Sur les stèles antérieures à 9.14.0.0.0 (711), le personnage principal et son
entourage peuvent déborder sur les côtés du monument, mais n'occupent jamais plus
de la moitié de sa profondeur (Baudez 1994 : 247). Avec le règne de Dix-Huit Lapin et
jusqu'à la fin, les sculpteurs permettent à l'image du souverain d'occuper trois côtés du
monument (Stèle A, Figure 7) ; cela leur donne plus de place pour disposer
obliquement les pieds du personnage et pour baisser ses bras qui, jusqu'alors, étaient haut
placés sur la poitrine pour soutenir la barre cérémonielle. On s'achemine donc vers la
sculpture en ronde-bosse mais sans jamais l'atteindre car l'artiste ne nous fait jamais
oublier le bloc prismatique d'origine. Mais les trois dimensions de ces sculptures
accroissent considérablement le champ décoratif et permettent donc d'allonger le
message iconographique.
L'évolution de la sculpture copanèque montre que la vue frontale du visage a
permis le développement du relief 8. En effet, on ne voit pas ce que gagnerait une figure
de profil, qui tend à se diriger vers la droite ou vers la gauche, à voir son épaisseur
Baudez, CF.] LE ROI MAYA EN FACE 53

Illustration non autorisée à la diffusion

Fig. 6. — Copán, Stèle E (Dessin A. Dowd in Baudez 1994 : figure 16).

augmenter. Par contre, le personnage montré tout entier de face paraît, même quand
son épaisseur est minime, vouloir se diriger vers le spectateur en se dégageant peu à peu
du bloc qui l'enferme. Le champ est libre pour le faire. En acquérant plus de relief,
l'image du souverain acquiert plus de volume pour la même hauteur, donc plus de
présence. Par rapport à la stèle maya habituelle sur laquelle l'image du roi est traitée de
54 JOURNAL DE LA SOCIETE DES AMERICANISTES [85, 1999

Illustration non autorisée à la diffusion

Fig. 7. — Copán, Stèle A (Dessin A. Dowd in Baudez 1994 : figure 4).

profil et en bas-relief, les stèles de Copán entre la fin du katun 14 et celle du katun 17
(71 1 et 771), gagnent doublement en présence par la frontalité et par le relief. Après la
fin du katun 17, les stèles — à l'exception de la С — disparaissent. Le CPN 60
(Stèle 1 1), monument funéraire de « Soleil Levant », est une colonne circulaire
sculptée en bas-relief, probablement inspirée par les colonnes sculptées du Yucatan, qui
Baudez, CF.] LE ROI MAYA EN FACE 55

présente le roi défunt debout avec le corps de face et le visage de profil. C'est la
première stèle de Copán à ne pas être entièrement frontale.
La séquence monumentale de Quirigua ne nous est connue en détail qu'entre
9.15.15.0.0 (746) et 9.18.15.0.0 (805) (Maudslay 1889-1901). Quelque deux cents ans
après les premiers monuments frontaux en bas-relief (Mon. 26 et 21), le Mon. 12
(autel L = 9. 12.0.0.0) est un disque avec un personnage assis au visage de profil, alors
que sur le Mon. 20 (Stèle T = 9. 13.0.0.0) le roi est entièrement frontal. La frontalité est
célébrée spectaculairement avec les zoomorphes, grands rochers sculptés en forme de
monstre terrestre, de la gueule duquel, en haut-relief, émerge le roi. Métaphore de
l'accession au trône, le zoomorphe de Quirigua trouve son origine lointaine dans les
autels olmèques, dont le prototype est l'autel 4 de La Venta. Les Mon. 1 et 3 (Stèles A
et C) présentent un cas intéressant d'opposition face/profil sur le même monument ;
dans les deux cas, le devant de la stèle est occupé par l'image frontale du roi dont le
visage et la coiffure sont traités en haut-relief. L'arrière du monument présente, en très
bas-relief, un personnage masqué et de profil, dansant dans l'inframonde, qui
représente sans doute un ancêtre. Les nombreuses stèles du règne de « Cauac Ciel » qui,
avec les zoomorphes, ont été érigées tous les cinq ans, sont sculptées en un relief plus
épais que celui de la majorité des stèles mayas, mais beaucoup moins que les stèles
contemporaines de Copán. On peut remarquer que le relief est généralement plus
accusé au niveau de la tête et de la coiffure du roi. Sur ces monuments, le personnage
et son entourage débordent légèrement sur les côtés.
Mais ici ce n'est pas tant le relief et le volume que l'on a utilisé pour accentuer la
présence royale déjà mise en évidence par la frontalité, mais la hauteur. Celle du
Mon. 19 (Stèle S), la première de « Cauac Ciel », est inférieure à 3 mètres, celle des
suivantes varie entre 5 et 7,50 mètres, pour culminer avec les 1 1 mètres du Mon. 5
(Stèle E, la plus haute des stèles mayas), érigé pour célébrer la fin du 17e katun.
Comme à Copán et en même temps qu'elle, les règnes postérieurs à celui de « Cauac
Ciel » délaissent la stèle au profit de l'autel zoomorphe. Les dernières stèles I et К
(Mon. 9 et 1 1, respectivement inaugurés en 800 et 805) sont beaucoup plus basses (de
3,5 à 4 mètres) que les précédentes, mais aussi beaucoup plus en relief, en particulier au
niveau des jambes et de la tête, comme si on avait voulu compenser par le relief la
diminution de hauteur.
On ne s'étonnera pas que les deux cités proches et rivales aient connu des
développements artistiques parallèles. Elles ont choisi très tôt de montrer leur roi de plein
front, ce qui donnait à la figure royale une autorité et une présence inconnues avec les
images de profil. Elles ont cherché ensuite à la renforcer en augmentant le relief du
personnage et de son entourage. Leurs voies ont alors bifurqué : Copán a de plus en
plus développé le relief et le volume de ses monuments, alors que Quirigua en a
développé la hauteur. Les résultats sont comparables : on est en présence de rois qui
vous écrasent par leur volume ou leur stature, et qui vous regardent ; rois qu'il était
sans doute interdit, sous peine de lèse-majesté et d'aveuglement, de regarder en face. À
Copán comme à Quirigua, le roi est comparé au soleil ; levant lors de l'accession au
trône, quand il est montré sortant des mâchoires du monstre terrestre, comme sur les
zoomorphes de Quirigua ; couchant, quand on le voit s'y enfoncer (Baudez 1988).
Une des propriétés, à la fois naturelle et symbolique, du soleil est qu'il ne peut être
regardé « en face ». C'est pour cette raison que le roi maya faisait dessiner sur son
56 JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES [85, 1999

bouclier le masque, vu de face, du soleil ; cette image était destinée à épouvanter ses
ennemis et ajouter une protection magique à l'action défensive du bouclier, à la façon
des souverains romains qui disposaient des têtes de Gorgone sur leurs cuirasses. Le roi
a profité de la métaphore solaire pour imposer à ses sujets de baisser les yeux en sa
présence ou peut-être même devant ses images. Ainsi, dans la zone sud-est de l'aire
maya, la frontalité, l'augmentation du relief, du volume ou de la hauteur, et la
métaphore solaire sont inséparables et concourent toutes vers le même but : faire du
souverain un être d'exception que l'on doit respecter et craindre autant qu'un dieu. S'il
est possible que tous les rois mayas aient eu droit aux mêmes égards, (comme
l'empereur aztèque, l'inca et nombre de rois africains et océaniens qu'il est tabou de
regarder), l'interdiction de regarder le roi soleil en face est seulement explicite à Copán
et à Quirigua.
À première vue, les statues royales de Toniná, avec leur petite taille, n'étaient pas
faites pour impressionner le spectateur. Si elles ont imposé le respect c'est plutôt par
leur réalisme, et par la mise en scène qui présidait à leur présentation. L'histoire des
débuts de la sculpture de cette cité du Chiapas, à la frontière des Basses et des Hautes
Terres, est mal connue. M. 106, le premier monument daté avec certitude (9.8.0.0.0 ou
593), est un panneau calcaire sculpté en bas-relief du Souverain n° 1 de profil, assis sur
un trône en forme de monstre terrestre frontal (Becquelin & Baudez 1979-1982 : 860 ;
fig. 175). La plus ancienne stèle connue semble être le M. 74, planté dans la pièce du
fond du temple de la Structure D5-1 (Figure 8. Becquelin & Baudez 1979-1982 : 642 ;
fig. 59). Ce bloc prismatique est sculpté d'un personnage debout, entièrement de profil
et armé d'une lance. La stèle, dont la date est en partie effacée, est très proche de la
Stèle 1 de Santo Ton (Blom & La Farge 1927 : 309-310 ; fig. 261-262), que Proskou-
riakoff(1950 : 195) date par le style 9.9.0.0.0 ± (613). M. 78, trouvé associé à un autel
lisse au pied de la même Structure D5-1, est une stèle très effacée, sculptée d'un
personnage entièrement de face en moyen-relief (d'une épaisseur maxima de 7 cm) sur
une dalle plate (Becquelin & Baudez 1979-1982 : 645 ; fig. 60). La même technique a
été utilisée pour le M. 50 (Graham & Mathews 1996), où un souverain, portant la barre
cérémonielle, est figuré de face ; il en est de même de la stèle baptisée Zots Choj par
Juan Yadeun. Après 650, les stèles sont sculptées en haut-relief : ainsi M. 28 que l'on
situe à 9.11.0.0.0 (652) ou 9.11.5.0.0 (657) (Proskouriakoff 1950: 121), M.26
(Figure 9) qui porte une date de 9.12.0.0.0 (672), et M3 daté 9. 13.0.0.0 (692. Mathews
1983).
Il semblerait donc que, dans la première moitié du vne siècle, l'on soit passé du
bas-relief de profil et du moyen-relief de face, à la presque ronde bosse (où le
personnage apparaît adossé à une longue cape qui le déborde légèrement) et, enfin, la
vraie ronde bosse (M. 102). Ces sculptures sont de taille légèrement inférieure à celle de
leurs modèles, et sont, dans la pose comme dans l'ornementation, plus sobres que les
stèles de Quirigua et de Copán. Les rois soutiennent des deux mains la barre
cérémonielle ou les laissent reposer sur les cuisses ou sur la ceinture, ou les présentent paumes
ouvertes. Les bijoux et les emblèmes sont souvent limités, à l'exception de la coiffure
sur laquelle est concentré le plus gros de l'appareil symbolique. Si les monuments en
moyen-relief de face sont antérieurs aux statues, comme nous le supposons, la
frontalité aurait précédé et encouragé — comme à Copán et Quirigua — le haut-relief,
mais ceci reste à démontrer.
Baudez, CF.] LE ROI MAYA EN FACE 57

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Fig. 8. — Toniná, M. 74 (Dessin I. Graham in Becquelin et Baudez 1979-1982 : figure 59).

À Toniná, le haut-relief et la ronde-bosse comme la frontalité ne sont pas des


privilèges réservés à l'image royale. Les nombreuses statues de captifs qui ont été
retrouvées étaient sans doute placées aux pieds d'un souverain, lui-même debout sur
un masque de monstre terrestre ; l'ensemble reproduisait alors, en relief et en volume,
la composition courante en plan d'une stèle maya, où un roi est encadré de prisonniers.
Des captifs en vue frontale peuvent même être sculptés en haut-relief sur les côtés d'un
piédestal (M. 8. Mathews 1983), s'ajoutant ainsi aux multiples bas-reliefs (dont les
protagonistes ont le visage de profil) qui décoraient les murs des temples et montraient
scènes de capture et captifs enchaînés et dégradés. À Toniná, le sculpteur utilise toutes
les techniques sans exclusive d'aucune catégorie sociale. Autant les rois que leurs
ennemis déchus peuvent faire face, dans une grande liberté d'expression. En outre, en
de multiples occasions, les statues de rois, de dignitaires et de captifs peuvent former
des ensembles assez touffus, comme le montre la concentration de piédestaux sur la
cinquième terrasse de l'Acropole (Becquelin & Baudez. Ibid.). Goût de la mise en
scène, simplicité et naturalisme caractérisent cette statuaire qui n'a pas d'équivalent
58 JOURNAL DE LA SOCIETE DES AMERICANISTES [85, 1999

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Fig. 9. — Toniná, M. 26 (Dessin P. Mathews in Mathews 1983).


Baudcz, CF.] LE ROI MAYA EN FACE 59

dans l'aire maya. La frontalité et le haut-relief ne cherchent pas ici à intimider le


spectateur mais, au contraire, à le familiariser avec un monde d'images.
On a dit plus haut que la sculpture de Toniná est unique, et comme l'a fait
remarquer Proskouriakoff(1950 : 121), la sculpture des autres sites mayas du Chiapas,
comme Tenam Puente, Chinkultic ou Comitán, est en bas-relief et de profil. À cette
règle, il y a cependant des exceptions ; ainsi la Stèle 2 de Tenam Puente (Blom & La
Farge 1927 : 425 ; fig. 355), un fragment de statue montrant visage et coiffure, très
semblable au M. 32 de Tomna. Une statue de Chuctiepa (Ibid. p. 215, fig. 174) et la
Stèle 3 de Tortuguero [Ibid. p. 153, fig. 119) sont également en haut-relief.
Le haut-relief de Toniná. encouragé ou non par la frontalité. a sans doute pour
origine la tradition de sculpture en haut-relief et à tenon des Hautes Terres du
Guatemala et du Chiapas. Celle-ci se manifeste sous la forme de monuments
indépendants, dont la base non sculptée était fichée dans le sol ou dans un piédestal. La partie
travaillée représente le plus souvent un homme, parfois un animal, sculpté en bas-
relief (statue-colonne) ou en ronde-bosse. Le plus souvent rudimentaires et
d'exécution maladroite, ces sculptures, qui sont datées généralement du Classique récent et du
Postclassique, proviennent de la vallée de Comitán (Navarrete 1967), de la région de
Chaculá (Seler 1901) et de Santa Lucia Cotzumalhuapa (Thompson 1948. fig. 18. e, f ;
Parsons 1969, 1986). Elles sont les héritières des sculptures préclassiques du
Guatemala, montées sur un piédestal de section carrée (Miles 1965 : 250, note 6). Les gens de
Toniná auraient emprunté à leurs voisins le haut-relief en même temps que le tenon
qui leur permettait de ficher la sculpture en terre ou dans un socle en maçonnerie. Ils
ne se sont pas contentés d'emprunts, mais ont découvert des formes nouvelles comme
la base de stèle en anneau qui servait de support au texte et assurait la stabilité de la
statue ; ou encore les statues composées du grand jeu de balle qui épousaient le profil
du haut des structures latérales du terrain qui comprennent d'abord un plan vertical,
puis un plan incliné. Il n'est pas dit que les voisins des Hautes Terres aient seuls porté
la responsabilité de l'originalité de Toniná. Comme le montrent certains archaïsmes,
(comme par exemple la position très haute des bras soutenant la barre cérémonielle),
il est possible que certains traits venus du Petén au Classique ancien, aient aussi joué
un rôle dans l'élaboration de cet art.
Contrairement aux cités étudiées précédemment et qui, toutes trois, se trouvent à
la frontière de l'aire maya, Piedras Negras est au bord de l'Usumacinta à quelque 40
km en aval de Yaxchilán (Proskouriakoff 1960, 1961). On sait peu de chose de son
histoire pendant le Classique ancien sinon que trois de ses dirigeants ont visité
Yaxchilán qui a consigné l'événement sur ses linteaux (Schele and Freidel 1990). Les
plus anciens monuments datés de Piedras Negras sont des linteaux, et il faut attendre
le début du vne siècle pour observer une première stèle (Stèle 25) qui montre en vue
frontale le souverain I, assis dans une niche, image consacrée de son accession (datée
9.8.10.6.16, soit 603 de notre ère). C'est la série complète, d'une durée de près de
200 ans, de monuments érigés tous les hotuns (5 tuns ou 1800 jours) qui a permis à
Proskouriakoff de démontrer que les inscriptions monumentales mayas traitaient
d'histoire politique. Elle a remarqué que les stèles étaient distribuées dans le site par
groupes, et que l'intervalle de temps couvert par les dates de chaque groupe ne
dépassait pas la durée normale d'une vie humaine. Au motif du personnage assis dans
une niche étaient associés une date et un événement que Proskouriakorf a lu comme
60 JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES [85. 1999

« accession au trône ». Les autres stèles de chaque groupe concernaient les périodes
successives de chaque règne, et la comparaison des dates a permis au chercheur
d'identifier ďautres glyphes d'événements comme « naissance » et « mort ».
Quand à Toniná presque toutes les stèles sont des statues et donc de frontalité
« obligée », celles de Piedras Negras sont en bas-relief et le visage du personnage
principal est tantôt de face, tantôt de profil (Montgomery 1994). Le choix entre face et
profil est-il indifférent, abandonné au caprice de l'artiste, ou obéit-il a des règles ?
Dans ce cas, quelles sont-elles ? Concernent-elles le type de période dont on célèbre la
fin. le type d'événement de la carrière d'un roi, un rituel particulier, ou un certain
aspect de la fonction royale ? Le choix entre les deux perspectives peut être également
déterminé par les contraintes de la représentation : dans une scène où interviennent
plusieurs personnages qui communiquent entre eux, le visage du roi sera de profil pour
bien montrer qu'il est concerné par l'action des individus à ses côtés. Certaines actions
sont, elles aussi, plus faciles à rendre de profil qu'en vue frontale ; ainsi en est-il du jet
de grains, procédé de divination exécuté par le souverain en fin de période.
Avec la Stèle 25 commencent la séquence des stèles de Piedras Negras et le groupe
des monuments du roi I, dont elle illustre l'accession suivant un modèle qui sera repris
par d'autres stèles. Le roi est assis dans une niche rectangulaire encadrée par le corps
du monstre céleste, dont les deux têtes, l'une vivante, et l'autre morte (et à l'envers)
sont visibles sous la niche ; symbole du soleil diurne, un oiseau aux ailes étendues est
perché tout en haut du monstre céleste. Sa tête est montrée de face, tout comme celle
du souverain au-dessous, rappelant ainsi l'équivalence du roi et de l'astre. Le roi est
donc présenté dans un cadre cosmique qui lui confère une dimension universelle. Les
deux autres stèles iconiques (26 et 31) de ce règne sont frontales et très semblables : le
personnage principal est debout avec deux captifs à ses pieds ; son visage disparaît
dans un heaume gigantesque qui occupe près des deux tiers du monument. Il tient un
bâton dont le sommet recourbé se termine par une tête de serpent, et un bouclier
rectangulaire.
L'accession du roi II n'est pas marquée par une stèle à niche. Sur la Stèle 35, il
apparaît entièrement de face bien que sa coiffure soit moins imposante que sur les
stèles précédentes. Il est armé d'une lance et d'un bouclier, duquel dépasse un sac à
encens, composant ainsi l'image d'un roi guerrier et prêtre. Sur trois autres
monuments, il a le visage de côté : sur la Stèle 33, il est assis sur un trône et reçoit d'une
femme debout une lancette d'autosacrifice. Sur la 32, il est debout et porteur d'au
moins (le bras droit n'est plus visible) un bouclier, et sur la 34. il n'a pas de lance mais
tient le bouclier et le sac à encens de la main gauche.
Avec le roi III, réapparaît la stèle à niche, n° 6, à laquelle s'ajoutent les Stèles 7 et
8, respectivement datées 731 et 692 qui représentent le roi avec le visage de face et
accompagné de captifs. C'est un portrait du souverain guerrier prêtre, avec lance (dont
la lame est un couteau excentrique), bouclier et sac à encens. La nouveauté, ici,
consiste dans la réapparition de symboles Teotihuacan, tels que l'écusson de Tlaloc,
les gouttes de sang, le Signe de l'Année, et les yeux cerclés. À la même époque, la Stèle 6
de Copán (682) exhibe elle aussi les mêmes traits Teotihuacan (Baudez 1994). Parmi
les stèles sur lesquelles le roi a le visage de profil, la 2 le montre debout, en train de jeter
les grains ; sur la 4, il est debout et accompagné d'un captif et paraît tenir un sac à
encens ; sur la 5, il est assis et présente le foudre à une femme.
Baudez, CF.] LE ROI MAYA EN FACE 61

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Fig. 10. — Piedras Negras, Stèle 11 (Dessin Linda Schele).

Sur la Stèle lia niche (Figure 10), c'est l'accession du roi IV qui est célébrée. La
Stèle 9 (736) est encore une image frontale avec lance, bouclier, sac à encens et
symboles Teotihuacan. Sur la Stèle 40 le roi, à la tête de côté, est montré à genoux en
train de jeter les grains.
Le roi V a pour tout monument iconique une stèle à niche (14), la dernière de la
série. Sur la Stèle 13, le roi VI debout et au visage de profil, jette les grains et tient un
sac à encens. La Stèle 1 5 montre le roi VII en vue frontale, debout avec un sac à encens,
alors que sur la 12 (qui porte la dernière date du site 9. 18.5.0.0 ou 795) il est de profil,
assis sur un trône et domine tout un groupe de captifs.
Les stèles sur lesquelles le souverain fait face ne sont pas réservées à la célébration
des fins de katun : les deux angles sont utilisées pour célébrer autant les fins de
lahuntun ou de hotun. Les stèles frontales ne sont pas plus grandes que celles où le roi
62 JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES [85, 1999

regarde de côté. L'opposition face/profil, si tant est que les Mayas de Piedras Negras
lui aient attribué une signification, semble résider à la fois dans l'action représentée et
dans les rôles royaux que l'on veut illustrer. Pour les scènes d'action entre plusieurs
personnages, le roi a le visage dirigé vers eux, c'est-à-dire de profil (Stèles 5, 12, 33) ; il
en est de même quand il jette les grains (Stèles 2, 13, 40). La vue pleinement frontale est
réservée à l'image de l'accession « en niche », et au roi « en majesté » dans laquelle le
souverain apparaît à la fois comme un guerrier sacrificateur et comme un prêtre (Stèles
26, 31, 7, 8, 9). Il faut noter aussi que les éléments Teotihuacan, liés à la guerre,
n'apparaissent que sur les stèles frontales.
Piedras Negras a accordé le privilège (?) de la frontalité à des femmes : l'une figure
sur la face principale de la Stèle 1 , l'autre au dos de la 3. On ne sait s'il s'agit de la même
personne ou de deux, dans la mesure où plusieurs dames (sans doute des reines) sont
mentionnées dans les textes qui se réfèrent aux règnes des rois II et III.
L'histoire de la sculpture de Piedras Negras confirme le principe, démontré à
Copán et à Quirigua, selon lequel la frontalité favorise l'augmentation du relief
(Sharer 1994 : 647). Ainsi, sur la Stèle 25 (inaugurée en 608) le roi est dans une niche
très peu profonde ; sur la 6 (687), la niche s'est creusée, le visage est mieux traité mais
reste trop important par rapport au corps ; les proportions de la figure assise sont plus
réalistes sur la Stèle 1 1 (731) grâce à la profondeur accrue de la niche. Dans celle de la
Stèle 14 (761), plus profonde encore, la figure royale atteint son relief maximum.
Dans la mesure où à Piedras Negras, les traits Teotihuacan sont associés à la
frontalité, celle-ci comme ceux-là doivent avoir pour origine les monuments du
Classique ancien du Petén qui présentent la même association. On suppose que les
souverains de Piedras Negras ont emprunté ces emblèmes, en même temps que la vue
frontale, aux images des légendaires fondateurs des grandes dynasties du Petén. Il est
fort probable que le prestige des symboles d'origine Teotihuacan ait été plus dû au fait
d'avoir été portés par les anciens rois des premières grandes cités mayas, qu'au
souvenir de la métropole disparue. À leur tour et à l'imitation de Piedras Negras, les
cités du Petexbatùn comme Dos Pilas ou Aguateca ont utilisé ces emblèmes sans
toutefois avoir recours à la frontalité.
À Copán comme à Quirigua, à Toniná comme à Piedras Negras, le roi en face est
un thème traité exclusivement sur des monuments indépendants. Dans le nord- ouest
du Yucatan, par contre, certaines des images royales, qui décorent les colonnes et les
jambages des édifices, sont frontales. Ces manifestations apparaissent au Puuc
Ancien, notamment à Xcalumkin et Xculoc. Plus tard, au Puuc Florescent, à Oxkin-
tok (comme à Xcochkax, Dsecilna, San Pedro Dzitbalche, Calkini, Temax, Mayapàn)
les personnages des colonnes sont en haut-relief. Un personnage joufflu et au ventre
rebondi (« fat god »), au corps recouvert d'éléments emboîtés comme des tuiles, figure
aux côtés du roi sur des colonnes de la Structure CA-7 d'Oxkintok ; on le retrouve
sous la forme d'un petit atlante en ronde-bosse en façade d'un édifice de Xculoc. Bien
que l'on manque de datations qui nous permettraient de l'assurer, il est bien possible
qu'ici encore, la frontalité ait permis le développement du relief. Proskouriakoff
(1950 : 167 & suiv.) a insisté sur la présence de traits exogènes non-classiques («
Quality X ») associés à la frontalité dans cette sculpture, mais sans se prononcer sur leur
provenance. On ignore donc l'origine de la frontalité en zone Puuc qu'il est peu
probable de situer dans les Basses Terres centrales.
Baudez, CF.] LE ROI MAYA EN FACE 63

D'autres exemples — mais isolés — de frontalité de l'image royale proviennent du


centre du pays maya : la Stèle 21 de Naachtun (Sharer 1994 : 646 ; fig. 14.12) ou la 2 de
Seibal où le personnage est masqué. Par ailleurs, certaines sculptures en haut-relief qui
montrent le personnage en face sont en réalité des éléments d'architecture, comme la
« Stèle 1 » de Palenque, ou la statue en ronde-bosse dite de Quetzalcoatl, de Yax-
chilán. Bien que peu d'exemples nous en aient été conservés, le roi apparaît de face
dans l'architecture, soit en façade des temples (Maison des Quatre Rois de Balamku ;
Annexe des Nonnes à Chichen Itzá) ou sur les crêtes faîtières (Temples I et II de Tikal.
Temple du Soleil de Palenque).
Nous avons vu à quel point, dans l'histoire de la sculpture maya, le thème du « roi
en face » avait été peu exploité : il apparaît et se manifeste au Petén dans la première
moitié du ve siècle, en même temps que des traits connus au Mexique central, ce qui
laisse supposer qu'il a Teotihuacan pour origine. Au Classique récent, la frontalité
connaît des fortunes diverses, limitées dans l'espace et le temps : à Copán comme à
Quirigua, le « roi en face » est tôt venu du Petén dans les bagages de colons attirés par
la fertilité des vallées du bas Motagua et de ses affluents. La frontalité a servi à forger
l'image d'un roi soleil redoutable, terriblement présent en termes de volume, de relief
ou de taille. Toniná a pris son inspiration, soit chez ses voisins des Hautes Terres qui
avaient une longue tradition de sculpture de taille moyenne, en haut-relief et à tenon,
soit à Piedras Negras. Les gens de Toniná ont profité des deux traditions des Basses et
des Hautes Terres pour élaborer un art extrêmement libre et varié dans ses techniques
comme dans ses représentations. La frontalité y fut mise au service du roi mais aussi à
celui de son entourage. Elle perdit donc beaucoup de sa valeur sémantique.
À Piedras Negras, la frontalité semble avoir eu pour origine les anciens monuments
du Petén où elle était associée aux traits provenant de Teotihuacan. Elle n'est
cependant pas systématique et paraît avoir été préférée pour les monuments les plus
importants, qui sont ceux où le souverain célèbre son accession et ceux qui le montrent
comme guerrier et prêtre. On doit cependant reconnaître que dans certains cas
l'opposition face/profil n'est pas aussi tranchée qu'on le souhaiterait.
Que le profil soit la norme implique que l'on évite le face à face ou qu'il soit réservé
à des cas limités. Lorsqu'il s'agit d'entités ou de créatures représentant les grandes
forces cosmiques, le plus souvent sous forme de masques, la frontalité est, à l'inverse,
préférée. Ce n'est pas un hasard si tous les personnages — y compris le roi — peints
dans les trois salles de la Structure 1 de Bonampak ont le visage de profil, alors que les
masques cosmiques sont vus de face. La frontalité serait-elle réservée au religieux et au
sacré ? Le paradoxe du roi en face tient à l'ambivalence de la frontalité : plus le roi est
donné à voir, moins on a le droit de le regarder. La conséquence d'un face-à-face avec
l'image de son souverain ne peut être que le respect, comparable à celui que vous
inspire le soleil ou la terre *.
* Manuscrit reçu en mars 1999, accepté pour publication en juin 1999.
64 JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES [85, 1999

NOTES

1. En effet, les textes placés au-dessus des deux personnages identiques font référence à Museau
Retroussé.
2. Dans la pièce 1 de Teopancaxco : Laminas 1 et 4 in Ruben Cabrera « Teopancaxco. Casa Barrios о

:
del Alfarero », in : Beatriz de La Fuente, éd. 1996.
3. Comparer avec le mural 3 du Patio 20 du Palais des Jaguars, Zone 2 de Teotihuacan. On y retrouve la
tête de mort frontale, les gouttes de sang et les étoiles. Miller 1973 : fig. 47.
4. La même idée est développée avec le trône en forme de jaguar du Castillo de Chichen Itza et avec les
Chac Mool.
5. La frontalité réapparaît brièvement à Tikal sur un panneau en stuc de la Structure 5D-57, où l'on peut
voir le roi Ah Cacau, entièrement de face, tenant captif Ah Bolon Bakin de Calakmul, vaincu en 695. Il est
possible que l'idée de la frontalité ait été reprise à cette occasion car la date de la victoire tombe 13 katuns
après la dernière date de la Stèle 31 de Ciel d'Orage (Sharer 1994 : 268 ; fig. 5.25).
6. À la possible exception de la Stèle 35, dont manque la partie supérieure. Stylistiquement, elle est très
proche des monuments de la fin du cycle 8 du Petén, auxquels elle a été comparée (Baudez 1994 156).
7. Si l'on retient cette datation proposée par Schele (1987) qui est en désaccord avec celle avancée par

:
Riese (Baudez & Riese 1990) de 9.11.13.5.0.
8. P. Becquelin m'a fait observer que la qualité du matériau utilisé par certaines cités a pu aussi jouer un
rôle dans ce développement ; en effet, le tuf volcanique utilisé à Copán comme le grès fin de Quirigua et de
Tónina, sont tendres et faciles à travailler après extraction, et durcissent ensuite à l'air. Le calcaire est un
matériau plus difficile à extraire comme à sculpter (Morley 1935 : 27-29). Cependant, les Olmèques ont
préféré la ronde bosse même en basalte, matériau bien plus dur que les précédents.

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