Vous êtes sur la page 1sur 216

RAWANE

DIOP






L’AFRIQUE DANS LA GLOBALISATION :
UNE BRADERIE SANS FIN


















Du même auteur :
De l’indépendance à l’émergence – leurres et lueurs, Paris, l’Harmattan, 2015.






















© L’HARMATTAN, 2017
5-7, rue de l’École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
harmattanl@wanadoo.fr

EAN : 978-2-336-79247-7
DÉDICACE

À mon épouse Anta Fall, femme parmi les femmes sans qui je ne serais pas.
Pour le sursaut de l’Afrique, ce livre est une ode aux combattants africains
qui s’activent dans les champs, dans les mines et les plantations, dans les
amphithéâtres, dans les écoles, les hôpitaux et au sein des PME, aux
innombrables chercheurs altruistes et dévoués, aux intellectuels militants et
déterminés, à sa jeunesse déboussolée, presque abandonnée, aux millions
d’enfants qui errent dans les rues des capitales africaines, sans amour ni prise
en charge, aux femmes qui souffrent en silence sans rechigner à la tâche, aux
villageois abandonnés sans route ni école ou poste de santé, aux diplômés
chômeurs à vie, aux détenus politiques et d’opinion, aux simples citoyens qui
journellement se battent pour leur survie.
À tout ce beau monde mû par le seul et même idéal de sortir le continent de sa
torpeur et de son enlisement, je dédie ce livre.
J’ai une foi de charbonnier à leur grande détermination.
L’Afrique a les potentialités, le courage fait le reste
Je les exhorte à croire en eux, car sans eux rien ne se fera.
SIGLES ET ACRONYMES

APE : Accords de Partenariat économique


ASA : Accord sur l’Agriculture conclut au terme du cycle de l’Uruguay dans les
négociations du GATT
ASEAN : L’Association des nations d’Asie du Sud Est comprenant l’Indonésie,
la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande, Brunei, le Vietnam, le
Laos, la Birmanie, le Cambodge et le Timor Oriental.
BAD : Banque africaine de Développement
BRICS : (Brésil-Russie-Inde-Chine-Afrique du Sud)
CEDEAO : Communauté économique pour le Développement des États de
l’Afrique de L’Ouest.
CEMAC : Communauté économique et monétaire de l’Afrique Centrale.
CET : Conseil Économique Transatlantique
Com’Zone : Commandant de zone
FMI : Fonds Monétaire International
GATT : GENERAL AGREEMENT ON TARIFF AND TRADE.
IDE : Investissement direct étranger
ITA : Institut de Technologie alimentaire du Sénégal
MERCOSUR : une organisation sous-régionale latino-américaine qui regroupe
l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay, le Paraguay, le Venezuela
OCDE : l’Organisation pour la Coopération et le Développement économique.
OMC : Organisation mondiale du Commerce
OMD : Objectif du Millénaire pour le Développement.
OMICI : Mission des Nations Unies en Côte d’Ivoire.
ORD : Organe de Règlement des différends.
OTAN : l’Organisation du Traite de l’Alliance Atlantique Nord.
PPTE : Pays pauvres très endettés.
PTCI ou TTIP : Partenariat Transatlantique pour le Commerce et
l’Investissement.
RSE : Responsabilité sociale des Entreprises
SAARC : L’Association sud-asiatique pour la coopération régionale comprenant
l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh, le Sri Lanka, le Bhoustan, les Maldives,
le Népal et l’Afghanistan
SADC : Communauté de développement d’Afrique Australe, regroupe l’Angola,
le Botswana, le Lesotho, le Malawi, le Mozambique, Swaziland, la
Tanzanie, la Zambie, le Zimbabwe, la Namibie, l’Afrique du Sud, l’île
Maurice, la République Démocratique du Congo, le Madagascar.
TABD : Dialogue commercial transatlantique
TAFTA : Transatlantique Free Trade
UA : l’Union Africaine
UE : l’Union européenne
AVANT-PROPOS

Quand je parle de l’Afrique, résonne en moi un vacarme étourdissant d’un


profond malaise. C’est toujours un moment de gravité, de remords et de regrets.
J’ouvre ces pages dans la frustration, la dénonciation des travers, des
incohérences et des incongruités. Je les ferme dans l’exaltation de valeurs de
comportement, d’attitudes de responsabilité, d’altruisme à l’égard des dirigeants,
des élus et des peuples.
L’Afrique se hâte à pas de tortue devant l’urgence et les besoins infinis. Aux
problèmes d’hier toujours insolubles, s’ajoutent ceux d’aujourd’hui et demain
annonce son lot de tracasseries.
Le discours n’est ni de haine ni de rejet, je m’en voudrais de faire du
sentimentalisme encore que j’affirme haut et fort mes convictions. L’enjeu est de
s’établir dans une démarche critique de rétablissement de la vérité, de tenir un
discours de raison qui, sans être exhaustif, assume avec courage et responsabilité
la mission de passer en revue les innombrables problèmes qui rendent
hypothétique le développement sans cesse rêvé du continent africain fort enlisé
dans ses travers, ses hypocrisies, ses insuffisances et ses regrets. L’analyse se
propose d’être libre et décomplexée.
À tous les dirigeants du continent, il a manqué le courage de Sankara, la
sagesse de Cheikh Anta DIOP, la ruse de NKRUMAH, l’engagement patriotique
de Gamal Abdel Nasser. Le dirigeant idéal pour l’Afrique devra rassembler les
traits de caractère de chacun d’eux, car c’est la seule voie indiquée pour
appréhender avec pragmatisme et intelligence le futur africain sous de meilleurs
auspices.
Je me prends à rêver d’un continent qui prend son destin en main, faisant fi
des tabous, des superstitions, du fanatisme affligeant et du fatalisme naïf et bon
enfant, d’une classe dirigeante offensive, altruiste, détachée des préoccupations
bassement matérielles, personnelles et partisanes pour l’accomplissement de
l’œuvre grandiose de construction de la cité dans un esprit chevaleresque de
grandeur d’âme et de dignité morale. L’attente est longue et les années de
désespoir cumulées depuis les indépendances parlent à l’envi ; les peuples ne
sont plus dans le temps des politiques, trop stratèges, trop rusés, toujours enclins
à projeter, obnubilés par le futur, négligeant à volonté le présent méconnu, mal
abordé, un présent fort inquiétant avec son cortège de problèmes urgents et réels,
quotidiens et préoccupants. L’instantanéité du temps rebute les politiques qui
s’inscrivent dans le virtuel du futur proche et immédiat, mais parfois lointain et
diffus qui permet une surenchère de promesses, des effets d’annonce. Le virtuel
permet d’infinis rêves, des projections mirobolantes. Le présent est une vitrine
qui renvoie à la laideur du quotidien cruel et embarrassant, témoin de l’échec des
politiques. C’est un nœud d’insuffisances et de manques d’urgences et de
cataclysmes, un quotidien mal géré, bâclé, travesti par l’amateurisme et la
démagogie. Pour un homme politique, le rêve n’a pas de prix, il faut rêver et
faire rêver pour toujours susciter l’espoir. La longévité politique est à ce prix. Le
politique est dans le jeu du temps, il sait mieux que quiconque sans servir, le
présent le dégoûte, le virtuel du futur est son refuge.
La mondialisation à ses trousses, rend les défis de l’Afrique plus complexes. À
la proéminence des problèmes, s’ajoute la survie dans un environnement féroce
de concurrence généralisée pour une entité qui tarde à réaliser sa révolution
technologique, sa maitrise de l’acier, ses défis scientifiques. Il n’y a aucun ordre
divin ou social qui prévoit que l’Afrique, malgré ses immenses richesses, reste le
continent de la misère, des malédictions chroniques, des guerres, des luttes de
succession, des batailles de pouvoir, un continent sous perfusion dont le sort
dépend tristement de l’aide internationale, hypothétique, aléatoire et souvent
conditionnée à des pratiques obséquieuses. Les peuples doivent renouer avec le
contrôle de leurs richesses naturelles et de leurs marchés inondés et dominés par
les autres, au mépris des immenses forces de travail.
La misère grandissante des peuples fait le paradis des opulentes
multinationales et puissances alliées conscientes qu’une émancipation de
l’Afrique ruinerait leurs insolents privilèges bâtis sur la domination toujours
maintenue par des moyens et des déclinaisons étranges. Ces pays trop acculés
par les institutions de Bretton Woods doivent s’affranchir de leurs dictats, de
leur tutelle envahissante, de leurs conditionnalités astucieuses pour promouvoir
leurs propres stratégies de développement qui ne passent pas nécessairement par
la privatisation de la santé, de l’éducation, de l’eau et de la sécurité des
populations, comme le confirme le prêtre François Houtart1 :
« Quand l’éducation et la santé doivent devenir rentables à tout prix, c’est leur logique même qui
disparait. Une telle orientation n’est pas innocente, elle est liée à l’accumulation du capital qui
domine les grandes décisions du monde contemporain ».
L’Afrique peut s’en sortir toute seule comme une grande, elle en a les
possibilités, d’infinies potentialités physiques, naturelles, intellectuelles. Les
conditions du succès sont à portée de main, seuls le courage et la volonté
suffisent pour se construire et s’extirper de l’étau du fatalisme avilissant et
nauséabond.
Les vertus de la charité ne peuvent en aucun cas primer sur les bienfaits de la
science et du travail comme outils de construction. Mettons-nous au travail,
oublions l’aide internationale qui entrave la marche en avant. Le travail est
source d’épanouissement, d’émancipation et de libération.
Le monde s’est fait par la science depuis le néolithique, en passant par le
travail des métaux, la découverte de l’écriture, la machine à vapeur, les grandes
inventions et découvertes du 18e siècle, internet, les missions d’exploration de la
planète mars ; les progrès scientifiques et technologiques enregistrés ont
propulsé l’humanité d’un bond spectaculaire en avant vers le bonheur,
l’épanouissement et la prospérité. Les challenges ont été nombreux, vaincus tous
par l’acharnement, l’entêtement de l’homme qui n’a cessé de chercher,
d’expérimenter et de confronter les expériences. Le monde s’est fait par la
science. La science est son futur.
L’Afrique du XXIe siècle est confrontée au défi technologique ; tant qu’elle ne
résorbe pas son retard, elle sera à la traîne, pour se sortir du sous-développement
chronique, de la pauvreté endémique, de l’avalanche de produits manufacturés
qui inondent son marché et des transferts de devises aux producteurs du monde :
Asiatiques, Américains et Européens. Ça passe par une révolution de l’institution
scolaire, la restructuration des universités, l’adaptation des formations avec une
prédominance des filières scientifiques.
La plume et le verbe sont de précieux instruments au service de l’intelligence
humaine pour rendre compte et façonner l’existence. Ils confèrent donc toujours
aux intellectuels, aux penseurs, les moyens de guider la marche de leurs peuples.
Il faut refuser le silence de mots. L’intellectuel n’a pas un rôle dans sa société, il
a une mission à assumer, une mission de veille et d’alerte pour éclairer la
conscience de son peuple, susciter le débat, approfondir la réflexion et trancher
au profit exclusif de la vérité et de l’intérêt citoyen. Le combat, il est d’avant-
garde, il est citoyen. Il faut investir le futur, explorer les défis, attirer les
curiosités et surtout prendre position avec dignité, oser les mots, avoir en dernier
ressort le courage de dire non !
Non à la mondialisation sauvage et débridée ; non au pillage de l’Afrique ;
non à l’accaparement des richesses minières ; non au libre-échangisme version
accords déséquilibrés de partenariat économique (APE) entre l’Europe et
l’Afrique ; non au bradage foncier et à la spoliation des paysans au profit des
nouveaux maîtres, tenants de l’agrobusiness, réduisant le paysan africain au
statut de simple ouvrier sur son terroir ; non aux injonctions des institutions de
Bretton Woods, aux plans de développement inopportuns et inadaptés aux
réalités africaines ; non au placage des modèles importés, au dictat des
instruments de la gouvernance mondiale au service du libéralisme (OMC, G8,
FMI, Banque mondiale) ; non au drame social, au drame écologique, à l’arnaque
économique des multinationales entièrement exonérées d’impôts et de taxes, au
nom de l’amélioration du climat des affaires suscitée par le Doing Business ; non
aux lobbies financiers et industriels qui peuplent les palais, confisquent la
légitimité populaire et s’enrichissent sans cause sur le dos des contribuables ;
non à la Cour Pénale Internationale, au Conseil de Sécurité internationale
instrumentalisé au service des détenteurs de véto.
L’Afrique est en droit de réclamer sa part du gâteau ; sa démographie, son
actualité, son histoire tumultueuse, sa géographie, son passé colonial, sa
superficie lui donnent le droit de disposer de postes de membres permanents du
Conseil de sécurité des Nations unies ; oui à la restitution des biens culturels
spoliés en milliers à l’Afrique lors de la mission d’exploration et la colonisation.
Une partie de son histoire, son identité, sa culture toute particulière, des biens
plusieurs fois millénaires sont dans les musées privés et publics de l’Occident tel
le quai Branly, le Musée de Tervuren.

1 Prêtre et sociologue belge. Il a été professeur à l’université de Louvain jusqu’à sa retraite en 1990. Ce
militant de la cause du Tiers-Monde est le fondateur du Centre tricontinental et de la revue Alternatives Sud.
CHAPITRE PREMIER

LE PARADOXE AFRICAIN,
UN CONTINENT RICHE ET PAUVRE

Des siècles après l’esclavage et la traite négrière, des décennies après la


colonisation qui a asservi, soumis et mutilé le continent, l’Afrique n’est pas prête
de s’émanciper. Elle cherche un chemin, un devenir qu’elle a du mal à se frayer.
Son indolence et son apathie m’attristent. Son sort est préoccupant. Son intégrité
est menacée de toutes parts. Attentiste, maladive, son histoire se fait sans elle
avec d’autres acteurs souvent peu soucieux de l’issue.
Tout porte à croire qu’elle a renoncé, qu’elle ne combat pas pour son
existence, sa survie, qu’elle ne se défend plus. Elle n’a plus de prétentions ni
d’ambitions. Amorphe, elle voit passer le temps fataliste à souhait attendant une
main invisible pour la tirer d’affaire, s’apitoyant quotidiennement sur son sort.
C’est l’Afrique à genoux scrutant le ciel, qui n’a d’yeux que pour l’aide et la
coopération internationale, les ONG supposées voler à son secours, les bateaux
d’ONU PAM pour nourrir ses fils.
Un demi-siècle d’indépendance, le drame des peuples se joue dans cette partie
du monde. C’est l’Afrique des guerres tribales, des bouleversements sociaux, des
mouvements de foules cantonnées aux portes de l’Atlantique et de la
Méditerranée fuyant la misère ou la violence qui retentit plus fort et plus belle, la
violence des obus qui s’abattent au quotidien sur des innocents, c’est l’Afrique
des cerveaux qui s’en vont se vendre sous d’autres cieux plus mirifiques.
C’est l’Afrique des migrants que rien n’arrête même pas la mort, berçant
d’infinis rêves dans le fini de la Méditerranée qui les engloutit par centaines tous
les mois en cascades.
Une Afrique désemparée, mutilée, à la merci d’une élite clanique coupable de
tous les maux, crédule et lâche qui renie les convictions de ses frères et tout le
potentiel qu’offre ce beau continent dont la surabondance réelle contraste avec la
misère grandissante. Son lot de manques en tout genre est effrayant : routes,
hôpitaux, écoles, universités, eau, électricité, denrées alimentaires. Rien n’est
acquis, tout est urgence, mais rien ne presse.
C’est l’Afrique des terres abandonnées, des mines à ciel ouvert qui polluent
tout et déciment les humains comme les animaux. C’est l’Afrique des
multinationales qui seules règnent en maîtres soumettant les gouvernements, les
peuples et les élus, occasionnant des guerres fratricides au moindre blocage ou
quand leurs intérêts sont menacés ; un monde qui remet en cause les principes
d’équilibre naturel et toute la morale universelle. Le profit étant la seule règle.
Une Afrique aux identités perdues qui ne se sent plus, qui s’ignore, se méprise
même parfois se laisse emporter, travestir, mutiler. Son riche patrimoine ne
l’alimente plus, semble même le dégoûter. Elle se laisse aller dans une
mondialisation qui ne la reconnait pas, qui la tolère comme simple élément du
décor. Où est-elle cette Afrique des grandes cultures kouchite, bantoue,
bamiléké, zoulou, nilotique ? Une Afrique riche et féconde toujours prête à
donner, à partager, à instruire.
C’est une Afrique à la mobilité réduite, aux grandes régions proches et
distantes à la fois, un continent morcelé où les micro-États s’affirment chacun à
sa tête un tyran qui préserve jalousement son trône, ne veut entendre parler de
fusion, d’entités fédérées ou même d’union libre. Et pourtant, le développement
de l’Afrique ne se fera pas à travers d’infinis petits États autonomes de
prétention, mais via de gros ensembles offrant plus de garanties et d’opportunités
et plus de moyens, plus d’intelligence et de rationalité.
C’est le paradoxe de l’Afrique qui veut se construire dans la désunion face aux
grands ensembles du monde, aux blocs fédérés et dynamiques qui se renforcent à
chaque session, négociation ou sommet extraordinaire. L’émiettement est sans
doute le frein au développement, une entrave à surmonter.
Un cadre unifié, uniformisé offre plus de perspectives et de dynamisme vers
une Afrique qui se prend en charge, s’oriente, se pense et pense son propre
développement, déploie sa stratégie, définit ses orientations, pose ses priorités,
affirme ses valeurs, endosse sa culture, renoue avec son identité ; une Afrique
entreprenante qui réfléchit son développement, maitrise sa technologie, s’équipe
et s’industrialise. C’est un enjeu, mais les moyens existent, le cadre est ambiant,
les ressources disponibles, l’envie, la volonté politique certes pas au point, mais
il faudra les raffermir, les forcer. Il y va de notre survie collective, de notre
destin partagé, de notre histoire commune, d’un legs à construire pour les
générations de demain et des siècles à venir.
Puisque rien n’arrête la marche de l’histoire, il faut aller dans le sens des
événements, les orienter, les influencer, les créer et imprimer sa marque,
ensemencer la graine du futur pour que le continent rayonne et rayonne encore
de plus belle. Afin qu’il n’ait plus à s’accroupir, à s’agenouiller, pour
quémander, pour signer et compromettre sa marge de manœuvre dans d’infinies
créances vite dilapidées à travers des dépenses folles, inutiles et improductives.
L’Afrique de demain est une Afrique qui doit apprendre à se compter
utilement : maitriser sa démographie et la prendre en charge pour en tirer le plus
de valeur ajoutée, qui s’épargne les effets pervers d’une croissance non
maitrisée, d’une fécondité aliénante quand l’économie ne suit pas, les
infrastructures inexistantes, les politiques sociales défaillantes.
L’image d’une Afrique infantilisée dérange. Un continent assisté qui doit sa
survie à la main de l’autre, écarquillant des yeux face à son malheur dont elle
seule détient les clés.
L’Afrique, un continent naturellement prospère, une démographie jeune, une
masse laborieuse, des ressources naturelles à profusion, d’immenses étendues de
terres fertiles, une nature clémente, un continent arrosé de toutes parts, offrant
d’infinies perspectives. Mais hélas malade de ses dirigeants, une classe hors
norme, des profiteurs invétérés à l’appétit insatiable, une classe sans prétention
sinon que d’affamer les peuples, les tourner en bourrique pendant un demi-siècle
de lâcheté, de trahison, de complots ourdis, d’alliances dangereuses, de
concessions folles, de sujétion stupide.
Un demi-siècle de soumission, de liaison dangereuse, d’asservissement au
service exclusif de leurs intérêts. Rien du peuple ne les intéresse sinon que de
servir de prête-nom, de faire-valoir à leurs ambitions démesurées. Un peuple
debout prêt au combat qui a sagement attendu le déclic ; un peuple trahi, mutilé,
banni, rusé en tout lieu et toutes circonstances, mais optimiste qui croit toujours
à un lendemain meilleur.
Les promesses les plus fallacieuses lui ont été servies, les discours les plus
pompeux, les rêves les plus fous étaient permis. Tout était leurre, supercherie,
arnaque. Ces dirigeants intouchables, inaccessibles, distants de leurs peuples,
arrogants de fait, ne se sentent responsables de rien, même pas de leur
ignominie. Tout leur est acquis, mais ils ne doivent aucun compte, n’assurent
aucune responsabilité dans ce cataclysme généralisé d’un continent en proie aux
multiples démons.
L’indépendance est presque une renonciation, un refus de la liberté que les
peuples d’Afrique croyaient avoir arraché aux colonisateurs qui, depuis la
conférence de Berlin de 1884-1885, les ont asservis, soumis et gouvernés contre
leur volonté, leurs intérêts.
La tutelle a changé de mains, mais l’asservissement continue sous d’autres
formes, d’autres volontés et stratégies nouvelles. Un demi-siècle
d’indépendance, la faim menace, les peuples sont sous perfusion des
organisations internationales, leur survie dépend de l’aide hypothétique et
insuffisante. La volonté des dirigeants semble s’émousser.
Les maladies sont chroniques, les épidémies récurrentes, les grandes
pandémies toujours présentes ; de nouvelles telles qu’Ébola, Chikungunya, font
leur apparition.
Les réseaux électriques jamais améliorés depuis le départ des colons sont
devenus obsolètes. L’énergie, une denrée rare, est rationnée parcimonieusement
dans beaucoup de pays d’Afrique noire où la production est déficitaire. Par
endroits, moins de 20 % ont accès à ce service. Dans la plupart du pays, les rares
entreprises ne tournent que par à-coups sinon il faut trouver des alternatives avec
des groupes électrogènes, même les petits artisans comme les tailleurs en font
recours. Les délestages sont de jour et de nuit. Les délais d’attente sont longs et
insupportables pour de longues nuits chaudes et des journées fortement
ensoleillées. Les gouvernements rafistolent les vieux stocks de matériels pourris,
largement amortis et usés par des décennies de service sans interruption et sans
réel entretien.
Les rares trains qui sifflent en Afrique subsaharienne sont les trains qui
évacuent les minerais aux ports pour l’exportation en brut. Pour la plupart, les
jeunes de 20 ans ne sont jamais montés à bord d’un train qu’ils ne connaissent
que de nom, ce service n’existe plus. Les rails sont démantelés, vendus au plus
offrant, aux soumissionnaires asiatiques. Les gares vétustes sont peuplées de
reptiles, nulle trace d’hommes, d’aiguilleurs, de voyageurs, rien que des
souvenirs vivaces de sexagénaires ou septuagénaires qui se remémorent
nostalgiquement les entrées des trains en gare, les foules bigarrées et la somme
d’activités qui s’y déroulaient, le fourmillement intense toute la journée sur les
quais, dans les wagons, à la billetterie et aux abords des gares qui ne
désemplissaient pas de nuit comme de jour ; l’activité était intense. Le célèbre
train Arrigoni réveille encore beaucoup de souvenirs dans la mémoire des
usagers de l’époque. Un train qui desservait des régions de l’intérieur partant de
Dakar, un mythique train qui acheminait les colis, les courriers, les envois
express, un lien social qui entrait dans les habitudes et la culture des gens.
Ce bref rappel permet juste de mettre en exergue les régressions, les
négligences coupables des dirigeants qui, sans ménagement, ont laissé péricliter
le peu d’infrastructures qu’il y avait et n’en ont jamais créé de nouvelles dans
des secteurs vitaux comme le chemin de fer.
Le bilan des indépendances africaines est un bilan très maigre, très en deçà de
ce que les peuples espéraient ou étaient en droit d’attendre. Ceux d’Asie sont
mieux lotis, beaucoup mieux servis par des dirigeants patriotes, plus
responsables, plus modestes, très humbles de nature, dont la seule prétention
était de servir les désirs des peuples, améliorer leur quotidien, les rendre libres et
épanouis, les émanciper par le travail, les rendre autonomes et fiers, les préparer
au combat pour un monde de concurrence, un monde globalisé où les places sont
chères, où rien ne se donne, tout s’arrache, par la volonté, le courage.
En 1960, même la Chine était encore paysanne et rurale. Ses ambitions
économiques étaient encore balbutiantes, ses progrès technologiques encore
faibles. Les campagnes étaient menacées de famine. Le miracle économique
surviendra après des décennies intenses de labeur, de privation, de sacrifice, de
sauvegarde des ressources disponibles sans cesse ménagées pour le service
exclusif des populations dans leur quête de mieux-être, de qualité de vie,
d’épanouissement collectif et individuel. De la marche verte à la révolution
chinoise, séquence temporelle jalonnée par d’intenses efforts et de sacrifices
multiples, bien des dirigeants chinois se sont succédé de Mao Zedong à Deng
Xiaoping et tant d’autres mus par le même idéal qui vaut tous les sacrifices de la
terre : libérer son peuple de l’obscurantisme, de la faim, de l’illettrisme, de la
dépendance alimentaire et technologique, de la tutelle économique et monétaire.
C’est un vaillant peuple qui s’est métamorphosé au gré de sa seule volonté et de
ses dirigeants affranchis de toutes les contraintes et pesanteurs extérieures avec
en toile de fond une grande émancipation culturelle qui considère l’homme
chinois et asiatique dans ce qu’il est, ce qui le caractérise, le détermine selon
tous les âges et les circonstances. Un peuple assis sur ses très-fonds culturels
dont le dynamisme réel stimule d’innombrables initiatives et progrès.
L’émancipation économique de la Chine n’a pas été concédée, c’est le fait de
la volonté d’un peuple et le réalisme de ses dirigeants détachés des
préoccupations bassement matérielles dont les dirigeants africains passés comme
actuels pour la plupart se sont singularisés.
À titre d’exemple, l’actuel président chinois gagne 22 000 dollars par an suite
à une augmentation de 60 % de ses revenus. À côté de lui, le président Barack
Obama et Michelle son épouse, ont touché en 2014, 477 383 dollars contre
503 183 dollars en 2013 et 662 076 en 2012 (une baisse des revenus due au
tassement de la vente de sa biographie). À part lui, vient le Premier ministre
canadien Stéphane Harper (327 000 dollars), suivi de la chancelière allemande
Angela Merkel (221 082 euros), du président Jacob Zuma de l’Afrique du Sud
(223 500 dollars), du président sortant de la France François Hollande (183 290
euros par an).
À côté de ces grands hommes d’État, exclusivement dévoués au service de
leurs mandants respectifs, les dirigeants africains se taillent la part du lion avec
des caisses noires qui dépassent 40 millions d’Euros n’étant soumises à aucun
vote, aucun contrôle citoyen ou parlementaire, à aucune vérification, d’une Cour
des comptes, d’institutions d’audit et de vérification habilitées à cet effet. Tout
est opaque, tabou, des fonds jamais utilisés à bon escient, jamais au service
d’une cause noble telle que la détresse des populations ou les catastrophes
qu’elles traversent. Des présidents riches à milliards qui enrichissent qui ils
veulent de leurs familles, de leur entourage, de leurs compagnons d’infortune, de
leurs militants zélés. Des présidents actionnaires dans toutes les firmes, enrichis
aux rétrocommissions sur les marchés d’armements, sur le bradage des terres,
des ressources halieutiques, une concession immense sur les mines, le pétrole ou
le gaz.
Cette Afrique de la richesse insolente de ses dirigeants et de leurs alliés de
circonstances côtoie les bas-fonds de la misère cuisante, des salaires faibles
payés en retard de plusieurs mois, de la paysannerie sans semence, des diplômés
sans emploi, des enseignants au chômage, des médecins en attente d’affectation,
des sages-femmes chômeuses à vie, des infirmières qui s’expatrient pour exercer
le métier qu’elles ont appris ; une Afrique des chercheurs obligés de partir vers
des cieux plus cléments. On chiffre à 26 000 le nombre d’Africains qui
professent dans les collèges américains dont une grande partie est d’origine
nigériane. Ailleurs en France, il y a plus de médecins béninois en île de France
qu’il y en a dans tout le Bénin. Comme il y a plus d’avocats congolais au
Benelux qu’il y’en a sur l’ensemble du pays.
Une Afrique de toutes les fuites, fuite des capitaux, fuite des cerveaux, fuite
des responsabilités des dirigeants et des peuples. Au moment où l’Afrique a
besoin de 2,5 millions d’ingénieurs, de médecins, de scientifiques, les diplômés
africains émigrent vers l’Europe et les États-Unis pour y rejoindre les
innombrables étudiants formés en milliers dans les écoles et universités
choisissant de rester travailler sur place pour des convenances matérielles et
personnelles. Plus de 25 % des médecins africains officient en Occident et 30 %
des scientifiques du Tiers-Monde y résident. Selon l’UNESCO, plus de 300 000
Africains bien formés choisissent de rester en Europe et en Amérique.
Les Africains fuyant la misère généralisée de leurs pays souvent instables, en
quête d’un eldorado, sont attirés par les sirènes de l’Occident à la recherche de
profils rares dans le cadre de son programme d’immigration choisie déclinée
différemment selon les pays. Quelle que soit la virulence du discours anti-
migrants proféré par l’extrême droite, la droite populiste, les autorités politiques
en coulisse concoctent des programmes d’immigration choisie selon leurs
versions et leurs calendriers propres. L’Europe examine un permis de travail
européen pour attirer les cerveaux nécessaires à son économie. Sarkozy a
toujours plaidé pour l’immigration choisie ce que le Canada pratique depuis
longtemps. Les USA ont accueilli en quatre décennies plus de 2 millions de
scientifiques dans le cadre de leur programme volontaire d’intégration
« Intelligences actives » par le système de Green Cards.
La démarche pour tous ces États semble aboutir à la même préoccupation :
attirer davantage de ressources humaines compétentes déjà opérationnelles,
freiner l’afflux massif de “boat people”, d’analphabètes sans formation, souvent
voués à l’assistance publique. L’intérêt guide l’action ; le capital sous-tend la
démarche.
Dans ce jeu, l’Afrique est toujours perdante. Son développement passe par la
valorisation du capital humain pour relever les défis scientifiques et
technologiques. Le recrutement des scientifiques, ingénieurs, médecins,
professeurs est une tendance lourde en Occident qui contrecarre les politiques
des États africains et hypothèque toute perspective de développement.
C’est un phénomène de mode qui va croissant, porté par l’engouement des
recrues qui y trouvent leur salut personnel, l’accomplissement de leur rêve de
bien-être. Ils sont certes contents de se tirer de la misère. Le sort de l’Afrique les
indiffère moins que leur bonheur personnel. On estime que « 60 à 70 % des
softwares et programmeurs chez Microsoft proviennent du Tiers-Monde ». Ils
sont jugés talentueux et travailleurs par leurs employeurs.
Il en va de même de cette myriade de médecins urgentistes, de techniciens,
d’ingénieurs de toutes sortes, de professeurs de compétences diverses détenant
tous des diplômes supérieurs et qualifications recherchées par les firmes et
institutions. Trois ingénieurs sur 10 exerçant aux USA, viennent du Tiers-
Monde, de même qu’un médecin sur 3 en Grande-Bretagne. Une saignée
continue qui confronte le Tiers-Monde à un manque de médecins qualifiés
estimé à 4 200 000. Les malades sont au Sud, les grandes pandémies perdurent.
Le paludisme n’est pas encore vaincu, partir n’est pas la seule alternative, il faut
rester combattre.
Le sacrifice est nécessaire à la délivrance. L’échec des politiques publiques
engendre partout en Afrique un malaise social de plus en plus profond, une
situation alarmante d’oisiveté et de manque en tout genre, de misère d’insécurité
et d’indigence. Il s’ensuit un exode massif des populations, un phénomène
migratoire de plus en plus dense qui tente toutes les catégories d’âge et
professionnelles.
Principale destination, l’Europe se barricade, un repli injustifié. Les
mouvements nationalistes crient haro sur l’étranger, principale cible de leurs
diatribes, un discours musclé de haine et de stigmatisation, de rejet en pure
forme. Tous ces souverainistes remettent en cause les frontières de Schengen,
jugées poreuses et trop « électroniques ». Les centres de rétention pour
personnes en situation irrégulière prolifèrent. Pendant ce temps, les politiques
sécuritaires se durcissent en Europe, entrainant de grandes vagues d’expulsion et
de rapatriement.
Et pourtant la migration est une composante de la mondialisation qui demande
un traitement plus humain et une approche plus responsable. Elle est la
conséquence d’un tout qu’il faut aborder avec lucidité, objectivité et cohérence.
On ne peut pas s’accaparer des richesses du Sud et ne pas vouloir laisser les
populations désemparées traverser la ligne jaune. Des décennies d’exploitation
pétrolière, de vente de matières premières n’ont jamais permis de résoudre le
problème de la pauvreté ambiante en Afrique.
L’après-pétrole sera sans doute dur à vivre. Le calvaire des migrants est
incessant, les risques nombreux pour un voyage qui comporte des traversées
maritimes et océaniques, des naufrages et des noyades puis les centres fermés ;
commence alors une autre vie, une aventure, un quotidien de rejet, de racisme et
de xénophobie, le casse-tête des papiers, l’accès au travail, les problèmes
d’intégration. Les “boat people” qui partent loin, sont le fruit d’un système
foireux de gestion des États d’Afrique.
CHAPITRE II

L’AFRIQUE DES LOBBIES ET DES GROUPES DE PRESSION

« Nous savons bien sûr qu’il existe des organisations non gouvernementales (ONG) qui sont des
officines d’espionnage impérialistes. Affirmer le contraire serait faire preuve soit d’une parfaite
naïveté soit de la volonté de se crever les yeux afin de ne pas voir la réalité » dixit Thomas
Sankara

Par lobbies, nous entendons : Un groupe organisé de personnes physiques ou


morales poursuivant la défense ou l’obtention d’intérêts privés, particuliers,
usant de pressions, d’influences et même de chantage parfois sur les sociétés, les
États et leurs gouvernements et mieux sur les organismes nationaux ou
internationaux pour arriver à leurs fins. Leurs formes et leurs méthodes peuvent
varier selon les zones géographiques, les partenaires et les cibles, mais l’objectif
poursuivi reste le même sous tous les lieux et selon toutes les circonstances.
Leurs moyens et les stratégies mis en branle la plupart du temps font d’eux des
interlocuteurs pour ne pas dire des collaborateurs gênants et souvent très néfastes
à l’exercice des droits et libertés des citoyens dont ils compromettent les intérêts
ou menacent même parfois l’existence dans telle ou telle partie du globe.
Les lobbies se fichent des principes de vie élémentaires, du jeu démocratique,
de la légitimité des peuples et des gouvernants. Ils hypothèquent leur vie par la
dégradation de leur environnement, leur santé, leur arsenal juridique, ou leur
simple existence dans le milieu naturel. La notion d’intérêt prime sur tout le reste
et la fin poursuivie justifie le comportement belliqueux.
Malheureusement rien de notre quotidien n’échappe au contrôle ou à
l’influence des lobbies qui, de jour en jour, affirment leur souveraineté et leur
puissance grandissante face à l’inertie des États qui cèdent progressivement le
pas. Le monde est aussi fait de jeux d’intérêts dont les plus influents piétinent
sans pitié les plus démunis, les plus vulnérables.
Rien n’est acquis, tout est discutable, les lois mêmes des États, leurs systèmes
de commerce, leurs finances, le système fiscal, la législation financière, les
moyens de recouvrement des crédits inscrits au budget, la santé, le système
d’enseignement et son orientation, l’agriculture, ses finalités, l’exploitation et les
concessions minières et halieutiques ; tout est régenté, soumis à l’influence sans
mesure des puissants lobbies qui sont nationaux et internationaux. Par leur magie
ils orientent l’action politique, financent les campagnes électorales, orientent les
électeurs, commandent les sondages et choisissent par-delà les urnes, les
présidents collaborateurs souvent très zélés quand il faut retourner l’ascenseur.
Un monde sous contrôle et sous coupe réglée des forces occultes non élues
dont la légitimité tient à l’argent. Il est apparu dans la sphère mondiale que ces
lobbies orientent et guident la politique officielle des gouvernements légitimes,
quelles que soient par ailleurs les réserves à émettre. Les traités internationaux se
négocient souvent sous l’œil bienveillant du secteur privé dûment représenté et
même par extraordinaire consulté avant afin que sa stratégie et ses intérêts soient
pris en compte sur les questions à l’ordre du jour.
Les dirigeants politiques africains souvent mal préparés à l’exercice du
pouvoir qu’ils tiennent par miracle sont supplantés par ces lobbies qui leur
subtilisent toute légitimité et décident du sort des populations. Les grands
groupes pétroliers industriels et miniers, les opérateurs de commerce, de
marketing, s’engouffrent dans la brèche laissée par les politiques pour
réglementer les vies politiques, publiques, administratives, commerciales et
même environnementales des peuples particulièrement du Sud.
Dans les pays d’Afrique, les dirigeants des grands groupes appelés
multinationales ou transnationales sont accolés aux dirigeants qui matérialisent
leurs avis et suggestions par des choix et orientations politiques contraires aux
intérêts des peuples qui les élisent et pour l’intérêt desquels ils sont censés agir.
Leur mode d’élection ou d’accession au pouvoir est souvent une partie de
l’explication de ce phénomène plus que courant. En effet, ces grands groupes qui
brassent des milliards d’euros et dont les chiffres d’affaires faramineux
dépassent couramment les budgets des États pauvres d’Afrique et du Tiers-
monde pèsent de toutes leurs forces dans toutes les négociations.
Le profit est la seule la règle, peu importe le sort des milliers de personnes qui
souffrent de leurs désagréments. Le monde tourne au gré de leurs intérêts et
obligations personnels et rien au monde n’est aussi précieux que la bonne santé
de leurs structures partout présentes. Les grands groupes et leurs lobbies ont leur
entrée aux Nations unies et ses démembrements, une victoire suprême sur les
peuples et les organisations qui les représentent.
Les fonctions conférées aux élus, aux gouvernants sont usurpées par les
multinationales du fait de leurs influences grandissantes. Ce pouvoir illégitime
dont ils s’emparent fait d’elles des oppresseurs potentiels des peuples. La
souveraineté des États est mise entre parenthèses, la légitimité des peuples
compromise par la présence envahissante des lobbies puissants et organisés qui
ne cessent de ronger les marges des gouvernements qu’ils soumettent à leur
dictat par des procédés et des démarches qui tiennent au chantage.
Aussi dans le cadre des négociations avec l’UE par exemple, des lobbies
comme Business Europe sont présents à toutes les étapes, même sur la table des
négociations. Leurs comités d’experts sont de la partie ; Ils reçoivent les thèmes
de la négociation, les domaines sur lesquels elle porte, décident les objectifs à
atteindre, l’orientation des consultations, déterminent les stratégies, balisent le
chemin par des suggestions et des prises de contact avant l’heure, s’imprègnent
en aval des réticences et réserves qu’ils tentent vaille que vaille d’aplanir par des
voies peu orthodoxes. Business Europe, tout comme les lobbies industriels,
miniers, agricoles et autres font partie du décor de l’Union européenne et de sa
commission. Leurs avis ne sont pas seulement consultatifs, mais s’imposent dans
la négociation.
En coulisse, les lobbies sont très actifs, à la fois inventifs et très ingénieux. Ils
mettent en place des fondations et structures telles que des organisations non
gouvernementales très actives en Afrique subsaharienne qui sont plus au service
d’une mission commandée que d’une réelle envie d’aider les populations
autochtones qui continuent de braver les difficultés malgré la mosaïque
d’organisations et « conseils » qui s’activent auprès d’elles.
Je ne doute point qu’il y a de vraies ONG qui s’activent sur le terrain au nom
de la bienfaisance depuis des décennies et dont les résultats sont perceptibles
auprès des masses rurales et autres couches défavorisées ou vulnérables. Nous en
avons la preuve tous les jours. Des gens, des plus philanthropes qui, loin de
l’Europe, de l’Asie profonde ou des Amériques abandonnent leur nid douillet
pour se lancer au fin fond de l’Afrique dans ses contrées et vallées abruptes ; un
défi dont l’humanisme et la noblesse transcendent les nationalités, les races, les
cultures et les aires géographiques conventionnelles. Prendre la mesure de la vie,
en faire jouir et profiter les prochains reste le seul mobile de leurs parcours,
sacrifices et contraintes en terre souvent inconnues. Ceux-là ne sont que les
porte-drapeaux des millions d’autres Européens, Américains, Asiatiques qui
nourrissent beaucoup d’égards à l’endroit des déshérités et des victimes du
monde dont ils partagent la peine, les souffrances et tracasseries quotidiennes.
Ces donneurs potentiels dont le mécénat permet aux actifs sur le terrain de
pouvoir traduire leurs ingénieuses idées et volontés en actes de soulagement des
maux qui assaillent une grande partie des humains sur terre. Ceux-là sont
exempts de tout reproche, ils combattent pour un idéal, pour une cause, pour une
victoire, celle de l’humanité sur les guerres, sur la faim, la malnutrition, la
mortalité et la morbidité infantile, sur l’illettrisme, sur les pratiques barbares et
occultes comme l’excision, les mariages forcés ou précoces. Leur sacrifice n’est
pas vain, il est quotidiennement jaugé, apprécié et les retombées directes sur le
terrain.
Ce qui dérange, ce sont les infiltrations de lobbies masqués de tout acabit
poursuivant des buts non avoués, mais stratégiquement adaptés à la mesure de
leur intervention sur le terrain pour servir leurs intérêts immédiats sur d’autres
secteurs d’activités qui impactent directement le quotidien des braves
populations qui vivent souvent des désastres écologiques, des drames sociaux et
des arnaques économiques au plus haut point quant à la concession et
l’exploitation de leurs ressources minières, forestières, halieutiques. Les
nouveaux intrus dans leurs environnements cherchent à en être maîtres par des
tours de passe-passe dont la finalité est l’accaparement des richesses sans bourse
déliée ou à moindres frais à travers diverses actions de charme pour réduire les
plus récalcitrants au silence et faire le consensus sur le bien-fondé de la présence
des multinationales au service desquelles elles agissent.
Beaucoup d’ONG de conseil ou fondations sont au service exclusif de ces
prédateurs en dépit de tout bon sens, jouent contre les intérêts des peuples qui
sont souvent lâchés dès que cessent les intérêts en jeu : fermeture définitive de la
mine, fin de la coupe forestière, expiration ou arrêt définitif des contrats, une
simple remise en cause définitive de leurs privilèges.
Nos gouvernements sont le plus souvent noyautés pour se voir imposer des
accords de libre-échange à leur défaveur dont les contreparties sont misérables
au regard des concessions faites.
Les accords de pêche signés entre le Sénégal et la Commission européenne au
terme duquel 38 bateaux venus d’Europe pêchent sur les eaux sénégalaises
pendant cinq ans contre à peine une dizaine de millions d’euros, sont la preuve
éclatante du stratagème pernicieux qui permet aux lobbies d’imposer leurs
volontés aux soi-disant partenaires.
Pour avoir perverti les législations des États et ruiné leurs options judiciaires,
réduit à néant les exécutifs de la presque totalité des pays inféodés au
néolibéralisme, ces multinationales empruntent les couloirs de l’Organisation
des Nations Unies où elles s’installent durablement par les soins du Secrétaire
général, poursuivant aussi l’esprit de classe de Davos de s’emparer de la
légitimité des peuples, de substituer à l’ordre étatique, l’ordre supranational des
multinationales dont l’accroissement du capital, des profits générés et les
dividendes empochés par les actionnaires sont les critères objectifs qui sous-
tendent la stratégie des comités d’experts.
Les négociations des traités de libre-échange et résolutions sur le commerce,
les mines, ou le droit des affaires en matière d’investissement, la protection et la
sécurisation de ces investissements sont au cœur de leur démarche d’influence.
Les Entreprises Transnationales (ETN) qui prônent l’esprit de Davos tentent
d’aliéner les peuples, les États, les organisations sous-régionales et régionales
pour reprendre en main tous les secteurs accaparés ou sur-réglementés par les
structures conventionnelles de légitimité pour imposer la norme, les nouvelles
orientations, les mécanismes d’encadrement, des traités, des accords, des
concessions et législations de la finance au commerce, des minerais au domaine
maritime.
Leur volonté est d’uniformiser les lois taillées à leur mesure, les universaliser
aux seules fins du capital et du néolibéralisme triomphant, imposer une nouvelle
architecture de gouvernance mondiale à la place des pesanteurs locales jugées
rétrogrades pour les objectifs réels de développement à la mesure de l’idéologie
néolibérale. En s’emparant de la légitimité des peuples et de leurs
gouvernements, elles torpillent la démocratie, l’équilibre, la stabilité des États,
font peser des menaces réelles de délitement social sur des pays à l’économie
précaire.
Ces États perdent une grande partie de leur souveraineté, mais se font aussi
supplanter dans la prévalence de leur autorité qui s’amenuise de jour en jour et
dont ils se font forts de restaurer à travers des choix et des contraintes
dictatoriaux pour museler des peuples asphyxiés par les concessions répercutées
dans les politiques publiques.
En général, les États africains sont davantage affaiblis par cette présence
envahissante des lobbies du gaz, du pétrole, des sectes, des loges maçonniques,
les puissances d’ordre divin qui tapissent les palais, filtrent les parlements,
posent des verdicts implacables dans les instances judiciaires. Ils sont craints et
respectés, leurs ordres suivis presque à la lettre : réduire les impôts, exonérer les
charges, renégocier de nouveaux accords, manœuvrer pour de nouveaux
avenants dans le cadre d’un projet grandiose comme l’AIBD (Aéroport
International Blaise Diagne) du Sénégal.
Le groupe Saoudi Ben Ladin, groupe en charge de la construction de cet
aéroport d’une capacité de 3 millions de passagers pour un coût initial de
375 milliards de Francs CFA n’a cessé de manœuvrer pour des avenants qui font
supporter à l’État du Sénégal la rondelette somme de 500 milliards de Francs
CFA sans même une issue pour la remise des clefs d’un aéroport dont la
livraison était prévue dans un délai de 33 mois.
Protégé par ce nouvel environnement mondial sur les droits des investisseurs,
cette multinationale se gave sur les deniers de l’État sénégalais. Quand on sait
que pour moins que le coût initial, les moins-disant de cet appel d’offres, ont été
ajournés. L’amertume est grande, mais révélatrice de cette grande supercherie
dont les multinationales ont le secret.
Quand les avenants continuent de ronger les finances, nul doute que le
partenariat finira en arbitrage, ou en contentieux auprès des tribunaux de
règlement des différends sur les accords commerciaux. Et pourtant les Turcs,
partie prenante du projet au départ, étaient partis pour livrer l’aéroport (AIBD)
clé en main au coup initial dans les délais requis.
Quand les multinationales manquent à leurs obligations, les États n’ont pas
beaucoup de moyens alors que quand c’est l’inverse, les initiatives sont
dévastatrices.
Le lobbying est un phénomène très ancien qui remonte au 19e siècle sous la
présidence de GRANT aux États-Unis. Ils se sont déployés pour faire capoter la
réforme du Président Barack OBAMA sur les réformes très ambitieuses de la
sécurité sociale (OBAMACARE). Ils se sont employés à dissimuler les
bénéfices et avantages gigantesques des prestataires de santé et leurs alliés
assureurs.
L’acronyme de « médecine socialisée » usité à dessein pour dissuader les
Américains à soutenir ce plan a fait mouche outre-Manche quand on sait la
réticence et la grande réserve des Américains face au socialisme qu’ils
perçoivent comme le communisme noir des rivaux soviétiques. Avant lui et bien
des décennies avant Clinton, d’autres ont essayé cette prestigieuse réforme, mais
ont vile déchanté. Bill lui-même a entrevu ses limites face à cette même réforme
de la sécurité sociale identique sur l’esprit et la lettre à l’OBAMACARE.
C’est donc mesurer toute la complexité même en Amérique, symbole de toutes
les formes de puissance. C’est vrai que les lobbies en Amérique sont très actifs
dans les secteurs de la santé qui englobent l’industrie pharmaceutique et
médicale. Leur emprise sur le système de santé américain en a fait le plus cher
au monde au point de laisser pour compte près de 40 millions d’Américains bon
teint sans couverture maladie, sans accès aux soins de santé.
Un pan entier de la société a pendant des décennies subi les affres des cercles
d’influence qui ont tenu à leurs privilèges comme à la prunelle de leurs yeux.
C’est là tout le mérite d’Obama d’avoir su faire preuve de tact, de diligence pour
en fin de compte leur ravir la palme pour ressouder les morceaux d’une société
longtemps écartelée entre riches et pauvres, et inscrire son nom, à jamais au
fronton de la République américaine.
Le “New deal” pour prévenir les risques d’effondrement susceptibles d’être
engendrés par les spéculations financières au sein des grandes entités des
multinationales américaines a été démantelé par les lobbies œuvrant dans le
secteur des banques, assurances et de la comptabilité. Des faveurs sont obtenues
dès le début des années 80. Les actifs déficitaires sont retirés de leur
comptabilité et placés dans des banques parallèles. Des centaines de milliards de
produits dérivés ainsi créés sont négociés sans aucune forme de réglementation.
Ces produits étaient, pour l’essentiel, adossés à des prêts hypothécaires
(subprimes), au risque inconsidéré. Les bases de la catastrophe étant jetées, le
coup de grâce fut donné par l’administration Clinton. Ce dernier, sur indication
et recommandation de son conseil principal en économie Larry SUMMERS,
d’Alan GREENSPAN, président de la réserve fédérale et du secrétaire au Trésor,
Robert Rubin, un ancien de Goldman Sachs, tout comme Mario DRAGUI, actuel
président de la Banque centrale européenne, de même que Harry Molson,
secrétaire d’État au Trésor sous Bush lors de la crise financière de 2007-2008,
abrogea le GLASS-STEAGALL ACT qui est une autre loi du New Deal adoptée
en 1933, instituant la séparation de facto des banques de dépôt, des banques
d’investissement.
Après 10 ans de harcèlement des lobbies financiers, Bill Clinton cède à leurs
caprices en 1999, date d’entrée en vigueur de l’euro, simple coïncidence ou effet
de stratégie, allez savoir du côté l’outre Atlantique.
L’économie de Casino s’emparait du marché. Certaines banques et institutions
s’épaississaient en phagocytant d’autres. Leurs tailles étaient assurément
grandes, les spéculations s’annonçaient bon train, les dépôts des épargnants
servaient les prestations. La suite on la connait avec l’effet domino, des faillites
en chaines, une crise financière qui s’empare des Amériques, de l’Asie, de
l’Europe, plonge les citoyens, les épargnants, les États dans le désarroi le plus
total et accroit les risques de vulnérabilité économique au point de contraindre
les dirigeants mondiaux du G8 d’alors et les pays de l’OCDE à renflouer les
caisses des multinationales déficitaires ou en faillite pour en contenir les effets
qui continuaient de paralyser la marche du monde.
Encore une fois, l’argent du contribuable a sauvé le monde de l’immense
incendie allumé par les pyromanes du néolibéralisme qui n’ont d’ailleurs pas mis
du temps pour reprendre le flambeau, pour encore prêcher de plus belle.
L’addition a été salée, mais après tout, ils peuvent se le permettre parce qu’ils ne
paient jamais la note.
Toujours dans la foulée des abrogations, c’est en 2000 que les 3 mesures des
années 30 contre l’accaparement et la manipulation des cours ont été
supprimées, permettant par la suite aux Traders d’investir massivement le
marché des denrées alimentaires où les capitaux dépassent les 260 milliards de
dollars en 2008 traduisant du coup une hausse du tarif du blé de 31 % et jusqu’à
50 % des denrées alimentaires échangées sont contrôlées par Wall Street. La
flambée des prix qui s’ensuivit en 2008 a légèrement épargné les pays riches ou
producteurs, mais dans le reste du monde et en Afrique particulièrement plus de
35 pays ont connu des baisses ou ruptures de stock à la base des émeutes de la
faim dans le monde. Des dizaines de millions de personnes ont été précarisées.
Des sources confirmées comme l’organisation Attac en France qualifient le
nombre de lobbyistes au sein de l’Union Européenne entre 12 000 et 15 000 très
actifs en contact direct avec les eurodéputés, les députés des parlements locaux,
les membres des commissions, les hauts responsables et commissaires européens
défendant des intérêts divers et variés tenant à l’industrie du tabac, les
organismes génétiquement modifiés, les industries minières, les institutions
financières, les agroindustriels. Le plus connu d’entre tous est Business Europe
dont les tentacules et le poids en font un acteur stratégique incontournable dans
toutes les négociations pour les politiques stratégiques déployées au sein de
l’Union européenne. Son avis prépondérant d’expert est très recherché par les
négociateurs européens face à leurs partenaires d’Afrique et du monde.
CHAPITRE III

LA MALÉDICTION DES MATIÈRES PREMIÈRES ET LA GESTION


CALAMITEUSE DES RESSOURCES PUBLIQUES

« L’esclave qui n’est pas capable d’assumer sa révolte, ne mérite pas que l’on s’apitoie sur son
sort ; cet esclave répondra seul de son malheur s’il se fait des illusions sur la condescendance
suspecte d’un maître qui prétend l’affranchir. Seule la lutte libère », Thomas SANKARA

Ce chapitre ambitionne de définir dans quel cadre et avec quels acteurs


l’Afrique négocie ses accords, cède ses matières et contribue à rendre
hypothétique son développement. Il s’agit rien de moins que d’un marché de
dupes dont l’issue n’est que fatale pour des milliers d’Africains dont la proximité
avec les richesses naturelles du continent noir engendre plus de drames, de
désagréments que de bonheur, voire de mieux-être. À ce titre, René Dumont
tranchait :
« Voilà vingt-quatre ans que je signalais déjà l’extrême gravité de la situation de l’Afrique et de son
avenir. Celle-ci se voit obligée de brader sans avoir les moyens de les valoriser ses ressources
minières, minerais de fer ou de cuivre, bauxite, cobalt, uranium… Quand ce continent sera en
mesure de construire des complexes industriels lui appartenant en propre, ses meilleurs minerais
seront déjà épuisés. Il lui restera les latérites. »
Ce témoignage implacable fait dans son ouvrage Pour l’Afrique, j’accuse en
collaboration avec Charlotte Parquet et paru chez Plon en 1986, pose pour
l’Afrique de réels problèmes de développement, dont la sédimentation inquiète.
À l’entame du vingt et unième siècle, l’insouciance et la naïveté de ses
dirigeants aidant, l’Afrique est saignée à blanc par les multinationales véreuses
qui déménagent les ressources sans grands frais sous l’œil bienveillant, l’aide,
l’aval et même la toute complice bénédiction des gouvernements occidentaux.
Des ports minéraliers partent et repartent dans un ballet sempiternel des navires
chargés de minerais précieux dont l’exploitation se fait souvent sous la colère
noire des populations qui n’ont que du mépris pour leurs mandants. Ici, le
déterminant minéralier du nom port trahit presque une volonté avouée de
déménager les ressources pour alimenter le reste du monde.
Rien n’est transformé sur place. Il n’existe aucune plus-value, la chaine de
valeur est presque nulle au grand dam des jeunesses africaines qui, malgré les
formations, s’en remettent au miracle pour décrocher le premier emploi de la vie.
Leur sort est tristement scellé par des choix hasardeux peu productifs, mais
également toujours reconduits, jamais réévalués ou remis en cause au regard des
objectifs d’opportunités réelles de développement qui s’offrent à ces pays
producteurs de matières premières. Les recettes du passé n’ont jamais marché,
mais ici on gouverne de la même façon toujours et encore.
Dès 1962, René Dumont, balance L’Afrique noire est mal partie2, un ouvrage
prophétique et visionnaire qui cache mal l’écœurement de l’auteur dont le lien
avec l’Afrique reste très fort. Cet ouvrage en son temps avait suscité un tollé
général au sein de l’intelligentsia africaine, les cercles de pouvoir et plus
particulièrement d’ailleurs, les milieux et officines panafricaines ; il a fait l’objet
de critiques acerbes, de discours contestataires aux relents nationalistes, sans
commune mesure de la part de néo-indépendants qui avaient le sentiment vague
de se voir confisquer leur légitimité retrouvée après tant de siècles d’occupation.
Conséquence, le personnage fut déclaré non grata et l’ouvrage interdit de
diffusion dans beaucoup d’États de l’Afrique noire francophone. Une réaction
inspirée par la colère en dépit de tout bon sens, dépouillée de toute humilité qui
aurait permis une attitude de raison et de responsabilité plus compatible avec la
gestion du pouvoir que cette overdose de sentiments dépourvus de tout esprit
critique.
À la décharge des anglophones d’Afrique noire, les critiques furent moins
acides, les attitudes plus conciliantes dans une démarche de raison guidée par le
seul souci de s’améliorer pour être plus autonomes ; en témoigne la collaboration
efficiente de Julius Nyerere de la Tanzanie et même du président Kenneth
Kaounda de la Zambie.
En 1980, c’est un remake de René Dumont dans un autre ouvrage au titre
évocateur L’Afrique étranglée3 qui fait la « une » des actualités du monde
politique, des librairies et des cercles critiques. Un ouvrage qui ne marque
aucune rupture apparente, mais s’inscrit dans la même stratégie de constat, de
dénonciation des excès et mutilations du continent qui s’étouffe de plus en plus ;
une volonté manifeste et délibérée de dénoncer, d’alerter, de s’indigner d’une
situation démagogique qui perdure et installe l’Afrique noire dans les tragédies
et drames de tous ordres. Malgré cette seconde charge de l’auteur prolixe que fut
Dumont qui n’a jamais rechigné à sa mission d’informer juste et vrai pour aider
à la prise de conscience, le continent noir, dans sa partie subsaharienne, végète et
continue de s’enliser dans sa torpeur entretenue par le cynisme de ses dirigeants
qui ont vaille que vaille voulu en tout lieu et toute circonstance, adopter les
schémas de gouvernance hérités des anciens colons en y mettant le simple verni
ou en plaquant les recettes concoctées par les multiples institutions
internationales fort peu convaincantes.
« Pour prétendre encore que la loi du marché, le libéralisme économique permettraient aux pays du
Sahel de s’en sortir, il faut être aussi ignorant que Ronald Reagan et aussi ambigus que ses
conseillers. Toutefois, on peut les comprendre, cette loi comporte l’hégémonie des États-Unis dans
une lutte : celle du pot de terre contre le pot de fer dont l’issue n’est que trop connue.
En effet, cette loi du marché ne s’applique guère dans son intégralité qu’aux produits primaires
(agricoles, minerais) des pays pauvres. Les agricultures dans les pays riches d’Europe, d’Amérique
du Nord, du Japon… sont fortement protégées. On parle beaucoup à Bruxelles des coûts de
production du blé, du lait, du sucre de betterave, de l’huile d’olive et même du vin ; on n’y parle
point de coût de production de café, du cacao, du thé, des huiles tropicales, du caoutchouc, du
4
coton. »
Sur les matières premières, par exemple, l’Union européenne développe une
politique sans scrupule très néfaste aux intérêts des populations du Sud ; une
véritable stratégie d’accaparement des richesses est mise en branle dans le seul
but d’approvisionner les industries de transformation, c’est-à-dire en termes de
pourcentage 24 % des ressources naturelles exploitées dans le monde, soit
60 milliards de tonnes par an. Les industries travaillent sur des produits non
disponibles sur le sous-sol européen, d’où cette grande offensive, une diplomatie
économique, un lobbying dense, parfois agressif pour contrôler les matières
premières.
Les grandes inventions et découvertes du 18e siècle ont servi de déclic à un
vaste programme d’industrialisation de l’Occident qui s’est lancé dans une
course effrénée pour l’approvisionnement en matières premières minérales,
agricoles, énergétiques. Les 19e et 20e siècles furent l’âge d’or de l’industrie
européenne dont les besoins d’expansion et de conquête de nouveaux marchés
ont davantage exacerbé les besoins en matières premières. Les progrès rapides
de l’Europe se sont fait par la densité des programmes industriels mis en place.
De nos jours, avec l’émergence d’autres filières de croissance industrielle en
Asie où se déplace de plus en plus l’atelier du monde avec les dragons
asiatiques, le géant chinois, l’Inde, les ex-États soviets, le Japon, la Turquie et
quelques puissances émergentes d’Afrique dont l’Afrique du Sud, le Nigéria,
l’île Maurice, les États latino-américains émancipés qui s’affirment de jour en
jour, l’accès aux matières premières est l’enjeu principal des industries du
monde qui ne ménagent pas leur peine pour en assurer le contrôle. Il n’y a pas un
seul coin du globe qui ne soit quadrillé, les prospections se poursuivent à tout
bout de champ. Toutes les stratégies sont affinées et la lutte entre les
multinationales fait rage occasionnant par endroits des guerres, des coups d’État,
de vastes mouvements de population, un désordre social incommensurable, des
drames écologiques et environnementaux, des crises institutionnelles, des
révoltes et des répressions.
D’ailleurs, depuis la Seconde Guerre mondiale, et en dehors des guerres de
libération, toutes les guerres récentes sont inspirées par cette volonté de contrôler
les matières premières. Ce fut le cas en Irak. On nous a vendu l’idée d’une
nécessaire réaction face à la prolifération nucléaire de l’Irak de Saddam Hussein,
d’abord par Bush père, ensuite par Georges Bush fils.
L’instabilité de l’Afrique est en grande partie favorisée par les multinationales
qui sont en guerre ouverte sur le sol africain où elles font feu de tout bois
entraînant dans leur sillage, les peuples, les pays et des régions entières dans des
guerres fratricides longues, cruelles sur des bases supposées ethniques, foncières,
économiques, sociales et bien d’autres. Les énormes moyens mis à profit par ces
multinationales permettent d’embrigader des cohortes de gens paisibles dans
d’infinies tourmentes.
Michel COLLON dans son ouvrage Libye, OTAN et les médiamensonges5
résume éloquemment le drame que vit l’Afrique :
« Continent le plus riche de la planète avec une profusion de ressources naturelles, l’Afrique est
aussi le plus pauvre ; 57 % vivent sous le seuil de la pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 1,25
dollar/jour. La clé de ce mystère ? C’est justement que les multinationales ne paient pas ces
matières premières, elles les volent. En Afrique, elles pillent les ressources, imposent de bas
salaires, des accords commerciaux défavorables et des privatisations nuisibles, elles exercent toutes
des pressions et chantages sur les États. Elles les étranglent par une dette injuste, elles installent des
dictateurs complaisants. Elles provoquent des guerres civiles dans les régions convoitées.
L’Afrique est stratégique pour les multinationales, car leur prospérité est basée sur le pillage de ses
ressources. Si un prix correct était payé pour l’or, le cuivre, le platine, le coltan, le phosphate, les
diamants et les produits agricoles, les multinationales seraient bien moins riches, mais les
populations locales pourraient échapper à la pauvreté. Pour les multinationales des États-Unis
d’Europe, il est donc vital d’empêcher l’Afrique de s’unir et de s’émanciper. Elle doit rester
dépendante ».
En Afrique subsaharienne, l’exemple malheureux de la RDC effarouche tout
le monde. C’est une cendreuse de tout ce que les multinationales peuvent faire
de cynique, sous l’étourderie et la naïveté des dirigeants, mais somme toute de la
manipulation savamment orchestrée des populations occupées à se taper dessus
les unes les autres, à prendre le chemin de l’exil, baluchon en tête, laissant
derrière elles des villages incendiés, pendant que leurs énormes richesses, l’or, le
coltan, l’uranium par cargaison entière quittent les ports de Lubumbashi pour les
industries occidentales. Un scénario quotidien presque accepté de tous. La guerre
fait partie de l’ordinaire ainsi que les mouvements de foule naturels, l’alliance
des autorités du pays est devenue une garantie de rester au pouvoir contre vents
et marées. Il faut parapher les accords pour rester et ne plus jamais se hasarder à
les revisiter, quelles que soient l’exaspération des populations ou des opposants
et les alertes des organisations humanitaires témoins de la grande détresse des
peuples embourbés dans une misère indicible. La grande malédiction des
peuples du Sud n’est pas prête de s’arrêter.
Ces enjeux colossaux en font un feu qui couve.
L’Afrique subsaharienne est le théâtre d’une triple imposture : un désastre
écologique, un drame social et une arnaque économique rarissime. Cette
imposture se prolonge dans le temps et dans l’espace au gré des opportunités qui
s’offrent aux multinationales toujours en quête d’un nouvel eldorado minier pour
sécuriser leurs arrières, être plus performantes afin de tenir tête aux multiples
concurrents de par le monde.
Le cas de la République démocratique du Congo est largement illustrateur du
malaise des peuples subsahariens, de l’ampleur de leur assujettissement à l’ordre
et l’envie des multinationales dont le sort dépend, des multiples désagréments
environnementaux, des bouleversements sociaux liés aux guerres des matières
premières qui divisent les habitants des grandes régions minières.
Le coltan congolais n’enrichit point les Congolais, mais les installe dans la
précarité, les guerres internes, la lutte tribale. Objet de toutes les convoitises, il
est au centre des malheurs des Congolais.
En effet, la région naturelle de Kivu regorge de ce minerai rare utile à la
production du tantale, un conducteur de choix inséré dans la fabrication de
condensateurs dans l’industrie électronique ; tous les téléphones portables en
contiennent.
Le gigantisme de ce pays rime avec l’abondance de richesses. Un pays
immense, le deuxième plus grand d’Afrique en termes de superficie derrière
l’Algérie. Il s’étend sur une superficie de 2.345.409 km2, une très faible densité
au km2 de 27 habitants. Ce pays qui fait quatre fois la France est traversé par
deux fuseaux horaires. Sa frontière commune avec 9 autres pays (la République
centrafricaine, le Soudan au nord, la Zambie, l’Angola au sud, l’Ouganda, le
Burundi, le Rwanda, la Tanzanie à l’est, le Congo Brazzaville à l’ouest) s’étend
sur 9165 km. Il a une façade maritime sur l’océan Atlantique de 50 km.
L’étendue et la variété des ressources naturelles contenues dans le sol et le
sous-sol font penser à un miracle géologique : ce pays riche en minerais recèle
du tungstène, du manganèse, du cobalt, du cuivre, de l’uranium, de l’argent, du
zinc, de l’or, du diamant, de l’étain au centre comme au sud.
En 2010, 40 % de la production mondiale de cobalt était assurée par la RDC
qui renferme les 51 % de réserves mondiales, 31 % du diamant industriel et 9 %
de tantale. En outre, ce pays est producteur de gaz et de pétrole. Ses principales
ressources agricoles sont le café, le bois, le caoutchouc, etc.
Malgré cette avalanche de minerais et de richesses nombreuses et variées, ce
grand pays, très vaste, très gâté par la nature souffre d’une grande pauvreté,
d’une misère pandémique qui ronge ses occupants, un pays instable où la guerre
fait rage, un pays convoité, piraté par tous sous l’œil avide des grandes
puissances dont les multinationales se taillent la part belle.
Ces minerais, hors des circuits officiels, sont transportés pour la plupart en
contrebande via l’Ouganda, le Rwanda, et le Burundi, pays fortement impliqués
à la fois dans le trafic et l’instabilité de la RDC.
Les ressources de la RDC volées, n’ont jamais profité aux ayants droit. En
2014, son PIB s’élevait à 32,9 milliards de dollars soit moins que les 35 milliards
de dollars de la Côte d’Ivoire. Un revenu sans doute très en deçà de ses
immenses possibilités. C’est un eldorado gâché par l’amateurisme et
l’imprévoyance de ses dirigeants qui n’ont jamais su tirer profit de cet avantage
comparatif. De tout le temps, la RDC est restée simple pourvoyeuse de matières
premières qui échappent totalement au contrôle des gouvernements successifs
occupés très souvent à régler leur compte aux rebelles ou à l’opposition politique
abandonnant le peuple. Sur l’indice de développement humain, la RDC est
classée 186e sur 187 par le PNUD en 2012 pour une espérance de vie de 59 ans ;
l’industrie des mines compte pour 28 % dans les activités. Le paradoxe est que
ce pays importe plus qu’il ne vend, le contrôle de ses richesses lui échappe, il
affiche un déficit commercial en millions de dollars.
La malédiction des ressources plonge le Congo dans une guerre fratricide dans
laquelle elle s’empêtre malgré la présence des 16 700 hommes de la MONUC
suivant la résolution 1279 du 30 juin 2000 qui devient MONUSCO depuis 2010
et qui a pour mandat prioritaire d’assurer la protection des populations de l’est
du Congo. Le paradoxe des États riches-pauvres d’Afrique inquiète et fait douter
de la bonne foi de tous ces acteurs qui tournent autour : multinationales, ONG,
missions internationales.
La grande frénésie des uns et des autres alimente des doutes, des suspicions.
Apparemment il y a trop de convoitise pour rester vrai dans leurs intentions.
Le doute sur la sincérité des intentions est permis. Le coltan congolais est au
centre de ce déchirement interne, de cette guerre interminable qui a déjà fait ses
millions de victimes sans qu’une issue ne se dégage pour les belligérants. Il est
estimé à un peu moins de 80 % des réserves mondiales.
« Celui qui a l’Afrique domine le monde. Soit il possède toutes les matières premières pour faire
son économie, soit il agit pour empêcher que les matières premières parviennent aux autres
concurrents. » (Théodore Obiang Nguéma MBASSOGO)
La responsabilité des firmes étrangères est clairement établie par l’ONU
depuis 2000. Ces firmes entretiennent la guerre par la mise à disposition des
armes, la subvention des troupes, le traitement particulier des chefs de guerre.
Il y a une grande collusion d’intérêts, des préoccupations divergentes et
pourtant tous les acteurs se proclament curés de la paroisse, prêchant urbi et orbi
la bonne cause. Sauf à être idiot, personne ne croit à leur noblesse proclamée. Le
feu qui couve est alimenté par les missions de bons offices qui entretiennent la
guerre, organisent le pillage, et le piège se referme sur le peuple congolais
victime de la concurrence exacerbée entretenue par le néolibéralisme, au seul
nom du profit maximisé à outrance : gagner plus, satisfaire à l’envi les
actionnaires, les seuls qui gagnent, une poignée de richissimes familles du
monde dont les capitaux font souvent plus de mal que de bien, plus de dégâts
qu’ils ne soulagent.
Selon les estimations du programme des Nations unies pour le développement
(PNUD), « 19 des 46 pays d’Afrique subsaharienne possèdent d’importantes
réserves d’hydrocarbures, de pétrole, de gaz, de charbon ou de minéraux, 13
pays explorent actuellement de nouvelles réserves ». Malgré tout, leur situation
économique et sociale est des plus déplorables ; la pauvreté est plus présente que
jamais. La faim menace de partout, l’accès à l’eau et à l’école est problématique,
l’électricité est un luxe hors de portée de la grande masse. Un continent mal
éclairé avec pourtant 365 jours d’ensoleillement, du vent en permanence. Il
détient 54 % des réserves de platine, 76 % des réserves de diamant, 40 % de
chrome et 28 % manganèse.
Pendant ce temps, les sociétés minières, les grandes multinationales œuvrant
dans le secteur de l’exploitation, affichent une santé insolente, des profits record,
bénéficiant au passage d’allégements fiscaux substantiels au détriment des
collectivités locales et des populations qui trinquent. Le besoin de polariser les
investissements directs étrangers l’emporte sur le réalisme en dépit de tout bon
sens : « Les revenues des 10 plus grandes sociétés minières dans le monde ont
augmenté de 156 % ».
En tête des États africains riches et désespérément pauvres, nous avons la
Guinée-Conakry. Un pays qui lutte pour sa survie et dont la réduction de la
pauvreté est une grande préoccupation. Longtemps en récession, la Guinée
affiche un taux de croissance démographique de l’ordre de 3,2 %. Et pourtant
que n’a-t-elle pas de la nature qui l’a insolemment bien pourvue. La principale
ressource est la bauxite dont elle détiendrait 10,6 milliards de tonnes soit
l’équivalent des 2/3 des réserves mondiales. Le calcaire pour 200 millions de
tonnes, le fer, l’or, le diamant, le métal, le plomb, le zinc, le cobalt, l’uranium en
quantités énormes, les terres rares, le zircon. Comme c’est de coutume en
Afrique, l’exploitation minière n’a pas d’apport sur l’économie guinéenne. En
effet, la politique minière présente des failles et des insuffisances notoires. Le
code minier de 1995 faisait la part belle aux investisseurs par d’énormes
concessions sur les taxes et droits d’enregistrement ce qui a eu pour effet de faire
perdre en substance d’énormes ressources à l’État guinéen.
De 40 % de contribution dans le budget national, le secteur minier réduit son
impact à 22 % suite à des mesures de libéralisation contreproductives n’ayant
profité qu’aux multinationales à faible taux d’embauche. La réduction ou la
suppression des droits d’acquisition, des redevances cadastrales, des transferts de
propriété, des taxes afférentes aux mines, combinées à la trop grande boulimie
d’une administration corrompue, ont fait perdre à l’État guinéen les moyens
d’initier une politique sociale véritable pour réguler les effets d’une
augmentation rapide de sa population. L’adhésion de la Guinée à l’initiative pour
la transparence dans les industries extractives (ITIE) en 2005 n’a pas amélioré le
sort des populations pauvres à 58 %.
L’Agence française de développement apporte son assistance technique, tout
comme la Banque mondiale qui aide à l’élaboration d’un nouveau Code minier,
mais les intérêts de la Guinée sont faiblement pourvus par les nouveaux accords.
Les procédures d’attribution des marchés, de signataire des contrats sont
opaques. Les politiques s’immiscent et dérégulent complètement le système. Les
négociateurs sous-qualifiés ignorent tout du potentiel minier comme partout
ailleurs en Afrique. Les Africains ignorent tout de leurs mines, ils s’en tiennent
aux estimations des exploitants. Les quantités de pétrole, d’or, d’uranium, de
coltan leur sont communiquées par les autorités de destination à la réception. Le
recouvrement des recettes présente des failles incommensurables. Des recettes
sont non déclarées ou dissimulées par les techniques de comptabilité peu
orthodoxes. Les administrations sont techniquement démunies et limitées par
rapport aux multinationales rompues à la tâche. La déperdition des recettes ôte à
l’État guinéen la possibilité de construire des infrastructures adaptées au besoin.
Pour une superficie de 245 957 km2, ce pays richissime de fait avait moins de
1800 km de routes bitumées il y a peu, un immense paradoxe par rapport à
l’étendue des moyens, des richesses infinies. Les écoles sont pauvres et
démunies de tout ; la scolarité universelle ne franchit pas les 45 % ; les
enseignants sont sous-formés. La mortalité infanto-juvénile bat des records ; les
femmes rurales et semi-rurales accouchent sans assistance, les médecins
spécialistes sont hors d’accès pour les pauvres populations. Le transport est un
casse-tête ; la formation inexistante, les stages rares pour les étudiants, l’emploi
inexistant ; le pouvoir d’achat des ménages en berne ; les malades meurent en
silence faute d’argent ; l’insécurité menace la société, se délite un monde à
l’informel où chacun cherche à sauver sa peau, mettre à l’abri sa progéniture,
tout est à portée de main, mais rien n’est acquis, une vie sans espoir faute de
réalisme, de poigne, d’ingéniosité, de sacrifice ou de patriotisme simplement
pour les multiples dirigeants qui se sont tous essayés au pouvoir sans succès,
sans réalisation aucune.
Des programmes de chimère, de la contrainte, des privations, des espérances
perdues ; rien ou presque n’a été réussi sauf abrutir, opprimer, museler un peuple
travailleur, plein de volonté et d’envie, mais dépourvu de moyens, d’assistance
technique et financière. Un peuple qui a toujours attendu, toujours espéré, mais
rien n’est arrivé pour avoir toujours misé sur le mauvais cheval, le tocard et
pourtant son climat prestigieux permet plusieurs récoltes par an, l’eau envahit les
plateaux, les plaines, les vallées et les plaines, plus de1800 cours d’eau, un pays
sur l’eau, bien arrosé par dame nature.
Et pourtant hélas, rien n’est garanti, même pas l’autosuffisance alimentaire, le
pays est un immense Souk. Tout le monde est vendeur ou acheteur. On
consomme tout de partout, l’essentiel comme le superflu. Les besoins primaires
sont insatisfaits ; manger, boire, se déplacer relèvent du luxe, assurer le
quotidien est problématique. L’état central comme c’est la mode en Afrique se
tourne vers les partenaires techniques et financiers pour l’aide publique au
développement, une gymnastique bien rodée qu’apprend vite un président élu
sur le continent, mais inopérant et contre-productif.
Depuis l’indépendance qu’en usent les Présidents africains, aucun parmi eux
n’a réussi l’exploit de soulager son peuple de la souffrance. Les problèmes sont
lancinants, l’espoir s’amenuise de jour en jour. Aux problèmes d’hier, s’ajoutent
ceux d’aujourd’hui, et demain annoncent son cortège de tracasseries de besoins
nombreux et variés à pourvoir : des écoles à construire, des abris provisoires à
remplacer, des universités à bâtir, des étudiants et des chômeurs à prendre en
charge, des formations à initier, des postes de santé à bâtir et à équiper, des
logements par milliers pour une population en hausse perpétuelle.
L’urgence est là, elle tape à toutes les portes annonçant la désolation et le
chaos futur. Pendant ce temps, les dirigeants insouciants se complaisent dans la
facilité, multipliant les déplacements, les voyages et visites de prestige, les
séminaires, les sommets de luxe, les parades inutiles qui donnent l’air d’un défilé
de mode, l’aspect festif l’emporte sur le pragmatisme dans l’engagement,
l’action résolue pour se sortir du marasme qui n’est point une fatalité, mais
entretenue, voulue insidieusement par d’irresponsables guides que répugne la
moindre contradiction.
La Guinée a une population essentiellement rurale pour 60 % disposant d’une
surface cultivable de 7,5 millions d’hectares. Le commerce, pour l’essentiel,
rapporte 40 % du produit intérieur brut ; ce qui dénote une économie extravertie
travaillant à consolider d’autres économies, à financer d’autres mutuelles, à bâtir
des écoles, des universités ailleurs, à sauver des emplois en Asie, en Europe et
en Amérique du Sud, à maintenir la bonne santé des entreprises qui fournissent
des produits manufacturés, de biens de consommation courante.
Et pourtant des solutions locales existent, le potentiel existe, il suffit d’une
toute petite volonté pour orienter l’économie, la structurer selon les besoins et
les priorités pour créer des entreprises comme partout, créer de l’emploi, rendre
disponibles les produits de consommation pour le marché national, régional et
international ; c’est un acte de courage qui tranche d’avec le statu quo. L’aide
n’a développé aucun pays.
Ahmet Sékou TOURE a essayé, mais il n’a pas eu la « baraka » des
puissances étrangères qui l’ont combattu du mieux qu’elles ont pu, sabotant son
économie, sa monnaie et ses amitiés. Son règne de 26 ans n’a pas été de tout
repos. Il a certainement payé cher son « non » de 1958 au Général de Gaule sur
le statut communautaire voulu par la France en lieu et place d’une indépendance.
Comme il aimait à le dire, il préférait la pauvreté à l’esclavage, une dignité sauve
à l’asservissement d’une opulence longtemps promise. Jusqu’à sa mort en 1984,
le grand Silly n’a pas concédé ou bradé les richesses nationales, il les a
surveillées jalousement comme du lait sur le feu.
Mais après lui, la sarabande, les multinationales se bousculent dans les salons
des politiques voraces qui, pour des priorités personnelles, donnent tout à vil
prix, signent tout et n’importe quoi, consentent des libéralités exagérées, une
braderie sans fin qui n’a jamais rempli les caisses de l’État, mais les poches des
particuliers, les affairistes invétérés qui ne rêvent pas de la Guinée, mais de leur
idylle personnelle.
Le pays présente un déficit supérieur à 5,8 % et se classe 178e sur 187 pays
dans l’indice de développement humain en 2013. Le chemin est encore long
pour le sortir de sa torpeur. Pendant ce temps, le président Alpha Condé, réélu
pour un second mandat, reste à couteaux tirés avec son opposition politique
animée par Cellou Dalein DIALLO. Les fantômes sont agités de partout faisant
craindre le pire. L’ethnicisme fait son entrée dans le jeu politique. Ça fait
beaucoup pour un pays qui alerte et crie à l’aide sur tous les toits du monde pour
éradiquer la maladie à virus Ébola qui s’est emparée de ses contrées lointaines,
gagnant progressivement les bourgades et la capitale. Avoir d’aussi prestigieux
moyens de développement et ne point pouvoir assurer le minimum pour ses
populations relève d’une carence absolue et d’un manque de volonté ferme.
Dans la cour d’à côté avec le Sénégal, ce n’est pas très reluisant non plus. Les
industries extractives en 2015 n’ont contribué dans le budget de l’État que pour
des broutilles, des cacahuètes par rapport au volume de leurs activités et aux
profits record. Elles ont pour nom Eramet dans le Zircon, Sabadola Gold,
Sococim, les ciments du Sahel, les phosphates de Taïba pour ne citer que les plus
grands.
Plus grave, de 2003 à 2011, l’État a renoncé au profit de ces entreprises des
redevances qui se chiffrent à plus de 418 milliards de Francs CFA, presque
l’équivalent de l’aide publique annuelle à l’investissement, puisque le Sénégal
reçoit annuellement 550 milliards de francs CFA : « cette aide publique au
développement représente actuellement près de 40 % du montant total du
financement des investissements publics. Ceci est fort appréciable même si nous
espérons qu’il pourrait croître davantage surtout avec les nouveaux défis liés à la
mise en œuvre des objectifs de développement durable » clame un officiel.
Les partenaires techniques et financiers sont constamment sollicités pour les
appuis budgétaires, l’assistance humanitaire et les secours d’urgence contre la
précarité, l’insécurité alimentaire et les calamités naturelles. Et pourtant des
moyens existent et beaucoup de moyens ignorés, méprisés, concédés
gracieusement sans frais aux multinationales aux chiffres d’affaires
astronomiques souvent supérieurs au PIB du pays. L’État les a toujours
amadouées, chouchoutées pour ne pas les effrayer : « il faut attirer les
investisseurs étrangers », dit-on ici ; les IDE sont réellement convoités et
poussent à tout même au suicide économique. Le taux de prélèvement fiscal sur
les revenus des industries minières n’était que de 3 %. Elles sont même
exonérées de la patente. Le nouveau code minier voté en conseil des ministres
n’est en rien une révolution. Il envisage de porter ce taux à 5 %, des miettes,
c’est ridicule de se compromettre à un tel niveau de responsabilité.
La braderie sans fin des richesses du pays mérite notre attention. Le malheur
des populations s’accroit d’année en année. Les études sont sans perspective.
L’université est bloquée, Cheikh Anta DIOP comptait en 2014 plus de 90 000
étudiants ; une ville dans la ville de Dakar, un monde à part, où se posent de
réels problèmes de survie. L’eau manque même dans la capitale Dakar, le
transport est le casse-tête des pendulaires dans Dakar intra-muros et hors-région.
Les endroits du pays sont proches et distants, inaccessibles à défaut de matériels
roulants adaptés ou de voies d’accès. Le pays importe tout, produit peu, tout est
consommé venant de partout, ici la débrouille est la règle, l’activité est
informelle. Les produits prohibés de partout garnissent les étals bien achalandés.
Cerise sur le gâteau, les politiques ne se privent de rien, dépensent sans compter,
consentent des libéralités exagérées. Les mines du Sénégal peuvent rapporter
gros si un choix judicieux et subséquent est fait, si une fiscalité adéquate et juste
est pratiquée. Il ne s’agit nullement d’asphyxier les investisseurs, mais de faire
payer la juste rémunération.
L’État sénégalais se suffit de 3 %, alors que les personnes physiques, les PME,
PMI payent entre 25 % et 30 %. Comment percevoir moins dans la cession des
biens collectifs qui servent à la construction du rêve de chacun ! Peut-on
continuer à s’endetter indéfiniment alors que des moyens existent ? Ils sont
disponibles et à portée de mains. Cela commence par exiger la juste
rémunération.
Une anecdote me vient à l’esprit. La Zambie, septième producteur mondial de
cuivre a réussi le pari. L’ancien Président Rupiah Banda fait face aux
multinationales œuvrant dans le secteur. Ces dernières se sentant lésées après les
impositions abusives contraires à l’esprit de leur contrat, menacent de poursuites
judiciaires. La pression des investissements finit par raviser le Président qui
supprime en 2009 les 25 % des bénéfices exceptionnels satisfaisant les
revendications des miniers. Mais le hasard fait bien les choses. En 2011, Michel
Sata, Président de la Zambie par succession, applique le taux de 30 % d’impôts
sur les sociétés minières, portant du coup les recettes au double soit l’équivalent
d’un jackpot de 1,36 milliard de dollars. Belle leçon de courage, de patriotisme
et de réalisme économique.
Le Sénégal en se faisant rémunérer dûment, pourrait prétendre à plus ou à
défaut à autant pour cela, il ne faut pas se soucier des frictions avec l’amitié ou
les diplomaties d’origine des multinationales. Les affaires sont les affaires et
chaque peuple prétend vivre avec ses moyens d’abord et avant tout.
Le groupe américain Cosmos Energy annonce les découvertes de gaz et de
pétrole au large de Saint-Louis et Kayar offshore, très importantes, de classe
mondiale dirait-on. Déjà on annonce les 10 % que détiendrait la société
PETROSEN (Pétrole du Sénégal) infime par rapport aux estimations et à ce que
ça pourrait rapporter. Une chose est sûre, les Américains sont déjà fort présents
et leur diplomatie s’agite dans tous les sens, caressant dans le sens du poil. Leur
armée appelée en rescousse, cherche une base non loin où s’établir durablement.
Ce qui leur est concédé pour un bail à durée indéterminée. Ça rentre dans leur
stratégie de contrôler le pétrole comme toujours et partout. Ils ont compris
depuis belle lurette mieux que quiconque que qui veut dominer le monde doit
contrôler le pétrole et tout le pétrole et partout.
De toute façon, l’actualité internationale ces dernières années le prouve dans
les faits. En Irak où les institutions étatiques n’existent que de nom, les
groupuscules extrémistes contrôlent la production et la bradent aux
multinationales pour survivre avec leurs cohortes de combattants. L’essentiel est
d’être servi, d’avoir ses intérêts saufs. En Libye où les multinationales
américaines ont été chassées en 1969, l’Amérique veille jalousement sur le
pétrole, lorgne les golfes de Guinée et du Niger. Le Tchad, le Nigeria, le
Cameroun sont surveillés.
« S’il voit dans un monde multipolaire composé de grands ensembles
régionaux l’horizon vers lequel tendre, l’urgence exige d’après SAMIR AMIN
que les mouvements sociaux et politiques progressistes concentrent leurs forces
dans le combat contre l’hyperpuissance étatsunienne et son hégémonie militaire
sur le monde, pour le déploiement du projet étatsunien surdéterminé en effet,
l’enjeu de toutes les luttes. Aucune avancée sociale et démocratique ne sera
durable tant que ce projet hégémonique des États-Unis ne sera pas mis en
déroute », affirme François POLLET, sociologue chercheur au centre
Tricontinental à Louvain La-Neuve en Belgique.
Les problèmes et les fautes de gestion sont la marque de fabrique des exécutifs
africains. Tout est bradé, tout est concédé sans aucune contrepartie viable, aucun
profit à tirer des ressources étendues dont la gestion rationnelle et optimale
concéderait la fin du recours à l’endettement massif, la dépendance à l’aide
internationale et son corollaire, la perte progressive de souveraineté. Tout est là,
mais rien ne s’évalue à sa juste valeur. Les contrats miniers ne sont que la face
visible de l’iceberg. Pour le reste, toute l’économie est aux mains des
investisseurs étrangers exigeants sur les conditions d’établissement et somme
toute regardants sur les profits et les réformes fiscales éventuelles.
Le gouvernement du Sénégal s’est plié en quatre face à la puissance du groupe
SENAC (Société Eiffage de la Nouvelle Autoroute Concédée) adossé à l’autorité
du gouvernement français, très influent dans la conduite des affaires du pays,
aux réseaux denses de courtiers et courtisans, d’affairistes de tout genre et de
tout acabit qui ont accès au palais de la République.
Déjà sous le régime de Maître Abdoulaye WADE, son fils Karim en charge du
transport signe avec Eiffage du groupe SENAC un contrat de gestion et
d’exploitation d’un tronçon d’autoroute de 20 km entre Dakar et sa banlieue
Diamniadio. Un tronçon sur lequel l’État du Sénégal est actionnaire majoritaire,
premier investisseur à 320 milliards de francs CFA, pour 80 milliards de
contribution d’Eiffage. Le privilège de gestion de l’autoroute échoit au groupe
français qui s’arroge beaucoup de dérogations y compris celle pour le Sénégal de
ne réaliser aucun investissement nouveau de remise en état d’extension ou
d’élargissement de la route nationale voisine Dakar-Rufisque, axe fondamental
de circulation et de trafic routier, principale porte d’accès de la capitale par tous
les voyageurs et camionneurs venant de l’intérieur du pays. Une concession, une
dérogation grave, insolente, inacceptable, une autoflagellation.
L’insouciance et l’amateurisme des autorités de l’époque méritent d’être
dénoncés et portés à la face du monde. Le plus pernicieux dans cette supercherie,
c’est que les tickets coûtent entre 1400 F et 2700 F CFA selon le type de
véhicule et suivant un contrat qui court sur 30 ans. En moyenne, circuler sur un
kilomètre d’autoroute au Sénégal selon la formule Eiffage coûte 80 F CFA sur
l’axe Dakar-Diamniadio.
Vient ensuite le gouvernement de Macky SALL porté au pouvoir par
l’alternance de mars 2012 avec tous les espoirs et rêves qui vont avec et non des
moindres. Mais enfin, le Président SALL réalise le deuxième tronçon de
l’autoroute Dakar-Aéroport Blaise Diagne (AIBD) de Diass. Eiffage dans sa
boulimie et ses caprices infondés fixe ses nouveaux tarifs sur l’autoroute
conformément au contrat décrié avec exagération cette fois. Les prix entre Dakar
et Aéroport Blaise Diagne varient entre 3600 au minimum et 5000 francs. En
furie le Président SALL suspend l’inauguration du nouveau tronçon autoroutier,
Eiffage réclame 08 milliards de dommages pour ouverture tardive et
dépassement de délai ; tel est le problème posé.
Mais l’analyse des tarifs place le Sénégal dans le peloton de tête des pays au
kilomètre de circulation le plus cher au monde soit 75 F. Il serait quand même
bon de rappeler que sur les 87 km de l’autoroute Casablanca-Rabat, l’usager paie
1300 F CFA soit à peine 15 F CFA au kilomètre. Poursuivant l’analyse, l’usager
de l’autoroute Paris-Lyon sur 500 km paie 23 580 F CFA ce qui, au kilomètre,
correspond à 47 F CFA dans la cinquième économie mondiale où le revenu par
habitant est 60 fois supérieur.
En Belgique, il n’y a pas de péage, en Allemagne non plus. Mais le clou de
cette arnaque qui ne dit pas son nom, sur les 3000 F officiellement convenus au
terme de moult tractations, l’État du Sénégal, investisseur premier de l’autoroute
avec 320 milliards contre 80 milliards, n’aura droit qu’à 800 et 310 cumulés soit
la modique somme de 1110 F. C’est inélégant, irrévérencieux, outrageant de la
part des Africains qui font du business « qui perd gagne ». Quand on met
320 milliards sur une autoroute de 400 milliards, un organe public autonome doit
s’occuper du bien des citoyens pour qu’ils en aient une parfaite jouissance sans
devoir se saigner à blanc ou vivre les remords de ne jamais pouvoir y accéder.
Mais c’est ça le lot de l’Afrique qui se saborde dans son commerce avec les
autres, une Afrique qui vend toujours à perte et achète à prix d’or. Plus que de la
volonté, gérer un État demande du courage, une grande témérité, savoir taper sur
la table et dire non pour arrêter la mascarade. Le monde est plein de partenaires
avec qui traiter dans des rapports francs et équitables sans compromissions ni
courbettes. Le tout est dans l’appréciation de la légitimité dont on est investie.
Tout un peuple derrière soi, c’est suffisant pour ne pas fléchir.
Le rapport 2014 de l’ITIE est sorti courant octobre 2016. Les revenus de l’État
du Sénégal font un léger mieux passant de 43 milliards en 2013 à quelque
60 milliards en 2015, mais ce n’est pas fameux du tout. Surtout que le secteur
pétrolier travaillant sur plus de 1200 milliards de francs ne contribue que pour
8 milliards “peanuts” dirait-on au pays de l’oncle Sam, quand on sait que les
stations d’essence fleurissent comme une prairie bretonne, une ville comme
Dakar est quadrillée de toutes parts. Bientôt il ne restera plus un coin ou recoin
pour en implanter à moins de transformer les lieux de culte mosquées, églises et
synagogues en station d’essence. Il y en a partout à côté des écoles, des
hôpitaux. La concurrence est acerbe.
L’exploitation du Zircon démarrée en 2014 n’a pas eu le mérite d’élever
substantiellement les revenus de l’État. Et pourtant le Sénégal est dans les 10
producteurs mondiaux. Ce gisement de Diogo à 150 bornes de la capitale Dakar
produit du Zircon et de l’ilménite, sous exploitation de Grande Côte Opération
(GCO) du groupe français ERAMET et l’Australien MINERAL DEPOSIT
LIMITED (MDL). L’objectif de 80.000 tonnes de Zircon et 600.000 tonnes
d’ilménite est fixé dès l’entame. À terme, 7 % de la production mondiale sont
visés, ce qui a motivé un investissement lourd d’un peu moins de 400 milliards
de francs CFA. La convention qui lie MDL à l’État du Sénégal signée sous le
gouvernement de Abdoulaye WADE exonère « de tous droits et taxes perçus à
l’entrée y compris la TVA et le COSEC et autres taxes de toutes natures à
l’exception de la redevance statistique de l’UEMOA sauf lorsque cette
exonération est spécifiquement prévue dans la cadre d’un accord de financement
extérieur sur un certain nombre de domaines ».
Les ressources naturelles suffisent à développer le continent noir, à former sa
jeunesse dynamique, à bâtir son industrie, à construire des infrastructures qui
font défaut. Pour cela il ne faut pas les brader, il faut exiger leur juste
rémunération si on ne les transforme pas encore sur place.
Pourquoi s’empresser de les exploiter pour les brader. Elles ne sont pas
inépuisables. L’après-mine arrivera tôt ou tard au détriment des générations
futures qui ont leur part du patrimoine. La vie de nos États ne s’arrête pas sur le
21e siècle, elle transcende l’espace-temps et continue sa marche plusieurs fois
millénaire. Nous devons faire bon usage des ressources dans une exploitation
rationnelle. Au vu de la situation actuelle, je plains les générations de demain qui
n’auront que des dettes à payer et des désastres écologiques à gérer parce que les
devanciers ont pris toutes les libertés avec leur patrimoine. Si nous continuons à
ajouter de la connerie à nos problèmes cruciaux de développement, le chemin
sera difficile à trouver.
La Guinée Conakry par exemple fait 50 % de ses exportations avec les
ressources minières, mais ne rapportant que 12,5 % du PIB. Et pourtant la
bauxite est un minerai non affecté par les baisses capricieuses des cours
mondiaux des matières premières. Elle génère beaucoup de profits aux
investisseurs exploitants.
Annuellement, quelque 18 millions de tonnes sont prélevées des mines
guinéennes. Sa valorisation et sa juste rémunération ajoutées aux avantages
comparatifs du pays permettaient à coup sûr à la Guinée de se passer de l’aide
pour envisager sereinement son émergence. Malheureusement la grande légèreté
avec laquelle les politiques concèdent les mines est ahurissante.
Les chambres de commerce et d’industrie souffrent d’une mise à l’écart
inexplicable des gouvernants pour les problèmes d’investissement. En effet les
investisseurs qui arrivent en Afrique ne passent jamais par les chambres de
commerce et d’industries mises en place. Elles sont ignorées, sans égards, court-
circuitées. Les investisseurs cherchent des contacts directs avec les chefs de
cabinet des ministres, les ministres eux-mêmes, si ce n’est directement avec le
Président de la République, leur première cible qu’ils cherchent à avoir, à gagner
sa confiance, jusque-là pas de problème. Mais le comble est que les chambres de
commerce ne sont jamais visitées par ces derniers, le moindre contact avec elles
n’est fait, chose plus grave, les investisseurs en Afrique cherchent toujours à
créer en nombre leurs chambres à part qui s’occupent de leurs investissements et
de leurs problèmes.
C’est le cas en Côte d’Ivoire et dans beaucoup d’autres pays d’Afrique
francophones. En Côte d’Ivoire Anthony BOUTHELIER est à la tête de la
corporation des investisseurs français (chambre de commerce et d’industrie
parallèle). C’est lui qui, le 8 décembre 2010, appelle même les entreprises
dépendant de son institution à refuser de payer les impôts du gouvernement
Gbagbo, en solidarité de la stratégie d’assèchement des finances du
gouvernement Gbagbo décrétée par la France et l’ONUCI. Si les investisseurs
passaient par les chambres de commerce locales, se faire reconnaitre, enregistrer
ou même guider, le problème serait tout autre, les abus seraient moins
nombreux.
Autre exemple, Franck Timis, Australo-Roumain, patron richissime et
sulfureux du groupe PETROLUM AFRICA, ayant ses licences d’exploitation
dans 6 pays africains de l’ouest, patron de Timis corporation très proche du frère
cadet du Président du Sénégal, Aliou SALL avec qui il a beaucoup
d’accointances déclare : « Lorsque j’ai Samuel (ancien ministre de l’Énergie de
Wade) qui m’a dit que son successeur est le fils du Président, j’étais très
enthousiaste parce que je me suis dit que cela va aller très vite parce qu’il doit
vouloir faire de bonnes affaires pour son pays. Pendant cinq semaines, j’ai tenté
d’entrer en contact avec le nouveau ministre, lorsque j’ai joint Karim Wade, il
m’a fait venir au Sénégal en me donnant rendez-vous. Une fois dans son bureau,
on m’a dit qu’il a voyagé. Il m’a donné rendez-vous à Paris, puis en Arabie
saoudite et chaque fois, il me posait un lapin ».
L’exemple est saisissant et illustre le peu de crédits que les Africains
accordent à leurs privés nationaux et les organes qui les représentent. On
n’imagine pas les investisseurs traiter directement avec les Présidents français ou
américains. La spoliation des matières premières ne s’arrêtera pas de sitôt.
Le Niger qui fournit l’essentiel de la production d’uranium de AREVA pour
l’alimentation des centrales nucléaires de France et d’ailleurs, baigne dans
l’obscurité totale. Ses villes moyennes et ses villages sont plongés toujours dans
l’obscurité, après 56 ans d’indépendance et d’exploitation intense de son
minerai. Les revenus générés n’ont jamais permis de vaincre la faim, dans ses
campagnes désertiques, les écoles sont sans maîtres et sans équipement. Les
soins ne sont prodigués qu’en ville. Les jeunes comme ceux d’Afrique mère sont
sans emploi. Le chômage bat des records. Si l’uranium n’a pu sauver une seule
génération de Nigériens de la faim, de l’illettrisme, de l’oisiveté, ça ne vaut pas
la peine de l’exploiter pour contaminer les braves et innocentes populations.
C’est peut-être ce que le Président MOSEVENI de l’Ouganda a enfin compris.
Il demande de dépasser le faible pourcentage (1 %) des revenus minéraux dans
le PIB, mais écarte toute exportation en brut. Il ambitionne la transformation sur
place, autrement, il considère que c’est une nouvelle forme de colonialisme
économique où les minerais exportés sont réimportés sous forme de produits
finis ou semi-finis pour des coûts mirobolants. Sans doute, il faut s’assumer,
assumer sa part de responsabilité.
C’est ce que la Bolivie en Amérique latine a compris pour réussir son
« miracle économique ». L’audace gagnante de la Bolivie a permis la réduction
des inégalités favorisant la croissance et le développement économique. Elle fait
des taux de croissance perlés de 5 % depuis 8 ans. Le PIB a été multiplié par
trois, soutenu par une politique conséquente et réaliste de nationalisation des
hydrocarbures, une preuve de courage, un acte symbolique et de responsabilité à
la face du monde. Une preuve suffisante qu’une bonne gouvernance des
ressources et des biens publics incarnée par des hommes de valeur, citoyens
accomplis, militants et déterminés peut sauver des peuples contre les effets
pervers d’une mondialisation sauvage, débridée au service exclusif du
capitalisme financier, un pied de nez aux entreprises transnationales qui règnent
en maîtres au mépris des peuples, de leur dignité et hors de toute légitimité.
À l’évidence, l’exemple fourni par l’Andin EVO MORALES peut aider à
déjouer l’emprise des multinationales et desserrer l’étau du néolibéralisme qui
bâillonne la marche des peuples vers des lendemains meilleurs. Les peuples
d’Afrique et du monde méritent de renouer avec leur dignité et seuls des
dirigeants au courage bolivarien les y mèneront. EVO MORALES a nationalisé
le pétrole, le gaz et la téléphonie. L’accès au crédit bancaire a été facilité pour les
citoyens sans beaucoup de procédures et de tracasseries. L’allégement et la
souplesse sont les maitres mots qui ont facilité et rendu possible une
bancarisation plus grande moins rigide, plus populaire.
Le système informel très présent dans l’économie bénéficie de prêts et d’accès
aux crédits.
La Bolivie contrôle ses matières premières, fait des recettes, rentre dans la
fiscalité, redistribue les fruits de la croissance sous forme d’aide mensuelle ou
annuelle aux nécessiteux et aux méritants. Un système régulé de l’intérieur par la
taxation des plus nantis. Les revenus de l’État permettent des politiques cibles
selon une approche locale, une vision bien andine. La leçon est bien perçue : le
courage libère.
L’Afrique ne peut plus continuer à tendre la main, ou assister impuissante au
naufrage sans fin de ses fils dans la Méditerranée en route vers des espoirs
perdus. En 2014, les eaux continentales en ont englouti dix mille et le spectacle
macabre est sans fin. Sans espérance, tous les risques sont bravés. Il n’y a pas de
fatalité, des remèdes existent pour l’Afrique.
Fort heureusement, des exemples de réussite existent dans le tumulte
généralisé et la déchéance morale sur fond d’instabilité, de guerres, de famines et
d’oppressions.
Comme toutes les entreprises transnationales présentes en Afrique, le groupe
Bolloré avait en ligne de mire la concession du port de Cotonou entre autres. Les
élections béninoises ont été l’occasion pour lui de jouer à fond de son influence
par une de ses structures de communication Havas qui a managé le candidat
SÉBASTIEN AJAVON, l’ami de Vincent Bolloré, mais mal lui en prit puisque
les choses se sont passées autrement à la défaveur de leur pronostic intéressé.
Patrice Talon, l’homme d’affaires béninois, fut élu à une écrasante majorité à
l’issue d’un scrutin libre et transparent.
Cependant Bolloré n’a jamais désespéré de séduire et de gagner l’estime du
président élu. Il jouait de ses réseaux, ses soutiens politiques et ses innombrables
accointances dans le milieu des lobbies d’affaires pour s’implanter au port de
Cotonou comme il l’a réussi en Guinée Conakry suite à son parrainage dévoué
du candidat Alpha Condé président en exercice, à son ralliement à Alassane
Dramane Ouattara lors de la crise Ivoirienne entre le président Gbagbo ennemi
déclaré, et même à Macky Sall et aux révoltés de la place de l’Obélisque, lieu
symbolique de toutes les manifestations et contestations du pouvoir vacillant de
Abdoulaye Wade, l’homme qu’il s’était promis de déshabiller pour avoir le culot
de l’expulser du port de Dakar pour ses amis émiratis de Dubaï Port World. Il
sera comblé avec le départ du palais de « l’empêcheur de tourner en rond » des
intérêts français. Non seulement, il reviendra avec force au port pour une
concession de 25 ans, mais avec dans ses bagages la société NECOTRANS qui
s’empare du dernier lambeau détenu par des PME sénégalaises qui, malgré tout,
s’acquittaient de leurs obligations salariales, fiscales dans des conditions de
travail dures, mais exemptes de reproches.
L’Afrique de l’Ouest francophone est devenue sa chasse gardée. Son règne sur
la zone côtière est sans partage, son influence grandissante. Les accointances
entre politiques et multinationales sont dangereuses en ce qu’elles dénaturent
l’exercice démocratique, compromettent la légitimité d’une part et débouchent
sur une grave compromission des intérêts des peuples vite bradés en
reconnaissance des bienfaiteurs souvent plus rusés que les Bookmakers.
Le parrainage des candidats-chefs d’État lors des élections en Afrique, est
source de problème, de braconnage et d’hypothèque des ressources. Patrice
Talon qui ne doit pas son élection au groupe Bolloré, s’est montré intransigeant,
inflexible et déterminé. Il le dit avec emphase et concision dans un message
circonstancié qui a l’assentiment, la bénédiction des sociétés civiles africaines,
des entreprises nationales, locales, mises à l’écart dans les gros contrats,
dénonçant toujours la mainmise des multinationales sur les secteurs stratégiques
de leurs économies : « Ce n’est pas avec quelques panneaux solaires, une aire de
jeu et une poignée de minibus qu’il va me convaincre (…) Le port de Cotonou
n’est pas à vendre. Un port est le cœur d’une économie pour des pays comme le
nôtre. On ne peut pas en confier la gestion complète à des Occidentaux, tout
échappe au contrôle des privés nationaux […] si besoin il y a, nous
privilégierons les nationaux ou Africains. Je ne critique pas ceux qui l’ont fait,
mais nous non. En tout cas pas sous mon mandat. S’il veut être éligible, il
faudrait qu’il s’allie avec des nationaux qui pèseraient au moins 45 %, c’est
valable pour les autres. Il n’a pas financé ma campagne, je ne lui dois rien. »
Belle leçon d’audace, de réalisme et de patriotisme qui tranche d’avec
l’inféodation, la compromission suspecte de beaucoup de ses pairs africains face
aux grands groupes étrangers ultra-puissants, et souvent appuyés par leurs
missions diplomatiques. Ces quelques vérités crues, implacables habitent le cœur
de beaucoup d’Africains souvent interloqués par la gestion calamiteuse de leurs
biens publics. La téléphonie, l’eau, les hydrocarbures, les ports, rien ne leur est
acquis, pressés qu’ils sont comme des citrons pour des contributions sans cesse
revues à la hausse au moment où les multinationales dans les clauses des
contrats qui les lient aux États bénéficient de toutes les exemptions, souvent
même de la patente inscrite dans les impôts locaux qui font fonctionner les
collectivités locales.
Immensément riche, le Niger sombre encore dans l’obscurité et le désespoir
pour plus de 50 ans d’indépendance révolus. Ses campagnes sont démunies de
tout, une petite école, une case de santé, une piste rurale, une simple sage-
femme, de simples panneaux solaires, rien, même pas de l’eau courante, des
forages en nombre pour abreuver le bétail en perpétuelle transhumance, tout est
rustique moyenâgeux dans un néant absolu. La notion de République, d’État
n’est que pure abstraction, rien dans l’arrière-pays n’indique la présence de
l’État ou la prise en charge des populations. Sans doute se déplaceront-elles vers
d’autres contrées, des sous-préfectures, sans doute pour les jours de vote,
accomplir un devoir civique sans droits, harcelés par des politiques véreux
poursuivant leurs seuls intérêts. Mais pour le reste, aucune trace de la
République, des populations désemparées comme partout en Afrique
subsaharienne abandonnées à leur sort macabre sans la moindre attention des
décideurs.
Et pourtant nous sommes à mille lieues de penser qu’il ne pouvait en être
autrement. Un pays riche, bien pourvu par la nature, d’une richesse rare et
précieuse, diverse et variée, regorgeant de tous les minerais convoités. La nature
s’est montrée particulièrement clémente, généreuse par excès. Le sous-sol
nigérien renferme de l’uranium en grande quantité à Arlit et Akonta, au Nord les
phosphates en grandes réserves dans la vallée du Niger, le charbon, l’étain, l’or,
le fer et du cuivre. Malgré tout, ce pays se classe 186e sur 186 dans l’indice de
développement du PNUD. La famine menace dans le bassin du Lac Tchad. Le
groupe français AREVA spécialisé dans le nucléaire y exploite l’uranium depuis
plus de 50 ans. Le tiers de l’uranium utilisé dans les centrales nucléaires
françaises vient d’Arlit. L’uranium a peu profité au Niger, son impact sur
l’économie est négligeable pour des décennies d’exploitation.
En vertu des accords de défense conclus entre le Niger nouvellement
indépendant et son ancienne métropole la France, l’uranium n’était pas considéré
comme une ressource naturelle et son exploitation était régie par des accords de
défense. Une pratique courante dans beaucoup d’ex-colonies françaises
d’Afrique dès l’indépendance acquise. Areva a toujours eu un monopole sur
l’uranium quasiment sous-payé.
La société canadienne qui exploite l’or déclare toujours des pertes ; « la
neutralité de la TVA » maladroitement introduite par le gouvernement comme
allégement fiscal et mesure incitative pour attirer les investisseurs, a peu profité
au pays, il a même perdu au change des milliards. Selon cette disposition, toute
entreprise qui exporte a une TVA nulle, c’est plus qu’un sacrilège pour un pays
pauvre, le plus pauvre sans doute du monde qui n’a que ses matières premières
qu’il ne transforme pas d’ailleurs, plus de 40 % de l’uranium d’Areva vient du
Niger, un peu plus de 7,5 % de la production mondiale.
D’ailleurs, un contrat à durée indéterminée a été signé excluant toute
possibilité de nouvel appel à la concurrence ou l’élargissement du champ à
d’autres groupes œuvrant dans le secteur. Les acteurs intéressés sont très
nombreux, russes, chinois, américains. Certainement la concurrence aurait le
mérite d’inverser la tendance, de changer la donne pour davantage de profits au
gouvernement nigérien. Mais rien n’y fait, les alliances politiques, les soucis de
pouvoir font sacrifier l’intérêt national. Le bradage des ressources naturelles est
systématique. Arlit, Akonta et les environs baignent dans un désastre écologique.
L’eau, l’air, les terres sont généralement irradiés. Les agriculteurs dont la vie et
l’exploitation sont menacées abandonnent leur village et toute une histoire
derrière pour grossir les bidonvilles de Niamey, la capitale qui fait face de plus
en plus au défi d’une démographie galopante.
L’arrière-pays baigne dans sa torpeur. Les politiques par des effets d’annonce
et des promesses mirobolantes font rêver sans jamais délivrer la souffrance des
peuples. Les problèmes de vie élémentaire sont récurrents, l’école, le logement,
les soins de santé et les trois repas par jour sont autant de casse-têtes, la mal-
gouvernance est un fléau. Le courage de dire non suffit parfois à changer le
destin d’un peuple, mais hélas !
Les délestages sont courants à Niamey et dans les autres villes et bourgades.
La demande est peu couverte. L’arrière-pays depuis un demi-siècle, peine d’être
raccordé au réseau électrique. L’uranium éclaire des contrées lointaines pendant
que le Niger reste dans l’obscurité, la nuit noire, pour rêver son destin
cauchemardesque, l’avenir annonce peu de lueurs. L’espoir s’enfuit à jamais
dans le temps. La déception couvre le pays de son immense manteau, que de
regrets ! Pauvre Afrique !

2 L’Afrique noire est mal partie, Paris, Seuil, 1962.


3 L’Afrique étranglée, Paris, Seuil, 1980.
4 René Dumont, ibid.
5 Libye, OTAN et médiamensonges : Manuel de contre-propagande, Éditions Investig’Action & Couleur
livres asbl, 2011.
CHAPITRE IV
MOROSITÉ ÉCONOMIQUE, MISÈRE ET DÉPENDANCE

La pauvreté ne disparaitra pas de sitôt en Afrique. Elle sévira et se maintiendra


encore pour de très longues décennies. Le continent n’a pas pris la bonne
passerelle pour venir à bout de cette calamité… Les gouvernements du continent
n’ont jamais pris la mesure du problème. Les réponses et les stratégies déployées
pour venir à bout d’une calamité aussi grosse n’ont jamais fait florès. Le
bricolage, l’amateurisme, le colmatage, ont fini de démontrer l’incapacité des
gouvernants à juguler le problème de la pauvreté, de la faim et de la malnutrition
qui frappe les pays d’Afrique sans ménagement.
La pauvreté est partagée d’est en ouest, du nord au sud cependant avec
beaucoup plus d’acuité dans les 46 pays de l’Afrique subsaharienne qui, de
guerre lasse, semblent se résigner. Les initiatives sont rares et peu concluantes.
D’ailleurs, face à la récurrence du phénomène, ils affichent profil bas et parlent
de réduction de la pauvreté. L’objectif depuis des années n’est pas de vaincre la
faim, d’éradiquer la pauvreté, mais de la réduire.
Le discours officiel des gouvernants comme des institutions alliées parle de
stratégies de réduction de la pauvreté. Comme si cela suffisait comme
programme politique ; ce fut le crédo pendant plus de 30 ans. C’est déjà une
capitulation, un renoncement de l’action, un refus manifeste de combattre un
fléau qui ne tient pas de la fatalité, mais procède d’une négligence coupable des
principaux responsables qui, dès l’indépendance annoncée, ont manqué de
lucidité, de clairvoyance pour amorcer les ruptures, affirmer les choix
programmatiques qui structurent et orientent l’économie dans le sens de la prise
en charge des citoyens dans leur lutte quotidienne pour un mieux-être.
L’Afrique est le seul continent où les gens meurent de faim, de malnutrition
chronique. Une situation tout de même paradoxale quand on sait qu’elle détient
60 % des terres arables, des terres riches et fertiles, qui se prêtent à toutes
cultures irriguées comme sous pluie. Le potentiel agricole jusque-là inexploré
suffit à nourrir le monde, donne la possibilité d’être le lieu d’implantation des
plus grandes industries agroalimentaires. Après un demi-siècle d’indépendance,
les plus grandes firmes agricoles devraient être africaines. Malheureusement, la
bataille pour l’autosuffisance n’est point en passe d’être gagnée puisque le
déficit alimentaire du continent est passé en quelques décennies de 10 à
40 milliards de dollars soit plus que l’aide au développement.
Ce déficit place l’Afrique durablement dans la posture d’un continent
importateur de denrées alimentaires. Elle n’est pas encore à même de produire
pour se nourrir, pour transformer et créer de la valeur ajoutée. La lutte contre la
pauvreté doit intégrer la bataille pour l’autosuffisance alimentaire.
Des pays comme l’Éthiopie ont pris conscience de la nécessité d’enclencher
une nouvelle dynamique pour une agriculture performante au service de
l’autosuffisance alimentaire et la promotion de l’agro-industrie, étape importante
vers la semi-industrialisation. Sans doute les Éthiopiens ont fait tenir la vision
développementaliste de MELES ZENAVI, qui sort des sentiers battus, des
théories d’école et d’institutions mille fois rabâchées pour une voie nouvelle,
originale et réaliste qui se fonde sur la dimension du milieu et ses spécificités
pour adapter les projets, réguler et corriger les imperfections selon les
circonstances et les orientations. La part de l’agriculture dans le produit intérieur
brut dépasse les 35 % pour un pays qui présente un relief un peu particulier, fait
de montagnes par moments inaccessibles. La production agricole a été multipliée
par 4, sa population de 100 millions présente un résidu de pauvreté de 20 %, ce
qui dans le contexte africain, représente une avancée substantielle.
Mais quand la volonté est là, tout le reste n’est qu’accessoire. Elle a permis à
l’humanité de faire des pas de géant, quels que fussent les obstacles ou aléas
circonstanciels. Sans doute le peuple éthiopien qui a vécu dans ses tripes le
drame de la famine durant les années 1980 s’est dit : « plus jamais ». Le spectre
de la faim rend fort, fédère les énergies, coordonne les volontés qui convergent
vers le même idéal. Les années 1980 font partie des pires moments de l’histoire
éthiopienne. Ce fut une grande calamité naturelle, des années de sécheresse qui
n’ont épargné ni les hommes ni le bétail décimé en grandes manches, d’infinis
ravages, un spectacle apocalyptique suscitant l’émoi et la consternation de la
communauté internationale qui a apporté son soutien et manifesté sa solidarité.
Aujourd’hui, l’Éthiopie se relève peu à peu de ses blessures profondes avec un
moral d’acier qui la pousse à tout ce qu’il faut pour parvenir à l’objectif
intermédiaire d’autosuffisance alimentaire.
Fort heureusement pour ce pauvre pays, la vision de MELES ZENAWI,
commence à prendre forme, les stratégies mises en branle par ce leader
profondément nationaliste commencent à prendre forme. L’originalité de sa
méthode de gouvernance paie. L’agriculture sous son magister s’est dotée d’un
plan stratégique et des moyens subséquents pour répondre à une agriculture de
développement. Celle-là qui, au-delà de nourrir le peuple, rend possible
l’émergence d’outils agro-industriels denses, capables de créer de la valeur
ajoutée. Une agriculture qui pourvoit des emplois de par la chaine de valeur et
pèse sur le produit intérieur brut.
Le CNUCED dans son rapport de 2014 affirme que pour réduire la pauvreté, il
faut un taux de croissance à long et moyen terme de 7 % assorti d’un
investissement de 25 % du produit intérieur brut. On est loin du compte tant au
niveau croissance où l’Afrique est à 5,3 % qu’au niveau investissement où les
plus prétentieux sont à 18 % par rapport au PIB.
Le chemin pour la réduction de la pauvreté semble à priori rude, escarpé, mais
pas impossible. Cependant, il nécessite la fusion de toutes les volontés, de toutes
les énergies, la mobilisation des intelligences, des stratégies et surtout des
investissements, l’enjeu en vaut bien la peine. Il faut à tout prix relever le défi.
Pour ce faire, la plupart des politiques et plans de développement déployés çà et
là méritent d’être réécrits et corrigés, je dirais même reformulés. Il faut aller dans
le sens d’une transformation radicale et structurelle de l’économie africaine.
L’agenda 2033 de l’Union africaine se veut une formulation d’objectifs et de
stratégies pour une économie plus incisive orientée vers le plein développement.
Tous les pays africains semblent s’inscrire dans cette dynamique de planification
à des échéances plus ou moins voisines avec des cadrages transposables. Les
détails qui les diffèrent sont peu nombreux, les vocables usités sont identiques.
Ce qui, par moments, fait penser à un phénomène de mode, d’attirail politique
plutôt que d’une volonté affirmée d’engager la bataille du développement, la
seule qui vaille puisque tant qu’on ne gagnera pas la bataille économique, tout
est perdu d’avance, les subsides accordés aux démunis, les bourses de sécurité
familiale rapportées du Brésil et autres artifices n’y pourront rien, la pauvreté
croîtra, les sociétés s’appauvriront, se délabreront, et l’instabilité s’installera.
C’est une urgence, pas une option.
La transformation économique selon différentes déclinaisons est au cœur de
tous les plans des gouvernements en place : Sénégal Émergent, Gabon Émergent
et Congo Émergent, Cameroun et Côte d’Ivoire ou qui sait encore ?
En 1999, les premiers documents stratégiques de réduction de la pauvreté
furent mis en place suite à l’échec de l’orthodoxie macroéconomique du
« consensus de Washington ». Les programmes d’ajustement structurel ont eu
pour caractéristiques principales de privilégier l’approche des critères
économiques et financiers sur les critères humains, environnementaux et
sociaux. Les États d’Afrique principalement pris au piège des canons
macroéconomiques du « consensus de Washington » (inflation faible, réduction
des déficits, l’équilibre des comptes extérieurs, libéralisation du commerce,
privatisation des entreprises) ont assisté impuissants à la montée de la pauvreté
et de l’insécurité alimentaire qui deviennent un fléau. La mondialisation
néolibérale vient d’atteindre ses limites malgré la puissance avérée de ses
instruments stratégiques qui quadrillent l’économie mondiale, régentent la vie
des peuples et des nations ; l’OMC, le G7, le Fonds monétaire international, la
Banque mondiale.
Les politiques d’ajustement structurel sont décriées par les sociétés civiles, les
États, les mouvements altermondialistes et en prime par les institutions des
Nations unies : l’UNICEF, le PNUD, qui n’ont cessé de s’alarmer des
dommages faits aux populations du Sud pris au piège du libéralisme qui n’a de
cesse de saper leur existence. Leurs moyens d’équilibre naturel sont corrodés.
Les années 1990 ont mis à nu les déficits des programmes d’ajustement
structurel. Les inégalités sociales se sont creusées, la précarité s’est installée. Les
États dont le rôle, le patrimoine et la légitimité ont été sérieusement entamés par
ces programmes assistaient non sans remords à la déchéance physique et morale
des citoyens.
Par la même occasion, la légitimité des institutions néolibérales venait de
prendre un sacré coup de massue. Les critiques grandissantes ont introduit un
changement de stratégie pour rester crédibles. Le FMI, la Banque mondiale, les
bailleurs donnent un nouveau tournant à leurs programmes qui associent
désormais à la stabilité des indicateurs macroéconomiques, une composante
sociale, l’amélioration des paramètres environnementaux et sociaux. Un
changement de paradigme justifié par la nécessité de poursuivre autrement les
programmes d’ajustement structurel, sous d’autres modalités un peu plus
acceptables par les communautés de plus en plus hostiles à l’austérité.
Désormais, semble-t-il, l’approche sociale semble être un volet important du
contenu programmatique. Le changement de cap fut matérialisé par la mise en
place d’un document stratégique de réduction de la pauvreté dans le cadre de
l’initiative pays pauvres très endettés (PPTE), pour soulager les pays les plus
éprouvés par les effets pervers de la mondialisation et des politiques
néolibérales. La décision de Gleneagles de 2005 en sera l’aboutissement en ce
qu’elle consacre l’annulation totale de la dette multilatérale des pays les plus
pauvres, les plus endettés, les plus structurellement atteints.
Ce fut une étape nouvelle dans la lutte contre la pauvreté pour ne pas évoquer
le mot de révolution. Une décision acceptable, quelles que soient la volonté
finale et les intentions dissimulées. Parmi les PPTE, 23 ont convergé aux critères
de cette initiative et ont pu être exemptés de rembourser 48,2 milliards de
dollars.
Mais la décision la plus salutaire fut prise en 2000 à New York par 193 pays et
23 organisations internationales, l’adoption des objectifs du millénaire pour le
développement déclinés en 8 points avec des rubriques. Il s’agissait :
1) d’œuvrer à réduire l’extrême pauvreté et la faim en réduisant de moitié en
2015 la part des personnes vivant avec moins d’un dollar par jour, de
procurer un emploi décent et productif aux femmes et aux jeunes.
2) d’assurer à tous l’éducation primaire
3) de promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes
4) de réduire la mortalité infantile
5) d’améliorer la santé maternelle
6) de combattre le VIH/SIDA, le paludisme et les autres maladies
7) d’assurer un environnement durable, l’accès à l’eau et l’assainissement
8) de construire un partenariat mondial pour le développement.
Toute une batterie de mesures et d’initiatives sous-jacentes pour l’atteinte des
OMD fut mise en place par les organisations onusiennes telles que l’UNICEF, la
FAO, le PNUD. Les artistes, des comités d’initiatives, les communautés
mondiales, les personnalités influentes du sport, du showbiz, furent mis à
contribution pour le succès de cette échéance fatidique de 2015 en vue de
l’abrogation de la souffrance des peuples. Malgré tout cet élan de générosité, le
continent africain n’a pu relever le défi d’atteindre les OMD. Seuls 3 des
objectifs furent passablement atteints en 2015 :
§ L’éducation primaire pour tous (OMD2)
§ L’autonomisation des femmes (OMD3)
§ La lutte contre le paludisme, le VIH/SIDA (OMD6)
Encore dans le continent, la faim et l’extrême pauvreté persistent. Elles se sont
même renforcées par endroits. Le chômage atteint des proportions inquiétantes :
15 millions de jeunes Africains arrivent chaque année dans le marché du travail
et peu d’entre eux étrennent leur premier emploi. Selon une enquête afro-
baromètre, dans 34 pays entre 2011 et 2013, le chômage se creuse, bat des
records, la césure entre les couches sociales reste marquante.
Le bilan des OMD pour l’Afrique est très en deçà des attentes comme le
confirme Joseph DEISS, ancien Président de l’Assemblée générale de l’ONU :
« la faim dans le monde concerne 925 millions de personnes ».
500.000 femmes meurent chaque année en couches dans les proportions de 50
au Sud contre 1 au Nord. Un enfant sur 10 en Afrique ne fête pas son cinquième
anniversaire et près de 70 % des analphabètes au sud du Sahara sont des
femmes, plus de 115 millions d’habitants du Sud n’ont pas accès à l’école
fondamentale, 1,2 milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau (courante,
potable) et à l’assainissement.
Semble-t-il que 6 pays seulement en Afrique ont su réduire la pauvreté. Il
s’agit de la Tunisie, de l’Égypte, du Cameroun, de la Gambie, du Sénégal et de
la Guinée. Des pays comme le Ghana, l’Afrique du Sud le Mali, le Niger sont à
10 % en deçà. La pauvreté au même moment s’est accrue en République
centrafricaine, au Nigéria, au Madagascar, en Guinée-Bissau. Le nombre de
personnes vivant avec moins de 1,5 dollar a considérablement augmenté. La part
de la pauvreté de l’Afrique dans l’économie mondiale est passée de 15 % en
1990 à 34 % en 2010.
L’objectif d’atteindre 25 % du PIB comme financement n’est pas atteint. Les
États subsahariens sont caractérisés par une faiblesse de l’épargne intérieure,
environ 17,5 % contre 25,2 % en Asie, 22,3 % en Amérique latine et les
Caraïbes.
– Il faut restaurer l’investissement public, faire revenir l’État au cœur du
dispositif de financement de l’économie.
– L’accroissement de l’investissement public ne nuit pas au développement du
secteur privé, bien au contraire. C’est un stimulateur de croissance. Le FMI qui
soutenait le contraire a beaucoup nui aux pays africains. La hausse des
investissements publics doit être soutenue et maintenue et particulièrement
dans les infrastructures routières, sanitaires, hospitalières, ferroviaires et
maritimes. Il faut mobiliser les ressources internes publiques comme privées
pour s’autofinancer. Le secteur informel ne saurait être en reste. Sa
participation comme acteur de financement de développement est souhaitée.
– L’Afrique doit avoir ses propres institutions de crédits, ses banques de dépôt,
ses banques d’affaires pour appuyer son économie, son fonds monétaire
continental pour accompagner les États et financer les programmes régionaux
d’intégration. Les banques centrales doivent mettre en place une politique
monétaire stimulatrice de l’investissement.
– Il faut mobiliser l’épargne vers l’investissement productif.
– L’économie africaine n’attire pas assez les capitaux privés
Le risque-investissement est très élevé, surévalué même et influence fortement
les décisions d’investissement ou bloque la venue des capitaux.
L’incertitude, l’instabilité politique ou macro-économique, les années
électorales perturbées, l’agitation du front social, les vagues de contestation
populaire contribuent à la surévaluation des risques liés à l’investissement.
Les entreprises africaines ont des soucis d’accès aux crédits pour fonctionner
normalement. La part des financements des entreprises par rapport au PIB est
très faible : 14 % en Algérie, 19 % au Burkina Faso, 15 % au Ghana, 12 % en
Guinée Bissau ou en Zambie.
Le niveau d’intermédiation financière est de 9 % en Afrique subsaharienne
contre 7 % en Amérique latine, 6 % en Asie du Sud, 5 % en Asie de l’Est.
L’investissement devra être accru. Les taux d’investissement de 25 % du PIB
sont très rares en Afrique. Sauf pour l’Algérie, le Botswana, le Cap-Vert, le
Congo-Brazza, la Guinée équatoriale qui a atteint des pics de 68 % entre 1990 et
1999 pour redescendre à 43 % entre 2010 et 2011. Dans beaucoup d’autres pays
du nord et du sud de l’Afrique, il est inférieur à 15 % et parmi ceux-ci des pays
producteurs de pétrole en masse : Nigéria, Libye, Cameroun, Tchad, Angola.
Beaucoup de ces pays dépendent de l’aide au développement pour bon nombre
de leurs investissements.
Pendant ce temps, la démographie croît vertigineusement en Afrique,
renforçant chaque jour qui passe la misère et la pauvreté ambiante. Cela pose le
problème crucial auquel tous les États africains du nord au sud, d’est en ouest
sont confrontés : celui du rapport entre la démographie et le développement
économique ; les stratégies à mettre urgemment en œuvre pour contenir le
doublement annoncé de la population africaine en 2050 ou ses effets, les
problèmes connexes d’infrastructures sociales, physiques, écoles, hôpitaux,
mobilité nationale et transnationale, formation, accès à l’emploi, au logement,
aux soins de santé de base, aux revenus.
À cette échéance fatidique somme toute proche, les Africains auront-ils
apporté la réponse économique adéquate à l’explosion démographique
savamment entretenue avec la complicité des dirigeants passés comme actuels ?
C’est la question, mais le rendez-vous est inéluctable. Aurons-nous transformé
structurellement notre économie, la rendre productive au point d’avoir les outils
nécessaires à la prise en charge effective de toutes les interpellations qui naissent
journellement, s’amoncellent et s’amplifient au fur et à mesure que le compteur
explose. Il est à craindre qu’une démographie trop rapide dans sa croissance
aliène les efforts, fausse les prévisions, bouleverse les plans, les stratégies. Il est
à craindre le renforcement de l’insécurité du banditisme, des trafics en tout genre
et des comportements délictuels au point de compromettre le vivre ensemble.
En Afrique de l’Ouest, par exemple, la démographie est très active, l’endroit
du monde qui croît le plus vite. Des pays comme le Nigéria, le Mali, le Niger, le
Sénégal, la Guinée, ont vu leur population plus que tripler en l’espace de 50 ans.
Le Sénégal passe de près de 3.000.000 d’habitants en 1960 à plus de
13.805.715 habitants en 2015. Les autres pays de la sous-région ont fait des
bonds pareils parfois même plus. Assez pour dire que la démographie est une
préoccupation en Afrique pas seulement dans les 46 pays de l’Afrique
subsaharienne, mais aussi au Maghreb qui croît dans les mêmes proportions.
C’est un phénomène africain, un mal africain. Malheureusement d’ici à peine 15
ans un Africain sur 5 est annoncé en situation de grande pauvreté. Les progrès de
l’Afrique sont annihilés par sa courbe démographique sans cesse évolutive,
explosive, devrais-je dire. Si on tire les dividendes démographiques de cette
expansion, ce sera 10 à 15 % de PIB de gagné, un élargissement considérable du
marché et de la demande à pourvoir. Mais il faudra répondre à la demande de la
jeunesse qui fait 60 % de la population, une cible jeune dont les besoins en
formation et en emploi sont immenses. Il faudra en sus mieux répartir les fruits
de la croissance économique, décentraliser les services et les investissements,
mieux les répartir entre le local, le régional et le national pour plus de pertinence
et d’intégration des populations dans le tissu économique. C’est un constat
presque général en Afrique. 90 % des médecins et structures de santé sont en
ville. Les 3/5 sont installés dans les capitales. Se pose alors un véritable
problème de gouvernance des hommes, des structures et des ressources à l’aune
des besoins immenses à pourvoir.
Selon l’OCDE (Organisation pour la Coopération et le Développement
Économique), en 2015, la croissance économique en Afrique a atteint 5 %, une
belle performance par rapport à l’Asie ; mais rapportée à la démographie, elle est
décevante.
L’accroissement démographique non maitrisé explique grandement la misère
et la lancinante pauvreté du continent. Confrontée à l’équation du
développement, l’Afrique n’a jamais osé trancher, aborder de face le casse-tête
démographique qu’il faut à tout prix maitriser.
La réalité est que cette démographie croît plus vite que l’économie dans toutes
les parties du continent. Toutes pataugent dans les mêmes contraintes des réalités
sociales persistantes. Quand l’Afrique ne peut accomplir les progrès
économiques subséquents pour venir à bout de la demande sociale alors un
regard lucide, un examen minutieux, une analyse froide de la situation
commandent de plus en plus une attitude responsable : agir et surtout vite, car
l’issue est fatale. Je ne crois guère à ces discours complaisants, conformistes,
optimistes et rassurants à souhait qui exaltent les dividendes démographiques à
tirer de cette croissance exponentielle. En réalité aucun pays n’est en passe de
contenir la vague. Elle déborde dans tous les sens et plombe la marche du
continent.
Tous les pays ont les mêmes problèmes sociaux, confrontés qu’ils sont à la
demande d’infrastructures à mettre en place, à la prise en charge des besoins.
Les États ont tous capitulé, failli à leurs obligations. L’éducation n’est pas
assurée, la formation et l’emploi rares, rendus impossibles par une démographie
débridée qui fausse toutes les prévisions.
C’est sans doute tout beau d’enfanter, de donner la vie en nombre, mais
faudrait-il pouvoir nourrir toutes ces bouches qui naissent, les éduquer, les
former, les soigner, bref les socialiser.
Dieu sait qu’on en fait des enfants en Afrique, mais personne n’assure, ni
l’État, ni les parents ou les collectivités tous sont coupables. Ça coûte très cher
de les entretenir et personne n’a les moyens. L’Afrique est à la croisée des
chemins où il faut faire un choix rationnel entre l’économique et le
démographique pour ne pas se compromettre, établir, sereinement
l’interdépendance entre les deux, leurs conditionnalités réciproques. Fataliste à
tout rompre pour laisser faire dame nature ne peut plus être la bonne attitude,
c’est même mesquin, hypocrite et suicidaire. Donner la vie pour ensuite laisser
précariser, périr par la déchéance morale et sociale n’est plus possible. Tout
réside dans la notion de responsabilité qu’il faut savoir prendre quand les seuils
critiques sont dépassés. Le développement n’est pas le désordre. C’est une
volonté, une planification sociale, économique, un arbitrage entre les vœux et les
moyens, le réel et le virtuel ; le choix du possible tout simplement. Va-t-on
continuer à se multiplier sans cesse sans pouvoir nous prendre en charge, nous
nourrir prosaïquement ? Refuser de poser la question de la démographie en
termes de préoccupation est une forme de lâcheté morale, une complaisance
naïve, une attitude suicidaire.
Il y a 36 ans, la Chine était confrontée à ce dilemme : fallait-il continuer à se
démultiplier à l’infini au risque de se compromettre ou fallait-il apprendre à se
compter utilement pour mieux aborder la question de son équilibre ? La Chine
rurale et pauvre, confrontée aux maladies et aux questions du développement a
pris son courage à deux mains pour une décision courageuse qui allait
conditionner son devenir, son expansion économique, son émancipation sociale,
culturelle. La politique de l’enfant unique entre en jeu dès 1979 avec rigueur et
fermeté pour contenir les dérives démographiques aliénantes pour les processus
de transformation économique nécessaire à sa survie et à son rayonnement, de
par le monde.
L’évolution de la Chine me conforte dans l’idée qu’une décision doit être
prise, peut-être pas celle de l’enfant unique, mais une, inspirée par le bon sens et
la raison ; une décision consensuelle et responsable qui engage tous. Ces
ruptures doivent être faites dans nos comportements sociaux. La famille
africaine quintuple la famille occidentale. Les hommes épousent 4 à 5 femmes
sans problème, sans soucis, semble-t-il, autant de familles juxtaposées avec en
moyenne 4 ou 6 enfants par épouse. Les codes de la famille sont très cléments et
favorisent l’anarchie. Aucune valeur culturelle, sociale ou dogme religieux ne
justifie ce comportement face à l’explosion de la démographie.
La Chine nous donne la pédagogie par l’exemple. À nous de nous affirmer
pour forcer les choix qui orientent notre devenir et nous placent définitivement
dans la voie du salut, le mieux-être, le bonheur, la prospérité.
L’Afrique a toujours végété dans le misérabilisme depuis l’accession de ses
États à l’indépendance. Les grandes décisions tardent à se prendre.
À un milliard huit cents millions d’habitants, personne ne pourra plus nous
aider à vivre, à nous éduquer, à nous soigner. Il est peut-être temps d’agir pour
nous prendre en charge, engager la bataille hardie de tous les instants qui incitent
à plus de responsabilité, plus d’entrain, d’ingéniosité et de volonté, un combat
qui sort des sentiers battus, des schémas classiques définis par les mêmes
structures, les mêmes institutions qui toutes ont montré leurs limites, leurs
incompétences avérées.
L’Afrique doit chercher et définir sa voie qui passe par s’extraire des dogmes
et contraintes qui l’accablent. Elle doit identifier ses besoins, mobiliser ses
moyens, s’émanciper de la tutelle, assumer son rôle et son statut dans la
mondialisation de laquelle, elle doit cesser d’être figurante ou simple élément du
décor pour assumer la mission qui doit être la sienne, un espace géographique
riche, très convoité qui impose ses préférences, ses priorités, détermine ses
alliances, librement et participe pleinement sans compromission à l’élaboration
des règles qui gouvernent le monde.
L’indépendance de l’Afrique était vendue comme une ère de mieux-être, de
liberté et d’opulence. Il y avait une grande frénésie, l’agitation était à son
comble, les promesses faisaient leur train, les discours étaient rassurants. Tous
les rêves étaient permis. Les couches sociales adhéraient au verbe des politiques,
l’optimisme était béat. Le futur de l’Afrique s’annonçait radieux. Tout était
suspendu aux décisions des politiques dont les déplacements, les visites et les
discours rassuraient. Au fil des ans, le désenchantement se faisait sentir. Les
recettes étaient minces, les caisses vides. Le colon avait repris ses billes. Les
magiciens du verbe peinaient à répondre aux sollicitations nombreuses des
masses. L’impatience était réelle et le doute s’installait progressivement.
Les États se voient ainsi confrontés à la question du financement de leur
économie qui se pose avec acuité. Les urgences s’amoncellent et des besoins
nouveaux se créent quotidiennement.
Pour prendre en charge ces délicates questions de développement et les
exigences spontanées du contexte, les États africains comme l’ont fait les
Européens dès la fin de la Seconde Guerre mondiale pour la reconstruction,
retournent vers les créanciers multilatéraux que sont la Banque mondiale, le
Fonds monétaire international, les banques commerciales et d’autres organismes
de crédits de par le monde qui financèrent massivement les programmes
présentés.
L’endettement fut le principal levier sur lequel les nouveaux promus ont voulu
s’appuyer pour faire du développement. Les créanciers répondaient à leurs
appels et maintes sollicitations. La mise à disposition était presque simultanée à
la demande. Les accords se concluaient, les capitaux affluaient, la dette
commençait à prendre forme, les taux d’intérêt évoluaient. Rien ne semblait
entamer cette belle trouvaille facile d’accès qui poussait les chefs d’État à
davantage de rêves, de folies et de légèreté dans la gestion des finances. Ils
s’endettaient, mais ne savaient pas dépenser, le gaspillage était courant ; les
dirigeants, pour la plupart cupides et voraces, étaient avides d’argent et de
privilèges.
Les moyens de l’État servaient les desseins personnels macabres. L’essentiel
des crédits était détourné de leur objectif et servait les dépenses farfelues de
fonctionnement. L’appétit était grand, le gouffre à milliards s’élargissait.
En Afrique subsaharienne, l’économie moribonde très rurale procurait peu de
recettes, la fiscalité était faible, seuls les ports pour ceux qui en avaient
procuraient tant soit peu de revenus.
Le recours à la dette eut un effet pervers, le surendettement menaçait et
beaucoup de ces États n’honoraient presque plus leurs engagements auprès des
créanciers qui se montraient de plus en plus exigeants. L’encours de la dette
posait déjà problème. La machine semblait s’enrayer, l’économie à bout de
souffle, s’asphyxie. Le rêve de vite s’industrialiser pour briser le cycle infernal
de l’importation de tous les produits consommés se brise.
Les années 1970 ont été très bouleversantes pour ces économies non
productives endettées aux taux d’intérêt en constante hausse et subissant de plein
fouet les contrecoups du cycle de sécheresse et les répercussions des chocs
pétroliers. Mais rien n’y fait.
Les États africains ont mordu à l’hameçon, pris dans la tourmente de la dette,
leur horizon semblait bouché. L’arrivée de Reagan corse les choses, les taux
d’intérêt s’envolent. C’est l’éclatement de la crise de la dette en 1981 qui les
enfonce tous vers l’abime. « There is no alternative » comme disait Margaret
Thatcher, donnant le ton à une nécessaire mise en place de mécanismes de libre-
échange, une libéralisation outrancière qui va chambouler les économies du Sud
et plus particulièrement d’Afrique.
La crise de la dette de 1981 détermine le FMI à proposer aux pays africains
des mesures de restructuration très appuyées. Une thérapie de choc très
contraignante. Contre le rééchelonnement de la dette et l’octroi de nouveaux
crédits, il faut impérativement passer par les plans d’ajustement structurel
d’inspiration néolibérale dont les grandes lignes se trouvent dans le consensus de
Washington.
Le consensus de Washington pose la problématique du recadrage de
l’économie en vue de son assainissement. Ce faisant, il cible la maîtrise des
déficits budgétaires, l’équilibre des comptes extérieurs, l’augmentation des taux
d’intérêt pour contenir l’inflation, réduire drastiquement les dépenses de l’État
particulièrement dans les services sociaux comme l’éducation et la santé. Nous
verrons sur ce point précis comme sur d’autres qu’en 2016, il n’y a pas de
rupture dans nos rapports avec le FMI et l’orientation de nos politiques, la
continuité est manifeste.
– La dévaluation de la monnaie locale
– La privatisation des entreprises nationales pour réduire la présence de
l’État
– Promouvoir les exportations massives en vue de faire rentrer des devises
– Éliminer les barrières commerciales comme la suppression des taxes sur
les importations
– Ouvrir davantage les marchés intérieurs et éviter tout protectionnisme.
– Éliminer les subventions dans les secteurs de la santé et de l’agriculture
– Déréguler le marché du travail en remettant en cause les acquis sociaux qui
bloquent le progrès
Cette flopée de mesures considérées comme une panacée au développement
n’a jamais varié d’un État à un autre, quels que fussent par ailleurs les
particularismes ou les divergences fondamentales tenant aux réalités
économiques, culturelles, sociales ou même historiques. Apparemment, le
remède est universel et s’applique aux malades du monde et à toutes les
pathologies.
Les causes et les effets sont abordés sous le même angle, uniformément pour
tous les pays. De là, il ne faut pas s’étonner des conséquences désastreuses nées
de l’application des mesures d’ajustement structurel qui ont entrainé le suicide
collectif des États d’Afrique subsaharienne qui ont enduré 21 ans de souffrance,
d’austérité sans commune mesure. Une souffrance vaine imposée aux peuples.
Le rétablissement des équilibres économiques et financiers poursuivi n’a jamais
été atteint dans aucun pays et même hors Afrique comme en témoignent les
anciens pays du bastion communiste qui, dès l’éclatement du mur de Berlin, ont
tous voulu s’émanciper, saper l’air du temps, celle d’une économie libérale de la
finance du « moins d’État » et du « tout privé » se sont retrouvés complètement
désarçonnés sans aucune avancée sur le plan économique.
La richesse escomptée n’a pas suivi la privatisation massive. L’ouverture tous
azimuts, la dérégulation de leurs systèmes économiques, l’après-communisme
n’ont pas été plus bedonnants. La réalité est passée par là pour montrer que le
marché seul ne peut faire le développement. Sans doute le retour au
communisme n’est pas envisagé, mais le tout marché ne fait plus chanter.
Autre lieu, autres problèmes pour toujours les mêmes remèdes concoctés par
les mêmes thérapeutes : le FMI et la Banque mondiale.
La crise asiatique de 1997 qui débute par la crise monétaire consécutive à la
dévaluation du baht (monnaie thaïlandaise) en juillet. Ces pays d’Asie qualifiés
de bons élèves des institutions financières ont payé très cher l’application de
mesures contre-productives. La Thaïlande réputée libérale dans son économie et
ses institutions financières a été durement éprouvée par son aveuglement à
vouloir toujours rester fidèle au tout puissant FMI et à ses recommandations qui
ont failli la mener à la banqueroute.
Il est intéressant de souligner qu’au même moment, la Malaisie de Mahatir a
été sauvée pour avoir eu le réflexe et l’inspiration de prendre le contre-pied du
FMI en rétablissant le contrôle de l’État sur les capitaux et leurs mouvements en
pleine crise ; une décision courageuse, altruiste qui permit au pays de se tirer
d’affaires d’une crise gravissime avec un seuil d’endettement acceptable aux
répercussions sociales et économiques moins aiguës. Une attitude de
responsabilité et de prudence qui allie avec dextérité le marché et les
interventions publiques.
Le pragmatisme de Mohammad Mahatir a été plus payant au point de lui
valoir des finances publiques relativement saines au sortir d’une crise qui a
atteint au-delà des limites asiatiques le Brésil, la Russie et bien d’autres pays.
Paradoxalement d’ailleurs, lors de la crise asiatique, l’Inde, la Chine, la Corée
et la Malaisie, qui avaient refusé les indications de la Banque mondiale et du
FMI, ont été les seuls pays préservés.
L’Argentine aussi a eu sa part de la potion magique. Elle était l’élève la plus
docile de la Banque mondiale et du FMI. Le 1er janvier 2001, Buenos Aires
déclare ouvertement être dans l’incapacité de rembourser l’ardoise de
100 milliards dus au FMI par l’État argentin. Les mesures furent prises comme
la dévaluation du peso jusque-là arrimé au dollar, le blocage des capitaux, le
rationnement des retraits et des paiements, mais le pays finit par s’enfoncer dans
le chaos total. Le président prend la fuite à bord de son hélicoptère, le PIB chute
de plus de 11 %. La précarité s’installe, le peuple gronde, crie sa misère et sa
rage.
Grâce à ses exportations, l’Argentine connait une croissance record au début
du millénaire. Elle profite pleinement de l’embellie du cours des matières
premières. Les cours du maïs et du soja s’envolent, les exportations repartent de
plus belle. Grâce aux taxes sur les exportations, l’État renfloue ses caisses en
tirant plein profit de la dévaluation du Peso. En 2003, l’Argentine profite de
l’embellie des matières premières pour solder anticipativement ses dettes auprès
du FMI et de la Banque mondiale.
La privatisation de l’éducation et de la santé a toujours fait partie des
recommandations du FMI et de la Banque mondiale. Ces institutions imposent
leurs orientations dans le Tiers-monde malgré l’échec retentissant de leurs
formules-miracles qui ont davantage enlisé les populations dans une pauvreté
sans cesse croissante. Elles continuent à asséner leurs vérités farfelues qu’en
matière de santé, les États doivent céder la place aux privés. L’expérience
démontre cette théorie facile.
L’eau, l’éducation, la santé sont ainsi privatisées au prétexte que ce sont des
secteurs non productifs dont l’État doit restreindre les investissements et mieux
se désengager. Or les Africains sont confrontés aux épidémies, aux maladies
longtemps vaincues en Europe. L’Afrique a un énorme déficit technologique, un
défi scientifique à relever comme préalable au développement, l’éducation est
son chemin. « Quand l’éducation et la santé doivent devenir rentables à tout prix,
c’est leur logique même qui disparait. Une telle orientation n’est pas innocente.
Elle est liée à l’accumulation du capital qui domine les grandes décisions du
monde contemporain », s’exprime le prêtre belge François Houtart, membre
fondateur du forum social mondial.
Quand des centaines de milliers de femmes meurent en couches, quand la
mortalité infanto-juvénile bat des records ou quand les épidémies sont aux portes
de l’Afrique : Chikungunya, Ébola, Dysenterie, il est inacceptable que le gain
soit la seule motivation de l’exercice de la médecine.
Le profit à toute fin n’est et ne doit pas être la finalité exclusive de la santé.
Soigner, soulager, délivrer des malades, des femmes enceintes, sauver la vie des
patients, préserver la santé des populations, redonner goût à la vie, voici une
ambition noble, un niveau d’humanisme, un degré d’engagement, d’altruisme et
de sacrifice que la médecine du capital risque d’altérer.
Il sera rendu un hommage mérité au docteur Papa ZOGLOU, un médecin
généraliste de la commune d’IXELLES à Bruxelles, un modèle de bravoure et de
générosité dans l’effort et pour qui la médecine est plus qu’une vocation.
Combien de fois a-t-il accueilli des sans-abris gratuitement dans son cabinet ?
Un homme des causes pour qui, soigner est plus qu’une mission. Des années
durant, il a sillonné les campagnes africaines luttant activement contre les
épidémies et la mortalité infanto-juvénile.
« Le médicament qui guérit tout n’est pas rentable. La recherche sur la santé
humaine ne peut dépendre seulement de la rentabilité économique. Ce qui est
bon pour les dividendes de l’entreprise n’est pas toujours bon pour les gens. Les
firmes pharmaceutiques sont moins intéressées à guérir les gens qu’à gagner de
l’argent. On étudie à peine les maladies du Tiers-monde, car les médicaments
pour les combattre ne seraient pas rentables. Je dis que la santé ne peut pas être
un marché », commente le prix Nobel de médecine 2007 Richard Roberts,
chimiste britannique de renom. Semble-t-il selon le même auteur : « Dans notre
système, les hommes politiques sont de simples employés des grands
capitalistes. Lesquels investissent ce qu’il faut pour que leurs protégés soient
élus. Et s’ils n’y parviennent pas, ils achètent ceux qui ont été élus. »
Malheureusement partout en Afrique sous le prétexte de la couverture maladie
universelle, les systèmes de santé sont privatisés. Les mutuelles mises en place
ne couvrent que les élites intellectuelles et politiques, les fonctionnaires, les
employés de certains secteurs privés. Souvent plus de 80 % de la population n’a
pas accès aux structures de santé. L’éducation n’est pas mieux lotie, les écoles et
instituts de formation fleurissent à tout bout de champ véhiculant des formations
peu adaptées. Les États se plient aux injonctions des institutions de Bretton
Woods, se désengagent progressivement. Étudier ou se former devient un luxe
qui n’est pas à la portée de tous, il faut se le procurer par des moyens
subséquents. Le tout gratuit disparait, il faut posséder du capital pour être pris en
charge. Or toutes les projections indiquent que pour les besoins de son
développement, l’Afrique est confrontée au défi scientifique et technologique,
qu’il lui faut pas moins de 2.500.000 ingénieurs pour prendre en charge son
développement, certainement autant de médecins, de professeurs d’université.
La société du savoir est seul gage de réussite. L’État ne peut se soustraire à cette
obligation de former ses citoyens eu égard aux immenses besoins du monde de
l’entreprise et des secteurs à explorer, à investir.
Le dogme n’a jamais payé. Dans l’approche du développement, la pluralité
des stratégies est indéniable. L’économiste Joseph STIGLIZ, auteur d’un
ouvrage célèbre La grande désillusion, note à cet effet « le FMI et la Banque
mondiale manquent de transparence, sont imprégnés de théories imparfaites et
guidées par les intérêts commerciaux particuliers ».
Au regard de ce qui précède, il apparait clair que les politiques édictées par les
institutions de Bretton Woods et leurs alliés dans le processus de mondialisation
abrupte et aveugle sont inopérantes et contre-productives. Elles ont toutes
montré leurs limites structurelles et même conjoncturelles. Elles prétendent
vouloir appliquer les mêmes remèdes concoctés pour tous les pays du monde,
quels que puissent être leurs réalités économiques souvent différentes, leurs
réalités sociales plus que particulières, leurs déterminismes culturels ou les
fondements sociologiques. À l’échelle du monde, la potion magique semble être
la même en tout lieu et en toutes circonstances. L’esprit du Consensus de
Washington reste le levier fondamental sur lequel s’appuient le FMI, la Banque
mondiale, les institutions de crédits alliées telles les banques commerciales, les
agences de notation toutes acquises à la cause du libéralisme si vanté depuis
Margaret Thatcher ou encore Ronald REAGAN dans sa volonté de conquérir le
monde avec les grandes firmes américaines ; bien avant lui, Harry TRUMAN,
dès 1949, lors de son discours sur l’État de l’Union lance son appel à « monter à
bord du train du développement » demande le démantèlement du
protectionnisme par la levée des restrictions commerciales supposées freiner le
développement.
La financiarisation de l’économie s’est emparée du monde. Le discours
néolibéral est relayé sur le terrain sans discontinuité depuis 1949, sous-tendu par
une grande influence diplomatique, des pressions et des chantages sur les
gouvernements d’Afrique, des Caraïbes, des États latino-américains pour
éprouver leur volonté et les faire céder à la tendance. Le mondialisme a écarté
les peuples de leur destin par des mécanismes de marché qui seuls font
référence.
Les pouvoirs des États et des gouvernements s’amenuisent, se réduisent et
s’estompent. Même consommer un produit ne répond plus à un besoin, une
simple nécessité, mais à une envie imposée par le marché selon des procédés
draconiens de publicité qui envahit les usagers jusque dans leurs ménages, dans
l’enceinte des écoles et des stades de football.
Les États se sont rendus, les entreprises nationales, les simples citoyens, tout
vogue au rythme du libéralisme, des lois du marché. La mondialisation et ses
lois scélérates n’est pas la panacée. La dette des pays du Sud s’accroît sans que
la pauvreté recule. Aucun programme n’a jamais fait florès. Les projections les
plus optimistes ont souvent fini en drame pour les peuples et ceux d’Afrique
particulièrement ont subi les affres de l’ajustement structurel sans discontinuer
depuis 30 à 35 ans. Ils se sont tous embourbés sans issue, sans perspective, sans
espoir de lendemain meilleur. Les mesures de libéralisme sans cesse rabâchées,
réchauffées par les représentants des institutions sur place cachent mal la
poursuite des mêmes programmes dont on a retiré pour l’essentiel que
l’expression « ajustement structurel » honnie du discours officiel. Semble-t-il, la
Banque mondiale et le FMI ne soumettent plus des plans aux gouvernements
d’Afrique, mais les valident.
C’est le cas de « Gabon émergent », « Sénégal émergent », « Cameroun
développement », ou que sais-je encore ! Les acrobaties sont nombreuses, mais
l’équilibre peine à être trouvé. Tout est pareil, rien n’a changé sauf le sentiment
nouveau d’avoir soi-même concocté son propre programme de développement,
posé les jalons comme ils disent fièrement tous ces présidents qui ne vendent
que des chimères aux peuples. Au-delà du discours propagandiste, aucun idéal à
poursuivre sinon que de rester dans les grâces d’une communauté internationale
largement acquise à la cause du libéralisme avec ses valets et ses relais les plus
fidèles qui répandent grâce et disgrâce selon les niveaux de soumission, de
compromission, j’allais dire.
La différence est de niveau, mais c’est la même galère, le même prix pour les
peuples qui ploient sous le lourd fardeau des taux d’intérêt. Nos États ont peu à
peu concédé la légitimité du peuple souverain. Le G7, l’OMC, l’OTAN, le FMI,
la Banque mondiale, l’OCDE mènent la gouvernance mondiale, pas au nom des
peuples, mais d’intérêts de groupes, de cartels. Le monde obéit à leur volonté, au
toit duquel ils régnent en maîtres. Avec le libéralisme, les intérêts des pays
riches du Nord singulièrement se sont déployés massivement en Afrique sans
que celle-ci n’ait les moyens de conquérir leur marché. La concurrence n’est pas
soutenable et quand c’est le cas, les barrières non tarifaires font leur effet.
L’accès au marché du nord est restreint, voire restrictif. Les pays du Nord ont un
sacré avantage sur les pays du sud. Les subventions de l’agriculture n’ont jamais
cessé, faussant la concurrence dès le départ. Malgré la prégnance du discours, les
barrières douanières sont encore infranchissables à bien des égards. Un marché
libéralisé, marché de dupes où les plus naïfs et les plus faibles se font prendre
aux jeux des plus nantis et des plus rusés. Certains paient trois à quatre fois plus
cher le franchissement des barrières tarifaires. Les pauvres s’enfoncent
irrémédiablement dans leur sort quand les riches s’épaississent sans limites,
gagnant de l’appétit à chaque bouchée.
À l’égard des pays pauvres d’Afrique et d’ailleurs, des conditionnalités sont
même agitées pour accéder à l’aide ou au financement ; elles sont toutes de
nature à les compromettre : ouvrir davantage leur marché ; suppression de taxes,
exonération de charges, amnistie fiscale, levée de contraintes environnementales
et des charges portuaires lourdes, allégement des dépôts et consignations
préalables, rabaissement de la responsabilité sociétale des entreprises. Ces
mécanismes de torsion savamment concoctés par les lobbies relayés par les
États, défendus dans les commissions et conseils, vident les Africains de leurs
ressources, s’emparent de leurs marchés, restreignent leurs finances, aident à
suppléer les entreprises publiques dans des domaines longtemps assumés.
Dans la foulée des mesures d’ajustement structurel édictées par le FMI, l’État
du Sénégal devait se séparer de 14 entreprises publiques relativement saines dont
les finances ont été absorbées par un État dépensier qui ponctionnait les recettes
journalières de ses filiales, véritables vaches à lait d’une économie à bout de
souffle. Ces entreprises pour la plupart étaient confiées à des gestionnaires
amateurs qui les avaient reçues en récompense de leur militantisme politique
auprès du Président après sa réélection. Les caisses de l’État se vidaient,
ponctionnées par les échéances de remboursement du service de la dette. Le jour
des calendes, le Sénégal faisait défaut. Les rééchelonnements accordés par le
Club de Paris n’ont pas arrangé les affaires.
Les exigences des institutions de Bretton Woods pesaient sur l’autorité
publique qui s’affale et met leur plan à exécution. Le Sénégal se sépare de ses
entreprises viables, mais mal gérées victimes de l’amateurisme, l’inexpérience
des gestionnaires, de la voracité d’un État acculé par ses créanciers et les
harcèlements farfelus des institutions de crédits.
La SONATEL fut emportée par la vague de 1995 alors qu’elle avait des
finances saines, un effectif pas pléthorique, des dépenses maîtrisées, une
clientèle acquise à sa cause, des bénéfices records, un financement assuré. Les
leviers de cette entreprise nationale qui faisait la fierté des Sénégalais, modèle et
leader dans son domaine étaient impeccables. Rien, strictement rien ne
prédisposait à passer sous capitaux privés, l’engouement suscité par les
investisseurs étrangers qui se bousculaient aux portillons de la SONATEL
prouve à suffisance la viabilité, la rentabilité d’une société dont on n’aurait
jamais dû se séparer. L’État sénégalais aurait juste dû lui laisser davantage de
liberté pour nouer des partenaires, la libérer de son dictat afin qu’elle
s’épanouisse. Mais malheureusement la pire des formules fut retenue contre
l’avis de tous les spécialistes nationaux. L’État du Sénégal conservant les 34 %
des parts d’action, cède 33 % à France Telecom, 10 % aux travailleurs et 23 %
restants à d’autres partenaires, les collectivités, les personnes physiques et les
bailleurs et institutions. Quelques années plus tard, l’État du Sénégal cède les
9 % qui permirent à la France Telecom d’avoir 42 % pour se retrouver
actionnaire majoritaire dans le capital de la SONATEL et d’avoir les coudées
franches pour agir à sa guise, imposer sa politique et sa toute puissante
hégémonie qui ne cesse de croître au point de heurter toutes les sensibilités. Je
rappelle que France Telecom malgré les directives de l’Union européenne ne se
plie guère à sa volonté d’ouverture du capital, au contraire, elle crée Orange, un
label commercial qui est présent dans 21 pays d’Afrique, du monde arabe et
d’ailleurs.
Des études sur les finances européennes entre cartels et nationaux révèlent
« en Europe, l’importance quantitative et qualitative des mutual funds anglo-
saxons est en réalité bien moins évidente que le laissent entendre les discours sur
l’américanisation du vieux continent. Ainsi seule une poignée de « Zins » anglo-
saxons détiennent des participations réellement significatives au capital des
fleurons industriels européens. Les investisseurs de ces trusts en question,
répondant le plus souvent à des impératifs géostratégiques. Notons enfin que la
plupart de ces mêmes investisseurs étrangers ne sont pas en position d’exercer
un quelconque contrôle sur les dirigeants des firmes européennes. Si la part des
investisseurs non résidents au capital des grandes entreprises a augmenté depuis
la moitié des années 80, une étude du commissariat général du plan daté de
2003, a démontré que l’importance des blocs de contrôle et des dynasties
d’affaires nationales est telle que la présence étrangère même importante
n’entraine pas forcement le transfert de propriété. C’est que les participations
obtenues par les investisseurs extérieurs ne dépassent que rarement la barre des
10 %.
Quant aux premiers actionnaires des cents principales compagnies
hexagonales, il s’agit le plus souvent d’un résident 78 % parfois d’un fonds
américain 6 % ou européen 5 %, idem pour les sociétés du CAC40 ou
l’investisseur de tête est dans 70 % français et parfois européen 12,5 % ou
étatsunien en 7,9 %. Même en position de premier investisseur, les Anglo-
Saxons n’ont aucune garantie d’être présents au conseil des firmes dont ils sont
pourtant les premiers propriétaires.
Ce qui est notamment le cas du gestionnaire capital group chez Accor et
Schneider Electric de Franklin ressources chez Valeo Mars Mutual Financial
Technip de Brand investissement chez Matel de SP Morgane Chase Chez
Altadis. En conclusion on peut dire du modèle de gouvernance à la française
qu’il se caractérise par la domination des actionnaires résidents et le rôle
significatifs quoique secondaire qui y jouent les investisseurs étrangers
frontaliers (Belgique, Allemagne, Italie). Quinze lignées d’affaires se partagent
encore en 2005 près de 35 % des parts des entreprises cotées à “EURONEXT
PARIS”. »
La naïveté des autorités a profité aux lobbies étrangers. C’est souvent le cas en
Afrique où tout est bradé sans ménagement aux acquéreurs internationaux qui,
sous le couvert des institutions de Bretton Woods, se sont taillés la part du lion
dans ces vagues de privatisation. Peu de pays en ont échappé, presque aucun en
Afrique subsaharienne où des pans entiers de l’économie sont aux mains des
multinationales étrangères. Tout a été offert sur un plateau d’argent aux
investisseurs à la recherche exclusive de bonnes affaires, celles qui rapportent et
ne coûtent pas cher en termes d’investissement et de fonctionnement, mais
rapportent des rentes insoupçonnées. Dans ce jeu, ils sont maîtres dans l’art de
faire plier les gouvernements africains souvent coachés par les institutions de
crédits.
La société SONATEL sous le label d’Orange Sénégal est présente en Guinée,
au Mali, en Guinée Bissau. Son expansion est extraordinaire avec plus de
8 millions 900 mille abonnés au Sénégal, elle continue de rayonner dans la sous-
région ouest-africaine avec des millions d’abonnés au Mali, en Guinée Conakry
et Bissau. 8 millions d’abonnés consommant 1000 F de crédits par jour fait la
rondelette somme de 8.000.000.000 de francs. L’essentiel des activités
quotidiennes des Sénégalais sont relayées par le téléphone qui est devenu
incontournable dans la vie sociale, économique et culturelle. Un secteur
stratégique à incidence financière immédiate et permanente dans la vie
économique des Sénégalais mérite mieux que son triste sort.
L’enjeu est de taille pour France Telecom. Dans le conseil d’administration de
Orange-Sénégal siègent des personnalités illustres dans le monde de l’entreprise
comme Thierry Breton, ancien ministre français de l’Économie et des Finances
sous Jacques Chirac, un grand nom dans le monde de l’entreprise en France, très
réputé pour son coaching gagnant, son leadership incontesté, son sens des
affaires et son bon flair. Le fameux décret de Maitre Wade infligeant un système
de taxe sur les appels entrants n’a jamais été promulgué du fait de pressions
multiples du gouvernement français, de la société civile, des syndicats de
travailleurs instrumentalisés et de l’UEMOA mise à contribution pour exiger que
Maitre WADE rapporte sa décision sous peine de mesures coercitives. Tous les
États membres furent appelés par l’institution régionale à la rescousse contre le
décret « blasphématoire » de Abdoulaye Wade qui, rappelons-le, était dans son
bon droit de profiter des ressources immenses qui lui passaient sous le nez au
détriment de l’État sénégalais. D’ailleurs la suite des événements lui donnera
raison puisque son successeur était dans les dispositions de faire payer le géant
français, mais s’est heurté farouchement à la résistance guerrière de la
multinationale qui s’arcboute sur ses avantages. Pire encore quand il s’agit
d’explorer le marché régional très juteux qui a permis en 2014 à SONATEL de
faire 60 % de son chiffre d’affaires, France Telecom refuse qu’Orange Sénégal
se positionne encore plus, prétexte fallacieux qui lui permet de rafler les marchés
du Niger et même en perspective celui du Ghana. Depuis qu’elle a raté ICATEL
MALI.
La société cavale en solitaire dans la région pour grappiller des parts dans les
sociétés de téléphonie de l’Afrique de l’Ouest et fait tout pour canaliser les
ardeurs de la SONATEL en quête de débouchés et d’accroissement de son
chiffre d’affaires. Ce qui est grave, voire pernicieux dans cette affaire, c’est que
France Telecom limite notre potentiel d’accès dans notre milieu économique
naturel qu’est la CEDEAO, un milieu qui doit nous profiter pleinement sans
restriction aucune au gré des critères de libre-circulation des capitaux, des biens
et des services. Limiter la SONATEL dans son milieu naturel, c’est l’étouffer
dans son berceau. L’ex-représentant du personnel au Conseil d’administration de
la société Orange-Sénégal ne décolère pas, lui qui déclare : « C’est déjà trop,
qu’il ait 42 % ; nous ne pouvons pas accepter qu’il ait plus… La SONATEL
(Société Nationale des Télécommunications) est un patrimoine national tout
comme France Telecom l’est pour la France. Les Français font exactement
comme Royal Air Maroc avec Air Sénégal International quand il s’agit d’aller
dans les marchés rentables, ils nous court-circuitent, nous concurrencent et ils
vont seuls ; c’est l’exemple du Niger et depuis que ICATEL Mali leur a échappé,
France Telecom a décidé d’aller seule dans la sous-région. Le jour où cette
entreprise aura 52 %, elle va respecter qui ? Quelqu’un que vous ne pouvez pas
arrêter quand il avait 42 %, comment pourriez-vous le contrôler avec 52 % ».
À quelques variantes près, les anciennes colonies d’Afrique noire francophone
subissent le même asservissement, la tutelle économique, l’accaparement des
parts les plus juteuses de leurs économies.
Les séries de vagues d’investissement des années 1990 ont accru la présence
française dans l’économie sénégalaise consolidant son rang de premier
investisseur avec un volume d’investissements directs de 726 millions d’Euros
en 2012. La part des entreprises françaises de droit et de capitaux, des filiales des
grands groupes et des entreprises de droit sénégalais détenues par les
ressortissants français au Sénégal, avoisine les 2000 milliards, soit le quart du
PIB pour à peine 16 000 emplois créés. Elles sont dans tous les secteurs
d’activités, les mines avec le groupe ERAMET dans le Zircon pour 50 % des
parts d’activités, la cimenterie avec SOCOCIM, la société des grands domaines
du Sénégal dans l’agro-industrie, leader dans son domaine. TOTAL comme
premier distributeur de carburant du Sénégal avec 40 % des parts du marché,
dans le tourisme avec ACCOR, Air France, CLUB MED, CORSAIR qui
contrôlent l’essentiel des activités. Dans le secteur de la banque et assurance, on
note la présence de la SGBS, la BICIS, AXA ; le secteur du bâtiment et de la
construction est l’apanage d’EIFFAGE SÉNÉGAL qui règne en maître.
Dans le domaine commercial, le volume des échanges atteint les seuils de
796 millions d’Euros. Les exportations sénégalaises vers la France sont de
l’ordre de 70 à 90 millions d’euros selon les saisons. Ce qui se traduit, bon an
mal an, par un excédent commercial pour la France et un déficit pour le Sénégal
de 616 millions d’Euros.
Lors d’une visite officielle du Président de la République du Sénégal au
Ghana, le Directeur de la SONATEL, M. NDIAYE qui avait négocié et obtenu
une licence dans ce pays pour sa croissance extérieure sonne l’alerte pour ne pas
subir le même sort au Niger ; d’où l’intervention du Président SALL : « Vous
pouvez compter sur moi pour accompagner le groupe SONATEL dans sa
croissance extérieure, je voudrais demander au représentant d’Orange de bien
vouloir transmettre ce message personnel du Président de la République de
permettre l’expansion sous-régionale de la SONATEL dans l’intérêt des deux
groupes ».
L’examen de l’environnement économique du Sénégal, tout comme des États
francophones d’Afrique de l’Ouest comme du centre, révèle une prédominance
des entreprises françaises. En Côte-d’Ivoire, avant la chute de Gbagbo,
l’investissement français avoisinait 35,20 % du PIB ivoirien estimé à
35 milliards de dollars.
Les entreprises présentes en nombre, foisonnent dans tous les secteurs
d’activités économiques avec parfois des monopoles et des exclusivités dans des
secteurs précis, un peu comme celui concédé à la compagnie sucrière sénégalaise
depuis plus de 40 ans sans qu’elle ne parvienne à assurer l’autosuffisance en
sucre définie comme mission principale au soir de la concession. Plus de 35 %
des besoins continuent à être comblés par l’importation du sucre sud-américain
au détriment des commerçants dont c’est la mission. Un chevauchement et un
mélange de rôles qui dérangent. Les importateurs sénégalais clament leur
désarroi et mettent le doigt sur cette injustice qui perdure.
Au Congo Brazza, c’est tout pareil avec ELF. Au Gabon, au Tchad, en
République centrafricaine, au Cameroun, au Togo, au Bénin, ce sont toutes des
économies cadenassées, musclées sous tutelle, entièrement contrôlées par des
bourgeoisies étrangères qui fixent les règles du jeu à l’image d’Orange pour la
téléphonie dans la sous-région africaine. Pendant ce temps, la démographie croît
en Afrique, la famine et la misère sont présentes, la précarité s’installe un peu
partout, tous les jours.
Cela pose le problème réel auquel tous les États africains sont confrontés,
celui du rapport entre la démographie et le développement économique. Les
stratégies à mettre en œuvre pour contenir le doublement annoncé de la
population africaine en 2050 avec tous les problèmes connexes d’infrastructures,
de logement, de prise en charge sociale, d’emploi et de formation.
À cette échéance fatidique, serons-nous armés économiquement, aurons-nous
transformé structurellement notre économie et la rendre productrice au point
d’avoir les outils nécessaires à la prise en charge effective de toutes ces
interpellations qui s’amoncellent. Il est à craindre qu’une démographie trop
rapide dans sa croissance, risque d’aliéner les efforts et créer des
bouleversements importants qui exacerbent le grand banditisme, l’insécurité, les
pratiques délictuelles en tout genre au point de rendre difficile le vivre ensemble.
L’Afrique de l’Ouest compte des pays comme le Sénégal, le Niger, le Mali et
tant d’autres qui ont vu leur population tripler en l’espace de 50 ans, depuis leur
indépendance en 1960. Malheureusement d’ici quinze ans, un Africain sur cinq
sera en situation de grande pauvreté. Les progrès de l’Afrique sont annihilés par
sa démographie sans cesse explosive.
Évidemment, il n’y a pas que des inconvénients si on prend la mesure du
problème.
Si on tire les dividendes démographiques, cette augmentation entrainera 10 à
15 % d’augmentation du produit intérieur brut. Bien sûr il faudra qu’on sache
prendre correctement en charge sa jeunesse estimée à 60 %, par des politiques
d’emploi offensives. Il faudra en sus mieux repartir les fruits de la croissance
économique, décentraliser les services et les investissements au niveau local
pour plus de pertinence et d’intégration des populations dans le tissu
économique des pays.
Un véritable problème de gouvernance des hommes, des structures et des
ressources financières collectées au titre des impôts. Selon la revue du secteur
agricole RCSA, en 2014, 30 % des ménages au Sénégal sont en insécurité
alimentaire sur une population en grande partie rurale à 60 %. Ça fait beaucoup
malgré une décroissance du taux de pauvreté qui, de l’ordre de 50,8 % en 2006,
est descendu à 46,7 % en 2013. Les ménages sénégalais sont en état de précarité
pour 38,5 % avec des seuils critiques à Ziguinchor pour 63 %, Kédougou
(56 %), Kolda (52 %), Fatick (33 %), Kaffrine (32 %), Matam au nord (31 %).
Ce constat appelle un commentaire sur la situation de la Casamance
naturellement région riche qui a un potentiel hydrique, des sols, des végétations,
une foresterie, des terres et des conditions climatiques pour se prendre en charge
et procurer au reste du pays d’immenses ressources alimentaires. C’est dans cette
zone que sont implantés Kolda et Ziguinchor.
Kédougou, malgré d’immenses richesses, l’or de Sabadola et Saraya patauge
dans l’insécurité alimentaire, l’or est pris en charge par des multinationales qui
l’exploitent à satiété contre l’intérêt des populations sans cesse délogées de leur
milieu pour laisser la place aux engins lourds des sociétés minières en terrain
conquis.
Les régions qui semblent se porter mieux telles que Diourbel, Louga, Saint-
Louis, sont celles qui affichent des taux élevés des populations émigrées qui
envoient beaucoup d’argent pour la prise en charge de leurs familles restées au
pays. D’ailleurs partout dans ce pays, tout comme dans la sous-région
occidentale de l’Afrique, 80 % du budget des ménages est consommé dans les
dépenses alimentaires, le principal casse-tête des chefs de ménage.
Selon l’OCDE, en Afrique, la croissance a atteint 5 % en 2015 et autant pour
l’année suivante ; une belle performance par rapport à l’Asie, mais rapportée à la
démographie, elle est décevante. C’est vrai que le continent africain a enregistré
des croissances au cours des dernières décennies suscitant par moment
d’immenses espoirs relayés par des commentaires optimistes sur le rôle qui allait
être le sien dans l’économie mondiale du siècle en cours.
Selon le rapport du CNUCED 2014, le taux annuel moyen de croissance est
porté de 1,8 % au cours de la décennie 1980-1989 à 2,6 % pour la décennie
1990-2000 et à 5,3 % pour la décennie 20002010. Il ressort en outre que 2 pays
(l’Angola, la Guinée équatoriale) ont affiché des taux records de croissance à 2
chiffres. Et 12 pays ont dépassé la barre de 6,1 % de taux moyen des pays en
développement entre 2000 et 2010.
Comme dit précédemment, ces taux alléchants de croissance n’altèrent pas les
problèmes récurrents de la grande majorité des pays, des problèmes réels de
sous-développement, le chômage chronique des seniors, mais aussi des jeunes en
âge de travailler souvent bardés de diplômes qui guettent le moindre stage. On
estime à 15 millions le nombre de jeunes qui arrivent chaque année sur le
marché du travail. La pauvreté persiste et se creuse renforçant ainsi les inégalités
criardes.
Condamner l’idéologie libre-échangiste ne réglera pas le problème. Le constat
est fait par tous et partout de sa nocivité. Ses limites et contours sont cernés.
L’humanité est desservie par les pratiques décriées par toutes les civilisations.
L’enrichissement d’une caste, d’une classe, d’une bourgeoisie régnante, d’une
oligarchie dont la bonne santé financière est nourrie par l’accaparement des
richesses indûment glanées çà et là sur des contrées asservies, ruinées par les
obus, vidées de leurs occupants par la puissance de feu des mitraillettes, au
mépris des larmes et des souffrances atroces des peuples bâillonnés par des
tyrans inassouvis, prêts à pactiser avec le diable pour leur fauteuil de président,
de député, de ministre, de conseiller. Des diplomates d’Afrique zélés parcourent
le monde pour parapher des accords qui troublent la quiétude des populations
pour ne point parler de bonheur.
Les marchés régulent la vie des citoyens, des entreprises et des
gouvernements, ils déterminent la demande et l’offre. Les marchés s’imposent à
tous : citoyens, entreprises, États et imposent leurs lois, leurs modes de
fonctionnement. Les États sont conviés à un service minimum, avec moins de
présence et peu ou pas de lois contraignantes qui compromettent la demande ou
limitent l’offre du public. Ils sont supposés s’autoréguler.
– Le secteur privé est rentable, il faut que l’État fasse place pour plus de
cohérence et d’efficacité.
– Le libre échangisme est censé créer de l’emploi et beaucoup d’emplois,
offrir des perspectives réelles à l’économie de marché, favoriser une croissance
durable, seul gage de prospérité pour les peuples et leur gouvernement qui,
désormais, se remettent à la seule loi du marché.
– Les dépenses publiques doivent être réduites au strict minimum pour la
santé, la sécurité, l’éducation. L’efficacité et l’ingéniosité du secteur privé feront
le reste par l’entremise de ses têtes bien pensantes. Ses banquiers, ses financiers
et techniciens talentueux par la magie de leurs mots feront la différence. Une
grande offensive est menée contre l’État providence et le modèle social odieux
qui taxe les riches et les grandes entreprises.
– Les populations et les pauvres sont méprisés « taxés de simples assistés ».
Le capital est chéri par l’idéologie néolibérale qui considère qu’il est le seul
créateur de richesse, tout le reste, les travailleurs, le milieu ne comptent que
comme simple accessoire : « seuls les actionnaires et les cadres dirigeants sont
créateurs de valeurs ». Quand huit personnes détiennent autant que trois
milliards cinq cents millions de personnes, le système globalisé mérite d’être
repensé.
Le multilatéralisme perçu comme une volonté d’aboutir à une démocratie
internationale qui instaure un ordre social reconnu et accepté par tous les acteurs,
consacrant l’égalité entre tous les États doit être plébiscité à la place d’une
multipolarité qui renvoie à la domination de tous par des pôles de puissances qui
s’épaulent et se soutiennent dans le seul but d’imposer leur ordre dominant
sectaire et partisan.
La réponse à apporter à la mondialisation n’est pas un simple rejet formel,
bien au-delà, c’est d’une réelle volonté d’émancipation sociale, économique,
commerciale et culturelle que ces peuples ont besoin. S’affranchir de toutes ces
dominations longtemps bâties sur la tromperie, le chantage, la manipulation et la
corruption.
Un continent dont l’essentiel de l’économie lui échappe ne peut prospérer. Les
chaines sont inextricables. L’Afrique est un continent cerné qui perd le contrôle
de ses richesses physiques, qui s’aliène sous le joug d’organismes au service du
néolibéralisme outrageant et ravageur. L’Afrique a la réponse à la
mondialisation. Elle a les moyens d’être actrice et non pâle figurante. Elle ne
doit pas subir, elle doit agir, être plus conquérante, plus agressive, plus exigeante
pour commercer avec les autres sans s’altérer, se nier, se compromettre, sans
hypothéquer l’avenir de sa jeunesse entreprenante, mais meurtrie et dépourvue
de tout, même du peu d’espoir qui la maintient encore en vie. Il lui faudra à tout
prix reconquérir son marché, ses infinies richesses hypothéquées aux mains des
autres, s’extirper des griffes des institutions de compromission qui l’ont vidée
depuis des décennies, s’affranchir des législations contraignantes et taillées sur
mesure pour les riches d’ailleurs et du monde, s’intégrer, se renforcer, jouer
communautaire et unie.
CHAPITRE V

L’AFRIQUE POLITIQUE

« La plus grande difficulté que nous avons rencontrée, est celle qui est constituée par l’esprit de
néo-colonisé. Nous avons été colonisés par un pays, par la France qui nous a donné certaines
habitudes. Et pour nous, réussir dans la vie, avoir le bonheur, c’est essayer de vivre comme en
France, comme le plus riche des Français », affirme Thomas Sankara

Gouvernance africaine entre maladresse,


favoritisme et culte de l’ego
Pour le météore Paul Kagamé, « Le Rwanda est une démocratie, pas une
monarchie. Mon successeur ce seront les Rwandais qui le choisiront, pas moi.
Ceux qui me reprochent cela au nom de la démocratie sont en totale
contradiction avec eux-mêmes. S’en rendent-ils seulement comptent ? Ce qui
m’intéresse, ce n’est pas de faire émerger un individu, mais de faire émerger un
peuple et un pays. C’est de ce peuple que viendra la femme ou l’homme qui me
succédera parce qu’elle ou il en aura les capacités reconnues aux yeux de tous.
Ne me demandez pas qui, je l’ignore ». Pour ses détracteurs qui évoquent
souvent sa puissance, son autorité, il répond ironique dans une interview
accordée à l’hebdomadaire Jeune Afrique : « Je suppose qu’en parlant d’hommes
forts, Barack Obama visait les dictateurs et non les leaders forts. Un leader fort
n’est pas nécessairement un mauvais leader. Et mieux vaut un leader fort qu’un
leader faible aux États-Unis comme au Rwanda. En ce qui me concerne, je ne
sais pas où nous en serions aujourd’hui si une direction faible avait, il y a vingt-
deux ans, pris le pouvoir dans ce pays. Au chaos aurait succédé le néant ».
Dans ses relations avec le pouvoir, sa longévité politique, il rassure,
« L’efficacité d’un Président en début de mandat se mesure à sa capacité de
décider de tout et de tout contrôler. Puis une fois les institutions mises en place
et les responsabilités déléguées, le leader devient une référence, un arbitre, un
symbole et un agrégateur de la nation. C’est là que réside désormais son
efficacité. Le problème est de savoir reconnaître le moment où la longévité
devient contre-productive. Si le Chef ne s’en rend pas compte de lui-même, le
peuple saura le lui dire. C’est lui qui fixe le moment, en aucun cas, les
puissances étrangères ».
Oui à l’Afrique qui gagne, car l’attente a été longue et difficile pour les
peuples d’Afrique qui continuent encore et toujours dans la souffrance. Les
perspectives sont souvent sombres nonobstant ces quelques exemples de réussite
qui motivent et galvanisent, qui excitent les passions et cristallisent des fiertés.
Les peuples sont friands de conquêtes et de victoires, le chantier est vaste, le
laxisme patent, l’égoïsme forcené et l’hypocrisie manifeste par endroits, tout
prédit le chaos, la faim, la misère grande et troublante, l’illettrisme est un champ
vaste à affronter, les menaces sont internes comme externes.
L’Afrique, terre de toutes les convoitises, n’est pas de tout repos, sa trop
grande richesse attire, mais ses peuples restent aigris par la naïveté et la cupidité
lancinante de ses dirigeants qui sont une partie du problème et pas la solution
dans bien des cas. La corruption est l’une des causes essentielles du mal
développement de l’Afrique. Tous les efforts des masses laborieuses sont
annihilés par la corruption incestueuse des gouvernants qui sont mus par les
intérêts et privilèges personnels. On en a essayé par centaines, mais ils se valent
presque au change pour la plupart.
Le bilan du cinquantenaire des indépendances est très modeste, gênant par
endroits où les gens meurent de faim, débroussaillent les champs à la main, les
enfants en âge de scolarité trainent encore dans les rues faute d’écoles, faute de
classes, de maîtres, de budgets, certainement de volonté pour faire simple. Et
pourtant les taux d’achèvement scolaire sont les plus bas au monde.
L’analphabétisme touche plus de 51 %. Les dirigeants confortablement installés
s’enrichissant à tour de bras, brassent des milliards à chaque concession minière
ou gros marchés sur la commande publique.
Tout est vendu, bradé au nez et à la barbe des peuples fatalistes à souhait et
consentants, prêts à collaborer, participant de facto au supplice infligé par leurs
geôliers. La duperie a trop duré sans grande originalité sous-tendue par une
parfaite naïveté.
La corruption s’élève au rang de fléau continental en Afrique. Elle est à toutes
les sphères du pouvoir : Président, ministres, directeurs de cabinet, chefs de
service, directeurs d’agence, députés, policiers, douaniers, gendarmes, simples
citoyens ; elle investit tous les domaines et fait des ravages terribles sur les
deniers publics. Elle n’est plus un simple phénomène, mais une culture qui sévit,
qui tente, qui s’éternise avec ses procédés et ses codes sous des déclinaisons
diverses de plus en plus sophistiquées selon les niveaux, mais parfois banales,
classiques, perceptibles par tous. C’est de grands décideurs publics qui
perçoivent des rentes sur les contrats signés, sur l’attribution des marchés ; c’est
de petits fonctionnaires qui mouillent sur la délivrance du service ; c’est aussi un
gendarme ou un simple policier sur la circulation qui se livre à son exercice
favori. Le mal est profond et ronge toute la société, la culture est fort répandue.
L’être humain semble avoir perdu sa fierté, son scrupule et sa dignité.
L’argent est seul roi, tous les moyens sont bons pour s’enrichir. La morale n’a
plus de prise sur les humains d’ici. Les moralistes, les prêcheurs de l’orthodoxie
sont jugés ringards. La société a fait sa mue, les valeurs sont devenues caduques
et sans intérêt. L’instinct de survie ou le besoin d’apparaitre socialement fait
chavirer les clichés et les codes de probité. Être prude ne rime plus à rien.
L’idéal est dans la réussite matérielle, le reste n’est qu’abstraction et perte de
temps. L’environnement n’aide pas à la remise en cause de cette philosophie
macabre. Un monde de concurrence, une société où les gens se copient, s’épient,
se jalousent, se mesurent. La réussite semble ne s’apprécier que par
l’accumulation des biens matériels, les fonciers, les villas de luxe, les belles
voitures, les vacances onéreuses, les libéralités ; tout concourt à se montrer, se
faire voir, entendre et respecter. La société humaine africaine a perdu ses codes
et ses repères. Les références collectives n’éduquent plus, n’inspirent que du
regret et pourtant il y a un réel besoin de mettre fin au désordre social.
Le problème africain n’est pas économique, il est social et moral. L’absence
de repère et de valeurs déconstruit la société. En Afrique tous ceux qui ont des
responsabilités, qui gèrent des crédits ou ont une influence, en profitent le plus
souvent pour s’enrichir. Cela n’émeut plus, c’est même béni « si tu ne le fais pas,
d’autres le feront à ta place. Sois moins naïf, c’est ta chance… demain sans
doute un autre te succédera, en profitera sûrement avec les siens, tu n’es pas plus
croyant que les autres, c’est ça l’Afrique ». Voilà une mentalité individualiste
qui prédispose à tout, même aux pires ignominies.
Les sociétés humaines ont depuis l’avènement des religions révélées, épousé
la morale comme principe de régulation sociale, la foi aidant. Le coran, la bible,
la thora ont tous condamné les comportements déviants « Tu ne tueras point, tu
ne voleras point… ».
La morale, on l’a par conséquent soit par ses convictions religieuses, soit par
son éducation qui émane de la société, de la famille et même de l’école. Or si la
société est défaillante, malade de ses travers, incite à davantage de libertinage, si
la foi n’est plus un frein, une garantie morale, il ne reste que la loi pour imposer
une morale aux sociétés humaines, appliquer et faire respecter la loi légiférée par
le peuple.
À coup sûr, la lutte contre la corruption ne passe que par la fermeté et
l’application des lois et règlements en vigueur dans la société. Malheureusement
la défaillance est grande, le laxisme partout présent. Les lois en Afrique se
négocient toutes, on achète le silence, la complaisance, le favoritisme. Or quand
une loi est négociée, elle perd son caractère répressif. Du coup, elle n’est plus
crainte et conséquemment elle ne dissuade plus. C’est le problème majeur de la
lutte contre la corruption an Afrique.
À côté de la petite et moyenne corruption généralisée, il y a la corruption des
V.I.P (Very Important Persons) : les chefs d’État, chefs de gouvernement avec
leur dynastie, leurs lobbies, qui s’arrogent tous les droits sur les deniers publics,
une fois au pouvoir. Le pouvoir est synonyme de réussite pour les dirigeants et
leurs clans : « c’est la fin des soucis d’argent », comme dirait l’autre après la
passation du pouvoir, exprimant ainsi une réalité profonde, une conviction
partagée sans remords.
La brigade financière de la cellule anti-blanchiment de Bercy TRACFIN a
enquêté sur les avoirs de quelques familles présidentielles ou dynasties régnantes
en Afrique. Les conclusions sont accablantes, les révélations heurtent la
conscience d’un homme ordinaire. Dans le cadre des instructions sur les dossiers
de biens présumés mal acquis par des chefs d’État ou leurs entourages, les juges
Robert le Loire et René GRUMAN épaulés par la brigade financière ont saisi
une villa et un appartement à Paris d’une valeur marchande de 7 millions d’euros
appartenant à Wilfred NGUESS, neveu du Président Sassou NGUESSO. Des
biens entièrement remis à neuf avec l’argent des contribuables congolais de
Brazza pour un peu moins de 4 millions d’euros. S’ajoute à cette belle moisson,
neuf voitures de luxe haut de gamme. Chose insolite, des vêtements pour une
facture totale de un million et demi d’euros. Fouinant dans les banques de la
place, TRACFIN mettra à jour plus de 100 comptes appartenant à la famille
NGUESSO et des villas en nombre impressionnant.
Dans le clan de la famille du Président équato-guinéen Obiang NGUEMA, le
fils est propriétaire d’un hôtel de 101 chambres à Paris, des tableaux d’art d’une
valeur marchande de 10 millions d’euros, des porches, des Ferrari, des Maserati,
toutes des marques de prestige. Ces pratiques délictuelles sont couvertes par une
société nationale de bois dans l’industrie forestière SOMAGUI FORESTAL, une
pratique répugnante.
Le clan Bongo de Omar bat les records. Le journal parisien révèle qu’« entre
décembre 2008 et octobre 2009, un compte de Christian Bono, le frère d’Ali a
été crédité de 340 252 euros à travers des virements de la compagnie de bois et
de la trésorerie de la banque gabonaise de développement. Sur la même période,
les enquêteurs de TRACFIN ont relevé 357 205 euros de débit d’achat personnel
auprès de la FNAC, d’Armanie Exchange, de Bel Bridge JEWEL, d’Expedia et
d’hôtels prestigieux en France, en Espagne, aux États-Unis, au Japon.
Entre avril 2010 et avril 2011, les dépenses effectuées par Sylvie Bongo avec
ses cartes centurion se sont élevées à 926 000 euros, dont 144 000 chez
ERMEST, 132 000 CHEZ VAN CLIFF. Entre avril 2010 et avril 2011, la sœur
d’Ali a dépensé 1 037 500 euros chez des bijoutiers, des grands couturiers, pour
des billets d’avion et des hôtels de luxe ».
Voilà dit le spectacle farfelu auquel sont destinés les biens des peuples
d’Afrique qui attendent dans la lassitude et le désespoir, routes, hôpitaux, écoles,
pistes rurales, des soins appropriés, des emplois pour les jeunes, un juste
ramassage des ordures, du matériel didactique pour les petites classes, parfois
même un ou deux pots de peinture pour refaire le tableau noir.
Prenant beaucoup de libertés par rapport aux deniers publics, les dirigeants et
leurs entourages finissent par faire des folies.
Au Sénégal, à la fin des élections de mai 2012 qui consacrent la deuxième
alternance, la traque des biens supposés mal acquis était même un thème de
campagne qui séduisait le peuple durement éprouvé et excédé par les dérives
mafieuses du pouvoir et clan Wade avec tout ce qu’il comportait d’alliés, de
lobbies, de dignitaires coutumiers, maraboutiques, de personnalités politiques,
industrielles, de courtisans et de coaches privés acquis à la cause et aux services
du clan pourvoyeur de biens et dispensateur de privilèges et de fortunes. Les
libéralités consenties étaient excessives et l’enrichissement rapide et sans cause,
le tout dans un climat délétère d’apparat, de snobisme et de mondanités sans
scrupule ou le moindre égard.
Après le 25 mars 2012, Macky Sall est élu président du Sénégal avec pour
ambition de lutter contre la corruption, de traquer les biens supposés mal acquis.
En plus de Karim Wade comme tête de file, 25 personnalités du régime de
Wade, ministres, directeurs de société, gestionnaires, chefs d’Agence furent
mises en examen et placées sous contrôle judiciaire avec interdiction de sortir du
territoire. Mais hélas, au terme de moult agitations judiciaires, d’une saga
ininterrompue proche d’une pièce de Molière, seul le fils de Wade perd, Karim
fut condamné à 6 ans de prison assortis d’un remboursement de plus de
120 milliards de francs CFA. Les autres se sont peu à peu glissés dans le camp
présidentiel, changeant de compagnons, d’orientation politique et de parti pour
se laisser couver par l’infinie bonté du prince. La traque fut vite enterrée. Il y en
aura même une de ces 25 personnalités qui sera du voyage présidentiel en
Guinée-Conakry, bravant l’interdiction de sortir du territoire ordonné par le juge.
D’ailleurs la tragi-comédie sera jouée comme acte final de la traque avec la
libération de Karim Wade par grâce présidentielle qualifiée de « DEAL » par les
opposants politiques et la presse critique. Une libération à 2 heures du matin,
avec levée d’écrou à la passerelle de l’avion qatari venu le récupérer avec à son
bord le procureur du Qatar et sa délégation restreinte. Du jamais vu, un fait pas
ordinaire du tout, un épisode gravissime, sans précédent dans la plus grande
opacité, un marchandage diplomatique, ç’en est fini de la traque. Le procureur et
les juges sont en vacances prolongées jusqu’à nouvel ordre. Les audiences et les
inculpations suspendues à jamais ; faisant plus de pertes que de profits pour le
contribuable sénégalais lassé par les débauches de propagande et de
communication sans résultat ni le moindre sou de collecté, au titre de cette
traque ; un encouragement à la prévarication, un blanc-seing pour les magouilles
et les malversations grand format, une bénédiction au vol massif des deniers
publics ; un coup tordu pour le peuple en souffrance continue et sans interruption
depuis le premier jour de son indépendance.
Pour revenir sur la famille Bongo, en 2007, TRACFIN a identifié 23 milliards
de francs CFA à Monaco pour la famille, 39 villas et 70 comptes. La société
Delta Synergie, propriété de feu Bongo père, est actionnaire dans les grandes
sociétés gabonaises qui font fortune : PETRO GABON, CAMILOG, SONU
VAB, KOMO OGAR. L’héritage laissé par feu Omar Bongo est estimé à
quelque 300 milliards de francs CFA.
Ailleurs en Tunisie, Ben Ali poursuivi pour 50 milliards d’Euros gagnera son
procès pour vice de forme, assorti de réparation. Le président Ibrahima B. Keita
du Mali est cité de connivence avec Michel Tomi, parrain corse, dans une
histoire d’achat d’avion présidentiel à 18,9 milliards avec des forts soupçons de
corruption. En tout cas sa famille est impliquée dans la gestion, de même que la
famille de Idriss Deby Itno et pour faire juste, de toutes les familles
présidentielles en Afrique, un mélange saugrenu de genres et d’intérêts privés,
publics, d’influences et de trafics, d’autorité et de privilèges.
Malheureusement la trop grande corruption va avec son corollaire, l’échec de
l’Afrique politique par négligence coupable, par défaut d’ambition, par manque
de prévoyance. Une Afrique qui craquelle et se désagrège de toutes parts, les
tensions jaillissent de partout, un spectacle frénétique de manipulations, de
soulèvements, de répressions, de luttes de pouvoir, de révisons constitutionnelles
sans fin pour convenance personnelle, motivées par une envie folle de mourir
vieux au pouvoir contre la volonté des peuples.
L’Afrique centrale ravit la palme au reste du continent. Elle reste arc-boutée
dans ses archaïsmes, ses fantasmes et ses incohérences au mépris de la
démocratie et des valeurs universelles auxquelles l’humanité n’a cessé d’aspirer.
Elle est par essence la terre des dictateurs rompus à la pratique, des tyrans
sanguinaires assoiffés de privilèges, de fortunes personnelles, de pouvoir et de
privilège familial et clanique. Leur longévité inquiétante est source croissante
d’instabilité, de remous politiques et de lourds handicaps au bonheur des
peuples.
Ils s’appellent Idriss DEBY, pour 26 ans à la tête du Tchad, Paul Biya pour 34
ans, depuis qu’il a succédé à Amadou AHIDJO empêché, Denis Sassou
NGUESSO, 32 ans au pouvoir, retouche la constitution pour un mandat de trop.
Revenu au pouvoir en 1979, il a fait un passage en force, bravant tous les
interdits pour se présenter à sa succession, violant la constitution qui limitait les
mandats à 3. L’opposition a contesté et sa candidature et sa réélection à 60 % des
suffrages au premier tour. Elle fut matée et réduite au silence, sans pitié ni
ménagement. Il ne semble pas prêt de s’arrêter, sauf à être proclamé empereur
comme Bokassa, il l’est de fait.
Obiang Nguema MBASOGO est réélu à 93,7 % des suffrages aux élections
présidentielles d’avril 2016. Un score, pas à la portée des prophètes et du messie
malgré la mission divine qu’ils avaient. Il est au pouvoir depuis 1979, un règne
de monarque. À 73 ans, il manœuvre pour laisser la succession à son fils
Théodore Obiang Nguema, actuel vice-président, insolite !
Quant à Idriss Deby ITNO, il a été réélu à 61,3 % au premier tour dans la
contestation générale des partis politiques et de la société civile, il rempile et se
voit éternel, il se prend pour un prophète tout désigné pour s’occuper du Tchad.
À la tête d’un pays exsangue, il se voit contraint de repousser les élections
législatives en 2020, faute d’argent.
Ali BONGO, successeur de son père Omar, sera à son tour réélu dans la
contestation générale. Il jouit de son héritage. La République de Papa lui profite
pleinement.
La zone CEMAC (Communauté économique de l’Afrique centrale) et
monétaire regorge de tyrans, oppresseurs sans grande ambition pour leurs
peuples.
On voit donc que c’est une Afrique politique trop timorée où les rapports entre
opposition et majorité se résument au triptyque : haine-défiance-répression. Une
majorité ultra-puissante disposant de tous les moyens de l’État pour soumettre,
réprimer, bâillonner une opposition qui n’a d’yeux que le pouvoir. Chacun
jouant sa ruse sous le couvert de l’intérêt général. Le tout dans un véritable
climat d’adversité.
Aucun statut n’est reconnu à l’opposition, la majorité règne sans partage usant
de toutes les formules : intimidations, débauchages systématiques, achats de
conscience. La stratégie politique africaine s’accommode bien de la formule
martiale de Georges W. Bush : « Tous ceux qui ne sont pas avec moi, sont contre
moi »
Un Président de la République :
« À la tête de l’État, il est missionné par le pays tout entier […] Il est surtout garant de la loyauté de
la démocratie du pays. Au nom du pays tout entier, il garantit par son action qu’on peut faire
confiance aux institutions. Il doit donc être un bloc d’indépendance à l’égard de tous les lobbies, de
tous les réseaux, de tous ceux qui cherchent à confisquer le pouvoir à leur profit », affirme François
Bayrou dans État d’urgence 2012.
CHAPITRE VI

AFFAIRES HABRÉ :
ENTRE RIDICULE, PARODIE ET TRAGI-COMÉDIE

Un verdict sur commande


Le lundi 30 mai 2016 au terme de deux longs mois d’audiences interminables
et de plaidoiries sans fin, le verdict du procès de l’ancien Président du TCHAD
Hissène Habré tombe implacable : une condamnation à la réclusion criminelle à
perpétuité assortie de la confiscation de tous ses biens. Sans doute un simulacre
de procès qui consacre la capitulation du continent africain et sa déchéance
morale. C’est plus qu’une infamie, les petits bras, les nègres de services, les
alliés et les obligés de la Françafrique viennent d’asséner un coup tordu à
l’Afrique, à son peuple, à son histoire et à l’ensemble des souverainistes qui se
battent pour l’émancipation du continent, sa libération des forces obscures et
occultes qui ne cessent de briser son élan, de saper son développement et de
compromettre son autonomie tant rêvée.
Ce procès, c’est le procès de la honte, de la « servitude volontaire » pour
reprendre les mots de Mme Raymond Habré, épouse de son Excellence,
Monsieur Hissène Habré.
L’Afrique meurtrie vient à nouveau d’être violentée, violée. Ses propres fils
ont servi de « collabos » pour faire le boulot à la place des comploteurs. Une
myriade de traitres, de « vendus », d’hypocrites, de renégats, d’activistes, de
pouvoiristes invétérés, tous à la solde des imposteurs tapis dans l’ombre, tirant
les ficelles, s’est distinguée dans la plus parfaite désinvolture et l’abjecte
compromission.
Les guignols de la justice africaine viennent de livrer un verdict contestable et
contesté, une volonté décidée de longue date pour laver l’affront subi par les
détracteurs de Hissène Habré qui n’ont jamais désarmé dans leur volonté de le
pendre à un croc de boucher.
Les chancelleries occidentales persiflent. Les plateaux de télévision sont
envahis par des droits-de-l’hommistes mal inspirés, vivant aux crochets des
bailleurs de fonds ; conquérants on les sent très en verve, ils exultent et
déversent toute la haine du monde sur Habré. Des critiques orientées, mal
intentionnées, acerbes, subjectives par essence, mues par la seule volonté de
détruire l’homme et l’image vivace qui lui colle de résistant hors pair, un
combattant adossé à ses principes et ses valeurs, n’ayant entre autres objectifs
que la délivrance de son peuple des geôles de l’impérialisme, de la dépendance,
de l’aliénation économique et culturelle. Un homme debout marchand à fière
allure vers la libération de son peuple, de son pays victime injustement de
partition. Un soldat économique à cheval sur ses convictions, animé par de
grands idéaux pour ne point céder au chantage des cruels maîtres chanteurs qui
ne lorgnaient que le pétrole et les ressources minérales du Tchad qui attiraient
les multinationales et les puissances étrangères.
Il a osé défier la toute puissante Françafrique, une entreprise coloniale version
relookée de la domination passée, soumettant tous les chefs d’État des anciennes
colonies particulièrement ceux de la CEMAC (Communauté économique et
monétaire de l’Afrique centrale), de l’UEMOA (Union économique et monétaire
ouest-africaine) et quelques autres entités de l’océan Indien, des Comores
jusqu’à l’ile Maurice.
Ces pays de l’ex-Afrique-Occidentale française et centrale dont les économies
56 ans après les indépendances restent tributaires de la volonté des
multinationales de l’ancienne métropole qui torpillent toutes les initiatives de
liberté et de développement. L’entreprise coloniale de la Françafrique a de beaux
jours devant elle.
Le juge Gberdao Gustave KHAM finit la lecture du long arrêt rendu par les
chambres africaines extraordinaires qui avaient la lourde et historique
responsabilité de juger Hissène Habré, ex-Président de la République unie du
Tchad de 1982 à 1990. Une bonne heure a suffi au magistrat pour confirmer le
réquisitoire du procureur des chambres africaines extraordinaires taillées sur
mesure pour servir de purgatoire à Habré. Une condamnation à perpétuité.
L’avis du ministère public vient d’être suivi par le parquet spécial.
Habré vient d’être condamné pour les chefs d’accusation de viol, de crimes
sexuels, d’enlèvement de séquestration, de disparition de personnes, de torture et
d’esclavage.
Un verdict qui ne le perturbe guère. Il se montre impassible, digne et éloquent
dans son silence qui ne communique que du dégoût, du mépris qu’il a envers les
justiciers qui travestissent l’histoire et la cause africaine : une Afrique soudée et
prospère, mue par le même idéal de développement avant-gardiste du combat
pour son unité et son intégration pour une prospérité partagée.
Une Afrique qui affronte les défis traite d’égal à égal avec le monde sans se
renier, se compromettre, sans se voûter aux moindres injonctions des forces
étrangères. Une Afrique du travail et de la liberté retrouvée, qui a sa philosophie
du bien-être, conçoit ses plans de développement, définit ses stratégies et
moyens à mettre en œuvre, avec vaillance et abnégation pour sortir des pentes
abruptes du sous-développement et son cortège de tracasseries. Le silence de
Habré est très communicatif sur sa conviction d’un verdict écrit avant
l’ouverture de l’instruction, des audiences, des plaidoiries et des réquisitoires.
Le Président des Chambres africaines évoque « Hissène Habré avait un
contrôle strict sur la direction de la documentation et de la sécurité (DDS) et sur
la brigade spéciale d’intervention et de renseignement ». Une position qui, selon
monsieur Khan, le juge burkinabé, suffit à établir sa culpabilité.
Mme Jacqueline MONDEINA, Présidente du groupe des avocats des parties
civiles venues du Tchad se montre très prolixe à l’énoncé du verdict affichant un
sourire au coin.
Les partisans d’Hissène Habré, dépités, lancent « Vive l’Afrique, à bas la
Françafrique », leur mentor enfermé depuis 03 ans provisoirement à la prison du
Cap Manuel à Dakar risque d’y retourner pour une durée indéterminée.
Après l’énoncé du verdict, trois commentaires attirent notre attention : d’abord
celui de l’avocat sénégalais des victimes, très euphorique qui déclare
« Aujourd’hui, les victimes peuvent crier victoire et non pas vengeance, les
victimes savent désormais qui est le coupable et le bourreau de tout ce qui leur
est arrivé. Mais au-delà des victimes, c’est l’Afrique tout entière qui marche
lentement, sûrement et obstinément vers le combat pour l’éradication de
l’impunité ».
Pour notre part, nous n’avons jamais la certitude que Hissène Habré est
l’auteur des faits qui lui sont incriminés. La démonstration par la preuve n’est
pas faite. Aucun témoin à décharge n’a été entendu. Parmi les absents qui
pouvaient faire la lumière du procès, Idriss Deby, président actuel du Tchad,
ancien Chef de sécurité de Hissène HABRE, un témoin clé au cœur du dispositif.
Il est passé de témoin à bailleur de fonds qui finance le procès pour faire aboutir
sa volonté d’enterrer définitivement son ancien mentor.
Ensuite sur le plan symbolique, un procès pareil dans son organisation et son
verdict n’énonce rien de probant pour le futur de l’Afrique. Partisan qu’il était,
organisé à dessein, il a le handicap d’être bâclé, taillé sur mesure pour un
homme.
L’Afrique doit se prémunir contre les mauvais procès. Rien n’est pire qu’une
mauvaise justice. Monsieur MBODJ du Rassemblement africain des droits de
l’homme renchérit : « Pour la première fois un chef d’État africain a été jugé en
Afrique, cela est important et démontre que l’Afrique peut juger ses enfants ».
Je rétorque que si nous ne sommes pas capables de rendre une justice
équitable, nous n’aurons jamais de pays, parce que jamais de stabilité, jamais de
paix, jamais de cohésion nationale pour nous occuper des questions essentielles
de développement. Oui, une bonne justice est un préalable, un levier social
important pour impulser une dynamique de progrès. Mais hélas, nous n’en
sommes pas encore là.
Le déluge communicationnel des organisateurs du procès usant de tous les
supports met à nu les stratégies de tromper, d’orienter l’opinion : une
supercherie.
En témoigne l’activisme de Read BRODY de Human Rights Watch, une
organisation des droits de l’homme très partisane dans ce procès. Cet homme a
été de toutes les combinaisons et magouilles pour faire condamner Habré. On est
sûr que celui-là au moins a piétiné les droits de Hissène Habré pour avoir
entrepris une vaste opération de communication et de diabolisation de l’accusé,
de « construire » des victimes en toutes pièces avec une feuille de route. Des
« victimes » briefées, mais qui, à l’arrivée ont fait une mauvaise prestation, une
piètre restitution. Certaines ont oublié les circonstances, d’autres évoquent mal
les faits qu’ils ont du mal à circonstancier ou ne s’en souviennent même pas.
Une comédie comme au théâtre, sauf qu’il n’y avait pas de souffleur à moins que
les juges de la CAE n’aient imaginé la suite des récits tronqués.
Enfin, Me Mounir BALAL, avocat de Hissène Habré détonne « Il s’agit d’un
verdict sévère et j’ai l’impression que la chambre avait déjà retenu le réquisitoire
du ministère public dans cette affaire. Ce qui a été donné lecture, la pertinence
fait défaut. (…) La chambre a pris pour argent comptant les déclarations des
parties civiles qui ont été entendues à la barre. La crédibilité de ce verdict pose
des interrogations à notre niveau ».
Des propos somme toute éloquents pour dire assez sur la mascarade politico-
judiciaire qui s’est déroulée à Dakar au nom de l’Afrique. Et comble d’ironie
qu’on veut nous vendre comme modèle de justice équitable à laquelle il faut se
référer pour le futur.
Les chambres africaines extraordinaires n’ont été qu’une coquille vide sans
pouvoir de décision, une simple caisse de résonnance chargée de formaliser des
décisions déjà prises et de longue date par les véritables commanditaires du
procès qui ne sont ni les États africains peuplés de dictateurs, ni les peuples, ni
les organisations non gouvernementales (ONG) grassement entretenues pour
jouer les sentinelles, occuper le décor, vociférer, gesticuler et faire semblant
d’agir pour la bonne cause ; encore moins l’Union africaine qui n’a jamais eu les
moyens de son fonctionnement, même pas pour financer ce procès et dont la
commission n’est qu’un secrétariat chargé d’enregistrer l’agenda du club des
chefs d’État sans perspectives ni volonté réelle de fédérer l’Afrique. L’unité
n’est pas une ambition, mais se réduit à un simple slogan.
Les véritables commanditaires de ce procès sont en Occident tirant les ficelles
des guignols de la cour spéciale en charge de liquider physiquement,
moralement, socialement le Président Habré, bafouant son honneur, sa dignité,
son héroïsme, ses succès et gloires mêmes passés, son patriotisme exacerbé, ses
exploits guerriers, sa vision de stratège hors pair qui a fait face aux envahisseurs
redoutables venus d’Occident, de Syrte et de la Tripolitaine voisine.
Comme partout et toujours, ils n’ont pas eu le courage de s’afficher. Ils se
cachent derrière le décor, avancent masqués, à pas feutrés, mais féroces, cupides
et assez fourbes, magouilleurs et surtout manipulateurs. Ils cachent leur jeu,
masquent leurs efforts, mais ne cessent de s’agiter, ils fournissent l’argent,
ourdissent les plans, échafaudent les stratégies de liquidation sans apparaitre sur
les différents tableaux de ce piteux épisode judiciaire, un procès organisé et un
jugement rendu par procuration. Le juge et ses assesseurs sont en permanence
dans les airs pour soit aller rencontrer Idriss Deby, l’un des bailleurs au Tchad
soit la semaine d’après les cartels de Bruxelles et Paris où s’entremêlent
multinationales, gouvernements, lobbies financiers, intermittent des droits de
l’homme affiliés pour faire les réglages des auditions, l’orientation des
plaidoiries, le libellé des réquisitions.
Tout est savamment orchestré, millimétré, vu, revu, répété, corrigé, affiné,
afin de n’éveiller aucun soupçon, aucune sensibilité pour l’énoncé d’un verdict
acceptable et consensuel écrit d’avance : « La perpétuité… », et rien d’autre.
Le juge des CAES s’est transporté à Ndjamena avec une cohorte de
journalistes bien entretenus par Deby aux fins d’enquêter sur les supposés crimes
reprochés à Habré. Malheureusement à part les parades dans les artères de la
capitale, les sorties touristiques, les complots et les compromissions
généreusement rétribuées, rien n’a été rapporté du Tchad comme élément formel
de preuve matérielle. Des supputations à n’en plus finir, des témoignages de
lèche-bottes qui ne sont jamais préoccupés du sort de l’accusé et de la nécessité
de collecter des éléments de preuve à charges et à décharges pour un véritable
procès, pour les besoins de l’instruction.
Des supposés charniers présentés comme réels par des récits sans crédibilité,
guidés par les seuls soucis d’argent, prouvent à suffisance, cette vaste entreprise
de mutilation, d’avilissement et de grande supercherie à laquelle ont concouru
différents acteurs aussi zélés les uns que les autres, partisans qu’ils étaient par
défaut de conscience. L’âme d’un manipulateur ne souffre d’aucun état.
Deby a casqué 4 milliards de F CFA pour l’organisation des CAES, cassé sa
tirelire pour encourager la falsification, la fabrication de preuves, de documents,
le recrutement de contingents de témoins à charges briefés, coachés par les
organisations des droits de l’homme qui se targuent d’être les porte-étendards
des victimes oubliées du monde, les Don Quichotte des temps modernes ; dans
ce rôle READ BRODY et Human Rights Watch ont singulièrement versé dans le
clair-obscur, le parti-pris, l’instrumentalisation, la négation des droits de l’accusé
qu’ils ont outrageusement enfoncé du mieux qu’ils ont pu sans remords, ni
regret, avec une ferme volonté de nuire.
Deby paie à milliards les cabinets de « com » recrutés parmi les plus brillants
pour enfoncer son adversaire de toujours qui hante ses nuits peuplées de rêves
infinis, dont celui d’enterrer définitivement Habré et cette page de l’histoire
tchadienne.
La communication orientée à la convenance de Deby n’établit que des contre-
vérités, des non-dits, des charges fausses et des constructions mal habiles.
Le plus calamiteux dans tout cet imbroglio politico-juridico-mafieux, le
collège des avocats des parties civiles, le collège des magistrats des CAES
manœuvrent avec leurs patrons dans les séances de répétitions générales jouées
en Europe pour harmoniser leurs positions et stratégies.
A-t-on réellement besoin pour un tribunal spécial qui se dit africain d’aller en
Europe : juges, greffiers, procureurs, assesseurs, victimes triées à la volée,
collège des parties civiles, tous ensemble à Bruxelles, y rencontrer d’autres
organisations, ma conviction est non ! Le jeu est trouble, la volonté est
manifeste, un complot en pure forme. Les recommandations sont claires. Ils sont
tous dans un jeu de rôle et chacun doit assumer, accomplir le sien dans les
formes et conditions prescrites sans ménagement.
De la sorte, aucune justice n’a été rendue, mais une décision, un schéma ourdi
de l’étranger pour liquider à jamais l’ennemi de toujours envers qui la soif de
vengeance pèse. Il paie son entêtement héroïque à empêcher les bons plans :
celui de partager le Tchad en deux depuis le 16e parallèle, celui d’avoir le
courage de rejeter les conditions d’exploitation du pétrole tchadien proposées par
la compagnie pétrolière ELF évincée du juteux marché du pétrole qui prenait
forme en 1989 au profit des grands groupes pétroliers américains, celui de ne
point s’aplatir devant les injonctions du Président de la République française,
François Mitterrand lors du sommet de la Baule. Habré a eu le seul tort d’être
trop téméraire, trop courageux, d’être trop paternaliste et même volontariste dans
la défense des intérêts de son peuple envers lequel il n’était pas prêt de concéder
un seul pouce de terre, un seul coin de liberté ou de souveraineté, contrairement
à Deby qui a bradé le pétrole tchadien à vil prix sans égards, ni reconnaissance,
obligé qu’il était de s’allier à la Françafrique pour exister politiquement, gardant
sa longévité de 26 ans révolus au pouvoir sans partage.
Un pacte de silence réciproque, de complicité incestueuse. À chacun son
compte, le tour est joué. Les garçons de service sont plus doux et moins
récalcitrants. Ils obéissent au doigt et à l’œil du maître, signent tout et disent oui
sans broncher. C’est le prix à payer, la bonne attitude pour être en parfaite
entente avec les maîtres-chanteurs déstabilisateurs. Pour rappel, le même groupe
ELF est à l’origine de la terrible guerre du Congo Brazza qui a fait plus de
60.000 morts en son temps. Il a aidé à destituer Pascal LISSUBA
démocratiquement élu par le peuple congolais pour soutenir en rébellion Denis
Sassou NGUESSO qui a profité de leurs largesses financières, logistiques, des
conseils avisés pour accéder au pouvoir au terme d’une guerre fratricide
meurtrière, longue et avilissante qui n’avait pas sa raison d’être, une malédiction,
une mésaventure en pure forme, une machination.
Vingt ans après le départ de Hissène Habré du pouvoir, l’ennemi n’a jamais
désarmé, jamais changé de cap, triant à la volée les collabos les plus dociles, les
plus cyniques pour les basses œuvres. C’est ça une Afrique qui se saborde, qui se
mutile, s’auto-flagelle, dont les fils se font manipuler, tordre le bras pour obéir,
servir d’autres gens, d’autres volontés, d’autres intérêts, qui dictent les pages
d’histoire qui réglementent notre quotidien, qui pensent le progrès, le bonheur à
leur place, conçoivent des plans et rédigent à la virgule près les accords
économiques qui nous lient à eux, nous engagent, nous obligent pour tout, le
bien, le mal, tout comme le superflu.
Une mascarade de justice a été instrumentalisée, des plaidoiries et des
réquisitions, un verdict a été prononcé, mais la vérité a été tronquée, ensevelie
par les mensonges, les complots ourdis ou les échanges de bons procédés entre
alliés et obligés de circonstances et de faits de la Françafrique et des
établissements partisans. Habré a été reconnu coupable de crimes
imprescriptibles ; ce qui cache la volonté de ne jamais le lâcher. Les plans
concoctés étaient à la mesure de l’homme à abattre. Un verdict qui suscite des
commentaires les plus alarmistes, mais encore et surtout des interrogations sur la
naïveté des dirigeants africains actuels, encore très loin de l’esprit
d’indépendance des pères fondateurs de nations africaines qui, pour la plupart,
ont fait don de soi, de leur personne pour l’aboutissement de leur cause, leur
combat épique et noble. Jomo Kenyatta, Sankara, Nkrumah, Mamadou Dia et
tant d’autres sont dans cette lignée d’hommes et de chefs entièrement africains
au propre comme au figuré avec une grande ouverture au monde et aux autres.
Le verdict sur commande a été livré inexorablement, Habré ne pouvait
échapper à son sort. La seule volonté partagée d’éliminer Habré a concouru à la
création des CAES. La Françafrique voulait un verdict conforme, les Africains
prestataires de service dans ce cirque politique et médiatico-judiciaire ont servi
de facilitateurs.
Tous les rôles sont partagés, l’idéologie et l’orientation stratégique jusqu’à la
mise en place des éléments du puzzle entièrement assurée par la Françafrique qui
a passé commande.
L’animation, la théâtralisation sont réservées aux Africains qui savent s’y
prendre, rompus à la tâche qu’ils sont. Ils en ont joué sur tous les tableaux de la
vie politique, économique et sociale de l’Afrique indépendante, plus d’un demi-
siècle de tragi-comédie. On ne leur apprend pas à faire des grimaces, à amuser la
galerie. Ils sont du reste sans état d’âme pour les conséquences des actes qu’ils
posent ; l’essentiel pour eux est d’entrer dans les grâces des offices, lobbies,
forces obscures et occultes, de bénéficier de leur soutien et bénédiction afin
d’être invulnérables, d’avoir cette permanente complicité nécessaire à poursuivre
leur règne sabordant ainsi les espoirs des peuples d’Afrique meurtris qui
attendent sans relâche : routes, écoles, postes de santé, formations, diplômes,
emplois, développement humain, une qualité de vie tout simplement.
À l’énoncé du verdict, l’Union africaine jubile par la voix de son conseiller
juridique mal inspiré qui parle de victoire, sans doute une réjouissance peu
crédible. Victoire sur qui ? De qui ? Et comment ? Autant d’interrogations, mais
ce qui est sûr dans ce procès c’est que l’U.A a été un instrument de validation et
d’accomplissement des coups-fourrés extérieurs contre l’Afrique et son honneur,
c’est aussi ridicule qu’à la Cour pénale internationale (CPI). Rien n’a changé en
pure forme : ce sont les mêmes acteurs, les mêmes instigateurs, les mêmes
préoccupations. L’Amérique latine s’organise sans ingérence d’autrui, règle ses
problèmes, met de l’ordre dans sa maison avec un courage bolivarien, ce qui
manque à l’Afrique, trop timorée, égoïste et toujours en régence.
La direction de cabinet du ministère de la Justice parle de « victoire du
courage… cette innovation juridique et judiciaire, affirme-t-elle, a permis
d’éviter à Hissène Habré une extradition vers un autre État non africain ou de se
faire juger par une juridiction internationale ad hoc… »
Je vous le concède volontiers, mais où est le courage dans tout ça ? Il n’y a pas
de mérite, ni de rendez-vous avec l’histoire, il y a eu compromission, les
imposteurs ont remporté la manche, leurs logiques prédomineront pour
davantage placer ce continent sous tutelle et s’accaparer de ses ressources qui
n’ont jamais servi son peuple.
C’est un message codé, un signal fort envoyé à tous les souverainistes, les
nationalistes qui seraient tentés de suivre une voie de désobéissance, de défiance,
une autre que la Françafrique, le sort serait pareil, voire pire.
Il ne saurait être question de passer sous silence les éloges à M. Habré ; grâce
à lui, le caractère unitaire du Tchad est conservé : un même peuple, un seul
territoire, un seul gouvernement. Il s’est battu contre le Colonel Mouammar
Kadhafi pour récupérer la bande d’Aozou annexée. Opiniâtre et résolu, il a
résisté à tous les assauts pour ressouder les morceaux de son territoire et en
garantir l’unité.
En chœur, les médias européens relaient l’information sur sa condamnation et
s’en délectent à cœur joie. « L’ennemi pestiféré est vaincu » ; les suppôts
d’Africains s’en mêlent pour des commentaires orientés à dessein. Ils accèdent
aux studios de radios et de télévisions pour charger, insulter Habré. Des images
hideuses de France 24 sur lesquelles Hissène Habré est cloué manu militari sur
une chaise par des policiers zélés, circulent en boucle. Les décrypteurs parlent
d’une aube nouvelle, d’une pratique nouvelle à encourager « l’Afrique juge
l’Afrique ».
Sans aucun doute un slogan boiteux, un vœu pieux, cachant mal la main de
l’extérieur, la nouvelle trouvaille des occupants masqués de l’Afrique qui
s’allient les renégats pour accomplir la sale besogne, liquider les rares résistants
qui osent encore lever la voix pour dire non à l’assujettissement, non au pillage
des ressources minières, halieutiques, pétrolières et gazières, aux énormes
réserves de zircon, de coltan, de bauxite, d’or et de diamant, non à l’hypothèque,
à la mainmise au partage, à la confiscation des biens du peuple, non à
l’infantilisation, à l’inféodation de l’Afrique, oui à l’autonomie, à la libre-
détermination, à la gestion responsable, rationnelle et concertée des ressources.
Les politiques, les juges, les journalistes et certaines catégories d’intellectuels
cupides et lâches se sont ligués pour sceller le sort de l’ancien Président
tchadien. L’argent a coulé à flots dans cette affaire Habré. Les traitements
dispendieux, les privilèges ont convaincu la meute de déclencher la chasse à
courre pour débusquer l’ennemi juré dans ce bourbier tchadien des années 80,
l’Honorable Hissène, le seul parmi tant d’autres acteurs qui ne s’est pas
fourvoyé, l’unique résistant de bonne foi, le combattant insoumis qui entretenait
la flamme nationaliste et républicaine de la résistance, l’éternel défenseur des
intérêts du Tchad, d’un peuple libéré de toute annexion et de toute forme
d’avilissement ou de compromission.
Les jacassants corbeaux chantant souvent l’hymne de l’Afrique sont capables
des pires ignominies. Ils sont la main, le bras, la volonté des maîtres chanteurs
tapis dans l’ombre, griffes dehors, prêts à mordre.
Accuser Hissène Habré de 40.000 morts détachés du contexte de guerre est un
mensonge grotesque. Les allégations de viol, d’esclavage sexuel encore moins
crédibles. Certes pour eux dans l’escalade de diabolisation, les détails ont leur
importance. Tout ce qui émeut est bon à prendre. Tout ce qui offusque le lecteur,
le téléspectateur, l’auditeur, l’opinion publique est bon à prendre en ce qu’il fait
rallier des inconditionnels sceptiques au départ. C’est de la propagande en pure
forme avec tous les moyens et supports afférents. Dans ce procès, tout est
apparence, virtuel : le théâtre, le décor, les acteurs, le mobile, les réquisitoires, le
verdict final, tout est surréaliste, une simple légende entretenue savamment pour
en finir avec l’accusé.
La soif de vengeance l’emporte sur la raison. Le mensonge et l’hypocrisie
triomphent au détriment de la vérité et du bon sens.
L’argent, les privilèges, les palais dorés font rêver tous les valets impliqués
dans la procédure de liquidation pénale et civile engagée contre celui que
l’histoire consacre comme un héros confirmé dans les pages.
Aussitôt après le prononcé du verdict, les avocats de Hissène Habré
s’exclament : « Procès Habré, A procès inique, verdict cynique » ; traduisant
tout leur malaise, leur état de désappointement, meurtris qu’ils étaient par une
justice manipulée sous ordres qui a dévié de sa trajectoire. Le 30 mai 2016 a pris
fin la mascarade judiciaire du procès Habré. La “célébration” de l’événement par
les acteurs-bailleurs, organisateurs, mais aussi commanditaires de cette traque a
tranché avec l’atmosphère lourde et pesante d’une opinion publique choquée par
un verdict qui ne reflétait pas le déroulement des audiences et qui balayait
totalement les multiples violations des droits de la défense.
Le Président Macky SALL architecte en Chef a organisé le procès, l’a
instrumentalisé, porté sa diplomatie des droits de l’homme. Dès lors il ne pouvait
plus organiser un procès juste et équitable dans la mesure où la volonté politique
qui l’animait, allait dans le sens contraire. Le président Macky SALL a déclaré
« le procès s’est tenu dans des conditions optimales de respect des droits du
prévenu que nulle part l’État n’a interféré dans le déroulement de ce procès. »
Ces affirmations sont choquantes quand on sait que l’ex-premier ministre,
Mme Aminata TOURE est accusée de faux en écriture, que le ministre de la
Justice n’a cessé de violer la présomption d’innocence et que le gouvernement
du Sénégal a plié à deux reprises devant le dictat d’Idriss Deby tout d’abord
lorsqu’il a refusé de faire transférer à Dakar les accusés ou les témoins devant les
CAES ensuite lorsqu’il a organisé un faux procès en violation de la mission
unique de juger confiée aux CAES, son gouvernement a bel et bien échoué dans
sa mission d’organiser un procès juste et équitable.
Le maître de cérémonie de ce procès, Me Sidiki KABA a donné le tempo de la
violence et des injures en direction du président Hissène Habré. Il fut le maître
des violations des droits de la défense et a appliqué sa fameuse présomption de
culpabilité, principe de base du procès françafricain qu’il aura surveillé, contrôlé
et encadré du début à la fin.
Dès le départ, ce procès fut celui de toutes les compromissions avec le pouvoir
d’Idriss Deby bailleur de fonds principal, co-maître du jeu judiciaire
compromettant les juges d’instruction par des doubles per diem, refusant la
convocation de nombreux officiers de son armée, organisant de faux procès au
Tchad ou refusant de venir témoigner.
Les acteurs judiciaires, bailleurs de fonds coalisés dans cette mascarade
gigantesque de lynchage médiatique, de liquidation de Hissène Habré, de son
image, de sa personne et de son patrimoine, dissimulent mal leur exubérance.
Aux anges, ils trépignent maladroitement pour célébrer la condamnation de
Hissène Habré qui hante leur sommeil.
À qui mieux mieux, c’est la sarabande. Les chancelleries persiflent, les
langues se délient et trahissent des volontés machiavéliques de tuer l’humanité
en chacun de nous, de travestir la morale et les vertus, de ne faire de l’homme
qu’un simple objet de servitude. Rien de bien méchant à leurs yeux, ainsi va la
vie. Qui sera la prochaine victime, Gbagbo ou sa femme Simone ? Les Africains
naïfs, veules et lâches, cupides de fait se vassalisent pour être les sous-traitants
des ignominies, des basses besognes conférées par les grandes entreprises de
conspiration au gré de leurs intérêts exclusifs et très égoïstes. Ce n’est pas ça
l’Afrique ? Notre Afrique des pères fondateurs des indépendances, des
visionnaires que furent Nkrumah, Mamadou Dia, Lumumba, de Cheikh Anta
Diop. Non, il ne s’agit pas de cette Afrique conspirationniste, croupissante,
languissante et aux ordres, sous perfusion, mutilée de toutes parts,
instrumentalisée, téléguidée, tel un robot japonais titubant à gauche, puis à
droite, avançant d’un pas, reculant de trois, sans but, ni destination, suspendue à
la seule volonté du maître propriétaire qui ruse avec la télécommande pour
assouvir ses caprices et célébrer ses exploits avec rage et exubérance.
Le combat pour la libération n’est pas achevé. Il ne fait que commencer. Les
formes de la colonisation ont certes varié. La présence militaire a été réduite par
endroits, mais l’influence politique, la présence économique restent
envahissantes, les stratégies d’accaparement des richesses procèdent du même
ordre. De principes : nous sommes indépendants, mais de fait non. Nous ne
décidons de rien. Nous ne faisons qu’enregistrer, entériner les décisions qui nous
sont dictées, nos méthodes de gouvernance, nos plans stratégiques de
développement, nos conditions d’accès au marché, tout est régi par des normes,
des conditions préalables qui nous sont d’office imposées. Notre autonomie
supposée a peu d’incidence sur nos relations et nos rapports aux autres. Nous ne
sommes que ce que les autres veulent faire de nous, ce qu’ils nous supposent
être.
L’honneur de l’Afrique a été souillé par ce procès. Tout a été fait pour servir
les usurpateurs de notre souveraineté. Mais Habré le résistant au courage
prométhéen a su conserver intact sa dignité sans frémir sans courber l’échine.
Son attitude singulière pétrie d’héroïsme, illustre son stoïcisme et sa grandeur
d’âme. Il est de la trame des grands de ce monde qui ont toujours œuvré pour la
défense des peuples et de la condition humaine.
L’Afrique doit se réveiller de son long et difficile sommeil. Le temps de la
maturité est arrivé. Les errements et négligences coupables ne sont plus permis.
Le Sénégal pouvait faire amende honorable après 20 ans d’hospitalité réservée
au réfugié Hissène. Il dispose de magistrats compétents, d’une justice huilée,
maitrisant les procédures, très au fait de l’actualité. Rien ne le prédisposait à
solliciter l’Union africaine pour la création de Chambres extraordinaires.
Il avait les moyens d’organiser une justice équitable, équilibrée et donner un
signal fort au monde. Il s’est soustrait de ses responsabilités. Il est
manifestement passé à côté d’un grand événement. La postérité en souffrira.
Contre l’oubli et l’usure du temps, la mémoire humaine ressortira la vérité et rien
que la vérité.
CHAPITRE VII
DES ÉCLAIRCIES DANS LA GRISAILLE AFRICAINE

Dans ce tableau noir d’une Afrique infantilisée innocente et crédule toujours


bernée à bout pour se frayer difficilement son chemin, il y a des exemples de
réussites de gouvernance qui rassurent, prédisent l’espoir et souvent procurent
d’infinies fiertés. C’est le cas des îles Seychelles qui s’affirment, se construisent,
relevant chaque jour des défis, des îles du Cap-Vert au large du Sénégal, un
jeune pays dynamique, en plein essor dans un environnement économique stable
sur fond de démocratie reconnue comme culture. C’est aussi le Botswana, le
Ghana, une grande stabilité démocratique et économique. C’est l’Éthiopie au
taux de croissance alléchant et soutenu de 6,5 % avec une industrialisation
galopante, une agriculture de plus en plus performante, des indices de bonne
gouvernance qui se renforcent à chaque évaluation, une transformation sociale et
environnementale dynamique.
C’est aussi le Rwanda qui renforce sa stabilité et rassure, faisant s’éloigner
chaque jour le spectre du génocide d’avril 1994. De façon continue sur 10 ans, il
a fait une belle croissance de 7 %, un exemple type de pays qui bouge, des
chantiers partout, une grande effervescence sociale, culturelle et économique.
Les chaines d’hôtels sortent de terre et défilent à perte de vue, témoins d’une
santé financière et touristique insolente. Le développement se lit dans l’espace, il
jaillit des visages radieux des populations confiantes et enchantées, à travers un
environnement propre, agréable à vivre. À Kigali, on a de la peine à ramasser le
plus petit sachet de plastique.
La sécurité des biens et des personnes est une réalité au pays de Paul Kagamé,
qui ne transige pas avec ses missions régaliennes. Le cadre est sécure, touristes
et autochtones se côtoient dans un ballet incessant, l’activité bat son plein, un
modèle de gouvernance concédant les libertés, mais avec autorité et
responsabilité. Lui au moins à l’œil rivé sur les deniers publics qu’il ménage
sans fin, luttant vaille que vaille contre la corruption, l’enrichissement illicite, la
spoliation des biens communs érigée en règle de vie un peu partout en Afrique.
Ici les fonctionnaires ont une mission dévolue et savent s’y prendre. L’assiduité
et la ponctualité sont des règles de base. L’esprit de sacrifice et de dépassement
transparait dans les actes. Les services sont rendus aux usagers en toute évidence
dans un esprit de grandeur morale et de patriotisme.
Malgré les réserves des ONG et de certaines chancelleries occidentales sur ses
insuffisances démocratiques, il est reconnu comme un bon dirigeant, alliant
poigne, dextérité, volonté et détermination dans sa marche résolue vers le
progrès, l’unification, le renforcement et le bonheur partagé de tous les
Rwandais, Hutus comme Tutsis, ennemis d’hier qu’il veut réunis et solidaires,
complices et dévoués les uns les autres, dans un élan patriotique de fair-play, de
pardon, de réconciliation nationale et de dépassement au service d’une grande
nation rwandaise. La lutte contre l’indigence est sa préoccupation. Ainsi, il a
jugulé une grande partie de la pauvreté, la réduisant de 3 millions de personnes
qui accèdent désormais à une vie décente. L’école se porte bien, la santé
s’améliore, s’étend, atteint les couches éloignées, dans un programme de
couverture maladie universelle qui s’occupe des malades et soulage. L’espoir est
permis dans ce pays qui se prend à rêver d’émergence et même de
développement.
L’industrialisation s’esquisse, s’amplifie et gagne sa place dans l’économie.
L’agriculture nourrit le Rwandais et procure des revenus acceptables aux
paysans loin d’être misérables. Il fait partie des pays du Sud dont le modèle de
gouvernance permet chaque jour de relever des défis, d’instaurer la stabilité et la
prospérité. Un exemple à envier. Ses politiques cibles poursuivent l’ambition de
satisfaire les besoins des citoyens au quotidien. Ils sont les premiers bénéficiaires
des fruits de la croissance. Paul Kagamé a un bilan élogieux à exhiber à la face
du monde devant surtout ses pairs africains, souvent plus enclins à s’enrichir sur
le dos des populations, plus prompts à brader les ressources de leur pays, sans
contreparties réelles ou avantages indus. Le Rwanda grouille d’hommes
d’affaires et d’investisseurs.
Les grands commis de l’État sont sensibles aux préoccupations d’un État au
passé douloureux, aux souvenirs atroces et vivaces, aux séquelles encore
visibles. Ils sont tous conviés à la même mission de bâtir un État solide,
prospère, unitaire, fédérateur des énergies et des volontés, rassembleur des
compétences, paternaliste pour l’ensemble des Rwandais, quelles que soient
leurs positions sociales, leurs origines ethniques ou géographiques. Ils travaillent
à renforcer l’État, à le façonner, le bâtir pour faire face aux vicissitudes du
temps. La défense des intérêts supérieurs de la République est élevée au rang de
sacerdoce. Le travail y est devenu un mot culte, une valeur partagée, une
référence sociale fédératrice dans la perspective du développement.
Sur le Rwanda, le Financial Times écrit : « On perçoit ainsi le Rwanda “non
libre”, comme le septième pays ayant la classe politique la plus propre du
monde. Des mesures drastiques sont prises par Paul Kagamé contre la corruption
des fonctionnaires. Le président en exercice du Rwanda touche 5000 euros. Un
ancien chef d’État en touche 80 %. Cependant, un dispositif de la constitution
rwandaise stipule qu’il doit dans son cas forcément résider au Rwanda pour en
avoir droit, et ajoute même “S’il n’a pas été condamné pour un crime de haute
trahison ou pour violation grave et délibérée de la constitution”, une première en
Afrique ».
Dans la partie dorsale de l’Afrique au cœur de l’océan Indien, l’île Maurice
émerge dans un foisonnement de cultures indo-européenne, africaine, sémitique,
etc. Un creuset de civilisations, une rencontre des cultures, un laboratoire de
progrès, un centre d’incubation des petites et moyennes industries, dans un
dynamisme économique impressionnant. La fatalité semble recluse dans ses
origines perdues, les hommes comme les entreprises innovent, entreprennent,
gagnent des batailles, relèvent des défis, restaurent, sans cesse l’espoir. La voie
du progrès semble toute trouvée. Les réflexes de survie des insulaires aidant le
peuple sont en marche patiemment, obstinément vers les cimes du bonheur.
Au nord de l’Afrique, le printemps arabe a fait ses victimes, la Tunisie reste
empêtrée dans ses déboires d’après Ben Ali, jalonné par des alliances, des
ruptures, des recompositions de majorité, des successions infinies. La guerre
d’influence des politiques et des privilégiés semble plomber une économie
naguère vivace, dynamique et prometteuse.
La Libye sombre dans le chaos dont la seule responsabilité incombe à Barack
Obama, Nicolas Sarkozy, David Cameron en complicité avec le Conseil de
sécurité des Nations unies largement servi par les forces de l’OTAN.
L’Algérie, malgré ses immenses ressources de gaz et de pétrole, patine. Sa
vitesse semble émoussée par un régime long et sans partage de Bouteflika et des
généraux alliés du FLN toujours aux commandes avec rigueur et dogmatisme
sans réelle initiative.
L’Égypte perd son lustre, la place Tahrir a soldé les comptes de Moubarak,
Mohamed Morsi porté au pouvoir n’a pas fait long feu, interné par Abdel Fatah
El Sissi continuateur de la domination militaire sur les terres du Nil. Le miracle
rêvé n’est jamais venu, les capitaux migrent, l’économie s’affaisse, le tourisme
est en perte de vitesse, après la révolution, la déchéance économique d’abord
puis morale, l’Arabie Saoudite suspend sa livraison de pétrole, le gouvernement
se bat et noue des alliances, mais reste fort dépendant du milliard de dollars
alloué par l’Amérique au titre de la coopération militaire et stratégique.
Seul au milieu de tous, le Maroc, grande succursale des investisseurs
européens, s’agite dans tous les sens et part à la conquête de l’Afrique
subsaharienne avec ses banques, ses industriels et ses capitaux immenses. Il est
partout présent en Afrique de l’Ouest, du Sénégal porte d’accès, au Burkina
Faso, au Mali, en Côte d’Ivoire dans une grande frénésie de diplomates et
d’hommes d’affaires qui ont compris que les échanges, le marché intra-africain
est une alternative, un trésor caché, une idylle inexplorée. Le Roi Mohamed VI
et son cortège d’hommes d’affaires et de diplomates, bat des sentiers, explorent
la corne de l’Afrique, le Rwanda, la Tanzanie, l’Éthiopie, installant des banques,
proposant des coopérations techniques et financières, incitant des projets
d’industries pharmaceutiques, des marchés d’infrastructures, de logements
sociaux, des énergies renouvelables.
Le Maroc s’installe durablement dans la grande concurrence dans le marché
africain auprès des Russes, des Européens, des Indiens et des Chinois.
Ambitieux à outrance, il constitue dans bien des domaines un recours d’urgence,
une alternative, 32 ans après avoir quitté l’Union africaine en 1984, un nouveau
costume est endossé par le Maroc. Ses défis et ses ambitions en Afrique
l’obligent à revenir au bercail, réintégrant l’UA pour s’y voir confier une
mission phare de locomotive. Sa demande de réintégration a été adressée à
l’Union en septembre 2016. La diplomatie marocaine parcourt le continent et fait
un lobbying intense.
Pour le ministre des Affaires étrangères Salabeddine MEZOUAR, « C’est
l’écrasante majorité des Africains qui soutiennent et applaudissent le retour du
Maroc au sein de la grande famille institutionnelle. »
Oui, le départ du Maroc pour rappeler les faits historiques fait suite à la
reconnaissance par l’UA en 1984 de la République arabe sahraouie
démocratique. Une ex-colonie espagnole qu’il annexa en 1975. De nos jours à la
place d’une autonomie large, les Sahraouis optent résolument pour un État
souverain, indépendant et libre, un statut non négociable pour le Front Polisario
soutenu par l’Algérie en grande offensive pour ses intérêts, par l’Égypte et
différentes autres nations africaines. Pendant ce temps le Maroc arpente les
sommets d’Afrique dans une réelle volonté d’intégration, un changement de
paradigme dicté par le dynamisme de son économie qui cherche à trouver des
débouchés dans les terres en friche de l’Afrique et poursuivre son expansion vers
le développement escompté.
Le premier ministre marocain Abdelilah BENKIRANE s’adjoint la
collaboration et la confiance des ténors du rassemblement national des
indépendants pour former un gouvernement d’ouverture, intégrant des
technocrates et des personnalités des milieux d’affaires. Le Maroc fait des
progrès spectaculaires, se propulse au 53e rang du classement économique
traduisant un dynamisme réel avec des milliers de PME et de succursales, des
grandes firmes venues de la proche Europe. En créant un tissu industriel et
commercial qui s’épaissit et se renforce. Le Maroc a parachevé son envol dans le
domaine des énergies solaires. Il fait désormais partie des plus grands
promoteurs, se positionnant résolument dans le marché africain où il offre une
alternative, un débouché au déficit criard en énergie que présente le continent
dans sa partie subsaharienne.
Avec les États-Unis, il fournit un peu moins de 69 % des phosphates. Le
Maroc est une économie dynamique, diversifiée très structurée sous la houlette
d’un souverain très au fait de la marche du monde, de ses exigences
particulières, et des alliances possibles. Un visionnaire qui enfourche son cheval,
toujours d’attaque pour un tour du monde des affaires et des opportunités de
débouchés et de partenariat fécond pour ses PME en nombre sans cesse croissant
et ses nombreux hommes d’affaires de plain-pied dans la mondialisation. C’est
aussi et surtout une diplomatie active offrant une grande visibilité du Maroc
incontournable sur la scène internationale, dans le monde arabo-musulman ou en
Afrique particulièrement. Ce pays gagne chaque jour un pari sur l’avenir. Ses
grandes ressources halieutiques, son agriculture en mutation continue, la maitrise
technologique, ses ressources humaines de qualité formées à bonne école,
l’avantage de la propriété intellectuelle, sa maitrise parfaite des TIC (Technique
d’information et de la Communication), la grande disponibilité de ses
institutions bancaires partout positionnées telles que ATTIJARI WAFA BANK,
en font un partenaire stratégique avec lequel il faut désormais compter dans la
nouvelle donne économique et financière en Afrique et ailleurs.
Le coaching gagnant de Mohamed VI est perceptible sur tous les fronts. Sous
son magistère, le Maroc est davantage uni, intégré et performant. Les fruits de la
croissance font le bonheur des ménages dont le quotidien se transforme. La
société s’émancipe. Les infrastructures maillent le territoire construit en grand
nombre par des entreprises locales et citoyennes très compétitives. Les régions
s’agrègent. Le 28e sommet de l’Union Africaine tenue à Addis-Abeba vient
d’adopter le Maroc comme 55e membre signant définitivement son retour sur la
scène africaine : la victoire du courage, de la diplomatie et du réalisme
économique.
Le Nigeria est sorti de la gestion de Good Luck Jonathan affaibli
économiquement et socialement décousu, la rébellion du Nord et la secte Boko
Haram en sont ses bourreaux dans un contexte de baisse généralisée des matières
premières et particulièrement du cours du pétrole, principal pourvoyeur de
devises dont il est le sixième producteur. L’impertinence de la gouvernance
d’une classe politique corrompue a davantage entrainé une baisse drastique de sa
croissance, plongeant le pays dans une longue récession. La monnaie, le naira,
est dévaluée en juin 2016 aux fins de renflouement des caisses vides.
Les investisseurs ralentissent la cadence. La corruption gagne du terrain, se
maintient et s’exporte hors de la sphère du pouvoir malgré l’élection du nouveau
Président Muhammad BUHARI en 2015. L’instabilité, la cacophonie du
pouvoir, la mal gouvernance et la corruption font fureur chez les investisseurs.
Le pays rejette formellement les accords de partenariat économique avec l’UE
qui ne rentrent pas dans ses plans. L’effritement de son tissu industriel, encore
précaire est largement redouté au même titre que la perte de recettes de plus de
200 milliards annuels.
Dans le courant du mois de novembre 2016, la Tunisie organise les 29 et 30
une conférence internationale ouverte à tous les milieux d’affaires : banques,
institutions financières, États, partenaires privés, comme publics, les
investisseurs de partout pour une souscription au plan de développement Tunisia
2020, une ambition économique et sociale de développement définie sur cinq ans
à compter de 2016. Un plan qui a un objectif de financement de 60 milliards de
dollars U.S.
Le printemps arabe avait fait miroiter en 2011 une grande révolution et
beaucoup d’espérance, mais celle-ci a foiré. La Tunisie a perdu de sa superbe.
Les indicateurs économiques ne sont pas reluisants, les leviers sont grippés, la
croissance est en berne, amorphe, les investisseurs se font désirer, l’inflation est
galopante, le taux de chômage explose et particulièrement des jeunes et des
diplômés qui font 350.000 des 15 % de la population active en chômage. Le
tourisme, un des atouts phare de l’économie tunisienne, est en perte de vitesse.
Les hôtels ferment çà et là. Les compressions d’effectifs jalonnent le quotidien
des travailleurs très dubitatifs sur leur avenir. Les tours operators ont d’autres
destinations en ligne de mire. Les stations balnéaires sont clairsemées, comme
quoi il ne fait pas bon les remous : « les bruits font peur aux essaims ».
Les fournisseurs attendent la liquidation. La dette intérieure comme extérieure
explose. Le budget, les finances publiques sont à la traine, les 2 % dans les
phosphates du monde ne règlent pas les problèmes. L’économie est en chute
libre, c’est la débrouille à qui mieux mieux, l’activité informelle s’étend et
s’implante, l’État perd des recettes, les ambitions fiscales baissent, naguère
florissantes avec les milliers de PME venues de l’Europe proche s’implanter. Les
acquis démocratiques semblent avoir un sévère coût.
L’État démocratique joue sa partition, renoue avec la diplomatie du monde,
mais l’économie tarde à se remettre. Les capitaux sont appelés du pied pour une
relance économique, seul gage de prospérité et de bonheur pour un peuple en
quête d’avenir.
L’Afrique du Sud, grand allié des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) affiche
ses ambitions sur le continent, et déroule son programme toujours plus
volontariste en matière d’investissement en Afrique. De la première République
postapartheid de Nelson Mandela au dernier gouvernement de Jacob Zuma, les
problèmes économiques des populations noires et indiennes persistent, les
revenus tardent à être redistribués. L’accès aux ressources est problématique, les
terres et les moyens de production économique sont toujours aux mains de la
population blanche. Une véritable classe intermédiaire noire tarde à se former.
Ce qui occasionne un profond malaise perceptible à tous les niveaux de la
société : insécurité, banditisme, trafic en tout genre, rejet systématique de
l’étranger, pris pour cible par une jeunesse désemparée. Preuve que la
ségrégation n’est plus raciale de fait, mais profondément économique.
De la 137e place mondiale, la Côte d’Ivoire en pleine croissance en 2010,
avec un taux de croissance oscillant entre 3 et 3,5 %, passe en 2016 à la 48e
place. Les cours des matières premières se relèvent. Le cacao, le café et l’or
redécouvrent de la vertu et des couleurs. Les projets infrastructurels sont
grandioses.
L’indice de pauvreté atteint les 48 % malgré son triomphe économique sur
fond de paix précaire. Seuls 15 % des milices ont été démobilisés. Circulent
encore aujourd’hui plus de 160.000 armes de tout calibre aux mains des
com’zones (commandant de zone) et leurs milices dévouées, mais enfin, quand
l’économie va, c’est sans doute un critère fédérateur. La redistribution des fruits
de la croissance y contribue, attenue les frustrations et les tentations
démoniaques. Vivement la paix.
Mais nos craintes s’épaississent. L’instabilité se profile à l’horizon.
Le 5 janvier 2016, une mutinerie des forces nouvelles démobilisées et
intégrées dans l’armée régulière, éclate dans la deuxième ville ivoirienne de
Bouaké, puis s’étend à Daloa, Korogho et Abidjan. Les explosions détonnaient
toute la nuit. Les voies d’accès des villes furent systématiquement verrouillées.
Les militaires insatisfaits de leur sort réclament des améliorations de salaires et
de logements pour leurs familles, des arriérés de prime qui se chiffrent en
milliards.
Les accords passés avec les rebelles refont surface, les militaires les rappellent
aux politiques dans un concert de kalachnikovs, de fusils d’assaut et de
mitraillettes. Les autorités s’empressent de faire la courbette devant les mutins,
preuve que la paix est précaire. La situation insurrectionnelle couve et peut à tout
moment s’emparer du pays. L’équilibre est de façade. La République tient sur
des béquilles, convalescente, mais pas guérie.
Le printemps arabe a eu le mérite de débarrasser l’Égypte de la dynastie
Moubarak, sans doute un changement nécessaire attendu de longue date. Mais, il
a été sur le plan symbolique le déclic pour une période de trouble économique
avec la mise en retrait des investisseurs, des milieux d’affaires apeurés par la
venue au pouvoir des islamistes, frères musulmans sur qui pèsent des
présomptions et des soupçons. Les gages donnés par le Président Mohamed
Morsi n’ont rien pu faire. Les investisseurs marquent le pas, méfiants et soucieux
de leurs fonds. Les militaires sous la direction d’Abdel Fatah El Sissi s’emparent
du pouvoir en 2014. Le nouveau Président entame une chasse à l’homme des
frères musulmans pour redonner confiance aux investisseurs. Il s’ensuit une
répression féroce, des emprisonnements par centaines, l’isolement carcéral de
Morsi, mais l’Égypte reste à la 93e place.
Abdel Fatah El Sissi met en place un gouvernement de technocrates pour
séduire et ramener les milieux d’affaires, mais la baisse du baril de pétrole
préoccupe les investisseurs du golfe qui fouinent ailleurs. La livre égyptienne se
déprécie, l’inflation galope et même vite. Le pays des pyramides est de moins en
moins visité. Le tourisme bat de l’aile, les attentats n’aident pas.
L’incertitude, l’instabilité, la corruption, l’impertinence des gouvernants, les
transitions brutales sont la hantise des investisseurs hommes d’affaires.
On voit bien qu’en Afrique, un groupe de pays se détache du lot des
médiocres et d’attardés qui se singularisent dans une instabilité politique
institutionnelle ou économique. Les problèmes présents de développement sont
occultés, remballés en second plan au profit de privilèges personnels, d’intérêts
partisans qui minent le quotidien de millions d’Africains qui, en désespoir de
cause, cherchent vaille que vaille à s’en sortir par l’informel, la débrouillardise.
L’État en tout point, en tout lieu est absent.
Ces quelques pays prêts à arpenter les sommets abrupts pour sortir les citoyens
de la pauvreté endémique déploient généreusement des efforts dans la marche
ininterrompue du temps. Dans ce groupe restreint de pays africains en quête
d’émergence, figurent l’Afrique du Sud, le Nigéria, l’ile Maurice, le Ghana, le
Rwanda, le Maroc, la Tunisie, l’Égypte, la Côte d’Ivoire, le Kenya. Des pays au
profil économique, social et culturel différent, mais qui ont tous en commun, une
même envie, une volonté farouche et inébranlable de sortir du statu quo, de la
torpeur plusieurs fois décennale, de la supposée fatalité, pour entreprendre,
innover, et se structurer sur les plans agricole, industriel, culturel, même
diplomatique par des méthodes et des procédés révolutionnaires. L’embellie de
leur économie se perçoit à travers différents signaux au détriment des
« paresseux » toujours empêtrés dans la routine, le colmatage et l’asservissement
continu des peuples.
CHAPITRE VIII

L’INTÉGRATION AFRICAINE, LA VRAIE ALTERNATIVE


À LA POLITIQUE DE SABORDAGE ET D’AUTOMUTILATION

La CEDEAO, le défi de l’agriculture


Des experts des pays membres de la CEDEAO se sont retrouvés en forum à
Dakar pour réfléchir sur les mécanismes de financement d’une production
rizicole suffisante et durable durant le mois de septembre 2015. Un conclave qui
réunissait les participants de l’espace que sont les ministres de l’Agriculture,
leurs experts et les traditionnels partenaires au développement. Tous affichent
une ambition d’arriver à l’objectif de 25.000.000 de tonnes de riz blanc en 2025
en vue d’accroitre significativement les revenus des producteurs, de combler le
déficit commercial en réduisant drastiquement l’importation de produits
alimentaires comme le riz.
Une agriculture qui a aussi comme vocation de freiner le mouvement
migratoire des jeunes selon les propos du Premier ministre sénégalais M.
DIONE : « L’agriculture peut et doit jouer un rôle important pour arrêter ce
drame humain qui nous prive d’une bonne partie de nos ressources humaines les
plus entreprenantes. Il nous faut continuer à transformer profondément notre
agriculture. Nous ne devons plus la considérer comme une activité de survie ou
activité par défaut, mais comme un secteur économique à part entière où il est
possible d’investir et de rentabiliser son investissement. C’est une des conditions
pour retenir les jeunes, freiner l’exode rural et booster les productions
agricoles ».
Semble-t-il l’envie est là, mais la volonté fait défaut. Depuis plus de 40 ans
que la CEDEAO existe, aucun effort n’est fait dans ce sens. Seuls sonnent à
chaque colloque, séminaire ou sommet des déclarations d’intentions, des vœux
pieux pendant que les peuples de la CEDEAO s’enlisent dans leurs misères
quotidiennes, les paysans n’ont jamais accès aux financements, l’encadrement
technique fait défaut, les circuits de conservation manquent cruellement,
l’organisation de la commercialisation peine à être structurée. Plus de 60 % des
Africains de l’Ouest vivent en campagne et sont souvent agriculteurs, mais
n’arrivent pas à se nourrir, se prendre en charge. Leurs productions les tiennent à
peine 7 mois. Le reste de l’année, c’est la disette, la débrouille au quotidien.
L’importation de denrées alimentaires est constatée depuis les premières lueurs
de l’indépendance. Les paysans asiatiques ont toujours nourri leurs homologues
africains. Et pourtant 60 % de terres arables se trouvent en Afrique où le réseau
hydrique est aussi des plus denses au monde. Un continent arrosé suffisamment
pour une agriculture durable hors des contraintes atmosphériques.
Les politiques attendent tous des financements innovants qui viendraient de
l’extérieur au lieu de centraliser leurs efforts dans la recherche, la production de
semences de qualité, la production d’engrais en qualité à partir des immenses
gisements de phosphates qu’ils détiennent, la mise à disposition d’organismes de
financement des projets agricoles à l’échelle régionale, l’organisation de la
distribution et de la commercialisation des produits dans l’espace CEDEAO.
Bref, comme le dit éloquemment Jacques Diouf, ancien Directeur de la FAO :
« on sait tout ce qu’il faut faire, il reste d’agir. Des décennies de colloques, de
séminaires ont posé tous les problèmes sur la table des différents régimes
d’Afrique et des responsables des organismes régionaux. Des solutions ont
toujours accompagné les diagnostics ». Rien n’était laissé par hasard. Il a
manqué juste des actes, des décisions courageuses et responsables pour
transformer le calvaire du peuple en bonheur de vivre, de s’autogérer, d’être
acteur de développement plutôt que d’être confiné au statut d’éternel assisté.
D’ailleurs lors de ce colloque, le commissaire de la CEDEAO chargé de
l’agriculture ne dit rien de moins que ça, lui qui parle de mise en place de stocks
alimentaires à l’échelon régional pour assister les populations.
Des stocks alimentaires mis en place par les États membres pour répondre à la
demande des populations. Cela dénote le peu d’ambition et le manque criard de
vision, d’orientation stratégique pour un fléau qui n’en est pas un. Les États
d’Afrique de l’Ouest ont les moyens de se nourrir, de se prendre en charge, de
permettre que les paysans, les agriculteurs, les citoyens s’épanouissent au lieu de
tendre la main, ou de dépendre d’hypothétiques stocks alimentaires. D’ailleurs la
coordonnatrice du groupe des bailleurs, BEGONIA A. RUBIOSAIZ n’a pas
manqué de fustiger l’attitude attentiste trop nonchalante et laxiste des autorités
régionales. Elle invite à plus de volonté, « force est de constater que le
financement de la politique agricole régionale reste encore très dépendant de
l’aide extérieure. Les partenaires ne devraient en aucun cas remplacer les États
membres. L’engagement de la CEDEAO à financer le plan quinquennal à
hauteur de 150 millions de dollars a été pris en 2009, mais à la date
d’aujourd’hui, cet engagement n’est pas tenu bien que les dernières années
coïncident avec la période de la plus grande croissance économique jamais
observée dans la région ». Organiser l’agriculture ou la vie des ressortissants de
la CEDEAO seulement à partir de l’aide extérieure me parait absurde et
témoigne du peu de responsabilité des décideurs africains face aux sorts des
peuples, ils dépensent annuellement dans leurs déplacements onéreux, les
festivités grandioses, les colloques inutiles, les séminaires de parade, les
campagnes politiques plus qu’il n’en faut pour mettre en place un fonds pour
l’agriculture ; une source de financement pour une transformation structurelle de
l’agriculture.
Les paysans ont la terre, l’eau, le temps et la volonté, le courage à toute
épreuve, seul leur manque le financement qu’ils attendent depuis la nuit des
temps. D’ailleurs certains d’entre eux pensent que l’indépendance les a
appauvris. Sans nul doute la jeunesse continuera de migrer, partir est le seul mot,
le rêve, l’objectif de tous les jeunes en âge de travailler et qui ne trouvent pas un
seul stage, un seul entretien. Les milliards promis aux chefs d’État africains au
sommet de Malte ne suffisent pas à les retenir, ils partiront par air, par terre et
par mer et le plus souvent dans des embarcations de fortune de manière
clandestine, mais ils partiront contre vents et marrées. Pour eux, il n’y a qu’un
obstacle, qu’une mer à franchir, la Méditerranée pour accéder au bonheur. Il faut
affronter une dernière fois la mer houleuse pour échapper à l’enfer qui a bercé
leur enfance et jalonné leurs parcours d’élèves, d’étudiants et enfin de chômeurs
de longue durée, rien ne les arrêtera ni les fronts, ni les garde-côtes armés de
Lampedusa, de Ceuta, de Melilla, de Malte ou Chypre. Ceux qui partent de
l’enfer n’ont rien d’autres, aucune envie que de partir, loin le plus possible vers
d’autres cieux, d’autres paradis rêvés et inconnus. Le Sahara est depuis un
cimetière.
Du Niger à l’Algérie vers le Maroc, les squelettes humains à peine ensevelis
jonchent le sable mouvant du désert. Les cadavres sur la route ne découragent
pas ceux qui partent, leur rêve a une prise directe sur la réalité. Ils savent que
cela ne peut pas être pire.
Les jeunes, on ne les retient qu’avec des programmes novateurs, des
stratégies, des volontés, des financements à la mesure des projets, un
accompagnement technique, des formations adaptées à la vocation ou aux
besoins. Des discours, il y en a assez en Afrique, de très pompeux d’ailleurs au
contenu alléchant, mais des actes très peu. Les populations attendent des
dirigeants, les vrais qu’ils sachent les prendre en charge, s’occuper de leurs
problèmes, leur donner l’envie et les moyens d’entreprendre à l’image de
Thomas SANKARA dans la révolution verte. Hélas en voilà un qui devait
inspirer tous les autres. Il a balisé le chemin et ouvert la voie pour son parcours
éphémère de Président combattant au service exclusif du Faso et de l’Afrique.
Un combat pour restaurer l’idéal africain, de vivre libre, autonome, épanoui,
capable de s’autogérer et d’envisager un futur radieux avec les seules stratégies
locales, l’argent, la vision et l’expertise locale.
Il faut plus que des forums, mobiliser des efforts, des intelligences, rendre
disponibles des financements pour que l’agriculture nourrisse son homme dans
l’espace CEDEAO.
L’intégration africaine : SADC, EAC, COMESA
Unanimement, les usagers des ports africains sont d’accord que les procédures
de dédouanement étaient trop lentes et même à l’arrivée, très coûteuses. La durée
varie selon les pays et les espaces régionaux, mais peut aller au-delà de 20 jours
et même trente par endroits. Des droits très élevés de l’ordre de 15 % pour à
peine 4 % dans le reste du monde. Cela conforte la thèse des afropessimistes qui
alignent que les gouvernements ne tablent que sur les recettes fiscales et
portuaires pour espérer faire du développement. Mais toujours est-il que la
lourdeur des procédures et les coûts onéreux préoccupent les usagers, industriels,
opérateurs économiques et autres agents économiques de par les effets induits.
Nul doute que la contraction des délais profiterait énormément aux échanges
intra-africains, toujours très faibles ne dépassant guère les 12 % du volume des
échanges de l’Afrique. Dans la Communauté européenne, il atteint 70 % et 55 %
entre États asiatiques. Ce qui dénote une grande vitalité des activités
commerciales et industrielles, un gain de productivité incommensurable. La
chaine de valeur à tous les niveaux en bénéficie grandement. Ce dynamisme
économique doit inspirer l’Afrique pour davantage décloisonner les pays et les
organisations, harmoniser le cadre législatif et réglementaire. Quand 88 % des
échanges d’un continent se passent avec des partenaires extra-africains, il y a
lieu de revoir les ambitions du continent. Au sud de l’Afrique, au centre et à
l’est, une prise de conscience nouvelle semble avoir pris forme depuis le 10 juin
2015, date de la signature d’un accord de libre-échange entre trois communautés
économiques désireuses de venir à bout des contraintes de temps et de coûts qui
annihilent les efforts de densification de l’activité et des échanges dans leurs
espaces communs.
Il s’agit de la communauté de développement de l’Afrique australe (SADC),
du marché commun des États d’Afrique orientale et australe (COMESA) et de la
communauté d’Afrique de l’Est (EAC). Au total, c’est une entité nouvelle, forte
de 27 États membres qui décide de s’autogérer, s’autoréguler, s’auto-administrer
pour espérer augmenter le volume des échanges jusqu’à concurrence de 30 %.
Ce qui en termes de croissance représente un peu moins de 0,5 point par an
d’après les estimations du centre d’études prospectives et d’informations
internationales de Paris.
C’est certes un pas qui ne suffit pas, mais va dans la bonne direction pour une
vision nouvelle, une dynamique nouvelle à enclencher par les États africains
dans le cadre de processus d’intégration qui tarde à se matérialiser. Trop souvent
les effets d’annonce, les sommets, les délibérations sans suite ni suivi ont installé
une trop grande léthargie soumettant tout le continent au dictat des partenaires
d’Asie, d’Europe et d’ailleurs puisque pour la plupart des États, les balances
commerciales sont toujours déficitaires sur de très longues périodes, la maitrise
de la technologie est un préalable pour se restructurer, s’industrialiser davantage
afin de pouvoir transformer toutes ces matières premières exportées en quantité,
des millions de tonnes vers les zones industrielles d’Asie, d’Europe et des
Amériques au détriment des jeunesses africaines qui perdent quotidiennement
l’occasion d’étrenner leur premier emploi. Les ressources naturelles, les
richesses du sol et du sous-sol sont depuis la nuit des temps vouées à
l’exportation sans interruption sans qu’aucune tendance ou initiative contraire ne
voie le jour.
La position de l’Afrique dans le schéma économique mondial semble être
définie, réduite à fournir aux autres les ressources minières, halieutiques,
forestières et agricoles. C’est somme toute facile à assumer comme mission,
mais elle n’est pas payante, pas productive et surtout très dommageable. Pour
que l’union de ces 27 pays aboutisse à un marché commun dynamique, prospère
et rayonnant, profitable à tous, il faut au-delà du cadre réglementaire défini par
ce traité du 10 juin 2015, poser les bases d’une intégration physique par la mise
en place de projets structurants d’infrastructures routières, ferroviaires, fluviales
et maritimes. Construire davantage de ports, de routes, des pistes, des autoroutes,
accomplir des progrès considérables dans la fourniture énergétique pour des pays
dont les sources d’énergie héritées de la colonisation ne sont plus suffisantes ou
ne produisent plus assez du fait de leur caractère obsolète ou du volume des
demandes à satisfaire. C’est un enjeu économique que de maîtriser la production
et la fourniture énergétique aux usagers. En nombre d’habitants, le nouvel
espace créé qui réunit 625 millions dépasse les 450 millions de l’Union
européenne, mais n’a pas ses revenus. Le cumul des richesses produites fait
exactement 1000 milliards de dollars qui peuvent dans le sillage du traité
augmenter sensiblement d’année en année en fonction des choix et des
orientations spécifiques en matière d’ouverture, d’union et d’intégration. Les
micro-États ne régleront aucun défi. Bien au contraire l’Afrique s’est fourvoyée
du fait de son émiettement qui a toujours été l’entrave majeure à son
développement. 27 États réunis peuvent faire beaucoup, c’est un immense
marché à pourvoir.
La SADC fait partie avec le MERCOSUR, l’ASEDAN, la SARRC des projets
d’intégration très aboutis entre les pays du Sud. La SADC regroupe des pays
comme l’Angola, le Botswana, le Lesotho, le Malawi, le Mozambique, le
Swaziland, la Tanzanie, la Zambie, le Zimbabwe, la Namibie, l’Afrique du Sud,
l’île Maurice, la République démocratique du Congo et Madagascar. C’est une
communauté très dynamique.
Promouvoir le renforcement et la création d’espaces régionaux est vital pour
les pays du Sud et d’Afrique en particulier. Le régionalisme n’est sans doute pas
le rejet de la mondialisation, ni une réponse, mais un outil pour se prémunir des
effets pervers de la mondialisation.
En général ces États ont des niveaux de développement plus ou moins
comparables, baignant dans le même espace géographique avec un cadre
normatif partagé, les accords signés y sont plus équilibrés et facilement plus
faciles à gérer. Les avantages comparatifs bénéficient mutuellement aux
différents protagonistes, les économies sont de ce fait plus diversifiées, les
déséquilibres et désagréments des marchés internationaux mieux contenus, les
répercussions moindres. Au-delà de la dimension commerciale à réglementer
dans l’espace (la facilitation des échanges par l’élimination des barrières et
obstacles, tenant au délai, au cadre législatif à améliorer, d’une réglementation
commune), l’espace régional est le lieu par excellence d’harmonisation des
politiques entre nations, dans les domaines financiers, économiques, militaires et
sécuritaires, la recherche et le développement des échanges de coopération
technologique et diplomatique.
À juste titre les territoires et les régions doivent s’ouvrir, s’intégrer, se
renforcer dans une dynamique unitaire de mutualisation des efforts et des
ressources pour l’exécution de projets communs et l’accomplissement de
services communautaires. L’intégration doit dépasser vite le cadre formel
théorique et périphérique du discours politique souvent de circonstances. Elle
doit être circonscrite dans les actes pour davantage de visibilité et d’utilité aux
citoyens.
Un ambitieux projet d’interconnexion entre la Mauritanie et le Sénégal, par
une ligne électrique de 225kv est à saluer comme exemple à suivre. La
Mauritanie dispose d’un excédent en énergie électrique qu’il faut évacuer au
Sénégal demandeur à souhait, pour un coût de 111,3 millions d’euros. Un
renforcement du réseau d’un pays voisin qui profitera aux populations
frontalières riveraines par l’amélioration de leurs conditions et cadre de vie.
D’autre part, par une mise à disposition de crédits, la Banque européenne
d’investissement met 55,7 milliards de F CFA pour un projet électrique dans le
cadre de l’OMVG (Organisation pour la mise en valeur du fleuve Gambie) afin
de permettre « la construction d’une ligne haute tension 225kv devant permettre
le transport de l’électricité du barrage hydro-électrique de Sambangalou à
Kédougou et Kaléta en Gambie aux foyers de consommations dans ces différents
pays. Ce projet est aussi déterminant pour les pays membres de l’OMVG : la
Gambie, la Guinée Bissau, le Sénégal et la Guinée Conakry. »
CHAPITRE IX

DU GATT À L’OMC, EXAMEN CRITIQUE DU TTIP ET DES


APE : ÉTUDES COMPARÉES (MARCHÉS DE DUPES)

Considérant que la crise de 1929 a été exacerbée par le comportement


belliqueux et trop permissif de certains États dans leurs modes de gestion
financière et économique, jugés trop protectionnistes, des négociations furent
engagées par un groupe de 23 États soucieux de mettre en place les mécanismes
d’une saine coopération économique s’appuyant sur des relations commerciales
fécondes et durables. Ainsi la libéralisation des échanges et des investissements
s’affiche comme ambition du groupe des 23 à l’avant-garde de ce projet.
D’intenses efforts seront poursuivis, d’âpres et interminables négociations au
sein des commissions dédiées pendant plusieurs décennies. La volonté d’en finir
avec le protectionnisme était réelle, manifeste et affirmée par tous les
protagonistes qui n’ont de cesse de jouer sur tous les tableaux : incitation,
pression et séduction.
Le GATT fut créé en 1947, le trente octobre précisément (General Agreement
on Tariffs and Trade en anglais) traduit en français par l’Accord général sur les
tarifs douaniers et le commerce général.
Une première, qui sonne dans les relations commerciales empreintes de
protectionnisme comme une véritable révolution. C’est le début de
l’harmonisation des politiques douanières ; la limitation des quotas
d’importation et d’exportation fut de facto décidée, les droits de douane
subséquemment réduits, élargissant du coup les marchés qui s’interpénètrent,
créant cette ouverture tant recherchée dans les relations d’État à État et
concomitamment intercommunautaires.
Les avantages comparatifs des différents pays membres furent ainsi mis à
contribution pour faire baisser les prix au consommateur, optimiser l’utilisation
des facteurs de production et donner un véritable coup de fouet nécessaire à
l’emploi longtemps en stagnation dans un contexte particulier de crise et de
sortie de Deuxième Guerre mondiale affreuse parce que meurtrière, onéreuse et
déstabilisante. Autant de facteurs qui militent dans le sens d’une nouvelle
orientation de l’économie d’après-guerre, fragilisée, vulnérable. Sa
restructuration s’avère nécessaire pour en tirer la quintessence.
L’utilisation des avantages comparatifs dans la production est le ferment de la
doctrine du libre-échangisme qui s’appuie sur le leadership de chaque pays dans
son domaine d’activités réservé où il ne peut être concurrencé.
Faire en sorte que la spécialisation du système productif permette à chaque
État de tirer profit des échanges, le maximum possible pour davantage mobiliser
son économie et favoriser l’investissement pour le plein essor escompté.
Conséquemment, les législations nationales, les lois d’investissement, les
règlements, les codes furent perçus comme de véritables freins au commerce, et
seront la cible des négociateurs du GATT dans une perspective réelle de les
abroger. L’organisme ambitionne la suppression totale de toutes les barrières et
la libéralisation du commerce pour davantage intégrer et fédérer les économies
toutes soumises aux conditions expresses du marché qui ne s’accommodent plus
des encombrantes législations nationales ou intercommunautaires trop
restrictives, opaques, rigides, contraignantes et protectionnistes par essence.
Cependant, force est de rappeler que malgré cette volonté commune affichée,
cette débauche d’énergie, et l’agitation formelle, les États bien que membres ne
se sont jamais encombrés de scrupules chaque fois que des pans de leurs
économies étaient menacés, de se replier et de jouer à fond le protectionnisme ;
n’en déplaise à l’esprit de groupe.
Certains secteurs furent littéralement protégés, ce qui se traduisit concrètement
par des subventions accordées aux entreprises, des situations de monopole créées
pour les entreprises publiques comme privées. D’ailleurs il reste à souligner que
pour la plupart, certaines sont devenues des multinationales par ces procédés
décriés qui n’ont jamais été abolis ni à l’époque, encore moins maintenant.
Le GATT devait venir en appoint aux efforts déployés par le Fonds monétaire
international (FMI) et la Banque mondiale dévolus à la reconstruction des États
d’après-guerre pour soulager leurs économies fragilisées et vacillantes. C’est
dans ce contexte particulier que le GATT avec toute la philosophie libre-
échangiste qui le sous-tend fut mis à contribution. L’objectif de développement
fut clairement affiché par les protagonistes et tous les éléments qui conditionnent
la croissance et l’industrialisation, c’est-à-dire la mobilité du capital, les facteurs
de production, l’accroissement des investissements et leur protection
incidemment, la levée des restrictions et entraves au commerce furent identifiés.
Ces éléments étaient les gages essentiels de l’ouverture et de l’expansion du
commerce mondial qui se doit désormais d’être plus libre, plus facile, mieux
opérationnel pour s’être libéré des contingences locales des micro-États dont la
souveraineté sur des questions de cet ordre est perçue comme un bémol au
développement dont le processus est enclenché au milieu du vingtième siècle
après deux guerres fatales sur le plan économique et social.
Le traumatisme économique est marqué, le seuil critique est entamé. De ce fait
le libre-échangisme est perçu d’office comme le remède miracle au mal
développement et par ricochet la réplique nécessaire du communisme
flamboyant et très au point durant cette partie critique du vingtième siècle. De
négociation en négociation, les promoteurs du GATT généralisent les accords à
d’autres secteurs tels que la propriété intellectuelle ou les services. Tout y passe,
la compétence s’élargit.
Des dizaines d’accords sectoriels furent obtenus dont celui de l’agriculture
durant le cycle de l’Uruguay qui dure de 1986 à 1994 âprement discuté et très
certainement le plus concluant en termes de nouveaux accords et réduction
substantielle des tarifs douaniers. Le cycle de l’Uruguay a consacré le marché,
adoubé le libre-échangisme, affaibli les monopoles et privilèges des États pour
instituer à la place du repli, du protectionnisme, une doctrine nouvelle de
libéralisation débridée du marché et des échanges. Un défi au monde
communiste jugé fermé, arbitraire et monotone. C’est un changement majeur,
brusque dans les paradigmes, les choix de gouvernance, les politiques
économiques qui, du coup, impactent et bouleversent la vie des populations qui
doivent dorénavant s’accommoder d’une façon nouvelle de « penser » et de
« faire » l’économie de leurs États.
Ce tournant oriente l’économie mondiale d’exigence en exigence, de réduction
en réduction, d’accord en accord concourant tous à l’émergence ou la mise en
forme d’une vision nouvelle de développement, d’une stratégie économique et
commerciale qui s’impose comme seule alternative au mal développement qui
gangrène la vie des peuples et des nations.
Ce long et fertile cycle de l’Uruguay riche d’enseignements conduit à la
création de l’organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994 à Marrakech,
un repère historique dans la prodigieuse marche des peuples pour la sauvegarde
et le plein épanouissement. Au terme d’accords multiples et variés, l’OMC
affirme sa toute-puissance, se met en branle et oblige les États à entamer leurs
souverainetés pour s’insérer dans la dynamique de groupe, altérant leurs
législations et codes locaux pour les rigueurs du libre-échangisme et des lois
nouvelles supranationales auxquelles adhèrent désormais 120 pays membres.
L’organe de règlement des différends (ORD) permet à l’OMC de faire
respecter ses volontés et décisions qui soumettent tous les États signataires.
Toutes les législations des États membres sont passées au peigne fin afin d’en
extirper toutes les contradictions et tous les freins aux accords internationaux
conclus. Sous l’égide de l’OMC, le commerce international renforce les
puissants et les forts qui se taillent la part belle au détriment des plus faibles, des
plus démunis, des plus vulnérables qui se sont délestés de leurs législations
nationales, mais ne font que se soumettre à d’autres lois, d’autres volontés plus
puissantes, moins protectrices, toujours avides de privilèges et de concessions
multiples. Une batterie de mesures de libéralisation du commerce et de
l’investissement voit le jour.
Le principe de non-discrimination entre les pays : l’égalité et le traitement
équitable fondent ce principe qui est basé sur :
La clause de la nation la plus favorisée : stipule que tout avantage ou privilège
concédé par un pays à un autre tiers doit obligatoirement revenir de facto à
l’intégralité des pays liés par le même accord qui réglemente ce domaine.
Dans l’article 3, il est fait état du traitement national qui confère les mêmes
droits et avantages aussi bien aux entreprises étrangères qu’à celles nationales.
Les investisseurs nationaux et étrangers obéissent à cette même règle sur le
traitement national. Les pays du Sud et plus particulièrement d’Afrique, faibles
par essence, ont longtemps souffert de ce principe handicapant dans leur
recherche de développement économique parce que les soumettant aux mêmes
règles, les mettant en concurrence avec d’autres acteurs mieux armés, plus assis
économiquement, mieux équipés industriellement, plus liquides financièrement.
Une concurrence presque déloyale fondée sur une philosophie de l’absurde qui
exige des plus vulnérables de se découvrir, davantage se soumettre pour espérer
en sortir plus forts et gagnants.
Toute politique qui favorise les nationaux ou la production locale est bannie,
les multinationales ne peuvent être contraintes au terme du cycle de l’Uruguay
d’utiliser la production locale pour quelques raisons que ce soit, promotion des
produits locaux ou sauvegarde de l’emploi domestique. Pour ces multinationales
le recours aux produits importés est sans limite. Les produits locaux ne peuvent
leur être opposés.
Au terme du cycle de l’Uruguay, l’accord sur l’agriculture fut signé (ASA)
conséquemment les taxes douanières sont rabotées pour tous les pays. Les
mesures de régulation des marchés agricoles passant par la stabilisation des prix,
la constitution de stocks alimentaires de sécurité, les politiques agricoles
construites sur des décennies sont démantelées. Les prix des denrées agricoles
furent tous alignés, calés sur les cours mondiaux. L’agriculture est à la bourse, la
vulnérabilité alimentaire s’installe avec son cortège de misère. Pendant que les
pays pauvres sous ajustement structurel réduisent leurs droits de douane,
suppriment leurs stocks alimentaires, les pays riches subventionnent à coup de
milliards leurs paysans atteignant des productions records qui sont déversées au
Sud pauvre et soumis qui accueillent le trop-plein des nantis en quête de
débouchés pour leurs cargaisons de denrées alimentaires. Les multinationales se
sucrent, les pauvres pleurent et suffoquent, les exploitations familiales
disparaissent, des paysans se suicident comme en Inde, accablés de dettes qu’ils
ne peuvent rembourser. Le libre-échangisme fit plus de victimes que d’heureux
gagnants.
La Banque mondiale et le Fonds monétaire international, assignataires de ces
politiques d’ajustement et de libéralisation tous azimuts aggravent leur supplice.
La misère des pays du Sud, l’insécurité alimentaire, la faible progression de leur
production agricole trouvent leur source dans la signature de l’ASA au terme du
round d’Uruguay. Les paysans africains ont payé un lourd tribut qui les
pourchasse encore et maintenant. Cela est pour beaucoup dans la dépossession
des terres d’Afrique, les privatisations des terres au profit de l’agrobusiness et la
location abusive des grands domaines.
La libéralisation bénéficie aux seules multinationales, aux pays riches qui se
construisent sur le malheur, le drame des peuples, qui par régions, se précarisent,
se soulèvent, se mettent en guerres ethniques, tribales, sécessionnistes. Les
populations peinées se déplacent, si elles échappent aux massacres.
Les mouvements de populations sont intenses et sans répit. Les réfugiés
politiques et économiques sont légion. Ces traités internationaux sont taillés sur
mesures pour les multinationales.
L’intérêt de la création de l’OMC avait été vite perçu par les multinationales
qui ont pesé de tout leur poids pour orienter les accords, fait le lobbying
nécessaire pour infléchir les positions des États sur certains aspects contraignants
de leurs législations jugées abusives. Elles inscrivent leurs priorités à leur agenda
et font tout pour les faire adopter par l’OMC. L’intercession des USA défendant
leurs innombrables multinationales gigantesques, a joué auprès des petits États
pour faire accepter l’idée que les intérêts des entreprises transnationales doivent
être ménagés à tout prix.
Les progrès spectaculaires réalisés au cours de ces dernières décennies dans le
domaine des technologies de l’information et de la communication (tic) ont eu
beaucoup d’incidences dans les échanges mondiaux et le comportement des
acteurs.
Elles ont ceci de particulier qu’elles facilitent les échanges d’informations,
leur accessibilité immédiate, leur traitement simultané, leur prise en charge
respective de part et d’autre du monde, accentuent les mouvements et transferts
de capitaux, fluidifient les échanges économiques et commerciaux, boostent les
pratiques, rendent possibles et imminentes toutes transactions financières. Le
gain de temps est sans commune mesure par rapport au passé. Il s’ensuit une
rapidité d’exécution des tâches, une proximité inégalée, une plus grande et
parfaite disponibilité des produits et des services. Les prestations se font sûres et
rapides. Une parfaite révolution dans l’environnement des affaires au niveau
international, qui offre aux acteurs une grande marge de manœuvre et un champ
d’action infini.
Les multinationales se déploient désormais dans des endroits inexplorés pour
faire ou accroître leurs volumes d’échanges. Et de plus en plus, elles ne
concentrent plus leurs activités dans un même endroit, mais les répartissent
géographiquement en fonction de la demande, des avantages fiscaux, des
conditions d’acheminement et de distribution des produits finis, de l’attractivité
des pays d’accueil, des conditions telles qu’il existe dans le fameux Doing
business.
ü La facilité de création d’entreprises
ü Les opportunités d’affaires
ü Les relais et possibilités de raccordement à l’électricité
ü Les possibilités de transfert de capitaux, de propriété
ü Les possibilités d’action de prêt
ü Les avantages accordés, les conditions de paiement des impôts et taxes
diverses
ü Le commerce transfrontalier, le voisinage direct S Le Code du travail, les
conditions d’embauche, de licenciement, la flexibilité
Leur implantation obéit à la stricte volonté de tirer le meilleur profit de partout
pour optimiser les rendements. Leurs activités sont charcutées et reparties sur
tous les continents entre leurs différentes filiales et leurs sous-traitants.
La comptabilité, les actifs, le service financier sont domiciliés dans
d’attrayants paradis fiscaux qui garantissent la plus grande opacité.
Les transactions diverses entre filiales et par nécessité avec les sous-traitants
permettent de manipuler les volumes d’activité et de service, d’orienter les
écritures comptables, de localiser les bénéfices dans les endroits qui se prêtent le
mieux aux contraintes fiscales. Dans ce jeu, les entreprises sont passées maîtres
dans la surenchère comme le prouvent à suffisance les “Panamas papers” qui
défraient la chronique. Elles sont gagnantes et triomphent à tous les coups face
aux États faibles, vulnérables, désireux après tout d’attirer le maximum
d’investissements directs étrangers (IDE), prêts à dérouler le tapis rouge, dans
des conditions draconiennes (exonération totale ou partielle d’impôts, remise
gracieuse, faible taux d’imposition, faible exigence sur les normes
environnementales, faible taux d’embauche, emplois précaires, etc.).
Sans nul doute les IDE sont nécessaires, mais pas à n’importe quel prix. Ils
sont en général très convoités et poussent les États à d’énormes concessions
souvent compromettantes pour les populations locales du fait des menaces
écologiques, des désastres environnementaux occasionnés. Les États, les
territoires et les populations elles-mêmes sont suspendus à la stricte et nécessaire
volonté des investisseurs de plus en plus exigeants et très regardants sur la
protection et la rentabilisation des investissements.
La facilité de transfert, de rapatriement des bénéfices et les avantages fiscaux
accordés sont une réelle préoccupation. Le profit est la règle, la rentabilité
financière un dogme au profit exclusif des actionnaires insatiables et toujours
plus près de leurs sous.
Les multinationales gagnent, les États, les entités locales et les populations
trinquent. Comme l’illustre à merveille le drame des populations de la ville de
Rufisque à 30 km de la capitale du Sénégal (Dakar). Voilà une vieille ville
coloniale au passé prestigieux, une ville de prestige, au statut enviable, une des
quatre communes de l’époque coloniale avec Dakar, Gorée et Saint-Louis.
Aujourd’hui, ses bâtiments tombent en ruines, ses rues sont impraticables, les
chaussées sont vétustes et dégradées, les rares lampadaires ne scintillent plus, sa
voirie est problématique, ses canaux à ciel ouvert sont fétides, l’odeur
pestilentielle étouffe tous les passants qui empruntent la route nationale qui
partage la ville en deux. Voilà plus de 5 ans que la jeunesse et le monde sportif
courent dans tous les sens pour la réhabilitation du stade Ngalandou Diouf,
l’équipe locale de football local dispute ses matchs de coupe et de championnat
hors zone. Les ordures jonchent les trottoirs, les jeunes sont désœuvrés, l’école
malade faute d’investissement. Les centres de santé ont de la peine à accueillir le
flot de malades. Tout presse, tout est urgent, le maire M. Diagne sombre dans le
désarroi faute de moyens. L’ordonnateur de crédits lui a signifié qu’il ne peut
plus engager de dépenses pour indisponibilité de crédits. Et pourtant, rien que
pour les patentes, la ville réclame 5 milliards de Francs CFA au Directeur de la
plus grande cimenterie (SOCOCIM) implantée dans la ville de Rufisque depuis
plus de 60 ans, la seule pendant tout ce temps. Elle fournit le 2/3 des besoins en
ciment du Sénégal et se déploie dans les marchés environnants de la CEDEAO
et de la Mauritanie.
Le Directeur refuse de payer et fait une sortie publique proclamant à tue-tête
qu’il ne paie pas, que la patente fait partie des concessions et allégements de
charges au titre des investissements consentis pour la restructuration de l’entité
industrielle. Pour qui connait Rufisque, fortement polluée avec des déboires
écologiques, qui impactent la santé des populations riveraines, une telle position
est indéfendable. De la pure sottise, une surenchère qui indispose tous les esprits
avertis. On ne peut pas polluer la vie d’une aussi grande population sans se
soucier de sa santé, son école, son hygiène, son cadre de vie. À qui la faute ?
Sans doute à l’autorité politique, la simple responsabilité sociétale (RSE) ne
suffit pas. C’est un leurre. Il faut contraindre les entreprises à payer, satisfaire
leurs obligations fiscales à la place de verser de l’aumône. C’est une
responsabilité à assumer, un devoir moral, une humanité à assumer. Faisons la
part des choses. Tout pour les actionnaires, rien pour les populations, me désole.
Pour rendre l’environnement des affaires attrayant et attractif, les pays
africains se sont jetés à corps perdu dans une politique de démantèlement tous
azimuts des normes de sécurité.
La course effrénée que mènent les États africains derrière les multinationales
et les investissements directs étrangers pose des problèmes de performance dans
la collecte des recettes fiscales du fait des régimes fiscaux dérogatoires. Ces
régimes fiscaux dérogatoires s’inscrivent dans la volonté d’attirer le maximum
d’investisseurs en renonçant à tout, comme c’est souvent le cas avec des taxes
fiscales légalement dues par les investisseurs qui s’implantent.
Ainsi dans le souci d’attractivité, les États voisins parent au plus pressé, se
découvrent pour se positionner comme moins disant fiscalement, ce qui
occasionne d’énormes conséquences dans la collecte des deniers publics
nécessaires à l’exercice des politiques publiques. Les besoins sont nombreux et
pressants. Aux problèmes d’hier s’accumulent ceux d’aujourd’hui et demain
annonce son cortège de routes, d’écoles à bâtir, d’hôpitaux à réfectionner, de
pistes et des pensions à payer. Tout est urgence, tout est prioritaire. L’attente est
longue.
La plupart les États d’Afrique subsaharienne ont leurs budgets complétés pour
moitié par les emprunts, les fonds de concours, des dons et legs, l’aide des
bailleurs, la coopération internationale. L’essentiel des fonds propres ne suffit
pas à promouvoir une politique nationale. Il en est ainsi de tout temps depuis
l’aube des indépendances. Dans les rubriques budgétaires, la part réservée aux
dépenses en capital ou dépenses d’investissement est minime par manque de
fonds. C’est là le paradoxe. D’ailleurs à ce sujet, un ancien Président de la
Banque africaine de développement (BAD), monsieur Donald KABERUKA,
affirma avec véhémence et conviction : « l’investisseur qui veut venir dans un
pays ne regarde pas la fiscalité comme facteur. Ce qui l’intéresse c’est le niveau
d’infrastructures, la politique économique menée dans le pays et la facilité que
cet État offre à faire des affaires. Nous pensons d’ailleurs qu’il est important
d’autonomiser les administrations fiscales. Dans les pays où cette solution a été
mise en application, on a toujours constaté une hausse des recettes fiscales ».
Mais les États se couchent sur les législations nationales, sur leur code fiscal, se
détournent des directives régionales pour accorder des exonérations fiscales
injustifiables qui les ruinent et pourtant tous ces fonds en déshérence sont plus
que nécessaires pour soulager les populations en attente de tout.
Dans l’espace de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA),
une directive de 2009 sur le code de transparence des finances publiques, fait
état de l’obligation de produire un rapport d’évaluation de la dérogation fiscale,
ce qui pour la plupart est escamoté par les acteurs. La politique du moins-disant
fiscal est une politique suicidaire improductive, inopérante qui dessert
l’économie des jeunes États africains pauvres, endettés, dépendants de l’aide
internationale et qui doivent davantage se structurer pour bâtir une économie
viable. Renoncer à des milliards légalement dus pour les compenser par des
emprunts à des taux faramineux est une bizarrerie politique, une grosse erreur de
gestion des finances publiques. Le souci de plaire, d’attirer, ne doit nullement
affecter l’exigence de réalisme et de rentabilité, les sous doivent être mobilisés
au profit exclusif des besoins nombreux et variés des villes, des villages et des
couches sociales vulnérables.
En outre, il faut rappeler que les projets financés par la Banque mondiale par
l’intermédiaire de la société financière ne sont pas soumis à l’imposition.
Une clause dérogatoire est préjudiciable à grande échelle à la maximisation
des performances fiscales. Comme le FMI et la Banque mondiale sont les plus
grands bailleurs, la suite se passe de commentaire. « Nous invitons la Banque
mondiale et la Société Financière Internationale, à réviser les directives qui
permettent à des projets, parfois rentables de sortir du champ de la fiscalité »
dixit le ministre du Budget sénégalais lors d’une rencontre africaine au Bénin
courant 2016.
D’ailleurs il ajoute, résigné, « Nous invitons par ailleurs que le point
concernant le nombre d’impôts dans le classement du Doing Business soit retiré,
car il est favorable à des politiques de réduction de l’impôt ». Il faut certes le
dénoncer, mais l’essentiel réside dans la volonté de ne plus subir le dictat des
bailleurs qui imposent à la fois des taux d’intérêt énormes assortis de réduction
et de suppression des droits de douane et des impôts légalement dus. Un
véritable braconnage fiscal. Une perte sur tous les tableaux : l’emprunt et la
réalisation des projets, puisque ce sont les multinationales qui sont attributaires
de ces énormes marchés.
Nos États peinent à mobiliser leurs ressources. C’est là le seul tort et la source
des ennuis. Les impôts à tous les niveaux ne sont pas normalement recouvrés.
L’effort de mobilisation des ressources intérieures peut s’avérer payant peut-être
même plus que le guet des investissements directs étrangers qui obéissent à des
conditionnalités aliénantes à la limite dégradantes. Je demeure convaincu que la
première responsabilité sociétale de l’entreprise est de s’acquitter normalement
de ses impôts, de ses obligations fiscales sans chercher à se dérober ; c’est une
question de bon sens qui ne doit pas être louvoyée ou éludée. C’est plus qu’un
acte de reconnaissance et de responsabilité : « les entreprises où qu’elles soient,
bénéficient en effet de la protection de police et des pompiers. Leurs employés
sont éduqués et soignés par les écoles publiques et les systèmes de santé publics,
ils se rendent sur les lieux de travail en empruntant un réseau routier ou des
transports en commun. Leurs déchets font l’objet d’un ramassage et leurs
installations sanitaires reliées aux égouts : autant de services, d’infrastructures
qui demandent à être entretenus et donc financés ».
Certes par le pacte mondial des Nations unies, principale initiative
d’entreprises qui se déclarent citoyennes, regroupant près de 8000 participants
répartis dans plus de 140 pays, il y a une déclaration d’intention, mais elle ne
doit pas dédouaner de la nécessité de payer les impôts dus aux communautés.
Le pacte mondial est une initiative internationale volontaire selon l’esprit en
matière de responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Elles s’engagent à
aligner leurs stratégies et comportements sur un certain nombre de principes
listés en dix universellement acceptés, touchant aux droits de l’homme, le
respect de l’environnement, les droits des travailleurs, la lutte contre la
corruption, etc.
Succédant à l’Égyptien Boutros Ghali, le rentrant Koffi Annan ouvre grandes
les portes des Nations unies aux multinationales, donnant davantage de gage aux
Américains toujours préoccupés par le sort de leurs champions. Le pacte fut
concocté comme une amabilité réciproque, mais pas du tout respecté dans la
pratique, souffrant de beaucoup de manquement comme dans le delta du Niger
en Afrique de l’Ouest où se déploie Shell qui occasionne un péril sur les
autochtones, d’où la résistance du peuple ogoni entre 1980-1990, au Nigeria,
soldée par la mort de leur Chef KEN SARO WIVA. Le golfe de Guinée est un
désastre écologique. Shell exportateur de plus de 900.000 barils par jour au
Nigeria occasionne un désastre écologique et un drame social incommensurable
sur les ethnies ogoni, agriculteurs et pêcheurs du delta du Niger. Les eaux
polluées n’offrent plus les prises (les captures) nécessaires à la survie, les terres
agricoles sont inondées par les rejets d’hydrocarbures, les nappes sont polluées,
l’eau potable une denrée rare, la vie devient moins facile, source de tensions. Les
espaces se réduisent, la coexistence est problématique, la santé précaire, les
maladies diarrhéiques récurrentes, la mortalité infantile alarmante, les infections
quotidiennes, les espoirs de guérison ou de traitement rares (moins d’un médecin
pour 80.000 habitants). Le travail est rare et la survie problématique.
Conséquence, la révolte s’organise dans le courant de l’année 1993. L’armée
nigériane sera appelée à la rescousse pour voler au secours de la multinationale
Shell qui offre aux officiers et sous-officiers des bonus mirobolants ; la révolte
est matée violemment, des villages entiers sont rayés du paysage, des milliers de
morts, des sans-abris, des désœuvrés qui pleurent leurs proches et s’apitoient sur
leur sort, en toute impuissance et dans l’indifférence, le mépris et la parfaite
complicité des autorités politiques et administratives qui ont choisi leur camp.
Le Chef local ogoni, coordonnateur du soulèvement, KEN SARO WIVA sera
arrêté, accusé de déstabilisation de l’État central nigérian, reconnu coupable et
pendu par l’autorité militaire au pouvoir. Une vilenie toute particulière, d’un
pays, d’une nation qui se saborde, méprisant et cynique envers soi-même. La
multinationale a ses valets locaux. L’enfer continue pour ces innocentes
populations victimes de tout. La richesse s’organise sur le malaise profond des
peuples, perturbés dans leur droit naturel de vivre libres et épanouis sur leur
lopin de terre que les générations se sont relayées depuis des siècles
d’occupation.
À titre d’exemple sur le manque de sincérité de certaines multinationales
malgré les discours pompeux aux relents philanthropes, j’évoque péremptoire
l’affaire du PROBO KOALA qui mouille la multinationale TRAFIGURA au
cœur d’un des plus grands scandales au monde, un crime odieux sur des
populations innocentes « pendant plusieurs mois en 2006, le navire-vraquier
PROBO KOALA a navigué en Europe puis en Afrique de l’Ouest pour trouver
un pays où il pourrait décharger des déchets toxiques. TRAFIGURA a produit
les déchets transportés par ce navire en utilisant de la soude caustique pour
raffiner un produit pétrolier extrêmement sulfureux appelé naphta de
cokéfaction », estime Amnesty International.
Greenpeace et Amnesty International déplorent le fait que TRAFIGURA ne
daigne même pas révéler la nature des produits afin de cerner leur toxicité, leur
impact sur la santé humaine et environnementale, les remèdes et prophylaxies
nécessaires pour soigner convenablement les malades encore très affectés et
désespérés de surcroit. « Nous n’avons rien d’autre à ajouter à ce que nous avons
déjà dit à Amnesty International en 2012 et nous ne voyons aucun intérêt à
poursuivre cette discussion. »
Une décennie après les faits, aucune enquête sérieuse n’a été diligentée aux
fins de déterminer le mobile et les responsabilités des pollueurs, les victimes se
débattent seules entre Abidjan et Amsterdam pour obtenir gain de cause au
niveau local comme international. TRAFIGURA n’est nullement importunée.
L’origine, la nature et même la toxicité des produits déversés à Abidjan et leur
incidence sur la santé humaine, animale et végétale ont été tenues secrètes. La
multinationale maintient le mystère absolu et tente de redorer son blason en
intégrant l’initiative pour la transparence dans les industries extractives en 2014.
Les victimes continuent de craindre pour leur santé. L’impunité est totale aussi
bien pour TRAFIGURA comme pour SHELL dans le delta du Niger qui
semblent couverts par une immunité non conventionnelle les plaçant au-dessus
de toutes les lois et conventions humaines, sans responsabilité aucune.
L’hyper-capitalisme et la recherche effrénée du profit sont la marque de
fabrique des multinationales qui font régner la loi et décident du sort des sociétés
modernes sous l’œil attendri des citoyens et l’impuissance généralisée des
gouvernements qui s’alignent faute de pouvoir faire face à la furie du libéralisme
déshumanisé. Jean Paul Fitoussi, l’une des têtes pensantes du Social Libéralisme
avec Saki Laïdi et Alain Touraine, affirme avec force conviction : « Le marché
est non seulement indifférent, mais allergique au gouvernement ». Des propos
largement corroborés par Laurent Joffrin (Directeur de la rédaction du Nouvel
observateur) : « Ce monde, soyons-en sûr, n’appartient pas aux citoyens, aux
consommateurs peut-être, aux actionnaires sans doute, aux élites économiques
sûrement, certainement pas aux peuples ou à leurs représentants. Ce monde qui
nous attend, ce n’est plus vraiment la démocratie, c’est l’oligarchie. »
À n’en pas douter, le capital a réduit la démocratie à sa plus simple
expression.
L’économie a vaincu le politique qui s’inféode. Les acteurs économiques sont
aux commandes du monde qu’ils façonnent à leur guise selon leurs intérêts
particuliers et exclusifs. Les simples citoyens boivent la tasse, les sociétés se
consument, les familles se désagrègent et les identités sont perdues à jamais,
l’apparence fait ordre au détriment de la réalité, l’humain prend du recul ; dans
un monde de concurrence féroce, la morale et les vertus s’écartent du chemin,
seuls les vices et la bestialité charment les acteurs qui rivalisent d’ardeur,
d’exploits et de tours de passe-passe. Le monde a de nouveaux maitres,
infatigables, féroces et sans pitié.
Pour Joseph STIGLIZ, Prix Nobel d’économie, ancien chef à la Banque
mondiale : « Les grandes firmes s’unissent dans le processus de décision
politique… »
Entre le monde politique et celui des grandes firmes, il y a une réelle osmose,
une complicité, une intégration, une alliance, une cooptation réciproque au gré
des circonstances, des intérêts et stratégies. Cela peut être illustré par les
épousailles entre Goldman Sachs et le Président de la Commission Européenne
sortant Manuel BARROSO qui vient d’être promu Conseiller technique, sans
doute un contrat de droit privé que le monde libre respecte, sans pour autant lui
épargner les commentaires les plus acerbes, les a priori et les déductions.
Beaucoup de par le monde et en Europe se sont faits leur religion sur l’attitude
coupable et complice des politiques et des grandes firmes ; un monde à part avec
ses codes et ses us et coutumes, ses pratiques tout simplement.
Sous Tony Blair et tout le règne de David Cameron, les observateurs
s’accordent sur le fait que la finance était au pouvoir. Les Hedges Funds et les
géants du Private Equity se sont ligués avec le pouvoir. Ils se soutiennent avec la
puissance publique « les trois leaders britanniques des Hedges Funds que sont
Brevan Howard (n° 11 mondial), Man Investments (n° 12) et Lansdowne
Partners (n° 15) recrutent à leur tour d’anciens agents de l’appareil d’État.
Gérant un actif de près de 21 milliards de dollars, Brevan Howard est présidé
par son fondateur Alan Howard qui récoltera pour la seule année 2007 près de
700 millions de commissions. Fidèle soutien du parti conservateur, il en réserve
une partie à ses amis Williams Hague (ministre des Affaires étrangères) et Liam
Fox (secrétaire à la Défense) tous deux futurs membres du gouvernement
Cameron.
Proche des Tories, la société peut cependant compter sur le soutien du
Président de sa filiale BH Global, Lord Turnbull, ancien Directeur de cabinet du
Premier ministre Tony Blair.
Aussi puissant financièrement que son principal concurrent, le groupe Man
Investments fut jusqu’en 2007 dirigé par Lord Stanley Fink (118 millions euros),
ex-trésorier du parti conservateur qui allait par la suite créer l’International
Standard Asset management en compagnie de son partenaire Lord Levy, ancien
conseiller pour le Moyen-Orient de Tony Blair ; ce dernier organisera des années
durant, les collectes de fonds pour le parti alors que son fils assistait de son côté
le Premier ministre israélien Ehud Barak. Fink ayant quitté Man Investments,
l’entreprise dispose toujours du carnet d’adresses des exadministrateurs de sa
filiale GLG Partners : l’Américain William Lauder (Estée Lauder) dont l’oncle
sera secrétaire adjoint à la Défense sous Reagan, l’Espagnol Oscar Fanjul
(Golman Sachs, Carlyle), ancien secrétaire général du ministre de l’Industrie et
de l’Énergie, et surtout Howard Davies, l’ancien Président de l’autorité des
services financiers ; celui-ci est aussi administrateur de la banque américaine
Morgan Stanley où il côtoie le Britannique Jonathan Powell, ex-chef de cabinet
de Blair, Lord Powell siège au conseil de plusieurs groupes américains (Northen
Trust, Hicks Muse Tate end Furst) après avoir été conseil « affaires étrangères »
du Premier ministre Thatcher, une véritable toile d’araignée.
La Turquie a elle aussi bien assimilé les principes élémentaires de
concentration du pouvoir financier et politique aux mains d’une minorité de
privilégiés contrôlée par la famille SABANCE (51 %) et City Group (20 %). La
première banque du pays AKBANK compte parmi les dirigeants Yaman
TORUNER, ministre d’État, président de la bourse d’Istanbul et ancien
gouverneur de la Banque centrale et Hikmet Bayar, ex-commandant en chef de
l’armée. Elle impose en outre un comité international réunissant entre autres le
travailliste Lord Stern et Kermal Devis qui occupera successivement les postes
de vice-président de la Banque mondiale (1996-2000) et ministre du Trésor
(2005-2009), rattaché à la sociale démocratie.
On pourrait aisément allonger la liste des entreprises de Private Equity
dirigées par des investisseurs privés liés à l’État et la haute finance classique.
Révélations faites par Geoffrey GEUENS dans La Finance imaginaire.
Anatomie du capitalisme : des « marchés financiers » à l’oligarchie (Bruxelles,
Aden, 2011), chargé de cours au département Arts et sciences de la
Communication de l’Université de Liège.
Poursuivant le diagnostic sur l’OMC, on note que la conférence des ministres
de 2001 ouvre le cycle des négociations de Doha pour intégrer les pays les moins
avancés, les plus réfractaires dans le système multilatéral de commerce : le
sentiment dominant à l’époque après sept ans d’existence de l’organe mondial de
commerce est que le système favorise dûment les nantis, les forts. Le cycle de
Doha semblait être parti pour corriger les anomalies plus loin les distorsions, les
faiblesses et les injustices constatées dans la déclinaison des programmes
d’ouverture, d’intégration et de libéralisation des échanges. L’OMC était
bloquée pendant onze longues années malgré la signature de consensus de Bali
en 2013. Les pays du Sud devenaient de plus en plus réticents et démotivés. Leur
désarroi, leurs craintes et préoccupations furent systématiquement relayés par les
ONG, les mouvements altermondialistes dénonçant à tue-tête la concurrence
déloyale aux règles truquées entre des forces inégales.
L’idée d’un commerce mondial prospère profitable à tous est battue en brèche
par les sentinelles d’un ordre social nouveau, plus juste et mieux adapté à la
dignité des peuples et à l’essor humain. Deux points essentiels transparaissent
dans le pacte de Bali :
1-La facilitation des échanges, « la simplification et l’harmonisation des
procédures de commerce international, c’est-à-dire les activités pratiques et
formalités liées à la collecte, la présentation, les communications et le traitement
des données nécessaires à la circulation des biens ».
2-Le second point sur l’agriculture favorise une clause de stabilité permettant
aux pays du Sud d’initier des politiques agricoles débouchant sur la mise en
place de stocks alimentaires.
Conscient que l’OMC n’avance plus dans ses négociations, l’Union
européenne, les USA et les États alliés forts vont se lancer sans scrupule dans
une vaste entreprise de contournement de l’OMC sous la dictée des
multinationales qui exercent d’infinies pressions pour soumettre les États, les
organisations régionales ou sous-régionales de par le monde à ouvrir des débats,
des discussions sur des projets de libre-échange afin de valider ce qu’ils n’ont pu
faire aboutir par le canal de l’OMC.
Les accords de libre-échange pleuvent dans les quatre coins du globe.
De la création du GATT, à celle de l’OCDE (Organisation de Coopération et
de développement économique) en 1948, en passant par le consensus de
Washington, l’objectif fut la libéralisation des marchés, briser les chaines du
protectionnisme, lâcher les multinationales à l’assaut du monde. Ces vœux ont
été confortés par Reagan qui avait l’obsession de toujours faire de la place de
plus en plus grande à ses multinationales au centre de sa politique.
Quand l’OMC voit le jour à Marrakech en 1994, 70 % du commerce mondial
est dominé par les USA, le Canada, le Japon et l’Union européenne.
Au fil des ans, la courbe va décliner pour être ramenée en 2012 à 50 %,
toujours importante. Cette relative frilosité suscite de la méfiance, des
questionnements qui poussent à davantage de hardiesse pour garder leurs
avantages.
Les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) se massifient,
prennent du volume, émergent, bousculent la hiérarchie, grappillent des parts de
marché et se positionnent en alternative, entamant grièvement la marge de
progression des multinationales occidentales longtemps en règne sans partage.
Les BRICS s’organisent davantage, mutualisent les moyens pour des institutions
de financement des projets infrastructurels et des stratégies de positionnement.
La trop grande offensive effraie surtout dans un contexte de pleine croissance du
commerce mondial qui, selon la Banque mondiale, atteint désormais 30 % du
produit intérieur brut mondial. Un bond spectaculaire en avant suscitant de la
convoitise et des guerres de positionnement.
C’est dans ce contexte que s’inscrit la signature des accords de partenariat
économique avec l’Afrique. Des accords dénoncés, mais qui résistent à ses
pourfendeurs, quels que fussent leur attendrissement et leur véhémence. L’Union
européenne veut ces accords et pousse à tout ce qu’il faut pour leur signature
imminente, le calendrier presse. Les multinationales piaffent d’impatience pour
dérouler leur programme qui a survécu au blocage systématique de l’OMC. Les
dispositions transitoires de Lomé 1 et 2, les accords de Cotonou semblent passés
de mode. L’UE plaide pour une génération nouvelle d’accords plus
contraignants, moins avantageux pour les pays ACP.
Depuis juillet 2014 au sommet d’Accra, la Conférence des Chefs d’État
africains a approuvé le projet économique avec l’Union européenne comme il en
existe en Afrique centrale depuis juillet 2014, ratifié pour sept États. La
signature de ces accords consacre le glas des multinationales qui s’offrent des
perspectives immenses en termes d’expression du marché, de facilitation
d’exportation de produits finis, d’accaparement des matières premières à vil prix
sans droits de douane ni contraintes administratives qui retardent les opérations
d’importation et d’exportation. Nos États sans portes leur sont libres d’accès
sans tracasseries, ni prétentions particulières.
Tous les regards se braquent sur l’Afrique perçue comme le prochain
eldorado : “The Place to Be” pour ce siècle. Grand réservoir des matières
premières, ses infinies richesses attirent et lui valent tous les malheurs.
D’ailleurs, plus de 65 % des terres arables restantes sont en Afrique. De plus,
avec l’accroissement insolent de sa démographie, c’est un marché potentiel qui
se vivifie au fil des ans. Une Afrique où se bousculent désormais les riches, les
forts, les faibles, les nouveaux émergents, tous caressant le rêve de s’étendre, de
dominer, de régner, d’accaparer de juteuses parts du gâteau. Les Chinois tout
comme leurs frères asiatiques, d’Inde, de Corée, du Japon, de Russie aux côtés
des Européens et des Américains du nord se livrent une guerre sans merci où
tous les coups sont permis. Leurs diplomaties s’activant sur le terrain, leur Think
Tanks aussi ; les multinationales quadrillent les espaces, relayées par leurs ONG,
à la mission expressive. Tout concourt à séduire, à emballer à la stratégie. Un
ancien diplomate, ministre français des Affaires étrangères sous le gouvernement
de Lionel Jospin du nom d’Hubert Védrine dit dans un rapport rendu officiel en
2013 que la France pouvait « gagner au moins 200 000 emplois dans les cinq
prochaines années […] en doublant le montant de ses exportations vers
l’Afrique ». Évidemment la part de marché de la France est passée de 10 % à
quelques 4 % pendant que la Chine au cours des 15 dernières années a vu ses
parts passer de 3 % à 18 % phénoménalement. Une ascension qui fait des jaloux.
Elle positionne les capitaux de 16 milliards d’euros pour les besoins de la
coopération en Afrique. Tout comme l’Inde avec ses fonds de 10 milliards
d’euros, sa grande frénésie diplomatique, les Russes très actifs et les Sud-
Africains qui ne s’arrêtent de s’étendre hors de leurs frontières.
En 2008, c’est le Président français qui affirme que « sans l’Afrique, la France
n’est qu’une puissance de troisième zone » ; des propos très éloquents pour
rendre compte de l’enjeu africain. Ce que confirme ironiquement un diplomate
américain qui estime « que les Français sont à l’aise avec une présence
croissante des États-Unis en Afrique comme contrepoids à l’expansion régionale
de la Chine ».
L’enjeu de l’Afrique explique le positionnement des Américains qui sont de
plus en plus présents militairement en Afrique. Depuis le 1er octobre 2008. Ils
ont mis en place AFRICOM (Commandement américain en Afrique).
L’implantation de cette base était problématique, ils l’ont trimbalée partout en
Afrique, sans pouvoir l’implanter face au refus des dirigeants africains qui se
sont méfiés de sa toute-puissance. De guerre lasse ils l’ont implanté à Stuttgart,
mais l’accord conclu en 2016 avec le Sénégal semble leur donner un pied-à-
terre, un contrat à durée indéterminée signé dans l’indifférence des
communautés et des forces politiques. L’objectif inavoué, mais perceptible est
de contrôler après l’Irak, la Libye, le pétrole du golfe du Niger et du golfe de
Guinée, favoriser leurs multinationales, ayant des visées au Nigeria, au Tchad,
au Cameroun où le pétrole coule à flots dans la plus grande instabilité. La France
réactive ses bases en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Gabon à Djibouti au Cap-
Vert, au Tchad, etc., et les rebaptisent « quelques éléments Français » pour ne
pas trop déranger les classiques souverainistes africains qui se sentent occupés.
La guerre des matières premières se produit inévitablement en Afrique. Les
USA avec AFRICOM mis en place depuis le 1er octobre 2008, quadrille
l’Afrique au service de leurs multinationales, la Chine très active dans ses valses
diplomatiques, positionne ses 3000 milliards de réserves, prête à financer ; la
France surveille ses excolonies, dépêche sur place un ancien de la DGSE comme
ambassadeur à Dakar, pendant que le ministre de la Défense J. Yves LE DRIAN
veille au grain ; l’ambassadeur de Grande-Bretagne à Dakar annonce la venue
prochaine d’un attaché militaire de défense. La Russie s’immisce en Gambie,
petit État enclavé au Sénégal, pour signer des accords économiques et
militaires ; l’Inde dissémine ses fonds à l’Est, au Nord et à l’ouest de l’Afrique.
L’Afrique du Sud tente de tirer son épingle du jeu à domicile.
La guerre économique est annoncée ; l’Afrique doit percevoir l’intérêt de ce
fourmillement, en tirer les conséquences, orienter son économie et en être
souveraine. Dans les relations internationales, il n’y a pas d’un côté le cercle des
grands méchants qui caressent à rebrousse-poil et de l’autre la bande des « tous
gentils » dans le sens du poil. Il y a une seule catégorie, « les tous
opportunistes » poursuivant les seules logiques de profits et d’intérêts avec
pragmatisme et cohérence.
Quand un gouvernement africain affiche ses amabilités avec la Chine, sa trop
grande proximité, amourache trop, les USA s’empressent de convoquer les droits
de l’homme, sonnent l’alerte, déploient le bataillon d’ONG qui servent le même
refrain, sur fond de violation des droits humains, un exercice favori dans lequel
ils excellent.
Chacun cherche à imposer son jeu, à dérouler son plan, à nouer des contrats, à
gagner, un mot bien trop joli à leur goût, faire de bonnes affaires, profiter du
marché en saisir les opportunités d’affaires.
La logique du marché ne s’encombre pas de scrupules, ni de morale, mais de
réalisme.
L’intérêt est la trame qui lie les acteurs sur fond de sympathie et d’apparente
complicité.
L’Afrique doit s’allier aux partenaires profitables présentant les meilleures
offres dans des conditions de dignité et de transparence selon ses stricts intérêts.
Le monopole est caduc.
Dans ce méli-mélo, l’Afrique en prendra à ses dépens, mais pour apprendre
que l’heure de l’intégration a sonné, une intégration physique, décloisonner ses
régions proches et distantes par des infrastructures structurantes de qualité, son
intégration économique, peser davantage sur son marché de 1 milliard de
consommateurs où elle ne contrôle que 12 % des échanges contre 88 % au
monde.
C’est un moyen sûr d’accroitre sa présence dans le volume des échanges
mondiaux dont elle ne détient que 2 %. Un seul point de pourcentage grappillé
sortirait 125.000.000 de personnes de la pauvreté.
Un combat proche, immédiat et d’avenir.
Un autre défi non des moindres est le combat pour structurer l’agriculture qui
représente 35 % du PIB et occupe 70 % des masses pour l’autosuffisance, la
sécurité alimentaire et l’agro-industrie.
En novembre 2016, le Président du Cameroun Paul BIYA et le nouveau
Commandant du Centre d’opérations militaires américain en Afrique, Thomas
D. WALDHAUSSER ont conclu un accord de défense au terme duquel
Washington va doter le Cameroun d’équipements militaires modernes, dont 5
drones pour des missions de surveillance et de reconnaissance. Une stratégie
nouvelle de sécurisation en Afrique centrale autour des richesses, le long du Lac
Tchad dans le bassin avec le pétrole en ligne de mire. Il s’agit de lutter aussi
contre le piratage maritime dans le golfe de Guinée, sécuriser l’activité de
pétrole, l’approvisionnement des USA qui se fait dans un ballet incessant de
Tanks pétroliers. Monsieur D. Waldhausser fait part d’une coopération qui va
« se diversifier et se renforcer ». Évidemment l’Afrique compte pour les USA
tant que ses matières premières lui profitent. En décembre 2016, les Tunisiens
découvrent avec stupeur que 79 GIs sont positionnés dans leur pays avec dans
leurs équipements des drones qui veillent jalousement sur la Libye voisine et sur
les intérêts U.S. La tentative reste infructueuse pour une base en Algérie.
L’Égypte leur est définitivement acquise, la dynamique est enclenchée pour le
Niger où les populations se soulèvent contre l’implantation abusive de bases
étrangères.
L’enjeu est colossal pour sécuriser et contrôler les matières premières, source
de toutes les tensions, frictions et préoccupations. La route du pétrole nous mène
droit vers les zones de conflits. Ce n’est pas une simple coïncidence, mais une
réalité, un enjeu, une bataille de positionnement.
Les Chinois s’investissent dans toutes les missions de paix et d’interposition
en Afrique. Ils ont transporté du matériel, des équipements, du personnel par 25
avions loués pour venir implanter un laboratoire et lutter contre le virus Ébola en
Guinée, en Sierra Leone, au Liberia. Ailleurs, ils sont sur tous les tableaux pour
faire connaitre leur culture. En prélude au sommet de Johannesburg, réunissant
la Chine et l’Afrique les 4 et 5 décembre 2015, Zhang Xum, ambassadeur de
Chine à Dakar a passé en revue la coopération sino-africaine dans ses grandes
approches pluridisciplinaires :
« Nous avons augmenté les bourses des techniciens africains pour leur
formation en Chine soit 10 000 boursiers africains par an […]. La Chine est
ouverte sur tous les mécanismes de coopération. Notre objectif fondamental,
c’est de développer notre coopération, c’est d’aboutir à un développement
commun entre nos pays. Le forum sur la coopération sino-africaine après 15 ans
a obtenu des résultats tangibles, concrets et substantiels. »
Revenant sur le bilan des réalisations depuis l’an 1 du forum en 2000,
monsieur Zhang Xum égrène un chapelet de réalisations : 5675 km de chemin de
fer, 4506 km de routes, 18 grands ports, 200 écoles primaires et élémentaires,
des échanges qui se chiffrent à 327 milliards de dollars. Au 15e anniversaire du
forum, la moisson est belle, la coopération au beau fixe, laisse entrevoir des
perspectives heureuses, dans un renforcement mutuel avec l’empire du milieu.
L’ambassadeur renchérit : « La Chine entre dans la phase de restructuration
économique et la montée en gamme industrielle alors que les pays africains
visent à accélérer l’industrialisation et la modernisation de l’agriculture ». Il
ajoute que son pays, pourvu en moyens financiers, en ressources humaines de
qualité, en moyens technologiques en équipements compétitifs à tout point de
vue, pouvait aider « L’Afrique a réalisé son indépendance économique et un
développement autonome et durable […] L’Afrique et la Chine avancent
ensemble une coopération gagnant-gagnant pour le développement. »
La Chine a désormais fait le choix de la proximité avec l’Afrique. Le forum
sur la coopération sino-africaine a démarré en 2000. De nos jours, la Chine se
déploie, entreprend une tournée économique africaine de séduction consciente de
l’énormité du marché d’un milliard de consommateurs. Elle a en ligne de mire,
les ressources naturelles pour les besoins infinis de ses industries. Accéder
durablement au marché du pétrole africain, afin de réduire sa dépendance et
sécuriser ses besoins énergétiques à long terme, est une réelle préoccupation. Sa
grande présence en Algérie, au Soudan, au Nigéria et même en Angola, permet
un accès facilité. Les capitaux chinois, ses énormes réserves de change qui
frisent les 3000 milliards de dollars US sont mis à contribution.
La Chine de plus en plus présente contribue à l’élargissement du tissu
industriel en Afrique comme précisément en Éthiopie, en Algérie, au Soudan, au
Rwanda, au Niger. Au nord, l’Algérie est un partenaire privilégié. Les échanges
entre les deux pays atteignent des seuils de 85 milliards de dollars. La Chine
supplante même la France dans le marché algérien. Les entrepreneurs chinois
sont très actifs dans plus de 30 zones où ils construisent entre 40 et 50 000
logements. L’Algérie entreprend de résorber le gap de logements. En outre,
bâtiments publics, routes, écoles, hôpitaux, terminaux aéroportuaires,
pétrochimie, réseaux ferroviaires, quartiers d’affaires, réseau autoroutier long de
1216 km traversant le pays d’est en ouest pour partie, sont à la charge de la
Chine qui déroule.
L’embellie des matières premières des années 2000 a beaucoup profité aux
investisseurs chinois sur le marché africain, rien qu’en Algérie on estime ses
parts à 85 milliards. Sur le sol algérien, les entreprises chinoises en nombre
croissant dépassent les 800 légalement enregistrées pour environ 50.000
ressortissants, commerçants, industriels, restaurateurs, businessmen.
La Chine se déploie en Afrique avec l’expertise, les capitaux, l’offre
technologique moins disante et spontanée. La concurrence s’annonce serrée,
dans beaucoup de régions d’Afrique, le monopole était américain et européen.
L’alternative dans l’offre est profitable.
Chez les anciens partenaires, les opérations de décaissement étaient plus
onéreuses et trop lentes, liées à beaucoup de paperasseries et de conditionnalités.
La Chine rémunère à meilleur prix les matières premières, noue des relations
commerciales et diplomatiques sans paternalisme. Ses crédits sont plus
accessibles et moins coûteux. Les ouvrages livrés sont de qualité et dans les
délais impartis sans rallonge de crédits ni de chantage. Depuis que la Chine
progresse en Afrique, les infrastructures poussent comme des champignons. La
Chine est une porte d’accès rapide au marché de fourniture et d’équipement dans
des délais et conditions plus humaines, plus acceptables.
Les accords de libre-échange s’inscrivent dans la dynamique de libéralisation
des économies. En signant les APE, l’Afrique verra dans un horizon proche de
15 ans ses échanges libéralisés à 95 % pour le marché européen. La clause de la
nation la plus favorisée version relookée de l’OMC eu égard aux préoccupations
européennes installera les Africains signataires dans une position inconfortable.
Il sera un frein à la diversification des partenaires en ce que les Européens seront
en droit de réclamer tout avantage concédé aux Russes, aux Chinois, aux
Indiens, etc. Une restriction à la libre volonté de commercer avec le monde au
gré de nos avantages surtout vis-à-vis des pays émergents dont l’accès au crédit
est plus direct et moins contraignant, le transfert de technologies plus évident.
Les 15 milliards d’euros promis pour la mise à niveau des économies ne sont que
des brouilles, une simple biscotte face à la perte de recettes qu’occasionne une
ouverture à 75 %. C’est la disparition programmée des rares industries, la fin du
rêve d’autosuffisance alimentaire, installant du coup le chômage, la
précarisation, la vulnérabilité, la délinquance, l’effritement social, la déchéance
morale et humaine. C’est la fin de nos équilibres précaires à tout point de vue et
peut-être le début d’une instabilité généralisée suite aux innombrables
basculements sociaux occasionnés. C’est illusoire de prétendre placer deux
économies si inégalitaires en concurrence directe.
L’Europe est au summum de son développement technologique, ses progrès
sont spectaculaires, la recherche continue pour perfectionner davantage ses
produits, les rendre toujours compétitifs, l’innovation aidant les progrès sont
immenses. Les crédits d’impôt-recherche sont octroyés aux entreprises, aux
multinationales qui, malgré leur avance technologique, continuent de chercher,
d’innover, d’expérimenter, de parfaire leurs productions, d’être toujours en ordre
de compétir sur le marché mondial, de s’imposer, de grappiller des parts de
marché.
L’autre aspect du problème et non des moindres, les entreprises européennes
sont « liquides », bénéficient plus d’accès aux crédits. Elles sont accompagnées
par les institutions de crédits, pour produire, competir, vendre. Les moyens
financiers suivent la politique entrepreneuriale planifiée, accompagnée et même
subventionnée par l’Union européenne comme c’est le cas pour les géants
agricoles dont les produits inondent le marché européen et à défaut, par les États
nationaux et leurs cohortes d’institutions de crédits, de fonds d’appui.
Hélas les États d’Afrique ne peuvent prétendre aux mêmes privilèges, aux
mêmes égards, à la même rigueur dans l’accompagnement. L’institut de
technologie alimentaire du Sénégal (ITA) animé par du personnel motivé,
patriote professionnel à outrance bute sur les problèmes évoqués plus haut. Il y a
une année, elle était à la recherche de partenariat pour un laboratoire coûtant
600 millions de francs CFA, l’État du Sénégal ne l’a pas accompagné. Il est
soulevé un seul coin du voile sur la vulnérabilité des Africains qui se lancent à
corps perdu dans un accord suicidaire de libre-échange plus que déséquilibré. La
seule fourniture d’énergie électrique aux entreprises et aux ménages est
problématique en Afrique, où la plupart des équipements de l’ère coloniale
conçus pour quelques milliers de structures sont obsolètes et font face à la
demande de millions d’usagers à satisfaire.
Partout c’est le délestage, des coupures intempestives. Comment une
entreprise qui termine sa production journalière par des groupes électrogènes
peut-elle résister vaillamment à l’assaut des concurrents étrangers ?
L’argent que l’U.E nous promet n’est qu’une façon de nous réduire à la
paresse, à l’oisiveté, au chômage.
« Prenez cette enveloppe, laissez-nous faire, nous allons produire assez pour
nous, pour vous. Vous allez désormais consommer sans effort.
Ne vous tuez pas à cultiver vos champs, nous accomplirons vos services, nous
bâtirons vos routes, vos ponts, nous équiperons vos écoles, vos hôpitaux, vous
n’avez qu’à signer des contrats à nos entreprises, vos recettes budgétaires et les
prêts accordés par les institutions de crédits vous suffisent à faire face… ».
Oui nous ne ferons que consommer sans produire, vivre sans travailler, avec
comme seuls leviers, l’endettement à grande échelle, la cession de nos matières
premières à vil prix. Toutes ces clauses compromettent dangereusement le
développement et hypothèquent à jamais l’émancipation des générations
actuelles et futures. L’Afrique doit nécessairement passer par des étapes
intermédiaires avant de signer des APE, intégrer et fédérer la grande famille
africaine du nord au sud, d’est en ouest autour du centre. Imbriquer, la
CEDEAO, la SADC, le Maghreb, la CEMAC autour d’un projet économique et
social viable, facilitant les échanges, les transferts, une ouverture des marchés
intra africains, l’assouplissement des codes internes, l’harmonisation des
législations, définir des tarifs extérieurs communs, afficher des positions
communes.
Les APE comme tous les accords de libre échangisme concourent au
libéralisme économique débridé, aux démantèlements des lois nationales
obsolètes et ringardes selon l’avis des multinationales pour qui agissent les
grandes puissances, l’Union européenne, les USA, les institutions de la
gouvernance mondiale, l’OMC en tête, la Banque mondiale, le FMI, l’OCDE, le
G8 et les cartels alliés. Les matières premières constituent l’essentiel des
exportations puisque rien n’est transformé sur place. Les multinationales sont
aux commandes pour l’exploitation des ressources minérales ou agricoles et leur
transfert de par le monde, principalement vers l’Occident où elles sont
transformées en produits finis avant de nous être renvoyées sous différents
aspects par containers entiers.
La suppression des droits de douane traduit inéluctablement la perte de
recettes sensibles, nous nous serons débarrassés pour rien de nos principales
ressources qui enrichissent le monde. Les États sont riches et misérables par
défaut de responsabilité, de lucidité et de clairvoyance. L’amateurisme politique
pourrit la vie aux Africains cent fois privilégiés par dame nature, gracieusement
partisane.
La signature des APE brisera le rêve des Africains. Les pays les plus pauvres,
les moins avancés si l’on préfère, ne feront pas le poids, ils seront bouffés dès les
premières années de signature des accords de libre échangisme. D’ailleurs, l’UE
refuse de signer avec les États-Unis un projet de même ordre en tous points
conforme aux APE. Les sociétés civiles sont au front contre la signature. Les
intellectuels se mobilisent, les médias mêmes publics et privés décortiquent les
risques pour le partenaire européen. Les États pour la plupart sont réticents
quand ils ne refusent pas ce projet de libre échangisme baptisé partenariat
transatlantique pour le commerce et l’investissement (PTCI ou TTIP).
À l’origine appelé TAFTA (Transatlantique Free Trade), le TTIP vise à
revisiter les règles économiques, commerciales, les clauses juridiques, les
normes environnementales, les blocages sociaux que constituent les codes de
travail trop généreux à leur goût, pour les purger des contraintes et contrastes au
profit exclusif des multinationales. II s’agit là de règlement sur la moitié du
produit intérieur brut du monde (PIB). Les multinationales contrôlent 30 % du
commerce mondial et représentent 50 % des plus grandes entreprises. Avec leurs
filiales, elles accaparent le commerce et contrôlent du coup l’essentiel de la
chaine de valeur, de la conception à la réalisation en passant par la logistique, le
marketing et la vente. Elles sont à toutes les stations.
Il faut se dire que dès la mise en place de l’OMC à Marrakech en 1994, les
USA, par le département d’État au commerce mettent en place un organisme
dénommé TABD (le dialogue commercial transatlantique) en accord avec la
commission européenne. L’objectif étant de baliser le chemin pour les
multinationales par la facilitation du commerce et l’investissement qui passe par
la suppression de contraintes juridiques, l’allégement des charges fiscales, des
droits de douane, la réduction des normes environnementales, l’assainissement
de l’environnement des affaires. Les 70 entreprises les plus puissantes ont dicté
la feuille de route de la TABD dont les membres les plus influents en sont issus.
Ils viennent des groupes pharmaceutiques, des groupes pétroliers, EXON
MOBIL, BRITISH PETROLIUM, les fabricants de cigarettes et des cabinets
d’affaires.
En 2007, sous la volonté combinée de Georges BUSH, Angela MERKEL et
Manuel BARROSO, ancien Président de l’Union européenne, un nouvel organe
baptisé Conseil économique transatlantique (CET) est né. Avec le CERT, le
TABD outreAtlantique a trouvé son répondant en Europe6.
Fruits de la stratégie des entreprises transnationales, ces deux institutions vont
s’allier et travailler pour aplanir les difficultés liées à l’exercice du commerce
globalisé pour permettre une plus facile implantation des multinationales avec
moins de risques, plus d’opportunités et corrélativement continuer de plus belle à
influencer la marche du monde dans ses grandes orientations socioculturelles,
économiques, politiques et même écologiques. Les entreprises transnationales
font prévaloir la logique capitalistique, de profits immenses pour les
actionnaires, la volonté privée sur la légitimité des institutions politiques
largement soumises ou manipulées. Face aux négociateurs du TTIP, se dressent
environ 60 ONG répertoriées qui se battent pour un commerce alternatif,
soutenues par une forte société civile et des médias militants et patriotes.
On estime que les multinationales participent à la plupart des rencontres de la
commission de l’UE sur les TTIP.
Il y a 20 ans les USA, le Mexique et le Canada ont signé en 1994 l’ALENA,
traduction anglophone de NAFTA. On estime que plus de 2 millions de petits
exploitants agricoles mexicains ont été anéantis par l’exportation massive de
maïs américain largement subventionné.
Côté mexicain, les importations à bas coûts ont ruiné l’économie du monde
rural, installé la misère et rompu l’équilibre social. La percée des grandes
enseignes de distribution qui ont pignon sur rue de Mexico au Chiapas a entrainé
de facto la faillite de plusieurs dizaines de milliers d’entreprises mexicaines. Les
conséquences ont été rudes tragiques pour les populations rurales et autres
acteurs économiques ruinés par des aventures mal inspirées.
Cela a eu comme corollaire une immigration massive de Mexicains cherchant
vaille que vaille leur salut de l’autre côté de la frontière avec les USA, qui se
barricadent devant les flux, tendus. Les barbelés, les murs surélevés, les
patrouilles et la trop grande violence policière n’ont jamais freiné les
mouvements de population par vagues saccadées. Beaucoup d’émigrants
périront dans cette aventure des plus difficiles sous les balles des milices privées
servant d’appoint aux forces de police débordées, par noyade pour les plus
téméraires, si ce n’est par l’électrocution ou simple accident de route. Le sort
qu’ont connu le Mexique et ses habitants se profile à l’horizon pour les
Africains. La stratégie des multinationales dans la NAFTA est la même que dans
les APE. L’entité la plus forte balaiera la plus faible, s’emparera de son
économie, installera durablement les crises sociales et économiques.
Dans le TTIP, les ONG redoutent la disparition programmée de quelque
13,7 millions d’unités. Au départ, les tarifs douaniers largement supérieurs aux
tarifs américains sont visés ; les produits américains largement subventionnés se
heurtent aux tarifs élevés en cours en Europe qui amoindrissent leur
compétitivité.
Ces mêmes craintes sont perceptibles dans la signature des APE entre l’UE et
l’Afrique, les mêmes causes produisant les mêmes effets dans le TTIP et les
APE parce que stratégiquement identiques dans la déclinaison des objectifs
poursuivis : l’asservissement, la soumission du faible au fort, du pauvre au plus
riche, devrais-je ajouter parlant des Africains et des fameux APE.
D’autre part, les ONG européennes opposées se méfient des normes de
production des denrées américaines. Elles bannissent le bœuf aux hormones : les
organismes génétiquement modifiés (OGM) du poulet au chlore et des produits
horticoles soumis à un usage abusif de pesticides. Elles se préoccupent de
l’exode massif de populations qu’entrainerait la disparation des exportations
familiales, de la perte annoncée de la souveraineté alimentaire, l’absence de
contrôle de produits que les ménages européens seraient amenés désormais à
consommer.
L’Afrique en signant les APE a des soucis à se faire, la grande déferlante de
produits ultra-subventionnés ne lui laissera pas la place pour l’autosuffisance, la
souveraineté alimentaire ou le développement de l’industrie agroalimentaire.
L’objectif des multinationales, de l’agroalimentaire américain consiste à
éradiquer les clauses sanitaires sur les modes de production en cours dans les
parcs d’engraissement. Il faut dire que la réglementation trop onéreuse qui
entoure la biotechnologie agricole, les préjugés sur le maïs et le soja
transgéniques, les codes de l’environnement trop affligeants à leur goût, autant
de facteurs sanitaires, politiques qui freinent l’accessibilité de leurs denrées
préoccupent les Américains. D’ailleurs 64 entreprises agroalimentaires et
producteurs d’outre-manche soutiennent l’initiative parmi lesquels US
LIVESTOCK GENETICS EXPORT INC (bétails et génétique), Seed Trade
(Production de semence transgénique). L’étiquetage des aliments génétiquement
modifiés est totalement réprouvé par les USA. La provenance douteuse des
aliments ne tient pas, et pourtant nombre de substances chimiques interdites en
Europe sont en vente libre aux USA. Certaines parmi elles entrainent des
perturbations endocriniennes ou occasionnent des cancers7.
L’Europe interdit les substances par précaution, quand l’Amérique attend
d’avoir les preuves de sa nocivité.
Sur la propriété intellectuelle et singulièrement sur les brevets
pharmaceutiques, les Américains cherchent à imposer aux Européens les règles
visant à prolonger au maximum les brevets par de simples modifications de
formes.
Ils craignent que les labos américains soient drastiquement concurrencés par
les Européens, dans le juteux marché de médicaments de 350 milliards de dollars
US dépensés par les citoyens. Ils veulent à tout prix repousser l’offensive des
génériques qui rabotent leur marge au dixième dans un système de libre-
échange.
Les Américains veulent repousser les échéances sur 20 ans pour continuer à en
tirer profit, une histoire de dupes. Par conséquent, les pays pauvres du Tiers-
monde aidés grandement par les génériques seraient confrontés à de sérieux
problèmes de conjoncture pour des soins de qualité. La disparition des
génériques serait une aubaine pour les labos américains aux profits déjà record.
La santé des populations est une spéculation qui enrichit en milliards.
Le TTIP prévoit que les marchés publics seraient ouverts à toutes les offres
internationales, locales ou nationales, la compétition est ouverte à tous les
signataires. Les APE ne disent rien de différent, le traitement préférentiel est
banni de la commande publique. En sus, les capitaux peuvent se mouvoir
gratuitement, librement et n’être soumis à aucune condition particulière, de type
taxation, création d’emplois. Les clauses de protection des investissements et des
capitaux confèrent des positions de privilèges aux multinationales sur les
gouvernements qui ne peuvent plus sereinement légiférer ou remettre en cause
leurs législations souvent défaillantes parce que insuffisamment préventives.
Les normes et les règles qualifiées d’obstacles techniques dogmatiques sont
ciblées. L’US Chambers Of Commerce et le principal lobby minier et industriel
Business Europe ont vocation à les supprimer.
Les réticences notées sur la mise en branle du TTIP ne viennent pas seulement
des sociétés civiles européennes et ONG ; l’actuel Président de la Commission
européenne succédant au sortant BARROSO, Monsieur Jean Claude Juncker, le
Luxembourgeois est catégorique « Je ne sacrifierai pas les normes européennes
de sécurité de santé, les normes sociales, notre diversité culturelle sur l’autel du
libre-échange. » Celui-là en apprendrait bien d’autres aux Présidents africains
qui signent isolement les APE, bannissant de la réflexion, les sociétés civiles, les
partis d’opposition, les intellectuels de tout bord, les corporations, les syndicats,
les organisations paysannes, les patrons locaux d’entreprises, les universités, les
chercheurs, les économistes, locaux, les investisseurs privés nationaux, le peuple
tout court et même ses intérêts. Une belle leçon à méditer par ses pairs africains
pressés de toucher les 6,5 milliards d’euros qu’on leur miroite au lieu de
travailler à construire leurs économies, à sauvegarder les fondamentaux. Oui, de
grands paresseux qui tremblent à la vue du carnet de chèques.
Le sort de l’Afrique est scellé avec les APE pour des générations encore, ce
sera peut-être pire que la colonisation. Celle-là elle est tout économique,
muselant tous les acteurs. Jean Claude Juncker poursuit « Je n’accepterai pas
non plus que la juridiction des États membres de l’UE soit limitée par des
régimes spéciaux applicables aux litiges entre investisseurs ». Il exclut
l’arbitrage privé des litiges, les tribunaux spéciaux avec les grands cabinets
d’affaires et conseils. Ça parait suffisant pour dire Halte à l’Afrique. Les APE
sont un champ de mines, chaque pas, chaque geste est suicidaire. C’est à terme
le marasme économique, la ruine, l’implosion sociale, les déviances, l’insécurité,
l’anarchie grandissante et l’installation durable d’une économie souterraine aux
dérives mafieuses et criminelles.
L’Europe, grande entité économique, solide de 28 États démocratiques
(jusqu’au Brexit définitif), stables, institutionnellement solides, économiquement
viables, un espace économique, une place financière où transitent trois quarts des
revenus du monde, se montre réticente, très regardante pour la signature des
TTIP avec la grande Amérique.
Une position affirmée qui n’est pas que de principe, mais d’intérêt et de
réalisme économique. Elle ne veut pas brader les intérêts de ses acteurs
économiques agriculteurs dans les exploitations familiales, les agroindustriels,
les éleveurs, les artisans pour qui les intérêts sont vaille que vaille sauvegardés.
Elle se préoccupe des répercussions profondes sur l’emploi. La consommation
des ménages, le pouvoir d’achat, le cadre de vie et l’avenir de ses PME en
nombre croissant. Comment pourrait-il en être autrement pour les APE. Les
conséquences prévisibles sont plus néfastes. Les répercussions sur les
populations cent fois pires. Une nouvelle ère de grande dépendance économique
s’ouvrirait avec un monopole exclusif des grandes richesses convoitées. Les
matières premières sont l’enjeu principal.
À Accra au Ghana, le 10 juillet 2014, les pays d’Afrique de l’Ouest par
l’organe régional la CEDEAO ont approuvé l’accord de partenariat économique
avec l’Union européenne, un accord dont le contenu est largement influencé par
les multinationales. L’UE cherche à tout prix à investir le marché africain et
avoir le monopole des matières premières pour les besoins de ses industries,
domaine dans lequel la concurrence s’avère rude, les pays émergents sont à
l’affût et ne cessent de grappiller des parts de marché. Accéder aux richesses,
offrir davantage de débouchés à son industrie, créer de la valeur ajoutée, résorber
le chômage grandissant et combler le déficit abyssal de son économie qui reste
sur des années de turbulence, est la motivation principale de l’Union
européenne.
En 2008 l’Europe a adopté l’initiative sur les matières premières, une stratégie
d’accès et d’accaparement des matières premières. Elle veut se faire la part belle
et exige de ses partenaires africains de s’engager à ne plus restreindre les
exportations et surtout d’alléger substantiellement les droits de douane, les taxes
à l’export. Ce qu’elle n’a jamais réussi à obtenir par le canal de l’OMC, la
dérégulation et la libéralisation du marché des matières premières, elle veut
l’instaurer par le truchement des accords de partenariat économique. Une
menace de suspension de l’aide au développement est brandie comme arme pour
faire rentrer dans les rangs les récalcitrants, mettant davantage de pression sur
tous ceux qui rechignent à supprimer les taxes ou à restreindre les exportations
des matières premières. À coup sûr des chefs d’État ont approuvé à contrecœur
ces accords, obligés qu’ils étaient par une dépendance chronique de l’aide au
développement et de la levée permanente de fonds auprès de bailleurs en grande
partie européens. Ils ont eu du mal à repousser les avances.
Les lobbies industriels et financiers sont officiellement de la partie, auprès des
négociateurs européens pour influencer et orienter les discussions à leur guise
selon leurs intérêts. L’influence des privés, des multinationales européennes
s’exerce dès la mise en forme de la plate-forme de négociation, leurs
représentants sont en position enviable dans les instances consultatives et très
complices avec les négociateurs. Le travail de la commission européenne
consistant à veiller et sauvegarder l’intérêt de ses firmes multinationales garant
de sa politique économique qui prime sur tout, y compris la stabilité des parties
contractantes, il faut ouvrir les marchés, forcer les réticences.
La plate-forme des négociations est souvent inspirée par les multinationales
très en verve quand il faut se battre pour restreindre les marges des autres, lever
les entraves à l’export, au mouvement des capitaux ou la protection des
investissements. Il faut sans doute rappeler que dans les négociations, les
Africains et les Européens ne partent pas avec les mêmes armes, les mêmes
stratégies.
Depuis le 1er janvier 2009, le traité de Lisbonne entré en vigueur donne
compétence à l’UE sur tout ce qui touche le commerce extérieur dans ses aspects
service, propriété intellectuelle afférente et surtout les investissements directs
étrangers. Ce qui du coup lui donne la possibilité d’ouvrir, de négocier des
accords sur tout le commerce et l’investissement. Elle a l’assistance du Conseil
européen et le parlement européen qui veillent jalousement sur le déroulé. Ce
dernier suit pas à pas les négociations via le comité de politique commerciale
composée de la direction générale de commerce et des représentants de 28 États
membres. Ces rencontres périodiques sont hebdomadaires.
Pendant ce temps, les parlementaires africains peinent à pouvoir vous
expliquer sur un plateau de télévision ce qui se dessine avec les APE. Ils seront
juste conviés un jour à les ratifier de façon mécanique, sans doute, pour plaire au
chef de l’exécutif. L’enjeu, ils le perdent de vue et pas de souci à se faire sur les
conséquences. Le niveau d’engagement, de responsabilité, de précaution est sans
commune mesure.
À l’arrivée, les stratèges l’emportent sans coup férir. Et pourtant, il y a des
soucis à se faire. Dans le cadre du TTIP les Européens redoutent l’invasion des
produits agricoles américains.

L’agriculture américaine fortement motorisée avec un outillage industriel
sophistiqué permet une production record. Une exploitation américaine est par
essence gigantesque, soit 170 ha contre seulement 13 ha en Europe ; et sur 1000
ha aux USA, six personnes suffisent à l’exploitation contre 56 en Europe.
Mais rapporté dans le contexte africain de signature des APE, en 2016 dans les
exploitations familiales, il ne faut pas moins de 4000 personnes pour exploiter
les mêmes 1000 ha avec moins de matériels, moins d’efficacité, d’intrants. Selon
les endroits géographiques, les disparités sont énormes. Une ère nouvelle de
dépendance généralisée est en cours. Finis les rêves d’autosuffisance et de
sécurité alimentaire pour l’Afrique signataire des APE.
Les exploitations familiales remparts contre la famine, disparaitront en un
tournemain et comme le traité de Lisbonne largement inspiré par Business
Europe Lobby minier et industriel, vise la libéralisation des investissements avec
des exigences juridiques particulières pour le seul confort des investisseurs,
l’agrobusiness s’installera en lieu et place des exploitations familiales qui
concéderont leurs terres. Les familles pour l’essentiel, pères, femmes, enfants,
verront leurs membres porter l’uniforme bleu des exploitations étendues de
l’agrobusiness pour cueillir des fraises, remplir les caisses de tomates, récolter à
longueur de journée des pommes de terre à 50 centimes d’euros l’heure.
L’essentiel de la production exempte de droits de douane et taxes fera le bonheur
des consommateurs européens dans les supermarchés, aux rayons bien
achalandés, pendant que la famine aura élu droit de cité en Afrique.
Les APE ne tiennent nullement compte de la vulnérabilité économique des
pays d’Afrique, de leurs besoins de développement, de leurs réalités sociales, des
contraintes écologiques, environnementales, des besoins de croissance
industrielle, agricole ; s’y ajoute que ces pays faibles économiquement, désarmés
juridiquement n’ont que peu de prise sur les mouvements des capitaux, leurs
volatilités et même leurs provenances.
Par les barrières non tarifaires, l’UE se barricade, verrouille systématiquement
la porte aux produits africains qui arrivent au tri, par compte-gouttes eu égard au
principe de précaution décrié et rejeté par l’OMC.

En exemple la décision rendue par l’organe de règlement des différends de
l’OMC (ORD) sur les bœufs aux hormones rejetés par le marché européen.
En 1988, l’UE pour la santé de ses populations sursoit à l’importation de la
viande aux hormones de croissance produite en grandes quantités par les USA et
le Canada. En 1996 après 8 années de négociation infructueuses, ces derniers
portent plainte contre l’UE devant l’OMC. Son organe de règlement instruit le
dossier, délibère au profit des plaignants dont les intérêts sont compromis par le
protectionnisme déguisé de l’UE, selon l’ORD. Considérant que l’UE ne doit
pas se prémunir de simples principes de précaution pour restreindre
l’importation de viandes hormonales, quels que soient par ailleurs, les arguments
juridiques ou les éventuels risques sanitaires, seule une preuve avérée
indiscutable de la toxicité est suffisante pour motiver une telle décision.
Le principal enseignement à tirer de cette saga pour les pays d’Afrique et leurs
APE, ils n’auront aucun moyen de contraindre les Européens à lever le principe
de précaution sur les produits qu’ils ne veulent pas voir franchir leurs barrières,
et Dieu sait qu’en dehors des matières premières, le coton, les ressources
minérales, les produits agricoles sous contrôle de l’agrobusiness, tous les autres
produits sont susceptibles de rejet par précaution.
Les barrières non tarifaires permettent de torpiller à volonté les APE selon les
stricts intérêts d’un camp, et pourtant tous les jours, les produits avariés,
l’essence et le gazole frelaté, les poulets à la dioxine impropres à la
consommation, franchissent les ports de l’Afrique, inondent les marchés,
nourrissent ou détruisent des vies ; le sens de la mesure est perdu, le rapport est
disproportionné. L’Afrique n’a pas à signer les APE, elle a, à se renforcer
d’ouest en est, du nord au sud, se construire, s’équiper, construire des espaces
régionaux forts, des entités économiquement viables qui s’interpénètrent.
L’intégration africaine est un préalable à toute ouverture excessive. Le
commerce intra-africain ne représente que 12 % du volume du commerce du
continent. Les produits ne circulent pas.
L’Afrique doit résolument se tourner vers la transformation de ses matières
premières par la mise en place d’unités industrielles appropriées. Les produits
usuels de consommation doivent être ciblés et produits en masse.
Transformer les matières premières est la seule garantie substantielle de
revenus pour les États, les PME et les populations. Les promesses d’emploi et
les projections les plus optimistes ne verront le jour sans la transformation des
produits avant toute exportation. L’enjeu est dans la maitrise de l’outil de
production industrielle comme en Asie ; Ouvrir les marchés à la surabondance
de produits manufacturés est certes commode, mais pas salutaire pour des
économies africaines. Malheureusement depuis 1960, l’essentiel des revenus
budgétaires des Africains a profité aux grandes firmes européennes sans réel
transfert de technologies ; ce qui n’a pas été le cas de l’Asie qui a développé son
industrie à partir de la technologie occidentale. La diversification des partenaires
nous est profitable. Il faut s’ouvrir, à l’Inde, au Japon, à la Chine, aux anciens
blocs de l’Est, à la grande Asie ; diversifier le partenariat. Le monde est fait de
pôles qu’il faut tous considérer, découvrir, explorer pour en tirer l’essentiel. La
coopération Sud-Sud est un rempart aux excès de la mondialisation, un antidote
aux accords de libre-échangisme démesurés, inégalitaires et compromettants.
Dans l’émission « Aux carrefours de l’Europe » sur Radio France
Internationale, Harlem Desir, ancien secrétaire général du parti socialiste
français affirme que « le TTIP est un projet […] nous n’allons pas négocier ces
accords contre l’avis des parlements et des citoyens […] Il nous faut la garantie
qu’il n’y aura pas de dumping social […] La substance compte plus que le
calendrier. » Dans la même lancée, serions-nous sages nous autres Africains de
l’espace CEDEAO pour attendre d’avoir toutes les garanties formelles
nécessaires avant toute signature des APE. Le moment est peu propice, les
risques énormes pour des retombées minimes. Le principe de précaution semble
ignoré par certains comme le Ghana et la Côte d’Ivoire qui ont signé un
préaccord exposant les autres membres de la CEDEAO. Accra et Abidjan sont
devenus les principaux ports thoniers. Du coup l’activité de pêche, de
transformation suit la trajectoire des navires. Au Sénégal, les usines du secteur
de la pêche, cinquantenaires pour certaines, ferment boutique et se déplacent à
Abidjan où elles sont de plus en plus nombreuses pour des opportunités d’export
et de fiscalité.
Du coup, le Sénégal signataire des accords de pêche sur cinq ans avec l’Union
européenne pour la capture du thon, perd sur toute la ligne. Les accords ne lui
rapportent presque rien, en tout, moins de 14 millions d’euros sur 5 ans, mais
perd une grande partie de son activité de transformation qui migre vers la Côte
d’Ivoire et le Ghana. La brèche offerte par Abidjan et Accra nuit aux intérêts de
certains membres de la Communauté : Une attitude pernicieuse.
Le Nigeria et la Gambie ont tôt fait de rejeter systématiquement ces accords
qu’ils jugent contre-nature et en porte-à-faux avec leurs intérêts. La Gambie qui
n’a rien à vendre à l’export verra le peu de son agriculture de subsistance et son
industrie hétéroclite disparaitre à jamais. Quant au Nigeria qui a 190 millions
d’âmes à nourrir, un tissu industriel encore précaire, le pétrole comme source
essentielle d’exportation qui fournit 90 % des recettes budgétaires, c’est presque
un suicide d’accepter de signer les APE en l’état. Certaines estimations indiquent
une perte de 200 milliards de francs CFA en recettes douanières par an.
François BAYROU, Chef de file du mouvement démocrate (Modem) en
France, arrivé troisième lors des élections présidentielles françaises de 2007
derrière Sarkozy et Ségolène Royal, nous livre cette réflexion empreinte de
vérité sur les APE :
« Je suis de ceux qui pensent qu’il faut effectivement protéger l’agriculture du Tiers-monde de la
concurrence impossible à affronter des irrésistibles puissances agricoles que constituent désormais
certains pays émergents : d’immenses surfaces de terres disponibles à des prix dérisoires, tous les
moyens capitalistiques pour le machinisme agricole le plus impressionnant avec le coût du travail le
plus bas. Comment imaginer même survivre face à eux lorsqu’on cultive la terre encore avec une
houe. Si l’on veut conserver des paysans à la terre et favoriser une certaine indépendance
alimentaire, il faut protéger les producteurs défavorisés, cela a été fait pour l’Europe après la
Seconde Guerre mondiale : préférence communautaire pour la protection et plan Marshall pour les
investissements massifs. L’Afrique entre autres en a besoin, aujourd’hui ».
Les accords de libre-échange favorisent toujours une des parties signataires en
l’occurrence, la partie dominante ; les APE ne militent pas pour les intérêts des
Africains faibles et dépendants.
À dire vrai, nous sommes pour une ouverture aux autres, sur le monde, pour
coopérer, dialoguer, échanger et commercer avec tous les partenaires d’où qu’ils
viennent. Peu importe du Nord, du Sud selon toutes les étiquettes et idéologies :
communiste, centriste, capitaliste. Peu importe la différence de conception ou
d’interprétation du monde. Tout réside dans la volonté d’avancer avec les
peuples dans la marche universelle de la grande communauté humaine. Je n’ai
pas d’autres prétentions, je ne suis point dans le rejet de la mondialisation qui est
le présent et le futur du monde. Je ne suis pas insensible à la réduction des
espaces, à la simultanéité des réactions, je considère simplement qu’il y a une
démarche de prudence et de réalisme qui doit sous-tendre les relations avec les
autres pour ne point se saborder ou compromettre l’espérance des peuples qui
attendent religieusement la délivrance face à toutes sortes de privations.
Il ne s’agit pas de se jeter à corps perdu dans le tourbillon de la mondialisation
sans but ni destination, faire simplement comme les autres, effet de mode oblige.
La réalité est autre. Il faut savoir trouver sa place, affiner sa stratégie, fixer ses
objectifs, planifier ses besoins, affirmer son statut et ses convictions pour ne pas
subir la mondialisation qui fait beaucoup de victimes. C’est un jeu de cartes avec
des heureux et des déçus, des gagnants et des perdants suivant des rounds et des
étapes différentes. La recherche du profit et du mieux-être guide les pas de
chacun. Et tout le monde fourbit les armes, affine ses stratégies pour triompher
dans le grand jeu d’échecs. Comme disait le Président François Hollande :
« Pour réussir les négociations commerciales, il faut respecter un certain degré
de confidentialité, autrement cela reviendrait à montrer son jeu à son adversaire
durant un jeu de cartes ».
C’est aussi vrai que les pays qui se sont refermés sur eux n’ont pas inspiré la
réussite. Bien au contraire, ils ont du retard sur les sociétés modernes, c’est le
cas de la Corée du Nord, ringarde par rapport à ses voisins asiatiques, très
explosifs dans un processus de développement inclusif : la Corée du Sud,
Singapour, Taiwan, Japon. C’est aussi le cas des anciennes Républiques
socialistes soviétiques qui, en 1989, au démantèlement du mur de Berlin, ont
montré leurs carences et la grande panoplie des insuffisances. La Chine, après un
désastre humain de 35 millions de morts causé par la famine, a entamé sa
marche forcée pour s’ouvrir au monde et aux valeurs universelles au point d’être
la deuxième puissance économique du monde qui fait 30 % de la croissance.
Le repli sur soi n’est peut-être pas la solution, mais une marche forcée non
plus ; l’enjeu est d’accepter la mondialisation comme une réalité, mais de se
prémunir de ses effets pervers, de cette mondialisation sauvage, aux stratégies et
logiques mercantiles, capitalistiques. Selon tous les âges, les sociétés se sont
protégées quand leurs intérêts vitaux sont menacés. Quand les équilibres sont
rompus, les Américains d’ailleurs en tête dans cette attitude qualifiée
pompeusement de protectionniste.
Déjà en 1933, une loi américaine fut mise à jour dénommée le « BUY
AMERICAIN ACT » ; une disposition de l’État fédéral qui stipule que
l’administration fédérale, ainsi que toutes les autres entités, sont tenues de
privilégier les produits locaux dans le cadre de leurs commandes publiques. Huit
ans après, en 1941, voit le jour une autre disposition juridique appelée le « Berry
Amendment » qui enjoint au département de la défense étatsunienne de se
fournir auprès d’entreprises locales pour l’ensemble de ses marchés
d’approvisionnement (habillement, restauration, équipement, matériaux pour
l’industrie d’armement, etc.) Une légère modification intervenue en 2002
circonscrit le monopole à l’habillement et à l’alimentation principalement.
Les pays africains ne sauraient être en reste dans la sauvegarde de leur
équilibre précaire et la défense de l’intérêt des communautés directement
impactées par leurs décisions et engagements internationaux. La mondialisation
devrait les renforcer et non les abrutir. La signature des APE constitue une réelle
menace dans cette perspective. Peut-être que la raison l’emportera sur
l’agacement et la frilosité. Les APE ne sont pas seulement dénoncés en Afrique,
mais aussi en Europe où ils connaissent de virulents détracteurs. Les honnêtes
gens d’Europe comme il y en a beaucoup sont de tout cœur avec les peuples
d’Afrique réfractaires. Le message de BAYROU va dans ce sens. J’espère qu’il
y aura un dernier sursaut pour ne pas céder à la manœuvre. Souvenons-nous !
« Un agneau se désaltérait dans le courant d’une onde pure, un loup survint à
jeun qui cherchait aventure et que la faim en ces lieux attirait… »
Le contexte s’y prête, oui les APE ne sont que de simples épousailles entre
agneaux et loups sans mystère, la suite est connue de tous.

6 Susan George, Les Usurpateurs. Comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir, Traduit
par : Myriam Dennehy.
7 Les Usurpateurs. Comment les entreprises transnationales prennent le pouvoir, Susan George, Traduit
par : Myriam Dennehy.
CHAPITRE X

RESTAURER LA CONSCIENCE HISTORIQUE :


UNE AFRIQUE CULTURELLE DANS LA GLOBALISATION

L’Afrique est une réalité sociologique et culturelle, bâtie sur un socle de


valeurs, d’idéaux et de références historiques, un patrimoine riche et fécond,
plusieurs fois millénaire, inscrit dans l’axe spatial-temporel. Malgré les
soubresauts de la tumultueuse histoire faite d’invasions, de dominations, de
conquêtes, de razzias, de pillages et de négations, les références historiques sont
encore vivaces et confirment de jour en jour l’antériorité de la civilisation
égyptienne dont la paternité africaine n’est plus à démontrer. Les travaux
d’illustres penseurs, des archéologues et historiens de la trempe de Cheikh Anta
DIOP, Théophile OBENGA, de Volney et tant d’autres ont réhabilité la vérité.
« Rétablir la conscience historique (la prise de conscience de l’histoire) est un double acte :
Acquérir une conscience historique de plus en plus aiguë de la profondeur historique du monde tel
qu’il a vécu.
Et aussi corrélativement acquérir une conscience de participer à l’histoire.
La conscience historique est de l’ordre de l’éveil, de la possibilité de choix, c’est-à-dire en bref de
l’ordre même de la liberté. Les accidents de l’histoire (traite négrière, colonisation, traumatisme
économique, politique, culturel, psychologique, ont rendu le peuple africain amnésique. La
mémoire historique collective du peuple africain a été atteinte profondément. Cheikh Anta DIOP a
entrepris, une allure fondamentale pour la restitution de la conscience historique africaine. »
Théophile OBENGA ne pouvait pas mieux dire.
Le riche patrimoine africain a subi toutes les agressions, les manœuvres de
reniement, de spoliation, parfois même d’usurpation tout au long de l’histoire.
Les dernières en date, la conquête arabo-musulmane, et la colonisation
occidentale avec des conséquences inimaginables. D’abord les Arabes au
7e siècle qui ne répandaient pas seulement l’islam venu d’Arabie, mais leur
culture et leurs coutumes, les noms des Africains furent littéralement changés,
les prénoms d’origine arabe se substituent aux noms et prénoms usuels. Il fallait
désormais s’appeler Abdallah, Youssoupha, Ali, Moussa, Ibrahim,
Abdourahmane, etc., pour être reconnu comme un bon musulman. Les Kocc
Barma, Lat, Ndieme, Sa Khewar, Alboury, Dethie, Yoro, Bathie furent enterrés,
c’était des noms païens, les noms et prénoms à consonance sémitique sont les
seuls que doit porter un musulman.
Plus tard, les Européens à partir du 16e siècle apparaitront sur les côtes
africaines, se lanceront dans une mission d’exploration et de conquête qui
aboutira à la conférence de Berlin de décembre 1884 à janvier 1885 qui entérine
de l’Afrique sur carte au mépris de ses réalités internes et de ses spécificités
particulières.
Comme chez les Arabes, la mission de civilisation, d’évangélisation et
d’assimilation déboucha sur une vaste entreprise de débaptisation ; apparurent
alors les prénoms et noms occidentaux : Étienne, Henri, Gregory, François,
Jacques, Michel, Annette, Sophie, Christine, toute une réalité sociologique et
culturelle différente.
Dans l’un et l’autre cas, accepter de changer de filiation était une preuve
parfaite de soumission et mieux de rejet de sa propre culture pour davantage
ressembler aux maîtres conquérants.
En Afrique, le nom a une symbolique toute particulière, c’est une
identification clanique et totémique. Il fait référence à une culture, à un
cérémonial, à un passé, une réalité historique profonde. Il évoque un rapport à la
vie, à l’environnement, une évocation des choses et des êtres. Il renvoie à une
philosophie, des codes, des systèmes de penser, d’entrevoir et d’envisager le
monde, d’accepter ses conséquences, un rapport au réel et à l’imaginaire il n’est
pas banal, c’est un fait de civilisation, un élément de culture, une réalité
sociologique profonde.
Évidemment, Arabes et Occidentaux dans leur grande offensive, considéraient
les Africains comme hors de toute culture, des êtres à part, des païens, incultes,
barbares, sauvages, sans codes, sans références sociales, des êtres inférieurs qu’il
fallait tirer du néant. Et eux qui se considéraient comme les gens du Livre
avaient la prétention de les faire rentrer dans la civilisation.
Cheikh Anta DIOP rétablira la vérité « au moment où l’impérialisme a atteint
son apogée dans les temps modernes, en tout cas au 19e siècle l’Occident
découvre que c’est l’Égypte noire qui a apporté tous les éléments de la
civilisation à l’Europe. Et cette vérité, il n’était pas possible de l’exprimer, voilà
la réalité, l’Occident qui se croyait chargé d’une mission civilisatrice en
direction de l’Afrique, découvre en fouillant dans le passé, que c’est précisément
cette Afrique noire, aujourd’hui son esclave, cette Afrique noire aujourd’hui en
régression, c’est bel et bien cette Afrique noire qui lui a donné tous les éléments
de la civilisation, aussi extraordinaire que cela puisse paraitre. »
N’en déplaise à Voltaire, Kant, Hegel, philosophes du Siècle des lumières,
aveuglés par leur phobie des Noirs au point de leur dénier toute humanité. Le
premier dira :
« Leurs yeux ronds, leurs nez épatés, leurs lèvres toujours grosses, leurs oreilles différemment
figurées, la laine de leur tête, la mesure même de leur intelligence mettant entre eux et les autres
espèces d’hommes des différences prodigieuses. Et ce qui démontre qu’ils ne doivent point cette
différence à leur climat, c’est que les nègres et les négresses transportés dans les pays les plus froids
y produisent toujours des animaux de leur espèce et que les mulâtres ne sont qu’une race bâtarde
8
d’un Noir et d’une Blanche ou d’un Blanc et d’une Noire »
Ce sont ces penseurs prolixes, à l’imaginaire fertile et égocentrique qui
peuplent les universités africaines, servent de référence, et pour bon nombre
d’entre eux les productions littéraires et philosophiques font partie du
programme jusque dans les écoles secondaires et collèges. Ils ont la science de
présenter l’humanité en castes différentes rivales et hiérarchisées. Ces pensées
profondes, ces rancœurs, ces conclusions abjectes et sinueuses n’ont pas encore
disparu du monde moderne à l’heure de la mondialisation.
Des décennies de régression économique, de chômage massif, de concurrence
exacerbée des peuples font resurgir les haines, le nationalisme grossier, le rejet
de l’autre (le musulman, le Noir, l’immigré, le réfugié), tous bannis, vomis,
indexés, accablés de tous les maux, un racisme ordinaire sans limite ni raison qui
se propage en Occident sur fond de discours populiste. L’extrême droite a le vent
en poupe. L’élection de Donald TRUMP à la maison blanche en est une parfaite
illustration. La population blanche, hellénistique des Amériques profondes s’est
réveillée pour dire : « non plus jamais ça » ; l’élection de Barack OBAMA lui est
restée en travers de la gorge. L’immixtion de Barack OBAMA dans la campagne
électorale de Mme Hillary Clinton l’a beaucoup desservie. Je suis tenté même de
dire que si Obama s’était fait discret dans la campagne de Mme Clinton, les
choses auraient pu se passer autrement. Mais ses sorties médiatiques, haranguant
des foules dans les États blancs conservateurs, a ravivé la haine et réveillé les
passions des électeurs blancs. Désormais, l’élection d’Hillary est perçue comme
un remake de la gouvernance d’Obama qui leur a subtilisé leurs impôts pour une
couverture maladie universelle de 50 millions de pauvres noirs paresseux,
comme le socialisme noir, le communisme redouté qui leur pourrit la vie.
Devant ce faisceau de haine, de rejet de l’autre, il est urgent de s’interroger sur
le sort culturel de l’Afrique dans la mondialisation. Faut-il qu’elle se projette
dans la globalisation comme une simple figurante, embarquée dans le grand
tourbillon au mépris de son identité et de ses valeurs ; reniant son passé, se
soumettant entièrement à la domination des autres cultures, des autres codes et
influences qui régissent le monde ? Ou faut-il qu’elle participe d’égale dignité à
la marche du monde ?
L’Afrique doit être sans nul doute dans ce grand rendez-vous du « donner et
du recevoir » cher au Président poète du Sénégal Feu Léopold Sedar Senghor. Le
rendez-vous de l’universel doit être une occasion de découverte, d’échange, de
communion, d’intégration, de partage, d’enrichissement mutuel entre les
peuples, les cultures et les civilisations dans un fervent dialogue qui respecte les
particularismes et les différences. L’Afrique se doit d’affirmer son identité, ne
pas se renier et prête à s’enrichir des autres, à améliorer l’humaine condition, un
défi d’intégration plutôt qu’un défi d’assimilation ou de soumission. Il serait
regrettable et préjudiciel pour les générations actuelles et futures qu’elle perde,
qu’elle se fonde dans la mondialisation pour perdre son âme, son identité, se
découvre aux autres, complètement transfigurée.
La contribution de l’Afrique est attendue, elle doit inspirer, orienter,
accompagner.
La mondialisation ne doit pas être un frein, un verrou à l’éclosion des valeurs
et des identités parcellaires nichées de part et d’autre du globe. Elle ne doit pas
faire la somme mais plutôt recueillir en chacune les apports fécondants, les
valeurs positives, qui portent en avant et rassemblent autour d’un idéal commun,
d’un destin partagé pour une humanité riche de ses différences, de sa diversité,
de sa multiplicité. La mondialisation ne doit pas appauvrir le monde, elle doit
l’alimenter, l’enrichir, l’universaliser autour de valeurs humaines partagées. Elle
ne doit pas refléter la pensée dominante ou les valeurs du plus grand nombre
uniquement ou celles de l’entité la plus forte médiatiquement, économiquement
ou militairement.
L’humanité en perdrait la face. Sa longue marche historique a été jalonnée de
métissages, de brassages, d’influences, d’inspirations et de progrès.
Le fait culturel est un élément stabilisateur, fédérateur par essence qui
réconcilie la grande famille humaine et inspire le progrès. La globalisation
n’exclut cependant pas que chacun découvre son rôle et joue sa partition. C’est
dans cet ordre que les œuvres d’art africaines pillées lors de la conquête
coloniale doivent être restituées, c’est un patrimoine inaliénable qui revient de
droit et de fait au continent. Un patrimoine inestimable peuple les musées
d’Occident : 75 000 objets numérisés sur l’Afrique subsaharienne et Madagascar
sont répertoriés dans le musée du quai Branly mis en place par Jacques Chirac,
en 10 ans. Beaucoup d’autres objets sont au musée Torecadro. En attraction du
musée du quai Branly, la grande statuette en bois sculpté de 2 m, le
« Djennenke » trône majestueusement, témoin de plusieurs siècles de
civilisation, de siècle de rites et de pratiques culturelles, de siècles de mutations
sociologiques profondes. Cette statuette qui date du 11e siècle après J.C
renseigne sur l’histoire des royautés, les modes de désignation, la représentation,
les modes de succession matrilinéaire et tout le cérémonial qui va avec.
Le musée de Tervuren en Belgique dans les mêmes formes détient une partie
de la grande et prodigieuse histoire de l’Afrique centrale et du Congo sur la
civilisation bantoue. Les musées allemands ne sont pas en reste, tout comme les
musées portugais, américains et espagnols, tous renfermant une partie de
l’histoire africaine. Un patrimoine riche, plusieurs fois séculaire, millénaire
parfois, un butin jalousement protégé par les anciens colons. En 2005, des
œuvres d’art prêtées par le musée du quai Branly, exposées au Bénin, ont drainé
plus de 250.000 visiteurs en un mois ; un rush de curieux, d’intellectuels,
d’artistes, d’anonymes intéressés par ce legs historique qu’ils découvrent avec
emphase et étonnement, ragaillardis et réconfortés dans l’idée d’une culture
africaine forte qui a sillonné l’histoire.
Dans cette lancée, le Bénin a officialisé sa demande de restitution des pièces
lui appartenant, une demande reformulée par Patrice Talon Président de la
République. Des pans entiers de la féconde histoire du royaume d’Abomey ont
été extirpés. Le Bénin ne réclame pas moins de 5000 pièces à la France, un
trésor pillé, une dignité bafouée, une histoire tronquée et niée à dessein même
par un Président de la République Nicolas Sarkozy dans son discours de Dakar,
lui et sa plume Henri GUENO, disciple de Hegel et de Voltaire.
Ce n’est pas une première pour ce bonhomme puisque dès son élection en
2007, il prononça son fameux discours de Dakar en substance aussi contestable
que condamnable devant un comité d’intellectuels au lieu mythique qu’est
l’université Cheikh Anta DIOP. Le silence de l’intelligentsia africaine et
sénégalaise m’a frustré plus que le discours qui procède de l’ignorance de
l’homme des grandes valeurs de culture et de civilisation de l’Afrique, qui ont
inspiré tout au long de l’histoire les grandes communautés humaines. Le lieu
choisi pour insulter l’Afrique est symbolique car son parrain, Cheikh Anta
DIOP, a marqué le monde scientifique par sa dimension, ses publications, ses
découvertes, le carbone 14 singulièrement.
C’est dans ce temple du savoir et non dans une conférence de presse qu’il a
proféré ses injures grotesques sous l’œil hagard des intellectuels courbés. Ceux-
là mêmes qui ont oublié leur mission somme toute noble : s’ériger en bouclier
pour penser, raisonner la société, être les gardiens des valeurs, forger un idéal au
peuple, l’orienter, l’accompagner et jouer les remparts contre toute atteinte de
nature à compromettre ou à salir l’honneur et la dignité des peuples du continent
qui les a vu naitre, grandir, qui les a formés, leur a permis la réussite et
l’émancipation et envers lequel ils doivent une vie.
Malheureusement leur manque de réaction a marqué l’événement. Leur faillite
est logée dans la même enseigne que le discours de Dakar. Sarkozy tout comme
le rédacteur de son célèbre discours, Henri GUENO, fortement imprégnés des
théories extravagantes, provocatrices et outrancières de Hegel, ne pouvaient rien
dire de différent que son inspirateur : « L’homme noir n’est pas encore entré
dans l’histoire ». Leur maître Hegel prétendait que les peuples d’Afrique n’ont
fait qu’assister en spectateurs à la marche de l’histoire, à la construction du
monde.
À l’heure actuelle, Hegel dérange moins que Sarkozy, l’éminent chercheur, le
scientifique de renom, l’ethnologue hors pair, le parrain de l’université de Dakar
a tranché le débat dans ses travaux devant les scientifiques les plus confirmés du
monde, lors de ses nombreuses publications, ses conférences et ses symposiums
au Caire, à New York, de Washington au Cap en passant par Paris et Londres.
Point n’est besoin de s’éterniser sur ce débat provocateur ; Cheikh a déjà soldé le
compte du passé et lavé l’affront de tout un peuple en réhabilitant l’homme noir
dans sa dignité et son histoire bafouée comme en témoigne Théophile
OBENGA : « En refusant le Schéma hégélien de la lecture de l’histoire humaine,
Cheikh Anta DIOP s’est par conséquent attaché à élaborer pour la première fois
en Afrique noire, une intelligentsia capable de rendre compte et dans le temps et
dans l’espace, un ordre nouveau est né dans la compréhension du fait culturel et
historique africain. Les différents peuples africains sont des peuples historiques
avec leur État, l’Égypte, la Nubie, Ghana, Mali, Zimbabwe, Congo, Bénin, etc.,
leur esprit, leur art, leur science »9
D’ailleurs, l’ethnologue allemand Leo Frobenius avoue avoir cru aux mêmes
idées que ses congénères. Pour s’être rendu en Afrique noire de 1904 à 1935,
déclare sans ambages :
« En 1906, lorsque je pénétrais dans le territoire de Kassai Sankuru, je trouvais encore des villages
dont les rues principales étaient bordées de chaque côté, pendant des lieues, de quatre rangées de
palmiers et dont les cases ornées chacune de façon charmante, étaient autant d’œuvres d’art ».
90 % du patrimoine africain est détenu hors du continent, des centaines de
milliers d’œuvres, petites et grandes. Le phénomène s’amplifie sous l’effet des
collectionneurs et gestionnaires de musées privés qui font feu de tout bois,
précipitant le démantèlement des vestiges historiques. L’enjeu financier est
colossal. Les musées en comité montent au créneau pour défendre leur légitimité
sur les œuvres détenues. L’UNESCO ne facilite pas les choses dans sa
convention du 14 novembre 1970 puisqu’elle évite dans sa déclaration, tout ce
qui est issu des fouilles archéologiques.
Le pillage colonial est rangé dans cette dernière rubrique par assimilation
opportunément. Le conseil représentatif des associations noires de France
(CRAN) très actif sur la démarche de restitution affirme sans ambages : « Les
jeunes Béninois doivent pouvoir admirer ces pièces chez eux, elles sont le
témoin de leur riche passé, elles ont un rôle à jouer sur le plan mémoire. »
L’importance des œuvres est reconnue au plus haut point par tous y compris
Mme Hélène Joubert, responsable collection Afrique au musée du quai Branly
qui affirme : « On a des œuvres qui vont du premier millénaire avant J.C jusqu’à
aujourd’hui… »
Le pillage des œuvres d’art africain ne date pas seulement de la colonisation.
Sans doute, le phénomène s’est systématisé sous l’autorité coloniale qui avait
une prise réelle sur les colonies et leur patrimoine. Mais, les explorateurs en sont
les parfaits initiateurs. Beaucoup s’émerveillaient des découvertes, les raconter
ne suffisait plus, il fallait rapporter des témoignages, des souvenirs. Les
merveilles d’Afrique partaient à chaque fois que les explorateurs y avaient accès.
Ils étaient nombreux à sillonner le continent : Livingstone, René Caillé, Stanley
de Brazza, Cunter Callon, René Spake, Brant et tant d’autres, des centaines,
voire plus, très actifs sur le sol africain.
Plus tard, les compagnies commerciales implantées sur les côtes se mettront
de la partie et propageront le trésor. Puis vient la colonisation. Et tous, Anglais,
Français, Portugais, Allemands, Espagnols, Italiens, tous seront de la partie. La
grande majorité des objets plusieurs fois millénaires sera recensée, étiquetée,
confisquée au profit de la métropole. Les œuvres d’art raflées par milliers seront
affectées à d’autres destinations. Certaines resteront propriétés exclusives des
métropoles, d’autres propriétés privées de personnes influentes de la sphère
politique ou aristocratique.
De nos jours, il est tout à fait impossible d’évaluer l’étendue du désastre,
encore moins la valeur artistique ou marchande de cet immense trésor spolié aux
peuples d’Afrique. La grande partie de l’histoire africaine est racontée par ces
œuvres d’art qui traversent des siècles et des millénaires, drainant les
événements, les philosophies d’époques, la pensée profonde des peuples, leurs
cosmogonies, les faits de sociétés, leurs interdépendances avec les autres
civilisations, avec la nature même, tout un code de valeurs, des pratiques
quotidiennes et de coutumes qui lient les époques et les générations.
L’Europe n’a pas simplement colonisé et décolonisé, elle a aliéné tout un
patrimoine, tout un passé, toute une histoire, une culture, des civilisations riches
et fécondes. Elle a confisqué la mémoire collective, les références historiques.
Les conséquences économiques de la colonisation ne sont rien face à la mémoire
d’un peuple, d’un continent, un rapport au réel, à la science et à l’imaginaire.
L’islamisation de l’Afrique dès le septième siècle est la première étape de
démantèlement du patrimoine et de la mémoire collective. Tous les objets
millénaires étaient considérés comme des rites païens donc comme objet
d’adoration, des répliques des divinités. Or le message des almoravides était
clair : « Il n’y a de divinité que Dieu (Allah), le Tout-Puissant ». Toute autre
forme de représentation était proscrite, une contrition, il fallait châtier l’auteur,
confisquer ou détruire l’objet de profanation. Les objets suspects ou assimilables
à une représentation divine étaient arrachés des propriétaires. L’Islam était venu
enrayer le paganisme.
La création du musée du quai Branly a suscité des passions, des critiques et
beaucoup de réticences. Mais ma conviction est qu’un tel musée devait profiter
aux ayants droit, aux Africains eux-mêmes. Beaucoup d’Africains n’ont pas
connaissance de ce trésor caché, ce pan de leur histoire disséminé un peu partout
dans le monde. Un tel musée au cœur de l’Afrique serait la meilleure preuve de
repentance et de solidarité. Une ode à l’Afrique, un message fort à son passé
douloureux, une marque d’estime envers son peuple, un coup de pouce à son
tourisme, à son économie.
Les arguments du refus stipulent que les Africains ne pourraient pas s’occuper
du musée et des innombrables pièces, le risque de pillage serait à nouveau
évident par les acteurs locaux, ou que les Africains n’ont pas les ressources
humaines et l’outillage technique pour entretenir, réfectionner, restaurer ces
objets. Cela est en partie vrai, mais pas suffisant pour ne pas rendre le bien
d’autrui ou aider à la jouissance.
C’est quand même dommage que les Africains ne bougent pas assez pour
récupérer leurs patrimoines. Les gouvernants, les musées locaux, les sociétés
civiles devraient davantage s’impliquer dans le processus de restitution. C’est un
combat qui n’est pas que de principe, mais de raison. C’est une dette à la
postérité, une reconnaissance aux bâtisseurs, une lutte contre l’oubli et l’usure du
temps, un simple devoir de mémoire. D’ailleurs l’organisation des Nations unies
ne dit rien de moins dans la résolution 42/7 issue de l’assemblée générale du
22 octobre 1987, dans son préambule 22 :
« Le retour des biens culturels de valeur spirituelle et culturelle fondamentale, à leur pays d’origine
est d’une importance capitale pour les peuples concernés, en vue de restituer des collections
représentatives à leurs patrimoines culturels. »
Les historiens, les anthropologues, sociologues et chercheurs africains sont
interpelés sur la question de la restitution des éléments constitutifs d’une culture
africaine. Le débat, il n’est pas que économique, il est aussi culturel, éthique, et
même juridique. C’est une question de grandeur et de responsabilité, de ne pas
abandonner une partie de l’histoire africaine entre les mains des autres, fussent-
ils des explorateurs, des conquérants, des colonisateurs. Les intellectuels doivent
se mobiliser autour de la question pour ramener ce riche patrimoine en Afrique.
Pour retrouver les avoirs juifs spoliés par l’Allemagne nazie, le régime de
Vichy, les intellectuels, les artistes, les politiques, des penseurs libres de bonne
foi, des juristes, des universitaires de renom, des organisations des droits de
l’homme, des ONG, se sont mobilisés pour faire retrouver au peuple juif
l’essentiel de ses biens volés ou confisqués. Ce sont des tableaux d’art, des
bijoux d’or, de diamant, des comptes séquestrés, de précieux objets de collection
en grande partie restitués à leurs propriétaires légitimes.
L’Afrique ne saurait être en reste, il y va de sa souveraineté sur ses biens, ses
éléments de cultures dérobés, dont l’ampleur du pillage dépasse l’imaginaire. Se
mobiliser est le seul crédo, poser le problème au niveau de toutes les instances
mondiales, en faire une large diffusion auprès du peuple qui ignore l’étendue du
désastre. C’est un combat mémoriel, mais aussi économique. Les retombées
touristiques sont énormes. Les universitaires ne doivent pas manquer à l’appel
pour restaurer la conscience historique.
La mondialisation ne doit pas se faire sans l’Afrique ni à son détriment. Elle
doit être actrice, porteuse de progrès et de valeurs, drainant son passé,
échangeant avec le monde dans le respect de son identité. L’Afrique culturelle à
un grand rôle à jouer. Gageons d’être nous-mêmes pour mieux nous faire
connaître des autres.
Quand Léopold Sédar Senghor, compositeur de l’hymne national du Sénégal
chante :
« Pincez tous vos koras
Frappez les balafons
Le lion rouge a rugi
Le dompteur de la brousse
D’un bon s’est élancé… »
Dans la mise en musique par Julien Pépère, je suis déçu de ne remarquer nulle
trace des instruments africains traditionnels précités, le balafon et la kora, des
instruments qui ont toujours accompagné les cours africaines, son aristocratie,
ses fastes, ses rituels. Leur usage véhicule la profondeur des thèmes et des chants
populaires, initiatiques, mythiques pleins d’enseignement. Le balafon et la kora,
instruments lyriques sont la muse des griots et des sages, qui fredonnent les faits
épiques, d’une Afrique historique dans sa profondeur. Ils sont de précieux
instruments qui permettent de mieux communiquer et relater la mémoire du
peuple. Dans l’arrangement musical de Julien Pépère, les notes, l’air, la
rythmique sont essentiellement français. L’hymne de Léopold Sedar Senghor est
chanté sur fond de percussion, d’instrument et de mélodie essentiellement
français et occidentaux. L’hymne perd de son âme, de son originalité. Il n’a pas
vocation à particulariser, à singulariser un état nouvellement indépendant qui
s’affichait libre et souverain, marquant sa différence, son originalité par son
identité affirmée. L’hymne comme le drapeau sont les premiers éléments
visibles de souveraineté. Tout pays indépendant commence par mettre en place
ces deux attributs qui le distinguent des autres.
Quand le Président Obama est reçu en visite officielle à Dakar, les honneurs
militaires commencent par l’exécution de l’hymne américain sous la bannière
étoilée. Quand Macky SALL est en visite officielle dans le monde, le pays hôte
rend hommage au drapeau et exécute l’hymne du Sénégal.
Dans toutes les compétitions sportives, culturelles, coupe du monde de
disciplines diverses ou jeux olympiques, les délégations défilent le drapeau en
bandoulière sur fond de leur propre hymne. Pour remettre les récompenses,
coupes, médailles, distinctions particulières, l’hymne du pays d’origine est
exécuté sous les couleurs nationales. J’insiste sur le caractère particulier des
attributs et signes distinctifs d’un État. Ces instants sont des instants uniques où
chaque nation renoue avec son identité, avec fierté et austérité.
« Dans le monde d’après-guerre froide, les drapeaux restent essentiels, tout comme d’autres
symboles d’identité culturelle, les croix par exemple, les croissants, car la culture est déterminante
et l’identité culturelle est ce qui importe le plus à beaucoup de personnes.
On se découvre de nouvelles identités, on en découvre aussi souvent d’anciennes […]. Les conflits
les plus dangereux aujourd’hui surviennent désormais de part et d’autre des lignes de partage qui
séparent les civilisations majeures du monde. […] Pour la première fois dans l’histoire, la politique
globale est à la fois multipolaire et multi-civilisationnelle. La modernisation se distingue de
l’occidentalisation et ne produit nullement une civilisation universelle pas plus qu’elle ne donne lieu
à l’occidentalisation des sociétés non occidentales. […]
Depuis la fin de la guerre froide, la façon dont les peuples définissent leur identité et la symbolisent
a profondément changé. La politique globale dépend désormais de plus en plus des facteurs
culturels. Les drapeaux hissés à l’envers sont un signe de cette transition, mais de plus en plus ils
flottent haut et fiers et les Russes, comme les autres peuples se mobilisent derrière des drapeaux et
d’autres symboles d’une identité culturelle nouvelle. Le 18 avril 1984, deux mille personnes se sont
rassemblées à Sarajevo en brandissant les drapeaux non pas de l’ONU, de l’OTAN ou des États-
Unis, mais de l’Arabie saoudite et de la Turquie.
Les habitants de Sarajevo, en agissant ainsi, voulaient montrer combien, ils se sentaient proches de
10
leurs voisins musulmans » .
Le système colonial, l’impérialisme occidental ont littéralement rongé la
dignité des peuples d’Afrique, saccagé son histoire, sa mémoire collective. Les
références historiques ont été largement piétinées parfois même réduites à néant
par endroits. Il faut travailler à restaurer la vérité historique, déconstruire la
pensée assimilationniste qui s’est bâtie sur la négation et le rejet des valeurs de la
culture africaine qui a souffert de n’être pas transmise, originalement déformée,
tronquée qu’elle était par les récits partisans décalés de la réalité.
Je sais que la bienséance veut qu’on parle moins de la colonisation ou de
l’esclavage dont la simple évocation dérange certains milieux pas très à l’aise
avec ces épisodes honteux de l’histoire, tellement leur responsabilité et leur
culpabilité sont avérées. Les intellectuels qui en débattent sont souvent taxés de
faire de la « victimisation » comme quoi la victime ne peut même plus se
plaindre. Il faut en parler moins pour précipiter l’oubli.
Pour autant, nous en parlons, dénonçons même les attitudes pernicieuses.
L’Afrique a subi plus que tout autre continent. L’homme africain a payé un lourd
tribut de sa chair, de sa sueur, de sa dignité. Certes, il faut bâillonner les
intellectuels loquaces pour que le discours soit moins audible, un discours qui
dérange forcément en ce qu’il rend compte de l’horreur de l’esclavage et de la
colonisation. L’esclavage arabo-musulman d’abord du VIIème au XIIIème siècle
qui a réduit la population de moitié, puis occidentale avec son fameux commerce
triangulaire qui a fait la prospérité de l’Europe et des Amériques. Des villes
entières se sont construites sur les rentes des esclaves et ce n’est pas tout.
Liverpool, Bordeaux, Rouen, Nantes ont bâti de grandes fortunes avec la traite
des Noirs au XVIIIème siècle où le monde affluait à leurs côtes, explosant leurs
populations ; leurs ports étaient la plaque tournante d’une activité lucrative qui a
généré des profits immenses aux négociants, aux banquiers, aux assureurs, aux
transporteurs des puissances occidentales.
Malicieusement les manipulateurs de l’histoire et de la mémoire glissent le
chiffre de 10 millions d’êtres humains arrachés à l’Afrique. Une farce sans
doute, personne n’y croit. L’Afrique faisait partie des continents les plus
peuplés. Du 17e au 19e siècle, sa population n’a pas cru, elle a baissé
drastiquement du fait des pillages systématiques. Faisant le point sur les
carnages à la capture des esclaves, les regroupements aux ports, les pertes en
transport par épuisement, fatigue ou maladie, l’Afrique a été dépeuplée de plus
de 300 millions d’êtres humains, l’ampleur du phénomène dépasse les limites de
l’horreur.
À la veille de la célébration du 150e anniversaire de l’émancipation de
l’Empire britannique, Thomas Sankara réaffirme ses convictions :
« Pour nous, tout ce qui pourra être fait, dit ou organisé à travers le monde au cours des cérémonies
commémoratives devra mettre l’accent sur le terrible écot payé par l’Afrique et le monde noir au
développement de la civilisation humaine. Écot payé sans retour et qui explique sans aucun doute
les raisons de la tragédie d’aujourd’hui sur notre continent. C’est notre sang qui a nourri l’essor du
capitalisme, rendu possible notre indépendance et consolidé notre sous-développement. On ne peut
plus escamoter la vérité des chiffres. Pour chaque nègre parvenu dans les plantations, cinq au moins
connurent la mort ou la mutilation. Et j’omets à dessein la désorganisation du continent et les
séquelles qui s’en sont suivies ».
C’est le plus grand génocide commis sur terre sur l’espèce humaine. L’histoire
véritable est connue de tous, historiens, chercheurs, décideurs, mais la vérité
dérange. Les archives sont nauséabondes, on craint le pire en relevant l’étendue
du désastre.
« Sans les esclaves, nous serions perdus ! » s’exclamait un évêque français
Maury devant l’Assemblée nationale française en 1791 dans une plaidoirie assez
révélatrice, une chronique contre l’abolition de l’esclavage qui a beaucoup
enrichi aussi l’Église catholique et ses dépendances.
Des missions d’exploration et de conquêtes incendiaires ont précédé la
colonisation après un accord de partage des colonies à la Conférence de Berlin
sur carte sans tenir compte des réalités sociologiques, culturelles, ethnologiques
et même physiques. Autour du Chancelier Bismarck étaient réunis les Français,
les Allemands, les Italiens, les Portugais, les Belges, les Espagnols, les
Américains et bien d’autres partenaires.
La colonisation ainsi consacrée, débouche sur un long processus d’aliénation
de l’homme des biens qu’il possède, de sa culture, de sa liberté, de ses droits les
plus élémentaires et de son patrimoine. Un homme chosifié, réduit au rang
d’animal, qu’il fallait rebâtir, « civiliser » comme on disait vulgairement.
En déplacement à Alger, Emmanuel MACRON, alors candidat à la présidence
de la République française de 2017, déclare à la tribune que la colonisation est
un crime contre l’humanité et se confond en repentance. Une attitude presque
inédite de la part d’un homme politique français. Michel Rocard disait à peu de
mots près la même chose en 1958, mais du reste ça s’arrête là. En 2005 sous
Jacques Chirac, une loi validant les aspects positifs de la colonisation a failli
passer à l’Assemblée nationale. N’eussent été la perspicacité et la grande
détermination des légalistes fort remontés et engagés dans les batailles de rue,
les blessures du passé allaient resurgir. Aucun Président élu n’a osé franchir le
Rubicon et reconnaitre définitivement la responsabilité de la France dans la
colonisation. Tous l’évoquent à demi-mot. En 2007, Nicolas SARKOZI,
fraîchement élu reconnaissait un préjudice moral. François HOLLANDE en
2012 évoquait quelques effets négatifs contenant en son for intérieur le malaise
qui l’habite au même titre que tous les hommes politiques de gauche.
La France tarde à solder ses comptes du passé, ce qui n’éteint pas la
polémique qui se poursuivra pour de longues générations. Les victimes et les
bourreaux se déchireront dans un climat nauséabond de défiance réciproque. Un
crime reste un crime et il n’y a aucune hiérarchie dans les souffrances et les
mémoires des communautés humaines. Tous les torts ont porté préjudice à une
seule et même humanité.
De la conférence de Berlin est ressorti un programme de démantèlement
géographique, économique et culturel, l’anéantissement des structures sociales,
la désagrégation des ensembles naguère dynamiques et fusionnels avec comme
corollaire l’effritement des modes de vie, l’escamotage de la véritable histoire
africaine, de la mémoire et du patrimoine. La notion d’espace comme élément
physique et virtuel est réduite, restriction des libertés physiques, intellectuelles,
de la mobilité et des libertés d’entreprendre. Le colon voulait faire table rase du
vécu social, culturel et intellectuel des autochtones pour mieux les assujettir, les
acculturer, les assimiler.
L’école coloniale fera son œuvre d’anéantissement de la structuration sociale
tronquant la continuité historique dans la production et la transmission des
valeurs de références et des modèles de société. Les enfants des chefs africains
devaient être les premiers « formés » ou assimilés. Ainsi furent créées des écoles
de « fils de chef ». Les premiers intellectuels épouseront les codes, les us et
coutumes des colons. Des vagues d’Africains passeront par les structures. Ils ont
non seulement appris l’usage de la langue, mais les modes de vie des
occidentaux.
Après l’indépendance, les gouvernements africains ne se sont jamais
préoccupés du contenu de l’école, de son orientation et de ses finalités ; ils ont
vécu dans la perpétuation des mœurs, formé des intellectuels identiques, pétris à
la moule occidentale, très assimilés, très distants de leurs proches, reniant pour
beaucoup leur héritage culturel.
De nos jours, le phénomène perdure, beaucoup rechignent à parler leur langue
maternelle, préférant les langues étrangères : français ou anglais selon le milieu.
Sinon comment comprendre qu’un décideur dans sa région naturelle de Ségou au
Mali s’adresse à une population 100 % bambaras en français ? Comment un
responsable peut parler en français à un auditoire peul du Macina ou hal pulaar
de Matam au Sénégal. Il en va de même dans les anciennes colonies
anglophones, lusophones, la langue est le premier élément d’acculturation. C’est
un outil d’aliénation dont la maitrise entraine un changement de comportement
culturel.
L’Afrique précoloniale renfermait des sociétés très organisées, comme le note
Leo Frobenius, très épanouies culturellement et intellectuellement en phase avec
l’univers. L’école coloniale construit un passé, une histoire qui commence au
XIXème siècle avec la mission prétendue civilisatrice, escamotant volontairement
l’Égypte antique creuset de toutes les civilisations, la riche et authentique Nubie
antique, ce riche patrimoine qui a inspiré le monde est occulté, une version
tronquée de l’histoire.
Pour rappel, Thales, Pythagore et Millet aussi célèbres soient-ils dans leur
discipline, sont venus parfaire leurs études de mathématiques en Égypte comme
bien d’autres selon les spécialités. Cette brillante civilisation dont Cheikh Anta
DIOP et Théophile OBENGA dans leurs travaux ont fini de démontrer la
paternité africaine, a inspiré et influencé la marche des peuples du monde. Tout
est parti de l’Égypte, le berceau de la civilisation. L’Égypte a fécondé
l’humanité, l’universel s’est organisé autour d’elle. L’histoire de l’Afrique,
version coloniale offre peu de certitudes, défait l’originalité au travers d’une vue
tronquée.
À juste titre je salue l’initiative du Sénégal qui a mobilisé ses intellectuels,
chercheurs, scientifiques de renom, universitaires pour revisiter son histoire, la
relire avec intelligence et discernement, parcourir ses époques avec un œil avisé,
un esprit lucide, pour refaire les pages, les réécrire, s’il faut les juxtaposer selon
la chronologie. Un travail colossal de mémoire qui s’étend sur plusieurs années
prenant en compte son histoire dans ses plus lointaines origines. Une histoire qui
sera déclinée en 16 volumes, nous dit-on, authentique, rendant compte de
l’évolution naturelle des différents peuples qui ont pris part à son rayonnement,
leurs us et coutumes, leurs legs culturels, leurs vies passées, leurs organisations
sociales, politiques, économiques, toute une histoire qui plonge dans l’aube des
temps pour refaire le fil d’Ariane.
Certainement d’autres pays, d’autres régions du continent se joindront à
l’initiative pour ressusciter leur propre histoire, leur patrimoine, par leurs propres
soins. Les intellectuels doivent s’assigner de restaurer les véritables pages
d’histoire. L’histoire de l’Afrique n’est pas une copie de l’histoire occidentale ou
orientale. Même s’il faut leur reconnaitre des apports fécondants, elle est
spécifique. Nous devons revisiter notre histoire pour mieux nous situer par
rapport à notre culture, refaire nous-mêmes l’inventaire. Car l’histoire africaine a
été niée, rejetée, enfouie, escamotée offrant des vues parcellaires, imparfaites,
partisanes et tronquées à dessein dans le seul but d’effacer toute trace de
mémoire, d’éviter toute résurgence, d’acculturer les générations coupées de leurs
origines, leurs racines, leurs legs, leurs identités, une vaste entreprise
d’escroquerie, d’expropriation, de falsification.
L’école coloniale était au cœur de ce dispositif de possession et d’aliénation. Il
nous faut désormais reconfigurer notre espace culturel avec nos mots, nos récits,
nos illustrations, nos mythes et croyances, nos langues et notre mythologie,
réhabiliter définitivement les réalités sociales et culturelles longtemps bafouées
par les siècles d’occupation, de privation et de domination de la civilisation
arabo-musulmane entre le 7e et le 13e siècle, et européenne du 16e siècle au
20e siècle.
À l’heure de la mondialisation, point n’est besoin de rejeter qui que ce soit, il
s’agit simplement d’être réaliste, d’aller dans le sens de l’histoire, de faire l’état
des lieux, de remonter la chronologie, de simplement faire la part des choses.
L’Africain a besoin de se situer par rapport au temps historique, aux événements
et à sa culture soumise à toutes les influences, à toutes sortes de mutilations
circonstancielles, mais souvent volontaires dans le seul but de l’occulter, de
l’effacer de toutes les mémoires humaines. Son passé a été réfuté et chaque
envahisseur qui venait, prétendait l’améliorer, le civiliser, balayant tous les
éléments d’existence sociale, scientifique, culturelle. Il en est ainsi avec les
Arabes pendant des siècles, longs et atroces d’excès d’avilissement, de trafics et
plus tard avec les Européens pendant plus de 400 ans dans une mission
prétendue civilisatrice et évangélique qui niait l’existence de toute personnalité à
l’Africain, fût-elle physique, juridique, intellectuelle.
L’Afrique doit s’inscrire dans un vaste mouvement de renaissance culturelle,
reprofiler son identité, reformuler son passé pour garantir une continuité dans la
perception de ses réalités, de son patrimoine historique pour que les jeunes s’en
inspirent et en fassent leur. C’est une démarche de rupture qui doit commencer
par l’école. Une institution qui a d’autres préoccupations que d’enseigner au
21e siècle, des contre-vérités, des bribes d’histoire complètement manipulées. De
la même façon que l’école coloniale et les medersas arabes avaient déconstruit
les traits culturels pour acculturer les générations passées, l’école africaine
moderne doit s’engager résolument à rétablir la vérité des faits, transmettre les
valeurs culturelles, le riche patrimoine plusieurs fois millénaire. L’école
africaine doit narrer l’histoire dans ses fastes, ses regrets, ses hauts et ses bas, ses
magnificences, ses grandeurs et décadences, ses hauts faits. Elle doit permettre
aux jeunes de nouer contact avec le patrimoine culturel, l’habiter profondément.
Les jeunes se rendront compte que leur histoire n’est pas l’histoire coloniale, ni
dans sa version orientale, ni dans sa forme occidentale récente, elle est
singulièrement africaine ayant ses particularistes, ses spécificités, ses
déclinaisons et ses déterminismes propres, tenant à sa sociologie, sa géographie,
son économie, et ses activités intellectuelles. Les jeunes pourront mieux se situer
par rapport à l’histoire et à la marche du monde. Il faudra pour se faire structurer
l’éducation à travers les valeurs et le pacte culturel pour cerner le profil du
citoyen de demain.
L’Afrique doit envisager son futur avec ses langues nationales et locales, en
faire de véritables leviers de culture de quête du savoir, de transmission des
apprentissages, de recherche et de publication des découvertes et réalisations.
Les enfants doivent pouvoir lire et écrire dans la langue de leur terroir qui établit
un lien naturel avec le milieu. La langue est le premier trait de culture, les
publications scientifiques, la poésie, la littérature africaine peuvent se raconter
en langues locales, le mot étant l’association d’un concept et d’une image
acoustique, les enfants et les artistes dans leurs langues locales seront à même de
conceptualiser, d’établir des liens directs avec la pensée profonde africaine, la
philosophie, l’interprétation de l’univers.
Un survol de l’actualité, nous montre que les pays développés sont ceux qui
véhiculent les apprentissages, les recherches et publications dans leurs propres
langues : la Corée, la Turquie, l’Israël, le Japon, l’Italie, la France, l’Allemagne,
souvent avec un nombre de locuteurs réduit, ont développé les connaissances à
partir de leurs langues et de leurs cultures, les deux étant indissociables.
La renaissance africaine se fera par l’école dont la loi d’orientation doit
s’appuyer sur les langues et la culture pour bâtir, définir les apprentissages et
structurer les savoirs. Le danger de la mondialisation est de supprimer les
différences culturelles pour tendre vers le règne d’une culture dominante
occidentale. Les minorités asiatiques, incas, bantoues, bamilékées doivent
survivre.
Dans un contexte de concurrence, les plus puissants économiquement et
stratégiquement imposent leurs cultures qui s’éparpillent à travers des moyens de
diffusion ultra sophistiqués, la télévision, le cinéma, la mode, le stylisme,
l’internet, les spots publicitaires, les feuilletons, les publications scientifiques,
littéraires et artistiques. Même la culture semble obéir aux lois scélérates du
marché. Les vainqueurs triomphent et imposent leurs logiques et leurs pratiques.
La renaissance culturelle est une urgence pour que l’Afrique sorte de la
globalisation renforcée sans altérer sa personnalité culturelle.
La renaissance culturelle est une occasion privilégiée de réconcilier l’homme
africain avec sa pensée profonde, son système de valeurs, sa philosophie, sa
perception du réel, son rapport à la vie, au monde, à l’existence, ses pratiques,
ses us et coutumes passés, sa cosmogonie ; c’est une explication de l’évolution
des sociétés à travers les âges, les rapports d’interdépendance, les interactions
entre les sociétés, les choses et les êtres, la dynamique interne, les moyens
matériels et humains mis à contribution durant cette évolution, la structuration
sociale, la stratification, les normes de fonctionnement, la répartition des tâches,
la structuration des activités, les moyens techniques, l’évolution de la
spiritualité, les systèmes de gouvernance et les modes de succession. La
renaissance offre la possibilité extraordinaire de renouer avec le contenu social,
la perception du réel, de l’imaginaire et de la science.
8 Voltaire, Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, Paris, J. Esneaux, 1829.
9 Cheikh Anta Diop Volney et le sphinx. Contribution de Cheikh Anta Diop à l’historiographie mondiale
Théophile Obenga (Auteur) Paru en février 1996
10 Samuel Huntington, Le Choc des civilisations, Paris, Éditions Odile Jacob, 1997.
CHAPITRE XI

UN STATUT DE MEMBRE PERMANENT AU CONSEIL DE


SÉCURITÉ DES NATIONS UNIES :
UNE POSITION DE DROIT TOUT ASSUMÉE

Le comité de veto : un artifice pas sincère :


Pour la troisième fois de son histoire et pour la nième fois pour l’Afrique, le
Sénégal vient d’être élu membre non permanent du Conseil de sécurité des
Nations unies. Poste occupé depuis les indépendances tour à tour par les pays
membres de l’Organisation des Nations Unies. Ce poste est régulièrement à date
échue mis en compétition entre différents protagonistes.
Le Sénégal en 2015 fut promu à ce siège avec brio et fracas, un véritable
plébiscite lors du vote où le pays rafle plus de 180 voix. Sans doute pour un
mandat électif, la confiance agissante que ses pairs ont vis-à-vis de ce pays qui
s’agite vaillamment dans la diplomatie africaine, moyen-orientale et occidentale,
est réconfortante. Son envergure diplomatique, ses positions tranchées sur les
questions stratégiques du monde, ses positions affirmées à équidistance des
grands pôles en font un allié sûr, un partenaire de renom et très stratégique sur
les questions de l’heure qui bouleverse le monde.
Malgré sa taille démographique, sa superficie et son état chronique de sous-
développé, le Sénégal jouit d’une grande estime, d’une confiance renforcée et
compte parmi les nations respectées de par son influence, mais surtout son
engagement résolu pour le respect des idéaux et des principes immuables qui
fondent l’humanité et gouvernent le monde.
Ils ont pour nom la liberté, le respect des droits humains, l’intégrité, la
solidarité et le respect du droit à la différence et le droit pour tous les peuples
libres à l’autodétermination.
Ce combat noble, la poursuite de cet idéal de respect, de liberté et de
démocratie est inscrit au fronton de la République du Sénégal, quels que fussent
les régimes politiques et les hommes qui les ont animés dans sa petite et grande
histoire. Les contingents sénégalais sous la bannière des Nations unies depuis
plus de 40 ans sont au service de la communauté internationale dans ses
différentes missions d’interposition et de maintien de la paix. Au Liban, dans les
pires moments d’affrontement, les années 77-80 au Darfour, en Irak, au Koweït,
au Congo Kinshasa, en République Centrafricaine, au Mali voisin dans la lutte
contre le terrorisme et le djihadisme naissant en Afrique occidentale, en Haïti, en
Guinée-Bissau fortement menacée de déstabilisation, en Côte d’Ivoire quand elle
a cédé aux démons de la guerre en 2010. Le Sénégal a une diplomatie active très
au fait des questions géostratégiques qui agitent le monde, très en phase avec les
enjeux, en accord avec les pôles d’influence et les partenaires dans l’orientation
et les perspectives.
D’ailleurs, en reconnaissance de la bravoure d’un des leurs tombé sur le
champ d’honneur au Rwanda dans sa mission d’interposition, la médaille
Monsieur « MBAYE DIAGNE » vient d’être décernée par la conférence des
Nations unies comme mode de récompense aux plus braves qui se seront
singularisés dans les missions de paix.
C’est un honneur qui consacre l’œuvre d’un pays, une diplomatie, une option,
une orientation, l’engagement fort d’un peuple derrière ses dirigeants pour un
monde meilleur, parce que plus juste, plus humain.
Le combat pour un monde libre est un sacerdoce.
Mais au-delà de ces faits glorieux, épiques consacrés et reconnus,
récompensés par moments, la réflexion se poursuit sur l’opportunité de ce poste
de membre non permanent du conseil de sécurité. Poursuivant la réflexion en
profondeur, les esprits avertis, les initiés, les coutumiers des questions
diplomatiques et stratégiques du monde diront qu’au-delà du cosmétique, de
l’aspect formel, l’occupant de ce poste ne peut rien, strictement rien changer
dans l’orientation prise par la diplomatie internationale verrouillée par un
principe, un droit acquis : en petit comité, en club de bons offices par des pôles
et puissances de ce monde, qui s’appelle le droit de véto. Un droit réservé aux
plus forts, aux plus influents qui dirigent le monde, orientent stratégiquement les
peuples et leurs dirigeants souvent contre la destination prise.
Les peuples du monde n’ont jamais voulu des deux guerres d’Irak et pourtant
elles ont eu bel et bien lieu ; la guerre en Libye a été décriée par tous les
Africains, elle a été imposée de force. Malheureusement, elle a profondément
dans ses conséquences, ôté à l’Afrique subsaharienne une grande partie de sa
stabilité. Des États entiers sont menacés de destruction, du Cameroun en passant
par la République centrafricaine, le Tchad, le Niger, le Nigéria, le Mali, la Côte
d’Ivoire, tous baignent dans un cadre explosif de menaces nationales et
transfrontalières, des phénomènes nouveaux de djihadisme, l’expansion de
mouvements controversés qui rompent l’équilibre précaire de ces nations. Quand
les armes de l’OTAN ont parlé, la boîte de pandore s’est entrouverte, les
djihadistes, les terroristes et les armes ont envahi les régions occidentales
d’Afrique installant durablement l’instabilité, le ralentissement économique et
les questions sécuritaires connexes.
Les vétos ont toujours permis des décisions contraires aux volontés des
peuples. Ce n’est donc pas un simple « Seat » offert au banquet des plus forts qui
va changer grand-chose dans les choix stratégiques et géopolitiques des tout-
puissants dépositaires de ce droit contesté, de plus en plus remis en cause dans
ses formes et circonstances d’application sur des sujets et des questions qui
polarisent l’attention du monde. Le forcing des membres permanents,
l’opposition du droit de véto sur des résolutions souvent attendues, basée sur des
compromis et des alliances partisanes, traduisent inéluctablement l’abus du droit
de véto. Son usage disproportionné inquiète et préoccupe les partisans du
changement qui plaident pour une remise à plat du Conseil de sécurité des
Nations unies, le gel du droit de véto, sa reconfiguration et sa reformulation eu
égard à l’intérêt de tous les peuples et de toutes les régions du monde dûment
représentés et jouissant des mêmes droits, des mêmes privilèges, de la même
préséance. Les principes de gouvernance des peuples du monde méritent plus de
partage et plus de consensus, de collégialité sur la façon de délibérer, sur le
mode de répartition des prérogatives.
Depuis l’avènement des Nations unies en lieu et place de la Société des
nations (SDN), cinq grandes puissances vainqueurs de la Deuxième Guerre
mondiale : la France, l’Angleterre, les États-Unis, la Chine et la Russie
détiennent le puissant droit de véto qui permet à l’une, isolément de ces
détentrices, de bloquer la résolution prise au nom de l’humanité, fût-elle la
meilleure.
On en use pour régler ses comptes politiques, diplomatiques et
géostratégiques. Le monde vogue selon cinq raisons majeures, celles des plus
forts qui décident et dictent aux autres, pensent et imposent au reste, refusent et
entrainent tous les autres dans leurs sillages. Elles seules ont la volonté, les
autres n’ont qu’à suivre peu importe qu’ils aient envie ou pas, qu’ils aient intérêt
ou non. Leurs seules décisions s’imposent au collectif des nations, des peuples
sans autres formes de procès qu’ils soient ou non consentants.
Le droit de véto est un droit ingrat dans le partage des responsabilités. Il
permet à un groupe restreint de décider de ce que les autres, quel que soit le
nombre vont discuter, voter, appliquer sans en avoir besoin au compte. C’est un
droit abusif et aliénant qui confère des attitudes et des comportements partisans.
70 % des questions traitées par le Conseil de sécurité des Nations unies portent
sur des problèmes, sur des endroits du monde hors sphère géographique des
détenteurs du droit de véto, c’est l’Afrique, le Moyen-Orient, l’Asie Mineure, le
monde arabe. L’affectation du droit de véto ne respecte pas l’équilibre
géographique. Un continent entier, l’Afrique, ouvre et ferme la discussion à
l’ONU, un groupe de 55 nations libres, indépendantes et souveraines se voit
imposer à tous les coups des décisions, des résolutions sur son quotidien, même
sa migration pour rencontrer les autres peuples du monde. Avant moi, Thomas
Sankara disait :
« Nous proposons également que les structures des Nations unies soient repensées et que ce soit mis
fin à ce scandale que constitue le droit de véto. Bien sûr les effets pervers de son usage abusif sont
atténués par la vigilance de certains de ses détenteurs. Cependant rien ne justifie ce droit : ni la taille
des pays qui le détiennent, ni les richesses de ces derniers. Si l’argument développé pour justifier
une telle iniquité est le prix payé au cours de la dernière guerre mondiale, que ces nations qui se
sont arrogées ces droits sachent que nous aussi avons chacun un oncle ou un père qui, à l’instar des
milliers d’autres innocents arrachés au Tiers-monde pour défendre les droits bafoués par les hordes
hitlériennes porte lui aussi dans sa chair les meurtrissures des balles nazies.
Que cesse donc l’arrogance des grands qui ne perdent aucune occasion pour remettre en cause le
droit des peuples. L’absence de l’Afrique au côté de ceux qui détiennent le droit de véto est une
injustice qui doit cesser. »
À défaut de remettre en jeu ce droit des plus forts, il importe d’ajouter un
sixième droit de véto partagé entre l’Afrique (900 millions), l’Inde (1 milliard et
demi), le monde arabe (300 millions d’âmes) et une grande partie de l’Asie hors
sphère russophone, pour équilibrer le jeu du monde. Le monde libre ne peut pas
se suffire de stratégies qui arrangent « le comité de quartier » ; il faut aller dans
le sens de l’intégration des entités géographiques et des poids démographiques
représentatifs de la réalité diplomatique et sociale du monde. La façon de
résoudre des conflits célèbres du monde donne lieu à différentes connivences.
L’usage disproportionné du véto dérange la communauté internationale où les
pays ne sont pas souvent logés à la même enseigne selon qu’ils soient amis,
protégés, alliés, partenaires stratégiques, ennemis jurés, empêcheurs de tourner
en rond. Par moments le service est à la carte au gré des seuls intérêts et
alliances stratégiques, la proximité ou l’allégeance aux pôles dominants.
L’Afrique en 1945, à la création de l’ONU, était presque entièrement sous
colonisation des puissances occidentales, sous occupation et sous administration
directe ou sous protectorat. Les puissances métropolitaines décidaient en son
nom comme elles ont décidé seules de la délimitation de ses États et de son
partage sur carte à la conférence de Berlin ; une décision subie d’autorité qui
s’impose toujours à elle ; les frontières actuelles quoique contestées restent. Elle
n’a jamais eu voix au chapitre pour toutes les questions la concernant même le
traitement des revendications légitimes de ses fils en lutte pour l’indépendance et
l’auto-détermination. Les mouvements de lutte ont subi les verdicts des grands
qui se sont toujours plaqués à eux et souvent très contestables et contraires à leur
dessein.
L’émancipation des peuples d’Afrique ne s’est pas faite sans heurts, sans
d’infinies résolutions contraignantes des Nations unies. Cela dans le contexte des
années qui ont précédé son indépendance à défaut d’être acceptable, peut se
comprendre. Mais aujourd’hui dans une ère des nations souveraines ayant adhéré
librement à la charte fondamentale des Nations unies, l’Afrique doit être traitée
différemment, eu égard à son statut de continent, à son poids démographique, à
sa souveraineté retrouvée pour aspirer au même rang, au même rôle : celui de
compter dans le choix des décisions qui orientent le monde. Cela ne peut être
pleinement rempli par un statut de membre non permanent, de simple invitée,
même de marque fût-elle.
La question est trop sérieuse, le traitement doit être conséquent de son poids
démographique, de sa fonction géographique dans la marche et l’orientation du
monde. Ce faisant, un poste de membre permanent est plus que convoité, il est
désiré, réclamé exigé au plus haut point. Seuls un changement de paradigme, une
redistribution des cartes nous y mèneront.
Le combat de l’Afrique est le combat de la grande Amérique Latine,
émancipée et très au contact des questions stratégiques du monde, mais qui
souffre du handicap de ne pas compter parmi le « comité de veto ». C’est le
combat de l’Inde marginalisée avec le quart de l’humanité. Le problème est
posé. La recherche de solutions de plus en plus inéluctable. Le monde ne peut
plus se permettre l’économie d’une situation empirique que rien ne justifie à part
une logique historique de régenter le monde. Les voies de la majorité doivent
être plurielles, les décisions d’une assemblée qui s’impose à tous doivent être
irréprochables parce que plurielles et non orientées sans influence aucune.
Le véto est un droit que se sont arrogés les membres fondateurs sortis
victorieux de la Seconde Guerre mondiale pour protéger leurs intérêts politiques,
économiques, sécuritaires, stratégiques et géopolitiques par-delà tout.
Le traité de Versailles, signé le 28 juin 1919 entre l’Allemagne et les alliés à la
fin de la Première Guerre mondiale 1914-1918, met en place la Société des
Nations dans l’optique de pacifier. Il est l’aboutissement de la volonté affectée
par la conférence de paix de Paris qui l’a précédée. Malgré tout, la SDN ne
pourra pas empêcher une nouvelle confrontation mondiale, les éléments
constitutifs d’une seconde guerre étaient toujours latents.
L’Organisation des Nations unies qui allait succéder est partie de la
déclaration du palais de Saint James le 12 juin 1941. Le 14 août 1941,
Roosevelt, Président des États-Unis d’Amérique et le Premier ministre
britannique signent la charte de l’Atlantique. Il faudra attendre l’année 1945, au
tout début pour que dans un engagement commun tripartite Roosevelt, Churchill
et Staline se déterminent résolument en faveur de la paix suite aux conférences
de Dumbarton Oaks et Yalta.
L’aboutissement de cette volonté soutenue par les États et les peuples, se fera
à la Conférence de San Francisco. La Charte des Nations unies fut signée le
26 juin 1945. Elle confère au Conseil de sécurité des Nations unies une mission
expresse de maintien de la paix et de la sécurité internationale. Ce conseil
compte 15 membres disposant chacun d’une voix, 5 membres permanents (les
fondateurs disposent chacun d’un droit de véto) et 10 non permanents sans véto
(précisons-le), élus par l’Assemblée générale pour deux ans. Il enquête sur les
différents litiges, source probable de conflits, élabore les règlements sur les
armements, l’usage et l’accès, invite ses membres à appliquer des sanctions
économiques ou mesures autres que l’usage de la force. Les options militaires
contre une agression lui incombent. Il recommande l’admission de nouveaux
membres et les conditions dans lesquelles les États accèdent à la Cour
Internationale de justice.
Il apparait clair qu’au vu de la mission qui lui est dévolue et le pouvoir qui lui
est conféré, il n’y a pas le moindre grief à formuler. Tout obéit à la volonté de
pacifier l’espace univers, de sécuriser les peuples et les nations, permettre que
les uns et les autres dans leur sphère nationale, régionale ou continentale vivent
libres, émancipés et accomplis dans un esprit de dialogue, de partage, de respect
mutuel, de pardon, de tolérance, pour le plus grand bonheur d’une humanité
retrouvée après deux épisodes sanglants, meurtriers de guerres fratricides.
Comprendre que la guerre de 1914-1918 et celle de 1939-1945 et toutes les
autres qui se sont déclenchées çà et là n’ont fait que ralentir la marche des
peuples, est donné à tous. Mais le problème réel sur lequel achoppent les
critiques, c’est le droit contesté de véto qui confère des prérogatives
surdimensionnées à cinq pays membres qui au demeurant règnent sur le toit du
monde. Il suffit qu’un des membres émette un avis négatif pour qu’une décision
ne puisse pas être adoptée, quels que soient l’engagement des autres et leur
volonté exprimée.
Bien sûr nous comprenons qu’il faut neuf membres pour délibérer, mais ça ne
change pas grand-chose par rapport au véto qui n’a plus sa raison d’être ou à
défaut élargi à d’autres communautés d’autres espaces géographiques comme
d’ailleurs l’Amérique Latine, dynamique, militante et résolue des causes justes et
des progrès humains. Un espace paisible et solidaire de la grande famille
humaine doit intégrer l’Inde, l’Afrique, le Moyen et Proche-Orient.
Les problèmes du monde méritent d’être abordés et traités avec les peuples du
monde ; leurs idées, leurs forces, leurs volontés et leur droit indéniable à
participer à l’élaboration de stratégies et de solutions pérennes dans les mêmes
formes et conditions reconnues à tous au sein du conseil chargé d’organiser la
paix et la sécurité. Le monde mérite d’être gouverné autrement et ça passe par
une nouvelle approche unitaire dynamique fédératrice de toutes les volontés.
De la création de l’ONU à nos jours, les guerres n’ont jamais cessé, créant
d’infinis bouleversements sociaux, des troubles, des déferlements de vagues
d’immigration, des déplacements massifs de population avec des effets
dévastateurs, famines, misères, précarité, risques sanitaires, des guerres souvent
longues, interminables, fratricides par moments ; des guerres économiques, des
guerres d’influence, des guerres de sécession, des guerres expansionnistes, des
guerres d’idéologie.
Rien n’a été épargné dans ce scénario macabre qui hante l’humanité depuis la
conférence de San Francisco qui avait suscité bien des espoirs. Il n’y a pas
d’échec, mais un enlisement certes évitable si les voix de tous concourent à
l’élaboration des solutions soumettant tous.
Les vétos bloquent les volontés et les initiatives, il faut à tout prix qu’elles
s’expriment. Le même droit reconnu à tous les membres nous y mène, un gage
de fidélité et d’efficacité dans l’acceptation d’une décision qui s’impose à tous
les États du monde.
Se fondant sur la déclaration de Lesotho, Robert Mugabe dans sa double
casquette de Président de la République du Zimbabwe et Président en exercice
de l’Union Africaine renchérit : « Un tiers de la population mondiale doit être
respecté (…) c’est pourquoi nous voulons des nations égales et non des Nations
unies ». Pris sur son discours lors du sommet Inde-Afrique, il revendique avec
force véhémence deux postes de membres permanents au Conseil de sécurité
pour ce couple qui se prévaut du tiers de la population mondiale. La légitimité
voudrait qu’une frange importante en termes de nombre et de stratégie compte
autant que les autres dans la direction mondiale.
Si les Africains, les Latino-Américains et même l’Inde avaient le droit de véto,
Kadhafi n’aurait sûrement pas été défait de la sorte. De partout des voix se sont
élevées dénonçant ce qui s’apparente beaucoup plus à un coup de force de
l’Occident, un droit d’ingérence plutôt que de faire respecter le droit tout court.
L’Occident comme par le passé dans les guerres d’Irak et d’Afghanistan joue le
grand sage qui restaure l’ordre, la justice et le bon droit. Le gardien du temple
qui distribue les points en démocratie, récompensant souvent ses amis et alliés.
Un droit à géométrie variable, à la carte.
Sous l’auspice des États latino-américains soutenus par l’Afrique et la Russie,
un plan de négociation et de sortie de crise avait été diligenté, un plan
entièrement accepté par le guide libyen, mais les Occidentaux sous la houlette de
Nicolas Sarkozy le rejette en bloc sous le prétexte fallacieux que « Kadhafi
n’était pas sincère », il joue à l’usure. Barack Obama clame : « L’Amérique a un
important intérêt stratégique à empêcher Kadhafi de défaire ceux qui s’opposent
à lui ».
Les quelque trois cents millions de la nation arabe et l’ensemble des Africains
soutenaient du reste la mission de paix de l’Amérique Latine, mais leur volonté
n’a pas suffi à empêcher la liquidation physique de Mouammar Kadhafi et de
l’État libyen.
Le plan de Sarkozy était donc clair, car au début de la crise libyenne, un
comité de négociation de cinq (5) présidents africains autour de Obiang Nguéma
MBASSOGO, président en exercice de l’Union africaine, s’apprêtait à se rendre
à Paris exposer son plan à l’Élysée.
Désinvolte et condescendant, Sarkozy leur intime l’ordre de ne pas décoller
menaçant de les flinguer sitôt qu’ils rentreraient dans son espace aérien. Il lui
fallait la peau de Kadhafi.
Mais dans la géostratégie mondiale, cela n’est pas nouveau. Rappelons qu’en
1999, Milosevic, dirigeant de la Yougoslavie, avait pratiquement accepté et
partagé toutes les conditions stipulées par la Conférence de Rambouillet, mais
l’OTAN y ajoutera malicieusement une condition tout à fait inacceptable :
« l’occupation totale de la Serbie », qui fut naturellement rejetée par le dirigeant
serbe.
Par la même occasion la veille de la seconde guerre du golfe de 2003 Saddam
Hussein ouvrait grandes ses portes à l’Agence internationale de l’Énergie
atomique pour venir vérifier la présence d’armes de destruction massive
supposées détenues par le maître de Bagdad. Georges Walker Bush refusa à
nouveau et mit son plan à exécution. La guerre a fait rage avec son cortège de
malheurs, de bouleversements des réalités millénaires d’une région qui s’était
accommodée de sa vie, de son existence selon tous les siècles. Les
bouleversements sociaux ont occasionné des troubles à vie. L’Occident a voulu
juxtaposer une civilisation sur une autre, faire table rase du socle social et
culturel cent fois millénaire de la Mésopotamie antique pour, semble-t-il,
imposer le modèle des lumières, mais limite hors contexte. Privilégier la science
et la raison sur le dogme de la foi et la superstition est largement plébiscitée,
mais le monde dans sa géographie particulière et diverse recèle des différences,
des parcours, des histoires, des réalités culturelles et sociologiques aux racines
profondes qu’on ne peut prendre le risque de honnir.
Conséquence Saddam Hussein a été tué, l’Irak s’est délité, la société s’est
écartelée en menus morceaux avec des communautés hostiles et antagonistes les
uns aux autres, des souverainetés opaques et particulières proclamées çà et là,
des États rebelles poursuivent chacun de son côté des intérêts divergents. La
centralité du pouvoir s’est volatilisée laissant sur place une communauté qui n’a
plus le même destin, chacun prêche de son côté sa légitimité, son bon droit,
recherche seul ses moyens, pompe et vend son pétrole à ses alliés souteneurs
pour s’armer et poursuivre sa stratégie d’aliénation du camp adverse. Les lois et
l’ordre ne s’appliquent plus à la jungle, les armées sont irrégulières et féroces.
Le pouvoir de nuisance est grand et les intérêts vitaux pour des communautés et
fractions rivales, chiites, sunnites, kurdes avec en toile de fond l’armée islamique
née en 2006 poursuivant le dessein d’instaurer un État musulman dont les
contours sont mal cernés.
L’Irak a perdu son pétrole, sa stabilité, mais surtout sa base sociologique. Alan
Greenspan, Directeur de la réserve fédérale d’alors dit en substance ce que le
monde savait « Je suis attristé qu’il soit politiquement incorrect de reconnaitre ce
que chacun sait : la guerre en Irak était essentiellement pour le pétrole (…), les
officiels de la maison blanche m’ont répondu : Eh bien, malheureusement, nous
ne pouvons pas parler de pétrole. »11
Profitant du printemps arabe, les sujets du sultanat de Bahreïn se soulèvent
pour plus de justice, de droit, de respect, de considération et un meilleur accès
aux richesses. Rien de plus normal pour un État qui a les moyens d’assouvir les
besoins de ses populations et de ménager leurs droits et libertés. Mais grâce au
concours des soldats de l’Arabie Saoudite, les manifestants désarmés et
pacifiques aux slogans vertueux furent massacrés sous l’œil bienveillant et
complice de la toute puissante Amérique jouant à fond le statu quo pour l’intérêt
de ses multinationales en place. L’Arabie Saoudite a joué les bons offices et
pourtant au classement de la démocratie et du respect des droits de l’homme, la
dernière place lui est acquise d’office. Aucune des autorités du Bahreïn, ni du
Qatar, de l’Arabie Saoudite n’était plus fréquentable que Kadhafi ou Saddam
Hussein, beaucoup plus épanouis culturellement que ces conservateurs. Et
pourtant la sentence est là pour ne frapper que les ennemis jurés, les
récalcitrants, les insoumis qui n’ont de cesse de prêcher leur liberté et de
défendre l’intérêt de leurs peuples. Les multinationales règnent aujourd’hui sur
le monde arabe et gèrent son pétrole, l’Occident tire les ficèles dans les
coulisses.
Quand une coalition internationale partie exporter la démocratie intègre
l’Arabie Saoudite et le Qatar, ça fait pas trop sérieux, ces deux-là sont reconnus
derniers de la classe.
La démocratie n’est qu’un prétexte, le monde est peuplé de dictateurs protégés
parce que alliés : Mobutu, Bongo, Moubarak, Ben Ali n’ont jamais souffert de
leur statut de protégés qu’ils étaient par le grand Occident complice et
dispensateur de bons points. Les chroniqueurs du monde inféodés à la stratégie
de sa liquidation nous ont tous servi le côté pervers du guide libyen, un homme
qu’ils qualifient de dangereux, de sanguinaire, un mégalomane privant son
peuple de ses droits et libertés, confisquant les revenus du pétrole à son profit.
Un homme du grand luxe abandonnant son peuple dans les bas-fonds de la
misère des maladies et des déshérences. Tout a été dit sur lui sauf la vérité, ses
projets et réalisations ont été passés sous silence, occultés pour susciter le plus
d’apathie possible. Personne, aucun médium pour relater son grand projet
africain ; ses investissements, son combat pour l’intégration et l’unité africaine.
Évidemment il n’était pas blanc comme neige ; il a eu des visées
expansionnistes comme dans la bande d’Aozou du voisin tchadien et bien
d’autres péripéties diplomatiques. Mais il n’était pas le pire du club des
Présidents africains et du monde même. Certainement il était plus indocile et
protégeait son économie que tous convoitaient. Il voulait porter la participation
libyenne de 35 à 51 % dans l’industrie des gaz et du pétrole, à juste titre,
menaçant de remplacer les firmes occidentales par les firmes chinoises, russes et
indiennes.
Personne n’a jamais dit que toutes les institutions internationales étaient toutes
d’accord que la Libye avait le plus haut indice de développement humain
d’Afrique, elle avait une espérance de vie de 74 ans, un taux d’analphabétisme
faible réduit à moins de 5 %, un budget consacré à l’éducation égale à 2,2 % du
PIB, les soins de santé étaient gratuits, tous les élèves et étudiants bénéficiaient
d’une bourse d’accompagnement scolaire et universitaire. La fiscalité des
ménages était réduite et allégée pour ne pas dire nulle. Tout un confort de vie
était permis aux Libyens qui n’avaient pas grand-chose à envier aux
Occidentaux. Les conditions d’étude étaient suffisamment encadrées pour
faciliter la réussite. Ce qui permit une jeunesse bien formée à l’intérieur comme
à l’extérieur dans les universités et collèges les plus prestigieux du monde. Les
charges sociales étaient amoindries et l’assistance aux populations était
spontanée. Tous les citoyens jouissaient des privilèges octroyés sans
discernement. La vie était possible même pour les grandes vagues d’immigrés
africains qui y trouvaient leur eldorado.
Kadhafi couvait tout le monde sous son aile protectrice. Les ressortissants des
États de l’Afrique subsaharienne le pleurent encore. Ils vivaient libres et
épanouis en Libye dans des conditions d’égale dignité et de confort matériel,
voitures, appartements, tout leur était acquis. Kadhafi construisait des dizaines
de milliers d’appartements pour les Libyens. L’eau était rendue disponible
partout. Depuis la Nubie Antique, des puits jalonnaient le désert pour
approvisionner les grandes villes pour 6,5 millions de mètres cubes, Tripoli,
Bengazi, Syrte12.
Kadhafi a fait des clins d’œil aux institutions du néolibéralisme. Il a adhéré à
l’OMC, il a fait d’énormes concessions aux multinationales. Il a adopté la
législation mondiale et les accords sur le commerce, mais tout ça n’a pas suffi, sa
tête était à prix d’or. L’enjeu dépassait sa personne. « La Libye perdra son
pétrole, ses entreprises, les réserves de sa Banque Nationale, ses services sociaux
et sa dignité. Le néolibéralisme appliquera ses sales recettes. Un bon dirigeant
n’arrive pas dans les valises des envahisseurs et à coup de bombes », renchérit
Michel COLLON.
Par l’adoption de la résolution 1973, l’OTAN avait les clignotants au vert pour
passer en force et bombarder, détruire la Libye et tuer Kadhafi qui n’a eu pour
seul tort que de résister à l’impérialisme, aux vœux du libéralisme avilissant et
mercantile. Et pourtant rien du droit n’a été respecté. Cette résolution 1973 viole
le droit international et la charte fondamentale des Nations unies en son article 2
paragraphe 7 « aucune disposition de la présente charte n’autorise les Nations
unies à intervenir dans les affaires qui révèlent essentiellement de la compétence
nationale » comme c’est le cas de la Libye.
Kadhafi a été sauvagement assassiné. Il n’est plus ; il est mort ; une mort qui
trouble le monde, peuple la conscience des dirigeants du monde qui ont fait ou
laissé faire.
L’Afrique paie le prix d’une note salée. Le terrorisme islamique longtemps
contenu et contrôlé par Kadhafi déferle sur l’Afrique et ronge ses flans. La bande
sahélienne attire les malfrats tels des chiens errants, des hordes de terroristes, de
rebelles en masse armés jusqu’aux dents, une puissance de feu invisible qui
soumet le Tchad, met à mal le Niger, secoue le Cameroun, perturbe le Nigeria.
Tel un cancer l’islamisme radical se déferle en Afrique noire avec une férocité
indescriptible. Les forces du mal soumettent les peuples et imposent des
croyances. Le Mali a vu ses vestiges religieux, ses mosquées et chapelles
millénaires détruites par les nouveaux almoravides qui ont soif de sang. Un
monde anarchique, sauvage et cruel que Kadhafi contrôlait, réprimait,
soumettait, c’est tout cela l’après-Kadhafi, difficile à gérer.
Les instigateurs se sont terrés, qu’ils s’appellent Cameron, Sarkozy et son
idéologue philosophe de Bernard H. LEVY, aux commandes du pétrole libyen,
tournent le dos au bourbier tripolitain. Il faut juste sauvegarder ses intérêts et
laisser périr, le reste n’a pas d’importance. Ainsi va le monde tant que les
rapports de force vous sont favorables. La faiblesse est un crime, la force un
droit, à qui le tour ?
Et pourtant une assemblée générale des Nations unies, un conseil de sécurité
équilibré avec les mêmes droits pour tous les acteurs nous auraient évité bien des
errements, des divagations néfastes aux peuples et aux nations. Un poste de
membre permanent pour chaque grande région naturelle du monde semble
inéluctable.
C’est la garantie d’équilibre et de transparence, d’une grande célérité dans les
décisions qui soumettent tous au respect et à l’observance. Sarkozy comme
Cameron coulent des jours heureux, pendant que les Présidents d’Afrique pour
moins que ça sont pourchassés par les ONG et les tribunaux fantômes, peuplés
d’Africains exclusivement.
Depuis la Deuxième Guerre mondiale, aucun Président du monde n’a fait
autant de mal à l’Afrique que Nicolas Sarkozy. Ses errements successifs et
répétés, son attitude trop martiale et impulsive ont coûté à l’Afrique sa stabilité
et son équilibre à tout point de vue.
Si la communauté internationale n’impute aucune responsabilité directe à
Nicolas Sarkozy, Président de la République française d’alors, je ne vois pas
pourquoi le Tribunal Pénal International continue de nos jours à importuner les
seuls ex-présidents africains. Avant toute hiérarchie, un crime reste un crime et
celui de Sarkozy n’est pas des moindres, un crime commis contre le continent
africain. Les voisins européens de la France, l’Allemagne et l’Italie
apparemment très servis dans les contrats avec Kadhafi étaient réticents à la
guerre. Ils n’en voulaient pas de cette guerre. Mais Sarkozy ne l’entend pas de
cette oreille. Il agit en solitaire, prend les devants, bombarde la Libye arguant
que « l’OTAN est impopulaire dans les pays arabes. »
L’Allemagne avait de gros contrats avec la Libye. L’Italie était le premier
client pétrolier. La France et l’Angleterre mal servies voulaient une
redistribution des cartes, un meilleur accès aux richesses, trouver davantage de
débouchés à leurs multinationales.
Rien que pour des intérêts égoïstes et partisans, Nicolas Sarkozy a fait fi des
conséquences prévisibles au démantèlement de l’État libyen que tous les peuples
et gouvernements d’Afrique ont entrevu. Tous ont alerté, communiqué sur le
risque de bouleversement, la défiguration de la géographie régionale et
continentale. Pour lui, seule sa volonté de profiter pleinement des contrats
faramineux d’après-guerre, est réelle et justifie pleinement son acharnement, son
empressement à tout détruire, à tuer sans raison le guide libyen.
Je ne comprends pas que les Présidents africains croupissent à La Haye,
condamnés par le Tribunal pénal international alors qu’aucune enquête n’est
diligentée contre Nicolas Sarkozy. Que faire de tant de vies détruites, de tant de
souffrances, de délitement de sociétés naguère stables, de tant de haines et de
mépris qui s’installent, de toute cette instabilité qui gangrène l’Afrique et
empêche son développement ?
Tous les bouleversements au Tchad, au Cameroun au Soudan, Niger au
Nigéria ont la même origine et se prolongent dans le temps. S’il y a une cour
internationale, elle doit avoir la même attitude envers Gbagbo qu’envers Nicolas
Sarkozy. Quelle différence juste que l’un soit fort, l’autre faible, l’un Européen,
l’autre Africain, Gbagbo Président de la Côte d’Ivoire, Sarkozy de la France. Au
point de vue du droit la différence est mince, le droit reste le droit parce qu’il
s’applique à tous sans distinction de race, de culture, d’origine, de privilèges et
uniformément à tous, autrement il n’est plus le droit, mais l’anarchie.
D’ailleurs au tribunal pénal ne sont traduits que des Africains noirs, quoi
qu’ils aient fait que je dénonce tout le temps, rien ne justifie sa démarche
sélective et discriminatoire, son attitude méprisante et exclusiviste.
Même les Arabes n’y sont jamais appelés, le Président Ben Ali est parti de la
Tunisie au galop au terme d’un soulèvement baptisé le « Printemps arabe » où le
peuple tunisien, excédé par ses agissements, s’est retroussé les manches. Il laisse
des morts derrière lui, emportant des milliards de dollars avec sa famille et ses
proches, ses anciens collaborateurs et dignitaires du régime.
Moubarak en Égypte est remis en liberté. Plus rien ne s’oppose à une vie
paisible après bien des péripéties, des massacres, des détentions politiques
longues et injustes, des confiscations de libertés durant tout son règne. Que n’a-t-
il fait, ce grand dictateur, mais son sort est moins triste que celui de Laurent
Gbagbo persécuté par le TPI.
Même les fils de Kadhafi longtemps annoncés à cette cour y ont échappé sans
doute, les Arabes ne se laisseront pas faire. La fierté arabe n’accepte pas qu’un
des leurs soit malmené, humilié dans ce lieu maudit, bâti pour les seuls Noirs, les
anciens esclaves qui renouent avec l’enfermement en cage, comme du temps de
la déportation vers les plantations de canne à sucre des Amériques sous la
houlette des négriers européens qui s’enrichissaient de leur vente pour édifier
des ports et des villes nouvelles : Bordeaux, Liverpool ou que sais-je encore !
Les blessures sont encore vivaces. Le rappel historique est lourd de sens. La
souffrance n’est pas finie. C’est ne pas reconnaitre une dignité aux Africains
noirs que de leur bâtir un tribunal pour eux seuls et des prisons dédiées.
Il est peut-être temps que les Africains luttent pour l’abolition de ce tribunal
de la honte au sein duquel, des auxiliaires noirs maquillés, s’occupent des sales
besognes pour organiser et juger les seuls frères, toujours les mêmes attraits à la
barre.
Pour en revenir sur la résolution 1973, ni la Chine, ni la Russie n’ont opposé
leur véto. Et pourtant ils n’étaient pas d’accord sur les frappes. La Chine ménage
ses propres intérêts. La Russie qui traine le problème du Caucase comme un
boulet avec le conflit tchétchène qui s’éternise et s’envenime par moments,
préfère faire profil bas au risque de se voir rappeler ses excès et manquements,
sa répression féroce des rebelles de la petite Tchétchénie. Le marchandage et les
pressions ont droit de cité au sein du Conseil de sécurité des Nations unies lors
des votes.
L’Afrique ne peut pas et ne doit pas confier son sort à un organe qui délibère
pour son compte sans avoir voix au chapitre sans aucune possibilité de bloquer,
de contester, de remettre en cause, une décision qui s’applique à elle ; vivement,
un poste de membre permanent pour discuter d’égal à égal avec les autres
peuples du monde pour porter la voix de l’Afrique et permettre que son sort se
fasse avec elle. Si l’Afrique était représentée de la même façon que les autres, la
guerre en Libye ne se ferait pas. Le Continent aurait été épargné de ce
chamboulement calamiteux.
Au sujet de la Libye, les cinq membres permanents disposant du droit de véto
ont tous joué la carte de l’intérêt. La France, la Grande-Bretagne, les États-Unis
ont joué la raison de l’alliance naturelle (l’OTAN) au nom de laquelle elles
agissent. La Chine et la Russie ont laissé pendre leurs vétos.
Courage, Dame Afrique, les Thomas Sankara, Kwame Nkrumah, Cheikh Anta
Diop, Patrice Lumumba, Jomo Kenyatta et mille autres figures anonymes sont
partis. Ils ont mené le combat de leur vie au nom du seul idéal qui comptait à
leurs yeux : le salut de l’Afrique, sa consécration en tant qu’entité libre, fédérée
autonome, autosuffisante, épanouie culturellement, économiquement libre et
émancipée, socialement stable et humainement tolérante. Ce combat, ils l’ont
tous mené d’arrache-pied, de nuit comme de jour sans fléchir, sans calcul
mesquin, sans trahison, ni lâcheté, ils ont assumé leur posture de
révolutionnaires, ils se sont sublimés selon toutes les circonstances.
Ils ont bousculé l’impérialisme, le néocolonialisme, affronté les lobbies, les
sociétés secrètes, subi les brimades, les vexations, mais sont restés dignes,
humbles, persévérants et sincères dans leurs luttes, leurs combats épiques,
altruistes pour la dignité retrouvée du Continent et de l’homme noir. Ils ne sont
plus, ils sont partis tragiquement, pour les uns, naturellement pour les autres,
mais tous ont connu la consécration suprême, celle d’être adulés et portés dans le
cœur de tous les Africains quels que soient l’âge, les générations ou les classes
sociales.
Leur combat pour l’Afrique, leurs sacrifices n’ont pas été vains. Ils ont permis
l’éclosion et la prise de conscience nécessaires à l’action militante pour une
Afrique debout suivant sa marche inéluctable vers un futur radieux dans
l’accomplissement et le progrès. La simple évocation de leur nom suffit à
mobiliser et à galvaniser. Ils ont laissé un livre de vie.
Les temps ont certes changé, d’autres générations ont succédé à ces illustres
pionniers, mais le combat reste d’actualité, les défis les mêmes, je suis tenté par
le désespoir, mais leurs œuvres ne sauraient être vaines. De la graine a été
ensemencée et de la bonne graine. Nul doute que des cours d’école et des
amphithéâtres jailliront des milliers d’autres africanistes de renom conscients et
responsables, inaliénables et dévoués à la cause du seul peuple pour que des
profondeurs de l’obscurantisme et de la domination, s’extirpent la lumière et la
liberté.
« Quand je vois le soin que j’ai mis à intervenir en Côte d’Ivoire… On a sorti Laurent Gbagbo, on a
13
installé Alassane Ouattara, sans aucune polémique, sans rien » .
C’est par ces mots que Nicolas Sarkozy, ancien Président de la République
française de 2007 à 2012 se délectait cynique et méprisant dans la presse,
égrenant maladroitement de façon éhontée ses prétendus mérites et exploits
personnels.
Son aveu est de taille dans la perception des rapports entre la France et ses
alliés ou obligés.
La France a défait Laurent Gbagbo, président constitutionnellement élu de la
Côte d’Ivoire pour installer en lieu et place Alassane Dramane Ouattara signant
son retour en force. Nicolas Sarkozy a réussi « à pendre Gbagbo à un croc de
boucher ». Pour reprendre son expression favorite envers son ennemi juré
Dominique De Villepin Sur fond de manipulation, de calomnie grossière, de
diabolisation, d’arguments fallacieux orientés à dessein, de contre-vérités
manifestes, de fabrication de preuves, de fausses accusations, de lynchage
médiatique, d’instrumentalisation de la communauté internationale, de
caporalisation des organisations telles que le conseil de sécurité des Nations
unies, l’Union Africaine, des organisations régionales et sous-régionales ouest-
africaines : l’UEMOA, la CEDEAO, le mensonge grotesque triomphe de la
vérité, l’anarchie supplée le droit.
La légitimité et la régularité disparaissent à jamais avec autant de légèreté et
de désinvolture, de cupidité, de lâcheté et de trahison. Dans le tableau sombre de
la Côte d’Ivoire, de 2002 à 2011, rien strictement rien de diabolique, d’inique, de
condescendant ou d’avilissant n’a été épargné à Laurent Gbagbo et par ricochet à
la dignité du continent noir humilié, bafoué, infantilisé et mis aux ordres de tous
les puissants impérialistes et valets du néolibéralisme. La souveraineté du peuple
ivoirien n’a pas été respectée par les Don Quichotte, à leur solde exclusive.
Pendant toute la crise, Nicolas Sarkozy n’a ménagé sa peine pour rallier
l’Union africaine à sa cause au prix de maintes pressions et tractations, de
combines ou de pactes secrets.
Le lobbying et les pressions au sein de l’UA furent intenses, permanents et
orientés.
Binguwa MUHARIKA, président en exercice de l’Organisation continentale
en a vu de tous ordres. Nicolas Sarkozy s’est invité au sommet de l’UA du
30 janvier 2010 à Addis Abeba pour tenter de rallier tous les sceptiques à sa
cause notamment les radicaux, les insoumis, le Cap Vert, l’Angola, l’Afrique du
Sud (qui avaient des intérêts en Côte d’Ivoire), le groupe de la SADC fortement
opposé à cette guerre absurde de destitution et de positionnement stratégique des
intérêts de la France et de ses multinationales.
Bannissant l’option militaire, ils étaient tous favorables au dialogue, au
recomptage des voix, un règlement négocié de la crise sous la supervision de la
communauté internationale. Manipulée, la CEDEAO est allée jusqu’à accuser
les pays membres de la SADC d’empiéter dans son domaine ou d’abuser de ses
prérogatives14.
La CEDEAO dont les principaux membres pour des raisons diverses et
somme toute différentes, Abdoulaye Wade, Goodluck Jonathan, Blaise
Compaoré, les plus influents entièrement acquis d’office à l’initiative de Nicolas
Sarkozy étaient managés en coulisses par la France qui tirait sur les ficelles de
l’Organisation Ouest-africaine militante résolue de la première heure de
l’éviction du président ivoirien élu par son peuple.
Goodluck Jonathan, fort de sa double casquette de président du Nigéria et
président en exercice de la CEDEAO, avec insouciance et perspicacité,
s’impatientait d’en découdre militairement avec Gbagbo si la communauté
internationale lui en donne l’autorisation. Son calendrier caché était sa réélection
hypothétique aux élections nigérianes de 2011 pour lesquelles il avait besoin de
la bénédiction des États-Unis et de la France. Ce qui nécessite des gages de
fidélité, de dévouement et de profonde disponibilité.
S’agissant d’Abdoulaye Wade, il avait lui aussi son agenda de 2012 pour les
élections présidentielles au Sénégal. Il était en quête de normalisation de ses
relations avec les Occidentaux, notamment la France irritée par ses prises de
position frisant par moments la défiance, sa trop grande proximité avec le guide
libyen Kadhafi, mais encore et surtout la crise ivoirienne lui profitait très bien.
Les capitaux se détournaient de la Côte d’Ivoire instable, affluaient à Dakar qui
devenait la principale place financière et nouvelle destination des
investissements ; l’embellie économique se mesurait à la saga des investisseurs,
hommes d’affaires et nouvelles institutions financières qui se déplaçaient
d’Abidjan à Dakar.
Quant à Blaise Compaoré, il n’en était pas à son coup d’essai ; c’est une
recrue de première heure du dispositif de la Françafrique confirmé dans son
statut à la mort de Omar Bongo ONDIMBA comme pion central en Afrique de
l’Ouest. Un élément actif complètement au service des intérêts géostratégiques
et socioéconomiques de la France. L’économie du nord de la Côte d’Ivoire aux
mains des rebelles tournait à son profit, le traitement, le conditionnement des
fèves de cacao, les minerais, tout passait désormais par lui. Le Burkina s’était
découvert une nouvelle vocation de pourvoyeur de matières premières
hautement recherché, l’or, le diamant, etc. Le gangstérisme des chefs d’État de la
CEDEAO a facilité l’isolement, l’asphyxie et la fin du régime Gbagbo.
Pour sa part, l’Union africaine n’était pas en reste. Sceptique au départ puis
pro-Gbagbo, elle a progressivement viré dans le camp français au point d’en être
le principal soutien, une caisse de résonnance qui valide et enregistre le complot
extérieur.
Financé à 60 % par l’Union Européenne, ses États membres, ses alliés naturels
ou de circonstances, l’Union Africaine avait intérêt à ne pas trop déranger ou se
fâcher avec ses principaux bienfaiteurs. L’essentiel de son budget maigrissime
de 600 millions de dollars était assuré par la part contributive des pourvoyeurs
européens : qui paie commande et en la circonstance, l’UA ploie, met sa langue
dans sa poche, se soumet aux ordres, écarquille des yeux sans jamais se repentir.
La modicité des moyens conférés à l’UA par ses États membres, dénote à elle
seule le peu d’engouement pour les chefs d’État pour une politique africaine, une
volonté commune d’agir, de s’unir pour être à même de juguler les problèmes et
tracer ensemble de réelles perspectives.
L’indépendance de l’UA devait être la première phase d’une démarche de
raison et de liberté, une voie d’affirmation, d’émancipation économique, sociale
et culturelle de l’Afrique.
Une contribution massive et sans exclusive de ses membres au prorata de leurs
poids économiques, de leur influence supposée ou réelle aurait le mérite de doter
la structure d’un budget conséquent pour se prendre en charge de façon
autonome et responsable sans devoir solliciter des appuis extérieurs au point de
compromettre sa souveraineté sur des décisions d’importance, de son autorité en
cédant aux injonctions des forces étrangères et des volontés coalisées.
La construction d’une Afrique unie passera nécessairement par l’union sacrée
de ses membres autour d’une organisation qui s’affranchisse de toute influence
par son indépendance financière affirmée, un budget conséquent, disponible et
suffisant. Une Afrique debout, forte et prospère, dynamique et unie parlant d’une
seule et même voix audible à souhait ne peut voir le jour sans une constante
autonomie budgétaire. La liberté est à ce prix. Les Africains seuls peuvent y
remédier. Il est tout à fait déplorable que Sarkozy dans ses manœuvres ait réussi
à rallier l’UA, la CEDEAO et l’UEMOA15. La fragilité de nos institutions
préoccupe plus d’un. La frilosité de nos institutions est un frein au
développement du continent. C’est même l’obstacle majeur à surmonter, un défi
pour traiter en partenaire et en collaborateur respecté dans le règlement des
crises multiples qui secouent l’Afrique.
L’UA et la CEDEAO ont toutes été infantilisées dans différentes crises. À
commencer par la Libye, le Mali, la Côte d’Ivoire, la RDC et bien d’autres qui
demandaient de la cohérence, de l’entrain, de la volonté et surtout de la présence
remarquée.
Malheureusement, d’autres bras viennent suppléer les Africains pour faire le
ménage selon leur volonté, leurs envies et objectifs stratégiques sans point se
soucier des conséquences ravageuses qui se prolongent et se ramifient dans tous
les espaces environnants des crises.
Le 05 décembre 2010, la CEDEAO appelle « tous les dirigeants à accepter les
résultats déclarés par la commission électorale » ; une prise de position non
argumentée. Puis s’ensuit une sorte d’escalade. D’abord le 7 décembre au
sommet d’Abuja au Nigéria, elle charge Gbagbo et lui intime même l’ordre de
« respecter les résultats proclamés par la commission électorale indépendante ».
L’organe économique régional choisit délibérément son camp et met en branle
une batterie de mesures dont la suspension de la Côte d’Ivoire comme mesure
immédiate mettant de plus en plus la pression sur Gbagbo élu
constitutionnellement pour le pousser à la sortie, contraint et forcé de céder son
fauteuil au postulant Ouattara qui ne peut se prévaloir d’aucune légitimité
acquise, mais d’une simple alliance des « grands intérêts » africains,
occidentaux, des intérêts coalisés.
Outre Atlantique, Suzanne RICE, proche de Ouattara, manœuvre à fond, par
un lobbying intense, rallie les sceptiques, met la pression sur la CEDEAO,
influence ses décisions. « Dans le camp de Ouattara on reconnait que
Washington pèse sur les décisions de la CEDEAO », confirme radio France
internationale. Le soutien de la CEDEAO au camp Ouattara précipitera la chute
de Laurent Gbagbo. D’ailleurs ses adversaires, ses détracteurs, s’en tirent à bon
compte, comme Nicolas Sarkozy qui choisit à la volée la position affichée par la
CEDEAO pour interpeler la commission internationale sur le bien-fondé de ses
intentions.
« Après la reconnaissance par les Nations Unies, par l’Union Africaine et par la CEDEAO de
l’élection du président Ouattara, nous avons été amenés, nous la France à reconnaître l’élection du
16
Président Ouattara » .
Le prétexte fallacieux servi par la CEDEAO a servi de bouée à la France, aux
États-Unis, à l’ONU pour parachever cette entreprise de destitution du président
Gbagbo constitutionnellement élu par le peuple souverain de la Côte d’Ivoire au
terme d’un processus électoral dont l’issue était d’avance connue des
chancelleries occidentales. Tous les sondages d’après IPSOS, les câbles
diplomatiques, donnaient Gbagbo vainqueur dans tous les cas sauf le chaos qui
seul était profitable à Ouattara. La contestation électorale est un scénario écrit
d’avance par les mêmes acteurs.
« Ainsi que l’a déclaré la CEDEAO, il appartient au président Gbagbo de reconnaître ce résultat de
manière pacifique et de se retirer ».
L’ONU a eu la tâche facilitée par la CEDEAO dont la résolution reprise en
chœur par les instances internationales donne tous les passe-droits pour s’ingérer
dans la crise ivoirienne pour l’orienter et lui réserver un traitement partisan.
D’ailleurs, le 8 décembre, le Conseil de sécurité des Nations Unies déclare « à
la lumière de la reconnaissance par la CEDEAO de monsieur Alassane Dramane
Ouattara comme président élu de la Côte d’Ivoire et comme représentant de la
voix librement exprimée du peuple ivoirien telle que proclamée par la
commission électorale indépendante, les membres du conseil de sécurité
appellent toutes les parties présentes à respecter une telle décision »17.
Suite à ces injonctions, l’assemblée générale des Nations unies enjoint le
23 décembre aux instances internationales de reconnaitre l’ambassadeur
Youssou BAMBA accrédité par Ouattara comme seul et unique représentant
légitime du peuple ivoirien au sein des Nations unies.
Ce coup fourré diplomatique précipitera le ralliement de l’UA qui se plie en
quatre pour désormais prendre fait et cause pour Ouattara qui remporte ainsi la
guerre d’influence, la bataille médiatique, l’issue diplomatique.
Il a dorénavant la balle de match, la suite sera sans doute cruelle avec son lot
de morts, d’arrestations, mais facile à gérer avec le soutien et la complicité de la
communauté internationale très remontée contre Gbagbo envers qui aucun
superlatif n’est trop fort pour le haïr, le diaboliser aux fins de le rendre
détestable, infréquentable. Sa destitution n’est plus qu’une question de date et de
rendez-vous. Le calendrier est déjà mis en place par la France, le conseil de
sécurité des Nations unies et leurs alliés qui ne s’épargnent aucune initiative et
mettront tous les moyens à contribution : une propagande tous azimuts.
Ils agitent les droits de l’homme, la nécessité de protéger les civils, le droit
d’ingérence, le drame humanitaire et tant d’autres artifices ou constructions
sociologiques ou juridiques dont eux seuls ont le secret.
Dans tous les cas l’objectif sera atteint et largement dépassé, car beaucoup
d’Africains naïvement à tort se feront vendre l’idée d’un dictateur prêt à
massacrer son peuple, un magouilleur hors pair qui veut conserver le pouvoir en
dehors de toute légitimité conférée. La presse africaine et internationale a fait
mouche dans cette vaste entreprise de diabolisation et de bannissement de
l’homme et du président Gbagbo.
L’UA, à son tour, suspend la participation de la Côte d’Ivoire par la voix de
son président en exercice d’alors M. Biriguwa MUTHARIKA du Malawi qui,
sans ambages, bascule dans le camp de Ouattara :
« J’ai demandé au leader ivoirien Gbagbo de se retirer et donner le pouvoir au chef de l’opposition
Alassane Ouattara, il est le vainqueur de l’élection. Le président Gbagbo doit respecter la volonté
18
du peuple exprimée par les urnes et de ce fait, doit se retirer » .
Gbagbo ne pouvait pas échapper à son sort. Les instances africaines, les
politiques, les intellectuels briefés et sous influence, les institutions
internationales coalisées, l’UE et les États-Unis avec le soutien précieux de l’UA
et de la CEDEAO ont concouru à le peindre sous un mauvais jour comme le
dictateur invétéré, le falsificateur, le fraudeur qui voulait inverser les résultats,
usurper la légitimité populaire pour s’éterniser au pouvoir en usant de son armée,
de ses milices.
Il est devenu le bourreau cynique infréquentable, honni par toutes les instances
de droit de l’homme et des peuples. De ce point de vue toute action future ou
immédiate dans le sens de sa destitution est la bienvenue, même envisagée.
L’Afrique a lâché Gbagbo qu’elle a elle-même voué aux geôles montrant du
coup sa trop grande vulnérabilité par son amateurisme, son irresponsabilité, sa
torpeur, son infantilisation, son incapacité à se prendre en charge, à parler fort et
vrai, à organiser sa famille, à s’unir et à se respecter comme entité. Le sort de ses
fils est suspendu au bon-vouloir des autres, fussent-ils bien ou mal intentionnés,
peu importe l’issue, les intérêts égoïstes de certains de ses fils l’emportent sur les
raisons collectives.
La médiatisation de Tabo MBEKI dans la crise ivoirienne allait davantage
produire des résultats s’il était tant soit peu soutenu par l’UA et la CEDEAO.
Malheureusement ce sont elles qui ont contribué à son isolement.
Il avait la posture nécessaire, la prestance d’être à équidistance des deux
parties en conflit, d’arborer son costume de démineur pour s’investir en
profondeur dans le règlement du conflit avec le recul sociologique nécessaire. Il
était obnubilé par la paix, la concorde dans l’unité retrouvée des fils de la Côte
d’Ivoire qu’il sentait manipulés, instrumentalisés, pour d’autres fins que la Côte
d’Ivoire ou du moins ses intérêts : « Il est important, dit-il, d’éviter les violences,
de ne pas revenir à la guerre et à ce qui s’ensuit, de trouver une solution
pacifique. Il faut prendre soin de ne pas présenter la crise comme étant un conflit
entre “bonnes gens” et de “mauvaises” ; ce qui rendrait l’idée d’un accord
négocié beaucoup plus difficile. La crise actuelle dans le pays ne résulte pas du
fait qu’il y a dans le pays des anges et des démons. La crise est née de problèmes
structurels profonds qui ont pris forme dans la société ivoirienne. Il est donc très
important de les connaitre et de les régler tous ensemble. Si on souhaite arriver à
une solution durable et complète de la crise »19.
Le rapport de Tabo MBEKI fut classé sans suite par l’UA.
L’UA s’est ralliée à la coalition internationale et au lobby des forts, aux riches
argentiers, au clan des néolibéraux purs et durs sans état d’âme dont le profit est
la seule règle, quels que soient le prix, les privations des peuples, les escalades
de violences, les haines féroces exacerbées, les mutilations et les souffrances
attisées, les violences entretenues, les conflits prolongés, les affrontements
quotidiens qui jalonnent la vie des paisibles populations victimes collatérales,
des guerres de positionnement entre politiques, groupes de capitaux, intérêts,
cercles d’influence, Think Tanks ou autres missions de bons offices trop souvent
éloignées de la réalité de simples objectifs caritatifs.
L’horreur en Côte d’Ivoire n’est ni le fruit de la haine ou de simple rejet entre
frères ou compatriotes, mais bien évidemment, la conséquence de manipulations
ourdies et savamment entretenues par des officines secrètes, extérieures.
Le groupe des pays de la SADC, le Cap-Vert, l’Angola ont résisté jusqu’au
bout avec les moyens de persuasion et de conciliation nécessaires pour empêcher
un passage en force de la communauté internationale, poussant leur logique et
leur grande détermination à trouver vaille que vaille une solution négociée
jusqu’à être taxés de complaisance avec Laurent Gbagbo.
La CEDEAO fait état d’une trop grande proximité de la SADC avec Laurent
Gbagbo. Et pourtant, dès le 24 janvier 2011, la CEDEAO cuisinée par la France
en interne, sous la houlette du Nigérian Good Luck Jonathan, sollicite le conseil
de sécurité des Nations unies pour la mise en place d’une résolution autorisant
l’usage de la force contre le “récalcitrant” Laurent Gbagbo qui « refuse de
rentrer dans les rangs ». Le dialogue prôné, le recomptage des voix suggéré par
l’Angola, le Cap-Vert, la SADC n’y feront rien. La proposition fut jugée
désuète, inopérante, dont la seule propriété est de retarder le dénouement de la
crise20.
On se rappelle la position intransigeante de Jean Ping, secrétaire général de
l’UA qui raillait les intentions de Gbagbo. Ironie du sort en 2016, le même Jean
Ping, candidat battu aux élections gabonaises par le président sortant Ali Bongo
ONDIMBA sollicite le recomptage des voix pour dénouer la crise prenant à
témoin la communauté internationale. Des magistrats dépêchés par l’UA
superviseront et participeront même au recomptage des voix qui confirme sa
défaite. L’histoire par moments rattrape ses bourreaux, ses détracteurs pour leur
administrer une belle leçon d’humilité, de sagesse, de vertu et de vérité.
Par ailleurs, l’International Crisis Group, Think Tank basé à Bruxelles ayant
ses entrées au conseil de sécurité des Nations unies, un organisme subventionné
par Georges Sores, libéral proche de Ouattara, déclare : « L’Afrique du Sud
soutenue par l’Angola a avancé des propositions de partage du pouvoir qui sont
dangereuses et vont à l’encontre du consensus africain initial. Leur prise de
position sur une crise dont ils ne maitrisent pas la complexité est en train de
compromettre leur crédibilité sur la scène continentale et au-delà et fragilise les
relations de confiance entre la CEDEAO et l’UA (…). C’est un territoire de la
CEDEAO et non celui de l’Afrique australe qui est gravement menacé. C’est à
l’organisation régionale de récupérer la responsabilité de la gestion politique et
militaire de la crise avec le soutien clair de l’UA et des Nations Unies »21.
En clair, il fallait désavouer la SADC de ses missions de bons offices pour ne
point enrayer ou retarder le cycle de destitution enclenchée par les forces
coalisées qui trouvent auprès des institutions régionales et continentales
inféodées l’aval nécessaire, de légitimation de leurs actions : faire partir Gbagbo,
installer Ouattara un allié sûr et dévoué pour soutenir et ménager leurs intérêts
sans crier gare, ni afficher des sentiments de patriotisme ou de nationalisme
grossier. Leur serviteur seul doit être promu pour un service commandé à la carte
et selon l’envie des maîtres profanateurs de l’ordre africain, de sa stabilité, de sa
souveraineté et au-delà de la volonté éprouvée des peuples de vivre libres et
épanouis.
Pour la petite histoire, le recomptage des voix refusé par l’ONU, l’UA, Ban
Ki-Moon, Jean Ping, Ouattara a fait ses preuves en 2010 en Haïti permettant de
dénouer la crise et d’écarter l’option de la guerre civile après les résultats
électoraux contestés par des parties adverses. Le verdict fut accepté par tous sans
détresse ni remous dans le plus grand fair-play
Les États-Unis en ont fait recours pour départager le candidat démocrate Al
Gore du républicain Georges W. Bush Junior sur une partie de l’électorat noir.
La chancellerie occidentale entièrement prise en charge par le clan français, au
lobbying intense pour ses intérêts en Côte d’Ivoire a fait off sur Gbagbo dont elle
n’attend rien d’autre que le départ précipité. La coprésidence proposée à demi-
mot acceptée par Gbagbo et le comptage des voix ne rentrent pas dans ses plans.
La France, sous l’égide de son ministre des Finances, engage la procédure
d’Isolement de l’administration Gbagbo et son asphyxie financière. Lequel
ministre des Finances d’autorité enjoint aux grandes entreprises très présentes
sur le sol ivoirien de ne plus payer leurs taxes et obligations fiscales. Mieux,
Henry de Rancourt, ministre de la Coopération française sollicite le concours
précieux du patron du conseil français des investisseurs, Anthony
BOUTHELIER : « Il nous a demandé si nos entreprises pouvaient jouer un rôle
pour amener Gbagbo à plier », révèle Jean Marie Billon, PDG du groupe
agroalimentaire SIFCA, Président de la chambre de commerce.
À partir du 8 décembre 2010, la menace est mise à exécution. Les institutions
de Bretton Woods appelées à la rescousse se joignent au mouvement de sabotage
mis en branle par les autorités de l’hexagone et annoncent sans détour la
suspension de leur collaboration avec la Côte d’Ivoire. Même la BCEAO
(Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest) cède aux exigences de la
France et use de tous les subterfuges pour que l’administration Gbagbo n’accède
pas à son compte.
Le 22 décembre Robert ZOELLECK, Président de la Banque mondiale sort
d’un entretien avec Nicolas Sarkozy et annonce que les crédits accordés à la
Côte d’Ivoire par son institution sont gelés. Dans le courant du mois de
décembre, des manœuvres sont entamées dans le cercle des États de la sous-
région et le 22 janvier 2010, les chefs d’État de l’Union économique et
monétaire ouest-africain (UEMOA) décident que la Côte d’Ivoire ne peut plus
accéder à son compte à la BCEAO. Le compte est séquestré : Gbagbo riposte,
utilise les réquisitions pour continuer à fonctionner.
En décembre, la BCEAO ordonne aux banques de ne plus coopérer avec
l’administration ivoirienne sous peine de retrait des agréments. Les filiales de
BNP (Pays-Bas) en Côte d’Ivoire, de la Société Générale et des banques
américaines se soumettent au préjudice de 100 000 fonctionnaires dont les
salaires y sont domiciliés. Gbagbo prend un décret de nationalisation de la
Société Générale de banque en Côte d’Ivoire (SGBCI) et de la Banque
internationale de commerce et d’investissement en Côte d’Ivoire (BICICI) pour
la continuité du service.
L’Union européenne rentre dans le ballet, organise le boycott du café et du
cacao. Les ports d’Abidjan et de San-Pedro d’où partent 80 % des exportations,
sont visés par le blocus. L’objectif est de priver le gouvernement de ressources.
Plus grave, au même moment, les multinationales couvrant le secteur telles que
ARNIANJARO doivent au fisc ivoirien l’équivalent d’un milliard huit cents
millions de dollars d’impayés, encouragées par les États-Unis qui soutiennent
l’initiative. « Je crois qu’il y a une unanimité contre lui en Europe, en Amérique
du Nord et en Afrique » déclare le sous-secrétaire d’État américain aux affaires
africaines, Monsieur William HITZGERAND. Cerné de toute part, le
gouvernement Gbagbo travaille à la mise en place d’une monnaie nationale en
mars 201122.
« Nous n’avons pas pensé à cela auparavant, mais les événements nous y
obligent maintenant. » Ce projet béni par les Ivoiriens très remontés devait
aboutir le 15 mai 2011. À ce propos le ministre du Budget déclare : « nous
n’avions pas le choix parce que nous avons été à un certain moment en rupture
d’argent (…) le système que la France avait mis en place pour nous asphyxier
était d’empêcher la BCEAO de recycler la monnaie afin que nous soyons en
rupture de monnaie fudiciaire (…). Je pense que l’une des raisons de la guerre
était celle-là. Les gens savaient que le 15 mai, la Côte d’Ivoire aurait eu sa
monnaie. Et cela aurait entrainé toute la sous-région. (…), Ou bien les autres
nous suivaient et adoptaient cette monnaie ou l’auraient utilisée comme devise.
Elle se serait imposée d’elle-même »23.
Le plan de guerre pour déloger Gbagbo fut concocté par la coalition
internationale à laquelle ont pris part le Nigéria, le Sénégal, le Burkina Faso.
Leurs conseillers militaires sont sur le terrain. Les éléments des forces spéciales
de ces trois pays sont très actifs sur le terrain, avant même le premier tour de la
présidentielle, signe que le complot contre Gbagbo était ourdi de longue date.
Malgré l’embargo sur les armes, des quantités sont livrées via ces trois pays.
En se rendant aux élections, Ouattara était convaincu de sa défaite. Tout au
plus avec ses partisans avisés, il voulait en faire un moyen sûr de contestation de
la légitimité de Gbagbo, influencer la communauté internationale pour une
solution militaire qui, seule, pouvait le porter au pouvoir. C’était indéniable que
Gbagbo était le maître de la Côte d’Ivoire. Le peuple était acquis à sa cause
malgré la désinformation et les calomnies. Le corps social lui était solidaire et
acquis. Les médias occidentaux partisans amplifient les faits, s’ils n’en inventent
pas tout bonnement, prêtant à Gbagbo « de vouloir bouter le feu à Abidjan avant
son départ ». De simples constructions journalistiques orientées à dessein afin de
nuire à l’homme pour davantage l’isoler. Des contrevérités manifestes sont
distillées par les nombreuses ONG très actives en tête de celles-ci Human Rights
Watch qui a mené une campagne insidieuse de désinformation et de
diabolisation comme d’ailleurs elle a su le faire contre Hissène Habré. Semble-t-
il qu’en 2010, elle fut subventionnée à hauteur de 100 millions de dollars24 par le
milliardaire américain Georges Soros ami de Ouattara, un soutien presque
obligé : les bons offices font partie des civilités à ce niveau de relation. Soros est
un néolibéral convaincu qui a beaucoup investi dans les matières premières.
Conséquemment il met son nez et son fric dans toutes les crises jusqu’au
Venezuela en Amérique latine, un grand spéculateur.
Les informations sur la crise ont été bien surveillées et distillées par les
autorités politiques et militaires à dessein et selon les objectifs et circonstances.
Il est même arrivé que des journalistes et organes de presse soient rappelés à
l’ordre par l’une de ces autorités citées :
« Pendant les opérations militaires de l’ONU et de la France, l’ambassade de
France, l’armée française deviennent les seules sources d’information des
journalistes français »
Sur financement de l’Union européenne, la France installe une radio et une
télévision pirate concurrente, pour orienter l’information tout en se permettant de
saboter les installations de la télé ivoirienne qui sont brouillées avec l’aide des
techniciens et services de renseignement.
L’ONUCI FM est partisans au point de relayer tous les appels au soulèvement
et à l’insurrection25.
Dans la crise ivoirienne, la CEDEAO a été partisane et sectaire, inféodée
totalement au programme de la licorne décidée à défaire l’armée régulière et
nationale de la Côte d’Ivoire. L’organisation régionale s’est compromise à tout
point de vue en ne cherchant jamais à exister, à s’affirmer dans son espace
naturel, sans jamais chercher à se poser comme allié nécessaire incontournable,
partenaire de droit et de fait pour concevoir une solution intelligente et
consensuelle avec moins de peines, de souffrances, de parti-pris et surtout de
partialité. Sans ces forces coalisées, le camp Ouattara à grand renfort de recrues
n’aurait jamais résisté à l’armée régulière ivoirienne.
La guerre était l’unique action pour installer Ouattara qui était convaincu tout
comme ses souteneurs que par les urnes, il ne faisait pas le poids. En réalité,
malgré tout le bruit, il n’était pas adulé, l’essentiel de l’électorat était divisé entre
MBEDIE et GBAGBO. Leurs appréhensions se confirmeront d’ailleurs lors du
premier tour du scrutin. En réalité selon diverses sources, les résultats du premier
tour ont été inversés. Ouattara n’est arrivé que troisième derrière GBAGBO et
MBEDIE. C’est un secret de polichinelle. Les chancelleries occidentales ont
manœuvré pour faire plier MBEDIE grassement rétribué assorti de protection et
moult avantages pour lui et ses proches, de même que ses collaborateurs. Le
numéro deux du parti est promu premier ministre et le numéro trois ministres de
la Justice du premier gouvernement de Ouattara26.
Wikileaks cite un câble diplomatique US « Dans tous les cas Gbagbo va
gagner ». L’Élysée était sans doute sûr de sa victoire. Dramane n’avait aucune
assise électorale pour contrecarrer cette dynamique. Les instituts de sondage ont
tous confirmé cette tendance lourde (TNS, SOFRES, IPSOS), tous rendaient un
verdict sans ambages : défaite certaine de Ouattara27.
L’attitude de la CEDEAO a beaucoup nui à la Côte d’Ivoire. Une réelle
économie de guerre s’est installée se généralisant même avec des pics au nord du
pays. Une économie de prédation qui profite aux chefs rebelles, à Blaise
Compaoré qui exporte des fèves de cacao sans avoir une seule plantation, du
bois, de l’or, des diamants. Il traite avec les rebelles. Les sociétés frontalières du
Burkina versaient directement les taxes d’impôt aux rebelles. Pendant ce temps,
Compaoré n’a de cesse de rencontrer Laurent Gbagbo, de lui faire la promesse
du larron de basculer dans son camp, de défendre sa cause, de défendre sa bonne
foi et sa grande détermination à vouloir stabiliser le pays.
À chaque consultation, le fourbe de Compaoré rassurait faussement emportant
à tous les coups des centaines de millions de francs CFA contre les promesses
mirobolantes vite dissipées. Le marchand de chimères avait trouvé « sa vache à
lait » priant en son for intérieur que le conflit s’éternise. En petit comité, il
déclarait ironique « Gbagbo finira comme Milosevic, c’est-à-dire devant le
tribunal pénal international où il lui faudra répondre des charniers ainsi que des
escadrons de la mort qui sévissent dans son pays »28.
Lui défait par la vindicte populaire du Burkina Faso, s’est enfui de son pays au
terme d’une présidence catastrophique, dictatoriale, sanguinaire, et crapuleuse. Il
coule des jours heureux en Côte d’Ivoire où il s’est naturalisé. La communauté
internationale très sélective dans ses tris fait off sur ses crimes passés, dont celui
de son frère d’armes Thomas Sankara, l’idole d’un pays, d’un continent et de
toute une génération. La postérité se reconnaitra en lui. Pendant plus de vingt-
cinq ans, Compaoré a régné sans partage. Il s’est tout permis, se mêlant de tout,
mission de dialogue et conciliation au Mali, comité d’initiative en Côte d’Ivoire
sans conviction ni grande sincérité. Un dictateur hostile à tout changement dans
son pays manipulateur, fourbe, sectaire, avide de pouvoir et d’infinis privilèges.
C’est ce qui fait dire à Laurent Gbagbo en réponse à une de ses nombreuses
piques « un chef d’État voisin qui vient d’être réélu à 80 % avait déjà dit que je
devais être livré à la cour pénale internationale, c’était succulent venant de lui.
Peut-être aurais-je dû me faire élire à 80 %, j’aurai été moins suspect »29.
La traduction de Gbagbo à la Cour pénale internationale et l’indulgence trop
grande dont fait montre la communauté internationale à l’égard de Compaoré
témoignent du manque de sincérité de tous ceux qui accablent Laurent Gbagbo.
Fanny PIGEAUD, journaliste de terrain, correspondante des médias de France
dans beaucoup de pays africains, une dame dévouée, critique et engagée, sincère
par-dessus bord, témoigne :
« Ce nouveau plan CPI a été dès la présidentielle, pendant l’entredeux tours de l’élection et peut-
être même avant. Ouattara a établi des contacts directs avec le procureur de la CPI, l’Argentin Luis
Morero Ocampo. Celui-ci avait déjà depuis longtemps des liens avec des organisations financées
par Georges Soros, ami de Ouattara. Il a par exemple travaillé pour Transparency International. Il a
aussi participé à plusieurs reprises à des conférences organisées au sein de la CPI par Open Society
Institute, organisation fondée par Soros et qui par ailleurs milite très activement pour la création de
ladite CPI. Plusieurs années de suite, l’Open Society Institute en a plus donné des fonds à la CPI au
titre de contributions volontaires comme l’autorisent les statuts de la CPI. Le rapprochement entre
Ouattara et Luis Morero Ocampo visait vraisemblablement à baliser le terrain pour une future
inculpation de Gbagbo par la CPI et à lever à un obstacle de taille : La Côte d’Ivoire n’est pas
signataire du statut de Rome, fondement juridique de la cour. Or celle-ci ne peut inculper un
individu que si les crimes qui lui sont imputés ont été commis sur le territoire d’un État parti, ou s’il
30
est ressortissant d’un État parti » .
En Côte d’Ivoire, la force a sévi contre le droit, tordant le cou aux institutions
républicaines et à la légitimité populaire. Le collège électoral s’est exprimé
massivement en faveur de Laurent Gbagbo. Le Conseil constitutionnel dans ses
attributions et prérogatives a consacré le verdict électoral sorti des urnes.
La communauté internationale s’appuyant sur son conseil de sécurité
instrumentalisé à outrance s’est inscrite en faux contre la souveraineté du peuple
ivoirien qui s’est débattu dans tous les sens pour le respect de son choix. Les
forces coalisées à coups de milliards dépensés pour la propagande, l’achat de
conscience, le ralliement volontaire ou forcé, le chantage, la calomnie, la
puissance de feu des contingents de forces spéciales de pays ouest-africains, de
la France, de l’ONUCI ont torpillé le rêve d’un peuple d’être dirigé par le
président de son choix. Un fait sans précédent qui consacre la grande supercherie
dont est capable la communauté internationale, la communauté des forts, des
obligés, communauté des lobbies et des intérêts, l’arrogance, et le mépris dont
elle fait montre à l’égard de la souveraineté des peuples d’Afrique et en dernier
recours du peu le crédit qu’elle accorde aux institutions de leurs pays. La
communauté internationale renie ses principes de droit, de dignité, de respect des
valeurs, de reconnaissance de la légitimité populaire, du libre droit
d’autodétermination. Elle s’est immiscée dans un processus électoral à l’issue
claire, pour nous servir une tragi-comédie de mauvais goût.
L’Afrique a du chemin à faire. D’ailleurs, Gbagbo ne s’y trompe pas. Peu de
jours avant son arrestation le 11 août 2011 à 13 h 8 min, il avait selon Fanny
Pigeaud dans France Côte d’Ivoire, une histoire tronquée, déclaré avec force
conviction :
« Si on veut compter sur les frappes aériennes faites avec des armées étrangères dans nos pays pour
être président, évidemment on n’ira nulle part. Parce qu’aujourd’hui un tel appelle l’armée
française, demain untel appelle l’armée chinoise et après demain, un troisième appelle l’aviation
russe. On n’en sortira pas comme ça (…). J’ai dit, j’ai gagné les élections, mon adversaire dit qu’il a
gagné les élections. Je dis ok, asseyons-nous et discutons, sortons les arguments. C’est tout ce que
j’ai demandé, mais on ne m’écoute 30 pas. Il s’agit d’élection, or quand à la fin d’un processus
électoral, deux candidats se déclarent vainqueurs, il y en a un, un qui a été forcément élu et l’autre
31
se trompe de bonne foi ou alors il ment. Il faut régler cela. »
Il a exprimé sa volonté, sa grande disponibilité à faire la lumière sur la crise
avec en sus des éléments probants, mais le calendrier néolibéral des
multinationales et des États alliés a imposé sa rigueur sous la houlette des
Nations unies aux résolutions taillées sur mesures.
D’ailleurs, un diplomate sous couvert de l’anonymat déclare avec regret ce qui
suit, cité par Fanny Pigeaud :
« Ce n’est pas dans la culture des Nations unies de mener des actions militaires fortes, ou de
prendre parti dans une guerre civile. La Libye puis la Côte d’Ivoire, cela commence à faire
32
beaucoup » .
Oui, l’attaque contre Laurent Gbagbo a été autorisée, planifiée et coordonnée
par l’ONUCI. Un fait sans précédent que les Nations unies prennent position et
partie dans une crise interne et combattent la partie qui détient la légalité
constitutionnelle. Son attitude partisane révulse les honnêtes gens qui se sont
indignés contre l’horreur perpétrée en Côte d’Ivoire pour des intérêts égoïstes et
mesquins sans lien aucun avec la R2P (responsabilité de protéger les
populations), agitée à tout bout de champ. Il n’y avait ni épuration ethnique, ni
génocide ou crime contre l’humanité.
Les Nations unies ne sont qu’un paravent, un simple instrument de
légitimation de la volonté des membres fondateurs de l’ONU détenant le droit
contesté de véto. Le conseil de sécurité leur sert de faire-valoir pour assouvir
leurs ambitions de domination et d’aliénation. Les projets de résolution soumis
au vote et à l’approbation du conseil sont taillés sur mesure selon leurs
préoccupations.
Fort de son véto, la Russie règne en maître au Caucase, soumet la Géorgie,
mate les Tchétchènes, annexe la Crimée. Ses congénères ferment les yeux sur
ces crimes pour se passer de son véto ailleurs. La Chine muselle le Tibet sans
aucun compte à rendre à la communauté internationale.
Les États-Unis sont coutumiers du passage en force, pour les cas qui les
intéressent. Un véto de tous les abus sur fond de négation des droits et volontés
des peuples et des faibles.
La seule volonté des États-Unis a suffi à insuffler la création de l’État du Sud-
Soudan avec Djouba comme capitale le long du Nil blanc et ses affluents. Un
État fantôme monté de toutes pièces le 09 juillet 2011, sous le parrainage des
États-Unis. Deux ans après sa création en décembre 2013 débute une guerre
fratricide, meurtrière sans issue au terme de laquelle périrent 300.000 personnes
et 2,5 millions de déplacés selon diverses ONG présentes sur le terrain.
Riek MACHAR quitte le gouvernement sud-soudanais instrumentalise son
ethnie, les Nuers, et défie le Président Salva KIIR suite à leur désaccord sur
l’exercice et le partage de responsabilités. Malgré l’accord de paix signé le
26 avril 2016, les hostilités reprennent de plus belle. L’augmentation des
effectifs de la mission des Nations unies au Sud Soudan (MUNUSS) n’y fera
rien. Les USA ont précipité la création de l’État du Sud Soudan sans en
connaitre les fondements, les réalités profondes. Leurs points de vue ont prévalu
sur tous les commentaires des chercheurs et autres observateurs avisés.
Dieu sait que John GARANG qui, sa vie durant, a porté le combat du sud
Soudan comme chef rebelle, n’a jamais réclamé l’indépendance. Il se battait
pour l’intégration de son peuple et la jouissance de ses droits, l’accès aux
richesses et privilèges détenus par le nord. Le seul facteur dominant de la
création de cet État semble être ses richesses infinies, son pétrole largement
convoité. Les USA ont certainement milité pour l’indépendance du Sud-Soudan
et joué conséquemment de leur influence.
Cette autre détentrice de véto, la Grande-Bretagne leur est proche et complice.
Leurs amabilités sont réciproques selon toutes les circonstances, quels que soient
les adversaires, l’enjeu et les intérêts.
Quant à la France, elle outrepasse les mandats du Conseil de sécurité, fait
souvent une interprétation tendancieuse ou abusive du droit concédé par
l’autorité mondiale, si elle ne l’influence pas selon ses vues propres.
En exemple, sur proposition de Jacques Chirac en 2006, l’ONU transfère tous
les pouvoirs du Président élu Laurent Gbagbo au premier ministre Konan
BANNY par la résolution 1633. Et mieux, sur proposition de la France, une
autre résolution 1721 adoptée par le Conseil de sécurité, le Premier ministre est
chargé d’organiser les élections avant le 31 octobre 2007, lui conférant au plus
de gouverner par décret-loi en violation flagrante de la constitution ivoirienne.
En outre quand Monsieur Bakayoko rejoint Alassane Ouattara et Guillaume
SORO à l’Hôtel du Golfe avec l’ambassadeur Carter III des États-Unis, Jean
Marc Simon, ambassadeur de la France, et qu’ils rédigent en petit comité, le
texte de proclamation des résultats du deuxième tour des élections, l’ONU s’est
inféodée au principe. Quand Bakayoko ultra protégé par les forces onusiennes a
donné lecture du verdict, Ban Ki-Moon s’est empressé de féliciter Ouattara. Et
pourtant il savait que le Conseil constitutionnel ivoirien avait donné Gbagbo
vainqueur sur un score de 51,45 % contre 48,55 %. L’ONU a validé le complot.
Après la sale besogne, Bakayoko se sentant menacé sera exfiltré par les mêmes
forces33.
Personne ne se prend à rêver d’un monde sans organisation, l’ONU, le Conseil
de sécurité sont nécessaires, mais pas dans leur configuration actuelle avec la
prééminence d’États surpuissants qui décident en petit comité au nom de la
communauté internationale.
Nous plaidons pour une organisation des nations et des peuples sur des critères
et des bases égalitaires sans favoritisme. Une organisation où les membres
auront la même voix, les mêmes égards, une réforme urgente et nécessaire
s’impose.
Dès l’indépendance de la Côte d’Ivoire en 1960, le Président Félix Houphouët
Boigny passe un accord de défense avec la France. Méfiant envers son armée
nationale qu’il voulait tenir loin des sphères du pouvoir et de toute tentation, il
recourut à l’armée française pour assurer sa sécurité. Évidemment la suite des
événements dans l’Afrique indépendante avec ses pelles de coup d’État confirme
ses craintes. La 43e Bima fut stationnée en Côte d’Ivoire, un endroit stratégique
pour ses déploiements hors zone et les entrainements quotidiens.
L’inertie de l’armée française face aux attaques rebelles du gouvernement de
Gbagbo malgré les accords de défense et d’assistance réciproque, force Laurent
Gbagbo à remettre en cause l’utilité, la présence même de l’armée française en
Côte d’Ivoire. Ainsi il prend fait et cause pour son départ.
« Pour que les rapports soient plus sains, il est temps que les Africains eux-mêmes apprennent à se
prendre en charge dans un certain nombre de domaines […].
34
Quand les élections seront terminées, la force licorne devra s’en aller »
Mais la France tient à cette base de Port Bouët pour des raisons militaires et
stratégiques. Sur le plan économique, Laurent Gbagbo prend un virage à 180°
degrés pour s’être rendu compte que les multinationales longtemps établies en
Côte d’Ivoire profitant du quasi-monopole pour pratiquer des prix et des coûts
hors normes, voulaient pérenniser le règne. Il entreprit de lancer des appels à la
concurrence ouverte à tous pour le plus grand bonheur de la Côte d’Ivoire qui
réalisait des économies substantielles sur la commande publique. Peu habituées à
la remise en question de leurs privilèges, plusieurs fois décennaux, les
multinationales contre-attaquent et se lancent dans la propagande et le
dénigrement tous azimuts.
Gbagbo ouvre les portes aux Chinois, aux Russes, aux Sud-Africains. Il a
compris l’intérêt de parler au monde, de s’ouvrir à la pluralité, d’examiner des
offres et de traiter avec des partenaires différents du Nord et du Sud.
« La France est notre partenaire historique dans le monde aujourd’hui néanmoins, nous ne pouvons
pas nous condamner à avoir un partenariat unique. C’est tout ce qu’il faut modifier, mais on ne peut
35
pas empêcher une telle modification d’avenir » .
Une fois au pouvoir, Gbagbo a perçu les limites de l’État central pas trop
souverain à son goût. Ainsi il entreprit des réformes mêmes dans
l’organigramme de sa propre administration et opère des ruptures substantielles
qui dérangent :
« Le directeur financier que j’ai nommé à la présidence de la République, c’est le premier directeur
financier ivoirien nommé à ce poste. Ce combat pour que chaque ministère ne soit plus dirigé par
36
les Français, il plait ici. La Côte d’Ivoire n’a pas à se comporter en 2005 comme en 1960. »
Son parti le Front patriotique ivoirien (FPI) abondait dans le même sens et multipliait les sorties
souveraines.
Gbagbo était défait, Ouattara a été porté en triomphe par les « coalisés ». La
Côte d’Ivoire est de nouveau rentrée dans les rangs. BOUYGUES, BOLLORÉ et
les autres font la pluie et le beau temps, dans les ports, la construction, la
fourniture, l’eau, l’électricité, le téléphone. Le monopole n’est pas cassé, mais
accru. Il s’est étendu à d’autres domaines.
À présent, dans neuf ministères de souveraineté, il y a des conseillers
techniques français ayant avis et droit de regard sur la gestion. Gbagbo a eu le
seul tort de vouloir le meilleur pour la Côte d’Ivoire.
« On a un contrat d’électricité avec Bouygues sur la distribution de l’électricité. Je pense que ce
contrat que j’ai signé en 2005 n’est pas bon. Après les élections, on va donc pouvoir le relire
ensemble […] Lorsqu’on demande aux Chinois de faire quelque chose, ils le font sans nous traiter
comme le fait l’Occident […], les taux auxquels ils prêtent sont très accessibles. Si les Occidentaux
37
veulent avoir les marchés que décrochent les Chinois, ils n’ont qu’à s’aligner » .
Sans doute, l’intention de Gbagbo est certes louable, mais reste un vœu pieux.
Rien n’a changé, la Côte d’Ivoire s’est livrée. Un nouvel accord de défense
préparé par la France a été signé par le gouvernement Ouattara. Les entreprises
affluent, coachées par l’ancien ambassadeur de France, Jean Marc Simon qui
jouit d’une grande estime et d’une influence remarquée auprès de Monsieur
Dramane Ouattara.
En Libye, en Irak comme en Côte d’Ivoire, la raison du plus fort a prévalu sur
le droit. Le Club de bons offices a de nouveau instrumentalisé le droit
international. Le Conseil de sécurité leur sert d’instruments de contrainte et de
domination pour soumettre à leurs volontés les plus audacieux qui tentent de
briser les chaines. Tout est permis au Club fermé des vetos qui prétend toujours
mobiliser au nom de la Communauté internationale pas si large que ça ; à part
les amis et les obligés.
« Finalement la crise ivoirienne peut illustrer certaines méthodes utilisées par la France pour
procéder à des changements de régime, tout commence en général par une entreprise de
dénigrement du dirigeant que Paris souhaite évincer via les médias, il s’agit de susciter l’indignation
de l’opinion publique et de la convaincre de la nocivité du régime visé. Puis Paris s’organise sur le
plan diplomatique afin de faire adopter par le Conseil de sécurité des Nations unies, une résolution
qui lui servira de couverture pour une intervention armée », déclare Fanny Pigeaud, journaliste de
terrain.
Ayant vécu les événements en Côte d’Ivoire, cette Européenne bon teint,
humaniste et responsable qui traite l’information de manière impartiale dans la
plus parfaite déontologie. Un discours poignant, empreint de vérité, de rigueur et
de solennité.
Nicolas Sarkozy pendant ce temps a vainement cherché à revenir au pouvoir
en France, il s’est battu dans les primaires de droite et du centre insouciant du
malheur fait à l’Afrique plongée du nord au sud dans l’instabilité, menacée de
toutes parts par le terrorisme, pour avoir ouvert la boite de pandore. Les armes,
les terroristes et les rebelles longtemps terrés en Libye sont d’attaque sur tous les
fronts.
Le continent vit des bouleversements au nord dans le Maghreb et surtout dans
le bassin du lac Tchad. Al-Qaida, Boko Haram et les groupes salafistes tiennent
en haleine les peuples et les nations. L’alerte générale est sonnée. La menace
terroriste est réelle. Les attaques sont fréquentes et inopinées.
Pendant ce temps les Africains plaident leur bon droit de disposer de deux
postes de membres permanents et cinq postes de membres non permanents au
Conseil de sécurité, faute de quoi, ils pourraient se retirer d’une organisation qui
ne les considère pas, qui ne leur donne pas la parole quand 9 des 16 missions
d’interposition sont en Afrique.
Nous encourageons cette clairvoyance, l’heure de l’Afrique a sonné, il n’est
plus question qu’elle soit tenue en marge des grandes décisions de ce monde. Il y
va de la souveraineté de ses nations, de la défense de leurs intérêts et de la prise
en compte de leurs ambitions. Le Président Mugabe se montre intraitable sur
cette question, réaffirme sans cesse la position commune de ses pairs africains à
chaque rencontre de son parti Zanu FP. L’Afrique se doit d’être cohérente et
responsable pour parler d’une seule et même voix, ne jamais fléchir ou réviser
ses ambitions à la baisse.
En 2050, sa population sera de 2 milliards ; elle n’a jamais eu droit au
chapitre ; c’est le moment ou jamais et en toute responsabilité, vive les Nations
unies, une union réelle et une juste représentation des peuples longtemps
bâillonnés, confinés dans l’antichambre. Quand le droit et la convention
universelle permettent des libertés outrancières, une interprétation abusive,
favorisent la complicité des membres éminents au pouvoir sans partage et
excessif ; quand le principe même est l’assujettissement, la soumission des
faibles à l’ordre des plus forts, il y a urgence à revoir la charte fondamentale qui
régit cette convention, qui confère ces droits abusifs afin qu’une vraie
communauté internationale des peuples et des États-nations, des grandes entités
géographiques et démographiques s’occupe des problèmes de tous sans
parcimonie ni parti pris.
En 2005, les Africains avaient déjà formulé la demande expresse au Conseil
de sécurité de disposer de 02 sièges permanents et 5 non-permanents ; demande
rejetée par la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne qui se montrent
intransigeants et totalement réticents à la remise en cause de leurs privilèges. La
Chine et la Russie semblent plus souples et mieux conciliantes, mais certes pas
tentées.
Pour notre part, nous dénonçons l’instrumentalisation des Nations unies ; une
réalité honteuse. Un monde sans les Nations unies n’est peut-être pas la panacée,
nous en convenons bien, mais tout de même les Nations unies des peuples et des
nations, une union basée sur la justice et l’équité sans traitement discriminatoire
ni favoritisme ; des Nations unies où tous les États comptent pour des États
soumis entièrement aux principes d’universalité, qui soumettent tous sans
impartialité aucune avec les mêmes voix qui comptent autant les unes que les
autres.
La Syrie consacre l’urgence de reformer le Conseil de sécurité. Cinq
résolutions bloquées sur le survol d’Alep qui ploie sous les bombes ;
l’organisation des secours humanitaires peine à se faire. Les résolutions de la
France et de la Russie se contredisent, s’opposant, se rejettent, créant un blocage
sans fin, une situation alarmante de guerre froide, ni guerre, ni paix.
La ville syrienne d’Alep sombre dans les ravages meurtriers d’un affrontement
sans fin entre rebelles et armées de Bachar El Asad soutenu par la Russie de
Vladimir Poutine. La Syrie est un allié historique de la Russie, un partenaire
stratégique dans le Proche et Moyen-Orient. L’enjeu est aussi stratégique. Les
Russes disposent d’une base navale dans la ville portuaire de Tartous, une
ouverture stratégique qui constitue leur seul accès à la méditerranée (depuis
1971), l’enjeu est de taille. Forte de 43.000 hommes, d’un porte-avion et de
plusieurs centaines de chars, l’armée russe se bat aux côtés de la Syrie pour
repousser et neutraliser les rebelles.
Poutine ne veut pas subir le calendrier international. Il a compris qu’en se
tenant à la marge, le jeu se fait sans lui entre Occidentaux et alliés. Après
l’Afghanistan, l’Irak, la Libye et la Côte d’Ivoire. Il ne marche ni dans le sillage
des Occidentaux, encore moins celui de l’ONU qu’il assimile à de la surenchère.
Ce qui est clair, c’est que la Russie ne s’en ira pas de la Syrie comme elle l’a fait
en Afghanistan il y a quelques décennies. Le sentiment d’échec lui est resté en
travers la gorge. La suite de l’histoire de l’Afghanistan lui laisse des remords.
L’Occident ne troublera pas cette fois-ci son jeu en Syrie. Elle démontre une
partie de son engagement dans le futur du monde, sa puissance et son
intransigeance face à la volonté de division ou même de déstabilisation des
Occidentaux.
De ce fait, Vladimir Poutine continue de fédérer, de recoudre les vieux
morceaux de la Russie annexant une partie de la Géorgie, la Crimée, des
provinces russophones de l’Ukraine. La Russie veut jouer sa force et ses intérêts
pour davantage être incontournable dans la marche du monde.
Pendant ce temps, le porte-avion nucléaire « Charles de Gaulle » rentre en
France en décembre 2016 dans la rade de Toulon après trois mois de lutte contre
l’État islamiste DAECH : « 500 missions de catapultage ont été effectuées soit
27 000 heures de vol pour les avions au-dessus de la Syrie et de l’Irak », déclare
le Centre Amival Lebas. Long de 260 m, le « Charles de Gaulle » avait à son
bord des avions de chasse rafale pour appuyer la force de frappe française.
A priori, à chacun son rôle, ses préoccupations, ses intérêts et objectifs
inavoués.
Le général de Gaulle balançait avec un brin de mépris en 1960 : « Ce machin
qu’on appelle l’ONU ». Malheureusement, l’organisation mondiale se réduit à
un simple instrument trop mal utilisé.

11 Michel Collon, Libye, OTAN et médiamensonges, op. cit.


12 Michel Collon, Libye, OTAN et médiamensonges, op. cit.
13 Dans un témoignage récent Laurent Gbagbo précise que Sarkozy l’appelait pendant la période de crise
trois fois par jour pour donner des ordres et le menacer.
14 Fanny Pigeaud, France Côte d’Ivoire, une histoire tronquée, Paris, Vents d’ailleurs, 2015.
15 Goodluck Jonathan, président en exercice de la CEDEAO en 2010, recevait plus de onze appels de
Sarkozy par jour pour faire rallier la structure.
16 Fanny Pigeaud, France Côte d’Ivoire, une histoire tronquée, op. cit.
17 Fanny Pigeaud, France Côte d’Ivoire, une histoire tronquée, op. cit.
18 Id.
19 Fanny Pigeaud, France Côte d’Ivoire, une histoire tronquée, op. cit.
20 Id.
21 Extrait de « France Côte d’Ivoire, la vérité tronquée »
22 Fanny Pigeaud, France Côte d’Ivoire, une histoire tronquée, op. cit.
23 Id.
24 Fanny Pigeaud, France Côte d’Ivoire, une histoire tronquée, op. cit.
25 Id.
26 Fanny Pigeaud, France Côte d’Ivoire, une histoire tronquée, op. cit.
27 Id.
28 Fanny Pigeaud, France Côte d’Ivoire, une histoire tronquée, op. cit.
29 Id.
30 Fanny Pigeaud, France Côte d’Ivoire, une histoire tronquée, Paris, Vents d’ailleurs, 2015.
31 Fanny Pigeaud, France Côte d’Ivoire, une histoire tronquée, op. cit.
32 Id.
33 Fanny Pigeaud, France Côte d’Ivoire, une histoire tronquée, op. cit.
34 Fanny Pigeaud, France Côte d’Ivoire, une histoire tronquée, op. cit.
35 Id.
36 Fanny Pigeaud, France Côte d’Ivoire, une histoire tronquée, op. cit.
37 Id.
ÉPILOGUE

« On oublie seulement une chose : c’est qu’une grande partie de l’argent qui est dans notre
porte-monnaie vient précisément de l’exploitation depuis des siècles de l’Afrique, pas
uniquement mais beaucoup vient de l’exploitation de l’Afrique. Il faut en avoir un petit peu de
bon sens ; je ne dis pas de générosité, de bon sens, de justice pour rendre aux africains je dirai
ce qu’on leur a pris d’autant que c’est nécessaire si l’on veut éviter les convulsions ou difficultés
avec les conséquences politiques que ça comporte dans le proche avenir. » Jacques Chirac

L’Afrique souffre énormément des problèmes de gouvernance des ressources


publiques. La bonne gouvernance commence par restaurer les institutions de la
République, veiller à leur fonctionnement normal pour assurer leur mission
régalienne. L’exécutif, le législatif et le judiciaire doivent chacun dans son
domaine, exercer sa souveraineté.
La stabilité macroéconomique doit être systématiquement l’obsession.
L’administration doit incarner cette bonne gouvernance, assurer sa mission de
service public dans un esprit chevaleresque de citoyenneté, de rigueur, d’équité,
de disponibilité débarrassée de tout soupçon de corruption.
La lutte contre la corruption doit être systématisée à travers les corps de
contrôle libérés de toutes sujétions et influences. L’État de droit doit être
réaffirmé dans ses principes de respect des droits civiques, commerciaux,
politiques, de respect des libertés d’opinion, de presse et d’association.
La justice au cœur du dispositif doit s’extirper de la domination de l’exécutif
pour rendre efficace la lutte contre la corruption, la prévarication,
l’enrichissement illicite, les délits d’initiés, les enrichissements sans cause, bref
la mal gouvernance sous toutes ses formes ; combattre avec fermeté le
phénomène et châtier durement les resquilleurs.
Une justice libérée qui fonctionne normalement est une garantie d’efficacité
pour la transparence et la bonne gouvernance. La bonne gouvernance, c’est aussi
l’utilisation efficiente des ressources maigres somme toute pour répondre à la
demande citoyenne en optimisant les résultats. C’est faire le tri, le choix entre
toutes les urgences, pour l’investissement prioritaire porteur de progrès social et
de croissance. C’est supprimer les dépenses inutiles, de prestige, de protocole.
La bonne gouvernance, c’est disposer de personnels de qualité, bien formés au
fait des outils modernes de transformation sociale. C’est orienter
l’investissement dans les secteurs stratégiques et porteurs tout en veillant à
fortifier le “link” entre les entreprises étrangères et locales. L’intégration a la
particularité d’accroitre la chaîne de valeur pour davantage créer ou renforcer les
entreprises existantes.
La gouvernance africaine des investissements directs étrangers est minée par
trop de facilités et d’exonérations accordées aux entreprises étrangères qui ont
souvent un chiffre d’affaires supérieur au budget de l’État d’accueil. Ce sont des
exonérations dans les industries extractives ou pétrolières qui constituent
l’essentiel des ressources.
L’intégration africaine ne doit pas être un vain mot, mais une réalité visible,
une finalité. L’Afrique doit réussir son intégration physique, sociale,
économique, culturelle et politique. Elle doit stratégiquement mettre en place
une défense commune, une sécurité unifiée, mutualiser les efforts des États pour
tendre vers un commandement unique modèle de l’OTAN.
Son agriculture qui représente 35 % du PIB et pourvoit 70 % des emplois,
sans jamais créer l’autosuffisance ou la sécurité alimentaire doit être repensée,
orientée vers ses préoccupations et déboucher vers un programme transitoire
agro-industriel. Une industrialisation massive du continent jusqu’aux industries
lourdes est la seule source de progrès de développement viable, une alternative à
l’importation sans fin de produits manufacturés.
En 1968, mes fournitures de petit écolier, équerre, compas, crayon de
couleurs, règle plate, buvard, crayon noir, gomme, protège-cahier, stylo à bille,
venaient de l’extérieur, de pays producteurs d’Europe et d’ailleurs. Mes enfants,
entre 1999-2000 ont toujours les mêmes listes de fournitures pourvues par les
entreprises d’Asie et d’Occident. J’espère que demain, mes petits-enfants
étudieront avec un petit matériel made in Afrique. C’est un gage de progrès.
Rien que le stylo à bille constitue un marché à milliards. Les utilisateurs sont
monsieur et madame tout le monde, fonctionnaires, étudiants, élèves,
bureaucrates, commerçants, artisans, un usage répandu, quotidien et du matériel
sans cesse renouvelé.
L’Afrique n’a pas le choix, la maîtrise technologique est une urgence pour
transformer sur place les matières premières, ses énormes minerais, ses infinis
gisements de pétrole pour créer de la valeur ajoutée, donner de l’activité à sa
jeunesse désœuvrée en perte d’espérance. L’industrie est un puissant levier pour
créer une classe sociale intermédiaire dense porteuse de croissance.
Le marché commun africain doit être l’aboutissement. Les échanges intra-
africains de l’ordre de 12 % doivent être relevés à 50 % pour servir le plus grand
nombre. Une vision panafricaniste orientée vers l’Afrique fédérale est salutaire.
Elle relève de la raison, du réalisme économique et du pragmatisme.
De ce fait, l’Afrique politique ne saurait être escamotée. Il faut précipiter la
démocratisation des régimes, renforcer l’Union africaine, lui conférer les
moyens de sa politique pour être autonome. Une Union africaine renforcée
prenant à bras le corps les problèmes africains au lieu de se décharger sur les
autres organisations du monde. Une Union africaine qui se fasse respecter et non
infantiliser sur ses terres et ses propres problèmes. Une Union africaine non
partisane, conquérante, militante du salut et traitant en toute dignité avec les
autres institutions du monde dans un esprit de coopération sincère, dynamique et
renforcée.
C’est un vœu pieux pour l’Afrique de chercher à se développer sans structurer
son industrie, mettre l’accent sur le secteur de la production. Le secteur
manufacturier et le secteur agricole sont la clé de voûte du développement. Seule
la production peut stimuler la croissance, créer la richesse, résorber le chômage,
vaincre l’indigence et la précarité, créer de l’emploi. Produire pour consommer,
vendre en Afrique d’abord et hors du continent ensuite, rapporter des devises,
grappiller des parts dans le marché mondial, stimuler la recherche et
l’innovation, adapter les formations aux besoins réels de l’entreprise, développer
l’expertise locale, favoriser le transfert de technologie dans les contrats avec
l’extérieur tel doit être le crédo. L’industrie seule crée de la valeur ajoutée en
actionnant la chaîne de valeur.
Le niveau d’industrialisation très faible de l’Afrique est un frein à son essor.
L’essentiel des produits manufacturés provient de l’étranger. L’Afrique pèse
pour 1,2 % dans la manufacture mondiale. Son voisin européen utilise
65 milliards de tonnes de matières premières dans ses industries, fournies en
grande partie par elle.
Le chômage, la précarité, le sous-développement ne sont pas une fatalité. Tout
réside dans le choix de gouvernance. Les méthodes archaïques d’exportation
tous azimuts des ressources naturelles sont inopérantes. Le développement c’est
la création, la transformation, la création de richesses. Ce n’est pas ouvrir grand
son port, envoyer les minerais, les ressources minérales à l’étranger, en recevoir
tous les produits manufacturés, toutes les denrées alimentaires, même les
oignons ou des pommes de terre épluchées et tranchées. 60 % des terres arables
sont en Afrique, 58 % des réserves d’or, 97 % des réserves de cuivre, 15 à 20 %
des réserves de pétrole au stade actuel de la prospection, 25 % des réserves de
fer, 23 % des réserves d’uranium. La liste n’est pas exhaustive ; elle va des terres
rares jusqu’aux réserves de diamant.
La faible industrialisation de l’Afrique et sa dépendance aux produits
manufacturés traduisent à elles seules les choix catastrophiques des dirigeants
mal inspirés qui ont présidé aux destinées des nations indépendantes d’Afrique.
Ils ont une grande responsabilité dans son retard actuel. Il faut repenser
l’ensemble du système depuis l’éducation en mettant l’accent sur la science, la
formation, la recherche qui doit être soutenue et orientée, le financement du
secteur industriel. Le financier, l’universitaire, et l’entrepreneur doivent se
rencontrer pour penser le futur de l’industrie africaine. L’industrialisation, la
production sont la seule perspective de sortie de la pauvreté endémique qui sévit
en Afrique. Plus de 500 millions d’Africains sur le milliard qu’elle compte
d’habitants, baignent dans la pauvreté.
Ailleurs en Amérique latine, en Asie, le phénomène recule fortement. Pour la
décennie 1993-2013, la pauvreté a reculé de 300 millions en Chine et
200 millions en Inde et 80 millions en Amérique latine.
En Afrique, les pays les mieux lotis sont dans une fourchette de 20 à 40 %
d’indice de pauvreté. L’indice de développement humain fait partie des plus bas
au monde. Dans certains endroits, les populations vivent le Moyen-Âge,
confrontées aux besoins primaires, ceux de la gent animale : manger, boire, se
mouvoir, sans aucune autre prétention.
L’Afrique compte pour 15 % dans la population mondiale, ironie du sort, la
moitié des pauvres du monde soit 50 % y résident. Pendant ce temps les
gouvernants rivalisent de ruse et de désinvolture pour s’éterniser au pouvoir, les
deniers publics sont gérés dans l’opacité et la nébuleuse par le clan, la famille et
les alliés de circonstances.
Les tyrans régnent sans partage dans une démocratie version tropicale qui a
pour caractéristiques particulières la révision constitutionnelle (pour assouvir les
désirs du prince de briguer un troisième, quatrième ou énième mandat), la
refonte du fichier électoral pour frauder, le contrôle de la commission électorale
nationale autonome de (terminologie), l’achat de conscience avec les deniers
publics, le bourrage des urnes, la falsification des procès-verbaux après
dépouillement du scrutin, le débauchage systématique des militants des camps
adverses et la transhumance, l’instrumentalisation de la communauté
internationale, la confiscation des libertés, les protestations, la répression et
l’embastillement. La démocratie n’est que de façade en Afrique.
Les pires ennemis de la démocratie sont la pauvreté et l’illettrisme.
Malheureusement, le continent est la terre d’asile de ces fléaux. Des sacs de riz,
des bourses distribuées à grande échelle permettent de faire le plein de voix dans
une élection. En démocratie africaine, on prend soin de l’emballage, mais dans le
fond tout est triche, arnaque, manipulation, corruption, falsification. L’argent,
l’intimidation, l’influence et l’autorité du pouvoir sont mis à contribution. Les
lobbies supportent et financent l’initiative.
C’est une Afrique en panne de démocratie et d’alternative, une Afrique
engluée dans le confort de ses archaïsmes despotiques, une Afrique des tyrans,
des dictateurs sanguinaires assoiffés de pouvoir, de sang et de privilèges infinis ;
une Afrique des dérives monarchiques où la confusion des pouvoirs est une
culture, un principe de gouvernance. L’exécutif est la seule apparence qui
soumet toutes les autres institutions à son dictat. Un régime présidentiel puissant
consacrant un homme seul aux ordres de qui obéit la grande majorité qui se
soumet à son intransigeance, sa fougue, sa furie et ses volontés capricieuses.
Il corrompt, soumet, promeut qui il veut sans raison ni compte à rendre. Les
Assemblées nationales simples caisses de résonnance enregistrent et valident les
vœux des monarques souverains.
Le pouvoir judiciaire reçoit sa feuille de mission, exécute aux ordres d’un
exécutif, sélectif, partisan, maître des poursuites. L’exécutif puissant polarise
autour de lui la famille, le clan, les dévoués et les alliés de fortune pour des
courtoisies et amabilités réciproques, les seuls acteurs qui comptent et se servent
de la République.
L’Afrique est malade de ses dirigeants, peu soucieux du sort des populations.
Les élites politiques restent trop longtemps au pouvoir et manquent terriblement
d’initiative et d’autonomie. Les chefs d’État obéissent tous aux donneurs
d’ordres étrangers. Les instruments de la gouvernance mondiale : l’OMC, le
FMI, la Banque Mondiale, le G8, sont partout présents dans leurs décisions et
plans de développement qu’ils inspirent et orientent selon leurs volontés et
objectifs inavoués. Leur financement obéit à des conditionnalités exécrables
d’aliénation, de sujétion et de domination.
L’essentiel de son économie est contrôlé par le privé étranger, les
multinationales y jouissent de toutes les facilités et incitations. Les privés
nationaux sans cesse piétinés attendent toujours et encore, sans jamais savoir
comment ni quand s’en sortir.
La jeunesse, déboussolée, cherche des refuges qu’elle ne trouve pas,
simplement parce que les pays n’ont pas de souveraineté sur les matières
premières pour les transformer sur place et offrir de véritables débouchés à la
longue attente d’une masse critique de jeunesse qui augmente de 15 millions
chaque année.
C’est l’Afrique de toutes les urgences sans solutions, plombée par la carence
des dirigeants insouciants, cupides, lâches et complaisants dans la fuite des
capitaux, de l’évasion fiscale qui se chiffre à 25 milliards de dollars annuels.
Une Afrique dont le sort reste suspendu à l’aide au développement. Une Afrique
qui ne trouve aucune réponse à ses problèmes, se laisse guider.
Je rêve d’une Afrique conquérante dans une dynamique de prospérité forte,
résolument tournée vers la rupture.
Une Afrique qui se prenne en charge dans la limite de ses ambitions et de tous
ses moyens, adossée à ses valeurs, avec son propre programme de
développement économique, social et culturel défini par ses dignes fils en
conformité avec ses réalités et sa vision philosophique du développement, sa
définition du bonheur, sa vision de la prospérité.
Une Afrique soudée, unie selon un même idéal de développement et d’estime
de soi, forte d’une ambition de sortir des torpeurs de l’histoire pour s’afficher à
la face du monde en partenaire recherché, mais respecté. Un partenaire qui traite
d’égal à égal sans se renier ni se compromettre, un partenaire qui ose dire non
quand il le faut, non à la saignée des ressources naturelles, non à l’évasion
fiscale, non aux APE, non au dictat des institutions de Bretton Woods, non au
libéralisme débridé qui aliène et dégrade, non à la vassalisation de nos
gouvernements, non à l’aide publique, mais qui dit oui à la vertu et au dogme de
travail qui seul émancipe les peuples et les nations.
Non au rapport inégalitaire de domination. Il faut lutter à rendre possible
l’éducation pour tous, une démocratie parfaite, une formation efficiente et de
l’emploi pour les jeunes, la sécurité et l’autosuffisance alimentaire, l’éradication
de la pauvreté, l’érection de la société du savoir fondée sur la recherche et la
maîtrise technologique, c’est ça une Afrique qui se prend en charge.
C’est plus qu’une urgence de rendre possible l’impossible qui nous nargue
depuis les indépendances annoncées : l’impossible autonomie, l’impossible
développement, l’impossible souveraineté. Certes il faudra des hommes et des
femmes dignes de confiance, imbus de valeurs, de vertus, de courage et de
transcendance.
Sans nul doute le rêve d’émancipation ne se fera pas sans que des milliers de
Thomas succèdent à Sankara, des millions de Patrice à Lumumba, que des
Cheikh Anta Diop peuplent nos universités, que des Théophile OBENGA
s’érigent en boucliers, enfin que des milliers de KWAME prennent le relais de
Nkrumah, portant l’étendard du salut et de la liberté pour la dignité retrouvée de
tout un continent.
Une Afrique unie et solidaire dans sa grande diversité, source de bonheur et
fécondité. L’Afrique ne luttera efficacement contre le sous-développement, la
pauvreté galopante, la dépendance, qu’en s’industrialisant, la formation et la
recherche doivent en être les leviers.
Mais tout cela sans une gouvernance vertueuse, une gestion efficace et
responsable des deniers publics, rien ne se profilera à l’horizon, très obscurci par
des décennies de malversation, de gabegie, de braconnage économique et
foncier, de dérives mafieuses, d’exercice solitaire et clanique du pouvoir qui ne
considère que les alliés, le clan, les seuls vainqueurs, la famille, les lobbies et
cercles d’influence restreints. La démocratie patine, embourbée dans ses excès
de pouvoir, de privilège et d’arrogance. Les institutions servent les désirs du seul
prince. La confusion des pouvoirs est un principe sacro-saint dans la
gouvernance africaine où les institutions ont une valeur vénale marchande.
Dans ce contexte d’échec des politiques publiques de miséralisme ambiant, de
sauve-qui-peut général, d’exode massif, d’insécurité et de désespoir. L’Afrique
doit trouver sa voie pour rendre possible l’impossible émancipation, l’impossible
autonomie, l’impossible souveraineté.
L’aide ne résoudra jamais les problèmes de développement en Afrique. Les
pays donateurs réaffirment les valeurs auxquelles ils sont attachés : le respect de
l’État de droit, les normes démocratiques, la liberté d’expression, d’association,
le respect des droits des minorités, mettent en avant leurs intérêts et leurs
conditionnalités (l’accès aux matières premières, l’ouverture des frontières, la
libre-circulation des capitaux, la suppression ou la réduction des barrières
commerciales, l’accès à la commande publique, la sauvegarde des intérêts de
leurs multinationales présentes sur le sol, une base d’entrainement militaire, etc.
Et depuis le sommet de Lisbonne et « l’initiative sur les matières premières »
mise en place par l’UE, l’accès aux matières premières figure dans les
conditionnalités de l’aide. L’Europe met davantage l’accent sur la dimension
politique et économique de l’aide.
Par ailleurs, l’échec de la politique migratoire de l’Europe entraine d’autres
stratégies. L’Allemagne par exemple conditionne de plus en plus l’aide à
l’acceptation du retour des émigrés reconduits aux frontières. La non-
coopération peut de facto entrainer la suppression de l’aide.
Le pacte euro-africain conclu avec certains États dont le Sénégal, le Mali, le
Niger, pays de transit des émigrés, oblige ces derniers à lutter activement contre
l’émigration clandestine.
François Hollande déclare à Nice :
« Nous voulons que la coopération à la lutte contre l’immigration soit une des
conditions à l’octroi de l’aide », autrement dit, je le perçois ainsi : « Messieurs,
faites désormais les sentinelles chez vous, participez à la séquestration de vos
ressortissants et après, venez seuls quérir l’aumône. Sinon allez voir ailleurs ».
Eh oui ! Celui qui tend la main perd toujours de sa fierté et amenuise le respect
qu’on lui doit, seul le travail paie. Il est source de progrès et de dignité en ce
qu’il confère l’autonomie.
La France et l’Allemagne, les deux locomotives de l’UE, indiquent clairement
la voie à suivre aux autres États membres. Désormais, la rupture doit s’opérer,
une Afrique indolente « mal partie », mal gouvernée doit faire place à l’Afrique
du travail, du progrès et du réalisme. Une Afrique qui retrousse les manches et
affronte les défis sans tabou ni complaisance. L’Afrique des dirigeants et des
peuples motivés poursuivant l’ambition noble de s’extraire de l’enfer de la
pauvreté, de l’univers aliénant du fatalisme pour affronter son destin, se hisser
sur le promontoire et rêver son avenir dans le bonheur avec fermeté et
détermination.
Sur 56 ans l’aide internationale a plus nui à l’Afrique qu’elle ne l’a soulagée,
c’est un frein à l’effort, à l’engagement responsable pour une politique altruiste
dynamique fondée sur les réalités et les capacités spécifiques à chacun de ses
États.
Samir AMINE, économiste de renom, très engagé pour les causes africaines et
du Tiers-monde en général affirme avec conviction :
« Pour le moment, ils (les États africains) n’ont pas de projet : c’est ça le drame. Maintenant ce dont
nous avons besoin nous les peuples du Sud, Chine, Asie, Afrique, Amérique Latine, c’est d’animer
un front de solidarité face à l’agression impérialiste contemporaine. Malheureusement à l’heure
actuelle, il n’existe à aucun niveau. […]
Nous avons à apprendre de ce pays (la Chine) qui a marqué des voies de développement différentes
de celles de l’Union soviétique ou des autres pays. Sa révolution a donné la terre aux familles
paysannes dans la légalité. En Afrique nous sommes confrontés partout aux mêmes problèmes,
c’est-à-dire les défis du capitalisme, de la banque mondiale, du FMI. Ces institutions et les
Européens nous imposent leur agenda. […] Nous ne savons pas ce que nous voulons, nous devons
travailler à avoir notre projet de développement »
Les Amériques, l’Asie et l’Europe ont enclenché une dynamique
époustouflante de développement, alors que l’Afrique est en situation
léthargique. Elle est plombée dans sa marche par ses propres réalités, ses
horreurs, ses excès et sa trop grande naïveté chronique. Et pourtant la bataille du
développement ne peut être gagnée que par la science et la maîtrise parfaite des
technologies. Une grande offensive de restructuration de l’école, de recadrage
des universités, d’adaptation des programmes aux exigences factuelles de
développement. Le retard technologique est un principal handicap de l’Afrique.
Elle ne trouvera son avenir que dans la maîtrise des sciences et la recherche.
L’Afrique de l’immobilisme, de la torpeur doit désormais faire place à
l’Afrique du dynamisme, de l’initiative et du progrès. L’Afrique du fatalisme
cédera le pas à l’Afrique de la conviction et de la responsabilité. Le dogme et la
superstition, le fétichisme, la haine et les rancœurs s’effaceront au profit de la
communion du rassemblement, de l’unité et de la démocratie.
L’Émergence annoncée à tue-tête passera nécessairement par une gouvernance
vertueuse, fondée sur le réalisme et le patriotisme économique. L’exploitation du
pétrole n’a jamais développé les pays africains. Le Ghana avait misé sur le
pétrole, mais celui-ci ne participe que pour 5 à 7 % du PIB réinvesti dans les
infrastructures. En termes d’emplois, c’est quelque 5700 emplois dont la plupart
sont occupés par du personnel technique étranger. Le Gabon exploite son pétrole
depuis 1954, mais ne connait pas encore le chemin de l’émergence. Le Nigeria
malgré le pétrole est en récession, sa monnaie, le Naira, s’est dépréciée. Le
Tchad est au bord de la faillite et peine à payer les salaires des fonctionnaires et
la dette intérieure.
La mondialisation est un piège qui se referme sur le continent africain. Ils sont
peu nombreux les États qui ont pu survivre aux effets pervers. Les drames
sociaux font légions et les économies subissent une grosse tempête. L’Afrique
perd ses richesses, sa culture et sa souveraineté.
Elle se voit imposer des accords multiples qui ne lui profitent pas, des accords
de partenariat économique insensés, des accords de défense compromettants, des
accords monétaires de sujétion pour certaines zones et des investissements
directs axés sur des dérogations fiscales, entrainant des pertes de recettes
budgétaires ahurissantes.
À ce rythme, l’émergence, la belle chanson africaine des gouvernements
populistes est plus que compromise.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Collon Michel, Libye, OTAN et médiamensonges : Manuel de contre-


propagande, Éditions Investig’Action & Couleur livres asbl, 2011.
Dumont René, L’Afrique noire est mal partie, Paris, Seuil, 1962.
L’Afrique étranglée, Paris, Seuil, 1980.
Pour l’Afrique, j’accuse. Journal d’un agronome au Sahel en voie
de destruction, Paris, Plon, 1986.
George Susan, Les Usurpateurs. Comment les entreprises transnationales
prennent le pouvoir, traduit par : Myriam Dennehy, Paris, Seuil, 2014,
Gueuens Geoffrey, La finance imaginaire. Anatomie du capitalisme : des
« marchés financiers » à l’oligarchie, Bruxelles, Éditions Aden, 2011.
Huntington Samuel, Le Choc des civilisations, Paris, Éditions Odile Jacob, 1997.
Pigeaud Fanny, France Côte d’Ivoire, une histoire tronquée, Paris, Vents
d’ailleurs, 2015.
TABLE DES MATIÈRES

Couverture
4e de couverture
Titre
Copyright
Dédicace
Sigles et acronymes
Avant-propos
Chapitre premier
Le paradoxe africain, un continent riche et pauvre
Chapitre II
L’Afrique des lobbies et des groupes de pression
Chapitre III
La malédiction des matières premières et la gestion calamiteuse des ressources
publiques
Chapitre IV
Morosité économique, misère et dépendance
Chapitre V
L’Afrique politique
Chapitre VI
Affaires Habré : entre ridicule, parodie et tragi-comédie
Chapitre VII
Des éclaircies dans la grisaille africaine
Chapitre VIII
L’intégration africaine, la vraie alternative à la politique de sabordage et
d’automutilation
Chapitre IX
Du GATT à l’OMC, examen critique du TTIP et des APE : études comparées
(marchés de dupes)
Chapitre X
Restaurer la conscience historique : une Afrique culturelle dans la globalisation
Chapitre XI
Un statut de membre permanent au conseil de sécurité des nations unies : une
position de droit tout assumée
Épilogue
Références bibliographiques
Le Sénégal aux éditions L’Harmattan
Adresse


LE SÉNÉGAL
AUX ÉDITIONS L’HARMATTAN

Dernières parutions

L’ESTHÉTIQUE SOCIALE DES PULAAR
Socioanalyse d’un groupe ethnolinguistique
Sy Harouna
L’esthétique sociale pulaar est une mise en ordre éthique de la vie sociale. Elle est l’inventaire systématique
de ce qu’il y a de beau et de laid dans le social relativement à ses valeurs, à ses normes, à ses règles et à ses
codes qui commandent des postures, des relations, des rapports et des qualités appropriés. L’analyse des
contradictions de la société pulaar du Fuuta Tooro a révélé des logiques et des stratégies fondées sur des
rapports de castes et sur les représentations sociales que ces rapports produisent.
(31.00 euros, 304 p.)
ISBN : 978-2-343-11189-6, ISBN EBOOK : 978-2-14-002810-6
LE BAYNUNK GUNAAMOLO, UNE LANGUE DU SUD DU SÉNÉGAL
Analyse phonologique, morphologique et syntaxique
Diop Sokhna Bao – Préface de Denis Creissels
Le Sénégal est un pays multilingue avec des langues majoritaires et des langues minoritaires, de par le
nombre de leurs locuteurs, mais également de par la quantité de travaux dont chacune dispose. Les langues
majoritaires ont fait l’objet de nombreuses recherches, à la différences des langues minoritaires. Ce constat
est à l’origine du choix porté sur la description de la variante gunaamolo du baynunk (parlé au sud du
Sénégal, plus précisément à Niamone, dans la région de Ziguinchor) qui est une langue en danger très peu
décrite. L’utilité et l’intérêt de ce travail résident dans la sauvegarde et la connaissance de cette langue et sa
communauté. Elle peut servir aussi de référence à des recherches futures.
(Coll. Études africaines, 38.50 euros, 392 p.)
ISBN : 978-2-343-09614-8, ISBN EBOOK : 978-2-14-002913-4
DE L’HÉRITAGE ARABO-ISLAMIQUE SAINT-LOUISIEN
Une illustration par les œuvres d’Abbas Sall et d’Abdoulaye Fall Magatte
Fall Cheikh Tidiane – Préface de Samba Dieng et Postface de Mouhamed Habib Kébé
Cet ouvrage porte sur la réhabilitation du legs culturel arabo-islamique ouest-africain en général et saint-
louisien en particulier. Revaloriser un pan du patrimoine culturel par l’entremise de l’imagination poétique
locale de deux intellectuels demeure l’objectif principal de cette étude. Une partie descriptive constituée de
la traduction d’une cinquantaine de poèmes suivie d’un volet analytique constitue la méthodologie de ce
travail de recherche. La moisson tirée de ce travail préliminaire apporte quelques éclairages sur l’intérêt de
la traduction de manuscrits arabes, notamment ceux produits par d’éminents ulémas du Sénégal, tels les
deux poètes faisant l’objet de cette étude.
(Harmattan Sénégal, 35.00 euros, 340 p.)
ISBN : 978-2-343-11306-7, ISBN EBOOK : 978-2-14-003014-7
L’AGRICULTURE DU SÉNÉGAL SOUS LA COLONISATION
Diop Ismaïla
L’introduction de l’arachide au Sénégal au début du XXe siècle révolutionne le paysage agricole. La France
décide alors de faire du Sénégal une colonie arachidière. Le Sénégal devient la troisième puissance
arachidière du monde après les États-Unis et l’Inde. Cette monoculture extensive aboutit à un déficit vivrier
chronique, une dégradation des sols, une dépendance vis-à-vis des importations de riz en provenance
d’Asie. Pour y remédier, le rapport de la mission Roland Portères de 1952 recommande des mesures
d’aménagement du territoire, de restauration des sols, de promotion de l’agriculture intégrée sérère.
(Harmattan Sénégal, 23.50 euros, 218p.)
ISBN : 978-2-343-11129-2, ISBNEBOOK : 978-978-2-14-002836-6
CASAMANCE
À quand la paix ?
Bassène René Capain – Préface du père Nazaire Diatta
Malgré leur volonté et leur engagement affichés d’aller vers la fin du conflit armé en Casamance, la
position des parties en guerre n’a jamais réellement évolué. L’État du Sénégal se dit prêt à négocier sur tous
les points, sauf sur ceux relatifs à l’intégrité territoriale et l’unité nationale, alors que, de son côté, le MFDC
soutient une position contraire en déclarant être disposé à ne négocier que sur la question se rapportant à
l’indépendance totale de la Casamance. Cette situation montre que le conflit armé est encore loin de finir en
Casamance.
(28.50 euros, 276p.)
ISBN : 978-2-343-10426-3, ISBN EBOOK : 978-2-14-002593-8
PARCOURS D’UN JOURNALISTE AUTODIDACTE
Ndiaye Pape Ngagne – Préface de Mamoudou Ibra Kane
Pape Ngagne Ndiaye, par son style, est devenu un rendez-vous incontournable de l’espace audiovisuel
sénégalais. L’émission « Faram Faccce » qu’il anime présentement sur TFM est très courue des hommes et
femmes politiques pressés de se soumettre au feu roulant et nourri des questions du redoutable interviewer,
unique dans son genre. Ce livre n’est pas seulement une autobiographie, mais aussi une réflexion
thématique et une sélection rigoureuse de certains numéros de la célèbre émission qui se veut « un
décryptage des questions majeures de l’actualité nationale ».
(37.00 euros, 360 p.)
ISBN : 978-2-343-09916-3, ISBN EBOOK : 978-978-2-14-002822-9
DES FRANCENABE AUX MODOU-MODOU
L’émigration sénégalaise contemporaine
Fall Papa Demba – Préface du Professeur Abdoulaye Bara Diop
Principalement centré sur la France et ses anciennes colonies d’Afrique, le champ migratoire sénégalais
s’est, de manière originale, progressivement étendu à des destinations naguère méconnues ou peu
fréquentées (comme les États-Unis, l’Italie, l’Espagne, l’Afrique du Sud ou le Brésil). Peu à peu, les
migrants sont devenus des acteurs incontournables du développement. La prise en compte de ces
populations, et de leurs mouvements, devient donc nécessaire aux programmes et politiques de
développement durable.
(Harmattan Sénégal, 40.00 euros, 559 p., Illustré en noir et blanc)
ISBN : 978-2-343-1079 6-7, ISBN EBOOK : 978-2-14-002539-6
« DOYEN » AMADY ALY DIENG, LE TRANSMETTEUR INTÉGRAL (1932-2015)
Économie biographique ou sémio-Histoire
Ngaïdé Abdarahman e
Amady Ali Dieng nous a quittés il y a un an. Pour lui rendre hommage et s’en rappeler les enseignements,
l’auteur de cet ouvrage a décidé de compiler ses nombreux écrits ou interventions. Les quatorze textes qui
composent cette anthologie sont représentatifs et significatifs de la personnalité, du style et des
préoccupations d’Amady Ali Dieng. On y retrouve son style, son humour et son esprit critique.
(Harmattan Sénégal, 23.50 euros, 228 p., Illustré en noir et blanc)
ISBN : 978-2-343-10855-1, ISBN EBOOK : 978-2-14-002561-7
41 RULES TO BE HAPPY
Kane Babaly
Seeing that happiness is the goal towards which all men strive for, the author wrote this book to help the
reader in treasuring the joyous of life and realizing his desires in entirety, to be fulfilled, to claw his way to
the top and to assure him it will turn out well in the end. Moreover, this book intends to give the keys us to
get the secret for reaching we want in this life. 41 rules to be happy is a little self help book which has 41
rules that are meant to allow every reader to live life in full potential. (Harmattan Sénégal, 14.50 euros, 138
p.)
ISBN : 978-2-343-10904-6, ISBNEBOOK : 978-2-14-002583-9
SÉNÉGAL
Les limites du Plan Sénégal Émergent
Mansour Samb El Hadji
Cet ouvrage présente une analyse profonde des politiques publiques en décortiquant le Plan Sénégal
Émergent (PSE) qui jusque-là n’a fait l’objet d’aucune analyse critique sérieuse. Le Sénégal est face à un
défi, le défi de son émergence, un défi qu’il compte relever avec tous ses fils. Ce défi qui mobilise
aujourd’hui tout le monde doit nous pousser à proposer de nouveaux chemins et à animer un débat
nécessaire et incontournable dans tout processus d’émergence.
(Harmattan Sénégal, 27.00 euros, 276p.)
ISBN : 978-2-343-09721-3, ISBN EBOOK : 978-2-14-002372-9
SÉNÉGAL
Dynamiques paysannes et souveraineté alimentaire
Le procès de production, la tenue foncère et la naissance d’un mouvement paysan
Diop Amadou Makhouredia – Préface d’Yves Guillermou ; Postface de Fodé Niang
Le présent ouvrage contribue à la compréhension des stratégies développées par la petite paysannerie et les
dynamiques qui animent les exploitations agricoles familiales permettant la production de biens nécessaires
à l’alimentation et l’entretien des familles. La capacité des paysans à prendre en main leurs propres
préoccupations a été mise en évidence par l’émergence d’organisations, de groupements, d’associations et
d’unions dans tout l’espace rural sénégalais. (Harmattan Sénégal, 26.00 euros, 256 p.)
ISBN : 978-2-343-10852-0, ISBN EBOOK : 978-2-14-002457-3
HISTOIRE ET SOCIOLOGIE DES RELIGIONS AU SÉNÉGAL
Tamba Moustapha
Le Sénégal reste une exception dans le domaine religieux : 90 % de musulmans, 5 % de chrétiens et 5 %
d’adeptes de l’animisme. C’est aussi le pays où les musulmans et les catholiques partagent le même
cimetière, où les conjoints partagent des religions différentes, où les écoles privées catholiques comptent 60
à 70 % d’élèves de confession musulmane, etc. Ce phénomène n’est pas dû au hasard. L’histoire et la
sociologie des religions permettent de l’expliquer amplement. Cet ouvrage souligne cette exception
sénégalaise pour montrer qu’au moment où notre monde est en proie au fanatisme, à l’intolérance et au
terrorisme religieux, le Sénégal propose un autre « modèle ».
(Coll. Études africaines, série Economie, 41.00 euros, 426 p.)
ISBN : 978-2-343-10424-9, ISBN EBOOK : 978-2-14-002506-8
FIGURES DU POLITIQUE ET DE L’INTELLECTUEL AU SÉNÉGAL
L.S. Senghor – M. Dia – A. Ly – CH. A. Diop A. Diouf & F. Mitterrand – J.R. De Benoist – A. Seck –
TH. Fall – A. M. Samb – A.M. Samb JR – TH. Monod – H. Bocoum – G. R. Thilmans
Samb Djibril
Cet ouvrage réunit des personnalités politiques et/ou intellectuelles très diverses : Léopold Sédar Senghor,
l’Immortel Noir ; Mamadou Dia, le brillant économiste ; François Mitterrand et Abdou Diouf, deux experts
politiques, ou encore Théodore Monod, le savant probe. Ces figures sont autant de coryphées auxquels
l’auteur a voulu rendre hommage, afin de rappeler que la terre africaine du Sénégal ne manque pas de
princes de l’esprit ni de nourriture intellectuelle.
(26.00 euros, 266 p.)
ISBN : 978-2-343-10731-8, ISBN EBOOK : 978-2-14-002513-6
TÉLÉVISIONS AU SÉNÉGAL
Entre désert de contenu et sécheresse intellectuelle
Djimbira Cheikh Mouhamadou
« Il faut lire ce livre en considérant qu’il a été sciemment écrit dans l’intention de nuire à la société
spectaculaire. Il n’a jamais rien d’outrancier. » Cette pensée de Guy Debord nous permet de comprendre à
bien des égards, l’ouvrage de Cheikh Mouhamadou Djimbira qui est un plaidoyer pour la création de
programmes audiovisuels de qualité.
(11.50 euros, 80 p.)
ISBN : 978-978-2-343-10790-5, ISBN EBOOK : 978-978-2-14-002528-0
UN SCOUT SÉNÉGALAIS
L’aventure citoyenne (deuxième édition)
Ndene Pascal – Préface de Jacques Moreillon
Lorsque nous parlons de l’adolescence, nous évoquons l’autonomie, la responsabilisation, la citoyenneté, le
jeu, les relations avec les parents et avec les pairs. Toutes ces questions sont abordées dans ce livre qui
montre avec humour le parcours éducatif d’un adolescent dans le scoutisme. Ce livre s’adresse à tous les
jeunes, garçons et filles, aux parents et éducateurs de tout milieu social et culturel, ainsi qu’à tous les scouts
et guides du monde.
(14.00 euros, 124 p.)
ISBN : 978-2-343-10965-7, ISBN EBOOK : 978-2-14-00252 6-6
LA PENSÉE DE CHEIKH AHMADOU BAMBA FACE AUX DÉFIS AFRICAINS
Sow Cheikh Mar
Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké a su déterminer une nouvelle vision aux yeux de ses contemporains en
formulant d’une façon très claire des idées novatrices capables de faire bouger le peuple. Cette conception
de la société dans sa globalité a permis « à chaque individu de devenir un centre d’initiative, de création et
de responsabilité à tous les niveaux : celui de l’économie, de la politique, de la culture ; une conception qui
ne soit ni individualiste, ni totalitaire mais fondée sur les communautés de base ».
(Harmattan Sénégal, 24.00 euros, 238 p.)
ISBN : 978-2-343-10021-0, ISBN EBOOK : 978-2-14-0022 84-5
LE MODERNISME EN ISLAM
Introduction à la pensée de Sayyid Amir Ali
Diagne Mbengue Ramatoulaye
« Les thèmes abordés par le Professeur Ramatoulaye Diagne dans sa lecture de la pensée d’Amir Ali ont
tous un lien indéfectible avec le pluralisme et la paix. (…) Dans la lecture de son ouvrage, on arrive à
comprendre que le modernisme d’Amir Ali est une sorte de renouveau dans la pensée islamique. C’est un
mouvement d’intellection qui intègre, dans une cohérence architecturale, l’usage de la raison, l’esprit du
soufisme pratique ghazalien et la finalité de la prière qui concilie l’ascèse de l’âme à la transformation
positive des sociétés. » Abdoul Aziz Kebe, Ancien Chef du Département d’Arabe UCAD-DAKAR.
(Harmattan Sénégal, 15.00 euros, 144 p.)
ISBN : 978-2-343-09977-4, ISBN EBOOK : 978-2-14-002211-1
MA RENCONTRE AVEC ALLAH
De l’obscurité à la lumière
Mbengue Adama Ousmane
Cet ouvrage traite surtout de la question essentielle du Mahdi qui vient pour apporter les solutions idoines
en s’appuyant sur la Sharia mouhammadiya et la Tariqah ahmadiya afin d’offrir à tout individu le meilleur
profil dans la société idéale qu’il compte établir.
(Harmattan Sénégal, 14.50 euros, 134 p.)
ISBN : 978-2-343-10299-3, ISBN EBOOK : 978-2-14-002277-7

Vous aimerez peut-être aussi