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Pascal Paillé / PTO – vol 18 – n°1

Changement organisationnel, résistance


et engagement des salariés.
Organizational change, resistance to change,
and employee commitment
Pascal Paillé
Département management - Faculté des Sciences de l'administration
Pavillon Palasis-Prince - Université Laval - Québec (Québec)
G1K 7P4 Canada
pascal.paille@mng.ulaval.ca
Résumé
Cette étude a pour thème central le rôle de l’engagement des salariés en contexte de changement
organisationnel. L’attrait pour ce thème est particulièrement récent. Selon certains spécialistes, il s’explique
principalement par l’incidence de l’engagement des salariés sur la réussite du changement organisationnel.
Malgré les efforts empiriques et conceptuels indéniables réalisés depuis une dizaine d’années, l’étude du rôle
de l’engagement des salariés en contexte de transformations organisationnelles est encore insuffisamment
exploitée. Pour contribuer à gagner en compréhension sur les effets du changement organisationnel sur
l'engagement des employés, cette étude propose un modèle qui intègre ceux de Coetsee (1999) et de Conner et
Patterson (1982). L’utilité de cette démarche passe par l’introduction du mécanisme d’évaluation individuelle
de l’objet sur lequel porte la transformation. Dans le cas d’une évaluation favorable, l’engagement des salariés
joue le rôle de levier et peu importe qu’il repose sur le calcul ou l’affect. Une évaluation défavorable génère un
reflux du niveau d’engagement avec pour conséquence l’émergence de résistances plus ou moins intenses,
génératrices de comportements contreproductifs (p.ex. : ralentissement du travail, retrait volontaire, déviance
professionnelle). L’étude se termine sur l’impact des pratiques de mobilisation qui est fiable à court terme et
défaillant sur le long terme. Dans une optique de maintien du niveau d’engagement des salariés, le cadre
conceptuel de l’échange social suggère préférable d’implanter l’objet du changement dans un contexte
organisationnel où la justice a préalablement été valorisée.

Abstract
This study focusses on the role of employee commitment in the context of organizational change. Despite the
undeniable empirical and conceptual efforts made over the past ten years, the study of the role of employee
commitment in the context of organizational change has been overlooked. In order to better understand the
effects of organizational change on employee commitment, this paper built a model that aggregates the
previous models of Coetsee (1999) and Conner and Patterson (1982). The usefulness of this approach involves
the introduction of the mechanism of individual assessment of the object to which the transformation. In the
case of a positive assessment, employee engagement acts as a lever and whatever it is based on the calculation
or affect. An unfavorable assessment diminishes the level of engagement with the consequence of emergence
of resistance, generating counterproductive behaviors (eg, low performance, voluntary withdrawal, deviance).
The study concludes by introducing the possible role of high-engagement practices. With a view to
maintaining the level of employee commitment, the conceptual framework of social exchange suggests to
implement the change in an organizational context in which premises change are valorized.

Mots-clefs : Engagement des salariés, transformation organisationnelle, résistances au changement,


comportements au travail
Key words: employee commitment, resistance to change, organizational change.

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1. Introduction

Les organisations modernes fondent en partie leur


développement sur une ambiguïté. Elles doivent procéder régulièrement à
des changements pour s’adapter aux évolutions de leurs environnements
socioéconomiques tout en préservant l’engagement de leurs salariés.
Alors que l’engagement des salariés est parfois présenté comme un des
facteurs clefs sur lequel repose la réussite d’un projet de changement
organisationnel (p.ex. : Armenakis & Bedaien, 1999 ; Conner et
Patterson, 1982 ; Fabi, Martin & Valois, 1999), il apparaît toutefois que
l’exigence d’adaptation continue a pour corollaire direct une modification
en profondeur des rapports professionnels qui rend difficilement
compatible le maintien du niveau d’engagement des salariés (Cappelli,
2000). Cette ambiguïté interroge la capacité de l’individu dans son
identité d’employé de composer avec la transformation planifiée (c’est-à-
dire issue d’une décision managériale à visée stratégique dans un but
réactif pour par exemple opérer un recentrage des activités de production,
ou proactif pour par exemple prendre un avantage concurrentiel sur un
marché). Quel que soit le but visé, pour un employé donné la
transformation induit une évolution de son environnement de travail.
Bien plus qu’une simple réaction à l’environnement, l’action donne les
moyens à l’individu de procéder à un ajustement de ses capacités en
mobilisant tout type de moyens et de ressources (Costalat-Fourneau,
2008). Comme le détaille plus loin cet article, la capacité des employés à
s’adapter au changement planifié passe par l’action. Face au changement
planifié de son environnement de travail, l’employé (ré)agit dans le but
de préserver la part de son activité qu’il perçoit comme étant la plus
sujette à la menace. Ce qui plus loin fera référence plus directement à la
mobilisation de formes de résistance plus ou moins prononcées selon le
degré d’ajustement visé. La revue de littérature en appui de cet article
révèle finalement l’existence d’une large gamme de réactions possibles,
laissant suggérer à tout observateur que les employés utilisent les
comportements au travail comme des ressources en réaction au
changement organisationnel lorsqu’ils perçoivent que le contexte
d’emploi évolue à leurs dépens.
L’engagement des salariés et le changement organisationnel sont
respectivement à l’origine d’une abondante littérature. Malgré cela, il est
surprenant de constater que l’étude de leurs liens, à un niveau empirique
et conceptuel, demeure encore aujourd’hui insuffisamment développée et
reste un phénomène mal connu. Même si depuis le début des années 1990
on constate une progression sensible du nombre des publications sur ce
thème, des progrès restent à réaliser pour mieux comprendre le rapport
entre la résistance au changement et l’engagement des salariés. Dans le
compte rendu de sa recherche sur l’évolution des habitudes alimentaires,

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Lewin a effleuré le lien entre la résistance et l’engagement3. Selon ce


dernier, le degré de résistance d’une personne est directement fonction de
son niveau d’engagement envers le groupe social d’appartenance. Rares
sont les études qui se sont inspirées de cette proposition pour étudier de
façon systématique la relation entre la résistance et l’engagement des
salariés en contexte de changement organisationnel. Cette étude se
propose donc d’améliorer la compréhension du rôle de l’engagement des
salariés en contexte de changement organisationnel. Son but n'est pas de
proposer un modèle supplémentaire. L’objectif consiste en revanche à
unir les deux principaux modèles conceptuels (ceux de Conner &
Patterson, et de Coetsee) qui traitent de la relation entre le changement
organisationnel, la résistance au changement et l’engagement des
salariés. Cette démarche d’intégration nous permettra d’examiner en
détail le lien entre l’engagement et la résistance sous l’angle des
comportements au travail.

1. Résistance et engagement de salariés en contexte de changement


organisationnel : une complémentarité négligée.

La résistance au changement a longtemps été étudiée comme le


principal mode de réaction des salariés à la transformation de leur
entreprise. Selon certains auteurs, elle constitue même un invariant
anthropologique dans le discours managérial sur le changement des
organisations (de Coninck, 1998). Bien que soumise ces derniers temps à
d’importantes critiques quant à sa capacité prédictive (p.ex. : Bareil &
Savoie, 1999 ; Fabi, Martin, & Valois, 1999), la résistance au
changement continue d’être exploitée comme une variable plus ou moins
centrale dans les modèles de changement (p.ex. : Armenakis & Bedeian,
1999 ; Coetsee, 1999 ; Judson, 1991). Le concept de résistance au
changement a été initialement forgé par Lewin, puis étudié par Coch et
French (1948) en milieu industriel, pour décrire des conduites plus ou
moins explicites par lesquelles les personnes s’opposent à l’évolution de
leur environnement. Depuis les travaux de Lewin, la résistance au
changement a fait l’objet de nombreuses interprétations. Selon la
sensibilité disciplinaire des auteurs, elle résulte de l’émergence de
l’anxiété et de l’angoisse générées par l’évolution des structures, de la
perte de pouvoir liée à la refonte des zones d’incertitude, de la perception
d’une rupture du contrat psychologique lorsque le changement modifie le
cadre d’emploi, etc. (p. ex. : Bernoux, 1985 ; Crozier & Friedberg, 1977 ;
Jaques, 1996 ; Strebel, 2000). Bien qu’il existe dans la littérature de
nombreuses causes qui expliquent les raisons pour lesquelles les

3 Voir notamment K. Lewin, Décision de groupe et changement social, in Lévy A.

(1996). Psychologie Sociale. Textes fondamentaux anglais et américains. Paris : Dunod.

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personnes résistent au changement, Fabi, Martin, et Valois (1999, p. 103)


estiment que "contrairement à certains préjugés tenaces, peu de cas
d'échec analysés semblent principalement attribuables aux soi-disant
résistances au changement des employés". Pour Bareil et Savoie (1999)
le concept de résistance au changement pose problème pour plusieurs
raisons qui tiennent (1) à l’incapacité d’identifier avec exactitude au
cours du processus de changement le moment où se manifestent les
résistances, (2) à l’inexistence de méthodes fiables permettant de les
mesurer, (3) à leur appréciation qui est le plus souvent indirecte (basé sur
le discours d’un tiers), (4) au fait que le phénomène pour être connu, est
malgré tout le plus souvent volontairement ignoré par les dirigeants, (5) à
la maîtrise d’un savoir-faire méthodologique spécifique où le temps
occupe un rôle central (études dites longitudinales). La résistance est
souvent perçue comme une réaction négative. Toutefois, selon certains
auteurs (p.ex. : Collerette, Delisle, & Perron, 2000), la manifestation et
l’expression des résistances ne constituent pas nécessairement un
obstacle au changement. Elles sont une voie d’accès permettant la
compréhension des aspects du changement qui posent le plus de
problèmes aux salariés.
Conner et Patterson (1982) estiment que pour comprendre les
écarts d’efficacité qui résultent d’un changement organisationnel,
appréciés par exemple en termes d’insatisfaction de la clientèle, de
mécontentement des salariés ou de sanctions des marchés financiers, il
est important de distinguer les phases du processus concernées par
l’implantation du changement des phases de réalisation. Pour cela, les
deux chercheurs ont développé un modèle qui s’apparente chez les
salariés à un algorithme décisionnel à l’égard de l’objet du changement.
Cet algorithme est représenté dans le schéma 1 par le processus vertical
qui conduit du contact et de la prise de conscience à l’internalisation de
l’objet du changement. Si ces derniers restent vagues sur ce qu’il
convient d’entendre par « objet du changement », nous pouvons à partir
de la littérature spécialisée en proposer une première approche. Ainsi, le
changement dans une organisation peut-il porter sur des objets aussi
différents qu’une réorganisation des postes de travail (Lapointe, 1995),
que l’implantation d’une démarche qualité (Coyle-Shapiro & Morrow,
2003), qu’un réengineering (Hammer & Champy, 1993), qu’une
délocalisation (Angle & Lawson, 1993), qu’une restructuration avec
(Isaksson & Johannson, 2003) ou sans compression d’effectif (Thompson
& Van de Ven, 2002), etc. Dans la suite, nous resterons volontairement à
ce niveau de généralisation car le thème central de cette étude ne porte
pas la nature du changement mais sur les réactions qu’il suscite chez les
salariés.
Selon Conner et Patterson (1982) les salariés manifestent de la
résistance une fois seulement avoir mentalement « franchis » le seuil de

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disposition (cf. schéma 1). C’est-à-dire, d’une part, lorsqu’ils sont en


mesure de donner du sens à l’objet sur lequel porte le changement de leur
organisation, et, d’autre part, à partir du moment où cet objet incarne à
leurs yeux une menace plus ou moins importante. En deçà du seuil de
disposition, les personnes ne semblent pas affectées non pas parce que le
changement n’a pas d’effet, mais tout simplement parce qu’elles ne
prennent pas conscience de sa portée. Par ailleurs, les personnes sont
susceptibles de résister tant qu’elles n’ont pas « mentalement franchi » le
seuil d’engagement et par conséquent tant quelles n’ont pas internalisées
l’importance de l’objet du changement. Ainsi, selon Conner et Patterson,
la résistance des salariés se manifeste sous des formes diverses qui
varient de la réduction de la productivité, au comportement volontaire
d’absentéisme, aux griefs infondés ainsi qu’aux actes de sabotage non
dissimulés. En accord avec Hultman (1995), ces différentes conduites
caractérisent des symptômes de résistance au changement. Toutefois, il
nous semble raisonnable de souligner qu’il y a une différence entre
manifester son désaccord par de l’absentéisme ou de l’exprimer par des
actes déviants. L’absentéisme peut s’apparenter pour une personne à une
modalité lui permettant de faire face à un environnement professionnel
perçu comme stressant (Martocchio & Jimeno, 2004), tandis que la
déviance peut résulter par exemple de la frustration induite par la
perception du sentiment d’injustice lié aux décisions managériales qui
résultent d’une restructuration (Neuman & Baron, 1998). L’absence
volontaire et les déviances professionnelles reflètent certes des
comportements distincts, mais ils peuvent être néanmoins analysés
comme des modalités individuelles d’adaptation au changement (Jaffe,
Scott, & Todd, 1994). Pour le dire autrement, ces comportements peuvent
refléter des degrés plus ou moins élevés de résistance. Mais dans leur
modèle, Conner et Patterson n’ont pas été aussi loin. Il est donc important
de différencier ces comportements et de les attribuer à des formes
spécifiques de résistance. On trouve une telle proposition dans un modèle
plus récent développé par Coetsee (1999).
Le modèle élaboré par Coetsee (1999) examine le lien entre la
résistance et l’engagement de manière plus systématique que Conner et
Patterson. Il repose sur l’idée de l’existence d’un continuum au sein
duquel la résistance, marquant le rejet des personnes pour le changement,
et leur engagement, révélant leur acceptation, constituent deux polarités
opposées. L’intérêt du propos de Coetsee est double. Il réside en premier
lieu dans son approche de la notion de résistance qui est graduée pour
tenir compte de la manière dont les salariés peuvent réagir au
changement de leur organisation. En second lieu, le propos du chercheur
permet d’associer à chacune des formes de résistance des comportements
envers l’organisation. Dans ce cas, elles constituent des modalités
individuelles d’adaptation au changement. Ainsi, la résistance peut-elle

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revêtir les formes apathique, passive, active ou agressive. La résistance


apathique correspond à un état psychologique particulier qui se manifeste
par un désintérêt généralisé à l’égard de l’objet sur lequel porte le
changement organisationnel. La résistance passive renvoie selon
l’expression de Coetsee « à une opposition douce » qui repose sur une
perception négative du changement. Les personnes donnent leur point de
vue et, selon le cas, expriment leur désaccord sous une forme verbale en
déclarant éventuellement leur intention de quitter l’organisation. La
résistance active se différencie principalement de la résistance passive
par la magnitude des manifestations comportementales. Elle répond à
l’idée « d’opposition forte ». Dans ce cas, les réactions sont plus
affirmées. Comme le suggère Coetsee (1999), les protestations verbales
sont plus véhémentes et parfois accompagnées d’un ralentissement
volontaire du travail ou du processus de fabrication. De plus, le retrait
n’est plus seulement intentionnel, il se manifeste sous la forme de retard,
d’absence ou de départ réels. La résistance active traduit le passage de
l’intention à l’action. De ce point de vue, l’acte de retrait véhicule du
sens. Il correspond pour une personne à une réponse comportementale
qui lui permet de faire face à un environnement professionnel perçu
comme nuisible (Gupta & Jenkins, 1983). Enfin, la résistance agressive
s’exprime par l’émergence d’erreurs volontaires dans le travail. Elle
marque un pas important dans la nature des revendications individuelles
ou collectives envers le changement qui s’apparentent à des conduites de
déviance professionnelle. La déviance professionnelle se manifeste de
multiples façons. Il peut s’agir d’erreurs délibérées dans le travail, de
l’apparition d’actes de sabotage envers l’organisation ou d’actes de
violence envers les collègues (p.ex. : Coetsee, 1999 ; Conner &
Patterson, 1982).
Les modèles de Conner-Patterson et de Coetsee sont convergents.
Ils offrent une grille de lecture qui rend plus intelligibles les réactions des
salariés, en permettant notamment de comprendre les modalités
d’adaptation individuelle au processus de changement. Ces deux modèles
abordent notamment les comportements de retrait et de déviance en
termes de manifestations symptomatiques des résistances. Selon la
définition donnée par un dictionnaire de langue française, le symptôme
correspond à un signe révélateur d’un état pathologique. Le désaccord
verbal, le retrait ou la déviance s’apparentent alors à des signes
révélateurs du degré de résistance des employés au changement de leur
organisation. Les comportements en sont des indicateurs manifestes. Ils
sont donc directement observables et offrent un accès à la forme de
résistance qui elle reste confinée à l’état latent. Bien que les modèles de
Conner-Patterson (1982) et de Coetsee (1999) donnent la possibilité de
mieux comprendre les réactions individuelles et les modalités
d’adaptation des personnes au changement, ils achoppent selon nous sur

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deux points. Premièrement, les deux modèles entretiennent une confusion


sur le rôle de l’engagement organisationnel. Pour Coetsee, l’engagement
est synonyme d’acceptation du changement. Chez Conner et Patterson,
l’internalisation de l’objet du changement, c’est-à-dire son appropriation
définitive par les salariés, se confond même avec l’achèvement de la
construction de leur engagement envers le changement. On trouve
également cette dernière idée dans le modèle plus récent de Armenakis et
al. (1999). Si nous partageons l’idée d’un lien entre le changement
organisationnel et l’engagement des salariés, il nous semble en revanche
que ces derniers peuvent être engagés sans pour autant accepter le
changement de leur organisation. Ce qui nous permet d’en venir à la
deuxième limite. Des recherches empiriques sur lesquelles nous
reviendront plus bas, fournissent régulièrement des données qui montrent
la nature des relations entre l’engagement des salariés et la plupart des
symptômes comportementaux liés aux différentes formes de résistance au
changement. En somme, l’examen du rôle de l’engagement des salariés
dans les processus de transformation organisationnelle doit être
approfondi puisqu’il peut stimuler ou affecter la réussite de
l’implantation de l’objet de changement. A partir de ces remarques
préliminaires, nous proposons d’intégrer les modèles de Conner-
Patterson et de Coetsee (1999) en vue de proposer un modèle élargi qui
permette de mieux apprécier le rôle de l’engagement des salariés en
contexte de changement organisationnel. Les conditions d’application
sont développées dans la section suivante.

3. Résistance et engagement de salariés en contexte de changement


organisationnel : de la diversité à l’intégration des modèles

L’objet de la présente section est de répondre aux besoins de


l’élargissement évoqués précédemment en procédant à l’intégration des
modèles de Conner-Patterson et de Coetsee (schéma 1) afin d’améliorer
la compréhension du rôle de l’engagement des salariés dans les processus
de changement organisationnel. Néanmoins, avant cela, plusieurs
aménagements préalables sont nécessaires.

3.1. Quatre aménagements préalables à l’unification des modèles de


Conner-Patterson (1982) et de Coetsee (1999).

Le premier aménagement proposé concerne la définition de


l’engagement organisationnel. Dans leur modèle respectif, Conner et
Patterson et Coetsee retiennent pour l’essentiel une approche affective de
l’engagement des salariés envers l’organisation. Ce faisant, sans
totalement les ignorer, ils négligent le rôle des approches fondées sur la
norme et le calcul. La littérature sur l’engagement organisationnel est

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actuellement dominée par le modèle élaboré par Meyer et ses


collaborateurs (1991, 1996, 2001). Ces derniers définissent l’engagement
comme une force liante entre un salarié et un cours d’action en rapport
avec une ou plusieurs cibles (Meyer & Herscovitch, 2001). Bien que
l’équipe, le manager, la profession fassent l’objet d’un attrait récent
(p.ex. : Becker & Billings, Eveleth, & Gilbert, 1996 ; Bishop, Dow Scott,
& Burroughs, 2000 ; Meyer, Allen, & Smith, 1993 ; Stinglhambler &
Vandenberghe, 2002), l’organisation demeurent encore aujourd’hui la
principale cible étudiée. Dans ce cas, la force liante repose sur l’affect, le
calcul ou la norme. L’engagement affectif résulte du partage des valeurs
et des objectifs de l’organisation. Cette approche converge avec celles de
Conner et Patterson et Coetsee. L’engagement calculé (ou continu pour
reprendre le vocabulaire de Meyer et ses collaborateurs) renvoie aux
coûts individuels perçus par le salarié s’il décide de quitter son
organisation pour une autre. Ce coût est associé à la perte des avantages
professionnels accumulés avec le temps. L’engagement de continuité
envers l’organisation s’apprécie depuis McGee et Ford (1987) en termes
de « sacrifices élevés » et de « faibles alternatives ». Le sacrifice consenti
par le salarié démissionnaire est élevé lorsque les avantages accumulés ne
sont pas ou faiblement transférables. Il est faible dans le cas contraire. La
faiblesse des alternatives d’emploi peut freiner les velléités de démission
et inciter fortement le salarié à rester membre de son organisation. Ces
deux dimensions sont régulièrement observées d’un point de vue
empirique (p.ex. : Bentein, Vandenberghe, & Dulac, 2004 ; Jaros, 1997).
Comme on peut le remarquer, la perception d’un sacrifice élevé ou
d’alternatives faibles amène une personne à rester membre de son
organisation pour des raisons différentes. Enfin, l’engagement normatif
renvoie chez un salarié aux notions de loyauté et de conduite morale
envers l’employeur. Il se fonde sur le sentiment d’obligation du salarié à
l’égard de son employeur. L’engagement normatif résulte de
l’internalisation des normes par la socialisation, de la réception de
bénéfices divers, et du besoin de réciprocité éprouvé à l’égard de
l’organisation ou un de ses membres. Le premier aménagement envisage
donc d’associer le calcul et la norme à l’affect pour l’étude de
l’engagement des salariés en contexte de changement organisationnel.
Le deuxième aménagement concerne l’évaluation de l’objet du
changement par les salariés. Cet aspect a été négligé dans le modèle de
Conner-Patterson (1982) et celui de Coetsee (1999). L’évaluation est un
processus qui met en jeu des critères affectifs ou cognitifs par lequel une
personne examine les écarts perçus entre ce qu’elle attend et ce qu’elle
obtient de son environnement professionnel. L’évaluation produit deux
résultats qui ont une incidence non négligeable sur les conduites futures
de l’individu (Bagozzi, 1992). L’évaluation est positive lorsque l’écart
est faible et négative dans le cas contraire. Les chercheurs admettent

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désormais la similitude entre l’évaluation et la satisfaction (p.ex. : Weiss,


2002). Les évaluations positives et négatives sont donc les reflets
respectifs de la satisfaction et de l’insatisfaction. Ainsi, l’objet du
changement peut-il donner lieu à une évaluation positive s’il présente des
sources de satisfaction et inversement produire une évaluation négative
s’il est à l’origine d’une insatisfaction. Dans le processus décrit par
Bagozzi (1992), l’évaluation déclenche une réponse émotionnelle qui à
son tour engendre une intention de faire face. Selon Testa (2001), la
réponse émotionnelle et l’intention de faire face s’apparentent
respectivement à l’engagement et aux comportements des salariés.
Appliquée au thème qui nous occupe, l’évaluation positive de l’objet du
changement stimule l’engagement des salariés et cause des
comportements au travail productifs ; l’évaluation négative de l’objet du
changement affecte l’engagement des salariés et entraîne des
comportements contreproductifs.

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Le troisième aménagement concerne les modalités d’adaptation


retenues par les salariés pour faire face à l’objet du changement si leur
évaluation est négative. L’argument majeur de Coetsee (1999) repose sur
l’idée de l’existence d’un continuum au sein duquel l’intensité de la
résistance décroît avec le degré d’acceptation du changement. Plus
l’individu résiste au changement plus le mode d’adaptation tend vers des
comportements déviants. Un tel modèle induit une approche graduelle,
raisonnée et universaliste des réactions individuelles au changement.
Dans une telle configuration, une fois le seuil d’acceptation franchit
(schéma 1), on devrait par exemple observer un pic d’absentéisme ou
éventuellement des démissions massives. Les rares données empiriques
longitudinales disponibles montrent au contraire que les démissions
volontaires s’égrainent avec le temps (Iverson & Pullman, 2000). En
accord avec Griffeth, Gaertner, et Sager (1999), il apparaît qu’un même
événement organisationnel peut être perçu et interprété différemment
d’une personne à une autre. Telle personne peut ressentir une menace là
où une autre voit une opportunité. Il nous semble raisonnable de dire que
le degré de résistance (apathique, passive, active ou agressive) et les
comportements associées dépendent étroitement de l’intensité de la
menace perçue par le salarié une fois avoir évalué l’objet du changement.
Enfin, un quatrième aménagement concerne l’intégration des
comportements productifs (p.ex. : efficacité au travail et citoyenneté au
travail) dans le modèle. Même si Conner et Patterson et Coetsee
n’évacuent pas les conduites efficaces de leur modèle respectif, ils
accordent une part nettement plus importante aux comportements
contreproductifs (p.ex. : ralentissement dans le travail, retrait et déviance
professionnelle).

3.2. De l’évaluation de l’objet du changement aux conduites des


salariés

Comme le suggère le modèle d’adaptation (cf. schéma 1), il


découle de l’évaluation trois réactions intimement liées à la décision du
salarié de soutenir ou non l’objet du changement. Ils correspondent à
l’acceptation, au rejet et à l’indifférence. L’acceptation et le rejet
renvoient aux polarités décrites par Coetsee. Elles se situent
respectivement de part et d’autre du seuil d’engagement envers le
changement. Pour sa part, l’indifférence se situe en deçà du seuil de
disposition et rejoint dans son esprit l’étape initiale du modèle de
Conner-Patterson. Ces trois types de réaction vont nous permettre
d’analyser le rôle de l’engagement des salariés en contexte de
transformation organisationnelle.
L’acceptation de l’objet du changement concerne les salariés
situés mentalement au-delà du seuil d’engagement envers le changement.
Le rôle de l’engagement des salariés en contexte de transformation est
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intimement lié à la force qui lie l’employé à son organisation. Comme


nous l’avons évoqué, elle repose sur l’affect, le calcul ou la norme.
Prenant appui sur une revue de la littérature portant sur le lien entre le
modèle d’engagement de Meyer et Allen et le changement par
compression de personnel, Vandenberghe (1998) souligne que les
recherches se sont principalement focalisées sur l’engagement affectif. Si
cette tendance est maintenue dans les recherches empiriques récentes
(p.ex. : Brennan & Skarlicki, 2004), elle se vérifie également sur d’autres
formes de changement telles que la réorganisation, la restructuration sans
compression d’effectif, l’implantation de démarche qualité, etc. (Paillé,
2004). Peu de données empiriques ou conceptuelles permettent encore
aujourd’hui d’apprécier les liens entre l’engagement calculé et le
changement organisationnel. Il faut reconnaître que Conner et Patterson
(1982) et Coetsee (1999) n’ignorent pas l’engagement calculé. Mais de
notre point de vue, l’analyse de son rôle reste sous-exploitée dans leur
modèle respectif. Selon Conner et Patterson (1982, p. 21), au-delà du
seuil d’engagement « les employés sont fortement engagés dans le
changement parce qu’il est congruent avec leurs valeurs, leurs buts et
leurs intérêts personnels ». Pour être brève, cette allusion n’en est pas
moins importante. Elle suggère que l’acceptation de l’objet du
changement conduit l’individu au maintien de son niveau d’engagement
affectif si la transformation ne modifie en rien les valeurs et les buts
organisationnels auxquels il adhère. Elle suggère également que le niveau
d’engagement calculé (de continuité) reste stable si l’objet du
changement ne remet pas en cause ses intérêts personnels. En d’autres
termes, peu importe que l’engagement du salarié envers son organisation
repose sur l’affect ou le calcul. Seul compte à ses yeux le fait que le
nouveau contexte d’emploi issu de la transformation de son organisation
maintienne le niveau des avantages matériels ou sociaux sur lequel se
fonde son engagement de continuité ou préserve les valeurs et les buts sur
lesquels repose son engagement affectif. Dans ce cas, selon les résultats
de la méta-analyse de Meyer, Stanley, Herscovitch et Topolnytsky
(2001), les engagements affectif et de continuité réduisent la survenue
des comportements contreproductifs (p.ex. : retrait intentionnel et réel) et
stimulent les comportements productifs (p.ex. : citoyenneté et efficacité
au travail). A partir des données consolidées fournies par cette méta-
analyse, on perçoit bien le rôle de l’engagement des salariés. Pour sa part,
la contribution de l’engagement normatif en contexte de changement
s’apprécie en termes de loyauté. Bien que le thème de la transformation
des organisations ne soit pas exposé dans les développements de
Hirschman (1995), il nous semble que dans l’ensemble ses propos
s’appliquent bien à la problématique soulevée dans la présente étude.
Dans son modèle, face à la défaillance de leur organisation, les membres
choisissent entre deux options. Soit ils font défection parce qu’ils
estiment préférable de la quitter définitivement. Soit ils restent tout en
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donnant leur point de vue avec pour objectif d’apporter leur contribution
à son redressement. Pour Hirschman, la loyauté correspond à une forme
particulière d’attachement par laquelle l’individu renonce pour un temps
aux alternatives extérieures de son organisation en échange d’une
amélioration attendue du contexte professionnel. Par extension, en
permettant de surmonter les difficultés liées à la transformation de
l’organisation, la loyauté des individus peut retarder leur décision de faire
défection. Quelle que soit la base d’attachement, affective, continue ou
normative, l’engagement des salariés permet clairement de soutenir le
changement et de contenir tout effet néfaste susceptible de compromettre
l’issue de son implantation.
Le rejet du changement découle d’une évaluation négative. Dans
ce cas, qu’il soit lié à l’incompréhension des objectifs poursuivis ou une
perception négative de ses enjeux, le contexte de transition
organisationnelle engendre des résistances d’intensité variable dont la
forme est soit passive (ralentissement des cadences de travail, intention
de retrait), active (actes réels de retrait) ou agressive (erreurs délibérées
dans le travail, actes de sabotage, violence envers les collègues). Même si
selon certains auteurs, il est possible d’établir un profil psychologique
des personnes susceptibles de commettre des actes violents (p.ex. :
Baron, Neuman, & Geddes, 1999) ou contreproductifs (p.ex. : Furnham
& Taylor, 2004), la manière dont l’individu va résister dépend en grande
partie de son interprétation de l’évolution du contexte organisationnel. En
somme, au niveau individuel la résistance au changement est un choix de
type discrétionnaire. Ainsi, comme le montre la littérature, pendant que
certains salariés manifestent leur rejet du changement organisationnel par
le retrait réel, d’autres se limitent au registre de l’intentionnalité tandis
que d’autres encore choisissent la déviance comme modalité de réponse
(p.ex. : Courcy, Savoie, & Brunet, 2004 ; Hirigoyen, 2003 ; Iverson &
Pullman, 2000 ; Neuman & Baron, 1998). Bien que se rapportant à des
formes spécifiques de résistance, la plupart des symptômes
comportementaux évoqués précédemment sont liés à l’engagement
organisationnel. Depuis de nombreuses années, les recherches empiriques
fournissent régulièrement des données qui montrent qu’un niveau
d’engagement affectif élevé envers l’organisation diminue l’intention de
retrait (Jaros, 1997), décroît la probabilité qu’un salarié s’absente
volontairement (Blau & Boal, 1987), démissionne réellement de son
emploi (Griffeth, Hom & Gaertner, 2000) et commette des actes violents
(Courcy & Savoie, 2004). Une fois de plus le rôle de l’engagement des
salariés est essentiel. Quel que soit son objet (restructuration,
réorganisation, etc.), le changement poursuit un objectif d’efficacité.
Selon leur nature, les manifestations symptomatiques de la résistance au
changement génèrent des coûts directs et indirects qui peuvent perturber
considérablement le processus d’implantation de l’objet du changement
et, à terme, avoir un impact négatif sur l’efficacité recherchée. Le retrait,
73
Pascal Paillé / PTO – vol 18 – n°1

la déviance, les diminutions des efforts au travail provoquent des effets


délétères à plus ou moins longue échéance sur la dynamique
organisationnelle. Les coûts directs sur l’efficacité organisationnelle sont
plutôt générés par les erreurs délibérées dans le travail, les actes de
sabotage ou le ralentissement des cadences de travail. Pour leur part, la
déviance, la violence, le retrait réel (ou intentionnel) provoquent des
coûts plus diffus à la nature indirecte. Notamment, parce que ces
différentes manifestations comportementales sont liées. Des données
empiriques montrent par exemple que la déviance professionnelle est
positivement associée avec l’intention de quitter l’organisation (Raelin,
1986). Les comportements de harcèlement peuvent avoir des répercutions
sur les collègues, victimes ou témoins, en termes de baisse de
productivité ou encore de démotivation (Courcy, Savoie, & Brunet,
2004 ; Mueller, De Coster, & Estes, 2001). Ces développements
permettent d’apprécier l’importance du rôle de l’engagement des salariés
durant les contextes de transformation organisationnelle. Il évite les
répercussions néfastes sur l’efficacité recherchée par l’implantation du
changement et limite l’apparition en cascade de comportements contre-
productifs.
La réaction d’indifférence est expliquée par Conner et Patterson
par la méprise envers l’objet du changement que reflètent l’inconscience
de la nécessité de changer et l’incompréhension des enjeux. Elle peut
également s’exprimer par du déni (Armenakis & Bedeian, 1999) ou du
cynisme (Reichers, Wanous, & Austin, 1997). Déni, désintérêt,
indifférence, et cynisme sont les symptômes de la résistance apathique
décrite par Coetsee (1999). La conduite apathique en contexte de travail
est parfois apparentée à une forme modérée de déviance (Griffeth,
Gaertner, & Sager, 1999). Le salarié apathique cumule un faible niveau
d’engagement envers son organisation à une forte prépondérance pour les
conduites qui relèvent du calcul (Blau & Boal, 1987).

4 Les conditions du maintien d’engagement des salariés

Comme l’indiquent les développements précédents, de


l’évaluation de l’objet du changement organisationnel découlent des
manifestations comportementales qui reflètent l’état d’esprit des
individus. Dans le cas d’une évaluation favorable, l’engagement des
salariés joue le rôle de levier. Comme nous l’avons observé, peu importe
que l’engagement repose sur le calcul ou l’affect. Une évaluation
défavorable génère un reflux du niveau d’engagement. Les conséquences
organisationnelles de ce reflux sont plus moins graves et dépendent du
degré de réaction des personnes. Bien qu’important, le rôle de
l’engagement des salariés n’en est pas moins étroitement subordonné à
l’évaluation de l’objet du changement. En contexte organisationnel quasi-
stable, la dynamique interne des organisations exige régulièrement des
74
Pascal Paillé / PTO – vol 18 – n°1

ajustements sous formes de décisions, de choix ou de politiques de


management qui bousculent sensiblement les routines individuelles et
collectives. Selon certains auteurs (Hochwater, Perrewé, Ferris, &
Guercio, 1999), l’engagement envers l’organisation agit comme un
antidote. Il permet aux salariés de surmonter les tensions qui résultent de
ces décisions notamment lorsqu’elles nécessitent de leur part une certaine
dose d’efforts.
En contexte de changement organisationnel, les données
d’environnement sont sensiblement différentes. Les tensions risquent-
elles de favoriser l’érosion de l’engagement des salariés ? En d’autres
mots, est-il possible pour une organisation de se lancer dans un processus
de changement tout en préservant l’engagement de ses salariés ? A
quelles conditions préalables l’engagement envers l’organisation peut-il
jouer le rôle d’antidote décrit par Hochwater et ses collègues en
permettant ainsi aux salariés de surmonter les conséquences
organisationnelles, sociales et psychologiques engendrées par la
transformation de leur entreprise ? Même si l’engagement envers
l’organisation est une attitude au travail relativement stable (Paillé,
2004), certaines conditions organisationnelles doivent être observées
pour préserver l’engagement des salariés.
Les pratiques de mobilisation des ressources humaines (p.ex. :
communication, formation, incitations et gratifications diverses,
accompagnement individualisé, etc.) sont souvent présentées comme une
des conditions requises pour obtenir des salariés les efforts nécessaires à
la réussite du changement organisationnel (Fabi, Martin, & Valois,
1999). Mais, il a été exposé les raisons pour lesquelles les pratiques
dédiées à la mobilisation des ressources humaines utilisées dans le but de
favoriser l’implantation de l’objet du changement ne permettent pas de
préserver l’engagement des salariés. En effet, il a été montré (Paillé,
2003) qu’en générant un champ d’emprise, les pratiques de mobilisation
permettent d’assurer la participation du personnel sans nécessairement
obtenir leur adhésion à l’objet du changement. En ce sens, si elles sont
utiles, les pratiques de mobilisation en contexte de changement ne
peuvent pas à elle seules être définies comme une condition suffisante
pour préserver l’engagement des salariés. À la lumière de certains
développements, le contexte psychologique, social et organisationnel
dans lequel est implanté l’objet du changement apparaît essentiel. Dans
une revue de question sur les relations entre le changement
organisationnel et l’engagement des salariés (Paillé, 2004), l’analyse
critique de la littérature fait ressortir l’importance de la qualité du
contexte psychosocial d’implantation. Ainsi des recherches empiriques
ont démontré que l’engagement envers l’organisation n’était pas affecté
lorsque l’employeur faisait la démonstration factuelle de sa
préoccupation pour les salariés, et ce même dans les cas de changement
les plus drastiques, c’est-à-dire les restructurations avec compression
75
Pascal Paillé / PTO – vol 18 – n°1

d’effectif. Sur la base de cette observation, il semble donc essentiel pour


une organisation d’assurer un contexte d’emploi où sont valorisées les
relations de qualité durable à tous les niveaux, entre les pairs, entre les
employés et les supérieurs, et entre les employés et l’employeur.
Pour conclure, bien que reflétant des réalités distinctes, les
développements précédents suggèrent que l’objet du changement dans
une organisation peut générer des formes de refus plus ou moins
prononcées sous la forme de résistances passives et actives, mais
également leur adhésion des salariés et leur appui. Lorsqu’une
organisation valorise les efforts de son personnel, elle crée les conditions
qui favorisent l’émergence des comportements générateurs d’efficacité
au travail. Dans le cas contraire, lorsque le changement planifié est perçu
comme une menace, la capacité des employés à s’adapter passe par
l’action. Dans le cadre de cet article, l’action a été examinée sous la
forme de comportements au travail contre-productifs du point de vue de
l’organisation, mais qui, du point de vue des employés, correspondent à
autant de moyens permettant un rééquilibrage de ses relations avec
l’employeur en termes d’avantages-contributions. Ainsi, lorsque l’objet
du changement engendre un déséquilibre par la perte de certains
avantages accumulés avec le temps, l’employé cherche des formes de
compensation (p.ex. : augmentation de l’absentéisme) qui traduit une
érosion de son engagement envers l’employeur. A ce titre, pour reprendre
à notre compte l’image de Hochwater et al. (1999), l’engagement des
salariés envers l’organisation s’avère un antidote efficace aux symptômes
de la résistance au changement seulement si l’objet du changement est
implanté dans un contexte où l’échange social a préalablement été
construit et durablement valorisé. Finalement, peu importe que l’objet du
changement concerne une restructuration avec ou sans compression
d’effectif, une évolution des buts et des valeurs de l’organisation, une
réorganisation des activités opérationnelles, une externalisation de
certaines activités ou tout simplement un changement de dirigeant, seules
des décisions justes quant à leur formalisation, leur objectif et leur
contenu comptent aux yeux des salariés.

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