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Institut Supérieur des Technologies REPUBLIQUE TOGOLAISE

…….
Et du Management Travail-Liberté-Patrie

I.S.T.M

COURS DE GESTION DU CHANGEMENT ORGANISATIONNEL


(G.C.O)

Dispensé par

ALONG Essossinam

Gestionnaire des Ressources Humaines et Enseignant de GRH

Année : 2022-2023

1
PLAN

INTRODUCTION

Chapitre 1 : GENERALITE SUR LE CHANGEMENT


ORGANISATIONNEL

Chapitre 2 : LE CHANGEMENT ORGANISATIONNEL ET


L’INFLUENCE DES TIC

Chapitre 3 : CHANGEMENT ORGANISATIONNEL ET


RÉSISTANCE DES INDIVIDUS

Chapitre 4 : COMMUNICATION INTERNE ET CULTURE


ORGANISATIONNELLE
CONCLUSION

2
Introduction
Qu'entend-on par changement organisationnel ? Le changement
organisationnel désigne le processus par lequel une organisation
améliore sa performance, quel que soit le type d'organisation
(ministères de gouvernement, organisations de producteurs, instituts de
recherche ou de vulgarisation, etc.).

Le changement des entreprises et dans les entreprises est un domaine


d’action crucial et un véritable défi managérial pour les dirigeants et les
managers intermédiaires en charge de maintenir la vitalité compétitive de
leur organisation (Vandangeon-Derumez, 1998). Toute entreprise est en
effet amenée, à un moment de son histoire, à faire face à des
transformations plus ou moins radicales de son environnement et à
s’engager dans des changements plus ou moins drastiques de ses
caractéristiques. Dans cette optique, le rôle des managers est de
maintenir une adéquation constante entre les caractéristiques de
l’environnement et les capacités de l’entreprise. Or, cet alignement est
toujours plus difficile car les ruptures externes se multiplient et
s’accélèrent ; la globalisation des marchés, l’inten- sification de la
concurrence, le développement des technologies... ont pour effet de
provoquer des renouvellements rapides et fréquents des caractéristiques
environnementales et concurrentielles. Dans un tel contexte de
turbulence, les managers sont fréquemment amenés à faire évoluer la
stratégie de l’entreprise, la structure, la culture, les pratiques
organisationnelles, les outils et techniques utilisés... pour s’adapter en
continu aux évolutions du milieu et assurer la compétitivité de la firme sur
le long terme. Cependant, le management du changement est un exercice

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délicat et un moment fortement redouté par nombre de dirigeants et
managers.

Ainsi, dans une étude menée par McKinsey en 2008, les deux- tiers des
3199 dirigeants d’entreprises interrogés ont admis que les changements
majeurs entrepris au cours des dernières années n’avaient pas réussi à
améliorer significativement la performance de leur organisation. Ce même
cabinet avait quelques années auparavant mis en lumière que 70% des
programmes de changement se soldaient par un échec. Ce résultat est
confirmé par l’étude « Trends in Business Transformation 2009 » de
Capgemini Consulting menée auprès de 302 dirigeants d’entreprise
représentant 10.000 salariés dans le monde. De leur côté, les chercheurs
en gestion aboutissent à des conclusions similaires (By, 2005 ; Daft et
Noe, 2000 ; Kotter, 1995).

Afin d’expliquer cette moindre performance dans la conduite des


changements organisationnels, la littérature avance souvent, et parfois à
juste raison, le thème de la résistance des individus (Agocs, 1997 ; Bareil,
2004, 2008 ; Coch et French, 1948 ; Dent et Goldberg, 1999 ; Ford, 1999
; Ford, Ford et McNamara, 2002 ; Ford, Ford et D’Amelio, 2008 ;
Herscovitch, 2005 ; Lawrence, 1954, 1969 ; Piderit, 2000 ; Trader-Leigh,
2002 ; Vas, 2005 (a)). Sur le plan managérial, l’enjeu est donc d’en limiter
les manifestations afin de maximiser les chances de succès du
changement. Pour ce faire, de nombreux auteurs et notamment les
précurseurs, Kotter et Schlesinger (1979), ont avancé des séries de
recommandations. Pour autant, celles-ci soufrent de deux failles. D’une
part, elles sont isolées les unes des autres et ne sont intégrées dans de
véritables stratégies de changement (Denis et Champagne, 1990 ;
Champagne, 2002 ; Pichault, 1993, 2009 ; Soparnot, 2005 ; 2009 ; Vas,

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2005 (b) ; Vas et Jaspart, 2010). Et d’autre part, elles approchent la
résistance de manière générique sans s’intéresser à ses sources.

Notre cours est organisé sur 4 points déclinés en chapitres : Chapitre 1 :


généralité sur le changement organisationnel, chapitre 2 : le changement
organisationnel et l’influence des tic, chapitre 3 : changement
organisationnel et résistance des individus, chapitre 4 : communication
interne et culture organisationnelle.

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Chapitre 1 : GENERALITE SUR LE CHANGEMENT
ORGANISATIONNEL

Le changement est peut être un des phénomènes les plus étudié mais
aussi le plus difficile à étudier comme l’ont souligné Van de Ven et Poole
(1995) dans leur première typologie des recherches sur le changement.
Durant une longue période, la littérature sur le changement prônait une
approche dramatique du changement. Ainsi, des courants aussi diverses
que l’écologie des populations (Hannan et Freeman, 1989), l’approche
configurationnelle (Miller et Friesen, 1982), l’approche stratégique
(Stopford et Baden Fuller, 1990) et la théorie de l’équilibre ponctué
(Tushman et Romanelli, 1985) s’interrogent d’une part sur la nécessité de
changer  et ensuite sur la nature du changement . Pour ces auteurs la
transformation radicale et rapide devient une condition de survie de toute
organisation. Le changement, aussi radical soit-il, vise le plus souvent à
repositionner l’organisation dans un environnement ayant lui-même
changé. Pour ces différents courants, le changement ne peut donc être
conduit que par le dirigeant de l’entreprise, à la suite d’un diagnostic
environnemental et organisationnel poussé. Cette littérature sur le
changement est remise en cause par un courant alternatif qui introduit la
notion d’émergence, dans un monde où il est difficilement envisageable
de prévoir et d’anticiper l’avenir. Ainsi, Mintzberg (1982), remet en cause
cette idée de planification en montrant que la stratégie ne se réalise que
très rarement comme prévu notamment parce que des phénomènes
émergents viennent perturber la mise en œuvre des plans initiaux.
Burgelman (1991) montre que les phénomènes émergents peuvent
trouver leur origine au sein même de l’entreprise, et conduire à une
réévaluation des orientations stratégiques des dirigeants. Quinn (1980),
s’inscrivant en faux des modèles de l’équilibre dynamique et

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configurationnel, met en évidence les bénéfices d’un changement
progressif qui se construit pas à pas dans l’entreprise. Ces auteurs
redonnent du poids aux acteurs organisationnels, doués de capacité
créatrice. Sur ce point ils rejoignent d’autres courants de la sociologie ou
de la théorie des organisations, s’intéressant à l’innovation et à l’action
ordinaire. Pour Alter (2010), certaines innovations ont pour origine une
idée proposée par un travailleur manuel, au contact des difficultés
quotidiennes de la production. Pour devenir innovation, les inventions de
départ sont alors mises en pratique, expérimentées par les individus. Pour
Cyert et March (1970), les processus routiniers des organisations sont
quand à eux susceptibles de produire des changements continus. Dans
cette lignée, Orlikowski (1996), montre comment, au cours de la mise en
place d’un nouvel outil, les acteurs modifient, altèrent, adaptent leurs
pratiques quotidiennes. Chaque modification de pratiques crée les
conditions de changement à venir, qui en retour entraînent de nouvelles
modifications des pratiques. C’est dans cette lignée de travaux que
s’inscrit l’idée de capacité à changer. Le changement n’est plus abordé
comme un évènement à part de la vie de l’organisation, mais comme un
processus continu sans début ni fin. Comme Alter (2010), nous pensons
qu’il n’est plus possible de parler du changement en évoquant le passage
d’un état A à un état B. La situation ordinaire de l’organisation devient celle
du mouvement et le changement est alors permanent. Cette évolution peut
être représentée par une évolution historique des paradigmes comme le
montre la figure N° 1.

Figure N° 1

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Le paradigme sociologique : La conduite du changement trouve son
point 0 avec les travaux de Lewin (1951) dans les années 1950. Pour ce
dernier, les bénéficiaires du changement développent des résistances au
changement levées en grande partie par l’évolution des groupes. Un
individu accepte le changement par un dialogue au sein de ses groupes
d’appartenance dans une logique d’évolution des normes.

Le paradigme instrumental : Dans les années 1980/1990, les travaux de


Kanter (1992) ont avancé le modèle de la roue du changement en
définissant des leviers d’accompagnement du changement tels que la
communication ou la formation. La roue du changement a inspiré la
plupart des méthodes de conduite du changement déployées par les
grands cabinets de conseil pour le déploiement des projets informatiques
du type ERP (Enterprise Resources Planning).

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Le paradigme managérial : Les travaux de Pettigrew (1990) et les écrits
de Kotter (1996) ont montré les limites de la démarche instrumentale de
la roue du changement. Pour ces derniers, le changement ne se fait pas
uniquement en mode projet mais dans une alternance de changements
continus et de rupture permis par le travail de traduction et de leadership
des managers.

Le paradigme stratégico-organisationnel : La conduite du changement


n’est plus uniquement pensée comme un outil mais comme une
compétence et un métier. Les travaux de Pettigrew (1990), Rondeau
(2008), Bareil (2004) ou encore la réflexion sur les différentes stratégies
de Autissier et al (2012) avancent des variables de contextualisation des
changements et des dispositifs qui les accompagnent. La conduite du
changement est de plus en plus internalisée dans les entreprises et fait
l’objet d’un pilotage différencié.

Le paradigme expérientiel : Les articles d’Armenakis (1999) et de


Autissier et Giraud (2013), dans une visée de recensement des travaux
sur le thème du changement, montrent une évolution pour les approches
RH du changement. Le changement est traité non plus comme un
obstacle à franchir mais par le développement de la capacité à changer
des acteurs par des dispositifs expérientiels. Cela constitue une rupture
paradigmatique car on n’accompagne plus un changement mais on
développe la capacité à changer des personnes et des groupes
considérant ainsi le changement comme une donnée à intégrer et à gérer.
Une des voies proposées réside dans la mise en place de dispositifs
expérientiels pour faire vivre aux intéressés une expérience de
changement. Après avoir vécu une expérience de changement, les
intéressés le comprendront et sauront mieux le traduire. C’est en 1969
que Rogers parle d’experiential learning. Il oppose à l’apprentissage par
9
l’esprit, un apprentissage par la pratique. Selon Rogers (1969 P5), « c’est
un apprentissage en profondeur qui modifie et affecte les comportements
et les attitudes. Cet apprentissage est évalué par l’apprenant lui-même car
il et le seul à savoir s’il répond à ses besoins ». En s’appuyant sur les
travaux de Lewin (1951) sur le processus de rétroaction, Kolb (1984)
définit l’expérience comme un tête à tête entre réflexion et
expérimentation. L’expérience permet aux individus un processus
d’observation qui provoque une réflexion qui conduit à la
conceptualisation. Dans ce modèle, l’expérience concrète est le moyen de
valider, d’éprouver et de revoir les concepts abstraits

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Chapitre 2 : LE CHANGEMENT ORGANISATIONNEL ET
L’INFLUENCE DES TIC

Dans le contexte actuel de mondialisation des échanges et de


globalisation financière, gérer le changement est devenu un déterminant
stratégique de la compétitivité organisationnelle des entreprises. Cette
exigence, qui pose d'une manière récurrente la question de gestion du
changement organisationnel, nécessite d'inventer en permanence les
solutions adéquates pour pouvoir s’adapter aux évolutions et aux
vicissitudes du marché. L’apprentissage organisationnel est devenu alors
une pratique déterminante dans la quête de la compétitivité.

Considérées actuellement comme des outils indispensables de gestion,


les TIC semblent contribuer à l'amélioration de la compétitivité
organisationnelle des entreprises. Il est pourtant très difficile de quantifier
avec précision le retour sur investissement des TIC, compte tenu de leurs
effets interactifs et de l'impossibilité de séparer la contribution des TIC de
celle de l'organisation globale de l'entreprise. Pour pouvoir expliciter cette
problématique, cette étude tente, dans une première étape d’analyse, de
présenter les fondements théoriques des relations « changement
organisationnel – TIC – compétitivité microéconomique ». Il s’efforce,
ensuite au moyen d’une analyse quantitative et qualitative privilégiant une
démarche « Recherche-Action », d’évaluer, à partir du cas de la société
MBA-France, l'impact réel des TIC sur la compétitivité organisationnelle.

1. Les fondements théoriques de la relation « changement


organisationnel – compétitivité microéconomique »

À l’échelle microéconomique, la compétitivité est la faculté pour une


entreprise de proposer une gamme de produits suffisamment attractive

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(par le coût, la qualité, le service après-vente, ou tout autre avantage
relatif) pour permettre de maintenir voire d’augmenter les parts de marché
de l’entreprise vis-à-vis de ses concurrents. Depuis déjà quelques
décennies, les entreprises exposées à la concurrence internationale
évoluent dans un contexte économique où les décisions stratégiques et
les changements organisationnels sont mêlés jusqu’à devenir quasiment
indissociables. Dans ce contexte, la compétitivité des entreprises est
appréhendée comme une stratégie d'adaptation permanente, où la
gestion des positions acquises ne dépend plus uniquement des dotations
factorielles de l’entreprise mais de sa capacité à gérer le changement. Il
s’agit, en fait, d’une stratégie d’Adaptation-Anticipation qui engage d’une
manière durable, voire définitive, le devenir de l’entreprise. L’adaptation
aux évolutions du marché et l’anticipation de celles-ci, supposent, d’une
part, l’élaboration d’une gestion efficace du changement organisationnel
de l’entreprise et la mise en œuvre, d’autre part, d’un processus
d’apprentissage organisationnel.

1.1. Le rôle de l’apprentissage organisationnel dans le


développement de l’avantage concurrentiel

Selon différentes approches de changement organisationnel (voir


notamment D. Garvin, 1993 ; G. Koenig, 1994 ; D. Schön, 1996 ; A.
Guilhon, 1998 ; A. Edmondson et B. Moingeon, 1998, M. Ingham et C.
Mothe, 2000 ; J.-P. Helfer, M. Kalika et J. Orsoni 2000, P. Lorino, 2003, F.
Prevot, 2006), l’apprentissage organisationnel constitue un concept
fondateur dans la théorie des organisations puisqu’il renvoie à une vision
évolutive de l’organisation. Dans ce sens, l’apprentissage organisationnel
traduit les changements de connaissances et de compétences partagées
par accumulation d’expériences ou par « intelligence dans
l’expérimentation » (G. Koenig, 1994). Ces approches, distinguent deux
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modes d’apprentissage selon la nature du changement organisationnel :
le changement reproducteur (ou volontaire) et le changement
transformateur (ou contraint). Il est évident que le choix de l’un ou l’autre
type de changement dépend de la stratégie concurrentielle et des
capacités organisationnelles des entreprises. Quelles que soient les
stratégies d’adaptation adoptées par ces entreprises, les périodes de
changement peuvent être considérées, selon l’expression d’Alice Guilhon
(1998), comme des périodes de « moments apprenants » alors que les
périodes de stabilité sont celles de la compréhension des mécanismes de
changement. Comme le soulignent J. Helfer, M. Kalika et J. Orsoni (2003),
l’apprentissage organisationnel repose généralement sur l’assimilation qui
est faite entre information et connaissance. Selon P. Lorino (2003),
l’apprentissage organisationnel correspond à « des schémas interprétatifs
individuels utiles au déroulement de l’action. Ces schémas interprétatifs
sont relatifs à un système d’action organisé, notamment par la division du
travail, et ils contribuent à la mise en œuvre de ce système d’action ».
L’apprentissage naît ainsi des rapports qui s’établissent avec ce qu’il est
convenu d’appeler les parties prenantes.

Le recours à l’apprentissage organisationnel, considéré comme un


processus d’adaptation au changement, s’avère désormais nécessaire et
incontournable compte tenu de la rapidité du changement, ses
implications socio-économiques et ses conséquences sur la compétitivité
des entreprises.

1.2. L’apprentissage organisationnel, facteur clé de compétitivité

La principale limite des travaux de l’économie industrielle (notamment


ceux de M. Porter, 1986), est d’analyser la compétitivité des entreprises
principalement à partir des caractéristiques sectorielles et des facteurs

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externes de l’organisation. Ces analyses proposent souvent l’étude de
portefeuilles d’activité ou de portefeuilles des couples produits/marchés,
comme outils de positionnement stratégique des entreprises dans leur
environnement. Or, ces outils reflètent plus le résultat d’une action
stratégique qu’une analyse en profondeur des véritables origines de
l’avantage concurrentiel des entreprises.

Nous pensons, à cet égard, que les capacités organisationnelles des


entreprises (leurs ressources et compétences) jouent un rôle déterminant
dans l’évolution de leur avantage concurrentiel. La compétitivité d’une
entreprise dépend principalement de ses capacités de mettre en œuvre
une stratégie d’Adaptation-Anticipation, considérée comme un instrument
efficace de gestion à moyen et long terme du changement organisationnel.
Selon E. Métais (1997), « cette approche de stratégie en termes de
compétences et de capacités autorise une formulation des stratégies de
rupture, où l’entreprise ne se contente plus de jouer le jeu concurrentiel
mais en modifier les règles à son avantage ». La mise en œuvre d’une
stratégie d’Adaptation-Anticipation suppose donc le renforcement des
capacités d’apprentissage organisationnel de l’entreprise (stratégie
offensive). Cette démarche se traduit concrètement par un
renouvellement ou une amélioration systématique des ressources de
l’entreprise, notamment en ce qui concerne son savoir organisationnel (les
actifs immatériels), par une politique dynamique de formation continue du
personnel et par une recherche permanente de la qualité totale, comme
principe de gestion du couple produit/marché.

Une étude sur le terrain, appliquée à la coopération en recherche et


développement (M. Ingham et C. Mothe, 2000), a identifié deux principaux
déterminants « comportemental » et « structurel » de l’apprentissage
organisationnel. En ce qui concerne les déterminants comportementaux,
14
une distinction est effectuée entre trois types de comportements :
l’agressivité, la neutralité et la tolérance. L’étude montre qu’une « véritable
coopération » avec tolérance mutuelle entre partenaires favorise
l’apprentissage organisationnel. Dans ce cas, la confiance joue un rôle
central puisqu’elle « réduit les coûts de transaction et d’agence et accroît
l’efficacité organisationnelle » (M. Ingham et C. Mothe, 2000). Quant aux
déterminants structurels, ils sont basés, dans le cadre de coopération en
R & D, sur trois facteurs principaux : la nature du savoir, l’expérience en
R & D et la distribution des tâches. Cette première approche des
déterminants organisationnels de compétitivité, celle qui met en évidence
l’importance de la stratégie d’Adaptation-Anticipation de l’entreprise,
montre que l’intégration de la dimension organisationnelle du changement
et son corollaire, l’apprentissage organisationnel, constituent les
fondements logiques de la compétitivité organisationnelle. Nous
essaierons de montrer, dans un deuxième niveau d’analyse, comment la
théorie organisationnelle s’est adaptée aux réalités de la concurrence
actuelle en inventant un nouveau mode de gestion de l’organisation
« orientée processus ».

1.3. La prédominance d’une organisation transversale orientée


processus

La difficulté pour les entreprises exposées à la concurrence internationale


de mettre en place une gestion adaptée et cohérente du changement
organisationnel, s’explique en fait par les dysfonctionnements de
l’organisation fonctionnelle traditionnelle. La littérature organisationnelle
moderne (voir notamment les travaux de D. Tixier, H. Mathe, J. Colin,
1996 et A. Little 1997, P. Lorino, 2003, F. Prevot, 2006), est quasi-
unanime sur cette question : un management par processus apparaît,

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dans les conditions actuelles de concurrence, comme une méthode de
gestion cohérente et compétitive.

L’organisation fonctionnelle est basée sur la distinction traditionnelle des


quatre fonctions classiques de la gestion de l’entreprise : les fonctions de
production, de commercialisation, de financement et de gestion des
ressources humaines. Ce type d’organisation, qui a énormément évolué
dans son principe et ses applications depuis l’apport des deux principaux
précurseurs Fayol et Taylor, a toujours joué un rôle crucial dans la gestion
globale de l’entreprise. L’intérêt de cette organisation réside, en fait, dans
la spécialisation des tâches ou l’intégration des spécialistes de haut
niveau, avec toutes leurs compétences et leurs connaissances dans les
processus essentiels de l’entreprise. Les progrès réalisés grâce aux
processus de rationalisation et de renforcement des compétences des
responsables fonctionnels, sont considérés incontestablement comme les
facteurs principaux d’amélioration de la productivité et de la qualité des
produits de l’entreprise moderne. Le durcissement des contraintes
actuelles de compétitivité et l’impératif de qualité totale, qui s’est
progressivement imposé à toutes les entreprises compétitives, ont
cependant amené celles-ci à repenser, voire parfois remettre en cause, le
mode d’organisation fonctionnelle. La réflexion s’oriente de plus en plus
actuellement vers un management par processus. Selon J.-C. Tarondeau
(1998) : « le processus est le lieu où la firme traduit ses intentions en
actions et combine ses ressources en vue d’obtenir un avantage
concurrentiel ». Les entreprises organisées autour de processus
organisationnels, devraient évoluer en respectant trois niveaux des
processus de gestion traditionnelle : production, planification et contrôle.
Il s’agit respectivement des processus opérationnels, des processus
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stratégiques (de planification et de contrôle) et des processus de guidance
et de pilotage.

Dans une organisation par processus, le principe de frontières territoriales


entre les différentes fonctions est remplacé par le principe de
transversalité. Ce principe implique que chaque responsable fonctionnel
(ou opérationnel) a désormais le droit et l’obligation de comprendre la
totalité du processus dont il fait partie afin d’y chercher la solution
optimale. Cette nouvelle organisation ne remet évidemment pas en cause
la spécialisation des tâches qui caractérise l’entreprise fonctionnelle, mais
elle accorde relativement plus de poids à l’intégration effective de l’apport
des spécialistes. La recherche d’une meilleure coordination entre les
différentes fonctions vise donc à éliminer un certain nombre de
dysfonctionnements organisationnels, sources de surcoûts. En résumé, si
le changement organisationnel s’avère actuellement nécessaire pour la
survie et le développement des entreprises exposées à la concurrence
internationale, la gestion de ce changement n’est pas toujours évidente.
Celle-ci dépend de leurs capacités à combiner et coordonner leurs
ressources et leurs compétences, autrement dit leurs capacités
d’apprendre qui est une forme particulière de « capacité
organisationnelle ». Facteur clé de compétitivité, l’apprentissage
organisationnel dépend d’abord des déterminants comportementaux
(agressivité, neutralité, tolérance) et structurels (savoirs, expériences,
distribution des tâches) de l’entreprise. Ceux-ci devraient se traduire par
une capitalisation et une validation des savoirs et des innovations, grâce
notamment à l’adoption d’une organisation transversale orientée
processus.

2. La contribution des TIC à l’amélioration des capacités


organisationnelles des entreprises
17
La définition des TIC est une tâche complexe en raison des difficultés
conceptuelles à circonscrire le champ des TIC. Il y a cependant une quasi-
unanimité parmi les spécialistes de la question pour considérer les TIC
dans leur ensemble, en y intégrant les équipements matériels, les logiciels
et les services informatiques (interne ou externe). Compte tenu des
changements fréquents des systèmes d'information, il convient d'y inclure
le capital organisationnel créé à l'occasion de ces changements. C'est une
précision importante pour la suite de notre analyse. Les entreprises se
trouvent actuellement devant un défi incontournable : intégrer et
développer l'usage des TIC au niveau de chaque déterminant stratégique
de leur compétitivité internationale. Il s'agit, en fait, de rationaliser l'usage
des TIC et de favoriser un management transversal, compte tenu de
l'interactivité nécessaire entre les cinq déterminants stratégiques de la
compétitivité internationale d'une entreprise. Le but escompté de cette
nouvelle stratégie organisationnelle est de réaliser des gains de
productivité et, par conséquent, des baisses substantielles des coûts. Plus
concrètement, l’accélération des performances des technologies de
l’information, depuis ces trois dernières décennies, permet aujourd’hui de
supprimer les barrières de la distance et du temps. Trois domaines sont
au cœur de la révolution technologique : « le transport de l’information » ;
« l’accès partagé à une information pertinente », et « l’apparition de
stations de travail », devenues intelligentes et capables d’effectuer des
processus complexes avec des logiciels (M. Scott Morton, J. Allen
Thomas, 1995). Ces trois domaines d’amélioration vont offrir aux
entreprises des augmentations spectaculaires de la connectivité entre les
différents processus de l’entreprise et des organisations qui évoluent avec
elles.

2.1. L'usage des TIC favorise-t-il un management transversal ?

18
Schéma 1

La relation entre les TIC et le système productif est une relation technique
et organisationnelle. Selon certains auteurs, "ces technologies
s'organisent et s'entrelacent en "système" autour de postes de travail
reliés à des réseaux d'information et de communication. Il est souvent
difficile de les isoler les unes des autres dans leur mise en œuvre et leur
utilisation" (P.-J. Benghozi, P. Flichy et A. d'Iribarne, 2000). Cette
transversalité s'opère par l'usage des techniques d'intégration qui
englobent des systèmes largement autonomes : c'est le cas notamment
des systèmes ERP. En permettant à l'entreprise de s'aligner sur les
fournisseurs, les clients ou les concurrents, ces outils apparaissent
comme des moyens pour améliorer son organisation globale et sa
compétitivité. Ces technologies permettent, si elles sont utilisées à bon
escient, de décloisonner les différents départements (financier,
mercatique, technologique, administratif, etc.) et de faciliter une
optimisation globale de la stratégie organisationnelle de l'entreprise. En
19
fait, l'impératif de compétitivité contraint les entreprises à adapter leurs
modèles d'organisation pour faciliter le déploiement des TIC et réaliser
l'objectif escompté : la baisse des coûts et des prix relatifs (voir le schéma
ci-dessus).

La réalisation de cet objectif suppose la mise en œuvre d’un pilotage


organisationnel (processus, projet). Il s’agit, selon P. Lorino (2003),
« d’une logique de pilotage stratégico-opérationnelle, impliquant de fortes
interdépendances entre les différents centres de responsabilité, une
culture orientée vers le travail d’équipe et une réactivité à d’éventuels
changements ».

Compte tenu de ces premiers enseignements théoriques, deux principaux


déterminants pourraient expliciter la compétitivité organisationnelle d’une
entreprise : une stratégie d’Adaptation

 Anticipation visant à amélioration de sa réactivité et de sa


proactivité, et un processus organisationnel interfonctionnel orienté
processus permettant de réduire ses coûts logistiques.

2.2. Les effets de l’usage des TIC sur la compétitivité


organisationnelle

Dans l'hypothèse d'une organisation transversale permettant un travail


collaboratif et un usage optimal des TIC, les gains escomptés pourraient
se traduire concrètement par une fidélisation des clients, une plus grande
réactivité de l'entreprise, une réduction des stocks et des coûts, un
raccourcissement des temps de cycle et une différenciation, notamment
des services rendus. En fait, c'est la qualité et l'efficacité de l'organisation
autour des outils TIC qui permet à l'entreprise de gagner en compétitivité
par rapport à ses concurrents. Cette compétitivité est avant tout

20
organisationnelle, dans ce sens où c’est l’adoption et la réussite d’une
organisation transversale qui permettent à l’entreprise un bon usage des
TIC.

Concrètement, cette dynamique s’expliquerait, selon Jean-Louis


Peaucelle (1999), par les différentes interactions inhérentes à l’usage de
ces technologies : « Interactions technologie-technologie, lorsqu’il s’agit
de réaliser une tâche programmée par un homme comme dans l’échange
des données informatisées (EDI). Interactions homme-technologie pour
réaliser une tâche pilotée soit par l’homme, soit par la technologie
(progiciel de gestion intégrée, en anglais, ERP), entrepôt de données (en
anglais, datawarehouse). Interactions homme-homme via des ordinateurs
reliés en réseaux (intranet, collecticiels, visioconférence). C’est dans ce
dernier cas qu’il est plus légitime de parler de « technologie de la
communication » ».

2.3. Comment peut-on évaluer l'impact des TIC sur la compétitivité


organisationnelle des entreprises?

L’objectif premier du dirigeant est de renforcer la valeur actuelle de son


entreprise, afin d’améliorer son attractivité pour les actionnaires et ses
principales parties prenantes. Selon une étude réalisée par A.-Y Portnoff
et V. Lamblin (2003), le modèle de création dynamique de la valeur (le
modèle VIP : Valeur Instantanée et Prospective), met en évidence que
« la valeur résulte à chaque instant de flux d’interactions entre acteurs
internes de l’entreprise et entre celle-ci et ses parties prenantes externes.
Il faut raisonner en flux et non en stocks, ce qui signifie en particulier que
l’entreprise ne possède pas des salariés, des fournisseurs, des clients.
Elle entretient des flux de relations et sa valeur découle de sa capacité à
valoriser ces différents flux pour créer notamment plus de ressources

21
financières qu’elle n’en consomme ». Dans ce sens, il est logique de
concevoir que le rôle des TIC peut être de rendre plus faciles et plus
efficaces tous les flux d’interactions internes et externes.

22
Chapitre 3 : CHANGEMENT ORGANISATIONNEL ET
RÉSISTANCE DES INDIVIDUS

Ce chapitre fera l’objet d’évaluation des effets des stratégies de


changement sur les sources de résistance des individus. Pour ce faire,
nous réalisons un ensemble de propositions fondées sur la littérature
existante dans le domaine de la conduite du changement organisationnel.
A cet effet, nous abordons dans un premier temps le thème de la
résistance au changement en en analysant en particulier les sources.
Ensuite, nous proposons une typologie des stratégies de changement.
Enfin, nous en examinons les effets sur la résistance des individus, les
illustrons par des exemples et en déduisons des propositions.

1. – Formes et facteurs de la résistance au changement

Concept abordé initialement par Coch et French (1948) et inspiré des


travaux de Lewin (1951) sur la dynamique des groupes, la résistance au
changement traduit la capacité des individus d’entraver les projets de
réforme dans lesquels s’engage l’entreprise. Elle renvoie à une variété de
comportements comme le déni, l’indifférence, le rejet, la rumeur,
l’obéissance aveugle, le refus, l’argumentation, la contes- tation,
l’opposition, la répression, la grève, le sabotage... (Bareil, 2010, in
Soparnot, 2010). Pour autant, la résistance n’est pas toujours négative
(Waddell et Sohal, 1998). En effet, certains auteurs attribuent à ce
comportement une fonction essentielle dans l’entreprise, celle d’éviter les
changements superflus ou encore les éléments improductifs dans la
conduite du processus (Ford, Ford et D’Amelio, 2008 ; Jagger, 2001).

Lawrence (1969) synthétise cette situation en ces termes: « We are all, at


times, resistors as well as instigators of change ».Dans cette optique,
Perret (1994, 1998), Perret et Roger-Demontrond (1997) et Piderit (2000)

23
ont démontré que les représentations activées par le changement sont
fondamentalement ambivalentes. Il est alors problématique de procéder à
une dissociation stricte entre supporters et opposants au changement car
« une majorité d’acteurs évoquent à la fois des représentations favorables
et des représentations défavorables par rapport au changement ; [...] nos
investigations nous conduisent à montrer que pour une majorité d’acteurs
ces représentations contradictoires coexistent » (Perret et Roger-
Demontrond, 1997). Ainsi, face au changement, les comportements sont
multiples (Herscovitch et Meyer, 2002 ; Lapointe et Rivard, 2005 ; Meyer
et al., 2007). Le tableau suivant en atteste.

Tableau 1 : Les comportements face au changement

Source : Bareil (2010).


Même si la résistance au changement n’en est en rien systématique, il est
impératif de comprendre quelles en sont les causes. Selon la littérature,
six facteurs peuvent être repérés.
Le premier facteur est lié à l’anxiété provoquée par la réforme – nous la

24
nommons résistance psychologique. Comme le souligne Jaques (1972),
« c’est en période de changement que se réveillent ou se cristallisent ces
anxiétés qui n’existent qu’à l’état diffus dans les organisations ». Le
changement constitue donc un puissant « stresseur » qui provoque chez
les individus un état de déséquilibre psychologique (Ouimet et Dufour,
1997). Celui-ci remet en question des repères qui offraient une stabilité
psychologique rassurante.
D’après Trader-Leigh (2002), ce facteur révèle le danger éprouvé par
rapport à la stabilité du travail, les compétences et le statut social dans
l’organisation. C’est ainsi qu’en situation d’anxiété, l’individu procède à de
multiples rationalisations qui font partie de son arsenal défensif. Il élabore
des scenarii (de licenciements, de flicage, de disparition des acquis
sociaux...) souvent infondés. Cette fertilité imaginaire est un moyen de
restaurer un équilibre psychologique fragilisé.
Le second facteur renvoie à la relation que l’individu entretient avec
l’entreprise – nous la nommons résistance identitaire. En effet,
l’organisation nourrit l’individu en termes de représentation de lui- même.
Et ce dernier construit son identité et existe socialement à travers son
travail, son appartenance à un monde (un service, un
métier) et à une entreprise. Le changement peut donc provoquer une
remise en cause profonde de l’identité de la personne en modifiant la
nature de la relation qui la lie à l’organisation. Les approches en termes
de rupture du contrat psychologique sont sur ce point révélatrices.
Herrbach (1999) montre d’ailleurs que la violation du
contrat psychologique peut générer quatre types de réactions : la parole,
le silence, le retrait et la défection. La parole consiste à maintenir le contrat
par l’échange. Le silence reste la solution appropriée lorsque les termes
ne sont pas négociables. Le retrait consiste à réajuster son apport en
fonction de la réduction de l’apport

25
de l’employeur. La défection, manifestation extrême, se traduit par un
départ de l’organisation. Ces comportements dépendent toutefois de
l’équilibre perçu entre les contributions de l’individu et de l’organisation,
de l’attribution de la responsabilité de la rupture et du sentiment de justice
dans la perception qu’a l’individu de la façon
dont il a été traité par l’organisation.
Le troisième facteur relève d’une analyse en termes de jeux de pouvoir
(Crozier et Friedberg, 1977) – nous la nommons résistance politique. Ces
auteurs notent ainsi que « les acteurs [...] ne peuvent jamais être réduits
à des fonctions abstraites ou désincarnées. Ce sont des acteurs à part
entière qui, à l’intérieur des contraintes souvent très lourdes que leur
impose le système, disposent d’une marge de
liberté qu’ils utilisent de façon stratégique dans leurs interactions avec les
autres. La persistance de cette liberté défait les réglages les plus
savants... ». En d’autres mots, les individus ne sont pas des objets que
l’on peut manipuler à travers un quelconque processus de changement.
Ils sont en mesure de l’infléchir et de l’orienter dans un sens qui leur est
plus favorable. Les individus ne sont donc pas automatiquement hostiles
à rompre leurs habitudes : ils soutiendront la réforme engagée tant qu’elle
leur est profitable. En un mot, les acteurs peuvent tout à fait accepter les
objectifs de la réforme tant qu’elle ne remet pas en question ce qui leur
permet de rester maîtres de leur comportement. Et ils ne perçoivent dans
le changement un danger que lorsque celui-ci met en cause les conditions
de leur jeu, leurs sources de pouvoir et leurs libertés d’action en modifiant
ou en faisant apparaître les zones d’incertitude qu’ils contrôlent. Cela
sous-entend finalement que la résistance dépend de la connaissance et
de la maîtrise qu’a l’acteur des enjeux et des effets du changement.
Le quatrième facteur relève de l’influence du groupe – nous la nommons
résistance collective. Le comportement d’un acteur à l’égard du

26
changement doit être appréhendé par rapport au système social dans
lequel il s’insère (Mayo, 1933). Or, le groupe fonctionne selon des règles
établies (normes, rites...). Leur intériorisation est si forte que les membres
« achètent » leur intégration en se conformant à ces règles. Puisque le
groupe détermine chez l’individu ce qui est bien et mal, ce qui est
souhaitable et non souhaitable, le changement peut se heurter à ce
système et briser l’équilibre créé par les normes. Lewin (1951), fondateur
de la dynamique de groupe, a d’ailleurs parfaitement montré que pour
changer un individu, il fallait agir sur les normes du groupe. Les groupes
ont même dans l’organisation une vie propre. Ils développent des
stratégies spécifiques que le changement peut compromettre et
constituent à ce titre des « lieux d’organisation » de la résistance. Les
actions menées par des groupes officiels (comme les syndicats...), afin de
défendre des intérêts spécifiques (comme la défense des intérêts des
travailleurs...), en
témoignent (Pemartin, 1987).
Le cinquième facteur est lié à la culture d’entreprise – nous la nommons
résistance culturelle. Toute entreprise revêt en effet une dimension
symbolique, qui lui est propre et la différencie des autres.
Ces symboles forment la culture de l’entreprise, définie comme l’ensemble
des valeurs grâce auxquelles les membres d’une organisation acquièrent
une identité collective (Thévenet, 1986). La culture n’existe donc pas en
dehors des individus ; autrement dit, ceux-ci intériorisent les valeurs (ils
en ont plus ou moins conscience)
et les partagent. Et c’est cela qui les unit. La culture tend donc à
conditionner et homogénéiser les attitudes et les comportements des
acteurs en forgeant leurs représentations, c’est-à-dire la manière dont ils
signifient les situations et les actions. Et c’est en fonction de ces
significations qu’ils vont agir. Or, le changement véhicule parfois des

27
valeurs qui divergent avec celles de l’organisation. Les individus peuvent
alors combattre ce qui met en danger ce en quoi ils croient profondément.
Le sixième facteur concerne les connaissances et compétences des
individus – nous la nommons résistance cognitive. Le changement impose
en effet de faire un apprentissage de techniques et de méthodes
nouvelles. Comme le soulignent Crozier et Friedberg (1977), « tout
processus de changement est un processus d’apprentissage c’est-à-dire
de découverte voire de création et d’acquisition par les acteurs concernés
de nouveaux modèles relationnels, de nouveaux modes de raisonnement,
de nouvelles capacités collectives ». Or, celles-ci ne se décrètent pas mais
se construisent bon gré mal gré dans l’action. De plus, les acteurs n’ont
parfois pas les qualifications et les compétences pour effectuer ce qui leur
est demandé. Cela est en phase avec le travail pionnier de Coch et French
(1948), qui posent que la frustration, mesurée par le taux d’absentéisme,
résulte de la difficulté des employés à effectuer leurs nouvelles tâches.
Le tableau suivant présente de façon synthétique les différents facteurs
de la résistance au changement.

28
In fine, afin de mieux cerner la capacité des individus à faire obstacle au
déroulement du projet, la résistance au changement doit s’analyser en
termes de formes et de facteurs. En vue de l’affaiblir, de la contenir, de la
contourner, de l’éviter et/ou d’en profiter, les différentes stratégies de
changement organisationnel sont une piste prometteuse. En effet, il
semble que certaines stratégies soient plus utiles selon le facteur de
résistance identifié. Afin de parvenir à ces combinaisons, nous proposons
dans ce qui suit de repérer les principales stratégies de changement.
2. – Changement et stratégies de changement
En accord avec March (1981), nous retenons que « ce que nous appelons
changements organisationnels est un ensemble de réponses
concordantes, par diverses parties de l’organisation, à diverses parties
interconnectées de l’environnement ». Cette définition présente selon
nous l’avantage de considérer le changement comme un phénomène
toujours singulier, qu’il s’agit d’analyser dans une perspective plurielle :

29
comme contexte, comme contenu et comme processus (Pettigrew, 1985,
1987).
Le contexte correspond à l’ensemble des facteurs susceptibles
d’influencer la décision de changement. Il s’analyse en deux temps. Il
caractérise l’environnement sur le plan économique, réglementaire,
concurrentiel... et l’organisation aux niveaux culturel, structurel, de la
répartition du pouvoir... Le contenu concerne la nature du changement.
Ainsi la stratégie, la structure, le système socio- technique, la culture...
sont susceptibles d’être modifiés. Enfin, le processus caractérise la vie
concrète du changement. Il résulte des interactions entre les acteurs
concernés par le phénomène, ceux-ci pouvant être membres ou non de
l’organisation. Pour autant, ces dimensions ne sont indépendantes les
unes des autres, elles interagissent modelant progressivement le
phénomène à l’œuvre dans l’organisation. C’est ainsi que le contenu d’un
changement aura des conséquences sur les caractéristiques du contexte,
celles-ci pouvant à leur tour générer à terme des modifications de contenu.
De même, il peut survenir des évènements (au niveau du contexte) qui
influeront sur le processus en cours. In fine, le changement s’analyse dans
une perspective interactionniste : les variables de contexte, de contenu et
de processus se définissent mutuellement dans une série
d’interrelations.
Cette perspective triadique du changement suggère désormais de mieux
comprendre les pratiques auxquelles se livrent les managers pour gérer
les périodes de transition de leur organisation.
Bien des recommandations sur le pilotage du changement sont fournies
par la littérature tant académique que managériale. Force est pourtant
d’admettre que ce corpus prescriptif est loin d’être homogène. Pour cette
raison, nous proposons dans ce qui suit d’analyser ces recommandations
à partir d’une typologie des stratégies génériques de changement

30
articulée autour des stratégies hiérarchiques, de développement
organisationnel, politique, historique et symbolique (Denis et Champagne,
1990 ; Champagne, 2002 ; Pichault, 1993,2009 ; Soparnot, 2005 ; 2009 ;
Vas, 2005 (b) ; Vas et Jaspart, 2010).
La stratégie hiérarchique véhicule une conception du changement imposé
et planifié. Elle sous-tend une vision interventionniste permettant le
passage entre un état constaté et un futur désiré. Selon cette approche,
le projet est conçu par les seuls membres de la direction, qui en ont une
vision claire, puis est poussé dans l’organisation. Les acteurs
destinataires, supposés mettre en œuvre les nouvelles orientations, ne
sont ni consultés, ni incités. Le changement est donc abordé selon une
perspective strictement technique, comme une succession d’étapes
(identification du problème, détermination des options, choix de la
meilleure solution, information, mise en œuvre des actions et contrôle des
résultats) qui, si elles sont bien planifiées, font le succès de l’opération.
La stratégie de développement organisationnel (DO) focalise son action
sur la dimension humaine (Beckhard, 1975). Le succès du changement
repose ainsi sur des mesures d’accompagnement, telles une politique
d’information et de communication, un système de récompenses et un
dispositif de concertation. Le rôle des gestionnaires est ainsi d’assurer la
promotion des valeurs de participation et de consensus afin d’améliorer la
qualité de vie organisationnelle (Demers, 1999). Pour le DO, en intégrant
les acteurs au projet, en leur en communiquant les motifs et en les
motivant, ils se mobiliseront pour le changement.
La stratégie politique place au cœur de ses dispositifs la pluralité des
acteurs et la divergence des intérêts lorsque s’enclenche le processus de
changement (Crozier et Friedberg, 1977 ; Pichault, 1993). Puisque
l’adoption et l’implantation d’une réforme réveillent et/ou accentuent les
jeux de pouvoir organisationnels, la réussite de l’opération dépend du

31
degré de convergence entre les intérêts des acteurs et les finalités du
projet. Ainsi, « le changement peut émerger ou au contraire être freiné au
cours d’un processus conflictuel opposant des intérêts divergents » (Vas,
2005 (b)). Il est alors question pour le gestionnaire de jouer le rôle de
facilitateur et de négociateur en mettant en évidence les avantages que le
changement procure aux individus tout en en atténuant les inconvénients.
Mais l’action du gestionnaire ne se limite pas aux changés ; elle vise les
catégories d’acteurs, tant internes (salariés, comité d’entreprise, délégué
du personnel...) qu’externes (syndicats, actionnaires...), en mesure de
peser sur le processus et de l’infléchir. Selon cette stratégie, le
changement ne réussira que si une masse critique d’individus est
convaincue de son intérêt. Alors, celle-ci se fera l’ambassadeur du projet
et en assurera la diffusion. Le pilote du changement doit donc acquérir
une légitimité politique afin de trouver des alliés et les convaincre des
avantages qu’ils pourront retirer du changement.
La stratégie historique met en évidence le poids des décisions passées,
de la culture, de la structure et des routines organisationnelles dans le
processus de changement (Cyert et March, 1963). Autrement dit, ces
éléments d’hérédité modèlent la situation nouvelle. Ainsi, « chaque
situation nouvelle est modelée sur une situation ancienne, dont elle ne
diffère que marginalement selon un processus permanent d’essais et
erreurs à partir duquel se définissent les objectifs effectivement poursuivis
» (Pichault, 1993). Comme le fait remarquer Feldman (1986), « aucune
organisation ne peut changer totalement et complètement dans ses
moindres détails [...], les dirigeants n’auraient aucune possibilité
d’estimation sans quelques références basées sur leur expérience
passée. Le changement organisationnel est, par conséquent, toujours un
changement partiel ». Le changement est ainsi toujours le produit de
l’histoire de l’organisation. Il subit des contraintes antérieures mais en

32
contribuant à la façonner, il crée des contraintes ultérieures. Le
changement d’une organisation ne se démarque donc jamais totalement
des caractéristiques actuelles de l’entreprise ; les décisions d’hier
façonnent celles d’aujourd’hui. Dans ces conditions, la gestion du
changement consiste à ne pas négliger les traits organisationnels actuels
et à laisser le contexte local construire le changement avant qu’il ne
prenne sa forme globale. Selon cette approche, il n’est pas question de
plaquer une forme déterminée. Le changement se construit
progressivement par des processus d’adaptations locales et
d’appropriations individuelles et collectives. Il est question de prendre
appui sur le contexte pour s’en démarquer progressivement (Perret, 1994
; Perret et Ramanantsoa, 1996).
Enfin, la stratégie symbolique met l’accent sur le rôle du sens et des
significations dans le processus de changement. En mettant l’emphase
sur l’attribution de sens, cette stratégie préconise que la conduite du
changement soit fondée sur la production de sens (Gioa et Chittipeddi,
1991). En effet, la signification que les acteurs donnent au projet
conditionne leur interprétation et leur engagement. Le réformateur doit
permettre que s’opère la mise en scène mentale et limiter les
interprétations sur la base des anciens schémas. A cet égard, le rôle des
leaders transformationnels est souvent évoqué (Perret et Ramanantsoa,
1996). En situation de changement, donc d’incertitude, le leader est celui,
qui par ses caractéristiques personnelles, emporte l’adhésion et mobilise
pour l’action. Le leader transformationnel incarne le changement et en
devient la figure emblématique ; il marque la volonté de mouvement en
portant et en diffusant une nouvelle vision de l’entreprise. Par sa vision, il
agit sur les interprétations ; son action identitaire permet de produire du
sens.

33
Il est celui qui porte et assume l’évolution identitaire de l’organisation.
Figure démiurgique, le leader transformationnel est l’architecte social du
changement.

Le tableau suivant synthétise les caractéristiques propres à chaque


stratégie de changement.
Tableau 3 : Les stratégies de changement Stratégies de changement
Caractéristique

L’étude des stratégies de changement a permis de fixer les fondements


de nos propositions. Nous nous attachons donc dans ce qui suit à montrer
34
en quoi chacune d’entre elles permet d’atténuer les sources de résistance
des individus au changement.

3. – Les effets des stratégies de changement sur la résistance


des individus
Dans ce qui suit, nous opérons un rapprochement entre les
caractéristiques de chaque stratégie de changement et les différentes
sources de résistance. Nous en inférons des effets en distinguant les
effets atténuateurs des effets amplificateurs. Un premier niveau de
confrontation empirique est opéré par le recours à quelques exemples
vécus. Finalement, une série de propositions est déduite quant aux
effets de chaque stratégie de changement sur la résistance des
individus.
Ainsi, dans le cadre d’une stratégie hiérarchique, le changement est
simplement annoncé aux individus qui doivent suivre les
recommandations des gestionnaires. Les acteurs se voient imposer un
changement dont le contenu et les modalités de mise en œuvre leur
échappent totalement. Il en résulte un effet d’atténuation de la résistance
psychologique (à condition que le plan prévoit des étapes de
communication et d’information fréquentes) et cognitive (si le plan intègre
des séquences de formation régulières et adaptées). Cependant, cette
stratégie est susceptible d’engendrer un risque significatif d’expression
des résistances identitaire (l’évolution de la relation entre l’organisation et
l’individu s’impose à lui et il n’a aucun contrôle sur le processus en cours),
politique (l’individu n’est pas en mesure
d’influencer le changement afin de sauvegarder ses intérêts), culturelle
(les valeurs du changement peuvent s’écarter des valeurs originelles et
leur préservation s’avère improbable) et enfin collective (les normes de
fonctionnement des groupes en présence peuvent être remis en cause

35
sans que ces derniers n’aient l’occasion de les protéger).
Le rapprochement récent entre plusieurs écoles de management
françaises constitue un exemple particulièrement révélateur. Piloté selon
une démarche directive et dans des délais rapides (le projet est porté par
un seul dirigeant et les grandes lignes sont fixées par l’équipe dirigeante),
le projet s’est rapidement heurté à de fortes résistances (rumeurs et
préavis de grève). Celles-ci s’expliquent principalement par des raisons
identitaire (car les acteurs n’ont pas eu le temps de s’approprier le
changement et de se projeter dans la nouvelle entité), politique (car les
intérêts des salariés étaient susceptible d’être remis en cause) et culturel
(car le rapprochement se concrétisait par le passage du statut d’agent
territorial relevant de la fonction publique à celui de salarié relevant du
droit privé). Ajoutons que l’absence d’un plan de communication et de
formation a aussi exacerbé les résistances de nature psychologique et
cognitive.
Nous pouvons en déduire la proposition 1 : La stratégie hiérarchique
atténue (sous certaines conditions) les sources psychologique et cognitive
de la résistance et en amplifie les sources identitaire, politique, culturelle
et collective.
Analysons maintenant la stratégie de DO. Dans cette situation, l’attention
du réformateur est centrée sur les personnes concernées par le
changement. Ce dernier agit (communique, consulte, fait participer, forme
et incite) en vue de générer une perception positive du changement. Les
risques de résistances psychologique (l’intensité de la communication et
la concertation permettent aux acteurs de toucher
« du doigt » le projet de changement), identitaire (les mécanismes
d’incitation aident à maintenir le lien individu-organisation), cognitive (les
efforts de formation soutiennent les acteurs dans l’acquisition des savoir
et savoir-faire nécessaires à l’adoption des nouveaux comportements)

36
sont atténués. L’on peut cependant craindre une résistance politique plus
forte, les acteurs pouvant n’être pas sensible
aux efforts de communication, de formation, d’incitation... et beaucoup
plus à la défense de leurs intérêts et à la préservation de leur pouvoir. Il
en est de même pour les résistances collective et culturelle.
D’une part, les groupes peuvent voir leur identité disparaître dans
l’organisation de demain. Et d’autre part, les valeurs véhiculées par le
changement peuvent conduire à une remise en question de la culture de
l’entreprise.
La redéfinition de la politique de gestion de la faculté et de la recherche
dans une école de management apparaît comme un exemple frappant.
Conduite selon une démarche participative de la définition des domaines
de réflexion jusqu’à la finalisation des propositions et leur sélection, le
changement n’a engendré aucune résistance forte (aucune démonstration
d’opposition). Cependant, il était frappant de
constater lors des séminaires de travail collectif à quel point les
participants défendaient leurs intérêts (par exemple moins d’heures de
cours pour les chercheurs publiant, moins d’objectifs de recherche pour
les moins publiant). Les discussions montraient que se jouait également
une certaine idée de ce qu’est le métier de professeur dans une école de
management moderne (centrée sur la pédagogie et les étudiants pour les
uns, centrée sur la production de connaissances pour les autres). Il a
résulté de ces facteurs un ralentissement du processus en cours et des
tensions parfois fortes entre les acteurs.
Nous en déduisons la proposition 2 : La stratégie de développement
organisationnel atténue les sources psychologique, identitaire et cognitive
de la résistance et en amplifie les sources politique, collective et culturelle.
Portons notre attention sur la stratégie politique. Elle accorde à la
négociation entre réformateur(s) et acteurs destinataires du changement

37
une importance capitale. Elle est la condition du succès du changement
en ce que les acteurs se mobiliseront pour un projet qu’ils ont contribué à
construire et dont le contenu va dans le sens de
leur intérêt. Il en résulte donc une atténuation du risque de résistances
psychologique (la négociation permet aux acteurs d’appréhender le projet
en cours d’élaboration), identitaire (les individus maintiennent leur relation
à l’organisation au moyen de la négociation) et collective (les groupes
peuvent par la négociation assurer la préservation de leurs
caractéristiques fondatrices). De façon contre-intuitive, il convient de
craindre une intensification de la résistance politique (la diversité et la
divergence des intérêts accentuent le risque de conflit dans le cadre des
négociations du contenu du changement). De même, les résistances
culturelle et cognitive peuvent s’exprimer de façon aigüe.
D’une part, la négociation des termes du changement porte bien plus
souvent plus sur la défense des intérêts que sur la préservation des
valeurs de l’entreprise. Et d’autre part, la stratégie politique ne met pas
particulièrement l’accent sur le développement de l’apprentissage de
nouvelles capacités individuelles.
Le programme de changement NeXT (nouvelle expérience des services
de télécommunication) initié par le Président Lombard à France Télécom
est saisissant. Pour mettre en œuvre ce changement, le duo Lombard-
Wenes a mis en place une hiérarchie parallèle.
Désignés parmi les cadres du groupe, les NeXT managers étaient
chargés de décliner le changement à tous les niveaux de l’organisation.
En procédant ainsi, la résistance s’est manifestée de la base au sommet.
Ainsi certains NeXT managers sont devenus dans le cadre du projet les
supérieurs hiérarchiques de leur supérieur hiérarchique. Ce qui
évidemment a engendré des tensions vives au niveau de l’encadrement.
Les NeXT managers semblaient dans ce contexte plus motivés par le

38
maintien de leur pouvoir et l’obtention d’un poste que sur la gestion de la
transition culturelle et le développement des compétences des salariés de
l’entreprise. Il semblait évident que les salariés étaient particulièrement
soucieux de cette transition culturelle comme de leur capacité à assumer
leur nouvelles missions.
Nous en déduisons la proposition 3 : La stratégie politique atténue les
sources psychologique, identitaire et collective de la résistance et en
amplifie les sources politique, culturelle et cognitive.
La stratégie historique, quant à elle, valorise l’intervention des acteurs de
terrain afin qu’ils contribuent à construire le changement.
Ce faisant, les risques de résistances psychologique (l’élaboration
progressive du changement permet aux acteurs de se détacher
progressivement des repères utiles à leur équilibre), identitaire (l’approche
incrémentale permet aux acteurs d’aménager en douceur leur relation à
l’organisation), politique (les acteurs disposent de suffisamment
d’autonomie pour bâtir un changement qui ne remet pas totalement en
cause leurs intérêts), collective (les groupes peuvent infléchir le projet en
vue de sauvegarder les normes de fonctionnement fondatrices), culturelle
(les valeurs de l’entreprise sont le plus souvent protégées dans le cadre
d’une co-construction du
changement) et cognitive (les acteurs développent progressivement de
nouvelles connaissances et capacités afin de satisfaire aux exigences du
changement) sont contenues. Il semble finalement que cette stratégie soit
la plus efficace en termes d’atténuation des sources de résistance au
changement.
La conquête des accréditations Equis et AACSB au sein d’une école de
management de province au cours des années 2000 constitue un exemple
révélateur. Initié par un dirigeant consensuel, selon une démarche très
progressive (sur presque 4 ans) et valorisant les points forts de l’école (la

39
pédagogie, les relations avec les entreprises du territoire...), le
changement n’a engendré aucune résistance significative. Même si les
changements étaient manifestes (adoption de principes pédagogiques
comme les Assurance Of Learning, montée en puissance de la recherche,
développement des procédures de travail...), les tensions ont été
contenues. Les acteurs, professeurs et
administratifs, ont ainsi géré sereinement la transition personnelle induite
par le changement organisationnel.
Nous en déduisons la proposition 4 : La stratégie historique atténue les
sources psychologique, identitaire, politique, collective, culturelle et
cognitivede la résistance.

Enfin, la stratégie symbolique accorde au leader le rôle d’orienter la


production de sens – les acteurs changés étant plus dans une situation de
« réception » (relative car ils fabriquent le sens à partir des productions du
leader). En outre, son action porte principalement sur la communication.
Pour autant, les risques de résistances se situent à deux niveaux «
seulement ». Ainsi l’on peut craindre les résistances
politique (l’action sur le sens a un impact très relatif sur les intérêts des
acteurs en présence et l’expression des jeux de pouvoir) et cognitive (le
développement des connaissances et des compétences des acteurs n’est
pas considéré comme décisif dans cette stratégie).
Dans cette optique, sont susceptibles de s’exprimer moins fortement les
résistances psychologique (la production de sens permet aux individus de
se projeter dans le futur de l’organisation et d’imaginer leur position dans
ce futur), identitaire (les acteurs gardent le lien avec leur organisation via
les efforts de mise en sens réalisés par le leader), collective (les groupes
peuvent penser un mode de fonctionnement
futur) et culturelle (la production de sens se réfère le plus souvent aux

40
valeurs actuelles et futures).
La fusion entre deux écoles de commerce à la fin des années 90 constitue
un exemple révélateur. En effet, elle correspond à une vision du dirigeant
de l’époque selon laquelle le développement des écoles devait passer par
l’obtention d’une taille critique. L’enjeu était d’additionner les professeurs,
les programmes, les étudiants, les budgets... et ainsi afficher des chiffres
importants afin d’attirer plus de candidats. Pour mener ce changement, le
dirigeant a fortement communiqué sur les enjeux d’avenir dans
l’enseignement en gestion, sur sa vision du futur du secteur et sur la place
qu’occuperait la nouvelle école. Ce changement a engendré de fortes
résistances qui s’expliquaient pour des raisons essentiellement politiques.
En effet, les acteurs ont défendu leurs acquis et nombre d’entre eux se
sont engagés dans des stratégies de préservation ou de conquête de
pouvoir. Parallèlement, les acteurs ne remettaient pas en cause la
pertinence du projet, leur rôle comme professeur ou administratif, la perte
de valeurs...
Nous en déduisons la proposition 5 : La stratégie symbolique atténue les
sources psychologique, identitaire, collective et culturelle de la résistance
et en amplifie les sources politique et cognitive.
Le tableau suivant propose une synthèse des stratégies de changement
et de leurs effets sur les sources de résistance.

In fine, les stratégies de changement étudiées semblent exercer une


influence qui varie selon les facteurs de résistance.
Discussion et conclusion
Puisque les difficultés liées à la conduite du changement organisationnel
relèvent pour partie de la résistance des individus, nous avons proposé
d’analyser les effets des stratégies de changement sur les sources de
cette dernière. Pour cela, nous avons procédé à une analyse en trois

41
temps. Dans un premier moment, nous avons abordé la question de la
résistance au changement en analysant en particulier
ses sources. Nous avons ainsi identifié six facteurs de résistance des
individus : psychologique, identitaire, politique, collectif, culturel et cognitif.
Ensuite, nous avons identifié cinq stratégies génériques de changement -
hiérarchique, développement organisationnel, politique, historique et
symbolique. Enfin, nous avons examiné les effets de chaque stratégie sur
les différentes sources de résistance des individus et avons formulé une
série de 5 propositions.
Ce faisant, ce travail s’inscrit dans le prolongement des recherches visant
à établir des recommandations managériales destinées à surmonter la
résistance au changement. Il a un double intérêt car, d’une part il permet
de regrouper les recommandations au sein de 5 stratégies de changement
et, d’autre part il les met en
relation avec les sources de résistance (et non la résistance de façon
générale).
In fine, ce travail permet d’affiner l’étude des effets des recommandations
managériales sur la résistance au changement et souligne la dimension
contextuelle de la définition d’une stratégie de changement.

Sur le plan managérial, ce travail invite à une recommandation en deux


temps. Tout d’abord, il invite les gestionnaires en charge d’une réforme
organisationnelle à identifier quelles sont les principales sources
potentielles de résistance au changement. Ensuite, il suggère aux
réformateurs de définir une stratégie de changement selon les sources de
résistance les plus probables. Dans cette optique,
le tableau suivant identifie les stratégies les plus adéquates – car elles

42
permettent d’atténuer telle(s) source(s) de résistance.

Tableau 5 : Choisir la stratégie de changement

43
Chapitre 4 : COMMUNICATION INTERNE ET CULTURE
ORGANISATIONNELLE

3.1-Communication interne et organisation.

Si on accepte le point de vue proposé ci-dessus, alors, tous les


comportements manifestés dans l’entreprise, serait-ce même le silence,
ont valeur d’information. Ils signifient quelque chose et ils s’influencent les
uns les autres.

Les personnes communiquent par tout ce qui se fait, se dit, se vit de


concrètement observable entre elles (« on ne peut pas ne pas
communiquer »).

Mais ce « jeu » est évidemment régi par des règles auxquelles les acteurs
sont socialisés à la fois formellement (gestion des personnes, règlements,
procédures à suivre, consignes,...) et spontanément (relations entre
personnes, bouche à oreille, pratiques habituelles, consignes entre
pairs,... ).

Tout cela fournit à chacun, employé, ouvrier, cadre, directeur ou visiteur,


les éléments de contexte dont il a besoin pour se repérer et agir à bon
escient dans l’entreprise : « on ne communique pas, on prend part à une
communication ».

Dans cette optique, les manières de faire, de recruter, de travailler, de


former et de se former, d’administrer, de diriger, d’exécuter, d’informer, de
rémunérer, d’évaluer, de promouvoir, de licencier, etc., bref, de mettre en
œuvre l’ensemble des procédures formelles de l’entreprise sont des actes
de communication dès qu’il s’agit de comportements en interactions.

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Mais au-delà et plus subtilement peut-être, l’entreprise « se
communique » par l’organisation et l’utilisation de l’espace, la gestion du
temps, les symboles d’appartenance, les échanges verbaux et non-
verbaux, les accessoires professionnels, la couleur des murs, la
disposition interne et externe des bâtiments, la profondeur des moquettes,
les bruits et les odeurs, les toilettes, la cantine ou le restaurant. Cette
approche pragmatique met nettement l’accent sur « l’ensemble humain »
que constitue une entreprise ou une organisation, tout en reconnaissant
la diversité et la complexité des éléments constitutifs de cet ensemble
(personnes, groupes de personnes, organisations représentatives,
métiers,... ).

En regard du paradigme pragmatique, c’est donc l’entreprise elle-même


qui est lue comme un système de comportements et de contextes en
interactions. Autrement dit, du point de vue pris ici, l’organisation est
directement définie en termes de communication.

Pour investiguer cette communication et en comprendre le « logiciel », il


faut sans doute être ethnologue ou sociologue, en tous cas spécialiste de
la communication. Mais de toute façon, « la communication interne »
d’une entreprise ne peut absolument pas être assimilée aux processus
d’information interne (y compris par exemple la presse d’entreprise).
Ceux-ci en sont une des dimensions parmi d’autres.

3.2-La culture d’entreprise.

Venons-en maintenant à « la culture d’entreprise », notion ambiguë, mais


concept intéressant, et distinguons-y trois dimensions : l’entreprise en tant
que réalité culturelle dans une société déterminée (culture sociétale), la
dynamique culturelle d’une entreprise spécifique (culture d’entreprise) et

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le projet culturel d’une direction vis-à-vis de l’ensemble de son personnel
(culture-projet).

3.3-L’approche culturelle de l’entreprise par la culture sociétale.

Même si nous ne ferons que l’évoquer ici, l’approche culturelle de


l’entreprise constate que l’entreprise est un fait social et culturel dans le
tissu social et culturel où elle est insérée et avec lequel elle est en
interaction constante : pour produire, pour vendre, pour recruter, pour se
financer, mais aussi pour exister.

Cela vaut pour l’organisation elle-même, pour les individus qui y travaillent
et même sans doute pour ceux qui n’ont pas ou plus d’emploi.

Mettre en évidence cette première dimension consiste à rappeler les


incontournables coordonnées de temps et d’espace qui localisent
l’entreprise comme toute autre institution sociale (la famille, l’école, l’état,
la santé, par exemple).

Pensons, à titre d’illustration, à l’importance culturelle de l’entreprise


lorsqu’on évoque « la révolution industrielle » du siècle dernier, la
« société post-industrielle » ou le « modèle japonais ». Mais n’oublions
pas non plus qu’une entreprise japonaise en Belgique, au Canada ou au
Brésil, ne met pas en œuvre le même « modèle japonais » qu’au Japon.
Autre exemple : Taylor était largement tributaire des conditions de main-
d’œuvre de son époque : comment mettre en effet rapidement au travail
une main-d’œuvre nombreuse mais non formée si ce n’est en distinguant
la conception de l’exécution et en parcellisant méthodiquement les
tâches ? Voyons aussi l’amplitude des problèmes d’adaptation que
connaissent pour l’instant les pays de l’Est ou l’Allemagne dans sa
réunification.

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Bref, nous devons avoir à l’esprit un double mouvement d’ouverture :
d’une part, les entreprises, comme telles, sont inséparables des contextes
politiques, économiques, sociaux et culturels par lesquels elles sont
influencées et qu’elles influencent ; d’autre part, les membres de
l’entreprise, tous niveaux considérés, sont eux aussi personnellement et
collectivement insérés dans de tels contextes dont l’entreprise ne peut les
couper.

L’entreprise est un fait de société. Elle est complètement en interaction


avec le contexte sociétal dans lequel elle se trouve.

-
3.4 Changer la culture et l’organisation : La « culture-projet » ou

« culture managériale »

Venons-en maintenant à une troisième dimension : le « projet culturel


d’entreprise » ou encore le « projet d’entreprise », la « culture-projet », la
« culture outil », la « culture managériale » ou tout bonnement encore » la
culture d’entreprise » (corporate culture).

Il s’agit cette fois de l’action volontaire du management sur la culture


d’entreprise au sens où nous l’avons définie.

Le cadre théorique que nous avons mis en place permet de raisonner le


« projet d’entreprise » comme une perturbation délibérée, sinon
méthodique, de l’équilibre du système culturel de l’entreprise. Il s’agit bien
en effet d’une intervention visant les modes de régulation internes pour
les mettre de manière plus active encore au service des diverses finalités
de l’entreprise.

Une telle « perturbation stratégique » est à la fois systémique (toucher à


un élément influence le tout) et pragmatique (elle affecte les
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comportements et les contextes dans lesquels ils s’inscrivent). Elle
influence la culture de l’entreprise, mais en même temps – et c’est sans
doute important de le noter – elle s’y inscrit d’emblée.

En effet, le « projet » est porté – au départ au moins – par un groupe


spécifique : la direction, le management, qui, en l’espèce, parle à la fois
au nom de l’entreprise et depuis sa culture propre.

Mais celle-ci ne peut jamais être confondue avec celle-là.

Sans développer toutes les formes d’action possibles, il faut sans doute
montrer que deux logiques sont fréquemment adoptées et quelquefois
conjuguées. Les deux partent du sommet, mais en type pur, se séparent
dans leur conception initiale.

La direction peut tout d’abord mettre en avant certaines valeurs et


rechercher plus ou moins systématiquement l’adhésion à ces valeurs. La
forme que prend souvent le « projet d’entreprise » (« culture-projet »)
dans cette optique est celle d’une « charte d’entreprise », d’une
« philosophie de gestion » d’un « credo » commun, d’une « constitution »
fondatrice des valeurs censées devoir être partagées par l’ensemble des
membres de l’entreprise.

Mais la direction peut aussi agir suivant une autre logique. À la fois plus
complexe, plus riche et plus délicate.

Dans cette deuxième conception, l’accent est moins mis sur le message
que sur une véritable « mobilisation interne » décidée et planifiée par le
management.

L’idée sous-jacente n’est pas spécialement de susciter l’adhésion à un


texte de référence et aux valeurs de base qu’il exprime, mais bien de créer
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ou d’optimiser, en la mobilisant directement, une capacité
organisationnelle par l’adhésion à l’entreprise, l’implication collective au
travail, l’adaptation permanente au changement, l’initiative rapide, la
motivation positive, etc.

D’un point de vue méthodologique, pour arriver à susciter de nouveaux


comportements, il sera en tout cas nécessaire d’investiguer
rigoureusement les processus profonds de régulation internes et de les
respecter dans l’induction du changement. La pragmatique de la
communication amène des éléments très clairs à ce sujet. Faute de cela,
le projet-perturbation conduira vraisemblablement à un déséquilibre
incontrôlé du système à moins, bien entendu, que tout ne soit neutralisé
par l’effet des mécanismes de régulation en place.On peut pratiquement
parler de développement communautaire dans ce type de projet
d’entreprise où l’on observe la mise en œuvre et la canalisation
stratégique de tout un processus collectif d’implication de chacun.

Agir sur la culture, c’est évidemment toucher à un des éléments essentiels


du lien social, dans le cas qui nous occupe ici, du lien organisationnel.
Effet de mode ou mouvement de fond ?

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CONCLUSION
Le changement est une réponse méthodologique aux enjeux de
transformation dans les entreprises mais c’est aussi une invitation à revoir
les modalités gestionnaires des organisations pour ne pas qu’elles
sombrent dans ce que François Dupuy nomme « La faillite managériale »,
titre de son dernier ouvrage publié en 2015 aux éditions du Seuil.

L’agilité est au cœur des organisations qui doivent opérer de plus en plus
de changements rapidement. Au travers de l’agilité, nous traitons de la
capacité d’une organisation à réaliser ses transformations et réformes. Or
que constatons-nous ? Les organisations ont beaucoup de mal à se
réformer et à opérer leurs transformations ? Dans leur ouvrage « Agir en
mode délivery », de nature macro, Autissier, Li et Moutot (2015 aux
éditions Eyrolles) mettent en avant la capacité à agir avec le concept de
delivery. Selon ces auteurs, « Delivery, c’est la capacité à privilégier
l’action pour obtenir les meilleurs résultats. C’est d’abord et avant tout agir,
expérimenter et d’apprendre de l’expérimentation, que ce soit à l’échelle
de l’individu, de l’entreprise ou de la société tout entière. »

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