On Enlève Des Rides, On Réduit Les Nez - La Retouche Des Acteurs À L'écran, Encore Un Tabou - Le Parisien

15/11/2022 16:44 «On enlève des rides, on réduit les nez» : la retouche des acteurs à l’écran, encore un tabou
à l’écran, encore un tabou - Le Parisien
«On enlève des rides, on réduit

les nez» : la retouche des acteurs
à l’écran, encore un tabou
Comme dans « Diane de Poitiers », diffusé sur France 2 ce lundi
7 novembre, le cinéma et la télévision utilisent de nombreuses
techniques pour embellir et rajeunir acteurs et actrices. En plus
des jeux sur la lumière, les retouches numériques se
généralisent… Mais le sujet reste tabou.
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Pour France 2, Isabelle Adjani incarne Diane de Poitiers de ses 30 à ses 66 ans, grâce à un savant jeu de lumières et de focales.
Garanti sans retouches numériques, assure l'actrice. Passion Films/FTV/Carole Bethuel
Par Catherine Balle

Le 7 novembre 2022 à 07h32, modifié le 7 novembre 2022 à 14h03
https://www.leparisien.fr/culture-loisirs/cinema/maquillage-lissage-numerique-eclairage-le-tabou-de-la-retouche-des-acteurs-a-lecran-07-11-2022-G4HOLVTR… 1/11
15/11/2022 16:44 «On enlève des rides, on réduit les nez» : la retouche des acteurs à l’écran, encore un tabou - Le Parisien
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Josée Dayan le martèle : si Isabelle Adjani, 67 ans cette
année, arbore un visage de madone d’une incroyable
juvénilité dans « Diane de Poitiers », sa mini-série diffusée
à partir de ce lundi 7 novembre (France 2, 21h10), c’est
uniquement parce que la réalisatrice a choisi les « bonnes
» focales, un éclairage avec beaucoup de bougies, et qu’elle
a filmé sa comédienne à la « bonne » distance et selon les
« bons » axes, soit essentiellement de trois quarts. «
Isabelle est même venue à l’étalonnage (étape où sont
réglés les couleurs et contrastes) et elle a demandé, pour
garder le vivant de la chair, qu’aucun plan ne soit adouci »,
assure la cinéaste. L’intéressée confirme. Démentant les
soupçons, avancés par certaines sources, selon lesquelles
son visage aurait été retouché numériquement…
Cette suspicion est liée à l’essor de cette pratique qui

consiste à effacer, sur un ordinateur, les défauts d’un
acteur. Quand le maquillage, l’éclairage, les focales (qui
étirent ou élargissent) et le travail de la couleur en
postproduction ne suffisent pas, le « beauty work » entre
en scène. « On enlève des rides, des cernes, des boutons ou
de la peau d’orange », explique Rodolphe Chabrier,
cofondateur de MacGuff, studio spécialisé dans les effets
spéciaux.
Les noms des retoucheurs parfois biffés au générique

« Comme les caméras, de plus en plus définies (précises),
montrent davantage les imperfections, les demandes sont
croissantes. On réduit les nez et les oreilles, qui sont des
marqueurs de l’âge car ils grandissent toute la vie, on
redessine des fesses ou des seins… » détaille Fabien
Guiliani, superviseur chez Digital District, autre studio

spécialisé dans les effets visuels.
À lire aussi Isabelle Adjani : «Les retouches numériques se sont banalisées dans les
films»
« Pour cacher leur calvitie, certains comédiens préfèrent

qu’on leur ajoute des cheveux numériquement plutôt que
de porter des toupets », renchérit son collègue Nicolas
Rigaud. Selon ces professionnels, le « beauty » concerne
de très nombreuses fictions françaises, sur grand et petit
écran. Nicolas Rigaud assure même que certaines actrices
« paient de leur poche » un « beauty », dont les coûts
atteignent quelques centaines d’euros par plan.
« Lorsqu’on voit que Kate Winslet doit exiger que son

corps ne soit pas retouché, on comprend que la pratique
du beauty work est systématique à Hollywood. Mais elle
s’est aussi généralisée dans le cinéma français », note la
critique Murielle Joudet, autrice de « la Deuxième Femme.
Ce que les actrices font à la vieillesse » (Éd. Premier
Parallèle).
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Isabelle Adjani elle-même confirme la « banalisation » des

retouches numériques. Et en mai, dans les coulisses de la
série « HPI » avec Audrey Fleurot (TF 1), la directrice de la
postproduction Nathalie Patron De Santis racontait au
Parisien comment, lors de la phase finale de fabrication,
on pouvait accentuer la netteté d’un regard ou… retirer
une ride du visage d’un comédien.
En post-production, les regards des comédiens dans « HPI » (avec Audrey Fleurot, à l’écran à
droite) ont pu être intensifiés. LP/Olivier Lejeune
« J’avais retouché le corps entier de Sharon Stone pour

Largo Winch en 2011, se souvient Rodolphe Chabrier. Elle
a un corps magnifique, mais elle devait être parfaite. »
Impossible cependant d’obtenir les noms d’acteurs ou
actrices français « modifiés » numériquement, sauf si ces
effets spéciaux sont justifiés par le scénario. Rodolphe
Chabrier raconte ainsi comment, pour des scènes de flash-
back, il a rajeuni Mathieu Amalric dans « le Bureau des
légendes », ou plusieurs personnages de la série « Lupin ».
Fabien Guiliani, lui, explique avoir émacié le visage de
Patrick Bruel, qui incarnait un malade dans « le Meilleur
reste à venir ».
Mais lorsque le « beauty work » vise un objectif purement

esthétique, le sujet devient tabou. Au même titre que la
chirurgie ou le Botox. « On n’a pas le droit de citer les
actrices qu’on retouche, assène Fabien Guiliani, de Digital
District. On signe des clauses de confidentialité et, parfois,
on n’apparaît même pas au générique. »
Pour son ouvrage, Murielle Joudet a recueilli de nombreux

témoignages sur ces retouches, mais toujours sous le sceau
du secret. Elle n’y cite donc aucun exemple, ou seulement

au conditionnel. Ainsi écrit-elle à propos d’Isabelle
Huppert : « Dans ses films récents, elle semble éthérée,
désincarnée, immatérielle comme l’image numérique. (…)
Dans certains films, on peut supposer que son corps est
retouché numériquement. »
« Elles savent que si on leur enlève dix ans à l’image, elles

pourront travailler plus »
Si ce sont souvent les acteurs eux-mêmes qui exigent d’être
« corrigés » numériquement, l’enjeu n’est pas seulement
narcissique. « Le physique des comédiens, c’est leur outil
de travail », rappelle Rodolphe Chabrier. « Les actrices ne
veulent pas être cantonnées à des rôles de grand-mère, et
elles savent que si on leur enlève dix ans à l’image, elles
pourront travailler plus », renchérit Nicolas Rigaud.
D’ailleurs, c’est parfois le réalisateur, ou la réalisatrice, qui
demande le « beauty ». « Certains cinéastes projettent sur
une comédienne l’image d’elle il y a dix ou vingt ans.
Quand ils voient que la réalité ne correspond pas à leur
fantasme, ils nous demandent d’enlever la peau qui
pendouille sous les bras », note Fabien Guiliani.
Aujourd’hui, le « beauty work » ne cesse de se

perfectionner. « Après avoir lissé un visage, on réapplique
le grain de peau pour garder le naturel : si c’est bien fait,
c’est indétectable », affirme Fabien Guiliani. Surtout,
désormais, le « beauty » utilise la technologie de
l’intelligence artificielle. « Plutôt que de retravailler image
par image comme avant, on crée un modèle à partir
d’images de l’acteur ou d’autres acteurs qui lui
ressemblent, décrypte Rodolphe Chabrier. Après, on colle
ce modèle sur le visage du comédien et il peut se mettre à
jouer. L’intelligence artificielle, qui coûte beaucoup moins
cher, apporte un changement de paradigme. »
« Rééduquer le public aux défauts »

Les retouches numériques ne sont-elles pas qu’une
nouvelle forme de trucage dans une industrie où, il y a cent
ans, on mettait un bas nylon sur la caméra pour diffuser
une lumière flatteuse sur le visage des actrices ? « Il n’y a
pas de différence entre demander au chef opérateur de
soigner la comédienne et faire des retouches numériques,
estime Rodolphe Chabrier. Le cinéma, ce n’est que des
artifices. » « Beaucoup d’actrices demandent à être filmées
avec des objectifs très précis », renchérit Nicolas Rigaud,
qui se souvient qu’avant le numérique « on scannait la
pellicule pour y faire des retouches ».
Pourtant, certains s’inquiètent. « La réalité est déjà en

train de se mettre au pas de cette retouche numérique,
juge Murielle Joudet. Cela déborde la question du cinéma.
C’est comme les filtres Instagram qui font que les jeunes
filles ne supportent plus leur vrai moi. Si, entre ces jeunes
femmes et leur image retouchée, viennent s’immiscer les
images d’actrices retouchées, cela va compliquer encore le
rapport des filles à leur apparence. Il faudrait rééduquer le
public aux défauts, aux rides, aux boutons, aux poils… »
Le comédien et réalisateur Jacques Weber abonde : « On

est dans un monde où le faux a pris le pas sur le vrai. Il ne
faut surtout pas jeter l’opprobre sur les actrices retouchées
! Mais il est nécessaire de s’interroger sur cette croyance
épouvantable selon laquelle les femmes n’auraient pas le
droit de vieillir parce qu’elles seraient alors moins
désirables. »
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