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Les systèmes Les défis du mouvement

paysan face à la digitalisation p. 20


alimentaires
de l’agriculture

en état de siège Entretien avec Michael


Fakhri, Rapporteur spécial p. 28
de l’ONU sur le droit à
l’alimentation

50
De l’autonomie à la
souveraineté alimentaire : p.
le fil rouge des mouvements
sociaux

REVUE CRITIQUE POUR UN AUTRE DÉVELOPPEMENT


IMPRESSUM
Les systèmes alimentaires en état de siège,
décembre 2021, 60 pages
Sommaire Par Florian Rochat
Édito
Éditeur :
CETIM
3 34
D
ès sa fondation, le CETIM a Le CETIM entretient de très longue date
Dossier préparé par : Édito Le Sommet des Nations adopté le concept de «  mal- des liens de réflexion, de lutte et de soli-
Murad Akincilar Par Florian Rochat
Unies sur les systèmes développement » comme la clé de darité avec des mouvements sociaux, des
alimentaires : une
4
Contributions : voûte de son analyse sur la marche du institutions et des chercheur·ses des cinq
Florian Rochat, Murad Akincilar, colonisation flagrante de
monde. Les mobilisations sur le change- continents. La place centrale accordée dans
Vijay Prashad, Coopérative des l’ONU par l’agrobusiness
Sécurité alimentaire : Entretien avec des militant·es de la Confederación
ment climatique et, plus encore, les dé- la présente revue à des rédacteur·trices
femmes de Meshoq, Marciano Silva, l’approche des communs pour sindical única de los trabajadores campesinos de faillances mises en lumière par la crise issu·es des mouvements sociaux et du
Christophe Golay, Michael Fakhri, penser la malnutrition Bolivia (CSUTCB)
Selin Yetim, Confederación sindical sanitaire internationale ont souligné la monde académique répond à un double
Par Murad Akincilar

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única de los trabajadores pertinence de cette approche. objectif : présenter au lectorat des analyses
campesinos de Bolivia, Anuka de
8
riches et variées sur les multiples crises
Silva, Raffaele Morgantini, Samir Perspectives du féminisme Pour le CETIM, le développement ne doit auxquelles sont confrontées nos sociétés,
Amin. paysan et populaire
Interdire la nourriture aux pas être confondu avec la croissance éco- et offrir des éléments de réponse straté-
Comité de rédaction : affamé·es Entretien avec Anuka de Silva, Movement for Land
and Agricultural Reform, La Vía Campesina Sri nomique. Le développement fait partie gique fondées sur les expériences de lutte
Murad Akincilar, Julie Duchatel, Par Vijay Prashad
Lanka de la vie, de l’évolution où toute chose se et le vécu des auteur·es. Autrement dit, ce
Melik Özden, Florian Rochat,

12
développe, croît, régresse, voire naît ou projet privilégie l’audace intellectuelle et
Raffaele Morgantini

42
disparaît, au gré de forces contradictoires entend insuffler la confiance dans l’action
Secrétaire de rédaction :
Vers une déroute en lutte. Mais, dans le domaine social et collective. De la même façon, la présente
Léo Ruffieux de la réalisation de l’ODD 2 La Déclaration de l’ONU sur économique se pose la question : dévelop- revue s’inscrit dans la défense de l’équité et
Communication et diffusion : Par la coopérative des femmes de Meshoq (Nord de
la Syrie)
les droits des paysan·nes : pement pour quoi, pour qui, décidé et pro- de la justice Nord-Sud ; avec une attention
Marie-France Martinez Le droit au service de la lutte mu par qui et avec quelles conséquences particulière aux principes de coopération,
pour des systèmes alimentaires
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Maquette et graphisme : pour les êtres humains, les peuples, les de solidarité et de fraternité internatio-
Utopix
durables et égalitaires
Par Raffaele Morgantini classes populaires, leur bien-être, leur en- nales et en se distançant des approches
La catastrophe alimentaire vironnement naturel  ? D’où l’urgence et eurocentristes, unilatérales et abstraites.
et le risque de famine au
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la pertinence d’une analyse critique sur le
Moyen-Orient (Palestine, maldéveloppement généralisé qui prévaut Le premier numéro de la revue Lende-
Syrie du Nord, Yémen)
Par CETIM
La modernisation de dans le mode de production et de consom- mains solidaires est consacré à l’analyse
l’agriculture du Sud par la mation en vigueur. du système alimentaire dominant. Ce
Abonnement annuel : « voie capitaliste » est-elle
20
système ignore les besoins essentiels des
3 numéros 20.- CHF ou 20.- Euros/an possible et souhaitable ?
Selon cette perspective, la crise actuelle êtres humains ainsi que la place centrale
Extrait du livre de Samir Amin
Prix au numéro : Les défis du mouvement La souveraineté au service a prodigieusement animé les débats sur d’une alimentation de qualité dans leur
8.- CHF ou 8.- Euros
paysan face à la digitalisation des peuples
l’avenir des sociétés humaines. Ils prennent développement (dans tous ses aspects).
de l’agriculture
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Paiement par virement bancaire même, dans certains milieux, des allures Lendemains solidaires analyse également
Postfinance Par Marciano Silva, Movimento dos Pequenos
IBAN: CH90 0900 0000 1 201 98501 Agricultores (Brésil) de plus en plus « radicales », mais souvent les politiques des institutions internatio-
SWIFT/BIC: POFICHBEXXX Encadré : La propriété intellectuelle De l’autonomie à la également débridées et « gesticulatoires » : nales dans ce domaine, tout en explorant
CETIM
contre les semences paysannes souveraineté alimentaire : s’y côtoient, peut-être plus que ne s’y af- des alternatives possibles au système
Rue Amat 6 1202 Genève, Suisse
Par Christophe Golay le fil rouge des mouvements frontent, des discours aux propositions dominant. Pour faire court, la question
Tél. +41 (0)22 731 59 63 sociaux
28
contact@cetim.ch généreuses, anti-consuméristes et réso- posée est  : faut-il renforcer et protéger
Par CETIM
www.cetim.ch lument égalitaires aussi bien que des dia- l’agriculture paysanne dans le monde
Entretien avec Michael
54
Remerciements
tribes aux relents racistes, néo-coloniaux et entier et promouvoir la pleine souverai-
Cette publication a bénéficié du soutien de la Fakhri, Rapporteur spécial malthusiens à peine voilés. S’y ajoutent des neté alimentaire dans chaque pays ou au
République et canton de Genève et de la Ville de l’ONU sur le droit à Les labels : difficile de s’y envolées utopiques peu préoccupées des contraire booster le commerce mondial
de Genève, à travers la Fédération genevoise l’alimentation retrouver!
de coopération. Encadré : Les dessous de l’agriculture réalités concrètes et de leur transformation des produits agricoles et alimentaires et
« régénératrice » pratique. laisser le champ libre à l’agro-business ?
Par Selin Yetim

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Les systèmes alimentaires Décembre
2 Nº en état de siège 2021 3
Sécurité alimentaire :
l’approche des communs
pour penser
la malnutrition Par Murad Akincilar *

La sécurité alimentaire est nécessaire pour lutter


contre la malnutrition. Consubstantielle du droit à
la vie, l’alimentation doit être considérée comme un
bien commun et non comme un bien marchand.

S
elon la définition adoptée au Cette «  faim cachée  », situation de
Sommet mondial de l’Alimen- carence en micro-nutriments (vita-
tation à Rome en 1996, la sé- mines et minéraux) nécessaires à la
curité alimentaire existe «  lorsque santé humaine touchant près de deux
tous les êtres humains ont, à tout milliards de personnes, est sans doute
moment, la possibilité physique, so- l’un des principaux problèmes de san-
ciale et économique de se procurer té des pays du Sud.
une nourriture suffisante, saine et
nutritive leur permettant de satis- Des stratégies comme la bio-fortifi-
faire leurs besoins et préférences cation, permettent pourtant d’aug-
alimentaires pour mener une vie menter la teneur en vitamines et en
saine et active ». Elle doit donc être minéraux des aliments végétaux en
abordée de façon holistique. En ef- appliquant une méthode de sélection
fet, il est primordial de s’assurer que classique des plantes cultivées (gé-
la nourriture à disposition soit saine, nétique) ou de fertilisation (agrono-
équilibrée et que chaque être humain mie). La consommation quotidienne
y ait accès de manière équitable. Dans de pain et d’autres aliments à base de
les pays où la malnutrition est géné- plantes dont la teneur en nutriments
rale, il existe une forte corrélation a été naturellement augmentée res-
entre la carence en micro-éléments taure de manière mesurable l’état nu-
tels que le zinc et la détérioration de tritionnel des êtres humains. Ainsi, la
Economiste, chercheur et syndicaliste la réponse immunitaire cellulaire. bio-fortification pourrait devenir une

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stratégie agricole importante pour la condition première pour considérer dépend de plus en plus de la proprié- Pourquoi est-il si important de définir Deuxièmement, définir la nourriture
améliorer la vie de millions de per- la nourriture comme un bien commun té foncière des entreprises, l’accès à la nourriture comme un bien com- comme un bien commun permet
sonnes confrontées à la malnutrition. exige de ne pas l’observer comme une l’alimentation dépend étroitement de mun ? Premièrement, si nous voulons de poser les jalons politiques indis-
simple marchandise à consommer. De l’usage collectif de la terre. En ce sens, penser à une alternative au système pensables au système alimentaire.
Une production agricole de qualité ce point de vue, ce qu’il faut entendre on peut dire que la détermination des alimentaire existant, nous devons Construire des alternatives nécessite
fondée sur la préservation des sols, par « alimentation » est avant tout un aspects communs et des agents consti- actualiser cette pensée comme une par conséquent de définir correcte-
avec un bilan carbone organique du- processus social, défini par des rela- tutifs de l’alimentation est beaucoup critique du système existant. A cette ment les acteurs en présence, et de dé-
rable, est essentielle pour une alimen- tions sociopolitiques et des rapports plus difficile à appréhender que la fin, contrairement à la logique du terminer dans quels types d’alliances
tation saine. Or, dans certaines régions, de classe ancrés dans chaque produit communalité d’une rivière, d’une fo- marché, l’approche des communs est ceux-ci peuvent évoluer.
une carence en nutriments est obser- alimentaire. rêt ou d’un savoir. Pour concevoir le parfaitement appropriée. Avec une
vée dans les tissus végétaux : l’absorp- processus alimentaire comme un bien telle approche, la nourriture peut Le système alimentaire rend compte de
tion des nutriments par les plantes y commun, il faut nécessairement com- être considérée comme un potentiel la formation et des relations de sujets
est limitée, en particulier dans les sols prendre les relations qui s’opèrent à d’émancipation des peuples. en tant que producteurs, transforma-
à faible productivité, ceux à pH élevé toutes les étapes dudit processus. teurs, distributeurs et consommateurs
ou à forte teneur en calcaire. L’agricul- d’aliments. Le système alimentaire
ture doit répondre à des conditions De ce point de vue, ce qu’il faut dominant –  l’industrie agroalimen-
écologiques précises. Par conséquent, entendre par « alimentation » est taire – dans le monde contemporain a
la biodiversité, –  incluant les espèces
avant tout un processus social, défini été façonné autour du monopole des
végétales et animales endémiques  –, entreprises agroalimentaires et de la
doit être protégée par les autorités par des relations sociopolitiques et logique des entreprises à but lucratif.
publiques, et l’agriculture, réorganisée des rapports de classe ancrés dans Fortes de leur domination mondiale,
selon les principes de l’écologie afin chaque produit alimentaire. ces sociétés organisent et gèrent la
d’assurer la sécurité alimentaire et production, la transformation, la dis-
l’approvisionnement de nombreuses tribution et la consommation des
denrées de qualité. aliments dans une logique de profit.
Elles soumettent ainsi ces relations à
Les aliments, biens communs ? Les processus de production, de la rationalité du marché fondée sur la
transformation, de distribution et de maximisation du profit.
Considérer la nutrition comme un consommation doivent être consi-
simple moyen de satisfaire les be- dérés comme un tout, c’est-à-dire en La formation du système alimen-
soins nutritionnels afin d’accomplir tant que système. Aborder le système taire selon la maximisation du profit
des fonctions physiques serait inadé- alimentaire dans l’ensemble de ses re- contredit la fonction fondamentale
quat. La nutrition est également un lations et de ses agents, permet d’ap- de la nourriture, en tant que droit
droit humain fondamental, le droit à préhender la tension entre le caractère à la vie. De la graine à la table, tout
la vie, et a pour fonction de protéger collectif de la production et l’appro- le processus ainsi que les relations
la santé et de fournir aux êtres vivants priation privée de cette dernière. Une entre ses agents, sont contraints par
des apports essentiels en énergie. En telle analyse permet également de la logique de marchandisation et de
ce sens, une alimentation saine, né- comprendre les possibilités et les ex- maximisation du profit. Ainsi, tous les
cessaire pour toutes et tous, doit être périences de mise en commun par op- agents impliqués dans les structures
considérée comme un bien commun. position aux relations de privatisation agricoles sont soumis à de larges
Une telle approche ne va cependant et de marchandisation qui affectent le contraintes qui entravent leur capa-
pas de soi puisque les systèmes ali- système alimentaire. cité d’action collective  : les commu-
mentaires sont conditionnés dans leur nautés rurales sont marginalisées  ;
chaîne de valeur (production, trans- Le système alimentaire en tant que les institutions de transformation
formation, distribution et consomma- bien commun signifie qu’il n’est pas deviennent davantage privatisées et
tion) par les relations de propriété, la la propriété d’agents particuliers mais financiarisées  ; l’approvisionnement
marchandisation, le commerce et la bien celle de l’ensemble de l’humanité. alimentaire est marchandisé.
société de consommation. Pourtant, Étant donné que la structure agricole

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danciellement en baisse avant 2014, a réclamer de la nourriture ou pour dé-

Interdire considérablement augmenté et ce, de


manière exponentielle depuis le grand
confinement lié au Covid-19.
fendre leurs droits, ils doivent le plus
souvent affronter la répression éta-
tique.

la nourriture On pourrait penser qu’en pleine


Étude de cas : La « politique du
sang » en Afrique du Sud
En août 2020, l’institut de recherche

aux affamé·es pandémie, lorsque l’emploi


s’effondre et que la faim augmente,
la richesse sociale soit utilisée
sociale Tricontinental a publié un
texte puissant3 qui démontre un fait
douloureux : les institutions étatiques
violentes qui ont germé durant l’apar-
pour endiguer la famine. C’est theid se sont perpétuées au sein de
Par Vijay Prashad * méconnaître le fonctionnement des l’État sud-africain post-apartheid.

A juste titre, les enfants s’étonnent d’une contradic- sociétés basées sur la hiérarchie des «  Pendant la transition  », écrivent les
auteur·trices de ce dossier, « une lutte
classes. menée par des millions de personnes
tion évidente dans les sociétés capitalistes : des ma- pour la construction d’un pouvoir dé-
gasins remplis de nourriture mais des gens affamés mocratique populaire et de formes
Environ trois milliards de personnes participatives de démocratie s’est ré-
dans les rues ne peuvent pas se permettre une ali- duite aux élections, aux tribunaux, à
mentation saine en raison d’une brève une presse commerciale libre et à la

C
’est une question d’une impor- ment – y compris la mort – mais ils ne ouverture des entrepôts de nourriture substitution d’ONGs, désormais qua-
tance énorme qui se dissipe connaissaient tout simplement pas le et d’une distribution éphémère des lifiées de ‘société civile’, pour toutes
dans le brouillard de l’ambi- crime. Pour quelle raison étaient-ils et aides alimentaires. Lorsque les gens, formes d’organisations populaires dé-
valence morale. En effet, diverses étaient-elles battu·es et tué·es ? La col- affamés, descendent dans la rue pour mocratiques. »
explications sont utilisées pour em- lecte de bois tombé sur le sol forestier
brouiller les jeunes esprits. La théo- ne peut être considérée comme un acte
rie la plus déconcertante est que criminel, pas plus que le besoin fon-
les personnes affamées ne peuvent damental des personnes affamées de
pas manger parce qu’elles n’ont pas chercher de la nourriture. Et pourtant,
d’argent et que, d’une manière ou dans nos sociétés qui privilégient les
d’une autre, cette absence d’argent hiérarchies de classe, la richesse sociale
– la plus mystique de toutes les créa- est confisquée au profit d’institutions
tions humaines – est une raison suf- de plus en plus répressives, que ce soit
fisante pour laisser les gens mourir au sein de la police ou de l’armée.
de faim.
On pourrait penser qu’en pleine pandé-
N’est-il pas stupéfiant que, nous, êtres mie, lorsque l’emploi s’effondre et que
Historien, journaliste, commentateur humains, ayons recours à des forces de la faim augmente, la richesse sociale
et intellectuel indien. Il est le Directeur police et à la violence pour défendre la soit utilisée pour endiguer la famine.
exécutif de Tricontinental : Institute for nourriture contre les affamé·es  ? L’un C’est méconnaître le fonctionnement
Social Research et Rédacteur en chef des premiers reportages journalis- des sociétés basées sur la hiérarchie des
de LeftWord Books. Le présent article, tiques de Karl Marx1 relatait la violence classes. Pire encore  : selon le rapport
avec son étude de cas, sont tirés de la à l’encontre des paysan·nes de Rhéna- conjoint de l’Organisation pour l’alimen-
34e Newsletter «  Tell the People That nie qui ramassaient du bois tombé pour tation et l’agriculture (FAO) et d’autres
the Struggle Must Go On » du Triconti- alimenter leurs feux. Les paysan·nes, agences des Nations Unies publié en
nental Institute for Social Research. écrivait Marx, connaissaient le châti- juillet 20212, la faim dans le monde, ten-

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Après l’apartheid, les formes indé- d’agriculture urbaine et des coopéra-
pendantes d’auto-organisation et les tives qui leur conféraient une souverai-
revendications populaires pour des neté alimentaire.
formes de démocratie plus participa-
tives ont souvent été criminalisées. La Pour rappel, les occupant·es d’eKhenana
situation s’est détériorée à tel point, arboraient le drapeau d’Abahlali4 et,
affirment les auteurs, qu’en Afrique du dans le cadre de sa philosophie de
Sud, « la police tue des gens, pour leur solidarité internationale, celui de leurs
grande majorité appauvris et noirs, à compagnons du mouvement des
un taux par habitant trois fois plus éle- travailleur·euses sans terre du Brésil
vé qu’aux États-Unis. » Les chiffres sont (MST). Dans ce pays, en août 2020,
stupéfiants, l’étendue de la violence, l’État avait violemment attaqué la
choquante. communauté de Quilombo Campo
Grande. Après avoir résisté durant 60
En Afrique du Sud, la répression heures contre la police militaire, les
contre les organisations populaires occupant·es de la communauté ont dû
–  syndicats et représentant·es d’ha- se retirer en perdant tout ce qu’ils et
bitant·es des bidonvilles  – n’a pas di- elles avaient construit.
minué pendant la pandémie. Près de
300 000 personnes ont été arrêtées
et les rassemblements publics, inter-
dits. Les organisations populaires ont
par conséquent eu du mal à élaborer
une résistance contre la brutalité de la
violence étatique. En atteste l’exemple
de Durban, grande ville côtière où les Notes
mouvements des habitant·es des bi- 1 Karl Marx, « Débats sur la loi
donvilles –  Abahlali baseMjondolo  – relative au vol du bois », Rheinische Zei-
ont mené des occupations de terres et tung, octobre-novembre 1842.
ont dû faire face, avec les habitant·es
2 FAO, FIDA, OMS, PAM et
de ces nouvelles colonies, à la violence UNICEF, 2021. L’état de la sécurité ali-
du gouvernement local. mentaire et de la nutrition dans le monde.
Transformer les systèmes alimentaires pour
Autre exemple  : le 28 juillet 2020, la que la sécurité alimentaire, une meilleure
nutrition et une alimentation saine et
municipalité dirigée par l’African Na-
abordable soit une réalité pour tous. Rome,
tional Congress (ANC) a attaqué les FAO.
occupant·es d’eKhenana, un quartier
populaire historique de la classe ou- 3 Tricontinental : Institute for
social research, “The Politic of Blood”: Po-
vrière situé à Cato Manor. Dans ce
litical Repression in South Africa, Dossier
quartier, des femmes comme Dorothy n°31, août 2021.
Nyembe et Florence Mhize avaient
organisé le soulèvement contre l’État 4 Mouvement d’habitant·es de
bidonvilles formé en 2005 qui s’est illustré
d’apartheid, une idée qui commençait
par des occupations de terres, la mise en
à gagner du terrain au sein du mouve- place de collectifs et de campagnes contre
ment de l’ANC. Un passé oublié depuis les expulsions, la xénophobie et en faveur
que l’État – malgré les décisions de la de logements publics.
justice – expulse violemment les habi-
tant·es de leurs maisons, de leur projet

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Vers une déroute Par la coopérative des femmes de Meshoq
(Nord de la Syrie)

de la réalisation
de l’ODD 2
Depuis l'adoption des Objectifs du développement Sans une mise en cause du modèle ciétés transnationales. On estime matière de droits économiques, so-
néolibéral des système alimentaires que 1% des possédant·es tirent profit ciaux et culturels. C’est pourquoi les
durable de l’ONU (ODD) en 2015, le nombre de per- promu par l’agrobusiness, il n’est pas d’au moins 70% des terres agricoles femmes des communautés locales en
sonnes souffrant d'insécurité alimentaire et de mal- difficile de prévoir le fiasco de la réa- mondiales. Ces sociétés canalisent les Amérique latine, en Asie et au Moyen
lisation des quatre premiers objectifs produits alimentaires, bien souvent Orient s’impliquent pour qu’un en-
nutrition ne cesse d’augmenter. Cela signifie claire- du développement durable. Les ten- industriels, dans les chaînes d’appro- semble cohérent de politiques et de
dances négatives actuelles de la bio- visionnement mondiales corporatistes programmes publics, avec la participa-
ment que les objectifs mondiaux de conservation des diversité et des écosystèmes ont déjà construites selon des modèles com- tion pleine et effective des paysannes,
ressources naturelles et de protection de l’environne- sapé à 80 % des cibles des objectifs merciaux et des règles commerciales soit au centre de la mise en œuvre du
de développement durable liées à la néocoloniaux consacrés par l’Organi- droit à l’alimentation. En effet, une
ment, en lien avec la réalisation de l’ODD 2 « En finir pauvreté, à la faim, à la santé, à l’eau, sation mondiale du commerce (OMC) véritable refonte des systèmes alimen-
aux villes, au climat, aux océans et et les accords commerciaux bilatéraux. taires nécessite un réexamen critique
avec la faim », ne pourront être atteints, en 2030, si aux terres. La perte de la biodiversité, de la façon dont les aliments entrent
l’on s’en tient aux politiques actuelles. l’accès à l’eau et la lutte contre la faim et sortent du marché, ainsi que du coût
dans le monde sont non seulement réel de la production alimentaire. Les
des problèmes environnementaux, Des décennies de réformes du discussions autour de l’économie des
mais également liés au maldéveloppe- marché foncier menées par la systèmes alimentaires ont historique-
ment économique, politique et social. Banque Mondiale ont concentré la ment marginalisé les mouvements so-
Ainsi, plutôt que d’atteindre l’objectif ciaux et les petit·es producteur·trices
d’éliminer la faim visée dans l’ODD 2,
propriété et le contrôle des terres alimentaires. De plus, les politiques
nous nous avançons sûrement vers une agricoles aux mains des élites qui limitent l’accès au marché créent
insécurité alimentaire accrue et plus nationales et néocoloniales, et plus des prix injustes et imposent des régle-
exacerbée dans les pays pauvres, ainsi mentations inappropriées empêchant
récemment, des grandes sociétés
que vers des problèmes structurels de la production à petite échelle de pros-
rupture des chaînes d’approvisionne- transnationales. pérer et limitant la possibilité de créer
ments dans les pays dits développés. des chaînes alimentaires de proximité
et durables.
Des décennies de réformes du marché Le cadre des droits humains fournit aux
foncier menées par la Banque Mon- mouvements sociaux et aux commu- Étant donné que la majeure partie de
diale ont concentré la propriété et le nautés en voie de décolonisation un la nourriture est acheminée via des
contrôle des terres agricoles aux mains ensemble d’outils pour rendre les États marchés liés aux systèmes alimen-
des élites nationales et néo-coloniales, et les organisations internationales taires locaux, nationaux et régionaux
et plus récemment, des grandes so- responsables de leurs obligations en («  marchés territoriaux  »), il est né-

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12 Nº en état de siège 2021 13
cessaire de soutenir davantage ces acteurs et leurs alliés promettent dé- gement. En effet, que ce soit en temps minants sociaux de la santé. Il relève
marchés par des politiques publiques, sormais d’apporter des solutions «  al- de crise ou en période de « prospérité », notamment que plus de 821 millions de
La souveraineté
conformément à la Déclaration sur ternatives  ». Reste que, sous les pres- les systèmes alimentaires mondiaux personnes sont confrontées à l’insécurité
les droits des paysans et des autres sions économiques extérieures des néolibéraux et néocoloniaux ont laissé alimentaire dans le monde et que 40% alimentaire :
personnes travaillant dans les zones grandes puissances, des millions de tomber les peuples pauvres, affamés de la population mondiale n’a pas accès une vision politique
rurales (art. 16). A la fois en renforçant personnes n’ont plus accès aux mar- et marginalisés du monde, en particu- à de l’eau potable propre et salubre.
ces marchés là où ils existent déjà et chés alors que des millions d’autres lier les populations rurales des pays du fondamentale
en ouvrant de nouveaux espaces pour ressentent la puissance des sanctions Sud. Ainsi, six mois déjà avant le début Il est évident que la compréhen-

L
qu’ils s’épanouissent sans répression économiques contre leurs gouverne- de la pandémie Covid-19, un rapport de sion actuelle des causes profondes a souveraineté alimentaire est le droit des peuples à une alimentation
et/ou intervention de la force écono- ments qui ont osé revendiquer la sou- la Plateforme intergouvernementale de la faim et de la malnutrition des saine et culturellement appropriée produite par des méthodes écolo-
mique, politique ou militaire. veraineté des ressources alimentaires. scientifique et politique sur la biodiversi- peuples ainsi que des solutions poli- giquement rationnelles et durables, ainsi que leur droit de définir leurs
tiques qui peuvent soutenir le chan- propres systèmes alimentaires et agricoles. Elle donne la priorité aux éco-
Le prix élevé payé pour rejeter l’ordre gement structurel à long terme n’est nomies et aux marchés locaux et nationaux, tout en renforçant l’agricultu-
néolibéral et la mainmise sur les pas à la hauteur du type de change- re basée sur la paysannerie et l’agriculture familiale, la pêche artisanale, le
ressources qui l’accompagne a été Les accords commerciaux et ments attendus. Maintenant, plus pâturage porté par les pasteur·es ainsi que la production, la distribution et
maintes fois constaté. Les accords que jamais, une transformation vrai- la consommation alimentaires basées sur la durabilité environnementale,
commerciaux et les négociations
les négociations politiques ment radicale en faveur des peuples sociale et économique. La souveraineté alimentaire implique par ailleurs de
politiques asymétriques se transfor- asymétriques se transforment opprimés est nécessaire. nouvelles relations sociales sans oppression ni discrimination entre tous les
ment en attaques contre les terres, en attaques contre les terres, les êtres humains, les peuples, les classes sociales et les générations.
les peuples et les systèmes alimen-
peuples et les systèmes alimentaires
taires basés sur la production fami-
liale. Cette violence remplit les poches basés sur la production familiale.
des responsables de guerres et ouvre Cette violence remplit les poches des
de nouveaux marchés extractivistes. responsables de guerres et ouvre de Pour plus d’informations, voir :
Dans de nombreuses zones rurales de Fiche didactique sur le droit à l’alimentation et à la souveraineté alimentaire,
pays occupés, les forces étatiques et
nouveaux marchés extractivistes. Notes CETIM
paramilitaires tuent des paysan·nes et 1 IPBES (2019): Summary for
des indigènes par centaines, le tout au policymakers of the global assessment re-
nom des intérêts d’entreprises et de la port on biodiversity and ecosystem services
sécurité de l’État. Ces entreprises, sou- De nombreux·ses habitant·es de notre té et les services écosystémiques (IPBES) of the Intergovernmental Science-Policy
Platform on Biodiversity and Ecosystem
tenues par l’armée et les forces para- planète continuent de voir leurs terres tirait la sonnette d’alarme1. Ce rapport,
Services. S. Díaz et al. (eds.). IPBES secre-
militaires, privent les pauvres d’accès colonisées et occupées. Or, la faim dans datant de mai 2019, listait une série de tariat, Bonn, Germany. 56 pages.
aux ressources naturelles. Les mêmes le monde appelle à un véritable chan- domaines de détérioration des déter-

1
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Les systèmes alimentaires Décembre
14 Nº en état de siège 2021 15
La catastrophe alimentaire
et le risque de famine
au Moyen-Orient
(Palestine, Syrie du Nord, Yémen) Au Rojava (Nord de la Syrie), la crise Au Yémen, au moins cinq millions de
alimentaire s’aggrave en raison de personnes sont au bord de la famine
la sécheresse qui dure depuis l’été et 16 autres millions s’en approchent,
2021. L’Organisation non gouverne- alors que la crise humanitaire devient
Par CETIM mentale allemande Welthungerhilfe incontrôlable dans ce pays soumis aux
a annoncé que le nombre de per- bombardements de la coalition mili-
Au Moyen-Orient, trois zones sensibles sont exposées au risque de catastrophe sonnes ayant besoin d’aide humani- taire menée par l’Arabie Saoudite et
ses alliés occidentaux.
alimentaire en 2022 : la Palestine, le Rojava au nord de la Syrie et le Yémen. Le taire augmentera considérablement
dans la région. «  La situation de la
taux élevé d'insécurité alimentaire et le risque de famine y sont principalement faim dans la région est aujourd’hui
absolument catastrophique  », avait
dus à l’occupation de ces régions par des forces armées étrangères ainsi qu’à des ainsi déclaré Konstantin Witschel, le
coordinateur de l’action humanitaire
mesures coercitives unilatérales dans le cas syrien .1 pour la Syrie, en juin 2021. En effet,
La famine dont
l’aide humanitaire est en grande souffrent ces peuples

L
es bombardements, les frappes Selon les chiffres de l’Organisation partie bloquée par le gouvernement émane de la violation
ciblées contre les civils, ain- des Nations Unies pour l’alimentation et les forces d’occupation étrangères
du droit des peuples à
si que les opérations mili- et l’agriculture (FAO), environ 2 mil- - turques, russes, états-uniennes, en
taires terrestres détruisent les lions de Palestinien·nes (68,5  % des fonction de leurs priorités. disposer d’eux-mêmes,
infrastructures de ces régions fra- foyers de la bande de Gaza) souffrent en vertu duquel
giles, soumises à des interdictions d’insécurité alimentaire en 20212. Les De plus, selon la FAO, la Syrie dont le ils ont le droit de
de déplacement, et créent un état Palestinien·nes subissent de plein Rojava ont reçu 30 à 80 % de précipi-
d’insécurité prolongé, un déclin fouet les conséquences des inégalités tations inférieures à la moyenne du-
déterminer librement
économique continu et des freins à discriminatoires dues à la pandémie rant l’été 2021. La température élevée leur statut politique
la production et au commerce local. ainsi qu’au dérèglement climatique. a également affecté négativement et d’assurer librement
Combinés aux effets de la pandé- En Cisjordanie, par exemple, le secteur la qualité des récoltes. Les champs leur développement
mie COVID-19, ces problèmes ont agricole souffre de la destruction des n’ont pas pu être irrigués en raison du
détérioré la sécurité alimentaire habitations ainsi que l’accès limité à manque de carburant dû à l’embargo.
économique, social et
des populations. En effet, ces trois la terre et aux ressources aquatiques. De même, l’administration du Rojava culturel.
régions sont le terrain de guerres asymé- Dans la bande de Gaza, les restrictions a déclaré que le gouvernement turc
triques qui détruisent des greniers, des ré- commerciales, combinées aux pénu- stockait l’eau dans des barrages, em-
servoirs d’eau, des étables pour animaux, ries d’énergie continuent de limiter la pêchant ainsi les populations locales Ces trois situations de famines
des jardins d’oliviers et fruitiers, principales production agricole et l’activité écono- d’accéder à cette ressource essentielle contemporaines résultent toutes du
ressources de l’autonomie alimentaire et mique de la région. et faisant baisser le débit de l’Euphrate maldéveloppement systémique et
commerciale des populations locales. à un niveau critique. sont aggravées par les crimes des oc-

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Les systèmes alimentaires Décembre
16 Nº en état de siège 2021 17
cupations étrangères. Ce type de fa- ment économique, social et culturel.
mine ne correspond pas seulement à Les enfants et les civils meurent dans
un manque de nourriture ou d’accès à ces pays à cause de la négation du droit
la nourriture, mais résulte d’un échec des peuples à exercer, sur la base no--
politique et d’un manque de respect tamment des dispositions pertinentes
du droit au développement. Ce n’est des deux Pactes relatifs aux droits de
pas le produit de la «  malchance  » si l’homme3, leur souveraineté pleine et
la famine sévit dans ces régions. La entière sur leurs richesses et leurs res--
Déclaration sur le droit au dévelop- sources naturelles.
pement, adoptée par l’Assemblée
générale de l’ONU dans sa résolution
41/128 du 4 décembre 1986, rappelle
que l’ONU et ses agences spécialisées
œuvrent pour « le développement inté--
gral de l’être humain et le progrès et le dé--
veloppement de tous les peuples dans les
domaines économique et social, y compris
les instruments concernant la décolonisa--
tion, la prévention de la discrimination, le Notes
respect des droits de l’homme et des liber-- 1 Les mesures coercitives unilaté-
tés fondamentales, le maintien de la paix rales, vulgairement connues sous le terme
et la sécurité internationales et la promo-- de « sanctions » économiques, impactent
tion accrue des relations amicales et de la gravement les droits humains. Voir à cet
égard : CETIM, « Sanctions économiques
coopération entre les États  ». Pourtant,
et pandémie de covid-19 ». En ce qui
cette déclaration est ignorée en partie concerne la Syrie en particulier : ESCWA
par les mêmes puissances qui avaient (UN), Humanitarian Impact of Syria-Re-
voté en faveur du droit au développe-- lated Unilateral Restrictive Measures,
ment. 2016, 40 p.

2 FAO, Palestine Humanitarian


La famine dont souffrent ces peuples Response Plan 2021.
émane de la violation du droit des
3 Il s’agit du Pacte international
peuples à disposer d’eux-mêmes, en
relatif aux droits économiques, sociaux et
vertu duquel ils ont le droit de déter-- culturels et le Pacte international relatif
miner librement leur statut politique aux droits civils et politiques, adoptés en
et d’assurer librement leur développe-- 1966.

1
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Les systèmes alimentaires Décembre
18 Nº en état de siège 2021 19
Les défis
du mouvement paysan Agronome et membre du Movimen-
to dos Pequenos Agricultores (MPA,

face à la digitalisation Brésil). Fondé en 1996 et présent dans


17 États brésiliens, le MPA est structu-
ré autour de près de 100.000 familles

de l'agriculture
paysannes. Il est membre de La Via
Campesina et de la Confédération lati-
no-américaine des organisations pay-
sannes (CLOC) et du Front populaire
brésilien.
Par Marciano Silva *

De la nouvelle « révolu- tiques dans le système bancaire, et, de l’agriculture, n’est rien d’autre que la Ce processus a une grande influence Le processus de digitalisation
plus en plus, au contrôle des tracteurs reproduction des mêmes promesses mondiale, notamment par le biais de l’agriculture
tion » industrielle à la et autres machines agricoles par des de la révolution verte. Ce processus des Nations Unies, depuis les évé-
digitalisation de l'agri- ordinateurs. Et, plus récemment, à permettrait, selon ses promoteurs, de nements internationaux «  techni- En mobilisant l’idée d’une agriculture
l’utilisation, dans le système d’achat, générer de nouveaux emplois (créant co-scientifiques  » promus par la numérisée, le secteur de l’agro-indus-
culture de petites machines portables pour le des attentes chez les jeunes ruraux), FAO2 auprès des gouvernements, trie considère que l’agriculture pré-
paiement par cartes de crédit. Enfin, d’augmenter la productivité, de ré- des organisations de la société ci- sente des caractéristiques durables

L
a soi-disant «  nouvelle révolu- la pandémie de Covid-19, à des fins duire le gaspillage dans l’utilisation vile et surtout du milieu des affaires. et efficaces lorsque les innovations
tion industrielle » ou « industrie de sécurité sanitaire, a conduit à l’iso- des ressources naturelles (eau, sol) Au-delà de la mise à jour du système technologiques sont utilisées tout au
4.0 » présentée et débattue de- lement ou à la distanciation sociale et ou des intrants agricoles, et d’éco- de production industriel sur le ter- long du processus de production, ce
puis le Forum économique mondial domestique et a rendu fondamental la nomiser l’énergie et l’utilisation des rain, elle intervient dans le prolon- qui permettrait un rendement éco-
de Davos en 20161 amène plusieurs communication par la téléphonie mo- équipements. En outre, les problèmes gement (et en réponse) des débats nomique maximal ainsi que la pré-
interrogations quant au déroule- bile et les réseaux sociaux, ainsi que socio-économiques du processus de tenus sur l’agroécologie depuis 2014 servation de l’environnement. Ce que
ment des changements technolo- l’accès à la nourriture par des systèmes production et de commercialisation à la FAO et au Comité de la sécurité l’on appelle « innovation » est l’inser-
giques sur le marché du travail, la de commande de livraison à domicile seraient ainsi résolus en mobilisant et alimentaire mondiale (CSA), qui ont tion de technologies numériques – la
production et la distribution des (en particulier en milieu urbain). en développant les économies locales culminé en 2021 par le processus de digitalisation (ou connectivité numé-
biens et des aliments et, par consé- ou nationales. cooptation du Sommet des Nations rique) – de tous les processus liés à la
quent, pour notre organisation so- Pour les zones rurales, des méca- Unies sur les systèmes alimentaires3. chaîne de production et de commer-
ciale et notre vie quotidienne. nismes de «  modernisation  » des sys- En d’autres termes, ce nouveau déve- cialisation (y compris la logistique,
tèmes de production agricole sont loppement offre de fausses solutions la tarification, etc.). Ce processus se
Le processus d’introduction de sys- déjà discutés et mis en œuvre à travers La promotion d’un au problème des inégalités sociales traduit par trois catégories d’actions :
tèmes et d’équipements numériques différents processus de développe- et de la faim, et doit être analysé à (i) de nature physique, avec l’amélio-
ne date bien entendu pas d’hier. De- ment technologique et d’équipement
processus de modernisation l’aune du processus rapide et conti- ration de l’automatisation et l’utili-
puis quelques décennies, nous as- (sous des concepts de « mise à niveau » ou d’innovation nu de mainmise par les entreprises sation de la robotique - intelligence
sistons à la substitution du travail technologique tels que l’agriculture de technologique, à travers la transnationales (corporate capture en artificielle, (ii) de connectivité numé-
humain par des machines  ; au rem- précision, l’agriculture intelligente et transformation numérique anglais) sur les biens communs. rique (l’Internet des objets) ou infor-
placement des travailleur·euses par l’agriculture numérique). Or, la promo- matique, par le biais de plateformes
des robots pour les tâches lourdes ou tion d’un processus de modernisation
de l’agriculture, n’est rien et de dispositifs connectés qui relient
de précision dans les usines, des em- ou d’innovation technologique, à tra- d’autre que la reproduction l’environnement physique à l’envi-
ployé·es par des distributeurs automa- vers la transformation numérique de des mêmes promesses de la ronnement virtuel et (iii) de nature

révolution verte.

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Les systèmes alimentaires Décembre
20 Nº en état de siège 2021 21
biologique, à partir de l’amélioration surveillance. De ce fait, les marchés dans toutes les régions de petite pro- pital et de la lutte des classes. Il s’agit et technologique. Parce que la souve- D’un point de vue macroéconomique,
et de l’utilisation massive des bio- sauraient mesurer leurs besoins afin duction ou là où il existe des processus d’appréhender les effets du processus raineté technologique est aussi un su- « le principal défi pour les mouvements et
technologies (biologie synthétique, de concevoir des programmes qui d’organisation paysanne et des travail- de digitalisation de l’agriculture, no- jet de dispute politique, parce que les organisations sociales est de surmonter les
édition de gènes, etc.) dans la pro- rendraient les producteur·trices plus leur·euses ruraux·ales. Dans la plupart tamment sur le monde du travail et sur données sont aussi le fruit d’une pro- récits idéologiques hégémoniques de l’éco-
duction agricole. dépendant·es des «  fausses solu- des pays, elle progresse en marge de l’agriculture paysanne et indigène. Les duction humaine, d’une production nomie des données »4, en considérant ce
tions » pour pallier les déficiences de ces territoires, c’est-à-dire essentielle- discussions préliminaires qui ont eu collective. processus comme un élément central
La fusion de grandes entreprises leurs processus de production, pre- ment dans les zones de production de lieu entre les organisations membres de la reconfiguration du capitalisme
dans les secteurs des machines et nant ainsi le contrôle des systèmes de matières premières à grande échelle ; de La Via Campesina dans certains pays contemporain. La question des tech-
équipements et de l’informatique production tout au long de la chaîne zones liées à une production agri- d’Amérique latine sont menées dans nologies numériques doit être traitée
Les organisations
a permis l’avancée du processus de de production. cole importante ou à l’utilisation de l’objectif de comprendre la relation dans l’ensemble des organisations
digitalisation/robotisation dans les grandes machines et d’équipements entre technologie, capitalisme et tra- rurales et les et dans toutes ses dimensions, étant
campagnes, déplaçant les travail- Le processus de digitalisation de très sophistiqués dont la manipulation vail ; la relation entre les entreprises mouvements sociaux donné la transversalité de ses impacts
leur·euses ruraux·ales et remplaçant l’agriculture s’exprime différemment nécessite un haut degré d’investisse- (big techs) et l’État ; la question de la fi- ont récemment lancé sur l’économie, la politique, la géopoli-
la force de travail, provoquant la selon les régions et les situations de ment et de formation technique. nanciarisation économique et l’impact tique, la culture, la vie quotidienne, etc.
perte de nombreux emplois, affec- développement du capital dans les sur la nature (consommation d’énergie
un débat sur les
tant d’innombrables communautés, zones rurales des différents pays, se- Des défis aux actions de et contamination de l’environnement) ; conséquences sociales La réalisation des droits des paysan·nes
surtout lorsque les paysan·nes font lon la structure physique existante et confrontation la conjoncture géopolitique. In fine, des transformations par la promotion de la Déclaration des
également office de salarié·es. La le potentiel environnemental de pro- il s’agit surtout, en ciblant les viola- technologiques dans le Nations Unies sur les droits des pay-
robotisation permet également aux duction dans sa mise en œuvre effec- Les organisations rurales et les mou- tions des droits fondamentaux des san·nes et des autres personnes tra-
entreprises de saisir des données tive, ainsi que dans la relation entre vements sociaux ont récemment lancé paysan·nes et des autres personnes
cadre de l’accumulation vaillant dans les zones rurales5 est en
importantes auprès des paysan·nes l’agriculture familiale-paysanne et un débat sur les conséquences sociales qui travaillent dans les zones rurales, du capital et de la lutte danger car le processus de transforma-
et des producteur·trices, renforçant l’agro-industrie. De manière générale, des transformations technologiques de penser les rapports de force pour des classes. tion numérique de l’agriculture viole
ainsi leur capacité de contrôle et de ce processus n’est pas encore implanté dans le cadre de l’accumulation du ca- garantir la souveraineté alimentaire nombre de ces droits. Une brève éva-

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Les systèmes alimentaires Décembre
22 Nº en état de siège 2021 23
luation par le collectif d’agroécologie les conflits territoriaux, à partir de six taux, parmi les différents secteurs et or- l’expansion technologique dans les vers la praticité, la réduction des coûts, sances et d’innovations que tout autre
Cloc-LVC Sudamerica sur les droits énu- thèmes centraux : (a) l’isolement histo- ganisations sociales (au-delà des orga- communautés paysannes, en termes la simplification du travail et le contrôle acteur social. Il est dans leur essence
mérés dans la Déclaration des Nations rique des zones rurales par rapport aux nisations rurales et en alliance avec les d’impacts sur les territoires, ainsi que des informations et des données. Ce- d’« essayer » de nouvelles méthodes
Unies qui seraient les plus touchés a services de base, y compris la connec- organisations de « classe » urbaines, no- sur les différentes manières de vivre et pendant, il est nécessaire de définir en matière d’agriculture, elles et ils dé-
conclu que, d’une manière ou d’une tivité ; (b) l’utilisation de moyens po- tamment les organisations de consom- de faire de l’agriculture. comment améliorer l’union de ces tech- veloppent des technologies inclusives
autre, tous les droits sont affectés. Ce- pulaires paysans non numérisés pour mateur·trices) afin de développer des nologies numériques avec les pratiques (et non exclusives), qui permettent de
pendant, à partir des caractéristiques la communication et la production stratégies communes ; (c) promouvoir Les organisations paysannes réu- traditionnelles. Cette articulation ne produire et de nourrir la majorité de la
liées à la permanence des paysan·nes alimentaire ; (c) le rôle de la technolo- le dialogue nécessaire pour approfon- nies au sein de la Cloc-Via Campesina peut fonctionner que si elle est sous le population mondiale.
sur leurs territoires et au défi de ga- gie numérique dans la progression de dir la compréhension des nouvelles comprennent qu’il est possible et contrôle des communautés rurales et
rantir la souveraineté alimentaire des l’agrobusiness et la financiarisation de sociétés numériques dans le contexte nécessaire d’intégrer les méthodes de leurs organisations. Il en va égale- Pour Perla Álvarez, de CONAMURI/
communautés paysannes, les droits – la terre ; (d) la protection du matériel régional et mondial ; (d) identifier les ou processus de digitalisation et de ment du maintien des jeunes avec leurs Cloc-LVC Paraguay, ce qui importe
dont l’exercice individuel ou collectif génétique du patrimoine des peuples alternatives possibles pour renforcer les robotisation aux méthodes de pro- familles dans leurs territoires. pour les paysan·nes, c’est de continuer
est le plus impacté – ont été identifiés : - semences et races animales locales ; luttes paysannes dans le cadre du pro- duction agricole ou agroécologique à produire pour maintenir la vie ; de
(a) Droit aux ressources naturelles et (e) l’étude de la question numérique cessus de digitalisation de l’économie7. traditionnelles, mais de manière com- Il est donc de la plus haute importance suivre les pratiques ancestrales pour
au développement ; (b) Liberté de cir- dans le cadre de la Déclaration sur les plémentaire et adaptée et en fonction d’exiger que la technologie s’inscrive satisfaire nos besoins quotidiens.
culation ; (c) Liberté d’association ; (d) droits des paysan·nes ; et (f) la relation Face à ces défis, le mouvement pay- des besoins socio-économiques des dans la sphère publique et/ou com-
Droit à l’information ; (e) Droit au tra- entre la souveraineté alimentaire et la san comprend qu’il est nécessaire de paysan·nes. Et cela ne signifie pas que munautaire. Tout comme il est impor- «  Nous avons traversé la première ré-
vail ; (f) Droit à un environnement de souveraineté technologique. « contester le champ de la technologie » toutes les régions avancent dans cette tant de s’approprier ou de maîtriser volution industrielle, la deuxième, la
travail sûr et sain ; (g) Droit à l’alimen- car il y a encore un manque de clarté direction ou qu’il existe de réels be- les technologies et les techniques de troisième et nous sommes dans cette
tation et souveraineté alimentaire ; (h) Le groupe de travail a conclu sur l’ur- sur ce qui se passe réellement dans les soins pour ce processus. communication afin de créer une ca- ère où, si nous la qualifions de révo-
Droit à un revenu et à des moyens de gence de : (a) interconnecter les luttes territoires paysans et dans les diffé- pacité d’évaluation participative des lution technologique avec le recours à
subsistance décents et aux moyens de sectorielles ou locales entre elles et avec rentes régions avec l’avancée de l’intro- technologies et de leur sécurité, et de la digitalisation, toutes nos données,
production ; (i) Droit à la terre ; (j) Droit d’autres luttes régionales ou mondiales/ duction des technologies numériques ; permettre leur régulation ou leur rejet toutes les informations qui pourraient
aux semences ; (l) Droit à la diversité internationales pour identifier conjoin- sur les difficultés existantes, au-delà Il est donc de la plus ouvert lorsqu’elles sont considérées exister dans le monde deviennent des
biologique et, (m) Droits culturels et tement les stratégies qui permettent de la connectivité, ainsi que sur les haute importance comme inappropriées ou nuisibles aux chiffres. D’où découle un intérêt com-
savoirs traditionnels. d’accumuler des forces collectives et perspectives concernant le manque d’exiger que la communautés paysannes. mercial, un intérêt pour les profits des
d’attaquer le problème à ses points né- de contrôle sur ces technologies8. Il entreprises, alors que pour celles et
technologie s’inscrive Le recours à des pratiques ancestrales ceux qui génèrent ces données, et dans
A partir de l’action politique de cer- vralgiques, y compris les revendications est important de décider de la néces-
taines organisations et mouvements populaires et les propositions de poli- sité de définir comme un droit le libre dans la sphère publique et à la production agroécologique notre cas particulier, nos mouvements
sociaux, dans le cadre d’une plateforme tiques publiques pour freiner le pouvoir accès à toutes les innovations techno- et/ou communautaire. par les paysan·nes permet une plus paysans et indigènes, des peuples ru-
de discussions sur « l’ère numérique »6, excessif des entreprises numériques ; logiques utilisées dans la vie quoti- grande résilience dans la conservation raux, la production de nourriture est
un groupe de travail s’est penché sur (b) systématiser les principaux impacts dienne et d’analyser leur association de la biodiversité et des autres res- au cœur de notre réflexion. Penser la
l’analyse des effets de l’ère numérique du processus de digitalisation de l’agri- avec les impacts environnementaux. sources naturelles et dans l’adaptation nourriture comme un besoin élémen-
sur les zones rurales, leur contexte his- culture, dans ses différents contextes De nombreuses questions se posent Les processus de production, de logis- au changement climatique. Les pay- taire restera la pierre angulaire de nos
torique, la production alimentaire et socio-économiques et environnemen- également sur les conséquences de tique et de commercialisation évoluent san·nes produisent autant de connais- luttes et de notre identité »

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Les systèmes alimentaires Décembre
24 Nº en état de siège 2021 25
D
epuis plus de 10 000 ans, les pay- pays qui ont adopté des lois conformes
La propriété san·nes ont librement sauvegardé, à UPOV 1991, les paysan·nes s’exposent à
intellectuelle sélectionné, échangé et/ou vendu des sanctions civiles et, dans certains cas,
des semences, et les ont utilisées pour même pénales, pour avoir conservé, réu-
contre les semences produire de la nourriture. Aujourd’hui, tilisé et échangé des semences de variétés
paysannes ces pratiques coutumières demeurent es- commerciales conservées à la ferme. En
sentielles pour le droit à l’alimentation de d’autres termes, les paysan·nes sont péna-
toute personne, ainsi que pour la biodiver- lisé·es pour un comportement qui devrait
sité et la sécurité alimentaire mondiales. être considéré comme légitime dans l’inté-
Par Christophe Golay *
Mais la protection des droits de propriété rêt général pour une agriculture durable et
intellectuelle sur les semences à l’Organi- la réalisation du droit à l’alimentation.
sation mondiale du commerce (OMC) et à
l’Union internationale pour la protection Ces tensions sont décuplées dans les pays
des obtentions végétales (UPOV), ainsi que du Sud dans lesquels une majorité de la
la promotion des systèmes de semences population agricole est constituée de pay-
commerciales, posent de sérieux défis à la san·nes. Dans ces pays, des systèmes sui
protection de ces pratiques coutumières, generis de protection des variétés végé-
au maintien des systèmes de semences tales adaptés aux spécificités locales sont Pour plus d’informations, voir :
Campesina, 2020. In : Jornadas Internet
Notes Ciudadana “Utopías o distopías. Los paysannes et à l’agrobiodiversité. bien plus à même de protéger le droit aux
1 SCHWAB, Klaus. La quatrième pueblos de América Latina y el Caribe ante semences tel qu’il est consacré dans la - Christophe Golay et Fulya Batur, Le droit
révolution industrielle. Davos : Forum la era digital” Dans de très nombreux pays, les lois et po- Déclaration sur les droits des paysan·nes . 1
aux semences en Europe, Académie de
économique mondial, 2016. litiques sur les semences ont été conçues Pourtant, les Etats du Nord continuent à droit international humanitaire et de
7 Idem.
dans le but de favoriser l’industrie agri- promouvoir le modèle UPOV de 1991, par- droits humains à Genève, 2021.
2 FAO, Colloque international sur
8 Idem. cole, excluant largement les semences ticulièrement inadapté pour les pays du
l’agroécologie pour la sécurité alimentaire et la
nutrition (2014); Colloque international de la paysannes et, dans un certain nombre de Sud, comme modèle unique pour protéger - Christophe Golay, The Right to Seeds and
FAO sur le rôle des biotechnologies agricoles pays, la conservation, l’échange et la vente la propriété intellectuelle sur les semences. Intellectual Property Rights, Geneva Aca-
dans les systèmes d’alimentation et de nutri- des semences paysannes ont été proscrits, demy of International Humanitarian Law
tion durables (2016); Colloque international
ou sévèrement restreints. Les systèmes Dans ce contexte, il est essentiel de rap- and Human Rights, 2020.
de la FAO sur l’innovation agricole pour les
agriculteurs familiaux - Libérer le potentiel de
de semences paysannes et les savoirs tra- peler qu’en droit international, conformé-
l’innovation agricole pour atteindre les objec- ditionnels n’ont pas été reconnus et n’ont ment à la Charte des Nations Unies, les - Fiche didactique sur le droit aux se-
tifs de développement durable (2018). pas bénéficié d’un soutien adéquat. Cela instruments internationaux relatifs aux mences, CETIM.
a découragé et, dans certains cas, entravé droits humains priment dans la hiérarchie
3 Voir à ce sujet les publications
du CETIM, FIAN et de La Via Campesina. la poursuite des activités agricoles pay- des normes sur les autres instruments in- - Appel à une semaine mondiale d’action
sannes. En conséquence, la diversité des ternationaux, tels que ceux qui protègent contre l’UPOV décembre 2021.
4 Dossier n° 46 « Big Tech and the semences dans le monde s’est considéra- les droits de propriété intellectuelle.
Current Challenges Facing the Class Strug-
blement réduite au cours des dernières
gle », Institut tricontinental de recherches
sociales, novembre 2021. décennies, en grande partie à cause d’un
cadre normatif qui néglige les besoins et
5 Déclaration des Nations Unies réalités des paysan·nes.
sur les droits des paysans et des autres
personnes travaillant dans les zones rura-
les, adoptée par l’Assemblée générale le 17 S’il n’y a pas de tension lorsque les pay-
décembre 2018, A/RES/73/165. Chercheur et conseiller stratégique en san·nes n’utilisent que des semences pay-
matière de droits économiques, so- sannes, il y a des tensions lorsqu’ils uti-
6 « Effets de l’ère numérique sur
ciaux et culturels à l'Académie de droit lisent des semences de ferme provenant Notes
les zones rurales, la production alimen-
international humanitaire et de droits de variétés ou de plantes protégées par 1 Voir l’article de Raffaele Mor-
taire et les conflits territoriaux », Cloc-Via
gantini, page 42.
humains à Genève. la propriété intellectuelle. Dans certains

1
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Les systèmes alimentaires Décembre
26 Nº en état de siège 2021 27
Entretien avec
M. Michael Fakhri,
Rapporteur spécial de
l'ONU sur le droit Le Sommet des Nations Unies sur les
systèmes alimentaires a été au centre
Dans le cadre du Sommet, à la suite
de «  Dialogues Nationaux sur les
perspectives favorables aux grandes
entreprises. Les paysan·nes, les tra-

à l'alimentation des débats et des médias en 2021.


Quelle est votre évaluation générale
des résultats de ce Sommet des Na-
tions Unies ?
Systèmes Alimentaires », les gouver-
nements sont censés élaborer des
«  Voies Nationales pour la Transfor-
mation des Systèmes Alimentaires »,
vailleur·euses, les éleveur·euses, les
pêcheur·euses, et les organisations de
femmes pourraient vouloir organiser
leurs propres Dialogues Nationaux sur
qui sont vraisemblablement des en- le droit à l’alimentation, afin de s’assu-
M. F.  : Le Sommet des Nations Unies gagements consensuels de ce que les rer qu’il y ait de réels débats nationaux
sur les systèmes alimentaires a été gouvernements, avec les « différentes sur la politique alimentaire basée sur
très problématique. Aucune attention parties prenantes », vont/peuvent ré- les droits humains.
n’était initialement accordée aux droits aliser d’ici 2030. Sur la base de votre
humains. Puis, après de nombreuses expérience, quelles sont les précau-
actions de plaidoyer de ma part et de tions juridiques, politiques, morales Je pense qu’il est
celles d’autres membres de l’équipe et économiques à considérer pour important de faire
que les priorités des « différentes par-
de préparation du Sommet, et grâce à
de ces Dialogues
la pression des mouvements sociaux, ties prenantes », en particulier celles
les droits humains ont été inclus, mais des paysan·nes et des communautés Nationaux de véritables
de manière limitée. Les perspectives dépossédées, exclues et réprimées espaces de contestation
des peuples indigènes ont également jusqu’à présent, soient intégrées dans pour que ces derniers
été laissées de côté. Au lieu de cela, les programmes gouvernementaux ?
ne soient pas dominés
les idées favorables aux grandes en-
treprises, axées sur l’augmentation de par des perspectives
la production, ont dominé l’agenda. M. F.  : Ces Dialogues Nationaux ont favorables aux grandes
Après le Sommet, de nombreux·ses joué un rôle important en incitant des entreprises.
participant·es se sont demandé si leurs gouvernements – au sens large et pas
efforts en valaient la peine. La commu- seulement les ministères de l’agricul-
nauté internationale ne sait toujours ture –, à se concentrer sur la politique
pas ce qu’il va se passer. Le Sommet a alimentaire. Cependant, ces dialogues
produit plus de confusion que de clar- n’ont en aucun cas respecté les normes
té, laissant tout le monde avec un fa- des droits humains en matière de par-
tras d’idées et aucun plan clair. ticipation inclusive ou de transparence.
Je pense qu’il est important de faire de
ces Dialogues Nationaux de véritables
espaces de contestation pour que ces
derniers ne soient pas dominés par des

1
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Les systèmes alimentaires Décembre
28 Nº en état de siège 2021 29
Avant même la tenue du Sommet, nions mieux le fait que la façon dont Le CETIM considère que les mouve- Les mouvements ruraux indépen- M. F.  : La souveraineté alimentaire
il était communément admis que nous nous traitons les uns les autres et ments sociaux doivent être réalistes dants et ancrés dans la société placent en tant que concept et mobilisation
l’agroécologie constituait un puissant la façon dont nous traitons nos écosys- en ce qui concerne la réalisation des la souveraineté alimentaire au cœur politique continue de croître. En fait,
levier pour relever des défis majeurs tèmes sont une seule et même chose. Objectifs de développement durable de leurs demandes et propositions. de plus en plus de gouvernements la
et apporter des solutions durables Si nous exploitons la nature, nous ex- (ODD). Une réussite des ODD d’ici Pas un·e seul·e conseiller·ère spécial·e, prennent également au sérieux. L’ex-
aux problématiques de sécurité ali- ploitons aussi les êtres humains. Si 2030, et en particulier celle de l’ODD conseiller·ère principal·e, chef·fe de clusion de la souveraineté alimentaire
mentaire et de nutrition, de lutte nous entretenons de bonnes relations 2, est une chimère. Pourquoi le Som- groupe de liaison, coalition, dialogue lors du Sommet souligne à quel point
contre la pauvreté et les inégalités avec la nature, nous entretenons de met a-t-il fermé les yeux sur cet échec au sommet et PDG ayant participé au elle était déconnectée des gens et des
sociales, d’adaptation au change- bonnes relations avec les êtres hu- prévisible ? Et quels sont, selon vous, Sommet n’a mentionné la souveraine- gouvernements. Je pense que les mou-
ment climatique, de préservation de mains. les principaux obstacles à toute amé- té alimentaire comme l’un des moyens vements sociaux développent de nou-
la biodiversité et des ressources natu- lioration en termes de mise en œuvre possibles de sortie de la crise alimen- velles relations de solidarité pendant
relles, et de lutte contre les zoonoses. des ODD ? taire. Comment l’expliquer ? Et dans cette pandémie et finiront par donner
Pensez-vous que le nouveau concept quelle mesure la souveraineté alimen- un sens nouveau et concret à la sou-
d’«  agriculture régénératrice  » –  qui M. F. : Je suis d’accord pour dire que les taire peut-elle être un outil concret veraineté alimentaire pour répondre
n’est pas encore pleinement défini mouvements sociaux sont des acteurs de changement pour avancer vers des aux défis de demain. Comme les gens
mais promu à la place de la solution clés du changement. La théorie du systèmes alimentaires plus durables ? souffrent, ce travail prendra du temps.
agro-écologique  –, soit compatible changement lors du Sommet reposait Mais je continue à être inspiré lorsque
et cohérent avec l’objectif de mise en sur le pouvoir des expert·es. Le plus je vois des mobilisations populaires
place de systèmes alimentaires plus grand défaut du Sommet est d’avoir de plus en plus fortes dans le monde
égalitaires et durables ? totalement ignoré la pandémie de CO- entier et de nouvelles relations se dé-
VID-19 et la crise alimentaire actuelle. velopper autour de l’idée de souverai-
M. F : Je pense que l’agriculture régéné- Je pense que c’était intentionnel, car neté alimentaire.
ratrice est un terme encore plus ouvert la pandémie soulève en premier lieu
que l’agro-écologie. Ce qui m’agace, la question de la responsabilité de ces
c’est qu’à ce stade, « l’agriculture régé- crises. La réponse ? Les grandes entre-
nératrice » n’inclut pas nécessairement prises – principal moteur de ce Som-
comme aspect central, les notions de met – sont une source majeure de pol-
justice sociale, d’équité ou de droits lution, de décès et de violence dans nos
humains. Pourtant, même si l’agroé- systèmes alimentaires. La façon dont
cologie est de plus en plus contestée nous répondons à la crise alimentaire
et mal interprétée, les questions de actuelle déterminera le sort de nos sys-
justice restent fondamentales et en tèmes alimentaires pour les décennies
ont toujours été un élément central. à venir. Donc, d’une certaine manière,
Quel que soit le concept utilisé, ce qui le Sommet a été une distraction au re-
importe le plus, c’est que nous compre- gard des véritables problèmes.

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Les systèmes alimentaires Décembre
30 Nº en état de siège 2021 31
Les dessous de
l’agriculture
«régénératrice»
Par Selin Yetim *

L
e système alimentaire mondial Certains mouvements sociaux et ex- rendement ne paraît pas incompatible
ne fait pas l’objet d’un consen- pert·es voient néanmoins l’agricultu- avec l’agriculture régénératrice telle NOTES
sus sur la scène internationale. re régénératrice comme une possible que définie par les grandes firmes. En 1 Voir par exemple: Stewart, C.E.,
De nombreuses grandes compa- dérive d’« éco-blanchiment ». En effet, effet, d’après ces dernières, il ne s’agit Paustian, K., Conant, R.T., Plante, A.F.
gnies de l’agrobusiness telles que les gouvernements permettent aux in- pas uniquement de restaurer la qualité and Six, J. (2007), Soil Carbon Saturation :
Concept, Evidence and Evaluation. Biogeo-
Nestlé, Danone ou encore Pepsi- dustries de ne pas prendre de mesures du sol, mais d’augmenter par la même
chemistry, 86, 19-31.
co le dépeignent comme étant en pour diminuer leurs émissions de gaz occasion sa profitabilité.
crise. Ces entités proposent depuis à effets de serre en achetant des droits
quelques années, en termes d’alter- de polluer. D’où certaines interrogations  : l’élan
native, un concept présenté comme suscité par l’agriculture régénératrice
une panacée  : l’agriculture régéné- Comme pour l’agroécologie, le terme présente-t-il une quête de régénéra-
ratrice. Existant depuis la fin des d’« agriculture régénératrice » ne jouit tion des sols agraires dans une op-
années 1970, cette technique a dû pas d’une définition communément tique de développement de durabilité
cependant attendre une trentaine acceptée. Il ne bénéficie donc pas de et de reconnaissance des injustices
d’années pour trouver sa vitesse de définition claire au niveau national flagrantes découlant des actions de
croisière au sein de la société civile et international. Ainsi, les fermes l’agrobusiness ? Que veulent véritable-
et du secteur privé. conventionnelles peuvent également ment régénérer ces élites ? Les sols et
prétendre fonctionner «  de manière leur biodiversité ? Ou alors également,
Attardons-nous un instant sur le flou régénératrice  ». De nombreux·ses voire surtout, «  l’homme malade  » du
encadrant son champ d’articulation. partisan·es de l’approche régénéra- 21ème siècle et son système capita-
Lorsque l’on parle d’agriculture régé- trice y voient un avantage. Ils/elles liste essoufflé ? Ces questions ne sont
nératrice, les définitions se multiplient soutiennent que les fermes conven- pas sans rappeler celles de Joe Fassler :
et mettent l’accent, selon le contexte, tionnelles pourraient également être « Que peut vraiment être ‘l’agriculture
sur l’un de ses aspects plutôt que sur encouragées à fonctionner de manière régénératrice’ si les problématiques
d’autres. Cette absence de consensus plus durable. Il est permis de douter liées à l’accès à la terre, à l’équité éco-
est visible au niveau le plus élémen- que l’utilisation d’engrais chimiques nomique et à la parité raciale ne re-
taire. Globalement, l’emphase est mise de synthèse et de pesticides puisse lèvent pas de sa compétence ? »
aujourd’hui sur l’« inversion de la perte être scientifiquement et pratiquement
de biodiversité » et la « restauration de considérée comme une approche « ré-
la santé des sols, y compris la capture génératrice ».
du carbone  », s’appuyant tantôt sur
l’exclusion de pratiques comme le la- En proposant l’agriculture régénéra-
bourage ou reposant sur des pratiques trice comme solution pour lutter contre
comme le recouvrement des sols ou le réchauffement climatique, les dis-
la rotation des cultures. Les bénéfices cours de l’agro-industrie semblent dé-
pour la santé du sol ainsi que la sé- tourner l’attention de l’une des réelles
questration du carbone font aussi l’ob- sources du problème  : les logiques
jet d’un certain engouement1. néolibérales appliquées à l’agriculture
Étudiante au Global Studies Institute et à l’origine d’inégalités incommen-
(GSI) de l’Université de Genève surables. De fait, la course effrénée au

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Les systèmes alimentaires Décembre
32 Nº en état de siège 2021 33
Le Sommet des Nations
Unies sur les systèmes
alimentaires : une
colonisation flagrante de est un sophisme visant à consolider
leur pouvoir économique et politique
Entretien.

l’ONU par l’agrobusiness contre l’érosion de la légitimité des


transnationales pendant la pandémie.
Aussi, la plupart des mouvements so-
ciaux ont boycotté ledit Sommet, en
Le Sommet des Nations Unies sur les
systèmes alimentaires était-il néces-
saire selon vous ?

arguant que leurs idées sur la façon CSUTCB  : Bien qu’un sommet centré
dont un système agroalimentaire de- sur les systèmes alimentaires ait été
vait être construit pour résoudre la jugé nécessaire par toutes «  les par-
Entretien avec des mili-

L
e Forum économique mon- crise alimentaire n’étaient pas incluses ties prenantes  », ce que l’on entend
dial, qui s’est tenu à Davos en dans l’ordre du jour, et plus important par la transformation des systèmes
tant·es de la Confedera- 2021, s’était réuni sur le thème encore, dans la feuille de route décen- agroalimentaires, à savoir quel type de
ción sindical única de los de la «  grande réinitialisation  », nale du Sommet. Des militant·es du transformation effectuer et avec qui,
estimant que la pandémie de Co- comité syndical de Santa Cruz affilié à sont des questions encore plus impor-
trabajadores campesi- vid-19 pouvait être l’occasion de la Confederación sindical única de los tantes. Et ces questions n’ont pas été
remodeler l’économie mondiale. trabajadores campesinos de Bolivia abordées dans le cadre du Sommet.
nos de Bolivia (CSUTCB)* Au cours de cet événement, le directeur nous expliquent plus en détails pour-
du Forum économique mondial, Klaus quoi ils et elles se sont opposé·es à la
Schwab, a présenté son nouveau livre tenue du Sommet sur les systèmes ali-
Stakeholder Capitalism  ; A Global Eco- mentaires.
nomy that Works for Progress, People and
Planet (Capitalisme des Parties Prenantes ;
une économie mondiale qui fonctionne
pour le progrès, le peuple et la planète)
dans lequel il affirme qu’un monde
axé sur une économie durable, respec-
tueuse de l’environnement, équitable
et une approche inclusive n’est viable
qu’à travers un capitalisme des parties
prenantes. Le fait que la rhétorique
sur la participation au Sommet des

Constituée en juin 1979, la CSUTCB est


CSUTCB systèmes alimentaires soit le reflet de
cette prétention ne doit rien au hasard.
la plus grande organisation faîtière de Les mouvements sociaux soutiennent
syndicats paysans de Bolivie. en effet que cette nouvelle rhétorique

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Les systèmes alimentaires Décembre
34 Nº en état de siège 2021 35
Pourquoi étiez-vous sceptiques au su- réseaux et les groupes de réflexion Orienter un Sommet est une chose, le Mais le Sommet a fait pas mal de tra- scientifico-politique, dépourvue de
jet du Sommet ? dirigés par la Fondation Rockefeller, prendre en otage en est une autre… vail de relations publiques pour prou- mécanismes de responsabilité, sem-
la Fondation Bill & Melinda Gates et ver qu’il était participatif et diversifié blait servir en priorité les intérêts d’un
CSUTCB : En premier lieu parce que le la Fondation Stordalen ont également CSUTCB  : Au moment du Sommet, quand même... réseau de gouvernements, de cher-
Sommet a été planifié en mettant l’ac- joué un rôle important dans le proces- Agnès Kalibata, envoyée spéciale de cheur·euses, de fondations aux liens
cent sur la «  transformation des sys- sus du Sommet. l’ONU, était la présidente d’AGRA, CSUTCB  : Il est vrai que la structure commerciaux indéniables.
tèmes alimentaires » de façon à ce que pionnière des nouvelles technologies institutionnelle du Sommet était au
certains groupes dominants agro-ali- qui fait la promotion de la monocul- début relativement démocratique,
mentaires se réapproprient un dis- ture et de l’agriculture destinée à l’ex- mais au fur et à mesure de la prépa-
cours prétendument rénovateur et re- portation tout en écartant les impacts ration de l’événement, c’est devenu
cyclent les concepts sur la participation sociaux de ces nouvelles technologies. problématique. En témoigne par
équitable et inclusive dans leurs dis- En 2006, AGRA a travaillé main dans exemple la marginalisation du Comité
cours. De plus, dans le cadre du Som- la main avec la Fondation Rockefeller mondial de la sécurité alimentaire (CSA),
met organisé par le Secrétariat général et celle de Bill & Melinda Gates, soi-di- l’organe international le plus inclusif
de l’ONU, les États et les entreprises sant pour s’attaquer au problème de impliqué dans la politique alimentaire
transnationales n’auraient pas dû être la faim en Afrique. Parachuter Mme mondiale et qui garantissait la parti-
invités à l’événement à l’insu et aux Kalibata à cette position a été le signe cipation des organisations de produc-
dépens des mouvements sociaux. En que les intérêts des grands groupes teur·trices, des communautés locales
effet, l’organisation du Sommet a été agro-alimentaires seraient prioritaires et des travailleur·euses agricoles dans
téléguidée par le Forum économique au Sommet, dans une logique axée sur les mécanismes de prise de décision.
mondial (WEF) qui rassemble les mille le profit, le marché et la croissance à Dès lors, bien que des concepts tels
plus grandes entreprises mondiales. la place des questions fondamentales que la durabilité et la participation
Les mouvements sociaux qui ont boy- telles que l’égalité et la souveraineté aient été fréquemment utilisés dans
cotté le Sommet ont dénoncé le fait alimentaire. le discours officiel et que les prépara-
que le WEF ait modifié le contenu et tifs du Sommet aient donné l’illusion
restructuré l’ordre du jour de l’événe- qu’une structure démocratique et un
ment. Mais le WEF n’est pas le seul à te- plan décennal étaient en cours, cela
nir le gouvernail. AGRA (Alliance pour n’a pas été le cas.  La proposition de
la révolution verte en Afrique), IAFN remplacer le Groupe d’experts de haut
(Réseau agroalimentaire internatio- niveau sur la sécurité alimentaire et la nu-
nal), WCBSD (Conseil des entreprises trition (HLPE) par une « nouvelle plate-
pour le développement durable), GAIN forme scientifique » pour élaborer des
(Alliance mondiale pour une meil- recommandations politiques, était
leure nutrition ), le EAT Forum, le Scale un des facteurs de la marginalisation
Nutrition Business Network (SUN), les du CSA. Or, cette nouvelle interface

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Les systèmes alimentaires Décembre
36 Nº en état de siège 2021 37
Perspectives
du féminisme
paysan
et populaire
Le « féminisme paysan et
Entretien avec Anuka La Via Campesina, en tant que mou- Nous, en tant que communautés im-
populaire » est aujourd’hui plus Le «  féminisme paysan et populaire  »
vement social international, portant pliquées dans les mouvements sociaux stratégique que jamais, car nous est en somme un engagement poli-
de Silva, Movement for la voix des travailleur·euses en zone ruraux défendant le développement sommes confronté·es au défi tique, aujourd’hui plus stratégique que
Land and Agricultural rurale – paysan·nes, pêcheur·euses, de l’agriculture familiale, sommes
de bâtir de nouvelles façons de jamais, car nous sommes confronté·es
nomades, peuples autochtones, tra- confrontées à ce système. au défi de bâtir de nouvelles façons de
Reform (MONLAR), La vailleur·euses agricoles (y compris mi- vivre, des systèmes alimentaires vivre, des systèmes alimentaires à la
grant·es) – accorde beaucoup d’impor- Or, faut-il le rappeler, le rôle des à la hauteur de la situation, des hauteur de la situation, des relations
Vía Campesina Sri Lanka tance à la lutte pour un «  féminisme femmes dans l’agriculture familiale relations sociales fraternelles, dans sociales fraternelles, dans le respect
paysan et populaire ». En quoi consiste est fondamental. Nous jouons un des équilibres sociaux et environne-
le respect des équilibres sociaux et
cette perspective  ? Comment envisa- rôle de premier plan, en particulier mentaux. Nous aspirons à reconstruire
gez-vous et articulez-vous la lutte pour pour la conservation des semences, la environnementaux. les identités en tant que mécanismes
les droits des femmes et la lutte pour récolte, la gestion de nos ressources de résistance pour la durabilité et la
les droits des paysan·nes ? etc. Cependant, le système capitaliste qualité de vie pour toutes et tous.
patriarcal nous opprime au point que
A.d.S : Commençons par rappeler que nous n’arrivons pas à subvenir à nos Il s’agit d’une proposition basée sur Enfin, le féminisme paysan est aussi
le système capitaliste dominant est besoins. des pratiques concrètes du vivre en- populaire, en ce qu’il émerge d’une
intrinsèquement patriarcal, à savoir semble. Nous visons à construire des perspective collective et de classe, se
qu’il provoque, du fait de sa nature, non Pour affronter cette situation, nous modes et des pratiques durables et développant au sein de la lutte des
seulement la destruction de nos mo- avons développé la perspective du égalitaires, favoriser la synergie non classes que nous affrontons en tant
des de vie en tant que paysannes mais « féminisme paysan et populaire ». Le seulement des femmes et hommes, que paysan·nes. La lutte féministe et
également la soumission et l’exclusion féminisme paysan et populaire est une mais aussi des êtres vivants et de l’en- de genre sans lutte de classe n’est pas
des femmes de l’organisation sociale. proposition que nous avons construite vironnement. Il s’agit également de notre lutte.
La lutte contre le capitalisme est aussi depuis les bases de notre mouvement, nous autonomiser et nous émanciper
pour nous une lutte contre le patriarcat, pour transformer cette réalité faite grâce à l’assurance de notre détermi-
car nous savons que le capitalisme et le d’inégalités et de discriminations. nation dans le développement de nos
patriarcat vont de pair avec un seul ob- communautés, dans la construction de
jectif commun : accumuler et maximi- la souveraineté alimentaire.
ser les bénéfices à travers l’exploitation.

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Les systèmes alimentaires Décembre
38 Nº en état de siège 2021 39
Les problématiques liées au genre reconnu  ; nous ne sommes pas prises En quoi l’horizon de l’agroécologie et
font-elles partie du quotidien de vos en compte. Ce sont trop souvent les de la souveraineté alimentaire repré-
communautés ? Quels sont les princi- hommes, en tant que «  maîtres  » de sente-t-il une alternative adéquate
paux défis dans la recherche de l’éga- l’exploitation agricole, qui perçoivent pour les paysannes afin d’améliorer
lité homme-femme que vous rencon- et concentrent le salaire, en nous ex- leurs conditions de vie et de travail ?
trez dans les zones rurales ? cluant, alors que c’est bien souvent
nous, les femmes paysannes, qui nour- A.d.S  : De notre perspective, la lutte
A.d.S  : Il convient de commencer par rissons la communauté. pour la souveraineté alimentaire, qui
rappeler que pendant des années, la inclut celle pour l’agroécologie, et la
paysannerie n’a pas reconnu la lutte En raison de toutes ces contraintes, lutte pour les droits des femmes vont
pour la souveraineté alimentaire beaucoup de femmes quittent les de pair et sont interdépendantes. Il ne
comme une lutte féministe. Cela est zones rurales pour chercher fortune sera pas possible de nous émanciper
bien entendu le résultat de relations dans les zones urbaines ou à l’étran- en tant que femmes paysannes sans
sociales construites dans le cadre d’un ger, où elles rencontrent en fait de accéder à des conditions de travail
système patriarcal. nouveaux types d’exploitation. L’exode et de vie dignes, possibles à la seule
rural se dirige également vers les zones condition d’une transition vers l’agroé-
Dans les zones rurales, la violence à de monocultures, où les conditions de cologie et la souveraineté alimentaire.
l’égard des femmes et leur subordi- travail et sanitaires sont très difficiles.
nation sont des outils de domination Nos pratiques se trouvent aux antipo-
à part entière. C’est-à-dire que les A ces difficultés s’ajoutent celles qui des des solutions agro-industrielles
relations sociales entre paysans et sont liés à l’endettement des femmes qui nous divisent et nous empoi-
paysannes sont elles aussi imbibées paysannes. Ces dernières sont souvent sonnent. C’est en ce sens que l’on envi-
de machisme, avec comme résultat prises au piège – même par des sys- sage l’agroécologie et la souveraineté
l’exclusion et la discrimination à l’en- tèmes tels que la microfinance, sou- alimentaire comme des modèles de
contre des femmes. L’idéologie capi- vent erronément présentée comme vie viables, dans lesquels tout type
taliste a empoisonné –  et continue une solution durable – et ne peuvent d’oppressions et de violences, y com-
de le faire – les esprits au sein de nos pas subvenir à leurs besoins. Beau- pris celle de genre, seraient exclues et
communautés, pour nous diviser. En ce coup de ces femmes en difficulté se inimaginables.
sens, nous devons faire face au fléau suicident, surtout dans notre région
appelé système patriarcal chez nous  ; d’Asie du Sud-Est.
nous devons nous battre non seule-
ment contre le système qui nous op-
prime mais aussi au sein même de nos
communautés.

Le défi principal réside dans les dif-


férences salariales qui sont toujours
très importantes. Non seulement nos
salaires sont moindres, mais parfois
notre travail n’est tout simplement pas

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Les systèmes alimentaires Décembre
40 Nº en état de siège 2021 41
La Déclaration de Par Raffaele Morgantini *

l’ONU sur les droits des


paysan·nes : le droit au
service de la lutte pour Représentant permanent du CETIM

des systèmes alimentaires auprès des Nations Unies

durables et égalitaires
I
l n’y a rien de plus paradoxal que chés et des ressources naturelles. Ce
de constater que celles et ceux faisant, elles détruisent le tissu social
qui contribuent le plus à la sécu- dans les zones rurales et dépossèdent
rité alimentaire, à savoir les commu- les personnes et communautés qui y
nautés rurales, sont les plus affec- vivent et en dépendent pour leur sub-
té·es par la sous-alimentation et la sistance.
pauvreté.
Face à cela, les communautés concer-
Érigés au service du capital transnatio- nées développent et mettent en œuvre
nal et guidés par la recherche effrénée des stratégies pour revendiquer le
du profit, les systèmes alimentaires respect de leurs droits et orienter les
dominés par l’industrie agro-ali- systèmes alimentaires vers plus de
mentaire contribuent grandement à justice sociale et climatique. La mobi-
cette situation. Les politiques et les lisation se fait à différentes échelles
pratiques imposées par ces systèmes interdépendantes, qui se renforcent
génèrent injustices et violations et mutuellement. À l’échelle politique, il
frappent en particulier les droits des s’agit de plaider pour des politiques de
travailleur·euses dans les zones ru- promotion de systèmes alimentaires
rales, ceux des paysan·nes, des peuples alternatifs, respectueux des droits
autochtones, des pêcheur·euses, des humains et des équilibres sociaux
éleveur·euses, sans oublier ceux des et environnementaux. Cela suppose
consommateurs et des consomma- une action proactive, mettant sur la
trices des populations urbaines. Afin table des propositions alternatives
de parvenir à leurs objectifs, les élites concrètes, basées sur des politiques
dominantes du secteur agro-alimen- et des pratiques agricoles alternatives
taire prônent la privatisation des biens et durables, comme l’agroécologie.
communs à travers la concentration À l’échelle économico-commerciale,
et l’accaparement des terres, des mar- ces plaidoyers visent à inverser la ten-

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Les systèmes alimentaires Décembre
42 Nº en état de siège 2021 43
dance dominante qui favorise le mo- a émergé au sein des communautés régulateur des relations sociales dans Aujourd’hui, la Déclaration est une
nopole du secteur agro-alimentaire, paysannes pour faire rempart au sys- un pays ou dans un système interna- réalité normative. Les droits des pay-
pour diriger nos sociétés vers des sys- tème agro-alimentaire international tional déterminé, à un moment donné san·nes sont consacrés dans le droit
tèmes économiques et commerciaux construit au gré des grandes entre- de l’histoire. Plus important encore, international des droits humains. C’est
plus égalitaires, redistributeurs des prises transnationales. Au début des le droit est le résultat de rapports de une grande avancée juridique pour
richesses, et fondés sur la coopération années 2000, le mouvement paysan, force entre les différentes classes ou deux raisons principales. Première-
et la solidarité internationales. D’autre avec à sa tête La Vía Campesina2, a ain- groupes sociaux à ce moment donné. ment, la reconnaissance de ces droits
part, à l’échelle sociale, il est question si initié le développement d’un cadre C’est-à-dire que si le rapport de force est en soi une avancée majeur. Deuxiè-
d’une révision des relations sociales juridico-normatif codifiant des droits penche - à une période historique pré- mement parce que le contenu de ces
de travail et de production dans les spécifiques aux populations rurales. cise - par exemple en faveur des grands droits est cohérent avec et répond aux
zones rurales. Dernier point, non des Cela a indiqué la voie à suivre pour groupes monopolistiques transnatio- revendications et aux demandes lé-
moindres, la lutte pour la transforma- renforcer l’action de la cause paysanne naux, ils pourront influencer l’élabo- gitimes et pressantes du mouvement
tion des systèmes alimentaires se dé- avec pour objectif de bâtir un cadre ration des cadre légaux et l’établisse- paysan international. À ce niveau,
cline également sur le plan juridique. légal afin de pouvoir se servir de ces ment de règles leur étant favorables il convient de souligner le caractère
L’adoption de la Déclaration sur les droits pour la défense de la paysan- (grâce à un degré de pouvoir politique progressiste de la Déclaration, en ce
droits des paysan·nes et des autres nerie familiale. Ainsi, la revendication acquis)3. C’est le cas aujourd’hui dans qu’elle établit des dispositions dont
personnes travaillant dans les zones politique d’un groupe social détermi- le cadre des systèmes alimentaires où les prérogatives sont la défense et la
rurales s’inscrit dans cette lignée. né a débouché sur un instrument ju- le secteur agroalimentaire jouit d’in- promotion des méthodes de vie et de
ridique, brandi ensuite en tant qu’outil nombrables mécanismes et législa- travail paysans, en opposition aux
Se servir du droit de lutte politique. L’articulation entre tions avantageux. Dès lors, il est inévi- prérogatives des élites des systèmes
le politique et le juridique est donc table de définir le droit selon le prisme agroalimentaires dominants actuels.
La Déclaration sur les droits des pay- fondamental, et vaudrait la peine de la politique et il est nécessaire -
san·nes, adoptée par l’Assemblée gé- d’être approfondie. pour construire un cadre juridique in- Ainsi, l’article 2.4 de ladite Déclara-
nérale de l’ONU en décembre 20181, ternational progressiste - de compter tion déclare que les États doivent in-
ainsi que le processus actuel pour sa La raison d’être du droit est celle d’un sur une stratégie politique et sur une terpréter «  les normes et les accords
mise en œuvre, sont le produit d’une système normatif à vocation régula- conjoncture favorable. internationaux pertinents auxquels
construction juridique par le bas trice. En ce sens, il n’est pas un concept ils ont souscrit d’une manière compa-
(bottom-up process). En effet, l’idée abstrait, mais justement le système tible avec leurs obligations relatives

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Les systèmes alimentaires Décembre
44 Nº en état de siège 2021 45
aux droits de l’homme applicables une avancée considérable, puisqu’il positions doivent se refléter dans la créer la dynamique et les synergies né-
aux paysans et autres personnes tra- remet en cause la mainmise des trans- législation de chaque État, mais aussi cessaires pour exiger la mise en œuvre
vaillant dans les zones rurales », ce qui nationales agroalimentaires sur les dans leur politique et pratique agri- de cet outil. En effet, ce n’est qu’en
signifie que, par exemple, des accords semences paysannes et le cadre juri- cole. Grâce au travail de promotion connaissance de cause et grâce à un
favorisant l’emprise du secteur agroali- dique en matière de commerce conçu fait autour de la Déclaration, plusieurs processus d’autonomisation qu’il sera
mentaire sur les systèmes agricoles ne selon leurs intérêts (dans le cadre no- exemples de législations et de normes possible d’élaborer les stratégies né- Notes
peuvent pas se faire en désaccord avec tamment de l’Organisation mondiale nationales surgissent, amenant à une cessaires pour formuler efficacement 1 Déclaration des Nations Unies
les droits des paysan·nes consacrés. du commerce et de la Convention pour relecture du droit interne de différents des demandes et des revendications sur les droits des paysans et des autres per-
De son côté, l’article 2.5, affirme que la protection de l’obtention végétale). pays. Au niveau des mécanismes de auprès des autorités compétentes. La sonnes travaillant dans les zones rurales,
les États ont l’obligation de prendre De manière inédite, d’autres droits recours nationaux, des juges de plu- mise en œuvre de la Déclaration dé- 2018, A/RES/73/165.

les mesures nécessaires pour faire en progressistes sont reconnus par la Dé- sieurs pays tranchent des contentieux pend donc de la capacité du monde 2 La Via Campesina est un
sorte que les «  acteurs non étatiques, claration, comme par exemple le droit en se référant au contenu de la Décla- rural et de ses alliés à engendrer une mouvement international qui rassemble
tels que les sociétés transnationales, à la terre, à la biodiversité, à l’eau, aux ration lors de procédures judiciaires. dynamique collective qui œuvre dans des millions de paysannes et de paysans,
respectent et renforcent les droits des moyens de production, etc. Un éven- Elles et ils créent ainsi des jurispru- ce sens. La force ainsi que les capaci- de petits et de moyens producteur·trices,
de sans terre, de femmes et de jeunes du
paysans  ». Cet article force les États tail de normes qui, dûment mises en dences importantes. tés de mobilisation et d’articulation
monde rural, d’indigènes, de migrant·es et
à encadrer les activités de l’industrie œuvre, seraient aptes à transformer du mouvement paysan international de travailleur·euses agricoles.
agroalimentaire, et donne aux déten- les systèmes alimentaires dans une Cependant, pour que la Déclaration présagent un bon avenir pour la pleine
teur·trices des droits la possibilité de perspective de véritable durabilité et réalise son plein potentiel, les orga- réalisation des droits des paysan·nes. 3 Ainsi, au cours du Moyen-Âge, le
clergé remportait le rapport de force, ce qui
se servir de cet article pour exiger que d’équité. nisations rurales doivent se doter des
avait rendu possible la création de tribunaux
les autorités agissent en ce sens. L’ar- moyens de se l’approprier. Depuis spéciaux d’inquisition – légaux – pour juger
ticle 19 consacre le droit aux semences, Socialiser la Déclaration son adoption, des stratégies à grande les « hérétiques ». Ou encore, au cours de
selon lequel les paysan·nes doivent échelle se mettent en place pour in- l’ère coloniale, l’esclavage était bel et bien un
pouvoir utiliser, en toute autonomie, Pour que la Déclaration soit une réalité former, sensibiliser et former4 les or- droit incombant aux colonisateurs.
«  leurs propres semences ou d’autres non seulement normative mais tan- ganisations rurales, les organisations 4 A cet égard, le CETIM a élaboré
semences locales de leur choix, et de gible sur le terrain, elle doit se trans- alliées, les autorités publiques et la po- 12 fiches de formation portant sur les prin-
décider des cultures et espèces qu’ils former en une référence au niveau pulation en général, sur le contenu et cipaux droits et éléments de la Déclaration.
souhaitent cultiver ». Le droit aux se- national et international. Afin d’être l’utilité de la Déclaration. Ces éléments
mences reconnu aux paysan·nes est respectées et mises en œuvre, ses dis- sont la condition sine qua non pour

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Les systèmes alimentaires Décembre
46 Nº en état de siège 2021 47
La modernisation
de l’agriculture du Sud
par la « voie capitaliste »
est-elle possible P
laçons-nous dans l’hypothèse
d’une stratégie de développe-
d’une croissance continue de 7 % l’an
pour les trois quarts de l’humanité,
Alors, que faire ?

et souhaitable ?
ment de l’agriculture cherchant ne pourrait absorber fut-ce le tiers Il faut accepter le maintien d’une agri-
Extrait du livre de M. Samir Amin
(1931-2018)*, La souveraineté au service à reproduire systématiquement de cette réserve. C’est dire que le ca- culture paysanne pour tout l’avenir
des peuples, PubliCetim No 41, 2017. au Sud le parcours qui a produit pitalisme est par nature incapable visible du XXIe siècle. Non pour des
l’agriculture familiale moderne de résoudre la question paysanne et raisons de nostalgie romantique du
du Nord. On imaginera facilement que les seules perspectives qu’il offre passé, mais tout simplement parce
alors qu’une vingtaine (ou une cin- sont celles d’une planète bidonvilli- que la solution du problème passe par
quantaine) de millions de fermes sée, et de milliards d’êtres humains le dépassement des logiques du ca-
modernes supplémentaires, si on « en trop ». pitalisme, s’inscrivant dans la longue
leur donne l’accès aux superficies transition séculaire au socialisme
importantes de terres qui leur se- Nous sommes donc parvenus au point mondial. Il faut donc imaginer des
raient nécessaires (en les enlevant où pour ouvrir un champ nouveau à politiques de régulation des rapports
aux économies paysannes et en l’expansion du capital («  la moder- entre le «  marché  » et l’agriculture
choisissant sans doute les meilleurs nisation de la production agricole  ») paysanne. Aux niveaux nationaux et
sols) et si elles ont accès aux mar- il faudrait détruire –  en termes hu- régionaux ces régulations, singulières
chés de capitaux leur permettant mains – des sociétés entières. Vingt ou et adaptées aux conditions locales,
de s’équiper, pourraient produire cinquante millions de producteurs ef- doivent protéger la production natio-
l’essentiel de ce que les consomma- ficaces nouveaux (cinquante ou deux nale, assurant ainsi l’indispensable
teurs urbains solvables achètent en- cents millions d’êtres humains avec souveraineté alimentaire des nations
core à la production paysanne. Mais leurs familles) d’un côté, trois milliards et neutralisant l’arme alimentaire de
que deviendraient les milliards de d’exclus de l’autre. La dimension créa- l’impérialisme –  autrement dit dé-
ces producteurs paysans non com- trice de l’opération ne représente plus connecter les prix internes de ceux du
pétitifs  ? Ils seront inexorablement qu’une goutte d’eau face à l’océan des marché dit mondial  – comme elles
éliminés dans le temps historique destructions qu’elle exige. J’en conclus doivent –  à travers une progression
bref de quelques dizaines d’an- que le capitalisme est entré dans sa de la productivité dans l’agriculture
nées. Que vont devenir ces milliards phase sénile descendante, la logique paysanne, sans doute lente mais conti-
d’êtres humains, déjà pour la plu- qui commande ce système n’étant plus nue  – permettre la maîtrise du trans-
part pauvres parmi les pauvres, mais en mesure d’assurer la simple survie de fert de population des campagnes vers
Économiste et penseur franco-égyp- qui se nourrissent eux-mêmes, tant la moitié de l’humanité. Le capitalisme les villes. Au niveau de ce qu’on appelle
tien, il a été directeur du Forum du bien que mal, et plutôt mal pour le devient barbarie, invite directement le marché mondial la régulation sou-
Tiers-Monde. Il est l’auteur de dizaines tiers d’entre eux ? À l’horizon de cin- au génocide. Il est nécessaire, plus que haitable passe probablement par des
d’ouvrages portant sur les rapports quante ans aucun développement jamais, de lui substituer d’autres lo- accords interrégionaux répondant aux
Nord-Sud et les questions de dévelop- industriel plus ou moins compétitif, giques de développement, d’une ratio- exigences d’un développement qui in-
pement. même dans l’hypothèse fantaisiste nalité supérieure. tègre au lieu d’exclure.

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Les systèmes alimentaires Décembre
48 Nº en état de siège 2021 49
De l’autonomie à la
souveraineté alimentaire:
le fil rouge des
mouvements sociaux
Face à la crise sanitaire, à l’augmentation de la faim et sur leur scepticisme vis-à-vis des pro- mesures d’incitation à l’adaptation gènes et d’adopter des approches agro-
grammes d’  « agriculture intelligente et à l’atténuation des changements forestières qui ne soient pas forcément
de toutes les formes de malnutrition, à la destruction face au climat  » ou d’«  agriculture ré- climatiques, à la protection des sols, destinées à perpétuer un nouveau cycle
écologique et celle de la biodiversité, une centaine de génératrice  » promus par les sociétés de l’eau et de la biodiversité. En effet, d’exploitation. En outre, la restauration
Par CETIM transnationales2. une répartition plus juste au profit des naturelle assistée des anciennes forêts
regroupements, de plateformes, de mouvements so- producteur·trices implique inévitable- et terres vise à éliminer la végétation
Un système prédateur, une ment une répartition des richesses, des envahissante et à clôturer les terres
ciaux, d’organisations locales et nationales du monde multitude d’alternatives terres et autres ressources naturelles. pour réduire la pression du pâturage
entier, s’engagent à soutenir les droits des paysan·nes tout en expropriant les grandes pro-
Les alternatives susmentionnées La préservation de la nature priétés terriennes.
et des citoyen·nes en faveur d’une agriculture écolo- prévoient également la création de et l’autodétermination avant
mécanismes garantissant l’égalité de la « régénération »
gique garantissant le droit à l’alimentation. genre et la participation de la société
civile aux processus de prises de dé- Les communautés rurales et locales

L
es mouvements sociaux, bien l’importance que ces systèmes alimen- cisions relatives aux crises sanitaires, prônent la mise en valeur des connais-
que divers, sont soudés par un taires doivent accorder à une protec- alimentaires et ayant trait à la justice sances ancestrales en ce qui concerne Les chantres de la
dénominateur commun  : celui tion des travailleur·euses et des com- climatique. La souveraineté alimen- le lien à la terre, la protection des se- croissance néolibérale
de la souveraineté et de l’autonomie munautés touchées par la transition taire va de pair avec la mise en pra- mences et la production alimentaire.
parlent, eux, volontiers
alimentaire, exprimé par le biais de vers une économie à faibles émissions tique d’un programme de reconver- Les chantres de la croissance néolibé-
revendications bien plus riches et de carbone et à une réduction progres- sion de l’agro-industrie et de l’élevage rale parlent, eux, volontiers de «  régé- de « régénération » alors
concrètes que la langue de bois des sive des inégalités sociales. intensif vers un système d’alimenta- nération  » alors que la préservation et que la préservation
expert·es et des conseiller·ères de tion basé sur l’élevage limité, local et la récupération de la terre, de la faune et la récupération de
l’agro-business. Les mouvements sociaux se rejoignent agroécologique. et de la flore, font partie des méthodes
la terre, de la faune et
dans l’exigence d’un commerce inter- dites écologiques. Concrètement, une
Aussi, plus de 650 ONG, syndicats et national équitable, qui intègre et ren- En vue de garantir la sécurité alimen- approche authentiquement écologique de la flore, font partie
mouvements locaux1 revendiquent force ses critères de qualité sans nuire taire, les mouvements sociaux, les permet une restauration active et géné- des méthodes dites
des systèmes alimentaires écolo- au développement agricole local, et paysan·nes en particulier, formulent ralisée (pas sous forme d’enclaves) des écologiques.
giques locaux, sains et durables, avec qui prévoit un partage des innovations des programmes avec des moyens mis terres dégradées ou empêchées de se
des conditions de travail décentes. (surtout technologiques) avec les pays en œuvre tels que la diversification rétablir par elles-mêmes, et implique
Les mouvements sociaux soulignent du Sud. Ils se rejoignent également des fermes et des territoires ou des souvent de reforester des espèces indi-

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50 Nº en état de siège 2021 51
Pour les communautés locales, l’eau L’agriculture écologique  : ga- politiques macroéconomiques en Revendications régionales Notes
est aussi essentielle que la terre. Dès rante de la souveraineté ali- appui aux dynamiques locales ; particulières 1 Voir les signataires de la déc-
lors, la marchandisation de l’eau et de mentaire 10. la mise sur pied d’une sécurité laration politique de la Réponse au-
la terre sous quelque forme « durable » sociale de l’alimentation conjoin- 1. Aucun projet entraînant l’élimina- tonome des peuples au Sommet de
ou « climate-friendly » que ce soit sont Les mouvements sociaux et les ONG tement au droit à l’alimentation, tion, la migration, la concentration l’ONU sur les systèmes alimentaires.

inacceptables pour les paysan·nes. indépendantes sont conscients des au droit des producteur·trices d’ali- ou l’urbanisation forcée de la po- 2 Lire l’article de Selin Yetim,
Les peuples indigènes luttent bec et synergies entre le climat, l’environne- mentation (dans la production pulation. page 32.
ongles pour s’opposer à la construction ment et la souveraineté alimentaire. agricole comme dans la produc- 2. Prise de mesures urgentes dans
de barrages et de centrales hydroé- Pour eux, l’agriculture écologique fa- tion agroalimentaire) et au droit les camps des réfugié·es abritant
lectriques qui s’accompagnent d’un vorisant le stockage du carbone dans de l’environnement ; des familles déplacées à cause de
déplacement des communautés en- le sol, ainsi que la préservation des 11. l’universalité de l’accès au méca- conflits en matière épidémiolo-
tières et endommagent gravement les écosystèmes visant à abandonner les nisme de sécurité sociale de l’ali- gique, d’accès à l’eau potable et du
écosystèmes. De plus, ils demandent pesticides nuisibles à l’environnement mentation ; droit à l’alimentation saine et suf-
de l’aide financière pour l’installation n’est pas irréaliste. C’est pourquoi, dans 12. l’assurance d’une bonne rémuné- fisante.
de points de collecte et de distribution le contexte d’une agriculture écolo- ration et de bonnes conditions de 3. Restauration des espaces de pâtu-
équitable de l’eau et se battent pour gique durable de proximité, les revendi- travail pour les paysans familiaux rage détruits.
la poursuite des responsables de la cations suivantes sont mises en avant : et travailleurs agricoles de l’appro- 4. Augmentation des niveaux d’eau
contamination des sources d’eau, de visionnement alimentaire ; dans les tourbières agricoles.
l’air et de la déforestation des terres 1. le partage de méthodes de pro- 13. la sensibilisation des citoyen·nes 5. Développement des programmes
ancestrales. duction alimentaire durables, aux thématiques agricoles et ali- environnementaux afin de stopper
équitables, écologiques et biolo- mentaires ; l’avancée du désert et l’assèche-
Un autre élément dont il faut tenir giques ; 14. la conclusion de conventions ment des puits d’eau.
compte est le commerce international 2. l’information à la population sur collectives en conformité avec la 6. Protection accrue des cuvettes oa-
des produits alimentaires et leur qua- les solutions alternatives aux pro- Déclaration sur les droits des pay- siennes et des espaces fertiles à
lité. Les systèmes alimentaires ne sont duits carnés et, en général, sur les san·nes ; cultiver.
durables, entre autres, que si la limita- produits à forte empreinte écolo- 15. le soutien aux coopératives so- 7. Création de couverts végétaux
tion de l’importation de denrées ali- gique ; lidaires et sociales pour qu’elles pour stabiliser les dunes.
mentaires pour l’élevage est assurée. À 3. l’organisation de ventes collectives puissent bénéficier d’un accès faci- 8. Construction de haies pour proté-
ce propos, les mouvements sociaux de- d’aliments à des prix équitables ; lité aux marchés locaux, régionaux ger du vent des espaces cultivables.
mandent et développent eux-mêmes 4. la protection de la biodiversité et et internationaux ; 9. Reconduite de l’initiative africaine
des méthodes de culture préservant des ressources génétiques des éco- 16. l’établissement d’un catalogue des pour reboiser la bande sahélienne.
les sols (agroforesterie, permaculture, systèmes locaux ; cultures recommandées approu- 10. Collaboration entre les commu-
polyculture vivrière agroécologique, 5. la favorisation des intérêts des pe- vées par la collectivité locale ; nautés pour créer des zones agro-
coopératives écologiques) et visant tit·es agriculteur·trices face à ceux 17. la limitation de la pêche aux be- pastorales.
à renforcer la production de légumi- des transnationales ; soins nutritionnels et locaux ; 11. Politique d’urgence contre le
neuses permettant de réduire la part 6. la promotion des ventes en vrac 18. l’interdiction du commerce à risque imminent de famine dans
de viande dans l’alimentation sans et l’abandon des emballages plas- grande échelle des céréales ali- les zones de conflits et de catas-
fragiliser l’apport de protéines pour les tiques ; mentaires et des légumes ; trophe humanitaire.
populations marginalisées/exclues. 7. la restauration biologique des sols 19. le pâturage en rotation impliquant 12. Fin de l’accaparement des terres
pour accroître la productivité et le la gestion des terres autochtones fertiles en Afrique, en Asie et en
revenu des fermes ; par ces derniers et leur autodéter- Amérique latine par les transnatio-
8. la réduction des gaz à effets de mination. nales et les institutions publiques.
serre (GES), les économies d’eau et
la protection de la santé humaine ;
9. la souscription au socle commun
du collectif pour une sécurité so-
ciale de l’alimentation et la re-
connaissance de la nécessité de

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Les systèmes alimentaires Décembre
52 Nº en état de siège 2021 53
Les labels :
difficile de s’y retrouver!

L
es labels alimentaires sont Labels génériques indicateurs Labels forts réglementés AOC (Appellation d’Origine Contrô- Labels privés pendants. Certains aliments comme
nombreux et pour la plupart des de qualité et de règles lée) et AOP (Appellation d’Origine l’huile de palme même bio sont pros-
initiatives privées. Il est parfois AB (Agriculture Biologique) : est l’un Protégée) : sont des labels qui garan- Rainforest Alliance : veut concilier crits car ils causent trop de dommages
difficile de s’y retrouver. Mais que Light : Les produits légers sont trans- des labels bio les plus connus et dé- tissent qu’un produit est originaire production agricole et biodiversité. environnementaux.
veulent dire ces mentions dont le formés pour réduire les calories ou les mocratisés. Il garantit que 95% des d’un pays, d’une région ou d’un terroir. Il Rien qu’en 2015, plus d’un million d’ex-
but est de renseigner sur certaines matières grasses. Certains produits ingrédients sont issus de l’agriculture existe une centaine d’AOC qui n’offrent ploitations ont été certifiées dans une Fairtrade : certifie un engagement
propriétés, origines, ingrédients ou sont simplement dilués. Il est donc im- biologique et qu’il n’y a pas de produit pas les mêmes garanties, mais le label vingtaine de pays. auprès de petit·es producteur·trices
qualités d’un produit alimentaire ? portant de vérifier si quelque chose a chimique de synthèse ou d’OGM (dans reste un bon indicateur de qualité pour en garantissant l’équité des échanges
Les labels sont destinés à une frange été ajouté à la place, comme du sucre, la limite de 0,9% de tolérance) dans des productions locales. L’AOP est son Bio Cohérence (Cofondé par Biocoop commerciaux Nord/Sud (dans la me-
relativement aisée des consomma- par exemple. le produit. Il permet donc 5 % d’ingré- équivalent européen. en 2009) : ce label alimentaire va plus sure du possible) et de bonne volonté.
teur·trices et doivent en grande partie dients non biologiques. loin que les français et les européens Il n’a aucune incidence sur la qualité.
disparaître le jour où les systèmes ali- Multigrains ou multicéréal : Ce label IGP (Indication géographique proté- en évitant toute source de contamina- Ce label de commerce équitable ga-
mentaires seront basées essentielle- promet des produits sains, mais cette Bio Européen : ce logo garantit des gée) : montre que le produit provient tion. Aucun résidu d’OGM n’est toléré, rantit un revenu, considéré comme dé-
ment sur les critères agro-écologiques mention signifie uniquement qu’un règles européennes de production d’une zone géographique déterminée. les éleveur·euses sont invité·es à évi- cent, aux petit·es producteur·trices de
accompagnés d’accès équitable pour aliment contient au moins deux types biologique en proscrivant les produits La garantie est toutefois moins bonne ter l’achat d’aliments à l’extérieur. Les certains pays du Sud.
tout le monde aux aliments sains et de céréales. Très probablement des chimiques de synthèse, les OGM et que l’AOP ou l’AOC. producteur·trices doivent élaborer une
suffisants. grains raffinés, à moins que le produit leurs dérivés. Pour les produits trans- carte en mentionnant axes routiers, in-
ne soit marqué comme grain entier. formés, 5% des ingrédients peuvent STG (Spécialité Traditionnelle Garan- cinérateurs et décharges à proximité.
être non biologiques s’ils sont autori- tie) : sigle européen qui garantit une L’association impose aux fermes une
Nature : Cela ne signifie pas néces- sés ou non disponibles en version bio. fabrication considérée comme tradi- production 100 % bio ainsi qu’une
sairement que le produit ressemble à Les labels AB et Bio Européen ont qua- tionnelle. Avec un bémol, ce label per- «  séparation entre les produits Bio
quelque chose de naturel. Cela indique siment les mêmes exigences. met tout de même de produire de la Cohérence et les autres produits », le
simplement qu’à un moment donné, le mozzarella en Allemagne. but étant d’éviter la contamination.
fabricant a travaillé avec une source na- Marine Stewardship Council (MSC) : Ce label est moins connu mais plus
turelle, comme des pommes ou du riz. est un label alimentaire international exigeant en terme de lutte contre les
qui lutte contre la surpêche (la surex- OGM.
Bio : Cette étiquette n’indique pas si un ploitation des océans) et la dispari-
produit est sain. En effet, le sucre bio- tion des espèces. Ce label figurant par Nature et Progrès : Cette mention
logique reste du sucre. exemple sur le thon ou le cabillaud permet aux producteur·trices de pré-
garantit une pêche responsable, res- server les sols, de protéger leur acti-
Label éco-agriculture : Cette mention pectueuse des quotas et des périodes vité et de proposer aux consomma-
n’est pas encore formalisée ni contrô- de reproduction. teur·trices une alimentation saine et
lée bien que les critères soient plus ou respectueuse de l’environnement.
moins connus. La charte n’est pas basée sur le règle-
ment européen, les critères sont indé-

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Les systèmes alimentaires Décembre
54 Nº en état de siège 2021 55
« Il ne suffit pas... »

Pour éliminer la faim et la malnutrition à l’échelle mondiale, il est impératif de


développer des systèmes alimentaires basés sur l’agroécologie. Cette approche
ne doit en aucun cas se décliner comme une « bonne pratique » parmi d’autres,
Labels informatifs sur cer- entiers. Si les grains entiers ne figurent tout en abaissant les taux de HDL mais comme un mode de production basé sur l’expropriation et la répartition
tains ingrédients pas dans les trois premiers ingrédients, (« bon cholestérol »).
la quantité est négligeable. équitable de la richesse des transnationales, ainsi que sur le respect de l’ensemble
Sans sucre ajouté  : Certains produits Directement du jardin  : de quel jar-
sont naturellement riches en sucre. Le Fortifié ou enrichi  : cela signifie que din ? Comment et avec quels produits des principes de l’agriculture écologique.
fait qu’ils n’aient pas de sucre ajouté certains nutriments ont été ajoutés au est-il cultivé  ? Ce label reste obscur
ne signifie pas qu’ils soient sains. Des produit. Par exemple, la vitamine D est quant à la qualité des produits concer-

L
substituts de sucre malsains peuvent souvent ajoutée au lait. Pourtant, ce nés. ’objectif de développement durable (ODD2) de une sélection entre les pays pauvres en fonction de leur
également avoir été ajoutés. n’est pas parce que quelque chose est l’Agenda 2030 préconise d’« éliminer la faim, d’assu- potentiel de marché ou de leur disponibilité en matières
fortifié qu’il est sain. rer la sécurité alimentaire, d’améliorer la nutrition premières.
Peu calorique : les produits hypocalo- et de promouvoir l’agriculture durable ». Le CETIM tente
riques doivent contenir un tiers de ca- Sans gluten : ne veut pas dire sain. Le de démontrer que sans la reconnaissance et la mise en Il ne suffit pas d’encourager des bonnes pratiques de par-
lories en moins que le produit original produit ne contient tout simplement œuvre du droit au développement, les ODD ne sont pas tenariat public-privé mais il est indispensable de prioriser
de la marque. Pourtant, la version hy- pas de blé, d’épeautre, de seigle ou atteignables. les établissements publics comme modèle axé sur le res-
pocalorique d’une marque peut avoir d’orge. De nombreux aliments sans pect des recommandations de la pyramide alimentaire et
des calories similaires à l’original d’une gluten sont hautement transformés Il ne suffit pas de revendiquer des systèmes alimentaires du droit à l’alimentation.
autre marque. et chargés de graisses et de sucre mal- durables : il faut aussi planifier la justice sociale pour une
sains. juste répartition des richesses. Il ne suffit pas d’interdire l’exportation et le commerce
Faible en gras  : Cette étiquette signi- des pesticides hautement toxiques sur son sol, il faut im-
fie généralement que la graisse a été Aromatisé aux fruits  : comme le Il ne suffit pas de se limiter à promouvoir la viabilité de poser aux entreprises agroalimentaires que l’utilisation
réduite au prix de l’ajout de plus de yaourt à la fraise. Cependant, le pro- l’agriculture agroécologique et la biodiversité. Les mou- de ces produits soit bannie partout dans le monde.
sucre. Prudence, donc. duit à arôme naturel peut ne contenir vements sociaux sont tenus de contester la gestion néoli-
aucun fruit. Il sera confectionné à base bérale de la biodiversité. … Il faut une agroécologie durable qui soit indépendante
Faible teneur en glucides  : récem- de produits chimiques conçus pour des intérêts privés et authentique.
ment, les régimes pauvres en glucides avoir un goût de fruits. Il ne suffit pas de subventionner les secteurs dits durables
ont été associés à une meilleure santé. et les «  bonnes pratiques  » mais il faut aussi cesser de
Pourtant, les aliments transformés éti- Zéro gras trans : signifie que le produit subventionner les secteurs non durables qui nuisent à la
quetés à faible teneur en glucides sont contient moins de 0,5 grammes de ce biodiversité et demander des compensations et des rétro-
généralement encore de la malbouffe type d’acides gras saturés présents na- cessions des subsides alloués aux grandes entreprises ne
transformée, similaire aux aliments turellement en petite quantité dans la respectant pas les recommandations climatiques, écolo-
transformés à faible teneur en ma- viande et les produits laitiers. Même giques et la Déclaration de l’ONU sur les droits des pay-
tières grasses. si les portions sont petites, le produit san·nes.
peut toujours contenir des graisses
Fait avec des grains entiers : le produit trans qui font augmenter les taux san- Il ne suffit pas d’augmenter l’aide humanitaire. Il faut
peut ne contenir que très peu de grains guins de LDL (« mauvais cholestérol ») décoloniser l’aide au développement et arrêter de faire

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Les systèmes alimentaires Décembre
56 Nº en état de siège 2021 57
Voir d’autres titres édités par le
Les publications CETIM sur le sujet
du CETIM en lien
avec les systèmes alimentaires et la souveraineté

Vía Campesina: une alternative paysanne à la mondialisation néolibérale La Déclaration de l’ONU sur les droits des paysan.nes
Jean ZIEGLER, Jacques BERTHELOT, Jean-Pierre BERLAN et al. Coline Hubert

2002 – 256 pages 2019 – 200 pages


Les paysans et les paysannes sont à la pointe du combat contre l’OMC et pour im- Une idée issue d’un syndicat paysan indonésien peut mener très loin…, jusqu’à
poser la souveraineté alimentaire. De tous les continents, certains de leurs leaders, l’adoption d’un instrument international au sein de l’ONU ! L’ONU et son Conseil
hommes et femmes, racontent leurs luttes et donnent chair à ce « front commun des droits de l’homme n’appartiennent pas qu’aux chefs d’États et diplomates. Les
Nord-Sud » mis en branle par la Vía Campesina. paysan·nes l’ont prouvé, les peuples peuvent changer le droit international. L’idée
d’un syndicat de paysan.nes, le souhait de millions de personnes, peut devenir un
instrument international au service des luttes progressistes.

Hold-up sur le climat. Comment le système alimentaire est responsable du


changement climatique et ce que nous pouvons faire La souveraineté au service des peuples suivi de L’agriculture paysanne, la voie
GRAIN de l’avenir!
2016 – 259 pages Samir Amin
Ce livre explique comment le système agro-industriel est l’un des responsables ma- 2017 – 104 pages
jeurs du changement climatique, pour quelles raisons et comment la souveraine- La souveraineté au service des peuples suivi de l’agriculture paysanne, la voie de
té alimentaire est essentielle à prendre en compte dans toute solution pérenne et l’avenir! revient sur un point qui fait aujourd’hui largement débat: faut-il soutenir
juste. Plus que jamais, il est temps pour les peuples d’agir par eux-mêmes, alors que ou au contraire rejeter la souveraineté alimentaire nationale? Pour l’auteur, cette
les gouvernements, particulièrement ceux qui sont à la tête des pays qui ont le plus question de stratégie fait l’objet de graves malentendus, tant que son contenu de
pollué, refusent de prendre leur responsabilité pour gérer ce problème. Changer le classe n’est pas identifié.
système alimentaire est certainement le meilleur endroit par où commencer.

Travailleurs et travailleuses agricoles à la peine


Plateforme pour une agriculture socialement durable
2020 – 80 pages
Commander ici la version imprimée de cette enquête sur le monde du travail dans Le droit à la terre
l’agriculture. Mandatés par la Plateforme pour une agriculture socialement du- Melik Özden
rable, deux chercheurs ont réalisé une étude comparative basée sur neuf cantons et
couvrant la période de 2000 à 2018. Ils ont tout d’abord ausculté les conditions de
travail des ouvriers et ouvrières agricoles, majoritairement issu.es de l’immigration Revendication historique des mouvements paysans, la reconnaissance du droit à la
et qui représentent près de 25 % de la main-d’œuvre agricole suisse. Mais pas seule- terre gagne du terrain au niveau international. Cette publication fait le point sur cet
ment. Leur étude s’est ensuite également penchée sur les problèmes économiques enjeu fondamental de notre temps. Elle est le résultat d’un important travail de re-
et sociaux des exploitants agricoles, l’endettement, les bas prix payés à la produc- cherche et d’enquête, et le fruit d’une collaboration avec La Vía Campesina.
tion et le rôle des grands distributeurs. Elle reflète une réalité pas très reluisante de
notre agriculture et des conditions de vie de toutes les personnes travaillant jour
après jour pour produire notre alimentation. Vous pouvez télécharger le PDF du
livre gratuitement en cliquant ici

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Les systèmes alimentaires Décembre
58 Nº en état de siège 2021 59
2
Dans son deuxième numéro, Lendemains solidaires interrogera l’articulation entre
mouvements et leaders dits «populistes», xénophobes et ultranationalistes, et
maldéveloppement. Du nostalgique de la dictature Bolsonaro, au néofasciste in-
Nº dien Narendra Modi, en passant par le polémiste sulfureux français Eric Zemmour,
la marée réactionnaire ne cesse de se réaffirmer depuis les années 1980. Préten-
dument «anti-système», ces courants radicaux refusent de nommer les inégali-
tés sociales dans la distribution des revenus et des richesses comme une menace
fondamentale pour leurs sociétés, mais ils ciblent en toute impunité des ennemis
«intérieurs» comme «extérieurs» à leur vision fantasmée et essentialiste de la na-
tion. Comment expliquer la montée des néo-fascismes ? S’agit-il d’un simple effet
secondaire de la mondialisation ou au contraire du prolongement logique de la
violence néolibérale? Quels en sont les impacts sur l’action collective, les mouve-
ments sociaux et les dynamiques électorales ? Voilà quelques problématiques,
parmi d’autres, qui seront décortiquées dans le numéro 2 de la revue.

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