VENDREDI 20 JANVIER 2023

79E ANNÉE – NO 24274

3,40 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR –
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Lycées : le privé bien mieux doté que le public
▶ Des chiffres confiden­
tiels prouvent qu’à Paris
▶ Notre enquête montre
que les moyens attribués
▶ L’écart tient à la réparti­
tion des ressources entre
▶ Les données de la capi­
tale, les seules auxquelles 1 ÉDITORIAL
les établissements sous par l’Etat à ces institutions le primaire et le secon­ nous ayons eu accès, font RÉTABLIR L’ÉQUITÉ
contrat disposent de plus sélectives sont supérieurs, daire, favorisant l’élitisme apparaître une distorsion
d’heures d’enseignement à effectif et composition du privé, quand le public entre deux systèmes DANS L’ÉDUCATION 
par élève que le public sociale équivalents lutte contre les inégalités PAG ES 12- 13 PAGE 25

Retraites Israël
Unité syndicale  NOUVELLE­ZÉLANDE Le défi de la Cour 
exceptionnelle suprême au 
contre la réforme DÉMISSION  gouvernement 
Les huit principaux syndi­ SURPRISE DE  Nétanyahou
cats et cinq mouvements
représentant la jeunesse
ont appelé à défiler et à
LA PREMIÈRE  La plus haute juridiction
a imposé, mercredi, au
faire grève jeudi contre le
projet du gouvernement, MINISTRE,  premier ministre de dé­
mettre son numéro deux,
ce qui ne s’était pas vu
depuis très longtemps.
La journée est un test
JACINDA ARDERN l’ultraorthodoxe Arié Déri,
condamné pour fraude
fiscale, mettant en péril
pour le gouvernement la coalition au pouvoir
PAGES 8-9 ET 24 ▶ La cheffe du gouvernement PAGE 3
a annoncé, jeudi, qu’elle
quittait le pouvoir, disant
Tourisme ne pas avoir l’énergie pour Economie
Après le Covid­19, un nouveau mandat
▶ La dirigeante s’était démar­
Le groupe 
séjours locaux  quée par sa politique progres­ Go Sport placé 
et vacances  siste et par son charisme
en redressement 
en plein air PAG E 4
judiciaire
Les campings et parcs Le tribunal de commerce
de loisirs sont les grands A son arrivée à la de Grenoble a constaté
gagnants d’un secteur conférence de presse, à jeudi l’état de cessation de
Napier (Nouvelle­Zélande),
qui retrouve de fortes le 19 janvier. KERRY
paiements du distributeur,
fréquentations MARSHALL/GETTY IMAGES ASIAPAC/AFP qui emploie 2 160 salariés
PAGE 14 PAGE 16

Ukraine Burkina Faso

Une cinquantaine
Danse
Sur scène,
Idées
La société civile
se mobilise pour de femmes la nudité pour Face à l’urgence 
envoyer des armes enlevées par montrer des corps climatique, 
sur le front des djihadistes conquérants
PAGE 2 PAG E 5 PAGE 17 repenser le 
modèle agricole 0123 ÉDITION 2023
VU PAR HENG (SINGAPOUR)    CARTOONING FOR PEACE H O R S - S É R I E

Dans un contexte de sé­

LE BILAN
▶ GÉOPOLITIQUE
▶ ENVIRONNEMENT
cheresses, l’expert en agro­ ▶ ÉCONOMIE

écologie Olivier Hébrard

souligne l’inanité du sys­
tème français, trop dépen­
DU MONDE
+ AT LA S D E 1 9 8 PAYS
+ 1 5 PAG E S D E D É B ATS : BERTRAND BADIE, LAUREN ELKIN, SOROUR KASMAÏ,

dant de l’irrigation. Un col­ MARIE MENDRAS, VALÉRIE NIQUET, MARC-ANTOINE PÉROUSE DE MONTCLOS...

lectif de chercheurs, d’élus

et d’agriculteurs déplore
la fin des aides pour le bio
PAGE 22

À NOS LECTEURS
En raison d’un mouvement
de grève contre la réforme
des retraites, notre édition datée
du 20 janvier ne sera pas imprimée
et ne sera disponible qu’en version
numérique. La parution du « Monde
des livres » est décalée à notre
édition datée du samedi 21 janvier.
Merci pour votre compréhension.
Algérie 220 DA, Allemagne 4,50 €, Andorre 3,90 €, Autriche 4,20 €, Belgique 3,70 €, Espagne 3,90 €, Grèce 3,90 €, Guadeloupe-Martinique 3,70 €,
Hongrie 1 790 HUF, Italie 3,90 €, Luxembourg 3,80 €, Maroc 28 DH, Pays-Bas 4,30 €, Portugal cont. 3,90 €, La Réunion 3,70 €, Sénégal 2 500 F CFA, Suisse 4,80 CHF, Tunisie 5,50 DT, Afrique CFA autres 2 600 F CFA
 INTERNATIONAL
2|
GUERRE  EN  UKRAINE
En Ukraine, l’appel aux armes des ONG
Des fondations et des organisations humanitaires collectent des fonds pour importer du matériel militaire
REPORTAGE
kiev ­ envoyée spéciale
D
ifficile de penser
que c’est bien
elle, avec ses che­
veux roses et ses
petits mouve­
ments d’oiseau,
la négociatrice secrète en arme­
ment militaire pour la fondation
ukrainienne Reviens vivant. Dans
la pénombre d’un café de Kiev, où
tremblent quelques bougies, elle
peine à se concentrer sur autre
chose que sa fille, 10 ans, qui l’at­
tend dans un appartement à
peine chauffé. D’emblée, elle an­
nonce : « Tout est légal. » C’est
même elle, la jeune femme aux
cheveux roses, qui vient de faire
muter la législation ukrainienne
pour autoriser les associations
caritatives à importer du matériel
militaire offensif.
Reviens vivant est aujourd’hui
la seule ONG de la planète capable
d’offrir à l’armée nationale des
lance­roquettes longue portée et
des drones de combat turcs Bay­
raktar TB2 (environ 3 millions
d’euros pièce) grâce à ses collectes
de fonds. C’est peu dire que
l’Ukraine a basculé dans une autre
réalité en onze mois de guerre.
Aujourd’hui, le pays enrage. Ter­
miné les signes d’effroi ou d’abat­
tement : chaque famille – ou pres­
que – pourrait raconter l’histoire
d’un de ses enfants qui a demandé
des armes en cadeau pour les fê­
tes. De nouveaux prénoms appa­
raissent, Bayraktar pour les gar­
çons – comme le fameux drone –
ou Javelina pour les filles, une va­
riation de Javelin, le lance­missi­
les antichar américain. « Avec mon
argent, je veux que vous achetiez
de quoi tuer le plus de Russes pos­
sible », balancent crûment des re­
traités sur le site de Reviens vi­
vant. Plus les équipements sont
meurtriers, plus les levées de
fonds font recette. « L’histoire est
en train de s’écrire, les gens veulent
en être, participer à la victoire », dit
Andriy, vétéran de 30 ans et per­
manent à l’association.
Vu d’Ukraine, la récente autori­
sation d’importer des armes pour
les ONG paraît moins une sur­
prise que la suite logique d’un
mouvement civil, très particulier
au pays : cela fait longtemps qu’ici,
le militaire se mêle à l’humani­
taire. Pour le comprendre, il faut
se souvenir de 2014. L’armée na­
tionale est à l’époque en plein dé­
mantèlement, orchestré par une
partie de la classe politique. Fidèle
à Moscou, elle soutient que la Rus­
sie sera le bouclier de Kiev, pas son
agresseur. Seuls 5 000 militaires
sont alors en alerte opération­
nelle, 4 % des troupes sont équi­
pées de gilets pare­balles.
« IL FALLAIT AVANCER MASQUÉ »
Lorsque la guerre éclate dans le
Donbass cette année­là, un élan
populaire s’organise spontané­
ment pour soutenir cette armée
aux mains nues, depuis l’achat
de sous­vêtements jusqu’à la li­
vraison de matériel de commu­
nication sophistiqué ou de véhi­
cules. Bref, tout pour la ligne de
front, sauf des armes offensives,
objet d’une réglementation spé­
cifique. Très vite, les volontaires
ukrainiens vont se révéler des
figures majeures du pays, les
premiers à qui la société accorde
sa confiance, loin devant les res­
ponsables institutionnels et les
hommes politiques.
Huit ans plus tard, au siège de
l’association Reviens vivant, à
Kiev, chacun garde en tête le ma­
tin de l’invasion russe, le 24 fé­
vrier 2022. Dans cette seule jour­
née, l’ONG a récolté autant de
fonds que durant toutes les an­
nées précédentes : 300 millions
de hryvnias (7,5 millions d’euros).
Les dons affluent de partout,
d’importantes sociétés ukrai­
niennes comme l’opérateur télé­
phonique Kyivstar ou la compa­
gnie de taxi Uklon, un oligarque
ou deux, et surtout des millions
de particuliers.
Il faut dire que Reviens vivant
fait figure de référence dans le
secteur. Apolitique, elle publie
scrupuleusement ses bilans fi­
nanciers, assure aussi des forma­
tions militaires et fournit de l’aide
aux vétérans. Son président, Taras
Tchmout, 29 ans, répète volon­
tiers qu’elle est devenue bien plus
qu’une ONG : un acteur capable
d’influencer l’état­major et la dé­
fense. « Cette fois, on s’est dit qu’on
ne gagnerait pas avec des gilets pa­
re­balles », se souvient Andriy, le
permanent de l’ONG. C’est là que
« Cheveux roses » entre en piste.
Fonctionnaire au ministère des
anciens combattants, juriste, elle
travaille aussi à l’association. « Il
fallait avancer masqué », raconte­
t­elle. Des hommes politiques pro­
russes sont toujours embusqués
dans les rouages de l’Etat, elle en
est persuadée. L’une après l’autre,
elle pousse une série de lois devant
la Rada (le Parlement), évitant
d’abattre son jeu d’un coup pour
ne pas dévoiler l’objectif final.
Cela commence par la défiscali­
sation pour les armes (40 % d’éco­
nomie), puis la simplification des
procédures douanières et enfin
l’autorisation accordée à des ONG
d’importer des armes lourdes. Le
mécanisme est simple : l’associa­
tion a le statut d’acheteur et d’im­
portateur des équipements, choi­
sis en accord avec l’état­major. Elle
en fait don à l’armée qui l’inscrit
légalement dans son inventaire
national. L’agrément de Reviens
vivant est accordé en juin 2022.
Aux Etats­Unis, l’énergie et
l’audace de ce mouvement popu­
laire fascinent. Les quatre plus
grosses ONG du secteur revien­
nent d’ailleurs d’une tournée
triomphale à Washington avec
audition devant le Congrès et
émission spéciale sur Fox News,
une semaine avant la visite du pré­
sident Volodymyr Zelensky en dé­
cembre 2022. « Cela prouve que la
société ukrainienne ne tend pas
seulement la main pour demander
de l’aide sur la scène internatio­
nale : elle s’engage et contribue elle­
même », s’enflamme un diplomate
américain à Kiev. De son côté,
l’état­major ukrainien soutient
que ce système d’agrément contri­
buera à rendre plus transparent un
marché des armes, où les intermé­
diaires et les commissions se mul­
tiplient en temps de guerre.
D’autres pays paraissent moins
enthousiastes. « Les négociations
d’achat restent compliquées en
Allemagne ou en Arabie saoudite,
par exemple », soupire « Cheveux
roses ». Là­bas, il est déjà compli­
qué pour une ONG ukrainienne
d’exporter des stocks de lunettes à
vision nocturne ou des gilets pa­
re­balles, non offensifs, mais es­
tampillés « mixtes », civils et mili­
taires à la fois. Des drones sont
restés bloqués à la frontière d’un
pays postsoviétique par un doua­
nier d’origine russe. « Cheveux ro­
ses » cache soigneusement son
carnet de commandes et ses expé­
ditions, « y compris dans les cercles
ukrainiens les plus confidentiels ».
BLINDÉS BRITANNIQUES
En 2019, l’arrivée au pouvoir du
président Zelensky avait inquiété
le monde associatif, qui redoutait
d’être mis à l’écart. Mais, depuis le
24 février 2022, une forme d’union
sacrée s’esquisse. « C’est specta­
culaire : l’Etat ne se bat pas seul,
toute la société est derrière nous,
contrairement à ce qui se passe en
Russie », lance Mykhaïlo Podolyak,
conseiller spécial à la présidence.
Aujourd’hui, la rapidité du proces­
sus d’agrément pour l’importa­
tion des armes laisse deviner la
bonne volonté gouvernementale.
Reviens Vivant reste, pour l’ins­
tant, la seule ONG autorisée.
« C’EST SPECTACULAIRE : 
L’ÉTAT NE SE BAT PAS  dans le cadre d’un don d’Etat à
SEUL, TOUTE LA SOCIÉTÉ  Un jeune soldat pousse la porte
EST DERRIÈRE NOUS,  de villageois qui débarque dans la
CONTRAIREMENT À CE QUI  réseau pour l’aider, encore moins
SE PASSE EN RUSSIE »
MYKHAÏLO PODOLYAK
conseiller spécial à la présidence
A la Fondation Serhiy Prytula,
Serhiy Prytula lui­même paraît
être un double de Volodymyr
Zelensky : 40 ans lui aussi, ancien
acteur lui aussi, tenté par la politi­
que lui aussi. Dans le hall d’accueil,
il signe des autographes à une vo­
lée de gamins venus en délégation
lui porter leurs économies.
Il s’apprêtait à lancer un parti
d’opposition quand la guerre a
éclaté. « La patrie avant tout », dit­il
aujourd’hui. Le président l’a déjà
décoré deux fois. « Si j’ai des ques­
tions à lui poser, je le ferai après la
victoire. » Sa fondation est deve­
nue l’une des plus puissante, capa­
ble de lever 15,5 millions d’euros
pour offrir à l’armée l’accès aux
données d’un satellite finlandais.
Lorsque les militaires lui en ont
fait la suggestion, il les a d’abord
pris pour « des extraterrestres ». Il
en est fier aujourd’hui : « En fait,
c’était une putain de bonne idée.
Les gens sont vraiment en colère,
mais nous transformons leur co­
lère en quelque chose d’utile. »
Non agréée pour les armes of­
fensives, sa fondation s’apprête à
réceptionner 50 blindés britanni­
ques de transport de troupes
FV103 Spartan – « d’occasion,
mais à peine utilisés » – vendus par
une société privée. La collecte,
lancée un matin sous le slogan
« Attrapez­les tous », a réuni les
5,1 millions d’euros avant le début
du couvre­feu. Des Spartan
0123
VENDREDI 20 JANVIER 2023
Du matériel
russe récupéré
sur le champ
de bataille,
dans les locaux
de la Fondation
Prytula à Kiev, le
21 décembre 2022.
RAFAEL YAGHOBZADEH
POUR « LE MONDE »
avaient déjà été livrés à l’Ukraine
par la Grande­Bretagne, mais
Etat. Il n’y en avait que 35 alors.
de l’association SOS­Army, allure
capitale, le genre à n’avoir aucun
d’argent dans les poches. C’est son
supérieur qui lui a recommandé
d’aller vers les ONG pour certains
équipements. « Tu verras, c’est plus
rapide, moins de paperasse et du
matériel plus moderne », lui a dit le
gradé. Le soldat demande une ta­
blette équipée d’un logiciel de gui­
dage d’artillerie Kropyva (le char­
don), la spécialité de SOS­Army,
conçue par les bénévoles eux­mê­
mes. Ils sont 100 000 déjà à l’utili­
ser dans l’armée ukrainienne, se­
lon Anna Morozova, 53 ans, une
carrière dans les assurances avant
de travailler à l’association.
Les armes, les munitions, l’équi­
pement lourd sont toujours livrés
par l’Etat à plus de 95 %, mais
aucun chiffre réel n’est donné sur
la part des contributions des vo­
lontaires dans le budget de la dé­
fense. Serait­ce même possi­
ble avec la multitude d’associa­
tions, certaines microscopiques,
dévouées parfois à un seul check­
point ? Et comment comptabiliser
les bols de soupe ou les paires de
chaussettes ? Mais « sans eux, on
serait comme les soldats russes :
des SDF », dit un autre militaire.
« Les volontaires nous fournissent
tous les équipements dernier cri,
on se sent des super­héros. »
En ce moment, « Cheveux ro­
ses » négocie avec des fournis­
seurs de Pologne, de République
tchèque, d’Estonie, du Canada.
Quelques sociétés ont commencé
à la contacter, discrètement, pro­
posant ce qu’ils ont en stock, héli­
coptères américains ou blindés
légers TAG. Et elle, avec sa petite
voix flûtée : « Combien pièce ? » p
florence aubenas
0123
VENDREDI 20 JANVIER 2023
A Kiev, enquête
sur le crash ayant tué
le ministre de l’intérieur
L’hélicoptère de Denys Monastyrsky
transportait aussi ses proches collaborateurs
U n hélicoptère transpor­
tant le ministre de l’inté­
rieur ukrainien, Denys
Monastyrsky, et plusieurs mem­
bres de son cabinet s’est écrasé,
mercredi 18 janvier au matin, à
côté d’une école maternelle dans
la ville de Brovary, au nord­est
de Kiev. Un important incendie
s’est immédiatement déclaré
dans le bâtiment. Au moins qua­
torze personnes, dont un enfant,
ont péri dans la catastrophe. Les
neuf occupants de l’hélicoptère,
dont le premier adjoint du minis­
tre, Yevgeny Yenin, et le secré­
taire d’Etat, Iouri Loubkovitch,
ont été tués. Vingt­cinq person­
nes, dont onze enfants, ont éga­
lement été blessées.
Les causes de l’accident sont en­
core floues. L’hélicoptère, un Su­
per Puma, s’est écrasé un matin
brumeux dans une région éloi­
gnée des zones de combat, et à
plus de 90 kilomètres du territoire
biélorusse, où sont déployées les
forces militaires les plus proches.
Aucune alerte antiaérienne
n’avait retenti avant le crash.
Les autorités ukrainiennes ont
ouvert une enquête. Les services
de sécurité d’Ukraine (SBU) exa­
minent trois pistes principales :
une violation des règles de vol
(une erreur du pilote), un dys­
fonctionnement technique ou un
sabotage. Selon des données pré­
liminaires, la cause de l’accident
pourrait être le brouillard. Le pi­
lote n’aurait pas vu à temps un
immeuble de grande hauteur et
aurait tenté de l’éviter en prenant
brusquement de l’altitude, ce qui
aurait entraîné une perte de con­
trôle de l’appareil. Iouri Ihnat,
porte­parole du commandement
des forces aériennes de l’armée
ukrainienne, a prévenu que l’en­
quête prendrait du temps.
« Honnête » et « patriote »
Les images filmées par des té­
moins suggèrent que l’hélicop­
tère s’est désagrégé en s’écrasant :
l’un des fragments est tombé sur
l’école maternelle, et la plus
grande partie de la machine s’est
effondrée sur la parcelle d’une
maison. Selon la chaîne de télévi­
sion régionale Magnolia, l’héli­
coptère a vraisemblablement tou­
ché le bâtiment de l’école lors du
crash, avant de terminer sa course
au pied d’un immeuble. Des vi­
déos montrent des flammes em­
brasant un vaste espace entre
deux barres d’immeubles au mi­
lieu desquels se trouve l’école. Des
cris émergent des décombres. Ces
images ne sont pas sans rappeler
celles de la frappe russe sur Dni­
pro trois jours plus tôt, qui a dé­
truit tout un immeuble et provo­
qué la mort de quarante­cinq per­
sonnes, dont six enfants.
Les hauts fonctionnaires ukrai­
niens se déplacent régulièrement
en hélicoptère, souvent à basse al­
titude et à grande vitesse. L’appa­
reil se dirigeait vers un « point
chaud » où les combats se pour­
suivent, selon le chef adjoint du
bureau du président, Kyril Timo­
chenko, en l’occurrence dans la
région de Kharkiv, à l’est.
La catastrophe pourrait inciter
les autorités ukrainiennes à re­
voir les règles de sécurité. D’une
part, les conditions météorologi­
ques étaient très défavorables
pour un vol à basse altitude.
D’autre part, la mort du ministre
de l’intérieur et de ses collabora­
teurs en temps de guerre pourrait
inciter Kiev à adopter la règle
existant dans de nombreux pays
européens, qui consiste à ne pas
faire voler plusieurs hauts res­
ponsables dans le même appareil.
« IL N’Y A PAS 
D’ACCIDENTS EN TEMPS 
DE GUERRE. CE SONT 
TOUS DES RÉSULTATS 
DE LA GUERRE »
VOLODYMYR ZELENSKY
président ukrainien
Denys Monastyrsky, 42 ans, est
le plus haut responsable à mourir
depuis le début de l’invasion
russe, le 24 février 2022. Son décès
brutal a provoqué une vague
d’émotion dans le pays et à
l’étranger. Salué comme un diri­
geant « honnête », « humain » et
« patriote », il incarnait la nou­
velle génération de responsables
ukrainiens – loin de l’héritage
postsoviétique corrompu – arri­
vés au pouvoir après la révolution
pro­européenne de Maïdan, et
notamment après l’élection de
Volodymyr Zelensky, en 2019.
Une « terrible tragédie »
Originaire de la région de Khmel­
nytsky, Denys Monastyrsky, ma­
rié et père de deux enfants, a fait
des études de droit et occupé un
poste de professeur avant de tra­
vailler comme juriste dans des
groupes privés, puis comme ex­
pert dans un centre d’analyse à
Kiev. Dénué d’expérience politi­
que, il a été élu au Parlement
en 2019 sur la liste du parti prési­
dentiel, Serviteur du peuple,
avant d’être nommé ministre de
l’intérieur en juillet 2021, en rem­
placement de son prédécesseur,
Arsen Avakov, un personnage
aussi influent que controversé.
Dans la nuit du 23 au 24 février,
c’est Denys Monastyrsky qui, le
premier, a informé Volodymyr Ze­
lensky que les troupes russes
avaient envahi l’Ukraine. « Ça a
commencé », a lancé le ministre au
président. « Quoi exactement ? », a
rétorqué le chef de l’Etat, selon
l’échange retranscrit dans le
Washington Post lors d’une inter­
view avec le ministre. Denys Mo­
nastyrsky a mentionné les « atta­
ques dans différents endroits en
même temps ». Mercredi, Volody­
myr Zelensky a déploré une « terri­
ble tragédie » après l’annonce de
l’accident. Lors de son adresse par
vidéo au Forum économique
mondial de Davos, en Suisse, il a
déclaré que le crash avait un lien
avec le conflit. « Ce n’est pas un ac­
cident parce que c’est dû à la guerre
et la guerre a de nombreuses di­
mensions, pas seulement sur les
champs de bataille », a­t­il affirmé,
après avoir demandé de se joindre
à lui pour observer une minute de
silence en hommage aux victi­
mes. « Il n’y a pas d’accidents en
temps de guerre. Ce sont tous des
résultats de la guerre. »
Le président français, Emma­
nuel Macron, son homologue
américain, Joe Biden, la prési­
dente de la Commission euro­
péenne, Ursula von der Leyen, et
le président du Conseil européen,
Charles Michel, ont envoyé leurs
condoléances. Ce dernier a re­
gretté la perte d’« un grand ami de
l’UE [Union européenne] ». Denys
Monastyrsky était responsable
de la police et des services d’ur­
gence, un poste­clé en temps de
guerre, puisqu’il permet de trai­
ter les conséquences des frappes
russes et le déminage. Le chef
de la police nationale, Ihor Kly­
menko, a été nommé ministre de
l’intérieur par intérim. p
emmanuel grynszpan
et faustine vincent
Benyamin Nétanyahou (à droite), avec le ministre de l’intérieur et de la santé, Arié Déri, le 8 janvier, à Jérusalem. RONEN ZVULUN/AFP
Israël : la Cour suprême défie
le gouvernement Nétanyahou
Les juges imposent au premier ministre de démettre son numéro deux,
l’ultraorthodoxe Arié Déri, condamné pour fraude fiscale
jérusalem ­ correspondant
L
a Cour suprême israé­
lienne a ouvert une crise
politique d’ampleur,
mercredi 18 janvier, en es­
timant que le numéro deux du
gouvernement, l’ultraorthodoxe
Arié Déri, devait être démis de ses
fonctions. A une majorité écra­
sante, dix juges sur onze affir­
ment que sa condamnation en
justice pour fraude fiscale,
en 2021, et sa promesse non tenue
de se retirer de la vie politique pla­
cent sa nomination « en grave
contradiction avec les principes
fondamentaux de l’Etat de droit ».
Le premier ministre, Benyamin
Nétanyahou, au pouvoir depuis
décembre 2022, s’est précipité
dans l’heure au domicile à Jérusa­
lem de son principal allié, son
bras droit, son « frère en détresse »,
selon son entourage. Le parti
Shass de M. Déri, fort de 11 députés
sur 120 à la Knesset, dénonce un
coup de force antidémocratique.
« La Cour, qui prétend veiller sur
les minorités, a jeté aux orties la
voix et les votes de 400 000 élec­
teurs de Shass », affirment ces dé­
putés ultraorthodoxes. M. Déri
avait lui­même fait savoir dès
avant le verdict qu’il ne démis­
sionnerait pas des postes qu’il cu­
mule : vice­premier ministre, mi­
nistre de la santé, de l’intérieur et
des « périphéries ». Il met M. Né­
tanyahou en demeure de résou­
dre ce problème. Sans quoi, son
parti menace de faire tomber la
coalition de droite. « S’ils nous cla­
quent la porte au nez, nous revien­
drons par la fenêtre, a­t­il prévenu
mercredi soir. S’ils ferment la fenê­
tre, nous passerons par le toit. »
Sa coalition incite M. Nétanya­
hou à ignorer purement et sim­
plement la décision de la Cour. Un
choix impossible, qui relèverait
de l’illégalité. Le premier ministre
paraît contraint, à terme, de ren­
voyer M. Déri. Il cherchera cepen­
dant un moyen de le rappeler au
gouvernement, potentiellement
à un poste taillé sur mesure de
premier ministre d’alternance.
Entre­temps, la coalition pro­
met d’accélérer son combat con­
tre la Cour suprême. Elle souhaite
donner à la Knesset les moyens
Durant son
procès, Arié Déri
s’était engagé
à quitter la vie
publique. Cela
lui avait valu
la clémence du
juge : une peine
avec sursis
d’effacer toute objection des juges
à ses lois, comme à l’action du
gouvernement, par un vote à ma­
jorité simple. A terme, cela pour­
rait permettre à M. Déri de revenir
aux affaires. Le ministre de la jus­
tice, Yariv Levin, qui porte avec
passion cette réforme, a qualifié
mercredi d’« absurde » la décision
de la Cour, et déploré que les juges
aient « choisi de ne pas respecter le
choix du peuple ». Depuis une se­
maine, des débats d’une violence
inouïe opposent déjà, en commis­
sion, la majorité aux conseillers
légaux et aux représentants du
procureur général du pays.
Confrontation brutale
Onze juges, c’est un panel d’une
taille exceptionnelle qu’avait
convoqué la présidente, Esther
Hayut. A la mesure du bras de fer
qu’elle engage. Cette juriste jus­
qu’ici discrète, réputée d’une
trempe moins combattante et
moins politique que ses grands
prédécesseurs, a fini par assumer
à la mi­janvier la confrontation
brutale à laquelle la contraint
cette coalition. Elle a dénoncé une
réforme « qui détruira le système
judiciaire », constituant un « ef­
fort conscient pour porter un coup
mortel à l’indépendance de la jus­
tice, et la transformer en une insti­
tution silencieuse ».
Pas de compromis possible,
donc. Sa prise de parole avait été
décisive pour rassembler des di­
zaines de milliers d’Israéliens
dans une manifestation contre
cette réforme à Tel­Aviv, samedi.
Mercredi, ses pairs se sont rangés
derrière elle, manifestant leur es­
prit de corps pour défendre l’ins­
international | 3
titution. Deux juges réputés con­
servateurs ont fait bloc derrière
elle. L’unique voix discordante
s’est opposée non sur le fond
mais sur une question de procé­
dure. Le onzième juge aurait pré­
féré laisser son confrère au sein
de la commission électorale sta­
tuer sur le sort de M. Déri.
La Cour s’est abstenue de remet­
tre en cause un amendement à la
Loi fondamentale sur le gouver­
nement, voté sur mesure par la
coalition pour permettre à un
seul homme, M. Déri, de devenir
ministre. Mais elle souligne « l’ir­
rationalité » de sa nomination à
un poste qui engage les finances
publiques et la probité de l’Etat.
Elle rappelle aussi que M. Déri a
trompé l’institution judiciaire.
Durant son procès, il s’était en­
gagé à quitter la vie publique. Cela
lui avait valu la clémence du juge :
une peine avec sursis.
A 63 ans, M. Déri se trouve
désormais acculé à un contre­
emploi. Lui qui a toujours fui
le conflit public, au fil de quatre
décennies de carrière, mène la
lutte contre le troisième pouvoir
de l’Etat. Cet ancien « petit génie »
de la politique fait fuir ses confrè­
res de l’opposition, au Parlement.
Pour la première fois, il manque
d’interlocuteurs.
Il se trouve prisonnier de ses
alliés, M. Nétanyahou et ses
partenaires de l’extrême droite
religieuse, qui le menacent pour­
tant, en séduisant ses jeunes élec­
teurs. Ils l’entraînent par leur ra­
dicalité dans un conflit ouvert
avec la société laïque israélienne,
auquel il n’a aucun intérêt.
M. Déri se brûle. Mais comme son
vieil allié, Benyamin Nétanyahou,
en procès pour corruption depuis
2020, il refuse de plier. Leurs des­
tins sont inséparables.
Lorsque M. Nétanyahou est en­
tré pour la première fois à la Knes­
set, en 1988, M. Déri l’a accueilli
en position de force, déjà. A
27 ans, il dirige le parti Shass, la
dernière grande invention politi­
que d’Israël, qui rassemble depuis
1984 un électorat mizrahi : des
juifs originaires du Proche­Orient
et d’Afrique du Nord, que le grand
rabbin Ovadia Yossef intègre dans
la grande famille ultraorthodoxe.
« Prince des pieux sépharades »,
Arié Déri chasse aussi au­delà de
cette communauté strictement
religieuse, dans les villes périphé­
riques d’Israël, parmi les pauvres
et la petite classe moyenne, qu’il
entend défendre. Reconnu pour
son charme, son talent et sa pru­
dence, il séduit la gauche, dont
Shass partage alors le refus de
l’occupation sans fin des territoi­
res palestiniens conquis en 1967.
Il promet de faire de la politique
autrement – avec probité.
Réserves de patronage
Bien vite, il a maille à partir avec la
justice. Dès 1993, la Cour suprême
lui impose de démissionner du
gouvernement de Yitzhak Rabin,
alors qu’il est poursuivi pour cor­
ruption. Il est condamné en 2000,
passe deux ans en prison puis
revient au Parlement en 2013 et
s’impose comme le premier chef
incontesté d’un parti ultraortho­
doxe. Le conseil des rabbins de
Shass se contente aujourd’hui de
valider ses décisions. Cela lui vaut
l’admiration de ses confrères du
parti ultraorthodoxe ashkénaze
Agoudat Israël, soumis au grand
rabbin de la secte de Gour.
Ses démêlés avec la justice,
cependant, étaient inévitables.
Comme tous ses confrères ultra­
orthodoxes, M. Déri ne se plie aux
règles des institutions démocrati­
ques que dans un seul but : pré­
server l’autonomie de sa commu­
nauté, en marge de l’Etat. Il s’as­
sure que les étudiants en religion
demeurent exemptés de service
militaire, obtient des finance­
ments pour les écoles religieuses
et pour les mairies. Il traite ses
ministères en prébendes, en fait
des réserves de patronage.
Durant quinze années au pou­
voir, M. Nétanyahou lui a assuré
cette liberté. En retour, M. Déri est
demeuré à ses côtés, l’un de ses
derniers « alliés naturels ». Il l’a as­
suré de son soutien au fil de cinq
élections depuis 2019. Durant la
formation de ce gouvernement, il
a relu toutes les propositions d’ac­
cord de coalition échangées par
M. Nétanyahou avec chaque parti.
Une telle confiance, le premier mi­
nistre ne l’accorde à nul autre. p
louis imbert

4 | international
Démission surprise d’Ardern en Nouvelle­Zélande
La première ministre quitte le pouvoir en affirmant ne plus avoir l’énergie pour un nouveau mandat
sydney (australie) ­
correspondance
C’
est au bord des lar­
mes, la voix parfois
un peu tremblante,
que Jacinda Ardern,
la cheffe du gouvernement néo­
zélandais, a annoncé, jeudi
19 janvier, sa décision de démis­
sionner. Celle qui était devenue,
en octobre 2017, la plus jeune
première ministre kiwie en cent
soixante et un ans avant d’être
réélue triomphalement en octo­
bre 2020, quittera ses fonctions
d’ici au 7 février. Une annonce
qui a créé une onde de choc
dans l’archipel tant il est rare
qu’un leader renonce au pouvoir,
d’autant plus quand il jouit de la
popularité de la dirigeante de
42 ans.
« J’ai tout donné pour être pre­
mière ministre, mais cela m’a
aussi beaucoup coûté. Vous ne
pouvez pas et ne devriez pas
faire ce travail à moins d’avoir un
réservoir plein, et encore davan­
tage en réserve pour les défis im­
prévus et inattendus qui se pré­
sentent inévitablement », a­t­elle
déclaré lors d’une conférence de
presse. « Je n’ai tout simplement
plus assez d’énergie pour quatre
ans supplémentaires », a ajouté
l’élue travailliste qui, au cours
des cinq dernières années, s’est
révélée solide comme un roc
quand une succession de crises
a secoué son pays : de la tuerie
de masse commise par un supré­
maciste blanc dans deux mos­
quées de Christchurch, le 15 mars
2019, à l’arrivée du Covid­19,
en février 2020, en passant par
l’éruption du volcan de White Is­
land, le 9 décembre 2019, lors de
laquelle vingt et une personnes
sont mortes.
Son calme, sa détermination et
la qualité de son leadership lui
avaient valu d’être désignée, par
un sondage réalisé en mai 2020,
comme la cheffe de gouverne­
ment néo­zélandaise la plus po­
pulaire depuis un siècle et de
se faire remarquer sur la scène
L’ONU en Aghanistan pour faire fléchir les talibans
La délégation des Nations unies entend relayer l’indignation après les mesures contre les droits des femmes
C ela ressemble à un voyage
de la dernière chance pour
infléchir la politique ultra­
rigoriste et répressive du régime
taliban. La plus haute délégation
des Nations unies jamais envoyée
en Afghanistan depuis le retour
au pouvoir des islamistes
afghans, le 15 août 2021, a entamé,
mardi 17 janvier, une visite de plu­
sieurs jours ponctuée de rencon­
tres avec les caciques du pouvoir
taliban à Kaboul. Les membres de
cette mission de l’ONU pourraient
également se rendre à Kandahar,
dans le sud du pays, dans l’espoir
de rencontrer le chef suprême du
mouvement taliban, le mollah
Haibatullah Akhundzada.
Arrivée à Kaboul avec un jour
de retard à cause du froid et de la
neige qui paralysent une partie
du pays, la secrétaire générale ad­
jointe de l’ONU, Amina Moham­
med, ancienne ministre nigé­
riane et musulmane, conduit
une délégation qui souhaite re­
layer l’indignation de la commu­
nauté internationale face aux ré­
centes annonces du gouverne­
ment contre les droits des fem­
mes et des filles. Elle est
accompagnée de Sima Bahous,
directrice exécutive d’ONU Fem­
mes, l’agence des Nations unies
pour la promotion de l’égalité des
sexes et des droits des femmes, et
du sous­secrétaire général aux
affaires politiques, Khaled Khiari.
« J’ai tout donné
pour être
première
ministre, mais
cela m’a aussi
beaucoup coûté »
JACINDA ARDERN
cheffe de l’exécutif
néo-zélandais
internationale comme « l’anti­
Trump », selon le surnom
donné par certains médias an­
glophones. « Elle a montré que
l’on pouvait être un dirigeant à
la fois bienveillant et compétent,
analyse Jennifer Lees­Marsh­
ment, professeur de marketing
politique à l’université d’Auc­
kland, et aussi cheffe d’un gouver­
nement et mère. »
Simplicité et normalité
C’est en devenant la deuxième
première ministre au monde à
avoir un enfant pendant son
mandat, après la Pakistanaise
Benazir Bhutto, que la responsa­
ble de centre gauche s’était
d’abord fait connaître à l’étran­
ger. L’ancienne DJ amateur avait
annoncé la naissance de sa fille
sur les réseaux sociaux, en
juin 2018, avant de s’éclipser pour
six semaines de congé mater­
nité, renforçant, dans son pays,
son image de simplicité et de
normalité. Des qualités qui
lui avaient déjà valu une ascen­
sion éclair sur la scène politique
néo­zélandaise.
Propulsée candidate à moins
de deux mois des élections légis­
latives de septembre 2017 et pla­
cée à la tête d’un Parti travailliste
accusant alors près de 20 points
de retard sur son rival dans les
sondages, elle avait, contre toute
attente, renvoyé les conserva­
teurs dans les rangs de l’opposi­
tion après neuf ans de règne.
Si beaucoup s’attendaient à ce
que la charismatique mais inex­
Avant d’atterrir à Kaboul,
ces hauts responsables de l’ONU
ont fait des haltes en Europe, au
Proche­Orient et en Asie pour
s’assurer du soutien de piliers de
la communauté internationale
avant de rencontrer les diri­
geants talibans. Ils ont ainsi
échangé avec l’Organisation de la
coopération islamique, la Ban­
que islamique de développe­
ment, des groupes de femmes
afghanes à Ankara et à Islama­
bad, ainsi qu’avec un groupe
d’ambassadeurs et d’envoyés
spéciaux en Afghanistan établis à
Doha. Au terme de ces consulta­
tions, le principe d’une confé­
rence internationale sur les fem­
mes et les filles dans le monde
musulman a été arrêté et prévu
pour le mois de mars.
Exclues de l’espace public
Cette offensive diplomatique in­
tervient après une série d’annon­
ces du régime taliban visant à
exclure les femmes et les filles
de l’espace public, y compris des
écoles, des parcs et des salles de
sport. Le 24 décembre 2022, les
organisations non gouverne­
mentales (ONG) nationales et in­
ternationales étaient, à leur tour,
visées par un décret leur interdi­
sant d’employer des femmes.
D’un coup, une force essentielle à
l’aide humanitaire disparaissait
au moment même où les popula­
La première ministre Jacinda Ardern, en conférence de presse à Napier (Nouvelle­Zélande), jeudi 19 janvier. WARREN BUCKLAND/AP
périmentée jeune femme
s’écroule au premier obstacle,
elle a définitivement conquis
le cœur de ses concitoyens et
changé de stature à la suite des
attentats de Christchurch, quand
elle a réussi à unir le pays autour
des victimes tout en durcissant,
très rapidement, la législation
sur les armes à feu. Quelques
mois plus tard, face à la crise sa­
nitaire, elle a une nouvelle fois
remporté l’adhésion de la popu­
lation en adoptant une politique
zéro Covid grâce à laquelle l’ar­
chipel n’a enregistré que très peu
de morts. Lors des élections lé­
gislatives de 2020, malgré le coût
La mission
onusienne
pourrait
se rendre
à Kandahar
pour rencontrer
le chef suprême
des talibans
tions afghanes doivent affronter
la faim et une grave crise écono­
mique. Le secrétaire général de
l’ONU, Antonio Guterres, avait
dénoncé, mi­janvier, dans cette
politique, la création d’un « apar­
theid basé sur le genre ».
En dépit de l’oukase taliban, cer­
taines ONG internationales, Inter­
national Rescue Committee, Save
the Children et Care, ont assuré,
mercredi 18 janvier, avoir repris
partiellement leurs activités avec
du personnel féminin, indiquant
avoir reçu l’assurance des autori­
tés talibanes que les femmes pou­
vaient continuer à travailler dans
le secteur de la santé. Plusieurs
milliers de femmes travaillent au
sein d’un millier d’ONG qui exer­
cent dans le pays, selon les don­
nées fournies par le ministère de
l’économie, et souvent à des pos­
tes de coordination. Les ONG de­
vront désormais justifier qu’elles
économique de cette stratégie,
son parti a remporté une victoire
d’une ampleur inédite, avec 49 %
des voix.
Baisse de popularité
Bien que les restrictions aient fi­
nalement été levées en 2022, son
étoile a commencé à pâlir. « Pour
plusieurs raisons, comme l’aug­
mentation de la criminalité ou le
fait qu’elle n’a pas réussi à trans­
former le pays en faisant drasti­
quement baisser la pauvreté par
exemple. Mais surtout, la Nouvel­
le­Zélande, comme l’ensemble du
monde, doit faire face aux consé­
quences à long terme de la pandé­
ont réellement besoin de la pré­
sence de ces femmes.
La secrétaire générale adjointe
de l’ONU, Amina Mohammed, a
rencontré, mercredi, le ministre
des affaires étrangères taliban,
Amir Khan Muttaqi. Selon le
porte­parole du régime, Zabihul­
lah Mujahid, qui a souligné que
le maintien des sanctions inter­
nationales contre son pays affai­
blissait la parole de l’ONU, ils ont
évoqué le système bancaire,
l’éducation des femmes et la re­
connaissance de l’émirat islami­
que. Amir Khan Muttaqi a rap­
pelé, au terme de l’entretien,
« que le siège de l’Afghanistan à
l’ONU est attribué à quelqu’un
qui ne représente pas le gouverne­
ment, le peuple, ni aucune
autre partie », avant d’ajouter
que les autres pays refusaient
de voir les « mesures positives »
intervenues en Afghanistan
depuis le 15 août 2021, comme
la sécurité et la réduction de la
culture du pavot.
Reprise en main
Le porte­parole des Nations
unies, Farhan Haq, s’est refusé à
donner tout détail sur la suite du
programme de la délégation
pour des « raisons de sécurité ».
Selon nos informations, cette
discrétion trouverait son expli­
cation dans le fait que les person­
nels de l’ONU s’activaient encore
mie comme aux problèmes d’in­
flation et de baisse du pouvoir
d’achat. Cela a un impact sur tous
les dirigeants », estime Jennifer
Lees­Marshment.
Ces derniers mois, la cote de po­
pularité de Jacinda Ardern avait
chuté au point que, selon des
sondages récents, une coalition
de centre droit serait en position
de remporter les législatives qui
se tiendront le 14 octobre. « Je ne
pars pas parce que je crois que
nous ne pouvons pas gagner les
prochaines élections, mais parce
que je crois que nous le pouvons et
que nous le ferons », a tenu à pré­
ciser, jeudi matin, la première mi­
mercredi pour tenter d’obtenir
un rendez­vous avec le mollah
Akhundzada. Car, selon un cadre
des Nations unies en poste à Ka­
boul, « ce sont les mollahs conser­
vateurs de Kandahar, au nombre
de cinq ou six, dont le chef de la
Cour suprême, le taliban conser­
vateur Abdelhakim Haqqani, réu­
nis autour du leader du mouve­
ment, qui décident aujourd’hui
du destin du pays ».
Selon cette même source onu­
sienne, « ce petit groupe a repris la
main en mars, après avoir objecté
aux promoteurs du dialogue avec
l’étranger que la politique d’ouver­
ture n’avait permis ni de faire rou­
vrir des ambassades occidentales,
ni d’obtenir la reconnaissance du
régime sur la scène internatio­
nale, ni de récupérer les fonds de la
Banque centrale afghane gelés
par les Etats­Unis ».
Le mollah Akhundzada passe,
en effet, par­dessus la tête du
gouvernement, qui n’a pas de
pouvoir exécutif, et il dirige le
pays par décrets sans chercher à
convaincre. Selon un membre
de l’ONU en poste à Kandahar,
il fait régulièrement venir les
supposés récalcitrants, notam­
ment le ministre des affaires
étrangères ou celui de l’intérieur,
Sirajuddin Haqqani, lors de réu­
nions au cours desquelles per­
sonne n’ose s’opposer. p
jacques follorou
0123
VENDREDI 20 JANVIER 2023
nistre, qui a déjà prouvé sa capa­
cité à rebondir. La plupart des
analystes estiment que cette
baisse de popularité a pesé dans
sa décision de passer la main,
même si elle n’en est pas la prin­
cipale cause. « Pour Neve [sa fille],
maman a hâte d’être là quand tu
commenceras l’école l’année pro­
chaine. Et à Clarke [son fiancé],
marions­nous », a lancé l’élue
avant de quitter la scène, très
émue. Le parti travailliste doit,
quant à lui, se réunir, dimanche
22 janvier, pour désigner celui qui
aura la difficile tâche de succéder
à Jacinda Ardern. p
isabelle dellerba
AFRIQ U E DU S UD
Armée : prochaines
manœuvres avec
la Chine et la Russie
L’Afrique du Sud, qui a tou­
jours refusé de condamner
la Russie pour son invasion
de l’Ukraine, a annoncé jeudi
19 janvier, l’organisation du 17
au 27 février de manœuvres
communes avec les marines
russe et chinoise. « Afin de
renforcer les relations déjà
florissantes entre l’Afrique
du Sud, la Russie et la Chine »,
ces manœuvres auront lieu
au large de Durban et de Ri­
chards Bay, indique un com­
muniqué de l’armée sud­afri­
caine. Un exercice conjoint
de ce type avait déjà eu lieu
en novembre 2019. – (AFP.)
NIC ARAGUA
Deux Françaises jugées
coupables de complot
contre la nation
Deux Franco­Nicaraguayen­
nes ont été déclarées
coupables de complot contre
l’intégrité de la nation et de
diffusion de fausses nouvelles
par un tribunal de Managua,
mercredi 18 janvier.
Jeannine Horvilleur Cuadra,
63 ans, et sa fille, Ana Alvarez
Horvilleur, 43 ans, ont été
arrêtées, le 13 septembre, avec
le mari de cette dernière, Felix
Roiz. Les deux femmes sont
l’épouse et la fille d’un oppo­
sant, Javier Alvarez, exilé au
Costa Rica. Le parquet a requis
huit ans d’emprisonnement
contre elles et dix ans contre
Felix Roiz. Les peines seront
prononcées le 26 janvier.
0123
VENDREDI 20 JANVIER 2023
Pérou : la grande manifestation
partie des Andes atteint Lima
Les protestataires réclament la démission de la présidente, Dina Boluarte
cuzco (pérou) ­ correspondance
I
ls progressent sans trop
d’encombres sur les routes
péruviennes. Venus princi­
palement du sud du pays,
épicentre des protestations de­
puis plus d’un mois, des milliers
de manifestants, dont le gouver­
nement avait menacé d’empê­
cher le passage, convergeaient,
jeudi 19 janvier au matin, vers
Lima, la capitale. Loin de se sentir
intimidés par l’état d’urgence
décrété dans plusieurs régions le
15 janvier et autorisant l’armée à
intervenir aux côtés de la police,
ils se sont organisés, ces derniè­
res semaines, pour livrer leur
nouvelle bataille, la « prise de
Lima », une grande manifestation
prévue ce jeudi. Une grève géné­
rale a également été annoncée,
à laquelle de nombreuses organi­
sations syndicales, paysannes ou
étudiantes, prennent part.
Faisant chemin en camion,
en minivan ou en bus, les mani­
festants venus des Andes ont
l’espoir d’arriver enfin à faire
entendre au pouvoir central
leurs revendications : la démis­
sion de la présidente Dina
Boluarte, la dissolution du
Congrès et l’organisation, au plus
vite, de nouvelles élections.
Dans les cortèges vers la capi­
tale, où chants et slogans sont
entonnés, la joie et le sentiment
de lutter pour une « noble cause »
se mêlent à la colère. Les paysans
indigènes, population la plus dés­
héritée du pays qui avait massive­
ment voté lors de la présidentielle
de 2021 pour Pedro Castillo (gau­
che), en qui ils avaient mis tous
leurs espoirs, n’acceptent tou­
jours pas sa destitution, le 7 dé­
cembre 2022, à la suite de sa ten­
tative ratée de coup d’Etat. Ils ne
peuvent que constater l’indiffé­
rence, encore et toujours, de la
Au Brésil, la traque des insurgés du 8 janvier
fait rage sur les réseaux sociaux
Les dénonciations de « putschistes » réels ou supposés affluent, au risque de tous les excès
rio de janeiro ­ correspondant
C’ est un compte Insta­
gram au succès fou­
droyant. « Contragolpe
Brasil » (« Contreputsch Brésil »),
créé le 9 janvier au matin, a gagné,
en une petite semaine, plus
de 1,1 million d’abonnés en ligne.
Son objectif est clair et affiché en
exergue dans sa description :
l’« identification de personnes qui
portent atteinte à la démocratie
au Brésil ». Soit la traque des
émeutiers responsables du sac­
cage des institutions démocrati­
ques du pays, le 8 janvier.
Selon ses dires, le compte fonc­
tionne de manière collaborative.
Les internautes envoient des dé­
nonciations détaillées concernant
les personnes suspectées d’avoir
participé aux émeutes. Contra­
golpe Brasil publie ensuite leurs
noms, accompagnés de leur pho­
tographie au moment des faits
et de leur ville de résidence. En
une dizaine de jours, plus de 220
« putschistes » présumés ont déjà
vu leur identité exposée en ligne.
Au Brésil, le compte Instagram
est loin d’être un cas isolé. Il est
appuyé par toute une série
d’autres profils sur les réseaux so­
ciaux. Parmi eux, le compte Twit­
ter Gado decider (158 000 abon­
nés), qui se fait fort de traquer les
bolsonaristes du pays, comparés
classe politique et des élites de
Lima – accusées d’accumuler des
richesses grâce à un système cor­
rompu – et l’impuissance de la dé­
mocratie péruvienne à œuvrer
pour le bénéfice des plus pauvres.
Alors ils marchent vers Lima.
« S’il faut y arriver à pied, nous
le ferons, et nous ferons fermer
le Congrès et démettre Dina,
l’usurpatrice du pouvoir ! », s’ex­
clame une femme sur la route.
Dix mille agents mobilisés
Si leur revendication centrale
reste la démission de Dina Bo­
luarte, s’y est greffée ces derniers
jours une nouvelle exigence : une
réforme de la Constitution afin
d’enterrer définitivement le texte
de 1993, héritage du gouverne­
ment autoritaire d’Alberto Fuji­
mori (1990­2000). Posant les ba­
ses d’un Etat néolibéral et favori­
sant le secteur privé sur le secteur
public, elle est considérée
aujourd’hui dans une vaste partie
de l’opinion comme la source
de nombreux maux du pays. Il y
a quelques mois, 47 % des Péru­
viens étaient favorables à la con­
vocation d’une assemblée consti­
tuante. Ils sont 69 % aujourd’hui,
selon la dernière enquête de l’Ins­
titut d’études péruviennes (IEP).
La marche vers Lima a
d’ailleurs été baptisée « Marche
des 4 suyos » (les quatre points
cardinaux du Tahuantinsuyo,
l’empire inca), en référence
au mouvement de même nature
organisé en juillet 2000 après la
réélection frauduleuse d’Alberto
Fujimori. Partie également de
l’intérieur du pays pour conver­
ger vers la capitale, la mobi­
lisation massive exigeait alors
le départ de l’autocrate – qui avait
fini par démissionner quel­
ques mois plus tard.
A Lima, ces derniers jours, une
population plus urbaine s’est
à de vulgaires bœufs (gado, bovin
en portugais). Contragolpe a éga­
lement reçu le soutien d’inter­
nautes influents, dont Felipe
Neto, l’un des youtubeurs les plus
suivis de la planète.
Cette pratique dite du de­
nuncismo (« dénoncisme », ou
délation) n’est pas sans poser
question. Nombreux au Brésil
sont ceux qui dénoncent ainsi les
risques, tant sur le plan moral
que légal, d’une méthode consis­
tant à jeter en pâture sur les ré­
seaux sociaux l’identité et les dé­
tails privés de simples suspects,
qui n’ont parfois ni été arrêtés
par la police ni fait l’objet d’une
procédure en justice.
« Cette méthode est choquante
et risquée : les chances d’accuser à
tort des innocents sont énormes,
souligne Denise Dora, directrice
de l’ONG Artigo 19, œuvrant pour
la défense de la liberté d’expres­
sion au Brésil. C’est le résultat de
la grande confusion et de l’im­
mense émotion qu’ont suscité
les événements du 8 janvier. Tout
cela se répercute directement sur
les réseaux sociaux, constate­t­
elle. Cette violation de la vie pri­
vée et de la présomption d’inno­
cence met en danger les person­
nes mais aussi leurs familles. »
Dans le contexte brésilien, la
méthode n’est que peu surpre­
nante. Le pays connaît une culture
Les manifestants
exigent une
réforme de la
Constitution, afin
d’enterrer celle
de 1993, héritage
d’Alberto
Fujimori
jointe aux paysans andins,
ouvriers et petits commerçants
qui composaient jusqu’ici le gros
des manifestants : des jeunes, des
organisations syndicales et tous
ceux que scandalisent la répres­
sion et les violences policières qui
ont causé la mort d’au moins
43 personnes en six semaines.
« Les paysans et les zones rurales
ne sont pas les seuls représentés, il y
a aussi les métis urbains du sud du
pays, et également des étudiants,
très présents à Lima, note Patricia
Zarate, sociologue à l’IEP. C’est un
mouvement assez fragmenté, diffi­
cile à identifier. La présidente ne
sait pas avec qui dialoguer. »
Dina Boluarte a d’abord pré­
venu qu’elle ne laisserait pas les
manifestants entrer dans la ville.
Puis, à mesure que les premiers
cortèges arrivaient et se concen­
traient dans le centre et la place
San Martin, lieu traditionnel des
manifestations, elle a modéré
son discours. « J’appelle [les ma­
nifestants] à prendre Lima, oui,
mais dans la paix, le calme », a­t­
elle déclaré. Mais leurs revendica­
tions demeurent lettre morte
pour le pouvoir : la présidente in­
vite les protestataires à mettre de
côté leurs « demandes politiques
irréalisables » qui ne sont, estime­
t­elle, qu’un « prétexte » pour blo­
quer les routes et « continuer à
affaiblir les institutions du pays ».
proche des Etats­Unis, où de sim­
ples suspects peuvent voir leurs
photographies, noms et adresses
dévoilés par les médias. De quoi
créer dans l’esprit du public une
suspicion de culpabilité, difficile à
démonter par la suite.
Le gouvernement du nouveau
président, Luiz Inacio Lula da Silva,
tente d’encadrer le phénomène. Le
ministère de la justice et de la sécu­
rité publique a ouvert, dès le 9 jan­
vier, un canal de dénonciation of­
ficiel par e­mail, expliquant que
« toute information ou piste est
bienvenue ». Problème : en une se­
maine, les autorités ont reçu plus
de 86 000 délations sur les émeu­
tes à Brasilia. Un volume que la
plupart des experts jugent déjà to­
talement impossible à traiter.
« Une grande aide pour le pays »
Quelques cas d’innocents accu­
sés à tort d’avoir participé au sac­
cage des édifices de la place des
Trois­Pouvoirs ont déjà été rap­
portés. Thiago Albuquerque, un
employé de la Banque du Brésil, a,
par exemple, été confondu avec
un véritable émeutier, filmé en
train de mimer une défécation
dans les bureaux du Tribunal su­
prême fédéral. « Je n’étais même
pas à Brasilia » ce jour­là, a­t­il
confié à BBC Brasil, après avoir
reçu quantité d’insultes et de me­
naces en ligne.
Du côté des manifestants, cette
attitude nourrit la colère. « Com­
ment est­il possible que les provin­
ces aient dû venir jusqu’à Lima
pour que nos revendications puis­
sent être entendues ? », s’est écriée
Leonela, une représentante de
la région de Cuzco, lors d’une
conférence de presse, mercredi,
de dirigeants régionaux. Les orga­
nisations sociales l’assurent : les
marches vont être « pacifiques ».
Mais, à Lima, les forces de sécurité
sont sur le qui­vive. Près de
10 000 agents sont déployés pour
« assurer l’ordre ». Mercredi, la
police menait des opérations de
contrôle des véhicules prêts à en­
trer dans la capitale. Le bureau du
défenseur des droits a rappelé
que « les autorités publiques [de­
vaient] garantir la libre circulation
au niveau national ». Le ministère
de la santé a décrété l’alerte rouge
dans les hôpitaux. Les commer­
çants baissaient leurs stores, crai­
gnant des débordements.
Le ministre de l’intérieur, Vi­
cente Romero, a tenté un appel au
calme. « Nous ne voulons plus de
morts ni de blessés, assez de sang,
[il faut cesser] d’endeuiller les fa­
milles », a­t­il affirmé, en décalage
avec la répression qui s’est abat­
tue ces dernières semaines dans
le sud du pays. Il a demandé aux
manifestants : « Convergez en
paix. Notre police nationale et les
forces armées veillent à défendre la
démocratie et la vie de tous les Pé­
ruviens. » Les forces de sécurité se­
ront­elles moins enclines à utili­
ser des armes létales jeudi à Lima
qu’elles ne l’ont été dans les An­
des ? Mercredi soir, à Macusani,
dans la région de Puno, au moins
une manifestante était tuée et
un autre gravement blessé. Tous
deux à la suite de tirs d’armes
à feu, selon l’hôpital local. p
amanda chaparro
et angeline montoya (à paris)
Le pouvoir se défend de céder
à l’émotion et appuie le de­
nuncismo. « Il n’est pas possible
de freiner l’élan de la société civile
(…), c’est une grande aide pour
le pays, a déclaré Augusto de Ar­
ruda Botelho, secrétaire national
au sein du ministère de la justice.
Je ne vois rien de mal, au
contraire. Cela renforce la démo­
cratie. » Avant d’ajouter : « Per­
sonne ne fait l’objet d’une en­
quête pour son idéologie, mais
pour les crimes qui ont été
pratiqués. Ce n’est pas de la
persécution politique. C’est la
chasse aux criminels. »
« Il existe au sein d’une bonne
partie de la population un senti­
ment de vengeance, après la mise à
sac des institutions, mais aussi les
quatre années au pouvoir de Jair
Bolsonaro. Certains exigent une
forme de lynchage, analyse André
Marsiglia, avocat spécialisé dans
la liberté d’expression et la cen­
sure. Mais c’est d’abord le résultat
d’une démocratie qui va mal et
d’une justice en laquelle les gens
n’ont plus confiance », entre délais,
partialité, politisation et impu­
nité des puissants, estime­t­il.
Avant de conclure : « C’est très per­
turbant et inquiétant. Les gens uti­
lisent le radicalisme contre les radi­
caux. Les méthodes de Bolsonaro
contre les bolsonaristes. » p
bruno meyerfeld
international | 5
Les djihadistes enlèvent
des dizaines de femmes
au Burkina Faso
Les civils tentent de sortir de leurs villages
encerclés, alors que la famine menace
L’ attente est interminable.
« Nous n’avons aucunes
nouvelles d’elles depuis
une semaine. On continue à prier
pour qu’on les retrouve saines et
sauves », espère un élu local bur­
kinabé ayant requis l’anonymat,
à Ouagadougou, la capitale du
Burkina Faso. Les 12 et 13 janvier,
plus d’une cinquantaine de
femmes de sa commune d’ori­
gine, Arbinda, située dans le nord
du pays, ont été enlevées par
des hommes armés.
Si aucune revendication n’a
pour l’heure été formulée, le
jeune homme n’a guère de doute :
le Groupe de soutien à l’islam et
aux musulmans (GSIM, affilié à
Al­Qaida), qui contrôle cette par­
tie de la région du Sahel, est à l’ori­
gine de ce rapt dont l’ampleur est
sans précédent dans le pays de­
puis le début de l’expansion des
groupes djihadistes en 2015. Le
nombre de femmes enlevées va­
rie selon les sources : une cin­
quantaine selon les autorités, 75
selon le Mouvement burkinabé
pour la défense des droits de
l’homme et des peuples.
A l’aube du jeudi 12 janvier,
selon le récit de l’élu, un premier
groupe d’une trentaine de fem­
mes est capturé par les djiha­
distes à l’est d’Arbinda alors
qu’elles partent chercher de la
nourriture à l’extérieur de la lo­
calité. Le lendemain matin, une
vingtaine d’autres, n’ayant pas
eu vent de l’enlèvement, partent
à leur tour s’approvisionner,
cette fois à l’ouest de la com­
mune. « Seules six d’entre elles
sont revenues, après avoir réussi
à s’échapper », poursuit le natif
d’Arbinda, installé à Ouagadou­
gou depuis quelques années.
Au Burkina Faso, les enlève­
ments de civils se multiplient à
mesure que les terroristes – tan­
tôt affiliés à Al­Qaida, tantôt à l’or­
ganisation Etat islamique dans le
grand Sahara (EIGS) – étendent
leur emprise : une trentaine de
rapts ont été attribués à ces
groupes en 2018 contre plus de
220 en 2022, selon l’ONG Armed
Conflict Location & Event Data
Project (Acled).
Recrutement de volontaires
A Arbinda, la population survit
comme elle peut au blocus im­
posé par les terroristes depuis
2021. Là­bas, comme dans les
autres villages du nord et de l’est
du Burkina Faso, deux vastes par­
ties du pays où presque toutes les
localités sont assiégées, « les gre­
niers sont vides » et « seules les fem­
mes peuvent sortir sans se faire
tuer », assure l’élu local. Un million
de personnes au total vivent sous
blocus, selon les Nations unies.
Les femmes n’ont souvent pas
d’autre choix que de sortir de leur
village à leurs risques et périls.
A Arbinda, « les femmes se font
enlever de temps en temps mais
reviennent généralement le len­
demain, après avoir été violentées
et, pour certaines, violées » par
leurs ravisseurs. Les 12 et 13 jan­
vier, les femmes enlevées ne sont
cette fois pas revenues et l’am­
pleur du rapt fait dire aux villa­
geois qu’il s’agit là d’un acte sym­
bolique perpétré par les djihadis­
tes « pour se venger ».
« Plus personne
n’ose braver le
blocus. Comment
vont-ils faire pour
se nourrir ? Il faut
nous aider »,
supplie un élu
local d’Arbinda
Une trentaine
de rapts ont été
attribués
aux terroristes
en 2018, contre
plus de 220
en 2022, selon
l’ONG Acled
« Les terroristes ont une dent
contre la population d’Arbinda
depuis que les citoyens ont pris les
armes, en 2017, pour défendre leur
commune », souligne Ali Nana,
coordinateur du Mouvement
pour la résistance populaire, une
milice dont les membres se sont
récemment mués en Volontaires
pour la défense de la patrie (VDP),
le nouveau nom donné aux sup­
plétifs civils et chargés, selon le
gouvernement, de « renforcer les
rangs de l’armée dans le cadre de
la lutte antiterroriste » depuis
leur régularisation début 2020.
Dans la foulée de sa prise de
pouvoir par un coup d’Etat en
septembre 2022, le président de
la transition, le capitaine Ibra­
him Traoré, avait annoncé avoir
lancé un recrutement massif de
50 000 VDP à travers le pays,
pour aider les soldats à regagner
du terrain face aux groupes
terroristes, qui contrôlent désor­
mais plus de 40 % du territoire.
A Arbinda, plusieurs sources lo­
cales soulignent que les jeunes
furent nombreux à répondre à
l’appel du jeune capitaine de
34 ans, ces dernières semaines.
Leur formation, assurée par les
forces de défense et de sécurité,
avait commencé.
« Cible privilégiée »
« L’enlèvement des femmes d’Ar­
binda est clairement un message
envoyé aux VDP pour les inciter
à ne plus collaborer avec l’Etat »,
analyse Mahamoudou Savadogo,
ancien gendarme et spécialiste
des questions sécuritaires.
De son côté, Daouda Diallo,
porte­parole du Collectif contre
l’impunité et la stigmatisation
des communautés, craint que
« l’armement massif des civils »
ne soit un « facteur d’aggrava­
tion des conflits et de surexposi­
tion des civils aux violences car les
villages estampillés VDP consti­
tuent la cible privilégiée des grou­
pes terroristes ». En novembre
2022, Jafar Dicko, le chef d’Ansa­
rul Islam, un groupe djihadiste
qui a prêté allégeance au GSIM,
avait menacé de représailles les
villages dont les habitants se­
raient tentés de combattre aux
côtés de l’armée, dans une vidéo
diffusée sur les réseaux sociaux.
Mais à Arbinda, les citoyens
« n’ont pas d’autres choix que de
garder les armes. La survie de no­
tre localité en dépend », assure
l’élu local. A trois cents kilomè­
tres au nord de la capitale, les
siens vivent désormais « terrori­
sés » par l’enlèvement des 12 et
13 janvier. « Plus personne n’ose
braver le blocus et la famine pro­
gresse. Comment vont­ils faire
pour se nourrir ? Il faut nous
aider », supplie­t­il. Le 17 janvier,
une partie de la population a ma­
nifesté devant le détachement
militaire situé aux abords de la
commune pour réclamer à l’ar­
mée un nouveau ravitaillement
en vivres. Le contenu des convois
précédents, organisés par les
autorités, n’a pas suffi à nourrir
toutes les bouches. p
morgane le cam
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 PLANÈTE
6|
La triple épidémie hivernale en fort reflux
Covid­19, grippe et bronchiolite reculent, mais les lits fermés mettent toujours à mal le système hospitalier
L
a triple épidémie qui a
marqué la fin d’année
2022 semble prendre fin.
Le reflux a commencé par
la neuvième vague de Covid­19,
qui a peu à peu laissé la place à la
grippe au cours du mois de dé­
cembre. Après avoir atteint des ni­
veaux exceptionnellement élevés,
la part des hospitalisations pour
syndrome grippal a continué de
fortement diminuer entre le 9 et
le 15 janvier, passant de 22 à 9 hos­
pitalisations pour 1 000 habitants
en une semaine. L’ensemble des
régions métropolitaines restait
malgré tout en phase épidémique,
selon le bulletin épidémiologique
publié par Santé publique France
(SPF) le 18 janvier. « La grippe a sou­
vent un profil assez imprévisible
donc on reste vigilants sur la possi­
bilité d’un rebond, mais on a très
peu de prélèvements positifs ac­
tuellement », nuance Romain
Hernu, chef des urgences à l’hôpi­
tal de la Croix­Rousse, à Lyon.
En parallèle, l’immense vague
de cas de bronchiolite – provoqués
en majorité chez les nourrissons
par le virus respiratoire syncytial
(VRS), mais aussi par des rhinovi­
rus – est redescendue à des ni­
veaux bas après le pic de début dé­
cembre 2022, le plus élevé des dix
dernières années. L’épidémie est
officiellement terminée en Ile­de­
France, tandis que six régions
métropolitaines sont passées en
phase postépidémique, selon les
dernières données de SPF.
Grâce à l’immunité acquise par
la population, l’impact sanitaire
de la vague de Covid­19 portée par
le sous­variant BQ.1.1 est resté rela­
tivement modéré par rapport aux
précédentes. Mais les hôpitaux
ont dû gérer les effets collatéraux
de deux années de gestes barriè­
res : un nombre plus élevé que
d’habitude de personnes n’ayant
pas contracté d’infections virales
depuis longtemps, et donc plus
susceptibles d’attraper la cohorte
habituelle des virus hivernaux.
Postes vacants
« Si on s’attendait à ce que la grippe
et le VRS reviennent en force, on
n’avait pas anticipé que la recrudes­
cence des infections virales hiver­
nales favorise aussi les surinfec­
tions bactériennes invasives »,
ajoute Anne­Claude Crémieux,
professeure en infectiologie à l’hô­
pital Saint­Louis, à Paris. A cet
égard, l’augmentation des cas gra­
ves d’infection par streptoco­
ques A doit servir d’avertisse­
ment. Quant à savoir si une infec­
tion antérieure par le Covid­19 a
pu favoriser une infection par un
autre virus respiratoire, il faudra
attendre le résultat des études de
cohorte menées notamment en
Angleterre. De fait, on a enregistré
Bronchiolite: de bons résultats pour le vaccin à ARN de Moderna
La biotech américaine a fait état de résultats de phase 3 positifs pour son vaccin contre ce virus respiratoire chez les personnes âgées
L e Covid a été un formidable
accélérateur pour démon­
trer la puissance de l’ARN
messager, mais nous ne sommes
pas qu’une biotech du Covid »,
confiait au Monde Stéphane Ban­
cel, le patron de Moderna, de pas­
sage à Paris en novembre 2022.
Les résultats annoncés mardi
17 janvier par la biotech semblent
en voie de le démontrer.
Le laboratoire pharmaceutique,
installé dans la région de Boston,
et l’un des pionniers dans le
monde de l’ARN messager, a an­
noncé des résultats positifs pour
son essai de phase 3 sur le virus
respiratoire syncytial (VRS), res­
ponsable, en particulier, de la
Des patients alités dans les couloirs des urgences de l’hôpital Emile­Muller, à Mulhouse (Haut­Rhin), lundi 16 janvier. SÉBASTIEN BOZON/AFP
très peu de cas de co­infection
grippe­Covid­19 : seulement seize
en France au cours de l’hiver.
Si les hospitaliers accueillent
ce reflux de bonne grâce, on est
encore loin des réjouissances.
« Les trois virus perdent du terrain,
mais le poids que supportent les ur­
gences reste quasiment inchangé,
résume Romain Hernu. Il y a eu
un degré de saturation supplé­
mentaire franchi en décembre, et
on n’est toujours pas descendus
de cette marche. » Que ce soit aux
Hospices civils de Lyon, où il est
chef de service, ou à l’Assistance
publique­Hôpitaux de Paris
(AP­HP), un même chiffre revient :
environ 15 % des lits sont fermés
par manque de personnel para­
médical – essentiellement des in­
firmières et des aides­soignantes.
Autre indicateur des tensions :
le nombre de lits brancards dans
les services d’urgences, qui reste
important. Concrètement, il
s’agit des patients dont la prise en
charge médicale aux urgences
est terminée mais qui, du fait de
la saturation de l’occupation, en­
tament leur première nuit d’hos­
pitalisation sur un brancard en
attendant qu’un lit se libère,
bronchiolite chez les personnes
âgées. Selon les données de cet es­
sai, mené en double aveugle dans
vingt­deux pays sur 37 000 per­
sonnes âgées de plus de 60 ans,
le vaccin à ARN messager de la
biotech a montré une efficacité de
près de 84 % contre les infections
des voies respiratoires inférieures
provoquées par le virus.
« Nous avons clairement montré
l’efficacité de notre plate­forme
pour le Covid. Ces résultats sont
une nouvelle preuve de l’utilité de
l’ARN messager comme option thé­
rapeutique pour les patients. L’ARN
messager nous permet d’aller plus
vite, tout en procédant de manière
prudente et réfléchie », observe
A l’AP-HP, 200 lits
brancards ont
été déployés
dans les couloirs
lors du pic de
décembre 2022 ;
on en compte
toujours
une centaine
à la mi-janvier
comme l’expliquait au Monde
Pierre Hausfater, professeur de
médecine d’urgence, fin novem­
bre 2022. A l’AP­HP, 200 lits bran­
cards ont été déployés dans les
couloirs lors du pic de décem­
bre 2022 ; on en compte toujours
une centaine à la mi­janvier.
En pédiatrie, le ralentissement
du nombre de cas de bronchiolite
a commencé courant décem­
bre 2022. Un répit de courte durée,
puisque des lits ont dû être fer­
més dès la mi­décembre en raison
des congés de Noël des équipes.
Dans les réanimations pédiatri­
Paul Burton, le directeur médical
de Moderna. Le virus respiratoire
syncytial, qui se lie aux cellules
tapissant les voies respiratoires
et les tue, entraîne des inflamma­
tions à l’origine notamment de
bronchiolites ou de pneumonies.
Cinq autres études
Le vaccin élaboré par Moderna
utilise l’ARN messager, encapsulé
dans des nanoparticules lipidi­
ques identiques à celles utilisées
pour son vaccin contre le Co­
vid­19, pour fabriquer la protéine
qui va permettre au système im­
munitaire de déclencher une ré­
ponse face au virus, et donc de
protéger le patient. Découvert au
ques de l’hôpital Raymond­Poin­
caré, à Garches (Hauts­de­Seine),
le chef de service Jean Bergou­
nioux fait le décompte de ses lits
ouverts : 12 sur 40, en raison de
25 postes infirmiers vacants.
« Pas de capacité d’adaptation »
Si les bronchiolites ont presque
déserté son service, elles ont cédé
la place à des enfants souffrant de
maladies chroniques, dont les
soins avaient été reportés au pic
de l’épidémie, y compris des en­
fants touchés par des cancers. « On
assiste à un rattrapage des dépro­
grammations, qui représentent des
pertes de chances pour les patients,
regrette le pédiatre. Les autorités
disent que l’épidémie de bronchio­
lite explique les difficultés rencon­
trées par l’hôpital, mais c’est com­
plètement faux. Les services sont
en ruine, il n’y a plus d’infirmières. »
De son poste de coordinateur
du SMUR pédiatrique d’Ile­de­
France, Gilles Jourdain occupe
une place de vigie lors des pério­
des de crise. Au total, 62 enfants
auront dû être transférés vers
d’autres régions, dont une di­
zaine de nouveau­nés, en raison
de la saturation des réanimations
milieu des années 1950, le VRS est
surtout connu pour les bronchio­
lites qui affectent chaque année
des millions de nourrissons dans
le monde. Mais il sévit aussi forte­
ment chez les personnes âgées.
« Rien que dans les pays du G7,
on estime qu’environ cinq millions
de personnes âgées de plus 60 ans
sont touchées chaque année. Parmi
elles, 500 000 sont hospitalisées à
cause du virus et environ 30 000 en
décèdent », note M. Burton. Malgré
les recherches menées depuis plu­
sieurs décennies, aucun vaccin
n’est cependant commercialisé à
ce jour. Fort de ses résultats,
Moderna projette de soumettre,
« probablement au printemps »,
néonatales. « Actuellement, il y a
des tensions, mais c’est gérable,
on est dans une activité classique
pour le mois de janvier », relève­
t­il, ajoutant : « Il faut arrêter de
dire que l’épidémie était exception­
nelle, le problème, c’est qu’on n’a
plus de capacité d’adaptation. »
De son côté, Rémi Salomon, pré­
sident de la commission médi­
cale d’établissement de l’AP­HP,
dresse le diagnostic des maux de
l’hiver : « Une affluence aux urgen­
ces en raison d’épidémies hiverna­
les plus fortes que d’habitude, l’in­
suffisance de l’offre en ville, qui re­
porte les recours aux soins sur l’hô­
pital, et surtout le manque de lits
en aval. » Cette question de l’aval
est au cœur des préoccupations
en ce début d’année. De trop
nombreux patients, surnommés
« bed blockers » dans le jargon des
gestionnaires, continuent d’occu­
per des lits dans les services réser­
vés aux soins de courte durée,
alors qu’ils devraient être admis
en SSR, les soins de suite et de réa­
daptation. « Il s’agit de personnes
qui n’ont plus besoin de soins
médicaux mais ne peuvent pas
rentrer chez elles et pour lesquelles
on ne trouve pas de solution
une demande d’autorisation de
mise sur le marché auprès des
autorités sanitaires de plusieurs
régions, notamment aux Etats­
Unis et en Europe. Le vaccin contre
la bronchiolite de la biotech pour­
rait être disponible pour les per­
sonnes âgées lors de la prochaine
saison hivernale, « fin 2023 ou dé­
but 2024 », espère Paul Burton.
Il s’agirait alors, pour Moderna,
du deuxième produit, après le
vaccin contre le Covid­19, com­
mercialisé par la société. Cinq
autres études sur le VRS sont en
cours, ciblant notamment les jeu­
nes enfants et les femmes encein­
tes. L’industriel pharmaceutique
travaille aussi sur des vaccins
0123
VENDREDI 20 JANVIER 2023
médico­sociale », précise Rémi
Salomon. C’est par exemple le cas
en Loire­Atlantique, où 150 lits
de SSR étaient fermés en décem­
bre 2022, toujours par manque
de personnel. « Au CHU de Nantes,
relativement peu de lits sont fer­
més, mais le problème se situe es­
sentiellement au niveau des soins
de suite et de réadaptation, ajoute
Eric Batard, chef des urgences au
CHU de Nantes. Résultat, des gens
avec des besoins de convalescence
restent à l’hôpital. »
Pour Thierry Godeau, président
de la Conférence nationale des
présidents des commissions mé­
dicales d’établissement de centres
hospitaliers, ces services souf­
frent d’un manque d’attractivité.
Par ailleurs, il observe dans son
centre de La Rochelle des patients
nécessitant une prise en charge de
plus en plus lourde, en raison no­
tamment des retards pris dans le
soin. Des défis auxquels le gouver­
nement va devoir apporter des
réponses rapides. « Ce serait déjà
une victoire que la situation n’em­
pire pas dans les six prochains
mois, souffle Romain Hernu. Les
soignants continuent à partir. » p
delphine roucaute
combinant l’injection contre le
VRS à d’autres vaccins contre les
infections respiratoires comme
le Covid­19 et la grippe.
Moderna n’est pas seul en lice
sur le marché. D’autres laboratoi­
res ont déjà révélé des résultats
de phase 3 prometteurs pour des
vaccins contre la bronchiolite ces
derniers mois. Parmi eux se trou­
vent le français Sanofi, qui espère
commercialiser son vaccin pour
les nourrissons l’hiver prochain,
ou encore les américains Pfizer,
Johnson & Johnson, et le britan­
nique GSK, qui ciblent tous les
trois les personnes âgées. La ba­
taille s’annonce ardue. p
zeliha chaffin
0123
VENDREDI 20 JANVIER 2023
Les hôpitaux
amorcent leur
transition verte
Le secteur de la santé
représenterait environ 8 % des
émissions de CO2 de la France
belfort ­ envoyé spécial
D
éjà confrontés à une
crise sans précédent
en raison d’une im­
portante pénurie de
soignants, les quelque 5 000 hô­
pitaux et établissements médico­
sociaux français doivent désor­
mais également s’atteler à un
nouveau défi : réduire leur
consommation d’énergie et leur
empreinte carbone. Selon un
rapport du groupe de réflexion
The Shift Project, publié fin 2021,
les émissions de gaz à effet de
serre du secteur de la santé repré­
sentent plus de 46 millions de
tonnes de CO2, soit près de 8 % du
total de la France, avec notam­
ment les achats de médicaments,
de matériel médical, les trans­
ports des patients et des person­
nels, l’alimentation.
Pour accélérer la transition éco­
logique des établissements de
santé, un réseau de conseil­
lers en transition énergétique et
écologique en santé a été créé dans
la foulée du Ségur de la santé qui
s’est tenu en juillet 2020. Sur la pé­
riode 2021­2024, 10 millions
d’euros doivent permettre d’assu­
rer chaque année le fonctionne­
ment d’un réseau de 150 conseil­
lers et d’une quinzaine de coordi­
nateurs régionaux. Aujourd’hui,
un peu plus de la moitié de ces
conseillers sont déjà en place.
Leur mission est d’accompa­
gner les établissements de santé
et médico­sociaux « dans l’élabo­
ration et la mise en œuvre d’une
gestion planifiée de l’énergie » avec
à la clé des actions qui permettent
à ces établissements, entre autres,
de calculer précisément et de sui­
vre leurs consommations, d’effec­
tuer des bilans d’émissions de gaz
à effet de serre, d’améliorer l’effi­
cacité énergétique des bâtiments
et leur confort hygrothermique,
de limiter les pollutions, etc.
Comment les microbes ont façonné l’immunité depuis 4 500 ans
Une équipe de l’Institut Pasteur a analysé l’ADN fossile de plus de 2 800 individus ayant vécu en Europe depuis le néolithique
L’ ADN de nos ancêtres a
encore parlé, racontant
dix mille ans d’évolution
de notre système immunitaire.
Où il apparaît que le joug des mi­
crobes, depuis l’âge du bronze
surtout, a modelé les gènes qui
gouvernent nos défenses immu­
nitaires. Virus et bactéries ont
ainsi été un des plus puissants
moteurs de l’évolution.
C’est une équipe de l’Institut
Pasteur, à Paris, qui a fait parler
cet ADN fossile. Ses résultats ont
été publiés le 13 janvier dans la re­
vue Cell Genomics. « Notre objec­
tif était d’identifier des mutations
avantageuses, celles dont la fré­
quence a augmenté sous l’effet de
la sélection naturelle. Mais aussi
les mutations délétères, dont la
fréquence a chuté », explique
Lluis Quintana­Murci, profes­
seur au Collège de France et à
l’Institut Pasteur (CNRS, univer­
sité Paris Cité), qui a coordonné
cette nouvelle étude.
Les auteurs ont examiné la
variabilité des génomes de plus
de 2 800 individus ayant vécu à
travers l’actuelle Europe depuis
A l’Hôpital Nord Franche­
Comté, situé à Trévenans, en péri­
phérie de Belfort, Christian Hilss,
47 ans, doté d’une solide forma­
tion en électromécanique et en
maintenance industrielle, a été
engagé sur cette mission au début
du mois de septembre 2022. Dans
son portefeuille, le conseiller
compte également 18 établisse­
ments médico­sociaux et deux si­
tes d’accueil de personnes handi­
capées mentales. Soit, au total,
quelque 300 000 m² et environ
70 chaufferies, dont « l’écrasante
majorité fonctionne au gaz et aux
énergies fossiles ».
Les sites neufs, « énergivores »
Les économies à réaliser sur les
factures d’énergie occupent l’es­
sentiel de son temps. « Je dois
d’abord réaliser un audit afin
d’identifier les différentes sources
de consommation, que les éta­
blissements eux­mêmes ne con­
naissent pas, afin de connaître les
axes d’amélioration sur le bâti et
les équipements, explique­t­il.
Puis je définis l’enveloppe finan­
cière et je conseille les établisse­
ments pour la réalisation des
travaux en sollicitant tous les fi­
nancements possibles. »
Ce spécialiste de la mainte­
nance industrielle n’a pas encore
eu le temps de réaliser ses audits
dans tous les sites. Mais déjà, il a
pu déployer des outils, tels des
tableaux de bord, des compteurs
pour identifier avec précision les
zones de consommation. Et
préconisé des améliorations en
proposant par exemple des
coupures dans des pièces – voire
des ailes – non utilisées.
Alors que le décret de rénova­
tion tertiaire, issu de la loi de tran­
sition énergétique du 17 août 2015,
impose, pour les établissements à
usage tertiaire de plus de 1 000 m²,
de réaliser 40 % d’économies
d’énergie d’ici à 2030, pour attein­
dix mille ans, au néolithique, à
l’âge du bronze et du fer, au
Moyen Age et à la période ac­
tuelle. Ces génomes provenaient
de la base de données de David
Reich, spécialiste de paléogéno­
mique à l’université de Harvard
(Etats­Unis). Au total, l’équipe
parisienne a suivi l’évolution de
1,3 million de mutations ou « va­
riants » de l’ADN.
« Phénomène assez récent »
Les auteurs ont d’abord identifié
89 gènes dont les mutations
avantageuses se sont répandues
au fil du temps. La plupart de ces
gènes sont impliqués dans nos
premières lignes de défense im­
munitaire (la réponse dite « in­
née »), comme les gènes OAS
(aux fonctions antivirales) ou
ceux du système des groupes
sanguins ABO (la fréquence des
groupes A et B s’est accrue au fil
du temps). Les chercheurs ont
aussi trouvé d’autres gènes con­
nus pour avoir été sous sélection
positive en Europe, comme le
gène de la lactase (qui permet la
digestion du lactose) ou l’un des
dre 60 % d’ici à 2050, le défi est gi­
gantesque. L’hôpital Nord Fran­
che­Comté, inauguré en 2017,
compte 80 000 m² de plancher
contre 180 000 m² pour les an­
ciens locaux, avec la même capa­
cité de lits. La facture annuelle
d’électricité de 1,5 million d’euros
est pourtant restée la même.
« Avec la climatisation et la ventila­
tion à double flux, un site neuf est
souvent très énergivore », avance
Sylvain Gable, 54 ans, le directeur
des services techniques et sécurité
de l’hôpital franc­comtois.
Avec l’inflation des prix de l’éner­
gie, la situation ne va guère s’amé­
liorer. La facture énergétique de­
vrait doubler à 3 millions d’euros
en 2023, mais, corrige Sylvain Ga­
ble, « elle serait de 4 millions si on
n’avait pas installé une chaudière
biomasse ». Le rôle du conseiller
apparaît donc essentiel. « Le travail
réalisé par Christian nous apporte
beaucoup, car nos agents techni­
ques n’ont pas forcément la compé­
tence. On a déjà gagné de l’argent
en faisant moins tourner les équi­
pements », assure Jean­Pierre Ger­
bal, 57 ans, le responsable techni­
que à l’Adapei 90, qui gère une
douzaine d’établissements.
Outre la réduction des dépenses
d’énergie, le Ségur de la santé a
ouvert d’autres chantiers, telles la
réduction des déchets d’activité,
gènes associés à une pigmenta­
tion claire de la peau (qui maxi­
mise la fabrication de vitamine D
par l’organisme, en cas de faible
ensoleillement).
Le deuxième résultat est une
surprise : la plupart des muta­
tions avantageuses, pour com­
battre virus et bactéries, sont ap­
parues à l’âge du bronze, il y a
quatre mille cinq cents ans envi­
ron, pour se répandre ensuite ra­
pidement à travers l’Europe. « La
grande valeur de cette étude est
d’avoir établi la chronologie de la
sélection des gènes de l’immunité,
estime Simon Fillatreau, profes­
seur d’immunologie à l’Institut
Necker­Enfants malades (AP­HP,
Inserm, CNRS, université Paris
Cité). Et d’avoir ainsi montré que
ce phénomène est assez récent. »
Mais pourquoi cette sélection
s’est­elle intensifiée il y a quatre
mille cinq cents ans ? « Le début
de l’âge du bronze coïncide avec
l’arrivée en Europe de populations
venues des steppes d’Asie centrale,
les Yamna », répond Lluis Quinta­
na­Murci. Les populations d’Eu­
rope, rappelle le généticien, sont
l’expérimentation de projets pilo­
tes pour mettre fin aux plastiques
à usage unique ou réduire le gâ­
chis alimentaire.
A travers la France, différentes
actions sont déjà menées. Le Co­
mité pour le développement dura­
ble en santé indique par exemple
qu’à Nice, depuis 2018, le CHU sert
une fois par semaine un repas vé­
gétarien, le « jeudi vert », soit
1 800 repas. Entre 2004 et 2019,
avant l’épidémie de Covid­19, le
centre hospitalier d’Hyères (Var) a
réduit de 80 % sa masse de déchets
d’activités de soins à risques infec­
tieux et assimilés. L’Hôpital Privé
Nord Parisien, à Sarcelles
(Val­d’Oise), est passé, entre 2011 et
2019, de 9 % de covoiturage pour
les patients (une mesure mise à
mal par le Covid­19) à 62 %, soit
« une économie 500 000 euros en­
viron pour la Sécurité sociale et une
économie de 119 000 kilomètres ».
Des freins demeurent
Lors d’une journée consacrée à la
réduction de l’empreinte envi­
ronnementale du secteur de la
santé, le 3 octobre, l’Association
des professionnels en conseil
climat énergie et environnement,
créée en 2010, a proposé de mieux
mesurer les impacts environne­
mentaux des achats de médica­
ments et de dispositifs médicaux
Virus et bactéries
ont été un des
plus puissants
moteurs
de l’évolution
le fruit des métissages entre trois
groupes humains : les Homo sa­
piens sortis d’Afrique il y a cin­
quante mille ans, les populations
de fermiers provenant du
Moyen­Orient il y a dix mille ans,
et le peuple Yamna, des éleveurs
nomades arrivés d’Asie centrale il
y a quatre mille cinq cents ans.
« Leur arrivée a augmenté la den­
sité de population, favorisant pro­
bablement la propagation des
épidémies », explique Lluis Quin­
tana­Murci. Ce ne sont pas les
Yamna, pourtant, qui nous ont
apporté ces mutations protectri­
ces. C’est parce que la pression
des germes pathogènes s’est ac­
crue, dans un environnement
propice à leur diffusion, que ces
mutations ont été sélectionnées.
L’Hôpital Privé
Nord Parisien,
à Sarcelles, est
passé, entre 2011
et 2019, de 9 %
de covoiturage
pour les patients
à 62 %
« en maîtrisant l’analyse de leurs
cycles de vie », de « calculer et de
rendre publics les facteurs
d’émission des substances actives
des médicaments », ou encore
d’obliger les fabricants à fournir
« la liste exhaustive des matières
premières et des conditionne­
ments directs et indirects ».
L’AP­HP, le premier CHU d’Eu­
rope et premier employeur
d’Ile­de­France a décidé, dès la fin
2021, d’une mise en place qu’elle
qualifie d’« ambitieuse » de la
mesure carbone sur l’ensemble
de ses activités et sur les parcours
des patients.
En décembre 2022, le groupe
hospitalier a présenté un plan
d’action avec neuf pistes qui de­
vront être suivies dès 2023, dont
la réduction de l’utilisation des
gaz anesthésiques les plus pol­
Troisième observation : les mu­
tations désavantageuses, situées
elles aussi dans des gènes de nos
défenses innées (TLR3, IL23R,
LPB…), se sont peu à peu raréfiées,
surtout depuis l’âge du bronze.
Pourquoi ? Parce qu’elles affaiblis­
saient les défenses immunitaires.
Des travaux expérimentaux, sur
des cellules en culture, ont
confirmé leur effet délétère.
Un Janus à deux visages
Dernier résultat marquant : la sé­
lection naturelle est un Janus à
deux visages. Car, sous la pres­
sion des microbes, les mêmes
mutations qui ont été sélection­
nées, depuis le début du néolithi­
que, pour fortifier nos défenses
anti­infectieuses, ont aussi pro­
bablement accru nos risques de
développer des maladies inflam­
matoires, allergiques et auto­im­
munes (polyarthrite rhuma­
toïde, maladie de Crohn, lupus
érythémateux, maladies inflam­
matoires de l’intestin…). On peut
y voir une logique : les mutations
qui renforcent notre immunité
peuvent aussi l’exacerber. En cas
planète | 7
luants, l’amélioration de l’effica­
cité énergétique des bâtiments, la
promotion d’une « alimentation
de qualité et moins carbonée », et
d’une « mobilité durable pour nos
professionnels ». Et en juin 2023,
un plan d’action sur cinq ans
devrait être mis au point.
Mais les freins à cette mutation
du secteur sanitaire demeurent.
Dans une note, publiée le 5 janvier
et adressée au ministre de la
santé, des hauts fonctionnaires
du réseau Le Lierre (rassemblant
un millier de fonctionnaires et ac­
teurs des politiques publiques)
ont analysé la nécessaire « trans­
formation écologique » de l’hôpi­
tal. Les auteurs, directeurs et di­
rectrices d’hôpital entre autres,
ont pointé certains obstacles, tels
« l’absence de financements ciblés
ou dédiés [à la transformation
écologique] », des freins régle­
mentaires comme « l’interdiction
en France du retraitement des dis­
positifs à usage unique », ou en­
core la « fragilité des approvision­
nements » et le « bilan carbone dé­
sastreux » liés à la mondialisation
des filières de production des mé­
dicaments, équipements de pro­
tection… ou encore « le déficit de
prise en compte de la transforma­
tion écologique dans la gouver­
nance des établissements ». p
rémi barroux
de perte de contrôle, le système
immunitaire se retourne alors
contre l’organisme.
L’étude infirme ainsi une opi­
nion répandue. « Ce ne sont pas les
premières campagnes de vaccina­
tion ni l’arrivée des antibiotiques,
au début du XXe siècle, qui ont pro­
voqué l’essor de ces maladies », in­
dique Lluis Quintana­Murci.
« L’évolution a ainsi favorisé l’ex­
pansion de variants génétiques,
qui peuvent accroître le risque de
maladies auto­immunes et aller­
giques. C’est un constat impor­
tant, estime Simon Fillatreau.
Pour autant, le poids des facteurs
environnementaux est crucial
dans le développement de ces
maladies. » Plusieurs études en
témoignent. Ainsi, les popula­
tions de Finlande et de Carélie
sont génétiquement proches. Or,
une étude de 2006 a montré que
la fréquence du diabète de type 1,
une maladie auto­immune, est
six fois supérieure chez les
Finlandais. Une différence attri­
buée à des expositions environ­
nementales. p
florence rosier
 FRANCE
8|
RÉFORME  DES  RETRAITES
Retraites : un front syndical exceptionnel
Les huit principales organisations ont appelé à défiler contre la réforme. Une première depuis très longtemps
P
our la deuxième fois depuis
son arrivée au pouvoir, en 2017,
Emmanuel Macron se heurte
à une très forte contestation
sur le dossier des retraites.
Après les manifestations – fin
2019 et début 2020 – contre son projet de ré­
gime universel de pensions, finalement
abandonné, c’est le relèvement à 64 ans de
l’âge légal de départ à la retraite qui soulève
des vents contraires d’une rare intensité. Les
huit principaux syndicats de travailleurs et
cinq mouvements représentant la jeunesse
ont appelé à défiler et à faire grève, jeudi
19 janvier, contre la réforme dévoilée neuf
jours plus tôt par le gouvernement.
Cette première journée nationale d’action
s’annonçait très suivie, avec un nombre de
personnes dans la rue pouvant approcher
« le million », comme l’a indiqué, mercredi
soir sur TMC, Laurent Berger, le secrétaire gé­
néral de la CFDT. « Nous sommes dans un très
haut niveau de mobilisation », a confié Phi­
lippe Martinez, le leader de la CGT, peu avant
d’entrer dans la mêlée. Même l’exécutif anti­
cipe un mouvement de grande ampleur : « Ce
sera un jeudi de galère », a reconnu Clément
Beaune, le ministre délégué aux transports.
Un front syndical aussi large et aussi soudé
ne s’était pas vu depuis très longtemps.
En 2010, l’ensemble des organisations de sa­
lariés avaient battu le pavé contre une autre
réforme des retraites – reportant l’âge
d’ouverture des droits de 60 ans à 62 ans.
Mais Force ouvrière (FO), à l’époque, ne « si­
gnait pas les communiqués communs » et se
positionnait à l’écart de la tête des cortèges,
comme le rappelle Jean­Claude Mailly, alors
numéro un de la confédération.
Le 22 mai 2018, les neuf organisations re­
présentatives dans la fonction publique –
dont la CGT et la CFDT – avaient participé à
une initiative commune, avec MM. Berger et
Martinez s’affichant côte à côte à Paris, mais
celle­ci était circonscrite à des problémati­
ques du service public qui ne concernaient
pas le monde de l’entreprise.
Enfin, le 17 décembre 2019, les huit syndi­
cats les plus puissants avaient manifesté
contre le régime universel de pensions et Depuis plusieurs semaines, les militants se
l’idée de créer un « âge pivot » (plus élevé « SI LES SYNDICATS  préparent à ce premier round. Selon les sour­
que l’âge légal) pour avoir droit à une pen­ ARRACHENT  ces, de 180 à un peu plus de 250 points de ras­
sion à taux plein ; mais la CFDT, la CFTC et semblement et de manifestations ont été re­
l’UNSA avaient fait bande à part et n’étaient DES CONCESSIONS  censés sur l’ensemble du territoire – outre­
pas, par la suite, redescendues dans la rue mer compris. Il y a une « forte attente de la
contre le projet. VISIBLES, ALORS  part des adhérents », explique Patricia Dre­
La date du jeudi 19 janvier n’a pas été choi­ von, secrétaire confédérale de FO, qui se dit
sie au hasard. L’intersyndicale tenait à enga­
L’IDÉE S’INSTALLERA  même étonnée face à l’élan des troupes, avec
ger la bataille promptement pour ne pas être QU’ILS SONT UTILES  beaucoup de préavis de grève déposés. Pour
prise de court par une procédure législative retrouver une telle combativité, « il faut re­
menée tambour battant. Les mesures étant EN AGISSANT  monter à 2010 », affirme Simon Duteil, codé­
incluses dans un projet de loi de finance­ légué général de l’union syndicale Solidaires.
ment rectificative de la Sécurité sociale (PL­ TOUS ENSEMBLE »
FRSS), les débats parlementaires pourront se PIERRE FERRACCI « JE N’AI JAMAIS CONNU ÇA »
dérouler relativement vite : vingt jours au président du groupe Même sensation du côté des syndicats dits
maximum à l’Assemblée nationale, l’adop­ de conseil Alpha « réformistes ». Chez la CFE­CGC – la confédé­
tion définitive du texte étant programmée ration des cadres –, une évaluation interne
pour la fin mars. Les organisations de sala­ laisse entrevoir « une volonté de se mobiliser
riés cherchent donc à ancrer la contestation très marquée », assure son président, Fran­
avant le début des discussions au Parlement. çois Hommeril, qui reste cependant pru­
dent : « Est­ce que cette volonté se traduira
DEVANCER LA MARCHE DE LFI dans la rue ? Nous verrons le 19 au soir. »
Autre considération qui a pesé sur le calen­ Des précautions qui s’expriment égale­
drier : le fait de passer à l’action jeudi 19 jan­ ment à la CFTC, dont les membres ne sont
vier permet de devancer la marche prévue, pas vraiment des grévistes frénétiques. Mais
samedi, à l’initiative de plusieurs mouve­ là encore, on sent une envie de croiser le fer :
ments de jeunesse et soutenue par La France « Personnellement, je n’ai jamais connu ça de­
insoumise. « C’est aux organisations syndica­ puis que j’ai des responsabilités, juge Cyril
les qu’il revient de créer les conditions d’une Chabanier, à la tête de la confédération de­
mobilisation sociale », avait rappelé M. Berger, puis 2019. Je pense vraiment qu’il va y avoir
le 10 janvier. Autrement dit, le leadership du du monde, y compris chez nous. »
mouvement doit être placé entre leurs mains. Cette effervescence se vérifie dans les prévi­
sions de trafic pour plusieurs entreprises de
transport de voyageurs. S’agissant du métro
Le gouvernement redoute un « blocage » parisien, le service devait être réduit à la por­
tion congrue avec trois lignes fermées et dix
Le gouvernement espère que la mobilisation syndicale et politi- autres ouvertes uniquement aux heures de
que, prévue jeudi 19 janvier, contre la réforme des retraites, pointe, selon la RATP. Déjà très en colère au
ne se transformera pas « en blocage » du pays. « Ce qu’on ne veut sujet des salaires et des conditions de travail,
pas, c’est que des Français qui n’ont rien demandé à personne les salariés protestent contre la disparition
se retrouvent dans l’incapacité d’aller travailler, d’amener leurs progressive de leur régime spécial de retraite
enfants à l’école, (…) de se déplacer », a déclaré Olivier Véran, et le recul de l’âge légal. Le conflit devrait aussi
le porte-parole du gouvernement, la veille, lors du compte se remarquer à la SNCF, avec un TGV sur trois,
rendu du conseil des ministres, après avoir dit « respecter (…) voire un sur cinq sur certains axes, et tout
cette mobilisation sociale ». Jugeant « inacceptables » les mena- juste un TER sur dix en moyenne.
ces de la CGT de couper l’électricité d’élus soutenant la réforme, Du côté des raffineries, où des blocages
M. Véran a également ajouté : « On ne veut pas qu’il y ait des étaient envisagés, les salariés avaient l’inten­
mouvements (…) avec de la casse. » tion de se faire entendre, tout comme dans
0123
VENDREDI 20 JANVIER 2023
Kévin Crépin,
le secrétaire
général de
l’union
départemen­
tale CGT de la
Somme,
dans la zone
industrielle
d’Amiens,
le 17 janvier.
AIMÉE THIRION POUR
« LE MONDE »
le secteur de l’énergie. L’éducation nationale
avait aussi des fourmis dans les jambes, avec
70 % des enseignants du primaire en grève et
de nombreuses écoles fermées – « au moins
un tiers » à Paris – d’après le Snuipp­FSU.
Au­delà de la mobilisation de jeudi, très
probablement significative, « la vraie ques­
tion qui se pose est de savoir si ce mouvement
social s’inscrira dans la durée », observe
Raymond Soubie, président de la société de
conseil Alixio et conseiller social à l’Elysée
sous Nicolas Sarkozy (de 2007 à 2010) : « Les
journées d’action suivantes draineront­elles
autant de monde ? » Si la réponse est oui,
ceux qui sont à la manœuvre devront
« veiller à ne pas irriter l’opinion, tout en mon­
trant leur capacité à tenir face à un gouverne­
ment qui sera déterminé à mener à bien son
projet », souligne ce fin connaisseur des
questions sociales.
D’après lui, « l’enjeu est important pour les
forces syndicales » : « Si elles n’obtiennent
rien, in fine, cela pourrait accentuer leur dé­
clin. Si elles arrachent des concessions visi­
bles, alors l’idée s’installera qu’elles sont uti­
les en agissant toutes ensemble, ce qui pour­
rait être propice à des rapprochements entre
organisations et à une refondation de la car­
tographie syndicale. »
Deux scénarios sont possibles : une grève
reconductible annoncée dès jeudi soir,
comme en 1995, lors de la fronde contre le
plan Juppé pour la Sécu, ou la poursuite de la
mobilisation sous la forme de journées d’ac­
tion répétées et espacées, à l’image de ce qui
s’était passé en 2010. « Ça peut être compli­
qué pour les réformistes de s’engager dans la
voie la plus radicale », pense Stéphane Sirot,
historien spécialiste du syndicalisme.
Du côté de FO, on exprime clairement une
préférence pour la première hypothèse. « Il
faut frapper fort, et plusieurs mobilisations
consécutives, ça peut avoir un impact impor­
tant », plaide la secrétaire confédérale Patri­
cia Drevon. C’est pourquoi elle espère que la
journée du jeudi 19 sera synonyme de défer­
lante dans la rue. p
bertrand bissuel
et thibaud métais
0123
VENDREDI 20 JANVIER 2023
Chez Les Républicains, le soutien
à la réforme ne fait pas l’unanimité
Une dizaine de députés LR sont réservés, malgré l’accord entre leur formation et l’exécutif
C ertains assurent la main
sur le cœur être contre,
d’autres fixent des lignes
rouges ou hésitent avant de voir
le texte final après amendements.
Mais tous ont en commun de
faire entendre une voix disso­
nante à l’intérieur du groupe Les
Républicains (LR) à l’Assemblée
nationale, dont le soutien doit
éviter à la majorité un embarras­
sant recours à un 49.3 sur la ré­
forme des retraites.
Attendue et indispensable pour
le gouvernement, la quarantaine
de voix nécessaires pour attein­
dre la majorité absolue va­t­elle
tomber comme un fruit mûr ?
Oui, en théorie, malgré les treize
élus de droite prêts à ne pas voter
le texte en l’état, selon Le Journal
du dimanche. Eric Ciotti et Olivier
Marleix pensent tenir leurs trou­
pes, mais le président du parti et
celui du groupe à l’Assemblée na­
tionale savent que la pratique par­
lementaire réserve parfois des
surprises, surtout dans un collec­
tif de 62 députés « caractérisé par
des individus qui ont leur liberté de
vote, ce qui est à la fois notre force
et notre faiblesse », résume Sté­
phane Viry, député des Vosges.
Désigné pour être l’un des deux
orateurs du groupe sur le texte
lors de son passage en commis­
sion, à partir du 30 janvier – avant
son examen en séance publique,
prévu le 6 février –, M. Viry appar­
tient au clan des hésitants, plus
nombreux que celui des « nonis­
tes » assumés pour l’instant. « Je
vais déposer des amendements et
tenter de faire bouger la réforme
lors des travaux parlementaires,
La position alambiquée de Marine Le Pen
La cheffe de file du Rassemblement national veut s’opposer à la réforme, sans manifester
L oin du pavé, la plage. En vi­
site au Sénégal, à la rencon­
tre de militaires français,
d’entreprises agricoles ou de res­
ponsables politiques, Marine
Le Pen se tient à confortable dis­
tance, jeudi 19 janvier, de la pre­
mière journée de mobilisation
contre la réforme des retraites. Le
timing est malvenu mais pas
voulu ; ce premier voyage en Afri­
que depuis six ans a été organisé
avant de connaître le point de dé­
part de la contestation. Il incarne
toutefois assez bien la distance
observée par la cheffe de file du
Rassemblement national (RN), fi­
dèle à son credo, vis­à­vis du
mouvement social : les manifes­
tations, très peu pour elle.
Marine Le Pen n’a pas de mots as­
sez durs pour dénoncer la réforme
des retraites menée par le gouver­
nement. Elle la trouve injuste, inu­
tile, tristement comptable, mal à
propos. Elle y voit même « du sa­
disme, comme chez ces enfants qui
arrachent les ailes des mouches ».
Pourtant, à cette réforme parée de
tous les vices, elle ne semble pré­
parer qu’une opposition tran­
quille. Pas plus qu’elle, ses troupes
ne descendront dans la rue. « Pas
dans notre ADN », répète­t­on au
sein du parti, feignant d’oublier la
présence du RN dans les manifes­
tations contre le mariage pour
tous, contre la procréation médi­
calement assistée, avec les « gilets
jaunes » ou, plus localement, con­
tre la répartition d’exilés dans la
ruralité. Le parti pourrait bien dé­
mentir très vite son hostilité
congénitale aux cortèges, en se
dit­il. Je ne vais pas me lier les
mains avant même l’arrivée du
projet en commission ou dans
l’Hémicycle. Je suis à la base un dé­
puté de l’opposition. »
Etre dans l’opposition mais
marcher avec la majorité sur un
texte aussi sensible et critiqué, le
grand écart demande trop de sou­
plesse à certains. « Aujourd’hui, la
réforme d’Elisabeth Borne telle
qu’elle est présentée, c’est non, pré­
vient Pierre Cordier, député appa­
renté LR des Ardennes. Tous les
cinq ou six ans, vous avez un Eric
Woerth ou une Marisol Touraine
pour vous dire “avec ma réforme,
vous êtes tranquilles pour trente
ou quarante ans”. A ce rythme, on
peut pousser à 67, 70 ans et les
gens vont crever au boulot. »
Le réveil de la droite sociale
A croire que le texte proposé par
la première ministre électrise la
fibre sociale chez certains LR et
ravive la nostalgie des envolées de
Philippe Séguin. Trop jeune pour
avoir fréquenté l’ancien prési­
dent de l’Assemblée nationale,
Maxime Minot (35 ans) s’oppose
lui aussi par principe au report de
l’âge légal de départ à la retraite à
64 ans. « On devrait parler d’an­
nuités et c’est tout. La personne qui
a commencé à travailler tôt, si elle
a fait 43 annuités, je ne vois pas
pourquoi il lui serait demandé de
travailler plus longtemps ».
Ce point est le cheval de bataille
d’Aurélien Pradié. Troisième
homme du congrès de son parti
en décembre avec 22,29 % des voix,
le député du Lot entend encore
marquer sa différence et défendre
« À L’ASSEMBLÉE, 
ILS VONT À LA SOUPE, 
DANS LA RUE, C’EST  ciale dès le 10 janvier.
LA GAUCHE QUI MÈNE  est représenté massivement : la
LE BAL. ALORS NOUS,  tionale. Il y présentera des amen­
ON JOUE LES URNES »
LOUIS ALIOT
vice-président du RN
rendant, lundi 23 janvier, aux cô­
tés des boulangers : ils proteste­
ront, devant le ministère de l’éco­
nomie, contre le coût de l’énergie.
« Il n’y a pas que la rue ! », s’agace
Marine Le Pen, mettant en avant
« le travail médiatique pour faire
connaître les conséquences de la ré­
forme », une autre forme de péda­
gogie que celle du gouvernement.
D’ores et déjà, elle avance ses
pions : la responsabilité supposée
de l’Union européenne ; celle de
l’opposition de gauche, accusée
d’avoir fait élire Emmanuel Ma­
cron ; le ralentissement de la pro­
ductivité, qui complique le finan­
cement du système de retraites.
La députée du Pas­de­Calais
« souhaite le succès de tout ce qui
peut faire reculer le gouverne­
ment » tout en soulignant l’ineffi­
cacité des dernières mobilisa­
tions syndicales. Elle estime que
l’émergence d’un débat national
sur la réforme pourrait faire pen­
cher la balance plus efficacement
qu’une grève massive, mais n’an­
nonce pas, pour l’heure, de mee­
« AUJOURD’HUI, LA 
RÉFORME D’ÉLISABETH 
BORNE TELLE QU’ELLE EST  Schellenberger, députés du Pas­
PRÉSENTÉE, C’EST NON »
PIERRE CORDIER
député apparenté LR des Ardennes
la droite populaire, celle à l’écoute
de « la France des laborieux ». « Un
Français sur deux qui a l’âge d’être
en carrière longue ne bénéficie pas
du dispositif. J’ai fait une proposi­
tion dans ce sens, pour eux c’est la
durée de cotisation qui doit l’em­
porter sur l’âge légal », développe le
tout nouveau vice­président d’un
parti au sein duquel le report de
l’âge légal à 65 ans faisait encore
récemment presque consensus.
Le trentenaire assume sa rup­
ture avec une droite honnie
« qui n’est pas la droite historique,
mais celle de Fillon depuis la cam­
pagne 2017 », et dont le discours
« excite quelques­uns dans le 7e ar­
rondissement de Paris avec leur
cravate Hermès pour lesquels les
Français abusent quand même du
système ». La revalorisation à
1 200 euros des petites pensions, y
compris pour les retraités actuels,
est une autre de ses fameuses « li­
gnes rouges », pour celui qui re­
doute une « entourloupe du gou­
vernement » sur ce point précis.
« Le diable se cache dans les dé­
tails, Aurélien Pradié a raison
d’être vigilant », a reconnu Eric
Ciotti, mardi 17 janvier sur le pla­
teau de BFM­TV. Une façon d’être
conciliant avec son précieux allié
ting consacré aux retraites, ni de
réunions locales – un travail de
terrain entamé par la Nouvelle
Union populaire écologique et so­
Le RN le claironne depuis qu’il y
politique se fait à l’Assemblée na­
dements dont le destin semble
scellé, sans verser dans l’obstruc­
tion revendiquée par La France in­
soumise (LFI). Le parti d’extrême
droite semble avoir intégré une
forme d’impuissance face à la ré­
forme entreprise, à l’instar de son
vice­président Louis Aliot : « Le
problème, en France, c’est que c’est
soit la rue, soit l’Assemblée natio­
nale. A l’Assemblée, ils vont à la
soupe, dans la rue, c’est la gauche
qui mène le bal. Alors nous, on joue
les urnes. Il nous faut être crédible,
rassurer et jouer les élections. »
« Gagnante à tous les coups »
Cela suffira­t­il à contenter un
électorat qui est, avec celui de LFI,
le plus franchement opposé à la ré­
forme ? Le risque, pour le RN, serait
d’apparaître mou, embourgeoisé
dans le confort du Palais­Bourbon,
insensible à la colère de ses sympa­
thisants. « Beaucoup de militants
RN veulent faire autre chose qu’at­
tendre et regarder l’Assemblée à la
télévision, juge son ancien vice­
président Florian Philippot, à la
tête du mouvement Les Patriotes.
La politique c’est aussi le rapport de
force, des dynamiques à créer. Une
partie de son électorat veut cela. »
Selon un sondage Ipsos pour Le
Point réalisé les 13 et 14 janvier, les
du second tour lors de son élec­
tion. A entendre M. Pradié, sa po­
sition – partagée par ses amis
Pierre­Henri Dumont et Raphaël
de­Calais et du Haut­Rhin – a le
mérite de rendre service aux Ré­
publicains « car on montre qu’on
n’a pas passé un “deal” avec le gou­
vernement, ce qui était un peu
l’ambiance la semaine dernière
après la réunion à Matignon avec
Elisabeth Borne ».
Du côté des défenseurs de la ré­
forme, on remarque que ses
principaux détracteurs dans le
groupe sont souvent des soutiens
de Xavier Bertrand, qui a avoué
au Figaro « assumer sa diver­
gence » avec M. Ciotti sur la ques­
tion des retraites. Aurélien Pra­
dié, lui, réfute être en service
commandé pour le président de
la région Hauts­de­France. Je ne
suis pas un proche de Xavier Ber­
trand et il y a plus de proches de
Laurent Wauquiez qui, en l’état, ne
veulent pas voter la réforme. »
Difficile à vérifier, mais, sur ce
dossier brûlant, le président de la
région Auvergne­Rhône­Alpes
tient sa ligne du moment : celle du
silence. Ces derniers mois, celui
qui se voit déjà en candidat de son
parti pour la présidentielle de
2027 aurait évolué sur la question
du recul de l’âge légal, lui qui a
longtemps été pour 65 ans. Cette
discrétion a le mérite de ne pas fra­
giliser deux de ses précieux alliés,
MM. Ciotti et Marleix, déjà bien
occupés à écouter et ménager les
opposant à la réforme, mais sans
voir leur nombre trop grossir. p
alexandre pedro
sympathisants du RN sont tout
aussi favorables aux manifesta­
tions que la gauche. Les deux tiers
d’entre eux soutiennent égale­
ment le mouvement de grève.
« Il y aura des électeurs frontistes
dans la rue, mais, par rapport à
d’autres mouvements où le RN
était également absent de l’Assem­
blée nationale, Marine Le Pen joue
beaucoup moins gros, estime le di­
recteur général de l’IFOP, Frédéric
Dabi. Elle se fera discrète, car deux
questions se jouent : l’incarnation
de l’alternative au macronisme,
que LFI lui dispute, et sa stratégie
de notabilisation. Elle joue claire­
ment cette carte. La rue, le possible
désordre, peut faire peur à une par­
tie des salariés et des retraités. »
Le positionnement de Marine
Le Pen au gré du conflit social
pourrait suivre l’évolution de son
électorat, de plus en plus composé
de classes moyennes et supérieu­
res, rétif aux inégalités mais aussi
au désordre, juge également le so­
ciologue Luc Rouban : « Le conflit
social avec les syndicats risque de
ne pas être couronné de succès, et
de ne plus être populaire s’il débou­
che sur des blocages. Le coût politi­
que est plus élevé pour la gauche
que pour Marine Le Pen, qui sera
gagnante à tous les coups. La plu­
part des gens ne veulent pas de la
réforme des retraites, mais veulent
pouvoir travailler. C’est le fonds de
commerce de Marine Le Pen : le so­
cial plus l’autorité. » D’où, conclut
Luc Rouban, cette stratégie lim­
pide : « Elle a tout intérêt à ne rien
faire, et c’est ce qu’elle fait. » p
clément guillou
Crise climatique :
Macron estime avoir
été « mal compris »
Le chef de l’Etat revient sur une polémique
qui a suivi ses vœux télévisés du 31 décembre
P as de mea culpa, mais une
explication en forme de
justification. Mardi 17 jan­
vier, Emmanuel Macron a publié
sur ses réseaux sociaux une troi­
sième vidéo où il répond aux
questions des internautes sur
l’écologie. Dès les premières se­
condes, le président de la Répu­
blique revient sur une polémique
que l’Elysée avait tenté de balayer
en début d’année après l’allocu­
tion présidentielle du 31 décem­
bre 2022.
« Je crois, manifestement, qu’il y a
une partie de ces vœux où j’ai été
mal compris », lance d’emblée le
chef de l’Etat en montrant un
message de « Brice » sur Twitter.
Une référence à un passage de sa
prise de parole du 31 décembre où
il s’interrogeait sur l’année 2022 :
« Qui aurait pu prédire la vague
d’inflation, ainsi déclenchée ? Ou la
crise climatique aux effets specta­
culaires encore cet été dans notre
pays ? » Ces questions rhétoriques
avaient provoqué l’incompréhen­
sion de nombreux climatologues
et auteurs du Groupe d’experts in­
tergouvernemental sur l’évolu­
tion du climat (GIEC). Les opposi­
tions de gauche avaient aussi criti­
qué cette sortie en pointant l’im­
préparation de M. Macron pour
gérer la transition climatique, al­
lant jusqu’à l’accuser de faire le jeu
des climatosceptiques.
Sans faire amende honorable ni
expliquer comment ces mots
avaient pu être écrits puis validés,
le président de la République pré­
cise sa pensée. « On a voulu me
faire dire qu’au fond, je n’aurais ja­
mais lu un rapport du GIEC (…) et
que je découvrais en l’année 2022
les dérèglements climatiques. (…)
J’ai le sentiment qu’il y a eu quand
même beaucoup de mauvaise
foi », répond le chef de l’Etat.
+2,3 0C cet été
Il ne cite à aucun moment ses op­
posants. Mais il estime avoir été
« caricaturé », alors qu’il a voulu,
au contraire, faire passer un mes­
sage « d’alerte écologique ».
« Qu’est­ce que j’ai simplement
voulu dire ? C’est qu’au fond, ça a
été encore plus vite que prévu », af­
firme­t­il, en balayant toute idée
de « déni ». « Même toutes celles et
tous ceux qui alertent depuis des
années sur l’effondrement de la
biodiversité, sur le dérèglement du
climat ont dit l’été dernier : “Regar­
dez, ça va encore plus vite que ce
qu’on ne l’avait prédit.” (…) Je n’ai
rien voulu dire de plus. »
Cette rectification ne convainc
pas tous les scientifiques. Sur la
forme, d’abord. « Il aurait pu s’ex­
cuser pour la phrase de ses vœux,
ou au minimum reconnaître une
maladresse », juge le climatologue
Jean Jouzel. Sur le fond, ensuite.
« L’été que l’on a connu en 2022
était dans la gamme des possibles
estimée par nos modèles climati­
ques, dans le haut des projections.
Il n’y a donc pas eu d’échec des pré­
visions », indique Christophe Cas­
sou, également climatologue et
l’un des auteurs principaux du
rapport du GIEC d’août 2021.
L’été passé s’est classé comme le
deuxième plus chaud enregistré
en France, avec un écart de +2,3 0C
par rapport aux normales de sai­
son. Selon les calculs de Christo­
phe Cassou, il avait environ une
chance sur dix de se produire dans
le climat actuel, ce qui en fait un
événement rare, mais pas le pire.
« Car cela veut aussi dire que cet été
avait une chance sur dix d’être plus
chaud », précise­t­il. A l’inverse,
l’été 2003, qui reste le record dans
le pays, se situait en dehors des
projections climatiques de l’épo­
que, de sorte que « Jacques Chirac
aurait pu dire sans ambiguïté : “Qui
aurait pu prévoir la crise climati­
que ?” », ajoute le directeur de
france | 9
« On s’attendait
globalement à
ce qui s’est passé
l’an dernier »
JEAN JOUZEL
climatologue
recherche au CNRS. Depuis, le
mercure a grimpé de l’ordre de 1 0C
en moyenne sur le territoire.
« On s’attendait globalement à
ce qui s’est passé l’an dernier »,
complète Jean Jouzel. L’élévation
de la température moyenne est
conforme aux projections, de
même que l’augmentation de la
fréquence et de l’intensité des
événements extrêmes. S’il ne se
dit pas surpris que le territoire ait
subi trois canicules, une grave sé­
cheresse et des incendies drama­
tiques, le climatologue l’est en re­
vanche en ce qui concerne les re­
cords de températures, battus
dans de très larges proportions,
au­delà des prévisions cette fois.
« J’entends les critiques »
Quoi qu’il en soit, pour Christo­
phe Cassou, une gestion correcte
des risques implique de prendre
en compte l’ensemble du do­
maine des possibles climatiques,
et donc de se préparer au pire, plu­
tôt que de regarder la moyenne,
qui n’est « pas pertinente » pour la
prise de décision. Ainsi, la norme
climatique, qui couvre la période
1991­2020, est déjà « totalement
dépassée ». La France, qui s’est ré­
chauffée de 1,7 0C depuis l’ère
préindustrielle, devrait ainsi se
préparer à un réchauffement de
4 0C autour de 2050 sur la métro­
pole, dans la fourchette haute des
prévisions. A ce moment­là, l’été
2022 sera un été moyen.
« Le fait que l’on soit dans la
fourchette haute devrait motiver
le gouvernement à prendre des
actions encore plus fortes pour ré­
duire les émissions de gaz à effet
de serre », assure Davide Faranda,
climatologue à l’Institut Pierre­
Simon Laplace. Or, selon le Haut
Conseil pour le climat, la réponse
de la France au dérèglement cli­
matique « progresse mais reste
insuffisante ». Le pays n’a quasi­
ment pas diminué ses émis­
sions au cours des neuf premiers
mois de l’année passée. « L’été
2022, emblématique des consé­
quences du changement climati­
que qui s’aggravent, a aussi mis
en lumière le décalage entre
l’adaptation [aux impacts du ré­
chauffement] réellement mise en
œuvre et celle qui serait néces­
saire », juge Valérie Masson­Del­
motte, coprésidente du groupe 1
du GIEC.
Dans sa vidéo, le président de la
République justifie son action
sur de nombreux autres domai­
nes, en se félicitant notamment
de l’accord signé à la COP15 sur la
biodiversité, et annonce aussi
qu’il réunira un conseil de la pla­
nification écologique à l’Elysée
avant la fin du mois de janvier.
Les contours de cette instance,
une sorte de nouveau conseil de
défense écologique, n’ont pas été
précisés. Selon plusieurs sources,
M. Macron veut se montrer à la
manœuvre sur ces sujets dans les
mois à venir, alors que l’exécutif
doit faire atterrir la « stratégie
française sur l’énergie et le cli­
mat » au cours de l’année. « J’en­
tends les critiques, toujours, et la
pression pour faire plus. Je la par­
tage et, croyez­moi, à chaque fois
que je pourrai faire plus (…), je le
ferai », conclut­il. Reste à con­
vaincre à nouveau une partie de
la communauté scientifique. p
audrey garric
et matthieu goar

10 | france
L’avenir de la Nupes, enjeu­clé
du congrès du Parti socialiste
Le sort de l’union de la gauche structure le duel entre Olivier Faure et
Nicolas Mayer­Rossignol, lors du second tour du vote pour la tête du parti
N
icolas Mayer­Rossi­
gnol a l’art d’être là où
on ne l’attend pas. Ce
mardi 17 janvier, on re­
trouve le maire de Rouen, rival
d’Olivier Faure pour la direction
du Parti socialiste (PS), gymnase
Japy à Paris, applaudissant Ma­
thilde Panot, très remontée contre
la réforme des retraites. « Nous fe­
rons plier Macron et ce gouverne­
ment », lance la cheffe de file des
députés La France insoumise (LFI),
devant un millier de personnes.
Ce soir­là, la Nouvelle Union popu­
laire écologique et sociale (Nupes)
tient son premier meeting contre
la réforme des retraites. Sur l’es­
trade, Olivier Faure, Marine Ton­
delier, d’Europe Ecologie­Les Verts
(EELV), Fabien Roussel, du Parti
communiste (PC) et François Ruf­
fin (LFI) se succèdent pour prendre
la parole. Que fait dans cette salle
M. Mayer­Rossignol, qui se livre
depuis septembre 2022 à une criti­
que en règle de l’alliance des mou­
vements de gauche, au sein de la
Nupes ? « Je reste fidèle à ma voie
centrale de rassemblement de la
gauche, justifie le trublion du con­
grès du PS. Face à la régression que
veut nous imposer la droite sur les
retraites, nous devons rester unis. »
Jeudi 19 janvier, lors du second
tour du congrès, le quadragénaire
aux allures de premier de la classe
dispute la place de premier secré­
taire du PS à l’actuel titulaire du
poste. Une semaine plus tôt, son
texte d’orientation, « Refonda­
tions », a remporté 30 % des suf­
frages des militants, devant celui
d’Hélène Geoffroy (20 %), qui re­
présente les partisans de François
Hollande au sein du parti. Formé
en politique par Laurent Fabius,
l’édile de Rouen juge la victoire
possible, avec l’aide de la maire de
Vaulx­en­Velin (Rhône), qui a ap­
pelé ses troupes à le soutenir.
Au lendemain du premier vote,
le duo s’est retrouvé dans un café
parisien. Officiellement, « il n’y a
pas eu de négociations d’appareil,
jure­t­elle. Le sujet principal, c’est
de faire tomber Faure ». Mais ce dé­
but d’alliance crispe le camp d’en
face. Les militants vont­ils voter
Un préfet d’ouverture pour le
haut­commissariat en Nouvelle­Calédonie
Louis Le Franc, 62 ans, connaît parfaitement le Caillou, où il a des attaches familiales
PROFIL
L’ exécutif a officialisé,
mercredi 18 janvier, le
choix d’un serviteur de
l’Etat consensuel et ouvert pour
devenir haut­commissaire de la
République en Nouvelle­Calédo­
nie, dans une période cruciale
pour le territoire.
Louis Le Franc, préfet de 62 ans,
remplace Patrice Faure, un profil
plus « sécuritaire », militaire passé
par la DGSE, qui avait été nommé
pour gérer le troisième référen­
dum contesté du 12 décembre 2021
sur « l’accession à la pleine souve­
raineté » du Caillou, un scrutin
boycotté par les partis du Front de
libération national kanak et socia­
liste (FLNKS). Le ministre de l’inté­
rieur, Gérald Darmanin, a salué
« son engagement exceptionnel ».
D’ici à 2024, la Nouvelle­Calédo­
nie risque d’affronter de graves
turbulences. Elle est engagée sur
le chemin de réformes institu­
tionnelles incontournables, qui
opposent loyalistes et indépen­
« le retour des éléphants ? », lance,
acide, Olivier Faure, agitant la fi­
gure de François Hollande comme
un chiffon rouge. Le 16 janvier,
l’ex­président de la République a
lui­même appelé, sur France Inter,
à voter pour Nicolas Mayer­Rossi­
gnol, qu’il juge le plus à même de
« rassembler les socialistes ».
Un appel du pied adressé aux
nombreux abstentionnistes, pour
la plupart des partisans d’Hélène
Geoffroy, qui n’ont pas pris la
peine de se déplacer la semaine
dernière, croit­on savoir dans ses
rangs. Les proches du premier se­
crétaire, qui a obtenu 49 % des suf­
frages, se montrent, eux, « raison­
nablement confiants », estimant
qu’une prime bénéficie au sortant
et qu’une partie des adhérents
ayant voté pour le Rouennais ont
simplement voulu adresser un
avertissement à Olivier Faure. Il
n’empêche. Ce dernier ne s’attend
pas à l’emporter haut la main.
L’accord de la Nupes a laissé des
traces chez les militants, au point
que le résultat du vote de jeudi
pourrait hypothéquer son avenir.
« Emprise idéologique »
Ancien partisan de M. Faure, Ka­
mel Chibli ne décolère pas contre
le choix d’avoir placé le PS dans
la roue des mélenchonistes. « Je
n’étais pas d’accord avec la Nupes.
Je préfère quinze à vingt députés
qui assument leur ligne [plutôt que
trente] », explique le vice­prési­
dent du conseil régional d’Occita­
nie, qui croise régulièrement le fer
sur son territoire avec les « insou­
mis ». Selon lui, sur son territoire,
ces derniers sont « opposés à tous
les projets qui créent de l’emploi »,
de la ligne LGV jusqu’à l’usine
d’embouteillage d’eau en passant
par la mise en place d’un lac d’irri­
gation. « On est embarqués dans
tout ce que fait LFI », se désole celui
qui a mené la campagne contre le
premier secrétaire dans sa région.
Après être restée longtemps si­
lencieuse, la présidente de la ré­
gion Occitanie, Carole Delga, vue
comme l’une des « présidentia­
bles » du parti, a fini par apporter
un soutien sans ambiguïté à
dantistes, pour redéfinir ce que
seront ses liens avec la France, et
dans un contexte de crise du
nickel, elle voit sa principale
ressource contrainte de changer
de modèle industriel.
Il n’y avait « pas de meilleur choix
possible » que le préfet Le Franc, af­
firment ceux qui l’ont côtoyé.
L’homme, à la personnalité calme
et prudente, a été conseiller tech­
nique pour l’outre­mer du prési­
dent de la République Jacques Chi­
rac, en 2006. A l’Elysée, il a abordé
le dossier complexe du corps élec­
toral calédonien, gelé en 2007
par une révision constitution­
nelle, en vue des référendums sur
D’ici à 2024,
la Nouvelle-
Calédonie
risque d’affronter
de graves
turbulences
Faure espère
une candidature
de la Nupes lors
de l’élection
présidentielle
de 2027,
contrairement
à ses opposants
M. Mayer­Rossignol. Ce dernier a
rassemblé 55 % des voix sur cet im­
mense territoire de treize départe­
ments, qui pèse au total 20 % des
suffrages du PS. Ce n’est pas pour
rien que M. Faure a tenté de rattra­
per par le col l’ancienne secrétaire
d’Etat au commerce de M. Hol­
lande, tentant d’obtenir son sou­
tien. « Elle m’avait promis qu’elle ne
ferait rien contre moi, voire qu’elle
me soutiendrait », relate­t­il, dé­
pité. Pour se rassurer, il espère la
grogne cantonnée à quelques
« baronnies » localisées en Seine­
Maritime, en Occitanie, et à Paris.
C’est de la capitale qu’a démarré
Refondations, sous la houlette de
proches d’Anne Hidalgo. Sans
citer l’actuel chef de file du PS, la
maire de Paris a fustigé une Nu­
pes en forme « d’impasse », dans
Le Parisien du 14 janvier, car pla­
cée « derrière la France insou­
mise ». Elle a également réitéré ses
critiques à l’égard de Jean­Luc Mé­
lenchon, « quelqu’un qui dit des
policiers que ce sont des factieux »,
et auquel « il a fallu arracher qu’en
Ukraine c’est Poutine l’agresseur ».
Olivier Faure n’a pourtant cessé
de marquer sa différence par rap­
port au fondateur de la France
insoumise, répétant que les dépu­
tés du PS votaient différemment
de ceux de LFI, sur l’Ukraine no­
tamment, ou pointant ses sorties
de route. Sans complètement
convaincre. « Mitterrand n’a jamais
accepté d’être sous l’emprise idéolo­
gique de personnes qui ne nous res­
semblent pas », critique le sénateur
socialiste du Loiret Jean­Pierre
Sueur, rallié à Nicolas Mayer­Rossi­
gnol. Son collègue ardéchois à l’As­
l’indépendance. Il avait aupa­
ravant servi à plusieurs reprises
en Nouvelle­Calédonie, notam­
ment comme secrétaire général
du haut­commissariat.
« Ouvert et loyal »
Dans le corps préfectoral, Louis
Le Franc a ensuite été en poste en
Haute­Corse, en 2011, et dans
l’Oise, le département où a surgi
l’épidémie de Covid­19, en 2020.
Seule ombre dans son parcours, il
fut brièvement directeur du cabi­
net de la ministre des collectivités
territoriales, Caroline Cayeux, qui
a dû démissionner en novem­
bre 2022 pour des faits de fraude
fiscale, dénoncés par la Haute
Autorité pour la transparence de
la vie publique.
« C’est un fonctionnaire expéri­
menté, travailleur, estimé par tous,
car ouvert et loyal », souligne ainsi
Jean­Jacques Brot, ancien haut­
commissaire entre 2013 et 2014,
affirmant que son homologue a
laissé un très bon souvenir en
Nouvelle­Calédonie. Le préfet a
semblée, Hervé Saulignac a, lui, en­
vie d’un chef de file qui « ne donne
pas l’impression d’être sous tu­
telle ». Olivier Faure affirme enten­
dre le « message adressé à la direc­
tion ». Il assure ne pas être « dans le
déni », tout en ajoutant que, sans la
Nupes, il aurait déjà « célébré l’orai­
son funèbre » du PS.
M. Faure attaque aussi ce qu’il
pense être le principal point de fai­
blesse de son adversaire, à savoir
son attitude floue à l’égard de la
Nupes. « On ne peut pas être ni
pour ni contre », enfonce­t­il. En
réalité, les positions du maire de
Rouen ne sont pas si éloignées de
celles de la maire de Vaulx­en­Ve­
lin, qui avait promis de rompre
avec l’alliance à gauche. A leurs
yeux, pas besoin de sortir avec
perte et fracas de la Nupes – qui se
résume surtout à un intergroupe à
l’Assemblée nationale –, il suffit de
la laisser s’effilocher, et de ne pas
reproduire l’accord des législatives
de 2022 aux prochaines élections.
Afin de couper l’herbe sous le
pied à ses opposants, M. Faure a
déjà fait une croix sur une liste
commune aux européennes de
2024, et écrit dans son texte
d’orientation qu’aucune élection à
venir « ne serait préparée sur les ba­
ses des résultats de 2022 ». Mais le
quinquagénaire espère une candi­
dature de la Nupes lors de l’élec­
tion présidentielle de 2027, con­
trairement aux partisans d’Hé­
lène Geoffroy. « 40 % des électeurs
de François Hollande sont chez Ma­
cron, calcule ainsi François Kalfon,
membre du bureau national du
PS. Il serait dommage de ne pas al­
ler chercher ces gens­là. »
Pas question donc de s’arrimer à
LFI en 2027, la figure de Jean­Luc
Mélenchon pouvant être un re­
poussoir pour le centre gauche.
Pour peser sur la ligne politique, ils
misent donc sur M. Mayer­Rossi­
gnol, qui aura besoin de leurs voix
dans le parti pour se faire enten­
dre. Signe d’une tension extrême,
les camps des deux rivaux s’accu­
sent de triche depuis une semaine.
A la veille du second tour, le PS a
renoué avec ses vieux démons. p
sandrine cassini
noué des attaches dans le terri­
toire, puisque sa fille s’est mariée à
un Kanak. Ce Breton né à Loudéac,
dans les Côtes­d’Armor, a été offi­
cier de l’armée de terre pendant
douze ans à sa sortie de Saint­Cyr,
et pourra aussi apporter sa culture
de la défense dans la stratégie
indopacifique de la France.
Le Monde avait suivi le préfet
Le Franc sur le terrain durant
plusieurs jours, en mars 2021,
au cœur de la troisième vague
de Covid­19 dans le Pas­de­Calais,
qu’il avait rejoint. Quand l’ur­
gence était de prendre l’épidémie
de vitesse, il avait, dans son
bureau de la préfecture d’Arras,
retrouvé ses réflexes de militaire
en suivant la progression du virus
et l’activité des centres de vacci­
nation sur une vaste carte. « Il
faut être souple, pas trop raide,
faire preuve de bon sens » et « né­
gocier avec les maires, sans qui
rien n’est possible », défendait­il
alors face à des interlocuteurs
assommés par la crise. p
nathalie guibert
En Martinique, la quête
d’un nouveau drapeau
sème la discorde
Emaillé de rebondissements et polémiques,
le processus est enfin sur le point d’aboutir
fort­de­france (martinique) ­
correspondance
L e psychodrame de la ques­
tion du drapeau de la Mar­
tinique serait­il enfin par­
venu à son dénouement ? Les élus
de ce département antillais veu­
lent y croire. Lundi 16 janvier,
lors d’une conférence de presse
organisée au Musée d’histoire
et d’ethnographie de Fort­de­
France, deux conseillères territo­
riales présentaient le résultat de
la consultation populaire en ligne
au cours de laquelle, durant les
deux semaines précédentes, les
Martiniquais avaient été invités
par la Collectivité territoriale de
Martinique (CTM) à désigner un
drapeau et un hymne. Une ving­
taine d’emblèmes, présélection­
nés par une commission ad hoc
parmi plusieurs centaines de pro­
positions, étaient en lice.
Contre toute attente, les inter­
nautes n’ont pas plébiscité l’éten­
dard indépendantiste, connu de
longue date. Lors du second tour
du scrutin participatif, c’est un pa­
villon aux mêmes couleurs pana­
fricaines – rouge, vert, et noir –,
mais orné de la silhouette noire
d’un colibri, qui s’est largement
imposé, obtenant 73 % des votes
des quelque 27 000 participants.
Il a devancé le drapeau histori­
que : un symbole créé par la mou­
vance anticolonialiste dans les
années 1960 qui, au fil des décen­
nies, est devenu omniprésent
dans de nombreuses manifesta­
tions politiques ou culturelles,
malgré son caractère officieux et
sa signification toujours sulfu­
reuse aux yeux d’un grand nom­
bre de Martiniquais, qui y voient
un signe de rejet de la République.
Logo « plagié »
Le pavillon au colibri « a été choisi
par les Martiniquais, donc c’est le
drapeau des Martiniquais. Il sera
partout dans l’espace public », réaf­
firme la conseillère territoriale
Michelle Monrose, qui chapeaute
le processus depuis ses débuts, en
novembre 2022. Après son adop­
tion définitive par un vote à l’As­
semblée de Martinique, début
février, cet emblème « sera pré­
sent lors des manifestations spor­
tives, lors des représentations
culturelles, lors des événements
de coopération internationale »,
ajoute Mme Monrose.
Voilà plusieurs années, en effet,
que les fédérations sportives loca­
les réclamaient un pavillon pro­
prement martiniquais, destiné à
être hissé, en lieu et place du dra­
peau tricolore, lors des rencontres
organisées dans la région cari­
béenne notamment. Mais, au fil
des rebondissements, la recher­
che des nouvelles couleurs s’est
éternisée. Même Emmanuel
Macron est intervenu dans cet in­
terminable feuilleton : lors de sa
dernière visite dans ce départe­
ment antillais, en septembre 2018,
le président de la République avait
été interpellé au sujet de l’ancien
S ANTÉ
L’Assemblée nationale
vote « l’accès direct »
des patients à certains
infirmiers
L’Assemblée nationale a
adopté dans la nuit de mer­
credi 18 à jeudi 19 janvier
l’ouverture d’un « accès di­
rect » des patients aux infir­
miers en pratique avancée
(IPA), l’une des mesures
d’une proposition de loi sur
l’accès aux soins vivement
critiquée par les médecins.
Le statut d’IPA, créé par
la loi Touraine de 2016
0123
VENDREDI 20 JANVIER 2023
drapeau, hérité de l’époque de la
traite négrière. Par la suite, le chef
de l’Etat avait demandé aux ser­
vices de gendarmerie de ne plus
utiliser l’insigne honni aux qua­
tre serpents. Franck Robine, alors
préfet de la Martinique (2017­
2020), avait salué « une décision
d’apaisement » du chef de l’Etat.
Une première démarche partici­
pative avait été organisée en 2019
par la précédente majorité, à ten­
dance indépendantiste, à la CTM.
Très contestée, la procédure avait
finalement été invalidée par une
décision de justice en novem­
bre 2021, en raison d’irrégularités.
La nouvelle consultation, lan­
cée le 2 janvier, a été émaillée de
problèmes informatiques qui ont
semé le doute sur la fiabilité du
processus, tandis que la procla­
mation du résultat final s’est ac­
compagnée, elle aussi, d’une nou­
velle salve de polémiques. En ef­
fet, outre l’incrédulité suscitée
par l’élimination de l’étendard in­
dépendantiste, « la signification
du colibri est questionnée, incom­
prise », analyse Myriam Moïse,
maîtresse de conférences en étu­
des anglophones à l’université
des Antilles. « Certains le voient
comme un ajout superficiel ou
l’associent à une forme de dou­
douisme [représentations conve­
nues des Antilles] », ajoute l’uni­
versitaire, qui préside La Fabrique
décoloniale, une association d’in­
tellectuels martiniquais.
Pis, selon des journalistes de la
chaîne publique Martinique la
1ère, la silhouette du colibri figu­
rant sur le drapeau choisi par
les internautes serait… un logo
disponible sur la banque d’ima­
ges Shutterstock, « plagié » par la
créatrice de ce pavillon. De quoi
assurément alimenter encore de
vigoureux débats d’ici au vote de
l’Assemblée de Martinique.
Ce choix d’un nouvel emblème
survient alors que les élus marti­
niquais sont engagés, depuis plu­
sieurs mois, dans un processus
de réflexion sur la remise à plat
de la relation entre ce départe­
ment et l’Etat. Après la signature
de « l’appel de Fort­de­France »,
en mai 2022, par les présidents de
sept régions et collectivités ultra­
marines, les élus territoriaux,
municipaux et les parlementai­
res de la Martinique se sont réu­
nis en congrès à trois reprises.
Pour Serge Letchimy, le prési­
dent du conseil exécutif de la
CTM, l’objectif est d’obtenir de
l’Etat « la possibilité d’adapter
les lois et règlements au niveau lo­
cal » et donc « un droit à la diffé­
renciation » pour les outre­mer.
Ce projet autonomiste, sur fond
de questionnements identitaires,
n’a aucune visée indépendan­
tiste, assure cet élu du Parti pro­
gressiste martiniquais, forma­
tion de gauche fondée par Aimé
Césaire. « Nous ne voulons pas sor­
tir de la République. Nous voulons
y être, mais de manière digne »,
martèle M. Letchimy. p
jean­michel hauteville
et un décret en 2018, avec un
diplôme à bac + 5, vise no­
tamment à réduire la charge
de travail des médecins en
élargissant les compétences
de certains infirmiers sur
des pathologies ciblées. L’ar­
ticle adopté par les députés
mercredi vise à revaloriser ce
statut, en donnant la possi­
bilité aux patients de se ren­
dre directement chez ces pa­
ramédicaux sans passer en
amont par un médecin géné­
raliste, mais dans le cadre
d’un « exercice coordonné »
avec ce dernier. – (AFP.)
0123
VENDREDI 20 JANVIER 2023 france | 11

JO : les juridictions franciliennes inquiètes

A Bobigny, un afflux de procédures supplémentaires est déjà enregistré, en raison du plan « zéro délinquance »

Il s’agit d’éviter
de reproduire le
fiasco de la finale

C’
est l’une des préoccu­
pations majeures
des juridictions fran­
ciliennes. Pour elles,
l’organisation des Jeux olympi­
ques (JO) de 2024 à Paris a déjà des
conséquences concrètes. La multi­
plication des opérations de police
dans les départements concernés
– notamment en Seine­Saint­De­
nis – a un effet mécanique d’aug­
mentation des arrestations et de
leur traitement judiciaire. Or, la si­
tuation dans ces ressorts est déjà
extrêmement tendue. Et ce nouvel
afflux de dossiers augmente en­
core la pression sur ces tribunaux.
Peimane Ghaleh­Marzban, pre­
mier président du tribunal judi­
ciaire de Bobigny, a ainsi lancé
l’alerte sur ce sujet lors de son dis­
cours pour l’audience solennelle
de rentrée, lundi 16 janvier : « Les
JO, c’est maintenant, a­t­il expli­
qué. Très clairement, nous ne som­
mes pas aujourd’hui en état de
traiter l’afflux éventuel de procédu­
res judiciaires supplémentaires. »
Selon lui, « le tribunal de Bobigny
n’a pas les moyens de ses ambitions
et des charges singulières qui sont
les siennes dans la perspective des
Jeux olympiques ». Et d’ajouter : « Je
ne souhaite pas que le juge de Bobi­
gny soit tenu responsable de l’inca­
pacité dans laquelle nous serions
de traiter les dossiers nouveaux,
et ce sans renforts extérieurs, ou
tenu responsable de la dégrada­
tion de la réponse pénale, alimen­
tant les critiques des ignorants sur
le prétendu laxisme des juges. »
Préparer le terrain
Lors de son discours prononcé le
même jour, Eric Mathais, procu­
reur de Bobigny, a, lui aussi, déve­
loppé les implications de l’organi­
sation des JO dans un départe­
ment qui accueillera un nombre
important d’épreuves. Il a notam­
ment évoqué le plan « objectif zéro
délinquance » décliné en Seine­
Saint­Denis comme dans les
autres départements concernés
de la Ligue des
champions au
Stade de France,
en mai 2022
par les JO. Il s’agit de cibler, entre
autres, la question des stupéfiants,
de la vente à la sauvette, la contre­
façon ou encore les vols à l’arraché.
Les effets de ce plan se font res­
sentir depuis septembre 2022. Jus­
qu’à trois opérations quotidien­
nes ont d’ores et déjà lieu dans
ce cadre au sein du département.
Avec des conséquences en chaîne :
plus d’arrestations engendrent
plus de gardes à vue, qui condui­
sent à plus de déferrements, et
donc, potentiellement, à plus de
poursuites. « Nous en ressentons
déjà les effets : nous observons une
augmentation de 50 % à 88 % des
gardes à vue quotidiennes pour
stupéfiants, notamment pour des
usages, et une hausse significative
des interpellations en matière de
vente à la sauvette ou des enquêtes
de travail dissimulé. Un renfort des
permanences du parquet est indis­
pensable », a souligné Eric Mathais.
Déjà, début décembre 2022, l’in­
quiétude autour des JO était mise
en avant dans une note d’alerte produire le fiasco de la finale de la lution de l’activité juridiction­ faut des renforts suffisants et tout de natation) et le stade Yves­du­
rédigée par MM. Ghaleh­Marzban Ligue des champions, au Stade de nelle liée aux JO et auquel partici­ au long des dix­huit prochains Manoir (Colombes, Hauts­de­
et Mathais. « L’action publique s’in­ France, en mai 2022, où plusieurs peraient notamment les élus. mois pour que toutes les juridic­ Seine, hockey sur gazon). Son pro­
tensifie (…) augmentant significa­ spectateurs s’étaient fait agresser. Le constat dressé par le tribunal tions puissent faire face. M. Heitz cureur général, Marc Cimamonti,
tivement le nombre de mesures de de Bobigny est partagé par le pro­ précise encore : « Même s’il est reconnaît qu’il « sen[t] un frémisse­
gardes à vue, de majeurs et de mi­ « Adapter nos capacités » cureur général près la cour d’ap­ trop tôt pour l’objectiver par des ment mais qu’il n’y a pas encore de
neurs, à traiter quotidiennement, Pour piloter au mieux cette crois­ pel de Paris, Rémy Heitz. « La chiffres précis, l’arrivée des Jeux traduction judiciaire » d’une aug­
et sans capacités d’audiences sup­ sance inéluctable des procédures pression sur les juridictions du olympiques entraîne d’ores et déjà mentation de l’activité liée à la pré­
plémentaires », écrivaient­ils. judiciaires, les chefs de juridiction ressort ne fera qu’augmenter jus­ une intensification de l’activité de paration des JO. Le premier prési­
Si la Seine­Saint­Denis est parti­ de Bobigny demandent des ren­ qu’aux Jeux olympiques, de ma­ certains parquets du ressort. » dent, Jean­François Beynel, rap­
culièrement concernée, c’est forts, notamment pour la période nière progressive, affirme­t­il. On L’organisation des Jeux inquiète pelle que cela « va impacter tous
qu’elle va accueillir non seulement des Jeux, entre juin et septem­ doit pouvoir résister à cette mon­ également les juridictions moins les secteurs » et demande, comme
beaucoup d’épreuves, mais aussi bre 2024, c’est­à­dire au moment tée en puissance. Il faudra adapter exposées que Paris ou la Seine­ ses collègues de Bobigny, « des
le village olympique ou encore le des vacances. Par ailleurs, Pei­ nos capacités de traitement de la Saint­Denis. C’est le cas de la cour moyens supplémentaires pour ren­
village des médias. En tout, près de mane Ghaleh­Marzban et Eric Ma­ délinquance et d’accueil des victi­ d’appel de Versailles, qui ac­ forcer les juridictions afin d’absor­
deux millions de visiteurs sont at­ thais souhaitent créer un conseil mes. Les plateaux de perma­ cueillera le marathon et des épreu­ ber le choc ». Il résume : « C’est pres­
tendus dans le département. Il de juridiction dévolu à la mise en nence doivent être en mesure de te­ ves équestres. C’est dans son res­ que un tsunami qui va nous tom­
s’agit donc de préparer le terrain le œuvre judiciaire des Jeux olympi­ nir le coup et les capacités de juge­ sort que se situent Paris La Dé­ ber dessus. » Il s’agit d’être prêts. p
plus tôt possible, pour éviter de re­ ques, sorte d’observatoire de l’évo­ ment être suffisantes. » En clair : il fense Arena (Nanterre, épreuves abel mestre

Les sénateurs assortissent

la vidéosurveillance de « fortes garanties » HORS-SÉRIE

La commission des lois du Sénat a amendé, mercredi, le projet de loi olympique

L a commission des lois du

Sénat a amendé, mercredi
18 janvier, l’article du pro­
jet de loi relatif aux Jeux olympi­
ques et paralympiques de 2024,
qui vise à renforcer les moyens
de vidéosurveillance avec l’expé­
rimentation de dispositifs d’« in­
telligence artificielle ». « Au cours
d’une réunion plutôt apaisée,
sans tensions particulières »,
selon la sénatrice Les Républi­
cains (LR) Agnès Canayer, rap­
porteuse du texte, la commis­
sion des lois a ajouté de « fortes
garanties » au texte proposé par
le gouvernement.
« Ce dispositif consacre une in­
novation majeure : l’utilisation de
caméras augmentées », souligne
Mme Canayer, et constitue « une
avancée qui permettra de déga­
ger du temps et des moyens pour
les forces de l’ordre ». Si le recours
aux technologies de reconnais­
sance faciale, un temps envisagé,
a été écarté, les algorithmes, qui
seront utilisés par des caméras
fixes ou embarquées dans des
drones, doivent en l’occurrence
permettre de repérer automati­
quement des « événements pré­
déterminés ».
La liste de ces derniers n’est pas
encore arrêtée : il pourrait s’agir,
notamment, de mouvements de
foule, d’objets suspects ou appa­
remment abandonnés.
Limitée dans le temps et dans
l’espace, cette expérimentation
serait soumise à autorisation du
préfet de police à Paris et, dans
les départements, à celle du pré­
fet. Pour la confection des algo­
rithmes, « la CNIL [Commission
nationale de l’informatique et
des libertés] devra accompagner
cette étape et évaluer le dispositif,
en particulier en ce qui concerne
la transparence dans l’apprentis­
sage des données », ont décidé
les sénateurs.
Quant au processus de sur­
veillance, il sera « placé sous un
contrôle humain constant, avec
la possibilité d’être interrompu à
tout instant ».
« Des dispositions retoquées »
De même, en matière d’obliga­
tion d’information, le préfet de
police sera destinataire d’un
compte rendu hebdomadaire
de l’usage de ces technologies,
comme la CNIL, une fois tous les
trois mois. Le public pourrait, en
revanche, être bien moins loti : le
projet de loi prévoit que, dans les
cas où cette information entre­
rait « en contradiction avec les
finalités poursuivies », les autori­
tés puissent se dispenser d’en
Limitée dans le
temps et l’espace,
l’expérimentation
serait soumise
à autorisation du
préfet de police
à Paris et, dans
les départements,
à celle du préfet
faire état. L’un des amende­
ments envisage toutefois de li­
miter les « cas dans lesquels le
droit d’information peut être
écarté » et préconise « l’organisa­
tion d’une information générale
du public sur l’emploi de traite­
ments algorithmiques ».
Encore à ses prémices, la dis­
cussion parlementaire sur la loi
JO 2024, en particulier son volet
sécuritaire, fournit un terrain
privilégié aux associations de vi­
gilance, qui entendent porter sur
la place publique un débat dont
l’opinion peine encore à se saisir.
Pour Noémie Levain, juriste au
sein de La Quadrature du Net,
une association de défense et de
promotion des droits et libertés
sur Internet à l’origine de la cam­
pagne « Technopolice », « ce fa­
meux article 7 offre au gouverne­
ment une occasion pour faire
passer des dispositions retoquées
dans chacune des lois sécuritaires
présentées au Parlement ces der­
nières années, de la loi “sécurité
globale” à la Lopmi [loi d’orienta­
tion et de programmation du
ministère de l’intérieur] ».
« Les JO ne sont qu’un prétexte »,
renchérit Noémie Levain, selon LES DIEUX GRECS ET ROMAINS
qui le projet de loi vise avant
tout à « légaliser un dispositif
qui a démontré son inefficacité
et manque de cadre juridique »,
une démarche « complètement
contraire à tout processus démo­
cratique, surtout dans des délais
aussi restreints pour un sujet
d’une telle ampleur ».
Le texte, qui sera débattu en
séance publique au Sénat à partir
du 24 janvier, prévoit notam­
TOUS LES SECRETS DES DIEUX DE LA GRÈCE
ment une prolongation d’expéri­
mentation jusqu’à la fin du mois
ET DE LA ROME ANTIQUE.
de juin 2025, soit dix mois après
la fin des Jeux olympiques et pa­
ralympiques, pour les « manifes­ UN HORS-SÉRIE 0123
tations sportives, récréatives ou CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
culturelles » exposées à des ris­ ET SUR LEMONDE.FR/BOUTIQUE
ques « d’actes de terrorisme ou 124 PAGES - 9,99 €
d’atteinte grave à la sécurité des
personnes ». p
antoine albertini
 0123
12 | france VENDREDI 20 JANVIER 2023

É D U C AT I O N
Un taux d’encadrement meilleur dans les lycées privés
Classement des lycées généraux parisiens selon la dotation horaire distribuée par l’Etat en 2021,
en nombre d’heures d’enseignement hebdomadaires par élève

Ces lycées parisiens

Lycée public Lycée privé sous contrat

Plus l’indicateur est élevé,

2 plus l’encadrement des élèves
et les conditions d’enseignement
1,8

privés surdotés par

sont favorables.
1,6 Saint-Jean-
de-Passy
1,4 Stanislas L’Ecole alsacienne Brassens
Gabriel-
Henri-IV Camille-Sée
1,2 Carnot Fauré

rapport au public 1

0,8

0,6

0,4
Les établissements privés de la capitale disposent de 0,2

plus d’heures d’enseignement, rapportées au nombre 0

d’élèves, dans les filières générales. En primaire et – Lycées recevant le moins

de dotation par élève
Dotation Lycées recevant le plus +
de dotation par élève
au collège, les taux d’encadrement sont moins bons Des lycées privés de plus petite taille Des classes moins chargées dans le privé

Nombre d’élèves Nombre d’élèves par classe

1 300 40 Moyenne : Public Privé

1 200
ENQUÊTE donné en plus au lycée est prélevé sur une
enveloppe globale qui va du primaire au se­ 1 100
35 34,2
condaire et qui est proportionnelle à celle du 1 000

P
aris offre un exemple, à
l’échelle d’une ville, des effets
de la coexistence de l’enseigne­
ment public et de l’enseigne­
ment privé sous contrat, réunis
sous la même bannière de
l’éducation nationale mais soumis à des
règles différentes. Les écarts de mixité
sociale, dans un environnement très concur­
rentiel, en sont la manifestation la plus
connue. Alors que, en transformant la plate­
forme Affelnet, le rectorat de Paris a réformé
en profondeur l’affectation des lycéens dans
les établissements publics, pour les obliger
à mélanger les élèves, les établissements
privés, très sélectifs, ont conservé leurs
propres procédures d’admission.
Le cloisonnement des deux systèmes abou­
tit à d’autres divergences, moins connues.
Le Monde a eu accès à une base de données
interne à l’éducation nationale, dont l’ana­
lyse révèle d’importants écarts en matière
d’allocation des financements de l’Etat au
sein des établissements, selon qu’ils appar­
tiennent au privé sous contrat ou au public.
Ces chiffres confidentiels – que Le Monde n’a
pu consulter que pour Paris – montrent que
les moyens d’enseignement par élève, attri­
bués par le rectorat, sont supérieurs dans les
lycées généraux privés de la capitale à ceux
de leurs homologues du public, à effectif
et composition sociale équivalents.
Parmi ces lycées bien dotés figurent les ins­
titutions privées très sélectives, dont les taux
de réussite et de mentions au baccalauréat
atteignent des sommets, comme Stanislas,
Saint­Jean­de­Passy, Jeannine­Manuel, Saint­
Michel­de­Picpus, ou encore l’Ecole alsa­
cienne. Un déséquilibre qui se répercute né­
cessairement à d’autres niveaux. Ce qui est
public par rapport à leurs effectifs respectifs.
Le Monde s’est concentré sur les 61 lycées
ne comportant que des séries générales – la
comparaison avec les voies technologiques
et professionnelles est également favorable
au privé, mais elle est plus difficile à analyser
car ces filières exigent des dotations en
heures plus élevées et très variables. Un indi­
cateur scruté de près par l’éducation natio­
nale donne une idée des moyens dont
dispose un établissement : le « H/E », soit le
nombre d’heures d’enseignement hebdo­
madaire divisé par le nombre d’élèves. Plus
il est élevé, plus l’encadrement et les condi­
tions d’enseignement sont favorables.
« C’EST ÉNORME »
En 2021, dernière année de disponibilité des
données, la moyenne est de 1,1 pour les
lycées généraux publics parisiens, contre 1,27
dans le privé. Pour comprendre les consé­
quences de cet écart à l’échelle d’un établisse­
ment, il faut regarder sa traduction dans
les dotations horaires globales. Connues
dans la communauté éducative sous le nom
de « DHG », ces enveloppes, que les direc­
tions reçoivent début janvier, sont un enjeu
majeur pour les équipes. Elles correspondent
au nombre d’heures (et, in fine, au nombre
de postes de professeurs) que l’éducation na­
tionale donne aux collèges et lycées pour as­
surer les enseignements obligatoires, propo­
ser plus ou moins de spécialités en lycée,
créer des options, mettre en place des heures
de soutien ou des cours en demi­groupe.
Pour un lycée de 500 élèves, un établisse­
ment avec un H/E de 1,27 aura quatre­vingt­
cinq heures hebdomadaires de plus qu’un
autre avec un H/E de 1,1. « C’est énorme, réagit
un proviseur parisien qui a souhaité rester
900
800
700
600
500
400
300
200
100
0 0
– +
Dotation
anonyme. Avec cinq heures, j’ajoute une heure
LE RECTORAT  de français, de maths, ou de n’importe quelle
DE PARIS PRÉCISE  autre discipline à mes cinq classes de 2de. Avec
sept heures et demie, je peux créer une option
QUE LES DOTATIONS  langue ou théâtre pour tout le lycée. Avec une
trentaine d’heures, j’ouvre une classe de plus. »
DÉPENDENT DU  Selon le rectorat de Paris et le secrétariat
général de l’Enseignement catholique,
NOMBRE DE CLASSES  premier des trois réseaux du privé parisien,
OUVERTES : OR ELLES  qui représente 80 % des établissements
privés sous contrat de la capitale, cet écart
SONT SOUVENT PLUS  s’explique avant tout par la taille des établis­
sements. Le H/E augmente mécanique­
NOMBREUSES DANS  ment lorsque les effectifs sont plus faibles
LE PRIVÉ, À EFFECTIF  – ce qui explique que des lycées confession­
nels juifs de très petite taille se retrouvent
TOTAL ÉGAL en tête des lycées les mieux dotés. Or sur
les 32 lycées généraux parisiens de moins
de 500 élèves, seuls deux sont publics. L’un
d’entre eux, le lycée Georges­Brassens, a le
H/E le plus élevé des lycées généraux
30 29,7
25
20
15
10
5
– +
Dotation
publics à Paris – ses effectifs seront transfé­
rés à la rentrée 2023 au lycée Bergson.
« D’une manière générale, nos établisse­
ments sont plus petits. Un gros lycée pour
nous, c’est un petit lycée pour le public », indi­
que Yann Diraison, le directeur général
adjoint de l’Enseignement catholique.
DÉSÉQUILIBRES
Mais la taille n’explique pas tout. Nos
comparaisons montrent que les mêmes
écarts sont systématiquement constatés à
effectifs égaux. L’offre de spécialités et de
sections linguistiques (très étoffée dans
le public à Paris) ne justifie pas non plus
des différentiels qui dépassent parfois la
centaine d’heures. C’est le cas, entre autres,
pour l’Ecole alsacienne, établissement privé
laïque du 6e arrondissement – les enfants
du ministre de l’éducation nationale, Pap
Ndiaye, y sont scolarisés au collège –, qui

En Ile­de­France, la dotation globale de fonctionnement en baisse

La région pousse les établissements à puiser dans leurs réserves, et certains lycées publics ont vu leur financement chuter

P as de vidéoprojecteurs
ni d’écran roulant dans
la salle de travail pour le
lycée technologique de Bessières
(17e arrondissement de Paris),
qui a vu sa dotation globale
de fonctionnement plonger à
156 263 euros, alors qu’elle était de
303 283 euros en 2022. Même
constat au lycée Van Dongen,
à Lagny­sur­Marne (Seine­et­
Marne), dont le budget 2023 a
été amputé de moitié. « Nous
voulions changer deux fours qui
sont déjà dysfonctionnels. S’ils
tombent en panne, ce sera repas
froid jusqu’à la fin de l’année »,
ironise Blandine Vidal­Naquet,
élue du conseil d’administration.
La dotation globale de fonction­
nement des lycées (DGFL), qui
sert à financer les équipements
mais aussi les activités pédagogi­
ques des établissements publics,
est calculée en fonction du nom­
bre d’élèves, de l’offre de forma­
tion et de la surface de l’établisse­
ment. Elle était, jusqu’en 2022,
attribuée sous forme de « forfait ».
Or, pour le budget 2023, « la région
a estimé que les lycées qui ont des
fonds de roulement – qui servent
en cas d’imprévus – dont les mon­
tants étaient supérieurs à plus de
trois mois de dépenses de fonc­
tionnement seraient écrêtés »,
explique Jean­François Gay, res­
ponsable du FSU en Ile­de­France.
Un fonctionnement qui existe
déjà dans d’autres collectivités
territoriales, indique James
Chéron (UDI), vice­président de la
région Ile­de­France, chargé des
lycées, et qui aurait permis à la
collectivité de réaliser environ
17 millions d’euros d’économie.
Une décision prise « seulement
cette année », pour faire face à la
hausse des coûts de l’énergie
(électricité et gaz) payée directe­
ment par la région.
Pour James Chéron, rien n’a
changé, au contraire : les dota­
tions auraient même augmenté
pour prendre en compte l’infla­
tion et la crise énergétique. « Cela
ne veut pas dire qu’on donne
moins, ça veut dire que les moyens
qu’on attribue sont alloués en
tenant compte de l’état réel de
la trésorerie », souligne l’élu. Une
« hausse » des moyens que
Yannick Trigance, conseiller
régional et chargé des questions
d’éducation au Parti socialiste,
nuance : « Si les dépenses de fonc­
tionnement progressent, c’est
uniquement parce que les coûts
de l’énergie ont explosé, pas parce
que la région donne plus. »
« Absence totale de dialogue »
Un grand nombre de chefs d’éta­
blissement, eux, dénoncent une
décision totalement « opaque »
ainsi qu’un état des lieux des
fonds de roulement qui inter­
vient trop tôt dans l’année – du­
rant l’été –, alors que tous les
investissements n’ont pas encore
été planifiés. « Le principal
problème, c’est l’absence totale
de dialogue, déplore Bruno Bob­
kiewicz, proviseur de la cité sco­
laire Hector­Berlioz à Vincennes
(Val­de­Marne) et secrétaire géné­
ral du SNPDEN­UNSA. D’autant
que la région a considéré que l’ar­
gent dans les fonds de réserve lui
appartenait, alors que certains
établissements ont des recettes qui
leur sont propres, par exemple, via
la location des locaux. » Un man­
que de dialogue que M. Chéron
réfute. Il explique avoir entamé
des ajustements dans certains
établissements, au cas par cas.
Autre point de crispation, la do­
tation attribuée aux lycées privés.
La région donne de l’argent aux
établissements privés pour leur
fonctionnement – le forfait d’ex­
ternat. Et si, en 2023, la dotation
globale de fonctionnement pour
les lycées publics s’élève à
65,5 millions d’euros, elle est de
69 millions pour les lycées privés.
« Une inversion de la tendance,
puisqu’en 2022 la DGFL était de
73,6 millions et le forfait d’externat
de 69 millions, explique M. Tri­
gance. [La présidente (Les Répu­
blicains) d’Ile­de­France] Valérie
Pécresse a donc délibérément
choisi de favoriser l’enseignement
privé au détriment du public. »
« C’est totalement faux », répli­
que James Chéron, qui rappelle
que la DGFL ne prend en compte
qu’une partie des dépenses de
fonctionnement pour les lycées
publics. Seize millions d’euros
sont versés chaque année pour
les contrôles techniques et les
contrats d’entretien obligatoire
(sécurité incendie, installations
électriques…). « Finalement, en
ajoutant ces paramètres, il n’est
pas évident de conclure à une
différence entre public et privé »,
détaille Jean­François Gay. Il y
aurait même un « net » avantage
pour le public, explique M. Ché­
ron, qui invite « à comparer des
choses comparables » : le budget
réel voté pour les 474 lycées
publics d’Ile­de­France se rappro­
cherait plutôt de 407 millions
d’euros – rien que pour le fonc­
tionnement – bien loin de ce qui
est versé aux 218 lycées privés.
Néanmoins, quelques points
de tension persistent. Si la région
a bien l’obligation légale de parti­
ciper au « fonctionnement » des
lycées privés, au même titre que
pour les établissements publics,
rien ne la contraint, en revanche,
à leur verser de l’argent pour
l’investissement : rénovation,
agrandissement. Pourtant, « cette
année, environ 17 millions leur ont
été octroyés dans ce cadre, expli­
que Jean­François Gay. Si la région
veut faire des économies, pour­
quoi donner cet argent aux lycées
privés ? », s’insurge­t­il. Un choix
que la région assume, tout en
précisant que cela ne concerne
que des travaux visant la sécurité
et l’accessibilité des bâtiments. p
minh dréan
 0123
VENDREDI 20 JANVIER 2023
Des lycées privés mieux dotés malgré des indices de position sociale plus élevés que dans le public
Dotation horaire hebdomadaire par élève selon l’indice de position sociale de l’établissement
Lycée public Lycée privé sous contrat Nombre d’élèves
Dotation
horaire 1,9
par élève
1,8
1,7
1,6
1,5
1,4
1,3
1,2
Gabriel-Fauré
1,1
1 Stanislas
110 115 120 125 130
Lycées
Indice de position sociale
moins favorisés
Exemples des différences de dotations de l’Etat entre secteur public et secteur privé, en 2021
Lycée public Lycée privé sous contrat
Nombre Indice
d’élèves de position sociale
Ecole aslacienne 567 145,8
Gabriel-Fauré
577 120,2
Stanislas 909 147,4
Carnot 920 133,4
Saint-Jean-
de-Passy 498 151,9
Camille-Sée 501 130,9
Infographie : Le Monde Sources : Ministère de l’éducation nationale, APAE ; Le Monde
disposait en 2021 d’environ cent vingt heu­
res de plus que Lavoisier, lycée public du
5e arrondissement, pour un même nombre
d’élèves autour de 570. Sans compter que le
privé, subventionné à 73 % par de l’argent
public (Etat et collectivités), dispose de fonds
propres qui lui permettent de financer des
options supplémentaires.
Le rectorat de Paris précise que les dota­
tions dépendent du nombre de clas­
ses ouvertes : chacune de ces « divisions »
donne droit à un nombre d’heures précis,
et ce barème est le même pour le privé et le
public. Or elles sont souvent plus nombreu­
ses dans le privé, à effectif total égal – et donc
moins chargées. En 2021 dans les lycées
généraux parisiens, le nombre moyen d’élè­
ves par classe était ainsi de 29,7 dans le privé
et de 34,2 dans le public. La proportion de
classes à plus de 35 élèves était également
beaucoup plus faible dans le privé sous
contrat, 4 %, contre 35 % dans le public.
D’autres déséquilibres apparaissent lors­
que l’on compare les établissements en fonc­
tion de leur composition sociale. Dans le
public, l’analyse montre une corrélation
entre l’indice de position sociale (IPS), qui
détermine le profil d’un établissement, et
le niveau de dotation : les lycées les plus
défavorisés de Paris – qui n’apparaissent pas
dans nos graphiques car ils ont des filières
technologiques – sont les mieux dotés.
« Nous modulons les moyens en fonction de
l’IPS, en donnant plus de marge aux établisse­
ments défavorisés », assure le rectorat. Dans
la voie générale, Henri­IV, comme d’autres
lycées publics privilégiés, dispose ainsi d’un
H/E plus faible que Colbert, dont l’IPS est
en dessous de la moyenne nationale. Mais
avec un H/E de 1,18, ce dernier reste pourtant
derrière bon nombre de lycées privés très
privilégiés, dont Saint­Michel­de­Picpus
(1,19), l’école bilingue Jeannine­Manuel (1,25),
ou encore Saint­Jean­de­Passy (1,36).
L’analyse des données auxquelles Le Monde
a eu accès confirme pourtant des observa­
tions déjà tirées de l’étude des indices de posi­
tion sociale : si les établissements généraux
parisiens sont globalement favorisés, les
lycées privés le sont davantage. Ils accueillent
une population plus homogène et un nom­
bre de boursiers bien plus faible, y compris
dans les établissements d’élite. En 2021, le
lycée Stanislas a, par exemple, le même IPS
très élevé qu’Henri­IV, mais un public deux
fois moins hétérogène socialement, et un
taux de boursiers 13,5 fois inférieur – il est
pourtant proportionnellement mieux doté.
Comment justifier de telles distorsions
horaires alors que, dans les deux cas, les
1 265 1 000 600 200 74
Saint-Jean-de-Passy
Ecole alsacienne
Camille-Sée
Carnot
135 140 145 150 155
Lycées
plus favorisés
Dotation, nombre
d’heures par élève
par semaine
L’Ecole alsacienne, plus favorisée
1,24 socialement que le lycée
Gabriel-Fauré et scolarisant
une dizaine d’élèves de moins,
1,1 a environ soixante-dix heures
hebdomadaires de plus.
Avec 11 élèves de moins que le lycée
1,14 Carnot et une population plus
favorisée, le lycée Stanislas reçoit
1,08 une quarantaine d’heures
d’enseignement de plus.
1,36 Le lycée Saint-Jean-de-Passy, avec
le même nombre d’élèves que le
1,14 lycée Camille-Sée, a une centaine
d’heures de plus d’enseignement
par semaine.
dotations sont financées par des fonds
publics et attribuées selon les mêmes règles
par le rectorat de Paris ? Les enseignants et
chefs d’établissement, comme les responsa­
bles des réseaux d’enseignement privé que
nous avons contactés se sont étonnés, souli­
gnant des dotations à la baisse ces dernières
années. Pierre de Panafieu, directeur de
l’Ecole alsacienne, avance une explication
qui tient, selon lui, à la « spécificité » de
son établissement : « Deux lycées publics, et
même deux lycées de l’enseignement catholi­
que peuvent se partager des options, des lan­
gues, des spécialités. Nous ne pouvons pas car
nous fonctionnons de manière autonome. »
« Je n’ai pas l’impression que les H/E soient
insultants dans nos établissements, et le recto­
rat ne nous fait pas de cadeau sur les moyens,
renchérit Jean­François Canteneur, directeur
de l’Enseignement catholique du diocèse
de Paris. Mais je ne peux pas comparer avec
le public car je n’ai aucune idée de la manière
dont ils sont dotés. »
« IMPÉRATIFS D’ATTRACTIVITÉ »
Interrogé, le recteur de Paris, Christophe
Kerrero, reste évasif sur les écarts de dota­
tions entre lycées généraux et sur le fait que
des lycées privés sélectifs et socialement
privilégiés se trouvent mieux lotis que des
établissements publics qui le sont moins,
à rebours de la logique de distribution des
moyens et de la politique en faveur de la
mixité menée dans le public. Mais il certifie
que les deux enveloppes budgétaires sont
« strictement paritaires », et que la raison est à
chercher du côté de la spécificité de gestion
de l’enseignement privé.
De fait, les financements du privé et du
public relèvent de circuits, de services et de
logiques différents à tous les échelons. Au
niveau du ministère de l’éducation natio­
nale, les moyens du public sont aux mains
de la direction générale de l’enseignement
scolaire (Dgesco), mais c’est la direction des
affaires financières (DAF) qui gère et distri­
bue les moyens du privé dans les académies.
Contactée, elle explique procéder à la réparti­
tion avec des critères similaires à ceux de la
Dgesco, mais à l’échelle du seul environne­
ment du privé. Pour Paris, académie très
favorisée socialement, il en résulte une sous­
dotation au regard de sa démographie,
précise la DAF.
D’autres particularités viennent s’ajouter,
qui différencient encore les processus d’allo­
cation des moyens. La première tient à l’archi­
tecture du budget de l’Etat, qui octroie à l’en­
seignement public deux enveloppes distinc­
tes, l’une pour les écoles, l’autre pour les collè­
L’ENSEIGNEMENT PRIVÉ,  du gouvernement
CONTRAIREMENT AU 
PUBLIC, A LA SOUPLESSE  destinées aux classes moyennes
DE DÉFINIR SES PROPRES 
ÉQUILIBRES 
DE FINANCEMENT 
ENTRE LE PREMIER 
ET LE SECOND DEGRÉ
ges et lycées, tandis que le privé se voit doter
d’un portefeuille unique réunissant tous les
financements du primaire et du secondaire.
La seconde réside dans la forte participation
des réseaux d’enseignement privé, notam­
ment catholique, à la répartition de leurs
dotations, avec la DAF au niveau national et
avec les autorités rectorales au niveau acadé­
mique. Des détails qui n’en sont pas, puis­
qu’ils laissent à l’enseignement privé la sou­
plesse de définir ses propres équilibres entre
les degrés, et de demander, par exemple, à
basculer des fonds du premier vers le second.
Il en découle la possibilité pour les respon­
sables de l’enseignement privé de proposer
des arbitrages différents de ceux du public.
« Des choix sont faits au niveau des chefs de
réseau [catholique, laïque et juif], explique
Claire Mazeron, directrice académique des
services de l’éducation nationale (Dasen)
chargée des lycées à Paris. Quand on discute
avec eux sur les ouvertures ou les fermetures
de classes, on voit que, souvent, le choix est
fait de privilégier le lycée général. A Paris, les
taux d’encadrement sont, à l’inverse, beau­
coup moins favorables dans le premier degré
et au collège dans l’enseignement privé que
dans le public. » Selon plusieurs sources, les
chefs d’établissement du privé – souvent à
la tête d’un groupe scolaire qui réunit collège
et lycée – disposent également d’une sou­
plesse plus importante pour répartir leurs
moyens. Le Monde n’a pas pu se procurer ces
chiffres, mais la DAF confirme que si le H/E
est plus favorable au privé en lycée en 2021,
la tendance s’inverse en prenant en compte
le collège, où les classes sont beaucoup plus
chargées dans le privé.
Une concentration intentionnelle des
moyens sur le lycée alors que la politique du
ministère donne la « priorité au primaire » ?
Yann Diraison, du secrétariat général de
l’Enseignement catholique, admet que « des
choix liés aux impératifs d’attractivité des
lycées peuvent être faits localement ». Cet
impératif est d’autant plus prégnant dans
la capitale que la concurrence scolaire y
est portée à son paroxysme, notamment
au lycée. « Si vous ne proposez pas un mini­
mum de langues et de spécialités, votre lycée
est en danger », précise­t­il, sans pouvoir dire
ce qu’il en est sur Paris. Les responsables
de réseaux privés parisiens, et notamment
le diocèse, eux, n’ont pas confirmé.
« En termes de business model, la démarche
se comprend : c’est le lycée qui fait la réputa­
tion d’un groupe scolaire, par ses résultats au
bac et son taux de mentions », analyse Julien
Grenet, chercheur à l’Ecole d’économie de
Paris chargé du suivi de la réforme d’Affelnet.
Pour le chercheur, se pose la question de
l’égal accès des élèves à une ressource publi­
que : « Non seulement les établissements
privés écrèment leurs effectifs en ne sélection­
nant que des élèves performants, mais en plus,
ils disposent de plus de flexibilité dans la
gestion des moyens. »
Cependant, la responsabilité de la gestion et
de la distribution des moyens revient en der­
nier lieu au rectorat, seul à même d’autoriser
une ouverture de classe dans le privé sous
contrat et d’attribuer les « DHG ». Tous nos in­
terlocuteurs dans le privé, chefs de réseau ou
chefs d’établissement, nous ont d’ailleurs
renvoyés à leurs « discussions » avec les auto­
rités académiques concernant les dotations.
« Les réseaux privés font leur choix en fonc­
tion de leurs priorités, ils ont ce droit », répond
M. Kerrero, assurant surtout veiller à ce qu’ils
soient « en conformité avec la politique aca­
démique » en ne fermant ni section profes­
sionnelle ni section technologique – ou en
n’ouvrant pas de classes de 2de supplémentai­
res quand, en face, le public en ferme. « Cha­
que recteur dispose d’une souplesse dans l’at­
tribution des moyens et chacun d’entre eux
peut subir des pressions, assure Franck Pécot,
responsable du SNEP­UNSA, un syndicat des
personnels de l’enseignement privé. Une
chose est sûre : l’académie de Paris est l’une
des moins transparentes sur le sujet. » p
romain imbach,
sylvie lecherbonnier,
violaine morin,
eléa pommiers
et manon romain
Bourses étudiantes : les
pistes de revalorisation
« Le Monde » a eu connaissance de mesures
L e calendrier de la réforme
des retraites est­il venu
heurter celui de la réforme
des bourses étudiantes ? Prévus
pour le mois de janvier, les pre­
miers arbitrages de la ministre de
l’enseignement supérieur pour la
rentrée 2023 ne seront finale­
ment connus qu’« en février », in­
dique l’entourage de Sylvie Re­
tailleau, interrogé par Le Monde.
D’autres décisions doivent suivre
d’ici à l’été, pour une « réforme
structurelle » à horizon 2024 voire
2025, selon le déroulé initial.
Impatientes, les organisations
représentatives étudiantes s’éton­
nent de n’avoir reçu en ce début
d’année « aucune nouvelle des ré­
sultats de la concertation menée
depuis octobre [2022] », rapporte
Imane Ouelhadj, présidente de
l’UNEF. « Si les annonces se fai­
saient comme prévu, sans doute y
aurait­il un risque d’embrasement
du conflit social provoqué par la
réforme des retraites ? », suppute
Eléonore Schmitt, secrétaire na­
tionale de L’Alternative.
D’après un document interne
que Le Monde s’est procuré, issu
des concertations menées depuis
l’automne par l’universitaire
Jean­Michel Jolion, un scénario
est pourtant déjà prêt pour la ren­
trée 2023, qui consiste en un dé­
poussiérage du système d’alloca­
tion actuel. Il lui reste à obtenir
la validation de Matignon, qui
aura vraisemblablement préféré
jouer la prudence, selon nos
sources, en retardant sa diffusion
aux représentants étudiants.
Dans cette synthèse, le minis­
tère acte que le nombre de bour­
siers sur critères sociaux a récem­
ment connu « de fortes baisses »,
chiffrées à « moins 20 000 entre
2020 et 2021 et moins 50 000 entre
2021 et 2022 ». « A réglementation
constante, on estime à 8 % le nom­
bre de boursiers en 2020­2021 qui
ne seront plus éligibles aux bourses
pour l’année universitaire 2024­
2025, soit une nouvelle baisse de
60 000 bénéficiaires », souligne le
document ministériel.
En cause : l’absence d’actualisa­
tion, depuis 2013, du barème de
référence des ressources des pa­
rents, ce qui fait que les bourses
manquent en partie leur cible en
excluant toute une population
issue des classes moyennes, pour­
tant touchée de plein fouet par la
crise sanitaire et par l’inflation.
« Réforme paramétrique »
En revalorisant de 13,9 % le ba­
rème de référence des ressources
des parents de façon à le mettre en
conformité avec la revalorisation
du smic intervenue entre 2011 et
2021, le ministère estime à 10 % le
nombre de boursiers supplémen­
taires (+ 71 000) à la rentrée 2023.
De plus, 40 % des bénéficiaires
actuels (288 000) passeraient à
l’échelon supérieur. Allié à une
« linéarisation » des huit échelons
de bourses existants, de façon à
« moduler leur montant en fonc­
tion de la situation réelle de l’étu­
diant », le projet permettrait à
662 000 boursiers (92 % du total)
de voir leurs bourses progresser
de 10 % en moyenne. Le coût de
ces mesures est évalué à 229 mil­
lions d’euros en 2023, et à 572 mil­
lions d’euros en année pleine,
sans que le document précise
comment le ministère compte
les financer. Au ministère, on se
Les syndicats
aspirent à la
création urgente
d’un véritable
revenu universel
« d’autonomie »
france | 13
En revalorisant
le barème des
ressources, le
ministère estime
à 10 % le nombre
de boursiers
supplémentaires
à la rentrée 2023
refuse à commenter ce document
en indiquant que deux scénarios
sont encore à l’étude.
Ces propositions, encore incon­
nues des organisations étudian­
tes, font néanmoins partie
des hypothèses avancées depuis
l’automne par Jean­Michel Jolion.
Elles sont jugées de pure forme
par les syndicats, qui aspirent à
la création urgente d’un véritable
revenu universel « d’autono­
mie », qui décorrélerait la situa­
tion de l’étudiant des revenus
touchés par ses parents l’année
N­2. La réforme de ce système d’al­
location avait été promise par
Emmanuel Macron dès 2017, sans
jamais voir le jour, malgré des an­
nonces régulièrement réitérées.
A l’heure actuelle, près d’un tiers
des bénéficiaires sont à l’échelon
zéro, qui leur octroie environ
1 000 euros par an. L’échelon 7, le
plus élevé, concerne moins de 8 %
des étudiants pour une somme
annuelle de quelque 6 000 euros.
Face à la précarité grandissante
parmi les étudiants – dont
un quart sont enfants d’ouvriers
et d’employés –, « la situation est
loin d’être parfaite », reconnaît­on
volontiers au ministère. A la fin
du mois de novembre 2022, Sylvie
Retailleau avait annoncé une aide
exceptionnelle de 10 millions
d’euros destinée à soutenir les as­
sociations qui agissent en faveur
des étudiants les plus précaires.
A la Fédération des associations
générales étudiantes (FAGE), la pa­
tience n’est plus de mise. « On en a
assez de tenir des épiceries solidai­
res, chaque année plus nombreu­
ses, qui de surcroît mettent en péril
les études des camarades qui les
gèrent, s’emporte Félix Sosso, son
porte­parole. On en a assez aussi
de pallier la pénurie de logements
étudiants, en venant en aide à ceux
qui n’ont nulle part où aller, car
l’Etat ne fait pas son boulot. » Seu­
les 36 000 nouvelles places ont
été proposées entre 2018 et 2022,
contre les 60 000 annoncées lors
du précédent quinquennat.
« Il ne peut plus être question de
s’en tenir à une réforme paramé­
trique », prévient Félix Sosso.
A l’instar des autres syndicats,
les instances de la FAGE ont voté
« à l’unanimité » pour la création
d’un revenu universel étudiant,
sur le modèle danois, allouant
une somme mensuelle de
800 euros pour les étudiants qui
ne vivent plus chez leurs parents,
et de 400 euros pour ceux qui
habitent encore avec eux, ce sys­
tème mettant fin à la demi­part
fiscale déclarée par les parents.
Dimanche 15 janvier, l’ensemble
des organisations étudiantes, tou­
tes tendances confondues, se sont
réunies à l’université Paris­XIII
pour constituer une « coordina­
tion nationale » et « élaborer un
plan de bataille unitaire » contre
le projet de report de l’âge légal
de départ à la retraite à 64 ans et
le passage à quarante­trois ans de
cotisations. Après plusieurs distri­
butions de tracts dans des univer­
sités, Eléonore Schmitt assure que
« l’idée est dans toutes les têtes que
les jeunes sont aussi attaqués par
la réforme des retraites. En résumé :
étudiants, travailleurs puis retrai­
tés, toujours dans la précarité ». p
soazig le nevé
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
14 |
En France, un nouveau tourisme post­Covid
L’année 2022 a vu une hausse des séjours locaux et nature, le retour des étrangers et l’inflation dans l’hôtellerie
A
près deux années de
pandémie de Covid­19
qui ont bouleversé le
secteur, 2022 a été celle
du retour à la normale pour le
monde du tourisme. La reprise de
l’activité est confirmée, même si
les principaux indicateurs obser­
vés au niveau national (nombre
de visiteurs, taux d’occupation
des chambres d’hôtel, nombre de
passagers dans les aéroports…)
restent inférieurs à ceux qui
avaient été constatés en 2019, an­
née de référence avant la crise sa­
nitaire. Les recettes touristiques
devraient tout de même atteindre
50 milliards d’euros en 2022.
Parmi les grands gagnants figu­
rent les campings. Pendant l’été, ils
ont enregistré des fréquentations
record (+ 7,5 % par rapport à 2019).
Envie de nature relancée depuis
les confinements de 2020­2021,
budgets plus serrés, regain du tou­
risme de proximité : l’« hôtellerie
de plein air » attire aussi une nou­
velle clientèle car elle monte en
gamme, avec de plus en plus d’hé­
bergements en dur, des piscines
toujours plus pharaoniques…
Les parcs d’attractions, autre
forme de tourisme de proximité,
ont également cartonné tout au
long de l’année. En Ile­de­France,
Aventure Floréval et Winnoland
ont connu des hausses de fréquen­
tation de 27 % et 29 % par rapport à
2019, selon le bilan du comité ré­
gional du tourisme (CRT). En Loir­
et­Cher, les pandas du zoo de Beau­
val n’ont jamais été observés par
autant de monde : le site et ses hô­
tels ont accueilli deux millions de
visiteurs sur l’année 2022 (+ 25 %
par rapport à 2019). Du jamais­vu.
Les parcs de loisirs de la Compa­
gnie des Alpes (Parc Astérix, Futu­
roscope…) enregistrent des per­
formances exceptionnelles, avec
dix millions de visiteurs, soit 6 %
de plus qu’avant la pandémie. Et
même si le prix des billets a beau­
coup augmenté, les touristes dé­
pensent encore plus que d’habi­
tude lors de leur passage, note la
Compagnie des Alpes.
A contrario, les principaux mo­
numents parisiens se sont désen­
Quasi-retour à la normale en Europe
La fréquentation touristique dans l’Union européenne (UE)
en 2022 a été proche des niveaux prépandémie, a indiqué,
mercredi 18 janvier, Eurostat, confirmant la trajectoire de redres-
sement du secteur après l’épidémie de Covid-19. Le nombre
total de nuits passées par des clients dans les différents types
d’hébergements touristiques des vingt-sept pays membres de
l’UE sur l’année est de 2,72 milliards, soit un recul de 5,6 % par
rapport aux niveaux de 2019.
L’essor des cabanes dans les arbres suspendu à de nouvelles règles
Ces hébergements touristiques en vogue doivent appliquer de nouvelles normes thermiques qui pourraient faire grimper leurs prix
C’ est une cabane perchée
dans une forêt de
l’Oise. On y accède par
un escalier, puis un pont de singe.
Rien de très rustique là­dedans,
on est plutôt dans le super­con­
fort, avec chauffage, électricité et
terrasse panoramique. À l’exté­
rieur, un « bain nordique », sorte
de baquet d’eau chaude, permet
de se prélasser au sommet des ar­
bres. Ce nid douillet, proposé à la
location par l’entreprise Coucoo,
affiche déjà complet pour tous
les week­ends jusqu’à l’été.
Sur pilotis, dans les arbres ou au
sol, recouvertes de végétation ou
de tuiles de bois, les cabanes, et
plus généralement tous les héber­
gements insolites – tiny houses
(micromaisons), bulles, dômes
transparents… – connaissent un
vif engouement. On en compte
plus de 6 000 à louer dans des
Au col du
Lautaret, dans
les Hautes­
Alpes, le
4 octobre 2022.
THIBAUT DURAND
gorgés en 2022, notamment en
raison de l’absence de la clientèle
asiatique. Le Musée du Louvre a
compté 20 % de visiteurs de moins
qu’en 2019. Versailles a vendu 17 %
de billets en moins. Avec un tiers
de pèlerins en moins par rapport à
l’avant­pandémie, Lourdes, elle,
respire. Mais dans la ville, de nom­
breux établissements hôteliers se
trouvent en difficulté.
Au niveau national, les taux d’oc­
cupation dans les hôtels ne sont
pas revenus à leurs niveaux de
2019 (– 4,4 points, selon le bilan an­
campings, des forêts ou chez des
particuliers. Une hausse de 72 %
en seulement deux ans, selon les
chiffres de l’Observatoire de l’inso­
lite publiés en septembre 2022 par
Unic Stay et le cabinet Alliances.
Le marché est estimé à 260 mil­
lions d’euros. Cette croissance se­
ra­t­elle entravée par une nouvelle
réglementation ? Depuis le 1er jan­
vier, la « RE2020 », qui s’applique
dans le domaine de la construc­
tion, concerne cabanes et structu­
res entrant dans la catégorie des
« habitations légères de loisirs »,
en version adaptée et progressive.
Les nouvelles cabanes devront
appliquer des normes plus con­
traignantes (murs, planchers et
toits plus épais, menuiseries ren­
forcées…), afin d’améliorer leur
performance énergétique. « Les
surcoûts imposés par la réglemen­
tation sont raisonnables et propor­
nuel du cabinet MKG). Il faut dire
que les prix des chambres ont
beaucoup augmenté (+ 14 % de­
puis 2019), plus vite que l’inflation.
L’hôtellerie de luxe détient la
palme des plus fortes augmenta­
tions des tarifs (+ 23 %), portée par
une clientèle peu sensible aux
prix. Dans ce secteur, le revenu par
chambre s’est envolé ; les projets
d’ouvertures se multiplient.
Raccourcissement des séjours
L’hôtellerie a aussi repris des cou­
leurs grâce au retour de la clientèle
internationale, en particulier
américaine et européenne. En re­
vanche, si le tourisme d’affaires a
redémarré, il reste à un niveau très
inférieur à celui d’avant la pandé­
mie. Et ce alors que les entreprises
réduisent, notamment pour des
raisons d’ordre environnemental,
leurs déplacements. En région Ile­
de­France, les salons profession­
nels enregistrent 1,3 million de vi­
siteurs en moins par rapport à
tionnés, et ne remettent pas en
cause la commercialisation de
leurs produits », assure le ministère
de l’environnement, lequel ajoute
que les exploitants vont aussi faire
des économies sur leurs factures
d’énergie. La profession voit les
choses très différemment.
« Avec cette nouvelle norme, les
coûts de fabrication des cabanes
vont bondir de 30 % à 50 %. Nous
devrons répercuter cela dans nos
prix. Ceux­ci sont déjà élevés, alors
si nous devons encore les augmen­
ter… Notre développement est com­
promis », s’alarme ainsi Michel
Durrieu, le directeur d’Huttopia,
l’un des gros acteurs de ce secteur.
Aujourd’hui, le prix moyen pour
une nuit dans une cabane est de
152 euros, selon l’Observatoire de
l’insolite. Curiosité administra­
tive : les mobil­homes, en plein dé­
veloppement, ne sont pas concer­
2019, selon le bilan du CRT. Face à
la concurrence d’autres formes
d’hébergement (campings, Air­
bnb…), les résidences de tourisme
connaissent aussi des difficultés.
Après avoir frôlé le crash en 2021,
Pierre & Vacances­Center Parcs
(PVCP), repris par des investis­
seurs britanniques, sort la tête de
l’eau. Le groupe se déleste de ses
résidences Pierre & Vacances les
moins rentables et mise surtout
sur la montée en gamme de ses
Center Parcs, avec de grosses réno­
vation. Un nouveau parc a ouvert
au printemps 2022 en Lot­et­Ga­
ronne, l’un des rares projets abou­
tis du groupe dans l’Hexagone.
L’année 2023 s’ouvre sur de
nombreuses incertitudes. L’infla­
tion se traduit par des coûts plus
élevés pour les établissements, qui
menacent en premier lieu les pe­
tits hôtels. De fortes tensions per­
sistent sur le recrutement : les ré­
munérations et les conditions de
travail peinent à attirer les candi­
nés car, supposés mobiles, ils n’en­
trent pas dans la catégorie des
« habitations légères de loisirs ».
Hekipia, société de construc­
tion de cabanes en bois qui em­
ploie 50 salariés, estime ainsi que
la nouvelle réglementation son­
nerait la disparition progressive
des cabanes, devenues moins
rentables… au profit des mobil­
homes, moins esthétiques et
gourmands en PVC, mais « qui,
eux, n’ont aucune contrainte »,
écrit le président de cette société.
Réformes complexes
Outre la question du coût de fa­
brication, les exploitants tentent
de démontrer que ces normes se­
raient, dans leur cas, absurdes.
Pas besoin de les isoler de la sorte,
proclament­ils en chœur. Leurs
arguments sont rodés : ces caba­
nes, du fait de leur petite taille,
L’incertitude
règne pour 2023,
avec des hausses
de coûts
qui menacent
en premier lieu
les petits hôtels
dats, en particulier les saisonniers.
La question du logement des sala­
riés dans les zones les plus touristi­
ques est de plus en plus délicate.
En outre, les Français sont partis
un peu moins en vacances hors
de leurs régions, et le nombre de
nuitées touristiques a tendance à
baisser depuis quelques mois, par
rapport aux années précédentes,
observe Atout France dans sa der­
nière note de conjoncture. Dans
son bilan de la saison estivale, l’or­
ganisme notait déjà que le con­
consomment peu d’énergie ; elles
ne sont pas occupées toute l’an­
née, comme un logement habi­
tuel ; le chauffage ne fonctionne
que ponctuellement au prin­
temps ou en automne ; très peu
sont climatisées ; elles sont faites
pour que les occupants vivent de­
hors, fenêtres ouvertes.
Cerise sur le gâteau : selon une
étude d’octobre 2022 menée par
le cabinet Carbone 4 pour le
compte de la Fédération de l’hô­
tellerie de plein air, sur l’ensem­
ble du cycle de vie, le surplus
d’émissions carbone lié à la fabri­
cation de ces cabanes renforcées
dépasserait le gain d’énergie es­
péré… « Les cabanes sont des habi­
tats légers, facilement démonta­
bles, qui se fondent dans le pay­
sage. Tous ces aspects­là pour­
raient être compromis », estime
Nicolas Dayot, le président de la
0123
VENDREDI 20 JANVIER 2023
texte global avait entraîné un rac­
courcissement des séjours et de
nouveaux arbitrages budgétaires,
avec par exemple une réduction
des dépenses de restauration.
En Occitanie, les fréquentations
ont été bonnes en 2022, notam­
ment au pont du Gard, à Carcas­
sonne ou à la Cité de l’espace (Tou­
louse), explique Jean Pinard. Mais
le directeur du CRT de la région se
demande si l’été, marqué par les
conséquences très visibles du ré­
chauffement climatique, ne va pas
détourner les touristes de sa ré­
gion, soumise aux fortes chaleurs.
Lui parie surtout sur la crois­
sance de la clientèle locale, dont
celle qui ne part pas en vacances.
« Les gens résistent car ils ne veulent
pas rogner sur leurs vacances. Mais
à un moment, au niveau du porte­
feuille, ça va coincer », dit­il. Selon
les statistiques d’Atout France,
44 % des Français ne sont pas par­
tis en vacances durant l’été 2022. p
jessica gourdon
Fédération française de l’hôtelle­
rie de plein air. Le débat illustre
ainsi la complexité de la mise en
place des réformes environne­
mentales, même dans un secteur
qui se pare d’une image « écolo ».
« On ne peut pas appliquer les mê­
mes normes pour tous. Il vaut
mieux réfléchir aux impacts et aux
usages, secteur par secteur », juge
Gaspard de Moustier, le fondateur
de Coucoo. Lui s’est lancé dans le
business des cabanes en bois
en 2009, à 23 ans. Avec 104 cabanes
sur cinq sites, il est aujourd’hui
l’un des leaders de la filière, avec
des modèles de luxe pouvant aller
jusqu’à 350 euros la nuit. A la fin
du mois de janvier, les représen­
tants de la profession vont enga­
ger des négociations avec le minis­
tère de l’environnement, afin de
trouver un terrain d’entente. p
je. go.
0123
VENDREDI 20 JANVIER 2023 économie & entreprise | 15

Le code­barres poussé vers la sortie par le QR code

Avec les nouveaux usages de consommation, l’European Article Numbering sera progressivement remplacé

I
l déclenche plus de 10 mil­
liards de bips par jour dans le
monde aux caisses des ma­
gasins. Plus de 1 milliard de
références de produits en portent
un. Symbole du développement
de la consommation de masse,
le code­barres – scanné en caisse
pour la première fois en juin 1974
avec un paquet de chewing­gum
Wrigley’s – est aujourd’hui poussé
vers la sortie par l’évolution des
modes de consommation.
Son remplaçant qui s’échauffe
sur le banc de touche ? Le QR code
ou Quick Response Code (« code à
réponse rapide »), ce carré com­
posé de petits pictogram­
mes noir et blanc avec lequel se
sont familiarisés les Français
pendant la crise liée au Covid­19,
qui permettait d’afficher son
passe sanitaire ou d’accéder aux
menus des restaurants.
Pour faciliter la circulation des
biens de consommation, 273 en­
treprises (distributeurs, indus­
triels de l’agroalimentaire…) ont
défini, le 3 avril 1973, le code­bar­
res comme système d’échange
d’informations standardisées,
créant, pour le gérer, une organi­
sation internationale à but non
lucratif gouvernée par ses utilisa­
teurs dans le monde, GS1.
Aujourd’hui, en France, quelque
57 000 entreprises – 2 millions
dans le monde dans 25 secteurs –
adhèrent à cette fédération, qui
couvre 150 pays. Leur objectif :
utiliser un langage commun re­
connu mondialement sur l’en­
semble des circuits du commerce
international.
Egalement appelé code Euro­
pean Article Numbering (EAN), le
code­barres est avant tout un
moyen de capturer l’information
contenue dans les 13 chiffres ins­
crits au­dessous, qui constituent
le numéro d’identification d’un
produit, sa carte d’identité. Les
premiers numéros représentent
le préfixe attribué à une entre­
prise, qui personnalise elle­
même les chiffres suivant pour
chaque référence de produit.
« Un code­barres unique identifie
un produit donné », résume ainsi
Renaud de Barbuat, le président
de GS1 Monde.
Des limites
Mais cette nomenclature a mon­
tré ses limites, en France, lors de
l’affaire Lactalis, en décem­
bre 2017, où des lots de poudre de
lait infantile avaient été contami­
nés à la salmonelle, provoquant
la contamination de 38 nourris­
sons. La procédure de rappel mise
en place par le groupe avait été
chaotique, certaines boîtes
avaient continué à être vendues
en magasin. Impossible, alors,
avec le code­barres de bloquer
automatiquement en caisse les
mauvaises boîtes de lait en pou­
dre, dont la liste s’allongeait de
jour en jour.
Les grandes surfaces avaient fini
par retirer de la vente l’ensemble
des produits des marques concer­
nées. Une commission d’enquête
parlementaire chargée de tirer les
enseignements de cette affaire
conclura, six mois plus tard, qu’« il
n’existe pas de système satisfai­
Les nombreuses
vies d’un produit
nécessitent
de pouvoir
compléter
les informations
de sa carte
d’identité
sant, dans la mesure où l’on ne dis­
pose que d’un code EAN à 13 chif­
fres, qui définit seulement la réfé­
rence et donne le prix », et que « la
mise en place d’un QR code ou l’al­
longement du code­barres au­delà
de 13 chiffres serait plus efficace ».
Calibré à l’origine pour des pro­
duits neufs sortis d’usine, le co­
de­barres trouve aussi ses limites
avec le développement des nou­
veaux usages de consommation :
revente, réparation, recondition­
nement, location… les nombreu­
ses vies d’un produit nécessitent
de pouvoir compléter les infor­
mations de sa carte d’identité.
Ou le développement du vrac et
des ventes à la coupe (fromage­
rie, boucherie, charcuterie, pois­
sonnerie), dépourvus actuelle­
ment de toute information (la
date de péremption, le numéro
de lot du produit…).
Au sein de GS1, les entreprises
travaillent, depuis quelques an­
nées, sur le successeur du code­
barres, avec un double objectif :
en caisse, que le symbole puisse
continuer à révéler son prix une
fois scanné ; à la maison, qu’il
permette aux consommateurs, à
l’aide de leur smartphone, d’obte­
nir une multitude d’informa­
tions, comme le numéro de lot en
cas de rappel de produits, sa date
de péremption, ou l’origine de ses
ingrédients. « On pourrait même
parvenir à savoir si son télé­
phone a déjà été reconditionné,
quand, et d’où vient sa batterie »,
fait remarquer Didier Veloso, pré­
sident de GS1 France.
Cette modernisation de l’éti­
quette nécessitera des change­
ments dans les magasins. En
caisse, par exemple, « il faudra,
dans certains cas, remplacer le
matériel et, dans d’autres, unique­
ment le logiciel. Les distributeurs
visent 2027 pour que toutes leurs
machines de caisse puissent lire le
QR code. Mais on aura, pendant
un certain temps, les deux systè­
mes qui cohabitent », précise
M. Veloso.
Premiers tests
Les premiers tests d’utilisation
auprès du grand public ont
commencé dans certains pays,
en 2022. « La chaîne de supermar­
ché Woolworths, numéro un en
Australie, a apposé des QR codes
sur les produits préemballés de ses
rayons traiteur sur la volaille et la
viande, ce qui leur a permis de ré­
duire de 40 % le gaspillage avec un
système de démarque dynami­
que », rapporte M. de Barbuat.
En caisse, ces produits proches
de leur date de péremption béné­
ficient automatiquement d’une
réduction de prix, sans que la
caissière ait besoin d’appliquer
manuellement un rabais indiqué
sur un autocollant. « En France,
Grand Frais est la première ensei­
gne à avoir commencé à mettre
en place des QR codes sur les pro­
duits de sa propre marque », indi­
que M. Veloso.
Au Danemark, pour promou­
voir la revente de ses vêtements,
la marque Samsoe a lancé, en
juin 2022, une collection spé­
ciale portant un resell tag, un QR
code imprimé sur l’étiquette en
tissu du vêtement. Quand on le
scanne, toutes ses caractéristi­
ques (taille, couleur, matière…)
sont automatiquement retrans­
crites dans une annonce permet­
tant la revente en ligne sur
les places de marché d’Insta­
gram et de Facebook.
De son côté, Ikea s’en sert pour
les produits d’occasion. « Dans
nos magasins les plus petits, où
nous n’avons pas la place de
consacrer un espace aux produits
de seconde vie, nous avons mis un
QR code sur les modèles d’exposi­
tion, que les gens peuvent flasher
pour voir s’ils sont disponibles en
achat d’occasion », explique Johan
Laurell, président d’IKEA France.
Ce rajeunissement du système
d’étiquetage pourrait être accé­
léré par un projet de réglementa­
tion européen visant l’introduc­
tion progressive d’un passeport
numérique pour les produits
pour quatre secteurs en particu­
lier (textile, électronique, batte­
ries automobiles, cosmétiques).
« Demain, on passera du statique
au dynamique, en rentrant des in­
LES DATES
1973
Le code-barres est défini comme
système d’échange d’informa-
tions standardisées par
273 entreprises dans le monde.
1994
Création du QR code, ou « code
à réponse rapide », par Masahiro
Hara, un ingénieur de l’entre-
prise japonaise Denso-Wave.
2027
A cette date, toutes les machines
de caisse en magasin devraient
pouvoir lire les QR code,
selon l’objectif fixé par les
distributeurs.
formations dans un registre en
cours de vie du produit », explique
M. de Barbuat.
Soumis à plusieurs mois de dis­
cussion entre les Etats membres,
ces textes ne signeront pas pour
autant l’arrêt de mort du code­
barres dans le monde. « Certaines
économies sont encore en plein dé­
veloppement, et le code­barres
classique va continuer à y être uti­
lisé », selon M. de Barbuat, qui cite
en exemple l’Inde, où « la distribu­
tion structurée ne représente en­
core que 10 % du marché ». p
cécile prudhomme

É LE CTR I CI T É
Stocks de gaz : de l’urgence TotalEnergies prêt
à un « rabais » sur les
à remplir au délestage contrats avec des PME

LE SALON DES
Le patron de TotalEnergies,
Patrick Pouyanné, s’est dit
prêt, dans une interview à

C’ est à y perdre son latin. Pendant des mois, il a fallu les

remplir coûte que coûte, au plus vite, afin de pallier
l’arrêt de l’approvisionnement en gaz russe.
Aujourd’hui, alors que cette mission est accomplie, que les stocks
souterrains de gaz français avoisinent des taux de remplissage
la chaîne BFM Business, mer­
credi 18 janvier, à « faire un
rabais » sur les contrats de
fourniture d’électricité con­
clus en 2022 au prix fort avec
MASTERS & MS
de 79 % (et de 81 % en Europe), les experts du secteur annoncent les petites et moyennes en­
qu’ils vont désormais devoir… abaisser ces niveaux. Et ce, afin de treprises, estimant que
respecter des exigences réglementaires et de préserver l’effi­ 6 000 clients étaient concer­
cience de leurs stockages. nés. Pour les contrats signés
Cette manœuvre n’étonne en rien les gaziers, rompus à procé­
der tous les ans à cette procédure, appelée « sous­tirage », notam­
entre juillet et décembre, le
groupe va proposer à ces SAMEDI 28 JANVIER 2023
ment entre janvier et mars. « Cela fait partie de la vie normale du clients « d’avoir un prix équi­
stockage », indique Thierry Trouvé, directeur général du gestion­ valent à celui des TPE », a dé­ Paris Montreuil Expo | 10h-18h
naire de réseau de transport GRTGaz, qui exposait, mercredi claré M. Pouyanné. – (AFP.)
18 janvier, les perspectives pour l’hiver en cours. « Certains stocka­
ges, en l’occurrence des formations aquifères, compliquées à ex­ T RA N SP ORTS LES CONFÉRENCES
ploiter, nécessitent ce genre de “respiration” afin de pouvoir conser­ Bruxelles enquête animées par les journalistes du Monde et de L’Obs
ver leurs performances pour les hivers à venir », a­t­il détaillé. A des sur des mesures
niveaux historiquement élevés, les ré­ de soutien à Fret SNCF 10H30 - 11H15 13H30 - 14H15
serves françaises pourraient, selon un Le soutien financier de la Entrée en master : être à la Suivre son master en contrat
porte­parole de Storengy, la filiale France à Fret SNCF, filiale de la fois ambitieux ET crédible d’apprentissage : avantages
COMME TOUS LES  d’Engie experte dans le stockage, voir Société nationale des chemins et inconvénients
leurs taux descendre autour de 35 % et de fer chroniquement défici­ 11H30 - 12H15
ANS, LES RÉSERVES  40 %, d’ici à la fin de l’hiver, pour les taire, pourrait violer les règles Ecoles de commerce ou IAE : 14H30 - 15H15
VONT ÊTRE UN PEU  nappes aquifères, qui représentent les de l’Union européenne, a es­ choisir le bon master en Faire un mastère spécialisé en
trois quarts des réserves françaises. timé, mercredi, la Commis­ management grande école : quelle plus-value ?
VIDÉES POUR  Epargnés, les stockages dans les cou­ sion européenne, qui a ouvert
ches salines devraient être maintenus une enquête. Bruxelles en­ 12H30 - 13H15 15H30 - 16H15
PERMETTRE  à leurs niveaux élevés, à près de 80 %. tend vérifier que Fret SNCF n’a Ecoles d’ingénieurs : Universités : mode d’emploi
Qu’adviendra­t­il de ce gaz s’il ne pas bénéficié d’un avantage quel master pour se spécialiser ? de la sélection en master
UNE « RESPIRATION »,  peut être consommé en totalité ? « On économique indu vis­à­vis de
SELON LES EXPERTS ne va pas le brûler, ni le mettre dans ses rivaux, dans le secteur très 16H30 - 17H15
d’immenses bouteilles de Butagaz », concurrentiel du transport de Choisir son école de
ironise un expert, en rappelant que marchandises. La Commis­ commerce et son master
l’hiver est loin d’être terminé. De surcroît, les importations pour­ sion « craint que certaines me­
raient être amenées à baisser. « Les expéditeurs ont la possibilité de sures (…), octroyées pendant la
réduire les arrivées de navires, qui peuvent être reroutés vers période 2007­2019, ne soient
d’autres destinations », détaille Thierry Trouvé. Autre option : pas conformes aux règles de
« Maintenir les livraisons et les faire transiter vers les pays voisins l’UE en matière d’aides d’Etat »,
pour contribuer à leur approvisionnement. C’est le rôle de “porte a­t­elle déclaré. – (AFP.)
d’entrée” que la France [avec l’Espagne notamment] a pris à l’occa­
sion de la crise russe [consécutive à l’invasion de l’Ukraine, fin fé­ T EC HN OLOG I E
vrier 2022] », ajoute­t­il. Après avoir atteint des niveaux record, en Microsoft annonce de
novembre et décembre 2022, les livraisons de gaz naturel liquéfié, nombreux licenciements
lequel représente 75 % de la consommation de gaz en France au Le géant informatique améri­
15 janvier, ont déjà amorcé un repli en 2023. Le contexte s’avère cain Microsoft, qui évoque
donc plus serein qu’en septembre 2022, selon GRTGaz, même si la l’incertitude économique, va
prudence reste de mise. Il en est de même pour l’électricité et son licencier environ 10 000 em­
approvisionnement. « Il reste encore une période (…), autour de la ployés d’ici à fin mars (soit
deuxième quinzaine de février, [avec] quelques risques si on traver­ un peu moins de 5 % de ses INSCRIPTION GRATUITE
sait une vague de froid importante et longue, parce que le parc nu­ effectifs), ébranlant un peu SAMS.GROUPELEMONDE.FR
cléaire va commencer à décroître », a corroboré Xavier Piechaczyk, plus un secteur de la tech
le président du directoire du gestionnaire du réseau d’électricité déjà touché par plusieurs
RTE, au micro de Franceinfo, mercredi 18 janvier. p grands plans sociaux. – (AFP.)
 0123
16 | économie & entreprise VENDREDI 20 JANVIER 2023

PERTES & PROFITS | DAVOS
Le groupe Go Sport placé par phili ppe esc ande

en redressement judiciaire Le Nobel, l’ancien

guérillero et le violoncelle
Le tribunal de commerce de Grenoble a constaté, jeudi 19 janvier, l’état
de cessation de paiement du distributeur, qui emploie 2 160 salariés La neige tombe sur la station cli­
matique suisse qui soignait autre­
Il se félicite des progrès accom­
plis depuis qu’il avait alerté l’opi­
fois les riches tuberculeux de la nion au début des années 2000.
Montagne magique (1924), de Mais, aujourd’hui, la vérité qui

L
e groupe Go Sport a été
placé en redressement ju­
diciaire, jeudi 19 janvier.
« Par un jugement solide­
ment motivé, le tribunal de com­
merce de Grenoble a constaté l’état
de cessation des paiements de la
société Groupe Go Sport et a ouvert
une procédure en redressement ju­
diciaire », a annoncé le parquet de
Grenoble dans un communiqué.
D’après les juges, « l’état de cessa­
tion des paiements est caractérisé
au 5 janvier 2023 par un passif s’éle­
vant à 14 047 957 euros ».
Le tribunal de commerce de Gre­
noble a suivi les avis des commis­
saires aux comptes, KPMG et Ernst
& Young, qui, à l’automne, avaient
alerté sur la situation de cessation
de paiements de l’entreprise, en
dépit des dénégations de son ac­
tionnaire, le groupe Hermione
People & Brands (HPB), détenu par
la Financière immobilière borde­
laise (FIB), fondée par l’homme
d’affaires Michel Ohayon.
Cette décision intervient après
l’ouverture, en novembre, d’une
enquête préliminaire pour « abus
de bien social », à la demande du
parquet de Grenoble, après la « ré­
vélation de faits délictueux » par
les commissaires aux comptes.
D’après des informations du quo­
tidien Libération, publiées hier, les
enquêteurs entendent faire la lu­
mière sur des transferts de fonds
Cette décision
intervient après
l’ouverture
d’une enquête
préliminaire
pour « abus
de bien social »
totalisant plus de 50 millions
d’euros opérés depuis la trésorerie
de Groupe Go Sport notamment
vers Camaïeu, actif que détenait la
FIB jusqu’en octobre, date de sa li­
quidation judiciaire. Le rachat de
Gap, que la FIB avait imposé à Go
Sport, pour 38 millions d’euros, in­
terrogeait aussi les salariés.
Le parquet de Grenoble avait re­
quis l’ouverture d’une procédure
de redressement judiciaire pour
l’entreprise, qui avait bénéficié de
deux prêts garantis par l’Etat,
en 2020 et 2021, pour un montant
total de 55 millions d’euros. Les
élus du personnel se félicitent de
cette décision qui, d’après Chris­
tophe Lavalle, leur porte­parole,
écarte « l’actionnaire [Michel
Ohayon] de la prise de toute déci­
sion » et « fait échapper Groupe Go
Sport à une procédure de concilia­
tion qu’il souhaitait pour revendre
l’entreprise ». « Les juges et le par­
quet ne se sont pas laissés duper
par les manipulations de notre ac­
tionnaire », défend M. Lavalle. Dé­
sormais, l’enseigne, qui emploie
2 160 salariés, est pilotée par deux
administrateurs judiciaires, les
cabinets FHB (à Lyon) et AJP (à
Grenoble), pour une première pé­
riode d’observation de six mois.
Ils auront la tâche de réaliser
l’inventaire du patrimoine du dis­
tributeur et de son endettement
contracté à la suite du non­paie­
ment de ses fournisseurs, presta­
taires et bailleurs. La décision du
tribunal de commerce précise no­
tamment que l’enseigne n’avait
pas réglé les factures de Rossi­
gnol, fabricant de matériel skis,
Puma, Adidas et Asics. Soit près
de 4 millions d’euros d’impayés.
Vive concurrence
L’enseigne, dirigée depuis le
4 janvier par Patrick Puy, spécia­
liste de la restructuration d’entre­
prises, sera­t­elle en mesure de se
relancer, de regagner la confiance
de ses fournisseurs et de sortir de
cette période d’observation ? Et
qui pourrait se porter candidat à
la reprise de l’enseigne ? Bien que
satisfaits par la mise en redresse­
ment judiciaire de Groupe Go
Sport, les salariés s’inquiètent de
la « casse sociale » que pourrait en­
traîner la reprise partielle d’actifs
de l’enseigne aux 283 magasins.
Vivement concurrencé par
Décathlon, premier distributeur
d’articles de sport en France, et le
groupe Intersport, l’enseigne Go
Sport peine à trouver sa place
sur le marché hexagonal de­
puis vingt ans. A tel point que
le groupe Rallye, détenu par Jean­
Charles Naouri, peinait à la cé­
der et l’avait finalement vendue
pour un euro à Michel Ohayon,
fin 2021.
Depuis, la conjoncture économi­
que a encore compliqué la situa­
tion de l’entreprise. « A cause de
nos actionnaires, nous sommes au
bord de la liquidation judiciaire »,
dit M. Lavalle, en faisant allusion à
la disparition de Camaïeu.
La chaîne nordiste d’habille­
ment féminin, que la FIB avait re­
prise à la barre du tribunal
en 2020, a été placée en redresse­
ment judiciaire en août 2022, à la
suite de sa cessation de paiement,
et liquidée début octobre 2022,
entraînant la fermeture de
511 magasins et le licenciement de
2 100 employés. Les salariés des
autres enseignes de HPB s’inquiè­
tent aussi de leur sort. Les élus du
personnel des vingt­cinq Galeries
Lafayette que le groupe exploite
en franchise, dans des villes de
province, ont entamé une procé­
dure de droit d’alerte économi­
que, d’après nos informations. p
juliette garnier
Thomas Mann. Le ballet incessant
des Mercedes forme désormais
un ruban noir et scintillant cein­
turant Davos jusque tard dans la
nuit. L’air n’y est plus aussi pur.
Dans le ciel, un hélicoptère sta­
tionne parfois pour surveiller les
allées et venues. Les puissants
sont peu économes. A la tribune
comme dans les couloirs, on se
lamente à cause de l’inflation, des
obstacles au libre­échange, et l’on
fait assaut de vertu écologique et
de responsabilité sociale.
Et puis, soudain, un petit déra­
page bienvenu. Sur la scène voisi­
nent le PDG d’une multinationale
américaine de la technologie (Sa­
lesforce), la présidente du Congrès
national des Indiens d’Amérique,
le président d’une grande compa­
gnie minière australienne (Fortes­
cue), un ancien vice­président
américain et Prix Nobel de la
paix, Al Gore, et le président de la
Colombie, Gustavo Petro.
Transition, chacun son rythme
A première vue, tout le monde est
convaincu de la nécessité de lut­
ter contre le réchauffement, mais
probablement chacun à son
rythme. Les industriels assurent
faire leur maximum, pilotent
leurs généreuses fondations, sou­
vent consacrées à réparer les dé­
gâts de leurs propres entreprises.
Et puis Al Gore prend la parole.
dérange, du nom du titre de son
célèbre film de 2006, est, selon
lui, que nous perdons la bataille
du climat. L’ancien sénateur du
Tennessee, venu dans les Alpes
en bottes de cow­boy, s’emporte.
Le Nobel de la paix 2007 fait feu
de tout bois : les dirigeants politi­
ques manquent d’ambition, les
jeunes Allemands ont raison de
s’opposer à l’extension des mi­
nes de charbon, la Banque mon­
diale échoue gravement.
Et, symbole absolu de l’échec ac­
tuel, selon lui, la nomination du
patron de la compagnie pétrolière
des Emirats arabes unis comme
président de la COP28 de décem­
bre, la prochaine conférence des
Nations unies sur le changement
climatique. « On ne peut pas lais­
ser les compagnies pétrolières et
les Etats pétroliers nous dicter leur
rythme », assène­t­il avec véhé­
mence. C’est maintenant qu’il
faut agir. La salle se lève, surtout
des jeunes, c’est l’ovation.
Derrière l’Américain, l’ex­gué­
rillero devenu président de la Co­
lombie, sur un ton bien plus me­
suré, souligne, dans le temple du
capital, que ce qui ne marche pas,
c’est peut­être le capitalisme, et
que peut­être il n’est pas réforma­
ble. L’archet du violoncelliste
Yo­Yo Ma fait retomber la ten­
sion, chacun repart avec ses ques­
tions et ses fragiles certitudes. p

Olaf Scholz veut accélérer la conversion

énergétique de l’Allemagne
Le chancelier a présenté son plan, mercredi, au Forum de Davos, en Suisse

I l fallait laver l’affront. La mili­

tante pour le climat Greta
Thunberg arrêtée par la po­
lice allemande lors d’une mani­
festation contre l’extension d’une
mine de charbon, mardi 17 jan­
vier, cela ne cadre pas avec l’ambi­
tion d’un pays dont les écologis­
tes sont au pouvoir. Même s’ils le
partagent avec leurs alliés libé­
raux et sociaux­démocrates. Une
demi­heure avant le passage du
chef du gouvernement allemand
à la tribune du Forum économi­
que mondial de Davos, ce mer­
credi 18 janvier, l’ancien vice­pré­
sident américain Al Gore, vétéran
de la cause climatique, avait ap­
porté son soutien aux manifes­
tants.
C’est pourquoi le chancelier Olaf
« Il nous a fallu quelques mois
pour installer deux terminaux
d’importation de gaz liquéfié
quand nous avons pris vingt ans
pour construire l’aéroport de Ber­
lin ! », raillait, la veille, toujours à
Davos, le ministre des finances
allemand, Christian Lindner.
La grande cause nationale, c’est
désormais celle des énergies
renouvelable et de l’hydrogène.
En 2030, 80 % de la production
électrique du pays sera réalisée
avec des énergies renouvelables.
« Dans le même temps, ajoute le
chancelier, nos besoins en électri­
cité auront augmenté de 600 té­
rawattheures [TWh] aujourd’hui à
750 TWh, et nous nous attendons à
ce que ce chiffre double encore
dans la décennie suivante. » Une
clair, affirme le chancelier, que le
futur appartient uniquement aux
renouvelables, pour des raisons
environnementales, de sécurité et
parce que, sur le long terme, elles
promettent de meilleurs retours
sur investissement. »
L’industrie allemande, dont cer­
tains membres, comme BASF,
n’ont pas hésité à brandir la me­
nace d’une délocalisation vers les
Etats­Unis en raison des prix de
l’énergie, doit rester sur le sol na­
tional. De la même manière, pour
pallier les pénuries d’emplois qui
seront avivées par le déclin démo­
graphique, le gouvernement
Scholz va moderniser, avant la fin
de l’année, sa législation en ma­
tière d’immigration.
« Si nous voulons rester un leader

AYA NAKAMURA
Scholz, coincé entre les écologis­
tes radicaux d’un côté et, de
l’autre, la pression de l’Ukraine
pour obtenir des chars lourds
évolution commandée par les be­ industriel compétitif, estime le
soins de sa puissante industrie. chancelier allemand, nous avons
Cela représente selon lui un effort besoin de l’expérience de méde­
d’investissement de 400 mil­ cins, d’ingénieurs, de vendeurs ou

FORTE TÊTE
Leopard, a cherché à prendre de la
LA CHANTEUSE
FR ANCOPHONE distance. Seul dirigeant d’un pays
LA PLUS ÉCOUTÉE
DANS LE MONDE du G7 à avoir fait le voyage en
Suisse cette année, il a détaillé son
plan de bataille pour faire de son
pays le leader mondial de la lutte
contre le changement climatique
et en même temps restaurer la
compétitivité de son industrie.
Un plan habillé d’un slogan mar­
tial.
« Notre transformation vers une
économie neutre en carbone, la tâ­
che la plus fondamentale de ce siè­
cle, prend une nouvelle dynami­
que, a­t­il assuré. Non pas en dépit,
PODCASTS INSTAGRAM mais à cause de la guerre en
Le goût de M @M_magazine Ukraine [déclenchée fin fé­
vrier 2022]. » Il veut pour preuve
du dynamisme de son pays, et de
l’échec du président russe, Vladi­
liards d’euros.
Un « boom de l’électrolyse »
Pour multiplier les installations
solaires et surtout éoliennes, le
gouvernement a passé sa propre
loi d’accélération, à l’instar de
celle votée en France le 10 janvier.
Celle­ci entend réduire les forma­
lités administratives et raccourcir
de deux ans les autorisations de
raccordement au réseau. « Les
obstacles seront balayés », affirme
le chancelier. L’Etat va apporter
son aide à ce qu’Olaf Scholz ap­
pelle un « boom de l’électrolyse »,
une économie de l’hydrogène qui
rendra l’Allemagne, et l’Europe
derrière, indépendantes des éner­
gies fossiles.
A court terme, jusqu’à la mi­
de mécaniciens. Ceux qui veulent
se retrousser les manches sont les
bienvenus en Allemagne. »
Ce n’est pas un hasard si le chan­
celier allemand reste un habitué
de Davos quand les grands de ce
monde s’en éloignent. Il est aussi
l’un des derniers inconditionnels
du libre­échange et n’aime pas
beaucoup ces notions de com­
merce entre amis (friendshoring),
popularisées par les Américains
pour signifier que chacun doit
choisir son camp.
Alors que le pays tergiverse pour
ne pas livrer ses chars de combat à
Kiev, Olaf Scholz a déjà réuni, en
octobre 2022, des experts interna­
tionaux pour réfléchir à un plan
Marshall d’aide à la reconstruc­
tion du pays. Une anticipation

EN VENTE DÈS DEMAIN

mir Poutine, le fait que l’Allema­
gne, prisonnière des livraisons de
gaz russe à la veille de l’offensive,
a réussi à s’en affranchir presque
totalement en moins d’un an.
2024, le gouvernement maintien­
dra son bouclier tarifaire, de l’or­
dre de 180 milliards d’euros, afin
que les entreprises ne subissent
plus l’explosion des prix : « Il est
audacieuse, mais une occasion de
plus pour une industrie alle­
mande qu’un bon chancelier se
doit de ne jamais oublier. p
p. es.

0123
VENDREDI 20 JANVIER 2023
« Records », de Mathilde Monnier, à Montpellier, le 5 octobre 2021. MARC COUDRAIS
Dans la danse, le nu émancipateur
Plusieurs spectacles à l’affiche actuellement utilisent la nudité pour montrer un corps conquérant
ENQUÊTE
L
a nuit. Un feu. Des miroi­
tements de peau dans le
noir. Deux corps appa­
raissent par fragments.
Seins, dos, jambes s’imbriquent
dans un puzzle qui échappe à
toute anatomie repérée. L’une des
créatures semble inanimée, bal­
lottée comme un pantin, puis se
réveille pour porter l’autre, entiè­
rement nue, sur son épaule. Leur
étreinte longue, lente et sans
cesse reconduite devient voyage
sensoriel, charnel, fusion ardente.
Cette échappée intime parado­
xalement spectaculaire s’intitule
Une nuit entière. Conçue et dan­
sée par Anna Gaïotti et Tatiana Ju­
lien, présentée le 10 décem­
bre 2022 à l’Espace Cardin, à Paris,
au cœur d’un cercle de specta­
teurs assis au plus près des inter­
prètes, elle entend montrer une
expérience profonde et crue.
« Nous explorons l’humain et la fé­
minité en prenant soin de nous,
expliquent les danseuses et cho­
régraphes. La nudité ici va de soi
pour se rapprocher de l’animalité,
de la nature en travaillant aussi
sur le consentement. » Envoûtant,
ce duo « où nous nous logeons
l’une dans l’autre et même accou­
chons l’une de l’autre », disent­el­
les, se veut « un acte émancipa­
teur », en particulier pour le pu­
blic, « qui voit des corps bruts dans
un contexte d’injonctions physi­
ques éloignées de la réalité ».
Ce point de vue féministe « non
violent », selon les autrices, qui
ouvrent le 23 janvier le Festi­
val Amiens Europe­Feminist Fu­
tures, à la Maison de la culture
d’Amiens, colore l’offensive de nu­
dité, majoritairement portée par
des artistes femmes, que l’on ob­
serve depuis un an. « Il s’agit de
conjuguer militantisme et ten­
dresse, précise Marinette Doze­
ville, dont le spectacle Amazones
est donné actuellement en tour­
née. Totalement à poil et en
pleine lumière, sept femmes
soufflent un vent joyeux et fron­
deur sur la mythologie grecque.
« Je recherche un corps sans en­
trave, sans artifice, guidé par la li­
berté et le plaisir », poursuit la cho­
régraphe. Avec en bandoulière le
livre Les Guérillères (1969), de la
philosophe Monique Wittig, elle
rappelle que « l’autonomie des
amazones était insupportable
pour un modèle de société au fonc­
tionnement patriarcal, comme le
sont certaines initiatives féminis­
tes contemporaines ». Elle insiste
sur le fait que, « sans aller dans
l’hyper­sexualisation qui continue
d’instrumentaliser les femmes, se­
lon [elle], [elles] affirm[ent leur]
énergie sexuelle ».
« Vengeance conceptuelle »
Que le nu investisse les plateaux
n’a rien de nouveau, tant l’histoire
de la danse et de l’art en est ha­
billé. Alors que dans les années
2000 il campe dans un registre
plastique ou conceptuel avec Jé­
rôme Bel et Boris Charmatz, il im­
pulse aujourd’hui, dans l’élan
#metoo, de nouveaux récits et en­
jeux revendicateurs. « Il y a une
émancipation et un engagement
qui passent par le fait de dénuder la
femme sur scène en montrant un
corps tout­puissant, notamment
dans sa dimension sexuelle, con­
firme le sociologue Pierre­Emma­
nuel Sorignet. Il souligne que cer­
taines créations, « qui regroupent
souvent uniquement des danseu­
ses », portent parfois « une vision
de la société où les relations restent
finalement articulées autour de
schémas de domination ».
En mode ludique et ironique,
Fuck Me, de l’Argentine Marina
Otero, qui était à l’affiche le 3 no­
vembre 2022 aux Abbesses, à Pa­
ris, s’amuse de cet empowerment
en renversant la vapeur. Otero se
dresse seule au milieu de cinq
hommes nus, objets charmants
d’un show qui flirte par touches
avec celui des Chippendales de re­
tour dans la série Welcome to
Chippendales, sur Disney +. « J’ai
voulu inverser les rôles en mon­
trant la beauté de ces corps mascu­
lins généralement hégémoniques,
assume Marina Otero. Je m’offre
un espace de rêve où j’ai du plaisir à
profiter de mecs soumis et bien
roulés. » Dominante ? Oui et non.
Elle a imaginé cette pièce alors
qu’elle était blessée et immobili­
sée en projetant sur sa bande de
lascars son besoin criant de bou­
ger. « J’aime l’ambiguïté de ce jeu de
pouvoir et de manipulation », ex­
plique­t­elle. Tandis que l’un des
interprètes, Miguel Valdivieso, dé­
clare se sentir « paradoxalement
puissant et heureux de participer à
cette vengeance conceptuelle
d’une femme ».
La tendance autofiction innerve
différents spectacles. Alors que
Marina Otero inscrit sa quête dans
son projet Recordar para vivir (« se
souvenir pour vivre »), l’artiste
brésilienne Janaina Leite scanne,
elle aussi, sa trajectoire dans Sta­
bat Mater. Pour cette conférence­
performance passionnante, qui
louvoie entre psychanalyse, théâ­
tre et danse, avec entre les lignes la
dénonciation d’un viol, elle vaque
tranquillement cul nu. « Le sexe
sur scène est tabou pour nous
aujourd’hui, Brésiliens », dit­elle.
En particulier, pour questionner,
entourée par sa mère et un acteur
porno, la virginité de la Vierge Ma­
rie ainsi que les rapports comple­
xes entre sexualité et maternité.
« Comment accouche­t­on sans
sexe, ni vagin ?, s’interroge­t­elle.
Pourquoi les images constitutives
du féminin oscillent­elles entre at­
traction et répulsion ? désir et vio­
« J’indique aux
danseurs que tel
jour, à telle heure,
on répétera nu.
On bloque les
accès, occulte
les fenêtres… »
OLIVIER DUBOIS
chorégraphe
lence ? » C’est à la suite d’un atelier
de recherche sur le thème du « fé­
minin abject », dans la lignée des
écrits de Julia Kristeva, que Ja­
naina Leite s’est lancée dans cette
enquête palpitante aux « vertus li­
bératrices » qui « a ouvert des espa­
ces de réflexion, permis de mesurer
[ses] préjugés sur la pornographie
mais sans trouver de solutions à
[ses] contradictions ». Qu’elle con­
tinue d’explorer dans Cam­
ming 101 nuits.
« Un geste sensible »
A l’inverse de Janaina Leite, c’est
seins nus et en pantalon que les
six danseuses de Records, de Ma­
thilde Monnier, apparaissent. Ce
geste – rare auparavant mais très
présent actuellement – répond à
un constat. « On a pendant
des siècles contrôlé les seins des
femmes et la danse l’a fait aussi
comme toute bonne discipline,
analyse­t­elle. Elle a oublié cette
partie du corps féminin en enle­
vant ce qui est sexuel, alors qu’elle
a largement mis en scène les tor­
ses masculins aux pectoraux gon­
flés, symboles de virilité et de puis­
sance. » Elle revendique, avec Re­
cords, « un acte de réhabilitation ».
« Ces seins sont les miens, celui
d’un corps au travail, qui n’est pas
montré sous l’angle de l’érotisme
mais de la liberté. »
Sur scène, en répétition et en
studio, la nudité entraîne des pré­
cautions. Tous les artistes évo­
quent « le consentement, la con­
fiance, l’autodétermination… »
dans le contrat de travail. Si Mari­
nette Dozeville n’a pas hésité à re­
joindre nue son escouade d’ama­
zones au sein d’un « processus
progressif de déshabillage »,
d’autres optent pour des protoco­
les plus stricts. Olivier Dubois,
dont la pièce Tragédie (2012),
somptueuse marée humaine, fait
l’objet d’une reprise avec neuf
nouveaux interprètes, hommes
et femmes nus comme la main,
sur les dix­huit du spectacle, ca­
dre l’emploi du temps. « J’indique
aux danseurs que tel jour, à telle
CULTURE
« On relie trop
dans notre
société la nudité
à la sexualité et à
la honte »
GAËLLE BOURGES
chorégraphe
heure, on répétera nu, précise­t­il.
On bloque les accès, occulte les fe­
nêtres… C’est important pour que
chacun se mette en condition
et génère ses propres mécanismes
de protection. » En tournée, il in­
forme les équipes des théâtres,
des techniciens aux pompiers,
sur le sujet.
Celui qui « a souvent été mis à
poil » lorsqu’il était interprète
« chez Jan Fabre notamment » sait
que danser nu « n’est jamais sim­
ple, ni banal ». « Et c’est pour ça
qu’il sait nous accompagner, con­
fie Karine Girard, à l’affiche dans
Tragédie depuis 2012. Ce n’est pas
évident tous les jours, mais j’avais
envie de cette expérience. » En ré­
pétition, du moins au début, elle
se souvient qu’elle se demandait
où poser son regard, ses mains,
comment respecter le corps des
autres. Quant au magma charnel
au cœur du spectacle, elle en dé­
couvre encore les paysages après
cent cinquante représentations.
« Là, c’est la technique que cela
exige qui fait oublier la nudité. »
L’affichage et la réception par le
public de ces pièces soulèvent
des discussions. Selon les théâ­
tres et le contexte, les program­
mateurs pèsent et soupèsent les
dossiers. A la Briqueterie, à Vitry­
sur­Seine (Val­de­Marne), Sandra
Neuveut a ouvert, en fé­
vrier 2022, un débat avec des ado­
lescents après une séquence dé­
nudée dans All Over Nymphéas,
d’Emmanuel Eggermont, qui en
avait perturbé certains. « Nous
avons dialogué avec les jeunes et
une danseuse et tout s’est vite
apaisé, raconte­t­elle. Je veille de­
| 17
puis à préciser sur le site Internet,
en accord avec les compagnies, si
les spectacles comportent de la
nudité. Nous ne sommes pas le
Théâtre de la Ville ou le Centre
Pompidou. Selon les construc­
tions culturelles de chacun, le nu,
qui est un geste sensible, s’appré­
hende différemment. » Inenvisa­
geable néanmoins de « se bri­
der » : Legacy, de Nadia Beugré, et
Insectum in… Vitry, de Silvia Gri­
baudi, partiellement nus, sont
annoncés cette saison.
La question de la censure et de
l’autocensure circule parmi les
chorégraphes. Gaëlle Bourges,
dont les pièces depuis 2009 revi­
sitent d’un œil finement critique
les représentations des nus fémi­
nins, entre autres, dans l’histoire
de l’art, s’inquiète. « On relie trop
dans notre société la nudité à la
sexualité et à la honte. J’ai la sensa­
tion depuis quelque temps que
l’étau se resserre sur nous et nos re­
cherches. Nous devons continuer à
exercer notre droit de mettre en
scène des corps nus et ne pas cour­
ber l’échine. » p
rosita boisseau
Une nuit entière, d’Anna Gaïotti
et Tatiana Julien. Les 23 et
24 janvier à Amiens ; le 18 mars
à Marseille ; le 23 mars à Rezé
(Loire­Atlantique).
Amazones, de Marinette
Dozeville. Le 19 mars à Mons
(Belgique) ; le 25 mars à
Marseille.
Stabat Mater, de Janaina Leite.
Les 2 et 3 février à Liège
(Belgique).
Records, de Mathilde Monnier.
Le 28 février à Orléans ;
les 24 et 25 mai à Bordeaux.
Tragédie, d’Olivier Dubois.
Le 16 mars à Bezons (Val­d’Oise) ;
le 28 mars à Orléans ; du 15 au
17 mai à Paris.
La Bande à Laura, de Gaëlle
Bourges. Le 24 janvier à
Villeurbanne (Rhône) ; du 1er au
3 février à Chambéry (Savoie) ; du
9 au 11 février à Cergy­Pontoise ;
le 26 février à Lens (Pas­de­Calais).

18 | culture
Mylène Farmer, saluée en tant que pionnière
Seize artistes rendront hommage à la chanteuse, le 22 janvier, lors de l’Hyper Weekend Festival de Radio France
MUSIQUE
E
n 2022, pour sa première
édition, l’Hyper Weekend
Festival avait consacré
une de ses soirées au ré­
pertoire de Dominique A, figure
du renouvellement de la chanson
française des années 1990 et
chanteur fétiche de la program­
mation de France Inter, repris par
une quinzaine de chanteurs.
« J’étais content du résultat, mais je
trouvais qu’on sortait peu de notre
zone de confort », dit aujourd’hui
Didier Varrod, directeur des an­
tennes musicales de Radio France
et créateur de ce festival, dont
le deuxième chapitre aura lieu du
20 au 22 janvier, à Paris (16e), dans
les auditoriums de la Maison de
la radio et de la musique. « Je me
suis dit : “Soyons plus disruptifs
l’an prochain, consacrons une soi­
rée à Mylène Farmer.” »
Son équipe l’avait alors regardé
« avec des yeux ronds ». Pour
autant, l’une des créations de la
seconde édition de l’Hyper Week­
end Festival verra bien seize artis­
tes (dont Benjamin Biolay, PR2B,
Juliette Armanet, Lala & ce, Yelle,
Requin Chagrin…) reprendre des
chansons de l’interprète de Liber­
tine, longtemps dédaignée par la
« grande maison ». Ces concerts,
« Version(s) Farmer, sans contre­
façon », seront diffusés en direct
sur France Bleu.
Clips sulfureux
Mal à l’aise avec le succès popu­
laire d’une chanteuse mélangeant
introspection et grand spectacle,
ombre et paillettes, blessure et
provocation, les tenants du « bon
goût » musical ont de quoi se po­
ser quelques questions. En cons­
tatant, par exemple, que dans son
douzième album, L’Emprise (sorti
le 25 novembre 2022), Mylène Far­
mer a collaboré avec quelques­
uns de leurs chouchous (Wood­
kid, AaRON, Darius Keeler du
groupe Archive…). En voyant aussi
se multiplier les témoignages
d’une nouvelle avant­garde pop
rendant hommage à celle qui cé­
lébrera bientôt ses presque 40 ans
de carrière lors d’une nouvelle
tournée, « Nevermore 2023 », don­
A Lille, le Dom Juan dragueur compulsif
et minable de David Bobée
Le personnage de Molière devient le symbole d’un système patriarcal qui n’a plus lieu
d’être dans l’adaptation peu convaincante que présente le directeur de l’établissement lillois
THÉÂTRE
lille ­ envoyée spéciale
F aut­il déboulonner Dom
Juan ? Ou la statue du com­
mandeur ? Les deux, sem­
ble nous dire David Bobée. Le di­
recteur du Théâtre du Nord, à
Lille, fait la promesse alléchante
d’un Dom Juan de l’ère #metoo,
avec la nouvelle adaptation­mise
en scène qu’il propose de la célè­
bre pièce de Molière. Il n’est pas
sûr que le pari soit vraiment tenu
dans ce spectacle qui multiplie les
effets scéniques d’une efficacité
certaine, mais où le propos se
brouille et se dilue au fur et à me­
sure qu’avance la représentation.
« En relisant Dom Juan, j’ai réa­
lisé que chaque scène qui compose
cette pièce représente quelque
chose contre lequel je lutte depuis
toujours. Dom Juan est tour à tour
classiste, sexiste, glottophobe [dis­
criminant sur le plan linguisti­
que], dominant… », écrit David Bo­
bée dans sa note d’intention. C’est
donc une adaptation de la pièce
qu’il livre ici, en opérant une série
de décalages et en inscrivant le
texte (respecté dans sa lettre, par
née, à guichets fermés, dans plu­
sieurs stades de France. « Elle a
bercé mon enfance », confie ainsi
Mathilde Fernandez d’Ascendant
Vierge, duo mêlant frénésie
électro et élans lyriques, dont le
premier album sera l’un des plus
attendus de 2023. « Sa voix me ren­
dait folle et ses visuels racontaient
des histoires qui me propulsaient
dans un imaginaire. »
D’autres espoirs de la scène
française (Regina Demina, Lis­
bone, Lucky Love…), souvent
amoureux des brassages de sty­
les prônés par le courant hyper­
pop, n’ont pas hésité à reconnaî­
tre l’influence de cette pionnière
des fusions entre chanson et
dance music. Autrice, en 2022,
d’un troisième album, Folle ma­
chine, imprégné de ces
télescopages, la chanteuse Owlle
assure qu’« il n’y a pas si long­
temps, aimer Farmer était consi­
déré comme ringard par l’aristo­
cratie “indé”. Aujourd’hui, on peut
admirer sans honte ce mélange de
mélodies synthétiques accrocheu­
ses, de textes troublants, cette
capacité à façonner un univers
global ». Même des rappeurs tels
Booba, Damso ou Disiz la Peste
font part de leur admiration.
Pour Pomme, jeune vedette
d’une chanson au dépouillement
ultrasensible, Farmer est « une
espèce de mélange savant d’intelli­
gence et de culture populaire ».
En 2021, dans une France encore
victime de la pandémie de Co­
vid­19, elle avait repris une ver­
sion à fleur de peau de Désenchan­
tée. « Je me suis rendu compte
qu’elle avait quelque chose d’extrê­
mement actuel, confiait Pomme
sur l’antenne de France Inter.
Je me disais, c’est exactement ce
qu’on est en train de vivre, un dé­
senchantement, une désillusion… »
Les plaisirs coupables d’hier
sont assumés aujourd’hui. La
chanteuse et guitariste Flora
Fishbach se souvient d’avoir été
choquée, enfant, de voir sa nour­
rice « si douce et respectable »
regarder les clips sulfureux de
l’icône rousse en faisant son re­
passage. Après avoir tenu Farmer
à distance au moment où elle se
passionnait pour le rock anglo­
ailleurs) dans le théâtre inclusif et
ouvert qu’il revendique et prati­
que depuis le début, avec des ac­
teurs de toutes origines et des
passages de genre entre les rôles.
Dom Juan est néanmoins bien
joué par un homme, en l’occur­
rence le jeune et bon acteur Ra­
douan Leflahi, tout à fait taillé
pour le rôle. C’est clairement un
Dom Juan d’aujourd’hui, en dé­
bardeur blanc et pantalon noir. Et
ce n’est pas le libertin flamboyant
dont tant de mises en scène ont
donné l’image depuis les années
1970. Il est plutôt un dragueur
compulsif et un peu minable, qui
met à son tableau de chasse aussi
bien les garçons que les filles,
d’ailleurs – une des innovations
de David Bobée.
Le jeune
et bon acteur
Radouan Leflahi
est tout
à fait taillé
pour le rôle
Mylène Farmer, dans
l’émission « Lahaye
d’honneur », sur TF1,
le 13 novembre 1987.
ANDRÉ CRUDO/PHOTO12 VIA AFP
saxon, cette amoureuse de costu­
mes d’époque en a redécouvert
les attraits, grâce à Internet. « Je
me suis reconnue dans ses visuels,
l’étrangeté de sa poésie, si déta­
chée d’une chanson néoréaliste
que je détestais », dit Fishbach qui,
à l’Hyper Weekend Festival, inter­
prétera une version de Sans logi­
que, un titre qu’elle aime égale­
ment passer lors de ses sets de DJ.
« Hymne lesbien »
Devenue elle aussi fan sur le tard,
Julie Budet, connue sous le nom de
Yelle, a été marquée par l’impact
visuel des clips et de concerts dont
la Bretonne électro­pop regardait
des extraits sur YouTube. « Avec ses
costumes, décors et chorégraphies,
elle a été une des premières artistes
françaises capables de faire un
show total, à l’américaine. »
A une époque envahie par la sur­
communication et les réseaux so­
ciaux, on admire aussi la stratégie
Sur le plateau à la scénographie
spectaculaire, où trône notam­
ment une énorme statue de dieu
grec allongé et en partie émas­
culé, on le voit commettre ses
méfaits sans joie et sans jouis­
sance, comme une marionnette
mue par on ne sait quel principe
qui le dépasse. Un pantin, un
spectre, presque, déjà, au milieu
d’un cimetière de figures histori­
ques et mythologiques déchues.
Ce qui l’anime n’est pas le combat
contre une religion qui n’est
qu’une fiction qui ne dit pas son
nom : les problématiques reli­
gieuses passent globalement à la
trappe, dans cette mise en scène.
Statues mutilées
« Dernier représentant d’une mas­
culinité qui n’a plus lieu d’être », se­
lon David Bobée, il agit comme
un automate qui se pétrifie peu à
peu pour ressembler au final aux
statues mutilées qui l’entourent.
Le metteur en scène semble donc
bien renvoyer dos à dos Dom
Juan et le commandeur statufié
comme deux symptômes d’un
même système patriarcal, le pre­
mier ne bramant sa liberté de li­
« Elle allie
les contraires :
énorme présence
et art du mystère,
oiseau blessé
et femme
puissante »
JULIETTE ARMANET
chanteuse
de quasi­silence de la star. « Créer
le mystère, se faire rare, en dire le
moins possible… Autant de leçons
pour les artistes d’aujourd’hui, ob­
nubilés par l’omniprésence média­
tique », veut croire Malik Djoudi
qui interprétera, à la Maison de
la radio et de la musique, une ver­
sion piano­voix de Libertine.
« Mylène, c’est notre Madonna à
nous », s’amuse Juliette Armanet,
bertin que pour mieux recon­
duire une mécanique bien huilée
de domination.
C’est un point de vue intéres­
sant, qui pourrait fort bien
fonctionner s’il était affirmé de
manière plus claire et précise, et
surtout si le spectacle n’était pas
affaibli par de grosses inégalités
de distribution. Radouan Leflahi
tire son épingle du jeu, de même
que Shade Hardy Garvey Moun­
gondo, un acteur plein de charme
d’origine congolaise, qui campe
un Sganarelle aussi drôle qu’aé­
rien, à rebours des clichés du rôle.
Mais autour d’eux, c’est plus flot­
tant, et Nadège Cathelineau, no­
tamment, donne bien peu d’argu­
ments à Elvire pour exprimer la
légitimité de sa colère. Une fois de
plus, les femmes sont perdantes,
dans cette affaire. p
fabienne darge
Dom Juan ou le Festin de pierre,
de Molière. Mise en scène et
adaptation : David Bobée.
Théâtre du Nord, Lille, jusqu’au
29 janvier. Puis tournée jusqu’en
juin, notamment à La Villette, à
Paris, du 30 mars au 2 avril.
0123
VENDREDI 20 JANVIER 2023
en revendiquant avoir « écouté je pouvais m’identifier », confie
Farmer religieusement, fougueu­ Rebeka Warrior une des figures
sement, pendant une bonne partie queer de la scène électro­rock.
de l’adolescence ». La chanteuse « Certaines de ses chansons et
et pianiste, triomphant en vamp ses clips parlaient ouvertement
disco dans son deuxième album, d’amour entre filles », rappelle
Brûler le feu (2021), assure que le celle qui reprendra Maman a
timbre aigu de l’interprète de Cali­ tort, « un hymne lesbien » met­
fornia l’a aidée à cultiver le sien. tant en scène une petite fille
« Elle allie constamment les con­ amoureuse de son infirmière.
traires : énorme présence et art du Sensible aussi aux références
mystère, oiseau blessé et femme baudelairiennes et à la mélanco­
puissante », insiste Armanet, en lie de Farmer, Rebeka Warrior se
rappelant que ce mélange de force dit dingue d’Ainsi soit je…, le
et de fragilité – exposant mal de deuxième album de son idole.
vivre, obsessions morbides ou « Si je pouvais, je prendrais la soi­
ambiguïté sexuelle – « a aidé énor­ rée de l’Hyper Weekend pour moi
mément d’ados à s’assumer ». en chantant toutes les chansons
Car c’est en pionnière de thè­ du disque. » En espérant, sans y
mes – le genre, l’identité, le croire, que « Mylène » sera pré­
féminisme – devenus centraux sente dimanche 22 janvier. p
aujourd’hui que Farmer touche stéphane davet
autant d’artistes contemporains.
« A l’époque de ma préadoles­ Hyper Weekend Festival, du
cence et adolescence, Mylène était 20 au 22 janvier, à la Maison de
l’une des rares artistes à laquelle la radio et de la musique, Paris 16e.
Une aide saoudienne pour
le prochain film de Maïwenn
C’ est une première : le Red Sea International Film Festival
(Festival international du film de la mer Rouge) a an­
noncé que sa fondation allait pour la première fois sou­
tenir un long­métrage français, Jeanne du Barry, réalisé et coé­
crit par Maïwenn. Ce film d’époque signera le retour de Johnny
Depp, dans le rôle de Louis XV, alors que Maïwenn interprétera la
dernière favorite du roi, aux côtés de Benjamin Lavernhe, Pierre
Richard, Noémie Lvovsky, Melvil Poupaud et Pascal Greggory.
Depuis 2019, la Red Sea Film Foundation a déjà apporté son
soutien financier – 14 millions de dollars (12,9 millions d’euros) –
au développement, à la production et à la postproduction de
170 longs­métrages de pays africains ou du monde arabe. Son
soft power s’étend désormais à l’Europe.
« Talents féminins visionnaires »
Mohammed Al Turki, PDG du Red Sea International Film Festi­
val, s’est déclaré « ravi de soutenir le prochain long­métrage de
Maïwenn », y voyant « un engagement » en faveur des « nouveaux
talents » et une façon de « collaborer avec des scénaristes, réalisa­
teurs et producteurs de classe mondiale ». Il espère « renforcer les
liens entre le cinéma saoudien et français ». Ce projet sera, indi­
que­t­il dans un communiqué, « le premier des nombreux films
internationaux que nous pouvons soutenir et qui défendent les
femmes cinéastes ». Cette « première coproduction avec la
France » permet « de défendre les talents féminins visionnaires à
la fois devant et derrière la caméra du monde, insiste­t­il.
L’apport financier des Saoudiens n’est pas précisé, et Pascal
Caucheteux, à la tête de Why Not Productions, la société produc­
trice de ce film, n’a pas souhaité répondre au Monde sur le sou­
tien apporté par cette monarchie ultraconservatrice. La liberté
d’expression y est inexistante, les femmes ne peuvent sortir
qu’en abaya noire et voilées, la danse et la musique restent inter­
dites et le cinéma était encore banni jusqu’en avril 2018.
Tourné en France, notamment au château de Versailles, et ac­
tuellement en postproduction, Jeanne du Barry est le sixième
long­métrage de Maïwenn. Les droits du film ont été acquis par
Netflix qui l’exploitera après la sortie en salle. p
nicole vulser
0123
VENDREDI 20 JANVIER 2023
Laura Raim partage ses « Idées larges » sur Arte Radio
La série documentaire sur « les questions qui font débat dans le champ intellectuel » se décline en version audio
ARTE RADIO
À LA DEMANDE
PODCAST
L
ancée en janvier 2022,
et forte d’un joli succès
(plus de 3 millions de
vues sur YouTube), Les
Idées larges, la série documen­
taire d’Arte sur la vie des idées, est
désormais disponible sur Arte
Radio. Il faut dire que le concept
(l’interview d’un chercheur, his­
torien, sociologue, etc., sur un
sujet de société) et le format (une
vingtaine de minutes) s’y prêtent.
Mieux, on peut parier que cette
série trouvera ainsi le chemin
d’autres oreilles, ce dont on ne
peut que se réjouir, tant la qualité
est remarquable – en témoigne
encore le dernier épisode mis en
ligne, « Et si on arrêtait de prendre
les gens pour des cons ? », avec le
philosophe Jacques Rancière.
Soit Laura Raim, 39 ans et pas
assez de sommeil quand on l’ap­
pelle, ce qui n’empêche pas cette
Franco­Américaine aux multi­
ples diplômes d’avoir les idées af­
fûtées. Après avoir travaillé pour
un certain nombre de sites d’in­
formation en continu (L’Express,
Le Figaro), mais s’ennuyant un
brin, elle décide « de partir à la
pige pour une presse de gauche
plus raccord avec [s]es idées » :
la Revue du crieur, Regards, Le
Monde diplomatique et de longs
Gad Elmaleh, un quinqua qui se refait une santé artistique sur scène
En 2022, l’humoriste a sillonné la France avec son seul­en­scène, « D’ailleurs », mêlant stand­up et incarnation de personnages désopilants
CANAL+
VENDREDI 20 - 21 H 05
SPECTACLE
P as de musique tonitruante,
pas d’apostrophe du
public, Gad Elmaleh arrive
sans esbroufe. Comme si renouer
avec la scène suffisait à ce vétéran
du rire. La pandémie, et son cor­
tège d’annulations et de jauges ré­
duites, a retardé de deux ans ces
retrouvailles. Désormais, l’humo­
riste savoure l’accueil qui lui est
fait. Sur le plateau entouré de
deux écrans géants, Gad Elmaleh
GRILLE N° 23 - 017
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I toutes vos confidences. Négation.
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 23 - 016
HORIZONTALEMENT I. Protagoniste. II. Répétitive. III. Eut. Lei. TB.
IV. Etirant. Aère. V. Mimes. Epiçât. VI. Plus. Réole. VII. Time. Réa. RER.
VIII. Is. Randonnée. IX. Œuvrai. OE. X. Négativement.
VERTICALEMENT 1. Préemption. 2. Réutilisée. 3. Optimum. Ug. 4. Té.
Réserva. 5. Atlas. Art. 6. Gien. Ornai. 7. Otite. Ediv (vide). 8. Ni. Prao.
9. Ivraie. Nom. 10. Se. Ecornée. 11. Trâlée. 12. Embêtèrent.
Laura Raim, à Paris, en novembre 2021. GUILLAUME ORIGNAC
entretiens filmés avec des intel­
lectuels pour le site Hors­Série.
Forme innovante
Quand Upian, société de produc­
tion pionnière dans le webdocu­
mentaire, et Arte évoquent une
envie de collaboration autour
d’un magazine sur les idées pour
le site de la chaîne, Silvain Gire
leur parle de Laura Raim, qui avait
imaginé un documentaire (Le Mi­
n’a rien perdu de son sens du
rythme, de la précision de sa ges­
tuelle et de ses grimaces. A 50 ans
– un âge « bizarre, ni jeune, ni vieux,
un âge où les filles de 25 ans se di­
sent “il pourrait être mon père…
mais en même temps ça passe” » –,
il a envie de « dire la vérité » sans se
soucier des réactions.
Sa vérité, c’est celle qu’il livre sur
sa famille et sur son éternel « syn­
drome du blédard », lui, le juif ma­
rocain élevé dans un quartier po­
pulaire de Casablanca. Il y a de la
truculence dans sa manière de
raconter le choc des cultures
7 8 9 10 11
nimum syndical) pour Arte Radio,
dont il est le directeur éditorial.
Afin de toucher un public plus
jeune que la moyenne des télés­
pectateurs de la chaîne franco­al­
lemande, il aura fallu réfléchir à
une forme innovante. Laura Raim
insiste sur le rôle du réalisateur
David Tabourier : « C’est grâce à
son expérience, à sa gentillesse et
à sa patience que j’ai fini par oser
parler face caméra et “faire la you­
lorsque sa mère l’accompagna au
palais de Monaco pour rencon­
trer son ex­belle­famille princière
– Gad Elmaleh a été marié et a eu
un fils avec Charlotte Casiraghi.
« Dites­moi, ici, vous louez ou c’est
tout à vous ? », demandait la
maman en toute naïveté.
Adresse au public
Fidèle à son habitude, Gad
Elmaleh poursuit son observation
de nos travers quotidiens. Si les
sujets abordés ne sont ni d’une
folle originalité, ni véritablement
approfondis, sa force est de mélan­
HORIZONTALEMENT
I. Sycophante ou balance. II. Produc-
teur de plumes et de poils. Se lança.
III. Sur la portée. Joli coup sur le
court. Passât au plus près. IV. Encou-
12
ragement au cirque. A l’écoute de
V. Les délicieux sont un régal. Beau
travail. VI. Les plus beaux sont pour
les belles. Dans un parcours d’étu-
diant. VII. A la bonne heure. Sort avec
la crèche. VIII. Doublé romain. Flotte-
ras dans les eaux et les airs. IX. Pour
qui se prend-elle, celle-là. X. Leurs
crises sont incontrôlables. Essayée
avant usage.
VERTICALEMENT
1. Affliction, peine et même dévasta-
tion. 2. Facilite la mise à nu et la peau
lisse. 3. Sur le niveau. La part de cha-
cun. A suivre en marchant. 4. Féodale
en plein centre. Personnel. Au mo-
ment de souffler. 5. Hybrides et ju-
teuses sur nos tables en été. 6. Faisais
preuve d’esprit. Romains chez la diva.
Dans l’immédiat. Partir à la fin. Serial
killer. 8. Ouvertes en grand. Mysté-
rieuse chez Verne. 9. Bien protégées.
10. Sœur d’Hélios et de Séléné. Sortit
et fut mis en vente. 11. Bien fatigant.
Pleut sans arrêt. 12. Bien dégagée.
tubeuse” », dit­elle. Pour le fond,
elle doit concilier ses lectures et
ses élans avec les contraintes en
matière de programmation, de va­
riété et d’équilibre général : avoir
des chercheurs issus de toutes les
sciences sociales, traiter de sujets
variés, respecter la parité hom­
mes­femmes, mais aussi avoir
une part de jeunes chercheurs
et une part plus « patrimoniale »,
des « monuments » de la pensée.
ger, avec efficacité, l’adresse di­
recte au public et l’incarnation de
personnages désopilants.
Puisqu’il tient à être sincère, ce
quinquagénaire se lâche sur les
nouvelles tendances de l’épo­
que : il juge « débile » de devoir
être « inclusif », dit son antipa­
thie pour les « “stories” de
bouffe » sur Instagram et pour
cette excitation dérisoire en
faveur du click and collect. Et ne
lui parlez pas du Covid­19 : « Les
histoires du beau­frère qui avait
un autotest positif mais un PCR
négatif, qui est devenu cas
SUDOKU
N°23­017
1 8 6 2
2 6 Chaque chiffre ne doit
6 8 1 9
4 9 7
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
ANITA POUCHARD SERRA/BLOOMBERG VIA GETTY IMAGES
télévision | 19
Sur les quatre­vingt­dix minu­
tes d’entretien, Laura Raim
ne garde souvent que de quinze
à dix­sept minutes. Le reste se
fait au montage : définition et
explication de concepts trop
ardus, interview complémen­
taire, ajout d’archives sonores
venant éclairer un propos ou
recontextualiser un sujet. Sans
jamais perdre de vue qu’« on peut
partir d’un sujet très concret
pour aboutir à de grandes ques­
tions de philosophie ».
Cela peut être en rappelant la
phrase de l’actrice Aïssa Maïga,
qui avait semé le trouble lors des
Césars, en 2020 (« A chaque fois
que je me retrouve comme ça,
dans une grande réunion du mé­
tier, je ne peux pas m’empêcher de
compter le nombre de Noirs dans
la salle »), pour amener la ré­
flexion que mène la philosophe
Yala Kisukidi sur les identités
dans l’épisode « L’identité mena­
ce­t­elle le collectif ? ».
Parmi les épisodes les plus
stimulants, on peut citer « Etre
pauvre, est­ce manquer d’ar­
gent ? », avec le sociologue Daniel
Zamora, ou « Peut­on vraiment
quitter sa classe sociale ? », avec
la philosophe Chantal Jaquet. p
émilie grangeray
Les Idées larges, de Laura Raim,
réalisée par David Tabourier
(Fr., 2022, 4 × 20­25 min).
contact mais asymptomatique…
Je n’en peux plus d’entendre ça ! »
Reste son âge, qui semble le
travailler. Gad Elmaleh se confie
sur ses « pépins de santé », sur
son arrêt de l’alcool pour en finir
avec « les amitiés, les fêtes et les
amours artificielles ». Inquiet,
comme nous tous, de passer de
la fin du rouleau de la pandémie
au nouveau rouleau d’une possi­
ble troisième guerre mondiale, il
convoque « le dieu de toutes les
religions » pour appeler à la
réconciliation : « Aimons­nous,
mélangeons­nous ! »
2 5 3 7 8 1
7 9 1 6 4 2
6 8 4 5 9 3
2 8 6 5 1 7 9 2
3 2 7 8 6 4
1 5 9 1 4 9 2 3 5 6
4 1 6 3 5 8
9 7 8 4 2 6
5 7 3 5 3 2 9 1 7 4
3 8 Difficile
4 Complétez toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
être utilisé qu’une
seule fois par ligne,
3 par colonne et par
carré de neuf cases.
Cahier numéro un de l’édition n°  3041 du 19 au 25 janvier 2023
FLORIDE LEL’ULTRADROITE AMÉRICAINE SÉRIE PAR JEAN-PASCAL ZADI
LABORATOIRE DE MOI, PRÉSIDENT…
EN VENTE
CHEZ VOTRE
RETRAITES MARCHAND
LA RÉFORME DE JOURNAUX
DE TROP
MACRON-BERGER : GÉNÉRATIONS SACRIFIÉES :
LES CLÉS DU CONFLIT LES VRAIS PERDANTS
NOTRE
SÉLECTION
V EN DR EDI 20 J ANVIE R
Ushuaïa TV
Kalahari, l’autre loi de la jungle
20.45 De magnifiques images
de cette vaste plaine à cheval sur
le Botswana, la Namibie et l’Afrique
du Sud. Et la découverte qu’il règne
dans ce désert, pauvre en ressources
et en eau, une loi de l’entraide.
France 4
Femme, vie, liberté. Concert
de soutien au peuple iranien
21.10 Une quarantaine d’artistes
étaient venus au Trianon, le
12 décembre 2022, chanter pour
la révolte en Iran, avec, en fil rouge,
l’évocation de la première femme
condamnée à mort pour avoir
enlevé son voile… en 1852.
TV5 Monde
Les Mille et Une Vies
de Line Renaud
23.00 A 94 ans, l’actrice, toujours
présente sur les écrans, remonte
le temps face à Mireille Dumas,
racontant son enfance dans le Nord
et sa carrière de meneuse de revue
à Las Vegas et à Paris.
France 3
Le Tailleur de Panama
23.15 John le Carré fut coscénariste
et coproducteur de cette parodie,
adaptée de son livre (1996)
et réalisée en 2001 par John
Boorman, de l’histoire d’un petit
malfrat de Londres (Pierce Brosnan).
Au terme d’une heure et quelque
d’un show très professionnel, où il
fait un usage bien dosé de l’impro­
visation, c’est comme si Gad
Elmaleh se refaisait une santé ar­
tistique. On sourit tout le temps,
on rit souvent et on est surtout
bluffé par l’aisance scénique de ce
comédien, qui parvient à créer
une intimité, même devant des
milliers de spectateurs. p
sandrine blanchard
D’ailleurs, de et avec
Gad Elmaleh (Fr., 2022, 75 min).
Captation au Dôme de Paris.
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
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4 3 Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
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7 8
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Midi-Print, Gallargues le Montueux
Origine du papier : France, Belgique.
Taux de fibres recyclées : 87 %. Ce journal est imprimé sur un
papier issu de forêts gérées durablement et de sources controlées.
Eutrophisation : PTot = 0.008 kg/tonne de papier
20 | styles
GASTRONOMIE
eus (pyrénées­orientales) ­
envoyé spécial
P
our commencer le tour du proprié­
taire, Etienne Schaller repousse la
bâche en plastique blanche d’une
serre, comme un rideau de théâtre
s’ouvrant sur des rangées compactes d’ar­
bustes, un univers luxuriant, verdoyant et
moite. Couteau en main, il décroche un fruit
qui semble être un citron standard, en dé­
coupe une tranche et propose de croquer de­
dans, sourire en coin. Surprise : alors qu’on
croyait s’anesthésier les papilles, ce fruit
trompe­l’œil qui a perdu toute son acidité
bouscule à peine le palais. « C’est un citron
doux, c’est un peu décevant comme ça, mais
c’est parfait pour un tagine », dit le patron.
On ressort de la jungle miniature pour être
giflé par la beauté du panorama, grandiose,
qui se déroule en touches de couleurs pri­
maires, façon Miro. Sous le ciel de plastique,
on avait oublié la beauté du site où se situe le
verger Schaller­Bachès. En face, le Canigou,
dont le sommet est coiffé d’un tout petit cha­
peau de neige, tache blanche dans le ciel d’un
bleu monochrome. Derrière, le village d’Eus,
à flanc de colline. Et surplombant le tout, un
gros soleil jaune d’hiver écrasant de lumière,
qui semble vouloir justifier la réputation de
ce bourg des Pyrénées­Orientales, présenté
comme le plus ensoleillé de France.
C’est là, à une quarantaine de kilomètres de
Perpignan, que s’étend le butin fruitier des
Agrumes Schaller­Bachès, un trésor unique
en France, qui ne cesse de croître depuis plus
de quarante ans. Ici, des pépites dorées pous­
sent sur les arbustes à l’abri d’une vingtaine
de serres qu’on remarque à peine depuis la
route descendant du village. Un millier de
variétés différentes se déploient sur près de
3 hectares, en grappes et guirlandes jaunes,
vertes, orangées. Le trésor est inestimable.
« La première fois qu’on est entrés dans les
serres, on a été saisis, se souvient Perrine
Schaller. Il y avait la chaleur, l’humidité, une
odeur puissante de végétal, ça sentait la vie ! »
C’était en 2017. Elle et son mari, Etienne, reve­
nus de Nouvelle­Calédonie, tous deux tren­
tenaires et agronomes, cherchaient une af­
faire à reprendre autour des fruits et de la
biodiversité en France. En fouillant sur Inter­
net, ils tombent assez rapidement sur le
conservatoire d’agrumes que Michel et
Bénédicte Bachès cherchent à céder, à Eus.
Pour la beauté du zeste
Citron caviar, combava,
main de Bouddha, kalamantsi…
Perrine et Etienne Schaller ont
fait du verger Bachès un royaume
de la biodiversité des agrumes
Le jeune couple relève le défi, fasciné. Mais
la tâche est rude. Ne serait­ce que pour
reconnaître et apprivoiser la foultitude de
fruits du domaine. « En Nouvelle­Calédonie,
il y avait des petites limes mexicaines, des
combavas, des pamplemousses de Tahiti,
énumère Etienne Schaller. On savait que
les agrumes ne se limitaient pas aux citrons
et aux mandarines, mais on n’imaginait pas
qu’une telle richesse pouvait exister ! Et,
comme pour le vin, il ne suffit pas de connaî­
tre le produit, il faut pouvoir en parler, trouver
les mots justes pour le décrire et amener les
clients à imaginer une manière de l’utiliser. »
« Nous créons
Yuzu vert, yuzu jaune des fruits
La suite de la visite n’est pas moins surpre­
nante et convoque toutes les émotions d’un
inattendus,
bon blockbuster américain. L’effroi, face aux comme
mains de Bouddha, une variété de cédrat qui
ressemble à un poulpe lépreux aux longs
le pomeloquat,
tentacules jaunes et grêlés (parfaitement à la fois acide,
présentables cependant en confit, en zestes,
ou découpés en fines tranches prenant des
sucré et amer »
formes de fleur). Le glamour, avec le citron ÉTIENNE SCHALLER
caviar, un petit agrume à la pulpe rose, truffé agrumiculteur
de minuscules billes brillantes au parfum de
groseille (idéal sur des huîtres, un carpaccio
de saint­jacques ou même simplement du
riz, à la manière de Pascal Barbot, le chef de
l’Astrance, à Paris). La douceur, avec le honey
lemon, au suave goût de limonade, ou avec
le kalamantsi, hybride de kumquat et de
mandarine, qui peut être croqué tout cru et
évoque l’acidulé des bonbons Arlequin.
Petits joufflus, grands ridés… La diversité
des formes renvoie à une palette aromatique
incroyablement riche, d’autant que des
fruits plus ou moins matures n’ont pas le
même goût. « Le yuzu jeune, vert, va être plus
acide, précise Etienne Schaller. Un chef
comme Jacques Marcon, habitué à utiliser
des herbes de montagne en Auvergne, va ap­
précier son côté herbacé. Le yuzu jaune déve­
loppe, lui, des parfums d’humus, voire de
fraise quand il est laissé à maturer plus long­
temps sur l’arbre. Anne­Sophie Pic s’en sert
dans des desserts à la vanille. »
Cette bibliothèque de saveurs inspire et
excite évidemment les grandes toques. Du
temps des Bachès, Alain Ducasse est le pre­
mier qui a puisé, en 2005, dans la réserve
d’Eus pour des citrons bergamotes : lui qui
n’utilisait que leur version marocaine a dé­
couvert ceux, originaires de Calabre, qui
poussaient sous les serres pyrénéennes, et
est tombé sous le charme. « Il fait partie des
pionniers à avoir fait confiance à l’exploita­
tion, souligne Perrine Schaller. Avec Pascal
Barbot, Pierre Hermé, la famille Troisgros,
William Ledeuil… » Cette galaxie d’étoilés,
plus d’une centaine au total, fait toujours
confiance aux jeunes repreneurs. Et leur fi­
délité leur a sauvé la mise. « Pendant le confi­
nement, Barbot nous a commandé des fruits,
alors que lui­même était fermé : il les propo­
sait dans des paniers à ses propres clients,
détaille Etienne Schaller. La pâtissière Claire
Heitzler n’avait pas de labo mais elle a trouvé
un local pour transformer nos agrumes. Et
après le déconfinement, en 2021, elle a ima­
giné un “gâteau de l’amitié” à base d’aman­
des, garni d’une marmelade de yuzu. »
La conversion au bio
Ce soutien des chefs était primordial, mais il
n’a pas suffi. Le couple s’est retrouvé pendant
le confinement avec des milliers de fruits sur
les bras, et s’est tourné peu à peu vers une
clientèle de particuliers. D’abord en vendant
des paniers sur les réseaux sociaux. Non sans
accroc. « On recevait des messages un peu in­
quiets : “C’est quoi, cet agrume ?”, “On le
mange comment ?”, “Est­ce qu’on peut utiliser
l’écorce pour un cocktail ?” », se souvient Per­
rine Schaller. Le tandem imagine alors une
série de fiches explicatives illustrées à l’aqua­
relle, pour accompagner les livraisons. Puis
une gamme de bocaux chics vendue sur une
boutique en ligne : des pâtes à tartiner à la
mandarine (13 euros), des pickles de cédrat
(13 euros), du coulis de yuzu (15 euros), de
l’huile d’olive au combava (12 euros)…
Le prix est élevé pour des contenants d’en­
viron 200 grammes. Parce que le travail sur
place est totalement artisanal : aidé de trois
salariés, le couple prélève les agrumes à la
main (en témoignent les écorchures sur
leurs doigts, car certains arbustes, comme le
yuzu, sont hérissés de longues épines). Les
fruits frais sont prélevés à maturité, et livrés
0123
VENDREDI 20 JANVIER 2023
Perrine
et Etienne
Schaller,
dans l’une de
leurs serres,
le 5 janvier.
MATTHIEU SARTRE
POUR « LE MONDE »
dans la journée. Mais, surtout, l’exploitation
est totalement passée en bio, ce qui a en­
traîné de considérables dépenses. Leur pré­
décesseur, Michel Bachès, s’il travaillait pro­
prement, déclarait dans des interviews se
« foutre » des labels. Le nouveau couple aux
commandes a pris le contre­pied. « On est de
la génération développement durable, as­
sume Perrine Schaller. Pour nous, avoir un
impact positif sur le social, l’environnement,
c’est important… Sinon on aurait pu tout aussi
bien franchir la frontière espagnole et tra­
vailler des dizaines d’hectares autrement. »
La transformation de l’exploitation ne se
fait pas sans mal. Sur certaines variétés, le
couple, qui utilise des engrais moins puis­
sants, perd 90 % de sa production. Et certains
fruits présentent des petits défauts, comme
des taches marron causées par des piqûres
d’insecte. L’avantage ? L’intégralité du fruit
peut se manger sans danger : la pulpe bien
sûr, mais aussi le zeste (la partie extérieure
du fruit) et le ziste (la peau blanchâtre sous le
zeste). La conversion au bio a pris plus de
trois ans, mais aujourd’hui, c’est une fierté
pour les deux agronomes, pleins d’enthou­
siasme pour de nouveaux projets. Le 3 dé­
cembre 2022, le chef étoilé Laurent Lemal, qui
officie habituellement au restaurant La Ba­
lette, à Collioure, est venu proposer un repas
sur mesure en huit temps et autant d’agru­
mes à 40 chanceux installés dans l’une des
serres, au milieu des arbres fruitiers. Au
menu : patate douce aux pétales de cédrat et
savarin au yuzu, ou encore un savoureux ve­
louté de châtaigne et oursin au condiment
tangelolo. « Le tangelolo est un agrume petit
et sucré, sans pépin, précise Etienne Schaller.
C’est le fruit d’une triple hybridation, d’abord
d’un pomelo avec une mandarine, donnant
le tangelo ; puis du tangelo avec un pomelo. »
L’évocation des croisements infinis entre
variétés pose un sourire rêveur sur le visage
de l’agronome. « Notre boulot, c’est aussi de
créer des fruits nouveaux, inattendus, lance­
t­il. On a par exemple imaginé dans nos ser­
res un pomeloquat, hybride de kumquat et
de pomelo, qui présente une incroyable com­
plexité aromatique. » On croque dans le pe­
tit agrume, qui se révèle à la fois acide, sucré
et amer. On n’a en effet jamais rien goûté
de tel. « On le multiplie en ce moment pour
pouvoir augmenter notre production et le
mettre en vente, poursuit Etienne Schaller.
Ce sera peut­être le yuzu de demain ! » p
léo pajon
0123
VENDREDI 20 JANVIER 2023 carnet | 21
Jean-Pierre Courtiau, Catherine Jourdan Glasberg, Aix-en-Provence. Paris. Muriel Rist-Spohn, Barbara Rist,
François-Laurent et Nathalie son épouse, ses filles,
Contenay Bruno et Sonia, Angéla Laprugne, Hugues Leroy,
et leurs conjoints, Isabelle et Pascal, ses enfants, son gendre,
Le Carnet née Riebisch,
en vente Anne-Julie et Mathias Alain et Annie,
son épouse,
Lucie et Hélena, Lou et Gabriel,
et leurs enfants, Nina et Armel, son frère et sa sœur ses petits-enfants,
actuellement Philippe Goetz Et toute la famille, Marithé (†) et Jean-François Jacoulet, Dominique Rist,
et ses enfants, Florian et Anabel, sa sœur et son beau-frère, sa sœur,
Vous pouvez nous faire parvenir
K En kiosque vos textes soit par e-mail :
Daniel et Christine Contenay, ont la profonde tristesse d’annoncer Peter et Hilde Riebisch, ont la tristesse de faire part du décès
le décès de son beau-frère et sa belle-sœur, de
carnet@mpublicite.fr ont la grande tristesse de faire part
0123 ÉDITION 2023
du décès de Gilles Jacoulet et Sophie Lengrand-
(en précisant impérativement Jimmy GLASBERG, M. Franklin RIST,
H O R S - S É R I E

LE BILAN Jacoulet,
▶ GÉOPOLITIQUE

directeur de la photographie,
▶ ENVIRONNEMENT

votre numéro de téléphone et

▶ ÉCONOMIE

DU MONDE Florence membre de l’AFC.

Olivier Jacoulet et Sophie Lussier- survenu le 10 janvier 2023,
+ AT LA S D E 1 9 8 PAYS
+ 1 5 PAG E S D E D É B ATS : BERTRAND BADIE, LAUREN ELKIN, SOROUR KASMAÏ,
votre éventuel numéro d’abonné COURTIAU-CONTENAY. Jacoulet, dans sa quatre-vingt-unième année.
ou de membre de la SDL)
MARIE MENDRAS, VALÉRIE NIQUET, MARC-ANTOINE PÉROUSE DE MONTCLOS...

Ses obsèques ont eu lieu au Oliver et Katarine Riebisch,

soit sur le site :
https://carnet.lemonde.fr
L’équipe du Carnet reviendra vers
vous dans les meilleurs délais
pour vous confirmer la parution.
Dès jeudi 19 janvier
carnet@mpublicite.fr
HORS-SÉRIE
La cérémonie d’adieu a eu lieu Il s’est éteint paisiblement, entouré
cimetière de Ménerbes (Vaucluse), le ses neveux et nièces
ce vendredi 20 janvier 2023, à 10 h 30,
mercredi 18 janvier 2023, à 14 heures. de ses proches.
au cimetière parisien de Bagneux et leurs enfants
Et tous ses amis du 52, rue
(Hauts-de-Seine), 45, avenue Marx- La cérémonie aura lieu le lundi
Dormoy. Anne et Sylvestre Grandadam, Mazarine, 23 janvier, à 13 h 30, en la salle de la
ses enfants, Coupole du crématorium du cimetière
du Père-Lachaise, 71, rue des Rondeaux,
Paris. Théophile et Mathilde, ont la tristesse d’annoncer le décès
ses petits-enfants, Paris 20e.
de
Anne-Marie Delye, Sa famille
Cet avis tient lieu de faire-part.
son épouse, Et ses ami.e.s,
Jean-Pierre LAPRUGNE,
Hélène, domirist1@gmail.com

https://carnet.lemonde.fr sa fille ont l’immense tristesse de faire part brocanteur collectionneur d’art,
m.rist@gmx.com
Ainsi que sa famille de la mort de barbara.rist@lecnam.net
Et ses amis, survenu à Aix-en-Provence,
AU CARNET DU «MONDE» Mme Andrée GRANDADAM, le 12 janvier 2023,
ont la douleur de faire part du décès née DELBIAUSSE, Grenoble.
à l’âge de quatre-vingt-six ans. Saint-Pierre-de-Chartreuse.
de agrégée de l’Université,
Décès ancien professeur
Les obsèques auront lieu le lundi Jean-Pierre Millier,
LES DIEUX GRECS ET ROMAINS M. André DELYE, de lettres classiques son mari,
Paris. au lycée Marcelin Berthelot 23 janvier, à 16 heures, au
survenu le 14 janvier 2023, (Saint-Maur-des-Fossés), crématorium du parc Mémorial de a la tristesse de faire part de la mort,
M. Biarneix, à l’âge de quatre-vingt-un ans. marathonienne (VGA), Provence, 2370, rue Claude-Nicolas à l’âge de quatre-vingts ans, le
président de l’AFTE, marcheuse (CAF), Ledoux, à Aix-en-Provence. 14 janvier 2023, de
Dès jeudi 19 janvier Les administrateurs, Une cérémonie sera célébrée le amoureuse
Les forces vives, samedi 21 janvier, à 10 h 30, en de la nature et des animaux, Monique VALBOT,
L’équipe permanente, l’église d’Azay-le-Ferron (Indre). Gilles et Sophie Jacoulet. ouverte aux arts et aux autres.
HORS-SÉRIE
Ses collègues le 11 janvier 2023, Jacoulet.gilles@wanadoo.fr
Et amis, Pompes funèbres Châtillonnaises, à l’âge de quatre-vingt-onze ans. Sa famille et ses amis se seont
L’EAU & LES OCÉANS 36700 Châtillon-sur-Indre. retrouvés au centre funéraire de
Les familles Berner, Leenhardt et

CARTES
EN
ont la tristesse de faire part du décès Tél. : 02 54 38 83 80. La Tronche, ce vendredi 20 janvier,
de La cérémonie religieuse est Groen, à 14 h 30, pour un dernier signe
célébrée ce vendredi 20 janvier, à d’affection.
Olivier BORNECQUE, La revue d’histoire Le Mouvement 14 h 30, en l’église Notre-Dame-
ont la tristesse de faire part du décès
président de l’AFTE social du-Rosaire, à Saint-Maur-des-Fossés
(Val-de-Marne). de Communication diverse
de 2004 à 2011,
a la grande tristesse de faire part de
survenu le 16 janvier 2023, la disparition de Un registre de signatures, un Marguerite LEENHARDT,
à Fresnoy-le-Château, message sur le site des Pompes
à l’âge de soixante-seize ans. Jean-Paul DEPRETTO Funèbres Générales tiendra lieu de survenu le 5 janvier 2023,
Hors-série (1952-2023), condoléances. à l’âge de quatre-vingt-onze ans.
Le président de l’AFTE, les
administrateurs, les forces vives, artisan d’une nouvelle « Tu n’es plus là où tu étais
HORS-SÉRIE
l’équipe permanente adressent à histoire sociale et politique mais tu es partout là où je suis. » Une cérémonie a eu lieu le jeudi
Les incontournables des son épouse et sa famille leurs plus de l’usine en France 19 janvier, à 10 heures, au crématorium
Victor Hugo.
PIEDS NICKELES de René Pellos d’aprés Louis Forton
sincères condoléances. et de la société en proie
à l’État en URSS,
du cimetière du Père-Lachaise,
Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !

membre du comité M Danielle Gruseck-Lutz,

me Paris 20e. Les bénévoles de SOS Amitié
Jean-Rémi et Eugénie Cabane, éditorial de la revue. Isabel et Karin, écoutent
Bertrand Cabane, ses filles, par téléphone et/ou par internet
MariThé,
Cécile Cabane et Olivier Boussard, Rafaël et Amélia, ceux qui souffrent de solitude,
ses enfants, Danielle Descombey, sa conjointe,
ses petits-enfants, de mal-être et peuvent avoir
Diane, Matthieu, Elsa et Thomas, Christian Raulet, Clément, des pensées suicidaires.
2
ALBUMS ses petits-enfants, ont la profonde tristesse de faire part son fils,
Les Pieds Nickelés font boum !
COMPLETS Cécile Raulet-Descombey,
Les Pieds Nickelés rois du pétrole
Jean Cabane, du décès de Claire et Antoine, Nous recherchons des écoutants
Richard et Françoise Cabane, Juliette Raulet-Descombey, bénévoles
sa sœur et son frère,
Hors-série ses frères et sa belle-sœur, M. Hubert GRUSECK-LUTZ, sur toute la France.
Ses neveux et sa nièce, Gérard Danel, 15 mai 1938 - 15 janvier 2023, L’écoute peut sauver des vies
Les familles Cabane, Lalanne, chevalier de la Légion d’honneur, ont la tristesse de faire part du décès
et enrichir la vôtre !
Pardo, Sentucq, ont la tristesse d’annoncer que officier de Choix des heures d’écoute,
100 GRILLES
de l’ordre national du Mérite. formation assurée.
ont la douleur de faire part du décès Jeanne (Jeannette) Christophe REVERCHON,
PAR PHILIPPE DUPUIS – N° 4

de DESCOMBEY, Les obsèques sont célébrées ce En IdF RDV sur

pédopsychiatre, vendredi 20 janvier 2023, à 16 heures, www.sosamitieidf.asso.fr
survenu le 5 janvier 2023,
M. Marc CABANE, en la salle de cérémonie du centre En région RDV sur
préfet honoraire, nous a quitté.e.s le 11 janvier 2023, funéraire de la Robertsau, 15, rue de à l’âge de soixante-cinq ans, www.sos-amitie.com
à l’âge de quatre-vingt-dix-sept ans. l’Ill, à Strasbourg. à Valence (Drôme).
survenu le 12 janvier 2023,
à l’âge de soixante-seize ans. Nous nous réunirons pour lui dire La famille remercie toutes les
adieu, le lundi 23 janvier, à 13 h 30, à personnes qui s’associent à son Société éditrice du « Monde » SA
Dans le souvenir de son épouse, la Maison funéraire de Ménilmontant, deuil. Président du directoire, directeur de la publication Louis Dreyfus
Directeur du « Monde », directeur délégué de la publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio
7, boulevard de Ménilmontant, Paris 11e.
Hors-série Directrice de la rédaction Caroline Monnot
Marie-Hélène CABANE, Cet avis tient lieu de faire-part et Direction adjointe de la rédaction Grégoire Allix, Maryline Baumard, Hélène Bekmézian, Philippe Broussard,
L’inhumation aura lieu au cimetière de remerciements. Nicolas Chapuis, Emmanuelle Chevallereau, Alexis Delcambre, Marie-Pierre Lannelongue, Franck Nouchi,
née SENTUCQ. Harold Thibault
parisien d’Ivry-sur-Seine, à 15 heures, Directrice éditoriale Sylvie Kauffmann
44, avenue de Verdun, à Ivry-sur- Directrice déléguée au développement des services abonnés Françoise Tovo
La famille de Seine. Philippe et Hélène Guilbaud, Directeur délégué aux relations avec les lecteurs Gilles van Kote
Olivier Guilbaud, Rédaction en chef Laurent Borredon, Emmanuel Davidenkoff (Evénements), Michel Guerrin, Nicolas Jimenez (photo-
Irène Guilbaud et Alice Guilbaud, graphie), Sabine Ledoux (cheffe d’édition), Alain Salles (Débats et Idées)
M. Pierre-Yves CHANUT, Danielle Descombey, Directrice du design Mélina Zerbib
10, rue Ernest-Cresson, Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani
a la douleur d’annoncer son décès 75014 Paris. ont la tristesse de faire part du décès Infographie Delphine Papin
Directrice des ressources humaines du groupe Emilie Conte
survenu à Croissy-sur-Seine, le ddesc@orange.fr de Secrétaire général de la rédaction Sébastien Carganico
27 décembre 2022, à l’âge de quatre- Conseil de surveillance Aline Sylla-Walbaum, présidente, Gilles Paris, vice-président
vingt-douze ans. Mme Monique GUILBAUD,
En union de prières avec née SCHORSCH,
Yves-Marie Duval (†),
ancienne professeure d’espagnol,
Pleyber-Christ. Beyrouth. Damas. son époux,
Paris. Mechtilde et Arnaud Lecat,
Musée idéal la revue n° 4 Xavier et Christel Duval, survenu à Créteil, le 4 janvier 2023.
Les familles Conan et Rouquette Miryam et Christophe Barnini,
Ses obsèques ont été célébrées
Collection ont la tristesse de faire part du décès
ses enfants,
Ses petits-enfants
et leurs conjoints,
en l’église Sainte-Marie-aux-Fleurs,
20, rue d’Alsace-Lorraine, à Saint-
de Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), ce
Ses arrière-petits-enfants,
P R É S E N T E
vendredi 20 janvier, à 10 heures.
Jean-Noël CONAN,
architecte DPLG. ont la tristesse de faire part du rappel
à Dieu du phiguilbaud@orange.fr
o.guilbaud@gbo-avocats.fr
Les obsèques ont eu lieu ce
20 janvier 2023, à 10 h 30, en la paroisse docteur
Saint-Joseph-des-Nations, Paris 11e. Ginette DUVAL-BEAUPÈRE, Rémi et Sébastien Labrusse, Anne-
Avril et Violaine Labrusse, Baptiste
à Meudon (Hauts-de-Seine),
Loreaux, Gaspard Labrusse, Antoine
Marie-France, le 13 janvier 2023,
dans sa quatre-vingt-quinzième année. Labrusse-Eglès, Valérie Eglès, Nathalie
son épouse,
Martine, Lise et Cyrille, Landry, Max-Philippe Couteau, Gilbert
ses enfants, La cérémonie religieuse sera Loreaux, Dominique, Claudine, Tom,
Nicolas, Mélanie, Aurélien, David, célébrée le samedi 21 janvier, à Robert, Pascal Riou
Christoph, Julien, Cécile, Rémi et 9 h 30, en l’église Notre-Dame-de- et leurs familles,
Gaspard, l’Assomption, 39, avenue du Général
ses petits-enfants, Gallieni, à Meudon. ont la tristesse d’annoncer que
Dès jeudi 19 janvier, Valentina, Ange, Noé, Adriana,
Léon et Aimé, Catherine LABRUSSE-RIOU,
le volume n° 2 ses arrière-petits-enfants,
Lyon. professeure émérite à l’université
DE BONAPARTE À NAPOLÉON Paris I-Panthéon-Sorbonne,
Philippe et Marie-Claire, Bruno et commandeure
ont la tristesse de faire part du décès Ginette, Marie et Catherine,
Nos services de

Noël COULET,
ses enfants,
Patrice, Delphine, Annabelle, Marion,
de la Légion d’honneur,

a quitté ce monde le lundi 16 janvier

Marianne, Mélanie et Bastien,
professeur émérite 2023, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.
Lecteurs d’histoire du Moyen Âge
ses petits-enfants,
Quentin, Chloé, Gabriel, Mathilde
La messe d’enterrement est dite
à l’université de Provence, et Raphaël,
K Abonnements officier ses arrière-petits-enfants, ce vendredi 20 janvier, à 14 h 30,
Sur abo.lemonde.fr dans l’ordre des Palmes académiques, en l’église Saint-Jacques-du-Haut-Pas,
Paris 5e.

Par tél. au 03 28 25 71 71
de 9 h à 18 h (prix d'un appel local) survenu brutalement à son domicile
à Aix-en-Provence, le 15 janvier 2023,
à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
K Le Carnet du Monde
carnet@mpublicite.fr Les obsèques seront célébrées le
samedi 21 janvier, à 9 h 45, en l’Église
protestante unie, 4, rue Villars, à Aix-
en-Provence.
noelcoulet@gmail.com
!Lelllonde
font part du décès de
M. Michel GASPARD, L’inhumation aura lieu le samedi
21 janvier, à 14 heures, à Menneville
ingénieur des arts et manufactures,
(Aisne), auprès de son époux,
Le Carnet
survenu à Lyon, le 14 janvier 2023,
à l’âge de quatre-vingt-dix-neuf ans. Bertrand LABRUSSE Pour toute i11for111atio11:
(1931-2011). carnet@mpuhlicilc.fr
La célébration aura lieu à la Prix à la ligne : 33€ TIC.
Maison funéraire Bataille, Lyon 8e, 1, rue Michelet,
le samedi 21 janvier, à 10 heures. 75006 Paris.
 IDÉES
0123
22 | VENDREDI 20 JANVIER 2023

Dans le contexte de l’urgence ment au productivisme et le choix d’une

agriculture intensive ». Alors que des sé­
cheresses comme celle de 2022 vont se
reproduire, il est urgent de protéger les
– donc cesser de colporter des informa­
tions fausses, par exemple que cette
forme d’agriculture ne serait pas contrô­
lée ou qu’elle n’aurait pas d’impact posi­

climatique, l’agriculture
ressources destinées à l’eau potable. Le
vivant s’effondre, et la COP15 biodiversité
a également ciblé les pesticides comme
cause. Il est crucial d’opter à long terme
pour des modes de production sobres
tif sur la santé – et en réorientant les sou­
tiens publics agricoles au profit de la fi­
lière bio. Il s’agit donc de rétablir l’aide au
maintien, d’inclure systématiquement
l’agriculture biologique dans les projets

biologique doit être soutenue

en énergie – et préférable d’augmenter
les surfaces en bio plutôt que les procès
entre riverains et agriculteurs épandeurs
de pesticides.
Enfin, des prospectives nationales et
européennes montrent que généraliser
l’agriculture biologique est possible et
Un collectif rassemblant des chercheurs, des élus et des agriculteurs souhaitable du point de vue de la souve­
raineté alimentaire, contrairement à ce
déplore la fin des aides au maintien de l’agriculture biologique. que certains prétendent.
Pour notre avenir, c’est bien le mode de production le plus
Principe pollueur-payeur
performant sur le plan environnemental qui doit être encouragé Pourtant, les filières bio connaissent,
pour la première fois depuis quinze ans,
une baisse des ventes qui s’explique par
les fins de mois difficiles des consomma­
alimentaires territoriaux et d’augmenter
massivement la part de bio dans la res­
tauration collective, afin d’atteindre les
objectifs fixés par les politiques publi­
ques. Et, quand près de 500 millions
d’euros publics ont promptement été
consentis en 2022 sans contrepartie aux
élevages les plus consommateurs d’ali­
ments importés pour les aider à surmon­
ter la crise, l’argument de la contrainte
budgétaire ne convainc pas…
L’application du principe pollueur­
payeur permettrait de réorienter les sub­
sides publics vers le soutien des pra­
tiques vertueuses de l’agriculture biolo­
gique. Il est paradoxal que le mode de

F
in août, le gouvernement a fait le
choix, par le biais de son plan stra­
tégique national, qui décline la
politique agricole commune
européenne, de mettre un terme aux
aides au maintien à l’agriculture
biologique. Cette aide a été remplacée
par un « écorégime » hétéroclite dans
lequel le montant alloué à la bio est
beaucoup plus faible qu’auparavant et à
peine plus élevé que celui apporté à
l’agriculture autodéclarée « haute valeur
environnementale », dont le cahier des
charges n’apporte pas de garanties. Des
aides publiques proches malgré des
attentes radicalement différentes : le
signal est mauvais.
Le travail des agriculteurs en bio est
plus complexe qu’en conventionnel, car
pour ne pas utiliser de produits chimi­
L’AGRICULTURE ques il s’agit de travailler avec la nature.
L’aide au maintien permettait de recon­
BIOLOGIQUE naître l’exigence technique de l’agricul­
ture biologique et ses services environne­
EST UN MODÈLE mentaux, démontrés par de nombreux
D’AGROÉCOLOGIE, travaux scientifiques : elle contribue à
préserver la biodiversité, à protéger la
QUE LE GIEC qualité de l’eau, des sols et de l’air, et réa­
git mieux face au changement climati­
PRÉCONISE que. La bio est un modèle d’agroécologie,
DE MASSIFIER que le Groupe d’experts intergouverne­
mental sur l’évolution du climat (GIEC)
RAPIDEMENT préconise de massifier rapidement.
Cette agriculture n’emploie ni nitrates
de synthèse (dont la production est gour­
mande en gaz, et dont l’épandage dégage
du protoxyde d’azote, gaz à effet de serre
puissant et rémanent) ni pesticides chi­
miques (dont la production est égale­
ment énergivore). Les récentes experti­
ses collectives de l’Institut national de la
santé et de la recherche médicale (In­
serm) sur les impacts des pesticides sur la
santé, et de l’Institut national de recher­
che pour l’agriculture, l’alimentation et
l’environnement (Inrae) sur leurs im­
pacts sur la biodiversité renforcent l’inté­
rêt vital pour la société d’une agriculture
se passant de pesticides chimiques.
Modes de production sobres en énergie
De nombreux captages d’eau pollués par
les nitrates et pesticides nécessitent de
coûteux traitements payés par les con­
sommateurs ou ne distribuent une eau
ne respectant les normes que moyen­
nant dérogation. Chaque année, d’autres
sont fermés du fait de pollutions diffu­
ses agricoles.
Dès 2010, la Cour des comptes notait
que « les résultats décevants constatés sur
les nitrates et les produits phytosanitaires
trouvent en grande partie leur origine
dans une insuffisante volonté de l’Etat de
remettre en cause des pratiques agricoles
durablement marquées par l’encourage­
teurs, mais aussi par la concurrence dé­
loyale de plusieurs labels prétendument
environnementaux et souvent moins
chers comme HVE, Zéro résidu de pesti­
cides, Agriculture raisonnée… Des pro­
ducteurs et coopératives bio se trouvent
en difficulté, après de lourds investisse­
ments réalisés pour accompagner la
croissance. Cette situation, actuellement
gérée sans soutien public, entraîne un
ralentissement de la dynamique de dé­
veloppement qui risque de se renforcer,
alors que la France s’est fixé une trajec­
toire d’augmentation de sa surface en
bio (25 % de la surface en 2030, pour 10 %
aujourd’hui) et d’augmentation des pro­
duits bio dans la restauration collective
(20 % en 2022, pour 6 % probables actuel­
lement). Bizarrement, les projets alimen­
taires territoriaux (PAT) issus de la loi
d’avenir pour l’agriculture, supposés
« relocaliser l’agriculture et l’alimentation
dans les territoires en soutenant l’instal­
lation d’agriculteurs, les circuits courts ou
les produits locaux dans les cantines »,
négligent la protection de leur ressource
en eau et oublient souvent d’associer les
producteurs bio locaux.
La Cour des comptes a clairement ex­
pliqué, dans son rapport de juin 2022,
pourquoi soutenir l’agriculture biolo­
gique, et comment : en éclairant les ci­
toyens sur l’impact environnemental et
sanitaire de l’agriculture biologique
production le plus performant sur le plan
environnemental ne soit pas en crois­
sance forte dans le contexte actuel des
multiples urgences écologiques ; cette
situation témoigne de politiques publi­
ques inadaptées qui en arrivent à péna­
liser et à entraver les systèmes les plus
souhaitables.
Le problème est grave, les enjeux sont
vitaux pour les territoires, les citoyens,
les générations futures et l’ensemble du
vivant ; il est urgent de réagir ! p
Premiers signataires :
Wolfgang Cramer, directeur de
recherche CNRS, Institut méditerranéen
de biodiversité et d’écologie
marine et continentale ; Sara
Fernandez, géographe à l’Institut na-
tional de recherche pour l’agriculture,
l’alimentation et l’environnement ;
Josette Garnier, directrice de recher-
che CNRS ; Harold Levrel, professeur
d’économie AgroParisTech ; Xavier
Poux, agronome, chercheur associé
à l’Institut du développement durable
et des relations internationales ;
Marc-André Sélosse, professeur du
Muséum national d’histoire naturelle
Liste complète sur Lemonde.fr

Olivier Hébrard Face aux sécheresses, il faut avant tout

revoir les usages et repenser les systèmes agricoles
L’expert en agroécologie souligne l’inanité du modèle agricole conventionnel pour lutter contre les sécheresses endurées par la France.
C’est la dépendance à l’irrigation qu’il faut remettre en cause, en changeant d’orientation agricole

D
ans un contexte de chan­
gements climatiques accé­
lérés, et malgré les consé­
quences environnemen­
tales, sociales et économiques
de la sécheresse qui a touché la
France et l’Europe en 2022, abor­
der ce type d’événement selon
une approche globale ne semble
toujours pas être placé au rang
des priorités pour 2023.
Dans le langage courant, il est
d’usage de parler de sécheresse de
manière générique, cependant,
la science en distingue trois types
différents. La sécheresse météo­
rologique est un déficit prolongé
de précipitations. La sécheresse
édaphique correspond à un man­
que d’eau dans les sols, alors que
la sécheresse hydrologique se rap­
porte à la situation d’un déficit
des débits des cours d’eau et à un
niveau bas des nappes et des lacs.
Parmi les fonctions écologiques
qu’elle peut jouer, l’agriculture a
un rôle majeur dans la gestion
des sécheresses édaphiques et
hydrologiques. Même si les prati­
ques évoluent favorablement,
l’agriculture dite « convention­
nelle » domine encore très large­
ment en France. Ce modèle
d’agriculture qui contribue au
réchauffement climatique est en
outre peu résilient face aux aléas
climatiques, notamment les sé­
cheresses. La prégnance de sols
laissés sans végétation pendant
de longues périodes, le travail
répété des sols en profondeur, le
faible niveau de biodiversité, les
parcelles trop grandes, les semen­
ces inadaptées, l’usage des pesti­
cides chimiques et des engrais
minéraux sont autant de facteurs
qui font perdre aux sols leur ca­
pacité à freiner, retenir, absorber
et stocker les eaux dans le sol, le
sous­sol et les aquifères. Ainsi,
alors que les eaux de pluie de­
vraient pleinement bénéficier
aux sols, à la végétation et soute­
nir l’étiage des cours d’eau, bien
trop souvent elles partent rapide­
ment vers la mer en emportant
les sols et en générant parfois
crues et inondations.
Système irrationnel
Bon nombre d’agriculteurs, par­
fois piégés par le modèle écono­
mique qui leur a été conseillé par
l’administration, préfèrent éviter
de remettre en question leurs
pratiques et leurs usages de l’eau,
et recherchent plutôt des moyens
d’avoir accès à toujours plus de
ressources pour irriguer. Selon le
niveau de gravité des sécheresses
hydrologiques, des arrêtés de res­
triction des usages de l’eau peu­
vent être pris par les autorités
préfectorales, qui peuvent aller
au niveau de gravité le plus élevé,
dit de « crise », jusqu’à l’interdic­
tion de l’irrigation, sauf dans le
cas des « prélèvements à partir de
retenues de stockage déconnec­
tées de la ressource en eau en pé­
riode d’étiage ». Conséquence de
cette exception­là, les projets de
retenues se multiplient ainsi un
peu partout sur les territoires.
Si, dans certaines situations lo­
cales, des retenues bien calibrées
peuvent se justifier, elles ne font
bien trop souvent qu’accentuer
la baisse des niveaux d’étiage par
L’AGRICULTURE DITE
CONVENTIONNELLE,
QUI CONTRIBUE AU
RÉCHAUFFEMENT,
EST EN OUTRE
PEU RÉSILIENTE
FACE AUX ALÉAS
CLIMATIQUES
la ponction hivernale des res­
sources. La multiplication des
projets de retenues destinées à
l’irrigation de cultures industriel­
les telles que le maïs pour l’ali­
mentation animale ne fait que
soutenir et cautionner un sys­
tème irrationnel, aujourd’hui
obsolète, qui depuis de nombreu­
ses années contribue largement
à l’accentuation des sécheresses
édaphiques et hydrologiques des
régions agricoles. Le cas média­
tisé de la mégabassine de Sainte­
Soline, dans les Deux­Sèvres, en
est le symbole actuel.
Un autre exemple de dérive est
celui de la vigne, plante qui, si elle
est bien gérée, supporte relative­
ment bien les sécheresses éda­
phiques, même sans irrigation.
Si, en l’absence d’orages estivaux,
un arrosage ponctuel de la vigne
peut éventuellement se justifier,
de même que l’irrigation des
jeunes plants, aujourd’hui, beau­
coup trop de viticulteurs et de vi­
gnerons irriguent déraisonnable­
ment les parcelles de vigne afin
de maximiser le volume de vin
produit et ce, souvent au détri­
ment du terroir et de la qualité de
la production. Malgré les fortes
tensions sur la ressource en eau
et les conflits d’usage apparus ces
dernières années en lien avec ce
type de pratiques, dans certaines
régions viticoles telles que le Lan­
guedoc, les projets d’extension
de réseaux d’irrigation se multi­
plient, de même que les projets
de création de retenues.
Régénération des milieux
Face aux problématiques de la dis­
ponibilité de l’eau dans les ré­
gions agricoles, la réponse ne con­
siste pas à prospecter de nouvelles
ressources, ni à créer de nou­
veaux moyens de stockage per­
mettant de passer au­delà des ar­
rêtés préfectoraux de crise, mais
avant tout à revoir les usages et à
repenser les systèmes agricoles.
Partout sur les territoires, dans
une diversité de sols et de cli­
mats, de plus en plus d’agricul­
teurs démontrent la capacité de
l’agroécologie paysanne à pro­
duire dans des systèmes écono­
miquement viables, tout en
contribuant à nourrir les territoi­
res de manière locale et saine.
Cette vision, qui va bien au­delà
du cahier des charges de l’agricul­
ture biologique, repose notam­
ment sur une approche holisti­
que, une valorisation optimisée
de la ressource en eau et de la
photosynthèse, dans un objectif
double de production agricole et
de régénération des milieux.
Elle se base sur des mécanismes
naturels qui favorisent d’une part
la rétention de l’eau dans les sols
au bénéfice de la végétation et,
d’autre part, l’infiltration dans le
sous­sol et les aquifères permet­
tant de soutenir l’étiage des sour­
ces et des cours d’eau. En visant
d’une certaine manière à trans­
former les milieux en éponges
géantes qui restituent progressi­
vement les eaux de pluie, l’agroé­
cologie paysanne est une réponse
aux enjeux climatiques.
Consommateurs, agriculteurs,
industriels, institutionnels et po­
litiques, chaque acteur du sys­
tème alimentaire peut, à sa me­
sure, jouer un rôle pour favoriser
le développement de ces modèles
agricoles vertueux. L’urgence
d’agir frappe à notre porte. p
Olivier Hébrard a obtenu
un doctorat en 2004 à l’Institut
national de recherche
pour l’agriculture, l’alimenta-
tion et l’environnement
de Montpellier, au sein
du Laboratoire d’étude
des interactions entre sol,
agrosystème, hydrosystème
0123
VENDREDI 20 JANVIER 2023 idées | 23

Elie Tenenbaum Pour les armées françaises

en Afrique, pas d’influence sans présence
Selon ce spécialiste des questions de sécurité militaire, comme la condition d’une revalori­
sation de l’image de la France. A
le projet d’Emmanuel Macron de réduire la présence l’inverse, une stratégie d’influence
en Afrique de l’armée pour opérer un virage vers exercée sans présence sur le terrain
serait, pense­t­on, plus discrète et
l’Indo­Pacifique est compréhensible, mais pourrait moins exposée. Cette vision mérite
compromettre notre sécurité sur le continent africain d’être examinée sous plusieurs an­
gles. D’abord, parce que les forces
prépositionnées en Afrique ont
à la compréhension de la région,
ainsi que des plates­formes logisti­
ques essentielles à une éventuelle
projection de forces en urgence.
La coopération mérite certes d’être
repensée en profondeur, mais
l’idée d’une influence sans pré­
sence est une chimère.
Se pose enfin la question de la dé­
fense des intérêts français et euro­
péens sur place. Sur le plan éco­
nomique, ils sont faibles : l’Afrique
subsaharienne représente moins
de 2 % du commerce extérieur fran­
çais, les 14 pays francophones d’Afri­
que de l’Ouest et centrale moins
de 1 %. Ces parts tendent encore à

L
es armées françaises sont à
la veille d’importantes trans­
formations. Le retour d’une
guerre majeure en Europe et
la rivalité structurelle entre Chine et
Etats­Unis autour de l’espace Indo­
Pacifique leur imposent d’adapter
une posture héritée des années
1990 et centrée sur les opérations
extérieures en Afrique et au Moyen­
Orient. C’est la ligne qui devrait
orienter la prochaine loi de pro­
grammation militaire 2024­2030,
dont le projet est attendu au Parle­
ment pour la fin du mois de janvier.
Dans ce nouveau paysage, la pré­
sence militaire française en Afrique
subsaharienne serait fortement
réduite. L’opération « Barkhane » a
officiellement pris fin : après neuf
ans de guerre et 58 soldats tués, les
armées françaises ont quitté le
Mali, plus que jamais en proie au
terrorisme djihadiste et à la préda­
tion des mercenaires de Wagner. Il
en va de même pour la République
centrafricaine, que les derniers mi­
litaires français ont quittée le 15 dé­
cembre 2022. L’avenir du contin­
gent de forces spéciales au Burkina
Faso paraît, quant à lui, très com­
promis, tandis qu’au Niger et au
Tchad une approche discrète de­
vrait prévaloir pour l’heure.
Ce rappel des forces opération­
nelles était attendu et compréhen­
sible au regard des nécessaires
arbitrages dans le contexte straté­
gique et budgétaire. La volonté affi­
chée de réduire la place du mili­
taire dans les relations franco­afri­
caines est aussi louable. Il convient
cependant de prendre garde que
la résolution à penser autrement
la stratégie française en Afrique
ne conduise à une remise en cause
des outils essentiels de coopéra­
tion tels que les éléments français
au Sénégal ou les forces françaises
en Côte d’Ivoire. L’effet d’une éven­
tuelle liquidation du cœur du
dispositif prépositionné enverrait
un message radical de retrait de la
France, jusqu’alors dernier pays
européen à attester de sa volonté
de participer activement à la sécu­
rité du continent.
La motivation d’une telle décision
consisterait à substituer l’influence
à la présence. Cette dernière est per­
çue comme une rémanence d’un
passé colonial, dont Emmanuel
Macron cherche depuis 2017 à tour­
ner la page. Les « bases » de Dakar
et d’Abidjan semblent être vues
par certains à Paris comme l’une
des sources d’un mécontentement
populaire, et leur suppression
déjà été réduites au strict mini­
mum. Le dispositif est passé de
8 000 hommes dans les années
1990, à quelque 1 600 aujourd’hui.
Contrairement aux opérations
comme « Barkhane », ces forces ne
représentent pas des coûts signifi­
catifs dans le budget des armées :
les infrastructures existent déjà et
sont plutôt frugales en crédits. Elles
ne font pas non plus l’objet de ten­
sions particulières avec les gouver­
nements des pays partenaires, qui
n’ont jamais demandé leur départ,
bien au contraire. Les bases françai­
ses en Afrique sont en fait des pôles
de coopération avec les forces loca­
les, des interfaces permanentes et
des points d’observation uniques
ON LE SAIT,
LA RUSSIE
PROGRESSE
PARTOUT OÙ
LES OCCIDENTAUX
SE DÉSENGAGENT
Appel d’air géopolitique
Un deuxième élément à prendre
en compte est l’appel d’air géopoli­
tique que ne manquerait pas de
provoquer un abandon du disposi­
tif. On le sait, la Russie progresse
partout où les Occidentaux se dé­
sengagent. D’autres acteurs plus
discrets, comme la Chine ou la Tur­
quie, jouent aussi la carte des
angles morts européens en Afri­
que, n’hésitant pas à mettre en
avant des offres sécurité­dévelop­
pement, sans conditionnalité poli­
tique, qui seront d’autant plus irré­
sistibles pour les dirigeants qu’elles
seront les seules sur la table.
Un retrait militaire brutal d’Afri­
que de l’Ouest, au­delà du seul
Sahel, aurait aussi un impact néga­
tif sur la perception de la France
par ses alliés occidentaux. Alors
que l’Amérique s’engage dans un
bras de fer de long terme avec la
Chine en Indo­Pacifique, elle at­
tend de la France qu’elle prenne
sa part de responsabilités en tant
que « puissance d’équilibre » en
Afrique. Confrontés à l’expansion
russe dans la région, les Européens
eux­mêmes ont accepté l’idée que
leur sécurité se jouait aussi en
Afrique. Seule la France a les capa­
cités de les y intégrer dans un dis­
positif plus large.
se réduire alors que les grands
groupes français tels que Bolloré ou
Bouygues quittent le continent.
C’est sur le plan politique et sécu­
ritaire que les interdépendances
sont les plus fortes. La France dis­
pose sur le continent d’un réseau
diplomatique unique. Quelque
150 000 ressortissants français et
au moins autant d’Européens vi­
vent aujourd’hui dans la région.
Ce n’est pas parce que nous choi­
sissons de réduire les moyens de
la lutte contre le terrorisme que la
menace des groupes djihadistes
s’amenuise. Une intervention d’ur­
gence pour empêcher une capitale
de tomber ou simplement évacuer
des ressortissants se révélerait dif­
ficile, sinon impossible, sans point
d’appui logistique. Sans présence, il
n’y aura ni sécurité ni influence. p
Elie Tenenbaum est directeur
du Centre des études de sécurité
de l’Institut français des rela-
tions internationales. Il a notam-
ment écrit, avec Marc Hecker,
« La Guerre de vingt ans. Djiha-
disme et contre-terrorisme au
XXIe siècle » (Robert Laffont, 2021)

Pere Aragonès Permettre aux citoyens de Catalogne

de décider librement de leur avenir politique
Alors que devait se tenir le sommet France­Espagne à Barcelone, le 19 janvier, le président du gouvernement catalan, qui participera à cette rencontre,
souhaite trouver un accord avec Madrid afin de fixer les bases qui permettront à la Catalogne d’organiser un référendum d’autodétermination

H
istoriquement, par convic­
tion et surtout par
vocation pour l’avenir, la
Catalogne est une nation
européenne ouverte sur le
monde. Par amour de la liberté
– comme Voltaire l’a décrit – et
surtout, pour les idéaux parta­
gés et inaliénables de paix, de dé­
mocratie et des droits humains.
Nous l’avons toujours fait. Dès
les premières initiatives, prises
dès la fin de la seconde guerre
mondiale pour favoriser l’unifi­
cation européenne – comme le
Congrès de l’Europe à La Haye,
en 1948, avec la participation d’il­
lustres exilés comme le musicien
Pau Casals ou Josep Trueta aux
côtés de Churchill, Adenauer,
Spinelli, Daladier, Reynaud ou
Mitterrand. Et jusqu’à ce jour,
avec la participation d’institu­
tions catalanes dans les diffé­
rents espaces eurorégionaux.
Et aujourd’hui, la Catalogne veut
plus que jamais continuer à
apporter sa contribution à la
résolution des grands défis de la
société européenne : le renfor­
cement de la démocratie face à
l’occupation russe de l’Ukraine,
un modèle social européen plus
juste face à l’avancée des populis­
mes et de l’extrême droite qui
remettent en cause notre cadre de
coexistence, et bien sûr, la lutte
contre le changement climatique
qui nous oblige à repenser notre
économie et notre mode de vie.
La Catalogne est bien
consciente de ces défis et ne se
voile pas la face. Bien au
contraire. Elle veut les affronter et
contribuer à construire des solu­
tions avec le reste des Etats et des
nations d’Europe. C’est pourquoi,
tout au long de l’année écoulée, la
Catalogne a intensifié son travail
avec les institutions européen­
nes. J’ai pu recevoir la présidente
von der Leyen et le vice­président
Schinas à Barcelone, et rencon­
trer plusieurs commissaires.
Le futur passe par l’Europe
Nous avons également intensifié
notre collaboration avec la
France, dans des domaines tels
que l’énergie, la santé et la
culture. Renforcer nos relations
et défendre le potentiel de la
Catalogne en jouant un rôle de
premier plan dans la nécessaire
réindustrialisation de l’économie
européenne à travers des projets
tels que la puce européenne, ou la
transition énergétique, en deve­
nant l’un des principaux produc­
teurs d’hydrogène vert, l’énergie
du futur, qui doit atteindre tout
le continent à travers le pipeline
H2Med. C’est une priorité pour
mon gouvernement, qui fera tout
pour faciliter les démarches avec
la plus grande célérité.
La Catalogne sait que le futur
passe par l’Europe. C’est pourquoi
nous voulons participer pleine­
ment, de notre propre voix,
comme le font la France, l’Espa­
gne et le reste des Etats euro­
péens, avec lesquels nous vou­
lons partager fraternellement
notre souveraineté.
Nous sommes animés par les
valeurs de la démocratie, de
liberté, de solidarité et de pros­
périté. C’est le moteur qui anime
la société catalane et qui explique
notre trajectoire historique
comme les événements récents.
C’est l’élan qui explique pourquoi
LE FUTUR DE LA
CATALOGNE PASSE
PAR L’EUROPE.
C’EST POURQUOI
NOUS VOULONS
PARTICIPER
PLEINEMENT,
DE NOTRE
PROPRE VOIX
il existe aujourd’hui une majorité
solide, large et transversale de la
société catalane qui veut décider
démocratiquement, pacifique­
ment et librement de l’avenir
politique de son pays. L’incapa­
cité de l’Etat à offrir une réponse
démocratique à cette volonté des
citoyens de décider librement si
la Catalogne doit devenir une
nouvelle république de l’Union
européenne est à l’origine du con­
flit politique qui reste aujourd’hui
en attente de résolution.
Sur la base de ce constat, le
gouvernement catalan et le gou­
vernement espagnol ont entamé
un processus de dialogue et de
négociation pour construire
conjointement une solution.
Dans tout processus de résolu­
tion de conflit politique de ce
type, des difficultés existent, et
l’avancée est complexe. Mais
aujourd’hui, la négociation
commence à porter ses fruits en
ce qui concerne la fin de la ré­
pression, avec des mesures im­
portantes comme l’abrogation
du crime anachronique de sédi­
tion pour lequel ont été condam­
nés à une peine cumulée de cent
ans de prison divers membres
du gouvernement et du parle­
ment de Catalogne ainsi que des
représentants de la société civile
pour avoir rendu possible le réfé­
rendum d’octobre 2017.
Avec ce type d’accords et l’ap­
probation des grâces respectives,
il est clair que des mesures impor­
tantes sont prises pour ramener
le conflit dans la sphère politique.
Et il faudra continuer à le faire
pour que chacun retrouve son en­
tière liberté, notamment les per­
sonnes en attente de jugement ou
qui vivent en exil depuis plus de
cinq ans. Nous continuerons nos
efforts pour éclaircir l’affaire d’es­
pionnage du logiciel Pegasus que,
nous, représentants institution­
nels, avons subi et surtout aller au
nœud du problème : comment
permettre aux citoyens de Catalo­
gne de décider librement de leur
avenir politique.
Occasion historique
Il s’agit avant tout d’une question
de démocratie. C’est pourquoi je
propose de débattre et de conve­
nir d’un « accord transparent » qui
décidera du moment où la Catalo­
gne pourra à nouveau exercer le
droit de décider et qui établira les
bases et les conditions pour pou­
voir organiser un référendum.
Référendum où tant ceux qui
défendent une Catalogne faisant
partie de l’Etat espagnol, que nous
qui défendons une Catalogne
indépendante, puissions défendre
démocratiquement nos positions.
Que ce référendum soit re­
connu par toutes les parties
concernées et qu’il ait le soutien
de la communauté internatio­
nale, comme le font les démocra­
ties avancées. Il nous faut recher­
cher et construire des solutions
aux conflits politiques à partir de
la démocratie. Car comme nous
l’enseignent les valeurs les plus
essentielles de l’européisme,
dans un cadre de liberté et de
démocratie, tout reste ouvert.
L’Etat espagnol devrait profiter
de cette occasion historique d’of­
frir une solution démocratique
permettant aux citoyens de déci­
der du futur des électeurs
– comme l’a fait le Royaume­Uni
avec l’Ecosse, ou encore le Canada
avec le Québec. C’est pourquoi la
négociation avec le gouverne­
ment espagnol doit ouvrir cette
nouvelle phase pour construire
une solution par le biais de la poli­
tique, une avancée démocratique
dans le cadre européen. Ne pas le
faire, ou le reporter serait une
grave erreur. Aujourd’hui, plus
que jamais, nous avons besoin de
courage, de vision à long terme et
d’un vrai sens de l’Etat. p
Pere Aragonès est
président du gouvernement
de Catalogne depuis mai 2021
 0123
24 | idées VENDREDI 20 JANVIER 2023

Emmanuel Macron et les zigzags de la réforme des retraites

ANALYSE Le 24 avril 2019, lors d’une conférence de
presse pour tenter d’apaiser la révolte des
Une fois élu, le président explique que cette
réforme doit servir à financer notre modèle
affaires sociales et de la santé, à l’origine de la
réforme du même nom, en 2014, permettant

L
es archives sont cruelles. Emmanuel
Macron s’en agace. Lorsque, invité de
l’émission « L’Evénement », pour
un grand entretien politique sur
France 2, le 26 octobre 2022, la journaliste
Caroline Roux lui rappelle ses mots de 2017
sur les retraites, le président de la République
se fâche. « Ce n’était pas le même monde ! », se
défend­il. A l’époque, le chef de l’Etat avait
COMMENT  affirmé : « Je ne propose pas de décaler l’âge de
CONVAINCRE UN  départ à la retraite, ce n’est pas juste. Et les
sacrifiés, ce sont ceux qui ont aujourd’hui
AUDITOIRE LORSQUE  autour de 60 ans. » Depuis, explique­t­il, le
Covid­19, la dette générée par le « quoi qu’il
LES PARAMÈTRES,  en coûte » et les effets de la guerre en Ukraine
ont changé la donne. Assez pour justifier, six
LES ARGUMENTS,  ans plus tard, une réforme préconisant, ini­
LES OBJECTIFS  tialement, un départ à la retraite à 65 ans. La
Terre tourne, c’est un fait.
ÉVOLUENT AU FIL  Dans la même émission, le chef de l’Etat
explique qu’« il n’y a qu’un moyen de faire, si
DES MOIS ? on est lucide, c’est de travailler plus long­
temps ». Bien qu’« ouvert » aux requêtes des
partenaires sociaux tendant à assouplir sa
copie, il « n’y a aucune hypothèse de travail où
l’on peut s’arrêter à 63 ans à horizon de ce
quinquennat », pointe­t­il. Trois mois plus
tard, c’est pourtant cette hypothèse qui est
retenue, avec un décalage progressif de l’âge
de départ à la retraite de 63 ans en 2027, pour
aller jusqu’à 64 ans en 2030, à moins qu’une
clause de revoyure à la fin du quinquennat
ne stoppe cet élan.
« gilets jaunes », le chef de l’Etat arguait
aussi que « tant qu’on n’a pas réglé le
problème du chômage dans notre pays, fran­
chement, ce serait assez hypocrite de décaler
l’âge légal. (…) Après 55 ans, les gens vous
disent : “Les emplois, c’est plus bon pour
vous.” C’est ça la réalité, c’est le combat qu’on
mène. On doit d’abord gagner ce combat
avant d’aller expliquer aux gens “mes bons
amis travaillez plus longtemps” », s’empor­
te­t­il devant les journalistes. Tout est logi­
que, assure aujourd’hui le ministre du
travail, Olivier Dussopt, lorsqu’on l’inter­
roge. Ce « combat » aurait depuis en partie
été gagné, avec un recul marqué du taux de
chômage, soutient­il.
Emmanuel Macron a installé, depuis 2019,
une réforme des retraites dont les contours
et la justification n’ont fait qu’évoluer dans le
temps. Lors de la campagne présidentielle, il
s’est attaché à brandir un départ à la retraite à
65 ans, privant sa rivale de droite, Valérie
Pécresse, de l’argument massue de la respon­
sabilité et du courage. Lui n’hésitait pas à
proposer une réforme impopulaire au nom
de l’intérêt général. Mais à l’approche du
second tour de l’élection, depuis Denain
(Nord), l’une des villes les plus pauvres du
nord de la France, le président, chahuté,
presque ému par des ouvriers inquiets,
amorce un recul. Il se dit prêt à discuter « du
rythme et des bornes » de sa réforme. Voilà
que l’âge de 65 ans n’est plus un totem.
social, nos écoles, nos hôpitaux. Il le dit, le
répète. Mais sans doute a­t­on mal compris,
à moins que le président se soit mal ex­
primé, puisque, aujourd’hui, la première
ministre Elisabeth Borne, comme Olivier
Dussopt, affirme que « pas 1 euro des cotisa­
tions retraites ne servira à financer autre
chose que les retraites ». C’est en travaillant
plus – et en cotisant plus – que l’école ou le
système de santé seront renfloués. Plus que
les économies générées, ce sont les richesses
supplémentaires produites qui permettront
de préserver notre modèle. Nuance.
Une « vérité dans le temps »
« Emmanuel Macron est une girouette »,
conclut le chef de file des Républicains (LR)
au Sénat, Bruno Retailleau, sur Europe 1, le
17 janvier. L’attaque peut se retourner contre
le camp du Vendéen. Les LR, historiquement
attachés à la réforme des retraites, ont un
temps vacillé, avant d’approuver l’initiative.
Et ce n’est qu’après avoir obtenu que le projet
soit moins « brutal », troquant les 65 ans pour
un recul à 64 ans, en ajoutant une coûteuse
revalorisation des pensions minimales à
1 200 euros pour les retraités actuels que le
chef des LR, Eric Ciotti, a topé avec la pre­
mière ministre. Etonnant pour un parti qui a
longtemps fustigé la frénésie dépensière
d’Emmanuel Macron.
Le Parti socialiste, auquel appartenait
Marisol Touraine, ancienne ministre des
d’allonger le temps de cotisations, n’est guère
plus irréprochable puisqu’il est aujourd’hui
associé à La France insoumise qui défend la
retraite à 60 ans. Enfin, que dire de Marine
Le Pen, qui virevolte sur le sujet ? En 2012, elle
assure que si la retraite à 60 ans n’est pas
inscrite dans son programme, c’est une « er­
reur de plume ». Puis abandonne ce trophée
mitterrandien en 2022, pour apparaître plus
crédible, mais reste l’une des plus ferventes
adversaires de la réforme actuelle, qu’elle
qualifie d’« escroquerie ».
Emmanuel Macron n’est donc pas le seul
adepte du zigzag politique. Il reste que ses
changements de pied sont déstabilisants
pour l’opinion publique. En plus de décrédi­
biliser la parole politique, ils laissent croire à
la thèse d’une « vérité dans le temps ». Ce qui
est vrai aujourd’hui peut ne plus l’être
demain. La situation économique et budgé­
taire est à même de justifier que la position
sur les retraites ait bougé. Mais comment
convaincre un auditoire lorsque les para­
mètres, les arguments, les objectifs évo­
luent au fil des mois ? Difficile, dans ce
contexte si mouvant, de soutenir que la ré­
forme est « indispensable » et même « vi­
tale », comme le chef de l’Etat l’a affirmé lors
du conseil des ministres du 11 janvier, pour
sauver le système par répartition hérité du
Conseil national de la résistance. p
claire gatinois
(service politique)

CHRONIQUE  | PAR AUDREY TONNELIER UNE ANNÉE DE GRANDE FRAGILITÉ

Réforme des retraites : HORS­SÉRIE L’ordre mondial est profondé­ mocraties souffrantes. La Russie,

le grand décalage ment fragilisé par la guerre la Chine et l’Iran sont traversés, à

U ne crise sur l’autre, et

non une crise après
l’autre. A peine est­on,
semble­t­il, sorti du pic de la pan­
d’agression de la Russie en
Ukraine. Jamais, depuis la chute
de l’Union soviétique en 1991, le
monde n’était apparu si frag­
leur tour, par des mouvements
sociaux contre la politique de
leurs régimes, fragilisés par une
contestation intérieure profonde.

C’ est une petite musique

obsédante, de Matignon à
l’Elysée en passant par les
ministères, et elle semble bien diffé­
rente de celle que jouent les syndicats
et nombre de Français. La réforme des
retraites ? Un projet placé sous le signe
de la « justice », avec des dispositifs
« équilibrés », qui accompagnera les
« plus fragiles » et sera in fine « porteur
de progrès », selon les mots employés
par la première ministre, Elisabeth
Borne, lors de sa présentation, mardi
10 janvier. L’effort sera « justement
réparti selon la situation de chacun », a
renchéri dans la foulée le ministre de
l’économie, Bruno Le Maire.
« La réforme est plutôt bien “sortie”.
Reste à être présent médiatiquement
auprès des Français, et à former les mi­
litants », soufflait­on, quelques jours
plus tard, au sein du parti présidentiel,
Renaissance, où l’on se disait soulagé
de l’accueil du projet par les troupes,
un temps déboussolées par une me­
sure complexe à justifier, même
auprès des soutiens du président.
Ce satisfecit apparent tranche avec
le ressenti général des Français. Plus
de six personnes sur dix estiment la
réforme nécessaire, selon un sondage
OpinionWay pour Les Echos et Radio
Classique paru le 17 janvier, mais pas
de la manière dont le gouvernement
envisage de la mener : ils sont à peine
un tiers à penser qu’elle permettra
de « sauver le système », encore moins
à la trouver « juste ».
Le chef de l’Etat a expressément
demandé à ses ministres, notam­
ment ceux qui sont en première ligne
sur le sujet (Olivier Dussopt au tra­
vail, Stanislas Guerini pour la fonc­
tion publique, le porte­parole du gou­
vernement, Olivier Véran, ainsi que
les deux locataires de Bercy, Bruno
Le Maire et Gabriel Attal), de faire de
la pédagogie auprès de leurs conci­
toyens. Mais, là encore, les arguments
semblent déconnectés des préoc­
cupations du pays.
PLUS DE SIX PERSONNES  que par adhésion à la réforme. Le défi
SUR DIX ESTIMENT  central d’Emmanuel Macron – quel
LA RÉFORME NÉCESSAIRE,  quel héritage politique en 2027 ? – res­
MAIS PAS COMME  à résoudre, après avoir coupé les
LE GOUVERNEMENT  ponts à la fois avec les syndicats et
ENVISAGE DE LA MENER
La réforme n’est rien moins qu’une
« garantie de solidarité », professe le
ministre de l’économie, qui y voit
précisément l’inverse du « chacun
pour soi », afin d’assurer aux jeunes
démie de Covid­19 que l’huma­
nité est rattrapée par la guerre en
Ukraine, la crise climatique et
autres dérèglements. Cette juxta­
position d’épreuves planétaires a
menté qu’aujourd’hui, au point
de bouleverser les équilibres in­
ternationaux. Inévitablement,
l’invasion de l’Ukraine a provo­
qué une flambée des prix de
Mégafeux de forêts, canicules,
famines, sécheresses puis inonda­
tions couvrent désormais la sai­
son estivale : la fragilité est aussi
écologique, avec une planète qui
générations qu’elles auront encore traversé l’année 2022, dont le fil l’énergie. Ce retour de l’inflation n’a jamais eu aussi chaud
une retraite financée. Et, sur le tract conducteur est l’impression de fragilise les économies et oblige qu’en 2022, au point que l’été, belle
distribué par les militants et les dépu­ LE BILAN  fragilité qu’elle laisse derrière elle, les Etats à s’adapter dans l’ur­ saison par excellence, se trans­
tés, les mots « équilibre », « justice » et DU MONDE 2023 au moment où le monde post­Co­ gence pour se protéger. forme peu à peu en angoisse pour
« progrès » claquent comme autant GÉOPOLITIQUE  vid commence à se rétablir. tous. Cette inquiétude se fait sen­
de promesses, gages de prospérité. ENVIRONNEMENT  L’édition 2023 du Bilan du « Constellation désastre » tir à l’échelle des populations mais
ÉCONOMIE monde décrit cette perception de Cette guerre néo­impériale n’est aussi des économies au bord de la
« Messages contradictoires » Hors-série fragilité. Réalisée par les jour­ pas non plus sans effet sur les cri­ récession, des sociétés au seuil du
« Il y a vraiment des messages contra­ du « Monde », nalistes du Monde, cette publica­ ses politique et écologique. Les burn­out et des Etats faillis plus
dictoires, relève Frédéric Dabi, direc­ 220 pages, en vente tion annuelle couvre l’actualité démocraties, déjà éprouvées par nombreux qu’auparavant. A telle
teur général de l’institut de sondage en kiosque, 14 euros. géopolitique, économique et la montée des populismes et l’en­ enseigne que la vraie question est
IFOP. Au cœur de la réforme, il y a l’idée écologique de l’année écoulée et volée de l’abstention, souffrent de de savoir si l’humanité aura les
d’efforts demandés pour sauver le sys­ fait le point sur l’état des 198 pays façon plus visible qu’ailleurs, car moyens de surmonter cet aligne­
tème. Cela réactive le registre de la du globe, réunis dans un atlas. les opinions expriment plus faci­ ment des crises, cette sorte de
tromperie, alors que, pour l’essentiel Outre les trois cahiers – « Interna­ lement leurs frustrations, tradui­ « constellation désastre ». Oui, si,
de la population, le point retenu est le tional », « France » et « Planète » –, sant au passage de nouvelles fra­ loin de cette noirceur, l’humanité
passage de l’âge légal de 62 à 64 ans. » l’édition comprend aussi des gilités entre gouvernants et gou­ fait preuve de suffisamment de
Car, s’il faut parler aux Français, infographies, un portfolio, et des vernés. Mais que les puissances solidarité pour se transcender au
chacun étant logiquement désireux tribunes inédites ou publiées dans néo­impériales ne se réjouissent nom de la sécurité de tous, et
de connaître son cas particulier, pas les pages « Idées » du quotidien. pas trop vite du spectacle des dé­ d’abord des plus fragiles… p
question de parler de gagnants ni de
perdants, fait­on mine de s’offusquer
au sein du gouvernement : « Si on en­
tre dans cette logique, on a déjà perdu
la bataille politique. » Pas question L’enlisement | par giulia d’anna lupo
non plus de faire contribuer les retrai­
tés, quitte à alimenter le ressenti­
ment des actifs à l’encontre de baby­
boomeurs déjà gâtés par un âge d’or
des « trente glorieuses ».
Et, quand ses opposants poussent
l’exécutif dans ses retranchements,
l’ultime argument confine au
sophisme : les Français ont réélu
Emmanuel Macron au printemps
2022, or il a annoncé sa volonté de
réformer les retraites durant la cam­
pagne, donc les Français sont pour la
réforme des retraites. « On ne se pro­
jette pas là dans l’idée d’une mobili­
sation massive », s’est même risqué le
porte­parole du gouvernement,
Olivier Véran, à la sortie du conseil
des ministres du 11 janvier.
Si l’affaire semble relativement
entendue à l’Assemblée, il n’en va pas
de même dans la rue. Et, dans l’hypo­
thèse où la mobilisation du 19 janvier
ne serait pas massive ou durable, ce
sera bien davantage par résignation
cap pour la suite du quinquennat,
tera entier. Et plus difficile que jamais
avec une grande partie du pays sur sa
méthode, comme sur son projet. p
0123
VENDREDI 20 JANVIER 2023
INTERNATIONAL | CHRONIQUE
par al ai n f rachon
L’Ukraine et
l’« amitié » sino-russe
A AU BOUT D’UN AN
u début de la guerre
froide, dans les années
1950, la Chine de Mao
obéissait au grand
frère soviétique. Dans le camp des
« rouges », elle subissait la tutelle
de l’URSS. Staline avait la haute
main. Aujourd’hui, la situation
est inversée. Au bout d’un an de
cette guerre qu’elle a lancée con­
tre l’Ukraine, la Russie se retrouve
dans la dépendance de la Chine.
Au sein de la relation d’« amitié
sans limites » que Moscou et
Pékin assurent avoir nouée, c’est
Xi Jinping l’élément dominant –
chaque jour davantage.
L’agression perpétrée par Mos­
cou contre Kiev met Pékin dans
une situation complexe. A peine
trois semaines après avoir scellé,
à Pékin, le 4 février, ce pacte
d’« amitié » entre leurs deux pays,
Vladimir Poutine engage son
« opération spéciale ». Objectif :
prendre le contrôle d’une
Ukraine qui cède à un tropisme
occidental trop prononcé au goût
de l’homme du Kremlin.
Surprise, mal informée ou pas
du tout, la Chine fait le service mi­
nimal. Elle soutient politique­
ment la Russie et s’abstient de la
condamner lors d’un vote aux
Nations unies. Elle se déclare op­
posée aux sanctions américaines
et européennes. Ce n’est pas seu­
lement une affaire d’« amitié » en­
tre Etats. Poutine et Xi semblent
entretenir une très bonne rela­
tion personnelle. Plus important,
les deux présidents sont unis
dans la même ambition stratégi­
que : en finir avec la – prétendue –
prépondérance des Etats­Unis, ou
des Occidentaux en général, sur
le système international.
Mais la Chine est embêtée. Elle
se veut l’un des gardiens les plus
sourcilleux du principe de l’invio­
labilité des frontières. Pékin s’en
tire à bon compte en déclarant
que l’offensive russe est l’aboutis­
sement d’insupportables provo­
cations « occidentales » – un co­
pier­coller du discours mosco­
vite. Chinois et Russes vont bien­
tôt manœuvrer ensemble dans le
Pacifique. Depuis un an, Xi, qui
s’est entretenu à plusieurs repri­
ses avec Poutine, a laissé entendre
que cette guerre ne lui plaisait
pas. Pour autant, il n’a jamais pris
contact avec Volodymyr Zelensky,
pas plus que la Chine n’a tenté la
moindre médiation.
Au sein du couple sino­russe,
l’économie et la démographie
établissent la supériorité chi­
noise. Les deux pays partagent
4 200 kilomètres de frontière.
Avec quelque 18 000 milliards de
dollars (plus de 16 600 milliards
d’euros), la Chine (1,4 milliard
d’habitants) aligne un produit
intérieur brut dix fois supérieur
à celui de la Russie (142 mil­
lions d’habitants). Les sanctions
post­24 février 2022 et le boycot­
tage des hydrocarbures russes dé­
cidé par l’Union européenne exa­
cerbent la dépendance de la Rus­
sie à l’égard de la Chine – situation
que le politiste russe Alexander
Gabuev, de la fondation Carnegie,
détaille dans un article de la revue
Foreign Affairs (août 2022) inti­
tulé « China’s new vassal ».
Afin de compenser la perte de
ses riches clients européens, la
Russie n’a d’autre choix pour ses
hydrocarbures que le marché chi­
nois (et indien). Amie, certes,
mais amie qui sait compter, la
Chine achète à prix cassés – infé­
AMIE, CERTES,  bousculer son petit filleul du par­
MAIS AMIE QUI 
SAIT COMPTER,  tion » russe par les Occidentaux,
LA CHINE ACHÈTE  remarquable article de Gilles
À PRIX CASSÉS
0123 | 25
RÉTABLIR 
L’ÉQUITÉ DANS 
celles des lycées parisiens pour l’année 2021­ d’un côté, un secteur public tourné vers sa
L’ÉDUCATION
2022. Elles montrent que, dans la capitale,
les lycées privés sous contrat, souvent pres­
tigieux, qui ont la liberté de choisir leurs élè­
mission d’égalité des chances et, de l’autre,
un secteur privé tourné vers la perfor­
mance, l’élitisme, au risque de la reproduc­
ves et accueillent une population très favori­
sée, bénéficient de plus d’heures d’enseigne­
ment par élève, ce qui permet notamment
tion sociale. Dans les lycées privés pari­
siens, la question de conscience, celle de la
religion, est passée depuis longtemps au
d’alléger les effectifs des classes. second plan, le niveau primant désormais
Théoriquement, il n’y a aucune raison de sur les autres considérations.
 
justifier un tel écart. Le ministère de l’édu­ La loi Debré de 1959 sur l’enseignement
cation nationale, au sommet de la pyra­ privé reconnaît le « caractère propre » des
DE GUERRE,  mide, alloue au public et au privé sous con­ établissements, c’est­à­dire leur liberté
trat les mêmes montants, en fonction des pour s’organiser, à condition de respecter
LA RUSSIE  effectifs globaux. En fait, les différences se les normes de l’éducation nationale. Toute­
créent dans la façon d’allouer ces moyens fois, il serait souhaitable que le privé soit
SE RETROUVE  entre le primaire et le secondaire. placé sur un pied d’égalité avec le public en
DANS LA 
DÉPENDANCE 
DE LA CHINE
L a question de l’équité du financement
des établissements scolaires entre le
secteur public et le secteur privé reste
un sujet sensible. Près de quarante ans après
le mouvement de l’école privée, qui a abouti
Le privé peut choisir de privilégier ses ly­
cées, étendards de son excellence dans les
classements qui passent au crible résultats
au bac et taux de mentions. Le public, lui,
choisit de répondre à d’autres priorités. Il
le soumettant aux mêmes contraintes, à
commencer par la nécessité de répartir de
la même façon les dotations sur les diffé­
rents degrés d’enseignement, primaire et
collège compris.
au retrait du projet de loi Savary visant la porte un effort particulier sur le primaire et Cet écart de traitement qui concerne l’uti­
création d’un « grand service public unifié et le collège, pour tenter de réduire le déter­ lisation de fonds publics interroge d’autant
rieurs à la moyenne mondiale. laïc de l’éducation nationale », la « guerre minisme selon lequel les inégalités sociales plus que l’enseignement privé est payant et
Elle est en mesure d’imposer un scolaire » n’est plus à l’ordre du jour. Néan­ se transforment en inégalités scolaires. Cet souvent inaccessible aux moins favorisés.
paiement en yuans – dévelop­ moins, les écarts de moyens attribués aux objectif a été prolongé avec la mise en L’égalité budgétaire entre les deux systè­
pant le marché des pétro­yuans lycées publics et privés parisiens mérite­ œuvre de la procédure d’affectation des élè­ mes n’est que de façade, quand ils ac­
qui permet d’échapper aux sanc­ raient un débat public pour établir un ves de 3e, Affelnet, qui permet d’aller dans cueillent des publics aussi différents. Dé­
tions américaines. Les Russes, meilleur équilibre dans la façon de répartir le sens d’une mixité sociale accrue, en cas­ battre de cette distorsion ne consiste pas à
eux, achètent davantage de made les enveloppes budgétaires. sant l’homogénéité des établissements les raviver la guerre scolaire, mais à rétablir un
in China : en 2021, de 15 % à 18 % Les données nécessaires pour dresser un plus réputés. peu d’équité, sans dispenser l’enseigne­
des importations russes venaient état des lieux restent parcellaires à l’échelle L’exemple de Paris montre que deux phi­ ment public de s’interroger sur les raisons
de Chine ; 29 % en 2022, essentiel­ nationale. Le Monde a eu toutefois accès à losophies divergentes sont à l’œuvre. Avec, de sa moindre attractivité. p
lement du fait de la guerre.
Pékin a les meilleures cartes en
main, dit Gabuev. La guerre
qu’elle mène soumet la Russie à
une forme d’assujettissement à la
Chine. Les finances publiques
russes dépendent du niveau des
ventes d’hydrocarbures au grand
voisin de l’Est : Pékin dispose d’un
puissant levier sur son « ami »
P R É S E N T E
russe. Contrepartie politico­di­
plomatique, les Chinois incitent
les Russes à limiter leurs ventes
d’armes à l’Inde ou au Vietnam,
deux pays qui sont du côté améri­
cain dans la confrontation Pékin­
Washington. La Russie perd en
autonomie stratégique.
Situation compliquée
Les Russes, qui voient le futur de U N E N O U V E L L E FA Ç O N D ' A P P R E N D R E L ' H I S TO I R E
leur pays non pas dans l’Europe,
mais dans un bloc euro­asiatique,
se réjouiront de cette dépendance
à la Chine. Le professeur Gabuev
juge que Poutine, dans sa haine
des Etats­Unis, est prêt à payer un
prix élevé – celui de la soumis­
sion. Il a besoin de l’argent chi­ DE LANCE
nois pour financer sa guerre et as­ FRE ME
F
surer la survie de son régime. O LE N 2°
4,99
€
NT
Vue de Pékin, la situation est
compliquée. L’amitié avec la Rus­
sie, pour être dite « sans limites »,
dans le communiqué du 4 fé­
vrier 2022, n’en a pas moins
quelques limites. La Chine ne
vend pas d’armes à la Russie. Les
sociétés chinoises – dont nombre
sont cotées à Wall Street – font
SEULEMENT !
tout pour éviter les sanctions
américaines.
1769/1804
L’économie de la Chine, que Xi
entend relancer cette année, est
l’une des plus mondialisées.
Même si un découplage est en
cours avec les Etats­Unis dans le
DE BONAPARTE
domaine de la haute technologie,
les deux pays restent très liés.
À NAPOLÉON
L’Europe est le premier parte­
naire commercial des Chinois.
Autant dire que Pékin entend
godiller pour ne pas faire de
choix entre l’état de son écono­
mie, d’une part, et, de l’autre, son
attachement au combat mené
avec le Kremlin contre le « collec­
tif occidental ».
Dans son édition du 11 janvier, le
Financial Times, citant des sour­
ces officielles à Pékin, rapportait
un nouveau discours chinois à
l’adresse des Européens. En gros,
on ne veut pas se mettre mal avec
tous les Occidentaux ; on entend
privilégier les relations avec
l’Union européenne ; on se méfie
de Poutine et on a les moyens de
faire pression sur lui dans la
guerre en Ukraine, etc. Peut­être.
Mais rien de tangible n’est à ce
jour venu confirmer une éven­
tuelle disposition de Pékin à Hachette Collections SNC – 58 rue Jean Bleuzen – CS 70007 - 92178 Vanves Cedex
395-291-644 RCS Nanterre. Visuels non contractuels. Format des livres : 22 x 29,2 cm.
tenariat sino­russe. Hélas. p
Post­scriptum Sur l’« humilia­ CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX OU SUR LEMONDE.FR/BOUTIQUE
AINSI QUE SUR www.collection-bd-histoiredefrance.com
Andréani dans le dernier numéro
de la revue Commentaire.