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“Introduction : l’empreinte domestique du travail dans la longue durée”

Corine Maitte et Nicolas Schapira

Selon Thomas Kuhn, la dynamique scientifique est mu par une suite de paradigmes qui sont
successivement remis en cause du fait de problèmes de cohérences internes ou de
manquement théorique, ceux-ci mis en avant par de nouveaux théoriciens. C’est dans cette
logique qu'un ensemble d’historiens essaie de renouveler l'épistémologie courante utilisée
pour comprendre un type de rapports sociaux perdurant dans les structures professionnelles :
la domesticité. Ces derniers partent d’une doxa historique sur la hiérarchie entre types de
travailleurs à l’époque moderne : du fait d’une distinction juridique et d’une définition
négative des ouvriers par rapport aux domestiques, une grille de lecture construisant deux
types de rapports sociaux distincts se dessine dans les travaux historiques classiques. A
l'appui, en plus d’une distinction juridique explicite dans les sources historiographiques, il
apparaît une distinction très explicitement donnée par les compagnons eux-mêmes, celles-ci
pouvant apparaître comme suffisantes pour opposer les différents types de rapports sociaux.
Par ailleurs, des travaux historiques faisant référence sur les structures juridiques montrent
des emprunts clairs de la condition de compagnon ou apprenti à celle de domestique. Ce sont
en effet les travaux de Steve Kaplan, historien spécialisé dans l’étude de l’Ancien Régime qui
permettent d’en tirer cet argument de poids. Il apparaît donc un paradoxe qui mène à
reconsidérer le problème autrement et à poser un axiome nécessaire : cette distinction faite
par les compagnons n'apparaît que normative et suppose donc une proximité antérieure des
deux types de conditions.
Celle-ci permet de définir une hypothèse importante : la distinction juridique, qu'elle soit
dans une juridiction à un moment donné ou dans des périodes différentes, n’est pas suffisante
pour distinguer de manière excluante des types de rapports sociaux. La frontière réelle entre
ceux-ci peut être moins rigide. C’est ce que vont démontrer, dans un premier temps, les deux
auteurs en faisant références à des travaux de sciences sociales de renom. Cette construction
argumentaire va suivre une logique chronologique en utilisant une temporalité historique
classique allant du Moyen-Âge jusqu’à la période contemporaine.
Pour la période médiévale, les travaux d'Alessandro Stella permettent de décloisonner le
champ de la condition domestiques aux seuls travailleurs de maison. L’émergence du salariat
durant la période moderne n’est pas non moins emprunt de la condition domestique.À l'appui,
les travaux références du célèbre sociologue Robert Castel sur l’évolution des formes de
travail montrant un premier temps du salariat dans lequel les tâches du cadre professionnel et
celle du cadre domestique n’était pas clairement distincte. Ce flou sur la distinction entre
condition servile et salariée est d’autant plus visible au niveau légal dans les travaux
historiographiques de Douglas Hay et d’autres sur les structures juridiques de l’Angleterre
moderne. La professionnalisation du statut de domestique à la fin du 18 ème siècle ne
s’accompagne pas pour autant d’une disparition de rapports d’asservissement dans les
institutions économiques de la même époque. En effet, les rapports professionnels sont
imprégnés de relations de domesticité et d’asservissement ; l’extraction du statut domestique
de celles-ci paraît donc plus formelle que réelle. Cette dernière analyse tend à penser que la
compréhension des rapports de vassalité issue du statut domestique peut être extraite de la
distinction juridique formelle; c’est dans cette logique là qu’une analyse des rapports
professionnel contemporain va être faite à l’aune d’une possible continuité de certains
rapports emprunt de domesticité. Les travaux contemporains de Donna Haraway ou encore de
Pascale Molinier, malgré leurs prismes encastré dans des perspectives différentes,
(respectivement études de genre et approche psychologique) mettent en exergue une
pérennité de rapports de servitude dans les rapports professionnels. Parallèlement aux
approches des rapports professionnels, l’historicité de l’ Etat paraît tout aussi basée sur une
antériorité de la domesticité à l’émergence de la modernité. C’est dans une critique analogue
à celle faite de l’historiographie des rapports de subordination professionnels que les travaux
de Delphine Gadrey sont mobilisés. En effet, elle met en avant la domesticité du personnel
travaillant pour un certain de représentants politiques à l’Assemblée Nationale au 19 ème
siècle.
De cette démonstration, il est possible de synthétiser une aporie dont les auteurs vont tenter
de résoudre par la suite :
→ la construction d’une taxinomie rigide par les historiens entre travail et domestique à
l’époque moderne suivie d’une historiographie se plaçant de manière postérieure à la
domesticité éludent la pérennité d’un certain nombre de rapports de servilité dans les rapports
professionnels de subordination. Afin de répondre à ce problème, les auteurs vont donner une
solution épistémologique : une reconstruction totale du paradigme dans lequel on approche
les rapports de servitude. Cette reconstruction épistémologique passe avant tout par la
production d’une nouvelle grille de lecture : la notion “d’empreinte domestique”
Celle-ci va être composée d’un ensemble de critères à travers lesquels il est possible de
démêler des rapports de servitude et de domesticité du reste des rapports professionnelles.
Cette grille de lecture paraît pertinente à de nombreux égards. Tout d’abord, elle se
différencie de la catégorie “domestique” du fait d’un décloisonnement historique et juridique
enfermant cette dernière dans une temporalité limitée. Par ailleurs, elle extrait les rapports de
servitude et de docilité existant dans la condition domestique de la période moderne, du cadre
familial qui était consubstantielle dans l’approche classique. Ce dernier cadre d’action n’étant
en effet par forcément lié à une condition servile ; les cas de certaines femmes de maîtres ou
ayant un réel pouvoir dans le cadre familial ou encore de simple compagnon ayant eu des
perspectives de carrière grâce à des liens construits dans le cadre domestique en paraissent
des exemples pertinents. Ces différentes situations expliquent le rôle de cette nouvelle grille
de lecture dans l’appréhension de situations complexes, s’extirpant des cadre de rapports
professionnel défini comme rigide ou encore de l’enfermement d’individus dans des
situations statiques. Cette dernière question se pose notamment dans la théorie du “life cycle”
et de la pérennité de certains types de rapports entre la période de domesticité et celle
d’apprenti plus tard. Par ailleurs, un autre enjeu important de la question d’empreinte
domestique est celui de la remise en cause de la notion de pouvoir dans les rapports
professionnels. Celle-ci est souvent réduite à sa portion congrue représentée par une
subordination des salariés aux directives de supérieur hiérarchique. Celle-ci paraît réductrice ;
comme tout cadre d’interactions sociales, le pouvoir, comme capacité d’influence
interpersonnelle, se construit dans le jeu de relations individuelles. Cette conception du
pouvoir, ne se réduisant pas à un cadre juridique, se construit dans toutes les sphères
d’interactions sociales même celles gravitant autour,et donc, en dehors du cadre
professionnel. Cette ébauche d’analyse sur le pouvoir trouve des échos dans des travaux
importants de sciences sociales comme ceux de Michel Foucault ou encore ceux de Bourdieu.
Ces dernières références mobilisées nous poussent à nous intéresser à un des aspects non
abordés mais non moins pertinents que la présentation du cadre analytique utilisé dans la
revue: l’approche pluridisciplinaire. En effet,les auteurs font appel à des auteurs issue
d’horizons différents des sciences sociales pour construire leur problématisation puis par la
suite leur épistémologie. On constate en premier lieu, sur l’aspect purement formel, des
références diverses : on a des références historicistes comme Steve Kaplan ou Philippe
Bernardini qui côtoient des références plus diverses issues de la sociologie et de la
psychologie comme Robert Castel, Pierre Bourdieu, Michel Foucault ou encore Pascale
Molinier. Par ailleurs, on constate dans l’appareil théorique une articulation dans le rôle des
sciences sociales : une grille de lecture sociologique et économique pouvant s’appliquer sur
n’importe quel matériau historique ou même issue de champs connexe comme ethnologique
(référence au document de Véronique Moulinié comme jalon de l’analyse) relatant des
rapports professionnels.

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