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Corrigé du bac blanc : La morale est-elle une affaire de sentiments ?

On dit souvent d’une bonne personne qu’elle a bon cœur. Inversement un être cruel est un cœur de pierre. Cela laisse
entendre que le bien et le mal renvoie à une capacité à s’émouvoir, à ressentir. On pourrait alors penser à première vue que la
morale, c'est-à-dire la distinction entre le bien et le mal, est avant tout une affaire de sentiments, ces derniers étant les guides
qui nous permettent de savoir ce qui est bien et de le faire. Mais à bien y réfléchir cela pose problème car nos sentiments sont
variables, changeants, et même différents selon les individus. Suivre ses sentiments pour distinguer le bien du mal signifierait
alors suivre un guide très subjectif, relatif, qui pourrait nous induire en erreur. Peut-être que pour distinguer le bien du mal, il
faudrait alors moins laisser parler son cœur qu’écouter sa tête et faire un effort de réflexion rationnelle. Ainsi on pourrait
penser que la morale serait davantage une affaire de raisonnement que de sentiment. Cependant il est clair que réfléchir ne
nous rendra pas nécessairement bon. On peut tout à fait être intelligent et être méchant et il semble que le simple
raisonnement est moins fort que l’émotion pour incliner à bien agir. Alors on pourrait douter du fait que le recours à la simple
réflexion parvienne à nous faire préférer le bien au mal sans appel à l’émotion. Alors la morale est-elle une affaire de
sentiments ? Si oui ceux-ci permettent-ils de distinguer objectivement le bien du mal, ou bien la morale est-elle plutôt une
affaire de raisonnement, et si oui ces derniers sont-ils suffisant pour nous conduire à bien agir ? La sensibilité est-elle vraiment
nécessaire et suffisante pour distinguer le bien du mal et préférer le bien au mal ou faut-il lui préférer une autre faculté, comme
la rationalité, pour penser et respecter la morale ?
Afin de répondre à ces questions nous verrons dans un premier temps que la morale semble avant tout découler de
nos sentiments. Nous verrons dans un second temps que les sentiments sont également liés à notre éducation, que par
conséquent ils sont nécessairement variables et subjectifs et qu’il est donc impossible de fonder sur eux des valeurs morales
susceptibles de faire un accord universel. Enfin nous verrons que les sentiments sont des états psychologiques, et qu’en
définitive la morale est moins une affaire de sentiments que d’action : ce qui compte c’est d’agir en conformité avec la morale,
non simplement d’éprouver des émotions.

Dans un premier temps on peut bien affirmer que la morale est en grande partie une affaire de sentiments. En effet, de
fait, nous jugeons et nous agissons en fonction de nos sentiments dans le domaine des affaires morales.
Il semble de prime abord que nos conceptions du bien et du mal sont liées et expriment nos sentiments : ce qui est
mauvais renverrait d’abord aux comportements qui nous dégoûtent, et à l’inverse ce qui est bien serait ce qui nous réjouit et
les comportements qui suscitent en nous une forme d’admiration et d’approbation. Lorsqu’une pratique nous dégoûte ou nous
effraie nous en venons rapidement à dire qu’elle est moralement condamnable, indigne, et qu’elle ne devrait pas exister : face
au meurtre ou à la violence gratuite nous éprouvons pour la plupart une forme de dégoût et de répulsion. Nos conceptions
morales sont liées à des émotions, donc il est clair que la morale est une affaire de sentiments.
De plus les émotions aident souvent à faire ce qu’on pense bien. On peut l’observer par exemple avec les variantes de
l’expérience de Milgram. Plus le sujet de l’expérience est physiquement proche de la personne à qui il croit envoyer des
électrochocs, et donc plus il peut éprouver d’empathie à son égard, moins il aura tendance à augmenter les chocs. Les
sentiments empathiques apparaissent ainsi comme des facteurs favorisant la moralité. C’est pourquoi selon Rousseau, c’est
bien un sentiment naturel, la pitié qui est l’origine et le fondement de notre morale. Pour bien agir selon Rousseau il serait bon
de suivre avant tout nos émotions, et avant tout ce qui relève de la pitié, et plus celle-ci sera grande plus nous serons à même
de bien agir. Si ce sont des sentiments qui nous poussent avant tout à faire le bien et à nous détourner du mal, alors la morale
est bien une affaire de sentiments.
Ainsi notre conscience morale est de part en part liée à nos émotions et nos sentiments, c’est en fonction d’eux que
nous agissons et c’est en fonction d’eux que nous pensons le bien et le mal. Cependant, nous ne ressentons pas tous les mêmes
sentiments. Ces derniers ne sont-ils pas trop subjectifs pour distinguer objectivement le bien du mal ?

Quand bien même la morale est une affaire de sentiments, il serait dangereux de la réduire uniquement à cela. En effet
pour déterminer le bien et le mal il faut aussi faire usage de sa raison pour réfléchir.
En effet, si seuls les sentiments sont censés nous dire ce qui est bien et mal, alors il est évident qu’il n’y a aucune vérité
en morale et qu’il est impossible de dire que certaines actions sont vraiment bonnes ou mauvaises. En effet les sentiments
sont relatifs à chaque personne, ils sont par définition subjectifs. Certains peuvent ressentir du dégoût et d’autres de la joie
face à une même action. C’est ce que notait Montaigne quand il parlait d’ethnocentrisme : « chacun appelle barbarie ce qui
n’est pas de son usage ». Si on se contente de juger le bien et le mal en fonction de nos sentiments qui sont souvent liés à
notre éducation et notre culture d’appartenance, alors nous ne nous mettrons pas d’accord sur ce qui est bien et mal. Beaucoup
d’Amérindiens du 16e siècle n’étaient pas choqués par l’anthropophagie alors que bon nombre d’Européens étaient scandalisés,
pleins de dégoût, de peur, d’indignation voire de colère devant une telle pratique. De nos jours certaines personnes éprouvent
du dégoût ou de la haine en voyant des homosexuels s’embrasser dans la rue ou voyant des femmes court vêtues. Ils se sentent
mal face à cela. Mais cela signifie-t-il que se promener en mini-jupe ou que manifester son homosexualité est immoral ? En se
basant sur les sentiments, les peurs, les aversions et les désirs, pour juger le bien et le mal des uns et des autres, il est évident
qu’on ne pourra jamais dire objectivement ce qui est bien ou mal. En effet un sentiment est par définition subjectif, et n’est ni
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vrai ni faux, il ne prouve rien. Il y a des gens qui prennent plaisir à faire du mal aux autres, cela ne signifie pas que faire souffrir
les autres gratuitement est moral.
Pour déterminer objectivement ce qui est bien ou mal on devrait alors faire usage de notre raison. En effet la raison est
la faculté qui nous permet de sortir de notre simple petit point de vue personnel pour essayer de réfléchir d’une manière
objective, logique, impartiale, universelle. Si on réfléchit rationnellement alors on peut aboutir à la mise en évidence de
certains principes moraux qui semblent objectifs, car universellement admissibles. Ces principes sont assez simples, on peut
dire qu’ils ne sont que des précisions de la règle d’or morale. C’est ce que présente Kant quand il dit que la raison en moi me
permet de comprendre que ce qui est mal c’est de traiter l’autre comme un objet, de le réduire au rang de chose sans respecter
sa dignité d’être humain autonome, que je dois respecter comme mon égal. Il est immoral ainsi de forcer quelqu’un à faire ce
qui est contre son intérêt et contre sa volonté. Un tel principe ce n’est pas uniquement le sentiment qui me l’apprend, mais
c’est le raisonnement. C’est pourquoi une éducation morale doit passer par le raisonnement sur le bien et le mal et non sur la
simple peur de la honte ou de la culpabilité. Pour déterminer ce qui est bien ou mal il faut réfléchir rationnellement aux
principes de nos actions et non nous contenter de suivre nos sentiments.
De plus il est important de prendre en compte les conséquences des actions afin d’évaluer si elles sont bonnes ou
mauvaises et ce qu’il est moralement meilleur de faire. Or une tel calcul implique également de mobiliser notre raison. C’est
là une idée utilitariste qui considère que pour déterminer ce qui est bien ou mal il faut faire un calcul des conséquences de nos
actions, et préférer les actions entraînant les meilleures conséquences. C’est ce que pense un utilitariste comme Peter Singer
qui considère que pour déterminer s’il est mieux de donner de l’argent à telle ou telle association humanitaire mieux vaut
vérifier les actions et les effets de ces dernières. Certes dans tous les cas il est bien de donner mais il est mieux de donner à
une association efficace et non corrompue qu’à une association inefficace et corrompue. En ce sens il est plus moral de faire
un don après avoir un cherché des informations sur les associations et avoir réfléchi. Pour faire cette recherche et ce calcul des
conséquences la réflexion rationnelle est tout de même plus utile que les simples sentiments qui peuvent émerger face aux
publicités des associations. Car une publicité touchante, qui fait naître de nombreux sentiments, peut très bien être trompeuse
et promouvoir une association corrompue.
Ainsi, pour distinguer le bien du mal il faut aussi faire appel à notre raison pour réfléchir aux principes et aux
conséquences de nos actions. Cependant il ne suffit pas de réfléchir pour bien agir, on peut bien savoir ce qu’il faut faire et ne
pas le faire. Or on l’a vu les sentiments peuvent nous aider à bien agir, mais sont-ils alors pour autant nécessaires et suffisants
pour motiver à faire le bien ?

Dans cette dernière partie nous verrons que les sentiments ne sont ni nécessaires ni suffisants pour agir moralement.
La morale ne peut ainsi se réduire à une affaire de sentiments.
Ressentir de la peine face à la souffrance des autres fait-il de nous une bonne personne ? Si cela ne fait pas de nous une
mauvaise personne, meilleure sera celle qui aidera ceux qui souffrent. Pleurer devant la souffrance des autres sans rien faire
ne les aide pas, cela relève de la sensiblerie, non de la moralité. Ressentir de l’empathie peut ainsi aider à bien agir mais
ressentir n’est pas agir et ce qui importe en définitive c’est d’avoir la volonté et la force de bien agir. Or l’expérience de Milgram
révèle bien que quelqu’un peut tout à fait sentir que quelque chose est mal, ressentir de la peine à le faire, mais le faire quand
même. Ce qui importe pour juger de la moralité c’est l’action elle-même et non le fait qu’on ressente quelque chose, l’émotion
peut être une aide, elle n’est pas suffisante pour autant pour faire le bien. La morale est une affaire de force de volonté plus
que de simple sentiment.
Les sentiments ne sont pas suffisants pour qu’il y ait une bonne action, mais sont-ils même nécessaires ? Il semble bien
qu’on peut aider quelqu’un parce qu’on pense que cela est bien, sans pour autant éprouver d’empathie particulière à son
égard. Kant dirait même que en agissant ainsi notre action a une valeur morale particulièrement élevée. Au contraire, la même
action faite par empathie aurait, selon Kant, moins de valeur morale puisqu’elle viserait en définitive à diminuer sa propre gène
et à ressentir une forme de plaisir. Selon lui c’est la pureté de l’intention qui fait la valeur morale d’une action. Aura une grande
valeur morale l’action faite de manière purement désintéressée, dans la simple intention de faire son devoir parce qu’il faut le
faire, en agissant selon un impératif catégorique, et non parce que cela nous fait plaisir ou nous évite une peine. Si c’est la
pureté de l’intention qui fait la valeur morale de l’action, les sentiments sont alors sans importance pour penser cette dernière,
et même au contraire pourraient participer à la diminuer.
Même si les sentiments peuvent nous aider à agir moralement, la moralité ne peut consister uniquement à avoir ou
suivre ses émotions. La morale implique d’avoir une volonté forte et désintéressée et non simplement d’avoir de la sensibilité.

La morale est en partie une affaire de sentiments, mais en partie seulement. Les sentiments peuvent nous aider à bien
agir et c’est souvent bien en fonction d’eux que nous formulons des jugements moraux. Toutefois il ne faut pas oublier que
l’essentiel n’est pas de ressentir mais d’agir, et que pour cela il faut aussi faire preuve de volonté mais aussi de réflexion
rationnelle, et pas simplement se fier à ses émotions qui peuvent être des guides peu fiables.

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