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Revue internationale d’éducation de Sèvres 

75 | septembre 2017
Musique et éducation
Music and education
Música y educación

Emmanuel Bigand (dir.)

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/ries/5853
DOI : 10.4000/ries.5853
ISSN : 2261-4265

Éditeur
France Education international

Édition imprimée
Date de publication : 1 septembre 2017
ISBN : 978-2-85420-615-9
ISSN : 1254-4590

Référence électronique
Emmanuel Bigand (dir.), Revue internationale d’éducation de Sèvres, 75 | septembre 2017, « Musique et
éducation » [En ligne], mis en ligne le 01 septembre 2019, consulté le 29 juin 2021. URL : https://
journals.openedition.org/ries/5853 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ries.5853

© Tous droits réservés


REVUE
INTERNATIONALE
D’ÉDUCATION
Sèvres
n° 75 - septembre 2017

D O S S I E R

musique
et éducation
so mmaire

0 actualité internationale
Actualité documentaire 7
Bernadette Plumelle

Ressources en ligne 11
Federica Minichiello
Le développement de la robotique à l’école

Le point sur l’actualité internationale en éducation


Padma M. Sarangapani
Un nouveau paysage éducatif en Inde 15
2
Stéphane Kesler
L’Estonie : un nouveau modèle éducatif 19

Hilaire Hounkpodote, Labass Lamine Diallo, Bassile Zavier Tankeu


PASEC 2014 et qualité des enseignants :
une photographie pour un diagnostic 22

Repères sur les systèmes éducatifs étrangers


Mohamed Adel Ben Amor, Mlaoueh Ammar
Le système de formation des ressources humaines en Tunisie 27

Seydou Loua
Les grandes réformes de l’école malienne de 1962 à 2016 34

Notes de lecture
Jean-Pierre-Véran
Pour le management pédagogique : un socle indispensable.
Connaître, éclairer, évaluer, agir, Alain Bouvier,
préface de Bernard Toulemonde, Berger-Levrault, 2017 40
Ré-inventer l’école. Une école de qualité pour tous et pour chacun,
Luigi Berlinguer, préface de François Dubet, Éditions Fabert, 2017 42

re vu e i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


sommaire

dossier
coordination : Emmanuel Bigand

Musique et éducation
Introduction 45
Le pouvoir transformationnel de la musique :
quelles implications pour la société ?
Emmanuel Bigand
La raison d’être de la musique a été souvent débattue : simple loisir, ou sublime activité
artistique ? Aujourd’hui les études de neurosciences cognitives suggèrent que la musique
exerce un pouvoir transformationnel sur le cerveau et le fonctionnement de l’esprit. Ce
pouvoir se manifeste dès les premières minutes jusqu’aux derniers instants de la vie. Il
semble avoir contribué au développement des compétences cognitives et sociales fonda-
mentales des humains. Les implications de ces études sont essentielles pour les politiques
de santé et d’éducation et elles invitent à repenser l’apprentissage de la musique
aujourd’hui.

Musique et plasticité cérébrale 55


Laura Ferreri
Le cerveau humain a la capacité unique de modifier sa structure et sa fonction tout au
long de la vie, un phénomène appelé la plasticité cérébrale. La musique est un stimulus 3
riche et complexe capable de stimuler tout le cerveau, induisant ainsi des changements
neuronaux importants. Quelle est la relation entre la musique et la plasticité cérébrale ?
Après une introduction sur l’intérêt neuroscientifique pour la musique et les processus
de plasticité cérébrale, cet article vise à présenter les principaux résultats sur la neuro-
plasticité induite par la musique. Les effets de la formation et de l’expertise musicales
sur le cerveau sont d’abord examinés. Puis sont abordés et discutés du point de vue de
la remédiation neurologique l’importance de la stimulation et des changements du
cerveau liés à la musique sur la stimulation d’autres fonctions non musicales.

La musique chez les tout-petits 65


Développement émotionnel, auto-régulation et coopération sociale
Laurel J. Trainor
Dans le domaine de l’éducation, la musique est souvent perçue comme un luxe dont on
peut se dispenser sans réelle conséquence sur le développement de l’enfant. La recherche
présentée dans cet article montre au contraire que, dès un âge très précoce, les interactions
musicales influencent le développement social et émotionnel des enfants et jouent un
rôle dans leur acquisition de capacités telles que l’autorégulation, indispensables, à bien
des égards, pour la réussite de leur vie future.

Sciences cognitives et traditions d’enseignement oral


dans la musique classique indienne 75
Shantala Hedge
La musique classique indienne est l’une des plus anciennes traditions musicales au monde
et c’est une tradition orale. Plusieurs techniques et méthodes d’enseignement lui sont
spécifiques, notamment la tradition d’enseignement maître-élève (Guru-Shishya
Parampara), qui a toujours été considérée comme un élément crucial de cet enseignement

N° 75 - septembre 2017
depuis ses origines à l’ère védique (environ 5 000 ans av. J.-C.). Le guru joue un rôle
majeur en transmettant non seulement son savoir technique sur le sujet, mais également
ce qui constitue l’essence même de la musique classique indienne, à savoir sa dimension
spirituelle. Des travaux de recherche plus systématiques sur cette tradition musicale et
ses méthodes d’enseignement spécifiques pourraient permettre d’éclairer d’un jour
nouveau la compréhension de ses bénéfices globaux dans une perspective psychosociale
et neuroscientifique.

Apprendre le pan, apprendre à être à Trinidad et Tobago 87


De l’accomplissement personnel à la construction nationale
Aurélie Helmlinger
Qu’apprend on lorsque on s’initie à la pratique du pan, parfois également appelé steelpan
ou steeldrum ? Comme toute pratique musicale, le jeu en steelband requiert une variété
de compétences dans lesquelles le social, le musical et le cognitif (émotions, mémoire,
motricité) s’imbriquent étroitement. Les connaissances musicales stricto sensu ne sont
qu’une facette des domaines d’apprentissage développés par la pratique de la musique.
L’article propose une vue d’ensemble des compétences apprises dans un steelband, en
s’intéressant en particulier aux compétences musicales, sociales et politiques.

Musiques et identités sénégalaises 97


Moussa Sy
Le désintérêt des élèves sénégalais pour les cours de musique montre qu’il y a nécessité
de changer de démarche. Au Sénégal, la musique constitue l’une des bases importantes
de la société traditionnelle et elle intègre admirablement les divers aspects de la vie sociale.
L’article invite à revaloriser l’enseignement traditionnel de la musique et ses méthodes,
4 tout en incitant les élèves à s’ouvrir à des musiques venues d’ailleurs, afin que la musique
sénégalaise, avec de nouveaux schémas pédagogiques, soit porteuse des richesses de sa
culture dans une perspective moderne.

Quand la musique donne le ton 107


Culture musicale, scolarité et communauté dans la classe D
du lycée Sainte-Anne, Copenhague (2011-2014)
Henrik Reeh
Le lycée Sainte-Anne de Copenhague est un établissement réputé pour les résultats de
ses élèves et pour être le foyer d’une intense tradition chorale et musicologique. L’article
interroge les parcours de 32 élèves d’une même classe, tous reçus au baccalauréat 2014
avec une option musique et mathématiques. Une enquête documente le rôle de la musique
dans leurs vies. Les répondants désignent la musique comme la base d’une communauté
lycéenne. Plus qu’un savoir spécifique, la musique renforce la discipline intellectuelle,
promeut la culture générale et offre un répit face à la pression scolaire. Afin de comprendre
cette coexistence entre musique et éducation, la relation entre « individu » et « commu-
nauté » est examinée et la notion de « culture » désigne le point d’articulation qui peut
rendre compte de la dynamique pédagogique en question.

Le dispositif « orchestre à l’école » et son impact


sur un territoire 117
Le cas du département de la Mayenne, en France
Denis Waleckx
De nombreux dispositifs visant à démocratiser l’accès à la pratique et la consommation
culturelles se basent sur un partenariat renforcé entre les ministères en charge de
l’éducation et de la culture et les collectivités territoriales. À partir de l’exemple probant

re vu e i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


sommaire

du déploiement, en Mayenne, du dispositif « orchestre à l’école », l’article se propose


d’éclairer les raisons qui peuvent expliquer l’accueil favorable dont il a bénéficié dans ce
département, et de rendre compte de l’ensemble des retombées qu’il induit, tant en termes
de développement de compétences solides et variées chez les élèves bénéficiaires, qu’en
termes de transmission intergénérationnelle et d’animation artistique du territoire.

Musique et cohésion sociale lors d’un moment décolonial


en Afrique du Sud 129
Stephanus Muller
Cet article évoque différentes initiatives musicales institutionnelles prises lors de la vague
de protestation qui a agité les universités sud-africaines en 2015 et 2016. Il considère
différents types de réponses – structurelles, archivistiques et événementielles – apportées
à ce moment de crise de l’enseignement supérieur sud-africain, et prend l’exemple de
l’Université de Stellenbosch, dans la province du Cap occidental (Afrique du Sud), pour
illustrer la manière dont des approches institutionnellement innovantes pour l’enseigne-
ment de la musique à l’université pourraient contribuer à répondre aux demandes de
transformation décoloniale de l’université sud-africaine portées par les étudiants.

El Sistema à la croisée des chemins 139


Principes et perspectives d’un réseau mondial
Maria Majno
Depuis la création d’El Sistema par J.A. Abreu au Venezuela en 1975, cet effort d’intégration
sociale fondé sur la pratique musicale collective est à présent répandu dans plus de 65 pays
sur cinq continents. Les résultats sur le plan éducatif et artistique sont aussi remarquables
que les défis rencontrés lors des adaptations aux différents contextes, alors que les effets
touchent aussi bien le domaine éducatif que le plan cognitif et celui de la socialisation. 5
L’article propose une réflexion sur l’essor international des projets inspirés de ce modèle,
après une synthèse actualisée des principes qui l’inspirent.

Références bibliographiques 149


Hélène Beaucher

Abstracts 161

Resúmenes 163

Les auteurs 165

La revue 169

Numéros disponibles 170

Commander/s’abonner 173

N° 75 - septembre 2017
0 actualité internationale

D
nombreuses menées dans le monde,
l’auteure veut faire découvrir les avan-
tages du bilinguisme et valoriser la
actualité richesse d’une double culture dès le plus
jeune âge. L’ouvrage porte sur les parcours
documentaire langagier et cognitif de l’enfant bilingue,
de la naissance à 6 ans.

ALTBACH Philip G., N


REISBERG Liz, DE WIT Hans
Responding to massification: BUISSON-FENET Hélène
differentiation in postsecondary (sous la direction de)
education worldwide École des filles, école
Boston : Boston college center des femmes : l’institution scolaire
for international higher education, face aux parcours, normes
2017, 170 p. [en ligne] et rôles professionnels sexués
La massification de l’enseignement Louvain-la-Neuve :
post-secondaire, plus de 200 millions De Boeck Supérieur, 2017, 266 p.
d’étudiants dans le monde, est une ten- À l’heure où toutes les enquêtes inter-
dance forte dans les pays émergents et une nationales pointent le fort écart entre la
réalité dans les pays développés. L’étude sur-réussite des filles à l’école et leur diffi-
analyse les évolutions des systèmes d’en- culté à accéder aux plus hautes sphères
seignement supérieur et d’enseignement professionnelles, l’ouvrage analyse les 7
professionnel de treize pays : l’Australie, trajectoires et les parcours féminins de
le Brésil, le Chili, la Chine, l’Égypte, la formation ; les normes et les stéréotypes
France, l’Allemagne, le Ghana, l’Inde, le de genre dans l’institution scolaire ainsi
Japon, le Royaume-Uni, la Russie et les que le cadre d’activité et le champ profes-
États-Unis. Elle montre que la politique sionnel scolaire à dominante féminine.
de l’éducation dans tous les pays étudiés Les contributeurs mettent en lumière la
fait face à des défis comparables. Elle manière dont les rapports de domination
pointe également l’expansion et la diver- se jouent dans la sphère éducative,
sification insuffisante des institutions dans différents contextes éducatifs et
d’enseignement supérieur. géographiques.
http://bit.ly/2u0aeb6
N
N
DIA Hamidou, HUGON Clotilde,
BIJELJAC-BABIC Ranka D’AIGLEPIERRE Rohen
L’enfant bilingue : (coordinateurs)
de la petite enfance à l’école États réformateurs et éducation
Paris : Odile Jacob, 2017, 172 p. arabo-islamique en Afrique :
L’école française hésite encore sur dossier
l’importance à accorder au bilinguisme et Afrique contemporaine, 2016, n° 257,
à l’apprentissage simultané de plusieurs p. 3-110
langues vivantes chez les très jeunes Alors qu’elle est restée longtemps
enfants. S’appuyant sur les études très en marge des politiques nationales en

N° 75 - septembre 2017
Afrique, l’éducation arabo-islamique HAYDEN Mary, THOMPSON Jeff (ed.)
constitue une offre éducative de plus en International schools: current
plus importante car elle offre un cadre issues and future prospects
majeur de socialisation des enfants et des Oxford studies in comparative
jeunes. Ce dossier apporte une profon- education, 2016, vol. 26, n° 2, 240 p.
deur historique et une perspective La fondation des premières écoles
anthropologique à ce type d’éducation internationales il y a plus d’un siècle et
implanté de longue date en Afrique. Il leur croissance au cours des dernières
dresse un panorama de l’offre arabo- années constituent l’objet d’étude de cet
islamique, sous l’angle des institutions, ouvrage avec une série de perspectives
des acteurs, des systèmes de financement personnelles écrites par certains de ceux
et des modes de gouvernance. Il passe en qui ont participé à leur développement.
revue les savoirs et les philosophies reli- Le nombre de ces écoles a augmenté, elles
gieuses qui les sous-tendent et analyse les se sont répandues dans différentes régions
réformes publiques destinées à rap- du monde, les types d’établissements se
procher l’offre éducative arabo-islamique sont diversifiés ainsi que les modes de pro-
des standards scolaires classiques. priété. Aussi, de nombreuses questions se
posent quant à leurs objectifs fondamen-
N taux, aux programmes qu’elles choi-
sissent, à la nature de leur organisation et
GUNI: global university network à leurs contributions potentielles pour
for innovation répondre à un besoin éducatif mondial.
8 Higher education in the world 6.
Towards a socially responsible N
university: balancing the global
with the local LAFONTAINE Dominique
Barcelone: Global university La différenciation dans
network for innovation, 2017, les systèmes éducatifs : pourquoi,
537 p., [en ligne] comment, avec quels effets ?
Les experts de 28 pays examinent les Paris : CNESCO, Lyon : IFE, 2017,
responsabilités des universités à l’échelle 58 p. [en ligne]
locale et mondiale. Ils explorent les S’appuyant sur des travaux d’éduca-
conflits potentiels ou les difficultés pour tion comparée et sur les enquêtes inter-
répondre aux exigences de la société en nationales, le rapport s’attache à décrire la
matière de compétitivité mondiale tout diversité des modes d’organisation qui
en contribuant à une société plus équi- existent dans le monde pour prendre en
table et durable. Les contributeurs réflé- compte et gérer l’hétérogénéité des
chissent à la façon dont l’engagement publics scolaires. Il tente d’apporter une
global et local devrait être inclus dans réponse fondée scientifiquement à la
l’enseignement, la formation, la question des effets de ces modes d’organi-
recherche, les activités institutionnelles, sation, en synthétisant les apports des
la gouvernance et le leadership et ils iden- nombreuses recherches expérimentales
tifient les meilleures pratiques à travers le ou en milieu naturel existantes.
monde. http://bit.ly/2tyuzkH [http://goo.gl/4hV7ZC]

N N

re vu e i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


0 actualité internationale

THEMINES Jean-François, Suisse romande). Partant des pratiques


DOUSSOT Sylvain d’évaluation effectives ou souhaitées,
(sous la direction de) chaque chapitre contribue à la réflexion
Acteurs et action : perspectives sur les tensions et les enjeux de l’école dite
en didactiques de l’histoire « première ».
et de la géographie
Presses universitaires de Caen, 2016, N
339 p.
L’ouvrage analyse les situations Publications d’organisations
d’enseignement-apprentissage de européennes et internationales
l’histoire et de la géographie par le prisme
de l’action didactique. Il cherche à cerner BIRD : Banque internationale pour
les processus en jeu lorsque les professeurs la reconstruction et le développement
proposent aux élèves des situations Higher education for development:
empreintes d’un certain degré d’incerti- an evaluation of the world bank
tude. La première partie éclaire l’action group’s support
didactique à partir de l’appropriation par Washington : Banque mondiale,
les élèves de situations qui leur sont pro- avril 2017, 166 p. [en ligne]
posées sur le mode de la rupture avec les Le soutien de la Banque mondiale à
fonctionnements classiques dans ces deux l’enseignement supérieur est-il cohérent
disciplines. La deuxième partie est centrée et bien articulé ? Comment a-t-il contri-
sur les enseignants. La troisième partie bué aux systèmes d’enseignement supé-
souligne les difficultés à faire construire rieur ? Aux résultats sociaux et écono- 9
en géographie l’idée que les individus miques ? Ce rapport analyse la conception
puissent être appréhendés comme des de la Banque mondiale en matière d’appui
acteurs de la société dans laquelle ils à l’enseignement supérieur dans le
vivent. monde. L’évaluation montre que l’ensei-
N gnement supérieur est une priorité dans
environ un tiers des stratégies nationales,
VEUTHEY Carole (dir.), avec un accent mis sur le soutien à la gou-
MARCOUX Géry (dir.), vernance en Europe et en Asie centrale, sur
GRANGE Teresa (dir.) l’employabilité au Moyen-Orient et en
L’école première en question : Afrique du Nord, et sur l’accès à l’ensei-
analyses et réflexions à partir gnement supérieur dans la région de
des pratiques d’évaluation l’Afrique subsaharienne. http://bit.ly/2pFOfk3
Paris : EME, 2017, 237 p.
L’ouvrage s’inscrit dans les débats et N
les réflexions actuels sur l’entrée de
l’enfant dans le monde scolaire (3-6 ans). COX Christian
Si l’importance des premières années de Global citizenship concepts
scolarité dans la lutte contre les inégalités in curriculum guidelines of
sociales et culturelles est admise, des 10 countries: comparative analysis
interrogations sur les choix de scolari- Genève : UNESCO - BIE, 2017,
sation subsistent. L’ouvrage réunit les n° 9, 110 p. [en ligne]
contributions d’experts de différents pays Ce rapport analyse et compare la place
(Belgique francophone, France, Italie et réservée à l’éducation à la citoyenneté

N° 75 - septembre 2017
mondiale (ECM) dans les curricula et les Eurydice : réseau d’information
orientations adoptées dans dix pays de sur l’éducation en Europe,
cultures et de niveaux de développement Eurostat : office statistique
différents en Afrique, en Amérique latine Key data on teaching languages
et en Asie du Sud-Est. L’auteur compare at school in Europe: 2017 edition
les programmes d’enseignement pri- Bruxelles : Eurydice, mai 2017,
maire et secondaire en histoire et sciences 176 p. [en ligne]
sociales ainsi qu’en éducation civique et Ce rapport comporte soixante indi-
morale. Seuls deux des programmes de cateurs caractérisant l’enseignement-
dix pays incluent systématiquement des apprentissage des langues dans l’Union
concepts associés à l’ECM. Cependant, européenne et dans neuf autres pays. Si les
tous comprennent des contenus liés aux élèves commencent à étudier une langue
valeurs et aux attitudes, qui font référence étrangère plus tôt, l’apprentissage d’une
au monde et à l’humanité. deuxième langue étrangère n’est pas obli-
http://bit.ly/2r7A87j gatoire partout. Les élèves doivent
atteindre le niveau d’utilisateur indépen-
N dant pour leur première langue étrangère
quand ils quittent le secondaire supérieur
ESSOMBA Miquel Àngel, général. Plus de la moitié des enseignants
TARRES Anna, de langues étrangères ont voyagé à
FRANCO-GUILLEN Nuria l’étranger pour des raisons profession-
Research for cult committee: nelles. Enfin, la majorité des pays euro-
10 migrant education: monitoring péens offre un soutien linguistique aux
and assessment: study élèves migrants récemment arrivés.
Bruxelles : Parlement européen, http://bit.ly/2sHQSDr
février 2017, 196 p. [en ligne]
L’étude propose une revue de la litté- N
rature concernant les principales caracté-
ristiques de la politique éducative en GUERRIERO Sonia (ed.)
direction des enfants de migrants. Ces Pedagogical knowledge
caractéristiques ont permis d’élaborer un and the changing nature
questionnaire adressé aux experts de of the teaching profession
27 pays de l’Union européenne. Les rap- Paris : OCDE, février 2017, 276 p.
ports nationaux européens montrent que [en ligne]
peu a été fait pour suivre et évaluer l’édu- Les enseignants sont confrontés
cation des enfants de migrants, mais la actuellement à des attentes plus élevées et
plupart des pays disposent déjà d’une plus complexes pour amener les élèves à
infrastructure habilitée. Les efforts atteindre leur plein potentiel. La nature et
fournis par les pays sont fonction de la la variété de ces exigences impliquent que
taille relative de leur population née à les enseignants soient des professionnels
l’étranger et, dans une moindre mesure, qui prennent des décisions fondées sur
du niveau des politiques d’intégration une base de connaissances solide et actua-
dans le domaine éducatif. lisée. Le rapport examine la dynamique
https://goo.gl/jdPJ4E des connaissances dans la profession
enseignante et la façon dont les connais-
N sances des enseignants peuvent être

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0 actualité internationale

mesurées. Il offre également une base à ce qu’elle était en 2010 et l’aide à l’ensei-
conceptuelle pour une future étude empi- gnement secondaire chute par rapport à
rique sur leurs connaissances. 2015. De plus, l’aide ne va pas aux pays qui
http://bit.ly/2sHQSDr en ont le plus besoin. Ainsi, l’Afrique sub-
saharienne, qui compte plus de la moitié
N des enfants non scolarisés dans le monde,
reçoit 26 % de l’aide en faveur de
ISU : Institut de statistique l’éducation de base, contre 22 % pour
de l’UNESCO l’Afrique du Nord et l’Asie occidentale,
The data revolution in education où 9 % des enfants ne sont pas scolarisés.
Montréal : UNESCO-UIS, http://bit.ly/2s14OMa
mars 2017, n° 39, 81 p. [en ligne] Bernadette Plumelle,
Ce rapport appelle une révolution des CIEP
données sur l’éducation fondée sur la
création de systèmes statistiques natio-
naux, et soutenue par un pacte mondial

@
pour le suivi de l’objectif mondial
d’éducation (ODD 4). Ce document
contient des recommandations pour pro-
duire et diffuser des statistiques sur
l’éducation de qualité en vue de la plani-
fication et du suivi des progrès accomplis.
Il demande des changements dans trois ressources en ligne 11
grands domaines concernant les dimen-
sions de l’offre et de la demande des sys-
tèmes d’information nationaux sur Le développement de la robotique
l’éducation : un environnement propice ; à l’école1
des productions de données intégrant Le Parlement européen a voté, en
normes et standards internationaux et février 2017, le texte « Règles de droit civil
nouvelles sources et domaines ; un ren- sur la robotique » : parmi les décisions
forcement de la diffusion et de l’utilisation figure la création d’une Agence euro-
des données. http://bit.ly/2nJmlT8 péenne pour la robotique et l’intelligence
artificielle, pour pouvoir « relever les défis
N ouverts par le développement de la robo-
tique ». Les progrès en termes de roboti-
UNESCO sation appellent à de nombreux question-
Aid to education is stagnating nements, qu’il s’agisse de risques
and not going to countries most d’automatisation des emplois ou d’ingé-
in need rence dans d’autres aspects de la vie cou-
Paris : Rapport mondial de suivi rante : les robots représenteraient, à eux
de l’éducation, Paris : UNESCO,
juin 2017, 9 p. [en ligne]
1. Pour faciliter la lecture, seule la racine des liens
Le montant de l’aide alloué à l’éduca- Internet est mentionnée. Pour y accéder dans leur
tion baisse pour la sixième année consé- intégralité, consulter cet article sur le site du CIEP :
http://www.ciep.fr/revue-internationale-
cutive, de 4 % par rapport à 2010 : l’aide à deducation-sevres ou sur OpenEdition Revues.org :
l’éducation de base est inférieure de 6 % http://ries.revues.org/

N° 75 - septembre 2017
seuls, plus de 50 % du trafic sur Internet2. entre apprenants, enseignants et robots,
La Fédération internationale de robo- compagnons pour les uns, assistants pour
tique [https://ifr.org] a estimé le chiffre les autres ; l’apprentissage par la robo-
d’affaire de la robotique « de service » tique (par exemple, la construction de kits
(non industrielle) à 35 milliards de dol- robotiques) de compétences transversales
lars, avec la France en deuxième position, comme le travail collaboratif, le raison-
en nombre de sociétés spécialisées dans nement scientifique, la résolution de pro-
le secteur. En éducation, les scénarios blèmes. Si plusieurs études semblent
d’application de la robotique intriguent, confirmer un impact positif en termes
tantôt objets d’enseignement pour une d’apprentissages, la littérature existante
initiation intuitive à la programmation serait souvent basée sur des rapports
informatique, tantôt solutions d’accès à d’enseignants, avec une nécessité de
distance ou d’assistance aux enseignants, confirmation par des études à plus large
etc. échelle. [https://www.reseau-canope.fr/
Cet article présente une sélection non agence-des-usages/]
exhaustive d’acteurs, de colloques et
d’initiatives pour montrer comment la « Robot et Éducation,
robotique trouve progressivement une de quoi parlons-nous ? »
place au sein de l’école, à l’instar du Ce colloque, organisé en mai 2016 par
programme Youth Robotics en Arménie l’Institut français de l’éducation (IFÉ-
[http://www.armrobotics.am/eng], qui vise la ENS) et l’Université Lyon 2, explore les
création, d’ici 2019, de groupes de robo- possibilités d’usage de la robotique dans
tique dans toutes les écoles du pays (pour un établissement scolaire en complément
12
les 12-18 ans). de ce qui existe déjà (environnements
Sitographie arrêtée le 15 juillet 2017. numériques de travail, logiciels, etc.) ;
« l’affordance socio-culturelle » va
Acteurs et initiatives notamment étudier la modification
des comportements en salle de classe,
« L’usage de la robotique
engendrée par l’introduction d’un nouvel
à l’école »
objet technologique3. Parmi les axes de
Cet article de l’Agence des usages
développement exposés, on peut évoquer
(TICE) offre un regard introductif sur la
la télé-présence, avec un robot « avatar »
robotique éducative, loin d’être « juste
de l’élève et de l’enseignant absent, ou
une technologie à maîtriser » ; son utili-
« passerelle » entre l’école et l’extérieur
sation soulève des questions, comme le
– un expert externe, des musées hors
choix en termes de discipline et de scéna-
horaires d’ouverture, des lieux lointains –,
risation pédagogique, le rôle des ensei-
ainsi que les robots comme compagnons
gnants dans la mise en œuvre des projets,
d’interaction sociale, capables de
l’impact réel sur les apprentissages. Trois
s’adapter à leurs interlocuteurs et d’en
catégories d’usage sont présentées :
accompagner, de façon personnalisée, les
l’apprentissage de la robotique, dans des
apprentissages.
domaines comme la mécanique, l’électro-
[https://clarolineconnect.univ-lyon1.fr/]
nique et l’informatique. L’apprentissage
avec la robotique, basée sur l’interaction
3. Voir l’intervention et les travaux de S. Simonian,
Institut des sciences et pratiques d’éducation et de
2. https://www.incapsula.com/blog/bot-traffic- formation de l’Université Lyon 2. http://recherche.
report-2016.html (2017). univ-lyon2.fr/ecp/

re vu e i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


0 actualité internationale

Institut national de recherche IniRobot de l’INRIA cité précédemment.


en informatique et en automatique Un pilote avec le robot Thymio a été pro-
(INRIA) posé à des élèves de seize écoles à travers le
L’équipe Flowers de l’INRIA, spécia- monde, pour simuler une mission colla-
lisée dans la robotique développementale, borative d’exploration spatiale sur Mars.
étudie par la modélisation informatique Cette expérience préliminaire encoura-
l’intelligence des enfants et leur aptitude geante est désormais ouverte à toutes les
à l’exploration spontanée. Depuis 2015, écoles volontaires en Suisse.
des colloques annuels sont organisés sur [https://www.nccr-robotics.ch/fr/] ;
la robotique éducative, pour présenter les [http://www.robotsenclasse.ch/]
possibilités ouvertes par ces technologies,
tout en reliant l’engouement actuel à une RÉseau de personnes-ressources
dynamique de plus long terme et des ini- au développement des compétences
tiatives pionnières, comme le langage par l’Intégration des technologies
de programmation Logo dans les de l’information et de
années 1970-1980. Parmi les projets, on la communication (RÉCIT)
peut citer les modules IniRobot de décou- Le RÉCIT est un réseau québécois spé-
verte de la robotique pour les enfants de 6 cialisé dans l’éducation préscolaire, qui
à 11 ans, pensés notamment pour les acti- souhaite promouvoir l’intégration péda-
vités sur le temps périscolaire ; Poppy gogique des TICE par les enseignants. Il
Education [https://www.poppy-education.org], met à disposition de nombreuses res-
une plateforme de ressources destinées sources sur la robotique en école mater-
aux collégiens et lycéens pour utiliser dif- nelle, comme des activités préparatoires 13
férentes versions du robot open source – déplacements sur un quadrillage,
POPPY ; dans le cadre du Programme construction en briques Lego – un jeu
d’investissement d’avenir 2, le projet « oui/non » pour identifier les robots
PERSEVERONS [http://pi.espe-aquitaine.fr/ dans l’environnement avoisinant, un
perseverons], porté par l’Université de tableau comparatif des robots les plus
Bordeaux, pour mesurer l’impact des répandus avec des informations très pra-
activités pédagogiques robotiques en tiques, comme la facilité d’utilisation, la
termes de motivation, persévérance, nuisance sonore, les prérequis en termes
décrochage. [https://flowers.inria.fr/] ; d’espace. Le site propose également un
[http://dm1r.fr/roboeduc17/] recensement d’articles récents comme,
par exemple, une entrevue en 2017 du
École polytechnique fédérale chercheur T. Karsenti (CRIFPE) sur
de Lausanne (EPFL) l’utilisation du robot Nao avec des enfants
L’EPFL accueille le siège du Pôle de atteints de troubles du spectre de
recherche nationale (PRN) robotique, l’autisme. [http://recitpresco.qc.ca/]
réunissant sur une période de 12 ans les
principaux acteurs suisses de la recherche Robo-Scuola
en robotique (2010-2022). Parmi les réa- Le projet italien Robo-Scuola est un
lisations de l’école, on peut citer le robot exemple, parmi d’autres, de déploiement
Thymio 2 [https://www.thymio.org] et son de la robotique à l’école : 3 000 élèves
logiciel open source de programmation (entre 6 et 19 ans) et environ 100 ensei-
graphique, couplé à une programmation gnants, dans la région du Piémont,
textuelle simplifiée, utilisé pour le module explorent l’application de la robotique

N° 75 - septembre 2017
dans des disciplines comme les mathéma- Human-Robot Interaction
tiques et l’art. Ils étudient, par exemple, Ce portail est destiné à la recherche
les inventions de Léonard Da Vinci en dans l’interaction homme-robot et à
essayant de reproduire le fonctionnement l’organisation d’une conférence annuelle
de ces machines, imaginées au XVe siècle, qui en est à sa douzième édition. Parmi les
avec les technologies robotiques actuelles. dernières contributions, on peut citer des
Le cas de la région du Piémont offre éga- robots proposant des temps de pause sur
lement un exemple de partenariat public- mesure aux apprenants, particulièrement
privé (avec une fondation d’entreprise), utiles pour des systèmes de tutorat inter-
pour ouvrir des espaces dédiés à des ate- actif de jeunes élèves, avec des portées
liers de robotique pour les écoles et deux d’attention assez réduites. On y retrouve
laboratoires pour les enseignants, pour un aussi l’EPFL, avec le prototype Cellulo
accompagnement pédagogique à la pré- [http://chili.epfl.ch/cellulo], dont l’ambition est
paration de cours avec les robots, en col- « de devenir le papier/stylo de demain »,
laboration avec l’Istituto italiano di tecno- révolutionnant une offre parfois bridée
logia. [https://www.iit.it] ; par des problématiques de prix, des diffi-
[http://www.istruzionepiemonte.it/] cultés logistiques ou d’intégration à des
curricula existants. Cellulo est un robot
Robot-enseignant et initiation portatif polyvalent, capable d’interagir
à la robotique (Corée) avec de grandes feuilles de papier qui,
La Corée du Sud est souvent présentée littéralement, « contiennent » l’activité
comme un pays précurseur en robotique pédagogique ; il peut devenir, au besoin,
éducative : il y a dix ans déjà, on y réperto- un globe que l’on déplace sur un planéta-
14
riait des expériences d’utilisation de rium pour étudier la variation de l’orbite,
robots-enseignants, comme le modèle une molécule sur laquelle on analyse les
iRobi, conçu pour accueillir des enfants effets causés par des vibrations et ainsi de
en école maternelle et primaire. Ce suite. [http://humanrobotinteraction.org/]
marché s’est dissous depuis, en raison Federica Minichiello, CIEP
d’une demande insuffisante et d’une bar-
rière d’accès en termes de prix. Le pays vise
actuellement l’initiation à la robotique
dès le collège, avec une dynamique en
plein essor : un millier d’acteurs privés
présents sur le secteur, environ 17 modèles
de robots homologués par le ministère de
l’éducation et de nombreux événements,
comme l’Olympiade internationale des
robots. [https://www.iroc.org]4 ;
[http://english.keris.or.kr]

4. Lire également : J. Yoo. « Results and Outlooks


of Robot Education in Republic of Korea », dans
Procedia - Social and Behavioral Sciences/176 (2015)
téléchargeable de http://www.sciencedirect.com et
« Comment faire entrer les robots à l’école » (2016)
https://www.lesechos.fr/.

re vu e i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


0 actualité internationale

l
Voici maintenant deux ans que ce pro-
cessus pour une nouvelle politique édu-
cative (New Education Policy : NEP) est en
cours. Un comité de fonctionnaires à la
retraite ne comprenant qu’un seul spécia-
le point sur... liste d’éducation a mené une consultation
nationale, recueillant l’opinion du peuple
indien via des contributions en ligne et
des réunions de consultation, qui pro-
Inde : posaient treize thèmes de discussion
un nouveau paysage éducatif* pour l’enseignement scolaire et vingt
pour l’enseignement supérieur. Selon le
Le parti du peuple indien (Bharatiya site Internet du ministère, 110 623 des
Janata Party, BJP)1 a remporté les élec- 244 252 organismes villageois, 725 des
tions nationales de 2015 à une majorité 4 027 municipalités, 2 738 des 6 620 blocs,
écrasante, conduisant au pouvoir 340 des 669 districts et 19 des 36 États ou
Narendra Modi et balayant toute oppo- territoires de l’Union4 ont pris part à ces
sition. Il n’existe actuellement pas de chef consultations ou ont envoyé leurs contri-
de file reconnu de l’opposition à la butions en ligne pour la nouvelle poli-
Chambre du peuple2. On s’attendait à ce tique éducative. Il s’agit sans nul doute du
que le nouveau gouvernement, de droite, processus consultatif le plus vaste jamais
annonce des changements et des initia- mené pour l’élaboration d’une politique
tives en matière d’éducation, confor- éducative dans toute l’histoire de
mément à son idéologie et à sa source 15
l’éducation moderne ! On ne sait cepen-
d’inspiration idéologique – le Rashtriya dant pas clairement quelles contributions
Sevak Sangh (RSS)3. Comme prévu, le spécifiques ont été reçues de chacune
gouvernement a annoncé la mise en de ces consultations – nous n’avons pu
œuvre d’un processus pour la formu- trouver sur le site ni résumé des contribu-
lation d’une nouvelle politique éducative tions clés ni mention de la méthodologie
(la précédente politique nationale datait utilisée pour consolider l’ensemble de ces
de 1989). données. Le comité responsable du déve-
loppement de la nouvelle politique édu-
* Article traduit de l’anglais par Sylvaine Herold. cative a remis son rapport le 30 avril 2016
1. Le Bharatiya Janata Party (BJP) est l’un des deux et l’on s’attendait à ce que la nouvelle poli-
principaux partis politiques indiens. Créé en 1980,
le BJP est un parti de droite nationaliste hindoue
tique soit annoncée dans les mois sui-
considéré comme l’aile politique du Rashtriya vants. Mais, en juillet dernier, un nouveau
Swayamsevak Sangh (RSS). (Source : Wikipédia) comité a été constitué, afin de finaliser son
(NdT)
2. Le Parlement de l’Inde est un parlement bicamé-
élaboration.
ral, comprenant le Conseil des États (Rajya Sabha) et
la Chambre du peuple (Lok Sabha). Le chef du parti
majoritaire à la Lok Sabha est traditionnellement 4. L’Inde est une république fédérale composée de
nommé Premier ministre de l’Inde. (Source : 29 États et 7 Territoires de l’Union, eux-mêmes divisés
Wikipédia) (NdT) en districts, puis en tehsils portant différents noms
3. Le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS) ou « orga- selon les États (ici appelés « blocs »). Au niveau local,
nisation patriotique nationale » est un groupe extré- l’organisation administrative des zones rurales et des
miste nationaliste hindou de droite et paramilitaire zones urbaines diffère : les zones rurales relèvent du
qui, outre les considérations religieuses, propage système des panchayats (ici : organismes villageois)
une conception raciale du peuple indien. (Source : et les zones urbaines des municipalités. (Source :
Wikipédia) (NdT) Wikipédia) (NdT)

N° 75 - septembre 2017
Cela ne veut pas dire pour autant que police en raison de leur prétendu carac-
les choses en sont à un point de statu quo. tère antinational. L’implication directe du
Certaines évolutions n’ont pas besoin de ministère du développement des res-
proclamation politique en grande pompe sources humaines dans ces événements
et sont déjà à l’œuvre sur le terrain, dans et ses directives aux vice-recteurs des uni-
l’enseignement scolaire et dans l’ensei- versités représentent un niveau d’ingé-
gnement supérieur. Et, sans nul doute, ces rence sans précédent dans l’autonomie
évolutions de terrain importent plus que des universités. Il semble être dans l’air du
l’élaboration d’une politique, qui repré- temps d’être intolérant vis-à-vis des
sente plus une déclaration d’intention et étudiants qui « gaspillent leur temps et les
d’ambition qu’une pratique concrète. ressources de la nation » en s’impliquant
Dans cet article, nous évoquons des évo- dans des activités politiques et des débats,
lutions à l’œuvre dans trois domaines, alors qu’ils devraient se consacrer à leurs
révélatrices du climat actuel dans l’ensei- études, à l’université et contribuer au
gnement scolaire et supérieur indien. développement de la nation. Les campus
universitaires, qui ont de tout temps été
Liberté d’expression des lieux importants d’expression d’une
dans l’enseignement supérieur citoyenneté libérale, y compris via la
Après seulement quelques mois au dissidence, mais également pour la
pouvoir central, le BJP a été confronté à formation politique des futurs citoyens,
des troubles étudiants qui impliquaient via des discussions et des débats animés,
des Dalits 5 sur deux campus et des ont désormais reçu le message qu’ils ne
groupes étudiants de gauche sur plusieurs doivent plus encourager une telle liberté
16
campus d’établissements d’enseignement d’expression ni accueillir ou héberger
supérieur d’élite. Des étudiants dalits, par des militants ou des penseurs politiques.
ailleurs actifs dans les cercles d’études Toute critique à l’encontre de l’action
dalits et la vie politique du campus, en gouvernementale est considérée comme
particulier en ce qui concerne la discrimi- étant « antinationale », limitant ainsi la
nation exercée par certains administra- liberté d’expression. On attend des étu-
teurs ou professeurs de la caste supérieure, diants qu’ils se concentrent sur l’excel-
s’étaient heurtés à des membres de partis lence et qu’ils rendent compte, par leurs
étudiants affiliés au BJP. L’escalade résultats, des ressources qui leur sont
des affrontements sur les campus a fina- consacrées. Les étudiants et les facultés
lement conduit à l’exclusion temporaire devraient en outre éviter de se mêler de
des étudiants dalits – suite à quoi l’un politique et se consacrer aux matières uni-
d’entre eux s’est donné la mort. Ailleurs, versitaires. Un système de classement des
des groupes étudiants de gauche, qui universités a en outre été introduit et des
organisaient des débats et critiquaient réformes sont en cours, qui lient les
l’action du gouvernement en matière ressources et le statut des universités à
de « terrorisme » ou sa politique au des mesures de performance.
Cachemire, ont fait l’objet d’actions de
Le droit à l’éducation
Le droit à l’éducation a été promulgué
5. « Dalit » est le nom générique donné à l’ancienne en Inde en 2009 et a fait l’objet d’impor-
caste des « intouchables » ; ces derniers bénéficient
de dispositifs de discrimination positive dans les éta- tants débats, notamment en ce qui
blissements d’éducation. concerne : la clause exigeant des écoles

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privées non subventionnées 6 qu’elles non- redoublement à être identifiée


réservent 25 % de leurs places à des comme le principal problème à l’origine
élèves désavantagés financièrement ; les de la baisse de niveau. Et les écoles privées
clauses relatives à l’exigence de « non- de se plaindre de conserve, arguant que
redoublement »7 des élèves (c’est-à-dire cela aboutira également à la baisse des
le passage automatique de niveau niveaux d’apprentissage dans leurs éta-
en niveau sans que l’élève soit mis en blissements. À l’origine, cette clause avait
situation d’échec) et à l’évaluation conti- été intégrée dans la Loi sur le droit à
nue et globale plutôt que par des examens l’éducation, afin de protéger les enfants de
annuels. La Cour suprême de l’Inde a la stigmatisation liée à l’échec scolaire, en
statué en faveur de la constitutionalité de plaçant la responsabilité de l’éducation
la clause des 25 % en règle générale, mais sur les écoles – mais sans trouver, semble-
elle en a exempté les écoles religieuses t-il, d’écho politique favor able.
ou de minorités linguistiques. Dans les Aujourd’hui, la plupart des États indiens
faits, cela a conduit à l’augmentation du ont adopté des règlements types abro-
nombre d’écoles privées non subvention- geant la politique de non-redoublement
nées revendiquant le statut d’école de et ils ont également promulgué le rétablis-
minorité – s’engouffrant dans la faille leur sement des examens standardisés au
permettant de conserver leur clientèle niveau des classes 5 (11 ans) et 8 (14 ans),
exclusive ! La politique de « non-redou- jugés nécessaires, notamment afin de
blement » a par ailleurs fait l’objet de garantir la responsabilisation des ensei-
nombreuses critiques. Cette politique est gnants. La notion de responsabilité8
déjà mise en œuvre dans les écoles gouver- émerge actuellement comme un thème
17
nementales et il est courant d’entendre les central – en particulier la responsabilité
enseignants se plaindre qu’en raison de des enseignants pour l’apprentissage des
cette politique, les enfants n’ont plus peur élèves.
de l’échec et n’étudient plus. Les direc-
teurs d’écoles affirment, quant à eux, que Cadre curriculaire
les enseignants auraient commencé à et manuels nationaux
négliger leur enseignement, compte tenu On s’attendait à ce que la révision du
du fait que les élèves ne peuvent plus Cadre curriculaire national (National
échouer. Ces critiques, conjuguées à la Curriculum Framework : NCF), élaboré
faiblesse générale des résultats d’appren- en 2005, et des manuels figurent en bonne
tissage des élèves dans les écoles gouver- place parmi les priorités du nouveau gou-
nementales, ont conduit la politique de vernement ; et ce d’autant plus que le
NCF 2005 avait été considéré comme une
6. Il existe trois types d’écoles en Inde : les écoles du
réaction visant à infléchir la « safrani-
gouvernement (government schools), gérées et finan- sation »9 du curriculum et des manuels
cées par le gouvernement de chaque État ; les écoles qui prévalait alors. Mais cela n’a pas été le
privées aux frais de scolarité plus élevés, surtout des-
tinées aux classes moyennes urbaines ; et les écoles
cas. Le nouveau gouvernement a, dès
privées subventionnées par le gouvernement, pour le départ, totalement repris à son compte
réduire les frais de scolarité et les rendre accessibles
aux enfants des familles pauvres. (Source : S. Herold
et T. Mamode (2014), fiche documentaire sur l’Inde à
l’occasion du colloque international « L’éducation en 8. Accountability en anglais. (NdT)
Asie », CIEP, 12-14 juin 2014 [https://goo.gl/X9tSo9]. 9. Le safran est la couleur associée à l’hindouisme ;
(NdT) la « safranisation » fait donc référence à l’influence
7. No detention en anglais. (NdT) hindoue.

N° 75 - septembre 2017
le NCF 2005, saluant la modernité des le chant du mantra « om » et la salutation
principes à partir desquels il avait été for- au soleil sous la forme du « surya
mulé. « Le comité recommande que les namaskar »11. Le MHRD lui-même a soi-
principes directeurs de la réforme curri- gneusement évité toute référence aux
culaire tels qu’énoncés dans le NCF 2005 liens entre religion et yoga, soulignant
soient considérés comme pertinents et plutôt ses vertus, internationalement
activement mis en œuvre » (p. 106 du reconnues, pour le bien-être physique et
document de discussion de la NEP 2016). mental. Face à la rumeur malveillante fai-
Le ministère a également mis un terme à sant état d’une fatwa lancée contre le yoga,
la révision des documents curriculaires. le Darul-uloom Deoband, un séminaire
Les manuels mis au point par le Conseil islamique orthodoxe, a précisé qu’il n’y
national pour la recherche et la formation avait aucun problème avec cette « forme
pédagogiques (National Council of Edu- d’exercice ». Mais tout doute ou examen
cational Research and Training) ont été de ce qui est compris exactement sous
conservés, sans changement. Il semble l’appellation de « yoga » suscite immédia-
que le ministère de l’éducation s’efforce tement son lot de commentaires stridents
d’apparaître comme moderne, tourné et fallacieux en provenance des groupes
vers le développement et préoccupé par d’extrême droite.
les faibles niveaux d’apprentissage, d’effi- Dans certains des États dirigés par
cacité et de responsabilité dans le système le BJP, au Rajasthan notamment, les
scolaire gouvernemental, plutôt que manuels d’histoire ont été révisés pour
d’avoir l’air influencé par le nationalisme intégrer une version Hindutva de la lutte
Hindutva10 ou guidé par des intérêts idéo- pour la liberté de l’Inde, qui redéfinit radi-
18
logiques. Le seul sujet ayant fait l’objet calement les rôles attribués aux héros
d’une attention nationale est celui du nationaux, y compris le Mahatma
yoga, promu comme matière d’enseigne- Gandhi, réduisant le premier Premier
ment sous l’intitulé « yoga pour la santé ministre de l’Inde, Jawaharlal Nehru, à
et le bien-être ». « Le yoga recevra une une figure mineure, tandis que certains
attention particulière. Des efforts seront personnages Hindutva sont promus au
faits pour que le yoga soit introduit rang de héros, comme c’est le cas de Veer
dans l’ensemble des écoles. » (p. 100). Savarkar, un admirateur de Hitler.12
L’inclusion de la pratique du yoga à l’école, On assiste actuellement en Inde à la
promue par le MHRD, reçoit actuel- convergence entre une droite ancienne et
lement un puissant soutien. Mais, comme le néolibéralisme. Dans ses perspectives
on pouvait s’y attendre, cela a suscité des générales de développement, l’État indien
inquiétudes quant à savoir si cette pra- considère la dissension politique comme
tique devait être considérée comme la une perte de temps et de ressources quand,
promotion effective de pratiques hin- au contraire, tous les citoyens devraient
doues à l’école – car elle peut comprendre être unis pour le progrès de la nation.
Dans ce contexte, la liberté d’expression
est considérée comme un luxe inutile et
10. L’Hindutva (ou « hindouïté ») désigne le courant
idéologique qui sous-tend le nationalisme hindou
offensif qui influence actuellement la société 11. Nom de la salutation au soleil en sanskrit trans-
indienne et dont l’arrivée au pouvoir du BJP est l’une littéré. (NdT)
des manifestations. (Source : Guillaume Gandelin 12. L’Inde a une structure fédérale et les États ont
(2016) : « L’hindutva, aux origines du nationalisme leurs propres commissions scolaires et leurs propres
hindou », Asialyst, [https://goo.gl/42Tr1k]. (NdT) manuels.

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l’activité de ceux n’ayant pas à justifier de


leur temps ni de leurs résultats. C’est en L’Estonie :
fait le système éducatif tout entier qui se un nouveau modèle éducatif
fait actuellement « discipliner » en Inde, Avec 1,3 million d’habitants, l’Estonie
à travers ce régime de responsabilité, qui est un pays faiblement peuplé. Sa popula-
vise à instaurer plus d’efficacité et à limiter tion scolaire compte 143 000 élèves dans
le gaspillage. L’État fédéral indien a les premier et second degrés. Pourtant,
également envoyé des forces de police sur cette taille réduite n’empêche pas l’Estonie
les campus ou exclu des étudiants pour non seulement de disposer d’un système
avoir « perturbé » la vie du campus. Après éducatif original, mais aussi de repré-
des décennies de progrès vers une péda- senter un modèle de réussite scolaire. La
gogie « centrée sur l’enfant », inscrite position de l’Estonie dans l’évaluation
dans la Loi sur le droit à l’éducation à tra- PISA de 2012 était déjà très favorable,
vers la clause de non-redoublement, la mais les résultats de 2015 sont spectacu-
tendance s’est désormais inversée et laires : l’Estonie a dépassé la Finlande et
la peur de l’échec fait son retour comme figure désormais au premier rang euro-
outil de responsabilisation : des ensei- péen du classement PISA et au troisième
gnants pour l’enseignement et des élèves rang mondial. Cette réussite ne doit rien
pour l’apprentissage. au hasard : il existe un modèle éducatif
La perspective développementale estonien, qui se caractérise par quelques
néolibérale promeut la supervision éléments originaux.
étroite de l’enseignement pour une plus
grande efficacité et la notion de responsa- Une volonté d’excellence 19
bilité pour de meilleurs résultats. C’est éducative globale inscrite dans
cette approche qui a été adoptée au niveau une perspective internationale
central, parallèlement à la montée
L’Estonie dispose d’une tradition
en puissance de l’agenda idéologique
ancienne de qualité scolaire. Selon un
Hindutva dans les structures verna-
recensement effectué en 1881, 48 % de la
culaires. Si une nouvelle politique éduca-
population savaient déjà lire et 94 % lire
tive est attendue dans les prochains mois
et écrire, bien au-dessus de la plupart des
en Inde, le nouveau paysage éducatif est
pays européens. Elle a poursuivi cette
déjà bel et bien en train de prendre forme,
priorité donnée à l’éducation : en 2011, la
mais sans le nécessaire soubassement de
part de la population comprise entre 55 et
droits et de libertés fondamentaux.
64 ans ayant été scolarisée au-delà du col-
Padma M. Sarangapani, lège était de 85 % en Estonie, soit 25 points
Tata Institute of Social Sciences, Inde au-dessus de la moyenne française.
L’excellence éducative recherchée est
globale et ne s’arrête pas aux portes de
l’école. Considérant chaque individu
comme devant être en situation perma-
nente d’apprentissage, les objectifs fixés
au système éducatif doivent se traduire
dans les compétences de l’ensemble de la
population, et un certain nombre d’indi-
cateurs clés de la stratégie 2020 du minis-
tère de l’éducation concernent les adultes.

N° 75 - septembre 2017
Cette volonté d’excellence s’intègre la formation d’adultes. Il comprend les
aussi dans une dimension internationale. principaux domaines concernés par
Membre de l’OCDE depuis 2010, l’Estonie l’éducation : les évaluations d’élèves ; le
participe à PISA depuis 2006, ainsi qu’aux management des écoles ; les curricula ;
principaux tests internationaux (dont les manuels scolaires ; la recherche en
TALIS et PIAAC). Au-delà, les politiques éducation ; l’entrée dans l’enseignement
éducatives se réfèrent explicitement à supérieur ; le registre des qualifications
l’environnement international. À titre professionnelles. Il est consultable par
d’exemple, parmi les indicateurs clés de la tous les publics directement parties pre-
stratégie éducative élaborée en 2014, nantes de l’école : élèves et étudiants,
figure l’accroissement du nombre d’élèves enseignants, institutions éducatives.
les plus performants identifiés dans PISA. L’intérêt de ce système unique est de
La réussite dans les évaluations internatio- pouvoir disposer d’informations et de
nales permet en retour de valider, dans le statistiques portant sur l’intégralité du
débat public estonien, les choix éducatifs champ éducatif, et ce à toutes les échelles :
réalisés depuis une génération. d’établissement, locale, nationale, inter-
nationale (UNESCO, OCDE, Eurostat).
Un système éducatif fondé Le croisement de ces informations
sur l’information conduit à des comparaisons temporelles
L’Estonie a fait le choix de participer ou géographiques entre établissements ou
pleinement à la société de l’information, régions, en facilite le pilotage, et permet de
et l’État contribue à ce projet de société passer de la description de l’activité à
20 digitale, en offrant le plus de services l’analyse des résultats de l’enseignement,
dématérialisés possible, qu’il s’agisse du en établissant un lien entre les différentes
vote électronique ou de la possibilité de échelles de l’action éducative.
signer en ligne des contrats authentifiés.
En termes éducatifs, ce primat de Une autonomie de l’établissement
l’information se décline de deux façons. qui intègre l’offre d’enseignement
D’une part, les apprentissages font En Estonie, l’État central dispose peu
une large part à l’excellence numérique. de pouvoir en matière éducative. Symboli-
L’inscription de l’éducation dans la quement, le siège du ministère de l’éduca-
société de l’information est l’un des cinq tion se situe à Tartu, ancienne ville univer-
objectifs de la stratégie éducative 2020 de sitaire, et non à Tallin, la capitale politique
l’Estonie. Parmi les indicateurs choisis et le siège de toutes les autres institutions.
figure la maîtrise par chaque élève des À l’instar des pays nordiques auxquels
technologies de l’information et de la l’Estonie se compare, les pouvoirs de
communication, et le fait que 80 % des l’échelon local, municipalité et province,
adultes (compris entre 16 et 74 ans) dis- sont plus importants que ceux de l’État
posent de compétences en la matière. central et comprennent notamment la
D’autre part, l’Estonie a développé un contractualisation avec les établissements
système d’information exhaustif qui est scolaires et l’obtention de leurs moyens.
au cœur du pilotage du système éducatif : Toutefois, la particularité de l’Estonie
l’Estonian Education Information System est surtout d’accorder un très haut niveau
(EHIS). Son champ couvre l’ensemble du d’autonomie à l’établissement scolaire.
champ éducatif, depuis l’enseignement L’OCDE réalise une évaluation globale du
préélémentaire jusqu’au supérieur et à degré d’autonomie, selon le pourcentage

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de décisions prises au niveau de l’établis- Il ne s’agit pas de construire une édu-


sement. Les compétences transférées aux cation à la carte : le curriculum assez large
établissements peuvent correspondre à va de pair avec un socle commun, des dis-
trois domaines principaux : les ressources ciplines partagées et des examens termi-
humaines (recrutement des enseignants naux (et partiels) dont les résultats sont
et des chefs d’établissement) ; le finance- regardés par tous avec attention. L’autono-
ment (utilisation d’un budget public et mie consiste plutôt à pouvoir déterminer
capacité à faire appel à des ressources une offre d’enseignement cohérente et
privées) ; l’enseignement et la pédagogie propre à un établissement. En Estonie, un
(choix du programme ou des matériels). collège peut décider de proposer des cours
Dans l’ensemble, l’Estonie figure dans conjointement avec des enseignants de
le trio de tête de l’OCDE, avec l’Angleterre lycée, sur des spécialités qu’il souhaite
et les Pays-Bas, puisque plus de 70 % développer. Il ne s’agit plus d’enseigne-
des décisions sont prises au niveau de ments optionnels mais d’un position-
l’établissement scolaire. nement qui fonde la stratégie de l’établis-
En outre, l’autonomie de l’établisse- sement, sa différenciation avec d’autres, et
ment tend à changer de nature. Elle ne qui se traduit, notamment, par des objec-
concerne plus seulement son fonction- tifs précis concernant les savoirs des élèves,
nement et sa capacité à utiliser les marges évalués tout au long de l’année. L’auto-
de manœuvre qui lui ont été attribuées, nomie de l’établissement consiste donc à
à l’occasion du mouvement général de être à l’origine de son cadre d’action.
décentralisation observé partout en
Europe depuis une génération. Ces Un établissement acteur 21
marges de manœuvre sont en effet le plus de son évaluation
souvent limitées, parce que si les établis- L’Estonie représente un modèle
sements disposent de davantage de original d’évaluation d’établissement.
compétences et d’une liberté d’action Historiquement, les premiers dispositifs,
accrue, c’est presque toujours en contre- développés en Angleterre par l’inspection
partie d’un contrôle renforcé par des col- anglaise, l’Ofsted, à partir de la fin des
lectivités locales à la fois plus attentives et années quatre-vingts, ont renforcé l’enca-
plus puissantes. drement éducatif de l’école. Parallèlement
Ici, l’autonomie est comprise dans une à l’autonomie conférée aux établisse-
dimension plus ambitieuse : la capacité de ments, une autorité extérieure structure
l’établissement à proposer et à porter un l’inspection d’établissements : l’établis-
projet éducatif singulier. L’établissement sement est certes autonome dans l’utilisa-
peut ainsi construire le cadre de son action tion de ses moyens mais il en rend compte
et ses objectifs propres, ce qui détermine à travers un schéma unique. L’évaluation
en conséquence ses relations avec ses d’établissement, « school inspection », se
tutelles et la grille selon laquelle il pourra fonde sur un cadre essentiellement chiffré
être évalué. Le débat porte donc moins sur et s’inscrit dans une démarche compara-
l’utilisation des moyens que sur la qualité tiste proposée tant aux parents qu’aux
des enseignements dispensés, en fonction autorités de tutelle.
des objectifs que se fixe l’établissement. Un nouveau modèle d’évaluation
C’est son ambition pédagogique qui est d’établissements, prenant davantage en
discutée, et non les facteurs qui permettent compte leurs forces propres, s’est ensuite
d’y parvenir. développé. Une place plus importante est

N° 75 - septembre 2017
faite aux équipes des établissements dans
la mise en place de leur évaluation : PASEC 2014 et qualité
l’approche est davantage collaborative, des enseignants :
une photographie
plus qualitative et tournée vers l’amélio-
pour un diagnostic
ration de l’établissement et non plus
sur son classement. Porté d’abord par En Afrique subsaharienne franco-
l’Écosse, ce modèle s’est diffusé largement phone, la réflexion sur la question ensei-
en Europe et est davantage compatible gnante a longtemps été considérée
avec l’autonomie croissante des établisse- comme secondaire, l’accent ayant été mis
ments, mais il se réfère toujours à un cadre en priorité sur l’accès afin de satisfaire cer-
fixé à l’extérieur de l’établissement. tains engagements pris dans le cadre des
Face à ces modèles fondés sur le primat préoccupations internationales d’éduca-
de l’évaluation externe, l’Estonie repré- tion. C’est le cas des politiques d’ajuste-
sente une nouvelle conception, qui prend ment du secteur de l’éducation, qui ont
en compte l’autonomie pédagogique de impacté notamment la formation et le
l’établissement et se fonde essentiellement recrutement des enseignants (Bernard
sur son auto-évaluation. L’évaluation et al., 2004 ; Bourdon et Nkengné-
externe de l’ensemble des établissements, Nkengné, 2007 ; Lauwerier et Akkari,
sur une grille commune, n’est plus réalisée 2015). Ces politiques ont contribué à la
à l’échelle d’un pays. De même, il n’y a plus diversification concomitante des statuts
d’inspection d’écoles, à intervalles régu- professionnels (fonctionnaires, contrac-
liers, réalisée par un organisme dépendant tuels, communautaires…) et des profils
22 d’autorités éducatives locales ou centrales. de formation des enseignants.
En revanche, l’établissement doit conduire Longtemps abordée sous l’angle
chaque année sa propre évaluation. Libre du déficit quantitatif d’enseignant, la
à lui de la mener comme il l’entend : les question enseignante s’installe progressi-
méthodes comme les indicateurs retenus vement à la faveur de la déclaration
sont choisis par lui, en fonction de ses d’Incheon, au cœur des préoccupations
objectifs pédagogiques spécifiques. En nationales et internationales en termes de
revanche, celle-ci doit être cohérente qualification des enseignants.
avec sa stratégie et la qualité de l’auto-
Dans cette dynamique, le rapport
évaluation comme la véracité des données
international et les rapports nationaux
fournies sont des éléments déterminants
des dix pays participant à l’évaluation
de jugement de l’établissement par les
PASEC 2014 ont conduit à la production
autorités de tutelle : l’établissement est
d’une analyse sur les profils de formation
acteur de son évaluation, il en devient
des enseignants des élèves testés en
donc responsable.
Afrique subsaharienne francophone.
Par ces quelques caractéristiques Ces rapports constituant le tremplin
majeures, l’Estonie prend ainsi réso- d’importantes réflexions sur les ensei-
lument place, quoique pour l’instant de gnants et les directeurs d’établissement
manière discrète, parmi les systèmes édu- campent aussi l’environnement de ces
catifs les plus performants au monde. acteurs centraux des systèmes éducatifs,
Stéphane Kesler, à travers une analyse du genre, de la
inspecteur général de l’administration formation académique, de la formation
de l’éducation nationale professionnelle et du regard sur leurs
et de la recherche, France conditions matérielles de travail.

re vu e i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


0 actualité internationale

Les enseignants étant définis à travers Niveau académique


l’Objectif de développement durable n° 4 des enseignants
(ODD4), comme un moyen fondamental Le rapport international PASEC 2014
à renforcer pour l’atteinte d’une éduca- a analysé les divers niveaux de formation
tion de qualité pour tous dans le monde académique des enseignants des classes de
avant 2030, les données de l’évaluation début et de fin de scolarité primaire,
PASEC 2014 proposent une analyse de dont les élèves ont été évalués. Les
cette cible comme préalable à cette action. tableaux 1 et 2 présentent la répartition
Cet article présente un aspect de ce des élèves selon le niveau académique de
diagnostic, à savoir la situation de la for- leur enseignant (primaire, secondaire
mation académique et professionnelle et universitaire).
des enseignants des classes primaires Premier constat sur le niveau acadé-
évaluées. mique des enseignants : en général, dans

Tableau 1. Répartition des élèves selon le niveau académique de l’enseignant


Début de scolarité

Niveau primaire Niveau secondaire Niveau universitaire


Bénin - 80,3 19,7
Burkina Faso 0,3 39,0 60,7
Burundi 0,4 86,1 13,5
Cameroun 1,6 81,3 17,2 23
Congo - 84,9 15,1
Côte d’Ivoire - 80,0 20,0
Niger - 93,3 6,7
Sénégal - 59,2 40,8
Tchad - 71,5 28,5
Togo - 90,6 9,4

Tableau 2. Répartition des élèves selon le niveau académique de l’enseignant


Fin de scolarité

Niveau primaire Niveau secondaire Niveau universitaire


Bénin - 76,8 23,2
Burkina Faso 1,5 38,1 60,4
Burundi 1,2 74,2 24,6
Cameroun 0,0 72,2 27,8
Congo 0,3 65,7 34,0
Côte d’Ivoire 1,0 47,2 51,8
Niger - 70,5 29,5
Sénégal - 52,8 47,2
Tchad - 41,9 58,1
Togo - 71,5 28,5

N° 75 - septembre 2017
tous les pays évalués, la quasi-totalité des Formation professionnelle initiale
élèves en début et en fin du cycle primaire des enseignants
est encadrée par un enseignant dont le
Le PASEC 2014 a tenté d’apprécier le
niveau académique est supérieur au pri-
niveau de la formation professionnelle
maire. La majorité des élèves a un ensei-
initiale des enseignants à travers la durée
gnant de niveau secondaire, à l’exception
de cette formation, indépendamment de
du Burkina Faso (39,0 % en début et
leur niveau académique, afin de faciliter
38,1 % en fin de scolarité) et, en fin de
la comparabilité, les types de formations
scolarité, de la Côte d’Ivoire (47,2 %) et du
spécifiques à l’enseignement pouvant
Tchad (41,9 %). Dans le cas de ces pays, la
varier entre pays.
majorité des élèves est encadrée par des
enseignants ayant une formation Les tableaux 3 et 4 montrent la répar-
universitaire. tition des élèves selon la durée de la for-
À l’inverse, dans de nombreux pays, mation professionnelle initiale de l’ensei-
les pourcentages d’élèves encadrés par un gnant, répartie en quatre catégories.
enseignant ayant une formation univer- L’évaluation montre qu’il existe dans
sitaire sont bien plus faibles : moins de tous les pays évalués une proportion non
25 % au Bénin et au Burundi en fin de sco- négligeable d’élèves dont l’enseignant n’a
larité primaire, et moins de 20 % dans reçu aucune formation professionnelle
six pays en début de scolarité (Bénin, initiale. La plupart des pays a en effet été
Burundi, Cameroun, Congo, Niger et confrontée à la nécessité d’une réponse
Togo). urgente au défi de l’accès, par le recrute-
Par ailleurs, dans tous les pays, le pour- ment important d’enseignants ne
24
centage d’élèves dont les enseignants ont disposant souvent pas de formation pour
un niveau d’enseignement supérieur, est cette profession. Dans certains cas, les
plus élevé en fin de cycle qu’en début de enseignants ont reçu une formation péda-
cycle, à l’exception du Burkina Faso, où ce gogique de quelques jours. Cette situation
pourcentage est presque identique. a le plus souvent débouché sur une

Tableau 3. Répartition des élèves selon la formation professionnelle de l’enseignant


Début de scolarité

Aucune
formation Moins de six mois Un an Deux ans et plus
professionnelle
Bénin 15,6 4,9 10,5 69
Burkina Faso 14,6 17,3 45,3 22,8
Burundi 10,1 9 8,2 72,7
Cameroun 20,7 2,4 17,6 59,3
Congo 15,7 17,8 6,8 59,7
Côte d’Ivoire 20,3 15,2 28,3 36,3
Niger 23,3 21,2 28,7 26,8
Sénégal 5,9 29,6 58 6,5
Tchad 23,9 42,1 26,6 7,4
Togo 67,2 23,8 7 2
Moyenne 21,5 18,3 23,8 36,3

re vu e i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


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Tableau 4. Répartition des élèves selon la formation professionnelle de l’enseignant


Fin de scolarité

Aucune
formation Moins de six mois Un an Deux ans et plus
professionnelle
Bénin 4,2 18,4 28,6 48,8
Burkina Faso 14,8 8,4 39,4 37,4
Burundi 10,2 10,2 11,4 68,2
Cameroun 8,6 2,7 35,3 53,4
Congo 7,9 8,4 19,2 64,5
Côte d’Ivoire 3,1 9,6 23,2 64,1
Niger 4,1 12,8 38,5 44,7
Sénégal 4,2 31,9 57,5 6,3
Tchad 10,9 15,5 48,4 25,3
Togo 34,3 48 10,5 7,2
Moyenne 10,2 16,6 31 42,2

différenciation des statuts et des condi- prioritaire pour l’attribution d’ensei-


tions contractuelles. gnants formés.
En début du cycle, cette proportion Dans la plupart des pays, aussi bien en 25
atteint 21,5 %, en moyenne. Des varia- début qu’en fin de cycle, une grande majo-
tions sensibles autour de cette moyenne rité d’élèves ont un enseignant qui a suivi
sont notables. Au Sénégal, le pourcentage au moins un an de formation profession-
d’élèves dont l’enseignant n’a aucune nelle, hormis au Togo, où seulement
formation professionnelle initiale est 17,7 % d’élèves de 6 e année et 9,0 %
comparativement faible (5,9 %). Cette d’élèves de 2e année ont un enseignant
proportion dépasse 20 % au Cameroun ayant reçu au moins un an de formation
(20,7 %), en Côte d’Ivoire (20,3 %), au initiale.
Niger (23,3 %) et au Tchad (23,3 %), et En fin de cycle, le problème de
atteint des proportions alarmantes au l’absence de formation des enseignants ou
Togo (67,2 %). En fin de cycle, la part de la faible durée de leur formation ini-
d’élèves dont l’enseignant n’a aucune for- tiale est moins alarmant au Cameroun,
mation initiale est inférieure à 11 %, pour au Congo, en Côte d’Ivoire et au Niger,
tous les pays sauf le Burundi (14,8 %) et le comparativement à des pays comme le
Togo (34,3 %). Togo, le Sénégal et Tchad.
La proportion d’élèves dont l’ensei- L’analyse du profil professionnel ini-
gnant a bénéficié d’une formation initiale tial des enseignants, mis en relation avec
de moins de six mois varie de 2,4 % au leur niveau académique et leur partici-
Cameroun à 42,1 % au Tchad, en début de pation à des formations complémen-
cycle. En fin de cycle, cette proportion se taires, montre que l’absence de forma-
situe entre 2,7 % au Cameroun et 48,0 % tion initiale du maître n’implique pas
au Togo. Ici encore, il est constaté que le forcément une absence totale de for-
début de scolarité primaire n’est pas mation pédagogique. À l’exception du

N° 75 - septembre 2017
Burundi, parmi les élèves ayant des le plus d’élèves dont l’enseignant n’a reçu
enseignants sans formation profession- aucune formation continue.
nelle initiale, plus de 70 % de ces élèves Toutefois, les pourcentages d’élèves
ont des enseignants ayant suivi une for- encadrés par un enseignant ayant reçu au
mation complémentaire en pédagogie. Il moins quelques jours de formation
est également intéressant de constater complémentaire sont élevés, dans presque
que l’absence de formation initiale tous les pays, et particulièrement au
touche les enseignants de tous les niveaux Cameroun et au Sénégal (plus de 95 %).
académiques. Parmi les enseignants ayant bénéficié de
formation, la répartition selon le nombre
Formation continue de jours de formation montre, pour cer-
des enseignants tains pays, une concentration dans la caté-
gorie comprise entre un et cinq jours de
La formation continue offre à l’ensei- formation.
gnant l’opportunité de parfaire ses apti- Le PASEC 2014 a permis de réaliser
tudes professionnelles, de développer de une première photographie de constat
nouvelles compétences pédagogiques, comparatif sur les enseignants de dix pays
d’apprendre à mieux connaître et à appli- d’Afrique subsaharienne francophone,
quer les programmes scolaires. Dans des qui met en évidence les insuffisances et
contextes de forte présence d’enseignants diversités liées à la formation de la profes-
sans formation initiale professionnelle, sion enseignante. Faute de place, nous ne
elle se présente comme une alternative pouvons mener ici l’analyse du lien entre
26 importante pour améliorer la qualité du le niveau académique et les différentes
système éducatif. Les instruments de catégories de formation (professionnelle
collecte des données contextuelles du initiale et continue) des enseignants avec
PASEC 2014 ont abordé la question de la les performances des élèves, qui reste à
formation continue des enseignants selon conduire.
le nombre de jours de formation complé- Le rapport des enseignants à la forma-
mentaire reçue au cours des deux der- tion initiale spécifique à l’enseignement
nières années. Pour les besoins des ana- et à la formation continue dans des
lyses, le nombre de jours de formation a contextes scolaires complexes caracté-
été scindé en cinq catégories (absence de risés, entre autres, par une insuffisance de
formation continue, entre un et cinq jours ressources pédagogiques et des tailles de
de formation, entre six et dix jours de classe importantes constitue un véritable
formation, entre onze et vingt jours obstacle à la qualité de l’enseignement-
de formation et plus de vingt jours de apprentissage et à la construction d’une
formation). professionnalité enseignante.
L’absence de formation continue des L’hétérogénéité des niveaux de for-
enseignants demeure une réalité, que ce mation académique, des modes et des
soit en début ou en fin de scolarité pri- parcours de formation, la répartition
maire. Le pourcentage d’élèves est inéquitable des profils de formation
compris entre 2,2 % au Cameroun et dans les systèmes éducatifs subsahariens
63,0 % au Burundi en début de cycle, et francophones, la faiblesse du volume de
entre 4,5 % au Sénégal et 41,8 % au formation professionnelle enseignante
Burundi en fin de cycle. Le Burundi est, et le faible volume de temps consacré
pour les deux niveaux, le pays qui compte à la formation continue constituent

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un éventail de constats qui confortent


l’ODD 4, point C : « d’ici à 2030, accroître

r
considérablement le nombre d’ensei-
gnants qualifiés… ». Qui plus est, ce repères
constat relatif à la formation des ensei- sur les systèmes
gnants invite à aller plus loin dans la défi-
nition de ce qui est entendu et attendu à éducatifs
travers la « qualification des enseignants » étrangers
dans l’ODD 4C. Un enseignant qualifié
est-il celui qui présente les certifications
attendues ou celui qui manifeste effecti-
vement les compétences attendues pour Le système de formation
l’enseignement ? des ressources humaines
La détention de la certification pour en Tunisie
l’enseignement n’étant pas un gage absolu
de la manifestation des compétences Quelques données
d’enseignement, le PASEC s’est engagé, Le dispositif de formation des res-
dans sa deuxième vague d’évaluation sources humaines en Tunisie comprend,
comparative internationale intitulée depuis l’indépendance en 1956, trois sys-
PASEC 2019, à évaluer les compétences tèmes : éducatif (primaire à l’école,
des enseignants sur des disciplines fonda- préparatoire au collège et secondaire au
mentales enseignées (mathématiques et lycée), professionnel (du certificat d’apti-
langue d’enseignement) et sur le savoir tude professionnelle au brevet de techni- 27
didactique (maîtrise des objectifs d’ap- cien supérieur) et universitaire (baccalau-
prentissage et typologie des erreurs). n réat suivi de trois années et plus).
Hilaire Hounkpodote,
Labass Lamine Diallo, Le contexte
Bassile Zavier Tankeu, Le dispositif de formation des res-
PASEC sources humaines a été marqué pendant
une cinquantaine d’années, par l’absence
de vision globale, malgré les inter-
connexions entre les trois systèmes. Les
systèmes éducatif et professionnel étaient
longtemps interconnectés avec des filières
professionnalisantes et des lycées tech-
niques unissant l’enseignement scolaire à
la formation professionnelle et technique.
Les choix politiques des années 1990 ont
entraîné une régression de la composante
professionnelle dans le système éducatif
(conversion des lycées techniques en
lycées généraux, suppression de l’initia-
tion professionnelle aux lycées, renon-
ciation au projet du baccalauréat profes-
sionnel), si bien que le seul lien qui a
persisté entre ces deux systèmes concerne

N° 75 - septembre 2017
Enseignement primaire Écoles publiques Écoles privées
Nombre d’établissements 4 575 324
Nombre d’élèves 1 079 000 (dont 48,3 % de filles) 60 313 (dont 47,2 % de filles)
Nombre d’enseignants 64 944 5 455
Cycle préparatoire et secondaire
Nombre d’établissements 1 409 346
Nombre d’élèves 893 348 (dont 54 % de filles) 58 706 (dont 34,3 % de filles)
Nombre d’enseignants 75 056 10 583
Source : statistiques du ministère de l’éducation, octobre 2015.

Enseignement supérieur Public Privé


Nombre d’établissements d’enseignement 203, dont 31 en co-tutelle,
65
supérieur et de recherche répartis sur 13 universités
Nombre total d’étudiants 294 487 30 669 (10,4 %)
Nombre d’enseignants permanents 18 768
Nombre de chercheurs permanents 12 515
590 (309 unités et
Nombre de structures de recherche
281 laboratoires)
Source : statistiques du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, juin 2016.
28 NB : Les statistiques exactes du ministère de la formation professionnelle et de l’emploi ne sont pas disponibles sur
son site web, en raison de la mobilité permanente des apprenants vers les deux autres systèmes, ainsi que vers le
marché de l’emploi.

l’orientation dichotomique (enseigne- chômage des diplômés du supérieur ont


ment secondaire ou professionnel) à la fin impulsé en 2012 une réflexion qui a abouti
du cycle de base (école et collège, soit 9 ans à une vision unifiée du système de déve-
au total). Ceci marqua le début de la loppement des ressources humaines.
dépréciation du système professionnel et
la massification des lycées. Par ailleurs, la Les défis du développement
seule interconnexion entre les systèmes d’un système unifié
éducatif et universitaire concerne l’orien- de ressources humaines
tation universitaire. Cette vision éclatée
du dispositif de formation des ressources Améliorer les compétences de base
humaines en Tunisie a contribué, à partir Comme l’attestent le classement
de 2000, à la baisse du niveau des élèves, PISA 2015 ainsi que les conclusions du
donc des intrants à l’université, à la dépré- Livre blanc édité par le ministère de
ciation accélérée de la formation profes- l’Éducation en mai 2016, les élèves tuni-
sionnelle et à la massification de l’ensei- siens présentent un déficit en compé-
gnement supérieur. Les effets néfastes de tences de base, de façon générale, surtout
cette vision, surtout la baisse du niveau en sciences humaines et sociales. La mar-
des apprenants des trois systèmes, les dif- ginalisation de ces compétences a débuté
ficultés d’insertion professionnelle et le à la fin des années 1980, entraînant un

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désintérêt des institutions et des élèves, véritable moteur du développement


aggravé par la baisse du niveau linguis- régional et un levier entrepreneurial. Ce
tique des formateurs. La dépréciation de clivage avec le monde socioéconomique
l’enseignement professionnel et tech- a fait que l’université a continué à former
nique a entraîné de son côté un afflux pour des métiers à faible valeur ajoutée
massif des élèves vers les lycées, dépassant ou qui ont subi des mutations profondes
les capacités réelles de formation des ou même sont devenus obsolètes, de
formateurs et obligeant les autorités à même qu’elle n’a pas anticipé l’émer-
recruter des formateurs non qualifiés gence de nouveaux métiers à forte valeur
et/ou non habilités. Cette situation a été ajoutée. La mise en place du système
aggravée par la comptabilisation de la LMD, suite à l’adhésion de la Tunisie au
moyenne de l’année terminale pour 25 % processus de Bologne en tant que pays
dans la moyenne finale au baccalauréat, partenaire en 2006, n’a pas apporté les
sans prémunir contre les dérives abusives améliorations escomptées de façon
qui n’ont pas tardé à se manifester, affec- notable, car sa mise en place a été déviée
tant la crédibilité du système éducatif. La de ses objectifs initiaux, principalement
résultante est une baisse du niveau général la professionnalisation des parcours de
des bacheliers, à l’entrée du système formation en vue d’une meilleure inser-
universitaire. tion professionnelle. Les améliorations
souhaitées ne se sont pas produites,
Coordonner et articuler entraînant un cumul de chômeurs diplô-
les trois systèmes de formation més de l’enseignement supérieur, qui
Outre les interconnexions ci-haut représentent actuellement 38 % de l’en-
29
citées entre les trois systèmes, le dispositif semble des chômeurs en Tunisie.
de formation des ressources humaines et
de développement des compétences en Améliorer la gouvernance
Tunisie doit se doter d’une vision globale des établissements et institutions
et intégrée. Les passerelles entre les sys- Les études sur le dispositif de for-
tèmes n’ont pas été mises en place au mation des ressources humaines en
moment opportun, faisant du système Tunisie réalisées par la Banque mon-
professionnel une voie de récupération diale, l’Union européenne ou encore
des échecs des deux autres. Certaines la Banque africaine de développement
réformes entreprises séparément dans ont mis le doigt sur la mauvaise gouver-
les trois systèmes ont aggravé leur nance des institutions et établissements
désarti culation et occasionné des des trois systèmes, à tous leurs niveaux
discordances. hiérarchiques, qualifiée de « déficit
managérial ». Si les systèmes éducatif
Renforcer la professionnalisation et professionnel sont handicapés par
des parcours de formation leurs textes réglementaires, qui n’ont
La dépréciation de la formation pro- pas prévu les structures et mécanismes
fessionnelle et la régression de l’ensei- de bonne gouvernance, il en va diffé-
gnement technique et professionnel dans remment du système universitaire. Les
le système éducatif ont eu un impact textes qui l’organisent ont prévu, depuis
négatif sur le système universitaire. De la fin des années 1970, la mise en place de
son côté, l’université n’a ni pu ni su anti- différentes structures de gestion admi-
ciper les mutations qui font d’elle le nistrative et académique, orientation

N° 75 - septembre 2017
explicitée dans la loi de 2008 1 et les et techniques, destinés aux centres de
textes d’accompagnement. Cette loi a formation professionnelle et aux lycées
insisté sur la vision et les missions du techniques, étaient en grande partie for-
système d’enseignement supérieur et de més à l’École normale supérieure d’en-
recherche, sur l’autonomie des univer- seignement technique (ENSET). Enfin,
sités grâce à un passage intermédiaire par l’accès à l’enseignement supérieur était
le statut d’établissement public à carac- réservé aux titulaires du grade d’assistant
tère scientifique et technologique et sur ou plus, alors que les assistants délégués
l’assurance qualité, concepts consolidés et attachés de recherche dits contrac-
et complétés après janvier 2011. D’après tuels, ne contribuaient qu’à l’enseigne-
ces mêmes études, la mauvaise gouver- ment pratique, avec un plafond hebdo-
nance des trois systèmes est principale- madaire de quatre heures d’initiation à
ment due à l’absence d’une démarche l’enseignement.
qualité basée sur un système de manage-
Avec la dépréciation de l’enseigne-
ment de la qualité, ainsi qu’au faible taux
ment professionnel et la massification
d’encadrement. Ceci a amené les princi-
du secondaire et par suite du supérieur,
paux bailleurs de fonds à recommander
on a assisté à un démantèlement du dis-
une clause sur la gouvernance comme
positif de formation des formateurs,
critère d’acceptabilité des projets tuni-
avec la suppression des instituts supé-
siens d’appui à la réforme des systèmes
rieurs de formation des maîtres et des
éducatif, professionnel et universitaire,
écoles normales des instituteurs, la
de même que la mise en place d’unités
dépréciation de l’ENS, la conversion des
de gestion par objectifs, structures de
30 lycées techniques en lycées généraux et
management de projets, est une condi-
celle de l’ENSET en école d’ingénieurs.
tion sine qua non pour la libération des
L’accès à l’enseignement primaire et
fonds.
secondaire fut alors ouvert à du person-
Réhabiliter la formation nel non qualifié et/ou non habilité, alors
des formateurs que l’enseignement supérieur, du fait de
la massification, avait recours aux
Durant les trente premières années contractuels et autres vacataires (surtout
d’indépendance, la formation des des professeurs de l’enseignement secon-
formateurs, dans les trois systèmes, daire), qui se sont vu confier des charges
était bien codifiée et organisée. Pour le horaires importantes et même des res-
système éducatif, les enseignants des ponsabilités pédagogiques. La résultante
écoles primaires étaient formés dans les de ce démantèlement est une baisse
instituts supérieurs de formation des notable du niveau des élèves et des étu-
maîtres et les écoles normales des ins- diants, surtout dans les compétences lin-
tituteurs, alors que les professeurs du guistiques et gestuelles, ainsi que des for-
secondaire étaient formés dans les facul- mateurs, surtout sur le plan pédagogique,
tés scientifiques et littéraires, ainsi qu’à contribuant à l’augmentation du
l’École normale supérieure (ENS), pour nombre de chômeurs diplômés du supé-
l’élite. Les enseignants professionnels rieur, pour la plupart difficilement
employables. Ainsi, la formation des for-
mateurs (technique, scientifique, lin-
1. Loi n° 2008-19 du 25 février 2008, relative à guistique et pédagogique) constitue
l’enseignement supérieur. actuellement le principal défi dans la

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réforme du dispositif de formation des 2015 a institué une commission tripartite


ressources humaines en Tunisie. entre les trois ministères concernés,
qui statue sur les questions d’intérêt
Principales réformes commun.
du dispositif de formation
des ressources humaines L’orientation tridimensionnelle
Mise en place L’approche de l’orientation vers la
de la classification nationale filière de choix du candidat a été révisée à
des qualifications (CNQ) tous les niveaux d’études, dans le cadre
Publiée en 20092, la CNQ est un cadre d’une orientation tridimensionnelle éla-
de référence reliant les diplômes délivrés borée par la commission tripartite en
par les différentes composantes du 2014. Les fondements de cette approche
dispositif de formation des ressources sont :
humaines aux niveaux de qualifications - Le réaménagement de l’horaire sco-
correspondants. La CNQ comprend sept laire, avec allègement du volume horaire
niveaux de qualifications et six descrip- enseigné au profit des activités culturelles
teurs, formulés en termes de résultats et sportives, de l’initiation aux métiers en
d’apprentissage, ce qui confère une situation réelle et du renforcement de
meilleure visibilité aux compétences des l’apprentissage interactif et du numé-
ressources humaines tunisiennes. Néan- rique. Ces mesures permettront à l’élève
moins, son implémentation et sa concré- d’améliorer ses compétences de base, de
tisation tardent, car elles sont tributaires découvrir les métiers précocement et de
de la mise en place des instances de gou- s’initier à l’esprit entrepreneurial (port- 31
vernance de ladite CNQ, de celle des folio compétences de l’élève).
réformes des trois systèmes et de la - Au terme de l’enseignement de base,
règlementation du marché du travail, l’élève choisit parmi un panier de filières
notamment la fonction publique. habituelles et de filières professionnelles,
renonçant ainsi à l’orientation classique
Coordination entre les trois systèmes dichotomique (lycée vs centre de forma-
de formation tion professionnelle), qui entraîne à la
Depuis 2012, le rapprochement des fois une massification de l’enseignement
trois systèmes a été entamé, afin de confé- secondaire et une marginalisation de
rer au dispositif de formation des res- l’enseignement professionnel. En amont,
sources humaines davantage de cohé- un accompagnement par des conseillers
rence et de cohésion. Ceci permet de habilités à l’orientation permet d’assister
promouvoir et de mettre en valeur les l’élève dans ses choix.
qualités intrinsèques des ressources - Les nouveaux bacheliers peuvent
humaines dans les secteurs public et privé. choisir entre les filières universitaires et
Afin d’assurer une meilleure articulation les filières professionnelles ; depuis
des projets de réforme des trois systèmes juin 2014, le guide de l’orientation uni-
et une meilleure coordination du dispo- versitaire comprend une présentation des
sitif de formation des ressources centres de formation professionnelle et
humaines, l’arrêté conjoint du 8 octobre de leurs filières du niveau BTS ; le nombre
de nouveaux bacheliers optant pour une
2. Décret n° 2009-2139 du 8 juillet 2009, fixant la filière professionnelle croît d’année en
classification nationale des qualifications. année, ce qui entraînera à moyen terme

N° 75 - septembre 2017
une revalorisation du système profes- 2013, prévue dans la loi de 2008. Le minis-
sionnel et une démassification de tère a institué une commission nationale
l’université. pour la réforme de l’enseignement supé-
- La mise en place de passerelles dans les rieur et de la recherche scientifique en
deux sens, entre les formations profes- 2011, dont les travaux ont abouti à la pro-
sionnelle et universitaire, permet aux étu- duction d’un Plan d’action stratégique
diants en cours de formation d’intégrer (PAS)3, publié en janvier 2015. Ce dernier
volontairement l’enseignement profes- comprend quatre axes stratégiques : gou-
sionnel, de même qu’elle ouvre la possibi- vernance, recherche innovation, profes-
lité aux titulaires du brevet de technicien sionnalisation des parcours de formation,
supérieur (BTS) de postuler sur concours vie estudiantine. Le PAS a inspiré la
à une inscription en 3e année de licence conception du Projet de modernisation
appliquée en continuité avec le BTS. Les de l’enseignement supérieur en soutien à
textes relatifs aux passerelles sont en l’employabilité (Promesse), financé par la
cours de publication. Banque mondiale. Dans le cadre de ce
- La reprise de la réflexion sur le bacca- projet 2016-2020, des fonds compétitifs
lauréat professionnel en 2015 ouvrira à (Projets d’appui à la qualité) ont été ins-
ses titulaires des opportunités profes- crits pour améliorer la gouvernance des
sionnelles à valeur ajoutée certaine, grâce EES, des universités, des centres de
au renforcement des compétences recherche et des départements du minis-
spécifiques. tère. Des fonds spécifiques ont été égale-
- Une Instance nationale d’information ment alloués pour les accompagner dans
la mise en place du système de manage-
32 et d’orientation sera créée pour concréti-
ser cette démarche. ment de la qualité en vue de la certification
des prestations et de l’accréditation des
diplômes. La gouvernance par la qualité
Gouvernance et management
est ainsi l’une des actions phares du Pro-
des ressources
messe et prioritaires du ministère.
Le ministère de l’enseignement supé-
rieur et de la recherche scientifique a La professionnalisation
entamé, depuis 2008, l’amélioration de la des parcours de formation
gouvernance des établissements d’ensei- Depuis la promulgation de la loi
gnement supérieur et de recherche de 2008, le ministère a arrêté une série de
(EESR), des universités, des centres de mesures dans l’objectif de renforcer
recherche et des départements du minis- l’orientation professionnalisante des par-
tère. Les conseils scientifiques, conseils cours de formation.
d’administration, conseils des universités, - L’individualisation de licences et mas-
cellules qualité et autres sont autant de tères professionnels, avec l’engagement
structures de soutien à la bonne gouver- d ’ u n e r é f l ex i on su r l e do c tor a t
nance. Néanmoins, la massification, ayant professionnel.
entraîné la création hâtive d’EESR sans - La mise en place d’une commission
mise à disposition adéquate des res- mixte entre le ministère de l’enseigne-
sources surtout humaines (académiques, ment supérieur et de la recherche et
administratives et techniques), a freiné cet l’Utica (centrale patronale) a permis un
élan. À cela est venu s’ajouter le retard de
création de l’Instance d’évaluation,
d’assurance qualité et d’accréditation en 3. https://goo.gl/c2SzQ3

re vu e i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


0 actualité internationale

rapprochement entre l’université et le taire de validation des acquis de l’expé-


monde socio-économique, qui s’im- rience (VAE).
plique davantage dans l’enseignement, - Depuis 2013, les EESR et les universités
les stages et la recherche. Le concept ont commencé à créer leurs propres
d’université entrepreneuriale se déve- centres de carrières et de certification des
loppe, plaçant l’université au cœur du compétences (4C). Les 4C sont des inter-
développement régional. locuteurs privilégiés entre l’université et
- La promulgation de la loi relative aux l’entreprise, aident les étudiants à appré-
stages et à l’alternance4, et textes y affé- hender les métiers et leurs compétences
rents, a permis de valoriser et de codifier respectives et leur facilitent l’accès aux
cette activité pédagogique primordiale certifications techniques et en soft skills.
pour l’insertion professionnelle. Sur un
autre plan, les passerelles entre les forma- La formation des formateurs
tions universitaires et professionnelles Un projet initié en 2012 et instauré
ont permis également la mise à disposi- en 2016, conjointement entre le ministère
tion des étudiants en licence et mastère de l’éducation et le ministère de l’ensei-
professionnels des plateformes des gnement supérieur et de la recherche vise
centres de formation professionnelle. à réviser le dispositif de formation des
- La généralisation, au niveau licence, de formateurs du système éducatif. Ainsi, le
l’enseignement de l’anglais, de l’informa- projet prévoit la formation de professeurs
tique, de l’entrepreneuriat et des tech- de l’enseignement primaire, à raison de
niques de communication, soft skills 2 700 étudiants par année, dans le cadre
indispensables améliorant notablement d’une licence appliquée en éducation et 33
l’employabilité et la création de start-up enseignement, co-construite entre les
par les jeunes diplômés. deux ministères et assurée en alternance.
- La mise en place, depuis 2006, de par- Neuf EESR ont été convertis en instituts
cours (licence et mastère) co-construits supérieurs des sciences de l’éducation,
entre universitaires et professionnels, a dont l’accès est soumis à un test psycho-
notablement amélioré l’insertion profes- technique. Concernant l’enseignement
sionnelle des diplômés, en attestent les secondaire, les deux ministères ont mis en
audits réalisés. Le système universitaire place des mastères professionnels mono-
tunisien dispose aujourd’hui d’une disciplinaires en alternance, reposant sur
expertise éprouvée en ingénierie de la co- trois composantes : renforcement de la
construction, grâce à la formation de formation dans la discipline, didactique
méthodologues et d’auditeurs de par- de la discipline, stage et mémoire. Ces
cours co-construits, et à l’élaboration mastères démarreront à la rentrée 2017 et
d’un guide méthodologique et d’un guide recruteront parmi les titulaires de licence
d’audit5. dans les disciplines enseignées au secon-
- Le ministère a engagé une réflexion sur daire. Selon les prévisions du ministère de
la mise en place d’un dispositif universi- l’éducation, dix années transitoires seront
nécessaires pour faire de ce nouveau pro-
4. Loi n° 2009-21 du 28 avril 2009, fixant le cadre
cessus la seule voie d’accès à l’enseigne-
général de la formation pratique des étudiants de ment primaire et secondaire.
l’enseignement supérieur au sein des administra- Concernant l’enseignement supé-
tions, des entreprises ou des établissements publics
ou privés. rieur, la réforme entamée dans le cadre du
5. [https://goo.gl/AhfbLu] PROMESSE prévoit la réduction, déjà

N° 75 - septembre 2017
amorcée, du nombre de contractuels et Justifications de la réforme
autres vacataires non qualifiés, l’amélio- L’initiative de réorganiser les systèmes
ration du processus de recrutement des éducatifs africains est née lors de la confé-
enseignants, l’institutionnalisation de la rence d’Addis-Abeba sur l’éducation, en
formation pédagogique et autres mesures 1961. La première réforme de l’enseigne-
qui permettent de rehausser le niveau des ment au Mali a donc vu le jour en octobre
enseignants universitaires. Néanmoins, le 1962. Selon Diambomba (1980), « après
monde universitaire tunisien reste réfrac- près d’un siècle de colonisation, le bilan de
taire à l’évaluation des enseignants par les l’enseignement était insuffisant au
pairs et par les étudiants, opposition qui Mali, avec une discrimination volontaire
sera en partie aplanie par la mise en place de la scolarisation des filles, neuf Maliens
du système de management de la qualité. sur dix ne savaient ni lire ni écrire, environ
En somme, ces mesures relatives à la 88/100 enfants ne partaient pas à l’école.
formation des formateurs permettront de Les cadres supérieurs étaient insuffisants
relever leur niveau et d’endiguer la prin- avec trois docteurs vétérinaires, une dou-
cipale lacune du dispositif de formation zaine de professeurs, huit à dix docteurs
des ressources humaines en Tunisie. en médecine générale ; trois pharma-
Mohamed Adel Ben Amor, ciens ; une douzaine d’hommes de droit,
Université de Monastir, Tunisie de rares ingénieurs pour une masse de
Mlaoueh Ammar, 4 300 000 citoyens ». S’est alors fait sentir
ministère de l’enseignement supérieur l’urgence de réviser son contenu et ses
et de la recherche scientifique buts, et de créer un système d’éducation
34 de Tunisie qui répondrait aux nécessités nationales.

Objectifs de la réforme
La réforme du système éducatif
malien avait pour but de s’attaquer aux
Les grandes réformes aspects qualitatifs et quantitatifs de
de l’école malienne l’enseignement, à travers cinq objectifs :
de 1962 à 2016 un enseignement tout à la fois de masse et
de qualité ; un enseignement qui puisse
fournir avec une économie maximum de
La réforme de l’enseignement temps et d’argent tous les cadres néces-
de 1962 saires au pays pour ses divers plans de
En 1886, Joseph Galliéni ouvre l’école développement ; un enseignement qui
des otages à Kayes à l’image de celle de garantisse un niveau culturel permettant
Louis Faidherbe au Sénégal. En 1895, l’établissement d’équivalences de
le nouveau gouverneur du Soudan, diplômes avec les autres États modernes ;
Louis E. Trentinian, transforme l’école des un enseignement dont le contenu soit
otages en école de fils de chefs, pour basé non seulement sur les valeurs spéci-
former des interprètes et des commis. fiquement africaines et maliennes mais
Cette école coloniale redoutée et rejetée, aussi sur les valeurs universelles ; enfin, un
qui allait directement à l’encontre des enseignement qui décolonise les esprits.
idéaux traditionnels, est aujourd’hui La structure de l’enseignement
réclamée au Mali, au point de ne plus changea alors, avec un enseignement fon-
arriver à satisfaire la demande. damental, un enseignement secondaire

re vu e i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


0 actualité internationale

général, un enseignement technique et ouvert aux autres cultures, maîtrisant les


professionnel, l’enseignement supérieur, savoir-faire populaires et apte à intégrer
l’éducation spéciale, l’enseignement les connaissances et compétences liées au
normal et l’alphabétisation. La réforme de progrès scientifique et à la technologie
1962 voulait mettre en place une forma- moderne… ». Cette finalité fut reprise par
tion adaptée aux réalités du pays et aux la Loi d’orientation sur l’éducation de
exigences du développement scientifique 1999. Cette réforme était caractérisée par
et technologique. Elle permit à beaucoup un tronc scolaire commun, visant à sup-
d’enfants en âge scolarisable d’aller à primer toute dichotomie entre éducation
l’école, et aux autres de bénéficier des pro- formelle et éducation non formelle et à
grammes d’alphabétisation. mettre en place un ensemble de disci-
Cependant, en dépit de ce change- plines et de contenus d’enseignement
ment d’esprit de l’école malienne après permettant de faire acquérir à tous les
l’indépendance, la réforme rencontra un enfants, à travers un multilinguisme fonc-
certain nombre de difficultés. En effet, tionnel, des compétences les rendant
malgré la volonté affichée, les contenus capables de s’insérer dans le système de
d’enseignements n’étaient pas adaptés production moderne et de s’adapter aux
aux réalités du pays. L’enseignement resta impératifs de changement de l’environ-
plus théorique que pratique car il est dif- nement. Des modules furent créés, parmi
ficile d’obtenir un enseignement de qua- lesquels les activités locales, le renforce-
lité avec des classes à effectif pléthorique. ment scolaire, l’environnement, la créa-
Les expériences d’enseignement dans les tion et l’expression, les activités sportives
langues nationales, initiées à travers le approfondies, la gestion du quotidien et
35
pays dans certaines écoles depuis les de l’infrastructure collective, la mainte-
années 1980, demeurèrent timides et nance des outils et des appareils, les arti-
sources de nombreuses discordances. sanats non implantés localement et les
Les réformes suivantes ont ensuite techniques nouvelles.
visé la révision et l’adaptation des objec-
tifs de la réforme de 1962, en fonction Mise en œuvre de la NEF
des nouvelles réalités maliennes et La mise en œuvre de cette réforme se
mondiales. fondait sur des options stratégiques :
- décentralisation de l’éducation de base,
La nouvelle école fondamentale afin de donner aux collectivités territo-
(NEF) riales un pouvoir de gestion des établisse-
Le système éducatif malien ne parve- ments scolaires ;
nant pas à atteindre tous les objectifs fixés - renforcement de l’utilisation des lan-
en 1962, la restructuration de l’école fon- gues nationales dans l’enseignement
damentale malienne et de son adminis- fondamental, afin de former des enfants
tration s’imposait : c’est la conceptualisa- bilingues ;
tion de la « nouvelle école fondamentale » - développement du préscolaire, afin de
(NEF) à la suite des journées de réflexion mieux préparer les enfants à affronter
du 27 au 30 octobre 1994. La NEF avait l’environnement scolaire au moment de
pour finalité de « faire de l’école malienne la scolarisation ;
le lieu d’émergence du citoyen patriote et - élaboration et mise en œuvre d’une
bâtisseur d’une société démocratique, véritable politique de formation initiale
profondément ancré dans sa culture et et continue du personnel enseignant,

N° 75 - septembre 2017
pour combler les insuffisances d’effectifs à des besoins prioritaires et aux coûts maî-
et de personnel ; trisés ; une utilisation des langues mater-
- promotion de la production de nelles dans l’enseignement formel conco-
manuels scolaires ; mitamment avec le français ; une
- mise en place d’un système de partena- politique du livre et du matériel didac-
riat véritable autour de l’école et détermi- tique opérationnel ; une politique soute-
nation des ressources humaines, maté- nue de formation des enseignants ; un
rielles et financières nécessaires ainsi que partenariat véritable autour de l’école ;
des critères de leur gestion ; une restructuration et un ajustement ins-
- liaison étroite entre l’enseignement titutionnel nécessaires à la refondation
primaire, secondaire et supérieur pour du système éducatif ; une politique de
une meilleure harmonisation et une communication centrée sur le dialogue et
cohérence du système éducatif ; la concertation avec tous les partenaires ;
- élaboration d’une politique de une politique de financement soutenue,
communication interne et externe aux rééquilibrée, rationnelle et s’inscrivant
différents départements de l’école dans la décentralisation. De l’éducation
malienne. de base à l’enseignement supérieur, ces
Cette nouvelle réforme de l’éducation onze axes ont repris les objectifs de la
de base, mal planifiée et précipitée, ne réforme de 1962 de manière plus détaillée,
dura que quatre années. Les failles révélées plus ambitieuse et plus contextuelle.
lors de sa mise en œuvre, notamment La Loi n° 99-046 du 28 décembre 1999
l’insuffisance de matériel, de ressources portant loi d’orientation sur l’éducation
36 humaines et les mauvais résultats des fut votée pour mettre en œuvre ce nou-
élèves, conduisirent à son abandon et à la veau programme et clarifier la finalité et
mise en place d’une autre réforme, qui les nouveaux objectifs de la politique
concernerait l’ensemble du système nationale dans le domaine de l’éducation
éducatif. et de la formation, notamment dans son
article 11 :
Le Programme décennal (…) le système éducatif malien a pour
de développement de l’éducation finalité de former un citoyen patriote et
(PRODEC) bâtisseur d’une société démocratique, un
acteur du développement profondément
Le Programme décennal de dévelop-
ancré dans sa culture et ouvert à la civilisa-
pement de l’éducation (Prodec) était la tion universelle (…).
planification stratégique de la politique
nationale de refondation de l’ensemble du À ce titre, il s’agissait, entre autres, de
système éducatif malien de 1998 à 2008. faire acquérir à l’apprenant, dans chaque
Le Prodec s’articulait autour d’un axe ordre d’enseignement, des compétences
référentiel – un village, une école et/ou un lui permettant de s’insérer dans la vie
centre d’éducation pour le développe- active ou de poursuivre ses études :
ment (CED) – et de onze axes prioritaires : entraîner l’apprenant à connaître et à pra-
une éducation de base de qualité pour tiquer les obligations d’un membre actif
tous ; un enseignement professionnel d’une société démocratique respectueuse
adapté aux besoins de l’économie ; un de la paix et des droits fondamentaux de
enseignement secondaire général et tech- l’homme et du citoyen ; créer et stimuler
nique rénové et performent ; un ensei- chez l’apprenant l’esprit d’entreprise et de
gnement supérieur de qualité répondant protection de l’environnement.

re vu e i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


0 actualité internationale

Outre ces objectifs, le Mali s’était fixé difficultés rencontrées lors des premières
notamment l’amélioration du taux brut phases ont engendré des retards dans
de scolarisation et l’alphabétisation des l’ensemble de l’exécution du programme.
jeunes déscolarisés et non scolarisés âgés
de 9 à 15 ans. Afin d’atteindre les objectifs Le curriculum de l’enseignement
fixés, les autorités maliennes ont mis en fondamental
place le Programme d’investissement sec-
À travers le Prodec, le Mali a entamé
toriel de l’éducation (PISE), qui s’est étalé
une approche curriculaire par compé-
sur trois phases successives (2001-2005,
tences, dans le but d’améliorer la qualité
2006-2009 et 2010-2012). Les objectifs
de son système éducatif. La Loi d’orien-
visés par le PISE étaient, entre autres :
tation sur l’éducation de 1999 définit le
- le développement de l’enseignement curriculum comme « l’ensemble des dis-
fondamental à travers l’amélioration de positifs (finalités, programmes, emplois
l’encadrement de la petite enfance ; du temps, matériels didactiques,
- des taux brut et net de scolarisation ; méthodes pédagogiques, modes d’éva-
- l’éducation spéciale ; luation) qui, dans le système scolaire et
- une bonne couverture en matière universitaire, permet d’assurer la for-
d’alphabétisation ; mation des apprenants ». Le curriculum
- la formation et le recrutement intègre les besoins éducatifs fondamen-
d’enseignants dans tous les ordres taux des apprenants, en impliquant les
d’enseignement ; communautés dans la définition de ces
- une redynamisation de l’enseignement besoins et la détermination des contenus
secondaire, avec de nouvelles filières et de d’apprentissage, afin de mieux lier l’école 37
nouvelles disciplines et l’atteinte d’un à la vie. Maiga et al. (2012) indiquent que
ratio élève/classe de 50 en 10e année ; « le curriculum de l’enseignement fon-
- un enseignement supérieur rénové, damental a été mis à l’essai à partir de
avec une meilleure gestion des effectifs et 2002. Plusieurs évaluations ont été faites
répondant aux exigences de la mondiali- et ont été soumises au forum national sur
sation (notamment le système LMD), le curriculum de l’enseignement fonda-
la modernisation des infrastructures mental organisé en mars 2008. Les
et le développement de la recherche conclusions de ce forum, qui ont sou-
scientifique. ligné les difficultés, les acquis et les nou-
L’état des lieux de ce programme velles orientations, ont été examinées par
montre certaines avancées, comme le Forum national sur l’éducation tenu
l’amélioration des taux de scolarisation les 30 et 31 octobre et les 1er et 2 novembre
et d’alphabétisation, la réforme du lycée, 2008. » Sa conception, sa mise à l’essai et
avec de nouvelles filières, la mise en œuvre son suivi-évaluation étaient assurés par
du système LMD, encore en expérimen- le Centre national de l’éducation (CNE),
tation dans certaines facultés. Cependant, la Direction nationale de l’éducation de
nombreux sont les objectifs qui n’ont pas base (DNEB), des partenaires techniques
été atteints, comme la gestion des effec- et financiers dans le cadre du PISE, les
tifs étudiants, qui reste disproportion- académies et l’ONG World Education.
née malgré la scission de l’Université de Le curriculum, qui est la suite logique
Bamako en quatre établissements, ainsi de la pédagogie convergente (l’utilisa-
que l’insuffisance d’enseignants et de tion des langues nationales dans l’ensei-
matériels de travail à tous les niveaux. Les gnement fondamental), a été mis à l’essai

N° 75 - septembre 2017
dans 80 écoles à pédagogie convergente. l’une des mesures recommandées par le
Le niveau I (1re et 2e années) du curricu- forum sur l’éducation en 2008 porte sur
lum a connu en octobre 2005 un début la formation des enseignants.
de généralisation sur 2 550 écoles, avec
11 langues nationales. Dans l’esprit du L’approche par compétences
curriculum, l’accueil des enfants en
L’approche par compétences vise à
1re année se fait en langue nationale ainsi
développer les compétences des appre-
que l’essentiel de la première année. Le
nants en en tenant compte au moment de
français est introduit en 1re année sous
l’élaboration des programmes. Dans le
forme orale, comme langue de commu-
curriculum, la compétence est définie
nication scolaire ou langue seconde. En
comme étant « un ensemble de savoirs, de
deuxième année, on consolide l’appren-
savoir-faire, de savoir-être constatés et
tissage de l’écrit en langue nationale, et
mesurés, permettant à une personne
on apprend à lire et écrire en français. En
d’accomplir de façon adaptée une tâche
troisième année, l’enseignement de la
ou un ensemble de tâches ». Selon Cros
langue nationale comme matière doit se
et al. (2010), « la conception malienne de
poursuivre jusqu’en neuvième année.
la réforme curriculaire par compétences
Le curriculum rencontre un certain est fondée sur les compétences “discipli-
nombre de difficultés, notamment en ce naires”, “transversales”, “de vie”, compre-
qui concerne l’utilisation des langues nant une approche globale et intégrée de
nationales, qui suscite des débats depuis l’apprentissage, un décloisonnement des
plusieurs années, ainsi que la formation disciplines et leur regroupement en
38 et le recrutement des enseignants, l’in- “domaines”, un apprentissage basé sur la
suffisance de matériels didactiques, etc. démarche de résolution de problèmes se
Les langues nationales sont utilisées dans fondant sur la liaison entre l’école et la vie
l’enseignement fondamental depuis pour donner du sens aux apprentissages
1979, au motif que l’enfant apprend et scolaires ». L’enseignant change de rôle et
comprend mieux et plus vite dans sa devient un facilitateur pour l’acquisition
langue maternelle. Cependant, cette uti- des compétences, en créant un environ-
lisation souffre de nombreuses insuffi- nement favorable à l’apprentissage.
sances telles que les effectifs trop élevés L’approche par compétences a été adoptée
dans les salles, la mauvaise formation des car les résultats des apprenants maliens
enseignants, la non adhésion des parents n’étaient plus satisfaisants depuis plu-
d’élèves, etc. Selon Loua (2016), 75 % sieurs années. À l’image de plusieurs pays
des parents d’élèves de Bamako et 96 % de la sous-région, il fallait trouver une
des parents ayant un niveau d’études méthodologie d’enseignement et
supérieures sont défavorables à l’utilisa- d’apprentissage en rapport avec les inno-
tion des langues nationales dans l’ensei- vations antérieures.
gnement fondamental. Le constat géné- Cependant, les difficultés d’applica-
ral révèle un échec de cette innovation, tion de cette réforme curriculaire par
qui avait pour objectif de rehausser le l’approche par compétences sont nom-
niveau des écoliers maliens. breuses. Les enseignants dénoncent
La bonne exécution du curriculum notamment l’insuffisance de formations
suppose d’avoir les bonnes ressources adéquates, de matériels, de temps, de res-
éducatives. Outre la relecture du curricu- sources humaines. Beaucoup d’acteurs
lum et la dotation des écoles en manuels, font une confusion entre la pédagogie

re vu e i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


0 actualité internationale

convergente et l’approche par compé- les années universitaires ne commencent


tences car la convergence entre les langues et ne terminent jamais ensemble ni au
nationales et le français n’est pas claire- même moment pour la même université.
ment élucidée. Selon Cros (2010), la non De nombreuses difficultés de mise en
prise en compte de la réforme curriculaire œuvre, notamment l’insuffisance d’ensei-
dans la formation initiale des enseignants gnants, de matériels, de documents, de
fait que les jeunes enseignants formés à laboratoire, d’Internet, de formation, etc.,
l’enseignement classique se retrouvent poussent les enseignants à demander
démunis dans des écoles, sans formation régulièrement de meilleures conditions
par rapport à la nouvelle approche et dans de travail. Le cas de la faculté des sciences
des classes aux larges effectifs. La grande humaines et des sciences de l’éducation,
mobilité du personnel enseignant affecté où le système LMD a été mis en place
dans les classes du curriculum et majori- en 2014-2015, en est une illustration. Le
tairement constitué de contractuels est système LMD n’apportera une amélio-
une difficulté majeure, qui désorganise les ration de l’enseignement supérieur que si
écoles et fragilise la mise en œuvre du des moyens humains, matériels et finan-
curriculum. ciers adéquats sont mobilisés.
L’école malienne a connu plusieurs
La réforme licence-master-
réformes et innovations pédagogiques
doctorat (LMD)
dans le but de l’améliorer et de l’adapter
Le Mali a institué le système LMD aux enjeux éducatifs nationaux et inter-
dans son enseignement supérieur public nationaux. Cependant, les efforts
p a r l e d é c re t n ° 0 8 - 7 9 0 / R M du consentis pour ces réformes n’ont pas 39
31 décembre 2008, pour répondre aux été couronnés de succès, en raison de
exigences de la mondialisation en matière l’immensité des besoins. Les autorités
d’enseignement supérieur. La faculté des politiques et scolaires doivent œuvrer
sciences et techniques a été choisie comme ensemble et mettre l’accent sur l’augmen-
faculté pilote, avec un début de générali- tation des taux de scolarisation, le recru-
sation prévu pour 2011. Naparé (2011) tement d’enseignants, l’amélioration de
cite le ministre malien de l’enseignement l’efficience ainsi que sur l’efficacité
supérieur et de la recherche scientifique, interne et externe des structures éduca-
selon lequel « la réussite du LMD tives, le développement de la recherche
dépendra de son appropriation par tous scientifique, une meilleure gestion des
les partenaires, de l’élaboration des offres ressources, le renforcement de la décen-
de formation, de l’amélioration des tralisation de l’éducation. Les actions
conditions de vie et de travail des ensei- d’alphabétisation doivent être renforcées,
gnants ». Malgré les difficultés ren- car les taux brut et net de scolarisation
contrées au cours des trois premières sont certes satisfaisants mais encore éloi-
années à la faculté des sciences et tech- gnés des objectifs de l’éducation pour
niques, en raison de problèmes d’organi- tous. Ainsi, en 2013, le taux brut de scola-
sation et du non achèvement des années risation du Mali était de 81,5 % avec
universitaires, la généralisation du sys- 89,1 % pour les garçons et 74 % pour les
tème a commencé en 2011, avec la scission filles. Le taux net de scolarisation était de
de l’Université de Bamako en quatre uni- 62,1 % au niveau national avec 68 % pour
versités et celle de Ségou. Chacune les garçons et 56,4 % pour les filles.
applique le système LMD à sa manière ; Avec une mobilisation des ressources

N° 75 - septembre 2017
humaines de qualité et une gestion effi-

n
ciente, l’école malienne pourra atteindre
ses objectifs à court, moyen et long
terme. n
Seydou Loua, notes de lecture
Université des lettres et des sciences
humaines de Bamako

Bibliographie
CROS F., DE KETELE J-M. et al. (2010) :
Étude sur les réformes curriculaires par Pour le management
l’approche par compétences en Afrique, AFD/ pédagogique :
OIF.
un socle indispensable.
DIAMBOMBA M. (1980) : La réforme sco-
laire au Mali : Essai d’analyse des facteurs qui Connaître, éclairer, évaluer, agir
atténuent ses résultats. Québec, Université Alain Bouvier
Laval/Faculté des sciences de l’éducation. Préface de Bernard Toulemonde,
NAPARE M. D. (2011) : Le système LMD à la Berger-Levrault, 2017
Faculté des sciences et techniques (FAST) de
l’Université de Bamako : quelle appropriation Les quelque 400 pages de cet ouvrage
des protagonistes et bénéficiaires, Bamako/ constituent un propos riche de la bigar-
ROCARE/UEMOA. rure du parcours de son auteur : théorie et
PRODEC (2000) : Programme Décennal de pratique s’éclairent réciproquement,
Développement de l’éducation : les grandes l’expérience internationale nourrit le
orientations de la politique éducative,
40 Bamako/MEN. regard du fin connaisseur et du praticien
SAMAKE B., KONANDJI Y., MAIGA B. expert des institutions françaises de
(2012) : Étude relative aux réformes en cours l’éducation. Cette richesse chatoyante est
des systèmes nationaux d’éducation et/ou de indissociable de la clarté d’exposition
formation : les réformes curriculaires en éduca- qui, à travers quatre parties intitulées
tion, l’expérience malienne, Burkina Faso/
Ouagadougou/Association pour le dévelop- « Connaître », « Éclairer », « Évaluer » et
pement de l’éducation en Afrique. « Agir », offre un socle de connaissances,
de méthodes, de références et d’expé-
riences destiné à outiller ses lecteurs, et
tout particulièrement les acteurs du
management pédagogique de proximité.
Mais tous ceux qui s’interrogent sur
l’avenir de l’école à l’échelle mondiale
trouveront dans cette réflexion et ce
témoignage de quoi étayer leur réflexion.
Alain Bouvier cherche à faire
comprendre les enjeux actuels de l’École.
Dans le préambule, il affiche l’ambition
de « connaître les faits, tenter de les
éclairer, de les comprendre pour agir, et,
pour cela, savoir les relativiser, dans le
temps et dans l’espace, dans une vue
systémique, distanciée et critique ». Il
recour t donc à la compar aison.

re vu e i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


0 actualité internationale

Les différences entre l’enseignement cruciaux, devant lesquels l’immobilisme


supérieur et l’enseignement scolaire per- du statu quo paraît absolument mortifère.
mettent de mieux caractériser ce que cer- Alain Bouvier montre clairement l’école
tains considèrent comme l’intangible d’État bousculée par les coups de boutoir
originalité de ce dernier. Les données de l’éducation du marché, qui effectue, en
internationales aident à mieux cerner en France notamment, une révolution silen-
quoi consiste précisément l’originalité cieuse. Comment faire face à ces défis
française de l’enseignement scolaire, nouveaux, accentués par la révolution
et la spécificité de chacune de ses numérique ? Certainement pas en main-
composantes. tenant le processus top-down de la
On pourra certes questionner, dès le bureaucratie éducative ni en pratiquant
premier chapitre de la première partie, la politique prêtée à l’autruche.
une volonté démonstrative qui conduit Il est essentiel, comme l’indique
par exemple l’auteur à opposer specta- Bernard Toulemonde dans sa préface, de
culairement le nombre brut de fonction- faire confiance aux acteurs, en s’appuyant
naires en France et au Canada (5,45 mil- sur un management pédagogique de
lions contre 0,257) plutôt que de proximité qui pense réseaux, manage-
comparer le taux de fonctionnaires dans ment cognitif, pilotage intellectuel, gou-
la population active des deux pays (entre vernance pédagogique, avec le souci du
20 et 25 % en France contre entre 15 et développement professionnel de chaque
20 % au Canada, selon l’OCDE), mais acteur. De rompre aussi avec l’exercice
l’auteur lui- même a fort honnêtement libéral et solitaire du métier de fonction-
prévenu son lecteur : « (…) toute donnée naire enseignant pour mener un travail 41
isolée, non contextualisée et non relati- collaboratif d’équipes ouvertes aux
visée, dissimule une tentative de mani- acteurs du territoire. De renoncer enfin
pulation de l’opinion par celui qui la met aux faux semblants d’une école de l’égalité
en avant. Dans ce qui suit, comme tout un des chances, qui creuse les inégalités
chacun, je n’échappe pas à ce travers. » d’origine sociale entre les élèves qu’elle
On pourra aussi relever que l’auteur accueille.
n’évoque que trois des principes du ser- Membre du Haut conseil de l’école de
vice public – « continuité », « égalité », 2005 à 2013 puis du Comité de suivi de la
« adaptabilité » – sans évoquer la « neu- loi de refondation de 2013, Alain Bouvier
tralité », qui constitue la quatrième loi de est parfaitement informé des évaluations
Rolland pour les théoriciens du service de la politique éducative nationale et des
public. Peut-être aussi trouvera-t-on résistances qui freinent cette démarche. Il
sévère son point de vue sur les professeurs fait partager à ses lecteurs cette connais-
(« ils sont moins cadres qu’un chef scout, sance de l’intérieur de la boîte noire édu-
et ils s’en satisfont ! »), même s’il s’appuie cative, et ce n’est pas le moindre mérite de
sur Edgar Morin pour qui, en 2015, « une son livre. Il dessine six scénarios d’avenir
partie d’entre eux a acquis la flemme et à vingt ans pour l’école : ils vont de l’école
une autre a perdu la flamme ». du statu quo à la désintégration de l’école
Mais ce qui frappe le lecteur décou- en passant par sa communautarisation, sa
vrant cette radioscopie de l’école en ce dématérialisation, sa marchandisation
début de XXIe siècle, à l’échelle mondiale régulée, et son « uberisation ». Cela le
comme à l’échelle locale, c’est la mise en conduit à s’interroger sur la possibilité de
lumière de chocs essentiels, d’enjeux réformer l’école française. Quand Luigi

N° 75 - septembre 2017
Berlinguer propose de « Ré-inventer su, comme l’écrivait en 2003 François
l’école »1 à partir d’innovations déjà pré- Dubet, porter aussi simplement et
sentes mais isolées, non généralisées, complètement qu’en 1946 « une convic-
Alain Bouvier s’attaque à l’immobilisme tion et une volonté : construire une école
d’un système éducatif, prisonnier de démocratique, utile aux élèves et à la
questions taboues qu’il soulève allègre- nation, accueillante aux individus ».
ment : celles, que l’« on » n’ose jamais (se) La somme produite par Alain Bouvier,
poser à propos des élèves, des parents, des enrichie d’une solide bibliographie et
enseignants, des cadres de proximité, du d’un index pratique, est une contribution
système et de ses coûts. Qui est cet « on » ? précieuse au débat politique, nécessaire
Les bureaucraties ministérielles et syndi- en France comme dans d’autres pays.
cales, dont le partenariat repose sur ces C’est aussi, par sa confiance dans l’intelli-
tabous. À la fin de cette démonstration gence collective et ses propositions
implacable, Alain Bouvier dégage dix concrètes de mise en œuvre, une aide à
principes pour une réforme, s’il n’est pas l’exercice professionnel quotidien des
trop tard : un projet systémique, visant chevilles ouvrières d’un système éducatif
l’équité par l’individualisation, cherchant en péril : les cadres intermédiaires, et,
à améliorer l’efficience, privilégiant tout par ticulièrement, les chefs
l’alternance pour la formation profes- d’établissement.
sionnelle, intensifiant le développement
Jean-Pierre Véran,
professionnel des acteurs, favorisant
IA-IPR honoraire
l’implication des parents, développant la
gouvernance territoriale, systématisant
42
la publication de l’évaluation des résul-
tats, reposant sur la confiance envers les Ré-inventer l’école
acteurs, et ramenant à 20 % de ce qu’il est Une école de qualité pour tous
aujourd’hui l’effectif de l’administration et pour chacun
centrale. Luigi Berlinguer
La conclusion ne peut être qu’interro- Préface de François Dubet
gative : « en France, des consensus sont-ils Éditions Fabert, 2017
possibles sur ce que la société attend de
L’ouvrage de Luigi Berlinguer est
son école ? ». C’est bien la question
nourri de sa riche expérience politique,
de fond. Les propositions pour l’école des
nationale et européenne, et de sa culture
candidats à la présidence de la République
d’universitaire, alliant connaissance fine
française en 2017 ont exprimé des
du système éducatif en général et des fré-
dissensus profonds. Mais, depuis le
missements de l’innovation en son sein,
Conseil national de la Résistance et les
et conscience aiguë des enjeux idéo-
travaux, en 1946, de la commission minis-
logiques, éthiques, didactiques de
térielle d’étude connus sous le nom de
l’éducation dans son pays comme à
Rapport Langevin-Wallon, ni le nouveau
l’échelle internationale. À sa manière,
contrat pour l’école de 1995 ni les lois
François Dubet l’exprime dans sa pré-
d’orientation de 1989, 2005 et 2013 n’ont
face : « Luigi Berlinguer n’est pas seule-
ment un ancien ministre de l’éducation
1. Berlinguer, Luigi, Réinventer l’école Une école de italien, un expert de l’école ayant tout vu,
qualité pour tous et pour chacun, Fabert, 2017,
ouvrage dont nous rendons compte dans ce même tout lu ou presque, c’est surtout un
numéro. homme de la Renaissance. Il n’est pas

re vu e i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


0 actualité internationale

nostalgique des Humanités du passé : il aux élèves, de manière à les éduquer au


plaide pour une nouvelle Renaissance choix entre divers parcours optionnels
dans une Italie et une Europe qui ne dès le collège.
regardent plus que derrière elles ». Luigi Berlinguer déploie la dialectique
Le titre et son sous-titre clarifient de la verticalité et de l’horizontalité. Il
l’enjeu de cet essai : il ne prône ni restau- envisage ainsi de passer de cursus uniques
ration ni refondation, mais argumente et fermés (l’école d’hier fondée sur
pour une réinvention de l’école, conci- l’opposition entre les savoirs et la sépara-
liant qualité, équité et personnalisation. tion des matières) à des cycles ouverts et
Dès le premier chapitre, le diagnostic continus, marqués par la continuité et
est posé : « l’approche ne peut être que le non plus la discontinuité, le dynamisme
dépassement d’une école désormais et non plus la fermeture. Ils supposent une
désuète ». Ce dépassement passe par la articulation épistémologique et métho-
transformation des rôles jusqu’ici assi- dologique, aucune matière n’étant plus
gnés à l’enseignant et aux élèves. Luigi centrale, puisque c’est l’élève qui est cen-
Berlinguer plaide pour un « learner cen- tral, non les savoirs ou les enseignants. Si
tred teaching », car « une école sans la structure du cursus reste donc verticale,
connaissances ni notions est une école de les méthodes et les contenus sont hori-
l’ignorance, mais avec uniquement des zontaux. Cette réinvention suppose éga-
connaissances et des notions, ce n’est ni lement de dépasser les antinomies entre
une école de culture ni une école de for- savoir et faire, corps et esprit, déductif et
mation ». Est donc essentielle la création inductif, pour redéfinir ce qu’est une
d’environnements d’apprentissage pro- culture. 43
jetant l’élève vers un contexte culturel, S’appuyant sur Edgar Morin (la
social et économique plus large que le complexité pour surmonter la parcelli-
milieu scolaire. L’élève apprend ainsi à sation des savoirs) comme sur Dewey
agir de façon autonome et responsable, (learning by doing), Luigi Berlinguer pro-
dans une école qui n’est plus celle de la pose donc de passer de l’école de la trans-
verticalité transmissive et répétitive, mais mission à l’école laboratoire. Cette
de l’horizontalité participative. approche dynamique repose sur une
On connaît l’argumentation des didactique interdisciplinaire par pro-
défenseurs de l’école bureaucratique cen- blèmes (problem posing, problem solving)
tralisée, focalisée sur les savoirs plutôt que fondée sur l’apprentissage coopératif
sur ce que l’élève apprend : tout écart par (empowered peer education).
rapport à ce modèle serait un pas vers la Il consacre un chapitre entier à
fragmentation et la marchandisation de l’espace et au temps de l’apprentissage.
l’éducation. Luigi Berlinguer répond à ces Dans l’école d’hier, la salle de cours stan-
réticences en fixant pour horizon l’école dardisée et contraignante est l’alpha et
comme bien commun régi par le principe l’oméga de l’espace scolaire. Il s’agit
de subsidiarité. Un curriculum concerté désormais de penser un espace d’appren-
nationalement sert de cadre à l’offre édu- tissage diversifié, sollicitant, stimulant,
cative élaborée par chaque unité ou réseau flexible et multiforme, en lien avec un cur-
d’enseignement, disposant de 15 à 30 % sus souple. Dans le même esprit, il substi-
de l’horaire global pour encourager les tue au temps scolaire rigide et non modi-
vocations culturelles qui lui sont spéci- fiable le temps flexible de l’apprentissage.
fiques. Cette flexibilité s’applique aussi Désormais le temps scolaire se compose

N° 75 - septembre 2017
du temps pour apprendre et du temps vie, en raison des liens toujours plus
pour enseigner. Il regrette à ce propos une étroits, dans une économie de la connais-
spécificité italienne : l’absence de biblio- sance, entre culture et travail. Il ne s’agit
thèque scolaire. pas d’asservir l’éducation à l’économie,
Luigi Berlinguer met l’accent sur deux mais de prendre en compte la relation
autres spécificités italiennes à corriger : les entre formation et production.
sous estimations des cultures scientifique Finalement, on peut situer l’enjeu de
et musicale. Il faut donner toute leur place la renaissance de l’école dans passage
à ces apprentissages et en renouveler les de l’égalité faible (la trop fameuse égalité
méthodes, qui doivent être fondées, pour des chances d’accès à l’éducation) à l’éga-
les enseignements scientifiques, sur la lité forte, celle du droit à la réussite pour
recherche et l’enquête. Rappelant que tous.
l’absence d’enseignement pratique de la
musique est en opposition avec Aristote, Très concrètement illustré d’exemples
le quadrivium médiéval et Leibnitz, Luigi qui montrent que la dynamique du chan-
Berlinguer considère la pratique musicale gement est présente dans l’école italienne,
comme bénéfique pour l’apprentissage de cet essai a le mérite de rassembler en
l’élève et la qualité de l’éducation. quelques chapitres une riche expérience
et une réflexion prospective sur l’école
L’alphabétisation numérique est un
dont nous avons besoin ici et maintenant,
défi essentiel de l’école à réinventer. Luigi
en Italie et ailleurs. Il se démarque par son
Berlinguer s’appuie sur la notion de pro-
angle d’approche, révélé par le titre,
sumer, qui caractérise les usages numé-
d’autres essais prophétisant la déscolari-
44 riques où chacun est à la fois producteur
sation de la société comme Ivan Illitch en
et consommateur d’informations, de res-
1971, et prend le contre-pied de ceux qui
sources. Pour s’approprier la culture
déplorent « la fin de l’école » comme la
numérique, il ne faut pas compter sur les
cohorte des conservateurs d’une école
instruments numériques seuls, mais sur
mythifiée et lyophilisée. Pour lui, l’école
la transformation des enseignants et des
est à ré-inventer, à re-créer : si l’on consi-
élèves en prosumers.
dère que l’école répond au besoin
L’heure est donc venue d’un huma-
d’apprentissages non situés dans une
nisme nouveau, articulant humanités,
société, nos sociétés, à l’ère du numérique
culture scientifique et numérique. Les
et de l’accès de tous à une scolarisation
humanités classiques sont vivantes, si elles
longue, ont toujours plus besoin d’école,
échappent à la canonisation déplorative
mais d’une école plus efficace que celle
et sont partie prenantes de la formation
héritée du siècle dernier. n
du citoyen.
Ce nouvel humanisme s’appuie éga- Jean-Pierre Véran,
lement sur l’éducation tout au long de la IA-IPR honoraire

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dossier

Musique et éducation

Introduction
Le pouvoir transformationnel de la musique :
quelles implications pour la société ?

Emmanuel Bigand
Institut universitaire de France, LEAD CNRS,
Université de Bourgogne-Franche-Comté

La musique résulte-t-elle
d’une sélection adaptative ?
Il y a trente ans, la publication de l’ouvrage de Stephen Pinker How the
mind works créait une petite révolution dans la société des sciences cognitives
de la musique. Son auteur, directeur d’un des plus prestigieux centres de sciences
cognitives1, y exposait la façon dont on pouvait comprendre l’architecture de la
pensée et du cerveau humain. S’inscrivant dans le courant de la psychologie 45
évolutionniste (Tobby et Cosmides, 1992), Pinker développait l’idée que l’évo-
lution du cerveau humain a conduit à sélectionner, durant la phylogénèse, un
ensemble de processus mentaux, portés par des réseaux neuronaux spécifiques,
particulièrement efficients pour répondre aux questions cruciales d’adaptation
à l’environnement physique et social. Ces processus constitueraient une « boîte
à outils » cognitive permettant d’interagir avec nos congénères et d’évoluer dans
l’environnement de façon fructueuse. Les processus qui présentent des avantages
pour résoudre les grands défis adaptatifs sont retenus. L’ensemble forme l’archi-
tecture de la pensée et du comportement humain. Par exemple, l’adaptation à
l’environnement social impose de résoudre une équation psychologique para-
doxale : collaborer avec ses congénères tout en étant en compétition avec eux.
Résoudre ce type de paradoxe requiert un grand nombre d’algorithmes mentaux
qui ont été, selon Pinker, progressivement implémentés dans le cerveau humain.
On sera bien sûr curieux de découvrir ce que contient cette « boîte à
outils cognitifs » et si la musique en fait ou non partie. Tout un ensemble de
mécanismes cognitifs (perception de la profondeur, perception trichromatique,
compétence linguistique), et sociaux cognitifs (empathie, aptitude à détecter les
tricheurs...) remplissent cette boîte, mais Pinker est formel : la musique n’en fait

1. Massachusetts Institute of Technology, MIT Boston.

N° 75 - septembre 2017
certainement pas partie car elle ne présente aucun avantage adaptatif. Les
comportements musicaux sont superfétatoires. Ils résultent de l’utilisation
ludique des outils cognitifs sélectionnés durant la phylogénèse pour répondre
aux problèmes de l’adaptation. Selon la terminologie de Pinker, la musique n’est
qu’une activité de détente comparable aux activités de bricolage que nous
pouvons faire en utilisant des outils perfectionnés le dimanche. Selon son
expression, « Music is a cheesecake » 2 : si elle venait à disparaître, le cours de
l’humanité n’en serait pas changé.
La proposition de Pinker a fortement impressionné la communauté
scientifique de la musique car elle donnait une formulation théorique à la
position largement dominante du sens commun, dont certains compositeurs, tel
Alexandre Borodine, se sont fait les porte-parole, selon laquelle « la musique est
une activité relaxante, à coté des activités sérieuses ». Les personnalités politiques
qui ont fortement réduit l’enseignement de la musique dans les écoles, les collèges
et les lycées pensaient sans doute, comme Pinker, que la disparition de la musique
des institutions pédagogiques ne changerait pas le cours du développement
psychologique des enfants. Que peut-on répondre à Pinker ? On pourrait bien
évidemment objecter que la musique est une activité « artistique » et donc, à ce
titre, qu’elle est hautement respectable. Cela ne constitue par une véritable
objection : Pinker ne conteste nullement que les activités inventées par l’homme
à partir des compétences de base soient hautement respectables. Il prétend
46 simplement que le cerveau n’a pas évolué pour faciliter l’émergence de ces acti-
vités artistiques et n’en n’a tout simplement pas « besoin ». Autrement dit, le
cerveau n’a pas évolué pour aimer les cheesecakes. Les cheesecakes sont des inven-
tions tardives qui flattent les processus gustatifs qui ont été sélectionnés durant
la phylogénèse car ils résolvaient de façon avantageuse, des problèmes d’adaptation
(la recherche de sucre, dans le cas présent). La musique est un cheesecake sonore
et il en serait de même pour toutes les autres activités artistiques.

Combien musical
est l’être humain ?
Sur le plan neuroscientifique, la conséquence logique de cette position
est que les habiletés musicales reposent « nécessairement » sur des compétences
mentales et des structures neuronales dévolues à d’autres fonctions. Ceci constitue
d’ailleurs l’argumentation essentielle de Pinker : en comparant les liens structu-
raux étroits qui existent entre la musique et le langage, l’auteur entend démontrer
combien la musique détourne les compétences linguistiques de leur fonction
première et « squatte » les réseaux neuronaux du langage. Par conséquent, la
musique ne peut en aucun cas avoir la moindre influence sur l’habileté linguis-
tique puisqu’elle lui est, en quelque sorte, inféodée. De la même façon, la musique

2. « La musique est une pâtisserie ». (NdlR)

re vue i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


dossier

ne peut pas avoir d’influence structurelle sur le fonctionnement psychologique


de l’individu. En toute logique également, le comportement musical devrait
disparaître aussitôt que les capacités linguistiques d’un individu seraient
perturbées par une pathologie cérébrale. Enfin, dans l’ontogénèse, tout comme
dans la phylogénèse, les comportements musicaux devraient apparaître
tardivement, et en tout cas bien après les comportements linguistiques.
Depuis 1997, les neurosciences cognitives de la musique ont accumulé
des évidences scientifiques qui démontrent exactement tout le contraire. Les
démonstrations les plus remarquables proviennent des études neuropsycho-
logiques et des études sur le développement de l’enfant, sur lesquelles ce numéro
de la Revue internationale d’éducation de Sèvres reviendra longuement. La façon
dont la pathologie désorganise le fonctionnement cérébral et les répercussions
de ces désorganisations sur l’équilibre psychologique renseignent sur le fonc-
tionnement normal du cerveau et de l’esprit. Entre les années 2011 et 2013, j’ai
coordonné un important programme de recherche européen (EBRAMUS) sur
les nouvelles perspectives thérapeutiques offertes par la musique dans le cas de
pathologies cérébrales avérées. Le fait que la musique puisse offrir des recours
thérapeutiques efficaces dans ce type de situations extrêmes suggère qu’elle active
des processus mentaux et des réseaux neuronaux qui sont au cœur du fonction-
nement psychologique des êtres humains (Bigand et Tillmann, 2015). Il est, de
ce point de vue, surprenant de constater que la musique est une habileté qui est
préservée lors d’atteintes cérébrales sévères et qu’elle résiste nettement mieux à 47
ces atteintes que le langage, qui est une des compétences les plus immédiatement
perturbées (Sachs, 2009). La musique apparaît de ce fait comme un moyen de
remédiation efficace à de nombreuses pathologies cérébrales, telles que les
maladies dégénératives (maladie de Parkinson ou d’Alzheimer). La musique
contribue également à la rééducation du langage et l’on peut montrer que des
patients aphasiques retrouvent par le chant une certaine fluence d’élocution : ils
ne parlent plus mais ils chantent (Bigand, 2013). Qui plus est, il est également
démontré que la musique est un outil de rééducation linguistique plus efficace
que le langage lui-même. De façon similaire, l’apprentissage d’un instrument de
musique facilite la rééducation motrice des patients après un accident vasculaire
cérébral et nous avons montré que des activités musicales facilitent l’acquisition
du langage chez des enfants sourds (Rochette et al., 2014).
La musique contribue également à retarder les effets du vieillissement
cérébral. On montre par exemple que des jeunes seniors qui débutent le piano
et le pratiquent régulièrement (plusieurs heures par semaines) amélioreront leurs
performances dans des tâches de fonctions exécutives au bout de quatre mois de
pratique. Cette amélioration est plus importante que pour des seniors de mêmes
âges très actifs socialement mais ne pratiquant pas la musique. Chez les personnes
âgées sans pathologie, la musique permet de réduire le vieillissement cognitif
au même titre qu’une pratique adaptée du sport. Les effets de la musique ne
s’observent pas que chez les adultes. Les observations rapportées dans les services

N° 75 - septembre 2017
de néo-natalité sont spectaculaires. Dans le service du professeur Denis Semama
au Centre hospitalier universitaire de Dijon, par exemple, Solène Pignon déve-
loppe des actions musicales avec des grands prématurés, qui visent à stimuler
les fonctions vitales indispensables à leur survie : respiration et nutrition. Les
observations montrent que chanter à voix douce des berceuses peut déclencher
des reflexes de succion chez ces prématurés, qui sont indispensables pour
leur nutrition mais restent très difficiles à obtenir chez des grands prématurés.
La musique est largement utilisée, dans ce type de service, comme un soutien à
la prise en charge médicale de ces bébés.
Les recherches actuelles conduisent donc à repenser entièrement la
fonction de la musique. L’être humain « est musical », et ceci plusieurs mois même
avant sa naissance. Il reste « musical » jusqu’à la fin de sa vie, comme le démontre
l’efficacité des actions musicales dans de nombreux services hospitaliers en fin
de vie. Les études neuroscientifiques convergent ici vers les conclusions des
travaux ethnomusicologiques, qui, tels celui de John Blacking (1977), démontrent
l’importance des activités musicales dans les groupes sociaux. On ne connaît pas
de sociétés humaines ni de période dans l’histoire de ces sociétés, où des formes
de pratiques musicales n’auraient pas existé ou auraient disparu. Conjointement,
il semble difficile d’identifier une espèce animale qui présente une compétence
musicale comparable à la nôtre. Il n’existe pas d’espèce, par exemple, dans laquelle
les congénères sont capables de synchroniser leurs mouvements sur des sons
48 comme dans la danse. La musique semble une compétence universelle et spéci-
fique aux humains, ce qui n’est pas le cas des activités de loisir. On pourrait
penser qu’il en est de même pour toutes les activités artistiques. Or, même par
rapport à ces activités, la musique présente des singularités évidentes : elle est
fortement résistante aux pathologies cérébrales et le bébé humain y répond, pour
ainsi dire, avant même d’être né. La musique n’est donc pas « une activité artis-
tique ». Sa fonction psychologique ne peut en aucun cas se réduire à une
dimension esthétique. Ranger la musique dans les activités artistiques reviendrait
à passer à coté de sa fonction psychologique fondamentale. Les neurosciences
cognitives rejoignent ici les conclusions des ethnomusicologues. La musique est
une forme de communication sociale par les sons, au même titre que le langage.
Personne ne réduirait le langage à un art, même si, bien sûr, certaines formes
d’expression linguistique présentent des caractéristiques esthétiques remar-
quables. Il n’y a pas plus de raison de le faire pour la musique.
Pourquoi et comment cette activité s’est-elle développée chez les
humains ? Comme le souligne S. Mithen (2005), les recherches archéologiques
et anthropologiques ne se sont guère intéressées à cette question, tant que les
enjeux théoriques n’étaient pas apparus comme évidents. En analysant plus atten-
tivement les sites, il serait probablement possible d’établir une datation approxi-
mative de l’émergence des activités musicale. Les flûtes récemment découvertes
en Slovénie et en Allemagne, qui ont été datées de 40 et 60 000 ans avant notre ère,
révèlent des caractéristiques surprenantes : les trous sont espacés de façon très

re vue i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


dossier

précise pour produire des intervalles musicaux qui correspondent globalement


à ceux que l’on connaît actuellement en Occident. Un tel savoir-faire résulte
d’une pratique beaucoup plus ancienne que la date des instruments retrouvés.
Si l’on considère que bien d’autres instruments ont pu être construits avec des
matériaux plus vulnérables, on peut facilement faire remonter les activités musi-
cales de type instrumental à plusieurs centaines de milliers d’année, et bien
davantage encore pour les musiques orales.
L’ancienneté et l’universalité des pratiques musicales laissent donc penser
que cette activité a pu répondre à des fonctions essentielles pour l’adaptation. Cette
hypothèse est loin d’être nouvelle puisqu’elle fut étayée initialement par C. Darwin,
dès 1871. On sait que Darwin, dont l’épouse était musicienne et mélomane, s’inter-
rogeait sur la raison d’être de cette activité. Il la comparait à des activités ou des
traits qui, chez l’animal, n’ont pas de raison adaptative apparente, voire qui
présentent des désavantages majeurs (comme le plumage du paon). Pour quelles
raisons ces traits n’ont-ils pas été progressivement éliminés ? Darwin envisage que
ces traits contribuent indirectement à l’adaptation car ils confèrent un avantage
pour la sélection des partenaires. La musique aurait pu initialement avoir une
fonction similaire. Nos ancêtres étaient dotés d’émotion et il est fort probable que
la possibilité de communiquer ses émotions et de les moduler par des sons pouvait
présenter un intérêt pour la sélection du partenaire. Darwin conclut son analyse
en stipulant que « […] musical notes and rhythm were first acquired by the male or
female progenitors of mankind for the sake of charming the opposite sex »3. À l’opposé 49
de Pinker, Darwin pense que les aptitudes mentales nécessaires pour faire de la
musique ont pu être l’objet d’une sélection adaptative. Elles font partie de la boîte
à outils et ne dépendent pas de l’existence d’autres aptitudes pour se manifester
sous la forme d’un loisir. Darwin (1871) attribue d’ailleurs une antériorité à la
communication sonore musicale sur la communication linguistique :
The suspicion does not appear improbable that the progenitors of man, either the
males or females, or both sexes, before acquiring the power of expressing their
mutual love in articulate language, endeavoured to charm each other with musical
notes and rythms 4.

La capacité à communiquer par des sons musicaux pourrait donc préfi-


gurer des formes plus symboliques de communication, telle que le langage.
La position de Darwin reste aujourd’hui séduisante à plusieurs égards, et
de nombreuses évidences compatibles avec cette théorie sont apportées par les
recherches actuelles. Les observations ethnomusicologiques soulignent, par
exemple, que les activités musicales s’accentuent pendant la puberté pour redevenir

3. « Les notes musicales et le rythme ont été acquis par les ancêtres mâles ou femelles de l’humanité pour charmer
le sexe opposé ». (NdlR)
4. « Il semble probable que les ancêtres de l’homme, qu’ils soient mâles ou femelles ou des deux sexes, avant
d’acquérir la capacité d’exprimer leur amour réciproque dans un langage articulé, ont cherché à se charmer l’un
l’autre par des notes musicales et un rythme ». (NdlR)

N° 75 - septembre 2017
normales lorsque les mariages sont établis. Les musiques entendues durant cette
période ont un statut en mémoire tout à fait différent des musiques découvertes
à d’autres périodes de la vie. Le lien entre musique et sexualité s’observe par
ailleurs de façon assez nette dans de nombreuses cultures musicales. Par exemple,
la samba semble provenir d’un rituel africain de procréation, durant lequel les
danseurs touchaient leur nombril. Le « b » de samba serait le « b » d’« ombilicum ».
Les études d’imagerie cérébrale montrent, quant à elles, que le plaisir musical
intense, celui qui donne parfois des frissons dans le dos, est loin d’être un plaisir
purement intellectuel. On constate en effet que les centres du réseau de la
récompense, connus pour leur implications dans la satisfaction des besoins
biologiques, tels que le noyau accumbens qui décharge de la dopamine, sont activés
lors de l’écoute : le plaisir musical rapporté par les auditeurs dans le scanner est
proportionnel à l’activation de ce noyau accumbens et à l’intensité de la décharge
de dopamine. Le prix que les auditeurs se disent prêts à payer pour pouvoir acheter
les morceaux en question est lui-même corrélé à l’intensité de cette décharge
(Salimpoor et al. 2011).

Pourquoi le bébé humain


naît-il musical ?
La position de Darwin, pour séduisante qu’elle soit, présente une limite :
elle n’explique pas pourquoi les bébés pourraient être prédisposés à traiter les
50 structures musicales dès les premiers jours de leur existence, voire avant. On sait
en effet que les nourrissons ont très rapidement la capacité de percevoir des
structures musicales complexes, telles que la distance des modulations, dans le
cas de la musique tonale occidentale (Trehub et Trainor, 1993). Des nourrissons
de quelques jours peuvent différencier des musiques émotionnellement positive
ou négative, et des fœtus gardent une mémoire fine des intervalles qui composent
des chansons auxquelles ils ont été pré-exposés dans la vie intra-utérine. Si on
leur représente ces chansons un an après, et qu’on a demandé aux parents de
faire en sorte que leurs bébés n’y soient pas exposés durant la première année
de la vie, on constate qu’ils peuvent déceler des changements de notes qui modi-
fient les intervalles originaux. Les capacités des nouveaux nés pour la musique
sont très sophistiquées et l’on voit mal pourquoi il pourrait en être ainsi si cela
ne répondait pas à une fonction psychologique importante. Or l’une des carac-
téristiques du bébé humain est de venir au monde dans un fort état d’immaturité.
La prise en charge émotionnelle du bébé humain est donc un enjeu d’adaptation
plus important encore que pour les autres espèces. La musique présente de
nombreux avantages pour contribuer à cette prise en charge. Elle permet
de réguler l’état émotionnel du nourrisson en l’informant sur l’état émotionnel
de son environnement social immédiat. De nombreuses études montrent que le
nourrisson utilise la communication par la musique pour médiatiser sa relation
sociale avec ses proches ainsi qu’avec les adultes étrangers (Trainor, ce volume).
Il est possible que sa compétence à analyser les détails du signal musical serve

re vue i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


dossier

principalement à assurer cette fonction sociale. L’aptitude pour la communication


émotionnelle de type musical aurait donc pu être l’objet d’une sélection adap-
tative car elle présentait des avantages pour l’inscription du bébé dans son envi-
ronnement social immédiat. Différents éléments empiriques ont été apportés à
l’appui de cette thèse, telle que l’existence d’un parlé-chanté spécialement dédié
aux nourrissons que l’on retrouve dans tous les pays du monde et qui présente
des caractéristiques structurelles invariantes. De la même façon, Trehub observe
que les chansons pour enfants de nombreux pays du monde présentent des traits
universaux. Cette communication émotionnelle par le son pourrait également
contribuer à amorcer des formes plus complexes de communication linguistique
qui ne se développent que vers la fin de la première année chez le bébé.
La musique contribuerait ainsi à la formation des couples, puis à la prise
en charge de l’immaturité des petits êtres qui en résultent. Ces deux seules raisons
suffisent-elles pour penser que l’aptitude humaine pour la musique est biologi-
quement prédéterminée ? Aucune réponse définitive ne peut être apportée à cette
question à l’heure actuelle mais il est intéressant de constater que, dès le moment
où l’on considère que la capacité de l’humain pour la musique pourrait avoir
été sélectionnée à cause des avantages qu’elle procure à la communication sociale
émotionnelle, il n’est plus possible de penser, comme le fait Pinker, que cette
activité pourrait disparaître sans que le cours de l’humanité n’en soit fondamen-
talement changé. Il y a tout lieu de penser que notre état d’être humain est en
partie façonné par cette capacité à communiquer par les sons sur un mode 51
sensible avec nos congénères. Il est également plausible que cette capacité déter-
mine de nombreuses autres compétences cognitives et psychologiques, telle que
l’empathie par exemple.

Le pouvoir
transformationnel
de la musique
et ses implications
pour l’éducation
La musique aurait de ce fait un pouvoir transformationnel sur l’esprit
humain. Sa pratique a pu et peut donc encore entraîner de profondes modifica-
tions psychologiques et neurophysiologiques. Les implications sociales de ces
découvertes sont importantes tant pour le monde de la santé (Bigand et Tillmann,
2015) que pour celui de l’éducation. Ce sont ces implications éducatives que le
présent numéro de la Revue internationale d’éducation de Sèvres entend aborder.
Si la musique a un pouvoir transformationnel de l’esprit, alors il convient d’en
tirer des conséquences au niveau des politiques éducatives. Pour alimenter cette
réflexion, nous avons choisi de confronter deux niveaux d’observation : celui des
études psychologiques à petites échelles sur l’individu ou des petits groupes
d’individus, et celui d’observations sociologiques à l’échelle de grands groupes
sociaux. Le changement d’échelle d’observation impose inévitablement une

N° 75 - septembre 2017
rupture épistémologique, la technicité méthodologique des recherches en neuros-
ciences cognitives étant nécessairement bien différente de celles des méthodes
d’observation des sciences sociales et de l’éducation.
Ce numéro invite donc à une réflexion multidisciplinaire autour d’un
concept central : le pouvoir transformationnel de la musique. Cette réflexion
s’articule tout d’abord sur deux revues de questions neuroscientifiques. La
première traite de l’impact de la musique sur la plasticité cérébrale. Laura Ferreri
résume les principales études montrant qu’une pratique musicale soutenue peut
modifier l’anatomie et le fonctionnement du cerveau, chez des musiciens experts,
chez des enfants et des adultes qui débutent, tardivement pour ces derniers, la
pratique d’un instrument ou du chant. En modifiant le cerveau, la musique se
présente comme un véritable outil de stimulation cognitive, non invasif, qui peut
jouer un rôle important pour la santé et l’éducation. Le second article, de Laurel
Trainor, développe plus en détail l’impact de la stimulation musicale chez les
nourrissons. On sait, depuis les travaux remarquables de Glenn Schellenberg au
Canada, que la musique contribue aux acquisitions cognitives fondamentales de
l’enfant, notamment en favorisant les acquisitions linguistiques, et au dévelop-
pement de son quotient intellectuel. Lorsque les enfants sont répartis en début
d’année scolaire aléatoirement dans des activités extrascolaire telles que des leçons
de piano ou de chant, des cours de théâtre ou d’autres activités non spécifiées, ce
sont les enfants des deux groupes musique (chant et piano) qui auront eu un
52 développement cognitif le plus grand en fin d’année. Les enfants ayant été répartis
aléatoirement dans ces activités, ce résultat ne peut pas être causé par des variables
socioculturelles confondues avec la pratique de la musique. Qui plus est, l’équipe
de Mireille Besson, au CNRS de Marseille, a montré, de son côté, que des enfants
en situation d’échec scolaire vont davantage bénéficier d’ateliers musicaux
dispensés hebdomadairement pour les aider à réduire ce déficit que ceux suivant
des ateliers de peinture, alors même que ces derniers rapportent avoir un énorme
plaisir à suivre les ateliers peinture. Il est donc bien acquis (voir Bigand, 2010),
que la musique facilite le développement cognitif de l’enfant. Dans ce numéro,
Laurel Trainor revient sur des effets bien plus inattendus de la pratique de la
musique, et observés plus récemment. La musique semble favoriser également le
développement des compétences psychosociales et émotionnelles de l’enfant.
Les études neuroscientifiques conduisent logiquement à anticiper des
effets positifs à l’échelle sociale de la pratique musicale. Les articles suivants
apportent des éclairages originaux sur cette hypothèse en abordant, à travers diffé-
rents regards culturels, des situations d’apprentissage et de pratique musicale.
Shantala Edge s’interroge tout d’abord sur l’impact sur la formation de la person-
nalité que peuvent avoir les caractères spécifiques de l’apprentissage de la musique
en Inde. La tradition maître-élève du système « Gurukula » est une méthode de
formation conçue non seulement pour transmettre les connaissances et les savoir-
faire techniques relatifs à la musique, mais aussi pour favoriser le développement
de la personnalité globale de l’élève. Le pouvoir transformationnel de la musique

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dossier

pourrait de fait varier selon les méthodes d’apprentissage et s’intensifier dans celles
qui, comme en Inde, revendiquent explicitement un engagement complet de l’indi-
vidu, et pas uniquement l’acquisition d’une technique et d’un savoir-faire.
Dans d’autres cultures, l’éducation musicale est médiatisée par le groupe.
En analysant les stratégies d’apprentissage en vigueur à Trinité et Tobago, Aurélie
Hemlinger détaille la façon dont, dans ce type de situation d’apprentissage, le
musicien apprenti doit « gagner » la musique qu’il apprend, en montrant qu’il
la mérite par sa soumission aux règles sociales. La pratique de la musique est
ainsi indissociable de la construction d’une personnalité sociale. Cette dimension
sociale conduit à s’interroger sur la forme que doit prendre l’éducation musicale
dans les cultures où les traditions musicales orales restent très actives, comme
en témoigne l’article de Moussa Sy sur l’éduction musicale au Sénégal.
Les articles suivants développent plus longuement encore l’importance
de la formation des compétences socio-cognitives. Les programmes de sociali-
sation par la musique « El Sistema » mis en place au Venezuela par A. Abreu
auprès des enfants les plus défavorisés, reposent fortement sur cette hypothèse
que la musique, en mettant en progrès les individus sur le plan cognitif et socio-
cognitif, va contribuer au développement de leur citoyenneté et, de fait, à leur
intégration sociale. Maria Majno, qui a mis en place de tels programmes en Italie
avec la contribution de Claudio Abbado, propose ici une description détaillée de
leurs démarches psycho-pédagogiques, de leurs réussites et de leurs limitations.
Henrik Reeh propose, quant à lui, un suivi, au sein d’une classe de trente élèves, 53
au Danemark, des effets de la pratique musicale. L’identité au niveau de la classe
constitue un cadre essentiel de la scolarité, de la vie musicale et des amitiés, et
l’auteur analyse comment le mélange particulier entre le savoir musical et d’autres
éléments pédagogiques a été vécu par les élèves pendant leur scolarité commune,
et continue d’influencer la vie de ces élèves après les trois années passées au lycée
Sainte-Anne de Copenhague. Il en ressort que la musique offre non seulement
une communauté de goût, de ton et d’amitiés, qui, loin d’accentuer la concur-
rence entre les individus, sert à réunir les élèves, et que cette influence perdure
plusieurs années après avoir quitté le lycée. Dans l’article suivant, Denis Waleckx
revient sur les intérêts institutionnels des projets d’orchestre à l’école, mis en
place avec succès en France, en s’appuyant sur l’exemple du département de la
Mayenne. Ces dispositifs sont assez faciles à mettre en place et présentent des
avantages pour la coordination des politiques publiques et d’animation du terri-
toire et la diversification des offres culturelles apportées aux enfants. Les évalua-
tions de ce projet sont très positives, du point de vue de la réussite scolaire de
tous les élèves, de leur insertion dans la société, de l’intégration de tous dans le
projet et du développement du sens de la coopération.
Au fil des articles, il apparaît que la pratique musicale se traduit par un
bouleversement cognitif, social, et identitaire des individus, qui a une influence
positive sur la cohésion du groupe. Le dernier article de ce numéro souligne ainsi
l’importance de la musique comme facteur de cohésion sociale, en rapportant un

N° 75 - septembre 2017
témoignage tout à fait singulier du rôle de la musique lors d’un moment déco-
lonial récent en Afrique du Sud (2015-2016). Stephanus Muller décrit deux projets
musicaux créés à cette occasion et permettant à des étudiants évoluant dans des
environnements éducatifs contestés d’exprimer des identités anticonformistes et
de créer de nouvelles formes de cohésion sociale dans des circonstances de tension
et de violence particulièrement difficiles. La musique apparaît ici comme un
puissant catalyseur de lien social dans des moments de forte instabilité et de
mécontentement. Enfin, l’ensemble de ces articles est accompagné d’un article
bibliographique, dans lequel Helène Beaucher présente plusieurs publications
pertinentes pour compléter en enrichir la réflexion, dans un cadre largement
interdisciplinaire, sur les effets de la musique sur le cerveau, l’individu et la société.
À l’issue de ce numéro, nous espérons que le lecteur aura pu se convaincre
de l’importance neurophysiologique, cognitive et sociale des pratiques musicales
qui, si elles sont encadrées de façon adaptée, contribuent au développement
d’aptitudes fondamentales pour une société. Au regard des résultats actuels des
neurosciences cognitives de la musique dans les domaines de l’éducation et de
la santé, il nous semble aujourd’hui indispensable de repenser l’apprentissage
musical, en facilitant son accès au plus grand nombre, non seulement pour
les jeunes enfants, mais également pour les adultes et les seniors : une petite
révolution éducative pour le monde musical, en quelque sorte.

54
Bibliographie
BLACKING J. (1973) : How musical is man?, Seattle: University of Washington Press
(réédité par Faber&Faber, 1976).
BIGAND E. (dir.) (2013) : Le cerveau mélomane, Paris : Belin.
BIGAND E., TILLMANN B (2015) : « Introduction to the Neurosciences and
Music V : cognitive stimulation and rehabilitation », Annals of the New York Academy
of Sciences, 1337 : vii-ix.
DARWIN C. R. (1871) : The descent of man, and selection in relation to sex, London :
John Murray.
MITHEN S. (2005) : The Singing Neanderthals: the Origins of Music, Language, Mind
and Body Cambridge, Mass. : Harvard University Press.
PINKER S. (1997) : « How the mind works », MIT, traduction française Comment
fonctionne l’esprit ; Odile Jacob (2000).
ROCHETTE F., MOUSSARD A., BIGAND E. (2014) : « Music lessons improve audi-
tory perceptual and cognitive performance in deaf children », Frontiers in Human
Neuroscience, 8 : 488, 1-9.
SACHS O. (2009) : Musicophillia : la musique, le cerveau, et nous, Paris : Seuil.
SALIMPOOR V., BENOVOY M., LARCHER K., DAGHER A., ZATORRE R. (2011) :
« Anatomically distinct dopamine release during anticipation and experience of peak
emotion to music », Nature Neuroscience, 14, 257-262.
TOBBY J., COSMIDES L. (1992) : « The psychological foundations of culture », dans
The adapted mind: Evolutionary psychology and the generation of culture (ed. J. Barkow,
L. Cosmides et J. Tooby), p. 19-136, NY : Oxford University Press.

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dossier

Musique et plasticité
cérébrale*
Laura Ferreri
Université de Barcelone / Institut biomédical
IDIBELL, Barcelone

L’intérêt neuroscientifique
pour la musique
La musique a une présence constante et unique tout au long de la vie
humaine. À travers les siècles, de nombreux philosophes, artistes et scientifiques
ont tenté de rendre pleinement compte du rôle que la musique joue dans nos
vies en montrant comment elle peut influencer nos émotions, notre cognition
et notre comportement. Durant les deux dernières décennies, les sciences du
cerveau ont porté une attention sans précédent à la musique, de plus en plus
considérée comme « la nourriture des neurosciences » (Zatorre, 2005). Quelles
caractéristiques particulières de la musique intéressent-elles tant la communauté
neuroscientifique ? 55
Dans Αρμονίκων Στοκείων (les Éléments d’harmonique), le philosophe
Aristoxène (Tarente, fin du IVe siècle av. J.C.) est le premier philosophe grec à
avoir affirmé que comprendre une composition musicale signifie suivre le
processus de sa mélodie avec l’oreille et l’intellect. L’oreille détecte les amplitudes
de la mélodie qui se succèdent, alors que l’intellect envisage les fonctions des
notes à l’intérieur du système auquel elles appartiennent. Plus précisément,
Aristoxène propose deux procédés principaux impliqués dans l’écoute de la
musique : la mémoire, pour retenir le passé, et les sens, à savoir la perception,
afin d’appréhender le présent. Cette conception intuitive, qui contrastait avec
l’approche mathématique de la musique par Pythagore, était extrêmement nova-
trice, à la lumière des récentes découvertes neuroscientifiques.
En effet, l’intérêt neuroscientifique pour la musique n’est pas simple-
ment motivé par la possibilité fascinante de trouver les corrélations neurales de
ce langage sensoriel basé sur des règles, temporellement ordonné et extrêmement
complexe. Dans Musicophilia, Oliver Sacks (2007) affirme que « les humains sont
une espèce musicale autant que linguistique ». À peu d’exceptions près, tout le
monde peut percevoir la musique, les tonalités, le timbre, les intervalles de
hauteur tonale ainsi que le rythme, les courbes mélodiques et l’harmonie. Toutes
ces caractéristiques sont ensuite assemblées (la plupart du temps implicitement)

* Article traduit de l’anglais par Jane-Mary Rivière.

N° 75 - septembre 2017
à l’aide de différentes parties du cerveau et ceci est généralement accompagnée
d’une réaction émotionnelle intense et profonde (Koelsch, 2014). Par conséquent,
le véritable défi porté par la musique dans le domaine neuroscientifique
commence à partir de preuves que la musique, en tant que stimulus auditif très
complexe avec un fort impact émotionnel, implique tout le cerveau à travers un
ensemble diversifié d’opérations perceptives et cognitives et donc des substrats
neuronaux également divers. Comme l’étude de la physiologie et de la neurologie
cérébrales est fondamentale pour comprendre le fonctionnement du cerveau, la
musique est devenue un modèle très utile pour la recherche sur le cerveau relative
à la perception et à la cognition, en mesure d’apporter des contributions inté-
ressantes aux connaissances générales sur le cerveau : comment il fonctionne et
comment il peut modifier sa structure et ses fonctions en réaction à la stimulation
externe.

Qu’est-ce la plasticité
cérébrale ?
On entend par plasticité cérébrale la capacité du cerveau à modifier sa
structure, sa fonction et sa connectivité. Une augmentation de la plasticité céré-
brale est associée à des changements multiples et dissociables du cerveau en
corrélation avec des résultats comportementaux, y compris des augmentations
56 de la longueur dendritique, des augmentations ou des diminutions dans la densité
de la colonne vertébrale, la formation de synapses, une activité gliale accrue et
une activité métabolique altérée. Qui plus est, ces changements peuvent se
produire tout au long de la vie d’un individu et ne sont pas limités à une fenêtre
critique pendant les premières années de la vie, comme on le pensait
auparavant.
Il y a près de vingt ans, un groupe de chercheurs du Royaume-Uni a
mené une étude très connue sur les chauffeurs de taxi londoniens, qui avaient
des compétences en navigation particulièrement développées. Après avoir scanné
leur cerveau par le biais de l’imagerie par résonance magnétique (IRM), Maguire
et ses collaborateurs (2000) ont constaté que les chauffeurs de taxi avaient un
hippocampe plus volumineux, l’hippocampe étant une région du cerveau spéci-
fiquement impliquée dans la formation de la mémoire, par rapport aux sujets
témoins qui avaient une mémoire spatiale moins développée. De manière signi-
ficative, cette étude a non seulement confirmé le rôle de l’hippocampe dans les
représentations spatiales, mais a également indiqué une capacité pour des varia-
tions locales de la structure du cerveau sain d’un humain adulte en réponse aux
exigences environnementales. Nous savons maintenant que ces changements se
produisent également après des formations courtes et que seulement quarante-
cinq minutes d’entraînement sur une tâche de navigation sur un jeu vidéo
semblent suffire pour modifier la structure et la connectiv ité de
l’hippocampe.

re vue i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


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La capacité d’induire la plasticité cérébrale est strictement lié à une pers-


pective de remédiation, comme la nécessité d’une récupération fonctionnelle suite
à des lésions cérébrales. En effet, le système nerveux central est capable de récupérer
et d’adapter des mécanismes de compensation secondaires aux lésions (Su et al.,
2016). En faisant de la remédiation pour réapprendre les tâches de base, un patient
souffrant d’une lésion cérébrale traumatique peut être capable de former de
nouvelles connexions cérébrales lui permettant de récupérer les capacités perdues.
Plusieurs études ont donc essayé de stimuler la plasticité cérébrale en proposant
des stratégies de remédiation visant à atténuer les déficits associés à des pathologies
spécifiques, tels que les déficits physiques après des accidents vasculaires cérébraux
ou des pathologies focales provoquant l’aphasie. Par conséquent, il est extrêmement
important de comprendre ce qui peut stimuler le cerveau spécifiquement et donc
modifier sa plasticité et améliorer les résultats comportementaux.
Dans ce cadre, la musique, capable de stimuler le cerveau entier, apparaît
comme étant un stimulus unique. Plusieurs auteurs ont étudié les effets de la
pratique et de l’écoute musicales sur les fonctions cognitives et neurales. Les
données tant comportementales que de neuro-imagerie ont révélé l’ampleur et
la nature plastique de la réaction du cerveau à la stimulation musicale. Dans cet
article, je développerai donc deux principaux thèmes liés à la plasticité cérébrale
produite par la musique : tout d’abord, l’effet de la formation musicale sur le
cerveau ; ensuite, l’utilisation de la musique pour stimuler et réhabiliter les
fonctions cognitives. 57

Musique et plasticité
cérébrale
La formation musicale
et le cerveau
Si la musique peut stimuler et changer l’organisation neurale, le cerveau
des musiciens est-il différent de celui des non musiciens ? Plusieurs expériences
sur l’expertise musicale ont grandement contribué à comprendre l’immense
gamme des changements de plasticité liés à la musique.
Ouvrant les portes à la recherche sur la plasticité musicale, Ramon et
Cajal affirment (voir Ramon, Cajal, Pasik et Pasik, 1999) que :
tout le monde sait que la capacité d’un pianiste [de jouer] en s’adaptant à la
nouvelle œuvre demande de nombreuses années de gymnastique mentale et
musculaire. Pour comprendre ce phénomène important, il est nécessaire
d’admettre que, parallèlement au renforcement des voies organiques préétablies,
de nouvelles voies d’accès sont créées par la ramification et la croissance progres-
sive des processus dendritique et axonal terminaux.

Jouer un instrument de musique est en effet une expérience intense,


multi-sensorielle, motrice, cognitive et émotionnelle qui commence généralement
à un âge précoce et exige l’acquisition et le maintien d’un ensemble de

N° 75 - septembre 2017
compétences au cours de la vie d’un musicien. La raison en est qu’une pratique
musicale constante est capable de modifier l’organisation du cerveau en augmen-
tant le nombre de neurones employés pour un certain processus, soutenant leur
synchronisation temporelle et augmentant le nombre et la force des connexions
synaptiques excitatrices et inhibitrices.
Plusieurs études par neuro-imagerie ont démontré que la pratique musi-
cale est capable de modifier l’organisation du cerveau dans les cortex auditifs,
somatosensoriel et moteur, chez les enfants et les adultes. En particulier, ces
régions montrent généralement une augmentation du volume ou de la densité
de la matière grise et une amélioration de l’organisation microstructurale de la
matière blanche chez les musiciens, par rapport aux individus sans formation
musicale.
Il est important de noter que la plupart des études sur l’expertise musi-
cale se concentrent sur la formation musicale précoce. En effet, bien que la
plasticité cérébrale soit un phénomène qui concerne la durée de vie entière, le
système nerveux central présente sa malléabilité maximale durant les premières
phases du développement. Pour cette raison, la formation musicale précoce, qui
commence au cours de l’enfance et l’adolescence, peut avoir un bénéfice et un
effet maximum sur le cerveau. Toutefois, des résultats cruciaux ont également
été obtenus avec des débuts tardifs et une formation musicale courte. Par exemple,
des adultes non musiciens qui ont appris à jouer une séquence à cinq doigts sur
58 un clavier en seulement cinq jours ou à jouer au piano et à lire une partition
musicale en quinze semaines ont montré une meilleure performance comporte-
mentale accompagnée d’une réorganisation du cerveau cortical (voir Dalla Bella,
2016, pour une revue).
Il est intéressant de noter que l’expertise musicale peut aussi influer sur
la réorganisation des régions corticales et sous-corticales essentielles pour
d’autres fonctions cognitives non musicales, telles que les processus de langage,
les fonctions exécutives ou les processus de mémoire. Conformément à cela, des
études récentes sur le vieillissement suggèrent que les changements du cerveau
liés à la pratique musicale augmentent la résistance au vieillissement cognitif.
Par exemple, une étude récente sur des cojumeaux a révélé que les jumeaux qui
jouent un instrument de musique étaient moins susceptibles de développer une
démence et une déficience cognitive que leurs cojumeaux non musiciens (Balbag
et al., 2014). Ensemble, toutes ces études suggèrent que les changements neuro-
plastiques liés à la formation musicale peuvent se produire rapidement, à diffé-
rents stades de la vie, et peuvent avoir des conséquences comportementales
importantes sur les capacités non musicales également.
Si la formation musicale est capable de stimuler et d’induire la plasticité
cérébrale facilement dans les régions impliquées dans des capacités non musicales
également, il est raisonnable d’émettre l’hypothèse que non seulement la
formation musicale mais aussi la simple exposition à la musique pourraient
moduler les réactions cérébrales et influencer positivement les fonctions non

re vue i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


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musicales aux niveaux à la fois comportemental et fonctionnel. La section


suivante se concentrera donc sur l’effet de l’exposition à la musique sur la stimu-
lation d’autres fonctions cognitives, ouvrant ainsi des perspectives importantes
pour les paradigmes de remédiation.

De la plasticité cérébrale
à la stimulation
et à la remédiation cognitives
Un grand nombre d’études ont révélé la façon dont la musique peut
améliorer les capacités non musicales de fonctions cognitives plus perceptuelles
à des fonctions cognitives supérieures et plus générales en réaction non seulement
à la formation musicale, mais aussi à une simple exposition musicale. Ici, je me
concentrerai sur trois processus principaux : la musique, le langage et la mémoire,
afin de présenter la façon dont les changements du cerveau liés à la musique
peuvent moduler la cognition et le comportement humains.

Mouvement
Un lien intrinsèque existe entre la musique et le mouvement : nous
n’avons pas besoin d’être des musiciens experts pour commencer à frapper des
mains, taper des pieds ou danser quand une pièce musicale commence. Au
contraire, parfois, nous ne pouvons tout simplement pas nous empêcher de 59
bouger notre corps et de suivre le rythme d’un extrait musical que nous aimons.
Dans le domaine de la recherche sur la musique et les mouvements, la plupart
des études ont mis l’accent sur la composante rythmique et sur la capacité des
humains à se synchroniser avec une stimulation musicale donnée. Par exemple,
il a été démontré que la musique, via la capacité de synchronisation avec un
rythme auditif donné, peut influencer la manière et la fréquence à laquelle les
sujets marchent. Au niveau neurophysiologique, un tel phénomène est connu
sous le nom d’entraînement neuronal et fait référence au fait que nos oscillations
neuronales internes sont capables de modifier leur fréquence pour se synchro-
niser sur des oscillations (musicales) externes. Cet effet de la musique sur le
cerveau et le mouvement pourrait-il améliorer les fonctions motrices altérées ?
En 1996, Thaut et al. ont suggéré que la stimulation auditive rythmique pourrait
être utilisée pour atténuer les déficits moteurs de la maladie de Parkinson. Ils
ont comparé un groupe de patients atteints de la maladie de Parkinson suivant
un programme d’entraînement à la marche à domicile basé sur une stimulation
auditive rythmique avec un groupe témoin qui avait participé à un programme
d’entraînement interne à son propre rythme. Après trois semaines, les patients
qui s’étaient exercés avec la stimulation auditive rythmique, par rapport au
groupe témoin, avaient amélioré de manière significative la vitesse de leur
démarche, leur longueur de foulée et la cadence de leurs pas. Un autre axe de
recherche clinique concerne la rééducation suite à un AVC, durant laquelle trois

N° 75 - septembre 2017
semaines de thérapie soutenue par de la musique avec un piano MIDI1 ou une
batterie électronique ont produit des améliorations significatives des compétences
globales fines associées à des changements neuraux spécifiques indiquant une
meilleure connectivité corticale et une activation améliorée du cortex moteur
(Altenmüller et al., 2009).
Langue
Comme Tillmann (2012) l’a évalué, la recherche en matière de cognition
musicale éclaire non seulement la compréhension des processus musicaux, et
linguistiques ainsi que celle d’autres stimulus structurés. En effet, la musique et
le langage partagent plusieurs ressources neuronales, ce dont il est possible
d’apporter la preuve tant au niveau perceptif que cognitif. Par exemple, grâce
aux propriétés structurantes de la musique qui pourraient soutenir l’organisation
linguistique et améliorer sa compréhension, il est plus facile d’apprendre des
séquences chantées que des paroles. De même, les propriétés syntaxiques d’une
structure musicale constituent un lien direct avec la langue. Dans une étude bien
connue, Patel et al. (1998) ont testé la spécificité linguistique du P600, une
corrélation du potentiel du cerveau lié aux événements, au traitement syntaxique.
En comparant les incongruités syntaxiques dans le langage et la musique, les
résultats ont révélé que les incongruités structurelles linguistiques et musicales
suscitaient des incongruités statistiquement indiscernables. Ces liens bien établis
60 entre la musique et le langage expliqueraient un effet musical positif sur les
processus linguistiques non musicaux. Selon Patel (2011), cinq conditions
peuvent expliquer la façon dont la musique profite au codage neuronal de la
parole (l’hypothèse OPERA) : (1) le chevauchement dans les réseaux du cerveau
qui traitent une caractéristique acoustique utilisée dans la musique et le discours ;
(2) le fait que, en termes de précision de traitement, la musique impose des
exigences plus élevées sur ces discours partagés ; (3) les fortes émotions positives
suscitées par la musique ; (4) la répétition donnée par une formation musicale
et (5) l’attention accrue qu’entraîne la musique.
Quant au mouvement, les caractéristiques rythmiques et mélodiques
des stimuli musicaux sont utilisées dans le domaine clinique pour améliorer la
performance linguistique. Un bon exemple est donné par la Melodic Intonation
Therapy (MIT), un processus thérapeutique utilisé par les musicothérapeutes et
les orthophonistes pour aider les patients atteints de troubles de la communica-
tion causés par des lésions cérébrales. Le MIT est basé sur les observations selon
lesquelles certains patients aphasiques sont aidés dans la parole s’ils doivent
produire des mots chantés plutôt que dits et si le rythme est frappé avec les
mains. On a démontré que la musique améliore la performance linguistique
également chez les enfants dyslexiques, pour lesquels une formation musicale

1. La norme MIDI (Musical Instrument Digital Interface - Interface numérique pour instruments de musique) est un
protocole de communication standard qui permet de faire transiter des informations musicales d’un instrument à
l’autre ou d’un ordinateur à un instrument et réciproquement. (NdlR)

re vue i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


dossier

peut améliorer considérablement leurs capacités de frapper le rythme (c’est-à-


dire leur capacité à reproduire des structures rythmiques) ainsi que des traite-
ments auditifs et les compétences phonologiques (voir par exemple Flaugnacco
et al., 2014). Dans ce cas, la valence émotionnelle positive et la synchronisation
rythmique produites par la stimulation musicale peuvent expliquer l’amélioration
du langage par la musique.

Mémoire
Combien d’entre nous peuvent se souvenir facilement des paroles d’une
chanson, mais se sentent totalement incapables d’apprendre un poème par cœur ?
Pourquoi avons-nous le sentiment que l’on peut mieux se souvenir d’une infor-
mation difficile à encoder si elle est chantée, plutôt que dite ? La recherche
neuro-cognitive a effectué des études très poussées sur les mécanismes qui pour-
raient servir de médiateur à cette facilitation mnémonique musicale (voir Ferreri
et Verga, 2016). Il a été proposé que la musique peut aider à l’encodage des sujets
en raison de ses caractéristiques perceptuelles intrinsèques : la structure ryth-
mique ainsi que l’organisation séquentielle des phrases musicales et des variations
de mélodies peuvent jouer un rôle crucial dans la formation de la mémoire, par
exemple en attirant l’attention des sujets sur les informations pertinentes à retenir
ou en permettant le traitement de la manipulation profonde. En outre, il est
important de souligner le pouvoir émotionnel et évocateur de la musique : un
extrait musical peut être profondément évocateur en nous transportant dans sa 61
« beauté pure » et évoquant ainsi des émotions spécifiques et des souvenirs d’évé-
nements, de rencontres ou d’états d’esprit qui ne peuvent être évoqués d’une
autre manière.
Cela devient particulièrement pertinent dans le domaine clinique, où
l’idée qu’un extrait musical pourrait évoquer des expériences de vie particulières
et des détails épisodiques connexes possibles a conduit plusieurs auteurs à enquêter
sur la relation entre la musique et la mémoire, en particulier chez les patients
atteints de la maladie d’Alzheimer. Par exemple, on a montré que la musique peut,
à la fois, améliorer sensiblement les patients atteints d’une forme modérée de la
maladie d’Alzheimer à se souvenir d’épisodes autobiographiques et réduire les
niveaux d’anxiété. Par exemple, El Haj et al. (2012) ont testé les mémoires auto-
biographiques de patients modérément atteints d’Alzheimer en utilisant une
méthode narrative libre sous condition « silence », sous condition « musique »
dans laquelle des sujets étaient exposés aux Quatre saisons de Vivaldi, et sous
condition « musique choisie », dans laquelle des sujets étaient exposés à la musique
de leur choix. Les résultats ont indiqué une meilleure performance sous les condi-
tions « Quatre saisons » et « choisie », chacune étant plus élevée que dans la
condition « silence ». En outre, observant que l’amélioration autobiographique a
été également caractérisée par un perfectionnement des mots émotifs positifs, les
auteurs ont conclu que la musique améliore la performance de la mémoire auto-
biographique en favorisant des mémoires émotives positives.

N° 75 - septembre 2017
Ensemble, les études analysées dans le domaine du langage, du mouve-
ment et de la mémoire suggèrent que la musique est un bon outil de stimulation
cognitive, capable de moduler la plasticité cérébrale et de stimuler un large éven-
tail de performances cognitives.

N
Le cerveau humain a la capacité inouïe – la dénommée plasticité céré-
brale – de changer sa structure et sa fonction en réponse à une stimulation
externe tout au long de la vie d’un individu. La musique est une présence unique
tout au long de notre vie et constitue un stimulant riche et complexe capable de
stimuler tout le cerveau. L’apprentissage et la pratique de la musique sont des
activités multimodales impliquant des processus perceptifs, moteurs, sensoriels,
émotionnels et cognitifs associés à des réseaux neuronaux complexes : plusieurs
études sur les enfants et les adultes ont montré que la formation musicale courte
et longue est capable de façonner la structure et les fonctions du cerveau, indui-
sant ainsi des processus de plasticité cérébrale. En outre, pratiquer et écouter de
la musique chez les non musiciens s’est avéré fortement capable de moduler
l’activité cérébrale. Dans ce cadre, plusieurs études ont souligné que la capacité
de la musique à stimuler et à modifier les fonctions du cerveau peut être employée
pour améliorer d’autres capacités non musicales telles que le mouvement, le
62 langage ou la mémoire, avec des conséquences importantes pour les interventions
neuro-réhabilitatives.

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63

N° 75 - septembre 2017
dossier

La musique
chez les tout-petits
Développement émotionnel, auto-régulation
et coopération sociale*

Laurel J. Trainor
McMaster University, Canada

De nombreuses pages ont été écrites sur la nature hautement sociale de


l’espèce humaine. En effet, les réalisations scientifiques, technologiques et cultu-
relles qui différencient les êtres humains des autres primates seraient impossibles
sans une coopération poussée entre les individus. Bien que la cognition et
l’émotion soient parfois envisagées comme des fonctions distinctes, la recherche
fait apparaître un important chevauchement entre les réseaux cérébraux impliqués
dans les processus cognitifs, émotionnels et sociaux. Nos sentiments semblent se
trouver à la base de tout, de la cognition à la motivation, en passant par notre
conscience de nous-mêmes. La musique est une activité humaine importante
capable de susciter des réponses émotionnelles, d’influencer les interactions
sociales et de favoriser la sociabilité. La musique est également très présente dans
les vies des bébés et des jeunes enfants, ce qui laisse penser qu’elle remplit 65
d’importantes fonctions de développement. Le fait de chanter des chansons aux
bébés est une pratique universelle dans toutes les sociétés humaines, et les
personnes qui s’occupent de nourrissons ne maîtrisant pas encore le langage
utilisent la musique pour leur communiquer des émotions et les aider à réguler
leur état intérieur. Les jeunes enfants semblent être naturellement désireux de
coopérer avec les autres et de les aider, et ils apprennent très tôt à intérioriser
les normes sociales de leur culture afin d’orienter leur comportement dans des
situations sociales complexes. Dans cet article, j’explore le monde musical des
tout-petits afin de révéler le rôle que peut jouer la musique dans le dévelop-
pement émotionnel précoce, l’auto-régulation et la construction de relations
sociales coopératives.

Musique, émotion
et développement
de l’auto-régulation
Ainsi que l’ont décrit de façon éloquente des chercheurs comme Antonio
Damasio (2005), nos pensées et actions sont intimement guidées par nos senti-
ments. Le fait d’anticiper des sentiments positifs nous motive pour atteindre

* Article traduit par Eva Loechner.

N° 75 - septembre 2017
certains objectifs, tandis que les émotions négatives nous conduisent à remédier
à des situations désagréables ou nocives. Dans cette perspective, la musique est
un peu une énigme. Elle peut en effet susciter des réponses affectives fortes chez
les individus, manifestées par des pleurs, une gorge nouée, la chair de poule et
une accélération des battements du cœur. Pourtant la musique ne concerne en
général pas directement des objets ou des événements du monde, et elle ne peut
pas directement nous aider à résoudre un problème dans nos vies. La musique
suscite des émotions d’une façon assez différente des autres stimuli. En effet, elle
ne sollicite pas réellement la totalité de la gamme des émotions humaines, et une
partie au moins des réponses à la musique est davantage de nature esthétique.
Par exemple, plutôt que de nous rendre malheureux, la musique triste provoque
souvent un sentiment et une appréciation positifs, lorsqu’elle est ressentie comme
belle et/ou poignante. D’un autre côté, le groupe dirigé par Robert Zatorre a
démontré que les pics d’émotions positives suscitées par la musique sont corrélés
à la libération de dopamine dans le striatum, une région du cerveau impliquée
dans les processus émotionnels en général (Salimpoor et al., 2011). Ainsi, les
émotions fortes induites par la musique semblent activer le cerveau de la même
manière que d’autres expériences émotionnelles.

Pourquoi les êtres humains


pratiquent-ils la musique ?
66
Pourquoi les êtres humains pratiquent-ils la musique ? De nombreuses
théories ont été échafaudées pour répondre à cette question, depuis celle qui
envisage la musique comme une création culturelle qui procure du plaisir au
cerveau à la manière d’une drogue, en activant des circuits de récompense déjà
existants, jusqu’à celle qui considère la musique comme le produit d’une adap-
tation de l’espèce au cours de l’évolution, conférant des capacités de survie immé-
diates (Trainor, 2015). La vérité se situe probablement quelque part entre les
deux. À l’origine, la musique semble être apparue grâce à des circuits cérébraux
existants qui ont évolué afin de traiter les sons de manière générale (par exemple
la perception des tonalités, du rythme et des séquences vocaliques animales) et
de fournir des réponses émotionnelles aux stimulations sonores (par exemple,
les sons menaçants des prédateurs ou les gazouillis affectueux des parents).
Cependant, en même temps que la musique s’est mise à remplir des fonctions
favorisant l’adaptation et la survie de l’espèce, les effets de l’évolution ont proba-
blement considérablement accru les aptitudes de l’être humain pour la musique.
Plusieurs explications ont été proposées au rôle joué par la musique
dans l’adaptation de l’espèce à son environnement, conduisant à la présence de
la musique dans toutes les sociétés humaines connues, passées et présentes. Si la
pression de l’évolution s’est sans doute manifestée de multiples façons, les deux
pour lesquelles les données de la science sont les plus claires sont (1) que la
musique nous aide à réguler nos émotions, ce qui est particulièrement important

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à un stade précoce de développement, puisque les nourrissons sont très imma-


tures dans ce domaine, et (2) que le fait de jouer de la musique en commun
promeut la cohésion du groupe, renforce la coopération entre ses membres et,
indirectement, contribue à leur survie. Dans cette partie, j’étudie le rôle que joue
la musique chez les nourrissons s’agissant de leurs émotions et de la régulation
de leurs états intérieurs. Dans la suivante, j’examinerai la manière dont la musique
encourage la sociabilité et la socialisation à un âge précoce.

Musique et auto-régulation
chez les tout-petits
De nombreuses études indiquent que, de l’adolescence à la vieillesse, les
individus tendent à écouter de la musique dans un but d’auto-régulation, qu’il
s’agisse de réguler leurs humeurs, de se distraire, de rediriger leur attention, de
se relaxer, ou au contraire de se galvaniser et de maintenir leurs sens en éveil.
La musique est également utilisée à des fins thérapeutiques dans le traitement
de la dépression. L’auto-régulation représente la capacité de l’individu à contrôler
ses pensées, ses émotions et son comportement. Elle requiert de sa part une
aptitude à choisir dans son environnement les objets sur lesquels se concentrer,
à contrôler et réguler ses niveaux d’excitation, et à inhiber les comportements
inappropriés. Elle est indispensable au bon fonctionnement de l’individu dans
le monde qui l’entoure. Elle est également cruciale, s’agissant des interactions
sociales. Les tests évaluant les capacités d’auto-régulation mettent souvent en jeu 67
une situation dans laquelle des enfants se voient proposer une petite récompense
(par exemple, un biscuit), qu’ils peuvent obtenir immédiatement, mais également
une grosse récompense (par exemple, plusieurs biscuits) s’ils acceptent d’attendre
cinq minutes sans prendre l’unique biscuit. Les jeunes enfants ont beaucoup de
mal à contrôler leurs impulsions dans une telle situation. Les enfants (et les
adultes !) qui ne peuvent différer la gratification d’un besoin, s’empêcher de dire
tout ce qui leur passe par la tête ou exploser lorsqu’ils sont en colère, ont du
mal à se faire des amis, à fonctionner normalement dans un cadre scolaire ou à
conserver leur emploi. Il est intéressant de noter que la capacité à s’auto-réguler
est un meilleur indicateur de succès scolaire précoce que l’intelligence.
Les bébés humains sont très immatures à la naissance et ont une période
prolongée de développement, comparés aux autres mammifères. Cette situation
présente des avantages car la longue période de plasticité cérébrale qui en résulte
leur permet d’apprendre grâce à leur environnement, et de se livrer à des jeux
créatifs. En contrepartie, cette capacité d’auto-régulation est très immature chez
les bébés, qui dépendent des personnes qui prennent soin d’eux pour les aider
à s’auto-réguler. Sans cette assistance, par exemple, il est très difficile pour un
nourrisson de se calmer, lorsqu’il est énervé. La musique, qui prend souvent la
forme de berceuses chantées au bébé accompagnées d’un mouvement de
bercement, est un moyen précieux pour permettre aux bébés de réguler leur état
intérieur.

N° 75 - septembre 2017
Ceux qui s’occupent des bébés leur parlent et leur chantent différemment
qu’ils ne le font avec d’autres personnes. De nombreuses études portant sur les
façons de s’adresser aux tout-petits ont montré que, dans toutes les cultures, on
leur parle sur un ton généralement assez aigu, avec des sonorités claires, ainsi
que des schémas rythmiques et des répétitions appuyés. En effet, étant donné
que les nourrissons ne comprennent pas le sens des mots, le message leur est
transmis grâce à ses caractéristiques musicales ; et l’on parle d’ailleurs parfois
de langage musical. Les bébés préfèrent écouter un langage qui leur est destiné
que celui destiné aux adultes, surtout lorsqu’il est porteur d’émotions positives,
et les personnes qui prennent soin d’eux utilisent ce type de langage pour attirer
leur attention et communiquer avec eux.
Le fait de chanter des chansons à des enfants semble également une
pratique universelle, quelle que soit la culture, et la simple présence d’un nour-
risson suscite auprès des personnes qui prennent soin d’eux l’envie de chanter.
Même dans les sociétés occidentales, où tous les adultes ne pratiquent pas le
chant par ailleurs, la plupart des parents chantent des chansons à leurs bébés.
En règle générale, les chansons destinées aux tout-petits sont caractérisées par
un ton de voix aimant ou souriant, une tonalité aiguë, une gamme de tons rela-
tivement restreinte, un tempo ralenti et un style plus conversationnel que ce que
l’on rencontre dans d’autres types de chants. Par exemple, si leur bébé réagit
positivement, les parents auront tendance à répéter, sur le mode de la conver-
68 sation, des phrases ou des couplets plutôt que d’adhérer à la structure exacte de
la chanson. Les parents tendent aussi souvent à remplacer les mots de la chanson
par le prénom de leur bébé ou d’autres mots. Comme c’est le cas du langage, les
tout-petits préfèrent écouter des chansons qui leur sont directement destinés que
d’autres types de chants.
Pourquoi cette pratique de chanter des chansons aux tout-petits est-elle
si répandue ? Quel rôle remplit-elle ? Comme cela a déjà été indiqué précédem-
ment, la capacité des nourrissons à s’auto-réguler est très immature, et il est aisé
d’observer que le chant est utilisé pour les aider à contrôler leur état intérieur.
Preuve en est que les chansons destinées aux bébés peuvent être classées en deux
catégories, les berceuses et les comptines (Trainor et al., 1997). Les berceuses sont
utilisées lorsque les bébés sont énervés et/ou pleurent, et lorsqu’ils ont du mal à
s’endormir. À l’inverse, les comptines sont utilisées pour susciter l’attention et
l’éveil des nourrissons, et les placer ainsi dans l’état optimal pour être réceptifs,
interagir avec les événements et les personnes importants de leur environnement
(leurs parents, par exemple), et apprendre de nouvelles choses. Les recherches
effectuées dans mon laboratoire montrent que les adultes interprètent les berceuses
à l’aide de sons aériens, doux et apaisants, tandis que les comptines sont rendues
par des sons brillants, rythmés, aux consonnes fortement accentuées. Les analyses
acoustiques montrent que les mères varient davantage la gamme tonale et
exagèrent davantage les sons accentués, lorsqu’elles chantent une comptine plutôt
qu’une berceuse. De fait, lorsque les bébés écoutent des comptines, ils ont tendance

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à davantage concentrer leur attention sur des objets du monde environnant que
lorsqu’ils écoutent des berceuses. Les chansons destinées aux bébés sont donc bien
un moyen important pour les aider à réguler et contrôler leur état intérieur.
Le chant semble également plus efficace que les simples paroles pour
réguler les émotions des bébés. Les mères ont tendance à davantage sourire
lorsqu’elles chantent que lorsqu’elles parlent à leurs bébés, et ces derniers préfèrent
les sons vocaliques aux tonalités plus joyeuses, qu’il s’agisse de paroles ou de
chansons. Le chant fonctionne également mieux que la parole pour maintenir les
enfants dans un état de bien-être. Dans une étude réalisée par Sandra Trehub
et al. (2015), lorsque l’on place des nourrissons hors de portée de leurs parents,
ils peuvent écouter des chansons pendant environ neuf minutes avant de donner
des signes de détresse, tandis que cette durée n’est que de cinq minutes s’ils
écoutent simplement des paroles. En outre, les chansons destinées aux bébés sont
susceptibles de modifier les taux de l’hormone du stress, le cortisol. Ces chercheurs
ont observé que les chants maternels augmentent les taux de cortisol chez les
nourrissons dont les taux de base sont bas, mais les diminuent chez les nourrissons
dont les taux de base sont élevés. Le chant apparaît donc comme un moyen efficace
qu’utilisent les parents pour aider les bébés à réguler leur état intérieur.
Il est intéressant de constater que le fait d’écouter une chanson procure
souvent aux nourrissons une expérience sensorielle aux multiples facettes.
Lorsqu’on lui chante une berceuse, un bébé sent en général autour de lui les bras
de la personne qui s’occupe de lui ; peut-être sent-il également une main lui 69
caresser le dos, ainsi que la stimulation vestibulaire du bercement. Lorsqu’on lui
chante une comptine, le bébé voit généralement le visage du parent, et peut-être
le sent-il lui toucher les doigts et les orteils, en fonction des actions décrites dans
la chanson. Ce genre d’expérience aide également probablement les nourrissons
à développer leurs capacités d’auto-régulation. L’aspect rythmé du chant, la fami-
liarité procurée par la répétition des mêmes chansons permettent au nourrisson
de prévoir ce qui va se passer ensuite et de ressentir la satisfaction intrinsèque
que procure une prédiction correcte. Lorsque le parent s’interrompt pendant la
chanson ou marque une pause avant la note suivante, en attente peut-être d’une
réaction de son bébé, cela aide probablement ce dernier à apprendre à anticiper
et à tolérer qu’un besoin ne soit pas immédiatement satisfait.
Nous pouvons donc conclure que le fait de chanter des chansons à des
nourrissons les aide à atteindre des états affectifs et des niveaux d’excitation
optimaux, et que le chant est un des moyens qu’utilisent les parents à cet effet.
Les bienfaits du chant sont peut-être plus importants encore pour les bébés à
risque. Par exemple, les travaux de Standley et de son équipe ont montré que
chez les bébés prématurés, le chant peut aider à stabiliser les fonctions physio-
logiques telles que le rythme cardiaque et les niveaux de saturation en oxygène,
ainsi que diminuer les besoins en sédation. À plus long terme, le chant et les
activités musicales peuvent aider à développer de plus larges capacités d’auto-
régulation, indispensables à la vie personnelle et professionnelle.

N° 75 - septembre 2017
Musique, interactions
sociales et développement
d’une sociabilité
discriminante
Très tôt, les bébés sont des êtres sociaux. Les nouveau-nés reconnaissent
le visage de leur mère, sa voix, son odeur. Quelques mois plus tard, leur attache-
ment à leurs parents est évident, si l’on observe leur détresse lorsqu’ils sont
séparés d’eux et leur anxiété lorsqu’on les place dans les bras d’une personne
étrangère. De façon très précoce, les bébés ont également des attentes sociales
envers les autres. Dans une étude célèbre, Kiley Hamlin et son équipe ont montré
que, dès l’âge de six mois, les bébés ont une préférence pour des situations où
un agent (par exemple, une forme triangulaire) aide un autre agent (une forme
carrée) à grimper une colline, à une situation où, au contraire, un agent en
empêche un autre de grimper cette même colline.
Les interactions sociales des êtres humains sont très complexes. Même
si de nombreuses espèces manifestent une forme de sociabilité, Michael Tomasello
(2014) et son équipe ont suggéré que la façon dont les êtres humains, dans leur
enfance, interagissent socialement, diffère fondamentalement de ce que l’on
rencontre chez d’autres primates, même ceux qui sont phylogénétiquement les
plus proches de nous, comme les chimpanzés. Ce qui frappe particulièrement
70 dans les interactions sociales humaines est la diversité et la complexité des moda-
lités de coopération entre les individus. Cette coopération s’est probablement
développée sous la pression de l’évolution. Par exemple, plusieurs individus qui
coopèrent, chacun dans un rôle différent, peuvent chasser le gros gibier bien plus
efficacement qu’un individu agissant seul. On pense également que les bienfaits
de la coopération ont favorisé l’évolution de capacités cognitives supérieures,
comme le désir d’interagir avec d’autres individus, ou la capacité à comprendre
les pensées, les sentiments et les intentions d’autrui. Toutefois, parallèlement à
ces bénéfices procurés par la coopération, les groupes primitifs d’homo sapiens se
sont également retrouvés en compétition, forçant ainsi les individus à s’identifier
et à coopérer avec les membres de leur groupe, mais pas nécessairement avec ceux
de groupes étrangers (même si, bien sûr, le fait de comprendre les pensées, senti-
ments et motivations des membres de groupes étrangers leur permettait de mieux
rivaliser avec eux). Ce qui rend les choses encore plus complexes est que, même
si la coopération est généralement une bonne stratégie à l’intérieur d’un groupe,
il est inévitable qu’il s’y installe également une forme de concurrence pour la
possession des ressources. C’est cela qui a conduit aux rapports complexes de
coopération et de concurrence, et à la formation de hiérarchies de domination,
qui sont encore évidentes au sein des sociétés humaines aujourd’hui. En outre,
la création de normes de comportements socialement acceptables au sein d’une
société, d’institutions de gouvernement, de moyens de faire respecter l’ordre et
la loi, est probablement une conséquence de ces mêmes facteurs.

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Ce qui est remarquable, dans une perspective de développement, c’est


à quel point les nourrissons et les bébés de l’espèce humaine semblent intrinsè-
quement animés du désir d’aider les autres, même dans des situations où eux-
mêmes n’en retirent aucun bénéfice évident. Tomasello et son collègue, Felix
Warneken, ont montré que, dès l’âge de 14 mois, les bébés se comportent de
façon altruiste, en aidant un expérimentateur qu’ils ne connaissent pas, sans la
perspective d’une récompense, d’un mot de félicitation ni même d’un encoura-
gement. Par exemple, si un expérimentateur fait tomber accidentellement un
objet dont il a besoin (par exemple, un crayon pour dessiner) et essaie, sans
succès, de le récupérer, on observe en général qu’un bébé aura tendance à le
ramasser et à le lui rendre.

Un puissant facteur
de motivation
pour la coopération
entre les individus
Quel est le rôle de la musique dans tout cela ? Elle semble un puissant
facteur de motivation pour la coopération entre les individus. Elle est présente
dans la quasi-totalité des événements collectifs importants, qu’il s’agisse des
mariages, des enterrements, des fêtes, des réunions politiques, des événements
sportifs ou encore des exercices militaires. De nombreux aspects des interactions 71
sociales utilisent la communication non-verbale. À titre d’illustration, entre 12
et 18 mois, les bébés développent des facultés d’attention conjointe avec d’autres
individus, en regardant par exemple dans la direction où quelqu’un d’autre
regarde ou pointe du doigt, de sorte qu’ils se concentrent tous deux sur le même
objet ou événement. On peut considérer ce type de comportement comme un
partage d’information coopératif.
De plus, les individus se lancent fréquemment dans des actions
communes et coordonnées afin d’accomplir une tâche comme, par exemple, celle
de porter un objet lourd. Ces mêmes individus tendent à apprécier ceux qu’ils
perçoivent comme semblables à eux-mêmes. Par exemple, un individu en appré-
ciera un autre davantage s’il imite certains de ses mouvements lors d’une conver-
sation, même si ces imitations sont inconscientes. Le mouvement interactionnel
synchrone est un cas particulier, dans lequel les individus se meuvent en commun
de façon harmonieuse. Cette synchronie interactionnelle est, en principe, difficile
à réaliser car il faut pouvoir prédire à quel moment l’autre va agir ou se déplacer
de telle ou telle façon. Si l’on attend que l’autre agisse, il est déjà trop tard pour
être synchronisé ! En revanche, la musique est le stimulus idéal pour obtenir
cette synchronie interactionnelle, grâce à son rythme régulier. Contrairement à
nos cousins phylogénétiquement les plus proches, comme les chimpanzés, les
êtres humains repèrent facilement le rythme de base d’un air musical, et comme
ce rythme est généralement très régulier, le cerveau peut prédire quand tombera

N° 75 - septembre 2017
le prochain temps, et ainsi prévoir les mouvements à exécuter afin d’être en
synchronie avec la musique (Merchant et al., 2007). Si les individus sont capables
d’être en synchronie avec de la musique, ils sont également capables de l’être les
uns avec les autres. Il est intéressant de constater qu’il semble exister des connec-
tions privilégiées, à l’intérieur du cerveau, entre les systèmes auditifs et moteurs
impliqués dans la perception du rythme, de sorte que lorsque l’on entend de la
musique, cela nous donne envie de bouger à son rythme ! Dans mon laboratoire,
nous avons montré qu’avant même que les bébés soient suffisamment matures
sur le plan de la motricité pour bouger précisément en rythme sur de la musique,
leurs systèmes auditifs et moteurs agissent en commun pour percevoir ce rythme
(Phillips-Silver et Trainor, 2005).

Interagir en synchronie
De nombreuses études auprès d’adultes ont montré que le fait d’interagir
en synchronie avec d’autres individus a des conséquences sociales. Par exemple,
après avoir interagi en synchronie avec une autre personne, les individus disent
apprécier davantage et avoir davantage confiance en cette personne que s’ils
avaient agi de façon non synchrone. Et dans les jeux qui reposent sur la confiance
et les alliances, les individus coopèrent plus facilement s’ils ont auparavant
interagi en synchronie avec un autre joueur que si ces deux joueurs ont agi de
72 façon non synchrone. Cela pourrait expliquer pourquoi la musique est si omni-
présente dans toutes les sociétés, pourquoi les gens continuent d’aller au concert
alors qu’ils pourraient écouter de la musique chez eux, pourquoi les adolescents
font des goûts musicaux en commun un critère d’amitié, et pourquoi la musique
joue un si grand rôle à l’école dans les activités traditionnelles des petites classes.
Lorsque tout le monde chante The Clean Up Song – une comptine qui invite les
enfants à ranger – tous les enfants sentent qu’ils font partie du groupe social qui
doit ranger la salle de classe !
À partir de quel âge le mouvement synchrone affecte-t-il les interactions
sociales ? Dans une série d’études conduites par mon laboratoire, nous avons
montré que, dès l’âge de 14 mois, lorsque des bébés interagissent en synchronie
avec un expérimentateur, cela les rend plus susceptibles, par la suite, de vouloir
aider ce dernier (Trainor et Cirelli, 2009). Lors de ces études, une expérimenta-
trice et son assistante se tiennent debout, face à face. L’assistante porte l’enfant
dans un porte-bébé de sorte qu’il soit face à l’expérimentatrice. L’assistante fait
office de « siège sauteur » pour le bébé. En pliant les genoux, elle fait monter et
descendre le bébé en musique (la chanson Twist and Shout des Beatles). L’expé-
rimentatrice, elle, danse en écoutant une piste rythmique diffusée dans ses écou-
teurs. Avec certains bébés, elle danse au même rythme qu’eux, en suivant le bon
tempo, mais avec d’autres, elle danse trop vite ou trop lentement. Après environ
trois minutes de cette danse synchrone ou non, on teste la motivation du bébé
à aider l’expérimentatrice, grâce à des tâches telles que celles utilisées par Felix

re vue i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


dossier

Warneken, décrites précédemment. En l’occurrence, les bébés qui ont dansé de


façon synchrone avec l’expérimentatrice se montrent bien davantage disposés à
l’aider que ceux qui n’étaient pas synchronisés avec elle. De la même façon, et
bien que des bébés de 9 mois ne soient pas encore capables d’aider aussi ouver-
tement que ceux de 14 mois, ceux-ci se montrent plus disposés à attraper un
ours en peluche qui a auparavant bougé de façon synchrone avec eux que celui
qui était désynchronisé. De même, des bébés de 12 mois, qui ont déjà des attentes
vis-à-vis des interactions d’autrui, expriment de la surprise lorsqu’ils voient deux
adultes qui, après avoir dansé de façon non synchrone (c’est-à-dire à des tempos
différents), se montrent ensuite amicaux l’un avec l’autre.
La sociabilité de l’enfant, à travers son désir d’aider, est donc dirigée
envers la personne qui a dansé en synchronie avec elle. Ce n’est pas uniquement
que le fait de bouger en synchronie rend les bébés généralement plus heureux
et plus disposés à aider. Ils sont plus disposés à aider uniquement la personne
avec qui ils ont expérimenté le mouvement synchrone, mais pas une tierce
personne qui n’a pas dansé avec eux du tout. En revanche, s’ils découvrent que
cette tierce personne est l’amie de quelqu’un avec qui ils ont dansé en synchronie,
les bébés étendront à cette personne leur désir accru d’aider. C’est tout à fait
remarquable : non seulement les bébés de 14 mois utilisent le mouvement
synchrone sur de la musique pour décider à qui accorder leur confiance et leur
amitié, mais ils utilisent également cette information pour décider qui inclure
dans leur cercle social plus élargi. Ainsi, le mouvement synchrone rendu possible
73
par la musique joue un rôle important dans le développement social précoce, en
aidant les bébés à établir des relations de confiance et d’amitié et à construire
un réseau de sociabilité.

Le rôle de la musique
dans l’éducation
En résumé, les chansons chantées aux nourrissons les aident à contrôler
leurs émotions et à réguler leurs états intérieurs. Cette expérience musicale prend
place dans un contexte d’interactions intimes aux multiples facettes entre les
bébés et ceux qui s’occupent d’eux, mettant en jeu l’ouïe, la vue, le toucher et
le mouvement. Lorsqu’ils atteignent l’âge de 14 mois, l’influence du mouvement
synchrone en musique sur les interactions sociales des bébés est claire, si l’on en
juge par leur choix d’aider davantage les personnes avec lesquelles ils ont bougé
de façon synchrone (et leurs amis) plutôt que celles qui n’étaient pas en synchronie
avec eux. Ces observations suggèrent que la musique est un moyen très efficace
de promouvoir le développement social et émotionnel précoce, et que les parents
devraient être encouragés à interagir en musique avec leurs bébés. À titre d’illus-
tration, dans une étude où nous avons assigné au hasard des couples parent-bébé
dans deux types de classes, les unes proposant des activités musicales interactives,
les autres faisant écouter passivement de la musique comme fond sonore à

N° 75 - septembre 2017
d’autres activités, nous avons observé une plus grande sollicitation des fonctions
cérébrales musicales, cognitives et sociales chez les bébés qui se livraient à des
activités musicales interactives (Tomasello, 2014). Cette recherche suggère
également que les interventions musicales sont d’autant plus utiles que le
nouveau-né ou le parent sont à risque (bébé né prématuré ou nécessitant des
soins médicaux particuliers, mère souffrant de dépression post-partum, mère très
jeune ou isolée). En outre, la capacité du mouvement synchrone à encourager la
sociabilité des bébés comme des adultes suggère que la musique devrait être
partie intégrante des activités des crèches et des écoles. La musique est parfois
considérée comme un luxe dans le domaine éducatif ; mais notre recherche
montre au contraire qu’elle est une façon naturelle, amusante et peu coûteuse
de développer les capacités d’auto-régulation et de sociabilité indispensables à
une vie personnelle et professionnelle réussie.

Bibliographie
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preface de l’auteur, New York, New York: Penguin Books.
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Ann N Y Acad Sci, 1252, 129-38.

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dossier

Sciences cognitives
et traditions
d’enseignement oral
de la musique
classique indienne*
Shantala Hegde
Institut national de la santé mentale
et des neurosciences, Inde

Les musiciens ont toujours été considérés comme des modèles d’étude
intéressants pour comprendre les phénomènes de neuro-plasticité (Ferreri, ce
volume), et plusieurs travaux de neuro-imagerie ont montré des différences,
structurelles et fonctionnelles, entre les cerveaux des musiciens et des non-
musiciens. Ces effets de la musique se généralisent à d’autres domaines de fonc-
tionnement du cerveau, tels que les fonctions sensorimotrices, les fonctions
auditives et spatiales, les habiletés linguistiques et la mémoire (Trainor, Shahin
et Roberts, 2009). La plupart de ces études ont été menées dans des pays occi-
dentaux, sur des populations occidentales et sur la base de musiques occidentales.
Les traditions musicales issues d’autres cultures ont jusqu’à présent été très peu 75
explorées. Si la musique possède sans nul doute certaines caractéristiques univer-
selles, il n’en demeure pas moins que les musiques issues de cultures différentes
ont également des caractéristiques propres et des méthodes singulières d’ensei-
gnement et d’interprétation. Dans cet article, je donnerai un aperçu de certaines
des caractéristiques spécifiques de la musique classique indienne et de sa méthode
d’enseignement, et je montrerai en quoi l’étude neuroscientifique de la musique
classique indienne pourrait très certainement faire progresser notre connaissance
et notre compréhension du fonctionnement du cerveau et de l’esprit.

La musique classique
indienne :
une tradition orale
La musique indienne est l’une des plus anciennes traditions musicales
du monde. Elle a comme trait caractéristique d’être une tradition orale. Les râgas
et les tâlas forment la base de la musique classique indienne. « Râga » est un
mot sanskrit signifiant « celui qui suscite des émotions, des couleurs ». Le mot
« tâla », quant à lui, désigne différentes structures rhythmiques et métriques. Il
n’existe pas de pendant exact du concept de râga dans la musique occidentale,

* Article traduit par Sylvaine Herold.

N° 75 - septembre 2017
bien qu’il puisse être comparé aux gammes ou aux modes. Les râgas peuvent
être considérés comme un ensemble de notes ayant des règles et des normes
spécifiques régissant leur usage dans les mouvements ascendants ou descendants.
Les râgas forment ainsi le cadre de l’élaboration mélodique des compositions.
Dans chacune des deux traditions de musique classique indienne, à savoir celle
du Nord (dite musique classique hindoustanie) et celle du Sud (dite musique
classique carnatique), il existe des centaines de râgas (Jahirazboy, 1995). Les
nuances complexes de l’élaboration du râga et du tâla sont transmises par tradi-
tion orale. À chaque râga est associé un thème affectif, dénommé ras/rasa (un
mot sanskrit qui désigne l’essence). Un même râga peut cependant évoquer plus
d’une émotion et, lors de la phase d’improvisation, l’artiste est libre d’exprimer
un rasa selon sa propre musicalité, tout en restant dans le cadre du râga concerné.
L’expression d’un rasa est considérée comme un élément crucial de la musique
classique indienne et elle peut évoluer de manière dynamique lors de l’exécution
d’un râga. Dans la tradition de musique classique indienne, l’exécution des râgas
évolue au fil du temps, en différentes phases. L’improvisation intervient à
plusieurs niveaux : improvisation mélodique avec et sans paroles ou composi-
tions établies, improvisation mélodique avec différentes permutations et combi-
naisons des notes du râga, variations au sein de l’improvisation mélodique avec
et sans paroles selon une certaine métrique et des cycles rythmiques complexes.
Un râga n’est pas seulement un ensemble de notes distincts. Des râgas peuvent
76 en effet comporter exactement les mêmes notes mais différer dans leur exécution
et dans la manière dont ils permettent de produire différents effets esthétiques
et émotionnels. Même la nature subtile d’une note peut différer, lorsqu’elle est
jouée dans des râgas différents. Le processus d’assemblage des notes pour
permettre la continuité musicale et faire ressortir un rasa spécifique (effet
émotionnel) est bien trop subtil pour être mis sous forme écrite. Parvenir à
exprimer les différents rasa-bhava (expériences émotionnelles) d’un râga donné
nécessite de disposer de nombreuses connaissances et compétences, et est consi-
déré comme le parangon de la virtuosité dans la musique classique indienne. La
musique indienne envisage en effet les râgas comme des individus : parvenir à
une juste compréhension d’un râga équivaut dès lors à étudier un individu et sa
personnalité. Cela ne peut être appris que d’un guru (maître) compétent et par
une pratique constante, proche d’un état de méditation.

La tradition d’enseignement
maître-élève
(Guru-Shishya parampara)
En tant que tradition orale, la connaissance et la formation musicales
sont transmises en Inde d’un guru (maître) à un shishya (élève/disciple), et la
relation entre le guru et son disciple est tenue en grand respect. Cette tradition,
dénommée Guru-Shishya parampara (parampara signifie « tradition »), était la

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norme pour toutes les matières et la méthode à la base du système d’enseigne-


ment indien. Cette méthode d’enseignement s’inscrivait en outre dans le système
du Gurukula (littéralement « la demeure du maître »), dans lequel le disciple
était tenu de vivre avec son guru pendant un certain nombre d’années, afin de
parvenir à une formation complète, au-delà du simple champ des matières sélec-
tionnées. Cette méthode d’enseignement est considérée comme déterminante, à
la fois dans la musique classique hindoustanie et carnatique. La tradition maître-
élève est une méthode de formation conçue non seulement pour transmettre les
connaissances et les savoir-faire techniques relatifs à la musique, mais aussi afin
de favoriser le développement de la personnalité globale de l’élève.
Dans un premier temps, le guru procède à l’évaluation de l’élève. Il
décide de le prendre sous sa tutelle seulement s’il le juge apte. Ce rituel, connu
sous le nom de « Ganda Bhandhan », perdure encore aujourd’hui dans les arts
liés à la danse et à la musique. Par ce rituel, le guru accepte que l’élève soit formé
sous sa tutelle, en attachant un fil tissé spécialement pour l’occasion au poignet
de l’élève. Cette cérémonie est considérée comme un moment spirituel de bon
augure, en particulier dans la tradition hindoustanie.
Dans le système du Gurukula, un même râga peut être enseigné des
mois durant par le guru. Dans la tradition hindoustanie, il existe plusieurs types
d’écoles de musique traditionnelles, dénommées les Gharanas. Dans certaines
Gharanas orthodoxes, l’élève a interdiction de pratiquer un autre râga que celui
qui est enseigné, voire d’y penser seulement. Le guru accompagne l’élève dans 77
l’apprentissage des aspects techniques du râga, et lui enseigne également l’essence
des nombreux autres aspects du râga, tels que : la manière dont il doit être
exécuté, de faire l’expérience des différents niveaux de conscience au cours du
processus d’exécution et d’aider le public à vivre la même expérience.

Origines de la tradition
maître-élève à l’ère védique
La musique indienne tire son origine des védas et on peut retracer les
débuts de la tradition maître-élève à l’ère védique (environ 5 000 ans av. J.-C.)
dans la méthode védique d’enseignement des mantras. Cette méthode demeure
inchangée depuis son origine. Les védas1 sont les anciens textes hindous, écrits
en sanskrit. Ils sont composés de mantras (versets) et sont enseignés par un guru
expert, selon une tradition orale. Le Rig Veda, le premier des quatre védas, est
composé de 10 600 mantras. Le quatrième véda, le Sama Veda, est composé de
1 549 versets issus des mantras du Rig Veda (sauf pour 75 d’entre eux). La

1. Le Veda fonctionne comme un ouvrage de référence, qui a valeur normative dans tous les domaines intéressant la
vie religieuse (rites, croyances) et sociale (organisation idéale de la société, éthique politique). Aujourd’hui encore,
les jeunes brahmanes en apprennent par cœur de longues séquences et certains mantras (formules, prières) sont
encore utilisés à l’occasion de rites domestiques (mariage, initiation, funérailles). Source : d’après J. Varenne,
« Veda », Encyclopædia Universalis [en ligne] [http://www.universalis.fr/encyclopedie/veda] (NdT)

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musique classique indienne tire son origine du Sama Veda et de la manière
spécifique dont il est récité, dénommée Sama Gaana. Les védas (dont le nom
signifie, littéralement, la connaissance par excellence) sont également appelés
« Shrutis » (ce qui signifie « ce qui a été entendu ») et considérés comme étant
« Apaurusheya » (c’est-à-dire révélés aux prophètes, dénommés les Rishis). Les
mantras védiques ne doivent dès lors être ni déformés ni modifiés, et ils doivent
être récités d’une manière bien spécifique. Les mantras védiques relèvent tous
de systèmes métriques précis, dénommés les Chandas. Chacun de ces systèmes
métriques est composé d’un nombre précis de syllabes, ou « Maatras », qui
correspondent au temps nécessaire pour produire une syllabe courte. Les arran-
gements des maatras incorporent le rythme. Les mantras sont récités dans des
tons graves, médiums ou aigus, dénommés Anudatta, Swarita et Udatta. Il est
strictement stipulé que les mantras doivent être reçus verbalement avec des into-
nations précises et selon leur rythme inhérent. Les mantras védiques n’ont jamais
existé comme texte écrit, mais ont été transmis oralement, de génération en
génération. Les védas ne peuvent dès lors être réduits à de simples textes devant
être mémorisés. Ils forment en effet la base de toute la philosophie hindoue et
de sa connaissance spirituelle. Le guru est donc central dans ce processus
d’apprentissage et les textes védiques sont enseignés selon la tradition
maître-élève.
La tradition d’enseignement et de formation maître-élève n’est pas
78 propre à l’enseignement de la musique et s’applique également à d’autres formes
d’arts, comme la danse et les quêtes spirituelles. Ce système a plus tard été repris
dans d’autres traditions, telles que le bouddhisme, le jaïnisme, le zen, etc. Ce
n’est qu’au début du XIXe siècle que la musique et les autres formes artistiques
ont été intégrées, en Inde, à une configuration universitaire, avec un curriculum
et des diplômes selon les différents niveaux de formation. Mais, encore de nos
jours, les diplômes universitaires en musique et en arts ne constituent pas véri-
tablement la référence pour évaluer la virtuosité d’un élève, et de nombreux
étudiants en musique, inscrits dans des programmes d’études musicaux à
l’université, perpétuent également en parallèle la tradition maître-élève, afin
d’acquérir une formation musicale approfondie. De fait, presque tous les musi-
ciens indiens célèbres ont été formés dans cette tradition, et aucun par le seul
biais d’un enseignement universitaire.
Les progrès technologiques accomplis au cours du siècle dernier ont
largement changé la donne. Les compositions musicales, ainsi que la description
des structures des râgas et des mantras védiques peuvent désormais se faire sous
forme écrite. L’accès facilité aux enregistrements a en outre facilité le processus
d’apprentissage. L’écoute du guru ou d’autres musiciens accomplis a toujours
été considérée comme une part très importante du processus d’apprentissage.
Les disciples plus avancés, quant à eux, font les accompagnements pendant les
concerts du guru, avant de se lancer comme musiciens indépendants. Le guru
les encourage également à l’accompagner, en chantant quelques lignes de la

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composition ou en ajoutant quelques improvisations mélodiques pendant le


concert. Cela représente une part importante de la méthode d’enseignement de
la musique classique indienne. Dans cette tradition, il est dit que le râga se
développe progressivement au sein du musicien, tandis que ce dernier évolue
également avec le râga. La tradition maître-élève est donc conçue comme un
processus visant à acquérir la compétence et la maîtrise des râgas et de leur
exécution.
L’équivalent du concept de guru dans la tradition occidentale serait celui
de mentor. La recherche en psychologie et en éducation regorge d’exemples
démontrant les avantages du mentorat, qui est associé à toute une série d’effets
positifs – en termes de comportements, d’attitudes, de santé, de relations, de
motivation et de carrière (Eby, Allen, Evans, Ng et DuBois, 2008). Des recherches
systématiques similaires spécifiques à l’enseignement de la musique en Inde font
encore défaut, bien que les bénéfices mentionnés puissent être étendus à la
relation guru-shishya. Dans cette relation, le guru considère qu’il est de son devoir
de transmettre son savoir musical à l’élève apte. La relation qui les unit est
considérée comme étant d’ordre divin et relevant du destin. Un guru ne se
contente pas d’aider son disciple à acquérir les connaissances techniques, il le
guide, et l’incite également à rechercher les savoirs d’autres gurus, afin de faciliter
son apprentissage et le développement de ses compétences. Mais la tradition
maître-élève de la musique indienne diffère peut-être du concept occidental de
mentorat, en raison de facteurs socio-culturels. Il reste à étudier l’apprentissage
79
selon cette tradition de manière systématique.

Dévotion et spiritualité
dans l’enseignement
de la musique classique
indienne
La musique indienne, hindoustanie et carnatique, doit son développe-
ment, dans la période postvédique, aux traditions saintes, qui ont accordé une
grande importance à la musique et l’ont utilisée, non pas comme moyen de
divertissement, de délassement mental ou de plaisir, mais comme ressource
de leurs quêtes spirituelles et de leur recherche de l’extase. L’un des concepts clés
des systèmes religio-philosophiques indiens est que l’origine de la création elle-
même relève du « Naada », c’est-à-dire d’une sonorité mélodieuse. En parallèle,
il existe également la croyance que l’univers tout entier – depuis sa création
jusque dans sa perpétuation – est rythmique. Ainsi, la tonalité du Naada et le
rythme sont considérés comme les clés de voûte de l’existence manifestée et sont
des caractéristiques centrales de la musique. La spiritualité a toujours été une
composante indissociable de la musique classique indienne. Le dénominateur
commun entre différentes compositions est en effet l’expérience spirituelle du
bhakti rasa (l’émotion de l’amour et de la dévotion) et du shanta rasa (l’émotion

N° 75 - septembre 2017
de paix). De fait, le « Naada Yoga » 2 est une branche importante de la méta-
physique en Inde. La musique a toujours été considérée comme une méthode
puissante pour accéder à des expériences transcendantales, comme celle du
nirvana/mukthi (le salut). En ce sens également, la musique et la spiritualité
suivent des voies parallèles, à la poursuite du même dessein. Cette caractéristique
de la musique indienne explique qu’elle ait besoin d’interprétations en constante
évolution, et non de simples représentations de compositions fixes selon un
schéma préétabli. La musique indienne entretient donc des rapports étroits avec
les traditions religieuses et spirituelles. Il existe ainsi une croyance selon laquelle
la musique, le musicien et l’auditeur devront se fondre à la nature, afin de
ressentir la quintessence de l’expérience musicale.
La musique indienne est considérée, dans sa véritable essence, comme
une voie pour atteindre le bien-être spirituel et l’élévation de l’être humain. Cela
est postulé à la fois pour les artistes et pour leurs auditeurs. Cependant, même
du seul point de vue des caractéristiques structurelles, les nuances raffinées du
système du râga et du tâla ne peuvent être pleinement exprimées sous forme
écrite. Sous l’influence du système éducatif occidental, il existe désormais des
textes écrits sur les râgas et les tâlas, mais ils ne sont considérés que comme une
référence ou un cadre basique, incapable de transmettre l’essence même de la
musique classique indienne. Les nuances doivent nécessairement être apprises
par l’observation, la compréhension et l’écoute d’un guru expert, qui détient la
80 maîtrise de la tradition musicale. Le rôle de ce dernier est de guider le disciple,
de lui permettre d’apprendre les différentes dimensions de l’élaboration des râgas
et de faciliter le processus créatif de l’improvisation. La méthode d’apprentissage
unique, qui consiste à imiter le professeur, à suivre son exemple avant de
développer sa propre improvisation créative, est un processus qui n’a pas encore
été étudié dans une perspective psychologique occidentale.

Cours et exercices de base


de la musique classique
indienne
Soulignons tout d’abord que l’enseignement et la formation aux impro-
visations sur les râgas et les tâlas ne commencent pas dans les premiers temps
de l’apprentissage. Les cours de base de musique classique indienne sont consacrés
à l’apprentissage des notes et de leurs variations au sein de chaque râga. Ces
cours élémentaires, dénommés « swarapatha », s’attachent à atteindre la produc-
tion de « shruti » (ton) et de « swaras » (solfège) parfaits. Par la suite viennent
les alankaras ou saralevarase – selon que l’on se réfère à la musique classique
hindoustanie ou carnatique – qui sont des exercices, allant du plus simple au

2. Le Nada Yoga est une pratique de concentration, connue de l’hindouisme aussi bien que du bouddhisme, qui
consiste à fixer l’attention sur un son que l’on peut entendre à l’intérieur des oreilles et de la tête. (Source : Wikipédia).
(NdT)

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plus complexe, basés sur des permutations et des combinaisons des notes des
râgas. Maîtriser cette technique est considéré comme une étape cruciale pour
apprendre les compositions dans différents râgas, mais également comme le socle
pour parvenir à des improvisations libres lors de l’élaboration du râga. L’élabo-
ration du râga, en tant que telle, a lieu à des moments différents dans les deux
traditions. Par exemple, dans la tradition hindoustanie, il y a tout d’abord la
phase Aalap (la présentation initiale du râga et une improvisation libre sans
métrique ni tempo fixés), puis la phase jor-jahala (une phase avec pulsation
rythmique, en particulier dans les présentations instrumentales), la phase vilambit
(compositions selon un cycle rythmique lent), la phase drut (compositions selon
un cycle rythmique intermédiaire à rapide) et enfin la phase ati-dhrut (cycle
rythmique extrêmement rapide).
La musique classique indienne est également basée sur différents tâlas
(cycles rythmiques), assez complexes par nature. Les temps sont arrangés hiérar-
chiquement dans les modèles de cycles rythmiques, et il existe un vocabulaire
spécifique pour exprimer les différents temps et sons produits par les instruments
de percussion traditionnels (Tabla, Phakwaj dans la musique classique hindous-
tanie ; Mrudangam, Ghatam dans la musique classique carnatique). Le cycle
rythmique d’un tâla contient un nombre spécifique de temps, qui peut varier
de 3 à 128. Un tâla donné est sous-divisé en sous-unités. Des tâlas différents
peuvent ainsi avoir le même nombre de temps, mais leur structure peut différer
en raison de l’arrangement de leurs sous-unités. Les improvisations lors des 81
représentations ainsi que les permutations et combinaisons au sein d’un même
tâla sont donc illimitées. Le potentiel infini d’improvisation dans n’importe quel
tâla ou râga ouvre ainsi un vaste champ pour le déploiement des compétences
créatives de l’artiste en représentation, tout en demeurant dans le cadre de la
discipline du système râga-tâla. De tels exercices, portant à la fois sur la mélodie
et sur le rythme, et impliquant des contenus basés sur le vocabulaire, sont riches
d’un point de vue cognitif. Ils impliquent également des calculs, des permutations
et des combinaisons mathématiques complexes et ils peuvent être considérés
comme des exercices cognitifs impliquant de nombreuses fonctions cognitives
exécutives et de niveau supérieur.
Ainsi, les spectacles de musique indienne ne sont pas seulement des
représentations (de textes musicaux tout prêts ou déjà écrits) mais des variations
improvisées sur le système du râga. Il n’est malheureusement pas possible, dans
le cadre du présent article, d’apporter des explications plus détaillées sur les
nuances du système râga-tâla. La forme actuelle de la classification et de la
formation des différents râgas et tâlas dans le système indien a été profondément
influencée par les différents exercices mentaux qui étaient utilisés pour apprendre
les mantras védiques. En bref, il existe onze exercices différents visant à faciliter
la mémorisation de la récitation des mantras védiques : Samhita (récitation des
mantras tels qu’ils sont, dans leur forme originelle), Pada, Krama, Jata, Maala,
Sikha, Rekha, Dhwaja, Danda, Rathaa et Ghana. Ces méthodes se distinguent

N° 75 - septembre 2017
par leur structure de récitation des mots. Ces différentes techniques et méthodes
ont permis de garder vivante la littérature védique, et ont également influencé
les méthodes d’enseignement de la musique classique indienne.
Il convient ici de souligner que cette tradition de récitation, d’enseigne-
ment et de formation aux védas perdure encore de nos jours en Inde et ne
constitue en aucun cas un artéfact d’une histoire révolue.

Recherche en neuroscience
cognitive sur la musique
classique indienne
Des recherches neuroscientifiques utilisant l’imagerie par résonnance
magnétique structurelle ont constaté une densité de matière grise plus élevée
dans les régions du lobe préfrontal, du lobe temporal droit, de l’hippocampe et
dans le cortex cingulaire intérieur, chez les prêtres védiques formés selon la
tradition orale d’apprentissage des mantras védiques, comparés à un groupe
témoin en bonne santé. Ces aires du cerveau interviennent dans le traitement
de la mémoire verbale, de la mémoire à court terme et de la mémoire déclarative
à long terme (Hartzell et al., 2016 ; Kalamangalam et Ellmore, 2014). Des études
systématiques, à la fois transversales et longitudinales, seraient nécessaires afin
de mieux comprendre les bases sociales et neuronales de l’enseignement musical
82 dans la tradition indienne, qui met l’accent sur la mémoire et la création
spontanée.
Une étude en imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle a été
menée pour analyser les effets de la récitation du son « Om/Aum ». Ce son est
considéré comme le son primordial et son apprentissage précède celui des
mantras védiques. Dans la tradition Dhrupad et dans certaines Gharanas de la
tradition hindoustanie, la phase initiale de l’élaboration du râga commence par
ce qu’on appelle « Nom-tom alaap ». Le terme « Nom-tom » fait référence aux
syllabes modifiées utilisées pour réciter « Om ». Le chant du son « Om » est
également une méthode répandue de méditation. Lorsqu’il est chanté de manière
efficace, cet « Om » est connu pour être associé à une sensation de vibration
autour des oreilles, qui se propage via la branche auriculaire du nerf vague. Dans
cette étude, des sujets sains volontaires devaient chanter les sons « Om » et
« Ssss » lors de deux sessions différentes ; les résultats étaient comparés à un état
de repos silencieux. On a constaté une désactivation significative dans les aires
bilatérale, orbitofrontale, thalamique, hippocampale, dans le cortex cingulaire
antérieur et le gyrus parahippocampique lorsque les volontaires chantaient
« Om » par rapport à la session silencieuse. L’étude a également constaté une
désactivation importante de l’amygdale droite lors du chant de « Om ». En
revanche, lors de la tâche comparative – le chant du son « Ssss » –, on n’a constaté
ni activation ni désactivation dans ces aires cérébrales. Les auteurs suggèrent que
le débit sanguin réduit constaté bilatéralement dans l’hippocampe, l’amygdale

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et le gyrus cingulaire suite à la stimulation du nerf vague gauche indiquerait une


médiation du nerf vague. La désactivation de l’amygdale et du système limbique
témoigne d’un état émotionnel équilibré et de relaxation (Kalyani et al., 2011).
C’est peut-être la première étude à faire le lien entre la neuroscience et la
récitation du son « Om ».
Peu de travaux ont abordé l’expérience émotionnelle de l’auditeur au
cours des différentes phases d’élaboration et d’improvisation du râga. Dans l’une
d’elles, il a pu être observé que les participants qui n’étaient pas formellement
formés à la musique classique indienne ont estimé que les variations émotion-
nelles au sein de certains râgas étaient plus importantes que celles d’un râga à
un autre. Les participants ont été non seulement capables de percevoir les
nuances des différentes phases d’élaboration d’un râga, mais également d’évaluer
les changements de variation émotionnelle lors de ces différentes phases.
Cette étude a également souligné la liberté dont les artistes disposent, dans la
tradition musicale indienne, pour faire varier l’expressivité émotionnelle associée
à un râga spécifique (Hedge et al., 2012). L’instrument, le timbre et la manière
dont les notes d’un râga sont abordées jouent également un rôle essentiel dans
le ressenti de certaines émotions par les auditeurs occidentaux (Balkwill et
Thomson, 1999).
Ces trente dernières années, les neurosciences cognitives et affectives de
la musique se sont largement développées. Que ce soit de manière active ou
passive, se livrer à une activité musicale provoque différents changements dans 83
le fonctionnement et les aspects structurels du cerveau. Ces recherches permettent
de faire avancer le fonctionnement du cerveau et de démontrer les bienfaits,
psychologiques et physiques de la musique sur la santé globale. Elles contribuent
également à la compréhension du rôle de la musique dans nos vies et ce savoir
peut être mis à profit pour formuler des bonnes pratiques ou méthodes d’ensei-
gnement de la musique. Malheureusement, l’essentiel de la recherche concerne
la musique et l’enseignement musical occidental. Il existe donc un déficit impor-
tant de compréhension des variations interculturelles, probablement en raison
de la nature inhérente de la musique mais peut-être également des méthodes
d’enseignement et de formation spécifiques des musiciens.
Les neurosciences cognitives considèrent la musique dans une approche
modulaire – en examinant ses différents parties et caractéristiques constitutives
afin de comprendre le tout. Mais l’âme de la musique classique indienne, qui
consiste à faire l’expérience de l’état méditatif, de la spiritualité et des différents
niveaux de conscience mériterait également d’être étudiée sous l’angle des
neurosciences cognitives. Le cœur de la musique classique indienne réside dans
son tout et non dans la somme de ses parties. L’improvisation et la capacité à
faire ressortir une essence émotionnelle (rasa), dans le respect des règles et limites
fixées par la structure du râga, sont au cœur de la musique classique indienne.
Des recherches systématiques seraient nécessaires pour étudier ce processus
créatif. Il serait notamment intéressant d’étudier quels aspects de l’improvisation

N° 75 - septembre 2017
musicale sont uniques et créatifs par rapport à ceux liés aux innombrables années
de pratique et, dans une large mesure, à l’interprétation du guru. En outre, s’ils
connaissent le râga qui va être exécuté et le tâla dans lequel s’inscrit la compo-
sition, les artistes-interprètes ignorent comment l’improvisation entre artistes
va se passer pendant le concert. Une communication permanente a donc lieu
entre les artistes pendant l’ensemble de l’exécution3, qui mériterait également
d’être étudiée.
De nombreux musiciens attribuent le processus d’improvisation créative
non seulement aux années de pratique mais également à la capacité à s’oublier
et à se fondre dans le râga et le tâla. L’artiste dispose d’une grande liberté, au
sein même des règles du système râga-tâla, pour exprimer ses pensées créatives
et transmettre des variations émotionnelles. Aucune étude visant à examiner les
bases neuronales de ces improvisations spontanées n’a encore été menée.
Il nous paraît important de parvenir à une meilleure compréhension de
l’importance de la tradition maître-élève dans l’enseignement musical indien.
Pour cela, des études systématiques visant à comprendre les fondements psycho-
sociaux et neuronaux de la méthode d’enseignement des multiples nuances des
râgas ou encore la manière dont les permutations et combinaisons de notes sont
mémorisées en parallèle de l’apprentissage des différentes compositions et de la
capacité à improviser pourraient apporter un nouvel éclairage à notre compré-
hension actuelle du rôle de la musique dans nos vies.
84
N
La musique classique indienne ne consiste pas seulement en une gram-
maire complexe ou en une science acoustique ; elle ne se limite pas non plus à
l’art de jongler avec des permutations et des combinaisons mathématiques
complexes de notes et de rythmes – bien qu’elle les ait développées et y ait
recours. Elle comprend l’ensemble de ces éléments, mais va bien au-delà, pour
se faire l’expérience et exprimer la voix de l’esprit. On considère traditionnelle-
ment que cette musique ne peut être apprise que d’un guru. La rencontre entre
le guru et son disciple est prédestinée, car il ne s’agit pas seulement de transmettre
les nuances techniques et esthétiques d’un art, mais également les valeurs et tout
ce qui contribue à la formation d’un véritable artiste. Le guru occupe en Inde
une place plus élevée que celle des parents biologiques. L’amour et le respect
inconditionnels sont au cœur de la relation entre le guru et son élève. Seul un
guru véritablement expert peut transmettre l’essence de la musique à un disciple
digne de son apprentissage, et seul ce savoir permet d’exprimer pleinement ce
qu’est la musique indienne. Dans sa véritable essence, la musique indienne origi-
nelle, tout comme ses évolutions ultérieures, est considérée comme une forme

3. Dans la musique classique hindoustanie ou carnatique, il n’y a pas plus de quatre artistes dans les ensembles
musicaux.

re vue i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


dossier

alternative de quête spirituelle, destinée à aider les musiciens comme les audi-
teurs à accomplir leur voyage spirituel. Il semble aujourd’hui nécessaire de mener
des recherches plus poussées sur la musique classique indienne, à partir des
perspectives scientifiques actuelles, tant psychologiques que neurocognitives. Je
conclurai cet article en citant un Doha (couplet) de Saint Kabir :
Guru so aisachaahiye, sheesseykachunalayei,
Shees so aisachaahiye, Guru ko sab kuchdayei

[Le guru idéal ne doit rien attendre en retour de son enseignement au disciple.
Le disciple idéal doit vouloir tout donner au guru et se dévouer à lui.]

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N° 75 - septembre 2017
dossier

Apprendre le pan,
apprendre à être
à Trinidad et Tobago
De l’accomplissement personnel à la construction nationale

Aurélie Helmlinger
CNRS

Qu’apprend on lorsque on s’initie à la pratique du pan ? Parfois égale-


ment appelé « steelpan » ou « steeldrum », cet instrument fut inventé à Trinidad
et Tobago pendant la Seconde Guerre mondiale (Stuempfle, 1995 ; Dudley, 2007).
Fabriqués à partir de bidons de pétrole recyclés en idiophones mélodiques et
accordés sur l’échelle tempérée − comme un piano −, les pans constituent une
famille percussive se déclinant du grave à l’aigu dans des orchestres appelés
steelbands, aux côtés d’instruments de percussions non mélodiques (batterie,
congas, idiophones frappés ou raclés). Comme toute pratique musicale, le jeu
en steelband requiert une variété de compétences dans lesquelles le social, le
musical et le cognitif (émotions, mémoire, motricité…) s’imbriquent étroite-
ment. Les connaissances musicales stricto-sensu ne sont qu’une facette des
87
domaines d’apprentissage développés par la pratique de la musique. Une vue
d’ensemble de ce champ de compétence nécessite par conséquent une approche
pluridisciplinaire. Si le présent travail s’inscrit avant tout dans le champ de
l’ethnomusicologie, il puise ses ressources théoriques parmi des disciplines
variées, allant de l’anthropologie à la psychologie cognitive de la musique. On
tentera surtout de tirer les fils qui relient ces éléments.
Dans un premier temps, c’est à la transmission musicale en elle-même
− et à ce qu’elle implique cognitivement − que l’on s’intéressera ; en second lieu,
on analysera ce que l’organisation des orchestres − et de la façon dont ils
répètent − développe comme compétence sociales, notamment en termes de
discipline et de patience ; enfin, on montrera comment l’inscription des steel-
bands dans des réseaux nationaux fait de la pratique du pan un agent politique
qui non seulement a une place privilégiée dans le roman national, mais a permis
un véritable transfert de rapports violents vers la pratique musicale.

Apprendre un morceau :
« share the music »
À Trinidad et Tobago, les personnes souhaitant jouer du pan passent
forcément − à de rares exceptions près − par le steelband, donc par un collectif.
En effet, les instruments sont très rarement possédés par les musiciens, et qui
veut apprendre doit se rendre dans un panyard, le lieu de répétition du steelband.

N° 75 - septembre 2017
C’est alors généralement « l’arrangeur » (le directeur musical) ou le captain
(responsable du groupe) qui dirige les répétitions, et donc qui est chargé de la
transmission. Ces groupes, qui jouent le plus souvent dans des compétitions
nationales, en particulier celle du Panorama1, jalonnent le territoire trinidadien.
Ils sont le lieu privilégié de l’apprentissage, à moins que le débutant ne s’initie
− même si c’est plus rare − dans une église, ou maintenant, de plus en plus
souvent, en milieu scolaire. En effet, depuis 2004, sous l’impulsion du gouver-
nement, un programme appelé « Pan in the Classroom » a permis la création de
steelbands dans des écoles, dirigés par des enseignants de pan ; seule une minorité
d’établissement bénéficie encore de ce programme. Si les environnements reli-
gieux ou scolaires diffèrent sur bien des aspects de celui des panyards, les modes
de transmission ont en réalité beaucoup en commun. En particulier, ils partagent
tous la caractéristique de placer d’emblée le paniste − musicien de pan − dans
un ensemble orchestral.
Que ce soit au panyard, à l’église ou à l’école, la part formelle de l’ensei-
gnement se résume en effet essentiellement à l’apprentissage du répertoire. Cette
règle connaît toutefois une exception : l’échelle chromatique, qui peut être soit
explicitement transmise, soit connue du fait que, comme elle est souvent utilisée
dans la musique (Helmlinger, 2001), les panistes savent généralement à quoi ce
terme se réfère. Ils apprennent donc, en principe, comment monter du grave à
l’aigu sur leur instrument. Dans les écoles, certains enseignants s’attachent
88 maintenant aussi à faire connaître des gammes diatoniques, mais cette part un
peu plus théorique de la transmission est en général rapide et loin d’être
systématique.
Pour ce qui est des apprentissages moteurs, c’est au fil de l’acquisition
du répertoire et sans guère d’encadrement verbal que le paniste acquiert la
souplesse du jeu de poignet nécessaire à la manipulation de mailloches dans un
espace concave. Si un principe général peut être énoncé (jouer les notes placées
à droite de la main droite, et les notes de gauche de la main gauche), le novice
est en fait laissé très libre dans ses doigtés. Ses choix sont cependant influencés
par l’observation des gestes de panistes expérimentés qu’un enfant trinidadien
peut faire depuis l’enfance : la taille de l’instrument, qui est composé de un à
douze bidons pour un musicien, rend les stratégies motrices particulièrement
visibles. Si le débutant n’a pas encore la musculature adéquate, sa posture et ses
choix de mouvements montrent qu’une part de transmission des savoir-faire
moteurs est déjà effectuée en amont, ce qui tend à confirmer qu’une grande
partie de l’apprentissage a lieu hors des situations d’enseignement formelles
(Atran et Sperber, 1991). La norme technique est essentiellement déterminée par
l’efficacité du geste, sa capacité à être effectué au tempo, et seules les aberrations

1. Compétition nationale associées aux festivités du carnaval. Il s’agit du principal événement musical des steel-
bands de Trinidad et Tobago. Rassemblant de 150 à 200 groupes selon les années, le nombre de musiciens oscille
entre une trentaine à une centaine par steelband.

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seront relevées et corrigées : si le musicien frappe vraiment trop fort, faisant


saturer la note de son instrument2 (« don’t slam the pan ! »), risquant ainsi de le
désaccorder, ou s’il est bloqué par un doigté infaisable à la vitesse requise, encore
que le novice n’obtienne pas forcément une aide explicite dans ce cas de figure.
Lorsqu’une partie musicale nécessite une musculature qu’il n’a pas encore déve-
loppée, on lui suggère parfois de se muscler, hors instrument, avec des baguettes
de métal. C’est à peu près tout, pour ce qui concerne les savoirs moteurs, qui
seront acquis au fil de la pratique. L’immense majorité des répétitions est
consacrée à la mémorisation des pièces.
Pour la transmission, la part d’échanges inter-individuels avec un trans-
metteur est réduite au strict minimum. L’orchestre étant divisé en « sections »,
ensemble d’instruments identiques et jouant à l’unisson, c’est à ce sous-groupe
que le transmetteur s’adresse généralement, ou à son responsable, le « section
leader », qui doit ensuite enseigner à ses camarades ce qu’il a appris. Outre ces
séances collectives, des transmissions inter-individuelles sont très souvent néces-
saires. Pour la compétition du Panorama notamment, de nombreux panistes
arrivent au fur et à mesure des répétitions, et doivent alors rattrapper le morceau
avec un paniste de leur section. Comme je l’ai montré ailleurs, la démonstration
visuelle est essentielle à la transmission : les surfaces accordées sur l’instrument
ayant une forme et une taille propres, elles ont chacune leur identité visuelle
(Helmlinger, 2012). Le son est bien sûr crucial, comme toujours en musique,
mais il ne suffit ici pas à enseigner, et l’aide visuelle est particulièrement efficace : 89
les musiciens regardent la succession de gestes pour pouvoir l’imiter, et cela
jusqu’à un bon niveau de pratique. Ce renfort visuel facilite probablement la
mémorisation puisque ce paramètre sensoriel est connu en sciences cognitives
pour sa robustesse dans ce domaine (Eysenck, 2012 ; Squire et Kandel, 2002).
Certains panistes, notamment les improvisateurs, finissent bien sûr par pouvoir
jouer d’oreille, mais il s’agit d’une habileté rare et admirée.
Sans base théorique, c’est en effet bien une sorte de chorégraphie, que
le musicien doit retenir, lorsqu’il apprend à jouer une pièce, guidé dans son
apprentissage par les gestes du transmetteur ou de ses camarades. La mémoire
semble particulièrement efficace puisque les musiciens n’ont ni la possibilité de
varier − comme cela peut être le cas pour les formes les plus complexes dans
les traditions orales − ni l’aide de la partition (Helmlinger, 2012). Ils jouent
rigoureusement par cœur. Il leur faut aussi jouer sur des instruments dont la
logique sous-jacente est assez contre-intuitive, puisque contrairement à beau-
coup d’instruments, les notes ne sont pas disposées linéairement du grave à
l’aigu. Les contraintes d’accordage ont poussé les fabricants à éloigner les inter-
valles jugés « dissonants », en particulier les secondes mineures et majeures,
donc des petits intervalles, et à placer au contraire de manière adjacente préfé-
rentiellement des intervalles plus grands tels que des quintes, quartes, ou tierces,

2. Lors d’une frappe très forte, la hauteur de la note est altérée.

N° 75 - septembre 2017
les octaves étant maintenant systématiquement rassemblées. Les repères musi-
caux sont donc délicats à assimiler pour les panistes, ce qui contribue proba-
blement à expliquer la difficulté qu’ils semblent éprouver à jouer d’oreille. Le
paniste se sert donc beaucoup de son sens visuel. Avec l’expérience, toutefois,
même lorsqu’il ne pousse pas, comme les plus passionnés, la curiosité jusqu’à
s’instruire en théorie musicale, le paniste développe une certaine connaissance
de son instrument. Sans acquérir nécessairement la capacité à jouer d’oreille,
qui implique une connaissance, même non verbale, des intervalles, les processus
de mémorisation semblent de plus en plus courts. Tout se passe comme si les
expériences passées lui permettaient de reconnaître des figures musicales ou
intervalles et d’accélérer la mémorisation, mais qu’il ne s’agissait pas d’une
connaissance suffisante pour déduire une séquence motrice d’une audition musi-
cale (jeu d’oreille). On peut supposer que le paniste acquiert au fil du temps
de ce que les sciences cognitives appellent une mémoire implicite de son instru-
ment (Eysenck, 2012 ; Squire et Kandel, 2002), facilitant la mémoire mais insuf-
fisante pour le jeu d’oreille.
Dès que les panistes ont retenu la succession de notes − c’est-à-dire en
quelques minutes −, la partie sera répétée en boucle avec les camarades de section
ou même directement avec le reste de l’orchestre. L’une des qualités essentielles
qu’ils devront développer pour cela est le sens rythmique, qui leur permettra
d’honorer l’immense exigence de précision culturellement attendue dans la
90 synchronie des frappes. Il faut répéter inlassablement les parties pour atteindre
la justesse temporelle demandée et maîtriser les imbrications rythmiques
complexes caractéristiques des musiques polyrythmiques : une écoute d’une
grande acuité, particulièrement tournée vers les autres, s’impose. Il faut souligner
qu’un steelband peut comprendre jusqu’à une centaine de musiciens, et que s’ils
peuvent jouer avec un chef d’orchestre, celui-ci accompagne la musique sans
réellement la diriger. L’immense précision de la coordination temporelle de
l’ensemble repose essentiellement sur les capacités rythmiques culturellement
développées à Trinidad et Tobago, conjuguée aux nombreuses heures de pratique
pendant lesquelles le musicien adapte, par les mouvements de son corps, la
logique polyrythmique à l’espace de jeu en trois dimensions des pans. Enfin, l’un
des aspects les plus remarquables des performances mnésiques des panistes est
qu’elles sont étroitement dépendantes du collectif. J’ai en effet pu observer les
différences radicales de qualité des performances mnésiques entre des situations
collectives et d’autres, où le musicien jouait seul. Une expérience inspiré de la
psychologie cognitive a confirmé les observations : le jeu en groupe favorise
clairement la mémoire, pour les experts comme pour les non experts (Helmlinger,
2010 ; 2012).
On voit différentes compétences se dessiner dans l’apprentissage musical
en steelband. Il est intéressant de noter que toutes ces compétences s’élaborent
étroitement en interaction avec les autres musiciens, elles sont construites avec
et par la relation à autrui.

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dossier

Discipline et patience
Les steelbands sont apparus dans des environnements difficiles, des zones
urbaines défavorisées, parmi des populations stigmatisées, pour la plupart des
descendants d’esclaves africains3, artisans ou ouvriers. Imbriqués dans un système
de compétitions musicales organisées à l’échelle du pays, le paniste s’insère, on
l’a vu, dans un collectif. Au-delà des aspects strictement liés à l’apprentissage de
l’exécution musicale, l’appartenance à cet ensemble comporte plusieurs corol-
laires en terme d’organisation, qui ont un impact direct sur le comportement
du musicien. D’abord, un steelband implique forcément une logistique déve-
loppée. Les orchestres atteignent une centaine de musiciens. Un seul instrument
peut comporter jusqu’à douze bidons entiers, en plus du « rack », la structure
métallique qui les assemble. Il faut alors une quinzaine de personnes pour le
soulever, un camion pour le transporter. Être membre d’un steelband, c’est donc
nécessairement prendre sa place dans une organisation complexe, un réseau
d’entraide. Par la force des choses, c’est une école de sociabilité.
Pour l’apprentissage musical également, le musicien doit, pour participer,
établir des rapports sociaux : on doit « lui donner » la musique, pour reprendre
les termes employés. Lorsqu’il s’agit d’un enseignant missionné par le programme
« Pan in the Classroom », lorsque le transmetteur est l’arrangeur et qu’il est donc
particulièrement motivé à ce que tout le monde apprenne efficacement pour
pouvoir obtenir la meilleure interprétation possible, ou encore lorsque le trans- 91
metteur a vraiment la fibre enseignante, l’opération se déroule en principe de
façon optimale. Mais il arrive fréquemment que la transmission à l’intérieur de
l’orchestre ne soit pas si simple (Helmlinger, 2011), les transmetteurs se retrouvant
en position d’enseignement de façon parfois quelque peu subie. Il est fréquent
qu’ils s’ingénient à se faire prier et rendent le processus de transmission plus
complexe qu’il pourrait l’être. Retards, rendez-vous manqués, jeu d’esquive,
démonstration trop brève… L’apprenti en steelband doit fréquemment développer
des trésors de négociation, de patience. Il doit ne pas compter son temps et, le
moment venu, faire preuve d’une bonne mémoire. Il doit « gagner » en quelque
sorte sa musique, montrer qu’il la mérite par sa soumission aux règles sociales,
fussent-elles quelque peu arbitraires. S’il lui est parfois nécessaire de protester de
son sort pour obtenir gain de cause, il lui faut toutefois faire bonne figure et
maintenir la cohésion de l’orchestre. S’adapter à ce contexte fait partie du parcours
initiatique du novice, qui doit ainsi apprendre à apprendre, développer des trésors
de diplomatie, de patience voire de fatalisme, et d’efficacité dans l’encodage. Ces
qualités sont également requises dans les séances collectives. L’orchestre comprend
en effet de quatre à une dizaine de sections instrumentales différentes. Celles-ci
rassemblent jusqu’à une ou deux dizaines de musiciens, qui exécutent à l’unisson

3. Selon le dernier recensement (Central Statistical Office, 2011), la composition de la population de Trinidad et
Tobago était la suivante : 34,22 % d’origine africaine, 35,43 % d’origine indienne, 22,8 % de métis, auxquels
s’ajoutent 7,55 % de diverses minorités (caucasiens, chinois, syriens…).

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des parties musicales conjuguant la complexité des polyrythmies d’origine afri-
caine et celle de la musique symphonique occidentale. Il est compréhensible qu’il
soit souvent nécessaire de faire jouer parfois longuement certaines sections, sans
les autres. Les panistes doivent alors patienter pour une durée indéfinie, tout en
restant mobilisables à tout moment, donc sans trop s’éloigner. Parfois, le groupe
joue ensemble mais répète inlassablement, des heures durant, un très court passage
du morceau. L’ennui monte graduellement, et les musiciens doivent apprendre à
surmonter la frustration que cette situation génère inévitablement.
En outre, le contexte des compétitions et les enjeux − prestige et finan-
cier − qu’elles portent, conjugué au goût pour la parole dans ces sociétés où l’art
du verbe est très valorisé (Abrahams, 1983), génère une abondance de discours
parfois longs, destinés à motiver les troupes, à instiller un état d’esprit gagnant.
Pour participer à un tel événement, le musicien devra également écouter doci-
lement ces prises de paroles solennelles des responsables, bien qu’ils ne donnent
pas toujours d’instructions très concrètes.
L’attente fait à ce point partie des répétitions qu’il est difficile de ne pas y
voir une stratégie de susciter la frustration, de la part des responsables, afin d’obtenir
non seulement une précision d’exécution touchant à la perfection mais l’investis-
sement émotionnel maximal attendu dans l’interprétation. Les pièces Panorama,
notamment, fortement associées au carnaval, se doivent d’être une explosion de
joie. Lorsqu’enfin, après les efforts pour apprendre la musique, les heures d’attentes,
92
le moment est venu de jouer, tous ensemble, au tempo voulu, sans interruption,
les musiciens laissent exploser une joie de jouer sans mélange, interprètent de
tout leur cœur. La formidable intensité de la satisfaction induite par cette réali-
sation collective justifie enfin tous les efforts investis dans l’apprentissage.
Quoi qu’il en soit, l’expérience du steelband développe nécessairement
la capacité à attendre, la discipline, la soumission à un ordre social. Du même
coup, elle implique l’apprentissage d’une résistance discrète, sans rébellion. Pour
mériter l’exaltant bonheur de jouer dans ce contexte, le musicien doit acquérir
un auto-contrôle sans faille. Cette aptitude est un atout essentiel, dans une société
où les relations de pouvoir ont conservé une dimension arbitraire probablement
héritée du passé esclavagiste du pays. Les rapports sociaux de la région sont
marqués par une forte hiérarchisation, et celle-ci s’observe notamment dans
l’attente arbitraire qui est imposée aux individus. Ils éprouvent régulièrement le
constat de P. Bourdieu (1997) :
Le tout-puissant est celui qui n’attend pas et qui, au contraire, fait attendre.
L’attente est une des manières privilégiées d’éprouver le pouvoir.

L’anthropologue K. Birth, dans son ouvrage spécifiquement dédié à la


gestion du temps à Trinidad et Tobago, a finement analysé ces processus
(Birth, 1999), montrant que le steelband est loin d’être l’unique lieu où l’on peut
vivre cette expérience. Mais ces orchestres offrent une formidable motivation
pour développer cette compétence.

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Apprentissage politique
Rien qu’à l’échelle de l’orchestre, l’organisation matérielle et musicale
du steelband pour la préparation des compétitions musicales implique intrinsè-
quement un jeu politique. L’ampleur de la mobilisation sociale appelle une répar-
tition des rôles et des tâches qui met en jeu l’exercice du pouvoir. Être membre
d’un steelband, c’est apprendre à fonctionner à cent, prendre sa place dans ce
complexe social, la hiérarchie et le respect des aînés. Si certains rôles-clés sont
communs à tous les groupes (arrangeur, captain, section leader…), les modes
d’attribution de ces fonctions, ainsi que leur fréquence de rotation, varient beau-
coup : autocratie, méritocratie, démocratie… Le paniste apprend rapidement à
évoluer et à se positionner dans cette école de vie.
Mais être membre d’un steelband, c’est aussi apprendre à fonctionner à
l’échelle du pays. De nombreuses recherches sur l’histoire de ces formations
musicales montrent à quel point elles ont été à la fois le produit et l’un des
vecteurs de la construction nationale (Stuempfle, 1995 ; Dudley, 2007). Le pan,
officiellement consacré « instrument national » par le gouvernement en 1992
(Dudley, 2007), a en effet été un agent politique essentiel, en particulier depuis
l’indépendance (1962), les politiciens ayant rapidement perçu son caractère
emblématique : invention locale, fabriqué à partir d’un objet de récupération,
issu des bas quartiers, apparu en contexte oppressif (harcèlement policier)… La
pratique du pan fut donc rapidement investie par un interventionnisme politique 93
très actif. Les premières mesures furent mises en place dès le début des années
1950, afin de pacifier les rapports entre les groupes, dont les rivalités pouvaient
provoquer des bagarres sanglantes lors du carnaval. La génération des pionniers
était en effet issue d’un milieu très proche de la délinquance et avait une image
déplorable dans le pays (Stuempfle, 1995 ; Dudley, 2007). L’une des initiatives
les plus importantes fut d’encourager la création d’une association nationale des
steelbands, dont Pan Trinbago est l’héritière aujourd’hui.
Cette association est en elle-même un véritable organe de politique
nationale des steelbands. Chaque groupe membre participe à l’élection des repré-
sentants, régionaux ou nationaux. Entièrement financée par le gouvernement,
l’association a pour tâche principale d’organiser les compétitions, et notamment
la fameuse compétition du Panorama. Les compétitions musicales créent une
arène nationale, dans laquelle les groupes se mesurent chaque année, mettant en
jeu une hiérarchie constamment renouvelée, un véritable réseau de sociabilité.
Il existe une vie politique parallèle à la vie musicale, avec des campagnes élec-
torales aux enjeux relativement importants : le bureau exécutif − salarié à plein
temps en plus de divers avantages en nature − gère un budget qui se compte en
millions 4. Il existe donc des professionnels de la politique des steelbands et le

4. En 2011, il était de 25 millions de TT$ (3,2 millions €). En 2016, il était de 30 millions de TT$, après être monté
jusqu’à 34 millions de TT$ (4,4 millions €) en 2015 (Trinidad Express Newspapers, 2011, 2016).

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musicien, même s’il n’a la plupart du temps pas voix au chapitre, puisque seuls
deux membres par groupe ont le droit de vote, n’est en général pas sans opinion
sur la gouvernance. Par sa participation musicale, le musicien intègre de fait un
modèle réduit de politique nationale, avec les mêmes jeux politiques et les mêmes
risques en termes de corruption, d’injustice. Il apprend à explorer l’éventail des
possibles qui existent entre la soumission et la résistance : passivité, désappro-
bation en contexte privé, protestation publique, manifestation et action politique
(Loublon, 2017).

N
L’intégration dans un steelband développe chez le paniste, une variété
de compétences cognitives et sociales ; la musique se réalisant − dans sa trans-
mission comme dans toute performance − en une forme de sociabilité. Elle
implique à Trinidad et Tobago un investissement souvent discontinu, car lié au
carnaval, mais assez chronophage, lorsque le processus d’apprentissage d’un
répertoire est en cours. Pour qu’un tel coût soit consenti, le participant doit être
attiré par une gratification particulièrement motivante. La transmission culturelle
des steelbands semble en effet bénéficier d’une attractivité remarquable, si l’on
en croit leur prolifération fulgurante depuis leur création. En un peu plus de
sept décennies, ils ont été adoptés par de nombreux pays, et sur tous les conti-
94 nents. Pour reprendre les termes proposé par Olivier Morin (2011), l’attrait d’un
phénomène culturel peut être cognitif (facilité de transmission, de reproduction)
ou motivationnel (faisant appel à « des émotions, ou des mécanismes de décision,
qui nous poussent à la reproduire »). La pratique collective des pans semble offrir
un parfait équilibre entre les deux. Les avantages pour la mémorisation facilitent
la transmission (Helmlinger, 2012), et l’interprétation très chorégraphique de la
musique − en particulier l’heure de gloire de la compétition du Panorama,
humblement qualifiée de « greatest show in the world » − suscite l’enthousiasme
des participants, et maintient une motivation à toute épreuve.
Ces phénomènes contribuent à expliquer pourquoi les steelbands
s’implantent dans des contextes très divers, y compris dans des milieux difficiles,
où ils connaissent un succès remarquable. Les exemples abondent : le phénomène
semble valable aussi bien à Trinidad et Tobago, où ils ont en premier lieu joué
un rôle pacificateur (Stuempfle, 1995 ; Dudley, 2008), qu’aux États-Unis, où ils
ont été utilisés par des travailleurs sociaux, dès les années soixante, auprès de
jeunes de quartiers comme Brooklyn (Smith, 2012). Plus récemment, ce type
d’initiative a été engagé en France. Un steelband a ainsi été initié pour des adoles-
cents évoluant en SEGPA (section d’enseignement général et professionnel
adapté) depuis 2010 à La Courneuve5, et depuis 2016 à Marigot (Saint Martin)6.

5. Alain Rouaud, communication personnelle.


6. Claudie Donne, communication personnelle.

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dossier

Dans la région nantaise, une initiative plus ambitieuse a été lancée en 2008,
intégrant la pratique du pan dans le cursus scolaire ; actuellement, treize classes
de REP (réseau d’éducation prioritaire) de CM1-CM2 sont concernées, soit
254 élèves7. Des initiatives ponctuelles ont également lieu en milieu carcéral8,
avec un succès frappant. À la suite du stage à la prison centrale de Poissy en
2004, les détenus − pourtant condamnés à des peines lourdes et connaissant
donc des problèmes de sociabilité particulièrement aigus − ont pris l’initiative
de rédiger un document collectif, pour tenter d’obtenir la pérennisation de l’acti-
vité : du jamais vu, selon les gardiens, qui avaient pourtant observé les effets
d’une grande variété d’activités9. Un signe de la formidable adhésion que peut
susciter la pratique du steelband et de son rôle socialisant.

Bibliographie
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SMITH A. (2012) : Steel Drums and Steelbands: A History, Scarecrow Press.

7. Jean-François Fourichon, directeur de la Maison des Arts de Saint-Herblain, communication personnelle.


8. Différentes initiatives ont été réalisées : à la maison d’arrêt du Val d’Oise en 2003, à la prison centrale de Poissy
en 2004, à la maison d’arrêt de la Santé, Paris 2010 (Alain Rouaud, communication personnelle), et également à la
maison d’arrêt de Laval en 2015 (Jean Duval, communication personnelle).
9. Alain Rouaud, communication personnelle.

N° 75 - septembre 2017
SQUIRE L., KANDEL E., (2002) : La mémoire : de l’esprit aux molécules, DeBoeck
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96

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dossier

Musiques et identités
sénégalaises

Moussa Sy
Professeur d’éducation musicale, Sénégal

Il ne fait pas le moindre doute qu’il n’existe sur la terre aucun peuple
plus naturellement sensible au son de la musique que celui-ci (peuple
de la Sénégambie) ; les principaux personnages (c’est-à-dire les rois et les chefs)
la considèrent vraiment comme un ornement de leur État, si bien que
la musique fait rarement défaut lorsque nous leur rendons visite.

Richard Jobson,
The discovery of River Gambra (1623)

Place et rôle
de la pratique musicale
dans la société
traditionnelle sénégalaise 97
En Afrique, la pratique musicale accompagne depuis toujours toutes les
activités humaines. Le chroniqueur sénégalais Yoro Diaw (1847-1919), dans
Les Cahiers de Yoro Diaw, signale que les rois et les chefs de provinces avaient
des fara, dont le rôle était de jouer de la musique. Certains instruments servaient
d’insignes aux autorités dans l’ancien empire du Djoloff, comme les dioung-
dioung (grands tambours bifaces), qui étaient fabriqués pour les empereurs et
vice-rois des différentes provinces.
La musique traditionnelle animait les travaux des champs et plongeait
le peuple dans les rêveries avec les khalam (guitare de quatre à cinq cordes), riiti
(violon monocorde des bergers) ou autres thokoro (flûte peul), en rappelant
l’histoire des fils des contrées et terroirs. Dans certains villages, la musique
marquait les cérémonies des rites de passage, dans d’autres, une fête cyclique,
etc. La musique traditionnelle africaine présidait aux différents événements
importants de la vie : naissance, mariage, funérailles, événements religieux. Le
répertoire se composait de chants d’amour, de chants satiriques, humoristiques,
d’épopées relatant les exploits de héros et parfois de chants érotiques. Elle berçait
les bébés et animait les jeux des enfants. La musique, essentiellement fonction-
nelle, était à la base de tous les aspects de la vie.
La musique traditionnelle africaine se transmet oralement. La musique
fait corps avec la tradition, qu’elle institutionnalise et formalise, voire rigidifie.
L’instrument et l’artiste forment une unité, dans laquelle l’instrument devient

N° 75 - septembre 2017
la voix de l’artiste. Certains récits ne peuvent être transmis que par le chant.
Comme il était d’usage dans la tradition, le jeune musicien se formait chez un
maître. Cette formation obéissait à des règles strictement parentales ou senti-
mentales. La relation entre l’élève et le maître était de nature filiale, le plus
souvent, ou de maître à disciple (parfois l’apprenant était obligé de développer
ses connaissances au sujet d’une technique particulière ou d’une branche d’une
généalogie). Le maître portait en lui son expérience comme un bien inaltérable
et l’élève, une fois jugé apte à recevoir les cours, se devait d’être à la disposition
de son professeur, jour et nuit. Pour acquérir le savoir du maître, il était, par
la force des choses, obligé d’habiter avec lui pendant des années, son instrument
toujours à portée de main. L’apprentissage devait englober tous les aspects non
seulement du savoir strictement musical mais aussi – et de façon non moins
importante – le volet humain dans tout son acception. En effet, le maître
occupait une place particulière dans la chaîne qui relie l’homme à la surnature
et au ciel ; il était celui qui peut rendre compte des musiques depuis le lieu où
elles existent, celui des savoirs réservés, des savoirs acquis souvent au prix de
l’initiation, avec le piège du secret dont celle-ci se pare et qui empêche l’initié
de transmettre ce qu’il a vu ou ce qu’on lui a dit. L’élève acceptait de servir le
maître et de l’aider dans les travaux champêtres ou autres, l’accompagnait dans
ses voyages de pays en pays, chez les rois et princes, le secondait dans les céré-
monies. L’apprentissage et l’éducation, toujours ensemble, se pratiquaient sans
98 interruption, sans horaires fixes. Ce type de relation ne visait ni l’innovation
ni l’originalité. Chaque communauté avait ses critères propres en matière
d’éducation. Cette forme d’éducation, propre à la tradition orale, remplissait
les fonctions attendues d’elle dans les sociétés africaines, où prédominent le
rythme et la parole, la chaleur du mouvement vital par rapport à ce qui est fixé.
Le rôle de ces « écoles » se limitait essentiellement à la reproduction « d’un
esprit musical », il fallait n’être que la voix du maître, comme l’évoque Djibril
Tamsir Niane (1960) :
Ma parole est pure et dépouillée de tout mensonge ; c’est la parole de mon père ;
c’est la parole du père de mon père. Je vous dirai la parole de mon père telle
que je l’ai reçue.

Ainsi, dans les traditions africaines, à côté du raisonnement et de la


réflexion intellectuelle, la survivance du sentiment de l’honneur, de la tendance
à l’esprit de solidarité ou de communauté, de religiosité, ont toujours été déve-
loppés dans les apprentissages de la science musicale. La musique, de même que
l’organisation sociale ou la langue ou encore la religion, représentait une des
bases importantes de la société traditionnelle.
De nombreux témoignages racontés le soir au coin du feu permettent
de mesurer toute la passion qui a animé ces musiciens durant des siècles. Les
restitutions de mélodies témoignaient souvent d’une rare intensité sonore et
sentimentale. Les airs s’apprenaient de façon routinière. C’est la répétition globale

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des mélodies, en vue de l’obtention d’un son désiré, qui constituait l’essentiel
de l’apprentissage. Ceci explique comment certaines mélodies traditionnelles de
structure complexe ont été assimilées intégralement d’une manière orale par
beaucoup de musiciens d’autrefois. Ici intervient la motivation due au plaisir
engendré par la musique.

Le griot, médiateur
entre les hommes
et les forces de la nature
En Afrique, la musique joue un rôle de médiation entre les hommes et
les forces de la nature. Le griot était vu comme un personnage disposant de
pouvoirs mystiques. Ainsi, chez les Wolof, la musique détient le pouvoir d’attirer
les premières pluies avec le bawnaan 1 ; de conjurer le mauvais sort avec le ndeup 2,
chez les Lébous ; d’introniser un roi, de marquer le passage des jeunes garçons
à l’âge adulte avec le boukout3 chez les Diola, etc. Les apprenants en musique
traditionnelle devaient maîtriser la généalogie des familles et les liens familiaux,
être à égale distance des composantes de leur communauté, savoir distinguer les
musiques pour les nobles et les princes, celles des rites, pratiquer les instruments
liés aux événements religieux ou profanes, sans oublier les connaissances ésoté-
riques. Les instruments permettaient de communiquer avec les forces invisibles.
Selon qu’ils étaient à cordes, à vent, à percussion, ils étaient en rapport avec les
99
éléments : la terre, l’air et l’eau.
Rien ne se faisait autrefois sans un chant ou la présence du griot : Niani,
chant de bravoure ; Tara, musique dédiée au marabout El hadj Omar Foutiyou-
Tall ; Kéléfaba, guerrier mandingue ; ceddo, chant de révolte, etc. Ces classiques
de la musique traditionnelle, où sont retracées les pages glorieuses de notre
histoire et évoqués les exploits des grandes personnalités, faisaient rêver les
jeunes, qui découvraient des personnages dont s’enorgueillissaient non seulement
leurs familles mais toute leur communauté.
Le griot traditionnel prenait en charge la mélancolie et autres soucis de
la destinée humaine en les transformant en chants. En un instant, il savait faire
jaillir comme une étincelle un mot, de ce mot émergeait une note, et de cette
note un chant. Le griot était celui qui savait regarder, observer les signes : la
pluie, le retour de la verdure, ainsi que l’issue heureuse d’une bataille, pour les
élever aux dimensions d’une fresque épique. Il n’excluait pas la souffrance, mais
la transformait en conquête. Comme le dit Nimrod (2003), citant Kourouma, le
griot était musicien, « savant, historien, généalogiste et panégyriste ».

1. Cérémonie incantatoire pour obtenir la pluie. (NdlR)


2. Pratique traditionnelle destinée à soigner les personnes perturbées psychiquement ou mentalement. (NdlR)
3. Rite d’initiation. (NdlR)

N° 75 - septembre 2017
La musique au Sénégal
après l’Indépendance
Dans l’après-guerre, toutes les grandes villes sénégalaises avaient un ou
plusieurs orchestres modernes. Les soirées étaient très animées. Les amoureux
de la musique avaient élaboré de nombreuses stratégies pour développer leur
art : incorporer l’armée, prendre des cours d’instruments chez des aînés jusque
dans les bars, chez les missionnaires, fabriquer leurs propres instruments, entre
autres. Dans les grandes villes, ils profitaient de la présence des étrangers (appelés
effectuant leur service militaire ou fonctionnaires affectés par la métropole) et
se formaient sur le tas. Souvent, les formations musicales étaient créées par les
autorités municipales. Durant cette période post-indépendance, les vedettes de
la musique traditionnelle étaient très sollicitées elles aussi, par les jeunes comme
par leurs parents, pour des taneber ou khawaré (soirées de musiques tradition-
nelles avec chants et danses) et des panals (parades) ou autres événements. On
jouait toutes sortes de musiques et même de la musique classique.
L’engouement pour la musique poussa les musiciens traditionnels vers
les villes. Toutes les occasions étaient bonnes pour faire de la musique, des
khawarés aux séances de lutte. Ce n’était plus seulement pour les événements
traditionnels mais aussi pour les rencontres politiques. À chaque politicien était
attaché un musicien.
100 Le musicien sénégalais n’éprouvait pas le besoin de prendre des cours
académiques de musique ; il se contentait de reprendre les œuvres étrangères. Et
selon l’âge ou le niveau de ses connaissances, l’imitation aboutissait souvent à
une création. Ainsi, plusieurs pièces de musique européenne sont devenues des
morceaux à l’ambiance bien « sénégalaise ».
L’organisation des orchestres modernes et leur mode de gestion inspirait
beaucoup les musiciens traditionnels. Les formations se créaient pour des raisons
autres que familiales, ethniques, géographiques, etc. Le Président-poète Léopold
Sédar Senghor, voulant capitaliser toute cette énergie, créa alors l’École des arts.

L’enseignement
de la musique à l’école
L’enseignement musical est présent dans le programme sénégalais, de la
maternelle au secondaire. À la maternelle ou plus exactement au préscolaire et dans
le primaire depuis 1972, le but est « de favoriser la libre expression et le développe-
ment du goût de l’enfant dans les activités musicales », tandis que dans le secondaire,
il est recommandé « de chanter en chœur et de donner le goût de la musique ».
Il s’y ajoute l’histoire de la musique, en plus des connaissances théoriques et pratiques.
L’éducation musicale était pratiquée au Sénégal, bien avant l’indépen-
dance, particulièrement dans l’enseignement confessionnel, sous la forme de
cours de chants, avec un répertoire français : Au clair de la lune, Sur le pont
d’Avignon, Le Furet, par exemple.

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Avec la création du conservatoire de Dakar, un corps d’éducateurs artis-


tiques est créé, qui sera suivi, plus tard, du corps des professeurs d’éducation
musicale. Le programme reste européen mais le cours va avoir deux volets : la
théorie et l’histoire.
Pourtant, l’éducation musicale occupe aujourd’hui une position que l’on
peut qualifier de fragile, voire marginale, à en juger par certains aspects : budget
alloué à la formation des enseignants au conservatoire, horaires attribués à cet
enseignement dans les établissements scolaires, une discipline qui reste faculta-
tive, le manque de matériel, sans oublier des classes pléthoriques et le sentiment
de malaise et d’abandon des enseignants d’éducation musicale.

Langues et musiques
du Sénégal
On dénombre au Sénégal4 une vingtaine d’ethnies, dont quelques-unes
ont été retenues comme principales par l’adoption de leur langue comme langues
nationales : par exemple, les ethnies Wolof (Wolof, Lébou), Halpulaar (Fouta,
Laobé, Peul et Toucouleur), Mandingue (Malinké, Socé), Sérère et Joola.
Les Wolofs ont donné au pays sa langue principale et des lettres de
noblesse aux percussions sénégalaises ; ils sont le peuplement dominant et donnent
une ambiance de fête à la musique sénégalaise, avec leurs sabars (tambours) aux
rythmes très dansants. Le wolof doit d’être langue dominante à ses sonorités, qui
101
indiquent très musicalement la joie ou l’inquiétude. La musique des Halpulaar,
peuple du yéla5, rappelle le « blues » ; les peuls se localisent dans le Fouta, sur les
cours moyens du fleuve Sénégal et en Haute Casamance. Les Sérères, dont la
musique semble être de la poésie, peuplent la région du Sine et du Saloum en
particulier. Les Mandingues, communautés de djélys (griots) et de balla (joueurs
de balafon), plus portés vers la musique de cour, avec des grands maîtres de la
parole, dominent dans la moitié sud du Sénégal, en Moyenne Casamance. Le
Sénégal compte aussi des minorités : les Soninkés, le groupe Tenda constitué de
Badiananké, Koniagui, Bassari et de Bedik, les Baïnouk, les Joola, les Balantes.

Finalités et pédagogie
de l’enseignement
de la musique au Sénégal
Le curriculum en cours d’implantation au collège invite à l’adoption
d’une pédagogie moderne, fondée sur l’approche par les compétences, de
pratiques éducatives contextualisées mais aussi ouvertes à l’environnement local
et extérieur. La pratique musicale peut et doit ainsi aider à la construction d’une
culture et à la formation esthétique.

4. La population du Sénégal est estimée à 15 millions de personnes actuellement.


5. Le Yéla est la musique principale des Toucouleurs ; c’est un ensemble de chants et de danses qui, à l’origine,
servait de rituel pour rendre grâce à Dieu. (Source : d’après Wikipédia, NdlR)

N° 75 - septembre 2017
La pratique musicale, dans le système éducatif scolaire actuel, prend en
compte et développe la pluralité et la diversité des aptitudes, tout en favorisant
la formation d’une société unie et attachée à sa culture. Dans le nouveau
programme d’éducation musicale, il est d’ailleurs suggéré que l’enseignant prenne
en compte les éléments culturels spécifiques de sa zone. Celui qui est en
Casamance doit privilégier la musique de son aire géographique, tout en s’appuyant
sur une approche comparative avec les autres aires culturelles. Les enseignements
doivent montrer la particularité régionale mais aussi les points communs.
Certaines activités portant sur la pratique musicale favorisent l’usage d’éléments
extérieurs (par exemple, avec les instruments de musique, le mélange très inté-
ressant des percussions Wolofs et Diolas et/ou les cordes peuls).
Les exercices et activités se font avec beaucoup de naturel chez les tout
petits. L’activité vocale aide à la découverte, à l’apprentissage et à la mémorisation
des phonèmes des signes linguistiques, voyelles, consonnes, mots, etc. Nous conti-
nuons l’apprentissage de chants européens (pour la diction et un prolongement
de la lecture) et ceux d’autres continents, car ne voulons-nous pas être des
citoyens du monde ? Les chants en langue nationale ont eu un impact réel sur
la scolarisation. L’école commence à devenir un prolongement de la maison. Pour
la lecture et le langage, la musique améliore la perception au niveau des sonorités,
des syllabes et aide ainsi aux travaux de phonétique et de diction. Nous essayons
de lier les exercices rythmiques en percussion et les nombres de syllabes chantées,
102 afin d’amener les tous petits à ne pas dépasser les frappes ; les collégiens situent
les temps plus facilement. Dans les contes africains, il existe toujours une partie
chantée qui résume l’histoire et facilite la compréhension du texte. Cette activité
est utilisée comme moment d’écoute. À travers les jeux, les enfants, très tôt et
dans toutes les langues locales, s’amusent avec les chiffres et les nombres.

Musique et mutations
de la société sénégalaise
De nos jours, la culture ne sait plus très bien ce qu’elle représente ni à
qui elle s’adresse. Les techniques traditionnelles des peuples ne conviennent plus
à la « communication ». Comme le disait Ravi Shankar dans un entretien à
Munich, en août 1972 : « le musicien doit être fidèle aux traditions du passé,
sincère dans son attitude vis-à-vis du présent et capable d’animer son art de
toutes les émotions afin qu’il puisse agir sur son auditeur » (Unesco, 1973).
Si nos valeurs ont pu résister et survivre, c’est grâce aux griots. Le griot,
en effet, avait un rôle très important dans sa société. Il était le dépositaire de la
tradition orale et historique. Car la pratique musicale est avant tout sociale, un
mode de vie permettant aux acteurs d’en tirer des éléments régénérateurs. Si
nous avons quelque chose qui nous est propre, nous le retrouvons certainement
dans notre musique.

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Récemment encore, l’on estimait que la musique traditionnelle n’avait


comme préoccupation que l’exaltation. La ferveur suscitée par l’épopée était une
manière de tirer les choses vers le haut. Aujourd’hui, les questions de généalogie
n’ont plus le même effet car le statut social du Guer (le noble) ne dépend plus
de sa lignée mais de son compte en banque. Le griot n’est plus celui qui, en
abordant la généalogie de telle ou telle lignée, fait revivre un passé. Il anime
aujourd’hui pour tout le monde et subit les lois de la concurrence. Ainsi cette
transformation sociale, cette « décorporalisation » ont mené vers l’autonomie de
la nouvelle génération de jeunes griots d’abord, puis des griots en général, avec
la création d’autres rapports dominés par l’argent. Il faut bien vivre.
Le degré d’évolution et le niveau de vie de chaque société influencent
le développement de l’art musical et des instruments en particulier. Aujourd’hui,
nous ne pouvons nier l’orientation artistique et culturelle que prend la société
sénégalaise, entraînant irrémédiablement la musique dite traditionnelle dans son
mouvement. L’ère du numérique semble avoir pris le dessus.
Beaucoup plus pragmatiques que leurs aînés, les jeunes, aujourd’hui,
ont une conception très moderne de leur rapport à la culture et à la société. La
radio a envahi tous les espaces, elle est la compagne des bergers, la confidente
des agriculteurs ; la télévision est partout. Internet est devenu familier. Les
médias ont tout simplement remplacé les griots et rendent la musique accessible
à tous. Et, ce qui est très important, la musique devient commercialisable et
103
rentable.

Un regain d’intérêt
pour l’éducation musicale
grâce aux nouvelles
technologies
Les enseignants de musique sont conscients d’avoir un rôle important
à jouer dans la formation de ceux qui formeront demain la société sénégalaise.
Aujourd’hui, la recherche peut permettre à l’éducation musicale
d’améliorer et de varier ses approches pédagogiques, voire de créer des méthodes
inspirées de l’enseignement traditionnel. Selon des travaux récents, la musique
renforcerait les capacités de transfert des connaissances. Elle agirait comme un
catalyseur qui stimule le développement des capacités cognitives des enfants et
intègrerait admirablement les divers aspects de la vie sociale et religieuse. La
plupart des chansons, comptines ou fables peuvent être des guides pour la classe
d’âge concernée. Les paroles sont des maximes ou des proverbes, des phrases
avec des mots aux sonorités très musicales qui permettent d’apprendre à vivre
en société, à vivre avec les autres.
Depuis 2013, avec l’apport de la technologie, il s’agit de redonner un
nouvel élan à la pratique musicale dans les établissements scolaires, en permettent
aux élèves d’apprendre la musique sénégalaise avec une approche moderne.

N° 75 - septembre 2017
De nouvelles musiques, un nouveau statut du musicien, un public plus
large, l’éclosion des nouvelles technologies : il faut prendre la mesure de cette
nouvelle situation. Les mobiles, tablettes et ordinateurs portables apparaissent
dans le cours d’éducation musicale. Utiliser un instrument devient facile grâce
aux logiciels et applications. Ainsi, les compétences sont diversifiées. Nous avons
agréablement constaté un intérêt nouveau pour le cours de musique de toutes
les catégories d’élèves. Certains se sentent obligés d’acheter des outils plus perfor-
mants, d’autres commencent à changer d’attitude : ils prennent des notes avec
leurs outils numériques, prennent en images certains aspects du cours au lieu
d’écrire. De nouvelles compétences se révèlent. Des groupes se forment, de
dimensions différentes, selon les travaux, les compétences, etc. Certaines familles
contribuent à l’achat du matériel. Il semble que le travail soit plus régulier,
continu. Les travaux à faire à la maison sont désormais les bienvenus. La tradition
n’est pas oubliée. Ainsi, dans les clubs de musique, les cours de musique
réhabilitent des chants comme les « kassaks » pour les garçons (la circoncision)
et le « ndiam » ou tatouage chez les filles.

N
104
L’éducation musicale se donne comme objectif de cultiver à la fois un
esprit, une sensibilité, un corps. L’importance d’un engagement aussi large que
possible, englobant la sensorialité, l’affectivité, les capacités intellectuelles, la
participation corporelle, mettant l’accent sur le rôle que la musique est suscep-
tible de jouer dans le développement humain, doit être défendue et mise en
valeur.
La pédagogie a une fonction sociale. Aucune action pédagogique ne peut
être coupée ou isolée d’un environnement en perpétuel changement.
Dès la création de la Commission nationale de l’éducation musicale,
nous avons plaidé pour que les enseignants de musique puissent s’initier à de
nouvelles connaissances et techniques éducatives. Au Sénégal, hormis dans un
ou deux établissements, les approches pédagogiques sont méconnues. Nous avons
exprimé le vœu que l’École des arts, qui est la case formatrice des éducateurs
musicaux, mette en place un laboratoire de recherche pour prendre en charge
toutes les questions liées à la pédagogie de la musique. Car les méthodes d’ensei-
gnement et la démarche doivent changer, si l’on veut susciter chez les élèves des
conduites novatrices.

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dossier

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N° 75 - septembre 2017
dossier

Quand la musique
donne le ton
Culture musicale, scolarité et communauté dans la classe D
du lycée Sainte-Anne, Copenhague (2011-2014)1

Henrik Reeh
Université de Copenhague

Formation musicale
et exigences scolaires
La question de la musique dans son rapport à l’éducation remonte,
certes, à l’antiquité grecque mais elle se retrouve parfois dans la vie quotidienne
de la modernité. Voici une discussion entre parents qui se tient lors d’une pause
dans un atelier de piano pour enfants. Comme souvent dans les classes moyennes,
la conversation touche au choix d’établissement scolaire et aux expériences péda-
gogiques qui s’y attachent. « Et alors, Sainte-Anne, c’est un bon lycée ? » Situé à
Copenhague, capitale du Danemark, le Sankt Annæ Gymnasium [Lycée Sainte-
Anne : SAG]2 est reconnu pour l’importance qu’il accorde à la musique en général 107
et au chant en particulier. Autrefois appelé « l’École du chant », cet établissement
public reçoit des élèves âgés de 10 à 19 ans, tous doués pour la musique. Or la
réponse d’un parent d’élève (dont le fils adolescent fréquente ce lycée depuis
longtemps) peut surprendre, car elle souligne un aspect qui n’a rien de musical :
« C’est certainement une bonne école pour ceux qui savent faire leurs devoirs. »
Alors que l’image d’élèves musiciens surdoués, qui font pâlir les élèves aux perfor-
mances plus ordinaires, hante les attentes de ceux qui n’ont jamais visité l’école,
un parent d’élève déjà initié met ainsi l’accent sur les exigences scolaires qui
caractérisent l’école de son enfant. Inattendue, cette réponse finit par rendre cet
établissement plus attrayant et accessible pour des jeunes qui ne s’imaginent pas
en futurs musiciens professionnels. Tous les ans, plusieurs centaines d’adolescents
déposent effectivement une demande d’admission à la section lycée, prévue pour
les 16-19 ans.
Au lycée Sainte-Anne, les musiques classique et rythmique ont l’une
et l’autre droit de cité. Grâce à la présence, notamment, de plusieurs chorales et
d’un orchestre symphonique complet, la musique à partition y occupe cependant
une place prépondérante. Cela explique-t-il le fait que la note moyenne d’un
baccalauréat passé dans ce lycée figure au sommet du classement national ? Il

1. Profonds remerciements profonds à Rasmus Henrik Reeh, lycéen à Sankt Annæ Gymnasium, 2011-2014, et à ses
camarades de classe, qui ont bien voulu répondre au questionnaire à la base du présent article.
2. Voir le site Internet du Sankt Annæ Gymnasium, partiellement en anglais : SAG.DK

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serait injuste, dans ce contexte, d’oublier la musique rythmique qui est à la base,
tous les ans, d’une comédie musicale avec 400 participants, exclusivement
composée et produite par les élèves. La musique est un champ d’expression et
d’apprentissage large, et l’ensemble de l’éventail musical – du rythmique au
classique et au-delà – est présent dans la conscience commune et des élèves de
cet établissement exceptionnel dans le paysage éducatif et musical danois.
Plusieurs livres ont célébré les exploits du SAG dans le domaine du chant
choral, et, d’emblée, on est tenté d’analyser le rapport entre musique et éducation
au niveau de l’établissement dans sa totalité ou, du moins, à l’échelle de sa section
lycéenne. Néanmoins, chaque élève réalise son propre parcours pendant sa scola-
rité lycéenne. Un adolescent – qui se trouve être notre fils aîné – est arrivé au
lycée Sainte-Anne avec des préférences pour les sciences humaines et sociales,
avant de s’orienter vers une filière axée sur la musique et les mathématiques ;
finalement, il a passé son baccalauréat avec un diplôme où les sciences naturelles
sont en position de force pour, ensuite, faire des études de médecine. Ce parcours
imprévu a eu lieu dans une classe de 32 élèves qui ont tous été reçus au bacca-
lauréat du premier coup – et avec des notes très élevées. Pendant trois années,
ils ont partagé au moins sept à huit heures par jour, et beaucoup de relations en
sont sorties, alors et depuis.
L’identité au niveau de la classe constitue un cadre essentiel de la scola-
rité, de la vie musicale et des amitiés. Voilà pourquoi je vais me consacrer à ce
108 niveau d’échelle – la classe – dans ma tentative de voir plus clair dans le mélange
particulier – un véritable cocktail ? – entre le savoir musical et d’autres éléments
pédagogiques, durant les périodes de vie avant, pendant et après les trois années
au lycée Sainte-Anne.
Deux observations orientent mon enquête. D’un côté, la scolarité de la
classe D au lycée est nourrie d’un programme musical soutenu, qui a de nombreuses
répercussions chez les élèves. D’autre part, le parent d’élève que je suis ne peut
que remarquer le sérieux scolaire de cette classe, non seulement dans le rapport
entre les professeurs et les élèves, mais aussi entre les lycéens eux-mêmes. À l’heure
où les médias décrivent une vie lycéenne animée par les écrans numériques,
l’alcool et le divertissement, on ne s’attend guère à une telle musicalité commu-
nautaire ni à une ambiance quasi-intellectuelle dans une classe de lycée. Or c’est
bien une impression de grand sérieux que donne la vie dans la classe D (option
musique et mathématiques) au lycée Sainte-Anne, dans la promotion de 2014.
Que nous disent les anciens élèves eux-mêmes, trois ans après leur réus-
site au baccalauréat, sur le rôle joué par la musique à l’école, dans l’éducation
et dans la vie ? Le présent article en rendra compte en suivant la structure d’une
enquête que j’ai pu mener, grâce à la médiation de mon fils, auprès de ses anciens
condisciples.
Les questions – une vingtaine au total – visaient à documenter le fonc-
tionnement de la musique pendant des périodes de vie distinctes, surtout lors
du passage au lycée Sainte-Anne, mais aussi avant et après ces trois années

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lycéennes. Les questions étaient pour la plupart assez simples, afin de faciliter
une réponse – sans toutefois exclure des réflexions élaborées si les répondants
désiraient se lancer en ce sens. Voici un exemple : « La musique était-elle d’impor-
tance dans ta famille pendant ton enfance ? ». Cette question préfigurait une
réponse pouvant se limiter à un simple « oui » ou « non ». Mais elle invitait aussi
à des explications individuelles qui donnent de la profondeur à l’enquête, tant
au niveau du répondant singulier qu’au niveau de la classe en tant que groupe.
En général, il n’y a pas eu qu’une seule réponse quantifiable à une question
donnée ; au contraire, de nombreuses réponses qualitatives ont été proposées par
les répondants qui, en quelque sorte, contribuent à une réflexion commune. Ainsi
le présent article va-t-il tenter d’articuler la réflexion des anciens de la classe D
sur le rapport entre musique et éducation.

Musique

Éducation

Figure 1. Problématique générale, 1.

Avant le lycée : 109


pratiques musicales
enfantines
Tout lycéen inscrit au lycée Sainte-Anne doit avoir des connaissances de
musique et, en plus, savoir jouer d’un instrument. Un aperçu des instruments
pratiqués par les élèves de la classe D donne les contours de deux orchestres
possibles – l’un rythmique, l’autre classique. La formation rythmique disposerait
de musiciens jouant des instruments suivants : saxophone, guitare (3), flûte,
piano (4), basse électrique, batterie (2) et chant (4). La formation classique – on
imagine aisément un orchestre de chambre – aurait des instrumentalistes de
clarinette, violon, guitare, hautbois, flûte traversière, piano (3) et chant. La répar-
tition des élèves entre les musiques rythmique et classique n’est pas exclusive ;
7 élèves pratiquent les deux genres, ce qui donne 13 musiciens rythmiques et
13 musiciens classiques. Dans un segment de 19 répondants sur 32 élèves, ce
n’est pas un mauvais point de départ pour un milieu musical actif.
Cependant, il ne faut pas penser que chaque élève a appris à manier un
instrument dès sa prime enfance. Le début instrumental a eu lieu progressivement
entre l’âge de 5 et 13 ans. L’âge moyen du début est 9,5 ans ; huit élèves ont
commencé à l’âge de 8 ou 9 ans. Une répartition semblable vaut pour les répon-
dants (16 sur 19) ayant chanté avant le lycée. Ici encore, le début se fait petit à
petit, et six élèves ont commencé à chanter après leurs dix ans. Le début moyen
s’est fait à 9,8 ans.

N° 75 - septembre 2017
Une telle fréquence de musiciens et de chanteurs dépasse de loin la
moyenne dans cette tranche d’âge. Alors que, de nos jours, les instrumentalistes
se font rares, les élèves du lycée Sainte-Anne le sont tous. Toutefois, de grandes
différences se révèlent à l’intérieur du groupe, quand on pose la question de
l’intérêt familial pour la musique. Assurément, cet intérêt est présent dans toutes
les familles sauf deux, mais un écart se dessine entre les élèves dont les parents
apprécient la musique « pour le plaisir » et l’élève, par exemple, dont les deux
parents sont des organistes professionnels. Une poignée d’élèves indique que l’un
des parents, au moins, a reçu une formation de musicien professionnel.
Quand on demande « quel rôle la musique a-t-elle joué dans ta vie avant
l’admission dans ce lycée ? », tous les élèves confirment un goût pour la musique.
Les différences sont nettes ; un élève « appréciai[t] de jouer avant le [lycée] et
jouai[t] dans un groupe. Seulement je ne répétais que rarement à la maison. »
Un autre élève « assistai[t] souvent à des récitals d’orgue ou à d’autres concerts
dans les églises un peu partout. Avec insistance, mon père essayait de m’enseigner
la théorie musicale dès l’âge de 8 ou 9 ans. Commencé à faire du piano à 6 ans,
du violoncelle à 8. » La participation à des chorales, à des groupes de rock et à
des comédies musicales figure parmi les réponses ; la somme de celles-ci révèle
combien la pratique musicale a été présente chez ces élèves, à une époque où la
musique est généralement liée à la consommation et à une écoute distraite.

110
Pendant les trois années
de lycée : cours, chorale,
communauté
Une fois admis, les élèves individuels peuvent accorder plus ou moins
d’importance à la discipline de musique en sélectionnant le niveau et l’ampleur
des cours à suivre. La moitié de la classe D étudie la musique pendant les deux
premières années seulement (200 heures au total – niveau B). L’autre moitié y
ajoute 125 heures (niveau A) pendant la troisième année de lycée. Au cours de
cette dernière année, le reste de la classe se consacre à un cours de physique afin
d’améliorer ses bases en sciences naturelles.
L’intérêt porté à l’enseignement de la musique ainsi qu’aux activités
musicales pendant les loisirs est partagé par tous : 16 élèves sur 19 répondants
font partie de la chorale classique ; trois d’entre eux participent, en outre, au
chœur de chambre plus restreint. Le lycée est également réputé pour sa comédie
musicale annuelle, le SAG Show.3 Tous ont participé à cette aventure au cours
de leur scolarité ; au total, 16 sur 19 ont participé pendant l’ensemble des trois
années.

3. Voir divers enregistrements vidéo sur YouTube, dont : « Ouverture [...], 2013 » [https://goo.gl/vBMRkb] et
« Ouverture [...] », 2014 [https://goo.gl/7P5CGc].

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La participation à l’impressionnant orchestre symphonique ou au big


band de l’établissement est bien plus modeste. Deux élèves ont joué du hautbois
et de la flûte traversière, respectivement, dans l’orchestre classique, alors qu’un
seul élève a fait de la guitare dans le big band. La musique collective dans des
formations plus petites, pratiquée par tous dans les leçons de musique, a été bien
plus répandue.
Interrogés sur le rôle de la musique pendant leur période au lycée, les
répondants décrivent une réalité complexe. Deux élèves indiquent que la musique
avait peu de poids dans leur scolarité. Les autres (17 sur 19) soulignent l’apport
de la musique dans un environnement qui, parfois, pouvait sembler moins
exigeant que pendant la période du collège, où certains étaient déjà scolarisés au
lycée Sainte-Anne :
« Au lycée, mon rapport à la musique devenait un peu plus détendu. Je voulais
prendre plaisir à jouer de la musique en fin de journée avec des amis – au lieu
de bosser avec les partitions avant les concerts. »

D’autres, par contre, se mettent pleinement à la musique :


« La chorale m’occupait encore plus qu’auparavant. Au moment le plus intense,
j’allais à la répétition quatre fois par semaine, en plus des concerts. Je commençais
aussi à aller à plus de concerts [...] et je devenais plus attentive (et critique) à
l’égard de la musique qu’on écoutait au quotidien. »

Il n’est pas rare que l’admission au lycée Sainte-Anne apporte une véri- 111
table révolution du style de vie et de l’approche de la musique :
« Le SAG a tout changé. [...] À mon arrivée [...] j’étais stupéfaite que des gens
de mon âge soient aussi bons. Je suis rentrée chez moi, j’ai effacé Facebook
pendant une année, et je faisais plein de musique. J’étais très impliquée. »

Parmi les élèves, la musique s’avère porteuse de communauté :


« La musique était un intérêt partagé par tous mes camarades. En fait, nous ne
parlions pas énormément de musique. Tous en avaient une compréhension et
une connaissance. Dans la chorale, je me suis fait de nouveaux amis qui sont
parmi ceux que je continue de voir trois ans après le bac. »

La musique fait ainsi figure de langue commune qui unit les élèves – sans
pour autant les obliger à en parler explicitement.
« Au SAG, la musique occupait une place importante au quotidien, car tous y
passaient beaucoup de temps. Contrairement à ma vie au collège, j’ai rencontré
des gens qui partageaient mon goût musical. Voilà pourquoi j’ai commencé à
aller aux concerts avec des amis, alors qu’auparavant j’y allais plutôt avec mes
parents. »

La musique investit vraiment le monde vécu (« Lebenswelt ») des élèves,


que ce soit au niveau individuel ou en communauté, à l’intérieur des espaces
scolaires ou en ville. Vu la participation limitée à des orchestres (pourtant fabu-
leux), c’est rarement un avenir de musicien instrumentaliste qui est envisagé

N° 75 - septembre 2017
dans la classe D. La musique y offre plutôt une communauté de goût, de ton et
d’amitiés. Au lieu d’accentuer la concurrence entre les individus, la musique sert
à les réunir.

Après le baccalauréat :
quand la profession
et la science prennent
le dessus
Après le baccalauréat, une année sabbatique (systématiquement pratiquée
par les jeunes Danois) conduit aux études supérieures et aux activités profes-
sionnelles. La musique va-t-elle survivre, dans cette nouvelle phase de la vie ?
L’enquête fait apparaître une continuité de la pratique musicale :
16 répondants sur 19 continuent de jouer et de chanter. La moitié du groupe
semble même y accorder beaucoup de temps : « je chante dans une chorale après
le SAG » ; « chante et joue de la musique » ; « je joue au piano et je prends
toujours des leçons hebdomadaires » ; « je joue de la basse et chante dans un
groupe avec des amis du SAG. » Ainsi, les pratiques se poursuivent, parfois dans
des cadres nés grâce à la culture musicale au lycée.
L’activité musicale ne signifie pas que la musique s’impose dans les choix
éducatifs et professionnels des jeunes. Deux tiers répondent que la musique est
112 absente de leurs études ou de leur travail. Parmi les 14 étudiants du groupe, trois
seulement s’occupent de musique ; l’un va devenir instituteur avec option
musique ; un deuxième est au conservatoire national et un troisième fait des
études de musicologie à l’université. La majeure partie des étudiants a retenu les
sciences naturelles – cultivant ainsi la deuxième composante particulière de la
classe D (musique et mathématiques). Sans doute faut-il voir aussi, dans la préfé-
rence pour les sciences, le fait que les perspectives d’emploi sont plus encoura-
geantes que pour la plupart des musiciens professionnels.
Vu la pratique musicale répandue dans le groupe, dont la moitié fait
des études universitaires de sciences naturelles, on peut conclure qu’une coexis-
tence entre musique et science se prolonge au-delà du bac. Seulement, la musique
est une activité de loisirs, alors qu’elle était une discipline principale dans le
cursus lycéen.
Or, même à titre de supplément, la musique est une source de commu-
nauté parmi les jeunes. Ce rôle humain et social mérite d’être reconnu voire
formalisé comme un ajout essentiel à la problématique « musique et éducation ».
Ainsi se dessine un modèle triangulaire, qui, désormais, comprend les instances
suivantes : musique, éducation, communauté.
On peut également mentionner que de nombreuses réponses à l’enquête
soulignent l’importance subjective de la musique. Un ancien élève note ainsi :
« [C]’est quelque chose que j’aime toujours faire, et je joue dans un orchestre
toutes les semaines. Je prends plaisir à jouer de la musique. »

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Ainsi, dans le contexte d’une activité musicale, le mot de plaisir s’invite-


t-il dans le débat ; avec lui se confirme la puissance d’une subjectivité esthétique
qui, par ailleurs, est loin de se faire respecter dans le monde contemporain. Vu
l’intensité subjective investie dans la pratique musicale, il serait justifié de faire
entrer un quatrième élément dans la structure d’ensemble. La musique s’inscrit
désormais dans une relation à l’éducation institutionnalisée mais aussi par
rapport au jeu dynamique entre individu et communauté.

Musique

Individu Communauté

Éducation

Figure 2. Problématique d’ensemble, 2.

Vue d’ensemble :
passion musicale et
ambitions scientifiques
On s’approche de la fin de l’enquête ainsi que de l’histoire de la classe D. 113
Deux questions résument la situation. D’abord : que signifie le statut privilégié
de la musique dans un lycée pour les expériences musicales des élèves ? Ensuite :
comment les activités musicales à l’école accompagnent-elles le développement
cognitif et intellectuel des jeunes ? Prises dans leur ensemble, les réponses
fournies par les anciens élèves me semblent esquisser une réflexion assez cohé-
rente et nuancée sur chacune des deux problématiques. Alors que toutes les
composantes de la réflexion s’enracinent dans des commentaires formulés par
les répondants, le présent article doit se limiter à résumer succinctement
l’argument collectif.

Stratégie et vie musicales


À la question « l’accent mis sur la musique au lycée Sainte-Anne a-t-il
signifié quelque chose pour ta vie musicale ? », 16 anciens élèves sur 19 ont
répondu par l’affirmative, alors que trois résistent à une telle interprétation.
Finalement, la question posée n’est pas si simple car elle reflète un causalisme
qui pourrait déformer une complexité réelle. Comme on sait, les élèves étaient
déjà bien préparés à la pratique musicale avant d’être admis au lycée ; l’esprit
musical de l’école ne peut donc être cité comme la cause de toute évolution. En
réalité, c’est au niveau de la pratique chorale que l’école fait vraiment la diffé-
rence ; la musique rythmique est davantage laissée à l’initiative des élèves eux-
mêmes, dans le contexte du SAG Show, notamment.

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Bien sûr, de nombreux élèves expriment leur reconnaissance à l’égard
de l’école et de l’engagement musical qui s’y déploie. La diversité des musiques
rencontrées change vraiment l’écoute des élèves et introduit de nouvelles pers-
pectives dans leur pratique.
Une série de commentaires louant la culture musicale au SAG recourt
à la notion de « réseau » : les contacts s’établissent grâce aux réseaux, et ceux-ci
sont porteurs d’avenir car ils durent au-delà des trois ans de lycée. Par consé-
quent, le lycée devient plus qu’un établissement scolaire ; il ouvre aux élèves
eux-mêmes un vaste champ d’échanges sociaux et culturels, surtout après la fin
de la journée scolaire, quand les activités extra-curriculaires prennent la relève.
Le terme de « communauté » s’impose alors.
« [La musique] donne un énorme sentiment de communauté et rend la vie sociale
très facile d’accès. Car nous savons tous qu’il y un champ d’intérêt commun. »
Intérêt commun et communauté vont de pair.
Certes, devant le nombre de musiciens très doués, certains peuvent
éprouver un sentiment d’insuffisance qui va parfois jusqu’à inhiber leur envie de
jouer. Il reste toutefois des lieux de collectivité où le commun des mortels peut
se rencontrer ; les chorales classique et rythmique cultivent une expression musi-
cale de haute volée qui s’accompagne de rencontres humaines de longue durée.
Ainsi la qualité des performances musicales reste-t-elle un but reconnu, à peine
questionné. Dans l’ensemble, les répondants rendent un hommage unanime à la
114
culture musicale de leur lycée.
Musique et vie intellectuelle
La deuxième question de synthèse posée aux anciens de la classe D était
la suivante : « l’accent mis sur la musique à Sainte-Anne a-t-il signifié quelque
chose pour ta vie intellectuelle et cognitive ? » Si la question sur les conséquences
musicales du privilège accordé à la musique pouvait déjà poser problème, l’hypo-
thèse tacite d’un lien entre la musique et la faculté de penser le fait aussi. Il faut
savoir que le lycée Sainte-Anne se trouve au sommet du classement national des
bacheliers au Danemark. Seulement, on ne saurait dire si ce niveau intellectuel
et scolaire est en partie assuré par le fait que les lycéens admis proviennent des
élites relatives de leurs nombreuses écoles d’origine.
Il serait plus intéressant de voir si l’on peut comprendre une culture
scolaire hors du commun en se référant à la forte présence d’un milieu éducatif
musical. En règle générale, les réponses à l’enquête témoignent des exploits péda-
gogiques, tout en faisant remarquer les limites d’un enseignement musicologique
de lycée.
Des répondants notent comment la musique apporte des méthodes de
travail à d’autres domaines. Ainsi le mot « discipline » est-il souvent cité dans
une justification de la musique en dehors de son propre domaine. Et plusieurs
élèves observent comment le niveau poussé du savoir musical « déteint » – une
métaphore récurrente – sur d’autres champs de leur scolarité lycéenne.

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Seulement, les fortes doses de musique apportent plus que des bonnes
notes au bac et un savoir pointu en musicologie. En effet, la valeur de la musique
ne saurait se mesurer à son utilité directe dans d’autres disciplines, telles que les
sciences naturelles, dont une dizaine de répondants ont fait le centre de leurs
études universitaires. La contribution cognitive et intellectuelle de la musique
pourrait bien s’avérer plus large.
Dans ce contexte, les anciens élèves apprécient la façon dont la musique
nourrit leur culture générale. S’y ajoute l’effet psychologique de la musique sur
l’envie d’aller à l’école voire sur la faculté d’en supporter le stress. Cette fonction
thérapeutique est soulignée par plusieurs réponses à l’enquête. Bien que la musique
soit justifiée par son apport à la prestation intellectuelle, elle semble également
pouvoir diminuer les pressions qui pèsent sur la vie scolaire contemporaine.

La culture,
point d’intersection
et d’ancrage
Grâce aux réponses des anciens élèves de la classe D, nous avons obtenu
quelques aperçus de l’intérieur de la « boîte noire » que constitue la relation entre
musique et éducation dans ce lycée danois, réputé à la fois pour sa forte tradition
chorale et pour son niveau scolaire élevé. Certes, la classe D se distingue des six
autres classes de la promotion 2014. Et toutes les classes D dans l’histoire du lycée 115
Sainte-Anne ne sont pas identiques. Mais les réponses de la classe D, 2011-2014,
témoignent d’une culture musicale fondée dans l’enfance et au cours de l’adoles-
cence. Une fois admis dans une classe privilégiant la musique et les mathéma-
tiques, les porteurs de cette culture sont capables non seulement d’absorber un
savoir de haut niveau mais aussi de faire vivre la musique au profit des individus
et du groupe. Moins que d’une formation de solistes, c’est davantage d’une
communauté musicale au sens large qu’il s’agit, en partie grâce aux activités collec-
tives telles que la chorale classique et la comédie musicale du SAG Show.
Nous avons déjà insisté sur la nécessité d’augmenter la problématique
de « musique et éducation » d’une relation supplémentaire impliquant les deux
composantes « individu et communauté ». Il nous semble, enfin, justifié d’attirer
l’attention sur le point d’intersection entre les deux axes, et de qualifier cette
intersection à l’aide du terme « culture ».

Musique

Individu CULTURE Communauté

Éducation

Figure 3. Problématique d’ensemble, 3.

N° 75 - septembre 2017
Le recours à la notion de culture vise à reconnaître la complexité à la
fois pédagogique et humaine qui est à l’œuvre dans cet établissement scolaire.
Plus que d’une relation causale entre enseignement de musique et réussite cogni-
tive, il s’agit d’une constellation entre des éléments institutionnalisés et commu-
nautaires, explicites et implicites, qui, tous, contribuent à promouvoir la pratique
musicale et un environnement scolaire de haut niveau.

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116

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dossier

Le dispositif
« orchestre à l’école »
et son impact
sur un territoire
L’exemple de la Mayenne, en France

Denis Waleckx
Directeur académique des services
de l’éducation nationale, France

La participation de la musique aux cérémonies sociales, culturelles et


religieuses semble bien revêtir, sous des formes diverses, un caractère universel.
Conséquence probable de cet enjeu sociétal, social et culturel, l’enseignement de
la musique est souvent porté par les autorités publiques ou religieuses. En France,
pays de tradition centralisée, l’organisation de cet enseignement est historiquement
confiée à deux ministères, celui de l’éducation nationale – l’éducation musicale
faisant partie des programmes de la scolarité obligatoire – et celui de la culture,
assurant la tutelle des établissements d’enseignement spécialisé, les conservatoires
et les écoles de musique.
117
Le mouvement de décentralisation, initié au début des années 1980 et
visant à transférer certaines compétences aux collectivités territoriales ainsi que
la volonté politique, régulièrement affichée, de démocratiser l’accès à la pratique
et la consommation culturelles de qualité ont exigé une meilleure coordination
des politiques publiques en faveur des arts et de la culture. De nombreuses
expérimentations ont été menées, plus ou moins articulées à la politique de la
ville, s’adressant prioritairement aux publics les plus éloignés de la fréquentation
des grandes institutions culturelles, et souvent portées par ces mêmes institu-
tions1. Elles ont accompagné l’émergence et l’installation du concept d’éducation
artistique et culturelle pour tous. Ce processus s’est appuyé sur la réaffirmation
de la contribution essentielle de l’éducation artistique et culturelle à la formation
générale de l’individu et sur la professionnalisation du partenariat, facilitée, dans
le domaine de la musique, par le rôle d’interface essentiel joué par les musiciens
intervenants.

1. Parmi ces dispositifs, on peut notamment citer « Dix mois d’école et d’opéra », fruit d’un partenariat mis en place
en 1991 entre l’Opéra national de Paris et les académies de Paris, Versailles, Créteil « en direction des élèves relevant
de l’éducation prioritaire et n’ayant pas facilement accès à l’Art et à la culture ». [https://goo.gl/Dkk1tw]
On peut également signaler l’existence du dispositif Demos (Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation
sociale), initié et coordonné par la Cité de la musique – Philharmonie de Paris en 2010, « projet de démocratisation
culturelle s’adressant à des enfants issus de quartiers relevant de la politique de la ville ou de zones rurales insuffi-
samment dotées en institutions culturelles ». [http://demos.philharmoniedeparis.fr/le-projet.aspx]

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Il ne s’agit pas ici de dresser un tableau exhaustif des différents dispo-
sitifs qui ont pu participer de ce lent processus. Si nous nous intéressons à
« orchestre à l’école », c’est que son déploiement rapide sur des territoires variés
en France semble témoigner tout à la fois de sa pertinence et de sa souplesse
d’utilisation. De même, si nous rendons compte de son installation dans le dépar-
tement de la Mayenne, c’est, qu’avec près de quarante orchestres, ce département
de taille modeste a su percevoir tout le bénéfice qu’il pouvait en tirer, et lui
réserver un accueil favorable. Nous allons illustrer comment les différents acteurs
publics ont su l’utiliser comme un levier d’acquisition de compétences musicales,
cognitives, émotionnelles, comportementales, mais aussi comme vecteur de
cohésion sociale et d’animation territoriale. « Orchestre à l’école » en Mayenne
semble signer la rencontre l’un dispositif et d’un territoire, rencontre qui n’a
aucun caractère modélisant, mais dont l’étude peut mettre en lumière les
conditions de sa réussite, de son élargissement, de son transfert.

« Orchestre à l’école » :
définition,
cahier des charges,
organisation
On compte près de 1 190 dispositifs du type « orchestre à l’école »
118 aujourd’hui en France, implantés dans 614 villes et 93 départements. Ces
orchestres sont de nature, de répertoire, d’effectifs, d’importance, d’histoire, de
rayonnement et de qualité extrêmement variés. Il semble donc nécessaire de
dessiner le cahier des charges minimal du dispositif qui fonde, au-delà de ses
différentes déclinaisons, ses invariants. Un « orchestre à l’école » s’appuie néces-
sairement sur un partenariat territorial entre un établissement scolaire et une
structure spécialisée dans l’enseignement de la musique. C’est donc un projet
qui induit un travail en complémentarité entre les professeurs de l’éducation
nationale et les professeurs des écoles de musique ou de conservatoire. Dans le
cadre du dispositif, les élèves bénéficient en général d’une heure d’instrument
et d’une heure d’orchestre par semaine. Il s’adresse a priori à une classe entière,
se réappropriant ainsi l’organisation traditionnelle et l’un des marqueurs symbo-
liques de l’école française et donnant de fait naissance à de véritables
classes-orchestres.
Le premier dispositif de ce type a été créé en 1999 à l’initiative de la
Chambre syndicale de la facture instrumentale (CSFI). La mobilisation de
l’ensemble de la profession musicale a permis à de nombreuses initiatives locales
de voir le jour. En septembre 2008 est créée l’association Orchestre à l’école, qui
a vocation à piloter le dispositif au niveau national, à encourager la création
d’orchestres notamment dans les zones géographiques et quartiers fragiles, à
soutenir financièrement les initiatives et les projets et à promouvoir les actions
les concernant. L’association, devenue Centre national de ressource des orchestres

re vue i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


dossier

à l’école en 2017, est signataire d’une convention cadre avec le ministère de


l’éducation nationale, le ministère de la culture et le ministère de la ville. À ce
soutien institutionnel s’ajoute la participation d’un important mécénat privé.
Le schéma financier d’un dispositif local s’appuie, lui aussi, sur le parte-
nariat et, en conséquence, sur des contributions croisées pour en assurer l’inves-
tissement – l’achat du parc instrumental – et le fonctionnement : État (intervention
des professeurs de l’éducation nationale, dispositifs liés à politique de la ville,
projets culturels), collectivités locales (interventions des professeurs des écoles
de musique, dispositifs locaux, matériels, éventuellement parc instrumental),
association Orchestre à l’école (parc instrumental, aide aux projets et à leur
financement, ingénierie), éventuellement mécénat privé (parc instrumental).
Dans la plupart des cas, la participation au dispositif est gratuite pour les élèves.

En cohérence avec
les politiques éducatives,
artistiques et culturelles
dans les territoires
Le préambule de la convention cadre signée conclue le 27 février 20172
entre les ministères en charge de l’éducation et de la culture, le secrétariat d’État
à la ville et l’association Orchestre à l’école pose à la fois la réalité et le cadre
des convergences entre la dynamique proposée par le dispositif et les politiques 119
portées par l’État. Elle cite notamment la mise en œuvre du parcours artistique
et culturel de chaque enfant, portée conjointement par les ministères en charge
de l’éducation et de la culture,3 et précisant que l’action portée par l’association
« s’adosse aux grands objectifs de formation précisés dans le référentiel du
parcours d’éducation artistique et culturelle 4 [PEAC] ». Ceux-ci s’organisent
autour de trois axes : fréquenter (les œuvres et les artistes), pratiquer (s’intégrer
dans un processus collectif, réfléchir sur sa pratique) et s’approprier des connais-
sances (exprimer une émotion, utiliser un vocabulaire approprié).
Le préambule évoque également la complémentarité entre l’ensei-
gnement obligatoire d’éducation musicale, assurée par les professeurs de
l’éducation nationale qui vise « à doter progressivement les élèves des références
nécessaires à la constitution d’une culture musicale et artistique par la pratique
vocale, l’éducation de la perception et la connaissance des œuvres » et « les
pratiques instrumentales collectives [qui] offrent de nouvelles perspectives dès
lors qu’elles sont mises en œuvre avec des moyens appropriés5 ».

2. [http://eduscol.education.fr/cid60408/orchestre-a-l-ecole.html]
3. Voir la circulaire interministérielle n° 2013-073 du 3 mai 2013, conformément à l’article 10 de la Loi d’orientation et
de programmation pour la refondation de l’école de la République.
4. Arrêté du 1er juillet 2015, Journal officiel du 7 juillet 2015.
5. Voir note 2.

N° 75 - septembre 2017
Un contexte favorable
à la prise en charge globale
de l’élève
La réforme des rythmes scolaires a relancé la réflexion sur les différents
temps de l’enfant, scolaire, péri ou extra-scolaires et sur la nécessité de la bonne
articulation de ces temps dans le cadre d’une prise en charge éducative globale
de l’enfant, élève d’une classe, mais aussi habitant d’un quartier, d’une ville ou
d’un village, adhérent d’une association ou d’un club sportif, membre d’une
famille, d’une fratrie, d’une chorale... La quasi généralisation, au niveau national,
des projets éducatifs territoriaux (PEDT), outils de collaboration locale qui
rassemblent, à l’initiative d’une collectivité territoriale, l’ensemble des acteurs
intervenant dans le domaine de l’éducation, terme pris dans son acception la
plus large, a rappelé s’il en était besoin, que le temps éducatif ne se réduisait pas
au temps scolaire.
Parallèlement, le socle commun de compétences de connaissances et de
culture6 définit les connaissances et les compétences qui doivent être acquises à
l’issue de la scolarité obligatoire. Il renforce cette approche globale, propose une
mise en système et en synergie des savoirs et des disciplines au profit de cinq
domaines de formation qui s’en nourrissent et les transcendent : « les langages
pour penser et communiquer ; les méthodes et outils pour apprendre ; la
120 formation de la personne et du citoyen ; les systèmes naturels et les systèmes
techniques ; les représentations du monde et l’activité humaine ». Il pose une
double cohérence, verticale, progressive, curriculaire, avec des paliers en jalon-
nant la maîtrise, et horizontale, en invitant aux prolongements et en s’en nour-
rissant, par une reconnaissance et une validation des compétences travaillées à
l’école mais renforcées en dehors.

Une réflexion
sur la rationalisation
d’une offre éducative
dispersée
La Mayenne est le plus petit département de la région des Pays de la
Loire, par sa superficie et le nombre de ses habitants (318 095). Territoire rural,
sa densité est de 59 habitants au km², contre 112 en Pays de la Loire, et 117 en
France. Le département se caractérise par le poids important de l’industrie dans
l’économie locale, notamment pour ce qui concerne le secteur agroalimentaire.
Le secteur privé regroupe 12 700 entreprises, dont certaines sont leaders sur
leur marché. La Mayenne compte 255 communes et dix intercommunalités
(une communauté d’agglomération et 9 communautés de communes).

6. [https://goo.gl/D5pD7U]

re vue i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


dossier

Pour développer une politique culturelle irriguant l’ensemble du terri-


toire, le département de la Mayenne a, de longue date, misé sur le niveau inter-
communal. Il a notamment voté, dès 1993, un « plan musique », qui visait à
structurer un réseau d’écoles de musique intercommunales. Il a aussi soutenu la
création de postes de musiciens intervenants en milieu scolaire par les communes
et communautés de communes, faisant ainsi évoluer le rôle des écoles de musique
vers des missions, alors nouvelles, d’éducation artistique et culturelle. Ainsi, en
septembre 2017, le département comptera dix écoles de musique intercommu-
nales7, un collectif des directeurs animant le réseau des établissements sur les
questions d’organisation et de projets.
Cette démarche départementale a été confortée par l’évolution des cadres
nationaux relatifs aux enseignements artistiques. La dimension territoriale est
explicitée par la Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et respon-
sabilités locales, qui, sans opérer de nouveau transfert de compétences, donne la
charge aux départements d’adopter, « dans un délai de deux ans (…), un schéma
départemental de développement des enseignements artistiques dans les domaines
de la musique, de la danse et de l’art dramatique. Ce schéma, élaboré en concer-
tation avec les communes concernées, a pour objet de définir les principes d’orga-
nisation des enseignements artistiques, en vue d’améliorer l’offre de formation
et les conditions d’accès à l’enseignement.8 » La loi pose également clairement
que les établissements d’enseignement artistique participent à l’éducation artis-
tique des enfants d’âge scolaire. 121
En ce qui concerne l’enseignement scolaire, la Mayenne compte, en 2016,
61 442 élèves (32 591 dans le premier degré pour 6 806 000 au niveau national,
27 017 dans le second pour 5 579 355 en France), dont environ un tiers dans le
réseau privé sous contrat d’association. Caractéristique d’un territoire rural, le
réseau des écoles et des établissements est dispersé. Dans le premier degré, on
compte 229 écoles publiques et 101 écoles relevant de l’enseignement privé sous
contrat. Environ 80 % d’entre elles comptent moins de six classes. Dans le second
degré public, le département compte 27 collèges, six lycées d’enseignement
général et technologique et cinq lycées professionnels publics. Le réseau privé
sous contrat d’association est composé de quatorze collèges, cinq lycées d’ensei-
gnement général et technologique et trois lycées professionnels.

« Orchestre à l’école »
en Mayenne
La Mayenne compte à ce jour 38 orchestres de ce type, ce qui, compte
tenu de la taille modeste du département, montre combien le territoire s’est
approprié le dispositif. En effet, si 14 écoles élémentaires publiques sur 230 sont

7. Après le passage de compétences des enseignements artistiques à la communauté d’agglomération.


8. Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, article 101.

N° 75 - septembre 2017
impliquées (6 %), le dispositif existe dans un lycée général (sur 11, soit 9 %),
9 collèges (sur 27, soit 33 %), certains possédant plusieurs classes-orchestres.
C’est le cas pour les collèges Jean Rostand de Château-Gontier et Sévigné de
Mayenne, proposant une classe orchestre par niveau. C’est également le cas du
collège Francis Lallart de Gorron, petit collège rural, ne comptant qu’une centaine
d’élèves (effectif bien en deçà de la moyenne des collèges français), mais dont
70 participent aux quatre classes orchestres de l’établissement. Dès 2003, date de
la création de la première classe orchestre au collège de Gorron, l’ensemble des
partenaires (collectivités locales, structures culturelles, association, éducation
nationale) ont fait le pari que le dispositif serait vecteur de progrès pour les
élèves, tant sur le plan scolaire que sur le plan comportemental, et participerait
d’un développement harmonieux de l’action culturelle sur le territoire.
L’expérience a fait l’objet d’un premier bilan académique à la fin de
l’année 2015 dressé à la demande du recteur par deux inspecteurs pédagogiques
régionaux d’éducation musicale, dans le cadre d’un protocole d’évaluation pilotée
par la directrice académique en poste. À partir d’observations de quatre dispo-
sitifs « orchestre à l’école » du Nord Mayenne et d’entretiens avec les différents
acteurs et usagers (chefs d’établissements, professeurs, parents, élèves, partenaires,
élus), ce bilan avait pour objectif de « mesurer les effets du dispositif sur la
scolarité et la réussite des élèves au regard du projet académique » (Bourdin et
Seince, 2015), sachant que celui-ci est articulé autour de quatre ambitions :
122 1) réussite, conforter la réussite de tous les élèves, 2) insertion, favoriser une
insertion réussie dans la société ; 3) solidarité, ne laisser personne au bord du
chemin ; 4) coopération, travailler ensemble pour la réussite de tous. Le bilan
académique se proposait également « de mettre en évidence les effets sur la vie
de l’établissement, l’ensemble de la communauté éducative et les relations établies
avec les établissements d’enseignement artistique partenaires ».
Nous citerons les conclusions de ce bilan, notamment en ce qui concerne
les effets constatés et avérés du dispositif, mais aussi les limites repérées.

Le renforcement
des compétences musicales
et comportementales
des participants
Maîtriser son geste instrumental, son souffle, jouer juste, s’écouter,
écouter l’autre, suivre un tempo, lire une partition, la gestuelle du chef sont
quelques compétences abordées, travaillées, développées par la pratique instru-
mentale et orchestrale. Celles-ci sont évaluées par l’école de musique dans le
cadre du cursus musical de l’élève mais également reconnues au sein du bulletin
scolaire. En effet, le bilan académique note que « la présence d’une rubrique
particulière à la classe-orchestre est de nature à valoriser le travail des élèves,
notamment lorsque l’appréciation prend en compte l’implication dans

re vue i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


dossier

les activités collectives ». La plupart des classes-orchestres se produisant très


rapidement en concert (parfois quelques semaines après la découverte des instru-
ments !), une pédagogie basée sur l’oralité, sur l’imprégnation et sur l’imitation
est très souvent pratiquée dans les classes de débutants, avant même de travailler
la lecture des partitions, abordée dans la suite du processus d’enseignement.
Ceci étant, le bilan académique souligne qu’au-delà de ces compétences
musicales, ce sont les compétences sociales et civiques, d’une part, l’autonomie
et l’initiative, d’autre part, qui sont unanimement reconnues « comme des
marqueurs forts du dispositif de classe-orchestre. »
En effet, tous les témoignages convergent pour affirmer que la partici-
pation à un projet collectif, valorisé par une présentation publique, induit une
dynamique positive, qui crée et soutient la motivation de tous, justifie les efforts
faits individuellement en leur donnant du sens, favorisant ainsi une forme
d’intégration sociale transférable. Les élèves se sentent reconnus, renforcés dans
leur estime de soi, s’intègrent mieux dans l’établissement, sont davantage assidus,
peuvent se réconcilier avec les apprentissages plus traditionnels9. Ils apprennent
de fait à respecter les règles collectives, comme les exigences et le calendrier du
projet, ou les codes établis et exigeants des concerts publics.
De même, porté par le groupe, l’élève travaille aussi sa responsabilité
individuelle et son autonomie ; il choisit son instrument, prend soin de son
matériel et le gère, apprend à travailler sa partition, à retravailler les passages
insuffisamment maîtrisés, à organiser son temps. Des chartes de fonctionnement 123
des classes orchestres formalisent parfois ces exigences « pour soi vis à vis des
autres ». Enfin, « si la plupart des élèves ne fait pas le constat d’une incidence
positive ou négative de la pratique musicale sur la réussite scolaire, un élève
rencontré indique de manière remarquable que la classe-orchestre “l’a rendu plus
fort” en lui apportant une motivation supplémentaire dans son travail au
collège10. »

Des projets ambitieux,


des rencontres
avec des professionnels
Le 14 mars 2015, lors du festival Jeune public, Myung-Whun Chung,
dans l’Auditorium de Radio France, l’orchestre philharmonique de Radio France
et trois orchestres à l’école, dont un collège mayennais 11 , ont interprété la
Symphonie du Nouveau monde, d’Anton Dvorak, sous la direction d’Adrien

9. Voici un exemple parmi d’autres de « réconciliation scolaire », dont peut s’enorgueillir le dispositif dans le dépar-
tement de la Mayenne : un élève de e, atteint de phobie scolaire, était instruit à domicile. Scolarisé « à l’essai » en 5e
dans un collège proposant « orchestre à l‘école », membre de cet ensemble, il a progressivement repris confiance en
lui, consolidé ses relations et finalement obtenu son baccalauréat avec mention très bien.
10. Bilan des observations dans le département de la Mayenne, op. cit., p. 7.
11. Les trois orchestres à l’école retenus pour participer au projet étaient ceux de Gorron (Mayenne), de Sorgues
(Vaucluse), et de Livron (Drome).

N° 75 - septembre 2017
Perruchon. Une semaine de répétition sur place avait précédé le concert et, en
janvier, une rencontre entre les trois orchestres de jeunes avait eu lieu, à laquelle
étaient associés deux musiciens du philharmonique suivant le projet.
Au-delà du caractère inoubliable de l’expérience vécue par les élèves, il
faut souligner le caractère « apprenant » de ce type de projet. La rencontre avec
le grand répertoire de l’orchestre, l’émotion artistique générée par cette rencontre,
la réalisation d’un concert dans des conditions professionnelles, au côté d’un des
grands orchestres français, dans une salle parisienne de référence, renforcent tout
le travail mené en amont au sein des dispositifs, donnant du sens à ce travail, à
l’exigence demandée et confortent l’ambition des élèves. Le contact avec les diffé-
rents professionnels, les musiciens (chefs d’orchestre, répétiteurs, instrumen-
tistes), les techniciens (ingénieurs du son, régisseurs), les métiers de
communication, les administratifs font prendre conscience de la richesse du
monde de la musique vivante et de la diversité des métiers qui y participent.
« Jouer avec des musiciens professionnels est une source de fierté pour eux, et
plus encore lorsque le concert est donné dans un lieu prestigieux ou embléma-
tique » souligne le bilan académique.
Même si tous les projets ne sont pas aussi ambitieux, l’organisation et
la tenue de concerts réguliers font partie de la culture de projet portée par toutes
les classes orchestres : participation aux journées portes ouvertes, à des cérémonies
officielles et républicaines diverses (remise du diplôme national du brevet, jume-
124
lage, vœux), aux fêtes (de l’établissement, de la musique), concerts de Noël,
manifestations organisées dans des lieux extrêmement variés, allant de la salle
polyvalente de l’établissement au salon de l’Élysée, en passant par le Sénat, le
conseil départemental, la direction académique ou l’Olympia. Tous ces concerts
impliquent la prise en compte des exigences de la musique vivante et induisent
des rencontres avec des professionnels.

Des éléments
de transmission entre pairs
et entre générations
Dans de nombreux cas, la remise des instruments de musique donne
lieu à une cérémonie publique qui solennise l’entrée dans le dispositif et la
réception par chaque élève de l’objet qu’il va apprendre progressivement à
maîtriser et dont il sera responsable durant tout le cursus. Cette cérémonie inter-
vient après une période de quelques semaines, pendant laquelle le jeune aura pu
manipuler plusieurs instruments, affiner et faire son choix. Elle donne lieu à un
concert des aînés, concert qui intègre pour partie les débutants, avant la remise
des instruments proprement dite. Lorsque le dispositif est parrainé par une
formation d’adultes riche d’une certaine notoriété sur le territoire, la cérémonie
voit se succéder le concert de l’orchestre parrain, une prestation commune inté-
grant les débutants, et la distribution des instruments par pupitre, ce qui, de fait,

re vue i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


dossier

installe des parrainages individuels par couples d’instrumentistes de générations


différentes12. Parfois, c’est une formation d’anciens élèves qui parraine le dispo-
sitif de l’établissement13.
Il est clair que ce type de cérémonies joue fortement sur la symbolique
de la transmission, du passage de témoins entre les jeunes et entre les générations.
D’autant que le même type de cérémonie a lieu pour la reprise des instruments,
lorsque l’élève sortant du dispositif va poursuivre son parcours.
Le resserrement des liens intergénérationnels ne se limite pas à ces
circonstances. Le bilan académique souligne que « les élèves se déclarent souvent
très proches des professeurs impliqués dans l’animation des classes-orchestres
(professeur d’éducation musicale, professeurs des écoles de musique et des
conservatoires). Ils identifient ces enseignants comme ceux leur apportant la plus
grande aide. Les élèves apprécient également de se sentir “à pied d’égalité” avec
leurs professeurs lorsqu’ils partagent une même partie dans la production orches-
trale ». D’autant que le dispositif permet à certains professeurs de l’établissement,
non spécialistes, de profiter de sa présence pour y participer et conforter eux
même leurs compétences musicales. L’aspect convivial d’orchestre à l’école,
souligné par bon nombre de participants, renforce les liens sociaux et la qualité
du « vivre ensemble ». La contribution du dispositif à la sérénité du climat
scolaire, une des conditions indispensables à la qualité des apprentissages, mérite
d’être soulignée.
La symbolique de la transmission intergénérationnelle se retrouve 125
également au niveau du répertoire, par exemple lorsque les ensembles abordent
un répertoire de musiques traditionnelles, proposant alors, par essence, un
modèle à la fois intemporel et transmissif, ou au contraire s’appropriant des
répertoires très identifiés géographiquement ou historiquement14.

Le sentiment d’appartenance
aux dispositifs,
aux établissements,
aux territoires
Nous l’avons souligné, l’élève qui participe au dispositif fait souvent
valoir un sentiment de fierté. Il fait effectivement partie d’un groupe clairement
identifié, dont la valeur et le travail sont reconnus, appréciés, les productions

12. C’est le cas des classes orchestres du collège Jean Rostand de Château-Gontier, de formation variété jazz,
parrainés par deux formations d’adultes, le Big Band Sud Mayenne et les K-phoniques. Elles sont aussi jumelées avec
un orchestre à corde de Fribourg en Brisgau.
13. La classe orchestre du lycée Victor Hugo de Château-Gontier, créé en septembre 2012 est parrainée par un groupe
rock d’anciens élèves, le groupe Rotters Damn.
14. À ce titre, le projet 2017 autour du répertoire américain des classes orchestres de Château Gontier, Renazé, et
Gorron mérite d’être cité. Les trois orchestres, après avoir étudié durant l’année, d’abord séparément puis dans une
formation de près de 70 élèves, le répertoire de la musique américaine (jazz et comédies musicales), iront le présenter
à New York afin d’être confronté in situ au public américain et à d’autres orchestres locaux, lors d’un séjour d’une
dizaine de jours.

N° 75 - septembre 2017
attendues. Le caractère intégratif du dispositif est reconnu et opportunément
utilisé. Dans plusieurs écoles primaires du département, il a facilité l’accueil des
réfugiés, les enfants intégrant l’orchestre tandis que les parents suivaient les
concerts comme les autres familles.
De nombreux accessoires et situations favorisent ce sentiment d’appar-
tenance au dispositif ou à l’établissement porteur, les cérémonies abordées plus
haut relevant elles d’une sorte d’adoubement symbolique. Du côté des acces-
soires, on citera la tenue commune pour les concerts ou les logos de l’orchestre
ou de l’établissement. Mais nous insisterons surtout sur les passages obligés qui
ponctuent la vie des dispositifs, qui, de la recherche de subventions jusqu’à l’enca-
drement des concerts et des sorties, en passant par l’excitation et stress de
« l’avant concert », le soulagement et la fierté de « l’après », créent une dynamique
collective commune. Dans plusieurs établissements, les parents d’élèves ont
d’ailleurs créé une association spécifique, signifiant ainsi la place active qu’ils
souhaitaient prendre dans cette dynamique, mais aussi de l’exigence quasi profes-
sionnelle que demande une parentalité de ce type. Des orchestres de parents
voient le jour, répondant ou prolongeant ceux des élèves 15. Évidemment, l’impor-
tance de cette dynamique est fortement corrélée au poids démographique des
participants au dispositif par rapport à l’ensemble de la population scolaire.

126
Les retombées du dispositif
Ces retombées étaient attendues, ne serait-ce que pour valider l’inves-
tissement public consenti, sachant que, dans le département de la Mayenne, un
élève sur cinq d’école de musique étudie son instrument sur le temps scolaire.
S’il est impossible de mesurer ces retombées de manière complète, des tendances
se dessinent.
Ainsi, si la poursuite d’étude instrumentale individuelle existe, illustrée
par de vraies réussites, elle peut être considérée statistiquement comme assez
faible. Nous l’avons vu, ce n’est pas l’objectif premier du dispositif. En revanche,
la poursuite de la pratique instrumentale collective semble beaucoup plus signi-
ficative, ce qui a pour effet positif et mesurable de permettre aux orchestres
locaux d’assurer le renouvellement de leurs instrumentistes. Ainsi, si l’on prend
l’exemple du territoire de l’école intercommunale du Bocage Mayenne, sur lequel
trois dispositifs sont déployés, pour 30 élèves en sortant en 2014, 13 avaient
rejoint l’année suivante un orchestre associatif du territoire, participant ainsi
de son animation. De même, environ 50 % des instrumentistes de l’harmonie de
Bais sont d’anciens membres d’orchestres à l’école. Fort du dynamisme renforcé
de son harmonie, ce village de moins de 1 400 habitants organise depuis sept ans
les Baldifolies, festival d’orchestres amateurs, qui réunit chaque année environ

15. C’est le cas à Laval, où le steel band de l’école Germaine Tillion a donné naissance à un orchestre similaire regrou-
pant des adultes du quartier des Pommeraies.

re vue i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


dossier

un millier d’instrumentistes. Les retombées en termes d’animation du territoire,


de pratique et de consommation musicales sont évidentes, sans évoquer les
retombées économiques.

L’usage stratégique
d’un dispositif souple
et mobilisateur
Développement de compétences musicales, transversales, transférables
chez les élèves, insertion dans un collectif apprenant, renforcement de l’ambition
et de l’exigence collectives et individuelles, inscription dans une dynamique de
projet, insertion et mobilisation d’adultes, resserrement des liens sociaux, trans-
mission intergénérationnelle, retombées en termes de pratique, d’animation et
de consommation artistiques sur le territoire, les apports et les effets potentiels
d’un dispositif comme « orchestre à l’école » sont nombreux et couvrent un large
spectre.
Au-delà de la spécificité du dispositif et du département étudiés, cette
étude de cas illustre la manière dont des acteurs publics d’un territoire, pleinement
conscients des apports de la pratique musicale collective ont su créer une belle
dynamique partenariale pour favoriser cette pratique et en tirer bénéfice : béné-
fice pour les élèves qui découvrent le monde de la musique de manière à la fois
gratifiante et exigeante, développent des compétences musicales, cognitives et 127
comportementales variées et transférables, apprennent l’autonomie, confortent
leur projection dans l’avenir, affinent leur projet de vie ; bénéfice pour les
porteurs de politiques publiques en faveur des arts et de la culture, par la qualité
renforcée du partenariat éducatif, par l’accroissement quantitatif et qualitatif du
public impacté par la pratique artistique et la consommation culturelle ; bénéfice
pour les adultes qui entourent les élèves, participent à la dynamique de projet
et profitent aussi de ses effets ; bénéfice enfin pour le territoire sur le plan social
et politique, grâce au renforcement de la cohésion de ses habitants et du sentiment
identitaire, au resserrement des liens intergénérationnels, aux retombées locales
en termes d’animation et de consommation culturelle. Cette étude de cas illustre
ainsi le rôle essentiel d’acteurs locaux pour reconnaître, mesurer et utiliser au
mieux le potentiel éducatif et mobilisateur d’un dispositif, afin de l’ajuster aux
enjeux éducatifs, aux contraintes et aux spécificités des territoires où il se déploie.
Quant au dispositif étudié, il semble bien que ce soit sa grande souplesse qui
rende relativement aisée son utilisation stratégique dans le cadre d’une politique
locale cohérente et puisse ainsi produire les effets positifs les plus probants.

Bibliographie
BOURDIN Y., SEINCE M. (2015) : Orchestre à l’école. Bilan des observations dans le
département de la Mayenne, Nantes, Académie de Nantes.

N° 75 - septembre 2017
dossier

Musique
et cohésion sociale
lors d’un moment
décolonial1
en Afrique du Sud*
Stephanus Muller
Université de Stellenbosch, Afrique du Sud

En 2015-2016, l’Afrique du Sud a été secouée par une vague de protes-


tation étudiante d’ampleur nationale. Déclenché par le mouvement #RhodesMust-
Fall (RMF)2 à l’Université du Cap (UCT), qui réclamait le retrait du campus de
la statue du magnat minier impérialiste Cecil John Rhodes (1853-1902), le
mouvement s’est ensuite différencié au sein des différentes universités, intégrant
des dimensions anti-Afrikaans, intersectionnelle3 et ouvrière. Il a finalement
abouti à la revendication d’une éducation gratuite pour tous, identifiée dans un
mouvement national intitulé #FeesMustFall4. Les établissements d’enseignement
supérieur sud-africains ont réagi à cette vague de protestation de différentes
manières. À l’Université de Stellenbosch, où le mouvement était initialement
dirigé par le collectif OpenStellenbosch, les rencontres, soigneusement 129
chorégraphiées, entre les étudiants et la direction ont finalement dégénéré en
une confrontation frontale, marquée par des actes de désobéissance civile et des
perturbations de la part de certains étudiants ainsi que par une réponse sécuri-
taire croissante de la part de la direction de l’université.
C’est dans ce contexte (mais sans lien de causalité) que l’Université de
Stellenbosch a fondé Africa Open, un institut pour la musique, la recherche et
l’innovation, dont l’objectif est de mener des projets interdisciplinaires et expé-
rimentaux. Parmi les premiers projets mis en œuvre par l’institut, deux
comprenaient l’instauration d’un dialogue avec les protestations étudiantes, par

* Article traduit par Sylvaine Herold.


1. Le terme « décolonial » fait référence à un mouvement de pensée, né d’abord en Amérique latine et faisant l’objet
d’une réception encore assez superficielle en France, qui dénonce la survivance de phénomènes de domination post-
coloniaux via les structures subjectives du pouvoir, les imaginaires et la colonisation épistémologique, en Amérique
latine, en Afrique ou en Asie notamment. Le mot fait allusion à l’invasion de l’imaginaire de l’autre, à son occidenta-
lisation. « S’opère, alors, la naturalisation de l’imaginaire de l’envahisseur européen, la subalternisation épisté-
mique de l’autre, le non-européen, et la négation et l’oubli des processus historiques extra-européens. » (Source :
site de l’IRESMO, Luiz Fernandes de Oliveira, Vera Maria Ferrão Candau (2010), « Pedagogia decolonial e educação
antirracista e intercultural no Brasil », Educ. rev., vol. 26 n° 1, Belo Horizonte) (NdT)
2. À bas Rhodes. (NdT)
3. L’intersectionnalité est un concept, forgé en 1989 par l’universitaire féministe américaine Kimberlé Crenshaw,
visant à révéler la pluralité des discriminations de classe, de sexe et de race. Voir : « Demarginalizing the Intersection
of Race and Sex: A Black Feminist Critique of Antidiscrimination Doctrine, Feminist Theory and Antiracist Politics »,
University of Chicago Legal Forum, 1989 (NdT)
4. À bas les frais de scolarité. (NdT)

N° 75 - septembre 2017
le biais de la musique. Bien qu’ils n’aient pas délibérément recherché la création
d’espaces d’expression pour les identités protestataires ou de cohésion sociale
parmi les manifestants, ces deux projets ont montré comment la musique peut
permettre à des étudiants évoluant dans des environnements éducatifs contestés
d’exprimer des identités anticonformistes et de créer de nouvelles formes de
cohésion sociale dans des circonstances difficiles.
Le premier projet, Ingoma Yomzabalazo, a accompagné la création d’un
collectif étudiant à l’Université du Witwatersrand (Johannesburg) en reconnais-
sance de l’importance de la musique (et de son archivage) pour la recherche. Les
termes du projet accordaient une grande autonomie aux étudiants, leur permet-
tant de fixer eux-mêmes leur agenda en fonction de leur ressenti de la crise en
cours. Le second projet, You’re in Chains Too5, a consisté en l’organisation d’un
concert de solidarité en faveur d’une éducation gratuite pour tous. Ce concert a
eu lieu dans une église, car il n’était pas possible d’organiser ce genre d’évène-
ments sur le campus de l’université. Il s’agissait d’explorer de nouvelles formes
de cohésion sociale de la protestation dans un environnement éducatif contesté.
Sans le soutien structurel de l’université à la création d’un institut comme Africa
Open, ces réponses (pas nécessairement en adéquation avec l’agenda ou l’approche
de l’université) n’auraient pas été envisageables. Dans cet article, la création
d’Africa Open et les projets Ingoma Yomzabalazo et You’re in Chains Too sont
analysés comme des exemples d’engagement sociopolitique d’une université sur
130 la base et par le biais de la musique, dans un contexte caractérisé par des appels
pressants au changement décolonial6.

Africa Open :
une réponse structurelle
aux demandes de changement
En juin 2016, l’Université de Stellenbosch – qui héberge le plus ancien
département de musique universitaire d’Afrique du Sud – a approuvé la création
d’un nouvel institut indépendant pour la recherche musicale. Africa Open
– Institut pour la musique, la recherche et l’innovation – a été fondé pour être
le lieu de divers projets musicaux et de recherche radicaux, sur un financement
initial de la Fondation Andrew W. Mellon, de la Fondation Volkswagen et du
programme de bourses Newton de la British Academy. Ces projets, intitulés
respectivement « Delinking Encounters » 7 (qui prévoient la numérisation des
collections d’archives musicales, la publication d’éditions critiques de musique
africaine, la formation d’un forum interdisciplinaire pour l’étude des musiques
populaires et la conservation de contenus pour la publication électronique),

5. « Vous êtes dans les fers, vous aussi ». (NdT)


6. Voir note 1. (NdlR)
7. « Déconnecter les rencontres ». (NdT)

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dossier

« The Hidden Years Music Archive Project » 8 ou HYMAP (qui documente la


musique populaire en Afrique du Sud entre 1959 et 2005) et « South African Jazz
Cultures and the Archive »9 (une collaboration avec l’Université de York, à travers
laquelle les conversations et les performances de musiciens jazz sont documentées
et conservées), ont représenté une évolution majeure par rapport à l’approche,
centenaire, de l’université, qui consistait à promouvoir au niveau institutionnel
la musique savante occidentale, tout en cultivant une certaine indifférence pour
le riche héritage musical sud-africain, au-delà de cette enclave disciplinaire.
En 2005 lorsque le département de musique de l’université a célébré son
centenaire en publiant une brochure commémorative confirmant la prédomi-
nance de la musique savante occidentale dans cette université, où certains des
hommes politiques sud-africains les plus connus de l’époque de l’apartheid ont
étudié et travaillé (Grové, 2005 ; Walton, 2007). L’étude des liens entre les présup-
posés idéologiques de la musique savante occidentale dans ses itérations colo-
niales et les hypothèses de suprématie blanche (culturelle/musicale) est devenue
depuis un riche champ d’investigation et de critique pour les universitaires musi-
cologues sud-africains. Cependant, vingt ans seulement après les premières élec-
tions démocratiques en Afrique du Sud, cet élan critique s’est heurté à une
résistance farouche, y compris à travers des mesures de censure institutionnelle
et des menaces de poursuites judiciaires (Muller et Froneman, 2005). Les discours
sur la musique au sein des établissements d’enseignement supérieur (discours
qui défient, dénient, ignorent, critiquent, exposent ou défendent les intrications 131
complexes entre la musique et les contextes sociopolitiques) sont dès lors devenus
des exemples fascinants d’un processus de négociation des héritages culturels
de l’apartheid et du colonialisme, représentant, à bien des égards, une forme de
contestation exemplaire venant souligner les problèmes plus profonds de la
société sud-africaine en cette seconde décennie du XXIe siècle. Et de fait, nombre
des problèmes non réglés de l’Afrique du Sud moderne, en vertu d’un compromis
politique imparfait, reflètent, de manière lancinante, la désillusion d’une géné-
ration d’étudiants soi-disant « née libre » – y compris dans les départements de
musique.
La création d’Africa Open a constitué une réponse structurelle à ces
circonstances particulières. Conçu comme institut interdisciplinaire et trans-
disciplinaire pour la recherche musicale en Afrique, il vise en particulier à étudier
la contribution de la musique sud-africaine et africaine à la musique locale,
continentale et internationale, tout en collaborant avec des artistes, des univer-
sitaires et le public (Muller, 2016). S’appuyant sur un projet, lancé en 2005,
d’élaboration d’une archive musicale à l’Université de Stellenbosch (le Centre de
documentation pour la musique, DOMUS10) comme base pour la préservation

8. « Le projet d’archivage musical des années cachées ». (NdT)


9. Les cultures jazz sud-africaines et les archives. (NdT)
10. Documentation Centre for Music en anglais. (NdT)

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du patrimoine musical et des futures évolutions curriculaires, Africa Open entend
créer l’archive musicale en libre accès la plus importante, la plus sûre et la plus
en pointe technologiquement d’Afrique, tout en offrant un espace intellectuel
d’avant-garde et interconnecté pour la recherche, l’innovation et la pensée
critique, mettant l’accent sur des projets créatifs en contexte africain. Au cours
de ses onze années d’existence, DOMUS a mis au point un modèle dynamique
de constitution d’archives et de diffusion de la connaissance, via des bourses
d’études et d’autres projets créatifs. Ce modèle est dorénavant formalisé sous la
forme d’un institut universitaire (Africa Open) intégrant une archive (DOMUS)
(de Jongh, 2015). Il a montré à quel point l’archivage est un instrument puissant
de changement dans la manière dont sont produits les savoirs, en ancrant ces
changements dans la matérialité de passés encore exclus ou ignorés de l’histo-
riographie. Offrir un espace institutionnel pour que le passé devienne histoire à
travers la recherche universitaire et, réciproquement, découvrir, grâce à la
recherche, de nouveaux matériaux qui seront intégrés aux archives afin de devenir
visibles historiquement, telle est la stratégie d’Africa Open pour mener à bien le
renouveau des études musicales en Afrique du Sud.
On ne saurait sous-estimer l’importance du changement institutionnel
et structurel pour permettre de formuler des réponses flexibles aux défis actuels
de l’enseignement supérieur en Afrique du Sud. Théoriser, écrire, développer une
terminologie de la décolonialité/de la transformation/du changement, protester
132 et financer des projets interventionnistes, tout cela a de l’importance. Mais cela
ne saurait être suffisant, notamment car ces initiatives peuvent rarement être des
stratégies à long terme au sein des processus d’évolution lents qui caractérisent
le changement à l’université. Les énergies (et les opportunités) qui se manifestent
dans ces activités nécessitent des structures qui prennent en compte, au-delà de
la crise actuelle, la réalité des futures générations d’étudiants. Ces étudiants
n’auront pas seulement besoin de l’outillage pratique et méthodologique pour
penser de manière nouvelle l’Afrique du Sud à travers la musique, mais également
des ressources que pourront leur fournir des structures institutionnelles conçues
et développées dans le but de mettre en œuvre la promesse du moment décolonial
que nous vivons actuellement.
L’institut Africa Open est ainsi engagé dans différents types d’études et
de projets expérimentaux. Il encourage les masters de recherche et les doctorats
à orientation artistique et conventionnels sur différents sujets et à partir de
différentes méthodologies ; il soutient des performances, des initiatives de conser-
vation, des films, des ateliers et des enregistrements ; il a lancé un projet visant
à publier des éditions critiques de musique africaine, à les rendre disponibles au
format numérique et rentables commercialement pour les compositeurs afri-
cains ; il œuvre à la mise en place de résidences artistiques qui ouvrent l’université
à des traditions musicales non représentées dans les intérêts souvent étroits des
facultés et dans les curricula occidentalisés, tout en traduisant ces rencontres par
de la génération de contenus pour une publication électronique expérimentale.

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dossier

En 2006 déjà, lorsque la Société de musicologie d’Afrique du Sud et le Symposium


d’ethnomusicologie avaient fusionné pour devenir la Société sud-africaine de
recherche en musique (SASRIM)11, la recherche universitaire sud-africaine en
musicologie avait pris un tournant décisif, s’écartant des cloisonnements disci-
plinaires qui caractérisent les études musicales supérieures dans de nombreux
établissements occidentaux. Bien que les départements de musique des universités
s’accrochent mordicus aux distinctions disciplinaires entre « ethnomusicologie »,
« théorie musicale », « éducation musicale », « études des musiques populaires »
et « musicologie », sans doute en vertu d’un mélange de considérations pragma-
tiques et idéologiques, la contamination de ces labels à l’ère de l’apartheid a
incité la SASRIM à adopter celui, plus inclusif, d’« études musicales », afin
d’intégrer tous les domaines d’études universitaires en musicologie, y compris
les recherches artistiques s’intéressant à des savoirs auparavant non valorisés par
l’académie. Africa Open, en tant qu’institut de recherche de deuxième et troisième
cycle, n’est pas tenu par la pragmatique de l’enseignement et des curricula, ni
de s’inscrire dans les traditions de recherche universitaire territorialisées et colo-
niales issues de l’ère de l’apartheid. Sa création par l’Université de Stellenbosch,
en tant que structure qui, sans le remplacer, existe indépendamment d’un dépar-
tement de musique basé sur un conservatoire, constitue une reconnaissance
institutionnelle majeure de l’importance de l’éducation musicale dans l’université
sud-africaine du XXIe siècle, dont le rôle se doit de dépasser la simple formation
de musiciens à même de jouer les canons occidentaux et d’enseignants à même 133
de les former.

Les archives
de la protestation :
Ingoma Yomzabalazo
La vague de protestation étudiante de 2015-2016 a été remarquable,
notamment en raison du rôle clé joué par la musique lors des meetings et des
manifestations12. L’importance de la musique dans la lutte pour la justice sociale
et politique en Afrique du Sud est depuis longtemps reconnue par les musiciens
et les universitaires. Les manifestations étudiantes de 2015-2016 appelaient dès
lors une réponse savante de la part d’Africa Open, afin de documenter le son et
la généalogie de la protestation, tout en permettant aux étudiants de s’engager
dans un projet intellectuel de production de savoir. Le projet Ingoma Yomzaba-
lazo: Song as Struggle and Resistance Caucus13 illustre la manière dont les étudiants
ont eux-mêmes décidé de l’agenda de leur engagement intellectuel – à travers la

11. South African Society for Research in Music en anglais. (NdT)


12. Des manifestations ont eu lieu dans la plupart des universités sud-africaines, sous des formes variées : manifes-
tations pacifiques, occupations de bâtiments, vandalisme et altercations violentes entre étudiants et police/sécurité
privée/forces paramilitaires.
13. Conseil sur le chant comme lutte et résistance. (NdT)

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musique – à ce moment historique de transformation de l’université. Lors d’une
réunion avec l’étudiant militant Mbe Mbhele de l’Université du Witwatersrand
et le collectif BLK Thought à Braamfontein (Johannesburg) le 16 octobre 2016,
Africa Open a proposé de financer la documentation des chants de protestation
étudiants, afin de les archiver comme matériaux pour de futures recherches. Bien
que cette initiative pour une documentation archivistique formelle ait été prise
par Africa Open, la discussion à Braamfontein a révélé que les étudiants du
collectif BLK Thought avaient depuis longtemps, et de leur propre initiative,
entrepris l’exploration intellectuelle et créative de la musique de protestation.
Ce qui leur avait fait défaut, cependant, avait été l’absence de reconnaissance
institutionnelle de l’importance de ce phénomène et des discussions l’entourant
dans la communauté étudiante. Ce manque de reconnaissance témoignait de
l’existence alors généralisée de perceptions, souvent erronées, du mouvement
étudiant comme un phénomène de foule destructeur et anti-intellectuel. Il
montrait également à quel point le rôle de la musique dans les évènements
sociopolitiques sud-africains contemporains demeurait incompris et sous-estimé
par la direction des universités. Suite à la réunion de Braamfontein, Mbhele a
fait part de la volonté du mouvement étudiant d’organiser un symposium pour
débattre de la direction à donner au projet. Ce symposium a été organisé le
27 octobre 2016 à Carfax (Newton, Johannesburg). Il a été filmé et enregistré
comme partie intégrante du plus important projet de documentation des chants
134 du mouvement étudiant.
Le 9 janvier 2017, Mbhele a envoyé à Africa Open une proposition pour
le projet Ingoma Yomzabalazo: Song as Struggle and Resistance Caucus. Le collectif
BLK Thought suggérait d’organiser un évènement sur trois jours dans la province
du Cap occidental dans les trois universités régionales (Université du Cap,
Université du Cap occidental et Université de Stellenbosch) et dans le township
de Kayelitsha14, qui inclurait des performances, des lectures, des débats et des
collaborations improvisées.
[L’initiative] cherche à trouver des voies pour parler de ce que le chant signifie
pour les populations noires au sein de la lutte et de quelle manière il peut être
ou a été utilisé comme méthode de résistance. Ce qui intéresse le conseil, c’est
de créer un dialogue entre les artistes sur le rôle des pratiques acoustiques des
populations noires dans la lutte. Autrement dit, le conseil souhaite créer une
communauté de pratiquants qui pourront interpréter, archiver et transmettre
cette « chose » qu’est le chant dans l’expérience de cette autre « chose » qu’est
d’être noir. Fondamentalement, le conseil cherche à trouver des moyens et des
mots pour souligner la vitalité de l’art nègre dans le projet décolonial.15

14. Le township de Kayelitsha, situé dans la métropole du Cap, est le deuxième plus grand township d’Afrique du
Sud. (Source : Wikipédia) (NdT)
15. Extrait du programme d’Ingoma Yomzabalazo.

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dossier

Cette proposition a abouti à la visite de plusieurs artistes et étudiants


militants de l’Université de Witwatersrand dans la province du Cap occidental,
du 15 au 17 février 2017, dans le cadre d’un partenariat entre BLK Thought, la
« station spatiale panafricaine »16, Iphupho L’ka Biko17 et Africa Open.
Le projet Ingoma Yomzabalazo s’inscrit dans un engagement permanent
d’Africa Open consistant à travailler, avec les étudiants militants, à documenter
et à développer le dialogue sur les chants, à soutenir des performances, en
s’intéressant également, selon les termes du collectif BLK Thought, au « pouvoir
animateur » des chants dans la lutte pour la justice sociale et l’éducation gratuite.
Au moment d’écrire cet article, les mouvements de protestation étudiants en
Afrique du Sud semblent avoir été décimés sous l’effet combiné de mesures
répressives, de fractures internes et d’une certaine fatigue. Le travail du collectif
BLK Thought montre pourtant que les explorations les plus intéressantes et les
plus stimulantes de l’impact des performances musicales sur la cohésion sociale
et l’identité, des phénomènes de transmission intergénérationnelle de trauma-
tismes et de sens à travers la musique, ou encore des intrications entre démo-
cratisation et pratiques musicales en Afrique du Sud, sont fonction de l’activisme,
et vont souvent à l’encontre des institutions éducatives. Le rôle de la musique
comme vecteur de cohésion sociale trouve son expression la plus éloquente non
pas dans les curricula ou dans les activités proposées par les universités sud-
africaines, mais bien dans le tumulte de la protestation, qui constitue le centre
de la pensée et des actions cherchant à concevoir un avenir au-delà des catégories 135
de l’apartheid et des clichés coloniaux. L’archivage de ce moment a donc à voir
avec l’impératif d’une réponse intellectuelle qui envisage ces moments de protes-
tation comme des moments de réflexion et de création.

Solidarité non autorisée


à travers la musique :
You’re in Chains Too
Fin 2016, après des mois d’une forte présence militaire et policière sur
les campus à travers tout le pays, l’institut Africa Open a organisé un concert de
solidarité avec les étudiants dans une église de Stellenbosch, située en dehors et
en face du campus, appelée la Kruiskerk. Intitulé « You’re in Chains Too », ce
concert est apparu comme le moyen, pour des musiciens et poètes renommés,
d’exprimer leur solidarité avec les étudiants protestataires, dont un grand nombre
avait été renvoyé ou incarcéré injustement pour leurs activités lors des manifes-
tations. L’évènement était également important symboliquement, comme moyen
de formuler une réponse artistique à la violence et au traumatisme subis, de

16. Pan-African Space Station (PASS) en anglais, une station radio qui comprend : « un studio radio live périodique
et contextuel ; un espace de représentation et d’exposition ; une plateforme de recherche et une archive vivante,
ainsi qu’une chaîne de radio internet permanente ». [http://panafricanspacestation.org.za]
17. Groupe de musique fondé en 2015 à Johannesburg.

N° 75 - septembre 2017
créer un sentiment d’unité et de réconfort au sein d’une communauté vulnérable
et de forger un sentiment de solidarité entre les personnels de l’université et les
étudiants, inquiets de la violence institutionnelle et des réponses policières. D’un
point de vue formel, l’université n’a pas souhaité soutenir l’évènement par la
mise à disposition d’équipements ou un soutien financier. You’re in Chains Too
a donc proposé des performances musicales et poétiques comme expressions non
officielles de résistance et de solidarité, au sein d’une structure éducative essen-
tiellement tournée vers le maintien de l’ordre et dont la direction se souciait
principalement de préserver le concept de neutralité bureaucratique, dans un
contexte de troubles sociopolitiques et d’ébranlement du projet universitaire.
La présence de musiciens, de poètes et d’intellectuels plus âgés et
respectés, en interaction avec des jeunes musiciens, poètes militants et porte-
paroles du mouvement étudiant, a contribué à convertir ce lieu, pendant les
quatre heures du concert, en une sorte de vision alternative de l’université. Y ont
eu lieu : des interactions intergénérationnelles dans des performances collectives
(le batteur vétéran Louis Moholo-Moholo18 et le pianiste Kyle Shepherd19) ; des
discussions informelles constructives entre des intellectuels engagés chevronnés
(comme Lwasi Lushaba20) et des étudiants militants, notamment sur l’ambiguïté
entre les modes d’action et de protestation esthétiques et politiques ; et l’évocation
de moments antérieurs de lutte politique historique, en lien avec les préoccupa-
tions contemporaines (la poésie de Lesego Rampolokeng 21 en association impro-
136 visée avec Louis Moholo-Moholo). Mais, si cet espace tout entier résonnait de
critique, de douleur, de création, de peur, d’engagement, de colère et de toute
une gamme d’émotions et de sensibilités convoquées par la poésie et la musique
afin de tenter de faire face à la crise sociopolitique en train de balayer les univer-
sités sud-africaines, il était également confiné territorialement par une surveil-
lance rapprochée du périmètre de l’église par l’université et par des interventions
violentes d’une force de sécurité menaçante, comme lors de l’envoi d’un véhicule
blindé afin d’intimider les étudiants qui arrivaient à l’église en chantant.
Le concert You’re in Chains Too est par ailleurs venu illustrer les limites
des tentatives de mise en scène des processus d’apprentissage ou de catharsis à
travers la musique, en tant que programme officiel organisé d’interactions pres-
crites. La perturbation de l’évènement par des étudiants protestant contre la perfor-
mance d’une personne blanche (l’écrivaine Stacy Hardy22) exprimant la souffrance
de la violence sexuelle en usant de la métaphore de la brutalité policière, dans sa
lecture intitulée « Indecent Exposure »23, a constitué un point de rupture critique,

18. Louis Tebogo Moholo (né en 1940), batteur jazz du groupe The Blue Notes.
19. Kyle Shepherd (né en 1987), pianiste et compositeur jazz primé.
20. Maître de conférences en sciences politiques à l’Université du Cap.
21. Lesoko Rampolokeng (né en 1975) est un écrivain, dramaturge et poète-performer sud-africain qui travaille
actuellement à l’Université de Rhodes à Grahamstown (Afrique du Sud).
22. Stacy Hardy (née en 1987) est écrivaine et journaliste ; elle travaille à l’Université de Rhodes à Grahamstown
(Afrique du Sud).
23. Exposition indécente. (NdT)

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dossier

mettant à rude épreuve l’idée que l’espace esthétique puisse être dissocié ou puisse
agir en tant que médiateur de tensions théoriques et politiques parvenues à un tel
point de radicalisation qu’elles basculent souvent dans la violence. Fait marquant
toutefois, cette perturbation elle-même est devenue un catalyseur permettant aux
étudiants d’intervenir sur l’importance de la musique en tant qu’héritage de lutte
et de protestation. Athabile Nonxuba, étudiant à l’Université du Cap, emprisonné
à double reprise pour son implication dans les manifestations autour du mouvement
Rhodes Must Fall, a pris la parole et livré une conférence sur l’importance histo-
rique du jazz dans la lutte pour la libération de l’Afrique du Sud et de figures
comme Louis Moholo-Moholo et Lesego Rampolokeng, parvenant ainsi à
convaincre les étudiants que la musique, les artistes, cet espace et les perfor-
mances qui s’y déroulaient leur appartenaient. Il a défendu, face à un public
récalcitrant, l’idée qu’il fallait permettre à la musique de continuer, et donc au
concert de reprendre avec Nduduzo Makhathini (pianiste), Afurakan24 (poète)
et Louis Moholo-Moholo, en duo avec Lesego Rampolokeng.
Les débats ultérieurs autour de cet évènement sur les réseaux sociaux
ont révélé l’importance de la musique dans la conscience sociale et politique du
pays. Ils ont également permis d’ouvrir une discussion entre les différentes
opinions présentes au sein du mouvement étudiant et d’exposer les tensions
existantes, donnant par là même un aperçu fascinant des affrontements intellec-
tuels et esthétiques qui font du Fallism 25 un mouvement philosophique d’une
telle importance en Afrique du Sud. Le poète-slameur Afurakan a vivement 137
critiqué le rôle des personnes noires dans la lutte en cours, tandis que Ta Mara
Mandisi Gladile, responsable de la perturbation du concert, soulignait une
logique afro-pessimiste radicale (« nous avons empêché une personne blanche
de nous parler, cette action en elle-même a des implications politiques et cultu-
relles et nous renforce en tant que noirs », a-t-il écrit sur les réseaux sociaux).

N
Les trois exemples analysés ci-dessus – transformation structurelle dans
un environnement universitaire, documentation archivistique de la protestation
et expression non autorisée d’une solidarité politique – pointent différentes
fonctions de la musique comme catalyseur de lien social dans l’enseignement
supérieur sud-africain, à un moment d’instabilité et de mécontentement. La
manière dont la lutte et la protestation politiques sont inscrites dans la musique
est caractéristique d’une pratique musicale comme forme d’expression informelle
dans de nombreux milieux sociaux sud-africains, et l’importance de la musique

24. Nom de scène de Thabiso Mohare.


25. Le terme « fallism », formé à partir du mot « fall », présent dans le nom des premiers mouvements étudiants sud-
africains de 2015-2016 (#RhodesMustFall et #FeesMustFall), désigne le mouvement national étudiant qui en est né,
porté par la génération « née libre », et qui revendique notamment une éducation gratuite pour tous. (NdT)

N° 75 - septembre 2017
dans l’expression du mécontentement des étudiants ne fait pas exception. Les
nombreux défis auxquels est confronté l’enseignement supérieur sud-africain ne
pourront être résolus par des activités musicales ou par un intérêt savant dans
ces activités, mais l’omniprésence de la musique dans l’auto-expression et les
stratégies des étudiants indique que la musique et les réflexions sur les pratiques
musicales sont cruciales pour, à la fois, comprendre et exprimer la transmission
intergénérationnelle du traumatisme, mais également faire progresser la démo-
cratisation des moyens d’expression, affirmer des identités marginales et permettre
la revendication de l’espace par le corps social noir. Le projet Ingoma Yomzabalazo
n’a pas seulement démontré l’importance de la musique pour favoriser la cohésion
sociale parmi les étudiants eux-mêmes lors des actions de protestation, mais
également la manière dont il est possible d’agir sur l’aliénation des étudiants à
l’université par la reconnaissance et l’engagement en faveur de l’importance de
cette cohésion musicale dans un cadre éducatif. Le concert You’re in Chains Too,
quant à lui, a permis une compréhension de l’espace scénique comme espace de
conservation pour l’expression musicale d’identités contestées par les étudiants
ou d’autres militants politiques ; expressions susceptibles de susciter des réponses
violentes dans des contextes éducatifs par ailleurs vivement contestés. Dans les
deux cas, le rôle de la musique a été primordial pour créer des espaces d’iden-
tification et de cohésion sociale dans un contexte éducatif extrêmement contesté.
Ainsi, ces temps de crise dans l’enseignement supérieur sud-africains sont
138 également l’opportunité de restaurer la compréhension du rôle joué par
la musique dans les luttes sociopolitiques sud-africaines, en affirmant que la
musique et la recherche musicale sont essentielles à la réflexion sur des solutions
éducatives en Afrique du Sud.

Bibliographie
DE JONGH S. (2015) : « Armed with a light bulb at the end of a cord: the ten-year
journey of DOMUS », Fontes Artis Musicae n° 62:3, p. 212-221.
GROVÉ J. I. (coord.) (2005) : « Konservatorium 1905-2005: die Departement Musiek
en die Konservatorium aan die Universiteit Stellenbosch by geleentheid van die
Eeufees 1905-2005 », African Sun Media.
MULLER S. (2016) : « Openings », Sun Media. [en ligne] [https://goo.gl/UQ18jV]
MULLER S., FRONEMAN W. (2015) : « Crisis? What Crisis? », éditorial du South
African Music Studies, n° 34/35, p. vii-xviii.
STOLP M. (2016) : « Report to the academy: power and ethics in humanities
research », Acta Academica n° 48:1, p. 1-26.
WALTON R. C. (2007) : « Review of Konservatorium 1905-2005: die Departement
Musiek en die Konservatorium aan die Universiteit Stellenbosch by geleentheid van
die Eeufees 1905-2005 », in Notes n° 64/2, p. 318-20.

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dossier

El Sistema à la croisée
des chemins
Principes et perspectives d’un réseau mondial

Maria Majno*
Association SONG onlus Sistema in Lombardia,
Sistema Europe

Und in dem « Wie »…


Da liegt der ganze Unterschied1
H. von Hoffmansthal
Der Rosenkavalier, Acte 1

Travailler sur « El Sistema » impose de distinguer la légende et l’histoire,


l’action et son retentissement, l’extension et la persistance, l’engouement et la
réalité, la passion et la militance, les souhaits et les résultats objectifs. La naissance
du projet, avec 11 musiciens, dans un garage de Caracas, la multiplication des
participants dès le lendemain, la propagation quasi-miraculeuse des années
suivantes, les centaines de « núcleos »2 sur tout le territoire vénézuélien, y compris
dans les zones les plus éloignées, puis les tournées des principaux orchestres du 139
Venezuela dans des salles célèbres et les soirées qui se terminent immanquable-
ment par une explosion de joie, telles sont les manifestations d’une mythologie
attrayante et longtemps alimentée, il faut en convenir, par une propagande
évidente.
Le projet a connu son apogée au moment de la désignation, en 2007,
de Gustavo Dudamel, son plus célèbre talent, à la direction musicale du Los
Angeles Philharmonic, puis des « résidences » en 2013 au Festival de Salzbourg
et à la Scala de Milan pour EXPO 2015. Ces deux cycles ont célébré de façon
concluante toutes les facettes de la production officielle d’El Sistema, en présen-
tant les différentes générations orchestrales, des vétérans du « Simón Bolívar »
à l’Orchestre « Infantil » (âge maximal 13 ans).3
Aujourd’hui le Venezuela connaît une situation dramatique avec 80 %
de la population (août 2017) vivant au-dessous du seuil de pauvreté, privée de
nourriture et de soins.

* Maria Majno exprime ses plus vifs remerciements à Chara Iacovidou, Isabelle Joris et Michel Starobinski pour leurs
précieuses observations.
1. « Et dans le “comment” se trouve toute la différence ».
2. Les structures fonctionnelles, éducatives, artistiques et administratives d’El Sistema sont appelées « noyau ».
3. L’enregistrement de la Première Symphonie de Mahler par l’Orquesta Infantil sous la direction de Sir Simon Rattle
(Unitel, 2013) compte parmi les documents les plus convaincants d’une qualité interprétative qui ne craint guère les
comparaisons.

N° 75 - septembre 2017
Auparavant, les résultats d’El Sistema ont été indéniables : El Sistema a
mobilisé au Venezuela jusqu’à 700 000 jeunes par an, et trois fois plus si l’on prend
en compte la totalité de son histoire. Certes, tous ne sont pas devenus musiciens
mais il est évident qu’une telle masse a dû laisser des traces positives. C’est donc
plutôt sur le plan international qu’il faut chercher à situer aujourd’hui l’héritage
de José Antonio Abreu. Le fondateur d’El Sistema a incontestablement sa place
parmi les personnages ayant le plus contribué aux fondements, à la pratique, à la
réflexion sur l’éducation musicale de notre époque.

L’actualisation
des principes fondateurs
Le fait que la pratique musicale d’ensemble est le meilleur foyer de
démocratie et de progrès est le premier présupposé de El Sistema.
Par essence, l’orchestre et le chœur sont bien plus que des structures artistiques.
Ce sont des exemples et des écoles de vie sociale, car chanter et jouer ensemble
comporte une coexistence profonde qui tend vers la perfection et l’excellence
[…]. (Abreu, 2009)

Les variations sur ce motif abondent dans les propos du créateur


d’El Sistema. Jusqu’à ses dernières interventions devant le grand public en 2013,
140 l’humaniste Abreu a puisé dans la philosophie classique, comme les fameux
énoncés d’Aristote et de Platon sur l’importance de la musique dans l’éducation.
La formation à la beauté, dont on devient affamé ou assoiffé dès qu’on en a
goûté la richesse immatérielle, affranchit de la vraie pauvreté, celle « de ne se
sentir personne ». Ainsi, El Sistema a été conçu comme
un programme de récupération sociale et transformation culturelle profonde
[…] adressé sans distinctions, mais en priorité aux groupes vulnérables et en
danger ».4 (Abreu, 2009)

Abreu croit en la compensation des inégalités par l’accès à la pratique,


par les opportunités de succès, au progrès comme agent d’affranchissement, à
l’engagement comme vecteur de discipline et de respect.
L’effet d’El Sistema se fait ressentir dans trois domaines fondamentaux : dans
la sphère personnelle et sociale, dans la famille et dans la communauté […] La
musique devient une source pour développer les dimensions de l’être humain
[…] ; les avantages émotionnels et intellectuels sont énormes.

À partir du discours d’acceptation de J. A. Abreu au prix TED, qui reste


une référence pour sa pensée, plusieurs auteurs (dont les « Abreu Fellows »), se
sont efforcés de lister les valeurs fondamentales impliquées dans El Sistema.

4. Voir : www.fundamusical.org.ve/

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El Sistema n’est ni un programme, ni un curriculum, ni une pédagogie. C’est


une quête. […] Plusieurs programmes valables d’apprentissage musical partagent
des valeurs et des pratiques semblables. Or, 42 années d’exploration pour cerner
les façons les plus efficaces de développer la jeunesse à travers ces priorités ont
produit des résultats sans précédents. […] En s’engageant dans ce travail, on
aspire à tous ces objectifs […] et on trouve son propre chemin : les idéaux sont
globalement partagés, adaptés et incarnés dans chaque culture spécifique.
(Booth, 2017).

La « systématisation » proposée par Eric Booth suit une série de dix


principes, sorte de décalogue que nous proposons de confirmer ou compléter
avec les acquis de notre expérience, ayant été un acteur principal de l’établisse-
ment d’El Sistema en Lombardie en Italie et de la création du réseau européen 5.
Tout au long de la diffusion du modèle vénézuélien aux autres pays et continents,
nous avons pu bénéficier des leçons directes ou indirectes tirées de l’adaptation
d’El Sistema aux divers territoires.

1. Une mission
de changement social
Tocar y Luchar (« jouer et lutter ») : les deux verbes de cette devise
éclairent différemment les objectifs culturels et sociaux d’El Sistema, selon les
contextes respectifs. Si El Sistema est né au Venezuela comme une contre-
proposition à la dégradation et à la tentation de la violence, sa dimension de 141
lutte et de résistance se traduit en « jeu », dans d’autres langues, sans pour cela
renoncer à la dimension d’engagement. Ainsi, la pratique instrumentale évoquée
par « tocar » rappelle tangiblement le pouvoir émotionnel direct de la musique,
sa capacité à « toucher » immédiatement, au point que l’Orquestra Geraçaõ –
Sistema Portugal en a tiré sa devise : « Aprendendo música, para tocar vídas ».

2. Accès et excellence :
dépasser la dichotomie
Les conditions premières dans le projet d’origine sont l’absence de
sélection et la gratuité : impliquer le plus grand nombre possible d’enfants sans
demander de contribution financière et en même temps viser le sommet, avec
l’ambition de l’excellence. Le contraste entre ces finalités a longtemps dominé
le débat, jusqu’à risquer de polariser les approches entre le but « musical » et le
but « social ». La radicalisation d’un tel raisonnement peut conduire au refus des
« niveaux » qui jouent une part essentielle dans l’idée de croissance implicite
dans l’éducation. Maintes initiatives inspirées par El Sistema ont résolu la quadra-
ture du cercle en recourant à un critère de qualité également apte à assurer la
motivation des participants : pas de progrès sans persévérance, pas de

5. Voir : www.sistemalombardia.eu/ et www.sistemaeurope.org/

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persévérance sans la satisfaction d’augmenter ses possibilités et la richesse des
résultats. L’image de la pyramide convient aussi bien au modèle qu’à ses dériva-
tions : les deux mots clé s’imbriquent facilement dans le but d’une construction
à la fois solide et élevée6.

3. L’environnement du núcleo
comme ambiance et contexte
Les centres didactiques d’El Sistema sont nés comme une gigantesque
« permanence » après-scolaire proposant une alternative aux risques de la rue
dans les Barrios : violence, crime, danger de mort. Cette coexistence physique
crée un havre de sécurité, fermé à la force mais ouvert à la communauté. Dans
d’autres pays, moins affectés par cette absence d’opportunités, l’image du noyau
représente bien l’échange entre le centre et les alentours, les protagonistes de
l’apprentissage et ceux qui les soutiennent, dans une atmosphère de solidarité
productive et engagée. Même les écoles de musique préexistantes ont voulu se
transformer. Les méthodes traditionnelles se sont hybridées avec les innovations
de l’enseignement collectif, élargissant ainsi les horizons pédagogiques avec des
adaptations propres au milieu égalitaire. Ce n’est pas un hasard si le plus authen-
tique Nucleo en Lombardie s’est développé dans un centre social nommé
« Barrios ».
142 4. Intensité, fréquence
des performances publiques :
la contagion de la collectivité
L’intensité et la fréquence de la pratique dans les núcleos au Venezuela
ont attiré autant – sinon plus – de critiques que d’approbation. Quatre heures
par jour, six jours par semaine, sans compter les séminaires et les répétitions
exceptionnelles offrent une cible évidente pour la critique, qui voit dans cette
ténacité un jeu de pouvoir dissimulé. Toutefois, cette cadence soutenue s’avère
indispensable pour assurer de le progrès à démontrer en public (voir point 8).

5. Utilisation de l’ensemble :
le paradoxe des talents
intégrés
Simultanément, l’enseignement de groupe permet une éducation à la
vie collective avec ses règles, et offre une ressource moins coûteuse pour toucher
le plus grand nombre. Ainsi, selon le principe du « peer teaching & learning »,
l’enseignement et l’apprentissage par les pairs, toute compétence apprise est aussi

6. L’éventail des « Sept Dimensions » élaboré pour la pédagogie commune propédeutique aux projets du SEYO -
Sistema Europe Youth Orchestra (Drive & Dance, Flow, Love in Sound…) a été conçu délibérément pour être appliqué
aussi bien aux instrumentistes juniors qu’aux plus avancés (www.sistemaeurope.org/seyo).

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apte à être enseignée, et celui qui sait jouer quatre notes sera encouragé à les
transmettre à celui qui en sait deux. Des enquêtes récentes se sont donné pour
but de mesurer les bénéfices de la musique d’ensemble en fonction du style de
répétition, des sources de perception multiple, de la tolérance à la réitération,
de l’attention distribuée, de l’accélération de l’empathie (Brice Heath, 2016). Il
ne faut toutefois pas oublier les besoins de l’individu, surtout s’il montre du
talent. L’un des problèmes les plus fréquemment discutés est précisément la
compatibilité avec l’enseignement individuel, indispensable tôt ou tard pour les
talents les plus manifestes. Une solution consiste alors à faire de l’attention parti-
culière une récompense non exclusive mais valorisante.

6. Le modèle CATS :
Citizen Artist Teacher Scholar
L’un des résultats des premiers « Abreu Fellows » est l’élaboration du
quadrilatère qui définit le rôle de ceux qui guident la formation dans le contexte
d’El Sistema : l’enseignant musicien agit en même temps dans le sillage des
teaching artists, qui trouvent dans leur vocation éducative une motivation ulté-
rieure à leur engagement esthétique et social (Booth, 2009). À ces acteurs éclec-
tiques vient s’ajouter une troisième dimension, qui comporte des visées ultérieures
de recherche (scholars). Enfin, des passerelles se construisent en direction des
citizen artists (artistes citoyens), dont on observe l’essor et qui font écho concrè-
143
tement à une phrase d’Abreu souvent citée comme point de départ d’El Sistema :
Nous ne cherchons pas à former de bons musiciens mais de meilleurs citoyens.

7. Une mise à jour continue


de la pédagogie
L’éducation et l’enseignement partagent la caractéristique de ne pas avoir
de fin : s’il existe dans El Sistema une « méthode » (terme à prendre avec circons-
pection lorsqu’il s’agit d’une stratégie), c’est bien la gradation séquentielle de
l’itinéraire pédagogique, et la conscience que le processus ne s’arrête pas avec
l’achèvement de la maîtrise instrumentale7. Les spécificités de l’approche collec-
tive requièrent en premier lieu une formation particulière : même les mentors
qui abordent ce mode didactique avec un abondant bagage technique admettent
qu’il n’est guère évident de « savoir s’y prendre ». Quelle que soit la portée du
réseau, le besoin le plus constamment évoqué par les acteurs est celui d’un
accompagnement plus dense, subtil et expérimenté : une étude de Sistema Europe
a confirmé que ce souhait reste au premier plan jusque dans la diversité même
des projets.

7. Les enseignants des différents projets Sistema tendent à leur tour à adapter les méthodes de didactique musicale
à leurs propres styles et environnements, le plus souvent en s’inspirant des approches de Dalcroze, Kodály, Orff et
Suzuki.

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8. L’implication de la famille
et de la collectivité
Parmi les ingrédients de la réussite du Sistema, l’appui de la famille – et
celui de l’école – est fondamental dans toutes ses phases : l’impulsion au démar-
rage, le dépassement des obstacles, la stabilisation de l’effort, la dynamique de
l’ambition. C’est le public qui apprécie et récompense, dans un cercle de moti-
vation réciproque. Mais la proximité des familles est aussi un outil puissant pour
rapprocher et construire le public de demain : les préjugés contre la musique
« savante » se voient bien mieux combattus par cette complicité instinctive que
par des interventions exogènes. La discipline quotidienne est allégée par le corol-
laire de performances publiques fréquentes. Celles-ci ne sont pas perçues comme
des épreuves redoutables mais plutôt comme des occasions de mettre en valeur
les acquis, donnant lieu à une sorte de contagion réciproque entre exécutants et
nouveaux auditeurs, conquis par la découverte expressive d’émotions révélées.

9. Liens et réseaux pour


mobiliser la solidarité
L’adaptation au territoire conditionne directement la durabilité de
chaque núcleo. Une évaluation préliminaire de la volonté d’une adoption perma-
nente par la communauté, au-delà des enthousiasmes salutaires mais transitoires,
144 est une étape indispensable pour les promoteurs d’El Sistema, avant d’implanter
un nouveau projet. C’est l’intégration sur le territoire qui assure une motivation
organique à prendre soin sur le long terme d’un corps d’abord étranger, en l’assis-
tant lors de transitions difficiles ou devant des obstacles à sa soutenabilité et à
sa permanence dans le temps. Périodiquement, la question se pose : quand les
ressources tarissent, est-ce envisageable de s’adresser aux enfants et aux familles
pour leur dire que tout cela était réussi, mais qu’hélas c’est maintenant fini ?
C’est là qu’entre en jeu la mobilisation des ressources complémentaires. Tout
centre didactique est un acteur de la décentralisation, aussi bien qu’un membre
des relations globales, ce qui assure aussi un transfert adéquat d’un núcleo à un
autre, la mobilité personnelle étant aussi à respecter. Le travail sur le territoire
comporte nécessairement des échanges vers une construction unifiée et cohérente,
qui puisse ensuite inspirer également l’individu en dehors de la dimension musi-
cale. Sans oublier que cette approche intégratrice permet de surmonter les
tensions pouvant se manifester avec les autres structures didactiques établies,
telles que les conservatoires ou les écoles de musique existantes.

10. Ambition et réussite :


un cercle inclusif
Comme le rappelle souvent Marshall Marcus (2017), fondateur, entre
autres, de Sistema Europe, l’ambiance d’El Sistema fait oublier la crainte de
l’échec et apprécier l’erreur comme facteur d’expérience. Ainsi le dialogue est

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réellement ouvert aux capacités particulières et à l’inclusion du handicap physique


ou mental : selon Naybeth García et Jhonny Gómez, fondateurs du Programa de
Educación Especial, « l’âme ne connaît pas d’incapacité ». En parallèle aux justes
efforts de la validation scientifique, cela nous rappelle que l’art conserve un fond
irréductible et non mesurable, constitutif de l’unicité de la culture humaine.
C’est la dimension esthétique qui est capable à son tour de provoquer le chan-
gement social.

Une stratégie en mouvement


Ce catalogue n’est évidemment pas la seule façon d’énumérer et de
commenter les caractéristiques d’El Sistema. On pourrait aussi se concentrer sur
une rose des vents dont les points cardinaux sont l’intégration sociale, la sensi-
bilisation culturelle, l’éducation musicale et la qualité artistique (figure 1), ou
produire un kaléidoscope énergique et joyeux de 21 traits constitutifs, comme
l’a proposé Marshall Marcus (2017). Ce qui nous semble constituer l’essence de
tous ces propos est la considération qu’il s’agit d’axes dynamiques plutôt que
de points fixes, et qu’El Sistema est une stratégie en mouvement.

INTÉGRATION
SOCIALE

145

ÉDUCATION
QUALITÉ
MUSICALE ARTISTIQUE

SENSIBILISATION
CULTURELLE

De la critique
à la perspective
Cela faisait presque quarante ans qu’on disait du bien d’El Sistema, et
il était certainement temps d’engager une discussion objective sur l’ensemble de
ses démarches et de ses résultats. Ceci à plus forte raison considérant son expan-
sion à cinq continents (la Russie semble être le seul grand État sans projet inspiré
d’El Sistema). Cette tâche critique a été assumée par Geoff Baker, enseignant-

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chercheur spécialisé dans les musiques latino-américaines. Son ouvrage El Sistema
– Orchestrating Venezuela’s Youth (2014) expose le parcours entre l’enthousiasme
initial et la découverte d’abîmes négatifs lors son enquête au Venezuela. 8 Ses
critiques ont eu un grand retentissement, mais les défenseurs d’El Sistema ont
souligné de leur coté, les limites d’une recherche « ethnographique » qui procède
sur la base d’une imbrication étroite entre le chercheur et le terrain concerné
(Kenyon, 2015). La querelle se poursuit mais les arguments invoqués s’usent au
fur et à mesure que le temps passe9 et, en 2017, Baker a déclaré sur son blog :
« je ne pense pas, une seule seconde, qu’El Sistema manque d’aspects positifs ».
Plus que jamais, le dialogue doit donc rester concret, ouvert à une
révision constante, voire radicale, mais constructive. Il faut admettre que tout
pouvoir comporte un risque d’instrumentalisation et, dans ce contexte, on a vu
émerger des formulations centrées sur les « droits », comme les travaux du
Salzburg Global Seminar n. 479 (2011), qui ont donné lieu à la déclaration
« The Value of Music: The Right to Play. »
C’est l’élan pour contribuer à l’établissement de ce droit, bien plus qu’à
une dynamique de pouvoir, qui se révèle capable d’éveiller la motivation solidaire
des orchestres et des salles de concerts, et des artistes sensibilisés. Ces alliés sont
fondamentaux aussi bien pour la diffusion que pour la qualité du projet
El Sistema, et un panorama de leurs contributions devrait faire l’objet d’une
étude ultérieure ; nous en donnons des exemples en fin d’article.10
146 Une autre alliance prometteuse est celle des scientifiques. Nous nous
bornerons ici à évoquer la série de congrès « Neuromusic », et le bulletin élec-
tronique bimensuel Neuromusic News, gérés par la Fondazione Mariani pour la
neurologie pédiatrique. Lors du dernier congrès, à Boston sur le thème « Music,
Sound and Health », une session entière a été consacrée aux bénéfices extra-
musicaux de l’apprentissage musical, dont trois exposés ont touché de près le
contexte d’El Sistema.
Le milieu scolaire et parascolaire offre la pépinière la plus adaptée pour
ce genre d’études. Dans le cadre du Sistema en Lombardie, The San Siro Project:
musical training, cognitive and emotional development (Danelli, Paulesu et al.,
en cours d’élaboration) examine justement l’évolution des adolescents entre 11
et 14 ans dans une étude longitudinale concernant les axes cognitivo-émotionnel,
comportemental et socio-culturel.

8. Rappelons que le point de départ de Baker est une contestation de fond de la structure de l’orchestre comme
modèle de collaboration et de démocratie : il y voit au contraire un chaudron pour des jeux de pouvoir malsains. Ce
présupposé est en effet difficilement réconciliable avec la conception valorisante des ensembles musicaux comme
foyers d’écoute, de respect réciproque et d’intentions synergiques.
9. Voir le site de Jonathan Govias, par exemple.
10. La détermination de Claudio Abbado constitue probablement l’exemple le plus éloquent de force de rassem-
blement à cet égard, puisqu’il a soutenu l’introduction et le développement d’un Sistema national pour l’Italie
(Abbado, 2012), mais aussi pour l’Europe, compte tenu de son engagement pour les orchestres de jeunes Mahler
Jugendorchester et European Union Youth Orchestra.

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Par ailleurs, un recensement des contributions académiques est à l’ordre


du jour, dans l’effort de suivre les travaux sur les ramifications multiples du
Sistema, alors que ces travaux augmentent à un rythme tel qu’il se révèle quasi-
ment impossible de se maintenir à jour. Mais les tentatives même incomplètes
aboutissent de toute façon à des résultats stimulants (voir les principales plates-
formes en fin d’article)11.
En passant des critiques constructives aux orientations de recherche et
aux perspectives plus générales, on peut aussi lire la situation d’origine et son
rayonnement ultérieur comme une « crise de croissance » de grande amplitude.
À plus forte raison parce que les núclei (ou les structures analogues), une fois
établis, non seulement demandent à être soutenus, mais entraînent à leur tour
une augmentation de la demande. La gestion présuppose donc une sorte d’ingé-
niosité inlassable, pour multiplier les ressources sans en disposer nécessairement
a priori.12 Les managers des projets se réclament souvent d’un concept imaginatif
de « valeur ajoutée », selon lequel la croissance personnelle et la satisfaction
évoquées par les professionnels participants offrent déjà en elles-mêmes des
éléments importants de récompense.
Par contraste, l’intention de José Antonio Abreu, qui a été économiste
autant que musicien et ministre de la culture, est que l’investissement dans
El Sistema comporte aussi des bénéfices économiques, notamment pour la
prévention (abandon scolaire, intimidation, criminalité). On attend toujours
l’élaboration d’une recherche apparemment en cours sur les indicateurs, confiée 147
à la collaboration entre El Sistema Venezuela et la Banque mondiale. Il reste
encore beaucoup de travail à faire sur la démonstration et la publication des
résultats.

Bibliographie
ABBADO C. (2012) : Préface à A. RADAELLI, La musica salva la vita, Milan :
Feltrinelli.
ABREU J.A. (2009) : Discours pour la réception du Prix TED. [https://goo.gl/BGsyas] ;
[https://goo.gl/i34w2q]
ABREU J.A. (2013) : Discours d’inauguration du Festival de Salzbourg.
[https://www.youtube.com/watch?v=VTjfx2mp-XI]
BAKER G. (2014) : El Sistema: Orchestrating Venezuela’s Youth, Oxford, UK: Oxford
BOOTH E. (2009, 2013, 2017) : [http://ericbooth.net/category/el-sistema]
BRICE HEATH S. (2016) : « The Benefits of Ensemble Music Experience (and why
These Benefits Matter so Much in Underserved Communities) » in El Sistema – Music
for Social Change, C. Witkowski (ed.), London, New York: Omnibus Press, p. 73-88.

11. Parmi les articles récents et prometteurs, quoique provisoires, nous citons celui du partenariat Longy School –
Bard College / WolfBrown, relié au réseau de Sistema USA. [https://goo.gl/LZF3q1/] ; [https://goo.gl/Sjid1x/].
12. Il est impressionnant de lire, dans le dossier de presse sur la « Nouvelle ambition de déploiement national 2016-
2019 » du projet Démos de la Philharmonie de Paris, que le coût annuel pour un orchestre est estimé à 260 000 Euros.
Ce montant correspond, dans d’autres environnements, au budget annuel d’un réseau national tout entier.

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KENYON N. (2015) : « The Triumph of a Musical Adventure », The New York Review
of Books, 24 septembre 2015, p. 74-76.
MARCUS M. (2017) : « Sistema Europe: Origins, Approaches and Diversity » (power-
point) : [https://marshallmarcus.wordpress.com/PDP2017]
SALZBURG GLOBAL SEMINAR (2011) : The Value of Music: The Right to Play,
[https://goo.gl/Pta7fG]
TUNSTALL T. & BOOTH E. (2016) : Playing for Their Lives – The Global El Sistema
Movement for Social Change Through Music, New York, NY : W.W. Norton.

Sources d’information
complémentaires
Artistes et organisations
Fondation Katia et Marielle Labèque : [http://www.fondazionekml.org]
Göteborg Symphony Side By Side: [https://www.gso.se/en/barn-unga/side-by-side]
Los Angeles Phiharmonic, YOLA at HOLA: [https://www.laphil.com/education/yola/hola]
Philharmonie de Paris, Démos : [http://demos.philharmoniedeparis.fr]

Congrès et conférences
Take a Stand (Los Angeles Philharmonic) : [https://goo.gl/TGhRXS]

148 Pratiques collectives en orchestre et accès à la culture (Démos, Philharmonie de


Paris) : [https://goo.gl/qc5mi4]

Lettres d’information et blogs


The Ensemble : [theensemblenewsletters.com]
Neuromusic News (Fondazione Mariani) : [https://goo.gl/XjnGah]
Playing for Their Lives : [http://playingfortheirlives.com]

Recherche
Porticus – CAL Community Arts Lab : [https://www.porticus.com/en/home]
SERA – Sistema Evaluation and Research Archive : [https://goo.gl/fc9Arv]
SIMM Social Impact of Making Music (Guildhall School Music) : [https://goo.gl/Bkon7r]
Sistema Global Review I & II : [http://sistemaglobal.org/literature-review]

Réseaux et ressources
Sistema Connect : [http://www.sistemaconnect.org]
Sistema Europe : [www.sistemaeurope.org]
Sistema Global : [www.sistemaglobal.org] ; [http://sistemaglobal.org/resources]
Sistema USA : [https://www.elsistemausa.org]

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dossier

Références
bibliographiques
du dossier « musique
et éducation »
Hélène Beaucher
Centre de ressources et d’ingénierie
documentaires, CIEP

L’étude scientifique du cerveau et l’intérêt pour les activités artistiques en neurosciences sont
très récents. Ils montrent que la musique s’enracine profondément dans notre cerveau et suggère
de nombreuses implications pour l’éducation. La pratique musicale a-t-elle des effets positifs
sur les compétences non artistiques ? Quelle est la place de la musique dans les politiques
publiques ? Quelles sont les expériences en faveur de l’accès des jeunes à la musique ?
Cette bibliographie concerne en majorité des travaux produits ces dix dernières années sur ce
sujet. La première partie vise à apporter des éléments de réflexion sur les enjeux sociaux,
culturels et politiques de la musique. La deuxième partie propose des ouvrages et articles sur
le thème « cerveau, musique et émotions ». La troisième partie présente une sélection d’études
examinant les impacts de la musique sur les compétences cognitives, comportementales et
sociales. Les dernières parties fournissent un aperçu des politiques, pratiques et dispositifs
d’apprentissage de la musique, avec un focus sur le développement international des orchestres
et chorales d’enfants. Les résumés sont, pour l’essentiel, ceux des éditeurs ou des revues. Biblio-
graphie arrêtée le 15 juillet 2017. 149

Enjeux sociaux, culturels


et politiques de la musique

BARENBOÏM Daniel, La musique éveille le temps, Fayard/Paris, 2008, 216 p.


La musique exige un parfait équilibre entre intellect, émotion et tempérament. Daniel Barenboïm
analyse la façon dont la perception de la musique s’inscrit à la fois dans le corps, dans l’esprit
et dans la vie sociale. Il a fondé et dirige le West-Eastern Divan Orchestra, un orchestre qui
réunit de jeunes instrumentistes d’Israël, des États arabes voisins et des Territoires palestiniens
pour promouvoir le dialogue et la paix.

BONINI BARALDI Filippo, Tsiganes, musique et empathie, Maison des sciences


de l’homme/Paris, 2013, 360 p. + DVD-ROM
Les recherches de l’auteur chez les Tsiganes de Transylvanie (Roumanie) explorent le lien entre
musique, émotion et empathie, et se concentrent sur différents contextes sociaux, où musique
et pleurs vont de pair. L’approche de ces thèmes est interdisciplinaire (ethnomusicologie,
anthropologie et psychologie cognitive). L’ouvrage invite à penser l’émotion musicale comme
une forme d’identification, de projection, d’empathie avec des êtres, des « agents » que la
musique véhicule et porte en elle.

DELORENZO Lisa C., Giving voice to democracy in music education: diversity


and social justice in the classroom, Routledge/New York, 2015, 286 p.
L’ouvrage traite de l’éducation musicale comme moyen de façonner la conscience démocratique,
et voit dans la démocratie une dimension vitale de l’enseignement de la musique. Les différentes

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contributions adoptent des perspectives politiques, pédagogiques et humanistes, pour aborder
l’enseignement de la musique en tant que pratique démocratique à la fois à l’école et dans la
formation des enseignants.

ELLIOTT David J., SILVERMANN Marissa, Music matters: a philosophy of music


education, Oxford university press/Oxford, 2014, 568 p.
Pourquoi la musique est-elle si importante dans nos vies ? Comment a-t-elle le pouvoir de
nous transformer ? Fondé sur un large éventail de sources, l’ouvrage propose une véritable
philosophie de l’éducation à et par la musique, intégrant les aspects socioculturels, artistiques,
participatifs et éthiques des valeurs de la musique, de l’éducation, de la pratique et de l’écoute
musicale, de sa compréhension, des émotions qu’elle suscite, ainsi que de la musique en
communauté.

GAULIER Armelle, GARY-TOUNKARA Daouda, DJEBBARI Élina, et al., Musique


et pouvoir, pouvoirs des musiques dans les Afriques, Afrique contemporaine,
n° 254, 2015, p. 7-126
Ce dossier explore les relations entre musique, migration et politique sur le continent africain
et dans les diasporas. Des chansons de l’exil aux chants de la migration, des circulations artis-
tiques transcontinentales aux médiateurs d’échanges culturels, en passant par la production de
discours alternatifs d’émancipation, les liens entre musique, migration et politique sont
décryptés.

POMPIDOR Henri, « Pour une sociologie du chant choral : contribution à


l’analyse sociale et culturelle des pratiques chorales », L’éducation musicale,
octobre 2016, n. p. [en ligne]
150 Vecteur majeur de socialisation, le chant choral représente l’un des moyens de transmettre
les normes et les valeurs constitutives de la société et des groupes sociaux qui la composent. Il
a été et reste utilisé pour unifier les individus autour d’une même langue, d’une même culture
ou d’une même nation. L’article propose d’identifier un nouveau champ de recherches, dont
l’objet est d’étudier les modes et les significations des pratiques chorales dans les sociétés.
[http://bit.ly/2rSNhlB]

TURINO Thomas, Music as social life: the politics of participation, University


of Chicago Press/Chicago, 2008, 280 p., + CD
Dans le monde entier et à travers l’histoire, on a utilisé la musique pour exprimer émotions
intérieures, rejoindre le divin ou endormir les bébés… Initiation au pouvoir de la musique,
l’ouvrage analyse les raisons pour lesquelles la musique et la danse sont souvent au cœur de
nos expériences personnelles et sociales les plus profondes. L’auteur distingue le cas des perfor-
mances censées être « présentationnelles », opposé aux performances destinées à être « parti-
cipatives », incitant à réévaluer la notion de genre musical à partir de la fonction sociale et des
contenus de la performance.

La musique
dans les sociétés traditionnelles
GUILLEBAUD Christine, Le chant des serpents musiciens itinérants du Kerala,
CNRS/Paris, 2008, 384 p. + DVD-ROM
Officiants de rituels domestiques, chanteurs au porte-à-porte, contractuels à la radio d’État,
etc., les musiciens itinérants du Kerala (Inde du Sud) pratiquent leur art selon des codes sans
cesse redéfinis. Pour comprendre la vie musicale de ces musiciens, il est indispensable de consi-
dérer leur musique « dans tous ses états » (pratiques, discours, espaces et relations sociales).

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dossier

L’auteure propose de reconsidérer les rapports entre musique et société, en prenant comme
axe d’observation la mobilité des musiciens et leur relation commune, via ce service musical
et rituel de traitement des maux et des infortunes, à des commanditaires de caste supérieure.

LEGRAIN Laurent, Chanter, s’attacher et transmettre chez les Darhad de


Mongolie, Paris, Centre d’études mongoles et sibériennes – École pratique des hautes
études/Paris, 2015, 394 p. + CD audio
Aux confins septentrionaux du pays où vivent les Darhad, l’attachement au chant est perçu
comme une dimension pérenne de l’ethos culturel. Inscrivant ses analyses dans la temporalité
de l’histoire socialiste, l’auteur trace les contours du monde sonore mongol. Il examine les
différents dispositifs par lesquels les enfants sont encouragés à se positionner dans le continuum
sonore, parmi lesquels les cours de chant dispensés à l’école et le gardiennage du troupeau.

LONCKE Sandrine, Geerewol : musique, danse et lien social chez les Peuls
nomades woddabe du Niger, Société d’ethnologie/Paris, 2015, 416 p. + DVD-ROM
Au cœur du Sahel nigérien, des milliers de Peuls nomades wodaabe se réunissent chaque année
pour un rassemblement cérémoniel, dont le rituel est appelé geerewol. Deux fractions de lignages
différents se livrent une guerre dont les seules armes sont le chant et la danse. Comment la
musique et la danse sont-elles l’expression esthétique de différentes manières d’être ensemble ?
Pourquoi le rituel et la performance artistique collective sont-ils des espaces privilégiés pour
faire société ? L’enquête conduit au cœur des représentations culturelles et des conceptions
esthétiques de cette société ouest-africaine d’éleveurs nomades.

Musique, cerveau, émotions :


l’apport des neurosciences 151
et des sciences cognitives

BIGAND Emmanuel dir., TILMANN Barbara dir., PERETZ Isabelle dir., et al.,
« The neurosciences and music V: cognitive stimulation and rehabilitation »,
Annals of the New York Academy of sciences, n° 1337, mars 2015, p. 1-271
Ce volume propose un panorama complet des études neuroscientifiques actuelles concernant
les effets de la musique sur le cerveau, et des implications sociales qui en découlent pour
l’éducation et la santé.

BIGAND Emmanuel dir., Le cerveau mélomane, Belin/Paris, 2013, 220 p.


Notre cerveau est mélomane dès la naissance. L’auteur se penche sur l’universalité des émotions
induites par la musique et présente les plus récentes découvertes scientifiques sur les interactions
entre langage et musique, sur l’influence bénéfique de cette dernière sur les capacités cognitives,
et sur la plasticité cérébrale. Les pratiques musicales touchent au plus profond de notre cerveau,
en coordonnant l’activité de nombreux circuits corticaux et sous-corticaux qui sont associés à
des expériences cognitives et affectives ayant de très fortes implications pour la mémoire.

BIGAND Emmanuel dir., HABIB Michel dir., BRUN Vincent dir., Musique et
cerveau : nouveaux concepts, nouvelles applications, Sauramps Médical/
Montpellier, 2012, 135 p.
La littérature scientifique s’est enrichie ces dernières décennies de très nombreux travaux préci-
sant les effets de la musique sur le cerveau. L’objectif de cet ouvrage est d’illustrer ces connais-
sances et ces débats pour quelques-uns des domaines les plus marquants de la recherche
scientifique médicale, avec des applications thérapeutiques maintenant reconnues, mais aussi
avec un large champ de perspectives pour l’avenir.

N° 75 - septembre 2017
HABIB Michel, BESSON Mireille, « Langage, musique et plasticité cérébrale :
perspectives pour la rééducation », Revue de neuropsychologie, 2008, vol. 18,
n° 1-2, p. 103-126
L’expertise musicale est associée à des particularités qui ont pu être révélées grâce aux moyens
de neuro-imagerie. Elles concernent plusieurs régions toutes impliquées soit dans le contrôle
moteur du geste soit dans les fonctions audio-perceptives. L’apprentissage de la musique possède
des effets plus généraux sur la plasticité cérébrale. Les implications sont discutées, avec comme
perspective l’utilisation de l’entraînement musical chez des enfants souffrant de troubles
spécifiques d’apprentissage du langage et de la lecture.

KOLINSKY Régine dir., MORAIS José dir., PERETZ Isabelle dir., Musique, langage,
émotion : approche neuro-cognitive, Presses universitaires de Rennes/Rennes,
mai 2010, 127 p.
À la croisée de plusieurs disciplines – psychologie, psychologie cognitive, psycholinguistique,
neuropsychologie, neurosciences, musique – cet ouvrage illustre le foisonnement récent des
connaissances neuroscientifiques sur la musique et ses relations avec le langage et les émotions.
Les auteurs abordent la perception des structures musicales dans ses relations avec le langage,
le rôle et l’importance des émotions dans la musique ainsi que les éventuels dysfonctionnements
du traitement de ces émotions.

KRAUS Nina, SLATER Jessica, THOMPSON Elaine C., et al., « Music enrichment
programs improve the neural encoding of speech in at-risk children », The
journal of neurosciences, 2014, vol. 4, n° 36, p. 11913-11918 [en ligne]
152 L’équipe de chercheurs de l’école de communication de la Northwestern University de Chicago
a analysé in situ l’évolution de la perception sonore par le cerveau des enfants participant
pendant au moins deux ans à un programme de formation musicale. L’étude fournit les preuves
concrètes de l’évolution neurobiologique du cerveau de ces enfants. Elle démontre que l’appren-
tissage de la musique peut littéralement remodeler le cerveau d’un enfant de façon à améliorer
sa réception sonore, ce qui améliore automatiquement ses aptitudes d’apprentissage et d’acqui-
sition du langage. [http://bit.ly/1w919qx]

LECHEVALIER Bernard dir., PLATEL Hervé dir, Le cerveau musicien : neuro-


psychologie et psychologie cognitive de la perception musicale, De Boeck
Supérieur/Bruxelles, 2010, 332 p.
Comment percevons-nous la musique ? L’ouvrage fait explicitement le lien entre les études de
psychologie cognitive et de neurosciences cliniques et fondamentales sur la perception musicale.
Il permet de comprendre comment la musique est un stimulant cognitif et cérébral et une
forme d’expression particulière de l’intelligence, qui trouvent leur source dans le besoin de
notre cerveau d’associer expériences sensorielles, motrices et émotionnelles.

LEMAN Marc, Embodied music cognition and mediation technology, MIT Press/
Cambridge MA, 2008, 297 p.
S’appuyant sur des travaux issus de la recherche en informatique, psychologie, neurosciences
et musicologie, l’ouvrage propose une théorie sur l’incarnation de la cognition musicale. Le
corps humain agirait comme un médiateur entre l’esprit et le monde physique, musical. L’expé-
rience musicale serait basée sur une interaction entre le la musique et le corps. Il présente un
modèle qui décrit la relation entre un sujet humain et son environnement ; il analyse le couplage
perception/action, explore différents niveaux d’engagement du corps et examine les applications
possibles.

re vue i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


dossier

TRAINOR Laurel, HANNON Erin, « Musical development », in The psychology


of music, DEUTSCH Diana dir., Elsevier/London, 2013, p. 423-497
Les auteurs passent en revue les phases essentielles du développement des aptitudes musicales
en détaillant les interactions musicales précoces des nourrissons et de leurs parents, puis en
montrant comment se forgent, au fil des premières années, les fondements des aptitudes mélo-
diques, rythmiques et harmoniques. L’impact de la formation musicale sur les aptitudes psycho-
logiques générales est également abordé.
TREHUB Sandra, TRAINOR Laurel, « Les stratégies d’écoute chez le bébé :
origine du développement de la musique et de la parole », in Penser les sons :
psychologie cognitive de l’audition, BIGAND Emmanuel dir., MCADAMS Stephen
dir., PUF/Paris, 1994, p. 299-347
Les auteurs analysent en détail toutes les aptitudes musicales précoces des nourrissons dans les
domaines de la perception du rythme, de la hauteur et de l’harmonie. On y découvre que
les nourrissons sont de véritables musicologues, bien avant l’heure.

Les impacts de l’éducation


et de la pratique musicales

CATTERALL James C., DUMAIS Susan A., HAMPDEN-THOMPSON Gillian, The


arts and achievement in at-risk youth: findings from four longitudinal studies,
National endowment for the arts/Washington, 2012, 27 p. [en ligne]
La pratique d’activités artistiques améliore-t-elle les résultats scolaires et les compétences
comportementales et sociales des enfants et des jeunes défavorisés ? Les auteurs examinent les 153
données issues de quatre grandes études longitudinales nord-américaines pour comparer les
résultats obtenus par les élèves ayant une pratique assidue des arts (musique, danse, théâtre,
arts visuels) à l’école ou hors de l’école avec ceux des élèves ne pratiquant pas ou peu une
activité artistique. Les résultats suggèrent que l’éducation artistique peut constituer une voie
importante pour améliorer les résultats des jeunes défavorisés. [http://bit.ly/1OCm908]
HALLAM Susan, The power of music: a research of the impact on the intellec-
tual, social and personal development of children and young people, Inter-
national Music education research centre – iMERC/London, 2015, 168 p. [en ligne]
Ce rapport fournit un panorama des bénéfices de la musique sur le développement intellectuel,
social et personnel des enfants et des jeunes. Il explore les preuves fournies par les neurosciences
et la littérature de recherche de l’impact de l’apprentissage de la musique sur le développement
du langage, le développement intellectuel, la créativité, la confiance en soi, la sensibilité
émotionnelle, la concentration, le travail en équipe, et le bien-être. Une pratique musicale
assidue contribue à améliorer toute une gamme de compétences non musicales.
[http://bit.ly/2sayyWV]

LAURET Jean-Marc, L’art fait-il grandir l’enfant ? Essai sur l’évaluation artis-
tique et culturelle, Éditions de l’Attribut/Toulouse, 2014, 160 p.
Souvent reléguée après les apprentissages fondamentaux, l’éducation artistique et culturelle ne
va pas de soi. Ses objectifs peuvent diverger : réussite scolaire, intégration professionnelle ou
épanouissement personnel. L’ouvrage propose une synthèse des recherches menées depuis une
trentaine d’années, principalement aux États-Unis, en matière d’évaluation artistique et
culturelle. Il privilégie une approche qualitative, en s’appuyant sur les compétences forgées
par l’éducation artistique : créativité, imagination, confiance personnelle, concentration,
faculté d’apprentissage, estime de soi, ouverture à l’autre, prise de conscience de son
environnement.

N° 75 - septembre 2017
WINNER Ellen, GOLDSTEIN Thalia R., VINCENT-LANCRIN Stéphane, L’art
pour l’art ? L’impact de l’éducation artistique, OCDE/Paris, 2014, 300 p.
L’éducation artistique est souvent considérée comme un moyen de développer des compétences
essentielles pour l’innovation : pensée critique et créative, motivation, confiance en soi, capacité
à communiquer et coopérer, mais aussi des compétences dans des disciplines scolaires non
artistiques. L’ouvrage a pour objectif d’évaluer l’impact de l’éducation artistique sur un vaste
éventail de compétences, en examinant de manière critique l’ensemble des travaux de recherche
menés actuellement dans le domaine de l’éducation et de la psychologie. Les différents types
d’éducation artistique étudiés comprennent l’enseignement des arts dans le cadre scolaire
(musique, arts plastiques, théâtre et danse), et hors du cadre scolaire.

Impacts sur les facultés


cognitives et comportementales

LECOQ Aurélie, SUCHAUT Bruno, L’influence de la musique sur les capacités


et les apprentissages des élèves en maternelle et en cours préparatoire, IREDU/
Dijon, 2012, 6 p.
Cette note expose les résultats d’une recherche dans les classes de grande section maternelle,
dont l’objectif était de mesurer les effets de la pratique musicale sur le développement cognitif
et les acquisitions scolaires. L’expérimentation confirme l’efficacité des activités musicales
sur les acquisitions scolaires des jeunes élèves même si les mécanismes de transfert entre
musique, capacités cognitives et performances scolaires n’ont pu être clairement mis à jour.
154 [http://bit.ly/1PFxQo3]

SCHELLENBERG E. Glenn, « Music lessons enhance IQ », Psychological Science,


vol. 15, n° 8, 2004, p. 511-514 [en ligne]
Cette étude expérimentale menée auprès d’enfants de six ans avait pour but de tester l’hypothèse
selon laquelle la musique rend plus intelligent. 144 enfants de 6 ans ont été répartis de manière
aléatoire dans quatre groupes : cours de clavier, cours de chant, cours de théâtre et aucun cours.
Le QI des enfants a été testé avant le début des cours et après 36 semaines de cours. L’auteur
montre que les cours de musique, par opposition aux cours de théâtre ou à l’absence d’ensei-
gnement artistique, induisaient une augmentation des scores obtenus aux tests de QI par les
jeunes enfants. [http://bit.ly/1kIMv07]

Éducation musicale, lecture


et conscience phonologique
BOLDUC Jonathan, RONDEAU Julie, « Rythmons les apprentissages ! », Langage
et pratiques, 2015, vol. 56, p. 15-22 [en ligne]
De nombreuses études ont documenté l’impact de l’éducation musicale sur le développement
des habiletés d’éveil à l’écrit. Des recherches ont notamment établi des corrélations positives
et des liens causals significatifs entre le traitement rythmique et les capacités de conscience
phonologique au préscolaire. À cette période où les apprentissages ludiques prédominent, la
réalisation de comptines combinant rythmes et mots serait un moyen efficace de sensibiliser
l’enfant aux unités sonores du langage. [http://bit.ly/2sZuR6u]

re vue i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


dossier

FLAUGNACCO Elena, LOPEZ Luisa, TERRIBILI Chiara, et al. « Music training


increases phonological awareness and reading skills in developmental dyslexia:
a randomized control trial », PLoS ONE, 2015, 17 p. [en ligne]
La dyslexie, qui se manifeste par des difficultés de lecture, serait due à un problème d’encodage
des sons. La musique favoriserait la synchronisation neuronale pour traiter les tonalités et les
rythmes, avec des répercussions positives sur l’audition et le langage. Les chercheurs ont testé
le bénéfice d’une cure de musique chez des enfants dyslexiques. Des séances hebdomadaires
de musique rythmée pendant quelques mois améliorent considérablement les capacités de
lecture des enfants dyslexiques. Il y a un transfert de compétence au sein du cerveau, du rythme
vers l’habilité à discerner les sons et donc à lire correctement. [http://bit.ly/2supISQ]

Compétences sociales
KIRSCHNER Sebastian, TOMASELLO Michael, « Joint music making promotes
prosocial behavior in 4-year-old children », Evolution and human behavior,
vol. 31, 2010, p. 354-364 [en ligne]
Dans les cultures traditionnelles, la musique et la danse font souvent partie intégrante de
cérémonies de groupe importantes ; l’une des hypothèses est que la musique favoriserait le lien
social, la cohésion du groupe et la coopération. Des enfants de 4 ans participant à une formation
musicale en groupe pendant dix mois ont été comparés un groupe témoin de même statut
socio-économique. Les enfants du groupe de musique étaient plus susceptibles d’aider spon-
tanément un autre enfant. Les résultats suggèrent que la formation musicale en groupe facilite
le développement des compétences prosociales. [http://bit.ly/2uhz578]

PEARCE Eiluned, LAUNAY Jacques, DUNBAR Robin I. M., « The ice-breaker


effect: singing mediates fast social bonding », Royal society open science, 155
octobre 2015, n° 2, 9 p. [en ligne]
Pendant sept mois, des groupes d’adultes suivant une fois par semaine les cours de chant choral
ont été observés. Dans cette étude, les chercheurs prouvent que cette activité agit à plusieurs
niveaux liés à la socialisation : elle exige la coordination, donc l’interaction, et augmente le
comportement pro-social et le sentiment d’affiliation. Ils ont mesuré un regain de sentiments
positifs et une plus grande tolérance à la douleur, par la production augmentée de deux
hormones impliquées dans l’attachement et le sentiment de bien-être : l’endorphine et
l’ocytocine. [http://bit.ly/2suoRld]

Politiques et initiatives
d’apprentissage
de la musique
Politique internationale
et européenne
DUDT Simone, « From Seoul to Bonn: a journey through international and Euro-
pean music education policies », in Listen out: International perspectives on
music education, HARRISON Chris dir., HENNESSY Sarah dir., Musik Mark/
London, 2012, p. 126-137 [en ligne]
L’auteure examine les contextes de politique culturelle internationaux et européens pour
l’éducation musicale. Elle explore les stratégies développées par l’Unesco en matière d’éducation
artistique et fournit un aperçu des politiques en place au niveau de l’Union européenne.
[http://bit.ly/2selXgP]

N° 75 - septembre 2017
EMC : European Music Council, La Déclaration de Bonn : une adaptation de
l’Agenda de Séoul dans le contexte européen de la musique, EMC/Bonn, 2011,
5 p. [en ligne]
En mai 2011, le Conseil européen de la musique (CEM) a invité des structures actives dans le
domaine de l’éducation musicale à discuter de la mise en œuvre des objectifs pour le dévelop-
pement de l’éducation artistique inclus dans l’Agenda de Séoul. La Déclaration de Bonn reflète
les arguments de l’Agenda et interprète ces objectifs en mettant l’accent sur l’enseignement de
la musique en Europe. [http://bit.ly/2siYdfg]

UNESCO, L’Agenda de Séoul : objectifs pour le développement de l’éducation


artistique, UNESCO/Paris, 2010, 11 p. [en ligne]
Résultant de la seconde Conférence mondiale de l’UNESCO sur l’éducation artistique, l’Agenda
de Séoul appelle l’attention des États membres de l’Unesco, de la société civile, des organisations
et communautés professionnelles, sur la nécessité de reconnaître les objectifs, d’appliquer les
stratégies proposées et de mettre en œuvre les actions, dans un effort concerté pour parvenir
à une éducation artistique de grande qualité qui profite aux enfants, aux jeunes et aux appre-
nants de tous âges. [http://bit.ly/2rmvl6I]

Études transnationales
COX Gordon dir., ROBIN Stevens dir., The origins and foundations of music
education cross-cultural historical studies of music in compulsory schooling,
Continuum/London, 2010, 256 p.
156 L’ouvrage explore les origines et les fondements de l’éducation musicale et examine son inté-
gration dans le curriculum de l’enseignement scolaire en Europe (Grande-Bretagne, France,
Allemagne, Irlande, Norvège, Espagne), en Amérique du Nord (Canada, États-Unis), en
Amérique latine (Argentine, Cuba), en Afrique, et en Asie-Pacifique (Australie, Chine, Japon,
Afrique du Sud). Les différentes contributions analysent, dans le contexte politique et social
de chaque pays, les objectifs et contenus du programme d’enseignement, les méthodes péda-
gogiques, la formation des enseignants et les expériences des élèves.

Eurydice : réseau d’information sur l’éducation en Europe, L’éducation artistique


et culturelle à l’école en Europe, EACEA: Education audiovisual and culture
executive agency/Bruxelles, septembre 2009, 106 p. [en ligne]
L’étude examine la place de l’éducation artistique et culturelle dans les programmes scolaires
de trente pays européens ; elle en présente les objectifs, l’organisation, l’offre d’activités extra-
scolaires ainsi que les initiatives en faveur du développement de l’éducation artistique et cultu-
relle. [http://bit.ly/2u16iDE]

DURAN Lucy éd., Growing into music: a multicultural study of musical


enculturation in oral traditions, School of oriental and african studies, London
University/London, 2012, DVD, 1:05 mm [en ligne]
Réalisé dans le cadre du projet Growing Into Music, ce film explore la façon dont les enfants
acquièrent les répertoires et les techniques de la musique dans différentes cultures de tradition
orale (Inde, Mali, Guinée, Azerbaïdjan, Cuba, Venezuela). L’apprentissage se déroule parfois
au sein des familles, et implique différentes pédagogies, allant des leçons individuelles à
l’apprentissage en groupe, par jeu, osmose, imitation ou encore à l’école. Les enfants
apprennent le langage corporel de la musique avant même d’apprendre la technique musicale.
[http://bit.ly/2tTN6Km]

re vue i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


dossier

Politiques
et pratiques nationales
BMBF: Bundesministerium für Bildung und Forschung, Instrumentalunterricht
in der Grundschule: Prozess- und Wirkungsanalysen zum Programm Jedem
Kind ein Instrument, BMBF/Berlin, 2015, 292 p. [en ligne]
Dispensé dans des écoles primaires, en Rhénanie du Nord – Westphalie depuis 2008, puis
à Hambourg, le programme JeKi – Jedem Kind ein Instrument a pour objectif de permettre à
chaque enfant d’apprendre à jouer d’un instrument de musique. Il repose sur un partenariat
local entre un établissement scolaire et un conservatoire de musique, dans une logique
d’initiation à la pratique instrumentale, vocale ou chorégraphique, en groupe. Ce rapport
présente les résultats scientifiques des projets de recherche sur JeKi financés par le BMBF selon
quatre perspectives : les effets de l’enseignement instrumental à l’école primaire, la coopération
entre l’école de musique et les enseignants, la qualité de l’enseignement. [http://bit.ly/2svfpj6]

OFSTED: Office for standards in education children’s services and skills, Music in
schools: what hubs must do, OFSTED/London, 2013, 23 p. [en ligne]
Les Music Education Hubs ont été mis en place en 2012 dans le cadre du plan national
d’éducation musicale britannique. Ces centres agissent localement, en regroupant et coordon-
nant les partenariats entre écoles, autorités locales, structures associatives et professionnelles,
afin de répondre aux besoins d’un territoire ou d’une communauté. Le rapport précise que les
Music Hubs ont insufflé une vitalité et une énergie nouvelles ainsi qu’une méthode collaborative
dans le travail avec les jeunes. Il souligne de grandes disparités entre les différentes régions.
[http://bit.ly/2uyyrS0]

UIBEL Stefanie, « Education through music – the model of the Musikkinder- 157
garten Berlin », Annals of the New York Academy of Sciences, vol. 1252, 2012,
p. 51-55
L’auteure présente le Musikkindergarten de Berlin, créé en 2005 à l’initiative du pianiste et chef
d’orchestre Daniel Barenboïm. Plus qu’un simple éveil musical, ce jardin d’enfants propose
une véritable éducation par la musique. Les enseignants spécialement formés travaillent en
étroite collaboration avec les musiciens de la Staatskapelle. Tous les projets développés passent
par la musique.

ZHE Ji, « Éduquer par la musique : de l’“initiation” des enfants à la musique


classe à la “culture de soi” confucéenne des étudiants », Perspectives chinoises,
2008, vol. 104, n° 3, p. 118-129 [en ligne]
La politique et l’éducation sont indissociables dans les tentatives de promouvoir le confucia-
nisme en Chine contemporaine. L’union alors célébrée du sacré, du pouvoir et du savoir s’inscrit
en tension avec une modernité d’abord caractérisée par la différenciation des institutions et
des valeurs. Partant de ce constat, l’article étudie le cas particulier d’une société engagée
depuis 2000 dans l’initiation des enfants à la musique classique et dans la promotion de la
« culture de soi » chez les élèves. [http://bit.ly/2rTVc23]

France
BONNERY Stéphane coordinateur, « L’enseignement de la musique, entre insti-
tution scolaire et conservatoires », Revue française de pédagogie, n° 185, 2013,
p. 5-68 [en ligne]
Ce dossier explore les nouvelles formes curriculaires de l’enseignement de la musique, à l’école
et dans les conservatoires : dans les cours d’éducation musicale de l’enseignement secondaire ;

N° 75 - septembre 2017
dans les projets partenariaux destinés aux élèves de l’enseignement secondaire ; dans les dépar-
tements de « musiques actuelles » des conservatoires qui accueillent des adolescents et des
jeunes adultes ; et dans les dispositifs partenariaux d’éveil musical, destinés aux tout petits
enfants et à leurs parents. [http://bit.ly/2sd8iHK]

DOUCET Sandrine, Les territoires de l’éducation artistique et culturelle :


rapport au premier ministre, 2017, 107 p. [en ligne]
Comment généraliser les actions d’éducation artistique et culturelle ? Selon l’auteure, l’élément
clé de cette démarche est le parcours d’éducation artistique et culturelle (PEAC). Le rapport
préconise de construire le parcours en commun en facilitant sa co-construction au plus près
du territoire de vie des enfants, sur les temps scolaires, périscolaire et extrascolaires, et de
garantir le parcours pour tous, en mettant en valeur l’importance de la gouvernance stratégique
à l’échelle régionale. [http://bit.ly/2rqV5d1]

LÉON Jean-Charles coordinateur, « Arts et culture : quels parcours ? », Cahiers


pédagogiques, n° 535, janvier 2017, p. 10-56
Pour donner aux jeunes un égal accès à l’art et à la culture, les derniers textes officiels concer-
nant l’éducation artistique et culturelle mettent l’accent sur la notion de « parcours », qui doit
permettre à l’élève de se constituer une culture personnelle, de développer son habileté artis-
tique et de rencontrer des artistes, des œuvres, des lieux. Une charte pour l’éducation artistique
et culturelle a été présentée en juillet 2016. Parmi ses dix principes clés figurent l’exigence de
l’accessibilité de l’art à tous, et l’affirmation que la culture est un lien qui permet au jeune
de s’inscrire comme sujet du monde.

158 Les orchestres et chœurs


d’enfants et de jeunes
Le programme El Sistema
ALEMÁN Xiomara, DURYEA Suzanne, GUERRA Nancy G., et al., « The effects
of musical training on child development: a randomized trial of El Sistema in
Venezuela », Prevention Science, 2016, p. 1-14
Le curriculum du programme vénézuélien El Sistema met l’accent sur les interactions sociales
par l’apprentissage collectif de la musique. L’article décrit les résultats d’une étude visant à
évaluer les effets du programme sur le développement des enfants défavorisés fortement exposés
à la violence. L’expérimentation conduite dans 16 nucleos (centres de musique) a porté sur un
échantillon de 2 914 enfants. Les estimations indiquent une amélioration de la maîtrise de soi
ainsi qu’une réduction des problèmes de comportement et suggèrent que la participation à
El Sistema pourrait jouer un rôle important dans la prévention de la violence et l’acquisition
de compétences prosociales. [http://bit.ly/2uhz578]

BAKER Geoffrey, El Sistema: orchestring Venezuela’s youth, Oxford university


press/Oxford, 2014, 362 p.
L’ouvrage constitue l’une des premières analyses critiques d’El Sistema, souvent présenté comme
un moyen de changer le monde. Il questionne les aspects pédagogiques du programme, explo-
rant les problématiques de l’orchestre symphonique. Il interroge la réalité du slogan du système,
« action sociale à travers la musique ». Enfin, il analyse la manière dont le programme a réussi
ses objectifs, et les rapports entre rhétorique, représentation et réalité. Selon l’auteur, l’idée
d’une « action sociale à travers la musique » défendue relève en fait davantage d’une stratégie
de marketing.

re vue i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


dossier

CREECH Andrea, GONZALEZ-MORENO Patricia, LORENZINO Lisa, et al.,


El Sistema and Sistema-inspired programs: a literature review of research,
evaluation, and critical debates – second edition 2016, Sistema global/San Diego,
2016, 223 p. [en ligne]
Les dispositifs El Sistema, développés par plus de 90 pays suscitent un nombre croissant de
publications. Comment se situent-ils dans le paysage de l’éducation musicale ? Les pratiques
pédagogiques peuvent-elles être utilisées dans d’autres contextes culturels ? Cette revue de
la littérature présente l’état des connaissances sur le programme et les dispositifs inspirés
d’El Sistema. Elle synthétise les principaux résultats issus des rapports de recherche et
d’évaluation. Elle examine le fonctionnement du programme, ses effets sur les compétences,
la participation des familles, les aspects pédagogiques, la progression des élèves. Une partie
présente les différents débats et critiques que suscite le programme.

Dispositifs d’éducation musicale


dans différents pays

APPEZZATO Ricardo, BRUNO Marta, CAZNOK Yara, et al., « A experiência do


Guri Santa Marcelina no ensino musical e inclusão social », Synergies-Brésil,
n° 9, 2011, p. 88-97 [en ligne]
À côté du travail d’éducation musicale, Guri Santa Marcelina développe plusieurs actions
socio-éducatives, dans le but de transformer les personnes et les communautés. Lancé en 1995
par l’État de São Paulo, ce dispositif brésilien offre depuis sa création à plusieurs milliers 159
d’enfants des cours de solfège et des expériences régulières de pratiques chorales et instrumen-
tale en dehors du temps scolaire. Cet article décrit l’expérience, la mission et les objectifs
généraux de ce programme. [http://bit.ly/2sxoN4Z]

CHONG Hyuan Ju, KIM Soo Ji, « Development of school orchestra model in
Korean public schools and student’s perception of the orchestra experience »,
IJEA: International journal of education & the arts, 2016, vol. 17, n° 35, p. 1-17
[en ligne]
En 2011, le ministère de l’éducation coréen a lancé le projet d’orchestre à l’école SOP (School
orchestra project), afin de développer des programmes pour les élèves identifiés à risque dans
des régions défavorisées. L’article décrit la mise en place de ce projet mis en œuvre dans
77 établissements d’enseignement primaire et la perception des élèves. Les résultats indiquent
que le projet peut offrir aux élèves une opportunité d’acquérir des expériences positives pour
la confiance en soi et les relations sociales. [http://bit.ly/2rvB8mw]

COEN Pierre-François, MORA Giorgia, Évaluation des orchestres en classe de


Genève : rapport scientifique, Haute école pédagogique de Fribourg/Fribourg,
octobre 2015, 63 p. [en ligne]
Les expériences d’Orchestres en classe se développent de plus en plus en Suisse romande. À quoi
servent les orchestres de classe ? Quels sont les effets et impacts de ce dispositif sur les appren-
tissages musicaux et les compétences sociales ? La confiance et la discipline ? Le but principal
de l’orchestre en classe, à savoir le plaisir de faire de la musique ensemble, est plébiscité par
tous. [http://bit.ly/2sEzgdY]

N° 75 - septembre 2017
DESLYPER Rémi, ELOY Florence, GUILLON Vincent, et al., Pratiquer la musique
dans Démos : un projet éducatif global ?, Observatoire des politiques culturelles/
Grenoble, 2016, 117 p. [en ligne]
Initié en 2010 et coordonné par la Cité de la musique - Philharmonie de Paris, Démos (Dispo-
sitif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale) est un projet de démocratisation
culturelle centré sur la pratique musicale en orchestre. De dimension nationale, il est destiné
à des enfants habitant des quartiers relevant de la politique de la ville ainsi que des zones
rurales insuffisamment dotées en institutions culturelles. Utiliser cette activité comme support
d’un accompagnement social plus large, profiter de ce cadre pour renouveler la pédagogie de
l’enseignement musical, ou encore construire un modèle d’éducation par l’art destiné à la
formation de l’individu et du citoyen constituent autant de facettes du projet Démos, dont ce
rapport présente les résultats de l’évaluation globale. [http://bit.ly/2t2aX6X]

GCPH: Glasgow centre for population health, Evaluating Sistema Scotland: initial
findings report, GCPH/Glasgow, 2015, 86 p. [en ligne]
Big Noise - Sistema Scotland a pour mission de transformer des vies par la musique d’orchestre.
Soutenu par le gouvernement écossais, il est implanté depuis 2008 dans deux quartiers défa-
vorisés de Stirling et de Glasgow. L’accent est mis sur l’apprentissage en groupe et sur une
pédagogie musicale essentiellement basée sur le rythme et le corps. Ce rapport présente les
résultats de l’évaluation de l’impact de ce programme sur la vie des enfants. Il indique notam-
ment qu’il améliore la confiance, la fierté et l’estime de soi, la santé et le bien-être, ainsi que
la fréquentation scolaire, les aspirations des enfants et de leur communauté. [http://bit.ly/2swpECS]

HILLE Adrian, Étude d’impact des orchestres à l’école, Institut Montaigne/Paris,


2010, 39 p. [en ligne]
160 Orchestre à l’école est un projet qui permet à des élèves de collège, notamment en zone
d’éducation prioritaire, d’apprendre un instrument pendant trois ans. Cette étude examine
l’impact de la participation à un orchestre à l’école sur les résultats académiques, la note de
vie scolaire, ainsi que des caractéristiques non-cognitives comme l’attitude envers l’école,
l’ambition, l’estime de soi, les rapports sociaux et la confiance envers les autres. L’expérimen-
tation a permis de favoriser de manière significative le développement des capacités cognitives
et non-cognitives des élèves. [http://bit.ly/2tFmABq]

LABORDE Denis dir, L’orchestre pour exister ensemble ? Démos au cœur de la


cité : enquête sur le projet Démos réalisée par l’institut de recherche sur les
musiques du monde dans le cadre d’une convention avec la philharmonie de
Paris, Philharmonie de Paris/Paris, 2016, 119 p. [en ligne]
Les auteurs interrogent la capacité de modélisation du projet Démos, en analysant la manière
dont l’équipe de coordination met en place et anime un système de coopération propre à
chaque territoire. En articulant les effets individuels du dispositif avec ses effets globaux, l’étude
propose une série d’interrogations pour l’avenir du dispositif. [http://bit.ly/2rdKJNw]

re vue i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


dossier

Abstracts
Introduction
The transformational power of music: What are the implications for society? p. 45
Emmanuel Bigand
The raison d’être of music has often been debated: is it simply recreational, or a sublime artistic
activity? Studies in cognitive neuroscience now suggest that music exercises a transformational power
on the brain and how the mind works. This power manifests itself from the first minutes to the last
instants of life. It seems to have contributed to the development of the fundamental cognitive and
social competences of human beings. The implications of these studies are essential for health and
education policies and should lead us to reconsider music learning today.
Music and brain plasticity p. 55
Laura Ferreri
The human brain has the unique ability to modify its structure and function throughout our life, a
phenomenon known as brain plasticity. Music is a rich and complex stimulus able to stimulate the
whole brain, thus inducing important neuronal changes. What is the relation between music and
brain plasticity? After an introduction on the neuroscientific interest in music and brain plasticity
processes, this article aims at presenting the main findings on music-driven neuroplasticity. The
effects of musical training and musical expertise on the brain will be first explored. Furthermore,
the important consequences that music-related brain stimulation and changes have on the stimulation
of other non-musical functions will be considered and discussed from a neurorehabilitation
perspective.
Music in infancy
Emotional development, self-regulation and building cooperative social relationships p. 65
Laurel J. Trainor
Music is often viewed as a frill in education that can be dispensed with at little cost to children’s
development. In this paper, research is presented indicating that, very early in life, musical interactions 161
can influence children’s social and emotional development, and likely contribute to the development
of skills such as self-regulation that affect virtually all aspects of future success.
The cognitive sciences and traditions of oral teaching in Indian classical music p. 75
Shantala Hedge
Indian classical music (ICM) is one of the oldest musical traditions. It is an oral tradition. Various
techniques and methods are unique to this oral method of teaching and the Guru–Shishya (teacher–
student) tradition of teaching has been considered crucial since its origins in the Vedic era (c.5000
BC). The Guru plays the key role in passing on not just the technical knowledge of the subject but
the true essence of ICM – spirituality. Systematic research on ICM and its unique methods of teaching
can shed new light on understanding its overall benefits from a psychological and neuroscientific
perspective.
Learning pan: Learning to be in Trinidad and Tobago
From a personal accomplishment to nation-building p. 87
Aurélie Helmlinger
What do we learn when learning pan, Trinidad and Tobago’s national instrument, also called
“steelpan” or “steeldrum”? Just like any other musical practice, playing in a steelband requires a
variety of competences in which social, musical and various cognitive parameters like emotions,
memory and motricity are intimately interlocked. Musical knowledge in the strict sense of the term
is what catches the attention when we speak of transmission, but it is only one facet of a much wider
range of abilities. A comprehensive overview of the skills learnt in a steel band is proposed here,
with a focus on musical, social and political skills.
Music and Senegalese identities p. 97
Moussa Sy
Senegalese students’ lack of interest in music lessons shows that a change of approach is needed.
Music is one of the important bases of traditional society in Senegal and integrates admirably with
the various aspects of social life. This article seeks to enhance the value ascribed to traditional music

N° 75 - septembre 2017
teaching and its methods while encouraging students to be open to music from elsewhere, so that
Senegalese music, drawing on new teaching blueprints, will convey the richness of its culture in a
modern perspective.
When music sets the tone
Musical culture, education and community in Class D at the Sankt Annæ Gymnasium,
Copenhagen (2011–2014) p. 107
Henrik Reeh
The Sankt Annæ Gymnasium is renowned for its students’ results and for being home to an intense
choral and musicological tradition. This article examines the trajectories of 32 students from the
same class, all of whom obtained their baccalaureate in 2014 with a specialization in music and
mathematics. A survey documents the role of music in their lives. The respondents describe music
as the basis of a high school community. More than a specific form of knowledge, music reinforces
intellectual discipline, promotes general culture and offers respite from academic pressure. In order
to understand this coexistence between music and education, the relation between “individual” and
“community” is examined and the notion of “culture” points to the interface that can describe the
pedagogical dynamic in question.
The “Orchestras at School” scheme and its impact on a local area
The case of the département of Mayenne in France p. 117
Denis Waleckx
Many schemes aiming to democratize access to cultural practice and consumption are based on a
reinforced partnership between the ministries responsible for education and culture and local
authorities. Drawing upon the convincing example of the deployment of the “Orchestras at School”
scheme in Mayenne, this article seeks to shed light on the reasons that might explain its favourable
welcome in this département, and to report on all the impacts it has entailed, both in terms of the
development of solid and varied competences among the students involved and in terms of
intergenerational transmission of knowledge and artistic outreach in the area.

162 Music and social cohesion in a decolonial moment in South Africa p. 129
Stephanus Muller
This article describes the different institutional musical initiatives taken during the wave of protest
that gripped South African universities in 2015 and 2016. It considers different types of responses
– structural, archival and event-driven – which were advanced at this moment of crisis in South
African higher education, and takes the example of Stellenbosch University in Western Cape (South
Africa) to illustrate the way in which institutionally innovative approaches to the teaching of music
at university could contribute to responding to students’ demands for the decolonial transformation
of South African universities.
El Sistema at the crossroads
Principles and perspectives of a global network p. 139
Maria Majno
Since the creation of El Sistema by J. A. Abreu in Venezuela in 1975, this effort to achieve social
inclusion based on collective musical practice has now spread to over 65 countries across five conti-
nents. The results at the educational and artistic level are as remarkable as the challenges that have
been encountered in adapting to different contexts, while the effects are felt not only in the educa-
tional field but also at the level of cognition and socialization. This article reflects upon the inter-
national rise of projects inspired by this model, after an updated summary of the principles that
inspire it.

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dossier

Resúmenes
Introduction
El poder transformacional de la música : ¿ qué implicaciones para la sociedad ? p. 45
Emmanuel Bigand
La razón de ser de la música ha sido objeto de repetidos debates : ¿mero ocio o actividad artística
sublime? Hoy en dia, los estudios de neurociencias cognitivas sugieren que la música ejerce un poder
transformacional sobre el cerebro y el funcionamiento de la mente. Este poder se manifiesta desde
los primeros minutos hasta los últimos instantes de la vida. Parece haber contribuido al desarrollo
de las competencias cognitivas y sociales fundamentales de los humanos. Las implicaciones de estos
estudios son esenciales para las políticas de salud y de educación y nos invitan a volver a pensar el
aprendizaje de la música hoy.

Música y plasticidad cerebral p. 55


Laura Ferreri
El cerebro humano tiene la capacidad única de modificar su estructura y su función a lo largo de la
vida, fenómeno llamado plasticidad cerebral. La música es un estímulo rico y completo capaz de
estimular todo el cerebro, induciendo unos cambios neuronales importantes. ¿ Cuál es la relación
entre música y plasticidad cerebral ? Después de una introducción sobre el interés neurocientífico
por la música y los procesos de plasticidad cerebral, este artículo se propone presentar los principales
resultados sobre la neuroplasticidad inducida por la música. Se examinan primero los efectos de la
formación y de los conocimientos músicales sobre el cerebro. Se abordan y estudian luego desde el
punto de vista de la remediación neurológica la importancia de la estimulación y de los cambios del
cerebro vinculados con la música sobre la estimulación de otras funciones no musicales.

La música para los muy pequeños


Desarrollo emocional, autoregulación y cooperación social p. 65
Laurel J. Trainor
163
En el campo de la educación, la música se percibe a menudo como un lujo del cual podemos pres-
cindir sin que surjan consecuencias reales sobre el desarrollo del niño. La investigación presentada
en este artículo muestra por lo contrario que, desde una edad muy precoz, las interaciones musicales
influencian el desarrollo social y emocional de los niños y juegan un papel en su adquisición de
capacidades como la autoregulación, indispensables, en no pocos aspectos, para el éxito de su vida
futura.

Ciencias cognitivas y tradiciones de enseñanza oral en la música clásica india p. 75


Shantala Hedge
La música clásica india es una de las más antiguas tradiciones musicales en el mundo y es una
tradición oral. Varias técnicas y métodos de enseñanza son específicos de ésta, especialmente la
tradición de enseñanza maestro-discípulo (Guru-Shishya Parampara), que siempre ha sido conside-
rada como un elemento crucial de esta enseñanza desde sus orígenes en la era védica (alrededor de
5000 antes de Cristo). El Gurú desempeña un papel mayor al transmitir no sólo su saber técnico
sobre el tema, sino también lo que constituye la esencia misma de la música clásica india, a saber
su dimensión espiritual. Unos trabajos de investigación más sistemáticos sobre esta tradición musical
y sus métodos de enseñanza específicas permitirían echar nueva luz sobre la comprensión de sus
beneficios globales en una perspectiva psicosocial y neurocientífica.

Aprender el pan, aprender a ser


De la realización personal a la construcción nacional en Trinidad y Tobago p. 87
Aurélie Helmlinger
¿ Qué es lo que uno aprende cuando se inicia a la práctica del pan, llamado también a veces steelpan
o steeldrum ? Como toda práctica musical, el juego en steelband requiere una variedad de compe-
tencias entre las que lo social, lo musical y lo cognitivo (emociones, memoria, motricidad) se entre-
lazan íntimamente. Los conocimientos musicales propiamente dichos sólo son una faceta de los
dominios de aprendizaje desarrollados por la práctica de la música. El artículo propone un panorama
de las competencias aprendidas en un steelband, con particuliar énfasis en las competencias musicales,
sociales y políticas.

N° 75 - septembre 2017
Músicas e identidades senegaleses p. 97
Moussa Sy
El desinterés de los alumnos senegaleses por las clases de música muestra que es necesario cambiar
de manera de proceder. En Senegal, la música constituye una de las bases importantes de la sociedad
tradicional e integra maravillosamente los diversos aspectos de la vida social. El artículo invita a
revalorizar la enseñanza tradicional de la música y sus métodos, invitando al mismo tiempo a que
los alumnos se abran a músicas procedentes de otros horizontes, para que la música senegalesa, con
nuevos esquemas pedagógicos, sea portadora de riquezas de su cultura en una perspectiva moderna.
Cuando la música da el tono
Cultura musical, escolaridad y comunidad en la clase D del Instituto Santa Ana,
Copenhague (2011-2014) p. 107
Henrik Reeh
El instituto Santa Ana de Copenhague es un establecimiento de gran reputación por los resultados
de sus alumnos y por ser el lugar de una intensa tradición coral y musicológica. El artículo examina
las trayectorias de los 32 alumnos de una misma clase que aprobaron sin excepción el bachillerato
2014 con una opción música y matemáticas. Una encuesta documenta el papel de la música en sus
vidas. Los alumnos que contestan designan la música como la base de una comunidad dentro del
instituto. Más que un saber específico, la música refuerza la disciplina intelectual, promueve la cultura
general y ofrece un momento de alivio frente a la presión escolar. Para entender esta coexistencia
entre música y educación, se examina la relación entre « individuo » y « comunidad » y la noción
de « cultura » señala el punto de articulación que puede dar cuenta de la dinámica pedagógica en
cuestión.
El dispositivo « orquestas en la escuela » y su impacto en un territorio
El caso del departamento de la Mayenne en Francia p. 117
Denis Waleckx
Numerosos dispositivos que procuran democratizar el acceso a la práctica y al consumo culturales
se basan en una colaboración reforzada entre los ministerios encargados de la educación y de la
164 cultura y las colectividades territoriales. A partir del ejemplo significativo del desarrollo en Mayenne
del dispositivo « orquesta en la escuela », el artículo se propone aclarar las razones que pueden
explicar la acogida favorable de la que benefició en este departamento y dar cuenta de la totalidad
de las repercusiones que suscita tanto en términos de desarrollo de competencias sólidas y variadas
en los alumnos beneficiadores como en términos de transmisión intergeneracional y de animación
artística del territorio.
Música y cohesión social en un moment descolonial en África del Sur p. 129
Stephanus Muller
Este artículo evoca diferentes iniciativas musicales institucionales adoptadas durante una ola de
protesta que sacudió las universidades surafricanas en 2015 y 2016. Considera distintos tipos de
respuesta – en el marco estructural, archivístico y de los eventos – dadas a este tipo de crisis de la
enseñanza superior surafricana, y toma como ejemplo la universidad de Stellenbosch en la provincia
del Cap occidental (África del Sur) para ilustrar la manera con la que unas aproximaciones institu-
cionalmente inovadoras para la enseñanza de la música en la universidad podrían contribuir à
responder a las pedidas de transformación descolonial de la universidad surafricana expresadas por
los estudiantes.
El sistema en la encrucijada
Principios y perspectivas de una red mundial p. 139
Maria Majno
Desde la creación de El Sistema por J. A. Abreu en Venezuela en 1975, este esfuerzo de integración
social fundado en la práctica musical colectiva se ha extendido en más de 65 países sobre los cinco
continentes. Los resultados en el marco educativo y artístico son tan destacados como los retos
encontrados en las adaptaciones en diferentes contextos mientras que los efectos tocan tanto el campo
educativo como el cognitivo y el de la socialización. Después de una síntesis actualizada de los
principios que lo inspiran, el artículo propone una reflexión sobre el desarrollo internacional de
los proyectos inspirados por este modelo.

re vue i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


dossier

Les auteurs

Dossier

Hélène Beaucher est documentaliste au centre de ressources et d’ingénierie documentaires du Centre


international d’études pédagogiques. Courriel : beaucher@ciep.fr

Emmanuel Bigand est professeur de neurosciences cognitives à l’Université de Bourgogne. Il est membre
senior de l’Institut universitaire de France et il a dirigé jusqu’en 2016 un laboratoire du CNRS spécialisé
sur l’apprentissage et le développement cognitif. Il a effectué ses études au Conservatoire de musique
de Versailles et a été musicien d’orchestre pendant plusieurs années. Son travail de recherche porte
sur les processus d’écoute et d’apprentissage de la musique. Plusieurs études ont été consacrées aux
problèmes posés par les musiques contemporaines. Il a coordonné un programme européen de
recherche sur musique, cerveau et santé. Courriel : Emmanuel.Bigand@u-bourgogne.fr

Laura Ferreri est une chercheuse post-doctorale à l’unité de cognition et de plasticité cérébrales (Université
de Barcelone et IDIBELL Institut Biomedical, Barcelone, Espagne). Après un master en neurologie
cognitive à l’Université de Raffaele (Milan, Italie), elle a obtenu un doctorat en psychologie cognitive
à l’université de Dijon (France) dans le contexte du programme EBRAMUS (cerveau et musique
européens) Marie Curie. Son principal domaine de recherches concerne l’effet de la musique sur le
cerveau, avec une focalisation particulière sur les processus de mémoire et de récompense.
Courriel : lf.ferreri@gmail.com

Shantala Hegde est docteure, professeure adjointe et consultante à l’unité de neuropsychologie du


département de psychologie clinique ainsi qu’auprès du département de neuro-réhabilitation
du National Institute of Mental Health and Neuro Sciences, (NIMHANS) à Bangalore (Inde). Elle y 165
est en charge du laboratoire de cognition musicale. Elle s’intéresse à la musique et aux neurosciences,
tout particulièrement aux applications de la musique pour la réhabilitation neuropsychologique. Elle
est également musicienne (chanteuse), formée dans la tradition de la musique classique hindoustanie,
et compositrice.
Courriel : shantala.hegde@gmail.com ; site internet : http://nimhans.ac.in/users/dr-shantala-hegde

Aurélie Helmlinger est chargée de recherche au CNR, LESC (Laboratoire d’Ethnologie et de Sociologie
Comparative), UMR7186 et enseignante de steelband à la Cité de la Musique (France). Prenant pour
axe central le corps – social ou individu en performance – elle mène ses recherches sur les steelbands
de Trinidad et Tobago, abordant tout autant la dimension sociale et politique des orchestres, que les
questions de cognition musicale. Elle a ainsi montré comment cette « jeune musique » profondément
créole s’est inscrite dans l’histoire de la jeune nation, et a envisagé simultanément la question de la
mémorisation du répertoire, entre traditions écrite et orale.
Courriel : Aurelie.HELMLINGER@cnrs.fr

Maria Majno est musicienne et musicologue, vice-présidente de Sistema Europe et enseigne à l’Université
catholique de Milan. Durant ses dix-huit ans à la tête de la Società del Quartetto di Milano, elle a
façonné plusieurs saisons et co-productions avec la Scala. Elle joue un rôle clé dans le développement
d’El Sistema en dirigeant le réseau en Lombardie, la région la plus avancée depuis le lancement du
projet en Italie par Claudio Abbado. Elle guide également l’association European Mozart Ways et la
Fondation Mariani pour la neurologie pédiatrique, œuvrant ainsi à la relation entre neurosciences,
musique et éducation. Courriel : maria@sistemaeurope.org

Stephanus Muller est professeur de musique et directeur d’Africa Open – Institut de musique, de
recherche et d’innovation, à l’Université de Stellenbosch (Afrique du Sud). Il encadre de nombreux
étudiants de troisième cycle en musique et dirige différents projets de recherche institutionnelle. Il est
par ailleurs corédacteur du journal South African Music Studies, et romancier.
Courriel : smuller@sun.ac.za

N° 75 - septembre 2017
Henrik Reeh, docteur en littérature comparée, est professeur associé d’études urbaines et de culture
moderne au département d’études d’arts et de culture à l’Université de Copenhague, Danemark. Il est
co-président de la commission doctorale de la faculté des sciences humaines dans cette université. Il
collabore au 4Cities – Erasmus Mundus Master Course (4Cities.eu). Auteur de livres sur la culture
urbaine de la modernité, sur l’art contemporain dans l’espace public ainsi que sur des problèmes
d’urbanisme, sa monographie sur Siegfried Kracauer et la ville, Ornaments of the Metropolis: Siegfried
Kracauer and Modern Urban Culture, a paru chez MIT Press aux États-Unis.
Courriel : reeh@hum.ku.dk

Moussa Sy est professeur d’éducation musicale au Sénégal et auteur de cahiers d’activités pédagogiques
(1997) pour l’association francophone internationale des directeurs d’établissements scolaires, ainsi
que d’articles sur la musique au Sénégal dans les journaux sénégalais. Il a été enseignant associé en
musicologie à l’université Gaston Berger (2011-2012) et président de la commission nationale
d’éducation musicale du Sénégal en 2012. Courriel : asymoussasy@gmail.com

Laurel J. Trainor est professeure de psychologie, de neuroscience et de comportement à l’Université


McMaster, professeur distingué et membre de la Société royale du Canada, de l’Institut canadien de
recherche avancée et de l’Association des sciences psychologiques. Elle a publié plus de 120 articles
sur les neurosciences du développement auditif et la perception de la musique dans des revues telles
que Science et Nature (http://trainorlab.mcmaster.ca/) et co-détient un brevet pour l’aide auditive
neuro-compensatrice. Elle est la directrice fondatrice du LIVELab (http://livelab.mcmaster.ca/), une
salle de concert et de recherche unique pour étudier la performance musicale et l’interaction humaine.
Elle est également diplômée de musique (Université de Toronto) et flûte principale dans l’orchestre
Symphony on the Bay. Courriel : ljt@mcmaster.ca

Denis Waleckx est agrégé de musique, docteur en musicologie, auteur d’une thèse sur la musique
dramatique de Francis Poulenc. Il a été successivement professeur, inspecteur pédagogique régional
d’éducation musicale, délégué académique à la formation des personnels de l’éducation nationale et
166 directeur académique des services départementaux de l’éducation nationale (DASEN) dans différentes
académies (Versailles, Montpellier, Aix-Marseille, Nice, Corse, Créteil, Nantes). Il est actuellement
inspecteur d’académie-DASEN de la Mayenne, en France. Courriel : denis.waleckx@ac-nantes.fr

Actualité internationale

Mlaoueh Ammar est diplômé du cycle supérieur de l’École nationale d’administration (ÉNA) et Conseiller
des services publicsest en Tunisie. Directeur des réformes à la direction générale de la rénovation
universitaire depuis 2009, il a été chargé de mission au cabinet du ministre de l’enseignement supérieur
et de la recherche scientifique (2009-2016). Il est expert en matière de réforme de l’enseignement
supérieur auprès du bureau national ERASMUS + Tunisie (2014-2020).
Courriel : mlaouehammar2015@gmail.com

Mohamed Adel Ben Amor est titulaire d’une thèse ès sciences pharmaceutiques (biochimie) et du grade
de professeur hospitalo-universitaire en biochimie. Il enseigne à la faculté de pharmacie de Monastir
(Tunisie) et est praticien des hôpitaux. Nommé président de l’Université de Monastir (février 2011),
puis directeur général de la rénovation universitaire (2011-2016) et chef du cabinet du ministre de
l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique (2014-2016) de Tunisie, il est auditeur selon
la norme ISO 15189 (laboratoires d’analyses médicales) et instructeur en pédagogie universitaire.
Courriel : adel.bamor2011@gmail.com

Labass Lamine Diallo est docteur en sciences de l’éducation (Université de Bordeaux II) et a été
enseignant-chercheur à l’université des lettres, langues et sciences humaines de Bamako (Mali). Il est
actuellement conseiller technique à la Conférence des ministres de l’éducation des pays ayant le français
en partage (Confemen). Courriel : ldiallo@confemen.org

Hilaire Hounkpodote est coordonnateur par intérim du Programme d’analyse des systèmes éducatifs
(PASEC) de la Conférence des ministres de l’éducation des pays ayant le français en partage (Confemen).
Il est ingénieur statisticien économiste, diplômé de l’École nationale de statistique et d’économie
appliquée (ENSEA) d’Abidjan (Côte d’Ivoire). Courriel : hhilaire@confemen.org

re vue i nte rnationa l e d’é ducation - S È V R E S


dossier

Stéphane Kesler est inspecteur général de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche


(France). Courriel : stephane.kesler@education.gouv.fr
Seydou Loua est enseignant chercheur au département des sciences de l’éducation de l’Université des
lettres et des sciences humaines de Bamako. Malien de nationalité, il est titulaire d’un doctorat en
sciences de l’éducation de l’Université Lumière Lyon 2, et d’un diplôme de psychopédagogie de l’École
normale supérieure de Bamako. Actuellement, ses recherches portent sur les politiques éducatives.
Courriel : seydouloua@yahoo.fr
Federica Minichiello est chargée de veille au centre de ressources et d’ingénierie documentaires du
Centre international d’études pédagogiques. Courriel : minichiello@ciep.fr
Bernadette Plumelle est responsable du centre de ressources et d’ingénierie documentaires du Centre
international d’études pédagogiques. Courriel : plumelle@ciep.fr
Padma M. Sarangapani, professeur d’éducation au Tata Institute of Social Science (Inde), dirige le
Centre pour l’innovation et la recherche action en éducation du campus de Bombay. Membre du
Conseil national pour la formation des enseignants depuis 2013, elle a également contribué à plusieurs
instances au niveau national et régional. Elle a été rédacteur en chef de Contemporary Education
Dialogue (2002-2014) et est membre du conseil scientifique international du British Journal of Sociology
of Education, depuis 2011. Ses travaux portent principalement sur les enseignants, le curriculum et les
théories pédagogiques. Courriel : psarangapani@hotmail.com
Bassile Zavier Tankeu est conseiller technique au Programme d’analyse des systèmes éducatifs de la
Conférence des ministres de l’éducation des pays ayant le français en partage (Confemen). Il est
ingénieur principal des travaux de la statistique, diplômé de l’Institut sous-régional de statistique et
d’économie appliquée (ISSEA) de Yaoundé (Cameroun).
Jean-Pierre Véran est inspecteur d’académie (H). Il intervient en formation de l’encadrement en
académie et à l’École supérieure de l’éducation nationale (ESEN) sur la gouvernance des organisations
éducatives, les politiques éducatives et l’éducation aux médias et à l’information. 167
Courriel : jeanpierreveran@gmail.com/ Blog : http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-pierre-veran/

Remerciements

Agnès Florin, Université de Nantes, France


Jean-Marie De Ketele, Université catholique de Louvain, Belgique

N° 75 - septembre 2017
la revue

Revue spécialisée dans le champ de l’éducation et de la formation à travers le monde,


la Revue internationale d’éducation de Sèvres est éditée par le Centre international d’études
pédagogiques (CIEP), membre de la Communauté d’universités et d’établissements Sorbonne
Universités.
Elle publie en langue française trois numéros par an pour un public de responsables
et d’acteurs de l’éducation, ainsi que d’universitaires et de chercheurs issus des sciences
humaines et sociales concernés par les questions d’éducation. La majorité des auteurs sont
étrangers et les articles s’inscrivent dans une perspective de recherche. Les numéros sont orga-
nisés autour d’un dossier central, portant sur un thème qui fait l’objet de débats dans le monde.
Ils proposent également des informations et des ressources documentaires dans le champ des
politiques éducatives ou des pratiques pédagogiques.
La revue s’appuie sur un conseil scientifique international et un comité de rédaction
qu’elle réunit régulièrement. Depuis sa création en 1994, elle a publié 1 000 auteurs de 110 pays.
Repérée dans différents classements internationaux et bases de données, la revue a rejoint
en 2012 la plateforme d’édition en sciences sociales et humaines OpenEdition. Ses numéros
sont disponibles en libre accès après deux ans sur Revues.org : [http://ries.revues.org/]

Procédures de soumission
La revue annonce chaque année sur son site, au plus tard en novembre, les thèmes
des dossiers de l’année suivante. Chaque dossier thématique est confié à un coordinateur invité,
avec lequel la revue construit les sollicitations qu’elle adresse aux auteurs. Elle peut également
publier les articles qui lui sont soumis spontanément, après avis du comité de rédaction et 169
sous réserve qu’ils s’inscrivent dans la problématique traitée dans le dossier ou dans la ligne
éditoriale de la revue.
Les textes proposés à la revue sont adressés à la rédaction au plus tard six mois avant
la publication de chaque numéro à l’adresse suivante : revue@ciep.fr. Les articles peuvent être
soumis en français, anglais, allemand, espagnol, italien. Ils sont ensuite traduits en français par
la revue. Les articles sont soumis à relecture et sont validés par le comité de rédaction. Ils
n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Les consignes aux auteurs sont disponibles
en ligne sur le site de la revue : [http://ries.revues.org/2358]

Articles du dossier
Les articles du dossier proposent nécessairement une analyse comparative ou une
étude dans un pays donné du thème traité par le dossier. Ils ne peuvent excéder 25 000 signes
(soit 4 000 mots en français, 3 500 mots en anglais), y compris les références et notes de bas
de page. Ils sont accompagnés d’un résumé et d’une notice biographique pour chacun des auteurs
(100 mots chacun maximum). Les tableaux et graphiques sont limités au strict nécessaire.

Autres rubriques
Outre le dossier thématique, la revue propose dans chaque numéro des rubriques
regroupées sous l’intitulé « L’actualité internationale en éducation ».
– Rubrique « Le point sur l’actualité internationale en éducation » : ces articles
courts et factuels (6 à 8 000 signes) permettent de présenter des réformes en cours dans les
systèmes éducatifs, des difficultés de mise en œuvre ou encore des événements notables.
– Rubrique « Repères sur les systèmes éducatifs » : ces articles visent à présenter de
façon problématisée l’organisation des systèmes éducatifs et les principaux enjeux qui sont les
leurs (18 000 signes).
– Rubrique « Notes de lecture » : ces articles ne peuvent excéder 6 000 signes.
numéros disponibles

Revue internationale d’éducation – Sèvres

75 Musique et éducation, septembre 2017


74 Les enseignants débutants, avril 2017
73 Ce que l’école enseigne à tous, décembre 2016
72 Confiance, éducation et autorité, septembre 2016
71 Formation professionnelle et employabilité, avril 2016
70 Les langues d’enseignement, un enjeu politique, décembre 2015
69 Pourquoi enseigner l’histoire ?, septembre 2015
68 L’éducation en Asie, avril 2015
67 Pédagogie et révolution numérique, décembre 2014
66 L’école dans les médias, septembre 2014
65 Le financement de l’éducation, avril 2014
64 Les espaces scolaires, décembre 2013
63 L’école et la diversité des cultures, septembre 2013
62 Les attentes éducatives des familles, avril 2013
61 Enseignement et littérature dans le monde, décembre 2012
60 Le métier de chef d’établissement, septembre 2012
59 Éducation et ruralités, avril 2012
58 Les ONG et l’éducation, décembre 2011
57 Le plaisir et l’ennui à l’école, septembre 2011
170 56 Le curriculum dans les politiques éducatives, avril 2011
55 Former des enseignants, décembre 2010
54 Palmarès et classements en éducation, septembre 2010
53 Qualité, équité et diversité dans le préscolaire, avril 2010
52 Un seul monde, une seule école ? décembre 2009
51 Un renouveau de l’enseignement des sciences, septembre 2009
50 En classe : pratiques pédagogiques et valeurs culturelles, avril 2009
49 Quel avenir pour les études en sciences humaines ? décembre 2008
48 L’École et son contrôle, septembre 2008
47 Enseigner les langues : un défi pour l’Europe, avril 2008
46 L’émergence d’une autre école, décembre 2007
45 L’enseignement supérieur, une compétition mondiale ?, septembre 2007
44 L’élève, futur citoyen, avril 2007
43 Que savent les élèves, décembre 2006
42 L’éducation artistique, septembre 2006
41 École primaire, école de base, avril 2006
40 L’éducation dans le monde, décembre 2005
39 La formation des élites, septembre 2005
38 Les défis de l’orientation dans le monde, avril 2005
37 Diplômes et examens de l’enseignement secondaire, décembre 2004
36 École et religion, juillet 2004
35 Décrochages et raccrochages scolaires, avril 2004
34 La formation professionnelle initiale : une question de société, décembre 2003
33 L’enseignement des langues vivantes à l’étranger : enjeux et stratégies, septembre 2003
32 Le processus de décision dans les systèmes éducatifs, mars 2003
31 Les parents et l’école, novembre 2002
30 Le métier d’enseignant en Europe, juin 2002
29 L’élève aujourd’hui : façons d’apprendre, mars 2002
28 Les grands débats éducatifs aujourd’hui – Europe, décembre 2000
27 Les grands débats éducatifs aujourd’hui – Afrique, Amérique, Asie, octobre 2000
26 L’évaluation des systèmes éducatifs aujourd’hui, juin 2000
25 Le droit à l’éducation : vers de nouveaux contenus pour le XXIe siècle, tome 2, mars 2000
24 Le droit à l’éducation : vers de nouveaux contenus pour le XXIe siècle, tome 1, décembre 1999
23 La formation ouverte et à distance, septembre 1999
22 Dimension économique des politiques éducatives, juin 1999
21 La formation des enseignants. II – Des problématiques convergentes, mars 1999
20 La formation des enseignants. I – Des approches constrastées, décembre 1998
19 Langue maternelle, langue d’enseignement, septembre 1998
18 Les technologies nouvelles, juin 1998
17 Enseigner la diversité culturelle, mars 1998
16 La formation tout au long de la vie, décembre 1997
15 Les grands débats éducatifs aujourd’hui, septembre 1997
14 L’éducation scientifique, juin 1997
13 Ruptures politiques, enseignement de l’histoire, mars 1997
12 Programmes et politiques éducatives, décembre 1996
11 L’évaluation des élèves, septembre 1996
171
10 L’école en milieu rural, juin 1996
9 Des langues vivantes à l’école, mars 1996
7 Enseignements bilingues, septembre 1995
3 Les langues régionales et l’Europe, septembre 1994
1 Approches comparatives en éducation, mars 1994

À paraître en 2017
76 Nouvelles formes d’éducation (déc.)

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