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75 | septembre 2017
Musique et éducation
Music and education
Música y educación
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/ries/5853
DOI : 10.4000/ries.5853
ISSN : 2261-4265
Éditeur
France Education international
Édition imprimée
Date de publication : 1 septembre 2017
ISBN : 978-2-85420-615-9
ISSN : 1254-4590
Référence électronique
Emmanuel Bigand (dir.), Revue internationale d’éducation de Sèvres, 75 | septembre 2017, « Musique et
éducation » [En ligne], mis en ligne le 01 septembre 2019, consulté le 29 juin 2021. URL : https://
journals.openedition.org/ries/5853 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ries.5853
D O S S I E R
musique
et éducation
so mmaire
0 actualité internationale
Actualité documentaire 7
Bernadette Plumelle
Ressources en ligne 11
Federica Minichiello
Le développement de la robotique à l’école
Seydou Loua
Les grandes réformes de l’école malienne de 1962 à 2016 34
Notes de lecture
Jean-Pierre-Véran
Pour le management pédagogique : un socle indispensable.
Connaître, éclairer, évaluer, agir, Alain Bouvier,
préface de Bernard Toulemonde, Berger-Levrault, 2017 40
Ré-inventer l’école. Une école de qualité pour tous et pour chacun,
Luigi Berlinguer, préface de François Dubet, Éditions Fabert, 2017 42
dossier
coordination : Emmanuel Bigand
Musique et éducation
Introduction 45
Le pouvoir transformationnel de la musique :
quelles implications pour la société ?
Emmanuel Bigand
La raison d’être de la musique a été souvent débattue : simple loisir, ou sublime activité
artistique ? Aujourd’hui les études de neurosciences cognitives suggèrent que la musique
exerce un pouvoir transformationnel sur le cerveau et le fonctionnement de l’esprit. Ce
pouvoir se manifeste dès les premières minutes jusqu’aux derniers instants de la vie. Il
semble avoir contribué au développement des compétences cognitives et sociales fonda-
mentales des humains. Les implications de ces études sont essentielles pour les politiques
de santé et d’éducation et elles invitent à repenser l’apprentissage de la musique
aujourd’hui.
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depuis ses origines à l’ère védique (environ 5 000 ans av. J.-C.). Le guru joue un rôle
majeur en transmettant non seulement son savoir technique sur le sujet, mais également
ce qui constitue l’essence même de la musique classique indienne, à savoir sa dimension
spirituelle. Des travaux de recherche plus systématiques sur cette tradition musicale et
ses méthodes d’enseignement spécifiques pourraient permettre d’éclairer d’un jour
nouveau la compréhension de ses bénéfices globaux dans une perspective psychosociale
et neuroscientifique.
Abstracts 161
Resúmenes 163
La revue 169
Commander/s’abonner 173
N° 75 - septembre 2017
0 actualité internationale
D
nombreuses menées dans le monde,
l’auteure veut faire découvrir les avan-
tages du bilinguisme et valoriser la
actualité richesse d’une double culture dès le plus
jeune âge. L’ouvrage porte sur les parcours
documentaire langagier et cognitif de l’enfant bilingue,
de la naissance à 6 ans.
N° 75 - septembre 2017
Afrique, l’éducation arabo-islamique HAYDEN Mary, THOMPSON Jeff (ed.)
constitue une offre éducative de plus en International schools: current
plus importante car elle offre un cadre issues and future prospects
majeur de socialisation des enfants et des Oxford studies in comparative
jeunes. Ce dossier apporte une profon- education, 2016, vol. 26, n° 2, 240 p.
deur historique et une perspective La fondation des premières écoles
anthropologique à ce type d’éducation internationales il y a plus d’un siècle et
implanté de longue date en Afrique. Il leur croissance au cours des dernières
dresse un panorama de l’offre arabo- années constituent l’objet d’étude de cet
islamique, sous l’angle des institutions, ouvrage avec une série de perspectives
des acteurs, des systèmes de financement personnelles écrites par certains de ceux
et des modes de gouvernance. Il passe en qui ont participé à leur développement.
revue les savoirs et les philosophies reli- Le nombre de ces écoles a augmenté, elles
gieuses qui les sous-tendent et analyse les se sont répandues dans différentes régions
réformes publiques destinées à rap- du monde, les types d’établissements se
procher l’offre éducative arabo-islamique sont diversifiés ainsi que les modes de pro-
des standards scolaires classiques. priété. Aussi, de nombreuses questions se
posent quant à leurs objectifs fondamen-
N taux, aux programmes qu’elles choi-
sissent, à la nature de leur organisation et
GUNI: global university network à leurs contributions potentielles pour
for innovation répondre à un besoin éducatif mondial.
8 Higher education in the world 6.
Towards a socially responsible N
university: balancing the global
with the local LAFONTAINE Dominique
Barcelone: Global university La différenciation dans
network for innovation, 2017, les systèmes éducatifs : pourquoi,
537 p., [en ligne] comment, avec quels effets ?
Les experts de 28 pays examinent les Paris : CNESCO, Lyon : IFE, 2017,
responsabilités des universités à l’échelle 58 p. [en ligne]
locale et mondiale. Ils explorent les S’appuyant sur des travaux d’éduca-
conflits potentiels ou les difficultés pour tion comparée et sur les enquêtes inter-
répondre aux exigences de la société en nationales, le rapport s’attache à décrire la
matière de compétitivité mondiale tout diversité des modes d’organisation qui
en contribuant à une société plus équi- existent dans le monde pour prendre en
table et durable. Les contributeurs réflé- compte et gérer l’hétérogénéité des
chissent à la façon dont l’engagement publics scolaires. Il tente d’apporter une
global et local devrait être inclus dans réponse fondée scientifiquement à la
l’enseignement, la formation, la question des effets de ces modes d’organi-
recherche, les activités institutionnelles, sation, en synthétisant les apports des
la gouvernance et le leadership et ils iden- nombreuses recherches expérimentales
tifient les meilleures pratiques à travers le ou en milieu naturel existantes.
monde. http://bit.ly/2tyuzkH [http://goo.gl/4hV7ZC]
N N
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mondiale (ECM) dans les curricula et les Eurydice : réseau d’information
orientations adoptées dans dix pays de sur l’éducation en Europe,
cultures et de niveaux de développement Eurostat : office statistique
différents en Afrique, en Amérique latine Key data on teaching languages
et en Asie du Sud-Est. L’auteur compare at school in Europe: 2017 edition
les programmes d’enseignement pri- Bruxelles : Eurydice, mai 2017,
maire et secondaire en histoire et sciences 176 p. [en ligne]
sociales ainsi qu’en éducation civique et Ce rapport comporte soixante indi-
morale. Seuls deux des programmes de cateurs caractérisant l’enseignement-
dix pays incluent systématiquement des apprentissage des langues dans l’Union
concepts associés à l’ECM. Cependant, européenne et dans neuf autres pays. Si les
tous comprennent des contenus liés aux élèves commencent à étudier une langue
valeurs et aux attitudes, qui font référence étrangère plus tôt, l’apprentissage d’une
au monde et à l’humanité. deuxième langue étrangère n’est pas obli-
http://bit.ly/2r7A87j gatoire partout. Les élèves doivent
atteindre le niveau d’utilisateur indépen-
N dant pour leur première langue étrangère
quand ils quittent le secondaire supérieur
ESSOMBA Miquel Àngel, général. Plus de la moitié des enseignants
TARRES Anna, de langues étrangères ont voyagé à
FRANCO-GUILLEN Nuria l’étranger pour des raisons profession-
Research for cult committee: nelles. Enfin, la majorité des pays euro-
10 migrant education: monitoring péens offre un soutien linguistique aux
and assessment: study élèves migrants récemment arrivés.
Bruxelles : Parlement européen, http://bit.ly/2sHQSDr
février 2017, 196 p. [en ligne]
L’étude propose une revue de la litté- N
rature concernant les principales caracté-
ristiques de la politique éducative en GUERRIERO Sonia (ed.)
direction des enfants de migrants. Ces Pedagogical knowledge
caractéristiques ont permis d’élaborer un and the changing nature
questionnaire adressé aux experts de of the teaching profession
27 pays de l’Union européenne. Les rap- Paris : OCDE, février 2017, 276 p.
ports nationaux européens montrent que [en ligne]
peu a été fait pour suivre et évaluer l’édu- Les enseignants sont confrontés
cation des enfants de migrants, mais la actuellement à des attentes plus élevées et
plupart des pays disposent déjà d’une plus complexes pour amener les élèves à
infrastructure habilitée. Les efforts atteindre leur plein potentiel. La nature et
fournis par les pays sont fonction de la la variété de ces exigences impliquent que
taille relative de leur population née à les enseignants soient des professionnels
l’étranger et, dans une moindre mesure, qui prennent des décisions fondées sur
du niveau des politiques d’intégration une base de connaissances solide et actua-
dans le domaine éducatif. lisée. Le rapport examine la dynamique
https://goo.gl/jdPJ4E des connaissances dans la profession
enseignante et la façon dont les connais-
N sances des enseignants peuvent être
mesurées. Il offre également une base à ce qu’elle était en 2010 et l’aide à l’ensei-
conceptuelle pour une future étude empi- gnement secondaire chute par rapport à
rique sur leurs connaissances. 2015. De plus, l’aide ne va pas aux pays qui
http://bit.ly/2sHQSDr en ont le plus besoin. Ainsi, l’Afrique sub-
saharienne, qui compte plus de la moitié
N des enfants non scolarisés dans le monde,
reçoit 26 % de l’aide en faveur de
ISU : Institut de statistique l’éducation de base, contre 22 % pour
de l’UNESCO l’Afrique du Nord et l’Asie occidentale,
The data revolution in education où 9 % des enfants ne sont pas scolarisés.
Montréal : UNESCO-UIS, http://bit.ly/2s14OMa
mars 2017, n° 39, 81 p. [en ligne] Bernadette Plumelle,
Ce rapport appelle une révolution des CIEP
données sur l’éducation fondée sur la
création de systèmes statistiques natio-
naux, et soutenue par un pacte mondial
@
pour le suivi de l’objectif mondial
d’éducation (ODD 4). Ce document
contient des recommandations pour pro-
duire et diffuser des statistiques sur
l’éducation de qualité en vue de la plani-
fication et du suivi des progrès accomplis.
Il demande des changements dans trois ressources en ligne 11
grands domaines concernant les dimen-
sions de l’offre et de la demande des sys-
tèmes d’information nationaux sur Le développement de la robotique
l’éducation : un environnement propice ; à l’école1
des productions de données intégrant Le Parlement européen a voté, en
normes et standards internationaux et février 2017, le texte « Règles de droit civil
nouvelles sources et domaines ; un ren- sur la robotique » : parmi les décisions
forcement de la diffusion et de l’utilisation figure la création d’une Agence euro-
des données. http://bit.ly/2nJmlT8 péenne pour la robotique et l’intelligence
artificielle, pour pouvoir « relever les défis
N ouverts par le développement de la robo-
tique ». Les progrès en termes de roboti-
UNESCO sation appellent à de nombreux question-
Aid to education is stagnating nements, qu’il s’agisse de risques
and not going to countries most d’automatisation des emplois ou d’ingé-
in need rence dans d’autres aspects de la vie cou-
Paris : Rapport mondial de suivi rante : les robots représenteraient, à eux
de l’éducation, Paris : UNESCO,
juin 2017, 9 p. [en ligne]
1. Pour faciliter la lecture, seule la racine des liens
Le montant de l’aide alloué à l’éduca- Internet est mentionnée. Pour y accéder dans leur
tion baisse pour la sixième année consé- intégralité, consulter cet article sur le site du CIEP :
http://www.ciep.fr/revue-internationale-
cutive, de 4 % par rapport à 2010 : l’aide à deducation-sevres ou sur OpenEdition Revues.org :
l’éducation de base est inférieure de 6 % http://ries.revues.org/
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seuls, plus de 50 % du trafic sur Internet2. entre apprenants, enseignants et robots,
La Fédération internationale de robo- compagnons pour les uns, assistants pour
tique [https://ifr.org] a estimé le chiffre les autres ; l’apprentissage par la robo-
d’affaire de la robotique « de service » tique (par exemple, la construction de kits
(non industrielle) à 35 milliards de dol- robotiques) de compétences transversales
lars, avec la France en deuxième position, comme le travail collaboratif, le raison-
en nombre de sociétés spécialisées dans nement scientifique, la résolution de pro-
le secteur. En éducation, les scénarios blèmes. Si plusieurs études semblent
d’application de la robotique intriguent, confirmer un impact positif en termes
tantôt objets d’enseignement pour une d’apprentissages, la littérature existante
initiation intuitive à la programmation serait souvent basée sur des rapports
informatique, tantôt solutions d’accès à d’enseignants, avec une nécessité de
distance ou d’assistance aux enseignants, confirmation par des études à plus large
etc. échelle. [https://www.reseau-canope.fr/
Cet article présente une sélection non agence-des-usages/]
exhaustive d’acteurs, de colloques et
d’initiatives pour montrer comment la « Robot et Éducation,
robotique trouve progressivement une de quoi parlons-nous ? »
place au sein de l’école, à l’instar du Ce colloque, organisé en mai 2016 par
programme Youth Robotics en Arménie l’Institut français de l’éducation (IFÉ-
[http://www.armrobotics.am/eng], qui vise la ENS) et l’Université Lyon 2, explore les
création, d’ici 2019, de groupes de robo- possibilités d’usage de la robotique dans
tique dans toutes les écoles du pays (pour un établissement scolaire en complément
12
les 12-18 ans). de ce qui existe déjà (environnements
Sitographie arrêtée le 15 juillet 2017. numériques de travail, logiciels, etc.) ;
« l’affordance socio-culturelle » va
Acteurs et initiatives notamment étudier la modification
des comportements en salle de classe,
« L’usage de la robotique
engendrée par l’introduction d’un nouvel
à l’école »
objet technologique3. Parmi les axes de
Cet article de l’Agence des usages
développement exposés, on peut évoquer
(TICE) offre un regard introductif sur la
la télé-présence, avec un robot « avatar »
robotique éducative, loin d’être « juste
de l’élève et de l’enseignant absent, ou
une technologie à maîtriser » ; son utili-
« passerelle » entre l’école et l’extérieur
sation soulève des questions, comme le
– un expert externe, des musées hors
choix en termes de discipline et de scéna-
horaires d’ouverture, des lieux lointains –,
risation pédagogique, le rôle des ensei-
ainsi que les robots comme compagnons
gnants dans la mise en œuvre des projets,
d’interaction sociale, capables de
l’impact réel sur les apprentissages. Trois
s’adapter à leurs interlocuteurs et d’en
catégories d’usage sont présentées :
accompagner, de façon personnalisée, les
l’apprentissage de la robotique, dans des
apprentissages.
domaines comme la mécanique, l’électro-
[https://clarolineconnect.univ-lyon1.fr/]
nique et l’informatique. L’apprentissage
avec la robotique, basée sur l’interaction
3. Voir l’intervention et les travaux de S. Simonian,
Institut des sciences et pratiques d’éducation et de
2. https://www.incapsula.com/blog/bot-traffic- formation de l’Université Lyon 2. http://recherche.
report-2016.html (2017). univ-lyon2.fr/ecp/
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dans des disciplines comme les mathéma- Human-Robot Interaction
tiques et l’art. Ils étudient, par exemple, Ce portail est destiné à la recherche
les inventions de Léonard Da Vinci en dans l’interaction homme-robot et à
essayant de reproduire le fonctionnement l’organisation d’une conférence annuelle
de ces machines, imaginées au XVe siècle, qui en est à sa douzième édition. Parmi les
avec les technologies robotiques actuelles. dernières contributions, on peut citer des
Le cas de la région du Piémont offre éga- robots proposant des temps de pause sur
lement un exemple de partenariat public- mesure aux apprenants, particulièrement
privé (avec une fondation d’entreprise), utiles pour des systèmes de tutorat inter-
pour ouvrir des espaces dédiés à des ate- actif de jeunes élèves, avec des portées
liers de robotique pour les écoles et deux d’attention assez réduites. On y retrouve
laboratoires pour les enseignants, pour un aussi l’EPFL, avec le prototype Cellulo
accompagnement pédagogique à la pré- [http://chili.epfl.ch/cellulo], dont l’ambition est
paration de cours avec les robots, en col- « de devenir le papier/stylo de demain »,
laboration avec l’Istituto italiano di tecno- révolutionnant une offre parfois bridée
logia. [https://www.iit.it] ; par des problématiques de prix, des diffi-
[http://www.istruzionepiemonte.it/] cultés logistiques ou d’intégration à des
curricula existants. Cellulo est un robot
Robot-enseignant et initiation portatif polyvalent, capable d’interagir
à la robotique (Corée) avec de grandes feuilles de papier qui,
La Corée du Sud est souvent présentée littéralement, « contiennent » l’activité
comme un pays précurseur en robotique pédagogique ; il peut devenir, au besoin,
éducative : il y a dix ans déjà, on y réperto- un globe que l’on déplace sur un planéta-
14
riait des expériences d’utilisation de rium pour étudier la variation de l’orbite,
robots-enseignants, comme le modèle une molécule sur laquelle on analyse les
iRobi, conçu pour accueillir des enfants effets causés par des vibrations et ainsi de
en école maternelle et primaire. Ce suite. [http://humanrobotinteraction.org/]
marché s’est dissous depuis, en raison Federica Minichiello, CIEP
d’une demande insuffisante et d’une bar-
rière d’accès en termes de prix. Le pays vise
actuellement l’initiation à la robotique
dès le collège, avec une dynamique en
plein essor : un millier d’acteurs privés
présents sur le secteur, environ 17 modèles
de robots homologués par le ministère de
l’éducation et de nombreux événements,
comme l’Olympiade internationale des
robots. [https://www.iroc.org]4 ;
[http://english.keris.or.kr]
l
Voici maintenant deux ans que ce pro-
cessus pour une nouvelle politique édu-
cative (New Education Policy : NEP) est en
cours. Un comité de fonctionnaires à la
retraite ne comprenant qu’un seul spécia-
le point sur... liste d’éducation a mené une consultation
nationale, recueillant l’opinion du peuple
indien via des contributions en ligne et
des réunions de consultation, qui pro-
Inde : posaient treize thèmes de discussion
un nouveau paysage éducatif* pour l’enseignement scolaire et vingt
pour l’enseignement supérieur. Selon le
Le parti du peuple indien (Bharatiya site Internet du ministère, 110 623 des
Janata Party, BJP)1 a remporté les élec- 244 252 organismes villageois, 725 des
tions nationales de 2015 à une majorité 4 027 municipalités, 2 738 des 6 620 blocs,
écrasante, conduisant au pouvoir 340 des 669 districts et 19 des 36 États ou
Narendra Modi et balayant toute oppo- territoires de l’Union4 ont pris part à ces
sition. Il n’existe actuellement pas de chef consultations ou ont envoyé leurs contri-
de file reconnu de l’opposition à la butions en ligne pour la nouvelle poli-
Chambre du peuple2. On s’attendait à ce tique éducative. Il s’agit sans nul doute du
que le nouveau gouvernement, de droite, processus consultatif le plus vaste jamais
annonce des changements et des initia- mené pour l’élaboration d’une politique
tives en matière d’éducation, confor- éducative dans toute l’histoire de
mément à son idéologie et à sa source 15
l’éducation moderne ! On ne sait cepen-
d’inspiration idéologique – le Rashtriya dant pas clairement quelles contributions
Sevak Sangh (RSS)3. Comme prévu, le spécifiques ont été reçues de chacune
gouvernement a annoncé la mise en de ces consultations – nous n’avons pu
œuvre d’un processus pour la formu- trouver sur le site ni résumé des contribu-
lation d’une nouvelle politique éducative tions clés ni mention de la méthodologie
(la précédente politique nationale datait utilisée pour consolider l’ensemble de ces
de 1989). données. Le comité responsable du déve-
loppement de la nouvelle politique édu-
* Article traduit de l’anglais par Sylvaine Herold. cative a remis son rapport le 30 avril 2016
1. Le Bharatiya Janata Party (BJP) est l’un des deux et l’on s’attendait à ce que la nouvelle poli-
principaux partis politiques indiens. Créé en 1980,
le BJP est un parti de droite nationaliste hindoue
tique soit annoncée dans les mois sui-
considéré comme l’aile politique du Rashtriya vants. Mais, en juillet dernier, un nouveau
Swayamsevak Sangh (RSS). (Source : Wikipédia) comité a été constitué, afin de finaliser son
(NdT)
2. Le Parlement de l’Inde est un parlement bicamé-
élaboration.
ral, comprenant le Conseil des États (Rajya Sabha) et
la Chambre du peuple (Lok Sabha). Le chef du parti
majoritaire à la Lok Sabha est traditionnellement 4. L’Inde est une république fédérale composée de
nommé Premier ministre de l’Inde. (Source : 29 États et 7 Territoires de l’Union, eux-mêmes divisés
Wikipédia) (NdT) en districts, puis en tehsils portant différents noms
3. Le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS) ou « orga- selon les États (ici appelés « blocs »). Au niveau local,
nisation patriotique nationale » est un groupe extré- l’organisation administrative des zones rurales et des
miste nationaliste hindou de droite et paramilitaire zones urbaines diffère : les zones rurales relèvent du
qui, outre les considérations religieuses, propage système des panchayats (ici : organismes villageois)
une conception raciale du peuple indien. (Source : et les zones urbaines des municipalités. (Source :
Wikipédia) (NdT) Wikipédia) (NdT)
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Cela ne veut pas dire pour autant que police en raison de leur prétendu carac-
les choses en sont à un point de statu quo. tère antinational. L’implication directe du
Certaines évolutions n’ont pas besoin de ministère du développement des res-
proclamation politique en grande pompe sources humaines dans ces événements
et sont déjà à l’œuvre sur le terrain, dans et ses directives aux vice-recteurs des uni-
l’enseignement scolaire et dans l’ensei- versités représentent un niveau d’ingé-
gnement supérieur. Et, sans nul doute, ces rence sans précédent dans l’autonomie
évolutions de terrain importent plus que des universités. Il semble être dans l’air du
l’élaboration d’une politique, qui repré- temps d’être intolérant vis-à-vis des
sente plus une déclaration d’intention et étudiants qui « gaspillent leur temps et les
d’ambition qu’une pratique concrète. ressources de la nation » en s’impliquant
Dans cet article, nous évoquons des évo- dans des activités politiques et des débats,
lutions à l’œuvre dans trois domaines, alors qu’ils devraient se consacrer à leurs
révélatrices du climat actuel dans l’ensei- études, à l’université et contribuer au
gnement scolaire et supérieur indien. développement de la nation. Les campus
universitaires, qui ont de tout temps été
Liberté d’expression des lieux importants d’expression d’une
dans l’enseignement supérieur citoyenneté libérale, y compris via la
Après seulement quelques mois au dissidence, mais également pour la
pouvoir central, le BJP a été confronté à formation politique des futurs citoyens,
des troubles étudiants qui impliquaient via des discussions et des débats animés,
des Dalits 5 sur deux campus et des ont désormais reçu le message qu’ils ne
groupes étudiants de gauche sur plusieurs doivent plus encourager une telle liberté
16
campus d’établissements d’enseignement d’expression ni accueillir ou héberger
supérieur d’élite. Des étudiants dalits, par des militants ou des penseurs politiques.
ailleurs actifs dans les cercles d’études Toute critique à l’encontre de l’action
dalits et la vie politique du campus, en gouvernementale est considérée comme
particulier en ce qui concerne la discrimi- étant « antinationale », limitant ainsi la
nation exercée par certains administra- liberté d’expression. On attend des étu-
teurs ou professeurs de la caste supérieure, diants qu’ils se concentrent sur l’excel-
s’étaient heurtés à des membres de partis lence et qu’ils rendent compte, par leurs
étudiants affiliés au BJP. L’escalade résultats, des ressources qui leur sont
des affrontements sur les campus a fina- consacrées. Les étudiants et les facultés
lement conduit à l’exclusion temporaire devraient en outre éviter de se mêler de
des étudiants dalits – suite à quoi l’un politique et se consacrer aux matières uni-
d’entre eux s’est donné la mort. Ailleurs, versitaires. Un système de classement des
des groupes étudiants de gauche, qui universités a en outre été introduit et des
organisaient des débats et critiquaient réformes sont en cours, qui lient les
l’action du gouvernement en matière ressources et le statut des universités à
de « terrorisme » ou sa politique au des mesures de performance.
Cachemire, ont fait l’objet d’actions de
Le droit à l’éducation
Le droit à l’éducation a été promulgué
5. « Dalit » est le nom générique donné à l’ancienne en Inde en 2009 et a fait l’objet d’impor-
caste des « intouchables » ; ces derniers bénéficient
de dispositifs de discrimination positive dans les éta- tants débats, notamment en ce qui
blissements d’éducation. concerne : la clause exigeant des écoles
N° 75 - septembre 2017
le NCF 2005, saluant la modernité des le chant du mantra « om » et la salutation
principes à partir desquels il avait été for- au soleil sous la forme du « surya
mulé. « Le comité recommande que les namaskar »11. Le MHRD lui-même a soi-
principes directeurs de la réforme curri- gneusement évité toute référence aux
culaire tels qu’énoncés dans le NCF 2005 liens entre religion et yoga, soulignant
soient considérés comme pertinents et plutôt ses vertus, internationalement
activement mis en œuvre » (p. 106 du reconnues, pour le bien-être physique et
document de discussion de la NEP 2016). mental. Face à la rumeur malveillante fai-
Le ministère a également mis un terme à sant état d’une fatwa lancée contre le yoga,
la révision des documents curriculaires. le Darul-uloom Deoband, un séminaire
Les manuels mis au point par le Conseil islamique orthodoxe, a précisé qu’il n’y
national pour la recherche et la formation avait aucun problème avec cette « forme
pédagogiques (National Council of Edu- d’exercice ». Mais tout doute ou examen
cational Research and Training) ont été de ce qui est compris exactement sous
conservés, sans changement. Il semble l’appellation de « yoga » suscite immédia-
que le ministère de l’éducation s’efforce tement son lot de commentaires stridents
d’apparaître comme moderne, tourné et fallacieux en provenance des groupes
vers le développement et préoccupé par d’extrême droite.
les faibles niveaux d’apprentissage, d’effi- Dans certains des États dirigés par
cacité et de responsabilité dans le système le BJP, au Rajasthan notamment, les
scolaire gouvernemental, plutôt que manuels d’histoire ont été révisés pour
d’avoir l’air influencé par le nationalisme intégrer une version Hindutva de la lutte
Hindutva10 ou guidé par des intérêts idéo- pour la liberté de l’Inde, qui redéfinit radi-
18
logiques. Le seul sujet ayant fait l’objet calement les rôles attribués aux héros
d’une attention nationale est celui du nationaux, y compris le Mahatma
yoga, promu comme matière d’enseigne- Gandhi, réduisant le premier Premier
ment sous l’intitulé « yoga pour la santé ministre de l’Inde, Jawaharlal Nehru, à
et le bien-être ». « Le yoga recevra une une figure mineure, tandis que certains
attention particulière. Des efforts seront personnages Hindutva sont promus au
faits pour que le yoga soit introduit rang de héros, comme c’est le cas de Veer
dans l’ensemble des écoles. » (p. 100). Savarkar, un admirateur de Hitler.12
L’inclusion de la pratique du yoga à l’école, On assiste actuellement en Inde à la
promue par le MHRD, reçoit actuel- convergence entre une droite ancienne et
lement un puissant soutien. Mais, comme le néolibéralisme. Dans ses perspectives
on pouvait s’y attendre, cela a suscité des générales de développement, l’État indien
inquiétudes quant à savoir si cette pra- considère la dissension politique comme
tique devait être considérée comme la une perte de temps et de ressources quand,
promotion effective de pratiques hin- au contraire, tous les citoyens devraient
doues à l’école – car elle peut comprendre être unis pour le progrès de la nation.
Dans ce contexte, la liberté d’expression
est considérée comme un luxe inutile et
10. L’Hindutva (ou « hindouïté ») désigne le courant
idéologique qui sous-tend le nationalisme hindou
offensif qui influence actuellement la société 11. Nom de la salutation au soleil en sanskrit trans-
indienne et dont l’arrivée au pouvoir du BJP est l’une littéré. (NdT)
des manifestations. (Source : Guillaume Gandelin 12. L’Inde a une structure fédérale et les États ont
(2016) : « L’hindutva, aux origines du nationalisme leurs propres commissions scolaires et leurs propres
hindou », Asialyst, [https://goo.gl/42Tr1k]. (NdT) manuels.
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Cette volonté d’excellence s’intègre la formation d’adultes. Il comprend les
aussi dans une dimension internationale. principaux domaines concernés par
Membre de l’OCDE depuis 2010, l’Estonie l’éducation : les évaluations d’élèves ; le
participe à PISA depuis 2006, ainsi qu’aux management des écoles ; les curricula ;
principaux tests internationaux (dont les manuels scolaires ; la recherche en
TALIS et PIAAC). Au-delà, les politiques éducation ; l’entrée dans l’enseignement
éducatives se réfèrent explicitement à supérieur ; le registre des qualifications
l’environnement international. À titre professionnelles. Il est consultable par
d’exemple, parmi les indicateurs clés de la tous les publics directement parties pre-
stratégie éducative élaborée en 2014, nantes de l’école : élèves et étudiants,
figure l’accroissement du nombre d’élèves enseignants, institutions éducatives.
les plus performants identifiés dans PISA. L’intérêt de ce système unique est de
La réussite dans les évaluations internatio- pouvoir disposer d’informations et de
nales permet en retour de valider, dans le statistiques portant sur l’intégralité du
débat public estonien, les choix éducatifs champ éducatif, et ce à toutes les échelles :
réalisés depuis une génération. d’établissement, locale, nationale, inter-
nationale (UNESCO, OCDE, Eurostat).
Un système éducatif fondé Le croisement de ces informations
sur l’information conduit à des comparaisons temporelles
L’Estonie a fait le choix de participer ou géographiques entre établissements ou
pleinement à la société de l’information, régions, en facilite le pilotage, et permet de
et l’État contribue à ce projet de société passer de la description de l’activité à
20 digitale, en offrant le plus de services l’analyse des résultats de l’enseignement,
dématérialisés possible, qu’il s’agisse du en établissant un lien entre les différentes
vote électronique ou de la possibilité de échelles de l’action éducative.
signer en ligne des contrats authentifiés.
En termes éducatifs, ce primat de Une autonomie de l’établissement
l’information se décline de deux façons. qui intègre l’offre d’enseignement
D’une part, les apprentissages font En Estonie, l’État central dispose peu
une large part à l’excellence numérique. de pouvoir en matière éducative. Symboli-
L’inscription de l’éducation dans la quement, le siège du ministère de l’éduca-
société de l’information est l’un des cinq tion se situe à Tartu, ancienne ville univer-
objectifs de la stratégie éducative 2020 de sitaire, et non à Tallin, la capitale politique
l’Estonie. Parmi les indicateurs choisis et le siège de toutes les autres institutions.
figure la maîtrise par chaque élève des À l’instar des pays nordiques auxquels
technologies de l’information et de la l’Estonie se compare, les pouvoirs de
communication, et le fait que 80 % des l’échelon local, municipalité et province,
adultes (compris entre 16 et 74 ans) dis- sont plus importants que ceux de l’État
posent de compétences en la matière. central et comprennent notamment la
D’autre part, l’Estonie a développé un contractualisation avec les établissements
système d’information exhaustif qui est scolaires et l’obtention de leurs moyens.
au cœur du pilotage du système éducatif : Toutefois, la particularité de l’Estonie
l’Estonian Education Information System est surtout d’accorder un très haut niveau
(EHIS). Son champ couvre l’ensemble du d’autonomie à l’établissement scolaire.
champ éducatif, depuis l’enseignement L’OCDE réalise une évaluation globale du
préélémentaire jusqu’au supérieur et à degré d’autonomie, selon le pourcentage
N° 75 - septembre 2017
faite aux équipes des établissements dans
la mise en place de leur évaluation : PASEC 2014 et qualité
l’approche est davantage collaborative, des enseignants :
une photographie
plus qualitative et tournée vers l’amélio-
pour un diagnostic
ration de l’établissement et non plus
sur son classement. Porté d’abord par En Afrique subsaharienne franco-
l’Écosse, ce modèle s’est diffusé largement phone, la réflexion sur la question ensei-
en Europe et est davantage compatible gnante a longtemps été considérée
avec l’autonomie croissante des établisse- comme secondaire, l’accent ayant été mis
ments, mais il se réfère toujours à un cadre en priorité sur l’accès afin de satisfaire cer-
fixé à l’extérieur de l’établissement. tains engagements pris dans le cadre des
Face à ces modèles fondés sur le primat préoccupations internationales d’éduca-
de l’évaluation externe, l’Estonie repré- tion. C’est le cas des politiques d’ajuste-
sente une nouvelle conception, qui prend ment du secteur de l’éducation, qui ont
en compte l’autonomie pédagogique de impacté notamment la formation et le
l’établissement et se fonde essentiellement recrutement des enseignants (Bernard
sur son auto-évaluation. L’évaluation et al., 2004 ; Bourdon et Nkengné-
externe de l’ensemble des établissements, Nkengné, 2007 ; Lauwerier et Akkari,
sur une grille commune, n’est plus réalisée 2015). Ces politiques ont contribué à la
à l’échelle d’un pays. De même, il n’y a plus diversification concomitante des statuts
d’inspection d’écoles, à intervalles régu- professionnels (fonctionnaires, contrac-
liers, réalisée par un organisme dépendant tuels, communautaires…) et des profils
22 d’autorités éducatives locales ou centrales. de formation des enseignants.
En revanche, l’établissement doit conduire Longtemps abordée sous l’angle
chaque année sa propre évaluation. Libre du déficit quantitatif d’enseignant, la
à lui de la mener comme il l’entend : les question enseignante s’installe progressi-
méthodes comme les indicateurs retenus vement à la faveur de la déclaration
sont choisis par lui, en fonction de ses d’Incheon, au cœur des préoccupations
objectifs pédagogiques spécifiques. En nationales et internationales en termes de
revanche, celle-ci doit être cohérente qualification des enseignants.
avec sa stratégie et la qualité de l’auto-
Dans cette dynamique, le rapport
évaluation comme la véracité des données
international et les rapports nationaux
fournies sont des éléments déterminants
des dix pays participant à l’évaluation
de jugement de l’établissement par les
PASEC 2014 ont conduit à la production
autorités de tutelle : l’établissement est
d’une analyse sur les profils de formation
acteur de son évaluation, il en devient
des enseignants des élèves testés en
donc responsable.
Afrique subsaharienne francophone.
Par ces quelques caractéristiques Ces rapports constituant le tremplin
majeures, l’Estonie prend ainsi réso- d’importantes réflexions sur les ensei-
lument place, quoique pour l’instant de gnants et les directeurs d’établissement
manière discrète, parmi les systèmes édu- campent aussi l’environnement de ces
catifs les plus performants au monde. acteurs centraux des systèmes éducatifs,
Stéphane Kesler, à travers une analyse du genre, de la
inspecteur général de l’administration formation académique, de la formation
de l’éducation nationale professionnelle et du regard sur leurs
et de la recherche, France conditions matérielles de travail.
N° 75 - septembre 2017
tous les pays évalués, la quasi-totalité des Formation professionnelle initiale
élèves en début et en fin du cycle primaire des enseignants
est encadrée par un enseignant dont le
Le PASEC 2014 a tenté d’apprécier le
niveau académique est supérieur au pri-
niveau de la formation professionnelle
maire. La majorité des élèves a un ensei-
initiale des enseignants à travers la durée
gnant de niveau secondaire, à l’exception
de cette formation, indépendamment de
du Burkina Faso (39,0 % en début et
leur niveau académique, afin de faciliter
38,1 % en fin de scolarité) et, en fin de
la comparabilité, les types de formations
scolarité, de la Côte d’Ivoire (47,2 %) et du
spécifiques à l’enseignement pouvant
Tchad (41,9 %). Dans le cas de ces pays, la
varier entre pays.
majorité des élèves est encadrée par des
enseignants ayant une formation Les tableaux 3 et 4 montrent la répar-
universitaire. tition des élèves selon la durée de la for-
À l’inverse, dans de nombreux pays, mation professionnelle initiale de l’ensei-
les pourcentages d’élèves encadrés par un gnant, répartie en quatre catégories.
enseignant ayant une formation univer- L’évaluation montre qu’il existe dans
sitaire sont bien plus faibles : moins de tous les pays évalués une proportion non
25 % au Bénin et au Burundi en fin de sco- négligeable d’élèves dont l’enseignant n’a
larité primaire, et moins de 20 % dans reçu aucune formation professionnelle
six pays en début de scolarité (Bénin, initiale. La plupart des pays a en effet été
Burundi, Cameroun, Congo, Niger et confrontée à la nécessité d’une réponse
Togo). urgente au défi de l’accès, par le recrute-
Par ailleurs, dans tous les pays, le pour- ment important d’enseignants ne
24
centage d’élèves dont les enseignants ont disposant souvent pas de formation pour
un niveau d’enseignement supérieur, est cette profession. Dans certains cas, les
plus élevé en fin de cycle qu’en début de enseignants ont reçu une formation péda-
cycle, à l’exception du Burkina Faso, où ce gogique de quelques jours. Cette situation
pourcentage est presque identique. a le plus souvent débouché sur une
Aucune
formation Moins de six mois Un an Deux ans et plus
professionnelle
Bénin 15,6 4,9 10,5 69
Burkina Faso 14,6 17,3 45,3 22,8
Burundi 10,1 9 8,2 72,7
Cameroun 20,7 2,4 17,6 59,3
Congo 15,7 17,8 6,8 59,7
Côte d’Ivoire 20,3 15,2 28,3 36,3
Niger 23,3 21,2 28,7 26,8
Sénégal 5,9 29,6 58 6,5
Tchad 23,9 42,1 26,6 7,4
Togo 67,2 23,8 7 2
Moyenne 21,5 18,3 23,8 36,3
Aucune
formation Moins de six mois Un an Deux ans et plus
professionnelle
Bénin 4,2 18,4 28,6 48,8
Burkina Faso 14,8 8,4 39,4 37,4
Burundi 10,2 10,2 11,4 68,2
Cameroun 8,6 2,7 35,3 53,4
Congo 7,9 8,4 19,2 64,5
Côte d’Ivoire 3,1 9,6 23,2 64,1
Niger 4,1 12,8 38,5 44,7
Sénégal 4,2 31,9 57,5 6,3
Tchad 10,9 15,5 48,4 25,3
Togo 34,3 48 10,5 7,2
Moyenne 10,2 16,6 31 42,2
N° 75 - septembre 2017
Burundi, parmi les élèves ayant des le plus d’élèves dont l’enseignant n’a reçu
enseignants sans formation profession- aucune formation continue.
nelle initiale, plus de 70 % de ces élèves Toutefois, les pourcentages d’élèves
ont des enseignants ayant suivi une for- encadrés par un enseignant ayant reçu au
mation complémentaire en pédagogie. Il moins quelques jours de formation
est également intéressant de constater complémentaire sont élevés, dans presque
que l’absence de formation initiale tous les pays, et particulièrement au
touche les enseignants de tous les niveaux Cameroun et au Sénégal (plus de 95 %).
académiques. Parmi les enseignants ayant bénéficié de
formation, la répartition selon le nombre
Formation continue de jours de formation montre, pour cer-
des enseignants tains pays, une concentration dans la caté-
gorie comprise entre un et cinq jours de
La formation continue offre à l’ensei- formation.
gnant l’opportunité de parfaire ses apti- Le PASEC 2014 a permis de réaliser
tudes professionnelles, de développer de une première photographie de constat
nouvelles compétences pédagogiques, comparatif sur les enseignants de dix pays
d’apprendre à mieux connaître et à appli- d’Afrique subsaharienne francophone,
quer les programmes scolaires. Dans des qui met en évidence les insuffisances et
contextes de forte présence d’enseignants diversités liées à la formation de la profes-
sans formation initiale professionnelle, sion enseignante. Faute de place, nous ne
elle se présente comme une alternative pouvons mener ici l’analyse du lien entre
26 importante pour améliorer la qualité du le niveau académique et les différentes
système éducatif. Les instruments de catégories de formation (professionnelle
collecte des données contextuelles du initiale et continue) des enseignants avec
PASEC 2014 ont abordé la question de la les performances des élèves, qui reste à
formation continue des enseignants selon conduire.
le nombre de jours de formation complé- Le rapport des enseignants à la forma-
mentaire reçue au cours des deux der- tion initiale spécifique à l’enseignement
nières années. Pour les besoins des ana- et à la formation continue dans des
lyses, le nombre de jours de formation a contextes scolaires complexes caracté-
été scindé en cinq catégories (absence de risés, entre autres, par une insuffisance de
formation continue, entre un et cinq jours ressources pédagogiques et des tailles de
de formation, entre six et dix jours de classe importantes constitue un véritable
formation, entre onze et vingt jours obstacle à la qualité de l’enseignement-
de formation et plus de vingt jours de apprentissage et à la construction d’une
formation). professionnalité enseignante.
L’absence de formation continue des L’hétérogénéité des niveaux de for-
enseignants demeure une réalité, que ce mation académique, des modes et des
soit en début ou en fin de scolarité pri- parcours de formation, la répartition
maire. Le pourcentage d’élèves est inéquitable des profils de formation
compris entre 2,2 % au Cameroun et dans les systèmes éducatifs subsahariens
63,0 % au Burundi en début de cycle, et francophones, la faiblesse du volume de
entre 4,5 % au Sénégal et 41,8 % au formation professionnelle enseignante
Burundi en fin de cycle. Le Burundi est, et le faible volume de temps consacré
pour les deux niveaux, le pays qui compte à la formation continue constituent
r
considérablement le nombre d’ensei-
gnants qualifiés… ». Qui plus est, ce repères
constat relatif à la formation des ensei- sur les systèmes
gnants invite à aller plus loin dans la défi-
nition de ce qui est entendu et attendu à éducatifs
travers la « qualification des enseignants » étrangers
dans l’ODD 4C. Un enseignant qualifié
est-il celui qui présente les certifications
attendues ou celui qui manifeste effecti-
vement les compétences attendues pour Le système de formation
l’enseignement ? des ressources humaines
La détention de la certification pour en Tunisie
l’enseignement n’étant pas un gage absolu
de la manifestation des compétences Quelques données
d’enseignement, le PASEC s’est engagé, Le dispositif de formation des res-
dans sa deuxième vague d’évaluation sources humaines en Tunisie comprend,
comparative internationale intitulée depuis l’indépendance en 1956, trois sys-
PASEC 2019, à évaluer les compétences tèmes : éducatif (primaire à l’école,
des enseignants sur des disciplines fonda- préparatoire au collège et secondaire au
mentales enseignées (mathématiques et lycée), professionnel (du certificat d’apti-
langue d’enseignement) et sur le savoir tude professionnelle au brevet de techni- 27
didactique (maîtrise des objectifs d’ap- cien supérieur) et universitaire (baccalau-
prentissage et typologie des erreurs). n réat suivi de trois années et plus).
Hilaire Hounkpodote,
Labass Lamine Diallo, Le contexte
Bassile Zavier Tankeu, Le dispositif de formation des res-
PASEC sources humaines a été marqué pendant
une cinquantaine d’années, par l’absence
de vision globale, malgré les inter-
connexions entre les trois systèmes. Les
systèmes éducatif et professionnel étaient
longtemps interconnectés avec des filières
professionnalisantes et des lycées tech-
niques unissant l’enseignement scolaire à
la formation professionnelle et technique.
Les choix politiques des années 1990 ont
entraîné une régression de la composante
professionnelle dans le système éducatif
(conversion des lycées techniques en
lycées généraux, suppression de l’initia-
tion professionnelle aux lycées, renon-
ciation au projet du baccalauréat profes-
sionnel), si bien que le seul lien qui a
persisté entre ces deux systèmes concerne
N° 75 - septembre 2017
Enseignement primaire Écoles publiques Écoles privées
Nombre d’établissements 4 575 324
Nombre d’élèves 1 079 000 (dont 48,3 % de filles) 60 313 (dont 47,2 % de filles)
Nombre d’enseignants 64 944 5 455
Cycle préparatoire et secondaire
Nombre d’établissements 1 409 346
Nombre d’élèves 893 348 (dont 54 % de filles) 58 706 (dont 34,3 % de filles)
Nombre d’enseignants 75 056 10 583
Source : statistiques du ministère de l’éducation, octobre 2015.
N° 75 - septembre 2017
explicitée dans la loi de 2008 1 et les et techniques, destinés aux centres de
textes d’accompagnement. Cette loi a formation professionnelle et aux lycées
insisté sur la vision et les missions du techniques, étaient en grande partie for-
système d’enseignement supérieur et de més à l’École normale supérieure d’en-
recherche, sur l’autonomie des univer- seignement technique (ENSET). Enfin,
sités grâce à un passage intermédiaire par l’accès à l’enseignement supérieur était
le statut d’établissement public à carac- réservé aux titulaires du grade d’assistant
tère scientifique et technologique et sur ou plus, alors que les assistants délégués
l’assurance qualité, concepts consolidés et attachés de recherche dits contrac-
et complétés après janvier 2011. D’après tuels, ne contribuaient qu’à l’enseigne-
ces mêmes études, la mauvaise gouver- ment pratique, avec un plafond hebdo-
nance des trois systèmes est principale- madaire de quatre heures d’initiation à
ment due à l’absence d’une démarche l’enseignement.
qualité basée sur un système de manage-
Avec la dépréciation de l’enseigne-
ment de la qualité, ainsi qu’au faible taux
ment professionnel et la massification
d’encadrement. Ceci a amené les princi-
du secondaire et par suite du supérieur,
paux bailleurs de fonds à recommander
on a assisté à un démantèlement du dis-
une clause sur la gouvernance comme
positif de formation des formateurs,
critère d’acceptabilité des projets tuni-
avec la suppression des instituts supé-
siens d’appui à la réforme des systèmes
rieurs de formation des maîtres et des
éducatif, professionnel et universitaire,
écoles normales des instituteurs, la
de même que la mise en place d’unités
dépréciation de l’ENS, la conversion des
de gestion par objectifs, structures de
30 lycées techniques en lycées généraux et
management de projets, est une condi-
celle de l’ENSET en école d’ingénieurs.
tion sine qua non pour la libération des
L’accès à l’enseignement primaire et
fonds.
secondaire fut alors ouvert à du person-
Réhabiliter la formation nel non qualifié et/ou non habilité, alors
des formateurs que l’enseignement supérieur, du fait de
la massification, avait recours aux
Durant les trente premières années contractuels et autres vacataires (surtout
d’indépendance, la formation des des professeurs de l’enseignement secon-
formateurs, dans les trois systèmes, daire), qui se sont vu confier des charges
était bien codifiée et organisée. Pour le horaires importantes et même des res-
système éducatif, les enseignants des ponsabilités pédagogiques. La résultante
écoles primaires étaient formés dans les de ce démantèlement est une baisse
instituts supérieurs de formation des notable du niveau des élèves et des étu-
maîtres et les écoles normales des ins- diants, surtout dans les compétences lin-
tituteurs, alors que les professeurs du guistiques et gestuelles, ainsi que des for-
secondaire étaient formés dans les facul- mateurs, surtout sur le plan pédagogique,
tés scientifiques et littéraires, ainsi qu’à contribuant à l’augmentation du
l’École normale supérieure (ENS), pour nombre de chômeurs diplômés du supé-
l’élite. Les enseignants professionnels rieur, pour la plupart difficilement
employables. Ainsi, la formation des for-
mateurs (technique, scientifique, lin-
1. Loi n° 2008-19 du 25 février 2008, relative à guistique et pédagogique) constitue
l’enseignement supérieur. actuellement le principal défi dans la
N° 75 - septembre 2017
une revalorisation du système profes- 2013, prévue dans la loi de 2008. Le minis-
sionnel et une démassification de tère a institué une commission nationale
l’université. pour la réforme de l’enseignement supé-
- La mise en place de passerelles dans les rieur et de la recherche scientifique en
deux sens, entre les formations profes- 2011, dont les travaux ont abouti à la pro-
sionnelle et universitaire, permet aux étu- duction d’un Plan d’action stratégique
diants en cours de formation d’intégrer (PAS)3, publié en janvier 2015. Ce dernier
volontairement l’enseignement profes- comprend quatre axes stratégiques : gou-
sionnel, de même qu’elle ouvre la possibi- vernance, recherche innovation, profes-
lité aux titulaires du brevet de technicien sionnalisation des parcours de formation,
supérieur (BTS) de postuler sur concours vie estudiantine. Le PAS a inspiré la
à une inscription en 3e année de licence conception du Projet de modernisation
appliquée en continuité avec le BTS. Les de l’enseignement supérieur en soutien à
textes relatifs aux passerelles sont en l’employabilité (Promesse), financé par la
cours de publication. Banque mondiale. Dans le cadre de ce
- La reprise de la réflexion sur le bacca- projet 2016-2020, des fonds compétitifs
lauréat professionnel en 2015 ouvrira à (Projets d’appui à la qualité) ont été ins-
ses titulaires des opportunités profes- crits pour améliorer la gouvernance des
sionnelles à valeur ajoutée certaine, grâce EES, des universités, des centres de
au renforcement des compétences recherche et des départements du minis-
spécifiques. tère. Des fonds spécifiques ont été égale-
- Une Instance nationale d’information ment alloués pour les accompagner dans
la mise en place du système de manage-
32 et d’orientation sera créée pour concréti-
ser cette démarche. ment de la qualité en vue de la certification
des prestations et de l’accréditation des
diplômes. La gouvernance par la qualité
Gouvernance et management
est ainsi l’une des actions phares du Pro-
des ressources
messe et prioritaires du ministère.
Le ministère de l’enseignement supé-
rieur et de la recherche scientifique a La professionnalisation
entamé, depuis 2008, l’amélioration de la des parcours de formation
gouvernance des établissements d’ensei- Depuis la promulgation de la loi
gnement supérieur et de recherche de 2008, le ministère a arrêté une série de
(EESR), des universités, des centres de mesures dans l’objectif de renforcer
recherche et des départements du minis- l’orientation professionnalisante des par-
tère. Les conseils scientifiques, conseils cours de formation.
d’administration, conseils des universités, - L’individualisation de licences et mas-
cellules qualité et autres sont autant de tères professionnels, avec l’engagement
structures de soutien à la bonne gouver- d ’ u n e r é f l ex i on su r l e do c tor a t
nance. Néanmoins, la massification, ayant professionnel.
entraîné la création hâtive d’EESR sans - La mise en place d’une commission
mise à disposition adéquate des res- mixte entre le ministère de l’enseigne-
sources surtout humaines (académiques, ment supérieur et de la recherche et
administratives et techniques), a freiné cet l’Utica (centrale patronale) a permis un
élan. À cela est venu s’ajouter le retard de
création de l’Instance d’évaluation,
d’assurance qualité et d’accréditation en 3. https://goo.gl/c2SzQ3
N° 75 - septembre 2017
amorcée, du nombre de contractuels et Justifications de la réforme
autres vacataires non qualifiés, l’amélio- L’initiative de réorganiser les systèmes
ration du processus de recrutement des éducatifs africains est née lors de la confé-
enseignants, l’institutionnalisation de la rence d’Addis-Abeba sur l’éducation, en
formation pédagogique et autres mesures 1961. La première réforme de l’enseigne-
qui permettent de rehausser le niveau des ment au Mali a donc vu le jour en octobre
enseignants universitaires. Néanmoins, le 1962. Selon Diambomba (1980), « après
monde universitaire tunisien reste réfrac- près d’un siècle de colonisation, le bilan de
taire à l’évaluation des enseignants par les l’enseignement était insuffisant au
pairs et par les étudiants, opposition qui Mali, avec une discrimination volontaire
sera en partie aplanie par la mise en place de la scolarisation des filles, neuf Maliens
du système de management de la qualité. sur dix ne savaient ni lire ni écrire, environ
En somme, ces mesures relatives à la 88/100 enfants ne partaient pas à l’école.
formation des formateurs permettront de Les cadres supérieurs étaient insuffisants
relever leur niveau et d’endiguer la prin- avec trois docteurs vétérinaires, une dou-
cipale lacune du dispositif de formation zaine de professeurs, huit à dix docteurs
des ressources humaines en Tunisie. en médecine générale ; trois pharma-
Mohamed Adel Ben Amor, ciens ; une douzaine d’hommes de droit,
Université de Monastir, Tunisie de rares ingénieurs pour une masse de
Mlaoueh Ammar, 4 300 000 citoyens ». S’est alors fait sentir
ministère de l’enseignement supérieur l’urgence de réviser son contenu et ses
et de la recherche scientifique buts, et de créer un système d’éducation
34 de Tunisie qui répondrait aux nécessités nationales.
Objectifs de la réforme
La réforme du système éducatif
malien avait pour but de s’attaquer aux
Les grandes réformes aspects qualitatifs et quantitatifs de
de l’école malienne l’enseignement, à travers cinq objectifs :
de 1962 à 2016 un enseignement tout à la fois de masse et
de qualité ; un enseignement qui puisse
fournir avec une économie maximum de
La réforme de l’enseignement temps et d’argent tous les cadres néces-
de 1962 saires au pays pour ses divers plans de
En 1886, Joseph Galliéni ouvre l’école développement ; un enseignement qui
des otages à Kayes à l’image de celle de garantisse un niveau culturel permettant
Louis Faidherbe au Sénégal. En 1895, l’établissement d’équivalences de
le nouveau gouverneur du Soudan, diplômes avec les autres États modernes ;
Louis E. Trentinian, transforme l’école des un enseignement dont le contenu soit
otages en école de fils de chefs, pour basé non seulement sur les valeurs spéci-
former des interprètes et des commis. fiquement africaines et maliennes mais
Cette école coloniale redoutée et rejetée, aussi sur les valeurs universelles ; enfin, un
qui allait directement à l’encontre des enseignement qui décolonise les esprits.
idéaux traditionnels, est aujourd’hui La structure de l’enseignement
réclamée au Mali, au point de ne plus changea alors, avec un enseignement fon-
arriver à satisfaire la demande. damental, un enseignement secondaire
N° 75 - septembre 2017
pour combler les insuffisances d’effectifs à des besoins prioritaires et aux coûts maî-
et de personnel ; trisés ; une utilisation des langues mater-
- promotion de la production de nelles dans l’enseignement formel conco-
manuels scolaires ; mitamment avec le français ; une
- mise en place d’un système de partena- politique du livre et du matériel didac-
riat véritable autour de l’école et détermi- tique opérationnel ; une politique soute-
nation des ressources humaines, maté- nue de formation des enseignants ; un
rielles et financières nécessaires ainsi que partenariat véritable autour de l’école ;
des critères de leur gestion ; une restructuration et un ajustement ins-
- liaison étroite entre l’enseignement titutionnel nécessaires à la refondation
primaire, secondaire et supérieur pour du système éducatif ; une politique de
une meilleure harmonisation et une communication centrée sur le dialogue et
cohérence du système éducatif ; la concertation avec tous les partenaires ;
- élaboration d’une politique de une politique de financement soutenue,
communication interne et externe aux rééquilibrée, rationnelle et s’inscrivant
différents départements de l’école dans la décentralisation. De l’éducation
malienne. de base à l’enseignement supérieur, ces
Cette nouvelle réforme de l’éducation onze axes ont repris les objectifs de la
de base, mal planifiée et précipitée, ne réforme de 1962 de manière plus détaillée,
dura que quatre années. Les failles révélées plus ambitieuse et plus contextuelle.
lors de sa mise en œuvre, notamment La Loi n° 99-046 du 28 décembre 1999
l’insuffisance de matériel, de ressources portant loi d’orientation sur l’éducation
36 humaines et les mauvais résultats des fut votée pour mettre en œuvre ce nou-
élèves, conduisirent à son abandon et à la veau programme et clarifier la finalité et
mise en place d’une autre réforme, qui les nouveaux objectifs de la politique
concernerait l’ensemble du système nationale dans le domaine de l’éducation
éducatif. et de la formation, notamment dans son
article 11 :
Le Programme décennal (…) le système éducatif malien a pour
de développement de l’éducation finalité de former un citoyen patriote et
(PRODEC) bâtisseur d’une société démocratique, un
acteur du développement profondément
Le Programme décennal de dévelop-
ancré dans sa culture et ouvert à la civilisa-
pement de l’éducation (Prodec) était la tion universelle (…).
planification stratégique de la politique
nationale de refondation de l’ensemble du À ce titre, il s’agissait, entre autres, de
système éducatif malien de 1998 à 2008. faire acquérir à l’apprenant, dans chaque
Le Prodec s’articulait autour d’un axe ordre d’enseignement, des compétences
référentiel – un village, une école et/ou un lui permettant de s’insérer dans la vie
centre d’éducation pour le développe- active ou de poursuivre ses études :
ment (CED) – et de onze axes prioritaires : entraîner l’apprenant à connaître et à pra-
une éducation de base de qualité pour tiquer les obligations d’un membre actif
tous ; un enseignement professionnel d’une société démocratique respectueuse
adapté aux besoins de l’économie ; un de la paix et des droits fondamentaux de
enseignement secondaire général et tech- l’homme et du citoyen ; créer et stimuler
nique rénové et performent ; un ensei- chez l’apprenant l’esprit d’entreprise et de
gnement supérieur de qualité répondant protection de l’environnement.
Outre ces objectifs, le Mali s’était fixé difficultés rencontrées lors des premières
notamment l’amélioration du taux brut phases ont engendré des retards dans
de scolarisation et l’alphabétisation des l’ensemble de l’exécution du programme.
jeunes déscolarisés et non scolarisés âgés
de 9 à 15 ans. Afin d’atteindre les objectifs Le curriculum de l’enseignement
fixés, les autorités maliennes ont mis en fondamental
place le Programme d’investissement sec-
À travers le Prodec, le Mali a entamé
toriel de l’éducation (PISE), qui s’est étalé
une approche curriculaire par compé-
sur trois phases successives (2001-2005,
tences, dans le but d’améliorer la qualité
2006-2009 et 2010-2012). Les objectifs
de son système éducatif. La Loi d’orien-
visés par le PISE étaient, entre autres :
tation sur l’éducation de 1999 définit le
- le développement de l’enseignement curriculum comme « l’ensemble des dis-
fondamental à travers l’amélioration de positifs (finalités, programmes, emplois
l’encadrement de la petite enfance ; du temps, matériels didactiques,
- des taux brut et net de scolarisation ; méthodes pédagogiques, modes d’éva-
- l’éducation spéciale ; luation) qui, dans le système scolaire et
- une bonne couverture en matière universitaire, permet d’assurer la for-
d’alphabétisation ; mation des apprenants ». Le curriculum
- la formation et le recrutement intègre les besoins éducatifs fondamen-
d’enseignants dans tous les ordres taux des apprenants, en impliquant les
d’enseignement ; communautés dans la définition de ces
- une redynamisation de l’enseignement besoins et la détermination des contenus
secondaire, avec de nouvelles filières et de d’apprentissage, afin de mieux lier l’école 37
nouvelles disciplines et l’atteinte d’un à la vie. Maiga et al. (2012) indiquent que
ratio élève/classe de 50 en 10e année ; « le curriculum de l’enseignement fon-
- un enseignement supérieur rénové, damental a été mis à l’essai à partir de
avec une meilleure gestion des effectifs et 2002. Plusieurs évaluations ont été faites
répondant aux exigences de la mondiali- et ont été soumises au forum national sur
sation (notamment le système LMD), le curriculum de l’enseignement fonda-
la modernisation des infrastructures mental organisé en mars 2008. Les
et le développement de la recherche conclusions de ce forum, qui ont sou-
scientifique. ligné les difficultés, les acquis et les nou-
L’état des lieux de ce programme velles orientations, ont été examinées par
montre certaines avancées, comme le Forum national sur l’éducation tenu
l’amélioration des taux de scolarisation les 30 et 31 octobre et les 1er et 2 novembre
et d’alphabétisation, la réforme du lycée, 2008. » Sa conception, sa mise à l’essai et
avec de nouvelles filières, la mise en œuvre son suivi-évaluation étaient assurés par
du système LMD, encore en expérimen- le Centre national de l’éducation (CNE),
tation dans certaines facultés. Cependant, la Direction nationale de l’éducation de
nombreux sont les objectifs qui n’ont pas base (DNEB), des partenaires techniques
été atteints, comme la gestion des effec- et financiers dans le cadre du PISE, les
tifs étudiants, qui reste disproportion- académies et l’ONG World Education.
née malgré la scission de l’Université de Le curriculum, qui est la suite logique
Bamako en quatre établissements, ainsi de la pédagogie convergente (l’utilisa-
que l’insuffisance d’enseignants et de tion des langues nationales dans l’ensei-
matériels de travail à tous les niveaux. Les gnement fondamental), a été mis à l’essai
N° 75 - septembre 2017
dans 80 écoles à pédagogie convergente. l’une des mesures recommandées par le
Le niveau I (1re et 2e années) du curricu- forum sur l’éducation en 2008 porte sur
lum a connu en octobre 2005 un début la formation des enseignants.
de généralisation sur 2 550 écoles, avec
11 langues nationales. Dans l’esprit du L’approche par compétences
curriculum, l’accueil des enfants en
L’approche par compétences vise à
1re année se fait en langue nationale ainsi
développer les compétences des appre-
que l’essentiel de la première année. Le
nants en en tenant compte au moment de
français est introduit en 1re année sous
l’élaboration des programmes. Dans le
forme orale, comme langue de commu-
curriculum, la compétence est définie
nication scolaire ou langue seconde. En
comme étant « un ensemble de savoirs, de
deuxième année, on consolide l’appren-
savoir-faire, de savoir-être constatés et
tissage de l’écrit en langue nationale, et
mesurés, permettant à une personne
on apprend à lire et écrire en français. En
d’accomplir de façon adaptée une tâche
troisième année, l’enseignement de la
ou un ensemble de tâches ». Selon Cros
langue nationale comme matière doit se
et al. (2010), « la conception malienne de
poursuivre jusqu’en neuvième année.
la réforme curriculaire par compétences
Le curriculum rencontre un certain est fondée sur les compétences “discipli-
nombre de difficultés, notamment en ce naires”, “transversales”, “de vie”, compre-
qui concerne l’utilisation des langues nant une approche globale et intégrée de
nationales, qui suscite des débats depuis l’apprentissage, un décloisonnement des
plusieurs années, ainsi que la formation disciplines et leur regroupement en
38 et le recrutement des enseignants, l’in- “domaines”, un apprentissage basé sur la
suffisance de matériels didactiques, etc. démarche de résolution de problèmes se
Les langues nationales sont utilisées dans fondant sur la liaison entre l’école et la vie
l’enseignement fondamental depuis pour donner du sens aux apprentissages
1979, au motif que l’enfant apprend et scolaires ». L’enseignant change de rôle et
comprend mieux et plus vite dans sa devient un facilitateur pour l’acquisition
langue maternelle. Cependant, cette uti- des compétences, en créant un environ-
lisation souffre de nombreuses insuffi- nement favorable à l’apprentissage.
sances telles que les effectifs trop élevés L’approche par compétences a été adoptée
dans les salles, la mauvaise formation des car les résultats des apprenants maliens
enseignants, la non adhésion des parents n’étaient plus satisfaisants depuis plu-
d’élèves, etc. Selon Loua (2016), 75 % sieurs années. À l’image de plusieurs pays
des parents d’élèves de Bamako et 96 % de la sous-région, il fallait trouver une
des parents ayant un niveau d’études méthodologie d’enseignement et
supérieures sont défavorables à l’utilisa- d’apprentissage en rapport avec les inno-
tion des langues nationales dans l’ensei- vations antérieures.
gnement fondamental. Le constat géné- Cependant, les difficultés d’applica-
ral révèle un échec de cette innovation, tion de cette réforme curriculaire par
qui avait pour objectif de rehausser le l’approche par compétences sont nom-
niveau des écoliers maliens. breuses. Les enseignants dénoncent
La bonne exécution du curriculum notamment l’insuffisance de formations
suppose d’avoir les bonnes ressources adéquates, de matériels, de temps, de res-
éducatives. Outre la relecture du curricu- sources humaines. Beaucoup d’acteurs
lum et la dotation des écoles en manuels, font une confusion entre la pédagogie
N° 75 - septembre 2017
humaines de qualité et une gestion effi-
n
ciente, l’école malienne pourra atteindre
ses objectifs à court, moyen et long
terme. n
Seydou Loua, notes de lecture
Université des lettres et des sciences
humaines de Bamako
Bibliographie
CROS F., DE KETELE J-M. et al. (2010) :
Étude sur les réformes curriculaires par Pour le management
l’approche par compétences en Afrique, AFD/ pédagogique :
OIF.
un socle indispensable.
DIAMBOMBA M. (1980) : La réforme sco-
laire au Mali : Essai d’analyse des facteurs qui Connaître, éclairer, évaluer, agir
atténuent ses résultats. Québec, Université Alain Bouvier
Laval/Faculté des sciences de l’éducation. Préface de Bernard Toulemonde,
NAPARE M. D. (2011) : Le système LMD à la Berger-Levrault, 2017
Faculté des sciences et techniques (FAST) de
l’Université de Bamako : quelle appropriation Les quelque 400 pages de cet ouvrage
des protagonistes et bénéficiaires, Bamako/ constituent un propos riche de la bigar-
ROCARE/UEMOA. rure du parcours de son auteur : théorie et
PRODEC (2000) : Programme Décennal de pratique s’éclairent réciproquement,
Développement de l’éducation : les grandes l’expérience internationale nourrit le
orientations de la politique éducative,
40 Bamako/MEN. regard du fin connaisseur et du praticien
SAMAKE B., KONANDJI Y., MAIGA B. expert des institutions françaises de
(2012) : Étude relative aux réformes en cours l’éducation. Cette richesse chatoyante est
des systèmes nationaux d’éducation et/ou de indissociable de la clarté d’exposition
formation : les réformes curriculaires en éduca- qui, à travers quatre parties intitulées
tion, l’expérience malienne, Burkina Faso/
Ouagadougou/Association pour le dévelop- « Connaître », « Éclairer », « Évaluer » et
pement de l’éducation en Afrique. « Agir », offre un socle de connaissances,
de méthodes, de références et d’expé-
riences destiné à outiller ses lecteurs, et
tout particulièrement les acteurs du
management pédagogique de proximité.
Mais tous ceux qui s’interrogent sur
l’avenir de l’école à l’échelle mondiale
trouveront dans cette réflexion et ce
témoignage de quoi étayer leur réflexion.
Alain Bouvier cherche à faire
comprendre les enjeux actuels de l’École.
Dans le préambule, il affiche l’ambition
de « connaître les faits, tenter de les
éclairer, de les comprendre pour agir, et,
pour cela, savoir les relativiser, dans le
temps et dans l’espace, dans une vue
systémique, distanciée et critique ». Il
recour t donc à la compar aison.
N° 75 - septembre 2017
Berlinguer propose de « Ré-inventer su, comme l’écrivait en 2003 François
l’école »1 à partir d’innovations déjà pré- Dubet, porter aussi simplement et
sentes mais isolées, non généralisées, complètement qu’en 1946 « une convic-
Alain Bouvier s’attaque à l’immobilisme tion et une volonté : construire une école
d’un système éducatif, prisonnier de démocratique, utile aux élèves et à la
questions taboues qu’il soulève allègre- nation, accueillante aux individus ».
ment : celles, que l’« on » n’ose jamais (se) La somme produite par Alain Bouvier,
poser à propos des élèves, des parents, des enrichie d’une solide bibliographie et
enseignants, des cadres de proximité, du d’un index pratique, est une contribution
système et de ses coûts. Qui est cet « on » ? précieuse au débat politique, nécessaire
Les bureaucraties ministérielles et syndi- en France comme dans d’autres pays.
cales, dont le partenariat repose sur ces C’est aussi, par sa confiance dans l’intelli-
tabous. À la fin de cette démonstration gence collective et ses propositions
implacable, Alain Bouvier dégage dix concrètes de mise en œuvre, une aide à
principes pour une réforme, s’il n’est pas l’exercice professionnel quotidien des
trop tard : un projet systémique, visant chevilles ouvrières d’un système éducatif
l’équité par l’individualisation, cherchant en péril : les cadres intermédiaires, et,
à améliorer l’efficience, privilégiant tout par ticulièrement, les chefs
l’alternance pour la formation profes- d’établissement.
sionnelle, intensifiant le développement
Jean-Pierre Véran,
professionnel des acteurs, favorisant
IA-IPR honoraire
l’implication des parents, développant la
gouvernance territoriale, systématisant
42
la publication de l’évaluation des résul-
tats, reposant sur la confiance envers les Ré-inventer l’école
acteurs, et ramenant à 20 % de ce qu’il est Une école de qualité pour tous
aujourd’hui l’effectif de l’administration et pour chacun
centrale. Luigi Berlinguer
La conclusion ne peut être qu’interro- Préface de François Dubet
gative : « en France, des consensus sont-ils Éditions Fabert, 2017
possibles sur ce que la société attend de
L’ouvrage de Luigi Berlinguer est
son école ? ». C’est bien la question
nourri de sa riche expérience politique,
de fond. Les propositions pour l’école des
nationale et européenne, et de sa culture
candidats à la présidence de la République
d’universitaire, alliant connaissance fine
française en 2017 ont exprimé des
du système éducatif en général et des fré-
dissensus profonds. Mais, depuis le
missements de l’innovation en son sein,
Conseil national de la Résistance et les
et conscience aiguë des enjeux idéo-
travaux, en 1946, de la commission minis-
logiques, éthiques, didactiques de
térielle d’étude connus sous le nom de
l’éducation dans son pays comme à
Rapport Langevin-Wallon, ni le nouveau
l’échelle internationale. À sa manière,
contrat pour l’école de 1995 ni les lois
François Dubet l’exprime dans sa pré-
d’orientation de 1989, 2005 et 2013 n’ont
face : « Luigi Berlinguer n’est pas seule-
ment un ancien ministre de l’éducation
1. Berlinguer, Luigi, Réinventer l’école Une école de italien, un expert de l’école ayant tout vu,
qualité pour tous et pour chacun, Fabert, 2017,
ouvrage dont nous rendons compte dans ce même tout lu ou presque, c’est surtout un
numéro. homme de la Renaissance. Il n’est pas
N° 75 - septembre 2017
du temps pour apprendre et du temps vie, en raison des liens toujours plus
pour enseigner. Il regrette à ce propos une étroits, dans une économie de la connais-
spécificité italienne : l’absence de biblio- sance, entre culture et travail. Il ne s’agit
thèque scolaire. pas d’asservir l’éducation à l’économie,
Luigi Berlinguer met l’accent sur deux mais de prendre en compte la relation
autres spécificités italiennes à corriger : les entre formation et production.
sous estimations des cultures scientifique Finalement, on peut situer l’enjeu de
et musicale. Il faut donner toute leur place la renaissance de l’école dans passage
à ces apprentissages et en renouveler les de l’égalité faible (la trop fameuse égalité
méthodes, qui doivent être fondées, pour des chances d’accès à l’éducation) à l’éga-
les enseignements scientifiques, sur la lité forte, celle du droit à la réussite pour
recherche et l’enquête. Rappelant que tous.
l’absence d’enseignement pratique de la
musique est en opposition avec Aristote, Très concrètement illustré d’exemples
le quadrivium médiéval et Leibnitz, Luigi qui montrent que la dynamique du chan-
Berlinguer considère la pratique musicale gement est présente dans l’école italienne,
comme bénéfique pour l’apprentissage de cet essai a le mérite de rassembler en
l’élève et la qualité de l’éducation. quelques chapitres une riche expérience
et une réflexion prospective sur l’école
L’alphabétisation numérique est un
dont nous avons besoin ici et maintenant,
défi essentiel de l’école à réinventer. Luigi
en Italie et ailleurs. Il se démarque par son
Berlinguer s’appuie sur la notion de pro-
angle d’approche, révélé par le titre,
sumer, qui caractérise les usages numé-
d’autres essais prophétisant la déscolari-
44 riques où chacun est à la fois producteur
sation de la société comme Ivan Illitch en
et consommateur d’informations, de res-
1971, et prend le contre-pied de ceux qui
sources. Pour s’approprier la culture
déplorent « la fin de l’école » comme la
numérique, il ne faut pas compter sur les
cohorte des conservateurs d’une école
instruments numériques seuls, mais sur
mythifiée et lyophilisée. Pour lui, l’école
la transformation des enseignants et des
est à ré-inventer, à re-créer : si l’on consi-
élèves en prosumers.
dère que l’école répond au besoin
L’heure est donc venue d’un huma-
d’apprentissages non situés dans une
nisme nouveau, articulant humanités,
société, nos sociétés, à l’ère du numérique
culture scientifique et numérique. Les
et de l’accès de tous à une scolarisation
humanités classiques sont vivantes, si elles
longue, ont toujours plus besoin d’école,
échappent à la canonisation déplorative
mais d’une école plus efficace que celle
et sont partie prenantes de la formation
héritée du siècle dernier. n
du citoyen.
Ce nouvel humanisme s’appuie éga- Jean-Pierre Véran,
lement sur l’éducation tout au long de la IA-IPR honoraire
Musique et éducation
Introduction
Le pouvoir transformationnel de la musique :
quelles implications pour la société ?
Emmanuel Bigand
Institut universitaire de France, LEAD CNRS,
Université de Bourgogne-Franche-Comté
La musique résulte-t-elle
d’une sélection adaptative ?
Il y a trente ans, la publication de l’ouvrage de Stephen Pinker How the
mind works créait une petite révolution dans la société des sciences cognitives
de la musique. Son auteur, directeur d’un des plus prestigieux centres de sciences
cognitives1, y exposait la façon dont on pouvait comprendre l’architecture de la
pensée et du cerveau humain. S’inscrivant dans le courant de la psychologie 45
évolutionniste (Tobby et Cosmides, 1992), Pinker développait l’idée que l’évo-
lution du cerveau humain a conduit à sélectionner, durant la phylogénèse, un
ensemble de processus mentaux, portés par des réseaux neuronaux spécifiques,
particulièrement efficients pour répondre aux questions cruciales d’adaptation
à l’environnement physique et social. Ces processus constitueraient une « boîte
à outils » cognitive permettant d’interagir avec nos congénères et d’évoluer dans
l’environnement de façon fructueuse. Les processus qui présentent des avantages
pour résoudre les grands défis adaptatifs sont retenus. L’ensemble forme l’archi-
tecture de la pensée et du comportement humain. Par exemple, l’adaptation à
l’environnement social impose de résoudre une équation psychologique para-
doxale : collaborer avec ses congénères tout en étant en compétition avec eux.
Résoudre ce type de paradoxe requiert un grand nombre d’algorithmes mentaux
qui ont été, selon Pinker, progressivement implémentés dans le cerveau humain.
On sera bien sûr curieux de découvrir ce que contient cette « boîte à
outils cognitifs » et si la musique en fait ou non partie. Tout un ensemble de
mécanismes cognitifs (perception de la profondeur, perception trichromatique,
compétence linguistique), et sociaux cognitifs (empathie, aptitude à détecter les
tricheurs...) remplissent cette boîte, mais Pinker est formel : la musique n’en fait
N° 75 - septembre 2017
certainement pas partie car elle ne présente aucun avantage adaptatif. Les
comportements musicaux sont superfétatoires. Ils résultent de l’utilisation
ludique des outils cognitifs sélectionnés durant la phylogénèse pour répondre
aux problèmes de l’adaptation. Selon la terminologie de Pinker, la musique n’est
qu’une activité de détente comparable aux activités de bricolage que nous
pouvons faire en utilisant des outils perfectionnés le dimanche. Selon son
expression, « Music is a cheesecake » 2 : si elle venait à disparaître, le cours de
l’humanité n’en serait pas changé.
La proposition de Pinker a fortement impressionné la communauté
scientifique de la musique car elle donnait une formulation théorique à la
position largement dominante du sens commun, dont certains compositeurs, tel
Alexandre Borodine, se sont fait les porte-parole, selon laquelle « la musique est
une activité relaxante, à coté des activités sérieuses ». Les personnalités politiques
qui ont fortement réduit l’enseignement de la musique dans les écoles, les collèges
et les lycées pensaient sans doute, comme Pinker, que la disparition de la musique
des institutions pédagogiques ne changerait pas le cours du développement
psychologique des enfants. Que peut-on répondre à Pinker ? On pourrait bien
évidemment objecter que la musique est une activité « artistique » et donc, à ce
titre, qu’elle est hautement respectable. Cela ne constitue par une véritable
objection : Pinker ne conteste nullement que les activités inventées par l’homme
à partir des compétences de base soient hautement respectables. Il prétend
46 simplement que le cerveau n’a pas évolué pour faciliter l’émergence de ces acti-
vités artistiques et n’en n’a tout simplement pas « besoin ». Autrement dit, le
cerveau n’a pas évolué pour aimer les cheesecakes. Les cheesecakes sont des inven-
tions tardives qui flattent les processus gustatifs qui ont été sélectionnés durant
la phylogénèse car ils résolvaient de façon avantageuse, des problèmes d’adaptation
(la recherche de sucre, dans le cas présent). La musique est un cheesecake sonore
et il en serait de même pour toutes les autres activités artistiques.
Combien musical
est l’être humain ?
Sur le plan neuroscientifique, la conséquence logique de cette position
est que les habiletés musicales reposent « nécessairement » sur des compétences
mentales et des structures neuronales dévolues à d’autres fonctions. Ceci constitue
d’ailleurs l’argumentation essentielle de Pinker : en comparant les liens structu-
raux étroits qui existent entre la musique et le langage, l’auteur entend démontrer
combien la musique détourne les compétences linguistiques de leur fonction
première et « squatte » les réseaux neuronaux du langage. Par conséquent, la
musique ne peut en aucun cas avoir la moindre influence sur l’habileté linguis-
tique puisqu’elle lui est, en quelque sorte, inféodée. De la même façon, la musique
N° 75 - septembre 2017
de néo-natalité sont spectaculaires. Dans le service du professeur Denis Semama
au Centre hospitalier universitaire de Dijon, par exemple, Solène Pignon déve-
loppe des actions musicales avec des grands prématurés, qui visent à stimuler
les fonctions vitales indispensables à leur survie : respiration et nutrition. Les
observations montrent que chanter à voix douce des berceuses peut déclencher
des reflexes de succion chez ces prématurés, qui sont indispensables pour
leur nutrition mais restent très difficiles à obtenir chez des grands prématurés.
La musique est largement utilisée, dans ce type de service, comme un soutien à
la prise en charge médicale de ces bébés.
Les recherches actuelles conduisent donc à repenser entièrement la
fonction de la musique. L’être humain « est musical », et ceci plusieurs mois même
avant sa naissance. Il reste « musical » jusqu’à la fin de sa vie, comme le démontre
l’efficacité des actions musicales dans de nombreux services hospitaliers en fin
de vie. Les études neuroscientifiques convergent ici vers les conclusions des
travaux ethnomusicologiques, qui, tels celui de John Blacking (1977), démontrent
l’importance des activités musicales dans les groupes sociaux. On ne connaît pas
de sociétés humaines ni de période dans l’histoire de ces sociétés, où des formes
de pratiques musicales n’auraient pas existé ou auraient disparu. Conjointement,
il semble difficile d’identifier une espèce animale qui présente une compétence
musicale comparable à la nôtre. Il n’existe pas d’espèce, par exemple, dans laquelle
les congénères sont capables de synchroniser leurs mouvements sur des sons
48 comme dans la danse. La musique semble une compétence universelle et spéci-
fique aux humains, ce qui n’est pas le cas des activités de loisir. On pourrait
penser qu’il en est de même pour toutes les activités artistiques. Or, même par
rapport à ces activités, la musique présente des singularités évidentes : elle est
fortement résistante aux pathologies cérébrales et le bébé humain y répond, pour
ainsi dire, avant même d’être né. La musique n’est donc pas « une activité artis-
tique ». Sa fonction psychologique ne peut en aucun cas se réduire à une
dimension esthétique. Ranger la musique dans les activités artistiques reviendrait
à passer à coté de sa fonction psychologique fondamentale. Les neurosciences
cognitives rejoignent ici les conclusions des ethnomusicologues. La musique est
une forme de communication sociale par les sons, au même titre que le langage.
Personne ne réduirait le langage à un art, même si, bien sûr, certaines formes
d’expression linguistique présentent des caractéristiques esthétiques remar-
quables. Il n’y a pas plus de raison de le faire pour la musique.
Pourquoi et comment cette activité s’est-elle développée chez les
humains ? Comme le souligne S. Mithen (2005), les recherches archéologiques
et anthropologiques ne se sont guère intéressées à cette question, tant que les
enjeux théoriques n’étaient pas apparus comme évidents. En analysant plus atten-
tivement les sites, il serait probablement possible d’établir une datation approxi-
mative de l’émergence des activités musicale. Les flûtes récemment découvertes
en Slovénie et en Allemagne, qui ont été datées de 40 et 60 000 ans avant notre ère,
révèlent des caractéristiques surprenantes : les trous sont espacés de façon très
3. « Les notes musicales et le rythme ont été acquis par les ancêtres mâles ou femelles de l’humanité pour charmer
le sexe opposé ». (NdlR)
4. « Il semble probable que les ancêtres de l’homme, qu’ils soient mâles ou femelles ou des deux sexes, avant
d’acquérir la capacité d’exprimer leur amour réciproque dans un langage articulé, ont cherché à se charmer l’un
l’autre par des notes musicales et un rythme ». (NdlR)
N° 75 - septembre 2017
normales lorsque les mariages sont établis. Les musiques entendues durant cette
période ont un statut en mémoire tout à fait différent des musiques découvertes
à d’autres périodes de la vie. Le lien entre musique et sexualité s’observe par
ailleurs de façon assez nette dans de nombreuses cultures musicales. Par exemple,
la samba semble provenir d’un rituel africain de procréation, durant lequel les
danseurs touchaient leur nombril. Le « b » de samba serait le « b » d’« ombilicum ».
Les études d’imagerie cérébrale montrent, quant à elles, que le plaisir musical
intense, celui qui donne parfois des frissons dans le dos, est loin d’être un plaisir
purement intellectuel. On constate en effet que les centres du réseau de la
récompense, connus pour leur implications dans la satisfaction des besoins
biologiques, tels que le noyau accumbens qui décharge de la dopamine, sont activés
lors de l’écoute : le plaisir musical rapporté par les auditeurs dans le scanner est
proportionnel à l’activation de ce noyau accumbens et à l’intensité de la décharge
de dopamine. Le prix que les auditeurs se disent prêts à payer pour pouvoir acheter
les morceaux en question est lui-même corrélé à l’intensité de cette décharge
(Salimpoor et al. 2011).
Le pouvoir
transformationnel
de la musique
et ses implications
pour l’éducation
La musique aurait de ce fait un pouvoir transformationnel sur l’esprit
humain. Sa pratique a pu et peut donc encore entraîner de profondes modifica-
tions psychologiques et neurophysiologiques. Les implications sociales de ces
découvertes sont importantes tant pour le monde de la santé (Bigand et Tillmann,
2015) que pour celui de l’éducation. Ce sont ces implications éducatives que le
présent numéro de la Revue internationale d’éducation de Sèvres entend aborder.
Si la musique a un pouvoir transformationnel de l’esprit, alors il convient d’en
tirer des conséquences au niveau des politiques éducatives. Pour alimenter cette
réflexion, nous avons choisi de confronter deux niveaux d’observation : celui des
études psychologiques à petites échelles sur l’individu ou des petits groupes
d’individus, et celui d’observations sociologiques à l’échelle de grands groupes
sociaux. Le changement d’échelle d’observation impose inévitablement une
N° 75 - septembre 2017
rupture épistémologique, la technicité méthodologique des recherches en neuros-
ciences cognitives étant nécessairement bien différente de celles des méthodes
d’observation des sciences sociales et de l’éducation.
Ce numéro invite donc à une réflexion multidisciplinaire autour d’un
concept central : le pouvoir transformationnel de la musique. Cette réflexion
s’articule tout d’abord sur deux revues de questions neuroscientifiques. La
première traite de l’impact de la musique sur la plasticité cérébrale. Laura Ferreri
résume les principales études montrant qu’une pratique musicale soutenue peut
modifier l’anatomie et le fonctionnement du cerveau, chez des musiciens experts,
chez des enfants et des adultes qui débutent, tardivement pour ces derniers, la
pratique d’un instrument ou du chant. En modifiant le cerveau, la musique se
présente comme un véritable outil de stimulation cognitive, non invasif, qui peut
jouer un rôle important pour la santé et l’éducation. Le second article, de Laurel
Trainor, développe plus en détail l’impact de la stimulation musicale chez les
nourrissons. On sait, depuis les travaux remarquables de Glenn Schellenberg au
Canada, que la musique contribue aux acquisitions cognitives fondamentales de
l’enfant, notamment en favorisant les acquisitions linguistiques, et au dévelop-
pement de son quotient intellectuel. Lorsque les enfants sont répartis en début
d’année scolaire aléatoirement dans des activités extrascolaire telles que des leçons
de piano ou de chant, des cours de théâtre ou d’autres activités non spécifiées, ce
sont les enfants des deux groupes musique (chant et piano) qui auront eu un
52 développement cognitif le plus grand en fin d’année. Les enfants ayant été répartis
aléatoirement dans ces activités, ce résultat ne peut pas être causé par des variables
socioculturelles confondues avec la pratique de la musique. Qui plus est, l’équipe
de Mireille Besson, au CNRS de Marseille, a montré, de son côté, que des enfants
en situation d’échec scolaire vont davantage bénéficier d’ateliers musicaux
dispensés hebdomadairement pour les aider à réduire ce déficit que ceux suivant
des ateliers de peinture, alors même que ces derniers rapportent avoir un énorme
plaisir à suivre les ateliers peinture. Il est donc bien acquis (voir Bigand, 2010),
que la musique facilite le développement cognitif de l’enfant. Dans ce numéro,
Laurel Trainor revient sur des effets bien plus inattendus de la pratique de la
musique, et observés plus récemment. La musique semble favoriser également le
développement des compétences psychosociales et émotionnelles de l’enfant.
Les études neuroscientifiques conduisent logiquement à anticiper des
effets positifs à l’échelle sociale de la pratique musicale. Les articles suivants
apportent des éclairages originaux sur cette hypothèse en abordant, à travers diffé-
rents regards culturels, des situations d’apprentissage et de pratique musicale.
Shantala Edge s’interroge tout d’abord sur l’impact sur la formation de la person-
nalité que peuvent avoir les caractères spécifiques de l’apprentissage de la musique
en Inde. La tradition maître-élève du système « Gurukula » est une méthode de
formation conçue non seulement pour transmettre les connaissances et les savoir-
faire techniques relatifs à la musique, mais aussi pour favoriser le développement
de la personnalité globale de l’élève. Le pouvoir transformationnel de la musique
pourrait de fait varier selon les méthodes d’apprentissage et s’intensifier dans celles
qui, comme en Inde, revendiquent explicitement un engagement complet de l’indi-
vidu, et pas uniquement l’acquisition d’une technique et d’un savoir-faire.
Dans d’autres cultures, l’éducation musicale est médiatisée par le groupe.
En analysant les stratégies d’apprentissage en vigueur à Trinité et Tobago, Aurélie
Hemlinger détaille la façon dont, dans ce type de situation d’apprentissage, le
musicien apprenti doit « gagner » la musique qu’il apprend, en montrant qu’il
la mérite par sa soumission aux règles sociales. La pratique de la musique est
ainsi indissociable de la construction d’une personnalité sociale. Cette dimension
sociale conduit à s’interroger sur la forme que doit prendre l’éducation musicale
dans les cultures où les traditions musicales orales restent très actives, comme
en témoigne l’article de Moussa Sy sur l’éduction musicale au Sénégal.
Les articles suivants développent plus longuement encore l’importance
de la formation des compétences socio-cognitives. Les programmes de sociali-
sation par la musique « El Sistema » mis en place au Venezuela par A. Abreu
auprès des enfants les plus défavorisés, reposent fortement sur cette hypothèse
que la musique, en mettant en progrès les individus sur le plan cognitif et socio-
cognitif, va contribuer au développement de leur citoyenneté et, de fait, à leur
intégration sociale. Maria Majno, qui a mis en place de tels programmes en Italie
avec la contribution de Claudio Abbado, propose ici une description détaillée de
leurs démarches psycho-pédagogiques, de leurs réussites et de leurs limitations.
Henrik Reeh propose, quant à lui, un suivi, au sein d’une classe de trente élèves, 53
au Danemark, des effets de la pratique musicale. L’identité au niveau de la classe
constitue un cadre essentiel de la scolarité, de la vie musicale et des amitiés, et
l’auteur analyse comment le mélange particulier entre le savoir musical et d’autres
éléments pédagogiques a été vécu par les élèves pendant leur scolarité commune,
et continue d’influencer la vie de ces élèves après les trois années passées au lycée
Sainte-Anne de Copenhague. Il en ressort que la musique offre non seulement
une communauté de goût, de ton et d’amitiés, qui, loin d’accentuer la concur-
rence entre les individus, sert à réunir les élèves, et que cette influence perdure
plusieurs années après avoir quitté le lycée. Dans l’article suivant, Denis Waleckx
revient sur les intérêts institutionnels des projets d’orchestre à l’école, mis en
place avec succès en France, en s’appuyant sur l’exemple du département de la
Mayenne. Ces dispositifs sont assez faciles à mettre en place et présentent des
avantages pour la coordination des politiques publiques et d’animation du terri-
toire et la diversification des offres culturelles apportées aux enfants. Les évalua-
tions de ce projet sont très positives, du point de vue de la réussite scolaire de
tous les élèves, de leur insertion dans la société, de l’intégration de tous dans le
projet et du développement du sens de la coopération.
Au fil des articles, il apparaît que la pratique musicale se traduit par un
bouleversement cognitif, social, et identitaire des individus, qui a une influence
positive sur la cohésion du groupe. Le dernier article de ce numéro souligne ainsi
l’importance de la musique comme facteur de cohésion sociale, en rapportant un
N° 75 - septembre 2017
témoignage tout à fait singulier du rôle de la musique lors d’un moment déco-
lonial récent en Afrique du Sud (2015-2016). Stephanus Muller décrit deux projets
musicaux créés à cette occasion et permettant à des étudiants évoluant dans des
environnements éducatifs contestés d’exprimer des identités anticonformistes et
de créer de nouvelles formes de cohésion sociale dans des circonstances de tension
et de violence particulièrement difficiles. La musique apparaît ici comme un
puissant catalyseur de lien social dans des moments de forte instabilité et de
mécontentement. Enfin, l’ensemble de ces articles est accompagné d’un article
bibliographique, dans lequel Helène Beaucher présente plusieurs publications
pertinentes pour compléter en enrichir la réflexion, dans un cadre largement
interdisciplinaire, sur les effets de la musique sur le cerveau, l’individu et la société.
À l’issue de ce numéro, nous espérons que le lecteur aura pu se convaincre
de l’importance neurophysiologique, cognitive et sociale des pratiques musicales
qui, si elles sont encadrées de façon adaptée, contribuent au développement
d’aptitudes fondamentales pour une société. Au regard des résultats actuels des
neurosciences cognitives de la musique dans les domaines de l’éducation et de
la santé, il nous semble aujourd’hui indispensable de repenser l’apprentissage
musical, en facilitant son accès au plus grand nombre, non seulement pour
les jeunes enfants, mais également pour les adultes et les seniors : une petite
révolution éducative pour le monde musical, en quelque sorte.
54
Bibliographie
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Musique et plasticité
cérébrale*
Laura Ferreri
Université de Barcelone / Institut biomédical
IDIBELL, Barcelone
L’intérêt neuroscientifique
pour la musique
La musique a une présence constante et unique tout au long de la vie
humaine. À travers les siècles, de nombreux philosophes, artistes et scientifiques
ont tenté de rendre pleinement compte du rôle que la musique joue dans nos
vies en montrant comment elle peut influencer nos émotions, notre cognition
et notre comportement. Durant les deux dernières décennies, les sciences du
cerveau ont porté une attention sans précédent à la musique, de plus en plus
considérée comme « la nourriture des neurosciences » (Zatorre, 2005). Quelles
caractéristiques particulières de la musique intéressent-elles tant la communauté
neuroscientifique ? 55
Dans Αρμονίκων Στοκείων (les Éléments d’harmonique), le philosophe
Aristoxène (Tarente, fin du IVe siècle av. J.C.) est le premier philosophe grec à
avoir affirmé que comprendre une composition musicale signifie suivre le
processus de sa mélodie avec l’oreille et l’intellect. L’oreille détecte les amplitudes
de la mélodie qui se succèdent, alors que l’intellect envisage les fonctions des
notes à l’intérieur du système auquel elles appartiennent. Plus précisément,
Aristoxène propose deux procédés principaux impliqués dans l’écoute de la
musique : la mémoire, pour retenir le passé, et les sens, à savoir la perception,
afin d’appréhender le présent. Cette conception intuitive, qui contrastait avec
l’approche mathématique de la musique par Pythagore, était extrêmement nova-
trice, à la lumière des récentes découvertes neuroscientifiques.
En effet, l’intérêt neuroscientifique pour la musique n’est pas simple-
ment motivé par la possibilité fascinante de trouver les corrélations neurales de
ce langage sensoriel basé sur des règles, temporellement ordonné et extrêmement
complexe. Dans Musicophilia, Oliver Sacks (2007) affirme que « les humains sont
une espèce musicale autant que linguistique ». À peu d’exceptions près, tout le
monde peut percevoir la musique, les tonalités, le timbre, les intervalles de
hauteur tonale ainsi que le rythme, les courbes mélodiques et l’harmonie. Toutes
ces caractéristiques sont ensuite assemblées (la plupart du temps implicitement)
N° 75 - septembre 2017
à l’aide de différentes parties du cerveau et ceci est généralement accompagnée
d’une réaction émotionnelle intense et profonde (Koelsch, 2014). Par conséquent,
le véritable défi porté par la musique dans le domaine neuroscientifique
commence à partir de preuves que la musique, en tant que stimulus auditif très
complexe avec un fort impact émotionnel, implique tout le cerveau à travers un
ensemble diversifié d’opérations perceptives et cognitives et donc des substrats
neuronaux également divers. Comme l’étude de la physiologie et de la neurologie
cérébrales est fondamentale pour comprendre le fonctionnement du cerveau, la
musique est devenue un modèle très utile pour la recherche sur le cerveau relative
à la perception et à la cognition, en mesure d’apporter des contributions inté-
ressantes aux connaissances générales sur le cerveau : comment il fonctionne et
comment il peut modifier sa structure et ses fonctions en réaction à la stimulation
externe.
Qu’est-ce la plasticité
cérébrale ?
On entend par plasticité cérébrale la capacité du cerveau à modifier sa
structure, sa fonction et sa connectivité. Une augmentation de la plasticité céré-
brale est associée à des changements multiples et dissociables du cerveau en
corrélation avec des résultats comportementaux, y compris des augmentations
56 de la longueur dendritique, des augmentations ou des diminutions dans la densité
de la colonne vertébrale, la formation de synapses, une activité gliale accrue et
une activité métabolique altérée. Qui plus est, ces changements peuvent se
produire tout au long de la vie d’un individu et ne sont pas limités à une fenêtre
critique pendant les premières années de la vie, comme on le pensait
auparavant.
Il y a près de vingt ans, un groupe de chercheurs du Royaume-Uni a
mené une étude très connue sur les chauffeurs de taxi londoniens, qui avaient
des compétences en navigation particulièrement développées. Après avoir scanné
leur cerveau par le biais de l’imagerie par résonance magnétique (IRM), Maguire
et ses collaborateurs (2000) ont constaté que les chauffeurs de taxi avaient un
hippocampe plus volumineux, l’hippocampe étant une région du cerveau spéci-
fiquement impliquée dans la formation de la mémoire, par rapport aux sujets
témoins qui avaient une mémoire spatiale moins développée. De manière signi-
ficative, cette étude a non seulement confirmé le rôle de l’hippocampe dans les
représentations spatiales, mais a également indiqué une capacité pour des varia-
tions locales de la structure du cerveau sain d’un humain adulte en réponse aux
exigences environnementales. Nous savons maintenant que ces changements se
produisent également après des formations courtes et que seulement quarante-
cinq minutes d’entraînement sur une tâche de navigation sur un jeu vidéo
semblent suffire pour modifier la structure et la connectiv ité de
l’hippocampe.
Musique et plasticité
cérébrale
La formation musicale
et le cerveau
Si la musique peut stimuler et changer l’organisation neurale, le cerveau
des musiciens est-il différent de celui des non musiciens ? Plusieurs expériences
sur l’expertise musicale ont grandement contribué à comprendre l’immense
gamme des changements de plasticité liés à la musique.
Ouvrant les portes à la recherche sur la plasticité musicale, Ramon et
Cajal affirment (voir Ramon, Cajal, Pasik et Pasik, 1999) que :
tout le monde sait que la capacité d’un pianiste [de jouer] en s’adaptant à la
nouvelle œuvre demande de nombreuses années de gymnastique mentale et
musculaire. Pour comprendre ce phénomène important, il est nécessaire
d’admettre que, parallèlement au renforcement des voies organiques préétablies,
de nouvelles voies d’accès sont créées par la ramification et la croissance progres-
sive des processus dendritique et axonal terminaux.
N° 75 - septembre 2017
compétences au cours de la vie d’un musicien. La raison en est qu’une pratique
musicale constante est capable de modifier l’organisation du cerveau en augmen-
tant le nombre de neurones employés pour un certain processus, soutenant leur
synchronisation temporelle et augmentant le nombre et la force des connexions
synaptiques excitatrices et inhibitrices.
Plusieurs études par neuro-imagerie ont démontré que la pratique musi-
cale est capable de modifier l’organisation du cerveau dans les cortex auditifs,
somatosensoriel et moteur, chez les enfants et les adultes. En particulier, ces
régions montrent généralement une augmentation du volume ou de la densité
de la matière grise et une amélioration de l’organisation microstructurale de la
matière blanche chez les musiciens, par rapport aux individus sans formation
musicale.
Il est important de noter que la plupart des études sur l’expertise musi-
cale se concentrent sur la formation musicale précoce. En effet, bien que la
plasticité cérébrale soit un phénomène qui concerne la durée de vie entière, le
système nerveux central présente sa malléabilité maximale durant les premières
phases du développement. Pour cette raison, la formation musicale précoce, qui
commence au cours de l’enfance et l’adolescence, peut avoir un bénéfice et un
effet maximum sur le cerveau. Toutefois, des résultats cruciaux ont également
été obtenus avec des débuts tardifs et une formation musicale courte. Par exemple,
des adultes non musiciens qui ont appris à jouer une séquence à cinq doigts sur
58 un clavier en seulement cinq jours ou à jouer au piano et à lire une partition
musicale en quinze semaines ont montré une meilleure performance comporte-
mentale accompagnée d’une réorganisation du cerveau cortical (voir Dalla Bella,
2016, pour une revue).
Il est intéressant de noter que l’expertise musicale peut aussi influer sur
la réorganisation des régions corticales et sous-corticales essentielles pour
d’autres fonctions cognitives non musicales, telles que les processus de langage,
les fonctions exécutives ou les processus de mémoire. Conformément à cela, des
études récentes sur le vieillissement suggèrent que les changements du cerveau
liés à la pratique musicale augmentent la résistance au vieillissement cognitif.
Par exemple, une étude récente sur des cojumeaux a révélé que les jumeaux qui
jouent un instrument de musique étaient moins susceptibles de développer une
démence et une déficience cognitive que leurs cojumeaux non musiciens (Balbag
et al., 2014). Ensemble, toutes ces études suggèrent que les changements neuro-
plastiques liés à la formation musicale peuvent se produire rapidement, à diffé-
rents stades de la vie, et peuvent avoir des conséquences comportementales
importantes sur les capacités non musicales également.
Si la formation musicale est capable de stimuler et d’induire la plasticité
cérébrale facilement dans les régions impliquées dans des capacités non musicales
également, il est raisonnable d’émettre l’hypothèse que non seulement la
formation musicale mais aussi la simple exposition à la musique pourraient
moduler les réactions cérébrales et influencer positivement les fonctions non
De la plasticité cérébrale
à la stimulation
et à la remédiation cognitives
Un grand nombre d’études ont révélé la façon dont la musique peut
améliorer les capacités non musicales de fonctions cognitives plus perceptuelles
à des fonctions cognitives supérieures et plus générales en réaction non seulement
à la formation musicale, mais aussi à une simple exposition musicale. Ici, je me
concentrerai sur trois processus principaux : la musique, le langage et la mémoire,
afin de présenter la façon dont les changements du cerveau liés à la musique
peuvent moduler la cognition et le comportement humains.
Mouvement
Un lien intrinsèque existe entre la musique et le mouvement : nous
n’avons pas besoin d’être des musiciens experts pour commencer à frapper des
mains, taper des pieds ou danser quand une pièce musicale commence. Au
contraire, parfois, nous ne pouvons tout simplement pas nous empêcher de 59
bouger notre corps et de suivre le rythme d’un extrait musical que nous aimons.
Dans le domaine de la recherche sur la musique et les mouvements, la plupart
des études ont mis l’accent sur la composante rythmique et sur la capacité des
humains à se synchroniser avec une stimulation musicale donnée. Par exemple,
il a été démontré que la musique, via la capacité de synchronisation avec un
rythme auditif donné, peut influencer la manière et la fréquence à laquelle les
sujets marchent. Au niveau neurophysiologique, un tel phénomène est connu
sous le nom d’entraînement neuronal et fait référence au fait que nos oscillations
neuronales internes sont capables de modifier leur fréquence pour se synchro-
niser sur des oscillations (musicales) externes. Cet effet de la musique sur le
cerveau et le mouvement pourrait-il améliorer les fonctions motrices altérées ?
En 1996, Thaut et al. ont suggéré que la stimulation auditive rythmique pourrait
être utilisée pour atténuer les déficits moteurs de la maladie de Parkinson. Ils
ont comparé un groupe de patients atteints de la maladie de Parkinson suivant
un programme d’entraînement à la marche à domicile basé sur une stimulation
auditive rythmique avec un groupe témoin qui avait participé à un programme
d’entraînement interne à son propre rythme. Après trois semaines, les patients
qui s’étaient exercés avec la stimulation auditive rythmique, par rapport au
groupe témoin, avaient amélioré de manière significative la vitesse de leur
démarche, leur longueur de foulée et la cadence de leurs pas. Un autre axe de
recherche clinique concerne la rééducation suite à un AVC, durant laquelle trois
N° 75 - septembre 2017
semaines de thérapie soutenue par de la musique avec un piano MIDI1 ou une
batterie électronique ont produit des améliorations significatives des compétences
globales fines associées à des changements neuraux spécifiques indiquant une
meilleure connectivité corticale et une activation améliorée du cortex moteur
(Altenmüller et al., 2009).
Langue
Comme Tillmann (2012) l’a évalué, la recherche en matière de cognition
musicale éclaire non seulement la compréhension des processus musicaux, et
linguistiques ainsi que celle d’autres stimulus structurés. En effet, la musique et
le langage partagent plusieurs ressources neuronales, ce dont il est possible
d’apporter la preuve tant au niveau perceptif que cognitif. Par exemple, grâce
aux propriétés structurantes de la musique qui pourraient soutenir l’organisation
linguistique et améliorer sa compréhension, il est plus facile d’apprendre des
séquences chantées que des paroles. De même, les propriétés syntaxiques d’une
structure musicale constituent un lien direct avec la langue. Dans une étude bien
connue, Patel et al. (1998) ont testé la spécificité linguistique du P600, une
corrélation du potentiel du cerveau lié aux événements, au traitement syntaxique.
En comparant les incongruités syntaxiques dans le langage et la musique, les
résultats ont révélé que les incongruités structurelles linguistiques et musicales
suscitaient des incongruités statistiquement indiscernables. Ces liens bien établis
60 entre la musique et le langage expliqueraient un effet musical positif sur les
processus linguistiques non musicaux. Selon Patel (2011), cinq conditions
peuvent expliquer la façon dont la musique profite au codage neuronal de la
parole (l’hypothèse OPERA) : (1) le chevauchement dans les réseaux du cerveau
qui traitent une caractéristique acoustique utilisée dans la musique et le discours ;
(2) le fait que, en termes de précision de traitement, la musique impose des
exigences plus élevées sur ces discours partagés ; (3) les fortes émotions positives
suscitées par la musique ; (4) la répétition donnée par une formation musicale
et (5) l’attention accrue qu’entraîne la musique.
Quant au mouvement, les caractéristiques rythmiques et mélodiques
des stimuli musicaux sont utilisées dans le domaine clinique pour améliorer la
performance linguistique. Un bon exemple est donné par la Melodic Intonation
Therapy (MIT), un processus thérapeutique utilisé par les musicothérapeutes et
les orthophonistes pour aider les patients atteints de troubles de la communica-
tion causés par des lésions cérébrales. Le MIT est basé sur les observations selon
lesquelles certains patients aphasiques sont aidés dans la parole s’ils doivent
produire des mots chantés plutôt que dits et si le rythme est frappé avec les
mains. On a démontré que la musique améliore la performance linguistique
également chez les enfants dyslexiques, pour lesquels une formation musicale
1. La norme MIDI (Musical Instrument Digital Interface - Interface numérique pour instruments de musique) est un
protocole de communication standard qui permet de faire transiter des informations musicales d’un instrument à
l’autre ou d’un ordinateur à un instrument et réciproquement. (NdlR)
Mémoire
Combien d’entre nous peuvent se souvenir facilement des paroles d’une
chanson, mais se sentent totalement incapables d’apprendre un poème par cœur ?
Pourquoi avons-nous le sentiment que l’on peut mieux se souvenir d’une infor-
mation difficile à encoder si elle est chantée, plutôt que dite ? La recherche
neuro-cognitive a effectué des études très poussées sur les mécanismes qui pour-
raient servir de médiateur à cette facilitation mnémonique musicale (voir Ferreri
et Verga, 2016). Il a été proposé que la musique peut aider à l’encodage des sujets
en raison de ses caractéristiques perceptuelles intrinsèques : la structure ryth-
mique ainsi que l’organisation séquentielle des phrases musicales et des variations
de mélodies peuvent jouer un rôle crucial dans la formation de la mémoire, par
exemple en attirant l’attention des sujets sur les informations pertinentes à retenir
ou en permettant le traitement de la manipulation profonde. En outre, il est
important de souligner le pouvoir émotionnel et évocateur de la musique : un
extrait musical peut être profondément évocateur en nous transportant dans sa 61
« beauté pure » et évoquant ainsi des émotions spécifiques et des souvenirs d’évé-
nements, de rencontres ou d’états d’esprit qui ne peuvent être évoqués d’une
autre manière.
Cela devient particulièrement pertinent dans le domaine clinique, où
l’idée qu’un extrait musical pourrait évoquer des expériences de vie particulières
et des détails épisodiques connexes possibles a conduit plusieurs auteurs à enquêter
sur la relation entre la musique et la mémoire, en particulier chez les patients
atteints de la maladie d’Alzheimer. Par exemple, on a montré que la musique peut,
à la fois, améliorer sensiblement les patients atteints d’une forme modérée de la
maladie d’Alzheimer à se souvenir d’épisodes autobiographiques et réduire les
niveaux d’anxiété. Par exemple, El Haj et al. (2012) ont testé les mémoires auto-
biographiques de patients modérément atteints d’Alzheimer en utilisant une
méthode narrative libre sous condition « silence », sous condition « musique »
dans laquelle des sujets étaient exposés aux Quatre saisons de Vivaldi, et sous
condition « musique choisie », dans laquelle des sujets étaient exposés à la musique
de leur choix. Les résultats ont indiqué une meilleure performance sous les condi-
tions « Quatre saisons » et « choisie », chacune étant plus élevée que dans la
condition « silence ». En outre, observant que l’amélioration autobiographique a
été également caractérisée par un perfectionnement des mots émotifs positifs, les
auteurs ont conclu que la musique améliore la performance de la mémoire auto-
biographique en favorisant des mémoires émotives positives.
N° 75 - septembre 2017
Ensemble, les études analysées dans le domaine du langage, du mouve-
ment et de la mémoire suggèrent que la musique est un bon outil de stimulation
cognitive, capable de moduler la plasticité cérébrale et de stimuler un large éven-
tail de performances cognitives.
N
Le cerveau humain a la capacité inouïe – la dénommée plasticité céré-
brale – de changer sa structure et sa fonction en réponse à une stimulation
externe tout au long de la vie d’un individu. La musique est une présence unique
tout au long de notre vie et constitue un stimulant riche et complexe capable de
stimuler tout le cerveau. L’apprentissage et la pratique de la musique sont des
activités multimodales impliquant des processus perceptifs, moteurs, sensoriels,
émotionnels et cognitifs associés à des réseaux neuronaux complexes : plusieurs
études sur les enfants et les adultes ont montré que la formation musicale courte
et longue est capable de façonner la structure et les fonctions du cerveau, indui-
sant ainsi des processus de plasticité cérébrale. En outre, pratiquer et écouter de
la musique chez les non musiciens s’est avéré fortement capable de moduler
l’activité cérébrale. Dans ce cadre, plusieurs études ont souligné que la capacité
de la musique à stimuler et à modifier les fonctions du cerveau peut être employée
pour améliorer d’autres capacités non musicales telles que le mouvement, le
62 langage ou la mémoire, avec des conséquences importantes pour les interventions
neuro-réhabilitatives.
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63
N° 75 - septembre 2017
dossier
La musique
chez les tout-petits
Développement émotionnel, auto-régulation
et coopération sociale*
Laurel J. Trainor
McMaster University, Canada
Musique, émotion
et développement
de l’auto-régulation
Ainsi que l’ont décrit de façon éloquente des chercheurs comme Antonio
Damasio (2005), nos pensées et actions sont intimement guidées par nos senti-
ments. Le fait d’anticiper des sentiments positifs nous motive pour atteindre
N° 75 - septembre 2017
certains objectifs, tandis que les émotions négatives nous conduisent à remédier
à des situations désagréables ou nocives. Dans cette perspective, la musique est
un peu une énigme. Elle peut en effet susciter des réponses affectives fortes chez
les individus, manifestées par des pleurs, une gorge nouée, la chair de poule et
une accélération des battements du cœur. Pourtant la musique ne concerne en
général pas directement des objets ou des événements du monde, et elle ne peut
pas directement nous aider à résoudre un problème dans nos vies. La musique
suscite des émotions d’une façon assez différente des autres stimuli. En effet, elle
ne sollicite pas réellement la totalité de la gamme des émotions humaines, et une
partie au moins des réponses à la musique est davantage de nature esthétique.
Par exemple, plutôt que de nous rendre malheureux, la musique triste provoque
souvent un sentiment et une appréciation positifs, lorsqu’elle est ressentie comme
belle et/ou poignante. D’un autre côté, le groupe dirigé par Robert Zatorre a
démontré que les pics d’émotions positives suscitées par la musique sont corrélés
à la libération de dopamine dans le striatum, une région du cerveau impliquée
dans les processus émotionnels en général (Salimpoor et al., 2011). Ainsi, les
émotions fortes induites par la musique semblent activer le cerveau de la même
manière que d’autres expériences émotionnelles.
Musique et auto-régulation
chez les tout-petits
De nombreuses études indiquent que, de l’adolescence à la vieillesse, les
individus tendent à écouter de la musique dans un but d’auto-régulation, qu’il
s’agisse de réguler leurs humeurs, de se distraire, de rediriger leur attention, de
se relaxer, ou au contraire de se galvaniser et de maintenir leurs sens en éveil.
La musique est également utilisée à des fins thérapeutiques dans le traitement
de la dépression. L’auto-régulation représente la capacité de l’individu à contrôler
ses pensées, ses émotions et son comportement. Elle requiert de sa part une
aptitude à choisir dans son environnement les objets sur lesquels se concentrer,
à contrôler et réguler ses niveaux d’excitation, et à inhiber les comportements
inappropriés. Elle est indispensable au bon fonctionnement de l’individu dans
le monde qui l’entoure. Elle est également cruciale, s’agissant des interactions
sociales. Les tests évaluant les capacités d’auto-régulation mettent souvent en jeu 67
une situation dans laquelle des enfants se voient proposer une petite récompense
(par exemple, un biscuit), qu’ils peuvent obtenir immédiatement, mais également
une grosse récompense (par exemple, plusieurs biscuits) s’ils acceptent d’attendre
cinq minutes sans prendre l’unique biscuit. Les jeunes enfants ont beaucoup de
mal à contrôler leurs impulsions dans une telle situation. Les enfants (et les
adultes !) qui ne peuvent différer la gratification d’un besoin, s’empêcher de dire
tout ce qui leur passe par la tête ou exploser lorsqu’ils sont en colère, ont du
mal à se faire des amis, à fonctionner normalement dans un cadre scolaire ou à
conserver leur emploi. Il est intéressant de noter que la capacité à s’auto-réguler
est un meilleur indicateur de succès scolaire précoce que l’intelligence.
Les bébés humains sont très immatures à la naissance et ont une période
prolongée de développement, comparés aux autres mammifères. Cette situation
présente des avantages car la longue période de plasticité cérébrale qui en résulte
leur permet d’apprendre grâce à leur environnement, et de se livrer à des jeux
créatifs. En contrepartie, cette capacité d’auto-régulation est très immature chez
les bébés, qui dépendent des personnes qui prennent soin d’eux pour les aider
à s’auto-réguler. Sans cette assistance, par exemple, il est très difficile pour un
nourrisson de se calmer, lorsqu’il est énervé. La musique, qui prend souvent la
forme de berceuses chantées au bébé accompagnées d’un mouvement de
bercement, est un moyen précieux pour permettre aux bébés de réguler leur état
intérieur.
N° 75 - septembre 2017
Ceux qui s’occupent des bébés leur parlent et leur chantent différemment
qu’ils ne le font avec d’autres personnes. De nombreuses études portant sur les
façons de s’adresser aux tout-petits ont montré que, dans toutes les cultures, on
leur parle sur un ton généralement assez aigu, avec des sonorités claires, ainsi
que des schémas rythmiques et des répétitions appuyés. En effet, étant donné
que les nourrissons ne comprennent pas le sens des mots, le message leur est
transmis grâce à ses caractéristiques musicales ; et l’on parle d’ailleurs parfois
de langage musical. Les bébés préfèrent écouter un langage qui leur est destiné
que celui destiné aux adultes, surtout lorsqu’il est porteur d’émotions positives,
et les personnes qui prennent soin d’eux utilisent ce type de langage pour attirer
leur attention et communiquer avec eux.
Le fait de chanter des chansons à des enfants semble également une
pratique universelle, quelle que soit la culture, et la simple présence d’un nour-
risson suscite auprès des personnes qui prennent soin d’eux l’envie de chanter.
Même dans les sociétés occidentales, où tous les adultes ne pratiquent pas le
chant par ailleurs, la plupart des parents chantent des chansons à leurs bébés.
En règle générale, les chansons destinées aux tout-petits sont caractérisées par
un ton de voix aimant ou souriant, une tonalité aiguë, une gamme de tons rela-
tivement restreinte, un tempo ralenti et un style plus conversationnel que ce que
l’on rencontre dans d’autres types de chants. Par exemple, si leur bébé réagit
positivement, les parents auront tendance à répéter, sur le mode de la conver-
68 sation, des phrases ou des couplets plutôt que d’adhérer à la structure exacte de
la chanson. Les parents tendent aussi souvent à remplacer les mots de la chanson
par le prénom de leur bébé ou d’autres mots. Comme c’est le cas du langage, les
tout-petits préfèrent écouter des chansons qui leur sont directement destinés que
d’autres types de chants.
Pourquoi cette pratique de chanter des chansons aux tout-petits est-elle
si répandue ? Quel rôle remplit-elle ? Comme cela a déjà été indiqué précédem-
ment, la capacité des nourrissons à s’auto-réguler est très immature, et il est aisé
d’observer que le chant est utilisé pour les aider à contrôler leur état intérieur.
Preuve en est que les chansons destinées aux bébés peuvent être classées en deux
catégories, les berceuses et les comptines (Trainor et al., 1997). Les berceuses sont
utilisées lorsque les bébés sont énervés et/ou pleurent, et lorsqu’ils ont du mal à
s’endormir. À l’inverse, les comptines sont utilisées pour susciter l’attention et
l’éveil des nourrissons, et les placer ainsi dans l’état optimal pour être réceptifs,
interagir avec les événements et les personnes importants de leur environnement
(leurs parents, par exemple), et apprendre de nouvelles choses. Les recherches
effectuées dans mon laboratoire montrent que les adultes interprètent les berceuses
à l’aide de sons aériens, doux et apaisants, tandis que les comptines sont rendues
par des sons brillants, rythmés, aux consonnes fortement accentuées. Les analyses
acoustiques montrent que les mères varient davantage la gamme tonale et
exagèrent davantage les sons accentués, lorsqu’elles chantent une comptine plutôt
qu’une berceuse. De fait, lorsque les bébés écoutent des comptines, ils ont tendance
à davantage concentrer leur attention sur des objets du monde environnant que
lorsqu’ils écoutent des berceuses. Les chansons destinées aux bébés sont donc bien
un moyen important pour les aider à réguler et contrôler leur état intérieur.
Le chant semble également plus efficace que les simples paroles pour
réguler les émotions des bébés. Les mères ont tendance à davantage sourire
lorsqu’elles chantent que lorsqu’elles parlent à leurs bébés, et ces derniers préfèrent
les sons vocaliques aux tonalités plus joyeuses, qu’il s’agisse de paroles ou de
chansons. Le chant fonctionne également mieux que la parole pour maintenir les
enfants dans un état de bien-être. Dans une étude réalisée par Sandra Trehub
et al. (2015), lorsque l’on place des nourrissons hors de portée de leurs parents,
ils peuvent écouter des chansons pendant environ neuf minutes avant de donner
des signes de détresse, tandis que cette durée n’est que de cinq minutes s’ils
écoutent simplement des paroles. En outre, les chansons destinées aux bébés sont
susceptibles de modifier les taux de l’hormone du stress, le cortisol. Ces chercheurs
ont observé que les chants maternels augmentent les taux de cortisol chez les
nourrissons dont les taux de base sont bas, mais les diminuent chez les nourrissons
dont les taux de base sont élevés. Le chant apparaît donc comme un moyen efficace
qu’utilisent les parents pour aider les bébés à réguler leur état intérieur.
Il est intéressant de constater que le fait d’écouter une chanson procure
souvent aux nourrissons une expérience sensorielle aux multiples facettes.
Lorsqu’on lui chante une berceuse, un bébé sent en général autour de lui les bras
de la personne qui s’occupe de lui ; peut-être sent-il également une main lui 69
caresser le dos, ainsi que la stimulation vestibulaire du bercement. Lorsqu’on lui
chante une comptine, le bébé voit généralement le visage du parent, et peut-être
le sent-il lui toucher les doigts et les orteils, en fonction des actions décrites dans
la chanson. Ce genre d’expérience aide également probablement les nourrissons
à développer leurs capacités d’auto-régulation. L’aspect rythmé du chant, la fami-
liarité procurée par la répétition des mêmes chansons permettent au nourrisson
de prévoir ce qui va se passer ensuite et de ressentir la satisfaction intrinsèque
que procure une prédiction correcte. Lorsque le parent s’interrompt pendant la
chanson ou marque une pause avant la note suivante, en attente peut-être d’une
réaction de son bébé, cela aide probablement ce dernier à apprendre à anticiper
et à tolérer qu’un besoin ne soit pas immédiatement satisfait.
Nous pouvons donc conclure que le fait de chanter des chansons à des
nourrissons les aide à atteindre des états affectifs et des niveaux d’excitation
optimaux, et que le chant est un des moyens qu’utilisent les parents à cet effet.
Les bienfaits du chant sont peut-être plus importants encore pour les bébés à
risque. Par exemple, les travaux de Standley et de son équipe ont montré que
chez les bébés prématurés, le chant peut aider à stabiliser les fonctions physio-
logiques telles que le rythme cardiaque et les niveaux de saturation en oxygène,
ainsi que diminuer les besoins en sédation. À plus long terme, le chant et les
activités musicales peuvent aider à développer de plus larges capacités d’auto-
régulation, indispensables à la vie personnelle et professionnelle.
N° 75 - septembre 2017
Musique, interactions
sociales et développement
d’une sociabilité
discriminante
Très tôt, les bébés sont des êtres sociaux. Les nouveau-nés reconnaissent
le visage de leur mère, sa voix, son odeur. Quelques mois plus tard, leur attache-
ment à leurs parents est évident, si l’on observe leur détresse lorsqu’ils sont
séparés d’eux et leur anxiété lorsqu’on les place dans les bras d’une personne
étrangère. De façon très précoce, les bébés ont également des attentes sociales
envers les autres. Dans une étude célèbre, Kiley Hamlin et son équipe ont montré
que, dès l’âge de six mois, les bébés ont une préférence pour des situations où
un agent (par exemple, une forme triangulaire) aide un autre agent (une forme
carrée) à grimper une colline, à une situation où, au contraire, un agent en
empêche un autre de grimper cette même colline.
Les interactions sociales des êtres humains sont très complexes. Même
si de nombreuses espèces manifestent une forme de sociabilité, Michael Tomasello
(2014) et son équipe ont suggéré que la façon dont les êtres humains, dans leur
enfance, interagissent socialement, diffère fondamentalement de ce que l’on
rencontre chez d’autres primates, même ceux qui sont phylogénétiquement les
plus proches de nous, comme les chimpanzés. Ce qui frappe particulièrement
70 dans les interactions sociales humaines est la diversité et la complexité des moda-
lités de coopération entre les individus. Cette coopération s’est probablement
développée sous la pression de l’évolution. Par exemple, plusieurs individus qui
coopèrent, chacun dans un rôle différent, peuvent chasser le gros gibier bien plus
efficacement qu’un individu agissant seul. On pense également que les bienfaits
de la coopération ont favorisé l’évolution de capacités cognitives supérieures,
comme le désir d’interagir avec d’autres individus, ou la capacité à comprendre
les pensées, les sentiments et les intentions d’autrui. Toutefois, parallèlement à
ces bénéfices procurés par la coopération, les groupes primitifs d’homo sapiens se
sont également retrouvés en compétition, forçant ainsi les individus à s’identifier
et à coopérer avec les membres de leur groupe, mais pas nécessairement avec ceux
de groupes étrangers (même si, bien sûr, le fait de comprendre les pensées, senti-
ments et motivations des membres de groupes étrangers leur permettait de mieux
rivaliser avec eux). Ce qui rend les choses encore plus complexes est que, même
si la coopération est généralement une bonne stratégie à l’intérieur d’un groupe,
il est inévitable qu’il s’y installe également une forme de concurrence pour la
possession des ressources. C’est cela qui a conduit aux rapports complexes de
coopération et de concurrence, et à la formation de hiérarchies de domination,
qui sont encore évidentes au sein des sociétés humaines aujourd’hui. En outre,
la création de normes de comportements socialement acceptables au sein d’une
société, d’institutions de gouvernement, de moyens de faire respecter l’ordre et
la loi, est probablement une conséquence de ces mêmes facteurs.
Un puissant facteur
de motivation
pour la coopération
entre les individus
Quel est le rôle de la musique dans tout cela ? Elle semble un puissant
facteur de motivation pour la coopération entre les individus. Elle est présente
dans la quasi-totalité des événements collectifs importants, qu’il s’agisse des
mariages, des enterrements, des fêtes, des réunions politiques, des événements
sportifs ou encore des exercices militaires. De nombreux aspects des interactions 71
sociales utilisent la communication non-verbale. À titre d’illustration, entre 12
et 18 mois, les bébés développent des facultés d’attention conjointe avec d’autres
individus, en regardant par exemple dans la direction où quelqu’un d’autre
regarde ou pointe du doigt, de sorte qu’ils se concentrent tous deux sur le même
objet ou événement. On peut considérer ce type de comportement comme un
partage d’information coopératif.
De plus, les individus se lancent fréquemment dans des actions
communes et coordonnées afin d’accomplir une tâche comme, par exemple, celle
de porter un objet lourd. Ces mêmes individus tendent à apprécier ceux qu’ils
perçoivent comme semblables à eux-mêmes. Par exemple, un individu en appré-
ciera un autre davantage s’il imite certains de ses mouvements lors d’une conver-
sation, même si ces imitations sont inconscientes. Le mouvement interactionnel
synchrone est un cas particulier, dans lequel les individus se meuvent en commun
de façon harmonieuse. Cette synchronie interactionnelle est, en principe, difficile
à réaliser car il faut pouvoir prédire à quel moment l’autre va agir ou se déplacer
de telle ou telle façon. Si l’on attend que l’autre agisse, il est déjà trop tard pour
être synchronisé ! En revanche, la musique est le stimulus idéal pour obtenir
cette synchronie interactionnelle, grâce à son rythme régulier. Contrairement à
nos cousins phylogénétiquement les plus proches, comme les chimpanzés, les
êtres humains repèrent facilement le rythme de base d’un air musical, et comme
ce rythme est généralement très régulier, le cerveau peut prédire quand tombera
N° 75 - septembre 2017
le prochain temps, et ainsi prévoir les mouvements à exécuter afin d’être en
synchronie avec la musique (Merchant et al., 2007). Si les individus sont capables
d’être en synchronie avec de la musique, ils sont également capables de l’être les
uns avec les autres. Il est intéressant de constater qu’il semble exister des connec-
tions privilégiées, à l’intérieur du cerveau, entre les systèmes auditifs et moteurs
impliqués dans la perception du rythme, de sorte que lorsque l’on entend de la
musique, cela nous donne envie de bouger à son rythme ! Dans mon laboratoire,
nous avons montré qu’avant même que les bébés soient suffisamment matures
sur le plan de la motricité pour bouger précisément en rythme sur de la musique,
leurs systèmes auditifs et moteurs agissent en commun pour percevoir ce rythme
(Phillips-Silver et Trainor, 2005).
Interagir en synchronie
De nombreuses études auprès d’adultes ont montré que le fait d’interagir
en synchronie avec d’autres individus a des conséquences sociales. Par exemple,
après avoir interagi en synchronie avec une autre personne, les individus disent
apprécier davantage et avoir davantage confiance en cette personne que s’ils
avaient agi de façon non synchrone. Et dans les jeux qui reposent sur la confiance
et les alliances, les individus coopèrent plus facilement s’ils ont auparavant
interagi en synchronie avec un autre joueur que si ces deux joueurs ont agi de
72 façon non synchrone. Cela pourrait expliquer pourquoi la musique est si omni-
présente dans toutes les sociétés, pourquoi les gens continuent d’aller au concert
alors qu’ils pourraient écouter de la musique chez eux, pourquoi les adolescents
font des goûts musicaux en commun un critère d’amitié, et pourquoi la musique
joue un si grand rôle à l’école dans les activités traditionnelles des petites classes.
Lorsque tout le monde chante The Clean Up Song – une comptine qui invite les
enfants à ranger – tous les enfants sentent qu’ils font partie du groupe social qui
doit ranger la salle de classe !
À partir de quel âge le mouvement synchrone affecte-t-il les interactions
sociales ? Dans une série d’études conduites par mon laboratoire, nous avons
montré que, dès l’âge de 14 mois, lorsque des bébés interagissent en synchronie
avec un expérimentateur, cela les rend plus susceptibles, par la suite, de vouloir
aider ce dernier (Trainor et Cirelli, 2009). Lors de ces études, une expérimenta-
trice et son assistante se tiennent debout, face à face. L’assistante porte l’enfant
dans un porte-bébé de sorte qu’il soit face à l’expérimentatrice. L’assistante fait
office de « siège sauteur » pour le bébé. En pliant les genoux, elle fait monter et
descendre le bébé en musique (la chanson Twist and Shout des Beatles). L’expé-
rimentatrice, elle, danse en écoutant une piste rythmique diffusée dans ses écou-
teurs. Avec certains bébés, elle danse au même rythme qu’eux, en suivant le bon
tempo, mais avec d’autres, elle danse trop vite ou trop lentement. Après environ
trois minutes de cette danse synchrone ou non, on teste la motivation du bébé
à aider l’expérimentatrice, grâce à des tâches telles que celles utilisées par Felix
Le rôle de la musique
dans l’éducation
En résumé, les chansons chantées aux nourrissons les aident à contrôler
leurs émotions et à réguler leurs états intérieurs. Cette expérience musicale prend
place dans un contexte d’interactions intimes aux multiples facettes entre les
bébés et ceux qui s’occupent d’eux, mettant en jeu l’ouïe, la vue, le toucher et
le mouvement. Lorsqu’ils atteignent l’âge de 14 mois, l’influence du mouvement
synchrone en musique sur les interactions sociales des bébés est claire, si l’on en
juge par leur choix d’aider davantage les personnes avec lesquelles ils ont bougé
de façon synchrone (et leurs amis) plutôt que celles qui n’étaient pas en synchronie
avec eux. Ces observations suggèrent que la musique est un moyen très efficace
de promouvoir le développement social et émotionnel précoce, et que les parents
devraient être encouragés à interagir en musique avec leurs bébés. À titre d’illus-
tration, dans une étude où nous avons assigné au hasard des couples parent-bébé
dans deux types de classes, les unes proposant des activités musicales interactives,
les autres faisant écouter passivement de la musique comme fond sonore à
N° 75 - septembre 2017
d’autres activités, nous avons observé une plus grande sollicitation des fonctions
cérébrales musicales, cognitives et sociales chez les bébés qui se livraient à des
activités musicales interactives (Tomasello, 2014). Cette recherche suggère
également que les interventions musicales sont d’autant plus utiles que le
nouveau-né ou le parent sont à risque (bébé né prématuré ou nécessitant des
soins médicaux particuliers, mère souffrant de dépression post-partum, mère très
jeune ou isolée). En outre, la capacité du mouvement synchrone à encourager la
sociabilité des bébés comme des adultes suggère que la musique devrait être
partie intégrante des activités des crèches et des écoles. La musique est parfois
considérée comme un luxe dans le domaine éducatif ; mais notre recherche
montre au contraire qu’elle est une façon naturelle, amusante et peu coûteuse
de développer les capacités d’auto-régulation et de sociabilité indispensables à
une vie personnelle et professionnelle réussie.
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Sciences cognitives
et traditions
d’enseignement oral
de la musique
classique indienne*
Shantala Hegde
Institut national de la santé mentale
et des neurosciences, Inde
Les musiciens ont toujours été considérés comme des modèles d’étude
intéressants pour comprendre les phénomènes de neuro-plasticité (Ferreri, ce
volume), et plusieurs travaux de neuro-imagerie ont montré des différences,
structurelles et fonctionnelles, entre les cerveaux des musiciens et des non-
musiciens. Ces effets de la musique se généralisent à d’autres domaines de fonc-
tionnement du cerveau, tels que les fonctions sensorimotrices, les fonctions
auditives et spatiales, les habiletés linguistiques et la mémoire (Trainor, Shahin
et Roberts, 2009). La plupart de ces études ont été menées dans des pays occi-
dentaux, sur des populations occidentales et sur la base de musiques occidentales.
Les traditions musicales issues d’autres cultures ont jusqu’à présent été très peu 75
explorées. Si la musique possède sans nul doute certaines caractéristiques univer-
selles, il n’en demeure pas moins que les musiques issues de cultures différentes
ont également des caractéristiques propres et des méthodes singulières d’ensei-
gnement et d’interprétation. Dans cet article, je donnerai un aperçu de certaines
des caractéristiques spécifiques de la musique classique indienne et de sa méthode
d’enseignement, et je montrerai en quoi l’étude neuroscientifique de la musique
classique indienne pourrait très certainement faire progresser notre connaissance
et notre compréhension du fonctionnement du cerveau et de l’esprit.
La musique classique
indienne :
une tradition orale
La musique indienne est l’une des plus anciennes traditions musicales
du monde. Elle a comme trait caractéristique d’être une tradition orale. Les râgas
et les tâlas forment la base de la musique classique indienne. « Râga » est un
mot sanskrit signifiant « celui qui suscite des émotions, des couleurs ». Le mot
« tâla », quant à lui, désigne différentes structures rhythmiques et métriques. Il
n’existe pas de pendant exact du concept de râga dans la musique occidentale,
N° 75 - septembre 2017
bien qu’il puisse être comparé aux gammes ou aux modes. Les râgas peuvent
être considérés comme un ensemble de notes ayant des règles et des normes
spécifiques régissant leur usage dans les mouvements ascendants ou descendants.
Les râgas forment ainsi le cadre de l’élaboration mélodique des compositions.
Dans chacune des deux traditions de musique classique indienne, à savoir celle
du Nord (dite musique classique hindoustanie) et celle du Sud (dite musique
classique carnatique), il existe des centaines de râgas (Jahirazboy, 1995). Les
nuances complexes de l’élaboration du râga et du tâla sont transmises par tradi-
tion orale. À chaque râga est associé un thème affectif, dénommé ras/rasa (un
mot sanskrit qui désigne l’essence). Un même râga peut cependant évoquer plus
d’une émotion et, lors de la phase d’improvisation, l’artiste est libre d’exprimer
un rasa selon sa propre musicalité, tout en restant dans le cadre du râga concerné.
L’expression d’un rasa est considérée comme un élément crucial de la musique
classique indienne et elle peut évoluer de manière dynamique lors de l’exécution
d’un râga. Dans la tradition de musique classique indienne, l’exécution des râgas
évolue au fil du temps, en différentes phases. L’improvisation intervient à
plusieurs niveaux : improvisation mélodique avec et sans paroles ou composi-
tions établies, improvisation mélodique avec différentes permutations et combi-
naisons des notes du râga, variations au sein de l’improvisation mélodique avec
et sans paroles selon une certaine métrique et des cycles rythmiques complexes.
Un râga n’est pas seulement un ensemble de notes distincts. Des râgas peuvent
76 en effet comporter exactement les mêmes notes mais différer dans leur exécution
et dans la manière dont ils permettent de produire différents effets esthétiques
et émotionnels. Même la nature subtile d’une note peut différer, lorsqu’elle est
jouée dans des râgas différents. Le processus d’assemblage des notes pour
permettre la continuité musicale et faire ressortir un rasa spécifique (effet
émotionnel) est bien trop subtil pour être mis sous forme écrite. Parvenir à
exprimer les différents rasa-bhava (expériences émotionnelles) d’un râga donné
nécessite de disposer de nombreuses connaissances et compétences, et est consi-
déré comme le parangon de la virtuosité dans la musique classique indienne. La
musique indienne envisage en effet les râgas comme des individus : parvenir à
une juste compréhension d’un râga équivaut dès lors à étudier un individu et sa
personnalité. Cela ne peut être appris que d’un guru (maître) compétent et par
une pratique constante, proche d’un état de méditation.
La tradition d’enseignement
maître-élève
(Guru-Shishya parampara)
En tant que tradition orale, la connaissance et la formation musicales
sont transmises en Inde d’un guru (maître) à un shishya (élève/disciple), et la
relation entre le guru et son disciple est tenue en grand respect. Cette tradition,
dénommée Guru-Shishya parampara (parampara signifie « tradition »), était la
Origines de la tradition
maître-élève à l’ère védique
La musique indienne tire son origine des védas et on peut retracer les
débuts de la tradition maître-élève à l’ère védique (environ 5 000 ans av. J.-C.)
dans la méthode védique d’enseignement des mantras. Cette méthode demeure
inchangée depuis son origine. Les védas1 sont les anciens textes hindous, écrits
en sanskrit. Ils sont composés de mantras (versets) et sont enseignés par un guru
expert, selon une tradition orale. Le Rig Veda, le premier des quatre védas, est
composé de 10 600 mantras. Le quatrième véda, le Sama Veda, est composé de
1 549 versets issus des mantras du Rig Veda (sauf pour 75 d’entre eux). La
1. Le Veda fonctionne comme un ouvrage de référence, qui a valeur normative dans tous les domaines intéressant la
vie religieuse (rites, croyances) et sociale (organisation idéale de la société, éthique politique). Aujourd’hui encore,
les jeunes brahmanes en apprennent par cœur de longues séquences et certains mantras (formules, prières) sont
encore utilisés à l’occasion de rites domestiques (mariage, initiation, funérailles). Source : d’après J. Varenne,
« Veda », Encyclopædia Universalis [en ligne] [http://www.universalis.fr/encyclopedie/veda] (NdT)
N° 75 - septembre 2017
musique classique indienne tire son origine du Sama Veda et de la manière
spécifique dont il est récité, dénommée Sama Gaana. Les védas (dont le nom
signifie, littéralement, la connaissance par excellence) sont également appelés
« Shrutis » (ce qui signifie « ce qui a été entendu ») et considérés comme étant
« Apaurusheya » (c’est-à-dire révélés aux prophètes, dénommés les Rishis). Les
mantras védiques ne doivent dès lors être ni déformés ni modifiés, et ils doivent
être récités d’une manière bien spécifique. Les mantras védiques relèvent tous
de systèmes métriques précis, dénommés les Chandas. Chacun de ces systèmes
métriques est composé d’un nombre précis de syllabes, ou « Maatras », qui
correspondent au temps nécessaire pour produire une syllabe courte. Les arran-
gements des maatras incorporent le rythme. Les mantras sont récités dans des
tons graves, médiums ou aigus, dénommés Anudatta, Swarita et Udatta. Il est
strictement stipulé que les mantras doivent être reçus verbalement avec des into-
nations précises et selon leur rythme inhérent. Les mantras védiques n’ont jamais
existé comme texte écrit, mais ont été transmis oralement, de génération en
génération. Les védas ne peuvent dès lors être réduits à de simples textes devant
être mémorisés. Ils forment en effet la base de toute la philosophie hindoue et
de sa connaissance spirituelle. Le guru est donc central dans ce processus
d’apprentissage et les textes védiques sont enseignés selon la tradition
maître-élève.
La tradition d’enseignement et de formation maître-élève n’est pas
78 propre à l’enseignement de la musique et s’applique également à d’autres formes
d’arts, comme la danse et les quêtes spirituelles. Ce système a plus tard été repris
dans d’autres traditions, telles que le bouddhisme, le jaïnisme, le zen, etc. Ce
n’est qu’au début du XIXe siècle que la musique et les autres formes artistiques
ont été intégrées, en Inde, à une configuration universitaire, avec un curriculum
et des diplômes selon les différents niveaux de formation. Mais, encore de nos
jours, les diplômes universitaires en musique et en arts ne constituent pas véri-
tablement la référence pour évaluer la virtuosité d’un élève, et de nombreux
étudiants en musique, inscrits dans des programmes d’études musicaux à
l’université, perpétuent également en parallèle la tradition maître-élève, afin
d’acquérir une formation musicale approfondie. De fait, presque tous les musi-
ciens indiens célèbres ont été formés dans cette tradition, et aucun par le seul
biais d’un enseignement universitaire.
Les progrès technologiques accomplis au cours du siècle dernier ont
largement changé la donne. Les compositions musicales, ainsi que la description
des structures des râgas et des mantras védiques peuvent désormais se faire sous
forme écrite. L’accès facilité aux enregistrements a en outre facilité le processus
d’apprentissage. L’écoute du guru ou d’autres musiciens accomplis a toujours
été considérée comme une part très importante du processus d’apprentissage.
Les disciples plus avancés, quant à eux, font les accompagnements pendant les
concerts du guru, avant de se lancer comme musiciens indépendants. Le guru
les encourage également à l’accompagner, en chantant quelques lignes de la
Dévotion et spiritualité
dans l’enseignement
de la musique classique
indienne
La musique indienne, hindoustanie et carnatique, doit son développe-
ment, dans la période postvédique, aux traditions saintes, qui ont accordé une
grande importance à la musique et l’ont utilisée, non pas comme moyen de
divertissement, de délassement mental ou de plaisir, mais comme ressource
de leurs quêtes spirituelles et de leur recherche de l’extase. L’un des concepts clés
des systèmes religio-philosophiques indiens est que l’origine de la création elle-
même relève du « Naada », c’est-à-dire d’une sonorité mélodieuse. En parallèle,
il existe également la croyance que l’univers tout entier – depuis sa création
jusque dans sa perpétuation – est rythmique. Ainsi, la tonalité du Naada et le
rythme sont considérés comme les clés de voûte de l’existence manifestée et sont
des caractéristiques centrales de la musique. La spiritualité a toujours été une
composante indissociable de la musique classique indienne. Le dénominateur
commun entre différentes compositions est en effet l’expérience spirituelle du
bhakti rasa (l’émotion de l’amour et de la dévotion) et du shanta rasa (l’émotion
N° 75 - septembre 2017
de paix). De fait, le « Naada Yoga » 2 est une branche importante de la méta-
physique en Inde. La musique a toujours été considérée comme une méthode
puissante pour accéder à des expériences transcendantales, comme celle du
nirvana/mukthi (le salut). En ce sens également, la musique et la spiritualité
suivent des voies parallèles, à la poursuite du même dessein. Cette caractéristique
de la musique indienne explique qu’elle ait besoin d’interprétations en constante
évolution, et non de simples représentations de compositions fixes selon un
schéma préétabli. La musique indienne entretient donc des rapports étroits avec
les traditions religieuses et spirituelles. Il existe ainsi une croyance selon laquelle
la musique, le musicien et l’auditeur devront se fondre à la nature, afin de
ressentir la quintessence de l’expérience musicale.
La musique indienne est considérée, dans sa véritable essence, comme
une voie pour atteindre le bien-être spirituel et l’élévation de l’être humain. Cela
est postulé à la fois pour les artistes et pour leurs auditeurs. Cependant, même
du seul point de vue des caractéristiques structurelles, les nuances raffinées du
système du râga et du tâla ne peuvent être pleinement exprimées sous forme
écrite. Sous l’influence du système éducatif occidental, il existe désormais des
textes écrits sur les râgas et les tâlas, mais ils ne sont considérés que comme une
référence ou un cadre basique, incapable de transmettre l’essence même de la
musique classique indienne. Les nuances doivent nécessairement être apprises
par l’observation, la compréhension et l’écoute d’un guru expert, qui détient la
80 maîtrise de la tradition musicale. Le rôle de ce dernier est de guider le disciple,
de lui permettre d’apprendre les différentes dimensions de l’élaboration des râgas
et de faciliter le processus créatif de l’improvisation. La méthode d’apprentissage
unique, qui consiste à imiter le professeur, à suivre son exemple avant de
développer sa propre improvisation créative, est un processus qui n’a pas encore
été étudié dans une perspective psychologique occidentale.
2. Le Nada Yoga est une pratique de concentration, connue de l’hindouisme aussi bien que du bouddhisme, qui
consiste à fixer l’attention sur un son que l’on peut entendre à l’intérieur des oreilles et de la tête. (Source : Wikipédia).
(NdT)
plus complexe, basés sur des permutations et des combinaisons des notes des
râgas. Maîtriser cette technique est considéré comme une étape cruciale pour
apprendre les compositions dans différents râgas, mais également comme le socle
pour parvenir à des improvisations libres lors de l’élaboration du râga. L’élabo-
ration du râga, en tant que telle, a lieu à des moments différents dans les deux
traditions. Par exemple, dans la tradition hindoustanie, il y a tout d’abord la
phase Aalap (la présentation initiale du râga et une improvisation libre sans
métrique ni tempo fixés), puis la phase jor-jahala (une phase avec pulsation
rythmique, en particulier dans les présentations instrumentales), la phase vilambit
(compositions selon un cycle rythmique lent), la phase drut (compositions selon
un cycle rythmique intermédiaire à rapide) et enfin la phase ati-dhrut (cycle
rythmique extrêmement rapide).
La musique classique indienne est également basée sur différents tâlas
(cycles rythmiques), assez complexes par nature. Les temps sont arrangés hiérar-
chiquement dans les modèles de cycles rythmiques, et il existe un vocabulaire
spécifique pour exprimer les différents temps et sons produits par les instruments
de percussion traditionnels (Tabla, Phakwaj dans la musique classique hindous-
tanie ; Mrudangam, Ghatam dans la musique classique carnatique). Le cycle
rythmique d’un tâla contient un nombre spécifique de temps, qui peut varier
de 3 à 128. Un tâla donné est sous-divisé en sous-unités. Des tâlas différents
peuvent ainsi avoir le même nombre de temps, mais leur structure peut différer
en raison de l’arrangement de leurs sous-unités. Les improvisations lors des 81
représentations ainsi que les permutations et combinaisons au sein d’un même
tâla sont donc illimitées. Le potentiel infini d’improvisation dans n’importe quel
tâla ou râga ouvre ainsi un vaste champ pour le déploiement des compétences
créatives de l’artiste en représentation, tout en demeurant dans le cadre de la
discipline du système râga-tâla. De tels exercices, portant à la fois sur la mélodie
et sur le rythme, et impliquant des contenus basés sur le vocabulaire, sont riches
d’un point de vue cognitif. Ils impliquent également des calculs, des permutations
et des combinaisons mathématiques complexes et ils peuvent être considérés
comme des exercices cognitifs impliquant de nombreuses fonctions cognitives
exécutives et de niveau supérieur.
Ainsi, les spectacles de musique indienne ne sont pas seulement des
représentations (de textes musicaux tout prêts ou déjà écrits) mais des variations
improvisées sur le système du râga. Il n’est malheureusement pas possible, dans
le cadre du présent article, d’apporter des explications plus détaillées sur les
nuances du système râga-tâla. La forme actuelle de la classification et de la
formation des différents râgas et tâlas dans le système indien a été profondément
influencée par les différents exercices mentaux qui étaient utilisés pour apprendre
les mantras védiques. En bref, il existe onze exercices différents visant à faciliter
la mémorisation de la récitation des mantras védiques : Samhita (récitation des
mantras tels qu’ils sont, dans leur forme originelle), Pada, Krama, Jata, Maala,
Sikha, Rekha, Dhwaja, Danda, Rathaa et Ghana. Ces méthodes se distinguent
N° 75 - septembre 2017
par leur structure de récitation des mots. Ces différentes techniques et méthodes
ont permis de garder vivante la littérature védique, et ont également influencé
les méthodes d’enseignement de la musique classique indienne.
Il convient ici de souligner que cette tradition de récitation, d’enseigne-
ment et de formation aux védas perdure encore de nos jours en Inde et ne
constitue en aucun cas un artéfact d’une histoire révolue.
Recherche en neuroscience
cognitive sur la musique
classique indienne
Des recherches neuroscientifiques utilisant l’imagerie par résonnance
magnétique structurelle ont constaté une densité de matière grise plus élevée
dans les régions du lobe préfrontal, du lobe temporal droit, de l’hippocampe et
dans le cortex cingulaire intérieur, chez les prêtres védiques formés selon la
tradition orale d’apprentissage des mantras védiques, comparés à un groupe
témoin en bonne santé. Ces aires du cerveau interviennent dans le traitement
de la mémoire verbale, de la mémoire à court terme et de la mémoire déclarative
à long terme (Hartzell et al., 2016 ; Kalamangalam et Ellmore, 2014). Des études
systématiques, à la fois transversales et longitudinales, seraient nécessaires afin
de mieux comprendre les bases sociales et neuronales de l’enseignement musical
82 dans la tradition indienne, qui met l’accent sur la mémoire et la création
spontanée.
Une étude en imagerie par résonnance magnétique fonctionnelle a été
menée pour analyser les effets de la récitation du son « Om/Aum ». Ce son est
considéré comme le son primordial et son apprentissage précède celui des
mantras védiques. Dans la tradition Dhrupad et dans certaines Gharanas de la
tradition hindoustanie, la phase initiale de l’élaboration du râga commence par
ce qu’on appelle « Nom-tom alaap ». Le terme « Nom-tom » fait référence aux
syllabes modifiées utilisées pour réciter « Om ». Le chant du son « Om » est
également une méthode répandue de méditation. Lorsqu’il est chanté de manière
efficace, cet « Om » est connu pour être associé à une sensation de vibration
autour des oreilles, qui se propage via la branche auriculaire du nerf vague. Dans
cette étude, des sujets sains volontaires devaient chanter les sons « Om » et
« Ssss » lors de deux sessions différentes ; les résultats étaient comparés à un état
de repos silencieux. On a constaté une désactivation significative dans les aires
bilatérale, orbitofrontale, thalamique, hippocampale, dans le cortex cingulaire
antérieur et le gyrus parahippocampique lorsque les volontaires chantaient
« Om » par rapport à la session silencieuse. L’étude a également constaté une
désactivation importante de l’amygdale droite lors du chant de « Om ». En
revanche, lors de la tâche comparative – le chant du son « Ssss » –, on n’a constaté
ni activation ni désactivation dans ces aires cérébrales. Les auteurs suggèrent que
le débit sanguin réduit constaté bilatéralement dans l’hippocampe, l’amygdale
N° 75 - septembre 2017
musicale sont uniques et créatifs par rapport à ceux liés aux innombrables années
de pratique et, dans une large mesure, à l’interprétation du guru. En outre, s’ils
connaissent le râga qui va être exécuté et le tâla dans lequel s’inscrit la compo-
sition, les artistes-interprètes ignorent comment l’improvisation entre artistes
va se passer pendant le concert. Une communication permanente a donc lieu
entre les artistes pendant l’ensemble de l’exécution3, qui mériterait également
d’être étudiée.
De nombreux musiciens attribuent le processus d’improvisation créative
non seulement aux années de pratique mais également à la capacité à s’oublier
et à se fondre dans le râga et le tâla. L’artiste dispose d’une grande liberté, au
sein même des règles du système râga-tâla, pour exprimer ses pensées créatives
et transmettre des variations émotionnelles. Aucune étude visant à examiner les
bases neuronales de ces improvisations spontanées n’a encore été menée.
Il nous paraît important de parvenir à une meilleure compréhension de
l’importance de la tradition maître-élève dans l’enseignement musical indien.
Pour cela, des études systématiques visant à comprendre les fondements psycho-
sociaux et neuronaux de la méthode d’enseignement des multiples nuances des
râgas ou encore la manière dont les permutations et combinaisons de notes sont
mémorisées en parallèle de l’apprentissage des différentes compositions et de la
capacité à improviser pourraient apporter un nouvel éclairage à notre compré-
hension actuelle du rôle de la musique dans nos vies.
84
N
La musique classique indienne ne consiste pas seulement en une gram-
maire complexe ou en une science acoustique ; elle ne se limite pas non plus à
l’art de jongler avec des permutations et des combinaisons mathématiques
complexes de notes et de rythmes – bien qu’elle les ait développées et y ait
recours. Elle comprend l’ensemble de ces éléments, mais va bien au-delà, pour
se faire l’expérience et exprimer la voix de l’esprit. On considère traditionnelle-
ment que cette musique ne peut être apprise que d’un guru. La rencontre entre
le guru et son disciple est prédestinée, car il ne s’agit pas seulement de transmettre
les nuances techniques et esthétiques d’un art, mais également les valeurs et tout
ce qui contribue à la formation d’un véritable artiste. Le guru occupe en Inde
une place plus élevée que celle des parents biologiques. L’amour et le respect
inconditionnels sont au cœur de la relation entre le guru et son élève. Seul un
guru véritablement expert peut transmettre l’essence de la musique à un disciple
digne de son apprentissage, et seul ce savoir permet d’exprimer pleinement ce
qu’est la musique indienne. Dans sa véritable essence, la musique indienne origi-
nelle, tout comme ses évolutions ultérieures, est considérée comme une forme
3. Dans la musique classique hindoustanie ou carnatique, il n’y a pas plus de quatre artistes dans les ensembles
musicaux.
alternative de quête spirituelle, destinée à aider les musiciens comme les audi-
teurs à accomplir leur voyage spirituel. Il semble aujourd’hui nécessaire de mener
des recherches plus poussées sur la musique classique indienne, à partir des
perspectives scientifiques actuelles, tant psychologiques que neurocognitives. Je
conclurai cet article en citant un Doha (couplet) de Saint Kabir :
Guru so aisachaahiye, sheesseykachunalayei,
Shees so aisachaahiye, Guru ko sab kuchdayei
[Le guru idéal ne doit rien attendre en retour de son enseignement au disciple.
Le disciple idéal doit vouloir tout donner au guru et se dévouer à lui.]
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N° 75 - septembre 2017
dossier
Apprendre le pan,
apprendre à être
à Trinidad et Tobago
De l’accomplissement personnel à la construction nationale
Aurélie Helmlinger
CNRS
Apprendre un morceau :
« share the music »
À Trinidad et Tobago, les personnes souhaitant jouer du pan passent
forcément − à de rares exceptions près − par le steelband, donc par un collectif.
En effet, les instruments sont très rarement possédés par les musiciens, et qui
veut apprendre doit se rendre dans un panyard, le lieu de répétition du steelband.
N° 75 - septembre 2017
C’est alors généralement « l’arrangeur » (le directeur musical) ou le captain
(responsable du groupe) qui dirige les répétitions, et donc qui est chargé de la
transmission. Ces groupes, qui jouent le plus souvent dans des compétitions
nationales, en particulier celle du Panorama1, jalonnent le territoire trinidadien.
Ils sont le lieu privilégié de l’apprentissage, à moins que le débutant ne s’initie
− même si c’est plus rare − dans une église, ou maintenant, de plus en plus
souvent, en milieu scolaire. En effet, depuis 2004, sous l’impulsion du gouver-
nement, un programme appelé « Pan in the Classroom » a permis la création de
steelbands dans des écoles, dirigés par des enseignants de pan ; seule une minorité
d’établissement bénéficie encore de ce programme. Si les environnements reli-
gieux ou scolaires diffèrent sur bien des aspects de celui des panyards, les modes
de transmission ont en réalité beaucoup en commun. En particulier, ils partagent
tous la caractéristique de placer d’emblée le paniste − musicien de pan − dans
un ensemble orchestral.
Que ce soit au panyard, à l’église ou à l’école, la part formelle de l’ensei-
gnement se résume en effet essentiellement à l’apprentissage du répertoire. Cette
règle connaît toutefois une exception : l’échelle chromatique, qui peut être soit
explicitement transmise, soit connue du fait que, comme elle est souvent utilisée
dans la musique (Helmlinger, 2001), les panistes savent généralement à quoi ce
terme se réfère. Ils apprennent donc, en principe, comment monter du grave à
l’aigu sur leur instrument. Dans les écoles, certains enseignants s’attachent
88 maintenant aussi à faire connaître des gammes diatoniques, mais cette part un
peu plus théorique de la transmission est en général rapide et loin d’être
systématique.
Pour ce qui est des apprentissages moteurs, c’est au fil de l’acquisition
du répertoire et sans guère d’encadrement verbal que le paniste acquiert la
souplesse du jeu de poignet nécessaire à la manipulation de mailloches dans un
espace concave. Si un principe général peut être énoncé (jouer les notes placées
à droite de la main droite, et les notes de gauche de la main gauche), le novice
est en fait laissé très libre dans ses doigtés. Ses choix sont cependant influencés
par l’observation des gestes de panistes expérimentés qu’un enfant trinidadien
peut faire depuis l’enfance : la taille de l’instrument, qui est composé de un à
douze bidons pour un musicien, rend les stratégies motrices particulièrement
visibles. Si le débutant n’a pas encore la musculature adéquate, sa posture et ses
choix de mouvements montrent qu’une part de transmission des savoir-faire
moteurs est déjà effectuée en amont, ce qui tend à confirmer qu’une grande
partie de l’apprentissage a lieu hors des situations d’enseignement formelles
(Atran et Sperber, 1991). La norme technique est essentiellement déterminée par
l’efficacité du geste, sa capacité à être effectué au tempo, et seules les aberrations
1. Compétition nationale associées aux festivités du carnaval. Il s’agit du principal événement musical des steel-
bands de Trinidad et Tobago. Rassemblant de 150 à 200 groupes selon les années, le nombre de musiciens oscille
entre une trentaine à une centaine par steelband.
N° 75 - septembre 2017
les octaves étant maintenant systématiquement rassemblées. Les repères musi-
caux sont donc délicats à assimiler pour les panistes, ce qui contribue proba-
blement à expliquer la difficulté qu’ils semblent éprouver à jouer d’oreille. Le
paniste se sert donc beaucoup de son sens visuel. Avec l’expérience, toutefois,
même lorsqu’il ne pousse pas, comme les plus passionnés, la curiosité jusqu’à
s’instruire en théorie musicale, le paniste développe une certaine connaissance
de son instrument. Sans acquérir nécessairement la capacité à jouer d’oreille,
qui implique une connaissance, même non verbale, des intervalles, les processus
de mémorisation semblent de plus en plus courts. Tout se passe comme si les
expériences passées lui permettaient de reconnaître des figures musicales ou
intervalles et d’accélérer la mémorisation, mais qu’il ne s’agissait pas d’une
connaissance suffisante pour déduire une séquence motrice d’une audition musi-
cale (jeu d’oreille). On peut supposer que le paniste acquiert au fil du temps
de ce que les sciences cognitives appellent une mémoire implicite de son instru-
ment (Eysenck, 2012 ; Squire et Kandel, 2002), facilitant la mémoire mais insuf-
fisante pour le jeu d’oreille.
Dès que les panistes ont retenu la succession de notes − c’est-à-dire en
quelques minutes −, la partie sera répétée en boucle avec les camarades de section
ou même directement avec le reste de l’orchestre. L’une des qualités essentielles
qu’ils devront développer pour cela est le sens rythmique, qui leur permettra
d’honorer l’immense exigence de précision culturellement attendue dans la
90 synchronie des frappes. Il faut répéter inlassablement les parties pour atteindre
la justesse temporelle demandée et maîtriser les imbrications rythmiques
complexes caractéristiques des musiques polyrythmiques : une écoute d’une
grande acuité, particulièrement tournée vers les autres, s’impose. Il faut souligner
qu’un steelband peut comprendre jusqu’à une centaine de musiciens, et que s’ils
peuvent jouer avec un chef d’orchestre, celui-ci accompagne la musique sans
réellement la diriger. L’immense précision de la coordination temporelle de
l’ensemble repose essentiellement sur les capacités rythmiques culturellement
développées à Trinidad et Tobago, conjuguée aux nombreuses heures de pratique
pendant lesquelles le musicien adapte, par les mouvements de son corps, la
logique polyrythmique à l’espace de jeu en trois dimensions des pans. Enfin, l’un
des aspects les plus remarquables des performances mnésiques des panistes est
qu’elles sont étroitement dépendantes du collectif. J’ai en effet pu observer les
différences radicales de qualité des performances mnésiques entre des situations
collectives et d’autres, où le musicien jouait seul. Une expérience inspiré de la
psychologie cognitive a confirmé les observations : le jeu en groupe favorise
clairement la mémoire, pour les experts comme pour les non experts (Helmlinger,
2010 ; 2012).
On voit différentes compétences se dessiner dans l’apprentissage musical
en steelband. Il est intéressant de noter que toutes ces compétences s’élaborent
étroitement en interaction avec les autres musiciens, elles sont construites avec
et par la relation à autrui.
Discipline et patience
Les steelbands sont apparus dans des environnements difficiles, des zones
urbaines défavorisées, parmi des populations stigmatisées, pour la plupart des
descendants d’esclaves africains3, artisans ou ouvriers. Imbriqués dans un système
de compétitions musicales organisées à l’échelle du pays, le paniste s’insère, on
l’a vu, dans un collectif. Au-delà des aspects strictement liés à l’apprentissage de
l’exécution musicale, l’appartenance à cet ensemble comporte plusieurs corol-
laires en terme d’organisation, qui ont un impact direct sur le comportement
du musicien. D’abord, un steelband implique forcément une logistique déve-
loppée. Les orchestres atteignent une centaine de musiciens. Un seul instrument
peut comporter jusqu’à douze bidons entiers, en plus du « rack », la structure
métallique qui les assemble. Il faut alors une quinzaine de personnes pour le
soulever, un camion pour le transporter. Être membre d’un steelband, c’est donc
nécessairement prendre sa place dans une organisation complexe, un réseau
d’entraide. Par la force des choses, c’est une école de sociabilité.
Pour l’apprentissage musical également, le musicien doit, pour participer,
établir des rapports sociaux : on doit « lui donner » la musique, pour reprendre
les termes employés. Lorsqu’il s’agit d’un enseignant missionné par le programme
« Pan in the Classroom », lorsque le transmetteur est l’arrangeur et qu’il est donc
particulièrement motivé à ce que tout le monde apprenne efficacement pour
pouvoir obtenir la meilleure interprétation possible, ou encore lorsque le trans- 91
metteur a vraiment la fibre enseignante, l’opération se déroule en principe de
façon optimale. Mais il arrive fréquemment que la transmission à l’intérieur de
l’orchestre ne soit pas si simple (Helmlinger, 2011), les transmetteurs se retrouvant
en position d’enseignement de façon parfois quelque peu subie. Il est fréquent
qu’ils s’ingénient à se faire prier et rendent le processus de transmission plus
complexe qu’il pourrait l’être. Retards, rendez-vous manqués, jeu d’esquive,
démonstration trop brève… L’apprenti en steelband doit fréquemment développer
des trésors de négociation, de patience. Il doit ne pas compter son temps et, le
moment venu, faire preuve d’une bonne mémoire. Il doit « gagner » en quelque
sorte sa musique, montrer qu’il la mérite par sa soumission aux règles sociales,
fussent-elles quelque peu arbitraires. S’il lui est parfois nécessaire de protester de
son sort pour obtenir gain de cause, il lui faut toutefois faire bonne figure et
maintenir la cohésion de l’orchestre. S’adapter à ce contexte fait partie du parcours
initiatique du novice, qui doit ainsi apprendre à apprendre, développer des trésors
de diplomatie, de patience voire de fatalisme, et d’efficacité dans l’encodage. Ces
qualités sont également requises dans les séances collectives. L’orchestre comprend
en effet de quatre à une dizaine de sections instrumentales différentes. Celles-ci
rassemblent jusqu’à une ou deux dizaines de musiciens, qui exécutent à l’unisson
3. Selon le dernier recensement (Central Statistical Office, 2011), la composition de la population de Trinidad et
Tobago était la suivante : 34,22 % d’origine africaine, 35,43 % d’origine indienne, 22,8 % de métis, auxquels
s’ajoutent 7,55 % de diverses minorités (caucasiens, chinois, syriens…).
N° 75 - septembre 2017
des parties musicales conjuguant la complexité des polyrythmies d’origine afri-
caine et celle de la musique symphonique occidentale. Il est compréhensible qu’il
soit souvent nécessaire de faire jouer parfois longuement certaines sections, sans
les autres. Les panistes doivent alors patienter pour une durée indéfinie, tout en
restant mobilisables à tout moment, donc sans trop s’éloigner. Parfois, le groupe
joue ensemble mais répète inlassablement, des heures durant, un très court passage
du morceau. L’ennui monte graduellement, et les musiciens doivent apprendre à
surmonter la frustration que cette situation génère inévitablement.
En outre, le contexte des compétitions et les enjeux − prestige et finan-
cier − qu’elles portent, conjugué au goût pour la parole dans ces sociétés où l’art
du verbe est très valorisé (Abrahams, 1983), génère une abondance de discours
parfois longs, destinés à motiver les troupes, à instiller un état d’esprit gagnant.
Pour participer à un tel événement, le musicien devra également écouter doci-
lement ces prises de paroles solennelles des responsables, bien qu’ils ne donnent
pas toujours d’instructions très concrètes.
L’attente fait à ce point partie des répétitions qu’il est difficile de ne pas y
voir une stratégie de susciter la frustration, de la part des responsables, afin d’obtenir
non seulement une précision d’exécution touchant à la perfection mais l’investis-
sement émotionnel maximal attendu dans l’interprétation. Les pièces Panorama,
notamment, fortement associées au carnaval, se doivent d’être une explosion de
joie. Lorsqu’enfin, après les efforts pour apprendre la musique, les heures d’attentes,
92
le moment est venu de jouer, tous ensemble, au tempo voulu, sans interruption,
les musiciens laissent exploser une joie de jouer sans mélange, interprètent de
tout leur cœur. La formidable intensité de la satisfaction induite par cette réali-
sation collective justifie enfin tous les efforts investis dans l’apprentissage.
Quoi qu’il en soit, l’expérience du steelband développe nécessairement
la capacité à attendre, la discipline, la soumission à un ordre social. Du même
coup, elle implique l’apprentissage d’une résistance discrète, sans rébellion. Pour
mériter l’exaltant bonheur de jouer dans ce contexte, le musicien doit acquérir
un auto-contrôle sans faille. Cette aptitude est un atout essentiel, dans une société
où les relations de pouvoir ont conservé une dimension arbitraire probablement
héritée du passé esclavagiste du pays. Les rapports sociaux de la région sont
marqués par une forte hiérarchisation, et celle-ci s’observe notamment dans
l’attente arbitraire qui est imposée aux individus. Ils éprouvent régulièrement le
constat de P. Bourdieu (1997) :
Le tout-puissant est celui qui n’attend pas et qui, au contraire, fait attendre.
L’attente est une des manières privilégiées d’éprouver le pouvoir.
Apprentissage politique
Rien qu’à l’échelle de l’orchestre, l’organisation matérielle et musicale
du steelband pour la préparation des compétitions musicales implique intrinsè-
quement un jeu politique. L’ampleur de la mobilisation sociale appelle une répar-
tition des rôles et des tâches qui met en jeu l’exercice du pouvoir. Être membre
d’un steelband, c’est apprendre à fonctionner à cent, prendre sa place dans ce
complexe social, la hiérarchie et le respect des aînés. Si certains rôles-clés sont
communs à tous les groupes (arrangeur, captain, section leader…), les modes
d’attribution de ces fonctions, ainsi que leur fréquence de rotation, varient beau-
coup : autocratie, méritocratie, démocratie… Le paniste apprend rapidement à
évoluer et à se positionner dans cette école de vie.
Mais être membre d’un steelband, c’est aussi apprendre à fonctionner à
l’échelle du pays. De nombreuses recherches sur l’histoire de ces formations
musicales montrent à quel point elles ont été à la fois le produit et l’un des
vecteurs de la construction nationale (Stuempfle, 1995 ; Dudley, 2007). Le pan,
officiellement consacré « instrument national » par le gouvernement en 1992
(Dudley, 2007), a en effet été un agent politique essentiel, en particulier depuis
l’indépendance (1962), les politiciens ayant rapidement perçu son caractère
emblématique : invention locale, fabriqué à partir d’un objet de récupération,
issu des bas quartiers, apparu en contexte oppressif (harcèlement policier)… La
pratique du pan fut donc rapidement investie par un interventionnisme politique 93
très actif. Les premières mesures furent mises en place dès le début des années
1950, afin de pacifier les rapports entre les groupes, dont les rivalités pouvaient
provoquer des bagarres sanglantes lors du carnaval. La génération des pionniers
était en effet issue d’un milieu très proche de la délinquance et avait une image
déplorable dans le pays (Stuempfle, 1995 ; Dudley, 2007). L’une des initiatives
les plus importantes fut d’encourager la création d’une association nationale des
steelbands, dont Pan Trinbago est l’héritière aujourd’hui.
Cette association est en elle-même un véritable organe de politique
nationale des steelbands. Chaque groupe membre participe à l’élection des repré-
sentants, régionaux ou nationaux. Entièrement financée par le gouvernement,
l’association a pour tâche principale d’organiser les compétitions, et notamment
la fameuse compétition du Panorama. Les compétitions musicales créent une
arène nationale, dans laquelle les groupes se mesurent chaque année, mettant en
jeu une hiérarchie constamment renouvelée, un véritable réseau de sociabilité.
Il existe une vie politique parallèle à la vie musicale, avec des campagnes élec-
torales aux enjeux relativement importants : le bureau exécutif − salarié à plein
temps en plus de divers avantages en nature − gère un budget qui se compte en
millions 4. Il existe donc des professionnels de la politique des steelbands et le
4. En 2011, il était de 25 millions de TT$ (3,2 millions €). En 2016, il était de 30 millions de TT$, après être monté
jusqu’à 34 millions de TT$ (4,4 millions €) en 2015 (Trinidad Express Newspapers, 2011, 2016).
N° 75 - septembre 2017
musicien, même s’il n’a la plupart du temps pas voix au chapitre, puisque seuls
deux membres par groupe ont le droit de vote, n’est en général pas sans opinion
sur la gouvernance. Par sa participation musicale, le musicien intègre de fait un
modèle réduit de politique nationale, avec les mêmes jeux politiques et les mêmes
risques en termes de corruption, d’injustice. Il apprend à explorer l’éventail des
possibles qui existent entre la soumission et la résistance : passivité, désappro-
bation en contexte privé, protestation publique, manifestation et action politique
(Loublon, 2017).
N
L’intégration dans un steelband développe chez le paniste, une variété
de compétences cognitives et sociales ; la musique se réalisant − dans sa trans-
mission comme dans toute performance − en une forme de sociabilité. Elle
implique à Trinidad et Tobago un investissement souvent discontinu, car lié au
carnaval, mais assez chronophage, lorsque le processus d’apprentissage d’un
répertoire est en cours. Pour qu’un tel coût soit consenti, le participant doit être
attiré par une gratification particulièrement motivante. La transmission culturelle
des steelbands semble en effet bénéficier d’une attractivité remarquable, si l’on
en croit leur prolifération fulgurante depuis leur création. En un peu plus de
sept décennies, ils ont été adoptés par de nombreux pays, et sur tous les conti-
94 nents. Pour reprendre les termes proposé par Olivier Morin (2011), l’attrait d’un
phénomène culturel peut être cognitif (facilité de transmission, de reproduction)
ou motivationnel (faisant appel à « des émotions, ou des mécanismes de décision,
qui nous poussent à la reproduire »). La pratique collective des pans semble offrir
un parfait équilibre entre les deux. Les avantages pour la mémorisation facilitent
la transmission (Helmlinger, 2012), et l’interprétation très chorégraphique de la
musique − en particulier l’heure de gloire de la compétition du Panorama,
humblement qualifiée de « greatest show in the world » − suscite l’enthousiasme
des participants, et maintient une motivation à toute épreuve.
Ces phénomènes contribuent à expliquer pourquoi les steelbands
s’implantent dans des contextes très divers, y compris dans des milieux difficiles,
où ils connaissent un succès remarquable. Les exemples abondent : le phénomène
semble valable aussi bien à Trinidad et Tobago, où ils ont en premier lieu joué
un rôle pacificateur (Stuempfle, 1995 ; Dudley, 2008), qu’aux États-Unis, où ils
ont été utilisés par des travailleurs sociaux, dès les années soixante, auprès de
jeunes de quartiers comme Brooklyn (Smith, 2012). Plus récemment, ce type
d’initiative a été engagé en France. Un steelband a ainsi été initié pour des adoles-
cents évoluant en SEGPA (section d’enseignement général et professionnel
adapté) depuis 2010 à La Courneuve5, et depuis 2016 à Marigot (Saint Martin)6.
Dans la région nantaise, une initiative plus ambitieuse a été lancée en 2008,
intégrant la pratique du pan dans le cursus scolaire ; actuellement, treize classes
de REP (réseau d’éducation prioritaire) de CM1-CM2 sont concernées, soit
254 élèves7. Des initiatives ponctuelles ont également lieu en milieu carcéral8,
avec un succès frappant. À la suite du stage à la prison centrale de Poissy en
2004, les détenus − pourtant condamnés à des peines lourdes et connaissant
donc des problèmes de sociabilité particulièrement aigus − ont pris l’initiative
de rédiger un document collectif, pour tenter d’obtenir la pérennisation de l’acti-
vité : du jamais vu, selon les gardiens, qui avaient pourtant observé les effets
d’une grande variété d’activités9. Un signe de la formidable adhésion que peut
susciter la pratique du steelband et de son rôle socialisant.
Bibliographie
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96
Musiques et identités
sénégalaises
Moussa Sy
Professeur d’éducation musicale, Sénégal
Il ne fait pas le moindre doute qu’il n’existe sur la terre aucun peuple
plus naturellement sensible au son de la musique que celui-ci (peuple
de la Sénégambie) ; les principaux personnages (c’est-à-dire les rois et les chefs)
la considèrent vraiment comme un ornement de leur État, si bien que
la musique fait rarement défaut lorsque nous leur rendons visite.
Richard Jobson,
The discovery of River Gambra (1623)
Place et rôle
de la pratique musicale
dans la société
traditionnelle sénégalaise 97
En Afrique, la pratique musicale accompagne depuis toujours toutes les
activités humaines. Le chroniqueur sénégalais Yoro Diaw (1847-1919), dans
Les Cahiers de Yoro Diaw, signale que les rois et les chefs de provinces avaient
des fara, dont le rôle était de jouer de la musique. Certains instruments servaient
d’insignes aux autorités dans l’ancien empire du Djoloff, comme les dioung-
dioung (grands tambours bifaces), qui étaient fabriqués pour les empereurs et
vice-rois des différentes provinces.
La musique traditionnelle animait les travaux des champs et plongeait
le peuple dans les rêveries avec les khalam (guitare de quatre à cinq cordes), riiti
(violon monocorde des bergers) ou autres thokoro (flûte peul), en rappelant
l’histoire des fils des contrées et terroirs. Dans certains villages, la musique
marquait les cérémonies des rites de passage, dans d’autres, une fête cyclique,
etc. La musique traditionnelle africaine présidait aux différents événements
importants de la vie : naissance, mariage, funérailles, événements religieux. Le
répertoire se composait de chants d’amour, de chants satiriques, humoristiques,
d’épopées relatant les exploits de héros et parfois de chants érotiques. Elle berçait
les bébés et animait les jeux des enfants. La musique, essentiellement fonction-
nelle, était à la base de tous les aspects de la vie.
La musique traditionnelle africaine se transmet oralement. La musique
fait corps avec la tradition, qu’elle institutionnalise et formalise, voire rigidifie.
L’instrument et l’artiste forment une unité, dans laquelle l’instrument devient
N° 75 - septembre 2017
la voix de l’artiste. Certains récits ne peuvent être transmis que par le chant.
Comme il était d’usage dans la tradition, le jeune musicien se formait chez un
maître. Cette formation obéissait à des règles strictement parentales ou senti-
mentales. La relation entre l’élève et le maître était de nature filiale, le plus
souvent, ou de maître à disciple (parfois l’apprenant était obligé de développer
ses connaissances au sujet d’une technique particulière ou d’une branche d’une
généalogie). Le maître portait en lui son expérience comme un bien inaltérable
et l’élève, une fois jugé apte à recevoir les cours, se devait d’être à la disposition
de son professeur, jour et nuit. Pour acquérir le savoir du maître, il était, par
la force des choses, obligé d’habiter avec lui pendant des années, son instrument
toujours à portée de main. L’apprentissage devait englober tous les aspects non
seulement du savoir strictement musical mais aussi – et de façon non moins
importante – le volet humain dans tout son acception. En effet, le maître
occupait une place particulière dans la chaîne qui relie l’homme à la surnature
et au ciel ; il était celui qui peut rendre compte des musiques depuis le lieu où
elles existent, celui des savoirs réservés, des savoirs acquis souvent au prix de
l’initiation, avec le piège du secret dont celle-ci se pare et qui empêche l’initié
de transmettre ce qu’il a vu ou ce qu’on lui a dit. L’élève acceptait de servir le
maître et de l’aider dans les travaux champêtres ou autres, l’accompagnait dans
ses voyages de pays en pays, chez les rois et princes, le secondait dans les céré-
monies. L’apprentissage et l’éducation, toujours ensemble, se pratiquaient sans
98 interruption, sans horaires fixes. Ce type de relation ne visait ni l’innovation
ni l’originalité. Chaque communauté avait ses critères propres en matière
d’éducation. Cette forme d’éducation, propre à la tradition orale, remplissait
les fonctions attendues d’elle dans les sociétés africaines, où prédominent le
rythme et la parole, la chaleur du mouvement vital par rapport à ce qui est fixé.
Le rôle de ces « écoles » se limitait essentiellement à la reproduction « d’un
esprit musical », il fallait n’être que la voix du maître, comme l’évoque Djibril
Tamsir Niane (1960) :
Ma parole est pure et dépouillée de tout mensonge ; c’est la parole de mon père ;
c’est la parole du père de mon père. Je vous dirai la parole de mon père telle
que je l’ai reçue.
des mélodies, en vue de l’obtention d’un son désiré, qui constituait l’essentiel
de l’apprentissage. Ceci explique comment certaines mélodies traditionnelles de
structure complexe ont été assimilées intégralement d’une manière orale par
beaucoup de musiciens d’autrefois. Ici intervient la motivation due au plaisir
engendré par la musique.
Le griot, médiateur
entre les hommes
et les forces de la nature
En Afrique, la musique joue un rôle de médiation entre les hommes et
les forces de la nature. Le griot était vu comme un personnage disposant de
pouvoirs mystiques. Ainsi, chez les Wolof, la musique détient le pouvoir d’attirer
les premières pluies avec le bawnaan 1 ; de conjurer le mauvais sort avec le ndeup 2,
chez les Lébous ; d’introniser un roi, de marquer le passage des jeunes garçons
à l’âge adulte avec le boukout3 chez les Diola, etc. Les apprenants en musique
traditionnelle devaient maîtriser la généalogie des familles et les liens familiaux,
être à égale distance des composantes de leur communauté, savoir distinguer les
musiques pour les nobles et les princes, celles des rites, pratiquer les instruments
liés aux événements religieux ou profanes, sans oublier les connaissances ésoté-
riques. Les instruments permettaient de communiquer avec les forces invisibles.
Selon qu’ils étaient à cordes, à vent, à percussion, ils étaient en rapport avec les
99
éléments : la terre, l’air et l’eau.
Rien ne se faisait autrefois sans un chant ou la présence du griot : Niani,
chant de bravoure ; Tara, musique dédiée au marabout El hadj Omar Foutiyou-
Tall ; Kéléfaba, guerrier mandingue ; ceddo, chant de révolte, etc. Ces classiques
de la musique traditionnelle, où sont retracées les pages glorieuses de notre
histoire et évoqués les exploits des grandes personnalités, faisaient rêver les
jeunes, qui découvraient des personnages dont s’enorgueillissaient non seulement
leurs familles mais toute leur communauté.
Le griot traditionnel prenait en charge la mélancolie et autres soucis de
la destinée humaine en les transformant en chants. En un instant, il savait faire
jaillir comme une étincelle un mot, de ce mot émergeait une note, et de cette
note un chant. Le griot était celui qui savait regarder, observer les signes : la
pluie, le retour de la verdure, ainsi que l’issue heureuse d’une bataille, pour les
élever aux dimensions d’une fresque épique. Il n’excluait pas la souffrance, mais
la transformait en conquête. Comme le dit Nimrod (2003), citant Kourouma, le
griot était musicien, « savant, historien, généalogiste et panégyriste ».
N° 75 - septembre 2017
La musique au Sénégal
après l’Indépendance
Dans l’après-guerre, toutes les grandes villes sénégalaises avaient un ou
plusieurs orchestres modernes. Les soirées étaient très animées. Les amoureux
de la musique avaient élaboré de nombreuses stratégies pour développer leur
art : incorporer l’armée, prendre des cours d’instruments chez des aînés jusque
dans les bars, chez les missionnaires, fabriquer leurs propres instruments, entre
autres. Dans les grandes villes, ils profitaient de la présence des étrangers (appelés
effectuant leur service militaire ou fonctionnaires affectés par la métropole) et
se formaient sur le tas. Souvent, les formations musicales étaient créées par les
autorités municipales. Durant cette période post-indépendance, les vedettes de
la musique traditionnelle étaient très sollicitées elles aussi, par les jeunes comme
par leurs parents, pour des taneber ou khawaré (soirées de musiques tradition-
nelles avec chants et danses) et des panals (parades) ou autres événements. On
jouait toutes sortes de musiques et même de la musique classique.
L’engouement pour la musique poussa les musiciens traditionnels vers
les villes. Toutes les occasions étaient bonnes pour faire de la musique, des
khawarés aux séances de lutte. Ce n’était plus seulement pour les événements
traditionnels mais aussi pour les rencontres politiques. À chaque politicien était
attaché un musicien.
100 Le musicien sénégalais n’éprouvait pas le besoin de prendre des cours
académiques de musique ; il se contentait de reprendre les œuvres étrangères. Et
selon l’âge ou le niveau de ses connaissances, l’imitation aboutissait souvent à
une création. Ainsi, plusieurs pièces de musique européenne sont devenues des
morceaux à l’ambiance bien « sénégalaise ».
L’organisation des orchestres modernes et leur mode de gestion inspirait
beaucoup les musiciens traditionnels. Les formations se créaient pour des raisons
autres que familiales, ethniques, géographiques, etc. Le Président-poète Léopold
Sédar Senghor, voulant capitaliser toute cette énergie, créa alors l’École des arts.
L’enseignement
de la musique à l’école
L’enseignement musical est présent dans le programme sénégalais, de la
maternelle au secondaire. À la maternelle ou plus exactement au préscolaire et dans
le primaire depuis 1972, le but est « de favoriser la libre expression et le développe-
ment du goût de l’enfant dans les activités musicales », tandis que dans le secondaire,
il est recommandé « de chanter en chœur et de donner le goût de la musique ».
Il s’y ajoute l’histoire de la musique, en plus des connaissances théoriques et pratiques.
L’éducation musicale était pratiquée au Sénégal, bien avant l’indépen-
dance, particulièrement dans l’enseignement confessionnel, sous la forme de
cours de chants, avec un répertoire français : Au clair de la lune, Sur le pont
d’Avignon, Le Furet, par exemple.
Langues et musiques
du Sénégal
On dénombre au Sénégal4 une vingtaine d’ethnies, dont quelques-unes
ont été retenues comme principales par l’adoption de leur langue comme langues
nationales : par exemple, les ethnies Wolof (Wolof, Lébou), Halpulaar (Fouta,
Laobé, Peul et Toucouleur), Mandingue (Malinké, Socé), Sérère et Joola.
Les Wolofs ont donné au pays sa langue principale et des lettres de
noblesse aux percussions sénégalaises ; ils sont le peuplement dominant et donnent
une ambiance de fête à la musique sénégalaise, avec leurs sabars (tambours) aux
rythmes très dansants. Le wolof doit d’être langue dominante à ses sonorités, qui
101
indiquent très musicalement la joie ou l’inquiétude. La musique des Halpulaar,
peuple du yéla5, rappelle le « blues » ; les peuls se localisent dans le Fouta, sur les
cours moyens du fleuve Sénégal et en Haute Casamance. Les Sérères, dont la
musique semble être de la poésie, peuplent la région du Sine et du Saloum en
particulier. Les Mandingues, communautés de djélys (griots) et de balla (joueurs
de balafon), plus portés vers la musique de cour, avec des grands maîtres de la
parole, dominent dans la moitié sud du Sénégal, en Moyenne Casamance. Le
Sénégal compte aussi des minorités : les Soninkés, le groupe Tenda constitué de
Badiananké, Koniagui, Bassari et de Bedik, les Baïnouk, les Joola, les Balantes.
Finalités et pédagogie
de l’enseignement
de la musique au Sénégal
Le curriculum en cours d’implantation au collège invite à l’adoption
d’une pédagogie moderne, fondée sur l’approche par les compétences, de
pratiques éducatives contextualisées mais aussi ouvertes à l’environnement local
et extérieur. La pratique musicale peut et doit ainsi aider à la construction d’une
culture et à la formation esthétique.
N° 75 - septembre 2017
La pratique musicale, dans le système éducatif scolaire actuel, prend en
compte et développe la pluralité et la diversité des aptitudes, tout en favorisant
la formation d’une société unie et attachée à sa culture. Dans le nouveau
programme d’éducation musicale, il est d’ailleurs suggéré que l’enseignant prenne
en compte les éléments culturels spécifiques de sa zone. Celui qui est en
Casamance doit privilégier la musique de son aire géographique, tout en s’appuyant
sur une approche comparative avec les autres aires culturelles. Les enseignements
doivent montrer la particularité régionale mais aussi les points communs.
Certaines activités portant sur la pratique musicale favorisent l’usage d’éléments
extérieurs (par exemple, avec les instruments de musique, le mélange très inté-
ressant des percussions Wolofs et Diolas et/ou les cordes peuls).
Les exercices et activités se font avec beaucoup de naturel chez les tout
petits. L’activité vocale aide à la découverte, à l’apprentissage et à la mémorisation
des phonèmes des signes linguistiques, voyelles, consonnes, mots, etc. Nous conti-
nuons l’apprentissage de chants européens (pour la diction et un prolongement
de la lecture) et ceux d’autres continents, car ne voulons-nous pas être des
citoyens du monde ? Les chants en langue nationale ont eu un impact réel sur
la scolarisation. L’école commence à devenir un prolongement de la maison. Pour
la lecture et le langage, la musique améliore la perception au niveau des sonorités,
des syllabes et aide ainsi aux travaux de phonétique et de diction. Nous essayons
de lier les exercices rythmiques en percussion et les nombres de syllabes chantées,
102 afin d’amener les tous petits à ne pas dépasser les frappes ; les collégiens situent
les temps plus facilement. Dans les contes africains, il existe toujours une partie
chantée qui résume l’histoire et facilite la compréhension du texte. Cette activité
est utilisée comme moment d’écoute. À travers les jeux, les enfants, très tôt et
dans toutes les langues locales, s’amusent avec les chiffres et les nombres.
Musique et mutations
de la société sénégalaise
De nos jours, la culture ne sait plus très bien ce qu’elle représente ni à
qui elle s’adresse. Les techniques traditionnelles des peuples ne conviennent plus
à la « communication ». Comme le disait Ravi Shankar dans un entretien à
Munich, en août 1972 : « le musicien doit être fidèle aux traditions du passé,
sincère dans son attitude vis-à-vis du présent et capable d’animer son art de
toutes les émotions afin qu’il puisse agir sur son auditeur » (Unesco, 1973).
Si nos valeurs ont pu résister et survivre, c’est grâce aux griots. Le griot,
en effet, avait un rôle très important dans sa société. Il était le dépositaire de la
tradition orale et historique. Car la pratique musicale est avant tout sociale, un
mode de vie permettant aux acteurs d’en tirer des éléments régénérateurs. Si
nous avons quelque chose qui nous est propre, nous le retrouvons certainement
dans notre musique.
Un regain d’intérêt
pour l’éducation musicale
grâce aux nouvelles
technologies
Les enseignants de musique sont conscients d’avoir un rôle important
à jouer dans la formation de ceux qui formeront demain la société sénégalaise.
Aujourd’hui, la recherche peut permettre à l’éducation musicale
d’améliorer et de varier ses approches pédagogiques, voire de créer des méthodes
inspirées de l’enseignement traditionnel. Selon des travaux récents, la musique
renforcerait les capacités de transfert des connaissances. Elle agirait comme un
catalyseur qui stimule le développement des capacités cognitives des enfants et
intègrerait admirablement les divers aspects de la vie sociale et religieuse. La
plupart des chansons, comptines ou fables peuvent être des guides pour la classe
d’âge concernée. Les paroles sont des maximes ou des proverbes, des phrases
avec des mots aux sonorités très musicales qui permettent d’apprendre à vivre
en société, à vivre avec les autres.
Depuis 2013, avec l’apport de la technologie, il s’agit de redonner un
nouvel élan à la pratique musicale dans les établissements scolaires, en permettent
aux élèves d’apprendre la musique sénégalaise avec une approche moderne.
N° 75 - septembre 2017
De nouvelles musiques, un nouveau statut du musicien, un public plus
large, l’éclosion des nouvelles technologies : il faut prendre la mesure de cette
nouvelle situation. Les mobiles, tablettes et ordinateurs portables apparaissent
dans le cours d’éducation musicale. Utiliser un instrument devient facile grâce
aux logiciels et applications. Ainsi, les compétences sont diversifiées. Nous avons
agréablement constaté un intérêt nouveau pour le cours de musique de toutes
les catégories d’élèves. Certains se sentent obligés d’acheter des outils plus perfor-
mants, d’autres commencent à changer d’attitude : ils prennent des notes avec
leurs outils numériques, prennent en images certains aspects du cours au lieu
d’écrire. De nouvelles compétences se révèlent. Des groupes se forment, de
dimensions différentes, selon les travaux, les compétences, etc. Certaines familles
contribuent à l’achat du matériel. Il semble que le travail soit plus régulier,
continu. Les travaux à faire à la maison sont désormais les bienvenus. La tradition
n’est pas oubliée. Ainsi, dans les clubs de musique, les cours de musique
réhabilitent des chants comme les « kassaks » pour les garçons (la circoncision)
et le « ndiam » ou tatouage chez les filles.
N
104
L’éducation musicale se donne comme objectif de cultiver à la fois un
esprit, une sensibilité, un corps. L’importance d’un engagement aussi large que
possible, englobant la sensorialité, l’affectivité, les capacités intellectuelles, la
participation corporelle, mettant l’accent sur le rôle que la musique est suscep-
tible de jouer dans le développement humain, doit être défendue et mise en
valeur.
La pédagogie a une fonction sociale. Aucune action pédagogique ne peut
être coupée ou isolée d’un environnement en perpétuel changement.
Dès la création de la Commission nationale de l’éducation musicale,
nous avons plaidé pour que les enseignants de musique puissent s’initier à de
nouvelles connaissances et techniques éducatives. Au Sénégal, hormis dans un
ou deux établissements, les approches pédagogiques sont méconnues. Nous avons
exprimé le vœu que l’École des arts, qui est la case formatrice des éducateurs
musicaux, mette en place un laboratoire de recherche pour prendre en charge
toutes les questions liées à la pédagogie de la musique. Car les méthodes d’ensei-
gnement et la démarche doivent changer, si l’on veut susciter chez les élèves des
conduites novatrices.
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N° 75 - septembre 2017
dossier
Quand la musique
donne le ton
Culture musicale, scolarité et communauté dans la classe D
du lycée Sainte-Anne, Copenhague (2011-2014)1
Henrik Reeh
Université de Copenhague
Formation musicale
et exigences scolaires
La question de la musique dans son rapport à l’éducation remonte,
certes, à l’antiquité grecque mais elle se retrouve parfois dans la vie quotidienne
de la modernité. Voici une discussion entre parents qui se tient lors d’une pause
dans un atelier de piano pour enfants. Comme souvent dans les classes moyennes,
la conversation touche au choix d’établissement scolaire et aux expériences péda-
gogiques qui s’y attachent. « Et alors, Sainte-Anne, c’est un bon lycée ? » Situé à
Copenhague, capitale du Danemark, le Sankt Annæ Gymnasium [Lycée Sainte-
Anne : SAG]2 est reconnu pour l’importance qu’il accorde à la musique en général 107
et au chant en particulier. Autrefois appelé « l’École du chant », cet établissement
public reçoit des élèves âgés de 10 à 19 ans, tous doués pour la musique. Or la
réponse d’un parent d’élève (dont le fils adolescent fréquente ce lycée depuis
longtemps) peut surprendre, car elle souligne un aspect qui n’a rien de musical :
« C’est certainement une bonne école pour ceux qui savent faire leurs devoirs. »
Alors que l’image d’élèves musiciens surdoués, qui font pâlir les élèves aux perfor-
mances plus ordinaires, hante les attentes de ceux qui n’ont jamais visité l’école,
un parent d’élève déjà initié met ainsi l’accent sur les exigences scolaires qui
caractérisent l’école de son enfant. Inattendue, cette réponse finit par rendre cet
établissement plus attrayant et accessible pour des jeunes qui ne s’imaginent pas
en futurs musiciens professionnels. Tous les ans, plusieurs centaines d’adolescents
déposent effectivement une demande d’admission à la section lycée, prévue pour
les 16-19 ans.
Au lycée Sainte-Anne, les musiques classique et rythmique ont l’une
et l’autre droit de cité. Grâce à la présence, notamment, de plusieurs chorales et
d’un orchestre symphonique complet, la musique à partition y occupe cependant
une place prépondérante. Cela explique-t-il le fait que la note moyenne d’un
baccalauréat passé dans ce lycée figure au sommet du classement national ? Il
1. Profonds remerciements profonds à Rasmus Henrik Reeh, lycéen à Sankt Annæ Gymnasium, 2011-2014, et à ses
camarades de classe, qui ont bien voulu répondre au questionnaire à la base du présent article.
2. Voir le site Internet du Sankt Annæ Gymnasium, partiellement en anglais : SAG.DK
N° 75 - septembre 2017
serait injuste, dans ce contexte, d’oublier la musique rythmique qui est à la base,
tous les ans, d’une comédie musicale avec 400 participants, exclusivement
composée et produite par les élèves. La musique est un champ d’expression et
d’apprentissage large, et l’ensemble de l’éventail musical – du rythmique au
classique et au-delà – est présent dans la conscience commune et des élèves de
cet établissement exceptionnel dans le paysage éducatif et musical danois.
Plusieurs livres ont célébré les exploits du SAG dans le domaine du chant
choral, et, d’emblée, on est tenté d’analyser le rapport entre musique et éducation
au niveau de l’établissement dans sa totalité ou, du moins, à l’échelle de sa section
lycéenne. Néanmoins, chaque élève réalise son propre parcours pendant sa scola-
rité lycéenne. Un adolescent – qui se trouve être notre fils aîné – est arrivé au
lycée Sainte-Anne avec des préférences pour les sciences humaines et sociales,
avant de s’orienter vers une filière axée sur la musique et les mathématiques ;
finalement, il a passé son baccalauréat avec un diplôme où les sciences naturelles
sont en position de force pour, ensuite, faire des études de médecine. Ce parcours
imprévu a eu lieu dans une classe de 32 élèves qui ont tous été reçus au bacca-
lauréat du premier coup – et avec des notes très élevées. Pendant trois années,
ils ont partagé au moins sept à huit heures par jour, et beaucoup de relations en
sont sorties, alors et depuis.
L’identité au niveau de la classe constitue un cadre essentiel de la scola-
rité, de la vie musicale et des amitiés. Voilà pourquoi je vais me consacrer à ce
108 niveau d’échelle – la classe – dans ma tentative de voir plus clair dans le mélange
particulier – un véritable cocktail ? – entre le savoir musical et d’autres éléments
pédagogiques, durant les périodes de vie avant, pendant et après les trois années
au lycée Sainte-Anne.
Deux observations orientent mon enquête. D’un côté, la scolarité de la
classe D au lycée est nourrie d’un programme musical soutenu, qui a de nombreuses
répercussions chez les élèves. D’autre part, le parent d’élève que je suis ne peut
que remarquer le sérieux scolaire de cette classe, non seulement dans le rapport
entre les professeurs et les élèves, mais aussi entre les lycéens eux-mêmes. À l’heure
où les médias décrivent une vie lycéenne animée par les écrans numériques,
l’alcool et le divertissement, on ne s’attend guère à une telle musicalité commu-
nautaire ni à une ambiance quasi-intellectuelle dans une classe de lycée. Or c’est
bien une impression de grand sérieux que donne la vie dans la classe D (option
musique et mathématiques) au lycée Sainte-Anne, dans la promotion de 2014.
Que nous disent les anciens élèves eux-mêmes, trois ans après leur réus-
site au baccalauréat, sur le rôle joué par la musique à l’école, dans l’éducation
et dans la vie ? Le présent article en rendra compte en suivant la structure d’une
enquête que j’ai pu mener, grâce à la médiation de mon fils, auprès de ses anciens
condisciples.
Les questions – une vingtaine au total – visaient à documenter le fonc-
tionnement de la musique pendant des périodes de vie distinctes, surtout lors
du passage au lycée Sainte-Anne, mais aussi avant et après ces trois années
lycéennes. Les questions étaient pour la plupart assez simples, afin de faciliter
une réponse – sans toutefois exclure des réflexions élaborées si les répondants
désiraient se lancer en ce sens. Voici un exemple : « La musique était-elle d’impor-
tance dans ta famille pendant ton enfance ? ». Cette question préfigurait une
réponse pouvant se limiter à un simple « oui » ou « non ». Mais elle invitait aussi
à des explications individuelles qui donnent de la profondeur à l’enquête, tant
au niveau du répondant singulier qu’au niveau de la classe en tant que groupe.
En général, il n’y a pas eu qu’une seule réponse quantifiable à une question
donnée ; au contraire, de nombreuses réponses qualitatives ont été proposées par
les répondants qui, en quelque sorte, contribuent à une réflexion commune. Ainsi
le présent article va-t-il tenter d’articuler la réflexion des anciens de la classe D
sur le rapport entre musique et éducation.
Musique
Éducation
N° 75 - septembre 2017
Une telle fréquence de musiciens et de chanteurs dépasse de loin la
moyenne dans cette tranche d’âge. Alors que, de nos jours, les instrumentalistes
se font rares, les élèves du lycée Sainte-Anne le sont tous. Toutefois, de grandes
différences se révèlent à l’intérieur du groupe, quand on pose la question de
l’intérêt familial pour la musique. Assurément, cet intérêt est présent dans toutes
les familles sauf deux, mais un écart se dessine entre les élèves dont les parents
apprécient la musique « pour le plaisir » et l’élève, par exemple, dont les deux
parents sont des organistes professionnels. Une poignée d’élèves indique que l’un
des parents, au moins, a reçu une formation de musicien professionnel.
Quand on demande « quel rôle la musique a-t-elle joué dans ta vie avant
l’admission dans ce lycée ? », tous les élèves confirment un goût pour la musique.
Les différences sont nettes ; un élève « appréciai[t] de jouer avant le [lycée] et
jouai[t] dans un groupe. Seulement je ne répétais que rarement à la maison. »
Un autre élève « assistai[t] souvent à des récitals d’orgue ou à d’autres concerts
dans les églises un peu partout. Avec insistance, mon père essayait de m’enseigner
la théorie musicale dès l’âge de 8 ou 9 ans. Commencé à faire du piano à 6 ans,
du violoncelle à 8. » La participation à des chorales, à des groupes de rock et à
des comédies musicales figure parmi les réponses ; la somme de celles-ci révèle
combien la pratique musicale a été présente chez ces élèves, à une époque où la
musique est généralement liée à la consommation et à une écoute distraite.
110
Pendant les trois années
de lycée : cours, chorale,
communauté
Une fois admis, les élèves individuels peuvent accorder plus ou moins
d’importance à la discipline de musique en sélectionnant le niveau et l’ampleur
des cours à suivre. La moitié de la classe D étudie la musique pendant les deux
premières années seulement (200 heures au total – niveau B). L’autre moitié y
ajoute 125 heures (niveau A) pendant la troisième année de lycée. Au cours de
cette dernière année, le reste de la classe se consacre à un cours de physique afin
d’améliorer ses bases en sciences naturelles.
L’intérêt porté à l’enseignement de la musique ainsi qu’aux activités
musicales pendant les loisirs est partagé par tous : 16 élèves sur 19 répondants
font partie de la chorale classique ; trois d’entre eux participent, en outre, au
chœur de chambre plus restreint. Le lycée est également réputé pour sa comédie
musicale annuelle, le SAG Show.3 Tous ont participé à cette aventure au cours
de leur scolarité ; au total, 16 sur 19 ont participé pendant l’ensemble des trois
années.
3. Voir divers enregistrements vidéo sur YouTube, dont : « Ouverture [...], 2013 » [https://goo.gl/vBMRkb] et
« Ouverture [...] », 2014 [https://goo.gl/7P5CGc].
Il n’est pas rare que l’admission au lycée Sainte-Anne apporte une véri- 111
table révolution du style de vie et de l’approche de la musique :
« Le SAG a tout changé. [...] À mon arrivée [...] j’étais stupéfaite que des gens
de mon âge soient aussi bons. Je suis rentrée chez moi, j’ai effacé Facebook
pendant une année, et je faisais plein de musique. J’étais très impliquée. »
La musique fait ainsi figure de langue commune qui unit les élèves – sans
pour autant les obliger à en parler explicitement.
« Au SAG, la musique occupait une place importante au quotidien, car tous y
passaient beaucoup de temps. Contrairement à ma vie au collège, j’ai rencontré
des gens qui partageaient mon goût musical. Voilà pourquoi j’ai commencé à
aller aux concerts avec des amis, alors qu’auparavant j’y allais plutôt avec mes
parents. »
N° 75 - septembre 2017
dans la classe D. La musique y offre plutôt une communauté de goût, de ton et
d’amitiés. Au lieu d’accentuer la concurrence entre les individus, la musique sert
à les réunir.
Après le baccalauréat :
quand la profession
et la science prennent
le dessus
Après le baccalauréat, une année sabbatique (systématiquement pratiquée
par les jeunes Danois) conduit aux études supérieures et aux activités profes-
sionnelles. La musique va-t-elle survivre, dans cette nouvelle phase de la vie ?
L’enquête fait apparaître une continuité de la pratique musicale :
16 répondants sur 19 continuent de jouer et de chanter. La moitié du groupe
semble même y accorder beaucoup de temps : « je chante dans une chorale après
le SAG » ; « chante et joue de la musique » ; « je joue au piano et je prends
toujours des leçons hebdomadaires » ; « je joue de la basse et chante dans un
groupe avec des amis du SAG. » Ainsi, les pratiques se poursuivent, parfois dans
des cadres nés grâce à la culture musicale au lycée.
L’activité musicale ne signifie pas que la musique s’impose dans les choix
éducatifs et professionnels des jeunes. Deux tiers répondent que la musique est
112 absente de leurs études ou de leur travail. Parmi les 14 étudiants du groupe, trois
seulement s’occupent de musique ; l’un va devenir instituteur avec option
musique ; un deuxième est au conservatoire national et un troisième fait des
études de musicologie à l’université. La majeure partie des étudiants a retenu les
sciences naturelles – cultivant ainsi la deuxième composante particulière de la
classe D (musique et mathématiques). Sans doute faut-il voir aussi, dans la préfé-
rence pour les sciences, le fait que les perspectives d’emploi sont plus encoura-
geantes que pour la plupart des musiciens professionnels.
Vu la pratique musicale répandue dans le groupe, dont la moitié fait
des études universitaires de sciences naturelles, on peut conclure qu’une coexis-
tence entre musique et science se prolonge au-delà du bac. Seulement, la musique
est une activité de loisirs, alors qu’elle était une discipline principale dans le
cursus lycéen.
Or, même à titre de supplément, la musique est une source de commu-
nauté parmi les jeunes. Ce rôle humain et social mérite d’être reconnu voire
formalisé comme un ajout essentiel à la problématique « musique et éducation ».
Ainsi se dessine un modèle triangulaire, qui, désormais, comprend les instances
suivantes : musique, éducation, communauté.
On peut également mentionner que de nombreuses réponses à l’enquête
soulignent l’importance subjective de la musique. Un ancien élève note ainsi :
« [C]’est quelque chose que j’aime toujours faire, et je joue dans un orchestre
toutes les semaines. Je prends plaisir à jouer de la musique. »
Musique
Individu Communauté
Éducation
Vue d’ensemble :
passion musicale et
ambitions scientifiques
On s’approche de la fin de l’enquête ainsi que de l’histoire de la classe D. 113
Deux questions résument la situation. D’abord : que signifie le statut privilégié
de la musique dans un lycée pour les expériences musicales des élèves ? Ensuite :
comment les activités musicales à l’école accompagnent-elles le développement
cognitif et intellectuel des jeunes ? Prises dans leur ensemble, les réponses
fournies par les anciens élèves me semblent esquisser une réflexion assez cohé-
rente et nuancée sur chacune des deux problématiques. Alors que toutes les
composantes de la réflexion s’enracinent dans des commentaires formulés par
les répondants, le présent article doit se limiter à résumer succinctement
l’argument collectif.
N° 75 - septembre 2017
Bien sûr, de nombreux élèves expriment leur reconnaissance à l’égard
de l’école et de l’engagement musical qui s’y déploie. La diversité des musiques
rencontrées change vraiment l’écoute des élèves et introduit de nouvelles pers-
pectives dans leur pratique.
Une série de commentaires louant la culture musicale au SAG recourt
à la notion de « réseau » : les contacts s’établissent grâce aux réseaux, et ceux-ci
sont porteurs d’avenir car ils durent au-delà des trois ans de lycée. Par consé-
quent, le lycée devient plus qu’un établissement scolaire ; il ouvre aux élèves
eux-mêmes un vaste champ d’échanges sociaux et culturels, surtout après la fin
de la journée scolaire, quand les activités extra-curriculaires prennent la relève.
Le terme de « communauté » s’impose alors.
« [La musique] donne un énorme sentiment de communauté et rend la vie sociale
très facile d’accès. Car nous savons tous qu’il y un champ d’intérêt commun. »
Intérêt commun et communauté vont de pair.
Certes, devant le nombre de musiciens très doués, certains peuvent
éprouver un sentiment d’insuffisance qui va parfois jusqu’à inhiber leur envie de
jouer. Il reste toutefois des lieux de collectivité où le commun des mortels peut
se rencontrer ; les chorales classique et rythmique cultivent une expression musi-
cale de haute volée qui s’accompagne de rencontres humaines de longue durée.
Ainsi la qualité des performances musicales reste-t-elle un but reconnu, à peine
questionné. Dans l’ensemble, les répondants rendent un hommage unanime à la
114
culture musicale de leur lycée.
Musique et vie intellectuelle
La deuxième question de synthèse posée aux anciens de la classe D était
la suivante : « l’accent mis sur la musique à Sainte-Anne a-t-il signifié quelque
chose pour ta vie intellectuelle et cognitive ? » Si la question sur les conséquences
musicales du privilège accordé à la musique pouvait déjà poser problème, l’hypo-
thèse tacite d’un lien entre la musique et la faculté de penser le fait aussi. Il faut
savoir que le lycée Sainte-Anne se trouve au sommet du classement national des
bacheliers au Danemark. Seulement, on ne saurait dire si ce niveau intellectuel
et scolaire est en partie assuré par le fait que les lycéens admis proviennent des
élites relatives de leurs nombreuses écoles d’origine.
Il serait plus intéressant de voir si l’on peut comprendre une culture
scolaire hors du commun en se référant à la forte présence d’un milieu éducatif
musical. En règle générale, les réponses à l’enquête témoignent des exploits péda-
gogiques, tout en faisant remarquer les limites d’un enseignement musicologique
de lycée.
Des répondants notent comment la musique apporte des méthodes de
travail à d’autres domaines. Ainsi le mot « discipline » est-il souvent cité dans
une justification de la musique en dehors de son propre domaine. Et plusieurs
élèves observent comment le niveau poussé du savoir musical « déteint » – une
métaphore récurrente – sur d’autres champs de leur scolarité lycéenne.
Seulement, les fortes doses de musique apportent plus que des bonnes
notes au bac et un savoir pointu en musicologie. En effet, la valeur de la musique
ne saurait se mesurer à son utilité directe dans d’autres disciplines, telles que les
sciences naturelles, dont une dizaine de répondants ont fait le centre de leurs
études universitaires. La contribution cognitive et intellectuelle de la musique
pourrait bien s’avérer plus large.
Dans ce contexte, les anciens élèves apprécient la façon dont la musique
nourrit leur culture générale. S’y ajoute l’effet psychologique de la musique sur
l’envie d’aller à l’école voire sur la faculté d’en supporter le stress. Cette fonction
thérapeutique est soulignée par plusieurs réponses à l’enquête. Bien que la musique
soit justifiée par son apport à la prestation intellectuelle, elle semble également
pouvoir diminuer les pressions qui pèsent sur la vie scolaire contemporaine.
La culture,
point d’intersection
et d’ancrage
Grâce aux réponses des anciens élèves de la classe D, nous avons obtenu
quelques aperçus de l’intérieur de la « boîte noire » que constitue la relation entre
musique et éducation dans ce lycée danois, réputé à la fois pour sa forte tradition
chorale et pour son niveau scolaire élevé. Certes, la classe D se distingue des six
autres classes de la promotion 2014. Et toutes les classes D dans l’histoire du lycée 115
Sainte-Anne ne sont pas identiques. Mais les réponses de la classe D, 2011-2014,
témoignent d’une culture musicale fondée dans l’enfance et au cours de l’adoles-
cence. Une fois admis dans une classe privilégiant la musique et les mathéma-
tiques, les porteurs de cette culture sont capables non seulement d’absorber un
savoir de haut niveau mais aussi de faire vivre la musique au profit des individus
et du groupe. Moins que d’une formation de solistes, c’est davantage d’une
communauté musicale au sens large qu’il s’agit, en partie grâce aux activités collec-
tives telles que la chorale classique et la comédie musicale du SAG Show.
Nous avons déjà insisté sur la nécessité d’augmenter la problématique
de « musique et éducation » d’une relation supplémentaire impliquant les deux
composantes « individu et communauté ». Il nous semble, enfin, justifié d’attirer
l’attention sur le point d’intersection entre les deux axes, et de qualifier cette
intersection à l’aide du terme « culture ».
Musique
Éducation
N° 75 - septembre 2017
Le recours à la notion de culture vise à reconnaître la complexité à la
fois pédagogique et humaine qui est à l’œuvre dans cet établissement scolaire.
Plus que d’une relation causale entre enseignement de musique et réussite cogni-
tive, il s’agit d’une constellation entre des éléments institutionnalisés et commu-
nautaires, explicites et implicites, qui, tous, contribuent à promouvoir la pratique
musicale et un environnement scolaire de haut niveau.
Bibliographie
ADORNO T. W. (1975) : Einleitung in die Musiksoziologie, Frankfurt am Main: Suhr-
kamp Verlag, [1962].
PALSMAR H. (sous la dir. de) (2004) : For Skolen og for Livet. Om korsang, dannelse
og læreprocesser. Festskrift 75 år. Sangskolen på Sankt Annæ Gymnasium, Copenhague :
Danmarks Pædagogiske Universitets Forlag.
REEH H. (2013) : « Espaces scolaires de la rentrée : Architectures et cérémonies
d’accueil dans trois lycées à Copenhague », Revue internationale d’éducation de Sèvres,
n° 64, décembre, p. 65-76.
SCHAFER R. M. (1995) : The Soundscape. Our Sonic Environment and the Tuning of
the World, Rochester, Vermont: Destiny Books, 1995.
116
Le dispositif
« orchestre à l’école »
et son impact
sur un territoire
L’exemple de la Mayenne, en France
Denis Waleckx
Directeur académique des services
de l’éducation nationale, France
1. Parmi ces dispositifs, on peut notamment citer « Dix mois d’école et d’opéra », fruit d’un partenariat mis en place
en 1991 entre l’Opéra national de Paris et les académies de Paris, Versailles, Créteil « en direction des élèves relevant
de l’éducation prioritaire et n’ayant pas facilement accès à l’Art et à la culture ». [https://goo.gl/Dkk1tw]
On peut également signaler l’existence du dispositif Demos (Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation
sociale), initié et coordonné par la Cité de la musique – Philharmonie de Paris en 2010, « projet de démocratisation
culturelle s’adressant à des enfants issus de quartiers relevant de la politique de la ville ou de zones rurales insuffi-
samment dotées en institutions culturelles ». [http://demos.philharmoniedeparis.fr/le-projet.aspx]
N° 75 - septembre 2017
Il ne s’agit pas ici de dresser un tableau exhaustif des différents dispo-
sitifs qui ont pu participer de ce lent processus. Si nous nous intéressons à
« orchestre à l’école », c’est que son déploiement rapide sur des territoires variés
en France semble témoigner tout à la fois de sa pertinence et de sa souplesse
d’utilisation. De même, si nous rendons compte de son installation dans le dépar-
tement de la Mayenne, c’est, qu’avec près de quarante orchestres, ce département
de taille modeste a su percevoir tout le bénéfice qu’il pouvait en tirer, et lui
réserver un accueil favorable. Nous allons illustrer comment les différents acteurs
publics ont su l’utiliser comme un levier d’acquisition de compétences musicales,
cognitives, émotionnelles, comportementales, mais aussi comme vecteur de
cohésion sociale et d’animation territoriale. « Orchestre à l’école » en Mayenne
semble signer la rencontre l’un dispositif et d’un territoire, rencontre qui n’a
aucun caractère modélisant, mais dont l’étude peut mettre en lumière les
conditions de sa réussite, de son élargissement, de son transfert.
« Orchestre à l’école » :
définition,
cahier des charges,
organisation
On compte près de 1 190 dispositifs du type « orchestre à l’école »
118 aujourd’hui en France, implantés dans 614 villes et 93 départements. Ces
orchestres sont de nature, de répertoire, d’effectifs, d’importance, d’histoire, de
rayonnement et de qualité extrêmement variés. Il semble donc nécessaire de
dessiner le cahier des charges minimal du dispositif qui fonde, au-delà de ses
différentes déclinaisons, ses invariants. Un « orchestre à l’école » s’appuie néces-
sairement sur un partenariat territorial entre un établissement scolaire et une
structure spécialisée dans l’enseignement de la musique. C’est donc un projet
qui induit un travail en complémentarité entre les professeurs de l’éducation
nationale et les professeurs des écoles de musique ou de conservatoire. Dans le
cadre du dispositif, les élèves bénéficient en général d’une heure d’instrument
et d’une heure d’orchestre par semaine. Il s’adresse a priori à une classe entière,
se réappropriant ainsi l’organisation traditionnelle et l’un des marqueurs symbo-
liques de l’école française et donnant de fait naissance à de véritables
classes-orchestres.
Le premier dispositif de ce type a été créé en 1999 à l’initiative de la
Chambre syndicale de la facture instrumentale (CSFI). La mobilisation de
l’ensemble de la profession musicale a permis à de nombreuses initiatives locales
de voir le jour. En septembre 2008 est créée l’association Orchestre à l’école, qui
a vocation à piloter le dispositif au niveau national, à encourager la création
d’orchestres notamment dans les zones géographiques et quartiers fragiles, à
soutenir financièrement les initiatives et les projets et à promouvoir les actions
les concernant. L’association, devenue Centre national de ressource des orchestres
En cohérence avec
les politiques éducatives,
artistiques et culturelles
dans les territoires
Le préambule de la convention cadre signée conclue le 27 février 20172
entre les ministères en charge de l’éducation et de la culture, le secrétariat d’État
à la ville et l’association Orchestre à l’école pose à la fois la réalité et le cadre
des convergences entre la dynamique proposée par le dispositif et les politiques 119
portées par l’État. Elle cite notamment la mise en œuvre du parcours artistique
et culturel de chaque enfant, portée conjointement par les ministères en charge
de l’éducation et de la culture,3 et précisant que l’action portée par l’association
« s’adosse aux grands objectifs de formation précisés dans le référentiel du
parcours d’éducation artistique et culturelle 4 [PEAC] ». Ceux-ci s’organisent
autour de trois axes : fréquenter (les œuvres et les artistes), pratiquer (s’intégrer
dans un processus collectif, réfléchir sur sa pratique) et s’approprier des connais-
sances (exprimer une émotion, utiliser un vocabulaire approprié).
Le préambule évoque également la complémentarité entre l’ensei-
gnement obligatoire d’éducation musicale, assurée par les professeurs de
l’éducation nationale qui vise « à doter progressivement les élèves des références
nécessaires à la constitution d’une culture musicale et artistique par la pratique
vocale, l’éducation de la perception et la connaissance des œuvres » et « les
pratiques instrumentales collectives [qui] offrent de nouvelles perspectives dès
lors qu’elles sont mises en œuvre avec des moyens appropriés5 ».
2. [http://eduscol.education.fr/cid60408/orchestre-a-l-ecole.html]
3. Voir la circulaire interministérielle n° 2013-073 du 3 mai 2013, conformément à l’article 10 de la Loi d’orientation et
de programmation pour la refondation de l’école de la République.
4. Arrêté du 1er juillet 2015, Journal officiel du 7 juillet 2015.
5. Voir note 2.
N° 75 - septembre 2017
Un contexte favorable
à la prise en charge globale
de l’élève
La réforme des rythmes scolaires a relancé la réflexion sur les différents
temps de l’enfant, scolaire, péri ou extra-scolaires et sur la nécessité de la bonne
articulation de ces temps dans le cadre d’une prise en charge éducative globale
de l’enfant, élève d’une classe, mais aussi habitant d’un quartier, d’une ville ou
d’un village, adhérent d’une association ou d’un club sportif, membre d’une
famille, d’une fratrie, d’une chorale... La quasi généralisation, au niveau national,
des projets éducatifs territoriaux (PEDT), outils de collaboration locale qui
rassemblent, à l’initiative d’une collectivité territoriale, l’ensemble des acteurs
intervenant dans le domaine de l’éducation, terme pris dans son acception la
plus large, a rappelé s’il en était besoin, que le temps éducatif ne se réduisait pas
au temps scolaire.
Parallèlement, le socle commun de compétences de connaissances et de
culture6 définit les connaissances et les compétences qui doivent être acquises à
l’issue de la scolarité obligatoire. Il renforce cette approche globale, propose une
mise en système et en synergie des savoirs et des disciplines au profit de cinq
domaines de formation qui s’en nourrissent et les transcendent : « les langages
pour penser et communiquer ; les méthodes et outils pour apprendre ; la
120 formation de la personne et du citoyen ; les systèmes naturels et les systèmes
techniques ; les représentations du monde et l’activité humaine ». Il pose une
double cohérence, verticale, progressive, curriculaire, avec des paliers en jalon-
nant la maîtrise, et horizontale, en invitant aux prolongements et en s’en nour-
rissant, par une reconnaissance et une validation des compétences travaillées à
l’école mais renforcées en dehors.
Une réflexion
sur la rationalisation
d’une offre éducative
dispersée
La Mayenne est le plus petit département de la région des Pays de la
Loire, par sa superficie et le nombre de ses habitants (318 095). Territoire rural,
sa densité est de 59 habitants au km², contre 112 en Pays de la Loire, et 117 en
France. Le département se caractérise par le poids important de l’industrie dans
l’économie locale, notamment pour ce qui concerne le secteur agroalimentaire.
Le secteur privé regroupe 12 700 entreprises, dont certaines sont leaders sur
leur marché. La Mayenne compte 255 communes et dix intercommunalités
(une communauté d’agglomération et 9 communautés de communes).
6. [https://goo.gl/D5pD7U]
« Orchestre à l’école »
en Mayenne
La Mayenne compte à ce jour 38 orchestres de ce type, ce qui, compte
tenu de la taille modeste du département, montre combien le territoire s’est
approprié le dispositif. En effet, si 14 écoles élémentaires publiques sur 230 sont
N° 75 - septembre 2017
impliquées (6 %), le dispositif existe dans un lycée général (sur 11, soit 9 %),
9 collèges (sur 27, soit 33 %), certains possédant plusieurs classes-orchestres.
C’est le cas pour les collèges Jean Rostand de Château-Gontier et Sévigné de
Mayenne, proposant une classe orchestre par niveau. C’est également le cas du
collège Francis Lallart de Gorron, petit collège rural, ne comptant qu’une centaine
d’élèves (effectif bien en deçà de la moyenne des collèges français), mais dont
70 participent aux quatre classes orchestres de l’établissement. Dès 2003, date de
la création de la première classe orchestre au collège de Gorron, l’ensemble des
partenaires (collectivités locales, structures culturelles, association, éducation
nationale) ont fait le pari que le dispositif serait vecteur de progrès pour les
élèves, tant sur le plan scolaire que sur le plan comportemental, et participerait
d’un développement harmonieux de l’action culturelle sur le territoire.
L’expérience a fait l’objet d’un premier bilan académique à la fin de
l’année 2015 dressé à la demande du recteur par deux inspecteurs pédagogiques
régionaux d’éducation musicale, dans le cadre d’un protocole d’évaluation pilotée
par la directrice académique en poste. À partir d’observations de quatre dispo-
sitifs « orchestre à l’école » du Nord Mayenne et d’entretiens avec les différents
acteurs et usagers (chefs d’établissements, professeurs, parents, élèves, partenaires,
élus), ce bilan avait pour objectif de « mesurer les effets du dispositif sur la
scolarité et la réussite des élèves au regard du projet académique » (Bourdin et
Seince, 2015), sachant que celui-ci est articulé autour de quatre ambitions :
122 1) réussite, conforter la réussite de tous les élèves, 2) insertion, favoriser une
insertion réussie dans la société ; 3) solidarité, ne laisser personne au bord du
chemin ; 4) coopération, travailler ensemble pour la réussite de tous. Le bilan
académique se proposait également « de mettre en évidence les effets sur la vie
de l’établissement, l’ensemble de la communauté éducative et les relations établies
avec les établissements d’enseignement artistique partenaires ».
Nous citerons les conclusions de ce bilan, notamment en ce qui concerne
les effets constatés et avérés du dispositif, mais aussi les limites repérées.
Le renforcement
des compétences musicales
et comportementales
des participants
Maîtriser son geste instrumental, son souffle, jouer juste, s’écouter,
écouter l’autre, suivre un tempo, lire une partition, la gestuelle du chef sont
quelques compétences abordées, travaillées, développées par la pratique instru-
mentale et orchestrale. Celles-ci sont évaluées par l’école de musique dans le
cadre du cursus musical de l’élève mais également reconnues au sein du bulletin
scolaire. En effet, le bilan académique note que « la présence d’une rubrique
particulière à la classe-orchestre est de nature à valoriser le travail des élèves,
notamment lorsque l’appréciation prend en compte l’implication dans
9. Voici un exemple parmi d’autres de « réconciliation scolaire », dont peut s’enorgueillir le dispositif dans le dépar-
tement de la Mayenne : un élève de e, atteint de phobie scolaire, était instruit à domicile. Scolarisé « à l’essai » en 5e
dans un collège proposant « orchestre à l‘école », membre de cet ensemble, il a progressivement repris confiance en
lui, consolidé ses relations et finalement obtenu son baccalauréat avec mention très bien.
10. Bilan des observations dans le département de la Mayenne, op. cit., p. 7.
11. Les trois orchestres à l’école retenus pour participer au projet étaient ceux de Gorron (Mayenne), de Sorgues
(Vaucluse), et de Livron (Drome).
N° 75 - septembre 2017
Perruchon. Une semaine de répétition sur place avait précédé le concert et, en
janvier, une rencontre entre les trois orchestres de jeunes avait eu lieu, à laquelle
étaient associés deux musiciens du philharmonique suivant le projet.
Au-delà du caractère inoubliable de l’expérience vécue par les élèves, il
faut souligner le caractère « apprenant » de ce type de projet. La rencontre avec
le grand répertoire de l’orchestre, l’émotion artistique générée par cette rencontre,
la réalisation d’un concert dans des conditions professionnelles, au côté d’un des
grands orchestres français, dans une salle parisienne de référence, renforcent tout
le travail mené en amont au sein des dispositifs, donnant du sens à ce travail, à
l’exigence demandée et confortent l’ambition des élèves. Le contact avec les diffé-
rents professionnels, les musiciens (chefs d’orchestre, répétiteurs, instrumen-
tistes), les techniciens (ingénieurs du son, régisseurs), les métiers de
communication, les administratifs font prendre conscience de la richesse du
monde de la musique vivante et de la diversité des métiers qui y participent.
« Jouer avec des musiciens professionnels est une source de fierté pour eux, et
plus encore lorsque le concert est donné dans un lieu prestigieux ou embléma-
tique » souligne le bilan académique.
Même si tous les projets ne sont pas aussi ambitieux, l’organisation et
la tenue de concerts réguliers font partie de la culture de projet portée par toutes
les classes orchestres : participation aux journées portes ouvertes, à des cérémonies
officielles et républicaines diverses (remise du diplôme national du brevet, jume-
124
lage, vœux), aux fêtes (de l’établissement, de la musique), concerts de Noël,
manifestations organisées dans des lieux extrêmement variés, allant de la salle
polyvalente de l’établissement au salon de l’Élysée, en passant par le Sénat, le
conseil départemental, la direction académique ou l’Olympia. Tous ces concerts
impliquent la prise en compte des exigences de la musique vivante et induisent
des rencontres avec des professionnels.
Des éléments
de transmission entre pairs
et entre générations
Dans de nombreux cas, la remise des instruments de musique donne
lieu à une cérémonie publique qui solennise l’entrée dans le dispositif et la
réception par chaque élève de l’objet qu’il va apprendre progressivement à
maîtriser et dont il sera responsable durant tout le cursus. Cette cérémonie inter-
vient après une période de quelques semaines, pendant laquelle le jeune aura pu
manipuler plusieurs instruments, affiner et faire son choix. Elle donne lieu à un
concert des aînés, concert qui intègre pour partie les débutants, avant la remise
des instruments proprement dite. Lorsque le dispositif est parrainé par une
formation d’adultes riche d’une certaine notoriété sur le territoire, la cérémonie
voit se succéder le concert de l’orchestre parrain, une prestation commune inté-
grant les débutants, et la distribution des instruments par pupitre, ce qui, de fait,
Le sentiment d’appartenance
aux dispositifs,
aux établissements,
aux territoires
Nous l’avons souligné, l’élève qui participe au dispositif fait souvent
valoir un sentiment de fierté. Il fait effectivement partie d’un groupe clairement
identifié, dont la valeur et le travail sont reconnus, appréciés, les productions
12. C’est le cas des classes orchestres du collège Jean Rostand de Château-Gontier, de formation variété jazz,
parrainés par deux formations d’adultes, le Big Band Sud Mayenne et les K-phoniques. Elles sont aussi jumelées avec
un orchestre à corde de Fribourg en Brisgau.
13. La classe orchestre du lycée Victor Hugo de Château-Gontier, créé en septembre 2012 est parrainée par un groupe
rock d’anciens élèves, le groupe Rotters Damn.
14. À ce titre, le projet 2017 autour du répertoire américain des classes orchestres de Château Gontier, Renazé, et
Gorron mérite d’être cité. Les trois orchestres, après avoir étudié durant l’année, d’abord séparément puis dans une
formation de près de 70 élèves, le répertoire de la musique américaine (jazz et comédies musicales), iront le présenter
à New York afin d’être confronté in situ au public américain et à d’autres orchestres locaux, lors d’un séjour d’une
dizaine de jours.
N° 75 - septembre 2017
attendues. Le caractère intégratif du dispositif est reconnu et opportunément
utilisé. Dans plusieurs écoles primaires du département, il a facilité l’accueil des
réfugiés, les enfants intégrant l’orchestre tandis que les parents suivaient les
concerts comme les autres familles.
De nombreux accessoires et situations favorisent ce sentiment d’appar-
tenance au dispositif ou à l’établissement porteur, les cérémonies abordées plus
haut relevant elles d’une sorte d’adoubement symbolique. Du côté des acces-
soires, on citera la tenue commune pour les concerts ou les logos de l’orchestre
ou de l’établissement. Mais nous insisterons surtout sur les passages obligés qui
ponctuent la vie des dispositifs, qui, de la recherche de subventions jusqu’à l’enca-
drement des concerts et des sorties, en passant par l’excitation et stress de
« l’avant concert », le soulagement et la fierté de « l’après », créent une dynamique
collective commune. Dans plusieurs établissements, les parents d’élèves ont
d’ailleurs créé une association spécifique, signifiant ainsi la place active qu’ils
souhaitaient prendre dans cette dynamique, mais aussi de l’exigence quasi profes-
sionnelle que demande une parentalité de ce type. Des orchestres de parents
voient le jour, répondant ou prolongeant ceux des élèves 15. Évidemment, l’impor-
tance de cette dynamique est fortement corrélée au poids démographique des
participants au dispositif par rapport à l’ensemble de la population scolaire.
126
Les retombées du dispositif
Ces retombées étaient attendues, ne serait-ce que pour valider l’inves-
tissement public consenti, sachant que, dans le département de la Mayenne, un
élève sur cinq d’école de musique étudie son instrument sur le temps scolaire.
S’il est impossible de mesurer ces retombées de manière complète, des tendances
se dessinent.
Ainsi, si la poursuite d’étude instrumentale individuelle existe, illustrée
par de vraies réussites, elle peut être considérée statistiquement comme assez
faible. Nous l’avons vu, ce n’est pas l’objectif premier du dispositif. En revanche,
la poursuite de la pratique instrumentale collective semble beaucoup plus signi-
ficative, ce qui a pour effet positif et mesurable de permettre aux orchestres
locaux d’assurer le renouvellement de leurs instrumentistes. Ainsi, si l’on prend
l’exemple du territoire de l’école intercommunale du Bocage Mayenne, sur lequel
trois dispositifs sont déployés, pour 30 élèves en sortant en 2014, 13 avaient
rejoint l’année suivante un orchestre associatif du territoire, participant ainsi
de son animation. De même, environ 50 % des instrumentistes de l’harmonie de
Bais sont d’anciens membres d’orchestres à l’école. Fort du dynamisme renforcé
de son harmonie, ce village de moins de 1 400 habitants organise depuis sept ans
les Baldifolies, festival d’orchestres amateurs, qui réunit chaque année environ
15. C’est le cas à Laval, où le steel band de l’école Germaine Tillion a donné naissance à un orchestre similaire regrou-
pant des adultes du quartier des Pommeraies.
L’usage stratégique
d’un dispositif souple
et mobilisateur
Développement de compétences musicales, transversales, transférables
chez les élèves, insertion dans un collectif apprenant, renforcement de l’ambition
et de l’exigence collectives et individuelles, inscription dans une dynamique de
projet, insertion et mobilisation d’adultes, resserrement des liens sociaux, trans-
mission intergénérationnelle, retombées en termes de pratique, d’animation et
de consommation artistiques sur le territoire, les apports et les effets potentiels
d’un dispositif comme « orchestre à l’école » sont nombreux et couvrent un large
spectre.
Au-delà de la spécificité du dispositif et du département étudiés, cette
étude de cas illustre la manière dont des acteurs publics d’un territoire, pleinement
conscients des apports de la pratique musicale collective ont su créer une belle
dynamique partenariale pour favoriser cette pratique et en tirer bénéfice : béné-
fice pour les élèves qui découvrent le monde de la musique de manière à la fois
gratifiante et exigeante, développent des compétences musicales, cognitives et 127
comportementales variées et transférables, apprennent l’autonomie, confortent
leur projection dans l’avenir, affinent leur projet de vie ; bénéfice pour les
porteurs de politiques publiques en faveur des arts et de la culture, par la qualité
renforcée du partenariat éducatif, par l’accroissement quantitatif et qualitatif du
public impacté par la pratique artistique et la consommation culturelle ; bénéfice
pour les adultes qui entourent les élèves, participent à la dynamique de projet
et profitent aussi de ses effets ; bénéfice enfin pour le territoire sur le plan social
et politique, grâce au renforcement de la cohésion de ses habitants et du sentiment
identitaire, au resserrement des liens intergénérationnels, aux retombées locales
en termes d’animation et de consommation culturelle. Cette étude de cas illustre
ainsi le rôle essentiel d’acteurs locaux pour reconnaître, mesurer et utiliser au
mieux le potentiel éducatif et mobilisateur d’un dispositif, afin de l’ajuster aux
enjeux éducatifs, aux contraintes et aux spécificités des territoires où il se déploie.
Quant au dispositif étudié, il semble bien que ce soit sa grande souplesse qui
rende relativement aisée son utilisation stratégique dans le cadre d’une politique
locale cohérente et puisse ainsi produire les effets positifs les plus probants.
Bibliographie
BOURDIN Y., SEINCE M. (2015) : Orchestre à l’école. Bilan des observations dans le
département de la Mayenne, Nantes, Académie de Nantes.
N° 75 - septembre 2017
dossier
Musique
et cohésion sociale
lors d’un moment
décolonial1
en Afrique du Sud*
Stephanus Muller
Université de Stellenbosch, Afrique du Sud
N° 75 - septembre 2017
le biais de la musique. Bien qu’ils n’aient pas délibérément recherché la création
d’espaces d’expression pour les identités protestataires ou de cohésion sociale
parmi les manifestants, ces deux projets ont montré comment la musique peut
permettre à des étudiants évoluant dans des environnements éducatifs contestés
d’exprimer des identités anticonformistes et de créer de nouvelles formes de
cohésion sociale dans des circonstances difficiles.
Le premier projet, Ingoma Yomzabalazo, a accompagné la création d’un
collectif étudiant à l’Université du Witwatersrand (Johannesburg) en reconnais-
sance de l’importance de la musique (et de son archivage) pour la recherche. Les
termes du projet accordaient une grande autonomie aux étudiants, leur permet-
tant de fixer eux-mêmes leur agenda en fonction de leur ressenti de la crise en
cours. Le second projet, You’re in Chains Too5, a consisté en l’organisation d’un
concert de solidarité en faveur d’une éducation gratuite pour tous. Ce concert a
eu lieu dans une église, car il n’était pas possible d’organiser ce genre d’évène-
ments sur le campus de l’université. Il s’agissait d’explorer de nouvelles formes
de cohésion sociale de la protestation dans un environnement éducatif contesté.
Sans le soutien structurel de l’université à la création d’un institut comme Africa
Open, ces réponses (pas nécessairement en adéquation avec l’agenda ou l’approche
de l’université) n’auraient pas été envisageables. Dans cet article, la création
d’Africa Open et les projets Ingoma Yomzabalazo et You’re in Chains Too sont
analysés comme des exemples d’engagement sociopolitique d’une université sur
130 la base et par le biais de la musique, dans un contexte caractérisé par des appels
pressants au changement décolonial6.
Africa Open :
une réponse structurelle
aux demandes de changement
En juin 2016, l’Université de Stellenbosch – qui héberge le plus ancien
département de musique universitaire d’Afrique du Sud – a approuvé la création
d’un nouvel institut indépendant pour la recherche musicale. Africa Open
– Institut pour la musique, la recherche et l’innovation – a été fondé pour être
le lieu de divers projets musicaux et de recherche radicaux, sur un financement
initial de la Fondation Andrew W. Mellon, de la Fondation Volkswagen et du
programme de bourses Newton de la British Academy. Ces projets, intitulés
respectivement « Delinking Encounters » 7 (qui prévoient la numérisation des
collections d’archives musicales, la publication d’éditions critiques de musique
africaine, la formation d’un forum interdisciplinaire pour l’étude des musiques
populaires et la conservation de contenus pour la publication électronique),
N° 75 - septembre 2017
du patrimoine musical et des futures évolutions curriculaires, Africa Open entend
créer l’archive musicale en libre accès la plus importante, la plus sûre et la plus
en pointe technologiquement d’Afrique, tout en offrant un espace intellectuel
d’avant-garde et interconnecté pour la recherche, l’innovation et la pensée
critique, mettant l’accent sur des projets créatifs en contexte africain. Au cours
de ses onze années d’existence, DOMUS a mis au point un modèle dynamique
de constitution d’archives et de diffusion de la connaissance, via des bourses
d’études et d’autres projets créatifs. Ce modèle est dorénavant formalisé sous la
forme d’un institut universitaire (Africa Open) intégrant une archive (DOMUS)
(de Jongh, 2015). Il a montré à quel point l’archivage est un instrument puissant
de changement dans la manière dont sont produits les savoirs, en ancrant ces
changements dans la matérialité de passés encore exclus ou ignorés de l’histo-
riographie. Offrir un espace institutionnel pour que le passé devienne histoire à
travers la recherche universitaire et, réciproquement, découvrir, grâce à la
recherche, de nouveaux matériaux qui seront intégrés aux archives afin de devenir
visibles historiquement, telle est la stratégie d’Africa Open pour mener à bien le
renouveau des études musicales en Afrique du Sud.
On ne saurait sous-estimer l’importance du changement institutionnel
et structurel pour permettre de formuler des réponses flexibles aux défis actuels
de l’enseignement supérieur en Afrique du Sud. Théoriser, écrire, développer une
terminologie de la décolonialité/de la transformation/du changement, protester
132 et financer des projets interventionnistes, tout cela a de l’importance. Mais cela
ne saurait être suffisant, notamment car ces initiatives peuvent rarement être des
stratégies à long terme au sein des processus d’évolution lents qui caractérisent
le changement à l’université. Les énergies (et les opportunités) qui se manifestent
dans ces activités nécessitent des structures qui prennent en compte, au-delà de
la crise actuelle, la réalité des futures générations d’étudiants. Ces étudiants
n’auront pas seulement besoin de l’outillage pratique et méthodologique pour
penser de manière nouvelle l’Afrique du Sud à travers la musique, mais également
des ressources que pourront leur fournir des structures institutionnelles conçues
et développées dans le but de mettre en œuvre la promesse du moment décolonial
que nous vivons actuellement.
L’institut Africa Open est ainsi engagé dans différents types d’études et
de projets expérimentaux. Il encourage les masters de recherche et les doctorats
à orientation artistique et conventionnels sur différents sujets et à partir de
différentes méthodologies ; il soutient des performances, des initiatives de conser-
vation, des films, des ateliers et des enregistrements ; il a lancé un projet visant
à publier des éditions critiques de musique africaine, à les rendre disponibles au
format numérique et rentables commercialement pour les compositeurs afri-
cains ; il œuvre à la mise en place de résidences artistiques qui ouvrent l’université
à des traditions musicales non représentées dans les intérêts souvent étroits des
facultés et dans les curricula occidentalisés, tout en traduisant ces rencontres par
de la génération de contenus pour une publication électronique expérimentale.
Les archives
de la protestation :
Ingoma Yomzabalazo
La vague de protestation étudiante de 2015-2016 a été remarquable,
notamment en raison du rôle clé joué par la musique lors des meetings et des
manifestations12. L’importance de la musique dans la lutte pour la justice sociale
et politique en Afrique du Sud est depuis longtemps reconnue par les musiciens
et les universitaires. Les manifestations étudiantes de 2015-2016 appelaient dès
lors une réponse savante de la part d’Africa Open, afin de documenter le son et
la généalogie de la protestation, tout en permettant aux étudiants de s’engager
dans un projet intellectuel de production de savoir. Le projet Ingoma Yomzaba-
lazo: Song as Struggle and Resistance Caucus13 illustre la manière dont les étudiants
ont eux-mêmes décidé de l’agenda de leur engagement intellectuel – à travers la
N° 75 - septembre 2017
musique – à ce moment historique de transformation de l’université. Lors d’une
réunion avec l’étudiant militant Mbe Mbhele de l’Université du Witwatersrand
et le collectif BLK Thought à Braamfontein (Johannesburg) le 16 octobre 2016,
Africa Open a proposé de financer la documentation des chants de protestation
étudiants, afin de les archiver comme matériaux pour de futures recherches. Bien
que cette initiative pour une documentation archivistique formelle ait été prise
par Africa Open, la discussion à Braamfontein a révélé que les étudiants du
collectif BLK Thought avaient depuis longtemps, et de leur propre initiative,
entrepris l’exploration intellectuelle et créative de la musique de protestation.
Ce qui leur avait fait défaut, cependant, avait été l’absence de reconnaissance
institutionnelle de l’importance de ce phénomène et des discussions l’entourant
dans la communauté étudiante. Ce manque de reconnaissance témoignait de
l’existence alors généralisée de perceptions, souvent erronées, du mouvement
étudiant comme un phénomène de foule destructeur et anti-intellectuel. Il
montrait également à quel point le rôle de la musique dans les évènements
sociopolitiques sud-africains contemporains demeurait incompris et sous-estimé
par la direction des universités. Suite à la réunion de Braamfontein, Mbhele a
fait part de la volonté du mouvement étudiant d’organiser un symposium pour
débattre de la direction à donner au projet. Ce symposium a été organisé le
27 octobre 2016 à Carfax (Newton, Johannesburg). Il a été filmé et enregistré
comme partie intégrante du plus important projet de documentation des chants
134 du mouvement étudiant.
Le 9 janvier 2017, Mbhele a envoyé à Africa Open une proposition pour
le projet Ingoma Yomzabalazo: Song as Struggle and Resistance Caucus. Le collectif
BLK Thought suggérait d’organiser un évènement sur trois jours dans la province
du Cap occidental dans les trois universités régionales (Université du Cap,
Université du Cap occidental et Université de Stellenbosch) et dans le township
de Kayelitsha14, qui inclurait des performances, des lectures, des débats et des
collaborations improvisées.
[L’initiative] cherche à trouver des voies pour parler de ce que le chant signifie
pour les populations noires au sein de la lutte et de quelle manière il peut être
ou a été utilisé comme méthode de résistance. Ce qui intéresse le conseil, c’est
de créer un dialogue entre les artistes sur le rôle des pratiques acoustiques des
populations noires dans la lutte. Autrement dit, le conseil souhaite créer une
communauté de pratiquants qui pourront interpréter, archiver et transmettre
cette « chose » qu’est le chant dans l’expérience de cette autre « chose » qu’est
d’être noir. Fondamentalement, le conseil cherche à trouver des moyens et des
mots pour souligner la vitalité de l’art nègre dans le projet décolonial.15
14. Le township de Kayelitsha, situé dans la métropole du Cap, est le deuxième plus grand township d’Afrique du
Sud. (Source : Wikipédia) (NdT)
15. Extrait du programme d’Ingoma Yomzabalazo.
16. Pan-African Space Station (PASS) en anglais, une station radio qui comprend : « un studio radio live périodique
et contextuel ; un espace de représentation et d’exposition ; une plateforme de recherche et une archive vivante,
ainsi qu’une chaîne de radio internet permanente ». [http://panafricanspacestation.org.za]
17. Groupe de musique fondé en 2015 à Johannesburg.
N° 75 - septembre 2017
créer un sentiment d’unité et de réconfort au sein d’une communauté vulnérable
et de forger un sentiment de solidarité entre les personnels de l’université et les
étudiants, inquiets de la violence institutionnelle et des réponses policières. D’un
point de vue formel, l’université n’a pas souhaité soutenir l’évènement par la
mise à disposition d’équipements ou un soutien financier. You’re in Chains Too
a donc proposé des performances musicales et poétiques comme expressions non
officielles de résistance et de solidarité, au sein d’une structure éducative essen-
tiellement tournée vers le maintien de l’ordre et dont la direction se souciait
principalement de préserver le concept de neutralité bureaucratique, dans un
contexte de troubles sociopolitiques et d’ébranlement du projet universitaire.
La présence de musiciens, de poètes et d’intellectuels plus âgés et
respectés, en interaction avec des jeunes musiciens, poètes militants et porte-
paroles du mouvement étudiant, a contribué à convertir ce lieu, pendant les
quatre heures du concert, en une sorte de vision alternative de l’université. Y ont
eu lieu : des interactions intergénérationnelles dans des performances collectives
(le batteur vétéran Louis Moholo-Moholo18 et le pianiste Kyle Shepherd19) ; des
discussions informelles constructives entre des intellectuels engagés chevronnés
(comme Lwasi Lushaba20) et des étudiants militants, notamment sur l’ambiguïté
entre les modes d’action et de protestation esthétiques et politiques ; et l’évocation
de moments antérieurs de lutte politique historique, en lien avec les préoccupa-
tions contemporaines (la poésie de Lesego Rampolokeng 21 en association impro-
136 visée avec Louis Moholo-Moholo). Mais, si cet espace tout entier résonnait de
critique, de douleur, de création, de peur, d’engagement, de colère et de toute
une gamme d’émotions et de sensibilités convoquées par la poésie et la musique
afin de tenter de faire face à la crise sociopolitique en train de balayer les univer-
sités sud-africaines, il était également confiné territorialement par une surveil-
lance rapprochée du périmètre de l’église par l’université et par des interventions
violentes d’une force de sécurité menaçante, comme lors de l’envoi d’un véhicule
blindé afin d’intimider les étudiants qui arrivaient à l’église en chantant.
Le concert You’re in Chains Too est par ailleurs venu illustrer les limites
des tentatives de mise en scène des processus d’apprentissage ou de catharsis à
travers la musique, en tant que programme officiel organisé d’interactions pres-
crites. La perturbation de l’évènement par des étudiants protestant contre la perfor-
mance d’une personne blanche (l’écrivaine Stacy Hardy22) exprimant la souffrance
de la violence sexuelle en usant de la métaphore de la brutalité policière, dans sa
lecture intitulée « Indecent Exposure »23, a constitué un point de rupture critique,
18. Louis Tebogo Moholo (né en 1940), batteur jazz du groupe The Blue Notes.
19. Kyle Shepherd (né en 1987), pianiste et compositeur jazz primé.
20. Maître de conférences en sciences politiques à l’Université du Cap.
21. Lesoko Rampolokeng (né en 1975) est un écrivain, dramaturge et poète-performer sud-africain qui travaille
actuellement à l’Université de Rhodes à Grahamstown (Afrique du Sud).
22. Stacy Hardy (née en 1987) est écrivaine et journaliste ; elle travaille à l’Université de Rhodes à Grahamstown
(Afrique du Sud).
23. Exposition indécente. (NdT)
mettant à rude épreuve l’idée que l’espace esthétique puisse être dissocié ou puisse
agir en tant que médiateur de tensions théoriques et politiques parvenues à un tel
point de radicalisation qu’elles basculent souvent dans la violence. Fait marquant
toutefois, cette perturbation elle-même est devenue un catalyseur permettant aux
étudiants d’intervenir sur l’importance de la musique en tant qu’héritage de lutte
et de protestation. Athabile Nonxuba, étudiant à l’Université du Cap, emprisonné
à double reprise pour son implication dans les manifestations autour du mouvement
Rhodes Must Fall, a pris la parole et livré une conférence sur l’importance histo-
rique du jazz dans la lutte pour la libération de l’Afrique du Sud et de figures
comme Louis Moholo-Moholo et Lesego Rampolokeng, parvenant ainsi à
convaincre les étudiants que la musique, les artistes, cet espace et les perfor-
mances qui s’y déroulaient leur appartenaient. Il a défendu, face à un public
récalcitrant, l’idée qu’il fallait permettre à la musique de continuer, et donc au
concert de reprendre avec Nduduzo Makhathini (pianiste), Afurakan24 (poète)
et Louis Moholo-Moholo, en duo avec Lesego Rampolokeng.
Les débats ultérieurs autour de cet évènement sur les réseaux sociaux
ont révélé l’importance de la musique dans la conscience sociale et politique du
pays. Ils ont également permis d’ouvrir une discussion entre les différentes
opinions présentes au sein du mouvement étudiant et d’exposer les tensions
existantes, donnant par là même un aperçu fascinant des affrontements intellec-
tuels et esthétiques qui font du Fallism 25 un mouvement philosophique d’une
telle importance en Afrique du Sud. Le poète-slameur Afurakan a vivement 137
critiqué le rôle des personnes noires dans la lutte en cours, tandis que Ta Mara
Mandisi Gladile, responsable de la perturbation du concert, soulignait une
logique afro-pessimiste radicale (« nous avons empêché une personne blanche
de nous parler, cette action en elle-même a des implications politiques et cultu-
relles et nous renforce en tant que noirs », a-t-il écrit sur les réseaux sociaux).
N
Les trois exemples analysés ci-dessus – transformation structurelle dans
un environnement universitaire, documentation archivistique de la protestation
et expression non autorisée d’une solidarité politique – pointent différentes
fonctions de la musique comme catalyseur de lien social dans l’enseignement
supérieur sud-africain, à un moment d’instabilité et de mécontentement. La
manière dont la lutte et la protestation politiques sont inscrites dans la musique
est caractéristique d’une pratique musicale comme forme d’expression informelle
dans de nombreux milieux sociaux sud-africains, et l’importance de la musique
N° 75 - septembre 2017
dans l’expression du mécontentement des étudiants ne fait pas exception. Les
nombreux défis auxquels est confronté l’enseignement supérieur sud-africain ne
pourront être résolus par des activités musicales ou par un intérêt savant dans
ces activités, mais l’omniprésence de la musique dans l’auto-expression et les
stratégies des étudiants indique que la musique et les réflexions sur les pratiques
musicales sont cruciales pour, à la fois, comprendre et exprimer la transmission
intergénérationnelle du traumatisme, mais également faire progresser la démo-
cratisation des moyens d’expression, affirmer des identités marginales et permettre
la revendication de l’espace par le corps social noir. Le projet Ingoma Yomzabalazo
n’a pas seulement démontré l’importance de la musique pour favoriser la cohésion
sociale parmi les étudiants eux-mêmes lors des actions de protestation, mais
également la manière dont il est possible d’agir sur l’aliénation des étudiants à
l’université par la reconnaissance et l’engagement en faveur de l’importance de
cette cohésion musicale dans un cadre éducatif. Le concert You’re in Chains Too,
quant à lui, a permis une compréhension de l’espace scénique comme espace de
conservation pour l’expression musicale d’identités contestées par les étudiants
ou d’autres militants politiques ; expressions susceptibles de susciter des réponses
violentes dans des contextes éducatifs par ailleurs vivement contestés. Dans les
deux cas, le rôle de la musique a été primordial pour créer des espaces d’iden-
tification et de cohésion sociale dans un contexte éducatif extrêmement contesté.
Ainsi, ces temps de crise dans l’enseignement supérieur sud-africains sont
138 également l’opportunité de restaurer la compréhension du rôle joué par
la musique dans les luttes sociopolitiques sud-africaines, en affirmant que la
musique et la recherche musicale sont essentielles à la réflexion sur des solutions
éducatives en Afrique du Sud.
Bibliographie
DE JONGH S. (2015) : « Armed with a light bulb at the end of a cord: the ten-year
journey of DOMUS », Fontes Artis Musicae n° 62:3, p. 212-221.
GROVÉ J. I. (coord.) (2005) : « Konservatorium 1905-2005: die Departement Musiek
en die Konservatorium aan die Universiteit Stellenbosch by geleentheid van die
Eeufees 1905-2005 », African Sun Media.
MULLER S. (2016) : « Openings », Sun Media. [en ligne] [https://goo.gl/UQ18jV]
MULLER S., FRONEMAN W. (2015) : « Crisis? What Crisis? », éditorial du South
African Music Studies, n° 34/35, p. vii-xviii.
STOLP M. (2016) : « Report to the academy: power and ethics in humanities
research », Acta Academica n° 48:1, p. 1-26.
WALTON R. C. (2007) : « Review of Konservatorium 1905-2005: die Departement
Musiek en die Konservatorium aan die Universiteit Stellenbosch by geleentheid van
die Eeufees 1905-2005 », in Notes n° 64/2, p. 318-20.
El Sistema à la croisée
des chemins
Principes et perspectives d’un réseau mondial
Maria Majno*
Association SONG onlus Sistema in Lombardia,
Sistema Europe
* Maria Majno exprime ses plus vifs remerciements à Chara Iacovidou, Isabelle Joris et Michel Starobinski pour leurs
précieuses observations.
1. « Et dans le “comment” se trouve toute la différence ».
2. Les structures fonctionnelles, éducatives, artistiques et administratives d’El Sistema sont appelées « noyau ».
3. L’enregistrement de la Première Symphonie de Mahler par l’Orquesta Infantil sous la direction de Sir Simon Rattle
(Unitel, 2013) compte parmi les documents les plus convaincants d’une qualité interprétative qui ne craint guère les
comparaisons.
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Auparavant, les résultats d’El Sistema ont été indéniables : El Sistema a
mobilisé au Venezuela jusqu’à 700 000 jeunes par an, et trois fois plus si l’on prend
en compte la totalité de son histoire. Certes, tous ne sont pas devenus musiciens
mais il est évident qu’une telle masse a dû laisser des traces positives. C’est donc
plutôt sur le plan international qu’il faut chercher à situer aujourd’hui l’héritage
de José Antonio Abreu. Le fondateur d’El Sistema a incontestablement sa place
parmi les personnages ayant le plus contribué aux fondements, à la pratique, à la
réflexion sur l’éducation musicale de notre époque.
L’actualisation
des principes fondateurs
Le fait que la pratique musicale d’ensemble est le meilleur foyer de
démocratie et de progrès est le premier présupposé de El Sistema.
Par essence, l’orchestre et le chœur sont bien plus que des structures artistiques.
Ce sont des exemples et des écoles de vie sociale, car chanter et jouer ensemble
comporte une coexistence profonde qui tend vers la perfection et l’excellence
[…]. (Abreu, 2009)
4. Voir : www.fundamusical.org.ve/
1. Une mission
de changement social
Tocar y Luchar (« jouer et lutter ») : les deux verbes de cette devise
éclairent différemment les objectifs culturels et sociaux d’El Sistema, selon les
contextes respectifs. Si El Sistema est né au Venezuela comme une contre-
proposition à la dégradation et à la tentation de la violence, sa dimension de 141
lutte et de résistance se traduit en « jeu », dans d’autres langues, sans pour cela
renoncer à la dimension d’engagement. Ainsi, la pratique instrumentale évoquée
par « tocar » rappelle tangiblement le pouvoir émotionnel direct de la musique,
sa capacité à « toucher » immédiatement, au point que l’Orquestra Geraçaõ –
Sistema Portugal en a tiré sa devise : « Aprendendo música, para tocar vídas ».
2. Accès et excellence :
dépasser la dichotomie
Les conditions premières dans le projet d’origine sont l’absence de
sélection et la gratuité : impliquer le plus grand nombre possible d’enfants sans
demander de contribution financière et en même temps viser le sommet, avec
l’ambition de l’excellence. Le contraste entre ces finalités a longtemps dominé
le débat, jusqu’à risquer de polariser les approches entre le but « musical » et le
but « social ». La radicalisation d’un tel raisonnement peut conduire au refus des
« niveaux » qui jouent une part essentielle dans l’idée de croissance implicite
dans l’éducation. Maintes initiatives inspirées par El Sistema ont résolu la quadra-
ture du cercle en recourant à un critère de qualité également apte à assurer la
motivation des participants : pas de progrès sans persévérance, pas de
N° 75 - septembre 2017
persévérance sans la satisfaction d’augmenter ses possibilités et la richesse des
résultats. L’image de la pyramide convient aussi bien au modèle qu’à ses dériva-
tions : les deux mots clé s’imbriquent facilement dans le but d’une construction
à la fois solide et élevée6.
3. L’environnement du núcleo
comme ambiance et contexte
Les centres didactiques d’El Sistema sont nés comme une gigantesque
« permanence » après-scolaire proposant une alternative aux risques de la rue
dans les Barrios : violence, crime, danger de mort. Cette coexistence physique
crée un havre de sécurité, fermé à la force mais ouvert à la communauté. Dans
d’autres pays, moins affectés par cette absence d’opportunités, l’image du noyau
représente bien l’échange entre le centre et les alentours, les protagonistes de
l’apprentissage et ceux qui les soutiennent, dans une atmosphère de solidarité
productive et engagée. Même les écoles de musique préexistantes ont voulu se
transformer. Les méthodes traditionnelles se sont hybridées avec les innovations
de l’enseignement collectif, élargissant ainsi les horizons pédagogiques avec des
adaptations propres au milieu égalitaire. Ce n’est pas un hasard si le plus authen-
tique Nucleo en Lombardie s’est développé dans un centre social nommé
« Barrios ».
142 4. Intensité, fréquence
des performances publiques :
la contagion de la collectivité
L’intensité et la fréquence de la pratique dans les núcleos au Venezuela
ont attiré autant – sinon plus – de critiques que d’approbation. Quatre heures
par jour, six jours par semaine, sans compter les séminaires et les répétitions
exceptionnelles offrent une cible évidente pour la critique, qui voit dans cette
ténacité un jeu de pouvoir dissimulé. Toutefois, cette cadence soutenue s’avère
indispensable pour assurer de le progrès à démontrer en public (voir point 8).
5. Utilisation de l’ensemble :
le paradoxe des talents
intégrés
Simultanément, l’enseignement de groupe permet une éducation à la
vie collective avec ses règles, et offre une ressource moins coûteuse pour toucher
le plus grand nombre. Ainsi, selon le principe du « peer teaching & learning »,
l’enseignement et l’apprentissage par les pairs, toute compétence apprise est aussi
6. L’éventail des « Sept Dimensions » élaboré pour la pédagogie commune propédeutique aux projets du SEYO -
Sistema Europe Youth Orchestra (Drive & Dance, Flow, Love in Sound…) a été conçu délibérément pour être appliqué
aussi bien aux instrumentistes juniors qu’aux plus avancés (www.sistemaeurope.org/seyo).
apte à être enseignée, et celui qui sait jouer quatre notes sera encouragé à les
transmettre à celui qui en sait deux. Des enquêtes récentes se sont donné pour
but de mesurer les bénéfices de la musique d’ensemble en fonction du style de
répétition, des sources de perception multiple, de la tolérance à la réitération,
de l’attention distribuée, de l’accélération de l’empathie (Brice Heath, 2016). Il
ne faut toutefois pas oublier les besoins de l’individu, surtout s’il montre du
talent. L’un des problèmes les plus fréquemment discutés est précisément la
compatibilité avec l’enseignement individuel, indispensable tôt ou tard pour les
talents les plus manifestes. Une solution consiste alors à faire de l’attention parti-
culière une récompense non exclusive mais valorisante.
6. Le modèle CATS :
Citizen Artist Teacher Scholar
L’un des résultats des premiers « Abreu Fellows » est l’élaboration du
quadrilatère qui définit le rôle de ceux qui guident la formation dans le contexte
d’El Sistema : l’enseignant musicien agit en même temps dans le sillage des
teaching artists, qui trouvent dans leur vocation éducative une motivation ulté-
rieure à leur engagement esthétique et social (Booth, 2009). À ces acteurs éclec-
tiques vient s’ajouter une troisième dimension, qui comporte des visées ultérieures
de recherche (scholars). Enfin, des passerelles se construisent en direction des
citizen artists (artistes citoyens), dont on observe l’essor et qui font écho concrè-
143
tement à une phrase d’Abreu souvent citée comme point de départ d’El Sistema :
Nous ne cherchons pas à former de bons musiciens mais de meilleurs citoyens.
7. Les enseignants des différents projets Sistema tendent à leur tour à adapter les méthodes de didactique musicale
à leurs propres styles et environnements, le plus souvent en s’inspirant des approches de Dalcroze, Kodály, Orff et
Suzuki.
N° 75 - septembre 2017
8. L’implication de la famille
et de la collectivité
Parmi les ingrédients de la réussite du Sistema, l’appui de la famille – et
celui de l’école – est fondamental dans toutes ses phases : l’impulsion au démar-
rage, le dépassement des obstacles, la stabilisation de l’effort, la dynamique de
l’ambition. C’est le public qui apprécie et récompense, dans un cercle de moti-
vation réciproque. Mais la proximité des familles est aussi un outil puissant pour
rapprocher et construire le public de demain : les préjugés contre la musique
« savante » se voient bien mieux combattus par cette complicité instinctive que
par des interventions exogènes. La discipline quotidienne est allégée par le corol-
laire de performances publiques fréquentes. Celles-ci ne sont pas perçues comme
des épreuves redoutables mais plutôt comme des occasions de mettre en valeur
les acquis, donnant lieu à une sorte de contagion réciproque entre exécutants et
nouveaux auditeurs, conquis par la découverte expressive d’émotions révélées.
INTÉGRATION
SOCIALE
145
ÉDUCATION
QUALITÉ
MUSICALE ARTISTIQUE
SENSIBILISATION
CULTURELLE
De la critique
à la perspective
Cela faisait presque quarante ans qu’on disait du bien d’El Sistema, et
il était certainement temps d’engager une discussion objective sur l’ensemble de
ses démarches et de ses résultats. Ceci à plus forte raison considérant son expan-
sion à cinq continents (la Russie semble être le seul grand État sans projet inspiré
d’El Sistema). Cette tâche critique a été assumée par Geoff Baker, enseignant-
N° 75 - septembre 2017
chercheur spécialisé dans les musiques latino-américaines. Son ouvrage El Sistema
– Orchestrating Venezuela’s Youth (2014) expose le parcours entre l’enthousiasme
initial et la découverte d’abîmes négatifs lors son enquête au Venezuela. 8 Ses
critiques ont eu un grand retentissement, mais les défenseurs d’El Sistema ont
souligné de leur coté, les limites d’une recherche « ethnographique » qui procède
sur la base d’une imbrication étroite entre le chercheur et le terrain concerné
(Kenyon, 2015). La querelle se poursuit mais les arguments invoqués s’usent au
fur et à mesure que le temps passe9 et, en 2017, Baker a déclaré sur son blog :
« je ne pense pas, une seule seconde, qu’El Sistema manque d’aspects positifs ».
Plus que jamais, le dialogue doit donc rester concret, ouvert à une
révision constante, voire radicale, mais constructive. Il faut admettre que tout
pouvoir comporte un risque d’instrumentalisation et, dans ce contexte, on a vu
émerger des formulations centrées sur les « droits », comme les travaux du
Salzburg Global Seminar n. 479 (2011), qui ont donné lieu à la déclaration
« The Value of Music: The Right to Play. »
C’est l’élan pour contribuer à l’établissement de ce droit, bien plus qu’à
une dynamique de pouvoir, qui se révèle capable d’éveiller la motivation solidaire
des orchestres et des salles de concerts, et des artistes sensibilisés. Ces alliés sont
fondamentaux aussi bien pour la diffusion que pour la qualité du projet
El Sistema, et un panorama de leurs contributions devrait faire l’objet d’une
étude ultérieure ; nous en donnons des exemples en fin d’article.10
146 Une autre alliance prometteuse est celle des scientifiques. Nous nous
bornerons ici à évoquer la série de congrès « Neuromusic », et le bulletin élec-
tronique bimensuel Neuromusic News, gérés par la Fondazione Mariani pour la
neurologie pédiatrique. Lors du dernier congrès, à Boston sur le thème « Music,
Sound and Health », une session entière a été consacrée aux bénéfices extra-
musicaux de l’apprentissage musical, dont trois exposés ont touché de près le
contexte d’El Sistema.
Le milieu scolaire et parascolaire offre la pépinière la plus adaptée pour
ce genre d’études. Dans le cadre du Sistema en Lombardie, The San Siro Project:
musical training, cognitive and emotional development (Danelli, Paulesu et al.,
en cours d’élaboration) examine justement l’évolution des adolescents entre 11
et 14 ans dans une étude longitudinale concernant les axes cognitivo-émotionnel,
comportemental et socio-culturel.
8. Rappelons que le point de départ de Baker est une contestation de fond de la structure de l’orchestre comme
modèle de collaboration et de démocratie : il y voit au contraire un chaudron pour des jeux de pouvoir malsains. Ce
présupposé est en effet difficilement réconciliable avec la conception valorisante des ensembles musicaux comme
foyers d’écoute, de respect réciproque et d’intentions synergiques.
9. Voir le site de Jonathan Govias, par exemple.
10. La détermination de Claudio Abbado constitue probablement l’exemple le plus éloquent de force de rassem-
blement à cet égard, puisqu’il a soutenu l’introduction et le développement d’un Sistema national pour l’Italie
(Abbado, 2012), mais aussi pour l’Europe, compte tenu de son engagement pour les orchestres de jeunes Mahler
Jugendorchester et European Union Youth Orchestra.
Bibliographie
ABBADO C. (2012) : Préface à A. RADAELLI, La musica salva la vita, Milan :
Feltrinelli.
ABREU J.A. (2009) : Discours pour la réception du Prix TED. [https://goo.gl/BGsyas] ;
[https://goo.gl/i34w2q]
ABREU J.A. (2013) : Discours d’inauguration du Festival de Salzbourg.
[https://www.youtube.com/watch?v=VTjfx2mp-XI]
BAKER G. (2014) : El Sistema: Orchestrating Venezuela’s Youth, Oxford, UK: Oxford
BOOTH E. (2009, 2013, 2017) : [http://ericbooth.net/category/el-sistema]
BRICE HEATH S. (2016) : « The Benefits of Ensemble Music Experience (and why
These Benefits Matter so Much in Underserved Communities) » in El Sistema – Music
for Social Change, C. Witkowski (ed.), London, New York: Omnibus Press, p. 73-88.
11. Parmi les articles récents et prometteurs, quoique provisoires, nous citons celui du partenariat Longy School –
Bard College / WolfBrown, relié au réseau de Sistema USA. [https://goo.gl/LZF3q1/] ; [https://goo.gl/Sjid1x/].
12. Il est impressionnant de lire, dans le dossier de presse sur la « Nouvelle ambition de déploiement national 2016-
2019 » du projet Démos de la Philharmonie de Paris, que le coût annuel pour un orchestre est estimé à 260 000 Euros.
Ce montant correspond, dans d’autres environnements, au budget annuel d’un réseau national tout entier.
N° 75 - septembre 2017
KENYON N. (2015) : « The Triumph of a Musical Adventure », The New York Review
of Books, 24 septembre 2015, p. 74-76.
MARCUS M. (2017) : « Sistema Europe: Origins, Approaches and Diversity » (power-
point) : [https://marshallmarcus.wordpress.com/PDP2017]
SALZBURG GLOBAL SEMINAR (2011) : The Value of Music: The Right to Play,
[https://goo.gl/Pta7fG]
TUNSTALL T. & BOOTH E. (2016) : Playing for Their Lives – The Global El Sistema
Movement for Social Change Through Music, New York, NY : W.W. Norton.
Sources d’information
complémentaires
Artistes et organisations
Fondation Katia et Marielle Labèque : [http://www.fondazionekml.org]
Göteborg Symphony Side By Side: [https://www.gso.se/en/barn-unga/side-by-side]
Los Angeles Phiharmonic, YOLA at HOLA: [https://www.laphil.com/education/yola/hola]
Philharmonie de Paris, Démos : [http://demos.philharmoniedeparis.fr]
Congrès et conférences
Take a Stand (Los Angeles Philharmonic) : [https://goo.gl/TGhRXS]
Recherche
Porticus – CAL Community Arts Lab : [https://www.porticus.com/en/home]
SERA – Sistema Evaluation and Research Archive : [https://goo.gl/fc9Arv]
SIMM Social Impact of Making Music (Guildhall School Music) : [https://goo.gl/Bkon7r]
Sistema Global Review I & II : [http://sistemaglobal.org/literature-review]
Réseaux et ressources
Sistema Connect : [http://www.sistemaconnect.org]
Sistema Europe : [www.sistemaeurope.org]
Sistema Global : [www.sistemaglobal.org] ; [http://sistemaglobal.org/resources]
Sistema USA : [https://www.elsistemausa.org]
Références
bibliographiques
du dossier « musique
et éducation »
Hélène Beaucher
Centre de ressources et d’ingénierie
documentaires, CIEP
L’étude scientifique du cerveau et l’intérêt pour les activités artistiques en neurosciences sont
très récents. Ils montrent que la musique s’enracine profondément dans notre cerveau et suggère
de nombreuses implications pour l’éducation. La pratique musicale a-t-elle des effets positifs
sur les compétences non artistiques ? Quelle est la place de la musique dans les politiques
publiques ? Quelles sont les expériences en faveur de l’accès des jeunes à la musique ?
Cette bibliographie concerne en majorité des travaux produits ces dix dernières années sur ce
sujet. La première partie vise à apporter des éléments de réflexion sur les enjeux sociaux,
culturels et politiques de la musique. La deuxième partie propose des ouvrages et articles sur
le thème « cerveau, musique et émotions ». La troisième partie présente une sélection d’études
examinant les impacts de la musique sur les compétences cognitives, comportementales et
sociales. Les dernières parties fournissent un aperçu des politiques, pratiques et dispositifs
d’apprentissage de la musique, avec un focus sur le développement international des orchestres
et chorales d’enfants. Les résumés sont, pour l’essentiel, ceux des éditeurs ou des revues. Biblio-
graphie arrêtée le 15 juillet 2017. 149
N° 75 - septembre 2017
contributions adoptent des perspectives politiques, pédagogiques et humanistes, pour aborder
l’enseignement de la musique en tant que pratique démocratique à la fois à l’école et dans la
formation des enseignants.
La musique
dans les sociétés traditionnelles
GUILLEBAUD Christine, Le chant des serpents musiciens itinérants du Kerala,
CNRS/Paris, 2008, 384 p. + DVD-ROM
Officiants de rituels domestiques, chanteurs au porte-à-porte, contractuels à la radio d’État,
etc., les musiciens itinérants du Kerala (Inde du Sud) pratiquent leur art selon des codes sans
cesse redéfinis. Pour comprendre la vie musicale de ces musiciens, il est indispensable de consi-
dérer leur musique « dans tous ses états » (pratiques, discours, espaces et relations sociales).
L’auteure propose de reconsidérer les rapports entre musique et société, en prenant comme
axe d’observation la mobilité des musiciens et leur relation commune, via ce service musical
et rituel de traitement des maux et des infortunes, à des commanditaires de caste supérieure.
LONCKE Sandrine, Geerewol : musique, danse et lien social chez les Peuls
nomades woddabe du Niger, Société d’ethnologie/Paris, 2015, 416 p. + DVD-ROM
Au cœur du Sahel nigérien, des milliers de Peuls nomades wodaabe se réunissent chaque année
pour un rassemblement cérémoniel, dont le rituel est appelé geerewol. Deux fractions de lignages
différents se livrent une guerre dont les seules armes sont le chant et la danse. Comment la
musique et la danse sont-elles l’expression esthétique de différentes manières d’être ensemble ?
Pourquoi le rituel et la performance artistique collective sont-ils des espaces privilégiés pour
faire société ? L’enquête conduit au cœur des représentations culturelles et des conceptions
esthétiques de cette société ouest-africaine d’éleveurs nomades.
BIGAND Emmanuel dir., TILMANN Barbara dir., PERETZ Isabelle dir., et al.,
« The neurosciences and music V: cognitive stimulation and rehabilitation »,
Annals of the New York Academy of sciences, n° 1337, mars 2015, p. 1-271
Ce volume propose un panorama complet des études neuroscientifiques actuelles concernant
les effets de la musique sur le cerveau, et des implications sociales qui en découlent pour
l’éducation et la santé.
BIGAND Emmanuel dir., HABIB Michel dir., BRUN Vincent dir., Musique et
cerveau : nouveaux concepts, nouvelles applications, Sauramps Médical/
Montpellier, 2012, 135 p.
La littérature scientifique s’est enrichie ces dernières décennies de très nombreux travaux préci-
sant les effets de la musique sur le cerveau. L’objectif de cet ouvrage est d’illustrer ces connais-
sances et ces débats pour quelques-uns des domaines les plus marquants de la recherche
scientifique médicale, avec des applications thérapeutiques maintenant reconnues, mais aussi
avec un large champ de perspectives pour l’avenir.
N° 75 - septembre 2017
HABIB Michel, BESSON Mireille, « Langage, musique et plasticité cérébrale :
perspectives pour la rééducation », Revue de neuropsychologie, 2008, vol. 18,
n° 1-2, p. 103-126
L’expertise musicale est associée à des particularités qui ont pu être révélées grâce aux moyens
de neuro-imagerie. Elles concernent plusieurs régions toutes impliquées soit dans le contrôle
moteur du geste soit dans les fonctions audio-perceptives. L’apprentissage de la musique possède
des effets plus généraux sur la plasticité cérébrale. Les implications sont discutées, avec comme
perspective l’utilisation de l’entraînement musical chez des enfants souffrant de troubles
spécifiques d’apprentissage du langage et de la lecture.
KOLINSKY Régine dir., MORAIS José dir., PERETZ Isabelle dir., Musique, langage,
émotion : approche neuro-cognitive, Presses universitaires de Rennes/Rennes,
mai 2010, 127 p.
À la croisée de plusieurs disciplines – psychologie, psychologie cognitive, psycholinguistique,
neuropsychologie, neurosciences, musique – cet ouvrage illustre le foisonnement récent des
connaissances neuroscientifiques sur la musique et ses relations avec le langage et les émotions.
Les auteurs abordent la perception des structures musicales dans ses relations avec le langage,
le rôle et l’importance des émotions dans la musique ainsi que les éventuels dysfonctionnements
du traitement de ces émotions.
KRAUS Nina, SLATER Jessica, THOMPSON Elaine C., et al., « Music enrichment
programs improve the neural encoding of speech in at-risk children », The
journal of neurosciences, 2014, vol. 4, n° 36, p. 11913-11918 [en ligne]
152 L’équipe de chercheurs de l’école de communication de la Northwestern University de Chicago
a analysé in situ l’évolution de la perception sonore par le cerveau des enfants participant
pendant au moins deux ans à un programme de formation musicale. L’étude fournit les preuves
concrètes de l’évolution neurobiologique du cerveau de ces enfants. Elle démontre que l’appren-
tissage de la musique peut littéralement remodeler le cerveau d’un enfant de façon à améliorer
sa réception sonore, ce qui améliore automatiquement ses aptitudes d’apprentissage et d’acqui-
sition du langage. [http://bit.ly/1w919qx]
LEMAN Marc, Embodied music cognition and mediation technology, MIT Press/
Cambridge MA, 2008, 297 p.
S’appuyant sur des travaux issus de la recherche en informatique, psychologie, neurosciences
et musicologie, l’ouvrage propose une théorie sur l’incarnation de la cognition musicale. Le
corps humain agirait comme un médiateur entre l’esprit et le monde physique, musical. L’expé-
rience musicale serait basée sur une interaction entre le la musique et le corps. Il présente un
modèle qui décrit la relation entre un sujet humain et son environnement ; il analyse le couplage
perception/action, explore différents niveaux d’engagement du corps et examine les applications
possibles.
LAURET Jean-Marc, L’art fait-il grandir l’enfant ? Essai sur l’évaluation artis-
tique et culturelle, Éditions de l’Attribut/Toulouse, 2014, 160 p.
Souvent reléguée après les apprentissages fondamentaux, l’éducation artistique et culturelle ne
va pas de soi. Ses objectifs peuvent diverger : réussite scolaire, intégration professionnelle ou
épanouissement personnel. L’ouvrage propose une synthèse des recherches menées depuis une
trentaine d’années, principalement aux États-Unis, en matière d’évaluation artistique et
culturelle. Il privilégie une approche qualitative, en s’appuyant sur les compétences forgées
par l’éducation artistique : créativité, imagination, confiance personnelle, concentration,
faculté d’apprentissage, estime de soi, ouverture à l’autre, prise de conscience de son
environnement.
N° 75 - septembre 2017
WINNER Ellen, GOLDSTEIN Thalia R., VINCENT-LANCRIN Stéphane, L’art
pour l’art ? L’impact de l’éducation artistique, OCDE/Paris, 2014, 300 p.
L’éducation artistique est souvent considérée comme un moyen de développer des compétences
essentielles pour l’innovation : pensée critique et créative, motivation, confiance en soi, capacité
à communiquer et coopérer, mais aussi des compétences dans des disciplines scolaires non
artistiques. L’ouvrage a pour objectif d’évaluer l’impact de l’éducation artistique sur un vaste
éventail de compétences, en examinant de manière critique l’ensemble des travaux de recherche
menés actuellement dans le domaine de l’éducation et de la psychologie. Les différents types
d’éducation artistique étudiés comprennent l’enseignement des arts dans le cadre scolaire
(musique, arts plastiques, théâtre et danse), et hors du cadre scolaire.
Compétences sociales
KIRSCHNER Sebastian, TOMASELLO Michael, « Joint music making promotes
prosocial behavior in 4-year-old children », Evolution and human behavior,
vol. 31, 2010, p. 354-364 [en ligne]
Dans les cultures traditionnelles, la musique et la danse font souvent partie intégrante de
cérémonies de groupe importantes ; l’une des hypothèses est que la musique favoriserait le lien
social, la cohésion du groupe et la coopération. Des enfants de 4 ans participant à une formation
musicale en groupe pendant dix mois ont été comparés un groupe témoin de même statut
socio-économique. Les enfants du groupe de musique étaient plus susceptibles d’aider spon-
tanément un autre enfant. Les résultats suggèrent que la formation musicale en groupe facilite
le développement des compétences prosociales. [http://bit.ly/2uhz578]
Politiques et initiatives
d’apprentissage
de la musique
Politique internationale
et européenne
DUDT Simone, « From Seoul to Bonn: a journey through international and Euro-
pean music education policies », in Listen out: International perspectives on
music education, HARRISON Chris dir., HENNESSY Sarah dir., Musik Mark/
London, 2012, p. 126-137 [en ligne]
L’auteure examine les contextes de politique culturelle internationaux et européens pour
l’éducation musicale. Elle explore les stratégies développées par l’Unesco en matière d’éducation
artistique et fournit un aperçu des politiques en place au niveau de l’Union européenne.
[http://bit.ly/2selXgP]
N° 75 - septembre 2017
EMC : European Music Council, La Déclaration de Bonn : une adaptation de
l’Agenda de Séoul dans le contexte européen de la musique, EMC/Bonn, 2011,
5 p. [en ligne]
En mai 2011, le Conseil européen de la musique (CEM) a invité des structures actives dans le
domaine de l’éducation musicale à discuter de la mise en œuvre des objectifs pour le dévelop-
pement de l’éducation artistique inclus dans l’Agenda de Séoul. La Déclaration de Bonn reflète
les arguments de l’Agenda et interprète ces objectifs en mettant l’accent sur l’enseignement de
la musique en Europe. [http://bit.ly/2siYdfg]
Études transnationales
COX Gordon dir., ROBIN Stevens dir., The origins and foundations of music
education cross-cultural historical studies of music in compulsory schooling,
Continuum/London, 2010, 256 p.
156 L’ouvrage explore les origines et les fondements de l’éducation musicale et examine son inté-
gration dans le curriculum de l’enseignement scolaire en Europe (Grande-Bretagne, France,
Allemagne, Irlande, Norvège, Espagne), en Amérique du Nord (Canada, États-Unis), en
Amérique latine (Argentine, Cuba), en Afrique, et en Asie-Pacifique (Australie, Chine, Japon,
Afrique du Sud). Les différentes contributions analysent, dans le contexte politique et social
de chaque pays, les objectifs et contenus du programme d’enseignement, les méthodes péda-
gogiques, la formation des enseignants et les expériences des élèves.
Politiques
et pratiques nationales
BMBF: Bundesministerium für Bildung und Forschung, Instrumentalunterricht
in der Grundschule: Prozess- und Wirkungsanalysen zum Programm Jedem
Kind ein Instrument, BMBF/Berlin, 2015, 292 p. [en ligne]
Dispensé dans des écoles primaires, en Rhénanie du Nord – Westphalie depuis 2008, puis
à Hambourg, le programme JeKi – Jedem Kind ein Instrument a pour objectif de permettre à
chaque enfant d’apprendre à jouer d’un instrument de musique. Il repose sur un partenariat
local entre un établissement scolaire et un conservatoire de musique, dans une logique
d’initiation à la pratique instrumentale, vocale ou chorégraphique, en groupe. Ce rapport
présente les résultats scientifiques des projets de recherche sur JeKi financés par le BMBF selon
quatre perspectives : les effets de l’enseignement instrumental à l’école primaire, la coopération
entre l’école de musique et les enseignants, la qualité de l’enseignement. [http://bit.ly/2svfpj6]
OFSTED: Office for standards in education children’s services and skills, Music in
schools: what hubs must do, OFSTED/London, 2013, 23 p. [en ligne]
Les Music Education Hubs ont été mis en place en 2012 dans le cadre du plan national
d’éducation musicale britannique. Ces centres agissent localement, en regroupant et coordon-
nant les partenariats entre écoles, autorités locales, structures associatives et professionnelles,
afin de répondre aux besoins d’un territoire ou d’une communauté. Le rapport précise que les
Music Hubs ont insufflé une vitalité et une énergie nouvelles ainsi qu’une méthode collaborative
dans le travail avec les jeunes. Il souligne de grandes disparités entre les différentes régions.
[http://bit.ly/2uyyrS0]
UIBEL Stefanie, « Education through music – the model of the Musikkinder- 157
garten Berlin », Annals of the New York Academy of Sciences, vol. 1252, 2012,
p. 51-55
L’auteure présente le Musikkindergarten de Berlin, créé en 2005 à l’initiative du pianiste et chef
d’orchestre Daniel Barenboïm. Plus qu’un simple éveil musical, ce jardin d’enfants propose
une véritable éducation par la musique. Les enseignants spécialement formés travaillent en
étroite collaboration avec les musiciens de la Staatskapelle. Tous les projets développés passent
par la musique.
France
BONNERY Stéphane coordinateur, « L’enseignement de la musique, entre insti-
tution scolaire et conservatoires », Revue française de pédagogie, n° 185, 2013,
p. 5-68 [en ligne]
Ce dossier explore les nouvelles formes curriculaires de l’enseignement de la musique, à l’école
et dans les conservatoires : dans les cours d’éducation musicale de l’enseignement secondaire ;
N° 75 - septembre 2017
dans les projets partenariaux destinés aux élèves de l’enseignement secondaire ; dans les dépar-
tements de « musiques actuelles » des conservatoires qui accueillent des adolescents et des
jeunes adultes ; et dans les dispositifs partenariaux d’éveil musical, destinés aux tout petits
enfants et à leurs parents. [http://bit.ly/2sd8iHK]
CHONG Hyuan Ju, KIM Soo Ji, « Development of school orchestra model in
Korean public schools and student’s perception of the orchestra experience »,
IJEA: International journal of education & the arts, 2016, vol. 17, n° 35, p. 1-17
[en ligne]
En 2011, le ministère de l’éducation coréen a lancé le projet d’orchestre à l’école SOP (School
orchestra project), afin de développer des programmes pour les élèves identifiés à risque dans
des régions défavorisées. L’article décrit la mise en place de ce projet mis en œuvre dans
77 établissements d’enseignement primaire et la perception des élèves. Les résultats indiquent
que le projet peut offrir aux élèves une opportunité d’acquérir des expériences positives pour
la confiance en soi et les relations sociales. [http://bit.ly/2rvB8mw]
N° 75 - septembre 2017
DESLYPER Rémi, ELOY Florence, GUILLON Vincent, et al., Pratiquer la musique
dans Démos : un projet éducatif global ?, Observatoire des politiques culturelles/
Grenoble, 2016, 117 p. [en ligne]
Initié en 2010 et coordonné par la Cité de la musique - Philharmonie de Paris, Démos (Dispo-
sitif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale) est un projet de démocratisation
culturelle centré sur la pratique musicale en orchestre. De dimension nationale, il est destiné
à des enfants habitant des quartiers relevant de la politique de la ville ainsi que des zones
rurales insuffisamment dotées en institutions culturelles. Utiliser cette activité comme support
d’un accompagnement social plus large, profiter de ce cadre pour renouveler la pédagogie de
l’enseignement musical, ou encore construire un modèle d’éducation par l’art destiné à la
formation de l’individu et du citoyen constituent autant de facettes du projet Démos, dont ce
rapport présente les résultats de l’évaluation globale. [http://bit.ly/2t2aX6X]
GCPH: Glasgow centre for population health, Evaluating Sistema Scotland: initial
findings report, GCPH/Glasgow, 2015, 86 p. [en ligne]
Big Noise - Sistema Scotland a pour mission de transformer des vies par la musique d’orchestre.
Soutenu par le gouvernement écossais, il est implanté depuis 2008 dans deux quartiers défa-
vorisés de Stirling et de Glasgow. L’accent est mis sur l’apprentissage en groupe et sur une
pédagogie musicale essentiellement basée sur le rythme et le corps. Ce rapport présente les
résultats de l’évaluation de l’impact de ce programme sur la vie des enfants. Il indique notam-
ment qu’il améliore la confiance, la fierté et l’estime de soi, la santé et le bien-être, ainsi que
la fréquentation scolaire, les aspirations des enfants et de leur communauté. [http://bit.ly/2swpECS]
Abstracts
Introduction
The transformational power of music: What are the implications for society? p. 45
Emmanuel Bigand
The raison d’être of music has often been debated: is it simply recreational, or a sublime artistic
activity? Studies in cognitive neuroscience now suggest that music exercises a transformational power
on the brain and how the mind works. This power manifests itself from the first minutes to the last
instants of life. It seems to have contributed to the development of the fundamental cognitive and
social competences of human beings. The implications of these studies are essential for health and
education policies and should lead us to reconsider music learning today.
Music and brain plasticity p. 55
Laura Ferreri
The human brain has the unique ability to modify its structure and function throughout our life, a
phenomenon known as brain plasticity. Music is a rich and complex stimulus able to stimulate the
whole brain, thus inducing important neuronal changes. What is the relation between music and
brain plasticity? After an introduction on the neuroscientific interest in music and brain plasticity
processes, this article aims at presenting the main findings on music-driven neuroplasticity. The
effects of musical training and musical expertise on the brain will be first explored. Furthermore,
the important consequences that music-related brain stimulation and changes have on the stimulation
of other non-musical functions will be considered and discussed from a neurorehabilitation
perspective.
Music in infancy
Emotional development, self-regulation and building cooperative social relationships p. 65
Laurel J. Trainor
Music is often viewed as a frill in education that can be dispensed with at little cost to children’s
development. In this paper, research is presented indicating that, very early in life, musical interactions 161
can influence children’s social and emotional development, and likely contribute to the development
of skills such as self-regulation that affect virtually all aspects of future success.
The cognitive sciences and traditions of oral teaching in Indian classical music p. 75
Shantala Hedge
Indian classical music (ICM) is one of the oldest musical traditions. It is an oral tradition. Various
techniques and methods are unique to this oral method of teaching and the Guru–Shishya (teacher–
student) tradition of teaching has been considered crucial since its origins in the Vedic era (c.5000
BC). The Guru plays the key role in passing on not just the technical knowledge of the subject but
the true essence of ICM – spirituality. Systematic research on ICM and its unique methods of teaching
can shed new light on understanding its overall benefits from a psychological and neuroscientific
perspective.
Learning pan: Learning to be in Trinidad and Tobago
From a personal accomplishment to nation-building p. 87
Aurélie Helmlinger
What do we learn when learning pan, Trinidad and Tobago’s national instrument, also called
“steelpan” or “steeldrum”? Just like any other musical practice, playing in a steelband requires a
variety of competences in which social, musical and various cognitive parameters like emotions,
memory and motricity are intimately interlocked. Musical knowledge in the strict sense of the term
is what catches the attention when we speak of transmission, but it is only one facet of a much wider
range of abilities. A comprehensive overview of the skills learnt in a steel band is proposed here,
with a focus on musical, social and political skills.
Music and Senegalese identities p. 97
Moussa Sy
Senegalese students’ lack of interest in music lessons shows that a change of approach is needed.
Music is one of the important bases of traditional society in Senegal and integrates admirably with
the various aspects of social life. This article seeks to enhance the value ascribed to traditional music
N° 75 - septembre 2017
teaching and its methods while encouraging students to be open to music from elsewhere, so that
Senegalese music, drawing on new teaching blueprints, will convey the richness of its culture in a
modern perspective.
When music sets the tone
Musical culture, education and community in Class D at the Sankt Annæ Gymnasium,
Copenhagen (2011–2014) p. 107
Henrik Reeh
The Sankt Annæ Gymnasium is renowned for its students’ results and for being home to an intense
choral and musicological tradition. This article examines the trajectories of 32 students from the
same class, all of whom obtained their baccalaureate in 2014 with a specialization in music and
mathematics. A survey documents the role of music in their lives. The respondents describe music
as the basis of a high school community. More than a specific form of knowledge, music reinforces
intellectual discipline, promotes general culture and offers respite from academic pressure. In order
to understand this coexistence between music and education, the relation between “individual” and
“community” is examined and the notion of “culture” points to the interface that can describe the
pedagogical dynamic in question.
The “Orchestras at School” scheme and its impact on a local area
The case of the département of Mayenne in France p. 117
Denis Waleckx
Many schemes aiming to democratize access to cultural practice and consumption are based on a
reinforced partnership between the ministries responsible for education and culture and local
authorities. Drawing upon the convincing example of the deployment of the “Orchestras at School”
scheme in Mayenne, this article seeks to shed light on the reasons that might explain its favourable
welcome in this département, and to report on all the impacts it has entailed, both in terms of the
development of solid and varied competences among the students involved and in terms of
intergenerational transmission of knowledge and artistic outreach in the area.
162 Music and social cohesion in a decolonial moment in South Africa p. 129
Stephanus Muller
This article describes the different institutional musical initiatives taken during the wave of protest
that gripped South African universities in 2015 and 2016. It considers different types of responses
– structural, archival and event-driven – which were advanced at this moment of crisis in South
African higher education, and takes the example of Stellenbosch University in Western Cape (South
Africa) to illustrate the way in which institutionally innovative approaches to the teaching of music
at university could contribute to responding to students’ demands for the decolonial transformation
of South African universities.
El Sistema at the crossroads
Principles and perspectives of a global network p. 139
Maria Majno
Since the creation of El Sistema by J. A. Abreu in Venezuela in 1975, this effort to achieve social
inclusion based on collective musical practice has now spread to over 65 countries across five conti-
nents. The results at the educational and artistic level are as remarkable as the challenges that have
been encountered in adapting to different contexts, while the effects are felt not only in the educa-
tional field but also at the level of cognition and socialization. This article reflects upon the inter-
national rise of projects inspired by this model, after an updated summary of the principles that
inspire it.
Resúmenes
Introduction
El poder transformacional de la música : ¿ qué implicaciones para la sociedad ? p. 45
Emmanuel Bigand
La razón de ser de la música ha sido objeto de repetidos debates : ¿mero ocio o actividad artística
sublime? Hoy en dia, los estudios de neurociencias cognitivas sugieren que la música ejerce un poder
transformacional sobre el cerebro y el funcionamiento de la mente. Este poder se manifiesta desde
los primeros minutos hasta los últimos instantes de la vida. Parece haber contribuido al desarrollo
de las competencias cognitivas y sociales fundamentales de los humanos. Las implicaciones de estos
estudios son esenciales para las políticas de salud y de educación y nos invitan a volver a pensar el
aprendizaje de la música hoy.
N° 75 - septembre 2017
Músicas e identidades senegaleses p. 97
Moussa Sy
El desinterés de los alumnos senegaleses por las clases de música muestra que es necesario cambiar
de manera de proceder. En Senegal, la música constituye una de las bases importantes de la sociedad
tradicional e integra maravillosamente los diversos aspectos de la vida social. El artículo invita a
revalorizar la enseñanza tradicional de la música y sus métodos, invitando al mismo tiempo a que
los alumnos se abran a músicas procedentes de otros horizontes, para que la música senegalesa, con
nuevos esquemas pedagógicos, sea portadora de riquezas de su cultura en una perspectiva moderna.
Cuando la música da el tono
Cultura musical, escolaridad y comunidad en la clase D del Instituto Santa Ana,
Copenhague (2011-2014) p. 107
Henrik Reeh
El instituto Santa Ana de Copenhague es un establecimiento de gran reputación por los resultados
de sus alumnos y por ser el lugar de una intensa tradición coral y musicológica. El artículo examina
las trayectorias de los 32 alumnos de una misma clase que aprobaron sin excepción el bachillerato
2014 con una opción música y matemáticas. Una encuesta documenta el papel de la música en sus
vidas. Los alumnos que contestan designan la música como la base de una comunidad dentro del
instituto. Más que un saber específico, la música refuerza la disciplina intelectual, promueve la cultura
general y ofrece un momento de alivio frente a la presión escolar. Para entender esta coexistencia
entre música y educación, se examina la relación entre « individuo » y « comunidad » y la noción
de « cultura » señala el punto de articulación que puede dar cuenta de la dinámica pedagógica en
cuestión.
El dispositivo « orquestas en la escuela » y su impacto en un territorio
El caso del departamento de la Mayenne en Francia p. 117
Denis Waleckx
Numerosos dispositivos que procuran democratizar el acceso a la práctica y al consumo culturales
se basan en una colaboración reforzada entre los ministerios encargados de la educación y de la
164 cultura y las colectividades territoriales. A partir del ejemplo significativo del desarrollo en Mayenne
del dispositivo « orquesta en la escuela », el artículo se propone aclarar las razones que pueden
explicar la acogida favorable de la que benefició en este departamento y dar cuenta de la totalidad
de las repercusiones que suscita tanto en términos de desarrollo de competencias sólidas y variadas
en los alumnos beneficiadores como en términos de transmisión intergeneracional y de animación
artística del territorio.
Música y cohesión social en un moment descolonial en África del Sur p. 129
Stephanus Muller
Este artículo evoca diferentes iniciativas musicales institucionales adoptadas durante una ola de
protesta que sacudió las universidades surafricanas en 2015 y 2016. Considera distintos tipos de
respuesta – en el marco estructural, archivístico y de los eventos – dadas a este tipo de crisis de la
enseñanza superior surafricana, y toma como ejemplo la universidad de Stellenbosch en la provincia
del Cap occidental (África del Sur) para ilustrar la manera con la que unas aproximaciones institu-
cionalmente inovadoras para la enseñanza de la música en la universidad podrían contribuir à
responder a las pedidas de transformación descolonial de la universidad surafricana expresadas por
los estudiantes.
El sistema en la encrucijada
Principios y perspectivas de una red mundial p. 139
Maria Majno
Desde la creación de El Sistema por J. A. Abreu en Venezuela en 1975, este esfuerzo de integración
social fundado en la práctica musical colectiva se ha extendido en más de 65 países sobre los cinco
continentes. Los resultados en el marco educativo y artístico son tan destacados como los retos
encontrados en las adaptaciones en diferentes contextos mientras que los efectos tocan tanto el campo
educativo como el cognitivo y el de la socialización. Después de una síntesis actualizada de los
principios que lo inspiran, el artículo propone una reflexión sobre el desarrollo internacional de
los proyectos inspirados por este modelo.
Les auteurs
Dossier
Emmanuel Bigand est professeur de neurosciences cognitives à l’Université de Bourgogne. Il est membre
senior de l’Institut universitaire de France et il a dirigé jusqu’en 2016 un laboratoire du CNRS spécialisé
sur l’apprentissage et le développement cognitif. Il a effectué ses études au Conservatoire de musique
de Versailles et a été musicien d’orchestre pendant plusieurs années. Son travail de recherche porte
sur les processus d’écoute et d’apprentissage de la musique. Plusieurs études ont été consacrées aux
problèmes posés par les musiques contemporaines. Il a coordonné un programme européen de
recherche sur musique, cerveau et santé. Courriel : Emmanuel.Bigand@u-bourgogne.fr
Laura Ferreri est une chercheuse post-doctorale à l’unité de cognition et de plasticité cérébrales (Université
de Barcelone et IDIBELL Institut Biomedical, Barcelone, Espagne). Après un master en neurologie
cognitive à l’Université de Raffaele (Milan, Italie), elle a obtenu un doctorat en psychologie cognitive
à l’université de Dijon (France) dans le contexte du programme EBRAMUS (cerveau et musique
européens) Marie Curie. Son principal domaine de recherches concerne l’effet de la musique sur le
cerveau, avec une focalisation particulière sur les processus de mémoire et de récompense.
Courriel : lf.ferreri@gmail.com
Aurélie Helmlinger est chargée de recherche au CNR, LESC (Laboratoire d’Ethnologie et de Sociologie
Comparative), UMR7186 et enseignante de steelband à la Cité de la Musique (France). Prenant pour
axe central le corps – social ou individu en performance – elle mène ses recherches sur les steelbands
de Trinidad et Tobago, abordant tout autant la dimension sociale et politique des orchestres, que les
questions de cognition musicale. Elle a ainsi montré comment cette « jeune musique » profondément
créole s’est inscrite dans l’histoire de la jeune nation, et a envisagé simultanément la question de la
mémorisation du répertoire, entre traditions écrite et orale.
Courriel : Aurelie.HELMLINGER@cnrs.fr
Maria Majno est musicienne et musicologue, vice-présidente de Sistema Europe et enseigne à l’Université
catholique de Milan. Durant ses dix-huit ans à la tête de la Società del Quartetto di Milano, elle a
façonné plusieurs saisons et co-productions avec la Scala. Elle joue un rôle clé dans le développement
d’El Sistema en dirigeant le réseau en Lombardie, la région la plus avancée depuis le lancement du
projet en Italie par Claudio Abbado. Elle guide également l’association European Mozart Ways et la
Fondation Mariani pour la neurologie pédiatrique, œuvrant ainsi à la relation entre neurosciences,
musique et éducation. Courriel : maria@sistemaeurope.org
Stephanus Muller est professeur de musique et directeur d’Africa Open – Institut de musique, de
recherche et d’innovation, à l’Université de Stellenbosch (Afrique du Sud). Il encadre de nombreux
étudiants de troisième cycle en musique et dirige différents projets de recherche institutionnelle. Il est
par ailleurs corédacteur du journal South African Music Studies, et romancier.
Courriel : smuller@sun.ac.za
N° 75 - septembre 2017
Henrik Reeh, docteur en littérature comparée, est professeur associé d’études urbaines et de culture
moderne au département d’études d’arts et de culture à l’Université de Copenhague, Danemark. Il est
co-président de la commission doctorale de la faculté des sciences humaines dans cette université. Il
collabore au 4Cities – Erasmus Mundus Master Course (4Cities.eu). Auteur de livres sur la culture
urbaine de la modernité, sur l’art contemporain dans l’espace public ainsi que sur des problèmes
d’urbanisme, sa monographie sur Siegfried Kracauer et la ville, Ornaments of the Metropolis: Siegfried
Kracauer and Modern Urban Culture, a paru chez MIT Press aux États-Unis.
Courriel : reeh@hum.ku.dk
Moussa Sy est professeur d’éducation musicale au Sénégal et auteur de cahiers d’activités pédagogiques
(1997) pour l’association francophone internationale des directeurs d’établissements scolaires, ainsi
que d’articles sur la musique au Sénégal dans les journaux sénégalais. Il a été enseignant associé en
musicologie à l’université Gaston Berger (2011-2012) et président de la commission nationale
d’éducation musicale du Sénégal en 2012. Courriel : asymoussasy@gmail.com
Denis Waleckx est agrégé de musique, docteur en musicologie, auteur d’une thèse sur la musique
dramatique de Francis Poulenc. Il a été successivement professeur, inspecteur pédagogique régional
d’éducation musicale, délégué académique à la formation des personnels de l’éducation nationale et
166 directeur académique des services départementaux de l’éducation nationale (DASEN) dans différentes
académies (Versailles, Montpellier, Aix-Marseille, Nice, Corse, Créteil, Nantes). Il est actuellement
inspecteur d’académie-DASEN de la Mayenne, en France. Courriel : denis.waleckx@ac-nantes.fr
Actualité internationale
Mlaoueh Ammar est diplômé du cycle supérieur de l’École nationale d’administration (ÉNA) et Conseiller
des services publicsest en Tunisie. Directeur des réformes à la direction générale de la rénovation
universitaire depuis 2009, il a été chargé de mission au cabinet du ministre de l’enseignement supérieur
et de la recherche scientifique (2009-2016). Il est expert en matière de réforme de l’enseignement
supérieur auprès du bureau national ERASMUS + Tunisie (2014-2020).
Courriel : mlaouehammar2015@gmail.com
Mohamed Adel Ben Amor est titulaire d’une thèse ès sciences pharmaceutiques (biochimie) et du grade
de professeur hospitalo-universitaire en biochimie. Il enseigne à la faculté de pharmacie de Monastir
(Tunisie) et est praticien des hôpitaux. Nommé président de l’Université de Monastir (février 2011),
puis directeur général de la rénovation universitaire (2011-2016) et chef du cabinet du ministre de
l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique (2014-2016) de Tunisie, il est auditeur selon
la norme ISO 15189 (laboratoires d’analyses médicales) et instructeur en pédagogie universitaire.
Courriel : adel.bamor2011@gmail.com
Labass Lamine Diallo est docteur en sciences de l’éducation (Université de Bordeaux II) et a été
enseignant-chercheur à l’université des lettres, langues et sciences humaines de Bamako (Mali). Il est
actuellement conseiller technique à la Conférence des ministres de l’éducation des pays ayant le français
en partage (Confemen). Courriel : ldiallo@confemen.org
Hilaire Hounkpodote est coordonnateur par intérim du Programme d’analyse des systèmes éducatifs
(PASEC) de la Conférence des ministres de l’éducation des pays ayant le français en partage (Confemen).
Il est ingénieur statisticien économiste, diplômé de l’École nationale de statistique et d’économie
appliquée (ENSEA) d’Abidjan (Côte d’Ivoire). Courriel : hhilaire@confemen.org
Remerciements
N° 75 - septembre 2017
la revue
Procédures de soumission
La revue annonce chaque année sur son site, au plus tard en novembre, les thèmes
des dossiers de l’année suivante. Chaque dossier thématique est confié à un coordinateur invité,
avec lequel la revue construit les sollicitations qu’elle adresse aux auteurs. Elle peut également
publier les articles qui lui sont soumis spontanément, après avis du comité de rédaction et 169
sous réserve qu’ils s’inscrivent dans la problématique traitée dans le dossier ou dans la ligne
éditoriale de la revue.
Les textes proposés à la revue sont adressés à la rédaction au plus tard six mois avant
la publication de chaque numéro à l’adresse suivante : revue@ciep.fr. Les articles peuvent être
soumis en français, anglais, allemand, espagnol, italien. Ils sont ensuite traduits en français par
la revue. Les articles sont soumis à relecture et sont validés par le comité de rédaction. Ils
n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs. Les consignes aux auteurs sont disponibles
en ligne sur le site de la revue : [http://ries.revues.org/2358]
Articles du dossier
Les articles du dossier proposent nécessairement une analyse comparative ou une
étude dans un pays donné du thème traité par le dossier. Ils ne peuvent excéder 25 000 signes
(soit 4 000 mots en français, 3 500 mots en anglais), y compris les références et notes de bas
de page. Ils sont accompagnés d’un résumé et d’une notice biographique pour chacun des auteurs
(100 mots chacun maximum). Les tableaux et graphiques sont limités au strict nécessaire.
Autres rubriques
Outre le dossier thématique, la revue propose dans chaque numéro des rubriques
regroupées sous l’intitulé « L’actualité internationale en éducation ».
– Rubrique « Le point sur l’actualité internationale en éducation » : ces articles
courts et factuels (6 à 8 000 signes) permettent de présenter des réformes en cours dans les
systèmes éducatifs, des difficultés de mise en œuvre ou encore des événements notables.
– Rubrique « Repères sur les systèmes éducatifs » : ces articles visent à présenter de
façon problématisée l’organisation des systèmes éducatifs et les principaux enjeux qui sont les
leurs (18 000 signes).
– Rubrique « Notes de lecture » : ces articles ne peuvent excéder 6 000 signes.
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Dépôt légal : septembre 2017
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