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Laënnec HURBON

docteur en Théologie (Institut catholique de Paris) et en Sociologie (Sorbonne),


directeur de recherche au CNRS et professeur à l'Université Quisqueya de Port-au-Prince

(1989) [2000]

“Les nouveaux
mouvements religieux
dans la Caraïbe.”

LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES


CHICOUTIMI, QUÉBEC
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Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 2

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Un document produit en version numérique par Réjeanne Toussaint, ouvrière


bénévole, Chomedey, Ville Laval, Québec
Page web. Courriel: rtoussaint@aei.ca

À PARTIR DU TEXTE:

Laënnec Hurbon,

“Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.”

Un texte publié dans un livre sous la direction de Laënnec HURBON, Le phéno-


mène religieux dans la Caraïbe. Guadeloupe, Martinique, Guyane, Haïti. Cha-
pitre 17, pp. 307-354. Paris : Les Éditions Karthala, 2000, 365 pp. Édition origi-
nale, 1989 aux Éditions CIDIHCA à Montréal. Collection “Monde caribéen”.

[Autorisation formelle accordée par Laënnec Hurbon le 19 mai 2009 de diffuser


ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

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Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 5

Laënnec HURBON
docteur en Théologie (Institut catholique de Paris) et en Sociologie (Sorbonne),
directeur de recherche au CNRS et professeur à l'Université Quisqueya de Port-au-Prince Doyen

“Les nouveaux mouvements religieux


dans la Caraïbe.”

Un texte publié dans un livre sous la direction de Laënnec HURBON, Le phéno-


mène religieux dans la Caraïbe. Guadeloupe, Martinique, Guyane, Haïti. Cha-
pitre 17, pp. 307-354. Paris : Les Éditions Karthala, 2000, 365 pp. Édition origi-
nale, 1989 aux Éditions CIDIHCA à Montréal. Collection “Monde caribéen”.
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[307]

Deuxième partie :
Sectes et Systèmes magico-religieux .
Anthropologie et sociologie

Chapitre 17
“Les nouveaux mouvements religieux
dans la Caraïbe.”

Laënnec HURBON

[308]
[309]
Depuis une vingtaine d'années, c'est-à-dire depuis l'avènement du
Castrisme, les recherches sur la Caraïbe semblent avoir été essentielle-
ment centrées sur l'économie et la politique. Comme entité régionale
et comme objet d'étude, la Caraïbe apparaît comme un espace qui sert
de terrain d'expérience pour une guerre entre des modèles écono-
miques dans les conflits mondiaux du XX e siècle. Une véritable
course à la Caraïbéanité se développe, mais déterminée en grande par-
tie par les séculaires convoitises des puissances métropolitaines qui,
du XVe siècle à nos jours, ont fait de l'espace caraïbéen un théâtre
d'expression de leurs propres conflits, de leurs propres fantasmes,
avec tout un cortège de pratiques génocidaires ou ethnocidaires selon
les besoins d'exploitation économique ou d'utilisation stratégique.
Pourtant l'étude du phénomène religieux compris dans son articula-
tion à la culture ouvrirait bien vers une toute autre Caraïbe, peut-être
plus tournée vers la construction de sa propre identité.
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 7

Plus importantes dans les îles de colonisation britannique, les re-


cherches sur les religions ont été à peine entamées ailleurs. [310]
L'histoire du mode d'implantation des sectes est complètement igno-
rée, celle des églises établies est abandonnée.
Dans tous les cas, aucune perspective caraïbéenne réelle n'est mise
en œuvre là où certaines recherches ont été tentées sur les religions.
On peut invoquer les études sur les religions afro-américaines, chez
Roger BASTIDE, Les Amériques noires (1967), ou G. SIMPSON,
Religious cults of the Caribbean, (1970), mais ces études font figure
d'exception et n'ont guère suscité les interrogations qu'elles souhai-
taient : tout au plus, les religions afro-américaines ont relancé une vi-
sion folklorisante, exotique de ce qu'on a appelé la magie antillaise ou
le charme de la Caraïbe. Les analyses marxistes teintées de scientisme
et de positivisme ont sans doute fait écran à la prise en compte du
poids de la religion dans l'histoire et le devenir de la Caraïbe, pendant
que, pour la sociologie développementaliste, la préoccupation a été le
passage de la Caraïbe à la modernité, donc au modèle culturel occi-
dental, à partir duquel les pratiques religieuses seront comprises dans
leur fonction d'appui ou de rejet des forces extérieures de développe-
ment.
L'importance cardinale des religions dans la Caraïbe ne fait pour-
tant pas de doute. D'un côté, toutes les sectes religieuses modernes se
donnent rendez-vous dans la Caraïbe où elles trouvent un terrain pro-
pice à leur développement : ainsi par exemple, pour Porto-Rico et
Haïti, les dénominations religieuses se comptent par plusieurs cen-
taines, bien qu'il s'agisse de deux pays diamétralement opposés au ni-
veau économique et politique. Porto-Rico, encore sous domination
américaine, dispose du plus haut niveau de vie dans la Caraïbe, contre
Haïti, premier État indépendant, qui se situe au plus bas niveau de
l'échelle économique. D'un autre côté, le Christianisme comme reli-
gion officielle a joué un si grand rôle d'encadrement pour la société
esclavagiste, qu'il a fini par avoir partie liée à la construction d'une
nouvelle identité culturelle pour chacune des nations de la Caraïbe.
Les esclaves eux-mêmes ont fait des églises des lieux de lutte pour la
reconnaissance de leurs droits humains 1. Enfin, si on connaît pour
l'Afrique Noire le rôle des nouveaux mouvements religieux dissidents
1 Voir par ex. le point de vue de E.D. GENOVESE. (1972 : 161ss et
280ss)
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des christianismes officiels (protestantisme, anglicanisme, catholi-


cisme) comme propédeutique aux luttes pour les indépendances et
comme élaboration de nouvelles valeurs transitionnelles vers la mo-
dernité, on a à peine entamé des investigations sur ces mêmes mouve-
ments dans la Caraïbe.
Le travail présent tâchera de se concentrer précisément sur les nou-
veaux mouvements religieux de la Caraïbe, mais il semble bien que
c'est tout un continent que nous abordons. Dans chacune [311] des
îles, les sectes aux couleurs les plus varices parviennent à prospérer,
en sorte qu'il apparaît difficile à un seul chercheur de tout étudier. On
ne présentera ici que quelques mouvements parmi les plus significa-
tifs, dont l'influence est grande dans les problématiques socio-cultu-
relles et politiques actuelles de la Caraïbe. Mais ces mouvements
prennent appui sur une situation religieuse de base qu'il convient au
départ de préciser pour éviter certains malentendus.

Pour une archéologie


des nouveaux mouvements religieux

Tout d'abord, dans la sociologie des religions de la Caraïbe, on


semble le plus souvent tenir les systèmes religieux afro-américains,
dus au croisement du Christianisme et des religions africaines, comme
les seuls pertinents pour exprimer l'originalité culturelle de la Caraïbe.
Ainsi les créations du Vodou (en Haïti), de la Santeria et des Nanigos
(à Cuba), du Shango-cult (à la Trinidad), de l'Obeahisme (à la Ja-
maïque), et plus loin, du Candomblé (au Brésil), sont connues. Mais
les religions de type hindouiste qui sont encore vivantes en Guade-
loupe, Martinique, Trinidad, Guyana, sont peu étudiées. De même la
part des croyances de type amérindien-caraïbe, dans les mouvements
spiritistes, comme la Mesa Blanca, à Porto-Rico, est peu mise en va-
leur.
Plus grave encore est la relégation de l'afro-américanisme principa-
lement à l'espace haïtien, avec le Vodou, et dans une moindre mesure
à la Jamaïque et à la Trinidad (avec le Rastafarisme et le Shango-cult).
Ailleurs, il est tenu pour des îlots de survivance, en vole de dispari-
tion. Or je suis frappé pour ma part par l'imaginaire que sous-tend la
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seule évocation du Vodou un peu partout dans la Caraïbe. Comme si


Haïti représentait pour toutes les autres îles le pays où la culture nègre
serait en quelque sorte gardée à l'état pur, provoquant à la fois une fas-
cination et une répulsion. Peu d'auteurs signalent ce phénomène, qui
pourtant est instructif à la fois du niveau des informations répandues
sur le Vodou, et des modes d'exorcisation de ce qui demeure encore
comme éléments culturels africains dans les îles où le Vodou n'appa-
raît pas comme tel. Que des sociologues puissent emboîter le pas au
sens commun, et laissent leurs recherches se borner à la reproduction
des idées établies en particulier sur le métissage Indien caraïbe/Blanc
pour des îles comme la République Dominicaine ou Porto-Rico, c'est
là pour le moins, le signe de l'occultation fort ancienne de la problé-
matique religieuse caraïbéenne réelle. Toute description purement em-
pirique du Vodou ou des éléments religieux afro-américains [312]
dans la Caraïbe ne fait que redoubler et renforcer les préjugés et les
fantasmes qui enrobent l'objet d'étude lui-même qu'est le Vodou. Mais
dans ce contexte, ce sont les attitudes racistes et xénophobes qui
trouvent leurs racines les plus solides. Les préjugés et les fantasmes,
fort connus et répandus depuis le XIX e siècle, portent tous sur une vi-
sion du Vodou 2 comme haut lieu de magie et de sorcellerie, si ce n'est
pas de pratiques cannibaliques : en Haïti, où la population nègre a été
la moins contaminée par la civilisation occidentale, puisque la négri-
tude s'y est mise debout pour la première fois, depuis 1804, le Vodou
donne à penser à une culture encore proche de l'Afrique noire, livrée à
la primitivité et à la barbarie. Ce serait même le Vodou qui, de soi,
porterait les germes du despotisme récurrent dans la politique haï-
tienne. L'effort accompli par des auteurs haïtiens de ce siècle-ci et
même par des anthropologues américains (tels HERSKOVITS (1937),
LEYBURN (1945), et plus près de nous COURLANDER (1960 »
2 Voir les réactions de la presse dominicaine au sujet de la secte Palma
Sola (dont nous parlerons plus loin). Le journal La Nacion par exemple dé-
signe Haïti comme « La Roma de la magia negra en America » (cit. dans
« Un estudio, preliminar acerca del movimiento de Palma Sola como movi-
miento mesianico y social campesino », in Revista Dominicana de Antropo-
logia e Historia, Enero-Diciembre 1980, p. 106).
Sur le vodou dominicain, on se référera à l'ouvrage de Carios Esteban
Deive (1975), également Martha Ellen Davis (1981 : 22-24). Ces recherches
récentes témoignent d'un effort pour reconnaître les éléments culturels afri-
cains (dont le vodou) comme partie intégrante de la culture nationale domi-
nicaine.
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pour présenter une autre vision du Vodou n'a pas eu l'effet attendu.
Sans doute, ces auteurs ont-ils très peu attaqué de front les préjugés
qui circulent dans les classes dominantes et les « middle-class » de la
Caraïbe. Or si le Vodou a pu se développer en Haïti, ce n'est pas
d'abord uniquement comme moyen de résistance anti-esclavagiste 3,
qui s'épuise dans cette fonction de résistance et qui n'a plus qu'une
existence en sursis, due au faible développement des symboles de la
civilisation dans les campagnes haïtiennes (écoles, hôpitaux, électrici-
té, télévision, etc ... ), c'est aussi parce qu'il correspond à une culture
vivante, originale, capable de développer des capacités d'adaptation
aux conditions les plus diverses. Que le Vodou soit un culte rendu à
des esprits répartis en différents rites, et en différentes familles, char-
gées de rendre compte des rapports de l'homme à la nature, et de
l'homme avec l'homme, qu'il suppose une anthropologie spécifique-
ment africaine du corps et de la personne comme traversée de forces
multiples, qu'il soit une interprétation précise de l'histoire et du
monde, ni plus ni moins valable que celle de la culture occidentale,
tout cela a déjà fait l'objet d'investigations précises. Mais ce que l'on
privilégie dans une telle logique symbolique, c'est l'ordre de la magie
et de la sorcellerie. Ordre de la sauvagerie et de la primitivité, ainsi se
résumerait le Vodou, dans l'acception caraïbéenne actuelle, mais c'est
là un trophée de la domination coloniale, auquel le silence de la socio-
logie caraïbéenne rend un éloquent hommage. Pourtant la liaison du
Vodou au Christianisme dont il a annexé les symboles, le calendrier, la
liturgie et même des éléments de la théologie laissait voir en gros plan
un processus identique qui s'est poursuivi dans d'autres [313] pays de
la Caraïbe, quoique sous des formes moins spectaculaires. Je ne veux
parler ici ni du Shango-cult, ni de la Santeria, mais des pratiques ma-
gico-religieuses qui se développent dans le cadre du catholicisme aux
Antilles françaises où le vodou n'existe pas mais où un noyau symbo-
lique religieux africain ou de type africain se retrouve. En Guade-

3 Sur les modes de résistance des esclaves dans la Caraïbe et en Amérique


en général, et sur le marronnage, nous ne pouvons que renvoyer ici à cer-
tains travaux, comme ceux de G. DEBIEN (1971), J. FOUCHARD (1972),
R. BASTILLE (1967), J.M. HERSKOVITS (1941), O. PATTERSON
(1967), Richard PRICE (1973), R. BUIJTENHUIJS (1971). Il aurait fallu
sans doute montrer davantage les traces du marronnage dans certaines sectes
religieuses autochtones de la Caraïbe, comme la Palma Sola en République
Dominicaine. Une autre étude plus approfondie devra aborder ce problème.
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loupe, par exemple, le système des « dons » renvoie comme dans le


vodou à un ensemble de croyances aux esprits et aux saints qui appa-
raissent ou en songe, ou en cas de maladies ou encore à des moments-
clés de la vie. Le rapport aux « esprits » implique une compréhension
particulière de la personnalité individuelle : elle est censée évoluer
sous le contrôle de différentes forces spirituelles, dont le bon anj qui
agit comme le réceptacle de l'esprit lors des transes et des possessions.
Cette force réside dans la tête de l'individu et est soumise à Dieu lui-
même. Au moment de la mort, elle à généralement du mal à partir du
corps, aussi tout le rituel de la mort semble-t-il être tourné vers une
tâche d'éloignement du « bon ange ». L'autre instance se situerait vers
les pieds de l'individu et serait le dispositif d'accueil des mauvais
sorts, et ferait même des pieds le lieu préféré des « âmes des morts »
ou des zonbi, au rôle persécutif. De même, en République Domini-
caine, les pratiques et croyances de type vodou sont aussi importantes
qu'en Haïti, alors que le sens commun continue à voir le Vodou domi-
nicain comme une importation essentiellement haïtienne. À Porto-Ri-
co, la Santeria qui rassemble nombre d'adeptes portoricains, est consi-
dérée comme une pratique cubaine, comme si les éléments religieux
africains avaient disparu de Porto-Rico 4. Or dans le cadre même du
catholicisme populaire, un peu comme aux Antilles françaises, et dans
le cadre des pentecôtismes et des spiritismes, les éléments africains
sont vivants et vite repérables.
On peut dire qu'à travers toute la Caraïbe, un noyau symbolique,
résistant, opérant dès l'esclavage, se maintient et se redéploie à la fa-
veur même de l'imposition du Christianisme aux esclaves. Dans ce
noyau central, on retrouve non seulement les éléments religieux afri-
cains et chrétiens, mais aussi des éléments des religions amérin-
diennes-caraïbes, musulmanes, puis hindouistes. L'occultation des re-
ligions hindouistes n'a été en fait possible qu'à travers une tendance
qui fige les traits de la culture caraïbéenne et les raccroche à la seule
période esclavagiste. L'immigration asiatique a été inaugurée vers
1852, soit peu après l'abolition de l'esclavage, aussi perçoit-on son in-

4 Scott Cook, par exemple, dans son article sur « The prophets : A Reviva-
listic Folk Religions Movement in Puerto-Rico » (1971 : 577 n°3) soutient :
« There is no published evidence of African survivals among existant Puer-
to-Rican folk religious groups. The similarities are purely structured and
functional, not historical. »
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fluence comme superficielle dans l'évolution de la Caraïbe. Cette mé-


connaissance de la culture Indienne (en provenance de l'Inde) qui
pourtant est vivace dans les Antilles françaises comme à Trinidad, en
[314] Guyana et au Surinam, est encore une nouvelle forme de néga-
tion de la multi-ethnicité caractéristique de la Caraïbe. Comme les
Noirs amenés en esclavage, les Indiens se sont vu imposer les reli-
gions du colonisateur, mais ont conservé les traits essentiels de leurs
propres croyances et pratiques. Dans tous les villages de grande
concentration de la population indienne (Moule, St François, Capes-
terre, en Guadeloupe) des temples ont été édifiés. Le Maliémin 5 est le
nom donné au culte qui de manière régulière réunit la communauté in-
dienne. Deux rites sont pratiqués : l'un correspondant à la vie fami-
liale, l'autre aux assemblées collectives. Des prêtres sont chargés de
diriger les cérémonies qui consistent en des offrandes adressées à la
divinité qui précisément s'appelle Maliémin, déformation de Mariam-
man, divinité indoue, du sud de l'Inde connue comme divinité de la
variole. À côté d'elle, un autre demi-dieu, plutôt redouté, Maldevilan,
remplit les fonctions de gardien du temple, et il existe beaucoup
d'autres divinités secondaires. Le moment le plus important des céré-
monies est l'acte sacrificiel qui consiste à trancher d'un seul coup la
tête d'un cabri, face au soleil, En règle générale, les sacrifices d'ani-
maux sont offerts à la divinité Madouraï Viran, dieu carnivore, alors
que Maliémin est réputée déesse végétarienne. Bains de purification,
prières, jeûnes, chants et danses, rythmés par des tambours et des
cymbales, contribuent à créer une atmosphère d'intensité religieuse, et
le repas final et les bénédictions du prêtre renforcent les liens de soli-
darité entre les fidèles. Les rites funéraires sont également importants,
même si l'incinération coutumière en Inde a disparu aux Antilles : la
pratique d'offrandes aux morts, dans les cimetières, est par exemple un
élément essentiel des pratiques religieuses de la communauté in-
dienne.
Les similitudes du Maliémin avec les croyances et pratiques de
type vodou sont évidentes aux yeux des Noirs : rites funéraires, divini-
tés multiples, repas sacrificiels, demande de faveurs dans la vie quoti-
dienne, etc..., sont autant d'éléments qui conduisent les Noirs eux-
mêmes à fréquenter avec assiduité les temples indiens, tenus pour un
5 Pour de plus amples informations sur le Maliemin, se référer à Sangara-
velou (1975).
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 13

nouveau support à leurs propres croyances de type africain. De la


sorte, les pratiques religieuses indiennes ne sont pas des esclaves dans
une culture caraïbéenne qui serait, toute entière, axée autour de l'afro-
américanisme, et de quelques éléments ou traces d'une culture amérin-
dienne (Caraïbe), disparue pour l'essentiel. Le Maliémin est par
exemple identifié avec la Vierge Marie : Maliémin ou Marie aimée, à
partir d'une déformation phonétique par le créole ; Maldevilan avec
Saint Michel, terrassant le dragon ou Satan. Ce sont là des signes
d'une assimilation créole des traditions religieuses indiennes.
[315]
Nous essayerons ici de comprendre le mode d'émergence et de
fonctionnement des nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe,
lesquels précisément ne se réduisent pas à l'afro-américanisme, bien
que celui-ci soit dominant. Il apparaîtra qu'un noyau symbolique,
sous-jacent, focalisateur, traverse toute la Caraïbe et rend compte
d'une identité caraïbéenne encore en quête d'elle-même et en construc-
tion. Il n'est pas aisé cependant de développer cette hypothèse, tant la
recherche est encore balbutiante. Dans le cadre de cet article, ce sont
les grandes tendances qui seront mises en relief, par une esquisse
d'analyse des mouvements religieux les moins inventoriés jusqu'ici et
qui permettent toutefois de mieux s'interroger sur la vitalité de la
culture caraïbéenne. Nous présenterons tout d'abord quatre mouve-
ments religieux importés, dont les Témoins de Jéhovah, les Adven-
tistes du 7e jour, le Mahikari, les Apôtres de l'Amour Infini, qui se re-
trouvent aux Antilles françaises, puis à Porto-Rico, et en Haïti. Les
Témoins de Jéhovah et les Adventistes, bien entendu ont des adeptes
dans toutes les autres îles. Ensuite, trois mouvements autochtones : le
Rastafarisme qui, parti de la Jamaïque a atteint la Dominique, les An-
tilles françaises et d'autres îles de langue anglaise, la Mita à Porto-Ri-
co, qui dispose de plusieurs milliers d'adeptes, également en Répu-
blique Dominicaine, en Haïti, et jusqu'en Colombie et au Vénézuela ;
la Palma Sola en République Dominicaine ; enfin les Pentecôtismes et
les Charismatismes, qui, eux, traversent toute la Caraïbe. Sur ces der-
niers, seules quelques indications seront fournies, faute de place. Face
à l'ampleur du phénomène religieux dans la Caraïbe, ce travail ne sera
qu'une introduction à la sociologie des nouveaux mouvements reli-
gieux. Les hypothèses théoriques que nous livrerons en fin de par-
cours visent avant tout à mettre le lecteur en appétit et à suggérer que
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 14

nous sommes encore au seuil d'une investigation approfondie sur les


coordonnées véritables d'une culture caraïbéenne en pleine recherche
d'elle-même dans l'effervescence des nouveaux mouvements reli-
gieux.

I/ Mouvements religieux importés

Une distinction préalable entre sectes anciennes comme les Té-


moins de Jéhovah et les Adventistes, et sectes modernes, puis entre
sectes modernes importées et sectes autochtones, s'avère ici utile pour
éviter certaines confusions courantes. Pour nous, les sectes modernes
importées dans la Caraïbe renvoient à celles qui sont apparues vers les
années 1960 un peu partout, d'abord aux États-Unis puis en Europe.
Ces sectes sont en règle générale [316] soit un mélange d'éléments de
doctrine et de pratique chrétiennes, et de technique et de philosophie
extrême - orientale, soit tout simplement un mélange de christianisme
et de traditions religieuses populaires propres à une région donnée.
Ainsi par exemple, le Moonisme (ou Association pour l'Unification du
Christianisme Mondial), le Mahikari, en provenance du Japon, Hari
Krishna, les Enfants de Dieu, pour ne citer que les plus connues. Des
sectes comme la Mita et le Rastafarisme, sont des créations autoch-
tones de Porto-Rico et de la Jamaïque, Bien entendu, le terme de «
sectes » ne suppose pour nous aucun parti-pris idéologique ; mais il a
bien un caractère péjoratif pour l'opinion publique. Nous ne l'em-
ployons ici qu'en référence à la tradition de la sociologie des religions
qui depuis E. TROELSCH, distingue souvent les sectes des Églises
établies : « on naît dans une Église, mais on entre dans une secte » ;
cette célèbre proposition avait au moins la vertu d'attirer l'attention sur
la nécessité, mais aussi sur les difficultés de production d'une analyse
critique des sectes, dépourvue de parti-pris. Les termes de « cultes »,
ou de « dénomination religieuse », ou de « mouvements religieux »,
seront toutefois préférés ici, à cause de la tendance continuelle des
sectes à leur établissement en Églises.
Les Témoins de Jéhovah et les Adventistes sont, parmi les mouve-
ments religieux importés dans la Caraïbe, ceux qui ont connu, à partir
des années 60 et 70, le plus de succès. Présents dans les îles, ils l'ont
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 15

été depuis le début du siècle, mais avec un recrutement extrêmement


faible, jusqu'en 1960. Pourtant les techniques et les méthodes de re-
crutement, ainsi que la doctrine n'ont guère changé d'un pays à l'autre,
d'une époque à l'autre. Pour la Guadeloupe, la Martinique et Haïti, il a
fallu un contexte de crise à la fois du catholicisme, religion officielle
dominante dans ces îles, et de la situation économique et politique,
pour que Témoins et Adventistes connaissent un succès spectaculaire.

Témoins de Jéhovah

Prenons le cas des Témoins de Jéhovah en Guadeloupe. Nous


avons pu nous-même depuis 1974 assister à la progression continue
du nombre des adeptes. En 1975, les assemblées de Témoins comp-
taient dans 1’île environ 4000 personnes. En 1979, plus de 7000 Gua-
deloupéens participaient à un congrès à Pointe-à-Pitre. Bien entendu,
au cours de ces mêmes années, soit entre 1973 et 1979, plusieurs mou-
vements religieux connaissent une prospérité inattendue : ainsi le Ma-
hikari, les Adventistes, les Apôtres de l'Amour infini, la Méditation
Transcendantale.
Les catégories sociales les plus touchées par les Témoins de Jého-
vah sont les artisans, les petits commerçants, les petits [317] fonction-
naires, les petits et moyens entrepreneurs, les employés de maison, de
magasin et de banques, mais aussi des paysans pauvres et moyens dé-
ruralisés ou en butte à des difficultés économiques croissantes. Entre
1967 et 1974, la population active, d'après les indications statistiques,
connaît une chute rapide, dans le même temps qu'on voit augmenter le
nombre des salariés du secteur tertiaire. En moins de 10 ans, 7 usines
sucrières ont disparu dans un pays où cependant la culture de la canne
à sucre est la base de la production agricole. Face à l'insécurité provo-
quée par la situation économique, les relais idéologiques paraissent
bien faibles. Le système de consommation à l'occidentale parvient à
étendre chaque jour davantage son emprise sur toutes les couches de
la population en sorte que les contradictions sociales deviennent plus
aigües. En outre, le langage de régulation des rapports sociaux offert
jusqu'ici par l'Église catholique s'est trouvé ébranlé par « l'aggiorna-
mento » apporté par le Concile Vatican II, qui pousse à des modifica-
tions dans la liturgie et dans la doctrine. C'est précisément au cœur
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 16

d'une crise à la fois socio-économique et idéologique qu'en Guade-


loupe et Martinique, les nouvelles sectes vont tenter de s'installer. À
défaut de pouvoir mener ici une analyse exhaustive du fonctionne-
ment des Témoins aux Antilles, nous nous contenterons de rapporter
deux extraits de récits de conversion :

1) Une femme d'environ 60 ans, veuve, commerçante.

« Quand on est Témoins de Jéhovah, on a une vie stable, on vit en


harmonie avec les principes bibliques. Être catholique c’est la vraie per-
dition, il y a trop de liberté, c'est la porte large, on fait tout. Chez les Té-
moins de Jéhovah, si votre vie n'est pas conforme, vous serez exclus vous
ne devez même pas dire bonjour à telle personne qui n'est pas conforme...
Il y avait un jour une messe des Saints Innocents dans l’Église Catho-
lique, les enfants légitimes ne peuvent pas participer à la messe, or des
enfants illégitimes, fils d'adultère sont reçus.
À l’église, l'ennemi vient ci dit : faites-moi oublier l'autre. Or Dieu
dit : ne demandez pas de mal pour le prochain. On ne lit pas la Bible à
l'Église. À l’Église, les gens servent Dieu et le Diable. Ils font du tort... Ils
allument des bougies, ils croient que les petites bougies vont les éclairer.
Ici des chantiers réclament des Témoins de Jéhovah, car un vrai Té-
moin de Jéhovah doit être honnête, les Témoins de Jéhovah sont très dis-
ciplinés. Grâce aux Témoins de Jéhovah, je peux faire des voyages au Ca-
nada, aux États-Unis. Seule j'avais de l'ennui, et ce ne serait pas possible
de voyager ... »

2) Une jeune femme, Témoin de Jéhovah depuis 1974

On peut être persécuté dans sa propre maison. Par exemple, moi-


même j’ai failli mourir...
[318]
Dans un songe, j'ai vu un individu qui est décédé, mais qui était hono-
ré dans l'amour. Un jour, la veille d'une assemblée, j'ai vu cette personne,
elle vient vers moi dans la maison. J'ai eu un geste de tendresse pour elle ;
la personne me répond avec dédain et avec hargne. Elle me dit : « De
toute manière tu m'appartiens, je reviens donc... » Je ressens son doigt
froid. En me touchant je sens une force qui me pénètre. Je lutte pour ne
pas mourir. J'ai l'impression que mon cœur va flancher. Je voudrais prier
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 17

Dieu. J'ai tendance à vouloir dire des prières catholiques. Mais le dernier
nom qui m'est venu est Jéhovah. J'ai été ainsi libérée. Je me sentais ca-
davre, j'étais essoufflée. Je me mets à méditer. Je prends la Bible. Je sens
que j'aurais comme un réconfort. Je l'ouvre, je tombe sur le psaume 91
(voir surtout v. 5 et v. 14). La personne que j'ai vue en songe était très ai-
mée dans la famille. C'était un membre (âgé) de la famille. Un parrain.
Comment dans sa mort peut-il dire tu m'appartiens ? Par l'étude, je vois
que c'est un esprit malin qui m'en voulait. L'esprit malin utilise toutes
sortes de subterfuges. »
« Souvent les gens qui ont des manifestations travaillent avec la sor-
cellerie. »

POPULATION ACTIVE AGRICOLE ET NON AGRICOLE


EN 1967 ET 1974

Catégories de professions Les deux sexes

1967 1974

Professions agricoles (y compris la pêche) 30 220 18 587


Professions non agricoles 59 760 87 372
Ensemble des actifs 89 980 105 959
Part des professions agricoles en % 33,6 17,5
(Source : INSEE-Guadeloupe)
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 18

[319]

TABLEAU STATISTIQUE
DES TÉMOINS DE JÉHOVAH EN GUADELOUPE

Proclamateur pour Proportion

Moy. Procl.

Congrégation *
Années

Acct. % sur l’année précédente


Proclamateur *

Nb. Bapt.

Moy. Pionners*
1973 1988 163 1808 4 165 72 26
1974 2207 147 2061 14 450 73 29
1976 2580 126 2470 7 228 66 32
1978 2619 124 2537 7 133 55 36

(Source : Annuaire des Témoins de Jéhovah, Brooklyn, New-York)


* Les Proclamateurs sont les « convertis » Témoins de Jéhovah qui opèrent
des visites à domicile pour recruter de nouveaux adeptes.
Les pionniers sont ceux qui consacrent au moins 150 heures par mois au « mi-
nistère du champ », expression qui désigne le service d'évangélisation ou de
conversion.
Les Congrégations correspondent à des paroisses qui disposent d'un lieu du
culte appelé « Salle du Royaume ».

L'opposition tranchée entre le catholicisme et la secte apparue dans


ce récit, peut induire en erreur l'observateur, puisque tous les
désordres moraux et sociaux sont attribués désormais essentiellement
au catholicisme, espace de retranchement par excellence du diable, du
mal, du mensonge. C'est que la contestation de l'Église catholique ren-
voie en fait à celle de tout le système social en vigueur. Pour avoir as-
suré la régulation de ce système, l'Église en était devenue le symbole.
Mais elle ne pouvait remplir ce rôle que dans la mesure où les pra-
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 19

tiques de type africain de magie et d'anti-sorcellerie avaient maintenu


un équilibre des forces spirituelles. Les pratiques de magie se pour-
suivent librement aujourd'hui, sans les règles habituelles, et le fidèle
devient plus vulnérable que jamais. L'héritage des « esprits », auquel
le système de dons, survivant à l'ombre des pratiques catholiques, rac-
crochait le fidèle, devient un héritage lourd à supporter. Plus précisé-
ment, les « esprits » ne peuvent plus être contrôlés : ils ne sont plus
que pathologie et en dernière instance production diabolique. Censés
bons où mauvais, selon qu'ils sont reconnus ou méconnus, les « es-
prits » sont donc transformés en signifiants du mal, de la perdition
elle-même. « Être catholique, c'est la vraie perdition, c'est la porte
large, on fait tout », nous dit l'un des convertis, faisant ainsi allusion à
l'impossibilité de contrôler les « faiseurs de mal », c'est-à-dire ceux
qui manipulent les « esprits » et demandent « le mal » pour le pro-
chain. Mais cette opposition au catholicisme comme [320] opposition
à la sorcellerie, est à son tour surdéterminée. L'ordre « du mal » en
question est métaphorique des situations sociales dominées par le
concubinage, l'adultère, la débauche, l'alcoolisme, la délinquance. Au
coeur du catholicisme, on ne sait plus où est le bien, ou l'ordre, où est
le mal, ou le désordre : enfants légitimes et illégitimes sont placés à la
même enseigne. C'est insinuer par là que le réseau symbolique tradi-
tionnel, devenu impuissant, renvoie à l'ordre de l'informe, de la confu-
sion, de la nature, ou mieux de l'anti-nature et de la sauvagerie, en op-
position à l'ordre de la culture et de la civilisation. Peut-on dire que la
conversion aux Témoins donne des avantages sociaux et écono-
miques, difficiles désormais à obtenir par le biais du réseau symbo-
lique traditionnel ? Bien sûr, une mobilité sociale est rendue possible,
mais de manière indirecte. Car l'accès à la Bible est censé être l'accès
au niveau fondateur de l'ordre dominant. À défaut des avantages so-
ciaux et économiques on dispose des symboles de ces avantages. C'est
que le texte sacré, transcendant à la fois le système traditionnel et le
système moderne, cumule le pouvoir des deux systèmes, et à ce titre,
confère une protection totale contre « le mal ». Pour bénéficier de
cette protection, il faut éviter toute connivence avec la société tradi-
tionnelle : abandonner les carnavals, les danses, l'alcool, les lieux de
palabres et de jeux, sortir des frontières de la société et s'engager réso-
lument dans la discipline du travail, dans la fréquentation de gens
« honnêtes », rechercher la famille nucléaire. Tout semble donc se
passer comme si la conversion aux Témoins servait de moyen transi-
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 20

tionnel aux valeurs occidentales dominantes ou si l'on veut, d'assimi-


lation plus poussée, plus radicale à ces valeurs. Pourtant, c'est encore
s'en tenir à un niveau empirique dans la compréhension du succès des
Témoins. Les enquêtes que nous avons entreprises jusqu'ici nous ré-
vèlent qu'une nouvelle confrontation au système magico-religieux tra-
ditionnel aux Antilles se produisait chez les Témoins de Jéhovah. Si la
conversion met à l'abri de la sorcellerie, elle reprend par un nouveau
biais les éléments essentiels du réseau symbolique et imaginaire tradi-
tionnel : d'un côté en effet, les maladies sont interprétées comme le
langage des « esprits » : ceux-ci auraient une valence uniquement per-
sécutive pour les Témoins, mais ne font par là que rendre plus néces-
saire l'appel à la Bible comme autorité suprême, comme vérité der-
nière qui délivre de la maladie et donc rend l'individu invulnérable
aux persécutions extérieures. La croyance que les morts ou les âmes
des morts peuvent encore revenir en songe ou en plein jour persécuter
des vivants reste toujours forte. En proclamant que l'individu meurt
totalement, la doctrine des Témoins est censée en principe éliminer
toute [321] crainte des morts. Or cette crainte persiste chez le Guade-
loupéen converti, en dépit de toutes les dénégations. C'est l'ensemble
des croyances traditionnelles, y compris la croyance aux âmes des
morts et à leur possibilité d'intervenir dans la vie quotidienne, qui se
trouve rapportée à l'empire du diable. En sorte que sous le paradigme
du combat entre Jéhovah et Satan, les deux systèmes de valeurs
entrent dans une confrontation plus aigüe et plus violente. Des « mani-
festations » ou transes, lors des cérémonies de baptême, ont pu préci-
sément se produire chez les Témoins de la Guadeloupe, alors
qu'ailleurs, en Europe ou aux États-Unis, elles sont plutôt rares. D'un
autre côté, les étapes elles-mêmes de la conversion reprennent celles
du système des dons : hallucination, réception en songe ou à l'état de
veille, d'un message « surnaturel », et la maladie elle-même comme
premier mouvement d'élection de la part de Jéhovah, et que la Bible
va pouvoir guérir.

Adventistes du 7e Jour

Délivrance vis à vis de la sorcellerie, la conversion à l'Église des


Adventistes du Septième Jour l'est encore davantage que les Témoins
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 21

de Jéhovah. En 1979, on pouvait évaluer à 4000 le nombre des Adven-


tistes de la Guadeloupe, cependant qu'il s'élève à plus de 7000 à la
Martinique. Dès 1965, on assiste à une véritable frénésie de construc-
tion de temples et d'écoles dans les deux îles. En 1978, il y aurait 10
500 Adventistes, baptisés et non-baptisés à la Martinique. Mais la ma-
jorité des convertis provient des petits salariés du secteur privé :
femmes de ménage, garçons coursiers, maçons, mécaniciens, artisans,
aux emplois saisonniers et instables. Les enquêtes que nous avons me-
nées en Guadeloupe aboutissent aux mêmes conclusions que Ray-
mond Massé (1978) dans son étude sur les Adventistes à la Marti-
nique. Comme pour les Témoins, toute la clientèle adventiste provient
de l'Église catholique sur laquelle l'anathème est désormais jeté :
l'Église représente pour le converti la source de tous les désordres mo-
raux et sociaux, parce qu'elle tolère les pratiques de magie et de sor-
cellerie en son sein, sous une forme incontrôlable. Rompre avec
l'Église, c'est donc s'ouvrir la possibilité d'accéder à « la paix », au
« soulagement » vis-à-vis de la sorcellerie. Nous proposons encore
une fois un extrait de récit de conversion d'une jeune femme, cette fois
obtenu par R. MASSÉ, (1978 : 97-98) :

« Récit de conversion du sorcier B., de Guadeloupe


Mme J. E, femme du pasteur adventiste qui a baptisé le sorcier ra-
conte ce qu’elle a vu :
[322]
« Pour montrer à quel point le pouvoir de l’Adventisme est grand, je
peux vous raconter l'histoire d'un sorcier guadeloupéen, le sorcier B.. Il
était le plus grand sorcier de son pays. Au moment de sa conversion il
nous a dit qu’il ne savait même pas combien de personnes il avait déjà
tuées. Il était un sorcier formidable. Pourquoi ? Parce qu'il réussit à faire
parler les autres sorciers et les autres n’y arrivaient pas.
Alors vous savez qu'il existe des bons anges et des mauvais anges. Les
mauvais anges sont partout, haïssent Dieu et cherchent à faire perdre les
hommes. Ce sorcier-là communiquait avec les mauvais anges. Il sait ap-
peler ces mauvais anges pour leur demander des services. Il utilisait aussi
des livres comme les livres de sortilèges de l’Abbé Julio par exemple. Ce
livre-là est terrible vous savez. Il y a des heures où vous pouvez le lire et
des heures où son seul contact est très dangereux. Je lui ai demandé pour-
quoi on ne pouvait pas, le lire à de telles heures. B... m'a expliqué que les
anges sont très obéissants. Alors si vous lisez à des mauvaises heures où
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 22

que vous ne connaissez pas la signification de tel ou tel mot, les anges
viennent. Mais si vous ne pouvez les renvoyer, alors c'est vous qui êtes ex-
terminé. Puis il m'a dit : « J'appelle l'ange du mardi ». C'est le mardi qu’il
1’appelle. L'ange vient alors sous des apparences extraordinaires. Quel-
quefois, il vient en chien, quelquefois en cheval, en n’importe quelle bête.
Alors B... commande à la bête d'un ton autoritaire : « Mettez-vous en per-
sonne s’il vous plaît ». Alors tout de suite vous voyez apparaître un joli vi-
sage, celui d'un ange. Puis il dit à cet ange : « J'ai envie de connaître
quelque chose ». L'ange lui répond qu'une prochaine fois il reviendra avec
la réponse, et il revient à un moment fixé à l'avance. Mais une fois l'ange
lui a répondu : « Mais c'est terrible ce que vous me demandez-là. Si je le
fais nous périrons tous les deux. Et puis B... vous connaissez suffisamment
de choses. Contentez-vous de ce que vous savez ». B... alors se demande
ce qu’il a bien pu faire de mal pour offenser l'ange.
Un jour, il est en train de dormir, lorsqu’il voit quelqu'un venir habillé
tout en blanc, en habit d'adoration, qui lui a dit : « Voici comment vous
devez prier, les yeux baissés et recueilli ». Mais lui il n'a jamais prié
comme cela. Il était un grand et croyait qu'il connaissait tout. Alors il s'est
mis à genoux et il a dit à Dieu : « J'ai besoin de vous connaitre ». Alors
dans le rêve il voit quelqu'un lui apporter un livre qu'il ne connaît pas. Le
lendemain il se rappelle avoir déjà vu ce livre chez le voisin. Il rend visite
à ce dernier et constate la présence sur une table du même livre qu’il a vu
en songe. « Ce sont des Adventistes qui m'ont vendu ce livre », explique le
voisin. C'est très souvent que des Adventistes se convertissent ainsi. Dieu
leur parle en songe et les choses se défilent comme Dieu leur a dit. En
Martinique même, il y a une foule de gens qui ont de telles révélations en
songe. »

Les récits de conversion de sorciers sont très souvent utilisés par


les pasteurs et les fidèles adventistes comme preuve de la puissance de
leur église. Certains convertis prennent plaisir à [323] raconter com-
ment ils ont été rendus invulnérables à des sorts jetés sur eux par des
voisins. Il semble que l'obsession de la sorcellerie est encore plus forte
chez le converti adventiste que chez le Témoin de Jéhovah, car ce der-
nier prend plus de détour avant de pouvoir avouer ses attaches passées
aux pratiques de magie et de sorcellerie. Le pouvoir du diable est di-
rectement référé à ces pratiques, alors que pour le Témoin, il renvoie à
davantage de situations conflictuelles de tous ordres dans le monde
entier. Raymond MASSÉ parle d'exorcismes courants opérés par des
pasteurs adventistes pour délivrer des fidèles persécutés en pleine nuit
par des mauvais « esprits », par des mauvais sorts, ou par des maisons
« hantées ». De même, des pasteurs sont appelés au chevet des ma-
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 23

lades pour organiser des réunions de prière, en vue d'obtenir des guéri-
sons rapides. La lutte anti-sorcellerie est tellement prépondérante dans
le mouvement que le fidèle est convié à se soumettre de manière
stricte à un certain nombre d'interdits : alimentaire ; relatif au corps :
interdiction du sang, du porc, de crustacés ; social : adultère, concubi-
nage, réjouissances collectives comme le carnaval, le combat de coqs,
le cinéma, etc...
Comme chez les Témoins, la conversion opère donc le détache-
ment de l'individu par rapport au réseau symbolique traditionnel tenu
pour pure production diabolique. Mais par le biais de ce détachement,
le converti rentre dans un processus d'assimilation aux valeurs de la
modernité, ou plus exactement essaie de s'emparer des symboles
mêmes qui ouvrent la porte à la mobilité sociale. Mais ce faisant, il
conserve le même mode d'interprétation traditionnel des rapports so-
ciaux : l'interprétation sur une base magico-religieuse. Le rejet des
« esprits » auxquels un culte était rendu pour « le bien » comme pour
« le mal » au cœur de l'Église catholique, se produit avec une telle
violence qu'il contribue à renforcer la croyance en eux. Ne pouvant
plus résoudre les problèmes de la vie quotidienne, les esprits font fi-
gure d'impuissants et de vaincus. La bible, autorité suprême, achèvera
de les clouer au sol, de les disqualifier définitivement, et par elle la
« vie » redeviendra possible.
En dernière instance, Témoins et Adventistes se présentent en Gua-
deloupe et Martinique comme deux frères jumeaux. De là, sans doute
les attaques qu'ils se jettent mutuellement, puisque la clientèle est rela-
tivement de même extraction sociale et idéologique. L'impact que les
deux mouvements exercent sur les Antilles est mesurable, non seule-
ment au déploiement de l'organisation matérielle : temples, écoles, as-
semblées, congrès, qu'ils présentent, mais surtout aux modifications
culturelles importantes auxquelles ils donnent lieu dans les deux îles.
Les [324] deux mouvements parviennent à pousser l'adepte à la re-
cherche de l'établissement d'une famille nucléaire stable, et à aban-
donner les unions libres, les concubinages, sur lesquels un consensus
relatif existait jusqu'ici dans les classes populaires. Une idéologie plus
adéquate a la crise économique et sociale, que celle proposée par
l'Église catholique, l'appareil scolaire, les médias, telle semble être la
caractéristique des Témoins et des Adventistes. Mais tout se passe en-
core comme si le nouveau converti renouait de nouveaux rapports plus
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 24

solides avec le réseau symbolique et imaginaire traditionnel qui tom-


bait en lambeaux sous les assauts de la modernité.
Loin de s'assimiler totalement à la culture occidentale dominante,
le nouveau converti s'engage dans un cercle de « sauvés » et « d'élus
», dans un monde fermé où il livre un combat permanent avec le sys-
tème traditionnel. Parvient-il, dans l'opération de la conversion, à ra-
battre effectivement sur lui-même, tout le mal social ? Il semble que
l'intériorisation individuelle de la culpabilité, par laquelle il signifie-
rait son passage à la modernité, est encore repoussée. L'ordre des « es-
prits » persécutifs demeure le registre objectif d'interprétation du
« mal » pour l'individu. Le pouvoir magique attribué à la Bible montre
bien que nous sommes en présence d'un transfert du pouvoir des « es-
prits ». C'est justement ce transfert qui est chargé de faciliter un nou-
veau reclassement social, celui-là même que l'attachement au système
traditionnel rendait difficile. Nous avons signalé plus haut la faible
part des avantages sociaux et économiques obtenus en fin de compte
par les nouveaux convertis. On ne saurait, à notre avis, expliquer ce
fait, par la seule naïveté des convertis qui se seraient laissés prendre à
l'illusion. MASSÉ (1987 : 67) parle de l'« outil culturel » que repré-
sente la conversion, ou encore du mouvement religieux comme « nou-
velle culture ». Précisément, c'est bien là le niveau de demande des
convertis : en se montrant indifférents aux luttes syndicales, aux luttes
politiques, ils ne se détournent pas des révoltes et des revendications
sociales. Déjà au départ même, leur hantise est ailleurs : dans la pro-
blématique du réseau symbolique et imaginaire traditionnel par quoi
se définit leur place dans le monde, dans l'histoire et la société. La
précarité économique ne fait que raviver cette problématique et ne
suffit pas à elle seule à rendre compte des mouvements massifs de
conversion. Nous y reviendrons plus loin. Deux autres mouvements
religieux, cette fois modernes, le Mahikari et les Apôtres de l'Amour
Infini, permettront peut-être un plus grand éclairage sur ce problème.
[325]

Le Mahikari
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 25

Si chez les Témoins et les Adventistes, l'alternative fondamentale


tourne autour de l'abandon total des « esprits » comme source de salut,
ou du maintien des rapports avec eux, comme source de perdition,
avec le Mahikari et les Apôtres de l'Amour Infini, nous assistons à
l'inverse, à un renforcement du rapport aux « esprits ». Cette situation
structurale est au plus haut point instructive : d'ores et déjà elle porte
le soupçon sur toute étude monographique d'une secte qui se produi-
rait sans comparaison avec les autres mouvements religieux qui se dé-
veloppent dans une société donnée. Il est à signaler également que
certains fidèles circulent longtemps de sectes en sectes, avant de trou-
ver celle qui répond enfin à sa demande.
Le succès d'une secte comme le Mahikari provient tout d'abord de
ce qu'elle n'exige pas de ses adeptes l'abandon de sa religion anté-
rieure. En Guadeloupe et en Martinique, Le Mahikari se présente
comme un art et une technique, et même pas comme une confession
religieuse. À Porto-Rico cependant, la fiche d'incorporation du Mahi-
kari, datant du 30 Décembre 1981, le désigne essentiellement comme
une association a but religieux.
Fondé en 1959 au Japon par un homme, SUKUI NUSHI SAMA,
qui se dit le dernier envoyé de Dieu sur la terre après Bouddha et Jé-
sus, le mouvement s'est répandu dans plusieurs pays d'Europe (la
France, la Suisse et la Belgique), puis d'Afrique Noire (notamment la
Côte d'ivoire), avant de pouvoir atteindre les îles françaises de la Ca-
raïbe. En Martinique, où il est introduit en 1975-76, il compte aujour-
d'hui près de 10 000 initiés (ou KUMITES) ; puis en Guadeloupe, on
peut évaluer à environ 7 000 le nombre d'initiés. Mais dans les deux
îles, le succès du Mahikari est croissant. Des centres ou dojo sont déjà
implantés dans toutes les villes importantes. En Martinique, à Fort-de-
France, un immense temple du Mahikari a pu être construit, sur la
seule base des dons offerts par les initiés. Ce temple est capable d'ac-
cueillir beaucoup plus de fidèles que la cathédrale elle-même de Fort-
de-France. Tout en déniant de constituer une religion à son tour, le
mouvement se propose d'unifier toutes les religions et déploie lui-
même un certain nombre de pratiques religieuses qui s'emparent de
toute la vie de l'individu.
La doctrine du mouvement, consignée dans le livre dit des Révéla-
tions ou GOSEIGEN (paroles sacrées du prophète fondateur), est
simple, en dépit de sa présentation comme un mélange de philosophie
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 26

religieuse extrême-orientale et d'éléments du judeochristianisme. Il y a


d'abord la création par Dieu (ou [326] SU), puis le péché d'Adam et
d'Ève, le rachat par les prophètes, et en dernier lieu le retour au Jardin
d'Eden. Ce retour, de type millénariste, se prépare par l'action des ini-
tiés dans le monde. L'homme est composé de trois éléments : phy-
sique, astral et spirituel (reconnu dans les esprits des ancêtres). La mé-
connaissance de ce dernier élément est source de troubles, de
désordres et de conflits qui rejaillissent sur l'environnement en « pol-
lutions ». L'action à laquelle le nouvel adepte est convié consiste à re-
cevoir ou à donner « la lumière » qu'il a en lui, mais qui est une par-
celle de la lumière du Créateur. On donne « la lumière » en élevant la
main à environ 30 cms de l'individu, en la dirigeant vers le siège du
mal dans le corps, lui-même constitué d'un certain nombre de « points
» relatifs aux différents organes. Les exigences faites au Mahikariste
semblent peu encombrantes. Le futur adepte est amené rapidement,
dès sa première expérience de réception de la « lumière » à suivre un
cours d'initiation, pendant lequel il apprend les différents « points » du
corps, et les éléments essentiels de la doctrine. Diverses autres séances
d'initiation sont prévues, selon l'intérêt que manifeste le nouvel
adepte. En règle générale, les centres de réunion ou dojo sont remplis
toute la journée de malades qui viennent recevoir « la lumière », et
donc la guérison. Les assemblées elle mêmes tournent autour de
prières diverses au Créateur, le plus souvent dites en japonais, puis de
récits de guérisons miraculeuses obtenues par la force de la « lu-
mière ». Dans les centres, comme dans les grandes assemblées, des fi-
dèles peuvent se laisser aller à ce qu'on appelle dans le mouvement
des « manifestations ». Celles-ci sont en réalité des cas de transe ou de
possession par les « esprits » des ancêtres, logés dans le corps de l'in-
dividu et qui sont la cause de ses troubles, à cause même de l'oubli
dans lequel ils ont été laissés. Ce sont les « esprits » des ancêtres qui,
en définitive, reçoivent « la lumière », trouvent un apaisement et
cessent ainsi d'être persécutifs. Au moment de l'initiation, l'individu
reçoit une médaille appelée Omitama, qu'il doit porter continuelle-
ment ; elle contient une parcelle de « la lumière » divine, et aura la
vertu de le protéger contre tous les accidents, les malheurs et les diffi-
cultés de la vie quotidienne. Plusieurs adeptes ont été ainsi conduits,
dans leur quête de protection, à établir dans leur propre maison ou ap-
partement un petit autel des ancêtres sur lequel se trouve posés les
symboles de Dieu (SU). Comme la médaille, cet autel sert de relais
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 27

entre l'homme et le monde divin, l'essentiel pour l'adepte étant la re-


connaissance de sa participation au monde divin. Toute science véri-
table est science divine, et le Mahikari prétend jeter « les graines de la
civilisation » spirituelle et divine dans le monde, par la transmission
de « la lumière ». [327] Le salut c'est l'ouverture de soi à cette lu-
mière, c'est-à-dire au « désir de Dieu », ou SONEN auquel on accède
en obéissant aux lois de Dieu. Tout ce qui n'est pas soumis au spirituel
est désigné comme superstition : la science et la technologie se ra-
valent au rang de superstitions, là où elles ne s'orientent pas vers le
spirituel, pour le nouveau converti.
Concrètement, le Mahikari pousse les adeptes d'abord à une cri-
tique radicale des pratiques de la médecine moderne, et jusqu'au refus
des interventions chirurgicales. Chaque trouble physique ou mental,
chaque conflit social, chaque cataclysme naturel a sa raison d'être :
dans la méconnaissance du spirituel. Le Mahikari est la vraie théra-
peutique : il donne les preuves de sa puissance par les nombreuses
guérisons que « la lumière » reçue opère : il est aussi toute science,
dans la mesure où il cumule le pouvoir médical moderne, et celui des
spécialistes traditionnels du sacré (gadezafè, manti-mantè, kenbwa,
etc ... ). L'acte de donner la lumière revient à apaiser, à apprivoiser les
esprits des ancêtres qui font signe par les maladies et les malheurs de
toutes sortes. Les nombreux témoignages dont nous disposons parlent
du Mahikari comme du moyen enfin adéquat pour arrêter l'activité
persécutrice des « esprits ». On le voit bien, le débat pour l'individu
est loin d'être centré sur une problématique de revendications d'ordre
social et économique. Le « ma1 social » n'a même plus rien à voir
avec un système économique d'exploitation, mais en même temps tout
se passe comme si l'ensemble des situations d'exploitation et de domi-
nation historiquement constituées depuis l'esclavage, venait se récapi-
tuler dans le corps même de l'individu. De la sorte, la paix et la séréni-
té ne deviennent désormais possibles que dans le rétablissement du
dispositif symbolique et imaginaire traditionnel, mis en question par
l'évolution actuelle de la société. Avec le Mahikari, les « esprits »
cessent de jouer un rôle perturbateur : « la lumière » ne vise pas à les
expulser du corps, mais à les resituer à leur place d'esprits protecteurs,
avec lesquels on entre en dialogue.
Ainsi le fonctionnement du Mahikari en Guadeloupe et en Marti-
nique doit être référé à une problématique de crise particulière dont
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 28

l'effet est ressenti d'abord au niveau de la logique symbolique et cultu-


relle traditionnelle. À l'inverse des Témoins et des Adventistes, le Ma-
hikari fournit une nouvelle légitimation de l'héritage « des esprits »
des ancêtres, en provenance de l'Afrique et de la société esclavagiste :
le rapport à cet héritage se trouve renforcé, et sort de sa précarité.
Avant sa conversion au Mahikari, l'individu se reconnaissait impuis-
sant à dialoguer avec le monde « spirituel » ou l'ordre des ancêtres ;
aussi les « esprits » se [328] disséminaient-ils partout dans le pays,
sans amarres, sans attaches, et prêts à persécuter quiconque s'aventure
sur leur chemin. Le Mahikari est finalement une façon de renouer
avec l'héritage culturel traditionnel, mais en même temps un outil de
critique de la modernité, qui délivre l'individu de ses complexes d'in-
fériorité et qui lui procure une explication apaisante de tous les pro-
blèmes personnels et des conflits mondiaux.

Les Apôtres de l’Amour Infini

Avec les Apôtres de l'Amour Infini, une même problématique est à


l'œuvre. Mais ce mouvement n'a plus l'allure d'une secte : il se pré-
sente aux yeux de la masse des catholiques comme la seule vraie
Église catholique, soucieuse de conserver toutes ses traditions et indif-
férente à l'évolution des sociétés. Créé au Canada en 1952 par le Père
Jean-Grégoire comme une congrégation religieuse catholique, avec
l'appui du Cardinal Léger, le mouvement est devenu vite l'objet de
multiples condamnations de la part de Rome. Les excentricités du fon-
dateur qui se disait « objet de manifestations peu ordinaires », parais-
saient en effet suspectes aux yeux du clergé canadien. Mais le Père
Grégoire, se consacrant nouveau Pape, reprochait de son côté à
l'Église de se mettre en « rupture avec son passé », pour avoir lancé le
Concile Vatican II, dont le but a été le réaménagement de la doctrine
et des pratiques liturgiques en fonction du monde. Pendant une dizaine
d'années, ils étaient d'abord trois prêtres à s'installer dans la campagne
de St-Jovitte, à Québec, et à vivre de travail manuel et de prière. Un
sanctuaire dédié à la Vierge Marie parvient à attirer plusieurs milliers
de pèlerins canadiens attachés aux traditions de l'Église et mécontents
des changements opérés par Vatican Il. En butte à divers procès dans
le Québec, pour rapt de jeunes filles, escroquerie, menaces sur les
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 29

adeptes, les Apôtres de l'Amour Infini ont essayé de créer un nouveau


centre pour leurs activités dans la Caraïbe. Ils vont d'abord en Haïti,
mais la situation d'une Église concordataire ne leur facilite pas l'instal-
lation. Ils passent alors à la Guadeloupe, travaillent pendant plusieurs
années dans le silence, puis finissent par trouver la stratégie adéquate
à leur expansion. Ils installent tout d'abord deux couvents de religieux
et de religieuses, capables d'intégrer des laïcs avec leur famille, l'un
sur les hauteurs de la ville de Dehais, l'autre aux environs des grandes
chutes de Pointe-Noire. À Pointe-à-Pitre, un pied à terre, baptisé ora-
toire de Notre-Dame de Bethléem, leur permet d'attirer tous les soirs
des petits groupes de fidèles catholiques, en quête des dévotions an-
ciennes. C'est [329] en 1976 et 1977, en même temps que les autres
sectes, que les Apôtres de l'Amour Infini vont connaître un succès
spectaculaire. Plusieurs milliers de catholiques arrivent, de toute la
Guadeloupe, vers l'immense centre de Dehais pour suivre avec ferveur
les cérémonies organisées par la nouvelle secte : chemin de croix en
plein air, messe en latin, pèlerinages à la Vierge. Les autorités de
l'Église catholique tentent d'endiguer ce mouvement, dénonçant les
Apôtres de l'Amour Infini comme des dissidents, par diverses circu-
laires aux prêtres des paroisses, rien ne semble arrêter les fascinations
d'une masse énorme de catholiques. Il ne nous est pas possible mal-
heureusement d'entrer dans les détails du fonctionnement de la secte.
Seule une interrogation sera ici proposée sur les sources du succès des
Apôtres de l'Amour Infini, et sur les couches profondes de l'imagi-
naire populaire qu'ils sont parvenus en si peu de temps à soulever.
La secte déploie son action autour des trois éléments suivants :

- Une utilisation massive de la liturgie traditionnelle catholique, un


accaparement systématique des hauts lieux de pèlerinage, des grottes,
des sanctuaires délaissés par les prêtres des paroisses.
- Une prédication apocalyptique qui présente les Apôtres de
l'Amour Infini comme les Apôtres des derniers temps : les signes des
derniers temps étant les cataclysmes naturels comme l'éruption de la
Soufrière, les guerres et les conflits sociaux. Dans un même temps, la
doctrine traditionnelle de l'Église catholique est à l'honneur : hors de
l'Église, pas de salut. Un seul moyen pour gagner le ciel : la prière et
les sacrements. Toute concession au monde actuel, tout intérêt pour
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 30

les luttes sociales est alliance avec Satan. Ce monde-ci est une vallée
de larmes, un lien de souffrances rédemptrices qui servent au salut de
l'âme, et la Vierge, appelée Notre-Dame des larmes, est un modèle de
sainteté et à ce titre doit être mise au centre du vrai culte catholique.
- Annonce de miracles divers : en particulier les apparitions de la
Vierge qui se poursuivent, après celles de Fatima, viennent rappeler
aux hommes comment éviter l'enfer. Deux types d'apparitions sont or-
ganisés par la secte : apparitions périphériques individuelles, appari-
tions centrales-collectives.

L'histoire des Apôtres de l'Amour Infini en Guadeloupe s'est dé-


roulée sur le double registre d'une expérience collective (près de
75 000 personnes, selon la presse, ont fréquenté leurs centres) et d'un
roman familial qui a donné lieu à un « scandale » [330] auquel la
presse a donné la plus grande répercussion. En octobre-novembre
1977 : une jeune fille de 14 ans, Andrée douée, disait-on, d'extase et
de visions, tombe aux mains des Apôtres de l'Amour Infini, devient
religieuse dans leur couvent et prend le nom de soeur Marie-Andrée.
Elle est dite « messagère de la Sainte Vierge ». Les Apôtres diffusent
divers « messages » reçus de la Vierge, que pendant les moments
« d'extase » la religieuse transmet. Dans l'un des messages, on ap-
prend que la Vierge apparaîtra aux chutes de Pointe-Noire, des guéri-
sons miraculeuses d'aveugles, de paralytiques, de malades divers sont
annoncés et attendus. Des hommes et des femmes se jettent sous les
chutes d'eau, face à la statue de la Vierge, mais rien ne se passe. Dans
la région elle-même, plusieurs personnes se disent sujets à des rêves
où apparaît la Vierge. Février-mars 1978 : la mère de la religieuse
commence à jeter le soupçon sur les célèbres « messages surnatu-
rels ». Elle tente de récupérer sa fille du couvent et remet son cas aux
éducateurs sociaux. La police et le tribunal sont saisis de l'affaire. La
presse reparle des promesses d'apparitions qui tardent à se réaliser.
La mère de la religieuse interdit aux prêtres de l'Amour infini de
faire paraître sa fille en public. Il était en effet annoncé que la Vierge
parlera par la bouche de la jeune religieuse et apparaîtra également
dans un arbre à Pointe-Noire.
Traqués finalement par la presse, les Apôtres tentent d'emmener au
Québec la religieuse mineure, sans autorisation parentale. Pendant
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 31

qu'une foule nombreuse de pèlerins suivent le chemin de croix du


Vendredi Saint au sanctuaire de Dehais, quatre religieuses cana-
diennes et un prêtre escorte Sœur Andrée à l'aéroport. La brigade de
police des frontières intervient et empêche le départ. La grande appa-
rition prévue est renvoyée. Plus tard, les religieux canadiens sont ex-
pulsés. Mais les couvents continuent à fonctionner, les sanctuaires
sont encore remplis de pèlerins ; au moment où nous écrivons, les reli-
gieux canadiens sont revenus dans l’île.
Nous n'avons fait que donner un résumé de cette histoire tumul-
tueuse, haute en couleur, de la secte, pendant les deux années de sa
plus grande expansion. Mais jusqu'ici aucun des éléments soulignés
plus haut ne nous livre la clé du mode de fonctionnement de la secte
dans la population. Ce que la presse a désigné comme « scandale » ne
laisse entrevoir en fait qu'une partie de l'iceberg. L'enquête que nous
avons menée auprès de nombreux pèlerins, des prêtres eux-mêmes, de
la religieuse et de sa mère, et d'éducateurs sociaux, nous a révélé que
la base essentielle du développement rapide de la secte est la revitali-
sation du système magico-religieux traditionnel que l'Église catho-
lique, [331] par ses modifications, a mis en péril. Deux aspects du
fonctionnement de la secte retiennent l'attention :

1) Si le recrutement de laïcs pour les couvents se produit sur la


base de menaces (« vous ferez des accidents mortels, vous aurez tous
les malheurs si vous ne répondez pas à l'appel de la Vierge »), il a fal-
lu que les Apôtres de l'Amour Infini fassent un travail de repérage des
personnes vulnérables ou déjà en crise psychologique. L'histoire de la
jeune religieuse en témoigne. En proie régulièrement a des hallucina-
tions auditives-visuelles (vision de la croix et de la Vierge, audition de
messages « surnaturels »), et à des crises de catalepsie, l'adolescente
avait été remise aux mains d'un psychiatre. Les troubles ne cessant
pas, l'entourage d'Andrée (mais d'abord sa mère) décide de la faire
baptiser. Finalement, elle est conduite au sanctuaire de
Bethléem, établi à Pointe-à-Pitre par les Apôtres de l'Amour Infini.
De là, elle entre en contact avec une spécialiste traditionnelle du sacré
en Guadeloupe, ou gadezafè, au nom de ran coco, déjà liée à la secte,
et disposant d'un rare pouvoir de diagnostic. C'est précisément elle qui
découvre qu'Andrée possède un héritage de « dons » qui pour être
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 32

bien reconnu nécessite la consécration totale de la jeune fille au


couvent des religieuses de l'Amour Infini.
2) Au niveau collectif, on se rend compte que les sanctuaires de la
secte sont remplis de fidèles en quête de « messes » et de pratiques re-
commandées par les gadezafè. Ceux-ci se trouvent d'ailleurs présents
dans toutes les manifestations religieuses organisées par les Apôtres
de l'Amour Infini. De même, des réseaux de fidèles « en pénitence »,
habillés de blanc, ou de marron, en attente de la réception des « dons »
ou des « saints » ou « esprits » qui les élisent, se font les plus prosé-
lytes dans le cadre de la secte, et dans certains cas vivent dans les cou-
vents. Des transes et des possessions ont lieu dans les divers centres
de pèlerinage, comme si désormais les pratiques magico-religieuses
traditionnelles maintenues à l'ombre de l'Église sortaient de leur clan-
destinité grâce aux possibilités offertes par la secte.
On le pense bien, ce sont les couches populaires, à la fois pay-
sannes et citadines fraîchement déruralisées, qui constituent la clien-
tèle la plus importante des Apôtres de l'Amour Infini. Bien entendu,
les pratiques et croyances magico-religieuses se retrouvant dans tous
les clans sociaux, on peut parler d'une implantation presque nationale
de la secte. L'idée que les Apôtres de l'Amour Infini cherchaient à re-
lancer l'aile conservatrice dans l'Église, face au mouvement social sus-
cité lors d'une grève de [332] la faim organisée par un prêtre catho-
lique, l'Abbé Céleste, en solidarité avec des coupeurs de canne,
semble de peu de poids dans l'explication du succès de la secte. Sans
doute s'agissait-il pour les responsables de la secte d'attirer la bien-
veillance des pouvoirs « métropolitains » ou « coloniaux », intéressés
au statu quo. Et ce n'est pas non plus, faute de distinguer entre les pra-
tiques de la secte et celles de l'Église déjà établie, que les fidèles ont
accouru en masse à Dehaies et à Pointe-Noire. De nombreux adeptes
nous tiennent le langage des Apôtres de l'Amour Infini, contestant les
changements opérés dans l'Église depuis Vatican II. Il apparaît d'abord
que la passion pour les dévotions anciennes, datant de l'esclavage et
du XIXe siècle, comme les processions, les chemins de croix, les
messes au St-Esprit, à divers saints, aux morts, les cultes à la Vierge,
est précisément une recherche du dispositif symbolique et imaginaire,
de type africain, qui jusqu'ici était soutenu par l'encadrement de
l'Église catholique. Curieusement à Porto-Rico, les Apôtres de
l'Amour Infini qui ont déjà installé ces dernières années deux cou-
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 33

vents, rôdent autour des sanctuaires et des lieux de pèlerinage tradi-


tionnels (comme la Montana Santa, près du village de Patillas dans le
sud de l'île), abandonnés par l'Église catholique, mais fréquentés assi-
dûment par des fidèles en quête de dévotions anciennes. Cette straté-
gie rencontre bien dans la Caraïbe un terrain déjà préparé : celui-là
même qui présuppose un mode d'investissement du catholicisme sur la
base du réseau symbolique et imaginaire traditionnel, opérant dans la
constitution de la personnalité individuelle. Abandonner ces dévotions
anciennes, c’est en quelque sorte courir le risque de laisser son identi-
té suspendue dans le vide. Le succès des Apôtres de l'Amour Infini
nous donne à voir non seulement le mode particulier d'investissement
du catholicisme, de l'esclavage à nos jours, dans la Caraïbe, mais l'im-
portance cardinale de l'héritage culturel populaire, constitué au XIX e
siècle, et déjà dans le creuset de l'esclavage. Une confrontation avec
cet héritage a été rendue inévitable, devant la crise économique mo-
derne. Mais celle-ci a été d'abord ressentie comme un déplacement, ou
une défaillance du système symbolique et imaginaire souterrain qu'il
convient pour les fidèles, soit de revitaliser, soit d'écarter définitive-
ment, comme source de pathologie, ou comme ordre diabolique.
Avant d'esquisser une réflexion théorique générale sur ces nou-
veaux mouvements religieux, quelques notes s'imposent sur les sectes
autochtones-dissidentes apparues ces vingt dernières années dans la
Caraïbe.
[333]

Mouvements religieux autochtones

LE RASTAFARISME

Parmi les nouveaux mouvements qui ont le plus imprimé leur


marque à la Caraïbe, il faut signaler en tout premier lieu le Rastafa-
risme. Les rares analyses qui en ont été faites jusqu'ici se concentrent
seulement sur la Jamaïque d'où il est parti et sur les couches d'immi-
grés jamaïcains et d'autres îles de colonisation britannique, en Grande
Bretagne. Or le mouvement Rastafariste est aujourd'hui devenu caraï-
béen. Depuis la fin des années 70, Il a exercé une influence considé-
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 34

rable en particulier dans l'île de la Dominique, puis sur une frange non
négligeable de jeunes de la Guadeloupe et de la Martinique. C'est en
outre dans le cadre du Rastafarisme que la musique Reggae s'est déve-
loppée pour connaître ensuite un rayonnement à travers toute la Ca-
raïbe, puis en Afrique et dans le monde entier. Un rappel sommaire de
l'histoire et de la doctrine de ce mouvement permettra déjà de saisir
comment il s'enracine dans les survivances religieuses africaines à la
Jamaïque.
Le mouvement a été fondé vers les années 1920-1930, au plus fort
de la grande dépression mondiale, sous l'influence des idées et des slo-
gans de Marcus GARVEY : « L'Afrique aux Africains, Retour des
Noirs en Afrique ». Dès Août 1914, GARVEY lance à la Jamaïque
l'Universal Negro Improvement Association, (Association Universelle
pour l'amélioration de la condition des Noirs), puis tente à la fois aux
États-Unis et dans le pays de prêcher aux Noirs le retour à leur propre
culture ancestrale et à leur histoire d'asservissement. Pressentant l'im-
portance pour l'ensemble du monde noir de l'accession de Haïlé Sélas-
sié au trône de l'Éthiopie, comme Ras Tafari (Ras, qui veut dire
Prince, et Tafari, créateur), il se met à annoncer partout : « Regardez
vers l'Afrique, quand un roi noir sera couronné, car le jour de la déli-
vrance est proche ».
Effectivement, vers les années 30, des églises éthiopiennes di-
verses se fondent, des associations pour le soutien de l'Éthiopie, consi-
dérée déjà pour le symbole de l'Afrique toute entière, se créent. Au
sein de ces églises - les unes de tendance baptiste, les autres de ten-
dance méthodiste - plusieurs leaders noirs se jettent dans une interpré-
tation de la Bible en fonction de la condition actuelle et présente des
Noirs et lisent déjà certains passages comme l'annonce de la venue de
leur propre messie-rédempteur, pour les arracher de l'asservissement
par les Blancs, comme les Israélites de l'Égypte.
En 1953, on pouvait compter pas moins d'une douzaine d'associa-
tions religieuses et profanes qui appuyaient l'empereur [334] Haïlé Sé-
lassié, ou qui se définissaient en fonction des idées de rédemption du
monde noir tout entier : l'Église épiscopale méthodiste africaine, la
Fédération éthiopienne en lutte contre le fascisme mussolinien,
l'Église Éthiopienne Copte, le groupe Éthiopien unifié, la Foi cos-
mique de la Jeunesse éthiopienne, la Fraternité solidaire des Éthio-
piens unis, etc..., pour ne citer que celles-là. À cette époque, les élé-
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 35

ments essentiels de la doctrine Rasta sont le résultat de cette réinter-


prétation de la Bible autour de l'idée de Rédempteur noir qu'est Haïlé
Sélassié. Les Noirs sont la réincarnation des anciens Israélites exilés
et contraints à l'esclavage aux West Indies. C'est à eux que la Révéla-
tion biblique s'adresse, mais cette « vérité » a été détournée par les
Blancs. Les Noirs règneront un jour sur terre et les Blancs seront pu-
nis. La délivrance est déjà proche, sous la figure d'Haïlé Sélassié,
Messie, incarnation de Dieu sur terre, Dieu lui-même qui conduira son
peuple noir de l'enfer des West Indies vers le Paradis qu'est l'Éthiopie.
Le Psaume 68,3/ : « Que les Puissants viennent de l'Égypte, que
l'Éthiopie tende ses mains vers Dieu », est la confirmation de la divi-
nité de l'Empereur-rédempteur. C'est de lui que l'Apocalypse est cen-
sée parler, quand elle affirme : « Voici qu'il est vainqueur, le lion de la
tribu de Juda, le rejeton de David... le roi des rois » (Apoc. 5,2-5). Dès
1954, on constate déjà l'utilisation des « locks » comme signe distinc-
tif des Rasta, en fonction de la référence au « lion de Juda » qui
conjugue les pouvoirs de l'homme et du monde animal à la fois. Puis
la marijuana, ou la ganja, est désignée comme « l'herbe sainte » dont
parle aussi l'Apocalypse : « Je vous donne toute herbe : cela vous ser-
vira de nourriture.... il y a un arbre de vie... les feuilles de l'arbre sont
pour la guérison des nations. » (Apoc. 1,29 ; 22,2). Outre les
« locks », le bonnet (ou tam) porté par les Rasta a les couleurs sui-
vantes : rouge pour le sang des martyrs esclaves, noir pour la peau
noire, vert pour l'Éthiopie et l'herbe (ganja), or pour la croyance en
Rastafari et à la Jamaïque.
Sans nous étendre sur l'histoire tumultueuse du Rastafarisme, on
peut signaler certains moments importants dans sa progression à la Ja-
maïque :
Août 1934 : un des leaders noirs, Léonard HOWELL, distribue
5000 portraits d'Hailé Sélassié à la Jamaïque. Il est arrêté ; puis à sa
sortie de prison, il fonde la Société éthiopienne de salut.
1940 : sous sa direction est créée une communauté de 1600 Ras-
tas : « The Pinnacle », en montagne, près de la paroisse de Ste Cathe-
rine. Les adeptes apprennent l'histoire de l'Afrique, la [335] langue de
l'Éthiopie et pratiquent l'agriculture vivrière d'autosubsistance. La ma-
rijuana est librement utilisée.
1954 : Nouvelle arrestation de HOWELL et de 163 Rastas.
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 36

1955 et 1956 : plusieurs groupes de Rastas se présentent au port de


Kingston, à l'appel de certains leaders, pour se rendre en Éthiopie où,
leur disait-on, sur l'ordre de l'Empereur, des terres et du travail les at-
tendaient.
1958 : Une convention Rasta se réunit pour définitivement consoli-
der le mouvement. 300 Rastas ont décidé par la suite de s'emparer (se-
lon certains auteurs : symboliquement) de la ville de Kingston. Ils sont
dispersés par la police.
1959 : 5000 personnes vendent leurs biens sous l'instigation d'un
leader, Claudius Henri, et se présentent pour leur rapatriement en
Éthiopie. À la même époque, la police découvre des dépôts d'armes
chez les Rastas.
1961-62 : L'université commence à étudier le mouvement. Deux
missions officielles en Afrique (Nigeria, Éthiopie, Liberia) sont enga-
gées pour analyser les possibilités de « rapatriement » d'un certain
nombre de Noirs jamaïcains.
À l'indépendance, en 1962, certains leaders tentent de faire recon-
naître officiellement l'Association pour le rapatriement de la Fraternité
Rasta. Déjà aux élections de 1961, un leader, Ras Sam Brown, fonde,
le « Black Man's Party » ; mais sa tentative pour arriver au pouvoir
échoue.
La grande majorité des Rastas est constituée de jeunes de 17 à 35
ans, qui vivent aux environs de Kingston : tous de classes populaires,
sans emploi, souvent analphabètes, vivant d'expédients, d'autres, des
petits salariés du secteur privé, à l'emploi instable, puis des serviteurs,
des marchands de rue. L'exode rural qui a connu une accélération de-
puis le début du siècle, a produit en 1970, une concentration de 27%
de la population totale autour de Kingston et de Saint-Andrew. En
1972, on signale que l'agriculture ne représente que 9% du Produit
National Brut ; le Rastafarisme trouve donc son terrain d'élection au
milieu des jeunes chômeurs des villes, désemparés, sans avenir, mais
aussi méprisés culturellement par les classes dominantes. Le mouve-
ment vient justement les arracher, en s'adressant à eux dans leur lan-
gage quotidien et en leur annonçant le relèvement de leur dignité.
Mouvement de lutte anti-colonialiste et antiraciste, le Rastafarisme
part de la prise de conscience que l'abolition de l'esclavage ne met pas
fin à la condition d'asservissement du Noir dans le monde.
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 37

[336]
Les meetings de Rastas conduits par des leaders prophétiques sont
des moments de haute intensité émotionnelle, pendant lesquels l'indi-
vidu est amené à exprimer librement ses frustrations sociales et à
vivre déjà hic et nunc, une délivrance dans les cantiques d'inspiration
baptiste, dans la relecture de la Bible en fonction de l'histoire des es-
claves noirs, dans la musique Reggae, et dans la « communion » de la
ganja ou marijuana, appelée le « taking the chalice ». Sensation de
fierté et de puissance, mais aussi accès à « la vérité », à une explica-
tion définitive de tous les problèmes et conflits mondiaux, de tous les
« malheurs » personnels et collectifs, tel est le premier apport du Ras-
tafarisme à ses adeptes.
Il ne nous semble pas que le mouvement dispose d'une organisa-
tion précise durable, ni d'une direction unifiée. Plusieurs leaders cha-
rismatiques ont émergé. En particulier, Léonard HOWELL pouvait se
dire l'incarnation de la divinité, alors que celle-ci est attribuée en prin-
cipe au seul Haïlé Sélassié.
Mais le rôle joué par le Rastafarisme de 1920 à nos jours dans la
vie sociale, culturelle et politique de la Jamaïque demeure considé-
rable. Non seulement il a créé une nouvelle vision de l'histoire du
pays, déterminé les pratiques politiques qui se développent, il a contri-
bué aussi à lancer de nouveaux modes de poésie et de peinture, et sur-
tout à créer une véritable industrie à partir du Reggae. Au niveau éco-
nomique, un retour à l'agriculture vivrière et à l'artisanat s'est nette-
ment dessiné dans les diverses communautés Rasta. Certains ont vou-
lu voir les milieux Rasta comme des viviers de la délinquance. À la
vérité, le Rasta n'a fait que recruter des adeptes dans ces milieux. Bien
entendu, nous ne disposons pas des données qui autorisent à parler
d'une baisse de la délinquance grâce au mouvement Rasta. Selon cer-
tains auteurs, de nombreux Rasta abandonnent la délinquance sous
l'emprise des slogans « Peace and love » ; d'autres, plus rares,
semblent utiliser le Rastafarisme comme légitimation de la délin-
quance. Dans tous les cas, loin d'être une source de dysfonctionne-
ment dans la société jamaïcaine, ou dans les autres îles de la Caraïbe,
le mouvement est d'abord l'expression du dysfonctionnement de ces
sociétés à tous les niveaux.
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 38

Les interprétations proposées par certains sociologues et anthropo-


logues, sont la plupart du temps de tendance fonctionnaliste 6 et ne
peuvent guère saisir la signification réelle du Rastafarisme dans la Ja-
maïque et dans la Caraïbe. Considérer le mouvement comme une fuite
(« escape ») vis à vis des luttes sociales et politiques, c'est au sens
strict rater l'essentiel de la visée du Rastafarisme. Précisément, la lutte
politique pour l'indépendance de la Jamaïque doit beaucoup au « ré-
veil » suscité [337] dans la population par les slogans « Retour à
l'Afrique ». La plupart des luttes pour l'indépendance en Afrique noire
sont également parties des mouvements politico-religieux à tendance
millénariste ou messianique. Rien d'étonnant qu'à la Jamaïque, vu les
conditions pratiques d'apartheid dans lesquelles vivaient les noirs
pauvres depuis la fin de l'esclavage, des mouvements politico-reli-
gieux aient été les seuls canaux possibles d'expression des révoltes et
les seuls aussi qui correspondent au langage quotidien des noirs. Les
persécutions régulières des Rastas par la police et la peur qu'ils sus-
citent dans une « middle class » jamaïcaine, attachée à la culture bri-
tannique, témoigne de l'impact social et politique du mouvement.
Mais, plus profondément, on ne saurait comprendre l'émergence et
le fonctionnement du mouvement, sans le rattacher à ce qu'on pourrait
appeler une archéologie des pratiques religieuses à la Jamaïque.
Comme en Haïti, les religions africaines se sont restructurées à l'abri
des églises officielles établies par la colonisation. Déjà en 1784, les
Baptistes et les Méthodistes essaient d'obtenir une certaine influence
sur les esclaves : Georges LIELE, prédicateur noir, dans une église
« baptiste ethiopienne », soutient les luttes anti-esclavagistes. En
1831, avant l'abolition, une révolte des Noirs est suscitée grâce à la
diffusion des idées égalitaristes dans les églises baptistes. Mais pen-
dant le XIXe, les pratiques religieuses de type africain sont demeurées
vivaces, à la fois au cœur même des protestantismes, de l'anglicanisme
et du catholicisme. Le Myalisme et l'Obeahisme 7 sont, comme dans le
6 En particulier, chez G.E. Simpson (1965). Pour une discussion des ten-
dances fonctionnalistes et néo-marxistes, voir Ernest Cashmore (1981 : 33-
36). Même Roger Bastide (1967 : 173), paraît avoir mal saisi la signification
du Rastafarisme, quand il parle de « l’évolution de la fuite dans la mys-
tique ». L'interprétation que nous proposons ici se rapproche de celle de Er-
nest Cashmore qui est l'un des rares auteurs à souligner l'importance du
symbolisme dans le fonctionnement du mouvement rastafariste.
7 Sur la Palma Sola, voir l'art, déjà cité de Lusitania Martinez (1981).
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 39

Vodou haïtien, des croyances et des pratiques de magie et de sorcelle-


rie appuyées sur les cultes à différents « esprits », capables de se ma-
nifester chez les fidèles par des transes et des possessions, ou dans les
différents éléments de la nature. La « Pukuma », ou pratique de « pos-
session », le « catch the power », sont des rituels qui ont pu se déve-
lopper librement au cœur de certaines églises baptistes, investies par
un nombre croissant de leaders noirs. C'est parmi ces leaders que des
prophètes surgissent et se déclarent comme de nouveaux Moïse et ré-
interprètent la Bible en fonction des aspirations des noirs. Les reviva-
lismes semblent être un phénomène plutôt récurrent jusqu'ici dans
l'histoire religieuse de la Jamaïque. Mais peut-on dire qu'un mouve-
ment comme le Rastafarisme n'est que le retour du refoulé culturel
africain sur la scène sociale et politique ? On est tout d'abord frappé
par les similitudes que présente le Rastafarisrne avec des mouvements
religieux comme le Kimbanguisme, le N'gonzisme, le Matsouanisme
dans le Bakongo, ou comme le Harrisme en Côte d'Ivoire 8. Mouve-
ments séparatistes, ils le sont tous, mais ils exigent des [338] adeptes
l'abandon du culte traditionnel rendu aux « esprits », l'abandon expli-
cite de la sorcellerie. Tous disent aussi la diversion ou l'obstacle que
représentent ces pratiques par rapport à la mission que les hommes de
« race » noire ont obtenue à travers la Bible. Or, dans un même temps,
c'est une interprétation du monde et de l'histoire en fonction même de
la culture négro-africaine qui est mise en avant. Les symboles fonda-
mentaux de cette culture sont même restaurés, pour mieux tracer une
ligne de démarcation avec une culture occidentale dite blanche.
Ce qu'apporte par exemple le ganja ou « l'herbe sainte » autorisée
et même encouragée par le Rastafarisme c'est un nouveau mode de
rapport avec le monde et avec « l'autre », par quoi l'individu renoue
avec la transe et la possession par les « esprits », pourtant rejetés et
critiqués. « L'herbe sainte » est censée procurer des visions, décupler
les pouvoirs de communication, supprimer les peurs et les censures.
Elle représente le moment par excellence de partage intense et sacré :
les individus deviennent frères, ils enlèvent leur bonnet comme dans

8 Des comparaisons entre les mouvements religieux africains et ceux de la


Caraïbe seraient hautement instructives mais sont rarement établies. Faute
de place, nous ne pouvons pas ici nous étendre là-dessus. On se référera par
exemple aux études sur les prophétismes africains de M. SINDA (1972), de
Marc AUGE (1975), de J.P. DOZON (1974), de G. BALANDIER (1967).
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 40

une célébration « eucharistique », lisent ensemble des passages de la


Bible et poussent des cris comme « Jah Rastafari » (Jah ou Jéohvah,
se confondant parfois avec Ras ou Empereur rédempteur). De même,
les valeurs de la communauté patriarcale (soumission de la femme à
l'homme, refus du mariage, ou du modèle occidental des alliances, re-
fus des contrôles de naissance) sont bien encore celles de l'Afrique
noire, mais aussi celles qui ont été recherchées au cœur même de la si-
tuation esclavagiste qui travaillait à démanteler les tribus et les li-
gnages africains. Bien d'autres exemples pourraient être convoqués,
dont la musique Reggae elle-même qui, à côté de la tradition du
Rythm'n Blues, reprend des éléments musicaux et instrumentaux en
provenance de la KUMINA : tambours, grattoirs, rythme, système de
répétition et d'improvisation qui font retrouver le langage des « an-
cêtres ». Qu'il nous suffise de souligner ici que tout en étant une revi-
talisation des noyaux fondamentaux de la culture élaborée pendant
l'esclavage et au XIXe siècle, le Rastafarisme est le symptôme d'une
mise en marche des classes populaires, non seulement en Jamaïque,
mais aussi dans d'autres îles de la Caraïbe, vers la construction d'une
identité. La peur des middle-class et l'absence d'organisation ferme
n'ont pas permis que le mouvement sorte tout à fait de la marginalité.
Mais l'expansion du Rastafarisme dans l’île de la Dominique a ébranlé
toutes les institutions du pays, jusqu'à provoquer des affrontements
violents qui ont atteint l'ampleur d'une guerre civile. Plusieurs Rastas
dominicains sont venus chercher, depuis au moins trois ans, refuge à
la Guadeloupe.
[339]
Peu à peu, de nombreux jeunes (chômeurs en particulier) de la
Guadeloupe et de la Martinique, plutôt en révolte contre le système de
valeurs dominant, se joignent aux Rastas de la Dominique. Ils pré-
tendent contester la xénophobie anti-dominicaine qui règne dans cer-
taines couches moyennes de la population en Guadeloupe : ils portent
des « locks » et parfois constituent des petites communautés à la cam-
pagne où ils utilisent la marijuana. La non-violence semble être da-
vantage appréciée dans ces groupes.
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 41

Il est probable qu'aux îles françaises il se produise une certaine dé-


perdition idéologique du Rastafarisme 9. La mode « locks », la mu-
sique Reggae et la contestation des valeurs occidentales auraient plus
de poids que la doctrine elle-même.

La Mita

Beaucoup moins offensive que le Rastafarisme, la secte « Mita »,


fondée à Puerto-Rico en 1940, connaît un grand succès dans plusieurs
pays : en République Dominicaine où elle établit depuis 1964 deux
temples et 60 congrégations ; en Colombie avec ses 65 congrégations
et 14 000 adeptes ; enfin plus récemment au Vénezuela, au Mexique et
en Haïti.
Partie d'abord de la campagne, à Arecibo à Porto-Rico, elle a pu
construire à San Juan un immense temple capable d'accueillir environ
5 000 personnes, et dispose aujourd'hui de plusieurs entreprises, d'une
grande école, d'un dispensaire, de grandes propriétés, et d'asile pour
hommes et pour femmes désireux de consacrer leur vie entièrement à
la secte. Cette prospérité actuelle du mouvement contraste singulière-
ment avec son humble origine et surtout avec ses premières prédica-
tions prophétiques et millénaristes qui annonçaient la fin du monde et
le salut d'un petit groupe « d'élus ». Une organisation stricte avec des
pasteurs, des diacres, des gardes, des groupes de musiciens, sous la di-
rection d'un leader présenté comme la nouvelle incarnation de l'Esprit-
Saint, semble faire de la secte Mita une église établie comme n'im-
porte quelle autre, à Porto-Rico. Or l'émergence de cette secte repré-
sente un phénomène lourd de signification dans la vie sociale et poli-
tique de l’île, mais sur lequel aucune recherche n'a été effectuée jus-
qu'ici (hormis celle en cours de Nelida AGOSTO, Professeur à l'Uni-
versité de Rio Piedras, qui a pu aimablement nous faire bénéficier de
ses propres expériences d'enquête auprès des Mita). Nous ne pouvons

9 Il semble qu'on pourrait comparer la liaison opérée par Bob MARLEY


(et sa musique) entre la Jamaïque et les immigrés noirs en Angleterre, avec
ce qui se passe aux Antilles françaises. La figure de Bob Marley est davan-
tage celle d'un prophète, et d'un modèle, presqu'au même titre que Marcus
GARVEY, et qui a su ramener les Noirs aux questions de l'identité cultu-
relle. (cf. Cashmore : 1981, p. 107-122)
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 42

ici que livrer quelques observations rapides, nos propres enquêtes


n'étant pas encore terminées.
Ce qui nous a tout d'abord frappé dans nos premiers contacts avec
le leader du mouvement, Teofile Vargas Sein, dit Aaron, [340] et avec
quelques pasteurs et adeptes, c'est le désintérêt presque total porté à la
doctrine ou à la théologie elle-même du mouvement. Pour les Mita,
Dieu n'a rien enseigné, Jésus lui-même comme prophète était illettré,
l'essentiel pour le croyant est de sentir en lui la présence de l'esprit.
Apparemment, rien ne paraît distinguer les Mita des mouvements pen-
tecôtistes. La fondatrice de la secte, Juanita Garcia Peraza, avait été
pendant longtemps une pentecôtiste qui suivait assidûment les
réunions de son église, et qui s'en était détachée avec un petit groupe
de fidèles. Après une longue maladie qui dura huit ans, elle déclarait
détenir un certain nombre de révélations et finalement être l'incarna-
tion même de l’Esprit-Saint à Porto-Rico, chargée de rétablir les prin-
cipes du Christianisme primitif et de proposer la rédemption à tous
ceux qui la suivraient. Dieu est censé avoir accompli trois révélations :
celle de l'Ancien Testament, celle de Jésus, et enfin celle de Juanita
Garcia appelée MITA, qui signifie la Parole de vie, donnée aux pré-
destinés et qui s'atteste par des visions, des rêves, des guérisons. Les
réunions de prière reprennent les mêmes schémas pentecôtistes :
confessions des fidèles en public, prédication, cantiques et orchestres
qui visent à créer une atmosphère d'intensité émotionnelle au cours de
laquelle les fidèles font dans leur corps l'expérience des faveurs de
l'Esprit-Saint. Après la disparition de la fondatrice en 1970, l'Esprit-
Saint, dit-on maintenant dans le mouvement, s'est transféré dans le
corps du nouveau leader, Aaron, et continue ses révélations au monde
entier.
Sans entrer dans les détails de l'histoire de la dissidence de cette
secte avec le Pentecôtisme, quelques remarques s'imposent ici pour
cerner l'importance de ce phénomène.
Avec l'établissement des confessions protestantes à Porto-Rico au
début du siècle, à la faveur de l'occupation américaine de l'île depuis
1898, l'Église catholique, de tradition hispanique, pour garder son hé-
gémonie s'est repliée sur elle-même dans le plus strict conservatisme.
Cette attitude permettait en même temps à la masse des catholiques,
encore très peu déruralisés de garder et de développer librement des
traditions populaires liées à la fois aux religions indiennes (caraï-
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 43

béennes) et aux cultes africains, hérités de l'esclavage, puis au spiri-


tisme qui dès le XIXe siècle connaissait un succès spectaculaire dans
le pays. Une résistance rampante contre la déculturation se manifestait
ainsi : des cultes comme celui dédié à la Santa Elenita (de la Montana
Santa), portoricaine qui au début du siècle, se disait sujette à des vi-
sions de la Vierge Marie, ou même être l'incarnation de la Vierge, ap-
paraissaient. De même en 1953, la « Cecilia Temple » est un groupe
religieux dissident du Protestantisme fondamentaliste, [341] et qui dé-
clare suivre les enseignements d'un prophète (Cecilla Temple) en qui
l'Esprit-Saint s'est incarné pour créer une communauté de « sauvés ».
C'est dans ce contexte d'apparitions de divers prophètes tous an-
nonçant l'apocalypse et la possibilité de salut pour un petit groupe, que
la secte MITA apparaît. Là où la middleclass portoricaine se montre
plus attachée au spiritisme, les classes « négativement privilégiées »,
pour reprendre l'expression de Max WEBER, sont le terrain d'élection
des nouvelles sectes pentecôtistes, ou autochtones-dissidentes (du
pentecôtisme). Dès les années 1940, à la faveur des premières crises
sociales et économiques qui secouent l’île, jusqu'à provoquer les émi-
grations massives vers les États-Unis, les sectes ne seront limitées
dans leur progression que par le conservatisme du catholicisme et le
rassemblement des confessions protestantes en convention pour mieux
faire front contre le catholicisme.
Une perspective fonctionnaliste régnante semble voir dans l'avène-
ment des nouvelles sectes comme dans les croyances et pratiques du
spiritisme à Porto-Rico, des fonctions thérapeutiques (psychiatriques)
ou des fonctions d'adaptation à la modernité. Or tout se passe plutôt
comme si nous étions en présence d'un mouvement souterrain et in-
conscient de résistance à la modernité elle-même et à la mainmise
croissante des États-Unis sur le pays. Les deux seules observations
suivantes peuvent confirmer cette hypothèse : d'un côté un attache-
ment compulsif aux pratiques ancestrales (de type indien-caraïbéen, et
de type africain) est manifeste dans le mode même d'apparition des
prophètes : maladie - vision - révélation - incarnation de l'Esprit dans
le corps du prophète tenu pour un véritable « medium », ainsi se pré-
sente la première séquence de création des sectes autochtones. Les
pratiques de guérison mises en œuvre, viennent attester la vérité du
mouvement ; mais de manière détournée, elles ramènent le nouvel
adepte au système traditionnel de rapport aux « esprits » des ancêtres,
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 44

rendu plus difficile dans la crise culturelle actuelle. D'un autre côté,
l'annonce d'un nouvel espace de salut (un Temple, une tente, dans un
point précis du pays) contre « le mal » qui se répand partout, est le
signe d'une contestation indirecte du système dominant. Ainsi les pro-
phètes ou les nouveaux messies travaillent à traquer les « démons »,
dits « enemigos » ou « huestes » (chez les Mita) qui rôdent autour des
individus, ou qui pénètrent l'âme et le corps, puis à organiser une com-
munauté d'élus, de protégés du « monde » où « le mal » ne fait aujour-
d'hui que prospérer. Les Mita ont fini ainsi par établir leurs propres
entreprises, délimiter leur propre zone d'habitation, créer leur propre
espace, pour faciliter le contact [342] avant tout entre les élus ou les
« sauvés » du désastre actuel ou à venir.

La Palma Sola en République Dominicaine

Qu'il nous suffise de signaler encore une autre secte cette fois en
République Dominicaine, qui a eu un impact politique considérable :
il s'agit de la Palma Sola, mouvement créé en 1961 et 1962, et qui a su
rassembler en peu de temps plusieurs milliers d'adeptes dans les mon-
tagnes proches de la frontière haïtienne. À l'origine de ce mouvement,
un certain Liborio Mateo de 1910 à 1922, se proclame le messager de
Dieu sur la terre, et par ses pratiques de guérison, attire autour de lui
plusieurs milliers de paysans, en pleine occupation américaine. Persé-
cuté, il se réfugie dans les montagnes, au début de la dictature de Tru-
jillo. En 1922, il est tué, mais pour ses fidèles, il demeure vivant et de-
vra ressusciter pour achever sa mission. En 1961, c'est son mouve-
ment qui est censé renaître, sous l'impulsion d'un certain Plinio Ventu-
ra Rodriguez, qui déclare avoir reçu de Dieu au cours d'une révélation,
la charge de fonder l'Union Cristiana Mundial, dans un lieu nommé
Palma Sola. Environ 5 000 personnes, spécialement de la classe pay-
sanne se sont ainsi regroupées dans une vaste communauté, autour
d'une église en bois, organisant des chemins de croix, chantant les
cantiques catholiques traditionnels, et des cantiques composés par Li-
borio. De grandes croix sont dressées devant lesquelles les adeptes
doivent confesser tous les maux qu'ils ont commis ; des pratiques de
guérison miraculeuse ont lieu ; et le culte traditionnel des saints est
restauré. Mais dans un même temps, tous les symboles, croyances et
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 45

pratiques de type vodou (sacrifices d'animaux, bains curatifs, culte des


esprits résidant dans les arbres, dans les rivières et les sources, divina-
tion, etc ...), sont librement admis au sein de la communauté. Au ni-
veau social et politique, le refus du travail salarié, le refus de partici-
pation aux élections, laissait planer sur le mouvement la plus grande
suspicion de la part des pouvoirs publics. Et bien plus graves encore
ont été les rumeurs de ré-emploi de pratiques du Vodou haitien. Dans
le contexte politique effervescent de 1962, les interrogations allaient
bon train autour d'un retour par la frontière haïtienne d'anciens Tru-
jillistes aidés par le dictateur Duvalier, ou alors autour d'une invasion
de sauvagerie et de sorcellerie-vodou en provenance d'Haïti. Finale-
ment, le Conseil d'État, alors au pouvoir, décide le 28 Décembre 1962,
de passer à l'attaque de la nouvelle communauté. Un véritable géno-
cide en est résulté : deux cents morts selon certains, 400 à 500 selon
d'autres. Et ainsi prend [343] fin pour un temps l'aventure de la Palma
Sola. Il n'est pas possible, dans le cadre de ce travail, de rendre
compte de tous les facteurs complexes qui entrent en jeu dans la pro-
duction de ce mouvement syncrétique-messianique, et du génocide
que les pouvoirs publics d'alors ont choisi comme solution. Non seule-
ment, l'ignorance des pratiques religieuse populaires du pays, de la
part de la classe politique dominante, de la presse elle-même, est ap-
parue grande, mais aussi des préjugés accumulés sur le vodou comme
étant seulement une religion des « Noirs haïtiens » sont encore si forts
qu'ils viennent brouiller les pistes d'une investigation scientifique sur
la Palma Sola. On attend encore l'histoire de ce mouvement. Mais dé-
jà, les éléments sommaires rappelés ici nous laissent entrevoir ce
qu'une enquête sur les nouveaux mouvements religieux dans la Ca-
raïbe pourrait apporter à la compréhension du mode d'évolution so-
ciale, culturelle et politique de la région.
Au moment où nous écrivons, les mouvements charismatiques, ap-
parus à l'ombre du catholicisme (désormais tolérant) comme des
confessions protestantes, prospèrent de la Guadeloupe à Santo-Do-
mingo, et à Porto-Rico et en Haïti, rassemblant plusieurs milliers de
personnes dans chacune de ces îles, sous la conduite de prêtres ou de
religieuses catholiques et impulsant des pratiques de confessions pu-
bliques, de guérisons, de transes, toutes comme des manifestations de
l'Esprit-Saint. Il semble bien que par là s'opèrent des retours aux pra-
tiques et aux croyances les plus traditionnelles, telles que nous l'avons
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 46

signalé au début de ce travail, et qui témoignent du ré-emploi d'un


noyau symbolique central, focalisateur, à l'œuvre depuis l'esclavage
dans les traditions populaires religieuses et culturelles de la Caraïbe.
Expérience de l'Esprit, à défaut du culte des esprits, le charismatique
donne lieu en effet dans les villes à des pratiques de transe, de posses-
sion et constitue une reprise désormais plus légitime des croyances
censées caractéristiques des classes populaires ou des basses classes
en général.

Esquisse d'une réflexion théorique

Nous n'avons pu présenter ici qu'une analyse sommaire des


quelques-uns des nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe. Il
n'est donc pas encore possible de tirer des conclusions définitives. La
faiblesse de la documentation déjà constituée dans la région est
grande, en dépit de la recrudescence étonnante des mouvements reli-
gieux les plus variés.
Les problèmes soulevés par les mouvements que nous avons signa-
lés ici sont nombreux et complexes. Tout d'abord, pour [344] répondre
à une première inquiétude, il est douteux qu'on puisse saisir les méca-
nismes cachés de fonctionnement des sectes ou des nouveaux mouve-
ments religieux importés ou autochtones à partir de la seule théorie de
la crise économique et sociale. Certes, toute secte trouve ses assises
dans une crise de la société en question. Mais cette théorie, pour juste
soit-elle, est trop générale, et ne parvient pas à prendre en compte la
logique symbolique-culturelle propre à une société particulière. On ne
peut rabattre par exemple l'analyse produite sur les Témoins de Jého-
vah et les Adventistes en Europe et aux États-Unis sur la Guadeloupe
et la Martinique. Un autre fonctionnement de ces mouvements se
donne à voir, qui est en décalage par rapport à la doctrine officielle et
aux pratiques diffusées. Le même problème se retrouve dans le cas
des Apôtres de l'Amour Infini et du Mahikari. D'autre part, il est non
moins douteux qu'on puisse tenir les sectes pour des solutions fausses
et illusoires à la dite crise économique et sociale. C'est là le point de
vue le plus courant, adopté par les analyses de tendance fonctionna-
liste ou scientiste. Ce point de vue, qui est aussi celui de certaines
écoles marxistes, est hégémonique, même chez les non marxistes.
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 47

Évasion mystique par rapport aux luttes sociales et politiques qui s'im-
posent, les sectes auraient, d'après les perspectives fonctionnalistes,
une fonction thérapeutique, ou seraient des formes plus ou moins
réussies d'adaptation à la modernité. C'est la position adoptée par G.E.
SIMPSON dans son analyse du Rastafarisme, dans lequel il voit une
recherche de fuite (« escape »), mais « non de modification du sys-
tème économique ». Le fonctionnalisme est ainsi préoccupé de
connaître les fonctions de dysfonction des sectes, mais non de saisir
les mécanismes cachés ou la logique souterraine qui préside à leur
émergence et à leur fonctionnement. Prenons la thèse des fonctions
thérapeutiques des sectes : le plus souvent les nouveaux prophètes ap-
paraissent effectivement comme des guérisseurs, qui offrent leur mou-
vements comme un canal d'expression des frustrations et comme
moyen d'échapper à l'asile psychiatrique. Pour Porto-Rico, des travaux
sur le spiritisme et les nouvelles sectes soulignent fortement l'aspect
d'appoint à la thérapeutique officielle. Or il semble qu'ailleurs, par
exemple en Martinique, des adeptes de l'Adventisme finissent par
aboutir à l'hôpital psychiatrique, à cause de la discipline trop sévère 10
imposée par le mouvement qui interdit toute participation aux réjouis-
sances collectives traditionnelles en général (carnaval, combat de
coqs, veillées des morts, etc ... ). Non que la fonction thérapeutique ne
soit importante, mais elle n'est pas toujours l'élément pertinent dans
les sources d'explication du succès de [345] la secte. Également,
l'adaptation à la modernité et le rejet de la modernité, repérables ici et
là sont ambiguës, et cela est souvent oublié par le fonctionnalisme. La
secte offre en effet une réinterprétation du système religieux tradition-
nel et des valeurs modernes. Mais de son côté, le culturalisme, malgré
sa vigilance, avait été impuissant à saisir le mode d'articulation des
mouvements religieux aux problèmes économiques, sociaux et poli-
tiques.
10 C'est la conclusion de Raymond MASSÉ (1978 : 68-69) : « C'est dans la
mesure, écrit-il où l'Adventisme détruit les mécanismes traditionnels d'adap-
tation psychologique en plus de créer de nouvelles sources de frustration en
imposant un puritanisme et un ascétisme complètement inadapté au contexte
antillais qu'il devient un facteur important de déséquilibre mental et donc
source de maladie mentale... Il ne faut pas oublier toutefois que pour
d'autres cas nous avons démontré que la conversion opérait une véritable
thérapie ... ». Ces deux effets possibles de la conversion montrent bien juste-
ment qu'il faut résolument s'engager dans une perspective autre que fonc-
tionnaliste pour saisir les raisons du succès des sectes.
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 48

Enfin, un dernier obstacle, et pas le moindre, à une approche théo-


rique des nouveaux mouvements religieux est l'interprétation de ces
mouvements en termes d'entreprise économique et charlatanesque. Là
encore, nous sommes en présence de préjugés qui sont fondés sur des
observations générales, mais superficielles, puisqu'ils évitent l'interro-
gation sur la capacité des masses elles-mêmes à mordre à « l'hame-
çon ». Mais auparavant, que d'Églises établies, disposent dans leur
histoire d'un arsenal de pratiques, de supercherie, de ponction écono-
mique sur les fidèles, et de coercition ! Que de nombreuses sectes mo-
dernes soient des « centrales d'affaires » prospères, il n'est pas difficile
de l'établir. Qu'elles donnent également, des signes évident de totalita-
risme, c'est également souligné aujourd'hui. Ainsi les cas de séparation
plus ou moins forcée de l'individu avec sa famille et son environne-
ment social, d'accaparement de ses biens, de menaces sur la vie des
adeptes tentés de sortir de la secte, des cas d'utilisation de techniques
de manipulation type « programming », d'incitation à la drogue, à la
prostitution, etc... Mais on souligne fort peu que les sectes modernes
reprennent souvent des formes de pratiques (anciennes) tirées de
congrégations religieuses catholiques, en sorte qu'il devient difficile
de confiner le totalitarisme aux seules sectes qui en donnent les signes
évidents. L'hypothèse sur les nouvelles formes de pratiques totalitaires
amenées par les sectes mériterait toutefois d'être approfondie, car elle
conduit à l'insondable thème de la servitude volontaire. L'holocauste
de Guyana, par exemple, qui devrait susciter une plus grande inquié-
tude sur l'hospitalité caraïbéenne en matière de religion, a été analysé
par un petit nombre de chercheurs, dont Gordon LEWIS (1979). Mais
son travail ne semble pas avoir provoqué les débats qu'il suggérait.
C'est qu'on croit disposer déjà de la théorie des sectes, alors que le
problème de rapport de l'État à la religion dans la Caraïbe, et plus sim-
plement le problème des droits humains à l'intérieur d'une secte mo-
derne sont peu analysés. Les cris d'alarme ne peuvent suffire, ni tenir
lieu d'analyse et d'investigations. On dirait même que le développe-
ment des sectes bénéficie du peu d'attention que leur portent écono-
mistes et politologues. Pour nous, c'est [346] même l'occultation du
phénomène religieux qui mène nombre d'analyses économiques et po-
litiques à l'impasse, dans la région caraïbéenne.
Il faudrait avant tout saisir l'importance du travail souterrain des
réseaux symboliques et imaginaires dans la production d'une culture
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 49

irréductible à la culture occidentale, dans la Caraïbe. Les travaux que


nous avons menés sur le Vodou haïtien nous donnaient à le voir
comme un langage articulé, capable d'adaptation aux conditions les
plus diverses, et source d'inspiration dans les arts en Haïti. Mais il ap-
paraissait plus net encore qu'en dépit des tentatives de manipulation et
de contrôle par les pouvoirs établis, une articulation du Vodou s'opé-
rait avec les luttes sociales, sans pour autant que le Vodou s'épuise
dans cette articulation. Une analyse non réductrice du phénomène reli-
gieux, et soucieuse d'une reprise critique de ses caractères utopiques
s'avère indispensable. Dans cette perspective, si la méthodologie
structuraliste nous permet de saisir tout d'abord les noyaux centraux et
focalisateurs de la culture caraïbéenne, à travers le phénomène reli-
gieux, elle reste encore insuffisante. Là où elle permet une critique des
perspectives fonctionnaliste et écologique, comme trop descriptives et
superficielles, elle ne peut ni rendre compte des particularités cultu-
relles, celles-ci sont dissoutes dans la quête des structures universelles
ou des catégories a priori, ni du mouvement de l'histoire elle-même,
comme mouvement jamais achevé. La culture n'est pas statique, mais
un noyau symbolique et imaginaire central, focalisateur est à l'œuvre
qui rend compte à la fois de l'unité des divers mouvements religieux
qui traversent la région caraïbéenne, et de la quête incessante vers la
construction d'une identité. À la suite de M. SAHLINS, nous pouvons
parler d'une véritable logique symbolique –culturelle spécifique mise
à l'œuvre, mais cette fois au sens où elle n'est pas donnée une fois
pour toutes.
Dans un premier temps, il nous faut reconnaître un double fonc-
tionnement des sectes dans la Caraïbe, dans la mesure où les sectes
prennent appui sur ce que nous appelons un réseau symbolique et ima-
ginaire traditionnel qu'elles réactivent ou avec lequel elles suscitent
une confrontation radicale. Le succès des Apôtres de l'Amour Infini en
Guadeloupe, par exemple, est inexplicable autrement. De même le
Rastafarisme en Jamaïque, ou la Mita à Porto-Rico. Dans ces mouve-
ments religieux, il semble que s'opère un certain affaissement de la
thématique apocalyptique, au profit du travail de confrontation avec
un héritage culturel populaire, mis en lambeaux ou en difficultés de-
vant l'envahissement des valeurs de la culture occidentale [347] domi-
nantes. La crise économique et sociale qui est la première porte ou-
verte à l'installation ou à l'émergence des nouveaux mouvements reli-
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 50

gieux est ressentie au niveau culturel tout d'abord, puisqu'elle produit


un déplacement ou un ébranlement du dispositif imaginaire et symbo-
lique, à partir duquel l'individu déploie traditionnellement sa quête
d'identité. Dans le cas de la Caraïbe, les croyances et pratiques reli-
gieuses élaborées dans le creuset de l'esclavage ont toujours été la
source d'une vitalité culturelle continue au niveau populaire, comme
au niveau de la couche des intellectuels. Comme mode d'interprétation
de l'histoire, comme archives, comme source de connaissances médi-
cinales et de sagesse, ces croyances et pratiques se révèlent en même
temps source d'inspiration dans la poésie, le théâtre, la peinture, la
musique, les danses ou les arts en général. La découverte de la mu-
sique Reggae, comme de la peinture naïve haïtienne doivent beaucoup
à ce dispositif symbolique et imaginaire central et focalisateur. C'est
pourquoi une analyse purement idéologique des nouveaux mouve-
ments religieux comme mode de reproduction des rapports sociaux est
insuffisante, car la problématique du symbolique et de l'imaginaire
mise en cause dans l'opération de la conversion à la secte est plus
complexe et, pourrait-on dire, elle précède l'idéologique. Que les
luttes économiques et politiques passent au second plan, perdent appa-
remment toute consistance, pour le nouvel adepte, cela ne fait que
nous instruire sur les préoccupations et les obsessions de l'individu,
avant même la conversion.
Que la crise économique et sociale ne soit pas la cause première du
succès des sectes, on en a la preuve dans le double mouvement d'émi-
gration auquel donne lieu la conversion aux nouvelles sectes : des
Portoricains, immigrés aux U.S.A., convertis aux Mita, reviennent
s'établir à Porto-Rico ; des Haïtiens convertis à l'Adventisme, à
l'Évangélisme, cherchent par le biais de la nouvelle secte à fuir Haïti ;
ou des Mahikaristes antillais vivant à Paris reviennent aux Antilles.
C'est là, comme pour les effets pathologiques ou thérapeutiques de
l'Adventisme à la Martinique, le signe que la raison du succès des
sectes ne s'épuise pas dans ses fonctions explicites de mobilité sociale
offerte aux adeptes. Comme le souligne James Beckford (1983), l'uto-
pie proposée par la secte ne ravit pas totalement l'adepte d'une inser-
tion quelconque dans le monde et la société. Force est de reconnaître
et de reconsidérer la puissance de la créativité symbolique à l'œuvre
dans le nouveau régime de vie auquel conduit la secte. Mais parler du
symbolique c'est parler de différenciations dans les modes d'interpré-
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 51

tation du succès des [348] sectes, en fonction de chaque culture don-


née. Ainsi par exemple, alors que les Adventistes Guadeloupéens et
Martiniquais sont obsédés par la lutte contre les « esprits persécutifs »,
les Adventistes Haïtiens immigrés en Guadeloupe semblent être plus
préoccupés de la mobilité sociale, d'opportunités de contacts et de ren-
contres avec la population d'accueil. Pourtant la fuite vis-à-vis de la
sorcellerie de plus en plus prépondérante dans le champ du vodou
reste également capitale dans la conversion aux sectes en Haïti même.
Bien entendu, on ne devra pas se laisser piéger par le refus de toute
participation aux luttes syndicales et politiques chez les Témoins et les
Adventistes. De manière oblique, un bénéfice social est obtenu dans la
conversion. Non seulement la nouvelle secte offre de nouveaux liens
de solidarité avec les membres eux-mêmes de la secte, devenus la
nouvelle famille élargie perdue par le développement économique ac-
tuel, mais il assure des possibilités de rencontres au-delà même de son
propre pays, au niveau international : ce qui correspond en particulier
aux demandes de migrants. Dans le cas des Haïtiens réfugiés ou immi-
grés un peu partout dans la Caraïbe, les religions nouvelles sont re-
cherchées comme moyens d'insertion dans le pays d'accueil. Et pour
les Noirs, le Rastafarisme, en Grande Bretagne comme dans la Ca-
raïbe, favorise de nouvelles formes de lutte solidaire, par-delà les par-
ticularités nationales.
Mais au-delà de ces aspects empiriques, que présente la conversion
aux nouvelles sectes, une réflexion est à instaurer à partir de la problé-
matique du symbolique comme tel.
Fournissant en effet les matériaux pour la constitution de la person-
nalité individuelle, comme de l'identité collective, le dispositif symbo-
lique et imaginaire ouvre en même temps la voie à une démarche de
production du sens, c'est-à-dire d'un langage spécifique à partir duquel
le social lui-même et le monde sont appréhendés. Comprendre cela,
c'est sortir d'une interprétation pré-saussurienne du symbole, qui est
souvent à la clef des analyses fonctionnalistes, comme des analyses
scientistes et positivistes qui voient les croyances et les pratiques reli-
gieuses entièrement déterminées par le niveau de développement des
forces productives et par une insuffisante connaissance scientifique du
monde et de la société. Même chez DURKHEIM, la théorie sociolo-
gique du symbole aboutit à le conduire sur une pente fonctionnaliste.
Ce qu'il s'agit de prendre en compte dans le phénomène religieux ici,
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 52

c'est la créativité symbolique comme telle, à l'intérieur d'une culture


précise, en l'occurrence, dans la culture caraïbéenne.
[349]
C'est sur ce dernier point que nous aimerions conclure ce premier
sondage sur les nouveaux mouvements religieux qui parcourent la Ca-
raïbe.
Que certaines sectes, évoluant à l'abri ou non de certains États ou
gouvernements, produisent un effet de déculturation dangereuse, ou se
déploient en institution totalitaire, c'est là un phénomène qui retient
l'attention et qui doit être mis au jour par l'analyse. Le recours ici au
concept de créativité symbolique ne présume pas de faire l'impasse sur
l'aspect nocif de ces mouvements religieux. Mais il n'est pas non plus
question de se mettre à la recherche des aspects positifs de ces mouve-
ments. Il s'agit de rendre compte, de dévoiler des mécanismes cachés
de production et de fonctionnement des sectes dans la Caraïbe, et non
de se livrer à des jugements de valeur. Pour nous, tout se passe comme
si le succès des sectes importées et autochtones provenait de ce
qu'elles fournissent aux classes populaires une culture transitionnelle
face aux système traditionnel et moderne de valeurs. Les nouveaux
convertis apparaitraient ainsi comme de véritables bricoleurs, faisant
flèche de tout bois, pour se recréer un nouveau milieu de vie, un nou-
veau langage. Que ce soit par exemple par la légitimation ou le rejet
du noyau symbolique et imaginaire traditionnel, le converti entre dans
un processus de construction d'un écart par rapport aux valeurs domi-
nantes : même adoptées, celles-ci sont réinterprétées, de manière di-
recte ou indirecte, sur la base de l'ancien système culturel. La secte
met l'individu à l'abri de la collectivité, en lui offrant une nouvelle
culture, et c'est sans doute là sa puissance de séduction.
Même quand la Bible, texte sacré fondateur de tout texte, est prise
pour toute culture ou la culture par excellence, elle est enveloppée
d'une aura magique qui lui attribue le pouvoir de la culture tradition-
nelle comme de la culture moderne. À l'inverse, les faveurs de la ve-
nue de l'Esprit-Saint dans le corps (comme dans la Mita, les Pentecô-
tismes et les Charismatismes modernes), sont la reprise détournée,
mais désormais légitimée des rapports avec l'héritage des « esprits »
(« saints », ou « dons », ou « mystères »), devenu trop lourd à suppor-
ter tel quel. De leur côté, les Adventistes et les Témoins, dans leur
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 53

fuite en avant par rapport à cet héritage, le retrouvent jusque dans


leurs modalités de conversion : la Bible est offerte en songe, la mala-
die est une élection divine pour le royaume des « sauvés ».
Il est donc non moins certain que l'individu, en fuite par rapport à
son histoire est continuellement poursuivi par elle. On peut dire que ce
sont ses propres traces qui mettent le nouveau converti en route. Une
résistance inconsciente à la destruction de l'identité, tel semble être le
bénéfice de la conversion. Mais [350] dans la conversion, elle-même,
l'héritage culturel traditionnel mis en échec par la modernité rayonne
encore de ses derniers feux. Il se consume dans son incandescence. Il
dit sa perte et son impuissance dans sa revitalisation comme dans son
rejet le plus violent. Plus l'espace rétrécit comme une peau de chagrin,
plus les tentatives de réappropriation se font passionnées : les adeptes
des Apôtres de l'Amour Infini en Guadeloupe, ou de la « Palma Sola »
en République Dominicaine, ou les Rastafaristes s'évertuent à recon-
quérir les arbres, les grottes, les sanctuaires, les lieux de pèlerinage,
les montagnes : on recrée des communautés utopiques, on relance une
agriculture vivrière en panne, on recrée des modes musicales ; le sys-
tème médical est remis en question. Et partout, dans chaque secteur de
la vie quotidienne, une tâche de création incessante, de quête d'identité
se donne à voir. C'était déjà le mouvement que tentait d'effectuer le
marronnage de la société esclavagiste. Soumise du XVIe siècle à nos
jours aux convoitises et aux fantasmes des grandes puissances, la Ca-
raïbe est encore en marche vers la conquête de son espace. Les nou-
velles sectes semblent indiquer que la culture caraïbéenne n'a encore
jamais trouvé ses assises et continue à se construire.
[351]

NOTES

Les notes en fin de chapitre ont toutes été converties en notes de


bas de page dans cette édition numérique des Classiques des sciences
sociales pour en faciliter la lecture. JMT.
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 54

[352]

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