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(1989) [2000]
“Les nouveaux
mouvements religieux
dans la Caraïbe.”
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À PARTIR DU TEXTE:
Laënnec Hurbon,
Courriel : lhurbon@yahoo.com
Laënnec HURBON
docteur en Théologie (Institut catholique de Paris) et en Sociologie (Sorbonne),
directeur de recherche au CNRS et professeur à l'Université Quisqueya de Port-au-Prince Doyen
[307]
Deuxième partie :
Sectes et Systèmes magico-religieux .
Anthropologie et sociologie
Chapitre 17
“Les nouveaux mouvements religieux
dans la Caraïbe.”
Laënnec HURBON
[308]
[309]
Depuis une vingtaine d'années, c'est-à-dire depuis l'avènement du
Castrisme, les recherches sur la Caraïbe semblent avoir été essentielle-
ment centrées sur l'économie et la politique. Comme entité régionale
et comme objet d'étude, la Caraïbe apparaît comme un espace qui sert
de terrain d'expérience pour une guerre entre des modèles écono-
miques dans les conflits mondiaux du XX e siècle. Une véritable
course à la Caraïbéanité se développe, mais déterminée en grande par-
tie par les séculaires convoitises des puissances métropolitaines qui,
du XVe siècle à nos jours, ont fait de l'espace caraïbéen un théâtre
d'expression de leurs propres conflits, de leurs propres fantasmes,
avec tout un cortège de pratiques génocidaires ou ethnocidaires selon
les besoins d'exploitation économique ou d'utilisation stratégique.
Pourtant l'étude du phénomène religieux compris dans son articula-
tion à la culture ouvrirait bien vers une toute autre Caraïbe, peut-être
plus tournée vers la construction de sa propre identité.
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 7
pour présenter une autre vision du Vodou n'a pas eu l'effet attendu.
Sans doute, ces auteurs ont-ils très peu attaqué de front les préjugés
qui circulent dans les classes dominantes et les « middle-class » de la
Caraïbe. Or si le Vodou a pu se développer en Haïti, ce n'est pas
d'abord uniquement comme moyen de résistance anti-esclavagiste 3,
qui s'épuise dans cette fonction de résistance et qui n'a plus qu'une
existence en sursis, due au faible développement des symboles de la
civilisation dans les campagnes haïtiennes (écoles, hôpitaux, électrici-
té, télévision, etc ... ), c'est aussi parce qu'il correspond à une culture
vivante, originale, capable de développer des capacités d'adaptation
aux conditions les plus diverses. Que le Vodou soit un culte rendu à
des esprits répartis en différents rites, et en différentes familles, char-
gées de rendre compte des rapports de l'homme à la nature, et de
l'homme avec l'homme, qu'il suppose une anthropologie spécifique-
ment africaine du corps et de la personne comme traversée de forces
multiples, qu'il soit une interprétation précise de l'histoire et du
monde, ni plus ni moins valable que celle de la culture occidentale,
tout cela a déjà fait l'objet d'investigations précises. Mais ce que l'on
privilégie dans une telle logique symbolique, c'est l'ordre de la magie
et de la sorcellerie. Ordre de la sauvagerie et de la primitivité, ainsi se
résumerait le Vodou, dans l'acception caraïbéenne actuelle, mais c'est
là un trophée de la domination coloniale, auquel le silence de la socio-
logie caraïbéenne rend un éloquent hommage. Pourtant la liaison du
Vodou au Christianisme dont il a annexé les symboles, le calendrier, la
liturgie et même des éléments de la théologie laissait voir en gros plan
un processus identique qui s'est poursuivi dans d'autres [313] pays de
la Caraïbe, quoique sous des formes moins spectaculaires. Je ne veux
parler ici ni du Shango-cult, ni de la Santeria, mais des pratiques ma-
gico-religieuses qui se développent dans le cadre du catholicisme aux
Antilles françaises où le vodou n'existe pas mais où un noyau symbo-
lique religieux africain ou de type africain se retrouve. En Guade-
4 Scott Cook, par exemple, dans son article sur « The prophets : A Reviva-
listic Folk Religions Movement in Puerto-Rico » (1971 : 577 n°3) soutient :
« There is no published evidence of African survivals among existant Puer-
to-Rican folk religious groups. The similarities are purely structured and
functional, not historical. »
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 12
Témoins de Jéhovah
Dieu. J'ai tendance à vouloir dire des prières catholiques. Mais le dernier
nom qui m'est venu est Jéhovah. J'ai été ainsi libérée. Je me sentais ca-
davre, j'étais essoufflée. Je me mets à méditer. Je prends la Bible. Je sens
que j'aurais comme un réconfort. Je l'ouvre, je tombe sur le psaume 91
(voir surtout v. 5 et v. 14). La personne que j'ai vue en songe était très ai-
mée dans la famille. C'était un membre (âgé) de la famille. Un parrain.
Comment dans sa mort peut-il dire tu m'appartiens ? Par l'étude, je vois
que c'est un esprit malin qui m'en voulait. L'esprit malin utilise toutes
sortes de subterfuges. »
« Souvent les gens qui ont des manifestations travaillent avec la sor-
cellerie. »
1967 1974
[319]
TABLEAU STATISTIQUE
DES TÉMOINS DE JÉHOVAH EN GUADELOUPE
Moy. Procl.
Congrégation *
Années
Nb. Bapt.
Moy. Pionners*
1973 1988 163 1808 4 165 72 26
1974 2207 147 2061 14 450 73 29
1976 2580 126 2470 7 228 66 32
1978 2619 124 2537 7 133 55 36
Adventistes du 7e Jour
que vous ne connaissez pas la signification de tel ou tel mot, les anges
viennent. Mais si vous ne pouvez les renvoyer, alors c'est vous qui êtes ex-
terminé. Puis il m'a dit : « J'appelle l'ange du mardi ». C'est le mardi qu’il
1’appelle. L'ange vient alors sous des apparences extraordinaires. Quel-
quefois, il vient en chien, quelquefois en cheval, en n’importe quelle bête.
Alors B... commande à la bête d'un ton autoritaire : « Mettez-vous en per-
sonne s’il vous plaît ». Alors tout de suite vous voyez apparaître un joli vi-
sage, celui d'un ange. Puis il dit à cet ange : « J'ai envie de connaître
quelque chose ». L'ange lui répond qu'une prochaine fois il reviendra avec
la réponse, et il revient à un moment fixé à l'avance. Mais une fois l'ange
lui a répondu : « Mais c'est terrible ce que vous me demandez-là. Si je le
fais nous périrons tous les deux. Et puis B... vous connaissez suffisamment
de choses. Contentez-vous de ce que vous savez ». B... alors se demande
ce qu’il a bien pu faire de mal pour offenser l'ange.
Un jour, il est en train de dormir, lorsqu’il voit quelqu'un venir habillé
tout en blanc, en habit d'adoration, qui lui a dit : « Voici comment vous
devez prier, les yeux baissés et recueilli ». Mais lui il n'a jamais prié
comme cela. Il était un grand et croyait qu'il connaissait tout. Alors il s'est
mis à genoux et il a dit à Dieu : « J'ai besoin de vous connaitre ». Alors
dans le rêve il voit quelqu'un lui apporter un livre qu'il ne connaît pas. Le
lendemain il se rappelle avoir déjà vu ce livre chez le voisin. Il rend visite
à ce dernier et constate la présence sur une table du même livre qu’il a vu
en songe. « Ce sont des Adventistes qui m'ont vendu ce livre », explique le
voisin. C'est très souvent que des Adventistes se convertissent ainsi. Dieu
leur parle en songe et les choses se défilent comme Dieu leur a dit. En
Martinique même, il y a une foule de gens qui ont de telles révélations en
songe. »
lades pour organiser des réunions de prière, en vue d'obtenir des guéri-
sons rapides. La lutte anti-sorcellerie est tellement prépondérante dans
le mouvement que le fidèle est convié à se soumettre de manière
stricte à un certain nombre d'interdits : alimentaire ; relatif au corps :
interdiction du sang, du porc, de crustacés ; social : adultère, concubi-
nage, réjouissances collectives comme le carnaval, le combat de coqs,
le cinéma, etc...
Comme chez les Témoins, la conversion opère donc le détache-
ment de l'individu par rapport au réseau symbolique traditionnel tenu
pour pure production diabolique. Mais par le biais de ce détachement,
le converti rentre dans un processus d'assimilation aux valeurs de la
modernité, ou plus exactement essaie de s'emparer des symboles
mêmes qui ouvrent la porte à la mobilité sociale. Mais ce faisant, il
conserve le même mode d'interprétation traditionnel des rapports so-
ciaux : l'interprétation sur une base magico-religieuse. Le rejet des
« esprits » auxquels un culte était rendu pour « le bien » comme pour
« le mal » au cœur de l'Église catholique, se produit avec une telle
violence qu'il contribue à renforcer la croyance en eux. Ne pouvant
plus résoudre les problèmes de la vie quotidienne, les esprits font fi-
gure d'impuissants et de vaincus. La bible, autorité suprême, achèvera
de les clouer au sol, de les disqualifier définitivement, et par elle la
« vie » redeviendra possible.
En dernière instance, Témoins et Adventistes se présentent en Gua-
deloupe et Martinique comme deux frères jumeaux. De là, sans doute
les attaques qu'ils se jettent mutuellement, puisque la clientèle est rela-
tivement de même extraction sociale et idéologique. L'impact que les
deux mouvements exercent sur les Antilles est mesurable, non seule-
ment au déploiement de l'organisation matérielle : temples, écoles, as-
semblées, congrès, qu'ils présentent, mais surtout aux modifications
culturelles importantes auxquelles ils donnent lieu dans les deux îles.
Les [324] deux mouvements parviennent à pousser l'adepte à la re-
cherche de l'établissement d'une famille nucléaire stable, et à aban-
donner les unions libres, les concubinages, sur lesquels un consensus
relatif existait jusqu'ici dans les classes populaires. Une idéologie plus
adéquate a la crise économique et sociale, que celle proposée par
l'Église catholique, l'appareil scolaire, les médias, telle semble être la
caractéristique des Témoins et des Adventistes. Mais tout se passe en-
core comme si le nouveau converti renouait de nouveaux rapports plus
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Le Mahikari
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 25
les luttes sociales est alliance avec Satan. Ce monde-ci est une vallée
de larmes, un lien de souffrances rédemptrices qui servent au salut de
l'âme, et la Vierge, appelée Notre-Dame des larmes, est un modèle de
sainteté et à ce titre doit être mise au centre du vrai culte catholique.
- Annonce de miracles divers : en particulier les apparitions de la
Vierge qui se poursuivent, après celles de Fatima, viennent rappeler
aux hommes comment éviter l'enfer. Deux types d'apparitions sont or-
ganisés par la secte : apparitions périphériques individuelles, appari-
tions centrales-collectives.
LE RASTAFARISME
rable en particulier dans l'île de la Dominique, puis sur une frange non
négligeable de jeunes de la Guadeloupe et de la Martinique. C'est en
outre dans le cadre du Rastafarisme que la musique Reggae s'est déve-
loppée pour connaître ensuite un rayonnement à travers toute la Ca-
raïbe, puis en Afrique et dans le monde entier. Un rappel sommaire de
l'histoire et de la doctrine de ce mouvement permettra déjà de saisir
comment il s'enracine dans les survivances religieuses africaines à la
Jamaïque.
Le mouvement a été fondé vers les années 1920-1930, au plus fort
de la grande dépression mondiale, sous l'influence des idées et des slo-
gans de Marcus GARVEY : « L'Afrique aux Africains, Retour des
Noirs en Afrique ». Dès Août 1914, GARVEY lance à la Jamaïque
l'Universal Negro Improvement Association, (Association Universelle
pour l'amélioration de la condition des Noirs), puis tente à la fois aux
États-Unis et dans le pays de prêcher aux Noirs le retour à leur propre
culture ancestrale et à leur histoire d'asservissement. Pressentant l'im-
portance pour l'ensemble du monde noir de l'accession de Haïlé Sélas-
sié au trône de l'Éthiopie, comme Ras Tafari (Ras, qui veut dire
Prince, et Tafari, créateur), il se met à annoncer partout : « Regardez
vers l'Afrique, quand un roi noir sera couronné, car le jour de la déli-
vrance est proche ».
Effectivement, vers les années 30, des églises éthiopiennes di-
verses se fondent, des associations pour le soutien de l'Éthiopie, consi-
dérée déjà pour le symbole de l'Afrique toute entière, se créent. Au
sein de ces églises - les unes de tendance baptiste, les autres de ten-
dance méthodiste - plusieurs leaders noirs se jettent dans une interpré-
tation de la Bible en fonction de la condition actuelle et présente des
Noirs et lisent déjà certains passages comme l'annonce de la venue de
leur propre messie-rédempteur, pour les arracher de l'asservissement
par les Blancs, comme les Israélites de l'Égypte.
En 1953, on pouvait compter pas moins d'une douzaine d'associa-
tions religieuses et profanes qui appuyaient l'empereur [334] Haïlé Sé-
lassié, ou qui se définissaient en fonction des idées de rédemption du
monde noir tout entier : l'Église épiscopale méthodiste africaine, la
Fédération éthiopienne en lutte contre le fascisme mussolinien,
l'Église Éthiopienne Copte, le groupe Éthiopien unifié, la Foi cos-
mique de la Jeunesse éthiopienne, la Fraternité solidaire des Éthio-
piens unis, etc..., pour ne citer que celles-là. À cette époque, les élé-
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[336]
Les meetings de Rastas conduits par des leaders prophétiques sont
des moments de haute intensité émotionnelle, pendant lesquels l'indi-
vidu est amené à exprimer librement ses frustrations sociales et à
vivre déjà hic et nunc, une délivrance dans les cantiques d'inspiration
baptiste, dans la relecture de la Bible en fonction de l'histoire des es-
claves noirs, dans la musique Reggae, et dans la « communion » de la
ganja ou marijuana, appelée le « taking the chalice ». Sensation de
fierté et de puissance, mais aussi accès à « la vérité », à une explica-
tion définitive de tous les problèmes et conflits mondiaux, de tous les
« malheurs » personnels et collectifs, tel est le premier apport du Ras-
tafarisme à ses adeptes.
Il ne nous semble pas que le mouvement dispose d'une organisa-
tion précise durable, ni d'une direction unifiée. Plusieurs leaders cha-
rismatiques ont émergé. En particulier, Léonard HOWELL pouvait se
dire l'incarnation de la divinité, alors que celle-ci est attribuée en prin-
cipe au seul Haïlé Sélassié.
Mais le rôle joué par le Rastafarisme de 1920 à nos jours dans la
vie sociale, culturelle et politique de la Jamaïque demeure considé-
rable. Non seulement il a créé une nouvelle vision de l'histoire du
pays, déterminé les pratiques politiques qui se développent, il a contri-
bué aussi à lancer de nouveaux modes de poésie et de peinture, et sur-
tout à créer une véritable industrie à partir du Reggae. Au niveau éco-
nomique, un retour à l'agriculture vivrière et à l'artisanat s'est nette-
ment dessiné dans les diverses communautés Rasta. Certains ont vou-
lu voir les milieux Rasta comme des viviers de la délinquance. À la
vérité, le Rasta n'a fait que recruter des adeptes dans ces milieux. Bien
entendu, nous ne disposons pas des données qui autorisent à parler
d'une baisse de la délinquance grâce au mouvement Rasta. Selon cer-
tains auteurs, de nombreux Rasta abandonnent la délinquance sous
l'emprise des slogans « Peace and love » ; d'autres, plus rares,
semblent utiliser le Rastafarisme comme légitimation de la délin-
quance. Dans tous les cas, loin d'être une source de dysfonctionne-
ment dans la société jamaïcaine, ou dans les autres îles de la Caraïbe,
le mouvement est d'abord l'expression du dysfonctionnement de ces
sociétés à tous les niveaux.
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La Mita
rendu plus difficile dans la crise culturelle actuelle. D'un autre côté,
l'annonce d'un nouvel espace de salut (un Temple, une tente, dans un
point précis du pays) contre « le mal » qui se répand partout, est le
signe d'une contestation indirecte du système dominant. Ainsi les pro-
phètes ou les nouveaux messies travaillent à traquer les « démons »,
dits « enemigos » ou « huestes » (chez les Mita) qui rôdent autour des
individus, ou qui pénètrent l'âme et le corps, puis à organiser une com-
munauté d'élus, de protégés du « monde » où « le mal » ne fait aujour-
d'hui que prospérer. Les Mita ont fini ainsi par établir leurs propres
entreprises, délimiter leur propre zone d'habitation, créer leur propre
espace, pour faciliter le contact [342] avant tout entre les élus ou les
« sauvés » du désastre actuel ou à venir.
Qu'il nous suffise de signaler encore une autre secte cette fois en
République Dominicaine, qui a eu un impact politique considérable :
il s'agit de la Palma Sola, mouvement créé en 1961 et 1962, et qui a su
rassembler en peu de temps plusieurs milliers d'adeptes dans les mon-
tagnes proches de la frontière haïtienne. À l'origine de ce mouvement,
un certain Liborio Mateo de 1910 à 1922, se proclame le messager de
Dieu sur la terre, et par ses pratiques de guérison, attire autour de lui
plusieurs milliers de paysans, en pleine occupation américaine. Persé-
cuté, il se réfugie dans les montagnes, au début de la dictature de Tru-
jillo. En 1922, il est tué, mais pour ses fidèles, il demeure vivant et de-
vra ressusciter pour achever sa mission. En 1961, c'est son mouve-
ment qui est censé renaître, sous l'impulsion d'un certain Plinio Ventu-
ra Rodriguez, qui déclare avoir reçu de Dieu au cours d'une révélation,
la charge de fonder l'Union Cristiana Mundial, dans un lieu nommé
Palma Sola. Environ 5 000 personnes, spécialement de la classe pay-
sanne se sont ainsi regroupées dans une vaste communauté, autour
d'une église en bois, organisant des chemins de croix, chantant les
cantiques catholiques traditionnels, et des cantiques composés par Li-
borio. De grandes croix sont dressées devant lesquelles les adeptes
doivent confesser tous les maux qu'ils ont commis ; des pratiques de
guérison miraculeuse ont lieu ; et le culte traditionnel des saints est
restauré. Mais dans un même temps, tous les symboles, croyances et
Laënnec Hurbon, “Les nouveaux mouvements religieux dans la Caraïbe.” (1989) [2000] 45
Évasion mystique par rapport aux luttes sociales et politiques qui s'im-
posent, les sectes auraient, d'après les perspectives fonctionnalistes,
une fonction thérapeutique, ou seraient des formes plus ou moins
réussies d'adaptation à la modernité. C'est la position adoptée par G.E.
SIMPSON dans son analyse du Rastafarisme, dans lequel il voit une
recherche de fuite (« escape »), mais « non de modification du sys-
tème économique ». Le fonctionnalisme est ainsi préoccupé de
connaître les fonctions de dysfonction des sectes, mais non de saisir
les mécanismes cachés ou la logique souterraine qui préside à leur
émergence et à leur fonctionnement. Prenons la thèse des fonctions
thérapeutiques des sectes : le plus souvent les nouveaux prophètes ap-
paraissent effectivement comme des guérisseurs, qui offrent leur mou-
vements comme un canal d'expression des frustrations et comme
moyen d'échapper à l'asile psychiatrique. Pour Porto-Rico, des travaux
sur le spiritisme et les nouvelles sectes soulignent fortement l'aspect
d'appoint à la thérapeutique officielle. Or il semble qu'ailleurs, par
exemple en Martinique, des adeptes de l'Adventisme finissent par
aboutir à l'hôpital psychiatrique, à cause de la discipline trop sévère 10
imposée par le mouvement qui interdit toute participation aux réjouis-
sances collectives traditionnelles en général (carnaval, combat de
coqs, veillées des morts, etc ... ). Non que la fonction thérapeutique ne
soit importante, mais elle n'est pas toujours l'élément pertinent dans
les sources d'explication du succès de [345] la secte. Également,
l'adaptation à la modernité et le rejet de la modernité, repérables ici et
là sont ambiguës, et cela est souvent oublié par le fonctionnalisme. La
secte offre en effet une réinterprétation du système religieux tradition-
nel et des valeurs modernes. Mais de son côté, le culturalisme, malgré
sa vigilance, avait été impuissant à saisir le mode d'articulation des
mouvements religieux aux problèmes économiques, sociaux et poli-
tiques.
10 C'est la conclusion de Raymond MASSÉ (1978 : 68-69) : « C'est dans la
mesure, écrit-il où l'Adventisme détruit les mécanismes traditionnels d'adap-
tation psychologique en plus de créer de nouvelles sources de frustration en
imposant un puritanisme et un ascétisme complètement inadapté au contexte
antillais qu'il devient un facteur important de déséquilibre mental et donc
source de maladie mentale... Il ne faut pas oublier toutefois que pour
d'autres cas nous avons démontré que la conversion opérait une véritable
thérapie ... ». Ces deux effets possibles de la conversion montrent bien juste-
ment qu'il faut résolument s'engager dans une perspective autre que fonc-
tionnaliste pour saisir les raisons du succès des sectes.
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NOTES
[352]
Bibliographie