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Transmission de la prêtrise vodou.


Devenir ougan ou mambo en Haïti
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en Haïti"

 Lucile Gauvin
 il y a 6 ans
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1 Samuel REGULUS Université d État d Haïti. Membre du laboratoire


LAngages, DIscours et REPrésentations (LADIREP) et du Centre
interuniversitaire d études sur les lettres, les arts et les traditions (CELAT)
Membre du Comité scientifique international du Projet Route de l esclave de l
UNESCO. (2012) Transmission de la prêtrise vodou. Devenir ougan ou
mambo en Haïti Thèse de doctorat, département d histoire, Université Laval,
Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay,
bénévole, Professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi Page web.
Courriel: Site web pédagogique : Dans le cadre de: "Les classiques des
sciences sociales" Une bibliothèque numérique fondée et dirigée par Jean-
Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Site web:
Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-
Boulet de l'université du Québec à Chicoutimi Site web:

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sociologue Fondateur et Président-directeur général, LES CLASSIQUES DES
SCIENCES SOCIALES.

3 3 Cette édition électronique a été réalisée par Jean-Marie Tremblay,


sociologue, bénévole, professeur associé, Université du Québec à Chicoutimi,
à partir de : Samuel REGULUS Transmission de la prêtrise vodou. Devenir
ougan ou mambo en Haïti. Thèse de doctorat à la Faculté des études
supérieures et postdoctorales de l Université Laval dans le cadre du
programme de doctorat en ethnologie et patrimoine. Département d histoire,
Faculté des lettres, Université Laval, 2012, 308 pp. L auteur nous a accordé, le
19 mars 2016, son autorisation de diffuser en accès libre à tous sa thèse de
doctorat dans Les Classiques des sciences sociales. Courriels : Samuel
Regulus: ou : Polices de caractères utilisée : Pour le texte: Times New Roman,
14 points. Pour les notes de bas de page : Times New Roman, 12 points.
Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word
2008 pour Macintosh. Mise en page sur papier format : LETTRE US, 8.5 x
11. Édition numérique réalisée le 22 mars 2016 à Chicoutimi, Ville de
Saguenay, Québec.

4 4 Samuel REGULUS Université d État d Haïti. Membre du laboratoire


LAngages, DIscours et REPrésentations (LADIREP) et du Centre
interuniversitaire d études sur les lettres, les arts et les traditions (CELAT)
Membre du Comité scientifique international du Projet Route de l esclave de l
UNESCO. Transmission de la prêtrise vodou. Devenir ougan ou mambo en
Haïti. Thèse de doctorat à la Faculté des études supérieures et postdoctorales
de l Université Laval dans le cadre du programme de doctorat en ethnologie et
patrimoine. Département d histoire, Faculté des lettres, Université Laval,
2012, 308 pp.

5 5 Note pour la version numérique : la pagination correspondant à l'édition


d'origine est indiquée entre crochets dans le texte.

6 6 [5] Table des matières Résumé [1] Remerciements [3] Liste des figures et
illustrations [9] INTRODUCTION [12] 1. Approche positiviste et
évolutionniste du vodou [18] 2. Courant des classiques du vodou : les Afro-
américanistes [20] 3. Approche postmoderne du vodou haïtien [25] 4.
Organisation et structure générale de la thèse [30] CHAPITRE I Corps
explicatif de l étude autour des notions de transmission culturelle,
transmission religieuse, prêtrise vodou et loyauté [33] 1. Transmission
culturelle [34] 1.1. Approches intra et inter psychiques de la transmission
culturelle [34] 1.2. Approche mémétique de la transmission culturelle [37] 1.3.
Lecture des psychologues interculturels [40] 1.4. Pour une analyse
médiologique de la transmission culturelle [42] 2. Transmission religieuse
[46] 3. Usages du «prêtre» comme une notion ambigüe [51] 3.1. Sens du
terme prêtre dans la tradition grecque [51] 3.2. Rejet et réappropriation du
terme prêtre par les chrétiens (catholiques) [52] 3.3. Sacerdoce des ougan et
des manbo [55] 4. Quid de la loyauté? [60]

7 7 CHAPITRE II Dispositif méthodologique : récits de vie [65] 1. De la


posture du religieux à la posture d ethnologue [67] 2. Définition de la
démarche méthodologique [69] 2.1. Vertu épistémologique du récit de vie
[70] 2.2. Techniques complémentaires ou processus de l objectivation du
discours autobiographique [71] 2.3. Choix de nos
interlocuteurs/interlocutrices ou les relations d enquête [73] 2.4. Difficultés ou
accessibilité du terrain [75] 2.5. Biais de la méthode de récit de vie? [78]
CHAPITRE III Cadre socio-familial et religieux de nos interlocuteurs [81] 1.
Grands traits caractérisant les familles haïtiennes [83] 1.1. Histoire succincte
de la famille haïtienne [83] 1.2. Fonctionnement de la famille contemporaine
en Haïti [90] 1.3. Matrifocalité en Haïti [93] 2. Il s agit d Henriette, Onel,
Déravine, Mosaline, Grégoire, Bazil, Guillaume [96] 3. Antécédents des
interlocuteurs [100] 4. Contacts avec les pratiques vodou avant la prêtrise ou
indices avantcoureurs [107] 4.1. Projet parental ou familial [111] 4.2. Projet
ou injonction des Lwa [112] 4.3. Projet de désirs croisés [116] CHAPITRE IV
Mécanismes ou procédés de la transmission de la prêtrise vodou [122] 1. Ce
qu on a vu et entendu [124] 2. Renforcement comme mécanisme de
transmission [135] 3. Transmission onirique [140] 4. Transmission entre l
immatériel et le matériel [147] 5. Initiation comme mécanisme de
transmission de la prêtrise vodou [162]

8 8 CHAPITRE V Persistance de la transmission et loyauté du prêtre à sa


lignée croyante [179] 1. Vodou, culture de résistance [181] 1.1.
Représentations du vodou colonial dans le contexte de la révolte des esclaves
et de la guerre de l'indépendance [183] 1.2. Méfiance et silence auto-
protecteurs des initiés [197] 2. Loyauté familiale et religieuse entre des
obligations contradictoires [203] 3. Loyauté envers la généalogie croyante, à
peine une question de choix [208] CHAPITRE VI Loyauté entre la fixité et le
changement [218] 1. Continuité dans la transmission ou attachement à la
tradition comme marque de légitimité [220] 1.1. Fran Ginen, une difficile
démarcation? [221] 1.2. Afrique ginen ou la tradition comme référence
légitime [225] 1.3. De la transmission continue à la continuité de la
transmission : Quelques éléments matériels du péristyle et le maintien de la
fonction sociale du lakou [232] 2. Impératif du changement [237] 2.1.
Ouverture au changement et son fondement théologique [239] 2.2. Analyse de
la transformation du vodou haïtien [250] CONCLUSION [264] Bibliographie
[276] ANNEXES [294] Annexe 1. Formes verticale, horizontale et oblique de
la transmission culturelle [295] Annexe 2. Population de la colonie française
de Saint-Domingue ( ) [296] Annexe 3. Évolution de la population par sexe
selon le milieu de résidence aux recensements de 1950, 1971, 1982 et 2003
[297] Annexe 4. Répartition de la population par sexe selon la religion et le
milieu de résidence [298]

9 9 Annexe 5. Distribution des chefs de ménage par sexe selon le milieu de
résidence.299] Annexe 6. Distribution (%) des chefs de ménage par sexe selon
le statut matrimonial, le milieu de résidence et rapport de féminité [299]
Annexe 7. Arrêté relatif à la reconnaissance par l'état haïtien du vodou comme
religion à part entière sur toute l'étendue du territoire national300] Annexe 8.
Guide thématique de la collecte des données.302] Annexe 9. Expressions de
réligiosité en images. Entre Pétion-Ville à Port-au- Prince [304] Annexe 9.1.
Message et peinture murale après le séisme du 12 janvier [304] Annexe 9.2.
Dimanche matin, bible en main, le passant va à l église. [305] Annexe 9.3.
«Dieu va parler pour Haïti», Affiche électorale. Candidature à la députation.
[306] Annexe 9.4. «Don de Jésus», boutique de provisions alimentaires au
bord d une rue de marché informel. [307] Annexe 9.5. «Vive Jésus», Tap-Tap
- camionnette dans une station à Pétionville. [308] Annexe 9.6. «Exode 14
verset 14», [L Éternel combattra pour vous; et vous, gardez le silence]. Taxi
moto à Pétion-ville. [308]

10 10 Liste des figures et des illustrations Retour à la table des matières
Figure 1. Triangle du désir mimétique girardien [38] Figure 2. Fiche
signalétique de la personnalité d Èzili Freda [165] Figure 3. Hiérarchie de l
onfò vodou (rite rada kanzo) [175] Illustration 1. Un des vestiges des lakou d
autrefois (Plaine des Gonaïves). Une vue de la partie nord-est [87] Illustration
2. Une vue plus rapprochée de la partie nord-est (même lakou de la photo no
1). [88] Illustration 3. Une vue de la partie ouest (même lakou de la photo no
1) [88] Illustration 4. Ason de l asogwe. [97] Illustration 5. Vèvè (symbole
graphique) synthèse des Lwa [109] Illustration 6. Vèvè symbolisant tous les
Gede (Divinités de la mort), tracé à l occasion de la fête de morts. [110]
Illustration 7. Une fillette marquant des pas du rite petro [125] Illustration 8.
Tanbou asotò du 19e siècle (sauvé des flammes inquisitoriales) [127]
Illustration 9. Tanbou asotò photographié (2010) dans un woufò à Port-au-
Prince. [127] Illustration 10. Asotò (ou Assotor) femelle et asotò mâle [128]
Illustration 11. Kwakwa d un interlocuteur de la région Nord [129] Illustration
12. Kwakwa ou tyatya d un interlocuteur de la région Sud [129] Illustration
13. Un possédé du Dieu Ogou Feray qui protège des apprentis ougan et manbo
[131] Illustration 14. Sourire approbateur d une manbo initiatrice [135]
Illustration 15. Un des pe de Déravine (une sorte de table) où il dépose des
paquets et d autres récipients [148] Illustration 16 et 17. Objets hérités par
Henriette [149] Illustration 18, 19 et 20. Objets hérités par Onel. [150]
Illustration 21. Accessoires disponibles en prélude à la manifestation des
Lwa1 [52] Illustration 22. Manifestation d un Lwa rustique dans son style et
dans ses goûts. [152]

11 11 Illustration 23. «Pyès» (pièce) ou pyè lwa d un ancien lakou de la plaine
de Gonaïves [154] Illustration 24. Pyè lwa de Mosaline (Région Sud) [ 155]
Illustration 25. Pyè lwa de Guillaume (Région Nord [155] Illustration 26. Pyè
lwa de la Femme de Bazil (Région Nord) [155] Illustration 27, 28 et 29. objets
hérités par Déravine [157] Illustration 30 De gauche à droite, épée d Ogou
Feray et le sabre d Ogou Badagri fichés en terre devant d autel de Bazil [158]
Illustration 31. Sortie de la chambre initiatique170] Illustration 32. Avis de
réception d une lettre adressée à la police avant le déroulement d une initiation
kanzo [172] Illustration 33. Oratoire de l une de nos interlocutrices qui est une
jeune manbo [205] Illustration 34. soirée vodou chez ougan Bazil. Une foule
en liesse. [214] Illustration 35. Tambour frappé, onsi dansé [215] Illustration
36. On danse les Lwa en va-et-vient [215] Illustration 37 et 38. Potomitan du
péristyle d Onel, avant (no 37) et après (no 38) le séisme du 12 janvier [232]
Illustration 39. Chez ougan Nellio : chacun dépose sa bougie allumée sur le
socle du potomitan [523] Illustration 40. Intérieur de l un des bajyi d Henriette
[234] Illustration 41. Méditation devant leur bougie allumée [242] Illustration
42. Jete dlo (jeter de l eau) [242] Illustration 43. Limen balèn nan (Allumer la
bougie) [242] Illustration 44. Lecture de textes sacrés [243] Illustration 45.
Réceptacle ou son symbole d Agwe Tawoyo [255] Illustration 46. Défilé Gede
(Dieux de la mort) [256] Illustration 47. Un centre d accueil d un Lakou
vodou des Gonaïves [258] Illustration 48. Un kay (maison) lwa d un Lakou
des Gonaïves [259] Illustration 49. Bâtiment d un lakou vodou devant loger
une laiterie [261]
12 12 [1] Transmission de la prêtrise vodou. Devenir ougan ou mambo en
Haïti RÉSUMÉ Retour à la table des matières De nombreux éléments du
patrimoine culturel haïtien sont liés au vodou. Celui-ci est considéré comme
un élément central de la vision du monde traditionnelle du peuple haïtien, bien
qu au cours de son histoire il ait été refoulé, marginalisé et qu il ait souvent
fait l objet d actes de violence physique. Qu'il ait pu subsister en dépit des
préjugés et des persécutions, seule l'histoire de ses porteurs (de tradition) qui
le vivent concrètement peut aider à le comprendre. Et, parmi ces femmes et
ces hommes qui permettent la survie du vodou comme système cohérent de
pensée religieuse, on retient tout particulièrement des personnages clés dans l
initiation qui sont détenteurs de la prêtrise, à savoir les ougan et les manbo. Il
s agit là d un cas de transmission religieuse dont il importe d étudier les
mécanismes propres à l intérieur du vodou haïtien, d où la formulation de
notre sujet de recherche : «Transmission de la prêtrise vodou. Devenir ougan
ou manbo en Haïti». Sous cette formulation, nous entendons étudier la
transmission de la prêtrise vodou dans une perspective de construction d
identité religieuse. Ceci nous amène d une part, à déterminer le rapport entre
la trajectoire personnelle de l ougan ou de la manbo et son identité religieuse,
et d autre part, à essayer de saisir la transmission de la prêtrise vodou dans la
logique du devoir de mémoire ou de loyauté envers les ancêtres. Au moyen
des données empiriques recueillies essentiellement par le biais des récits de
vie, cette thèse présente une description analy-

13 13 tique des voies essentielles de cette transmission du religieux,


particulièrement du mécanisme de construction de l identité religieuse de l
ougan ou de la manbo. Nous avons noté que les modes de transmission les
plus opérationnels dans le vodou haïtien sont les suivants : apprentissage par
observation et conditionnement, mécanisme de renforcement et de
confirmation, expériences oniriques, transfert des objets matériels comme
support de lien générationnel et, de manière ponctuelle, initiation comme
mécanisme de transmission de la fonction de l ougan ou de la manbo. [2]
Devant la persistance de l opération de transmission vodou dans un
environnement qui n est pas toujours docile à son égard, notre hypothèse de
départ était que la transmission de la prêtrise dans le vodou haïtien était liée au
degré de loyauté du prêtre à la lignée croyante. Le concept de loyauté défini
comme émotion a pris dans le cadre de cette étude un poids explicatif
considérable. Il sert aux anciens de ce culte populaire à mesurer le rapport
entre l identité prescrite et l identité vécue des jeunes générations. Quand un
initié vodou est confronté à des attitudes de mépris, de discrimination, de
harcèlement ou de violence, pour pouvoir trancher à chaque fois en faveur du
vodou, cela exige de lui un haut degré de conviction et de détermination. Étant
membre d une famille vodou, mais aussi membre d un État, d une Église, d
une école, l initié vodou est souvent pris entre des obligations divergentes. Car
chacune de ces structures formule ses attentes vis-à-vis de lui. Ainsi, il est
appelé à faire un choix ou trouver des médiations afin de se situer dans la
hiérarchie des obligations contradictoires. Plus son immersion sociale dans un
milieu particulier est forte et resserrée, plus sa loyauté envers ce milieu est
susceptible d être intensifiée. Fonctionnant sur le mode de l émotion et de la
passion, quand la loyauté familiale fait corps avec la loyauté religieuse dans le
vodou haïtien, l attachement qu elle provoque devient une relation très intime
qui échappe au pouvoir explicatif de la logique du calcul utilitariste. Tout ceci
confirme que nous avions raison de percevoir un lien étroit entre la
transmission religieuse dans le vodou haïtien et la notion de loyauté. Cette
perspective représente un nouveau modèle explicatif du vodou, car assez
souvent, on aborde sa persistance sous un

14 14 angle utilitariste, alors que cette étude révèle que la volonté de
transmettre est une préoccupation majeure pour les acteurs du vodou.
Mobilisé par le réflexe défensif de son habitus, l ougan ou la manbo tient
profondément à la continuité de sa lignée croyante. Mais il faut noter que cette
transmission se réalise dans l articulation qui existe entre le poids de la
collectivité (obligation de transmettre) et l histoire individuelle des prêtres
vodou confrontés à «l impératif du changement» même si ce changement doit
subir l épreuve de la continuité légitimatrice.

15 15 [3] Transmission de la prêtrise vodou. Devenir ougan ou mambo en


Haïti REMERCIEMENTS Retour à la table des matières Au terme de ces
quatre années de travail assidu lecture, réflexion, enquêtes, analyse, rédaction
le moment est venu maintenant d exprimer mes remerciements à toutes les
personnes et aux organismes qui ont rendu possible cette œuvre scientifique.
Je pense d abord à mes professeurs au niveau de la Maîtrise qui ont cru en mes
potentialités et m ont encouragé à poursuivre mes études doctorales. Il s agit,
entre autres, de Michèle Oriol, Guy Maximilien et Marie-Lucie Vendryes. Je
veux remercier tout particulièrement le professeur Laurier Turgeon qui a
accepté de diriger ma thèse, qui a reconnu la pertinence de mon sujet et qui m
a toujours encouragé. Je tiens à remercier aussi la professeure Martine
Roberge pour ses conseils formulés lors de l examen de doctorat qui
sanctionne la fin de la scolarité de thèse. Après la réussite de cet examen, il
me restait une étape importante, celle de recueillir et d analyser les données
ethnographiques. Comment aurais-je pu la réaliser sans la générosité de mes
interlocuteurs? Outre leur confiance et le temps qu ils m ont accordés, ils m
ont aussi parfois accueilli avec un café ou un rafraîchissement. Qu'ils en soient
donc très sincèrement remerciés.

16 16 Mes remerciements s adressent au professeur Laënnec Hurbon qui a


effectué le travail de prélecture de ma thèse et qui m a fait de précieuses
remarques. Son avis a été pour moi très rassurant et bénéfique compte tenu de
son expertise reconnue internationalement dans le domaine des études du
vodou en Haïti. Je remercie également Madame Anne-Hélène Kerbiriou qui m
a aidé à améliorer la facture du texte par une généreuse révision linguistique.
Je remercie enfin les autres évaluateurs - Monsieur Maximilien Laroche et
Madame Karen E. Richman - d'avoir accepté de siéger sur mon jury. Ma
reconnaissance est exprimée aussi à Monsieur Jean-Joseph Moisset qui a
assuré la présidence de la soutenance. [4] Ma gratitude est grande envers les
institutions qui m ont offert un cadre intellectuel et un soutien financier. J
aimerais remercier d une manière particulière le Département d histoire, la
Chaire de recherche du Canada en patrimoine ethnologique de l Université
Laval et le Centre de Recherche interuniversitaire d'études sur les lettres, les
arts et les traditions (CÉLAT) pour leur appui financier et logistique me
permettant de me consacrer pleinement à la réalisation de cette thèse. Je suis
également très reconnaissant envers le Rectorat de l Université d État d Haïti
pour son appui financier. Je remercie le Bureau Caraïbe de l AUF qui est
intervenu au moment de la planification de la soutenance par une contribution
substantielle. Enfin, un grand merci va à mes proches parents et amis qui m
ont donné leur support affectif, leur soutien et leur patience. À toutes
personnes de près ou de loin qui ont apporté une petite pierre à cet édifice, j
exprime ici ma gratitude envers elles. Il y a une personne particulière qui,
avec patience et compréhension, a souffert de mon absence pendant la
réalisation de cette thèse à l étranger. Elle s appelle Mirlande Polyte, ma
conjointe. Je lui transmets une pensée toute spéciale.

17 17 [12] Transmission de la prêtrise vodou. Devenir ougan ou mambo en


Haïti INTRODUCTION 1. Approche positiviste et évolutionniste du vodou
[18] 2. Courant des classiques du vodou : les Afro-américanistes [20] 3.
Approche postmoderne du vodou haïtien [25] 4. Organisation et structure
générale de la thèse [30] Retour à la table des matières [13] Comment s opère
le processus de transmission de la prêtrise dans le vodou haïtien et à quoi
peut-on l attribuer? Cette interrogation constitue notre point de départ pour
étudier la problématique de la transmission des connaissances et des savoir-
faire spécialisés des prêtres vodou (des ougan et des manbo 1 ) en Haïti.
Autour d elle, 1 Dans l orthographe des mots créoles en usage dans le vodou
haïtien, on constate qu il y a une sorte d anarchie dans la transcription des
phonèmes pour ce qui est de la littérature existante. Ainsi, on écrit vodun,
vodoun, voodoo, voudoo, vaudou, vaudoux pour vodou ; houmfort, hounfo,
houmfò, houmfour, ounfò pour onfò ; loi, loa pour Lwa ; houngan, hougan,
oungan pour ougan, etc. Afin d'uniformiser le texte, les termes vernaculaires
(sauf quand ils apparaissent dans des citations) sont transcrits selon les règles
définies par le Ministère de l'éducation nationale de la Jeunesse et des Sports
(MENJS) d Haïti voulant qu une syllabe ou un son soit transcrit (dans le
créole haïtien) par un seul et un même signe orthographique quel que soit le
sens ou le contexte. On aura ainsi Bawon Samdi au lieu Baron Samedi, Gede
pour Guédé, Èzili pour Erzulie, lakou pour la cour, Loko pour Loco, Laplas
pour Laplace, Manje lwa pour manger loa, Petwo pour Petro, potomitan au
lieu de Poteau-mitan (Pilier central), etc.
18 18 notre curiosité intellectuelle s exprime par les interrogations suivantes :
quelle forme de socialisation religieuse les agents transmetteurs du vodou ont-
ils pu instituer pour donner aux jeunes générations des attachements et des
engagements si forts qu ils puissent résister aux différents regards et pratiques
discriminatoires? Qu est-ce qui explique que certains adeptes du vodou s
apprêtent à devenir ougan ou manbo alors que leur identité se construit dans
un contexte social où les principaux agents de socialisation du pays perçoivent
souvent le vodou comme un objet répulsif? Quel est l impact de l
individualité, des expériences personnelles, sur le besoin de cohérence pour la
continuité de la lignée croyante de l ougan ou de la manbo? Avant d aller plus
loin, précisons la place du religieux dans l espace public haïtien. Au sein de la
société haïtienne, la religion occupe une place prépondérante. Un simple
observateur parcourant les rues de Port-au- Prince un dimanche matin peut se
faire une idée de l ampleur de la religiosité en Haïti. Certains temples ont trois
vacations dans la matinée dominicale (entre 6H et midi). Le sentiment
religieux dans cette République de la Caraïbe s extériorise par d innombrables
maximes et extraits de textes bibliques inscrits sur les enseignes de boutiques,
les véhicules de transport (voir l annexe No 9). Ne parlons pas du temps
d'antenne réservé à l expression du sacré dans les médias haïtiens tous les
matins, communément appelée «émission évangélique». On peut souligner
aussi la diffusion des [14] événements à caractère religieux sur différents
médias (radio, télévision, Internet) mis en réseaux afin d assurer une plus large
couverture géographique. La prolifération des églises et des temples vodou
dans les villes comme dans les campagnes est un autre indicateur du poids de
la religion dans l univers mental du peuple haïtien. Romain (1986 : 108, 145),
en parlant du protestantisme en Haïti, a déclaré que «tout le pays est
quadrillé» et qu'«à Port-au-Prince, les églises poussent comme des
champignons». Voulant insister sur l ampleur de la religion dans l espace
privé comme celui du public en Haïti, Corten (2000 : 14) affirme que «tout est
pétri de religion». Au quatrième Recensement général de la Population et de l
Habitat (4 e RGPH) 2 réalisé en Haïti par l Institut haïtien de Statistique et 2 4
e RGPH, le dernier en date.

19 19 d Informatique (IHSI) en 2003, pour une population de habitants, 89,8%


des sujets reconnaissent avoir une appartenance religieuse contre seulement
10,22% n ayant aucune religion. De ce recensement, on constate que parmi les
religions qui se partagent le paysage religieux en Haïti, le christianisme rallie
83,65 % de la population 3 des croyants, et que le vodou n en retient que
2,11%. Cependant, la prise en compte du vodou comme religion dans le cadre
de ce recensement officiel traduit une évolution des perceptions des
institutions étatiques par rapport à cette religion traditionnelle. Si, au 4 e
RGPH, la rubrique «vodou» était représentée dans la variable «Religion», lors
du précédent recensement, en 1982, elle n avait pas été retenue, et 80,3% d
une population de habitants étaient dénombrés comme catholiques romains
(Romain 1986 : 323). Sur la base de ces données, on pourrait dire que le
vodou est quantitativement insignifiant en Haïti. En fait, il faut être prudent
par rapport à ces chiffres en ce qui a trait à la réalité du vodou. Celui-ci est
traditionnellement une religion inclusive et non conquérante. Il ne se définit
pas en fonction des autres religions. Il se peut qu un sujet croyant aille à l
église ou se dise [15] chrétien catholique ou protestant et pratique
parallèlement le vodou. Tout le monde, sans exception de nationalité ou de
religion, est considéré aux yeux des pratiquants comme des pitit lwa (enfants
des Lwa 4 ). Ainsi, au besoin, n importe qui peut demander à un ougan ou une
manbo de consulter un Lwa et, s il le faut, de lui organiser une cérémonie en l
honneur de ce dernier. En outre, il y a très peu de pratiquants vodou qui ont l
habitude de s identifier sous l étiquette «vodouisant» 5 (Richman 2005: 157).
Ils se présentent de préférence en indiquant synthétiquement leur pratique de
la manière suivante : 3 Catholiques à 54,68 %, baptistes à 15,40 %,
pentecôtistes à 7,94 %, adventistes à 2,96 %, vodouisants à 2,11 %,
méthodistes à 1,48 %, épiscopaliens à 0,67 %, témoins de Jéhovah à 0,45 %,
mormons à 0,07 %, musulmans à 0,02 %, autres à 4,00 %. 4 On appelle
communément Lwa en Haïti les Esprits qui font l objet de culte dans le vodou
et qui forment l environnement surnaturel de ses adeptes. Dans certaines
régions du pays, ils sont dénommés également Mystères, Anges ou Saints. 5
Sauf dans des cas très nouveaux où l on peut rencontrer des initiés appartenant
à une association vodou (surtout en milieu urbain).

20 20 mwen sèvi (je sers les Esprits), mwen sèvi Mistè (je sers les Mystères
ou des Lwa), mwen konn gen Mistè (j ai l habitude d être possédé par des
Lwa). Un autre aspect à prendre en compte dans l analyse de la représentation
du vodou dans les statistiques est le poids des pratiques inquisitoriales.
Pendant très longtemps, le vodou a été objet de mépris et souvent persécuté
par les institutions officielles. La campagne «antisuperstitieuse» des années
visant sa destruction atteste bien cette attitude. Le vodouisant, pour ne pas être
diabolisé, en présence de l étranger ou de l officiel, essaie souvent de nier son
attachement au vodou en s identifiant comme chrétien malgré sa relation
profonde avec les pratiques vodou (Hurbon 1987a : 19). Conscient de cette
réalité, Romain (1986 : 100) avance que la grande majorité des catholiques
haïtiens sont des catholiques de statistiques. Selon le père Foisset, prêtre
catholique, en 1946 on pouvait estimer que 90 % des Haïtiens était des
chrétiens baptisés et que, sur ce nombre, 80 % étaient des vodouisants eu
égard à leurs pratiques religieuses relatives au vodou bien qu ils aient
fréquenté les églises chrétiennes. Dans le contexte des études religieuses
transnationales, Brown (2001: 5) a noté la diffusion d une blague très connue
sur la complexité du partage de l espace religieux en Haïti : «sur six millions d
habitants, on retrouve 85% de catholiques, 15% de protestants et 100% de
serviteurs vodou». Si Brown a pris le soin de rappeler qu il s agit d une
bouffonnerie, elle a souligné [16] aussi que cette plaisanterie - dans une
certaine mesure - n est pas sans rapport avec la réalité du champ religieux en
Haïti. Si très peu d Haïtiens se qualifient de «vodouisants», cette tradition
ancestrale ne révèle pas moins un «axe fondamental de la culture haïtienne»
Hurbon (1987a [1972] : 8) dans le sens que son imaginaire traverse ou
influence presque tous les aspects de la vie socioculturelle et même politique
de l être haïtien. Cette observation a suscité chez Planson (1974 : 36) l
interrogation suivante : «On est seulement en droit de se demander s'il existe
un seul Haïtien qui, d'une manière ou d'une autre, ne soit pas relié au vaudou,
même si ces liens sont souvent, pour nous, imperceptibles». Pour Kuyu
(2007 : 144), ce système de croyances et de pratiques, vu sous l angle de sa
complexité, est un «phénomène social total» au sens de Marcel Mauss. À ses
yeux, il est l un des principaux marqueurs identitaires du peuple haïtien. Ker-

21 21 boull (1973 : 16), en parlant des paysans haïtiens, a souligné que toute
leur anthropologie culturelle est dominée par le vodou. Devant le fait qu il est
préservé et transmis en dépit de tous les préjugés et persécutions, l'histoire des
femmes et des hommes qui le vivent concrètement semble une voie assez
prometteuse à scruter dans la quête d une compréhension de sa transmission
dans le milieu haïtien. Et parmi eux, on retient tout particulièrement des
personnages clés dans l initiation qui sont détenteurs de connaissances et d
expériences spécialisées, à savoir les ougan et les manbo. Ces derniers
assurent la fonction de production, de reproduction et de diffusion des biens et
des services religieux. Il s agit là du fondement de la transmission religieuse
qui permet d étudier l un des principaux mécanismes du vodou en Haïti. Dans
cette étude, nous voulons donc nous pencher sur cette transmission des
pratiques religieuses des prêtres vodou dans le sens de la réalisation du
processus de socialisation et de construction de leur identité. Ainsi, ce travail
de recherche vise à étudier la transmission religieuse dans le vodou haïtien
dans une perspective de construction d identité religieuse des ougan et des
manbo. Cet objectif principal est scindé en deux objectifs secondaires : [17] -
déterminer le rapport entre la trajectoire personnelle des prêtres/prêtresses
vodou et leur identité religieuse ; - saisir la transmission religieuse au sein du
vodou haïtien dans la logique de loyauté envers les ancêtres. Ces objectifs
sont ainsi formulés étant donné que la passation de la prêtrise vodou est, selon
notre intuition intellectuelle, étroitement liée au degré de l attachement du
prêtre ou de la prêtresse aux engagements pris au cours du processus
initiatique. Dans la poursuite de cette recherche, nous ne prétendons pas
réaliser une étude systématique sur l évolution des perceptions ou des
représentations du vodou, ni sur sa transformation en tant que «religion
vivante» puisque de nombreuses études ont déjà été engagées en ce sens.
Cette thèse vise à innover en faisant le lien entre ce phénomène de
transmission religieuse et la no-

22 22 tion de loyauté dans le vodou haïtien tout en mettant en évidence le


cadre socio-familial et religieux dans lequel l ougan ou la manbo acquiert son
capital symbolique relatif à son statut religieux. L orientation proposée ici est
une démarche neuve qui entend contribuer à la production de la connaissance
en sciences humaines et sociales dans le sens où elle veut répondre à un vide.
Que nous sachions, il n y a pas encore de recherche scientifique portant
spécifiquement sur la problématique de transmission de la prêtrise vodou en
Haïti. Il est reconnu que ce sacerdoce est transmis de manière orale 6. Mais,
les mécanismes par lesquels les pratiques des ougan et des manbo (comme
étant les piliers du système) se transmettent ne retiennent pas souvent l
attention des chercheurs qui interrogent le phénomène religieux en Haïti. De
prime abord, nous constatons que le vodou comme religion afro-américaine a
été, durant le début du XX e siècle, un objet auquel les chercheurs en sciences
sociales ont dénié toute légitimité. Du Brésil à Cuba en passant par Haïti, il
était couramment traité sous l angle de la pathologie sociale, comme étant le
produit de la rencontre entre des formes de cultures dites «inférieures» et la
civilisation européenne (Aubrée et Dianteill 2002 : 5-8). Selon la perception
de l anthropologie (biologique) de l époque, ces types de croisement de
cultures hétérogènes ne pouvaient donner, tant sur le plan biologique que
culturel, que des «monstres» [18] sociaux, des «bizarreries» ethnologiques. Le
seul point de vue légitime que les religions afroaméricaines attisaient s
exprimait alors en termes criminologiques et psychiatriques, car la tendance
positiviste de l époque percevait ces religions comme des foyers de criminalité
ou de folie. Néanmoins, de l ouvrage de Léon Audain (1908) à celui de Karen
McCarthy Brown (1991) en passant par des auteurs comme Jean Price-Mars
(1928), Melville Herskovits (1937), Louis Maximilien (1945), Maya Deren
(1953), Alfred Métraux (1958), Roger Bastide 6 En parlant de la passation des
savoirs et pratiques traditionnels, Severi (2007 [2004] : 303) a fait remarquer
que, d une manière générale, «la forme du processus de transmission des
connaissances, d habitude, intéresse moins». On se limite le plus souvent à
une mention bien hâtive du fait que la transmission des croyances d une
génération à l autre se trouve confiée à la transmission orale.

23 23 (1967), Laënnec Hurbon (1972) et bien d autres encore, le vodou haïtien
est passé du statut d objet paria à celui d objet de laboratoire des nouveaux
discours anthropologiques. Selon Aubrée et Dianteill (2002 : 6), ces études
peuvent être regroupées en trois grandes catégories : l approche positiviste et
évolutionniste du vodou, l âge classique de l afro-américanisme et les
approches postmodernes du vodou haïtien. 1 - Approche positiviste et
évolutionniste du vodou Retour à la table des matières Audain, dans un
ouvrage intitulé Le mal d Haïti : ses causes et son traitement, publié en 1908,
voulant revendiquer la place d Haïti au rang des pays dits «civilisés», voit
dans les manifestations du vodou l expression de «la barbarie des temps
passés», un véritable anachronisme, un espace de jeu pour «des grands enfants
en veine d amusements». Il perçoit les cérémonies vodou comme des
pratiques d abrutissement qui sont la «conséquence presque fatale d une
alcoolisation périodique et intense, dans l excitation nerveuse des servantes,
trop propre à engendrer des névroses telles que l hystérie et l épilepsie et du
fait même de ces névroses, certaines suggestions criminelles». Puisqu il part à
la recherche des «traitements» au mal d Haïti, au problème vodou, il propose
qu on supprime ce qui peut y nuire au développement physique, intellectuel et
moral de l individu. Pour cela, la cérémonie qui précède le sacrifice, l effusion
publique du sang des animaux, la «fureur tafiatique» 7 des initiés doivent être
éradiquées. Autrement dit, il faut réduire les cérémonies vodou à une simple
danse populaire, joyeuse et décente (Audain 1908 : 54-57). [19] On doit
souligner qu il est jusqu ici très réservé dans ses propos. Car beaucoup de ses
contemporains ont opté pour l interdiction ou la destruction pure et simple de
tout ce qui pourrait ressembler à une survivance de l africanité. Massillon
Gaspar a écrit par exemple en 1906 dans Le 7 Du tafya ou kleren qui est une
sorte d alcool de canne à sucre.

24 24 petit Haïtien les propos suivants : «Hélas, ce peuple est plongé dans l
erreur et l idolâtrie [ ]. Sauvons Haïti de tant d abominations [ ]. Efforçons-
nous d effacer jusqu au dernier vestige la grossière superstition qui imprime la
honte et la tare de la flétrissure sur nos fronts d Haïtiens!» 8. Et,
effectivement, pour éradiquer le vodou (perçu comme responsable du sous-
développement de l île) dans la paysannerie haïtienne, certains proposent la
scolarisation et les services sociaux de base généralisés, d autres la destruction
des onfò 9 et l emprisonnement des pratiquants. Dans ce paradigme opposant
«idolâtrie» et «vraie religion», «primitif» et «civilisé» dominent les élites et l
État qui espéraient voir tôt ou tard la disparition du vodou dans la société
haïtienne (Hurbon 2005 : 163). D autres voix assez éloquentes comme celle d
Audain ont exprimé la persistance des préjugés vis-à-vis de cette religion
populaire. Dorsainvil a publié un texte dans la Revue Haïti médicale (1913)
traitant la possession vodou comme domaine «pathologique du sentiment
religieux et de la croyance». Dans cette étude, il a déclaré que le vodou, dans
ses effets psychophysiologiques, est une psycho-névrose raciale d ordre
religieux confinant aux paranoïas (Dorsainvil 1931 : 151). Douyon (1969),
dans la Revue Acta criminologica (Études sur la conduite antisociale), publie
«La transe vaudouesque : un syndrome de déviance psychoculturelle». Selon l
auteur, la crise de possession dans le vodou est un exutoire où les adeptes
extériorisent et évacuent leur agressivité refoulée. En ce sens, le vodou joue d
après lui un rôle implicite de réducteur de la délinquance et de la criminalité
dans le pays (Douyon 1969 : 55). 8 Cité par Hoffmann (1990 : 154). 9 Il s agit
d un espace sacré de base où un spécialiste du sacré accomplit les travaux de
divination, de traitement et d autres rituels. Dans la tradition rada kanzo, c est
un lieu aussi de culte solennel, de vie commune (instruction, entraide) pour la
congrégation des fidèles. Il se compose de diverses parties : péristyle, badyi,
dyèvò et peut même aller jusqu à inclure bois sacré, cimetière, source. Lorsqu
on a réservé une maison distincte pour le service de chacune de ces grandes
familles rituelles, on distingue les onfò rada, petwo, kongo.

25 25 [20] À ce niveau, le regard commence à s inverser. On est en présence d


une certaine évolution dans les analyses psychopathologiques du vodou. Les
manifestations vodou exprimées par des crises de possession, étudiées en lien
avec le contexte «analphabétisme / misère / angoisse», devraient être
examinées comme «un syndrome original de la psychopathologie du Noir en
pays sous-développé». Face à l adversité, l Haïtien socialisé dans une sous-
culture vodou extériorise ses frustrations, ses rages d impuissance, ses
tendances suicidaires par la crise de possession qui lui sert à neutraliser des
tendances destructrices (Douyon 1969 : 45-53). Selon la huitième
recommandation qu il formule dans sa conclusion, il invite d autres chercheurs
à déterminer le mécanisme de la transmission de la transe des parents aux
enfants en ayant pour préoccupation de savoir si la crise de possession
pourrait être activée sans un apprentissage préalable (Douyon 1969 : 58).
Avec les analyses de Douyon, on est passé d un vodou vecteur de criminalité à
un vodou réducteur de violence. Cette évolution n est pas sans rapport avec les
travaux des afro-américanistes. 2 - Courant des classiques du vodou : les
Afro-américanistes Retour à la table des matières L essai ethnographique
intitulé Ainsi parla l Oncle de Jean Price- Mars, publié en 1928, représente
une rupture épistémologique avec le paradigme positiviste/évolutionniste qui
reléguait le vodou à la sorcellerie (et à une tare africaine). La préoccupation
profonde de l auteur est très explicite dans son avant-propos : «Toute la
matière de ce livre n est qu une tentative d intégrer la pensée populaire dans la
discipline de l ethnographie traditionnelle». En commençant par démontrer
que la «barbarie» des Africains était un mythe savamment construit et
entretenu par ceux qui les dénigraient, et que les Haïtiens n avaient aucune
raison de ne pas assumer leur héritage ancestral, à l opposé du paradigme
dominant de son époque, il a osé définir le vodou non

26 26 comme une simple composante du folklore haïtien, mais comme une
[21] religion à part entière et, en tant que telle, digne d être l objet des
recherches de la science ethnologique. Selon Price-Mars (2009 [1928] : 42), le
vodou est une «vraie» religion au même titre que les polythéismes de l
Antiquité méditerranéenne. Ce statut lui est attribué parce que «tous ses
adeptes croient à l'existence des êtres spirituels qui vivent quelque part dans
l'univers en étroite intimité avec les humains dont ils dominent l'activité». Il
comporte un corps sacerdotal hiérarchisé, une société de fidèles, des temples,
des autels et des cérémonies. De sa tradition orale, on peut tirer une théologie,
un système de représentation grâce auquel les adeptes donnent sens aux divers
phénomènes naturels qui les entourent. Et, à travers cette tradition, se
transmettent les parties essentielles de ce culte. À la manière de Marcel
Mauss, Price-Mars invite ses contemporains, à apprécier le vodou, non pas du
point de vue de la philosophie chrétienne, mais plutôt d un point de vue
endogène : si, au lieu de la [morale vodou] considérer en comparaison de la
morale chrétienne, on la jugeait à sa valeur intrinsèque, on verrait par la
sévérité des sanctions auxquelles s expose l adepte qui transgresse «la loi»
combien celle-ci commande une discipline de la vie privée et une conception
de l ordre social qui ne manquent ni de sens ni d à-propos (2009 [1928] : 45).
En pleine occupation américaine ( ) 10, plusieurs jeunes intellectuels vont
suivre les idées de Price-Mars 11 et faire du folklore 10 À la même époque,
aux États-Unis, plusieurs journaux et ouvrages à sensation relancent tous les
préjugés du XIX e siècle (époque coloniale) sur le vodou, identifié à des
pratiques de cannibalisme, de sacrifices et de sorcellerie, et cela, en vue de
refonder et consolider le racisme anti-noir sur la vision d une Haïti tout entière
plongée dans la barbarie (Hurbon 2005 : 157). 11 Selon Hoffmann, avant
Price-Mars, Duverneau Trouillot, dans son Esquisse ethnographique (1885),
aurait été le premier à tenter d établir une différence entre le vodou et la
sorcellerie : «La disparition du vaudoun dépend d une propagande religieuse
active, intelligente, ce qui est affaire des missions chrétiennes ; mais la
sorcellerie, l exception, le crime revêtu de la livrée de

27 27 haïtien et aussi du vodou l objet d une littérature florissante. Une


trentaine d années plus tard, dans un essai sur la littérature et les arts haïtiens
(1959) 12, le Maître a pu observer par lui-même les effets de ses propres idées
novatrices. [22] Poètes, romanciers, historiens, peintres, musiciens,
architectes, sculpteurs, tous se tournèrent vers les sources indigènes [ ]. Des
chercheurs - sociologues, philologues - interrogèrent nos origines [ ]. Religion
paysanne, syncrétisme et conflits de croyances, ambivalences et refoulements,
affections et tendances psychopathiques inciteront les chercheurs à retrouver
dans l ethnographie, la psychiatrie et l ethnopsychiatrie, un terrain neuf [ ].
Ainsi naquit cette révolution dont les conséquences se poursuivent encore
(Price-Mars 2010 [1959] : 30). Parmi eux, on note la formation d un courant
littéraire connu sous le nom de la Négritude ou de l école indigéniste.
Toujours sous l influence de Price-Mars, la pratique et l enseignement de l
ethnologie allaient être institutionnalisés par la création (le 31 octobre 1941)
du Bureau d ethnologie par Jacques Roumain, comme centre de recherche 13.
Avec une équipe de départ composée de Jacques Roumain, Kurt Fisher,
Edmond Mangonès, Louis Maximilien et, par la suite, Lorimer Denis,
Emmanuel C. Paul et Jacques Oriol, une nouvelle définition de la «culture
haïtienne» allait émerger, dans laquelle prédomine l apport africain à l opposé
de la définition des classes dominantes pour qui l apport européen constituait l
élément essentiel (Charlier-Doucet 2005 : 125). vodoun est affaire de l
autorité civile, armée pour sa répression de la loi pénale appliquée sans merci»
(Hoffmann 1990 : 139). 12 Titre de l ouvrage : «De Saint-Domingue à Haïti.
Essai sur la Culture, les Arts et la Littérature» 13 Ce Bureau serait une
résultante des conversations entre J. Roumain et A. Métraux sur la nécessité
de sauver le souvenir du vodou qui était si gravement menacé par le feu
inquisitorial (Métraux 1958 : 13). Et un mois après sa création, arrive l Institut
d ethnologie consacré à l enseignement sous la direction de Jean Price-Mars.

28 28 Dès lors, même si le droit à la liberté de culte n était pas encore garanti
pour le vodou par les gouvernements, l intérêt scientifique pour ce culte et les
«survivances» africaines dans la culture haïtienne avait pris son élan. Et les
chercheurs parviennent à faire sortir le vodou de la catégorisation
discriminatoire qui le faisait passer pour un cas social pathologique et
criminogène, et à le réhabiliter en lui reconnaissant ses aspects esthétiques et
ses rôles dans les pratiques thérapeutiques (Hurbon 2005 : 157). Plus tard, d
autres auteurs (Trouillot 1971, 1972; Hoffmann 1987; Laguerre 1989) vont
insister sur la contribution du vodou aux différentes luttes des esclaves qui ont
abouti à la fondation haïtienne le premier janvier Si Price-Mars a eu la
conviction que le vodou, en plus d être une religion, est une source vive de
musique, de danse, de littérature orale (Aubrée et Dianteill 2002 : 9), Louis
Maximilien (2005 [1945]) le perçoit quant à lui comme «une source
jaillissante d éléments d art dramatique pour un artiste qui voudrait les
comprendre et les changer. Il en sortirait un [23] théâtre populaire [ ]». Quand
Franck Fouché allait penser quelques décennies plus tard le projet d un
«théâtre populaire», c est à cette notion du «vodou pré-théâtre» qu il a pu
recourir (Célius 2007 : 368). Dans cette construction de l ethnologie haïtienne
(ethnologie du proche), des chercheurs américains (Melville J. Herskovits,
Maya Deren) et français (Alfred Métraux, Roger Bastide) ont pu contribuer à
la production des savoirs ethnologiques sur la société haïtienne,
particulièrement sur le vodou. En appliquant les principes modernes de
l'anthropologie culturelle à l'ethnologie des Afro-américains, ils ont consolidé
au fur et à mesure (chacun avec sa petite pierre) un nouveau regard
épistémologique sur la culture haïtienne. Dans leurs travaux, le statut de
«religion» accordé aux croyances et pratiques vodou est renforcé en dépit des
préjugés qui niaient la possibilité d existence d une religion africaine ou afro-
américaine (Aubrée et Dianteill 2002 : 8). Chez Métraux, par exemple, le
vodou haïtien est défini comme un ensemble de croyances et de rites d'origine
africaine qui, étroitement mêlés à des pratiques catholiques, constituent la
religion de la plus grande partie de la paysannerie et du prolétariat urbain de la
République noire d'haïti. Ses sectateurs lui demandent ce que les hommes ont
toujours

29 29 attendu de la religion : des remèdes à leurs maux, la satisfaction de leurs


besoins et l'espoir de survivre (1958 : 11). Avant Métraux, on peut noter du
côté d Herskovits (1975 [1937] : 153) des énoncés qui visaient la
déconstruction des regards évolutionnistes sur le vodou. Dans le phénomène
vodou, il entrevoyait un système de croyances qui n est ni la pratique de la
"magie noire", ni de l hystérie pathologique désordonnée comme il est si
souvent représenté. Ainsi, il a soutenu que Les dieux [vodou] sont reconnus
par leurs adorateurs, et leurs devoirs envers eux sont également bien compris.
Pour l'accomplissement de ces devoirs, ils obtiennent comme récompense - de
bonne santé, de bonnes récoltes, et de la bienveillance des leurs prochains. En
cas de négligence, ils attendent la mauvaise fortune comme punition. Et, sur
cette base de la croyance, est érigé le cérémonial du culte. [24] Pour
Herskovits et Bastide, le vodou haïtien constituait un cadre empirique pour
discuter de la réalité des contacts culturels à travers les concepts d
acculturation, de syncrétisme religieux, de réinterprétation culturelle. Si, au
début, Bastide se montrait diffusionniste comme Herskovits et citait assez
souvent ses définitions de l acculturation et de la réinterprétation 14, il a fini
par se distancier quelque peu de l anthropologue américain en proposant de
préférence le concept de «l interpénétration des cultures» pour rendre compte
de la réciprocité communicationnelle des civilisations en contact (Bastide
1998 [1948] : 42). Ainsi, dans son ouvrage Les Amériques noires (1967), il a
appliqué les principes de l anthropologie interculturelle pour analyser les reli-
14 Selon Herskovits, l acculturation est «l ensemble des phénomènes qui
résultent du contact direct et continu entre des groupes d individus de cultures
différentes avec des changements subséquents dans les types culturels
originaux de l un ou des autres groupes» ; la «réinterprétation culturelle
renvoie au processus par lequel de nouvelles valeurs changent la signification
culturelle des formes anciennes» (Ravelet 1998 : 7).

30 30 gions afro-américaines (santeria cubaine, candomblé du Brésil, shango


de la Trinidad, obeah de la Jamaïque, vodou d Haïti). Après ces
considérations, il termine sur une conclusion prospective qui se formule de la
manière suivante : «Nous pensons donc que les cultures afro-américaines sont
loin d être mortes, elles rayonnent au contraire et s imposent aux Blancs 15.
Elles pourront demain, dans un monde sans cesse changeant, donner encore de
nouvelles floraisons et nourrir, de leur miel ou de leurs piments, de nouvelles
promesses de fruits». Comme l a remarqué Vonarx (2005 : 14), que ce soit du
côté des Haïtiens ou des étrangers, les premiers travaux relatifs au vodou
étaient plutôt substantifs. Selon Métraux [25] (1958 : 13), il était question de
constituer une ethnographie d urgence aussi complète que possible de cette
religion populaire afin de sauver sa mémoire de la frénésie des curés
catholiques (appuyés par l État) qui s efforçaient de la déraciner du sol haïtien.
Pour sortir de cette approche ethnographique centrée sur l essence du vodou, il
faudra attendre les travaux d ordre explicatif et théorique d auteurs comme
Laënnec Hurbon (à partir de 1972 avec Dieu dans le 15 Pour illustrer ce point
de vue de l interpénétration réciproque, il donne comme exemple une pratique
magique européenne du Bas-Empire romain (envoûtement à l aide d une
poupée lardée de coups d épingle) intégrée dans les cultures afro-américaines
alors que les Blancs, pour gagner un match de football, ou pour atteindre d
autres fins, se réfèrent à la magie des Nègres, considérée par eux comme plus
efficace, à cause de son caractère «étrange» et de vieilles peurs coloniales. Sur
le plan culturel, il note que le jazz provient de la musique des Calenda, reprise
à travers des instruments de musiques occidentaux. L orchestre typique cubain
est le résultat d une hybridation, qui s est faite aussi dans les villes de l île,
entre des instruments de musique africains mulâtrisés et des instruments de
musique européens africanisés. Contrairement aux «apôtres» qui s apprêtaient
à annoncer la mort du vodou haïtien par l éducation des masses et en leur
pourvoyant les services sociaux de base, Bastide a noté que la culture nègre n
a donc pas été tuée par l urbanisation et l industrialisation, car elle répond au
contraire à de nouveaux besoins, que la ville ne pouvait satisfaire. Mais il y a
plus. Car ce vide spirituel, que la ville crée au fond de chaque humain, le
Blanc le ressent naturellement autant que le Noir. Ce qui fait qu il cherche de
plus en plus du côté de l Afrique ou du côté de l Amérique noire la satisfaction
de ses nécessités vitales que la société industrielle ne peut lui apporter
(Bastide 1973 : 166, ). Voir aussi Patrimoines métissés de Turgeon (2003).

31 31 vaudou haïtien), de Michel Laguerre (Voodoo and politics in Haiti,


1989) - plus récemment - de Karen Richman (Migration and vodou, 2005).
Dans ces types de travaux, il va être étudié dans un cadre d analyse plus large
en le situant dans des rapports sociaux complexes de classe et de pouvoir.
Ayant acquis le statut d objet d étude légitime pour historien, ethnographe,
ethnologue, sociologue, l attrait des chercheurs à se faire initier au culte vodou
va déboucher sur de nouveaux rapports entre l observateur et l observé. 3 -
Approche postmoderne du vodou haïtien Retour à la table des matières L
approche postmoderne du vodou renvoie à des recherches qui visent à abattre
les cloisons entre des positions caractéristiques de la rationalité opératoire de l
anthropologie classique. Elle se définit, entre autres, par quatre types de
transgression volontaire : la multiplicité des «vérités», la confusion entre
fiction et réalité, l abolition de la distinction observateur/observé et la
déconstruction des catégories masculin/féminin (Aubrée et Dianteill 2002 :11-
12). Cette entreprise de critique radicale des sciences sociales retrouve dans le
vodou des terrains qui se prêtent à ce travail de remise en question. En 1991,
Brown, à travers le phénomène de la possession vodou, a insisté sur la
pluralité des identités humaines et surnaturelles selon laquelle un corps
humain peut être occupé par des personnalités hétérogènes, ce qui remet en
question l idée d un moi unique pour chaque individu 16. Dans ce travail
académique (d universitaire initiée au culte [Brown 2001 : 8 et 10]) où elle
prouve qu il [26] n y a pas de vérité unique sur l être humain, la distinction
entre observateur et observé est radicalement déconstruite. Contrairement à l
approche précédente, ici, la subjectivité de la chercheure est exposée, sans
pour autant qu elle prime sur celle des autres acteurs du drame initiatique
(Aubrée et Dianteill 2002 :13). 16 Selon Aubrée et Dianteill (2002 : 12), ce
fractionnement subjectif est précisément une caractéristique centrale de la
postmodernité.

32 32 En décrivant les transformations produites par la migration sur les


pratiques cultuelles, par cette posture épistémologique, elle porte sur le vodou
un regard anthropologique décomplexé (Brown 2001 : 12). Et dans cette voie,
elle a inauguré avec d autres chercheurs (Sidney Mintz, Gérald Murray, Ira
Lowenthal, Alex Stepick, Drexel Woodson, Paul Farmer, Leslie Desmangues)
ce que Béchacq (2007 : 53) appelle «l école américaine». Celle-ci est
reconnue pour ses grands travaux de recherche sur les Caraïbes. En parcourant
les travaux réalisés jusqu ici, sauf quelques rares exceptions 17, nous
constatons qu ils vont surtout dans le sens de la recherche d une
compréhension du vodou à travers la description de ses différents rituels et de
son panthéon. Comme l a souligné Kerboull (1973 : 13), ces études présentent
en général des images très proches les unes des autres d un vodou local, celui
de la Capitale. Cette critique, qui reste encore fondée, a été déjà formulée en
1949 par Emmanuel C. Paul. Selon ses propos, localiser des activités de
recherche uniquement à Port-au-Prince pour étudier le peuple haïtien, comme
le font souvent le Bureau d ethnologie et l Institut d ethnologie, représente une
démarche très sélective sur le plan géographique et qui ne tient guère compte
des variations socio-spatiales. Le vodou, a-t-il remarqué, a été jusqu à présent
étudié en bloc à partir de la capitale (Paul 1949 : 23, 39). En outre, il est vrai
que le vodou fait souvent objet de débats et d études pertinents, mais, il reste
une réalité religieuse «peu connue» (Laguerre 1980 : 21) ou «une des religions
les plus mal comprises» (Brown 2001 : xvii). En effet, comme a pu remarquer
Tarot (2008 : 25), «les sciences des religions 17 Nous avons déjà souligné des
travaux comme ceux de Hurbon (1972), de Laguerre (1989) ou de Richman
(2005) qui ont abordé le vodou dans une approche explicative et non
substantive. Par rapport à la tendance d étudier le vodou à partir de la Capitale
(Port-au-Prince), Herskovits lui-même (1937) a été à Mirebalais (une
commune du Département du Centre d Haïti). Richman a été à la Petite
Rivrière [Ti Rivyè], 2 e section communale de Léogâne (Arrondissement du
Département de l Ouest). Cependant, on peut constater qu il y a un
rapprochement très étroit entre les traits du vodou de Port-au-Prince et les
caractéristiques du vodou de Léogâne. L acceptation de l ougan asogwe
comme "ougan ginen" dans la zone de Léogâne est un indicateur de cette
influence. Car, dans les régions rurales qui ne sont pas exposées à l influence
de la Capitale, le fait de prendre l ason est synonyme d acheter un Lwa, donc,
l acheteur n est pas un héritier. C est un ambitieux.

33 33 traitent de l'objet [27] sans doute le plus controversé, le plus conflictuel
et le plus mal connu qui soit dans nos sociétés» surtout que (depuis une
vingtaine d années) «les traditions s inventent et se réinventent sans cesse»
(Augé et Colleyn 2009 : 111). À travers ce survol, on constate que la
problématique de la transmission de la prêtrise vodou dans cette culture afro-
américaine n est pas encore étudiée. Du moins, elle est abordée très rarement
et de façon superficielle. Si Douyon (1969) a fait sentir la nécessité d étudier
cette question en ce qui concerne la crise de possession, quatre ans plus tard,
Kerboull (1973 : ), dans un travail d essai de définition du vodou, a établi l
existence des «héritages sacrés» comme corpus de Lwa, protecteurs
traditionnels légués à une famille étendue. Dans sa conclusion, il soutient que
la transmission de ce corpus sacré à de nouvelles générations traduit le degré
de son importance aux yeux des Haïtiens. Sans la persistance de cet héritage
comme institution, pense-t-il, le «vodou-religion» disparaîtra au profit des
pratiques strictement magiques et/ou touristiques (Kerboull 1973 : 47 et 305).
Si le travail de Kerboull a le mérite de pouvoir nous guider dans la description
des «Lwa religieux» ou Lwa ginen (par opposition aux Lwa mercenaires ou
achetés) 18 transmis de façon onirique aux héritiers, néanmoins, il ne nous
renseigne pas sur le pourquoi de l attachement à cet héritage. Ensuite, hériter d
un Lwa familial est loin d être suffisant pour accéder au rang de prêtre. De
surcroît, tous les descendants d un ougan ou d une manbo ne deviennent pas
chefs religieux à leur tour. Il faut des actes sélectifs. En ce sens, nos
connaissances autour de la réalisation de la transmission des pratiques de la
prêtrise vodou dans la société haïtienne demeurent lacunaires. Au moyen d
une exégèse de chansons vodou, Laguerre (1980: 21) a attiré notre attention
sur le sens de ces "poèmes chantés" comme 18 En effet, la question de l
existence des «Lwa mercenaires ou achetés» est une réalité de la conscience
collective vodou. Néanmoins, un de mes interlocuteurs nous a dit que c est la
tendance hors-la-loi ou criminelle de l individu qu il faut mettre en question.
Les Lwa, argumente-t-il, sont des Esprits. Donc, on ne peut pas les vendre ou
les acheter. Et, tout le monde a en lui cette potentialité divine qui doit être
juste activée. Si on peut parler de «mercenaires», il faut pointer du doigt celui
qui se présente comme ougan et prétend qu il a des Lwa à vendre et non les
Lwa eux-mêmes.

34 34 étant une clé pour comprendre la mythologie vodou. Pour lui, c'est à
travers des chansons que l'on est susceptible de parvenir à [28] une meilleure
compréhension des croyances et des rituels, car elles sont l expression de la
culture vodou et ouvrent la voie aux besoins de la communauté tout en nous
informant de manière efficace sur les attributs des Déités du panthéon
(Laguerre 1980: 22). Si l étude de l ethno-théologie vodou, et surtout des
caractéristiques des Divinités sont nécessaires pour une meilleure
compréhension de cette tradition religieuse, dans le cadre de cette recherche, l
intérêt du travail de Laguerre (1980) sur les chansons vodou nous est apparu
quand il s interroge sur la problématique de la transmission de ces chansons. Il
note que ce n'est pas par la parole écrite que la connaissance vodou se
transmet d'une génération à l'autre, mais par la tradition orale (Laguerre 1980:
34). Pour lui, cette tradition orale a des règles grammaticales que l'on doit
apprendre si on veut saisir les mécanismes par lesquels cette transmission se
réalise. Autrement dit, «la transmission ne se fait pas de manière
désordonnée». Pour saisir ces mécanismes, Laguerre suggère qu on se
concentre à la fois sur le contenu, sur les agents, sur les techniques utilisées
ainsi que sur les institutions (famille, lakou ou temple vodou) qui servent de
foyers de cette transmission. Dans le cas du culte familial ou privé, la
transmission des chansons est assurée par un choisi des Lwa alors que pour le
culte public (dans les sanctuaires vodou), elle est la prérogative des
spécialistes qui sont des ougenikon 19 ou des ougan. Afin de perpétuer cette
spécialité 20 à travers les générations, un ougenikon âgé tient à ce qu il y ait
un jeune onsi qui apprenne les chansons de son répertoire. Après sa mort, l
onsi talentueux de la congrégation est promu pour prendre sa place. En fait,
avant qu ils atteignent le stade de l'initiation formelle, les enfants apprennent
les chansons vodou en accompagnant leurs parents dans les cérémonies.
Néanmoins, dans le processus de transmission, Laguerre a [29] re- 19 Chef de
chœur, coryphée (femme ou homme) du temple. Il envoie les chants et les
arrête. Il a le pouvoir d appeler les Lwa à travers les chants. Il assiste le prêtre
et le remplace quand il est possédé, ou quand, pour une raison quelconque, il
ne peut conduire toute la cérémonie. 20 Savoir chanter Lwa, interpeller les
Lwa par des chansons, enflammer le public au moyen des chansons sacrées.

35 35 marqué la possibilité des altérations ou des transformations qui peuvent


se produire 21. Pour lui, ces modifications sont des effets non surprenants et
même inévitables (Laguerre 1980 : 36). Si la préoccupation de Laguerre était
surtout la quête d une meilleure compréhension du panthéon vodou et aussi de
dévoiler la richesse de cette tradition religieuse à travers les chansons sacrées,
son arrêt sur les modes de transmission de ces chansons est très éclairant pour
cette thèse dans le sens où il peut nous orienter sur le rôle du milieu familial,
des lakou ou temples vodou dans la transmission de la fonction du ougan ou
de la manbo. Cet apport est d autant plus pertinent par le fait qu il nous
informe que le processus de passation de connaissances ou savoir-faire n est
pas une transmission exacte. Au cours du chemin, ce processus subit des
altérations volontaires ou fortuites. L autre étude qui se rapproche un peu de
notre sujet de thèse est celle de Hurbon. Dans un texte publié en 2004 (Revue
Social Compass) sur la problématique du rapport entre religion et génération,
il consacre une demi-douzaine de lignes aux religions afro-américaines dans l
espace caraïbéen, en soutenant l hypothèse selon laquelle «les religions dans
la Caraïbe sont toutes vécues comme des dispositifs de reconstitution d une
mémoire dans le contexte de l esclavage outre- Atlantique». Il voit dans l
initiation et le mariage mystique 22 deux 21 Pour expliquer ces altérations,
Laguerre (1980: 36) a noté que des modifications peuvent être causées par une
perte de mémoire et le chanteur peut remplir un trou dans une phrase afin de
garder la mélodie adoptée selon les besoins et les sensibilités locaux. Des
mots ou des phrases courtes peuvent être ajoutés pour expliquer certaines
parties du texte. Lors de la transmission d'une chanson d'une génération à
l'autre, il peut arriver qu'une partie du texte devienne inintelligible pour
certaines personnes. Le texte peut se référer à des événements spécifiques ou
être chargé de symboles locaux avec lesquels la nouvelle génération n'est pas
familière. Dans d autres cas, l assemblée peut continuer à chanter une chanson
sans avoir saisi son sens dans lequel des altérations peuvent passer inaperçues.
Des modifications peuvent se produire quand un dévot apporte une chanson
d'un sanctuaire à l'autre. L emprunteur peut le transformer pour l'adapter à la
configuration de chant ou de la tradition de sa communauté. 22 Le mariage
mystique est un rituel par lequel un Lwa masculin ou féminin et un fidèle, en
général de sexe opposé, mais pas absolument semble-t-il, se choisissent
comme mari et femme, l initiative venant de l un ou de l autre,

36 36 rituels fondamentaux gardant les liens générationnels. Si la première


donne à l aspirant initié la possibilité d être consacré définitivement à une
divinité, protecteur de sa lignée familiale, le second lui accorde une position
paradoxale de fils et époux des divinités qui est, d après [30] l auteur, une
tâche de conservation et de transmission d une mémoire qui cependant peut
encore être soumise aux aléas de l histoire individuelle (Hurbon 2004 : 182).
Dans le cadre de cette recherche, cette approche nous paraît assez pertinente.
Elle nous donne des pistes d exploration pour l interprétation des rituels
initiatiques dans la logique de la transmission d une mémoire religieuse.
Néanmoins, centrée sur les mécanismes de production des religions afro-
américaines, elle néglige le processus par lequel cette mémoire reconstruite
est transmise. En plus, l auteur ne pourrait pas avoir la prétention de traiter
juste en quelques paragraphes de la problématique de la transmission
religieuse au sein du vodou en Haïti, voire pour toute la Caraïbe. Partant des
considérations précédentes autour de la persistance de l héritage sacré et du
travail de mémoire qui est à l œuvre au sein de cette religion afro-américaine,
et par rapport à notre question de départ qui est comment s opère le processus
de transmission de la prêtrise dans le vodou haïtien, nous proposons dans un
premier temps de scruter les différents mécanismes de transmission qui sont
opérationnels dans le vodou et qui permettent la construction de l identité
religieuse de l ougan ou de la manbo. Et dans un deuxième temps, nous
adoptons comme hypothèse de travail que la transmission de la prêtrise dans
le vodou haïtien est liée au degré de loyauté du prêtre à la lignée croyante.
Dans les lignes suivantes, l organisation et la structure qui supportent la
logique de l argumentation de la thèse seront exposées. plus habituellement de
la divinité. En plus de l initiation, ce rituel entraîne des obligations dont l
observance assure la continuation de ses bons effets et dont la négligence
expose à des malheurs: entretien des objets consacrés au Lwa,
accomplissement de certains actes rituels (à l aide de parfum, de foulard, etc.),
abstinence sexuelle le jour et la nuit réservés au Lwa (Guy Maximilien,
Rituels liturgiques vodou, Texte inédit).

37 Organisation et structure générale de la thèse Retour à la table des matières


Afin de poursuivre les objectifs définis, l architecture de la thèse est constituée
de six chapitres. Le premier vise à présenter le corps explicatif de l étude qui
se construit autour des notions de «transmission culturelle», «transmission
religieuse», «prêtrise vodou» et «loyauté». Il s agit ici d explorer dans un
premier temps les principaux points de vue théoriques relatifs à ces concepts,
puis discuter de l applicabilité de la notion de «prêtrise» dans le vodou haïtien.
Au début de la construction de notre objet d étude, certains de nos [31]
lecteurs ont eu de la difficulté à percevoir les ougan et les manbo comme étant
des «prêtres» puisque de nos jours, on a tendance à prendre le sacerdoce du
catholicisme comme modèle par lequel on mesure la fonction de la prêtrise
dans les autres traditions religieuses. Ceci nous a conduit à retracer la
trajectoire ethnologique de cette notion et à justifier son utilisation dans le
champ vodou. Après avoir clarifié ce point, le chapitre se termine par la
définition du concept de loyauté qui représente la variable explicative de notre
hypothèse de recherche. Ces outils conceptuels et analytiques ont pour
fonction de nous guider dans la construction de l objet d étude et surtout de
nous rendre aptes à procéder à l analyse des données que l enquête de terrain
nous a fournies. Pour accéder à ces données, l enquête ethnologique a été la
meilleure approche, celle qui nous a permis d appréhender les mécanismes de
la transmission du sacré dans cette tradition orale qu est le vodou haïtien.
Ainsi, le deuxième chapitre expose les procédés par lesquels nous avons
soumis notre intuition théorique à l épreuve du terrain. À ce niveau, dès le
départ, nous avions retracé notre propre histoire en rapport avec le vodou
avant de présenter les démarches et les outils méthodologiques qui nous ont
permis de créer des liens de confiance et d entamer le dialogue avec nos
«interlocuteurs/interlocutrices» en vue de la collecte des informations. Ici, la
méthode de récit de vie a été privilégiée même si elle a dû être renforcée ou
objectivée par

38 38 d autres méthodes secondaires (récit de lieux, récits d objets, récit de


pratiques, recherche documentaire, entrevues avec des personnes clés,
observation directe). Le troisième chapitre porte sur le cadre socio-familial et
religieux de nos interlocuteurs et interlocutrices. Le vodou haïtien est
généralement présenté comme une religion familiale. Effectivement, l ougan
ou la manbo qui veut jouir d une certaine légitimité dans le milieu doit
pouvoir inscrire sa pratique dans la lignée de ses parents, soit du côté de son
père, soit du côté de sa mère. Ainsi, avant de présenter le profil de nos
interlocuteurs et de suivre leur trajectoire en lien avec la prêtrise vodou, nous
avons d abord présenté les grands traits de la famille haïtienne pour ensuite
saisir les interactions entre le vodou et la famille traditionnelle haïtienne. Vu
le rôle de la famille dans la formation de l identité et le développement du
sentiment religieux, une compréhension du cadre familial dans laquelle l
ougan ou la manbo a été socialisé s avère un atout majeur pour l étude de la
transmission dans une culture vodou. [32] Après avoir exposé et situé le
contexte socio-familial dans lequel nos interlocuteurs ont intériorisé les pré-
requis nécessaires à l exercice de la fonction ougan ou manbo dans la société
haïtienne, notre tâche sera, dans le quatrième chapitre, d entamer la réflexion
sur les modes de passation de la prêtrise par lesquels nos sujets sont devenus
aptes à remplir le rôle d intermédiaires entre leur communauté et les divinités
vodou. Notre objectif ici est de restituer les mécanismes de transmission de la
prêtrise vodou, c est-à-dire de présenter une description du processus par
lequel on devient ougan ou manbo. À la fin de ce chapitre qui vise à décrire l
acte de transmettre dans le vodou haïtien, les lecteurs seront prêts à aborder
avec nous les deux derniers chapitres qui seront plus analytiques et explicatifs
que descriptifs. Le cinquième chapitre vise à analyser la question de la
persistance de la transmission en lien avec le sentiment de loyauté du prêtre à
sa lignée croyante. Il s agit d aborder le phénomène de la prêtrise vodou dans
le milieu haïtien dans la perspective d une transmission consciente visant à
résister et à survivre contre les forces adverses qui l ont perçu comme
séditieux (période coloniale) et comme obstacle au développement
économique et social d Haïti. À travers ce chapitre, nous

39 39 espérons montrer que le sentiment de loyauté, renforcé par ce que Pierre
Bourdieu appelle illusio, a un pouvoir explicatif considérable dans la
compréhension du phénomène de la transmission vodou. Le sixième chapitre
vise à analyser le besoin de cohérence de l ougan ou de la manbo pris entre
deux impératifs : celui de la continuité et celui du changement. Dans une
quête de légitimité, la première l oblige à justifier son attachement à sa
tradition ancestrale tandis que, pour s adapter à l exigence du temps, il doit
être ouvert au changement. Ainsi, cette partie de la thèse entend examiner le
besoin d articulation entre ces deux impératifs ou la nécessité de négocier son
inscription dans l histoire familiale et religieuse comme agent d historicité et
aussi en tant que digne porteur de l héritage sacré des générations qui l ont
précédé.

40 40 [33] Transmission de la prêtrise vodou. Devenir ougan ou mambo en


Haïti Chapitre I Corps explicatif de l étude autour des notions de transmission
culturelle, transmission religieuse, prêtrise vodou et loyauté 1. Transmission
culturelle [34] 1.1. Approches intra et inter psychiques de la transmission
culturelle [34] 1.2. Approche mémétique de la transmission culturelle [37] 1.3.
Lecture des psychologues interculturels [40] 1.4. Pour une analyse
médiologique de la transmission culturelle [42] 2. Transmission religieuse
[46] 3. Usages du «prêtre» comme une notion ambigüe [51] 3.1. Sens du
terme prêtre dans la tradition grecque [51] 3.2. Rejet et réappropriation du
terme prêtre par les chrétiens (catholiques) [52] 3.3. Sacerdoce des ougan et
des manbo [55] 4. Quid de la loyauté? [60] Retour à la table des matières

41 41 [34] Au niveau de ce chapitre, il nous importe d explorer dans un


premier temps les principaux points de vue théoriques relatifs à la
transmission culturelle et à la transmission religieuse, puis de discuter de la
notion de prêtrise, et enfin, de définir notre concept explicatif qui est la
loyauté Transmission culturelle Retour à la table des matières Le phénomène
de la transmission culturelle semble aujourd hui préoccupant en ce qu elle
concerne les institutions (État, institutions du sacré, école, famille, armée) qui
traditionnellement sont responsables de la survie des collectivités. Pour que la
communauté subsiste au-delà de la mort de ses membres, ces institutions,
comme d excellents instruments de la continuité sociale, conservent et
véhiculent les traditions, les valeurs qui fondent l identité des communautés et
des peuples. Or, de nos jours, sous l effet du «choc des cultures», «choc des
civilisations», on parle beaucoup de crises des identités et de la nécessité de
redéfinir les appartenances (Tarot 2008 : 26). Cela voudrait dire qu il y aurait
un problème au niveau des opérations de transmission culturelle ou que ces
opérations ne seraient pas réussies. Quel est l état de la question en ce qui a
trait aux grandes tendances qui sont dégagées dans les études relatives à la
transmission culturelle?

42 Approches intra et inter psychiques de la transmission culturelle Retour à


la table des matières En 1976, dans la revue Ann Rev Anthropol, Tindall
(1976 : ) a noté un vide quasi-total en matière de théories (générales) 23
pouvant permettre d appréhender le processus de transmission culturelle. Il
souligne qu aucun chercheur ou groupe de chercheurs n a créé un système
déductif de propositions théoriques visant à décrire, expliquer et «prédire» le
processus par lequel les individus en viennent à la pleine appartenance à leur
système culturel. [35] Plus récemment, dans un article intitulé Anthropologie
et transmission, Berliner (2010 : 6) souligne que la «présence du passé dans le
présent» ou le phénomène de la transmission culturelle est certes une question
aussi vieille que l anthropologie 24. Mais, comme Tindall, il constate que ce
phénomène et son modus operandi sont rarement un point de départ, un sujet d
étude «en lui-même et pour lui-même» au même titre que d autres objets d
études comme le rite, la culture matérielle, la mémoire, le sexe ou le
transnationalisme, pour lesquels divers champs disciplinaires éprouvent un
grand intérêt. Dans l introduction de La Religion comme phénomène naturel,
Boyer 23 Il faut préciser que, pour l auteur, une théorie complète du processus
de transmission culturelle serait alors un système de propositions composé de
concepts théoriques à partir duquel les déductions pouvaient être faites pour
définir, expliquer et prédire les processus dans n importe quel type de
communauté (Tindall 1976 : 199). Mais on sait très bien que cette conception
ou prétention est dépassée aujourd hui. 24 La question de la transmission
culturelle se trouve souvent sous-jacente aux débats anthropologiques ou
sociologiques et elle est exprimée par des notions comme diffusion
géographique de traits culturels, survivances (survivals), enculturation,
acculturation, héritage familial, résurgence, résistance, réinvention, résilience,
persistance, permanence du culturel, syncrétisme, reproduction, socialisation,
habitus, mythopraxis, néo-traditionalisme, mémoire, patrimoine Tous ces
termes sont liés et renvoient, sans surprise, à la question de la transmission
(Berliner 2010 : 11).

43 43 (1997 : 8) a observé ce même désintérêt, qu il exprime de la manière


suivante : «Plus complexes encore, et totalement incompris, sont les processus
qui étayent la transmission culturelle». Ainsi, en ce qui concerne les travaux
relatifs aux processus complexes et aux modalités concrètes du transmettre,
Berliner (2010 : 12) en révèle une abondante littérature, mais qui «n en
demeure pas moins éparse et forme une nébuleuse aux contours théoriques
souvent incertains». Toutefois, Tindall (1976 : ) a pu noter l apport de deux
groupes 25 de travail qui ont grandement contribué à l'élaboration d'un cadre
conceptuel de définitions de l'ensemble du processus. Mais ils sont à peu près
identiques dans leur approche. Conformément à leur point de vue, la
transmission culturelle implique deux processus liés, mais qui sont
conceptuellement distincts. Le premier est interpsychique, fonctionnant
comme un processus interactif, social et culturel. Il renvoie, d après Kimball
(1974), aux détails de l'aspect interactif de la transmission culturelle qui réside
dans la spécification de «qui enseigne quoi à qui?», «comment?», «où et dans
quelles circonstances?». Donc, les préoccupations centrales de l'étude
interpsychique de la transmission culturelle se portent sur «ce qui est
transmis», «qui transige avec qui?» et sur les mécanismes des transactions qui
s opèrent. [36] Le second est intrapsychique : les acteurs organisent les
stimulus qui leur sont disponibles dans leur environnement social et culturel.
Ce processus cognitif de l'apprentissage culturel se déroule à l intérieur de
l'individu. L approche intrapsychique qui doit avoir lieu au sein de chaque
apprenant d'une culture se focalise sur le comportement du récepteur engagé
dans une opération de transmission. Elle s'adresse à la conceptualisation de la
nature de l'activité cognitive qui doit avoir lieu lors de la transmission
culturelle. Elle s intéresse aussi à la conceptualisation de la variation dans les
tâches intellectuelles requises à l intérieur des cultures (Tindall 1976 : 200).
Car le sujet apprenant, inscrit dans une relation variable avec son
environnement social et culturel, doit organiser et intérioriser ses
comportements (af- 25 Il s agit de deux groupes d anthropologues américains
qui seraient représentés respectivement par Solon Toothaker Kimball ( ) et
Frederick Osmond Gearing (1922-).

44 44 fectif, cognitif, de l ordre de la motricité) afin de devenir un membre de


sa culture. Selon Tindall, afin d arriver à une théorie pouvant rendre compte
efficacement du processus de la transmission culturelle, il est nécessaire qu il
y ait beaucoup plus de travaux de recherches qui prennent l orientation de l
approche intrapsychique en vue de rendre plus compréhensibles les
mécanismes cognitifs qui sont mobilisés chez un individu dans une situation d
apprentissage culturel. En ce sens, il propose que les efforts soient concentrés
dans la définition de la nature exacte de la relation entre les aspects intra et
inter psychiques de la transmission. Si Tindall s est étonné de l absence d une
théorie pour cet objet d étude qu est la transmission culturelle, l année même
de la parution de son article («Theory in the study of cultural transmission»)
un best seller intitulé The Selfish Gene 26 a fait son entrée. Son auteur est
Richard Dawkins, un zoologiste de l université d Oxford. Dans cet ouvrage, il
développe une approche d interprétation de la transmission culturelle connue
aujourd hui sur le nom de la théorie des mèmes. [37] Approche mémétique de
la transmission culturelle Retour à la table des matières La mémétique est une
discipline extrêmement récente, à la croisée des autres, qui fait l objet d
intenses recherches et publications surtout en Grande-Bretagne et aux États-
Unis. Les travaux francophones en la matière sont rarissimes. Pour Dawkins
(1976 : 192), l inventeur de ce néologisme, un mème est un réplicateur, une
unité de transmission culturelle qui évoque aussi l idée de mémoire. Pour
expliciter ses idées, il donne des exemples de mèmes tels que les idées
(scientifiques, politiques, économiques, religieuses idée de Dieu, la croyance
en la vie après la mort le feu de l enfer ), les mélodies, 26 Le premier tirage s
est vendu à plus d'un million d'exemplaires et l ouvrage a été traduit en plus de
25 langues. Dawkins est devenu l'un des universitaires les plus connus de
Grande-Bretagne.

45 45 les slogans, les modes vestimentaires, les pratiques de fabrication des
objets, etc. Tout comme les gènes se propagent dans le pool génétique en
sautant de corps en corps par le canal des spermatozoïdes et des ovules, les
mèmes se propagent dans le pool des mèmes en sautant de cerveau en cerveau
par une forme de réplication ou de copie qu on appelle imitation. Ils sont
comme des structures vivantes et techniquement observables. Dans la lignée
mémétique, d autres auteurs comme Aaron Lynch (1996), Richard Brodie
(1996) ou Liane Gabora (1997) avancent virtuellement que tout ce que nous
savons est un mème. D après eux, le conditionnent opératoire (par récompense
ou punition) et tout type de conditionnement en général (même le
conditionnement classique de Pavlov) est mémétique. En ce sens, Gabora a
soutenu que «toute chose qui peut être l objet d un instant d expérience est un
même» (Blackmore 2006 : 95). Mais, pour Blackmore, psychologue et
professeure de mémétique (Université de Bristol en Angleterre), cet
élargissement du concept mémétique entraîne une confusion considérable, car
le «tout même» devient tout simplement flou. Selon elle, cette confusion doit
être éclaircie pour garder la vertu explicative de l idée de mème. Afin de
rendre opératoire l idée de mème, elle précise qu un mème est un élément de
culture dont on peut considérer qu il se transmet par des moyens non
génétiques, et plus particulièrement par imitation. Celleci joue un rôle [38]
considérable comme forme de réplication, car c est par elle que les mèmes
possèdent leur propriété réplicative, ce qui leur donne leur véritable pouvoir
de reproduction. Ainsi, un mème n est pas tout ce qui fait l objet d un savoir
quelconque, mais tout ce qui est transmis par imitation et se répand sans
discrimination, qu'il soit utile ou inutile, bienfaisant ou néfaste pour les autres
unités de mèmes, étant donné que le point de vue du mème est égoïste comme
celui du gène (Blackmore 2006 : ; Ayache 2008 : 63). Ayache, de son côté, en
reprenant la définition de Blackmore, précise que les mèmes ne sont pas que
des abstractions, ils peuvent être aussi des artefacts. Le style d architecture, la
forme du vélo, le design des automobiles, le dessin des rues sont tous des
mèmes ou des formes définies par des mèmes (Blackmore 2006 : 60). Dans la
précision de Blackmore, on retient qu une des caractéristiques fondamentales
d un mème est son pouvoir d imitation, c est-à-dire sa capa-

46 46 cité de se reproduire en multipliant ses traits distinctifs. En questionnant


la mémétique, qui se veut une discipline scientifique, on pourrait lui demander
d expliquer comment les éléments culturels réplicables se construisent, se
trouvent mémorisés, sont communiqués et se transmettent au sein des
communautés humaines? Pourquoi imite-ton telle valeur, telle idée, telle
pratique plutôt que d autres? En explorant cette problématique du côté de
René Girard (Tarot 2008 : ), on a pu remarquer, dans l imitation mémétique, le
poids d une pulsion profonde que le philosophe appelle le «désir mimétique»,
qui est un acteur de la sociabilité. Contrairement au sens commun, le désir
selon Girard ne suit pas de manière autonome une trajectoire linéaire d un élan
qui porte un sujet S vers un objet O parce que cet objet est désirable et que sa
possession apporte le bonheur au sujet. Pour Girard, la nature du désir
mimétique est triangulaire. Ce désir se crée dans un schéma relationnel (entre
S : désir imitateur M : médiateur/modèle O : objet désiré) dans lequel le désir
imitateur ne connaît pas son objet cible a priori. En ce sens, ce n est pas l'objet
possédé par l'autre qui active l imitation, mais la plénitude que l'objet confère
à l individu qui le possède (M), donc le modèle. [39] On doit noter aussi que
chez Girard, le modèle (M) est très actif. Il attise même la manifestation
d'imitation du sujet. Il fait tout pour susciter celle-ci, car la valeur ou l intérêt
de l objet qu'il possède dépend aussi du désir mimétique de l imitateur. Donc,
parler de désir mimétique signifie que le désir s accroît par l imitation et se
renforce par la rivalité. En ce sens, la lutte (entre S et M) pour l appropriation
de l objet désiré engendre aussi des antagonismes et donc de la violence. La
violence! Oui. Car les mèmes, s ils sont coopératifs entre eux à l intérieur du
mèmeplexe 27, sont hostiles aux mèmeplexes concurrents. Les religions selon
Dawkins (2006 : 22-23) sont peut-être des 27 Un mèmeplexe est un complexe
de mèmes coadaptés ou mutuellement compatibles qui cohabitent dans les
cerveaux humains.

47 47 cas de mèmeplexes les plus tangibles. Le christianisme comme système


religieux, par exemple, contient tout un ensemble cohérent de pensées ou d
idées, de pratiques, de mode d occupation d espace, de formes d objets
(architecture, sculpture ) qui se dressent (ou s opposent) face à d autres modes
de croire religieux. Dans ce parcours de la mémétique, on constate que la
machine mémétique oriente la vie des hommes dans ses moindres détails. Ici, l
accent est surtout mis sur les idées, les unités de transmission, bref, sur les
mèmes et non sur les porteurs des mèmes, c est-à-dire les individus. Dans ce
schéma, l attention n est pas orientée vers l individu mais plutôt vers le mème
comme acteur et l individu n est qu un simple agent au service des mèmes. Ce
modèle de lecture du phénomène de la transmission culturelle ne nous
renseigne pas sur le rôle de la position ou de la situation sociale des
producteurs et des consommateurs des mèmes dans la chaîne de transmission.
Peut-on trouver d autres approches théoriques pouvant nous renseigner sur ces
préoccupations? Voyons du côté de la psychologie interculturelle. [40]
Lecture des psychologues interculturels Retour à la table des matières Pour
aborder la question de la transmission culturelle, une équipe de psychologues
sociaux (John W. Berry, Ype H. Poorting, Marshall H. Segall et Pierre R.
Dasen) commence avec un schéma mémétique du rapport de filiation parent-
enfant utilisé par Cavalli-Sforza et Feldman (1981). Ces derniers, selon cette
équipe, emploient le concept de transmission culturelle en parallèle à la notion
de transmission biologique par laquelle certaines caractéristiques d'une
population sont perpétuées dans le temps à travers des générations (Berry et al
2002 : 20). Cavalli-Sforza et Feldman ont mis l accent sur le processus par
lequel deux parents transmettent des caractéristiques comportementales à leur
progéniture à travers le procédé «enseignant / apprenant», ce qu ils qualifient
de transmission verticale. Cette forme de transmission, selon Berry et ses
collaborateurs, traduit la descente verticale qui est la seule forme possible de
la transmission biologique.

48 48 Sans nier la valeur de cette première forme, deux autres formes vont
être élucidées par cette équipe de chercheurs. Il s agit de la transmission
horizontale et de la transmission oblique. La transmission horizontale se
rapporte à ce que nous apprenons de nos pairs dans des interactions
quotidiennes durant notre développement, de la naissance à l'âge adulte ; dans
ce cas, selon Berry et ses collègues, il n'y a aucune confusion entre la
transmission biologique et la transmission culturelle. Au niveau de la
transmission oblique, d autres adultes et institutions (par exemple dans des
études formelles) ont contribué à notre formation, que ce soit au sein de notre
culture de naissance (primaire) ou d une autre culture. Quand le processus s
effectue entièrement au sein de la culture primaire, «transmission culturelle»
est le terme approprié. Cependant, si le processus provient du contact avec une
culture secondaire, on parle alors d'«acculturation». Ce dernier terme se réfère
à la forme de transmission expérimentée par les individus qui résultent du
contact et de l'influence des personnes et des institutions appartenant à d
autres cultures. [41] Par ailleurs, il est important de noter que le processus de
la transmission culturelle ne mène pas nécessairement à la reproduction exacte
des générations successives. Il échoue quelque part sur le spectre allant de la
«transmission exacte» à un «échec complet de transmission», mais il tombe le
plus souvent plus près de la fin de la transmission intégrale que de la fin de la
«non-transmission». Il faut souligner aussi que l'un ou l'autre extrême serait
problématique pour le fonctionnement normal d une société. La transmission
exacte ne tiendrait pas compte de la nouveauté (créativité) et surtout elle ne
favoriserait pas le développement de la capacité d un groupe et d un individu à
répondre à de nouvelles situations. Tandis que l'échec total d une transmission
ne permettrait pas l'action coordonnée entre des générations (Berry et al
2002 : 30). Si Berry et ses collègues reconnaîssent que l individu placé dans
un cadre d enculturation et de socialisation n est pas un simple receveur pris
dans une relation asymétrique dominant/dominé, le concept d acculturation
dans son schéma est cependant problématique. Il est en quelque sorte en
contradiction avec l idée d une transmission dy-

49 49 namique. Car les études sur l acculturation ont été régulièrement
critiquées pour leur tendance à développer l idée d une influence culturelle à
sens unique, linéaire et statique. Contre cette conception, même Herskovits
allait jusqu à envisager des terminologies plus fines en employant des mots
comme transculturation ou néoculturation pour évoquer la réalité du double
mouvement de transformation des systèmes culturels en contact. Ainsi, le
terme le plus commode qui est utilisé aujourd hui pour désigner le rapport d
influence mutuelle ou d interdépendance des cultures en présence est l
interculturation (Baré 1991 : 2 ; Belkaïd et Guerraoui 2003 : 127). Les
approches théoriques qu on a vues jusqu ici traitent du phénomène de la
transmission culturelle en insistant soit sur les mèmes ou les idées (pris pour
des unités de transmission culturelle) vus comme des structures vivantes, soit
sur les transactions qui se passent dans l interstice de l intrapsychique et de l
interpsychique en donnant une place importante à la relation «parent-enfant».
[42] Ces approches, selon Debray (1998 : 32), veulent biologiser les idées et
expliquer par des processus d'épidémies, de transmission de virus, ce qui est
de l'ordre de la transmission culturelle. D après lui, on ne peut pas expliquer le
non biologique à partir du biologique et toutes ces explications (qui
n'envisagent pas le fait culturel et technique - les routes, les villes, les
itinéraires, les livres, les écoles de pensée, les clubs, les partis), qui évacuent à
la fois le technique et le sociologique pour simplement parler de mutabilité, de
dérive, de transmission de croyances d'un individu à un autre, ne sont que des
abstractions. Il soutient qu on ne peut pas penser l'homme hors société, sans
histoire, sans technique, sans milieu d'appartenance, sans support de mémoire.
Cette vision très individualiste qui conçoit la transmission des valeurs et
pratiques culturelles de la mère au nourrisson toujours à l'intérieur d'un cadre
familial ne peut pas, selon lui, rendre compte des grandes mutations
culturelles qui ont secoué l histoire de l'humanité depuis deux mille ans, sauf à
retomber dans l'explication individualiste du social et à penser les processus
culturels comme des phénomènes de contagion (Debray 1998 : 33-34). C est
pourquoi, considérant l importance de la question de la transmission culturelle
pour la survie d une société, une nouvelle perspective doit être élaborée, d où

50 50 l apparition de la Médiologie comme théorie ou «science de la


transmission» pour reprendre l expression de Debray Pour une analyse
médiologique de la transmission culturelle Retour à la table des matières La
médiologie est une nouvelle approche visant à comprendre l'efficacité
symbolique des idées dans les sociétés humaines. Dans son Traité de
médiologie générale (1991), son initiateur (Régis Debray) propose un
programme d'études et de recherches sur les faits de transmission culturelle
(Debray 2002 : 28). Notre comportement d aujourd hui incorpore un
patrimoine ancestral qui est transmis à travers les générations. Entre Rousseau
et Auguste Comte, Debray ne dit pas que l'homme, donc les générations, se
dégradent avec le temps ni ne se perfectionnent avec le temps, il dit que l être
humain n'est pas le même que celui qu'il fut il y a cent ou mille ans ; et la
médiologie essaie tout simplement de comprendre cette «bizarrerie» (Debray
1998 : 25). Comment, par quelles stratégies et sous quelles contraintes, [43]
l'humanité se transmet-elle les croyances, valeurs et systèmes qu'elle produit
d'époque en époque? Et que cachent d'essentiel ces opérations trompeusement
anodines? Pourquoi, par exemple, Jésus s'est-il finalement «emparé des
masses», et non Mani le Mésopotamien, et non le dieu oriental Mithra? Telles
sont les grandes questions formulées par le programme médiologique. Pour
tenter de répondre à ces interrogations générales, l hypothèse médiologique lie
les conditions politiques, les conditions sociales et les possibilités offertes par
la technique ou les systèmes médiatiques. Ainsi la médiologie invite à ne pas
penser la transmission des croyances et des cultures indépendamment des
supports matériels (médias, techniques) et des supports institutionnels
(organisations, Églises, administrations ou partis). Pour réfléchir à la façon
dont un héritage se transmet, qu il soit idéologique, religieux ou culturel, il
faut marier un facteur technique et un facteur institutionnel (Debray 1998 :
35 ; 2002 : 28).

51 51 Pour éviter toute confusion, Debray estime important de faire la


distinction entre les notions de transmission et de communication. Et, selon
Tarot (2008 : 249), cette différence a été bien posée par le médiologue. La
transmission suppose la communication, mais l'inverse n'est pas vrai.
Communiquer est un phénomène quasi naturel ; les animaux communiquent
entre eux ; mais ils ne transmettent pas. Si tous les individus communiquent
entre eux, tous les hommes ne transmettent pas, car «transmettre» est un acte
politique : son obstacle est l'adversité de forces hostiles, de messages rivaux.
On transmet toujours contre des messages et croyances antérieurs ou
concurrents. Tout fait message, mais tout ne fait pas héritage. La maîtrise de la
transmission est un enjeu sociopolitique. Dans transmettre, il y a le préfixe
trans, qui renvoie à la médiation et au voyage, au mouvement, à des agents, à
des médiateurs. Si la communication est un voyage dans l espace, la
transmission est essentiellement un transport dans le temps, elle est
diachronique, contrairement à la communication qui est plutôt synchronique
(Debray 1997 : 17 ; 1998 : 20-21). Dans ce voyage dans le temps, l un des
points forts de la médiologie, souligne Debray, c est qu elle permet de voir
que le transmis se construit au cours du processus de la transmission alors qu
on tend à penser que l objet de la transmission préexiste au processus de [44]
sa transmission. En réalité, l on s aperçoit que c est l opération de la
transmission qui crée son objet, son contenu (Debray 1998 : 41-45). La
transmission est un transport transformant. Le contenu du message se guide
sur les besoins de sa délivrance, comme l'organe sur la fonction (Debray
1997 : 19). Le résultat d un processus de transmission n est pas ce qu il y avait
au début du processus : il y a eu une métamorphose, donc une transmission est
une transformation. Si Debray nous aide à faire la distinction entre la
communication (synchronique) et la transmission (diachronique), il ne nous
donne pas la clef de cette évidente différence selon Tarot (2008 : ), qui est la
dissymétrie des générations face à l inéluctabilité de la mort. Car si nous
étions immortels, nous n'aurions nul besoin de transmettre. Donc les actes de
transmission doivent sauver les groupes, les communautés, de l'emprise du
spectre de la mort collective surtout dans un contexte de modernité (utopie du
progrès continu) où on s'installe dans un temps existentiellement court, celui
de l'instant. Mais Debray pourrait rétorquer à Tarot que même si nous étions
immortels,

52 52 le désir mimétique, l intention culturelle, la quête de l hégémonie sont


assez puissants pour mettre en branle une opération de transmission.
Toutefois, au-delà de la portée explicative de l approche médiologique,
discrètement, mais profondément, l'écriture chez Debray contredit certaines
idées courtes de son rationalisme et de sa médiologie (Tarot 2008: 246). D un
côté, il établit un rapport causal entre le fait de transmission et l histoire
humaine. «Il y a une histoire, dit-il, parce que nous nous transmettons des
choses dans le temps» et qu on «ne peut pas penser l'homme hors société, sans
histoire» (Debray 1998 : 24, 33). Il ajoute que «nos aide-mémoire ne se
réduisent pas aux dits et écrits» et que le médiologue s intéresse à des choses
triviales plutôt qu'aux «hommes illustres» et aux «grands textes» (Debray
1997 : 16-17). D un autre côté, il déclare que «l'écriture n'est pas un fait de
nature. Les sociétés sans écriture n'ont pas d'histoire, dit-on, et je crois que
c'est vrai» (Debray 1998 : 25). Il va même plus loin pour dire que «sans papier
pas de culture» (Debray 1998 : 36). S il pense qu on ne peut pas étudier l être
humain en dehors de sa société ni hors de son histoire et qu il suppose que les
sociétés sans écriture sont privées d histoire, insinuerait-il que les individus
des communautés à tradition orale ne seraient pas des hommes et des femmes,
et [45] qu ils seraient donc privés de culture? Dans ce cas, les médiologues
seraient en congé là où l oralité prédomine. Il y a très longtemps que cette
vieille conception du rapport écriture/ histoire/culture a été vivement critiquée
dans l histoire de l anthropologie, en démontrant sur des bases empiriques que
toutes les sociétés ont une histoire, une culture, donc une civilisation 28 (elles
sont seulement différentes les unes des autres) et que chacune d elles pense et
organise sa transmission à sa manière spécifique (Lenclud 1991 : 712 ; Tarot
1999 : 493). Cependant, par son insistance sur les médiums institutionnel et
technique (les contenants) de la transmission, Debray nous invite à ne pas
négliger ce volet dans l étude de la transmission culturelle. Muxel (2006 : ),
consciente de l insuffisance de l une (la médiologie) ou de l autre approche (la
mémétique qui se focalise sur le contenu de ce qui est transmis) pour
appréhender efficacement la complexité du 28 Une des marques les plus sûres
de la sauvagerie humaine est de se croire les seuls civilisés (Tarot 2008 : 667).

53 53 phénomène culturel, précise que la transmission culturelle embrasse les


contenants et les contenus et que ces deux composantes doivent être traitées
simultanément dans les analyses des faits de transmission. Mais si Debray
soutient que la transmission est un acte politique, pour Muxel, elle est une
opération plus ou moins volontaire. Donc tous les agents de transmission n ont
pas toujours conscience qu ils sont des médiums entre le passé et le présent,
surtout dans le processus de l enculturation. D ailleurs, même Debray (1998 :
38) reconnaît qu il est difficile de décomposer une opération de transmission
29 étant donné qu'une «bonne transmission», selon lui, est celle qu'on ne voit
pas, qui ne se fait pas sentir et qui se fait oublier. Et on peut admettre que la
voie la plus silencieuse d un acte de transmission est l enculturation. À présent
que nous venons de faire le tour des différentes approches de la transmission
culturelle, la question qui s impose tout de suite est formulée ainsi : qu en est-
il de la transmission religieuse de manière spécifique? On dit spécifique pour
deux raisons : [46] a) La première est que le discours anthropologique sur la
culture, au sens savant du terme, implique forcément la religion. Selon René
Girard, elle serait à l origine de toute la culture et de la société (Tarot 2008 :
399). Dans le rapport entre la religion et le reste des composantes de la
société, il y a même un modèle d analyse séculaire du «tout religieux» qui a
son rival, bien sûr, le «tout politique» (Tarot 2008 : 730). Dès son apparition
comme discipline scientifique, l ethnologie a tissé un lien privilégié avec la
religion. Chez Durkheim elle est l'accès privilégié au sacré. Mais c est avec
Marcel Mauss que le lien séculaire de l'ethnologie et de la religion allait se
défaire (Tarot 1999 : 496) ; 29 La classification aristotélicienne peut aider à
comprendre cette opération de transmission. En effet, au début de la
Métaphysique, Aristote énumère quatre causes (efficiente, matérielle, formelle
et finale) qui expliquent pourquoi une chose existe. Dans le cas de la
transmission, la cause efficiente est le transmetteur, la cause matérielle est le
support, la cause formelle est le message et la cause finale est ce pour quoi
l'on transmet.

54 54 b) la deuxième raison concerne les perspectives théoriques de


transmission culturelle. Si on prend par exemple la mémétique de Dawkins ou
la médiologie de Debray, qui veulent s imposer comme de nouvelles
disciplines scientifiques, les données historiques auxquelles ils se réfèrent le
plus souvent et de manière plus convaincante pour conduire leur raisonnement
sont tirées de la religion, particulièrement du christianisme Transmission
religieuse Retour à la table des matières Par quels mécanismes un système
religieux arrive-t-il à assurer sa continuité dans le temps et, du même coup, à
échapper à la mort collective? Préoccupé par cette problématique de la
transmission, Berliner (2005b : 578) était surpris de constater que très peu
d'anthropologues (à l exception de quelques rares curieux 30 ) se sont
intéressés aux réalités subtiles «des actes de passation» du religieux. Toutefois
il note l émergence, très récemment, d une nouvelle approche interprétative de
la transmission religieuse inspirée des connaissances que les neurologues et
les psychologues fournissent sur le fonctionnement du cerveau. Armés de
cette connaissance, des anthropologues comme Bloch (1998), Boyer (1994,
2001), Hojbjerg (2002), Sperber (1996), Whitehouse (2001, 2004) ont mis l
accent sur le rôle crucial de la psychologie cognitive en proposant de
nouveaux concepts et méthodes anthropologiques, et ont tenté d'expliquer
comment et pourquoi la culture se transmet et se maintient dans le temps. [47]
Ces auteurs insistent sur le rôle causal de la structure cognitive de l être
humain dans la production et la propagation des idées religieuses. Boyer, par
exemple, «tente d'expliquer pourquoi certaines représentations religieuses sont
plus attractives et ainsi plus transmissibles que d'autres» (Berliner 2005b :
577). 30 Elboudrari (1992) dans Modes de transmission de la culture
religieuse en Islam, ainsi que Elman et Gershoni (2000), dans Transmitting
Jewish Traditions : Orality, Textuality, and Cultural Diffusion, ont rendu
compte de manière détaillée (mais souvent textuelle) de la transmission de la
connaissance rituelle.

55 55 Comme Debray, Berliner conteste cette perspective théorique de


transmission religieuse. Il pense que c est plutôt vers l'histoire qu un
ethnologue doit se tourner s il veut comprendre pleinement l'acquisition et la
transmission du religieux. Selon lui, l'acquisition de la culture n'est pas
seulement un «sang-froid» qui procéderait par des techniques de
téléchargement cognitives. D après Lave et Wenger (Berliner 2005b : 578),
elle se réalise plutôt dans un processus interactif spécifique inséré dans un
environnement social et culturel, et il faut donc l examiner comme une
dimension de la pratique sociale. Berliner ajoute avec Greetz (1983 : 153) que
ces nouveaux modèles interprétatifs basés sur les développements cognitifs
obscurcissent l'idée fondatrice que la cognition, l'émotion, la motivation, la
perception, l'imagination, la mémoire sont des affaires sociales (Berliner
2005b : 578). Si les critiques de Berliner ont pris pour cible principale l
approche cognitive des études de la religion et de la culture, on a retrouvé du
côté de Hervieu-Leger (1997 : 132) une approche dynamique de la
transmission religieuse émergeant de ses critiques contre la sociologie de la
reproduction. Cette dernière a tendance à orienter les études religieuses dans
le sens de la mesure de l'adéquation/inadéquation ou de la «mise en
conformité» de l'individu à un système. Dans le processus de transmission, qui
met en relation un transmetteur et un destinataire, ce modèle maximise la
productivité de la sphère religieuse dans la capacité de celle-ci à façonner la
vision, l attitude, le comportement de ses destinataires. Face à la capacité de l
individu socialisé d afficher des comportements en inéquation avec les
institutions, traditionnellement responsables de sa socialisation, les acteurs
religieux, producteurs, gestionnaires et fonctionnaires, parlent de «crise de
transmission» en regrettant l affaiblissement des intégrations ou des liens d
allégeance. Ce que reproche Hervieu-Leger, c est le recours répétitif à la
notion de «crise de la transmission» chez des sociologues des religions. Selon
elle, cette attitude véhicule implicitement une nostalgie d'un monde où la [48]
religion se reproduisait en faisant corps avec une société stable et unifiée
(Hervieu-Leger : 1997 : 133). En rupture avec la position classique qui perçoit
les individus socialisables comme des agents passifs ou semi passifs, elle
préconise qu on étudie les processus de transmission religieuse par le biais de

56 56 l expérience des sujets. Cette étude pourrait examiner les mécanismes
de construction des identités socioreligieuses inscrites dans une lignée
croyante. Comme chez Debray, la transmission est plutôt perçue comme un
processus actif. Elle renvoie à une négociation entre le socialisateur et le
socialisé. En observant le processus de la subjectivation du croire religieux,
surtout dans le contexte de la modernité, Hervieu-Leger (1997 : 136) déclare
que : «La caractéristique majeure de la modernité religieuse est d avoir ouvert
à l affirmation (individuelle et communautaire) de l autonomie des sujets
croyants la possibilité de prendre le pas sur l autorité hétéronome de la
tradition institutionnellement validée». Dans ce contexte, les acteurs religieux
sont pris entre deux logiques imposantes, apparemment opposées, mais
constitutives d un même système : «l impératif de la continuité» 31 et «l
impératif du changement» 32. De ce qui précède, on peut dire que la
préoccupation de Hervieu- Leger concerne la subjectivation du croire, son
institution et sa transmission. Dans la finalité de ses questionnements, on voit
qu elle s interroge principalement sur le sort même de la religion dans un
contexte de modernisation. La construction d identités religieuses qui fait l
objet de ses analyses s effectue par modes d échange, d appropriation, de
transaction, de composition, dans un espace social régulé par une logique de
«lutte des places» 33. Ces analyses ont poussé [49] Mager (2001) 34 à se
demander si cette construction iden- 31 «Impératif de la continuité» se réfère à
la nécessité du groupe, de l institution ou de la société d assurer sa survie, sa
permanence dans le temps à travers le maintien des normes, des croyances,
des rites, des manières de faire, etc. 32 «Impératif du changement» renvoie à l
incontournable innovation qui s impose comme une règle dans les sociétés
modernes. Cette dynamique qui réclame le changement ne cesse d établir ses
lois, même au sein des sociétés traditionnelles qui sont souvent régies par de
fortes valeurs religieuses. 33 La lutte des places n'est pas une lutte entre des
personnes ou entre des classes sociales. C'est une lutte d'individus solitaires
contre la société pour trouver ou retrouver une «place», c'est-à-dire un statut,
une identité, une reconnaissance, une existence sociale (De Gaulejac 1994).
34 Robert Mager (2001), «La transmission de la religion», en ligne, (22
octobre 2009).

57 57 titaire n est pas à distinguer de celle qui se réalise précisément dans un
contexte traditionnel, régulé par des autorités. Autrement dit, ne faudrait-il pas
réserver l applicabilité du concept de «transmission» aux modes traditionnels
de circulation du religieux, et laisser à d autres outillages conceptuels le soin d
élucider la problématique de l acte de transmettre face aux impacts de la
«révolution du croire» sur le religieux? Dans un article portant sur la
régulation étatique de la religion, Beckford (2003 : 64-76) a analysé les
conditions particulières dans lesquelles la transmission de la religion se trouve
conditionnée par le lien étroit qui existe entre l État britannique et l Église d
Angleterre. Au cours des deux derniers siècles, les églises ont perdu une
grande part de leur capacité à régler la transmission du religieux, mais cela n
empêche pas que l État britannique continue à pratiquer des formes de
régulation, par le biais de l enseignement religieux, des aumôneries de prison,
du contenu des émissions de télévision via sa fonction de protecteur des
consommateurs. Cette alliance entre l Église anglicane et l État britannique
perpétue, selon Beckford, le contrôle de la transmission du «religieux
admissible» par l État. Ce rapport structure, mais aussi limite le processus de
transmission. Du côté des États-Unis, Bengtson et ses collègues (2009 : ) ont
suggéré de réviser les «stéréotypes» actuels du manque d'influence familiale
sur la religion et sur des valeurs morales. À travers une étude longitudinale (de
1971 à 2000) de la transmission religieuse, ils ont montré l évidence de la
résistance continue et la pertinence du milieu familial dans la transmission des
traditions et des croyances religieuses aux jeunes générations. La base morale
de familles n'est pas atténuée, comme Berger (1967) a pu noter, elle a plutôt
été reconstituée. En citant Edgell (2006), King et Elder (1999) et Roof (1999),
ils soutiennent que l'influence de la religion continue à imprégner presque
chaque aspect de la vie sociale, y compris les tendances démographiques du
mariage et de la fécondité ainsi que l'éducation et les carrières
professionnelles. [50] Mais ils ont fait remarquer aussi que la religiosité peut
être explorée comme une histoire, une trajectoire personnelle influencée par le
milieu familial. Dans le même temps, ils ont reconnu qu il faut éga-

58 58 lement tenir compte du fait que ces influences ont lieu dans le contexte
de la résistance à l'évolution et à la portée de l'autorité religieuse officielle. C
est pour cela qu ils ont signalé au début de l article qu ils allaient examiner la
continuité et le changement de la religiosité des familles
multigénérationnelles. Entre les approches de la transmission culturelle ou
religieuse qui mettent l accent sur la cognition de l individu (mémétique de
Dawkins ou de Girard) et les approches structurelles (sociologie de la
reproduction ou médiologie), le caractère dynamique de notre objet d étude
nous force à adopter une approche qui soit aussi dynamique. Ainsi la
perspective théorique définie par Hervieu-Leger nous parait très efficiente en
ce qu elle nous permet de prendre en compte à la fois les contenants et les
contenus de la transmission. En nous situant dans ce modèle, par la
formulation de notre sujet, «Transmission de la prêtrise dans le vodou haïtien :
devenir ougan ou manbo», nous voulons aborder ce champ religieux comme
un système ouvert, capable de s adapter aux conjonctures selon le pôle
individuel de l identité de l ougan ou de la manbo tout en restant attaché à la
mémoire collective de sa lignée croyante. Cette perspective théorique, qui
tient compte de la liberté individuelle des acteurs religieux, a pour
préoccupation de comprendre ou d expliquer comment la représentation
collective de la continuité de la lignée croyante est assurée à travers le
processus de la construction individualisée. Comme on a déjà souligné, l
intuition théorique qui est à la base de cette recherche a mis en relation
hypothétique des notions comme transmission, prêtre vodou et loyauté. Après
avoir passé en revue ces différentes approches de la transmission culturelle et
religieuse, précisons maintenant ce qu on entend par les termes de prêtre et de
loyauté dans le contexte vodou.
59 59 [51] 1.3- Usages du «prêtre» comme une notion ambiguë Retour à la
table des matières Quand on évoque le terme prêtre, on a tendance à se référer
au modèle ecclésiastique du clergé catholique, plus précisément à son
sacerdoce du second rang qu est la prêtrise. Selon Mgr Léonard (2005 : v), ce
modèle sacerdotal a été découvert et gardé comme un trésor par les Églises et
communautés ecclésiales chrétiennes. Répandue à travers le monde dans le
temps et dans l espace, cette figure du prêtre se fait un ancrage historique et
géographique assez fort au point qu on oublie très souvent que le sens premier
du vocable prêtre est non chrétien. L usage premier de ce mot a été critiqué et
même rejeté par les chrétiens primitifs Sens du terme prêtre dans la tradition
grecque Retour à la table des matières Ce vocable vient du grec ίερεύς,
traduisant les spécialistes du sacré et responsables de la communication
liturgique et sacrificielle. En ce sens, un prêtre représente avant tout l'homme
d'une alliance entre un groupe humain et des forces divines (Magnant 1993 :
163). Selon la tradition grecque, est considéré comme prêtre celui qui a la
prérogative d'offrir aux dieux les sacrifices qui les agréent et de leur adresser
des prières pour qu'ils comblent la communauté de leurs bienfaits (Motte 2005
: 3). Cette définition, comme a souligné Motte, correspond assez bien à la
perception des anciens, car de ίερεύς est dérivé le verbe ίερεύω qui signifie
«sacrifier une victime» (Chantraine 1970 : 457). [52] Ici, on peut voir que le
sacrifice avec la prière commune comme partie intégrante fait partie de la
tâche principale du prêtre, même si

60 60 en Grèce cette pratique n était pas le privilège exclusif des prêtres et des
prêtresses (Motte 2005 : 4). Il n est pas dénué d importance de rappeler aussi
que les termes ίερεύς (prêtres), ίέρεια (prêtresse), ίεραεία (prêtrise), ίερεύω
(sacrifier une victime) sont tous issus de ίερόὸϛ (sacré) qui exprime lui-même
«ce qui appartient aux Dieux ou vient d eux (domaines, animaux, objets
consacrés), ce qui manifeste une puissance surnaturelle, se dit aussi des
rivières, de la mer, etc.» (Chantraine 1970 : 457) Rejet et réappropriation du
terme prêtre par les chrétiens (catholiques) Retour à la table des matières Si l
immolation d une victime et la prière constituent les fonctions principales de
cette figure de prêtre exprimée dans la tradition grecque, Jésus «le Fils et
l'envoyé du Père», personnage sur lequel est fondé le christianisme, s est
présenté comme le «seul Prêtre de l'alliance nouvelle et éternelle, seul Berger
de son Peuple» (Léonard 2005 : vi). «Car il n y a qu un seul Dieu ; il n y a
aussi qu un seul médiateur entre Dieu et les hommes, un homme, Jésus Christ,
qui s est donné lui-même en rançon pour tous, fait attesté en son temps»
(Première épître à Timothée 2 : 5-6) 35. Ainsi, il voulait mettre fin au modèle
sacerdotal du ίερεύς païen ou du kohen israélite, acteurs de la communication
liturgique et sacrificielle avec le divin. En décrivant Jésus dans cette
représentation, l'unique sacerdoce que le Nouveau Testament connaisse est
celui du Christ. La catégorie de sacerdoce ne permet donc pas d'exprimer
adéquatement ce qu'est un prêtre chrétien. Bibliquement et théologiquement, il
faut recourir pour cela à la catégorie de ministère (Legrand 2008) 36. Avec
Jésus-Christ comme seul et dernier «prêtre» du Nouveau Testament, les
premiers chrétiens ont adopté de préférence le terme πρεσβύτερος pour parler
des Anciens (apôtres, prophètes, évan- 35 Oltramare, Hugues (traduction de)
(2001), Le Nouveau Testament, Gallimard, Paris. 36 Hervé Legrand (2008),
«Prêtre, christianisme», (En ligne] Universalis éducation (13 janvier 2011).

61 61 gélistes, pasteurs docteurs ou enseignants) placés à la tête de leur


communauté. Mais l'évolution du christianisme a conduit très tôt (début du
XII e siècle) les «anciens» chrétiens à réinvestir, du moins en partie, les
fonctions des anciens ίερεύς : le ministère presbytéral est vite devenu un
ministère sacerdotal, le prêtre chrétien se mua promptement en «homme du
sacré», en liturge37 consacré (Cannuyer 2005 : 40). Ainsi, dans l Église
catholique, le prêtre est devenu celui qui a reçu le sacrement de l Ordre. Il
peut prêcher, baptiser, célébrer l Eucharistie, absoudre les péchés, donner le
sacrement des malades. En exerçant son ministère à la tête d un regroupement
d habitations qu on appelle paroisse, il porte le titre de curé, c'est-à-dire celui
qui est placé sous l'autorité de l'évêque et canoniquement chargé du service
spirituel et de l'administration d une paroisse. [53] Cette construction de cette
figure de prêtre est le fruit d une théologie qui établit deux catégories
distinctes de religieux : le laïcat et le sacerdoce. Ce dernier constitue une sorte
de caste puissante et savante, vivant en marge de la population des fidèles,
jugée ignorante de la voie de Dieu. Cependant Luther a considéré que le
sacerdoce, hérité de celui de Jésus-Christ est universel. En ce sens, tous les
fidèles ont une mission pastorale. La Réforme, au XVI e siècle, avait souhaité
dédramatiser et déhiérarchiser l office sacerdotal. Après avoir longtemps lutté
pour le garder, l Église catholique reconnaît, depuis Vatican II, le principe d
une fonction sacerdotale pour tous les laïcs (Feuillet 2009 : 105). À présent, le
sacerdoce de dépendance romaine est en pleine mutation. Socialement, il n'a
plus la même marque idéologique et même théologique. En raison d'une crise
religieuse qui secoue le christianisme lui-même, au moins en Occident, il est
donné à la hiérarchie de l Église de penser la modification en profondeur de
l'image et de la condition du prêtre. Selon Dhavamony (2008) 38, aujourd hui,
on trouve des voix autorisées prônant un sacerdoce sans cléricature et ni 37
Personne chargée de dire ou de chanter des prières. 38 Mariasusai Dhavamony
(2008), «Sacerdoce», en ligne, Universalis éducation (13 janvier 2011).

62 62 prêtre de caste, ni prêtre porteur de puissance. Elles minimisent le prêtre


administrateur de sacrements. Elles rêvent de préférence d'un prêtre qui aurait
le style de vie et le genre d'occupation de son entourage, la même liberté et les
mêmes charges que ses fidèles, qui n'aurait en propre qu'une volonté
d'engagement plus poussée. Ce projet est en gestation. Au terme de ce que
nous venons de voir, on peut retenir que même au sein du christianisme,
périodiquement (voire géographiquement), il n y a pas une seule figure de
prêtre. Et si l utilisation du vocable prêtre est bien ancrée dans la tradition
chrétienne, cela ne veut pas dire que les spécialistes du sacré des autres
traditions religieuses n ont plus les caractéristiques ou la légitimité d être
étudiés en tant que prêtres. Bien au contraire, la plupart des femmes et des
hommes qui jouent le rôle d intercesseurs entre leur communauté et les
divinités sont plus proches de la définition étymologique du terme «prêtre»
que les ministres chrétiens. [54] Selon Gordon (1950 : 19), le prêtre est celui
qui établit la liaison entre l univers physique, soumis à l espace-temps, et l
univers dynamique 39, soustrait à cette sujétion. Cette liaison s effectue,
ajoute-t-il, dans l intérêt du groupe social, ce qui est différent pour les sorciers
Cet univers dynamique est une réalité qui est invisible et intangible en même
temps. Cette réalité est accessible seulement par l intermédiaire des
perceptions. Dans une relation de cause à effet, cet univers constitue le pôle
explicatif. Il est l univers de la pensée pure. C est à la fois l univers réel et l
univers de l énergie radiante (Gordon 1950 : 17). Autrement dit, l univers
dynamique se réfère à des présences, à des êtres, à des forces invisibles, mais
réelles et plus puissantes que tous les éléments du monde physique et qui
mettent radicalement en question l existence de l être humain. Pour exister, il
doit organiser ses relations avec elles. Elles constituent tout un monde, des
forces imprécises qui se manifestent dans toutes sortes d objets, des réalités
personnalisées ou esprits de tout niveau jusqu à un Être suprême omniprésent
et englobant tout (Goetz 1973 : 35). 40 Il est une branche de la magie qui est
en opposition avec la religion, mais aussi avec la magie elle-même, c'est la
sorcellerie. Sa condamnation par l'une et l'autre ne porte pas sur son principe,
mais sur ses intentions antisociales et anti-humaines elle est contraire à tout
ordre. C'est le détournement criminel du principe magique à des fins qui sont
à l'antithèse de la solidarité dynamique d'un univers créé pour la vie et la
coexistence. Elle uti-

63 63 ou les magiciens 41. Cette définition, souligne-t-il, est assez générale
pour s appliquer à tous les peuples, même à ceux qui ne possèdent pas de
sacerdoce professionnel. Le titre évocateur La figure du prêtre dans les
grandes traditions religieuses, du Colloque scientifique organisé par
Département de Langues et Littératures Classiques des FUNDP (Belgique) 42,
s inscrit bien dans la logique de Gordon. Néanmoins, une vigilance
épistémologique est de mise. D après Goetz (1973 : 32), l ethnologue averti
qui s occupe des questions sacerdotales doit se méfier d une tendance à la
naïveté ethnocentrique prenant sa conception personnelle de la religion pour
modèle universel. Ainsi, en utilisant la notion de prêtre pour étudier le
sacerdoce non chrétien, il doit raisonner à partir du contenu local que véhicule
l équivalent du terme dans la langue indigène. [55] Sacerdoce des ougan et des
manbo Retour à la table des matières Dans le cas du vodou, ougan (pour
homme) et manbo (pour femme) sont les termes utilisés par les vodouisants
pour nommer le/la responsable de l onfò 43 (temple vodou) et qui assure la
fonction lise souvent les procédés de la magie et de la religion à l'envers pour
les retourner vers la mort. Toute technique est exposée à ces appropriations
par des hors-la-loi. Et l'une des fonctions majeures de la magie est la lutte
contre les sorciers. Donc, il y a une frontière nette entre magie et sorcellerie,
entre religion et sorcellerie. Cette frontière est d'ordre moral (Goetz 1973 :
36). 41 Le magicien cherche ou prétend dominer le sacré, tandis que la femme
ou l homme religieux sert le sacré. Il s agit de deux voies différentes pour
atteindre des résultats semblables, la sécurité de l existence (Goetz 1973 : 35).
42 Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix, Namur. 43 Il s agit d un
espace sacré de base où un spécialiste du sacré accomplit les travaux de
divination, de traitement et d autres rituels. Dans la tradition rada kanzo, c est
aussi un lieu de culte solennel, de vie commune (instruction, entraide) pour la
congrégation des fidèles. Il se compose de diverses parties : péristyle, badyi,
dyèvò et peut même aller jusqu à inclure bois sacré, cimetière, source. Lorsqu
on a réservé une maison distincte pour le service de

64 64 d intermédiaire entre les Lwa (divinités vodou) et la communauté. Selon


L. Maximilien (2005 [1945] : 48), les esclaves africains de la colonie de Saint-
Domingue, pour réaliser une certaine unité relevant de raisons ethniques,
avaient été amenés à considérer chaque divinité vodou comme le représentant
d'une tribu ou d une nation ; par voie de conséquence, le prêtre (ougan) et la
prêtresse (manbo) ont été considérés comme le roi et la reine. Louis
Maximilien a noté aussi qu en langage africain, le mot «manbo» signifie bien
roi 44 et le terme «ougan» contient l'idée de chef 45. Cette idée de «super-
individu» doté à la fois de pouvoirs temporels et intemporels, on le retrouve
souvent à l origine de diverses religions. Dans les temps les plus anciens des
cultures assyrobabylonienne, égyptienne, romaine, africaine, le grand prêtre
était aussi le roi ou quelqu un de lié à la royauté (Dhavamony 2008). D après
Trouillot (1971 : 260 ; 1972 : 77), la grande révolte des esclaves de Saint-
Domingue fut inaugurée par des Africains (nés en Afrique) qui étaient en
même temps des grands prêtres du vodou colonial. Après l enlèvement de
Toussaint Louverture (7 juin 1802), ils ont repris les armes contre la tutelle
française. Les plus intrépides sont devenus les plus connus. Ils avaient une
influence sur des régions plus ou moins étendues. Chaque protagoniste
cherchait à les amadouer et les rallier à son camp. Du statut de grands prêtres,
ils sont devenus des chefs de bande, de véritables guerriers et la seule force
véritable sur l échiquier militaire de l avant chacune de ces grandes familles
rituelles, on distingue les onfò rada, petwo, kongo. 44 Si l'on entend par «roi»,
un prêtre supérieur placé au sommet de la hiérarchie sociale (Magnant 1993 :
174). 45 Voir aussi Trouillot (1972 : 85). 46 Le concours des Africains pour
vaincre à Saint-Domingue était indispensable. En somme, le parti qui ralliait
le plus grand nombre de ces Africains devait avoir le dessus. Dessalines,
comme Pétion, et d'un autre côté comme Leclerc ou Rochambeau, en était
conscient. Les masses africaines seules permettaient d'obtenir la victoire. Sans
elles, pour tout parti, c'était l'échec. En fait, il s agit d une tradition des
autorités françaises d'employer dans leurs troupes des Africains dans le but de
vaincre un parti adverse. Cette tradition était pratiquée aussi par les Nègres
créoles et les Mulâtres c est ce que dans les temps modernes le général
Mangin appellera en Afrique la «force noire» (Trouillot 1972 : 95, 102).

65 65 [56] Ce rapport intime entre la révolte et le vodou a conduit les autorités
françaises à adopter le principe suivant : un révolté est un vodouisant, un
vodouisant est un révolté. Ainsi, les réactions logiques des soldats coloniaux
face à un révolté ou un vodouisant étaient pendaison, incinération à petit feu,
exécution sommaire ou tortures les plus atroces. Comme le rapportent
Malenfant 47, Laujon 48 et d'autres, c était un massacre pur et simple des
vodouisants ou même de ceux des Noirs qui étaient soupçonnés de pratiquer le
vodou. Tout au cours de la colonisation française à Saint-Domingue, la guerre
de religion fut atroce. Elle s'est intensifiée en 1802 et 1803 (Trouillot 1972 :
80-85). Si les pratiques du vodou ont réussi à traverser ces impitoyables
atrocités (hostilité qui s est maintenue même au lendemain de l
Indépendance), on peut admettre indéniablement que les ougan et les manbo
ont été des agents de transmission incontournables dans la perpétuation de ce
système religieux. Comme l a noté Rigaud (1953 : 71), «le rôle du houn gan,
étroitement lié à celui des loa, dépasse tout cadre et toute conception
ordinaire». Dans l univers vodou, soutientil, l ougan est considéré comme un
«pape». D ailleurs, le titre traditionnel qu on lui donne est papa (père), et
quand il s agit d une manbo, on l appelle manman (mère). Tout ce qu il fait en
tant que tel est censé traduire la volonté des puissances des Lwa 49. Le vodou
influençait le comportement de ces Africains dans la guerre comme dans la
paix. Aujourd hui, ces descendants gardent encore un attachement profond à
ce système religieux qui leur donne des remèdes à leurs maux : les Lwa, selon
leur croyance, procurent santé, postérité, réussite dans les affaires,
clairvoyance, protection contre la malchance et les mauvais sorts. Ils
réconfortent et donnent de l énergie pour affronter l incompréhensible et l
imprévisible. Étant le pilier du système, la prêtresse ou le prêtre est chargé
d'organiser et de diriger les rassemblements religieux de sa communauté
vodou. Selon Michel (2003 : 91), en [57] exerçant le sacerdoce vodou, l ougan
ou la manbo est respon- 47 Colonel Malenfant, un des combattants français
contre l'armée de l'indépendance à Saint-Domingue. 48 A. P. M. Laujon, un
ancien conseiller à Saint-Domingue. 49 Guy Maximilien, «Vodou : Hiérarchie
et initiation», texte inédit.

66 66 sable de la vie des autres. Il/elle crée un équilibre entre les membres de
la famille vodou et de la communauté en général. La prêtrise vodou est un
véritable travail de guérisseur : de la maladie, des tensions intérieures, des
relations humaines (difficultés sentimentales, professionnelles, familiales). La
tâche du dignitaire vodou, comme l a noté Michel (2003 : ) est d'orchestrer le
processus (l'énergie des participants, le choix des chants, le rythme de la
musique, l'arrivée des esprits, les rituels de possession) grâce auquel le vodou
répond aux besoins physiques et spirituels des participants. Pour satisfaire les
attentes de la communauté des fidèles ou des enfants des Lwa, l ougan ou la
manbo associe à la fois les techniques et les connaissances d'un médecin, d'un
psychothérapeute, d'un assistant social et d'un prêtre (Brown 2001: 5, 10). En
parlant de Mama Lola, interlocutrice clé de Karen McCarthy Brown, Michel
la présente comme une véritable autorité morale selon la cosmologie
haïtienne. Justement, de manière traditionnelle, l ougan ou la manbo qui reste
dans la limite de son sacerdoce est généralement très respecté et considéré
comme l un des notables de la communauté où il vit. En tant que prêtre ou
prêtresse vodou, il/elle est habilité-e par priorité à assurer et à contrôler le
culte public en général et les offrandes en particulier. Par son statut de
médiateur, il/elle assume un rôle central en matière de devoirs de la
communauté envers les Lwa et les ancêtres (Laguerre 1980: 30). Il incombe
au ougan et à la manbo, entre autres obligations, d'être le gardien de l'héritage
spirituel et religieux de sa lignée croyante. Cependant, le fait que les ougan et
les manbo ainsi que leur société persistent dans la pratique du vodou malgré
les hostilités qu ils rencontrent assez souvent, ne laisse pas indifférents ses
adversaires, qui rêvent de le voir catalogué dans le dépôt d un musée comme
[58] un vestige d antan et révolu. Contrairement à ces vœux, le vodou haïtien
continue à marquer l espace de la mémoire individuelle et collective. Dans la
recherche des causes qui pourraient expliquer le maintien de ses pratiques,
plusieurs facteurs sont souvent évoqués par ses détracteurs. Dans ce registre,
on retrouve des explications telles que :

67 67 - beaucoup de gens cherchent à devenir ougan parce que ce «métier» est
assez lucratif et qu ils exploitent le vodou pour avoir leur mobilité sociale ; -
la pratique du prêtre vodou confère à celui-ci l autorité, la crainte et le
respect ; - dans la logique de l offre et de la demande, il y a persistance de la
pratique de la prêtrise vodou parce que les services sociaux de base, surtout
dans la paysannerie haïtienne, font grand défaut. Sans vouloir nier le niveau
de véracité que ces éléments d explication peuvent avoir, en nous appuyant
sur Rigaud (1953 : 77), il nous semble que ces points de vue vont mieux avec
des ougan ou des manbo qui sont des «parvenus» qu avec ceux qui sont des
«héritiers» ou «natifs» au sens de Bourdieu 50. Dans l univers du vodou, on
fait souvent la différence entre les ougan qui servent les «esprits» des ancêtres
d Afrique (ougan ginen) et ceux qui possèdent des Lwa achetés (bòkò ou
ougan «travaillant des deux mains»). Contrairement aux premiers, ces derniers
exercent leur pratique avec beaucoup moins de contraintes. Pour rentabiliser l
argent investi, dans leur marge de liberté, on dit souvent qu ils peuvent aller
jusqu à tuer quelqu un (au moyen des procédés magiques) à la demande d un
client. En revanche, les ougan qui sont des serviteurs des Lwa ginen ne
peuvent pas avoir de tels agissements. Ils font de préférence une œuvre
sacerdotale. Ils ne peuvent pas tuer ni utiliser leurs pouvoirs pour s enrichir ou
faire des abus. Car de tels compor- 50 Le jeu des nouveaux entrants consiste à
peu près toujours à rompre avec certaines des conventions en vigueur (en
introduisant par exemple des mélanges de couleurs ou de matières jusque-là
exclus), mais dans les limites des convenances et sans mettre en question la
règle du jeu et le jeu luimême. Ils ont partie liée avec la liberté, la fantaisie, la
nouveauté (souvent identifiées à la jeunesse) (Bourdieu et Delsaut 1975 : 12).
Les dominants sont en bonne position pour déployer des stratégies leur
permettant de préserver leur position et étendre leur capital, mais les dominés
ainsi que les nouveaux entrants ont intérêt au contraire à déstabiliser les
positions acquises et à développer en conséquence des innovations
dévalorisant le capital détenu par les tenants du pouvoir établi (Boyer 2003 :
69) ; voir aussi Béitone et al. (2002 : 120).

68 68 tements peuvent provoquer la colère des «mystères», qui sont très [59]
redoutables dans le sens qu ils peuvent punir les actes désobligeants en allant
jusqu à la peine de mort. En attribuant la reproduction sociale du vodou dans l
espace haïtien à une simple question économique, on nie en même temps,
peut-être sans le vouloir, la complexité de l être humain. Cette approche
économiste, qui consiste à faire de l économie le déterminant de la religion, a
été vivement critiquée par Boudon (1992 : ). Jugeant réductionniste et trop
primitive cette manière de voir la religion, le sociologue souligne que l être
humain n est pas seulement un système énergétique qui aurait uniquement des
besoins relevant de l économie à satisfaire, mais que chez lui, il se passe des
phénomènes de conscience qui lui permettent de prendre un recul suffisant par
rapport à son être physique. Par ce recul, il trouvera l intervalle nécessaire
pour s élancer dans l inconnu qui se rapporte à des vides ou des déficits
(cognitif, de nature matérielle et affective) constitutifs de la nature et de la
condition humaine. En écho à Boudon, Léonard (2005: 5) a noté que l'homme
est un animal métaphysique. Dans sa quête de connaissance, il est toujours
insatisfait, seul ce qui dépasse sa mesure est vraiment à sa mesure. Comme tel,
son intelligence et sa volonté ne sont pas seulement ordonnées à des vérités ou
des biens partiels. Même la totalité des objets du monde ne suffirait pas à
rassasier son appétit de connaissance et son désir de bonheur. L'homme est un
animal branché sur l'être et que seule la plénitude de l'être pourrait combler. À
l opposé de la conception marxiste de la religion, Boudon (1992 : 426)
propose de définir celle-ci comme «un élan qui pousse l être à dépasser sa
condition humaine pour s ouvrir à quelque chose d immanent ou de
transcendant, qui le dépasse tout en l englobant». L attrait pour la religion est
fortement expliqué par un ensemble de besoins de l ordre de la nature
humaine comme la curiosité, la sécurité, la solidarité, la bonne conscience, l
exaltation, la trépidation. Ces besoins sont commodément satisfaits par un
ensemble de facteurs plus ou moins liés de croyances, d émotions, de rites et
de cérémonies. Si on ne peut pas nier effectivement que la prêtrise vodou
confère le prestige, l autorité et rapporte économiquement à celui qui l exerce,
on ne peut pas négliger non plus le poids de la conviction personnelle que le
prêtre engage dans le maintien de sa tradition religieuse. Aussi

69 69 voulons-nous étudier dans le cadre de cette recherche le lien entre la


prêtrise vodou et le concept de loyauté. [60] Quid de la loyauté? Retour à la
table des matières Classiquement le concept de loyauté est souvent décrit en
termes de probité, de fiabilité, de confiance, de mérite, d engagement et
d'action. Ceux-ci invoquent des attitudes positives qu on attend d une
personne ou d un groupe envers ce qu'on appelle «l'objet de loyauté»
(Boszormenyi-Nagy et Spark 1973 : 37). En ce sens, une attitude loyale se
manifeste par l attachement à la parole donnée à une personne, à un groupe, à
une organisation, à un État ou une nation. Elle se caractérise par la spontanéité
et aussi par un engagement délibéré dans le sens où l individu privilégie une
relation au détriment d une autre (Bourricaud 1998 : 468). La loyauté envers
son pays par exemple ne peut inspirer que le patriotisme et le sacrifice de soi
ou de son clan pour le plus grand bien de cette nation. Après avoir analysé la
problématique de la loyauté envers la famille, la culture, la nation, Connor
(2007 : 129) postule que la loyauté se situe au cœur de l identité et de l action
motivée. Dans la quête de la compréhension du comportement social de l être
humain, la notion de loyauté suscite un intérêt particulier pour les sciences
humaines et sociales dans la mesure où elle les amène à s interroger à la fois
sur les conditions auxquelles un groupe est cohérent et sur celles auxquelles
les membres du groupe peuvent se faire confiance. Selon Bourricaud (1998 : )
cette notion est perçue comme un ingrédient essentiel à la cohésion sociale et
celle-ci est une condition de l efficacité d un groupe. Ainsi la loyauté se
mesure-t-elle à la conformité de la conduite d un membre aux règles qui
établissent ses droits et ses devoirs envers le groupe. Une personne est loyale
dans la mesure où son attitude ne met pas en danger la réputation et les
intérêts de son groupe d appartenance. Chez Bourricaud, on peut noter que la
question de loyauté se manifeste dans un jeu de réciprocité entre droits et
devoirs plus ou moins

70 70 bien garantis par des règles. Mais notre intérêt pour le concept de
loyauté se trouve surtout dans son pouvoir explicatif au sens qu elle exprime à
la fois des caractéristiques individuelles et collectives qui dépassent la simple
notion de «respect de la loi» ou de la poursuite d un intérêt lucratif sur la base
de calculs rationnels. En analysant cette question dans le cadre d une
entreprise, Bourricaud précise que l on n achète pas la loyauté par de hauts
salaires. Bien qu étymologiquement la loyauté se rapporte [61] à la loi, sa
vraie nature comme l ont noté Boszormenyi-Nagy et Spark (1973 : 52) réside
dans les trames invisibles de la confiance au sein du groupe, ce qu ils
appellent les «fibres invisibles» de la loyauté. Voulant établir la distinction
entre l obligation (loyauté contractuelle) 51 et la loyauté (naturelle)
proprement dite, dans son article «Obligation, Loyalty, Exile», Shklar (1993 :
184) souligne deux aspects fondamentaux de la loyauté : la loyauté est un
engagement global de la personne et elle est une émotion et non une
connaissance. Ce qui caractérise la loyauté, nous dit Shklar, c'est qu'elle est
profondément affective et non pas principalement rationnelle. Elle doit être
considérée comme un sentiment d attachement à un groupe social. L'adhésion
peut être ou ne pas être choisie. Appartenir à un groupe dans lequel on a été
élevé et où on a appris à se sentir loyal depuis la première enfance est à peine
une question de choix. Le caractère émotionnel de la loyauté est défini
également en dehors de l'obligation. Si l'obligation est régie par la règle, la
loyauté est motivée par la personnalité de l individu. Quand elle est le résultat
d un choix, l'engagement de la loyauté est de caractère affectif et généré
beaucoup plus par la personnalité que par calcul ou raisonnement moral.
Partant de ces considérations, Connor (2007 : ) affirme que la loyauté est une
émotion qui reflète l'attachement d une personne à son groupe d appartenance
auquel elle manifeste son intérêt. En révisant les différentes définitions de l
émotion offertes par de nombreux théoriciens, il souligne que la loyauté a les
mêmes caractéristiques 51 La loyauté selon Wolff (1968 : 60-61) se distingue
à l'origine sur deux axes, celui de la loyauté contractuelle et celui de la loyauté
naturelle : la loyauté naturelle découlant de relations humaines, telles que le
lien parent-enfant ou des liens d amitié, la loyauté contractuelle provenant
d'un acte explicite d'engagement, d un gage de fidélité ou de la cérémonie
d'adhésion.

71 71 qu une émotion 52 parce qu elle donne lieu à des réponses chargées
d'affects. Certaines de ces réponses sont mêlées à d'autres états émotionnels
tels que la fierté, la joie, la colère et même la tristesse. En écho à Connor qui
nous invite à considérer les pratiques de loyauté comme des manifestations
émotionnelles, nous retrouvons chez Bourdieu un concept intrigant et
stimulant qu il nomme [62] illusio qui peut nous permettre de mieux apprécier
le sens d attitudes loyales des individus inscrits dans des structures sociales.
La sociologie, souligne Bourdieu (1994 : 150), postule que les agents sociaux
n accomplissent pas d actes gratuits. Pour se démarquer de cette perspective, il
se réfère à l illusio en tant que formes d intérêts spécifiques (hors de la logique
utilitariste et du calcul économique) qui sont à la fois présupposées et
produites par le fonctionnement des champs historiquement délimités. Quand l
habitus 53 d un agent est façonné par la dynamique d un champ (famille,
religion, culture, politique), la réalité sociale de ce champ existe à la fois à l
extérieur et à l intérieur de cet agent, dans les choses et dans les cer- 52 Après
avoir passé en revue plusieurs définitions (Fehr et Russell 1984 ; J. M.
Barbalet 1992, 2003 ; Carroll E. Izard 1999), Connor (2007 : 134) soutient
que l émotion se rapporte à un sentiment qui est socialement négocié. Il s agit
d un comportement et d un état cognitif que subit une personne en raison de
ses expériences individuelles dans ses interactions avec les différentes
structures sociales qui constituent son monde. Ces émotions sont définies
notamment par le milieu sociohistorique particulier de l'acteur. Elles servent à
l orienter face à des événements, des personnes et des interactions qui lui sont
pertinents. 53 L habitus se définit comme l ensemble des dispositions
(comportements, style de vie ) acquises au sein du milieu social d origine et
qui vont par la suite structurer les pratiques quotidiennes. Mais le sociologue
insiste sur le fait que l habitus n est pas seulement une reproduction d un ordre
social, mais aussi une source de nouvelles pratiques, donc de changement. Car
l individu, en plus d être collectif, est aussi singulier. De son habitus
incorporé, il tend à reproduire la logique objective des conditionnements tout
en lui faisant subir une certaine transformation. Puisqu il est exclu que tous les
membres d une même classe (ou même deux d entre eux) aient fait les mêmes
expériences dans le même ordre, il existe selon Bourdieu autant d habitus
individuels que d individus. L habitus, étant le produit de l'histoire, c'est un
système de dispositions ouvert, qui est sans cesse confronté à des expériences
nouvelles et donc sans cesse affecté par elles. Il est durable, mais non
immuable (Bourdieu 1980 : 89 ; 1992 : 109).

72 72 veaux. Ainsi, l habitus, étant le social incorporé, lorsqu il entre en


relation avec un monde social dont il est le produit, s apparente à un poisson
dans l eau et le monde lui apparait comme allant de soi. Il est «chez lui» dans
le champ qu'il habite, qu'il perçoit immédiatement comme doté de sens et
d'intérêt (Bourdieu 1992 : 103). C est en ce sens que le «noble» par exemple,
après avoir incorporé l habitus de l aristocratie, ne peut pas faire autrement
que d être généreux, par fidélité à son groupe et par fidélité à lui-même
comme digne d être membre du groupe. Conséquemment, être loyal à son
groupe devient aussi être loyal à soi-même. L illusio selon Bourdieu (1994 : )
n est rien d autre qu un rapport enchanté qui s est établi entre un individu et un
jeu. Celui-ci est lui-même le produit d un rapport de complicité ontologique
entre les structures mentales (habitus) et les structures objectives (champ) de l
espace social. L illusio, précise-t-il, c est le fait d être pris au jeu, d être pris
par le jeu, de croire que le jeu en vaut la chandelle, ou, pour dire les choses
simplement, que ça vaut la peine de jouer. Dans cette perspective
bourdieusienne, les «intérêts spécifiques» sont des intérêts d illusio ou
ontologiques. Ceux-ci représentent des pratiques ou des valeurs que [63] l on
trouve importantes, intéressantes, des jeux qui importent pour une personne
parce qu ils ont été imposés et importés dans sa tête, dans son corps, sous la
forme de ce que l on appelle le sens du jeu. Car les intérêts d illusio
fonctionnent sur le mode de la spontanéité ou de la passion, sur le mode du «c
est plus fort que moi». On doit noter aussi que le conflit est un thème récurrent
dans les jeux d interactions à base de loyauté. Les individus sont souvent pris
dans, ou appartiennent à, des structures sociales ayant des valeurs et des
intérêts spécifiques et même concurrents. Ceux-ci créent des situations de
discordances qui ont pour effet l inculcation et l intériorisation des «habitus
divisés/déchirés» (Bourdieu 1992 : 102). Quand chacun de ces champs exige d
un destinataire un comportement loyal, l acteur en question va devoir négocier
cette gamme de loyautés concurrentes qui sont appelées en établissant une
hiérarchisation des différentes strates de loyautés. Quand les intérêts de la
famille, de l école, du groupe religieux ou de l État sont en conflit, la solution
ne s impose pas avec évidence. Dans une telle situation, c est

73 73 la position de l un ou de l autre dans la hiérarchie des obligations et des


valeurs intériorisées qui va permettre à l acteur de trancher. Dans ces cas de
conflits et de superposition des strates de loyauté, assez souvent la famille l
emporte sur les autres champs d appartenance parce qu elle est le lieu par
excellence de l accumulation du capital 54. Selon Connor (2007 : 131) la
loyauté envers la famille offre beaucoup plus de résistance face aux autres
loyautés concurrentes, car les acteurs ont tendance à être plus fidèles à ce qui
leur paraît plus proche, tant sur le plan émotionnel que physique. En d'autres
termes, plus l immersion sociale d un acteur dans un milieu particulier est
forte et resserrée, plus sa loyauté envers ce milieu est susceptible d être
intensifiée. Après la famille, considérée comme dotée d une couche de loyauté
plus intense, viennent les amis, les intermédiaires des engagements personnels
comme les systèmes de croyances (religion, sport, politique) et, enfin, les
structures sociales plus larges telles que la nation 55. [64] Dans le cadre de l
étude du phénomène de la transmission à l intérieur du vodou, l utilisation de
cette notion de loyauté mérite d être abordée avec nuance. Car s il fallait
mesurer le niveau de loyauté de l ougan ou de la manbo vis-à-vis de sa lignée
croyante, en toute logique, on devrait être en mesure de reconstituer un vodou
qui serait "originel" et à partir duquel on pourrait évaluer les écarts. Cette
notion impliquerait la conformité des sujets aux règles et principes élaborés en
un temps fixe donné et consignés quelque part en vue de régir le champ. Or le
vodou haïtien sur lequel nous voulons réaliser cette étude est le produit de
contacts, de mélanges, de transformations, d inventions ou de créations : il n a
pas une forme orthodoxe histo- 54 «J appelle capital symbolique n importe
quelle espèce de capital (économique, culturel, scolaire ou social) lorsqu il est
perçu selon des catégories de perception, des principes de vision et de
division, des systèmes de classement, des schèmes classificatoires, des
schèmes cognitifs, qui sont, au moins pour une part, le produit de l
incorporation des structures objectives du champ considéré, c est-à-dire de la
structure de la distribution du capital dans le champ considéré» (Bourdieu
1994 : ). 55 Cette dernière peut l emporter sur la famille exceptionnellement
en situation de guerre (Connor 2007 : 132).

74 74 rique et, de plus, sa transmission relève de l oralité 56. Ainsi, la loyauté
dont nous parlons ici doit être recherchée non pas dans la conformité de l
ougan ou de la manbo à une quelconque forme figée du vodou, mais plutôt
dans son niveau d attachement et d engagement à la mémoire collective et
individuelle de sa lignée familiale et religieuse. Par conséquent, en effectuant
ce travail d étude, nous percevons la transmission de la prêtrise dans le vodou
haïtien comme l expression du sentiment vécu (collectivement et
individuellement) avec crainte par rapport aux obligations envers les Lwa,
dans une perspective de continuité et de changement ou d innovation. Ce fait
religieux qu est la soumission de l homme et de la femme aux divinités par le
biais de la dette ou du devoir, contient en lui non seulement la réception des
connaissances et la capacité nécessaire pour exercer la fonction de la prêtrise,
mais aussi l obligation de «rendre», c est-à-dire l obligation d assurer la
permanence de ce secteur d activité religieuse. Comme instrument de la
continuité sociale, la transmission, selon Candau (1998 : 98), est au centre de
toute approche anthropologique de la mémoire, car sans elle, à quoi peut bien
servir la mémoire? Après avoir constitué notre corpus théorique, nous sommes
maintenant prêt pour l analyse des données afin de mettre à l épreuve notre
intuition intellectuelle sur ce sujet d étude. Ceci exige préalablement la
définition d un appareillage méthodologique consistant qui nous donnera
accès au matériel et aux sources comme fondement empirique de ce travail de
contribution à la connaissance ethnologique sur le vodou haïtien. 56 Voir
Hainard, Mathez et Schinz (2007 : 13).

75 75 [65] Transmission de la prêtrise vodou. Devenir ougan ou mambo en


Haïti Chapitre II Dispositif méthodologique : récits de vie 1. De la posture du
religieux à la posture d ethnologue [67] 2. Définition de la démarche
méthodologique [69] 2.1. Vertu épistémologique du récit de vie [70] 2.2.
Techniques complémentaires ou processus de l objectivation du discours
autobiographique [71] 2.3. Choix de nos interlocuteurs/interlocutrices ou les
relations d enquête [73] 2.4. Difficultés ou accessibilité du terrain [75] 2.5.
Biais de la méthode de récit de vie? [78] Retour à la table des matières [66]
Considérant la nature de notre objet d étude, qui consiste à étudier la
transmission de la prêtrise dans le vodou haïtien, l approche de récits de vie a
été pour nous le mode d investigation ethnologique le plus opératoire et le
plus fécond. On ne peut saisir le sens et la fonction d un fait humain, comme
ont souligné De Gaulejac et Roy (1993 : 325), qu à travers une expérience
vécue, son incidence sur une conscience individuelle et la parole qui permet d
en rendre compte.

76 76 Cette approche de l enquête orale qui a recours au discours


autobiographique (récit de soi) vise à mieux comprendre ce qui détermine les
appartenances, les engagements, les systèmes de valeurs et les croyances de
nos acteurs religieux. Elle nous a permis d éclairer cette dimension
sociohistorique de la construction de nos «sujets» en analysant «en quoi l
histoire de chacun est constituée d un ensemble d héritages qui agissent
comme déterminants sociaux liés aux appartenances familiales, culturelles,
institutionnelles et idéologiques». Ainsi, cette investigation du vécu a été mise
en œuvre comme support permettant d interroger nos
interlocuteurs/interlocutrices dans leurs figures multiples. Autrement dit, le
sujet est défini dans cette perspective comme celui qui se situe à la fois dans
une inscription sociale, familiale et généalogique ; dans une sphère de
contradictions et de conflits de laquelle il tente de s extraire ; et enfin dans le
profil d un narrateur pris entre réalité et fiction (Orofiamma 2008 : 73-75).
Avant d exposer en détail cette méthodologie de recherche, une position
épistémologique nous impose à livrer d abord notre propre récit d «épisode»
qui retrace nos liens identitaires avec notre objet d étude. Car «comment
parler d'histoire et d'héritage sans s'interroger sur ses propres filiations,
qu'elles soient familiales, théoriques ou idéologiques?» (De Gaulejac 1999 :
9). Comme l a noté Roberge (1991 : 22-23), c'est parce que l'ethnologue est
autant humain que scientifique qu'il peut accéder au discours de ses
interlocuteurs et à leur sensibilité, de même qu'il peut saisir la signification de
leur témoignage. Ainsi, «l'enquêteur doit d'abord se connaître lui-même» étant
donné qu il est personnellement et socialement investi dans la production de
cette connaissance. Ses choix théoriques sont l'expression de son roman
familial [67] et de sa trajectoire sociale, a souligné De Gaulejac (1999 : 216).
Aussi est-il important que l ethnologue connaisse ses propres déterminismes
afin qu il soit en mesure de reconnaître les limites que pose l'interprétation des
sujets avec lesquels il entre en interaction.

77 De la posture du religieux à la posture d ethnologue Retour à la table des


matières Nous sommes le quatrième 57 d une famille protestante de cinq
enfants. Dès le début (2007) de notre immersion dans le milieu vodou, nous
avons constaté un malaise, un silence désapprobateur dans notre
environnement familial, puisque selon notre identité prescrite, aujourd hui
nous devrions être un fervent prédicateur de l Évangile. Justement, dans notre
enfance nous avions promis à nos parents que cette prescription allait être
notre réalité. Ainsi, depuis l âge de 17 ans, nous étions déjà impliqué avec
beaucoup de succès dans le prosélytisme pour devenir après un assistant
ministre (religieux), prédicateur de deuxième rang. Si notre réseau familial et
religieux a mis la responsabilité de notre «déperdition» (notre actuelle
préoccupation pour le vodou) sur notre niveau de formation académique, nos
collègues universitaires avec qui nous en discutons ont souvent formulé les
questions suivantes : sommes-nous un vodouisant? Comment sommes-nous
parvenu à nous intéresser à cet objet d étude qu est le vodou? Effectivement,
le déclic a eu lieu au cours de notre formation universitaire de premier cycle
en sciences humaines et sociales à l Université d État d Haïti. Selon ce
système académique, l étudiant a droit à son diplôme après la sanction d un
travail de recherche soutenu devant un jury dûment constitué. Pour ce, depuis
la deuxième année (sur une durée de quatre ans), nous avons commencé à
penser au thème de notre mémoire de sortie. Étant un universitaire d une forte
religiosité, nous avons voulu mobiliser notre formation de premier cycle au
service du secteur protestant en Haïti. Ainsi, notre première intention était de
réaliser un inventaire analytique des différentes dénominations religieuses
évoluant dans le pays. À [68] partir de cette décision, le domaine d étude sur
lequel nous allions travailler était 57 Date de naissance : Février 1976.

78 78 arrêté, et presque tous les devoirs de fin de session allaient être rédigés
dans ce domaine. Dans le cadre d un cours de sociologie de développement,
nous avons choisi de réaliser le devoir final sur la relation entre «Mentalité
religieuse et sous-développement en Haïti». De manière inattendue, ce travail
documentaire nous a permis de remettre en question des stéréotypes et des
préjugés que nous avions intériorisés sur le vodou comme une religion
dominée. En analysant les sources de ces préjugés, nous étions arrivé à
relativiser l ensemble des croyances religieuses, particulièrement du
christianisme. Le caractère absolu de tout ce qui vient de la Bible et de ses
interprètes a été réduit à sa dimension humaine, donc critiquable à volonté
sans encourir le risque d être victime d un sort divin. Par ce travail de distance
critique à notre propre milieu religieux, nous étions prêt moralement et
intellectuellement à réaliser notre mémoire de sortie sur notre propre
dénomination ou «secte religieuse». Ce travail nous a permis de mettre en
lumière la productivité de ce «nouveau mouvement religieux 58» dans sa
capacité à détourner l attention de ses destinataires de niveau universitaire des
causes réelles du sous-développement d Haïti. Depuis ce travail, nous sommes
définitivement «sorti de la religion». Et notre nouvelle préoccupation pour ce
champ d études est maintenant de l ordre scientifique et non religieux. Avec
un regard décomplexé, sans échelle de valeurs (après un travail sur soi), le
vodou allait être abordé dans sa dimension religieuse au même titre que toutes
les religions établies ou «en devenir», communément appelées sectes. Ainsi,
dans le cadre de notre étude de deuxième cycle, nous avons décidé de joindre
à notre connaissance livresque sur le vodou une expérience de terrain, car
jusqu alors, il était pour nous un monde social et religieux tout à fait exotique.
Au moyen de l enquête ethnologique, nous avons pu nous familiariser avec
cette «sous-culture» 59 au cours 58 Ce mouvement est connu en Haïti sous le
nom du «Corps de christ». 59 Le terme «sous-culture» est compris ici non pas
dans la logique de la domination culturelle, mais dans le sens que dans une
même société coexistent différentes sphères d activités ou de champs sociaux
développant chacun leur propre sous-culture, et que sa maîtrise exige une
initiation pour les nonhéritiers (Bertaux 2006 : 17).

79 79 de la réalisation de notre mémoire de fin d études. Sur la base de cette


fructueuse expérience de [69] «l enquête directe» sur le terrain vodou, nous
avons été motivé à poursuivre ce travail ethnologique au niveau du troisième
cycle. Pour nos parents et pour tous ceux qui partagent leur préoccupation à
mon égard, compte tenu de leurs stéréotypes sur cette sous-culture, nous
attestons que depuis 2007 nous fréquentons ce milieu, que ce soit seul ou
accompagné, pendant le jour comme pendant la nuit, et que nous n avons pas
été «dévoré par des démons». Après cette description de l évolution de notre
rapport intellectuel avec le vodou, il nous faut maintenant apporter certaines
précisions sur la nature des récits de vie comme méthode d enquête, et exposer
en détail notre approche méthodologique Définition de la démarche
méthodologique Retour à la table des matières Disons tout de suite que le récit
de vie comme méthode d'acquisition des données ou de production des faits
pertinents pour notre objet d'étude n est pas de l ordre de l autobiographie
écrite. Celle-ci consiste à relater la totalité de l'histoire d'un sujet. Elle couvre
le plus souvent toute la trame de vie de la personne en passant «par la
naissance, voire par l'histoire des parents, leur milieu, bref par les origines
sociales» (Bertaux 2006 : 36). Pour chaque période de cette histoire, un récit
de vie qui adopte cette conception maximaliste se préoccupe non seulement de
la vie intérieure du sujet et de ses actions, mais aussi des contextes
interpersonnels et sociaux que l acteur étudié a traversés. Dans ce cas, l
investigation du vécu, dans sa forme idéale, nécessite «un long travail auprès
d'une seule personne». D'où un manque d intérêt pour cette image du récit de
vie «complet» car le type de connaissances auquel nous voulons apporter
notre contribution ici s intéresse aux phénomènes collectifs. Dans le cadre de
cette recherche, l approche de récit de vie a été adoptée comme moyen d
accéder à une partie de l histoire indivi-

80 80 duelle dans un premier temps pour enfin atteindre le collectif dans le
deuxième temps. La conception que nous avons privilégiée «consiste à
considérer qu'il y a du récit de vie dès lors qu'un sujet raconte à une autre
personne, chercheur ou pas, un épisode quelconque de son expérience vécue».
Selon Bertaux (2006 : 36) cette [70] forme narrative du vécu n'exclut pas
l'insertion d'autres formes de discours en son sein, car «pour bien raconter une
histoire, il faut camper des personnages, décrire leurs relations réciproques,
expliquer leurs raisons d'agir ; décrire les contextes des actions et
interactions ; voire porter des jugements sur les actions et les acteurs eux-
mêmes» 60. En ce sens, dès qu'il y a apparition de la forme narrative dans un
entretien, nous dit Bertaux (2006 : 37), et que le «sujet informant» l'utilise
pour exprimer les contenus d'une partie de son expérience de vie, nous
sommes en présence du récit de vie. Par rapport au rôle accordé à la personne
décrivant sa propre histoire, cette perspective ethnologique sous-entend une
dimension épistémologique particulière qu il faut élucider Vertu
épistémologique du récit de vie Retour à la table des matières Sous l égide du
paradigme de «l objectivité» dans les sciences sociales et humaines, la
question du «sujet» comme interlocuteur a longtemps été considérée par les
sociologues comme une illusion 61 (De Gaulejac 1999 : 214). Ce paradigme
inscrit sa position sur le projet de la construction d une science distinguant
clairement la «connaissance théorique» de «l expérience pratique». 60 Aussi
est-il nécessaire de «distinguer clairement l'histoire réelle d'une vie, du récit
qui en est fait» (Bertaux 2006 : 37). Le récit de soi, nous rappelle Boris
Cyrulnik (Orofiamma 2008 : 68), n est pas le retour du réel passé, c est la
représentation de ce réel passé qui nous permet de nous ré-identifier et de
chercher la place sociale qui nous convient. 61 L'illusion déterministe
considère l'homme comme un objet passif ou une sorte de produit intériorisé
de la société. L'illusion individualiste le voit comme un électron libre
indépendant de toute attache et agissant par ses propres choix. Entre ces deux
positions, nous sommes de plus en plus nombreux à refuser de choisir (De
Gaulejac 1999 : 217).

81 81 Cependant, si les acteurs ne sont pas aptes à produire un savoir


scientifique sur leur pratique au sens disciplinaire de ce terme, il convient
néanmoins de les considérer pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire «des sujets qui
parlent, qui agissent, qui inventent, qui réfléchissent, qui se projettent dans
l'avenir et, par là même, qui contribuent à créer la société» (De Gaulejac
1999 : 216). Ainsi on ne peut accepter de réduire les individus à «des objets
incapables» de participer à la production de la connaissance sur la société dans
laquelle ils vivent. La question [71] du sujet comme fondement de la
production de la société, et au principe de l'élaboration de la connaissance, ne
peut être éludée. Cette orientation qui se veut à l'écoute du sujet (modeste ou
ordinaire), et qui se renforce aujourd hui dans les sciences sociales, prolonge
les perspectives ouvertes notamment par Marcel Mauss ( ), Georges Devereux
( ) et Claude Lévi-Strauss ( ). Ce qui apparaît révolutionnaire chez ces auteurs,
c est la réhabilitation du sujet ou des peuples qu on qualifiait de «sauvages».
Ce nouveau regard sur l Autre s est accompagné aussi d un revirement
épistémologique très novateur en ce qu il a reconnu (avec Mauss surtout) que
les peuples non occidentaux détiennent eux aussi un point de vue. Et l
ethnologue sur son terrain doit retrouver ce point de vue indigène, ce qui
revient à reconnaître qu'il en a un, et à lui rendre la parole (Tarot 1999 : 496).
Si l enquête de terrain par observation participante reste le moyen classique
pour les anthropologues à l étude du quotidien des faits et gestes de «l homme
ordinaire», le récit de vie offre l'accès privilégié à son point de vue. Et, dans
cette perspective méthodologique qui s'intéresse à la fois aux dimensions
affectives et existentielles, aux enjeux inconscients individuels et collectifs,
celui qui parle à l ethnologue sur son terrain est considéré à la fois comme
sujet et objet de l étude. Ainsi, dans cette approche épistémologique de la
«parole rendue», une place assez importante a été accordée aux expressions
verbales de nos interlocuteurs/interlocutrices dans l analyse des données
ethnographiques.

82 Techniques complémentaires ou processus de l objectivation du discours


autobiographique Retour à la table des matières Comme l a bien noté Roberge
(1991 : 35), la méthode de collecte des récits de vie nécessite deux étapes
distinctes sur le terrain. Dans un premier temps, l'enquêteur doit recueillir le
récit spontané de son interlocuteur par une entrevue libre et sans interruption
de sa part. Dans un second temps, ses hypothèses de recherche
opérationnalisées par un guide d entretien vont lui servir d outils dans la
réalisation d une ou plusieurs entrevues complémentaires pour documenter le
récit initial. La première étape joue donc le rôle d amorce à des entrevues [72]
dirigées et centrées sur une séquence ou un épisode important de la vie du
sujet informant. L entrevue dirigée de la deuxième étape vise à effectuer une
mise en contexte du récit de vie ou de combler, dans la mesure du possible, les
vides et les oublis (volontaires ou involontaires) du sujet racontant. Bref,
«l'entrevue complémentaire vise à objectiver, pour ainsi dire, le récit
essentiellement subjectif de l'autobiographe», souligne Pierre Crépeau (1978 :
xvi). En plus des récits de vie, il faut souligner le recours à d autres procédés
complémentaires tels que recherche documentaire, entrevues avec des
personnes clés en rapport avec la problématique, entretienstage 62,
observations directes de certains rituels et enfin, entretiens non formels avec
quelques membres de la famille de la manbo et de l ougan afin de mieux
comprendre certains aspects des récits de vie racontés par nos sujets.
Considérant que la visée de notre sujet de recherche est de saisir des
trajectoires de vie dans leurs dimensions individuelles et sociales, et que la
transmission religieuse dont on parle embrasse les contenants et les contenus
63, la méthode du récit de vie a 62 C est un entretien pour se familiariser avec
la méthode de la recherche. 63 Par les contenants, on voit les cadres d
apprentissage et de socialisation, les systèmes de relations, les structures
identitaires individuelles et collectives. Les contenus quant à eux, renvoient à
des biens symboliques, des biens matériels, des savoir-faire, des
comportements, mais aussi à des idées, des valeurs, des convictions (Muxel
2006 : 1192).

83 83 été renforcée selon le cas soit par des récits de lieux, d objets ou de
pratiques 64. Ce renforcement 65 nous a permis d avoir accès aux traces, aux
souvenirs consignés ou enfouis dans la mémoire de nos interlocuteurs en
rapport avec leur statut de prêtre vodou. Les données ethnographiques que
nous avons recueillies par cette combinaison de techniques d investigation
nous ont rendu possible la poursuite de nos objectifs de recherche. [73] Ce
corpus méthodologique a eu la vertu de nous fournir les matériaux nécessaires
à partir desquels sont dégagées les structures de la trajectoire personnelle, les
relations de parentèles, les mécanismes de passation de la prêtrise vodou au
sein de la lignée familiale, et surtout les référents symboliques attachés à l acte
de transmettre dans le vodou. En ce sens, ce choix méthodologique
correspond bien à la nature de notre objectif de recherche qui est d étudier la
transmission de la prêtrise dans le vodou haïtien dans une perspective de
construction d identité religieuse. Mais, comment avons-nous procédé pour
déterminer nos interlocuteurs et pour ainsi entrer en contact avec eux? 64 Les
récits de lieux vont porter sur l usage et le sens des espaces sacrés les plus
significatifs ou plus révélateurs de mémoire dans chacune des unités d
observation. Ces espaces peuvent être des hauts lieux de l habitat des
«mystères» ou des membres de la lignée croyante (onfò ou domaine des
esprits, péristyle, grotte, forêt, rivière, bassin, cimetière ). Les récits d objets
porteront sur des objets vecteurs de récits de vie ou médiateurs des relations
entre les Lwa, les sujets croyants et leur passé. Ils renvoient aux objets
matériels ayant une valeur symbolique et mémorielle. Ce sont des accessoires
du culte, témoins de la passation des pratiques d une génération à une autre.
Les récits de pratiques, quant à eux, concernent des rites particuliers (Sèvis
kay ou service cultuel des Lwa de la maison, initiation, rites funéraires,
mariages mystiques, bains de décembre ) qui caractérisent en quelque sorte un
lieu de culte. Ces pratiques peuvent être des savoir-faire uniques ayant une
valeur à la fois pragmatique et symbolique dans la lignée croyante (la
fabrication d objets sacrés, la fabrication de produits alimentaires, etc. ; voir
Turgeon et Saint-Pierre (2009). 65 Il faut noter aussi que cet appareillage
méthodologique a été soutenu par des moyens techniques (magnétophone et
caméra photo) pour la captation de son et d images relatifs aux entrevues.

84 Choix de nos interlocuteurs/interlocutrices ou les relations d enquête


Retour à la table des matières Selon le postulat de base de la perspective
ethnologique 66 que nous adoptons, les logiques qui régissent l ensemble d un
monde social ou d un mésocosme sont également à l œuvre dans chacun des
microcosmes qui le composent. En observant de façon approfondie un seul 67,
ou mieux quelques-uns de ces derniers, et pour peu qu on parvienne à en
identifier les logiques d action, les mécanismes sociaux, les processus de
reproduction et de transformation, on devrait pouvoir saisir certaines au moins
des logiques sociales du mésocosme luimême (Bertaux 2006 : 20). Par
conséquent, le recours au vécu singulier ne signifie pas un repli sur la seule
référence à soi qui dériverait vers l idéologie de l accomplissement de soi.
Mais, dans cette [74] perspective, il a été le moyen d évocation des autres en
soi, et a pris la valeur de témoignage. 66 Cette perspective ethnologique
renvoie à un type de recherche empirique fondé sur l enquête de terrain et des
études de cas, qui s inspire de la tradition ethnographique pour ses techniques
d observation, mais qui construit ses objets par référence à des problématiques
sociologiques. Le préfixe «ethno» renvoie ici non pas aux phénomènes d
ethnicité, mais à la coexistence au sein d une même société de mondes sociaux
développant chacun sa propre sous-culture (Bertaux 2006 : 17). 67 Justement,
au cours de notre terrain, nous avons eu l opportunité d entretenir avec
certains interlocuteurs qui nous ont convaincu l idée que la thèse pourrait être
réalisée avec un seul récit de vie. Ils ont retenu notre attention de manière
spéciale de par l abondance de leur discours. Ils sont aussi attrayants et
complexes dans leur histoire, leur point de vue, leur crainte et leur audace.
Mais ce n est pas la vie de la personne en soi qui nous a préoccupé (ce qui fait
que l anonymat ne dérange pas notre analyse), mais l imaginaire collectif qu
elle porte et la manière dont cet imaginaire s extériorise dans le réel. À ce
moment, la confrontation d'une histoire avec d autres se révèle enrichissante et
même passionnante. Il faut dire aussi (même si on ne le dit pas souvent) que l
analyse scientifique ou l appréciation des faits procède toujours par
comparaison consciente ou inconsciente. Généralement, on prend une
position, on fait un jugement en fonction de ce qu on sait déjà (en théorie ou
par expérience).

85 85 Bien que chaque expérience de terrain, chaque entrevue, soit unique,
voire fluctuante, cette enquête par récits de vie a pour caractéristique de
multiplier les points de vue jusqu à la saturation du modèle, ce qui nous a
fourni une diversité de perceptions qui a été pour nous une grande richesse
ethnographique. Comment notre «interlocutoire» a-t-il été constitué? Le
dominateur commun entre nos interlocuteurs/interlocutrices, c est qu ils ont
été tous sélectionnés en fonction de leur origine familiale en relation avec la
pratique des prêtres vodou. Ils sont des héritiers, inscrits dans une lignée
croyante et familiale et non des parvenus sans antécédents au sens
bourdieusien (Béitone 2002 : 120). Du coup, ceci nous a évité de plonger dans
une lecture amalgamée d un «vodou fourretout» (nébuleux) d une catégorie de
praticiens sans enracinement et légitimité sociale. Si on peut parler du vodou
haïtien comme un terme générique qui désignerait tout un système religieux,
philosophique, thérapeutique, esthétique, une véritable vision holiste de l être
humain dans l univers (Béchacq 2007 : 27), on admet aussi que le profil d une
divinité, le sens d un rituel peut avoir des colorations différentes en fonction
des régions géographiques. Comme a pu noter Bastide (1973 : 135), pour une
même région, des variations sensibles d un lieu de culte à un autre sont
facilement observables dans le vodou haïtien. En vue de collecter une
diversité de points de vue et de pratiques, l ensemble des entrevues (environ
une vingtaine) a été réalisé dans plusieurs régions du pays (grand Sud, Ouest,
grand Nord) 68. À l intérieur de ces régions, nous avons tenu compte des
grands lieux de culte vodou qui ont une reconnaissance locale, régionale et
même nationale ainsi que des petits lieux ordinaires. En plus, les différences d
âge et de sexe nous ont guidés aussi dans le choix de nos interlocuteurs. Cette
multiplication des expériences vécues d'une même situation sociale a eu pour
intérêt le dépassement de leurs singularités pour atteindre, par construction
[75] progressive, une représentation collective de la situation. En multipliant
les récits de vie de personnes parti- 68 Quand nous nous apprêtions à aller
dans le Centre du pays (Plateau central), l épidémie du choléra s est déclarée.

86 86 cipant au même monde social, et en centrant leurs témoignages sur des
segments bien spécifiques, nous cherchons à bénéficier des connaissances
qu'elles ont acquises de par leur expérience directe sur le vodou en tant que
dépositaires d un savoir religieux transmis de génération en génération
Difficultés ou accessibilité du terrain Retour à la table des matières La
réalisation d une entrevue avec un initié vodou (ougan, manbo, onsi) n est pas
toujours chose facile, car cet univers religieux est en partie ésotérique. «Les
prêtres passent par des rites d'initiation extrêmement longs, extrêmement
compliqués, ils reçoivent un enseignement complet» (Métraux et Bing 1964 :
29) pour lequel ils se sont investis à fond. De ce fait, ils ne révéleront pas
volontiers à un étranger des secrets qui leur ont coûté si cher en émotion et en
argent. Pour plusieurs raisons d ordre sociohistorique, la méfiance face à un
non-initié fait partie du contenu de leur formation. Ainsi, il n'est pas à la
portée de tout le monde de pénétrer les secrets qui entourent les rites et les
croyances vodou. D où les difficultés qui se posent aux chercheurs devant la
méfiance des détenteurs de ces pratiques et croyances religieuses en Haïti.
Néanmoins, même si la porte est étroite, il existe quand même des voies de
pénétration que le chercheur est appelé à déterminer Lors de notre première
initiation ethnographique sur le terrain vodou ( ), en dépit des soutiens de
certains facilitateurs et des visites d exploration, avoir un rendez-vous a été l
étape la plus difficile et la plus déconcertante. Comme excuse pour les rendez-
vous non tenus, on invoquait souvent un imprévu de dernière heure : un
déplacement inattendu, un [76] «bain de chance» en toute urgence, un
malaise, etc. En plus de cela, on nous réclame parfois un intervalle de huit à
quinze jours afin de réfléchir sur son implication dans ce genre de projet. Mais
en réalité, cette indisponibilité récurrente fait partie de la stratégie des ougan
ou manbo pour éviter de parler de la prêtrise dans le vodou, étant donné que
ce thème renvoie à l initiation, qui est une pra-

87 87 tique exigeant une attitude discrète. Ainsi, on n a pas raté cette occasion
pour nous rappeler que nous devrions être un initié pour avoir accès à des
informations concernant la prêtrise vodou, ce qui ne colle pas avec notre
position éthique et épistémologique. Toutefois, nous avons malgré tout
persisté en insistant sur le fait que ni leur nom, ni aucune autre information
qui permettraient de les reconnaître ne seraient divulgués et qu ils ne seraient
pas obligés de donner des informations jugées trop intimes, trop personnelles.
Ainsi, en abandonnant certains, face à la persistance de leur refus (mais jamais
catégorique), nous avons pu trouver le consentement et la disponibilité des
autres à l aide d autres facilitateurs estimés plus appropriés une fois sur le
terrain. Ceci constitue une sorte de contrat que nous avons tenté de respecter
dans le traitement des données. L analyse ethnologique dans le cadre de cette
entente demande beaucoup de subtilité, car le premier souci de l'observateur
est de rendre compte honnêtement de la réalité de son terrain alors que les
clauses de son contrat lui demandent de respecter l'intimité de l'autre. Dans
bien des cas, on entend ces types de phrases : «cela se dit entre nous», «ne
mettez pas cela dans votre affaire», «vous n allez pas divulguer cela», etc.
Face à ces restrictions, l ethnologue a un devoir éthique qui semble
contradictoire dans ces détails. Il s agit de ne pas trahir (ses hôtes) et de ne pas
tromper (sa communauté scientifique). D où l intérêt de l anonymat et de la
présentation des données recueillies sous une forme synthétique. [77] Si en la
réalisation des quelques entrevues avec certains acteurs du vodou a été réussie
après de grandes difficultés, sur la base de ce test qui allait être enrichi en
2009 par une expérience professionnelle, le terrain de 2010 pour cette thèse a
pu se réaliser sans aucune difficulté. Pour pénétrer dans le vodou, estime
Métraux (Métraux et Bing 1964 : 30), «la première démarche consiste donc à
faire la connaissance d'un prêtre ou d'une prêtresse, à gagner sa confiance afin
de pouvoir d'une part, les interroger et, d'autre part, participer aux
cérémonies». Dans ce schéma de voie de pénétration, même une bonne
relation avec un défunt peut aider. Dans certains milieux, nous étions portés à
fouiller dans nos souvenirs pour nous rappeler que nous sommes le petit-fils
d'un frère d'une grande personnalité vodou con-

88 88 nue sous le nom de Guelmeau Pierre. Une fois qu on a gagné la


confiance de quelqu un jouissant de la reconnaissance du milieu, la technique
de boule de neige va faire le reste. Dans chacune des régions que nous avons
touchées dans le cadre de ce terrain, nous avions déjà créé des relations de
confiance avec des ougan et manbo qui nous ont servi à la fois de sources et
de facilitateurs auprès des autres porteurs de tradition vodou. Il faut dire aussi
que nous avons remarqué de plus en plus de vodouisants qui estiment
nécessaire de participer à la consignation de leur tradition religieuse, et surtout
de donner leur propre version et représentation du vodou historiquement
marginalisé. Grâce au profil de nos facilitateurs qui étaient, soit un serviteur d
un grand lakou historique 69, soit un membre influent d une association
vodou, notre présence dans le milieu a été souvent très honorée. Certains d
entre eux nous ont avoué qu ils étaient très heureux de voir un jeune haïtien de
notre niveau académique intéressé à leur pratique. Ceci a été pour nous très
gratifiant dans le sens qu ils nous ont donné l accès à des milieux et objets très
intimes. On nous a fait savoir que nous sommes déjà un choisi pour avoir eu l
opportunité de toucher à certains objets hérités et précieusement entreposés.
[78] Concernant l accessibilité du terrain de 2010, nous venons de dire que
cette opération a pu être réalisée sans aucune difficulté, mais qu en n est-il de
la fiabilité des données collectées? 69 Il s agit d une unité résidentielle où
habitent les membres d une lignée familiale et religieuse. Il est aussi un espace
mystiquement délimité et protégé par les Lwa titulaires du lignage. Il est aussi
défini comme une unité de base de l'organisation spatiale fondée sur le
lignage, et dans lequel le chef du lakou est à la fois le détenteur des titres
fonciers et du pouvoir religieux. Aujourd hui, le responsable spirituel du site
peut être un simple héritier (foncier) comme les autres.

89 Biais de la méthode de récit de vie? Retour à la table des matières Comme


toute méthode de collecte de données, le corpus de récits adopté n a pas
seulement des avantages, il a aussi des inconvénients (embûches et limites)
tels que la possibilité du narrateur de colorer son discours en fonction de l
image qu il se fait du chercheur, du contexte de la réalisation des entretiens,
etc. Il y a aussi la question de l écart, plus ou moins profond, mais toujours
existant, entre la réalité objective et la représentation subjective du sujet qui se
raconte. Les rationalisations des interlocuteurs en fonction de l identité
souhaitée, les enjolivements, les écrans posés par la mémoire sélective, tels
sont les obstacles majeurs auxquels sont souvent confrontés les chercheurs
(Pourtois et Desmet 2007 : ). Mais être conscient des problèmes liés à
l'enquête orale, nous dit Roberge (1991 : 23), c'est déjà faire preuve d'une
attitude critique et scientifique à l'égard de ses sources. L'objectivité véritable
dans le domaine des sciences sociales et humaines, précise De Gaulejac (1999
: ), consiste à analyser de quelle manière la subjectivité intervient dans la
production de la connaissance. «Plutôt que de vouloir la neutraliser par une
scientificité artificielle, il est préférable de la mettre au cœur du processus de
production du savoir en étant attentif à ses effets». En optant pour le récit de
vie comme méthode d enquête, nous ne sommes pas sans savoir que «le récit
d'un fait passé n'est jamais et ne sera jamais le vécu de ce fait» (Roberge
1991 : 13). En analysant l écart existant entre la mise en récit du fait et le fait
lui-même, Bertaux (2006 : 41) nous rappelle qu il y a des médiations
subjectives et culturelles entre l expérience vécue «brute» et le discours
narratif de ce fait. Par exemple, entre une situation sociale et la façon dont elle
est «vécue» sur le moment par le sujet s'interposent des schèmes [79] de
perception et d'évaluation. Donc, pour un ethnologue avisé, tout récit d un
autobiographe est un outil pour construire son monde (Orofiamma 2008 : 77),
car l art du récit est en fait une refiguration de soi et une interprétation de soi
par le récit. Bref, il s agit d une mise en scène d une dramaturgie personnelle.
Si la présence de ces médiations

90 90 est réelle et même incontournable, nous devons admettre que «c'est bien
leur propre parcours que s'efforcent de raconter les sujets, et non celui de
quelqu'un d'autre. L'intervention des médiations signalées ne touche guère la
structure diachronique des situations, événements et actions qui ont jalonné ce
parcours» (Bertaux 2006 : 40). Pour les chercheurs qui sont guidés par la
recherche de «l'exactitude» ou de l'«authenticité des faits», les sources orales
peuvent sembler inappropriées. Par contre, dans le cas qui nous concerne, leur
apport du point de vue ethnologique demeure incontestable puisque notre
premier souci n est pas la datation des faits ou la découverte de la «vérité»,
mais plutôt le processus par lequel l imaginaire collectif structure le
comportement individuel et les pratiques sociales dans le vodou haïtien. Un
dernier ferment de faiblesse, et qui laisse le champ libre au sujet à sa mise en
scène, est le temps (durée de l entrevue). Généralement, pendant les premières
minutes de l entretien (de 15 à 20 mn), les personnes informant ne vont pas
dire ce qu elles pensent, mais ce qu il est acceptable de dire dans ce qu elles
pensent. C est pourquoi toute interrogation qualitative trop courte empêche les
personnes interrogées d entrer en confiance et de se révéler réellement et
complètement. Dans le cas qui nous concerne, sauf quelques rares exceptions,
nous avons eu l opportunité d avoir des interlocuteurs/interlocutrices qui nous
ont parlé longuement (plus d une heure par séance à raison d au moins deux
séances par récit), et volontiers, une fois la confiance établie. Mais comment
les données recueillies par enquête orale peuventelles être des sources fiables
si d'une part elles sont fabriquées sur mesure, et si d'autre part elles subissent
constamment les aléas de la mémoire? (Roberge 1991 : 19) Pour ce qui est de
cette préoccupation, Bertaux (2006 : 41) nous a dit que le fait d avoir une série
de témoignages sur [80] le même phénomène social est un atout qui nous sert
à réduire les médiations subjectives. La mise en rapport de ces témoignages
les uns avec les autres permet d'écarter ce qui relève de colorations
rétrospectives, et d'isoler un noyau commun aux expériences vécues de l
ensemble des sujets narrateurs. Dans le cadre de ce travail de recherche, deux
types de croisements ont été adoptés lors de l analyse des données recueillies
par notre ap-

91 91 pareillage méthodologique. Le premier croisement est interne. Il


consiste à confronter entre elles les données d un «sujet» obtenues au moyen
de son discours narratif avec celles collectées par les autres techniques
complémentaires : observation, récits de lieux, de pratique ou d objet,
recherche documentaire. Cette confrontation visait à déceler leur éventuelle
complémentarité ou contradiction. Le deuxième type de croisement, quant à
lui, est externe. Les données recueillies dans chaque lieu de culte (ou unité d
observation) ont été à nouveau croisées entre elles. Les analyses des
récurrences, des différences et même des oppositions ont été guidées par le
souci de rendre des propos qui soient conformes à la réalité du terrain. À
travers ce chapitre, nous avons voulu exposer la démarche par laquelle notre
intuition intellectuelle (qui prétend que la transmission de la prêtrise vodou est
en rapport étroit avec la logique du devoir de mémoire ou de loyauté envers
les ancêtres) a été à la disposition du réel afin qu elle soit confortée ou
nuancée ou même déstabilisée. Au terme de cet exposé, nous pouvons dire
que la recherche au moyen de l enquête orale est un support de formation, de
travail sur soi et de découverte de soi, tant pour l observateur que pour l
observé. Par l acte de faire récit de sa vie, le sujet se construit une identité qui
l inscrit dans un rapport à soi, au monde et aux autres, ce que Paul Ricœur
(1985) appelle identité narrative. Si on reproche à cette méthode d enquête le
fait qu elle laisse trop de place à la subjectivité, on doit admettre qu elle est
pourtant l'instrument par excellence qui donne l accès direct à la mémoire
populaire. Son originalité reste et demeure la vertu consistant à donner la
parole à une partie importante et souvent oubliée de l histoire officielle : les
opprimés, les discriminés, les porteurs de l histoire vivante.

92 92 [81] Transmission de la prêtrise vodou. Devenir ougan ou mambo en


Haïti Chapitre III Cadre socio-familial et religieux de nos interlocuteurs 1.
Grands traits caractérisant les familles haïtiennes [83] 1.1. Histoire succincte
de la famille haïtienne [83] 1.2. Fonctionnement de la famille contemporaine
en Haïti [90] 1.3. Matrifocalité en Haïti [93] 2. Il s agit d Henriette, Onel,
Déravine, Mosaline, Grégoire, Bazil, Guillaume [96] 3. Antécédents des
interlocuteurs [100] 4. Contacts avec les pratiques vodou avant la prêtrise ou
indices avantcoureurs [107] 4.1. Projet parental ou familial [111] 4.2. Projet
ou injonction des Lwa [112] 4.3. Projet de désirs croisés [116] Retour à la
table des matières

93 93 [82] L essentiel (...) n est pas le contenu même de ce qui est cru, mais l
invention, la production imaginaire du lien qui à travers le temps fonde l
adhésion religieuse des membres au groupe qu ils forment et aux convictions
qui les lient. On dira religieux dans cette perspective, toute forme de croire qui
se justifie entièrement de l inscription qu elle revendique dans une lignée
croyante (Hervieu-Léger 1993 : 118). Comme nous l avons vu au niveau du
chapitre théorique, la famille comme institution d enculturation et de
socialisation joue un rôle fondamental dans le processus d inculcation et d
intériorisation des valeurs qui placent l individu au sein de son groupe d
appartenance. En explorant les littératures traitant des notions de transmission
culturelle, transmission religieuse et loyauté, on a pu constater que la famille n
est pas une entité sociale qu on peut aisément évacuer dans une étude portant
sur la passation intergénérationnelle des valeurs et des pratiques religieuses, d
autant plus qu on parle du vodou qui est souvent décrit comme une religion
familiale. La transmission et l histoire familiale constituent, selon De Becker
(2008 : 61), des événements majeurs dans la formation de l identité. Par l
histoire familiale, il évoque l idée du récit ou du «roman familial» 70 qui est
un savant mélange de souvenirs, d additions, d oublis, de réalités. Dans la
dynamique de ces deux opérations (transmission et construction de ce roman),
la réalité des destins familial et individuel se met en branle. Ainsi, les choix
sentimentaux, les orientations professionnelles, arrivent à s inscrire et s
enraciner dans l inconscient, ce qui va s extérioriser en gouvernant la destinée
des personnes et des 70 Le roman familial désigne ici les histoires de famille
que l'on transmet de génération en génération et qui évoquent les événements
du passé, les destinées des différents personnages de la saga familiale. Mais
entre l'histoire «objective» et le récit «subjectif», il y a un écart, ou plutôt un
espace, qui permet de réfléchir sur la dynamique des processus de
transmission, sur les ajustements entre l'identité prescrite, l'identité souhaitée
et l'identité acquise, sur les scénarios familiaux qui indiquent aux enfants ce
qui est souhaitable, ce qui est possible et ce qui est menaçant (De Gaulejac
1999 : 11-12).

94 94 groupes. Aussi, en prélude aux différentes parties du texte qui vont
présenter et analyser des données ethnographiques sur les modes de
transmission de la prêtrise vodou en relation avec le sentiment de loyauté,
nous sommes conduits à regarder ce qu il en est du fonctionnement de la [83]
famille haïtienne. Ceci va être suivi de la présentation de nos interlocuteurs,
saisis dans leur contexte socio-familial Grands traits caractérisant les familles
haïtiennes Retour à la table des matières L importance de la maisonnée 71,
comme principale unité fonctionnelle de la famille, et celle de la matrifocalité
représentent les deux caractéristiques fondamentales par lesquelles la structure
des familles caribéennes est souvent étudiée (De Ronceray 1979 : 7). Dans le
cas d Haïti, on admet que la maisonnée, prise comme une sorte de famille
étendue, ce que De Ronceray appelle «ménage communautaire», est très
typique des unités familiales. Par contre, si la matrifocalité est très visible en
Haïti, elle n y est pas pour autant dominante. En présentant les grandes lignes
qui caractérisent la famille haïtienne, nous allons d abord jeter un coup d œil
historique sur sa constitution, puis regarder le fonctionnement des ménages
contemporains et enfin, voir la question de la matrifocalité en Haïti. 71 La
maisonnée est définie comme un ensemble d'individus vivant sous le même
toit, partageant à peu près les mêmes activités et dépendant des mêmes
ressources pour leur subsistance. Elle exerce des fonctions de surveillance, de
reproduction biologique, de transmission des valeurs culturelles, éducatives,
sociales et religieuses, de support économique du foyer, d'identification
sociale de ses membres (De Ronceray 1979 : 7).
95 Histoire succincte de la famille haïtienne En 1804, l'haïtien n'avait guère de
traditions en matière de vie familiale. Jusqu à la fin du XVIII e siècle, a noté
Bastien (1985 [1951] : ), aussi bien les Français métropolitains que les Créoles
(mulâtres et noirs), les hommes comme les femmes, ne pouvaient être tenus
pour des modèles de vertus familiales 72. Les conditions matérielles de la vie
des esclaves, les [84] guerres civiles et de libération qui ensanglantaient le
pays avant l Indépendance et l'enrégimentement sous les armes de la plus
grande partie des hommes ne favorisaient pas un climat convenable à
l'éclosion de la famille. Dans ce domaine, comme dans bien d autres, tout était
à entreprendre. 72 Alors que, dans les villes, il existait un pourcentage
substantiel d'unions légales entre «nègres libres», à la campagne le mariage
restait par contre chose exceptionnelle. Décrit avec un luxe déprimant de
détails, aussi bien dans des nouvelles licencieuses que dans les œuvres
d'auteurs sérieux que rien n'autorise à qualifier de puritains, le niveau moral de
la colonie apparaît désolant. Le colon ne venait pas à Saint-Domingue pour y
jeter racines comme le faisait l'espagnol immigrant aux Amériques. Il se
considérait simplement comme étant de passage, lui que seul l'appétit de
fortune avait poussé vers les Antilles. Son cœur était resté à Paris, et c'était là
qu il retournerait dès que la chose serait possible. Comme le maître se souciait
fort peu de fonder une famille, il va de soi qu'il ne fit rien non plus pour y
pousser son esclave (Bastien 1985 : ). Du côté des prêtres catholiques qui
pourraient être perçus comme modèles des conduites morales, il semble que
ces religieux étaient moins recommandables. Selon Le Ruzic (1912), au temps
de la colonie, il s agissait «de moines défroqués, italiens, espagnols, corses,
américains du Sud, et de séculiers français chassés de leurs diocèses. ( )
Plusieurs de ces aventuriers ont été condamnés à des peines infamantes et ont
fui leur patrie pour échapper à la justice ; d autres ne sont même pas
ordonnés» (Hoffmann 1987 : 118). En remontant à l origine de la colonie
française de Saint-Domingue, Métral (1985 [1825] : 9-11) nous a rappelé que
ce système d exploitation qui a donné à la France «l une des plus opulentes
colonies du monde» a été initialement composé par une poignée de brigands
qui étaient sans famille, sans patrie, rebut des nations et des mers. Comme la
plupart étaient Français d origine, on leur envoya, des côtes de France, des
prostituées comme partenaires sexuelles, et qu ils ont reçues avec beaucoup de
joie.

96 96 Conscients de l importance de l institution familiale pour le nouveau


peuple, les premiers gouvernants d Haïti ont voulu éveiller et encourager le
sens de la moralité et de la responsabilité familiale. Déjà dans la Constitution
de 1801 (de Toussaint Louverture), les trois articles sous le Titre IV insistaient
sur l'importance du mariage en tant que ciment des liens familiaux. En
refusant le divorce, ils encouragent la responsabilité paternelle. Quatre ans
plus tard, la Constitution impériale de 1805 (Jean-Jacques Dessalines) dans
son Article 9, allait définir un «digne citoyen haïtien» en fonction de ses
attitudes envers sa famille et la nation : «Nul n'est digne d'être Haïtien s'il n'est
bon père, bon fils, bon époux et surtout bon soldat». Mais, suivant le cours de
l histoire individuelle, dépendamment de l appartenance de ce citoyen à une
famille urbaine ou paysanne, il aura un cadre de vie attrayant ou ouvert sur le
monde ou un autre qui le force vivre en autarcie 73 et évoluant de manière
instinctive dans son milieu environnant. Le véritable rapport qu il y avait entre
ces deux mondes était une relation à la fois d indifférence 74 et de
domination. Par la force 75 ou au moyen des échanges [85] déséquilibrés, les
fa- 73 À vingt kilomètres de Port-au-Prince, par exemple, on était déjà rendu
au bout du monde. 74 Conséquemment à cette indifférence, jusqu en 1987, un
journaliste indépendant qui a séjourné en Haïti à quelques reprises depuis
1986 pouvait décrire la réalité suivante : «La plupart des régions d Haïti, à l
exception des grandes villes, souffrent d une pénurie criante de soins
médicaux modernes. Des 29 millions de dollars US que le gouvernement
haïtien consacre cette année à la santé publique, soit 81 cents pour chaque
homme, femme et enfant de la République, la part du lion sera dépensée dans
la capitale, Port-au- Prince, et dans quelques villes de moindre importance. Le
reste n aidera guère les 80 % de la population qui vivent dans les régions
rurales. Hors de Port-au-Prince, peu ou point de salut : un médecin pour
habitants, un dentiste pour Les populations rurales sont victimes de la
tuberculose, de la malaria et d une série de maladies reliées à la malnutrition
ou à l absence des mesures d hygiène les plus élémentaires. Elles ont rarement
accès à une eau qui ne présente aucun danger. Absence de voies de
communication modernes, pénurie de médecins, sous-financement des soins
de santé, l arrière-pays est laissé à lui-même ou presque» (Bulletin CRDI
Explore, juillet 1987 : 22). 75 Quand les pluies arrivaient au bon moment et
quand les troupes révolutionnaires ou gouvernementales n avaient pas
emporté au passage les animaux et les récoltes, les terres produisaient
suffisamment pour que la famille, bien

97 97 milles paysannes ont travaillé, avec des instruments rudimentaires, pour
faire fructifier les terres, pour leur survie et aussi au profit d une élite urbaine
qui ne voyait chez eux que des gardiens de l africanité, ce dont elle voulait se
débarrasser à tout prix. Selon Mintz et Trouillot (2003 : 36-37), la déclaration
d Indépendance de 1804 fut suivie d un début de redistribution des terres par l
État, en particulier sous le président Boyer, entre 1827 et La majeure partie de
la population était occupée dans l exploitation de ces terres en produisant des
denrées alimentaires et des biens exportables comme le café, le vétiver, la
corne, la cire d abeille. On peut dire que de 1825 jusqu au milieu du siècle, la
seconde République de l hémisphère ouest, après les États-Unis, était devenue
une nation de paysans (Richman 2012: 269). On peut rappeler aussi que les
deux tiers du demi million d esclaves vivant à Saint- Domingue et qui allaient
constituer la masse paysanne étaient nés en Afrique (Fick 2004 : 25) 76. Jusqu
en 1950, ils restaient encore des paysans ou ruraux dans une proportion de
87% par rapport à l ensemble de la population du pays (IHSI 2009 : 8). De son
côté, l élite de la nouvelle nation allait consacrer son énergie à se mesurer aux
élites européennes plutôt qu à concrétiser une égalité entre les diverses
couches de la population de l île. Les Haïtiens privilégiés avaient toujours
considéré que les critères sociaux qui les différenciaient des masses paysannes
étaient plus importants nourrie tout au long de l année, soit aussi en mesure d
offrir un bal à ses amis. Néanmoins, la vie paysanne n'était jamais exempte de
malheurs : on guérissait difficilement les maladies tropicales avec les recettes
héritées de la pharmacopée coloniale, et la mortalité infantile était très élevée.
Beaucoup de morts étaient attribuées à la magie et à la colère des Dieux. On
acceptait cependant la mort avec résignation. Les personnes décédées étaient
inhumées sur la propriété familiale, où elles recevaient les honneurs de tous
les survivants (Bastien 1985 : 23). 76 En parlant des traits de caractère
distinctif entre les esclaves nés en Afrique, dits Bossales et ceux appelés
créoles, Descourtilz (1809 : 224) a noté que : «Les Guinéens s'entraident dans
l'infortune, mais les nègres créoles sont plus égoïstes et la plupart sans
charité». L observateur est un naturaliste français qui était venu dans les
dernières années du XVIII e siècle afin de tenter de récupérer un héritage. Son
témoignage sur la tourmente révolutionnaire est particulièrement riche et
précieux selon Barthélémy (1997 : 842).

98 98 que les liens qui les unissaient en tant que nation. À la ville, ils
administraient un système scolaire spectaculaire et sans rapport avec les
besoins réels du milieu (Bastien 1985 : 165). Ils dirigeaient à leur guise les
finances et la politique, produisant des bureaucrates, des diplômés, des poètes.
[86] Dans la campagne, les habitants cultivaient leurs champs à la houe,
brûlaient les forêts pour en faire des bois neufs, se réunissaient pour effectuer
des travaux collectifs 77 et rendaient un culte aux dieux agraires et familiaux
(Bastien 1985 : 22). Ainsi, le mode de vie paysan a pris, comme l ont noté
Mintz et Trouillot (2003 : 37), une forme type : celle du chef de famille âgé et
de sa femme, entourés de plusieurs fils adultes avec leurs femmes et leurs
enfants et parfois d un ou deux membres de la famille, âgés, pauvres, occupant
une parcelle de terre unique ; c est ce qu on appelle communément lakou.
Selon Bastien (1985 : 174), un contrôle paternel sévère sur les activités
sociales, économiques et religieuses allait garantir à la famille une existence
stable pour au moins trois générations. L ère du lakou, soutient Moral (1961 :
170), se réfère à l époque (deuxième moitié du XIX e siècle) Les moyens
techniques dont ils disposaient pour l agriculture étaient extrêmement limités ;
même l usage de la charrue était rare. (Mintz et Trouillot, 2003: 37). 78 En
parlant de cette époque, Bastien (1985 : 165) nous a livré les propos suivants :
«C'est ainsi que, grâce à nos informateurs, nous nous sommes trouvé introduit
dans un autre monde : nous avons découvert une époque d'abondance, de
prospérité et de bonheur, révélée par la vénération et le respectueux souvenir
qu'on garde des anciens chefs de famille, les grandèt, ces demi-dieux qui
surent créer cette prospérité Ainsi, sans doute, le grandèt, le chef de famille
rural des années 1870 qui s'était assuré à la fois des terres et du prestige, s'en
alla-t-il sans doute de ce monde content de son ouvrage, et convaincu de
léguer pour longtemps bonheur et sécurité à tous ses descendants». Il poursuit
en disant que la superficie totale des terres cultivées était en général
supérieure à ce qu'elle avait été à la génération précédente ; cette époque de la
deuxième génération représenta l'âge d'or des lakou : c était le temps où tout
paysan se respectant possédait bon cheval et bonne selle. Les familles qui
aujourd'hui (1951) produisent péniblement 200 kg de café en récoltaient alors
500 Malgré les maladies tropicales qui les décimaient à tout moment, et en
dépit de l'indifférence des milieux urbains à leur égard ces paysans avaient
atteint le bonheur ; en faisant fructifier la liberté

99 99 de la conservation de nombreuses propriétés dans l'état où les dons


nationaux les avaient attribuées. Elle se caractérise par la structure patriarcale
de la famille, par l'activité des «sociétés» de travail et d entraide et aussi par
l'extension considérable des pratiques vodou dans les campagnes haïtiennes.
[87] Illust. 1 : Un des vestiges des lakou d autrefois (Plaine des Gonaïves).
Une vue de la partie du côté nord-est Retour à la table des matières gagnée en
1804, ils avaient constitué la famille rurale haïtienne. Ils avaient travaillé.
Honneur à leur mémoire! (Bastien 1985 : 174).

100 100 [88] Illust. 2 : Une vue plus rapprochée de la partie nord-est (lakou de
la photo no 1). Retour à la table des matières Illust. 3 : Une vue de la partie
ouest (lakou de la photo no 1) Gros plan sur un modèle de maisonnettes
traditionnelles de ces types de lakou. Aujourd hui la tendance est à la
construction en béton qui se montre plus résistante aux intempéries.

101 101 [89] À la fin du XIXe siècle malgré une répartition des terres plus
libérale que dans d autres pays des Amériques l économie paysanne était
moribonde. Mais le pire était encore à venir. De 1915 à 1943, c était l
occupation américaine. Si celle-ci n a pas sérieusement ébranlé les conditions
de vie matérielle des élites urbaines, elle a considérablement perturbé la vie
des campagnes. Les petits propriétaires (en particulier) furent souvent
expropriés. Devenus chômeurs, beaucoup d entre eux furent forcés d émigrer
vers la République dominicaine et Cuba, où ils devinrent ouvriers agricoles
sur des plantations sucrières appartenant à des compagnies américaines.
Pendant l occupation, la pire des formes d oppression avait été la corvée,
orchestrée par les Marines, qui contraignait des milliers de paysans, attachés
ensemble par des cordes, à effectuer un travail «volontaire» sur les routes
(Mintz et Trouillot 2003 : 37-39). Durant la première moitié du XXe siècle,
les lakou des grandèt (grand être), la forme type des lakou anciens, ont subi un
processus de désagrégation complète. L accroissement rapide de la
population, l'extension des défrichements, les partages successoraux répétés,
ont fait éclater les anciens noyaux familiaux. Les quatrième et cinquième
générations des héritiers de ces groupements de famille étendue sont allées s
installer de plus en plus loin à l'écart du terroir primitif. Le lakou a
pratiquement disparu (Moral 1961 : 171). Cependant, par respect pour la
tradition, comme l a souligné Bastien (1985 : 178), on maintient encore les
apparences de l'unité familiale, même si cette unité a cessé d'exister. Comme l
ancien chef de famille du monde rural administrait à la fois la vie économique,
sociale et religieuse du lakou, le déclin de celui-ci a entraîné avec lui la
décadence des pratiques de travail en commun (entraide) et aussi celles du
vodou familial en l honneur des divinités agraires. Cette transformation
radicale joue un rôle prépondérant dans la condition actuelle du petit paysan.
Aujourd hui, en témoignage de l existence de ces structures familiales d antan,
on retrouve exceptionnellement dans les campagnes haïtiennes quelques
vestiges de ces habitations d autrefois.

102 102 [90] Fonctionnement de la famille contemporaine en Haïti Retour à la


table des matières Comme on vient de voir précédemment, la famille haïtienne
est structurée autour d un chef de ménage qui assure les besoins de base et
socioculturels de sa maisonnée. Celle-ci se compose du père, de la mère et des
enfants, mais aussi de toutes les personnes liées par la parenté (pas
obligatoirement) vivant dans un même lieu d habitation sous la dépendance du
chef, et prenant généralement leur repas en commun. Parmi les membres du
ménage, en plus du noyau nucléaire, on retrouve assez souvent des utérins,
des filleuls, des grands-parents et collatéraux. On doit noter aussi que ce chef
n est pas toujours le père ou la mère. Les dimensions de la famille en Haïti
débordent donc largement du cadre de l unité sociale nucléaire. Cet
élargissement vise à répondre à une série d obligations d entraide et de soutien
dictées par une morale sociale que Bastien (1985 : 60) a qualifié d «éthique
familiale». Au nom de la solidarité familiale, les responsabilités envers un
membre (vivant ou disparu) se divisent en obligations individuelles et en
obligations collectives. Cette pratique de solidarité et d obligations partagées
fonde l unité familiale et constitue ce qui cimente la famille étendue 79 en
créant, surtout en milieu rural, une figure de famille perçue comme le modèle
idéal. Dans cette logique, «les enfants peuvent continuer à dépendre de leurs
parents même à l'âge adulte» (Kuyu 2004) 80. Selon une observation plus
récente que celle de Bastien, Brown (2003 : 286) a noté que les communautés
caribéennes ont tendance à pratiquer un niveau de socialité assez dense. Elles
tissent des réseaux de relations qui incluent à la fois la famille élargie et des
personnes de contacts importants ainsi que les amis proches, les deux étant
susceptibles d'être considérés et désignés par des titres parentaux : «frère»,
Dans nos villes, la conception de la famille étendue persiste encore, mais elle
n'a plus la force que lui confère la vie rurale. Camille Kuyu (2004), «Parenté
et famille en Haïti : les héritages africains», en ligne, Africultures. URL. (25
février 2011).

103 103 «sœur», «tante», et ainsi de suite. Ce tissage de réseaux familial et


social a pour but, explique Brown, de prévenir le fait qu un membre du réseau
ait à faire face à lui seul aux fréquentes crises engendrées par la pauvreté, la
sécheresse, [91] les ouragans et la corruption politique éléments qui
caractérisent la vie dans les anciennes colonies d'esclaves des Caraïbes. «Le
cas des gens de la diaspora qui font vivre leurs parents restés en Haïti» (Kuyu
2004) est un des exemples des retombées de la constitution de ce genre de
réseaux. Dans le cadre d une enquête de terrain en Haïti (avril-mai 2001), l un
des interlocuteurs de Kuyu (2004) lui a livré les propos suivants : Dans les
familles de la classe moyenne, on investit toujours dans l'aîné de la famille.
C'est lui qui assurera la relève des parents. Je suis responsable de famille. J'ai
quatre petits frères qui sont sous ma responsabilité. L'Haïtien est très
attachant. On donne la priorité aux frères et sœurs. Mais on peut s'occuper
aussi des cousins, neveux, etc. Vous êtes tenus de le faire. Si vous ne le faites
pas, la société va vous critiquer. Dans ce cas de figure de solidarité, même le
«bon voisin» est considéré comme faisant partie de la famille. En ce sens, une
part de la nourriture du jour doit lui être réservée. Pour conserver le «respect»
(la fierté) ou une bonne image de sa famille et aussi dans le but de maintenir
de l'ordre, il y a un impératif fondamental de discrétion qui s impose : «Ne
faites pas de scandale» (Bastien 1985 : 61). Les linges sales, dit-on, doivent
être lavés au sein de la famille. D après un proverbe haïtien, Vwazinay se dra
(«le voisinage est une couverture») : les voisins sont tenus de se soutenir en
cas d adversité ou de besoins imprévus en vue de faire bonne figure. Comme
en Afrique, précise Kuyu (2004), la famille haïtienne est foncièrement
communautaire et se définit par la notion de partage. Toutefois, ce
communautarisme, souligne l auteur, ne signifie pas qu'il n'y ait pas une dose
d'individualisme dans les relations parentales en Haïti. Cette tendance à
l'individualisme est de plus en plus observée, notamment en milieu urbain.
Dans les villes, la conception de la famille étendue persiste encore, mais elle
n'a plus la force que lui confère la vie rurale. Dans les

104 104 couches les plus aisées de la population, la famille nucléaire est la


norme. La forme classique ici est le mariage civil ou religieux, selon lequel un
homme et une femme promettent institutionnellement à Dieu ou à la société
de se réserver l'un [92] à l'autre exclusivement. Le choix des conjoints dans ce
milieu social, en dépit des apparences, reste enveloppé dans un système
relativement fermé. Les parents souhaitent marier leurs fils ou leurs filles dans
d'autres groupes ou familles amies. Leur opinion, quand elle est défavorable,
pèse durant toute la vie sur le destin des ménages (De Ronceray 1979 : 9). Si
le mariage légal est la norme dans cette catégorie sociale, cela n empêche pas
des pratiques de concubinage et de plaçage 81. Vu l étendue de ces derniers,
certains avancent que le mariage en Haïti est une simple couverture sociale à
la pratique de la polygamie (De Ronceray 1979 : 8) : multiplicité des amantes
82, chacune vivant dans un quartier différent ; union de fait avec une femme
principale (de maison) et d autres femmes «dehors» qu on fréquente
régulièrement. On peut noter aussi que l'opinion publique tolère des écarts d
infidélité sexuelle du conjoint, par contre une conjointe qui dévie de la norme
tombe violemment sous le coup du contrôle social et des sanctions. Sur le plan
successoral, la polygamie a des conséquences économiques défavorables
autant pour les enfants issus du concubinage et du plaçage que pour les
conjoints (surtout pour les femmes). Dans le mariage, il y a des droits et
obligations légaux. Mais pour les unions en dehors du mariage, tout se passe
sur une base consensuelle à cause de leur non-reconnaissance juridique. Le
plaçage, par exemple, qui est une forme d union à l amiable, stable et très
répandue en Haïti, est Le plaçage est, en milieu rural, une union de fait
consensuelle stable qui entraîne des responsabilités et des engagements
consacrés par le droit coutumier. Dans le plaçage, l'homme entretient
plusieurs femmes dont une fanm kay (femme de maison), la plus importante,
et les fanm deyò (femmes dehors) (De Ronceray 1979 : 9). «Un exemple de
coutume en Haïti, c'est le plaçage. Il s'agit d'un mariage coutumier ( ) Rien ne
distingue ce mariage du mariage légal. Il n'y a que le papier, l'acte de mariage
dressé par l'officier d'état civil, qui fait la distinction» (propos d un professeur
de droit coutumier en Haïti). «Il s'agit d'un mariage à l'amiable. Il diffère du
mariage à l'occidentale. La conception occidentale vise à dévaluer le plaçage,
à le minimiser», soutient un juriste haïtien (Kuyu 2004). Amantes, avec qui,
on peut avoir des enfants.

105 105 ignoré de la loi au regard de laquelle il n'a aucune valeur (Kuyu


2004). En ce sens, la femme (placée) n'hérite pas des biens de son époux, car
la loi ne reconnaît pas de communauté de biens pour des personnes placées.
Dans ce même registre, les enfants identifiés comme adultérins ou incestueux
sont exclus de l héritage de leur père biologique et cela vient [93] créer des
discriminations entre des «frères» et «sœurs» 83. Maintenant, voyons la place
des femmes dans les structures familiales en Haïti Matrifocalité en Haïti
Retour à la table des matières On vient de voir au début de ce chapitre que la
matrifocalité est souvent retenue par des anthropologues comme l une des
caractéristiques principales de l institution familiale des Caraïbes. Au regard
des données statistiques fournies par IHSI 84 en 2003, on peut admettre que la
matrifocalité est très présente dans le corps social haïtien, cependant elle n est
pas pour autant la forme dominante. Dans l ensemble du pays, 61,5 % des
chefs de ménage sont de sexe masculin. Dans les zones rurales, la même
tendance est observée. Ils totalisent 66,2 % contre 54,3 % en milieu urbain.
Quant à la proportion de femmes chefs de ménages, elles comptent pour 38,5
% du total des chefs de ménage avec une plus forte concentration en milieu
urbain. D ailleurs, on note aussi qu une majorité de femmes chefs de ménage
vivent en union (légale ou consensuelle) : près de six femmes chefs de
ménage sur dix sont engagées dans une relation telle que mariage, plaçage ou
vivavèk 85 (IHSI 2009 : 21) En vue de corriger cet état de fait, jugé
discriminatoire, une proposition de loi sur la paternité, la maternité et filiation
est déjà votée (10 mai 2010) par la 48e Législature au niveau de la Chambre
des députés et actuellement déposée à la chambre du sénat. Institut haïtien de
Statistique et d'informatique, 4e Recensement général de la Population et de l
Habitat (RGPH). Le vivavèk (vivre avec) renvoie à l union consensuelle
(concubinage ou fréquentation répétée) sans cohabitation permanente.
106 106 Ces données nous montrent qu en Haïti les structures familiales sont
encore dominées par une figure masculine comme chef de ménage.
Généralement père du noyau nucléaire, dans la vie familiale, son autorité est
indiscutable. Son leadership est exhibé. Il a le dernier mot quand il faut
trancher dans une prise de décision. Il dirige la vie de ses enfants jusqu'à un
âge assez avancé. Son approbation est attendue quand ses fils et filles doivent
rentrer dans une relation de couple. [94] Cependant, l opinion publique attend
que les jeunes couples arrivent à mener leur vie familiale de façon autonome.
Leur indépendance économique est encouragée. Par contre, les parents
souhaitent garder un droit de regard sur la vie du nouveau couple 86. Ainsi,
les parents plus aisés veulent exercer leur contrôle sur la forme et le devenir
du nouveau couple. Dans le cas où ce dernier n'arrive pas à s établir sur sa
propre résidence, la résidence patrilocale apparaît comme la solution
classique, même si les nouveaux couples sont orientés selon les opinions
publiques vers une résidence néolocale. Quand on parle du matriarcat en
Haïti, on veut souligner la contribution de la femme sur le plan éducatif et
économique. Mais elle occupe malgré tout une position sociale inférieure par
rapport au mari. L autorité maritale est plutôt faible, absentéiste, marginale,
surtout dans les situations de vivavèk ou du concubinage où la famille
s'organise autour de la femme qui en est l'élément principal. Les chiffres nous
ont montré que la majorité des femmes chefs de ménages ont un mari : 31,3 %
sont placées, 23,2 % sont mariées (IHSI 2009 : 22). Ce mari, même
absentéiste (généralement, il vit à l étranger ou habite 86 «Au niveau de la
famille restreinte, formée par le père, la mère et les enfants, le père a une
autorité directe sur les membres de sa maisonnée. Cependant, dans certains
cas, le père peut limiter ses interventions et réduire volontairement son
influence qui reste cependant forte et indiscutable, de façon à mettre ses
enfants en situation d'émulation sur le plan économique Ces différentes
pratiques paraissent se contredire puisqu'on serait tenté de croire que l'enfant
qui sait se prendre en charge serait plutôt enclin à ne pas obéir aux ordres et
aux conseils prodigués par son père. Or, il n en est rien. En règle générale ( ),
les relations entre pères et enfants sont toujours bonnes. On peut donc
conclure que ce n'est pas le facteur économique qui cimente l unité familiale.
C'est alors qu'entre en jeu ce que nous pourrions appeler l'éthique familiale»
(Bastien 1985 : 55-60).

107 107 chez la mariée ou chez la fanm kay), garde une grande influence sur
le fonctionnement du ménage, car la principale source de revenus de la
femme, qui est très souvent au chômage, vient de ce mari absent. En définitif,
on peut retenir que la famille haïtienne n'est pas une simple institution
regroupant les époux et les enfants. Elle embrasse à la fois le noyau nucléaire
et assez souvent des filleuls, utérins, consanguins, (futurs) gendres, brus et
collatéraux. Mais, elle concerne aussi «des morts, c'est-à-dire des parents
trépassés qui continuent d'exercer une influence concrète sur l'orientation des
attitudes et des décisions». Les services, les dévotions, les rites aux morts,
comme l a noté De Ronceray (1979 : 9), sont des forces vitales qui
déterminent des [95] comportements et des rôles sociaux concrets. En parlant
de la vie rurale au sein des lakou d antan, Bastien (1985 : 23) a souligné que
dans l accomplissement du devoir familial envers la mémoire et le culte des
ancêtres, le père de famille était aussi le chef religieux qui présidait le culte
familial sans pour autant devoir nécessairement être ougan. Par rapport au rôle
des femmes dans le milieu vodou, Brown (2001: ) estime que «la culture
haïtienne est une culture misogyne et l'idéologie de la suprématie masculine
est ici féroce». Conséquemment, le vodou n'a pas échappé à l'influence de
cette attitude. Les femmes rurales peuvent devenir medsen fèy (herboristes),
fanm saj (sages-femmes), onsi (épouses des Lwa et assistantes des ougan),
prêtresses et jouissent d un grand respect dans leur communauté, mais vont
être prudentes par rapport à l'hégémonie religieuse de l'homme. En dépit de
cela, le vodou donne aux femmes une plus grande possibilité d
épanouissement de leurs capacités que la grande majorité des traditions
religieuses du monde, y compris celles de l Afrique d origine. Dans les villes,
cependant, la situation est très différente. «Il n'existe pas de statistiques, mais
mon impression est forte - au moins la moitié des dirigeants vodou urbains
sont des femmes», a déclaré Brown (2001: 221). Par ailleurs, l ambiance des
temples dirigés par des femmes est nettement différente de l'atmosphère de
ceux dirigés par des hommes. De façon générale, la différence est une
question de flexibilité. L'éthique au sein du temple d une manbo est similaire à
ce qui se passe dans un ménage administré par une femme. Celle-ci se déplace
de manière continue entre son rôle de la mère de famille

108 108 (manman Lwa) et sa fonction de prêtresse qui renvoie à une figure


d'autorité que les situations exigent. Dans le cas d un temple dirigé par un
ougan, le leaderschip s exerce avec beaucoup plus de rigidités. Mais, si les
traditions religieuses restent toujours très conservatrices par rapport au rôle
des femmes dans l administration du sacré, le vodou haïtien est pourtant un
lieu de transition. La voix des femmes dans le vodou est forte, même si «elle
ne domine pas. Peut-être qu'elle ne le sera jamais et peut-être qu'elle ne le
devrait pas» (Brown 2001: 255). Nous venons de présenter les grands traits de
la famille haïtienne comme première structure sur laquelle repose la tradition
vodou, maintenant, quid de nos interlocuteurs? [96] 3.2 Il s agit d Henriette,
Onel, Déravine, Mosaline, Grégoire, Bazil, Guillaume 87 Retour à la table des
matières Henriette a 88 ans. Elle est l unique fille et dernière enfant de son
père qui était marié et avait déjà deux garçons. Depuis sa naissance, elle vit
dans sa résidence actuelle dans l une des communes de l arrondissement de
Léogâne. Mariée à 21 ans avec le laplas 88 de son père qui était ougan, elle a
donné naissance à sept enfants, dont deux filles et cinq garçons qui se situent
dans la catégorie d âge de 45 à Pour garder l anonymat, les noms de nos sujets
ont été remplacés par des pseudonymes et les données informographiques ont
été traitées de manière à ce que le principe de confidentialité soit respecté. Sur
le plan déontologique, on admet que les informations généalogiques sont des
affaires privées et ne sauraient être mises sur la place publique sans l accord
de tous les membres qui composent la famille concernée (Archassal 2000 :
50). Le laplas est une abréviation de «commandant de la place». C est l onsi
(épouse des Lwa sans distinction de sexe) principal qui administre l onfò en
absence de l ougan ou de la manbo. Il est le maître des cérémonies. Si un onsi
de sexe masculin est initié pour devenir laplas, celui de sexe féminin pourrait
subir un rituel spécifique pour devenir konfyans (confiance) même quand dans
la pratique leur fonction est à peu près similaire (Métraux 1958 : 60).

109 109 ans. Manbo asogwe 89 depuis l âge de 26 ans, actuellement, elle n est
pas trop impliquée dans les activités liées au service des Lwa à cause de son
âge très avancé. Cependant, en tant que plus ancienne résidente du lakou et
aussi mère biologique et spirituelle des autres ougan et manbo de ce dit lieu,
elle est restée comme une référence et consultée au besoin. 89 Asogwe (se
prononce «assogué») est celui ou celle qui exerce la fonction du prêtre vodou
après la prise d ason, qui est un objet sacré considéré comme le symbole de la
prêtrise vodou. Il est l instrument rituel de l ougan et de la manbo, signe de
leur pouvoir. Il sert dans leur interaction avec les Lwa. Il est confectionné
avec une courge de forme spéciale, la calebasse courante, avec un bout renflé
et sphérique, et l autre bout allongé comme un manche. Le bout renflé est
entouré d une manière un peu lâche d une résille de perles de couleur et de
vertèbres de serpent qui produit un son caractéristique lorsque l ason est agité
rythmiquement. Une clochette est attachée au manche de l ason (G.
Maximilien, Objets sacrés - Vodou, texte inédit).

110 110 [97] Illust. 4 : Ason de l asogwe. Ceci est tenu par une jeune manbo
lors d une cérémonie réalisée après la prise d ason qu on appelle «Desann
kolye» (enlever les colliers). Celui qui est habilité à manipuler cet instrument
sacré après avoir passé dans une chambre initiatique est considéré comme
manbo ou ougan asogwe (qui a de l ason). Cet instrument est le hochet du
prêtre ou de la prêtresse qui représente sa puissance au moment où il/elle
appelle les Dieux. Retour à la table des matières Onel de son côté est âgé de
54 ans. Comme Henriette, il est asogwe et exerce sa fonction dans la
hiérarchie vodou depuis trente ans. Il est le cinquième né d une famille de huit
enfants dans la région métropolitaine de Port-au-Prince. Avec sa femme qui
est actuellement

111 111 dans la prêtrise comme lui, il a une famille de quatre enfants, dont
trois filles et un garçon âgés [98] entre 16 à 30 ans. Il a fait la classe de
seconde 90. Mécanicien de profession, il a travaillé comme tel dans la
fonction publique à Port-au-Prince. Quant à Déravine, il est âgé de 45 ans. Il
habite dans les hauteurs de Port-au-Prince où il vit depuis sa naissance. Il a
travaillé comme ougan, dit «makousi» 91 pendant trois ans (de 14 à 17 ans) au
même moment qu il était à l école pour atteindre la classe de rhéto (et admis
en philo). À 17 ans, il a subi le rituel de la prise d ason pour devenir ougan
asogwe, et depuis, il travaille comme tel. À côté de sa fonction de l ougan,
Déravine est accoucheur (sage-femme), sculpteur et artiste peintre. Fils aîné
de trois fils et filles, il a un frère qui est ougan comme lui et une sœur qui est
disparue. Celle-ci a huit ans depuis qu elle est morte à l âge de 36 ans. Juste
avant sa mort (par accident), elle s était convertie à l Église adventiste du
septième jour. Marié avec sa femme actuelle, cet ougan est le père de quatre
enfants âgés de 11 à 25 ans. Le cadet est en 6e année fondamentale à Port-
auPrince. Les autres sont en République dominicaine et en Angleterre où ils
étudient respectivement dans les domaines de la sociologie et de la médecine.
Mosaline de son côté est née et a été élevée entre les départements de la Grand
Anse et le Sud d Haïti. Elle est veuve et chef de ménage depuis 25 ans. Après
sa venue au monde, son père et sa mère ont enfanté quinze autres fils et filles.
Pour sa part, elle a deux filles et deux garçons. Le second a 25 ans et pris l
ason depuis l âge de 17 ans contrairement à sa mère qui n est pas une manbo
asogwe. Elle a 47 ans et assume la fonction de manbo depuis 1986, période
qui a marqué aussi son implication dans les mouvements associatifs de
défense du vodou. Avant d être manbo, elle chantait dans une chorale
évangélique et était très zélée dans le prosélytisme. Institutrice de profession
(elle a étudié à l école normale), elle était directrice et propriétaire d une école
primaire. En vue de s impliquer pleinement dans les activités Quatre années d
études après le Certificat d études primaires (CEP) ou la 6e Année
Fondamentale. À ne pas confondre avec le Conseil Électoral Provisoire. Les
ougan et manbo de la métropole de Port-au-Prince et de ses environs
désignent par ougan et manbo makousi leurs collègues, surtout ceux de la
province qui ne connaissent pas comme eux le rituel de la prise d ason.

112 112 vodou (prêtrise et actions éducatives destinées aux vodouisants), elle


a abandonné sa profession de base. Elle milite aussi dans des associations de
défense des droits des femmes. [99] Grégoire, comme Henriette, a connu la
«campagne des rejetés» (dite aussi des «renoncés»). Il avait 15 ans en
Actuellement, il a 84 ans (inactif dans la prêtrise vodou) et habite là où il est
né, la commune de Cabaret (non loin des départements de l Artibonite et du
Plateau central). Aîné de sa famille, il a eu un frère et deux sœurs. Pour sa
part, avec plusieurs mères (il n a jamais eu de relation stable), il a sept enfants,
dont quatre filles et trois garçons. Comme activités économiques, il pratiquait
l élevage et le jardinage. Mais il était aussi très ambulant à travers le pays
comme madan-sara 92. Durant son enfance, il a vécu aussi à Port-au-Prince où
il a appris à lire et à écrire. Au moment d entrer dans le service des Lwa
comme ougan, c est à la Plaine du Cul-de-sac (tout près de Port-au-Prince) qu
il a eu son rituel d initiation. «Sèvitè» (serviteur) : c est un titre qui serait plus
honorifique que celui d «ougan» ou «manbo» qu on retrouve dans la zone des
Gonaïves pour qualifier le responsable masculin le plus élevé des grands
lakou historiques. Bazil est l un de ces sèvitè de la commune de Gonaïves
dans le département de l Artibonite. Âgé de 50 ans, il est né et réside dans ce
milieu même s il a vécu à Port-au-Prince entre 1989 et Il est le dernier d une
famille de six enfants. À son tour, placé avec sa femme (qui est manbo) depuis
environ vingt-cinq ans, il a mis au monde cinq enfants qui sont âgés de 8 à 25
ans (qui sont avec lui dans l habitation familiale) après l aîné (27 ans), avec
une autre mère, qui vit aux Bahamas. Au niveau de la scolarisation, il a atteint
la 8e année fondamentale (AF) 93 et ses fils et filles sont entre la 6e et la 9e
AF. Comme Mosaline, il n est pas un asogwe. Il travaillait comme ougan
makousi avant de devenir sèvitè vers la fin des années On appelle madan-sara
en Haïti des petits commerçants, mais surtout des femmes qui sont impliqués
dans le circuit de commercialisation des produits agricoles. Ils assurent la
liaison entre les milieux rural et urbain et aussi entre les départements du pays.
Ils sont considérés comme des acteurs clés des filières agricoles en Haïti.
Deux années d études secondaires après le CEP.

113 113 Quant à Guillaume, il est le plus jeune de nos interlocuteurs. Il a 36


ans. Marié depuis six ans, il a deux enfants âgés de 3 à 6 ans. Il est le
deuxième fils d une famille de neuf enfants qui sont rendus à l âge de 15 à 39
ans. Comme Mosaline, il était impliqué dans les activités de l église comme
«enfant de chœur» et exhortait les gens à marcher loin du «diable» que
représentaient pour lui les divinités vodou. Mais, depuis 1998, il est devenu un
agent de ces [100] Lwa en travaillant comme ougan (Makousi). Né dans la
commune des Gonaïves comme Bazil, il y réside dès sa naissance et fréquente
l école jusqu à la classe de rhéto. Membre d une organisation de
développement communautaire de la zone, il pratique l agriculture et l élevage
Antécédents des interlocuteurs Retour à la table des matières Le processus de
transformation par lequel on devient paysan, urbain, mineur, patron, artiste,
prêtre, comme l a noté Bourdieu (2003 : ), est long, continu et insensible.
Souvent sanctionné par des rites d'institution ou d intégration officielle, même
les conversions soudaines et radicales (sauf exception) n arrivent pas à stopper
l influence de ce processus. Celui-ci, soutient le sociologue, engage le désir
socialement élaboré du père et de la mère ou parfois de toute une lignée. Aussi
commence-t-il dès l enfance, parfois avant même la naissance. Dans la réalité
sociale, c est ce qu on observe particulièrement dans ce que l'on appelle
parfois les «dynasties» de musiciens, de patrons, de chercheurs, etc. Dans la
même veine, De Gaulejac (1999 : 144) a noté que «les enfants sont habités par
l histoire de leurs parents dans une chaîne de transmissions inconscientes».
Voyons comment ce mécanisme a fonctionné dans le cas de nos
interlocuteurs. L exercice de la prêtrise vodou dans la lignée familiale à
laquelle Henriette s identifie remonterait à son père qui était à la fois ougan et
initié à la franc-maçonnerie. Ce dernier était l unique pratiquant vodou que
son niveau de religiosité a amené à être désigné au service des Lwa,
protecteurs d Alphonse Nicolas (grand-père d Henriette) qui

114 114 aurait participé comme soldat à la bataille de Vertières 94 le 18


novembre Cet ancien combattant de la liberté est originaire du Nord. Et ce
serait après sa participation à ce combat qu il se serait rendu dans le
département de l Ouest d Haïti, particulièrement dans l une des communes de l
arrondissement de Léogâne, pour s y établir. [101] Là, il allait engendrer six
enfants, trois filles avec son épouse ; un garçon (père d Henriette) et deux
autres filles en dehors du mariage. Le père d Henriette, n étant pas la
progéniture de la femme mariée de Nicolas, ne pouvait pas porter son nom de
famille. Or, parmi les fils et filles de Nicolas, ce n était que le père d Henriette
qui était devenu ougan en servant les Lwa de Nicolas pour avoir été réclamé
par ces derniers. Il avait environ 20 ans quand il fut obligé de «se coucher»
pour la prise d ason 95 après avoir été fatigué par la maladie (mal de tête)
envoyée par ses Lwa rasin 96 (côté paternel) qui voulaient que quelqu un de la
famille les vénère à titre d ougan. Ainsi, après cette prise d ason, il a laissé sa
première demeure (en milieu urbain) pour se trouver un endroit plus approprié
(zone un peu rurale) afin d établir son onfò 97. Et, c est dans cet espace sacré
qu il a conçu Henriette avec une autre femme. «Comment quelqu un qui ne
porte pas le nom de Nicolas peut-il servir les Lwa de Nicolas?». Cette
question a été posée par l une des Le 18 novembre 1803, à Vertières, près du
Cap-Français, les soldats de Rochambeau furent vaincus par ceux de
Dessalines, victoire qui a conduit à la proclamation de l indépendance d Haïti
le premier janvier Il faut souligner aussi que le Lwa principal de ce lakou est
Papa Ogou, entité mystique reconnue dans le milieu comme esprit de la
guerre. On peut rappeler ici que l ason est un objet sacré considéré comme le
symbole de la prêtrise vodou. Il est l instrument rituel caractéristique de l
ougan et de la manbo, signe de leur pouvoir. Il sert dans leur interaction avec
les Lwa (voir description à la note 85). Se coucher pour la prise d ason est le
rituel initiatique qui permet au postulant-e d accéder au rang d ougan et de
manbo. Au temps du père d Henriette, il fallait se coucher pendant neuf jours
de pénitence pour cette formation spécialisée, outre 41 autres jours d
abstinence avant de retourner aux activités profanes. Lwa rasin renvoie aux
entités mystiques héritées d une famille ou des ancêtres. C est le lieu où les
membres d une confrérie viennent pour honorer leurs divinités. On dit aussi
sanctuaire ou temple vodou.

115 115 tantes (du côté paternel) d Henriette qui pensait qu il y avait un


accroc, une sorte de non-concordance dans le fait que c était un nonnicolas
(père d Henriette) qui honorait les Lwa de la famille de Nicolas. Car, selon le
capital religieux intériorisé, elle savait qu il fallait être un fils de Nicolas pour
hériter et servir les Lwa de Nicolas. De ce fait, elle trouvait qu il était légitime
de faire une reconnaissance légale de ce fils extraconjugal 98. Et c est ce qui a
été fait en vue de rendre conforme l ordre symbolique à l ordre juridique. On
peut voir ici que le «nom de famille» est un élément incontournable du
processus identitaire. Il est à la fois inclusif et exclusif. Il permet de se
reconnaître et d être [102] reconnu, de s identifier et d être identifié 99.
Comme un fait de société, il est le socle de l existence sociale de chaque
individu. Celui qui n a pas de nom est voué au néant ; il n existe pas comme
personne à part entière ; c est la raison pour laquelle dans l univers
concentrationnaire, comme l a souligné Nicole Lapierre 100, on ne tolère que
des numéros. Si Henriette nous donne très peu d informations sur sa lignée
maternelle et se sent être manbo dans la continuité de l héritage mystique de
son père, dans le cas d Onel, c est le côté paternel qui est quasiment absent de
sa mémoire. C est son héritage maternel qui est mis en avant. On peut voir à
partir de l histoire généalogique d Onel que la pratique de la prêtrise vodou
commencerait dans sa lignée familiale avec ses deux tantes du côté maternel.
Cependant, ses grands-parents (côté maternel) étaient déjà des pratiquants
vodou tout comme ceux du côté paternel. Ils avaient l habitude de participer
ou d organiser des cérémonies en l honneur de leurs Lwa rasin (Lwa
familiaux) et pratiquaient en privé leur culte familial ou domestique tout en
étant de «bons catholiques» Le père d Henriette avait à peine deux ans quand
François Nicolas mourut. Mais on n est pas sans savoir que le nom de famille
peut être l objet de rejet ou de réappropriation. Chaque individu peut aussi en
changer, en particulier lorsqu il est porteur d un patronyme qui suscite l
infamie, la moquerie ou le risque de persécution. Ou encore pour ceux qui
souhaitent s inscrire dans une autre histoire que celle de leur famille d origine
(De Gaulejac 1999 : 98). 100 Citée par De Gaulejac (1999 : 98).

116 116 Dans leur union conjugale, ils ont enfanté trois filles, dont les deux
premières deviennent des manbo et la benjamine (mère biologique d Onel),
une onsi (épouse des Lwa) 101. Cette dernière s est mariée avec un pratiquant
vodou non initié qui est originaire de l Artibonite et enfante Onel en
cinquième position entre deux frères et cinq sœurs. Son père étant mort très
jeune, le petit Onel va être élevé et grandir avec son grand-père et surtout
auprès de sa tante, manbo Josiane, qui resta célibataire jusqu à sa mort.
Comme le grand-père d Henriette, celui d Onel était aussi dans l armée. Son
Lwa protecteur était Papa Pyè. Une fois, au milieu de la nuit, dans un moment
où la sécurité du pays était menacée 102, il délaisse son poste pour une visite
nocturne chez une amie. Un inspecteur [103] passe pendant son absence pour
vérifier si tout est en ordre. Malgré son absence, l inspecteur le voit fidèle au
poste. Qu est-ce qui 101 Les onsi (femmes ou hommes) sont les servantes du
temple qui chantent et dansent en l honneur des Lwa. Elles assistent leur mère
ou leur père spirituel (manbo ou ougan à la tête de l onfò ou du sanctuaire)
dans ses devoirs vis-àvis des Divinités. Leur rôle distinctif est attribué en
fonction de leurs aptitudes. 102 Cette période pourrait correspondre à l affaire
Émile Luders, au cours de laquelle Port-au-Prince fut menacée d être
bombardée par deux navires de guerre allemands. Émile Luders était né en
Haïti d une mère haïtienne et d un père allemand. Selon la loi haïtienne, il était
un Haïtien. Le 20 septembre 1897, il fut condamné pour violence contre la
personne d'un gendarme. Il fit appel au gouvernement de l Allemagne.
L'ambassadeur allemand, le comte von Schwerin, protesta, et Luders fut
libéré, et déporté. Von Schwerin avait demandé également que le juge du
procès de Luders soit révoqué, demande que le président Tirésias Simon Sam
avait ignorée. En réaction, le 6 décembre 1897, deux navires de guerre
allemands, la Charlotte et le Stein, arrivaient à Port-au-Prince, et leur
capitaine, August Thiele, formulait les demandes suivantes : 1) - une
indemnité de vingt mille dollars pour Émile Luders et il qu il soit admis à
retourner en Haïti ; 2) - que le gouvernement haïtien présente des excuses
officielles au gouvernement allemand ; 3) - un salut de vingt-et-un coups de
canon aux couleurs impériales ; 4) - une réception au palais pour le comte von
Schwerin, ambassadeur allemand. Haïti conteste, mais Thiele rétorque que si
le gouvernement ne s'exécute pas, le palais sera détruit et Port-au-Prince
bombardée. Le président Sam demande l'aide des États-Unis, qui refusent.
Devant cette menace imminente, Sam accepte, et les navires allemands
quittent la rade de Port-auPrince (Ménos 1898).

117 117 s est passé? Le Lwa Papa Pyè avait pris sa forme et le remplaçait
selon ce que fit savoir le lendemain un Lwa dans la tête d un possédé. Le
processus de construction qui structure le roman familial d Henriette et d Onel
nous montre que ces derniers héritent une histoire familiale qui a façonné leur
inscription dans une lignée familiale et religieuse sans qu ils aient eu la
possibilité de remanier les données structurelles qui leur ont été transmises.
Dans l entreprise de «domestication» qui doit favoriser l intégration des
nouveaux nés dans la domus (Meirieu 2002 : 40), une part de cet héritage va
être imposée à la personnalité des nouveaux membres au point que les affects
seront transmis, sans grand espace de transformation, aux destinataires.
Toutefois, on note chez Bourdieu (2003 : 239) et aussi chez De Bercker (2008
: 60) que ce processus opère parfois à travers des souffrances morales et
physiques. Si, dans le cas de Mosaline, Grégoire, Bazil, Guillaume, le schéma
du récit familial est à peu près identique (au sens de leur héritage en lien avec
le vodou), chez ougan Déravine, on décèle des évènements douloureux qui
vont marquer ses pratiques en tant que prêtre vodou. Déravine fait partie de la
quatrième génération d une famille de vodouisants dont la plupart ont accédé
au rang d ougan ou de manbo. Il avait pour père Darius Mathieu. Ce dernier
avait été élevé dans un lakou où les pratiques vodou se manifestaient au
quotidien. Il est mort à 52 ans dans les hauteurs de Pétion-Ville où il habitait
avec sa femme (mère de Déravine qui a actuellement 82 ans); il a travaillé
comme ougan pendant trente-deux ans après être descendu des chaînes de
montagnes de la commune de Croix-des-Bouquets à l âge de 20 ans. Darius
Mathieu, de son côté, était ougan comme Batol Mathieu, son père, qui pour sa
part fut [104] engendré et élevé par Deronvil Mathieu qui fut aussi un ougan.
En remontant jusqu à Deronvil, on arrive au début de la deuxième moitié du
XIXe siècle où les pratiques du vodou à travers les lakou étaient à leur apogée
dans les campagnes haïtiennes De la fin de la Révolution haïtienne jusqu à la
signature du Concordat en 1860, le clergé catholique d Haïti représentait une
force mineure dans les institutions du pays et resta pratiquement inactif. Au
cours de ces années, les relations émotionnelles et idéologiques entre le
catholicisme et le vodou
118 118 La grand-mère de Déravine du côté maternel était manbo, sagefemme
et medsen fèy (médecin traditionnel). Elle est morte à 104 ans. Une de ses
petites sœurs est morte à 94 ans. Du côté paternel, sa grand-mère était
vodouisante. Il y a même une source de son quartier, dont l eau est très prisée
pour le traitement des malades, qui porte son nom. Elle était la femme de
Batol Mathieu, père de Darius. Ce couple a mis au monde quatorze enfants,
dont Darius. Ils sont devenus comme leur père ougan et manbo et pratiquent
leur fonction dans les arrondissements de Croix-des-Bouquets et de Port-au-
Prince, au Canada et aux États-Unis. Avant de parler de la mémoire
douloureuse de Déravine, on peut rappeler qu avant 1860 l Église catholique
romaine avait une position mineure en Haïti. Mais, après le concordat signé
entre l État d Haïti et le Vatican, elle est devenue la religion officielle jusqu à
la Constitution de 1987 qui était censée mettre fin à ce statut officiel. Ainsi,
pendant longtemps, les gouvernements et le Saint-Siège ont gardé cette
convention pour base des relations entre l Église catholique et l État. En
revendiquant l application de ce traité, plusieurs croisades de persécutions
visant à éradiquer le vodou ont été organisées et effectuées en Haïti. Dans les
années , une équipe de «purificateurs» se mit en route vers le lakou des
parents de Déravine. En arrivant chez eux, l équipe a trouvé une des deux
sœurs de Darius, donc tante de Déravine, qui était en transe ; sans
questionnement ni hésitation, elle a reçu un coup de poignard à la poitrine
auquel elle a succombé immédiatement. En une autre occasion, ce fut le tour
du père de Darius. Une fois, il y avait un voisin qui était malade et souffrant,
et à qui Batol Mathieu (grand-père de Déravine) avait donné une plante
médicinale afin de préparer une tisane. Cette initiative fut découverte par les
autorités de l Église de la zone, on lui a coupé deux doigts et le malade pour sa
part a été radié de la communion des «saints». [105] Dans l étude de la
transmission transgénérationnelle des traumatismes psychiques, des auteurs
comme Tilmans-Ostyn (2004 ; Tilévoluèrent radicalement. C est durant cette
période que la religion vodou se stabilisa (Mintz et Trouillot 2003 : 36-37).

119 119 mans-ostyn et Meynckens-Fourez 1999) et Stettbacher (1991) ont


montré combien un enfant peut devenir le dépositaire d une souffrance qui ne
lui appartient pas directement et dont il révèle la persistance (De Becker
2008 : 59). En analysant le phénomène de «résonance émotionnelle» se
transmettant d une génération à l autre, ces auteurs soutiennent que lorsqu un
événement rappelle, par un trait commun, le traumatisme non résolu, plus ou
moins refoulé de l enfance, d un adulte, elle mobilise une énergie psychique
particulière qui se dégage et se répercute sur l axe relationnel en prenant des
formes variées. Déravine n a pas été témoin de ces conséquences blessantes de
l hostilité envers le vodou sur sa tante et son grand-père. Ces évènements
tragiques lui ont été communiqués par Darius. Mais, plus proche de lui, il
garde dans sa mémoire un événement semblable dont sa mère a été victime :
Je me souviens que ma mère était en route vers la ville (de Port-auPrince) où
elle allait vendre des plantes médicinales. C était aux environs 5 heures du
matin, il faisait encore noir. Pour éclairer son chemin, elle portait dans son
panier une petite lampe allumée. Au cours de route, on l a accusée de loup-
garou et elle a été lapidée. Après l intervention de la police, les agresseurs ont
été arrêtés et conduits au tribunal. Pour se défendre, ils ont dit que cette
femme a été attaquée parce qu elle est un loup-garou. Le juge a déclaré que si
la victime est vodouisante, donc la pratique de la consommation de la chair
humaine ne lui est pas étrangère. Mais grâce à l intervention d un notable de la
zone qui a témoigné de son innocence, le juge l a libérée. Depuis cet
événement, elle a perdu son équilibre mental. Dans une autre occasion, mon
père a été au tribunal, le juge lui a demandé combien de gens qu il a déjà
mangé. «On m a appris que tu es ougan, dis-moi combien de gens que tu as
déjà mangés?». Sans être interrogé pour l affaire qui lui a amené au tribunal,
on lui a mis en prison. Pour obtenir sa liberté, il a fallu le soutien d un
monsieur Untel qui est chrétien catholique, pour témoigner que Darius n est
pas un ougan mais plutôt un medsen fèy.

120 120 [106] Avec un sentiment de peine, Déravine termine cette histoire en


nous rappelant que depuis l enfance, il porte dans son psychisme l impact
négatif que l Église catholique et l État haïtien ont causé à sa famille. Il
déclare que même étant adulte, cet impact continue à l influencer encore
aujourd hui. Il interprète son dévouement pour sortir le vodou de la
clandestinité ou de l espace privé à l espace public comme une sorte de
revanche et de justice à la mémoire de ses parents. L une de ses
préoccupations est de montrer aux non-initiés que le vodou n est pas une
«association de loups-garous» ou de malfaiteurs comme on veut le faire
croire, mais plutôt une religion basée sur le respect de la tradition et de la
mémoire ancestrale. «S il y a des gens (vodouisants ou chrétiens) qui
commettent des crimes, que la justice [fasse] son travail en toute équité», a-t-il
ajouté. Cette conscience de la nécessité de militer pour une autre image du
vodou nous rappelle un éloquent paragraphe du très renommé ougan et artiste
peintre haïtien, André Pierre 104. Le vaudou était là, avant toutes les autres
religions. Le vaudou est plus ancien que le Christ. Il est la première religion
de la Terre. Il est à la création même du monde. Le monde fut créé par le
vaudou. Le monde fut créé par magie. Le premier magicien est Dieu, qui créa
le monde de ses propres mains avec la poussière de la Terre. Les peuples sont
nés par magie dans toutes les régions du monde. Personne ne vit que par chair.
Chacun vit de l'esprit. Je peins pour montrer au monde entier ce qu'est le
Vaudou. Les trois quarts des gens de par le monde croient que le vaudou est
diabolique. Je peins pour montrer que ce n'est pas vrai. L interprétation que
fait Déravine de son dévouement nous fait penser à une affirmation de De
Becker (2008 : 59). En s appuyant sur Freud, pour qui le narcissisme de l
enfant se construit sur ce qui manque à la réalisation des rêves et désirs des
parents, il soutient que le sujet transmet aussi à la fois sa part d insatisfaction
et d irréalisation à ses progénitures. En reprenant une formule de Chan104
André Pierre, artiste peintre, juillet 1986, à la Croix des Bouquets, raporté par
Le Bris (2003 : 4).

121 121 son (2009 : 144), on peut dire que «c est de cette mémoire blessée et
théologiquement blessée» que Déravine trouve la motivation et l énergie pour
militer pour la démystification du vodou dans le milieu haïtien. [107] Contacts
avec les pratiques vodou avant la prêtrise ou indices avant-coureurs Retour à
la table des matières Henriette a été élevée et a grandi dans le lakou institué et
administré par son père qui voulait garder la tradition religieuse de sa famille.
Fille unique, très appréciée par son père, elle était témoin de la plupart des
interventions des divinités vodou qui accompagnaient son père dans l exercice
de ses fonctions. Lors des sacrifices des animaux et de la préparation de la
nourriture en l honneur des Lwa du lakou, elle dégustait avec appétit des plats
de pieds de bœuf et de cabri, mangeait du maïs grillé et d autres mets selon les
circonstances. Elle s impliquait (dans la mesure du possible) dans les activités
vodou malgré la distance que préconisaient l école et l église qu elle
fréquentait à cette époque. Mais, contrairement à Onel, dans son enfance, elle
n a pas eu l opportunité de fréquenter des péristyles ou des cérémonies vodou
autres que celles que son père avait l habitude d organiser chez elle. Quand
elle eut entre 17 et 18 ans, et bien qu elle fût la plus jeune de ses enfants,
devant l attention et l intérêt qu elle manifestait pour les activités des Lwa, son
père jugea nécessaire de l introduire dans la chambre initiatique qu on appelle
dyèvò afin qu elle devienne sa première onsi kanzo. Car être l enfant
(biologique) d un ougan ne suffit pas pour être admis à la manipulation des
objets sacrés ou pour s impliquer à fond dans les travaux de l onfò. Il faut
passer par des rituels spécifiques en fonctions du statut visé dans la hiérarchie
vodou. Aussi Henriette a-t-elle pris le soin de nous rappeler le fait suivant :
«Lè papa m pran ason, premye kanzo li menm li fè, se mwen li met

122 122 kouche» [lorsque mon père a pris l ason, le premier onsi kanzo qu il a
fait était moi]. Au service des Lwa comme onsi kanzo, elle est mariée à vingt
et un ans avec un onsi temèrè (laplas ou homme de confiance de son père). De
cette union, elle va avoir sept enfants. Après avoir enfanté les trois premiers,
entre 26 et 27 ans, elle a décidé de subir le rituel kouche sou pwen (couché sur
point) manbo qui est la préparation ultime avant de recevoir les secrets de l
ason et de devenir manbo. [108] Du côté d Onel, c est après son mariage et la
naissance de son premier fils qu il a subi le rituel kouche sou pwen ougan à l
âge de 24 ans. Si, pour Henriette, c est au cours de son adolescence qu elle a
subi le rituel kanzo, dans le cas d Onel, c était pendant son enfance, à l âge de
six ans. Un jour, raconte-t-il, en jouant dans le lakou familial de sa mère (zone
sud de la capitale de Port-au-Prince), il a vu un crabe-araignée et il l a tué. Son
grand-père (côté maternel) qui était présent lui a dit que ce crabe allait
réapparaître malgré sa décapitation. Dans sa «petite superstition» nous dit-il, il
l a déchiré en plusieurs petits morceaux et les a envoyés dans toutes les
directions. Cela s était passé aux environs de six heures du matin. Vers les
neuf heures du matin, sous la poussée d une force mystérieuse, il se jette dans
un trou profond duquel on n aurait pu le retirer qu au moyen d une échelle et
avec de grandes difficultés. Or, c est avec un grand étonnement qu il se voit
grimper hors du trou à la manière de l animal et qu il arrive jusqu au bord où
un passant lui a tendu la main. À partir de cet événement et d autres modes d
expression des Lwa vénérés dans la lignée familiale, on l a fait «coucher»
dans le dyèvò en vue de devenir onsi kanzo bien qu il n eût que six ans.
Depuis lors, que ce soit seul ou accompagné de sa mère (qui était déjà onsi
kanzo), il assistait et participait aux cérémonies vodou et autres activités
culturelles (danse folklorique) en rapport avec le vodou. Il faut rappeler qu il a
grandi dans le contexte de l émergence du mouvement folklorique haïtien
avec l implication d étrangers comme Harold Coulander et Katherine Dunham
dans les années En puisant dans les danses vodou la matière de ses
chorégraphies, cette dernière était devenue une initiée de cette religion
populaire qui, jusqu à cette époque, était très mal vue par les élites du pays.
Inspiré du vo-

123 123 dou, ce mouvement a attiré de nombreux serviteurs et servantes des


Lwa. L un des meilleurs danseurs de la troupe de Catherine était un ougan qui
venait de prendre l ason. C est dans cette même lignée folklorique du «vodou
théâtral» qu on va retrouver la manbo Mathilda Beauvoir (demi-sœur de l
ougan Max Beauvoir) en 1970 qui pratiquait à Paris ce que Bastide appelle un
«vodou érotique» (Béchacq 2007 : 43-52). [109] Par sa fréquentation des
diverses activités relatives au vodou, dès l âge de sept à huit ans, il maîtrisait
déjà assez bien la prière ginen (une partie de la prière dyò) 105, les sons du
tambour, les principes artistiques pour tracer un vèvè. L acquisition de ce
savoir-faire lui a permis d être souvent indiqué pour suppléer aux
tambourineurs absents ou à un ougan désigné pour la réalisation des
graphiques des Lwa (vèvè) dont la présence est réclamée dans le cadre d une
cérémonie. Aussi, avait-on l habitude de l appeler «Ti ougan» (Petit ougan).
105 La prière dyò est une longue invocation aux esprits de l'afrique lointaine.
Dans le rite rada-kanzo, elle est chantée au début ou au cours des cérémonies
majeures. Elle présente la liste la plus complète ou, plus exactement, une
matrice complète pour l énumération de tous les Dieux et pour l organisation
rituelle de leur ensemble. Cette synthèse des multiples traditions ethniques en
présence dans la colonie a dû, selon toute probabilité, s élaborer dans les
décennies de la période de l Indépendance et les suivantes, dans des cercles
qui exerçaient un certain leadership spirituel et temporel. La prière dyò
invoque successivement et dans l ordre sept groupes de Lwa, dont les noms
renvoient soit aux diverses ethnies africaines représentées dans la population
et qui étaient intervenues dans la guerre de l Indépendance, soit à une
caractérisation rituelle empirique (Guy Maximilien, Panthéon, Texte inédit).
124 Illust. 5 : Vèvè (symbole graphique) synthèse des Lwa. Au lieu de tracer
un dessin pour chaque Lwa, on réalise ce grand vèvè qu on appelle Minokan
ou Milokan. Retour à la table des matières 124

125 125 [110] Illust. 6: Vèvè symbolisant tous les Gede (Divinités de la mort),
tracé à l occasion de la fête de morts. Retour à la table des matières Quand sa
tante, manbo Josiane, dut laisser sa bitasyon (son habitation), son lakou
familial pour aller s installer et exercer sa fonction de prêtre dans la zone du
centre-ville de la capitale en collaboration avec une amie manbo qui y était
déjà installée, elle demanda que le petit Onel (ougan en herbe) le rejoigne. Car
ce petit savait déjà lire et écrire même avant de fréquenter l école à l âge de
huit ans. Ainsi, en assistant sa tante manbo comme son onsi, il pouvait écrire
les prescriptions données par les Lwa dans le cas d un traitement de malade ou
d une autre activité qui nécessitait ses compétences. Ayant été élevé dans cette
pratique, avant même qu il ait pris l ason, on lui a attribué la responsabilité de
donner les premières notions aux néophytes apprentis onsi. En raison de l
intensité de sa relation au vodou, il fut emmené

126 126 soulèlye (sur les lieux) pour sa prise d ason sans subir le rituel kouche
sou pwen ougan, sans même avoir été averti. [111] Projet parental ou familial
Retour à la table des matières Les expériences d Henriette et d Onel avant l
exercice de la prêtrise vodou représentent deux cas de figure ou deux voies d
accès selon lesquelles le néophyte acquiert sa légitimité. Dans le premier cas
de figure, on a pu observer que la rentrée d Henriette dans la hiérarchie vodou
en devenant l onsi kanzo de son père était plutôt l expression du désir de ce
dernier. Son père biologique voulait que la fille tant aimée soit instituée et
impliquée avec lui dans le service de ses Lwa lignagers. C est ce qu on
pourrait appeler «un projet parental ou familial» qui intègre l histoire
personnelle de son père chargée de désirs, de fantasmes, conscients et
inconscients. Ce rituel d initiation par lequel Henriette a pu rentrer dans les
rangs des onsi symbolise la volonté de son père de se perpétuer à travers sa
fille bien-aimée. Ce rituel révèle «le désir parental de se prolonger en son
enfant, de se réaliser par procuration» (Offroy 2001 : 92). En parlant de la vie
religieuse dans une communauté rurale à Mirebalais 106, Herskovits (1975 :
99) nous rapporte le contenu d une prière que le père d un petit enfant a
adressé à ses Divinités familiales : Les Mystères - vous qui, après le Grand
Maître protègent et delivrent, je viens vous remercier. Dans le même temps, je
vous présente l'enfant afin qu il soit sous votre protection. Ne laissez pas les
loups-garous la possibilité d avoir le pouvoir sur lui. Accordez-lui la force, la
santé et préservez-le contre tout mal. Donnez-lui du courage pour moi. Un
jour [Quand nous serons mort], il nous remplacera et sera à votre service. 106
Une commune du Département du Centre d Haïti.

127 127 Ici, le projet parental est assez clair. Le père de l enfant est conscient
qu il doit partir un jour. Mais le service des Lwa de sa famille doit se
perpétuer. Dans cette logique, même si cet enfant n a pas encore la
signification de ce que c est - un Lwa - il est déjà désigné pour prendre en
charge ses obligations familiales envers les Déités vodou. [112] Projet ou
injonction des Lwa Retour à la table des matières Dans l expérience d Onel,
on a pu voir que l évènement déclencheur qui a nourri le projet de devenir
ougan s est réalisé par l apparition d un crabe-araignée, par sa chute dans un
trou profond et surtout par la manière miraculeuse dont il en est sorti. Cet
évènement a été interprété par ses parents comme l expression de la volonté
des Lwa que cet enfant soit consacré. Comme l ont compris certains
vodouisants (le père de Mosaline par exemple), on peut négocier avec un Lwa,
mais on ne peut s y dérober. C est en ce sens que cet épisode a été suivi tout
de suite par l initiation d Onel afin qu il devienne onsikanzo. Si on a qualifié
le schéma initiatique d Henriette de projet parental, on est amené ici à
considérer celui d Onel comme un «projet ou une injonction des Lwa».
Parfois, contre toute attente du noyau familial de l enfant, ce dernier tombe en
transe et est possédé par un Lwa pour accomplir un acte sacré en toute
indépendance et sans contrainte. À ce moment, ce n est plus leur petit enfant
docile et sage ; il devient Dieu et n accepte aucun obstacle dans l
accomplissement de ses initiatives. Dans d autres cas, la désignation de l
enfant comme futur ougan ou manbo est interprétée ou exprimée par la
bouche d un possédé qui fait déjà autorité. C est dans ce schéma du «projet
divin» allant à l encontre du désir parental qu on retrouve Guillaume, Bazil,
Déravine. Mais il faut noter aussi que le projet parental ou familial se double
assez souvent d un projet divin ou vice-versa. À ce niveau on pourrait parler d
un «projet de désirs croisés» qui s exprime dans les récits de Mosaline et de
Grégoire.

128 128 «J étais toujours à l église et responsable d un groupe de jeunes.


Souvent je disais que je n ai pas besoin de Satan et je dois le piétiner. Je n ai
jamais assisté à une cérémonie vodou quoique mes parents organisaient des
danses». Ces propos sont de Guillaume, parlant de son entrée dans la prêtrise
vodou. Il poursuit son histoire en rappelant qu il était assez doué à l école.
Mais arrivé en classe de rhéto, il a dû abandonner avant de participer aux
examens officiels parce qu il fut atteint de cécité. Un jour, je suivais un cours,
brusquement, je ne pouvais rien voir au tableau. Je n ai jamais pensé que ce
fait pourrait avoir un quelconque rapport avec les [113] Mystiques. Je priais et
après, comme il y avait des médecins blancs (étrangers) en mission
humanitaire au Cap-Haïtien, je m y rendais pour me faire soigner. Les
analyses ne révélaient aucun signe de dysfonctionnement de mes yeux. Je suis
revenu chez moi, mais le problème persiste. Au cours de la nuit, je dormais, et
dans un rêve, je me voyais baigner dans un bassin et fut apparue une personne
de très longs cheveux. Elle me disait je vois que tu viens de voir un médecin
pour te faire soigner! Au regard de ce que tu penses, tu ne comprends pas ce
qui se passe. Au lendemain matin, j ai raconté le rêve à mon grand-père, qui
lui-même de son côté a communiqué à mon oncle, qui est ougan, celui-ci a dit
si tel est le cas, on va voir la vérité. Ainsi ils ont pris, toutes les pierres sacrées
de mon grand-père et ont composé avec du basilic et autres ingrédients une
sorte de bain avec lequel ils ont lavé ma tête. Ensuite, j étais prêt pour
retourner à l école. Effectivement, j y étais et un autre problème est apparu :
des démangeaisons aiguës. Pour éviter le grattage en public, j étais obligé de
rester à la maison. Et puis, elles se sont disparues toutes seules. Je reprends
encore une fois le chemin de l école. En suivant un cours de mathématique,
quelque chose s est passé devant mes yeux, et j étais à nouveau aveugle. On m
a amené à la maison. Et on a fait ce qu il fallait, les Lwa ont dit que je dois
«travailler»107. Ma mère, mon père et moi avons fait la sourde oreille. Je
voulais continuer à poursuivre mes études. Ainsi, je me mettais à fréquenter l
Église plus souvent dans les jeûnes et les prières. Comme je ne trouvais pas de
solution en per- 107 Travailler ici veut dire exercer la fonction d ougan.

129 129 sistant dans cette voie, j étais obligé de me soumettre à la volonté des
Lwa. C est ainsi que j ai pris la décision de travailler comme ougan. Puisque
cette injonction ne répond pas à un projet personnel ou parental, elle paraît
contraignante et même aliénante. Mais la personnalité des Lwa n est pas figée.
Dans un article intitulé «Rien n est plus fort que le Bon Dieu!...», Chanson
(2009 : ) dresse un portrait de la figure du «Bon Dieu» 108 qui s exprime dans
les contes créoles de la Caraïbe. Ce portrait [114] s apparente fort bien aux
caractéristiques des divinités vodou. Les conteurs, en exprimant la conscience
religieuse de leur communauté, présentent à travers les contes l image d un
Bondye (Bon Dieu) paternaliste et débonnaire. Il est facile d accès, familier
avec ses enfants et ses créatures, les invitant à manger, à jouer, à dialoguer
parfois, recueillant leurs avis, prêtant l oreille aux doléances des uns, aux
rapportages des autres ; se montrant patient, magnanime, amusé ; ce bon Dieu
voyage, travaille, il connaît la fatigue, il rit, boit, danse, se promène, soliloque,
etc. Cependant, afin d assurer l ordre, ce Bondye tient à ce que ses
commandements soient respectés. Aussi vient-il voir ce qui se passe et faire la
morale. Il surveille, inspecte, fait régner l ordre, s absente, délègue, donne ses
consignes et garde un œil sur tout. Dans l administration de sa domination, il
est omnipotent. Ces commandements et son pouvoir sont si absolus qu ils
peuvent faire leur lot de victimes s ils sont contestés ou mis en doute. Pour
que sa patience ne soit pas épuisée et qu il ne se mette dans une colère terrible,
on ne doit pas résister à ce Bon Dieu. Ses sanctions peuvent être brutales,
dures et impitoyables. Il est compatissant et lent à la colère. Il n aime pas trop
châtier. Mais quand un récidiviste le pousse à prendre une sanction, celle-ci
peut durer indéfiniment. 108 Non pas au sens que Dieu est bon (on dirait alors
«Bon Dieu bon»), mais selon la terminologie usuelle ayant transité par les
voies ecclésiastiques coloniales françaises avant de s inscrire de cette façon,
telle la désignation quasi officielle dans la culture comme dans les lexiques
créoles modernes où elle est du reste contractée en un seul terme : «Bondié»
ou «Bondyé» aux Antilles et «Bondjé» en Guyane (Chanson 2009 : 125).
130 130 Selon Mgr Michel Méranville 109, archevêque des Caraïbes
françaises, en milieu créole, on pressent toujours le Bondye comme un être
jaloux, exclusif, intransigeant, «qui n oublie rien et dont la vengeance est
tenace et se poursuit de génération en génération». Au bout du compte, il
passe pour un Dieu avec lequel on entretient des rapports de peur plutôt que
de crainte filiale. Ce Dieu, éminemment craint, soutient l archevêque,
«perdure dans les églises tout en faisant le lit de la foi populaire». Dans cette
même lignée, Souffrant (1995 : 17, 123), un père jésuite évoluant en Haïti,
après avoir réfléchi sur l intensité (ou l hypertrophie) de la religiosité des
masses rurales et urbaines du pays, a conclu que la mentalité religieuse des
masses dans un contexte [115] d appauvrissement (qu il soit vodouisant,
catholique ou protestant), est de type magique. Son trait dominant est la
recherche de causes et de remèdes surnaturels aux événements naturels :
intempéries, accidents, naissances, morts, maladies, fortunes. Qu'un cyclone
dévaste une région, c'est un «coup» de Dieu ; qu un tremblement de terre
détruise tout sur son passage, c est le jugement du Grand Maître ou des Lwa
en colère. Pour ces démunis, c est un coup qu'il est inadmissible d'espérer
pouvoir conjurer par des moyens humains, scientifiques. Que le régime
économique et social réduise une classe de la nation à la misère, c'est la faute
du «Bon Dieu» qui donne avec largesse, mais répartit mal. En parlant des
paysans haïtiens, Souffrant (1995 : 145) soutient que la religion de ces
derniers est soit le catholicisme, soit le protestantisme, soit le vodou, mais que
les influences religieuses s'enchevêtrent indissociablement dans la campagne
haïtienne. L'atmosphère des communautés villageoises est imprégnée à la fois
d'influences catholiques, protestantes ou vodou. Ce n'est que par abstraction
que l'on peut isoler pour l'analyse tel élément d'une de ces trois religions.
Effectivement, dans le cadre de nos différentes visites des lakou vodou, j ai pu
observer que parmi les membres de ces groupements d habitats, certains se
réclament du catholicisme en prenant leurs distances avec les activités des
Lwa, d autres revendiquent leur appartenance au protestantisme. Un matin du
mois de septembre 2010, dans un lakou vodou des Gonaïves, nous avons pu
entendre à la radio la 109 Cité par Chanson (2009 : 141).

131 131 prédication d un pasteur évangéliste. Dans un autre coin du même


lakou, il y avait des haut-parleurs d un niveau sonore considérable qui
diffusaient de la musique évangélique populaire dans le milieu. Et cela
paraissait être la vie tout à fait normale de ce groupement familial. Par contre,
l observation des éléments ou des pratiques relatives au vodou dans un milieu
connu comme «chrétien» ou «protestant» demande beaucoup plus de subtilité.
[116] Projet de désirs croisés Retour à la table des matières Dans le cas de
Guillaume, on a l impression d être devant un Dieu implacable et que son
«appelé» n a qu à obéir servilement à ses quatre volontés. Cette représentation
nous rappelle le phénomène de présélection décrit par Eliade (1968 : 81)
comme une généralité en Asie septentrionale et arctique. Quand «les âmes des
ancêtres prennent possession d'un jeune homme et procèdent à son initiation»,
toute résistance à leur volonté est peine perdue. Le refus de devenir chaman
après avoir été «choisi» par les Dieux est suivi de la mort chez les Batak par
exemple. Par contre, chez Mosaline, on admet que les Lwa sont puissants,
mais qu ils écoutent aussi leurs serviteurs ; on peut rentrer en dialogue avec
eux, donc la négociation est un moyen par lequel on peut retarder l application
de leurs injonctions 110. On peut même les atténuer. Dans ce jeu de
négociation, le projet d une partie peut rejoindre le projet de l autre. C est ce
que nous appelons projet de désirs croisés. Mosaline est élevée dans une
famille de vodouisants dans le département de la Grand Anse. Son père n est
pas reconnu comme ougan, mais jusqu à sa mort (juillet 2010 à l âge de 71
ans), il était comme une référence pour sa fille depuis ses années de noviciat
et même durant ses expériences en tant que manbo confirmée. Elle a grandi
aussi 110 En ce sens, un informateur d Herskovits (1975: 154) lui a dit que
"Mistè yo se ti moun, fòk ou dirije yo" (Les Lwa sont comme des enfants, et il
faut les diriger [les dire ce qu'il faut faire]).

132 132 dans l intimité et l affection de sa tante Amélia qui était manbo. Elle
appréciait beaucoup cette tante. Un jour, lorsque Mosaline était toute petite,
elle était chez Amélia qui organisait une cérémonie vodou. Au moment où on
devait offrir un bouc en sacrifice à l intention d une divinité de cette lignée
familiale, c est à travers son petit corps d enfant que ce Lwa s est manifesté
pour accueillir l offrande. Mais ce n était pas sa première expérience de ce
type. Bien avant, ses parents avaient eu l habitude de la surprendre au cours de
la nuit en état de possession. Une autre fois (elle avait environ 10 ans), sa
tante lui a fait une confidence : «C est toi qui vas me remplacer au sein de la
famille. Quand tu seras grande, tu vas travailler comme [117] manbo». N
ayant pas compris le sens de ce désir à son égard, elle y resta plutôt
indifférente. Mais, en observant la posture (manières de s habiller, de danser )
d Amélia et le pouvoir magique des Lwa à travers sa tante et une autre manbo
de la zone, un désir personnel commença à prendre forme chez Mosaline. Un
jour, on avait amené un mourant chez Amélia. Elle a pris un morceau de tissu,
l a arrosé d essence et y a mis le feu : si le tissu avait brûlé, il aurait fallu
renvoyer la personne malade, car elle allait mourir. Si au contraire, le tissu
résistait au feu, on pouvait recevoir le malade ; malgré la gravité de son cas, il
allait être traité. En fin de compte, le tissu n a pas brûlé et elle a pris soin du
malade qui était en agonie, et il a été guéri. «Depuis lors, j ai été convaincue
que les Lwa sont puissants et bienveillants», a déclaré Mosaline. En une autre
occasion, son père l a amenée chez Irène, une autre manbo très respectée de la
région, afin que sa fille reçoive un degre (degré), une sorte de magie de
protection contre les mauvais sorts. C était au début des années 1980, moment
où l Armée d Haïti poursuivait et exécutait les hommes de Bernard Sansaricq,
un militant de droite et anti-duvaliériste. Pendant qu elle était chez manbo
Irène, un groupe de gens qu on appelait des «Camoquins» sous le régime des
Duvalier, qui fuyaient les militaires, ont pénétré dans le lakou d Irène pour se
réfugier. Ces derniers étaient en train de s approcher quand la manbo a pris un
œuf et un pyè lwa (pierre sacrée) avec lesquels elle a fait un degre. «J
observais et je voyais que la pierre a éclaté en produisant un bruit de tonnerre
qui décourageait les militaires à continuer la poursuite et ils ont rebroussé le
chemin», a témoigné Mosaline. À

133 133 partir de ces événements, elle a conclu que travailler comme manbo
comme le voulait sa tante ne serait pas un mauvais choix. Mais jusque-là, le
désir des Lwa n avait pas encore été interprété ou exprimé de manière
formelle. Mosaline avait 19 ans et elle envisageait de poursuivre ses études en
vue de devenir institutrice. Un soir, un personnage lui est apparu en rêve et lui
a donné un sous-plat contenant cuillères, fourchettes, couteau et pierre sacrée.
À partir de ce même soir, elle ne sait plus ce qui lui est arrivé et elle a été
portée disparue. Au bout de trois jours, on l a retrouvé inconsciente au bord d
une mare dans une des bitasyon (champs où il y a des sites mystiques :
habitations des Lwa) de son grand-père. Elle avait avec elle une assiette, un
couteau et une pierre sacrée. À présent la volonté des Lwa était explicite. Les
Lwa de la lignée familiale avaient fait leur choix. [118] Elle devait travailler
comme manbo. Mais qu en était-il de son projet de devenir institutrice?
Quelles étaient les opinions de sa mère et de son père sur le choix des
divinités pour leur fille aînée? Pour ses parents, devenir manbo, dans un
contexte où très souvent on assassine des prêtres vodou, est trop risqué. Pour
ce, Mosaline doit poursuivre ses études. Elle ne voulait pas travailler (comme
servante des Lwa) non plus. Mais comme on sait qu il n est pas permis de
contester une décision prise par un Lwa, le père de Mosaline va négocier : il
demande aux Lwa de prendre patience. Mosaline va continuer ses études, et
après elle aura tout le temps de se mettre à leur disposition. Promesse faite. Le
marché est conclu. Après ses études, Mosaline revient dans son quartier natal
(dans la zone de Jérémie) et elle commence timidement à travailler comme
manbo. Un bon matin, elle prend conscience qu elle n a pas appris son métier
d institutrice pour devenir manbo. Aussi décide-t-elle de quitter la province
pour rentrer à Port-au-Prince. Pour se démarquer de l influence des Lwa, elle
se convertit et devient chanteuse dans un groupe évangélique. Mariée avec un
«frère» protestant, elle a maintenant une autre mission : prêcher la «bonne
nouvelle» de l évangile pour sauver les «âmes perdues». «Lè you Lwa rasyal
bezwen you moun pou sèvi l, kèlkeswa kote l ye a, Lwa pral chache l mennen
l tounen» [quand un Lwa familial a besoin de quelqu un pour le servir, qu il
soit en Haïti ou ailleurs,

134 134 quelle que soit sa profession ou sa religion, le Lwa va le ramener à


son service] 111. Dans le cadre de notre terrain, nous avons pu entendre cette
croyance exprimant le pouvoir des Lwa dans l Artibonite, dans l Ouest et aussi
dans le Sud. Un de nos cousins, qui est protestant depuis son enfance (et
aujourd hui, prédicateur de l évangile), nous a dit : «on peut tuer un ougan ou
une manbo, on peut détruire un onfò, mais on ne peut rien faire contre un
Lwa. Si on tue un ougan et qu on brûle son péristyle par exemple, le Lwa va
trouver un autre lieu et une autre personne pour se manifester». [119] Un jour,
j étais dans une église baptiste à Port-au-Prince, poursuit Mosaline, et j étais
possédée par un Lwa. Le pasteur arrive avec de l eau pour verser sur ma tête.
Le Lwa a réagi brutalement en disant au pasteur : «Tu as besoin Mosaline au
service de ton église, et moi, où est-ce que tu vas me placer?» On m a liée sur
une chaise avec une corde. Par la suite, la corde s est tombée toute seule. Ni le
pasteur, ni les dames missionnaires n ont pas pu me maîtriser. Avec le Lwa
dans ma tête, j ai pris une camionnette et je suis revenue à la maison. Malgré
cet épisode, Mosaline résistait encore à la volonté des Lwa. Un jour, une
femme est apparue au volant de sa voiture et elle voulait la voir : «Pourquoi
voulez-vous voir Mosaline Madame?», a-t-elle demandé à la femme. «C est
pour une affaire mystique», a répondu la femme. Puisqu elle ne voulait pas
travailler, elle lui a dit que Mosaline était absente. Elle a répondu : «pas de
problème! Je l attends». Après une longue durée d attente, Mosaline a décidé
de rentrer dans sa douche pour se laver. C est la dernière chose dont elle peut
se souvenir. Par la suite, on lui a rapporté qu elle a fait rentrer la dame. Cette
dernière avait été reçue par les Lwa et, satisfaite, elle était repartie. Quelques
semaines après, étant en France, elle a appelé Mosaline 111 En parlant de la
désignation du chaman (Amérique du Nord), Baudouin (2008 : 23) signale qu
aucun membre du clan ou de la tribu ne s'en préoccupe réellement : il est
clairement admis par tous que ce choix n'est pas du ressort des hommes, mais
des forces supérieures qui peuplent le cosmos. Dès lors, il suffit d'attendre que
se manifestent les signes annonciateurs de la venue d'un nouveau chaman.

135 135 pour la remercier parce que son problème était résolu. Finalement,
après l assassinat de plusieurs vodouisants et la destruction de leurs onfò au
cours des évènements anti-duvaliéristes de 1986, elle se sentit appelée à s
impliquer dans des mouvements de défense de ce secteur religieux. Et c est à
cette occasion qu elle s est définitivement établie comme manbo 112. Il suffit
de savoir comment s y prendre. On peut même négocier avec une divinité
vodou sur ses caractéristiques ou sa personnalité. Parmi les Lwa qui réclament
Mosaline, l un d entre eux se manifeste avec beaucoup de vigueur et à grand
fracas. Un jour, il la possède et la garde pendant sept jours sur une chaise en la
bouleversant. Son père intervient et s adresse au Lwa : «Tu veux que Mosaline
soit à ton service. Je comprends et il n y pas de problème. Mais, ma fille est d
un tempérament tranquille, tu vas servir avec elle comme elle est». Le Lwa
[120] accepte et il demande un taureau en échange. On lui a donné cet animal,
et depuis lors, son intervention se passe en toute sérénité. Au demeurant, en
dépit de la «dégénérescence» (décrite par Bastien et Moral) des lakou, grands
ménages communautaires du XIXe siècle haïtien, le lien familial reste encore
aujourd hui très important dans la société haïtienne. On a vu que le modèle
familial idéalisé renvoie à une conception de la famille étendue qui comprend
à la fois les vivants et les morts. Contrairement à ce qui se passe dans la
plupart des pays occidentaux, en Haïti les personnes âgées vivent dans l
intimité des noyaux nucléaires et assurent en même temps la médiation entre
leur progéniture (enfants et petits-enfants) et les disparus. Ainsi jouent-elles
un rôle considérable dans la transmission de la mémoire familiale. Dans le
survol sur le fonctionnement de la famille haïtienne, on a vu que les relations
parentales sont assez intenses : jusqu à un âge avancé (20 à 30 ans), un
nombre substantiel de jeunes vivent sous l égide d un parent proche ou
éloigné. Le prolongement de la cohabitation semble être un facteur de
renforcement des liens familiaux et favorise par conséquent la poursuite du
processus de transmission. Dans l analyse de la relation entre transmission et
cohabitation fami112 Comme a bien noté Bourdieu (1994 : 154), «On ne se
détache [de sa culture] pas par une simple conversion de la conscience».

136 136 liale, des auteurs comme Mauss (1968), Mauger (2002) ou Segalen
(2002) ont mis l accent sur la famille en tant que fondement de la
transmission, lieu de socialisation et de création des identités. Ils soulignent
aussi l effet de la durée de cette cohabitation dans le maintien du lien familial.
Mais, pour Mauss (1969 : 144), dans la transmission des pratiques et des
représentations collectives, certes, la famille joue un grand rôle, cependant
dans les sociétés dites archaïques, à cause de la précocité de la raison, l enfant
échappe très vite à l enfance, donc à la famille. C est pourquoi il ne faut pas
surestimer l importance de la famille dans le processus de transmission. Du
côté de Mauger (2002 : 10-12), on retient que les familles contemporaines
sont marquées par la prolongation généralisée de la scolarité suivie de la
dépendance économique prolongée consécutive à l'extension du chômage des
jeunes. Ceci a imposé peu à peu un nouveau «sentiment de l enfance» qui
vient prolonger la cohabitation entre les générations. [121] En étudiant les cas
de figures qui échappent à ce sentiment d enfance, Segalen (2002 : 20-22)
souligne que le modèle familial des sociétés industrielles urbaines 113, qu
Émile Durkheim ( ), puis dans les années 1950, Talcott Parsons ( ), ont
qualifié de «famille moderne», a aujourd'hui volé en éclats. Cependant, elle
note que les liens familiaux entre les différentes générations deviennent très
importants dans les familles d aujourd'hui, et même qu'ils se renforcent depuis
une trentaine d'années. Le nouveau contexte dans lequel évolue le creuset
familial contemporain favorise l assouplissement des normes, ce qui permet à
chacun de s'y retrouver. C'est paradoxalement parce qu'on ne dépend plus des
autres, nous ditelle, que l'on peut être lié à eux. Dans le cas des familles
haïtiennes, nous avons noté l existence d une morale sociale, un genre d
éthique familiale qui assure le respect des grandèt et la conservation des liens
familiaux au-delà de la 113 Dans les sociétés industrielles et urbaines, l'unité
familiale est constituée du couple et de ses enfants, et les rôles de chacun sont
bien définis : la sphère publique pour le mari chargé de gagner l'argent du
ménage, la sphère privée pour l'épouse à qui reviennent les tâches
domestiques, éducatives et le soutien affectif à chacun de ses membres
(Segalen 2002 : 21).
137 137 dépendance économique d un enfant envers ses parents. Au regard de
l analyse des données généalogiques de nos interlocuteurs, on peut avancer
que cette éthique devient plus forte quand la relation de sang est renforcée par
l autorité religieuse des parents. Et c est généralement le cas dans les relations
de parenté dans le vodou haïtien. C est en ce sens que nous avons noté trois
voies par lesquelles un noviciat est souvent entrepris afin d exercer la fonction
d ougan ou manbo en toute légitimité : un projet parental, un projet divin ou
une injonction des Lwa, et enfin un projet mixte où les deux premiers se
croisent et se renforcent mutuellement. Ce chapitre avait pour objectif
principal de présenter et de situer l environnement socio-familial dans lequel
nos interlocuteurs ont vu le monde et grandi. Ce faisant, les données
ethnographiques recueillies nous ont permis de déceler quelques voies d accès
à l exercice de la fonction de manbo ou d ougan. Maintenant notre tâche est de
poursuivre la réflexion sur les modes de passation de la prêtrise par lesquels
nos sujets sont devenus aptes à remplir le rôle d intermédiaires entre leur
communauté et les divinités vodou.

138 138 [122] Transmission de la prêtrise vodou. Devenir ougan ou mambo


en Haïti Chapitre IV Mécanismes ou procédés de transmission de la prêtrise
vodou Ce qu on a vu et entendu [124] Renforcement comme mécanisme de
transmission [135] Transmission onirique [140] Transmission entre l
immatériel et le matériel [147] Initiation comme mécanisme de transmission
de la prêtrise vodou [162] Retour à la table des matières [123] Comme nous l
avons déjà souligné dans les chapitres précédents, le processus par lequel on
devient ougan ou manbo est long et continu. Théoriquement, on a vu que cette
opération s effectue avec la complicité ou l intervention de plusieurs acteurs
ou agents tels que les parents proches ou éloignés, les pairs, les autres
membres de la lignée croyante, etc. Ces différentes interventions permettent
de parler de transmission verticale, horizontale et oblique. Les procédés par
lesquels on devient un prêtre confirmé ne s expriment pas uniquement par des
rites de passage conscients. Comme dirait Debray, ces procédés ne font pas
toujours de «bruits», d où le croisement ou la mise en œuvre de deux grands
mécanismes par lesquels un individu acquiert

139 139 les compétences nécessaires à l exercice de la fonction qui lui est


attribuée au sein de son groupe d appartenance : il s agit de l enculturation et
de la socialisation. Le concept d enculturation a été développé au sein de l
anthropologie culturelle (par Margaret Mead, Melville J. Herskovits) pour
traduire le processus de transmission culturelle du groupe à l'enfant. C est une
opération intraculturelle par laquelle un individu acquiert sa propre culture. L
individu, englobé ou entouré d'une culture, l intériorise par apprentissage,
expérience et observation. Cela l amène à incorporer le comportement
approprié dans ses répertoires en fonction de ce que cette culture considère
nécessaire. À ce niveau, l apprentissage culturel n est pas nécessairement
délibéré ou didactique. Ce processus engage les parents et d autres adultes, et
aussi des pairs dans un réseau d'influences (vertical, oblique et horizontal). L
ensemble de ces agents de transmission peut limiter, orienter, diriger le
développement de l individu. Le résultat final (si l'enculturation est réussie)
produit une personne qui est compétente dans sa culture, y compris dans sa
langue, ses croyances, ses rites, ses valeurs (Berry et al 2002 : 30). Quant au
concept de socialisation, il est employé dans le sens de l enculturation
délibérée (prescriptions, règles, scolarisation ). Ainsi la socialisation se réalise
par un enseignement et une formation plus spécifiques conduisant à nouveau à
l'acquisition de la culture, au comportement approprié et attendu. Néanmoins,
elle est aussi le résultat à la fois d une contrainte imposée par certains agents
sociaux et surtout d une interaction entre l individu et son environnement,
entre les socialisateurs et le socialisé (Berry et al 2002 : 22-30). [124] En
parlant du vodou haïtien, Béchacq (2007 : 52, 56) a souligné que ce système
religieux a été et continue une histoire de famille. Cette histoire constitue le
socle de l identité de l individu en tant que dépositaire de tout ou d une partie
de la mémoire familiale à travers ce qu il a vu, entendu, vécu, et ce qui lui a
été transmis, que ce soit par des objets, des témoignages ou des récits. Si l
écriture est connue comme un formidable moyen de transmission des
connaissances et des croyances par-delà les distances, les frontières et le
temps, dans cette «sous-culture» qui nous concerne, les connaissances et les
sa-

140 140 voir-faire se transmettent surtout de manière pragmatique, onirique et


orale Ce qu on a vu et entendu Retour à la table des matières «Depuis mon
enfance jusqu à l âge de 30 ans, j ai été toujours présent à côté de mon père. Il
prenait soin des malades qui fréquentaient son onfò. Quand la personne arrive,
quel que soit son problème, il lui trouvait la solution». Cette phrase traduit ce
qu on appelle l apprentissage par observation. Par ce procédé, l enfant apprend
en observant les conduites des adultes, en les imitant, en les reproduisant.
[125] Illust. 7 : Une fillette marquant des pas du rite petro au milieu des
adultes lors d une soirée vodou sous un péristyle dans la région nord Retour à
la table des matières

141 141 Au niveau de ce type d apprentissage, il faut noter que la


communication n est pas forcément volontaire de la part de l émetteur et qu
elle se déroule sur le registre du non verbal : «Les adultes ne voulaient pas que
les enfants soient impliqués dans leurs activités, par contre, comme elles (ses
tantes) étaient en train d avancer en âge, elles ont pris l habitude de me
solliciter dans la réalisation des cérémonies. Chaque jour, on assiste à la
réalisation des rituels, on doit les intérioriser», raconte un de nos
interlocuteurs. [126] Grégoire nous a dit qu il est le premier ougan de sa
lignée familiale. Cependant, son grand-père (du côté maternel) était
responsable du kay lwa 114 de la famille, une fonction qu il a héritée de père
en fils. Notre interlocuteur explique sa religiosité vodou à l âge adulte par le
fait qu il était un tyòtyòwè (un grand curieux) dans son enfance. Les rituels
vodou le fascinaient. Que ce soit seul ou accompagné de sa mère, il avait l
habitude d assister à des cérémonies vodou. Il nous a dit qu il était aussi très
attentif aux récits racontés par les aînés. Ainsi présente-t-il un vodou d antan
(de sa zone) tel qu il a été exprimé par ses parents. «Mon lakou familial était
lié au lakou Grann Gitonn 115 [à l Arcahaie]. Les fondateurs de ces deux
lakou venaient directement nan Ginen [de la Guinée]» 116. «Se gran moun wi
m te Petite maison où abritent les Dieux de la famille. D après l histoire orale,
la prêtresse Gran Gitonn serait la mère spirituelle de Jean-Jacques Dessalines.
116 Nan Ginen pour Grégoire renvoie à la Terre d Afrique au sens large. Pour
lui et pour de nombreux autres vodouisants, les Lwa de l «Afrik ginen» sont
souvent évoqués en opposition aux Lwa créoles (Nanchon [nations] Petwo,
Mandeng, kaplawou Kanga, Kita, Kongo Savann, Anmin ), qui sont réputés
être féroces, brutaux, et invoqués pour de «grosses magies». Dans un cadre
plus large, Laguerre (1980: 183) nous dit que l'environnement physique vodou
est fait des espaces qui sont considérés comme des centres d'énergie
spirituelle. Des endroits tels que le cimetière, le carrefour, la mer, et l'afrique
sont les lieux de résidence pour les Lwa. Afrique ou, mieux encore, Nan
Ginen (Guinée) est l'endroit le plus stratégique dans la géographie mystique
du vodou parce que la majorité des Esprits sont censés y vivre. En outre, Nan
Ginin se trouve sous la mer, il serait constitué d un climat et des paysages
idéals - une sorte de jardin d'éden.

142 142 tande ki t ap di sa wi!» (C est de la bouche des anciens que j ai appris


cela), précise-t-il. Il continue cette histoire en parlant d un tanbou asotò 117
qui était la propriété de sa lignée familiale. «Ce tambour, nous dit-il, a été
saisi par les autorités religieuses et politiques de la campagne dite anti-
superstitieuse de et [il est abrité] actuellement au Musée du Panthéon National
d Haïti» (à Port-auPrince). 117 Inquiets de la disparition complète du vodou
au regard de l ampleur de l offensive dirigée contre ce culte en , Alfred
Métraux et Jacques Roumain, lors d une conversation, eurent l idée de la
création d un bureau d ethnologie. Celui-ci a vu le jour le 31 octobre Cette
institution a sauvé des flammes d importantes collections d objets vodou dont
un tanbou asotò qui allait être transféré au Musée du panthéon national d Haïti
(MUPANAH). Le tanbou asotϛ est le plus grand des tambours vodou avec une
taille d environ deux mètres de haut. On le retrouve dans le rite Rada ou
«Dahomey». Il est frappé par plusieurs tambourinaires et on danse autour de
lui. Il est à la fois un instrument de musique et un objet hautement sacré dont
la fabrication s accompagne de longues cérémonies. Il est habité par un Lwa et
fréquemment habillé. On le bat dans des circonstances exceptionnelles. Mais
depuis cette croisade anti-vodou, cet objet sacré géant a pratiquement disparu.
Selon Métraux (1958 : 164), cet impressionnant exemplaire qui était au Musée
du Bureau d Ethnologie d Haïti a été retrouvé effectivement à Cabaret,
commune où se trouve le lakou familial dont nous parle Grégoire.
143 [127] Illust. 8 : Tanbou asotò du XIXe siècle (sauvé des flammes
inquisitoriales) trouvé à Cabaret et exposé au MUPANAH (avant, il était au
Bureau d Ethnologie) (Photographié [1995] par David Mayo, dans Donald J.
Casentino (1995 : 101). Retour à la table des matières Illust. 9 : Tanbou asotò
photographié (2010) dans un woufò à Port-au-Prince. 143

144 [128] Illust. 10 : Asotò (ou Assotor) femelle et asotò mâle (Le Bris,
Michel [2003 : 91]). Retour à la table des matières 144

145 145 Avant cette croisade anti-vodou, ajoute Grégoire, les Lwa ginen
(Déités venues de la Guinée) étaient très actifs dans la zone de Cabaret. Assez
souvent, on pouvait entendre du tréfonds du bassin d une rivière des bruits de
tambour et des voix qui chantaient alors qu on ne voyait aucun signe visible d
un être humain. À cette époque, les ougan et les manbo travaillaient selon les
regleman ginen, c est-à-dire sur le rite rada, un vodou «franc» ou «pur» qui n
aurait été mélangé ni avec de la magie d origine européenne (franc-
maçonnerie, sorcellerie ) ni avec de la magie créole. Ainsi, l utilisation de l
ason comme symbole du pouvoir des prêtres était rarissime. Les officiants des
cérémonies utilisaient de préférence un kwakwa 118. [129] Illust. 11 :
Kwakwa d un interlocuteur de la région nord. Comme l ason pour les Asogwe,
il sert dans l invocation des Lwa. Illust.12 : Kwakwa ou tyatya d un
interlocuteur de la région sud Retour à la table des matières 118 Si l ason est
composé d'une calebasse fermée, recouverte d'une résille de perles de couleur
et de vertèbres de serpent, et accompagnée d'une clochette, le kwakwa de son
côté est fabriqué avec une autre variété de calebasse (fruit du Crescentia
cuyete) à laquelle on ajoute un manche qui le traverse comme un axe médian.
Rempli de graines, il donne un bruit métallique quand on le secoue.
Généralement agrémenté de dessins incisés ou de peintures, il est parfois
couvert d une pièce d étoffe. Il est utilisé autant dans la musique profane que
dans la musique sacrée.

146 146 [130] Néanmoins, de manière exceptionnelle, un «appelé» des Dieux


vodou peut être porté disparu ou tomber dans une eau profonde et, après des
rituels spécifiques, revenir du fond de l eau avec son ason. Manbo Annette,
par exemple, sortait du Cabaret vers Port-au-Prince parce qu elle y était
appelée pour un traitement. À l époque, c était la voie maritime qui assurait la
liaison entre Cabaret et la Capitale. Étant en mer, la prêtresse s est échappée et
est tombée à l eau, a disparu, et trois jours plus tard et après maintes
cérémonies, elle allait refaire surface avec son ason en main. Cette image du
vodou qui lui avait été transmise depuis son enfance lui a servi de référence
quand il a été appelé pour sa part (par ses Lwa rasin 119) afin de travailler
comme ougan en vue de reprendre les activités de son lakou familial qui était
inactif depuis la croisade des conversions forcées des vodouisants sous la
présidence d Élie Lescot 120. En observant son père dans l exercice de ses
fonctions, Henriette apprend la façon de se vêtir ou de se présenter devant un
Lwa. Mon père a dit «oh! Comment se fait-il que je sente le mouvement d
arrivée d Ogou 121?» Il se lève et prend son bain. Puis il s habille et s assoit
dans le lieu habituel, son onfò. Effectivement, peu de temps après, Papa Ogou
a fait son apparition. On doit être propre pour interpeller le Lwa. On doit être
propre. Car, il s agit d un Esprit qui vient vers vous. En suivant son père et de
manière quotidienne, elle apprend aussi les gestes, le ton de la voix, les
regards ou postures du corps (voir l image suivante) que réclame chaque
circonstance en fonction des objectifs visés Lwa d héritage. Paradoxalement, c
est sous cette présidence qu on a institué le Bureau d ethnologie. Et les
premières entreprises de cette institution visaient à sauvegarder la mémoire
vodou qui était menacée d extinction. 121 Les Ogou constituent une famille
nombreuse dont les membres sont des dieux forgerons et guerriers. En tant
que dieux guerriers, ils sont souvent armés de leur épée ou machette (coupe-
liane).

147 [131] Illust. 13 : Un possédé du Dieu Ogou Feray qui protège des


apprentis ougan et manbo Retour à la table des matières 147

148 148 [132] Dans ce mode d apprentissage, Onel nous a dit qu il a appris


par lui-même comment tracer un vèvè et arrive à «chanter» (réciter) la prière
dyò sans l aide de personne, c est-à-dire sans l intervention spécifique d un
aîné. Donc, par accumulation inconsciente au moyen d une fréquence élevée
de la pratique, il arrive à incorporer un habitus individuel qui a suscité une
forte appréciation de la part de ses parents qui voyaient en lui un surdoué, un
héritier sur lequel on pouvait compter pour assurer la relève. En parlant de la
prise d ason de son père (suite à son problème de santé, mal de tête), Henriette
nous raconte ceci. Ogou Badadri (un Lwa) 122 demande que mon père soit
son serviteur. Il veut que mon père soit à son service. Il veut que mon père
subisse le rituel de la prise d ason. Et mon père a pris l ason. Il avait à peine
20 ans. À l époque, on se «couche» pendant trois fois, mais on n obtient l ason
qu une seule fois. Pendant que mon père était en train de subir le rituel kouche
kanzo en l honneur de Papa Loko (un autre Lwa) chez une manbo, au cours de
la nuit la manbo est possédée et conduit mon père dans un endroit sacré pour
lui donner le secret d ason en dépit que l objectif poursuivi dans ce rituel ne
fût pas la prise d ason. On peut voir ici que Henriette n était témoin ni de la
manifestation de la volonté d Ogou à l égard de son père, ni de son «couché»
en l honneur de Loko, encore moins de la réception du secret d ason en plein
milieu de la nuit dans un lieu spécialement désigné à cet effet. Ce récit lui a
été raconté par son père qui était le sujet principal de cet événement. Au
moyen de ce qui est dit ici, plusieurs éléments relatifs à l apprentissage de la
prêtrise vodou lui ont été transmis : 122 Ogou Badagri est l un des membres
de la famille des Ogou (dieux forgerons et guerriers). Ainsi, il est connu
comme un dieu guerrier, un général sanglant qui tient et envoie l'orage. Il est
souvent représenté en habit militaire, avec un sabre à la main. On dit qu il est
un Nègre politique, c est-à-dire avisé. Il aime le rhum et fume de gros cigares.
149 149 - dans le vodou ginen ou vodou fran, la prise de décision pour devenir
ougan ou manbo survient à la suite d un appel des Lwa qui s exprime à travers
la maladie, le rêve, par la malchance ou par la bouche d un possédé ; [133] -
sous la volonté des Entités mystiques, on peut ne pas respecter à la lettre les
différentes étapes du cycle initiatique ; - une manbo ou un ougan asogwe a un
père ou une mère (spirituel-le) qui lui a transmis le secret d ason ; - le rituel de
la prise d ason ne se réalise pas dans un lieu ordinaire, il faut un déplacement
vers un endroit approprié à cet effet qu on appelle souvent soulèlye ou nan
gran bwa (sur les lieux ou dans la forêt). En analysant ces données, il y a lieu
de parler de l intériorisation de la pratique à travers un type de transmission
connue sur le nom d «apprentissage par conditionnement». En suivant de
manière constante les gestes, les comportements, les attitudes, les discours
relatifs à la prêtrise vodou dans son environnement immédiat, qu on le veuille
ou non, l inconscient de l enfant a été civilisé selon les valeurs et les principes
qui régissent cette fonction dans la hiérarchie vodou. D après Martin (2005 :
23), par la «répétition», qui est un puissant capteur relationnel, nous
mémorisons mieux ce qui est dit ou fait plusieurs fois. Au niveau des chants
vodou 123, on peut observer qu il y a une utilisation très fréquente de ce
capteur relationnel. La reprise à l infini que les ougenikon 124 font
habituellement des chœurs vodou lors des cérémonies n est pas une pratique à
signification négligeable. Ce mécanisme joue un rôle déterminant dans la
transmission des convic123 Dans leurs formes poétiques, ces chansons sont
faciles à mémoriser. Elles abondent en phrases répétitives. Elles sont concises,
compactes et pleines d'images, de paraboles et de proverbes (Laguerre 1980:
31). 124 Ougenikon est celui qui dirige les chants et les danses au cours des
cérémonies.

150 150 tions, des valeurs qui caractérisent un vodouisant. Selon Laguerre


(1980: 30-31), les chansons vodou n ont pas seulement des fonctions magique,
liturgique, ludique ou comique, elles ont aussi une fonction éducative. Elles
sont des poèmes, généralement courts, descriptifs et faciles à mémoriser. Ces
chansons, en plus qu elles expriment de manière efficace les traits des
Divinités auxquelles les vodouisants adressent leurs dévotions, elles montrent
les relations de dépendance que les anciens ont mis en place au fil du temps
avec leurs Esprits protecteurs (Laguerre 1980 : 182). D après Josué et Dubois
(2007 : ), ces chants représentent une sorte d archive, souvent très précise dans
leurs références historiques. Ils constituent la mémoire vivante et [134]
dynamique du vodou. Pour les acteurs du milieu, ils sont ce que la Bible
représente pour les chrétiens. Ce sont à la fois des poèmes et des prières et, en
les chantant, les vodouisants vivifient leur âme. En demandant l aide des Lwa,
ils se donnent aussi la force de se confronter à la vie. La plupart des éléments
de notre contexte socioculturel comme les habitudes de vie quotidienne, les
habitudes alimentaires, certaines pratiques religieuses, etc., prennent une
signification particulière parce qu ils ont été associés à maintes reprises
simultanément. Ils deviennent les stimulants au sein des réflexes conditionnés
ou, si on préfère, des habitudes (gravées sur le plan neurologique) qui
conditionnent notre existence. Et c est en ce sens qu on va comprendre qu
Henriette parle de la présence d Ogou Badagri quand la personne chevauchée
par un Lwa ne veut consommer que du clairin (alcool de canne à sucre) et de
la cigarette : Li (Ogou Badagri) bwè, li fimen, men li pa manje (Il [Ogou
Badagri] boit et fume, mais il ne mange pas). Mosaline, de son côté, ne va pas
entrer dans un badyi ou un dyèvò sans frapper à la porte afin de ne pas
surprendre les Lwa. Il faut les avertir avant d entrer chez eux. Il est important
de noter que tous les individus confrontés à leur naissance aux pratiques de la
prêtrise vodou ne deviennent pas ougan ou manbo. L écoutant ou l
observateur, comme l a souligné la psychanalyste Maltèse-Milcent (2006 : 79,
80) n est pas un robot, pas plus un ordinateur. Il est vivant et aucun être vivant
n est une tabula rasa, pas même un nouveau-né. En ce sens, Meirieu (2002 :
43) a attiré notre attention sur le fait qu en dépit du côté autoritaire du
processus de transmission, on ne peut pas faire fi de la place du sujet dans

151 151 sa propre éducation. Il est sans doute possible de l'obliger à répéter


une phrase, à exécuter un geste, à se soumettre à une règle... Mais nous
resterions ici dans l'ordre de la mécanique sociale ou du dressage il n'y a rien
là qui ressorte d'un apprentissage proprement humain. Celui-ci, en effet, n'est
jamais simple inculcation, il est toujours, simultanément, appropriation de
connaissances et construction de la personne. Il ne suffit pas que la leçon soit
bien faite et que la piscine soit là ; il faut aussi que l'individu accepte de se
jeter à l'eau. Le désir des socialisateurs ou des Déités doivent rejoindre le désir
mimétique du socialisé. [135] 4.2 Le renforcement comme mécanisme de
transmission Retour à la table des matières Justement, Girard (1998 : 219) a
remarqué que la tendance mimétique est souvent reprise et fortifiée par les
voix du dehors, c est-à-dire par des actes de renforcement. Ceux-ci sont des
attitudes et des comportements par lesquels l environnement social de l
individu lui octroie des récompenses ou des punitions en vue de lui montrer
qu il approuve ou désapprouve sa conduite. Comme une des méthodes
employées en vue de conditionner l enfant, l apprentissage qui se fait dans le
cadre de ce procédé, selon Campeau et al. (1998 : ), vise à transmettre au
destinataire la distinction entre les comportements et les attitudes admissibles
(ou encouragés) et ceux qui sont interdits.

152 152 Illust. 14 : Sourire approbateur d une manbo initiatrice (mère


spirituelle) voyant la plus petite de la cohorte de ses onyϛ 125 manipuler son
ason à la manière d une manbo expérimentée (à l occasion d une sorte d
évaluation publique). Retour à la table des matières [136] Depuis son
adolescence, Henriette a été initiée au rang de onsi kanzo par son père qui
voyait en elle une future manbo au regard de l intérêt et de l enthousiasme qu
elle manifestait à l égard des activités relatives aux Lwa. Par contre, son tour
venu, elle refusait de donner le secret d ason à sa dernière fille parce qu elle se
montrait très peu crédible dans ses attitudes. Cependant, au moment où elle
nous raconte son histoire, André (l un de ses petits-fils) était déjà promis 125
Onyϛ : terme qui désigne les candidats pendant la réclusion initiatique.

153 153 pour la prise d ason. Ce sujet auquel on se réfère ici était notre
dernier recours comme facilitateur afin de convaincre sa grand-mère de nous
servir d interlocutrice dans le cadre de cette recherche. De par son
dévouement, son sens du sérieux et le respect de son engagement en tant que
onsi kanzo, il est déjà assuré d être élevé au grade d ougan avant que sa grand-
mère soit morte : «men li li san lè nenpòt ki lè, nenpòt ki lè la a, avan m
mouri, fò m ba li sekrè a» (mais, il [André] n a pas de délai... à n importe quel
moment, même quand ce serait juste avant que je sois morte, je dois lui
donner le secret d ason), a-t-elle avancé. Grégoire avait 9 ans quand il assistait
aux côtés de sa mère à un service lwa familial, c était en Comme il avait eu l
occasion d observer le procédé de ce rituel dans les années précédentes, il
avait mémorisé les différentes étapes à suivre. Cette fois-ci, c était un nouveau
ougan qui venait le réaliser pour la famille. En suivant ce nouvel officiant
avec attention, le petit Grégoire put remarquer le non-respect des procédés
habituels par le nouveau prêtre. En l entendant chuchoter cela aux oreilles de
sa mère, l officiant demanda à Grégoire de lui faire part de ce qu il disait à sa
mère. Le petit lui a expliqué effectivement ce qui n allait pas. En réaction, le
prêtre lui a dit : «Ou gen siy ougan an nan fwon w. Ou deja ougan» (Tu as un
signe ougan sur le front. Tu es déjà un ougan). Se réjouissant de ce
«compliment», à chaque fois qu il jouait avec ses petits camarades, il prenait
le soin de leur rappeler son signe de distinction avec un air de fierté. On peut
noter que toute l importance de cette «prédiction compliment» tient au fait qu
elle vient d une autorité morale. Cet officiant, souligne Grégoire, était un «bon
ougan». Il avait une très bonne renommée dans la zone. «Se Ginen ki t ap
travay avè l» (Ce sont les Lwa ginen qui travaillaient avec lui). En 1963, Onel
avait à peine sept ans quand il accompagnait sa mère dans une cérémonie
vodou chez un ougan très respecté dans le milieu. Au moment de commencer,
on se [137] rendit compte qu il n y avait pas d autre ougan capable de donner
sa participation pour la réalisation des différents vèvè dont on avait besoin.
Quelqu un dans l assistance indiqua le petit Onel comme celui qui pouvait
contribuer à les tracer. L ougan maître de la cérémonie doutait de la capacité
du petit pour accomplir cette tâche aussi délicate. Comme il n y avait pas

154 154 d autre alternative, on lui a apporté une assiette remplie de farine en


vue d un essai. Sans la moindre hésitation, il a tracé tous les vèvè qu il fallait
pour la circonstance sous la demande de l ougan. Pour cet exploit, en plus des
félicitations reçues, le prêtre lui a donné cinq gourdes 126 comme prime d
encouragement. Et ce fut pour lui un événement déterminant pour son futur
statut religieux. En analysant la prise d ason d Onel, on a pu déduire qu elle a
été pour lui un apprentissage par renforcement à deux niveaux : - la prise de
décision de l emmener soulèlyè (sur les lieux, dans les bois) en vue de
recevoir son ason était pour lui une surprise. À cette occasion, il savait que des
initiés comme un de ses cousins et son frère aîné se préparaient à devenir
ougan. Par contre, il ne savait pas qu il était concerné ; - il avait peur de ne pas
être trouvé digne de l ason par Papa Loko étant «sur les lieux». Car, il savait
qu il y a des gens qu on avait emmenés par-devant Papa Loko pour la prise d
ason et qui étaient revenus sans ce sacrement et qui étaient morts avant d
accéder au rang d ougan ou de manbo. Cette peur était tout à fait justifiée
selon lui parce qu il n avait pas subi comme son frère le rituel kouche sou
pwen ougan. Or, en arrivant à l endroit désigné, tout s est bien passé. Il a
réussi l épreuve. C était pour lui une grande satisfaction. «Mwen menm lè sa
a, gras a Dye, lè m rive Lwa a te aksepte ban mwen li, epi m te soti efikas»
(Moi-même, à ce moment, grâce à Dieu, quand je suis arrivé, le Lwa a accepté
de me le donner), a-t-il déclaré en parlant de l ason. En fait, on peut voir ici
que l apprentissage par renforcement est lié aussi à un processus d
identification de la future manbo ou du futur ougan et que l intensité
relationnelle [138] avec la pratique est un facteur ou un élément important de l
identification de l initié qui est éligible à cette fonction en vue de perpétuer la
tradition. C est ce qu Onel renforce quand il nous parle de la décision de sa
tante de l emmener «sur les lieux» : «lè l vin kòmanse pran laj epi li vin 126
La gourde est l unité monétaire légale d Haïti.

155 155 gade mwen aprann reyèlman sa l te konn m montre yo. Epi li wè kan
menm m p ap kite rit la tonbe nan fanmi an. Li wè mwen menm mwen te prè
pou mwen pran ason, li te oblije ban m ason an paske tou li wè mwen te gen
yon preparasyon adekwa» (lorsqu elle commence à avancer en âge, et elle voit
que j apprends effectivement les leçons, et ensuite, elle voit que je ne vais pas
laisser tomber le rite dans la famille. Elle voit que j étais prêt pour la prise d
ason, elle était obligée de me donner l ason, aussi parce qu elle voit que j avais
une préparation adéquate). Quand Henriette a refusé d élever sa fille au rang
de manbo et de lui faire subir le rituel kouche sou pwen manbo, c était pour
lui dire qu elle désapprouvait ses attitudes et ses comportements relatifs aux
activités des Lwa étant déjà un onsi kouche sou pwen. Inversement, quand
manbo Josiane a décidé d emmener Onel soulèlye en dépit qu il n ait pas été
kouche sou pwen pour devenir ougan, c était une manière de lui dire qu il
avait accumulé ou intériorisé les connaissances nécessaires dans son statut d
onsi. Elle voulait lui dire aussi que sa conviction, ses attachements et ses
engagements dans les rituels étaient en concordance avec la fonction du prêtre
vodou. Et puisque Papa Loko a ratifié la désignation d Onel comme ougan,
cela signifie que la décision de Josiane était justifiée. Dans les récits de
Mosaline et de Guillaume, nous avons trouvé des épisodes présentant le profil
d un modèle qui rentre à la fois dans un processus de renforcement et de
confirmation. Déravine nous a dit que la qualification d une manbo ou d un
ougan vient de la reconnaissance et de la confiance qu investissent en lui les
membres de sa communauté. Quand deux ou trois personnes (pitit lwa)
trouvent la solution à leur problème chez un prêtre (novice), en publiant leur
degré de satisfaction de bouche à oreille dans leur communauté respective,
elles lui créent ainsi (inconsciemment) un réseau de clientèle qu on appelle
«pitit fey». Donc, «se kliyantèl la ki kalifye manbo a oubyen ougan an. Se li ki
di ougan sa a bon» (c est la clientèle qui qualifie la manbo ou l ougan. C est
elle qui déclare que telle manbo ou tel ougan est efficace). [139] Mosaline
était encore à l école normale pour être institutrice que ses camarades étaient
au courant de ses expériences de possession vo-

156 156 dou. Un jour, raconte-t-elle, Liliane, l une de ses amies d école était
enceinte alors que son fiancé se préparait à se marier avec une autre fille.
«Cette camarade m a demandé de consulter un Lwa en sa faveur. Dans ma
petite chambre de résidence à l École, j ai interpellé Papa Ogou et ce dernier
lui a expliqué ce qu elle devait faire en termes de regleman (magie).
Effectivement après trois jours, le Monsieur a abandonné sa deuxième
entreprise et est revenu à Liliane. Puis, ils se sont mariés», raconte Mosaline.
Elle continue cette histoire en exprimant ses sentiments : «J étais contente
pour elle. Et, je me disais que les Lwa sont réellement puissants. Ainsi, étant à
l école, je continuais (mais pas trop souvent) à interpeller les Lwa de manière
discrète en faveur de nombreuses de mes camarades. Volontairement, elles
avaient l habitude de me donner des cadeaux destinés aux Lwa comme des
bouteilles de rhum par exemple. J étais contente de leur générosité». Ici on
peut voir la manifestation de gratitude des camarades de Mosaline à son égard
non seulement comme des gestes d encouragement, mais aussi comme un acte
de confirmation. Elle sous-entend que son milieu social reconnaît la véracité
de ses moments de possession et que ces derniers ne sont pas une supercherie.
Guillaume nous a dit qu on ne peut pas «faire semblant, car la tromperie est
éphémère». Le charlatan va être décrié par la communauté et il n aura pas de
pitit fey. Le premier travail inaugural de Guillaume comme ougan a
commencé un mardi matin quand il vit apparaître chez lui une inconnue. Elle
était envoyée selon ses propos par un Esprit vu dans un rêve. Elle voulait que
Guillaume interpelle les Lwa afin de trouver la solution à ses maux alors que
dans le même lakou il y avait d autres ougan confirmés. «Je ne suis pas ougan
madame. Je ne peux rien faire pour vous», a réagi Guillaume. Après beaucoup
de persistances et de résistances, elle fut obligée de s en aller. Étant à quelques
mètres de la maison, le novice est possédé et on fait revenir la dame. Le Lwa a
travaillé pour elle. Puis elle est repartie. Satisfaite du dénouement de l affaire,
elle a diffusé cette «découverte» et aujourd hui, âgé de 36 ans, Guillaume se
fait un grand réseau de pitit fey, parmi lesquels un de ses anciens professeurs
au Lycée des Gonaïves.

157 157 [140] On peut remarquer ici que le néophyte a été révélé à la dame
dans un rêve. Si ce phénomène psychique éprouvé au cours du sommeil est
souvent interprété dans la tradition freudienne comme accomplissement des
désirs (refoulés), dans le système vodou qui nous préoccupe dans cette
recherche, les expériences oniriques sont prises très au sérieux, et représentent
une forme de communication de messages et de transmission de savoir-faire
Transmission onirique Retour à la table des matières L ethnologue Leblic a
publié en 2010 un excellent article dans Le Journal de la Société des
Océanistes sur la problématique du rêve au sein des sociétés de pêcheurs
kanak de Nouvelle-Calédonie où elle travaille depuis Cet article parait très
innovateur dans le sens où les activités oniriques, souvent perçues dans la
littérature ethnologique comme relevant de la sphère du «privé», sont ici
abordées avec beaucoup de rigueur et d assurance à l aide d un croisement
entre les méthodes de la psychanalyse et de l ethnologie. Après avoir
démontré l intérêt ethnographique des rêves, l auteure (2010 : 106) soutient
que le rêve peut être étudié par l ethnologue comme un «fait social total».
Cette activité onirique puise, selon Leblic, dans sa culture tous les éléments
dont il a besoin pour véhiculer son message. Celui-ci tire toute sa valeur de l
écart qu il y a entre le code propre à la société en question et les
transformations qu il subit au niveau individuel. Elle soutient avec Belmont
(2002 : 7) que «le rêve, devenu récit, trouve alors son usage social, et devient
un objet qui efface la frontière qu on suppose trop souvent étanche, entre
individuel et collectif». En étudiant la fonction sociale du rêve dans le
contexte chamanique, Eliade (1968 : 96) a noté que l instruction des chamans
a souvent lieu au cours des rêves «C'est dans les rêves qu on établit les
rapports directs avec les Dieux, les Esprits et les Âmes des ancêtres». C est
toujours dans les rêves, a-t-il ajouté, qu'on abolit le temps historique et qu'on
retrouve le temps mythique. Dans cette logique, Leblic

158 158 (2010 : 117) a analysé les rêves dans les sociétés kanak de
NouvelleCalédonie comme le vecteur par lequel le prétendant «médiateur»
redécouvre ce [141] que les ancêtres n ont pas transmis de leur vivant et évite
ainsi toute coupure définitive entre le monde des vivants et celui des ancêtres.
Afin d éviter cette coupure et d assurer la connexion sociocosmique, la
transmission onirique est très opérationnelle dans le vodou haïtien. Elle se
rapporte aux rêves comme lieu de désignation de la future manbo ou de l
ougan. Elle permet surtout la passation de savoir-faire et aussi représente un
espace de formation continue. Le dòmi reve (l acte de rêver) occupe une place
centrale au sein de la religion vodou. D ailleurs, l un des rôles du rituel lave tèt
(lavage de la tête) est de donner une mémoire du rêve à ceux qui n arrivent pas
à se rappeler de son contenu. Et ce rituel est recommandé à tout ce qui désire
faire connaissance avec sa famille mystique, c est-à-dire ses Lwa. Grégoire
était identifié depuis son enfance comme quelqu un qui montrait déjà des
signes prémonitoires pour devenir ougan, mais rendu à l âge adulte, il avait d
autres préoccupations et négligeait sa «présélection». Un soir, durant son
sommeil, Papa Loko accompagné d Ogou et de Simbi 127 vient lui dire qu il
est temps de prendre l ason. Pensant qu il était trop jeune pour travailler
comme ougan, il n était pas trop motivé à répondre à cet appel. Le lendemain
soir, ces trois «personnalités divines» apparaissent à nouveau. Ils lui disent :
«Grégoire, tu vas devenir ougan, non pas pour t enrichir, mais pour le respect
de ton lakou familial. Actuellement, le lakou est abandonné à lui-même, et tu
dois reprendre les activités». - «Me voyant en pleine forme et occupé dans
mes activités personnelles, je n étais pas intéressé à cet appel», a déclaré
Grégoire. Mais après avoir commencé à faire face au prix de sa réticence, il a
pris la décision de se faire initier dans le rite rada kanzo chez un ancien ougan
dans la plaine du Culde-sac (non loin de Port-au-Prince, la capitale d Haïti).
127 Comme Legba, Loko ou Ogou, Simbi fait partie des grandes divinités
vodou. Ils règnent sur la pluie et les eaux douces. Ils chevauchent les rites rada
et petwo. Ordinairement, ils appartiennent au rite rada, et ne deviennent des
Lwa féroces du petwo que lorsqu'ils sont affamés, c'est-à-dire quand on
néglige d'observer les cérémonies qui leur sont dues (Marcelin 1947 : 131).

159 159 Dans le cas de Grégoire, on peut voir que sa rencontre onirique visait
à lui rappeler qu il était un «choisi» 128 et que le moment était venu de
prendre ses responsabilités. Mais cette expérience onirique n avait pas pour
objectif de lui enseigner les savoir-faire relatifs à la [142] fonction d ougan.
Pour ce, il devait voir un Papa lwa. Alors que pour Bazil, le «serviteur»
responsable de l un des lakou traditionnel des Gonaïves, toute sa formation
durant son noviciat a eu lieu dans les rêves. Il avait environ 10 ans quand il
jouait avec le fils d un «notable» 129 dans la zone, alors que se déroulait une
cérémonie vodou dans le lakou auquel il appartenait. Ce notable, qui était
assis tout près, lui a fait un signe d appel. Comme Bazil ne connaissait pas le
«monsieur» en question, il pensait que ce personnage s adressait à son fils et
non à lui, pour qui il était un inconnu. Avec plus de précision, il a fini par
comprendre que le monsieur s adressait à lui effectivement. «En s approchant
vers lui, il m a tenu par la main», raconte Bazil. «Il m a gardé avec lui et fait
appeler mon père en lui recommandant de bien prendre soin de moi, car c est
moi qui vais prendre en charge la responsabilité de ce lakou. Il m a lâché, et j
ai continué à jouer sans rien comprendre de ce qu il vient de dire à mon père à
propos de moi», ajoute Bazil. Au début des années 90, les «anciens» du lakou
commençaient à voyager à Allada (c est-à-dire à mourir). À ce moment,
chaque soir et au cours du sommeil, un disparu auquel je me suis habitué vient
me donner les enseignements de manière progressive, et ceci a duré environ
sept mois. Une fois, ma femme qui m a entendu gronder durant le sommeil m
a réveillé comprenant que j avais un problème puisque j ai gardé secrètement
mes séances de formations oniriques. Tous les rituels et regleman (magie) que
j ai à effectuer, à l avance, on vient m enseigner les procédés. Contrairement à
d autres néophytes qui ont besoin du service d un ougan confirmé pour les
placer dans leur chambre lwa, moi j ai construit tout seul ma maison de Lwa,
et je me suis placé moi-même», a déclaré Bazil. 128 Il avait neuf ans lorsqu
un ougan expérimenté lui a dit qu il avait déjà sur le front un «signe ougan».
129 Un «ougan serviteur» qui jouissait d un grand prestige.

160 160 Selon Henriette, la prise d ason de manière concrète de sa dernière


fille était une simple formalité, car elle avait déjà eu son ason en rêve étant
donné qu elle était déjà un onsi kouche sou pwen. Un matin d un mois de
décembre, en se réveillant, à l aube, elle s adresse à sa mère en ces termes :
«Manman, m gen ason wi» (Mère, j ai de l ason). Sa mère lui répond : «Ou
gen ason?» (Tu as de l ason?). «Ki jan w fè gen ason an?» (Comment se fait-il
que tu as de [143] l ason?) Elle a répliqué : «papa m ki ban m ason. Papa m
mennen m tèl kote, li fè tèl bagay 130, li fè m sèmante. Papa m di m m a
rakonte 7 lòt ougan ki gen ason sa. Li fè m sèmante pou m pa di moun sa» (C
est mon père qui me l a donné. Mon père m a amené dans tel endroit, il a fait
telle chose, il m a fait jurer. Mon père m a demandé de raconter ce qui vient
de se passer à 7 autres ougan asogwe. Il m a fait jurer de ne pas raconter cela à
d autres personnes). D après cette prétendante (manbo), son père qui est déjà
mort a trouvé nécessaire de lui donner l ason parce que sa mère qui est encore
vivante estimait qu elle n avait pas les qualités requises pour accéder au rang
de manbo. Henriette, après avoir analysé la véracité du rêve raconté, s est
rendu compte que c était la volonté de l esprit du défunt (son mari) que sa fille
soit manbo. Et c est alors qu elle a donné son approbation à ce que sa fille aille
subir le rituel kouche sou pwen manbo et obtienne l ason dans le réel comme
une simple formalité, car dans le rêve, on lui avait enseigné tout ce qu elle
devait savoir. Selon Onel, personne ne lui a jamais appris comment tracer un
vèvè. S il arrive à maîtriser les techniques appropriées pour tracer les
différentes formes graphiques relatives aux caractéristiques des Lwa, tout a
commencé dans un rêve. Un soir, à l âge de 6 ans, au cours d un rêve, une
personne lui est apparue et l a emmené dans le péristyle de sa tante pour
découvrir un livre de vèvè. Et le lendemain matin, il est allé à l endroit indiqué
dans le rêve, et effectivement, il l a trouvé. Depuis lors, tout petit, il
commence à reproduire les différentes figures à l aide de la poudre de calcaire
pure qu il a préparée. Aussi, en 130 L utilisation de ces termes sans précision :
Tèl kote, li fèt tèl bagay (tel endroit, il a fait telle chose) par Henriette fait
partie de sa stratégie de parler la prise d ason sans livrer les détails. C est une
manière d après elle de ne pas divulguer le secret d ason.

161 161 observant son aptitude à la réalisation des vèvè, on l a appelé souvent


petit ougan. La formation de la manbo ou de l ougan est une opération qui se
fait par étapes et de manière continue, donc elle se poursuit même après la
prise d ason. D où la nécessité de fréquenter d autres ougan et manbo (surtout
les plus anciens) à l occasion des cérémonies qu ils organisent en vue de
confronter leur savoir, et voir des nouveaux éléments susceptibles d être
adoptés. En plus de la fréquentation des autres onfò, le rêve est pour la
prêtresse ou le [144] prêtre un espace de communication avec ses Lwa, où ces
derniers lui révèlent des réponses à de nouveaux problèmes ou des
questionnements comme la difficulté de trouver une solution à un cas de
maladie. La plupart des éléments du savoir-faire de la manbo ou de l ougan s
acquièrent dans le dòmi reve qui représente dans le milieu un espace de
formation où des Entités mystérieuses et puissantes communiquent avec leurs
serviteurs. Selon André (petit fils de Henriette), un jour, il y avait un Africain
qui était dans la zone et visitait cette lignée familiale ; à son grand
étonnement, il n avait pas besoin d interprète pour communiquer avec le mari
d Henriette. Ce dernier pouvait lui parler en langage africain de façon
explicite à tel point que cet Africain pensait que cet ougan venait juste de
rentrer de l Afrique comme lui. Or, il ne connaissait pas l Afrique. C est dans
le rêve qu on lui a appris à parler ce langage. L une des nièces d Henriette
avait un problème de santé. Après de nombreuses interventions sans succès
des médecins modernes de Portau-Prince, elle a voulu voir Papa Ogou afin de
trouver la solution à son mal. Ainsi, de concert avec son mari (Antoine),
Henriette a appelé Papa Ogou à la demande de sa nièce. Ce Lwa, en se
manifestant dans la tête de l ougan Antoine, avait pour responsabilité de traiter
la malade. Comme le processus était long, la Pitit kay (enfant de la maison) en
question devait retourner à Port-au-Prince pour revenir quelques jours plus
tard. Entre temps, dans la nuit, au cours du sommeil, une femme est apparue
auprès d Henriette et lui indiquant ce qu elle devait faire pour sa nièce malade.

162 162 Elle s est promenée avec moi dans le lakou. À cette époque, le lakou
contenait toutes les variétés de plantes. Elle m a dit de prendre ceci, de
prendre cela. Elle arrachait des plantes et me demande de les prendre. Quand
elle a fini de me les arracher, je les compte et elles étaient au nombre de 101.
Elle me demande de les préparer de telle manière, de telle manière et elle [sa
nièce] devait les prendre de telle façon, de telle façon. Et c est en respectant
cette prescription que ma nièce a trouvé la solution à son mal. À l aide de ses
Lwa formateurs, par le canal onirique, comme Bazil, Mosaline n a pas de
maître spirituel. Si elle a bénéficié du support de son père biologique dans son
cheminement [145] vers la prêtrise, la plupart des rites de passage nécessaires
à l exercice de la fonction manbo se sont produits à l aide des instructions
reçues dans le rêve et sans l intervention d un ancien (ougan ou manbo). C est
par ce moyen qu elle a eu par exemple son rituel de mariage mystique. À
propos de l apprentissage des chansons vodou, elle a raconté ceci : «Je ne
connaissais pas les chants vodou. Ce sont les chants évangéliques qui sortaient
couramment de ma bouche. Un jour, je dormais et me voyais au milieu de
trois personnalités. Elles chantaient et me demandaient de répéter. Je faisais
comme elles m ont demandé ensuite je me suis réveillé en chantant. C est
ainsi que j ai appris à chanter vodou». L une des caractéristiques d une manbo
ou ougan est son aptitude à interpeller les Dieux vodou au besoin. Mosaline
nous a dit qu au début elle ne pouvait pas appeler un Lwa. Elle faisait l
expérience de la possession seulement au gré de la volonté des Lwa. Jugeant
nécessaire qu elle devait avoir les connaissances qu il fallait pour les appeler,
ils lui ont appris en rêve comment procéder : «Se nan domi lwa yo vin montre
tout sa pou m fè lè m bezwen rele yo» (C est au cours du sommeil que les Lwa
viennent me montrer comment les interpeller). Il faut noter aussi que dans
cette «culture vodou», les rêves sont très souvent prémonitoires. «Hier, par
exemple, poursuit Mosaline, j'avais deux pitit lwa dans mon onfò. Avant leur
arrivée, je les avais vus dans un rêve, et on m a indiqué à l avance ce que je
dois faire afin de répondre à leur besoin». En ce qui concerne ces types de
rêve, Métraux (1953a :165) nous a dit que «tout le monde ne jouit pas de la
faculté de faire des rêves prémonitoires. Il en est qui ont la tête

163 163 claire et sont réellement avertis de leur destin, et d'autres à qui il


arrive exactement le contraire de ce qu'ils ont rêvé». Selon l auteur, la plupart
des symboles qui ressortent dans les rêves ont une valeur universelle, comme
par exemple la «perte d'une dent» ; d'autres par contre ne s'expliquent que
dans le cadre culturel d'haïti 131. On ne saurait s'étonner que «danse et rire»
soient associés à l'idée de mort si on se souvient que les veillées funéraires
sont des événements [146] traditionnellement joyeux à l'occasion desquels on
rit et on danse. Un de ses informateurs protestants lui a raconté que le jour de
ses noces, il avait rêvé qu'il dansait avec sa jeune femme. Celle-ci fut troublée
par ce présage et elle mourut six mois plus tard (Métraux 1953a : 166). Cette
qualité prémonitoire du rêve a été l objet d un regard ethnologique par Latry
(1996) qui a travaillé sur un groupe professionnel et social constitué des
artisanes d un atelier de couture à Bordeaux (France). Ce type de rêve dans cet
atelier touche à de nombreux intérêts domestiques et quotidiens : voyages,
visites, paiements et rentrées d'argent, etc., dans une forme qui avoisine la
double vue. Mais l auteure (1996 : 53-54) précise qu il n'est aucun domaine où
cette forme de rêve se déploie davantage que la mort. «Le rêve permet, en
effet, d'abord et avant tout, de voir les morts». Cette activité onirique constitue
une sorte de tombeau, un genre de création faite à la mémoire et en hommage
aux disparus, un «monument» destiné à commémorer et à entretenir leur
souvenir. Dans le cas du vodou haïtien, on a vu que les rêves permettent aux
Divinités et aux Esprits des morts de transmettre un enseignement spécialisé
aux néophytes. Par la focale du rêve, les Lwa ou les ancêtres disparus assurent
la formation continue des manbo et des ou131 Au moyen de divers symboles,
les Dieux ou l esprit des ancêtres manifestent leur présence et délivrent des
messages. Une couleuvre endormie marque la présence de Danmbala ; un
sabre ou un poignard, Ogou Badagri ; un bateau ou un poisson, Mèt Agwe ;
un cercueil et une balance, Bawon Sanmdi, etc. Certains thèmes de rêve sont
aussi interprétés comme des messages venus d un Lwa ou d un défunt. La
visite d'un huissier, des bananes mûres, du maïs, signifient que les morts
réclament des prières et des cierges. Si on rêve de sel, c'est signe que les dieux
sont mécontents et exigent un sacrifice et des offrandes. Une grosse pierre
signifie qu'un Lwa vous aime et veut que vous preniez soin de lui (Métraux
1953a : 168).

164 164 gan. Pour certains c est uniquement par cette voie qu ils arrivent à
intégrer et à posséder la substance fondamentale de la tradition relative à l
exercice de leur fonction. Pour d autres (surtout à Port-auPrince et dans sa
périphérie), cette approche doit être complétée par une initiation ponctuelle
chez une manman lwa ou un papa lwa qui sera la mère ou le père spirituel du
néophyte. Si le contact entre la jeune manbo ou le jeune ougan et les anciens
disparus se réalise par le canal du rêve, il est maintenu aussi par les objets
rituels qu ils ont laissés. [147] 4.4 Transmission entre l immatériel et le
matériel Retour à la table des matières Comme nous l avons déjà indiqué plus
haut, Henriette n est pas à elle seule toute la progéniture de son père. Mais,
ayant été élevée dans l environnement immédiat (onfò) de ce dernier, avant sa
mort, il s est arrangé pour que sa fille unique soit la propriétaire légale 132 de
cet espace (à la fois profane et sacré) en vue d assurer la continuité de cette
tradition 133. Ici, on est en présence d un transfert de propriété comme garant
matériel de la continuité d une pratique sacerdotale qui est à la fois un
mécanisme de pérennisation de la mémoire du lieu, donc, du grand-père et du
père d Henriette. Ce transfert doit maintenir le lien entre les générations de la
lignée de Nicolas, père de notre interlocutrice. Dans Les cadres sociaux de la
mémoire, Halbwachs (1925 : 79) a souligné le fait qu «il n y a pas de mémoire
possible en dehors des cadres dont les hommes vivant en société se servent
pour fixer et retrouver leurs souvenirs». En faisant la passation de ce lakou à
Henriette, son père lui a donné du même coup les contenants et les conte132
Étant conçue en dehors des liens du mariage, elle ne pouvait pas hériter le
patrimoine de son père. 133 On peut voir aussi cette passation légale comme
une sorte d apprentissage par renforcement, c est-à-dire une sorte de
récompense octroyée à sa fille biologique et spirituelle pour ses attitudes vis-
à-vis du secret d ason.

165 165 nus de la transmission de la prêtrise vodou. Comme contenant, elle a l


ensemble des sous-espaces sacrés 134 du lakou ; et comme contenu, les
valeurs, les figures mystiques, les savoirs et savoir-faire, et aussi les différents
objets et accessoires nécessaires en vue de l exercice de sa fonction en tant
que manbo. Dans la mesure où le lieu dans sa dimension matérielle (arbres,
habitats, objets de bois, de métal ou de pierre) a une existence qui excède une
vie humaine, ses contenus tangibles deviennent des supports d un bien
symbolique et des opérations cognitives qui doivent maintenir le contact entre
les générations d hier, d aujourd hui et demain. [148] En observant les
rapports qu entretient le milieu vodou avec les objets matériels, Guy
Maximilien en déduit que «tout ce que les musées, les archives, les
bibliothèques des sociétés modernes gardent dans le profane, le vodou le
garde en Haïti dans le sacré, non pas à l état fossilisé, mais comme une
mémoire vivante» 135. Si les valeurs marchande et esthétique prédominent
dans les sociétés de consommation, dans le monde vodou que nous étudions
dans ce travail, toute la valeur des objets réside dans la charge symbolique
(constitutive du lien familial et religieux) qui y est incorporée. Et cette culture
matérielle crée dans les lakou vodou une sorte de prolifération des objets
matériels qui apparaît par exemple de façon frappante sur les autels
communément appelés «Pe». 134 Les sous-espaces sacrés, ce sont des sous-
dimensions du lakou comme : le badyi, qui est une chambre sacrée adjacente
au péristyle et dans laquelle se trouve le Pe ; le dyèvò qui renvoie à la
chambre initiatique, soit une salle distincte, soit un badyi utilisé à cette fin ; l
arbre-reposoir qui est un arbre spécial consacré à un Lwa et à travers lequel on
peut lui adresser certains actes cultuels et l invoquer (libation, illumination,
offrande de nourriture). 135 Guy Maximilien, Vodou et mémoire, texte inédit.

166 166 Illust. 15 : Un des Pe de Déravine (une sorte de table) où il dépose


des paquets et d autres récipients contenant des composantes de la médecine
sacrée. Chaque pa- quet correspond à un type de Lwa. Retour à la table des
matières

167 167 [149] Illust. 16 et 17 : Objets hérités par Henriette Ce sont des Pe 136
de l onfò hérité par Henriette. La main qui tient cet ason (à gauche) est celle
de l un des fils biologiques et spirituels d Henriette (âgé de 57 ans). Il est
ougan et actuellement le principal responsable de l onfò. Retour à la table des
matières 136 Le pe (qui vient du mot yoruba «Péji» et se retrouve tel quel au
Brésil) qui se situe à l intérieur des bajyi est un autel en maçonnerie sur lequel
on dépose les objets sacrés et les instruments du rituel tels que govi, pots de
tête, colliers, ason, bouteilles, images de saints, crucifix, lampes, pyè lwa
(pierres sacrées), etc. Le govi est une cruche à large orifice qui sert de
réceptacle aux Lwa. On s en sert aussi pour recueillir les esprits des morts au
rituel du wete mò nan dlo (retrait des morts de l eau). C est dans ce récipient
qu on pratique le rituel rele Lwa nan govi, une sorte de consultation des Lwa
par un ougan sur la demande pitit lwa. Le «pot de tête» est un récipient en
porcelaine avec couvercle dans lequel, au moment du «coucher» initiatique, l
initiateur enferme une partie de la personnalité de celui qui subit l initiation,
qui sera ainsi préservée des agressions magiques. Le kolye (collier)
ladogwesan représente les liens de l initié avec ses Lwa d initiation, ceux qui l
ont réclamé. Il est composé de segments de perles en porcelaine, dont les
couleurs sont celles des Lwa. Les pyè lwa (pierres symboliques des Dieux) ou
pierres de feu sont généralement des silex polis précolombiens qui servent par
exemple dans les bains avec des feuilles et avec de l alcool enflammé (Verger
1957 : 20; Desquiron 2003 : 90).

168 168 Ces images (Illust. 16 et 17) qui présentent quelques objets témoins
de la passation de la prêtrise entre Henriette et son père et même d Henriette à
ses descendants attestent aussi le fait que la mémoire veut retenir les traces du
passé de nos précurseurs. Comme la plupart de ces objets, cet ason que l
actuel responsable de l onfò tient dans sa main était l instrument rituel qui
servait dans les interactions entre le père d Henriette et ses Lwa. En passant
par Henriette, aujourd hui, il est manipulé par un de ses fils. Et il faut
souligner qu il y a ici, non seulement une [150] chaîne de passation d objets
sacrés, mais qu on est en présence aussi d une chaîne de passation du rituel
que Rigaud (1953 : 241) a appelée «cérémonie de transmission de pouvoirs
magiques», communément appelée «prise d ason». Car si Henriette a eu sa
prise d ason de la part de son père, ce fils comme la plupart des autres fils a eu
la sienne de la part d Henriette. En étudiant la représentation des Esprits dans
les objets au sein des religions traditionnelles d Afrique, Dianteill (2000a : 34)
soutient qu il peut exister entre eux une relation évocatrice ou un rapport
référentiel qui fait de la chose matérielle une image de l entité spirituelle. Ce
type de rapport rend l esprit présent dans l objet. Cette «présentification»
matérielle de l esprit est assurée par des rituels qui visent à l «installer», le
«fixer» dans l objet. La prière, le sacrifice animal, les libations, jouent un rôle
central dans ce processus, qui ne touche pas exclusivement des objets
figuratifs. L incorporation (embodiment) spirituelle affecte parfois des pierres,
des pots de terre, des pièces de tissu, des os animaux ou humains, ou des
objets très schématiquement figuratifs comme les boli (statues et statuettes) de
la région bambara au Mali. Mais Dianteill précise aussi que la plupart des
auteurs s accordent sur le fait que l objet est moins conçu comme image d une
entité que de l action dont elle est capable.

169 169 Illust. 18, 19 et 20 : Objets hérités par Onel. De gauche à droite, on a


un tambour, un mortier et des pipes qu Onel hérite de la part de manbo
Josiane, sa tante et mère spirituelle. Retour à la table des matières Comme on
peut le constater, cette figure renferme un tambour, l instrument principal du
culte vodou, des brûle-gueules, et un mortier. D après Onel, la date de l entrée
de ces objets [151] sacrés dans le répertoire de sa lignée familiale est
indéterminée. Ils seraient plus âgés que la manbo Josiane qui est morte en
2006 à l âge de 88 ans. En fait, dans la conservation et la passation de ces
objets d une génération à une autre, il y a aussi la passation de la relation aux
entités mystiques de la famille. Cela implique du même coup la transmission
des obligations rituelles. Selon Métraux (1958 : 163), «le tambour n est pas
seulement un instrument de musique, c est aussi un objet sacré et même la
forme tangible d une divinité». Onel nous a dit que ce tambour porte le nom
du Lwa dont il est la représentation physique. Il se nomme Bakosou Alade. C
est au rythme des sons de cet instrument qu on aura l apparition de cette
Divinité. Jozèf Danje est le nom de ce vieux mortier qui fait partie des objets
qu Onel hérite de sa tante et qu il continue à utiliser surtout au moment du
bain de fin d année au mois de décembre. Il sert à la trituration des plantes et d
autres ingrédients qui rentrent dans la composition des substances nécessaires
à la préparation des candidats à

170 170 l initiation. À cause de son vieillissement, on fait de lui une utilisation


très restreinte. Mais quand le Mystère Josèf Danje apparaît, on doit le mettre
en fonction étant donné qu il s agit de son objet, de sa représentation
matérielle. Pour les pipes et brûle-gueules, ils étaient déposés sur le socle du
potomitan 137 du péristyle d Onel pour être nettoyés en prélude à de
nouvelles manifestations de Lwa. Ils sont des objets rituels que manbo Josiane
a légués à Onel, son neveu et fils (spirituel). Pourquoi sont-ils si nombreux?
La plupart d entre eux sont destinés à Kouzen Zaka, une divinité vodou qui s
extériorise de manière très rustique dans ses goûts et dans sa mise. Une pipe et
une grosse canne font partie de ses accessoires qui doivent compléter sa
silhouette familière. La fantaisie populaire lui prête tous les attributs d'un
paysan des mornes : la blouse bleue, les pantalons retroussés jusqu'aux
genoux, le foulard rouge autour de la tête et du cou, le chapeau à large bord, la
machette (coupeliane) et le couteau à la ceinture, sacoche en bandoulière, et
les pieds nus. Ceux qui sont possédés par ce Dieu ne manquent pas de revêtir
ce déguisement [152] (Marcelin 1947 : ). En prévision de la «performance» de
ce théâtre sacré, il faut préparer et rendre disponibles ce qu on appelle «zafè
Lwa yo» (les affaires ou les accessoires des Lwa). 137 Pilier central du
péristyle. Centre des danses rituelles. Il est considéré comme le chemin des
Esprits.

171 Illust. 21 : Accessoires disponibles en prélude à la manifestation des Lwa


Retour à la table des matières 171

172 Illust. 22 : Manifestation d un Lwa rustique dans son style et dans ses


goûts. Retour à la table des matières 172

173 173 [153] Papa Legba (ou Atibon Legba) et Papa Loko figurent parmi les
Grands Dieux du panthéon vodou. Le premier est considéré comme le plus
auguste. Il est le Dieu des portes, le maître des carrefours et des croisées de
chemins et le protecteur des maisons. C'est le Grand Ancêtre qui vient avant
tous les Dieux et qui leur permet de recevoir les hommages de leurs fidèles.
On se le représente sous les traits d'un vieillard, cassé par l'âge, à demi
paralysé, qui avance péniblement à l'aide d'une canne ou d'une béquille
(Marcelin 1947 : 57). Le second quant à lui, est le Dieu des arbres et des
forêts. C est lui qui donne l ason aux nouveaux initiés et par conséquent, il est
très vénéré dans la tradition où l accès à la prêtrise doit passer par la prise d
ason dans un gran bwa (forêt) communément désigné «soulèlye». S ils ont des
attributions différentes, ils ont aussi des traits similaires : comme Kouzen
Zaka, ils sont très souvent munis de leur pipe et fument. Dans cette relation de
«présentification» qui rend visibles les «Invisibles», Marcelin (1947 : 101) a
souligné que Papa Loko, sympathique et généralement vêtu d'un uniforme
d'apparat, peut aussi prendre la forme d'un caméléon, d'un anolis (variété de
lézard) ou d'un papillon, et est représenté dans les onfϛ par une «grosse
pierre». Parmi les grands traits qui caractérisent l expression du vodou en
Haïti, on peut noter la présence de la pyè lwa (pierre sacrée) comme une
«constante» 138, non pas dans sa forme ou dans le profil de la divinité (car la
même pierre peut renvoyer à des Divinités différentes selon l onfò) qu elle
symbolise, mais dans sa fonction comme figure concrète d un Esprit. Chez
Guillaume, nous avons remarqué une grosse pierre peinte en rouge
symbolisant, non pas Papa Loko, mais Papa Bosou, Lwa principal de son
péristyle. En plus de ces types de pierre (immobilisée), il y en a d autres, plus
petites (souvent polies), généralement de couleur noire ou 138 Selon Larose
(1977: 88), ces types de pierre qu on appelle aussi Pyè ginen (Pierre de la
Guinée) représentent une part authentique du pouvoir des ancêtres (leur don
qui vient de Dieu et non de la magie). Ce pouvoir sacré est généralement
représenté par les plus simples des objets comme une pierre qui passerait
probablement inaperçue dans un coin d un petit autel, un objet banal qui
pourrait être méprisé par les visiteurs, et pourtant considéré aux yeux de son
héritier ou de son propriétaire comme la pièce la plus précieuse de tous ses
objets religieux.

174 174 blanche, qu on place dans une assiette installée sur le Pe, et qui
servent dans les consultations et traitements. Quand Guillaume fut frappé de
cécité, il nous a dit que c est à l aide des pierres lwa que son grandpère avaient
léguées qu on a préparé [154] un bain de plantes avec lequel on a lavé sa tête.
«Pa gen ougan san je» (On n est pas ougan sans les «yeux» 139), précise
Guillaume. Autrement dit, ces petites pierres sacrées sont indispensables à l
exercice de la prêtrise vodou. Pour la plupart des vodouisants, ces pierres lwa
ont été amenées d Afrique en même temps que les ex-esclaves. Ainsi, leur
présence dans un onfò traduit la présence des Lwa ginen, protecteurs de leur
lignée familiale. Illust. 23 : «Pyès» (pièce) ou pyè lwa d un ancien lakou de la
plaine de Gonaïves. Un des onsi leur donne de l alcool. Retour à la table des
matières Selon les héritiers de ces pierres sacrées (Ilust. 23), leur premier
propriétaire n était pas né sur le sol d Haïti. Il était né en Afrique et à sa mort,
ainsi que cela avait été annoncé, on ne put pas retrouver son 139 Les yeux ici
renvoient aux pierres sacrées.

175 175 cadavre, car il avait disparu dans les airs et était retourné en Afrique
ginen. Du premier serviteur des Lwa que représentent ces pierres au serviteur
actuel, on est à la septième génération. Ces pierres sont conservées de «pitit an
pitit» (d une génération à l autre). Lors de la campagne antisuperstitieuse ( ),
elles ont disparu. «Quand le calme s est rétabli, elles sont revenues toutes
seules». À la veille de chaque festivité, on les sort et on les nettoie, puis on les
replace. [155] Illust. 24 : Pyè lwa de Mosaline (région sud) Retour à la table
des matières Illust. 25 : Pyè lwa de Guillaume (région nord)

176 Illust. 26 : Pyè lwa de la femme de Bazil (région nord) Retour à la table


des matières 176

177 177 [156] En ce qui a trait à cette problématique de la culture matérielle,


après avoir exploré une abondante littérature anglophone et francophone, l
historien et l ethnologue Turgeon (2007) nous a livré une magistrale synthèse
critique en la matière. Selon ses déductions, l objet matériel apparaît à la fois
comme forme d'expression de la mémoire et aussi comme moyen d'action sur
la mémoire. Les lieux et les objets matériels, soutient l auteur (2007 : 27), ne
font pas que nourrir la mémoire, ils participent activement à sa structuration.
Étant une mémoire non verbale qui fait appel aux sens, surtout à la vue, au
toucher et à l'odorat, ils constituent une référence cognitive qui investit et
concrétise une mémoire et aussi une vision du monde. Mais, comme l auteur a
pris le soin de souligner, la mémoire des lieux ou des objets n est pas figée,
elle est souvent appropriée et domestiquée selon les regards et les
préoccupations spécifiques des générations. Justement, cette appropriation de
la mémoire incorporée dans les lieux et les objets opère dans le jeu des
supports «témoins» et mnémoniques confrontés à l oubli involontaire ou
programmé. Dans une partie de texte sous-titrée Collective memory: how
societies remember, and forget, Dessí (2008 : ) soutient que l oubli est non
seulement nécessaire à la mémoire, mais qu il fait partie de la mémoire, et qu
il est souvent organisé de manière consciente et stratégique. Il y a une
tendance claire de la mémoire collective à souligner des informations estimées
positives. Les actes de courage, de résistance contre l'ennemi, la libération des
opprimés sont souvent accentués, alors que la mémoire collective tend à
supprimer les mauvais épisodes de son passé. Dans les «mythes fondateurs» d
un pays par exemple, les actes de lâcheté et de trahison, de collaboration avec
l'ennemi, les massacres, les exterminations sont très souvent comprimés ou
gardés sous silence. Dans cette logique d oubli programmé, tout citoyen
français, selon Ernest Renan (1882), cité par l auteur, doit avoir oublié le
massacre de la Saint-Barthélemy, ou ceux du Midi au XIIIe siècle.
Néanmoins, dans certaines cultures religieuses, on a l impression que les
objets construisent la mémoire au point qu'ils empêchent souvent le
fonctionnement de l oubli. Selon Marcel Proust (1987 : 44; 1989 : 445), le
souvenir qui s'incruste dans les objets ou les lieux fait

178 178 fi du temps et tyrannise la mémoire. Les objets (de la vie quotidienne


surtout) viennent constamment défaire le travail de l'oubli et du deuil, ils
envahissent sans cesse le présent par [157] ces «morsures» de la mémoire
qu'ils véhiculent. Ces types d objets provoquent des réminiscences qui
participent à la «mémoire involontaire», ressuscitant le passé (Turgeon (2007 :
28). Dans les onfϛ de Déravine et de Bazil par exemple, nous avons pu
photographier des objets qui restent disponibles à la mémoire de leur li gnée
croyante contre l oubli de leurs prédécesseurs. Illust. : 27, 28 et 29 sont des
objets hérités par Déravine (27 et 29 sont des éléments de 28 présentés en gros
plans). Retour à la table des matières Parmi les objets représentés dans cette
figure, notre attention est surtout focalisée sur au moins deux d entre eux : le
foyer allumé (no 27) et le crâne (no 29). La conservation de ces objets (et de
tant d autres) semble être l expression d un acte volontaire pour résister contre
l oubli non désiré. En terminant notre entretien avec Déravine autour de ces
objets, il a pris le soin de nous dicter (en français) comme mots de la fin les
propos suivants : «Il faut conserver les instruments ancestraux pour pouvoir
expliquer aux petits-fils de nos petits-fils ce que les parents de nos parents ont
vécu dans le vodou. La présence de ces objets exprime la continuité de nos
ancêtres C est mon patrimoine familial».

179 179 [158] Illust. 30 : De gauche à droite, épée d Ogou Feray et le sabre d


Ogou Badagri fichés en terre devant d autel de Bazil Retour à la table des
matières Bazil, de son côté, ne rate jamais une occasion de rappeler aux
visiteurs intéressés que le lakou familial qu il dirige actuellement garde dans
ses «collections» un sabre (de la divinité Ogou Badagri 140) que Jean-Jacques
Dessalines (père de la Nation haïtienne) a lui-même fi140 Dans l image 4, l
épée d'ogou Feray (Ogou Ferraille) et le sabre d'ogou Badagri sont fichés en
terre devant l'autel.

180 180 ché en terre dans l onfò dont il a hérité. Ainsi, ces objets conservés
détiennent et accumulent des histoires ou récits qui leur confèrent «une plus-
value mémorielle» qui est appelée à recevoir des couches superposées
apportées par l expérience et les souvenirs de chaque génération. [159] Le
foyer allumé - Un jeune ougan de Port-au-Prince (et de ses environs), élevé et
initié dans la tradition Rada Kanzo, en voyant ce genre de foyer, pourrait
penser tout de suite à une pratique vodou qu on appelle Boule zen 141 (brûler
pots). En plus, il y a dans l image deux autres objets qui pourraient faire
penser à ce rituel : le wowozen (le petit bol ou la chaudière en terre cuite) et le
trepyezen (les gros clous disposés en trio). Effectivement, sous la prêtrise de
Déravine, qui est un ougan asogwe, ces objets sont utilisés dans la réalisation
de ce rituel. Cependant, son grand-père (Batol Mathieu) et son père (Darius
Mathieu), de qui proviennent ces objets, n étaient pas asogwe, et n avaient pas
ce rituel dans leurs pratiques. Donc, à quoi servait ce foyer? Du temps de
Batol et de Darius, le foyer était utilisé uniquement dans la préparation de thés
sacrés ou magiques pour les pitit lwa. Mais, de Batol à Déravine, l objet est
modifié dans la structure et aussi dans sa fonction. Batol avait juste la
structure cylindrique en métal qu il plaçait sur trois clous enfoncés 141
Cérémonie où de petites chaudières (pots en terre cuite ou en métal) rituelles
appelées zen sont déposées sur trois roches ou trois clous en fer enfoncés dans
le sol pour que l on y fasse cuire une composition magique représentant
également un sacrifice. Faite pour l âme des vivants ou celle des morts, cette
cérémonie renforce aussi les pouvoirs des Mystères : elle les «réchauffe». Le
boule zen se fait aussi encore pour les onsi afin de hausser leur potentiel
mystique (Rigaud 1953 : 420). Il s agit donc d une cérémonie polyvalente qui
fait partie des rituels d initiation, de consécration et de rites funéraires. Le
point culminant de cette pratique semble le moment où les pots ou marmites,
dont l intérieur a été enduit d huile, se mettent à flamber. Celui qui s expose à
la flamme sacrée retrouvera force et santé, et les objets, un surcroît de
puissance magique (Métraux 1958 : 227). Dans certains cas (boule zen kanzo,
boule zen ason), elle fait seulement partie d un rituel plus global et dans d
autres cas (boule zen mò et boule zen Kay), elle est un rituel à part entière
(Manbo De Lynch 2008 : 179).

181 181 dans le sol et en dessous de laquelle on mettait de petits morceaux de


bois de pin allumés. Avec Darius, la structure cylindrique est devenue plus
autonome, renforcée par des barres de fer qui la convertissent en foyer, sauf
que pour l instant, il faut une chaudière qui en est détachée. Qu en est-il du
crâne? Comme les pyè lwa (pierres sacrées), les crânes des défunts font partie
des objets rituels les plus fréquents dans l onfò vodou. Les morts sont, après
les Lwa et les Jumeaux, la troisième catégorie d êtres surnaturels à recevoir un
culte. De même que les cheveux, les poils et rognures d ongles, le crâne d un
mort est considéré comme vecteur de son esprit et son symbole matériel.
Surtout quand le disparu était un ougan ou une manbo de son vivant, son âme
est destinée à devenir un Lwa. À cet effet, on procède à une [160] cérémonie
dénommée wete mϛ nan dlo (retrait des morts de l eau) 142 qui vise à les
transférer dans un sanctuaire où ils se transforment en Lwa guides et
protecteurs. Ils sont traités comme des génies tutélaires, sortes de Lwa
mineurs veillant sur leur parenté et qui, en charge de sacrifices, écoutent les
prières des gens de leur sang et leur répondent chaque fois qu ils les invoquent
(Métraux 1958 : 233). Au moment de la fête des Morts (1er et 2 novembre),
en honorant les Lwa Gede 143, les crânes sont souvent coiffés d un mouchoir
mauve ou noir et on prie pour les défunts qui appartenaient (de près ou de
loin) à la lignée. Déravine nous a dit que ce crâne troué est celui de son grand-
père qui était avant dans l onfϛ de Darius. Actuellement, il a les deux crânes :
ceux du père et du grand-père. Ils symbolisent leur présence physique 142 Les
vodouisants (surtout ceux de l Ouest) croient que l être humain vient de l eau
et y retourne après la mort. 143 Les Gede (Guedé) sont les Lwa de la mort, qui
hantent les cimetières et se parent des attributs du deuil. Fort nombreux, ils
forment, dans la classe des Rada, «une grande famille qui, elle-même, se
subdivise en 117 nachons (nations). Bawon Sanmdi, Bawon Simetyè, Bawon
Lakwa, Grann Brijit, Gede Nibo sont les membres les plus importants de cette
famille. Les trois Gede qui portent le titre de Bawon constituent une sorte de
triade et leurs noms sont presque toujours associés dans les textes liturgiques,
bien que leurs fonctions et leurs attributs soient différents. À l occasion de la
fête des Morts, ils s'incarnent dans des fidèles et se manifestent aussi bien
dans les campagnes que dans les villes» (Marcelin 1947 : 119).

182 182 et leur force mystique. À l aide d une bougie allumée et déposée sur
ces ossements, ses parents lui communiquent en temps réel ce qu il leur faut
en fonction des préoccupations et problèmes qui exigent la compétence de ces
anciens. Quant au sabre (Illust. 30) - son manche est orné d un mouchoir de
couleur rouge ayant appartenu à Ogou Badagri, dit Nèg lagè (Nègre de
guerre). D après Bazil, cet objet (rituel) porte l empreinte de Dessalines. De
retour de la bataille de Vertières (18 novembre 1803) qu il avait remportée
contre les soldats de Rochambeau, pour montrer sa reconnaissance aux Lwa, il
planta ce sabre dans l onfò du lakou que dirige actuellement notre
interlocuteur. Donc, cela implique que ce lakou était déjà reconnu dans le
milieu bien avant Justement, Bazil nous a dit que le lakou dont il a hérité a été
institué après le soulèvement des esclaves dans la nuit du 22 au 23 août Son
fondateur faisait partie de la dernière cargaison d esclaves débarquée sur l île.
Aussi, déclare-t-il, «Ce site est un lieu mystique et historique. Nous avons ici
des kanari (grand pot en terre cuite) qui datent de 200 ans environ. C est un
patrimoine national. Entre le 3 et 6 janvier de chaque année, les gens viennent
partout du pays pour fêter avec nous». [161] De ce qui précède, on peut voir
que les objets tangibles que nos interlocuteurs héritent de leurs prédécesseurs,
en plus d être des témoins du passé, sont aussi des agents actifs de vie
cultuelle contemporaine. Comme le fait d écrire ou de parler, ils remplissent
une fonction d énonciation et constituent une série de signifiants matériels qui
concrétisent des idées. Ces agents actifs produisent du sens, possèdent des
pouvoirs de représentation, agissent sur le processus cognitif et marquent l
identité de leur propriétaire. En examinant le poids de ce genres d accessoires
(des objets matériels constituant notre environnement immédiat) sur la
construction de l identité de la personne humaine, Helvétius (1973[1758, IV,
15] : 480) a pu écrire que «nous sommes uniquement ce que font de nous les
objets qui nous environnent». Les objets religieux dont on parle ici ne sont pas
destinés à la contemplation désintéressée. Ce sont des objets pratiques,
produits et uti-

183 183 lisés à des fins bien définies : guérison, transformation de la personne


humaine, affirmation de la puissance des Lwa, expression des liens de sang et
symboliques, etc. Selon Dianteill (2000a : 38), ces types d objet ne sont ni de
simples reflets de mythes immémoriaux, ni de pur jeu stylistique, ils sont des
facteurs d organisation des rapports entre les êtres humains par la médiation
des Esprits. Ils ne sont donc pas seulement des produits d une culture, mais
également des outils du pouvoir des femmes et des hommes sur eux-mêmes.
Donc, les objets ne sont pas des divinités en tant que telles, mais des outils,
des médiations. Dans la même veine, De La Torre (1991 : 66) a fait remarquer
que le culte de la pierre (pratiqué chez les Guen-Mina, Sud-Togo) ne s'adresse
pas à la pierre en tant que substance matérielle, mais bien à l'esprit qui
l'anime, au symbole qui la consacre, elle devient sacrée grâce à la force
spirituelle dont elle porte la marque. Le vodouisant, affirme manbo De Lynch
(2008 : 53), ne divinise pas les éléments de la nature ; les pierres ou les arbres
rituels ne sont pas des Dieux, mais ils peuvent être habités ou utilisés par les
Esprits. Il ne leur donne pas une âme en tant que matière. Pour lui, ils ont une
vie, celle donnée par le Grand Maître qui se manifeste par des signes à
certains endroits, identifiés comme lieux prédestinés pour la dévotion aux
Lwa. [162] 4.5 L initiation comme mécanisme de transmission de la prêtrise
vodou Retour à la table des matières Généralement, celui qui prétend assumer
les responsabilités relatives à la prêtrise vodou doit légitimer sa démarche
dans un lien de filiation avec (au moins) un de ses parents (plus ou moins
proche) ayant été soit manbo ou ougan, ou soit connu comme possédé. Il faut
que l initiative émerge d une prédisposition familiale pour laisser apparaître
une continuité perçue comme une transmission de nature héréditaire.
Toutefois, si la prédisposition familiale est nécessaire, sauf de manière
exceptionnelle, tous les fils ou filles d'un ougan ou d une

184 184 manbo ne sont pas habilités à exercer cette fonction. Très souvent,
celui ou celle qui va assurer la relève est identifié-e depuis l'enfance.
Habituellement, c'est la maladie qui révèlera la sélection (Bazil, Guillaume,
père d Henriette). Il arrive parfois que l enfant présente des signes
prémonitoires qui sont vite remarqués par les anciens comme une «élection
divine». Autrement dit, cet enfant est déjà pressenti pour être au service des
Lwa (Grégoire, Onel, Mosaline, Déravine). On peut noter aussi qu il arrive
parfois que ce soient les parents qui décident que tel ou tel enfant sera leur
successeur. On a vu ce cas de figure dans l élection d Henriette. Manbo De
Lynch (2008 : 177) a écrit dans son ouvrage que c est sa mère qui a décidé de
son initiation quand elle avait vingt ans. Selon manbo Beauvoir (2003 : 96),
quand un héritier est identifié comme celui qui est appelé à prendre la
responsabilité de poursuivre sa tradition familiale, il n est pas obligatoire qu il
se fasse initier, c est-à-dire qu il aille «se coucher» dans le dyèvϛ (chambre
initiatique) d un ougan asogwe. Cependant, pour être considéré comme «sage»
de la famille et de la communauté, il doit s arranger pour maîtriser les
différents rituels nécessaires au service des Lwa de sa lignée. À ce moment, il
mobilise ses souvenirs d enfance, ses diverses observations, y compris le
produit de son imagination des pratiques qui lui ont été interdites 144. Une
fois reconnu par sa communauté comme héritier légitime pour prendre en
charge la gestion de sa tradition mystique, il peut se faire plase (placer,
installer) par une manbo ou un [163] ougan confirmé afin de débuter
officiellement sa carrière. De ce fait, il a maintenant le droit d avoir accès aux
secrets spécifiques relatifs à sa fonction. Guillaume nous a dit qu il avait eu de
la peine lors de la mort d un «ancien» qui habitait dans le «lakou mère»
duquel son péristyle est dérivé, car ce «vieux» était pour lui un guide
(spirituel) qu il consultait fréquemment afin d éclaircir les énigmes
rencontrées dans l exercice de sa fonction en tant que jeune ougan. 144 La
transmission ne passe pas toujours par la parole ni par le dialogue entre les
générations ; toutefois, des signes peuvent être observés et appréhendés dans
la façon d être de chaque individu. D après Ancelin Schützenberger (1999),
dans une famille, les enfants savent tout, surtout ce qu on ne leur dit pas! Ici,
le terme «savoir» se rapproche davantage d une perception que d une
connaissance précise (De Becker 2007 : 60).

185 185 Par contre, pour d autres ougan et manbo, leur connaissance et leur
savoir-faire viennent directement des Déités vodou ou des Esprits des grandèt
disparus. Bazil et Mosaline se considèrent autosuffisants. De ce fait, ils n ont
pas de guide ou de mère ou père spirituel (parmi les vivants) contrairement
aux prêtres asogwe dans la tradition rada Kanzo. Donc, ils n ont pas de Maître
à imiter. À propos de l apprentissage des pratiques culturelles par imitation,
Girard (1998 : 217) a pris le soin de souligner que le mimétisme du désir
enfantin est universellement reconnu. Ce désir chez les personnes adultes n'est
en rien différent, à ceci près que l'adulte, en particulier dans notre contexte
culturel, a honte, le plus souvent, de se modeler sur autrui ; il a peur de révéler
son manque d'être. Il se déclare hautement satisfait de luimême ; il se présente
en modèle aux autres ; chacun va répétant : «Imitez-moi» afin de dissimuler sa
propre imitation. Pour la plupart des ougan et manbo en dehors de Port-au-
Prince, celui qui veut se faire initier en se couchant dans le dyèvò d un Maître
spirituel ne serait pas tout à fait légitime. Il est considéré comme celui qui sert
des Lwa achetés. Or, aux yeux des ougan asogwe, les ougan makout (ou
makousi) sont limités dans leur pouvoir. On dit qu ils ne peuvent pas effectuer
par exemple ce qu on appelle rele Lwa nan Govi (invoquer Lwa dans un Govi)
145. Préalables mémoriels ou facultés à développer pour être ougan ou manbo
Que ce soit dans les Govi (cruches) ou par d autres techniques plus populaires,
l invocation et le service des Lwa exigent une grande capacité mémorielle. Ici,
le Grand Maître (Dieu créateur) n est pas ignoré. On l appelle couramment
Bondyebon ou Bondye. Mais, ce personnage divin est [164] infiniment
abstrait et inaccessible. Pour être opérationnel parmi les humains, il se
présente au moyen de divers Mystères ou Lwa qui sont ses «Images
détaillées» (Beauvoir 2008 : 41-43) ou des «Anges gardiens nommés par
Dieu» (De Lynch 2008 : 16). De leur côté, ces images détaillées du Bondye
sont en nombre 145 Le govi est une cruche à large orifice qui sert de
réceptacle aux Lwa. On s en sert aussi pour recueillir les esprits des morts au
rituel du wete mò nan dlo (retrait des morts de l eau). C est dans le govi qu on
pratique le rituel des rele lwa nan govi, sorte de consultation des Lwa par un
ougan ou une manbo, de la part d un des enfants du Lwa (Guy Maximilien,
«Objets sacrés», texte inédit).

186 186 considérable, et «ce nombre ne fait que croître» (Métraux 1953a :


138). On dit qu elles sont au nombre de 101 Lwa regroupés en 21 Nanchon
(Nation). De nos jours, on parle aussi de 401 Lwa. On peut rappeler aussi que
le chiffre «un» qui termine les nombres est très symbolique. Il traduit un
mouvement dynamique. La quantité est indéterminée. Le nombre des
Mystères n est pas figé leur personnalité non plus. Donc, celui ou celle qui s
attache à devenir ougan ou manbo va être un spécialiste de l harmonisation de
la relation entre ces innombrables «Images de Dieu» et les fidèles ou les pitit
Lwa. Cela implique que cet-te apprenant-e va devoir maîtriser un grand
nombre de symbolismes en rapport avec les attributs (emblème, accessoires,
prière, formule d invocation, couleurs, nourriture, boissons, arbresreposoirs,
lieu d habitation, rythme musical, domaines d intervention, calendrier ) de ces
Divinités. Le prétendant est appelé à mobiliser fréquemment sa «mémoire
procédurale» 146 afin de mener à bien des rituels souvent complexes et ces
pratiques liturgiques très diverses mettant en œuvre autant ses émotions les
plus profondes et son sens du respect des procédures, que sa capacité de
vigilance en vue d éviter toute erreur, échec et incident regrettable. Décrivons
(en fiche signalétique) par exemple le profil de la personnalité d une Déité très
populaire dans le vodou haïtien connue sous le nom d Èzili Freda
(Dawonmen). Cette fiche sera suivie d une anecdote relative au non-respect de
ses goûts. 146 La mémoire procédurale est impliquée dans l apprentissage
graduel des aptitudes perceptives/motrices et cognitives. Elle mémorise toutes
les données qui nous permettent d'avoir un savoir-faire, ou d'avoir des
habitudes gestuelles. Il s agit d un système dont les opérations s expriment
essentiellement sous la forme d actions (Van Der Linden 2003 : 54). C est par
cette mémoire que l officiant va savoir qu il doit d abord invoquer Papa Legba
au début d une cérémonie afin que cette Divinité autorise l intervention des
autres Lwa. C est aussi par elle qu on va savoir qu il faut rendre disponibles
ses accessoires (canne ou béquille, chapeau de paille à large bord, sacoche en
feuilles de latanier, longue pipe en terre cuite) en prélude à sa manifestation.

187 187 [165] Figure 2. Fiche signalétique de la personnalité d Èzili Freda


Retour à la table des matières Elle est connue comme gardienne des eaux
douces, divinité de la beauté et de l'amour et, à ce titre, protectrice des
hommes Emblème Dessin (vèvè) qui lui correspond prend une forme
cardioïde (cœur quadrillé) bordée de lignes dentelées Couleurs Rose, blanc,
bleu Lieu d habitation Eau douce Arbres-reposoirs Rosier, laurier-rose,
grenadier 147 Domaine d intervention Amour, charme, chance, richesse
Préférence sexuelle Hommes et n aime pas être servie par des femmes
Nourriture Poisson, banane mûre, riz blanc, fruits, dessert Boisson Sirop
d'orgeat, eau de rose (jamais d alcool) Accessoires Nappe blanche, peigne,
miroir, rouge à lèvres, cureongle, flacon de parfum, fleurs blanches, daturas et
bégonias, bijoux, objets luxueux Jours Jeudi et dimanche 148 Type de
possession Air séduisant, coquetterie, sensualité, comportement provocateur
Palmiste ou un cirouellier (donne de la cirouelle) selon Marcelin (1947 : 82).
Certaines sources plus anciennes évoquent le mardi et le jeudi.

188 188 D après Guillaume, un ougan peut provoquer la colère des Lwa s il n


est pas en mesure de garder en mémoire la façon dont il leur a donné à manger
(manje lwa) pour la première fois. Les détails de ce manje lwa doivent être
emmagasinés dans sa mémoire sur le long terme afin de les reproduire à l
identique de manière périodique. Sinon, ce serviteur négligent doit s attendre à
subir les conséquences de sa faute qui peuvent aller jusqu à la peine de mort.
Celui qui est placé sous la protection d Èzili par exemple, qu il soit marié ou
non, doit se souvenir qu il est contraint de rester chaste le jour qui lui (Èzili)
est consacré. Il doit aussi s'abstenir de jouer, de danser, de boire et de fumer.
Selon Marcelin, (1947 : 78), cette abstinence consacrée à la Déesse de beauté
et de l'amour a donné lieu à l'incident suivant : au moment d'une cérémonie,
un fidèle a osé lui offrir de la boisson alcoolisée et pimentée qui était destinée
à [166] Papa Gede (Divinité de la mort). Offensée dans son amour-propre, elle
a menacé de se venger de cet affront en tuant son possédé (la personne par qui
elle s est manifestée). Heureusement pour celui-ci, Danmbala 149 était
présent. Après les supplications de spectateurs, il a persuadé Èzili de se
tempérer et de revenir à de meilleurs sentiments. L ensemble des
considérations que nous venons d exposer constitue une sorte de généralité qui
serait valable pour les différentes traditions initiatiques du vodou haïtien.
Selon ougan André-Jules Gustave 150, il y aurait trois grandes traditions
initiatiques dans cette voie du sacré : 149 Divinité mâle considérée comme l
un des amants d Èzili. Il est le Dieu de la fécondité, aime la fraîcheur et habite
dans l eau. Il fait partie des Lwa blancs. Il renvoie à la pureté. Ses emblèmes
sont la couleuvre et l œuf. Ayida Wèdo, déesse de l'arc-en-ciel et des eaux
douces, invoquée parfois sous le nom de Tokan Ayiwa Wèdo, est l'épouse de
Danmbala Wèdo. Comme son mari, elle est symbolisée par une couleuvre.
150 Certains «vodouisants d élite» se montrent perplexes face à une certaine
littérature véhiculée sur le vodou. Ils estiment que ces écrits présentent assez
souvent un vodou dans lequel les initiés eux-mêmes ne se reconnaissent pas.
C est pourquoi ils s engagent dans un travail de présentation de soi par soi.
André-Jules Gustave est l un de ces vodouisants (voir ougan André-Jules
Gustave (s.d.), «L initiation dans le Vodou Ayisyen», en ligne, (20 février
2011).

189 189 - la première et la plus répandue est le système Lave tèt (lavage de la


tête) qui est une sorte de baptême considéré comme voie d accès obligatoire
pour celui ou celle qui veut se mettre au service des Lwa. Le lave tèt est
conféré aux fidèles ordinaires lorsque les Lwa le réclament. Dans cette
tradition, il est l'unique rituel initiatique pour devenir onsi (épouse fille ou
garçon) ou serviteur des Mistè (Mystères). - La seconde est le système Deka
(Pierre sacrée, un équivalent de l ason dans le troisième système). C est par le
biais du Deka que le serviteur du Lakou réalise un baptême vodou qu on
appelle ici sèvis tèt (service de la tête) pour celui ou celle qui va devenir onsi.
Comme dans la première tradition, ce baptême est l étape initiatique pour
intégrer une société vodou en tant qu onsi. S il faut accéder au rang d ougan
ou manbo, on se fait placer par une manbo ou un sèvitè confirmé. Mais il n y
pas de période de formation spécifique à cet effet. - La troisième est la plus
connue (au niveau international). Elle s est développée dans le Département
de l ouest, plus particulièrement à Port-au-Prince. Il s agit du système d Ason
[167] où l initiation se fait en plusieurs étapes progressives jusqu à la prise d
ason pour le/la prétendant-e qui vise à accéder au rang de manbo ou ougan.
Dans cette tradition, on pratique aussi le lave tèt mais il n est pas considéré
comme un rituel initiatique. Il est juste un premier débarbouillage spirituel, un
premier contact avec l élément «eau» qui est interprété comme la porte d
entrée et de sortie de l être humain dans le monde visible. Déravine nous a dit
que le «lavage de la tête» est comparable à un antivirus pour un ordinateur. Il
doit rendre cette «tête» propice à la réception des Lwa. Afin de distinguer les
ougan et manbo de ce système de ceux cités plus haut, généralement, on
évoque deux grandes catégories : Les Makousi et les Asogwe.

190 190 Comment procède-t-on chez les asogwe? Chez les ougan et manbo
«makousi», on ne connaît pas de structure complète d initiation avec des
étapes progressives. Par contre, chez les asogwe (tradition rada kanzo), on
peut voir que le parcours initiatique contient une structure complète que le
requérant à la prêtrise est appelé à connaître avec des étapes progressives. Ici,
le noviciat est à la fois une procédure de sélection et de formation de
nouveaux leaders religieux. L admission d un candidat au culte des Lwa et à la
connaissance de leurs Mystères exige des préalables qui sont les mêmes de ce
que nous venons de noter plus haut pour les ougan et manbo makousi. Mais,
en plus d être un «réclamé» (appelé), ou d avoir des prédispositions familiales
par la filiation, comme dans la tradition chamanique décrite par Baudouin
(2008 : 23), dans tous les cas de figures, seules les difficiles épreuves d'une
initiation complète seront à même de confirmer ou d'infirmer les dispositions
de base du candidat à la prêtrise. Dans cette initiation qui est un acte de
transmettre par lequel le guide consent à mettre son savoir à la disposition de l
apprenant, on procède par la communication instrumentale, c'est-à-dire par la
transmission volontaire des valeurs et des savoir-faire spécifiques en fonction
du statut visé au sein de la hiérarchie vodou. Il s agit d une situation de
transmission où le prétendant s'approprie la pensée, l'expérience, les idées, et
le réseau de parentèle et de croyants [168] de son initiateur 151. Cette
communication vise entre autres un objectif bien déterminé. Elle doit placer l
individu dans son héritage mystique, dans ses lignées paternelle et maternelle.
Comme l a bien noté Guy Maximilien 152 : Celui qui se fait initier dans cette
vie part à la recherche des influences ancestrales. On interpelle pour lui les
Lwa de sa famille sur quatre générations du côté maternel comme du côté
paternel. L initiation, en le soudant à ses Lwa de famille, lui donne souche,
ancrage, l enracine dans l histoire 151 L'un des buts de l'initiation dans le
vodou haïtien est la renaissance de l'initié dans une nouvelle cellule familiale.
C'est ce qui explique qu'on initie plusieurs personnes en même temps. Ceux
qui sont kanzo en même temps sont considérés comme des enfants d'un même
accouchement. Tous les initiés sont frères et sœurs (De Lynch 2008 : 169).
152 Guy Maximilien, «Vodou et mémoire», texte inédit.

191 191 de sa famille, de ses lignées, de son peuple. Selon les conceptions


dans le vodou, l homme n est pas une tabula rasa. Chaque homme porte en soi
tout l univers, dans lequel il retrouve tout ce qui lui donne la vie. À l initiation,
en plus de son enracinement familial et ethnique, chacun reçoit sa pierre, sa
plante, son animal, tout ce qui le relie à l univers L initiation est un moyen de
faire revivre les ancêtres dans l individu et de transformer progressivement
celui-ci en ancêtre, c est-à-dire de recueillir ce qui dure en lui, ce que son
apparition et son passage dans cette vie ont apporté de nouveauté, d
enrichissement et de le conserver. Dans cette approche mémorielle, on voit
que l initiation permet aux appelés de se situer dans une relation
intergénérationnelle, ce rituel ayant la capacité de transporter le candidat dans
le temps en lui faisant vivre son passé actualisé. Ainsi l initiation rend possible
la tâche de conservation et de transmission de la mémoire lignagère. En s
engageant dans un parcours initiatique qui est en même temps une
transformation spirituelle de l individu, on a mis en place un dispositif de
reconstruction du lien vertical avec l origine, c est-à-dire du lien généalogique
et donc d une mémoire, qui est recherchée aussi à travers la musique, la danse
et la transe et qui vient fonder une solidarité générationnelle (Hurbon 2004 :
180). En présentant le vodou haïtien comme une «religion initiatique», à la
manière de Guy Maximilien, ougan Gustave tient à nous présenter le sens des
rites d initiation pratiqués dans le [169] vodou. Cette pratique vise selon lui à
permettre à celui ou celle qui est admis-e à utiliser son «troisième œil». L
initiation est en quelque sorte, la clé qui ouvre la porte des mystères et
conduira le néophyte vers la lumière. Elle permettra au néophyte de regarder
le vodou avec les yeux du Maître. L initiation est une période à laquelle on
naît de nouveau se dépouillant de l homme charnel, on meurt pour renaître à la
vie et à la lumière. Donc, c est une grande expérience spirituelle [vécue] par le
néophyte. C est la voie qui conduit à l humiliation de soi en vue d atteindre
une dimension de sagesse extraordinaire. C est elle aussi qui aide le néophyte
à se connaître lui-même, en faisant preuve de tolérance et de renonciation de
soi.

192 192 Comme toute pratique est susceptible d être appropriée et détournée à


d autres fins, Gustave n hésite pas à dénoncer et à nous mettre en garde contre
le charlatanisme de certains «initiateurs». De par leur attitude douteuse, les
rituels qui conduisent aux initiations, ajoute-til, tendent à perdre «leur essence
spirituelle pour devenir un réseau mafieux à des fins perfides et mercantiles».
À propos des dérives réelles ou imaginaires relatives à ces rituels d initiations,
manbo De Lynch (2008 : 168) précise que, à l encontre des «fantasmes
inavoués» 153 de certains, «la réalité de l'initiation au vodou demande une
moralité à toute épreuve». Si la manbo ou l ougan initiateur dispose d'un
pouvoir considérable, il sait aussi qu il y a des règles morales très strictes qui
lui interdisent tout abus, lequel serait immédiatement sanctionné par les Lwa.
Ainsi, la réussite d une initiation implique des conduites morales qui
concernent à la fois l initié et son initiateur. Le futur initié, pendant les
quarante jours précédant son entrée dans la chambre initiatique, doit «éviter de
manger de la viande de porc, s'abstenir d'avoir des relations sexuelles et éviter
les colères et les racontars». De surcroît, cette même prescription est
maintenue aussi sur une période de quarante jours après l'initiation. Pendant la
fortification du Ti bonnanj (Petit bon ange) 154 qui est une partie de
l'initiation, un ougan ou une manbo ne [170] peut en aucun cas procéder sur
une personne avec qui, il/elle a eu des relations sexuelles dans le passé. L un
de nos interlocuteurs nous a indiqué le fait que la planification d un service
Lwa requiert une grande préparation spirituelle. Par ailleurs, l organisation d
un Kanzo demande préalablement une grande concentration spirituelle (donc
de l abstinence) afin d avoir toute la protection divine, tant pour les onyϛ (les
candidats admis dans le dyèvϛ) que pour tout le personnel initiateur. Et cette
période d initiation exige de l initiateur responsable une endurance physique
considérable et une vigilance continue. On doit toujours être en alerte afin de
prévenir toute mauvaise surprise que des «jaloux» pourraient provoquer,
sa153 Certains non-initiés s imaginent que l initiation du kanzo est un moment
où on expérimente des pratiques orgiaques de toutes sortes. 154 Ti bonnanj est
l une des deux âmes ou principes spirituels de chaque être humain. Selon
certains vodouisants, il joue le rôle de l ange gardien contre les mauvais sorts.
Il est l âme protectrice. Son état reflète la situation de santé de son
propriétaire.

193 193 chant que cette période de réclusion rend les initiés très vulnérables
aux attaques des ennemis. Illust. 31 : sortie de la chambre initiatique, mais ils
sont encore fragiles. C est la raison pour laquelle les visages sont recouverts.
Retour à la table des matières [171] Pour ce, la manbo ou l ougan responsable
doit prendre toutes les dispositions sécuritaires à la manière d une poule qui
surveille sa couvée ou ses poussins fragiles contre les oiseaux prédateurs. De
ce fait, les dispositions entreprises ne sont pas uniquement d ordre spirituel ou
magique, elles concernent aussi des mesures concrètes comme le fait, par
exemple, d aviser les autorités policières de la zone du déroulement de l
activité en indiquant le nom du responsable du «péristyle organisateur», la
période de l évènement et les principales phases prévues pour ce rituel Kanzo
(voir l illustration suivante 155). [172] 155 Il s agit d une lettre de notification
(elle était affichée au mur du péristyle de l un de nos interlocuteurs), dans
laquelle on peut voir que la rentrée kanzo (début de la réclusion) était prévue
pour le jeudi [soir] 12 et la sortie pour le dimanche [matin] 22 août Ce qui fait
un total de neuf jours environ.

194 194 Illust. 32 : Avis de réception d une lettre adressée à la police avant le


déroulement d une initiation kanzo 156 DIEU DEVANT BEL REPOSOIR
DIEU DEVANT BEL REPOSOIR Fara JEAN Rue Villate, No 3304 Rue
Villate, No 3304 Fara JEAN Retour à la table des matières 156 Les
falsifications et les remplacements sont effectués pour garder l anonymat.

195 195 [173] Comme on peut le déduire de ce qui est déjà dit, après le lave
tèt, la deuxième étape est le Kanzo (purification et fortification du ti bonnanj
par le feu). Cette dernière est suivie par le niveau ultime qui est la prise d
ason. Le Kanzo (rituel par le feu) Ce rituel est l initiation des pitit lwa aux
secrets du culte. C est l étape par laquelle l impétrant-e arrive à une
conscience éclairée de son existence en rapport avec les innombrables Entités
qui peuplent les espaces cosmiques. À ce niveau, le corps physique sera
purifié par la pratique du boule zen afin que le onyϛ acquière les qualités
nécessaires en vue d entrer en contact direct avec ses Lwa par la possession. C
est à cette étape aussi qu il contracte des droits et des devoirs vis-à-vis des
Lwa, de son père ou de sa mère et de ses frères et sœurs d initiation. Le rituel
a aussi pour effet d attacher solidement l esprit du candidat, plus précisément
son ti bonnanj (petit bon ange) à son Lwa mèt tèt (Maître de tête) 157, et de
faire de sa personne un onsi kanzoπ 158. Quant à la «prise de l'ason», elle
nécessite un passage initiatique de neuf jours dans le dyèvϛ alors que pour le
kanzo ce passage dure environ sept jours. Cette étape décisive qui donne l
accès au rang d ougan ou de manbo exige une durée de préparation qui varie
entre six mois et trois ans (De Lynch 2008 : 173). Par contre, un interlocuteur
nous a mentionné que cette étape peut être effectuée en moins de six mois
selon les aptitudes du postulant. À ce niveau du noviciat, on transmet aux
prétendants la connaissance des différents rituels et les règles de salutations, la
différence entre les rites et les rythmes de tous les chants, le tracé des vèvè et
leur symbolisme, les caractéristiques de chaque Lwa et la manifestation des
forces maléfiques. C est à ce moment aussi le/la postulant-e va prendre
conscience du sens des responsabilités qui incombent à une manbo (manman
lwa) ou à un ougan (papa lwa) comme étant mère ou père spirituel de tous les
pitit Lwa. Il 157 Le Lwa mèt tèt est la Divinité qui réclame un postulant dont
il sera l Esprit protecteur. 158 Guy Maximilien, «Vodou - Hiérarchie et
initiation», texte inédit.

196 196 faut noter ici que le moment le plus crucial de cette étape est ce qu on
appelle ale nan gran bwa (aller dans la forêt ou sous les lieux) pour recevoir
l'ason de la main de Papa Loko (Mèt gran bwa 159), «Dieu de la connaissance
et chef de tous les péristyles» (De Lynch 2008 : 176). L octroi de l ason,
symbole de la connaissance [174] et du pouvoir de l ougan et de la manbo,
signifie l admission du/de la candidat-e au plus haut sommet de la hiérarchie
vodou. Cela implique aussi qu il ou elle a été jugé-e digne des secrets des
plantes particulièrement, des secrets de l ason. Il/elle peut maintenant
interpeller et renvoyer les Lwa à volonté. Toutefois, l obtention de l ason ne
veut pas dire qu il n y a pas d autres éléments de connaissance à intégrer. De
ce fait, le nouveau ougan ou la nouvelle manbo doit garder le contact et
consulter les anciens au besoin afin de peaufiner son savoir-faire. Comme
nous venons de le décrire, la tradition rada kanzo institue un noviciat qui
soumet les initiés à un parcours initiatique qu ils sont appelés à suivre selon
des étapes progressives. De manière plus détaillée, le tableau suivant présente
les différents statuts qu on peut avoir ou franchir dans la hiérarchie vodou.
[175] 159 Propriétaire des forêts.

197 197 Figure 3: Hiérarchie de l onfò vodou (rite rada kanzo) Retour à la


table des matières Statut ou fonction Ougan ou manbo Attribution Il/elle est
le/la chef de son onfò et ne dépend de personne. Il/elle conduit le rituel et aide
les fidèles à établir les relations avec leurs Lwa en tant que spécialiste de l
harmonisation de rapports entre l univers humain concret et les Forces
invisibles. Il/elle exerce aussi la divination et pratique la médecine sacrée.
Homme ou femme qui a passé les rituels d initiation appropriés afin d être
habilité à des fonctions sacrées spéciales. À ce stade, on est déjà à mi-chemin
pour accéder à la prêtrise. C est surtout le secret d ason qui n est pas encore
acquis qui établit la différence. Dans cette catégorie, on retrouve : Onsi
kouche sou pwen/onsi temerè Laplas et Konfyans Onsi mâle qui joue la
fonction de maître des cérémonies dans un onfϛ. C est lui qui tient le sabre ou
la coupe-liane (manchèt) rituelle des Mystères Ogou. Il prend la tête des
cortèges et processions. Suivi par deux porte-drapeaux (emblématiques), il
salue les Lwa. C est lui aussi qui est chargé de la discipline du temple. Dans
certains péristyles, c est lui qui joue aussi le rôle de Konfyans, c est-à-dire, il
doit rappeler à l ougan ou à la manbo les prescriptions des Lwa après la
manifestation de ces derniers. Ougenikon / andyenikon Chef de chœur,
coryphée (femme ou homme) du temple. Il envoie les chants et les arrête. Il a
le pouvoir d appeler les Lwa à travers les chants. Il assiste le prêtre et le
remplace quand il est possédé, ou quand, pour une raison quelconque, il ne
peut conduire toute la cérémonie. Ontògi Ceux qui ont le pouvoir d appeler les
Lwa au moyen des tambours. Vu que leur résistance physique doit être
exceptionnelle, ils sont en général de sexe masculin. Ils sont accompagnés d
un Ogantye qui frappe de façon rythmée une cloche en fer (ou un morceau de
fer) appelée Ogan à l aide d une tige de métal. Manman onyϛ Celle qui a les
aptitudes nécessaires pour prendre soin des candidat-e-s pendant la réclusion
initiatique. Elle est responsable de la vie physique et spirituelle des
prétendant-e-s à l'intérieur du dyèvϛ. Elle les prépare à faire face à eux-mêmes
pour les amener à constater leur vide spirituel. Celui-ci va être rempli le jeudi
matin par la manbo ou l ougan responsable de l onfò, leur mère ou leur père
spirituel. Onsi kanzo Celui qui est habilité à assister l ougan dans les travaux
de l onfò après avoir subi une première étape de l initiation par laquelle on
contracte des droits et des devoirs vis-à-vis des Lwa, de son père ou de sa
mère et de ses frères et sœurs d initiation. Onsi desounen Celui qui a subi un
lave tèt et dont les mains ont été sacralisées afin de pouvoir manipuler les
objets sacrés de l onfò. Onsi bosal Onsi qui n a pas encore entrepris son
initiation et en qui les Lwa se manifestent par des possessions sauvages. Pitit
kay Ils sont les habitués, les familiers du lakou. Pitit lwa Sans exception de
race, de classe, d âge et de sexe, tout être humain est éligible à l obtention de l
aide des Lwa dans un onfò après la formulation appropriée d une demande. Et
même à son insu, il peut bénéficier de la protection de ses Lwa rasin.

198 198 [176] En analysant le rôle attribué à la mémoire intergénérationnelle


dans l initiation vodou, cette «expérience du sacré» semble être un mode de
croire qui ne veut pas oublier. Face aux «religions importées ou imposées» qui
veulent arracher ou «sauver» les Haïtiens (exesclaves) de leur mémoire
historique (Afrique, Négriers, esclavage, colons, Bois Caïman 160 ), le vodou
apparaît comme un socle de résistance contre l amnésie ou l oubli programmé.
Selon ougan Erol (Josué et Dubois 2007 : 334), celui qui s apprête à devenir
manbo ou ougan, reçoit une formation qui vise à le situer dans l histoire de
son peuple et de ses lignées familiales. Tout néophyte, d après ce qu il
affirme, est «conscient» de l histoire, de la politique, de la souffrance qu ont
connues ses ancêtres depuis l Afrique en passant par la période esclavagiste,
pour arriver aux persécutions et aux préjugés dont sont victimes les porteurs
de cette tradition religieuse dans l Haïti postcoloniale. «On nous donne des
connaissances sur le passé pour qu on puisse aller vers le futur... Tout initié
revit cette situation historique de souffrances d une manière ou d une autre. Tu
dois retourner dans ce passé-là. C est pour cela qu on dit que tu renais. Il faut
sentir ce que tes ancêtres ont senti». Toutefois, nous devons noter que si cette
con160 Selon la tradition orale, c est à la suite d un rassemblement
politicoreligieux (sur l habitation de Mézy dans le Nord, dans la nuit du 14
août 1791) connu sous le nom de Cérémonie du Bois-Caïman que la
Révolution haïtienne a été lancée par Boukman, un ancien marron et prêtre
vodou qui donna le signal du soulèvement général des esclaves. On dit que
c'est dans le sang d'un cochon noir que fut scellée l'alliance entre les révoltés
et les divinités africaines sous l'égide desquelles ils combattaient. Mais, selon
manbo De Lynch (2008 : 163), la prêtresse de cette cérémonie avait pour nom
sacré «Manbo Inan». Elle présidait un rituel qu on appelle dans le vodou Bay
gad (donner de la protection, talisman) dans le rite petwo. Donc, on disait kay
Manbo Inan (Chez Manbo Inan) ou Bwa kay Inan (Dans les bois ou forêt chez
Manbo Inan). Aujourd hui, le Lwa Manbo Inan est encore vénéré dans le Nord
et l Artibonite. Par contre, certains Haïtiens nouvellement initiés à l Islam
pensent que Boukman (book man) était un musulman et que son nom
signifiait homme du livre. Donc, le Bois-Caïman était Bois kay Imam (Dans
les Bois chez Imam). Ils estiment que cette cérémonie nocturne était réalisée
avec un sanglier noir et non avec un cochon noir. Or, pour les Haïtiens
convertis au christianisme (protestants surtout), le sang du cochon doit être
remplacé par le sang d un «humain», un fils d Israël, fils de Dieu Jésus.

199 199 naissance du passé ne renvoie pas à un enseignement formel de l


histoire, le rituel, par beaucoup de ses éléments, éveille la mémoire. Au terme
de ce chapitre traitant du mécanisme de la transmission de la prêtrise dans le
vodou haïtien, on peut dire que la construction de l identité de l ougan ou de la
manbo est un long processus. Une fois qu il a consenti à la nécessité de
répondre à l appel de sa famille mystique, l appelé va mobiliser sa «mémoire
épisodique» 161 qui lui permet de se souvenir et de prendre conscience des
événements qui ont été personnellement vécus dans un contexte spatial et
temporel particulier. Cette mémoire épisodique rend possible un voyage
mental dans [177] le temps en ce sens que le prétendant réalise une opération
de reviviscence des expériences passées qui lui permet de se projeter dans le
futur (identité désirée - manbo ou ougan confirmé). Par cette «conscience
autonoétique» 162, il arrive à se rendre compte de sa propre identité dans un
temps subjectif. On peut noter que cette mémoire épisodique, qui est aussi une
mémoire autobiographique, a été nourrie dans le cadre d un apprentissage
culturel dans un réseau d'influences (vertical, oblique et horizontal) qui a
permis à l enfant d intégrer de manière consciente ou inconsciente les codes
culturels de son milieu d appartenance. Par le conditionnement et le
renforcement, l enfant est souvent pris dans un jeu qui l amène à intérioriser et
faire siennes certaines pratiques de son milieu d évolution. En suivant de
manière constante les gestes, les comportements, les attitudes, les discours
relatifs à la prêtrise vodou dans son environnement immédiat, le désir
mimétique de l enfant est souvent activé, ce qui va le rendre plus attentif, donc
plus concentré sur la mise en forme d un projet personnel. Ainsi, on peut voir
que l identité du futur prêtre est très souvent stimulée, prescrite et fortifiée par
les voix du dehors, c est-à-dire par des actes de renforcement. Dans un jeu de
complicité des désirs et de projets divers (d ancêtres, parents, membres de la
communauté, pairs, projet personnel), les expériences oniriques vont être
prises très au sérieux et interprétées Voir Van der Linden (2003 : 54) La
conscience autonoétique est celle qui permet à l individu de «voyager
mentalement dans le temps». Par la récupération des souvenirs épisodiques,
cette conscience fait revivre de façon consciente les événements du passé.

200 200 comme une forme de communication de messages et de transmission


de savoir-faire impliquant le passage à l acte. Le «système de représentation
perceptive» qui concerne l acquisition et le maintien de la connaissance
relative à la forme et à la structure des mots, des rythmes (en présentation
visuelle ou auditive), des objets, des visages, etc. 163 est supporté par une
culture matérielle qui pérennise les expériences ancestrales dans une durée
existentielle qui excède une vie humaine. Ainsi, les objets matériels produits,
conservés et transmis doivent maintenir le contact intergénérationnel. Ils
constituent une référence cognitive qui investit et concrétise une «mémoire
sémantique» 164, donc une vision du monde. [178] Au cours de l initiation
ponctuelle qui donne accès aux secrets du culte, l opération de transmission
est ici volontaire, explicite. Elle opère sous la forme de la communication
instrumentale. Les valeurs et les savoir-faire spécifiques nécessaires à l
exercice de la fonction visée au sein de la hiérarchie vodou sont transmis dans
un rapport de consentement entre le socialisateur (initiateur) et le socialisé
(initié). Il s agit d une situation de transmission où le prétendant s'approprie la
mémoire sémantique et aussi procédurale de sa mère ou de son père spirituel
qui, du même coup, l insère dans un réseau de lignées croyantes. Les troisième
et quatrième chapitres de cette thèse ont visé à présenter une description
analytique du mode de passation de la prêtrise vodou, particulièrement du
mécanisme de construction de l identité religieuse de l ougan ou de la manbo.
Sans vouloir être exhaustif, nous croyons que nous avons montré les voies
essentielles de cette transmission religieuse. Maintenant, il est question de
passer à la prochaine étape qui est plutôt explicative. Si les deux chapitres
précédents viennent de répondre à la question «comment transmettre», les
deux prochains chapitres s attacheront plutôt à répondre à la question
«pourquoi transmettre» Voir Van der Linden (2003 : 54). La mémoire
sémantique rend possibles l acquisition et la rétention de connaissances
générales (factuelles) sur le monde. Elle fournit le matériau nécessaire pour
effectuer des opérations cognitives sur des aspects du monde qui ne peuvent
pas être appréhendés par la perception immédiate.

201 201 [179] Transmission de la prêtrise vodou. Devenir ougan ou mambo


en Haïti Chapitre V Persistance de la transmission et loyauté du prêtre envers
sa lignée croyante 1. Vodou, culture de résistance [181] 1.1. Représentations
du vodou colonial dans le contexte de la révolte des esclaves et de la guerre de
l'indépendance [183] 1.2. Méfiance et silence auto-protecteurs des initiés
[197] 2. Loyauté familiale et religieuse entre des obligations contradictoires
[203] 3. Loyauté envers la généalogie croyante, à peine une question de choix
[208] Retour à la table des matières

202 202 [180] L utilisation du terme «persistance» ici ne renvoie pas


uniquement à la notion de la continuité ou de la durée d un phénomène à
travers le temps, ce qui pourrait évacuer toute l idée de tensions et de conflits
qui traverse l histoire du vodou en Haïti. Cette pérennité de la transmission
religieuse est aussi une persévérance obstinée. Elle traduit une ferme volonté,
un engagement total et courageux des principaux agents du système,
particulièrement des manbo et des ougan, afin de garder vivante leur tradition
ancestrale, qui à leurs yeux ne manque pas d efficacité dans le sens qu elle
leur fournit des réponses captivantes (possédant un immense attrait
psychologique) à leurs questionnements et besoins existentiels. Considérant le
milieu hostile dans lequel le vodou haïtien a évolué, la persistance de sa
transmission peut être comprise comme un refus, un acte de résistance à l
autorité établie (jugée injuste) ou le refus de se conformer à la vision du
monde des «civilisés». Enfin, elle est aussi un acte déloyal face aux autorités
coloniales et postcoloniales, et pourtant loyal à sa tradition ancestrale 165. En
parlant de la loyauté, Bouriccaud (1998 : ) a souligné que cette attitude ne
concerne pas uniquement des «petites sociétés» (familles, communautés
religieuses, groupes de travail ), elle vise au moins implicitement l ordre social
tout entier. Ainsi, pour l'état central ou national, surtout en période de crise, la
loyauté est d une extrême urgence. Il ne supporte que très mal les
attachements aux Églises et aux organisations transnationales. Il est aussi très
méfiant à l égard des «sociétés particulières» qui se forment sur son territoire.
Ainsi, dans un contexte où les notions de liberté de conscience, de réunion, de
culte ne sont pas encore de mise ou reconnues, les autorités établies ont toute
latitude pour administrer des châtiments aux groupes 165 Pour les vodouisants
les plus éduqués que nous côtoyons dans le cadre de notre terrain, ils n ont
aucune raison de ne pas être loyaux à leur tradition en dépit du fait qu on la
perçoive assez souvent comme un lieu où dominent les pouvoirs maléfiques.
Car pour eux, le méchant ou le mal n est pas forcément dans leur camp. Il est
plutôt de l autre côté : c était la conquête (traite, assassinat, génocide,
dépossession brutale dans les cités des Indiens de l Amérique et d ailleurs), l
esclavage, les Première et Deuxième guerres mondiales, la guerre en Irak. Si l
Occident a commis autant de crimes en invoquant le nom de Dieu, cela
implique que son Dieu est sanguinaire.

203 203 ou catégories sociales désignés comme ennemis de l État ou de la


nation. Généralement, la chasse aux sorcières commence après un processus
de diabolisation. En ce sens, ce chapitre vise à analyser, dans un premier
temps, la persistance du vodou dans le milieu haïtien dans la logique d une
transmission consciente visant à résister et survivre contre les forces hostiles
qui l ont désigné comme prélude à la révolte (période coloniale) et honte
nationale, obstacle au développement (période postcoloniale). Dans un
deuxième temps, il est [181] question d étudier la loyauté du prêtre ou de la
prêtresse vodou à travers des obligations contradictoires et aussi dans une
perspective d illusio ou d émotions. 5.1 Vodou, culture de résistance Retour à
la table des matières Parmi nos interlocuteurs, il est rare de trouver quelqu un
qui ne mentionne pas l attitude de l État haïtien ou de l église catholique visà-
vis du vodou. On peut faire aussi le même constat chez les auteurs qui s
intéressent à cette culture religieuse. Dans le cadre de ce travail, depuis l
introduction, nous avons été souvent amené à faire référence à cette attitude
qui très souvent soulève de grandes émotions provoquées par une mémoire
blessée et enracinée dans des traumatismes initiaux. Déravine ne pouvait pas s
abstenir de se rappeler des conséquences de «l incompréhension» des autorités
du pays à l égard des pratiques du vodou sur sa famille. Comme nous l avons
déjà noté, à l occasion de la chasse aux vodouisants des années , l une de ses
tantes a reçu un coup de poignard à la poitrine, son grand-père a eu deux
doigts de la main coupés à la machette ; plus récemment, sa mère (encore
vivante) a été lapidée après avoir été accusée d être un loup-garou ; son père
qui était au tribunal pour traiter un différend avec un particulier fut tout de
suite jeté en prison après avoir été identifié comme ougan, donc loup-garou d
après le juge. Dans cette liste de préjudices causés à sa famille, il y en a un
autre qui ne semble pas plus violent que les précédents, mais qui évoque
beaucoup d émotions et de souffrance morale chez notre interlocuteur.
Imprimé dans sa mémoire, il nous le répète constamment, sans doute

204 204 parce qu il a eu une relation non transférentielle, mais directe avec cet
épisode : J étais à l école chez les Pères de Pétion-Ville et je devais cacher que
j étais le fils d un ougan. Quand, ils ont découvert cela, ils m ont mis à la
porte. Ensuite, j avais quatorze ans quand mon père était mort. Avant
l'inhumation, le cadavre a été installé à l église de Saint-Pierre pour les
obsèques religieuses. Je portais une chemise à manches longues afin d assister
aux funérailles. En arrivant à l église, la bonne surprise qui m attendait est la
suivante : le prêtre de l église a refusé de célébrer la messe funéraire, et il a
fait sortir le cadavre de l église parce qu il s est [182] rendu compte que mon
père était un ougan. Face à cet affront, on était obligé de négocier avec un laïc
afin qu il puisse la célébrer au cimetière avant l'inhumation. En nous montrant
des tambours qu il a hérité de son grand-père (Batol), Déravine nous a dit que
la conservation de ces instruments de musique sacrée dans son péristyle
symbolise le corps physique de Batol. Leur présence lui donne l impression
que son grand-père est encore vivant. Et il n a pas oublié de nous préciser
que : «Tanbou sa yo se temwayaj rezistans vodou fas a vyolans legliz katolik»
(Ces tambours témoignent de la résistance du vodou face à la violence de l
église catholique). Pour expliquer la cause d un haut degré d illettrisme au sein
du vodou, il avance que l «enfliyans legliz katolik la pote yon viris nan Leta
ayisyen, li pote yon viris nan lekol. Ki donk, pa gen demokrasi, sistèm
esklavajis la toujou tabli sou do vodouyizan an anndan peyi a» (l influence de
l église catholique apporte au sein de l État haïtien et aussi dans les écoles une
sorte de virus, ce qui a produit une société non démocratique. Dans ce
contexte, le poids du système esclavagiste est toujours pesant sur le dos des
vodouisants à travers le pays). Afin de mieux saisir cette relation de tension
qui est inlassablement relatée, et aussi pour mieux apprécier le niveau d
obstacle que les pratiques vodou ont pu contourner avant d arriver jusqu à
nous, un regard rétrospectif sur le mode de rapport qui s est tissé entre le
vodou et les autorités qui se sont succédé à travers le temps s impose à nous à
ce niveau.

205 205 [183] Représentations du vodou colonial dans le contexte de la


révolte des esclaves et de la guerre de l'indépendance Retour à la table des
matières Le développement du système colonial esclavagiste, axé sur la traite
négrière et la grande plantation, a connu au cours de la deuxième moitié du
XVIIe siècle une révolution sucrière, dévoreuse de main-d œuvre captive
(Régent 2007 : 40). Officiellement, de 11 à 12,7 millions d Africains 166 ont
été arrachés et transportés par les bateaux négriers européens à travers l océan
Atlantique et environ 9,5 millions 167 survivent à la terrible traversée et sont
introduits dans les Amériques pour y être esclaves (Régent 2007 : 37). Ce
commerce juteux a transplanté à Saint-Domingue, la plus riche colonie
française de l époque, Noirs contre Blancs en Alors que la durée moyenne de
survie d'un esclave ne dépassait pas sept ans 168, l'intensification de la traite
avait permis de compenser les pertes et même d'augmenter rapidement le
nombre des esclaves pour atteindre à la fin du XVIIIe siècle un effectif variant
entre et esclaves (Barthélémy 1997 : 840 ; Saint-Louis : 39), soit environ 85%
de la population globale (Blancs, Africains, Créoles) millions selon David
Eltis (2001) et 12,7 millions d après Joseph Inikori (2002), cités par Régent
(2007 : 37). 167 Sur toute la période de la colonisation esclavagiste, les
négriers français sont les troisièmes transporteurs d'esclaves (environ 1,5
million d'esclaves transportés), derrière les Portugais (environ 5 millions) et
les Anglais (environ 3 millions) ; voir Régent (2007 : 57). 168 «Le surmenage
était tel que l espérance de vie d un Africain vendu sur une plantation de
Saint-Domingue était estimée à dix ans au plus» (Métraux 1958 : 25). 169 En
1681, il n'y a dans Saint-Domingue que Blancs, Noirs et 200 mulâtres sans
compter 1000 à 1200 flibustiers. À cause des départs provoqués par la
régression économique, il y en aura 4000 de moins après En 1700, Saint-
Domingue compte environ 4074 Blancs, esclaves, 500 affranchis surtout
mulâtres. En 1789, elle compte esclaves, gens de couleur libres et Blancs,
auxquels il faut ajouter de

206 206 Une fois introduits dans la colonie, il fallait dresser les captifs afin qu
ils s imprègnent très vite et sans contestation des attitudes et comportements
propices à l exploitation de leur force de travail jusqu à l épuisement. Les
autorités coloniales ne manquaient pas de créativité en matière de méthodes d
intégration. Le captif nouvellement débarqué affronte au départ une situation
de désorientation complète : transporté d'une rive à l'autre de l'océan, exposé à
tous [184] (marché à esclaves), vendu aux enchères, il subit l épreuve de l
étampe170, est séparé des autres captifs de sa tribu qui se trouvaient à bord, et
quelquefois même des membres de sa famille capturés en même temps171.
Les réactions à ce premier contact sont parfois brutales. Elles s exprimaient
par le suicide, le dépérissement, le marronnage (Barthélémy 1997 : 842) 172.
En vue de prévenir tout acte défavorable à l intérêt du système d exploitation,
le génie tortionnaire des autorités coloniales était très fécond. Quand il fallait
châtier un «rebelle», la torture physique infligée était à la fois une punition et
aussi une prévention contre toutes attitudes mimétiques des autres esclaves.
Voulant présenter à ses compatriotes une autre perception des Haïtiens et des
Haïtiennes que celle souvent véhiculée dans les médias, après un travail de
collecte et d analyse des données historiques, ethnologiques et géographiques,
le Canadien Claude A. Gauthier (1977 : 66) estime que «pour avoir répassage
et dits masse flottante (Saint-Louis 2004 : 39 ; voir aussi Métral 1985 [1825] :
18). 170 L épreuve de l étampe est le marquage au fer rouge de l insigne d un
négrier (d un courtier ou du nouveau maître) afin d identifier un Nègre ou une
Négresse (sur son sein) fraîchement débarqué comme on le faisait pour les
animaux. 171 Gauthier (1977 : 63) est plus catégorique sur cette stratégie de
déracinement. Il nous dit que : «Chaque colon prenait son lot et on assistait
alors au tragique spectacle d une mère séparée de son fils, d un mari séparé de
sa femme, d un frère séparé de sa sœur. Ils ne se retrouvaient plus jamais».
Mais cette stratégie des maîtres qui consistait à brouiller les liens des esclaves
avec leur lignage et leurs ethnies, a donc en toute rigueur subi un échec
évident en ce qui concerne leurs croyances et pratiques religieuses (Hurbon
2009 : 190). 172 Des captifs fraîchement débarqués ont souvent pratiqué un
marronnage définitif, par opposition au marronnage occasionnel enregistré
chez certains esclaves déjà socialisés aux rapports de production esclavagiste.

207 207 sisté à tant d atrocités, il fallait que les Nègres fussent des êtres
surhumains». En préfaçant Gauthier, Jean-Paul Deslierres avance que
quiconque «ignore le passé tragique d Haïti ne peut absolument pas en
comprendre le présent». Le Nègre d Haïti, rappelle Gauthier (1977 : 68 et
145), a connu des siècles de régime bestial. Il revient de loin, et malgré tout, il
est encore vivant et fier. Pour mieux apprécier Haïti et les Haïtiens, il faut
mieux les connaître. Ainsi, au niveau du troisième chapitre de son ouvrage,
sous le titre «Panoplie des supplices et des tortures», il présente une brève
description des méthodes d'asservissement et de châtiments qui étaient
administrés aux esclaves 173. [185] Venaient en premier lieu le supplice
commun et ordinaire du fouet et celui des oreilles coupées. D'autres
châtiments s'y ajoutaient. Tailler un nègre à l'aide du fouet, de cordes à nœuds,
de lianes coupantes, de rigoises ou verges de nerf de bœuf. Le supplice de
l'échelle. La suspension par les mains ou brimbales. La pendaison par l'oreille
clouée. L'ablation de l'oreille. Nègres et négresses dévorés vifs par des dogues
spécialement dressés à cet effet et commandés tout exprès de Cuba. II existait
aussi des supplices exceptionnels selon la cruauté des maîtres que leur
sadisme rendait délirants et hystériques. Nègres et négresses sciés entre deux
planches. Il y avait des nègres dont on brûlait avec des tisons ardents les
parties sexuelles. Des nègres bourrés de poudre et que l'on faisait sauter. Ce
que dans le langage colonial on appelait «faire sauter le cul d'un nègre». L
incision des flancs pour y verser du lard fondu. Des nègres dont on arrachait
les dents ou qu'on obligeait à manger leurs oreilles coupées. Des esclaves
invités à creuser leur tombe et enterrés 173 Tous les colons ont infligé des
tortures aux esclaves. À des degrés divers et variés. Même les religieux
propriétaires de nègres en faisaient autant. Le Père Labat raconte le traitement
qu'il fit endurer à l'un des siens : «Je fis attacher le sorcier, dit-il, et je lui fis
distribuer cent coups de fouet qui l'écorchèrent depuis les épaules jusqu'aux
genoux... Il criait comme un désespéré... Je fis mettre le sorcier aux fers, après
l'avoir fait laver avec une pimentade». Il n'est pas question de ressusciter la
complète panoplie des tourments moraux et physiques que les Blancs ont
infligés aux Nègres, mais il est bon que le Blanc se souvienne de sa part de
responsabilité dans le façonnement de la personnalité du Noir (Gauthier
1977 : 67).

208 208 vivants. Nègres enterrés jusqu'au cou, enduits de sucre, mangés par
les mouches ou placés pour une mort lente et cruelle près d'une ruche de
fourmis rouges. Des nègres liés à des pieds placés dans les gîtes à
maringouins. Des esclaves auxquels on faisait manger leurs excréments, boire
leur urine, lécher les crachats d'autres esclaves. Des nègres à la bouche cousue
avec des fils de laiton. Mutilation des parties sexuelles ou leur ablation.
Noyades organisées d'esclaves. Négresses flambées après avoir eu les seins et
le sexe brûlés et transpercés. Négresses violées devant leur mari ou assistant
au dépècement à coups de machette de leur enfant. Cette panoplie de
supplices atroces qui attaquait les esclaves ou marrons captifs dans leur chair
était insuffisante aux yeux des colons de Saint-Domingue, il fallait atteindre
aussi le psychisme du Nègre. Ainsi, «le blanc lui faisait peur, précise Gauthier
(1977 : 68-69). On lui avait appris qu'il mangeait l'esclave et que son mets
préféré était le Noir. La croyance populaire à l'effet que le Blanc fût un
cannibale ajoutait à l'effroi qu'il concevait déjà de cette terre inconnue et qu'il
appréhendait de toutes ses forces». Ici à Saint-Domingue, c était un
«esclavage affreux» 174, a estimé Métral (1985 [1825] : 12). [186] Et, pour
rester digne d un «authentique civilisé», le citoyen français doit ignorer cette
page macabre de son histoire. C est plus qu un «oubli programmé», c est «une
mémoire enchaînée» 175. Mais le plus important, c est qu il doit ignorer que
les soldats de Bonaparte ont vécu une défaite jugée «ignominieuse» aux mains
d esclaves noirs qui deviennent les premiers, après les citoyens des États-Unis,
à s affranchir du colonialisme européen, les seuls esclaves dans l histoire de l
humanité à s être émancipés eux-mêmes. Aujourd hui encore, cette Révolution
haïtienne n a pas droit de cité dans les manuels d histoire destinés aux écoles
élémentaires et secondaires en France (Hoffmann 2010 : 35). Comment est-ce
qu un esclave a pu surmonter cette machine de déshumanisation et génératrice
de peur pour retrouver la confiance, la 174 Pour échapper à ce traitement
ignominieux, «on voyait jusqu à trente esclaves se donner la mort laisser
ensemble leur misère» (Métral 1985 : 18). 175 Voir Françoise Vergès (2006).

209 209 conviction, l énergie, bref : une contre-idéologie assez efficace


pouvant lui permettre d affronter ses bourreaux? Sans vouloir minimiser l
ensemble des conflits internes 176 et géopolitiques de l époque, ni négliger
non plus le rôle décisif des leaders créoles Boukman, Jean-François, Biassou,
Jeannot 177, et particulièrement les stratégies militaires de Toussaint,
Dessalines, Pétion, Christophe, H. Trouillot (1972 : 84) suggère qu on regarde
du côté de la psychologie du vodou comme ferment explicatif de la révolte
des noirs en 1791 et aussi en À la révolte, comme aux cérémonies du vodou,
étaient susceptibles de participer à peu près tous les Noirs africains de la
colonie. En dépit qu ils fussent détestés par tous (Français, Mulâtres, Noirs
créoles), leur supériorité en nombre et surtout leur intrépidité dans les combats
ont fait d eux une force [187] incontournable sur l échiquier militaire de Saint-
Domingue. En 1789, plus de la moitié du demi-million d esclaves vivant à
Saint-Domingue était née en Afrique (Mintz et M.-R. Trouillot 2003 : 26).
Après avoir cité Moreau de Saint-Mery et Gabriel Debien, Barthélémy (1997 :
843) 176 Conflits pour le partage des profits et du pouvoir entre les privilégiés
du système esclavagiste à Saint-Domingue. 177 Selon David P. Geggus (2002
: 77-78), le rassemblement du 14 août 1791 sur l'habitation Lenormand de
Mézy à Plaine-du-Nord réunit environ 200 représentants d'habitations,
«l'élite» des sociétés d'esclaves. Ils sont commandeurs, cochers, raffineurs,
domestiques et autres occupants de «places réservées» dans la hiérarchie des
occupations serviles à Saint-Domingue. C'est lors de cette réunion finale de
planification que fut décidée la date du déclenchement de l'insurrection. On le
sait bien aujourd'hui, les hautes places serviles étaient de préférence attribuées
à des esclaves créoles. Les premiers chefs de l'insurrection étaient tous
créoles, les cochets Boukman et Jean-François, le raffineur Biassou, le
domestique Jeannot, de même que le libre Toussaint Bréda, par la suite. Parmi
eux, aucun chef de bande marronne, ni aucun chef bossale, ni non plus de
prêtre vodou venu du marronnage. Aucun de ces dirigeants créoles n'est décrit
dans les sources historiques comme prêtre du vodou, même s ils sont tous
présentés par les défenseurs du vodou comme des pratiquants de cette religion
(Midy 2009 : 139). Si Midy a mis l accent sur l absence de Nègres africains ou
«bossales» parmi les premiers chefs de l insurrection, Barthélémy (1997 : 845)
a noté (avec Fouchard 1985: 412) que ces membres de «l élite» étaient alliés
aux rebelles «professionnels» que constituaient les chefs marrons. Et on vit
alors déferler, derrière ces chefs, nombre d'esclaves qui, spontanément,
renouaient avec leur passé de guerriers africains.

210 210 rappelle que plus de la moitié des esclaves «avaient débarqué dans la
colonie depuis moins de cinq ans et constituaient ainsi une importante masse
encore étrangère au pays» 178. La résistance à la vie atroce qui leur était
assignée, comme l a noté Barthélémy (1997 : 842), était parfois brutale. Leur
comportement était fondamentalement marqué par un «réflexe de refus» au
point qu ils étaient désignés comme «inassimilables». Si toutes les classes à
Saint-Domingue s'adonnaient aux pratiques superstitieuses (et croyaient aux
pouvoirs des «sorciers») 179, les pratiques culturelles des Africains, plus
secrètes, plus mystérieuses, plus terribles aussi, inquiétaient non seulement les
Français, mais aussi les hommes noirs et mulâtres des troupes coloniales
(Trouillot 1972 : 80). On doit rappeler que la terreur des vengeances d
esclaves hantait les colons, d autant plus que les incendies de récoltes, l
empoisonnement des bestiaux, les meurtres d esclaves fidèles et de maîtres
blancs leur étaient très familiers. Les bandes de nègres marrons réfugiés dans
les montagnes n hésitaient pas à effectuer des raids 178 Moreau de Saint-Mery
(1984 [1797]), sans doute l'un des meilleurs observateurs de Saint-Domingue,
nous dit que les Bossales (les esclaves nés en Afrique) représentaient les deux
tiers de la population servile de la colonie en Si les travaux de dénombrement
exécutés par Gabriel Debien (1974) incitent désormais à le considérer comme
excessif, ce chiffre donne néanmoins une idée de l'importance prise par cette
population africaine à la suite du développement considérable de la colonie au
cours des vingt années précédentes (Barthélémy 1997 : 840). En 1789, nous
dit Carolyn E. Fick (1990), les deux tiers du demi-million d esclaves vivant à
Saint-Domingue étaient nés en Afrique (Mintz et M.-R. Trouillot 2003 : 26).
179 En décrivant la mentalité religieuse de la France d avant 1848, l'éminent
sociologue Gabriel Lebras a pu noter que la superstition était répandue
partout. Nul pays où l'on ne crût aux sorciers et aux sorcières «Le
christianisme lui-même en est envahi Paysans des domaines, boutiquiers et
artisans des villes et même l'aristocrate recherchaient par des invocations
religieuses et des rites magiques le secours des puissances cachées» (Souffrant
1995 : 121). L'interdiction du vodou ou de toutes pratiques religieuses
africaines, par le Code noir de 1685, s'inscrit non seulement dans la nécessité
d'empêcher les réunions des esclaves, lieu d'émergence des révoltes, mais
aussi dans la croyance partagée par les colons que des actes de sorcellerie
peuvent avoir une efficacité (Hurbon 1987b : 84).

211 211 meurtriers sur les plantations 180. Ainsi, soupçonnait-on, sans doute
à juste titre, que tant les inspirateurs de la résistance parmi les [188] esclaves
que les chefs marrons étaient des «sorciers» dont l autorité reposait sur les
pouvoirs magiques qu ils étaient censés détenir (Hoffmann 1987 : ). Après les
révoltes de 1791 que les Blancs croyaient survenir après des cérémonies
vodou, les autorités coloniales réprimaient sans pitié tout ce qui de près ou de
loin rappellait cette africanité. Même le commissaire Sonthonax, qui débarque
en 1796 pour appliquer la politique égalitaire et populiste du Directoire, a
interdit les cérémonies et réunions vodou jugées «antirépublicaines,
immorales et dangereuses» (Hoffmann 1987 : 123). Selon Trouillot (1971 :
273, 267), lors de la révolte générale des esclaves, presque tous les chefs de
bandes étaient Africains (nés en Afrique) ou s en rapprochaient. En un
tournemain, ces chefs africains créaient partout une atmosphère de fanatisme
parmi les insurgés noirs, ces derniers croyant que leurs chefs agissaient sous la
dictée des invisibles. «Par des mots et des gestes sacramentels, ils
enflammaient la conscience des autres africains qui se jetaient aveuglément
dans la mêlée. Dans leur manière d'attaquer les Français, ces Africains
employaient des procédés inusités jusque-là». Avec leur pratique de guérilla,
et aussi par leur conscience du vodou qui les faisait se croire invincibles, ils
«ne jouaient pas» et déroutaient littéralement les troupes françaises, déclare
Trouillot (1971 : 297). En assimilant le pouvoir magique du vodou à la
frénésie dans les combats, la peur a changé de camp. Il semblait que les Dieux
vodou l emportassent sur le Dieu des Blancs coloniaux, comme avait
prophétisé Makandal, un leader marron (avant Boukman) connu pour ses
pouvoirs de «sorcier», qui fabriquait des poisons et procurait aux esclaves des
gadkò (talismans) qui les libéraient de la peur des Blancs (Régulus 2010 :
192). Savoir que les Noirs avaient «dansé le vodou» était suffisant pour créer
une panique collective dans la colonie. En rapportant les propos d un
contemporain, Trouillot (1972 : 85) a écrit 180 Si dans la partie française de
Saint-Domingue les maîtres fuyaient les plantations pour échapper à la contre-
violence des esclaves, dans la partie qui appartenait à l Espagne, «il est bien
digne de remarque, d y voir l Espagnol dormir en paix à côté de son esclave
[ ]. Les esclaves n y étaient guère que des bergers sous des maîtres indolents»
(Métral 1985 : 47, 48).

212 212 ce qui suit : «Ils ont dansé le vaudou (danse obscène pour encourager
au meurtre) dans deux endroits ; on vient de pendre un des principaux acteurs,
qui a été pris en ville [ ] cette danse est un prélude de sinistre». [189] Dans ce
contexte, toutes les réunions d esclaves 181, même les cérémonies funèbres,
étaient frappées d interdiction (Hoffmann 1987 : 121). Ainsi, les expressions
culturelles de ces Africains et l insurrection constituaient, du moins dans les
périodes de crise, deux aspects d'un même phénomène. Et ces deux aspects
provoquaient chez les Français les mêmes réactions pendaison du récalcitrant,
son incinération à petit feu, l'exécution sommaire ou les tortures les plus
cruelles. «Les femmes africaines qui pratiquaient le fétichisme dans les
campagnes étaient jetées vivantes dans les flammes». Un révolté, c'était un
vodouisant, un vodouisant, c'était un révolté, tel était le principe (Trouillot
1972 : 85). Les conséquences étaient souvent, comme le rapportent Malenfant
182, Laujon 183 et d'autres observateurs, le massacre pur et simple des
vodouisants ou même de ceux des Noirs qui étaient soupçonnés de pratiquer le
vodou 184. Les Français le savaient, le vodou inspirait ces 181 «Les Nègres se
réunissaient pour danser ; ces réunions excitaient les soupçons des tyrans. Ils
commençaient par une danse appelée Chica et terminaient par le Vodou [ ].
Souvent ces malheureux tombaient, écumaient comme épileptiques [ ]. Et c
est là qu on alla s imaginer que les Nègres tramaient la perte des blancs et
préludaient à des assassinats! Le roi et la reine de cette danse furent arrêtés, et,
[ ] on les pendit avec leur toilette de roi et de reine» (Capitaine Jean-Baptiste
Lemonnier-Delafosse cité par Hoffmann 1987 : 123). 182 Colonel Malenfant,
l un des combattants français contre l'armée de l'indépendance à Saint-
Domingue. 183 A. P. M. Laujon, un ancien conseiller à Saint-Domingue. 184
Les masses désespérées recouraient, même dans les villes, aux cérémonies du
vodou pour apaiser leur angoisse. Mais ces cérémonies étaient considérées
comme une forme de révolte. Car elles soutenaient le courage des masses. Et,
dans la tourmente, c'est au vodou que ces masses réclamaient un surcroît de
courage pour affronter les dangers. De là ce fanatisme qui ne reculait ni
devant les balles, ni devant les baïonnettes, ni devant les canons. C'est
pourquoi, aux dires de Malenfant, de Pamphile de Lacroix, comme de bien
d'autres, il était naturel pour les Français de massacrer les vodoui-

213 213 Africains dans leur lutte. Avant tout combat, ils invoquaient les
Esprits et tenaient compte de leurs recommandations. Les Dieux du vodou
étaient essentiellement guerriers. Et chaque «grand prêtre» 185 du vodou était
un guerrier ou, pour employer l'expression alors à la mode, un chef de
révoltés. Donc, tout au long de la colonisation française à Saint-Domingue,
une lutte [190] constante était menée contre les pratiques qui s apparentaient
au vodou. Elle prenait souvent l'allure d'une guerre de religion, pendant
laquelle tout vodouisant pouvait être pendu ou brûlé vif. Cette lutte s'est
intensifiée en 1802 et 1803 (Trouillot 1972 : 76, 80) 186. En effet, on peut
admettre que les autorités coloniales combattaient le vodou avec fureur, non
par zèle apostolique, mais plutôt pour des raisons préventives et sécuritaires.
sants Ce qui maintenait en état d'horreur les Français, c'étaient donc les danses
du vodou. Le vodou pour eux signifiait révolte, agression, et les Noirs qui
pratiquaient le vodou, si on les surprenait dans une cérémonie ou, même si on
les dénonçait, étaient impitoyablement massacrés. Cette force, les Français en
avaient une crainte panique. À chaque fois que nous parlons de Sans Souci,
Petit Noël, Jacques Tellier, Labrunit, Cagnet, Yayou, Macaya, Movongou,
Va-Malheureux, Caca Poule, Sylla, Gingenbre Trop Fort, Jean Panier, du
fameux Lamour Dérance, il y a, comme toile de fond de leur psychologie,
l'influence du vodou (Trouillot 1972 : 84, 87). 185 Les «grands prêtres»
étaient des organisateurs et animateurs de danse lors de laquelle ils
invoquaient les esprits et tenaient compte de leurs recommandations. C était
pour des Africains l'occasion de se réunir et au cours de ces réunions leur
conscience pour ainsi dire s'exaltait et ils étaient prêts pour des combats dans
les plaines et les montagnes. Leurs dieux les rendaient invincibles, ils le
croyaient du moins. À ce moment, les Blancs, les mulâtres comme les Noirs
qui constituaient les troupes coloniales étaient pris pour cible. C'était très
dangereux pour les troupes françaises les plus aguerries et les mieux équipées.
Ces grands prêtres du vodou ou chefs de guerre conduisaient où ils le
voulaient ces hommes sur qui ils exerçaient une profonde influence (Trouillot
1972 : 77-79). 186 Quand le général Charles Belair (neveu de Toussaint
Louverture) prit les armes dans l été de 1802 contre Leclerc, en rapportant la
nouvelle au Premier Consul (Napoléon Bonaparte), il ajoutait sur un ton plein
d assurance : «Dessalines et Christophe vont bien, et je leur ai de véritables
obligations». Cependant, ce qui inquiétait Leclerc, souligne Trouillot (1971 :
283), c'étaient les deux mille chefs africains qui hantaient les plaines et les
montagnes. Et c est avec une fougue brutale que Dessalines les poursuivait
(Trouillot 1971 : 302). Il «est dans ce moment le boucher des noirs» (Trouillot
1971 : 286).

214 214 Comme nous l avons déjà souligné, cette attitude de crainte et de


mépris vis-à-vis des Africains de Saint-Domingue ne se manifestait pas
uniquement du côté des Français, mais aussi du côté des «Mulâtres» (Métis) et
des Noirs créoles qui constituaient les troupes coloniales. Très tôt dans la
colonie, une rivalité s est créée entre Africains (nouvellement débarqués,
appelés «Bossales») et Créoles. Par privilège de naissance, ces derniers étaient
épargnés par le supplice de l étampe, et de ce fait, tirèrent fierté de leur
avantage et se considérèrent supérieurs aux Bossales qui se sentaient mortifiés
par ce stigmate. «la peine de l étampe fut toujours considérée plus outrageante
moralement qu insupportable à subir physiquement». Un créole rattrapé après
avoir fui l habitation pour rejoindre les Nègres marrons a connu le châtiment
de l étampe, qui était pour lui moins un supplice physique qu une souffrance
morale qui l abaissait au niveau du Bossale (Gauthier 1977 : 65). Personnage
désorienté, meurtri et marginalisé, ce Bossale était un «étranger absolu» un
véritable esclave. Et, à ce niveau, inutile de préciser que ce terme stigmatisant
est souvent reçu comme une insulte 187 (Barthélémy 1997 : 841). On peut
remarquer avec Moreau de Saint-Mery (1984 : 59) le rôle actif du colon dans
la construction de l image du Bossale par rapport aux Nègres créoles. [191] À
l'intelligence, le Nègre créole réunit la grâce dans les formes, la souplesse
dans les mouvements, l'agrément dans la figure, et un langage plus doux et
privé de tous les accents que les Nègres africains y mêlent. Accoutumés dès
leur naissance, aux choses qui annoncent le génie de l homme, leur esprit est
moins obtus que celui de l Africain [...]. Une prédilection assez générale, fait
préférer les Nègres créoles pour les détails domestiques, et pour les différents
métiers. Il est assez simple, qu étant élevés avec des blancs, et sous leurs yeux,
ces derniers se les attachent 187 En parlant d insulte, Pamphile de Lacroix
(1995 [1819] : 410), a noté que «la dénomination de Nègre ou de Mulâtre a de
tout temps été choquante pour les hommes de Saint-Domingue. Le fameux
Lapointe, en endossant l uniforme de Major général anglais, fit scier la jambe
à un Noir qui l avait appelé mulâtre». Aujourd hui, les termes Nègre, Mulâtre
perdent leur connotation péjorative en Haïti alors que le terme Bossale reste
toujours insultant.

215 215 d'une manière plus immédiate, et qu'on leur destine des soins moins
pénibles... À travers ces jugements comparatifs apparaît clairement l'argument
classique du colon et du christianisme colonial qui cherchait à justifier
l'esclavage en le prenant comme un moyen privilégié pour civiliser le
«Sauvage africain» (Barthélémy 1997 : 842). En 1639, une bulle du pape
menace d'excommunication toute personne participant au trafic des
Amérindiens alors que les autorités religieuses voyaient dans la traite des
Noirs et l esclavage un moyen efficace de convertir les Africains au
catholicisme (Régent 2007 : 40). Dans l'institution esclavagiste, nous dit
Hurbon (2009 : 189), un rôle important sinon cardinal est assigné au
christianisme comme mode de justification de l'esclavage. Quand Louis XIII
devait officialiser la traite des Noirs, c était dans la «philosophie salvatrice»
du christianisme qu il avait trouvé des subterfuges justificatifs. «Considérant
que la gloire de Dieu est bien le principal objet des dites colonies, il accepte d
autoriser le commerce des Africains en échange de leur conversion au
christianisme». Car, disait-il plus tard (mars 1642), «les sauvages qui seront
convertis à la foi chrétienne et en feront profession seront censés et réputés
naturels français, capables de toutes les charges, honneurs, successions et
dotations» 188 (Régent 2007 : 41). Ainsi, après avoir analysé les préjugés à la
base de la traite des Noirs, AdélaïdeMerlande (1985 : X), a estimé que «l
esclavagisme est indissolublement lié au racisme». Justement, le regard
discriminé des Créoles vis-à-vis du Nègre africain n était pas construit
uniquement dans les faits, c est-à-dire dans les traitements qui leur étaient
administrés, mais aussi au niveau conceptuel. Et cette construction ne restait
pas sans effet. En [192] rapportant les propos d'un jeune Nègre créole,
Descourtilz (1809: 277) 189 lui a donné la parole de la manière suivante : «Je
me soucie fort peu de mon père ; il a une peau grossière tandis que la mienne
est plus fine ; d'ailleurs il est trop sale ; regardez tout son derrière est à l'air».
Toussaint Louverture lui-même écrira un jour au général La Mais ces
dispositions généreuses ne seront jamais appliquées par les colons.
Descourtilz, Michel Étienne (1809), Voyage d'un naturaliste, Paris, Dufort
Père (3 vols) (cité par Barthélémy, 1997 : 843).

216 216 vaux, gouverneur, pour lui manifester son humiliation et son refus de
voir ses soldats continuer à aller «nus comme des Bossales» (Barthélémy
1997 : 843). En justifiant l arrestation de Macaya (Africain et chef de bande
révoltée), en 1796, Toussaint se plaint de lui à Lavaux en disant : «Tous les
jours, il fait des danses et des assemblées avec des Africains de sa nation à qui
il donne de mauvais conseils» (Midy 2009 : 140). Comme les Blancs, les
Créoles 190 détestaient les Nègres bossales 191. Faisant partie de l armée
coloniale, ces Créoles trouvaient naturel de guerroyer contre ces Africains dits
brigands. Par contre, aux yeux des autorités coloniales, Créole ou Africain,
homme de couleur ou Noir, chrétien ou vodouisant, tout révolté est considéré
comme brigand ou barbare. Si Bonaparte voyait dans la valeur de Toussaint
une ingéniosité qui serait égale à la sienne, et avec laquelle il pouvait
conquérir l Amérique, dès la réception en provenance de Saint-Domingue d
une constitution qui garantissait la liberté des Noirs et donnait à Toussaint le
titre de gouverneur à vie 192, la colère du Consul a éclaté. Le génie est
devenu «un chef de brigands», «un esclave révolté qu il faut punir» (Métral
1985 : 24-27). Et c est ainsi que Toussaint a eu à affronter l expédition de
Leclerc. Christophe, dont le mépris pour les Africains et vodouisants était bien
connu, fut traité de «barbare révolté» par Leclerc parce qu il refusait de lui
livrer la ville du Cap qui était sous son commandement (Métral 1985 : 37). Il
est évident que la construction et le maintien de ce regard racisé dans la
colonie avaient pour fonction, entre autres, de prévenir les possibilités de
conspirations provenant d une union des forces des moins et des plus exploités
du système. [193] Quand les chefs de bandes multiplient les attaques contre
cette expédition qui voulait reconquérir l île, après quelques mois de luttes, la
résistance menée par les chefs créoles dont les plus illustres étaient 190 Ces
Noirs étaient au temps de la colonisation des artisans, des domestiques, des
marchands ambulants ou stables et surtout, des commandeurs. 191 Christophe
dit avoir hésité à prendre les armes à côté de Sans Souci, Macaya, Petit-Noël
en dépit des tentatives de rétablissement de l esclavage par Leclerc. Car selon
lui, seul l'instinct de pillage stimulait ces chefs africains. Il les haïssait aussi
parce qu ils pratiquaient le vodou (Trouillot 1972 : 93). 192 Bien qu elle dût
être sanctionnée par la mère patrie.

217 217 Toussaint Louverture, Christophe, Dessalines et Pétion a fini par se


rallier à Leclerc contre les bandes armées (Barthélémy 1997 : 847). Si selon
les analyses de Bénot (2004 : 82) l aspiration à l'indépendance était présente
dès le début ( ), il a fallu la généralisation de cette insurrection et la tentative
de restauration bonapartiste193 pour contraindre les Métis et les Nègres
créoles de l'armée coloniale à basculer dans le camp des «Bossales» afin de
faire le saut final vers l Indépendance de Mais ce revirement, comme l a noté
Barthélémy (1997 : 848), ne signifiait pas le ralliement à des hommes que l'on
redoutait et que l'on méprisait. Ainsi, devenues maîtres de la terre d Haïti, ces
deux minorités agissantes allaient se disputer le pouvoir politique et
économique à leur profit tout en refoulant les «Bossales» dans les montagnes
et dans les campagnes 194. Lorsque Dessalines (devenu empereur d Haïti) a
pris sa décision de distribuer «des terres aux cultivateurs, aux hommes dont
les pères sont en Afrique», ces deux minorités nationales ont réagi par la
conspiration, et finalement, ils l ont assassiné dans les conditions les plus
indignes. L Indépendance acquise 195, il faut maintenant la consolider, car les
menaces d un éventuel retour des Français étaient constantes. Pour forcer l
opinion publique française à nier cette Indépendance, et du coup exiger une
reconquête, «il faudra que circulent à travers toute l'europe des rumeurs de
cannibalisme, de sauvagerie, de despotismes inhérents à une population de
"race noire"» (Hurbon 1987b : 54). Dans ce contexte, les porte-parole des
quelque six mille anciens co Surtout avec l'annonce du rétablissement de
l'esclavage en Guadeloupe. C étaient ces «refoulés» qui allaient devenir des
cultivateurs et des paysans. 195 «Par acte le Nègre de Saint-Domingue a fait
mentir le Blanc esclavagiste et colonial qui le croyait incapable de sentiments
humains. Seul, il conquit sa liberté et son indépendance dans un monde
dominé par le Blanc» (Gauthier 1977 : 53). On peut rappeler qu au moment où
Haïti a réalisé cet exploit, colonisation, plantation et esclavage représentaient
trois aspects étroitement et directement intégrés au développement de l
économie monde capitaliste de l'époque. D'une manière générale, la rupture de
la domination coloniale n'entraînait en aucune façon la disparition de la
grande plantation et encore moins de l'esclavage. Les États-Unis d'amérique
du Nord (1776) et le Brésil (1822), très tôt libérés de l'oppression d'une
métropole européenne, se situent parmi les pays qui ont conservé le plus
longtemps la plantation et l'esclavage 1865 pour les uns et 1888 pour l autre
(Hector 2009 : 98).

218 218 lons avaient pour tâche de faire valoir les bénéfices que la Métropole
avait perdus suite à leur expropriation. Ainsi, ils décrivaient avec «une
effrayante précision de détails» les déprédations et les atrocités commises par
des «sauvages africains» ou «cannibales révoltés». [194] Ces qualificatifs
étaient avancés comme preuves que ces «ingrats barbares» (propos du jeune
Victor Hugo) ne méritaient ni la liberté, ni, à plus forte raison, l Indépendance
(Hoffmann 2010 : 20), d autant plus que le mot «Haïti» était embarrassant et
avait de lourdes connotations pour les planteurs de la Caraïbe et des
Amériques. Puisque les Anglais et les Espagnols étaient en période d hostilités
avec les Français, ils auraient pu légitimer cette Indépendance au détriment de
leur ennemi commun. Loin de là. La solidarité esclavagiste l emportait sur les
rivalités géopolitiques. D ailleurs, les États-Unis d'amérique et le Brésil par
exemple allaient conserver la grande plantation et l'esclavage respectivement
jusqu en 1865 et Comme a bien noté Brathwaite (1975: xvi), les sanctions
(blocus économique et diplomatique, boycott) devaient être imposées plus
subtilement contre la subversion 196 culturelle de ces Noires de l'hémisphère
que contre les exesclaves en tant que tels. Face à cette campagne de
dénigrement, les premiers dirigeants et l élite intellectuelle d Haïti devaient
réagir. Pour sortir de l isolement et aussi essayer de se débarrasser de l
étiquette «africaine» qu on lui avait apposée dans une Amérique dont l'idéal
était le blanchissement, le nouvel État était dans l obligation de s en défaire
afin d obtenir sa carte d accès au cercle des «nations civilisées». Ainsi, il se
proclame chrétien et choisit le français comme langue officielle 197 bien que
les 196 Dans le sens de renversement des valeurs esclavagistes établies à cette
époque. 197 Savoir le français et vivre «à la française» étaient les meilleurs
moyens pour les militaires noirs de la nouvelle élite de se distinguer de la
masse analphabète des «nouveaux libres». Les Métis avaient déjà leur marque
de distinction. Bien des membres de la nouvelle classe dirigeante étaient de
père ou de grand-père français ; certains avaient été éduqués en France et se
considéraient comme mieux qualifiés pour mener le pays dans la voie de la
«civilisation» et du développement que les officiers noirs souvent
créolophones et parfois illettrés avec lesquels ils partageaient le pouvoir
(Hoffmann 1992 : 29).
219 219 croyances et les pratiques vodou ainsi que le créole (comme langue)
aient constitué l essence culturelle des masses. Dans cette logique, pour
mériter sa carte d'identité occidentale, il fallait contraindre les paysans à subir
le processus d'acculturation catholique. Néanmoins, comme l a noté Hurbon
(1987a : 28), même chez les membres de l élite, la culture occidentale ou
française était surtout une question de façade. Dans ce processus d épuration,
la langue créole (considérée comme un dialecte vulgaire) et le vodou faisaient
partie d une tare ancestrale, une marque de l africanité, une atteinte à l
honneur de cette nouvelle République de l Amérique. D où exclusion sociale
et persécution répétitive des gardiens des éléments évoquant l influence de l
Afrique en Haïti. Hannibal Price [195] (1891), voulant prouver le caractère
civilisé de l État haïtien, a invoqué comme argument la lutte des autorités
contre les ougan, ces «captureurs d âmes, et loupsgarous». Pour montrer la
rigueur de l État face à ces gardiens de l africanité, il rappelle que le Président
Geffrard ( ) a fait arrêter et emprisonner comme anthropophage tout individu
réputé, à tort ou à raison, papa-lwa ou manman-lwa. Par cette mesure, a-t-il
estimé, Haïti était épuré de la sauvagerie (Hurbon 1987b : 61-62). Pour ce qui
est de la langue créole, les publicistes haïtiens n hésitaient pas à nier la réalité
et à déclarer que «la langue française est la langue courante, la seule en usage,
et tous les paysans la comprennent» 198. Selon le Métis Arthur Bowler
(2010[1889] : 17), les Français en visite en Haïti pourraient entendre «cette
douce et enivrante musique, la plus agréable, la plus harmonieuse qui puisse
venir frapper l oreille [ ] leur langue maternelle, la belle et noble langue
française parlée par la majeure partie des Haïtiens». Un autre agent (Lespès
1891 : 32) a pu affirmer aussi que : «Nos lois, nos mœurs, notre langue sont
françaises. Notre caractère est français» 199. Haïti, dans cette période, se
complaît plus souvent dans son idéal que dans sa réalité ; du moins, elle
préférait la nier. Elle n avait pas le choix. Il 198 Une déclaration de Louis-
Joseph Janvier (1882) dans Les détracteurs de la race noire et de la
République d Haïti, Marpon et Flammarion, Paris, p Lespès, Pascher (1891),
Haïti devant la France, Typog, l Haïtienne, Portau-Prince, cité par Hoffmann
(2010 : 149).

220 220 s agissait d une requête de l environnement géopolitique à laquelle


elle ne pouvait pas se dérober. L enjeu était énorme. Avant de terminer cette
approche diachronique de l hostilité que nos interlocuteurs évoquent à maintes
reprises dans les différents épisodes de leur «roman familial», rappelons avec
Frankfurter (2008 : 14) que la diabolisation de l Autre comme prélude à sa
persécution est une pratique courante dans la construction des «boucs
émissaires» 200. En parcourant l histoire des croyances populaires et
apocalyptiques, le spécialiste de la «représentation du mal» a pu souligner que
les sectes hérétiques ont toujours été exposées dans l histoire sous le label des
«individus démoniaques et dangereux qu on disait impliqués dans des orgies
incestueuses, des actes de cannibalisme infantile et d atroces rituels». Parce qu
ils vont à l encontre des dogmes [196] officiels, il faut les discréditer et les
combattre 201. Aux yeux des 200 Selon Girard (2001 : 68), ces boucs-
émissaires renvoient à des victimes qui passent pour responsables des
désordres en vertu des seules contagions mimétiques. 201 À la fin du XVIIe
siècle, apparaît au Congo un mouvement messianique à vocation
indépendantiste. Il s agit de l Antonian movement créé par Dona Béatrice, dit
également Kimpa Vita. Par son charisme et sa capacité de réinterprétation du
message de l Évangile des missionnaires dans une vision politico-religieuse et
libératrice du Congo, elle a menacé l hégémonie portugaise en annonçant la
chute de l'église, donc la perte de contrôle du royaume par les missionnaires.
Elle a été arrêtée et condamnée au bûcher en 1706 pour avoir symbolisé la
résistance collective face à la domination portugaise (voir Luca 2008 : 235 ;
Kouvouama 2002 : 163). Une autre illustration est celle du Roi (Agadja) qui
haïssait le système Gbo parce qu il permettait trop d alliances contre lui et
cherchait d autres formes religieuses pour le remplacer. Il trouva Fa, introduit
à Abomey par des marchands Yorouba, et entreprit d instaurer son culte parmi
le peuple. Le Roi eut à vaincre une sérieuse résistance pour abolir les vieilles
pratiques de divination, et c est certainement pour accélérer le processus qu il
a vendu aux négriers tous les spécialistes de Bo (un mode de divination, le
plus suivi avant l importation de Fa sur le plateau d Abomey. Bo était une
Divinité qui était très ancienne) lesquels se retrouvèrent en Haïti. Elles s
expriment par ce qu on appelle «Rele Lwa nan govi» (Appel du Lwa dans une
cruche) ou le «Rele mò na dlo» (Appel du mort dans l eau). Il s agit selon
Desquiron (2003 : 25) de l exacte reproduction de la divination Bo. Par ce
moyen, on entre en contact non seulement avec les parents morts, comme au
Dahomey, mais aussi avec les Dieux eux-mêmes qui prophétisent et donnent
des conseils.

221 221 Romains, les premiers chrétiens étaient décrits par cette image de
perversion. Les «hérétiques» gnostiques ont été perçus de la même manière
par les chrétiens orthodoxes. Plus tard, ce fut le cas des juifs aux yeux des
chrétiens de l Allemagne et de l Angleterre médiévales. Ensuite, on a eu les
fameuses «sorcières» décrites par les Églises de Suisse, de France, d
Allemagne et d ailleurs 202. Selon Frankfurter (2008 : 24-27), ce mode de
gestion relationnelle avec «l étranger» cache une forme de voyeurisme vis-à-
vis de ce qui est «pervers et dégoûtant». Et cette «combinaison d horreur et de
voyeurisme salace» revient souvent dans les représentations littéraires d
autrui. Ce dernier est souvent construit comme un monstre. «Il mange des
êtres humains, éventuellement des enfants ; ses habitudes sexuelles sont
perverses ; sa musique rend les gens violents et les entraîne dans des états de
transe bestiaux». Pour l église catholique du début de l époque moderne, ces
«Autres pervers» se mêlent aux démons, et constituent une anti-église en face
de «l institution universelle». En déterminant la forme du mal dans le monde,
elle prescrit aussi les moyens de s en débarrasser 203. Ainsi, les paniques,
conçues comme un mal à grande échelle, se manifestent elles-mêmes dans l
environnement local. Par [197] conséquent, les dangers locaux sont
dorénavant appréhendés non en termes de voisins malveillants, mais plutôt en
termes de démons et de sorcières sataniques accomplissant comme il se doit
leurs fonctions au détriment de la «sainte Église». Comme l a noté Hurbon
(1987b : 80), pendant tout le XIXe siècle, il ne se passe pratiquement pas une
décennie sans qu'une psychose de 202 Pensons aux anciennes descriptions des
Scythes ou des Indiens du Nouveau Monde ainsi qu aux histoires modernes à
sensation ou aux séries B sur l Afrique (Frankfurter 2008 : 24). Selon Girard
(2001 : 68), si dans les mythes les victimes paraissent coupables et les
communautés, innocentes, il s'agit d'une illusion suscitée par les contagions
violentes. Les mythes s'enracinent dans des phénomènes de foules dont ils
sont les dupes. Ils sont incapables de critiquer même les accusations
invraisemblables qu'on retrouve un peu partout chez eux, les crimes de type
«œdipien», parricides, incestes, bestialités, transmission de la peste, etc. Les
fautes des héros mythiques rappellent trop celles qui viennent à l'esprit des
foules en quête de victimes. 203 Parce que cette angoisse fait éclater les
anciennes allégeances et structures sociales, les communautés deviennent
alors de plus en plus dépendantes des chasseurs de sorcières, des acteurs qui
leur sont associés et d une machinerie rituelle épuratrice (Frankfurter 2008 :
24).

222 222 sorcellerie n'éclate et ne s'empare des esprits en Haïti. L'occupation


américaine au début du XXe siècle a relancé cette psychose du vodou, «tout
entier confondu avec le règne de Satan». Sous le régime de la Présidence à vie
héréditaire des Duvalier, tout s est passé comme si ce règne de Satan s'était
définitivement établi. Au cours des protestations politiques contre le président
Jean-Bertrand Aristide (en 2004), des rumeurs de sorcellerie étaient
mobilisées contre lui en vue de renflouer le camp de l opposition. Très
récemment (entre octobre et décembre 2010), environ 45 personnes ont été
lynchées à mort sous l accusation d avoir propagé l'épidémie de choléra en
Haïti en pratiquant la sorcellerie. Les «sorciers» de cette République de la
Caraïbe n ont pas de limites dans leur pouvoir magique. Ils peuvent, semble-
til, s ingérer dans les réseaux de télécommunication et émettre des appels
maléfiques. Du point de vue ethnologique, la question du diable est ici une
affaire très sérieuse. Il paraît que la curiosité scientifique se trouve contrariée
et affaiblie de plus en plus par cette catégorie de discours, qui finalement
transforme l imaginaire en une réalité sociale effective Méfiance et silence
auto-protecteurs des initiés Retour à la table des matières Conscients des
effets violents du regard racisé et théocentrique sur le vodou en Haïti, les
anciens de cette tradition religieuse n entendent pas que leurs pratiques
ancestrales disparaissent avec eux. C est pourquoi il ne s agit pas pour eux
uniquement de transmettre les croyances et les pratiques vodou, il leur faut
transmettre aussi une attitude prudente, une méfiance protectrice que Berliner
(2005b : ) appelle «une épistémologie du secret». L'idée du secret ici est
essentiellement un phénomène interactif qui est inscrit dans un type spécifique
d'interaction sociale autour du rite de passage de l initiation. Cette
épistémologie établit une distinction (une frontière) entre les initiés qui ont
accès à des connaissances [198] spécifiques et les non-initiés qu on doit garder
à l écart du secret du culte. Le rappel et le maintien de cette distinction
rentrent dans le processus de stimulation des éventuels noviciats afin d assurer
la pérennité du système.

223 223 En assistant à une sortie des nouveaux initiés de la chambre


initiatique chez l un des fils spirituels du père d Henriette, nous avons eu l
opportunité d écouter le discours qu il leur a adressé : «Ason sa a ki nan men
w la a, se la vi w, se lanmò w. Ou dwe respekte l. Bouch ou pa dwe alèlè. Ou
dwe kenbe sekrè ason ou sot pran la a. Se pou w kenbe tradisyon an e pase l
bay lòt moun tou menm jan jodi a ou resevwa l la. Piga ou kite moun entimide
w pou nenpòt ti pwoblèm ou ta genyen pou w kouri al konvèti» (Cet ason que
vous tenez en ce moment est à la fois votre vie et votre mort. Vous lui devez
du respect. Vous êtes tenus d être discret. Vous devez garder le secret d ason
que vous venez d obtenir. Vous devez garder cette tradition et la transmettre à
d'autres de la même manière que vous venez de la recevoir aujourd hui. Ne
vous laissez pas intimider par les moindres problèmes susceptibles de vous
porter à vous convertir). Dans ce discours public sur le rituel d initiation, on
peut retenir que l initié, en plus d avoir le devoir de transmettre ses
connaissances et son savoir-faire en vue de garantir la survie de la tradition
familiale et ancestrale, a aussi l obligation de mesurer ses propos en ce qui
concerne les secrets acquis au cours de son initiation. La discrétion est ici un
principe d or auquel on ne peut pas impunément se dérober. Ainsi, la capacité
de l ougan ou de la manbo à garder confidentiel le secret d ason traduit son
degré d attachement à sa généalogie croyante. Pour savoir quel type de
discours il doit tenir avec un interlocuteur, l initié vodou veut s assurer au
préalable que la personne en question est un initié (asogwe) comme lui, ou qu
il s agit d un profane ou encore d un charlatan. Dans ce cas, même les ougan
ou manbo qui n ont pas été dans une chambre initiatique font l objet d une
certaine méfiance. Au cours de notre entretien avec Henriette, chaque fois qu
elle interprète une question comme étant celle qui aurait pour objectif de
dévoiler son secret d ason, elle a refusé de répondre en disant que ce genre d
informations est réservé aux initiés. «Li di m fè isit, fè lòt bò Li di m fè tèl
jan... Epi li voye m fè tèl bagay» (Il me dit d aller par-ci, d aller par-là Il me
demande de faire de telle façon Puis, il m envoie faire telle chose). Ce sont ces
[199] expressions floues et sans contenu explicite qu Henriette utilise pour
parler d un fait relatif au secret d ason afin de rester loyale vis-à-vis de son
père initiateur. Pendant notre entretien avec Grégoire, en essayant d aborder
les procédés d interpellation des Lwa avec lui, croyant que nous voulions

224 224 l interroger sur ses «mots de passe», il nous a répondu de la manière


suivante : «Yo pa vann sekrè nan mache - ti gason!» (On ne vend pas de secret
au marché public - petit garçon!) Quand nous avons voulu l interroger au sujet
de «aller sur les lieux» ou dans les bois afin de recevoir l ason de la main de
Papa Loko, il a réagi en souriant : «Misye se you fouyapòt menm jan ak Pè
Salomon» (Ce monsieur [donc, nous-même] est très curieux à la manière d un
certain Père Salomon). Il poursuit ses mises en garde en ajoutant ce qui suit :
«M ap di w you bagay tande, sa m ap di w la a se you chante pwen li ye wi : -
Ti gason yey! Ti gason yey tonnè! Ti gason yey tonnè! Tonnè a boule w. M
wè w ap fouye, kraze zo nan kalalou. Sekrè pa van nan mache. Lè ou vann
sekrè ason sa rele trayizon» (Je vais te dire quelque chose au rythme d une
chanson de mise en garde : - Petit garçon hey! Petit garçon hey tonnerre! Petit
garçon hey tonnerre! Tu cherches à te faire brûler par le tonnerre. Je vois que
tu es un fou curieux. On ne vend pas de secret au marché public. Le fait de
livrer le secret d ason est un acte de trahison.) Onel nous a dit qu il y a des
notions spécifiques qu il n enseigne pas à celui qui suit la formation initiatique
kouche sou pwen ougan ou manbo avant l obtention de l ason. Car si au cours
du processus, le candidat se désiste et se convertit au protestantisme, ce serait
une trahison pour lui (Onel) en tant que prêtre initiateur. Mais s il abandonne
alors qu il est devenu un prêtre confirmé, il en serait responsable. En étudiant
les relations intergénérationnelles de la transmission religieuse pré-islamique
chez les Bulongic (Guinée-Conakry), Berliner (2005b : 583) a noté que les
jeunes savent que poser des questions sur les secrets du culte est interdit. Ils
sont aussi très conscients du danger inhérent à l'approche des secrets gardés
jalousement par les anciens initiés. Le secret implique une multitude
d'interdictions forcées sous menace de mort. Abdoulaye, un interlocuteur de
16 ans, lui a dit d'un ton inquiet que : «Les jeunes voudraient savoir, mais ils
ont peur. Même une mouche peut vous trahir si vous parlez. Un jour, un jeune
homme voulait savoir, et les anciens l'ont tué. C'est pourquoi les jeunes
n'osent pas demander à leurs pères». En proférant des menaces contre les
curieux bavards, ils entretiennent un mode de gestion de la peur qui contribue
à maintenir l'idée qu'ils possèdent une connaissance très puissante et qui ne
[200] doit pas être révélée. Et cette gestion est

225 225 légitimée par les non-initiés qui consentent à rester à l écart de l


épistémologie de ces secrets. En ce qui concerne le devoir de discrétion,
Déravine nous a parlé des mises en garde dont il a été l objet quand il devait
effectuer un ensemble d interventions publiques sur le vodou afin de mieux le
faire connaître aux non-initiés. Étant un ougan expérimenté, il s est fait
accompagner de sa femme qui l appuyait sur le plan technique dans les
séances d intervention. Comme sa femme n était pas encore initiée, il a reçu
de multiples appels téléphoniques de la part des anciens du milieu pour lui
rappeler que cette initiative était trop hasardeuse. Puisque cette vodouisante
était une non-initiée, elle n était pas accréditée à prendre la parole en public
sur le vodou car elle risquait de divulguer des savoirs susceptibles de détruire
le vodou. On lui a rappelé que cette dérogation peut conduire à des peines
allant jusqu à la mort. Face à ces réactions, il a été obligé d entreprendre une
démarche de mise en confiance auprès de ses pairs et de prendre le soin d
indiquer à sa femme ce qui est à divulguer et ce qui ne l est pas. Selon
Déravine, tout secteur des activités humaines a son niveau intime, personnel et
secret (par exemple on parle souvent de secret professionnel, de secret
financier, de secret d État) 204. Ainsi, plus l enjeu est énorme, plus les
mesures visant à forcer la discrétion sont élevées et prennent une forme
sacramentelle. Les membres de société secrète révolutionnaire de la
«Charbonnerie réformée» qui est apparue dans le Midi de la France à partir de
1830 devaient prononcer un serment formulé de manière à terrifier l adepte et
qui visait la cohésion du groupe : «Je jure haine à tout despotisme religieux et
politique, haine à la royauté ; je m oblige à poignarder les tyrans, ainsi que
celui qui divulguerait les secrets de la société 205, ainsi que tout 204 La
manière dont monsieur un tel fait l amour avec sa femme, le secret
maçonnique, le magicien sur scène, la discrétion de n importe quel conseil d
administration de grande entreprise ou conférence de rédaction de médias
nationaux 205 Souligné par nous. Dans le contexte des manifestations
religieuses mêlées d activités politiques qui visaient à rassembler, organiser,
mobiliser les communautés des fidèles du vodou contre «l ordre blanc»
colonial, Moreau de Saint-Méry (1958, I : 65-68) rapportait le déroulement d
une cérémonie du vodou afro-créole (qui était en construction) où les fidèles s
engageaient sous serment à souffrir la mort plutôt que de rien révéler et

226 226 individu qui me serait désigné sur l ordre du grand maître, si le sort
venait à tomber sur moi». Et s il manque à son serment : «qu on m enfonce ce
poignard dans le sein, que mes cendres soient brûlées et jetées au vent» (Tardy
2007 : 101). [201] Comme l a noté Tardy (2007 : 96) le secret est souvent
pratiqué par des acteurs qui revendiquent la transparence mais qui surmontent
ou ignorent cette contradiction en invoquant la raison d État pour l autorité, en
développant une mystique protectrice pour les groupes clandestins. Par
ailleurs, il faut admettre que le secret n a pas seulement une fonction
protectrice, il peut être investi de multiples significations par les acteurs.
Laissant libre cours à l imagination, il provoque à la fois la fascination et la
peur. Par conséquent, en cas de panique sociale, les individus soupçonnés d
appartenir à de tels groupes ou de détenir des savoirs secrets ou barricadés se
retrouvent parmi les premières victimes des opérations répressives 206.
Comme on l a déjà noté, cette épistémologie du secret a une fonction
protectrice et doit barricader le culte contre les forces adverses. Mais pour
mieux faire histoire, il ne suffit pas d instituer des secrets, il faut les
transmettre tout en fidélisant les nouveaux «porteurs». Selon Debray (1997 :
18-19), le «dur désir» de durer cherche à occuper de l'espace en faisant flèche
de tout bois. Par ce désir, la transmission prend la forme de trajets et
d'emprises, se propulse dans le milieu environnant, opère ainsi pour faire
souche et patrimoine. Elle s'aventure au loin pour accroître ses chances de ne
pas mourir. Dans le processus de fidélisation de l appelé ou du nouveau
récipiendaire, le mariage mystique, comme rituel de l alliance avec une
Divinité a un poids considérable. Deravine nous a dit que la demande même à
la donner à quiconque oublierait qu il s était aussi solennellement lié (Midy
2006 : 188). 206 Pendant les premières décennies de l'indépendance où l'état
haïtien se préoccupait de consolider son indépendance dans un contexte de
psychose permanente d un éventuel retour des Français, les confréries
mysticoreligieuses (vodou, loges maçonniques) et même des protestants,
furent frappées de mesures d interdiction. En agissant en toute liberté, elles
étaient perçues comme une source de déstabilisation du nouvel État au regard
de sa quête d'une fondation durable (Hurbon 2009 : ).

227 227 en mariage exprimée par un Lwa se fait généralement dans un rêve.


La réalisation de ce rituel, nous explique-t-il, est une manière pour la Déïté en
question de s assurer que le nouveau ougan ou la nouvelle manbo lui est
attaché-e pour la vie. C est une relation d engagement stable et non éphémère.
Ce mariage est fondamental pour la prise au sérieux de la fonction du ougan
ou de la manbo, car «lè ou pa marye ak Lwa a ou pa gen angajman avè l»
(quand on n est pas marié avec le Lwa, on n a pas d engagement avec lui),
[202] avance Guillaume. Il ajoute qu il ne pourra «trahir le Lwa après la
réalisation de cet rituel de l alliance». «Une conversion après le mariage,
poursuit-il, serait considérée comme une trahison. Dans le milieu, tout le
monde le sait, de telle trahision ne restera pas impunie». Une manbo ou un
ougan confirmé n a pas seulement à jouir de la protection ou des privilèges qui
se rattachent à son mariage ou à son patrimoine mystique, mais il a aussi une
vocation qui est de transmettre ce qu il a reçu des générations précédentes en
adaptant cet héritage aux évolutions du monde qui l entoure. Étant produit par
ceux qui le précèdent, il est invité à produire à son tour d autres héritiers qui s
inscriront dans un projet de transmission continue. Déravine nous a dit qu il
compte déjà à son actif environ trois cent quarante filles et fils spirituels
(initiés) et plus de mille pitit lwa qui ont eu leur garde de protection (bay gad)
de sa part. Il ajoute que ce record est volontaire. Il fait partie de sa
contribution pour garder vivant le vodou au détriment de la volonté de ses
ennemis. Les initiés sont devenus des frères et sœurs qui doivent s unir en cas
d adversité. C est ainsi qu il déclare : De même que les protestants font la
distribution des bibles, nous autres les prêtres vodou nous distribuons le secret
d ason au sein de la population. Cet octroi de l ason vise à empêcher la
disparition de notre tradition. Quand une manbo ou un ougan est menacé de
lynchage, plus il a autour de lui d onsi, plus il peut s en sortir sain et sauf. Vu
les hostilités menaçantes que connaît le vodou, plus on connaît ses vertus, plus
on le pratique, plus il perdurera dans le temps.

228 228 À ce niveau, on peut en déduire que si les anciens du vodou jugent


nécessaire de mettre l accent sur le respect absolu d une sorte de «secret-
défense», c est qu ils sont conscients que la relève est susceptible d être
entravée par des obligations contradictoires. [203] 5.2 Loyauté familiale et
religieuse entre des obligations contradictoires Retour à la table des matières
Appartenant à plusieurs structures sociales (État, organisation, religion, école,
famille ), l individu est souvent pris entre des obligations contradictoires.
Quand chacun de ces champs réclame à un destinataire un comportement
loyal, l acteur en question va devoir négocier cette gamme de loyautés
(concurrentes) en établissant une hiérarchisation des différentes strates de
loyautés. Quand les intérêts de la famille, de l école, du groupe religieux ou de
l État sont en conflit, la solution ne s impose pas avec évidence. Dans une telle
situation, c est la position de l un ou de l autre dans la hiérarchie des
obligations et des valeurs intériorisées qui va permettre à l acteur de trancher.
Selon le schéma de la réussite sociale dans le milieu dans lequel Mosaline a
grandi, une jeune fille bien éduquée et sage avait un parcours professionnel
tout tracé à suivre. Après la fin de ses études primaires, elle devait suivre des
cours secondaires qui devaient aboutir à un brevet d enseignement primaire ou
d auxiliaire en soin de santé. C était l exigence sociale à laquelle elle devait se
plier. Par contre, ses Lwa rasin (Lwa racines) avaient leurs propres exigences
Mosaline doit être disponible à temps complet à leur service. Comme son père
a négocié avec eux, elle a pu quitter sa commune natale pour aller terminer ses
études et avoir son diplôme professionnel. Puis elle est revenue, selon ce qui
avait été entendu. «Se la mwen te koumanse travay epi aprè m vin pa renmen
andeyϛ. M gade m wè m al aprann metye epi m chita se nan travay Lwa m
rete, m di m pral Potoprens, m te fè sa an 1980» (C est à cet endroit [son lieu
de naissance] que j ai commencé à travailler [comme manbo]. Après cela, je
ne voulais plus

229 229 rester à la campagne. Car je voyais qu il était anormal d avoir un


diplôme et de rester à la campagne au service des Lwa. Je me disais que je
devais aller vivre à Port-au-Prince, et c est ce que j ai fait en 1980). Installée
dans la capitale, elle a fait plusieurs tentatives de détournement (conversion,
prosélytisme contre le vodou ) pour ne pas devenir manbo, mais les Lwa ont
finalement eu le dessus. Voulant être en conformité avec la culture dominante
et en même temps loyal à sa tradition ancestrale, le vodouisant est souvent pris
entre deux feux. Quand Henriette dut se marier et faire communier sa
première fille à l église catholique, elle fut obligée d accepter de [204]
prononcer le serment du «rejeté» imposé par les autorités catholiques de l
époque : «Pou m te marye, m te oblije rejete» (Afin que je pusse me marier, j
ai dû renier ma foi vodou), raconte-t-elle. En répétant après le prêtre
(catholique), elle a dû prononcer ces mots : «Si m al nan zafè lwa ak timoun
mwen yo, se pou yo tout peri» (Si je vais aux activités des Lwa avec mes
enfants, sans exception aucune, ils doivent tous périr). «Yo te fè m sèmante
pou m pa janm sèvi Lwa» (On m a fait de jurer de ne plus servir les Lwa) 207.
Cependant, afin qu elle n éprouve pas de sentiment de culpabilité vis-à-vis de
ses Lwa rasin, une autre vodouisante lui a conseillé d employer une astuce :
étant devant le prêtre au moment du «rejeté», elle devait dire en son coeur que
les paroles de reniement de ne viennent pas de lui, mais de l agent catholique
en question. Sinon, cet acte serait perçu comme une trahison envers sa famille,
ses ancêtres et ses Lwa. Face à ces obligations contradictoires, on voit qu
Henriette a pu trouver une médiation qui lui a permis à la fois de répondre aux
attentes sociales (se marier et faire communier son enfant à l église) et de
conserver un rapport harmonieux vis-à-vis des Lwa. De Gaulejac (1999 : 90)
souligne que «les conflits internes, vécus sur le mode relationnel, sont aussi l
expression des contradictions sociales qui tra207 Conformément à cette
théologie de croisade et de reniement de soi, le vodouisant devait répéter les
propos suivants : «Je ne suis plus un fils de l'afrique et de la Guinée. Racheté
par le Christ, je suis un fils de JésusChrist» (Ce pas descendant l Afrique m'ié
encore. Jésus-Christ té acheté moin. Ato cé descendant Jésus-Christ m ié),
Catéchisme créole, publié sans nom d auteur avec la permission de
Monseigneur Robert, édition revue et corrigée, Les Pères Rédemptoristes,
Port-au-Prince, 1958 (cité par Souffrant 1995 : 154).

230 230 versent les familles et confrontent chacun de ses membres à la


nécessité d inventer des médiations». Pour De Gaulejac (1999 : 139), tout
enfant éprouverait une dette vis-à-vis de ses parents biologiques puisqu il leur
doit la vie, dette qui exigerait de lui loyauté et réciprocité. Cette loyauté dans
le vodou se traduit par la conformité de la conduite des initiés aux règles qui
établissent leurs droits et leurs devoirs envers leur généalogie croyante. Elle
crée aussi des attachements et des engagements à l égard de leur père ou de
leur mère et de leurs frères et sœurs d initiation, mais surtout vis-à-vis de leurs
Lwa rasin. En ce sens, tout kanzo (initié) possède chez lui un ogatwa
(oratoire) où il peut maintenir une relation intime avec le Lwa dont il est le
serviteur et à l'occasion organiser des cérémonies à domicile en vue d honorer
ses obligations.

231 231 [205] Illust. 33 : Oratoire de l une de nos interlocutrices qui est une
jeune manbo. Mais elle n est pas encore installée. On peut voir dans cette
image : bâton et chapeau de Lwa Ti jan, bouteilles de boissons selon la
préférence des Lwa, machette avec étui d Ogou Retour à la table des matières
Selon les croyances vodou, un initié n'est jamais seul. Du moment qu il
respecte ses devoirs religieux et se comporte selon les règles sociales régissant
son milieu, il vit toujours sous le regard des esprits qui le conseillent et le
guident dans ses actes les plus ordinaires. Au besoin, ils volent à son secours
et lui procurent des pouvoirs surhumains. D où la nécessité d être loyal envers
eux. Dans le lakou d Henriette, tous les Lwa ginen sont honorés, mais Ogou
[206] Badagri occupe une

232 232 place prépondérante dans les activités du lakou. Il est le plus


interpellé et vénéré. Car c est ce Lwa rasin qui accompagnait son grand-père
lors de la bataille de Vertières en De ce fait, cette lignée croyante a une dette
vis-à-vis de ce Lwa protecteur et sa mémoire doit être transmise d une
génération à l autre. Lors du parcours initiatique, en plus du savoir-faire
spécialisé, la manbo ou l ougan initiateur doit s assurer que le néophyte ait la
conviction qu il faut pour rester loyal à l égard du secret d ason qu il est
appelé à recevoir. D où la nécessité pour l aspirant d être mis en garde contre
les attitudes discriminatoires des autres agents de socialisation susceptibles de
le harceler. C est pourquoi il ne peut pas être «un enfant flottant» qui va, au
premier obstacle, abandonner ses droits et ses devoirs envers sa lignée
croyante. L un des devoirs de l ougan est d assurer sa relève. Par contre,
Guillaume nous a dit qu il n aimerait pas que ses enfants suivent ses traces et
deviennent serviteurs des Lwa comme lui car, explique-t-il, il garde toujours
en mémoire une déclaration d un prêtre catholique sur la fragilité de celui qui
est au service des Lwa. Selon cet agent de socialisation, «les Mystères sont
fidèles à leurs serviteurs simplement quand tout va bien. Mais au moment du
grand danger ils s écartent». Et, à cause de cela, Guillaume n aimerait pas que
ses enfants soient dans cette affaire du vodou. Toutefois, il admet que le choix
de son successeur ne dépend pas de sa bonne intention. «Se lespri yo k ap
foure men pran, yo chwazi moun yo vle. M gen dwa pa vle pou pitit mwen vin
nan zafè Lwa epi se sa Lwa yo vle yo menm» (Ce sont les Esprits qui vont
choisir comme ils veulent. Je pourrais bien ne pas vouloir que mes enfants s
initient dans les affaires vodou alors que c est précisément ce que veulent les
Lwa). Évoluant dans un contexte de harcèlement et de violence psychologique
et physique, le néophyte doit être averti et mis en garde afin de ne pas
abandonner son ason face aux différents modes d expression du théocentrisme
des églises chrétiennes. De ce fait, Onel a pris l habitude d organiser des
échanges de discussion sous son péristyle avec ses fils et ses filles
(biologiques et spirituels) afin de renforcer leur attachement au vodou en
véhiculant un discours qui doit les conforter dans leur religiosité. Il prend
toujours soin de leur inculquer des convictions [207] rassurantes afin que «lè
yo kanpe y ap

233 233 pale ak yon moun pou yo pa kite moun nan sedwi yo» (ils ne se
laissent pas emporter quand ils parlent avec quelqu un). En évoquant la
récurrence de ces attitudes hostiles envers le vodou (exprimées sous
différentes formes selon les époques), l initiateur a pris soin de mettre en
garde les nouveaux asogwe pour qu ils ne soient pas la proie facile des actes
de prosélytisme. Ils sont appelés à se méfier des discours qui diabolisent le
vodou. Car c est grâce à la ténacité des prêtres vodou pour garder la tradition
et la mémoire des ancêtres depuis la période de l esclavage à Saint-Domingue
- que cette religion populaire a pu subsister et arriver jusqu à eux. Sur l un des
sites internet visant à «dédiaboliser» le vodou, on peut lire ce qui suit : «Le
vodou religieux nous enseigne à demeurer vodou et à œuvrer pour tuer dans
notre mental toutes tendances qui visent à amoindrir notre foi et notre pensée
vodou» 208. Si les actes de persécutions ont pour objectif d éradiquer ce «mal
social», ils suscitent le plus souvent l effet contraire chez les vodouisants en
renforçant leur conviction dans la réalité de l efficacité et du pouvoir de leurs
Déités. C est ainsi que Guillaume déclare : Que vous soyez pasteur ou prêtre
catholique, si vous critiquez les Lwa, cela implique que vous reconnaissez
leur existence. De surcroît, chaque pasteur ou prêtre catholique a ses racines
dans un grand lakou. S ils avaient la certitude que les Lwa n existent pas, ils n
auraient pas tant de souci à prêcher contre eux. Je suis convaincu, il suffit d
être loyal envers les Mystères, et tout ce que vous leur demandez avec toute
votre foi, vous l obtiendrez certainement. D une manière plus poussée et dans
la même logique de l ougan et artiste André Pierre, Grégoire nous a dit que
«Pa gen you sèl moun ki pa nan Lwa. Menm Bondye, plis ke se li ki te kreye
Lwa, bon li fout nan zafè Lwa tou! Si li pa t ladan l, li pa ta kreye l. Depi you
moun di m se katolik apostolik womèn ou ye, ou nan zafè Lwa nèt»
(Indistinctement, tout le monde est concerné par les Lwa. Même Dieu ne fait
208 Ougan Gustave, André-Jules (s.d.), «Le Vodou religieux Ayisyen» dans
Association Wesner Morency, en ligne, (20 février 2011).

234 234 pas exception car c est lui qui les a créés. Quand quelqu un me dit qu
il est de la catholique romaine, je sais automatiquement qu il est tout à fait
[208] impliqué dans la réalité des Lwa). Un autre interlocuteur nous a dit qu
un ougan ou une manbo a la même fonction religieuse et sociale qu un prêtre
catholique. Partant de cette interprétation, le vodouisant ne voit pas pourquoi
on doit l obliger à rejeter sa tradition familiale qui est une partie intrinsèque de
son identité. Et quand le milieu familial requiert une loyauté qui serait
concurrente à d autres structures sociales, moins proches de l acteur
émotionnellement, la loyauté familiale a beaucoup plus de chance de l
emporter La loyauté envers la généalogie croyante, à peine une question de
choix Retour à la table des matières Quand nous étions à l école, le professeur
nous rappelait toujours de ne recevoir aucun «bain mystique» de la part de nos
parents et de ne jamais participer aux danses ou cérémonies vodou. En réalité,
ce dont nous avions besoin de cette institution scolaire était tout simplement la
connaissance. Nous l avons obtenue, mais nous n avons pas pris au sérieux ses
mises en garde, car nous savions que nous ne pouvions pas renier nos racines.
Mon père n était pas un ougan, mais à chaque fin d année, il n a jamais
manqué de s occuper de ses Lwa familiaux. Ainsi, il vivait toujours sous leur
protection (Mosaline). Entre les valeurs idéologiques du milieu scolaire et
celles inculquées par le milieu familial de Mosaline, on peut voir que dans la
hiérarchie des obligations et des loyautés exigées, l institution familiale est
priorisée au détriment de l autre. Comme l a bien montré Connor (2007 : 132),
parce que la famille est plus proche émotionnellement de l individu, la loyauté
envers elle est souvent plus forte en intensité. Dans beaucoup de cas, la
loyauté familiale se manifeste au-delà de toute concurrence.

235 235 Si l'obligation est régie par la règle, la loyauté selon Connor (2007 :
13) relève surtout de la personnalité de l individu. Comme résultat d un choix
et d un engagement de l acteur, elle est de caractère affectif, et générée
beaucoup plus par le sentiment et l émotion que par un calcul utilitariste ou
moraliste. Ainsi, le caractère émotionnel de la loyauté est défini ici en dehors
de l'obligation qui concerne beaucoup plus l aspect contractuel de la loyauté.
Ce type de [209] loyauté lie l'acteur à des groupes sociaux, elle l aide à définir
son identité et motive son action (Connor 2007 : 134). Comme l a noté Shklar
(1993 : 184), elle est un engagement global de la personne, une émotion et
non une connaissance. Profondément affective, elle doit être considérée
comme un sentiment d attachement, une adhésion à un groupe auquel l
appartenance relève d un acte volontaire ou de naissance. Mais, élevé et ayant
appris à se sentir loyal envers un groupe auquel on appartient «depuis la
première enfance est à peine une question de choix». Dans la même veine,
Bourdieu (2003 : 219) a affirmé que : L'héritier hérité, approprié à l'héritage,
n'a pas besoin de vouloir, c'està-dire de délibérer, de choisir et de décider
consciemment, pour faire ce qui est approprié, ce qui convient aux intérêts de
l'héritage, de sa conservation et de son augmentation. Il peut ne savoir à
proprement parler ni ce qu'il fait ni ce qu'il dit et pourtant ne faire ou ne dire
rien qui ne soit conforme aux exigences de la perpétuation de l'héritage.
Alourdes vit à Booklyn (New York). Elle y exerce sa fonction de manbo qu
elle hérite d une transmission qui se perpétue à travers au moins trois
générations au sein de sa famille d Haïti (Brown 2001: 4). En l observant de
prêt dans la pratique de son sacerdoce, Brown interprète sa prêtrise comme
une caractéristique naturelle ou intuitive : «son instinct est de vouloir aider».
En dépit des regards hostiles de ses voisins vis-à-vis du vodou, elle persiste
dans ses pratiques ancestrales et déclare les propos suivants: «J'aime faire le
traitement. J'aime aider les gens. Quand ils se sentent bien, je me sens bien
aussi» (Brown 2001: 356). Habité par l'esprit du lieu ou par l'ambiance du
champ, quand l habitus entre en relation avec le monde social dont il est le
produit, il

236 236 est comme «un poisson dans l eau et le monde lui apparaît comme
allant de soi» (Bourdieu 1992 : 103). Son attachement à ce milieu social et
culturel qui le produit dépasse assez souvent le calcul conscient de la «théorie
de l acteur rationnel». L intérêt ici, comme l a bien démontré Bourdieu (1994 :
), ne se résume pas à un intérêt matériel 209. [210] Emeline Michel 210,
interprète et artiste haïtienne bien connue en Haïti (et ailleurs), a exprimé ce
type d «intérêt spécifique» en des termes très émouvants : «Ou ka wete m
andedan peyi mwen, ou pa ka wete peyi a andedan mwen Mwen te pare pou m
vag sou ou [Haïti] m al louvri you televizyon, yo pale w mal kè m kase. Yo
pale w mal zèl mwen pouse... Yo di w se pèdi tan pèdi lajan, men mwen pa
wè, mwen pa tande, mwen rete kole sou ou, anverite, m pa ka lage w» (On
peut m enlever de mon pays, mais on ne peut pas enlever le pays en dedans de
moi [Haïti], j étais prête à t abandonner, mais en regardant la télé, je voyais qu
on t insultait, et mon cœur battait fort. Quand on t offense, je suis en colère On
dit avec toi c est une perte de temps et d argent, mais je m en fiche, je reste
profondément attachée à toi. Sincèrement, je ne peux pas t abandonner.) Après
que Mosaline ait fini de nous livrer un récit d épisode traduisant selon elle la
puissance incontestable des Lwa, elle estime que c est grâce au vodou qu Haïti
a encore droit à son existence, sinon, elle serait rayée de la carte des nations.
Notre interlocutrice poursuit en disant qu elle est consciente du danger auquel
est exposé un ougan ou une manbo dans l exercice de ses fonctions en Haïti.
Mais «m reziye m menm si m mouri pou sa» (je me résigne même si on me
tue à cause de cela [le vodou]), déclare-t-elle. Elle nous a exprimé ses
sentiments en ces termes : «J aime ça. J aime le vodou. En tout cas, je 209 Ce
qui est vécu comme évidence dans l illusio apparaît comme illusion à celui qui
ne participe pas à cette évidence parce qu il ne participe pas au jeu. Les
sagesses cherchent à désamorcer une sorte d emprise que les jeux sociaux
détiennent sur les agents socialisés. Ce n est pas chose facile : on ne se
détache pas par une simple conversion de la conscience. Les agents bien
ajustés au jeu sont possédés par le jeu et sans doute d autant plus qu ils le
maîtrisent mieux (Bourdieu 1994 : ). 210 Emeline Michel (2009), «Mwen pa
ka lage», 2e numéro de son l album Reine de Cœur.

237 237 n ai aucune crainte de ce qui pourrait m arriver parce que je sais que
les Lwa ont beaucoup de pouvoir. Il y a une chanson qui dit vous dites que
vous voulez déraciner les ougan, qu est-ce que vous allez faire avec les Lwa?»
Pour nous exprimer sa ferme conviction dans la perpétuation du vodou, elle a
pris le soin de nous rappeler ce qui suit : «Si vous voulez, vous pouvez
assassiner tous les ougan et les manbo - mais je sais que les Lwa vont de toute
façon retrouver d autres héritiers pour se manifester». Quand un observateur
est à l extérieur d un jeu ou de l ambiance d un champ, il a souvent tendance à
interpréter les comportements des acteurs selon son propre milieu de
référence. Ce mode de lecture s écarte assez souvent des «fibres invisibles» de
la loyauté qui lient les acteurs à leur jeu. Ici, parce que le «sens du jeu» a été
imposé et importé dans leur [211] tête, dans leur corps, ils sont pris au jeu
sous la forme d intérêt d illusio qui fonctionne selon Bourdieu (1994 : 163) sur
«le mode de la passion». Déravine nous a dit qu on aurait pu exterminer tous
les membres de sa famille à cause du vodou, et que cela ne l aurait pas
empêché de devenir ougan. Car ajoute-t-il, «c est le vœu des Mystères qu on
les honore au moyen de ce que nous donne la nature [les plantes]». Voulant
être concret en exprimant sa loyauté envers sa tradition, il nous a référé à un
savoir-faire que possédait son père, et grâce auquel il est aujourd hui bien
vivant et satisfait de son nombril : - un souci de moins, il n a pas besoin de
penser à une ombilicoplastie 211. Il poursuit sa logique avec les propos
suivants : Si vous regardez mon nombril, vous verrez qu il a une forme
rentrée, mais vous savez! C est à l aide du charbon de bois pulvérisé que mon
père (qui était ougan) l a soigné après l extraction du cordon, et je n ai attrapé
aucune infection. J ai grandi normalement et maintenant me voici! Aujourd
hui pensez-vous que je peux abandonner cette pratique familiale sur la menace
de mort? Contrairement à ce qu on pourrait croire, nous [ougan, manbo]
sommes les maîtres du pays, les plus grands psychologues, les plus grands
docteurs, les plus grands chirurgiens. Mon grand-père a eu un bras cassé, et
mon père m a dit que c est à l aide des écorces de bois qu il a pu le re- 211 L
ombilicoplastie est la retouche du nombril par chirurgie esthétique.
238 238 constituer à l identique. Cela veut dire que nous sommes des
chirurgiens. Nou se yon Bondye nan Bondye, nou se you Ti Bondye sou latè
(Nous sommes une partie du Grand Maître créateur, nous sommes des Petits
Dieux sur terre). Comme ougan, nous traitons des prêtres [catholiques], des
pasteurs. Nous avons des patients dans toutes les couches sociales. Si on parle
de la médecine aujourd hui, c est de la technologie. Celleci est l expression de
l avancement du monde. Mais cette technologie vient des connaissances de la
nature que nous [ougan, manbo] possédons. La technologie a pris ce que nous
avons, le modifie en nous les redonnant sous un autre nom, un autre visage. C
est de nous que viennent les savoirfaire de base. La technologie les a tout
simplement transformés. Jusqu à présent et surtout en milieu rural, c est nous
qui assurons le soin de santé de 98% de la population, la technologie ne fait
que 2%. [212] Au sujet de cette insistance sur les soins de santé, nous avons
interrogé Déravine sur l avenir du vodou au cas où les services de santé
seraient accessibles à la population. Sa réaction est assez claire : «il y a plein
de dysfonctionnements dans le corps humain dont le traitement ne relève pas
de la compétence d un médecin moderne». Et, dans ce même ordre d idée, on
n a qu à penser à l exportation du vodou haïtien dans les pays dits développés
où l accès aux soins de santé devrait être un acquis, et aussi à de nombreux cas
de maladies incurables sans oublier un ensemble de questions médicales pour
lesquelles la science n a pas encore de réponse. Comme on le sait, dans les
domaines où la technologie et la science ne peuvent pas encore se prononcer
avec assurance, la pensée magique ou l esprit religieux apparaît beaucoup plus
attractif. En parlant du côté attractif du religieux, Hurbon 212 a noté que «s il
[le vodou haïtien] parvient à survivre dans la société haïtienne, c est aussi
parce qu il dispose d une mythologie impressionnante : le vodouisant croit en
effet en une pluralité de dieux qu on appelle anges ou mystères, ou encore en
langue créole lwa» 213. Juste Laënnec Hurbon, Religions en Haïti, Texte
inédit. On peut rappeler aussi qu ils sont au nombre de 101 Lwa regroupés en
21 Nanchon (Nation). De nos jours, on parle aussi de 401 Lwa, et le chiffre

239 239 ment, pour ses pratiquants, le vodou représente à la fois un espace de


formation identitaire, mais aussi une réponse efficace et rapide à leurs besoins
existentiels. Il propose à ses fidèles une vision du monde qui leur permet de
donner un sens à leur environnement et à leur vécu quotidien. En dépit de son
dur contexte d évolution, le vodou reste à leurs yeux «un système cohérent de
relations et de correspondances constituant une explication de l univers»
(Hurbon 1987a : 10). Par ses Déités, cette religiosité populaire structure l
espace et le temps. Elle prend en charge l existence de l individu de la
naissance à la mort : Dieu est la clef de voûte qui sous-tend tout le système
des Esprits et toutes les pratiques vodou. Ce système est omniprésent dans
leur vie. On retrouve alors : Legba qui ouvre le chemin vers tous les autres
Lwa 214 ; Danmbala qui donne naissance à [213] l être vivant ; Zaka «un» qui
termine les nombres est très symbolique. Il traduit un mouvement dynamique.
La quantité est indéterminée. Le nombre des Mystères n est pas figé, leur
personnalité non plus. 214 Legba est le maître des carrefours, le gardien de l
entrée des temples, l indispensable intermédiaire entre les dieux et les
humains. Il est responsable de la fécondité et de la prospérité. Les champs et
les travaux agricoles sont du ressort du Lwa Zaka qui, dans le monde divin,
est «Ministre de l Agriculture». Divinités des paysans par excellence, quand
les Zaka investissent un fidèle, ils sont toujours vêtus à la mode paysanne :
chapeau de paille, blouse en gros bleu, macoute (sacoche) en bandoulière,
brûle-gueule au bec. Les Marasa disposent de pouvoirs extraordinaires, entre
autres celui de faire tomber la pluie et de conseiller aux malades les bons
remèdes. Ils sont de bons guérisseurs. Les offrandes en leur honneur sont
servies dans des plats et des carafes en bois ou en terre cuite reliées en un
unique récipient. Comme Héphaïstos chez les Grecs ou Vulcain chez les
Latins, Ogou est, dans le panthéon du vodou haïtien, la divinité du feu et du
fer, le forgeron et le guerrier divin. Son emblème est le sabre et lorsqu il
apparaît, on le revêt de son costume militaire, celui de l ancienne armée d
Haïti : dolman rouge galonné, pantalon bleu, képi. On dit qu Ogou Feray
(Ferraille), durant les batailles pour l Indépendance, chevauchait Dessalines,
son serviteur et son protégé privilégié. Loko est la divinité de la connaissance
et du pouvoir. Il donne l ason dans les «grands bois» aux initiés et représente
le maître des forêts. C est lui qui procure aux feuilles leurs propriétés curatives
et leurs vertus rituelles, et montre aux «médecins feuilles» comment les
utiliser. Les Gede sont des génies de la mort. Ils ne doivent pas être confondus
avec les âmes des morts ou les revenants, même si, par leur accoutrement,
leurs possédés s efforcent d évoquer l image d un cadavre. Ils ne sont pas des
«morts», mais des esprits de même nature que les autres, dont les activités et
les fonctions sont du domaine de la mort.

240 240 qui le nourrit ; Marasa qui lui donne la santé ; Ogou qui assure sa
sécurité ; Loko qui lui donne la connaissance et le pouvoir ; Èzili qui lui
permet de se mettre en valeur ; Gede qui l accompagne au moment de sa mort.
Il faut souligner que le côté attrayant de ce système religieux ne se trouve pas
uniquement sur le plan conceptuel, il s exprime aussi dans ses manifestations
concrètes. Avant d être installé comme ougan, «j ai eu l opportunité d assister
à une danse vodou qu on organisait dans l un des grands lakou sacrés les plus
anciens des Gonaïves, j ai vraiment aimé l ambiance et particulièrement le
déroulement d un rituel qu on appelle leve tèt (enlever les têtes)» 215, nous a
raconté Guillaume. Il poursuit en disant : «J ai beaucoup apprécié de voir
comment on jouait le grand tambour asotò». De son côté, Mosaline nous a dit
qu elle avait beaucoup de plaisir à voir sa tante, qui était manbo, habillée
comme une déesse, danser le vodou. «J ai beaucoup aimé ça», dit-elle.
Comme Luc de Hueusch (Souffrant 1995 : 150) a pu le souligner,
l'effervescence, caractéristique populaire, est typique de la spiritualité des
religions africaines qui laissent une place importante à l expression corporelle.
En continuité avec cette africanité, le vodou haïtien est «un théâtre dansé, une
explosion dramatique, une allégresse physique». Le corps humain est ici le
véhicule du sacré. Les Dieux apparaissent sur terre, s'incarnent, chevauchent
le fidèle, lui impriment des bondissements et lui prêtent leur voix. Si les
différences de sexe, de classe et de race créent des fossés entre les couches
sociales, dans cet univers religieux, le plus démuni du milieu peut se voir
investir de prestige en une fraction de seconde en devenant le canal [214] d
une Divinité. À ce moment, tout ce qu il dit ou accomplit est reçu comme
venant d une Entité supérieure à l humain dont les recommandations doivent
être prises au sérieux. 215 Après le sacrifice des animaux, une équipe d onsi,
habillée tout de blanc, enlève les têtes des animaux sacrifiés par terre.

241 Illust. 34 : soirée vodou chez ougan Bazil (Gonaïves). Une foule en liesse.
Retour à la table des matières 241

242 Retour à la table des matières 242

243 243 [215] Illust. 36 : On danse les Lwa en va-et-vient [216] En appréciant


cet aspect théâtral du vodou, le poète et dramaturge Franck Fouché a pu
recourir à la notion du «vodou pré-théâtre» pour décrire cette pratique
religieuse dans sa dimension expressive. Ainsi, il a dressé un tableau de l
esthétique du vodou avec les propos suivants : On n en finirait pas avec les
manifestations et illustrations du vodou, si on devait s'arrêter à tous les
éléments théâtraux de ce phénomène religieux, qui vont du gestuel par le tracé
plastique des emblèmes (vèvè), véritables chiffres-nombres ou hiéroglyphes
au pouvoir incantatoire, dessinés avec un art consommé par l'officiant, à l
audiovisuel, en passant par la parole et au-delà de la parole, le «parler-
langage» [glossolalie]. Nous n évoquons pas les hochets, les clochettes et les
tambours surtout, lesquels donnent le tempo du culte, où tout est cadence et
rythme. Non plus les costumes qui sont parfois d'une grande richesse, et
toujours variés au cours

244 244 d'une même cérémonie. Le vodou est donc véritablement un pré-


théâtre (Fouché 2008 : 67). Pour Fouché (2008 : 42), par son dynamisme et
par la puissance de sa fonction mythique et symbolique, le vodou s insère dans
le réel tourmenté, et continue de reproduire en son sein les contradictions de la
société haïtienne. Mais, tout bien considéré, s il les réactualise et les rejoue, c
est pour mieux les surmonter. Au terme de ce chapitre, on peut admettre que
le concept de loyauté est un puissant indicateur du degré de la réussite du
processus de la transmission culturelle et de l intégration sociale. Il sert aux
acteurs à mesurer leur rapport entre l identité prescrite et l identité vécue. Plus
l immersion sociale d un acteur dans un milieu particulier est forte et
resserrée, plus sa loyauté envers ce milieu est susceptible d être intensifiée.
Fonctionnant sur le mode de l émotion et de la passion (du type «c est plus
fort que moi»), quand la loyauté familiale fait corps avec la loyauté religieuse
dans le vodou haïtien, l attachement qu elle provoque devient une relation très
intime qui échappe au pouvoir explicatif de la logique des acteurs rationnels
agissant par calcul utilitariste. L attachement de l Africain transplanté à Saint-
Domingue à ses pratiques culturelles était tellement intense que l'atrocité de
l'esclavage et la guerre pour l'indépendance ne l'empêchait pas de conserver sa
danse au rythme des tambours sacrés. Après avoir apprécié la manifestation de
cette passion culturelle dans un tel contexte, Métraux (1958 : 25) a exprimé
[217] ses sentiments en ces termes : «On ne peut qu'admirer la ferveur de ses
esclaves sacrifiant repos et sommeil pour reconstituer, dans les conditions les
plus précaires et sous l'œil hostile des Blancs, les cultes de leurs tribus».
Traqué par le colonisateur ainsi que par ses héritiers, considéré comme
impropre à l idéologie du progrès, le vodou devait disparaître purement et
simplement du sol haïtien. Mobilisé par le réflexe défensif de son habitus, l
ougan ou la manbo tient profondément à la continuité de sa lignée croyante.
Dans son attitude loyale envers ses ancêtres, sa première préoccupation est de
protéger sa tradition vodou. Toutefois, comme pour les autres traditions
religieuses (dans le contexte postcolonial), on admet que le vodou haïtien est
le produit de contacts, de mélanges, de transforma-

245 245 tions. N ayant pas une forme orthodoxe historique, il est ouvert au
changement. Néanmoins, ce changement doit s inscrire ou trouver sa
légitimité en montrant son attachement à la mémoire lignagère. Ainsi, le
chapitre suivant vise à analyser la problématique de l impératif du changement
à l épreuve de la continuité légitimatrice.

246 246 [218] Transmission de la prêtrise vodou. Devenir ougan ou mambo


en Haïti Chapitre VI La loyauté entre la fixité et le changement 1. Continuité
dans la transmission ou attachement à la tradition comme marque de légitimité
[220] 1.1. Fran Ginen, une difficile démarcation? [221] 1.2. Afrique ginen ou
la tradition comme référence légitime [225] 1.3. De la transmission continue à
la continuité de la transmission : Quelques éléments matériels du péristyle et
le maintien de la fonction sociale du lakou [232] 2. Impératif du changement
[237] 2.1. Ouverture au changement et son fondement théologique [239] 2.2.
Analyse de la transformation du vodou haïtien [250] Retour à la table des
matières

247 247 [219] «Toute culture possède des éléments de stabilité et des


éléments de changement. Il est faux de croire, par exemple, que les cultures
sans écriture sont des cultures sans changement» (Denis et al : 33). Dans la
même veine, Hervieu-Léger (1997 : 133) soutient que le fait qu on trouve,
dans les sociétés les plus éloignées de nous [Occidentaux] dans le temps et l
espace, depuis les philosophes de l Antiquité jusqu aux Pères de l Église, des
expressions de cette plainte récurrente selon laquelle «les valeurs et la piété se
perdent», montre que le changement culturel ne cesse pas d être à l œuvre y
compris dans les sociétés régies par la tradition. Quand Henriette nous
rappelle que dans le temps, pour accéder au rang de manbo ou ougan on
devait «se coucher» trois fois, c était pour dire de manière implicite que, de
nos jours, ce principe n est pas censé être respecté. Sous la recommandation d
Ogou Badagri, son père a eu son ason dès le deuxième coucher. Grégoire n a
pas connu les deux premières étapes. Comme l a bien noté Béchacq (2007 :
58), «le vodou est très réceptif aux changements qui affectent son
environnement». Cette tendance au changement nous place devant les limites
de la sociologie de la reproduction qui ne permet pas de comprendre pourquoi
«on est parfois différent de ce que l on devrait être». En dépit de la force de
conditionnement des structures socialisantes comme la famille, la religion, l
État, on retrouve parfois des écarts très considérables entre «l identité
prescrite» et «l identité vécue» des individus. N est-ce pas en ce sens que tous
les enfants élevés dans un même lakou ne développent pas les mêmes attitudes
face aux activités vodou? En se préoccupant de la velléité de l individu d avoir
son «espace de soi» au sein des déterminants sociaux, dans une perspective de
sociologie clinique, De Gaulejac (1999 : 11) avance l hypothèse que «l
individu est le produit d une histoire dont il cherche à devenir le sujet». Ceci
nous amène, selon ce sociologue clinicien, à des effets de récursivité. Car ce
qui a été un produit au départ devient à son tour producteur de ce qui l a
produit. Dans une telle approche dynamique, l individu devient un «agent d
historicité». Il ne l est pas dans la toute-puissance du sujet, mais dans une
tentative renouvelée en permanence en vue d influencer le déroulement de
cette histoire productrice (De Gaulejac et Roy 1993 : 323).

248 248 [220] Considérant le sujet comme agent d historicité (mais toujours


dépendant ou attaché à son histoire), la notion de loyauté devient une émotion
socialement négociée et parfois renforcée. Mais, dans certains cas, elle peut
être aussi contestée (Connor 2007 : 13). Ce chapitre vise à analyser, dans un
premier temps, des références à l Afrique ou à une tradition familiale comme
marque de légitimité. Ensuite, on va réfléchir sur cet impératif de changement
confronté à l exigence de la loyauté. 6.1 Continuité dans la transmission ou
attachement à la tradition comme marque de légitimité Retour à la table des
matières En parlant du lakou 216 qu il a hérité, Grégoire nous a dit que «Se te
Nèg ginen ki te desann la» (C étaient des Nègres originaires de la Guinée qui
ont établi leur demeure dans ce lieu). «Je ne sers que des fran Ginen (francs
Lwa de la Guinée)», a précisé la femme de Bazil. Mosaline refuse de prendre l
ason car selon ce qu on lui a appris durant son plus jeune âge, cet acte
initiatique pourra lui enlever ses Lwa rasin (racines) qui sont des fran Ginen.
Dans le premier album du groupe Aïzan (voix et tambours) intitulé Rele Lwa
217, l artiste Fabienne Denis commence avec ces paroles : «Mwen se yon
Nègès Afrik ginen, nègès dawome. Mwen sèvi Lwa depi nan Ginen» (Je suis
une Négresse de l Afrik ginen, une Négresse de Dahomey. Je sers les Lwa de
la Guinée) 218. «Manman w pa gen Lwa, papa w pa gen Lwa kouman w fè
gen Gede?» (Votre mère n a pas de Lwa, votre père n a pas de Lwa, comment
se fait-il que tu aies des [Lwa] Gede?), a chanté RAM 219 en 2006 comme
meringue carnavalesque. 216 Lakou pris comme un espace à la fois profane et
sacré. Cet album est un genre de rythme d opéra vodou. 218 Fabienne Denis
(2007), «Nègès», 1e numéro de son album Rele Lwa. 219 Goupe RAM
(2006), «Padone Yo», une meringue carnavalesque haïtienne. 217

249 249 À travers toutes ces références à la terre d Afrique ou à l impératif d


une inscription dans une lignée familiale, l acteur vodouisé tient à faire valoir
son appartenance à une tradition vodou portée par sa lignée familiale et qui
serait conservée dans sa pureté (ou proche) telle qu elle se pratiquait depuis l
Afrique. Si ces références sont guidées par le souci d établir une démarcation
entre lui et un charlatan, ou un malfèktè (voisin malveillant) qui est
socialement [221] condamné et redouté 220 (Vonarx 2011 : 98), elles
traduisent aussi son attachement à ses croyances et à ses pratiques ancestrales.
Comme Larose (1977: 85) a pu remarquer, ici, Ginen (Guinée) est synonyme
de tradition, une loyauté indéfectible aux ancêtres, mais surtout aux anciennes
pratiques qu'ils ont apportée de l Afrique. Comme on peut le constater, le
terme Ginen ou fran Ginen est très récurent dans l univers du vodou. Afin de
mieux saisir le sens de son usage dans cette culture religieuse, il nous semble
nécessaire de formuler quelques considérations relatives à ce terme. 220
Même dans le milieu vodou ces malfektè sont très redoutés, car, dit-on, ils
manipulent des procédés magiques pour faire du tort à leurs semblables
(innocents ou coupables).

250 Fran Ginen, une difficile démarcation? Retour à la table des matières


Comme nous l avons déjà noté, pour Grégoire, Nan ginen se réfère à la terre d
Afrique au sens large 221. Selon une conception mythique, l invocation de ce
lieu se réfère à un endroit en Afrique où l on vivait dans le bonheur sous la
protection des Divinités bienveillantes 222. Ce n'est certainement pas le
continent africain tel que nous le connaissons aujourd'hui, mais une Afrique
mythique que l imaginaire des initiés vodou a façonnée. D un autre côté, cette
Afrique serait située sous les eaux et au-dessous de la mer (Laguerre 1980:
184). Ainsi, comme le ciel pour les chrétiens, ce lieu mythique et sacré serait l
endroit reposant où l âme du vodouisant [222] irait après la mort. Pour lui et
pour de nombreux autres vodouisants, les Lwa de l Afrik ginen sont sou221
Selon les témoignages imprécis des contemporains de la traite, les esclaves
africains des colonies françaises viennent d'un espace compris entre le Sénégal
et l'angola. Les premiers esclaves des Antilles françaises proviennent de
Guinée et de l'angola, selon le père Breton. Ces zones de traite sont alors
fréquentées par les Hollandais qui ont fait la conquête de l'angola. D après le
père André Chevillard, les esclaves proviennent de Guinée, de l'angola, du
Sénégal ou du Cap-Vert au milieu du XVIIe siècle. Au début du XVIIIe
siècle, Labat indique que les esclaves les plus nombreux sont les Aradas à côté
des Congos, Judas et des Sénégalais. Les esclaves dénommés Aradas parlent
la même langue, l'arada, ou des langues très proches, mais ils sont issus de
peuples variés. Ils proviennent de la baie du Bénin. On comptait 65% de
femmes parmi eux. Les négriers regroupaient sous le nom de Congos tous les
captifs provenant de l'afrique centrale (côtes du Cameroun, du Gabon et du
nord de l'angola). Les Judas sont les Africains provenant du port de traite
Ouidah (actuel Bénin). Sous le nom de Sénégalais, on retrouve des ethnies
différentes qui proviennent du fleuve Sénégal, comme les Peuls ou encore les
Bambaras (Régent 2007 : 45). À partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle,
les plus nombreux parmi les esclaves transportés d Afrique étaient les Congos
(Debien [1942 : 75], cité par Midy [2006 : 177]). 222 Dans l une des prières
Dyὸ, les vodouisants chantent les paroles suivantes : «Si lan Ginen pa te lwen
konsa, m ta v ale chimen mwen. Peyi a bon peyi, Kretyen vivan la dan l yo ki
move» (Si nan Ginen n était pas aussi loin, je partirais d ici. Le pays en soi est
bon, mais ce sont les «chrétiens vivants» [les humains] qui l habitent qui sont
mauvais) ; voir M. Beauvoir (2008 : 123).

251 251 vent évoqués en opposition aux Lwa créoles (nanchon [nations] 223
petwo, mandeng, kaplawou kanga, kita, kongo savann, anmin ) qui sont
réputés être féroces, brutaux, et interpellés pour de «grosses magies». Les Lwa
de l Afrik ginen (les nanchon rada, nago 224, ibo 225, kongo fran, zaka, etc.)
sont réputés être «doux», «calmes», «purs» et «disciplinés». Selon cette
perception, les «Bon Lwa» viennent de l Afrique (Guinée) alors que les Lwa
petwo ou «Lwa dyab» (diables, c est-à-dire, Lwa féroces, mais sans référence
à la notion biblique) sont nés en Haïti. Ainsi, ils sont invoqués dans les
situations de grands dangers, de grandes préoccupations. Par exemple, lors de
l initiation rada kanzo, les novices sont introduits dans l onfò sur le rite des
Lwa petwo car le moment de la réclusion est considéré dangereux pour l
initié, fragilisé devant les éventuelles attaques d ennemis réels ou imaginaires.
À ce sujet, Métraux (1953a : 137) a noté que : Les Noirs importés en Haïti aux
XVIIe et XVIIIe siècles venaient en majorité de la Côte des Esclaves - Togo,
Dahomey et Nigeria [ ]. En Haïti, c'est autour de la religion dahoméenne 226
que se fit cette cristallisa- En fait, au XVIIIe siècle le terme de «Nation» était
utilisé dans la colonie pour définir le lieu d'origine d'un individu. 224 Les
Nago (Nagaus) sont originaires de l'actuel Bénin et du Nigeria occidental. Ce
sont en réalité des Yorubas que leurs ennemis appelaient Nagaus, surnom
péjoratif signifiant «émigré musulman», d après G. Debien cité par Régent
(2007 : 48). 225 Les esclaves originaires de la baie du Biafra sont pour la
plupart désignés comme étant des Ibos. À l'inverse des autres esclaves issus de
la traite, il y a parmi les captifs ibos davantage de femmes que d'hommes.
Selon Moreau de Saint-Méry, les Ibos étaient tellement appréciés aux Antilles
que les «négriers vendaient sous le nom d Ibos, des Mocos (de l actuel
Nigeria) et des Calabars (de l'actuel Nigeria) qui étaient moins estimés»
(Régent 2007 : 46). 226 Pour Moreau de Saint-Méry, les Nègres aradas (ou
rada), étaient les véritables sectateurs du vodou dans la colonie de Saint-
Domingue. Ce sont eux qui ont maintenu les principes et les règles. Le
concept Vodou pour eux renvoyait à un Être tout-puissant et surnaturel dont
dépendent tous les événements qui se passent sur ce globe (Mintz et M.-R.
Trouillot 2003 : 32). 223
252 252 tion des croyances et des rites empruntés à divers systèmes
magicoreligieux qui différaient dans le détail, mais se ressemblaient par leur
fond commun. Plus tard, le syncrétisme religieux, déjà si prononcé en
Afrique, devait faciliter l'absorption d'autres éléments : tout d'abord les
divinités et les rites congolais, et ensuite les croyances et les [223] pratiques
catholiques qui se faisaient de plus en plus nombreuses à mesure que les
esclaves se familiarisaient avec la religion de leurs maîtres. Dans ce
paragraphe, Métraux nous éclaire sur la logique du regroupement des Lwa dits
ginen sous le label de rite rada 227. Cependant, face à ce classement nous
devons être prudents. Celui-ci a donné lieu à une catégorisation «rapide et
simple» qui divise les pratiques vodou en deux rites principaux : rada et
petwo. Cette catégorisation nous paraît trop arbitraire, car beaucoup de Lwa
créoles (Èzili, par exemple) ont plusieurs épithètes. Si Grann Èzili Freda et
Mètrès Èzili sont honorées comme des Lwa purs, Èzili Mapyang et Èzili Je
wouj sont considérées comme des Lwa dyab. Ces dernières sont interpellées
dans la réalisation de ce qu on appelle «Gwo maji» (grosse magie) comme le
pile makaya 228 effectué le vingt-quatre décembre. D ailleurs, tous les Lwa
venant des différentes Ethnies africaines ne correspondent pas aux profils des
«Lwa francs». On retrouve des «Lwa purs» ou francs à la fois parmi les
Créoles que parmi «ceux qui viennent d Afrique». Ainsi, les Lwa de nanchon
manding (mandingue) 229 ou ceux de nanchon sinigal qui 227 Le mot Rada
serait dérivé d Allada, ville du Dahomey ou d Aradas, peuples de la baie du
Bénin. Selon Moreau de Saint-Méry ce mot est une «prononciation corrompue
d Ardra, nom de l un des royaumes de la Côte des Esclaves» (Desquiron
2003 : 12). Mais pour M. Beauvoir (2008 : 21), le «Représentant national du
vodou haïtien», ce mot semble dérivé de «Allada» car dans la langue Fongbé,
on omet souvent le premier «A» d «Allada» et la lettre «L» se prononce avec
la pointe de la langue et se confond facilement avec un «R» en français. 228
Pile makaya est un rituel de protection annuelle réalisé en vue de l
immunisation des fidèles pour la nouvelle année. 229 Les Mandingues comme
peuples étaient islamisés et originaires de haute Gambie. Ce groupe devait
comprendre tous les captifs qui parlaient la langue mandé (Régent 2007 : 47).

253 253 viennent de l Afrique sont comptés parmi l escorte des Petwo dits
créoles 230. [224] Consciente de la faiblesse de cette approche dichotomique
classique rada versus petwo (qui néglige la réalité des 21 nanchon), Beauvoir-
Dominique (2005 : 59-61) a opté pour une approche cosmique basée sur le
mouvement des astres. Ainsi, elle propose de regrouper les pratiques et les
Déités vodou en deux principaux ensembles : les rites diurnes ou Ginen fran et
les rites nocturnes ou 230 Un des traits caractéristiques de la danse du rituel
don pedro (devenu petro ou petwo) est la violence de l émotion religieuse
exprimée par le danseur en transe. La danse à Dom Pèdre (ou Don Pedro)
inventée en 1768 à PetitGoâve par un Nègre originaire de la partie espagnole
et celle qui a été dirigée par Jérôme Poteau à Marmelade en 1786 (Midy
2006 : 186) seraient d origine congolaise. Le groupe Congo a été un pôle d
attraction culturelle durant la période précédant la révolution. Par son activité
religieuse et symbolique intense dans le Nord (à Limbé durant les années 1750
avec Makandal, à Marmelade en 1786 avec Jérôme Poto) et dans l Ouest (à
Petit-Goâve en 1768 avec Don Pedro), ce groupe a exercé une influence
durable au sein de la population esclave. Il y a diffusé le goût de la danse et le
sens de la chanson, deux éléments du patrimoine culturel populaire d Haïti.
Ainsi, il a contribué de façon substantielle à l élaboration du vodou haïtien.
Les manifestations du vodou antérieures à la Révolution des esclaves portent
la marque de leur influence religieuse. Selon Ma Mbongolo (2005 : 41-42),
suite aux relations diplomatiques entre le Congo et le Portugal au cours du
XVIIe siècle, a surgi parmi les élites du royaume de Congo l adoption du
préfixe «Don» dont les sages, les intellectuels, les abbés aimaient faire
précéder leur nom chrétien. C est ainsi que l histoire du Congo est truffée de
Don Roberto Missamu, Don Paulo Nkodia, Dona Tchimpa Béatrice (la
fameuse Tchimpa Mvita qui, à l âge de 22 ans fut brûlée vive par le feu
inquisitorial). C est dans la même lignée que Ma Mbongolo a situé Don Petro
qui a marqué l histoire d Haïti et du rite petro lenmba. Il devine que Don Petro
devrait être un grand intellectuel ou mieux encore un homme d Église, un
abbé, préalablement initié au «lemba», qui une fois capturé et amené dans les
champs de cannes à sucre, n a jamais accepté sa condition d esclave. Les
Congos reprochent en général aux Portugais et aux hommes blancs leur
manque de respect de la parole donnée. Ils n arrivaient pas à croire que ces
hommes venus propager l évangile du Christ, deviennent la nuit de grands
vendeurs d hommes. D ailleurs ce fait a déclenché la guerre entre le Congo et
le Portugal. Ainsi, le 29 octobre 1665 est une date fatidique dans le devenir du
Congo.

254 254 «makaya»231 (système magico-religieux relevant des bois, des


feuilles et des forêts) souvent appelés «maji» qui se rattachent aux traditions
de lutte du vodou colonial. Si cette dernière classification nous semble plus
proche de la réalité, on peut néanmoins admettre que la démarcation est loin d
être visible, puisque chaque famille (ou escorte) de Lwa a souvent des
membres des deux côtés de la frontière. La famille Loko, par exemple, a des
membres dans divers rites (diurnes comme nocturnes) : Azangon Loko pour le
rite petwo ; Lokosi Dayòk Freda, Loko Davi, Tokodou : rite ibo ; Dosou
Loko, Loko Dyè, Wa Loko Alade : rite rada, etc. On peut faire cette même
observation pour la famille Jan : Jan Boumba est dans le rite boumba mazwa ;
Jan Krab : rite gede ; Brital, Sankrent Danje, Ti Jan Rasin : rite kita ; Jan
Fawo : rite nago ; Jan Petwo : rite petwo ; Jan Bazil : rite rada ; Jan Dantò :
rite dantò (Beauvoir 2008 : ). Ainsi, le culte makaya serait constitué d un
ensemble de Lwa guerriers tirés des rites rada, petwo, mandeng, nago,
banmbara, ibo, kongo, etc. Cette analyse confirme l idée que les familles de
Lwa ne sont pas homogènes et qu un Lwa, dit rada ou petwo/makaya, peut se
manifester avec des caractéristiques inhabituelles. Celles-ci dépendent de la
personnalité du possédé. Guillaume nous a dit qu un Lwa, peut dans ses goûts
ne réclame jamais de sacrifice. Cependant, si son serviteur l initie à une telle
[225] pratique, il va l intérioriser dans son habitude et l exiger à chaque
période. Toutefois, le modèle idéal ou légitime attend que l Haïtienne ou l
Haïtien «authentique» reste attaché à la tradition de ses ancêtres, c est-à-dire, à
penser et vivre «Ginen». 231 Dans la période coloniale, le Congo Makaya
était très intrépide dans les luttes contre les chefs créoles et les alliés des
autorités françaises. Lorsque, en 1793, le commissaire Etienne Polverel a
essayé de le persuader de rejoindre les troupes coloniales (afin de combattre
les Espagnols en faveur de la France révolutionnaire), tout en revendiquant
son attachement aux Rois de France et d Espagne (que les commissaires civils
ont qualifiés d esclavagistes), il a rappelé à Sonthonax qu il est le Sujet du
«Roi du Congo, Roi de tous les Noirs!» (Thornton 1993 : 181 ; Midy 2006 :
192).

255 Afrique ginen ou la tradition comme référence légitime Retour à la table


des matières Comme on peut le constater, Nan ginen (ou Afrik ginen) est une
référence mémorielle qui sert à évaluer ou à distinguer les pratiques légitimes
ou «authentiques» du système vodou de ses avatars, c est-àdire des éléments
(acteurs et pratiques) considérés comme importés et susceptibles de nuire
moralement à sa réputation. Bref, cette référence consiste à invoquer la
différence entre les «héritiers» et les «parvenus» du système. Le maintien de
cette catégorisation dans le vodou haïtien d aujourd hui rappelle que le
processus de la transmission rime toujours avec permanence du passé dans le
présent. Autrement dit, il traduit la persistance culturelle d un passé
(conviction identitaire, trauma historique) qui continue d agir sur le présent
des groupes et des individus (Berliner 2010 : 8). Si aujourd hui le degré d
attachement à la «terre d Afrique» sert encore à mesurer le niveau de loyauté
de celui qui se dit vodouisant, dans le contexte du vodou colonial politisé et
guerrier, les chefs africains «répugnaient à reconnaître aucune supériorité, non
seulement dans les Mulâtres, mais même dans les Noirs qui n étaient pas nés
comme eux en Afrique». «Tout créole, à leurs yeux, était indigne de
commander en chef». Les anciens généraux des troupes coloniales
(Dessalines, Christophe, Clervaux, Pétion ) étaient perçus comme des traîtres
à la cause des Noirs (Midy 2006 : 193, 196). Selon Trouillot (1972 : 102), les
chefs révoltés africains étaient pourchassés par Dessalines qui les massacrait
sans rémission. De leur côté, ils détestaient Dessalines aussi parce que celui-ci
était un Nègre créole s'adaptant plus ou moins aux mœurs occidentales. Mais
il faut noter qu au-delà de cet antagonisme ethnoculturel, la bataille réelle ou l
objectif ultime a été l obtention de la suprématie militaire et politique de
Saint-Domingue qui allait devenir Haïti. Comme on le sait, ce combat a été
remporté par l élite des Noirs créoles et [226] des Mulâtres. À ce sujet, l
historien créole Thomas Madiou semble même voir dans les luttes de pouvoir
pour la direction
256 256 de la Révolution haïtienne un affrontement entre «les Lumières
européennes incarnées par les Créoles et la Superstition africaine incorporée
aux Bossales». Selon le Mulâtre Ardouin (1854), il est naturel ou évident que
ces Bossales soient assujettis au «joug que les lumières doivent toujours
imposer à l ignorance» (Midy 2006 : 191, 196). Mais on peut rappeler avec
Debien (1942 : 75 ) 232 qu à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, les
plus nombreux parmi les esclaves transportés d Afrique étaient les Congos. Ils
représentaient dans les années plus de 60% des esclaves nés en Afrique. Ils
furent aussi les premiers à entrer massivement en insurrection, nommément
pour l indépendance, après la déportation de Toussaint Louverture en 1802,
quand l armée expéditionnaire de Napoléon, commandée par le général
Leclerc, eut entrepris le désarmement des cultivateurs 233. Comme l a noté
Midy (2006 : 192), ils avaient bien senti que c était le prélude au
rétablissement de l esclavage. Ainsi, ils ont fourni à la Révolution des
dirigeants de forte conscience ethnique et de volonté d autonomie manifeste.
Par transmission directe ou indirecte, cette conscience ethnique est maintenue
et actualisée dans le vodou à travers ce concept de «Ginen». Dans la
présentation d une collection de textes rituels intitulée Lapriyè Ginen, l ougan
M. Beauvoir (2008 : 11-12) estime avec toute son exagération que : la majeure
partie du peuple haïtien se sent naturellement heureuse et fière de pouvoir
s'identifier en tant que Pitit ginen, entendant par-là que les individus de ce
groupe se sentent satisfaits lorsqu ils sont perçus en tant que d'autres enfants
d'afrique [ ]. Habituellement, celui qui se sent véritablement Haïtien s'identifie
incontestablement en tant que Nèg ginen ou Debien cité par Midy (2006 :
177). D un autre côté, Ardouin a pu reconnaître que : «sous un certain rapport,
on doit excuser ces hommes ignorants [Les Bossales], car, tandis qu ils se
levaient partout contre les Français, les chefs et les troupes coloniales
servaient d auxiliaires à ceux-ci et les traquaient dans les bois, sans qu ils
puissent comprendre leurs motifs secrets. L initiative de la résistance à l
oppression européenne leur étant due, il était naturel qu ils eussent cette
ambitieuse prétention» (Midy 2006 : 196).

257 257 Haïtien authentique 234, c est-à-dire en [227] tant que Nègre de


Guinée ou Africain, un individu qui incorpore en lui-même, toutes les valeurs
culturelles qui sont incluses au sein de la tradition de ses ancêtres et qui en fait
sa pratique régulière. On peut voir ici, dans la conception de ce chef religieux,
l établissement clair et net d une distinction entre deux catégories d Haïtiennes
et d Haïtiens : l une serait superficielle et l autre authentique. On est en face d
une question identitaire où le degré de reconnaissance et d appropriation des
valeurs africaines ou ancestrales est pris comme mesure d évaluation ou d
identification de celui qui serait un «franc vodouisant ou un réel Haïtien».
Dans cette considération, plus le niveau d africanité d un Haïtien est faible,
moins il peut être en paix avec lui-même. «Le mot Ginen, écrit-il, désigne non
seulement une culture, mais encore toute une civilisation, et l'expression Nèg
ginen devient synonyme d un Haïtien bien dans sa peau et en paix avec ses
esprits» (M. Beauvoir 2008 : 13). Ainsi la recherche de l'identité culturelle
vodou à travers l appropriation des pratiques ancestrales estelle considérée
comme une attitude exaltante. En situant le niveau de véracité ou d
applicabilité de cette conception dans le champ vodou, on peut en déduire qu
être loyal à sa tradition religieuse revient, de ce fait, à être loyal envers soi-
même. Par conséquent, tout abandon des croyances et des pratiques dites
ginen devient un reniement de soi. 234 Souligné par l auteur. Hurbon (2001 :
54) a fait remarquer qu il y a lieu ici d être vigilant «contre les tendances à la
dérive vers des positions ethnicistes et nationalistes ou fondamentalistes. Car,
dit-il, la possibilité de pratiquer le vodou comme un droit culturel ne signifie
pas que cela dispense le secteur d'assumer la démocratie comme une valeur
universelle» qui garantisse le droit à la différence. Toutefois, la nécessité d
être alarmé est loin d être une urgence, car le vodou est en général non
prosélyte et très tolérant. Il cherche à se faire reconnaître son droit à l
existence plutôt qu à remplacer les autres modes de croire. D ailleurs, il offre
ses compétences à toutes les catégories sociales sans distinction de race, de
couleur ou de religion». Ainsi, en 1987, Hurbon (1987c : 157) a écrit ce qui
suit à l égard du vodou : «Ses capacités d'adaptation à toutes les situations
proviennent même de son sens de la tolérance et de son ouverture à un
pluralisme culturel qui devra caractériser une société haïtienne démocratique».

258 258 Nellio, un de nos interlocuteurs, a 39 ans et vient d une famille vodou


de tradition kongo. Scolarisé dans une institution catholique, il a été enfant de
chœur. Plus tard, influencé par son frère aîné qui est pasteur, il a étudié la
théologie et il est devenu pasteur comme celui-ci. En comparant l effet
similaire 235 stimulation d intenses émotions, transe [228] mystique que
provoque sur lui à la fois l ambiance chrétienne (musique surtout) et celle du
milieu vodou, il a pu conclure que «Chak nasyon ka loure Bondye nan kilti,
nan lang, ak nan koutim pa yo» (chaque nation peut plaire à Dieu dans sa
propre culture, dans sa langue et dans sa coutume). En effet, depuis environ
dix ans, ses Lwa rasin l ont réclamé afin qu il se mette à leur service,
spécialement pour promouvoir sa «propre culture» au lieu d être un instrument
transmetteur de la culture des autres peuples. À présent, déclaret-il, Je ne suis
ni catholique, ni protestant, je suis un franc vodouisant. S il y avait un tribunal
international qui pourrait recevoir mes plaintes comme victime de
détournement de mineur, de lavage de cerveau, je poursuivrais 235 «Les
sectes-pentecôtistes, trembleurs, etc., écrit Métraux (1953b : ), qui cultivent
l'exaltation religieuse et la transe mystique, exercent un fort attrait sur
beaucoup de sectateurs du vodou. Ils retrouvent dans les réunions de ces
groupes une atmosphère qui n'est pas très différente de celle des serviteurs des
lwa. Nous avons obtenu d'un jeune prédicateur un témoignage fort curieux des
sensations dont il a été envahi au moment où il a eu la révélation de sa
vocation, au cours d'un culte pentecôtiste. Je me suis senti soudain comme
empoigné c'était comme si des tas d'aiguilles m'entraient dans la chair et
comme si, en même temps, j'étais soulevé de terre. Dans mon cœur il n'y avait
plus que joie et contentement. Je sentais ma langue se mouvoir rapidement,
mais je ne comprenais pas ce que je disais. J'ai été dans cet état plus de deux
heures. J'étais en présence de Dieu. Je transpirais tant et plus. Le lendemain,
j'éprouvais à nouveau la sensation d'éclater et la crise est revenue. Le Saint-
Esprit était descendu en moi. Depuis lors, ces visitations sont devenues
comme le thermomètre (sic) de ma vie spirituelle et elles me permettent de
savoir si je suis près de Dieu ou dans la chair. Je ne suis pas le seul à avoir eu
ces visions. D'autres, tout comme moi, ont l'impression d'être soulevés dans
les airs et ils se voient transportés dans un palais où ils contemplent des choses
d'une beauté ineffable. C'est en des termes assez voisins que des vodouisants
ont cherché à m'expliquer leurs sentiments au moment de la possession. La
transposition d'un culte à l'autre est donc évidente».

259 259 le Vatican et consorts parce que j étais enfant et ils ont décidé que je
devais être catholique, puis protestant. Ils me détournaient de mon chemin
ginen, de mon chemin d Afrique. Il faudrait qu ils me dédommagent ainsi que
toutes les autres victimes comme moi, car ils nous ont amenés à rejeter notre
identité de Nègre. Ils nous ont imposé le rejet de notre relation harmonieuse
avec les arbres, les sources d eau et toute la belle architecture que la nature
nous a offerte. En plus, ils continuent à le faire. Effectivement, se sentir
proche ou être dans la lignée des pratiques ancestrales semble très important
pour le pratiquant vodou. Quand il se sent en confiance, il le rappelle sans
cesse avec le sentiment de celui qui a bien accompli son devoir et qui ne trahit
pas sa lignée malgré les contraintes externes. En 1996, un groupe de
vodouisant-e-s a reçu à Port-au-Prince «l honorable Sossa Guédé Houngué,
natif de Sahoue Doutou, chef suprême du vodou» béninois. Selon le protocole
de sa mission en Haïti, il a dû visiter plusieurs sites afin de permettre au
vodouisant haïtien d avoir une référence historique et vivante de son passé
religieux. Dans l un des péristyles de la capitale, 21 ougan et manbo l ont reçu
et ont chanté [229] avec lui une partie de la Priyè ginen (Prière ginen) qu on
appelle Priyè dyò 236. Selon manbo De Lynch (2008: 47-48), l'assistance a
vécu un moment d'intense émotion et de joie en voyant Sossa pleurer à
chaudes larmes. Il nous accompagna en chantant avec nous pendant presque
toute la durée de la prière Dhio. Il nous expliqua son émotion : il venait de
découvrir que, malgré des siècles d'esclavage, de séparation avec l'afrique,
cette prière avait gardé sa pureté à peu près intacte. Par rapport à tous ces
accents mis sur l Afrique (Ginen) comme lieu de référence, il faut dire toute
de suite avec Larose (1977: 92) que l'idée selon laquelle un groupe concret
pourrait incarner une tradition "ginen (Guinée) pure" n'a aucun fondement, et
une telle communauté ne doit pas être recherchée en Haïti. Dieu est toujours
«notre côté», 236 Dyò (Djo) est la Divinité de l'air, du souffle et de la vie dans
le panthéon dahoméen (Desquiron 2003 : 24).

260 260 et la Guinée est un concept similaire, une figure complexe à travers


laquelle le pouvoir est légitimé. La recherche de la légitimité d'une pratique
religieuse dans la tradition africaine ou ancestrale se révèle une préoccupation
bien intériorisée et transmise dans le milieu vodou. Dans une remise en
question d un point de vue théologique selon lequel le Dieu vodou serait
«inaccessible et indéfinissable» (M. Beauvoir 2008 : 41), certains leaders 237
protestent et soutiennent une idée contraire. Et pour justifier leur opposition,
ils avancent que «Dieu a toujours été défini par les Africains de l Afrique
noire d où nos ancêtres sont originaires». Ils affirment que ce Dieu est la
totalité qui sort de lui-même et qu il s est révélé par la bouche des Grands
Maîtres égyptiens depuis «deux millénaires et plusieurs siècles», bien avant la
conception du Dieu chrétien qui n est qu une photocopie de la première. On
peut faire remarquer que cette même tendance du retour en Afrique pour
justifier une position théorique a été observée aussi par Dianteill (2000b : 259)
dans la santeria de Cuba. [230] Entre les ancêtres d Afrique et les nouvelles
générations se trouvent les parents et grands-parents qui gardent généralement
une relation assez intime avec un espace sacré qui abrite les Lwa eritaj
(Divinités protectrices de la famille étendue) qu on désigne sous le nom de
«Demanbre» 238. Le principal devoir que le vodouisant doit accom237 Voir
André-Jules Gustave (s.d.), «Position des responsables de l église vodou d
Ayiti face au manifeste de la KNVA du houngan ati Max Beauvoir», en ligne,
(3 mai 2011). 238 Selon Larose (1977 : 97-98), le demanbre (prononcé
comme «démembré») est l unité de base du culte vodou. Il s'agit d'une partie
d'une grande propriété, acquise par son fondateur et qu il laisse à tous ses
descendants pour y vivre. Parfois, il peut être un lopin de terre, au milieu
duquel se trouve une petite maison, la «première maison», où ce fondateur a
gardé les accessoires religieux nécessaires aux rituels spécifiques de sa lignée
familiale. Il est un endroit bien ombragé par un certain nombre d'arbres (dont
certains sont très grands et anciens), où tous les Esprits de la famille se
"reposent". Cet endroit forme le patrimoine religieux de la famille (élargie) en
tant que groupe. Ainsi, personne n'oserait abattre ces arbres, sans encourir le
châtiment des Esprits qui y habitent. Dans cet imaginaire religieux, le
fondateur (le défunt) d'un tel demanbre est aussi traité comme un Lwa et peut
même posséder un de ses descendants.

261 261 plir envers eux consiste à les honorer, et à leur donner à manger soit
chaque année, soit tous les 7 ans, tous les 21 ans et parfois tous les quarante-
et-un ans. Être un héritier de ce lieu devient un indicateur, une preuve
matérielle qu évoque assez souvent la manbo ou l ougan justifiant que sa
pratique religieuse ne sort pas du néant, qu elle a des racines familiales, donc
qu elle est légitime. Le péristyle de Mosaline est installé en ville à environ une
trentaine de kilomètres de son demanbre en milieu rural dans les montagnes
de la région du Sud. Mais chaque année, avant le déroulement de la cérémonie
de services Lwa de son lakou (où on sacrifie des animaux et où on donne à
manger aux Lwa), elle retourne dans son lieu de naissance où résident ses Lwa
rasin afin de leur allumer des bougies, de jeter de l eau par terre en les invitant
à descendre en ville pour se régaler à la fête qu on organise en leur honneur.
Sinon, la danse ne sera pas réussie. Dans le demanbre de Déravine qui est
aussi à la campagne, il y a, nous dit-il, une source qui porte le nom de sa
grand-mère paternelle. Elle est entourée d une variété d arbres fruitiers
séculaires. Tous les membres de la communauté savent qu il est interdit de les
abattre, car outre le fait que les habitants de la zone utilisent l eau de la source
pour leur usage quotidien, les Esprits de l eau comme Simbi, Mèt Agwe,
Lasirèn, Manbo Lovana (un Lwa originaire du Nord d Haïti) y résident en
permanence. «Au moment où on parle, précise-t-il, on y organise une
cérémonie. C est dans ce lieu qu on offre à manger aux Lwa». Il poursuit en
disant qu «une fois satisfaits, où que je sois à travers la planète, ils resteront
toujours en communication avec moi. Ils sont partout. Ils m habitent à l
intérieur comme à l extérieur. Quand je voyage, ils arrivent au lieu de la
destination bien avant moi. Ils sont mes protecteurs». Pour nous expliquer son
niveau d attachement à cet espace sacré, il nous raconte [231] qu à sa
naissance, son cordon ombilical accompagné d un arbre a été mis en terre au
bord de la source. Vu le niveau d importance conférée au demanbre comme
premier «siège social» des Lwa rasin, on peut comprendre pourquoi «Gen
anpil moun ki vin fou oubyen ki vin gen gwo maladi poutèt yo sispann sèvi
lwa fanmi y» (beaucoup de gens deviennent fous ou attrapent de graves
maladies parce qu ils ont cessé de servir leurs Lwa familiaux), a expliqué R.
Beauvoir (2003 : 95). Dans le cadre de ce travail, nous avons pu constater que
la maladie comme prélude à l entrée dans la

262 262 prêtrise vodou est assez récurrente. Beaucoup de nos interlocuteurs


ont connu un état pathologique avant de répondre à l appel des Déités pour
travailler en tant qu ougan ou manbo. La théorie de la dissonance cognitive du
psychologue social Festinger (1957) 239 nous permet de penser que cet état
psychique et physique est la résultante d une tension cognitive désagréable
suscitée par des contraintes ou des obligations contradictoires entre lesquelles
l individu n arrive pas à trouver un équilibre consonant. Le malaise qu
occasionne cet état de dissonance est parfois vécu péniblement par l acteur
social alors que le fonctionnement normal de son psychique exige le maintien
de la plus grande consonance possible 240. Afin de garder cette consonance
nécessaire à la santé de son univers mental ou en vue de rester loyal à son
milieu d appartenance et à ses valeurs profondes, l habitus de l individu, selon
Bourdieu (1980 : 102), lui sert de défense, spécialement en situation de crise,
en lui permettant d être très sélectif dans ses choix : l'habitus tend à assurer sa
propre constance et sa propre défense contre le changement à travers la
sélection qu'il opère entre les informations nouvelles, en rejetant, en cas
d'exposition fortuite ou forcée, les informations capables de mettre en
question l information accumulée et [232] surtout en défavorisant l'exposition
à de telles informations [ ]. Par le «choix» systématique qu'il opère entre les
lieux, les événements, les 239 Festinger, cité par Boisard-Castelluccia et Van
Hoorebeke Delphine (2010 : 244). 240 De manière générale, les théories de la
consonance cognitive de Festinger traitent du processus de gestion des
informations nouvelles et du changement d états cognitifs. Elles supposent
que l existence d un univers cognitif est conditionnée par la recherche d une
organisation harmonieuse. Si cette harmonie est perturbée, l organisme met en
place un travail cognitif permettant son rétablissement. Mais sa théorie de la
dissonance cognitive est celle qui a connu le plus grand succès. La dissonance
cognitive constitue un état pénible pour l être humain, chez qui il existe un
besoin de maintenir la plus grande consonance possible. Donc si un individu
se trouve entretenir des notions dissonantes, il en éprouve un malaise
psychologique suscitant chez lui une tendance à la réduction de la dissonance
et à la restauration de la consonance. En outre, l individu s efforce d éviter les
situations et informations susceptibles d augmenter la dissonance (Boisard-
Castelluccia et Van Hoorebeke 2010 : 244).

263 263 personnes susceptibles d'être fréquentées, l'habitus tend à se mettre à


l'abri des crises et des mises en questions critiques en s'assurant un milieu
auquel il est aussi réadapté que possible, c'est-à-dire un univers relativement
constant de situations propres à renforcer ses dispositions en offrant le marché
le plus favorable à ses produits De la transmission continue à la continuité de
la transmission : Quelques éléments matériels du péristyle et le maintien de la
fonction sociale du lakou Retour à la table des matières En parlant du vodou
haïtien comme étant une religion d anciens esclaves venus d Afrique, Bastide
(1970 : 87) avance que le «Vaudou haïtien sépare de la même façon, sur le
sol, un espace sacré qui garde la même structure que l espace sacré africain,
sous une forme minimale, avec son péristyle où se déroulent les danses, son
poteau par où descendent les dieux venus d Afrique afin de pouvoir visiter
leurs fils dispersés de par le monde».

264 264 Retour à la table des matières [234] Cette image du Potomitan


(poteau du milieu) du péristyle d Onel traduit bien cette continuité dans le rôle
symbolique que représente cet objet aux yeux des vodouisants du rite rada
kanzo (de Port-au-Prince et de ses périphéries). Comme voie de passage des
Lwa, il représente un lieu éminemment sacré. Sa fonction dans l édifice n est
pas tant matérielle (soutenir le toit) que symbolique, comme son nom,
Potomitan (pilier central), l indique. Et pour preuve, ce potomitan ne touche
pas le plafond du péristyle d Onel. Selon ce que raconte ce prêtre vodou, ce
poteau du milieu en ciment remplace celui qui était en bois. Si on passe du
bois au ciment, c est juste pour une question de durée, mais la continuité reste
dans la représentation symbolique du pilier perçu comme chemin des Entités
mystiques.

265 265 Illust. 39 : Chez ougan Nellio : chacun dépose sa bougie allumée sur
le socle du potomitan Retour à la table des matières Selon Marcelin (1947 :
55), ce poteau central qui généralement soutient la toiture est hautement sacré,
et joue un rôle important dans les sacrifices et les pratiques rituelles. Pour
Desquiron (2003 : 90), étant l'axe de communication entre les fidèles et les
Esprits, il est un des éléments majeurs qui contribuent à la sacralité du
péristyle : «C'est le pivot des danses [234] rituelles ; tout se fait à partir de
lui». Ce qui a conduit Pierre Mabille (par analogie) à voir dans le potomitan
«une représentation stylisée de l'arbre sacré» dahoméen 241. D après manbo
De Lynch (2008 : 170), ce «chemin des Mystères» serait l axe du pouvoir
mystique autour duquel les frères et sœurs du vodou s unissent pour se
fortifier contre les obstacles de l'ennemi. 241 «Pour ma part, je crois que le
poteau mitan ou colonne centrale, est un vieux symbole de l'arbre sacré [...].
Ce qui ressort nettement de l'hermétisme noir, c'est que le poteau mitan est le
symbole de l'arbre protecteur, dont la tonnelle représente le branchage feuillu
qui abrite les danseurs» (Pierre Mabille cité par Desquiron 2003 : 90).

266 266 Un autre aspect à considérer est la simplicité du péristyle, duquel sont


absentes les chromogravures. On a pu faire cette observation chez Henriette
ainsi que chez la plupart de nos interlocuteurs. Illust. 40 : Intérieur de l un des
bajyi d Henriette Retour à la table des matières Des govi placés sur l un des pe
de de l onfò d Henriette. Le fond bleu traduit l exigence de simplicité de l
onfò. Quand on demande à l actuel responsable du péristyle pourquoi on ne
remplace pas ces objets, il répond de la manière suivante : «Sa a se don pa
nou. Ki sa nou pral mete si nou retire yo? Nou pa chanpwèl, nou pa bizango»
(Ceci est notre héritage. Si on les enlève, qu est-ce qu on va mettre à leur
place? On n est ni chanpwèl, ni bizango [des sociétés secrètes perçues comme
malveillantes]).

267 267 [235] Ici on est à l intérieur de l une des chambres des Mystères
attenantes au péristyle d Henriette. C est le saint des saints du sanctuaire qui a
gardé son nom africain de bagui (bajyi) ou sobagui 242 (Desquiron 2003 : 90).
Contrairement à d autres péristyles, il n y a pas de chromogravures
symbolisant des forces mystérieuses et impressionnantes. Selon nos
interlocuteurs, ceci s explique par la volonté ou l obligation de procéder selon
le modèle laissé par leurs prédécesseurs : «Gran moun yo pa t janm kon mete
imaj nan peristil yo» (nos parents n avaient pas l habitude de décorer leur
péristyle avec des images), a déclaré Onel. Henriette m a dit que depuis l
administration de son père, si on observe le lakou de l extérieur, on ne voit
aucun signe qui pourrait dévoiler l existence d un onfò dans cet espace. Donc
il faut être informé pour savoir que ce lieu, apparemment profane, abrite un
onfò 243. Au niveau de la fonction sociale du vodou, nous avons constaté que
les ougan et les manbo qui exercent dans la lignée d une tradition familiale
retiennent comme image de marque le sens d une «culture communaliste» 244
qui se concrétise par un devoir de solidarité envers les membres de leur lakou.
Par rapport à cette pratique d assistance Sobajyi, en créole haïtien. On utilise
ce terme surtout dans le Nord d Haïti. Or, tout près et en face, on peut voir qu
il y a une «lutte des places» exprimée par une diversité de chromogravures
géantes pour attirer les clients potentiels. On dit qu il s agit de bagay cho
(chose chaude, rite chaud, vodou chaud), c est-à-dire de gens qui utiliseraient
leurs pouvoirs magiques à des fins maléfiques. Ces «praticiens» sont
soupçonnés d avoir «acheté» des Lwa mercenaires après avoir été jugés
indignes par les Lwa rasin. Selon la perception du milieu, ces acteurs n
auraient pas de «limites morales» dans leurs pratiques. Ils procèderaient en
fonction de la demande des clients. 244 Une culture ou une société
communaliste renvoie à celle où les relations de parenté ont une portée très
vaste. Dans une telle structure sociale, l individu est éduqué dès le début pour
avoir un fort sens de solidarité avec les groupes de parenté étendus. Cette
orientation entraîne un sentiment d obligation envers ces groupes. Si l on
soupçonne qu un individu dans une telle société devrait s écrouler sous le
poids d une multitude d obligations, il doit être compris qu à tous les membres
des groupes concernés incombent des obligations correspondantes envers ledit
individu. Et, évidemment, les obligations des autres gens envers vous sont,
généralement, vos droits, qui sont, de ce fait, légion (Wiredu 2004 : 144).

268 268 mutuelle, Descourtilz (un naturaliste français venu à Saint-Domingue


dans les dernières années du XVIIIe siècle afin de tenter de récupérer un
héritage) a opposé le comportement social des Africains à celui des Nègres
créoles. «Les Guinéens 245, écrit-il, s'entraident dans l'infortune, mais les
Nègres créoles sont plus égoïstes et la plupart sans charité» (Barthélémy
1997 : 842). En parlant du vodou naissant, dans le contexte colonial, Moreau
de Saint-Méry le décrit comme «un lieu de rencontre et d intégration de la
population esclave de toutes origines ethniques». Dans sa [236] description, il
laisse percevoir la constitution d une communauté fondée sur une vision
religieuse commune, la poursuite d objectifs communs et la pratique de la
solidarité 246. À un moment prévu du culte, observa Moreau de Saint-Méry,
les fidèles allaient déposer leurs offrandes sur l autel. Une partie des dons
servait à payer les dépenses de l assemblée ou les services commandés par la
confrérie pour sa gloire ou son illustration ; l autre partie servait à procurer des
secours aux membres présents ou absents qui en avaient besoin. Puis, on
proposait des plans, arrêtait des démarches, prescrivait des actions (Midy 2006
: ). Dans cette même perspective, l ougan Erol (Josué et Dubois 2007 : 338) s
est exprimé en ces termes : «les péristyles donnent à manger aux gens. Une
cérémonie vodou, c est pour célébrer la vie, et en même temps pour donner à
manger à la communauté. Les houmfour [onfò] sont des centres de bal, de
divertissement». Il insiste sur le fait que, dans les onfò, «on discute des
problèmes sociaux et communautaires», et qu ils proposent en même temps
aux communautés locales une médecine traditionnelle. Comme servante et
serviteur des Lwa rasin, Henriette et Onel ne manquent pas une occasion de
nous faire savoir que, dans la continui Le terme Guinéens est employé ici de
manière générique. On peut noter avec Métraux (1953b : 203) que l'esprit de
corps est l une des caractéristiques de toutes les minorités (religieuses) qui se
sentent seules et menacées. Chez les protestants haïtiens, l ethnologue a pu
observer un très haut degré de cet esprit de corps. Le sentiment de sécurité qui
en est la conséquence n'est pas son moindre attrait pour ceux qui se sentent
isolés et paniqués.

269 269 té de leurs parents et grands-parents, ils se réjouissent de donner à


manger aux gens au cours des cérémonies manje Lwa 247. Les Lwa, selon
Onel, ce sont des esprits. Ils n ont pas de bouche, donc en réalité, ils ne
mangent pas. Henriette nous a dit qu Ogou Badagri, le Lwa principal de son
onfò, ne mange jamais. Mais pourtant, il exige qu on organise la fête avec
beaucoup de nourriture et de boisson. Une fois qu on a fini d offrir aux Lwa
une partie des animaux sacrifiés et des nourritures préparées, tout le reste est
destiné aux participants et assistants de la cérémonie, selon ce qu a déclaré la
femme d Onel : «Se konsa nou leve jwenn gran moun yo toujou fè» (C est
dans cette pratique de nos grand-parents que nous sommes nés). En raison du
devoir de solidarité entre l initiateur et ses onsi, plusieurs personnes habitent
leur lakou et même leur résidence privée sans verser un seul sou, selon les
propos d Onel et de sa femme. «Mwen gen kat sèl grenn pitit la, men [237]
mwen gen sink lòt timoun ki sou kont mwen la pou mete yo lekòl» (J ai
uniquement quatre enfants, mais il y a cinq autres enfants que je prends en
charge et que je dois envoyer à l école), a ajouté Onel. Au terme de cette
analyse, on peut admettre que la force de résilience de la culture vodou est
réelle quant à la sauvegarde et à la reproduction de son système religieux. Il
semble que plus le vodou ait essuyé de rebuffades, plus la conviction
religieuse de ses acteurs se soit intensifiée. Cette tendance au maintien et à la
reproduction de la tradition culturelle observée aujourd hui par les
ethnologues/anthropologues à travers une multiplicité de concepts
syncrétisme, habitus, mémoire, résurgence, résistance, réinvention, résilience,
persistance, mythopraxis, néo-traditionalisme, patrimoine, etc. a conduit
Berliner (2010 : 8) à utiliser l expression de «culte de la persistance». Et, selon
l auteur, tous ces termes très en vogue aujourd hui sont liés et renvoient, sans
surprise, à la question de la transmission culturelle. Considérant que la
transmission est aussi une transformation, cela implique que l'impératif du
changement n échappe pas au vodou comme tradition religieuse, bien que la
continuité du système reste une préoccupation majeure de ses acteurs. 247
Manje Lwa (Manger Lwa) : sacrifice des animaux et offrandes de nourriture
en l honneur des Lwa.

270 Impératif du changement Retour à la table des matières En racontant un


épisode relatif à son enfance, qui impliquait l officiant d une cérémonie vodou
qui se déroulait dans le lakou de ses parents, à propos de ce prêtre, Grégoire
nous dit qu il était un bon ougan, qu il avait une bonne réputation. C étaient
les Lwa ginen qui travaillaient avec lui, alors que de nos jours on doit faire
beaucoup de tri avant de trouver un ougan ginen. Il poursuit ses plaintes de la
manière suivante : Je ne suis pas ougan. Je suis un serviteur de Mystères. Car j
ai été souvent à l écoute des anciens et je constate que les pratiques vodou d
antan ne sont plus les mêmes que celles qui se font aujourd hui. Dans le temps
des anciens, quand on se présentait dans un péristyle, on pouvait voir que l
ougan travaillait selon le rite ginen. Il agissait conformément à ce que les plus
anciens lui avaient laissé. Mais, [238] depuis le rejeter [campagne
antisuperstitieuse], je n ai jamais vu une pratique qui ressemble à celle tenue
par les anciens. Les ougan de nos jours ne travaillent plus selon les principes
ginen. Il me semble que les Ginen retournent réellement chez eux [en
Afrique]. Et c est la raison pour laquelle je me suis retiré de la fonction d
ougan. Maintenant, c est chez moi que je fais un petit «Notre Père». Dans la
collection de Lapriyè ginen de l ougan M. Beauvoir (2008 : 119), à la section
III intitulée Lapriyè djϛ (no 2), on peut lire ce qui suit :

271 271 Lafanmi sanble, di yo nou la e. Lafanmi sanble, di yo nou la e. Nan


pwen Ginen ankϛ, lafanmi sanble! Nan pwen Ginen ankϛ, lafanmi sanble non!
Kreyϛl nou la e. La famille se rassemble, et il faut leur dire que nous sommes
là hey. La famille se rassemble, et il faut leur dire que nous sommes là hey. Il
n y a plus de Ginen, la famille se rassemble! Il n y a plus de Ginen, la famille
se rassemble donc! Créoles, nous sommes là hey. De ces plaintes
apparemment nostalgiques on peut déduire que même les acteurs du milieu
vodou (surtout les anciens) sont conscients des transformations qui s opèrent
sous leurs yeux dans leur système religieux. Toutefois, parler de l'époque des
anciens qui serait un point de référence idéal ou qui s apparenterait à un âge d
or du vodou, tout bien considéré, recouvre un niveau métacommunicationnel,
à savoir, sanctionner le comportement des jeunes générations qui sont plus
aptes aux changements. Nous avons dit «apparemment nostalgiques» parce
que les vodouisants eux-mêmes savent que leur système religieux n est pas
figé. Il n a pas une forme orthodoxe, et chaque péristyle ou lakou a sa propre
tradition selon les pratiques héritées de l ancêtre fondateur. En outre, le profil
des Lwa même ginen n est pas fixé une fois pour toutes ; leur nombre non
plus. [239] Ouverture au changement et son fondement théologique Retour à
la table des matières En s exprimant sur cet aspect dynamique du vodou,
Métraux (1953a :138) soutient que «Les lwa ou mystères sont des divinités
africaines auxquelles sont venues s'ajouter d'autres divinités de création plus
récente. Il y a un nombre considérable de lwa». Dans un

272 272 autre article (1953b : 198) sur le rapport entre le «Vodou et le


protestantisme», il poursuit en disant que le Vodou haïtien n est pas fait «de
survivances folkloriques, mais d'une religion extrêmement vivante qui
s'enrichit constamment de divinités nouvelles et dont les rites ne se sont pas
encore figés». Cette disposition théologique, qui laisse la place à l ouverture et
au changement, permet au système de se donner des moyens métacognitifs
facilitant la recherche et l établissement de la consonance entre certaines
anciennes croyances et pratiques religieuses et les nouvelles conjonctures, qui
apportent de nouveaux problèmes nécessitant de nouvelles solutions. Ceci a
pour conséquence la flexibilité dans les interdits et dans les procédures. Dans
le disque Offrandes vodouesques 248 contenant vingt-quatre mélodies issues
du vodou haïtien, on peut écouter la voix de la soprano Chantale Lavigne qui
interprète les paroles suivantes : «Si ou manje manje Legba, ti gason ou a
mouri wi» (Si tu manges la nourriture destinée à Legba, petit garçon, tu
mourras). Le contenu de cette phrase s inscrit dans le corpus des interdits
relatifs aux zafè Lwa (choses des Lwa : argent, objet, animal, nourriture, etc.).
On ne dispose pas de leurs zafè comme on veut. Et, on le sait, les
contrevenants peuvent se voir punir jusqu à la peine de mort. «Dès mon
enfance, j ai réalisé que les Lwa ne sont pas malveillants comme on le croyait
souvent», a déclaré Déravine. Car, poursuit-il, «j étais très curieux et imitatif.
Je voulais comprendre et refaire tout ce que je pouvais observer de la part de
mon père. Un jour, après avoir terminé un travail (traitement magique) à l aide
des épis de maïs, il les a suspendus sur un arbre non loin de la maison». Trois
jours s étaient écoulés et, en l absence de son père, le petit Déravine voulait
voir ce qui s était passé avec les épis. Rendu à l arbre, il les [240] a vus à peu
près intacts et décidé qu ils étaient encore comestibles. Il les a pris et a
commencé à les manger. Une de ses tantes manbo en voyant cela fut tout de
suite alarmée. Elle a informé les autres proches de ce sacrilège : C était quoi
exactement? le pe- 248 L album est paru en 2007 à Montréal. Les textes
interprétés sont issus du vodou haïtien et ont été collectés par le compositeur
haïtien Werner Jaegerhuber ( ). La phrase reprise ici se trouve au septième
numéro qui a pour titre «Sibao».

273 273 tit vient de manger la nourriture de Legwa (un Lwa). Donc, on


attendait la sentence sa mort, évidemment. Réalisant la gravité de son acte en
voyant la réaction de ses parents, «j étais paniqué et avais ipso facto de la
fièvre, du vomissement, de la diarrhée», explique-t-il. Pendant qu on chantait
et implorait la grâce de Legwa, sa grand-mère qui avait été absente venait d
arriver. Depuis la barrière, elle était possédée et s identifiait à Legwa en disant
: «Mayi a se pou mwen li te ye. Si ti moun nan manje mayi se mwen ki manje
l. Se lè nou bay ti moun yo manje nou ban m manje» (Le maïs était à moi. Si l
enfant le mange, c est moi qui le mange. C est quand vous donnez à manger
aux enfants que vous me nourrissez). Et, suite à cette intervention, «tout est
rentré dans l ordre et mon état de santé initial s est rétabli», ajoute Déravine.
On peut voir ici que l état de panique se conformait à un savoir partagé dans le
milieu vodouisé auquel Chantale Lavigne a fait écho. Au sein de la famille de
Déravine, la distance et la prudence qui sont de mises quand il s agit des zafè
des Lwa ont été bien intériorisées. Mais à partir de cette nouvelle intervention
de Legwa, cette attitude allait être modifiée dans cette lignée croyante, du
moins pour les zafè de cette Déité. En critiquant ce qu on appelle couramment
le «syncrétisme vodou-catholique» de ses parents, Déravine nous a dit qu au
regard de sa formation actuelle, il ne peut plus prier ou commencer une
cérémonie à la manière des anciens. Dans mes cérémonies vodou, j avais l
habitude de réciter les mêmes prières qu on utilise à l Église catholique
comme «Je vous salue Marie pleine de grâce», «Sainte-Marie, priez pour
nous», «L'ange du Seigneur annonça à Marie», ainsi de suite. Maintenant, je
cesse de me ridiculiser en adoptant la prière d une Église qui refuse de
célébrer mon enterrement, et qui pense [241] que son Dieu n est pas le mien.
À cause de cela, je reviens uniquement à mon propre Dieu, c est-à-dire les
Lwa. Il poursuit en précisant le profil des Déités auxquelles il adresse ses
prières à présent : «M antre nan priyè pa m kote m di - Zanj nan dlo, Zanj nan
dife, Zanj nan lèzè, Zanj nan gran bwa. Se yo m an-

274 274 plwaye pou m priye» (Je rentre [directement] dans ma propre prière
où je dis : Ange qui habite les eaux, Ange qui habite le feu, Ange qui habite
les airs, Ange qui habite les forêts C est à eux que j adresse mes prières).
Justement, un dimanche matin, Déravine nous a invités à une rencontre de
méditation et de prière vodou où on vise à épurer les pratiques vodou de l
influence catholique. C était une assemblée d initiés (ougan, manbo, onsi)
ayant la volonté de raffermir leur foi vodou au lieu de continuer à s exposer
aux discours racisés et diabolisants des prédicateurs chrétiens. La liturgie est
assez simple. Elle se résume en l une des chansons introductives : «Jete dlo,
limen balèn nan, pale pawϛl la» (jeter de l eau, allumer la bougie, parler la
parole [demander ce qu on veut]). Les images suivantes reflètent assez bien
les principales activités de la rencontre.

275 [242] Illust. 41 : Méditation devant leur bougie allumée. Retour à la table


des matières 275

276 276 [243] Illust. 44 : Lecture de textes sacrés Retour à la table des


matières Ici, on ne frappe pas de tambours. Les accessoires sont très légers :
cruches d eau, bougies et textes sacrés (parfois, il y a aussi de la farine pour
tracer des vèvè). Voici un extrait du texte qui a été lu lors de notre visite.

277 277 [244] Bondye! [ ], ou renmen tout sa ou kreye, yo tout byen fèt. Ou


pa t fè moun mϛso mouton, mϛso kabrit. Ou pa t fè mϛso moun. Tout sa ou fè,
ou fè li annantye. Ou pa t janm fè enpe moun bèt, you lϛt pϛsyon moun. Tout
se moun, epi yo se pitit ou. Sa vle di, pitit chyen se chyen; pitit kabrit se
kabrit; pitit kochon se kochon - Pitit Bondye se Bondye. Chyen fè pitit sanble
ak chyen ki se chyen. Kabrit fè pitit sanble ak kabrit ki se kabrit. Kochon fè
pitit sanble ak kochon ki se kochon. Bondye fè pitit sanble ak Bondye ki se
Bondye. Bon Dieu! [ ], tu aimes tous ceux que tu as créés. Ils sont tous bien
conçus. Tu n as pas créé de femme ou d homme à moitié mouton et à moitié
cabri (chèvre). Tout ce que tu as créé, tu le réalises en entier. Tu n as jamais
créé un peu de femmes ou d hommes qui sont des bêtes alors que d autres sont
des personnes humaines. Ils sont tous des personnes à part entière et ils sont
tous tes enfants. Cela veut dire que le petit d un chien, c est un chien ; le petit
d un cabri c est un cabri ; le petit d un cochon c est un cochon, - [donc] l
enfant de Dieu c est un Dieu. Le chien engendre des petits qui lui ressemblent
et qui sont des chiens ; le cabri engendre des petits qui lui ressemblent et qui
sont des cabris ; le cochon engendre des petits qui lui ressemblent et qui sont
des cochons ; [donc], le Bon Dieu engendre des enfants qui lui ressemblent et
qui sont des Bons Dieux. Mechan yo di nou se you ras moun ki sanble ak
zannimo. Yo di nou se moun sal, nou se moun sϛt, nou san limyè. Yo divize
nou pou yo ka fè sa yo vle ak nou paske nou kenbe tradisyon zansèt nou yo ke
ou te voye vin delivre nou anba men yo ak konkou Lwa yo; paske ou fè nou
nan Vodou etènèl; paske ou fè nou maji nan maji, wanga nan wanga; paske
nou se mèvèy; paske ou fè nou Bondye nan Bonbye [ ]. Les méchants disent
que nous sommes une race d hommes et de femmes qui ressemblent à des
animaux. Ils disent que nous sommes sales, nous sommes des idiots et nous n
avons pas de lumières. Ils nous divisent afin qu ils fassent ce qu ils veulent de
nous parce que nous gardons les traditions de nos ancêtres que tu as envoyés
avec les concours de Lwa pour nous délivrer de leur oppression ; parce que tu
nous as conçus dans le Vodou éternel ; parce que tu nous as conçus magie
dans la magie, wanga (talisman) dans le wanga ; parce que nous sommes des
merveilles ; parce que nous sommes des Bons Dieux dans le Bon Dieu [ ].
Doulè nou pa piti. Ak tout mizè yo fè nou pase, ou fè nou la toujou. Si ou
menm Bondye pa t etènèl ki kreye vodou etènèl, ki fè nou fè zafè pa nou, nan
jan pa nou, ki fè nou se [245] mèt ekzistans nou, nou se mèt lanmϛ nou, yo t
ap disparèt Vodou ak tout vodouyizan yo. Notre douleur est énorme. En dépit
des graves souffrances qu ils nous ont fait endurer, jusqu à présent, tu rends
possible notre existence. Si toi Bon Dieu n étais pas éternel, et que tu as créé
le vodou éternel, qui nous as permis de réaliser nos propres pratiques et à
notre manière, qui as fait [245] que nous sommes les maîtres de notre
existence, les maîtres de notre mort ils anéantiraient le Vodou ainsi que tous
les vodouisants.

278 Tout sa ki pa bon, yo lage l sou Vodou, men you sèl bagay, do nou laj.
Nou konnen yo pa voye wϛch sou mango vèt. Nou fèt nan Vodou, n ap mouri
nan Vodou pou nou ka viv etènèl [ ]. AYI BOBO! 278 Le vodou a bon dos.
On l accuse de tout ce qui est mauvais. Mais il y a une chose, notre dos est très
résistant. Ils nous calomnient à cause de notre succès [notre force d attraction].
Nous sommes nés dans le Vodou et nous mourrons dans le Vodou afin que
nous puissions vivre éternellement [ ]. AYI BOBO! 249 Face à de telles
pratiques, beaucoup d observateurs du vodou n hésiteraient pas à crier au
scandale. Assez souvent, ils parlent de «crise de transmission» ou de
«dégénérescence». Certains diraient que ce type d innovation ne peut que tuer
«l âme ou l essence» du vodou. Cependant, après l analyse de ce texte, on peut
déduire que l innovation ici est plutôt dans la forme, dans la structure, que
dans le contenu. Les idées qui y sont dégagées ne sont pas étrangères à l
imaginaire du vodouisant ordinaire. De cette prière, on peut retenir les idées
suivantes : un vodouisant comme tout autre individu est une personne
humaine à part entière, et en tant que fils de Dieu, il est aussi un Dieu ; le
vodou comme création de Dieu est éternel et le vodouisant qui garde sa
tradition vivra éternellement aussi ; le vodou est persécuté parce qu il est
positif, il donne de bons fruits ; les vodouisants sont discriminés parce qu ils
restent reconnaissants et fidèles à la tradition de leurs ancêtres. [246] Ces
idées, prises séparément, ne représentent pas en réalité une innovation. Très
souvent, les vodouisants disent que «pa gen moun ki ka di li pa nan Lwa»
(personne ne peut dire qu il n est pas lié aux Lwa ou que les Lwa ne le
concernent pas). Car, en remontant dans sa généalogie, on va retrouver de
toute façon la trace des pratiques vodou dans sa lignée familiale. C est pour
cela, expliquent-ils, que quelqu un peut ne pas avoir de lien direct avec les
Lwa, et se voir possédé. Une fois possédé, l individu n est pas seulement le
canal des Dieux, il devient aussi un Dieu. L ougan et artiste peintre André
Pierre a dit que «Les peuples sont nés par magie dans toutes les régions du
monde». Selon ses explications, le monde a été créé par le vodou, par la
magie, 249 «Ainsi soit-il», «Amen», «Alleluia» des vodouisants haïtiens.
Parfois, ils disent aussi A BOBO!

279 279 et le premier magicien est Dieu 250. Donc, chaque Haïtien ou chaque
individu (sans distinction de race) porte en lui une potentialité divine qui peut
être activée à tout moment. C est pourquoi, lors de l initiation vodou (d un
Haïtien ou d un étranger), on fait appel aux Lwa ancestraux de la personne à la
fois du côté de sa mère et du côté de son père. De surcroît, l âme des
personnes disparues, surtout celles qui étaient initiées, reçoivent des prières.
On attend que l Esprit de ces morts guide et protège les vivants. C est ainsi qu
on donne à manger aux morts (manje lenmϛ) comme à des Lwa. On les
consulte au besoin. On formule des demandes à leur endroit. Certaines d entre
eux deviennent des Lwa, comme Jan Bazil (rite rada), Manbo Lovana (rite
nago), Manbo Nannan (rite kongo), Jan Loran (rite gede), etc. Mais,
conformément à notre propos, le point essentiel qui est à souligner ici c est qu
en se fortifiant, ces vodouisants se rappellent aussi qu ils sont discriminés et
persécutés parce qu ils restent loyaux à la mémoire de leurs ancêtres. Par
conséquent, ces modifications qui tendent à «désyncrétiser» les pratiques de
leurs parents ne sont pas en contradiction avec le désir des Lwa ou des Morts.
Voulant comprendre comment ces acteurs justifient cette démarche par
rapport au devoir de continuité qu ils ont envers leur lignée croyante, nous
étions portés à leur demander s ils ne craignaient pas d être vus comme ceux
qui rejettent leur tradition. Sans hésitation, Déravine nous a dit que : [247] Je
n ai pas trahi ma tradition parce que, dans un rêve, mon père est venu me
féliciter. Il m a demandé de continuer sur cette lancée. Il a dit qu il est satisfait
de cette épuration, car c était pour éviter qu on vienne brûler sa maison qu il
était obligé de prier les Saints catholiques. Il m a dit que maintenant nous
sommes libérés. Il m a demandé de chanter les Lwa pour lui où que je sois
dans les bateaux comme dans les avions. De nos jours, nous chantons les Lwa
même au Palais sous les présidences d Aristide et de Préval. D ailleurs, je
viens juste d inciter les Lwa à prendre possession des sénateurs. En 2009, la
première Ministre, Mme Duvivier Pierre Louis 250 Voir l ouvrage collectif
sous la direction de Michel Le Bris, Vaudou, Éditions Hoёbeke (Coll. Abbaye
de Daoulas), (2003 : 4).
280 280 (accompagnée d autres ministres [de la Culture, de la Justice]) était
dans les lakou vodou des Gonaïves, et jetait de l eau pour les Lwa 251. Nellio
(animateur principal de cette rencontre hebdomadaire) interprète sa démarche
comme une réponse aux appels de ses Lwa rasin qui ont voulu qu il cesse de
faire la promotion de la culture de l Occident chrétien. Cette fois-ci, il doit
travailler à l épanouissement de la culture ginen. L objectif de ce
«mouvement» (il existe beaucoup d autres lieux de rencontre et
regroupements de ce genre) qui est en cours, a-t-il précisé, est de «préparer le
vodou de demain où chaque vodouisant soit en mesure de se défendre
théologiquement contre les discours mensongers des protestants». Car de nos
jours, avance-t-il, beaucoup de personnes servent les Lwa sans savoir
vraiment ce qu est le Vodou. Ainsi, elles sont très vulnérables aux messages
adverses. Par exemple, l Occident chrétien a inventé un enfer pour faire peur
aux gens qui n acceptent pas son Jésus comme leur «Sauveur personnel».
Ainsi, «les vodouisants mal informés ont toujours tendance à se faire convertir
à la fin de leur vie afin d échapper à cet enfer fictif», a rappelé l animateur.
[248] On peut noter que Nellio situe avec raison cette rencontre de méditation
vodou qui s organise chez lui dans le cadre d une tendance qui tend à se
généraliser. Il a utilisé le terme de «mouvement» qui prendrait cette forme
depuis l Arrêté présidentiel du 4 avril En 251 En effet, ces ministres, des
parlementaires, des autorités locales et des membres de la société civile étaient
à la plaine des Gonaïves le samedi 5 septembre 2009 pour inaugurer les
travaux de réhabilitation des trois lakou vodou, fraîchement rénovés. Cette
intervention de l État haïtien a été justifiée par le fait que ces lakou sont des
villages communautaires qui ont une portée historique et culturelle indéniable,
mais ils ont servi de lieux d abris provisoires lors du passage des cyclones de l
année précédente qui ont causé beaucoup de dégâts matériels et de pertes en
vie humaine. Selon le ministre de la Culture de l époque, l architecte Olsen
Jean Julien, ces lakou réhabilités peuvent accueillir plus de cinq cents familles
en cas de nouveaux cyclones. 252 Titre de l arrêté : «Arrêté relatif à la
reconnaissance par l'état haïtien du vodou comme religion à part entière sur
toute l'étendue du territoire national».

281 281 effet, comme l a noté Hurbon (2001 : 53), dès 1986, certains ougan
réunis en Association tels qu Hérard Simon, Dany Danache de «Zanfan
Tradisyon Aysyen» (Zantray) 253, Max Beauvoir du «Bordé national» ont
initié ce type de mouvement qui vise à défendre le secteur contre les
oppressions et contre les lynchages (durant le départ de Jean-Claude
Duvalier), et aussi à détacher le vodou de toutes les traces de syncrétisme avec
le catholicisme et le protestantisme en voulant offrir eux-mêmes «les
cérémonies du baptême, les funérailles 254 et d'autres pratiques rituelles qui
les dispenseraient de recourir aux officiants chrétiens». L une des
préoccupations de ces acteurs a été de faire reconnaître et accepter
officiellement le vodou comme l une des trois religions du pays après le
catholicisme et le protestantisme. En organisant «des cérémonies axées autour
de la lecture de textes tirés des mythologies Fon et Yoruba», ce «mouvement
de structuration» envisage de faire passer le vodou de l'oralité à l'écriture,
ajoute le sociologue. Après «Zantray» et «Bordé national», ce mouvement d
institutionnalisation du vodou a donné lieu à la création de fédérations et d
une confédération. Ainsi, on a aujourd hui la Fédération nationale des
Vodouisants (FENAVO), la Commission nationale de Structuration du Vodou
(CONAVO), la KNVA, Konfederasyon nasyonal Vodou ayisyen
(Confédération [249] nationale des Vodoui Enfants de la Tradition haïtienne.
Selon Henriette, aujourd hui, un vodouisant devrait être beaucoup plus motivé
et plus attaché à sa tradition vodou parce qu on n aura pas besoin de s adresser
à un prêtre catholique ou de se convertir au protestantisme afin d assurer une
cérémonie religieuse lors de l enterrement d un vodouisant : tout est pris en
charge pour l instant par les frères et sœurs initiés. Effectivement, après un
entretien avec cette interlocutrice, nous avons eu l occasion d assister à une
cérémonie d enterrement. Voici quelques points du programme qu on a
distribué dans l assistance : Déplacement du défunt dans son local habituel ;
Possession d onsi au carrefour du local ; Déchirement d Ayizan ; Convocation
des Dieux ; Salutation au Supérieur et chant d entrée : Se pa Nini sa manbo sa,
mwen prale (Celui-ci n est pas manbo Nini, je m en vais) ; Communion,
manifestation des Lwa et des Forces? ; Consentement des ougan et des frères
au tombeau.

282 282 sants Haïtiens). Au sein du KNVA par exemple, on parle d un type de


représentants dénommés Ati. Ils sont hiérarchisés en Ati locaux, régionaux et
national 255. «Ces organismes ont l ambition de représenter l ensemble des
hougan et des mambo, parfois même de les instruire» (Béchacq 2007 : 55). Ce
mouvement, selon la CONAVO 256, doit permettre à la jeunesse haïtienne de
«désinfecter sa conscience aliénée» 257 de l influence d une société qui est à
la fois chrétienne et wangatè 258, francmaçonnique et rosicrucienne. Cette
société, estime-t-elle, la dirige vers une mort spirituelle et culturelle
inévitable, «car toutes nos sources d énergie s adressent à cette humanité
fictive et étrangère à notre conscience vodou». Elle porte cette jeunesse à
ignorer ses Lwa et ses Ancêtres au profit des Saints-Esprits, pour les
protestants ; 255 En se référant à l importance de ces types d associations au
sein du vodou, Onel nous a dit que «kounye a, yo gen dwa pa fè anyen pou
nou, men yo pa ka fè anyen kont nou» (aujourd'hui, ils [l Église et l État]
peuvent ne rien faire en notre faveur, néanmoins, ils ne peuvent rien faire
contre nous [les vodouisants]). 256 André-Jules Gustave (s.d.), «L église
vodou d Ayiti, une alternative pour le secteur vodou ayisyen», en ligne, (21
mai 2011). Ougan Gustave ou Ati André est le directeur exécutif de la
CONAVO nationale. 257 «Quand l État est faible et qu il ne peut pas disposer
de ses propres outils pour la formation de ses citoyens ; quand l État est en
faillite et que les besoins élémentaires, l Instruction, la Santé, le Logement et
le Vente (sic) de ses Habitants ne sont pas sous son contrôle, mais à la merci
des Institutions Internationales, la Banque Mondiale, le Fonds monétaire
international et des ONG à couleurs chrétiennes, la nation qu il dirige est
désarticulée, la jeunesse perd confiance en sa propre capacité de création, son
mental est aliéné parce que sa pensée, ses actions, ses paroles sont
déconnectées de ses ancêtres» (Ougan André-Jules Gustave (s.d.), «Le Vodou
Religieux Ayisien», en ligne, (15 mai 2011) ; «L église vodou d Ayiti, une
alternative pour le secteur vodou ayisyen», en ligne, (3 mai 2011). 258
Influencé par cette société wangatè (aimant les pratiques magiques et privées
de toute morale et de spiritualité), le Kanzo, «une très belle cérémonie dotée d
une grande portée spirituelle», tend à perdre sa valeur sacrée pour être réduite
à un espace où s exercent seulement des recettes magiques alors que «nous ne
sommes pas un réseau de malfaiteurs» (André-Jules Gustave [s.d.], «L église
vodou d Ayiti, une alternative pour le secteur vodou ayisyen», en ligne, (3 mai
2011).

283 283 et des Esprits Saints pour les catholiques, «tous des esprits des Dieux
qui nous sont inconnus», ajoute-t-elle. Cette conscience vodou dont nous
parlons, c est elle qui nous aidera à comprendre les mystères du vodou à partir
de nos ancêtres, nos traditions et notre histoire. Pour y arriver, il nous faut
cesser de nous documenter dans les livres des autres et retourner à interroger
notre sol et nos ancêtres. Ainsi, tout vodouisant pourra dire : «Je suis
vodouisant de par mon histoire, celle qui m a permis de vivre une grande
histoire d amour avec le Dieu qui a choisi de conduire son peuple sur la voie
de la [250] liberté. Je suis vodouisant et suis très loin d être un primate et
encore moins une curiosité archéologique, objet de tourisme et de fantasme
pour d autres peuples nostalgiques en mal d enfance» (CONAVO) Analyse de
la transformation du vodou haïtien Retour à la table des matières Jusque dans
les années 1950, un observateur comme Métraux (1958 : 11) par exemple, a
pu présenter le vodou haïtien comme une pratique religieuse de la
paysannerie, et dont les «sectateurs» du milieu urbain se recrutaient parmi le
«prolétariat» de la République noire d'haïti. En se référant à la période des
Duvalier ( ), Hurbon (2001 : 50) a noté que le vodou semblait conserver
encore son statut de religion dominée même si d un autre côté il était souvent
présenté comme un «lieu d'expression de l'authenticité culturelle haïtienne».
Cette religion opprimée était alors, estime le sociologue, «un système culturel
qui appartiendrait avant tout et en propre à la paysannerie, c'est-à-dire qui
correspondrait à son niveau de pensée, lequel reste lié à une condition de sous-
développement et d'arriération». Effectivement, les porteurs de la tradition
vodou passent généralement dans l opinion publique pour une catégorie
sociale pauvre et très 259 André-Jules Gustave (s.d.), «Le Vodou Religieux
Ayisien», en ligne, (15 mai 2011

284 284 peu scolarisée. Vivant à l écart de la «lumière» (au sens propre et


figuré) dont bénéficient les citadins, sa vie religieuse, déplore Souffrant
(1995 : ), est fortement marquée par une «psychologie arriérée» 260. Dans
[251] cet environnement de campagne qui façonne la personnalité de ses
porteurs, même juridiquement majeurs, les enfants ou les «jouvenceaux»
stagnent dans les ornières du «Se sa m leve jwenn» (c'est ce que mes ancêtres
ont toujours fait). Les sentences les plus sensées comme les radotages les plus
ineptes de l'ancien, du «Gran moun», dénonce l auteur, sont la lumière
infaillible de leurs actions et l'oracle de la vérité. Ainsi, «même les options les
plus personnelles qui commandent leurs actes» sont imposées du dehors par
ce Gran moun qui est, somme toute, leur conscience. Ce type de jugement a
porté Hurbon (2001 : 55) à déclarer qu «il faudra que se renforce la critique
contre les aspects du vodou qui poussent l'individu à se replier sur le passé».
En observant cette «obsession des racines et des origines» au niveau global
(toutes couches sociales confondues), des auteurs haïtiens et étrangers comme
Leslie F. Manigat 261, Claude Souffrant, Johanne 260 En prenant la France
d'avant l ère industrielle («Mais nous aurions pu tracer l'évolution religieuse
de bien d'autres peuples et la symétrie eut été constante»), Souffrant (1995 :
121) a conclu que «la cause des défiances signalées gît plus profondément
qu'au simple niveau de facteurs de race, de peuple et de personne. Il convient,
pour la rejoindre, de creuser jusqu'aux racines objectives que constituent les
structures sociales». À cette époque, décrite par l historien français, Charles
Seignobos (cité par Souffrant) disait : «Peu d'instruction dans toutes les
classes. Le tiers des hommes et les trois quarts des femmes n'ont pas appris à
lire et n'en ressentent nullement le besoin. Les paysans, les ouvriers ne lisent
pas. Il n'y a pas de journaux populaires. Le lire est un luxe réservé à une
élite». De son côté, le sociologue français Gabriel Lebras (cité par Souffrant) a
restitué la physionomie du peuple français d'alors de la manière suivante : «Le
milieu familial enveloppait alors le paysan et même l'artisan du berceau à la
tombe et lui dictait toutes ses attitudes». On voit donc la coïncidence trait pour
trait des deux conjonctures sociologiques de cette France d avant 1848 et de l
Haïti d avant 1959 : 1) civilisation artisanale et rurale dominante, 2)
communications difficiles et isolement géographique, 3) analphabétisme et
isolement psychologique, 4) infantilisme (Souffrant 1995 : 120). 261 Manigat
L. F. (s.d.), Une seule voix pour deux voies. Un seul lit pour deux rêves,
Simple réflexion sur la vie qui change (histoire) et pour changer la vie

285 285 Tremblay 262, Gilles Bideau 263 plaident pour qu Haïti s en libère.
Selon leur analyse, la prégnance de l histoire, du «passé vécu», serait un
facteur de blocage important pour le développement d Haïti. Il faut donc l
arracher à cette fascination de l histoire (Célius 2004 : ). Souffrant (1995 : 26-
27) a constaté par exemple qu «Haïti est dotée, depuis 1923, d'une Société
d'histoire alors qu elle n'a pas encore de société de futurologie». «L'écolier
haïtien, dénonce-t-il, est victime d'une philosophie de l'éducation qui,
définissant l'homme haïtien par ses origines plutôt que par son projet,
l'enchaîne à hier au lieu de l'équiper pour demain». Étant fixé sur son passé, le
regard haïtien selon Souffrant devient borgne, «il entre dans l'avenir inattentif
à la nouveauté du temps, insouciant de l'inédit qu'amène le futur, imperméable
aux innovations, prisonnier de l'héritage sacré des Anciens, répétant le
discours bègue du passé» 264. [252] En revisitant Nietzsche, (auteur que cite
Tremblay), Célius (2004 : ) estime que ce n est pas la référence à l histoire qui
pose problème en réalité, mais plutôt le type de rapport qu on entretient avec
elle. Nietzsche a pu noter trois types de positions historiques : un point de vue
antiquaire, un point de vue monumental et un point de vue critique.
Effectivement, l histoire antiquaire empêche les acteurs de décider
puissamment en faveur de ce qui est nouveau. Elle paralyse l homme d action
contrairement à l histoire monumentale qui est caractérisée par un instinct
divinatoire. En fait, les trois rapports (antiquaire, monumental, critique) à l
histoire sont nécessaires. «Chaque (politique), Port-au-Prince, Éditions des
Antilles (Coll. du CHUDAC), p Tremblay J. (1995), Mères, pouvoir et santé
en Haïti, Paris, Karthala (Coll. Médecines du monde). Le chapitre X (pp )
s'intitule «Un emprisonnement dans l'histoire». 263 Bideau G. (1995), «Se
libérer de l histoire sans en sortir», préface de Tremblay (1995 : 10). 264 On
l'a vu, la prégnance de l'histoire n'est pas moins diagnostiquée en ce qui
concerne la France que Souffrant convoque par comparaison. J'ajouterais les
remarques suivantes de l'historien français Henri Rousso (1998 : 37) : «on
constate sans peine, écrit-il, que la rétrospective est plus valorisée que la
prospective» ; «nos sociétés, écrit-il encore, vivent une crise du futur, c'està-
dire une difficulté à penser le futur en termes rassurants voire à le penser tout
court» (Célius 2004 : 190).

286 286 homme, chaque peuple, selon ses fins, ses forces et ses nécessités, a
précisé Nietzsche, a besoin une certaine connaissance du passé, tantôt sous
forme d histoire antiquaire, tantôt sous forme d histoire critique» 265 (Célius
2004 : 192). Tout bien pesé, ces auteurs qui dénoncent ce rapport au passé qu
entretient Haïti s attaquent en réalité à une forme de «mythologie historique»,
c'est-à-dire à l'ensemble des données du passé choisies et échafaudées selon
une trame légendaire et utilisées à des fins d'autojustification par un groupe
social dominant 266. «Voilà qui invite à nuancer les affirmations et à
s'interroger sur l'idée de l'histoire comme facteur de blocage» 267 (Célius
2004 : 194). [253] On peut voir que cette analyse qui commande un regard
critique de l histoire est en concordance avec les discours de certains leaders
des 265 Justement, par rapport à notre passé de peuple, Hurbon souligne la
nécessité d avoir un point de vue historique critique. Mais comme il l a bien
montré, on ne peut pas être critique d une réalité qu on ignore. De nos jours,
les séquelles de ce passé d'esclavage sont encore bien vivaces dans la vie
quotidienne tandis que «notre mémoire est largement entamée et qu'elle s'en
va comme la terre de nos montagnes emportée par les torrents. Une autre
forme d'érosion moins visible et plus insidieuse nous laisse aujourd'hui une
Haïti qui rétrécit jusqu'à n'être plus qu'une peau de chagrin chaque fois que
nous passons à côté de nos traces sans nous en apercevoir». Ainsi, quelques
mois avant le bicentenaire de l Indépendance d Haïti, il estime que : «Penser
cette part de nous-mêmes n'a rien à voir avec un certain passéisme». L enjeu
est que «Plus nous ignorons notre mémoire, plus notre avenir nous paraît
incertain et plus nous nous enfonçons dans un désespoir par rapport à nous-
mêmes et au pays» (Célius 2004 : ). 266 C est pour cela que Hurbon invite ses
compatriotes à ne pas réduire leur patrimoine à ce que l État en fait, parce qu'il
est en vérité plus vaste et qu il attend d'être remis en valeur et à l'honneur,
d'être reconnu et assumé non comme un aspect marginal de leur vie de peuple,
mais comme une source vive de leur culture, parce qu'il leur parle des lieux
d'inscription de leur histoire et leur offre les repères qui soutiennent leur
identité (Célius 2004 : 201). 267 «En somme, le niveau de discours historique
le plus immédiatement audible qui répond au fonctionnement d'une structure
de pouvoir déterminée ne saurait être considéré, à lui tout seul, comme un
facteur de blocage ; il prend place dans un ensemble complexe où il est un des
instruments au service des mécanismes de la reproduction sociopolitique»
(Célius 2004 : 194).

287 287 associations vodou qui estiment que l histoire d Haïti écrite jusqu ici
n est pas la leur. Ils prônent sa réécriture afin que les dominés, donc les
vodouisants, y trouvent leur place en toute justice. En se préoccupant du
problème des transformations, des interprétations et des métamorphoses des
civilisations en contact dans le cas du candomblé au Brésil, Bastide (1958 :
232) a soutenu l énoncé suivant : La religion n est pas une chose morte, même
si elle est partout conservatrice ; elle évolue avec le milieu social, avec les
changements de lieux ou de dynasties, elle se donne de nouveaux rituels, pour
répondre aux besoins nouveaux de la population, ou aux intérêts des familles
dominantes. Toutes ces transformations, tous ces bouleversements de régimes,
ou ces révolutions de palais laissent, en se retirant, comme l eau des
inondations, des couches de mythes nouveaux, mais bien entendu dans le
respect de la tradition... À la faveur du processus de la mondialisation (tel qu'il
se déploie actuellement) 268, les mouvements migratoires, la circulation
rapide des valeurs démocratiques à caractères transnationaux ont pour effet de
faire sortir les besoins et les valeurs locaux d un cadre explicatif endogène. En
Haïti, ce contexte est marqué dès le début du XXe siècle par des déplacements
massifs de paysans vers Cuba et vers la République dominicaine pour être
affectés au travail des grandes planta- 268 On dit «tel qu'il se déploie
actuellement», car le processus de la mondialisation, dans ses principes, n'est
nouveau qu'en apparence. Comme l'a montré Immanuel Wallerstein,
l'économie-monde s'est développée avec le système capitaliste comme tel, qui
porte sous ses ailes les pratiques de la conquête, de l'esclavage et du
colonialisme. Dès le XVIe siècle, la visée de faire passer la civilisation
occidentale comme seule civilisation inspire les pratiques coloniales ; sous ce
rapport, nous vivons sous le même régime. Sauf que désormais, des chances
sont en principe offertes à la reconnaissance d'une égalité véritable entre les
pays comme entre tous les hommes sans distinction de race, de religion et de
nationalité, pendant qu'on commence à réclamer une universalisation de la
démocratie (Hurbon 2001 : 49). Voir aussi Augé et Colleyn (2009 : 111).
288 288 tions de canne à sucre (Hurbon 2001 : 51; Richman 2008 : 6, 22) 269.
Depuis 1970 (avec une accélération dans les années 1980), le pays a connu un
véritable mouvement d'émigration vers les Bahamas, les Antilles françaises de
la Caraïbe, les Etats-Unis 270, le Canada et vers la France. Les personnes
(environ 10% de la population) qui [254] émigrent partent de toutes les
campagnes et de toutes les villes et gardent des contacts souvent serrés avec
celles qui restent au pays. En ce qui concerne les influences de cette diaspora
haïtienne, on sait qu il y a beaucoup de changements dans les pratiques
culturelles de la paysannerie haïtienne qui sont en lien direct avec elle.
Autrefois les cérémonies funèbres par exemple se déroulaient dans les
campagnes dans la plus grande solidarité des voisins et des membres de la
communauté. La veillée mortuaire se réalisait le jour même du décès, et l
enterrement le lendemain. Lors de la veillée, on sert du thé, et à l enterrement
du cola (soda). Aujourd hui, la tendance qui tend à se généraliser (même
quand il n y a pas de lien de parenté avec une diaspora), du moins dans les
zones non éloignées d un centre urbain, est la prise en charge (ou la gestion)
du cadavre par son placement à la morgue. Aujourd hui, au moment de la
veillée, il faut servir de la bière aux assistants, puis des plats de viande et du
riz. Celui qui n ose pas se plier à cette nouvelle pratique peut voir sa maison
devenir la cible d une pluie de pierres jetées par des délinquants agissant en
toute quiétude. Dans le cadre de cette influence (externe), les objets qu on
rencontre dans les péristyles ne sont pas à l abri (voir l illust. no 45). 269 Ce
que Richman (2012 : 269) a qualifié de «transformation des paysans en mains-
d'œuvre mobile». 270 Entre 1979 et 1981, environ Haïtiens entraient en
Floride par bateau (Richman 2008 : 6).

289 289 Au moyen d une enquête ethnographique (entre Ti Rivyè, une zone


rurale de Léogâne et le sud de la Floride), Richman (2005 : 5) accorde une
attention particulière à l'expérience de la migration transnationale et au
changement religieux comme étant son corollaire, à la fois pour ceux qui ont
quitté leur communauté d origine et pour ceux qui y sont restés. Dans cette
étude, elle a identifié un instrument de communication (magnétophone à
cassettes) 271 qu ils ont habilement utilisé pour garder les liens familiaux et
surtout pour se rappeler de leurs obligations réciproques. Les migrants sont
appelés à envoyer des fonds afin que des affaires des Lwa ne soient pas
négligées. De leur côté, les parents restés à la maison doient s'occuper des
intérêts et du bien-être spirituel du migrant (Richman 2005 : 213). Comme a
bien souligné l auteure (Richman 2005: 247), ce type d échange n a pas
seulement la vertu de conserver les traditions vodou au-delà de ses frontières,
mais il est susceptible de les transformer. 271 Usage des magnétophones était
répandu en milieu rural haïtien comme moyen de communication avant d être
remplacé par le téléphone portable à partir de 2006.

290 290 [255] Illust. 45 : Réceptacle ou symbole Agwe Tawoyo 272 d un


péristyle de l un de nos interlocuteurs dans un milieu rural (Arrondissement de
Léogâne, département de l Ouest). Le petit voilier à gauche est envoyé des
États-Unis par un frère de l ougan pour remplacer celui qui est suspendu en
haut et à droite. Celui-ci est un produit local. Retour à la table des matières
272 Agwe Tawoyo fait partie du groupe des Lwa blancs. II est le Dieu de la
mer et des îles, le protecteur des marins. Son père est Papa Agwe. Il est
retourné en Afrique. Il arrive dès fois qu il s'offre aux yeux des fidèles sous
l'apparence d'un poisson. C est lui qui gère les demandes des serviteurs et les
transmet aux Lwa ginen. Le rituel de la barque de l Agwe symbolise le retour
vers l Afrique.

291 291 [256] Ce phénomène migratoire permettant des échanges (culturels)


entre les Haïtiens de l extérieur et ceux restés au pays, le contexte politique
273 du départ de Jean-Claude Duvalier qui a permis l émergence du
mouvement de société civile de toutes tendances, ont conduit le vodou «à
ouvrir ses portes». Il occupe désormais de plus en plus l espace public (lieux
publics, parcours carnavalesques, radio, télévision, Internet). Illust. 46 : Défilé
Gede (Dieux de la mort), de Delmas vers Pétion-Ville (1er novembre 2010)
Retour à la table des matières 273 Voulant être perçus comme secteur
favorable à l'avènement d'une démocratie en Haïti à la veille de la chute des
Duvalier, il paraissait embarrassant pour les membres de la société civile à
tendance chrétienne de refuser au secteur vodou le droit à la liberté de culte
qui fait partie intégrante des droits de l'homme (Hurbon 1987c : 156).

292 292 [257] Des étudiants et des professeurs d université, des hommes


politiques et des représentants de l État, des gens de la classe moyenne comme
ceux des nantis se présentent aujourd hui comme des initiés ou des
sympathisants du vodou 274. À l intention de ces catégories d adeptes ou de
«supporters», la CONAVO 275 rappelle que «Le vodou haïtien a besoin de
toutes les compétences pour assurer son développement et celui de son pays».
«On peut être médecin, ingénieur, artiste, comptable, professeur, etc., et jouir
de cette expérience» du sacré vodou. Si «nos grands-parents avaient
développé seulement le côté cérémonial du vodou haïtien [ ], nous autres de
cette génération, nous voulons travailler le côté religieux et scientifique de
notre vodou», exprime la Commission de structuration du vodou. On peut
constater que le vodou ne bénéficie pas uniquement de la visibilité et qu il
expérimente un mouvement de structuration, il formule aussi des
revendications politiques. Le 2 novembre 1990, la FENAVO a protesté contre
l éviction de Leslie Manigat, qualifié de «seul candidat qui ait reconnu le
Vodou comme une religion qui se pratique en Haïti au même titre que le
catholicisme et le protestantisme». «Si le CEP 276 ne veut pas entendre M.
Manigat, le vaudou passera à l opposition», a averti la Fédération nationale,
qui regroupait les organisations «Bordé national» de Max Beauvoir et de
«Zantray» d Hérard Simon (Lionel 1992 : 301). Avec un sentiment de
satisfaction, Zantray a écrit sur son site Internet 277 que «Anpil moun nan
peyi a, ap konstate ke sektè Vodou ap make pwen, l ap òganize l chak jou pi
dyanm» (Beaucoup de gens dans le pays peuvent constater que le secteur
vodou se renforce réellement, de jour en jour, il se structure de mieux en
mieux). Selon cette organisation, l heure a sonné pour que tous les enfants
ginen et les amis de la tradition 274 Par rapport au niveau de dépenses qu
exigent les festivités vodou qui se déroulent généralement sur une longue
période, on peut se demander si les masses pauvres et analphabètes qui
dansent et chantent les Lwa sous les péristyles n étaient pas juste des
«porteurs visibles» de la tradition vodou. 275 André-Jules Gustave (s.d.), «L
initiation dans le Vodou Ayisyen», en ligne, (20 février 11). 276 Conseil
Électoral Provisoire. 277 Zantray (2009), «Ki kote nou ye jodiya nan
Zantray?», en ligne, (2 mars 2011).

293 293 haïtienne se regroupent à travers des associations comme outils de


revendications et de changement de leur situation de vie en défendant leurs
intérêts religieux, sociaux et politiques. Elle rappelle aussi que le secteur [258]
vodou a été représenté au CEP qui allait organiser les élections législative et
présidentielle de au même titre que les secteurs catholiques et protestants. Si
auparavant on reprochait au secteur son infantilisme, son arriération, il semble
qu aujourd hui il devienne «un peu trop développé» aux yeux de la plupart de
ses observateurs. On dit qu il est en train de perdre sa spécificité, son
«authenticité». À propos des travaux de réhabilitation 278 de trois centres
historiques du vodou aux Gonaïves (voir les images précédentes), un
intellectuel haïtien et initié au vodou nous a dit qu il a l impression que «plus
le vodou reste attaché à la nature (des péristyles couverts de chaume gardant
la forme des maisonnettes traditionnelles), plus il a la chance de nourrir ses
énergies spirituelles et mystiques». Dans la même perspective, la tendance à l
intégration de la lecture des textes sacrés dans la liturgie vodou a incité
Hurbon (2001 : 53) à supposer qu on est en présence de la mise en place «d
une véritable Église vodou, comme si finalement plus le mouvement de
restructuration prétend sauver l'originalité du vodou, plus il demeure fasciné
par le modèle des églises chrétiennes». Retour à la table des matières 278 Les
travaux ont été inaugurés en 2009.

294 294 [259] Retour à la table des matières Par rapport à cette quête
grandissante de visibilité du vodou et aussi face à la tendance des églises
chrétiennes (catholique 279 comme protestante 280) à intégrer dans leurs
liturgies des éléments attractifs tirés du vodou, Hurbon (2001 : 51) invite ses
lecteurs à s interroger sur l avenir de la particularité de ce culte. «On peut
même se deman279 Depuis le concile Vatican II, le clergé a introduit le
tambour, instrument principal du culte vodou dans les célébrations du
dimanche avec les rythmes des chants adressés traditionnellement aux Dieux
du vodou. Bien plus, avec l'emploi de la langue créole dans la liturgie, et
surtout avec la traduction de la Bible en créole, le fidèle catholique cesse de se
sentir étranger dans les églises (Hurbon 2001 : 51). 280 Pendant que les
pentecôtistes ne cessent de vilipender le vodou comme pure sorcellerie et
comme empire de Satan, ils reprennent d'une autre main certains des traits
spécifiques au vodou comme les croyances aux rêves, les rythmes des chants-
vodou, les transes et la pratique de la glossolalie (qui consiste à parler en
langues incompréhensibles). Dans les tendances dites de l'armée céleste qu'on
retrouve dans le pentecôtisme, on observe une très grande proximité des
convertis avec le vodou au cœur même de leurs prétentions à livrer le combat
contre Satan : par exemple, non seulement ils utilisent des pas de danse et des
rythmes directement empruntés au vodou, mais aussi les pratiques
thérapeutiques qui consistent à faire appel aux rêves (comme moyens de
transmission d'un savoir prodigué par les Dieux, par les ancêtres ou par les
morts) et aux recettes employées par les prêtres du vodou (Hurbon 2001 : ).

295 295 der s'il n'apparaît pas parfois le danger d'une érosion de la spécificité
du vodou». Probablement, «nous assistons non point à un renforcement du
religieux dans le vodou, mais à une tendance vers la sécularisation, et dans
tous les cas à une perception inconsciente d'une érosion de sa force quand il
est confiné dans ses temples» (Hurbon 2001 : 53). Même Souffrant (1995 :
116), qui dénonçait son arriération, a pu entrevoir ce milieu comme gardien d
un héritage culturel qu il faudrait conserver : «Croyance en un Être suprême,
foi en une certaine survie des défunts, respect de la hiérarchie familiale et
sociale, sens de la solidarité entre membres d'un même groupe sont, dans
notre paysannerie, de hautes valeurs humaines». [260] Après l analyse d un
ensemble de contradictions qui traverse la société haïtienne et
particulièrement le vodou, Hurbon (2001 : 52, 54) a pu déduire l existence d
un malaise profond ou peut-être même une crise sociétale qui s'installe au fur
et à mesure que le processus de la mondialisation se développe. Le comité de
restructuration du vodou par exemple est confronté à un double mouvement
intérieur «qui veut un vodou moderne, écrit, institutionnel en même temps
qu'il le proclame comme le lieu propre d'une authenticité haïtienne». Face à ce
double mouvement interprété comme un effet du processus de la
mondialisation, Hurbon (2001 : 54) espère que le vodou va continuer à offrir à
la société haïtienne «des éléments de résistance contre l'uniformisation
culturelle». Pour cela, précise-t-il, «les valeurs inscrites dans le vodou comme
le rapport d'alliance avec l'environnement, comme la tolérance, la solidarité ou
le respect de la vie... devront être réactivées dans la mesure où elles
représentent l'apport propre du vodou à l'humanité universelle». Si Hurbon et
d autres observateurs interprètent ces mouvements de restructuration, d
intégration de la lecture des textes sacrés dans la liturgie, de quête croissante
de visibilité comme des pratiques qui contredisent le discours prônant un
retour aux racines, aux ancêtres, du point de vue des acteurs, il n y a rien ici
qui soit en discordance avec la philosophie des Anciens. Pour eux, l illettrisme
et la misère qui caractérisent leur milieu ne sont pas inhérents à leur religion,
mais plutôt résultent de la discrimination sociale dont les vodouisants sont
souvent victimes. Ils se plaignent que le christianisme en Haïti soit souvent
supporté financièrement par l État tandis que le vodou est gé-
296 296 néralement traité en parent pauvre 281. Aussi se sont-ils réjouis de
cette forme de reconnaissance que l État haïtien vient de manifester à leur
égard en réhabilitant trois lakou historiques des Gonaïves qui avaient été
sévèrement affectés par les cyclones de Après avoir formulé des propos de
remerciement à l endroit de l État haïtien pour cette intervention au niveau de
ces lakou, quelques jeunes de l un de ces centres que nous avons rencontrés
ont revendiqué d autres services sociaux comme un centre de santé, une école
communautaire, des logements décents (surtout pour accueillir les visiteurs
qui viennent de [261] toute part et de toute catégorie Ils justifient la demande
d un centre de santé en invoquant des cas de maladie ou d incident auxquels
ils ont l habitude de faire face lors des cérémonies annuelles qui regroupent
«une foule innombrable de monde». Pour l école communautaire qu ils
revendiquent, ils rappellent qu il y a beaucoup d enfants non scolarisés au sein
des lakou. La scolarisation de ces enfants pourrait sortir le vodou, disent-ils,
de la catégorisation de «communauté d analphabètes». Sur le plan
économique, nous avons constaté la construction d un bâtiment destiné à la
commercialisation des produits laitiers, et ils demandent aux autorités
concernées de les aider à le rendre fonctionnel. 281 On peut rappeler ici que la
Constitution haïtienne de 1987 (article 215) fait obligation à l État de protéger
«les centres réputés de nos croyances africaines».

297 297 Illust. 49 : Bâtiment d un lakou vodou devant loger une laiterie


Retour à la table des matières Pour ces «nouveaux acteurs» du vodou, rester
attacher à leurs racines vodou, c est pouvoir en toute liberté honorer les Lwa,
ce qui consiste à jeter de l eau, tracer les vèvè, allumer les bougies, jouer les
tambours, chanter et danser les Lwa, pratiquer leur médecine sacrée, garder
leur rapport harmonieux avec les arbres, continuer la fonction sociale du
vodou 282. De ce côté, ils ne veulent pas lâcher prise. Mais ils ne veulent pas
non plus continuer [262] à être l objet de curiosité permettant aux «civilisés»
de revisiter leur passé archéologique et de s enorgueillir de leur «évolution».
En ce sens, on peut comprendre le niveau de déception de ces «civilisés» qui
ne cessent pas de de282 Par rapport au fonds commun du vodou au-delà des
variations régionales, Laguerre (1989: 32) a inventorié six principales
caractéristiques de l expression du sacré qui pouvaient être retrouvées dans
n'importe quel culte des esclaves de la colonie de Saint-Domingue : La
croyance dans le monothéisme, qui est, en un Être suprême. Possession par les
Lwa comme le point culminant de toute cérémonie. Le poto mitan (pilier
central), parfois un arbre, à travers laquelle se produit la communication avec
les Esprits mystiques. La religion est une cérémonie dansée. Le Vèvè (dessin),
symbole de Lwa (les Esprits). L'offrande de nourriture aux Lwa (manje lwa).

298 298 mander aux vodouisants de «rester eux-mêmes», c est-à-dire sans


traces écrites, confinés dans des taudis, muets, incapables de se défendre
théoriquement face aux discours concurrents. Somme toute, cette discussion
analytique révèle avec évidence que la question de la transmission n est pas
quelque chose d anodin. C est une réalité anthropologique de passation de
valeurs, de connaissances et de savoir-faire qui interroge de manière profonde
le devenir des institutions. Comme l a bien montré Muxel (2006 : 1192), il
faut admettre que la transmission opère dans l interstice fragile et mouvant
créé par la différence des êtres, des cultures et des temporalités. Chaque
génération nouvelle est confrontée à une réalisation historique et sociale dont
les valeurs propres, mais aussi les impositions et les contradictions,
déterminent les conditions de son enculturation et de sa socialisation. Aussi
doit-elle négocier son inscription dans l histoire, c est-à-dire la façon dont elle
va porter l héritage des générations qui l ont précédée. Contrairement à ce qu
on pense souvent, la transmission culturelle n est pas une reproduction
mécanique qui prendrait une pratique ou une croyance dans un état initial en
un temps «T1» et l apporterait dans un autre temps «T2» avec les mêmes
caractéristiques du temps initial. Non. Cela se passe autrement. Le contenu du
transmis prend sa forme tout au cours du processus de l acte de transmettre
Dans une étude minutieuse sur L'invention du Christ. Genèse d'une religion,
Maurice Sachot montre de façon très rigoureuse que le Christ a mis trois
siècles pour naître. Il y avait au départ une figure historique, celle de Jésus de
Nazareth qui est devenu le Christ, c est-à-dire le messie à travers un très long
processus de transmission, qui est passé par des milieux de transmission : tout
d'abord le milieu judaïque, puis le milieu hellénique et le milieu romain. Et
c'est au bout de trois siècles qu'a été produite la figure de JésusChrist. On a
tendance à penser qu'il y a eu au départ une parole qui a germé, parole qui a
été relayée par les évangélistes qui l'ont consignée. Puis saint Paul est venu, il
a transmis le message, etc. Non. Le message a été lentement constitué par
ceux qui l'ont transmis à travers leur cadre culturel. Ils ont appréhendé dans un
certain nombre de catégories empruntées à leur culture ce qu'ils ont supposé
être la parole de Jésus : autrement dit, on ne sait pas ce que Jésus a dit. On sait
simplement «qu'on nous a dit qu'il l'avait dit» (Debray 1998 : 46-47).

299 299 [263] Si dans le temps les acteurs vodou ne ressentaient pas le besoin
ou n avaient pas d opportunités de se réunir de façon hebdomadaire pour se
fortifier ou s instruire, de nos jours, dans les villes comme dans les
campagnes, cette nécessité se fait sentir. Dans le cadre de notre terrain
ethnologique, nous avons pu entendre de la bouche de l un de leurs leaders
que «pour devenir un grand ougan, on doit continuer à apprendre auprès des
autres ougan plus expérimentés que soi». «On aura toujours des choses à
apprendre, car le vase de connaissance n est jamais rempli», a-t-il déclaré lors
de la cérémonie de sortie des nouveaux initiés du dyèvò (chambre initiatique).
Cette qualité spécifique de la personne humaine a été signalée par Pascal qui a
perçu la chaîne humaine à travers le temps comme un seul et même homme
qui grandit et qui apprend continuellement (Debray 1998 : 25). Dans la suite
logique de cette pensée, Souffrant (1995 : 27) a pu conclure que l'haïtien,
comme tout homme, est un être qui change dans l'espace et le temps. «Sa
culture, comme toute culture humaine, est en mouvement de structuration et
de déstructuration. Sa connaissance, comme toute connaissance humaine, est
progressive». Ainsi, si on s entend que les acteurs du vodou sont des
personnes humaines à part entière (considération qu ils revendiquent d
ailleurs), on ne devrait donc pas s étonner de constater qu il y a des
changements qui s opèrent tant au niveau structurel qu au niveau de leurs
pratiques et de leurs discours.

300 [264] Transmission de la prêtrise vodou. Devenir ougan ou mambo en


Haïti CONCLUSION Retour à la table des matières 300

301 301 [265] Le vodou sur lequel nous avons travaillé est un produit de
contact, de mélange, de transformation, d invention. C'est «un monde
extrêmement vaste, une religion africaine certes, mais en même temps, une
religion européenne», comme l a noté l éminent ethnologue Alfred Métraux
(Métraux et Bing 1964 : 29). Autrement dit, quand on est dans le milieu
vodou, on est dans un environnement hybride qui a amalgamé, non seulement
une diversité de cultes africains, mais aussi certaines croyances du folklore
européen. «On y trouve des traditions normandes, bretonnes, apportées par les
colons français et adoptées par les Noirs ; on y trouve jusqu'à des rites
maçonniques». C'est en somme une espèce de conglomérat d'éléments du
sacré où dominent les traditions africaines sans oublier la présence des traces
des pratiques culturelles et religieuses des premiers habitants de l île (Taïnos).
Bien que l on parle de la présence du «folklore européen» ou de «conglomérat
d'éléments», ce serait manquer l'essentiel et dangereux de réduire ce «mode de
croire» populaire à des pratiques folkloriques, c est-à-dire à des manifestations
pittoresques, superficielles et sans signification profonde. Le vodou n est pas
une caricature d un passé révolu. Comme André Malraux et André Breton l
avaient réalisé, le vodou tel qu il se manifeste sur le sol haïtien est une
conception du monde, et du divin, complexe, cohérente, où l'art trouve à se
déployer en pleine puissance (Le Bris 2003 : 5). Son originalité réside dans le
fait que son histoire s entremêle avec celle de la masse haïtienne qui, placée
dans une réalité socio-historique atroce, d'extrême souffrance, eut à inventer
un système religieux «en fictionnant de part en part le réel pour le rendre
habitable». Cette masse dont on parle était préalablement des esclaves. Leurs
conditions de vie étaient horribles, abominables, et le vodou leur a apporté ce
qu'il apporte aux classes pauvres d'haïti 284 : des motifs d espérance, la
confiance, et un moyen de se distraire, d'échapper à 284 «Naturellement, la
bourgeoisie qui se réclame de la tradition française, de la culture française, n'y
participe pas [ou n y s implique pas directement]. Naturellement aussi, de
bonnes dames vont consulter des prêtresses vaudou, tout comme chez nous
elles vont consulter des cartomanciennes» (Métraux et Bing 1964 : 29).

302 302 une réalité existentielle inhumaine. Ces esclaves sont donc restés
loyaux au seul bien qu'ils avaient pu emporter, c'est-à-dire leurs croyances. Ils
y sont restés d'autant plus attachés qu'elles leur permettaient de conserver un
espoir, et de donner malgré tout un sens à leur vie, grâce aux quelques valeurs
que ces croyances préservaient (Métraux et Bing 1964 : 29). [266] Bien qu il y
ait des pratiques vodou en Afrique et dans d autres pays de l Amérique, depuis
quelque deux siècles environ, celles d Haïti ont retenu l attention des
Occidentaux d une manière particulière, et avaient suscité dès cette époque
des commentaires chargés d épouvante et de séduction. Durant la longue
guerre (deuxième moitié du XVIIIe siècle) qui a abouti à l indépendance
d'haïti du joug colonial de l Europe, on n évoquait ces pratiques qu'avec
terreur, et cette libération a été placée sous le signe du vodou. Ainsi, des
médiums de communication tels que récits de voyage, romans, dessins,
pamphlets (plus tard films hollywoodiens) allaient tisser un réseau de clichés
extraordinairement prégnants sur le vodou haïtien. Conscient de la
construction historique de cette «légende noire du vodou», Métraux (Le Bris
2003 : 5) a dit très justement qu'elle était le fruit de la peur et de la haine. En
appuyant les propos de Métraux, Le Bris pense que cette peur résultait de l
ignorance. «Le vaudou fait peur, parce que nous ne le connaissons pas. Le
vaudou fascine, parce que l'occident y a inscrit au fil des siècles ses fantasmes,
sa peur de l'autre, de l'inconnu et de l'inconnu en soi. Et ce n'est sans doute pas
le plus facile à accepter que ce vaudou imaginaire soit en fait notre miroir...».
Mais, tout bien considéré, l entretien de cette image du vodou par les porte-
parole des colons esclavagistes avait une visée assez claire. Il devait atténuer
ou effacer la gifle donnée à l'occident par des esclaves révoltés en montrant
que, livrée à elle-même, Haïti, «la première république noire de l'histoire», ne
pouvait que retourner à la barbarie de cannibales hallucinés. Pendant la
période nationale, ce regard racisé sur le vodou, alimenté par cette peur et
cette haine, a été entretenu par les élites du pays à tel point que cette religion
populaire a été perçue comme un culte à Satan, une honte nationale, un
obstacle au développement, une tare africaine tardant à disparaître. Aussi, en
situation de crise, fait-il sou-

303 303 vent l objet de pratiques inquisitoriales. Dans une perspective


girardienne (Girard 2001 : 68), on pourrait interpréter de nombreux cas d
assassinats de vodouisants haïtiens comme le sacrifice de «boucs émissaires»
à l équilibre mental d une élite ayant échoué dans sa mission d intégration
sociale. [267] En dépit des violences symboliques et physiques infligées au
vodou, celui-ci arrive à traverser le temps pour être considéré aujourd hui
comme une «religion à part entière» et le lieu d expression de «l authenticité»
de la culture haïtienne. Ce voyage diachronique nous a permis d étudier un
phénomène ethnosociologique apparemment anodin, mais qui est en réalité
fondamental pour le devenir d une société, car il renvoie tant à la construction
identitaire individuelle et collective qu à la construction de l idéologie qui
détermine et structure les pratiques sociales d une communauté. De nos jours,
la question de la transmission culturelle semble l une des questions les plus
cruciales pour les sociétés et les cultures, puisqu elle touche des champs
structurants de la société jugés en crise : la famille, l école, l Église. En
déplorant une sorte de coupure dans la passation des valeurs religieuses ou un
affaiblissement de la religiosité des nouvelles générations, on parle souvent de
«crise de transmission religieuse» puisqu on suppose que la religion,
traditionnellement conservatrice, devrait maintenir ses pratiques dans une
forme qui serait fidèle à un état dit «d origine». Cette thèse sur le vodou
haïtien a voulu réfléchir sur cette problématique et du même coup, aborder un
terme très peu exploré dans l étude du vodou : la transmission des croyances
et des pratiques religieuses. Vu le rôle attribué aux ougan et aux manbo
comme principaux dépositaires de la mémoire ancestrale relative aux
pratiques et aux croyances vodou, la résilience de ces dernières prouve que
ces acteurs ont intériorisé au cours du processus de construction de leur
identité des convictions et des valeurs bien insérées. Celles-ci les amènent à
avoir des attachements et engagements assez forts vis-à-vis de leur généalogie
croyante, au point que le devoir de mémoire se transmet dans une chaîne de
transmission consciente et inconsciente. Aussi, avons-nous demandé,
«comment s opère le processus de la transmission de la prêtrise dans le vodou
haïtien et à quoi peut-on

304 304 l attribuer?». La transmission qui s opère dans ce religieux renvoiet-


elle à une forme statique ou à un processus dynamique? Sur la base des
données empiriques (recueillies au moyen des récits de vie renforcés par d
autres techniques d investigation), nous avons exposé dans cette thèse une
description analytique des voies essentielles de cette transmission du
religieux, particulièrement du [268] mécanisme de construction de l identité
religieuse de l ougan ou de la manbo. Il s agit de l apprentissage par
observation et conditionnement, d un processus de renforcement et de
confirmation, des expériences oniriques, du transfert des objets matériels
comme support de lien générationnel ; et de manière ponctuelle, de l initiation
comme mécanisme de transmission de la fonction de l ougan ou de la manbo.
Étant élevé dans un environnement social et religieux qui donne l accès direct
ou indirect aux gestes et aux comportements, aux attitudes et aux discours
relatifs à la prêtrise vodou, le désir mimétique de l enfant est souvent activé,
ce qui va le rendre plus attentif, donc plus concentré sur la mise en forme d un
projet personnel. Ainsi, on peut voir que l identité du futur prêtre est très
souvent stimulée, prescrite et fortifiée par les voix du dehors, c est-à-dire par
des actes de renforcement, de conditionnement ou par des propos
prémonitoires, des prédictions-compliments. Pour que ce projet personnel soit
accepté et reconnu par la communauté, il doit rejoindre le désir et la volonté
des Lwa. Cette volonté divine va être confirmée sur la base de l efficacité des
interventions du choisi (appelé) possédé. Quand le premier bénéficiaire du
service du nouveau ougan ou de la nouvelle manbo est satisfait, il va créer, de
bouche à oreille, un réseau de pitit fey ou de clientèle pour la nouvelle recrue.
Ceci prouve que les membres de la communauté reconnaissent la véracité de
ses moments de possession et que cette dernière n est pas une supercherie. En
ce sens, un de nos interlocuteurs nous a dit que «ce sont les bénéficiaires qui
déclarent que telle personne est ougan ou manbo. Ce sont les bénéficiaires qui
qualifient l ougan ou la manbo». Dans un jeu de complicité des désirs et des
projets divers (d ancêtres, de parents, de membres de la communauté, de pairs,
et de projet personnel), les expériences oniriques sont ici une réalité ethno-

305 305 logique très sérieuse. On a vu que les rêves permettent aux Divinités
et aux Esprits des morts de transmettre un enseignement spécialisé aux
néophytes. Par la focale du rêve, les Lwa ou les ancêtres disparus assurent la
formation continue des manbo et des ougan. [269] Il est une forme de
communication de messages où le contact entre la jeune manbo ou le jeune
ougan et les anciens disparus se réalise sans l intermédiaire d un vivant. Les
activités oniriques représentent donc un mode de transmission de savoir-faire
relatif au sacré qui implique le passage à l acte. Pour certains, c est
uniquement par cette voie qu ils arrivent à intégrer et à posséder la substance
fondamentale de la tradition relative à l exercice de leur fonction. Pour d
autres (surtout à Port-au-Prince et ses périphéries), cette approche doit être
complétée par une initiation ponctuelle chez une manman lwa ou un papa lwa
qui sera la mère ou le père spirituel du néophyte. Au cours de l initiation
ponctuelle qui donne accès aux secrets du culte, l opération de transmission
est ici volontaire et explicite. Elle opère sous la forme de la communication
instrumentale, c'est-à-dire de la transmission volontaire des valeurs et des
savoir-faire spécifiques selon le statut visé au sein de la hiérarchie vodou.
Cette opération de transmission s effectue dans un rapport de consentement
entre le socialisateur (initiateur) et le socialisé (initié). Il s agit d une situation
de transmission où le prétendant s'approprie la mémoire sémantique et aussi
procédurale de l initiateur qui, du même coup, l insère dans un réseau de
lignées croyantes. Ainsi, en s engageant dans un parcours initiatique qui est en
même temps une transformation spirituelle de l individu, on met en place un
dispositif de reconstruction du lien vertical avec l origine, c est-à-dire du lien
généalogique, et donc d une mémoire, qui est recherchée. Dans ce dispositif
de lien générationnel, le rapport développé avec l objet dans le vodou ne peut
pas échapper à notre attention. Dans la mesure où le lieu dans sa dimension
matérielle (arbres, habitat, objets de bois, de métal ou de pierre) a une
existence qui excède une vie humaine, ses contenus tangibles deviennent les
supports d un bien symbolique et des opérations cognitives qui doivent
maintenir le contact entre les générations d hier, d aujourd hui et de demain.
Dans une relation de «présentification» qui rend visibles les «Invisibles», ces
types d objets provoquent des réminiscences qui

306 306 participent à la «mémoire involontaire» ressuscitant le passé. Ils


[270] fonctionnent comme forme d'expression de la mémoire. Ils la
nourrissent et participent activement à sa structuration. Sans vouloir être
exhaustif, nous croyons que nous avons accompli notre tâche qui consistait à
déterminer les modes de passation da la prêtrise par lesquels nos sujets sont
devenus aptes à remplir le rôle d intermédiaires entre leur communauté et les
divinités vodou. C était la première préoccupation. La deuxième voulait
aborder la question de la transmission religieuse dans le vodou sur un angle
explicatif en essayant de répondre à la question «pourquoi transmettre?»
Comme l a bien noté De Gaulejac (1999 : 11), tant sur le plan biologique que
sur le plan social, l'individu est multidéterminé. Ces déterminations multiples
le confrontent à des contradictions qui l'obligent à trouver des issues, à
inventer des médiations, à faire des choix, puisqu il se retrouve assez souvent
au milieu d une gamme d obligations contradictoires provenant de ses
différents statuts sociaux : citoyen d un État, membre d un parti, d une famille,
d une communauté religieuse ou d un club, etc. Pour survivre au-delà de la
durée de vie de ses membres fondateurs, chacune de ces structures entend que
ses valeurs soient transmises à travers les générations alors que les demandes
(de loyauté) formulées par ces structures ne sont pas toujours convergentes.
Au terme de cette recherche, on peut admettre que le concept de loyauté est un
puissant indicateur du degré de la réussite du processus de la transmission
culturelle et de l intégration sociale. Il sert aux acteurs à mesurer leur rapport
entre l identité prescrite et l identité vécue. Plus l immersion sociale d un
acteur dans un milieu particulier est forte et resserrée, plus sa loyauté envers
ce milieu est susceptible d être intensifiée. Fonctionnant sur le mode de l
émotion et de la passion (du type «c est plus fort que moi»), quand la loyauté
familiale fait corps avec la loyauté religieuse dans le vodou haïtien, l
attachement qu elle provoque devient une relation très intime qui échappe au
pouvoir explicatif de la logique des acteurs rationnels agissant par calcul
utilitariste. [271] La loyauté, étant considérée comme une émotion (amour,
joie, honte), on ne va pas demander à un ougan ou à une manbo quel est

307 307 l intérêt de la poursuite de ses pratiques qui sont assez souvent


fortement diabolisées par des adhérents des autres religions. Cela ressemble à
une femme ou un homme qui est fou d amour pour son partenaire malgré les
commentaires désobligeants de son entourage. Quand il/elle est amené-e à s
exprimer sur le pourquoi de son attachement, sa réaction est souvent de l ordre
du «je l aime, c est tout!», «je l aime malgré moi!». Contre toute attente de
ceux qui pensaient que la multiplication des services sociaux de base dans les
campagnes haïtiennes annoncerait la fin du vodou, cette religion qui vient des
ex-esclaves, du «bas peuple», se diffuse et se transmet des illettrés aux lettrés ;
du monde rural au monde urbain ; de l espace privé à l espace public (rue,
places publiques, radio, télévision, Internet) ; du pays du Sud (Haïti) aux pays
du Nord (Canada, France, États-Unis)285. Ceci prouve effectivement que le
besoin de transmettre est une préoccupation majeure de tout groupe humain et
ne peut pas être réduit à une simple logique économique. Pour avoir voyagé
dans le temps et dans l espace à travers des obstacles multiples (stéréotypes,
discours adverses, violences), le vodou haïtien nous rappelle qu'on ne peut pas
jouer avec l acte de transmettre. Étant une réalité anthropologique de passation
de valeurs, de connaissances et savoir-faire, la transmission se révèle une
nécessité culturelle profonde, une nécessité biologique profonde qui, à la
limite, aboutit au maintien d'une biodiversité culturelle. Autrement dit, c est
par le phénomène de la transmission culturelle que les communautés 285 En
parlant d Alourdes, son interlocutrice principale dans «Mama Lola», Brown
(2001: 4) a noté qu elle est une prêtresse (manbo) dans la tradition du vodou
haïtien. En tant que telle, elle n'est pas unique ni même rare. Au contraire, elle
est l'une parmi des centaines de professionnels qui desservent environ
immigrés haïtiens vivant à New York (voir aussi Smucker (1984 : 54). Mais,
sa réputation, propagée de bouche à l oreille, l a conduit à voyager à travers
les États-Unis, au Canada et à plusieurs endroits dans les Caraïbes et en
Amérique centrale pour réaliser des «traitements» sur la base des invitations.
Si Alourdes n a pas l habitude d organiser de grandes réunions chez lui, l
auteure nous dit qu elle connaît des ougan qui opèrent à grande échelle. Par
exemple, «je connais un prêtre (ougan) qui loue le soussol d'un grand
appartement sur l'une des artères principales de Brooklyn, où il met en scène
des cérémonies vodou où il y a tambours et danses en présence de deux à trois
cents personnes».

308 308 locales arrivent à maintenir une humanité qui se rebelle contre


l'homogénéisation technique 286 [272] en contribuant à la construction et à la
survie d une humanité plurielle. Aussi, contre les oublis programmés, Hurbon
(2001 : 49) a-t-il raison de souligner que «dans sa constitution, le vodou est
apparu comme une culture de résistance contre le processus d'amnésie
culturelle mis en œuvre par la traite et l'esclavage dans les Amériques». Selon
la perspective dynamique que nous avons adoptée, nous avons pu voir que l
acteur vodou, tout en étant le produit d une histoire, est également agent d
historicité, c'est-à-dire producteur de cette histoire. Non dans la toute-
puissance du sujet, mais dans une tentative renouvelée en permanence afin d
influencer son déroulement (De Gaulejac 1993 : 323 ; Augé et Colleyn 2009 :
104). Ainsi, la loyauté dont il est question ici n a pas été recherchée dans la
volonté du prêtre ou de la prêtresse de se conformer à une quelconque forme
statique du vodou, mais plutôt dans son niveau d attachement et d engagement
envers la mémoire collective et individuelle de sa généalogie croyante.
Comme l a reconnu Muxel (2006 : 1192), il faut admettre que la transmission
opère dans l interstice fragile et mouvant créé par la différence des êtres, des
cultures et des temporalités. Chaque génération nouvelle est confrontée à une
réalité historique et sociale dont les valeurs propres, mais aussi les impositions
et les contradictions, déterminent les conditions de son enculturation et de sa
socialisation. Aussi doit-elle négocier son inscription dans l histoire, c est-à-
dire la façon dont elle va porter l héritage des générations qui l ont précédée.
Les données que nous avons analysées dans le cadre de cette étude nous 286
Le système culturel (par opposition au système technique) dans son effort de
garder son originalité doit composer avec le processus d'indifférenciation
imposé par «l'empire des techniques» de la mondialisation où l'interconnexion
gomme les frontières nationales. Cette structuration technique du monde tend
à bousculer la diversité culturelle et les appartenances au profit des politiques
uniformisantes. Aujourd'hui, à travers tous les discours sur l'unification par les
réseaux, Internet, etc., on rêve d'inventer une communication homogène qui
va lisser toutes les différences. C'est oublier l'essentiel, à savoir la
transmission d'un héritage. En résumé, un état technologique de l'humanité est
un tableau de convergences, un état des mentalités est un tableau de
différences (Debray 1997 : 54-56, 88-91).

309 309 montrent effectivement que la mémoire du vodou est soumise aux


aléas de l histoire individuelle et que l être humain n est pas socialisable à
volonté. Il intervient dans son processus de socialisation. Cette thèse nous
permet de noter aussi que le processus de la transmission culturelle ne mène
pas nécessairement à la reproduction exacte des générations successives. Il
échoue quelque part entre une «transmission exacte» et «un échec complet de
la transmission». Il [273] tombe le plus souvent plus près de l extrémité
«transmission intégrale» du spectre que de celle de la «non-transmission». Il
faut souligner aussi que l'un ou l'autre de ces extrêmes serait problématique
pour le fonctionnement normal d une société. La transmission exacte ne
tiendrait pas compte de la nouveauté et surtout elle ne favoriserait pas le
développement de la capacité d un groupe ou d un individu à répondre à de
nouvelles situations. Tandis que l'échec total d une transmission ne permettrait
pas l'action coordonnée entre les générations (Berry et al (2002 : 30). Dans ce
phénomène de passation de valeurs, de connaissances et savoir-faire à travers
les générations, ce n est pas le contenu de la passation ou une forme de
«transmission totale» qui est en jeu, mais le «besoin de transmettre». À un
moment où l on est porté à croire que, sous l impact de la mondialisation, le
vodou serait en déclin dans la société haïtienne, nous avons vu à travers cette
étude que, bien au contraire, le vodou connaît une certaine revitalisation.
Celle-ci se réalise dans l articulation qui existe entre le poids de la collectivité
(obligation de transmettre) et l histoire individuelle des prêtres vodou
confrontés à «l impératif du changement». De par cette analyse, nous pouvons
soutenir que l opération de la transmission au sein du vodou haïtien est un
processus dynamique et non une reproduction à l identique puisque le vodou n
est pas une «religion en conserve», mais une «religion vivante». Mobilisé par
le réflexe défensif de son habitus, l ougan ou la manbo tient profondément à la
continuité de sa lignée croyante. Dans son attitude loyale envers ses ancêtres,
sa première préoccupation est de protéger sa tradition vodou. Mais, comme
pour les traditions religieuses créolisées ou métissées, on a vu que le vodou
haïtien est un produit de contacts, de mélanges, de transformations. Comme
religion vivante, il n a pas une forme orthodoxe historique, il est ouvert au
changement. Toutefois, ce changement doit s inscrire ou trouver sa

310 310 légitimité en montrant son attachement à la mémoire lignagère. Ainsi,


cet impératif du changement doit-il se confronter à la continuité légitimatrice.
Comme nous l avons souligné au niveau de la définition de la problématique,
cette étude sur la transmission du sacré vodou se veut être une approche
innovante, une posture épistémologique qui «interroge la manière de décrire le
réel et nourrit les prémices d une [274] réflexion sur la continuité des sociétés
humaines à l épreuve des ruptures de l histoire» (Berliner 2010 : 16). En
faisant le lien entre ce phénomène de la transmission religieuse et de la notion
de loyauté prise comme émotion et passion, cette approche aborde le vodou
non pas comme une survivance en terme de vestige, mais comme une création
dynamique inscrite dans une continuité légitimatrice. En décrivant les
mécanismes complexes de la transmission au sein du vodou et en expliquant
ce transmis religieux sous l angle de la loyauté, cette thèse croit apporter une
contribution originale à la production de la connaissance ethnologique dans le
sens où elle répond à un vide. À notre connaissance, il n y a pas eu de
recherche scientifique portant spécifiquement sur la problématique de la
transmission du vodou dans la société haïtienne, encore moins sur la passation
des pratiques des prêtres et des prêtresses vodou en tant que piliers du
système. En étudiant la passation des croyances et pratiques relatives à la
prêtrise vodou dans une démarche à la fois descriptive, analytique et
explicative, cette contribution à la recherche ethnologique se veut être un
apport substantiel à la compréhension des «mécanismes complexes qui lient
les individus et rendent possible la perpétuation du culturel». Dans une
approche pluridisciplinaire, la transmission culturelle est ici un objet d étude
«en lui-même et pour lui-même». Elle n est pas prise comme un phénomène
anodin, comme quelque chose allant de soi, comme c est souvent le cas dans
les sciences humaines et sociales (ethnologie, anthropologie, sociologie,
psychologie ). Elle reste dans cette étude notre porte d entrée et aussi notre
porte de sortie. Face aux préoccupations des différents acteurs de terrain
(chefs de famille, autorités religieuses, responsables d école, chargés de projet
en conservation du patrimoine [surtout immatériel]), l acte de transmettre est
aujourd hui l affaire d institutions nationales et internationales, engagées dans
la préservation de la transmission elle-même.

311 311 Ces préoccupations s expriment par des «propos nostalgiques sur la


perte, l oubli, la nécessité ou l impossibilité de transmettre». En réalité,
«partout à travers le globe, indique Berliner (2010 : 4), se lisent aujourd hui
sur les lèvres de nos informateurs des discours de crise sur la disparition des
sociétés (la leur ou celle des autres), des formes de vie, des valeurs, des
identités, des racines, des langues». En ce sens, transmettre semble devenu
une valeur aussi [275] bien individuelle que politique. L enjeu du besoin de
transmettre nous informe sur la complexité de la recherche d une difficile
articulation entre le poids d un environnement géopolitique et économique
perçu comme mondialisé et déracinant, et la poussée instinctive de l
affirmation de soi à travers une identité individualisée. Enfin, nous pouvons
dire que cette recherche a abordé le vodou comme une religion orale.
Effectivement, ce mode de croire populaire est traditionnellement vécu dans l
oralité. Mais, d un point de vue prospectif, nous pensons qu il y a lieu d
étudier la place de l écriture ou du livre dans le vodou haïtien. Comme pour la
santeria ou le culte d'ifa à Cuba (Dianteill 2000b : 253), nous présumons que
l'oralité et l'apprentissage pratique ne sont plus les modes exclusifs de
transmission du religieux. Ceci devrait faire d objet d un autre projet de
recherche. En termes de constat, si au départ notre objectif était d étudier la
transmission de la prêtrise dans le vodou haïtien, nous avons remarqué que cet
objet d étude nous ramène involontairement sur le terrain de la confrontation
des valeurs, des visions du monde différentes, comme si toute étude de la
transmission culturelle devait inévitablement déboucher sur l'étude des
processus historiques de constructions idéologiques.

312 [276] Transmission de la prêtrise vodou. Devenir ougan ou mambo en


Haïti BIBLIOGRAPHIE Retour à la table des matières Bibliographie 312

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Haïti ANNEXES Retour à la table des matières 334

335 [295] Transmission de la prêtrise vodou. Devenir ougan ou mambo en


Haïti ANNEXE 1 Formes verticale, horizontale et oblique de la transmission
culturelle, reproduites et modifiés d après Berry (2002) Retour à la table des
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336 336 [296] ANNEXE 2 Population de la colonie française de Saint-


Domingue, Régent (2007: 337) Retour à la table des matières Colonie Année
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338 [298] Transmission de la prêtrise vodou. Devenir ougan ou mambo en


Haïti ANNEXE 4 Répartition de la population par sexe selon la religion et le
milieu de résidence, IHSI (2009 : 24) Retour à la table des matières 338

339 [299] Transmission de la prêtrise vodou. Devenir ougan ou mambo en


Haïti ANNEXE 5 Distribution des chefs de ménage par sexe selon le milieu
de résidence, IHSI (2009 : 21) Retour à la table des matières 339

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