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Fontesse Leone, Grémilly Bruno, Le Gall Anne-Marie, Oillo Didier, Ropars Marie-Claire, Bouvière Evelyne. Des images à
(dé)monter. In: Pratiques : linguistique, littérature, didactique, n°18-19, 1978. Arrêts sur l'image. pp. 95-124;
doi : https://doi.org/10.3406/prati.1978.1054
https://www.persee.fr/doc/prati_0338-2389_1978_num_18_1_1054
(1) —
Voir
Cl. par
BAILBLE,
exemple:
M. MARIE, M.-C. ROPARS : Muriel : histoire d'une recherche (étude textuelle
du film de Resnals), Galilée, 1975.
— M.-C. ROPARS. P. SORLIN: Octobre: écriture et Idéologie, T. I., Albatros, 1876.
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méthodique de réseaux signifiants. Une telle opération d'analyse peut-elle
réaliser à terme, par entraînement progressif du regard et de la mémoire,
un déplacement perceptif du spectateur, qui le rendrait alors capable de
démonter, au lieu de les développer, les effets idéologiques produits par le
système dominant de représentation ?
Posée aussi radicalement, la question désigne un champ de difficultés
théoriques beaucoup plus qu'elle n'indexe une procédure pédagogique. Des
expériences furent cependant tentées par les participants de l'U.V. pour
préparer en termes analytiques une sortie de classe dans une salle
commerciale et pour introduire dans le cadre d'un cours des travaux de type
cinématographique inspirés des postulats discutés par ailleurs en U.V. Notre
propos, ici, n'est pas de rendre compte de l'expérience dans sa totalité ;
mais plutôt de faire apparaître comment un certain nombre de tentatives
fortement diversifiées, élaborées et critiquées collectivement dans le cadre de
PU.V., éprouvées personnellement dans les classes respectives des divers
enseignants concernés, ont conduit à un double résultat : mesurer, sans doute,
l'apport d'une hypothèse théorique sur la notion de texte étendue à des
systèmes visuels, mais aussi déplacer profondément la question initiale, trop
enfermée dans le champ spécifique d'un genre (le cinéma) et trop limitée
à une perspective strictement analytique.
Ces déplacements ont opéré dans différentes directions, qui furent
inégalement explorées : traversée de plusieurs genres audio-visuels, de l'affiche
au photo-roman en passant par le film ; mise en relation textuelle de divers
systèmes signifiants, verbaux et iconiques ; articulation de développements
pratiques et de retours analytiques ; production d'objets par le montage, et
démontage permanent des objets produits. Leur formulation a fait apparaître
plus clairement aux yeux des participants ce qui se joue de leurre autour
de Paudio-visuel à l'école, et à quelles conditions risquées d'auto-négation
celui-ci peut introduire un élément de « jeu » dans le fonctionnement de
l'ordre scolaire. Ce sont ces difficultés et ces enjeux que le présent article
voudrait situer : loin de proposer l'exemple réussi d'une « application » de
la recherche universitaire à la pratique pédagogique, il entend remettre en
cause cette division des tâches qui ferait de la recherche un laboratoire
neutre d'outils utilisables comme des « recettes » pour une pédagogie rénovée.
GÉNÉRIQUE
— A Vincennes
Enseignant: Marie-Claire ROPARS, maître- Dans la démarche suivie au
assistant au Département de littérature cours de cette expérience, un
française de l'Université de Paris VIII -Vincennes.
Etudiants : Une vingtaine de participants choix fut particulièrement
réguliers, dont 15 enseignants ou déterminant pour la suite des
documentalistes exerçant dans des établissements du parcours. On le définira ici
second degré. 10 d'entre eux organisèrent non dans son émergence
des travaux de classe sur les bases progressive, mais bien dans ses
proposées en U.V. ; 5 prolongèrent l'expérience
sur toute une année scolaire et acceptèrent conséquences ressaisies a
d'en établir collectivement le bilan. posteriori.
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Durée : 2 rendez-vous hebdomadaires de De fait, il tient à la prise
3 heures chacun pendant un semestre en considération des
universitaire (1976-1977). conditions concrètes de travail, qui
Corpus de l'U.V. : des films (vus en salle, se présentèrent initialement
ou analysés plan par plan au projecteur), des comme autant d'obstacles à
images {affiches ou photogrammes de films), une entreprise univoque,
des manuels (d'introduction à l'audio-visuel, homogène et délimitée. A la
normatifs ou pragmatiques), des travaux diversité des enseignants
d'élèves (romans-photos, bandes magnétiques, directement inscrits dans l'U.V.
collages, montages divers...).
correspondait en effet une très
Modalités de travail : deux perspectives forte disparité des élèves
sont abordées simultanément : indirectement concernés, au.
1) analyse filmique : mise en place de niveau de l'âge (de la maternelle
techniques et d'hypothèses de recherche à la fin du 1er cycle), des
(présentation analytique d'un passage d'Octobre) ; types d'établissement (du CES
puis constitution de groupes procédant à des au foyer d'accueil), des
études analogues sur d'autres films (Citizen
Kane et La Règle du Jeu en l'occurrence). catégories mêmes de classe
Des enseignants transposent ensuite dans (handicapés sociaux aussi bien que
leurs classes une approche de ces deux films ; cursus dits normaux). Ces
la tentative tourne court avec les élèves mais obstacles se sont avérés
le travail se prolonge dans le cadre de J'U.V. féconds à partir du moment où
par une analyse des procédures narratives le groupe décida de s'en tenir
repérables dans ces deux films, et par une collectivement à cette
discussion sur les exercices qui permettraient hétérogénéité, ce qui signifiait,
de relier l'étude analytique d'un film à des concrètement, de laisser toute
expériences de montage et de pratique
intertextuelle du récit. latitude aux constantes les plus
immédiatement relevables : la
2) Préparation collective d'une sortie en marginalité dominante des
salle. L'Affiche rouge est choisi pour des statuts, et la pauvreté générale
raisons conjoncturelles (nouveauté, diffusion des moyens. On constate que
en banlieue comme en art et essai, tarifs de
groupe, vaste support publicitaire, l'expérience est allée le plus
modernité...). Le film est critiqué dans l'U.V. loin dans les classes où les
(reconduction d'une conception transparente de enseignants choisirent de se
l'histoire sous une apparente complexité donner le maximum de marge,
formelle). En revanche, la préparation de la s'ils ne l'avaient déjà de par
sortie s'avère plus fructueuse. Une lecture leurs types d'élèves.
sémiotique de l'affiche publicitaire (retenue
pour sa force d'interpellation polysémique) Une telle décision entraîne
éclaire les effets idéologiques relevés dans le aussitôt un déplacement de la
film (deux formes de représentation visée analytique, trop abstraite
simultanément à l'œuvre), et la manière dont le pour inaugurer l'entreprise :
montage les fait jouer tout en inversant te sans être totalement rejetée,
dispositif de l'affiche allemande (déchirure elle fut dans la plupart des
transversale de l'affiche rouge, fléchage vers
le bas de l'affiche allemande). cas suspendue à une
réalisation préalable des élèves. Se
Sont ainsi amorcés le passage du cinéma trouve ainsi provisoirement
à d'autres systèmes visuels, et l'inscription de écartée — et mesurée au
ces différents systèmes dans une détour d'un débat sur quelques
problématique commune du montage. Les travaux faits
dans les classes contribueront à déplacer manuels d'initiation — toute
plus largement les perspectives en abordant réinsertion directe du domaine
la réalisation concrète de montages et la audio-visuel dans le champ du
confrontation avec des textes. savoir culturel établi : l'ana-
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— Dans les classes lyse filmique, si du moins il
doit en être question, se
1) Enseignant: Bruno GREMILLY, instituteur
spécialisé titulaire d'une 4e C.P.P.N. Etudiant gardera du rôle que lui assigne
à Vitvcennes parce qu'autre part ce n'est la stratégie de modernisation
pas/plus pareil. des programmes — sous sa
Etablissement : Aulnay sous Bois, la forme naïve, récupératrice
banlieue Nord. Puis derrière une cité et une (reconduction des dogmes de
chaufferie, le CES « Pablo Neruda», ex Gros- l'histoire littéraire désormais
Saule. Semblable à tant d'autres. appliqués au langage
Classe : la C.P.P.N., une classe comme cinématographique) comme dans sa
toutes les classes, une classe dépotoire. version savante, substitutive
Les maîtres : spécialistes ou remplaçants (recensement de techniques et
dont c'est le premier poste ; qui d'autre en décomposition structurale de
voudrait ? codes allant, par
Les élèves : 25 élèves de tous niveaux, emboîtements successifs, de l'image
enfants d'émigrants ou de migrants, d'ouvriers
ou de petits cadres, de chômeurs et de fixe au montage des images
couples désunis, qu'inadaptation, associabi- animées). Mais la mise en
lité, retards et échecs scolaires, garde implique à terme une
incompréhension de part et d'autre amènent à une certaine interrogation auto-critique sur
désespérance. l'analyse textuelle elle-même
Démarche : La présence continuelle et et la clôture qu'elle suppose,
suivie des élèves, la possibilité d'avoir à un cette clôture eût-elle pour fin
apport théorique un support pratique, la l'évaluation critique d'un
mouvance des idées classe/Vincennes, une mode de fonctionnement :
certaine latitude et une disponibilité certaine ont l'enfermement dans un texte
permis de mener ce travail, bien qu'imparfait, littéraire ou filmique ne
au-delà de la page lue puis refermée du
photo-roman. reconduit-il pas la consécration
socio-esthétique des œuvres à
2) Enseignant : Didier OILLO, instituteur laquelle procède, à travers ses
stagiaire sur poste d'enfance inadaptée, manuels, l'institution
section handicapés sociaux. Etudiant à Vincennes scolaire ? La question est ici
à cause des facilités offertes aux étudiants
renvoyée de l'école à l'Université,
(cours du soir) et des méthodes nouvelles.
Etablissement : un foyer d'accueil de l'Aide dont l'objet de recherche se
Sociale à l'Enfance, « L'Ecole de la Cité de trouve ébranlé au moment
l'Enfance du Plessis-Robinson ». Ce foyer même où il sert de référence
accueille des enfants des Hauts de Seine pour une expérimentation.
ayant des problèmes sociaux ; ils y sont
placés, pour une période variable, par le Devenue condition première
juge des enfants ou par les parents eux- de l'entreprise analytique, la
mêmes. Les enfants sont répartis en niveaux réalisation se heurte
scolaires, déterminés par le directeur et les évidemment à l'absence d'appareils :
enseignants. Chaque enseignant travaille sur privée de moyens, elle peut
trois niveaux scolaires. plus aisément rompre avec
Classe : 15 enfants de 7 à 15 ans. Trois les mythologies technologiques,
sont non-lecteurs, dix de niveau CE2-CM1, suivant lesquelles la
une de niveau CM 2 et une de niveau 6e production lourde des images
type allégé. Durant les quatre semaines de instaurerait magiquement libération
l'expérience, trois enfants sont repartis chez
eux, et deux nouveaux sont arrivés. des discours et socialisation
Organisation du travail : La liberté totale des échanges, permettant
laissée aux enseignants pour le choix des d'assurer chez les élèves cette
programmes et l'emploi du temps a permis capacité d'expression
d'utiliser 4 heures par semaine pour un tra- person el e et de communication maî-
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vail inhabituel : élaboration et transformation trisée devenue impossible dans
d'une affiche, avec enregistrement magnétique le domaine verbal ou écrit.
d'un dialogue entre l'enseignant et les élèves. On voit se profiler ici une
3) Enseignant: Anne-Marie LE GALL, PEGC autre des fonctions assurées
lettres, histoire - géographie, en situation de par le recours à l'audio-visuel
certifiée stagiaire (Intégration des PEGC dans dans les diverses stratégies de
le corps des certifiés). Licence complète de rénovation pédagogique :
lettres modernes à Vincennes. Inscrite à déplacer le champ d'exercice (de
l'U.V. par goût et non par nécessité. la langue à l'image) pour
Etablissement: CES Jean Perrin, Le Kremlin effacer l'échec (la perte de
Bicêtre (94). l'écriture) — en camouflant ses
Classes ; 3" aménagée mixte ; 20 élèves causes institutionnelles ; et
âgés de 15 à 16 ans : 11 filles et 9 garçons postuler dans les appareils une
(5 élèves d'origine étrangère) ; classe formée neutralité instrumentale, ou
de façon sélective : élèves en difficulté mais même un pouvoir propre
« sérieux et accrocheurs ». L'enseignant avait d'explosion, en restant
travaillé avec une partie d'entre eux en 4e étrangement silencieux sur l'envers
aménagée. de cette appropriation — la
Milieu socio-professionn&l des parents ; pesanteur économique qui,
ouvriers, petits employés, militaires. dans le cadre scolaire tout
Horaire : 9 heures par semaine : 5 heures au moins, rend les utilisateurs
de français plus 1 heure (classe aménagée) ; plus tributaires encore de
3 heures d'histoire-géographie. l'institution elle-même.
Organisation du travail : travail réalisé pai
groupes d'élèves {4 par groupe en général). Une réalisation orientée vers
Groupes organisés par le professeur pour la fabrication systématique
éviter le rassemblement dans une même des images bute sur
équipe d'élèves ayant trop de difficultés l'ambiguïté de la médiation
d'expression. technologique. Faute de statut
Démarche : L'introduction à l'analyse officiel, donc de caméras, la
filmique dans un CES : projet irréalisable à réalisation s'oriente ici dans une
première vue (manque d'appareil de projection autre voie : plutôt que de
avec arrêt sur l'image ; temps limité par le produire toutes ses images, fût-ce
découpage en heures-cours). Il a semblé plus manuellement, l'entreprise
simple de préparer les élèves à une sortie partira aussi bien d'images déjà
de classe dans une salle commerciale pour
voir le film « L'affiche rouge ». Le projet produites, en faisant porter
restait pour nous peu élaboré sur le plan l'essentiel de l'expérience sur
théorique. Ce qui nous intéressait dans ce leur manipulation, c'est-à-dire
film, outre l'évocation d'une période sur les divers parcours
historique «au programme», c'était la possibilité de signifiants dont elles peuvent
mettre les élèves en contact avec un montage devenir les composantes.
en rupture, avec une représentation non
chronologique de l'Histoire (d'une histoire). La Ont été rejetées, ainsi, deux
recherche des exercices susceptibles de procédures antagonistes qui
rendre la lecture du film accessible a été vécue caractérisent suivant les cas
de façon empirique. Au départ, il devait la scolarisation du cinéma .
s'agir d'un travail de 2 ou 3 semaines (en
décembre). Stimulés par l'intérêt, le plaisir, annexion littéraire, et
pris par les élèves à ces séances de institutionnalisation audio - visuelle.
préparation, nous avons tenté d'exploiter un Ici, au contraire, l'étude
certain nombre d'idées et de tes mener jusqu'à filmique s'est trouvée prise peu à
leur développement maximum (de janvier à peu dans un ensemble de
juin avec des interruptions). pratiques intertextuelles — la
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Étapes : spécificité visuelle des
1) Préparation à la vision du film matériaux (dessins, photos,
— analyse et lecture de l'affiche du film ; affiches, images fixes ou mobiles)
— lecture de 2 textes en miroir : ne conditionnant pas
• la dernière lettre de Manouchian ; l'inscription dans un genre déterminé,
• le poème d'Aragon « Prose pour se mais contribuant au contraire,
souvenir » ; par mise en relation ouverte,
— séance de mimodrame associé à des prises à traverser un certain nombre
de photos : les élèves jouaient des scènes de domaines prétendus
du film (il fallait les imaginer car le film
n'avait pas été vu) ; ces scènes étaient spécifiques, y compris, comme on
photographiées. le verra, celui du texte écrit.
2) Exploitation après la sortie au cinéma L'exploration de l'écriture
— de l'image au texte : production de deux devient ainsi l'enjeu de
montages différents des photos prises en l'expérience. Celle-ci trouvera un
classe {donc deux histoires). support efficace dans une
— du texte à l'image : à partir du conte
de Perrault « Le Petit Chaperon Rouge » : conception sémiotique du
a) démontage de ce texte par division en texte. Mais elle se heurtera aux
séquences inspirées des travaux de Propp. limites que lui impose
b) réécriture des séquences en prenant l'exigence même de la
comme thème un problème de la vie moderne. scolarisation : rester dans un ordre
c) montage alterné des deux textes avec symbolique socialement réglé
illustrations (photos diverses) découpées dans sur les objectifs de Tinter-
les journaux. communication ; maîtriser le
— du récit chronologique au récit éclaté : codage — soit — mais non
à partir d'une des séquences montée en s'aventurer dans une rupture
alternance, provoquer l'éclatement
maximum des deux textes afin de produire un des codes, et un dérèglement
nouveau texte allant à la limite des de l'imaginaire.
possibilités acceptables par les élèves.
4) Enseignant: Evelyne ROUVIÈRE,
institutrice, étudiante à Vincennes.
Etablissement : Ecole maternelle Jeanne
Vacher à Champigny.
Classe : Les moyens de la maternelle. 37
élèves inscrits, 36 présents : 20 filles, 17
garçons. Age moyen : 4 ans.
Perspective : avec la même série de
dessins, faits par les enfants, essayer
d'obtenir des parcours de signification différents
grâce à un ordre différent (changement de
montage).
100
à son tour de conduire en termes critiques une expérience orientée vers le
bricolage de systèmes scripto-visuels. L'analyse d'Octobre d'Eisenstein (base
provisoire du travail en U.V.) débouche sur une étude des textes qui le
sous-tendent, et situent le film dans la visée d'une « cinécriture ». En
prolongeant jusqu'au détournement les postulats d'Eisenstein sur l'écriture
cinématographique, on décida de donner au montage, c'est-à-dire à l'articulation
des matériaux mobilisés dans un discours, un rôle prédominant pour la
constitution de processus signifiants ; donc de prendre à la lettre de
l'expérience l'affirmation eisensteinienne suivant laquelle la signification engendrée
par la mise en relation conflictuelle de plusieurs représentations figuratives
ressemble plus à leur produit qu'à leur somme, et peut être, à la limite,
indépendante de ces représentations.
Cette capacité productrice accordée au montage s'appuie chez Eisen-
stein sur une critique de la représentation prétendument réaliste, dont il
souligne au contraire le rôle dans la reproduction institutionnelle du réel ;
elle le conduit à récuser en même temps le cloisonnement des genres (fausse
opposition du littéraire et du cinématographique, du signe et de l'image) et
à inscrire ceux-ci dans un processus sémiotique commun, caractérisé par la
discontinuité active des articulations. Glosons ici Eisenstein dans le droit fil
de Benvéniste et de Derrida. Le montage est en jeu dans toute écriture, une
fois celle-ci renvoyée au mouvement de (dés)articulation qui la constitue. Le
sens dans un texte ne procède pas par addition de matériaux significatifs ;
la mise en succession de différents énoncés produit, au contraire, une rupture,
un choc, plus ou moins effacé par le glissement textuel ; l'articulation se
fait suivant une relation différentielle, voire conflictuelle, dont le
fonctionnement est par définition ouvert, incessant. On voit comment la théorie
eisensteinienne du montage se trouve ainsi réactivée par l'hypothèse grammatolo-
gique. Une telle hypothèse, pratiquée contre Eisenstein lui-même et le rôle
conceptuel qu'il donne au montage dans certains de ses articles (2), ne peut-
elle servir de support à une libération de l'écriture dans la réalisation de
textes, au sens large, où serait engagée non la transcription de concepts,
mais l'épreuve de divers types de fonctionnement ?
Ainsi détournée de son contexte d'élaboration, et située dans la
perspective d'une expérimentation scripturale, la formule eisensteinienne permet de
marquer quelques points d'ancrage pour la démarche engagée :
— Limitation, théoriquement fondée cette fois, de la spécificité
irréductible de l'image, et singulièrement de son isolement : on posera, à titre de
postulat, que l'image isolée n'existe pas ; elle est toujours montée, que ce
montage s'affiche dans la rupture des enchaînements reconnus et la mise en
disponibilité sémantique du matériau visuel, ou qu'il s'efface par la
dissimulation de tout indice dénonciation au sens stabilisé. S'esquisse alors une
démarche au niveau analytique : non pas aller de l'image au montage, mais
reconnaître le montage pour saisir l'image, dans ses failles comme dans ses
masques.
— Réinscription du texte littéraire lui-même dans l'opération de
montage et de démontage : un texte écrit peut faire l'objet de divers découpages
(2) On 86 réfère Ici aux textes publiés par Elsensteln dans les années 1928-1929 : voir en
particulier l'article « Hors Cadre >, traduit dans les Cahiers du Cinéma, n° 215 ; une autre traduction,
sous le titre • Le principe du cinéma et la culture Japonaise • en est proposée dans l'édition
française de « Film form » et « Film sensé », Cf. EISENSTEIN, le film : sa forme, son sens,
Bourgols, 1976.
101
syntagmatiques ; il peut alors entrer dans une pratique transtextuelle où la
mise en relation du visuel et du verbal devienne à son tour génératrice de
discours.
— Expérimentation ouverte de la capacité productrice du montage :
les mêmes matériaux étant donnés, selon quels processus variables peuvent-ils
s'articuler? Quelles sont les ruptures de sens impliquées par les changements
de montage ? Quelles modifications engagent-elles dans le statut assigné au
destinataire ? A quel moment atteint-on une résistance sémantique du matériau
lui-même ? Jusqu'où peut-on aller dans le désenchaînement des figures ?
L'objectif, en ce cas, n'est plus de réaliser une œuvre à dominante
visuelle suivant l'itinéraire classique qui va du scénario rédigé, donc du
texte, à la mise en images ; et du signifié, reconduit comme premier, au
signifiant, réduit au rôle d'instrument dans une traduction. Il s'agit au contraire
d'explorer la productivité signifiante des matériaux en fonction de leur
articulation, et, à terme, de comparer les divers parcours possibles et ce
qu'ils mettent en jeu.
Ainsi entendue, la réalisation concrète de montages s'écrit
nécessairement au pluriel pour une même entreprise. C'est aux limites de cette pluralité
que la démarche expérimentale s'est heurtée le plus fortement, comme en
témoignent les exemples qui vont être décrits.
I. EN CLASSE DE C.P.P.N.
102
— Où elle essaye vainement de • Reproduction tacite et linéaire du
faire sa leçon. fait divers, du drame amoureux où
— Où elle est chahutée par ses se retrouvent tous les poncifs :
élèves, qui fument et l'insultent. jeune institutrice, élèves dévoyés,
* Dans un couloir : (1 cliché). drame. Aucune recherche dans le
— Elle quitte sa classe. montage. D'ailleurs qu'est-ce ?
* Chez elle : (2 clichés).
— Elle se suicide en s'ouvrant les
veines.
* En conclusion, après une page * Réminiscence d'un travail sur
noire, la photo de la classe déchirée L'affiche rouge. Affiche du film
en deux : l'institutrice d'un côté, les exposée en classe. La déchirure est
élèves de l'autre. Déchirure interprétée comme séparation entre
accentuée par sa coloration en rouge. l'adulte « institution » et les élèves.
(Photo C3 page 122). Le rouge accentuant le mortel.
103
— Elle se souvient en ce même • La contrainte que procure ce
moment, d'avoir aperçu ce garçon dans montage amène à une certaine
la rue, lorsqu'elle rentrait du créativité.
travail.
Photo numéro 15 dans le roman-
photo.
104
L'affiche est terminée. Commentaire des enfants.
— On a fait une affiche. Nous avons inventé un film
comique. Ça se passe avec des femmes et des
enfants dans les Pyrénées ; la ville s'appelle
Rlvesaltes. Alors nous avons inventé un film
pour vous, pour que vous voyez bien.
Pourquoi c'est un film comique ?
— C'est un film comique parce qu'il y a des femmes
et pas d'hommes, des femmes déguisées en cow-
boy. !
Alors des femmes en cow-boy c'est toujours
comique?
— Oui I Oui I Non mais de toutes façons les femmes
et les hommes sont de la même qualité. Pourquoi utiliser la
Alors pourquoi les hommes ne sont pas comiques photographie et non le dessin ?
et les femmes sont comiques ?
— Parce que c'est moins fort. Le dessin ne reproduit pas
— Parce que c'est rare. une totalité ; la règle du jeu n'est
— ils sont tous les deux de la même... aussi forts. pas la même que pour les
Pourquoi est-ce comique une femme ? images photographiques que l'on
— Parce que c'est une femme habillée en cow-boy
avec un pistolet. peut monter et articuler les unes
— Parce que c'est rare de voir une femme habillée aux autres.
en cow-boy avec des pistolets. Le dessin est de plus un
Mais ce n'est pas comique I exercice de style exigeant un
— Si, ça a quelque chose de comique. Si, parce
qu'il y a des enfants et du karaté là-haut. apprentissage ; le fossé existant déjà
Pourquoi l'avoir mis là celui-là ? entre les élèves de la classe
— Donne-lui un coup de pied dans la gueule. s'en serait trouvé accentué.
— Pour que... pour que les hommes se défendent. Plusieurs revues ont été mises
Et les enfants ?
— Les enfants, eux, ils ont rien fait de mal. (Rire) à la disposition des élèves, ces
— Ils sont avec les femmes comiques. Faut pas rire, revues ont été fournies par
ris pas, ris pas... l'établissement Elle, La vie du rail.
Qu'est-ce qu'on voit encore en bas ? Le chasseur français, Marie-
— On voit... nous voyons... je vois des mains, des
mains avec des ganta. Claire.
— Ça représente une fleur. Les enfants ont choisi des
Ah ! Oui, une fleur images et les ont découpées
— Tiens C'est une fleur Carnivore. suivant le contour pour mieux
I
105
Introduction du Ballon L'affiche est polysémique. Les
enfants cherchent à articuler tous
Vous avez vu ce que j'ai fait autour ? J'ai mis les sens entre eux de manière
une bulle. Qu'est-ce que ça signifie ? Est-ce que
ça change quelque chose ? à avoir un « sens commun »,
— Oui. une histoire.
Qu'est-ce que ça change ? Après plusieurs tentatives, les
— Et bien ça change que il n'y a plus les femmes
qui sont comiques. enfants ne peuvent que
— Ils sont dans une ville... fragmenter le texte, en commentant
— C'est mis dans sa tête, la bulle, elle est dans chaque partie de l'affiche.
sa tête, elle se souvient de ce qu'elle avait dit... 'Les enfants ne débouchent sur
avant.
Elle, qu'est-ce qu'elle a de particulier ? aucune histoire concrète.
— Elle n'a pas d'yeux. Plusieurs espaces sont mis en
— Elle a les yeux noirs. succès s ion, il n'y a aucune dié-
— Elle est dans la bande avec les autres. gèse. Le travail aurait pu être
— Elle est morte, elle est morte.
Elle est morte ? Qui l'a tuée ? laissé ainsi, mais il nous a
— Le pistolet, avec les mains. semblé intéressant d'introduire un
— La fleur qui tue. élément perturbateur, cette
Et au moment où elle est tuée que se passe-t-ll ? perturbation étant destinée à
— Elle pense, elle pense à l'avenir qui tue... Non
le passé. stimuler la créativité du groupe.
— Elle est morte, elle pense à tout ce qu'elle a fait. Nous avons collé en bas à
— Elle rêve à tout ça, tout ce qu'elle a joué gauche de l'affiche le masque
comme sketches, comme films. d'une femme dépourvue des
Au début, c'était un film comique, et maintenant ce
n'est plus comique, il y a une femme qui est organes de communication.
tuée, qui est morte, et qui pense à tout ce qu'elle De la dite bouche du masque
a fait. part un phylactère entourant
— Quand on est mort, on peut pas penser à ce toute l'affiche (photo n° 2, page
qu'on a fait.
— Elle est dans le coma, dans le coma, elle est 123).
évanouie dans le coma. L'affiche ainsi perturbée est
Alors ? soumise au commentaire des
— Alors elle pense à tout ce qu'elle a fait, qu'elle enfants (Photo n° 3, page 123).
aimerait bien refaire. Elle commence à mourir,
elle est très malade, alors elle imagine.
Elle Imagine quoi ?
— Elle imagine tout le passé qu'elle a vécu.
Qu'est-ce qu'elle a fait ?
— Elle a fait un film comique avec des enfants
et ses copines.
Et où sont-elles ?
— A Rivesaltes dans les Pyrénées.
— Non elle a peut-être changé de pays.
Qu'est-ce qu'elle volt ? Il y a des choses bizarres
dans son rêve ?
— Il y a une fleur qui tue.
Ça n'existe pas les fleurs qui tuent.
— Si ! Il y en a qui sont mortelles, dans les pays
d'Afrique.
— Les fleurs à pistolets ça n'existe pas.
Tiens I Ça n'existe pas ?
— Non, ça n'existe pas les fleurs à pistolets.
Et les pistolets à fleurs ?
— Ah ! Ça n'existe pas. Pour les enfants, le contenu
— Si ça existe, par exemple un pistolet qui est du phylactère désigne les
formé de fleurs ou qui a des fleurs dessus... pensées du masque. Ledit masque
Mais il pourrait faire un meurtre s'il tue quelqu'un.
Ça se passe en France, c'est pas un pays de représente une morte ; cette
cow-boys, c'est pas les mêmes mains, c'est pas morte, soit tuée par le contenu
la même couleur de pétales et çà n'a pas la de ses pensées, soit agonisant,
même forme... se rappelle ou anticipe certains
Pourquoi y a-t-il un petit bonhomme là-haut ?
— C'est pour se défendre des femmes, parce qu'elles moments de sa vte.
font la loi. Il est intéressant de constater
Vous m'avez dit qu'elle Imaginait tout. que la femme mourante n'a pas
— Oui, elle imagine, elle avait tapé le monsieur ; il
s'est défendu. C'est Marie Laforêt, elle joue des de réalité en soi. C'est une
films... COMIQUES. actrice qui visionne un spectacle.
106
Pouvez-vous me raconter l'histoire ou une histoire
de cette affiche ? Comment elle commencera,
comment finira-t-elle ? Y a-t-il un commencement,
une fin ?
— Ça commence par quatre femmes. Il y a une
femme qui est en train de boire et puis les
femmes qui sont là, sont dans un bistro. L'autre
elle n'a pas de sous, alors elle dit : « un whisky,
je vous paierai demain ». Alors le barman il veut
pas servir parce qu'il ne fait pas crédit.
Il ne fait pas crédit?
— Ça se passe en France, en France on fait pas
crédit.
— Elle a dit quelque chose qui n'a pas plu au
monsieur ; il est allé mettre son habit de karaté
il a plein de déguisements.
;
Pourquoi il s'est déguisé ?
— Pour faire croire qu'il était un vrai karatman.
— Maintenant il y a le shérif qui arrive, il dit:
« qu'est-ce qu'il y a là »? Ils répondent : « nous
ne faisons rien de mal ». Alors le batman, non
le barman dit : « c'est pas vrai ». Le shérif dit
« c'est moi qui paye ». Le karatman arrive et le
shérif lui dit • nous vous arrêtons pour avoir :
fait un meurtre dans la ville ».
:
Le meurtre de qui ?
— De la dame qui pense, elle commence à mourir
alors.
Alors ses pensées l'ont tuée ? Ce qu'elle pense, Le phylactère joue le rôle
c'est ce qu'elle pense qui l'a tuée. Elle commence d'une machine de pouvoir, les
à mourir. Vous dites c'est dans ses pensées que enfants sont dépossédés de leur
tout cela se passe. Selon vous, c'est dans ses
pensées qu'on l'a tuée. production. Leur montage, tout
— Non, elle commence à mourir, elle pense avant de ce qu'il y a à l'intérieur de la
mourir ; elle croit qu'on va la tuer, elle imagine bulle, appartient aux pensées de
tout ça. Parce que c'est l'avenir, pas le passé.
Comment ça peut se terminer alors ? la femme masque.
— Et bien la femme elle est morte, elle était morte.
Alors ses pensées aussi, et l'affiche également, que
va-t-ll se passer ?
— Tous sont morts.
— Tout semble mort.
— Tout un ensemble mort.
SI nous faisions une affiche, après celle-là, Les enfants dépossédés de
comment serait l'affiche ? leur montage tentent de le
— Et bien on représenterait un autre film comique,
et une autre histoire. récupérer en construisant une
Regardez l'affiche. Vous m'avez dit que c'était ces seconde affiche (voir photo 4,
pensées. Bon si elle meurt a-t-elle encore des page 123).
pensées ? ■La prise de pouvoir du
— Non I elle est dans le coma. phylactère révèle une multiplicité
Et que devient l'affiche ? des sens.
— Elle meurt aussi. Elle est morte.
C'est comment une affiche morte ? La mort est temporaire, elle
— C'est à moitié déchiré, elle est... chiffonnée. calque la vie et se substitue à
Pouvez-vous me faire une affiche morte ? elle.
— Une affiche, où il y a une dame ?... qui est morte ? Il y a un devenir mort de la
Tu m'as dit, si elle meurt l'affiche meurt aussi, alors, vie et un devenir vie de la mort ;
tu vas me montrer comment c'est une affiche on passe sans cesse d'un terme
morte ?
— Et bien, d'accord. à l'autre. Le phylactère est un
actant assurant la déterritoriali-
sation du terme vie et la reterri-
torialisation du terme mort.
107
d'arriver à l'écrit, en bouleversant la topographie traditionnelle du texte écrit.
Chaque possible est un récit qui s'articule avec un autre possible ; on crée
ainsi un texte à plusieurs niveaux narratifs que l'on superpose à la lecture
du montage de la lre affiche, de la 2e affiche et des deux ensemble.
108
Choix des épisodes : ils s'ordonnent b. Vision traditionnelle de
l'Histoire la Résistance est
autour de deux axes :
:
considérée comme connue à travers
• les résistants agresseurs : tous les films déjà visionnés ;
— plastiquage d'un train d'où le choix stéréotypé des
— attentat contre un Allemand épisodes.
c. Représentation sous forme
• les Allemands agresseurs : d'images d'Epinal ou de romans-
— contrôle d'identité et arrestation photos : poses figées, gestes
— interrogatoire et torture suspendus. C'est la restitution
— exécution des partisans. des stéréotypes issus de la vie
sociale et familiale .
Création d'images Au plan individuel :
Les scènes jouées sont photographiées a. Choix préférentiel des élèves
« sur le vif ». Dans quelques cas, la pose étrangers pour tenir les rôles :
est étudiée à l'avance. intégration implicite et
valorisation de leur statut ethnique
(jamais explicitement reconnu
depuis la quatrième).
b. Expression de la violence
dans le jeu : défoulement
contrôlé sur le plan gestuel mais
raffinement des intentions.
C. Remise en cause de
l'identité, de J'unicité de la personne.
Ne fallait-il pas être à la fois
soi-même, un acteur s'interro-
geant sur son rôle, et le
personnage du rôle ? Ce continuel
« Qui suis-je ?» en a troublé
plus d'un : « Madame, on n'y
comprend plus rien ! »
(Catherine).
Cet éclatement, cette
perturbation de la personnalité ont été
féconds pour sensibiliser
ultérieurement à une distanciation
vis à vis de toutes formes de
symbolisation.
109
jouées. On dessine des cartons comme rupture » est sans cesse
dans le film. récupéré par Je discours d'escorte
La bande-son est inscrite sous chaque (bande-son) dans lequel on
s'ingénie à expliquer ce qui va
image. (Documents A et B, p. 122). suivre. On cherche à éviter au
lecteur toute perturbation
inquiétante du déroulement diégétique.
Photo 4 : — Patrick (in) : Comment
était-il physiquement ?
Avez-vous des portraits
de lui?
— Mélinée (in) : Je n'en ai • Le portrait tracé par
pas mais je me souviens Mélinée est celui de Patrick.
qu'il était petit, trapu
avec des cheveux frisés.
Photo 5 : — Mélinée : Jusqu'à sa • Adéquation du texte et
mort il a combattu. du geste de Mélinée.
— Réalisateur (off) :
Justement je voudrais tourner
cette scène de la mort.
Carton : Préparation des acteurs. • Annonce de la photo
Photo 6 (off) : « Ils avaient leur suivante.
portrait sur les murs de nos • Agnès décoiffe Patrick
pour qu'il soit « hirsute ».
villes,
Noirs de barbe et de
nuit, hirsutes, menaçants ».
(Aragon)
110
a) la séquence initiale : le bonheur • Le découpage aux ciseaux
b) la rencontre avec l'agresseur non paraît sacrilège : respect du
texte, objet fini et clos.
identifié comme tel
c) la première agression
d) la seconde agression.
B. Transposition : 2 heures de • La transposition choisie
discussion, environ 5 h. d'écriture. s'inspire du film « Elle court ©Ile
court la banlieue » vu à la
Travail réalisé par groupes de 4 élèves, télévision quelque temps
chaque groupe devant réécrire une des auparavant.
séquences. Sujet choisi : l'agression de la On réinvestit à l'école la
vie moderne sur un jeune couple. connaissance acquise par les mass-
1 — Présentation du jeune couple médias en reprenant les
heureux, installé grâce à l'aide des parents, stéréotypes du roman-feuilleton.
dans une HLM. Goût du mélodrame qui plait
malgré sa banalité.
2 — Fatigués par le travail, les « La vie, c'est comme ça I »
transports, les bruits des voisins, les jeunes Pierrette.
gens s'épuisent. Le texte cherche à donner le
3 — Le « stress » : Corinne succombe à reflet d'une certaine réalité.
une dépression nerveuse. Ecriture très simple, mais
presque toujours correcte (bienfaits
du travail d'équipe).
C. Montage (Documents I. II. III. IV. • On pouvait prendre toute
p. 124). 'liberté à l'intérieur de la consigne
de montage, tant par le
1 — des deux textes l'un dans l'autre déplacement de fragments de leur ordre
2 — disposition sur fond coloré et linéaire que par le choix des
illustrations de photos diverses. illustrations.
Exemple de montage des textes (IV). • Le montage des textes a été
« Avec difficulté, Michel se lève et se opéré par découpage en blocs
prépare pour aller à son travail. Pour assez longs juxtaposés selon un
s'assurer de la météo, il regarde par la parallélisme sémantique assez
rigoureux. Presque toujours le
fenêtre et il s'aperçoit qu'il fait un temps récit des élèves semble
de chien. Après avoir mis un pardessus, engendrer le texte de Perrault. Il
il embrasse sa femme et lui dit : s'agit d'une recherche
— Je pars aujourd'hui pour Zurich et je d'équilibre des masses (le conte était
ne rentrerai pas avant demain. plus court) mais aussi du désir
— A demain, et fais bon voyage. de valoriser Ja production
Michel sort de chez lui et descend les personnelle, plus vraie car plus
escaliers quatre à quatre. Il monte dans ancrée dans la réalité.
sa vieille Panhard, difficilement il réussit
à la mettre en marche. Une heure plus
tard il arrive à la gare de Lyon et conduit
sa teuf-teuf dans le garage et prend son
service dans le train Paris-Zurich.
Le petit Chaperon Rouge, quelque temps • Parallélisme des actions :
après vient heurter à la porte. — Toc, toc Michel arrive à la gare, le
Qui est là ? Chaperon Rouge arrive chez ea
grand-mère.
Quelques heures après son départ de
Paris, le train rencontre une pluie
diluvienne. A l'intérieur du wagon, plusieurs
passagers sont inquiets. D'autres, ma-
111
• Souci constant d'éviter le
lades, demandent à Michel des remèdes
pour calmer la douleur. Dans ce wagon, coq-à-l'âne. Ici, il y a
déplacement d'un fragment du conte
beaucoup d'inquiétude règne. pour faire correspondre le
— Ma mère-grand, que vous avez de dialogue entre le Chaperon Rouge
grands bras ! et le loup avec les discussions
— C'est pour mieux l'embrasser mon entre Michel et les passagers du
enfant. train.
— Ma mère-grand, que vous avez de
grandes oreilles !
— C'est pour mieux t'écouter mon
enfant.
— Ma mère-grand, que vous avez de • C'est un montage en fausse
grandes jambes ! rupture. Récupération d'une
— C'est pour mieux courir mon enfant. notion rejetée au fond comme trop
perturbante.
— Ma mère-grand, que vous avez de
grands yeux !
— C'est pour mieux te voir mon enfant.
Montage textes et photos (planches I à IV • Dans la plupart des cas,
p. 124). l'image garde sa fonction
— même disposition du papier dans les purement décorative. Elle intervient
comme 'redondance du texte
4 groupes. (PI. I : images évoquant le
— verticalité des textes. bonheur).
— recherche de l'équilibre des masses • La question de la pertinence
— peu de chevauchements du texte et de de l'iconographie a été
l'image (planche II King Kong, planche largement débattue à l'occasion d'un
III texte chevauchement de l'image). retour sur l'objet produit. Toutes
les illustrations non redondantes
Choix des images ont été remises en cause (PI. IV,
Redondances manifestes entre texte et violente contestation du choix de
l'image de droite = « saignement
image (PL I et IV).
des moutons à Rungis »). Le
Déplacements : PI. II : King Kong comme souci primordial reste celui de
figure de l'agresseur maintenir transparente l'intention
PI. III : saut du karatéka des auteurs.
comme image de l'agression • La lecture comme l'écriture
PI. IV : moutons tués à sont vécues au premier degré.
Rungis : l'agression en pleine action et La passivité devant un texte dont
les victimes. on n'accepte pas d'envisager le
« non-dit » conduit à la
production d'un texte de même type.
Reconduction par l'écriture d'un
même type de lecteur.
UN NOUVEAU CHATEAU DE CARTES?
Cette résistance acharnée des élèves face à toute tentative pour briser
le cadre du récit traditionnel mérite d'être prise en compte. Pour des jeunes
qui se trouvent en classe aménagée — donc dans une situation légèrement
marginale — mais qui aspirent fortement à rejoindre le peloton des «
normaux », le respect de la norme officielle demeure primordial. On craint de
choquer, on craint la raillerie et le rejet.
Il faut ajouter que cette résistance, cette appréhension devant la
libération complète du langage et la destruction des « modèles » sont aussi le fait
du professeur. Peut-on prendre le risque de remettre en cause les fameux
112
schémas logiques mis en place si difficilement ? À-t-on le droit de perturber
tous les modèles de pensée, même les plus traditionnels ? Ne risque-t-on pas
de replonger ces jeunes encore fragiles dans l'incompréhension et l'insécurité ?
N'est-on pas simplement en train de proposer un nouveau modèle narratif
qui se substituerait au premier et dont les élèves seraient à nouveau
prisonniers ?
Après quelques hésitations, la perturbation du modèle a été proposée.
113
pour mieux courir mon enfant, il réussit • Plus tard, en s'appuya-nt sur
difficilement à la mettre en marche. (...) deux exemples différents, on a
A l'intérieur du wagon, plusieurs montré aux élèves que des
auteurs publiés (de « vrais
passagers sont inquiets. D'autres, malades auteurs ») pouvaient utiliser les
— c'est pour mieux t'écouter mon mêmes procédés et techniques
enfant — demandent à Michel des remèdes d'écriture :
pour calmer leur douleur — ma mère- — Le Rossignol se tait à l'aube
grand, que vous avez de grands bras. Dans d'Eisa Triolet. Texte publié en
ce wagon beaucoup d'inquiétude règne... deux couleurs : le noir pour le
présent, le rouge pour le
souvenir.
— La nuit face au soleil de Julio
Cortazar (Les armes secrètes)
montage par blocs alternés de
deux récits jouant sur le
passage du rêve à la réalité.
Intrigués par cette nouvelle lue en
classe par le professeur,
certains élèves ont emprunté le
livre.
114
raient s'intégrer à une suite diégétique, c'est alors que les interventions de
la maîtresse ont été les plus contraignantes. Elles se sont traduites par des
relances nombreuses, des apports d'articulation que nécessitait la pauvreté
en outils de liaison syntaxique.
Par contre, dans un second temps, c'est sans réticences et spontanément
que les enfants, invités à « raconter une autre histoire » ont songé à « changer
de place les dessins », et, sans abandonner les thèmes familiers (le père, la
mère, la maison, etc.), ont essayé de verbaliser un agencement différent.
Compte tenu des réserves concernant les structures mentales d'un
enfant d'âge pré-scolaire, il y a donc eu une réelle sensibilisation à la lecture
des supports signifiants visuels et à leur diversité d'articulation. En outre
l'apport, implicite, des outils linguistiques concernant l'enchaînement du
discours s'est avéré fécond dans la perspective d'une incitation massive à
l'expression orale (faire parler l'enfant est l'un des objectifs majeurs en
maternelle).
Bien que modeste dans ses résultats, cette pratique pédagogique permet,
tout en respectant une structuration logique en voie de développement, de
ne pas laisser l'enfant prisonnier d'un parcours linéaire unique ; elle ouvre au
contraire à de multiples possibles du récit, et pourrait provoquer peut-être,
si elle était étendue, un déplacement de l'imaginaire, qui empêcherait la
fixation sémantique des images à laquelle se heurtent les essais entrepris
dans les classes plus avancées.
* •
POINT D'ARRÊT
115
considère comme les plus instrumentales : la capacité, donc, de s'adapter à
l'exigence sociale, de s'intégrer à son système d'organisation, en répétant les
parcours qui en règlent la diffusion.
C'est ici que l'opération de scripto-montage rencontre son exigence la
plus périlleuse : perturber, par une intervention pédagogique active, le bon
réglage des systèmes ; après l'incitation au faire, prendre le risque de défaire,
et d'insinuer, dans la pluralité limitée des montages, le pouvoir explosif d'un
démontage généralisé, rejoignant les formes les plus déroutantes de
l'écriture dite moderne.
Il est symptomatique qu'à cette destruction du texte achevé, ce soient
les enseignants eux-mêmes qui apportent le plus de résistance. L'enjeu est
de taille, certes : au lieu d'opérer le verrouillage du sens que demandent les
élèves, il s'agirait de pousser la mise en œuvre de montages différentiels
jusqu'à la rencontre d'une différence active, qui diffère le sens dans la défection
permanente des signes ; de remettre en activité une écriture que son statut
élitiste enferme dans le ghetto de la culture ; la mettre donc en circulation,
pour en éprouver, concrètement, le pouvoir de subversion. Mais cette
perspective se heurte à l'exigence pédagogique qu'imposent les conditions réelles
d'enseignement : l'objectif principal n'est-il pas d'intégrer les élèves, et de
les assurer au sein d'une institution qui fonctionne par rejets en chaîne et
marginalisation croissante ? La contradiction apparaît clairement entre le
refus d'une marginalisation définitive, donc la tentation de faire de
l'audiovisuel un instrument de réintégration linguistique, et l'enjeu même de cette
réintégration, qui renforce l'empire des signes institués. Elle ne peut être
résolue — pas plus que le désarroi d'une recherche dont l'objet se dérobe
au fur et à mesure qu'il se développe ; tout au plus éprouvée activement au
cours d'une expérience non délimitable qui, en jouant sur le
décloisonnement des codes, des genres et des systèmes, met en instabilité ouverte la
fonction pédagogique elle-même.
116
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Pour bousculer un instant le quotidien.
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