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Pratiques : linguistique, littérature,

didactique

Des images à (dé)monter


Leone Fontesse, Bruno Grémilly, Anne-Marie Le Gall, Didier Oillo, Marie-Claire Ropars,
Evelyne Bouvière

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Fontesse Leone, Grémilly Bruno, Le Gall Anne-Marie, Oillo Didier, Ropars Marie-Claire, Bouvière Evelyne. Des images à
(dé)monter. In: Pratiques : linguistique, littérature, didactique, n°18-19, 1978. Arrêts sur l'image. pp. 95-124;

doi : https://doi.org/10.3406/prati.1978.1054

https://www.persee.fr/doc/prati_0338-2389_1978_num_18_1_1054

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DES IMAGES A (DÉ)MONTER

Leone FONTESSE, Bruno GREMILLY


Anne-Marie LE GALL, Didier OILLO
par
Marie-Claire ROPARS
Evelyne ROUVIÊRE

Le bilan qui suit a été rédigé collectivement par quelques enseignants


à l'issue (provisoire) d'une expérience menée dans une « Unité de Valeur »
de l'Université de Paris VlII-Vincennes. L'objectif vincennois de cette
U.V. était de proposer à des « étudiants » la possibilité d'articuler leurs
études universitaires et leur pratique professionnelle ; plus spécifiquement,
en interpellant comme public les enseignants intéressés par la pédagogie du
cinéma et de Paudio-visuel, le responsable de l'U.V. souhaitait mettre en
relation, si ce n'est en conflit, les propositions de la recherche théorique
développée en Université et les apports d'une démarche pédagogique qui
serait exercée dans le cadre de l'école.
En l'occurrence, il s'agissait ici d'expérimenter les modalités d'une
introduction à l'analyse du cinéma dans un établissement du second degré.
Suivant une perspective sémiotique, le fonctionnement d'un film relève de
procédures spécifiques, certes, mais qui mettent en jeu des processus de
signification comparables à ceux de tout texte. On entendait donc voir dans
quelle mesure les méthodes élaborées pour une approche textuelle d'un
système filmique (1) pouvaient être transposées à l'échelle d'une classe ;
dans quelle mesure également elles permettaient d'assurer à terme une prise
critique sur les conditions réelles qui président à la perception d'un film en
circuit normal. Rassemblement collectif en salle obscure, continuité de flux,
vitesse de déroulement, attraction de l'image mobile, densité de l'illusion
de réalité constituent les bases mêmes de l'interpellation cinématographique,
celles que vivent quotidiennement les élèves ; or ce sont précisément celles
que la démarche analytique remet en cause lorsqu'elle procède par arrêt
sur image et projection plan par plan, retour en arrière ou accélération du
parcours, bref, démantèlement des mécanismes d'enchaînement, construction

(1) —
Voir
Cl. par
BAILBLE,
exemple:
M. MARIE, M.-C. ROPARS : Muriel : histoire d'une recherche (étude textuelle
du film de Resnals), Galilée, 1975.
— M.-C. ROPARS. P. SORLIN: Octobre: écriture et Idéologie, T. I., Albatros, 1876.

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méthodique de réseaux signifiants. Une telle opération d'analyse peut-elle
réaliser à terme, par entraînement progressif du regard et de la mémoire,
un déplacement perceptif du spectateur, qui le rendrait alors capable de
démonter, au lieu de les développer, les effets idéologiques produits par le
système dominant de représentation ?
Posée aussi radicalement, la question désigne un champ de difficultés
théoriques beaucoup plus qu'elle n'indexe une procédure pédagogique. Des
expériences furent cependant tentées par les participants de l'U.V. pour
préparer en termes analytiques une sortie de classe dans une salle
commerciale et pour introduire dans le cadre d'un cours des travaux de type
cinématographique inspirés des postulats discutés par ailleurs en U.V. Notre
propos, ici, n'est pas de rendre compte de l'expérience dans sa totalité ;
mais plutôt de faire apparaître comment un certain nombre de tentatives
fortement diversifiées, élaborées et critiquées collectivement dans le cadre de
PU.V., éprouvées personnellement dans les classes respectives des divers
enseignants concernés, ont conduit à un double résultat : mesurer, sans doute,
l'apport d'une hypothèse théorique sur la notion de texte étendue à des
systèmes visuels, mais aussi déplacer profondément la question initiale, trop
enfermée dans le champ spécifique d'un genre (le cinéma) et trop limitée
à une perspective strictement analytique.
Ces déplacements ont opéré dans différentes directions, qui furent
inégalement explorées : traversée de plusieurs genres audio-visuels, de l'affiche
au photo-roman en passant par le film ; mise en relation textuelle de divers
systèmes signifiants, verbaux et iconiques ; articulation de développements
pratiques et de retours analytiques ; production d'objets par le montage, et
démontage permanent des objets produits. Leur formulation a fait apparaître
plus clairement aux yeux des participants ce qui se joue de leurre autour
de Paudio-visuel à l'école, et à quelles conditions risquées d'auto-négation
celui-ci peut introduire un élément de « jeu » dans le fonctionnement de
l'ordre scolaire. Ce sont ces difficultés et ces enjeux que le présent article
voudrait situer : loin de proposer l'exemple réussi d'une « application » de
la recherche universitaire à la pratique pédagogique, il entend remettre en
cause cette division des tâches qui ferait de la recherche un laboratoire
neutre d'outils utilisables comme des « recettes » pour une pédagogie rénovée.

GÉNÉRIQUE

— A Vincennes
Enseignant: Marie-Claire ROPARS, maître- Dans la démarche suivie au
assistant au Département de littérature cours de cette expérience, un
française de l'Université de Paris VIII -Vincennes.
Etudiants : Une vingtaine de participants choix fut particulièrement
réguliers, dont 15 enseignants ou déterminant pour la suite des
documentalistes exerçant dans des établissements du parcours. On le définira ici
second degré. 10 d'entre eux organisèrent non dans son émergence
des travaux de classe sur les bases progressive, mais bien dans ses
proposées en U.V. ; 5 prolongèrent l'expérience
sur toute une année scolaire et acceptèrent conséquences ressaisies a
d'en établir collectivement le bilan. posteriori.

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Durée : 2 rendez-vous hebdomadaires de De fait, il tient à la prise
3 heures chacun pendant un semestre en considération des
universitaire (1976-1977). conditions concrètes de travail, qui
Corpus de l'U.V. : des films (vus en salle, se présentèrent initialement
ou analysés plan par plan au projecteur), des comme autant d'obstacles à
images {affiches ou photogrammes de films), une entreprise univoque,
des manuels (d'introduction à l'audio-visuel, homogène et délimitée. A la
normatifs ou pragmatiques), des travaux diversité des enseignants
d'élèves (romans-photos, bandes magnétiques, directement inscrits dans l'U.V.
collages, montages divers...).
correspondait en effet une très
Modalités de travail : deux perspectives forte disparité des élèves
sont abordées simultanément : indirectement concernés, au.
1) analyse filmique : mise en place de niveau de l'âge (de la maternelle
techniques et d'hypothèses de recherche à la fin du 1er cycle), des
(présentation analytique d'un passage d'Octobre) ; types d'établissement (du CES
puis constitution de groupes procédant à des au foyer d'accueil), des
études analogues sur d'autres films (Citizen
Kane et La Règle du Jeu en l'occurrence). catégories mêmes de classe
Des enseignants transposent ensuite dans (handicapés sociaux aussi bien que
leurs classes une approche de ces deux films ; cursus dits normaux). Ces
la tentative tourne court avec les élèves mais obstacles se sont avérés
le travail se prolonge dans le cadre de J'U.V. féconds à partir du moment où
par une analyse des procédures narratives le groupe décida de s'en tenir
repérables dans ces deux films, et par une collectivement à cette
discussion sur les exercices qui permettraient hétérogénéité, ce qui signifiait,
de relier l'étude analytique d'un film à des concrètement, de laisser toute
expériences de montage et de pratique
intertextuelle du récit. latitude aux constantes les plus
immédiatement relevables : la
2) Préparation collective d'une sortie en marginalité dominante des
salle. L'Affiche rouge est choisi pour des statuts, et la pauvreté générale
raisons conjoncturelles (nouveauté, diffusion des moyens. On constate que
en banlieue comme en art et essai, tarifs de
groupe, vaste support publicitaire, l'expérience est allée le plus
modernité...). Le film est critiqué dans l'U.V. loin dans les classes où les
(reconduction d'une conception transparente de enseignants choisirent de se
l'histoire sous une apparente complexité donner le maximum de marge,
formelle). En revanche, la préparation de la s'ils ne l'avaient déjà de par
sortie s'avère plus fructueuse. Une lecture leurs types d'élèves.
sémiotique de l'affiche publicitaire (retenue
pour sa force d'interpellation polysémique) Une telle décision entraîne
éclaire les effets idéologiques relevés dans le aussitôt un déplacement de la
film (deux formes de représentation visée analytique, trop abstraite
simultanément à l'œuvre), et la manière dont le pour inaugurer l'entreprise :
montage les fait jouer tout en inversant te sans être totalement rejetée,
dispositif de l'affiche allemande (déchirure elle fut dans la plupart des
transversale de l'affiche rouge, fléchage vers
le bas de l'affiche allemande). cas suspendue à une
réalisation préalable des élèves. Se
Sont ainsi amorcés le passage du cinéma trouve ainsi provisoirement
à d'autres systèmes visuels, et l'inscription de écartée — et mesurée au
ces différents systèmes dans une détour d'un débat sur quelques
problématique commune du montage. Les travaux faits
dans les classes contribueront à déplacer manuels d'initiation — toute
plus largement les perspectives en abordant réinsertion directe du domaine
la réalisation concrète de montages et la audio-visuel dans le champ du
confrontation avec des textes. savoir culturel établi : l'ana-

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— Dans les classes lyse filmique, si du moins il
doit en être question, se
1) Enseignant: Bruno GREMILLY, instituteur
spécialisé titulaire d'une 4e C.P.P.N. Etudiant gardera du rôle que lui assigne
à Vitvcennes parce qu'autre part ce n'est la stratégie de modernisation
pas/plus pareil. des programmes — sous sa
Etablissement : Aulnay sous Bois, la forme naïve, récupératrice
banlieue Nord. Puis derrière une cité et une (reconduction des dogmes de
chaufferie, le CES « Pablo Neruda», ex Gros- l'histoire littéraire désormais
Saule. Semblable à tant d'autres. appliqués au langage
Classe : la C.P.P.N., une classe comme cinématographique) comme dans sa
toutes les classes, une classe dépotoire. version savante, substitutive
Les maîtres : spécialistes ou remplaçants (recensement de techniques et
dont c'est le premier poste ; qui d'autre en décomposition structurale de
voudrait ? codes allant, par
Les élèves : 25 élèves de tous niveaux, emboîtements successifs, de l'image
enfants d'émigrants ou de migrants, d'ouvriers
ou de petits cadres, de chômeurs et de fixe au montage des images
couples désunis, qu'inadaptation, associabi- animées). Mais la mise en
lité, retards et échecs scolaires, garde implique à terme une
incompréhension de part et d'autre amènent à une certaine interrogation auto-critique sur
désespérance. l'analyse textuelle elle-même
Démarche : La présence continuelle et et la clôture qu'elle suppose,
suivie des élèves, la possibilité d'avoir à un cette clôture eût-elle pour fin
apport théorique un support pratique, la l'évaluation critique d'un
mouvance des idées classe/Vincennes, une mode de fonctionnement :
certaine latitude et une disponibilité certaine ont l'enfermement dans un texte
permis de mener ce travail, bien qu'imparfait, littéraire ou filmique ne
au-delà de la page lue puis refermée du
photo-roman. reconduit-il pas la consécration
socio-esthétique des œuvres à
2) Enseignant : Didier OILLO, instituteur laquelle procède, à travers ses
stagiaire sur poste d'enfance inadaptée, manuels, l'institution
section handicapés sociaux. Etudiant à Vincennes scolaire ? La question est ici
à cause des facilités offertes aux étudiants
renvoyée de l'école à l'Université,
(cours du soir) et des méthodes nouvelles.
Etablissement : un foyer d'accueil de l'Aide dont l'objet de recherche se
Sociale à l'Enfance, « L'Ecole de la Cité de trouve ébranlé au moment
l'Enfance du Plessis-Robinson ». Ce foyer même où il sert de référence
accueille des enfants des Hauts de Seine pour une expérimentation.
ayant des problèmes sociaux ; ils y sont
placés, pour une période variable, par le Devenue condition première
juge des enfants ou par les parents eux- de l'entreprise analytique, la
mêmes. Les enfants sont répartis en niveaux réalisation se heurte
scolaires, déterminés par le directeur et les évidemment à l'absence d'appareils :
enseignants. Chaque enseignant travaille sur privée de moyens, elle peut
trois niveaux scolaires. plus aisément rompre avec
Classe : 15 enfants de 7 à 15 ans. Trois les mythologies technologiques,
sont non-lecteurs, dix de niveau CE2-CM1, suivant lesquelles la
une de niveau CM 2 et une de niveau 6e production lourde des images
type allégé. Durant les quatre semaines de instaurerait magiquement libération
l'expérience, trois enfants sont repartis chez
eux, et deux nouveaux sont arrivés. des discours et socialisation
Organisation du travail : La liberté totale des échanges, permettant
laissée aux enseignants pour le choix des d'assurer chez les élèves cette
programmes et l'emploi du temps a permis capacité d'expression
d'utiliser 4 heures par semaine pour un tra- person el e et de communication maî-

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vail inhabituel : élaboration et transformation trisée devenue impossible dans
d'une affiche, avec enregistrement magnétique le domaine verbal ou écrit.
d'un dialogue entre l'enseignant et les élèves. On voit se profiler ici une
3) Enseignant: Anne-Marie LE GALL, PEGC autre des fonctions assurées
lettres, histoire - géographie, en situation de par le recours à l'audio-visuel
certifiée stagiaire (Intégration des PEGC dans dans les diverses stratégies de
le corps des certifiés). Licence complète de rénovation pédagogique :
lettres modernes à Vincennes. Inscrite à déplacer le champ d'exercice (de
l'U.V. par goût et non par nécessité. la langue à l'image) pour
Etablissement: CES Jean Perrin, Le Kremlin effacer l'échec (la perte de
Bicêtre (94). l'écriture) — en camouflant ses
Classes ; 3" aménagée mixte ; 20 élèves causes institutionnelles ; et
âgés de 15 à 16 ans : 11 filles et 9 garçons postuler dans les appareils une
(5 élèves d'origine étrangère) ; classe formée neutralité instrumentale, ou
de façon sélective : élèves en difficulté mais même un pouvoir propre
« sérieux et accrocheurs ». L'enseignant avait d'explosion, en restant
travaillé avec une partie d'entre eux en 4e étrangement silencieux sur l'envers
aménagée. de cette appropriation — la
Milieu socio-professionn&l des parents ; pesanteur économique qui,
ouvriers, petits employés, militaires. dans le cadre scolaire tout
Horaire : 9 heures par semaine : 5 heures au moins, rend les utilisateurs
de français plus 1 heure (classe aménagée) ; plus tributaires encore de
3 heures d'histoire-géographie. l'institution elle-même.
Organisation du travail : travail réalisé pai
groupes d'élèves {4 par groupe en général). Une réalisation orientée vers
Groupes organisés par le professeur pour la fabrication systématique
éviter le rassemblement dans une même des images bute sur
équipe d'élèves ayant trop de difficultés l'ambiguïté de la médiation
d'expression. technologique. Faute de statut
Démarche : L'introduction à l'analyse officiel, donc de caméras, la
filmique dans un CES : projet irréalisable à réalisation s'oriente ici dans une
première vue (manque d'appareil de projection autre voie : plutôt que de
avec arrêt sur l'image ; temps limité par le produire toutes ses images, fût-ce
découpage en heures-cours). Il a semblé plus manuellement, l'entreprise
simple de préparer les élèves à une sortie partira aussi bien d'images déjà
de classe dans une salle commerciale pour
voir le film « L'affiche rouge ». Le projet produites, en faisant porter
restait pour nous peu élaboré sur le plan l'essentiel de l'expérience sur
théorique. Ce qui nous intéressait dans ce leur manipulation, c'est-à-dire
film, outre l'évocation d'une période sur les divers parcours
historique «au programme», c'était la possibilité de signifiants dont elles peuvent
mettre les élèves en contact avec un montage devenir les composantes.
en rupture, avec une représentation non
chronologique de l'Histoire (d'une histoire). La Ont été rejetées, ainsi, deux
recherche des exercices susceptibles de procédures antagonistes qui
rendre la lecture du film accessible a été vécue caractérisent suivant les cas
de façon empirique. Au départ, il devait la scolarisation du cinéma .
s'agir d'un travail de 2 ou 3 semaines (en
décembre). Stimulés par l'intérêt, le plaisir, annexion littéraire, et
pris par les élèves à ces séances de institutionnalisation audio - visuelle.
préparation, nous avons tenté d'exploiter un Ici, au contraire, l'étude
certain nombre d'idées et de tes mener jusqu'à filmique s'est trouvée prise peu à
leur développement maximum (de janvier à peu dans un ensemble de
juin avec des interruptions). pratiques intertextuelles — la

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Étapes : spécificité visuelle des
1) Préparation à la vision du film matériaux (dessins, photos,
— analyse et lecture de l'affiche du film ; affiches, images fixes ou mobiles)
— lecture de 2 textes en miroir : ne conditionnant pas
• la dernière lettre de Manouchian ; l'inscription dans un genre déterminé,
• le poème d'Aragon « Prose pour se mais contribuant au contraire,
souvenir » ; par mise en relation ouverte,
— séance de mimodrame associé à des prises à traverser un certain nombre
de photos : les élèves jouaient des scènes de domaines prétendus
du film (il fallait les imaginer car le film
n'avait pas été vu) ; ces scènes étaient spécifiques, y compris, comme on
photographiées. le verra, celui du texte écrit.
2) Exploitation après la sortie au cinéma L'exploration de l'écriture
— de l'image au texte : production de deux devient ainsi l'enjeu de
montages différents des photos prises en l'expérience. Celle-ci trouvera un
classe {donc deux histoires). support efficace dans une
— du texte à l'image : à partir du conte
de Perrault « Le Petit Chaperon Rouge » : conception sémiotique du
a) démontage de ce texte par division en texte. Mais elle se heurtera aux
séquences inspirées des travaux de Propp. limites que lui impose
b) réécriture des séquences en prenant l'exigence même de la
comme thème un problème de la vie moderne. scolarisation : rester dans un ordre
c) montage alterné des deux textes avec symbolique socialement réglé
illustrations (photos diverses) découpées dans sur les objectifs de Tinter-
les journaux. communication ; maîtriser le
— du récit chronologique au récit éclaté : codage — soit — mais non
à partir d'une des séquences montée en s'aventurer dans une rupture
alternance, provoquer l'éclatement
maximum des deux textes afin de produire un des codes, et un dérèglement
nouveau texte allant à la limite des de l'imaginaire.
possibilités acceptables par les élèves.
4) Enseignant: Evelyne ROUVIÈRE,
institutrice, étudiante à Vincennes.
Etablissement : Ecole maternelle Jeanne
Vacher à Champigny.
Classe : Les moyens de la maternelle. 37
élèves inscrits, 36 présents : 20 filles, 17
garçons. Age moyen : 4 ans.
Perspective : avec la même série de
dessins, faits par les enfants, essayer
d'obtenir des parcours de signification différents
grâce à un ordre différent (changement de
montage).

PLACE D'UNE HYPOTHÈSE

Le détour par une pratique impose, on l'a vu, une réévaluation de


la théorie. Plus exactement de sa place et de sa fonction — non de sa
nécessité : subordonner l'entreprise de lecture à une activité d'écriture, certes,
mais en fondant l'écriture, comme la lecture, sur une conception
théoriquement articulée des opérations de sens mises en jeu.
Il faut souligner ici la fécondité d'une hypothèse d'origine filmique,
qui, une fois engagée dans la démarche d'ensemble, donc critiauée, permit

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à son tour de conduire en termes critiques une expérience orientée vers le
bricolage de systèmes scripto-visuels. L'analyse d'Octobre d'Eisenstein (base
provisoire du travail en U.V.) débouche sur une étude des textes qui le
sous-tendent, et situent le film dans la visée d'une « cinécriture ». En
prolongeant jusqu'au détournement les postulats d'Eisenstein sur l'écriture
cinématographique, on décida de donner au montage, c'est-à-dire à l'articulation
des matériaux mobilisés dans un discours, un rôle prédominant pour la
constitution de processus signifiants ; donc de prendre à la lettre de
l'expérience l'affirmation eisensteinienne suivant laquelle la signification engendrée
par la mise en relation conflictuelle de plusieurs représentations figuratives
ressemble plus à leur produit qu'à leur somme, et peut être, à la limite,
indépendante de ces représentations.
Cette capacité productrice accordée au montage s'appuie chez Eisen-
stein sur une critique de la représentation prétendument réaliste, dont il
souligne au contraire le rôle dans la reproduction institutionnelle du réel ;
elle le conduit à récuser en même temps le cloisonnement des genres (fausse
opposition du littéraire et du cinématographique, du signe et de l'image) et
à inscrire ceux-ci dans un processus sémiotique commun, caractérisé par la
discontinuité active des articulations. Glosons ici Eisenstein dans le droit fil
de Benvéniste et de Derrida. Le montage est en jeu dans toute écriture, une
fois celle-ci renvoyée au mouvement de (dés)articulation qui la constitue. Le
sens dans un texte ne procède pas par addition de matériaux significatifs ;
la mise en succession de différents énoncés produit, au contraire, une rupture,
un choc, plus ou moins effacé par le glissement textuel ; l'articulation se
fait suivant une relation différentielle, voire conflictuelle, dont le
fonctionnement est par définition ouvert, incessant. On voit comment la théorie
eisensteinienne du montage se trouve ainsi réactivée par l'hypothèse grammatolo-
gique. Une telle hypothèse, pratiquée contre Eisenstein lui-même et le rôle
conceptuel qu'il donne au montage dans certains de ses articles (2), ne peut-
elle servir de support à une libération de l'écriture dans la réalisation de
textes, au sens large, où serait engagée non la transcription de concepts,
mais l'épreuve de divers types de fonctionnement ?
Ainsi détournée de son contexte d'élaboration, et située dans la
perspective d'une expérimentation scripturale, la formule eisensteinienne permet de
marquer quelques points d'ancrage pour la démarche engagée :
— Limitation, théoriquement fondée cette fois, de la spécificité
irréductible de l'image, et singulièrement de son isolement : on posera, à titre de
postulat, que l'image isolée n'existe pas ; elle est toujours montée, que ce
montage s'affiche dans la rupture des enchaînements reconnus et la mise en
disponibilité sémantique du matériau visuel, ou qu'il s'efface par la
dissimulation de tout indice dénonciation au sens stabilisé. S'esquisse alors une
démarche au niveau analytique : non pas aller de l'image au montage, mais
reconnaître le montage pour saisir l'image, dans ses failles comme dans ses
masques.
— Réinscription du texte littéraire lui-même dans l'opération de
montage et de démontage : un texte écrit peut faire l'objet de divers découpages

(2) On 86 réfère Ici aux textes publiés par Elsensteln dans les années 1928-1929 : voir en
particulier l'article « Hors Cadre >, traduit dans les Cahiers du Cinéma, n° 215 ; une autre traduction,
sous le titre • Le principe du cinéma et la culture Japonaise • en est proposée dans l'édition
française de « Film form » et « Film sensé », Cf. EISENSTEIN, le film : sa forme, son sens,
Bourgols, 1976.

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syntagmatiques ; il peut alors entrer dans une pratique transtextuelle où la
mise en relation du visuel et du verbal devienne à son tour génératrice de
discours.
— Expérimentation ouverte de la capacité productrice du montage :
les mêmes matériaux étant donnés, selon quels processus variables peuvent-ils
s'articuler? Quelles sont les ruptures de sens impliquées par les changements
de montage ? Quelles modifications engagent-elles dans le statut assigné au
destinataire ? A quel moment atteint-on une résistance sémantique du matériau
lui-même ? Jusqu'où peut-on aller dans le désenchaînement des figures ?
L'objectif, en ce cas, n'est plus de réaliser une œuvre à dominante
visuelle suivant l'itinéraire classique qui va du scénario rédigé, donc du
texte, à la mise en images ; et du signifié, reconduit comme premier, au
signifiant, réduit au rôle d'instrument dans une traduction. Il s'agit au contraire
d'explorer la productivité signifiante des matériaux en fonction de leur
articulation, et, à terme, de comparer les divers parcours possibles et ce
qu'ils mettent en jeu.
Ainsi entendue, la réalisation concrète de montages s'écrit
nécessairement au pluriel pour une même entreprise. C'est aux limites de cette pluralité
que la démarche expérimentale s'est heurtée le plus fortement, comme en
témoignent les exemples qui vont être décrits.

I. EN CLASSE DE C.P.P.N.

• Comment, d'un déplacement du — En laissant à la « créativité » le


sens, d'une polysémie introduire la soin de reproduire les conditions du
notion de montage : la valeur d'une système à travers le photo-roman,
image n'étant pas définitive mais véhicule des genres les plus spéci-
se connotant dans une articulation. fiques. Et de par le démontage,
• Comment libérer la créativité si transgresser, en le perturbant, le
ce n'est en la niant, c'est-à-dire genre, afin d'obtenir des ruptures de
en la postulant en un premier sens sens engageant une polysémie créa-
comme la reconduction tacite d'un tive : retour à une nouvelle « image
système. des images ».
La C.P.P.N. fonctionnant en deux groupes
classe, chaque groupe a assumé sa
fonction précise dans le travail. Le premier
groupe montant, le second démontant et
remontant. La classe ensuite engagée dans
une confrontation des productions.
LE SUICIDE D'UNE
INSTITUTRICE.
• Le PREMIER groupe a créé en • avant-propos des élèves ;
totale autonomie ses scénarios,
choisi et réalisé son photo-roman. « Cette histoire se passe dans une
• 14 photos noir et blanc, format classe de 3e C.P.A. à Paris. Les
6x6, collées 2 par 2 et agrafées élèves sont insupportables avec leur
en un cahier. institutrice. Je vous parle de ça car
Titre une institutrice d'Aulnay sous Boi9
• L'action se passe en intérieurs. s'est suicidée. »
• Dans la classe : (10 clichés). • La classe de C.P.P.N.

102
— Où elle essaye vainement de • Reproduction tacite et linéaire du
faire sa leçon. fait divers, du drame amoureux où
— Où elle est chahutée par ses se retrouvent tous les poncifs :
élèves, qui fument et l'insultent. jeune institutrice, élèves dévoyés,
* Dans un couloir : (1 cliché). drame. Aucune recherche dans le
— Elle quitte sa classe. montage. D'ailleurs qu'est-ce ?
* Chez elle : (2 clichés).
— Elle se suicide en s'ouvrant les
veines.
* En conclusion, après une page * Réminiscence d'un travail sur
noire, la photo de la classe déchirée L'affiche rouge. Affiche du film
en deux : l'institutrice d'un côté, les exposée en classe. La déchirure est
élèves de l'autre. Déchirure interprétée comme séparation entre
accentuée par sa coloration en rouge. l'adulte « institution » et les élèves.
(Photo C3 page 122). Le rouge accentuant le mortel.

LA RÉALITÉ EST MARGINALE


* Le DEUXIÈME groupe est mis « ...par une recherche discrète de
en présence, d'abord du leurs interférences, au fil d'une
photo-roman (le dialogue n'étant pas inscrit). métaphore dont le déplacement
Ensuite, il a à sa disposition une symbolique neutralisera les sens
série de photos ayant servi au seconds des termes qu'elle associe,
montage. restituer à la parole sa pleine valeur
* II s'agissait dans la première d'évocation. »
démarche de reconduire un récit, tout J. LACAN.
en respectant la norme linéaire du
photo-roman. • La première démarche amène un
* La seconde démarche permettait récit linéaire proche de celui du
d'utiliser ces photos en libre photo-roman. Nous retrouvons en
association afin de créer des récits les fait tous les archétypes déjà
plus divers possibles. véhiculés.
De cette seconde démarche, deux
types retenus ici :
* L'un conservant la dualité :
maître/élève, tout en extrapolant les • Agressivité et violence subsistent
acteurs, qui deviennent vampires ou toujours. La valeur sémantique de
démons « aux longues dents ». l'image n'est pas ici contestée, mais
* L'autre, utilisant la photo à la c'est la charge sémantique de
limite de son sens, n'hésitant pas à l'image qui s'impose.
un montage non linéaire, occultant
tout ce qui pourrait être de par trop
référentiel à la classe ou à une scène
type. • La rupture du montage entraîne
- (* Photo Cl page 122) une rupture de sens fortement
* — Une jeune fille se fait ressentie par les élèves qui n'hésitent
attaquer par un voyou dans sa chambre pas à détourner l'image de sa
d'hôtel. Que deviennent le tableau, signification première. La réalité de
les tablés et les chaises de classe ? l'image, se découvre par la
Photo numéro 7 dans le roman- contrainte sémantique du montage : l'image
photo. en elle-même « peut toujours avoir
(Photo C2 page 122) un autre sens ».

103
— Elle se souvient en ce même • La contrainte que procure ce
moment, d'avoir aperçu ce garçon dans montage amène à une certaine
la rue, lorsqu'elle rentrait du créativité.
travail.
Photo numéro 15 dans le roman-
photo.

MONSIEUR, ON PEUT AUSSI


PARLER EN CHANGEANT LES
IMAGES.
La « création » effectuée, les deux L'image avait pour les élèves un
groupes ont confronté leurs statut fixe, quasi immuable, celui
recherches : de la chose vraie, puisque
Grand étonnement de voir le photographiée.
traitement ainsi infligé à un travail quasi Le démontage, en apportant la
narcissique. perturbation dans le système édifié,
Grand étonnement en se rendant incite à une pluralité des lectures,
compte que la photo puisse ainsi poussant au cas...
être détournée de son contexte et
être encore « productive ».
Découverte qu'une photo mise en ...limite avec le détournement de
contact avec d'autres photos puisse l'image, poussant aux jeux par des
prendre un sens différent. montages différents. La tangibilité
de la photo, et le rôle du scénario
et du montage ont été ainsi abordés.

L'expérience compte se poursuivre l'an prochain, par une approche


du montage utilisant et détournant un film de type publicitaire.

II. A LA CITÉ DE L'ENFANCE

Le principal objectif de notre travail a été d'utiliser la créativité pour


approcher la notion de montage. Les techniques audio-visuelles se
développant de plus en plus, les enfants sont en contact permanent avec soit
la télévision, soit le cinéma, mais ils restent cantonnés dans leur fonction
de spectateur passif absorbant sans comprendre. Comment comprendre un
film, l'analyser sans appréhender son système d'écriture et par là-même de
montage ? Devant les difficultés des enfants face à l'analyse directe d'un
film, il semblerait préférable de débuter par des images créées par eux-mêmes
et pour eux-mêmes. L'enfant, n'étant plus face à une image imposée, devient
actif et fabrique son propre cadre. De plus, l'image statique, dont le statisme
n'empêche pas par ailleurs la représentation du mouvement, offre un avantage
considérable pour la compréhension, car le rythme de déroulement n'est pas
imposé de l'extérieur, comme c'est le cas dans le film possédant sa vitesse
propre que le spectateur doit subir. Les enfants ont donc découpé des
images et les ont montées pour raconter une histoire. Ce travail fut enregistré :
voici le décryptage de la bande (colonne de gauche) et quelques remarques
adjacentes (à droite).

104
L'affiche est terminée. Commentaire des enfants.
— On a fait une affiche. Nous avons inventé un film
comique. Ça se passe avec des femmes et des
enfants dans les Pyrénées ; la ville s'appelle
Rlvesaltes. Alors nous avons inventé un film
pour vous, pour que vous voyez bien.
Pourquoi c'est un film comique ?
— C'est un film comique parce qu'il y a des femmes
et pas d'hommes, des femmes déguisées en cow-
boy. !
Alors des femmes en cow-boy c'est toujours
comique?
— Oui I Oui I Non mais de toutes façons les femmes
et les hommes sont de la même qualité. Pourquoi utiliser la
Alors pourquoi les hommes ne sont pas comiques photographie et non le dessin ?
et les femmes sont comiques ?
— Parce que c'est moins fort. Le dessin ne reproduit pas
— Parce que c'est rare. une totalité ; la règle du jeu n'est
— ils sont tous les deux de la même... aussi forts. pas la même que pour les
Pourquoi est-ce comique une femme ? images photographiques que l'on
— Parce que c'est une femme habillée en cow-boy
avec un pistolet. peut monter et articuler les unes
— Parce que c'est rare de voir une femme habillée aux autres.
en cow-boy avec des pistolets. Le dessin est de plus un
Mais ce n'est pas comique I exercice de style exigeant un
— Si, ça a quelque chose de comique. Si, parce
qu'il y a des enfants et du karaté là-haut. apprentissage ; le fossé existant déjà
Pourquoi l'avoir mis là celui-là ? entre les élèves de la classe
— Donne-lui un coup de pied dans la gueule. s'en serait trouvé accentué.
— Pour que... pour que les hommes se défendent. Plusieurs revues ont été mises
Et les enfants ?
— Les enfants, eux, ils ont rien fait de mal. (Rire) à la disposition des élèves, ces
— Ils sont avec les femmes comiques. Faut pas rire, revues ont été fournies par
ris pas, ris pas... l'établissement Elle, La vie du rail.
Qu'est-ce qu'on voit encore en bas ? Le chasseur français, Marie-
— On voit... nous voyons... je vois des mains, des
mains avec des ganta. Claire.
— Ça représente une fleur. Les enfants ont choisi des
Ah ! Oui, une fleur images et les ont découpées
— Tiens C'est une fleur Carnivore. suivant le contour pour mieux
I

Et pourquoi une Carnivore ?


— Parce que ça tue, ça tue. Elle a un pistolet. Alors les monter. Différents thèmes
ça tue. sont retenus, mais la majorité se
Alors c'est une fleur qui tue ? décide pour le « western ».
— Une fleur mortelle. Les images sont assemblées
D'accord I Qu'est-ce qu'on volt là encore ?
— Dans le panneau, on volt des yeux et il y a et collées sur une feuille de
marqué Rlvesaltes. papier noir (voir photo n° 1,
Et pourquoi y a-t-ll des yeux ? page 123).
— Parce que c'est une dame qu'avait été cachée Les enfants créent un scénario
derrière.
Ah ! C'est une dame 7 qu'ils exposent lors d'un
— C'est une femme qui va à la ville des femmes ; enregistrement. La démarche du
c'est la ville des femmes. dialogue est réglée par des questions
Il y a des lèvres maquillées et des yeux, pourquoi ? de l'enseignant. Chaque question
— Et des bagues aussi, ça se passe en France.
Parce qu'en France, II y a des lèvres et des yeux amène à une impasse, parce
sur les panneaux ? qu'elle implique à chaque fois
— Non... ça veut dire qu'il n'y a que des femmes, une réponse, et une seule :
II y a plus de femmes que d'hommes. question et réponse forment un
— C'est pour faire montrer... c'est une ville de
femmes, la ville des cow-boys... ensemble clos.
— Ça se passe en France, en vrai la ville elle C'est l'articulation des
s'appelle Rivesaltes. questions entre elles — leur liaison
Qu'est-ce qu'Us font les yeux ? conflictuelle — qui engage les
— Ils regardent.
Ils regardent qui ? réponses dans un montage
— ils regardent les femmes. permettant de sortir de l'impasse,
— Non I et de faire bouger l'ensemble :
— Ils nous regardent.
— Et le panneau il a des pieds, c'est pour changer le cercle s'ouvre : va-et-vient ?
de ville. spirale ?

105
Introduction du Ballon L'affiche est polysémique. Les
enfants cherchent à articuler tous
Vous avez vu ce que j'ai fait autour ? J'ai mis les sens entre eux de manière
une bulle. Qu'est-ce que ça signifie ? Est-ce que
ça change quelque chose ? à avoir un « sens commun »,
— Oui. une histoire.
Qu'est-ce que ça change ? Après plusieurs tentatives, les
— Et bien ça change que il n'y a plus les femmes
qui sont comiques. enfants ne peuvent que
— Ils sont dans une ville... fragmenter le texte, en commentant
— C'est mis dans sa tête, la bulle, elle est dans chaque partie de l'affiche.
sa tête, elle se souvient de ce qu'elle avait dit... 'Les enfants ne débouchent sur
avant.
Elle, qu'est-ce qu'elle a de particulier ? aucune histoire concrète.
— Elle n'a pas d'yeux. Plusieurs espaces sont mis en
— Elle a les yeux noirs. succès s ion, il n'y a aucune dié-
— Elle est dans la bande avec les autres. gèse. Le travail aurait pu être
— Elle est morte, elle est morte.
Elle est morte ? Qui l'a tuée ? laissé ainsi, mais il nous a
— Le pistolet, avec les mains. semblé intéressant d'introduire un
— La fleur qui tue. élément perturbateur, cette
Et au moment où elle est tuée que se passe-t-ll ? perturbation étant destinée à
— Elle pense, elle pense à l'avenir qui tue... Non
le passé. stimuler la créativité du groupe.
— Elle est morte, elle pense à tout ce qu'elle a fait. Nous avons collé en bas à
— Elle rêve à tout ça, tout ce qu'elle a joué gauche de l'affiche le masque
comme sketches, comme films. d'une femme dépourvue des
Au début, c'était un film comique, et maintenant ce
n'est plus comique, il y a une femme qui est organes de communication.
tuée, qui est morte, et qui pense à tout ce qu'elle De la dite bouche du masque
a fait. part un phylactère entourant
— Quand on est mort, on peut pas penser à ce toute l'affiche (photo n° 2, page
qu'on a fait.
— Elle est dans le coma, dans le coma, elle est 123).
évanouie dans le coma. L'affiche ainsi perturbée est
Alors ? soumise au commentaire des
— Alors elle pense à tout ce qu'elle a fait, qu'elle enfants (Photo n° 3, page 123).
aimerait bien refaire. Elle commence à mourir,
elle est très malade, alors elle imagine.
Elle Imagine quoi ?
— Elle imagine tout le passé qu'elle a vécu.
Qu'est-ce qu'elle a fait ?
— Elle a fait un film comique avec des enfants
et ses copines.
Et où sont-elles ?
— A Rivesaltes dans les Pyrénées.
— Non elle a peut-être changé de pays.
Qu'est-ce qu'elle volt ? Il y a des choses bizarres
dans son rêve ?
— Il y a une fleur qui tue.
Ça n'existe pas les fleurs qui tuent.
— Si ! Il y en a qui sont mortelles, dans les pays
d'Afrique.
— Les fleurs à pistolets ça n'existe pas.
Tiens I Ça n'existe pas ?
— Non, ça n'existe pas les fleurs à pistolets.
Et les pistolets à fleurs ?
— Ah ! Ça n'existe pas. Pour les enfants, le contenu
— Si ça existe, par exemple un pistolet qui est du phylactère désigne les
formé de fleurs ou qui a des fleurs dessus... pensées du masque. Ledit masque
Mais il pourrait faire un meurtre s'il tue quelqu'un.
Ça se passe en France, c'est pas un pays de représente une morte ; cette
cow-boys, c'est pas les mêmes mains, c'est pas morte, soit tuée par le contenu
la même couleur de pétales et çà n'a pas la de ses pensées, soit agonisant,
même forme... se rappelle ou anticipe certains
Pourquoi y a-t-il un petit bonhomme là-haut ?
— C'est pour se défendre des femmes, parce qu'elles moments de sa vte.
font la loi. Il est intéressant de constater
Vous m'avez dit qu'elle Imaginait tout. que la femme mourante n'a pas
— Oui, elle imagine, elle avait tapé le monsieur ; il
s'est défendu. C'est Marie Laforêt, elle joue des de réalité en soi. C'est une
films... COMIQUES. actrice qui visionne un spectacle.

106
Pouvez-vous me raconter l'histoire ou une histoire
de cette affiche ? Comment elle commencera,
comment finira-t-elle ? Y a-t-il un commencement,
une fin ?
— Ça commence par quatre femmes. Il y a une
femme qui est en train de boire et puis les
femmes qui sont là, sont dans un bistro. L'autre
elle n'a pas de sous, alors elle dit : « un whisky,
je vous paierai demain ». Alors le barman il veut
pas servir parce qu'il ne fait pas crédit.
Il ne fait pas crédit?
— Ça se passe en France, en France on fait pas
crédit.
— Elle a dit quelque chose qui n'a pas plu au
monsieur ; il est allé mettre son habit de karaté
il a plein de déguisements.

;
Pourquoi il s'est déguisé ?
— Pour faire croire qu'il était un vrai karatman.
— Maintenant il y a le shérif qui arrive, il dit:
« qu'est-ce qu'il y a là »? Ils répondent : « nous
ne faisons rien de mal ». Alors le batman, non
le barman dit : « c'est pas vrai ». Le shérif dit
« c'est moi qui paye ». Le karatman arrive et le
shérif lui dit • nous vous arrêtons pour avoir :
fait un meurtre dans la ville ».
:

Le meurtre de qui ?
— De la dame qui pense, elle commence à mourir
alors.
Alors ses pensées l'ont tuée ? Ce qu'elle pense, Le phylactère joue le rôle
c'est ce qu'elle pense qui l'a tuée. Elle commence d'une machine de pouvoir, les
à mourir. Vous dites c'est dans ses pensées que enfants sont dépossédés de leur
tout cela se passe. Selon vous, c'est dans ses
pensées qu'on l'a tuée. production. Leur montage, tout
— Non, elle commence à mourir, elle pense avant de ce qu'il y a à l'intérieur de la
mourir ; elle croit qu'on va la tuer, elle imagine bulle, appartient aux pensées de
tout ça. Parce que c'est l'avenir, pas le passé.
Comment ça peut se terminer alors ? la femme masque.
— Et bien la femme elle est morte, elle était morte.
Alors ses pensées aussi, et l'affiche également, que
va-t-ll se passer ?
— Tous sont morts.
— Tout semble mort.
— Tout un ensemble mort.
SI nous faisions une affiche, après celle-là, Les enfants dépossédés de
comment serait l'affiche ? leur montage tentent de le
— Et bien on représenterait un autre film comique,
et une autre histoire. récupérer en construisant une
Regardez l'affiche. Vous m'avez dit que c'était ces seconde affiche (voir photo 4,
pensées. Bon si elle meurt a-t-elle encore des page 123).
pensées ? ■La prise de pouvoir du
— Non I elle est dans le coma. phylactère révèle une multiplicité
Et que devient l'affiche ? des sens.
— Elle meurt aussi. Elle est morte.
C'est comment une affiche morte ? La mort est temporaire, elle
— C'est à moitié déchiré, elle est... chiffonnée. calque la vie et se substitue à
Pouvez-vous me faire une affiche morte ? elle.
— Une affiche, où il y a une dame ?... qui est morte ? Il y a un devenir mort de la
Tu m'as dit, si elle meurt l'affiche meurt aussi, alors, vie et un devenir vie de la mort ;
tu vas me montrer comment c'est une affiche on passe sans cesse d'un terme
morte ?
— Et bien, d'accord. à l'autre. Le phylactère est un
actant assurant la déterritoriali-
sation du terme vie et la reterri-
torialisation du terme mort.

Une problématique linguistique se met en place. Le récit n'a ni


commencement ni fin ; l'affiche, par sa polysémie, est une matrice des possibles.
Le but final est de faire envisager tous ces possibles aux enfants, et par là

107
d'arriver à l'écrit, en bouleversant la topographie traditionnelle du texte écrit.
Chaque possible est un récit qui s'articule avec un autre possible ; on crée
ainsi un texte à plusieurs niveaux narratifs que l'on superpose à la lecture
du montage de la lre affiche, de la 2e affiche et des deux ensemble.

III. EN CLASSE DE 3* AMÉNAGÉE

Préparation à la vision du film. — Perspective.

Au nom d'une certaine logique dont il conviendrait de préciser les


présupposés idéologiques, l'école forme les élèves au respect de la
chronologie. Ainsi la recherche des causes d'un événement historique s'inscrit-elle
dans un découpage linéaire du temps. Ainsi l'étude linéaire des textes
littéraires laisse-t-elle à penser que le sens se construit par l'addition des
significations des phrases successives examinées dans l'ordre syntagmatique.
Le résultat est qu'après un certain nombre d'années, les adolescents
trouvent que c'est « normal », que « dans la vie c'est comme ça ». Au nom
de cette normalité, ils sont tentés de rejeter toute forme d'écriture
différente, la jugeant d'emblée « anormale », donc folle et peu sérieuse. Pour les
préparer à la vision d'un film comme l'Affiche Rouge, il s'agissait donc de
les confronter à un autre système d'écriture, et de susciter une prise de
conscience qui les amènerait à s'interroger sur l'Histoire (questionnement =
lecture de faits passés, engageant l'historien à des choix). D'où une remise
en cause de la fameuse objectivité de l'Histoire et de la transparence des
événements.

UN COUP DE VENT DANS LE Hypothèse de départ


CHATEAU DES CONCEPTS ETABLIS. Le recours au vécu, à l'agi,
Séance de mimodrame : durée 1 heure. doit permettre de mieux
Transposition au plan scolaire du thème comprendre et reconnaître les
différents niveaux de représentation
initial du film de F. Cassenti. Comment filmique.
représenter au cinéma l'histoire du groupe Parallélisme des démarches de
Manouchian. Les élèves étaient les Cassenti et de la classe.
acteurs, le professeur jouait le metteur en — poser le problème du choix
scène ouvert à toutes les propositions des épisodes,
de sa troupe. — problème du traitement de
L'organisation de la séance par les élèves. l'histoire (ici, en observant le
Distribution de quelques rôles : comportement des élèves).
Au niveau Individuel : retour sur
• Manouchian : un élève nord-africain
des notions temporelles par une
• des Allemands : deux garçons très prise de conscience de la façon
grands dont nous vivons le temps : dans
• des résistants : les étrangers de cette heure vécue en continuité,
préférence. chevauchements du présent et
Choix des lieux : de la représentation du passé.
• le préau assez dégradé pour figurer une Résultats observés
Au plan général :
salle de torture
a. Acceptation passive du récit
• le mur de la caserne au fond de la cour (succint) du professeur, sans
de récréation, idéal pour l'exécution questionnement, sans remise en
des partisans cause de l'authenticité de ce
• la salle de classe. récit (l'Histoire, c'est une histoire).

108
Choix des épisodes : ils s'ordonnent b. Vision traditionnelle de
l'Histoire la Résistance est
autour de deux axes :

:
considérée comme connue à travers
• les résistants agresseurs : tous les films déjà visionnés ;
— plastiquage d'un train d'où le choix stéréotypé des
— attentat contre un Allemand épisodes.
c. Représentation sous forme
• les Allemands agresseurs : d'images d'Epinal ou de romans-
— contrôle d'identité et arrestation photos : poses figées, gestes
— interrogatoire et torture suspendus. C'est la restitution
— exécution des partisans. des stéréotypes issus de la vie
sociale et familiale .
Création d'images Au plan individuel :
Les scènes jouées sont photographiées a. Choix préférentiel des élèves
« sur le vif ». Dans quelques cas, la pose étrangers pour tenir les rôles :
est étudiée à l'avance. intégration implicite et
valorisation de leur statut ethnique
(jamais explicitement reconnu
depuis la quatrième).
b. Expression de la violence
dans le jeu : défoulement
contrôlé sur le plan gestuel mais
raffinement des intentions.
C. Remise en cause de
l'identité, de J'unicité de la personne.
Ne fallait-il pas être à la fois
soi-même, un acteur s'interro-
geant sur son rôle, et le
personnage du rôle ? Ce continuel
« Qui suis-je ?» en a troublé
plus d'un : « Madame, on n'y
comprend plus rien ! »
(Catherine).
Cet éclatement, cette
perturbation de la personnalité ont été
féconds pour sensibiliser
ultérieurement à une distanciation
vis à vis de toutes formes de
symbolisation.

MONTAGE DES PHOTOS


durée : 2 heures en classe, Le visionnement des photos a
3 heures ailleurs. lieu une semaine après celui du
film. C'est à ce moment
seulement que s'opère un retour
effectif sur le film. L'étape du mi-
modrame n'a donc pas suffi à
en préparer la vision. A aucun
moment une conscience claire du
processus engagé ne s'est
manifestée.
1er montage réalisé par les 9 garçons.
On retrouve, juxtaposées dans
Essai de reconstitution d'un montage en ce montage, les photos
rupture, en intercalant des images appartenant à une même série
montrant des discussions d'élèves et les scènes sémantique. L'essai de « montage en

109
jouées. On dessine des cartons comme rupture » est sans cesse
dans le film. récupéré par Je discours d'escorte
La bande-son est inscrite sous chaque (bande-son) dans lequel on
s'ingénie à expliquer ce qui va
image. (Documents A et B, p. 122). suivre. On cherche à éviter au
lecteur toute perturbation
inquiétante du déroulement diégétique.
Photo 4 : — Patrick (in) : Comment
était-il physiquement ?
Avez-vous des portraits
de lui?
— Mélinée (in) : Je n'en ai • Le portrait tracé par
pas mais je me souviens Mélinée est celui de Patrick.
qu'il était petit, trapu
avec des cheveux frisés.
Photo 5 : — Mélinée : Jusqu'à sa • Adéquation du texte et
mort il a combattu. du geste de Mélinée.
— Réalisateur (off) :
Justement je voudrais tourner
cette scène de la mort.
Carton : Préparation des acteurs. • Annonce de la photo
Photo 6 (off) : « Ils avaient leur suivante.
portrait sur les murs de nos • Agnès décoiffe Patrick
pour qu'il soit « hirsute ».
villes,
Noirs de barbe et de
nuit, hirsutes, menaçants ».
(Aragon)

2e montage réalisé par les 16 filles à Alors que le montage reste


partir des mêmes photos. construit très linéairement,
respectant la logique temporelle, la
Hold-up d'une banque. Résumé : morale traditionnelle (dernier mot
Cinq voyous ont décidé de cambrioler à la police), avec le souci
une banque. Pendant que les trois constant de ne pas créer
premiers braquent un revolver sur les d'équivoques dans la représentation
caissières et volent l'argent, les deux autres une fois pour toute établie des
font le guet et tuent un passant. personnages, les précédentes
L'enquête est difficile, mais une des caissières séries sémantiques sont habilement
déconstruites selon les
reconnaît dans la rue l'un des bandits. nécessités d'un nouveau scénario.
Les voleurs sont pris et reconduits en Cependant, avec ce montage,
prison par des agents armés de gourdins. on retrouve le roman-photo
traditionnel (texte redondant par
rapport aux gestes-expressions
de visages, personnages
représentés).
Exploitation après la sortie au cinéma
LE STÉRÉOTYPE A LA VIE DURE
Réécriture et montage du Petit Chaperon Rouge
A. Démontage du texte de Perrault : Réactions
2 heures * Ironie, étonnement, attendris-
Le texte, polycopié pour chaque élève, sèment se mêlent à la relecture
est découpé aux ciseaux en 4 séquences : du conte.

110
a) la séquence initiale : le bonheur • Le découpage aux ciseaux
b) la rencontre avec l'agresseur non paraît sacrilège : respect du
texte, objet fini et clos.
identifié comme tel
c) la première agression
d) la seconde agression.
B. Transposition : 2 heures de • La transposition choisie
discussion, environ 5 h. d'écriture. s'inspire du film « Elle court ©Ile
court la banlieue » vu à la
Travail réalisé par groupes de 4 élèves, télévision quelque temps
chaque groupe devant réécrire une des auparavant.
séquences. Sujet choisi : l'agression de la On réinvestit à l'école la
vie moderne sur un jeune couple. connaissance acquise par les mass-
1 — Présentation du jeune couple médias en reprenant les
heureux, installé grâce à l'aide des parents, stéréotypes du roman-feuilleton.
dans une HLM. Goût du mélodrame qui plait
malgré sa banalité.
2 — Fatigués par le travail, les « La vie, c'est comme ça I »
transports, les bruits des voisins, les jeunes Pierrette.
gens s'épuisent. Le texte cherche à donner le
3 — Le « stress » : Corinne succombe à reflet d'une certaine réalité.
une dépression nerveuse. Ecriture très simple, mais
presque toujours correcte (bienfaits
du travail d'équipe).
C. Montage (Documents I. II. III. IV. • On pouvait prendre toute
p. 124). 'liberté à l'intérieur de la consigne
de montage, tant par le
1 — des deux textes l'un dans l'autre déplacement de fragments de leur ordre
2 — disposition sur fond coloré et linéaire que par le choix des
illustrations de photos diverses. illustrations.
Exemple de montage des textes (IV). • Le montage des textes a été
« Avec difficulté, Michel se lève et se opéré par découpage en blocs
prépare pour aller à son travail. Pour assez longs juxtaposés selon un
s'assurer de la météo, il regarde par la parallélisme sémantique assez
rigoureux. Presque toujours le
fenêtre et il s'aperçoit qu'il fait un temps récit des élèves semble
de chien. Après avoir mis un pardessus, engendrer le texte de Perrault. Il
il embrasse sa femme et lui dit : s'agit d'une recherche
— Je pars aujourd'hui pour Zurich et je d'équilibre des masses (le conte était
ne rentrerai pas avant demain. plus court) mais aussi du désir
— A demain, et fais bon voyage. de valoriser Ja production
Michel sort de chez lui et descend les personnelle, plus vraie car plus
escaliers quatre à quatre. Il monte dans ancrée dans la réalité.
sa vieille Panhard, difficilement il réussit
à la mettre en marche. Une heure plus
tard il arrive à la gare de Lyon et conduit
sa teuf-teuf dans le garage et prend son
service dans le train Paris-Zurich.
Le petit Chaperon Rouge, quelque temps • Parallélisme des actions :
après vient heurter à la porte. — Toc, toc Michel arrive à la gare, le
Qui est là ? Chaperon Rouge arrive chez ea
grand-mère.
Quelques heures après son départ de
Paris, le train rencontre une pluie
diluvienne. A l'intérieur du wagon, plusieurs
passagers sont inquiets. D'autres, ma-

111
• Souci constant d'éviter le
lades, demandent à Michel des remèdes
pour calmer la douleur. Dans ce wagon, coq-à-l'âne. Ici, il y a
déplacement d'un fragment du conte
beaucoup d'inquiétude règne. pour faire correspondre le
— Ma mère-grand, que vous avez de dialogue entre le Chaperon Rouge
grands bras ! et le loup avec les discussions
— C'est pour mieux l'embrasser mon entre Michel et les passagers du
enfant. train.
— Ma mère-grand, que vous avez de
grandes oreilles !
— C'est pour mieux t'écouter mon
enfant.
— Ma mère-grand, que vous avez de • C'est un montage en fausse
grandes jambes ! rupture. Récupération d'une
— C'est pour mieux courir mon enfant. notion rejetée au fond comme trop
perturbante.
— Ma mère-grand, que vous avez de
grands yeux !
— C'est pour mieux te voir mon enfant.
Montage textes et photos (planches I à IV • Dans la plupart des cas,
p. 124). l'image garde sa fonction
— même disposition du papier dans les purement décorative. Elle intervient
comme 'redondance du texte
4 groupes. (PI. I : images évoquant le
— verticalité des textes. bonheur).
— recherche de l'équilibre des masses • La question de la pertinence
— peu de chevauchements du texte et de de l'iconographie a été
l'image (planche II King Kong, planche largement débattue à l'occasion d'un
III texte chevauchement de l'image). retour sur l'objet produit. Toutes
les illustrations non redondantes
Choix des images ont été remises en cause (PI. IV,
Redondances manifestes entre texte et violente contestation du choix de
l'image de droite = « saignement
image (PL I et IV).
des moutons à Rungis »). Le
Déplacements : PI. II : King Kong comme souci primordial reste celui de
figure de l'agresseur maintenir transparente l'intention
PI. III : saut du karatéka des auteurs.
comme image de l'agression • La lecture comme l'écriture
PI. IV : moutons tués à sont vécues au premier degré.
Rungis : l'agression en pleine action et La passivité devant un texte dont
les victimes. on n'accepte pas d'envisager le
« non-dit » conduit à la
production d'un texte de même type.
Reconduction par l'écriture d'un
même type de lecteur.
UN NOUVEAU CHATEAU DE CARTES?
Cette résistance acharnée des élèves face à toute tentative pour briser
le cadre du récit traditionnel mérite d'être prise en compte. Pour des jeunes
qui se trouvent en classe aménagée — donc dans une situation légèrement
marginale — mais qui aspirent fortement à rejoindre le peloton des «
normaux », le respect de la norme officielle demeure primordial. On craint de
choquer, on craint la raillerie et le rejet.
Il faut ajouter que cette résistance, cette appréhension devant la
libération complète du langage et la destruction des « modèles » sont aussi le fait
du professeur. Peut-on prendre le risque de remettre en cause les fameux

112
schémas logiques mis en place si difficilement ? À-t-on le droit de perturber
tous les modèles de pensée, même les plus traditionnels ? Ne risque-t-on pas
de replonger ces jeunes encore fragiles dans l'incompréhension et l'insécurité ?
N'est-on pas simplement en train de proposer un nouveau modèle narratif
qui se substituerait au premier et dont les élèves seraient à nouveau
prisonniers ?
Après quelques hésitations, la perturbation du modèle a été proposée.

Le récit éclaté Réactions des élèves.


On a demandé aux élèves (classe Etonnement, contestation.
« Personne ne va plus rien
entière) de déconstruire le montage d'une des
comprendre ».
séquences afin d'imbriquer les textes de L'a-normalité d'un texte
façon plus fine. Véritable démontage du équivalant à l'a-normalité des
texte phrase à phrase, syntagme à syn- auteurs, c'est la panique à l'idée
tagme. qu'un lecteur éventuel les
Incident imprévu. prendrait pour des fous.
Visite inattendue d'un des directeurs de
l'école. Il s'étonne de notre montage,
essaie de comprendre, n'y parvient pas, • C'est au moment où le
apportant ainsi de l'eau au moulin des créateur prend conscience d'un autre
plus réticents. Des élèves alors niveau de lecture possible — en
entreprennent d'expliquer ce qu'ils viennent explicitant lui-même le « non-dit »
eux-mêmes de contester (King Kong, c'est de son propre texte — qu'une
l'image de l'agresseur. Les barreaux de la évolution décisive se fait jour.
cage c'est le symbole de l'emprisonnement, Ce passage à la
lecture-écriture au second degré après une
de la frustration du jeune ménage bloqué
maturation assez longue et un
de toutes parts »). Le directeur alors débloquage brutal aura été un
valorise le travail (originalité, recherche des acquis les plus importants
intéressante) soulagement général. « Hé oui ! de cette expérience.
Il y a quelque chose à comprendre dans
ce que nous avons fait. » Véronique.
Texte Réalisé (PI. IV)
Avec difficulté, le petit Chaperon Rouge • Mise en pièces du texte de
quelque temps après, vint heurter à la Perrault certes... Mais respect
porte. Toc, toc ! Michel se lève et se intégral du texte des élèves dans
prépare pour aller à son travail. Pour son déroulement linéaire.
Difficulté — ou impossibilité — pour
s'assurer de la météo, il regarde par la
des adolescents de prendre du
fenêtre — C'est pour mieux voir, mon recul par rapport à leur propre
enfant ! et il s'aperçoit — ma grand-mère, que production. L'implication
vous avez de grands yeux! qu'il fait un affective empêche sans doute la
temps de chien. Après avoir mis son remise en cause, le démontage de
manteau, il embrasse sa femme et lui dit : son propre travail. Et l'écrit
— « Qui est là ? Je pars pour Zurich et conserve encore un caractère ea-
je ne rentrerai pas avant demain. C'est oré : le texte reste intouchable.
pour mieux f embrasser mon enfant. » • Du moins l'exercice est-il
« A demain et fais bon voyage ». devenu un jeu spirituel et plein
d'imprévus. La crainte de la folie
Michel sort de chez lui — ma mère- s'est muée en conscience d'une
grand, que vous avez de grandes jambes, intelligence agissante ; plaisir de
et descend l'escalier quatre à quatre. Il créer en pleine lumière,
monte dans sa vieille Panhard — c'est acceptation de soi.

113
pour mieux courir mon enfant, il réussit • Plus tard, en s'appuya-nt sur
difficilement à la mettre en marche. (...) deux exemples différents, on a
A l'intérieur du wagon, plusieurs montré aux élèves que des
auteurs publiés (de « vrais
passagers sont inquiets. D'autres, malades auteurs ») pouvaient utiliser les
— c'est pour mieux t'écouter mon mêmes procédés et techniques
enfant — demandent à Michel des remèdes d'écriture :
pour calmer leur douleur — ma mère- — Le Rossignol se tait à l'aube
grand, que vous avez de grands bras. Dans d'Eisa Triolet. Texte publié en
ce wagon beaucoup d'inquiétude règne... deux couleurs : le noir pour le
présent, le rouge pour le
souvenir.
— La nuit face au soleil de Julio
Cortazar (Les armes secrètes)
montage par blocs alternés de
deux récits jouant sur le
passage du rêve à la réalité.
Intrigués par cette nouvelle lue en
classe par le professeur,
certains élèves ont emprunté le
livre.

L'enchaînement étroit des exercices était fondé sur une hypothèse


implicite de similarité des genres qui s'est révélée productive. Si le travail
n'avait été interrompu par les grandes vacances, peut-être nous eût-il été
possible de revenir au point de départ : l'élaboration des parcours signifiants
dans un texte filmique.
Quant à la lenteur de l'évolution de la réflexion, quant aux hésitations
et à l'implication affective, nous n'avons pas voulu les gommer car tout
cela fait partie intégrante du travail. Les aspects théoriques émergeant de la
recherche ne peuvent être réinvestis tels quels, mais de façon très souple, en
fonction des motivations, des possibilités d'assimilation des élèves, compte
tenu de la psychologie du groupe. Les constants échanges élèves professeur
étant la condition essentielle d'une progression valable dans le déroulement
de cette expérience.
IV. EN MATERNELLE

Quelle valeur pédagogique un exercice concernant l'image et le


montage peut-il avoir au niveau de la maternelle ? Pour des enfants de 4 ans
en effet, la signification d'une image ou d'un dessin, parce qu'elle est
fonction de la charge affective du moment, s'avère naturellement multiple, et
proliférant jusqu'à constituer en soi une histoire. D'autre part, les notions de
cause, d'espace, de temps, d'identification d'un même objet dans une suite
d'images sont encore si peu fixées pour eux que tout récit non familier peut
en général être transformé sans qu'il y ait eu un changement des supports
signifiants.
Il a semblé à la maîtresse que les dessins (5, parmi d'autres exposés au
sol et commentés par leurs auteurs, ont été choisis et placés par les enfants
dans un ordre linéaire) pouvaient offrir une bonne motivation à la recherche
de parcours de sens différents. Mais lorsqu'il s'est agi de passer du signifié
global (d'ailleurs problématique) du premier dessin à celui du cinquième pour
constituer un récit cohérent, c'est-à-dire de repérer, puis de sélectionner
dans chacun des cinq supports des éléments qui, en devenant actants, pour-

114
raient s'intégrer à une suite diégétique, c'est alors que les interventions de
la maîtresse ont été les plus contraignantes. Elles se sont traduites par des
relances nombreuses, des apports d'articulation que nécessitait la pauvreté
en outils de liaison syntaxique.
Par contre, dans un second temps, c'est sans réticences et spontanément
que les enfants, invités à « raconter une autre histoire » ont songé à « changer
de place les dessins », et, sans abandonner les thèmes familiers (le père, la
mère, la maison, etc.), ont essayé de verbaliser un agencement différent.
Compte tenu des réserves concernant les structures mentales d'un
enfant d'âge pré-scolaire, il y a donc eu une réelle sensibilisation à la lecture
des supports signifiants visuels et à leur diversité d'articulation. En outre
l'apport, implicite, des outils linguistiques concernant l'enchaînement du
discours s'est avéré fécond dans la perspective d'une incitation massive à
l'expression orale (faire parler l'enfant est l'un des objectifs majeurs en
maternelle).
Bien que modeste dans ses résultats, cette pratique pédagogique permet,
tout en respectant une structuration logique en voie de développement, de
ne pas laisser l'enfant prisonnier d'un parcours linéaire unique ; elle ouvre au
contraire à de multiples possibles du récit, et pourrait provoquer peut-être,
si elle était étendue, un déplacement de l'imaginaire, qui empêcherait la
fixation sémantique des images à laquelle se heurtent les essais entrepris
dans les classes plus avancées.

* •

POINT D'ARRÊT

L'expérience fait apparaître que ni la production autonome ni la


décomposition analytique d'un système, ou de plusieurs systèmes successifs, ne
conduisent à une prise critique sur leur fonctionnement ; livrée à elle-même,
la créativité des élèves est déjà fortement déterminée par leur environnement
socio-culturel : publicité, roman-photo, montage narratif ou récit strictement
linguistique, lorsque leur élaboration est librement prise en charge par les
groupes de travail, reproduisent les modèles dominants qu'il s'agissait
précisément de critiquer. La spontanéité n'existe pas ; « l'œuvre » est
conditionnée par les œuvres déjà connues ; s'ajoute au blocage, pour le renforcer,
la charge affective nécessairement engagée dans une réalisation que l'on
considère comme personnelle.
Or c'est précisément cette conformité que risque de masquer le détour
par l'image : dans la mesure où celle-ci paraît relever d'une polysémie diffuse,
ou reste aveugle à sa capacité de nouer des chaînes de signification solidement
amarrées sur les formes les plus reconnues de la mimesis. Les travaux des
élèves, même les plus élaborés, tendent spontanément à l'effacement des
pouvoirs ruptifs du montage : à la mise en continuité, à l'enchaînement
précisément, donc à la répétition structurelle d'une réalité demeurée inébranlable.
L'intervention pédagogique ne saurait alors se reposer sur l'illusion
d'une création libératrice ; même dans la mise en comparaison de plusieurs
types de montage, ce qu'apporte, au plus, la réalisation collective d'une
entreprise de ce genre, c'est la maîtrise des formes expressives qu'une société

115
considère comme les plus instrumentales : la capacité, donc, de s'adapter à
l'exigence sociale, de s'intégrer à son système d'organisation, en répétant les
parcours qui en règlent la diffusion.
C'est ici que l'opération de scripto-montage rencontre son exigence la
plus périlleuse : perturber, par une intervention pédagogique active, le bon
réglage des systèmes ; après l'incitation au faire, prendre le risque de défaire,
et d'insinuer, dans la pluralité limitée des montages, le pouvoir explosif d'un
démontage généralisé, rejoignant les formes les plus déroutantes de
l'écriture dite moderne.
Il est symptomatique qu'à cette destruction du texte achevé, ce soient
les enseignants eux-mêmes qui apportent le plus de résistance. L'enjeu est
de taille, certes : au lieu d'opérer le verrouillage du sens que demandent les
élèves, il s'agirait de pousser la mise en œuvre de montages différentiels
jusqu'à la rencontre d'une différence active, qui diffère le sens dans la défection
permanente des signes ; de remettre en activité une écriture que son statut
élitiste enferme dans le ghetto de la culture ; la mettre donc en circulation,
pour en éprouver, concrètement, le pouvoir de subversion. Mais cette
perspective se heurte à l'exigence pédagogique qu'imposent les conditions réelles
d'enseignement : l'objectif principal n'est-il pas d'intégrer les élèves, et de
les assurer au sein d'une institution qui fonctionne par rejets en chaîne et
marginalisation croissante ? La contradiction apparaît clairement entre le
refus d'une marginalisation définitive, donc la tentation de faire de
l'audiovisuel un instrument de réintégration linguistique, et l'enjeu même de cette
réintégration, qui renforce l'empire des signes institués. Elle ne peut être
résolue — pas plus que le désarroi d'une recherche dont l'objet se dérobe
au fur et à mesure qu'il se développe ; tout au plus éprouvée activement au
cours d'une expérience non délimitable qui, en jouant sur le
décloisonnement des codes, des genres et des systèmes, met en instabilité ouverte la
fonction pédagogique elle-même.

116
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