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VIOLLET-LE-DUC

COMPTE RENDU:
UN RATIONALISME HANTÉ
NOTES SUR LA PENSÉE
STRUCTURELLE

Rédigé par

Oumnia EL AJJAJ
Mais aussi séduisante soit-elle, son hypothèse d’un Viollet-le-Duc
structuraliste avant l’heure présente le même inconvénient que les
interprétations trop restrictives du rationalisme structurel: celui de
projeterde manière excessive le théoricien de l’architecture au sein des
débats du xx-ème siècle, en oubliant tout ce qui le rattache à son époque,
ce siècle de l’industrie qui, tout progressiste qu’il soit, n’en demeure pas
moins irréductible à la seule marche en avant de la raison
scientifique et technique. Mentionnons en particulier le magistral ouvrage
de Martin Bressani, Architecture and the Historical Imagination, qui propose
une relecture de l’historicisme de l’architecte en prise sur un monde de
références beaucoup plus complexe et tourmenté que ce qu’en avaient
retenu jusque-là ses commentateurs, un monde où instincts. En relisant
l’article «Style» du Dictionnaire raisonné à la lumière de cette fascination,
Françoise Very avait notamment montré comment la croissance des Alpes
telle que la comprend Viollet-le-Duc, en faisant appel aux propriétés
géométriques du rhomboèdre, se rattache au principe vital dont dérive
selon lui l’architecture – la bonne architecture s’entend –, principe dont
l’application raisonnée permet à la construction d’apparaître comme la
poursuite ou plutôt l’extension d’une force
créatrice à l’œuvre au sein de la nature.
Au cœur de la démarche des bâtisseurs de la période médiévale, on trouve
ainsi un ensemble de préoccupations et de ressources indissociablement
sociales et constructives, de la nécessité de prévoir de grandes portées
afin d’abriter les assemblées religieuses à l’impératif d’économie de la
main-d’œuvre qui constitue à ses yeux l’une des justifications de l’arc en
ogive, puisque ce dernier permet de standardiser la taille des voussoirs.
C’est d’un mixte comparable, l’utilisation de galeries en encorbellement
permettant de distribuer de manière efficace les logis sans augmenter
l’emprise des fondations, que part d’ailleurs l’auteur des Entretiens pour se
livrer à des considérations sur le bon usage
que l’on pourrait faire du métal dans l’architecture du xixe siècle .
Dans une veine qui rappelle les spéculations d’Arthur de Gobineau, elle
justifie également aux yeux de l’architecte la primauté du gothique,
expression selon lui du génie aryen fondé sur l’équilibre harmonieux de
l’instinct et de la raison.
Cette possibilité de servir de catalyseur renvoie à l’un des aspects les plus
complexes et les plus troubles de la doctrine de Viollet-le-Duc:
l’importance accordée à la race comme facteur constitutif de l’identité
collective.
C’est à ce stade qu’apparaît le principal de ces fantômes, ce maître
d’œuvre médiéval inlassablement convoqué de livre en article, cet «
architecte habile du temps de Philippe Auguste » que Viollet-le-Duc se
plaît à faire renaître en plein siècle de l’industrie afin de lutter contre les
ogives de fonte de l’église Saint-Eugène de Louis Auguste Boileau,
contraires aux propriétés du métal comme à la vérité de la construction
gothique. À l’écart entre idéal et réalité ou encore original et état subsistant
vient se superposer un manque autrement plus radical de la structure qui
ne parvient jamais à se montrer tout à fait à la hauteur de son ambition de
prolonger la nature. Il est frappant que les célèbres
tentatives de transposition des principes de l’ossature animale et humaine
aux assemblages métalliques qui figurent dans l’Histoire d’un dessinateur
prennent,
ainsi que l’a remarqué fort justement Martin Bressani, des allures de
prothèses .
Plus encore que l’évolution des techniques, le passage de la pierre au
béton, c’est ce rejet des fantômes du passé qui signe le plus sûrement son
écart avec le rationalisme structurel d’un Viollet-le-Duc.

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